A tresillustre Prince,
ET REVERENDISSIME
mon seigneur Odet cardinal
de Chastillon.
Vous estez deuement
adverty, Prince tresillu-
stre, de quants grands
personaiges j’ay esté, et
suis journellement stipu-
lé, requis, & importuné
pour la continuation des mythologies Pan
tagruelicques: alleguans que plusieurs gens
languoureux, malades, ou autrement fas-
chez & desolez avoient a la lecture d’i-
celles trompé leurs ennuictz, temps joyeuse-
ment passé, & repceu alaigresse & conso-
lation nouvelle. Es quelz je suis coustumier
de respondre, que icelles par esbat compo-
sant ne pretendois gloire ne louange aulcu-
ne: seulement avois esguard & intention
par escript donner ce peu de soulaigement
que povois es affligez & malades absens,
lequel voluntiers, quand besoing est, je fays
A ij
[A2v]
es presens qui soy aident de mon art & ser-
vice. Quelques fois je leurleurs[Main2] expose par long
discours, comment Hippocrates en plusieurs
lieux, mesmement on sixiesme livre des Epi-
demies, descrivant l’institution du medicin
son disciple: Soranus Ephesien, Oribasius,
Cl. Galen, Hali Abbas, autres autheurs
consequens pareillement, l’ont composé en
gestes, maintien, reguard, touchement, con-
tenence,grace, honesteté, netteté de face,
vestemens, barbe, cheveulx, mains, bou-
che,voire jusques a particularizer les on-
gles,comme s’il deust jouer le rolle de quel-
que Amoureux ou Poursuyvant en quel-
que insigne comoedie, ou descendre en camp
clos pour combatre quelque puissant enne-
my. Defaict la practicque de Medicine
bien proprement est par Hippocrates com-
parée a un combat, & farce jouee a trois
personnages: le malade, le medicin, la ma-
ladie. Laquelle composition lisant quelque
fois m’est soubvenu d’une parolle de Julia
a Octavian Auguste son pere. Un jour elle
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s’estoit devant luy presentee en habiz pom
peux, dissoluz, & lascifz: & luy avoit
grandement despleu, quoy qu’il n’en son-
nast mot. Au lendemain elle changea de
vestemens, & modestement se habilla
comme lors estoit la coustume des chastes
dames Romaines. Ainsi vestue se presen-
ta devant luy. Il qui le jour precedent n’a-
voit par parolles declaré le desplaisir qu’il
avoit eu la voiant en habitz impudicques,
ne peut celer le plaisir qu’il prenoit la voiant
ainsi changee, & luy dist. O combien cestuy
vestement plus est seant & louable en la
fille de Auguste. Elle eut son excuse prom-
pte, & luy respondit. Huy me suis je ve-
stue pour les oeilz de mon pere. Hier je l’estois
pour le gré de mon mary. Semblablement
pourroit le medicin ainsi desguisé en face
& habitz, mesmement revestu de riche &
plaisante robbe a quatre manches, comme
jadis estoit l’estat, & estoit appellee Philo-
nium, comme dict Petrus Alexandrinus in
6. Epid. respondre a ceulx qui trouveroient
A iij
[A3v]
la prosopopée estrange. Ainsi me suis je a-
coustré, non pour me guorgiaser & pomper:
mais pour le gré du malade, lequel je vi-
site: auquel seul je veulx entierement com-
plaire: en rien ne l’offenser ne fascher.
Plus y a. Sus un passaige du pere Hip-
pocrates on livre cy dessus allegué nous suons
disputans & recherchans non si le minois
du medicin chagrin, tetrique, reubarbatif,
Catonian, mal plaisant, mal content, severe,
rechigné contriste le malade: & du medi-
cin la face joyeuse, seraine, gratieuse, ouver-
te, plaisante resjouist le malade. Cela est
tout esprouvé & trescertain. Mais si telles
contristations & esjouissemens proviennent par
apprehension du malade contemplant ces qua-
litez en son medicin, & par icelles conje-
cturant l’issue & catastrophe de son mal
ensuivir: sçavoir est par les joyeuses joyeuse
& desiree, par les fascheuses fascheuse et
abhorrente. Ou par transfusion des esperitz
serains ou tenebreux: aërez ou terrestres,
joyeulx ou melancholicques du medicin en
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la persone du malade. Comme est l’opinion
de Platon, & Averroïs.
Sus toutes choses les autheurs susdictz
Et mon urine
ont au medicin baillé advertissement par-
ticulier des parolles, propous, abouche-
mens, & confabulations, qu’il doibt tenir
avecques les malades, de la part des quelz
seroit appellé. Lesquelles toutes doibvent a
un but tirer, & tendre a une fin, c’est le
resjouir sans offense de Dieu, & ne le con-
trister en façon quelconques. Comme grandement
est par Herophilus blasmé Callia-
nax medicin, qui a un patient l’interro-
geant & demandant, mourray je? impu-
dentement respondit.
Et Patroclus a mort succumba bien:
Qui plus estoit que ne es homme de bien.
A un aultre voulent entendre l’estat de
sa maladie, & l’interrogeant a la mode
du noble Patelin.
Vous dict elle poinct que je meure?
il follement respondit. Non. si t’eust Lato-
na mere des beaulx enfans Phoebus, et
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[A4v]
Diane, engendré. Pareillement est de Cl.
Galen
lib. 4. comment. in 6. Epidemi. gran-
dement vituperé Quintus son praecepteur
en medicine, lequel a certain malade en
Rome, homme honorable, luy disant: vous
avez desjeuné nostre maistre, vostre ha-
leine me sent le vin: arroguamment respon-
dit. La tienne me sent la fiebvre: duquel est
le flair & l’odeur plus delicieux, de la fieb-
vre ou du vin?
Mais la calumnie de certains Canibales,
misantropes, agelastes, avoit tant contre moy
esté atroce & desraisonnee, qu’elle avoit
vaincu ma patience: & plus n’estois de-
liberé en escrire un Iota. Car l’une des
moindres contumelies dont ilz usoient,
estoit, que telz livres tous estoient farciz
d’heresies diverses: n’en povoient toutes fois
une seulle exhiber en endroict aulcun: de
folastries joyeuses hors l’offence de Dieu, et
du Roy, prou (cest le subject & theme
unicque d’iceulx livres) d’heresies poinct:
sinon perversement & contre tout usaige de
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raison & de languaige commun, interpre-
tans ce que a poine de mille fois mourir, si
autant possible estoit, ne vouldrois avoir
pensé: comme qui pain, interpretroit pierre:
poisson, serpent: oeuf, scorpion. Dont quelque
fois me complaignant en vostre praesence
vous dis librement, que si meilleur Christian
je ne m’estimois, qu’ilz
mene[MainX]
[unclear] monstrent estre
en leur part: & que si en ma vie, escriptz,
parolles, voire certes pensees, je recongnois-
sois scintille aulcune d’heresie, ilz ne tombe-
roient tant detestablement es lacs de l’esprit
calumniateur, cest διάβολος qui par leur mi-
nistere me suscite tel crime. Par moymes-
mes a l’exemple du Phoenix, seroit le bois sec
amassé, & le feu allumé, pour en icelluy
me brusler.
distes
Allors me dictes que de telles calumnies a-
voit esté le defunct roy François d’eterne me-
moire, adverty: & curieusement aiant par
la voix & pronunciation du plus docte et
fidele Anagnoste de ce royaulme ouy et
entendu lecture distincte d’iceulx livres
[A5v]
miens (je le diz, par ce que meschantement
lon m’en a aulcuns supposé faulx & infa-
mes) n’avoit trouvé passaige aulcun suspect.
Et avoit eu en horreur quelque mangeur de
serpens, qui fondoit mortelle haeresie sus un
N mis pour un M par la faulte & ne-
gligence des imprimeurs. Aussi avoit son filz
nostre tant bon, tant vertueux, & des cieulx
benist roy Henry: lequel Dieu nous vueille
longuement conserver, de maniere que pour
moy il vous avoit octroyé privilege & par-
ticuliere protection contre les calumniateurs:
Cestuy evangile depuys m’avez de vostre
benignité reiteré a Paris, & d’abondant
lors que nagueres visitastez monseigneur
le cardinal du Bellay: qui pour recouvre-
ment de santé apres longue & fascheuse
maladie, s’estoit retire a sainct Maur:
lieu, ou (pour mieulx & plus proprement
dire) paradis de salubrité, amenité, sere-
nité, commodité, delices, & tous honestes
plaisirs de agriculture, & vie rusticque.
Cest la cause, Monseigneur, pourquoy prae-
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sentement, hors toute intimidation, je mectz la
plume au vent: esperant que par vostre beni
gne faveur me serez contre les calumniateurs
comme un second hercules Gaulloys, en sça-
voir, prudence, & eloquence: Alexicacos, en
vertuz, puissance, & auctorité, duquel ve-
ritablement dire je peuz ce que de Moses le
grand prophete & capitaine en Israel dict
le saige roy Solomon
Ecclesiastici 45. homme
craignant & aymant Dieu: agreable a
tous humains: de Dieu & des hommes bien
aymé: duquel heureuse est la memoire.
Dieu en louange l’a comparé aux Preux:
l’a faict grand en terreur des ennemis. En
sa faveur a faict choses prodigieuses et
espoventables: En praesence des Roys l’a
honorèhonoré, Au peuple par luy a son vouloir
declaré, et par luy sa lumiere a monstré,
il l’a en foy & debonnarieté consacré, et
esleu entre tous humains. Par luy a vou-
lu estre sa voix ouye, & a ceulx qui e-
stoient en tenebres estre la loy de vivificque
science annoncee.
Au surplus vous promettant, que ceulx
qui par moy seront rencontrez congratulans
de ces joieulx escriptz, tous je adjureray,
vous en sçavoir gré total: unicquement
vous en remercier, & prier nostre seigneur
pour conservation & accroissement de ceste
vostre grandeur. A moy rien ne attribuer,
fors humble subjection & obeissance vo-
luntaire a voz bons commandemens. Car
par vostre exhortation tant honorable
m’avez donné & couraige & invention:
& sans vous m’estoit le cueur failly, et
restoit tarie la fontaine de mes esprits ani-
maulx. Nostre seigneur vous main-
tienne en sa saincte grace. De Paris ce
28. de Janvier. 1552.
Vostre treshumble & tresobeissant
serviteur Franç. Rabelais medicin.