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De nos historiens qui cherchent l’origine des Gau-
lois & François,Chapitre1.


LES Philosophes veulent scavoir les cau-
ses & commancemens de toutes cho-
ses, quoy que cela soit a eus difficile: &
nos historiens aussi les origines & sources de tous
nos Gaulois & François, quoy que cela soit entie-
rement hors de leur pouvoir. Mais si ont ils bon-
ne grace ce pendant, car ils se disent tenir je ne sçay
quoy des Poëtes & des Paintres, & estre de leur
confrairie, ausquels Orace dit en son art de Poësie,
avoir de toute ancienneté esté permis de mentir en
arracheur de dens: par le moien de laquelle imme-
morable
imme-
moriale
préscription, quand nosdits historiens ne
sçavent ou ils sont de leurs heures, ils ne vous font
que dire la belle petite oraison,

     
Mousai Pieriethen,  ou 
Espete nun moi Mousai,  ou 
Quis deus ô Musae,  ou 

quelque autre telle: & soudain n’y a Apollo, Mu-
se, ni pie, en toute l’Italie, Grece, Armenie, Surie,
Egypte, bref, ni dessus ni dessoubs cete boule,
qui est toute tant mangee de ras, qui ne leur coure
gazouilher au ventre toutes les verités du livre des
quenoilhes: il n’i a Parisiens qui, ne sortent du aj



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Grec parrhesia, acause qu’aus femmes de Paris ne
gela encores jamais le bec, qu’on sache: ni Lute-
tia, qui ne soit Leucotechia, acause que les murs &
parois de Paris sont tous de plastre, & par ce mo-
yen leuca, c’est a dire blancs. Libourne sur la Dor-
dogne, pas plus en Perigort, que Berbezil en An-
goumois, a esté bastie par les Liburniens, qui vin-
drent en la Gaule avecques Hercules: de sorte qu’el-
le est plus ancienne de beaucoup que Rome, jaçoit
que les guerres des François & Anglois pour la
Guienne, l’aient bastie: Remus fait Reins aupres
des hanches, & Tournay joustes: le Trect vient
d’arbeleste, Treves de guerre, Poitiers de p’oi pre-
mier & de p’oi segond: & caetera, nouvelles mer-
velheusement fresches & plaisantes pour attacher a
celles de Messer Bocacio, fondees presques toutes
sur le gentil Berose (s’il est possible que ce Berose
grand Philosophe, que les anciens nous alleguent,
aye escrit telles frenaisies) sur un Xenophon equi-
vocateur, sur je ne sçay quel Manethon & aultres
tels: & despuis peu appuyees d’un Jean de Viterbe,
d’un autre plus que frere Jean, surnommé le Mai-
re, & d’aultres encores plus nouveaus, que ne doy
nommer, autant grans joueurs de rebec, qu’Hip-
pocrene en pissa jamais: lesquels entre autres bon-



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nes choses, ont fait cela de galant, qu’ils ont tiré du
sang de ces gentils de Troiens, voire maugré na-
ture, non seulement les Françoys, qui ne sortirent
de la Germanie, que mardi eut onze ans, mais aus-
si nos grans peres les Gaulois: comme que cela es-
toit autant bien convenant ausdits Gaulois &
François, qu’aus Romains & autres, qui se ven-
toient par trop bravement, estre descendus du
grand Dieu Jupiter, de la belle commere Venus,
d’Enee & de tels autres. Est-ce pas cela songé bien
creus? Que pleust au bon Dieu, lequel est par le
bon Hebrieu appellé le Dieu des Dieus, que ces
beaus jaseurs eussent presché telles origines en no-
stre Gaule, au temps que les bons Druides y a-
voient credit: Vous eussiés veu en mon avis, qu’on
eust fait de gentils sacrifices de leur cervelle (s’ils en
ont les bons seigneurs) au grand Dieu & pere de
richesses Dis, duquel tenoient lesdits Druides, &
disoient les Gaulois estre sortis, comme conte Cesar
au siziesme livre de ses memoires de nousnos guerres.
Que les Gaulois de l’hors eussent jamais enduré le
deshonneur d’estre dis issus du couart Paris? de la
trahison d’Enee, d’Antenor? de là vous m’entendes
bien de GauymedesGanymedes , quelque puissance qu’eust pour
l’hors monsieur Jupiter? plus-tost mourir: ores qu’- aij



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Hector aye defié le plus fort des Gregeois, & que
Cassandre la belle aye este tant rebelle & obstinee,
que de refuser le Dieu Apolin. Ce seroit un mout
grand bien pour la chose publique, que ces gentils
escrivans eussent aussi belle envie de se taire & re-
pouser, que de mettre tels songes par escript: pour
monstrer qu’ils sçavent je ne sçai quoi de bon plus
que les autres.

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Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
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Première publication : 20/07/2010