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DES ROSES.
À JaneIane, Princesse de NavarreNauarre.


UnVn jouriour de May, que l’Aube retournee
Refraischissoit la claire Matinee
D’unvn Vent tant doulx, lequel sembloit semondre
A prendre l’heure ains que se laisser fondre
A la chaleur du Soleil adveniraduenir
JeIe me levayleuay, à fin de prevenirpreuenir,
Et veoir le poinct du temps plus acceptable
Qui soit au jouriour de l’Este delectable.
Pour donc unvn peu recreer mes Espritz,
Au grand Verger, tout le long du pourpris,
Me pourmenois par l’herbe fresche & drue,
Là ou jeie veis la rosee espandue,
Et sur les choulx ses rondelettes gouttes
Courir, couler, pour s’entrebaiser toutes:
Puis tout soudain devenirdeuenir grosselettes
De l’eau tombee à primes goutelettes
Du Ciel serain: Là veis semblablement
UnVn beau Laurier accoustré Noblement
Par Art subtil, non vulgaire, ou commun,
Et le Rosier de Maistre JeanIean de Meun,
Ayant sur soy mainte Perle assortie,
Dont la valeur devoitdeuoit estre amortie
Au premier ray du chauld Soleil levantleuant,
Qui jaia taschoit à se mettre en avantauant. e 3 Le


70 DES ROSES.
Le Rossignol (ainsi qu’unevne buccine)
Par son doulx chant faisoit au Rosier signe,
Que ses Bouttons à Rosee il ouvristouurist,
Et tous ses Biens au beau jouriour descouvristdescouurist
L’Aube duquel avoitauoit couleur vermeille,
Et vous estoit aux Roses tant pareille,
Qu’eussiez doubté si la Belle prenoit
Des Fleurs le tainct, ou si elle donnoit
Le sien aux Fleurs plus beau que nulles choses:
UnVn mesme tainct avoientauoient l’Aube, & les Roses,
UneVne rosee, unvn mesme advenementaduenement,
Soubz d’unvn clair JourIour le mesme advancementaduancement,
Et ne servoientseruoient qu’unevne mesme Maistresse:
C’estoit Venus la mignonne Deesse,
Qui ordonna, que son Aube, & sa Fleur
S’accoustreroient d’unevne mesme couleur.
Possible aussi, que (comme elles tendoient
UnVn mesme lustre) ainsi elles rendoient
UnVn mesme Flair de perfum precieux:
Quant à cestuy des Roses, gracieux,
Que nous touchions, il estoit tout sensible:
Mais celuy là de l’Aube, intelligible
Par l’air espars ca bas ne parvintparuint point.
Les beaulx Bouttons estoient jaia sur le poinct
D’eulx espanir, & leurs aesles estendre,
Entre lesquelz l’unvn estoit mince & tendre, Encor


DES ROSES. 71
Encor tapy dessoubs sa coeffe verte:
L’autre monstroit sa creste descouvertdescouuerte,
Dont le fin bout unvn petit rougissoit:
De ce Boutton la prime Rose issoit:
Mais cestuy cy demeslant gentement
Les menuz plis de son accoustrement
Pour contempler sa charnure refaicte,
En moins de rien fut Rose toute faicte:
Et desploya la DivineDiuine denree
De son pacquet, ou la graine Doree
De la Semence estoit espaissement
Mise au milieu, pour l’embellissement
Du Pourpre fin de la fleur estimee,
Dont la Beauté, nagueresn’agueres tant aymee,
En unvn moment devintdeuint seiche & blesmye,
Et n’estoit plus la Rose que demye.
Veu tel meschef me complaingnis de l’aage,
Qui me sembla trop soudain, & volage,
Et dis ainsi: Las, à peine sont nees
Ces belles Fleurs, qu’elles sont jaia fennees.
JeIe n’avoisauois pas achevéacheué ma complaincte,
Que incontinent la ChevelureCheuelure paincte,
Maintenant veuë en la Rose excellente,
Tomba aussi par cheute violente
Dessus la terre, estant gobe & jolieiolie
D’ainsi se veoir tout à coup embellie e 4 Du


72 DES ROSES.
Du tainct des Fleurs cheutes à l’environenuiron,
Sur son chef brun, & en son vert giron:
Mais la Rosee (encor) les luy souilloit:
Car le Rosier que le JourIour despouilloit,
Veu l’accident de si piteux vacarmes,
La distilloit en lieu d’ameres larmes.
Tant de JoyauxIoyaux, tant de NouveautezNouueautez belles,
Tant de Presens, tant de Beautez nouvellesnouuelles,
Brief, tant de Biens que nous voyons florir
UnVn mesme JourIour les faict naistre, & mourir:
Dont nous Humains à vous, Dame Nature,
Plaincte faisons de ce que si peu dure
Le port des Fleurs, & que de tous les dons,
Que de voz mains longuement attendons
Pour en gouster la jouyssanceiouyssance deuë,
A peine (las) en avonsauons nous la veuë.
Des Roses l’aage est d’autant de duree,
Comme d’unvn JourIour la longueur mesuree,
Dont fault penser les heures de ce JourIour
Estre les Ans de leur tant brief sejourseiour
Qu’elles sont jaia de Vieillesse coulees,
Ains qu’elles soient de JeunesseIeunesse accollees,
Celle qu’hyer le Soleil regardoit
De si bon cueur, que son cours retardoit,
Pour la choisir parmy l’espaisse nuë,
Du Soleil mesme ha esté mescongneuë A ce


EPIST.EPISTRE À MAD.MADAME MARGVERMARGUERITE. 73
A ce matin, quand plus n’a veu en elle
Sa grand’ Beauté, qui sembloit Eternelle.
Or, si ces Fleurs de graces assouvyesassouuyes
Ne peuventpeuuent pas estre de longues vies,
(Puis que le JourIour, qui au matin les painct,
Quand vient le soir leur oste leur beau tainct,
Et le Midy qui leur rid les ravitrauit)
Ce neantmoins chascune d’elles vit
Son Aage entier. Vous donc JeunesIeunes fillettes,
Cueillez bien tost les Roses vermeillettes
A la rosee, ains que le temps les vienne
A deseicher: Et tandis vous souviennesouuienne,
Que ceste vie, à la mort exposee,
Se passe ainsi, que Roses, ou Rosee.


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