CONTRE LES EN-
VIEUX POETES.
A PIERRE DE
Ronsard.
L’OR n’est point si precieux,
Si ferme n’est point encore
Le metal audacieux,
Qui tous ses freres devore,
Comme un vers, qui nous honnore.
Les vers sont plus doux que miel.
Les vers sont enfans du ciel
Heureux, qui par un Homere
A domté la mort amere.
Heureux, qui pour guide ont eu
La louange, qui est mere,
Et fille de la vertu.
Mais cete louange encor’
Fille des Dieux avoüable
Passe l’indique thesor,
Venant d’un loüeur loüable.
C’est un bruvage amïable,
Plus doux que celuy des cieux,
Pour mettre du ranc des Dieux
L’âme digne de le boire:
Et pour graver une gloire
Au marbre du firmament
Ferrement de la Memoire
Plus dur que le diament.
[53]
Heureux vous estes mes vers,
Heureuse tu es ma Lire,
Que deux pöetes divers
Daignent pour sujet elire.
Pour tes louanges ecrire
Soucelle d’un arc divin
Tire par l’air Angevin
Un trait François, & Patriere
En courant, laisse derriere
Les mieux empennez espris,
Qui volent par la carriere
Des vieux Romains bien appris.
Par leurs vers laborieux,
Brulans de voir la lumiere
Nostre Loire glorieux
Enfle sa course premiere.
Sa trace non coutumïere
Sous la bride de ma voix
Se joint au Loir Vandomois,
Qui s’egale au Roy des fleuves.
L’OLIVE, et ses branches neuves
Puissent ainsi desormais
Marier aux forestz veuves
Mon renom pour tout jamais.
La Nature, & les Dieux sont
Les architectes des hômes.
Ces deux (ô Ronsard) nous ont
Bâtiz de mesmes atômes.
Or cessent donques les Mômes
De mordre les ecriz miens,
[53v]
Puis qu’ilz sont freres des tiens,
Que les plus haux dieux admirent.
Si deux bons archers aspirent
Ficher leurs traitz au milieu
Du blanc, bien souvent ilz tirent
Tous deux en un mesme lieu.
Peletier me fist premier
Voir l’Ode, dont tu es prince,
Ouvrage non coutumier
Aux mains de nostre province.
Le ciel voulut que j’apprinse
A le raboter ainsi,
A toy me joignant aussi,
Qui cheminois par la trace
De nostre commun Horace,
Dont un Demon bien appris
Les traitz, la douceur, la grace
Grava dedans tes espriz.
La France n’avoit qui peust,
Que toy, remonter de chordes
De la Lire le vieil fust,
Où bravement tu accordes
Les douces Thebaines Odes.
Et humblement je chantay
L’OLIVE, dont je plantay
Les immortelles racines.
Par moy les Graces divines
Ont faict sonner assez bien
Sur les rives Angevines
Le Sonnet Italien:
[54]
Dont le branle industrieux,
Et la pesante mesure
De ses piez laborieux,
Qui ne vont à l’avanture
Par les champs, dont la peinture
Dyapre ces belles fleurs,
N’entendent point les valeurs,
Que la Lire babillarde
Te fredonne plus gaillarde
Ores hault, & ores bas
Sur sa chorde fretillarde
A la cadence des pas.
Le nourisson abreuvé
Du laict de la douce Muse
Filz des Dieux est approuvé,
Et Apollon, qui s’amuse
A l’enseigner, ne refuse
Le marier aux neuf Sœurs,
Dont tu goûtois les douceurs
Lors que la jeunesse tendre,
Qui de soy ne peut étendre
Ses foibles membres au cours,
En vain me faisoit attendre
Orphelin de vray secours.
Voila comment le bonheur
De ceulx, que la Muse estime,
S’envole au Palais d’honneur:
Mais l’Envie, qui se lime
De voir la vertu sublime,
Dedans son pasle manoir
[54v]
Plâtré de sans verd, & noir
Guigne de travers les oeuvres
Des ingenieux maneuvres,
Et regorge tout expres
Le noir venin des couleuvres,
Pour le remacher apres.
Qui le mâtin vilageois
A veu tombé sous la force
Du genereux dogue Anglois,
Il a veu, comme il s’efforce
En vain d’une longue entorce
Sous le mords entrelassé.
Il a le dos herissé
Parmi sa dent venimeuse
Coule une bave ecumeuse:
Et horriblement grinsant
Degorge sa voix fumeuse
D’un oeil de feu rougissant.
Telz sont les chiens animez,
Qui de loing de Parnase abondent.
Qui d’abois envenimez
Aux saintes pucelles grondent.
Mais comme la nege ilz fondent
Aux raiz de ce Dieu sçavant,
Qui a poussé bien avant
Son chef sur nostre hemisphere:
Malgré la nuit, qui espere
Sortant de son noir sejour
Rebander (ô vitupere)
Les yeux de nostre beau jour.
[55]
J’oy le combat ancien
Du Cornet contre la Lire
Du Prince musicien,
Qui a d’un juste martire
Puni le vaincu Satyre,
Las! qui en vain se repent
Voyant sa peau, qui luy pent.
Je voy ses entrailles vives,
Ses nerfz, ses venes craintives
Découvertes tressaillir:
Je voy deux herbeuses rives
De l’eau de ses yeux saillir.
Je voy plus de cent ruisseaux
Colez de fange, & de bourbe,
Enfans des horribles eaux
Du grand fleuve neu’ foi’ courbe
Au tour de la noire tourbe.
Ilz ne pavent en coulant
Leur fond de sable roulant.
Des herbes est leur ceinture,
Dont forcerent la Nature,
Les deux filles du Soleil:
Leurs ondes font la teinture
De l’oblivieux Sommeil.
Mais les fleuves débordez,
Qui du sainst Parnase sourdent,
Courent à floz débridez,
Qui les campaignes essourdent.
Ores leurs fors braz dessoûdent
Leurs ponts, ecluses, & pors,
[55v]
Qui fertilizent leurs bors
De mile palmes gaingnées.
Ores de fleurs couronnées,
Et d’un mesme enfantement
Avec l’Aurore nées
Se bornent plus lentement.
Volez bienheureux oiseaux,
Messagers de la victoire,
Sur les eternelles eaux
Des filles de la Memoire.
Je voy venir la gent noire.
Mile corbeaux envieux,
Qui du bord oblivieux,
Et des chaulx rivages mores
J’oy revolans encores,
Troublent d’un son eclattant
Les nouveaux Cignes, qui ores
Par la France vont chantant.
Qu’on lasche l’etomisseur,
Qui lentement par l’air nâge,
Sur ce milan ravisseur.
Il a laissé le carnage,
Il a haussé le plumâge.
Sus fauconnier, delongez
Les sacres encouragez,
Qui volent à tire d’aele.
Voyez la guerre cruelle.
Voyez l’importun assault.
Voyez rouler peslemesle
Et sacre, & milan d’enhault.
[56]
J’oy la babillarde voix
De la Pie injurieuse,
Qui s’est sauvée en ce bois.
C’est la race furieuse,
Qui jadis trop curieuse
D’egaler ses facheux sons
O Muses! à voz chansons,
Prist cete nouvelle forme,
Temoing de sa faulte enorme,
Demeurant tousjours apres
Et depiteuse, & difforme,
Et injure des forestz.
Voiray-je point dépouiller
La grand’ troupe deloyale,
Qui du bec osoit souiller
La belle fleur liliale?
Je voy la Nymphe royale,
Qui les éparpille tous,
Et d’un son heureux, & doux
Reclame la bande blanche.
C’est la MARGUERITE franche
Promise aux Astres luysans,
Si la Parque ne me tranche
Le fil de mes jeunes ans.
D’où vient ce plumâge blanc,
Qui ma forme premiere emble?
Desja l’un, & l’autre flanc
Dessous une aele me tremble.
Nouveau Cigne, ce me semble,
Je remply l’air de mes criz.
[56v]
Mes aeles sont mes ecriz,
Et je porte par le monde
La memoire vagabonde
De mon Prince non pareil
Des l’Aurore, jusq’à l’onde,
Où se baigne le Soleil.
COELO MVSA BEAT.
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