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EUVRESEVVRES
DE
A LION PAR JEAN DE TOURNESIAN DE TOVRNES . M.D.LV. AvecAuec PrivilegePriuilege du Roy. |
Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
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Première publication :
23/07/2009
Dernière mise à jour : 19/03/2014
A
M. C. D. B. L.Mademoiselle Clémence de Bourges Lyonnaise
ESTANT le tems venu, Ma-
damoiselle, que les severes
loix des hommes n’empes-
chent plus les femmes de
s’apliquer aus sciences &
disciplines: il me semble
que celles qui ont la commodité, doivent
employer cette honneste liberté que notre
sexe ha autre fois tant desiree, à icelles apren-
dre: & montrer aus hommes le tort qu’ils nous
faisoient en nous privant du bien & de l’hon
neur qui nous en pouvoit venir: Et si quel-
cune parvient en tel degré, que de pouvoir
mettre ses concepcions par escrit, le faire
songneusement & non dédaigner la gloire,
& s’en parer plustot que de chaines, anneaus,
& somptueus habits: lesquels ne pouvons
vrayement estimer notres, que par usage.
Mais l’honneur que la science nous procu-
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rera,
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rera, sera entierement notre: & ne nous
pourra estre oté, ne par finesse de larron, ne
force d’ennemis, ne longueur du tems.
Si j’eusse esté tant favorisee des Cieus, que d’a-
voir l’esprit grand assez pour comprendre ce
dont il ha ù envie, je servirois en cet endroit
plus d’exemple que d’amonicion. Mais ayant
passé partie de ma jeunesse à l’exercice de la
Musique, & ce qui m’a resté de tems l’ayant
trouvé court pour la rudesse de mon enten-
dement, & ne pouvant de moymesme satis-
faire au bon vouloir que je porte à notre se-
xe, de le voir non en beauté seulement, mais
en science & vertu passer ou egaler les hom-
mes: je ne puis faire autre chose que prier
les vertueuses Dames d’eslever un peu leurs
esprits par dessus leurs quenoilles & fuseaus,
& s’employer à faire entendre au monde
que si nous ne sommes faites pour comman
der, si ne devons nous estre desdaignees pour
compagnes tant es afaires domestiques que
publiques, de ceus qui gouvernent & se font
obeïr. Et outre la reputacion que notre sexe
en recevra nous aurons valù au publiq, que
les hommes mettront plus de peine & d’e-
stude aus sciences vertueuses, de peur qu’ils
n’ayent
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n’ayent honte de voir preceder celles, des-
quelles ils ont pretendu estre tousjours supe-
rieurs quasi en tout. Pource, nous faut il ani-
mer l’une l’autre à si louable entreprise: De
laquelle ne devez eslongner ny espargner
votre esprit, jà de plusieurs & diverses graces
acompagné: ny votre jeunesse, & autres fa-
veurs de fortune, pour aquerir cet honneur
que les lettres & sciences ont acoutumé por-
ter aus personnes qui les suyvent. S’il y ha
quelque chose recommandable apres la gloi-
re et l’honneur, le plaisir que l’estude des let-
tres ha acoutumé donner nous y doit cha-
cune inciter: qui est autre que les autres re-
creacions: desquelles quand on en ha pris
tant que lon veut, on ne se peut vanter d’au-
tre chose, que d’avoir passé le tems. Mais
celle de l’estude laisse un contentement de
soy, qui nous demeure plus longuement:
Car le passé nous resjouit, & sert plus que le
present: mais les plaisirs des sentimens se per-
dent incontinent, & ne reviennent jamais,
& en est quelquefois la memoire autant fa-
cheuse, comme les actes ont esté delectables.
Davantage les autres voluptez sont telles,
que quelque souvenir qui en vienne, si ne
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nous
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nous peut il remettre en telle disposicion
que nous estions: & quelque imaginacion
forte que nous imprimions en la teste, si
connoissons nous bien que ce n’est qu’une
ombre du passé qui nous abuse & trompe.
Mais quand il avient que mettons par escrit
nos concepcions, combien que puis apres
notre cerveau coure par une infinité d’afai-
res & incessamment remue, si est ce que long
tems apres reprenans nos escrits, nous reve-
nons au mesme point, & à la mesme disposi-
cion ou nous estions. Lors nous redouble
notre aise, car nous retrouvons le plaisir passé
qu’avons ù ou en la matiere dont escrivions,
ou en l’intelligence des sciences ou lors estions
adonnez. Et outre ce, le jugement que font
nos secondes concepcions des premieres,
nous rend un singulier contentement. Ces
deus biens qui proviennent d’escrire vous y
doivent inciter, estant asseuree que le pre-
mier ne faudra d’acompagner vos escrits, com-
me il fait tous vos autres actes & façons de
vivre. Le second sera en vous de le prendre,
ou ne l’avoir point: ainsi que ce dont vous
escrivez vous contentera. Quant à moy tant
en escrivant premierement ces jeunesses que
en les
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en les revoyant depuis, je n’y cherchois au-
tre chose qu’un honneste passetems & moyen
de fuir oisiveté: & n’avois point intencion
que personne que moy les dust jamais voir.
Mais depuis que quelcuns de mes amis ont
trouvé moyen de les lire sans que j’en susse
rien, & que (ainsi comme aisément nous
croyons ceus qui nous louent) ils m’ont fait
à croire que les devois mettre en lumiere: je
ne les ay osé esconduire, les menassant ce
pendant de leur faire boire la moitié de la
honte qui en proviendroit. Et pource que
les femmes ne se montrent volontiers en pu-
bliq seules, je vous ay choisie pour me servir
de guide, vous dediant ce petit euvre, que ne
vous envoye à autre fin que pour vous acer-
tener du bon vouloir lequel de long tems je
vous porte, & vous inciter & faire venir en-
vie en voyant ce mien euvre rude & mal
bati, d’en mettre en lumiere un autre qui
soit mieus limé & de meilleure grace.
Dieu vous maintienne en santé.
De Lion ce 24. Juillet
1555.
Vostre humble amie Louïze Labé.
DEBAT DE Folie
ET D'AMOUR,
PAR
LOUÏSE LABÉ
LIONNOIZE.
ARGUMENT.
JUPITER
faisoit un grand festin, ou estoit comman-
dé à tous les Dieus se trouver. Amour & Folie arrivent
en mesme instant sur la porte du Palais: laquelle estant jà
fermee, & n’ayant que le guichet ouvert, Folie voyant
Amour jà prest à mettre un pied dedens, s’avance &
passe la premiere. Amour se voyant poussé, entre en co-
lere: Folie soutient lui apartenir de passer devant. Ils
entrent en dispute sur leurs puissances, dinitez & pré-
seances. Amour ne la pouvant veincre de paroles, met
la main à son arc, & lui lasche une flesche, mais en vain:
pource que Folie soudein se rend invisible: & se voulant
venger, óte les yeus à Amour. Et pour couvrir le lieu
ou ils estoient, lui mit un bandeau, fait de tel artifice,
qu’impossible est lui óter. Venus se pleint de Folie, Jupi-
ter veut entendre leur diferent. Apolon & Mercure de-
batent le droit de l’une & l’autre partie. Jupiter les ayant
longuement ouiz, en demande l’opinion aus Dieus: puis
prononce sa sentence.
FOLIE, AMOUR,
VENUS, JUPITER,
APOLON, MERCURE.
DISCOURS I.
FOLIE.
A Ce que je voy, je seray la
derniere au festin de Jupi-
ter, ou je croy que lon m’at-
ent. Mais je voy, ce me
semble, le fils de Venus, qui
y va aussi tart que moy. Il
faut que je le passe: à fin que lon ne m’a-
pelle tardive & paresseuse.
Folie se fait invisible, tellement, qu’Amour
ne la peut assener.
Folie tire les yeus à Amour.
Folie bande Amour, & lui met des esles.
Et ce pendant que tu chercheras tes yeus,
voici des esles que je te preste, qui te con-
duiront aussi bien comme moy.
DISCOURS II.
Amour sort du Palais de Jupiter, & va
resvant à son infortune.
AMOUR.
ORES suis je las de toute chose. Il
vaut mieus par despit descharger
mon carquois, & getter toutes
mes flesches, puis rendre arc &
trousse à Venus ma mere. Or aillent, ou elles
pourront, ou en Ciel, ou en Terre, il ne m’en
chaut: Aussi bien ne m’est plus loisible faire
aymer qui bon me semblera. O que ces bel-
les Destinees ont aujourdhui fait un beau
trait, de m’avoir ordonné estre aveugle, à
fin qu’indiferemment, & sans accepcion de
personne, chacun soit au hazard de mes
traits & de mes flesches. Je faisois aymer les
jeunes pucelles, les jeunes hommes: j’acom-
pagnois les plus jolies des plus beaus & plus
adroits. Je pardonnois aus laides, aus viles &
basses personnes: je laissois la vieillesse en
paix: Maintenant, pensant fraper un jeune,
j’asseneray sus un vieillart: au lieu de quel-
que beau galand, quelque petit laideron à
la bouche torse: & aviendra qu’ils seront les
plus amoureus, & qui plus voudront avoir
de faveur en amours: & possible par impor-
tunité, presens, ou richesses, ou disgrace de
quelques Dames, viendront au dessus de
leur intencion: & viendra mon regne en
mespris entre les hommes, quand ils y ver-
ront tel desordre & mauvais gouvernement.
Baste: en aille comme il pourra. Voilà tou-
tes mes flesches. Tel en soufrira, qui n’en
pourra mais.
Venus tache à desnouer la bande.
DISCOURS III.
VENUS.
SI ONQUES tu uz pitié de moy,
Jupiter, quand le fier Diomede
me navra, lors que tu me voyois
travailler pour sauver mon fils
Enee de l’impetuosité des vents, vagues, &
autres dangers, esquels il fut tant au siege de
Troye, que depuis: si mes pleurs pour la
mort de mon Adonis te murent à compas-
sion: la juste douleur, que j’ay pour l’injure
faite à mon fils Amour, te devra faire avoir
pitié de moy. Je dirois que c’est, si les larmes
ne m’empeschoient. Mais regarde mon fils
en quel estat il est, & tu connoitras pour-
quoy je me pleins.
DISCOURS IIII.
Cupidon vient donner le bon jour
à Jupiter.
JUPITER.
QUE dis tu petit mignon? Tant que
ton diferent soit terminé, nous
n’aurons plaisir de toy. Mais ou
est ta mere?
DISCOURS V.
APOLON.
SI onques te falut songneusement
pourvoir à tes afaires, souverein
Jupiter, ou quand avec l’ayde de
Briare tes plus proches te vou-
loient mettre en leur puissance, ou quand
les Geans, fils de la Terre, mettans montai-
gne sur montaigne, deliberoient nous venir
combatre jusques ici, ou quand le Ciel & la
Terre cuiderent bruler: à cette heure, que la
licence des fols est venue si grande, que d’ou-
trager devant tes yeus l’un des principaus de
ton Empire, tu n’a moins d’ocasion d’a-
voir creinte, & ne dois diferer à donner
pront remede au mal ja commencé. S’il
est permis à chacun atenter sur le lien qui
entretient & lie tout ensemble: je voy en
peu d’heure le Ciel en desordre, je voy les
uns changer leurs cours, les autres entrepren-
dre sur leurs voisins une consommacion uni-
verselle: ton sceptre, ton trone, ta magesté
en danger. Le sommaire de mon oraison se-
ra conserver ta grandeur en son integrité, en
demandant vengeance de ceus qui outra-
gent Amour, la vraye ame de tout l’univers,
duquel tu tiens ton sceptre. D’autant donq
que ma cause est tant favorable, conjointe
avec la conservacion de ton estat, & que
neanmoins je ne demande que justice: d’au-
tant plus me devras tu atentivement escou-
ter. L’injure que je meintien avoir esté fai-
te à Cupidon, est telle: Il venoit au festin
dernier: & voulant entrer par une porte,
Folie acourt apres lui, & lui mettant la main
sur l’espaule le tire en arriere, & s’avance,&
passe la premiere. Amour voulant savoir qui
c’estoit, s’adresse à elle. Elle lui dit plus d’in-
jures, quilqu’il n’apartient à une femme de bien
à dire. De là elle commence se hausser en pa-
roles, se magnifier, fait Amour petit. Lequel
se voyant ainsi peu estimé, recourt à la
puissance, dont tu l’as tousjours vù, & per-
mets user contre toute personne. Il la veut
faire aymer: elle evite au coup: & feingnant
ne prendre en mal, ce que Cupidon lui avoit
dit, recommence à deviser avec lui: & en par-
lant tout d’un coup lui leve les yeus de la te-
ste. Ce fait, elle se vient à faire si grande sur
lui, qu’elle lui fait entendre de ne lui estre
possible le guerir, s’il ne reconnoissoit qu’il
ne lui avoit porté l’honneur qu’elle meritoit.
Que ne feroit on pour recouvrer la joyeuse
vuë du Soleil? Il dit, il fait tout ce qu’elle
veut. Elle le bande, & pense ses plaies en
atendant que meilleure ocasion vinst de lui
rendre la vuë. Mais la traytresse lui mit un
tel bandeau, que jamais ne sera possible lui
oter: par ce moyen voulant se moquer de
toute l’ayde que tu lui pourrois donner: &
encor que tu lui rendisse les yeus, qu’ils
fussent neanmoins inutiles. Et pour le mieus
acoutrer lui ha baillé de ses esles, a fin d’estre
aussi bien guidé comme elle. Voila deus in-
jures grandes & atroces faites à Cupidon.
On l’a blessé, & lui ha lon oté le pouvoir &
moyen de guerir. La plaie se voit, le delit est
manifeste: de l’auteur ne s’en faut enque-
rir. Celle qui ha fait le coup, le dit, le pres-
che, en fait ses contes par tout. Interrogue
la: plus tot l’aura confessé que ne l’auras de-
mandé. Que reste il? Quand il est dit: qui
aura tiré une dent, lui en sera tiré une autre:
qui aura arraché un oeil, lui en sera sembla-
blement crevé un, celà s’entent entre per-
sonnes egales. Mais quand on ha ofensé
ceus, desquels depend la conservacion de
plusieurs, les peines s’aigrissent, les loix s’ar-
ment de severité, & vengent le tort fait au
publiq. Si tout l’Univers ne tient que par
certeines amoureuses composicions, si elles
cessoient, l’ancien Abime reviendroit. Otant
l’amour, tout est ruïné. C’est donq celui, qu’il
faut conserver en son estre: c’est celui, qui
fait multiplier les hommes, vivre ensemble,
& perpetuer le monde, par l’amour & soli-
citude qu’ils portent à leurs successeurs. Inju-
rier cet Amour, l’outrager, qu’est ce, sinon
vouloir troubler & ruïner toutes choses?
Trop mieus vaudroit que la temeraire se fust
adressee à toy: car tu t’en fusses bien donné
garde. Mais s’estant adressee à Cupidon, elle
t’a fait dommage irreparable, & auquel n’as
ù puissance de donner ordre. Cette injure
touche aussi en particulier tous les autres
Dieus, Demidieus, Faunes, Satires, Silvains,
Deesses, Nynfes, Hommes, & Femmes: &
croy qu’il n’y ha Animant, qui ne sente mal,
voyant Cupidon blessé. Tu as donq osé, ô
detestable, nous faire à tous despit, en outra-
geant ce que tu savois estre de tous aymé.
Tu as ù le coeur si malin, de navrer celui qui
apaise toutes noises & querelles. Tu as osé
atenter au fils de Venus: & ce en la court
de Jupiter: & as fait qu’il y ha ù ça haut
moins de franchise, qu’il n’y ha la bas entre
les hommes, es lieus qui nous sont consa-
crez. Par tes foudres, ô Jupiter, tu abas les ar-
bres, ou quelque povre femmelette gardant
les brebis, ou quelque meschant garsonneau,
qui aura moins dinement parlé de ton nom:
& cette cy, qui, mesprisant ta magesté, ha vio
lé ton palais, vit encores! & ou? au ciel: & est
estimee immortelle, & retient nom de Deesse!
Les roues des Enfers soutiennent elles une
ame plus detestable que cette cy? Les mon-
taignes de Sicile couvrent elles de plus exe-
crables personnes? Et encores n’a elle hon-
te de se presenter devant vos divinitez: & lui
semble (si je l’ose dire) que serez tous si fols,
que de l’absoudre. Je n’ay neanmoins char-
ge par Amour de requerir vengeance & pu-
nicion de Folie. Les gibets, potences, roues,
couteaus, & foudres ne lui plaisent, encor
que fust contre ses malveuillans, contre les-
quels mesmes il ha si peu usé de son ire, que,
oté quelque subit courrous de la jeunesse qui
le suit, il ne se trouva jamais un seul d’eus,
qui ait voulu l’outrager, fors cette furieuse.
Mais il laisse le tout à votre discrecion, ô
Dieus: & ne demande autre chose, sinon que
ses yeus lui soient rendus, & qu’il soit dit, que
Folie ha ù tort de l’injurier & outrager. Et
à ce que par ci apres n’avienne tel desordre,
en cas que ne veuillez ensevelir Folie sous
quelque montaigne, ou la mettre à l’aban-
don de quelque aigle, ce qu’il ne requiert,
vous vueillez ordonner, que Folie ne se trou-
vera pres du lieu ou Amour sera, de cent
pas à la ronde. Ce que trouverez devoir
estre fait, apres qu’aurez entendu de quel
grand bien sera cause Amour, quand il aura
gaigné ce point: & de combien de maus il
sera cause, estant si mal acompagné, mesmes
à present qu’il ha perdu les yeus. Vous ne
trouverez point mauvais que je touche en
brief en quel honneur & reputacion est
Amour entre les hommes, & qu’au demeu-
rant de mon oraison je ne parle guere plus
que d’eus. Donques les hommes sont faits
à l’image & semblance de nous, quant aus
esprits: leurs corps sont composez de plu-
sieurs & diverses complexions: & entre eus
si diferens tant en figure, couleur & forme,
que jamais en tant de siecles, qui ont passé,
ne s’en trouva, que deus ou trois pers, qui se
ressemblassent: encore leurs serviteurs & do-
mestiques les connoissoient particulierement
l’un d’avec l’autre. Estans ainsi en meurs, com-
plexions, & forme dissemblables, sont nean-
moins ensemble liez & assemblez par une
benivolence, qui les fait vouloir bien l’un
à l’autre: & ceus qui en ce sont les plus ex-
cellens, sont les plus reverez entre eus. Delà
est venue la premiere gloire entre les hom-
mes. Car ceus qui avoient inventé quelque
chose à leur proufit, estoient estimez plus
que les autres. Mais faut penser que cette
envie de proufiter en publiq, n’est procedee
de gloire, comme estant la gloire posterieure
en tems. Quelle peine croyez vous, qu’a ù
Orphee pour destourner les hommes barba-
res de leur acoutumee cruauté? pour les fai-
re assembler en compagnies politiques? pour
leur mettre en horreur le piller & robber l’au
trui? Estimez vous que ce fust pour gain? du-
quel ne se parloit encores entre les hom-
mes, qui n’avoient fouillé es entrailles de la
terre? La gloire, comme j’ay dit, ne le pouvoit
mouvoir. Car n’estans point encore de gens
politiquement vertueus, il n’y pouvoit estre
gloire, ny envie de gloire. L’amour qu’il por-
toit en general aus hommes, le faisoit travail-
ler à les conduire à meilleure vie. C’estoit la
douceur de sa Musique, que lon dit avoir
adouci les Loups, Tigres, Lions: attiré les
arbres, & amolli les pierres: & quelle pierre
ne s’amolliroit entendant le dous presche-
ment de celui qui amiablement la veut aten-
drir pour recevoir l’impression de bien &
honneur? Combien estimez vous que Pro-
methee soit loué là bas pour l’usage du feu,
qu’il inventa? Il le vous desroba, & encou-
rut votre indinacion. Estoit ce qu’il vous
voulust ofenser? je croy que non: mais l’a-
mour, qu’il portoit à l’homme, que tu lui
baillas, ô Jupiter, commission de faire de ter-
re, & l’assembler de toutes pieces ramassees
des autres animaus. Cet amour que lon por-
te en general à son semblable, est en telle re-
commandacion entre les hommes, que le plus
souvent se trouvent entre eus qui pour sau-
ver un païs, leur parent, & garder l’honneur
de leur Prince, s’enfermeront dedens lieus
peu defensables, bourgades, colombiers: &
quelque asseurance qu’ils ayent de la mort,
n’en veulent sortir à quelque composicion
que ce soit, pour prolonger la vie à ceus que
lon ne peut assaillir que apres leur ruïne.
Outre cette afeccion generale, les hommes
en ont quelque particuliere l’un envers l’au-
tre, & laquelle, moyennant qu’elle n’ait
point le but de gain, ou de plaisir de soymes-
me, n’ayant respect à celui, que lon se dit ay-
mer, est en tel estime au monde, que lon ha
remarqué songneusement par tous les sie-
cles ceus, qui se sont trouvez excellens en icel-
le, les ornant de tous les plus honorables
titres que les hommes peuvent inventer.
Mesmes ont estimé cette seule vertu estre sufi
sante pour d’un homme faire un Dieu. Ainsi
les Scythes deïfierent Pylade & Oreste, &
leur dresserent temples & autels, les ape-
lans les Dieus d’amitié. Mais avant iceus
estoit Amour, qui les avoit liez & uniz en-
semble. Raconter l’opinion, qu’ont les
hommes des parens d’Amour, ne seroit hors
de propos, pour montrer qu’ils l’estiment
autant ou plus, que nul autre des Dieus.
Mais en ce ne sont d’un acord, les uns le
faisant sortir de Chaos & de la Terre: les
autres du Ciel & de la Nuit: aucuns de Di-
scorde & de Zephire: autres de Venus la
vraye mere, l’honorant par ces anciens pe-
res & meres, & par les effets merveilleus que
de tout tems il ha acoutumé montrer. Mais
il me semble que les Grecs d’un seul surnom
qu’ils t’ont donné, Jupiter, t’apelant amia-
ble, témoignent assez que plus ne pouvoient
exaucer Amour, qu’en te faisant participant
de sa nature. Tel est l’honneur que les plus
savans & plus renommez des hommes don-
nent à Amour. Le commun populaire le
prise aussi & estime pour les grandes expe-
riences voit des commoditez, qui pro-
viennent de lui. Celui qui voit que l’homme
(quelque vertueus qu’il soit) languit en sa
maison, sans l’amiable compagnie d’une fem
me, qui fidelement lui dispense son bien,
lui augmente son plaisir, ou le tient en bride
doucement, de peur qu’il n’en prenne trop,
pour sa santé, lui ote les facheries, & quel-
quefois les empesche de venir, l’appaise, l’a-
doucit, le traite sain & malade, le fait avoir
deus corps, quatre bras, deus ames, & plus
parfait que les premiers hommes du ban-
quet de Platon, ne confessera il que l’amour
conjugale est dine de recommandacion? &
n’atribuera cette felicité au mariage, mais à
l’amour qui l’entretient. Lequel, s’il defaut
en cet endroit, vous verrez l’homme force-
né, fuir & abandonner sa maison. La fem-
me au contraire ne rit jamais, quand elle n’est
en amour avec son mari. Ilz ne sont jamais
en repos. Quand l’un veut reposer, l’autre crie.
Le bien se dissipe, & vont toutes choses au
rebours. Et est preuve certeine, que la seule
amitié fait avoir en mariage le contente-
ment, que lon dit s’y trouver. Qui ne dira
bien de l’amour fraternelle, ayant veu Ca-
stor & Pollux, l’un mortel estre fait immor-
tel à moitié du don de son frere? Ce n’est pas
estre frere, qui cause cet heur (car peu de
freres sont de telle sorte) mais l’amour gran-
de qui estoit entre eus. Il seroit long à di-
scourir, comme Jonathas sauva la vie à Da-
vid: dire l’histoire de Pythias & Damon: de
celui qui quitta son espouse à son ami la pre-
miere nuit, & s’en fuit vagabond par le
monde. Mais pour montrer quel bien vient
d’amitié, j’allegueray le dire d’un grand Roy,
lequel, ouvrant une grenade, interrogué de
quelles choses il voudroit avoir autant, com-
me il y avoit de grains en la pomme, Res-
pondit: de Zopires. C’estoit ce Zopire, par
le moyen duquel il avoit recouvré Babilone.
Un Scyte demandant en mariage une fille,
& sommé de bailler son bien par declara-
cion, dit: qu’il n’avoit autre bien que deus
amis, s’estimant assez riche avec telle posses-
sion pour oser demander la fille d’un grand
Signeur en mariage. Et pour venir aus fem-
mes, ne sauva Ariadne la vie à Thesee?
Hypermnestreà Lyncee? Ne se sont trouvees
des armees en danger en païs estranges, &
sauvees par l’amitié que quelques Dames
portoient aus Capiteines? des Rois remiz
en leurs principales citez par les intelligen-
ces, que leurs amies leur avoient pratiquees
secretement? Tant y ha de povres soudars,
qui ont esté eslevez par leurs amies es Con-
tez, Duchez, Royaumes qu’elles possedoient.
Certeinement tant de commoditez prove-
nans aus hommes par Amour ont bien aydé
à l’estimer grand. Mais plus que toute chose,
l’afeccion naturelle, que tous avons à aymer,
nous le fait eslever & exalter. Car nous vou-
lons faire paroitre, & estre estimé ce à quoy
nous nous sentons enclins. Et qui est celui des
hommes, qui ne prenne plaisir, ou d’aymer,
ou d’estre aymé? Je laisse ces Mysanthropes,
& Taupes cachees sous terre, & enseveliz
de leurs bizarries, lesquels auront par moy
tout loisir de n’estre point aymez, puis qu’ils
ne leur chaut d’aymer. S’il m’estoit licite, je
les vous depeindrois, comme je les voy des-
crire aus hommes de bon esprit. Et nean-
moins il vaut mieus en dire un mot, à fin de
connoitre combien est mal plaisante & mi-
serable la vie de ceus, qui se sont exemptez
d’Amour. Ils dient que ce sont gens mornes,
sans esprit, qui n’ont grace aucune à parler,
une voix rude, un aller pensif, un visage de
mauvaise rencontre, un oeil baissé, creintifs,
avares, impitoyables, ignorans, & n’estimans
personne: Loups garous. Quand ils entrent
en leur maison, ils creingnent que quelcun
les regarde. Incontinent qu’ils sont entrez,
barrent leur porte, serrent les fenestres, men-
gent sallement sans compagnie, la maison
mal en ordre: se couchent en chapon le
morceau au bec. Et lors à beaus gros bon-
nets gras de deus doits d’espais, la camisole
atachee avec esplingues enrouillees jusques
au dessous du nombril, grandes chausses de
laine venans à mycuisse, un oreiller bien
chaufé & sentant sa gresse fondue: le dor-
mir acompagné de toux, & autres tels excre-
mens dont ils remplissent les courtines. Un
lever pesant, s’il n’y ha quelque argent à re-
cevoir: vieilles chausses repetassees: souliers
de païsant: pourpoint de drap fourré: long
saye mal ataché devant: la robbe qui pend
par derriere jusques aus espaules: plus de four
rures & pelisses: calottes & larges bonnets
couvrans les cheveus mal pignez: gens plus
fades à voir, qu’un potage sans sel à humer.
Que vous en semble il? Si tous les hommes
estoient de cette sorte, y auroit il pas peu de
plaisir de vivre avec eus? Combien plus tot
choisiriez vous un homme propre, bien en
point, & bien parlant, tel qu’il ne s’est pù fai-
re sans avoir envie de plaire à quelcun? Qui
ha inventé un dous & gracieus langage en-
tre les hommes? & ou premierement ha il
esté employé? ha ce esté à persuader de faire
guerre au païs? eslire un Capiteine? acuser
ou defendre quelcun? Avant que les guerres
se fissent, paix, alliances & confederacions
en publiq: avant qu’il fust besoin de Capi-
teines, avant les premiers jugemens que fites
faire en Athenes, il y avoit quelque ma-
niere plus douce & gracieuse, que le com-
mun: de laquelle userent Orphee, Amphion,
& autres. Et ou en firent preuve les hom-
mes, sinon en Amour? Par pitié on baille à
manger à une creature, encore qu’elle n’en
demande. On pense à un malade, encore
qu’il ne veuille guerir. Mais qu’une femme
ou homme d’esprit, prenne plaisir à l’afec-
cion d’une personne, qui ne la peut descou-
vrir, lui donne ce qu’il ne peut demander,
escoute un rustique & barbare langage: &
tout tel qu’il est, sentant plus son
comman-
dement, qu’amoureuse priere, celà ne se peut
imaginer. Celle, qui se sent aymee, ha quel-
que autorité sur celui qui l’ayme: car elle voit
en son pouvoir, ce que l’Amant poursuit,
comme estant quelque grand bien & fort
desirable. Cette autorité veut estre reveree
en gestes, faits, contenances, & paroles. Et de
ce vient, que les Amans choisissent les façons
de faire, par lesquelles les personnes aymees
auront plus d’ocasion de croire l’estime &
reputacion que lon ha d’elles. On se com-
pose les yeus à douceur & pitié, on adoucit le
front, on amollit le langage, encore que de
son naturel l’Amant ust le regard horrible,
le front despité, & langage sot & rude: car il
ha incessamment au coeur l’object de l’amour,
qui lui cause un desir d’estre dine d’en rece-
voir faveur, laquelle il scet bien ne pouvoir
avoir sans changer son naturel. Ainsi entre
les hommes Amour cause une connoissance
de soymesme. Celui qui ne tache à com-
plaire à personne, quelque perfeccion qu’il
ait, n’en ha non plus de plaisir, que celui qui
porte une fleur dedens sa manche. Mais
ce-
lui qui desire plaire, incessamment pense à
son fait: mire & remire la chose aymee: suit
les vertus, qu’il voit lui estre agreables, &
s’adonne aus complexions contraires à soy-
mesme, comme celui qui porte le bouquet
en main, donne certein jugement de quelle
fleur vient l’odeur & senteur qui plus lui est
agreable. Apres que l’Amant ha composé
son corps & complexion à contenter l’esprit
de l’aymee, il donne ordre que tout ce qu’el-
le verra sur lui, ou lui donnera plaisir, ou
pour le moins elle n’y trouvera à se facher.
De là ha ù source la plaisante invencion des
ha-
bits nouveaus. Car on ne veut jamais venir
à ennui & lasseté, qui provient de voir tous-
jours une mesme chose. L’homme ha tous-
jours mesme corps, mesme teste, mesme
bras, jambes, & piedz: mais il les diversifie de
tant de sortes, qu’il semble tous les jours estre
renouvelé. Chemises parfumees de mile &
mile sortes d’ouvrages: bonnet à la saison,
pourpoint, chausses jointes & serrees, mon-
trans les mouvemens du corps bien disposé:
mile façons de bottines, brodequins, escar-
pins, souliers, sayons, casaquins, robbes, rob-
bons, cappes, manteaus: le tout en si bon or-
dre, que rien ne passe. Et que dirons nous
des femmes, l’habit desquelles, & l’ornement
de corps, dont elles usent, est fait pour plai-
re, si jamais rien fut fait. Est il possible de
mieus parer une teste, que les Dames font
& feront à jamais? avoir cheveus mieus do-
rez, crespes, frizez? acoutrement de teste
mieus seant, quand elles s’acoutreront à l’Es-
pagnole, à la Françoise, à l’Alemande, à l’Ita-
lienne, à la Grecque? Quelle diligence met-
tent elles au demeurant de la face? Laquel-
le, si elle est belle, ilselles contregardent tant bien
contre les pluies, vents, chaleurs, tems &
vieillesse, qu’elles demeurent presque tous-
jours jeunes. Et si elle ne leur est du tout tel-
le, qu’elles la pourroient desirer, par hon-
neste soin la se procurent: & l’ayant moyen-
nement agreable, sans plus grande curiosité,
seulement avec vertueuse industrie la conti-
nuent, selon la mode de chacune nacion, con-
tree, & coutume. Et avec tout celà, l’habit
propre comme la feuille autour du fruit. Et
s’il y ha perfeccion du corps ou lineament
qui puisse, ou doive estre vù & montré, bien
peu le cache l’agencement du vétement: ou,
s’il est caché, il l’est en sorte, que lon le cuide
plus beau & delicat. Le sein aparoit de tant
plus beau, qu’il semble qu’elles ne le veuil-
lent estre vù: les mamelles en leur rondeur
relevees font donner un peu d’air au large
estomac. Au reste, la robbe bien jointe, le
corps estreci ou il le faut: les manches ser-
rees, si le bras est massif: si non, larges & bien
enrichies: la chausse tiree: l’escarpin façon-
nant le petit pié (car le plus souvent l’amou-
reuse curiosité des hommes fait rechercher
la beauté jusques au bout des piez:) tant de
pommes d’or, chaines, bagues, ceintures,
pendans, gans parfumez, manchons: & en
somme tout ce qui est de beau, soit à l’acou-
trement des hommes ou des femmes, Amour
en est l’auteur. Et s’il ha si bien travaillé pour
contenter les yeus, il n’a moins fait aus au-
tres sentimens: mais les ha tous emmiellez
de nouvelle & propre douceur. Les fleurs
que tu fiz, ô Jupiter, naitre es mois de l’an
les plus chaus, sont entre les hommes faites
hybernalles: les arbres, plantes, herbages,
qu’avois distribuez en divers païs, sont par
l’estude de ceus qui veulent plaire à leurs
amies, rassemblez en un verger: & quelque-
fois suis contreint, pour ayder à leur afec-
cion, leur departir plus de chaleur que le
païs ne le requerroit. Et tout le proufit de ce,
n’est que se ramentevoir par ces petis presens
en la bonne grace de ces amis & amies. Di-
ráy je que la Musique n’a esté inventee que par
Amour? & est le chant & harmonie l’effect
& signe de l’Amour parfait. Les hommes en
usent ou pour adoucir leurs desirs enflam-
mez, ou pour donner plaisir: pour lequel di-
versifier tous les jours ils inventent nouveaus
& divers instrumens de Luts, Lyres, Citres,
Doucines, Violons, Espinettes, Flutes, Cor-
nets: chantent tous les jours diverses chan-
sons: & viendront à inventer madrigalles,
sonnets, pavanes, passemeses, gaillardes, &
tout en commemoracion d’Amour: com-
me celui, pour lequel les hommes font plus
que pour nul autre. C’est pour lui que lon
fait des serenades, aubades, tournois, com-
bats tant à pié qu’à cheval. En toutes les-
quelles entreprises ne se treuvent que jeunes
gens amoureus: ou s’ils s’en treuvent autres
meslez parmi, ceus qui ayment emportent
tousjours le pris, & en remercient les Da-
mes, desquelles ils ont porté les faveurs. Là
aussi se raporteront les Comedies, Trage-
dies, Jeux, Montres, Masques, Moresques.
Dequoy allege un voyageur son travail, que
lui cause le long chemin, qu’en chantant
quelque chanson d’Amour, ou escoutant de
son compagnon quelque conte & fortune
amoureuse? L’un loue le bon traitement de
s’amie: l’autre se pleint de la cruauté de la
sienne. Et mile accidens, qui interviennent
en amours: lettres descouvertes, mauvais
raports, quelque voisine jalouse, quelque
mari qui revient plus tot que lon ne vou-
droit: quelquefois s’apercevant de ce qui se
fait: quelquefois n’en croyant rien, se fiant
sur la preudhommie de sa femme: & à fois
eschaper un souspir avec un changement de
parler: puis force excuses. Brief, le plus grand
plaisir qui soit apres amour, c’est d’en parler.
Ainsi passoit son chemin Apulee, quelque
Filozofe qu’il fust. Ainsi prennent les plus se-
veres hommes plaisir d’ouir parler de ces
propos, encores qu’ils ne le veuillent con-
fesser. Mais qui fait tant de Poëtes au mon-
de en toutes langues? n’est ce pas Amour?
lequel semble estre le suget, duquel tous Poë-
tes veulent parler. Et qui me fait atribuer la
poësie à Amour: ou dire, pour le moins,
qu’elle est bien aydee & entretenue par son
moyen? c’est qu’incontinent que les hom-
mes commencent d’aymer, ils escrivent vers.
Et ceus qui ont esté excellens Poëtes, ou en
ont tout rempli leurs livres, ou, quelque au-
tre suget qu’ils ayent pris, n’ont osé toute-
fois achever leur euvre sans en faire hono-
rable mencion. Orphee
Musee, Homere, Li-
ne, Alcee, Saphon, & autres Poëtes & Filo-
zofes: comme Platon, & celui qui ha ù le
nom de Sage, ha descrit ses plus hautes conce-
pcions en forme d’amourettes. Et plu-
sieurs autres escriveins voulans descrire au-
tres invencions, les ont cachees sous sem-
blables propos. C’est Cupidon qui ha gai-
gné ce point, qu’il faut que chacun chante
ou ses passions, ou celles d’autrui, ou couvre
ses discours d’Amour, sachant qu’il n’y ha
rien, qui le puisse faire mieus estre reçu. Ovi-
de ha tousjours dit qu’il aymoit. Petrarque
en son langage ha fait sa seule afeccion apro
cher à la gloire de celui, qui ha representé
toutes les passions, coutumes, façons, & na-
tures de tous les hommes, qui est Homere.
Qu’a jamais mieus chanté Virgile, que les
amours de la Dame de Carthage? ce lieu
seroit long, qui voudroit le traiter comme il
meriteroit. Mais il me semble qu’il ne se
peut nier, que l'Amour ne soit cause aus
hommes de gloire, honneur, proufit, plaisir:
& tel, que sans lui ne se peut commodément
vivre. Pource est il estimé entre les humains,
l’honorans & aymans, comme celui qui leur
ha procuré tout bien & plaisir. Ce qui lui ha
esté bien aisé, tant qu’il ha ù ses yeus. Mais au-
jourdhui, qu’il en est privé, si Folie se mesle
de ses afaires, il est à creindre, & quasi inevi-
table, qu’il ne soit cause d’autant de vilenie,
incommodité, & desplaisir, comme il ha esté
par le passé d’honneur, proufit, & volupté.
Les grans qu’Amour contreingnoit aymer
les petis & les sugetz qui estoient sous eus,
changeront en sorte qu’ils n’aymeront plus
que ceus dont ils en penseront tirer service.
Les petis, qui aymoient leurs Princes & Si-
gneurs, les aymeront seulement pour faire
leurs besongnes, en esperance de se retirer
quand ils seront pleins. Car ou Amour vou-
dra faire cette harmonie entre les hautes &
basses personnes, Folie se trouvera pres, qui
l’empeschera: & encore es lieus ou il se sera
ataché. Quelque bon & innocent qu’il soit,
Folie lui meslera de son naturel: tellement
que ceus qui aymeront, feront tousjours
quelque tour de fol. Et plus les amitiez se-
ront estroites, plus s’y trouvera il de desor-
dre quand Folie s’y mettra. Il retournera
plus d’une Seramis, plus d’une Biblis,
d’une Mirrha, d’une Canace, d’une Phedra.
Il n’y aura lieu saint au monde. Les hauts
murs & treilliz garderont mal les Vestales.
La vieillesse tournera son venerable & pa-
ternel amour, en fols & juvenils desirs. Hon-
te se perdra du tout. Il n’y aura discrecion
entre noble, païsant, infidele, ou More, Da-
me, maitresse, servante. Les parties seront si
inegales, que les belles ne rencontreront les
beaus, ains seront conjointes le plus souvent
avec leurs dissemblables. Grands Dames ay-
meront quelquefois ceus dont ne daigne-
roient estre servies. Les gens d’esprit s’abu-
seront autour des plus laides. Et quand les
povres & loyaus amans auront langui de
l’amour de quelque belle: lors Folie fera
jouir quelque avolé en moins d’une heure
du bien ou l’autre n’aura pù ateindre. Je lais-
se les noises & querelles, qu’elle dressera par
tout, dont s’en ensuivra blessures, outrages,
& meurtres. Et ay belle peur, qu’au lieu, ou
Amour ha inventé tant de sciences, & pro-
duit tant de bien, qu’elle n’ameine avec soy
quelque grande oisiveté acompagnee d’igno-
rance: qu’elle n’empesche les jeunes gens
de suivre les armes & de faire service à leur
Prince: ou de vaquer à estudes honorables:
qu’elle ne leur mesle leur amour de paroles
detestables, chansons trop vileines, ivron-
gnerie & gourmandise: qu’elle ne leur su-
scite mile maladies, et mette en infiniz dan-
gersde leurs personnes. Car il n’y ha point
de plus dangereuse compagnie que de Fo-
lie. Voila les maus, qui sont à creindre, si Fo-
lie se trouve autour d’Amour. Et s’il avenoit
que cette meschante le voulust empescher ça
haut, que Venus ne voulust plus rendre un
dous aspect avec nous autres, que Mercure
ne voulust plus entretenir nos alliances,
quelle confusion y auroit il? Mais j’ay pro-
mis ne parler que de ce qui se fait en terre.
Or donq, Jupiter, qui t’apelet’apeles pere des hom-
mes, qui leur es auteur de tout bien, leur
donnes la pluie quand elle est requise, sei-
ches l’humidité superabondante: considere
ces maus qui sont preparez aus hommes,
si Folie n’est separee d’Amour. Laisse Amour
se resjouir en paix entre les hommes: qu’il
soit loisible à un chacun de converser privé-
ment & domestiquement les personnes qu’il
aymera, sans que personne en ait creinte ou
soupson: que les nuits ne chassent, sous pre-
texte des mauvaises langues, l’ami de la mai-
son de s’amie: que lon puisse mener la fem-
me de son ami, voisin, parent, ou bon sem-
blera, en telle seurté que l’honneur de l’un
ou l’autre n’en soit en rien ofensé. Et à ce
que personne n’ait plus mal en teste, quand
il verra telles privautez, fais publier par tou-
te la Terre, non à son de trompe ou par ata-
ches mises aus portes des temples, mais en
metant au coeur de tous ceus qui regarde-
ront les Amans, qu’il n’est possible qu’ils
vousissent faire ou penser quelque Folie.
Ainsi auras tu mis tel ordre au fait avenu,
que les hommes auront ocasion de te louer
& magnifier plus que jamais, & feras beau-
coup pour toy & pour nous. Car tu nous
auras delivrez d’une infinité de pleintes, qui
autrement nous seront faites par les hom-
mes, des esclandres que Folie amoureuse fe-
ra au monde. Ou bien si tu aymes mieus re-
mettre les choses en l’estat qu’elles estoient,
contreins les Parques & Destinees (si tu y
as quelque pouvoir) de retourner leurs fu-
seaus, & faire en sorte qu’à ton commande-
ment, & à ma priere, & pour l’amour de Ve-
nus, que tu as jusques ici tant cherie & ay-
mee, & pour les plaisirs & contentemens
que tous tant que nous sommes, avons reçuz
& recevons d’Amour, elles ordonnent, que
les yeus seront rendus à Cupidon, & la ban-
de otee: à ce que le puissions voir encore un
coup en son bel & naïf estre, piteus de tous
les cotez dont on le sauroit regarder, &
riant d’un seulement. O Parques, ne soyez
à ce coup inexorables que lon ne die que
vos fuseaus ont esté ministres de la cruelle
vengeance de FOLIE. Ceci n’empeschera
point la suite des choses à venir. Jupiter com-
posera tous ces trois jours en un, comme il
fit les trois nuits, qu’il fut avec Alcmene.
Je vous apelle, vous autres Dieus, & vous
Deesses, qui tant avez porté & portez
d’honneur à Venus. Voici l’endroit ou lui
pouvez rendre les faveurs que d’elle avez
reçues. Mais de qui plus doís je esperer, que
de toy, Jupiter? laisseras tu plorer en vain la
plus belle des Deesses? n’auras tu pitié de
l’angoisse qu’endure ce povre enfant dine de
meilleure fortune? Aurons nous perdu nos
veuz & prieres? Si celles des hommes te peu
vent forcer, & t’ont fait plusieurs fois tom-
ber des mains, sans mal faire, la foudre que
tu avois contre eus preparee: quel pouvoir
auront les notres, ausquels as communiqué
ta puissance & autorité? Et te prians pour
personnes, pour lesquelles toymesme (si tu
ne tenois le lieu de commander) prierois
volontiers: & en la faveur desquelles (si je
puis savoir quelque secret des choses futu-
res) feras, possible, apres certeines revolu-
cions, plus que ne demandons, assugetissant
à perpetuité Folie à Amour, & le faisant plus
cler voyant que nul autre des Dieus. J’ay dit.
Pour la dificulté & importance de vos di-
ferens, & diversité d’opinions, nous avons re-
mis votre afaire d’ici à trois fois, sept fois, neuf
siecles. Et ce pendant vous commandons vi-
vre amiablement ensemble, sans vous outra-
ger l’un l’autre. Et guidera Folie l’aveugle
Amour, & le conduira par tout ou bon lui
semblera. Et sur la restitucion de ses yeus, apres
en avoir parlé aus Parques, en sera ordonné.
Fin du debat d’Amour & de Folie.
ELEGIES.
ELEGIE I.
Au tems qu'Amour, d’hommes & Dieus vainqueur,
Faisoit bruler de sa flamme mon coeur,
En embrassantembrasant de sa cruelle rage
Mon sang, mes os, mon esprit & courage:
Encore lors je n’avois la puissance
De lamenter ma peine et ma souffrance.
Encor Phebus, ami des Lauriers vers,
N’avoit permis que je fisse des vers:
Mais meintenant que sa fureur divine
Remplit d’ardeur ma hardie poitrine,
Chanter me fait, non les bruians tonnerres
De Jupiter, ou les cruelles guerres,
Dont trouble Mars, quand il veut, l’Univers.
Il m’a donné la lyre, qui les vers
Souloit chanter de l’Amour Lesbienne:
Et à ce coup pleurera de la mienne.
O dous archet, adouci moy la voix.,
Qui pourroit fendre et aigrir quelquefois,
En recitant tant d’ennuis et douleurs,
Tant de despits fortunes et malheurs.
Trempe l’ardeur, dont jadis mon coeur tendre
Fut en brulant demi reduit en cendre.
Je sen desja un piteus souvenir,
Qui me contreint la larme à l’oeil venir.
Il m’est avis que je sen les alarmes,
Que premiers j’u d’Amour, je voy les armes,
Dont il s’arma en venant m’assaillir.
C’estoit mes yeus, dont tant faisois saillir
De traits, à ceus qui trop me regardoient,
Et de mon arc assez ne se gardoient.
Mais ces miens traits ces miens yeus me defirent,
Et de vengeance estre exemple me firent.
Et me moquant, & voyant l’un aymer,
L’autre bruler & d’Amour consommer:
En voyant tant de larmes espandues,
Tant de soupirs et prieres perdues,
Je n’aperçu que soudein me vint prendre
Le mesme mal que je soulois reprendre:
Qui me persa d’une telle furie,
Qu’encor n’en suis apres long tems guerie:
Et meintenant me suis encor contreinte
De rafreschir d’une nouvelle pleinte
Mes maus passez. Dames, qui les lirez,
De mes regrets avec moy soupirez.
Possible, un jour je feray le semblable,
Et ayderay votre voix pitoyable
A vos travaus & peines raconter,
Au tems perdu vainement lamenter.
Quelque rigueur qui loge en votre coeur,
Amour s’en peut un jour rendre vainqueur.
Et plus aurez lui esté ennemies,
Pis vous fera, vous sentant asservies.
N’estimez point que lon doive blamer
Celles qu’àqu’a fait Cupidon enflamer.
Autres que nous, nonobstant leur hautesse,
Ont enduré l’amoureuse rudesse:
Leur coeur hautein, leur beauté, leur lignage,
Ne les ont sù preserver du servage
De dur Amour: les plus nobles esprits
En sont plus fort et plus soudain espris.
Semiramis, Royne tant renommee,
Qui mit en route avecques son armee
Les noirs squadrons des Ethiopiens,
Et en montrant louable exemple aus siens
Faisoit couler de son furieus branc
Des ennemis les plus braves le sang,
Ayant encor envie de conquerre
TansTous ses voisins, ou leur mener la guerre,
Trouva Amour, qui si fort la pressa,
Qu’armes & loix veincue elle laissa.
Ne meritoit sa Royalle grandeur
Au moins avoir un moins fascheus malheur
Qu’aymer son fils? Royne de Babylonne
Ou est ton coeur qui es combaz resonne?
Qu’est devenu ce fer & cet escu,
Dont tu rendois le plus brave veincu?
Ou as tu mis la Marciale creste,
Qui obombroit le blond or de ta teste?
Ou est l’espee, ou est cette cuirasse,
Dont tu rompois des ennemis l’audace?
Ou sont fuiz tes coursiers furieus,
Lesquels trainoient ton char victorieus?
T’a pù si tot un foible ennemi rompre?
Ha pù si tot ton coeur viril corrompre,
Que le plaisir d’armes plus ne te touche:
Mais seulement languis en une couche?
Tu as laissé les aigreurs Marciales,
Pour recouvrer les douceurs geniales.
Ainsi Amour de toy t’a estrangee,
Qu’on te diroit en une autre changee,
Donques celui lequel d’amour esprise
Pleindre me voit, que point il ne mesprise
Mon triste deuil: Amour, peut estre, en brief
En son endroit n’aparoitra moins grief.
Telle j’ay vù qui avoit en jeunesse
Blamé Amour: apres en sa vieillesse
Bruler d’ardeur, & pleindre tendrement
L’ápre rigueur de son tardif tourment.
Alors de fard & eau continuelle
Elle essayoit se faire venir belle
Voulant chasser le ridé labourage,
Que l’aage avoit gravé sur son visage.
Sur son chef gris elle avoit empruntee
Quelque perruque, & assez mal antee:
Et plus estoit à son gré bien fardee,
De son Ami moins estoit regardee:
Lequel ailleurs fuiant n’en tenoit conte,
Tant lui sembloit laide, & avoit grand’ honte
D’estre aymé d’elle. Ainsi la povre vieille
Recevoit bien pareille pour pareille.
De maints en vain un tems fut reclamee,
Ores qu’elle ayme, elle n’est point aymee.
Ainsi Amour prend son plaisir, à faire
Que le veuil d’un soit à l’autre contraire.
Tel n’ayme point, qu’une Dame aymera:
Tel ayme aussi, qui aymé ne sera:
Et entretient, neanmoins, sa puissance
Et sa rigueur d’une vaine esperance.
ELEGIE II.
D’un tel vouloir le serf point ne desire
La liberté, ou son port le navire,
Comme j’atens, helas, de jour en jour
De toy, Ami, le gracieus retour.
Là j’avois mis le but de ma douleur,
Qui fineroit, quand j’aurois ce bon heur
De te revoir: mais de la longue atente,
Helas, en vain mon desir se lamente.
Cruel, Cruel, qui te faisoit promettre
Ton brief retour en ta premiere lettre?
As tu si peu de memoire de moy,
Que de m’avoir si tot rompu la foy?
Comme ose tu ainsi abuser celle
Qui de tout tems t’a esté si fidelle?
Or’ que tu es aupres de ce rivage
Du Pau cornu, peut estre ton courage
S’est embrasé d’une nouvelle flame,
En me changeant pour prendre une autre Dame:
Jà en oubli inconstamment est mise
La loyauté que tu m’avois promise.
S’il est ainsi, & que desja la foy
Et la bonté se retirent de toy:
Il ne me faut esmerveiller si ores
Toute pitié tu as perdu encores.
O combien ha de pensee & de creinte,
Tout aparsoy, l’ame d’Amour ateinte!
Ores je croy. vù notre amour passee,
Qu’impossible est, que tu m’aies laissee:
Et de nouvel ta foy je me fiance,
Et plus qu’humeine estime ta constance.
Tu es, peut estre, en chemin inconnu
Outre ton gré malade retenu.
Je croy que non: car tant suis coutumiere
De faire aus Dieus pour ta santé priere,
Que plus cruels que tigres ils seroient,
Quand maladie ils te prochasseroient:
Bien que ta fole & volage inconstance
Meriteroit avoir quelque soufrance.
Telle est ma foy, qu’elle pourra sufire
A te garder d’avoir mal & martire.
Celui qui tient au haut Ciel son Empire
Ne me sauroit, ce me semble, desdire:
Mais quand mes pleurs & larmes entendroit
Pour toy prians, son ire il retiendroit.
J’ay de tout tems vescu en son service,
Sans me sentir coulpable d’autre vice
Que de t’avoir bien souvent en son lieu
DamourD’amour forcé, adoré comme Dieu.
Desja deus fois depuis le promis terme,
De ton retour, Phebe ses cornes ferme,
Sans que de bonne ou mauvaise fortune
De toy, Ami, j’aye nouvelle aucune.
Si toutefois, pour estre enamouré
En autre lieu, tu as tant demeuré,
Si sáy je bien que t’amie nouvelle
A peine aura le renom d’estre telle,
Soit en beauté, vertu, grace & faconde,
Comme plusieurs gens savans par le monde
M’ont fait à tort, ce cróy je, estre estimee.
Mais qui pourra garder la renommee?
Non seulement en France suis flatee,
Et beaucoup plus, que ne veus, exaltee.
La terre aussi que Calpe & Pyrenee
Avec la mer tiennent environnee,
Du large Rhin les roulantes areines,
Le beau païs auquel or’ te promeines,
Ont entendu (tu me l’as fait à croire)
Que gens d’esprit me donnent quelque gloire.
Goute le bien que tant d’hommes desirent:
Demeure au but ou tant d’autres aspirent:
Et croy qu’ailleurs n’en auras une telle.
Je ne dy pas qu’elle ne soit plus belle:
Mais que jamais femme ne t’aymera,
Ne plus que moy d’honneur te portera.
Maints grans Signeurs à mon amour pretendent,
Et à me plaire & servir prets se rendent,
Joutes & jeus, maintes belles devises
En ma faveur sont par eus entreprises:
Et neanmoins, tant peu je m’en soucie,
Que seulement ne les en remercie:
Tu es tout seul, tout mon mal & mon bien:
Avec toy tout, & sans toy je n’ay rien:
Et n’ayant rien qui plaise à ma pensee,
De tout plaisir me treuve delaissee,
Et pour plaisir, ennui saisir me vient.
Le regretter & plorer me convient,
Et sur ce point entre en tel desconfort,
Que mile fois je souhaite la mort.
Ainsi, Ami, ton absence lointeine
Depuis deus mois me tient en cette peine,
Ne vivant pas, mais mourant d’une Amour
Lequel m’occit dix mile fois le jour.
Revien donq tot, si tu as quelque envie
De me revoir encor’ un coup en vie.
Et si la mort avant ton arrivee
Ha de mon corps l’aymante ame privee,
Au moins un jour vien, habillé de dueil,
Environner le tour de mon cercueil.
Que plust à Dieu que lors fussent trouvez
Ces quatre vers en blanc marbre engravez.
PAR TOY, AMI, TANT VESQUI ENFLAMMEE,
QU’EN LANGUISSANT PAR FEU SUIS CONSUMEE,
QUI COUVE ENCOR SOUS MA CENDRE EMBRAZEE,
SI NE LA RENS DE TES PLEURS APAIZEE.
ELEGIE III.
Quand vous lirez, ô Dames Lionnoises,
Ces miens escrits pleins d’amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, despits & larmes
M’orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez pas condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma fole jeunesse,
Si c’est erreur: mais qui dessous les Cieus
Se peut vanter de n’estre vicieus?
L’un n’est content de sa sorte de vie,
Et tousjours porte à ses voisins envie:
L’un forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tache y mettre la guerre:
L’autre croyant povreté estre vice,
A autre Dieu qu’Or, ne fait sacrifice:
L’autre sa foy parjure il emploira
A decevoir quelcun qui le croira:
L’un en mentant de sa langue lezarde.,
Mile brocars sur l’un & l’autre darde:
Je ne suis point sous ces planettes nee,
Qui m’ussent pù tant faire infortunee.
Onques ne fut mon oeil marri, de voir
Chez mon voisin mieus que chez moy pleuvoir.
Onq ne mis noise ou discord entre amis:
A faire gain jamais ne me soumis.
Mentir, tromper, & abuser autrui,
Tant m’a desplu, que mesdire de lui.
Mais si en moy rien y ha d’imparfait,
Qu’on blame Amour: c’est lui seul qui l’a fait.
Sur mon verd aage en ses laqs il me prit,
Lors qu’exerçoiexerçois mon corps & mon esprit
En mile & mile euvres ingenieuses,
Qu’en peu de tems me rendit ennuieuses.
Pour bien savoir avec l’esguille peindre
J’usse entrepris la renommee esteindre
De celle là, qui plus docte que sage,
Avec Pallas comparoit son ouvrage.
Qui m’ust vu lors en armes fiere aller,
Porter la lance & bois faire voler,
Le devoir faire en l’estour furieus,
Piquer, volter le cheval glorieus,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Seur de Roger, il m’ust, possible, prise.
Mais quoy? Amour ne put longuement voir,
Mon coeur n’aymant que Mars & le savoir:
Et me voulant donner autre souci,
En souriant, il me disoit ainsi:
Tu penses donq, ô Lionnoise Dame,
Pouvoir fuir par ce moyen ma flame:
Mais non feras, j’ai subjugué les Dieus
Es bas Enfers, en la Mer & es Cieus.
Et penses tu que n’aye tel pouvoir
Sur les humeins, de leur faire savoir
Qu’il n’y ha rien qui de ma main eschape?
Plus fort se pense & plus tot je le frape.
De me blamer quelquefois tu n’as honte,
En te fiant en Mars dont tu fais conte:
Mais meintenant, voy si pour persister
En le suivant me pourras resister.
Ainsi parloit, & tout eschaufé d’ire
Hors de sa trousse une sagette il tire,
Et decochant de son extreme force,
Droit la tira contre ma tendre escorce,
Foible harnois, pour bien couvrir le coeur,
Contre l’Archer qui tousjours est vainqueur.
La bresche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premierement il chasse:
Et de travail qui me donne sans cesse,
Boire, menger, & dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ne d’ombrage:
Je n’ay qu’Amour & feu en mon courage,
Qui me desguise, & fait autre paroitre,
Tant que ne peu moymesme me connoitre.
Je n’avois vù encore seize Hivers,
Lors que j’entray en ces ennuis divers:
Et jà voici le treiziéme Esté
Que mon coeur fut par Amour arresté.
Le tems met fin aus hautes Pyramides,
Le tems met fin aus fonteines humides:
Il ne pardonne aus braves Colisees,
Il met à fin les viles plus prisees:
Finir aussi il ha acoutumé
Le feu d’Amour tant soit il allumé:
Mais, las! en moy il semble qu’il augmente
Avec le tems, & que plus me tourmente.
Paris ayma Oenone ardemment,
Mais son amour ne dura longuement:
Medee fut aymee de Jason,
Qui tot apres la mit hors sa maison.
Si meritoient elles estre estimees,
Et pour aymer leurs Amis, estre aymees.
S’estant aymé on peut Amour laisser
N’est il raison, ne l’estant, se lasser?
N’est il raison te prier de permettre,
Amour, que puisse à mes tourmens fin mettre?
Ne permets point que de Mort face espreuve,
Et plus que toy pitoyable la treuve:
Mais si tu veus que j’ayme jusqu’au bout,
Fay que celui que j’estime mon tout,
Qui seul me peut faire plorer & rire,
Et pour lequel si souvent je soupire,
Sente en ses os, en son sang, en son ame,
Ou plus ardente, ou bien egale flame.
Alors ton faix plus aisé me sera,
Quand avec moy quelcun le portera.
FIN.
SONNETS.
I.
Non havria Ulysse o qualunqu’altro mai
Piu accorto fù, da quel divino aspetto
Pien di gratie, d’honor & di rispetto
Sperato qual i sento affanni e guai.
Pur, Amour, co i begliochi tu fatt’hai
Tal piaga dentro al mio innocente petto,
Di cibo & di calor gia tuo tuo ricetto,
Che rimedio non v’e si tu n’el dai.
O sorte dura, che mi fa esser quale
Punta d’un Scorpio, & domandar riparo
Contr’el velen’ dall’istesso animale.
Chieggo li sol’ancida questa noia,
Non estingua el desir à me si caro,
Che mancar non potra ch’i non mi muoia.
II.
O beaus yeus bruns, O regars destournez,
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues,
O jours luisans vainement retournez:
O tristes pleins, ô desirs obstinez,
O tems perdu, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pires maus contre moy destinez.
O ris, ô front, cheveus, bras, mains & doits:
O lut pleintif, viole, archet & vois:
Tant de flambeaus pour ardre une femmelle!
De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d’endrois d’iceus mon coeur tatant,
N’en est sur toy volé quelque estincelle.
III.
O longs desirs, ô esperances vaines,
Tristes soupirs & larmes coutumieres
A engendrer de moy maintes rivieres,
Dont mes deus yeus sont sources & fontaines:
O cruautez, o durtez inhumaines,
Piteus regars des celestes lumieres:
Du coeur transi o passions premieres,
Estimez vous croitre encore mes peines?
Qu’encor Amour sur moy son arc essaie,
Que nouveaus feus me gette & nouveaus dars:
Qu’il se despite, & pis qu’il pourra face:
Car je suis tant navree en toutes pars,
Que plus en moy une nouvelle plaie,
Pour m’empirer ne pourroit trouver place.
IIII.
Depuis qu’Amour cruel empoisonna
Premierement de son feu ma poitrine,
Tousjours brulay de sa fureur divine,
Qui un seul jour mon coeur n’abandonna.
Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menasse & procheine ruïne:
Quelque penser de mort qui tout termine,
De rien mon coeur ardent ne s’estonna.
Tant plus qu’Amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir,
Et toujours frais en ses combats fait estre:
Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,
Cil qui les Dieus & les hommes mesprise:
Mais pour plus fort contre les fors paroitre.
V.
Clere Venus, qui erres par les Cieus,
Entens ma voix qui en pleins chantera,
Tant que ta face au haut du Ciel luira,
Son long travail & souci ennuieus.
Mon oeil veillant s’atendrira bien mieus,
Et plus de pleurs te voyant gettera.
Mieus mon lit mol de larmes baignera,
De ses travaus voyant témoins tes yeus.
Donq des humains sont les lassez esprits
De dous repos & de sommeil espris.
J’endure mal tant que le Soleil luit:
Et quand je suis quasi toute cassee,
Et que me suis mise en mon lit lassee,
Crier me faut mon mal toute la nuit.
VI.
Deus ou trois fois bienheureus le retour
De ce cler Astre, & plus heureus encore
Ce que son oeil de regarder honore.
Que celle là recevroit un bon jour,
Qu’elle pourroit se vanter d’un bon tour
Qui baiseroit le plus beau don de Flore,
Le mieus sentant que jamais vid Aurore,
Et y feroit sur ses levres sejour!
C’est à moy seule à qui ce bien est du,
Pour tant de pleurs & tant de tems perdu:
Mais le voyant, tant lui feray de feste,
Tant emploiray de mes yeus le pouvoir,
Pour dessus lui plus de credit avoir,
Qu’en peu de temps feray grande conqueste.
VII.
On voit mourir toute chose animee,
Lors que du corps l’ame sutile part:
Je suis le corps, toy la meilleure part:
Ou es tu donq, o ame bien aymee?
Ne me laissez par si long temps pámee,
Pour me sauver apres viendrois trop tard.
Las, ne mets point ton corps en ce hazart:
Rens lui sa part & moitié estimee.
Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre & revuë amoureuse,
L’acompagnant, non de severité,
Non de rigueur: mais de grace amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à present favorable.
VIII.
Je vis, je meurs: je me brule & me noye.
J’ay chaut estreme en endurant froidure:
La vie m’est & trop molle & trop dure.
J’ay grans ennuis entremeslez de joye:
Tout à un coup je ris & je larmoye,
Et en plaisir, maint grief tourment j’endure:
Mon bien s’en va, & à jamais il dure:
Tout en un coup je seiche & je verdoye.
Ainsi Amour inconstamment me meine:
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.
Puis quand je croy ma joye estre certeine,
Et estre au haut de mon desiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
IX.
Tout aussi tot que je commence à prendre
Dens le mol lit le repos desiré,
Mon triste esprit hors de moy retiré
S’en va vers toy incontinent se rendre.
Lors m’est avis que dedens mon sein tendre
Je tiens le bien, ou j’ay tant aspiré,
Et pour lequel j’ay si haut souspiré,
Que de sanglots ay souvent cuidé fendre.
O dous sommeil, o nuit à moy heureuse!
Plaisant repos, plein de tranquilité,
Continuez toutes les nuiz mon songe:
Et si jamais ma povre ame amoureuse
Ne doit avoir de bien en verité,
Faites au moins qu’elle en ait en mensonge.
X.
Quand j’aperçoy ton blond chef couronné
D’un laurier verd, faire un Lut si bien pleindre,
Que tu pourrois à te suivre contreindre
Arbres & rocs: quand je te vois orné,
Et de vertus dix mile environné,
Au chef d’honneur plus haut que nul ateindre,
Et des plus hauts les louenges esteindre:
Lors dit mon coeur en soy passionné:
Tant de vertus qui te font estre aymé,
Qui de chacun te font estre estimé,
Ne te pourroient aussi bien faire aymer?
Et ajoutant à ta vertu louable
Ce nom encor de m’estre pitoyable,
De mon amour doucement t’enflamer?
XI.
O dous regars, o yeus pleins de beauté,
Petis jardins, pleins de fleurs amoureuses
Ou sont d'Amour les flesches dangereuses,
Tant à vous voir mon oeil s’est arresté!
O coeur felon, o rude cruauté,
Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
Tant j’ay coulé de larmes langoureuses,
Sentant lardeurl’ardeur de mon coeur tourmenté!
Donques, mes yeus, tant de plaisir avez,
Tant de bons tours par ses yeus recevez:
Mais toy, mon cœur, plus les vois s’y complaire,
Plus tu languiz, plus en as de souci,
Or devinez si je suis aise aussi,
Sentant mon oeil estre à mon coeur contraire.
XII.
Lut, compagnon de ma calamité,
De mes soupirs témoin irreprochable,
De mes ennuis controlleur veritable,
Tu as souvent avec moy lamenté:
Et tant le pleur piteus t’a molesté,
Que commençant quelque son delectable,
Tu le rendois tout soudein lamentable,
Feingnant le ton que plein avoit chanté.
Et si te veus efforcer au contraire,
Tu te destens & si me contreins taire:
Mais me voyant tendrement soupirer,
Donnant faveur à ma tant triste pleinte:
En mes ennuis me plaire suis contreinte,
Et d’un dous mal douce fin esperer.
XIII.
Oh si j’estois en ce beau sein ravie
De celui là pour lequel vois mourant:
Si avec lui vivre le demeurant
De mes cours jours ne m’empeschoit envie:
Si m’acollant me disoit, chere Amie,
Contentons nous l’un l’autre, s’asseurant
Que ja tempeste, Euripe, ne Courant
Ne nous pourra desjoindre en notre vie:
Si de mes bras le tenant acollé,
Comme du Lierre est l’arbre encercelé,
La mort venoit, de mon aise envieuse:
Lors que souef plus il me baiseroit,
Et mon esprit sur ses levres fuiroit,
Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse.
XIIII.
Tant que mes yeus pourront larmes espandre,
A l’heur passé avec toy regretter:
Et qu’aus sanglots & soupirs resister
Pourra ma voix, & un peu faire entendre:
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes graces chanter:
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre:
Je ne souhaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassee, & ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel sejour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante:
Prirey la Mort noircir mon plus cler jour.
XV.
Pour le retour du Soleil honorer,
Le Zephir, l’air serein lui apareille:
Et du sommeil l’eau & la terre esveille,
Qui les gardoit l’une de murmurer,
En dous coulant, l’autre de se parer
De mainte fleur de couleur nompareille.
Ja les oiseaus es arbres font merveille,
Et aus passans font l’ennui moderer:
Les Nynfes ja en mile jeus s’esbatent
Au cler de Lune, & dansans l’herbe abatent:
Veus tu Zephir de ton heur me donner,
Et que par toy toute me renouvelle?
Fay mon Soleil devers moy retourner,
Et tu verras s’il ne me rend plus belle.
XVI.
Apres qu’un tems la gresle & le tonnerre
Ont le haut mont de Caucase batu,
Le beau jour vient, de lueur revétu.
Quand Phebus ha son cerne fait en terre,
Et l’Ocean il regaigne à grand erre:
Sa seur se montre avec son chef pointu.
Quand quelque tems le Parthe ha combatu,
Il prent la fuite & son arc il desserre.
Un tems t’ay vù & consolé pleintif,
Et defiant de mon feu peu hatif:
Mais maintenant que tu m’as embrasee,
Et suis au point auquel tu me voulois:
Tu as ta flame en quelque eau arrosee,
Et es plus froit qu’estre je ne soulois.
XVII.
Je fuis la vile, & temples, & tous lieus,
Esquels prenant plaisir à t’ouir pleindre,
Tu peus, & non sans force, me contreindre
De te donner ce qu’estimois le mieus.
Masques, tournois, jeus me sont ennuieus,
Et rien sans toy de beau ne me puis peindre:
Tant que tachant à ce desir esteindre,
Et un nouvel obget faire à mes yeus,
Et des pensers amoureus me distraire,
Des bois espais sui le plus solitaire:
Mais j’aperçoy, ayant erré maint tour,
Que si je veus de toy estre delivre,
Il me convient hors de moymesme vivre,
Ou fais encor que loin sois en sejour.
XVIII.
Baise m’encor, rebaise moy & baise:
Donne m’en un de tes plus savoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus:
Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.
Las, te pleins tu? ça que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy & son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie:
Tousjours suis mal, vivant discrettement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque saillie.
XIX.
Diane estant en l’espesseur d’un bois,
Apres avoir mainte beste assenee,
Prenoit le frais, de Nynfes couronnee:
J’allois resvant comme fay maintefois,
Sans y penser: quand j’ouy une vois,
Qui m’apela, disant, Nynfe estonnee,
Que ne t’es tu vers Diane tournee?
Et me voyant sans arc & sans carquois,
Qu’as tu trouvé, o compagne, en ta voye,
Qui de ton arc & flesches ait fait proye?
Je m’animay, respons je, à un passant,
Et lui getay en vain toutes mes flesches
Et l’arc apres: mais lui les ramassant
Et les tirant me fit cent & cent bresches.
XX.
Predit me fut, que devoit fermement
Un jour aymer celui dont la figure
Me fut descrite: & sans autre peinture
Le reconnu quand vy premierement:
Puis le voyant aymer fatalement,
Pitié je pris de sa triste aventure:
Et tellement je forçay ma nature,
Qu’autant que lui aymay ardentement.
Qui n’ust pensé qu’en faveur devoit croitre
Ce que le Ciel & destins firent naitre?
Mais quand je voy si nubileus aprets,
Vents si cruels & tant horrible orage:
Je croy qu’estoient les infernaus arrets,
Qui de si loin m’ourdissoient ce naufrage.
XXI.
Quelle grandeur rend l’homme venerable?
Quelle grosseur? quel poil? quelle couleur?
Qui est des yeus le plus emmieleur?
Qui fait plus tot une playe incurable?
Quel chant est plus à l’homme convenable?
Qui plus penetre en chantant sa douleur?
Qui un dous lut fait encore meilleur?
Quel naturel est le plus amiable?
Je ne voudrois le dire assurément,
Ayant Amour forcé mon jugement:
Mais je say bien & de tant je m’assure,
Que tout le beau que lon pourroit choisir,
Et que tout l’art qui ayde la Nature,
Ne me sauroient acroitre mon desir.
XXII.
Luisant Soleil, que tu es bien heureus,
De voir tousjours de t’Amie la face:
Et toy, sa seur, qu’Endimion embrasse,
Tant te repais de miel amoureus.
Mars voit Venus: Mercure aventureus
De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glasse:
Et Jupiter remarque en mainte place
Ses premiers ans plus gays & chaleureus.
Voilà du Ciel la puissante harmonie,
Qui les esprits divins ensemble lie:
Mais s’ils avoient ce qu’ils ayment lointein,
Leur harmonie & ordre irrevocable
Se tourneroit en erreur variable,
Et comme moy travailleroient en vain.
XXIII.
Las! que me sert, que si parfaitement
Louas jadis & ma tresse doree,
Et de mes yeus la beauté comparee
A deus Soleils, dont Amour finement
Tira les trets causez de ton tourment?
Ou estes vous, pleurs de peu de duree?
Et Mort par qui devoit estre honoree
Ta ferme amour & iteré serment?
Donques c’estoit le but de ta malice
De m’asservir sous ombre de service?
Pardonne moy, Ami, à cette fois,
Estant outree & de despit & d’ire:
Mais je m’assure, quelque part que tu sois,
Qu’autant que moy tu soufres de martire.
XXIIII.
Ne reprenez, Dames, si j’ay aymé:
Si j’ay senti mile torches ardentes,
Mile travaus, mile douleurs mordentes:
Si en pleurant, j’ay mon tems consumé,
Las que mon nom n’en soit par vous blamé.
Si j’ay failli, les peines sont presentes,
N’aigrissez point leurs pointes violentes:
Mais estimez qu’Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d’un Vulcan excuser,
Sans la beauté d’Adonis acuser,
Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses:
En ayant moins que moy d’ocasion,
Et plus d’estrange & forte passion.
Et gardez vous d’estre plus malheureuses.
FIN DES EUVRES DE LOUÏZE
LABE’ LIONNOIZE.
AUS POËTES
DE LOUÏZE LABÉ.
SONNET.
Vous qui le los de Louïze escrivez,
Et qui avez, par gaye fantasie,
Cette beauté, votre suget, choisie,
Voyez quel bien pour vous, vous poursuivez.
Elle des dons des Muses cultivez,
S’est pour soymesme et pour autrui saisie:
Tant qu’en louant sa dine Poësie,
Mieus que par vous par elle vous vivez.
Laure ut besoin de faveur empruntee,
Pour de renom ses graces animer:
Louïze, autant en beauté reputee,
Trop plus se fait par sa plume estimer.
Et de soymesme elle se faisant croire,
A ses loueurs est cause de leur gloire.
ESCRIZ DE
divers Poëtes, à la louenge de
Louïze Labé Lion-
noize.
[Poème en grec]
[...]
De Aloysae Labaeae Osculis.
Jam non canoras Pegasidas tuis
Assuesce votis, nil tibi Cynthius
Fontis’ve Dircæi recessus
Profuerint, vel manisinanis Evan.
Sed tu Labaeae basia candidae
Imbuta poscas nectare, quae rosas
Spirant amaracosque molles,
Et violas, Arabumque succos.
Non illa summis dispereunt labris,
Sed quà reclusis obicibus patet
Inerme pectus, suaveolentis
Oris aculeolo calescit.
Illo medullæ protinus æstuant,
Et dissolutis spiritus omnibus
Nodis in ore suaviantis
Lenius emoritur Labaeae.
Hoc plenus oestro (dicere seu lubet
Sectis puellas unguibus acriter
Depræliantes, aut inustam
Dente notam labijs querenteis:
Coeli’ve motus & redeuntia
Anni vicissim tempora: nec suo
Fulgore lucentem Dianam,
Syderibus’ve polos micanteis,
Dignum Labææ basiolis melos
Quod voce mistis cum fidibus canat)
Dices coronatus quod aureis
Cecropias Latiasque pungat.
En grace du Dialogue d’Amour, & de Folie,
Euvre de D.Dame
Louïze Labé
Lionnoize.
Amour est donq pure inclinacion
Du Ciel en nous, mais non necessitante:
Ou bien vertu, qui nos coeurs impuissante
A resister contre son accion?
C’est donq de l’ame une alteracion
De vain desir legerement naissante
A tout objet de l’espoir perissante,
Comme muable à toute passion?
Ja ne soit crù, que la douce folie
D’un libre Amant d’ardeur libre amollie
Perde son miel en si amer Absynte,
Puis que lon voit un esprit si gentil
Se recouvrer de ce Chaos sutil,
Ou de Raison la Loy se laberynte.
NON SI NON LA.
En contemplacion de
D.Dame
Louïze Labé.
Quel Dieu grava cette magesté douce
En ce gay port d’une pronte allegresse?
De quel liz est, mais de quelle Deesse
Cette beauté, qui les autres destrousse?
Quelle Syrene hors du sein ce chant pousse,
Qui decevroit le caut Prince de Grece?
Quels sont ces yeus, mais bien quel Trofee est ce,
Qui tient d’Amour l’arc, les trets & la trousse?
Ici le Ciel liberal me fait voir
En leur parfait, grace, honneur, & savoir,
Et de vertu le rare témoignage:
Ici le traytre Amour me veut surprendre:
Ah! de quel feu brule un coeur ja en cendre?
Comme en deus pars se peut il mettre en gage?
P. D. T.Pontus de
Tyard
A D.Dame
Louïze Labé, sur son portrait.
Jadis un Grec sus une froide image,
Que consacra Praxitele à Cyprine,
Rafreschissant son ardente poitrine
Rendit du maitre admirable l’ouvrage.
Las! peu s’en faut qu’à ce petit ombrage,
Reconnoissant ta bouche coralline,
Et tous les trais de ta beauté divine,
Je n’aye autant porté de témoignage.
Qu’ust fait ce Grec si cette image nue
Entre ses bras fust Venus devenue?
Que suís je lors quand Louïze me touche,
Et l’accollant d’un long baiser me baise?
L’ame me part, & mourant en cet aise,
Je la reprens ja fuiant en sa bouche.
SONNET.
Je laisse apart Meduse, & sa beauté,
Qui transmuoit en pierre froide & dure,
Ceus qui prenoient à la voir trop de cure,
Pour admirer plus grande nouveauté:
Et reciter la douce cruauté
De BELLE A SOY, qui fait bien plus grand’ chose,
Lors qu’en son tout grace naïve enclose,
Veut eslargir sa douce privauté.
Car d’un corps fait au comble de son mieus,
Du vif mourant contournement des yeus,
A demi clos tournans le blanc en vuë:
Puis d’un soupir mignardement issant,
Avant l’apas d’un souzris blandissant,
Les regardans en soymesme transmue.
DEVOIR DE VOIR.
A celle qui n’est seulement à soy belle.
Si le soleil ne peut tousjours reluire,
Fuir ne faut pourtant tout ce qui luit,
Car si au Ciel quelqu’autre flamme duit,
Sans le Soleil peut bien la clarté luire.
Mais quoy? sans lui, las! on la veut reduire
Au seul plaisir d’un Astre radieus,
Qui autre part d’esclairer envieus,
Par ce moyen peut à la clarté nuire.
Las! quel Climat lui sera donq heureus,
N’ayant faveur que par l’Astre amoureus,
Ou vive meurt cette lueur premiere?
Si d’autre espoir de sa propre vertu
N’est par effet son lustre revétu,
Sous tel Phebus s’esteindra sa lumiere.
DEVOIR DE VOIR.
Autre à elle mesme.
Voyez, Amans, voyez si la pitié
A mon secours or’ à tort je reclame:
Du haut, ou bas, rien n’est, fors ma povre ame,
Qui n’ait gouté quelque fruit d’amitié.
Par quel destin, las! toute autre moitié
La mienne fuit? suivant l’ingrate trace
De celle là, dont esperant la grace,
Acqui je n’ay que toute inimitié?
O douce Mort (à tous plus qu’à soy belle)
A ta clarté ne sois ainsi rebelle,
Ains doucement la fais en toy mourir:
Si tu ne veus par façon rigoureuse
Sans aliment la rendre tenebreuse:
Car ja l’esteint , qui la peut secourir.
A D.Dame
Louïze, des Muses ou premiere ou
diziéme couronnante la
troupe.
Nature ayant en ses Idees pris
Un tel suget, qu’il surpassoit son mieus:
De grace ell’ ut pour l’illustrer des Dieus
Otroy entier du plus supernel pris:
Dont elle put l’Univers rendre espris,
Ouvrant l’amas des influz bienheureus,
Duquel le rare epuré par les Cieus
Atire encor le bien né des esprits.
Dieus qui soufrez flamboyer tel Soleil
A vous egal, à vous le plus pareil,
Témoin le front de sa beauté premiere,
Permettrez vous chose si excellente
Patir l’horreur d’Atrope palissante,
Ne la laissant immortelle lumiere?
D’IMMORTEL ZELE.
SONETTO.
Qui dove in braccio al Rodano si vede
Girne la Sona queta, si ch’ à pena
Scorger si puo là dove l’onde mena,
Si lenta muove entr’ al suo letto il piede:
Giunsi punto d’Amor, cinto di Fede,
Di speme privo, e colmo de la pena,
Ch’ all’ Alma (pria d’ogni dolcezza piena)
Fa di tutto il piacere aperte prede ;
E movendo i sospiri à chiamar voi
(Lungi dal vostro puro aër’ sereno)
Sperai vinto dal sonno alta quiete:
Ma tosto udii dirmi da voi: Se i tuoi
Occhi son tristi e molli, i miei non meno,
Così sempre per noi pianto si miete.
SONETTO.
Ardo d’un dolce fuoco, e quest’ ardore
Smorzar non cerco; anzi m’è caro tanto,
Che lieto in mezo de le fiamme io canto
Le vostre lodi e’1 sopran vostre honore;
E chieggio in guiderdone al mio Signore
Che non mi dia cagion d’eterno pianto;
Ma d’un’ istesso fuoco hoggi altrettanto
Vi porga si ch’ogn’ hor n’avvampi il cuore.
Amor seco ogni ben mai sempre apporta,
Quando d’un par disio due Petti invoglia:
Ma s’un ne lascia, è morte atroce e ria:
Siatemi dunque voi sicura scorta:
Svegliate homai questa gravosa spoglia,
Ch’ à voi consacrero la penna mia.
Avventurosi fiori,
Che così dolce seno,
Che così care chiome in guardia haveste ;
Benedetto il sereno
Aër’ dove nasceste ;
E’ que’ mille colori
Di cui natura in voi vaga si piacque:
i 2
Ben’
132
Ben’ fù dolce destino
Il vostro, e’ quel’ mattino
Che si felice al morir’ vostro nacque:
Vinchino hor’ vostri odori
Gli odorosi Sabei, gli Arabi honori.
Dolce Luisa mia
Che tanto bella sete,
Quanto esser’ vi volete: E’ come il core
Havete sculto amore, e cortesia:
Tal’ ne gli occhi di lor’ si scorge traccia;
Da queste dolci braccia
Da questi ardenti baci, anima bella,
Morte sola mi svella
Ne unqua mai fra noi maggior’ si sia
Paura e’ gelosia.
Altra luce non veggio:
Altro sole, alma bella,
Fuor’ che i vostri occhi santi
Non hò: e’ questi hor’ chieggio
Sol’ per mia guida e’ stella
Sempre come hor’ sereni.
A voi beati amanti
Altra invidia, altro zelo
Non havrò mai: se il cielo
Vuol’ che io mia vita meni
In cosi fatta guisa
A i dolci raggi lor’ dolce Luisa.
Estreines, à Dame Louïze Labé.
Louïze est tant gracieuse & tant belle,
Louïze à tout est tant bien avenante,
Louïze ha l’oeil de si vive estincelle,
Louïze ha face au corps tant convenante,
De si beau port, si belle & si luisante,
Louïze ha voix que la Musique avoue,
Louïze ha main qui tant bien au lut joue,
Louïze ha tant ce qu’en toutes on prise,
Que je ne puis que Louïze ne loue,
Et si ne puis assez louer Louïze.
A D. L. L.Dame Louise Labé
Ton lut hersoir encor se resentoit
De ta main douce, & gozier gracieus,
Et sous mes doits sans leur ayde chantoit:
Quand un Demon, ou sur moy envieus,
Ou de mon bien se feingnant soucieus,
Me dit: c’est trop sus un lut pris plaisir.
N’aperçois tu un furieus desir
Cherchant autour de toy une cordelle,
Pour de ton coeur la Dame au lut saisir?
Et, ce disant, rompit ma chanterelle.
Epitre à ses amis, des gracieusetez
de D. L. L.Dame Louise Labé
Que faites vous, mes compagnons,
Des cheres Muses chers mignons?
Av’ous encore en notre absence
i 3
De
134
De votre Magny souvenance?
Magny votre compagnon dous,
Qui ha souvenance de vous
Plus qu’assez, s’une Damoiselle
Sa douce maitresse nouvelle
Qui l’estreint d’une estroite Foy
Le laisse souvenir de soy.
Mais le Povret qu’Amour tourmente
D’une chaleur trop vehemente,
En oubli le Povret ha mis
Soymesme & ses meilleurs amis:
Et le Povret à rien ne pense,
Et si n’a de rien souvenance,
Mais seulement il lui souvient
De la maitresse qui le tient,
Et rien sinon d’elle il ne pense
N’ayant que d’elle souvenance.
Et tout brulé du feu d’amours
Passe ainsi les nuits & les jours,
Sous le joug d’une Damoiselle
Sa douce maitresse nouvelle,
Qui le fait ore esclave sien,
Ataché d’un nouveau lien:
Qui le coeur de ce miserable
Brule d’un feu non secourable,
Si le secours soulacieus
Ne lui vient de ses mesmes yeus,
Qui premiers sa flamme alumerent,
Qui premierpremiers son coeur enflammerent,
Et par qui peut estre adouci
Lamour
135
L’amoureus feu de son souci.
Mais ny le vin ny la viande,
Tant soit elle douce & friande,
Ne lui peuvent plus agreer.
Rien ne pourroit le recreer,
Non pas les gentilesses belles
De ces gentiles Damoiselles,
De qui la demeure lon met
Sur l’Heliconien sommet,
Qu’il avoit tousjours honorees,
Qu’il avoit tousjours adorees
Des son jeune aage nouvelet,
Encores enfant tendrelet.
Adieu donq Nynfes, adieu belles,
Adieu gentiles Damoiselles,
Adieu le Choeur Pegasien,
Adieu l’honneur Parnasien.
Venus la mignarde Deesse,
De Paphe la belle Princesse,
Et son petit fils Cupidon
Me maitrisent de leur brandon.
Vos chansons n’ont point de puissance
De me donner quelque allegeance
Aus tourmens qui tiennent mon cœur,
Genné d’une douce langueur
Je n’ay que faire de vous, belles:
Adieu, gentiles Damoiselles:
Car ny pour voir des monceaus d’or
Assemblez dedens un tresor,
Ny pour voir flofloter le Rone,
i 4
Ny
136
Ny pour voir escouler la Sone,
Ny le gargouillant ruisselet,
Qui coulant d’un bruit doucelet,
A dormir, d’une douce envie,
Sur la fresche rive convie:
Ny par les ombreus arbrisseaus
Le dous ramage des oiseaus,
Ny violons, ny espinettes,
Ny les gaillardes chansonnettes,
Ny au chant des gaies chansons
Voir les garces et les garçons
Fraper en rond, sans qu’aucun erre,
D’un branle mesuré, la terre.
Ny tout celà qu’a de joyeus
Le renouveau delicieus,
Ny de mon cher Givés (qui m’ayme
Comme ses yeus) le confort mesme.
Mon cher Givés, qui comme moy
Languit en amoureus émoy,
Ne peuvent flater la langueur
Qui tient genné mon povre coeur:
Bien que la mignarde maitresse,
Pour qui je languis en détresse,
Contre mon amoureus tourment
Ne s’endurcisse fierement:
Et bien qu’ingrate ne soit celle,
Celle gentile damoiselle
Qui fait d’un regard bien humain,
Ardre cent feus dedens mon sein.
Mais que sert toute la caresse
Que
137
Que je reçoy de ma maitresse?
Et que me vaut passer les jours
En telle esperance d’amours,
Si les nuiz de mile ennuiz pleines
Rendent mes esperances veines?
Et les jours encor plein d’ennuiz,
Qu’absent de la belle je suiz?
Quand je meurs, absent de la belle,
Ou quand je meurs present pres d’elle
N’osant montrer (o dur tourment!)
Comment je l’ayme ardantement?
Celui vraiment est miserable
Qu’amour, voire estant favorable,
Rend de sa flame langoureus.
Chetif quiconque est amoureus,
Par qui si cher est estimee
Une si legere fumee
D’un plaisir suivi de si pres
De tant d’ennuiz qui sont apres.
Si áy je aussi cher estimee
Une si legere fumee,,
Des beautez de D. L. L.Dame
Louise Labé
Ou print l’enfant Amour le fin or qui dora
En mile crespillons ta teste blondissante?
En quel jardin print il la roze rougissante
Qui le liz argenté de ton teint colora?
La douce gravité qui ton front honora,
i 5
Les
138
Les deus rubis balais de ta bouche allechante,
Et les rais de cet oeil qui doucement m’enchante
En quel lieu les print il quand il t’en decora?
D’ou print Amour encor ces filets & ces lesses
Ces hains & ces apasts que sans fin tu me dresses
Soit parlant ou riant ou guignant de tes yeus?
Il print d’Herme, de Cypre, & du sein de l’Aurore,
Des rayons du Soleil, & des Graces encore,
Ces atraits & ces dons, pour prendre hommes et Dieus.
A elle mesme.
O ma belle rebelle,
Las que tu m’es cruelle!
Ou quand d’un dous souzris
Larron de mes esprits,
Ou quand d’une parole
Si mignardement mole,
Ou quand d’un regard d’yeus
Traytrement gracieus,
Ou quand d’un petit geste
Non autre que celeste,
En amoureuse ardeur
Tu m’enflammes le coeur.
O ma belle rebelle,
Las que tu m’es cruelle!
Quand la cuisante ardeur
Qui me brule le coeur,
Veut que je te demande
A sa brulure grande
Un rafrechissement
D’un
139
D’un baiser seulement.
O ma belle rebelle,
Que tu serois cruelle!
Si d’un petit baiser
Ne voulois l’apaiser,
Au lieu d’alegement
Acroissant mon tourment.
Me puisse-je un jour, dure,
Vanger de cette injure:
Mon petit maitre Amour
Te puisse outrer un jour,
Et pour moy langoureuse
Il te face amoureuse,
Comme il m’a langoureus
Pour toy fait amoureus.
Alors par ma vengeance
Tu auras connoissance
Que vaut d’un dous baiser
Un Amant refuser.
Et si je te le donne,
Ma gentile mignonne,
Quand plus fort le desir
En viendroit te saisir:
Lors apres ma vengeance,
Tu auras connoissance
Quel bien fait, d’un baiser
L’Amant ne refuser.
Double Rondeau, à elle.
Estant navré d’un dard secrettement.,
Par Cupidon, & blessé à outrance,
Je n’osois pas declairer mon tourment
Saisir de peur, delaissé d’esperance,
Mais celui seul, qui m’avoit fait l’ofense,
M’a asseuré, disant, que sans ofense
Je pouvois bien mon ardeur deceler,
Ce que j’ay fait sans plus le receler,
Estant navré.
A une donq povrement assuré,
Creingnant bien fort d’elle estre refusé,
Ay declairé du tout ma doleance:
Et sur mon mal hardiment excusé
Lui supliant me donner allegeance,
Ou autrement je perdrois pacience
Estant navré.
Au mien propos ha si bien respondu
Celle que j’ay plus chere, que mon ame,
Et mon vouloir sagement entendu,
Que je consens qu’il me soit donnedonné blame
Si je l’oublie: car elle m’a rendu
Les sens, l’esprit, l’honneur, le coeur & l’ame
Estant navré.
Ode
Ode en faveur de
D.Dame
Louïze Labé,
à son bon Signeur.
D. M.
De Magny
Muses, filles de Jupiter,
Il nous faut ores aquiter
Vers ce docte & gentil Fumee,
Qui contre le tems inhumain
Tient vos meilleurs trets en sa main,
Pour paranner sa renommee.
Je lui dois, il me doit aussi:
Et si j’ay ores du souci
Pour faire mon payment plus dine,
Je le voy ores devant moy
En un aussi plaisant émoy
Pour faire son Ode Latine.
Mais par ou commencerons nous?
Dites le, Muses: car sans vous
Je ne fuis l’ignorante tourbe,
Et sans vous je ne peu chanter
Chose, qui puisse contenter
Le pere de la lyre courbe.
Quand celui qui jadis naquit
Dens la tour d’erein, que conquit
Jupiter d’une caute ruse,
Ut trenché le chef qui muoit
En rocher celui qu’il voyoit,
Le chef hideus de la Meduse:
Adonques par l’air s’en allant,
Monté sur un cheval volant,
Il portoit cette horrible teste:
Et ja desja voisin des Cieus
Il faisoit voir en mile lieus
La grandeur de cette conqueste.
Tandis du chef ainsi trenché
Estant freschement arraché,
Distiloit du sang goute à goute:
Qui soudein qu’en terre il estoit,
Des fleurs vermeilles enfantoit,
Qui changeoient la compagnecampagne toute,
Non en Serpent, non en ruisseau,
Non en Loup, & non en oiseau,
En pucelle, Satire ou Cyne:
Mais bien en pierre: faisant voir
Par un admirable pouvoir
La vertu de leur origine.
Et c’est aussi pourquoy je crois,
Que fendant l’air en mile endrois
Sur mile estrangeres campagnes,
A la fin en France il vola,
Ou du chef hideus s’escoula
Quelque sang entre ces montagnes:
Mesmement aupres de ce pont
Opposé viz à viz du mont,
Du
143
Du mont orguilleus de Forviere:
En cet endroit ou je te vois
Egaier meinte & meintefois
Entre l’une & l’autre riviere.
Car deslors que fatalement
J’en aprochay premierement,
Je vis des la premiere aproche
Je ne say quelle belle fleur:
Qui soudein mesclavant le cœur
Le fit changer en une roche.
Je viz encor tout à lentour
Mile petis freres d’Amour,
Qui menoient mile douces guerres,
Et mile creintifs amoureus
Qui tous comme moy langoureus
Avoient leurs coeurs changez en pierres.
Depuis estant ainsi rocher,
Je viz pres de moy aprocher
Une Meduse plus acorte
Que celle dont s’arme Pallas,
Qui changea jadis cet Atlas
Qui le Ciel sur l’eschine porte.
Car elle ayant moins de beautez,
De ces cheveus enserpentez
Faisoit ces changemens estranges:
Mais cetteci, d’un seul regard
De
144
De son oeil doucement hagard
Fait mile plus heureus eschanges.
Celui qui voit son front si beau
Voit un Ciel, ainçois un tableau
De cristal, de glace, ou de verre:
Et qui voit son sourcil benin,
Voit le petit arc hebenin,
Dont Amour ses traits nous desserre.
Celui qui voit son teint vermeil,
Voit les roses qu’à son réveil
Phebus épanit & colore:
Et qui voit ses cheveus encor,
Voit dens Pactole le tresor
Dequoy ses sablons il redore.
Celui qui voit ses yeus jumeaus,
Voit au Ciel deus heureus flambeaus,
Qui rendent la nuit plus cereneserene:
Et celui qui peut quelquefois
Escouter sa divine voix
Entend celle d’une Sirene.
Celui qui fleure en la baisant
Son vent si dous & si plaisant,
Fleure l’odeur de la Sabee:
Et qui voit ses dens en riant
Voit des terres de l’Orient
Meinte perlette desrobee.
Celui qui contemple son sein
Large, poli, profond & plein,
De l'Amour contemple la gloire,
Et voit son teton rondelet,
Voit deus petis gazons de lait,
Ou bien deus boulettes d’ivoire.
Celui qui voit sa belle main,
Se peut asseurer tout soudein
D’avoir vu celle de l’Aurore:
Et qui voit ses piez si petis,
S’asseure que ceus de Thetis
Heureus il ha pù voir encore.
Quant à ce que l’acoutrement
Cache, ce semble, expressement
Pour mirer sur ce beau chef d’euvre,
Nul que l’Ami ne le voit point:
Mais le grasselet embonpoint
Du visage le nous descoeuvre.
Et voilà comment je fuz pris
Aus rets de l’enfant de Cypris,
Esprouvant sa douce pointure:
Et comme une Meduse fit,
Par un dommageable proufit,
Changer mon coeur en pierre dure.
Mais c’est au vray la rarité
De sa grace & de sa beauté,
Qui ravit ainsi les personnes:
k
Et
146
Et qui leur óte cautement
La franchise & le sentiment,
Ainsi que faisoient les Gorgonnes.
Le Tems cette grand’ fauls tenant
Se vét de couleur azuree,
Pour nous montrer qu’en moissonnant
Les choses de plus de duree,
Il se gouverne par les Cieus:
Et porte ainsi la barbe grise,
Pour faire voir qu’Hommes et Dieus
Ont de lui leur naissance prise.
Il assemble meinte couleur
Sur son azur, pource qu’il treine
Le plaisir apres la douleur
Et le repos apres la peine:
Montrant qu’il nous faut endurer
Le mal, pensant qu’il doit fin prendre,
Comme l’Amant doit esperer,
Et merci de sa Dame atendre.
Il porte sur son vétement,
Un milier d’esles empennees,
Pour montrer comme vitement
Il s’en vole avec nos annees:
Et s’acompagne en tous ses faits
De cette gente Damoiselle,
Confessant que tous ses efets
N’ont grace ne vertu sans elle.
Elle s’apelle Ocasion,
Qui
147
Qui chauve par derriere porte,
Sous une docte allusion,
Ses longs cheveus en cette sorte:
A fin d’enseigner à tous ceus
Qui la rencontrent d’aventure,
De ne se montrer paresseus
A la prendre à la chevelure.
Car s’elle se tourne & s’en fuit,
En vain apres on se travaille:
Sans espoir de fruit on la suit.
Le Tems ce dous loisir nous baille,
De pouvoir gayement ici
Dire & ouir meintes sornettes,
Et adoucir notre souci,
En contant de nos amourettes.
Le Tems encore quelquefois,
Admirant ta grace eternelle,
Chantera d’une belle voix
D’Avanson ta gloire eternelle:
Mais or’ l’ocasion n’entend
Que plus long tems je l’entretienne,
Creingnant perdre l’heur qui m’atend
Ou qu’autre masque ne survienne.
MADRIGALE.
Arse cosi per voi, Donna, il mio core
Il primo di ch’intento vi mirai,
Che certo mi pensai
Che nò potesse in me crescere piu ardore:
Ma in voi belta crescendo d’hor’ in hora,
k 2
Cresc’
148
Cresc’ in me il fuoco ancora,
Il qual nò potra mai crescer’ si pocco
Ch’ altro nò saro piu che fiamme e fuoco.
ODE.
Toute bonté abondante
Aus gouverneurs des Saints Cieus,
Un, qui de main foudroyante
Estonne mortels & Dieus,
Ensemença ces bas lieus
De diversité d’atomes
Formez de ce vertueus
Surpassant celui des hommes.
Lesquels d’une destinee
Sous quelque fatal heureus,
Pour former une bien nee
Furent ensemble amoureus:
Et goutant le savoureus,
Lequel ou l’Amour termine,
Ou le rend plus doucereus,
La font voir chose divine.
Mesmement si familiere
A la troupe des neuf Seurs,
Qu’elleelles l’ont pour leur lumiere
Fait lampeger en leurs choeurs:
Là recevant les honneurs
De ceus, qu’on n’a laissé boire
Aus sourses & cours donneurs
De perpetuelle gloire.
Elle le fait aparoitre
Au docte de ses escriz,
Qu’on voit journellement naitre,
Et devancer les esprits,
Qui avoient gaigné le pris
D’estre mieus luz en notre aage.
O feminin entrepris
De l’immortalité gage!
Qui une flame amoureuse,
Qui mieus les passionnez,
Et de veine plus heureuse
Discerne les aptes nez,
Et à l’Amour fortunez,
De ceus, lesquels à outrance
Seront tousjours mal menez,
Et repuz d’une esperance?
Qui de langue plus diserte
Fait le Musagete orer
Contre l’eloquence experte
Du Dieu, qui peut atirer
Par le caut de son parler
L’erreur à la vraye trace?
Qui pres d’eus peut sommeiller,
Comme elle, sur le Parnasse?
Donq que sur ses temples vole
Ce vert entortillonné
Pris de la ramure mole
De la fuyarde Daphné,
k 3
Et
150
Et doctement façonné
Pour orner la seur de celle,
Qui sortit, le coup donné
En armes, de la cervelle,.
Sonnet à D. L. L.Dame Louise
Labé
par A. F. R.
Antoine Fumée
Si de ceus qui ne t’ont connue, qu’en lisant
Tes Odes & Sonnets, Louïze, & honoree:
Si ta voix de ton lut argentin temperee,
D’arrester les passans est moyen sufisant:
Et si souvent destes yeus d’un seul rayon luisant
Ont meinte ame en prison pour t’adorer serree:
Tu te peus bien de moy tenir toute asseuree.
Car si jamais ton oeil sus un coeur fut puissant,
Il ha esté sur moy, & fait meinte grand’ playe:
Telle grace à chanter, baller, sonner te suit,
Qu’à rompre ton lien ou fuir je n’essaye.
Tant tes vers amoureus t’ont donné los & bruit,
Qu’heureus me sens t’avoir non le premier aymee,
Mais prisé ton savoir avant la renommee.
A Dame Louïze Labé, Lionnoize, la
comparant aus Cieus.
Sept feus on voit au Ciel, lesquels ainsi
Sont tous en toy meslez ensemblement.
Phebé est blanche: & tu es blanche aussi.
Mercure est docte: & toy pareillement.
Venus tousjours belle: semblablement
Belle tousjours à mes yeus tu te montre.
Tout de fin or est le chef du Soleil:
Le tien au sien je voy du tout pareil.
Mars est puissant: mais il creint ta rencontre.
Jupiter tient les Cieus en sa puissance:
Ta grand’ beauté tient tout en son pouvoir.
Saturne au Ciel ha la plus haute essence:
Tu as aussi la douce jouissance
Du plus haut heur qu’autre pourroit avoir.
Donq qui veut voir les grands dons, que les Dieus
Ont mis en toy, qu’il contemple les Cieus.
Des louenges de Dame Louïze Labé,
Lionnoize.
Il ne faut point que j’apelle
Les hauts Dieus à mon secours,
Ou bien la bande pucelle
Pour m’ayder en mon discours.
Puis que les Dieus, de leur grace,
Les saintes Muses, les Cieus,
Ont tant illustré la face,
Le corps, l’esprit curieus
De celle, dont j’apareille
La louenge nompareille,
Je congnoy bien clerement
Que toute essence divine
Me favorise, & s’encline
A ce beau commencement.
Sus sus donq, blanche senestre,
Fay tes resonans effors:
Et toy, ô mignarde destre,
Chatouille ses dous acors:
Chantons la face angelique,
Chantons le beau chef doré,
Si beau, que le Dieu Delphique
k 4
D’un
152
D’un plus beau n’est decoré.
Noublions en notre metre
Comme elle osa s’entremettre
D’armer ses membres mignars:
Montrant au haut de sa teste
Une espouventable creste
Sur tous les autres soudars.
O noble, ô divin chef d’euvre
Des Dieus hauteins tous puissans,
Au moins meintenant descoeuvre
Tes yeus tous resjouissans,
Pour voir ma Muse animee,
Qui de sa robuste main
Haussera ta renommee,
Trop mieus que ce vieil Rommain,
Qui sa demeure ancienne,
La terre Saturnienne
Delaissa pour ta beauté,
A fin qu’à toy rigoureuse
Il fut hostie piteuse
En sa ferme loyauté.
La Muse docte divine
Du vieillard audacieus,
Par le vague s’achemine
Pour t’enlever jusqu’aus Cieus:
Mais la Parque naturelle
Dens les Iberiens chams,
Courut desemplumer l’aile
De ses pleurs, & de ses chams:
Envoyant
153
Envoyant en sa vieillesse,
Mal seant en ta jeunesse,
Son corps, au tombeau ombreus:
Et son ame enamouree
En l’obscure demouree
Des Royaumes tenebreus.
Dieus des voutes estoilees,
Qui en perdurable tour
Retiennent emmantelees
Les terres, tout à l’entour:
Permetez moy que je vive
Des ans le cours naturel,
A fin qu’à mon gré j’escrive
En un ouvrage eternel,
De cette noble Deesse
La beauté enchanteresse,
Ce qu’elle ha bien merité:
Et qu’en sa gloire immortelle,
On voye esbahie en elle
Toute la posterité.
Ainsi que Semiramide,
Qui feingnant estre l’enfant
De son mari, print la guide
Du Royaume trionfant,
Puis démantant la Nature,
Et le sexe feminin,
Hazarda à l’aventure
Son corps jadis tant benin,
Courant furieuse en armes
k 5
Parmi
154
Parmi les Mores gendarmes,
Et es Indiques dangers
De sa rude simeterre
Renversant dessus la terre
Les escadrons estrangers.
Ainsi qu’es Alpes cornues
(Qui, soit Hiver soit Esté,
Ont tousjours couvert de nues
Le front au Ciel arresté)
On voit la superbe teste
D’un roc de** aphrese
pour sapins. pins emplumé,
Ravie par la tempeste
De son corps acoutumé,
En roullant par son orage
Froisser tout le labourage,
Des Beufs les ápres travaus,
Ne laissant rien en sa voye
Qu’en pieces elle n’envoye,
Cherchant les profondes vaux.
Ou comme Penthasilee,
Qui pour son ami Hector
Combatoit entremeslee
Par les Grecs, aus cheveus d’or,
Ores de sa roide lance
Enferrant l’un au travers,
Or’ du branc en violance
Trebuchant l’autre à l’envers:
Et ainsi que ces pucelles
Qui l’une de leurs mammelles
Se
155
Se bruloient pour s’adestrer
Aus combas & entreprises
Aus bons guerroyeurs requises,
Pour l’ennemi rencontrer:
Louïze ainsi furieuse
En laissant les habiz mols
Des femmes, & envieuse
De bruit, par les Espagnols
Souvent courut, en grand’ noise,
Et meint assaut leur donna,
Quand la jeunesse Françoise
Parpignan environna.
Là sa force elle desploye,
Là de sa lance elle ploye
Le plus hardi assaillant:
Et brave dessus la celle
Ne demontroit rien en elle
Que d’un chevalier vaillant.
Ores la forte guerriere
Tournoit son destrier en rond:
Ores en une carriere
Essayoit s’il estoit pront:
Branlant en flots son panache,
Soit quand elle se jouoit
D’une pique, ou d’une hache,
Chacun Prince la louoit:
Puis ayant à la senestre
L’espee ceinte, à la destre
La dague, enrichies d’or,
En
156
En s’en allant toute armee
Ell’ sembloit parmi l’armee
Un Achile, ou un Hector.
L’orguilleus fils de Clymene
Nous peut bien avoir apris
Qu’il ne faut par gloire vaine
Qu’un grand trein soit entrepris.
L’entreprise qui est faite
Sans le bon conseil des Dieus
N’a point, ainsi qu’on souhaite,
Son dernier efet joyeus:
Ainsi cette belliqueuse
Ne fut jamais orguilleuse:
Telle au camp elle n’alla:
Ains ce fut à la priere
De Venus, sa douce mere,
Qui un soir lui en parla.
Un peu plus haut que la plaine,
Ou le Rone impetueus
Embrasse la Sone humeine
De ses grans bras tortueus,
De la mignonne pucelle
Le plaisant jardin estoit,
D’une grace & façon telle
Que tout autre il surmontoit:
En regardant la merveille
De la beauté nompareille
Dont tout il estoit armé,
Celui bien on l’ust pù dire
Du
157
Du juste Roy de Corcyre
En pommes tant renommé.
A l’entree on voyoit d’herbes,
Et de thin verflorissant,
Les lis & croissans superbes
De notre Prince puissant:
Et tout autour de la plante
De petits ramelets vers
De marjoleine flairante
Estoient plantez ces six vers:
DU TRESNOBLE ROY DE FRANCE
LE CROISSANT NEUVE ACROISSANCE
DE JOUR EN JOUR REPRENDRA,
JUSQUES A TANT QUE SES CORNES
JOINTES SANS AUCUNES BORNES
EN UN PLEIN ROND IL RENDRA.
Tout autour estoient des treilles
Faites avec un tel art,
Qu’aucun n’ust sù sans merveilles
Là espandre son regard:
La voute en estoit sacree
Au Dieu en Inde invoqué,
Car elle estoit acoutree
Du sep au raisin musqué:
Les coulomnes bien polies
Estoient autour enrichies
De Romarins & rosiers,
Lesquels faciles à tordre
S’entrelassoient en bel ordre
En
158
En mile neus fais d’osiers.
Au milieu, pour faire ombrage
Estoient meints arceaus couvers
De Coudriers, & d’un bocage
Fait de cent arbres divers:
Là l’Olive palissante
Qu’Athene tant reclama,
Et la branche verdissante
Qu’Apolon jadis ayma:
Là l’Arbre droit de Cibelle,
Et le cerverin rebelle
Au plaisir venerien:
Avec l’obscure ramee
Par Phebe jadis formee
Du corps Cyparissien.
Sous cette douce verdure,
Soit en la gaye saison,
Ou quand la triste froidure
Nous renferme en la maison,
Tarins, Rossignols, Linotes
Et autres oiseaus des bois
Exercent en gayes notes
Les dous jargons de leurs voix:
Et la vefve tourterelle
Y pleint & pleure à par elle
Son amoureus tout le jour:
De sa parole enrouee
A pleints & à pleurs vouee
Efroyant l’air tout autour.
Et à fin qu’a beauté telle
Rien manquer on ne pust voir,
De la beauté naturelle
Qu’un beau jardin peut avoir,
Il y ut une fonteine,
Dont l’eau coulant contre val
En sautant hors de sa veine
Sembloit au plus cler cristal:
Elle ne fut point ornee,
Ny autour environnee
De beaus mirtes Cipriens,
Ny de buis, ny d’aucun arbre,
Ny de ce precieus marbre
Qu’on taille es monts Pariens:
Mais elle estoit tapissee
Tout l’environ de ses bors,
Ou son onde courroucee
Murmuroit ses dous acors,
D’herbe tousjours verdoyante,
Peinte de diverses fleurs,
Qui en l’eau dousondoyante
Mesloient leurs belles couleurs.
Qui ust regardé la teste
D’un Narcisse qui s’arreste
Tout panchant le col sur l’eau,
On ust dit que son courage
Contemploit encor l’image
Qui trop & trop lui fut beau.
Aussi par cette verdure
Estoit
160
Estoit le jaune Souci,
Qui encor la peine dure
De ses feus n’a adouci:
Ains toujours se vire et tourne
Vers son Ami qu’il veut voir,
Soit au matin, qu’il ajourne,
Ou quand il est pres du soir.
Là aussi estoient Brunettes,
Mastis, damas, violettes
Ça & là sans nul compas:
Avec la fleur, en laquelle
Hiacinte renouvelle
Son nom apres son trespas.
Le ruisseau de cette sourse
A par soy s’ebanoyant,
D’une foible & lente course
Deça dela tournoyant
Faisoit une protraiture
Du lieu ou fut enfermé
Le monstre contre nature
En Pasiphae formé ;
Puis son onde entrelassee,
De longues erreurs lassee,
Par un beau pré s’espandoit:
Ou maugré toute froidure
Une plaisante verdure
Eternelle elle rendoit.
Titan laissant sa campagne
Peu à peu sous nous couloit,
Et
161
Et dens la tiede eau d’Espagne
Son char il desateloit:
Quand en ce lieu de plaisance
Louïse estoit pour un soir,
Qui cherchant resjouissance
Pres la font se vint assoir:
Elle ayant assez du pouce
Taté l’harmonie douce
De son lut, sentant le son
Bien d’acord, d’une voix franche
Jointe au bruit de sa main blanche,
Elle dit cette chanson:
La forte Tritonienne,
Fille du Dieu Candien,
Et la vierge Ortygienne,
Seur du beau Dieu Cynthien,
Sont les deus seules Deesses
Ou j’ay mis tout mon desir,
Et que je sù pour maitresses
Des mon enfance choisir.
Si Venus m’a rendu belle,
Et toute semblable qu’elle,
Avec sa divinité,
Que pourtant elle ne pense,
Qu’en un seul endroit j’ofense
Ma chaste virginité.
La pucelle Lionnoize
Fredonnant meints tons divers,
Au son plein de douce noise,
l
N’ut
162
N’ut deus fois chanté ces vers,
Qu’un sommeil de course lente
Descendant parmi les Cieus,
Finit sa voix excellente
Et son jeu melodieus.
Sur la verdure espandue
Tous dous il l’a estendue,
Flatant ses membres dispos:
Dessus ses yeus il se pose,
Et tout son corps il arrose
D’un tresgracieus repos.
En dormant tout devant elle
Sa mere se presenta,
En son beau visage telle
Qu’alors qu’elle s’acointa
D’Anchise, pres du rivage
Du Simoent Phrygien:
Dont naquit le preus courage
Qui au camp Hesperien
Renouvella la memoire,
Et la trionfante gloire
Du sang Troyen abatu,
Qui devoit en rude guerre
Tout le grand rond de la Terre
Conquerir par sa vertu.
Ell’ regarde par merveille
Son visage nompareil,
Son haut front, sa ronde oreille,
Son teint freschement vermeil,
Le vif
163
Le vif coral de sa bouche,
Ses sourcis tant gracieus,
Que doucement elle touche
Pour voir les rais de ses yeus:
Non sans contempler encore
Celle beauté qui decore
La rondeur de son tetin,
Qui ni plus ni moins soupire
Qu’au printems le dous Zephire
Alenant l’air du matin.
Apres que la Cyprienne
Ut son regard contenté,
Voyant de la fille sienne
La plus qu’humeine beauté,
Esbahie en son courage
De sa grand’ perfeccion,
Elle augmenta davantage
Vers ell’ son afeccion:
Puis toute gaye & joyeuse,
D’une voix tresgracieuse,
Pour descouvrir son souci,
Tenant les vermeilles roses
De sa bouche un peu descloses
Elle parola ainsi:
Les Dieus n’ont voulu permettre
Aus vains pansers des mortels,
Que d’eus ils se pussent mettre
A fin: bien que leurs autels
Soient tous couvers de fumee,
l 2
Ou
164
Ou pour gagner leur faveur,
Ou pour leur ire animee
Faire tourner en douceur,
Tous les veus pas ils n’entendent
Qui davant leurs yeus se rendent:
Ains les ont à nonchaloir,
Veu ni priere qu’on face
N’y font rien, si de leur grace
Ils n’ont un mesme vouloir.
Que penses tu fille chere?
Penses tu bien resister
Contre les dars de ton frere
S’il lui plait t’en molester?
II scet domter tout le monde
De son arc audacieus:
L’Ocean, la Terre ronde,
L’Air, les Enfers, & les Cieus.
Onq fille n’ut la puissance
De lui faire resistance,
Et ses fiers coups soutenir:
Mais je te veus faire entendre
Pourquoy j’ay voulu descendre
Du Ciel, pour à toy venir.
Les hommes, pleins d’ignorance,
Citoyens de ces bas lieus,
Te pensent de leur semence,
Et non de celle des Dieus:
Mais par trop ils se deçoivent
(Bien qu’ils le tiennent pour seur)
Et
165
Et assez ils n’aperçoivent
De ta beauté la grandeur.
Qui diroit, voyant ta face,
Que tu fusses de la race
D’un homme simple & mortel?
La Terre sale & immunde,
Ne sauroit aus yeus du monde
De soy produire riens tel.
Tout ainsi la beauté rare
D’Heleine, chacun pensoit
Engendree de Tyndare:
Car on ne la connoissoit.
Toutefois si estoit elle
Fille du Dieu haut tonnant,
Qui sa maison supernelle,
Le haut Ciel, abandonnant,
Atourné d’un blanc plumage,
Semblant l’Oiseau qui presage,
En chantant, sa proche mort,
En Lede fille de Theste
De sa semence celeste,
Le conçut par son effort,
Avecques deus vaillans freres,
Dont l’un alaigre escrimeur
Domta les menasses fieres,
Et la trop ápre rigueur
Du cruel Roy de Bebrice ,
Acoutumé d’outrager,
Et meurtrir par sa malice
l 3
Chacun
166
Chacun soudart estranger:
L’autre de hardi courage,
Inventa premier l’usage
De joindre au char le coursier:
Ou il se roula grand’ erre,
Effroyant toute la terre
Des deus ronds bornez d’acier.
Ainsi, bien qu’on ne te donne
L’honneur d’estre de mon sang,
Et du fier Dieu qui ordonne
Les puissans soudars en rang,
Si m’est ce chose asseuree,
Que de Gradive le fort
En moy tu fus engendree,
Joingnant le gracieus bord,
Ou la Sone toute quoye
Fait une paisible voye
S’en allant fendre Lion:
Dens lequel on voit encore
Le mont de
Four
viere ancienne-
ment apelé fo-
rum Veneris
Un mont, ou lon me decore,
Qui retient de moy son nom.
Le lieu ou tu fus conçue
Ne fut vile ny chateau,
Ains une forest tissue
De meint plaisant arbrisseau,
Dont je veus (en témoignage
De ta race) te pourvoir,
Ainsi que d’un heritage
Que je tiens en mon pouvoir.
Là
167
Là autour sont meintes plaines,
Esquelles les blondes graines
De Ceres pourras cueillir,
Et la liqueur qui agree
A Bachus, & meinte pree
Ou l’herbe ne peut faillir.
Là aussi sont meints bocages
Deça delà espandus,
Ou en tout tems les ramages
Des Oiseaus sont entendus.
Par fois tu y pourras tendre
Le ret rare, à ton desir,
Et quelque gibier y prendre
Pour acroitre ton plaisir:
Ou t’exerçant à la chasse
Tu poursuivras à la trace
Les Lievres fuians de peur,
De chiens autour toute armee,
Vagans dessous la ramee
Se guidans à la senteur.
Et si par trop tu te peines
En trop violent effort,
De meintes cleres fonteines
Tu pourras avoir confort:
L’eau sortante de leur sourse
Tes membres refreschira,
Et la murmurante course
A son bruit t’endormira:
Apres chargee de proye,
l 4
Tu
168
Tu te pourras mettre en voye
Pour à ton chateau tourner,
Qu’en brief batir je veus faire,
Sufisant pour te complaire
S’il te plait y sejourner.
Sur tout (fille) je t’avise,
Que d’un coeur tant odieus
Ton frere tu ne mesprise,
C’est le plus puissant des Dieus.
En ta beauté excellente
Meint homme il rendra transi,
Mais sa main ne sera lente
A te tourmenter aussi.
Prens bien à ce propos garde,
Car ja desja il te darde
Son tret ápre & rigoureus:
Dont il t’abatra par terre,
Rendant d’un homme de guerre
Ton tendre coeur amoureus.
En ce il prendra bien vengeance
Du bon Poëte Rommain,
Auquel sans nulle allegeance
Ton coeur est trop inhumein.
Bien prendra à ta jeunesse
Avoir apris à soufrir
Des durs harnois la rudesse,
Et à meint travail s’ofrir:
Souvent seras rencontree
Depuis la tarde vespree
Jusqu’au
169
Jusqu’au point du prochein jour,
Parmi les bois languissante,
Et tendrement gemissante
La grand’ cruauté d’Amour.
Alors pour estre asseuree
Point en femme tu n’iras,
Ains d’une lance paree
Chevalier tu te diras.
Ja en ton harnois bravante
Je te regarde assaillir
Meint chevalier, qui se vante
Hors de l’arçon te saillir:
Puis dextrement aprestee,
Ayant ta lance arrestee
Le desarçonner en bas,
Lui tout froissé, à grand’peine
Lever son arme incerteine,
Chancelant à chacun pas.
A si grans travaus ton frere
Durement te contreindra,
Jusqu’à ce qu’à la premiere
Liberté il te rendra:
Alors laissant les alarmes,
Et les hazars perilleus,
Tu rueras jus les armes,
Et le courage orguilleus,
Dont tu soulois mettre en terre
Meint vaillant homme de guerre
Renversé sous son escu,
l 5
Qui
170
Qui repentant en sa face,
De sa premiere menasse
Tout haut se crioit vaincu.
Donq laissant dague & espee
Ton habit tu reprendras,
A plus dous jeus ocupee
Ton dous lut tu retendras:
Et lors meints nobles Poëtes,
Pleins de celestes esprits,
Diront tes graces parfaites
En leurs tresdoctes escriz:
Marot, Moulin, la Fonteine,
Avec la Muse hauteine
De ce Sceve audacieus,
Dont la tonnante parole,
Qui dens les astres carole,
Semble un contrefoudre es Cieus.
Toutefois leur fantasie
Ton loz point tant ne dira,
Comme d’un la Poësie,
Qui de l’onde sortira
Du petit Clan, dont la rive
Privee de flots irez,
Ha en tout tems l’herbe vive
Autour des bors retirez.
De cil la Muse nouvelle
Rendra ta grace immortelle:
Du Ciel il est ordonné
Qu’à lui le bruit de la gloire
De
171
De t’avoir mise en memoire,
Entierement soit donné.
Qu’à ton coeur tousjours agree
Du Poëte le labeur:
Son escriture est sacree
A tout immortel bonheur.
Ayant qui ton loz escrive,
Mourir ne peus nullement:
Ainsi Laure, ainsi Olive
Vivent eternellement.
Un Bouchet en façon telle,
Met en memoire immortelle
De son Ange le beau nom:
Sacrant l’Angelique face,
Sa beauté, sa bonne grace,
Au temple du saint renom.
A tant la Deesse belle
Mit fin à son dous parler:
Son chariot elle atelle
Toute preste à s’en voler:
Les mignonnes colombelles
Par le vague doucement
Esbranlent leurs blanches esles
D’un paisible mouvement.
Louïze estant esveillee
Resta toute esmerveillee
De la sainte vision:
Ignorante si son songe
Est verité ou mensonge,
Ou
172
Ou quelque autre illusion.
Son corps droit, sa bonne grace,
Son dur teton, ses beaus yeus,
Les divins traits de sa face,
Son port, son ris gracieus,
Le front serein, la main belle,
Le sein comme albastre blanc
Montrent evidemment qu’elle
Sortit du Ciprien flanc.
Puis sa vaillance & prouesse,
Son courage, son adresse,
Et la force du bras sien
De grand heur acompagnee,
La montrent de la lignee
Du Gradive Thracien.
Mais d’autre part, sa doctrine,
Sa sagesse, son savoir,
La pensee aus arts encline
Autant qu’autre onq put avoir.
Les vers doctes qu’elle acorde,
En les chantant de sa voix,
A l’harmonieuse corde,
Fretillante sous ses doits:
Et la chasteté fidelle,
Qui tousjours est avec elle,
Nous rendent quasi tous seurs
Qu’elle ut la naissance sienne
De la couple Cynthienne,
Ou de l’une des neuf Seurs.
Toutefois il nous faut croire
Ce que nous disent les Dieus,
Qui par la nuitee noire
Se montrent aus dormans yeus.
Ainsi Hector à Enee
En un songe s’aparut,
Et la sienne destinee
En songe il lui discourut.
Souvent la future chose
Du sain esprit qui repose
Est prevuë de bien loin:
Ce songe presque incroyable,
Qui apres fut veritable,
En pourra estre témoin.
Mais il est tems douce Lire
Que tu cesse tes acors.
Si assez tu n’as pù dire,
Si as tu fait tes effors.
Celle harpe Methimnoise,
Qui peut la mer esmouvoir,
N’ut la Ninfe Lionnoize
Chanté selon son devoir:
Non pas toute la Musique
De celle bende Lirique
Qui (long tems ha) florissoit
En la Grece: qui meint Prince,
Meint païs, meinte Province,
De son chant resjouissoit.
FIN.
FAUTES A CORRIGER
en l’impression.
Achevé d’imprimer ce 12. Aoust,
M. D. LV.
Le Privilege du Roy.
HENRI, par la grace de Dieu Roy de France.
A notre Prevot de Paris, et Seneschal de Lionnois, ou
leurs Lieutenants, & à chacun d’eus si comme à lui appar-
tiendra, Salut et dileccion. Reçue avons l’humble suppli-
cacion de notre chere & bien aymee Louïze Labé, Lion-
noize, contenant qu’elle auroit des long tems composé quel-
que Dialogue de Folie & d’Amour: ensemble plusieurs
Sonnets, Odes & Epistres, qu’aucuns ses Amis auroient
souztraits, & iceus encores non parfaits, publiez en di-
vers endroits. Et doutant qu’aucuns ne les vousissent fai-
re imprimer en cette sorte, elle les ayant revuz & corri-
gez à loisir les mettroit volontiers en lumiere, à fin de su-
primer les premiers exemplaires: mais elle doute que les
Imprimeurs ne se vousissent charger de la despense sans
estre asseurez qu’autres puis apres n’entreprendront sur
leur labeur. POURCE EST IL: que nous incli-
nant liberalement à la requeste de ladite supliante, lui
avons de notre grace speciale donné Privilege, congé, licen-
ce & permission de pouvoir faire imprimer sesdites Eu-
vres ci dessus mencionnees, par tel Imprimeur que bon
lui semblera. Avec inibicions & defenses à tous
Librai-
res, Imprimeurs & tous autres qu’il apartiendra, de non
imprimer ne faire Imprimer, vendre ne faire vendre &
distribuer ledit Livre cy dessus declairé, sans le vouloir
& consentement de ladite supliante, & de celui à qui
premierement elle en aura donné la charge, dens le tems
de cinq
[176]
de cinq ans consecutifs, faits & acomplis: commençans
au jour & date que ledit livre sera achevé d’imprimer,
sans qu’il soit libre à autres Imprimeurs ou Libraires, &
autres personnes quels qu’ils soient & pour quelque im-
pression que ce soit: soit grande ou petite forme, les pou-
voir imprimer ou faire imprimer, & exposer en vente,
sinon de ceus que ladite supliante aura fait ou fera faire
imprimer, que lesdis cinq ans ne soient expirez, finiz &
accomplis. Et ce, sur peine de confiscacion desdis Livres &
d’amende arbitraire. De ce faire vous avons donné pou-
voir & mandement special par ces presentes. Mandons
& commandons à tous nos Justiciers, Officiers & sugets,
que à vous ce faisant soit obeï: car tel est notre plaisir.
Donné à Fonteinebleau, le XIII jour de Mars, Lan de
grace mile cinq cens cinquantequatre. Et de notre regne
le VIII.
Par le Roy en son conseil.
Robillart.