Discours non plus mélancoliques que divers, Poitiers, 1556

Bibliothèques Virtuelles Humanistes - Médiathèque de Poitiers

Discours non plus
MELANCOLIQUES QUE DIVERS,
de choses mesmement qui appartiennent
a notre France: & a la fin La maniere de
bien & justement entoucher les Lucs &
Guiternes.


A POITIERS,
De l’imprimerie d’ Enguilbert de Marnef .
1556

Avec privilege du Roy.

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Première publication : 20/07/2010
Dernière mise à jour : 19/03/2014





[ã1v]


PAR privilege du Roy, donné a Enguilbert de
Marnef, est permis d’Imprimer & vendre le present
ivrelivre intitulé le Discours non plus Melancolique
que divers, de choses mesmement, qui appartien-
nent a nostre France: & a la fin La maniere de bien
& justement entoucher les Lucs & Guiternes. &
defenses a tous autres de non en vendre ni impri-
mer autres que ceus imprimés par ledit de Marnef,
jusques au temps de cinq ans, a compter du temps
qu’ilils seront parchevés d’Imprimer: soubs les pei-
nes contenues par lettres sur ce faittes, données a
Escoan, le septiesme de Mars 1547 . Par le Roy,
Maistre François de Connan, maistre des Reques-
tes de l’hostel present: signées Coefier: & séeles du
grand seel sur simple queuë.





[ã2]


ENGUILBERT DE MARNEF IMPRIMEUR
AU LECTEUR SALUT.


JE te donne ici un livre, ami lecteur, le-
quel je ne puis assurer qu’il te soit nou-
veau ni tout ni partie: pource que par-
tie d’icelluy a esté par cy devant imprimée, & l’autre
tu la puis avoir veüe escritte par cy devant, aussi
bien que moy, qui n’ay recouvré cecy tout a un
coup, mais a pieces & lopins, par long espace d’an-
nées, de diverses mains, & de maintes parts. Car
tu sçais (ce croy je) assés, combien nostre Université
est fameuse & hantée: & pource tu ne doutes
qu’outre ceus du lieu, il ne s’y trouve une fois l’an-
née bon nombre de gens savants. Or les gens de
lettres, & ceus de mon estat, ne se peuvent gueres
bien passer les uns des autres: parquoy tu puis pen-
ser, qu’il m’est aisé d’avoir prins connoissance d’une
infinité d’hommes de savoir en ceste ville, par le
moien de ma boutique. Davantage, je te dirai ce-
la de moi, que j’aime & estime les gens savants au-
tant que peut faire un autre, de sorresorte que je les cher-
che & abordéaborde volontiers, si je sens que quelque
part y en aye aucun, qui soit tel, que les Let-
tres ont accoustumé de faire les meurs des hom- ã ij



[ã2v]
mes. Tu croiras donques aisément, que Dieu
m’a fait cete grace, que j’ai aquis en ceste ville la
connoissance & amitié de prou de gens savans de
maintes nations: plusieurs desquels ne m’ont rien
celé, qui fust en leurs coffres & estudes. Ainsi ay
recouvré les discours, dont est fait ce livre, & maints
autres escrits, & labeurs divers de plusieurs (il a
desja long temps, qu’as commancé a voir sortir
tousjours quelque cas de nouveau de ma boutique)
aucunesfois des aucteurs mesmes, aucunesfois d’au-
tres que des aucteurs, qui avoient cela retiré des au-
cteurs, ou en quelque autre sorte leur estoit venu
entre les mains, sans savoir rien des aucteurs. Car
il n’y a chose par laquelle on puisse mieus juger du
savoir d’un homme, que par ses escrits: & tu con-
nois tel, que tu estimes fort a louïr parler, lequel tu
ne priserois tant, si tu avois quelque escrit de lui,
que tu peusespeusses voir, lire, & gouster a loisir. Voila
pourquoi de plusieurs, que nous estimons beaucoup
aujourdhui en toute sorte de savoir (je ne veus ici
nommer personne) les uns ne parlent que des es-
paules, & les autres, s’ils parlent prou, pour le
moins ils ne mettent en lumiere escrit, qui soit leur:
ou s’ils le font, c’est sans leur nom. Davantage il
y a des gens, qui usent de cette finesse, qu’ils publi-



[ã3]
ent premierement leurs ouvrages par impression ou
autrement, sans s’y donner a connoistre, pour ouir
là a leur aise, & sans d’anger, le jugement des gens,
comme Apellés faisoit, mussé derriere ses peintu-
res: puis, corrigent & changent ce qu’il voient n’es-
tre trouvé bon, & apres les publient avec leur nom.
Ainsi (peut estre) a deliberé de faire l’aucteur de ce
livre (ou aucteurs, que je ne failhe. car je ne veus ici
jurer, que tout soit d’un homme) lequel je pense (qui
conques il soit) ne me saura mauvais gré, qu’apres
avoir eu long temps gardé cecy, entre mes papiers,
je l’aie finalement ainsi imprimé & publié, pour le
plaisir & profit, que j’ai estimé que tous noz Fran-
çois y pourroient prendre. Adieu.
De Poitiers ce 13. May 1556 .





[ã3v]


Table des choses contenues en ce livre.


                       
De noz Historiens qui cherchent l’origine de noz Gau-
lois & François, Chapitre premier
page 1. 
Des noms des jours de la semaine, Chap. 2 4. 
Que c’est que More, Chap. 3 13. 
Histoire d’Hercules, Pyrene, Bebrix, Brettan, Celti-
ne, Celte, Gaule Celtique, Chap. 4
13. 
Des Grammeriens François, Chap, 5 18. 
Du nom de la riviere d’Arar, qui s’appelle aujourduy
la Saone, & de la ville de Lougdoun, qui est mainte-
nant Lion sur le Rosne, Chap. 6
21. 
Des Accens, & de la maniere qu’on prononce aujour-
duy le Grec & Latin, Chap. 7
23. 
Quels gens sont que Galates: une histoire d’un Gaulois
& d’une Milesienne, Chap. 8
26. 
D’ou viennent les noms de Regle, Esquerre, Compas,
Plomb, & Niveau, Chap. 9
33. 
Que c’est Ramon, Ramonner, Hart, Sur peine de la
hart, Sentir la hart, Chatouilheus de la gorge,
Chap. 10
36. 
De la corruption de nostre langage Francois[sic], Chap. 11 40. 
Les premieres nouvelles qu’on trouve des François es an-
ciens autheurs, & des prouësses desdits Francois[sic],
Chap. 12
42. 




[ã4]                  
De la quantité des Syllabes, & de ceus qui corrigent les
vers de Terence, Chap. 13
50. 
Comme se fait le Sucre, Chap. 14 54. 
Le profit qu’avons des lettres & livres, & de la gloire
de noz Rimeurs, Chap. 15
60. 
Une brave responce que fit l’Ambassade de Gaule a
Alexandre le grand, Chap. 16
67. 
Des langages desquels est composé nostre François, &
des etymologies d’aucuns mots François, Chap. 17
69. 
De l’invention de l’Artillerie, & de l’Impression, &
des Quadrans et Compas de mer, & de la proprieté
de la pierre d’Aimant, Chap. 18
75. 
Que c’est Conus, Quilhe, Pyramide, Obelisque: & quel-
ques doubtes touchant un Obelisque de Romme du-
quel Pline parle, Chap. 19  
81. 
De trois Rivieres du païs d’Engoumois, la Touvre,
Tardoüere & Bandiac: & un lieu de Marot ex-
posé. Aussi d’un sepulcre trouvé soubs terre audit
païs, Chap. 20
87. 
La maniere d’entoucher les Lucs & Guiternes,
Chap. 21
94. 

Fin de la Table.

ã iiij




[ã4v]


Fautes advenues en l’impression de ce Livre.
Le premier nombre est pour la page: le se-
cond pour la ligne.

I, 13 immemoriale. 6, 3 noms. 7, 5 monstrent. 12, 13 Theutates.
& 24 qu’on me veilhe. 28, 22 anciennement. 38, derniere, con-
gneust & decelast. 53, 20 s’il n’extendoit. & 23 en la pronon-
ciacion,. 67, penultime, festoioit 68, 23 histoire. 69, 4 cognoistrés.
70, 7 Probandi. & 12 Provance & Languedoc,. 74, 9 pour a-
basser de. & 16 apprestera. 86, 10 places ou si. 92, 15 on diroit.
95, 19 a que quatre: j’enten quatre pour sept,.




1


De nos historiens qui cherchent l’origine des Gau-
lois & François,Chapitre1.


LES Philosophes veulent scavoir les cau-
ses & commancemens de toutes cho-
ses, quoy que cela soit a eus difficile: &
nos historiens aussi les origines & sources de tous
nos Gaulois & François, quoy que cela soit entie-
rement hors de leur pouvoir. Mais si ont ils bon-
ne grace ce pendant, car ils se disent tenir je ne sçay
quoy des Poëtes & des Paintres, & estre de leur
confrairie, ausquels Orace dit en son art de Poësie,
avoir de toute ancienneté esté permis de mentir en
arracheur de dens: par le moien de laquelle imme-
morable
imme-
moriale
préscription, quand nosdits historiens ne
sçavent ou ils sont de leurs heures, ils ne vous font
que dire la belle petite oraison,

     
Mousai Pieriethen,  ou 
Espete nun moi Mousai,  ou 
Quis deus ô Musae,  ou 

quelque autre telle: & soudain n’y a Apollo, Mu-
se, ni pie, en toute l’Italie, Grece, Armenie, Surie,
Egypte, bref, ni dessus ni dessoubs cete boule,
qui est toute tant mangee de ras, qui ne leur coure
gazouilher au ventre toutes les verités du livre des
quenoilhes: il n’i a Parisiens qui, ne sortent du aj



2
Grec parrhesia, acause qu’aus femmes de Paris ne
gela encores jamais le bec, qu’on sache: ni Lute-
tia, qui ne soit Leucotechia, acause que les murs &
parois de Paris sont tous de plastre, & par ce mo-
yen leuca, c’est a dire blancs. Libourne sur la Dor-
dogne, pas plus en Perigort, que Berbezil en An-
goumois, a esté bastie par les Liburniens, qui vin-
drent en la Gaule avecques Hercules: de sorte qu’el-
le est plus ancienne de beaucoup que Rome, jaçoit
que les guerres des François & Anglois pour la
Guienne, l’aient bastie: Remus fait Reins aupres
des hanches, & Tournay joustes: le Trect vient
d’arbeleste, Treves de guerre, Poitiers de p’oi pre-
mier & de p’oi segond: & caetera, nouvelles mer-
velheusement fresches & plaisantes pour attacher a
celles de Messer Bocacio, fondees presques toutes
sur le gentil Berose (s’il est possible que ce Berose
grand Philosophe, que les anciens nous alleguent,
aye escrit telles frenaisies) sur un Xenophon equi-
vocateur, sur je ne sçay quel Manethon & aultres
tels: & despuis peu appuyees d’un Jean de Viterbe,
d’un autre plus que frere Jean, surnommé le Mai-
re, & d’aultres encores plus nouveaus, que ne doy
nommer, autant grans joueurs de rebec, qu’Hip-
pocrene en pissa jamais: lesquels entre autres bon-



3
nes choses, ont fait cela de galant, qu’ils ont tiré du
sang de ces gentils de Troiens, voire maugré na-
ture, non seulement les Françoys, qui ne sortirent
de la Germanie, que mardi eut onze ans, mais aus-
si nos grans peres les Gaulois: comme que cela es-
toit autant bien convenant ausdits Gaulois &
François, qu’aus Romains & autres, qui se ven-
toient par trop bravement, estre descendus du
grand Dieu Jupiter, de la belle commere Venus,
d’Enee & de tels autres. Est-ce pas cela songé bien
creus? Que pleust au bon Dieu, lequel est par le
bon Hebrieu appellé le Dieu des Dieus, que ces
beaus jaseurs eussent presché telles origines en no-
stre Gaule, au temps que les bons Druides y a-
voient credit: Vous eussiés veu en mon avis, qu’on
eust fait de gentils sacrifices de leur cervelle (s’ils en
ont les bons seigneurs) au grand Dieu & pere de
richesses Dis, duquel tenoient lesdits Druides, &
disoient les Gaulois estre sortis, comme conte Cesar
au siziesme livre de ses memoires de nousnos guerres.
Que les Gaulois de l’hors eussent jamais enduré le
deshonneur d’estre dis issus du couart Paris? de la
trahison d’Enee, d’Antenor? de là vous m’entendes
bien de GauymedesGanymedes , quelque puissance qu’eust pour
l’hors monsieur Jupiter? plus-tost mourir: ores qu’- aij



4
Hector aye defié le plus fort des Gregeois, & que
Cassandre la belle aye este tant rebelle & obstinee,
que de refuser le Dieu Apolin. Ce seroit un mout
grand bien pour la chose publique, que ces gentils
escrivans eussent aussi belle envie de se taire & re-
pouser, que de mettre tels songes par escript: pour
monstrer qu’ils sçavent je ne sçai quoi de bon plus
que les autres.


Des noms des jours de la Semaine
Chapitre2.

NOUS lisons aus Saints livres des Ebrieux, que
Dieu fit ce grand œuvre, que nous appellons le Mon-
de & tout ce qui est en luy, en six jours, & le septi-
esme jour il se repousa, & dedia ce jour là a repos:
de sorte qu’aus Ebrieus que nous appellons autre-
ment Enfans d’Israel & Juifs, estoit commandé de
besongner six jours, & le septiesme choumer: le-
lequel
le-
quel
jour septiesme ils appelloient le jour de Sab-
bat ou Sabbat. lequel nom Sabbat signifie en leur
langage, ce, que despuis ont dit les Chrestiens La-
tins Feria, qui est a dire, repos ou choumer. autre
raison de ce nom ne devons chercher. Or je ne
sçay point, s’ls’il y a eu autres nations, qui aient en ce-
la suivi l’ordonnance des Juifs, mais bien vous as-



5
sure je, que ni les Gregeois, ni les Latins ne le firent
jamais, que nous lisons, sinon despuis qu’il y a eu
Chrestiens. Les Chrestiens doncques, a la mode
des Juifs, ont ordonné entr’eus par toute la Chre-
stienté, que de sept jours, les sis fussent ouvrables, &
le dernier, qu’on le choumast, pour & affin que
toutes oeuvres terriennes lessees, ils se peussent ce
jour là assembler tous en quelque lieu a cela ordon-
né, pour illec ouir du ministre de l’eglise, messes &
ce qu’ils doivent scavoir & entendre de leur foi &
religion: & aussi pour faire oraison a Dieu tous en-
semble comme freres par JESUS CHRIST. Ils
ont en ce point desvoié de l’ordonnance des Juifs,
que le jour de leur Sabbat (c’est entre nous le Di-
manche) ils ne l’ont pas plus voulu nommer Sab-
bat, ni ne l’ont prins a tel jour, que l’avoient lesdits
Juifs, mais au lendemain d’icellui: & ce plustost ce
jour là qu’autre jour, pour quelques raisons qu’alle-
guent les Theologiens, mais principalement a cau-
se que ce fut le lendemain du Sabbat des Juifs que
Jesus l’autheur de nostre religion Chrestienne res-
suscita: lequel jour doit plus que nul autre estre san-
ctifié & remembré par nous Chrestiens. Ainsi se-se
peut entendre, pour quelle raison se divisent aujour-
duy les jours par sept, lequel nombre de sept jours a iij



6
nous appellons semaine en nostre Roman Gau-
lois, les Italiens Setimana, & les Espagnols Sema-
na ou Somana: lesquels nousnoms viennent du latin
Septimanus (septem vaut a dire sept, dont est des-
cendu septimus, qui signifie septiesme: & de se-
ptima, septimanus qui est proprement a dire cellui
qui est de la bande ou legion septiesme &c.) jaçoit
que le Septimana n’aie telle signification en Latin: &
que ny les Latins ni les Gregeois anciens n’aient ja-
mais (qu’on puisse sçavoir) divisé ainsi leurs jours
par sept. Mais maintenant touchant les jours de
la Semaine, qui dirons nous, qui les a ainsi nom-
més du nom des Planetes & Dieus des paiens ido-
latres, comme les appellent aujourdui presque tou-
tes les nations que j’ay peu voir & cognoistre en
ma vie? Car premierement les anciens Gregeois &
Latins, d’esquels les autres pourroient avoir prins
quelque chose, ne nommerent jamais les jours en
cete sorte. Segondement on ne peut dire que les
Juifs les aient ainsi nommés, ni les Chrestiens aussi,
quelque chose qu’aucuns veuilhent dire, non tant
pour ce que telle superstition est entierement con-
traire a la foy tant des Juifs que des Chrestiens, que
pource qu’avons aus saints livres, que les Juifs ap-
pelloient non de ces noms des Planetes, mais du



7
nom de Sabbat aussi bien les six jours ouvrables de
la semaine, que le jour qui estoit vraiement Sabbat,
comme verrés cy apres: & que Saint Augustin &
autres bons docteurs de son temps & de devant lui,
monstrerentmonstrent clerement, que les premiers peres
Chrestiens nommoient les jours de la Semaine ain-
si que verrés cy bas, que font aujourdui les Portu-
galois. Je me suis certes mout enquis, & ay cherché
en beaucoup de lieus, dont venoit cela, qu’on ap-
peloit ainsi les jours, & ay fort desiré sçavoir, quand
on les avoit commancé d’appeller ainsi: mais je
n’en ay jamais peu rien trouver es anciens escrits,
quelque chose que Beda l’Anglois en conte: sinon
qu’il y a plus de quatorze ou quinze cens ans (j’eus-
se chanté paradventure plus haut, si je pouvois en-
tendre le lieu du Poete Tibulle, que Politian alegue
au chapitre viij. des Miscellanees) qu’ils avoient tels
noms: ce que cognoitrés non seulement par les li-
vres des bons peres & docteurs de nostre Eglise,
qui ont escrit du temps de s.SaintAugustin & devant,
disant ledit Augustin sur le pseaume 80. ou 93.
(j’ai assés mauvaise memoire) & ailheurs, tels noms
de jours estre venus des Paiens & Infideles: mais
aussi par le tesmoignage de Jule Frontin homme la-
tin, au chapitre premier du segond livre des Ruses



8
de Guerre, & Dion Gregeois au 37. livre de son
histoire Romaine, qu’il a escritte environ l’an cc.
apres l’incarnation (Frontin peut avoir esté quel-
que cent ans devant) comme se cognoistra par ses
escripts: lequel Dion est là en aussi grand esmai
que moy icy, touchant cet affaire, & n’en dit
d’avantage sinon qu’il pense, qu’il n’eust pas long
temps devant luy, que tels noms eussent este don-
nés aus jours, pour ce que, (comme j’ay dit de-
vant) les anciens & premiers auteurs Gregeois &
Latins n’en faisoient aucune mention: & assure
cet homme là, que cete superstition est sortie des
Egyptiens, lesquels ont tousjours esté grands
clercs & superstitieus astrologues. Mais voions, si
ce que j’ay dit devant, n’est pas vray, c’est asçavoir,
que les jours sont nommés, mesmes aujourdui, des
noms des Planettes, presque par touts les païs, que
cognoissons.


Ici se mettront les noms des jours de la Semaine.

Les Juifs



Feuil. 9                
Les Juifs les nom-
moient jadis en ceste
sorte, en leur langage, 
Les Romains
Chretiens jadis, 
Les Portugalois
aujourdui, 
Les Castil-
lans aujour-
dui, 
Les Gaulois
& François 
Italiens,  Alemans,  Bretons,  Basques, 
Prima Sabbati Dominica dies Domingo Domingo Dimanche,  Domenica Sondach Dei Suul Igándea
Secunda Sabbati Secunda Feria Secunda Feira Lunes   Lundi,  Lunedi Maendach Dei luun Astelechéna
Tertia Sabbati Tertia Feria Terça Feira Martes Mardi,  Martedi Dingsdach Dei meurs Asteártea
Quarta Sabbati Quarta Feria Quarta Feira Miercoles Mercredi,  Mercordi Goedsdach Dei mergher Asteásquena
Quinta Sabbati Quinta Feria Quinta Feira Jueves Jeudi,  Giovedi Donnersdach   Dei hiou Orseguná
Sexta Sabbati Sexta Feria Sesta Feira Viernes Vendredi,  Venerdi Ffridach Dei guener Orsilárea
Sabbatum Sabbatum Sábado Sabado Samedi.  Sábato Sattersdach Dei sadorn Larúmbata




[9v]



10


Ceus cy suffiront pour prouver nostre affaire,
lesquels ont beaucoup de voisins et alliés, qui au-
jourdui parlent comme eus, ou pour le moins y a
peu a dire. Des noms des Gregeois & Latins du
dernier temps ne pouvés douter, veu l’autorité du-
dit Dion, Beda & d’autres qu’avons alegués devant,
joint que les noms des Castilhans, Italiens, & Gau-
lois, tirés des Latins, monstrent assés, comment
lesdits Latins appelloient leurs jours, sinon qu’aus
premier, & dernier, là ou ils disoient Solis dies , &
Saturni dies (les autres Planetes sont Luna , Mars ,
Mercurius , Jupiter , Venus ) nous avons prins les
deus noms de l’eglise & ordonnance des premiers
Chrestiens, qui sont Dominica & Sabbatum , que
lesdits Chrestiens ont voulu ainsi appeller plustost
que prima feria , & septima feria , pour memoire, le
premier du jour de la resurrection du seigneur, c’est
a dire de JESUS CHRIST, & l’autre, du jour du
Sabbat, que les Juifz choumoient, tant renommé
en tous les livres saints: au demourant, ensuivants
lesdits Chrestiens la mode des Juifz en l’appellation
de leurs jours, ce que ledit Beda dit au livre De
temporibus & Rerum natura
, avoir esté premiere
ment ordonné par le pape Sauvestre premier de
ce nom, du temps de l’Empereur Constantin le b



11
le grand, apres l’incarnation environ l’an trois cents
& vingt. Les Bretons & Alemans ont ce nonob-
stant ces jours là tenu bon, & n’ont rien changé
en mon avis: Car Deisuul et Deisadorn, Son-
dach
et Sattersdach, qui sont Dimanche & Samedi
en leur langage, sont noms composés, desquels les
syllabes dach & dei signifient jour, lesquelles vous
voiés en tous leurs jours, comme di en les nostres
& Italiens presque tous: lequel di est là au lieu de
Dies, qui vaut aussi adire jour, de maniere que le
Samedi des Alemans Sattersdach, ou comme au-
cuns prononcent Sattursdach, & celluy des Bretons
Deisadorn, est a dire jour de Saturne, usant icy (ce
me semble) & alheurs aussi, l’Alemant & Breton,
d’aucuns mots Latins en leur langage, aussi bien que
beaucoup d’autres nations, jaçoit que non tant, que
nous, ni que les Italiens & Espagnols, qui sommes
quasi entierement Latins: & Dimanche Sondach
& Deisuul jour de Sol, car Son vaut a dire Sol ou
soleil en Alemant, & suul des Bretons est Latin du-
dit nom Sol, aussi bien que tous les aultres prins
des noms Latins des Planetes, comme chacun peut
voir & entendre sans autre truchement. Mais pour-
suivons d’espelucher les noms des Alemans, qui
sont beaucoup plus estranges du Latin. Leur ven-



12
dredi WridachVvridach ou ffridach sera a dire Veneris dies ,
& leur Jeudi Donnersdach jour de tonnoirre, par ce
mot entendant Jupiter, lequel croioient les anciens
paiens fere la hault au ciel & en l’air les tonnoirres,
comme si diziés jour de tonnant: & leur Lundi
Maendach, Lunae dies , car Maen en leur langage si-
gnifie la Lune. Mais leur Mardi Dingsdach, & leur
Mercredi Goedsdach, je ne sçay, s’il y a Alemant, qui
puisse aujourdui dire dont ils sont composés. Que
s’ils sont prins des noms des autres Planetes, com-
me il est vrai semblable, tels noms se sont perdus
en ce païs là, aussi bien que l’idolatrie de leur Mer-
cure ThentatesTheutates & de leur Thuisco, despuis que le
nom & religion de JESUS CHRIST y ont esté
receus. Toutesfois je vous advertis qu’on n’use de
tels noms par toute l’Alemagne, mais on en chan-
ge les uns entierement, les autres en quelques let-
tres seulement. Quant est des noms des Basques
lesquels Basques sont une partie de ceus que les
anciens Geographes appellent Vascones es monts
qui divisent la Gaule de l’Espagne, je croi bien,
qu’ils pourroient signifier quelque chose, & me
semblent estre la pluspart compousés: mais certes
quelque exposition qu’on me veilhe donner des trois
premiers, je n’i puis rien voir, qui me contente. b ij





13


Que c’est que More,Chap.3.


CE que les anciens Latins appelloient jadis A-
frica
, nous l’appellons aujourdui Barbarie, de la-
quelle la partie ou est le coing que fait la mer Medi-
terranee avecque l’Ocean s’appelloit Mauritania , &
l’homme de ce païs là Maurus. Je ne doute point
que nostre More & le Moro des Espagnols ne soit
venu de ce Maurus, mais si en abusons nous, toutes-
fois & eus aussi. Car nous, nous appellons More
tout homme qui est noir comme les Ethiopiens
& Indiens de la Zone chaude, & autres des terres
nouvellement trouvees, ores que les Mauri, ou Mo-
res de Mauritanie ne soient communement gueres
plus bruns que les Espagnols, qui sont leurs voisins,
separés d’eus par une mer, qui n’a pas trois lieues de
large, tel endroit y a il: comme vous dira Pline: &
les Espagnols ils appellent Moros non seulement
les gens de ladite Mauritanie, leursdits voisins, qui
sont comme on me dit, Machometistes, mais aus-
si tous ceus qui ne sont ni Juifs ni Chrestiens, de
quelque païs, qu’ils soient.


Histoire d’Hercules, Pyrene, Bebrix Brettan,
Celtine, Celte, Gaule Celtique, Chap. 4.





14


LES grans peres de ceus qui ont escrit les par
trop veritables histoires de Fierabras, d’Artus de
Bretaigne , de Valentin & Orson, des quatre fils Ai-
mon (qui fut leur pere?) & telles aultres, ont jasé
merveilhe d’un je ne sçai qui, qu’ils appellent Her-
cules (si toutefois n’en y a qu’un, car pour un en
trouverés six au 3. livre de Ciceron de la Natu-
re des Dieus, & autres y a, qui en mettent encores
plus grand nombre) entre autres grans faits duquel
ont fort renommé & loué les merveilheus effors de
sa braguette, pour ce qu’en cela il a evidemment
monstré qu’il ne pouvoit estre fils d’autre que du sei-
gneur Juppiter, lequel Juppiter, tant qu’il a regné,
n’a lessé en toute ceste machine ronde, Deesse, Nym
phe, Dame, Damoiselle, ni autre femme ni fille
quelconque, pour peu de beauté qu’elle eust, qu’il
ne l’aie mesuree a son sceptre, ores que le bougre
eust Ganymedes pour son ordinaire. Je vous veus
donques ici ramentevoir deus histoires sur le fait
de cet Hercules, pour l’antiquité de nostre Gaule,
lesquelles sont contées par Parthene Gregeois en ses
Amouretes, & Sile Poëte Latin en son troiziesme
livre, & autres auteurs anciens: dont l’une est, qu’-
Hercules allant de Grece en Espagne, pour pilher
Gerion, & passant par la Gaule, vint herberger b iij



15
chés un Seigneur du païs nommé Bebrix, homme
puissant demourant es montagnes qui sont entre
la Gaule et l’Espagne, qui avoit une belle fille nom-
mee Pyrene, laquelle Hercules n’eust pas si tost veuë
qu’il en fut amoureus, & la vous mena si beau avec-
que belle promessespromesse de mariage qu’il l’engrossa, puis
reprint son chemin: & son entreprise executee,
s’en retourna la revoir, laquelle avoit pendant son
voiage enfanté, un. devinés quoy? un beau petit jo-
li serpenteau, &


De ceste race serpentine
Est descendue Melusine.


Pyrene donques de honte & horreur de ce, & de
crainte du Roy son pere Bebrix, s’en estoit la pau-
vrete fuïe, & cachee es bois, buissons, fourests & ro-
chers de la montagne. Or pensoit bien ce gal-
lant fere encores quelque trançon de bonne chere
& joieus sejour aveque la jeune commere: mais
quand il entendit qu’elle s’estoit ainsi perdue, & lui
apres, & de chasser par toute la montagne, de cher-
cher, de crier, de hucher, a tueteste, Pyrene, Pyre-
ne. Bref les ours l’avoient devoree, il n’en peut
jamais trouver que les abilhemens, & quelques os,
& ses blonds cheveus. O qu’il hurla lors par ces
rochers le pauvre desconforté: mais toutesfois si ne



16
peut il donner meilheur ordre a ce desastre, quand
il eut bien tout advisé, que d’amasser les pauvres re-
stes les faire brusler, & enterrer les cendres a la trote
qui modoit lors: & ordonner pour l’immortali-
té, que le nom de la belle aus yeus vers, demourast
a cete effraiable montagne, a tout jamais: au moien
dequoy les Gregeois & Latins l’ont despuis apellee
Pyrene ou mons Pyrenees, pour ce que diriés a-
voir là plusieurs montagnes, non une seulle. Tou-
tesfois je vous dirai, si neme voulés croire, que ce nom
soit venu de là, prenés pour argent contant, ce que
dit Diodore le Sicilien au siziesme livre de sa librai-
rie, que quelques pasteurs mirent une fois le feu
en ceste montagne, (croiés que c’etoit pour fere
fondre les neges) lequel y dura je ne sçai combien
de mile ans (on y en voit encores aujourdui) devant
qu’avoir bruslé tout le bois, qui estoit là, courant
partout: & qu’ainsi fut nommee la montagne Py-
rene de ce nom Gregeois pyr , qui signifie feu. Je
sçai bien meilheure raison encores de ce nom, qui
me voudroit payer: mais revenons a nos mou-
tons.


L’autre compte qu’on fait d’Hercules, ne vaut
pas moins que le premier, & est que le pauvre de-
solé de la mort & mesmement telle de s’amie Py-



17
rene, partant des terres de Bebrix aveque le trou-
peau qu’il avoit oté au susdit Gerion (c’estoient de
bien belles vaches) & tenant son chemin vers l’Ita-
lie ou la Germanie, vint se refreschir chés un Roy de
Gaule & des isles prochaines nomme Brettan, dont
est venu le nom de Bretagne, j’enten & est a dire
de l’isle que les Anglois ont despuis otee aus Bret-
tons, laquelle nous nommons pour le jourdui Angle-
terre, premierement appellée, Albion, comme dit
Ptolemee, & autres anciens: lequel Roy Brettan
avoit aussi une galante filhe, & de bon vouloir, qu’on
nommoit Celtine: laquelle aussi tost qu’eut veu ce
beau ribaut d’Hercules, entra en si enragee amour,
qu’elle luy fit finement cacher sa proie, & s’en vint
sans plus languir tout droit, luy dire elle mesme
(il ne luy estoit besoing d’autre truchement, car en
ce temps là nous sçavions tous parler Gregeois en
Gaule) Beau Cousin, le bruit est, qu’estes le plus
excellant champion du monde, et le plus ferme.
Or je vous aime comme une desesperee, & faut
que m’accolés, si voulés sçavoir nouvelles de voz
veaus. Ce bon vacher aimoit bien ses bestes, mais
plustost perdre tout l’honneur, qu’il avoit aquis de
la conqueste d’Espagne, que refuser & esconduire
la tant civile requeste de ladite suppliante. Con- clusion



18
clusion il s’encrucha dessus pour voir ses beufs de
plus loing, &


Incontinant les lettres veuës
Ses vaches luy furenrfurent rendues:


puis au trot, fouet. Madame Celtine fit si bien son
profit de cet amour, que dedans quelques mois en
sortit un beau petit filhot, qu’on nomma Cel-
te, qui fut apres Roi en la Gaule, & du nom du-
quel furent despuis les Gaulois appellés Celtes,
& la Gaule Celtique, ce jurent ils. Vous ne dou-
tés point que plusieurs autres telles galhardes prou-
esses n’aie fait ce gentil Hercules, aveque sa ri-
boule, je di encores en nostre Gaule: mais il vaut
mieus se taire du tout, que ne conter, comme elle
merite, la glorieuse histoire de la blanche Galathee.


Des Grammeriens François,Chap.5.


GRAMMA est un mot Grec, qui vaut autant a
dire que lettre: duquel a esté tiré Grammaticos , qui
est ce que disons Grammarien, par lequel nom nous
entendons cellui qui enseigne les lettres, & qui en
exposant les livres ou autrement, regarde les signi-
fications des mots, leur usage, & assemblement:
puis l’enseigne ou de bouche ou par escrit: dont se
fait ce que nous avons par cy devant appellé l’art de c



19
Grammaire, & qu’aucuns commancent aujourdui
appeller Grammatique. Si vous avés jamais estu-
dié en Hebrieu, ou en Grec, ou en Latin, vous sça-
vés assés, quel art c’est: car en ces langages là y en
a infinis livres, les uns faits tout freschement, les au-
tres de bien longtemps, toutesfois beaucoup apres
lesdites langues trouvees: Car il n’y a pas eu gens,
qui fissent mestier de Grammaire tout soudain que
les langages ont esté nés, ni n’est pas necessaire que
les premiers qui se sont meslés de cest art, en ayent
fait incontinant des livres. Suetone dit que Romme
a esté plus de cinq cens cinquante ans, premier qu’il
fut là bruit de Grammaire: & si avoit mout long
temps, que le langage Latin estoit trouvé, devant
que Romme fust. Et nostre Gaule combien a il
qu’elle s’est prinse a jargonner ce Roman? plus de
quinze cens ans. & toutesfois je ne voy que de si
long temps nous y aions eu des Grammariens, &
encores moins de livres de Grammaire. Quant est
de moy, les premiers que jamais en aye veu ont esté
faits de mon temps: mais je vous assure, puis qu’on
est une fois en train, que vous en aurés prou, on re-
compensera hardiment le defaut du temps passé:
Que si j’avois loisir & le propos ne fut long, je vous
dirois icy ce que me semble de ce qu’on a fait jus-



20
ques a l’heure presente. car d’autant que l’art de
Grammaire est une bonne chose, mais fort mal plai-
sante & qui m’a fait maintesfois monstrer le cul au
vilain qui sotement me l’enseignoit, je voudrois que
nos François l’enseignassent un peu plus sagement,
& de meilheure grace & maniere plus aisée qu’ils ne
font: qu’ils s’accordassent de quel langage de nostre
Gaule ils veulent faire Grammaire, & que tous l’en-
tendissent bien, n’i meslassent rien de leur terroer,
se curassent fort bien les oreilhes pour congnoistre la
prononciation & accent, car je ne veus qu’on me
die que les FspagnolsEspagnols prononcent ch & x tout d’u-
ne sorte en ces mots hechar et dexar : ne cherchas-
sent cinq pieds en un mouton qui n’en a que qua-
tre. Car a quoy servent huit ou dix parties d’o-
raison qu’ils appellent, puis que d’eusdeus ou trois suf-
fisent selon l’Aristote & Varron, & autres anciens?
Priscian dit au livre septiesme, que les Africains
n’ont que masculinum & foemininum , je n’en pen-
se avoir plus en mon païs, & nos gentils gramma-
riens vous mettent autant de genres que les Latins
& Gregeois en ont: & pour faire bref cherchent
toutes les resveries qu’ils ont jamais leuës ailheurs
en nostre tant court & joli Roman, pour faire paour
aus estrangers, & les divertir d’apprendre nostre c ij



21
langage, quand ils y verront tant de peine.


Du nom de la riviere d’Arar, qui s’appelle aujour-
dui la Saone, & de la ville de Lougdoun, qui est
maintenant Lion sur le Rosne, Chap. 6.


ARAR est une riviere de la Gaule Celtique,
qu’on a ainsi nommee, pour ce qu’elle s’assemble
aveque le Rosne, du verbe Grec harmozesthae :
car elle descent dedans la riviere du Rosne au
païs des Allobroges. Or on l’appelloit premie-
rement Brigoul: mais ce nom luy fut changé pour
la cause que vous diray. Arar s’en estoit allé chasser
en une forest, là ou il trouva son frere Celtiber mort
que les bestes avoient tué: dont il fut tant marri,
que de deuil il se passa l’espee a travers le corps,
et se jetta dedans la riviere du Brigoul, qui despuis
pour cela se nomma Arar. Ceste riviere porte
une sorte de Poisson grand, qu’on appelle Scolo-
pid en ce païs là: lequel au croissant de la lune est
blanc, & ainsi qu’elle decroist devient tout fin
noir: & quand il est devenu fort grand, ses espines
le tuent. Il se trouve en la teste de ce poisson une
pierre, qui semble fort a un grain d’ancens: laquelle
a grand vertu contre fievres quartes, si on la porte
sur soi du couté droit du corps, au temps que la lu-
ne va en decroissant, ainsi que conte Calisthene le



22
Subarite au treziesme livre de l’histoire de la Gaule:
duquel a prins son argument Timagene de Sure.
Sur la riviere d’Arar y a un mont qui s’appelle Lou-
gdoun, lequel vous dirai, comment fut ainsi nom-
mé. Moomor & Atepomar chassés par Sesero-
nee hors de leur roiaulme, vouloient en ce mont
bastir une ville: & ainsi quon commança a becher
pour mettre les fondemens, voici venir tout a coup
une compagnie de Corbeaus, lesquels font a ces
gens là comme une chere avecques les ailes, puis se
vont percher tout entour d’eus en si grand nombre,
qu’il n’y avoit arbre, qui n’en fust tout couvert. De
là Moomor qui estoit fort expert en l’art de diviner
par les oiseaus, nomma la ville Lougdoul, pour ce
que loug en leur langage est a dire Corbeau, &
Doul sortant ou s’eslevant, comme dit Clitophon
au treziesme des bastimens.


J’ay prins cecy au livre que je ne sçai quel Plutar-
che a fait des rivieres & montagnes, & l’ay translaté
du mieus que l’ay peu entendre, non pas si bien que
j’eusse voulu. car il y a quelques mots dont ne me con
tante guere pour estre corrompus, ou autrement.
Quelqu’un fera mieus, s’il voit que la chose le merite,
qui m’est un peu suspecte pour raison de l’etymolo-
gie premiere d’Arar, & puis la cause dudit nom, &c.

c iij




23


Des Accens, & de la mode qu’on prononce au-
jourdui le Grec & Latin,Chap. 7.


LES Gregeois & Latins ont trouvé je ne sçai quoi
que mes maistres m’apprindrent jadis d’appeller
Accent, qui est, que toute syllabe se doit en par-
lant ou eslever ou baisser, ou les deus ensemble:
& ont trouvé des marques pour monstrer cela
qu’ils mettent sur les syllabes. Si vistes jamais du
Grec escript ou imprimé de ce temps, vous sçavés
assés que c’est que je veus dire, & voudrois fort sça-
voir quand les Gregeois ont commancé a ainsi em-
bastonner leurs syllabes. Quant est des Latins, je
ne sçai si la mort les a empeschés de faire de mes-
me, mais apres leur trespas quelquequelques gens se sont
prins a le vouloir mettre en coustume, qui sont les
Grammariens Latins, quand ils ont voulu mon-
strer la vive & naturelle prononciation des syllabes.
Nous avons es grammaires Gregeoises & Latines
force de regles de ces accens, lesquelles sont bon-
nes & vraies, de ce je ne doute point: mais je vous
asseure que je ne m’en peu jamais aider, & ne vous
sçaurois prononcer un seul mot ni de Grec ni de
Latin de bonne sorte, & ainsi comme je pense, que
faisoient les gens naturels jadis: ni n’ay encores



24
trouvé homme, qui me contentast en la pronon-
ciation de ces langages, fust il d’Italie (pour parler
du Latin, qui est plus congnu en ce quartier que le
Gregeois) tant s’en faut, qu’un Espagnol le face, un
Gaulois, un Aleman. Car il a esté fait a là parfin
aus Italiens & Romains, comme ils nous avoient
fait premierement & a autres estranges nations,
c’est, qu’on leur a osté quasi tout leur Latin, com-
me ils nous avoient osté presque tout nostre Gau-
lois: & chacun qui se peut aider du Latin, que
trouvons escript par les anciens, le parle & pro-
nonce a la mode de sa barbarie (il faut que je die
ainsi) c’est a dire, si nous avons quelque accent ou
autre chose telle, en nostre langage naturel, nous
l’appliquons en ce Latin, si le parlons: de sorte que
si Jule Cesar trouvoit aujourdui Paul le tiers sei-
gneur de sa Romme, disant la grand messe pour
une feste de Saint Pierre, il ne l’entendroit guere
mieus, que fait un François ou un Espagnol l’Itali-
en a la premiere rancontre. Je voy bien qu’il y a
beaucoup de sçavans gens & ingenieus en nostre
temps, qui ont trouvé quelque chose de bon: mais
je ne puis pourtant voir, qu’on vienne jamais au na-
turel: & suis en ceste resverie, que les sçavants d’au-
jourdui ont aussi grand tort, ou peu s’en faut, de



25
prononcer Senâtus pópulúsque Românus (on mar-
que ainsi maintenant ces accens) que les prestres de
ma ville, de dire Omnipotèns sempiternè Deùs qui , &c.
tout d’une venuë sans hausser ni baisser rien que je san-
te, faisant toutes les syllabes esgalles en pois & mesu-
re, afin que l’une ne se plaigne de l’avantage de l’autre.
Car quant vous me prononcés, Senâtus , je n’entens
point accent aucun, quelque peine que j’aie mise a
Musiquer autresfois: mais seulement cete syllabe
segonde estre faite longue comme merite. En pó-
pulúsque
, j’oy seulement faire deus syllabes longues,
po, & lus qui est mal fait en po, pource qu’elle est bre-
ve de nature, & qu’il n’i a là chose, qui puisse aider a
la faire longue. En Românus je voi garder assés
bonne mesure, fors en la premiere syllabe, qu’on
fait breve pour longue: mais d’accent, je n’i en sens
ni prou ni peu. Toutes les syllabes me semblent a-
voir un mesme fil & teneur. Que si , , lús, ma,
sont haussees par dessus les autres syllabes, je vous
prie me dire de combien, si c’est, d’un ton ou de
plus, ou si de moins, comme de demi ton, ou d’une
diese &c. Bref cellui me fera grand plaisir & l’en re-
mercirai, qui me monstrera ces accens en telle pro-
nonciation. J’ai autresfois prins pour argent con-
tant ce qu’on m’en disoit, tiré de Priscian & d’au- tres



26
tres grammariens, mais despuis que j’ay un peu
philosophé sur cela, je n’ay peu voir ce qu’on m’en
contoit. Telle mode de prononcer ce Latin est
venuë en nostre France du naturel des Italiens &
Espagnols comme je cuide, pource que je voi qu’en
leur langage vulgaire ils gardent je ne scay quoi tel.
Touchant de nostre François je ni voi guere chose,
qui aproche de ces raisons d’accent: parquoi je vou-
drois fort que nos Grammariens François avisassent
bien comment se prononce nostre langage: escou-
tassent bien d’un cousté & d’autre, devant que faire
leurs regles, par lesquelles ils nous assurent de cho-
se tant chatouilheuse. Il y a du d’anger s’ils ne se
donnent garde.


Quels gens sont que Galates, une histoire d’un
Gaulois & d’une Milesiene,Chap.8.


NOUS sommes par les anciens Latins appellés
Galli, & par les Gregeois Celtoi & Galatae, de sor-
te que c’est tout un Gaulois & Galates: & ces Ga-
lates d’Asie, ausquels saint Paul a escrit des lettres,
que nous avons en Grec, estoient Gaulois, sortis
de ce païs de Gaule, environ quatre cens ans de-
vant la naissance de JESUS CHRIST, comme sça-
vés par Live, Justin, Pausanie, & autres autheurs d



27
Gregeois & Latins, & a force d’armes passés en des-
pit de tout le monde a travers d’Italie, Pannonie,
Macedoine, Grece, & autres païs jusques en Asie
là ou ils parloient encores leur langage Gaulois plus
d’autres quatre cens ans apres l’incarnation, com-
me vous dira saint Hierome. Mais je veus ici con-
ter une histoire de ceus ci noz parens, laquelle vous
trouverés en Parthene autheur Gregeois.


Au temps que les susdits Gaulois ou Galates,
comme vous plaira les appeller, faisoient ces effors
d’armes, ils passerent par Ionie qui est un païs d’Asie
sur la mer, & la pilherent toute, comme beaucoup
d’autres païs. Avint que le jour des Thesmopho-
ries, qui estoit une feste, que les femmes faisoient ja-
dis de nuit a Cerés, une bande de ces Gaulois se
departant de l’armee, s’en vint faire une course jus-
ques a la ville de Milet, & trouva toutes les femmes
de la ville au temple de Cerés, assés loignet de ladi-
te ville, (ainsi dit Vitruve sur la fin du segond livre,
que les temples de Cerés deesse des blés, se fai-
soient hors des villes) & furent toutes prinses: des-
quelles une grand’ partie fut soudain rachapteérachaptée, car
cete ville estoit riche & puissante: les autres de-
mourerent aveques ceus, qui les avoient prinses, non
tant par faute de rançon, que pour ce que plusieurs



28
firent dificulté de les rendre pour or ou argent, a cau-
se qu’ils se trouvoient fort bien d’elles, & elles aus-
si se contentoient mout d’eus: & ainsi s’en emmena
quelques unes, entre lesquelles fut une galante &
belle jeune dame nommee Erippe, femme d’un
homme d’honneur, & des plus nobles du lieu nom-
mé Xanthe. Cete cy fut emmenee en nostre païs par
un seigneur Gaulois, demourant son mari avecque
un beau petit fils de l’age de 2. ans ou environ, bien
d’esconforté d’avoir perdu telle compagne: pour
laquelle recouvrer vendit finalement partie de son
bien, amassa grand somme de deniers, & s’en alla
voir s’il l’auroit. Il se met donques sur la mer, &
s’en vient premierement en Italie, là ou il avoit des
amis, qui le secoururent volontiers & conduirent
jusques a Marselhe, duquel lieu il prent son chemin
droit a la maison de cellui qui avoit sa femme, qui
estoit un des grans & renommés seigneurs de la
Gaule, appelleéappellée Gavaras, là ou quant il fut arrivé, la
premiere chose qu’il demanda fut qu’on l’herber-
geast: ce qu’on fit incontinant, comme entre au-
tres nations les Gaulois estoient prests de faire en-
tierement
an-
ciennement
, qu’on ne trouvoit hostelleries comme
on fait aujourdui pour loger a son aise pour son-son
argent (entre les gentils hommes & seigneurs de ce d ij



29
temps y a encores quelque forme de cet ancien her-
bergement) & ne fut point si tost entré en la mai-
son de ce seigneur, qu’il avisa sa femme & elle aus-
si luy, qui ne se monstra paresseuse a lui venir sauter
au col, l’ambrasser, & le conduire la dedans. Incon-
tinant aussi d’autre part se trouve là le seigneur sus-
dit, auquel Erippe conta soudain le voyage de son
mari, & comment il estoit venu là pour la recou-
vrer avecque sa rançon: lequel seigneur s’esmer-
veilha tout, & fut mout contant de la bonne amour,
que portoit ce Milesien a sa femme, pour laquelle re-
couvrer s’estoit mis en si grand peine & d’anger par
tant de païs, de terre, & de mer. Il appelle incon-
tinant ses plus proches parens & amis, & le festoiéfestoie
magnifiquement: auquel festin, qui fut un peu lon-
guet, il fait coucher Erippe aupres de son mari a la
mode des anciens de ce temps là, qui prenoient
leur refection couché sur des lits, & demande par
truchemeuttruchement a cet homme, combien se pouvoit
monter tout ce qu’il avoit: auquel il respond, qu’il
pourroit valoir un mile escus: & la luy commande
ledit seigneur Gaulois que de ceste somme il fit qua-
tre parts, & que d’icelles il print & emportast les
trois pour luy, sa femme, & son fils: & la quarte
qu’il la lessat & donnast pour la rançon de sa femme.



30
Cet hoste fut merveilleusement contant de tel parti,
et remercia bien fort ce seigneur. Finalement on
se va coucher: & coucha la Milesiene aveque son
mari cete nuit là, auquel en devisant au lit elle vint
dire comme bien faschee, Helas mon mary mon
amy, que je suis marrie, que vous avés si mal respon-
du a mon seigneur. Dieus, comment luy avés vous
dit, qu’aviés si grand somme d’argent, & vous ne
l’avés pas, cela n’est pas possible, vous ne luy scauri-
és fournir ce qu’il vous a demande, vous vous estés
perdu. Taisés vous m’amie, dit le bon mari, & ne
vous chailhe: tout ira bien si Dieu plaist. Pour l’a-
mour que je vous porte, comme doit le mari a sa
bonne partie, je ne vous veus rien celer, ains vous de-
clarer, qu’outre ce que luy ay dit j’ai autres mile es-
cus cousus es souliers de mes valets: car je n’eusse ja-
mais pensé, qu’il se fust peu trouver un barbare (les
Gregeois appelloient ainsi les autres nations) si rai-
sonnable & courtois, que cestui cy: & m’attendois
bien qu’il me faudroit plus d’argent que ce que luy
ay dit pour vous retirer de ses mains. La mal con-
seilhee femelle ne dormit point si profond, qu’el-
le obliast ce mot de segret, ains le lendemain ne fut
point si tost sortie du nid, quellequ’elle s’en courut au
Gaulois luy dire, Mon seigneur j’ay bien sceu des d iij



31
nouvelles cete nuit bonnes pour vous, si me vou-
lés croire. J’ay si finement tiré les vers du nés a
mon mari, qu’il m’a declaré, qu’il avoit autre mile
escus, cousus es souliers de ses gens. vous voyés l’in-
jure qu’il vous a faite, de vous avoir si villenement
menti, & s’estre de telle sorte moqué de vous en vo-
stre païs & maison, ou luy avés fait si bon recueil.
voulés vous bien faire, & tout son argent & ses ser-
viteurs seront a vous? Tués le. vous en avés juste
cause: & de ma part je vous en prie de fort bon
cœur, estant cela le plus grand plaisir que me pourri-
és faire en ce monde. Car je l’haÿ mortellement, &
n’y a ni païs ni enfant que j’aime & estime tant que
vous. Je veus finir mes jours aveque vous, s’il vous
plaist. Ce seigneur print un tel desplaisir au propos
de ceste femme, que d’autant qu’il l’avoit aimee au
paravant & estimee, autant commança de l’haïr &
desestimer, de maniere que de là delibera de la chas-
tier de sa meschanceté. Quant le Milesien fut bien
repousé luy & ses gens, & eut payé les deus cens
cinquante escus au Gaulois: il voulut prandre con-
gé pour s’en retourner en son païs d’Ionie aveque
sa femme, ce que ledit Gaulois luy otroia voulon-
tiers: mais aussi le voulut conduire aveque mout
belle compagnie de ses amis & serviteurs, jusques



32
au bout de la Gaule, là ou quand ils furent venus,
dit, qu’il estoit meshui temps de se departir, mais
que premier il falloit faire sacrifice aux Dieus pour
les remercier du bien receu, & les prier de conti-
nuer leur faveur a l’avenir: ce que toute la com-
pagnie trouva bon a merveilhes. On droisse in-
continant un lieu pour ce faire, & a l’on une beste
pour sacrifier, brebis ou quelque autre, comme es-
toit la coustume des anciens idolastres: laquelle o-
res que fut liee, qu’elle ne s’en pouvoit fuir, ni gue-
res se remuer, toutesfois pour une façon de faire &
une ceremonie de ce temps là, dit a la Milesiene
qu’elle la tint. ce qu’elle fit soudain, pour ce que ce
seigneur lui faisoit faire cela communement en ses
sacrifices, qui estoit un signe d’amour qu’il luy por-
toit. Apres cela tire son bracmart, hausse le bras,
& au lieu de donner sur la beste, descharge sur ceste
pauvre dame, & luy avale la teste. Toute l’assemblee
fut mout estonnee de voir cet homme traitter ainsi
une telle beauté & de telle grace, laquelle il avoit par
ci devant tant prisee: mais principalement le pauvre
Milesien, quelque bonne chere qu’on luy eust faite
par cy devant: lequel soudain s’asseura hardiment
que c’estoit fait de luy, qui avoit grand somme d’ar-
gent, & estoit seul en païs estrange, entre les mains



33
d’un Barbare si felon que cestui là: mais ce bon segneurseigneur
n’eut pas si tost fait le coup, qu’il s’adresse a lui, lui
conte le meschant coeur de ceste femme, je n’eusse,
dit il, jamais pensé cela d’elle: mais telle ne devoit
vivre ni aveque moi ni avecque tel mari, que tu es.
Tien hoste, voila l’argent que m’as donné. je ne te
demande rien: ains si as affaire du mien & de ma
puissance, ne fay que le dire. Pren en bonne heure
ton chemin devers ton païs, & porte aus Milesie-
nes les nouvelles de ta femme, affin qu’elles y pre-
nent exemple, & qu’elles entendent, que les Gau-
lois, que vous appellés barbares, n’usent en rien
de barbarie ni cruauté, sinon en tels coeurs de
femmes.


D’ou viennent les noms de Regle, Esquerre, Compas,
Plomb, & Niveau,Chapitre9.


JE me trouvay un jour en un astelier, entre grand
nombre de massons, lesquels interrogai volontiers,
& mis en propos des choses de leur mestier. Entre
eus y avoit un petit Normant avancé en aage plus
que nul autre de la compagnie, qui sur tous me sa-
tiffaisoit
sa-
tisfaisoit
a ce que leur demandois. Et finalement
sans autrement lesser sa besongne, me pria d’ouir
une rime (vous scavés qu’a Rouan on ne parle autre-
ment qu’en Rime) de l’office, & de toutes les cho- ses ou



34
ses, ou pour le moins de la plus grand’ part de
ce qu’il faut qu’un Masson aie, laquelle il me dit
qu’il avoit faite luy mesme en l’an disseptiesme de
son aage: de laquelle je retins ces deus vers

Aie Regle, Esquerre, & Compas,
Plomb & Niveau n’oblie pas.
Despuis ne ma fois souvenu de ceste rimasserie, que
n’aie pensé, dont sont sortis ces noms Regle, Es-
querre, Compas, Plomb, Niveau, ainsi que font
autres de nostre Gaule, qui arrachent tout nostre
langage du Roman, & du Grec, sans oblier l’Ebrieu.


Quant est du premier, Regle, je ne doute point
que ce ne soit Regula des Latins, un peu desguisé,
pour lequel les Gregeois ont Canon: mais Esquer-
re ne vient ni du grec gnomon , ni du Latin Norma (je
ne l’irai chercher alheurs, s’il vous plaist, pour ceste
heure) qui le signifient: viendroit il point de Quadrum ,
qui est a dire, quarré, dont est le verbe Quadrare , qui
signifie en ma parroisse esquarrer, là ou lon appelle
Esquarre, l’Esquierre ou Esquerre de France? La rai-
son de ce nom pourroit estre, pour ce que l’Esquer-
re contient & fait un angle, que les Geometriens ap-
pellent droit, tel que nous voyons en un dé, pierres,
& autres choses que nous appellons quarrees. Pline
au livre 6. dit qu’un Theodore de l’isle de Same trou- e



35
va le premier l’Esquerre, & conte Vitruve au livre
ix. comme Pythagoras l’enseigna fere. Pas (ce croi
je) vient du Latin Passus & de la passer: desquels
semble Compas & compasser, est recomposés. A-
visés y vous, je vous prie, car de moy, je ne vous
veus assurer de chose, ou je doute: me contantant
que ce grand Varron aye esté moqué de ses etymo-
logies, mesmes par les plus grans de ses amis. Je
vous assureray seulement de l’inventeur du Com-
pas, si tout ce que dit Ovide en ses Metamorpho-
ses, est vray. Ce fut un nommé Perdix neveu de
Daedale de Crete. Lisés le conte au livre huities-
me. Compas aussi est une autre chose entre les
Mareans, sçavoir est, ce qu’appellons autrement,
quadrant de mer, duquel nous parlerons plus am-
plement alheurs, s’il plaist a Dieu. Le quatriesme
instrument de la susdite rime, appellé le Plomb, est
comme une regle de bois de demi pié de large, &
trois de long, de l’espoisseur d’un doi, peu plus peu
moins, ayant une boulete de plomb (voila dont
tout l’instrument est appellé Plomb) le plus sou-
vant, aucunesfois quelqu’autre telle chose poisante,
qui pend d’un bout d’une cordelete attachee a un
des bouts de la susdite regle, dont les massons usent
pour congnoistre si leur œuvre chemine droit en



36
haut. Si cest outil est le Perpendiculum des Latins,
Pline audit livre septiesme, vous dira que le susdit
Daedale en fut le premier inventeur. Venons au der-
nier, qui est Niveau, de l’invention du susdit The-
odore, qu’en mon païs on appelle Liveau par l, que
je trouve un peu meilheur que Niveau (je ne prins
garde si mon rimeur mettoit un n ou l au comman-
cement,) pource qu’il approche plus de son naturel,
puis qu’il faut que nous ayons des noms Romains.
Il est tout certain que cestui cy vient du Latin libella ,
duquel mot apres qu’avons eu changé le b en v, a la
mode de Gascongne, & osté la derniere syllabe, qu’il
n’en a demouré que Livel, qui vaut autant que li-
veau (comme c’est tout un Michel & Micheau,
chastel & chasteau, bel & beau, si nous ne disions,
Nouvel amy, Nouveau mari, &c.) nous en avons
fait un homme d’une femme: de laquelle meta-
morphose je ne sçai si les Italiens ne seroient point
autheurs (ou les Espagnols) qui disent Illivello.


Que c’est Ramon, Ramonner, Hart, sur peine
de la hart, Sentir la hart, Chatoulheus de la
Gorge,Chap.10.


UN meschant mot, Hart, fort renommé & pres-
ché en France, m’a autresfois fasché, que ne pou- e ij



37
vois sçavoir, que c’estoit a dire. Je l’ay demandé
mile fois aus clercs de mon vilage, mais c’estoit un
nom plusque Ebrieu pour eus. Il n’i a eu frere Calepi-
nus auctus & recognitus, Cornucopiae, Catholicum ma-
gnum & parvum
, ou je ne l’aye cherché: mais pour
neant, car il n’i estoit pas. Il y a environ dix ans
qu’une chamberiere qui se disoit Picarde, combien
que je pense qu’elle fut de Normandie, m’apprint
que c’estoit, un soir, a Paris, sans y penser, faisant
collation d’une bourree devant qu’aller au lit, de
laquelle j’avois aprins un peu au paravant que Ra-
mon estoit un balay, & Ramonner balier, en la
chansonnete, Ramonnés moy ma cheminee. Hart
donques proprement est, sauf vostre grace, le lien
dun fagot, ou d’une bourree a Paris, qu’on appelle une
riorte en mon benoist païs: Parquoi j’entens, que


De par le Roi sur peine de la hart, (hart est foe-
minini generis
) vaut autant a dire que, Sur peine de
la corde, jadis, qu’on s’aidoit des branches des ar-
bres pour espargner la chanvre. Ainsi s’entendra
que signifie, Sentir la hart, en une epistre de Marot
au Roy, qui vaut certes autant a dire que, Chatou-
lheus de la gorge, qui est en la mesme epistre,
Ainsi s’en va chatoulheus de la gorge
Ledit valet, monté comme un saint George.




38
lequel proverbe, chatoulheus de la gorge on dit
estre venu de ceste histoire. Un bon vautrien ai-
ant par ses merites esté monté de reculon jusques au
haut bout d’une eschelle, pour descendre par une
corde (disent les bons compagnons) faisoit là mer-
velhes de prescher: durant lequel sermon, le mai-
stre des hautes oeuvres affutant son cas passoit sou-
vant la main soubs & autour la gorge dudit pres-
cheur, tant qu’a la fin il le vous regarde, He, maistre
mon ami, dit il, je te prie, ne me passe plus là la
main: je suis plus chatoulheus de la gorge, que tu
ne penses. Tu me feras rire, & puis que diront les
gens? que je suis mauvais Chrestien, & que je me
moque de Justice. Ce compte me fit quelque fois
un bon frere Pierre grand confesseur de tel gibier,
par toutes les meilheures villes de France, qui en sça-
voit bien d’autres, & mesmement cestui cy. Qu’un
soudart qu’on menoit fere le guet a Montfaucon,
approchant de la porte de la ville se print a hucher
a plaine teste le portier, par plusieurs fois lequel l’en-
tendit bien des la premiere, mais a cause qu’il se sen-
toit autant ou plus chatoulheus de la gorge que cel-
lui qu’on menoit pendre, se remue bel & beau de là,
en lieu de venir parler a cet homme, de pourpaour qu’il ne
le cogneustcongneust & decelast a la Justice, comme ces gens disent plus e iij



39
qu’on ne leur demande aucunesfois, ainsi s’adresse
a la parfin ce pauvre alteré a son confesseur, mon
pere, dit il, je vous prie dire au portier, qu’il ne lesse
hardiment pour moy de fermer la porte de bonne
heure: Car je n’ay pas deliberé de retourner d’au-
jourdui coucher a Paris. Ainsi qu’une autrefois il
conduisoit au Gibet, sur les trois heures du soir, un
pauvre patient, auquel il faschoit fort de mourir, &
luy disoit entre autres consolations, Mon ami, en
ce monde n’y a rien que peine & ennuis, Tu es
heureus de sortir aujourdui hors de tant de miseres.
Ha frere, dit il, plust a Dieu, que fussiés en ma place
pour jouïr si tost, de l’heur que me preschés. Le Pa-
ter ne fit semblant d’entendre cela, & passant ou-
tre, pren courage, mon ami, quelques maus que tu
ayes fait, demande pardon a Dieu de bon cœur,
tout te sera pardonné, & iras aujourdui souper la
haut en paradis aveque les Anges, & c. Souper au-
jourdui en Paradis Beau pere? Ce seroit beau-
coup si j’y pouvois estre demain a diner. & pource
qu’un homme se fache fort par les chemins quand
il est seul, je vous prie venés moi tenir compa-
gnie jusques là. Faittes moi cest oeuvre de cha-
rité & mesmement si sçavés le chemin. Plusieurs
tels comptes de penderie vous eut fait jadis ce bon



40
religieus, qui seroient pour faire un livre plus grand
que les merveilhes d’Amadis d’Espagne.


De la corruption de nostre langage François,
Chap.11.


QUAND nous parlons a un seul, nous devons
naturellement user de la seconde personne du sin-
gulier, ainsi que voions les anciens Gregeois & La-
tins avoir fait, Aristote pauvre philosophe parlant
au grand Empereur Alexandre, Dave esclave a Si-
mon son seigneur: & ne doute point que n’aient
ainsi parlé jadis noz grans peres: mais la flaterie a
tout corrumpu ce naturel. Il y a plus de treze cens
ans que nos romans commancoient desja a dire VOS,
pour TU, a leurs Empereurs & seigneurs, ainsi com-
me nous, nous disons, vous voiés, vous scavés Mon-
sieur: pour Tu vois, tu sçais: & seroit peché irre-
missible, si je disois TU a Monsieur mon maistre,
comme si VOUS avoit puissance de faire les hommes
grans, ou pour le moins de les maintenir en un e-
stat, & TU, de les tuer, ou faire petits compaignons.
Mais il y a bien davantage, Ce, VOS pour TU, n’a
suffit aus Italiens & Espagnols, ains leur a falu trou-
ver mieus. Car la hart ne faudroit là au petit com-
pagnon qui diroit vous, aux Rois, Ducs, Comtes,
Capitaines, Lieutenans, & c. comme nous disons



41
en nostre France. vous n’ouirés que vostre majesté,
vostre autesse, vostre seigneurie, vostre paternité,
vostre mercy, & tels autres, pour VOUS ou TU, en-
vers les grans. Et si ne se contantent pas encores de ce
VOSTRE en tous les susdits, a cause qu’il est trop
approchant de VOS, & de TU: ains font mieus, car
ils disent sa pour vostre souventesfois, affin d’user
entierement de tierce personne, comme, sa majesté,
son autesse: C’est a dire, si j’estois aujourdui Espagnol
parlant a Charle l’Empereur, ou a quelque Roi ou
simple Prince, il me faudroit dire, sa majesté com-
mande, son autesse commande, &c. pour vous me
commandés ou (qui seroit mieus) Tu me comman-
des Sire. Voyla pas un joly langage? Mais sçavous[sic]
combien il vient de quereles & fascheries pour ne
garder ces titres en parlant. Je me trouvai une fois en
une assemblee de gens de ce langage, ou il y avoit
deus docteurs l’un en Theologie, l’autre es Droicts.
Le Theologien en quelque sien propos parlant a
l’autre, luy disoit, Vos: lequel quand eut tout dit, l’au-
tre respondant, le vous vint vouster aussi: dont ce
Theologue, qui s’attendoit avoir vostre mercy,
pour ce vos (vous sçavés quel lieu & honneur est
deu a ceste sainte Philosophie) fut si despité, que
sur le champ proteste de l’injure, rompt tout le pro- pos &c.



42
pos &c. Et telle badinerie nous est si plaisante, que
ne trouvons rien plus beau.


Le Marranisme s’en va en si grand vogue, que qui
aimera le lart en face hardiment provision, car on
nous le defendera un de ces jours, vous le verrés. Au
trespreus Chevalier A. B. C. Jehan des vignes baise
les mains de sa seigneurie. Cela? A Dieu les jam-
bons de Maiance, A Dieu ceus de Baione, A Dieu
les eschinees & orelhes du petit cerf: A Dieu di je,
si Dieu n’a pitié de nostre pitoiable fait, qui ne
sommes rien que singes des vices de noz voisins.
Pleust a Dieu que ce fust des vertus.


Les premieres nouvelles qu’on trouve des Fran-
çois es anciens autheurs, & des prouësses des-
dits François,Chap.12.


NOUS n’avons pas grans nouvelles de ce qui a
esté fait en nostre Gaule, devant que Jule Caesar y
vint. Si nos anciens ont fait des livres de leurs af-
faires, nous ne les avons, & quand nous les aurions
nous ne les entendrions: car ils parloient autre
langage que cellui dont usons a ceste heure. Ce
Caesar nous a lessé de jolis memoires de ce qu’il a
fait en la Gaule par l’espace de dix ans: mais je vou-
drois que s’eust este Caton, non luy, qui eust escrit
ces memoires. Nous en sçaurions, nous en sçau- f



43
rions des meschancetés qu’il a faites a nostre pau-
vre païs, mais il en a esté puny. Despuis Caesar, o-
res qu’aions aussi fort peu des choses faites en ladite
Gaule: toutesfois si sçavons nous qu’en despit des
Romains, sont de la Germanie & d’alheurs entrés
en la Gaule, les Vandales, Bourgoignons, Alains,
Huns, François & autres, bien peu de temps les uns
apres les autres, environ quatre cens cinquante
ans apres la naissance de JESUS CHRIST: entre
lesquels ont les François tresbien monstré, quils va-
loient les mieus. Car les autres n’ont duré que trois
jours en la Gaule: desquels les uns si sont ruïnés
d’eus mesmes, les autres ont voulu faire les braves
contre les François, & les François les ont ruïnés,
comme les Gots entre autres que le Roy Clovis
(autant vaut Louïs) secouä comme sçavés en Gui-
enne pres Poitiers & Bourdeaus, & contraignit
ceus qui ne voulurent mourir, se saulver en Espa-
gne, environ l’an 510 . Les Bourgoignons aussi
qui avoient le coeur haut, n’ont ils esté humiliés par
les François? d’Espagne sont entrés en la Gaule les
Sarrazins, que nous appellons, & d’alheurs autres:
mais les François ont tout chassé & dompté, & si
bien fait (pour faire court) que toute la Gaule a e-
sté muee en France. Que si quelqu’un s’esmervei-



44
lhe, comment les François ont eu cet heur plus que
les autres nations, qui sont venuës aussi de dehors
en la Gaule, combien que plusieurs d’elles ne fussent
moins fortes & puissantes que celle des François: il
ne s’estonnera de cela long temps, s’il pense que la
France a de toute ancienneté esté une Republique
& ensemble un Roiaume bien reglé, & armé de tres-
bon conseil: qui est une seule cause de faire durer un
Roiaume sans fin, ainsi que voions que desja les
François ont heureusement regné en la Gaule l’e-
space d’onze ou de douze cens ans, maugré tous
leurs ennemis, qui ont esté grans & puissans. N’a-
vous pas veu plusieurs fois l’Italie, l’Alemagne, l’An
gleterre, l’Espagne & autres voisins bandés tous en-
semble contre la France? Les Rois de France quel-
que fois tant poursuivis de leurs ennemis, qu’ils n’a-
voient plus qu’une ville, qu’un chasteau de toute la
Gaule ce sembloit, & aucunefois prins par leurs en-
nemis, & emmenés hors de leur Roiaume? & tou-
tesfois ils sont tousjours venus a l’audessus de leurs
affaires triomphamment par leur vertu & bon con-
seil. Je vous prie qu’Agatie, qui estoit du temps de
l’Empereur Justinian, vous die quels gens estoient
lors les François, & par quel art ils ont esté tous-
jours maistres sur leurs voisins, & moy je vous di- f ij



45
ray icy ce peu de nouvelles qu’il me souvient avoir
leu du temps devant qu’ils fussent en la Gaule.


Il est fort malaisé de sçavoir qui a esté le premier
païs des François. Un je ne say quel Hunibault,
qu’on dit avoir esté un peu apres l’Empereur Theo-
dose, a le premier (comme on pensé) controuvé
que les François sont venus des Troiens, c’est as-
savoir que Troie prinse & destruite par les Gregeois
(si prinse l’ont) il y eut un dix mile Troiens, qui se
sauverent (comme on dit) par les marests, & s’en
fuirent en Scythie, là ou ils demourerent un long
temps: puis se faschans des grans frois & neges de
ce païs là, delibererent de chercher meilheure ha-
bitation: se mirent en armes, & par force ou autre-
ment vindrent a travers mile fortes regions, & mes-
mement Hongrie & Germagne mettre le camp
sur le bort du Rin, bien deliberés, d’entrer en ceste
tant friande Gaule: mais il n’y a homme qui aie
la teste bien assise qui croie ces nouvelles, & pen-
sent tous les bien jugeans des choses, que ce mai-
stre faiseur de comptes est beaucoup plus jeune que
Theodose susdit Empereur.


Le bon Gregoire Archevesque de Tours cerchant
l’origine des François n’alegue ni cet autheur là, ni
tels songes. ainsi les premieres certaines nouvelles



46
qu’avons peu entendre des François sont cetes icy.


Procope & le susdit Agathie historiens Gregeois,
& quelques autres autheurs disent que les François
sont Germains, (Germagne est ce qu’appellons au-
jourdhui Alemagne) & qu’ils demouroient sur la
riviere du Rhin en des marets pres la mer.


L’an de JESUS CHRIST 257 , fut Galienus
Empereur de Romme, & le fut par l’espace de 15
ans: durant le temps duquel y eut un Posthume
qui se fit contre luy Empereur en la Gaule, & s’aida
des François contre luy ce dit Trebelle Polion.


Lan 273 , fut fait Empereur de Romme Aure-
lian, duquel on dit la ville d’Aurleans avoir prins
son nom. Cet Empereur estant jeune capitaine en
la Gaule (ce compte Flave Vospice) batit les Fran-
çois a Maiance, qui faisoient de grans courses sur
les Gaulois: en tua sept cens, print trois cens, les-
quels il fit vendre a l’ancant, ainsi qu’anciennement
on vendoit les esclaves.


Lan 280 , l’Empereur de Romme Probe batit
les François qui vouloient mettre le pié en la Gau-
le: desquels il envoia une compagnie en Ponte re-
gion d’Asie, qui trouverent là le moien de recou-
vrer les navires, & en despit de tout le monde pi-
lherent les bords d’Asie, de la Grece, de l’Afrique, f iij



47
de la Sicile, & autres lieus, & se vindrent rendre fi-
nalement en la grand mer, ce dit un panegyrique
fait en la louenge de l’Empereur Maximian.


Lan 288 que Diocletian regnoit a Romme, un
capitaine Romain nommé Carause estoit en Picar-
die & lieus voisins avecque grosse armee contre les
François & Saxons, qui pilhoient toute la mer, & fai-
soient infinis maus a la Gaule, & Bretagne, qu’appel-
lons maintenant Angleterre, & autres lieus ce dit Eu-
trope au livre 9. & quelques ans apres Maximian qui
fut Empereur aveque ledit Diocletian batit les Fran-
çois en ladite Bretagne, en la mer & autres lieus pres
de là: & finalement donna a une Compagnie de
François quelque partie de la Gaule Belgique tirant
vers Lorraine (qu’appellons aujourdui) pour icel-
le habiter tenir & posseder, ce dit un panegyrique
fait a l’honneur dudit Empereur Maximian.


Lan 292 , selon que compte Eusebe, fut fait
Empereur de Romme Constance pere de Con-
stantin: lequel se tenanrtenant en ce quartier de pardeca,
chassa les François hors de la Gaule, qui estoient
sortis de la Germagne, & avoient prins Holande
& autres lieus voisins, ce dit un des Panegyriques
faits a l’honneur de l’Empereur Maximian & Con-
stantin.





48


Lan 312 , commança a regner l’Empereur Con-
stantin le grand, qui devant qu’estre Empereur &
despuis eut grands affaires en la Gaule contre les
François. Eutrope dit qu’il print leurs Rois, qui
sont nommés Ascarich, Ragais es Panegyriques
faits en l’honneur dudit Constantin. & les fit mourir.


Lan 343 & 344 , eut grandes afferes l’Empe-
reur Constant contre les François, & finalement
fut leur maistre, firent paix ce dit saint Hierome
aus Croniques. dit aussi Ammian au livre 15, (si
bien me souvient) qu’en la court dudit Empereur
y avoit force François.


Lan 364 , Julian fut Empereur de Romme, de-
vant lequel temps eut par quelques ans le gouverne-
ment de la Gaule, & quelque temps guerre contre
les François: lesquels il chassa de la Gaule Belgique
dela le Rhin, comme vous comptera plus au long
ledit Ammian Marcellin au livre 17, ce me semble.


Lan 370 , estoient Empereurs Valentinian &
Gratian son filz, lesquels demourerent long temps
en la Gaule pour la garder des François & autres
nations qui vouloient sortir de la Germagne en la-
dite Gaule, comme vous dira ledit Ammian, le
poëte Ausone & autres.


Lan 431 , Aëtie Capitaine Romain chassa les



49
François de là le Rin, & leur osta quelque piece de
la Gaule, qu’ils avoient prinse pres de laditte rivie-
re, ce dit Prospere le Guiennois aus Croniques.
Ainsi se trouve peu de mention des François jus-
ques a ce temps cy: mais d’icy en avant assés vous
en compteront Claudian, Sidoine Evesque d’Au-
vergne, Gregoire Archevesque de Tours, Paul
Diacre d’Aquileie, Sigebert, & autres: tant que
congnoistrés que quelque fascherie que leur ayent
fait les Rommains pour les empescher de passer en
la Gaule, & quelque tuerie qu’il aye eu, que jamais
le coeur ne leur a failhy: ains se sont tousjours sauvés
& maintenus jusques a tant que les Romains &
tous autres chassés de ladite Gaule ils sont parvenus
finalement a leur attente, & sont demourés maistres
de la piece de terre qu’ils demandoient.


Despuis que les François ont esté seigneurs de
la Gaule, ils ont fait premierement grans faits d’ar-
mes sur leurs voisins, comme lises de CHARLE-
MAGNE, non tant pour s’enrichir, que pour dom-
ter les fiers & noiseus: puis pour l’amour de la foy
Chrestienne se sont enhardis d’entreprandre longs
voyages, & de passer la mer Mediterranee. Sçavés
vous pas qu’en l’an 1096 , ils entreprindrent de de-
livrer la terre sainte qu’appellons de Jerusalem, des mains



50
mains des Turcs & Sarrazins, & que les Rois mes
mes y sont finablement allés en personne? Par l’e-
space de cent ans ou environ les François ont fait
de si grans prouësses, non seulement en la Surie &
reste d’Asie, mais aussi de la part du midi & occi-
dant, qu’il n’estoit coing de la terre ou le nom de
France ne fut congneu, craint, & redoubté: de mo-
de, que les Ethiopiens qui sont au bout de l’Afrique
devers le midi, noirs comme diables, appellent
François encores aujourdui tous ceus, qui semblent
de couleur aus François, c’est a dire, qui sont blancs,
comme vous diront les histoires des Espagnols fai-
tes de nostre temps.


De la quantité des Syllabes, & de ceus qui cor-
rigent les vers de Terence,Chap. 13.


LES Gregeois ont des voieles les unes longues
de nature, les autres courtes, les autres communes,
c’est adire, tantost longues, tantost courtes: les La-
tins n’ont cela, mais sont communes toutes leurs
voieles, comme est A lonlong en amens , cour en amor : E
long en edo pour publier, court en edo pour manger:
O long en omen , court en homines : U long en la pre-
miere syllabe d’ unus , & court en la seconde. Delà
sont appellés les syllabes longues & courtes & de la g



51
la quantité des syllabes par les Grammairiens: la-
quelle quantité advient naturelement a la syllabe:
qui est une chose plus cognüe & mieus reglee au
langage Gregeois & Latin, qu’en nul autre que je
sache. au moyen dequoy les Gregeois & Latins
ont mesuré leurs vers & mettres, par la quantité des
syllabes, c’est a dire par certain espace de temps, qui
se mettoit a prononcer les vers: là ou nous autres
de France compassons nos vers & rimes par certain
nombre de syllabes, sans regarder si les syllabes sont
longues ou courtes. Or puis que nostre langage
naturel est sans quantité (je diray quelque jour ce
que j’y en trouve, s’il plaist a Dieu) quand nous ve-
nons a parler les langages estrangers, nous ne gar-
dons la quantité naturelle desdits langages, que nous
n’avons naturellement, si nous n’y estudions bien
a bon esçiant, & ne l’apprenons de ceus, qui ont
naturels tels langages, voyla pourquoy ne trou-
vés aujourdui homme, qui en parlant garde ceste
quantité en Grec & Latin, pour ce qu’il n’y a plus
de gens qui parlent naturelement ces langages, dont
on puisse ouir la vraye prononciation, & ne se trou-
vent, qu’aus livres, qui sont muets, comme sçavés.
Quand donques aujourdui je veus faire un vers La-
tin, je vay voir en Virgile, quelle quantité ont les syl-



52
labes des mots que je veus mettre en mon vers:
autrement ne puis rien faire, & ne congnois que la
premiere syllabe d’ Arma soit longue & l’autre cour-
te, sinon que Virgile me l’enseigne, ou quelque au-
tre ancien d’authorité. Mais qui a apprins a Virgi-
le, que telle estoit la quantité de ces deus syllabes?
est ce point le poëte Lucrece ou Enne, qu’il lisoit
tant, ou quelque autre de devant luy? Non, c’est na-
ture (ne me venés icy sophistiquer sur ce mot de
nature, je vous prie). Car tout le monde a Romme,
hommes, femmes, grans & petis, nobles & vilains
parloient le langage que voyés en Virgile & autres
autheurs Latins, & prononçoient Arma la pre-
miere syllabe longue, & la seconde courte: & Vir-
gile incontinant qu’il a esté né, l’a oui ainsi pronon-
cer a sa nourrice, & estant grand en a ainsi usé pour
la mesure de son vers Heroïque. Que si quelqu’un
doute de ce que je di, qu’il ailhe lire le troiziesme
livre de l’Orateur de M. Ciceron, & trouvera vers
la fin, que si ce grand Domine , alias , grand Magister
de nostre païs qui a voulu adroisser un qui a plus
d’escus que luy, parloit aujourdui son ramage a
Romme devant les poissonnieres qui vendoient les
bonnes huistres a Lucule, qu’elles l’appelleroient
plus barbare, qu’il n’est rebarbatif, quoy qu’il face g ij



53
du fin. Et faut que je die icy, que suis tout estonné de
la mervelheuse audace d’un Espagnol, d’un Gau-
lois, de quelques Alemans, & Italiens, qui en no-
tre temps ont osé entreprendre de corriger les vers
de Terence. O les grans fols! Barbares, qui ne scavés
ni sçaurés jamais prononcer droit la moindre syl-
labe, qui soit en ce Latin, osés vous mettre là la
main? J’entens bien, que les anciens escrivans ont
corrompu & gasté ce pauvre poëte, & trouverois
bon a merveilhes, qu’il fut rabilhé: mais qui est ce-
tui la, qui aujourdui le pourroit faire, & laudabimus
eum
? Lessés cela quenalhe, & vous allés dormir,
ni touchés profanes a ces saintes reliques: & sil y a
quelque chose que trouvés bonne a vostre goust,
dites en, faittes en tels livres que voudrés: mais ni
touchés. Car que sçavés vous si ce langage coulant
& commun de Romme ne passoit point des sylla-
bes, que les grans messeres faisoient plus longues &
poisantes comme ils se portoient? & au contraire,
si n’apos;extendoits’il n’extendoit point quelques fois les courtes? Da-
vantage ne sçavés vous pas, & mesmes par plusieurs
lieux de Plaute, qu’on faisoit des soloecismes, des
fautes &en la prononciationprononciacion des paroles sotes & nou-
velles, tout ainsi que voyés en nos tant plaisans ba-
dinages de France, & ce toute a gardefaitte pour faire



54
rire les assistans? Je pren le cas, que le Comique fai-
sant parler un yvroigne qui chancelle, un courrou-
cé jusques a estre hors de sens, une folete chambe-
riere d’estrange païs, un vielhard tout blanc trem-
blant, aie tout expres pour le personnage mis ou
plus ou moins de temps aus vers, de sorte qu’a ton
aulne trouves un iambe en un Trochaique, ou un
Trochaee en un iambique, tu me viendras inconti-
nant faire là du corrigeart, & gaster ce qui estoit
bien? Mau de pipe te bire.


Comment se fait le Sucre,Chap. 14.


LE Sucre s’appelle Sacchar, Saccharon, Saccha-
rum
dans les autheurs Gregeois & Latins: & est
Dioscoride le plus ancien (si la memoire ne me
trompe) de tous ceus qui en ont parlé, lequel a esté
jadis medecin de Marc Antoine & de Cleopatre,
comme vous dira Suide. Or quant aurés bien leu
ce peu qu’ont escript du Sucre ledit Dioscoride, Pli-
ne, Galen, Paul d’Egine, Alexandre d’Aphrodise
& quelques autres du viel temps: vous ne congnois-
trés qu’ils aient eu tel usage de Sucre, mais que tout
leur Sucre estoit ce peu de Sucre qu’ils trouvoient
sur les Cannes de Sucre, (comme voyés je ne sçay
quelle gomme sortir de nos cerisiers & pruniers) g iij



55
dont ils usoient en medecine, & l’appelloient miel,
a cause que sa saveur approche fort de celle du miel,
lequel miel a esté en nos païs congneu premier que
ce sucre. Les anciens donques ne sucroient tant
leurs viandes que nous faisons les nostres: & croy
fermement qu’ils ne sçavoient faire le Sucre com-
me on a fait despuis je ne sçay quel temps. Le Roy
de Portugal a une isle a cent lieues de sondit royau-
me, en l’Ocean, que les Portugalois nomment l’is-
le de Madeira, (c’est a dire, de Matiere, a cause, di-
sent ils, de l’abondance du bois de ladite isle) en la-
quelle se fait force Sucre. Je me suis autresfois en-
quis aus habitans, comment ils le faisoient, & ay veu
que je sçavois toute ceste histoire par coeur, mais j’en
ay oblié meshui la plus grand’ part, dont suis marri.
Ce qui m’en reste, je le veus icy escrire pour secou-
rir a ma belle memoire de connil. Le Sucre vient
d’une sorte de Cannes (canne est Canna & Arun-
do
en Latin) qui sont differentes des nostres, qui
nous servent entre autres choses a faire des quenoi-
lhes a noz femmes, en ce principalement, que celles
là sont plaines par dedans, la ou les nostres sont creu-
ses, plaines di je non de moelle comme cuideriés du
sehu mais du bois mesme, lequel est plus mol que
le dehors de ladite Canne, d’autant qu’en icellui est



56
contenu le jus, dont se fait le Sucre. Avés vous ja-
mais rongé du jeune serment par les vignes, qui
commançoit a estre un peu duret? (je ne vous sçai
pour ceste heure dire mieus) tel peut estre ce dedans
de la Canne de Sucre plain ainsi de jus, que voyés
ce serment: lequel jus est de la saveur du Sucre &
nous fera du Sucre comme verrons. Les marchans
nous apportent quelquefois de ces Cannes pour
nouveauté a Rouan, a la Rochelle, & ailheurs non
de Madeira seulement, mais aussi de plusieurs au-
tres lieus des païs chauts comme Pline vous dit qu’il
en y a en Inde & Arabie, parquoy en pourrés voir
& gouster sans sortir de France, pour mieus sçavoir
& entendre ce que vous en voudrois dire. Je ne
vous sçaurois guere bien dire en quel temps on
plante lesdites Cannes, ni en quel temps on les cou-
pe, mais vous dy seulement qu’elles sont de la natu-
re des nostres en cecy, c’est, qu’elles demandent
lieus humides autour des rivieres & ruisseaus, dont
on les arrouse souvant: autrement ne profiteroient.
La terre se lasse aussi bien de porter cela que le blé:
au moyen dequoi la lessent repouser quelque an,
puis la labourent aveque les bras premierement, &
bien peu apres aveque la charrue, a l’aureilhe: quoi
fait viennent force gens pour planter les cannes,



57
comme s’ensuit. Il y a un homme qui marche de-
vant faisant la raie aveque la marre, ou pareil instru-
ment. un autre vient apres, qui par ces raies couche
les cannes (voila qu’appellons planter cannes) un
tiers vient apres qui couvre ce qui est couché &c.
sçavous[sic] pas bien comment on plante les chous &
pourreaus en mon païs? Ouy. De peu de Cannes
ainsi couchees par les raies, viennent a naistre innu-
merables Cannes, & ce des germes & boutons qui
sont au neus desdites Cannes. Ces Cannes qu’on
plante, on les prent (si bien me souvient) là ou y a eu
Cannes au paravant. Car pour ce qu’on n’arrache
pas les Cannes, ni quon ne laboure incontinant le
champ, mais qu’on le laisse repouser, des racines &
souches naissent autres Cannes, qui sont comme
sauvages, mais qui se corrigent, quand on les vient
a planter. Les Cannes donques ainsi plantees ar-
rousees & cultivees, sont (ce me semble) meures
en deus ans: auquel temps ils les coupent, les cu-
rent, & roignent, (la pointe ne sert qu’a faire des
liens & nourir les bestes) en font des fagots (si ger-
bes ne les aymés mieus appeller) qu’ils emmenent
du champ au moulin (ils ont là force moulins d’eaus
comme il est besoin pour cest affaire) qui est le lieu
ou se fait le Sucre. En ce moulin doit avoir beau- coup



58
coup de logis, comme verrés: mais pour moudre
leles Cannes, qui est la premiere chose qu’on fait, les
Cannes amenees du champ, il y a deus rouës je
ne sçay combien grandes, mais fort larges, droissees
l’une sur l’autre & portees d’un mesme arbre, ferrees
les jantes persees, & garnies de grosses dens de bois,
par tel compas & mesure que quand elles virent les
dens de l’une entrent dans les trous de l’autre. Au-
pres de ces rouës y a comme diriés un escherfaut
de telle hauteur que requiert la basse rouë: sur lequel
y a un homme qui ne fait que prandre Cannes qu’un
autre luy donne d’embas, & mettre sur laditte basse
rouë: lesquelles retenues par ces dens & les rouës
se virans comme avons dit, l’une sur l’autre, & l’une
contre l’autre, vous sont espraintes & froissees en
mille pieces, & finalement tombent bois & jus en-
semble en une cuve qui est dessous ladite roue. ce jus
est blanc. & l’appellent en leur portugalois, Caldo,
c’est a dire, brouet: lequel ils prenent de ceste cuve
aveque des seaus, & le portent cuire. Le bois, ils
le mettent au pressoir, & en tirent ce qu’ils peuvent,
comme nous faisons de nos raisons[sic]. Je serois long,
si je vous voulois icy dire le mistere qu’il y a a cuire
ce brouet devant qu’il soit devenu en Sucre tel qu’on
nous apporte: combien il y faut de cuisines, de bois, h



59
de fourneaus, de chaudieres: quantesfois on le re-
muë d’un lieu en autre. Pour abreger donques
quand ils ont fait cuire ceste douce liqueur, tant qu’il
ne lui faut plus que la forme, pour la faire prandre
ainsi que l’avons: ils vous plantent les formes, qui
sont de terre de poterie, larges par un bout & ouver-
tes, pointuës par l’autre, comme voyés un pain de
Sucre, ils les plantent, d’i je, l’une aupres de l’autre, en
une letiere faite communement de feuilhes desdites
cannes, la pointe en bas, & parainsi le cul en haut,
par ou ils les remplissent aujourdui de ce jus cuit,
qu’ils appellent l’ors (ce croy je) Melado, qui se
prent & calhe là: demain transportent lesdittes for-
mes ainsi plaines en un autre lieu garni de tables sur
bancs, & treteaus toutes plaines de trous, lesquels ilils
les mettent la pointe en bas, comme devant en la
letiere. Icy ha encores quelques misteres comme a
ouvrir lesdites formes, par la pointe )(elles sont aus-
si ouvertes par ce bout, mais quand on les remplist
premierement, on bouche ce trou d’un peu de lin-
ge) pour faire sortir du sucre un je ne sçay quoy tel,
qu’est ce qui vient du fromage qu’aucuns appellent
megue, autres laicton, autres relait, ainsi que les
Portugalois nomment cela remel, si je n’ay mal re-
tenu: Item a faire blanchir ce Sucre en laditte for-



60
me, &c. Je ne veus fauser mon serment, ni n’en
dire plus que je n’en sçai, joint que l’ouir ne vaut le
voir, & que pourrés aller sur le lieu quelque jour
pour mieus entendre le tout, ou vous en enquerir a
ceus qui auront fresche memoire.


Le profit qu’avons des lettres & livres, & de la
gloire de nos rimeurs,Chap.15.


NOUS ne sçaurions assés louer le gentil esprit de
celluy, qui a trouvé les lettres, ni dire combien luy
sommes tenus. Que Dieu lui donne Paradis, qui-
conque il soit, ou Cadme de Phoenice ou quelquun
autre, comme je me doute. Car il ne nous a pas
fait seulement ce bien, que peussions aussi aisement
parler a celluy qui sera a dix mille lieus de nous, que
si le tenions par la main: mais aussi nous a donné le
moyen que voyons (commécomme si ce n’estoit qu’au-
jourdui & fussions presens) naistre les premiers
hommes, combatre les Assyriens contre les autres
seigneurs: Aristote se pourmener a Athenes, Cicero
orer a Romme, Saint Pierre & autres saints pres-
cher apres leur maistre: qui sont toutesfois mors il
y a mile deus, trois, quatre, cinq mile ans. Bref il a
fait ce bien, que l’homme peut se souvenir & sça-
voyr tout ce qui se dit & se faict en ce monde, si ceus h ij



61
qui sçavent les letres sont gens de bien. Je dy gens
de bien, pour ce que j’estime mauvais premierement
ceus, qui nous cachent les livres des anciens, com-
me envieus: Secondement ceus qui sçavent quel-
que cas de bon, & ne le veulent enseigner ni de bou-
che ni par escrit, contre l’admonition du poëte Gre-
geois Theognis: Tiercement, ceus, qui aiment
mieus dormir, ivrogner, rire, gaudir, qu’escrire. Car
il s’en faut beaucoup que ne sois de l’opinion de ceus
qui se faschent de tant de livres: je n’ayme rien plus
moy, que force livres, & les lis tous s’il m’est pos-
sible, comme faisoit Pline, pour peu de profit que
j’y sente: & prie tout le monde d’en compouser d’au-
tres, en quelque langage que ce soit, quand je voy
qu’aucun le peut faire: Comme si c’est un Theolo-
gien, qui puisse en mon advis esclarcir quelque lieu
obscur de l’escriture sainte, je le prie y mettre la main,
Un Curé, un vicaire, un simple prestre, je le presche
& sollicite, tant que je puis qu’il face livre non seule-
ment de ceus qui naissent & meurent en la parrois-
se, mais aussi des races & feus, & de l’estat de ses par-
roissiens, & de l’estenduë & richesse de sadite par-
roisse. Si c’est un mathematicien s’il a rien qu’adjou-
ter a ce qu’avons des anciens tant en Arithmetique
que Geometrie, s’il sçait expouser quelque lieu dif-



62
ficile de ce que les anciens nous ont laissé, qu’il pre-
ne la plume, mais sans toucher a l’esquarreure du
cercle. Un physicien (c’est un medecin en Pathe-
lin) si l’experience luy a rien aprins de nouveau, qu’il
le nous ensegneenseigne. Un Capitaine, qu’il face de beaus
memoires de ses faits comme Caesar. Quelque au-
tre gentilhomme, qui serve le Roy ou a sa maison
ou dehors, memoires aussi, comme le bon Messire
Phelippe de Commines. Un Presidant en une
court, un Conseilher, un Seneschal, un advocat, qu’il
nous donne a entendre par l’experiance sienne &
pratique, tant de lois de Justinian, que nous lisons
sans entendre: Item qu’il nous recuilhe ses tant bien
poisés & arrestés arrests & sentences, pour l’instru-
ction de ceus qui apres viendront a choir, en pareil
jugement. Un marchant, je l’excommunie, s’il ne
fait papier de tout ce qu’il voit changer & arriver en
marchandise, de la valeur des choses selon le temps,
foire, & païs, &c. Un autre d’autre estat & vaca-
tion (pour abreger) je le supplie de faire autre chose,
selon son sçavoir & pouvoyr. & par ce moyen il ne
tiendra a moy, que n’en ayons des livres. Entre au-
tres choses, il n’i aura païs, ville, village, bourg, e-
glise, chasteau, maison, familhe, montagne, coli-
ne, terrier, fontaine, soit chaulde ou froide, dou- h iij



63
ce ou salee: prés, bois, vignes, &c. qui n’aye chacun
son livre, ou pour le moins son chapitre en plus
grand livre: laquelle chose donnera un singulier plai-
sir a ceus, qui vindrent[sic] apres nous, quand ils pour-
ront, sçavoir dont ils seront venus, que Paris est au-
tre chose aujourdui que Lutetia: que ce pré fut jadis
un bois: cete vigne un champ a blé: cete ville une
abbaïe: & non moindre profit, quand par nostre
livre se vuidront mile proces & quereles &c. Faittes
donques, faittes mes amis, faittes force livres & me-
moyres de la matiere que vous ay dite chacun de son
cousté, Si on ne les imprime (il ne tiendra[sic] toutes-
fois qu’a vous) on les escrira, on les gardera chacun
en son cofre, & lieus publiques. Faittes vostre de-
voir, & userés de la charité que devés a vostre pro-
chain. Voyla le premier profit de vostre labeur. Se-
gondement si faittes quelque chose d’exquis vous
acquerrés par là de la faveur, & du bien pour vostre
vie: & quand serés morts, outre le profit que feront
vos livres a tout le monde, vostre païs & vos suc-
cesseurs auront de la faveur par vosdits livres, com-
me lisons en Pline & Arrian qu’Alexandre le grand
a la prinse & pilhe de Thebes ville de Grece, fit cri-
er a son de trompe, que sur peine de la hart, nul
n’eust a toucher a la maison du poëte Pindare, qui



64
estoit mort il y avoit plus de cent je ne sçai combien
d’ans. Aions des livres pour l’amour de Dieu. Qu’il
n’y aye arbre, marbre, ni autre pierre, qui ne parle
n’espargnés parchemin ni papier. Escrivons tous,
sçavans & non sçavans: mais en ceste intention,
de profiter. & si d’avanture nous autres sçavons si
peu, que n’escrivons rien qui valhe, nostre intenti-
on pour le moins ne peut estre blasmee, & si servira
encores le papier de nos livres, soient escrits ou im-
primés, aus damoiselles qui vendent les senteurs a
Petit pont. mais au contraire si Dieu nous a fait ce-
ste grace, que puissons escrire chose de valeur (au-
trement ne serois certes d’advis de mettre la main
a l’escritoire, & vaudroit autant se dormir, quand
tout est dit) cela ne sçauroit estre de si peu d’esti-
me, que le profit n’en soit grand, si peu de temps
que dure le livre. Peu de temps je di, pource que
les meilheurs & les plus fins ne sont de longue du-
ree. Les changemens d’Empires & langages: l’eau,
le feu, les guerres, les rats, les teignes, les ignorans
des letres, ont fait perir la plus grand part des livres
des anciens, & des meilheurs: Parquoy ceus sont
bien abusés & mal instruits, qui ne se mettent a fai-
re livres, si non seulement pour se cuider faire im-
mortels par leurs escrits. O pauvres hommes, es-



65
tes vous si peu hommes que cela? N’avés vous ja-
mais ouy precher a vos philosophes, que dessoubs
la Lune n’i a rien qui ne soit subjet a la mort, fors
les esprits que Dieu a donné aus hommes? & vous
voulés vous immortalizer par vos escrits? Je vous
prie dites moy, ou sont les livres du poëte Enne,
lesquels il composoit (dit Orace) apres avoir bien
joué des gobellets, là ou il a escrit, qu’il ne vouloit
que personne le plourast a son enterrement, & qu’il
vivoit a tout jamais sans fin par les bouches des
hommes?


Iámque opus exegi, quod nec Iovis ira, nec ignis
Nec poterit ferrum, nec edax abolere vetustas.


C’est bien dit a vous, maistre Ovide, de vous & de
vos livres: desquels la meilheure partie est perie, &
ce qui reste tant gasté, qu’on n’i voit quasi rien a
plain midi. Mais Orace quoy?


Exegi monumentum aere perennius,
Regalíque situ Pyramidum altius:
Quod non imber edax, non Aquilo impotens
Possit diruere, aut innumerabilis
Annorum series, &c.


he menestrier mon ami, ton langage n’est desja pas
la moitié entendu, & verras un de ces jours un prin-
ce estranger en ta Romme qui achevera (a mon grand



66
grand regret) ce qui est fort avancé: & adieu tes
gloires. J’endure toutesfois encores tellement quel-
lement ceste folle esperance & ventance par trop
grande en ces gens là: mais nous qui avons eu au-
tre discipline, & veu plus que ces anciens la, devri-
ons nous pas estre plus sages? persisterons nous en
leur folie? que di je persister? mais l’augmenterons?


Non possum ferre Quirites , un tas de Rimeurs de
ce temps, qui amenent en nostre tant chaste France
toutes les bougreries des anciens Gregeois & La-
tins, remplissants leurs livres d’Odes (en ma premie-
re escorcherie le grand fesseur me disoit, qu’Ode
estoit a dire Oda, & Oda Ode, comme vecordia la
Vecorde) de Strophe, Antistrophe, Epode & d’au-
tres tels noms de Diables, autant a propos en no-
stre François, que Magnificat a matines, mais pour
dire qu’en avons ouy parler du Pindare: & ne vous
sçauroient faire trois vers, qu’ils ne medisent d’autrui,
ne se louent jusques au dernier Ciel, & finalement
ne se croient immortelz. La MORT ni mort, dit
lun. l’autre R

Ce Chapitre est imperfait.

houtos melancholai

i




67


Une brave response que fit l’ambassade de Gau-
le a Alexandre le Grand,Chap. 16.


AMIS, la presente sera pour vous advertir,
que si pouvés entendre les aucteurs en leurs lan-
gues, ne vous fiés es translations. Car Politien mes-
me, duquel on trouve l’Herodien si bon, a tout gas-
té l’edifice, qui fut fait pour bruler le corps de l’Em-
pereur Severe. Nous avons un aucteur Gregeois
nomme Arrien, qui a fait huit livres des faits &
gestes d’Alexandre le grand. Au premier il com-
pte, que quand ledit Alexandre eut vaincu les Getes
& rasé leur ville, qui estoit de là la riviere du D’anu-
be, qui celle part s’appelle Istre, il luy vint ambassa-
des de tous coustés des Rois & seigneuries prochai-
nes, & entre autres des Celtes (les Grecs appellent
Celtes communement ceus que les Romains nom-
ment Gaulois) qui se tienent aupres de la mer Io-
nique: qui sont (dit il) grands hommes (je croy
bien qu’on n’envoya pas là des plus petis du païs)
& ont le coeur haut. Tous ces gens icy venoient
vers Alexandre pour luy demander son amitié: &
demanda a ses beaus garsons de Celtes un jour qu’il
les festoitfestoioit (comme dit Strabon) apres avoir un peu
hausé le temps, ainsi que sçavés qu’il estoit grand jou-



68
eur de gobeles, que c’estoit qu’ils craignient le plus
en ce monde, Alexandre qui estoit prince de grand
coeur, & jeune de vint ou vint & un an, tout trans-
porté de gloire, a cause de l’heur qu’il avoit desja eu
en ses grandes & hasardeuses entreprinses, & s’as-
surant qu’il ne pouvoit estre que desja tout le mon-
de ne fust plain du bruit de ses victoires d’un bout
jusque a l’autre, s’attendoit que ces gens dissent, qu’-
ils ne craignoient rien plus que luy: mais il fut trom-
pé de plus de moitié de juste pris. Car il avoit affe-
re a gens qui ne s’estimoient moins que luy, voi-
oient qu’ilils estoient loing de luy, & luy qu’il prenoit
autre chemin que devers leur païs: & parainsi luy
firent response telle que meritoit son outrecuidance,
& luy dirent, que la chose de ce monde qu’ils crai-
gnoient le plus, estoit, que le ciel ne tombast sur eus.
Alexandre se contenta de cete response, les appel-
la ses amis, fit confederation aveque eus, & leur
donna congé de s’en retourner en leur païs, disant
seulement ce petit mot, a cause de la susdite res-
ponse, Que les Celtes sont fieres gens. Pour reve-
nir a noz translateurs, celui qui a translaté en Latin
ceste hitoirehistoire (au moins celui que j’ay veu) en lieu
de Celtes ou Gaulois il ha mis les Germains, que
nous appellons Alemans, & devinés pourquoy? i ij



69
Pour gater l’histoire comme font plusieurs autres
gateurs de livres, qui changent tout ce qu’ils ne peu-
vent entendre. Le golphe Ionique est la mer qu’ap-
pellons Adriatique & de Venize, comme cognis-
trés
cognois-
trés
par Strabon au livre septiesme: & trouvoit es-
trange ledit translateur que les Gaulois fussent pres
de ceste mer là, comme s’il n’y avoit Gaulois si-
non icy en nostre Gaule bornee de la mer Narbo-
noise, des mons Pyrenees, de l’ocean, du Rein, &
des mons des Alpes. Il semble qu’il n’avoit leu que
Strabon & autres Geographes comptent, que nos
anciens Gaulois sont en grand nombre passé en I-
talie & Alemagne, & tenu partie d’icelle, & de Hon-
grie, & du païs qui est au long de ladite mer Adria-
tique deça & dela, &c.


Des langages desquels est composé nostre Fran-
çois, & des etymologies d’aucuns mots Fran-
çois,Chap, 17


CELLUY qui entendra nostre langage, appel-
lé pour le jourduy François, & ancienement Ro-
man: & qui quant & quant entendra le Gregeois
& le Latin, je ne doute, qu’il ne confesse, que ledit
François use de beaucoup de mots Grecs, & plus
de Latins: mais il y a du danger a vouloir tirer des-



70
dits Gregeois & Latins tout ledit François. Aux
Ebreux, je ne voy point que puissons devoir grand
chose, combien que feu maistre Guilhaume Nico-
las se soit autrefois mis en pourpoint pour me fere
entendre que sa ville de la Rochelle avoit eu ce nom
d’un mot Ebrieu: mais je ne suis celui qui croit
incontinant a la volee tout ce qu’on dit. ProbendiProbandi sunt
spiritus
, s’ils sont de Dieu & de verité. Quant les Ro-
mains ont esté seigneurs de ce païs, ils y ont semé
leur Latin: mais d’ou nous vient ce Grec? Je n’en
sçay rien, fors qu’en la Gaule Narbonoise, qui s’ap-
pelle aujourdhuy ProvenceProvance ,& Languedoc, sont venus
jadis demourer force Grecs, & ont là basty plusieurs
villes, desquelles l’une est Marseilhe, comme vous
diront Strabon, Justin, & autres: en laquelle ville
de Marseilhe on parloirparloit jadis trois langues, la Gre-
que, Latine, & Gauloise, ce dit saint Jerome au pro-
esme du segond livre de ses commentaires sur l’e-
pistre ad Galatas , là ou il dit aussi davantage, que la
Guienne se disoit ancienement estre pareilhement
de nation greque. Les histoires anciennes sont per-
dues, qui parloient de ceste origine de Guiennois,
mais cela fuffistsuffist, qu’on voit par cet aucteur, qu’ils
sont sortis de la Grece. Ainsi y a eu jadis trois lan-
gues en la Guienne, comme en Marseilhe, & ains i iij



71
voit on que nostre Gaule peut avoir prins beau-
coup de mots de ces Grecs icy. Quant est des Tro-
ïens, ores qu’ils fussent venus en la Gaule (que je ne
puis encores croire) ceus la ne nous pourroient a-
voir apporté tant de Grec: Car ils ne le parloient
pas, en mon advis, mais seulement leur Phrygien.
Car les Grecs, ils appellent le pain Artos , & les
Troïens comment le nomment ils? Bec, ce dit He-
rodote au commancement du segond livre. Voi-
la langages differens. Que si me venés dire, que l’A-
sie a finalement prins le langage Gregeois, a cause de
la seigneurie des Grecs, qui a passé la mer, & du
grand nombre des villes par les Gregeois basties en
ladite Asie: je vous confesseray que c’est verité,
mais en quel temps? devant la guerre de Troie? Il
me faudroit prouver cela pour gaigner sa cause. Car
si Enee prince Troïen parle Grec en Homere, si
fait il aussi Latin en Virgile, & François es rimes
d’Octavien de saint Gelais jadis evesque d’Angou-
lesme. Mais nous avons donques force Grec en
nostre François? Il le me semble, toutefois non
tant en mon advis, comme aucuns me veulent fere
croire. Car Guilhaume Budé, ce tant sçavant Pa-
risien ne m’a jamais peu fere entrer en ma dure teste
que l’ARREST de la court de parlement, & l’hom-



72
me arresté soient tirés d’Arescomai, qui est adire
plaire & de Areston, qui signifie dous, plaisant, &
traitablétraitable. Cela n’est la propre signification d’Arrest.
Nous appellons proprement Arrest, ce qui empes-
che d’aller & passer plus outre, tesmoing l’arrest de
la lance. & de là vient arrester, comme s’il estoit de
quelque arrestare (ainsi dit on en Latin de plaide-
rie) ou arresistere . Car le Latin restare , sistere , &
resistere , ont telle signification qu’arrester. Or
nous avons diverses seigneuries & plusieurs de-
grés de seigneurs, qui ont jurisdiction: lesquelles
sont toutes subjettes a la jurisdiction du Roy.
Ainsi marchent nos proces de seigneur a seigneur,
jusques a ce, qu’ils soient venus devant le Roy.
lequel ne pouvant seul en personne suffire a ac-
corder nos differens, ha en quelques quartiers de
son Roiaume ordonné gens pour luy & courts,
qu’appellons parlements. Qu’ant donques le sei-
gneur du village a condemné Robinea de paier le
bot cassé, il en appelle, & vient finalement tout bel-
lement ainsi en appellant, jusques devant les juges
souverains & derniers: là ou se faut arrester, des-
quels n’y a appel. Voila donques l’arrest de Robi-
nea, la sentence de ces souverains juges. Je pense
telle estre l’etymologie du nom d’arrest es courts



73
souveraines. Et la Galoche pourquoy viendra elle
plus tost du Grec Calopus que du Latin Gallica ? du-
quel vous parle Gelle au Chapitre 20, du livre 13,
de ses nuits Attiques? Feu, qui brule, ne vient point
du Grec pyr , non, mais de Focus plustost: ni coint d’a-
lheurs que de comptus . Et aviser pourquoy ne sorti-
ra il de viser. Vilein ou plus tost vilain, comme là ont
un a pour e nos voisins plus Latinisans que nous,
qui le nous fait arracher du Grec pour une letre ou
deus? De Urbs vient Urbanus, & a lon fait de villa
villanus
, & dela vostre vilein. Cens & rente qu’est
ce? Census & cense n’ont ils rien proche? Metairie
pourquoy ne viendra elle de medietas? les Metairies
sont en mon païs, qu’on laboure & fait a moitié de
profit. Sarculum est un instrument pour sarcler,
dont trouverés sarculare verbes es Latins rustiques.
Parrete de Paris est Perrete de mondit païs, & ra-
ptasser vaut repetasser de petas. l’un fait l’autre. Les
Latins disent passus & nous pas, dont vient passer.
Mantellum est mot Latin dont avons prins nostre
manteau contre la pluie. J’appelle jarretieres pro-
prement de quoy je lie mes jarrets. Affin est a dire
adfinem . Je ne croy pas que aimat soit praesentis
temporis
en Gascoigne, & quand nous autres Fran-
çois disons aus Brettans qu’ils ont emprunté des Grecs



74
Grecs leur langage, ils se mocquent de nous, & di-
sent, que c’est au contraire, Que les Grecs ont pi-
lhé des Brettans. Ont ils pas raison? Ban et bannir
sont vieus mots Gaulois ou François, comme vous
diront les Alemans. Une besse en plusieurs lieus de
France est un lieu bas, & une valee. Il y a en Hesio-
de bessa en ceste mesme signification, pourquoy
n’en tirerons nous abesser, si ne voulés dire qu’-
abesser, se dit pour abesserabasser de nostre bas, qu’on tire
de basis? Piece est Attique François: pece Ionique.
de cestui peut venir despecer pour mettre en pieces.
Droisser se dit plus tost que dresser, pource qu’il
semble, qu’il vient de droit. Titio est un tison: de
là sort attiser ou attizer le bois au feu, & les coleres.
Pour fere fin, qui voudra ainsi resver apres ces ety-
mologies, presteraapprestera force ris pour ceus, qui auront
la rate un peu saine. Car combien pensés vous qu’il
y aïe de mots, qui se ressemblent en tant de langa-
ges, qu’il y a parmi le monde, qui ne se cogneurent
jamais, mais ont esté forgés a l’aventure sans sçavoir
rien l’un de l’autre? Bec (comme avons dit de-
vant) est adire pain en Phrygie, ou fut Troïe: &
bec en Françe est la bouche (diray-je ainsi) d’un oy-
seau & de l’homme aussi quelque fois. Songeray-
je donques incontinant que nostre bec est venu de k



75
Troïe, pource qu’on met le pain au bec pour le man-
ger. Il y aura deus mots, qui se commanceront par
mesme lettre, qui auront deus ou trois lettres sem-
blables, & je diray que l’un est fils de l’autre tout in-
continant? & non feray: Je ne seray point, si son-
ge-creus, beausire, de paour qu’on ne s’en moque.
Car que fit Monsieur maistre Marc, quand son
grand amy, & le plus sçavant des Romains Var-
ron, luy voulut fere croire qu’ ager qui est Grec a-
gros
, estoit sorti du Latin ago , qui est adire fere,
quod in agro agatur aliquid ? il se print si fort a rire,
que s’il eust eu des chausses comme nous, on dit
qu’il les eust toutes compissees, si pis n’eust fait, &
en fit ces deus vers.


Fundum Varro vocat, quem possis mittere funda:
Ni tamen exciderit, qua cana funda patet.


De l’invention de l’artillerie, & de l’impression,
& des quadrans & compas de mer, & de la
proprieté de la pierre d’Aimant, Chap. 18.


CEUS qui de nostre temps se sont esbatus a cher-
cher les inventeurs des choses, & en quel temps el-
les ont esté trouvees, comme qui trouva premier
le vin bon: qui fit la premiere navire: qui chanta le
premier par nature, qui trouva despuis B quarré



76
& B mol qui ne sont si aisés: qui fit le premier pet a
Romme &c. disent que le fait d’artilherie se trou-
va en Allemagne, par je ne sçay qui, environ l’an
mil trois cens cinquante: & l’art d’impression quel-
que cent ans apres: que plust a Dieu qu’elle eust esté
trouvee deus mile ans devant pour le moins. nous
aurions force bons livres, qui se sont perdus par fau-
te d’escrire.


Quant est de l’artilherie, je ne sçay que souhaiter
au Moine qu’on me dit l’avoir inventee. Car je
doute si elle est tant diabolique & pernicieuse au
genre humain, comme on la fait: pource que d’au-
tant qu’elle est colere & forte, plus la craignent voi-
re les plus galants & chevalureus. Un Hector, ung
Roland, armé & monté jadis comme portoit sa
puissance, ne craignoit rien. en un jour eust chevau-
ché sur le ventre de cinquante mile hommes. Mais
aujourdui un tel n’a loy d’ainsi s’escarmoucher en u-
ne batailhe: ains n’est besoin d’Achilles pour cest
Hector: car le plus foible de la compaignie vous
l’envoyera en l’autre monde par une petite pillule
de Rhabarbaro, plus viste que vent. voila comment
il me semble que je ne voy point les grandes jour-
nees & defaictes du temps jadis. mais un clerc d’ar-
mes. Lessons cela, & que je vous demande, si me k ij



77
scauriés dire, quant on a advisé premierement en
l’Aimant ceste vertu de fere tourner une broche &
aguilhe de fer l’un bout vers le Septentrion, l’autre
vers le Midi? car de ma part je n’en ay rien leu, qu’il
m’en souviene es autheurs anciens: & ne doute point
que ce ne soit aussi invention nouvelle, quelque peu
plus vielhe que celle de l’artillerie. Quant est de l’au-
tre proprieté de ladite pierre, qui est d’attirer le fer a
elle, & de le retenir, nous en avons des escrits faits
il y a plus de deus mile ans: & lisons qu’un berger
nommé Magnes (duquel la pierre porte le nom en
Grec & Latin) la trouva en Inde, un jour en suivant
son troupeau par ces pierres, ausquelles il fut con-
traint quitter sa houlete & Galloches ferrees. Pline
vous viradira au 36 livre de l’histoire Naturelle, que
ceste pierre est communement de couleur noire &
rousse (j’en ay veu de telle, de la grosseur de la teste,
& de plus petites, & plus grandes) & qu’il ne s’en
trouve pas seulement en Inde, mais aussi en plusieurs
autres païs, comme en Ethiopie, Macedoine, Boeo-
tie, Phrygie, & Espagne. C’est donques ce Ma-
gnes
, qu’avons appellé l’Aimant, a cause (peut estre)
que cete pierre aime ainsi le fer, qu’elle le fait venir
a elle & le retient, voire jusques a le consumer fina-
blement: de laquelle nous avons plaisir & profit ine-



78
stimable en nos petits horologes, que portons com-
munement en la poche & bourse, & qu’appellons
quadrans: & es quadrans de mer que nos mareants
nomment compas: esquels deus instruments, cete
pierre a un mesme effet, qui est (comme avons
dit) qu’elle vous monstre le Septentrion & le Midi.
Mele, Pline, & Solin comptent pour grands mer-
veilhes de quelques gens, qui estoient par fortune
venus par mer d’Inde jusques en Alemagne: & d’au-
tres, de la Mer Rouge jusques en Espagne: & main-
tenant cela est si commun aus Portugalois, que per-
sonne ne s’en esmerveilhe plus. Et d’ou vient ce-
la? qui a premier enseigné ceste voie? l’Aimant. non
pas que le chemin fut difficile beaucoup a trouver,
mais malaisé a tenir, pource qu’il estoit tant large &
ouvert, qu’on si esgaroit: & le plus souvant on ne
sçavoit si on alloit le long d’icellui, ou si on le tra-
versoit: de sorte que cellui qui l’entreprenoit, ne
pouvoit mieus esperer, que de s’aller perdre ou de
fain ou autrement: mais ce compas, par la vertu de
l’Aimant, vous monstrera tousjours, a toute heu-
re, soit de nuit ou de jour si vous allés de long ou de
travers. Il ne faut que sçavoir ou vous avés inten-
tion d’aller: il vous y guidera. La rondeur d’icellui
est divisée en trente & deus parties, qui signifient là k iij



79
le monde divisé en autant de pars. Sachés donques
vers quelle partie de ces trente deus est le lieu ou
vous voulés aller: gouvernés icy, & ayés vent en
poupe, vous y serés de belle heure. Ainsi allons
nous maintenant par la mer là ou bon nous semble,
en toutes les terres & païs du monde, que les anci-
ens ne sçavoient fere. C’est là le bien & profit que
nous a fait l’Aimant, & cellui qui a trouvé le premier
qu’une broche, une aguilhe, une petite louzange de
fer ou d’acier, qui est plus fort, estant mise en balan-
ce sur une petite pointe de cuyvre ou lecton, tou-
chee l’un des bouts, de la pierre d’Aimant, nous
monstre d’un bout le Septentrion, & le Midi de l’au-
tre, pour le moins bien pres de là: car a la verité elle
cherche son Septentrion un peu devers l’orient, &
son Midi autant sur l’occident: ce que cognoistrés
avoir esté advisé es susdits petis horologes. Car pour
droisser droit au midi le fil qui par son ombre nous
monstre les heures (le haut bout dudit fil, nous doit
monstrer le pole du Septentrion, nommé Arcti-
que, & l’autre le pole du Midi, qu’on appelle Antar-
ctique, de sorte que ce fil soit en l’essieu du monde,
& dedans le cercle du Midi) pour droisser ce fil, di je
droit soubs le Midi les ouvriers ont peint un peu de-
travers dudit fil, au fond de l’horologe, la figure de



80
l’aguilhe, sur laquelle se doit droisser ladite aguilhe
mouvante, en tournant ledit instrument, quant on
veut sçavoir l’heure. Je voudrois que quelque Ma-
ge eust trouvé les causes & raisons des proprie-
tés de ceste pierre, asçavoir, pourquoy elle est ainsi
amoureuse du fer, ou le fer d’elle, & aussi pourquoy
elle fait ainsi tourner le fer vers une certaine partie
du monde, & nous eust asseuré de ladite partie, si
c’est le vray point du pole, ou quelque aultre du cos-
té d’icellui. Quelquun m’a autrefois dit, que la cause
pourquoy en ce païs icy ceste aguilhe ne regardoit
droit le Septentrion & Midi, estoit que ceste pierre
qui l’avoit touchee avoit esté prinse en païs plus ori-
ental ou occidental, & que ce fer, qui en avoit eu un
baisé, puis separé d’aveques elle, comme s’il avoit
d’elle entendu de quel païs elle estoit, estant par ce
dous attouchement tant monbon amy d’elle, qu’il ne la
peut oblier, la va chercher au païs dont elle est. Mais
pour estre asseuré de cela, il faudroit fere experiance
au païs ou elle se prent, si elle va plus droit qu’en ce
païs icy. Je me suis quelque fois enquis de ce mi-
raculeus effet de l’Aimant aus Portugalois, qui font
ceste grande navigation d’Inde: mais quelquun m’a
dit, qu’il avoit experimenté, en voïageant ça & là,
que l’Aguilhe (ils appellent ainsi tout l’instrument)



81
alloit droit soubs le Midi en deus lieus: l’un aus isles
qu’ils appellent Terceiras , en le parallele de Lisbone
ville de Portugal: & l’autre en la mer de Perse (ne
me souvient comment l’appelloit autrement) &
que de tant plus qu’on s’eslogne desdits lieus, de
tant plus forvoye ladite Aguilhe: aussi au contrai-
re de tant plus qu’on s’en approche, elle se renge, a
la dite ligne du Midi. Et m’ont dit tous les faiseurs
de compas, que j’ay veu, qu’en leur avis ce forvoie-
ment est de la moitié d’une des susdittes trentedeus
parties, qui est une soixantequatriesme partie de
tout le cercle. Mais on m’a dit une autre chose de
ceste pierre, qui ne se doit taire. C’est qu’en icelle
y a contraires effects, c’est a dire, que trouverés en
elle un endroit, qui fera tourner vers le Septentrion
ce qui en aura este touché, & un autre le fera vers le
Midy: & qu’on trouvera cela en toutes les pieces
que pourriés fere de vostre dite pierrrepierre, la missiés
vous en mile lopins.


Que c’est Conus, Quille, Pyramide, Obelisque:
& quelques doubtes touchant un Obelisque
de Romme, duquel Pline parle,Chap. 19.


CONOS est Grec, que les Latins changent en
Conus : & signifie une quilhe: duquel nom de Conus peut



82
peut avoir esté tiré ledit nom de quilhe, comme de
son diminutif Conulus ou Conellus: mais le genre
change. Conos aussi est adire une nois ou fruit de
pin en Galien, si bien me souvient: & Conos parei-
lhement s’appelle tout arbre duquel la figure ressem-
ble a une quilhe, comme voiés d’un ciprés, & mes-
mement tant qu’il est jeune. Je me douterois, que
Conos aïe esté premierement tel fruit & tel arbre:
puis par semblance ce que nous appellons une qui-
lhe. Ceus ne savent guere de Geometrie, ce pense
je, lesquels prenent Conus & Pyramis (Pyramis est
aussi Grec) pour une mesme chose: Car Pyramide
(ainsi se dit Pyramis en nostre France) a bien le
pié large, monte & s’acheve en pointe, comme la
quilhe, & le Conos: mais ceus cy sont de figure ron-
de, & la pyramide non. Vous verrés en Pline (tu
as veu cela en Pline? fit un Doien de par le monde a
son sçavant neveu, qui en quelque compaignee alle-
guoit quelque chose de l’histoire Naturelle de Pli-
nius
: pensant le bon homme, que Pline fust un païs,
comme Italie, Grece, Espagne. Tu te moques bien
de nous, dit il, de nous dire qu’as veu cela en Pline,
& tu n’i fus jamais. Tu n’es encores sorti de Fran-
ce, & n’es allé jamais plus loing que Paris ) vous ver-
res, di je, en Pline, qu’elles estoient les pyramides l



83
d’Egypte, qui compte que trois cens soixante mi-
le hommes furent vingt ans a en fere une: & qu’on
fut septante huit ans quatre mois a en fere trois: &
qu’il si despendit en rifors, aus, & oignons, mile &
huit cens talents, qui n’est moins d’un milion d’or
& 80 mile escus. Mais il y avoit une autre sorte de
Pyramide, qu’ils nommoient obelisque, c’estadire
obeliscos , qui est aussi mot Gregeois, & signifie peti-
te broche & haste: car c’est un diminutif de obelos ,
qui est adire une broche: broche je di, dont lon use a
rostir viandes. Et ces obelisques, peut estre, se sont
appellés ainsi, pour estre semblables a petites bro-
chetes quarrees: & de ce nom diminutif, pource
que telles pyramides estoient bien petites au pris des
autres. Car les obelisques se faisoient d’une seule
pierre, & les pyramides de plusieurs pieces: & es-
toient grandes a merveilhes lesdites Pyramides,
comme celle qui avoit huit journaus (octo iugera, a-
ïant le iugerum deus cens quarente pieds de long &
cent & vingt de large) d’assiete & de pié, qui estoit
quarré. Davantage, les pyramides estoient faittes
a degrés, de sorte, qu’on pouvoit monter par des-
sus jusques a la sime, ainsi que par un escalier: mais
l’obelisque je me doute qu’il n’avoit ces degrés. Pli-
ne parle de plusieurs obelisques (c’est au livre tren-



84
tesiziesme) & entre autres de deus amenés d’E-
gypte a Romme, desquels l’un avoit de hauteur
cent & vingt & cinq pieds & trois quars sans com-
prandre la base, qui estoit de mesme pierre. L’au-
tre estoit moindre de neuf pieds. De cestui il com-
te deus ou trois choses, que je ne puis entendre sans
l’aïde des sçavans. Et premierement cecy qu’il dit,
que cet obelisque, affin qu’il servist d’autre chose,
que de se tenir là debout pour se fere regarder & fe-
re esmerveilher les gens d’une telle piere ainsi drois-
see: Auguste Cesar trouva le moien de le fere ser-
vir a monstrer les ombres du soleil, & la quantité
des jours & nuits tout le long de l’an. Et comment
cela? C’est que tirant la part ou va l’ombre a l’heu-
re du midi, il fit coucher une pierre (veut il dire
une seule ou plusieurs assemblees?) dedans laquelle
y avoit des regles d’erain, là ou il estoit marqué &
escrit, combien s’estendoit l’ombre, & duroit le jour
& la nuict en tel temps, & en tel de l’annee. Voicy
donq’ mon premier doute, si ceste pierre ainsi cou-
chee touchoit d’un bout au pié de l’obelisque (qui
n’estoit necessaire) & si Pline veut dire q’uellequ’elle fust
justement, & non plus ni moins longue que ledit o-
belisque. Car s’il veut dire cela il me semble, que je
prouverois bien, que ladite pierre ne serviroit a tou- l ij



85
tes les ombres & jours de l’annee. Il dit puis apres
qu’un mathematicien nommé Manlius (il peut es-
tre que ce fut le poëte Latin Marcus Manilius , du-
quel on a des livres d’astrologie) mit sur la pointe de
cedit obelisque une pile (pilam l’appellet il, que nous
pourrons dire pomme, pource qu’avons accoustu-
mé de mettre en tels lieus quelque chose ronde, qui
ressemble une pomme) ou pomme doree, & de
telle raison, que son ombre si perdoit en elle, & ne
descendoit jusques en la susdite pierre couchee, ains
estoit le bout de l’obelisque, qui comme au para-
vant donnoit tousjours, & marquoit l’ombre: a-
ïant (dit l’aucteur) ce mathematicien prins sa consi-
deration sur la teste de l’homme. C’est icy mon
autre doute. Car se peut il fere, qu’une chouëte e-
tant perchee sur une girouëte, ne face ombre aussi
bien que ladite girouëte? Il est bien vray, que la
boule que vous tenés entre les mains, & qui delà fait
ombre sur la terre, que vous la pourrés jeter si haut
en l’air, le soleil raïant, que son ombre se perdra: &
comme dit Pline au segond livre, on voit souvant
les oizeaus voler si haut, que leur ombre ne se voit
sur la terre, ains se consume en l’air. Mais ceste
pomme doree n’estoit comme un oizeau volant
en l’air puis qu’elle estoit pousee sur la pointe de l’o-



86
belisque: parquoy faut que l’ombre de l’obelisque
fust continuee jusques a la hauteur de laditte pom-
me, comme prouveroit un Geometre, ores que par
les coustés l’ombre s’amassast bien fort. Comment
donques estoit mise ceste pomme sur la sime de l’o-
belisque, qui au bas monstroit ce qu’avons dit de-
vant? Est ce que l’obelisque fust mouce comme les
espaules de l’homme, & tant espointé, que l’ombre
de la pomme eust là assés d’espace pour s’y consumer
sans jamais pouvoir descendre en la place? siou si l’obe-
lisque estoit pointu tant qu’estre le pouvoit pour l’ar-
rest de l’ombre en la place, mais que la pomme es-
toit sur la pointe d’icellui quelque peu eslevee, sous-
tenuë & attachee de quelque broche de fer, ou
d’erain, doree, & fort deliee? Ainsi se pourroit je-
ter une boule si haut en l’air, que son ombre se per-
droit devant que venir en terre, comme avons dit
d’un oizeau qui vole haut: & se pourroit mettre sur
la pointe d’un clocher de telle sorte, que son om-
bre se perdoit, pourveu qu’elle eust la grosseur rai-
sonnee a la hauteur du lieu ou lon la mettoit, &
qu’elle ne touchast a la pointe dudit clocher, mais
fust là atachee comme avons dit. Et quant a ce
que dit là Pline, qu’en son temps cet obelisque fai-
soit faute a ce qu’Auguste l’avoit ordonné: je ne croi l iij



87
que ce fust pour raison que la terre eust changé
de place: mais il peut bien estre que les tremblemens
de terre & derrivemens de la riviere prochaine, l’a-
voient fait courber & pendre quelque petit, plus-
tost, que baisser, s’il avoit comme on disoit, autant
de fondement, comme il estoit haut: & est aussi
tres-vrai, que le divers mouvement du ciel pouvoit
estre quelque cause de cela. Car puis que le soleil se
recule & esloigne des poles, c’est adire, que l’esté il
ne s’approche si pres de nous comme il faisoit du
temps d’Auguste, ainsi que disent les experts: ne
faut il pas, qu’aujourdui nos ombres de l’esté soient
plus longues, & celles de l’hiver plus courtes qu’au
temps passé? Il n’est pas bon donques de se fier trop
lon temps aus heures d’ung cylindre, & d’un horo-
loge qui est fait a la semblance d’une eschele, & re-
garde droit l’orient ou occident.


De trois rivieres du païs d’Engoumois, la Tou-
vre, Tardouere & Bandiac, & un lieu de
Marot expousé. Aussi d’un sepulchre trou-
vé soubs terre audit païs,Chap. 20.


ON list dans les geographes & poëtes, que la ri-
viere d’Alphee vient de Peloponnese, (qui s’appel-
le maintenant Moree) par dessous la mer & la ter-



88
re sortir en l’isle de Sicile, & fere là la fontaine d’A-
rethusa. Je ne sçai, si cela est vray: mais il est bien
plus aisé a croire ce, que les Engoumoisins trouvent
de leur Touvre, & de leurs Bandiac & Tardouere,
qui est, que ces deus rivieres viennent par sous ter-
re fere ladite riviere de Touvre. Car entre la Mo-
ree & la Sicile y a pour le moins plus de trois cens
lieus de mer & le droit chemin: & des la Touvre
jusques au Bandiac & la Tardouere n’en y a pas plus
de deus ou trois, & toute terre. Ces Tardouere
& Bandiac sont deus petites rivieres, qui viennent
des païs de Limousin & Perigort se rendre au païs
d’Engoumois: & là en certains endroits perdent
entierement toute leur eau, quand le temps est sec,
comme l’esté communement: mais au temps que
les eaus sont grandes, comme il se fait commune-
ment l’hyver, ces deus rivieres ont plus d’eau,
qu’il ne s’en peut escouler par leurs trous & goufres,
& s’en viennent ainsi descharger du reste de leur eau
en la riviere de Charante, laquelle par Engoulesme,
Congnac, & Saintes s’en va rendre en la grand mer.
La Touvre, laquelle descent aussi en la Charente,
sort a deus lieus Françoises ou environ de ladite
ville d’ EnguolesmeEngoulesme , ou elle ha plusieurs sources en
peu d’espaces, au pié d’un tertre, sur lequel verrés



89
les ruïnes d’un chasteau qui semble avoir autrefois
esté assés fort & brave. La plus grande de ses sour-
ces vous puis-je comparer a quelque grand & large
puis, qui jeteroit eau a plaine bouche tout rasibus
terre, sans fere bruit aucun, grandes ondes, ni escu-
mes. Cesdites sources jetent eau presque tousjours
d’une sorte, & ainsi ne croist jamais beaucoup la
riviere de Touvre, qui n’a guere autre eau, que de
ses fontaines là. Elle ha beaucoup plus d’avantage
en largeur, qu’en profondeur: & vous diront les
Engoumoisins de la beaulté d’icelle & fertilité, que
c’est la riviere couverte de Cygnes, pavee de Truites,
& bordee d’Anguilhes & Escrevisses: qui est ce
qu’a voulu dire Clement Marot en la bergerie, qu’il
a faitte sur le trespas de Loïse de Savoïe, quand
il dit,


La pauvre Touvre arrousant Engoulesme
A son pavé de Truites tout destruit:
Et sur son eau chantent de jour & nuit
Les Cygnes blancs, dont toute elle est couverte.


Cete riviere de Touvre & ses sources, sont des plus
grans merveilhes & choses dignes de voir, qui soy-
ent en Engoumois: auquel païs je vous prie, que
je vous conte ce qui s’est n’agueres trouvé, chose
qui merite, en mon advis, estre publiee & com- muniquee



90
muniquee entre ceus, qui admirent les choses anti-
ques.


Il y a un bourg a deus lieus, (de la mesure du pa-
ïs) au dessus Engoulesme, sur la mesme riviere de
Charente, qui s’appelle Vars: duquel lieu le seigneur
est l’evesque d’Engoumois, quiconque soit cestui
là. Auprés de ce bourg, & dela part d’orient, en un
champ que les beufs avoient labouré cent mile fois,
ainsi que le bon homme laboureur vouloit fere un
foussé, l’an mil cinq cens quarante, & le jour vingt-
cinquiesme de Janvier, il trouva un monument de
merveilheuse estofe & façon, comme vous me
confesseriés, si aviés le loisir d’ouir de moi ce, qu’on
m’en ha compté: pour lequel ouvrir, & tirer hors
les grosses pierres, qui estoient en icellui, touts les
marteaus, leviers, barres de fer, cordes de cloches,
les plus forts & habiles falots du bourg furent ap-
pellés aveque les officiers du seigneur evesque. Car
que sçavoit on, que pouvoit estre ce bastiment en
terre? & quand c’eust esté quelque grand tresor, le
seigneur n’en eust esté marri, en mon advis. Au
font, d’icellui on trouva un coffre de plomb, & de-
dans icellui un corps d’homme couché la teste vers
l’aquilon, & force crapaus, les plus beaus qu’on
sçauroit guere voir, comme m’ont dit ceus, qui vi- m



91
rent le passetemps, qu’en eut la compagnie a les
voir sauter sur la pale. On tira ainsi premierement
dela dedans tout ce venim: puis on se print a con-
templer ce corps, lequel se monstra assés entier du
commancement qu’on ouvrit sa maison: mais il
n’eut pas longtemps veu l’air, qu’il s’en alla tout en
poudre excepté les os, lesquels vous eussiés peu
encores aujourdui trouver entiers, tous, ou pour le
moins la plus grand part: quand le pauvre peuple
en eust esté creu, qui soudain commança a les re-
verer, & le tombeau aussi, disant (devinés com-
me il l’avoit deviné?) que c’estoit là le tombeau &
corps de saint Jaque, je ne sçai si du petit ou du grand
saint Jaque apostre de Jesuchrist. Ainsi se pouvoient
mescompter les pauvres gens, qui faisoient un mas-
le de ce qui ressembloit quasi plus a une femelle,
comme m’ont dit ceus, qui en ont veu le chef: des-
quels j’ay davantage entendu, que le personnage
duquel estoient ces os, seroit de moienne stature,
s’il vivoit aujourdui entre nous. Là n’y eut pierre,
qui ne fust soigneusement visitee, pour voir s’il y au-
roit rien escript: & si fut toute la poudre, qui se
trouva en ce tombeau, fort bien secouëe & esven-
tee: en laquelle voicy qu’on trouva, Sur la partie,
& a l’endroit, (comme on m’a dit) ou nature a mis



92
le coeur en nos corps, une peittepetite feilhe d’or pliee en
rond, comme un fer d’aiguilhete: en laquelle des-
pliee on trouva escript ce que verrés cy apres. Je
estois en ce temps là a plus de vint ou trente lieus
d’Engoumois, en une Université, ou fut apportee
ceste feilhe d’or, pour monstrer aus clercs & do-
cteurs de là, si quelqu’un des plus fins y pouvoit rien
deviner: & ainsi par le moien d’un mien ami, eu la
veuë d’elle. Elle estoit de fin or, & ne poisoit plus
de demi ducat, plus longue que large, & plus large
d’un bout que d’autre. On la despuis portee a la
court, & par l’evesque fut finalement presentee au
Roy François, & de là ne sçay qu’elle est devenuë.
Il peut estre que ledit evesque, qui est encores vi-
vant, vous endroiten diroit des nouvelles, si luy demandi-
és. Or voici donques qu’il y avoit gravé, ou estam-
pé pour mieus dire, les lettres paroissant des deus
coustés a cause, que ladite piece estoit deliee.

m ij



93
             
Ω 
Ω 
Ω 
Ω 
Ω 
Ω 
Ω 


Voy-vous la en sept lïgneslignes, sept lettres, qui sont
les sept vocales Gregeoises, en la premiere ligne di-
spousees d’ordre, comme elles sont en leur Alpha-
bet entre les autres: en la segonde ligne couchees
tout au contrerebours, la premiere la derniere &c.
En la tierce ligne la lettre segonde en la premiere li-
gne, est la premiere, & les autres la suivent d’ordre.
En la quatriesme la segonde aussi de la ligne segon-
de est la premiere, & les autres apres elle en leur or-
dre. La cinquiesme ligne commance par la tierce
lettre de la premiere: & la siziesme semblablement
par la tierce de la segonde. Bref la lettre, qui fait le
meilheu des deus premieres lignes est la premiere
de la septiesme ligne, & ainsi se trouve finalement la
fin & commancement au meilheu, c’est Ω, qui est



94
fin de la premiere ligne & commancement de la se-
gonde. Vous avés en chacune de ces sept lignes
toutes lesdites sept vocales, & lesdittes sept lettres
aus commancements desdites sept lignes. Vous
noterés aussi en ce meslinge plusieurs autres fines-
ses, outre ce que les Pythagoriens ont dit du nom-
bre de sept, qui prins sept fois fait xlix. lettres en
ce quarré: & voudroie bien, que me peussiés dire,
que signifie ceste escritture: toutefois je vous prie ne
vous opiniastrer trop a vouloir deviner que c’est. car
si cela n’avoit esté fait pour autre cause que pour
donner a songer aus gens: si celui ou celle, qui l’a
fait & compousé, vous voioit travailher là pour ne-
ant, il ou elle se pourroit rire & moquer de vous,
dont ne seriés contant, si l’entendiés, ni moy aussi,
qui vous aime.


La maniere d’entoucher les Lucs & Guiternes,
Chap.21.


IL y a diverses sortes d’instruments de Musi-
que: desquels les uns sont a flustes, les autres a cor-
des. A flustes, comme la trompette & les orgues.
A cordes, comme l’espinette & le Luc. Des cor-
des les unes se font de metaus, comme de fer &
de leton: les autres de boiaus. On les faisoit pre- m iij



95
mierement de nerfs: dont nous voions que les an-
ciens aucteurs Gregeois & Latins appellent sou-
vent nerfs les cordes de leurs lyres & cythares: mais
on a finalement aprins a les faire de boiaus de bre-
bis & d’autres animaus. que si vous me demandiés
en quel temps, je ne sçaurois le vous dire pour cet
heure: car il ne me souvient en avoïr leu aucune
mention, fors un epigramme Grec, au premier li-
vre des epigrammes Gregeois: & si ne sçai par qui
a esté fait ledit epigramme, ni combien il peut avoir
qu’il a esté fait. Les instruments ou nous usons (en
ce païs) de ces cordes de trippes sont la Viele, le
Rebec, la Viole, le Luc & la Guiterne: desquels les
trois premiers ne sont que pour chanter & jouer u-
ne partie. mais la Guiterne en peut jouer seule qua-
tre, & le Luc aussi quatre (qui est presque toute la
Musique du monde) & davantage pour autant que
nostre Luc a sis & sept cordes, la ou la Guiterne n’en
a que quatre pour sept,a que quatre: j’enten quatre pour sept, sis pour onze, & sept pour
treze, a cause que lon met deus cordes pour une par
tout, fors au son le plus haut, qu’ils appellent la chan-
terelle, là ou je ne vy jamais qu’une seule corde.


Ainsi demeure la Viele pour les aveugles: le Rebec
& Viole pour les menestriers: le Luc & Guiterne,
pour les Musiciens, & mesmement le Luc, pour sa



96
plus grande perfection: duquel en mes premiers ans
nous usions plus que de la Guiterne: mais despuis
douze ou quinze ans en ça, tout nostre monde s’est
mis a Guiterner, le Luc presque mis en obly, pour
estre en la Guiterne je ne sçay quelle Musique, & i-
celle beaucoup plus aisée que celle la du Luc, com-
me vous disent les Gregeois,


Les choses tant plus que sont belles
Plus a les avoir coustent elles.


en maniere que trouverés aujourdui plus de Gui-
terneurs en France, qu’en Espagne. Or je me suis
autresfois mis a chercher si ceste Guiterne n’avoit
point eu de nom & d’usage en la Grece & Italie an-
ciennement, mais je n’en ay encores peu rien sça-
voir, que je voulusse assurer. Je vous diray seule-
ment qu’elle ressemble fort le tetracordre de Mercu-
re (tetracorde signifie un instrument de quatre cor-
des) duquel parle Boethe au premier livre de la Mu-
sique. Et quant est du nom, je s’ay qu’il y a des
gens qui l’appellent Guiterre, & quelqu’un Quin-
terne, je ne scay pour quelle raison: mais moy, ain-
si qu’on me la premierement nommée, & que mai-
stre Pierre l’appelle en sa grand fievre, respondant
a propos a son fascheus de drapier, qui ne vouloit
croire que vessies fussent lanternes:



97


Sus tost la roine des Guiternes
A coup que me soit approchée,
Je sçay bien qu’elle est accouchee
De vingt & quatre Guiternaus:
Enfans à l’abbé d’Ivernaus.


J’ay veu homme, qui l’ayant ouy nommer Gitarra
aus Espganols, m’a voulu fere croire que c’estoit la
Cithara des anciens Gregeois: mais la figure de la
Cithara, qu’on nous donne de saint Hierosme est
mout diverse de cete icy. Le Luc aussi n’est aisé a
recognoistre, qu’il aïe esté prins des anciens: com-
bien que celui qui m’a tenu ce propos de la Cithara
m’aïe aussi prié de croire que Luc est fait de Lyra, le-
quel nom de lyra ne se doit prononcer comme fai-
sons communement lira, ains lura, & que nous a-
ïons autrefois dit lure, puis Lur, & finablement Luc,
& Lut aussi, mais cela depuis qu’avons plus esté stu-
dieus du langage d’Italie que du nostre propre. Car
nos peres nous ont aprins a dire Luc non Lut, tes-
moin le petit mot de gueule des bons compagnons,
qui disent, que madamoiselle sçait fort bien jouer
du [CUL] renversé. Autres y a qui disent que Luc
vient du Grec Chelys , ou Chelus : mais lessons là &
la Lyre, & la Chele, & la Cithare, puis qu’elles sont
si fort incogneuës a nous, & n’en lessons pourtant de musi-



98
de musiquer a nostre belle & gente mode Gauloi-
se: pour laquelle chose fere aveque plus grand plai-
sir, je veus icy pour la reverence que je doy a la Mu-
sique, comme science entierement divine, & pour
l’amour que je porte aus Musiciens, enseigner à ceus
qui n’ont loisir de s’arrester a la philosophie, com-
ment ils pourront perfectement bien asseoir les tou-
ches sur le Luc & Guiterne, en quoy je voy tous
les jours de grands fautes. J’ay mile fois eu honte
de voir que la faute, qui venoit des touches, qui n’es-
toient ou elles devoient, faisoit rougir voire des
plus expers joueurs de Luc & Guiterne & des ap-
prantis & peu avancés, combien & quantesfois, en
ay je veu, qui estoient les plus empressés du monde
a avoir raison de leur instrument, qui n’estoit rebel-
le, que de celle part? mais disons.


Il faut donques premierement entendre, que
nostre Musique de France, d’Italie, d’Espagne, &
d’autres nos voisins est de la façon approuvee de Pla-
ton en sa republique, c’est a dire, que tout ce que
chantons, est de tons & demi tons: comme vo-
yés en nostre, Ut, re, mi, fa, sol, la, chose fort pro-
pre & bien trouvee pour cet affere quiconque soit
l’inventeur despuis mile ans en ça. Ces syllabes là
prises (ce me deme dit on) de l’hymne, n



99
Ut queant laxis Resonare fibris, Mira gestorum
Famuli tuorum, Solue polluti Labij reatum, &c.

me nommoit vois mon maistre en chanterie: mais
nous les pourrons aussi bien appeller sons, entre les-
quels sis sons, y a cinq entredeus, que les Latins
nomment intervalles, comme entre les dois de la
main n’y a que quatre intervalles, qui est, un moins
que le nombre des dois, qui sont cinq. Ut donques
est un son, Re un autre, Mi un autre & le tiers: Fa le
quatriesme, &c. Re est plus haut que Ut, & l’interval-
le, distance, ou difference de l’un à l’autre, s’appelle
un Ton. Entre

                     
6   La  
Ton 
5   Sol  
Ton 
4   Fa,  
Demi Ton 
3   Mi,  
Ton 
2   Re,  
Ton. 
1   Ut,  


Re & Mi semblablement y a un ton, entre Fa &
Sol, un autre, qui sont trois tons: Sol & La, un au-
tre, qui fera le nombre de quatre tons entiers: au
meilheu desquels entre Mi & Fa, y a un demi ton.
Voila quatre tons, & demy, que comprennent les
cinq intervalles des sis vois, ut, re, mi, fa, sol, la.
Ces sis vois icy ainsi que se trouvent aveques leurs-



100
dites intervales plusieursfois mises, & reprinzes en
nostre Gamme, ainsi font elles es instruments mu-
sicaus, & plus aiseement au Luc & Guiterne, qu’en
la Harpe & quelques autres. Pour ceste aisance don-
ques & perfection le Luc & Guiterne ont le col (le
col, le manche, la poignee l’appellent on) divisé tout
en demi tons par des cordes qui ceinturent ledit
col, comme si elles estoient là pour le serrer & en-
garder de fendre, lesquelles on appelle touches, pour
ce que quant vous joués de l’instrument, la corde
que vous batés de la main droite, vous la touchés
de la gauche sur quelqu’une desdites cordes, & se-
lon lesdittes touches se font divers sons. A ces tou-
ches icy on a donné de jolis noms en nostre Gaule,
c’est, A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, qui sont en
somme treze sons, faits & comprins en douze in-
tervalles: lesquels intervalles sont tous demi tons.
Il est vray que communement on ne passe point
l’I. Ce sont donques ces demis tons, que vou-
lons icy ensegnerenseigner nos François a bien pouser en l’in-
strument, c’est a dire, a bien diviser le col du Luc &
Guiterne, pour avoir là ces demis tons, tels qu’il
faut pour la Musique, ce que peu de gens sçavent
bien faire.


Pour cecy fere doncques, faut que tu ayes une n ij



101
table fort bien planee & polie, de bois propre a
pourtraire, comme il se trouve du noier, cormier,
poirier, erable, & d’autre sorte: & sur ladite table,
par l’aïde d’une fort juste regle, tirer une ligne droi-
te de la longueur de la corde du meilheu de l’instru-
ment. La longueur de ladite corde, tu la pourras
prendre par le compas, si tu en as un, qui puisse s’ou-
vrir d’un chevalet à autre, ou par la regle mesme, la-
quelle t’aura servi a fere ladite ligne, si tu mets un
bout d’icelle sur le meilheu du chevalet & l’estens
tout le long de ladite corde du meilheu, & marques
de l’ongle le point, ou elle viendra se repouser sur l’au-
tre chevalet, qu’aucuns appellent le batant, autres le
suilhet. Ainsi auras prinse la longeurlongueur de la corde
de ton instrument, & la transporteras sur la susdite.
Et prenons le cas que tu eusses fait, une trop lon-
gue ligne, mais qu’en la longueur de ladite corde
couchee par la regle, en ladite ligne, soit comme
ceste cy. AO (Il nous faut ainsi fere pour plus faci-
lement dire ce que voulons enseigner) tu feras de
petis points de congnoissance: un au bout, ou est
A, & un autre là ou est O: puis diviseras icelle ligne
AO par la moitié, & feras un point au meilheu, com-
me là ou est N. apres partiras ladite ligne AO en neuf
parties esgales aveque le compas, qui se fait aise-



102

ment en ceste sorte. Divise la pre-
mierement en trois, puis l’une de
ces trois en autres trois pars. tu au-
ras ainsi la neufiesme partie de la li-
gne AO, laquelle neufiesme tu cou-
cheras aupres d’A, mettant un pié
du compas sur le point d’A, & de
l’autre pié faisant un autre point ou
tu mettras C: & tu auras ainsi un
ton entier, & le premier de l’instru-
ment, apres lequel en metras enco-
res un autre, en divisant la corde CO
en neuf parties, comme as fait AO, &
mettant une de ces neufiesmes au-
pres de C, comme est CE: lequel espa-
ce CE est moindre que le premier
AC, a cause qu’il est neufieme partie
de la ligne CO, & AC neufiesme de la
ligne AO. laquelle est plus grande
que CO. Mets encores un ton au
dessus E, comme as fait les autres,
divisant la ligne EO en neuf pars,
& couchant une de ces neufiesmes
aupres d’E, comme tu vois EG. Tu as en ceste
sorte trois tons l’un aupres & apres l’autre: lequel n iij



103
peut estre avec un demi ton davantage, seront as-
sés pour ton instrument. Adjouste donques ce de-
mi ton premierement: puis tu partiras tes trois tons
en demis en ceste maniere. Pren la troisiesme par-
tie de la ligne AO, & la couche d’A vers O, elle vien-
dra cheoir au point de H. Te voila un demi ton de
G a H: & parainsi as maintenant trois tons & demi
pour ton instrument, qui te feront sept demi tons
entre huit sons. Il ne reste qu’a diviser les trois tons
premierement mis, pour laquelle chose fere, com-
manceras au plus haut & tiers, qui est EG de ceste
sorte. Divise la ligne AO en quatre pars, & marque
une quarte partie du point A vers O, elle viendra
tomber entre E & G, au point de F, & te fera deus
demi tons FE, & FG. Apres pour avoir les demi tons
de CE, divise la ligne FO en huit pars esgales, sça-
voir est premierement en deus moitiés, puis l’une
de ces moitiés, en deus autres moitiés, & finable-
ment l’une de ces segondes moitiés en deus autres
moitiés, & l’une de ces icy, sera la huitiesme partie
de la ligne EO, laquelle huitiesme partie (qui vaut
un ton) tu coucheras devant F, mettant l’une jam-
be du compas sur le point de F, & estendant l’autre
vers A, lequel tombera entre CE, & divisant l’espa-
ce CE au point de D, te fera deus demi tons DC, &



104
DE. Le semblable te faut faire pour partir AC, c’est
qu’il te faut diviser la ligne DO en huit pars, comme
as fait FO, & coucher une huitiesme devant D, du
point de D devers A, comme te monstre DB. Tu
as doncques (comme avons devant dit) set demi
tons, lesquels si ne te suffisent, il t’en faut mettre d’a-
vantage au dessus de H vers O. & prenons le cas qu’il
failhe accomplir la moitié de la corde: il faut don-
ques diviser la ligne HO comme faisons premiere-
ment AO, CO, EO, GO, en neuf parties, & mettre
une neufiesme au dessus de H, comme est HK. puis
partir KO de mesme sorte, & mettre au dessus de
K une de ces neufiesmes, comme est KM, & tu au-
ras par ce moien deus tons, l’un de H a K & l’autre de
K a M, lesquels tu diviseras en demis par tel moyen,
qu’as fait les deus pres de A en ceste sorte. Divise
la ligne NO en huit parties esgales, & mets dessous
N une de ces huitiesmes, comme est NL. par cest L
est KM divisé en deus demi tons. Partis aussi LO en
huit pars, & mets une huitiesme dessoubs L com-
me est LI, tu auras HK divisé en demi tons par cet I
là. Or ce qui reste de M a N est un demi ton: parquoy
tu as la ligne AN divisee en douze parties, qui sont
toutes demi tons, qui est plus que ne vis jamais en
nos Lucs. toutesfois qui voudroit passer encores



105
plus avant, il faudroit faire de la ligne NO, tout ain-
si, qu’as fait de toute la ligne AO, c’est a dire diviser
premierement ladite ligne NO par la moitié: puis y
mettre trois tons au dessus de N, & le reste comme
devant. Ceste ligne AO, ainsi partie comme avons
monstré jusques icy, il te faut le compas estendre
du point d’A jusques au point de B, & transporter ce-
te espace sur le manche de ton Luc ou Guiterne,
mettant un des piés de ton compas au chevalet, qui
est au bout du manche, & l’autre pié l’estendant se-
lon la corde du milheu de l’instrument vers la rose,
& faire là un petit point, & toutesfois si grand au beau
meilheu que tousjours apparoisse. Là est la place
de B en ton instrument a tout jamais. fais le sembla-
ble de C, de D, & des autres points marqués en ladi-
te ligne: transporte les tous aveques le compas sur
le manche de tondit instrument: marque le tout de
ces petits points: apres cela, mets des touches par
tout sur lesdits points, ton Luc, ta Guiterne, ne te
faschera jamais par les touches, lesquelles pourras
remettre en leur place, quand bon te semblera, si
d’adventure elles se sont remuees en quelque sorte,
ou as toy mesme este forcé de les remuer de leur pla-
ce, comme quant aucunesfois on rencontre des cor-
des faulses. Que si quelqu’un me disoit qu’en ce compasse-



106
compassement y a quelque faute, a cause que les cor-
des & la table de dessous icelles, ne sont du tout de
pareilhe longueur: je luy respons que la faute qui
peut y estre, est si petite, que l’oreilhe ne la pourroit
sentir. Voila comment, selon l’ordonnance des
Pythagoriens, devons marquer les tons & demi
tons sur nos instruments: & seroit fort bon, que
ceus qui font lesdits instruments ordonnassent ain-
si & marquassent un chacun instrument: mais ils ne
sçavent ceste maniere, ni quand la sçauroient, ne
voudroint prendre ceste peine, comme je me dou-
te: ains se contentent du jugement de leur oreilhe,
qu’ils ont la pluspart mal curée & mal saine, leur
suffisant qu’ils se puissent défere de leur ourageouvrage telle-
ment quellement appointé. Toutesfois je suis assu-
ré, que si une fois ils avoient comprins cet art, &
aprins ce chemin de bien faire, qu’ils n’i trouveroient
grand peine, & seroient bien marris de vendre in-
strument, qui ne fust ainsi accoustré. Davantage le
compassement d’un instrument peut servir a plu-
sieurs qui seront de mesme grandeur, & pour ceste
raison, se garder en la bouticque à jamais. Mais je
feray bien davantage pour les plus empressés deli-
cats & paresseus: J’obtiendray de ce grand Musici-
en Aristoxene, une dispense, contre les tant subti- o



107
les, & resonantes raisons de Pythagoras & les siens:
& ferons un petit pourtrait sur un banc, sur un cofre,
& mieus sur quelque table de bois, qui sera beau-
coup plus juste, & nous servira beaucoup mieus &
plus promptement a tout jamais que nos tant mal-
assurees oreilhes, a mettre les touches a tous Lucs
& Guiternes du monde, de quelque grandeur
qu’ils soient.


Aïe moy donques une table quarree de tel bois
& ainsi parée qu’avons dit devant, assés espoisse, af-
fin qu’elle ne se jette facilement, longue un peu plus
que la corde du plus long Luc, qu’on face, & large
la moitié de cela pour le moins, & me tire le long di-
celle a un doy ou deus du bort, aveque la pointe de
ton coustelet une ligne, la plus prime que pourras,
pourveu qu’elle se puisse voir aisement. mais tu
m’entendras mieus aveques une figure. Pren donq
le cas, que ton bois soit AB CD, tu titererastireras dessus
une ligne, comme EF a deus dois du bout AB, qui
ne viendra du tout jusques aus deus bouts AD & BC,
ains n’en aprocheras plus que de deus ou trois dois.
fai des petis points aus deus bouts d’icelle, & com-
me as veu devant qu’avons pousé les trois premiers
tons sur la ligne AO, divise cet EF en neuf par-
ties esgales, & couche une de ces neufiesmes de E



[108]



109
vers F ainsi que tu vois EG, divise pareilhement la li-
gne GF en autreautres neuf parties, & mettant le pié du
compas sur le point de G estendant l’autre vers F, fais
le segond ton GH. Parti de rechef HF en neuf par-
ties, & tu auras le tiers ton HI. Divise IF aussi en
neuf parties esgales, & finablement toute ladite ligne
en ceste sorte, jusques a en rester aupres de F, si peu,
qu’il ne se face Guiterne, si petite, qui n’aye la corde
deus fois aussi grande pour le moins, que ce reste là.
Tu auras par ce moien sur ladite ligne grand nom-
bre de tons tous entiers, & ce fait, reviens a E, & par
son point (c’est l’un bout de ladite ligne, tire une li-
gne a angle droit, qu’on dit autrement quarré, comme
tu vois EK qui demourera a un doy du bort CD. Tire
semblablement par tous les points de tes tons G H I,
& les autres plus hauts, lignes a pareil angle, qu’as
fait EK. (elles seront par tel art paralleles a ladite EK)
aussi longues que EK, si tu veus, mais qui viennent
pour le moins jusques au diametre FK & tu auras un
instrument, qui te servira a tout jamais a mettre &
marquer les tons sur les instruments Musicaus sus-
dits & voicy comment.


Tu as fait la ligne EF de deus ou trois piés de long,
mais tu as une Guiterne, que tu veus entoucher (de-
vant ou apres estre garnie de cordes (, toutefois les



110
touches se mettroient plus aiseement les premieres)
qui n’a pas un pié & demy de corde: pren ta regle,
& la couche sur sa ligne par le meilheu de ladite Gui-
terne, d’un chevalet a autre. Pren ainsi le plus ju-
stement que pourras, la distance de l’un à l’autre,
touchant d’un bout de la ligne de ladite regle, le che-
vallet du manche, & de l’autre bout, si la regle
passe outre, là ou elle viendra a toucher le chevallet
du font, marquant d’un petit point d’ancre, ou de
quelque autre couleur: puis transporte ta regle sur
ton pourtrait, le point qu’as fait en icelle, sur le
point F, & le bout qui touchoit le chevallet estendu
vers E. Que si lors ce bout de la regle venoit à tom-
ber justement sur une des paralleles, qui sortent tons
de travers de ladite EF, il ne resteroit que prendre les
tons en ladite regle pour les transporter sur ta Gui-
terne: mais cela ne rencontrera de cent fois l’une,
sinon que quand tu as fait ta Guiterne, avant que
coller le grand chevallet, tu aïes prins la mesure de
la corde sur la ligne EF, qui se pourra fere, qui vou-
dra aiseement. Que le bout donques de la regle vien-
ne cheoir entre deus paralleles, comme tu vois icy
FL. il te faut en tel cas mener le bout de ta regle vers
CB, en mode de compas, tant qu’il vienne cheoir
en celle ligne des paralleles, qui estoit la plus pres au o ij



111
dessus de luy, comme tu vois FL estre venu rencon-
trer la parallele HM au point de N. Adonques te faut
tres bien asseoir ladite regle, tant qu’a ce bout icy,
que du point d’en haut, puis veoir ou les cinq ou sis
paralleles prochaines dudit bout N, touchent a ladite
regle, & en la ligne d’icelle marquer d’ancre, ou de
quelque autre chose, les susdits tons (il seroit bon
avoir a cecy une regle proprement avallee d’un cou-
sté comme tu vois icy) OPQRST, & cecy fait trans-
porter ladite regle sur ta Guiterne,l’ou tu l’avois
premierement mesuree, & par le meilheu du long
du manche d’icelle, fere des points ou viendont a
choir les marques desdits tons comme a esté dit de-
vant: & par ce moiensmoien auras les tons entiers requis
pour ta Guiterne, qui seront quatre ou cinq pour le
plus, qu’on y en met. Ces tons mis & marqués, &
les touches posees, (comme a esté dit) tu mettras
entre chacunes deus d’icelles, une autre touche pour
avoir les demi tons, suivant l’auctorité du susdit A-
ristoxene, & auras ainsi ta Guiterne si justement en-
touchée, qu’il n’i a si bonne oreilhe de Pythagorien
qui y puisse ouïr faute aucune.


VOILA que j’ay icy voulu dire de la maniere de
garnir de touches nos Lucs & Guiternes: que je
voudrois que ceus qui font lesdits instruments vou-



112
lussent entendre (s’ils ne sçavent mieus() & enrichir
de cela leur marchandise, au grand plaisir & soula-
gement de ceus, qui aiment ceste Musique. Je sçay
bien, qu’il y a une soresorte de gens, qu’on appelle Ma-
thematiciens, (je n’entens ces beaus devins, ces
gentils secretaires d’Aventure, & fins trompeurs,
auquels l’Empereur donne la hart, Codice de malefi-
cis & Mathematicis
, car tels ne sont rien moins que
Mathematiciens, & sont indignes de tel nom) qui ne
croient legierement, & demanderoient icy qu’as-
surasse mon fait par quelque raison de Geometrie,
mais cela se fera ailheurs, sil plait a Dieu. Je ne veus
estre icy trop long, ne fere paour aus simples aveque
les rondelles, escus, piques, canons & pareilhes ar-
mes, sans lesquelles personne n’auze sortir dehors
au païs de Geometrie. Il sufira pour ceste heure,
que le sens qui comprant la Musique, trouve bon ce
que j’ay dit.


FIN.


Achevé d’imprimer a Poitiers, le 13 de May
1556 par Enguilbert de Marnef.

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Première publication : 20/07/2010