Le Tiers Livre, Paris, 1552

Courtesy of Gallica

LE
TIERS LIVRE
DES FAICTS ET DICTS
Heroïques du bon Pantagruel:

Composé par M. Fran.François
Rabelais
docteur
en Medi-
cine.


Reveu, & corrigé par l’Autheur, sus
la censure antique.


L’AUTHEUR SUSDICT
supplie les Lecteurs benevoles, soy
reserver a rire au soixante
& dixhuytiesme
Livre.


A PARIS,
De l’imprimerie de Michel Fezandat, au mont
S.Saint Hilaire
, a l’hostel d’Albret.

1552.

Avec privilege du Roy.

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Première publication : 27/07/2011
Dernière mise à jour : 25/08/2015





[1v]


FRANCOIS RABE-
lais
a l’esprit de la royne
de Navarre
.


Esprit abstraict, ravy, & ecstatic,
Qui frequentant les cieulx, ton origine,
As delaissé ton hoste & domestic,
Ton corps concords, qui tant se morigine
A tes edictz, en vie peregrine
Sans sentement, & comme en Apathie:
Vouldrois tu poinct faire quelque sortie
De ton manoir divin, perpetuel?
Et ça bas veoir une tierce partie
Des faictz joyeux du bon Pantagruel?





2


Privilege du Roy.


HENRY par la grace de Dieu
Roy de France, au Prevost de
Paris, Bailly de Rouen, Senes-
chaulx de Lyon, Tholouze,
Bordeaux, Daulphiné, Poictou, et à tous nos
aultres justiciers & officiers, ou a leurs lieu-
tenants, & a chascun d’eulx si comme a luy
appartiendra, salut & dilection. De la partie
de notre cher & bien ayme M. François Rabe-
lais
docteur en medicine, nous a esté expo-
sé que icelluy suppliant ayant par cy devant
baillé a imprimer plusieurs livres: en Grec,
Latin, François, & Thuscan, mesmement cer-
tains volumes des faicts & dicts Heroïques
de Pantagruel, non moins utiles que delecta-
bles: les Imprimeurs auroient iceulx livres
corrompuz, depravez, & pervertiz en plu-
sieurs endroictz. Auroient d’avantage im-
primez plusieurs autres livres scandaleux,
ou nom dudict suppliant, a son grand des-
plaisir, prejudice, & ignominie par luy to-
talement desadvouez comme faulx & sup-
posez: lesquelz il desireroit soubs nostre
bon plaisir & volonté supprimer. Ensemble
les autres siens advouez, mais depravez & A ij



[2v]
desguisez, comme dict est, reveoir & corriger
& de nouveau reimprimer. Pareillement
mettre en lumiere & vente la suitte des
faicts & dicts Heroïques de Pantagruel.
Nous humblement requerant surce, luy
octroyer nos letres a ce necessaires & con-
venables. Pource est il que nous enclinans
liberalement a la supplication & requeste
dudict M. François Rabelais, exposant &
desirans le bien & favorablement traicter
en cest endroict. A icelluy pour ces causes
& autres bonnes considerations a ce nous
mouvans, avons permis accordé & octro-
yé. Et de nostre certaine science pleine
puissance & auctorité Royal, permettons
accordons & octroyons par ces presentes,
qu’il puisse & luy soit loisible par telz im-
primeurs qu’il advisera faire imprimer, &
de nouveau mettre & exposer en vente tous
& chascuns lesdicts livres & suitte de Pan-
tagruel
par luy composez & entreprins, tant
ceulx qui ont ja esté imprimez, qui seront
pour cest effect par luy reveuz & corri-
gez. Que aussi ceulx qu’il delibere de nou-
vel mettre en lumiere. Pareillement sup-
primer ceulx qui faulcement luy sont at-
tribuez. Et affin qu’il ayt moyen de sup- porter



3
porter les fraiz necessaires a l’ouverture
de ladicte impression: avons par ces presen
tes tresexpressement inhibé & deffendu, in-
hibons & deffendons a tous autres librai-
res & imprimeurs de cestuy nostre Roy-
aulme, & autres nos terres & seigneu-
ries, qu’ilz n’ayent a imprimer ne faire im-
primer mettre & exposer en vente aucuns
des dessusdicts livres, tant vieux que nou-
veaux durant le temps & terme de dix ans
ensuivans & consecutifz, commençans au
jour & dacte de l’impression desdicts li-
vres sans le vouloir & consentement du-
dict exposant, & ce sur peine de confisca-
tion des livres qui se trouverront avoir esté
imprimez au prejudice de ceste nostre pre
sente permission & d’amende arbitraire.


Si voulons & vous mandons & a cha-
scun de vous endroict soy & si comme a luy
appartiendra, que nos presens congé licen-
ce & permission, inhibitions & deffenses,
vous entretenez gardez & observez. Et si
aucuns estoient trouvez y avoir contreve-
nu, procedez & faictes proceder a l’encon-
tre d’eulx, par les peines susdictes & autre-
ment. Et du contenu cy dessus faictes, le-
dict suppliant jouyr & user plainement & A iij



[3v]
paisiblement durant ledict temps a com-
mencer & tout ainsi que dessus est dict. Ces-
sans & faisans cesser tous troubles & em-
peschemens au contraire: car tel est nostre
plaisir. Nonobstant quelzconques ordon-
nances, restrinctions, mandemens, ou def-
fenses a ce contraires. Et pource que de ces
presentes lon pourra avoir a faire en plu-
sieurs & divers lieux, Nous voulons que
au vidimus d’icelles, faict soubs seel Royal,
foy soit adjoustée comme a ce present ori-
ginal.Donné a sainct Germain en laye
le sixiesme jour d’Aoust, L’an de grace mil
cinq cens cinquante, Et de nostre regne le
quatreiesme.


Par le Roy, le cardinal de Chastillon
praesent. Signé Du Thier.





4


PROLOGUE
DE L’AUTHEUR M.
François Rabelais pour le tiers li-
vre des faicts & dicts Heroïques
du bon Pantagruel.


BONNES gens, Beu-
veurs tresillustres, & vous
Goutteux tresprecieux,
veistez vous oncques
Diogenes le philosophe
Cynic? Si l’avez veu,
vous n’aviez perdu la
veue: ou je suis vrayement forissu d’intel-
ligence, & de sens logical. C’est belle cho-
se veoir la clairté du (vin & escuz) Soleil.
J’en demande a l’aveugle né tant renommé
par les tressacrés bibles: lequel ayant o-
ption de requerir tout ce qu’il vouldroit,
par le commandement de celluy qui est
tout puissant, & le dire duquel est en un A iiij



[4v]
moment par effect representé, rien plus ne
demanda que veoir. Vous item n’estez jeu-
nes. Qui est qualité competente, pour en
vin, non en vain, ains plus que physicale-
ment philosopher, & desormais estre du
conseil Bacchicque: pour en lopinant o-
piner des substance, couleur, odeur, excel-
lence, eminence, proprieté, faculté, ver-
tus, effect, & dignité du benoist & desiré
piot. Si veu ne l’avez (comme facilement
je suis induict a croire) pour le moins avez
vous ouy de luy parler. Car par l’aër &
tout ce ciel est son bruyt & nom jusques a
present resté memorable & celebre assez:
& puys vous estez tous du sang de Phrygie
extraictz, (ou je me abuse) & si n’avez
tant d’escuz comme avoit Midas, si avez
vous de luy je ne sçay quoy, que plus jadis
louoient les Perses en tous leurs Otacu-
stes: & que plus soubhaytoit l’ empereur
Antonin
: dont depuys feut la serpentine
de Rohan surnommée Belles aureilles. Si
n’en avez ouy parler, de luy vous veulx pre
sentement une histoire narrer, pour entrer
en vin, (beuvez doncques) & propous, (es-
coutez doncques). Vous advertissant (af-
fin que ne soiez en simplesse pippez comme gens



5
gens mescreans) qu’en son temps il feut
philosophe rare, & joyeulx entre mille. S’il
avoit quelques imperfections: aussi avez
vous, aussi avons nous. Rien n’est, si non
Dieu, perfaict. Si est ce que Alexandre le
grand
, quoy qu’il eust Aristoteles pour
praecepteur & domestic, l’avoit en telle e-
stimation, qu’il soubhaytoit en cas que A-
lexandre
ne feust, estre Diogenes Sinopien.


Quand Philippe roy de Macedonie en-
treprint assieger & ruiner Corinthe, les
Corinthiens par leurs espions advertiz,
que contre eulx il venoit en grand arroy
& exercite numereux, tous feurent non
a tort espoventez, & ne feurent negli-
gens soy soigneusement mettre chascun en
office & debvoir, pour a son hostile venue
resister, & leur ville defendre. Les uns des
champs es forteresses retiroient meubles,
bestail, grains, vins, fruictz, victuailles, &
munitions necessaires. Les autres rempa-
roient murailles, dressoient bastions, es-
quarroient ravelins, cavoient fossez, escu-
roient contremines, gabionnoient defen-
ses, ordonnoient plates formes, vuidoient
chasmates, rembarroient faulses brayes,
erigeoient cavalliers, ressapoient contre-



[5v]
scarpes, enduisoient courtines, produi-
soient moyneaux, taluoient parapetes, en-
clavoient barbacanes, asseroient machi-
coulis, renouoient herses Sarrazinesques,
& Cataractes, assoyoient sentinelles, foris-
soient patrouilles. Chascun estoit au guet,
chascun portoit la hotte. Les uns polis-
soient corseletz, vernissoient alecretz, net-
toioient bardes, chanfrains, aubergeons,
briguandines, salades, bavieres, cappelines,
guisarmes, armetz, mourions, mailles, ja-
zerans, brassalz, tassettes, goussetz, guor-
geriz, hoguines, plastrons, lamines, au-
bers, pavoys, boucliers, caliges, greves, so-
leretz, esprons. Les autres apprestoient arcs,
fondes, arbalestes, glands, catapultes, pha-
larices, micraines, potz, cercles, & lances
a feu: balistes, scorpions, & autres machi-
nes bellicques repugnatoires & destructi-
ves des Helepolides. Esguisoient vouges,
picques , rancons, halebardes, hanicroches,
volains, lances, azes guayes, fourches fie-
res, parthisanes, massues, hasches, dards,
dardelles, javelines, javelotz, espieux. Affi-
loient cimeterres, brands d’assier, badelai-
res, paffuz, espées, verduns, estocz, pistoletz,
vitoletzviroletz, dagues, mandousianes, poignars, cousteaulx,



6
cousteaulx, allumelles, raillons. Chascun
exerceoit son penard: chascun desrouilloit
son bracquemard. Femme n’estoit, tant
preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir
son harnoys: comme vous sçavez que les
antiques Corinthienes estoient au com-
bat couraigeuses.


Diogenes les voyant en telle ferveur
mesnaige remuer, & n’estant par les magi-
stratz employé a chose aulcune faire, con-
templa par quelques jours leur contenen-
ce sans mot dire: puys comme excité d’e-
sprit Martial, ceignit son palle en eschar-
pe, recoursa ses manches jusques es coub-
tes, se troussa en cuilleur de pommes, bail-
la a un sien compaignon vieulx sa bezas-
se, ses livres, & opistographes, feit hors
la ville tirant vers le Cranie (qui est une
colline & promontoire lez Corinthe) une
belle esplanade: y roulla le tonneau fictil,
qui pour maison luy estoit contre les injures
du ciel, & en grande vehemence d’esprit des
ployant ses braz le tournoit, viroit, brouil-
loit, barbouilloit, hersoit, versoit, renver-
soit, nattoit, grattoit, flattoit, barattoit, ba-
stoit, boutoit, butoit, tabustoit, cullebutoit,
trepoit, trempoit, tapoit, timpoit, estouppoit,



[6v]
destouppoit, detraquoit, triquotoit, tripo-
toit, chapotoit, croulloit, elançoit, cha-
mailloit, bransloit, esbransloit, levoit, la-
voit, clavoit, entravoit, bracquoit, bric-
quoit, blocquoit, tracassoit, ramassoit, cla-
bossoit, afestoit, affustoit baffouoit, en-
clouoit, amadouoit, goildronnoit, mitton-
noit, tastonnoit, bimbelotoit, clabossoit,
terrassoit, bistorioit, vreloppoit, chalup-
poit, charmoit, armoit, gizarmoit, enhar-
nachoit, empennachoit, caparassonnoit, le
devalloit de mont a val, & praecipitoit par
le Cranie: puys de val en mont le rappor-
toit, comme Sisyphus faict sa pierre: tant
que peu s’en faillit, qu’il ne le defonçast.
Ce voyant quelq’un de ses amis, luy de-
manda, quelle cause le mouvoit, a son
corps, son esprit, son tonneau ainsi tormen-
ter? Auquel respondit le philosophe, qu’a
aultre office n’estant pour la republicque
employé, il en ceste façon son tonneau tem-
pestoit, pour entre ce peuple tant fervent
& occupé, n’estre veu seul cessateur &
ocieux.


Je pareillement quoy que soys hors d’ef-
froy, ne suis toutesfoys hors d’esmoy: de
moy voyant n’estre faict aulcun pris digne d’oeuvre,



7
d’oeuvre, & consyderant par tout ce tres-
noble royaulme de France, deça, dela les
mons, un chascun aujourdhuy soy instan-
tement exercer & travailler: part a la for-
tification de sa patrie, & la defendre: part
au repoulsement des ennemis, & les offen-
dre: le tout en police tant belle, en ordon-
nance si mirificque, & a profit tant evident
pour l’advenir (Car desormais sera France
superbement bournée, seront François en
repous asceurez) que peu de chose me re-
tient, que je n’entre en l’opinion du bon
Heraclitus, affermant guerre estre de tous
biens pere: & croye que guerre soit en
Latin dicte belle, non par Antiphrase, ain-
si comme ont cuydé certains repetasseurs
de vieilles ferrailles Latines, par ce qu’en
guerre gueres de beaulté ne voyoient: mais
absolument, & simplement par raison
qu’en guerre apparoisse toute espece de
bien & beau, soit decelée toute espece de
mal & laidure. Qu’ainsi soit, le Roy saige
& pacific Solomon, n’a sceu mieulx nous
repraesenter la perfection indicible de la
sapience divine, que la comparant a l’or-
donnance d’une armée en camp.


Par doncques n’estre adscript & en ranc



[7v]
mis des nostres en partie offensive, qui me
ont estimé trop imbecille & impotent: de
l’autre qui est defensive n’estre employé
aulcunement, feust ce portant hotte, ca-
chant crotte, ployant rotte, ou cassant mot-
te, tout m’estoit indifferent: ay imputé a
honte plus que mediocre estre veu specta-
teur ocieux de tant vaillans, disers, & che-
valereux personnaiges, qui en veue & spe-
ctacle de toute Europe jouent ceste insi-
gne fable & Tragicque comedie: ne me es-
vertuer de moy mesmes, & non y consom
mer ce rien mon tout, qui me restoit. Car
peu de gloire me semble accroistre a ceulx
qui seulement y emploictent leurs oeilz,
au demeurant y espargnent leurs forces:
celent leurs escuz, cachent leur argent, se
grattent la teste avecques un doigt, com-
me landorez desgoustez, baislent aux mous-
ches comme Veaulx de disme, chauvent des
aureilles comme asnes de Arcadie au chant
des musiciens, & par mines en silence si-
gnifient qu’ilz consentent a la prosopo-
pée.


Prins ce choys & election, ay pensé ne
faire exercice inutile & importun, si je re-
muois mon tonneau Diogenic, qui seul m’est



8
m’est resté du naufrage faict par le passé on
far de Mal’encontre. A ce triballement de
tonneau, que feray je en vostre advis? Par
la vierge qui se rebrasse je ne sçay encores.
Attendez un peu que je hume quelque traict
de ceste bouteille: c’est mon vray & seul He
licon
: c’est ma fontaine Caballine: c’est
mon unicque Enthusiasme. Icy beuvant je
delibere, je discours, je resoulz & concluds.
Apres l’epilogue je riz, j’escriptz, je compo-
se, je boy. Ennius beuvant escrivoit, escri-
vant beuvoit. AEschylus (si a Plutarche
foy avez in Symposiacis) beuvoit compo-
sant, beuvant composoit. Homere jamais
n’escrivit a jeun. Caton jamais n’escrivit
que apres boyre. Affin que ne me dictez
ainsi vivre sans exemple des biens louez
& mieulx prisez. Il est bon & frays assez,
comme vous diriez sus le commencement
du second degré: Dieu le bon Dieu Sa-
baoth
, (c’est a dire des armées) en soit eter-
nellement loué. Si de mesmes vous au-
tres beuvez un grand ou deux petitz coups
en robbe, je n’y trouve inconvenient aul-
cun, pour veu que du tout louez Dieu un
tantinet.


Puys doncques que telle est ou ma sort



[8v]
ou ma destinée: (car a chascun n’est oul-
troyé entrer & habiter Corinthe) ma de-
liberation est servir & es uns & es autres:
tant s’en fault que je reste cessateur & inu-
tile. Envers les vastadours, pionniers &
rempareurs je feray ce que feirent Neptu-
ne
& Apollo en Troie soubs Laomedon,
ce que feit Renaud de Montaulban sus ses
derniers jours: je serviray les massons, je
mettray bouillir pour les massons, & le
past terminé au son de ma musette mesu-
reray la musarderie des musars. Ainsi fon-
da, bastit, & edifia Amphion sonnant de sa
lyre la grande & celebre cité de Thebes.
Envers les guerroyans je voys de nouveau
percer mon tonneau. Et de la traicte (la-
quelle par deux praecedens volumes (si par
l’imposture des imprimeurs n’eussent esté
pervertiz & brouillez) vous feust assez con-
gneue) leurs tirer du creu de nos passetemps
epicenaires un guallant tiercin, & conse-
cutivement un joyeulx quart de sentences
Pantagruelicques. Par moy licite vous se-
ra les appeller Diogenicques. Et me auront,
puys que compaignon ne peuz estre, pour
Architriclin loyal refraischissant a mon
petit povoir leur retour des alarmes: & lau- dateur



9
dateur, je diz infatiguable, de leurs prou-
esses & glorieulx faicts d’armes. Je n’y faul
dray par Lapathium acutum de Dieu: si
Mars ne failloit a Quaresme. Mais il s’en
donnera bien guarde le paillard.


Me souvient toutesfois avoir leu, que
Ptolemé filz de Lagus quelque jour entre
autres despouilles & butins de ses con-
questes, praesentant aux AEgyptiens en
plain theatre un chameau Batrian tout
noir, & un esclave biguarré, tellement que
de son corps l’une part estoit noire, l’autre
blanche: non en compartiment de latitude
par le diaphragme, comme feut celle fem-
me sacrée a Venus Indicque, laquelle feut
recongnue du philosophe Tyanien entre
le fleuve Hydaspes, et le mont Caucase:
mais en dimension perpendiculaire: cho-
ses non encores veues en AEgypte, espe-
roit par offre de ces nouveaultez l’amour
du peuple envers soy augmenter. Qu’en
advient il? A la production du Chameau
tous feurent effroyez & indignez: a la veue
de l’home biguarré aulcuns se mocque-
rent, autres le abhominerent comme mon-
stre infame, créé par erreur de nature. Som-
me, l’esperance qu’il avoit de complaire a B



[9v]
ses AEgyptiens, & par ce moyen extendre
l’affection qu’ilz luy pourtoient na-
turellement, luy decoulla des mains. Et
entendit plus a plaisir & delices leurs e-
stre choses belles, eleguantes, & perfai-
ctes, que ridicules & monstrueuses. De-
puys eut tant l’Esclave que le Chameau
en mespris: si que bien toust apres par ne-
gligence & faulte de commun traicte-
ment feirent de Vie a Mort eschange.
Cestuy exemple me faict entre espoir &
craincte varier, doubtant que pour con-
tentement propensé, je rencontre ce que
je abhorre: mon thesaur soit charbons:
pour Venus advieigne Barbet le chien:
en lieu de les servir, je les fasche: en lieu
de les esbaudir, je les offense: en lieu de
leurs complaire, je desplaise: & soit mon
adventure telle que du Coq de Euclion
tant celebré par Plaute en sa Marmite, et
par Ausone en son Gryphon, & ailleurs:
lequel pour en grattant avoir descouvert
le thesaur, eut la couppe guorgée. Adve-
nent le cas, ne seroit ce pour chevreter?
Autresfoys est il advenu: advenir enco-
res pourroit. Non fera Hercules. Je re-
congnois en eulx tous une forme spe- cificque,



10
cificque, & proprieté individuale, la-
quelle nos majeurs nommoient Panta-
gruelisme, moienant laquelle jamais en
maulvaise partie ne prendront choses
quelconques, ilz congnoistront sourdre
de bon, franc, & loyal couraige. Je les ay
ordinairement veuz bon vouloir en pay-
ement prendre, & en icelluy acquiescer,
quand debilité de puissance y a esté associée.


De ce poinct expedié, a mon tonneau je
retourne. Sus a ce vin compaings. Enfans
beuvez a pleins guodetz. Si bon ne vous
semble, laissez le. Je ne suys de ces im-
portuns Lifrelofres, qui par force, par
oultraige & violence, contraignent les
Lans & compaignons trinquer, voire ca-
ros & alluz, qui pis est. Tout beuveur de
bien, tout Goutteux de bien, alterez, ve-
nens a ce mien tonneau, s’ilz ne voulent ne
beuvent: s’ilz voulent, & le vin plaist au
guoust de la seigneurie de leurs seigneu-
ries, beuvent franchement, librement, har-
diment, sans rien payer, & ne l’espargnent.
Tel est mon decret. Et paour ne ayez,
que le vin faille, comme feist es nopces de
Cana en Galilée. Autant que vous en ti-
reray par la dille, autant en entonneray B ij



[10v]
par le bondon. Ainsi demeurera le ton-
neau inexpuisible. Il a source vive, & ve-
ne perpetuelle.Tel estoit le brevaige con-
tenu dedans la couppe de Tantalus repre-
senté par figure entre les saiges Brachma-
nes: telle estoit en Iberie la montaigne de
sel tant celebrée par Caton: tel estoit le
rameau d’or sacré a la deesse soubsterrai-
ne, tant celebré par Virgile. C’est un vray
Cornucopie de joyeuseté & raillerie. Si
quelque foys vous semble estre expuysé
jusques a la lie, non pourtant sera il a sec.
Bon espoir y gist au fond, comme en la
bouteille de Pandora: non desespoir, com-
me on bussart des Danaïdes.


Notez bien ce que j’ay dict, & quelle
maniere de gens je invite. Car (affin que
personne n’y soit trompé) a l’exemple de
Lucillius, lequel protestoit n’escrire que a
ses Tarentins & Consentinois: je ne l’ay
persé que pour vous Gens de bien, Beu-
veurs de la prime cuvée, & Goutteux de
franc alleu. Les geants Doriphages aval-
leurs de frimars, ont au cul passions assez,
& assez sacs au croc pour venaison. Y vac-
quent s’ilz voulent. Ce n’est icy leur gib-
bier. Des cerveaulx a bourlet grabeleurs de



11
de corrections ne me parlez, je vous sup-
plie on nom & reverence des quatre fes-
ses qui vous engendrerent: & de la vivi-
ficque cheville, qui pour lors les coup-
ploit. Des Caphars encores moins: quoy
que tous soient beuveurs oultrez: tous ve-
rollez: croustelevez: guarniz de alteration
inextinguible, & manducation insatia-
ble. Pourquoy? Pource qu’ilz ne sont de
bien, ains de mal: & de ce mal duquel
journellement a Dieu requerons estre de-
livrez: quoy qu’ilz contrefacent quelques
foys des gueux. Oncques vieil cinge ne
feit belle moue. Arriere mastins. Hors
de la quarriere: hors de mon Soleil Ca-
huaille au Diable. Venez vous icy culle-
tans articuler mon vin & compisser mon
tonneau? Voyez cy le baston que Dioge-
nes
par testament ordonna estre pres luy
posé apres sa mort, pour chasser & esre-
ner ces larves bustuaires, & mastins Cer-
bericques. Pourtant arriere Cagotz.
Aux ouailles mastins. Hors d’icy Ca-
phards de par le Diable hay. Estez vous
encores la? Je renonce ma part de Papi-
manie, si je vous happe. G22. g222.
g222222. Davant davant. Iront ilz? Ja- B iij



[11v]
mais ne puissiez vous fianter, que a san-
glades d’estrivieres. Jamais pisser, que a
l’estrapade: jamais eschauffer, que a coups
de baston.


COMMENT PANTA-
gruel
transporta une colonie
de Utopiens en Dipsodie.

Chapitre I.


PAntagruel avoir entierement
conquesté le pays de Dipsodie,
en icelluy transporta une co-
lonie de Utopiens en nombre
de 9876543210. homes, sans les femmes
& petitz enfans: artizans de tous mesti-
ers, & professeurs de toutes sciences libe-
rales: pour ledict pays refraichir, peu-
pler, & orner, mal autrement habité, &
desert en grande partie. Et les transporta
non tant pour l’excessive multitude d’ho
mes & femmes, qui estoient en Utopie
multipliez comme locustes. Vous enten-
dez assez, ja besoing n’est d’adventaige
vous l’exposer, que les Utopiens avoient
les genitoires tant feconds, & les Utopie-
nes portoient matrices tant amples, glou
tes, tenaces, & cellulées par bonne archi- tecture



12
tecture, que au bout de chascun neufvie-
me moys, sept enfans pour le moins, que
masles que femelles, naissoient par chas-
cun mariage, a l’imitation du peuple Ju-
daic en AEgypte: si de Lyra ne delyre.
Non tant aussi pour la fertilité du sol, sa-
lubrité du ciel, & commodité du pays de
Dipsodie, que pour icelluy contenir en of
fice & obeissance par nouveau transport
de ses antiques & feaulx subjectz. Les-
quelz de toute memoire autre seigneur
n’avoient congneu, recongneu, advoué,
ne servy, que luy. Et les quelz des lors que
nasquirent & entrerent on monde, avec
le laict de leurs meres nourrices avoient
pareillement sugcé la doulceur & debon-
naireté de son regne, & en icelle estoient
tousdis confictz, & nourriz. Qui estoit
espoir certain, que plus tost defauldroient
de vie corporelle, que de ceste premiere &
unicque subjection naturellement deue a
leur prince, quelque lieu que feussent es-
pars & transportez. Et non seulement
telz seroient eulx & les enfans successive-
ment naissans de leur sang, mais aussi
en ceste feaulté & obeissance entretien-
droient les nations de nouveau adjoinctes B iiij



[12v]
a son empire. Ce que veritablement ad-
vint, & ne feut aulcunement frustré en sa
deliberation. Car si les Utopiens avant
cestuy transport, avoient esté feaulx & bien
recongnoissans, les Dipsodes avoir peu de
jours avecques eulx conversé, l’estoient
encores d’adventaige, par ne sçay quelle
ferveur naturelle en tous humains au com-
mencement de toutes oeuvres qui leur vie-
nent a gré. Seulement se plaignoient ob-
testans tous les cieulx & intelligences mo-
trices, de ce que plus toust n’estoit a leur
notice venue la renommée du bon Pan-
tagruel
.


Noterez doncques icy Beuveurs, que la
maniere d’entretenir & retenir pays nou-
vellement conquestez, n’est (comme a esté
l’opinion erronée de certains espritz ty-
rannicques a leur dam & deshonneur) les
peuples pillant, forçant, angariant, rui-
nant, mal vexant, & regissant avecques
verges de fer: brief les peuples mangeant
& devorant, en la façon que Homere ap-
pelle le roy inique Demovore, c’est a dire
mangeur de peuple. Je ne vous allegue-
ray a ce propous les histoires antiques,
seulement vous revocqueray en recorda- tion



13
tion de ce qu’en ont veu vos peres, & vous
mesmes, si trop jeunes n’estez. Comme
enfant nouvellement né, les fault alaicter,
berser, esjouir. Comme arbre nouvelle-
ment plantée, les fault appuyer, asceurer,
defendre de toutes vimeres, injures, & ca-
lamitez. Comme personne saulvé de lon-
gue & forte maladie, & venent a conva-
lescence, les fault choyer, espargner, re-
staurer. De sorte qu’ilz conçoipvent en
soy ceste opinion, n’estre on monde Roy
ne Prince, que moins voulsissent ennemy,
plus optassent amy. Ainsi Osiris le grand
roy des AEgyptiens toute la terre conque-
sta: non tant a force d’armes, que par sou-
laigement des angaries, enseignemens de
bien & salubrement vivre, loix commo-
des, gratieuseté & biensfaicts. Pourtant
du monde feut il surnommé le grand roy
Evergetes (c’est a dire bienfaicteur) par le
commendement de Juppiter faict a une
Pamyle. Defaict Hesiode en sa Hierar-
chie colloque les bons Daemons (appel-
lez les si voulez Anges ou Genies) comme
moyens & mediateurs des Dieux & ho-
mes: superieurs des homes, inferieurs des
Dieux. Et pource que par leurs mains



[13v]
nous advienent les richesses & biens du
Ciel, & sont continuellement envers nous
bienfaisans, tousjours du mal nous prae-
servent: les dict estre en office de Roys:
comme bien tousjours faire, jamais mal,
estant acte unicquement Royal. Ainsi feut
empereur de l’univers Alexandre Macedon.
Ainsi feut par Hercules tout le continent
possedé, les humains soullageant des mon-
stres, oppressions, exactions, & tyrannies:
en bon traictement les gouvernant: en
aequité & justice les maintenant: en be-
nigne police & loix convenentes a l’assie-
lassie-
[sic]
des contrées les instituent: suppliant a
ce que deffailloit: ce que abondoit aval-
luant: & pardonnant tout le passé, avec-
ques oubliance sempiternelle de toutes of
fenses praecedentes, comme estoit la Am-
nestie des Atheniens, lors que feurent par
la prouesse & industrie de Thrasybulus
les tyrans exterminez: depuys en Rome
exposée par Ciceron, & renouvellée soubs
l’empereur Aurelian.


Ce sont les philtres, Iynges, & at-
traictz d’amour, moienans lesquelz pa-
cificquement on retient, ce que penible-
ment on avoit conquesté. Et plus en heur ne



14
ne peut le conquerant regner, soit roy, soit
prince, ou philosophe, que faisant Justice
a Vertus succeder. Sa vertu est apparue
en la victoire & conqueste: sa justice ap-
paroistra en ce que par la volunté & bon-
ne affection du peuple donnera loix: pu-
bliera edictz, establira religions, fera droict
a un chascun: comme de Octavian Au-
guste
: dict le noble poëte Maro.
Il qui estoit victeur, par le vouloir
Des gens vaincuz, faisoit ses loix valoir.


C’est pourquoy Homere en son Iliade,
les bons princes & grands Roys appelle
κοσμήτορας λαων c’est a dire ornateurs des
peuples. Telle estoit la consideration de
Numa Pompilius Roy second des Ro-
mains juste, politic, & philosophe, quand
il ordonna au Dieu Terme, le jour de sa
feste, qu’on nommoit Terminales, rien
n’estre sacrifié, qui eust prins mort: nous
enseignant, que les termes, frontieres, &
annexes des royaulmes convient en paix,
amitié, debonnaireté guarder et regir,
sans ses mains souiller de sang & pillerie.
Qui aultrement faict, non seulement per-
dera l’acquis, mais aussi patira ce scandale
& opprobre, qu’on le estimera mal & a



[14v]
tort avoir acquis: par ceste consequence,
que l’acquest luy est entre mains expiré.
Car les choses mal acquises, mal deperis-
sent. Et ores qu’il en eust toute sa vie pa-
cificque jouissance, si toutesfoys l’acquest
deperit en ses hoirs, pareil sera le scanda-
le sus le defunct, & sa memoire en male-
diction, comme de conquerent inique.
Car vous dictez en proverbe commun:
Des choses mal acquises le tiers hoir ne
jouira.


Notez aussi Goutteux fieffez, en ce-
stuy article, comment par ce moyen Pan-
tagruel
feit d’un ange deux, qui est acci-
dent opposite au conseil de Charles Mai-
gne
, lequel feist d’un diable deux, quand
il transporta les Saxons en Flandre, &
les Flamens en Saxe. Car non povant en
subjectoinsubjection contenir les Saxons par luy
adjoincts a l’empire: que a tous momens
n’entrassent en rebellion, si par cas estoit
distraict en Hespaigne, ou autres terres
loingtaines: les transporta en pays sien,
& obeissant naturellement, sçavoir est Flan-
dres
: & les Hannuiers & Flamens ses na-
turelz subjectz transporta en Saxe, non
doubtant de leur feaulté, encores qu’ilz trans-



15
transmigrassent en regions estranges. Mais
advint que les Saxons continuerent en
leur rebellion & obstination premiere: &
les Flamens habitans en Saxe, embeurent
les meurs & contradictions des Saxons.


COMMENT PANURGE
feut faict chastellain de Salmi-
guondin
en Dipsodie, & man-
geoit son bled en
herbe.

Chapitre II.


DOnnant Pantagruel ordre
au gouvernement de toute
Dipsodie, assigna la chastel
lenie de Salmiguondin a Pa-
nurge
, valent par chascun an
6789106789. Royaulx en deniers certains,
non comprins l’incertain revenu des Ha-
netons, & Cacquerolles, montant bon an
mal an de. 2435768. a .2435769. moutons
a la grande laine. Quelques foys revenoit
a 1234554321. Seraphz: quand estoit bon-
ne année de Cacquerolles, & Hanetons
de requeste. Mais ce n’estoit tous les ans.



[15v]
Et se gouverna si bien & prudentement
monsieur le nouveau chastellain, qu’en
moins de quatorze jours il dilapida le re-
venu certain incertain& incertain de sa Chastellenie
pour troys ans. Non proprement dilapi-
da, comme vous pourriez dire en fonda-
tions de monasteres, erections de temples,
bastimens de collieges & hospitaulx, ou
jectant son lard aux chiens. Mais despen-
dit en mille petitz bancquetz & festins
joyeulx, ouvers a tous venens, mesmement
tous bons compaignons, jeunes fillettes,
& mignonnes gualoises. Abastant boys,
bruslant les grosses souches pour la vente
des cendres, prenent argent d’avance, a-
chaptant cher, vendent a bon marché, &
mangeant son bled en herbe. Pantagruel
adverty de l’affaire, n’en feut en soy aulcu
nement indigné, fasché, ne marry. Je vous
ay ja dit, & encores rediz, que c’estoit
le meilleur petit & grand bon homet, que
oncques ceigneit espée. Toutes choses
prenoit en bonne partie, tout acte inter-
pretoit a bien. Jamais ne se tourmentoit,
jamais ne se scandalizoit. Aussi eust il esté
bien forissu du Deificque manoir de rai-
son, si aultrement se feust contristé ou al- teré.



16
teré. Car tous les biens que le Ciel cou-
vre: & que la Terre contient en toutes
ses dimensions: haulteur, profondité, lon-
gitude, & latitude, ne sont dignes d’es-
mouvoir nos affections, & troubler nos
sens & espritz.


Seulement tira Panurge a part, & doul-
cettement luy remonstra, que si ainsi vou-
loit vivre, & n’estre aultrement mesna-
gier: impossible seroit, ou pour le moins
bien difficile, le faire jamais riche. Riche?
respondit Panurge. Aviez vous la fermé
vostre pensée? Aviez vous en soing pris
me faire riche en ce monde? Pensez vivre
joyeulx de par li bon Dieu, & li bons
homs. Autre soing, autre soucy, ne soit
receup[sic] on sacrosainct domicile de vostre
celeste cerveau. La serenité d’icelluy ja-
mais ne soit troublée par nues quelconques
de pensement passementé de meshaing
& fascherie. Vous vivent joyeulx, guail-
lard, dehayt, je ne seray riche que trop.
Tout le monde crie mesnaige, mesnaige.
Mais tel parle de mesnaige, qui ne sçayt
mie que c’est. C’est de moy que fault con-
seil prendre. Et de moy pour ceste heure
prendrez advertissement, que ce qu’on



[16v]
me impute a vice, a esté imitation des U-
niversité & Parlement de Paris: lieux es
quelz consiste la vraye source & vive Idée
de Pantheologie, de toute justice aussi.
Haereticque qui en doubte, & fermement
ne le croyt. Ilz toutesfoys en un jour man-
gent leur evesque, ou le revenu de l’eves-
ché (c’est tout un) pour une année entiere,
voyre pour deux aulcunes foys: C’est au
jour qu’il y faict son entrée. Et n’y a lieu
d’excuse, s’il ne vouloit estre lapide sus
l’instant. A esté aussi acte des quatre ver-
tus principales. De Prudence, en prenent
argent d’avance. Car on ne sçayt qui mord,
ne qui rue. Qui sçayt si le monde durera
encores troys ans? Et ores qu’il durast
d’adventaige, est il home tant fol: qui se
ausast promettre vivre troys ans?
Oncq’home n’eut les Dieux tant bien a
main,

Qu’asceuré feust de vivre au lendemain.


De justice: Commutative, en achap-
tant cher (je diz a credit) vendant a bon
marché (je diz argent comptant). Que
dict Caton en sa mesnagerie sus ce pro-
pos? Il fault (dict il) que le perefamiles soit
vendeur perpetuel. Par ce moyen est im- possible



17
possible qu’en fin riche ne devieigne, si
tousjours dure l’apothecque. Distributi-
ve: donnant a repaistre aux bons (notez
bons) & gentilz compaignons: lesquelz
Fortune avoit jecté comme Ulyxes, sus le
roc de bon appetit, sans provision de man-
geaille: & aux bonnes (notez bonnes) &
jeunes gualoises. (notez jeunes: Car sce-
lon la sentence de Hippocrates, jeunesse
est impatiente de faim mesmement si elle
est vivace, alaigre, brusque, movente, vol-
tigeante.) Lesquelles gualoises voluntiers
& de bon hayt font plaisir a gens de bien:
& sont Platonicques & Ciceronianes jus-
ques la, qu’elles se reputent estre on mon-
de nées non pour soy seulement: ains de
leurs propres personnes font part a leur
patrie, part a leurs amis.


De force, en abastant les gros arbres,
comme un second Milo: ruinant les ob-
scures forestz, tesnieres de Loups, de San-
gliers, de Renards: receptacles de briguans
& meurtriers: taulpinieres de assassina-
teurs, officines de faulx monnoieurs, re-
traictes d’haereticques: & les complanissant
en claires guarigues & belles bruieres:
jouant des haulx boys, & praeparant les C



[17v]
sieges pour la nuict du jugement.


De Temperance: mangeant mon bled
en herbe, comme un Hermite, vivant de
sallades & racines: me emancipant des
appetiz sensuelz: & ainsi espargnant
pour les estropiatz & souffreteux. Car
ce faisant, j’espargne les sercleurs qui
guaingnent argent: les mestiviers, qui beu-
vent voluntiers, & sans eau: les gleneurs,
es quelz fault de la fouace: les basteurs,
qui ne laissent ail, oignon, ne eschalote es
jardins par l’auctorité de Thestilis Virgi-
liane
: les meusniers, qui sont ordinaire-
ment larrons: & les boulangiers, qui ne
valent gueres mieulx. Est ce petite espar-
gne: Oultre la calamité des Mulotz, le
deschet des greniers, & la mangeaille des
Charrantons & Mourrins. De bled en her-
be vous faictez belle saulse verde, de le-
giere concoction: de facile digestion. La-
quelle vous esbanoist le cerveau, esbau-
dist les espritz animaulx, resjouist la veue,
ouvre l’appetit, delecte le goust, assere le
coeur, chatouille la langue, faict le tainct
clair, fortifie les muscles, tempere le
sang, alliege le diaphragme, refraischist
le foye, desoppile la ratelle, soulaige les roignon



18
roignons, assoupist les reins, desgourdist
les spondyles, vuide les ureteres, dila-
te les vases spermaticques, abbrevie les
cremasteres, expurge la vessie, enfle les
genitoires, corrige le prepuce, incruste
le balane, rectifie le membre: vous faict
bon ventre, bien rotter, vessir, peder, fian-
ter, uriner, esternuer, sangloutir, toussir,
cracher, vomiter, baisler, mouscher, ha-
leiner, inspirer, respirer, ronfler, suer, dres-
ser le virolet, & mille autres rares adven-
taiges. J’entend bien (dist Pantagruel.) vous
inferez que gens de peu d’esprit ne sçau-
roient beaucoup en brief temps despen-
dre. Vous n’estez le premier, qui ayt con-
ceu ceste haeresie. Neron le maintenoit, &
sus tous humains admiroit C. Caligula
son oncle, lequel en peu de jours avoit
par invention mirificque despendu tout
l’avoir & patrimoine que Tiberius luy
avoit laissé. Mais en lieu de guarder &
observer les loix coenaires & sumptuaires
des Romains, la Orchie, la Fannie, la
Didie, la Licinie, la Cornelie, la Lepi-
diane, la Antie, & des Corinthiens:
par lesquelles estoit rigoureusement a un
chascun defendu, plus par an despendre, C ij



[18v]
que portoit son annuel revenu: vous a-
vez faict Protervie: qui estoit entre les
Romains sacrifice tel que l’aigneau
Paschal entre les Juifz. Il y convenoit tout
mangeable manger: le reste jecter on feu:
rien ne reserver au lendemain. Je le peuz
de vous justement dire, comme le dist Ca-
ton
de Albidius, lequel avoir en excessive
despense mangé tout ce qu’il possedoit,
restant seulement une maison, y mist le feu
dedans, pour dire, consummatum est, ain-
si que depuys dist sainctThomas Dac-
quin
, quand il eut la Lamproye toute man-
gée. Cela non force.


COMMENT PANURGE
loue les debteurs & em-
prunteurs.

Chapitre III.


MAis (demanda Pantagruel)
quand serez vous hors de de-
btes? Es Calendes Grecques,
respondit Panurge; lors que
tout le monde sera content, &
que serez heritier de vous mesmes. Dieu me
guarde d’en estre hors. Plus lors ne trouve rois



19
rois qui un denier me prestast. Qui au soir
ne laisse levain, ja ne fera au matin lever
paste. Doibvez tous jours a quelq’un. Par
icelluy sera continuellement Dieu prié
vous donner bonne, longue, & heureuse
vie: craignant sa debte perdre, tousjours
bien de vous dira en toutes compaignies:
tousjours nouveaulx crediteurs vous ac-
questera: affin que par eulx vous faciez
versure, & de terre d’aultruy remplissez
son fossé. Quand jadis en Gaulle par l’in-
stitution des Druydes, les serfz, varletz, &
appariteurs estoient tous vifz bruslez aux
funerailles & exeques de leurs maistres
& seigneurs: n’avoient ilz belle paour
que leurs maistres & seigneurs mourus-
sent? Car ensemble force leurs estoit mou-
rir. Ne prioient ilz continuellement leur
grand Dieu Mercure, avecques Dis le pe-
re aux escuz, longuement en santé les con-
server? N’estoient ilz soingneux de bien les
traicter & servir? Car ensemble povoient
ilz vivre au moins jusques a la mort. Croy
ez qu’en plus fervente devotion vos cre-
diteurs priront Dieu que vivez, craindront
que mourez, d’autant que plus ayment la
manche que le braz, & la denare que la C iij



[19v]
vie. Tesmoings les usuriers de Landerous-
se
, qui n’a gueres se pendirent, voyans les
bleds & vins ravaller en pris, & bon temps
retourner. Pantagruel rien ne respondent,
continua Panurge. Vray bot, quand bien
je y pense, vous me remettez a poinct en
ronfle veue, me reprochant mes debtes
& crediteurs. Dea en ceste seule qualité je
me reputois auguste, reverend, & redoub-
table, que sus l’opinion de tous Philo-
sophes (qui disent rien de rien n’estre
faict) rien ne tenent, ne matiere premie-
re, estoys facteur & createur. Avois créé.
Quoy? Tant de beaulx & bons credi-
teurs. Crediteurs sont (je le maintiens jus-
ques au feu exclusivement) creatures bel-
les & bonnes. Qui rien ne preste, est crea-
ture laide & mauvaise: creature du grand
villain diantre d’enfer. Et faict. Quoy?
Debtes. O chose rare & antiquaire. De-
btes, diz je, excedentes le nombre des syl-
labes resultantes au couplement de tou-
tes les consonantes avecques les vocales,
jadis projecté & compté par le noble Xe-
nocrates
. A la numerosité des crediteurs
si vous estimez la perfection des debteurs,
vous ne errerez en Arithmetique pratic- que.



20
que. Cuidez vous que je suis aise quand tous
les matins autour de moy je voy ces cre-
diteurs tant humbles, serviables, & co-
pieux en reverences? Et quand je note
que moy faisant a l’un visaige plus ouvert,
& chere meilleure que es autres, le pail-
lard pense avoir sa depesche le premier,
pense estre le premier en date, & de mon
ris cuyde que soit argent content. Il m’est
advis, que je joue encores le Dieu de la
passion de Saulmur, accompaigné de ses
Anges & Cherubins. Ce sont mes candi-
datz, mes parasites, mes salueurs, mes
diseurs de bons jours, mes orateurs per-
petuelz. Et pensois veritablement en de-
btes consister la montaigne de Vertus he-
roicque descripte par Hesiode, en laquel-
le je tenois degré premier de ma licence:
a laquelle tous humains semblent tirer &
aspirer, mais peu y montent pour la dif-
ficulté du chemin: voyant au jourdhuy
tout le monde en desir fervent, & stri-
dent appetit de faire debtes, & crediteurs
nouveaulx. Toutesfoys il n’est debteur
qui veult: il ne faict crediteurs qui veult.
Et vous me voulez debouter de ceste feli-
cité soubeline? vous me demandez quand C iiij



[20v]
seray hors de debtes?


Bien pis y a, je me donne a sainct Ba-
bolin
le bon sainct, en cas que toute ma
vie je n’aye estimé debtes estre comme une
connexion & colligence des Cieulx &
Terre: un entretenement unicque de l’hu-
main lignaige: je dis sans lequel bien tost
tous humains periroient: estre par adven-
ture celle grande ame de l’univers, laquel-
le scelon les Academicques, toutes choses
vivifie. Qu’ainsi soit, repraesentez vous en
esprit serain l’idee & forme de quelque
monde, prenez si bon vous semble, le tren-
tiesme de ceulx que imaginoit le philoso-
phe Metrodorus
: ou le soixante et dixhuy-
ctieme de Petron: on quel ne soit deb-
teur ne crediteur aulcun. Un monde sans
debtes. La entre les astres ne sera cours
regulier quiconque. Tous seront en des-
arroy. Juppiter ne s’estimant debiteur a
Saturne, le depossedera de sa sphaere, & a-
vecques sa chaine Homericque suspende-
ra toutes les intelligences, Dieux, Cieulx,
Daemons, Genies, Heroes, Diables, Ter-
re, mer, tous elemens. Saturne se r’aliera
avecques Mars, & mettront tout ce mon-
de en perturbation. Mercure ne vouldra soy



21
soy asservir es autres, plus ne sera leur Ca
mille
, comme en langue Hetrusque estoit
nommé. Car il ne leurs est en rien deb-
teur. Venus ne sera venerée, car elle n’au-
ra rien presté. La Lune restera sanglante
& tenebreuse. A quel propous luy depar-
tiroit le Soleil sa lumiere? Il n’y estoit en
rien tenu. Le Soleil ne luyra sus leur ter-
re: les Astres ne y feront influence bon-
ne. Car la terre desistoit leurs prester
nourrissement par vapeurs & exhalati-
ons: des quelles disoit Heraclitus, prou-
voient les Stoiciens, Ciceron maintenoit
estre les estoilles alimentées. Entre les e-
lemens ne sera symbolisation, alternati-
on, ne transmutation aulcune. Car l’un
ne se reputera obligé a l’autre, il ne luy
avoit rien presté. De terre ne sera faicte
eau: l’eau en aër ne sera transmuée: de
l’aër ne sera faict feu: le feu n’eschauffe-
ra la terre. La terre rien ne produira que
monstres, Titanes, Aloides, Geans: Il n’y
pluyra pluye, n’y luyra lumiere, n’y ven-
tera vent, n’y sera esté ne automne. Luci-
fer
se desliera, & sortant du profond d’en-
fer avecques les Furies, les Poines, & Dia-
bles cornuz, vouldra deniger des cieulx



[21v]
tous les dieux tant des majeurs comme des
mineurs peuples. De cestuy monde rien
ne prestant ne sera qu’une chienerie: que
une brigue plusanomale que celle du Re-
cteur de Paris, qu’une Diablerie plus con
fuse que celle des jeuz de Doué. Entre les
humains l’un ne saluerasaulvera l’autre: il aura
beau crier a l’aide, au feu, a l’eau, au meur-
tre. Personne ne ira a secours. Pourquoy?
Il n’avoit rien presté, on ne luy debvoit
rien. Personne n’a interest en sa confla-
gration, en son naufrage, en sa ruine, en sa
mort. Aussi bien ne prestoit il rien. Aussi
bien n’eust il par apres rien presté. Brief
de cestuy monde seront bannies Foy, Es-
perance, Charité. Car les homes sont nez
pour l’ayde & secours des homes. En lieu
d’elles succederont Defiance, Mespris, Ran
cune, avecques la cohorte de tous maulx,
toutes maledictions, & toutes miseres.
Vous penserez proprement que la eust
Pandora versé sa bouteille. Les homes se-
ront loups es homes. Loups guaroux, &
lutins, comme feurent Lychaon, Belle-
rophon
, Nabugotdonosor: briguans, as-
sassineurs, empoisonneurs, malfaisans,
malpensans, malveillans, haine portans un



22
un chascun contre tous, comme Ismael, com-
me Metabus, comme Timon Athenien, qui
pour ceste cause feut surnommé μισάνθρω-
πος
. Si que chose plus facile en nature se-
roit, nourrir en l’aër les poissons, paistre
les cerfz on fond de l’Ocean, que suppor-
ter ceste truandaille de monde, qui rien
ne preste. Par ma foy, je les hays bien.


Et si au patron de ce fascheux & cha-
grin monde rien ne prestant, vous figu-
rez l’autre petit monde, qui est l’home,
vous y trouverez un terrible tintamar-
re. La teste ne vouldra prester la veue de
ses oeilz, pour guider les piedz & les
mains. Les piedz ne la daigneront porter:
les mains cesseront travailler pour elle.
Le coeur se faschera de tant se mouvoir
pour les pouls des membres, & ne leurs
prestera plus. Le poulmon ne luy fera prest
de ses souffletz. Le foye ne luy envoyra
sang pour son entretien. La vessie ne voul-
dra estre debitrice aux roignons: l’urine
sera supprimée. Le cerveau considerant ce
train desnaturé, se mettra en resverie,
& ne baillera sentement es nerfz, ne mou
vement es muscles. Somme, en ce monde
desrayé, rien ne debvant, rien ne prestant,



[22v]
rien ne empruntant, vous voirez une con
spiration plus pernicieuse, que n’a figuré
AEsope en son Apologue. Et perira sans
doubte: non perira seulement: mais bi-
en tost perira, feust ce AEsculapius mes-
mes. Et ira soubdain le corps en putrefa-
ction: l’ame toute indignée prendra cour-
se a tous les Diables, apres mon argent.


CONTINUATION DU
discours de Panurge, a la lou-
ange des presteurs &
debteurs.

Chapitre IIII.


AU contraire representez vous
un monde autre, on quel un
chascun preste, un chascun
doibve, tous soient debteurs,
tous soient presteurs. O quelle
harmonie sera parmy les reguliers mou-
vemens des Cieulz. Il m’est advis que je
l’entends aussi bien que feist oncques Pla
ton
. Quelle sympathie entre les elemens.
O comment Nature se y delectera en ses
oeuvres & productions. Ceres chargée de bleds:



23
Bacchusbleds: Bacchus de vins: Flora de fleurs: Pomo-
na
de fruictz: Juno en son aër serain se-
raine, salubre, plaisante. Je me pers en
ceste contemplation. Entre les humains
Paix, Amour, Dilection, Fidelité, repous,
banquetz, festins, joye, liesse, or, argent,
menue monnoie, chaisnes, bagues, mar-
chandises, troteront de main en main.
Nul proces, nulle guerre, nul debat: nul
nyn’y sera usurier, nul leschart, nul chichart,
nul refusant. Vray Dieu, ne sera ce l’aage
d’or, le regne de Saturne? L’idée des re-
gions Olympicques: es quelles toutes
autres vertus cessent: Charité seule re-
gne, regente, domine, triumphe. Tous
seront bons, tous seront beaulx, tous se-
ront justes. O monde heureux. O gens
de cestuy monde heureux. O beatz troys
& quatre foys. Il m’est advis que je y suis.
Je vous jure le bon Vraybis, que si cestuy
monde, beat monde ainsi a un chascun
prestant, rien ne refusant eust Pape foi-
zonnant en Cardinaulx, & associé de son
sacresacré colliege, en peu d’années vous y
voiriez les sainctz plus druz, plus mira-
clificques, a plus de leçons, plus de veuz,
plus de bastons, & plus de chandelles,



[23v]
que ne sont tous ceulx des neufz eveschez
de Bretaigne. Exceptez seulement sainct
Ives
. Je vous prie considerez comment le
noble Patelin voulant deifier & par divi-
nes louenges mettre jusques au tiers ci-
el le pere de Guillaume Jousseaulme, rien
plus ne dist sinon,
Et si prestoit,
Ses denrées, a qui en vouloit. O le beau
mot. A ce patron figurez nostre microcos
me, id est, petit monde, c’est l’home, en tous
ses membres, prestans, empruntans, doibvans,
c’est a dire en son naturel. Car nature n’a
créé l’home que pour prester & emprunter.
Plus grande n’est l’harmonie des cieux, que
sera de sa police. L’intention du fonda-
teur de ce microcosme, est y entretenir l’a-
me, laquelle il y a mise comme hoste: & la
vie. La vie consiste en sang. Sang est le sie-
ge de l’ame. Pourtant un seul labeur poine
ce monde, c’est forger sang continuellement.
En ceste forge sont tous membres en offi
ce propre: & est leur hierarchie telle que
sans cesse l’un de l’autre emprunte, l’un a
l’autre preste, l’un a l’autre est debteur. La
matiere & metal convenable pour estre en



24
en sang transmué, est baillée par nature:
Pain & Vin. En ces deux sont comprinses
toutes especes des alimens. Et de ce est
dict le companage en langue Goth. Pour
icelles trouver, praeparer, & cuire, tra-
vaillent les mains, cheminent les piedz, &
portent toute ceste machine: les oeilz tout
conduisent. l’appetit en l’orifice de l’esto-
mach moyenant un peu de melancholie ai-
gretté, que luy est transmis de la ratelle,
admonneste de enfourner viande. La lan-
gue en faict l’assayessay: les dens la maschent:
l’estomach la reçoit, digere, & chylifie.
Les venes mesaraïcques en sugcent ce
qu’est bon & idoine: delaissent les ex-
cremens. les quelz par vertus expulsive
sont vuidez hors par expres conduictz:
puys la portent au foye. il la transmue de
rechef, & en faict sang. Lors quelle joye
pensez vous estre entre ces officiers, quand
ilz ont veu ce ruisseau d’or, qui est leur
seul restaurant? Plus grande n’est la joye
des Alchymistes, quand apres longs tra-
vaulx, grand soing & despence, ilz voy-
ent les metaulx transmuez dedans leurs
fourneaulx. Adoncques chascun mem-
bre se praepare & s’esvertue de nouveau



[24v]
a purifier & affiner cestuy thesaur. Les
roignons par les venes emulgentes en ti-
rent l’aiguositélaiguosité, que vous nommez urine,
& par les ureteres la decoullent en bas.
Au bas trouve receptacle propre, c’est la
vessie, laquelle en temps oportun la vui-
de hors. La ratelle en tire le terrestre, &
la lie, que vous nommez melancholie.
La bouteille du fiel en soubstraict la cho-
lere superflue. Puys est transporté en une
autre officine pour mieulx estre affiné,
c’est le Coeur. Lequel par ces mouvemens
diastolicques & systolicques le subtilie &
enflambe, tellement que par le ventricu-
le dextre le mect a perfection, & par les
venes l’envoye a tous les membres. Chas-
cun membre l’attire a soy, & s’en alimen
te a sa guise: pieds, mains, oeilz, tous: &
lors sont faictz debteurs, qui paravant e-
stoient presteurs. Par le ventricule gaus-
che il le faict tant subtil, qu’on le dict spi-
rituel: & l’envoye a tous les membres
par ses arteres, pour l’autre sang des ve-
nes eschauffer & esventer. Le poulmon
ne cesse avecques ses lobes & souffletz le
refraischir. En recongnoissance de ce bi-
en le Coeur luy en depart le meilleur par la



25
la vene arteriale. En fin tant est affiné de-
dans le retz merveilleux, que par apres en
sont faictz les espritz animaulx, moye-
nans les quelz elle imagine, discourt, ju-
ge, resoust, delibere, ratiocine, & rememo
re. Vertus guoy je me naye, je me pers,
je m’esguare, quand je entre on profond
abisme de ce monde ainsi prestant, ainsi
doibvant. Croyez que chose divine est
prester: debvoir est vertus Heroïcque.


Encores n’est ce tout. Ce monde pre-
stant, doibvant, empruntant, est si bon,
que ceste alimentation parachevée, il pense
desja prester a ceulx qui ne sont encores
nez: & par prest se perpetuer s’il peult, &
multiplier en images a soy semblables, ce
sont enfans. A ceste fin chascun membre
du plus precieux de son nourrissement
decide & roigne une portion, & la ren-
voye en bas: nature y a praeparé vases &
receptacles opportuns, par les quelz de-
scendent es genitoires en longs ambages
& flexuositez reçoit forme competente,
& trouve lieux idoines tant en l’home com
me en la femme, pour conserver & perpe
tuer le genre humain. Ce faict le tout par
prestz & debtes de l’un a l’autre: dont est D



[25v]
dict le debvoir de mariage. Poine par na-
ture est au refusant interminée, acre ve-
xation parmy les membres, & furie par-
my les sens: au prestant loyer consigné,
plaisir, alaigresse, & volupté.


COMMENT PANTA-
gruel
deteste les debteurs &
emprunteurs.

Chapitre V.


J’Entends (respondit Pantagru-
el
) & me semblez bon topic-
queur & affecté a vostre cau-
se. Mais preschez & patroci-
nez d’icy a la Pentecoste, en fin vous se-
rez esbahy, comment rien ne me aurez
persuadé, & par vostre beau parler, ja ne
me ferez entrer en debtes. Rien (dict le
sainct Envoyé) a personne ne doibvez,
fors amour & dilection mutuelle.


Vous me usez icy de belles graphides &
diatyposes, & me plaisent tresbien: mais
je vous diz, que si figurez un affronteur
efronté, & importun emprunteur entrant
de nouveau en une ville ja advertie de ses
meurs, vous trouverez que a son entrée plus



26
plus seront les citoyens en effroy & trepi
dation, que si la Peste y entroit en habil-
lement tel que la trouva le Philosophe Ty-
anien
dedans Ephese. Et suys d’opinion
que ne erroient les Perses, estimans le se-
cond vice estre mentir: le premier estre deb-
voir. Car debtes & mensonges sont or-
dinairement ensemble ralliez. Je ne veulx
pourtant inferer, que jamais ne faille deb-
voir, jamais ne faille prester. Il n’est si ri-
che qui quelques foys ne doibve. Il n’est
si paouvre, de qui quelques foys on ne
puisse emprunter. L’ocasion sera telle
que l’ala dict Platon en ses loix, quand il
ordonne qu’on ne laisse chés soy les voy-
sins puiser eau, si premierement ilz n’a-
voient en leurs propres pastifz foussoié &
beché jusques a trouver celle espece de ter
re qu’on nomme Ceramite, (c’est terre a
potier) & la n’eussent rencontré source ou
degout d’eaux. Car icelle terre par sa sub-
stance qui est grasse, forte, lize, & dense,
retient l’humidité, & n’en est facilement
faict escours ne exhalation. Ainsi est ce
grande vergouigne, tousjours, en tous
lieux, d’un chascun emprunter, plus toust
que travailler & guaingner. Lors seule- D ij



[26v]
ment debvroit on (scelon mon jugement)
prester, quand la personne travaillant n’a
peu par son labeur faire guain: ou quand
elle est soubdainement tombée en perte
inopinée de ses biens. Pourtant laissons ce
propos, & dorenavant ne vous atachez a
crediteurs: du passé je vous delivre. Le
moins de mon plus (dist Panurge) en ce-
stuy article: sera vous remercier: & si les
remercimens doibvent estre mesurez par
l’affection des biensfaicteurs, ce sera infi-
niment, sempiternellement: car l’amour
que de vostre grace me portez, est hors
le dez d’estimation, il transcende tout poix,
tout nombre, toute mesure: il est infiny,
sempiternel. Mais le mesurant au quali-
bre des biensfaictz, & contentement des
recepvans, ce sera assez laschement. Vous
me faictez des biens beaucoup, & trop
plus que ne m’appartient, plus que n’ay
envers vous deservy, plus que ne reque-
roient mes merites, force est que le con-
fesse: mais non mie tant que pensez en
cestuy article. Ce n’est la que me deult, ce
n’est la que me cuist & demange. Car do-
renavant estant quitte quelle contenence
auray je? Croiez que je auray maulvaise grace



27
grace pour les premiers moys, veu que je
n’y suis ne nourry ne accoustumé. J’en ay
grand paour. D’adventaige desormais ne
naistra ped en tout Salmiguondinoys, qui
ne ayt son renvoy vers mon nez. Tous
les peteurs du monde petans disent. Voy
la pour les quittes. Ma vie finera bien
toust, je le praevoy. Je vous recomman-
de mon Epitaphe: Et mourray tout con-
fict en pedz. Si quelque jour pour restau-
rant a faire peter les bonnes femmes, en
extreme passion de colicque venteuse, les
medicamens ordinaires ne satisfont aux
medicins, la momie de mon paillard & em-
peté corps leurs sera remede praesent. En
prenent tant peu que direz, elles peteront
plus qu’ilz n’entendent. C’est pourquoy je
vous prirois voluntiers que de debtes me
laissez quelque centurie: comme le roy
Loys unzieme
jectant hors de procés Mi-
les d’Illiers
evesque de Chartres, feut im-
portuné luy en laisser quelque un pour se
exercer. J’ayme mieulx leurs donner toute
ma Cacqueroliere, ensemble ma Hanne-
tonniere: rien pourtant ne deduisant du
sort principal. Laissons (dist Pantagruel)
ce propos, je vous l’ay ja dict une foys.

D iij




[27v]


POURQUOY LES NOU-
veaulx mariez estoient ex-
emptz d’aller en
guerre.


Chapitre VI.


MAis (demanda Panurge) en
quelle loy estoit ce constitué
& estably, que ceulx qui vi-
gne nouvelle planteroient:
ceulx qui logis neuf basti-
roient: & les nouveaulx mariez seroient ex-
emptz d’aller en guerre pour la premiere
année? En la loy (respondit Pantagruel)
de Moses. Pour quoy (demanda Panur-
ge
) les nouveaulx mariez? Des planteurs
de vigne, je suis trop vieulx pour me sou-
cier: je acquiesce on soucy des vendan-
geurs: & les beaulx bastisseurs nouveaulx
de pierres mortes ne sont escriptz en mon
livre de vie. Je ne bastis que pierres vives,
ce sont homes. Scelon mon jugement (re-
spondit Pantagruel) c’estoit, affin que
pour la premiere année, ilz jouissent de
leurs amours a plaisir, vacassent a produ- ction



28
ction de lignage, & feissent provision de
heritiers. Ainsi pour le moins, si l’année
seconde estoient en guerre occis, leur
nom & armes restast en leurs enfans.
Aussi que leurs femmes on congneust cer
tainement estre ou brehaignes ou fecon-
des. (car l’essay d’un an leurs sembloit
suffisant, attendu la maturité de l’aage en
laquelle ilz faisoient nopces) pour mieulx
apres le decés des mariz premiers les col-
loquer en secondes nopces: les fecondes,
a ceulx qui vouldroient multiplier en en-
fans: les brehaignes, a ceulx qui n’en ap-
peteroient: & les prendroient pour leurs
vertus, sçavoir, bonnes graces, seulement
en consolation domesticque, & entretene
ment de mesnaige. Les prescheurs de Va-
renes
(dist Panurge) detestent les secondes
nopces, comme folles & deshonestes. Elles
sont (respondit Pantagruel) leurleurs fortes fi-
ebvres quartaines. Voire (dist Panurge)
& a frere Enguainnant aussi, qui en plain
sermon preschant a Parillé, & detestant
les nopces secondes, juroit, & se donnoit
au plus viste Diable d’enfer, en cas que
mieulx n’aymast depuceller cent filles, que
biscoter une vefve. Je trouve vostre rai- D iiij



[28v]
son bonne & bien fondée. Mais que diriez
vous, si ceste exemption leurs estoit oul-
troyée, pour raison que tout le decours
d’icelle prime année, ilz auroient tant ta-
loché leurs amours de nouveau possedez,
(comme c’est l’aequité & debvoir) & tant
esgoutté leurs vases spermaticques, qu’ilz
en restoient tous effilez, tous evirez, tous
enervez, & flatriz. Si que advenent le jour
de bataille plus tost se mettroient au plon
geon comme canes, avecques le baguai-
ge, que avecques les combatans & vaillans
champions on lieu on quel par Enyo est
meu le hourd, & sont les coups departiz.
Et soubs l’estandart de Mars ne frappe-
roient coup qui vaille. Car les grands
coups auroient ruez soubs les courtines
de Venus s’amie. Qu’ainsi soit nous voy-
ons encores maintenant entre autres reli-
ques & monumens d’antiquité, qu’en tou
tes bonnes maisons apres ne sçay quantz
jours: l’on envoye ces nouveaux mariez
veoir leur oncle: pour les absenter de leurs
femmes, & ce pendent soy reposer, & de re-
chief se avitailler pour mieux au retour
combatre: quoy que souvent ilz n’ayent ne
oncle ne tante. En pareille forme que le roy



29
roy Petault apres la journée des Corna-
bons, ne nous cassa proprement parlant, je
diz moy & Courcaillet, mais nous envoya
refraischir en nos maisons. Il est encores
cherchant la sienne. La marraine de mon
grand pere me disoit, quand j’estois petit, que


Patenostres & oraisons
Sont pour ceulx la qui les retiennent.
Un fiffre allans en fenaisons
Est plus fort que deux qui en viennent.


Ce que me induict en ceste opinion, est
que les planteurs de vigne, a poine man-
geoient raisins, ou beuvoient vin de leur
labeur durant la premiere année: & les
bastisseurs pour l’an premier, ne habitoient
en leurs logis de nouveau faictz, sur poine
de y mourir suffocquez par deffault de
expiration, comme doctement a noté Ga-
len
. lib. 2. de la difficulté de respirer. Je ne
l’ay demandé sans cause bien causée: ne
sans raison bien resonnante. Ne vous des-
plaise.


COMMENT PANURGE
avoit la pusse en l’aureille, & desi-
sta porter sa mgnificquemagnificque
braguette.




[29v]
Chapitre VII.


AU lendemain Panurge se feit
perser l’aureille dextre a la
Judaique, & y atacha un petit
anneau d’or a ouvraige de
tauchie, on caston duquel e-
stoit une pusse enchassée. Et estoit la pusse
noire, affin que de rien ne doubtez. C’est
belle chose, estre en tous cas bien infor-
mé. La despense de laquelle raportée a son
bureau ne montoit par quartier gueres plus
que le mariage d’une Tigresse Hircanic-
que, comme vous pourriez dire 600000.
malvedis. De tant excessive despence se fas-
cha lors qu’il feut quitte, & depuys la nour
rit en la façon des tyrans & advocatz, de la
sueur & du sang de ses subjectz. Print qua-
tre aulnes de bureau: s’en acoustra comme
d’une robbe longue a simple cousture: de-
sista porter le hault de ses chausses: & at-
tacha des lunettes a son bonnet. En tel estat
se praesenta davant Pantagruel: lequel trou
va le desguisement estrange, mesmement ne
voyant plus sa belle & magnificque bra-
guette, en laquelle il souloit comme en l’ancre
sacre[sic] constituer son dernier refuge contre
tous naufraiges d’adversité. N’entendent le bon Panta-



30
Pantagruel ce mystere, le interrogea deman
dant que praetendoit ceste nouvelle proso-
popée. J’ay (respondit Panurge) la pusse en
l’aureille. je me veulx marier. En bonne
heure soit, dist Pantagruel, vous m’en avez
bien resjouy. Vrayement je n’en vouldrois
pas tenir un fer chauld. Mais ce n’est la
guise des amoureux, ainsi avoir bragues
avalades, & laissélaisser pendre sa chemise sur
les genoilx sans hault de chausses: avec-
ques robbe longue de bureau, qui est cou-
leur inusitée en robbes talares entre gens
de bien & de vertus. Si quelques personai-
ges de haeresies & sectes particuliaires s’en
sont autres fois acoustrez, quoy que plusi-
eurs l’ayent imputé a piperie, imposture, &
affectation de tyrannie sus le rude populai-
re, je ne veulx pourtant les blasmer, & en
cela faire d’eulx jugement sinistre. Chascun
abonde en son sens: mesmement en choses
foraines, externes, & indifferentes, lesquel-
les de soy ne sont bonnes ne maulvaises:
pource qu’elles ne sortent de nos coeurs &
pensées, qui est l’officine de tout bien &
tout mal: bien, si bonne est, & par le esprit
munde reiglée l’affection: mal, si hors ae-
quité par l’esprit maling est l’affection de-



[30v]
pravée. Seulement me desplaist la nouve-
aulté & mespris du commun visaigeusaige.


La couleur, respondit Panurge, est aspre
aux potz, a propos, c’est mon bureau, je le
veulx dorenavant tenir, & de pres reguar-
der a mes affaires. Puys qu’une foys je suis
quitte, vous ne veistes oncques home plus
mal plaisant que je seray, si Dieu ne me
ayde. Voiez cy mes bezicles. A me veoir
de loing vous diriez proprement que c’est
frere Jan Bourgeoys. Je croy bien que
l’année qui vient je prescheray encores
une foys la croisade. Dieu guard de mal
les pelotons. Voiez vous ce bureau? Croiez
qu’en luy consiste quelque occulte pro-
prieté a peu de gens congneue. Je ne l’ay
prins qu’a ce matin, mais desja j’endesve,
je deguene, je grezille d’estre marié, & la-
bourer en diable bur dessus ma femme,
sans craincte des coups de baston. O le
grand mesnaiger que je seray. Apres ma
mort on me fera brusler en bust honori-
ficque: pour en avoir les cendres en me-
moire & exemplaire du mesnaiger per-
faict. Corbieu sus cestuy mien bureau ne
se joue mon argentier d’allonger les .ss.
Car coups de poing troteroient en face. Voyez



31
Voyez moy davant & darriere: c’est la for-
me d’une Toge, antique habillement des
Romains on temps de paix. J’en ay prins
la forme en la columne de Trajan a Ro-
me
, en l’arc triumphal aussi de Septimius
Severus
. Je suis las de guerre: las des saiges
& hocquetons. J’ay les espaules toutes u-
sées a force de porter harnois. Cessent les
armes, regnent les Toges. Au moins pour
toute ceste subsequente année si je suis ma-
rié, comme vous me allegastez hier par la
loy Mosaïque.


Au reguard du hault de chausses, ma
grande tante Laurence jadis me disoit,
qu’il estoit faict pour la braguette. Je le
croy, en pareille induction, que le gentil
falot Galen .lib. 9. de l’usage de nos mem-
bres, dict la teste estre faicte pour les oeilz.
Car nature eust peu mettre nos testes aux
genoulx ou aux coubtes: mais ordonnant
les oeilz pour descouvrir au loing, les fixa
en la teste comme en un baston au plus
haut du corps: comme nous voyons les
Phares & haultes tours sus les havres de
mer estre erigées, pour de loing estre veue
la lanterne. Et pource que je vouldrois
quelque espace de temps, un an pour le



[31v]
moins, respirer de l’art militaire, c’est a di-
re, me marier, je ne porte plus braguette,
ne par consequent hault de chausses. Car
la braguette est premiere piece de har-
noys pour armer l’home de guerre. Et
maintiens jusques au feu, (exclusivement
entendez) que les Turcs ne sont aptement
armez, veu que braguettes porter est cho
se en leurs loix defendue.


COMMENT LA BRA-
guette est premiere piece de har-
nois entre gens de guerre.

Chapitre VIII.


VOulez vous, dist Pantagruel,
maintenir que la braguette
est piece premiere de harnois
militaire? C’est doctrine
moult paradoxe & nouvelle.
Car nous disons que par esprons on com-
mence soy armer. Je le maintiens respon-
dit Panurge: & non a tord je le maintiens.
Voyez comment nature voulentvoulant les plantes,
arbres, arbrisseaulx, herbes, & Zoophytes
une fois par elle créez, perpetuer & durer
en toute succession de temps, sans jamais



32
deperir les especes, encores que les indi-
viduz perissent, curieusement arma leurs
germes & semences, es quelles consiste icel-
le perpetuité, & les a muniz & couvers
par admirable industrie de gousses, vagi-
nes, testz, noyaulx, calicules, coques, espiz,
pappes, escorces, echines poignans: qui
leurs sont comme belles & fortes braguet-
tes naturelles. L’exemple y est manifeste
en Poix, Febves, Faseolz, Noix, Alber-
ges, Cotton, Colocynthes, Bleds, Pavot,
Citrons, Chastaignes: toutes plantes ge-
neralement. Es quelles voyons aperte-
ment le germe & la semence plus estre cou
verte, munie, & armée, qu’autre partie d’i
celles. Ainsi ne pourveut nature a la per-
petuité de l’humain genre. Ains crea l’ho
me nud, tendre, fragile, sans armes ne of-
fensives, ne defensives, en estat d’inno-
cence & premier aage d’or, comme ani-
mant, non plante: comme animant (diz je)
né a paix non a guerre: animant né a jouis-
sance mirificque de tous fruictz & plantes
vegetables, animant né a domination paci-
ficque sus toutes bestes. Advenent la multi-
plication de malice entre les humains en suc
cession de l’aage de fer, & regne de Juppiter la



[32v]
la terre commença a produire Orties, Char-
dons, Espines, & telle autre maniere de
rebellion contre l’home entre les vegeta-
bles: d’autre part, presque tous animaulx
par fatale disposition se emanciperent de
luy, & ensemble tacitement conspirerent
plus ne le servir, plus ne luy obeir, en tant
que resister pourroient, mais luy nuire sce-
lon leur faculté & puissance. L’home a-
doncques voulentvoulant sa premiere jouissance
maintenir & sa premiere domination con-
tinuer: non aussi povant soy commode-
ment passer du service de plusieurs ani-
maulx, eut necessité soy armer de nouve-
au. Par la dive Oye guenet (s’escria Pan-
tagruel
) depuys les dernieres pluyes tu es
devenu grand lifrelofre, voyre dis je Phi-
losophe.


Considerez (dist Panurge) comment natu-
re l’inspira soy armer, & quelle partie de
son corps il commença premier armer. Ce
feut (par la vertus Dieu) la couille, & le bon
messer Priapus, quand eut faict ne la pria
plus. Ainsi nous le tesmoigne le capitaine
& philosophe Hebrieu Moses, affermant
qu’il se arma d’une brave & gualante bra-
guette, faicte par moult belle invention de feuil-



33
feueilles de figuier: lesquelles sont naïf-
ves, & du tout commodes en dureté, inci-
sure, frizure, polissure, grandeur, couleur,
odeur, vertus, & faculté pour couvrir &
armer couilles: Exceptez moy les hor-
rificques couilles de Lorraine, les quelles
a bride avalée descendent au fond des chaus-
ses, abhorrent le mannoir des braguettes
haultaines: & sont hors toute methode:
tesmoing Viardiere le noble Valentin, le-
quel un premier jour de May pour plus
guorgias estre, je trouvay a Nancy des-
crotant ses couilles extendues sus une ta-
ble comme une cappe a l’Hespaignole.
Doncques ne fauldra dorenavant dire, qui
ne vouldra improprement parler, quand
on envoyra le franc taulpin en guerre,
Saulve Tevot le pot au vin, c’est le cruon.
Il faut dire, Saulve Tevot le pot au laict,
ce sont les couilles: departezde par tous les dia-
bles d’enfer. La teste perdue, ne perist que
la persone: les couilles perdues, periroit
toute humaine nature. C’est ce que meut
le gualant Cl. Galen. lib. I. de spermate, a
bravement conclure, que mieulx (c’est a
dire moindre mal) seroit, poinct de coeur
n’avoir, que poinct n’avoir de genitoires. E



[33v]
Car la consiste comme en un sacresacré repo-
sitoire le germe conservatif de l’humain
lignage. Et croieroys pour moins de cent
francs, que ce sont les propres pierres,
moyenans les quelles Deucalion & Pyr-
rha
restituerent le genre humain aboly
par le deluge Poëtique. C’est ce qui meut
le vaillant Justinian lib. 4. de cagotis tol-
lendis, a mettre summum bonum in bra-
guibus & braguetis
.


Pour ceste & aultres causes le seigneur
de Merville
essayant quelque jour un har-
noys neuf, pour suyvre son Roy en guer-
re, (car du sien antique & a demy rouillé
plus bien servir ne se povoit, a cause que
depuys certaines années la peau de son
ventre s’estoit beaucoup esloingnée des roi-
gnons) sa femme consydera en esprit con-
templatif, que peu de soing avoit du pac-
quet & baston commun de leur mariage,
veu qu’il ne l’armoit que de mailles, &
feut d’advis qu’il le munist tresbien & ga-
bionnast d’un gros armet de joustes, lequel
estoit en son cabinet inutile. D’icelle sont
escriptz ces vers on tiers livre du Chia-
brena des pucelles.
Celle qui veid son mary tout armé, Fors



34
Fors la braguette aller a l’escarmouche,
Luy dist. Amy, de paour qu’on ne vous
touche,

Armez cela, qui est le plus aymé.
Quoy? tel conseil doibt il estre blasmé?
Je diz que non: Car sa paour la plus grande
De perdre estoit, le voyant animé,
Le bon morceau, dont elle estoit friande.
Desistez doncques, vous esbahir de ce nou-
veau mien acoustrement.


COMMENT PANURGE
se conseille a Pantagruel pour sça-
voir s’il se doibt marier.

Chapitre IX.


PAntagruel rien ne replicquant,
continua Panurge, & dist avec-
ques un profond souspir. Sei-
gneur vous avez ma delibera-
tion entendue, qui est me marier, si de mal
encontre n’estoient tous les trous fermez,
clous, & bouclez: je vous supply par l’a-
mour, que si long temps m’avez porté, di-
ctez m’en vostre advis. Puis (respondit Pan-
tagruel
) qu’une foys en avez jecté le dez,
& ainsi l’avez decreté, & prins en ferme
deliberation, plus parler n’en fault, reste E ij



[34v]
seulement la mettre a execution.


Voyre mais (dist Panurge) je ne la voul
drois executer sans vostre conseil & bon
advis. J’en suis (respondit Pantagruel) d’ad-
vis, & vous le conseille. Mais (dist Panur-
ge
) si vous congnoissiez, que mon meil-
leur feust tel que je suys demeurer, sans
entreprendre cas de nouvelleté, j’ayme-
rois mieulx ne me marier poinct. Poinct
doncques ne vous mariez, respondit Pan-
tagruel
. Voire mais (dist Panurge) voul-
driez vous qu’ainsi seulet je demeurasse tou
te ma vie sans compaignie conjugale? Vous
sçavez qu’il est escript, Veh soli. L’home
seul n’a jamais tel soulas qu’on veoyd en-
tre gens mariez. Mariez vous doncq de
par Dieu, respondit Pantagruel.


Mais si (dist Panurge) ma femme me
faisoit coqu, comme vous sçavez qu’il en
est grande année, ce seroit assez pour me
faire trespasser hors les gonds de patien-
ce. J’ayme bien les coquz, & me semblent
gens de bien, & les hante voluntiers: mais
pour mourir je ne le vouldroys estre.


C’est un poinct qui trop me poingt. Poinct
doncques ne vous mariez: (respondit Pan-
tagruel
) Car la sentence de Senecque est veri-



35
veritable hors toute exception. Ce qu’a
aultruy tu auras faict, soys certain qu’aul-
truy te fera. Dictez vous, demanda Pa-
nurge
, cela sans exception? Sans excep-
tion il le dict, respondit Pantagruel. Ho
ho (dist Panurge) de par le petit diable. Il
entend en ce monde, ou en l’aultre.


Voyre mais puis que de femme ne me
peuz passer en plus qu’un aveugle de ba-
ston (Car il faut que le virolet trote, aul-
trement vivre ne sçauroys) n’est ce le mi-
eulx que je me associe quelque honeste &
preude femme, qu’ainsi changer de jour
en jour avecques continuel dangier de
quelque coup de baston, ou de la verolle
pour le pire? Car femme de bien oncques
ne me feut rien. Et n’en desplaise a leurs
mariz. Mariez vous doncq de par Dieu,
respondit Pantagruel.


Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloit,
& advint que j’esposasse quelque femme
de bien, & elle me batist, je seroys plus
que tiercelet de Job, si je n’enrageois tout
vif. Car l’on m’ama dict, que ces tant femmes
de bien ont communement maulvaise
teste, aussi ont elles bon vinaigre en leur
mesnaige. Je l’auroys encores pire, & luy E iij



[35v]
batteroys tant & trestant sa petite oye, ce
sont braz, jambes, teste, poulmon, foye,
& ratelle: tant luy deschicqueterois ses
habillemens a bastons rompuz, que le grand
Diole en attendroit l’ame damnée a la por-
te. De ces tabus je me passerois bien pour
ceste année, & content serois n’y entrer
poinct. Poinct doncques ne vous mariez,
respondit Pantagruel.


Voire mais, dist Panurge, estant en estat
tel que je suis, quitte, & non marié. Notez
que je diz quitte en la male heure. Car e-
stant bien fort endebté, mes crediteurs ne
seroient que trop soingneux de ma pater-
nité. Mais quitte, & non marié, je n’ay per-
sonne qui tant de moy se souciast, & amour
tel me portast, qu’on dict estre amour con-
jugal. Et si par cas tombois en maladie,
traicté ne serois qu’au rebours. Le saige
dict. La ou n’est femme, j’entends merefa-
miles, & en mariage legitime, le malade
est en grand estrif. J’en ay veu claire expe-
rience en papes, legatz, cardinaulx, eves-
ques, abbez, prieurs, presbstres, & moines.
Or la jamais ne m’auriez. Mariez vous
doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.


Mais si, dist Panurge, estant malade & impo-



36
impotent au debvoir de mariage, ma fem
me impatiente de ma langueur, a aultruy
se abandonnoit, & non seulement ne me
secourust au besoing, mais aussi se moc-
quast de ma calamité, & (que pis est) me
desrobast, comme j’ay veu souvent adve-
nir: ce seroit pour m’achever de paindre,
& courir les champs en pourpoinct. Poinct
doncques ne vous mariez, respondit Pan-
tagruel
.


Voire mais, dist Panurge, je n’aurois
jamais aultrement filz ne filles legitimes,
es quelz j’eusse espoir mon nom & armes
perpetuer: es quelz je puisse laisser mes
heritaiges & acquestz, (j’en feray de be-
aulx un de ces matins, n’en doubtez, &
d’abondant seray grand retireur de ran-
tes) avecques les quelz je me puisse es-
baudir, quand d’ailleurs serois meshaigné,
comme je voys journellement vostre tant
bening & debonnaire pere faire avecques
vous, et font tous gens de bien en leur ser
rail & privé. Car quitte estant, marié non
estant, estant par accident fasché, en lieu
de me consoler, advis m’est que de mon
mal riez. Mariez vous doncq de par Dieu,
respondit Pantagruel.

E iiij




[36v]


COMMENT PANTAGRUEL
remonstre a Panurge difficile cho-
se estre le conseil de mariage,
& des sors Homeriques
& Virgilianes.


Chapitre X.


VOstre conseil (dist Panurge)
soubs correction, semble a la
chanson de Ricochet: Ce ne
sont que sarcasmes, mocque-
ries, & redictes contradictoi-
res. Les unes destruissentdestruisent les aultres. Je
ne sçay es quelles me tenir. Aussi (respondit
Pantagruel) en vos propositions tant y a de Si,
& de Mais, que je n’y sçaurois rien fonder
ne rien resouldre. N’estez vous asceuré de
vostre vouloir? Le poinct principal y gist:
tout le reste est fortuit, & dependent des
fatales dispositions du Ciel. Nous voy-
ons bon nombre de gens tant heureux
a ceste rencontre, qu’en leur mariage,
semble reluire quelque Idée & reprae-
sentation des joyes de paradis. Aul- tres



37
tres y sont tant malheureux, que les
Diables qui tentent les Hermites par les
desers de Thebaide & Monsserrat, ne le
sont d’adventaige. Il se y convient mettre
a l’adventure, les oeilz bandez, baissant la
teste, baisant la terre, & se recommandant
a Dieu au demourant, puys qu’une foys
l’onlon se y veult mettre. Aultre asceurance
ne vous en sçauroys je donner.


Or voyez cy que vous ferez, si bon
vous semble. Apportez moy les oeuvres
de Virgile, & par troys foys avecques l’on-
gle les ouvrans, explorerons par les vers
du nombre entre nous convenu, le sort
futur de vostre mariage. Car comme par
sors Homericques souvent on a rencon-
tré sa destinée. tesmoing Socrates, lequel
oyant en prison reciter ce metre de Ho-
mere
dict de Achilles 9. Iliad.

Ηματί κεν τριτάτω φθίην ερίβωλον ικοίμην.
Je parviendray sans faire long sejour,
En Phthie belle & fertile, au tiers jour.


praeveid qu’il mourroit le tiers subsequent
jour, & le asceura a AEschines: comme
escrivent Plato in Critone, Ciceron pri-
mo de diuinatione, & Diogenes Laertius.
Tesmoing Opilius Macrinus au quel cou



37v
voitant sçavoir s’il seroit Empereur de Ro-
me
advint en sort ceste sentence. 8. Iliad.
Ω γέρον η μάλα δη σε νέοι τείρουσι μαχηταί.
Ση δε βίη λέλυται, χαλεπον δέ σε γηρας οπάζει.

O home vieulx, les soubdars desormais
Jeunes & fors te lassent certes, mais
Ta vigueur est resolue, & vieillesse
Dure & moleste accourt & trop te pres-
se.


De faict il estoit ja vieulx, & ayant obte-
nu l’Empire seulement un an & deux
mois, feut par Heliogabalus jeune & puis
sant depossedé & occis. Tesmoing Brutus,
lequel voulant explorer le sort de la ba-
taille Pharsalicque, en laquelle il feut oc-
cis, rencontra ce vers dict de Patroclus,
Iliad. 16.

Αλλά με μοιρ ολοη καί Αητους εκτανεν υιος.

Par mal engroin de la Parce felone
Je feuz occis, & du filz de Latone.


C’est Apollo, qui feut pour mot du guet
le jour d’icelle bataille. Aussi par sors Vir
gilianes ont esté congneues anciennement
& preveues choses insignes, & cas de gran-
de importance: voire jusques a obtenir
l’empire Romain, comme advint a Ale-
xandre Severe
, qui rencontra en cesta ma niere



38
niere de sort ce vers escript, AEneid. 6.
Tu regere imperio populos Romane me-
mento
.

Romain enfant quand viendras a l’Em-
pire,

Regiz le monde en sorte qu’il n’empire.


Puys feut apres certaines années rea-
lement & de faict créé Empereur de Ro-
me
. En Adrian empereur Romain, lequel
estant en doubte & poine de sçavoir quel-
le opinion de luy avoit Trajan, & quel-
le affection il luy portoit, print advis par
sors Virgilianes, & rencontra ces vers,
AEneid. 6.
Quis procul ille autem ramis insignis o-
livae

Sacra ferens? nosco crines, incanaque
menta.

Regis Romani.

Qui est cestuy qui la loing en sa main,
Porte rameaulx d’olive, illustrement?
A son gris poil & sacre acoustrement,
Je recongnois l’antique Roy Romain.


Puys feut adopté de Trajan, & luy succe-
da a l’Empire.





[38v]

En Claude second empereur de Ro-
me
bien loué: au quel advint par sort ce
vers escript. 6. AEneid.
Tertia dum Latio regnantem viderit
aestas.

Lors que t’aura regnant manifesté
En Rome & veu tel le troizieme aesté.

de faict il ne regna que deux ans. A icel-
luy mesmes s’enquerant de son frere Quin-
tel
, lequel il vouloit prendre au gouver-
nement de l’Empire, advint ce vers. 6.
AEneid.
Ostendent terris hunc tantum fata.

Les Destins seulement le montreront es
terres. Laquelle chose advint. Car il feut
occis dix & sept jours apres qu’il eut le
maniment de l’Empire. Ce mesmes sort
escheut a l’empereur Gordian le jeune.
A Clode Albin soucieux d’entendre sa
bonne adventure advint ce qu’est escript.
AEneid. 6.
Hic rem Romanam magno turbante tu-
multu

Sistet eques, &c.

Ce chevalier grand tumulte advenent, L’estat



39
L’estat Romain sera entretenent.
Des Cartagiens victoires aura belles:
Et des Gaullois, s’ilz se montrent rebelles.


En D. Claude empereur predecesseur
de Aurelian, auquel se guementant de sa
posterité, advint ce vers en sort, AEneid. I.

His ego nec metas rerum, nec tempora
pono
.

Longue durée a ceulx cy je praetends,
Et a leurs biens ne metz borne ne temps.

Aussi eut il sucesseurs en longues gene-
alogies.


En M. Pierre Amy: quand il explora
pour sçavoir s’il eschapperoit de l’embus
che des Farfadetz, & rencontra ce vers,
AEneid. 3.
Heu fuge crudeles terras, fuge littus ava-
rum
.

Laisse soubdain ces nations Barbares,
Laisse soubdain ces rivages avares.

Puys eschappa de leurs mains sain & saul-
ve. Mille aultres, des quelz trop prolix se-
roit narrer les adventures advenues sce-
lon la sentence du vers par tel sort ren-
contré. Je ne veulx toutesfoys inferer, que
ce sort universellement soit infallible, af-



[39v]
fin que ne y soyez abusé.


COMMENT PANTA-
gruel
remonstre le sort des
dez estre illicite
.
Chapitre XI.


CE seroit (dist Panurge) plus
toust faict & expedié a troys
beaulx dez. Non, respondit
Pantagruel. Ce sort est abu-
sif, illicite, & grandement
scandaleux. Jamais ne vous y fiez. Le maul-
dict livre du passetemps des dez feut long
temps a inventé par le calumniateur enne-
my en Achaïe pres Boure: & davant la
statue de Hercules Bouraïque y faisoit ja-
dis, de praesent en plusieurs lieux faict,
maintes simples ames errer, & en ses lacz
tomber. Vous sçavez comment Gargantua
mon pere par tous ses royaulmes l’a defen
du, bruslé avecques les moules & pro-
traictz, & du tout exterminé, supprimé &
aboly, comme peste tresdangereuse. Ce
que des dez je vous ay dict, je diz semblab-
lement des tales. C’est sort de pareil abus.
Et ne m’alleguez au contraire le fortuné ject



40
ject des tales que feit Tibere dedans la
fontaine de Apone a l’oracle de Gerion.
Ce sont hamessons par les quelz le calum
niateur tire les simples ames a perdition
eternelle.


Pour toutesfoys vous satisfaire, bien suys
d’advis que jectez troys dez sus ceste ta-
ble. Au nombre des poinctz advenens nous
prendrons les vers du feueillet que aurez
ouvert. Avez vous icy dez en bourse?
Pleine gibbessiere, respondit Panurge.
C’est le verd du Diable, comme expose
Merl.Merlinus Coccaius libro secundo de patria
Diabolorum
. Le Diable me prendroit sans
verd, s’il me rencontroit sans dez. Les dez feu
rent tirez & jectez, & tomberent es poinctz
de cinq, six, cinq. Ce sont dist,Ce sont, dist Panurge,
seze. Prenons les vers seziemes du feueillet.
Le nombre me plaist. & croy que nos ren
contres seront heureuses. Je me donne a
traver tous les Diables, comme un coup
de boulle a travers un jeu de quilles, ou
comme un coup de canon a travers un
bataillon de gens de pied: guare Diables
qui vouldra, en cas que autant de foys
je ne belute ma femme future la premi-
ere nuyct de mes nopces. Je ne en fays



[40v]
doubte, respondit Pantagruel, ja besoing
n’estoit en faire si horrificque devotion.
La premiere foys sera une faulte, & vaul-
dra quinze: au desjucher vous l’amende-
rez: par ce moyen seront seze. Et ainsi
(dist Panurge) l’entendez? Oncques ne
feut faict soloecisme par le vaillant cham-
pion, qui pour moy faict sentinelle au
bas ventre. Me avez vous trouvé en la con
frairie des faultiers? Jamais, jamais, au
grand fin jamais. Je le fays en pere & en
beat pere sans faulte. J’en demande aux
joueurs.


Ces parolles achevées feurent aportez
les oeuvres de Virgile. Avant les ouvrir,
Panurge dist a Pantagruel. Le coeur me
bat dedans le corps comme une mitaine.
Touchez un peu mon pouls en ceste ar-
tere du braz guausche. A sa frequence &
elevation vous diriez qu’on me pelaude
en tentative de Sorbone. Seriez vous
poinct d’avis, avant proceder oultre, que
invocquions Hercules, & les déesses Te-
nites, les quelles on dict praesider en la
chambre des Sors? Ne l’un (respondit
Pantagruel) ne les aultres. Ouvrez seule-
ment avec l’ongle.

COM-




41


COMMENT PANTA-
gruel
explore par sors Virgilia-
nes, quel sera le mariage
de Panurge
.

Chapitre XII.


ADoncques ouvrant Panur-
ge
le livre, rencontra on ranc
sezieme ce vers.
Nec Deus hunc mensa, Dea
nec dignata cubili est
.

Digne ne feut d’estre en table du Dieu,
Et n’eut on lict de la Déesse lieu.


Cestuy (dist Pantagruel) n’est a vostre
adventaige. Il denote que vostre femme
sera ribaulde, vous coqu par consequent.
La Déesse que ne aurez favorable, est
Minerve vierge tresredoubtée, Déesse
puissante, fouldroiante, ennemie des co-
quz, des muguetz, des adulteres: enne-
mie des femmes lubricques, non tenentes
la foy promise a leurs mariz, & a aultruy
soy abandonnantes. Le Dieu est Juppi-
ter
tonnant, & fouldroyant des cieulx.
Et noterez par la doctrine des anciens E-
thrusques, que les manubies (ainsi appel- F



[41v]
loient ilz les jectz des fouldres Vulcanic-
ques) competent a elle seulement: exem-
ple de ce feut donné en la conflagration
des navires de Ajax Oileus, & a Juppiter
son pere capital. A aultres dieux Olym-
picques n’est licite fouldroier. Pourtant
ne sont ilz tant redoubtez des humains.
Plus vous diray. & le prendrez comme
extraict de haulte mythologie. Quand
les Geantz entreprindrent guerre contre
les Dieux: les Dieux au commencement
se mocquerent de telz ennemis, & disoient
qu’il n’y en avoit pas pour leurs pages.
Mais quand ilz veirent par le labeur des
Geantz le mons Pelion posé dessus le mons
Osse
, & ja esbranlé le mons Olympe pour
estre mis au dessus des deux, feurent tous
effrayez. Adoncques tint Juppiter cha-
pitre general. La feut conclud de tous les
Dieux, qu’ilz se mettroient vertueuse-
ment en defence. Et pource qu’ilz avoient
plusieurs foys veu les batailles perdues
par l’empeschement des femmes qui e-
stoient parmy les armées, feut decreté,
que pour l’heure on chasseroit des cieulx
en AEgypte & vers les confins du Nil, tou
te ceste vessaille des Déesses desguisées en Beletes,



42
Beletes, Fouines, Ratepenades, Muserai-
gnes, & aultres Metamorphoses. Seule Mi
nerve
feut de retenue pour fouldroier a-
vecques Juppiter, comme Déesse des le-
tres & de guerre. de conseil & execution:
Déesse née armée, Déesse redoubtée on
ciel, en l’air, en la mer, & en terre.


Ventre guoy (dist Panurge) seroys je
bien Vulcan, duquel parle le poëte? Non.
Je ne suys ne boiteux, ne faulx monnoieur,
ne forgeron, comme il estoit. Par ad-
venture ma femme sera aussi belle & ad-
venente comme sa Venus: mais non ribaul
de comme elle: ne moy coqu comme luy.
Le villain jambe torte se feist declairer co
qu par arrest & en veute figure de tous les
Dieux. Pource entendez au rebours.
Ce sort denote que ma femme sera preu-
de, pudicque, & loyalle, non mie armée, re-
bousse, ne ecervelée & extraicte de cervel
le, comme Pallas: & ne me sera corrival
ce beau Juppin, & ja ne saulsera son pain
en ma souppe, quand ensemble serions a
table. Considerez ses gestes & beaulx
faictz. Il a esté le plus fort ruffien &
plus infame Cor, je diz Bordelier, qui
oncques feut: paillard tousjours comme F ij



[42v]
un Verrat: aussi feut il nourry par une
Truie en Dicte de Candie, si Agathocles
Babylonien ne ment: & plus boucquin
que n’est un Boucq: aussi disent les au-
tres, qu’il feut alaicté d’une chevre Amal-
thée
. Vertus de Acheron il belina pour
un jour la tierce partie du monde, bestes
& gens, fleuves & montaignes: ce feut
Europe. Pour cestuy belinaige les Am-
moniens le faisoient protraire en figure
de belier belinant, belier cornu. Mais je
sçay comment guarder se fault de ce cor-
nart. Croyez qu’il n’aura trouvé un sot
Amphitrion, un niais Argus avecques ses
cent bezicles: un couart Acrisius, un lan-
ternier Lycus de Thebes, un resveur A-
genor
, un Asope phegmaticq, un Lycha-
on
patepelue, un modourre Corytus de
la Toscane, un Atlas a la grande eschine.
Il pourroit cent & cent foys se transfor-
mer en Cycne, en Taureau, en Satyre,
en Or, en Coqu, comme feist quand il de-
pucella Juno sa soeur: en Aigle, en Belier,
en Pigeon comme feist estant amoureux
de la pucelle Phthie, laquelle demouroit
en AEgie: en Feu, en Serpent, voire certes
en Pusse, en Atomes Epicureicques, ou magistro-



43
magistronostralement en secondes inten
tions. Je le vous grupperay au cruc. Et sça
vez que luy feray? Corbieu ce que feist
Saturne au Ciel son pere. Senecque la de
moy predict, & Lactance confirmé. Ce
que Rhea feist a Athys. Je vous luy coup-
peray les couillons tout rasibus du cul. Il
ne s’en fauldra un pelet. Par ceste raison
ne sera il jamais Pape, car testiculos non
habet
. Tout beau fillol (dist Pantagruel)
tout beau. Ouvrez pour la seconde foys.
Lors rencontra ce vers.
Membra quatit, gelidusque coït formi-
dine sanguis.

Les os luy rompt, & les membres luy
casse:

Dont de la paour le sang on corps luy
glasse.


Il denote (dist Pantagruel) qu’elle vous
battera dos & ventre. Au rebours (re-
spondit Panurge) C’est de moy qu’il pro-
gnosticque, & dict, que je la batteray en
Tigre si elle me fasche. Martin baston en
fera l’office. En faulte de baston, le Dia-
ble me mange, si je ne la mangeroys tou-
te vive: comme la sienne mangea Cam- F iij



[43v]
bles
roy des Lydiens. Vous estez (dist Pan
tagruel
) bien couraigeux. Hercules ne
vous combatteroit en ceste fureur: mais
c’est ce que l’on dict, que le Jan en vault
deux. & Hercules seul n’auza contre deux
combattre. Je suis Jan? dist Panurge. Rien,
rien, respondit Pantagruel. Je pensois au
jeu dude l’ourche & tricquetrac. Au tiers
coup rencontra ce vers.
Foemineo praedae & spoliorum ardebat a-
more
.

Brusloit d’ardeur en feminin usaige
De butiner, & robber le baguaige.


Il denote (dist Pantagruel) qu’elle vous
desrobera. Et je vous voy bien en poinct,
scelon ces troys sors. Vous serez coqu,
vous serez batu, vous serez desrobbé. Au
rebours, (respondit Panurge) ce vers de-
note, qu’elle m’aymera d’amour perfaict.
Oncques n’en mentit le Satyricque, quand
il dist: que femme bruslant d’amour su-
preme, prent quelques foys plaisir a des-
robber son amy. Sçavez quoy? Un guand,
une aiguillette, pour la faire chercher.
Peu de chose, rien d’importance. Pareille-
ment ces petites noisettes, ces riottes qui par



44
par certain temps sourdent entre les a-
mans, sont nouveaulx refraischissemens,
& aiguillons d’amour. Comme nous voy-
ons par exemple les coustelleurs leurs
coz quelques foys marteler, pour mieulx
aiguiser les ferremens. C’est pourquoy je
prens ces troys sors a mon grand adven-
taige. Aultrement j’en appelle. Appeller
(dist Pantagruel) jamais on ne peult des
jugemens decidez par Sort & Fortune,
comme attestent nos antiques Juriscon-
sultes: & le dict Balde. L. ult. C. de leg.
La raison est: pource que Fortune ne re-
congnoist poinct de superieur, auquel
d’elle & de ses sors on puisse appeller. Et
ne peult en ce cas le mineur estre en son
entier restitué, comme apartement il dict
in L. Ait praetor. §. ult. ff. de minor.


COMMENT PANTA-
gruel
conseille Panurge prevoir
l’heur ou malheur de son
mariage par
songes.
F iiij



[44v]
Chapitre XIII.


OR puys que ne convenons
ensemble en l’exposition des
sors Virgilianes, prenons aul-
tre voye de divination. Quel-
le? (demanda Panurge), Bon-
ne, (respondit Pantagruel) antique, & au-
thenticque, c’est par songes. Car en songeant
avecques conditions les quelles descrivent
Hippocrates lib. Περί ενυπνιων, Platon, Plo-
tin
, Jamblicque, Synesius, Aristoteles, Xe-
nophon
, Galen, Plutarche, Artemido-
rus Daldianus
, Herophilus, Q. Calaber,
Theocrite, Pline, Athenaeus, & aultres, l’a-
me souvent prevoit les choses futures. Ja
n’est besoing plus au long vous le prou-
ver. Vous l’entendez par exemple vul-
guaire, quand vous voyez lors que les en-
fans bien nettiz, bien repeuz, & alaictez,
dorment profondement, les nourrices s’en
aller esbatre en liberté, comme pour icel-
le heure licentiées a faire ce que vouldront.
car leur presence autour du bers semble-
roit inutile. En ceste façon nostre ame
lors que le corps dort, & que la concocti-
on est de tous endroictz parachevée, rien
plus n’y estant necessaire jusques au re- veil,



45
veil, s’esbat & reveoit sa patrie, qui est le
ciel. De la reçeoit participation insigne
de sa prime & divine origine, & en con-
templation de ceste infinie & intellectua-
le sphaere, le centre de laquelle est en chas
cun lieu de l’univers, la circunference poinct
(c’est Dieu scelon la doctrine de Hermes
trismegistus) a laquelle rien ne advient,
rien ne passe, rien ne dechet, tous temps
sont praesens: note non seulement les cho
ses passées en mouvemens inferieurs, mais
aussi les futures: & les raportent a son
corps, & par les sens & organes d’icelluy
les exposant aux amis, est dicte vaticina-
trice & prophete. Vray est qu’elle ne les
raporte en telle syncerité, comme les avoit
veues, obstant l’imperfection & fragilité
dedes sens corporelz: comme la Lune rece-
vant du Soleil sa lumiere, ne nous la com
municque telle, tant lucide, tant pure, tant
vive & ardente comme l’avoit receue.
Pourtant reste a ces vaticinations som-
niales interprete, qui soit dextre, saige, in-
dustrieux, expert, rational, & absolu O-
nirocrites, & Oniropole. ainsi sont appel-
lez des Graecs. C’est pourquoy Heraclitus
disoit rien par songe ne nous estre exposé,



[45v]
rien aussi ne nous estre celé: seulement
nous estre donnée signification & in-
dice des choses advenir ou pour l’heur &
malheur nostre, ou pour l’heur & mal-
heur d’aultruy. Les sacres lettres le tesmoi
gnent, les histoires prophanes l’asceurent:
nous exposant mille cas advenuz scelon
les songes tant de la persone songeante,
que d’aultruy pareillement. Les Atlantic-
ques & ceulx qui habitent en l’isle de Tha-
sos
l’une des Cyclades, sont privez de ce-
ste commodité, on pays desquelz jamais
persone ne songea. Aussi feurent Cleon
de Daulie
, Thrasymedes, & de nostre temps
le docte Villanovanus François, les quelz
oncques ne songerent. Demain doncques
sus l’heure que la joyeuse Aurore aux
doigtz rosatz dechassera les tenebres no-
cturnes, adonnez vous a songer parfonde-
ment. Ce pendent despouillez vous de tou-
te affection humaine: d’amour, de haine,
d’espoir, & de craincte. Car comme jadis
le grand vaticinateur Proteus estant desgui-
sé & transformé en feu, en eau, en tigre,
en dracon, & aultres masques estranges,
ne praedisoit les choses advenir: pour les
praedire force estoit, qu’il feust restitué en sa propre



46
sa propre & naïfve forme: aussi ne peult
l’home recepvoir divinité, & art de va-
ticiner, sinon lorsque la partie qui en
luy plus est divine (c’est Νους & Mens)
soit coye, tranquille, paisible, non occu-
pée ne distraicte par passions & affections
foraines.


Je le veulx, dist Panurge. Fauldra il peu
ou beaucoup soupper a ce soir? Je ne le
demande sans cause. Car si bien & large-
ment je ne souppe, je ne dors rien qui vail-
le, la nuict ne foys que ravasser, & autant
songe creux que pour lors estoit mon ven-
tre. Poinct soupper (respondit Pantagruel)
seroit le meilleur, attendu vostre bon en
poinct & habitude.Amphiaraus va-
ticinateur antique vouloit ceulx qui par
songes recepvoient ses oracles, rien tout
celluy jour ne manger, & vin ne boy-
re troys jours davant. Nous ne userons
de tant extreme, & riguoreuse diaete.
Bien croy je l’home replet de viandes
& crapule, difficillement concepvoir no-
tice des choses spirituelles: ne suys tou-
tesfois en l’opinion de ceulx qui apres longs
& obstinez jeusnes cuydent plus avant en-
trer en contemplation des choses celestes.



[46v]
Souvenir assez vous peut comment Gar-
gantua
mon pere (lequel par honneur je
nomme) nous a souvent dict les escriptz
de ces hermites jeusneurs autant estre fa-
des, jejunes, & de maulvaise salive, com-
me estoient leurs corps lors qu’ilz compo-
soient: & difficile chose estre, bons & se-
rains rester les espritz, estant le corps en in-
anition: veu que les Philosophes & Medi-
cins afferment les espritz animaulx sour-
dre, naistre, & practicquer par le sang arte-
rial purifié & affiné a perfection dedans le
retz admirable, qui gist soubs les ventri-
cules du cerveau. Nous baillans exemple
d’un Philosophe, qui en solitude pensant
estre, & hors la tourbe pour mieulx com-
menter, discourir, & composer: ce pendent
toutesfoys au tour de luy abayent les chiens,
ullent les loups, rugient les Lyons, han-
nissent les chevaulx, barrient les elephans,
siflent les serpens, braislent les asnes, son-
nent les cigalles, lamentent les tourterel-
les: c’est a dire plus estoit troublé, que s’il
feust a la foyre de Fontenay, ou Niort: car
la faim estoit on corps: pour a laquelle
remedier, abaye l’estomach, la veue es-
blouist, les venes sugcent de la propre sub- stance



47
stance des membres carniformes: & reti-
rent en bas cestuy esprit vaguabond, negli-
gent du traictement de son nourrisson &
hoste naturel, qui est le corps: comme si
l’oizeau sus le poing estant vouloit en l’aër
son vol prendre, & incontinent par les lon
ges seroit plus bas deprimé. Et a ce pro-
pous nous alleguant l’auctorité de Homere
pere de toute Philosophie, qui dict les
Gregeoys lors, non plus tost, avoir mis a
leurs larmes fin du dueil de Patroclus le
grand amy de Achilles, quand la faim se
declaira, & leurs ventres protesterent plus
de larmes ne les fournir. Car en corps ex-
inaniz par long jeusne plus n’estoit dequoy
pleurer & larmoier. Mediocrité est en
tous cas louée: & icy la maintiendrez.
Vous mangerez a soupper non febves, non
lievres, ne aultre chair, non Poulpre (qu’on
nomme Polype) non choulx, ne aultres
viandes qui peussent vos espritz animaulx
troubler & obfusquer. Car comme le mi-
rouoir ne peult repraesenter les simula-
chres des choses objectées & a luy expo-
sées, si sa polissure est par halaines ou temps
nubileux obfusquée, aussi l’esprit ne rece-
oit les formes de divination par songes,



[47v]
si le corps est inquieté & troublé par les
vapeurs & fumées des viandes praeceden-
tes, a cause de la sympathie, laquelle est
entre eulx deux indissoluble. Vous man-
gerez bonnes poyres Crustumenies, & Ber
guamottes, une pome de Court pendu,
quelques pruneaulx de Tours, quelques
Cerizes de mon verger. Et ne sera pour-
quoy doibvez craindre que vos songes en
proviennent doubteux, fallaces, ou sus-
pectz, comme les ont declairez aulcuns Peri-
pateticques on temps de Automne: lors sça-
voir est que les humains plus copieusement
usent de fructaiges qu’en aultre saison. Ce
que les anciens prophetes & poëtes my-
sticquement nous enseignent, disans les
vains & fallacieux songes gesir & estre ca
chez soubs les fueilles cheutes en terre.
Par ce qu’en Automne les fueilles tombent
des arbres. Car ceste ferveur naturelle la-
quelle abonde es fruictz nouveaulx, & la-
quelle par son ebullition facillement eva-
pore es parties animales (comme nous voy-
ons faire le moust) est long temps a, expi-
rée & resolue. Et boyrez belle eau de ma
fontaine. La condition (dist Panurge) m’est
quelque peu dure. Je y consens toutesfoys. Couste



48
Couste & vaille. Protestant desjeuner de-
main a bonne heure, incontinent apres
mes songeailles. Au surplus je me recom-
mende aux deux portes de Homere, a Mor-
pheus
, a Icelon, a Phantasus & Phabetor.
Si au besoing ilz me secourent, je leurs e-
rigeray un aultel joyeulx tout composé de
fin dumet. Si en Laconie j’estois dedans le
temple de Ino entre Oetyle & Thalames,
par elle seroit ma perplexité resolüe en
dormant a beaulx & joyeulx songes.


Puys demanda a Pantagruel. Seroit
ce poinct bien faict si je mettoys dessoubs
mon coissin quelques branches de Laurier.
Il n’est (respondit Pantagruel) ja besoing.
C’est chose superstitieuse: & n’est que a-
bus ce qu’en escript Serapion Ascaloni-
tes
, Antiphon, Philochorus, Artemon, &
Fulgentius Placiades. Autant vous en diroys
je de l’espaule guausche du Cocrodile &
du Chameleon, sauf l’honneur du vieulx De-
mocrite
. Autant de la pierre des Bactrians
nommée Eumetrides. Autant de la corne de
Hammon. Ainsi nomment les AEthiopiens une
pierre precieuse a couleur d’or & forme
d’une corne de belier, comme est la corne
de Juppiter Hammonien: affirmans autant estre



[48v]
vrays & infallibles les songes de ceulx
qui la portent, que sont les oracles divins.
Par adventure est ce que escrivent Home-
re
& Virgile des deux portes de songe, es
quelles vous estes recommendé. L’une est
de Ivoyre, par laquelle entrent les songes
confus, fallaces, & incertains, comme a
travers l’ivoire, tant soit deliée que voul-
drez, possible n’est rien veoir: sa densité &
opacité empesche la penetration des es-
pritz visifz & reception des especes visi-
bles. L’aultre est de corne, par laquelle
entrent les songes certains, vrays, & in-
fallibles, comme a travers la corne par sa
resplendeur & diaphaneïté apparoissent
toutes especes certainement & distincte-
ment. Vous voulez inferer (dist Frere Jan)
que les songes des coquz cornuz, comme
sera Panurge, Dieu aydant & sa femme,
sont tousjours vrays & infallibles.


LE SONGE DE PA-
nurge
& interpretation
d’icelluy.

Chapitre XIIII.





5149


SUs les sept heures du matin
subsequent Panurge se praesen-
ta davant Pantagruel, estans
en la chambre Epistemon, frere
Jan des entommeures
, Ponocrates, Eude-
mon
, Carpalim, & aultres: es quelz a la
venue de Panurge dist Pantagruel. Voyez
cy nostre songeur. Ceste parolle, dict Epi-
stemon
, jadis cousta bon, & feut cherement
vendue es enfans de Jacob. Adoncques
dist Panurge, j’en suys bien ches Guillot
le songeur. J’ay songé tant & plus, mais
je n’y entends note. Exceptez que par mes
songeries j’avoys une femme jeune, gua-
lante, belle en perfection: laquelle me
traictoit & entretenoit mignonnement,
comme un petit dorelot. Jamais home ne
feut plus aise, ne plus joyeulx. Elle me
flattoit, me chatouilloit, me tastonnoit,
me testonnoit, me baisoit, me accolloit, &
par esbattement me faisoit deux belles pe
tites cornes au dessus du front. Je luy re-
monstroys en folliant qu’elle me les deb-
voit mettre au dessoubz des oeilz, pour
mieulx veoir ce que j’en vouldroys ferir:
affin que Momus ne trouvast en elle cho-
se aulcune imperfaicte, & digne de corre- G



[49v]
ction, comme il feist en la position des cor-
nes bovines. La follastre non obstant ma
remonstrance me les fischoyt encore plus
avant. Et en ce ne me faisoit mal quicon-
ques, qui est cas admirable. Peu apres me
sembla que je feuz ne sçay comment trans-
formé en tabourin, & elle en Chouette.
La feut mon sommeil interrompu, & en
sursault me resveiglay tout fasché, per-
plex, & indigné. Voyez la une belle plate-
lée de songes, faictez grand chere la des-
sus. Et l’exposez comme l’entendez. Allons
desjeuner Carpalim.


J’entends (dist Pantagruel) si j’ay ju-
gement aulcun en l’art de divination par son-
ges, que vostre femme ne vous fera reale-
ment & en apparence exterieure cornes
on front, comme portent les Satyres: mais
elle ne vous tiendra foy ne loyaulté conju-
galle, ains a aultruy se abandonnera, & vous
fera coqu. Cestuy poinct est apertement
exposé par Artemidorus comme le diz.
Aussi ne sera de vous faicte metamorpho-
se en tabourin, mais d’elle vous serez bat-
tu comme tabour a nopces: ne d’elle en
Chouette: mais elle vous desrobbera, com-
me est le naturel de la chouette. Et voyez vos



50
vos songes conformes es sors Virgilianes.
Vous serez coqu: vous serez battu: vous
serez desrobbé. La s’escria frere Jan, &
dist. Il dict par Dieu vray, tu seras coqu
home de bien, je t’en asceure: tu auras bel
les cornes. Hay, hay, hay, nostre maistre
de cornibus
, Dieu te guard, faiz nous deux
motz de praedication, & je feray la que-
ste parmy la paroece.


Au rebours (dist Panurge) mon songe pre-
sagist qu’en mon mariage, j’auray planté de
tous biens, avecques la corne d’abondance.
Vous dictez que seront cornes de Satyres.
Amen, amen, fiat, fiatur, ad differentiam papae.
Ainsi auroys je eternellement le virolet en
poinct & infatiguable, comme l’ont les Sa-
tyres. Chose que tous desirent, & peu de
gens l’impetrent des cieulx. Par consequent,
coqu jamais. car faulte de ce est cause sans
laquelle non, cause unicque, de faire les mariz
coquz. Qui faict les coquins mandier? C’est
qu’ilz n’ont en leurs maisons dequoy leur
sac emplir. Qui faict le loup sortir du bois?
Default de carnage. Qui faict les femmes ri
bauldes? Vous m’entendez assez. J’en demande
a messieurs les clers, a messieurs les prae-
sidens, conseilliers, advocatz, proculteurs & G ij



[50v]
aultres glossateurs de la venerable rubric-
que de frigidis & maleficiatis.


Vous (pardonnez moy si je mesprens)
me semblez evidentement errer interpre-
tant cornes pour cocuage. Diane les por-
te en teste a forme de beau croissant. Est
elle coqüe pourtant? Comment diable se-
royt elle coqüe, qui ne feut oncques ma-
riée? Parlez de grace correct, craignant
qu’elle vous en face au patron que feist a
Acteon. Le bon Bacchus porte cornes sem
blablement: Pan: Juppiter Ammonien,
tant d’aultres. Sont ils coquz? Juno seroit
elle putain? Car il s’ensuivroyt par la fi-
gure dicte Metalepsis. Comme appellant
un enfant en praesence de ses pere & mere,
champis ou avoistre, c’est honestement,
tacitement dire le pere coqu, & sa femme
ribaulde. Parlons mieulx. Les cornes que
me faisoit ma femme, sont cornes d’a-
bondance, & planté de tous biens. Je le
vous affie. Au demourant je seray joyeulx
comme un tabour a nopces, tousjours son-
nant, tousjours ronflant, tousjours bour-
donnant & petant. Croyez que c’est l’heur
de mon bien. Ma femme sera coincte &
jolie: comme une belle petitte Chouette. Qui



5351
Qui ne le croid, d’enfer aille au gibbet.
Noel nouvelet.


Je note (dist Pantagruel) le poinct der-
nier que avez dict[unclear], & le confere avecques
le premier. Au commencement vous estiez
tout confict en delices de vostre songe. En
fin vous esveiglastez en sursault fasché,
perplex, & indigné. (Voire, dist Panurge,
car je n’avoys poict dipné) Tout ira en de
solation, je le prevoy. Sçaichez pour vray,
que tout sommeil finissant en sursault, &
laissant la persone faschée & indignée, ou
mal signifie, ou mal praesagist. Mal signi-
fie, c’est a dire maladie cacoethe, maligne,
pestilente, oculte, & latente dedans le
centre du corps. laquelle par sommeil,
qui tousjours renforce la vertus concoctri
ce (scelon les theoremes de medicine) com-
menceroit soy declairer, & mouvoir vers
la superficie. Au quel triste mouvement
seroyt le repous dissolu, & le premier sen-
sitif admonnesté de y compatir & pour-
veoir. Comme en proverbe lon dict, irri-
ter les freslons, mouvoir la Camarine, es-
veigler le chat qui dort. Mal praesagist,
c’est a dire, quant au faict de l’ame en ma-
tiere de divination somnialle, nous donne G iij



[51v]
entendre que quelque malheur y est de-
stiné & preparé, lequel de brief sortira en
son effect. Exemple on songe & resveil
espovantable de Hecuba. On songe de Eu-
rydice
femme de Orpheus, lequel par-
faict, les dict Ennius s’estre esveiglées en
sursault & espovantées. Aussi apres veid
Hecuba son mary Priam, ses enfans, sa pa
trie occis & destruictz: Eurydice bien tost
apres mourut miserablement. En AEneas
songeant qu’il parloit a Hector defunct:
soubdain en sursault s’esveiglant. Aussi
feut celle propre nuict Troie sacagée &
bruslée. Aultre foys songeant qu’il veoyt
ses dieux familiers & Penates, & en espou
vantement s’esveiglant, patit au subsequent
jour horrible tormente sus mer. En Tur-
nus
, lequel estant incité par vision phan-
tasticque de la furie infernale a commen-
cer guerre contre AEneas, s’esveigla en sur-
sault tout indigné: puis feut apres longues
desolations occis par icelluy AEneas. Mil-
le aultres. Quand je vous compte de AE-
neas
, notez que Fabius pictor dict rien par
luy n’avoir esté faict ne entreprins, rien
ne luy estre advenu, que preallablement
il n’eust congneu & praevu par divina- tion



52
tion somniale. Raison ne default es exem-
ples. Car si le sommeil & repous est don
& benefice special des Dieux, comme
maintiennent les philosophes, & atteste le
poete disant.
Lors l’heure estoit, que sommeil, don des
Cieulx,

Vient aux humains fatiguez, gracieux.


Tel don en fascherie & indignation
ne peut estre terminé, sans grande infeli-
cité praetendue. Aultrement seroit repous
non repous: don non don: Non des dieux
amis provenent, mais des diables ennemis,
jouxte le mot vulgaire εχθρων άδωρα δωρα.
Comme si le perefamiles estant a table o-
pulente, en bon appetit, au commencement
de son repas, on voyoid en sursault espou-
venté soy lever. Qui n’en sçauroit la cau-
se s’en pourroit esbahir. Mais quoy? il a-
voit ouy ses serviteurs crier au feu: ses ser-
vantes crier au larron: ses enfans crier au
meurtre. La failloit le repas laisse accou-
rir, pour y remedier, & donner ordre.
Vrayement je me recorde, que les Caballi-
stes & Massorethz interpretes des sacres
letres, exposans en quoy lon pourroit par
discretion congnoistre la verité des appari- G iiij



[52v]
tions angelicques (car souvent l’Ange de
Sathan se transfigure en Ange de lumie-
re) disent la difference de ces deux estre en
ce, que l’Ange bening & consolateur ap-
paroissant a l’home, l’espovante au com-
mencement, le console en la fin, le rend
content & satisfaict: l’Ange maling &
seducteur au commencement resjouist
l’home, en fin le laisse perturbé, fasché &
perplex.


EXCUSE DE PANURGE,
& exposition de Caballe monastic-
que en matiere de beuf sallé.

Chapitre XV.


DIeu (dist Panurge) guard de
mal qui void bien & n’oyt
goutte. Je vous voy tresbien,
mais je ne vous oy poinct.
Et ne sçay que dictez. Le
ventre affamé n’a poinct d’aureilles. Je
brame par Dieu de male rage de faim. J’ay
faict courvée trop extraordinaire. Il fera
plus que maistre mousche, qui de cestuy
an me fera estre de songeailles. Ne souper
poinct de par le Diable? Cancre. Allons frere Jan



5553
Jan
desjeuner. Quand j’ay bien a poinct
desjeuné, & mon stomach est bien a poinct
affené & agrené, encores pour un besoing
& en cas de necessité me passeroys je de
dipner. Mais ne soupper poinct? Cancre.
C’est erreur. C’est scandale en nature. Na
ture a faict le jour pour soy exercer, pour
travailler & vacquer chascun en sa neguo-
ciation: & pour ce plus aptement faire,
elle nous fournist de chandelle, c’est la
claire & joyeuse lumiere du Soleil. Au
soir elle commence nous la tollir: & nous
dict tacitement. Enfans vous estez gens
de bien. C’est assez travaillé. La nuyct
vient: il convient cesser du labeur: & soy
restaurer par bon pain, bon vin, bonnes
viandes: puys soy quelque peu esbaudir,
coucher, & reposer, pour au lendemain
estre frays & alaigres au labeur comme
davant. Ainsi font les Faulconniers. quand
ilz ont peu leurs oizeaulx, ilz ne les font
voler sus leurs guorges: ilz les laissent en-
duire sus la perche. Ce que tresbien enten
dit le bon Pape premier instituteur des
jeusnes. Il ordonna qu’on jeusnast jusques
a l’heure de Nones. le reste du jour feut
mis en liberté de repaistre. On temps ja-



[53v]
dis peu de gens dipnoient, comme vous
diriez les moines & chanoines, aussi bien
n’ont ilz aultre occupation, tous les jours
leur sont festes: & observent diligem-
ment un proverbe claustral, de missa ad
mensam
: & ne differeroient seulement
attendans la venue de l’Abbé, pour soy
enfourner a table: la en baufrant atten-
dent les moines l’Abbé, tant qu’il voul-
dra, non aultrement ne en aultre condi-
tion: mais tout le monde souppoit, exce-
ptez quelques resveurs songears, dont est
dicte la cene comme coene, c’est a dire a
tous commune. Tu le sçaiz bien frere Jan.
Allons mon amy de par tous les Diables
allons. Mon stomach abboye de male faim
comme un Chien. Jectons luy force soup-
pes en gueule pour l’appaiser: a l’exem-
ple de la Sibylle envers Cerberus. Tu ay-
mes les souppes de prime: plus me plai-
sent les souppes de Levrier, associées de
quelque piece de laboureur sallé a neuf
leçons.


Je te entends (respondit frere Jan). Ceste
metaphore est extraicte de la marmite
claustrale. Le laboureur, c’est le beuf, qui
laboure ou a labouré: a neuf leçons, c’est a dire



54
a dire cuyct a perfection. Car les bons pe-
res de religion par certaine Caballistic-
que institution des anciens, non escripte,
mais baillée de main en main soy levans,
de mon temps, pour matines, faisoient cer-
tains praeambules notables avant entrer
en l’eclise. Fiantoient aux fiantouoirs, pis-
soient aux pissouoirs, crachoient aux cra-
chouoirs, toussoient aux toussouoirs me-
lodieusement, resvoient aux resvoirs, affin
de rien immonde ne porter au service di-
vin. Ces choses faictes, devotement se trans
portoient en la saincte Chapelle (ainsi e-
stoit en leurs Rebus nommée la cuisine
claustrale) & devotement sollicitoient
que des lors feust au feu le beuf mis pour
le desjeuner des religieux freres de no-
stre seigneur. Eulx mesmes souvent allu-
moient le feu soubs la marmite. Or est
que matines ayant neuf leçons, plus ma-
tin se levoient par raison. Plus aussi mul-
tiplioient en appetit & alteration aux ab-
boys du parchemin: que matines estan-
tes ourlées d’une, ou trois leçons seulement.
Plus matin se levans, par la dicte Cabal-
le, plus tost estoit le beuf au feu: plus y
estant, plus cuict restoit: plus cuict restant,



[54v]
plus tendre estoit, moins usoit les dens,
plus delectoit le palat: moins grevoit le
stomach, plus nourrissoit les bons reli-
gieux. Qui est la fin unicque & intention
premiere des fondateurs: en contempla-
tion de ce qu’ilz ne mangent mie pour
vivre, ilz vivent pour manger, & ne ont
que leur vie en ce monde. Allons Panur-
ge
.


A ceste heure (dist Panurge) te ay je
entendu couillon velouté, couillon clau-
stral & Cabalicque. Il me y va du propre
cabal. Le sort, l’usure, & les interestz je
pardonne. Je me contente des despens:
puys que tant disertement nous as faict
repetition sus le chapitre singulier de la
Caballe culinaire & monasticque. Allons
Carpalim. Frere Jan mon baudrier allons.
Bon jour tous mes bons seigneurs. J’avoys
assez songé pour boyre. Allons.


Panurge n’avoit ce mot achevé, quand
Epistemon a haulte voix s’escria, disant.
Chose bien commune & vulgaire entre
les humains est, le malheur d’aultruy en-
tendre, praevoir, congnoistre, & praedire.
Mais ô que chose rare est son malheur
propre praedire, congnoistre, praevoir, & entendre.



5755
entendre. Et que prudentement le figura
AEsope en ses Apologes, disant chascun
homme en ce monde naissant une bezace
au coul porter: on sachet de laquelle da-
vant pendent sont les faultes & malheurs
d’aultruy tousjours exposées a nostre veue
& congnoissance: on sachet darriere pen
dent sont les faultes & malheurs propres:
& jamais ne sont veues ne entendues,
fors de ceulx qui des cieulx ont le bene-
vole aspect
.


COMMENT PANTA-
gruel
conseille a Panurge de con-
ferer avecques une Sibylle
de Panzoust.


Chapitre XVI.


PEu de temps apres Pantagruel
manda querir Panurge, & luy
dist. L’amour que je vous por
te inveteré par succession de
longs temps me sollicite de penser a vo-
stre bien & profict. Entendez ma conce-
ption: On m’a dict que a Panzoust pres le
Croulay
, est une Sibylle tresinsigne, la-



[55v]
quelle praedict toutes choses futures: pre-
nez Epistemon de compaignie, & vous
transportez devers elle, & oyez ce que
vous dira. C’est (dist Epistemon) par ad-
venture une Canidie, une Sagane, une
Phitonisse & sorciere. Ce que me le faict
penser, est que celluy lieu est en ce nom
diffamé, qu’il abonde en sorcieres plus
que ne feist oncques Thessalie. Je ne iray
pas voluntiers. La chose est illicite &
defendue en la loy de Moses. Nous (dist
Pantagruel) ne sommez mie Juifz, &
n’est chose confessée ne averée que elle
soit sorciere. Remettons a vostre retour
le grabeau & belutement de ces matie-
res. Que sçavons nous si c’est une unzie-
me Sibylle: une seconde Cassandre? Et
ores que Sibylle ne feust, & de Sibylle ne
meritast le nom, quel interest encourrez
vous avecques elle conferent de vostre
perplexité? entendu mesmement qu’elle
est en existimation de plus sçavoir, plus
entendre, que ne porte l’usance ne du
pays, ne du sexe. Que nuist sçavoir tous-
jours, & tousjours aprendre, feust ce d’un
sot, d’un pot, d’une guedoufle, d’une mou-
fle, d’une pantoufle? Vous soubvieigne que



56
que Alexandre le grand: ayant obtenu
victoire du roy Darie en Arbelles, prae-
sens ses Satrapes quelque foys refusa au-
dience a un compaignon, puys en vain
mille & mille foys sen repentit. Il estoit en
Perse victorieux, mais tant esloigné de
Macedonie son royaulme haereditaire, que
grandement se contristoit, par non povoir
moyen aulcun inventer, d’en sçavoir nou
velles: tant a cause de l’enorme distance
des lieux, que de l’interposition des grands
fleuves, empeschement des desers, & obje-
ction des montaignes. En cestuy estrif &
soigneux pensement, qui n’estoit petit,
(Car on eust peu son pays & royaulme
occuper, & la installer Roy nouveau &
nouvelle colonie long temps davant que
il en eust advertissement pour y obvier)
davant luy se praesenta un home de Sidoi-
ne
, marchant petitperit, & de bon sens, mais
au reste assez pauvre & de peu d’appa-
rence, luy denonceant & affermant avoir
chemin & moyen inventé, par lequel son
pays pourroit de ses victoires Indianes,
luy de l’estat de Macedonie & AEgypte
estre en moins de cinq jours asçavanté. Il
estima la promesse tant abhorrente & im-



[56v]
possible, qu’oncques l’aureille prester ne
luy voulut, ne donner audience. Que luy
eust cousté ouyr & entendre ce que l’ho-
me avoit inventé? Quelle nuisance, quel
dommaige eust il encouru: pour scavoir
quel estoit le moyen, quel estoit le chemin,
que l’home lui vouloit demonstrer? Na-
ture me semble non sans cause nous avoir
formé aureilles ouvertes, n’y appousant
porte ne clousture aulcune, comme a faict
es oeilz, langue, & aultres issues du corps.
La cause je cuide estre, affin que tousjours
toutes nuyctz, continuellement, puissions
ouyr: & par ouye perpetuellement apren
dre: car c’est le sens sus tous aultres plus
apte es disciplines. Et peut estre que cel-
luy home estoit ange, c’est a dire messa-
gier de Dieu envoyé, comme feut Raphael
a Thobie. Trop soubdain le contemna:
trop longtemps apres s’en repentit.


Vous dictez bien, respondit Episte-
mon
. mais ja ne me ferez entendre, que
chose beaucoup adventaigeuse soit, pren-
dre d’une femme, & d’une telle femme,
en tel pays, conseil & advis. Je (dist Pa-
nurge
) me trouve fort bien du conseil des
femmes, & mesmement des vieilles. A leur



57
leur conseil je foys tous jours une selle ou
deux extraordinaires. Mon amy ce sont
vrays chiens de monstre, vrays rubricques
de droict. Et bien proprement parlent
ceulx qui les appellent Sages femmes. Ma
coustume & mon style est les nommer
Praesages femmes. Sages sont elles: car
dextrement elles congnoissent. Mais je les
nomme Praesages, car divinement elles prae-
voyent, & praedisent certainement toutes
choses advenir. Aulcunesfoys je les appel
le non Maunettes, mais Monettes, comme
la Juno des Romains. Car de elles tous
jours nous viennent admonitions salutai-
res & profitables. Demandez en a Py-
thagoras
, Socrates, Empedocles, & no-
stre maistre Ortuinus. Ensemble je loue
jusques es haulx cieulx l’antique institu-
tion des Germains, les quelz prisoient au
poix du Sanctuaire & cordialement re-
veroient le conseil des vieilles: par leurs
advis & responses tant heureusement pro-
speroient, comme les avoient prudentement
receues. Tesmoings la vieille Aurinie, &
la bonne mere Vellede on temps de Va-
spasian
. Croyez que vieillesse feminine
est toujours foisonnante en qualité sou- H



[57v]
beline: je vouloys dire Sibylline. Allons
par l’ayde, allons par la vertus Dieu, al-
lons. Adieu frere Jan, je te recommande
ma braguete. Bien (dist Epistemon) je
vous suivray, protestant que si j’ay adver-
tissement qu’elle use de sort ou enchan-
tement en ses responses, je vous laisseray
a la porte, & plus de moy acompaigné ne
serez.


COMMENT PANUR-
ge
parle a la Sibylle de
Panzoust
.

Chapitre XIIXVII.


LEur chemin feut de troys
journées. La troizieme a la
croppe de une montaigne
soubs un grand & ample Cha-
staignier leurs feut monstrée la maison
de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz
entrerent en la case chaumine, mal ba-
stie, mal meublée, toute enfumée. Baste,
dist Epistemon, Heraclitus grand Scotiste
& tenebreux philosophe ne s’estonna en-
trant en maison semblable, exposant a ses secta-



58
teurs & disciples, que la aussi bien resi-
doient les Dieux, comme en palais pleins
de delices. Et croy que telle estoit la case
de la tant celebrée Hecale, lors qu’elle y
festoya le jeune Theseus: telle aussi celle
de Hireus ou Oenopion, en laquelle Jup-
piter
, Neptune, & Mercure ensemble ne
prindrent a desdaing entrer, repaistre, &
loger: en laquelle officialement pour l’es-
cot forgerent Orion. Au coing de la che-
minée trouverent la vieille. Elle est (s’escria
Epistemon) vraye Sibylle & vray protraict
naïfvement repraesenté par τη καμινοι de
Homere. La vieille estoit mal en poinct,
mal vestue, mal nourrie, edentée, chassi-
euse, courbassée, roupieuse, languoureuse,
& faisoit un potaige de choux verds, a-
vecques une couane de lard jausne, & un
vieil savorados. Verd & bleu (dist Episte-
mon
) nous avons failly. Nous ne aurons
d’elle responce aulcune. Car nous n’avons
le rameau d’or. Je y ay (respondit Panur-
ge
) pourveu. Je l’ay icy dedans ma gibbe-
siere en une verge d’or acompaigné de
beaulx & joyeulx Carolus.


Ces mots dictz, Panurge la salüa pro-
fondement, luy praesenta six langues de H ij



[58v]
beuf fumées, un grand pot beurrier plein
de coscotons, un bourrabaquin guarny de
brevaige, une couille de belier pleine de
Carolus nouvellement forgez: en fin a-
vecques profonde reverence luy mist on
doigt medical une verge d’or bien belle:
en laquelle estoit une Crapaudine de
Beusse magnificquement enchassée. Puys
en briefves parolles luy exposa le motif
de sa venue, la priant courtoisement luy
dire son advis & bonne fortune de son
mariage entreprins.


La vieille resta quelque temps en silen
ce: pensive & richinante des dens, puys
s’assist sus le cul d’un boisseau, print en ses
mains troys vieulx fuseaulx, les tourna
& vira entre ses doigtz en diverses ma-
nieres: puys esprouva leurs poinctes, le
plus poinctu retint en main, les deux aul-
tres jecta soubs une pille a mil. Apres
print ses devidoueres, & par neuf foys
les tourna, au neufvieme tour consyde-
ra sans plus toucher le mouvement des
devidoueres, & attendit leur repous per-
faict. Depuys je veidz qu’elle deschaussa
un de ses esclos, (nous les nommons Sa-
botz) mist son davantau sus sa teste, com me



59
me les presbtres mettent leur amict quand
ils voulent messe chanter: puys avecques
un antique tissu riolé, piolé, le lia soubs la
guorge. Ainsi affeublée tira un grand
traict du bourrabaquin, print de la couil-
le beliniere trois carolus, les mist en trois
coques de noix, & les posa sus le cul d’un
pot a plume: feist trois tours de balay par
la cheminée, jecta on feu demy fagot de
bruiere, & un rameau de laurier sec. Le
consydera brusler en silence, & veid que
bruslant ne faisoit grislement ne bruyt
aulcun. Adoncques s’escria espovanta-
blement, sonnant entre les dens, quelques
motz barbares & d’estrange termination,
de mode que Panurge dist a Epistemon.
Par la vertus Dieu je tremble, je croy que
je suys charmé, elle ne parle poinct Chri-
stian. Voyez comment elle me semble de
quatre empans plus grande, que n’estoit
lors qu’elle se capitonna de son davantau.
Que signifie ce remument de badiguoin-
ces? Que pretend ceste jectigation des
espaulles? A quelle fin fredonne elle des
babines, comme un Cinge demembrant
Escrevisses? Les aureilles me cornent, il
m’est advis que je oy Proserpine bruyan- H iij



[59v]
te: les Diables bien toust en place sorti-
ront. O les laydes bestes. Fuyons. Serpe
Dieu je meurs de paour. Je n’ayme poinct
les Diables. Ilz me faschent & sont mal
plaisans. Fuyons. Adieu ma Dame, grand
mercy de vos biens. Je ne me mariray
poinct, non. Je y renonce des a praesent
comme alors. Ainsi commençoit escam-
per de la chambre, mais la vieille antici-
pa, tenente le fuseau en sa main: & sortit
en un courtil pres sa maison. La estoit un
Sycomore antique: elle l’escrousla par
trois foys, & sus huyct feueilles qui en
tomberent, sommairement avecques le
fuseau escrivit quelques briefz vers. Puys
les jecta au vent, & leurs dist. Allez les
chercher si voulez, trouvez les si povez.
le sort fatal de vostre mariage y est es-
cript.


Ces parolles dictes, se retira en sa tes-
niere, & sus le perron de la porte se re-
coursa robbe, cotte, & chemise jusques
aux escelles, & leurs monstroit son cul.
Panurge l’aperceut, & dist a Epistemon.
Par le sambre guoy de bois voy la le trou
de la Sibylle. Soubdain elle barra sus soy
la porte: depuis ne feut veue. Ilz couru- rent



60
rent apres les feueilles, & les recuille-
rent, mais non sans grand labeur. Car le
vent les avoit esquartées par les buissons
de la vallée. Et les ordonnans l’une apres
l’aultre, trouverent ceste sentence en
metres.


T’esgoussera
de renom.
Engroissera
de toy non.
Te sugsera
le bon bout.
T’escorchera
mais non tout.


COMMENT PANTA-
gruel
& Panurge diversement
exposent les vers de la Sibylle
de Panzoust
.

Chapitre XVIII.


LEs feueilles recuillies, retour-
nerent Epistemon & Panur-
ge
en la court de Pantagruel,
part joyeulx, part faschez.
Joyeulx pour le retour: fas-
chez pour le travail du chemin, lequel H iiij



[60v]
trouverent raboteux, pierreux, & mal or-
donné. De leur voyage feirent ample ra-
port a Pantagruel, & de l’estat de la Sibyl-
le. En fin luy praesenterent les feueilles de
Sycomore, & monstrerent l’escripture
en petitz vers. Pantagruel avoir leu le to-
taige, dist a Panurge en souspirant. Vous
estez bien en poinct. La prophetie de la
Sibylle apertement expose ce que ja nous
estoit denoté tant par les sors Virgilia-
nes, que par vos propres songes, c’est que
par vostre femmesfemme serez deshonoré: que
elle vous fera coqu se abandonnant a aul-
truy, & par aultruy devenent grosse: que
elle vous desrobbera par quelque bonne
partie, & qu’elle vous battera escorchant
& meurtrissant quelque membre du corps.


Vous entendez autant (respondit Pa-
nurge
) en exposition de ces recentes pro-
pheties, comme faict Truye en espices.
Ne vous desplaise si je le diz. Car je me
sens un peu fasché. Le contraire est veri-
table. Prenez bien mes motz. La vieil-
le dict. Ainsi comme la febve n’est veue
se elle ne est esgoussée, aussi ma vertus
& ma perfection jamais ne seroit mi-
se en renom, si marié je n’estoys. Quan- tes



61
tes foys vous ay je ouy disant que le ma-
gistrat, & l’office descoeuvre l’home, &
mect en evidence ce qu’il avoit dedans le
jabot? C’est a dire, que lors on congnoist
certainement, quel est le personaige, &
combien il vault, quand il est appellé au
maniment des affaires. Paravant, sçavoir
est estant l’home en son privé, on ne sçait
pour certain quel il est, non plus que d’u-
ne febve en gousse. Voyla quant au pre-
mier article. Aultrement vouldriez vous
maintenir que l’honneur & bon renom
d’un home de bien pendist au cul d’une
putain.


Le second dict. Ma femme engroissera,
(entendez icy la prime felicité de maria-
ge) mais non de moy. Cor Bieu je le croy.
Ce sera d’un beau petit enfantelet qu’elle
sera grosse. Je l’ayme desja tout plein, &
ja en suys tout assoty. Ce sera mon petit
bedault. Fascherie du monde tant grande
& vehemente n’entrera desormais a mon
esprit, que je ne passe, seulement le voyant
& le oyant jargonner en son jargonnoys
pueril. Et benoiste soit la vieille. Je luy
veulx vraybis constituer en Salmigondi-
nois quelque bonne rente, non courante



[61v]
comme bacheliers insensez, mais assise
comme beaulx docteurs regens. Aultre-
ment vouldriez vous que ma femme de-
dans ses flans me portast? me conceust?
me enfantast? & qu’on dist, Panurge est
un second Bacchus. Il est deux foys né.
Il est René, comme feut Hippolytus, com
me feut Proteus, une foys de Thetis, & se-
condement de la mere du Philosophe A-
pollonius
. Comme feurent les deux Pali-
ces pres le fleuve Symethos en Sicile.
Sa femme estoit grosse de luy. En luy est
renouvellée l’antique Palintocie des Me-
gariens, & la Palingenesie de Democri-
tus
. Erreur. Ne m’en parlez jamais.


Le tiers dict. Ma femme me sugsera le
bon bout. Je m’y dispose. Vous entendez
assez que c’est le baston a un bout, qui me
pend entre les jambes. Je vous jure & pro-
mectz que tousjours le maintiendray suc-
cullent & bien avitaillé. Elle ne me le sug
sera poinct en vain. Eternellement y sera le
petit picotin ou mieulx. Vous exposez al-
legoricquement ce lieu, & le interpretez a
larrecin & furt. Je loue l’exposition, l’alle-
gorie me plaist, mais non a vostre sens. Peut
estre que l’affection syncere que me portez, vous



62
vous tire en partie adverse & refraictaire,
comme disent les clercs chose merveilleu-
sement crainctive estre amour, & jamais le
bon amour ne estre sans craincte. Mais (sce-
lon mon jugement) en vous mesmes vous
entendez que furt en ce passaige, comme en
tant d’aultres des scripteurs Latins & an-
tiques, signifie le doulx fruict de amouret-
tes: lequel veult Venus estre secretement
& furtivement cuilly. Pourquoy, par vo-
stre foy? Pour ce que la chosette faicte a
lemblée, entre deux huys, a travers les de-
grez, darriere la tapisserie, en tapinois, sus
un fagot desroté, plus plaist a la déesse de
Cypre
, (& en suys la, sans praejudice de
meilleur advis) que faicte en veue du So-
leil, a la Cynique, ou entre les precieulx
conopées, entre les courtines dorées, a
longs intervalles, a plein guogo, avec un
esmouchail de soye cramoisine, & un pa-
nache de plumes Indicques chassant les
mousches d’autour, & la femelle s’escu-
rante les dents avecques un brin de paille,
qu’elle ce pendent auroit desraché du fond
de la paillasse. Aultrement vouldriez vous
dire qu’elle me desrobbast en sugsant
comme on avalle les huytres en escalle,



[62v]
& comme les femmes de Cilicie (tesmoing
Dioscorides) cuillent la graine de Alker-
mes? Erreur. Qui desrobbe, ne sugse, mais
gruppe: ne avalle, mais emballe, ravist &
joue de passe passe.


Le quart dict. Ma femme me l’escor-
chera, mais non tout. O le beau mot. Vous
l’interpretez a batterie & meurtrissure.
C’est bien a propous truelle, Dieu te guard
de mal masson. Je vous supply, levez un
peu vos espritz de terriene pensée en con-
templation haultaine des merveilles de
Nature: & icy condemnez vous, vous mes-
mes pour les erreurs qu’avez commis per-
versement exposant les dictz prophetic-
ques de la Dive Sibylle. Posé, mais non ad-
mis ne concedé le cas, que ma femme par
l’instigation de l’ennemy d’enfer voulust
& entreprint me faire un maulvais tour,
me diffamer, me faire coqu jusqu’au cul,
me desrober & oultrager: encores ne vi-
endra elle a fin de son vouloir & entre-
prinse.


La raison qui a ce me meut, est en ce
poinct dernier fondée, & est extraicte du
fond de Pantheologie monasticque. Fre-
re Artus Culletant
me l’a aultres foys dict, &



63
& feut par un Lundy matin, mangeans
ensemble un boisseau de guodiveaulx, &
si pleuvoit, il m’en souvient, Dieu luy
doint le bon jour.


Les femmes au commencement du mon-
de, ou peu apres, ensemblement conspire-
rent escorcher les homes tous vifz, par
ce que sus elles maistriser vouloient en tous
lieux. Et feut cestuy decret promis, confer-
mé, & juré entre elles par le sainct sang
breguoy. Mais ô vaines entreprinses des
femmes, ô grande fragilité du sexe femi-
nin. Elle commencerent escorcher l’ho-
me, ou gluber, comme le nomme Catul-
le
, par la partie qui plus leurs hayte, c’est
le membre neurveulx, caverneulx, plus
de six mille ans a, & toutesfoys jusques a
praesent n’en ont escorché que la teste.
Dont par fin despit les Juifz eulx mesmes
en circuncision se le couppent & retaillent,
mieulx aymans estre dictz recutitz & re-
taillatz marranes, que escorchez par fem-
mes, comme les aultres nations. Ma fem-
me non degenerante de ceste commune
entreprinse, me l’escorchera, s’il ne l’est.
Je y consens de franc vouloir, mais non
tout: je vous en asceure mon bon Roy.



[63v]
Vous (dist Epistemon) ne respondez a ce
que le rameau de laurier nous voyans, el-
le consyderant & exclamante en voix fu-
rieuse & espovantable, brusloit sans bruyt
ne grislement aulcun. Vous sçavez que
c’est triste augure & signe grandement re-
doubtable, comme attestent Properce,
Tibulle, Porphyre philosophe argut, Eu-
stathius
sus l’iliade Homericque, & aul-
tres. Vrayement (respondit Panurge) vous
me alleguez de gentilz veaulx, Ilz feurent
folz comme poëtes, & resveurs comme phi-
losophes: autant pleins de fine follie, com-
me estoit leur philosophie.


COMMENT PANTA-
gruel
loue le conseil des muetz.

Chapitre XIX.


PAntagruel, ces motz achevez,
se teut assez long temps, & sem
bloit grandement pensif. Puys
dist a Panurge. L’esprit maling
vous seduyt. mais escoutez. J’ay leu qu’on
temps passé les plus veritables & sceurs o-
racles: n’estoient ceulx que par escript on
bailloit, ou par parolle on proferoit. Main- tes



64
tes foys y ont faict erreur ceulx voyre qui
estoient estimez fins & ingenieux, tant a
cause des amphibologies, equivocques, &
obscuritez des motz, que de la briefveté
des sentences. Pourtant feut Apollo dieu
de vaticination surnommé Vοξίαςλοξίας. Ceulx que
lon exposoit par gestes & par signes, estoi-
ent les plus veritables & certains estimez.
Telle estoit l’opinion de Heraclitus. Et ain-
si vaticinoit Juppiter en Amon: ainsi pro-
phetisoit Apollo entre les Assyriens. Pour
ceste raison le paingnoient ilz avecques
longue barbe, & vestu comme personaige
vieulx, & de sens rassis: non nud, jeune, &
sans barbe, comme faisoient les Grecz. U-
sons de ceste maniere: & par signes sans
parler, conseil prenez de quelque Mut.
J’en suys d’advis (respondit Panurge). Mais
(dist Pantagruel) il conviendroit que le
Mut feust sourd de sa naissance: & par con-
sequent Mut. Car il n’est mut plus naïf,
que celuy qui oncques ne ouyt.


Comment (respondit Panurge) l’enten-
dez? Si vray feust que l’home ne parlast,
qui n’eust ouy parler, je vous menerois a
logicalement inferer une proposition bien
abhorrente & paradoxe. Mais laissons la.



[64v]
Vous doncques ne croyez ce qu’escript
Herodote des deux enfans guardez de-
dans une case par le vouloir de Psamme-
tic
roy des AEgyptiens, & nourriz en per-
petuelle silence? les quelz apres certain
temps prononcerent ceste parole Becus,
laquelle en langue Phrygienne signifie
pain? Rien moins, respondit Pantagruel.
C’est abus dire que ayons languaige na-
turel. Les languaiges sont par institutions
arbitraires & convenences des peuples:
les voix (comme disent les Dialecticiens)
ne signifient naturellement, mais a plai-
sir. Je ne vous diz ce propous sans cause.
Car Barthole. l. prima de verb. oblig. ra-
conte que de son temps, feut en Eugube
un nommé messer Nello de Gabrielis, le-
quel par accident estoit sourd devenu: ce
non obstant entendoit tout home Italian
parlant tant secretement que ce feust, seu
lement a la veue de ses gestes, & mouve-
ment des baulevres. J’ay d’adventaige leu
en autheur docte & eleguant, que Tyri-
dates roy de Armenie
, on temps de Ne-
ron
, visita Rome, & feut receu en solen-
nite honorable, & pompes magnificques,
affin de l’entretenir en amitié sempiter nelle



65
nelle du Senat & peuple Romain: & n’y
eut chose memorable en la cité, qui ne
luy feust monstrée & exposée. A son depar
tement l’empereur luy feist dons grands,
& excessifz: oultre, luy feist option de
choisir ce que plus en Rome luy plairoit,
avecques promesse jurée de non l’escon-
duire quoy qu’il demandast. Il demanda seu-
lement un joueur de farces, lequel il avoit
veu on theatre, & ne entendent ce qu’il di-
soit, entendoit ce qu’il exprimoit par signes
& gesticulations: alleguant que soubs sa do
mination estoient peuples de divers lan-
guaiges, pour es quelz respondre & par-
ler, luy convenoit user de plusieurs tru-
chemens: il seul a tous suffiroit. Car en
matiere de signifier par gestes estoit tant
excellent, qu’il sembloit parler des doigtz.
Pourtant vous fault choisir un mut sourd
de nature, affin que ses gestes & signes
vous soient naïfvement propheticques:
non faincts, fardez, ne affectez. Reste en-
cores sçavoir si tel advis voulez ou d’ho-
me ou de femme prendre.


Je (respondit Panurge) voluntiers d’u-
ne femme le prendroys, ne feust que je crains
deux choses. L’une, que les femmes quel- I



[65v]
ques choses qu’elles voyent, elles se reprae-
sentent en leurs espritz, elles pensent, el-
les imaginent, que soit l’entrée du sacre Ithy-
phalle. Quelques gestes, signes, & main-
tiens que l’on face en leur veue & praesen-
ce, elles les interpretent & referent a l’a-
cte mouvent de belutaige. Pourtant y se-
rions nous abusez. Car la femme penseroit
tous nos signes, estre signes Veneriens.
Vous souvieigne de ce que advint en Ro-
me
deux cens lx. ans apres la fondation
d’icelle. Un jeune gentil home Romain
rencontrant on mons Coelion une dame
Latine nommée Verone mute & sourde
de nature, luy demanda avecques gesticu-
lations Italicques en ignorance d’icelle sur-
dité, quelz senateurs elle avoit rencontré
par la montée? Elle non entendent ce qu’il
disoit, imagina estre ce qu’elle pourpen-
soit, & ce que un jeune home naturelement
demande d’une femme. Adoncques par signes
(qui en amour sont incomparablement plus
attractifz, efficaces, & valables que parolles)
le tira a part en sa maison, signes luy feist
que le jeu lui plaisoit. En fin sans de bou-
che mot dire, feirent beau bruit de culletis.


L’aultre: qu’elles ne feroient a nos si- gnes



66
gnes responce aulcune: elles soubdain tom-
beroient en arriere comme reallement con-
sententes a nos tacites demandes. Ou si
signes aulcuns nous faisoient responsifz a
nos propositions, ilz seroient tant follastres
& ridicules, que nous mesmes estime-
rions leurs pensemens estre Venereicques.
Vous sçavez comment a Croquignoles
quand la nonnain seur Fessue feut par le
jeune briffault dam Royddimet engrois-
sée, & la groisse congneue, appellée par l’ab-
besse en chapitre & arguée de inceste, elle
s’excusoit, alleguante que ce n’avoit esté
de son consentement, ce avoit esté par vi-
olence & par la force du frere Royddi-
met
. L’abbesse replicante & disante, mes-
chante, c’estoit on dortouoir, pourquoy ne
crioys tu a la force, nous toutes eussions cou-
ru a ton ayde? Respondit qu’elle ne ausoit
crier on dortouoir: pour ce qu’on dortou-
oir, y a silence sempiternelle. Mais (dist l’ab-
besse) meschante que tu es, pourquoy
ne faisois tu signes a tes voisines de cham-
bre? Je (respondit la Fessue) leurs faisois
signes du cul tant que povois, mais perso-
ne ne me secourut. Mais (demanda l’abbes-
se) meschante, pourquoy incontinent ne me I ij



[66v]
le veins tu dire, & l’accuser reguliairement?
Ainsi eusse je faict, si le cas me feust adve-
nu, pour demonstrer mon innocence. Pour-
ce, (respondit la fessue) que craignante de-
mourer en peché & estat de damnation,
de paour que ne feusse de mort soubdaine
praevenue, je me confessay a luy avant qu’il
departist de la chambre: & il me bail-
la en penitence non le dire ne deceler a
persone. Trop enorme eust esté le peché,
reveler sa confession, & trop detestable
davant Dieu & les anges. Par adventure
eust ce esté cause que le feu du Ciel eust
ars toute l’abbaye: & toutes feussions
tombées en abisme avecques Dathan &
Abiron.


Vous (dist Pantagruel) ja ne m’en fe-
rez rire. Je sçay assez que toute moinerie
moins crainct les commandemens de Dieu
transgresser, que leurs statutz provinci-
aulx. Prenez doncques un homme. Nazde-
cabre
me semble idoine. Il est mut &
sourd de naissance.


COMMENT NAZDECA-
bre
par signes respond a Panurge.
Chapitre XX.

Naz-



67


NAzdecabre feut mandé, & au
lendemain arriva. Panurge a
son arrivée luy donna un veau
gras, un demy pourceau,
deu xbussarsdeux bussars de vin, une charge de bled,
& trente francs en menue monnoye: puis le
mena davant Pantagruel, & en praesence
des gentilz homes de chambre luy feist tel si-
gne. Il baisla assez longuement, & en bais
lant faisoit hors la bouche avecques le
poulce de la main dextre la figure de la
lettre Grecque dicte Tau, par frequente
reiterations. Puis leva les oeilz au Ciel, &
les tournoyoit en la teste comme une che-
vre qui avorte: toussoit ce faisant & pro-
fondement souspiroit. Cela faict monstroit
le default de sa braguette: puys soubs sa
chemise print son pistolandier a plein
poing, & le faisoit melodieusement clic-
quer entre ses cuisses: se enclina flechis-
sant le genoil guausche, & resta tenent ses
deux braz sus la poictrine lassez l’un sus
l’aultre.


Nazdecabre curieusement le reguar-
doit, puys leva la main guausche en l’aër,
& retint clous en poing tous les doigtz
d’icelle, excepté le poulce & le doigt in- I iij



[67v]
dice, des quelz il acoubla mollement les
deux ongles ensemble. J’entends (dist Pan-
tagruel
) ce qu’il praetend par cestuy signe.
Il denote mariage: & d’abondant le nom-
bre trentenaire scelon la profession des
Pythagoriens. Vous serez marié. Grand
mercy (dist Panurge se tournant vers Naz-
decabre
) mon petit architriclin, mon comi-
te, mon algousan, mon sbire, mon barizel.


Puys leva en l’aër plus hault la dicte
main guausche, extendent tous les cinq
doigtz d’icelle, & les esloignant uns des
aultres, tant que esloigner povoit. Icy (dist
Pantagruel) plus amplement nous insinue
par signification du nombre quinaire, que
serez marié. Et non seulement effiancé, es-
pousé, & marié, mais en oultre que habi-
terez & serez bien avant de feste. Car Py-
thagoras
appelloit le nombre quinaire, nom-
bre nuptial, nopces, & mariage consommé:
pour ceste raison qu’il est composé de Trias,
qui est nombre premier impar & superflu:
& de Dyas, qui est nombre premier par: com-
me de masle & de femelle coublez ensem
blement. Defaict a Rome jadis au jour des
nopces on allumoit cinq flambeaulx de
cire, & n’estoit licite d’en allumer plus, feust



68
feust es nopces des plus riches: ne moins,
feust es nopces des plus indigens. D’advan-
taige on temps passé les Payens implo-
roient cinq Dieux, ou un Dieu en cinq be-
nefices, sus ceulx que l’on marioit: Jup-
piter
nuptial: Juno praesidente de la feste:
Venus la belle: Pitho déesse de persuasion
& beau parler: & Diane pour secours on
travail d’enfantement.


O (s’escria Panurge) le gentil Nazde-
cabre
. Je luy veulx donner une metairie
pres Cinays, & un moulin a vent en Mi-
rebalais
. Ce faict, le mut esternua en insi-
gne vehemence & concussion de tout le corps
se destournant a guausche. Vertus beuf de
boys (dist Pantagruel) qu’est ce la? Ce n’est
a vostre adventaige. Il denote que vostre
mariage sera infauste & malheureux.
Cestuy esternuement (scelon la doctrine de
Terpsion) est le daemon Socraticque: lequel
faict a dextre signifie qu’en asceurance &
hardiment on peut faire & aller ce & la
part qu’on a deliberé, les entrée, progrés,
& succés seront bons & heureux: faict a guau
sche, au contraire. Vous (dist Panurge) tous
jours prenez les matieres au pis, & tous
jours obturbez, comme un aultre Davus. Je I iiij



[68v]
n’en croy rien. Et ne congneuz oncques
sinon en deception ce vieulx trepelu Ter
psion
. Toutesfoys (dist Pantagruel) Cice-
ron
en dist je ne sçay quoy on second li-
vre de divination.


Puys se tourne vers Nazdecabre, &
luy faict tel signe. Il renversa les paulpie-
res des oeilz contre mont, tortoit les man-
dibules de dextre en senestre, tira la langue
a demy hors la bouche. Ce faict, posa la
main guausche ouverte, exceptez le mai-
stre doigt, lequel retint perpendiculaire-
ment sus la paulme, & ainsi l’assist au lieu
de sa braguette: la dextre retint clause en
poing, exceptez le poulce, lequel droict il
retourna arriere soubs l’escelle dextre, &
l’assist au dessus des fesses on lieu que les
Arabes appellent Al Katim. Soubdain a-
pres changea, & la main dextre tint en for-
me de la senestre, & la posa sus le lieu de
la braguette, la guausche tint en forme de
la dextre, & la posa sus l’Al Katim. Cestuy
changement de mains reïtera par neuf foys.
A la neufieme remist les paulpieres des
oeilz en leur position naturelle: aussi feist
les mandibules, & la langue: puys jecta son
reguard biscle sus Nazdecabre, branlant les



69
les baulevres, comme font les Cinges de
sejour, & comme font les Connins man-
geans avoine en gerbe.


Adoncques Nazdecabre eleva en l’aër
la main dextre toute ouverte, puys mist
le poulce d’icelle jusques a la premie-
re articulation entre la tierce joincture
du maistre doigt & du doigt medical, les
resserrant assez fort autour du poulce: le
reste des joinctures d’iceulx retirant on
poing, & droictz extendent les doigtz In-
dice & Petit. La main ainsi composee po-
sa sus le nombril de Panurge mouvent
continuellement le poulce susdict, & ap-
puyant icelle main sus les doigtz Petit &
Indice, comme sus deux jambes. Ainsi
montoit d’icelle main successivement a
travers le ventre, le stomach, la poictri-
ne, & le coul de Panurge: puys au men-
ton, & dedans la bouche luy mist le sus-
dict poulce branslant: puys luy en frota
le nez, & montant oultre aux oeilz fai-
gnoit les luy vouloir crever avecques le
poulce. A tant Panurge se fascha, & tas-
choit se defaire & retirer du Mut. Mais
Nazdecabre continuoit luy touchant a-
vecques celluy poulce branslant, mainte-



[69v]
nant les oeilz, maintenant le front, & les
limittes de son bonnet. En fin Panurge
s’escria, disant. Par Dieu, maistre fol vous
serexserez battu si ne me laissez, si plus me fas-
chez, vous aurez de ma main un Masque
sus vostre paillard visaige. Il est (dist lors
frere Jan) sourd. Il n’entend ce que tu luy
diz couillon. Faictz luy en signe une gresle
de coups de poing sus le mourre. Que
Diable (dist Panurge) veult praetendre ce
maistre Alliboron? Il m’a presque poché
les oeilz au beurre noir. Par Dieu da ju-
randi, je vous festoiray d’un banquet de
Nazardes, entrelardé de doubles Chin-
quenaudes. Puys le laissa luy faisant la pe
tarrade. Le Mut voyant Panurge demar-
cher, guaingna le davant, l’arreestaarresta par
force, & luy feist tel signe. Il baissa le braz
dextre vers le genoil tant que povoit l’ex-
tendre, clouant tous les doigtz en poing,
& passant le poulce entre les doigtz Mai-
stre & Indice. Puys avecques la main gu-
ausche frottoit le dessus du coubte du sus-
dict braz dextre, & peu a peu a ce frotte-
ment levoit en l’aër la main d’icelluy jus-
ques au coubte & au dessus, soubdain la
rabaissoit comme davant: puys a inter- valles



70
valles la relevoit, la rabaissoit, & la mon-
stroit a Panurge.


Panurge de ce fasché leva le poing pour
frapper le Mut: mais il revera la praesen-
ce de Pantagruel & se retint. Allors dist
Pantagruel. Si les signes vous faschent, ô
quant vous fascheront les choses signifiées.
Tout vray a tout vray consone. Le Mut
praetend & denote, que serez marié, coqu,
battu, & desrobbé. Le mariage (dist Panur
ge
) je concede, je nie le demourant. Et
vous prie me faire ce bien de croyre, que
jamais home n’eut en femme & en che-
vaulx heur tel que m’est predestiné


COMMENT PANUR-
ge
prent conseil d’un vieil Poe-
te François nommé Ra-
minagrobis
.

Chapitre XXI.


JE ne pensoys (dist Pantagruel)
jamais rencontrer home tant
obstiné a ses apprehensions
comme je vous voy. Pour tou-
tesfoys vostre doubte esclarcir, suys d’ad-



[70v]
vis que mouvons toute pierre. Entendez
ma conception. Les Cycnes, qui sont oy-
seaulx sacrez a Apollo, ne chantent ja-
mais, si non quand ilz approchent de leur
mort: mesmement en Meander fleuve de
Phrygie (je le diz pource que AElianus, &
Alexander Myndius escrivent en avoir
ailleurs veu plusieurs mourir, mais nul
chanter en mourant) de mode que chant
de Cycne est praesaige certain de sa mort
prochaine, & ne meurt que praealable-
ment n’ayt chanté. Semblablement les
poëtes qui sont en protection de Apollo,
approchans de leur mort ordinairement
deviennent prophetes, & chantent par
Apolline inspiration vaticinans des cho-
ses futures.


J’ay d’adventaige souvent ouy dire
que tout home vieulx, decrepit, & pres
de sa fin, facilement divine des cas adve-
nir. Et me souvient que Aristophanes en
quelque comedie appelle les gens vieulx
Sibylles, Ο δε γέρων σιβυλλια. Car comme
nous estans sus le moule, & de loing voy-
ans les mariniers & voyagiers dedans
leurs naufz en haulte mer, seulement en
silence les considerons, & bien prions pour



71
pour leur prospere abourdement: mais
lors qu’ilz approchent du havre, & par pa
rolles & par gestes les salüons, & congra
tulons de ce que a port de saulveté sont
avecques nous arrivez: aussi les Anges,
les Heroes, les bons Daemons (scelon la
doctrine des Platonicques) voyans les hu
mains prochains de mort, comme de port
tresceur & salutaire: port de repous, &
de tranquilité, hors les troubles & solli-
citudes terrienes, les saluent, les conso-
lent, parlent avecques eulx, & ja commen-
cent leurs communicquer art de divina-
tion. Je ne vous allegueray exemples an-
tiques, de Isaac, de Jacob, de Patroclus en-
vers Hector, de Hector envers Achilles,
de Polynestor envers Agamemnon & He-
cuba
: du Rhodien celebré par Posido-
nius
, de Calanus Indian envers Alexan-
dre le grand
, de Orodes envers Mezen-
tius
, & aultres: seulement vous veulx ra-
mentevoir le docte & preux chevallier
Guillaume du Bellay seigneur jadis de
Langey, lequel on mont de Tarare mou-
rut le 10. de Janvier l’an de son aage le
climatere & de nostre supputation l’an
1543. en compte Romanicque. Les troys



[71v]
& quatre heures avant son decés il em-
ploya en parolles viguoureuses, en sens
tranquil & serain nous praedisant ce que
depuys part avons veu, part attendons
advenir. Combien que pour lors nous sem-
blassent ces propheties aulcunement ab-
horrentes et estranges, par ne nous appa-
roistre cause ne signe aulcun praesent pro-
nostic de ce qu’il praedisoit. Nous avons
icy pres la Villaumere un home & vieulx
& poëte, c’est Raminagrobis, lequel en se-
condes nopces espousa la grande Guorre,
dont nasquit la belle Bazoche. J’ay enten
du qu’il est en l’article & dernier moment
de son decés. transportez vous vers luy, &
oyez son chant. Pourra estre que de luy
aurez ce que praetendez, & par luy Apol-
lo
vostre doubte dissouldra. Je le veulx
(respondit Panurge). Allons y Epistemon,
de ce pas: de paour que mort ne le prae-
vieigne. Veulx tu venir frere Jan? Je le
veulx (respondit frere Jan) bien volun-
tiers, pour l’amour de toy couillette. Car
je t’ayme du bon du foye.


Sus l’heure feut par eulx chemin prins,
& arrivans au logis poëticque trouverent
le bon vieillart en agonie, avecques main- tien



72
tien joyeux, face ouverte, & reguard lu-
mineux. Panurge le saluant luy mist on
doigt Medical de la main guausche en
pur don un anneau d’or, en la palle duquel
estoit un sapphyr oriental beau & ample:
Puys a l’imitation de Socrates luy offrit
un beau coq blanc, lequel incontinent po
sé sus son lict la teste elevée en grande a-
laigresse secoua son pennaige, puys chan
ta en bien hault ton. Cela faict Panurge
requist courtoisement dire & exposer son
jugement sus le doubte du mariage prae-
tendu. Le bon vieillard commenda luy e-
stre apporté ancre, plume, & papier. Le
tout feut promptement livré. Adoncques
escrivit ce que s’ensuyt.


Prenez la, ne la prenez pas.
Si vous la prenez, c’est bien faict.
Si ne la prenez en effect,
Ce sera oeuvré par compas.


Gualloppez, mais allez le pas.
Recullez, entrez y de faict.

Prenez la, ne.


Jeusnez, prenez double repas.
Defaictez ce qu’estoit refaict.
Refaictez ce qu’estoit defaict.



[72v]
Soubhaytez luy vie & trespas.

Prenez la, ne.



Puys leurs bailla en main, & leurs dist.
Allez enfans en la guarde du grand Dieu
des cieulx, & plus de cestuy affaire ne de
aultre que soit ne me inquietez. J’ay ce
jourd’huyjourdhuy, qui est le dernier & de May &
de moy, hors ma maison a grande fatigue
& difficulté chassé un tas de villaines, in-
mondes, & pestilentes bestes, noires, guar-
res, fauves, blanches, cendrées, grivolées:
les quelles laisser ne me vouloient a mon
aise mourir: & par fraudulentes poinctu-
res, gruppemens harpyiacques, importu-
nitez freslonnicques, toutes forgées en
l’officine de ne sçay quelle insatiabilité,
me evocquoient du doulx pensement on
quel je acquiesçois contemplant, & voy-
ant & ja touchant & guoustant le bien, &
felicité, que le bon Dieu a praeparé a ses
fideles & esleuz en l’aultre vie & estat de
immortalité. Declinez de leur voye, ne
soyez a elles semblables: plus ne me mo-
lestez, & me laissez en silence, je vous
supply.

COMMENT




73


COMMENT PANURGE
patrocine a l’ordre des fratres
Mendians
.
Chapitre XXII.


ISsant de la Chambre de Ra-
minagrobis
, Panurge com-
me tout effrayé dist. Je croy
par la vertus Dieu qu’il est
Haereticque ou je me donne au Diable. Il
mesdict des bons peres mendians Corde-
liers, & Jacobins, qui sont les deux hemis-
phaeres de la Christianté, & par la gyrogno
monique circumbilivagination desquelz
comme par deux filopendoles coelivages,
tout l’Antonomatic matagrabolisme de
l’eclise Romaine, soy sentente emburelu-
coquée d’aulcun baraguouïnage d’erreur
ou de haeresie, homocentricalement se tre-
mousse. Mais que tous les Diables luy ont
faict les paouvres Diables de Capussins,
& Minimes? Ne sont ilz assez meshaignez
les paouvres diables? Ne sont ilz assez en-
fumez & perfumez de misere & calamité
les paouvres haires extraictz de Ichthyo-
phagie? Est il, frere Jan, par ta foy, en estat K



[73v]
de salvation? Il s’en va par Dieu damné com
me une serpe a trente mille hottées de Dia
bles. Mesdire de ces bons & vaillans piliers
d’eclise? Appelez vous cela fureur poëtic-
que? Je ne m’en peuz contenter: il peche
villainement, il blaspheme contre la reli-
gion. J’en suys fort scandalisé. Je (dist fre-
re Jan
) ne m’en soucie d’un bouton. Ilz
mesdisent de tout le monde: si tout le mon
de mesdit d’eulx, je n’y pretends aulcun
interest. Voyons ce qu’il a escript.


Panurge leut attentement l’escripture
du bon vieillart: puys leurs dist. Il resve
le paouvre Beuveur. Je l’excuse toutes-
foys. Je croy qu’il est pres de sa fin. Allons
faire son epitaphe. Par la response qu’il
nous donne, je suys aussi saige que onc-
ques puys ne fourneasmes nous. Escoute
ça Epistemon mon bedon. Ne l’estimez
tu pas bien resolu en ses responses? Il est
par Dieu sophiste argut, ergoté, & naïf.
Je guaige qu’il est Marrabais. Ventre beuf
comment il se donne guarde de mespren-
dre en ses parolles. Il ne respond que par
disjonctives. il ne peult ne dire vray. Car
a la verité d’icelles suffist l’une partie estre
vraye. O quel Patelineux. Sainct Iago de



74
de Bressuire
, en est il encores de l’erai-
ge? Ainsi (respondit Epistemon) prote-
stoit Tiresias le grand Vaticinateur au
commencement de toutes ses divinati-
ons, disant apertement a ceulx qui de
luy prenoient advis. Ce que je diray,
adviendra, ou ne adviendra poinct. Et
est le style des prudens prognosticqueurs.
Toutesfoys (dist Panurge) Juno luy cre-
va les deux oeilz. Voyre (respondit E-
pistemon
) par despit de ce que il avoit
mieulx sententié que elle, sus le doubte
propousé par Juppiter. Mais (dist Pa-
nurge
) quel Diable possede ce maistre
Raminagrobis
, qui ainsi sans propous,
sans raison, sans occasion, mesdict des
paouvres beatz peres Jacobins, Mineurs,
& Minimes? Je en suys grandement scan
dalisé, je vous affie, & ne me en peuz tai-
re. Il a grefvement peché. Son ame s’en
va a trente mille panerées de Diables. Je ne
vous entends poinct (respondit Epistemon).
Et me scandalisez vous mesmes grande-
ment, interpretant perversement des fra-
tres Mendians, ce que le bon Poëte disoit
des bestes noires, fauves, & aultres. Il ne
l’entend (scelon mon jugement) en telle so- K ij



[74v]
phisticque & phantasticque allegorie. Il
parle absolument & proprement des pus-
ses, punaises, cirons, mousches, culices, &
aultres telles bestes: les quelles sont unes
noires, aultres fauves, aultres cendrées,
aultres tannées & basanées: toutes im-
portunes, tyrannicques, & molestes, non
es malades seulement, mainsmais aussi a gens
sains & viguoureux. Par adventure a il
des Ascarides, Lumbriques, & Vermes
dedans le corps. Par adventure patist il
(comme est en AEgypte, & lieux confins
de la mer Erithrée, chose vulgaire & usi-
tée) es bras ou jambes quelque poincture
de Draconneaulx grivolez, que les Ara-
bes appellent Meden. Vous faictez mal
aultrement expousant ses parolles. Et fai-
ctez tord au bon Poëte par detraction, et
es dictz Fratres par imputation de tel mes-
hain. Il fault tousjours de son presme in-
terpreter toutes choses a bien.


Aprenez moy (dist Panurge) a con-
gnoistre mousches en laict. Il est par la
vertus Dieu haereticque. Je diz haereticque
formé, haereticque clavelé, haereticque
bruslable, comme une belle petite horo-
loge. Son ame s’en va a trente mille char- rettées



75
rettées de Diables. Sçavez vous ou? Cor
Bieu mon amy droict dessoubs la scelle
persée de Proserpine, dedans le propre
bassin infernal, on quel elle rend l’opera-
tion fecale de ses clysteres, a cousté guaus-
che de la grande chauldiere, a trois toises
prés les gryphes de Lucifer, tirant vers la
chambre noire de Demiourgon. Ho le
villain.


COMMENT PANURGE
faict discours pour retourner a
Raminagrobis
.

Chapitre XXIII.


REtournons (dist Panurge con
tinuant) l’admonester de son
salut. Allons on nom, allons
en la vertus de Dieu. Ce sera
oeuvre charitable a nous fai-
cte: au moins s’il perd le corps & la vie,
qu’il ne damne son ame. Nous le indui-
rons a contrition de son peché: a reque-
rir pardon es dictz tant beatz peres ab-
sens comme praesens. Et en prendrons
acte, affin qu’apres son trespas ilz ne le de
clairent haereticque & damné: comme les K iij



[75v]
Farfadetz feirent de la praevosté d’Orle-
ans
: & leurs satisfaire de l’oultrage, or-
donnant par tous les convens de ceste
province aux bons peres religieux force
bribes, force messes, force obitz & anni-
versaires. Et que au jour de son trespas
sempiternellement ilz ayent tous quin-
tuple pitance: & que le grand bourra-
baquin plein du meilleur trote de ran-
co par leurs tables, tant des Burgotz,
Layz, & Briffaulx, que des presbtres &
des clercs: tant des Novices, que des
Profés. Ainsi pourra il de Dieu pardon
avoir.


Ho, ho, je me abuse, & me esguare en
mes discours. Le Diable me emport si je
y voys. Vertus Dieu, la chambre est des-
ja pleine de Diables. Je les oy desja soy
pelaudans & entrebattans en Diable, a
qui humera l’ame Raminagrobidicque,
& qui premier de broc en bouc la por-
tera a messer Lucifer. Houstez vous de la.
Je ne y voys pas. Le Diable me emport si
je y voys. Qui sçait s’ilz useroient de qui
pro quo, & en lieu de Raminagrobis
grupperoient le paouvre Panurge quit-
te? Ilz y ont maintes foys failly estant sa- frané



76
frané & endebté. Houstez vous de la. Je
ne y voys pas. Je meurs par Dieu de ma-
le raige de paour. Soy trouver entre Dia-
bles affamez? entre Diables de faction?
entre Diables negocians? Houstez vous
de la. Je guage que par mesmes doubte a
son entretenemententerrement n’assistera Jacobin,
Cordelier, Carme, Capussin, Theatin,
ne Minime. Et eulx saiges. Aussi bien ne
leurs a il rien ordonné par testament. Le
Diable me emport si je y voys. S’il est
damné, a son dam. Pour quoy mesdisoit
il des bons peres de religion? Pour quoy
les avoit il chassechassé hors sa chambre, sus
l’heure que il avoit plus de besoing de
leur ayde, de leurs devotes prieres, de
leurs sainctes admonitions? Pour quoy
par testament ne leurs ordonnoit il au
moins quelques bribes, quelque bouffai-
ge, quelque carreleure de ventre, aux pa-
ouvres gens qui n’ont que leur vie en ce
monde? Y aille qui vouldra aller. Le Dia-
ble me emport si je y voys. Si je y allois, le
Diable me emporteroit. Cancre. Houstez
vous de la.


Frere Jan veulx tu que praesentement
trente mille charretées de Diables t’em- K iiij



[76v]
portent? Fays trois choses. Baille moy ta
bourse. Car la croix est contraire au char-
me. Et te adviendroit ce que nagueres ad-
vint a Jan Dodin recepveur du Couldray
au gué de Vede, quand les gens d’armes
rompirent les planches. Le pinart rencon-
trant sus la rive frere Adam Couscoil Cor-
delier observantin de Myrebeau, luy pro-
mist un habit en condition qu’il le pas-
sast oultre l’eau a la cabre morte sus ses
espaules. Car c’estoit un puissant ribault.
Le pacte feut accordé. Frere Couscoil se
trousse jusques aux couilles, & charge a
son dours comme un beau petit sainctChris-
tophle
, ledict suppliant Dodin. Ainsi le
portoit guayement, comme AEneas por-
ta son pere Anchises horshort la conflagra-
tion de Troie, chantant un bel Ave maris
stella
. Quand ilz feurent au plus parfond
du gué, au dessus de la roue du moulin,
il luy demanda, s’il avoit poinct d’ar-
gent sus luy. Dodin respondit, qu’il en a-
voit pleine gibbessiere, & qu’il ne se des-
fiast de la promesse faicte d’un habit neuf.
Comment (dist frere Couscoil) tu sçaiz bien
que par chapitre exprés de nostre reigle
il nous est riguoureusement defendu por- ter



77
ter argent sus nous. Malheureux es tu bi-
en certes: qui me as faict pecher en ce
poinct. Pourquoy ne laissas tu ta bourse
au meusnier? Sans faulte tu en seras prae-
sentement puny. Et si jamais je te peuz te-
nir en nostre chapitre a Myrebeau, tu au-
ras du Miserere jusques a Vitulos. Soub-
dain se descharge, & vous jecte Dodin en
plein eau la teste au fond. A cestuy exem
ple frere Jan mon amy doulx, affin que les
Diables t’emportent mieulx a ton aise,
baille moy ta bourse: ne porte croix aul-
cune sus toy. Le danger y est evident. Ayant
argent, portant croix, ilz te jecteront sus
quelques rochiers, comme les aigles jectent
les tortues pour les casser, tesmoing la te-
ste pelée du poëte AEschylus. Et tu te ferois
mal mon amy. J’en seroys bien fort mar-
ry: ou te laisseront tomber dedans quelque
mer je ne sçay ou, bien loing, comme tomba
Icarus. Et seroit par apres nommée la mer
Entommericque
. Secondement sois quit-
te. Car les Diables ayment fort les quittes.
Je le sçay bien quant est de moy. Les pail-
lars ne cessent me mugueter, & me faire
la court. Ce que ne souloient estant safra-
né & endebté. L’ame d’un home endebté



[77v]
est toute hectique & discrasiée. Ce n’est
viande a Diables. Tiercement avecques
ton froc & ton domino de grobis retour-
ne a Raminagrobis. En cas que trente mil-
le batelées de Diables ne t’emportent ain
si qualifié, je payeray pinthe & fagot. Et
si pour ta sceureté, tu veulx compaignie
avoir, ne me cherchez pas, non. Je t’en ad-
vise. Houstez vous de la. Je n’y voys pas.
Le Diable m’emport si je y voys.


Je ne m’en souciroys (respondit frere
Jan
) pas tant par adventure que l’onlon di-
royt, ayant mon bragmard on poing. Tu
le prens bien (dist Panurge) & en parle
comme docteur subtil en lard. On temps que
j’estudiois a l’eschole de Tolete, le reverend
pere en Diable Picatris recteur de la fa-
culté diabolologicque, nous disoit que na
turellement les Diables craignent la splen-
deur des espées, aussi bien que la lueur du
Soleil. De faict Hercules descendent en
enfer a tous les Diables, ne leurs feist tant
de paour ayant seulement sa peau de Lion,
& sa massue, comme par apres feist AEne-
as
estant couvert d’un harnoys resplen-
dissant, & guarny de son bragmard bien
apoinct fourby & desrouillé a l’ayde & conseil



78
conseil de la Sibylle Cunnane. C’estoit
(peut estre) la cause pourquoy le seigneur
JanJacques Trivolse mourant a Chartres,
demanda son espée, & mourut l’espée nue
on poing, s’escrimant tout au tour du lict,
comme vaillant & chevalereux, & par
ceste escrime mettant en fuyte tous les Di-
ables qui le guestoient au passaige de la
mort. Quand on demande aux Massorethz
& Caballistes, pourquoy les Diables n’en-
trent jamais en paradis terrestre? Ilz ne
donnent aultre raison, si non que a la
porte est un Cherubin tenent en main u-
ne espée flambante. Car parlant en vraye
diabolologie de Tolete, je confesse que les
Diables vrayement ne peuvent par coups
d’espéedespée mourir: mais je maintiens scelon
la dicte diabolologie, qu’ilz peuvent pa-
tir solution de continuité. Comme si tu
couppois de travers avecques ton brag-
mard une flambe de feu ardent, ou une
grosse & obscure fumée. Et crient comme
Diables a ce sentement de solution, laquel-
le leurs est doloreuse en Diable.


Quand tu voyds le hourt de deux ar-
mées, pense tu Couillasse, que le bruyt si
grand & horrible que l’on y oyt, proviene des



[78v]
des voix humaines? du hurtis des harnois?
du clicquetis des bardes, du chaplis des
masses? du froissis des picques, du bris des
lances, du cris des navrez? du son des ta-
bours & trompettes? du hannissement des
chevaulx? du tonnoire des escourpettesescoupettes
& canons? Il en est veritablement quel-
que chose. force est que le confesse. Mais
le grand effroy, & vacarme principal pro-
vient du dueil & ulement des Diables: qui
la guestans pelle melle les paouvres ames
des blessez, reçoivent coups d’espée a l’im
proviste, & patissent solution en la con-
tinuité de leurs substances aërées & invi-
sibles: comme si a quelque lacquais croc-
quant les lardons de la broche, maistre
Hordoux
donnoit un coup de baston sus
les doigts. Puys crient & ulent comme Dia-
bles: comme Mars, quand il feut blessé
par Diomedes davant Troie, Homere dict
avoir crié en plus hault ton & plus hor-
rificque effroy, que ne feroient dix mille
homes ensemble. Mais quoy? Nous par-
lons de harnoys fourbiz, & d’espées res-
plendentes. Ainsi n’est il de ton bragmard.
Car par discontinuation de officier, & par
faulte de operer, il est par ma foy plus rouillé



79
rouille[sic], que la claveure d’un vieil charni-
er. Pourtant faiz de deux choses l’une. Ou
le desrouille bien apoinct & guaillard: ou
le maintenant ainsi rouillé, guarde que ne
retourne en la maison de Raminagrobis.
De ma part je n’y voys pas. Le Diable
m’emport si je y voys.


COMMENT PANURGE
prend conseil de Epistemon .
Chapitre XXIIII.


LAissans la Villaumere, & re-
tournans vers Pantagruel, par
le chemin Panurge s’adressa a
Epistemon, & luy dist. Compere
mon antique amy, vous voyez la perple-
xité de mon esprit. Vous sçavez tant de bons
remedes. Me sçauriez vous secourir? Epi-
stemon
print le propous, & remonstroit
a Panurge comment la voix publicque estoit
toute consommée en mocqueries de son
desguisement: & luy conseilloit prendre
quelque peu de Ellebore, affin de purger
cestuy humeur en luy peccant, & repren-
dre ses accoustremens ordinaires. Je suys
(dist Panurge) Epistemon mon compere,



[79v]
en phantasie de me marier. Mais je crains
estre coqu & infortuné en mon mariage.
Pourtant ay je faict veu a sainctFrançois
lale jeune, lequel est au Plessis lez Tours
reclamé de toutes femmes en grande de-
votion (car il est premier fondateur des
bons homes, lesquelz elles appetent na-
turellement) porter lunettes au bonnet,
ne porter braguette en chausses, que sus
ceste mienne perplexité d’esprit je n’aye
eu resolution aperte. C’est (dist Episte-
mon
) vrayement un beau & joyeulx veu.
Je me esbahys de vous, que ne retour-
nez a vous mesmes, et que ne revocquez
vos sens de ce farouche esguarement en
leur tranquillité naturelle. Vous enten-
dent parler, me faictez souvenir du veu
des Argives a la large perrucque, les quelz
ayans perdu la bataille contre les Lace-
daemoniens en la controverse de Tyrée,
feirent veu cheveulx en teste ne porter,
jusques a ce qu’ilz eussent recouvert leur
honneur et leur terre: du veu aussi du plai-
sant Hespaignol Michel Doris, qui porta
le trançon de greve en sa jambe. Et ne
sçay lequel des deux seroit plus digne &
meritant porter chapperon verd & jausne a aureil-



80
a aureilles de lievre, ou icelluy glorieux
champion, ou Enguerrant qui en faict le
tant long, curieux, & fascheux compte,
oubliant l’art & maniere d’escrire histoi-
res, baillée par le philosophe Samosatoys.
Car lisant icelluy long narré, lon pense
que doibve estre commencement, & oc-
casion de quelque forte guerre, ou insi-
gne mutation des Royaulmes: mais en
fin de compte on se mocque & du benoist
champion, & de l’Angloys qui le deffia,
& de Enguerrant leur tabellion plus ba-
veux qu’un pot a moustarde. La mocque-
rie est telle que de la montaigne d’Horace,
laquelle crioyt & lamentoyt enormement,
comme femme en travail d’enfant. A son cris
& lamentation accourut tout le voisinaige
en expectation de veoir quelque admira-
ble & monstrueux enfantement, mais en fin
ne nasquit d’elle qu’une petite souriz.


Non pourtant (dist Panurge) je m’en
soubrys. Se mocque qui clocque. Ainsi fe-
ray comme porte mon veu. Or long temps
a que avons ensemble vous & moy, foy &
amitié jurée, par Juppiter Philios, dictez
m’en vostre advis. Me doibz je marier, ou
non? Certes (respondit Epistemon) le cas



[80v]
est hazardeux, je me sens par trop insuf-
fisant a la resolution. Et si jamais feut vray
en l’art de medicine le dict du vieil Hip-
pocrates
de Lango, JUGEMENT DIF-
FICILE, il est en cestuy endroict verissi-
me. J’ay bien en imagination quelques dis-
cours moienans les quelz nous aurions de-
termination sus vostre perplexité. Mais ilz
ne me satisfont poinct apertement. Aul-
cuns Platonicques disent que qui peut ve-
oir son Genius, peut entendre ses destinées.
Je ne comprens pas bien leur discipline,
& ne suys d’advis que y adhaerez. Il y a de
l’abus beaucoup. J’en ay veu l’experience
en un gentil home studieux & curieux on
pays d’Estangourre. C’est le poinct pre-
mier. Un aultre y a. Si encores regnoient
les oracles de Juppiter en Amon: de A-
pollo
en Lebadie, Delphes, Delos, Cyr-
rhe
, Patare, Tegyres, Preneste, Lycie, Co-
lophon
: en la fontaine Castallie pres An
tioche
en Syrie: entre les Branchides: de
Bacchus, en Dodone: de Mercure, en Pha
res
pres Patras: de Apis, en AEgypte: de
Serapis, en Canobe: de Faunus, en Mae-
nalie
& en Albunée pres Tivoli: de Ty-
resias
, en Orchomene: de Mopsus, en Ci- licie



81
licie
: de Orpheus, en Lesbos: de Tro-
phonius
, en Leucadie. Je seroys d’advis
(paradvanture non seroys) y aller & en-
tendre quel seroit leur jugement sus vo-
stre entreprinse. Mais vous sçavez que
tous sont devenuz plus mutz que pois-
sons, depuys la venue de celluy Roy ser-
vateur on quel ont prins fin tous oracles
& toutes propheties: comme advenente
la lumiere du clair Soleil disparent tous
Lutins, Lamies, Lemures, Guaroux, Far-
fadetz, & Tenebrions. Ores toutesfoys
qu’encores feussent en regne, ne conseil-
leroys je facillement adjouster foy a leurs
responses. Trop de gens y ont esté trom-
pez. D’adventaige je me recorde que A-
gripine
mist sus a Lollie la belle, avoir in-
terrogué l’oracle de Apollo Clarius pour
entendre si mariée elle seroit avecques
Claudius l’empereur. Pour ceste cause feut
premierement banie, & depuys a mort
ignominieusement mise.


Mais (dist Panurge) faisons mieulx.
Les isles Ogygies ne sont loing du port
Sammalo
, faisons y un voyage apres qu’-
aurons parlé a nostre Roy. En l’une des
quatre, laquelle plus a son aspect vers So- L



[81v]
leil couchant, on dict, je l’ay leu en bons
& antiques autheurs, habiter plusieurs di
vinateurs, vaticinateurs, & prophetes: y
estre Saturne lié de belles chaines d’or, de-
dans une roche d’or, alimenté de Ambro-
sie & Nectar divin, les quelz journellement
luy sont des cieulx transmis en abondance
par ne sçay quelle espece d’oizeaulx (peut
estre que sont les mesmes Corbeaulx, qui
alimentoient es desers sainctPaul premier
hermite) & apertement praedire a un chas
cun qui veult entendre son sort, sa desti-
née, & ce que luy doibt advenir. Car les
Parces rien ne fillent, Juppiter rien ne pro-
pense & rien ne delibere, que le bon pere
en dormant ne congnoisse. Ce nous seroit
grande abbreviation de labeur, si nous le
oyons un peu sus ceste mienne perplexité.
C’est (respondit Epistemon) abus trop
evident, & fable trop fabuleuse. Je ne iray
pas.


COMMENT PANURGE
se conseille a Her Trippa.

Chapitre XXV.

Voyez



82


VOyez cy (dist Epistemon con-
tinuant) toutesfoys que ferez,
avant que retournons vers no-
stre Roy, si me croyez. Icy
pres l’isle Bouchart demeure
Her Trippa, vous sçavez comment par art
de Astrologie, Geomantie, Chiromantie,
Metopomantie, & aultres de pareille farine
il praedict toutes choses futures: conferons
de vostre affaire avecques luy. De cela (re-
spondit Panurge) je ne sçay rien. Bien sçay
je que luy un jour parlant au grand Roy des
choses celestes & transcendentes, les lacquais
de court par les degrez, entre les huys sa-
bouloient sa femme a plaisir, laquelle estoit
assez bellastre. Et il voyant toutes choses ae-
therées & terrestres sans bezicles, discou-
rant de tous cas passez & praesens, praedisant
tout l’advenir, seulement ne voioit sa fem
me brimballante, & oncques n’en sceut les
nouvelles. Bien allons vers luy, puys qu’ain-
si le voulez. On ne sçauroit trop apprendre.


Au lendemain arriverent au logis de Her
Trippa
. Panurge luy donna une robbe de
peau de loup, une grande espée bastarde
bien dorée a fourreau de velours, & cin-
quante beaulx angelotz: puis familiairement L ij



[82v]
avecques luy confera de son affaire. De
premiere venue Her Trippa le reguardant
en face dist. Tu as la metaposcopie & phy
sionomie d’un coqu. Je diz coqu scandalé
& diffamé. Puys consyderant la main de-
xtre de Panurge en tous endroictz, dist.
Ce faulx traict que je voy icy au dessus du
mons Jovis, oncques ne feut qu’en la main
d’un coqu. Puys avecques un style feist ha-
stivement certain nombre de poinctz di-
vers, les accoubla par Geomantie, & dist.
Plus vraye n’est la verité, qu’il est certain
que seras coqu, bien tost apres que seras
marié. Cela faict, demanda a Panurge l’ho-
roscope de sa nativité. Panurge luy ayant
baillé, il fabrica promptement sa maison
du ciel en toutes ses parties, & consyderant
l’assieté, & les aspectz en leurs triplicitez,
jecta un grand souspir & dist. J’avois ja prae-
dict apertement que tu serois coqu, a cela
tu ne povoys faillir: icy j’en ay d’abon-
dant asceurance nouvelle. Et te afferme
que tu seras coqu. D’adventaige seras de
ta femme battu, & d’elle seras desrobbé.
Car je trouve la septiesme maison en as-
pectz tous malings, & en batterie de tous
signes portans cornes, comme Aries, Tau- rus,



83
rus, Capricorne, & aultres. En la quar-
te je trouve decadence de Jovis, ensemble
aspect tetragone de Saturne, associé de
Mercure. Tu seras bien poyvré, home de
bien.


Je seray (respondirrespondit Panurge) tes for-
tes fiebvres quartaines vieulx fol sot mal
plaisant que tu es. Quand tous coqus
s’assembleront, tu porteras la baniere.
Mais dont me vient ce Cyron icy entre ces
deux doigtz? Cela disoit tirant droict vers
Her Trippa les deux premiers doigtz ou-
vers en forme de deux cornes, & fer-
mant on poing tous les aultres. Puys dict a
Epistemon. Voyez cy le vray Ollus de Mar
tial
. Lequel tout son estude adonnoit a ob-
server & entendre les maulx & miseres
d’aultruy. Ce pendent sa femme tenoit le
brelant. Il de son cousté paouvre plus que
ne feut Irus. Au demourant glorieux, oul-
trecuydé, intolerable plus que dix sept dia-
bles, en un mot, πτωχαλαζών, comme bien
proprement telle peaultraille de belistran-
diers nommoient les anciens. Allons. Laissons
icy ce fol enraigé, mat de cathene, ravasser
tout son saoul avecques ses diables privez.
Je croirois tantost que les diables voulussent L iij



[83v]
servir un tel marault. Il ne sçait le premier
traict de philosophie, qui est, CONGNOIS
TOY
. & se glorifiant veoir un festu en
l’oeil d’aultruy, ne void une grosse souche
laquelle luy poche les deux oeilz. C’est un
tel Polypragmon, que descript Plutarche.
C’est une aultre Lamie, laquelle en mai-
sons estranges, en public, entre le commun
peuple, voyant plus penetramment qu’un
Oince, en sa maison propre estoit plus a-
veugle qu’une Taulpe: chés soy rien ne
voioyt. Car retournant du dehors en son
privé, oustoit de sa teste ses oeilz exempti-
les comme lunettes, & les cachoit dedans
un sabot attaché darriere la porte de son
logis. A ces motz print Her Trippa un ra-
meau de Tamarix. Il prend bien (dist Epi-
stemon
) Nicander la nomme divinatrice.


Voulez vous (dist Her Trippa) en sça-
voir plus amplement la verité par Pyro-
mantie, par Aëromantie celebrée par A-
ristophanes
en ses nuées, par Hydroman-
tie, par Lecanomantie, tant jadis celebrée
entre les Assyriens & exproveeexprovée par Her-
molaus Barbarus
? Dedans un bassin plein
d’eaue je te monstreray ta femme future
brimballant avecques deux rustres. Quand (dist



84
(dist Panurge) tu mettras ton nez en mon
cul, soys recors de deschausser tes lunet-
tes. Par Catoptromantie (dist Her Trippa
continuant) moyenant laquelle Didius
Julianus empereur de Rome
praevoyoit
tout ce que luy doibvoit advenir, il ne te
fauldra poinct de lunettes. Tu la voyras
en un mirouoir brisgoutant aussi aperte-
ment, que si je te la monstrois en la fon-
taine du temple de Minerve pres Patras.
Par Coscinomantie jadis tant religieuse-
ment observée entre les cerimonies des
Romains. Ayons un crible et des forcet-
tes, tu voyras Diables. Par Alphitoman-
tie designée par Theocrite en sa Pharma-
ceutrie, et par Aleuromantie meslant du
froment avecques de la farine. Par A-
stragalomantie. J’ay ceans les projectz
tous prestz. Par Tyromantie. J’ay un fro-
maige de Brehemont a propous. Par
Gyromantie je te feray icy tournoyer for-
ce cercles, les quelz tous tomberont a gau
sche je t’en asceure. par Sternomantie.
par ma foy tu as le pictz assez mal pro-
portionné. Par Libanomantie. Il ne fault
qu’un peu d’encent. Par Gastromantie,
de la quelle en Ferrare longuement usa la L iiij



[84v]
dame Jacoba Rhodogine Engastrimy-
the: par Cephaleonomantie, de laquelle
user souloient les Alemans, routissans la
teste d’un Asne sus des charbons ardens.
Par Ceromantie. La par la cire fondue en
eaue tu voiras la figure de ta femme & de
ses taboureurs. Par Capnomantie. Sus des
charbons ardens nous mettrons de la se-
mence de Pavot & de Sisame. O chose
gualante! Par Axinomantie. Fais icy pro-
vision seulement d’une coingnée & d’une
pierre Gagate, laquelle nous metterons
sus la braze. O comment Homere en use bra
vement envers les amoureux de Penelo-
pe
. Par Onymantie. Ayons de l’huylle &
de la cire. Par Tephramantie. Tu voiras la
cendre en l’aër figurante ta femme en bel-
estat. Par Botanomantie. J’ay icy des feuil-
les de Saulge a propos. Par Sycomantie. O
art divine en feuielle de figuier! Par Ich-
thyomantie tant jadis celebrée & practiquee
par Tiresias & Polydamas. Aussi certaine-
ment que jadis estoit faict en la fosse Dina
on boys sacré a Apollo en la terre des Ly
ciens. Par Choeromantie. Ayons force pource
aulx, tu en auras la vescie. Par Cleroman-
tie, comme l’on trouve la febve on guasteau la vi-



85
la vigile de l’Epiphanie. Par Anthroman-
tie
Anthropoman-
tie
, de laquelle usa Heliogabalus empe-
reur de Rome
. Elle est quelque peu fas-
cheuse. Mais tu l’endureras assez, puis que
tu es destiné coqu. Par Stichomantie Si-
bylline. Par OnotommantieOnomatommantie. Comment as tu
nom? (Maschemerde respondit Panurge)
ou bien par Alectryomantie. Je feray icy
un cerne gualantement, lequel je parti-
ray toy voyant & considerant en vingt &
quatre portions equales. Sus chascune je
figureray une letre de l’alphabet: sus chas
cune letre je poseray un grain de froment:
puys lascheray un beau coq vierge a tra-
vers. Vous voirez (je vous affie) qu’il man-
gera les grains posez sus les lettres C.O.
Q.U.S.E.R.A. aussi fatidicquement, com-
me soubs l’empereur Valens estant en per-
plexité de sçavoir le nom de son successeur,
le coq vaticinateur & Alectryomantic man-
gea sus les letres Θ.Ε.Ο.Δ. Voulez vous en
sçavoir par l’art de Aruspicine? par Exti-
spicine? par Augure prins du vol des oi-
zeaulx? du chant des Oscines? du bal so-
listime des canes? (Par Estronspicine, res-
pondit Panurge) ou bien par Necromantie?
Je vous feray soubdain resusciter quel-



[85v]
qu’un peu cy devant mort, comme feist
Apollonius de Tyane envers Achilles,
comme feist la Phitonisse en praesence de
Saul: lequel nous en dira le totage, ne
plus ne moins que a l’invocation de Eric-
tho
un deffunct praedist a Pompée tout le
progres & issue de la bataille Pharsalic-
que. Ou si avez paour des mors, comme
ont naturellement tous coquz, je useray
seulement de Sciomantie.


Va (respondit Panurge) fol enraigé
au Diable: & te faiz lanterner a quelque
Albanoys, si auras un chapeau poinctu.
Diable que ne me conseillez tu aussi bien
tenir une Esmeraulde, ou la pierre de Hy-
ene soubs la langue? ou me munir de lan
gues de Puputz, & de coeurs de Ranes
verdes? ou manger du coeur & du foye
de quelque Dracon, pour a la voix & au
chant des Cycnes & oizeaulx entendre
mes destinées, comme faisoient jadis les
Arabes on pays de Mesopotamie? A tren
te Diables soit le coqu, cornu, marrane,
sorcier au Diable, enchanteur de l’Anti-
christ. Retournons vers nostre Roy. Je
suys asceuré que de nous content ne sera,
s’il entend une foys que soyons icy venuz en



86
en la tesniere de ce Diable emgiponné.
Je me repens d’y estre venu. Et donnerois
voluntiers cent nobles & quatorze rotu-
riers, en condition que celluy qui jadis
souffloit on fond de mes chausses, praesen-
tement de son crachatz luy enluminast
les moustaches. Vray Dieu comment il
m’a perfumé de fascherie & diablerie, de
charme & de sorcellerie! Le Diable le
puisse emporter. Dictez amen, & allons
boyre. Je ne feray bonne chere de deux,
non de quatre jours.


COMMENT PANURGE
prent conseil de frere Jan des
Entommeures
.
Chapitre XXVI.


PAnurge estoit fasché des pro-
pous de Her Trippa, & avoir
passé la bourgade de Huymes,
s’addressa a frere Jan, & luy
dist becguetant, & soy gratant l’aureille
guausche. Tien moy un peu joyeulx mon
bedon. Je me sens tout matagrabolisé en
mon esprit, des propous de ce fol endia-
blé. Escoute couillon mignon.



[86v]

                                                     
Couillon moignon.  c de renom. 
c. paté.  c. naté. 
c. plombé.  c. laicté. 
c. feutré.  c. calfaté. 
c. madré  c. relevé. 
c. de stuc.  c. de crotesque . 
c. Arabesque.  c. asseré. 
c. troussetroussé la levresque.   c. antiquaire. 
c. asceuré  c. guarancé. 
c. calandré.  c. requamé. 
c. diapré  c. estamé. 
c. martelé.  c. entrelardé. 
c. juré.  c. bourgeois. 
c. grené.  c. d’esmorche. 
c. endesvé.  c. goildronné. 
c. palletoqué.  c. aposté. 
c. lyripipié.  c. desiré. 
c. vernissé.  c. d’Ebene. 
c. de Bresil c. de Bouys. 
c. organizé.  c. Latin. 
c. de passe.  c. a croc. 
c. d’estoc.  c. effrené. 
c. forcené.  c. affecté. 
c. entassé.  c. compassé. 
c. farcy.  c. bouffy. 
c. polly.  c. jolly. 
c. poudrebif.  c. brandif. 




87                                                      
C. positif.  c. gerondif. 
c. genitif.  c. actif. 
c. gigantal.  c. vital. 
c. oval.  c. magistral. 
c. claustral.  c. monachal. 
c. viril.  c. subtil. 
c. de respect.  c. de relés. 
c. de sejour.  c. d’audace. 
c. massif.  c. lascif. 
c. manuel.  c. guoulu. 
c. absolu.  c. resolu. 
c. membru.  c. cabus. 
c. gemeau.  c. courtoys. 
c. turquoys  c. fecond. 
c. brislant.  c. sifflant. 
c. estrillant.  c. gent. 
c. urgent.  c. banier. 
c. duisant.  c. brusquet. 
c. prompt.  c. prinsaultier. 
c. fortuné.  c. clabault. 
c. coyrault.  c. usual. 
c. de haulte lisse.  c. exquis. 
c. requis.  c. fallot. 
c. cullot.  c. picardent. 
c. de raphe.  c. Guelphe. 
c. Ursin.  c. de triage. 
c. de paraige.  c. de mesnage. 




[87v]
                                                     
c. patronymicque.  c. pouppin. 
c. guespin.  c. d’alidada. 
c. d’algamala.  c. d’algebra. 
c. robuste.  c. venuste. 
c. d’appetit.  c. insuperable. 
c. secourable.  c. agreable. 
c. redoubtable.  c. espovantable. 
c. affable.  c. profitable. 
c. memorable.  c. notable. 
c. palpable.  c. musculeux. 
c. bardable.  c. subsidiaire. 
c. Tragicque.  c. Satyricque. 
c. transpontin.  c. repercussif. 
c. digestif.  c. convulsif. 
c. incarnatif.  c. restauratif. 
c. sigillatif.  c. masculinant. 
c. ronssinant.  c. baudouinant. 
c. refaict.  c. fulminant. 
c. tonnant.  c. estincelant. 
c. martelant.  c. arietant. 
c. strident.  c. aromatisant. 
c. timpant.  c. diaspermatisant. 
c. pimpant.  c. ronflant. 
c. paillard.  c. pillard. 
c. guaillard.  c. hochant. 
c. brochant.  c. talochant. 
c. avorté.  c. eschalloté. 
c. syn



88    
c. syndicqué.  c. farfouillant. 
c. belutant.  c. culbutant. 

Couillon hacquebutant, couillon culle-
tant frere Jan mon amy, je te porte reve-
rence bien grande. & te reservoys a bon-
ne bouche: je te prie diz moy ton advis.
Me doibs je marier ou nomnon? Frere Jan
luy respondit en alaigresse d’esprit, di-
sant. Marie toy de par le Diable, marie
toy, & carrillonne a doubles carrillons
de couillons. Je diz & entends le plus
toust que faire pourras. Des huy au soir
faiz en crier les bancs & le challit. Ver-
tus Dieu a quand te veulx tu reserver?
Sçaiz tu pas bien, que la fin du monde ap-
proche? Nous en sommes huy plus pres
de deux trabutz & demie toise, que n’e-
stions avant hier. L’Antichrist est des-
ja né. ce m’a lon dict. Vray est que il ne
faict encores que esgratigner sa nourris-
se & ses gouvernantes: & ne monstre en-
cores les thesaurs. Car il est encores pe-
tit. Crescite. Nos qui vivimus. Multipli-
camini. il est escript. C’est matiere de bre-
viaire. Tant que le sac de bled ne vaille
trois patacz, & le bussart de vin, que six
blancs. Vouldrois tu bien qu’on te trou-



[88v]
vast les couilles pleines au jugement? dum
venerit iudicare
. Tu as (dist Panurge) l’e-
sprit moult limpide & && serain, frere Jan
couillon Metropolitain, & parlez perti-
nemment. C’est ce dont Leander de A-
byde
en Asie, nageant par la mer Helle-
sponte
pour visiter s’amie Hero de Seste
en Europe, prioit Neptune & tous les
Dieux marins.


Si en allant je suys de vous choyé,
Peu au retour me chault d’estre noyé.


Il ne vouloit poinct mourir les couilles
pleines. Et suys d’advis que dorenavant
en tout mon Salmigondinoys, quand on
vouldra par justice executer quelque mal-
faicteur, un jour ou deux davant on le fa-
ce brisgoutter en Onocrotale, si bien que
en tous ses vases spermaticques ne reste
de quoy protraire un Y Gregoys. Cho-
se si precieuse ne doibt estre follement
perdue. Par adventure engendrera il un
home. Ainsi mourra il sans regret, laissant
home pour home.


COMMENT FRERE JAN
joyeusement conseille Panurge.



89
Chapitre XXVII.


PAr sainct Rigomé (dist frere
Jan
) Panurge mon amy doulx,
je ne te conseille chose que je
ne feisse, si j’estoys en ton lieu.
Seulement ayez esguard &
consyderation de tousjours bien lier &
continuer tes coups. Si tu y fays inter-
mission, tu es perdu paouvret: & t’advi-
endra ce que advient es nourrisses. Si el-
les desistent alaicter enfans, elles perdent
leur laict. Si continuellement ne exercez
ta mentule, elle perdra son laict, & ne te
servira que de pissotiere: les couilles pa-
reillement ne te serviront que de gibbes-
siere. Je t’en advise mon amy. J’en ay veu
l’experience en plusieurs: qui ne l’ont peu
quand ilz vouloient: car ne l’avoient faict
quand le povoient. Aussi par monnon usaige
sont perduz tous privileges, ce disent les
clercs. Pourtant fillol maintien tout ce
bas & menu populaire Troglodyte, en
estat de labouraige sempiternel. Donne
ordre qu’ilz ne vivent en gentilz homes:
de leurs rantes, sans rien faire.


Ne dea (respondit Panurge) frere Jan
mon couillon guausche, je te croiray. Tu M



[89v]
vas rondement en besoigne. Sans exce-
ption ne ambagés tu m’as apertement dis-
solu toute craincte qui me povoit intimi-
der. Ainsi te soit donné dés cieulx, tous-
jours bas & roydde operer. Or doncques
a ta parolle je me mariray. Il n’y aura
poinct de faulte. Et si auray tousjours bel-
les chambrieres, quand tu me viendras
veoir, & seras protecteur de leur sororité.
Voyla quand a la premiere partie du ser-
mon. Escoute (dist frere Jan) l’oracle des
cloches de Varenes. Que disent elles? Je
les entends, (respondit Panurge). Leur
son est par ma soif plus fatidicque que des
chauldrons de Juppiter en Dodone. Es-
coute. Marie toy, marie toy: marie, ma-
rie. Si tu te marie, marie, marie, tresbien
t’en trouveras, veras, veras. Marie, marie.
Je te asceure que je me mariray: tous les
elemens me y invitent. Ce mot te soit com-
me une muraille de bronze.


Quant au second poinct, tu me semblez
aulcunement doubter, voyre deffier de ma
paternité: comme ayant peu favorable
le roydde Dieu des jardins. Je te supply
me faire ce bien de croire, que je l’ay a com
mandement, docile, benevole, attentif, o- beissant



10090
beissant en tout & partout. Il ne luy fault
que lascher les longes, je diz l’aiguillette,
luy monstrer de pres la proye: & dire,
hale compaignon. Et quand ma femme fu-
ture seroit aussi gloutte du plaisir Vene-
rien, que fut oncques Messalina, ou la mar
quise de Oinsestre
en Angleterre, je te
prie croire, que je l’ay encores plus copi-
eux au contentement. Je ne ignore que
Solomon dict, & en parloit comme clerc
& sçavant: depuys luy Aristoteles a de-
clairé l’estre des femmes estre de soy insa
tiable: mais je veulx qu’on saiche que de
mesmes qualibre j’ay le ferrement infati-
guable. Ne me allegue poinct icy en pa-
ragon les fabuleux ribaulx Hercules, Pro-
culus Caesar
, & Mahumet, qui se vente en
son Alchoran avoir en ses genitoires la for
ce de soixante guallefretiers. Il a menty le
paillard. Ne me alleguez poinct l’Indian
tant celebré par Theophraste, Pline, &
Athenaeus, lequel avecques l’ayde de cer-
taine herbe le faisoit en un jour soixante &
dix fois & plus. Je n’en croy rien. le nombre
est supposé. Je te prie ne le croyre. Je te
prie croyre (& ne croyras chose que ne
soit vraye) mon naturel le sacre Ithyphalle M ij



[90v]
messer Cotal d’Albingues, estre le prime
d’el monde, Escoute ça couillette. Veidz
tu oncques le froc du moine de Castres?
Quand on le posoit en quelque maison,
feust a descouvert, feust a cachettes, soub-
dain par sa vertus horrificque tous les ma
nens & habitans du lieu entroient en ruyt
bestes & gens: homes & femmes, jusques
aux ratz & aux chatz. Je te jure qu’en ma
braguette j’ay aultres foys congneu cer-
taine energie encores plus anomale. Je ne
te parleray de maison ne de buron: de
sermon ne de marché: mais a la passion
qu’on jouoit a sainct Maixent entrant un
jour dedans le parquet je veidz par la ver-
tus & occulte proprieté d’icelle soubdai-
nement tous tant joueurs que spectateurs
entrer en tentation si terrificque, qu’il ne
y eut Ange, Home, Diable, ne Diablesse,
qui ne voulust biscoter. Le Portecole a-
bandonna sa copie: celluy qui jouoit sainct
Michel
, descendit par la volerie: les Dia-
bles sortirent d’enfer, & y emportoient
toutes ces paovres femmelettes: mesmes
Lucifer se deschayna. Somme, voyant le
desarroy, je deparquay du lieu: a l’exem-
ple de Caton le Censorin: lequel voyant par



10191
par sa praesence les festes Floralies en de-
sordre, desista estre spectateur.


COMMENT FRERE JAN
reconforte Panurge sus le doub-
te de Coquage
.

Chapitre XXVIII.


JE t’entends (dist frere Jan)
mais le temps matte toutes
choses. Il n’est le Marbre ne
le Porphyre, qui n’ayt sa vi-
eillesse & decadence. Si tu ne en es la
pour ceste heure, peu d’années apres sub-
sequentes je te oiray confessant, que les
couilles pendent a plusieurs par faulte de
gibbessiere. Desja voy je ton poil grison-
ner en teste. Ta barbe par les distinctions
du gris, du blanc, du tanné, & du noir, me
semble une Mappemonde. Reguarde icy.
Voy la Asie. Icy sont Tigris & Euphra-
tes
. Voy la Afrique. Icy est la montai-
gne de la Lune. Voidz tu les paluz du
Nil? Deça est Europe. Voydz tu Thele-
me
? Ce touppet icy tout blanc, sont les
mons Hyperborées. Par ma soif mon amy, M iij



[91v]
quand les neiges sont es montaignes: je
diz la teste & le menton, il n’y a pas grand
chaleur par les valées de la braguette.
Tes males mules (respondit Panurge).
Tu n’entends pas les Topiques. Quand la
neige est sus les montaignes: la fouldre,
l’esclair, les lanciz, le mau lubec, le rou-
ge grenat, le tonnoirre, la tempeste, tous
les Diables, sont par les vallées. En veulx
tu veoir l’experience? Va on pays de Sou-
isse
: & consydere le lac de VUnderber-
lich
Vunderber-
lich
a quatre lieues de Berne, tirant vers
Sion. Tu me reproches mon poil grison-
nant, & ne consydere poinct comment il
est de la nature des pourreaux, es quelz
nous voyons la teste blanche, & la queue
verde droicte & viguoureuse. Vray est que
en moy je recongnois quelque signe in-
dicatif de vieillesse. Je diz verde vieilles-
se. ne le diz a personne. Il demourera se-
cret entre nous deux. C’est que je trouve
le vin meilleur & plus a mon goust savou
reux, que ne soulois: plus que ne soulois,
je crains la rencontre du mauvais vin.
Note que cela argüe je ne sçay quoy du
ponent, & signifie que le midy est passé.
Mais quoy? Gentil compaignon tous- jours,



10292
jours, autant ou plus que jamais. Je ne crains
pas cela de par le Diable. Ce n’est la ou
me deult. Je crains que par quelque lon-
gue absence de nostre roy Pantagruel, au
quel force est que je face compaignie, voi-
re allast il a tous les Diables, ma femme
me face coqu. Voy la le mot peremptoi-
re. Car tous ceulx a qui j’en ay parlé, me
en menassent. Et afferment qu’il me est
ainsi praedestiné des cieulx. Il n’est (respon
dit frere Jan) coqu, qui veult. Si tu es co-
qu, ergò ta femme sera belle: ergò tu se-
ras bien traicté d’elle: ergò tu auras des
amis beaucoup: ergò tu seras saulvé. Ce
sont Topicques monachales. Tu ne en
vauldras que mieulx, pecheur. Tu ne feuz
jamais si aise. Tu n’y trouveras rien moins.
Ton bien acroistra d’adventaige. S’il est
ainsi praedestiné, y vouldrois tu contre-
venir? diz Couillon flatry. C. moisy.

             
c. rouy.  c. chaumeny. 
c. poitry d’eaue froyde.  c. pendillant. 
c. transy.  c. appellant. 
c. avallé.  c. guavasche. 
c. fené.  c. esgrené. 
c. esrené.  c. incongru. 
c. de faillance.  c. forbeu. 
M iiij



[92v]
                                                     
c. hallebrené.  c. lanterné. 
c. prosterné.  c. embrené. 
c. engroué.  c. amadoué. 
c. ecremé.  c. exprimé. 
c. supprimé.  c. chetif. 
c. retif.  c. putatif. 
c. moulu.  c. vermoulu. 
c. dissolu.  c. courbatu. 
c. morfondu.  c. malautru. 
c. dyscrasié.  c. biscarié. 
c. disgratié.  c. liegé. 
c. flacque.  c. diaphane. 
c. esgoutté.  c. desgousté. 
c. acravanté.  c. chippoté. 
c. escharbotté.  c. hallebotté. 
c. mitré.  c. chapitré. 
c. baratté.  c. chicquané. 
c. bimbelotté.  c. eschaubouillé. 
c. entouillé.  c. barbouillé. 
c. vuidé.  c. riddé. 
c. chagrin.  c. have. 
c. demanché.  c. morné. 
c. vereux.  c. pesneux. 
c. vesneux.  c. forbeu. 
c. malandré.  c. meshaigné. 
c. thlasié.  c. thlibié. 
c. spadonicque.  c. sphacelé. 
c. bistorié.



10393                                                      
c. bistorié.  c. deshinguandé. 
c. farineux  c. farcineux. 
c. hergneux.  c. varicqueux. 
c. gangreneux.  c. vereux. 
c. croustelevé.  c. esclopé. 
c. depenaillé.  c. fanfreluché. 
c. matté.  c. frelatté. 
c. guoguelu.  c. farfelu. 
c. trepelu.  c. mitonné. 
c. trepané.  c. boucané. 
c. basané.  c. effilé. 
c. eviré.  c. vietdazé. 
c. feueilleté.  c. mariné. 
c. estiomené.  c. extirpé. 
c. etrippé.  c. constippé. 
c. nieblé.  c. greslé. 
c. syncopé.  c. soufleté. 
c. ripoppé.  c. buffeté. 
c. dechicqueté.  c. corneté. 
c. ventousé.  c. talemousé. 
c. effructé.  c. balafré. 
c. gersé.  c. eruyté. 
c. pantois.  c. putois. 
c. fusté.  c. poulsé. 
c. de godalle.  c. frilleux. 
c. fistuleux.  c. scrupuleux. 
c. languoureux.  c. fellé. 




[93v]
                                             
c. maleficié.  c. rance. 
c. hectique.  c. diminutif. 
c. usé.  c. tintalorisé. 
c. quinault.  c. marpault. 
c. matagrabolisé.  c. rouillé. 
c. maceré.  c. indague. 
c. paralycticque.  c. antidaté. 
c. degradé.  c. manchot. 
c. perclus.  c. confus. 
c. de Ratepenade.  c. Maussade. 
c. de petarrade.  c. acablé. 
c. hallé.  c. assablé. 
c. dessiré.  c. desolé. 
c. hebeté.  c. decadent. 
c. cornant.  c. soloecisant. 
c. appellant.  c. mince. 
c. barré.  c. ulceré. 
c. assassiné.  c. bobeliné. 
c. devalizé.  c. engourdely. 
c. anonchaly.  c. aneanty. 
c. de matafain.  c. de zero. 
c. badelorié.  c. frippé. 
c. deschalandé.  c. febricitant. 


Couillonnas au diable, Panurge mon
amy: puys qu’ainsi t’est praedestiné. voul-
droys tu faire retrograder les plane-
tes? demancher toutes les sphaeres celestes? propou-



10494
propouser erreur aux Intelligences mo-
trices? espoincter les fuzeaulz, articu-
ler les vertoilz, calumnier les bobines, re-
procher les detrichoueres, condempner les
frondrillons, defiller les pelotons des Parces?
Tes fiebvres quartaines Couillu. Tu ferois
pis que les Geants. Vien ça couillaud. Ai-
merois tu mieulx estre jalous sans cause,
que coqu sans congnoissance? Je ne voul-
drois (respondit Panurge) estre ne l’un ne
l’aultre. Mais si j’en suys une fois adverty,
je y donneray bon ordre, ou bastons fauldront
on monde. Ma foy, frere Jan, mon meilleur
sera poinct ne me marier. Escoute que me
disent les cloches a ceste heure que som-
mes plus pres. Marie poinct, marie poinct
poinct, poinct, poinct, poinct. Si tu te ma-
rie: marie poinct, marie poinct, poinct,
poinct, poinct, poinct: tu t’en repentiras,
tiras, tiras. coqu seras. Digne vertus de
Dieu, je commence entrer en fascherie.
Vous aultres cerveaulx enfrocquez, n’y
sçavez vous remede aulcun? Nature a elle
tant destitué les humains, que l’home ma-
rié ne puisse passer ce monde sans tomber
es goulphres & dangiers de Coqüage?





[94v]

Je te veulx (dist frere Jan) enseigner un
expedient, moyenant lequel jamais ta fem
me ne te fera coqu sans ton sceu & ton con-
sentement. Je t’en prie (dist Panurge) couil-
lon velouté. Or diz mon amy. Prens (dist
frere Jan) l’anneau de Hans Carüel grand
lapidaire du Roy de Melinde. Hans Ca-
rüel
estoit home docte, expert, studieux,
home de bien, de bon sens, de bon juge-
ment, debonnaire, charitable, aulmons-
nier, philosophe: joyeulx au reste, bon com
paignon, & raillart, si oncques en feut: ven-
tru quelque peu, branslant de teste, & aul-
cunement mal aisé de sa persone. Sus ses
vieulx jours il espousa la fille du baillif
Concordat, jeune, belle, frisque, guallante,
advenente, gratieuse par trop envers ses
voisins & serviteurs. Dont advint en suc-
cession de quelques hebdomades, qu’il en
devint jalous, comme un Tigre: & entra
en soubson, qu’elle se faisoit tabourer les
fesses d’ailleurs. Pour a la quelle chose ob-
vier, luy faisoit tout plein de beaulx com-
ptes touchant les desolations advenues
par adultere: luy lisoit souvent la legen-
de des preudes femmes: la preschoit de
pudicité, luy feist un livre des louanges de fidelité



10595
fidelité conjugale, detestant fort & ferme
la meschanceté des ribauldes mariées: &
luy donna un beau carcan tout couvert
de Sapphyrs orientaulx. Ce non obstant,
il la voioyt tant deliberée, & de bonne che-
re avecques ses voisins, que de plus en plus
croissoit sa jalousie. Une nuyct entre les
aultres estant avecques elle couché en tel-
les passions, songea qu’il parloit au diable
& qu’il luy comptoit ses doleances. Le dia-
ble le reconfortoit, & luy mist un anneau
on maistre doigt disant. Je te donne cestuy
anneau: tandis que l’auras on doigt, ta fem-
me ne sera d’aultruy charnellement con-
gneue sans ton sceu & consentement. Grand
mercy (dist Hans Carüel) monsieur le dia-
ble. Je renye Mahon, si jamais on me l’o-
ste du doigt. Le diable disparut: Hans Ca-
rüel
tout joyeulx s’esveigla, & trouva
qu’il avoit le doigt on comment a nom? de
sa femme. Je oubliois a compter comment
sa femme le sentent, reculloit le cul arrie-
re, comme disant ouy nenny. ce n’est ce
qu’il y fault mettre. & lors sembloit a Hans
Carüel
: qu’on luy voulust desrobber son
anneau. N’est ce remede infallible? A ce-
stuy exemple faiz, si me croys, que conti-



[95v]
nuellement tu ayez l’anneau de ta fem-
me on doigt. Icy feut fin & du propous &
du chemin.


COMMENT PANTA-
gruel
faict assemblée d’un Theologien,
d’un medicin, d’un Legiste, &
d’un Philosophe, pour la per-
plexité de Panurge.

Chapitre XXIX.


ARrivez au palais, compterent
a Pantagruel le discours de
leur voyage, & luy monstre-
rent le dicté de Raminagro-
bis
. Pantagruel, l’avoir leu &
releu, dist. Encores n’ay je veu response,
que plus me plaise. Il veult dire sommaire-
ment, qu’en l’entreprinse de mariage chas-
cun doibt estre arbitre de ses propres pen-
sées, & de soy mesmes conseil prendre. Tel-
le a tousjours esté mon opinion: & autant
vous en diz la premiere foys que m’en
parlastez. Mais vous en mocquiez tacite-
ment, il m’en soubvient, & congnois que Phi-
lautie & amour de soy, vous deçoit. Fai-
sons aultrement. Voicy quoy. Tout ce que sommes



10696
sommes & qu’avons, consiste en trois cho-
ses, En l’ame, on corps, es biens. A la con-
servation de chascun des trois respective-
ment sont au jourdhuy destinées troys ma-
nieres de gens. Les Theologiens a l’ame, les
Medicins au corps, les Jurisconsultes aux
biens. Je suys d’advis que dimanche nous
ayons icy a dipner un Theologien, un Me-
dicin, & un Jurisconsulte. Avecques eulx
ensemble nous confererons de vostre per-
plexité. Par sainct Picault (respondit Pa-
nurge
) nous ne ferons rien qui vaille, je le
voy desja bien. Et voyez comment le mon-
de est vistempenardé. Nous baillons en guar-
de nos ames aux Theologiens, les quelz
pour la plus part sont haereticques: Nos
corps es medicins, qui tous abhorrent les
medicamens, jamais ne prennent medicine: Et
nos biens es Advocatz, qui n’ont jamais
procés ensemble. Vous parlez en Cour-
tisan (dist Pantagruel.) Mais le premier
poinct je nie, voyant l’occupation princi-
pale, voyre unicque & totale des bons
Theologiens estre emploictée par faictz,
par dictz, par escriptz, a extirper les er-
reurs & haeresies, (tant s’en fault qu’ilz
en soient entachez) & planter profunde-



[96v]
ment es cueurs humains la vraye & vive
foy catholicque. Le second je loue, voyant
les bons Medicins donner tel ordre a la par-
tie prophylactice & conservatrice de san-
té en leur endroict, qu’ilz n’ont besoing
de la therapeutice & curative par medi-
camens. Le tiers je concede, voyant les bons
advocatz tant distraictz en leurs patroci-
nations & responses du droict d’aultruy,
qu’ilz n’ont temps ne loisir d’entendre a
leur propre. Pourtant dimanche prochain
ayons pour Theologien nostre pere Hip-
pothadée
: pour medicin, nostre maistre
Rondibilis
: pour Legiste, nostre amy
Bridoye. Encores suys je d’advis que nous
entrons en la tetrade Pythagoricque, &
pour soubrequart ayons nostre feal le Phi
losophe Trouillogan
, attendu mesmement
que le Philosophe perfaict, & tel qu’est
Trouillogan, respond assertivement de
tous doubtes proposez. Carpalim donnez
ordre que les ayons tous quatre dimanche
prochain a dipner.


Je croy (dist Epistemon) qu’en toute
la patrie vous ne eussiez mieulx choisy.
Je ne diz seulement touchant les perfections
d’un chascun en son estat, les quelles sont hors



10797
hors tout dez de jugement: mais d’abon-
dant en ce que Rondibilis marié est, ne
l’avoit esté: Hippothadée oncques ne le
feut, & ne l’est: Bridoye l’ala esté, & ne l’est:
Trouillogan l’est, & l’ala esté. Je releveray
Carpalim d’une peine. Je iray inviter Bri-
doye
, (si bon vous semble) lequel est de
mon antique congnoissance: & au quel
j’ay a parler pour le bien & advencement
d’un sien honeste & docte filz, lequel estu-
die a Tholose soubs l’auditoire du tresdo-
cte & vertueux Boissonné. Faictez (dist Pan-
tagruel
) comme bon vous semblera. Et ad-
visez si je peuz rien pour l’advencement du
filz, & dignité du seigneur Boissonné, le-
quel je ayme & revere comme l’un des plus
suffisans qui soit huy en son estat. Je me y
emploiray de bien bon coeur.


COMMENT HIPPO-
thadée
Theologien donne conseil
a Panurge sus l’entreprin-
se de mariage
.
Chapitre XXX.

N



[97v]


LE dipner au dimanche subse-
quent ne feut si tost prest, com-
me les invitez comparurent,
excepté Bridoye lieutenant de
Fonsbeton
. Sus l’apport de la seconde ta-
ble Panurge en parfonde reverence dist.
Messieurs, il n’est question que d’un mot.
Me doibs je marier, ou non? Si par vous
n’est mon doubte dissolu, je le tiens pour
insoluble comme sont Insolubilia de Al-
liaco
. Car vous estes tous esleuz, choisiz,
& triez chascun respectivement en son estat,
comme beaulx Pois sus le volet.


Le pere Hippothadée a la semonce de
Pantagruel, & reverence de tous les assi-
stans respondit en modestie incroyable.
Mon amy vous nous demandez conseil,
mais premier fault que vous mesmes vous
conseillez. Sentez vous importunement
en vostre corps les aiguillons de la chair?
Bien fort, (respondit Panurge) ne vous
desplaise nostre pere. Non faict il (dist
Hippothadée) mon amy. Mais en cestuy
estrif avez vous de Dieu le don & gra-
ce speciale de continence? Ma foy non,
respondit Panurge. Mariez vous donc
mon amy, dist Hippothadée. Car trop meil leur



10898
leur est soy marier, que ardre on feu de
concupiscence. C’est parlé cela (s’escria
Panurge) gualantement, sans circumbili-
vaginer au tour du pot. Grand mercy mon-
sieur nostre pere. Je me mariray sans
poinct de faulte & bien tost. Je vous
convie a mes nopces. Corpe de galline
nous ferons chere lie. Vous aurez de
ma livrée, & si mangerons de l’oye, cor
beuf que ma femme ne roustira poinct.
Encores vous priray je mener la premie-
re dance des pucelles, s’il vous plaist
me faire tant de bien & d’honneur, pour
la pareille. Reste un petit scrupule a rom-
pre. Petit diz je, moins que rien. Seray
je poinct coqu? Nenny dea mon amy
(respondit Hippothadée) si Dieu plaist. O
la vertus de Dieu (s’escria Panurge) nous
soit en ayde. Ou me renvoyez vous bon-
nes gens? Aux conditionales, les quelles
en Dialectique reçoivent toutes contra-
dictions & impossibilitez. Si mon mu-
let Transalpin voloit, mon mulet Tran-
salpin auroit aesles. Si Dieu plaist, je ne se-
ray poinct coqu: je seray coqu, si Dieu
plaist. Dea, si feust condition a laquelle je peus-
se obvier, je ne me desespererois du tout. N ii



[98v]
Mais vous me remettez au conseil privé
de Dieu: en la chambre de ses menuz plai-
sirs. Ou prenez vous le chemin pour y al-
ler, vous aultres François? Monsieur no-
stre pere, je croy que vostre mieulx sera
ne venir pas a mes nopces. Le bruyt & la
triballe des gens de nopces vous rompe-
roient tout le testament. Vous aymez re-
pous, silence, & solitude. Vous n’y vien-
drez pas, ce croy je. Et puys vous dansez
assez mal, & seriez honteux menant le
premier bal. Je vous envoiray du rillé en
vostre chambre, de la livrée nuptiale aus-
sy. Vous boirez a nous s’il vous plaist.


Mon amy (dist Hippothadée) prenez
bien mes parolles, je vous en prie. Quand
je vous diz, s’il plaist a Dieu, vous fays je
tord? Est ce mal parlé? Est ce condition
blaspheme ou scandaleuse? N’est ce ho-
norer le seigneur, createur, protecteur, ser
vateur? N’est ce le recongnoistre unicque
dateur de tout bien? N’est ce nous declai-
rer tous dependre de sa benignité? Rien
sans luy n’estre, rien ne valoir, rien ne po-
voir: si sa saincte grace n’est sus nous in-
fuse? N’est ce mettre exception canonic-
que a toutes nos entreprinses? & tout ce que



10999
que proposons remettre a ce que sera di-
sposé par sa saincte volunté, tant es cieulx
comme en la terre? N’est ce veritablement
sanctifier son benoist nom? Mon amy,
vous ne serez poinct coqu, si Dieu plaist.
Pour sçavoir sur ce quel est son plaisir, ne
fault entrer en desespoir, comme de cho-
se absconse, & pour laquelle entendre,
fauldroit consulter son conseil privé, &
voyager en la chambre de ses tressainctz
plaisirs. Le bon Dieu nous a faict ce bien,
qu’ilz nous les a revelez, annoncez, de-
clairez, & apertement descriptz par les
sacres bibles. La vous trouverez que ja-
mais ne serez coqu, c’est a dire que ja-
mais vostre femme ne sera ribaulde, si
la prenez issue de gens de bien, instrui-
cte en vertus & honesteté, non ayant han-
té ne frequenté compaignie que de bonnes
meurs, aymant & craignant Dieu, aymant
complaire a Dieu par foy & observation
de ses sainctz commandemens: craignant
l’offenser & perdre sa grace par default de
foy & transgression de sa divine loy, en
laquelle est rigoreusement defendu adul-
tere, & commendé adhaerer unicquement
a son mary, le cherir, le servir, totalement N iij



[99v]
l’aymer apres Dieu. Pour renfort de ce-
ste discipline vous de vostre cousté l’en-
tretiendrez en amitié conjugale, continue-
rez en preud’homie, luy monstrerez bon
exemple, vivrez pudicquement, chaste-
ment, vertueusement en vostre mesnaige,
comme voulez qu’elle de son cousté vive.
Car comme le mirouoir est dict bon &
perfaict, non celluy qui plus est orné de
dorures & pierreries, mais celluy qui ve-
ritablement repraesente les formes obje-
ctes: aussi celle femme n’est la plus a esti-
mer, laquelle seroit riche, belle, elegante,
extraicte de noble race: mais celle qui
plus s’efforce avecques Dieu soy former
en bonne grace, & conformer aux meurs
de son mary. Voyez comment la Lune ne
prent lumiere ne de Mercure, ne de Jup-
piter
, ne de Mars, ne d’aultre planette ou
estoille qui soyt on ciel. Elle n’en reçoit
que du Soleil son mary, & de luy n’en re-
çoit poinct plus qu’il luy en donne par
son infusion & aspectz. Ainsi serez vous
a vostre femme en patron & exemplaire
de vertus & honesteté. Et continuement
implorerez la grace de Dieu a vostre pro-
tection. Vous voulez doncques (dist Pa- nurge



110100
nurge fillant les moustaches de sa barbe)
que j’espouse la femme forte descripte par
Solomon. Elle est morte sans poinct de
faulte. Je ne la veid oncques, que je saiche,
Dieu me le veuille pardonner. Grand mer-
cy toutesfoys mon pere. Mangez ce tail-
lon de massepain. Il vous aydera a faire
digestion. puys boirez une couppe de Hip
pocras clairet. il est salubre & stomachal.
Suyvons.


COMMENT RONDI-
bilis
medicin conseille
Panurge
.
Chapitre XXXI.


PAnurge continuant son pro-
pous, dist. Le premier mot
que dist celluy qui escouil-
loit les moines beurs a Saus
signac
, ayant escouillé le frai
Cauldaureil, feut: aux aultres. Je diz pa-
reillement: aux aultres. Cza monsieur no-
stre maistre Rondibilis depeschez moy? Me
doibs je marier ou non? Par les ambles de
mon mulet (respondit Rondibilis) je ne sçay N iiij



[100v]
que je doibve respondre a ce probleme.
Vous dictez que sentez en vous les poi-
gnans aiguillons de sensualité. Je trouve
en nostre faculté de Medicine, & l’avons
prins de la resolution des anciens Plato-
nicques, que la concupiscence charnelle
est refrenée par cinq moyens. Par le vin.
Je le croy, dist frere Jan. Quand je suys
bien yvre, je ne demande qu’a dormir.
J’entends (dist Rondibilis) par vin prins
intemperamment. Car par l’intemperance
du vin advient au corps humain refroi-
dissement de sang, resolution des nerfs,
dissipation de semence generative, hebe-
tation des sens, perversion des mouvemens.
Qui sont toutes impertinences a l’acte de
generation. Defaict vous voyez painct
Bacchus Dieu des Yvroignes, sans bar-
be, & en habit de femme, comme tout
effoeminé, comme eunuche & escouillé.
Aultrement est du vin prins tempere-
ment. L’antique proverbe nous le desi-
gne, on quel est dict: que Venus se mor-
fond sans la compaignie de Ceres & Bac-
chus
. Et estoit l’opinion des anciens, sce-
lon le recite Diodore Sicilien, mesme-
ment des Lampsaciens: comme atteste Pausanias,



111101
Pausanias, que messer Priapus feut filz de
Bacchus & Venus.


Secondement par certaines drogues
& plantes, les quelles rendent l’home re-
froidy, maleficié, & impotent a genera-
tion. L’experience y est en Nymphaea He
raclia, Amerine, Saule, Chenevé, Pericly-
menos, Tamarix, Vitex, Mandragore,
Cigüe, Orchis le petit, la peau d’un Hip-
popotame, & aultres: les quelles dedans
les corps humains tant par leurs vertus
elementaires, que par leurs proprietez
specifiques, glassent & mortifient le ger-
me prolificque: ou dissipent les espritz,
qui le doibvoient conduire aux lieux de-
stinez par nature: ou oppilent les voyes
& conduictz, par les quelz povoit estre
expulsé. Comme au contraire nous en a-
vons qui eschauffent, excitent, & habili-
tent l’home a l’acte Venerien. Je n’en ay
besoing (dist Panurge) Dieu mercy, &
vous nostre maistre. Ne vous desplaise
toutesfoys. Ce que j’en diz, n’est par mal
que je vous veuille.


Tiercement (dist Rondibilis) par la-
beur assidu. Car en icelluy est faicte si
grande dissolution du corps, que le sang



[101v]
qui est par icelluy espars pour l’alimenta-
tion d’un chascun membre, n’a temps, ne
loisir, ne faculté de rendre celle resudati-
on seminale, & superfluité de la tierce con
coction. Nature particuliairement se la re-
serve, comme trop plus necessaire a la con-
servation de son individu, qu’a la multi-
plication de l’espece & genre humain.
Ainsi est dicte Diane chaste, laquelle con
tinuellement travaille a la chasse. Ainsi ja-
dis estoient dictz les Castres, comme ca-
stes: es quelz continuellement travailloi-
ent les Athletes & soubdars. Ainsi escript
Hippocrates lib. de aëre, aqua, & locis, de
quelques peuples en Scythie, les quelz de
son temps plus estoient impotens que Eu-
nuches, a l’esbatement Venerien: par ce
que continuellement ilz estoient a cheval
& au travail. Comme au contraire disent
les Philosophes, Oysiveté estre mere de
Luxure. Quand lon demandoit a Ovide,
quelle cause feut parquoy AEgistus devint
adultere? rien plus ne respondoit. si non,
par ce qu’il estoit ocieux. Et qui houste-
roit Oysiveté du monde, bien toust peri-
roient les ars de Cupido. son arc, sa trous-
se, & ses fleches, luy seroient en charge inutile:



112102
inutile: jamais n’en feriroit persone. Car
il n’est mie si bon archier, qu’il puisse fe-
rir les Grues volans par l’aër, & les Cerfz
relancez par les boucaiges, comme bien
faisoient les Parthes: c’est a dire, les hu-
mains tracassans, & travaillans. Il les de-
mande quoys, assis, couchez, & a sejour.
De faict Theophraste quelques foys in-
terrogé, quelle beste, quelle chose il pen-
soit estre Amourettes? respondit, que c’e-
stoient passions des espritz ocieux. Dioge-
nes
pareillement disoit Paillardise, estre
l’occupation des gens non aultrement oc-
cupez. Pourtant Canachus Sicyonien scul-
pteur voulent donner entendre que Oysi-
veté, Paresse, non chaloir, estoient les gou
vernantes de ruffiennerie, feist la statue de
Venus
, assise, non de bout, comme avoient
faict tous ses predecesseurs.


Quartement, par fervente estude. Car
en icelle est faicte incredible resolution des
espritz, tellement qu’il n’en reste de quoy
poulser aux lieux destinez ceste resudati-
on generative, & enfler le nerf caver-
neux: duquel l’office est hors la prajecter
pour la propagation d’humaine Nature.
Qu’ainsi soit, contemplez la forme d’un



[102v]
home attentif a quelque estude. Vous voi-
rez en luy toutes les arteres du cerveau
bendées comme la chorde d’une arbale-
ste, pour luy fournir dextrement espritz
suffisans a emplir les ventricules du sens
commun, de l’imagination & apprehen-
sion, de la ratiocination & resolution, de
la memoire & recordation: & agilement
courir de l’un a l’aultre par les conduictz
manifestes en anatomie sus la fin du retz
admirable, on quel se terminent les arte-
res: les quelles de la senestre armoire du
coeur prenoient leur origine, & les espritz
vitaulx affinoient en longs ambagés,
pour estre faictz animaulx. De mode que
en tel personnaige studieux vous voirez
suspendues toutes les facultez naturelles:
cesser tous sens exterieurs: brief, vous le
jugerez n’estre en soy vivent, estre hors
soy abstraict par ecstase: & direz que So-
crates
n’abusoit du terme, quand il disoit
Philosophie n’estre aultre chose que me-
ditation de mort. Par adventure est ce
pour quoy Democritus se aveugla, moins
estimant la perte de sa veue, que diminu-
tion de ses contemplations: les quelles il
sentoit interrompues par l’esguarement des



113103
des oeilz. Ainsi est vierge dicte Pallas Dé-
esse de Sapience, tutrice des gens studieux.
Ainsi sont les Muses vierges. Ainsi de-
meurent les Charites en pudicité eternel-
le. Et me soubvient avoir leu, que Cupido
quelques foys interrogé de sa mere Ve-
nus
, pour quoy il n’assailloit les Muses?
respondit, qu’il les trouvoit tant belles, tant
nettes, tant honestes, tant pudicques, &
continuellement occupées: l’une a con-
templation des astres, l’aultre a supputa-
tion des nombres, l’aultre a dimension des
corps Geometricques, l’aultre a inventi-
on Rhetoricque, l’aultre a composition
Poëticque, l’aultre a disposition de Musi-
que: que approchant d’elles, il desban-
doit son arc, fermoit sa trousse, & extai-
gnoit son flambeau par honte & craincte
de leurs nuire. Puys houstoit le bandeau
de ses oeilz pour plus apertement les veoir
en face, & ouyr leurs plaisans chantz &
odes Poëticques. La prenoit le plus grand
plaisir du monde. Tellement que souvent
il se sentoit tout ravy en leurs beaultez &
bonnes graces, & s’endormoit a l’harmo-
nie. Tant s’en fault qu’il les voulsist assail-
lir, ou de leurs estudes distraire. En cestuy



[103v]
article je comprens ce que escript Hippo-
crates
on livre susdict, parlant des Scy-
thes, & au livre intitulé, De geniture, di-
sant tous humains estre a generation im-
potens, es quelz l’on a une foys couppé
les arteres parotides, les quelles sont a
cousté des aureilles, par la raison cy da-
vant exposée, quand je vous parlois de la
resolution des espritz, & du sang spirituel,
du quel les arteres sont receptacles: aus-
si qu’il maintient grande portion de la ge
niture sourdre du cerveau, & de l’espine
du dours.


Quintement, par l’acte Venerien. Je
vous attendois la, (dist Panurge) & le
prens pour moy. Use des praecedens qui
vouldra. C’est (dist frere Jan) ce que Fray
Scyllino prieur de sainct Victor lez Mar-
seille
appelle maceration de la chair. Et
suys en ceste opinion: aussi estoit l’Her-
mite de saincte Radegonde au dessus de
Chinon: que plus aptement ne porroient
les hermites de Thebaïde macerer leurs
corps, dompter ceste paillarde Sensua-
lité, deprimer la rebellion de la chair,
que le feisant vingt & cinq ou trente foys
par jour. Je voy Panurge (dist Rondibi- lis)



114104
lis
) bien proportionné en ses membres,
bien temperé en ses humeurs, bien com-
plexionné en ses espritz, en aage compe-
tent, en temps oportun, en vouloir equi-
table de soy marier: s’il rencontre fem-
me de semblable temperature, ilz engen-
dreront ensemble enfans dignes de quel-
que monarchie Transpontine. Le plus
toust sera le meilleur, s’il veult veoir ses
enfans pourveuz. Monsieur nostre mai-
stre (dist Panurge) je le seray, n’en doub-
tez, & bien toust. Durant vostre docte dis-
cours ceste Pusse que j’ay en l’aureille, m’a
plus chatouillé que ne feist oncques. Je
vous retiens de la feste. Nous y ferons che
re & demie, je le vous prometz. Vous y a-
menerez vostre femme, s’il vous plaist, a-
vecques ses voisines, cella s’entend. Et jeu
sans villenie.


COMMENT RONDIBI-
lis
declaire Coquage estre natu-
rellement des apennages
de mariage.




[104v]
Chapitre XXXII.


REste (dist Panurge continu-
ant) un petit poinct a vui-
der. Vous avez aultres foys
veu on confanon de Rome.
S. P. Q. R. Si peu que rien.
Seray je poinct coqu? Havre de Grace (s’es-
cria Rondibilis) que me demandez vous?
Si serez coqu? Mon amy je suys marié,
vous le serez par cy aprés. Mais escrivez
ce mot en vostre cervelle avecques un
style de fer, que tout homme marié, est en
dangier d’estre coqu. Coqüage est natu-
rellement des apennages de mariage.
L’umbre plus naturellement ne suyt le
corps, que Coqüage suyt les gens mariez.
Et quand vous oirez dire de quelqu’un ces
trois motz: Il est marié, si vous dictez, il
est doncques, ou a esté, ou sera, ou peult e-
stre coqu: vous ne serez dict imperit ar-
chitecte de consequences naturelles. Hy-
pochondres de tous les Diables (s’escria
Panurge) que me dictez vous! Mon amy
(respondit Rondibilis) Hippocrates al-
lant un jour de Lango en Polystylo visi-
ter Democritus le philosophe, escrivit
unes letres a Dionys son antique amy, par



115105
par les quelles le prioit que pendent son
absence il conduist sa femme chés ses pe-
re & mere, les quelz estoient gens hono-
rables & bien famez, ne voulant qu’elle
seule demourast en son mesnaige. Ce ne-
antmoins qu’il veiglast sus elle soingneu-
sement, & espiast quelle part elle iroit a-
vecques sa mere, & quelz gens la visite-
roient chés ses parens. Non (escrivoit il)
que je me defie de sa vertu & pudicité,
laquelle par le passé m’a esté explorée &
congnue: mais elle est femme. Voy la tout.
Mon amy le naturel des femmes nous est
figuré par la Lune, & en aultres choses, &
en ceste: qu’elles se mussent, elles se con-
straignent, & dissimulent en la veue & prae-
sence de leurs mariz. Iceulx absens elles
prenent leur adventaige, se donnent du
bon temps, vaguent, trotent, deposent leur
hypocrisie, & se declairent: comme la Lu-
ne en conjunction du Soleil n’apparoist
on ciel, ne en terre. Mais en son opposition,
estant au plus du Soleil esloingnée, reluist
en sa plenitude, & apparoist toute, notam-
ment on temps de nuyct. Ainsi sont tou-
tes femmes femmes.


Quand je diz femme, je diz un sexe tant O



[105v]
fragil, tant variable, tant muable, tant in-
constant, & imperfaict, que nature me
semble (parlant en tout honneur & reve-
rence) s’estre esguarée de ce bon sens, par
lequel elle avoit créé & formé toutes cho
ses, quand elle a basty la femme. Et y ay-
ant pensé cent & cinq foys, ne sçay a quoy
m’en resouldre: si non que forgeant la fem
me, elle a eu esguard a la sociale delecta-
tion de l’home, & a la perpetuité de l’es-
pece humaine: plus qu’a la perfection de
l’individuale muliebrité. Certes Platon ne
sçait en quel ranc il les doibve colloquer,
ou des animans raisonnables, ou des be-
stes brutes. Car Nature leurs a dedans le
corps posé en lieu secret & intestin un a-
nimal, un membre, lequel n’est es homes:
on quel quelques foys sont engendrées
certaines humeurs salses, nitreuses, bau-
racineuses, acres, mordicantes, lancinan-
tes, chatouillantes amerement: par la poin-
cture & fretillement douloureux des quel-
les (car ce membre est tout nerveux, & de
vif sentement) tout le corps est en elles es-
branlé, tous les sens raviz, toutes affections
interinées, tous pensemens confonduz. De
maniere, que si Nature ne leurs eust ar-
rousé le front d’un peu de honte, vous les



116106
voiriez comme forcenées courir l’aiguil-
lette plus espovantablement que ne fei-
rent oncques les Proetides, les Mimallo-
nides, ne les Thyades Bacchicques au jour
de leurs Bacchanales. Par ce que cestuy
terrible animal a colliguance a toutes les
parties principales du corps, comme est
evident en l’Anatomie.


Je le nomme animal, suyvant la do-
ctrine tant des Academicques, que des Pe
ripateticques. Car si mouvement propre
est indice certain de chose animée, comme
escript Aristoteles: & tout ce qui de soy
se meut, est dict animal: a bon droict Pla
ton
le nomme animal, recongnoissant en
luy mouvemens propres de suffocation, de
praecipitation, de corrugation, de indigna-
tion: voire si violens, que bien souvent par
eulx est tollu a la femme tout aultre sens
& mouvement, comme si feust Lipothy-
mie, Syncope, Epilepsie, Apoplexie, &
vraye resemblance de mort. Oultre plus,
nous voyons en icellyicelluy discretion des
odeurs manifeste, & le sentent les femmes
fuyr les puantes, suyvre les Aromaticques.
Je sçay que Cl. Galen s’efforce prouver
que ne sont mouvemens propres & de soy, O ij



[106v]
mais par accident: & que aultres de sa
secte travaillent a demonstrer, que ne soit
en luy discretion sensitive des odeurs:
mais efficace diverse procedente de la di-
versité des substances odorées. Mais si
vous examinez studieusement & pesez en
la balance de Critolaus leurs propous &
raisons, vous trouverez que & en ceste ma
tiere, & beaucoup d’aultres ilz ont par-
lé par guayeté de coeur, & affection de re-
prendre leurs majeurs, plus que par re-
cherchement de Verité. En ceste dispu-
tation je ne entreray plus avant. Seule-
ment vous diray que petite ne est la lou-
ange des preudes femmes, les quelles ont
vescu pudicquement & sans blasme, &
ont eu la vertus de ranger cestuy effrené
animal a l’obeissance de raison. Et feray
fin si vous adjouste, que cestuy animal as-
sovy (si assovy peut estre) par l’aliment
que Nature luy a praeparé en l’home, sont
tous ses particuliers mouvemens a but:
sont tous ses appetitz assopiz: sont toutes
ses furies appaisées. Pourtant ne vous es-
bahissez, si sommes en dangier perpetuel
d’estre coquz, nous qui n’avons pas tous
jours bien de quoy payer, & satisfai- re



117107
re au contentement.


Vertus d’aultre que d’un petit pois-
son, (dist Panurge) n’y sçavez vous reme-
de aulcun en vostre art? Ouy dea mon a-
my, (respondit Rondibilis) & tresbon, du
quel je use: & est escript en autheur cele-
bre passé a dix huyct cens ans. Entendez.
Vous estez (dist Panurge) par la vertus
Dieu home de bien. & vous ayme tout
mon benoist saoul. Mangez un peu de ce
pasté de Coins: ilz ferment proprement
l’orifice du ventricule a cause de quelque
stypticité joyeuse qui est en eulx, & ay-
dent a la concoction premiere. Mais
quoy? Je parle Latin davant les clercs.
Attendez que je vous donne a boyre de-
dans cestuy hanat Nestorien. Voulez
vous encores un traict de Hippocras blanc.
Ne ayez paour de l’Esquinance. non. Il
n’y a dedans ne Squinanthi, ne Zinzem-
bre, ne graine de Paradis. Il n’y a que la
belle cinamone triée, & le beau sucre fin,
avecques le bon vin blanc du cru de la De-
viniere
, en la plante du grand Cormier,
au dessus du Noyer groslier.

O iij




[107v]


COMMENT RONDIBI-
lis
medicin donne remede a
Coquage.

Chapitre XXXIII.


ON temps (dist Rondibilis)
que Juppiter feist l’estat de sa
maison Olympicque, & le ca
lendrier de tous ses Dieux &
Déesses: ayant estably a un
chascun, jour & saison de sa feste: assigné
lieu pour les oracles & voyages: ordon-
né de leurs sacrifices: Feist il poinct (deman
da Panurge) comme Tinteville evesque
d’Auxerre? Le noble Pontife aymoit le
bon vin, comme faict tout home de bien.
pourtant avoit il en soing & cure specia-
le le bourgeon pere ayeul de Bacchus. Or
est que plusieurs années il veid lamenta-
blement le bourgeon perdu par les gelées,
bruines, frimatz, verglatz. froidures, gres-
les & calamitez advenues par les festes
des S. George, Marc, Vital, Eutrope, Phi-
lippe
, saincte Croix, l’Ascension, & aul-
tres, qui sont on temps que le Soleil passe soubs



118108
soubs le signe de Taurus. Et entra en ceste
opinion, que les sainctz susdictz estoient
saincts gresleurs, geleurs, & guasteurs
du bourgeon. Pourtant vouloit il leurs
festes translater en hyver, entre Noël &
l’Epiphanie: les licentiant en tout hon-
neur & reverence, de gresler lors, & ge-
ler tant qu’ilz vouldroient. La gelée lors
en rien ne seroit dommageable, ains evi-
dentement profitable au bourgeon. En
leurs lieux mettre les festes des sainct
Christophle
, sainctJan decollaz, saincte
Magdalene
, saincteAnne, sainct Domi-
nicque
, sainctLaurens, voire la Myoust
colloquer en May. Es quelles tant s’en fault
qu’on soit en dangier de gelée, que lors
mestier on monde n’est, qui tant soit de re-
queste: comme est des faiseurs de frisca-
des, composeurs de joncades, agenseurs
de feueillades, & refraischisseurs de vin.


Juppiter (dist Rondibilis) oublia le
paouvre Diable Coqüage, lequel pour
lors ne feut praesent: il estoit a Paris on
Palais sollicitant quelque paillard procés
pour quelqu’un de ses tenanciers & vas-
saulx. Ne sçay quants jours apres, Coqüa-
ge entendit la forbe qu’on luy avoit faict: O iiij



[108v]
desista de sa sollicitation par nouvelle
sollicitude de n’estre forclus de l’estat: &
comparut en persone davant le grand
Juppiter, alleguant ses merites praecedens,
& les bons & agreables services que aul-
tres foys luy avoit faict, & instantement
requerant qu’il ne le laissast sans feste,
sans sacrifices, sans honneur. Juppiter se
excusoit remonstrant, que tous cesses bene-
fices estoient distribuez, & que son estat
estoit clous. Feut toutesfoys tant impor-
tuné par messer Coqüage, que en fin le
mit en l’estat & catalogue, & luy ordon-
na en terre honneur, sacrifices & feste. Sa
feste feut, pource que lieu vuide & vacant
n’estoit en tout le calendrier, en concur-
rence & au jour de la Déesse Jalousie: sa
domination, sus les gens mariez, notam-
ment ceulx qui auroient belles femmes:
ses sacrifices, soubson, defiance, malen-
groin, guet, recherche, & espies des ma-
riz sus leurs femmes. Avecques commen
dement riguoureux a un chascun marié,
de le reverer & honorer, celebrer sa feste
a double: & luy faire les sacrifices sus-
dictz. Sus peine & intermination, que a
ceulx ne seroit messer Coqüage en fa- veur,



119109
veur, ayde, ne secours, qui ne l’honore-
roient comme est dict: jamais ne tiendroit de
eulx compte: jamais n’entreroit en leurs
maisons: jamais ne hanteroit leurs com-
paignies: quelques invocations qu’ilz luy
feissent: ains les laisseroit eternellement
pourrir seulz avecques leurs femmes sans
corrival aulcun: & les refuyroit sempi-
ternellement comme gens Haereticques
& sacrileges. Ainsi qu’est l’usance des aul-
tres Dieux, envers ceulx qui deuement ne
les honorent: de Bacchus, envers les vi-
gnerons: de Ceres, envers les laboureux:
de Pomona, envers les fruictiers: de Ne-
ptune
, envers les nautonniers: de Vulcan,
envers les forgerons: & ainsi des aultres.
Adjoincte feut promesse au contraire in-
fallible, qu’a ceulx, qui (comme est dict)
chommeroient sa feste, cesseroient de toute
negociation, mettroient leurs affaires pro-
pres en non chaloir pour espier leurs fem
mes, les reserrer & mal traicter par Jalou-
sie
, ainsi que porte l’ordonnance de ses sa-
crifices, il seroit continuellement favora-
bles: les aymeroit, les frequenteroit, se-
roit jour & nuyct en leurs maisons: ja-
mais ne seroient destituez de sa praesence?



[109v]
J’ay dict.


Ha, ha, ha, (dist Carpalim en riant).
Voyla un remede encores plus naïf que
l’anneau de Hans Carüel. Le Diable m’em-
port, si je ne le croy. Le naturel des fem-
mes est tel. Comme la fouldre ne brise &
ne brusle, sinon les matieres dures, solides,
resistentes: elle ne se arreste es choses mol-
les, vuides, & cedentes: elle bruslera l’es-
pée d’assier, sans endommaiger le fourreau
de velours: elle consumera les os des corps
sans entommer la chair qui les couvre: ainsi
ne bendent les femmes jamais la conten-
tion, subtilité, & contradiction de leurs es-
pritz, si non envers ce que congnoistront
leurs estre prohibé & defendu. Certes (dist
Hippothadée) aulcuns de nos docteurs di
sent, que la premiere femme du monde,
que les Hebrieux nomment Eve, a poine eust
jamais entré en tentation de manger le
fruict de tout sçavoir, s’il ne luy eust esté
defendu. Qu’ainsi soit, consyderez com-
ment le Tentateur cauteleux luy remem-
bra on premier mot la defense sus ce fai-
cte, comme voulent inferer: il t’est defen-
du, tu en doibs doncques manger: ou tu
ne serois pas femme.

COM-




120110


COMMENT LES FEM-
mes ordinairement appetent
choses defendues.

Chapitre XXXIIII.


ON temps dist (Carpalim) que
j’estois ruffien a Orleans, je
n’avois couleur de Rheto-
ricque plus valable, ne argu-
ment plus persuasif envers les
dames, pour les mettre aux toilles, & at-
tirer au jeu d’amours, que vivement, aper-
tement, detestablement remonstrant com-
ment leurs mariz estoient d’elles jalous. Je
ne l’avois mie inventé. Il est escript. Et en
avons loix, exemples, raisons, & experiences
quotidianes. Ayans ceste persuasion en
leurs caboches, elles feront leurs mariz co-
quz infalliblement par Dieu, sans jurer,
deussent elles faire ce que feirent Semyra-
mis
, Pasiphäé, Egesta, les femmes de l’isle
Mandés en AEgypte blasonnées par Herodo-
te
& Strabo: & aultres telles mastines.


Vrayement (dist Ponocrates) j’ay ouy
compter, que le pape Jan. XXII. pas-
sant un jour par l’abbaye de Coingnau-
fond
, feut requis par l’Abbesse, & meres
discretes, leurs conceder un indult,



[110v]
moyenant lequel se peussent confesser les
unes es aultres, alleguantes que les fem-
mes de religion ont quelques petites im-
perfections secretes, les quelles honte in-
suppotable
in-
supportable
leurs est deceler aux homes
confesseurs: plus librement, plus familie-
rement les diroient unes aux aultres soubs
le sceau de confession. Il n’y a rien (respon-
dit le Pape) que voluntiers ne vous oul-
troye, mais je y voy un inconvenient.
C’est que la confession doibt estre tenue
secrette. Vous aultres femmes a poine la
celeriez. Tresbien, (dirent elles) & plus que
ne font les homes. Au jour propre le pere
sainct leur bailla une boyte en guarde, de-
dans laquelle il avoit faict mettre une pe-
tite Linote: les priant doulcement qu’el-
les la serrassent en quelque lieu sceur &
secret, leurs promettant en foy de Pape,
oultroyer ce que portoit leur requeste, si
elles la guardoient secrette: ce neantmoins
leurs faisant defense riguoreuse, qu’elles
ne eussent a l’ouvrir en façon quelconques
sus poine de censure ecclesiasticque & de
excommunication eternelle. La defense
ne feut si tost faicte, qu’elles grisloient en
leurs entendemens d’ardeur de veoir qu’e- stoit



121111
stoit dedans: & leurs tardoit que le Pape
ne feut ja hors la porte, pour y vacquer.
Le pere sainct avoit donné sa benediction
sus elles, se retira en son logis. Il n’estoit
encores trois pas hors l’Abbaye, quand
les bonnes dames toutes a la foulle accou
rurent pour ouvrir la boyte defendue, &
veoir qu’estoit dedans. Au lendemain le
Pape les visita en intention, ce leurs sem-
bloit, de leurs depescher l’indult. Mais a-
vant entrer en propous, commanda qu’on
luy apportast sa boyte. Elle luy feut ap-
portée. Mais l’oizillet n’y estoit plus. A-
doncques leur remonstra, que chose trop
difficile leurs seroit receller les confessions,
veu que n’avoient si peu de temps tenu en
secret la boyte tant recommandée.


Monsieur nostre maistre, vous soyez le
tresbien venu. J’ay prins moult grand plai-
sir vous oyant. Et loue Dieu de tout. Je ne
vous avois oncques puys veu que jouastez
a Monspellier avecques nos antiques amys
Ant. Saporta. Guy Bouguier, Balthasar
Noyer
, Tollet, Jan Quentin, François Ro-
binet
, Jan perdrier, & François Rabelais,
la morale comoedie de celluy qui avoit
espousé une femme mute. Je y estois (dist



[111v]
Epistemon. Le bon mary voulut qu’elle
parlast. Elle parla par l’art du Medicin &
du Chirurgien, qui luy coupperent un en-
cyliglotte qu’elle avoit soubs la langue. La
parolle recouverte, elle parla tant, & tant,
que son mary retourna au Medicin pour
remede de la faire taire. Le Medicin respon
dit en son art bien avoir remedes propres
pour faire parler les femmes: n’en avoir
pour les faire taire. Remede unicque estre
surdité du mary, contre cestuy intermi-
nable parlement de femme. Le pail-
lard devint sourd par ne sçay quelz char-
mes qu’ilz feirent. Sa femme voyant qu’il
estoit sourd devenu, qu’elle parloit en
vain, de luy n’estoit entendue, devint en-
raigée. Puys le Medicin demandant son
salaire, le mary respondit qu’il estoit vraye-
ment sourd: & qu’il n’entendoit sa deman-
de. Le Medicin lui jecta on dours ne sçay
qu’elle pouldre, par vertus de laquelle il
devint fol. Adoncques le fol mary & la
femme enragée se raslierent ensemble &
tant bastirent les Medicin & Chirurgien
qu’ilz les laisserent a demy mors. Je ne riz
oncques tant, que je feis a ce Patelinage.


Retournons a nos moutons (dist Pa-
nurge
.) Vos parolles translatées de Bar-



122112
ragouin en François voulent dire, que je
me marie hardiment, & que ne me soucie
d’estre coqu. C’est bien rentré de treufles
noires. Monsieur nostre maistre, je croy
bien qu’au jour de mes nopces. vous serez
d’ailleurs empesché a vos pratiques, &
que n’y pourrez comparoistre. Je vous en
excuse.


Stercus & urina Medici sunt prandia
prima.

Ex aliis paleas, ex istis collige grana.


Vous prenez mal, (dist Rondibilis) le
vers subsequent est tel:
Nobis sunt signa, uobis sunt prandia
digna.

Si ma femme se porte mal: J’en vouldrois
veoir l’urine, (dist Rondibilis) toucher le
pouls: & veoir la disposition du basventre,
& des parties umbilicares, comme nous com-
mende Hippo. z. Apho. 35. avant oultre pro-
ceder. Non, non, (dist Panurge) cela ne faict
a propous. C’est pour nous aultres Legi-
stes, qui avons la rubricque, De ventre inspi-
ciendo. Je luy appreste un clystere barbarin.
Ne laissez vos affaires d’ailleurs plus urgens.
Je vous envoiray du rislé en vostre maison.



[112v]
Et serez tous jours nostre amy. Puys s’ap-
procha de luy, & luy mist en main sans
mot dire quatre Nobles a la rose. Rondi-
bilis
les print tresbien: puys luy dist en ef
froy comme indigné. He, he, he, monsieur,
il ne failloit rien. Grand mercy toutes foys.
De meschantes gens jamais je ne prens
rien. Rien jamais des gens de bien je ne
refuse. Je suys tousjours a vostre commen-
dement. En poyant, dist Panurge. Cela
s’entend, respondit Rondibilis.


COMMENT TROUIL-
logan
Philosophe traicte la dif-
ficulté de mariage.


Chapitre XXXV.


CEs parolles achevées, Panta-
gruel
dist a Trouillogan le
philosophe. Nostre feal, de
main en main vous est la lam-
pe baillée. C’est a vous main-
tenant de respondre. Panurge se doibt il
marier, ou non? Tous les deux, respondit
Trouillogan. Que me dictez vous? deman-
da Panurge. Ce que avez ouy, respondit Trouil-



123113
logan. Que ay je ouy? demanda Panurge.
Ce que j’ay dict, respondit Trouillogan.
Ha. ha. En sommes nous la! dist Panurge,
Passe sans fluz. Et doncques me doibz je
marier ou non? Ne l’un ne l’aultre, res-
pondit Trouillogan. Le Diable m’em-
port (dict Panurge) si je ne deviens resveur:
& me puisse emporter, si je vous entends.
Attendez: je mettray mes lunettes a ceste
aureille guausche, pour vous ouyr plus
clair.


En cestuy instant Pantagruel aperceut
vers la porte de la salle le petit chien de
Gargantua, lequel il nommoit Kyne, pour-
ce que tel fut le nom du chien de Thobie.
Adoncques dist a toute la compaignie. No-
stre Roy n’est pas loing d’icy: levons nous.
Ce mot ne feut achevé, quand Gargantua
entra dedans la salle du bancquet. Chas-
cun se leva pour lui faire reverence. Gar-
gantua
ayant debonnairement salüé tou-
te l’assistence, dist. Mes bons amys vous me
ferez ce plaisir, je vous en prie, de non
laisser ne vos lieux ne vos propous. Ap-
portez moy a ce bout de table une chaire.
Donnez moy que je boyve a toute la com-
paignie. Vous soyez les tresbien venuz. P



[113v]
Ores me dictez. Sur quel propous estiez
vous? Pantagruel luy respondit, que sus
l’apport de la seconde table Panurge avoit
propousé une matiere problematicque, a
sçavoir s’il se doibvoit marier ou non? &
que le pere Hippothadée & maistre Ron-
dibilis
estoient expediez de leurs respon-
ses: lors qu’il est entré respondoit le feal
Trouillogan. Et premierement quand
Panurge luy a demandé, me doibz je ma-
rier ou non? avoit respondu: Tous les deux
ensemblement: a la seconde foys avoit
dict: Ne l’un ne l’aultre. Panurge se com-
plainct de telles repugnantes & contra-
dictoires responses: & proteste n’y enten-
dre rien. Je l’entends (dist Gargantua) en
mon advis. La response est semblable a ce
que dist un ancien philosophe interrogé
s’il avoit quelque femme qu’on luy nom-
moit? Je l’ay (dist il) amie, mais elle ne me
a mie. Je la possede, d’elle ne suys possedé.
Pareille response (dist Pantagruel) feist une
fantesque de Sparte. On luy demanda si ja-
mais elle avoit eu affaire a home? Respon-
dit que non jamais: bien que les homes
quelques foys avoient eu affaire a elle. Ain
si (dist Rondibilis) mettons nous neutre en Medicine,



124114
Medicine, & moyen en philosophie: par
participation de l’une & l’aultre extremi-
té: par abnegation de l’une & l’aultre ex-
tremité: & par compartiment du temps,
maintenant en l’une, maintenant en l’aul-
tre extremité. Le sainct Envoyé (dist Hip-
pothadée
) me semble l’avoir plus aperte-
ment declairé, quand il dict. Ceulx qui sont
mariez, soient comme non mariez: ceulx qui
ont femme, soient comme non ayans femme.
Je interprete (dist Pantagruel) avoir & n’a-
voir femme en ceste façon: que femme
avoir, est l’avoir a usaige tel que nature la
créa, qui est pour l’ayde, esbatement, & so-
cieté de l’home: n’avoir femme, est ne soy
apoiltronner au tour d’elle: pour elle ne
contaminer celle unicque & supreme af-
fection que doibt l’home a Dieu: ne lais-
ser les offices qu’il doibt naturellement
a sa patrie, a la Republicque, a ses amys:
ne mettre en non chaloir ses estudes &
negoces, pour continuellement a sa femme
complaire. Prenant en ceste maniere avoir
& n’avoir femme, je ne voids repugnance
ne contradiction es termes.

P ij




[114v]


CONTINUATION DES
responses de Trouillogan philosophe
Ephecticque & Pyrrhonien.


Chapitre XXXVI.


VOus dictez d’orgues, respon-
dit Panurge. Mais je croy
que je suis descendu on puiz
tenebreux, onquel disoit He-
raclytus
estre Verité cachée.
Je ne voy goutte: je n’entends rien: je sens
mes sens tous hebetez. Et doubte grande-
ment que je soye charmé. Je parleray d’aul-
tre style. Nostre feal ne bougez. N’em-
boursez rien. Muons de chanse, & parlons
sans disjunctives. Ces membres mal joinctz
vous faschent, a ce que je voy. Or ça de
par Dieu. Me doibz je marier? Trouillo-
gan
. Il y a de l’apparence. Panurge. Et si je
ne marie poinct? TROU.TROUILLOGAN Je n’y voy incon-
tinent aulcun. PANUR.PANURGE Vous n’y en voyez
poinct? TRO.TROUILLOGAN Nul, ou la veue me deçoit.
PAN.PANURGE Je y en trouve plus de cinq cens. TRO.TROUILLOGAN
Comptez les. PAN.PANURGE Je diz improprement par
lant: & prenent nombre certain pour incertain:
determiné, pour indeterminé. C’est a dire beau-



125115
beaucoup. TROUIL.TROUILLOGAN J’escoute. PANUR.PANURGE Je
ne peuz me passer de femme, de par tous
les diables. TROUIL.TROUILLOGAN Houstez ces villaines
bestes. PANUR.PANURGE De par Dieu soit, Car mes
Salmiguondinoys disent coucher seul ou
sans femme, estre vie brutale, & telle la di-
soit Dido en ses lamentations. TROUIL.TROUILLOGAN A
vostre commandement. PANUR.PANURGE Pe le quau
Dé j’en suis bien. Doncques me mariray je?
TROUIL.TROUILLOGAN Par adventure. PAN.PANURGE M’en trou-
veray je bien? TRO.TROUILLOGAN Scelon la rencontre.
PAN.PANURGE Aussi si je rencontre bien, comme j’es-
poire, seray je heureux. TRO.TROUILLOGAN Assez. PAN.PANURGE
Tournons a contrepoil. Et si rencontre mal?
TRO.TROUILLOGAN Je m’en excuse. PAN.PANURGE Mais conseillez
moy de grace. Que doibs je faire? TRO.TROUILLOGAN Ce
que vouldrez. PAN.PANURGE Tarabin tarabas. TRO.TROUILLOGAN
Ne invocquez rien je vous prie. PaPANURGE On nom
de Dieu soit, Je ne veulx sinon ce que me
conseillerez. Que m’en conseillez vous?
TRO.TROUILLOGAN Rien. PAN.PANURGE Me mariray je? TROU.TROUILLOGAN Je
n’y estois pas. PAN.PANURGE Je ne me mariray donc-
ques poinct? TRO.TROUILLOGAN Je n’en peu mais. PAN.PANURGE
Si je ne suys marié, je ne seray jamais co-
qu? TRO.TROUILLOGAN Je y pensois. PAN.PANURGE Mettons le cas
que je sois marié. TRO.TROUILLOGAN Ou le mettrons nous?
Pa.PANURGE Je dis, Prenez le cas que marié je soys. P iij



[115v]
Je suys d’ailleurs empesché. Pa.PANURGE Merde en
mon nez, Dea si je ausasse jurer quelque
petit coup en cappe, cela me soulageroit
d’autant. Or bien. Patience. Et doncques,
si je suys marié, je seray coqu? TRO.TROUILLOGAN On le
diroit. Pa.PANURGE Si ma femme est preude & cha-
ste, je ne seray jamais coqu? TRO.TROUILLOGAN Vous
me semblez parler correct. Pa.PANURGE Escoutez.
TRO.TROUILLOGAN Tant que vouldrez. PAN.PANURGE Sera elle
preude & chaste? reste seulement ce poinct.
TROUIL.TROUILLOGAN J’en doubte. PAN.PANURGE Vous ne la vei-
stez jamais? TRO.TROUILLOGAN Que je sache. PAN.PANURGE Pour
quoy doncques doubtez vous d’une chose
que ne congnoissez? TRO.TROUILLOGAN Pour cause. Pa.PANURGE
Et si la congnoissiez? TRO.TROUILLOGAN Encores plus.
PANU.PANURGE Paige mon mignon, tien icy mon
bonnet, je le te donne, saulve les lunettes
& va en la basse court jurer une petite de-
mie heure pour moy. Je jureray pour toy
quand tu vouldras. Mais qui me fera co-
qu? TROUIL.TROUILLOGAN Quelqu’un. PANUR.PANURGE Par le
ventre beuf de boys je vous froteray bien
monsieur le quelqu’un. TROU.TROUILLOGAN Vous le di
ctez. PAN.PANURGE Le diantre, celluy qui n’a poinct
de blanc en l’oeil m’emporte doncques: en-
semble si je ne boucle ma femme a la Ber-
gamasque, quand je partiray hors mon ser- rail.



126116
rail. TR.PANURGE Discourez mieulx. Pa.PANURGE C’est bien
chien chié chanté pour les discours. Faisons
quelque resolution. TR.PANURGE Je n’y contrediz. Pa.PANURGE
Attendez. Puis que de cestuy endroict ne
peuz sang de vous tirer, je vous saigneray
d’aultre vene. Estes vous marié ou non? TR.PANURGE
Ne l’un ne l’aultre, & tous les deux ensem
ble. Pa.PANURGEDieu nous soit en ayde. Je sue
par la mort beuf d’ahan: & sens ma dige-
stion interrompue. Toutes mes phrenes, me-
taphrenes, & diaphragmes sont suspenduz
& tenduz pour incornifistibuler en la gib-
bessiere de mon entendement ce que dictez &
respondez. TR.PANURGE Je ne m’en empesche. P.PANURGE Trut
avant. nostre feal estes vous marié? TR.PANURGE Il me
l’est advis. Pa.PANURGE Vous l’aviez esté une aultre
foys? TR.PANURGE Possible est. Pa.PANURGE Vous en trouva-
stez vous bien la premiere fois? TR.PANURGE Il n’est
pas impossible. A ceste seconde fois com-
ment vous en trouvez vous? TR.PANURGE Comme
porte mon sort fatal? PANUR.PANURGE Mais quoy
a bon essiant, vous en trouvez vous bien?
TROUIL.TROUILLOGAN Il est vray semblable. PANU.PANURGE Or
ça de par Dieu. J’aymeroys par le farde-
au de sainctChristofle autant entrepren-
dre tirer un pet d’un Asne mort, que de
vous une resolution. Si vous auray je a
ce coup. Nostre feal, faisons honte au dia- P iiij



[116v]
ble d’enfer, confessons verité. Feustez vous
jamais coqu? Je diz vous qui estez icy: je
ne diz pas vous qui estez la bas au jeu de
paulme. TROUIL.TROUILLOGAN Non, s’il n’estoit praede-
stiné. PAN.PANURGE Par la chair, je renie: par le
sang, je renague: par le corps, je renon-
ce. Il m’eschappe. A ces motz Gargan-
tua
se leva, & dist. Loué soit le bon Dieu
en toutes choses. A ce que je voy, le mon-
de est devenu beau filz depuys ma con-
gnoissance premiere. En sommes nous la?
Doncques sont huy les plus doctes & pru
dens philosophes entrez on phrontistere
& escholle des Pyrrhoniens, Aporrhetic-
ques, Scepticques, & Ephecticques. Loué
soit le bon Dieu. Vrayement on pourra
dorenavant prendre les Lions par les Ju-
bes: les chevaulx par les crains: les boeufz
par les cornes: les bufles, par le museau:
les loups, par la queue: les chevres, par la
barbe: les oiseaux, par les piedz. Mais ja
ne seront telz Philosophes par leurleurs pa-
rolles pris. Adieu mes bons amys. Ces
motz prononcez, se retira de la com-
paignie. Pantagruel & les aultres le vou
loient suyvre: mais il ne le voulut permet-
tre.

Issu



127117

Issu Guargantua de la salle, Panta-
gruel
dist es invitez. Le Timé de Platon
au commencement de l’assemblée, com-
pta les invitez: nous au rebours les com-
pterons en la fin. Un, deux, trois: ou est le
quart? N’estoit ce nostre amy Bridoye?
Epistemon respondit, avoir esté en sa mai-
son pour l’inviter: mais ne l’avoir trou-
vé. Un huissier du parlement Myrelinguoys
en Myrelingues, l’estoit venu que-
rir & adjourner pour personellement com-
paroistre, & davant les Senateurs raison
rendre de quelque sentence par luy don-
née. Pourtant estoit il au jour praecedent
departy affin de soy repraesenter au jour
de l’assignation, & ne tomber en deffault
ou contumace. Je veulx (dist Pantagruel)
entendre que c’est. Plus de quarante ans
y a qu’il est juge de Fonsbeton: icelluy
temps pendent a donné plus de quatre
mille sentences definitives. De deux mil-
le trois cens & neuf sentences par luy
données feut appellé par les parties con-
demnées en la Court souveraine du par-
lement Mirelinguoys en Mirelingues:
toutes par arrestz d’icelle ont esté rati-
fiées, approuvées, & confirmées: les ap-



[117v]
peaulx renversez, & a neant mis. Que
maintenant doncques soit personelle-
ment adjourné sus ses vieulx jours: il qui
par tout le passé a vescu tant sainctement
en son estat, ne peut estre sans quelque de-
sastre. Je luy veulx de tout mon povoir e-
stre aidant en aequité. Je sçay huy tant e-
stre la malignité du monde aggravée, que
bon droict a bien besoing d’aide. Et prae-
sentement delibere y vacquer de paour de
quelque surprinse. Allors furent les ta-
bles levées. Pantagruel feist es invitez dons
precieux & honorables de bagues, joy-
aulx & vaisselle tant d’or comme d’argent:
& les avoir cordialement remercié, se re-
tira vers sa chambre.


COMMENT PANTA-
gruel
persuade a Panurge pren-
dre conseil de quelque fol

Chapitre XXXVII.


PAntagruel soy retirant, a-
perceut par la guallerie Pa
nurge
en maintien de un
resveur ravassant, & dode-
linant de la teste, & luy dist.
Vous me semblez a une souriz empegée: tant



128118
tant plus elle s’efforce soy depestrer de la
poix, tant plus elle s’en embrene. Vous sem
blablement efforsant issir hors les lacs de
perplexité, plus que davant y demourez
empestré, & n’y sçay remede fors un. En
tendez. J’ay souvent ouy en proverbe vul-
guaire, Qu’un fol enseigne bien un saige.
Puys que par les responses des saiges n’estez
a plein satisfaict, conseillez vous a quelque
fol. Pourra estre que ce faisant, plus a vo-
stre gré serez satisfaict & content. Par l’ad-
vis, conseil, & praediction des folz vous sça-
vez quants princes, roys, & republicques
ont esté conservez, quantes batailles guain-
gnées, quantes perplexitez dissolues. Ja be
soing n’est vous ramentevoir les exemples.
Vous acquiescerez en ceste raison. Car com
me celluy qui de prés reguarde a ses affai-
res privez & domesticques, qui est vigilant
& attentif au gouvernement de sa maison,
duquel l’esprit n’est poinct esguaré, qui ne
pert occasion queconquesquelconques de acquerir &
amasser biens & richesses, qui cautement
sçayt obvier es inconveniens de paovreté,
vous appellez Saige mondain, quoy que fat
soit il en l’estimation des Intelligences coe-
lestes: ainsi fault il pour davant icelles sai-



[118v]
ge estre je diz sage & praesage par aspira-
tion divine, & apte a recepvoir benefice
de divination, se oublier soymesmes, issir
hors de soymesmes, vuider ses sens de toute
terrienne affection, purger son esprit
de toute humaine sollicitude, & mettre
tout en non chaloir. Ce que vulguaire-
ment est imputé a follie. En ceste manie-
re feut du vulgue imperit appellé Fatuel
le grand vaticinateur, Faunus filz de Picus
roy des Latins. En ceste maniere voyons
nous entre les Jongleurs a la distribution
des rolles le personaige du Sot & du Ba-
din estre tous jours representé par le plus
perit & perfaict joueur de leur compai-
gnie. En ceste maniere disent les Mathe-
maticiens un mesmes horoscope estre a la
nativité des Roys & des Sotz. Et donnent
exemple de AEneas, & Choroebus, lequel
Euphorion dict avoir esté fol, qui eurent
un mesme genethliaque. Je ne seray hors
de propous, si je vous raconte ce que dict
Jo. Andre sus un canon de certain rescript
papal addressé au Maire & Bourgeoys de
la Rochelle: & apres luy Panorme en ce
mesmes canon: Barbatia sus les Pande-
ctes, & recentement Jason en ses conseilz, de



129119
de Seigny Joan fol insigne de Paris, bis-
ayeul de Caillette. Le cas est tel.


A Paris en la roustisserie du petit Chas-
telet
, au davant de l’ouvrouoir d’un Rous-
tisseur un Faquin mangeoit son pain a la
fumée du roust, & le trouvoit ainsi perfu-
mé grandement savoureux. Le Roustisseur
le laissoit faire. En fin quand tout le pain
feut baufré, le Roustisseur happe le Fa-
quin au collet, & vouloit qu’il luy payast
la fumée de son roust. Le Faquin disoit en
rien n’avoir ses viandes endommaigé. rien
n’avoir du sien prins: en rien ne luy estre
debiteur. La fumée dont estoit question, e-
vaporoit par dehors: ainsi comme ainsi se
perdoit elle: jamais n’avoit esté ouy que
dedans Paris on eust vendu fumée de roust
en rue. Le Roustisseur replicquoit que de
fumée de son roust n’estoit tenu nourrir les
Faquins: & renioit en cas qu’il ne le pay-
ast, qu’il luy housteroit ses crochetz. Le
Faquin tire son tribart, & se mettoit en de-
fense. L’altercation feut grande. Le ba-
dault peuple de Paris accourut au debat
de toutes pars. La se trouva a propous
Seigny Joan le fol Citadin de Paris. L’ayant
apperceu le Roustisseur, demanda au Fa-



[119v]
quin. Veulx tu sus nostre different croire
ce noble Seigny Joan? Ouy par le sam-
breguoy, respondit le Faquin. Adoncques
Seigny Joan avoir leur discord entendu,
commenda au Faquin, qu’il luy tirast de
son baudrier quelque piece d’argent. Le
Faquin luy mist en main un Tournoys
Philippus. Seigny Joan le print, & le mist
sus son espaule guausche, comme explo-
rant s’il estoit de poys: puys le timpoit
sus la paulme de sa main guausche, comme
pour entendre s’il estoit de bon alloy: puys
le posa sus la prunelle de son oeil droict,
comme pour veoir s’il estoit bien marqué.
Tout ce feut faict en grande silence de
tout le badault peuple, en ferme attente
du Roustisseur, & desespoir du Faquin. En
fin le feist sus l’ouvroir sonner par plusi-
eurs foys. Puys en majesté Praesidentale
tenent sa marote on poing, comme si feust
un sceptre, & affeublant en teste son chap
peron de martres cingesses a aureilles de
papier, fraizé a poincts d’orgues, toussant
prealablement deux ou trois bonnes foys,
dist a haulte voix. La court vous dict que
le Faquin qui a son pain mangé a la fu-
mée du roust, civilement a payé le Roustis- seur



130120
seur au son de son argent. Ordonne la di-
cte court que chascun se retire en sa chas-
cuniere: sans despens, & pour cause. Ce-
ste sentence du fol Parisien tant a semblé
equitable, voire admirable es docteurs
susdictz, qu’ilz font doubte en cas que la
matiere eust esté on Parlement dudict lieu,
ou en la rotte a Rome, voire certes entre
les Areopagites decidée, si plus juridic-
quement eust esté par eulx sententié. Pour-
tant advisez si conseil voulez de un fol
prendre.


COMMENT PAR PAN-
tagruel
& Panurge est Tri-
boullet
blasonné.

Chapitre XXXIIIXXXVIII


PAr mon ame (respondit Pa-
nurge
) je le veulx. Il m’est ad-
vis que le boyau m’eslargist.
Je l’avois nagueres bien serré
& constipé. Mais ainsi comme avons choizy
la fine creme de Sapience pour conseil,
aussi vouldrois je qu’en nostre consulta-
tion praesidast quelqu’un qui feust fol en



[120v]
degré souverain. Triboulet (dist Panta-
gruel
) me semble competentement fol.
Panurge respond. Proprement & totale-
ment fol.

                                               
PANTAGRUEL  PANURGE 
Pantagruel. f. fatal.  Pa. f. de haulte game. 
f. de nature.  f. de b quarre et de b mol. 
f. celeste.  f. terrien. 
f. Jovial.  f. joyeulx et folastrant. 
f. Mercurial.  f. jolly et folliant. 
f. Lunaticque.  f. a pompettes. 
f. erraticque.  f. a pilettes. 
f. ecentricque.  f. a sonnettes. 
f. aeteré et Junonien.  f. riant et Venerien. 
f. arcticque.  f. de soubstraicte. 
f. heroicque.  f. de mere goutte. 
f. Genial.  f. de la prime cuvée. 
f. praedestiné.  f. de montaison. 
f. Auguste.  f. original. 
f. Caesarin.  f. Papal. 
f. Imperial.  f. consistorial. 
f. Royal.  f. conclaviste. 
f. Patriarchal.  f. buliste. 
f. Original.  f. synodal. 
f. loyal.  f. Episcopal. 
f. ducal.  f. Doctoral. 
f. banerol.  f. Monachal. 
f. seigneurial.  f. fiscal. 
f. extra-



131121                                                      
f. palatin.  f. extravaguant. 
f. principal.  f. a bourlet. 
f. pretorial.  f. a simple tonsure. 
f. total.  f. cotal. 
f. eleu.  f. gradué nommé en follie. 
f. curial.  f. commensal. 
f. primipile.  f. premier de sa licence. 
f. triumphant.  f. caudataire. 
f. vulguaire.  f. de supererogation. 
f. domesticque.  f. collateral. 
f. exemplaire.  f. alateré alteré. 
f. rare et peregrin.  f. niais. 
f. aulicque.  f. passagier. 
f. civil.  f. branchier. 
f. populaire.  f. aguard. 
f. familier.  f. gentil. 
f. insigne.  f. maillé. 
f. favorit.  f. pillart. 
f. Latin.  f. revenu de queue. 
f. ordinaire.  f. griays. 
f. redoubté.  f. radotant. 
f. transcendent.  f. de soubarbade. 
f. souverain.  f. boursouflé. 
f. special.  f. supercoquelicantieux. 
f. Metaphysical.  f. corollaire. 
f. ecstaticque.  f. de levant. 
f. Categoricque.  f. soubelin. 
Q



[121v]
                                                     
f. predicable.  f. cramoisy. 
f. decumane.  f. tainct en graine. 
f. officieux.  f. bourgeoys. 
f. de perspective.  f. vistempenard. 
f. d’Algorisme.  f. de gabie. 
f. d’Algebra.  f. modal. 
f. de Caballe.  f. de seconde intention. 
f. Talmudicque.  f. Tacuin. 
f. d’Alguamala.  f. heteroclite. 
f. compendieux.  f. Sommiste. 
f. abrevié.  f. Abreviateur. 
f. hyperbolicque.  f. de morisque. 
f. antonomaticque.  f. bien bullé. 
f. allegoricque.  f. mandataire. 
f. tropologicque.  f. capussionnaire. 
f. pleonasmicque.  f. titulaire. 
f. capital.  f. Tapinois. 
f. cerebreux.  f. rebarbatif. 
f. cordial.  f. bien mentulé. 
f. intestin.  f. mal empieté. 
f. epaticque.  f. couilart. 
f. spleneticque.  f. grimault. 
f. venteux.  f. esventé. 
f. legitime.  f. culinaire. 
f. d’Azimuth.  f. de haulte fustaie. 
f. d’Almicantarath.  f. contrehastier. 
f. proportionné.  f. marmiteux. 
f. d’ar-



132122                                                      
f. d’architrave.  f. catarrhé. 
f. de pedestal.  f. braguart. 
f. parraguon.  f. a xxiiij. caratz. 
f. celebre.  f. bigearre. 
f. alaigre.  f. guinguoys. 
f. solennel.  f. a la Martingualle. 
f. annuel.  f. a bastons. 
f. festival.  f. a marotte. 
f. recreatif.  f. de bon bies. 
f. villaticque.  f. a la grande laise. 
f. plaisant.  f. trabuchant. 
f. privilegié.  f. susanné. 
f. rusticque.  f. de rustrie. 
f. ordinaire.  f. a plain bust. 
f. de toutes heures.  f. guourrier. 
f. en diapason.  f. guourgias. 
f. resolu.  f. d’arrachepied. 
f. hieroglyphicque.  f. de Rebus. 
f. autenticque.  f. a patron. 
f. de valleur.  f. a chapron. 
f. precieux.  f. a double rebras. 
f. fanaticque.  f. a la Damasquine. 
f. fantasticque.  f. de tauchie. 
f. lymphaticque.  f. d’azemine. 
f. Panicque.  f. barytonant. 
f. alambicqué.  f. mouscheté. 
f. non fascheux.  f. a espreuve de hac-
quebutte. 
Q ij



[122v]

PANT.PANTAGRUEL Si raison estoit pourquoy
jadis en Rome les Quirinales on nommoit
la feste des folz, justement en France on
pourroit instituer les Triboulletinales.
PAN.PANURGE Si tous folz portoient cropiere, il
auroit les fesses bien escorchées. PANT.PANTAGRUEL
S’il estoit Dieu Fatuel, du quel avons par-
lé, mary de la dive Fatue, son pere seroit
Bonadies, sa grande mere Bonedée. PAN.PANURGE
Si tous folz alloient les ambles, quoy qu’il
ayt les jambes tortes, il passeroit de une
grande toise. Allons vers luy sans sejour-
ner. De luy aurons quelque belle resolu-
tion, je m’y attends. Je veulx (dist Panta-
gruel
) assister au jugement de Bridoye.
Ce pendent que je iray en Myrelingues,
(qui est dela la riviere de Loyre) je depes-
cheray Carpalim pour de Bloys icy ame-
ner Triboullet. Lors feut Carpalim de-
pesché. Pantagruel acompaigné de ses do
mesticques Panurge, Epistemon, Pono-
crates
, frere Jan, Gymnaste, Rhizotome,
& aultres print le chemin de Myrelingues.


COMMEMT PANTAGRUEL
assiste au jugement du juge Bridoye, lequel
sententioit les procés au sort des dez.
Cha-



133123
Chapitre XXXIX.


AU jour subsequent a heure de
l’assignation Pantagruel ar-
riva en Myrelingues. Les
President, Senateurs, & Con-
seilliers le prierent entrer a-
vecques eulx, & ouyr la decision des cau-
ses & raisons que allegueroit Bridoye,
pourquoy auroit donné certaine senten-
ce contre l’esleu Toucheronde, laquel-
le ne sembloit du tout aequitable a icelle
Court centumvirale. Pantagruel entre vo
luntiers: & la trouve Bridoye on mylieu
du parquet assis: & pour toutes raisons
& excuses rien plus ne respondent, si non
qu’il estoit vieulx devenu, & qu’il n’avoit
la veue tant bonne comme de coustume:
alleguant plusieurs miseres & calamitez
que vieillesse apporte avecques soy, les
quelles not. per Archid. d. lxxxvj. c. tan-
ta. Pourtant ne congnoissoit il tant distin
ctement les poinctz des dez, comme avoit
faict par le passé. Dont povoit estre, qu’en
la façon que Isaac vieulx & mal voyant
print Jacob pour Esaü: ainsi a la decision
du procés, dont estoit question, il auroit
prins un quatre pour un cinq: notam- Q iii



[123v]
ment referent que lors il avoit usé de ses
petits dez. Et que par disposition de droict
les imperfections de Nature ne doibvent
estre imputées a crime, comme apert ff.
de re milit. l. qui cum uno: ff. de reg. iur. l.
fere. ff. de edil. ed. per totum. ff. de term
mo. l. Divus Adrianus resolu. per Lud.
Ro.
in l. si verò ff. solu. matri.
Et qui aul-
trement feroit, non l’home accuseroit,
mais Nature, comme est evident in l. ma-
ximum vitium. C. de lib. praeter.


Quelz dez (demandoit Trinquamel-
le
grand Praesident d’icelle court) mon a-
my entendez vous? Les dez (respondit
Bridoye) des jugemens, Alea iudiciorum,
des quelz est escript par doct. 26. q. ij. c.
Sors l. nec emptio. ff. de contrah. empt.
l. quod debetur. ff. de pecul. & ibi Bar-
thol
. Et des quelz dez vous aultres mes-
sieurs ordinairement usez en ceste vostre
court souveraine, aussi font tous aultres
juges en decision des procés, suyvans ce
qu’en a noté. D. Henr. Ferrandat. & no.
gl. in c. fin. de sortil. & l. sed cum ambo.
ff. de iudi. ubi doct.
notent que le sort est
fort bon, honeste. utile & necessaire a la
vuidange des procés & dissentions. Plus encores



134124
encores apertement l’ont dict Bal. Bart.
& Alex. C. communia de l. Si duo.
Et comment (demandoit Trinquamelle)
faictez vous mon amy? Je (respondit
Bridoye) responderay briefvement sce-
lon l’enseignement de la l. Ampliorem.
§. in refutatoriis. C. de appella.
& ce que
dit Gl. l. j. ff. quod met. cau. Gaudent
brevitate moderni.
Je fays comme vous
aultres messieurs, & comme est l’usance
de judicature: a laquelle nos droictz com
mendent tousjours deferer. ut no. extra
de consuet. c. ex literis. & ibi Innoc.

Ayant bien veu, reveu, leu, releu, pape-
rassé, & feueilleté les complainctes, ad-
journemens, comparitions, commissions,
informations, avant procedez, productions,
alleguations, intendictz, contredictz, re-
questes, enquestes, repliques, dupliques,
tripliques, escriptures, reproches, griefz,
salvations, recollemens, confrontations,
acarations, libelles, apostoles, letres roy-
aulx, compulsoires, declinatoires, antici-
patoires, evocations, envoyz, renvoyz, con
clusions, fins de non proceder, apoincte-
mens, reliefz, confessions, exploictz, &
aultres telles dragées & espisseries d’u- Q iiij



[124v]
ne part & d’aultre, comme doibt faire le
bon juge scelon qu’en a no. Spec. de ordi-
nario. §. iij. & tit. de offi. om. ju. §. fi. & de
rescriptis praesenta §. j.
Je pose sus le bout
de table en mon cabinet tous les sacs du
defendeur: & luy livre chanse premiere-
ment, comme vous aultres messieurs. Et
est not. l. Favorabiliores. ff. de reg. iur.
& in c. cum sunt eod. tit. lib. vj. qui dict
Cum sunt partium iura obscura, reo fa-
uendum est potius quàm actori.
Cela faict,
je pose les sacs du demandeur, comme vous
aultres messieurs, sus l’aultre bout visum
visu
. Car, opposita iuxta se posita magis
elucescunt. ut not. in l. j. §. videamus. ff.
de his qui sunt sui vel alie. iur. & in l. mu-
nerum. j. mixta. ff. de muner. & honor.

Pareillement & quant & quand je luy li-
vre chanse.


Mais (demandoit Trinquamelle) mon
amy, a quoy congnoissez vous l’obscuri-
té des droictz praetenduz par les parties
playdoiantes? Comme vous aultres mes-
sieurs, (respondit Bridoye) sçavoir est
quand il y a beaucoup de sacs d’une part
& de aultre. Et lors je use de mes petitz
dez, comme vous aultres messieusmessieurs, suy- vant



135125
vant la loy, Semper in stipulationibus. ff.
de reg. iur.
& la loy versale versifiée q eod.
tit. Semper in obscuris quod minimum est
sequimur. canonizée in c. in obscuris eod.
tit. lib. vi.
J’ay d’aultres gros dez bien be-
aulx & harmonieux, des quelz je use, com
me vous aultres messieurs, quand la ma-
tiere est plus liquide, c’est a dire, quand
moins y a de sacs.


Cela faict, (demandoit Trinquamelle)
comment sententiez vous, mon amy? Com
me vous aultres messieurs, respondit Bri-
doye
, pour celluy je donne sentence du
quel la chanse livrée par le sort du dez ju-
diciaire, Tribunian, praetorial, premier ad-
vient. Ainsi commendent nos droictz. ff.
qui po. in pig. l. potior. leg. creditor. C. de
consul. l. j. Et de reg. iur. in vj. Qui prior
est tempore, potior est iure.


COMMENT BRIDOYE
expose les causes pourquoy il visi-
toit les procés qu’il decidoit par
le sort des dez.

Chapitre XL.





[125v]


VOyre mais (demandoit Trin-
quamele
) mon amy, puis que
par sort & iect des dez vous
faictez vos jugemens, pour-
quoy ne livrez vous ceste
chanse le jour & heure propre que les par-
ties controverses comparent par davant
vous, sans aultre delay? De quoy vous
servent les escriptures & aultres proce-
dures contenues dedans les sacs? Comme a
vous aultres messieurs (respondit Bridoye)
elles me servent de trois choses exquises,
requises, & autenticques. Premierement
pour la forme, en omission de laquelle ce
qu’on a faict n’estre valable prouve tres-
bien Spec. tit. de instr. edi. & tit. de rescrip.
praesent
. D’advantaige vous sçavez trop
mieux que souvent en procedures judici-
aires les formalitez destruisent les mate-
rialitez & substances. Car forma mutata
mutatur substantia. ff. ad exhib. l. Julianus
ff. ad leg. falcid. l. Si is qui quadringenta. Et
extra de deci. c. ad audientiam, & de cele-
bra. miss. c. in quadam
.


Secondement comme a vous aultres mes-
sieurs, me servent d’exercice honneste & sa
lutaire. Feu M. Othoman Vadare grand Medi-



136126
Medicin, comme vous diriez. C. de comit.
& archi. lib. xij.
m’a dict maintes foys que
faulte d’exercitation corporelle est cause
unicque de peu de santé & briefveté de
vie de vous aultres messieurs, & tous of-
ficiers de justice. Ce que tresbien avant
luy estoit noté par Bart. in. l. j. C. de senten.
quae pro eo quod
. Pourtant sont comme a
vous aultres messieurs, a nous consecuti-
vement, quia accessorium naturam sequitur
principalis de reg. iur. lib. vj. &. l. cum prin-
cipalis. &. l. nihil dolo. ff. eod. titu. ff. de fi-
deiusso. l. fideiussor. & extra de offi. de leg.
c. j.
concedez certains jeuz d’exercice ho-
neste & recreatif. ff. de al. lus. & aleat. l. so-
lent. & autent. vt omnes obediant, in princ.
coll. vij. & ff. de praescript. verb. l. si gra-
tuitam. &. l. j. C. de spect. lib. xj
. Et telle
est l’opinion D. Thomae in secunda secun-
dae, quaest. clxviij.
bien a propous alleguée
per D. Alber. de Ros. lequel fuit magnus
practicus
& docteur solennel, comme atteste
Barbatia in prin. consil. La raison est expo-
sée per gl. in prooemio ff. §. ne autem tertij.

Interpone tuis interdum gaudia curis.


De faict un jour en l’an. 1489. ayant



[126v]
quelque affaire bursal en la chambre de
messieurs les Generaulx, & y entrant par
permission pecuniaire de l’huissier, comme
vous aultres messieurs sçavez que pecu-
niae obediunt omnia, & la dict Bald. in l.
Singularia. ff. si certum pet. & Salic. in l.
recepticia. C. de constit. pecun. & Card. in
Cle. j. de baptis
. Je les trouvay tous jouans
a la mousche par exercice salubre avant le
past, ou apres: il m’est indifferent pourveu
que hic no que le jeu de la mousche est ho
neste, salubre, antique, & legal a Musco
inventore. de quo. C. de petit. haered. l. si
post motam: & Muscarij. i.
ceulx qui jou-
ent a la mousche sont excusables de droict
l. j. C. de excus. artif. lib. x. Et pour lors
estoit de mousche. M. Tielman Picquet, il
m’en soubvient: & rioyt de ce que mes-
sieurs de ladicte chambre guastoient tous
leurs bonnetz a force de luy dauber ses es-
paules: les disoit ce nonobstant n’estre de
ce deguast de bonnetz excusables au re-
tour du palais envers leurs femmes par c.
i. extra de praesump. & ibi gl. Or resoluto-
rie loquendo
je diroys comme vous aul-
tres messieurs, qu’il n’est exercice tel, ne
plus aromatisant en ce monde Palatin, que vuider



137127
vuider sacs, feueilleter papiers, quotter
cayers, emplir paniers, & visiter procés.
ex Bart. & Io. de pra. in l. falsa. de condit.
& demon. ff
.


Tiercement, comme vous aultres mes-
sieurs, je consydere que le temps meurist
toutes choses: par temps toutes choses vi-
ennent en evidence: le temps est pere de
Verité. gl. in l. j. C. de seruit. Autent. de re-
stit. & ea quae pa. & Spec. tit. de requis. cons
.
C’est pourquoy, comme vous aultres mes-
sieurs je sursoye, delaye, & differe le juge-
ment: affin que le procés bien ventilé, gra-
belé, & debatu vieigne par succession de
temps a sa maturité: & le sort par apres
advenent soit plus doulcettement porté
des parties condemnées. comme no. glo.
ff. de excu. tut. l. Tria onera. Portatur levi-
ter quod portat quisque libenter
. Le jugeant
crud, verd, & au commencement, dangier
seroit de l’inconvenient que disent les Me-
dicins advenir, quand on perse un aposte-
me avant qu’il soit meur, quand on purge
du corps humain quelque humeur nuy-
sant avant sa concoction. Car comme est
escript in Autent. Haec constit. in inno. const.
prin. & le repete gl. in c. Caeterum. extra



[127v]
de iura. calum. Quod medicamenta mor-
bis exhibent, hoc iura negotiis
. Nature
d’adventaige nous instruict cuillir & man-
ger les fruictz quand ilz sont meurs. instit.
de re. di. §. is ad quem. & ff. de acti. empt.
l. Julianus
. Marier les filles, quand elles sont
meures. ff. de donat. int. vir. & uxo. l. cùm
hic status. §. si quia sponsa. & 27. q. j. c. Sicut
dict gl. Iam matura thoris plenis adoleue-
rat annis Virginitas,
Rien ne faire qu’en
toute maturité xxiij. q. ij. §. ult. & xxxiij.
d. c. vlt
.


COMMENT BRIDOYE
narre l’histoire de l’apoincteur des procés.
Chapitre XLI.


IL me souvient a ce propous
(dist Bridoye continuant) que
on temps que j’estudiois a Poi-
ctiers
en droict soubs Broca-
dium iuris, estoit a Semerve un nommé
Perrin Dendin, home honorable, bon
laboureur, bien chantant au letrain, ho-
me de credit, & aagé autant que le plus
de vous aultres messieurs: lequel disoit a-
voir veu le grand bon home de La-
tran
avecques son gros Chappeau rouge. ensem-



138128
ensemble la bonne dame Pragmaticque
Sanction sa femme avecques son large tis-
su de satin pers, & ses grosses patenostres
de Gayet. Cestuy home de bien apoin-
ctoit plus de procés, qu’il n’en estoit vuidé
en tout le palais de Poictiers, en l’audi-
toire de Monsmorillon, en la halle de Par-
thenay
le vieulx. Ce que le faisoit venera-
ble en tout le voisinage. De Chauvigny,
Noüaillé, Croutelles, Aisgne, Legugé, La
motte
, Lusignan, Vivonne, Mezeaulx, Esta-
bles
, & lieux confins tous les debatz, pro-
cés & differens, estoient par son devis vui-
dez, comme par juge souverain, quoy que
juge ne feust, mais home de bien. Arg. in
l. sed si vnius. ff. de iureiu. & de verb. oblig.
l. continuus
. Il n’estoit tué pourceau en
tout le voisinage, dont il n’eust de la ha-
stille & des boudins. Et estoit presque tous
les jours de banquet, de festin, de nopces,
de commeraige, de relevailles, & en la ta-
verne: pour faire quelque apoinctement,
entendez. Car jamais n’apoinctoit les par-
ties, qu’il ne les feist boyre ensemble par
symbole de reconciliation, d’accord perfaict,
& de nouvelle joye. vt no. per doct. ff.
de peri. & comm. rei vend. l. i.





[128v]

Il eut un filz nommé Tenot Dendin,
grand hardeau, & gualant home, ainsi m’aist
Dieu. lequel semblablement voulut s’en-
tremettre d’appoincter les plaidoians: com-
me vous sçavez que,
Saepe solet similis filius esse patri.
Et sequitur leviter filia matris iter.

vt ait gl. vj. q. j. c. Siquis. g. de cons. d. v. c. j. fi.
& est no. per doct. C. de impu. & aliis subst. l.
vlt. & l. legitimae. ff. de stat. hom. gl. in l.
quod si nolit. ff. de. edil. ed. l. quis. C. ad le.
Jul. maiest. Excipio filios à moniali susce-
ptos ex monacho, per gl. in c. Impudicas.
xxvii. q. i.
Et se nommoit en ses tiltres, L’a-
poincteur des procés. En cestuy negoce tant
estoit actif & vigilant. Car vigilantibus
iura subueniunt, ex. l. pupillus. ff. quae in
fraud. cred. & ibid. l. non enim. & instit. in
prooemio: que incontinent qu’il sentoit
vt. ff. si quad. pau. fec. l. Agaso. gl. in verbo.
olfecit. i. nasum ad culum posuit,
& enten-
doit par pays estre meu procés ou debat,
il se ingeroit d’apoincter les parties. Il est
escript. Qui non laborat, non manige du-
cat, & le dict gl. ff. de dam. infect. l. quamuis.
& Currere plus que le pas vetulam com-
pellit egestas. gl. ff. de lib. agnos. l. Si quis. pro



139129
pro qua facit. l. si plures C. de cond. incer.

Mais en tel affaire il feut tant malheureux,
que jamais n’apoincta different quelcon-
ques, tant petit feust il que sçauriez dire.
En lieu de les apoincter, il les irritoit & ai
grissoit d’adventaige. Vous sçavez messi-
eurs que,
Sermo datur cunctis, animi sapientia
paucis.

gl. ff. de alie. iu. mu. caus. fa. l. ij. Et disoient
les taverniers de Semarve, que soubs luy
en un an ilz n’avoient tant vendu de vin
d’apoinctation, (ainsi nommoient ilz le bon
vin de Legugé) comme ilz faisoient soubz
son pere en demie heure. Advint qu’il s’en
plaignit a son pere, & referoit les causes
de ce meshaing en la perversité des homes
de son temps, franchement luy objectant:
que si on temps jadis le monde eust esté ainsi
pervers, playdoiart, detravé, & inapoin-
ctable, il son pere, n’eust acquis l’honneur
et tiltre d’Apoincteur tant irrefragable,
comme il avoit. En quoy faisoit Tenot con-
tre droict, par lequel est es enfans defendu
reprocher leurs propres peres per gl. &
Bar. l. iij. §. Siquis. ff. de condi. ob caus.
& au-
tent. de nup. §. Sed quod sancitum coll. iiij. R



[129v]
Il fault (respondit Perrin) faire aultre-
ment Dendin mon filz. Or quand oportet
vient en place, il convient qu’ainsi se face.
gl. C. de appell. l. eos etiam. Ce n’est la que
gist le Lievre. Tu n’apoincte jamais les
differens. Pour quoy? Tu les prens des le
commencemens estans encores verds &
cruds. Je les apoincte tous. Pourquoy? Je
les prens sur leur fin bienmeurs & digerez.
Ainsi dist gl.
Dulcior est fructus post multa pericula
ductus.

l. non moriturus. C. de contrah & comit.
stip.
Ne sçaiz tu qu’on dict en proverbe
commun, Heureux estre le medicin, qui
est appellé sus la declination de la mala-
die? La maladie de soy criticquoit, & ten-
doit a fin encores que le medicin n’y sur-
vint. Mes plaidoieurs semblablement de
soy mesmes declinoient on dernier but de
playdoirie: car leurs bourses estoient vui-
des. de soy cessoient poursuyvre & sollici-
ter: plus d’aubert n’estoit en fouillouse
pour solliciter & poursuyvre.
Deficiente pecu, deficit omne, nia.

Manquoit seulement quelqu’un qui feust
comme paranymphe & mediateur, qui pre-
mier parlast d’apoinctement. pour soy saulver



140130
saulver l’une & l’aultre partie de ceste
pernicieuse honte, qu’on eust dict, cestuy cy
premier s’est rendu: il a premier parlé d’a-
poinctement: il a esté las le premier: il n’a-
voit le meilleur droict: il sentoit que le
bast le blessoit. La (Dendin) je me trouve a
propous, comme lard en poys. C’est mon
heur. C’est mon guaing. C’est ma bonne
fortune. Et te diz (Dendin mon filz jolly)
que par ceste methode, je pourrois paix
mettre, ou treves pour le moins, entre le
grand Roy & les Venitiens: entre l’em-
pereur & les Suisses, entre les Anglois &
Escossois: entre le Pape & les Ferrarois.
Iray je plus loing? Ce m’aist Dieu, entre
le Turc & le Sophy: entre les Tartres &
les Moscovites. Entends bien. Je les pren-
drois sus l’instant que & les uns & les aul-
tres seroient las de guerroier: qu’ilz auroi-
ent vuidé leurs coffres: expuisé les bour-
ses de leurs subjectz: vendu leur dommaine:
hypothequé leurs terres: consumé leurs vi-
vres & munitions. La de par Dieu ou de par
sa mere force forcée leurs est respirer, &
leurs felonnies moderer. C’est la doctrine
in gl. xxxvii. d. c. Si quando.
Odero si potero, si non, invitus amabo.

R ij




[130v]


COMMENT NAISSENT
les procés, & comment ilz vi-
ennent a perfection.


Chapitre XLII.


C’EstEst pourquoy (dist Bridoye
continuant) comme vous aul-
tres messieurs, je temporize
attendant la maturité du pro-
cés, & sa perfection en tous
membres: ce sont escriptures & sacs. Arg.
in l. si major C. commu. diui. & de cons. d.
j. c. Solennitates. & ibi gl.
Un procés a sa
naissance premiere me semble, comme a
vous aultres messieurs, informe & imper-
faict. Comme un Ours naissant n’a pieds
ne mains, peau, poil, ne teste: ce n’est qu’u-
ne piece de chair rude & informe. L’our-
se a force de leicher la mect en perfection
des membres. vt no. doct. ff. ad leg. Aquil.
l. ij. in fi.
Ainsi voy je, comme vous aultres
messieurs, naistre les procés a leurs com-
mencemens informes & sans membres. Ilz
n’ont qu’une piece ou deux: c’est pour lors
une laide beste. Mais lors qu’ilz sont bien
entassez, enchassez, & ensachez, on les peut



141131
peut vrayement dire membruz & formez.
Car forma dat esse rei. l. si is qui. ff. ad leg.
falci. in c. cum dilecta extra de rescrip.
Bar-
batia
consil. 12. lib. 2. & davant luy Bald.
in. c. vlti. extra de consue. & l. Julianus. ff.
ad exib. &. l. quaesitum. ff. de lega. iii.
La ma-
niere est telle que dict gl. p. q. j. c. Paulus.
Debile principium melior fortuna sequetur.
Comme vous aultres messieurs, sembla-
blement les sergens, huissiers, appariteurs,
chiquaneurs, procureurs, commissaires, ad-
vocatz, enquesteurs, tabellions, notaires,
grephiers, & juges pedanées. de quibus tit.
est lib. iij. Cod.
sugsants bien fort & conti-
nuellement les bourses des parties, engen-
drent a leurs procés teste, pieds, gryphes,
bec, dens, mains, venes, arteres, nerfz,
muscles, humeurs. Ce sont les sacs. gl. de
cons. d. iiij. c. accepisti. Qualis vestis erit,
talia corda gerit
. Hic no.
qu’en ceste qua-
lité plus heureux sont les plaidoyans que
les ministres de Justice. Car, beatius est
dare, quam accipere. ff. comm. l. iij. & extra
de celebra. miss. c. cum Marthae. Et 24. q.
j. c. Odi. gl. Affectum dantis pensat censu-
ra tonantis
. Ainsi rendent le procés per- R iij



[131v]
faict gualant & bien formé. comme dict
gl. can. Accipe, sume, cape, sunt Verba
placentia Papae.
Ce que plus apertement a
dict Alber. de Ros. in verb. Roma.
Roma manus rodit, quas rodere non va-
let, odit.

Dantes custodit, non dantes spernit & odit.

Raison pourquoy? Ad praesens oua cras
pullis sunt meliora.
vt est glo. in l. quum hi.
ff. de transac.
L’inconvenient du contraire
est mis in gl. C. de allu. l. fi. Cum labor in
damno est, crescit mortalis egestas.
La vraye
etymologie de Procés est, en ce qu’il doibt
avoir en ses prochatz prou sacs. Et en avons
brocards deificques. Litigando iura cres-
cunt. Litigando ius acquiritur. Item gl. in
c. Illud. ext. de praesumpt. &. C. de prob. l.
instrumenta. l. non epistolis. l. non nudis.
Et cum non prosunt singula, multa iuuant.


Voyre mais (demandoit Trinquamelle)
mon amy comment procedez vous en action
criminelle, la partie coulpable prinse fla-
grante crimine? Comme vous aultres mes-
sieurs, (respondit Bridoye) je laisse & com-
mende au demandeur dormir bien fort pour l’en-



142132
l’entrée du procés: puys davant moy conve-
nir, me apportant bonne & juridicque at-
testation de son dormir scelon la gl. 32. q.
vij. c. Siquis cum. Quandoque bonus dor-
mitat Homerus.
Cestuy acte engendre
quelque aultre membre, de cestuy la naist
un aultre, comme maille a maille est faict
le aubergeon. En fin je trouve le procés
bien par informations formé & perfaict en
ses membres. Adoncques je retourne a mes
dez. Et n’est par moy telle interpollation
sans raison faicte & experience notable.


Il me soubvient que on camp de StoKolmStokolm,
un Guascon nommé Gratianauld natif de
Sainsever, ayant perdu au jeu tout son ar-
gent: & de ce grandement fasché: comme
vous sçavez que, pecunia est alter sanguis,
vt ait Anto. de Butrio in. c. accedens. ij. ex-
tra vt lit. non contest. & Bald. in. l. si tuis. C.
de op. li. per no. &. l. advocati. C. de advo.
diu. iud. Pecunia est vita hominis, & opti-
mus fideiussor in necessitatibus:
a l’issue du
berland davant tous ses compaignons di-
soit a haulte voix. Pao cap de bious hil-
lotz, que maulx de pippe bous tresbyre:
ares que pergudes sont les mies bingt & quou
atte baguettes, ta pla donnerien picz, trucz, R iiij



[132v]
& patactz Sey degun de bous aulx, qui
boille truquar ambe iou a belz embiz?

Ne respondent personne, il passe on camp
des Hondrespondres, & reïteroit ces mes-
mes parolles, les invitant a combatre avec-
ques luy. Mais les susdict disoient. Der
Guascongner thut schich usz mitt eim
jedem ze schlagen, aber er ist geneigter
zu staelen darumb lieben frauuen hend
serg zu inuerm hausraut
. Et ne se offrit au
combat persone de leur ligue. Pourtant
passe le Guascon au camp des aventuriers
François, disant ce que dessus, & les invi-
tant au combat guaillardement avecques
petites guambades Guasconicques. Mais
persone ne luy respondit. Lors le Guascon
au bout du camp se coucha pres les tentes
du gros Christian chevallier de Crissé, &
s’endormit. Sus l’heure un adventurier
ayant pareillement perdu tout son argent,
sortit avecques son espée, en ferme deli-
beration de combatre avecques le Guas-
con: veu qu’il avoit perdu comme luy.
Ploratur lachrymis amissa pecunia veris
dict glos. de poenitent. dist. 3. c. Sunt plu-
res.
De faict l’ayant cherché par my le
camp, finablement le trouva endormy. Adon-



143133
Adoncques luy dist, Sus ho Hillot de tous
les Diables, leve toy: j’ay perdu mon ar-
gent, aussi bien que toy. Allons nous bat-
tre guaillard, & bien a poinct frotter no-
stre lard. Advise que mon verdun ne soit
poinct plus long que ton espade. Le Gua-
scon tout esblouy luy respondit. Cap de
sainct Arnault, quau seys tu, qui me re-
beillez? que mau de taoverne te gyre. Ho
sainct Siobe cap de Guascoigne ta pla
dormie iou, quand aquoest taquain me
bingut estée
. L’adventurier le invitoit de-
rechef au combat, mais le Guascon luy
dist. Hé paouret ïou te esquinerie ares que
son pla reposat. Vayne un pauc qui te po-
sar com ïou, puesse truqueren.
Avecques
l’oubliance de sa perte il avoit perdu l’en-
vie de combatre. Somme, en lieu de se ba-
tre, & soy par adventure entretuer, ilz al-
lerent boyre ensemble, chascun sus son
espée. Le sommeil avoit faict ce bien, &
pacifié la flagrante fureur des deux bons
champions. La compete le mot doré de
Joan. And. in. c. vlt. de sent. & re iudic. li-
bro sexto. Sedendo & quiescendo fit ani-
ma prudens.





[133v]


COMMENT PANTAGRUEL
excuse Bridoye sus les jugemens
faictz au sort des dez.


Chapitre XLIII.


ATant se teut Bridoye. Trin-
quamelle
luy commenda is-
sir hors la chambre du par-
quet. Ce que feut faict. Al-
lors dist a Pantagruel. Rai-
son veult, Prince tresauguste, non par l’o-
bligation seulement, en laquelle vous te-
nez par infiniz biensfaictz cestuy parle-
ment, & tout le marquisat de Myrelin-
gues
: mais aussi par le bon sens, discret
jugement, & admirable doctrine, que le
grand Dieu dateur de tous biens a en
vous posé, que vous praesentons la deci-
sion de ceste matiere tant nouvelle, tant
paradoxe, & extrange de Bridoye, qui
vous praesent, voyant, & entendent a
confessé juger au sort des dez. Si vous pri-
ons que en veueillez sententier comme
vous semblera juridicque & aequitable.


A ce respondit Pantagruel. Messieurs, mon



144134
mon estat n’est en profession de decider
procés, comme bien sçavez. Mais puys
que vous plaist me faire tant d’honneur,
en lieu de faire office de Juge, je tiendray
lieu de Suppliant. En Bridoye je recon-
gnois plusieurs qualitez, par les quelles
me sembleroit pardon du cas advenu me-
riter. Premierement vieillesse, seconde-
ment simplesse: es quelles deux vous en-
tendez trop mieulx quelle facilité de par-
don, & excuse de mesfaict, nos droictz &
nos loix oultroyent. Tiercement je recon-
gnois un aultre cas pareillement en nos
droictz deduict a la faveur de Bridoye,
c’est que ceste unique faulte doibt estre
abolie, extaincte, & absorbée en la mer
immense de tant d’equitables sentences
qu’il a donné par le passé: & que par qua-
rante ans & plus on n’a en luy trouvé acte
digne de reprehension: comme si en la rivi-
ere de Loyre
je jectois une goutte d’eaue
de mer, pour ceste unique goutte persone
ne la sentiroit, persone ne la diroit sallée.
Et me semble qu’il y a je ne sçay quoy de
Dieu, qui a faict & dispensé, qu’a ces juge-
mens de sort toutes les praecedentes sentences
ayent esté trouvées bonnes en ceste vostre ve-



[134v]
nerable & souveraine court: lequel com
me sçavez veult souvent sa gloire appa-
roistre en l’hebetation des sages, en la de-
pression des puissans, & en l’erection des
simples & humbles. Je mettray en obmis-
sion toutes ces choses: seulement vous
priray, non par celle obligation que pre-
tendez a ma maison, laquelle je ne recon-
gnois, mais par l’affection syncere que de
toute ancienneté avez en nous congneue
tant deça que dela Loire en la maincte-
nue de vostre estat & dignitez, que pour
ceste fois luy veueillez pardon oultroyer.
Et ce en deux conditions. Premierement
ayant satisfaict ou protestant satisfaire a
la partie condemnée par la sentence dont
est question. A cestuy article je donneray
bon ordre & contentement. Secondement
qu’en subside de son office vous luy bail-
liez quelqu’un plus jeune docte, prudent,
perit, & vertueux conseiller: a l’advis du
quel dorenavant fera ses procedures judi-
ciaires. En cas que le voulussiez totale-
ment de son office deposer, je vous priray
bien fort me en faire un praesent & pur
don. Je trouveray par mes royaulmes li-
eux assez & estatz pour l’employer & me en



145135
en servir. A tant suppliray le bon Dieu
createur, servateur, & dateur de tous bi-
ens, en sa saincte grace perpetuellement
vous maintenir.


Ces motz dictz, Pantagruel feist reve-
rence a toute la court, & sortit hors le
parquet. A la porte trouva Panurge, Epi-
stemon
, frere Jan, & aultres. La monte-
rent a cheval pour s’en retourner vers
Garguantua. Par le chemin Pantagruel
leurs comptoit de poinct en poinct l’hi-
stoire du jugement de Bridoye. Frere Jan
dist qu’il avoit congneu Perrin Dendin
on temps qu’il demouroit a la Fontaine
le Conte
soubs le noble abbé Ardillon.
Gymnaste dist qu’il estoit en la tente du
gros Christian chevallier de Crissé, lors
que le Guascon respondit a l’adventurier.
Panurge faisoit quelque difficulté de
croire l’heur des jugemens par sort, mes-
mement par si long temps. Epistemon dist
a Pantagruel. Histoire parallele nous com-
pte lon d’un Praevost de Monslehery. Mais
que diriez vous de cestuy heur des dez con-
tinué en succés de tant d’années? Pour un
ou deux jugemens ainsi donnez a l’adven
ture je ne me esbahirois, mesmement en



[135v]
matieres de soy ambigues, intrinquées,
perplexes, & obscures.


COMMENT PANTA-
gruel
raconte une estrange hi-
stoire des perplexitez du
jugement humain.


Chapitre XLIIII.


COmme feut (dist Pantagruel)
la controverse debatue da-
vant Cn. Dolabella procon-
sul en Asie. Le cas est tel. Une
femme en Smyrne de son
premier mary eut un enfant nommé Abe-
. Le mary defunct, apres certain temps
elle se remaria: & de son second mary eut
un filz nomme Effege. Advint (comme
vous sçavez que rare est l’affection des pe
ratres, vitrices, noverces, & meratres en-
vers les enfans des defuncts premiers pe-
res & meres) que cestuy mary & son filz
occultement, en trahison, de guet a pens,
tuerent Abecé. La femme entendent la tra-
hison & meschanceté ne voulut le forfaict rester



146136
rester impuny: & les feist mourir tous
deux, vengeante la mort de son filz pre-
mier. Elle feut par la justice apprehendée
& menée davant Cn. Dolabella. En sa
praesence elle confessa le cas, sans rien dis-
simuler, seulement alleguoit que de droict
& par raison elle les avoit occis. C’estoit
l’estat du procés. Il trouva l’affaire tant
ambigu, qu’il ne sçavoit en quelle par-
tie incliner. Le crime de la femme estoit
grand, laquelle avoit occis ses mary se-
cond & enfant. Mais la cause du meur-
tre luy sembloit tant naturelle, & comme
fondée en droict des peuples, veu qu’ilz
avoient tué son filz premier, eulx ensem-
ble, en trahison, de guet a pens, non par
luy oultragez ne injuriez, seulement par
avarice de occuper le total heritage: que
pour la decision il envoya es Areopagi-
tes en Athenes, entendre quel seroit sur
ce leur advis & jugement. Les Areopa-
gites feirent response, que cent ans a-
pres personellement on leurs envoiast les
parties contendentes, affin de respondre
a certains interroguatoires, qui n’estoient
on procés verbal contenuz. C’estoit a di-
re, que tant grande leurs sembloit la per-



[136v]
plexité & obscurité de la matiere, qu’ilz
ne sçavoient qu’en dire ne juger. Qui eust
decidé le cas au sort des dez, il n’eust erré,
advint ce que pourroit. Si contre la fem-
me, elle meritoit punition, veu qu’elle a-
voit faict la vengence de soy, laquelle a-
partenoit a Justice: Si pour la femme, elle
sembloit avoir eu cause de douleur atro-
ce. Mais en Bridoye la continuation de
tant d’années me estonne.


Je ne sçaurois (respondit Epistemon)
a vostre demande categoricquement re-
spondre. Force est que le confesse. Conje-
cturallement je refererois cestuy heur de ju
gement en l’aspect benevole des cieulx,
& faveur des Intelligences motrices. Les
quelles en contemplation de la simplici-
té & affection syncere du juge Bridoye:
qui soy deffiant de son sçavoir & capaci-
té: congnoissant les antinomies & con-
trarietez des loix, des edictz, des coustu-
mes & ordonnances: entendent la fraul-
de du Calumniateur infernal, lequel sou-
vent se transfigure en messagier de lumie-
re, par ses ministres les pervers advocatz,
Conseilliers, Procureurs, & aultres telz
suppoz, tourne le noir en blanc, faict phan- tastic-



147137
tasticquement sembler a l’une & l’aultre
partie, quelle a bon droict, comme vous
sçavez qu’il n’est si maulvaise cause, qui
ne trouve son advocat, sans cela jamais ne
seroit procés on monde: se recommen-
deroit humblement a Dieu le juste juge:
invocqueroit a son ayde la grace celeste:
se deporteroit en l’esprit sacrosainct, du
hazard & perplexité de sentence definiti-
ve: & par ce sort exploreroit son decret
& bon plaisir, que nous appellons Arrest:
remueroient & tourneroient les dez pour
tomber en chanse de celluy qui muny de
juste complaincte requeroit son bon droict
estre par Justice maintenu. Comme disent
les Talmudistes, en sort n’estre mal aul-
cun contenu: seulement par sort estre en
anxieté & doubte des humains manife-
stée la volunté divine.


Je ne vouldrois penser ne dire, aussi
certes ne croy je, tant anomale estre l’ini-
quité, & corruptele tant evidente de ceulx
qui de droict respondent en icelluy parle-
ment Myrelinguois en Myrelingues, que
pirement ne seroit un procés decidé par
ject des dez, advint ce que pourroit, qu’il
est passant par leurs mains pleines de sang S



[137v]
& de perverse affection. Attendu mes-
mement, que tout leur directoire en ju-
dicature usuale a esté baillé par un Tri-
bunian
home mescreant, infidele, bar-
bare, tant maling, tant pervers, tant a-
vare & inique, qu’il vendoit les loix, les
edictz, les rescriptz, les constitutions &
ordonnances en purs deniers, a la partie
plus offrante. Et ainsi leurs a taillé leurs
morseaulx par ces petitz boutz & eschan-
tillons des loix qu’ilz ont en usaige: la re-
ste supprimant & abolissant qui faisoit
pour la loy totale: de paour que la loy
entiere restante & les livres des antiques
Jurisconsultes veuz sus l’exposition des
douze tables, & edictz des Praeteurs, feust
du monde apertement sa meschanceté
congneue. Pourtant seroit ce souvent
meilleur (c’est a dire moins de mal en ad-
viendroit) es parties controverses, mar-
cher sus chausses trapes, que de son droict
soy deporter en leurs responses & juge-
mens: Comme soubhaitoit Caton de son
temps, & conseilloit que la court judici-
aire feust de chausses trappes pavée.

COM-




148138


COMMENT PANURGE
se conseille a Triboullet.

Chapitre XLV.


AU sixiesme jour subsequent
Pantagruel feut de retour:
en l’heure que par eaue de
Bloys estoit arrivé Triboul-
let
. Panurge a sa venue luy
donna une vessie de porc bien enflée, &
resonante a cause des poys qui dedans e-
stoient: plus une espée de boys bien do-
rée: plus une petite gibbessiere faicte d’u-
ne coque de Tortue: plus une bouteille
clissée pleine de vin Breton: & un quarte-
ron de pommes Blandureau. Comment, (dist
Carpalim) est il fol, comme un chou, a pom
mes? Triboullet ceignit l’espée & la gib-
bessiere, print la vessie en main: mangea
part des pommes: beut tout le vin. Panurge
le reguardoit curieusement: & dist. Enco-
res ne veids je oncques fol, & si en ay veu
pour plus de dix mille francs, qui ne beust
voluntiers & a longs traictz. Depuys luy
exposa son affaire en parolles rhetoriques
& eleguantes. Davant qu’il eust achevé, S ij



[138v]
Triboullet luy bailla un grand coup de
poing entre les deux espaules, luy rendit
en main la bouteille: le nazardoit avec-
ques la vessie de porc, & pour toute re-
sponse luy dist, branslant bien fort la te-
ste. Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare
moine, cornemuse de Buzançay. Ces pa-
rolles achevées s’esquarta de la compai-
gnie, & jouoit de la vessie, se delectant au
melodieux son des poys. Depuys ne feut
possible tirer de luy mot queconquesquelconques. Et
le voulant Panurge d’adventaige inter-
roger, Triboullet tira son espée de boys,
& l’en voulut ferir.


Nous en sommes bien vrayement,
(dist Panurge). Voyla belle resolution.
Bien fol est il, cela ne se peult nier: mais
plus fol est celluy qui me l’amena: & je
tresfol, qui luy ay communicqué mes pen-
sées. C’est (respondit Carpalim) droict visé
a ma visiere. Sans nous esmouvoir, (dist
Pantagruel) considerons ses gestes & ses
dictz. En iceulx j’ay noté mysteres insi-
gnes, & plus tant que je souloys ne m’es-
bahys de ce que les Turcs reverent telz
folz comme Musaphiz & Prophetes. A-
vez vous consideré, comment sa teste s’est avant



149139
avant qu’il ouvrist la bouche pour par-
ler, crouslée & esbranlée? Par la doctri-
ne des antiques Philosophes, par les ce-
remonies des Mages, & observations des
Jurisconsultes povez juger que ce mouve-
ment estoit suscité a la venue & inspira-
tion de l’esprit fatidicque, lequel brusque-
ment entrant en debile & petite substan-
ce, (comme vous sçavez que en petite te-
ste ne peut estre grande cervelle conte-
nue) l’a en telle maniere esbranlée, que
disent les Medicins tremblement adve-
nir es membres du corps humain, sçavoir
est, part pour le pesanteur & violente im-
petuosité du fays porté: part pour l’im-
becillité de la vertus & organe portant.
Exemple manifeste est en ceulx qui a jeun
ne peuvent en main porter un grand ha-
nat plein de vin sans trembler des mains.
Cecy jadis nous praefiguroit la divinatri-
ce Pythie, quand avant respondre par
l’oracle escroulloit son laurier domestic-
que. Ainsi dict Lampridius que l’empe-
reur Heliogaballus pour estre reputé di-
vinateur par plusieurs festes de son grand
Idole, entre les retaillatz fanaticques
bransloit publicquement la teste. Ainsi S iij



[139v]
declare Plaute en son Asnerie, que Sau-
rias
cheminoit branslant la teste, comme
furieux & hors du sens, faisant paour a
ceulx qui le rencontroient. Et ailleurs
exposant pourquoy Charmides brans-
loit la teste, dict qu’il estoit en ecstase.
Ainsi narre Catulle en Berecynthia &
Atys du lieu, on quel les Maenades fem-
mes Bacchicques, prebstresses de Bac-
chus
, forcenées, divinatrices, portantes ra-
meaulx de Lierre bransloient les testes.
Comme en cas pareil faisoient les Gals
escouillez prebstres de Cybele, celebrans
leurs offices. Dont ainsi est dicte scelon
les antiques Theologiens. car Κυβίσται si-
gnifie, rouer, tortre, bransler la teste, &
faire le torti colli. Ainsi escript T. Live,
que es Bacchanales de Rome, les homes
& femmes sembloient vaticiner a cause
de certain branslement & jectigation du
corps par eulx contrefaicte. Car la voix
commune des Philosophes, & l’opinion
du peuple estoit, vaticination ne estre ja-
mais des cieulx donnée sans fureur &
branslement du corps tremblant & brans-
lant, non seulement lors qu’il la rece-
voit, mais lors aussi qu’il la manifestoit & de-



150140
& declaroit. De faict Julian Jurisconsul-
te insigne quelques foys interrogé, si le
serf seroit tenu pour sain, lequel en com-
paignie de gens fanaticques & furieux,
auroit conversé, & par adventure vatici-
né, sans toutesfoys tel branslement de te-
ste, respondit estre pour sain tenu. Ain-
si voyons nous de praesent les praecepteurs
& Paedaguoges esbransler les testes de
leurs disciples (comme on faict un pot par
les anses) par vellication & erection des
aureilles, qui est (scelon la doctrine des
saiges AEgyptiens) membre consacré a
Memoire) affin de remettre leurs sens,
lors par adventure esguarez en pense-
mens estranges, & comme effarouchez
par affections abhorrentes, en bonne &
philosophicque discipline. Ce que de soy
confesse Virgile en l’esbranlement de A-
pollo Cynthius
.


COMMENT PANTA-
gruel
& Panurge diversement
înterprentinterpretent les parolles de
Triboullet.
S iiij



[140v]
Chapitre XLVI.


IL dict que vous estez fol. Et
quel fol? Fol enragé, qui sus
vos vieulx jours voulez en ma
riage vous lier, & asservir. Il
vous dict, Guare moine. Sus mon honneur
que par quelque moine vous serez faict
coqu. Je enguaige mon honneur, chose
plus grande ne sçauroys, fusse je domi-
nateur unicque & pacificque en Europe,
Africque, & Asie. Notez combien je de-
fere a nostre Morosophe Triboullet. Les
aultres oracles & responses vous ont re-
solu pacificquement coqu, mais n’avoient
encores apertement exprimé, par qui se-
roit vostre femme adultere, & vous co-
qu. Ce noble Triboullet le dict. Et sera
le Coqüage infame, & grandement scan-
daleux. Fauldra il que vostre lict con-
jugual soit incesté & contaminé par Moy-
nerie? Dict oultre, que serez la cornemu-
se de Buzançay, c’est a dire, bien cor-
né, cornard, & cornu. Et ainsi comme il
voulant au roy Loys douzieme deman-
der pour un sien frere le contrerolle du
sel a Buzançay, demanda une Corne-
muse: vous pareillement, cuydant quel- que



151141
que femme de bien & d’honneur espou-
ser, espouserez une femme vuyde de pru-
dence, pleine de vent d’oultrecuydance,
criarde & mal plaisante, comme une cor-
nemuse. Notez oultre, que de la vessie il
vous nazardoit, & vous donna un coup de
poing sus l’eschine. Cela praesagist que
d’elle serez battu, nazardé, & desrobbé,
comme desrobbé aviez la vessie de porc
aux petitz enfans de Vaubreton.


Au rebours (respondit Panurge). Non
que je me vueille impudentement exem-
pter du territoire de follie. J’en tiens & en
suys, je le confesse. Tout le monde est fol.
En Lorraine Fou est prés Tou par bonne
discretion. Tout est fol. Solomon dict que
infiny est des folz le nombre. A infinité rien
ne peut decheoir, rien ne peut estre ad-
joinct, comme prouve Aristoteles. Et fol
enragé serois, si fol estant, fol ne me repu-
tois. C’est ce que pareillement faict le nom-
bre des maniacques & enraigez infiny.
Avicenne dict, que de manie infinies sont
les especes. Mais le reste de ses dictz & ge-
stes faict pour moy. Il dict a ma femme,
guare moyne. C’est un moyneau qu’elle
aura en delices, comme avoit la Lesbie de



[141v]
Catulle: lequel volera pour mousches, &
y passera son temps autant joyeusement que
feist oncques Domitian le croquemous-
che
. Plus dict qu’elle sera villaticque &
plaisante comme une belle cornemuse de
Saulieu ou de Buzançay. Le veridicque
Triboullet bien a congneu mon naturel,
& mes internes affections. Car je vous af-
fie que plus me plaisent les guayes berge-
rottes eschevelées, es quelles le cul sent le
Serpoullet, que les dames des grandes
cours avecques leurs riches atours, & o-
dorans perfums de mauljoinct: plus me
plaist le son de la rusticque cornemuse,
que les fredonnemens des lucz, rebecz, &
violons auliques. Il m’a donné un coup de
poing sus ma bonne femme d’eschine.
Pour l’amour de Dieu soit, & en deduction
de tant moins des poines de Purgatoire.
Il ne le faisoit par mal. Il pensoit frapper
quelque paige. Il est fol de bien. Innocent
je vous affie, & peche qui de luy mal pense.
Je luy pardonne de bien bon coeur. Il me
nazardoit. Ce seront petites follastries en-
tre ma femme & moy, comme advient a
tous nouveaux mariez.

COM-




152142


COMMENT PANTA-
gruel
& Panurge deliberent visi-
ter l’oracle de la Dive Bouteille.

Chapitre XLVII.


VOy cy bien un aultre poinct,
lequel ne consyderez. Est tou
tesfoys le neu de la matiere.
Il m’a rendu en main la bou-
teille. Cela que signifie?
Qu’est ce a dire? Par adventure (respon-
dit Pantagruel) signifie que vostre femme
sera yvroigne. Au rebours, (dist Panurge)
car elle estoit vuide. Je vous jure l’espine
de sainct Fiacre en Brye, que nostre Moro
sophe l’unicque non Lunaticque Triboul-
let
me remect a la Bouteille. Et je refrais-
chiz de nouveau mon veu premier, & ju-
re Stix & Acheron en vostre praesence,
lunettes au bonnet porter, ne porter bra-
guette a mes chausses, que sus mon en-
treprinse je n’aye eu le mot de la Dive
Bouteille. Je sçay home prudent & amy
mien, qui sçait le lieu, le pays, & la con-
trée en laquelle est son temple & oracle.
Il nous y conduira sceurement. Allons y
ensemble, je vous supply ne me esconduire.



[142v]
Je vous seray un Achates, un Damis, &
compaignon en tout le voyage. Je vous
ay de long temps congneu amateur de pe-
regrinité & desyrant tous jours veoir, &
tous jours apprendre. Nous voirons cho-
ses admirables, & m’en croyez.


Voluntiers, (respondit Pantagruel) Mais
avant nous mettre en ceste longue pere-
grination plene de azard, plene de dan-
giers evidens. Quelz dangiers? dist Panur-
ge
interrompant le propous. Les dangiers
se refuyent de moy, quelque part que je
soys, sept lieues a la ronde: comme adve-
nent le prince, cesse le magistrat: advenent
le Soleil, esvanouissent les tenebres: &
comme les maladies fuyoient a la venue
du corps sainctMartin a Quande. A pro-
pous, dist Pantagruel, avant nous mettre
en voye, de certains poincts nous fault ex-
pedier. Premierement renvoyons Triboul-
let
a Bloys (Ce que feut faict a l’heure: &
luy donna Pantagruel une robbe de drap
dropd’or frizé). Secondement nous fault avoir
l’advis & congié du Roy mon pere. Plus
nous est besoing trouver quelque Sibylle
pour guyde & truchement. Panurge res-
pondit que son amy Xenomanes leurs suf- firoit



153143
firoit, & d’abondant deliberoit passer par
le pays de Lanternoys, & la prendre quel-
que docte & utile Lanterne, laquelle leurs
seroit pour ce voyage, ce que feut la Si-
bylle a AEneas descendent es champs Eli-
siens
. Carpalim passant pour la conduicte
de Triboullet, entendit ce propous, & s’es-
cria disant, Panurgel ho, monsieur le quit-
te, pren Millort Debitis a Calais, car il est
goud fallot, & n’oublie debitoribus, ce
sont lanternes. Ainsi auras & fallot & lan-
ternes.


Mon prognostic est (dist Pantagruel)
que par le chemin nous ne engendrerons
melancholie. Ja clairement je l’apperçois.
Seulement me desplaist que ne parle bon
Lanternoys. Je (respondit Panurge) le
parleray pour vous tous, je l’entends com-
me le maternel, il m’est usité comme le
vulgaire.
Briszmarg d’algotbric nubstzne zos
Isquebfz prusq, alborlz crinqs zacbac.
Misbe dilbarlkz morp nipp stancz bos.
Strombtz Panrge vvalmap quost grufz
bac.


Or devine Epistemon, que c’est?
Ce sont (respondit Epistemon) noms de



[143v]
Diables errans, diables passans, diables
rampans. Tes parolles sont brayes (dist
Panurge) bel amy. C’est le courtisan lan-
guaige Lanternoys. Par le chemin je t’en
feray un beau petit dictionaire, lequel ne
durera gueres plus qu’une paire de sou-
liers neufz. Tu l’auras plus toust aprins,
que jour levant sentir. Ce que j’ay dict trans-
laté de Lanternoys en vulgaire, chante ainsi.
Tout malheur estant amoureux,
M’accompaignoit: oncq n’y eu bien.
Gens mariez plus sont heureux,
Panurge l’est, & le sçait bien.


Reste doncques (dist Pantagruel) le vou-
loir du Roy mon pere entendre, & licen-
ce de luy avoir.


COMMENT GARGAN-
tua
remonstre n’estre licite es enfans
soy marier, sans le sceu et adveu
de leurs peres & meres.

Chapitre XLVIII.


ENtrant Pantagruel en la salle
grande du chasteau, trouva le
bon Gargantua issant du con-
seil: luy feist narré sommaire
de leurs adventures: exposa leur entreprin- se:



154144
se: & le supplia, que par son vouloir & con-
gié la peussent mettre a execution. Le
bon home Gargantua tenoit en ses mains
deux gros pacquetz de requestes respon-
dues: & memoires de respondre: les bailla
a Ulrich Gallet son antique maistre des li-
belles & requestes: tira a part Pantagruel,
& en face plus joyeuse que de coustume
luy dist. Je loue Dieu, filz trescher, qui
vous conserve en desirs vertueux, & me
plaist tresbien que par vous soit le voya-
ge perfaict. Mais je vouldroys que pareil-
lement vous vint en vouloir & desir vous
marier. Me semble que dorenavant venez
en aage a ce competent. Panurge s’est assez
efforcé rompre les difficultez, qui luy pou-
voient estre en empeschement. Parlez pour
vous. Pere tresdebonnaire (respondit Pan-
tagruel
) encores n’y avoys je pensé, de
tout ce negoce: je m’en deportoys sus vostre
bonne volunté & paternel commendement
Plus tost prie Dieu estre a vos piedz veu
roydde mort en vostre desplaisir, que sans
vostre plaisir estre veu vif marié. Je n’ay
jamais entendu que par loy aulcune, feust
sacre, feust prophane, & barbare, ayt esté
en arbitre des enfans soy marier, non con-



[144v]
sentans, voulens, & promovens leurs pe-
res, meres, & parens prochains. Tous Le-
gislateurs ont es enfans ceste liberté tol-
lue, es parens l’ont reservée.


Filz trescher (dist PantagruelGargantua) je vous
en croy, & loue Dieu de ce que a vostre
notice ne viennent que choses bonnes &
louables, & que par les fenestres de vos
sens rien n’est on domicile de vostre esprit
entré fors liberal sçavoir. Car de mon
temps a esté par le continent trouvé pays
on quel ne sçay quelz pastophores Taul-
petiers autant abhorrens de nopces, com-
me les pontifes de Cybele en Phrygie, si
chappons feussent, & non galls pleins de
salacité & lascivie: les quelz ont dict loix
es gens mariez sus le faict de mariage. Et
ne sçay que plus doibve abhominer, ou
la tirannicque praesumption d’iceulx re-
doubtez Taulpetiers qui ne se contien-
nent dedans les treillis de leurs mysteri-
eux temples, & se entremettent des nego-
ces contraires par Diametre entier a leurs
estatz: ou la superstitieuse stupidité des
gens mariez, qui ont sanxi & presté obe-
issance a telles tant malignes & barbaric-
ques loigs. Et ne voyent (ce que plus clair est



155145
est que l’estoille Matute) comment telles
sanxisanxions connubiales toutes sont a l’adven-
taige de leurs Mystes, nul au bien & pro-
fict des mariez. Qui est cause suffisante
pour les rendre suspectes comme iniques &
fraudulentes. Par reciprocque temerité
pourroient ilz loigs establir a leurs Mystes
sus le faict de leurs ceremonies & sacrifi-
ces, attendu que leurs biens ilz deciment &
roignent du guaing provenent de leurs la-
beurs & sueur de leurs mains, pour en a-
bondance les nourrir, & entretenir. Et ne
seroient (scelon mon jugement) tant per-
verses & impertinentes, comme celles sont
les quelles d’eulx ilz ont receup. Car (com-
me tresbien avez dict) loy on monde n’e-
stoit, qui es enfans liberté de soy marier
donnast, sans le sceu, l’adveu, & consente-
ment de leurs peres. Moyenantes les loigs
dont je vous parle, n’est ruffien, forfant,
scelerat, pendart, puant, punais, ladre, bri-
guant, voleur, meschant en leurs contrées
qui violentement ne ravisse quelque fille
il vouldra choisir, tant soit noble, belle, ri-
che, honneste, pudicque, que sçauriez dire,
de la maison de son pere, d’entre les bras
de sa mere, maulgré tous ses parens: si le T



[145v]
ruffien se y ha une foys associé quelque
Myste, qui quelque jour participera de
la praye. Feroient pis & acte plus cruel les
Gothz, les Scythes, les Massagettes en pla
ce ennemie, par long temps assiegéassiegée, a
grands frays oppugnée, prinse par force?
Et voyent les dolens peres & meres hors
leurs maisons enlever & tirer par un in-
congneu, estrangier, barbare, mastin tout
pourry, chancreux, cadavereux, paouvre,
malheureux, leurs tant belles, delicates,
riches, & saines filles, les quelles tant che-
rement avoient nourriez en tout exercice
vertueux, avoient disciplinées en toute ho-
nesteté: esperans en temps oportun les collo-
quer par mariage avecques les enfans de
leurs voisins & antiques amis nourriz &
instituez de mesmes soing, pour parvenir
a ceste felicité de mariage, que d’eulx ilz
veissent naistre lignaige raportant & hae-
reditant non moins aux meurs de leurs pe-
res & meres, que a leurs biens meubles &
haeritaiges. Quel spectacle pensez vous que
ce leurs soit? Ne croyez, que plus enorme
feust la desolation du peuple Romain & ses
confoederez entendens le deces de Germanicus
Drusus
. Ne croyez que plus pitoyable feust



156146
feust le desconfort des Lacedaemoniens, quand
de leurs pays veirent par l’adultere Tro-
ian furtivement enlevée Helene Grecque.
Ne croyez leur dueil & lamentations estre
moindres, que de Ceres, quand luy feust ra-
vie Proserpine sa fille: que de Isis, a la per-
te de Osyris: de Venus, a la mort de Ado-
nis
: de Hercules, a l’esguarement de Hy-
las
: de Hecuba, a la substraction de Poly-
xene
. Ilz toutesfois tant sont de craincte du
Daemon & superstitiosité espris, que con-
tredire ilz n’ausent, puis que le Taulpetier
y a esté praesent & contractant. Et restent
en leurs maisons privez de leurs filles tant
aimées, le pere mauldissant le jour & heu-
re de ses nopces: la mere regrettant que
n’estoit avortée en tel tant triste & mal-
heureux enfantement: & en pleurs & la-
mentations finent leurs vie, laquelle estoit
de raison finir en joye & bon tractement
de icelles. Aultres tant ont esté ecstatic-
ques & comme maniacques, que eulx mes-
mes de dueil & regret se sont noyez, pen-
duz, tuez, impatiens de telle indignité.


Aultres ont eu l’esprit plus Heroïc-
que, & a l’exemple des enfans de Jacob
vengeans le rapt de Dina leur soeur, ont T ij



[146v]
trouvé le ruffien associé de son Taulpetier
clandestinement parlementans & subor-
nans leurs filles: les ont sus l’instant mis
en pieces & occis felonnement, leurs corps
apres jectans es loups & corbeaux parmy
les champs. Au quel acte tant viril & che-
valereux ont les Symmystes Taulpetiers
fremy & lamenté miserablement, ont for-
mé complainctes horribles, & en toute
importunité requis & imploré le bras se-
culier, & Justice politicque, instans fiere-
ment & contendens estre de tel cas faicte
exemplaire punition. Mais ne en aequité
naturelle, ne en droict des gens, ne en loy
Imperiale quelconques, n’a esté trouvée
rubricque, paragraphe, poinct, ne tiltre,
par lequel fut poine ou torture a tel faict
interminée: Raison obsistante, Nature re-
pugnante. Car homme vertueux on monde
n’est, qui naturellement & par raison plus
ne soit en son sens perturbé, oyant les nou
velles du rapt, diffame, & deshonneur de
sa fille, que de sa mort. Ores est qu’un chas
cun trouvant le meurtrier sus le faict de
homicide en la persone de sa fille inique-
ment & de guet a pens, le peut par raison,
le doibt par nature occire sus l’instant, & n’en



157147
n’en sera par justice apprehendé. Merveilles
doncques n’est, si trouvant le ruffien a la
promotion du Taulpetier, sa fille subor-
nant, & hors sa maison ravissant, quoy
qu’elle en feust consentente, les peut, les
doibt a mort ignominieuseignominieusement mettre, &
leurs corps jecter en direption des bestes
brutes, comme indignes de recepvoir le
doulx, le desyré, le dernier embrassement
de l’alme & grande mere, la Terre, lequel
nous appellons Sepulture.


Filz trescher, apres mon decés guardez
que telles loigs ne soient en cestuy Roy-
aulme receues: tant que seray en ce corps
spirant & vivent, je y donneray ordre tres-
bon avec l’ayde de mon Dieu. Puis donc-
ques que de vostre mariage sus moy vous
deportez, j’en suis d’opinion. Je y pourvoi-
ray. Aprestez vous au voyage de Panurge.
Prenez avecques vous Epistemon, frere
Jan
, & aultres que choisirez. De mes the-
saurs faictez a vostre plein arbitre. Tout
ce que ferez, ne pourra ne me plaire. En
mon arcenac de Thalasse prenez equip-
page tel que vouldrez: telz pillotz, nau-
chiers, truschemens, que vouldrez: & a vent
oportun faictez voile on nom & prote- T iij



[147v]
ction du Dieu servateur. Pendent vostre
absence. je feray les apprestz & d’une fem
me vostre, & d’un festin, que je veulx a vos
nopces faire celebre, si oncques en feut.


COMMENT PANTA-
gruel
feist ses aprestz pour monter
sus mer. Et de l’herbe nom-
mée Pantagruelion.

Chapitre XLIX.


PEu de jours apres Pantagruel
avoir prins congié du bon Gar-
gantua
, luy bien priant pour le
voyage de son filz, arriva au
port de Thalasse pres Sammalo, acompai-
gné de Panurge, Epistemon, Frere Jan des
entommeures abbé de Theleme
, & aultres
de la noble maison, notamment de Xeno-
manes
le grand voyagier & traverseur des
voyes perilleuses, lequel estoit venu au
mandement de Panurge. Par ce qu’il tenoit
je ne sçay quoy en arriere fief de la cha-
stellenie de Salmiguondin. La arrivez,
Pantagruel dressa equippage de navires, a
nombre de celles que Ajax de Salamine
avoit jadis menées en convoy des Gregoys
a Troie. Nauchiers, pilotz, hespaliers,
truschemens, artisans, gens de guerre, vi- vres



158148
vres, artillerie, munitions, robbes, deniers,
& aultres hardes print & chargea, com-
me estoit besoing pour long & hazardeux
voyage. Entre aultres choses je veids qu’il
feist charger grande foison de son herbe
Pantagruelion, tant verde & crude, que
conficte & praeparée.


L’herbe Pantagruelion a racine petite,
durette, rondelette, finante en poincte ob-
tuse, blanche, a peu de fillamens, & ne pro-
fonde en terre plus d’une coubtée. De la
racine procede un tige unicque, rond, fe-
rulacée, verd au dehors, blanchissant au de-
dans: concave, comme le tige de Smyrnium,
Olus atrum, Febves, & Gentiane: ligneux,
droict, friable, crenelé quelque peu a for-
me de columnes legierement striées: plein
de fibres, es quelles consiste toute la di-
gnité de l’herbe. mesmement en la partie
dicte Mesa, comme moyene, & celle qui
est dicte Mylasea. Haulteur d’icelluy com-
munement est de cinq a six pieds. Aul-
cunes foys excede la haulteur d’une lance.
Sçavoir est, quand il rencontre terrouoir
doulx, uligineux, legier, humide sans
froydure: comme est Olone & celluy de
Rosea pres Praeneste en Sabinie, & que T iiij



[148v]
pluye ne luy deffault environ les Feries
des pescheurs, & Solstice aestival. Et sur-
passe la haulteur des arbres, comme vous di-
ctez Dendromalache par l’authorité de
Theophraste: quoy que herbe soit par
chascun an deperissante: non arbre en ra-
cine, tronc, caudice, & rameaux perdurante.
Et du tige sortent gros & fors rameaux.
Les feueilles a longues trois foys plus que
larges, verdes tous jours: asprettes, comme
l’Orcanette: durettes, incisées au tour com-
me une faulcille & comme la Betoine: fi-
nisantes en poinctes de Sarisse Macedo-
nicque, & comme une lancette dont usent
les Chirurgiens. La figure d’icelle peu est
differente des feueilles de Fresne & Ai-
gremoine: & tant semblable a Eupatoire,
que plusieurs herbiers l’ayant dicte dome-
sticque, ont dict Eupatoire estre Pantagru-
elion saulvaginé. Et sont par rancs en e-
guale distance esparses au tour du tige en
rotondité par nombre en chascun ordre ou
de cinq ou de sept. Tant la cherie nature,
qu’elle l’a douée en ses feueilles de ces
deux nombres impars tant divins & my-
sterieux. L’odeur d’icelles est fort, &
peu plaisant aux nez delicatz. La semen- ce



159149
ce provient vers le chef du tige, & peu au
dessoubs. Elle est numereuse autant que
d’herbe qui soit, sphaericque, oblongue,
rhomboïde, noire claire, & comme tan-
née, durette, couverte de robbe fragile:
delicieuse a tous oyseaulx canores, comme
Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins,
Tarins, & aultres. Mais estainct en l’ho-
me la semence generative, qui en man-
geroit beaucoup & souvent. Et quoy que
jadis entre les Grecs d’icelle l’on feist cer-
taines especes de fricassées, tartres, &
beuignetz, les quelz ilz mangeoient apres
soupper par friandise & pour trouver le
vin meilleur: si est ce qu’elle est de diffici-
le concoction, offense l’estomach, engen-
dre mauvais sang, & par son excessive
chaleur ferist le cerveau, & remplist la te-
ste de fascheuses & douloreuses vapeurs.
Et comme en plusieurs plantes sont deux
sexes: masle, & femelle: ce que voyons
es Lauriers, Palmes, Chesnes, Heouses,
Asphodele, Mandragore, Fougere, Aga-
ric, Aristolochie, Cypres, Terebinthe,
Pouliot, Paeone, & aultres: aussi en ceste
herbe y a masle, qui ne porte fleur aulcu-
ne, mais abonde en semence: & femelle,



[149v]
qui foisonne en petites fleurs, blancha-
stres, inutiles: & ne porte semence qui
vaille: & comme est des aultres sembla-
bles, ha la feuille plus large, moins dure
que le masle, & ne croist en pareille haul-
teur. On seme cestuy Pantagruelion a la
nouvelle venue des Hyrondelles, on le ti-
re de terre lorsque les Cigalles commen-
cent s’enrouer.


COMMENT DOIBT ESTRE
preparé & mis en oeuvre le cele-
bre Pantagruelion.


Chapitre L.


ON pare le Pantagruelion
soubs l’aequinocte autom-
nal en diverses manieres,
scelon la phantaisie des peu-
ples, & diversité des pays.
L’enseignement premier de Pantagruel feut,
le tige d’icelle devestir de feueilles & se-
mence: le macerer en Eaue stagnante non
courante par cinq jours, si le temps est sec,
& l’eaue chaulde, par neuf ou douze, si le
temps est nubileux, & l’eaue froyde. puys
au Soleil le seicher: puys a l’umbre le ex- corti-



160150
corticquer, & separer les fibres (es quelles,
comme avons dict, consiste tout son pris
& valeur) de la partie ligneuse, laquelle
est inutile, forsqu’a faire flambe lumineu-
se, allumer le feu, & pour l’esbat des petitz
enfans enfler les vessies de porc. D’elle u-
sent aulcunesfoys les frians a cachetes,
comme de Syphons, pour sugser & avec-
ques l’haleine attirer le vin nouveau par
le bondon. Quelques Pantagruelistes mo
dernes evitans le labeur des mains qui se-
roit a faire tel depart, usent de certains in-
strumens catharactes composez a la for-
me que Juno la fascheuse tenoit les doigtz
de ses mains liez pour empescher l’enfan-
tement de Alcmene mere de Hercules. &
a travers icelluy contundent & brisent la
partie ligneuse, & la rendent inutile, pour
en saulver les fibres. En ceste seule praepa-
ration acquiescent ceulx qui contre l’opi-
nion de tout le monde, & en maniere pa-
radoxe a tous Philosophes, guaingnent
leur vie a recullons. Ceulx qui a profict
plus evident la voulent avalluer, font ce
que l’on nous compte du passetemps des
troys soeurs Parces: de l’esbatement no-
cturne de la noble Circe: & de la longue



[150v]
excuse de Penelope envers ses muguetz
amoureux, pendant l’absence de son ma-
ry Ulyxes. Ainsi est elle mise en ses inesti-
mables vertus, des quelles vous expouse-
ray partie, (car le tout est a moy vous ex-
pouser impossible) si davant, vous inter-
prete la denomination d’icelle.


Je trouve que les plantes sont nom-
mées en diverses manieres. Les unes ont
prins le nom de celluy qui premier les in-
venta, congneut, monstra, cultiva, aprivoisa,
& appropria, comme Mercuriale de Mer-
cure
: Panacea de Panace, fille de AEscu-
lapius
: Armoise, de Artemis, qui est Dia-
ne
: Eupatoire, du roy Eupator: Tele-
phium, de Telephus: Euphorbium, de
Euphorbus Medicin du roy Juba: Cly-
menos, de Clymenus: Alcibiadion, de
Alcibiades: Gentiane, de Gentius roy de
Sclavonie
. Et tant a esté jadis estimée ce-
ste praerogative de imposer son nom aux
herbes inventées, que comme feut con-
troverse meue entre Neptune & Pallas de
qui prendroit nom la terre par eulx deux
ensemblement trouvée: qui depuys feut
Athenes dicte, de Athene c’est a dire Mi-
nerve
: pareillement Lyncus roy de Scy- thie



161151
thie
se mist en effort de occire en trahison
le jeune Triptoleme envoyé par Ceres
pour es homes monstrer le froment lors
encores incongneu: affin que par la mort
d’icelluy il imposast son nom, & feust en
honneur & gloire immortelle dict inven
teur de ce grain tant utile & necessaire a
la vie humaine. Pour laquelle trahison
feut par Ceres transformé en Oince, ou
Loupcervier. Pareillement grandes &
longues guerres feurent jadis meues en-
tre certains Roys de sejour en Cappado-
ce
, pour ce seul different, du nom des
quelz seroit une herbe nommée: laquel-
le pour tel debat feut dicte Polemonia,
comme Guerroyere.


Les aultres ont retenu le nom des re-
gions des quelles feurent ailleurs trans-
portées, comme pommes Medices, ce sont
Poncires de Medie, en laquelle feurent
premierement trouvées: pommes Punic-
ques, ce sont Grenades, apportées de Pu-
nicie
, c’est Carthage. Ligusticum, c’est Li-
vesche, apportée de Ligurie, c’est la couste
de Genes. Rhabarbe, du fleuve Barbare
nommé Rha comme atteste Ammianus:
Santonicque, foenu Grec:Castanes, Per-



[151v]
sicques, Sabine, Stoechas, de mes isles Hie-
res
antiquement dictez Stoechades, Spi-
ca Celtica, & aultres.


Les aultres ont leur nom par Anti-
phrase & contrarieté: comme Absynthe,
au contraire de pynthe. car il est fascheux
a boyre. Holosteon. c’est tout de os: au
contraire. car herbe n’est en nature plus
fragile & plus tendre, qu’il est.


Aultres sont nommées par leurs ver-
tus & operations, comme Aristolochia,
qui ayde les femmes en mal d’enfant. Li-
chen qui guerist les maladies de son nom.
Maulve qui mollifie. Callithrichum, qui
faict les cheveulx beaulx. Alyssum, Ephe-
merum, Bechium, Nasturtium, qui est
Cresson Alenoys: Hyoscyame, haneba-
nes, & aultres.


Les aultres par les admirables quali-
tez qu’on a veu en elles. comme Helio-
trope, c’est Soulcil, qui suyt le Soleil. Car
le Soleil levant, il s’espanouist: montant,
il monte: declinant, il decline: soy ca-
chant, il se cloust. Adiantum: car jamais
ne retient humidité, quoy qu’il naisse pres
les eaues, & quoy qu’on le plongeast en
eaue par bien long temps: Hieracia, E- ryngion,



162152
ryngion, & aultres.


Aultres par Metamorphose d’homes
& femmes de nom semblable: comme
Daphne, c’est Laurier, de Daphne: Myr-
te, de Myrsine: Pytis, de Pytis: Cyna-
ra, c’est Artichault: Narcisse, Saphran,
Smilax, & aultres.


Aultres par similitude, comme Hip-
puris (c’est Prelle) car elle resemble a
queue de Cheval: Alopecuros, qui sem-
ble a la queue de Renard: Psylion, qui
semble a la Pusse: Delphinium, au Daul-
phin: Buglosse, a langue de Beuf: Iris, a
l’arc en ciel, en ses fleurs: Myosota, a l’au-
reille de Souriz: Coronopous, au pied de
Corneille. Et aultres. Par reciprocque de-
nomination sont dictz les Fabies, des Feb-
ves: les Pisons, des Poys: les Lentules, des
Lentiles: les Cicerons, des poys Chices.
Comme encores par plus haulte resem-
blance est dict le nombril de Venus, les
cheveux de Venus, la cuve de Venus, la
barbe de Juppiter, l’oeil de Juppiter, le
sang de Mars, les doigtz de Mercure: Her
modactyles: & aultres.


Les aultres de leurs formes: comme
Trefeueil, qui ha trois feueilles: Penta-



[152v]
phyllon, qui ha cinq feueilles: Serpoul-
let, qui herpe contre terre: Helxine, Pe-
tasites, Myrobalans, que les Arabes ap-
pellent Béen, car ilz semblent a gland, &
sont unctueux.


POURQUOY EST DI-
cte Pantagruelion, & des ad-
mirables vertus
d’icelle.


Chapitre LI.


PAr ces manieres (exceptez la
fabuleuse. car de fable ja Dieu
ne plaise que usions en ceste
tant veritable histoire) est di-
cte l’herbe Pantagruelion. Car Pantagruel
feut d’icelle inventeur. je ne diz quant a
la plante, mais quant a un certain usaige,
lequel plus est abhorré & hay des larrons:
plus leurs est contraire & ennemy, que ne
est la Teigne & Cuscute au Lin, que le
Rouseau a la Fougere: que le Presle aux
Fauscheurs: que Orobanche aux poys
Chices: AEgilops a l’Orge: Securidaca
aux Lentilles: Antranium aux Febves: l’Yvraye



163153
l’Yvraye au Froment: le Lierre aux Mu-
railles: que le Nenufar & Nymphaea He-
raclia aux ribaux Moines, que n’est la Fe-
rule & le Boulas aux escholiers de Na-
varre
, que n’est le Chou, a la Vigne: le
Ail, a l’Aymant: l’Oignon, a la veue: la
graine de Fougere, aux femmes encein-
ctes: la semence de Saule, aux Nonnains
vitieuses: l’umbre de If, aux dormans des-
soubs: le Aconite, aux Pards & Loups:
le flair du Figuier, aux taureaux indi-
gnez: la Cigue aux Oisons: le Poupié,
aux Dents: l’Huille, aux Arbres. Car
maintz d’iceulx avons veu par tel usaige
finer leur vie hault & court: a l’exemple
de Phyllis royne des Thraces: de Bono-
sus
, Empereur de Rome: de Amate, fem-
me du roy Latin: de Iphis, Auctolia, Li-
cambe
, Arachne, Phaeda, Leda, Acheus
roy de Lydie
, & aultres: de ce seulement
indignez, que sans estre aultrement mal-
lades, par le Pantagruelion on leurs op-
piloit les conduictz, par les quelz sortent
les bons mots & entrent les bons mor-
seaulx, plus villainement que ne feroit
la male Angine & mortelle Squinanche.


Aultres avons ouy sus l’instant que A- V



[153v]
tropos
leurs couppoit le fillet de vie, soy
griefvement complaignans & lamentans
de ce que Pantagruel les tenoit a la guor-
ge. Mais (las) ce n’estoit mie Pantagruel.
Il ne feut oncques rouart, c’estoit Panta-
gruelion, faisant office de hart, & leurs
servant de cornette. Et parloient impro-
prement & en Soloecisme. Si non qu’on
les excusast par figure Synecdochique,
prenens l’invention pour l’inventeur. Com
me on prent Ceres pour pain, Bacchus
pour vin. Je vous jure icy par les bons
motz qui sont dedans ceste bouteille la qui
refraichist dedans ce bac, que le noble Pan
tagruel
ne print oncques a la guorge si
non ceulx qui sont negligens de obvier a
la soif imminente.


Aultrement est dicte Pantagruelion par
similitude. Car Pantagruel naissant on
monde estoit autant grand que l’herbe
dont je vous parle. & en feut prinse la me
sure aisement: veu qu’il nasquit on temps
de alteration, lors qu’on cuille ladicte her
be, & que le chien de Icarus par les aboys
qu’il faict au Soleil, rend tout le monde
Troglodyte, & constrainct habiter es ca-
ves & lieux subterrains.





164154

Aultrement est dicte Pantagruelion
par ses vertus & singularitez. Car comme
Pantagruel a esté l’Idée & exemplaire de
toute joyeuse perfection, (je croy que per
sone de vous aultres Beuveurs n’en dou-
bte) aussi en Pantagruelion je recongnoys
tant de vertus, tant d’energie, tant de per-
fection, tant d’effectz admirables, que si
elle eust esté en ses qualitez congneue lors
que les arbres (par la relation du Prophe-
te) feirent election d’un Roy de boys pour
les regir & dominer, elle sans doubte eust
emporté la pluralité des voix & suffrages.
Diray je plus? Si Oxylus filz de Orius
l’eust de sa soeur Hamadryas engendrée,
plus en la seule valeur d’icelle se feust de-
lecté, qu’en tous ses huyct enfans tant ce-
lebrez par nos Mythologes, qui ont leurs
noms mis en memoire eternelle. La fille
aisnée eut nom Vigne. le filz puysné eut
nom Figuier: l’autre Noyer, l’aultre Ches
ne, l’autre Cormier, l’autre Fenabregue,
l’autre Peuplier, le dernier eut nom Ul-
meau, & feut grand Chirurgien en son
temps.


Je laisse a vous dire comment le jus
d’icelle exprimé & instillé dedans les au- V ij



[154v]
reilles tue toute espece de vermine, qui y
seroit née par putrefaction, & tout aultre
animal qui dedans seroit entré. Si d’icel-
luy jus vous mettez dedans un seilleau de
eaue, soubdain vous voirez l’eaue prinse,
comme si feussent caillebotes, tant est
grande sa vertus. Et est l’eaue ainsi caillée
remede praesent aux chevaulx coliqueux,
& qui tirent des flans. La racine d’icelle
cuicte en eaue, remollist les nerfz retirez,
les joinctures contractes, les podagres
sclirrhotiques, & les gouttes nouées. Si
promptement voulez guerir une bruslu-
re, soit d’eaue, soit de feu, applicquez y du
Pantagruelion crud, c’est a dire tel qui
naist de terre, sans aultre appareil ne com
position. Et ayez esguard de le changer
ainsi que le voirez deseichant sus le mal.
Sans elle seroient les cuisines infames, les
tables detestables, quoy que couvertes
feussent de toutes viandes exquises: les
lictz sans delices, quoy que y feust en a-
bondance Or, Argent, Electre, Ivoyre, &
Porphyre. Sans elle ne porteroient les
Meusniers bled au moulin, n’en rapporte-
roient farine. Sans elle comment seroient por-
tez les playdoiers des Advocatz a l’audi- toire?



165155
toire? Comment seroit sans elle porté le pla
stre a l’hastellier? Sans elle comment seroit
tirée l’eaue du puyz? Sans elle que feroient
les Tabellions, les Copistes, les Secretai-
res, & Escrivains? Ne periroient les Pan-
tarques & papiers rantiers? Ne periroit le
noble art d’Imprimerie? De quoy feroit
on chassis? Comment sonneroit on les clo-
ches? D’elle sont les Isiacques ornez, les
Pastophores revestuz, toute humaine na-
ture couverte en premiere position. Tou-
tes les arbres lanificques des Seres, les Gos
sampines de Tyle en la mer Persicque, les
Cynes des Arabes, les vignes de Malthe,
ne vestissent tant de persones, que faict ce-
ste herbe seulette. Couvre les armées con
tre le froid & la pluye, plus certes commo-
dement que jadis ne faisoient les peaulx.
Couvre les Theatres & Amphiteatres
contre la chaleur, ceinct les boys & taillis
au plaisir des chasseurs, descend en eaue
tant doulce que marine au profict des pes-
cheurs. Par elle sont bottes, botines, bo-
tasses, houzeaulx, brodequins, souliers,
escarpins, pantofles, savattes mises en for-
me & usaige. Par elle sont les arcs ten-
dus, les arbelestes bandées, les fondes fai- V iij



[155v]
ctes. Et comme si feust herbe sacre, Ver-
benicque, & reverée des Manes & Lemu-
res les corps humains mors sans elle ne
sont inhumez.


Je diray plus. Icelle herbe moyenante
les substances invisibles visiblement sont
arrestées, prinses detenues, & comme en
prison mises. A leur prinse & arrest sont
les grosses & pesantes moles tournées a-
gillement a insigne profict de la vie hu-
maine. Et m’esbahys comment l’inven-
tion de tel usaige a esté par tant de siecles
celé aux antiques Philosophes, veue l’uti-
lité impréciable qui en provient: veu le
labeur intolerable, que sans elle ilz sup-
portoient en leurs pistrines. Icelle moye-
nant, par la retention des flotz aërez sont
les grosses Orchades, les amples Thala-
meges, les fors Guallions, les Naufz Chi-
liandres & Myriandres de leurs stations
enlevées, & poussées a l’arbitre de leurs
gouverneurs. Icelle moyenant, sont les
nations, que Nature sembloit tenir ab-
sconses, impermeables, & incongneues:
a nous venues, nous a elles. Chose que ne
feroient les oyseaulx, quelque legiereté
de pennaige qu’ilz ayent, & quelque li- berté



166156
berté de nager en l’aër, que leurs soit bail-
lée par Nature. Taprobrana a veu. Lap-
pia
: Java a veu les mons Riphées: Phe-
bol
voyra Theleme: les Islandoys & En-
gronelands
boyront Euphrates. Par el-
le Boreas a veu le manoir de Auster: Eu-
rus a visité Zephire. De mode que les
Intelligences celestes, les Dieux tant ma-
rins que terrestres en ont esté tous effra-
yez, voyans par l’usaige de cestuy bene-
dict Pantagruelion, les peuples Arctic-
ques en plein aspect des Antarcticques,
franchir la mer Athlanticque, passer les
deux Tropicques, volter soubs la Zone
torride, mesurer tout le Zodiacque, s’es-
batre soubs l’AEquinoctial, avoir l’un &
l’aultre Pole en veue a fleur de leur Ori-
zon. Les Dieux Olympicques ont en pa-
reil effroy dict. Pantagruel nous a mis en
pensement nouveau & tedieux, plus que
oncques ne feirent les Aloïdes, par l’usaige
& vertus de son herbe. Il sera de brief ma
rié, de sa femme aura enfans. A ceste desti-
née ne pouvons nous contrevenir: car elle est
passée par les mains & fuseaulx des soeurs
fatales, filles de Necessité. Par ses enfans
(peut estre) sera inventée herbe de sem- V iiij



[156v]
blable energie: moyenant laquelle pour-
ront les humains visiter les sources des
gresles, les bondes des pluyes, & l’officine
des fouldres. pourront envahir les regi-
ons de la Lune, entrer le territoire des si-
gnes celestes, & la prendre logis, les uns a
l’Aigle d’or, les aultres au Mouton, les
aultres a la Couronne, les aultres a la Her-
pe, les aultres au Lion d’argent: s’asseoir
a table avecques nous, & nos Déesses pren
dre a femmes. qui sont les seulx moyens
d’estre deifiez. En fin ont mis le remede
de y obvier en deliberation, & au conseil.


COMMENT CERTAI-
ne espece de Pantagruelion ne
peut estre par feu con-
sommée.


Chapitre LII.


CE que je vous ay dict, est
grand & admirable. Mais si
vouliez vous hazarder de
croire quelque aultre divi-
nité de ce sacre Pantagrue-
lion, je la vous dirois. Croyez la ou non. ce



167157
ce m’est tout un. me suffist vous avoir dict
verité. Verité vous diray. Mais pour y en-
trer, car elle est d’accés assez scabreux &
difficile, je vous demande. Si j’avoys en
ceste bouteille mis deux cotyles de vin, &
une d’eau ensemble bien fort meslez, com-
ment les demesleriez vous? comment les
separeriez vous? de maniere que vous me
rendriez l’eau a part sans le vin, le vin sans
l’eau, en mesure pareille que les y auroys
mis. Aultrement. Si vos chartiers & nau-
tonniers amenans pour la provision de
vos maisons certain nombre de tonneaulx,
pippes, & bussars de vin de Grave, d’Or-
leans
, de Beaulne, de Myrevaulx, les avoi-
ent buffetez & beuz a demy, le reste em-
plissans d’eau, comme font les Limosins,
a belz esclotz, charroyans les vins d’Ar-
genton
, & Sangaultier: comment en hon-
steriez vous l’eau entierement? comment
les purifieriez vous? J’entends bien, vous
me parlez d’un entonnoir de Lierre. Cela
est escript. Il est vray & averé par mille
experiences. Vous le sçaviez desja. Mais
ceulx qui ne l’ont sceu & ne le veirent
oncques, ne le croyroient possible. Pas-
sons oultre.





[157v]

Si nous estions du temps de Sylla, Ma-
rius
, Caesar & aultres Romains empereurs
ou du temps de nos antiques Druydes,
qui faisoient brusler les corps mors de
leurs parens & seigneurs, & voulussiez
les cendres de vos femmes, ou peres boy-
re en infusion de quelque bon vin blanc,
comme feist Artemisia les cendres de Mau-
solus
son mary, ou aultrement les reser-
ver entieres en quelque urne, & reliquai-
re: comment saulveriez vous icelles cendres
a part, & separées des cendres du bust & feu
funeral? Respondez. Par ma figue vous
seriez bien empeschez. Je vous en despes-
che. Et vous diz, que prenent de ce celeste
Pantagruelion autant qu’en fauldroit pour
couvrir le corps du defunct, & ledict corps
ayant bien a poinct enclous dedans, lié &
cousu de mesmes matiere, jectez le on feu
tant grand, tant ardent que vouldrez: le
feu a travers le Pantagruelion bruslera &
redigera en cendres le corps & les oz. le
Pantagruelion non seulement ne sera con-
sumé ne ards, & ne deperdera un seul ato-
me des cendres dedans encloses, ne recep-
vra un seul atome des cendres bustuaires,
mais sera en fin du feu extraict plus beau, plus



168158
plus blanc, & plus net que ne l’y aviez je-
cté. Pourtant est il appellé Asbeston. Vous
en trouverez foison en Carpasie, & soubs
le climat Dia Cyenes, a bon marché. O
chose grande! chose admirable? Le feu
qui tout devore, tout deguaste, & consume:
nettoye, purge, & blanchist ce seul Pan-
tagruelion Carpasien Asbestin. Si de ce
vous defiez, & en demandez assertion &
signe usual comme Juifz & incredules:
prenez un oeuf fraiz & le liez circulaire-
ment avecques ce divin Pantagruelion.
Ainsi lié mettez le dedans le brasier tant
grand & ardent que vouldrez. Laissez le
si long temps que vouldrez. En fin vous
tirerez l’oeuf cuyt, dur, & bruslé, sans alte-
ration, immutation, ne eschauffement du
sacre[sic] Pantagruelion. Pour moins de cin-
quante mille escuz Bourdeloys, amode-
rez a la douzieme partie d’une Pithe:
vous en aurez faict l’experience. Ne me
parragonnez poinct icy la Salamandre.
c’est abus. Je confesse bien que petit feu de
paille la vegete & resjouist. Mais je vous
asceure que en grande fournaise elle est
comme tout aultre animant, suffoquée,
& consumée. Nous en avons veu l’ex- perien-



[158v]
perience. Galen l’avoit long temps a con-
fermé & demonstré lib. 3. de temperamen
tis. & le maintient Dioscorides lib. 2. Icy
ne me alleguez l’alum de plume, ne la tour
de boys en Pyrée, laquelle L. Sylla ne peut
oncques faire brusler, pource que Ar-
chelaus
gouverneur de la ville pour le
roy Mithridates, l’avoit toute enduicte
d’alum. Ne me comparez icy celle arbre que
Alexander Cornelius nommoit Eonem.
& la disoit estre semblable au Chesne qui
porte le Guy: & ne povoir estre ne par
eau, ne par feu consommée ou endom-
magée, non plus que le Guy de chesne, &
d’icelle avoir esté faicte & bastie la tant
celebre navire Argos. Cherchez qui le
croye. Je m’en excuse. Ne me parragon-
nez aussi, quoy que mirificque soit celle
espece d’arbre que voyez par les montai-
gnes de Briançon
, & Ambrun, laquelle de
sa racine nous produit le bon Agaric, de
son corps nous rend la resine tant excel-
lente que Galen l’ause aequiparer a la Te-
rebinthine: sus ses feueilles delicates nous
retient le fin miel du ciel, c’est la Manne:
& quoy que gommeuse & unctueuse soit,
est inconsumptible par feu. Vous la nom- mez



169159
mez Larrix en Grec & Latin: les Alpi-
nois la nomment Melze: les Antenori-
des & Venetians, Larege. Dont feut dict
Larignum le chasteau en Piedmont: le-
quel trompa Jule Caesar venent es Gaules.
Jule Caesar avoit faict commendement a
tous les manens & habitans des Alpes &
Piedmont, qu’ilz eussent a porter vivres
& munitions es estappes dressées sus la
voie militaire, pour son oust passant oul-
tre. Au quel tous feurent obeissans, exce-
ptez ceulx qui estoient dedans Larigno,
les quelz soy confians en la force naturel-
le du lieu, refuserent a la contribution.
Pour les chastier de ce refus, l’Empereur
feist droict au lieu acheminer son armée.
Davant la porte du chasteau estoit une
tour bastie de gros chevrons de Larix las-
sez l’un sus l’aultre alternativement com-
me une pyle de boys, continuans en telle
haulteur, que des machicoulis facilement
on povoit avecques pierres & liviers de-
bouter ceulx qui approcheroient. Quand
Caesar entendit que ceulx du dedans n’a-
voient aultres defenses que pierres & li-
viers, & que a poine les povoient ilz dar-
der jusques aux approches, commenda a



[159v]
ses soubdars jecter au tour force fagotz,
& y mettre le feu. Ce que feut inconti-
nent faict. Le feu mis es fagotz, la flam-
be feut si grande & si haulte, qu’elle cou-
vrit tout le chasteau. Dont penserent que
bien tost apres la tour seroit arse & de-
mollie. Mais cessant la flambe, & les fa-
gotz consumez, la tour apparut entiere,
sans en rien estre endommagée. Ce que
consyderant Caesar, commenda que hors le
ject des pierres tout au tour l’on feist une
seine de fossez & bouclus. Adoncques
les Larignans se rendirent a composition.
Et par leur recit congneut Caesar l’ad-
mirable nature de ce boys, lequel de soy
ne faict feu, flambe, ne charbon: & se-
roit digne en ceste qualité d’estre on de-
gré mis de vray Pantagruelion, & d’au-
tant plus que Pantagruel d’icelluy voulut
estre faictz tous les huys, portes, fene-
stres, goustieres, larmiers, & l’ambrun
de Theleme: pareillement d’icelluy feist
couvrir les pouppes, prores, fougons, til-
lacs, coursies, & rambades de ses carra-
cons, navires, gualeres, gualions, brigantins,
fustes, & aultres vaisseaulx de son arse-
nac de Thalasse: ne feust que Larix en grande



170160
grande fournaise de feu provenent d’aul-
tres especes de boys, est en fin corrompu
& dissipé, comme sont les pierres en four-
neau de chaulx. Pantagruelion Asbeste
plus tost y est renouvelé & nettoyé, que
corrompu ou alteré. Pourtant
Indes cessez, Arabes, Sabiens
Tant collauder vos Myrrhe, Encent, E-
bene,

Venez icy recongnoistre nos biens,
Et emportez de nostre herbe la grene.
Puys si chez vous peut croistre, en bonne
estrene,

Graces rendez es cieulx un million:
Et affermez de France heureux le regne,
On quel provient Pantagruelion.


FIN DU TROISIESME
livre des faicts & dicts He-
roïcques du bon Pan-
tagruel
.





[160v] [page blanche]



[161]


TABLE DES MATIE-
res contenues en ce praesent troisieme
livre des faicts & dicts He-
roïcques du bon
Pantagruel.

         
PROLOGUE du
docteur Rabelais au-
theur du livre.
 



feul. 4.  
Comment Pantagruel
transporta une colo-
nie de Utopiens en
Dipsodie.
 



f. 11.  
Comment Panurge feut faict Chastellain
de Salmiguondin en Dipsodie, & man
geoit son bled en herbe.
 


f. 15.  
Comment Panurge loue les Debteurs &
Emprunteurs.  

f. 18.  
Continuation du discours de Panurge, a
la louange des Presteurs & Debteurs.
 


feueillet 22.  
Y



[161v]                    
Comment Pantagruel deteste les Deb-
teurs & Emprunteurs.  


f. 25.  
Pourquoy les nouveaulx mariez estoient
exemptz d’aller en guerre.  


f. 27.  
Comment Panurge avoit la Pusse en l’au
reille, & desista porter sa magnificque
braguette.
 



f. 29.  
Comment la braguette est premiere pie-
ce de harnoys entre gens de guerre.
 



fueil. 31.  
Comment Panurge se conseille a Panta-
gruel
pour sçavoir s’il se doibt marier.  


feueillet 34.  
Comment Pantagruel remonstre a Pa-
nurge
difficile chose estre le conseil de
mariage, & des sors Homericques &
Virgilianes.  




f. 36.  
Comment Pantagruel remonstre le sort
des dez estre illicite.  


f. 39.  
Comment Pantagruel explore par sors
Virgilianes, quel sera le mariage de
Panurge.
 



f. 41.  
Comment Pantagruel conseille Panur-
ge
prevoir l’heur ou malheur de son
mariage par songes.  



f. 44.  
Le songe de Panurge, & interpretation
d’icelluy.  


f. 51.  
Excu-



[162]                        
Excuse de Panurge, & exposition de la
Caballe monasticque en matiere de
boeuf sallé.
 



f. 32752.  
Comment Pantagruel conseille a Panur-
ge
de conferer avecques une Sibylle de
Panzoust.  



f. 57.  
Comment Panurge parle a la Sibylle de
de Panzoust.  


f. 58.  
Comment Pantagruel & Panurge diver-
sement exposent les vers de la Sibylle
de Panzoust
.
 



f. 60.  
Comment Pantagruel loue le conseil des
muetz.  


f. 63.  
Comment Nazdecabre par signes respond
a Panurge.  


f. 67.  
Comment Panurge prent conseil d’un
vieil poete François nommé Ramina-
grobis
.
 


f. 70.  
Comment Panurge patrocine a l’ordre
des fratres mendians.  


f. 73.  
Comment Panurge faict discours pour
retourner a Raminagrobis.  


f. 75.  
Comment Panurge prent conseil de Epi-
stemon
.  


f. 79.  
Comment Panurge se conseille a Her
Trippa
.  


f. 82.  
Comment Panurge prent conseil de frere 
Jan



[162v]                          
Jan des Entommeures.  
f. 86.  
COMMENT FRERE JAN
joyeusement conseille Panurge.
 


f. 89.  
Comment frere Jan reconforte Panurge
sus le doubte de coqüage.  


f. 101.  
Comment Pantagruel faict assemblée d’un
Theologien, d’un Medicin, d’un Legiste
& d’un Philosophe, pour la perplexité,
de Panurge.
 



f. 105.  
Comment Hippothadée Theologien don-
ne conseil a Panurge sus l’entreprinse
de mariage.
 



f. 107.  
Comment Rondibilis Medicin conseille
Panurge.  


f. 110.  
Comment Rondibilis declaire Coqüage
estre naturellement des appennaiges de
mariage.
 



f. 114.  
Comment Rondibilis Medicin donne re-
mede a Coqüage.  


f. 117.  
Comment les femmes ordinairement ap-
petent choses defendues.  


f. 120.  
Comment Trouillogan philosophe trai-
cte la difficulté de mariage.  


f. 122.  
Continuation des responses de Trouillo-
gan
philosophe Ephecticque & Pyrrho-
nien 



f. 124.  
Comment Pantagruel persuade a Panur-
ge
prendre conseil de quelque fol.  


f. 127.  
Comment par Pantagruel & Panurge est 
Triboul-



[163]                      
Triboullet blasonné.  
f. 130.  
Comment Pantagruel assiste au jugement
du juge Bridoye, lequel sententioit les
procés au sort des dez.
 



f. 133  
Comment Bridoye expose les causes pour-
quoy il visitoit les procés qu’il decidoit
par le sort des dez.
 



f. 135.  
Comment Bridoye narre >l’histoire de l’A-
poincteur de procés.  


f. 137.  
Comment naissent les procés, & comment
ilz viennent a perfection.  


f. 140.  
Comment Pantagruel excuse Bridoye sus
les jugemens faictz au sort de dez.  


f. 143.  
Comment Pantagruel raconte une estran-
ge histoire des perplexitez du jugement
humain.
 



f. 145.  
Comment Panurge se conseille a Triboul-
let
.  


f. 148.  
Comment Pantagruel & Panurge diver-
sement interpretent les parolles de Tri-
boullet
.
 



f. 150.  
Comment Pantagruel & Panurge delibe-
rent visiter l’oracle de la dive Bou-
teille.
 



f. 152.  
Comment Gargantua remonstre n’estre
licite es enfans soy marier, sans le sceu
& adveu de leurs peres & meres.
 



f. 153.  
Y iij



[163v]        
Comment Pantagruel feist ses apprestz
pour monter sus mer. Et de l’herbe nom-
mée Pantagruelion.
 



f. 157.  
Comment doibt estre preparé & mis en
oeuvre le celebre Pantagruelion.  


f. 159.  
Pourquoy est dicte Pantagruelion, & des
admirables vertus d’icelle.  


f. 162.  
Comment certaine espece de Pantagrue-
lion ne peult estre par feu consommée.  


feueilletfeueillet 165.  


Fin de la Table.

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Première publication : 27/07/2011