L'Arcadie, Paris, 1544

Courtesy of Gallica


L’ARCADIE DE MESSI-
RE JAQUESIAQVES SANNAZAR,
gentil homme Napolitain, excellent Poete en-
tre les modernes, mise d’Italien en Francoys
par JehanIehan Martin secretaire de Monseigneur
ReverendissimeReuerendißime Cardinal de Lenoncourt.










AVEC PRIVILEGE


Ce livreliure a esté imprimé a Paris par Michel de Va-
scosan, demeurant en la rue sainct JaquesIaques a l’ensei-
gne de la Fontaine, pour luy, et Gilles Corrozet li-
braire tenant sa boutique en la grand salle du Pa-
lais, pres la chambre des consultations.


M.D.XLIIII.


Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 (CC BY-NC-SA 4.0)

Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 (CC BY-NC-SA 4.0).
Si vous utilisez ce document dans un cadre de recherche, merci de citer cette URL :
http://xtf.bvh.univ-tours.fr/xtf/view?docId=tei/B751131011_RES_YD_1184/B751131011_RES_YD_1184_tei.xml;doc.view=notice
Première publication : 28/11/2013
Dernière mise à jour : 19/03/2014





[1v]

A MONSEIGNEURMONSEIGNEVR LE PREVOST
de Paris, ou son Lieutenant CivilCiuil


SUPPLIENTSVPPLIENT humblement Michel de Vasco-
san, & Gilles Corrozet, libraires de ceste villeuille de
Paris, qu’il vousuous plaise leur donner permissionpermißion d’im-
primer & vendreuendre un livreliure nouvellementnouuellement traduict
d’Italien en Francoys, intitulé l’Arcadie de Sanna-
zar, Poete Napolitain: pour lequel imprimer leur
convientconuient faire gros frais & despenses, dont ilz
pourroientpourroiēt estre frustrez, ensembleēsemble de leurs labeurs,
s’il estoit permis a tous de l’imprimer. Ce consideré
il vousuous plaise ordonner que defenses soient faictes
a tous libraires & imprimeurs de la villeuille & pre-
voste
pre-
uoste
de Paris, de n’imprimer iceluy livreliure, ny d’en
vendreuendre d’autres que de l’impressionimpreßion desdictz sup-
plians, jusquesiusques a quatre ans finiz & accomplizaccõpliz, sur
peine de confiscation des livresliures, & d’amende arbi-
traire. Et vousuous ferez bien.



Soit faict ainsi qu’il est requis.


Faict le 11. jour d’Avriliour d’Auril M. D. XLIII. avantauãnt pasques.


Signé. JI. JI. de Mesmes.





[2r]


A MONSEIGNEURMONSEIGNEVR

Monseigneur ReverendissimeReuerendißime Cardinal
de Lenoncourt.


MOnseigneur, environenuiron le commencementcõmencemet de
cest yveryuer dernier, V. R. S. me comman-
da que jeie luy feisse veoirueoir ma traduction
francoyse de l’Arcadie Italienne de mes-
sire JaquesIaques Sannazar gentil hommehõme Napolitain. ce que
lors ne me fut possiblepoßible, pour ne l’avoirauoir encores mise au
nect: dontdõt j’i’estoye grandementgrãdemēt desplaisant. Mais pour repa
rer ceste faulte, jeie la vousuous ay faict imprimer en beaux
characteres: & maintenant oze bien prendre la har-
diesse de la vousuous dedier avecauec ma perpetuelle servitudeseruitude:
suppliantsuppliãt treshumblementtreshumblemēt qu’il vousuous plaise l’avoirauoir agrea
ble, & prendre en bonne part que jeie la mette en lu-
miere soubz l’inscriptioninscriptiõ de vostre nom: car jeie ne le faiz
sinon pour luy procurer plus de grace et faveurfaueur entre
les hommeshõmes, consideré que choses consacréescõsacrées aux temples
ou personnages Heroiques, sont reveréesreuerées des propha-
nes nonobstantnõobstant qu’elles soyent souventesfoissouuentesfois de basse &
petite valeurualeur. Pour le moins j’i’ay fiancefiãce que plusieurs gen
tilz hommeshõmes & dames vivansuiuãs noblement en leurs mes-
nages aux champz & autres de moindre qualité, luy
ferontferõt assez bon recuuil, veuueu mesmementmesmemēt qu’elle ne trai-
cte guerres, batailles, bruslemens, ruines de pays, ou
telles cruaultez enormes, dont le recit cause a toutes
gens horreur, compassioncõpaßion, & melancholie, reservéreserué aux
ministres de Mars, qui ne se delectent qu’en fer, feu, ra- A ij



[2v]
pines & subversionssubuersions de loix divinesdiuines et humaines. Tel
subgect, a la veriteuerite, n’est conforme a ceste Arcadie, car
elle ne represente que Nymphes gracieuses, & jolyesiolyes
bergeres, pour l’amour desquelles jeunesieunes pasteurs
soubz le fraiz umbrage des petiz arbrisseaux et en-
tre les murmures des fontaines chantent plusieurs bel-
les chansons, industrieusement tirees des divinsdiuins Poetes
Theocrite & Virgile: avecauec lesquelles s’accorde melo-
dieusement le ramage des oysillons degoysans sus les
branches verdesuerdes, tellement que les escoutans pensent
estre ravizrauiz aux champs Elysées. Mais pource que l’au-
cteur en cest oeuure s’est servyseruy d’un grand nombre de
motz dont l’intelligence n’est communetcõmunet: pour releverreleuer de
peine les lecteurs j’i’en ay bien vouluuoulu faire un petit som-
maire, ou, pour mieux dire, advertissementaduertissemēt, qu’ilz trou-
veront
trou-
ueront
aux derniers cahiers: et cela les adressera pour
la descriptiondescriptiõ des plantesplãtes a Dioscoride, pour les situationssituatiõs
des lieux d’Italie a BlondusBlõdus en sa CampagneCãpagne, pour les cho
ses concernantescõcernãtes l’histoire naturelle a Pline, et pour les fi-
ctions Poetiques a la Metamorphose d’OvideOuide, et autres
bonsbõs aucteurs de la languelãgue latine, desquelz j’i’ay cotté les
passages, afin de donnerdõner autant de profit que de plaisir.
Monseigneur jeie prie le Createur vousuous donnerdõner un per-
faicte sante treslongue & tresheureuse vieuie. De Paris
ce XV. d’AvrilAuril. M.D.XLIII.


Vostre treshumble & tresobeissant
serviteurseruiteur. JehanIehan Martin.





3


ARCADIE
DE MESSIRE JAQUESIAQVES
SANNAZAR
GENTIL HOMME NA-
POLITAIN.


LES grans et spacieux arbres produictz
par nature sus les haultes montagnes,
ordinairement se rendent plus agrea-
bles a la veueueue des regardans, que les plantes son-
gneusement entretenues en vergiersuergiers delicieux par
JardiniersIardiniers bien experimentez. AussiAußi le chant ra-
mage des oyseaux qui par les forestz se degoysent
sus branches verdesuerdes, faict autantautãt de plaisir a qui les
escoute, que le jargoniargon de ceulx qui sont nouriz es
bonnesbõnes villesuilles, et aprins en cages mignottes. Ce qui me
faict estimer que certaines chansonschãsons rurales trassées
sus raboteuses escorces d’arbres, ne contententcõtentent aucu-
nesfois moins les lecteurs, que plusieurs poemes la-
borieusement composezcõposez, & escriptz en beaux cha-
racteres sus feuilletz de livresliures dorez. D’advantageaduãtage
que aucunsaucũs chalumeaux de pasteurs accouplez avecauec
de la cire, rendent parmy les valleesuallees, des armonies
(paravantureparauanture) autant aymables, que les resonances
d’aucuns instrumens civilzciuilz tournez de Buys tant
estimé, encores que l’on s’en delecte en salles et cham-
bres
chã-
bres
pompeusespõmpeuses. PareillementPareillemēt une fontaine bienbiē bordee A iij



[3v] L’ARCADIE
d’herbes verdoyantesuerdoyantes, et qui naturellement sort de
roche viveuiue, se presente aussiaußi gaye a la veueueue que les
artificielles diaprees de marbre de toutes cou-
leurs. Sus ceste confiance jeie pourray bien reciter
en ces desers, aux arbres escoutans, & a ce peu
de pasteurs qu’il y aura, quelques Eglogues yssues
de naturelle veineueine, encores a present autant rudes
& mal polies, qu’elles estoyent lors que jeie les ouy
chanter soubz le fraiz umbrage des arbrisseaux,
& entre les murmures des fontaines courantes
par aucuns pasteurs d’Arcadie, ausquelz les dieux
des montagnes ravizrauiz de la douceur, ne presterent
une seule fois, mais plus de mille, leurs oreilles en-
tentives
en-
tentiues
, mesmes les gentilles Nymphes entrelais-
sans leurs chasses commencées, en appuyerent bien
arcz & trousses contrecõtre les tiges des Sapins de Me-
nalo et Lyceo. A ceste cause, s’il m’estoit licite appro-
cher mes levresleures du simple flageolet que Dametas
donna jadisiadiz a Corydon, jeie m’en estimeroye au-
tant que de manier la trompe resonnante de Pallas,
avecauec laquelle Marsias l’outre cuydél’outrecuydé Satyre oza bienbiē
a son grand dommage provocquerprouocquer Apollo, d’autant
que mieux vaultuault songneusementsongneusemēt cultivercultiuer une sienne
petite piece de terre, que par nonchallancenõchallance en laisser
une bien grandegrãde malheureusementmalheureusemēt tumber en friche.


Dessus le mont Parthenio, qui n’est des moin- dres



4 DE SANNAZAR.
dres de la pastorale Arcadie, se trevuetreuue une belle
plaine de bien petite estendue, pourautant que la si-
tuation du lieu n’en seroit autrement capable: mais
elle est si bien garnie d’herbe verdeuerde, que si les trou
peaux des bestes n’en paissoyentpaissoyēt, l’onlon pourroit en tou
tes saisons y trouvertrouuer de la verdureuerdure. En ce lieu (si jeie
ne m’abuze) peult auoir une douzaine d’arbres de
tant rare & exquise beaute, que qui s’amuseroit a
les contempler, pourroit dire, nature la perfaicte
ouvriereouuriere, avoirauoir prins grand plaisir,& s’estre son-
gneusement estudiée a les former: car estans aucu-
nement distans les uns des autres, & disposez d’un
ordre sans articfice, ilz enrichissent grandement sa
nayvenayue beaute. Tout premier l’onlon y treuvetreuue le Sapin
hault, droict, et sanssãs neudz, formé pour endurer les
tourmentes de la mer. Apres y est le Chesne robuste
a branchesbrãches plus longueslõgues et feuillues. puis on y veoitueoit le
jolyioly Fresne, et le Plane delicieux, dont les umbrages
n’occupent peu de place emmy ce beau pré. D’ad-
vantage
ad-
uantage
y est (a rameaux plus courtz) l’arbre du-
quel Hercules se souloit couronnercourõner, en la tige duquel
furent transforméestrãsformées les dolentes filles de Clymene.
A l’un des costez sont, le nouailleux Chastaigner, le
Buys feuillu, et le hault Pin a dur fruict, et poignantpoignãt
feuillage. De l’autre part, le Hestre umbrageux,
le Tilleul incorruptible, & le fragile Tamarin, a- A iiij



[4v] L’ARCADIE
vecuec la Palme orientale, doulx & honorable guerdonguerdõ
des victorieuxuictorieux: au meillieu desquelz joignantioignant une
claire fontaine, s’eslieveeslieue versuers le ciel un Cypres en
guyse d’une haulte Borne, si plaisant a veoirueoir, que non
seulement Cyparissus, mais (s’il se peult dire sans
offense) Apollo mesme ne se desdaigneroit d’estre
en sa tige transfiguré. Et ne sont ces plantes si mal
gracieuses, que leurs umbrages empeschent totale-
ment les rayonsrayõs du Soleil de penetrer en ce delicieux
pourpris, ains par diversdiuers endroitz les recoyventrecoyuent si
gracieusementgracieusemēt, que rare est l’herbette qui n’en tire au-
cune recreation. Or combiencõbien qu’en toutes saisons il y
face merveilleusementmerueilleusemēt beau frequenterfrequēter, si est ce que du-
rant le printemps encores y faict il plus gay qu’en
tout le reste de l’année. En ce lieu tel que jeie vousuous com-
pte
cõ-
pte
, les pasteurs des montagnes circunvoisinescircunuoisines ont
apris de mener souventsouuēt paistre leurs troupeaux, &
s’entr’esprouvers’entr’esprouuer a plusieurs penibles exercices, com-
me
cõ-
me
a getter la barre, tirer de l’arc, saulter a plu-
sieurs saultz, et s’entr’empongerentr’empõgner a la lutte: en quoy
le plus souventsouuent ilz chantent & sonnentsonnēt herpes ou
musettes a l’enuy, non sans pris & louengelouēge de celuy
qui faict le mieux. Or advintaduint une fois entre les au-
tres, que la plus grandgrãd part des pasteurs circunvoi-
sins
circunuoi-
sins
s’assembla sus celle montagnemõtagne, chascun avecauec son troupeau



5 DE SANNAZAR.
troupeau. Lors en proposant diversesdiuerses manieres d’es-
batemens
es-
batemēs
, tous sentoyent plaisir inestimable, excepté
le povrepoure Ergaste, lequel s’estoit assisaßis loing de la
troupe au pied d’un arbre, & la se tenoit sans par-
ler ny mouvoirmouuoir, commecõme une pierre ou quelque souche,
non recors de soy ny de ses bestes, combien que au
paravantparauant il avoitauoit tousjourstousiours esté plus gracieux &
recreatif que nul des aultres. Quoy voyantuoyãt SelvagioSeluagio,
meu a compassioncompaßion de son miserable estat, pour luy
donner allegeance de ses tourmentz, se print ainsi
amiablement a l’araisonner chantantchãtant a haulte voixuoix:



SELVAGIO.


Amy, pourquoy te veoyueoy jeie en ce poinct taire,
Morne, pensif, dolent, & solitaire?
Il n’est pas bon de tes bestes laisser
A leur plaisir ces landes traversertrauerser.
VeoyVeoy celles la qui passent la riviereriuiere.
VeoyVeoy deux belliers qui courent la derriere
Les testes bas, s’ilz se mettent empoinct
Pour se chocquer tout en un mesme poinct.
Au plus vaillantuaillant les autres favorisentfauorisent,
SuyventSuyuent ses pas, le reverentreuerent & prisent,
Chassant d’entr’eulx & mocquant par semblant
Le desconfit de vergogneuergongne tremblant.
Ne scaiz tu pas qu’encores que les loupz



[5v] L’ARCADIE
Ne facent bruyt, leurs pillages sur nous
Sont merveilleuxmerueilleux, veuueu que noz chiens de garde
Sont endormiz, & que n’y prenons garde?
JaIa par les boys amoureux oyselletz
S’apparians font leurs nidz nouvelletz nouuelletz.
La neige fond, & coule des montagnes,
Dont semble a veoirueoir qu’il sourde en ces campagnescãpagnes
Fleurs a milliers, & que toute branchette
NouveauxNouueaux bourgeons & tendres feuilles gette.
JaIa les aigneaux jusquesiusques aux plus petitz
Vont pasturant l’herbette en ces pastiz:
Et Cupido reprend pour son soulas,
Fleches & arc, dont oncques ne fut las
De navrernaurer ceulx qui luy font resistence,
Et transmuer en cendre leur substance.
Progne revientreuient de region loingtaine
AvecAuec sa seur, en querele haultaine
Se lamenter de l’ancien outrage
Que Tereus leur feit par grande rage.
Mais (a vrayuray dire) ores tant peu se treuvetreuue
De pastoureaux qui chantent a l’espreuveespreuue
En l’umbre assizaßiz, qu’il semble que nous sommes
En la Scythie entre barbares hommes.
Dont puis qu’a toy nul de nous se compare
A bien chanter, & le temps s’y prepare,
Chante de grace une chanson ou deux.

Erga-



6 DE SANNAZAR.

Ergasto.


Helas amy en ce lieu tant hydeux
jeIe n’y enten Progné, ny Philomele,
Mais maint hyboux qui lamente comm’elle.
Printemps pour moy ne s’est de verduerd vestuuestu,
Et n’ont ses fleurs ny ses herbes vertuuertu
De me guarir, au moins jeie ne rencontre
Que des chardons, qui portent mal encontre.
Cest air icy ne m’est point sans brouillart:
Et quand un jouriour vousuous est pur & gaillard,
JeIe pense veoirueoir des noires nuytz d’Autonne
Quand il pleut fort, & horriblement tonne.
Abysme donc tout le monde & ruine,
Crainte n’auray de veoirueoir telle bruine,
Car jeie me sens en ce cruel propos
Le cueur emplir d’une umbre de repos.
Fouldres & feu soient en terre cheans
Comme en Phlegra jadisiadis sus les Geans,
Si que le ciel par force fouldroyer
Se puisse en mer avecauec terre noyer.
Quel soing veulxueulx tu que j’i’aye d’un troupeau
Qui n’a sinon que les os & la peau?
JeIe m’attens bien qu’il s’esparpillera
Entre les loupz, ou tout se pillera.
Ayant ainsi de confort indigence,
A ma douleur jeie ne treuvetreuue allegeance



[6v] L’ARCADIE
Fors de m’asseoir (chetif & miserable)
Aupres d’un Fau, d’un Sapin, ou Erable.
Et la pensant a qui mon cueur dessire,
Glace deviendeuien: mais mieux jeie ne desire,
Car ce pendant la peine JeIe ne sens,
Qui m’amaigrit,& faict perdre le sens.


Seluagio.


En t’escoutant ainsi triste complaindre,
J’I’endurcissoys comme un roc (sans me faindre)
Mais peu a peu jeie sens qu’il me ramende
En proposant te faire une demande.
Qui est la fille ayant le cueur si fier,
Qu’elle t’a faict ainsi mortifier
Changeant visageuisage & meurs? nomme la moy:
Secret seray, jeie te prometz ma foy.


Ergasto.


Menant un jouriour mes aigneaux en pasture
Le long d’une eau, par un cas d’adventureaduenture
UnVn clair Soleil m’apparut en ses undes,
Qui me lya de ses tresses bien blondes,
Et imprima sus mon cueur une face,
Dont le tainct fraiz, Laict & Roses efface.
Puis se plongea en mon ame de sorte
Qu’impossibleimpoßible est que jamaisiamais il en sorte.
De ce poix seul mon cueur est tant grevégreué
Qu’esbahy suis comme il n’en est crevécreué, Veu que



7 DE SANNAZAR.
Veu que deslors fuz mis soubz un jougioug tel
Que j’i’ay du mal plus qu’autre homme mortel.
Dire le puis, Amy, l’experience
Me faict quasi perdre la patience.
JeIe veyuey premier luyre l’un de ses yeux,
Puis l’autre apres, en maintien gracieux.
Bien me souvientsouuient qu’elle estoit rebrassée
Jusqu’Iusqu’aux genoux,& que teste baissée
Au chault du jouriour un linge en l’eau lavoitlauoit,
Chantant si doux, que tout ravyrauy m’avoitauoit:
Mais aussiauβi tost comm’elle m’entreveitentreueit,
Elle se teut, que pas un mot ne deit,
Dont J’I’eu grand deuil: & pour plus me fascher,
Elle s’en vaua a sa robe delascher
Pour s’en couvrircouurir: puis sans craindre avantureauanture,
En l’eau se mect jusquesiusques a la ceincture:
Parquoy de rage, a moins de dire ouy,
En terre cheu tout plat esvanouyesuanouy.
Lors par pitité me voulantuoulant secourir,
Elle s’escrie, & se prend a courir
Tout droict a moy, si que ses criz trenchans
Feirent veniruenir tous les pasteurs des champs,
Qui des moyens plus de mille tenterent
Pour me resourdre: & tant en inventerentinuenterent,
Que mon esprit de sortir appresté,
Fut (pour adonc) en mon corps arresté,



[7v] L’ARCADIE
Remediant a ma vieuie doubteuse.
Cela voyantuoyant la pucelle honteuse
Se retira, monstrant se repentir
Du bon secours que m’avoitauoit faict sentir.
Parquoy mon cueur de sa beaulté surpris,
De desir fut plus vivementuiuement espriz.
JeIe pense bien que cela feit la belle
Pour se monstrer gracieuse & rebelle.
Rebelle est bien d’user de ces facons,
Et froide plus que neiges ou glassons:
Car nuyt & jouriour a mon secours la crye,
Mais ne luy chault de ce dont jeie la prie.
Ces boys icy scaventscauent assez combien
JeIe luy desire & d’honneur & de bien,
Si font ruysseaux, montagnes, gens, & bestes,
Car sans cesser joursiours ouvrablesouurables & festes,
En souspirant d’amour qui me provoqueprouoque,
JeIe la supplie, & doucement invoqueinuoque.
Tout mon bestail qui sans cesse m’escoute,
Soit qu’il rumine en l’umbre, ou au boys broute,
Scait quantesfois jeie la nomme en un jouriour
Piteusement, sans pause, ny sejourseiour.
AussiAußi par fois Echo qui me convoyeconuoye,
Me faict tourner quand elle me renvoyerenuoye
Son jolyioly nom jusquesiusques a mes oreilles
Sonnant en l’air si doux que c’est merveillesmerueilles. Ces ar-



8 DE SANNAZAR.
Ces arbres cy d’elle tiennent propoz,
Soyent agitez du ventuent, ou de repoz:
Et monstre bien chascun en son escorce
Comm’elle y est gravéegrauée a fine force,
Ce qui me faict, telle fois est, complaindre,
Et puis chanter gayement sans me faindre.
Pour son plaisir mes Toreaux & Belliers
Font bien souventsouuent des combatz singuliers.



En escoutant la piteuse lamentation du dolent Er-
gasto, chascun de nous ne fut moins remply de pitié
que d’esbahissement: car combien que sa voixuoix de-
bile, & ses accentz entrerompuzentrerõpuz, nous eussent desjadesia
faict plusieurs fois grievementgrieuement souspirer, si est ce
qu’en se taisant, seulement l’obgect de son visageuisaige
defaict & mortifié, sa perruque herissée, & ses
yeux tous meurdriz a fine force de pleurer, nous
eussent peu donner occasion de nouvelle nouuelle amertume.
Mais quand il eut mis fin a ses parolles, & que sem
blablement les forestz resonnantesresonnãtes se furent appai-
sées, il n’y eut aucun de la compagnie qui eust cou-
rage de l’abandonner pour retourner aux jeuxieux en-
trepriz, ny qui se souciast d’acheveracheuer les commencezcõmencez:
ains estoit chascun si marry de son infortune, que
tous particulierementparticulieremēt s’efforceoyent selon leur puis-
sance ou scavoirscauoir, le retirer de son erreur, luy ensei-



[8v] L’ARCADIE
gnant aucuns remedes plus faciles a dire qu’a met-
tre en execution. Puis voyantuoyant que le Soleil appro-
choit de l’occident, & que les fascheux grillons ia
commenceoyent a criqueter dans les crevassecreuasses de la
terre, sentanssentãs approcher les tenebres de la nuyt, nous
ne voulansuoulans permettre que le poure desolé demou-
rast la tout seul, quasi par contraincte le levasmesleuasmes
sus ses piedz: & incontinent le petit pas, feismes
tourner noz bestes deversdeuers leurs estables. Et pour
moins sentir le travailtrauail du chemin pierreux, plu-
sieurs en allant se prindrent a sonner de leurs mu-
settes a qui mieulx mieulx, chascun s’efforceant
produire quelque chanson nouvellenouuelle. Ce pendantpēdant l’un
appelloit ses chiens, l’autre ses bestes, par noms pro-
pres. Quelqu’un se plaignoit de sa pastourelle, &
quelque autre rustiquement se ventoituentoit de la sien-
ne. D’advantageaduantage plusieurs bons compagnons al-
loyent en termes ruraux se mocquans & gaudis-
sans les uns des autres. Et cela dura jusquesiusques a ce
que feussionsfeußions arrivezarriuez en noz cabannes couvertescouuertes
de chaume. Or se passerent en ceste maniere main-
tes journeesiournees. Puis un matin advintaduint que moy (suy-
vant
suy-
uant
le devoirdeuoir de bergerie) ayant faict pai-
stre mes bestes a la rosee, & me semblant que
pour la grande chaleur prochaine il estoit heure
de les mener a l’umbre en quelque lieu ou moy & elles



9 DE SANNAZAR.
elles nous peussionspeußiõs rafraichir de l’aleine des petitz
ventzuentz. JeIe prins mon chemin deversdeuers une umbra-
geuse valleeuallee qui estoit a moins d’un quart de lieue
de moy, conduysant lentement a tout ma houlette
mes dictes bestes: lesquelles a chascun pas vouloyentuouloyēt
entrer dedans les boys. Et n’estois encores gueres
loing quand de bon encontre jeie trouvaytrouuay un pa-
steur nomménõmé Montano: lequel semblablement cher-
choit d’evitereuiter la chaleur ennuyeuse, et a ces fins
avoitauoit faict une couronne de rameaux feuilluz qui
le defendoient du Soleil. Ce pasteur s’en alloit tou
chant son troupeau devantdeuãt soy, sonnant si melodieu-
sement une musette, qu’il sembloit que les forestz
en feussentfeußēt plus gayes que de coustume. AdoncAdõc jeie qui
fuz merveilleusementmerueilleusement curieux d’entendreentēdre telle me-
lodie, en parolles assez humaines luy dy: Amy,
d’aussiaußi bon cueur que jeie prie aux gracieuses Nym-
phes qu’elles daignent de bonnebõne oreille escouter tes
chansonschãsons, et aux dieux champestreschãpestres que les loupz ra-
vissans
ra-
uissans
ne te puissentpuißēt faire dommagedõmage de tes aigneaux,
mais que sains sauvessauues et bien guarniz de fine lay-
ne ilz te puissent rendre agreable profit, faiz moy
(s’il ne te grievegrieue) part de la jouissanceiouyßãce de ton armo
nye. Ce faisant, le chemin et la chaleur nous en sem
bleront beaucoup moindres. Et afin que tu n’esti-
mes perdre ta peine, j’i’ay une houlette de Myrte B



[9v] L’ARCADIE
nouailleux, les extremitez de laquelle sont toutes
garnies de plomb poly. mesmes au bout d’enhault
est entaillée de la main de Caritheo bouvierbouuier nague
res venuuenu de la fertile Espaigne, une teste de bellier
avecauec ses cornes retounées, par si grandgrãd artifice que
Toribio l’un des plus riches pasteurs de ce pays
m’en voulutuoulut unefoys donnerdõner un puissant mastin har-
dy et bon estrangleur de loupz: toutesfois pour re-
questes ny pour offres qu’il m’ayt sceu faire, il ne le
peut oncques obtenir de moy. Et si tu veulxueulx chan-
ter, jeie t’en feray ung present tout a ceste heure.
Adonc Montano sans attendre autres prieres, en
cheminant ainsy plaisamment commencea:


MONTANO.


Allez a l’umbre o Brebiettes
Qui repeues et pleines estes,
Soubz ces arbres, puis qu’ainsi vaua
Qu’au Midy le Soleil s’en vaua:
Et la prenant le doux repoz,
Vous entendrez par mes propoz,
Louer les yeux clairs & serains,
Les cheveuxcheueux d’or bien souverainssouuerains,
Les mains a mes desirs iniques,
Et les beaultez au monde uniques.
Lors pendant que mes chalumeaux Accorderont



10 DE SANNAZAR.
Accorderont au bruyt des eaux,
Vous pourrez aller pas a pas
Faire d’herbettes un repas.
Je veoyIe ueoy la quelqu’unn. Si ce n’est
Souche, ou Rochier, jeie croy que c’est
Vn homme qui dort en ce valual,
Ou las, ou qui se trouvetrouue mal.
Aux espaules, a la stature,
A la facon de sa vestureuesture,
Et a ce chien blanc tout ensemble
C’est UranioVranio, ce me semble.
C’est luy certes, qui bien manye
Et faict rendre telle armonye
A sa harpe gente & doulcette,
Qu’on le compare a ma musette.
Pasteurs (mes amys) en passant
Gardez vousuous du loup ravissantrauissant
De toute meschancete plein:
Car jeie croy qu’il est en ce plain
Guettant pour faire mille maulx,
S’il trouvetrouue a l’escartlescart animaux.
Icy a deux chemins froyez:
Donc sans nous monstrer effroyez
Prenons par le meillieu du mont
Ce sentier la nous y semont.
Veillez sus le loup qui toute heure B ij



[10v] L’ARCADIE
En ces buyssons tapy demeure.
JamaisIamais ne dort (la faulse rasse)
Mais suyt les bestes a la trasse.
Homme ne s’estonne en ce boys.
Pasteurs, suyvezsuyuez moy, jeie m’en voysuoys,
Qui congnois le loup, et la ruse
Dont pour nous decevoirdeceuoir il use.
Mais quand jeie n’auroys qu’unqu’n rameau
De Chesne, d’Erable, ou d’Ormeau
JeIe le feray bien reculler
S’il vientuient quelque beste acculer.
O si en ceste matinee
J’I’auoys si bonne destinee,
Brebiz, que je vousie uous peusse mettre
A sauvetésauueté, qui pourroit estre
Plus que moy joyeuxioyeux ou content?
Ne vousuous escartez en montant
Comme tousjourstousiours, car par expres
JeIe vousuous dy que le loup est pres.
Aumoins en sortant de noz granges
J’I’ay ouy des criz bien estranges.
Sus Melampe et Adre courez,
Ou d’abbayer nous secourez.
Chascun prenne garde a la robe
Du loup, qui nous pille et desrobe.
Ces maulx adviennentaduiennent (sus ma vieuie) Par



11 DE SANNAZAR.
Par nostre rancune, ou envieenuie.
Les plus sages ferment de cloyes,
De paliz, ou de bonnes hayes,
Leurs parquetz, sans point se fyer
A l’abbay des chiens aspre et fier.
Ainsi par bonne garde ilz ont
Laynes et laict, dont profit font
Tout du long que les boys sont versuers,
Ou despouillez par les yversyuers.
On ne les peult veoirueoir mal contens
Pour neige en Mars, ou pire temps.
Beste ne perdent, s’elle fuyt,
Ou couche emmy les champs de nuyt:
Dont semble que les dieux s’accordent
Aux riches, et a nous discordent.
A leurs aigneletz mal ne faict
Empoysonné regard infect.
JeIe ne scay si ces cas procedent
D’herbes, ou charmes qu’ilz possedent:
Mais les nostres d’une allenée
Meurent en tous temps de l’année.
Le loup traistre, larron, pipeur,
A (peut estre) des riches peur,
Et aux povrespoures c’est son usance
De leur faire toute nuysance.
Aumoins sommes nous (de par dieu) B iij



[11v] L’ARCADIE
Sans perte arrivezarriuez jusqu’iusq’au lieu
Dont la nature me convieconuie
A chanter d’amoureuse vieuie.
Il fault commencer a un bout.
Sus doncques UranioVranio, debout.
Doys tu passer ainsi le jouriour,
Comme la nuyt propre au sejourseiour?


UranioVranio.


JeIe reposoys sus ce mont la
Quand sus la mynuyt m’esveillaesueilla
Le bruyt des chiens jappansiappans au loup:
Parquoy me levayleuay tout acoup,
Et me prins a crier, Bergiers
Soyez courageux & legiers
De le poursuyvrepoursuyure sans fremir.
Et oncques puis ne sceu dormir
JusquesIusques au jouriour, que jeie comptay
Tout mon bestail, puis me boutay
Soubz cest arbre, & me rendormy.
Tu m’y as trouvétrouué, mon amy.


Montano.


Dirons nous point quelque chanson
A la pastorale facon?


UranioVranio.


Quoy donc? mais jeie ne respondray
Fors a ce que dire entendray.

Monta-



12 DE SANNAZAR.

Montano.


A quoy commenceray jeie doncques?
Car j’i’en scay bien un cent qui oncques
Ne fut commun (par mon serment)
Chanteray jeie Cruel tourment?
Ou celle qui commence ainsi:
Ma belle dame sans mercy?
Ou bien de la belle obstinée
Disant, O dure destinée?


UranioVranio.


Nenny, mais jeie te requier, dy
Celle qu’avantauant hier a midy
Tu chantois emmy ce bourget:
Ell’ est doulce, et de bon subjectsubiect.


Montano.


En plainctz et pleurs ma chair distile,
Comme au Soleil neige subtile,
Ou comme l’onlon veoitueoit par effect
Qu’au ventuent la nue se defaict
Et ne scay moyen d’y pourveoirpourueoir.
Pensez quel mal jeie puis avoirauoir.


UranioVranio.


Pensez quel mal jeie puis avoirauoir,
Car comme cire fond au feu
Que l’eau froyde estainct peu a peu,
JeIe me consume: on le peult veoirueoir:

B iiij



[12v] L’ARCADIE


Et de ce las ne veuilueuil sortir.
Tant me plaist ma peine sentir.


Montano.


Tant me plaist ma peine sentir,
Qu’au son de ma Muse jeie danse,
Tendant a mortelle cadence:
Car jeie pousuy sans diuertir
UnVn Basilir que j’i’ay cherché
Par ma fortune, ou mon peché.


UranioVranio.


Par ma fortune ou mon peché
JeIe voysuoys tousjourstousiours cueuillant fleurettes,
Dont jeie faiz chapeaux d’amourettes,
Pleurant de me veoirueoir empesché
A un Tigre pacifier,
Qui est trop cruel, et trop fier.


Montano.


O ma doulce amy Philis
AussiAußi blanche que le beau Liz,
Et plus uermeille que le pré
De fleurs en Auril dyapré,
Plus prompte a fuyr qu’unequ’ne Biche,
Et d’amoureux guerdon plus chiche
Que Syringua qui un roseau
DevintDeuint, et tremble encor en l’eau
Pour les maux que j’i’ay endurez, Monstre



13 DE SANNAZAR.
Monstre moy tes cheveuxcheueux dorez.


UranioVranio.


Tyrrhena dont le tainct resemble
Laict & roses meslez ensemble,
Plus legiere a fuyr qu’unn Dain,
Doux feu bruslant mon cueur soudain,
Voire plus dure a mes recors
Que celle qui feit de son corps
Le premier Laurier en Thessale,
Pour effacer ma couleur palle,
Tourne deversdeuers moy tes doux yeulx,
Ou niche Amour vainqueuruainqueur des dieux.


Montano.


Pasteurs qui estes cy autour,
Et nous oyez chanter a tour
Si feu querez, venezuenez en prendre
En moy reduict en Salemandre
Bien heureux monstre, et miserable
Pour l’ardeur en moy perdurable
Depuis l’heure que sans esgard
JeIe fuz navrénauré du beau regard,
Auquel pensant mon cueur se glace,
Et si brusle en tout temps et place.


UranioVranio.


Pasteurs qui pour fuyr au chault
Cherchez l’umbrage ou n’ayt default





[13v] L’ARCADIE


De rafraichissement d’eau viveuiue,
Venez a moy, que douleur privepriue
De joyeuxioyeux espoir, & qui rens
De mes yeux, deux amples torrens
Deslors que jeie veyuey la main blanche
Qui lya ma volunteuolunte franche,
Et mon cueur si bien pourchassapourchaßa,
Que tout autre amour en chassachaßa.


Montano.


La nuyt vientuient: le Ciel se faict sombre:
Les montz au plat pays font umbre:
Mais les estoilles & la Lune
Nous reconduyront en la brune.
Tout le bestail se mect ensemble
Hors des boys, veoyantueoyant (comme il semble)
L’heure qu’il y auroit danger
Que les loupz en veinsentueinsent menger.
Les guydes aux villagesuillages tendent,
Puis noz compagnons nous attendent
Craignans quelque perte advenueaduenue
Depuis que la nuyt est venueuenue.


UranioVranio.


JeIe n’en sache point en esmoy
Pour ma demeure: & quant a moy
JaIa n’en bougera mon troupeau
Qu’il n’ayt tresbien emply sa peau.

Quand



14 DE SANNAZAR.


Quand tu me feroys compagnie,
Ma pannetiere est bien garnye,
Et aussiaußi est bien ma bouteille
Pleine de bon vinuin de ma treille,
Dont tant qu’il y en aura goutte,
L’onLon ne verrauerra que jeie me boute
Au chemin pour m’en retourner,
D’eust il & plouvoirplouuoir & tonner.


JaIa se taysoient les deux pasteurs ayansayãs achevéacheué de
chanter, quand nous levezleuez de noz sieges laissas-
mes la UranioVranio auec deux compagnonscompagnõs, et suyvismessuyuismes
nostre bestail, qui bonne piece avoitauoit s’estoit mis au
retour soubz la conduicte des chiens fideles. Et non-
obstant
nõ-
obstant
que les Sureaux chargez de feuilles et de
fleurs, umbrageassent quasi toute la voyeuoye, qui tou-
tesfois estoit assez ample, la lueur de la Lune estoit
si claire que nous y veoyionsueoyions comme en plein jouriour.
Lors en cheminant par le silencesilēce de la nuyt, propoz
se meurent du passetemps receu la journeeiournee, et fut
grandement estimée la nouuelle facon de commen-
cer de MontanoMõtano: mais beaucoup plus la promptitude
et asseurance d’UranioVranio, qui avoitauoit commencé a chan
ter n’estant a grand peine esveilléesueillé: et ne luy avoitauoit
le sommeil rien sceu diminuer de sa louenge me-
ritée. Parquoy chascun rendoitrēdoit graces aux dieux de



[14v] L’ARCADIE
ce que ainsi par cas fortuit nous avoyentauoyent conduictzcõduictz
a si grande recreation. Entre ces devisesdeuises se enten-
doit aucunesfois le murmure des Faisans qui s’esba-
toient en leurs aires, chose qui nous faisoit souventsouuēt
interrompreinterrõpre noz propoz. qui (sans point de doute)
nous sembloyentsembloyēt beaucoup plus doux que s’ilz eus-
sent esté continuezcõtinuez sans une si plaisante interruptioninterruptiõ.
En ce contentementcontētement nous arrivasmesarriuasmes a noz maisons:
ou, apres avoirauoir chassé la fain a force de viandesuiandes ru-
stiques, nous allasmes (comme de coustume) dormir
sus la paille, attendansattēdans en singuliere devotiondeuotion le jouriour
ensuyvantensuyuant, auquel se devoitdeuoit solennelementsolennelemēt celebrer
la joyeuseioyeuse feste de la saincte Pales venerableuenerable Deesse
des pasteurs. Pour la reverencereuerēce de laquelle aussiaußi tost
que le Soleil apparut en Orient, et que les oysillons
ramages se meirent a chanter sus les branches des
arbres, annonceansannõceans la prochaine lumiere, chascun se
levaleua de son giste, et sa maison tapissa de rameaux
de Chesne ou Cormier, parant l'lentrée de feuillars
entremeslez de fleurs de GenevreGeneure et autres que la
saison produysoit. Puis on alla devotementdeuotement faire la
procession alentourproceßion alētour des Estables, perfumant de sou-
phre vifuif tout le bestail, et davantagedauãtage le purifiant par
devotesdeuotes prieres, afin que mal ou inconvenientincõuenient ne luy
peust adveniraduenir. Ce pendant l’onlon entendoit par toutes
les cabannes resonner diversdiuers instrumens champe- stres



15 DE SANNAZAR.
stres: et furentfurēt les rues et carrefours des villagesuillages jon-
chez
ion-
chez
de feuilles de Myrte, et autres herbes odoran-
tes. Aussi pour deuementdeuemēt solennizer la saincte feste,
tous animaux jouyrentiouyrent du repoz desiré: mesmes
les Charrues, Coutres, Rasteaux, Besches et autres
outilz d’agriculture parez de fleurs de toutes sor
tes, donnerent manifeste indice d’agreable oysivetéoysiueté.
Et ny eut aucun manouvriermanouurier qui pour ce jouriour presu
mast faire un seul acte de labeur: ains tous joyeuxioyeux
et deliberez se meirent a chanterchãter amoureuses chan
sons: et faire plusieurs jolizioliz esbatemens environenuiron les
Beufz embouquetez et attachez aux mengeoires
plaines de fourrage. Pareillement les petitz Gar-
sonnetz pleins de merveilleuse vivacitémerueilleuse uiuacité sen alloyentalloyēt
parmy les campagnescãpagnes avecauec les simples fillettes jouantiouãt
a diversdiuers jeuxieux pueriles en signe de commune lyesse.
Mais pour dignement presenter noz offrandes sus
les autelz fumans, et accomplir les veuxueux faictz en
noz adversitezaduersitez passées, tous ensemble nous en al-
lasmes au temple. Auquel estant montez par un pe
tit nombre de marches, apperceumes au dessus du
portail quelques forestz et montaignes de platte
paincture, enrichies d’arbes feuilluz, et de mille
diversitezdiuersitez de fleurs. Entre lesquelles estoient quel-
ques troupeaux de bestes qui s’en alloient pasturantpasturãt
et promenant le long des prez avecauec une dixaine de



[15v] L’ARCADIE
chiens de garde, la trasse desquelz se monstroit
comme naturelle sus la terre. Aucuns des pasteurs
tiroyent les bestes: autres tondoienttõdoient les laynes: aucunsaucũs
sonnoient de Cornemuses: et d’autres s’efforcoyent
(commecõme il sembloit) d’accorder leurs voixuoix au son d’icel
les. Mais ce que plus ententivemententētiuemēt me pleut a regar-
der, furentfurēt certaines Nymphes nues, lesquelles estoientestoiēt
demy cachees derriere une tige de Chastaignier, et
ryoientryoiēt d’un moutonmoutõ qui s’amusoyt a rongerrõger une bran-
che
brã-
che
de Chesne pendantpēdant devantdeuãt ses yeux, qui luy ostoit
la souvenancesouuenãce de paistre les herbes d’autour de luy.
Et ce pendantpēdant survenoyentsuruenoyent quatre Satyres cornuz a
tout leurs piedz de chieure, qui se couloyentcouloyēt a traverstrauers
une touffe de LentisquesLētisques tout doulcementdoulcemēt pour les sur
prendre
sur
prēdre
par derriere: dont les belles s’appercevansapperceuans
tournoyenttournoyēt en fuyte par le plus espois de la forest, sanssãs
craindre buyssons ou autres choses qui leur peussentpeußēt
nuyre. L’une d’entrētr’elles plus agile que les autres estoit
montéemõtée sus un Charme: et de la se defendoit avecquesdefēdoit auecques
une longuelõgue branchebrãche qu’elle tenoit en sa main. ses compa
gnes
cõpa
gnes
s’estoientestoiēt de peur gettées en une riviereriuiere par ou
elles se sauvoientsauuoiēt en nageantnageãt, dontdõt les undes estoient si
claires, qu’elles ne cachoientcachoiēt que peu ou rien de leurs
charnures blanchesblãches & delicates. Puis se veoyantueoyant es-
chappées du peril, estoientestoiēt assises a l’autre riveriue travail
lées
trauail
lées
, et presque hors d’alene, essuyantessuyãt leurs cheveuxcheueux mouillez



16 DE SANNAZAR.
mouillez. mais il sembloit qu’en gestes & paroles
elles se voulussentuoulußēt mocquer de ces Satyres qui ne les
avoientauoiēt sceu attaindre. A l’un des costez de ceste pain
cture estoit figuré Apollo, lequelleq̄l appuyé sus un bastonbastõ
d’Oliuier sauvagesauuage, le long d’une riviereriuiere gardoit les
bestes d’Admetus. Et pour estre trop ententifentētif a regar
der le combatcõbat de deux puissans Toreaux qui sentre-
heurtoient
sentre-
heurtoiēt
de leurs cornes, il ne s’avisoitauisoit du cauteleux
Mercure qui luy destournoit ses vachesuaches, estant des-
guyse en habit de pasteur portantportãt une peau de chie-
vre
chie-
ure
soubz son esselle. Mais tout joignantioignãt estoit Battus
deceleur de ce larrecin, transformé en pierre, tenanttenãt
encores le doy estendu commecõme qui enseigne quelque
chose. UnVn peu plus bas se povoitpouoit veoirueoir derechef ce
mesme Mercure assisaßis contrecõtre une roche, ayant ayãt les jouesioues
enflees de sonnersõner une chevrettecheurette, mais il guygnoit du
coing de l’oeuil une Genice blancheblãche estantestãt pres de luy
soubz la conduictecõduicte d’Argus, qu’il s’efforcoit decevoirdeceuoir
par toutes manieres de finesse. De l’autre part gisoit
au pied d’un hestre un pasteur endormy au meillieu
de ses chievreschieures, sa pannetiere soubz sa teste, en la-
quelle un chien mettoit le museau. & pour autant
que la Lune le contemploit de bon oeuil, j’i’estimay
que c’estoit Endymion. Aupres de luy estoit Paris, qui
avecauec sa faucille avoitauoit commencécõmencé d’escrire Oenoné sus
l’escorce d’un Orme, mais il ne l’avoitauoit encores sceu



[16v] L’ARCADIE
acheveracheuer, pour la survenuesuruenue des troys deesses, dont il
luy falut faire le jugementiugement. Et qui n’estoit moins
subtil a penser, que delectable a regarder, fut l’ap-
percevance
ap-
perceuance
du paintre discret, lequel ayant figuré
JunoIuno et MinerveMinerue de tant extreme beaulté qu’il eust
esté impossibleimpoßible de plus, se deffiant de povoirpouoir pain-
dre Venus si belle comme le besoing requeroit, la
paignit le doz tourné, excusant par telle industrie
l’imperfection de son art. Plusieurs autres belles
choses (dont maintenantmaintenãt ne me souvientsouuient) estoient mi-
ses sus ce portail. Mais quand nous feusmes entrez
au temple, et pervenuzperuenuz a l’autel sus lequel repo-
soit la statue de la saincte Deesse, nous trouvasmestrouuasmes
un Prestre vestuuestu d’une Aulbe blanche, et couronné
de feuilles verdesuerdes, comme il estoit requis en tel jouriour
et si solennel sacrifice: lequel en admirable silence
nous attendoit pour faire les divinesdiuines ceremonies.
Et plus tost ne nous veit rengezueit rēgez autour du sacrifice,
que de ses propres mains il tua une brebiette blan-
che, de laquelle il offrit devotement deuotemēt les entrailles sus
le feu sacré, avecauec de l’encens masle, de rameaux
d’OlivierOliuier, de Pin, et de Laurier, ensemble de l’herbe
Sabine. Puis agenouillé versuers Orient, les bras esten-
duz, en rependant un vaisseauuaisseau de laict tiede, ainsi
commenca son Oraison:


O venerableuenerable et saincte Deesse, la merveilleusemerueilleuse puissance



17 DE SANNAZAR.
puissance de laquelle s’est plusieurs foys manifestée
en noz adversitez passeesaduersitez paßees, jeie te supply preste a ce-
ste heure tes oreilles ententivesententiues aux devotesdeuotes prieres
de ce peuple circunstant, lequel en toute humilité
requiert pardonpardõ de ses offenses: ascauoir si par mes-
garde il s’estoit quelque foys assizaßiz ou avoitauoit faict
paistre ses bestes soubz aucun arbre sacré: Ou si
entrant dedans les forestz inviolablesinuiolables, son arrivée arriuée
avoitauoit troublé les passetempspassetēps des sainctes Dryades et
dieux demy boucquins: Ou si par indigenceindigēce d’herbes
il avoitauoit a coupz de coignée despouillé les boccages
sacrez de rameaux umbrageux pour subvenirsubuenir a
son bestail pressépreßé de famine. Lequel semblablement
si par brutalité avoit contaminéauoit cõtaminé les herbes d’environenuiron
les paisibles sepulcres: Ou de ses piedz fangeux
troublé les sources des claires fontaines, corrompantcorrompãt
leur purité accoustumée: Toy propice Deesse ap-
paise les deitez offensees, preservant tousjourspreseruant tousiours les
pasteurs et leurs troupeaux d’inconveniensincõueniens & ma-
ladies. Ne permetz que noz yeux indignes puissentpuissēt
aucunesfoys veoirueoir emmy les forestz les Nymphes
vindicativesuindicatiues, ou la claire Diane toute nue se baigner
dedans les eaux froides: ou le sauvagesauuage Faunus lors
que sus le plus chault du jouriour il retourne de la chas
se, las, travaillétrauaillé, & sans aucune proye, dont par de-
spit s’en va courant a traverssen ua courãt a trauers les campagnescãpagnes. Destourne C



[17v] L’ARCADIE
de nous & de noz bestes tous blasphemes et im-
precations de magicque. Garde noz tendres aigne-
letz de la poison des yeux pleins d’envieenuie. SauveSauue la
troupe vigilanteuigilãte des chiens, qui sont le refuge et seur
appuy des brebiettes craintivescraintiues, afin que leur nombrenõbre
ne puisse aucunementaucunemēt appetisser, et qu’il ne se trauvetreuue
moindre les soirs au rentrer es estables, que les ma
tins allant en pasture. Faiz que ne puissions jamais
veoir
puißions iamais
ueoir
aucuns de noz pasteurs lermoyant rapporter
au logis la peau sanglante d’une beste a grandgrãd peine
recousse de la gueulle du loup. Chasse loing de nous
la dangereuse famine, & nous procure abondance
d’herbes, feuilles, & claires eaux, tant pour nostre
usage, que pour abbreuverabbreuuer et nettoyer noz bestes:
lesquelles semblablement nous soient en toutes sai-
sons fertiles de laict & d’engeance, mesme si bien
revestuesreuestues de layne, que nous en puissionspuißiõs tirer agrea-
ble profit.


Ceste oraison dicte par quatre foys, & autant
par nous taisiblement murmurée, chascun pour
se purger se lavalaua les mains d’eau de fontaine viveuiue.
Puis ayant faict allumer force feux de paille,
nous saultasmes par dessusdeßus les uns apres les au-
tres, afin que la fumée emportast quant et soy noz
offenses du temps passépaßé. Cela faict nous retour-
nasmes devantdeuant l’image de la saincte Deesse presen- ter



18 DE SANNAZAR.
ter noz oblations & offrandes. Puis le sacrifice
achevéacheué saillismes du temple par une autre porte
qui nous mena en une campagne couvertecouuerte de prez
merveilleusemmentmerueilleusement delectables, lesquelz (a mon ju-
gement
iu-
gement
) n’avoyentauoyent encores esté brouttez de mou-
tons ou de chievreschieures, ny foulez d’autres piedz
que de Nymphes. Et pense que les mouches a miel
n’en avoientauoient encores gousté de la saveursaueur des fleurs:
tant elles se monstroient saines & entieres. En ces
prez nous apperceusmes une troupe de bergieres
qui s’en alloient promenant le petit pas, en faisant
des chapelletz qu’elles affuloyent en mille modes
sus leurs chevelurescheuelures blondes, chascune s’effor-
ceant de surmonter par artifice ses dons de nature.
Entre lesquelles Galicio choysissant (de fortune) sa
mieux aymée, sans se faire prier aucunement, a-
pres auoir getté quelques souspirs du fons de sa
poyctrine, sonnant Eugenio de sa musette, ainsi com
mencea doucement a chanter, chascun faisant si-
lence.


GALICIO

SEULSEVL.


Au rivageriuage d’un ruysseau
D’argentine & courante eau,

C ij



[18v] L’ARCADIE


En un boys de fleurs orné
UnVn pasteur bien atourné
De mainte feuillue branche,
Par expres d’OliveOliue blanche,
Chantoit au pied d’un grand Orme
Au poinct que l’aube se forme
Le tiers jouriour du moys qui naist
Avant AvrilAuant Auril, qui tant plaist.
UneVne infinité d’oyseaux
Sus arbres & sus roseaux
Respondoyent a sa chanson
En tresarmonieux son.
Lors tourné versuers Orient
Deit au Soleil en ryant:
JeIe te prie ouvreouure ta porte
Plus matin, & nous apporte
Vermeille aube,& temps serain,
Pasteur, de tous souverainsouuerain.
Et te metz en ton devoirdeuoir
De faire avantauant saison veoirueoir
UnVn beau May delicieux,
Fleury, doux, & gracieux.
Monte plus hault d’un degré:
Ta seur t’en scaura bon gré,
Car elle prendra repoz
Plus grand, & plus a propoz.


Et faiz



19 DE SANNAZAR.


Et faiz que suyventsuyuent ses pas
Les estoilles par compas:
Car aussiaußi bien que nous sommes,
Bergier fuz entre les hommes.
Vallées, roches, Cypres,
Et tous arbres d’icy pres
Escoutez ce que j’i’exprime
En ceste humble & basse ryme.
Aux troupeaux doux et traictables
Plus ne soyent loupz redoutables.
Le monde plein de meschance
Tourne a sa premiere chance.
Les coupeaux des montz diversdiuers,
Soyent de roses tous couverscouuers:
Et par les espines pendent
Raisins qui lyesse rendent.
Des chesnes saille & degoutte
Le doux miel goutte a goutte.
Fontaines invioleesinuiolees
Courent de laict aux valleesuallees.
Naissent fleurs de grand beaulté.
Bestes qui ont cruaulté,
Totalement la vomissentuomissent,
Et d’yre plus ne fremissent.
Les petitz amours grand erre
Viennent des cieux en la terre

C iij



[19v] L’ARCADIE


Tous nudz, sans feu, ny sans traict,
Mais tous pleins de doux attraict,
Et s’entrejouententreiouent ensemble
Comme enfans quand bon leur semble.
Toute Nymphe s’estudie
De chanter en melodie.
Faunes & SylvansSyluans en renges
Vestuz de feuillars estranges,
Saillent, dansent, courent, cryent,
Fontaines & prez en ryent.
Et sus ces montz ne soyent veuesueues,
Meshuy bruynes ou nues:
Car en pareille journéeiournée
L’humaine beaulté fut née,
Et la vertuuertu pure & munde
Regaigna place en ce monde:
Pour le moins y a esté
Recongneue chasteté,
Qui long temps en fut bannye
Par une estrange manye.
Dont tous les coupz que je voysie uoys
Me promener dans les boys,
J’engraveI’engraue de ma main dextre
Amarantha sus un Hestre,
Si qu’il n’y a celuy d’eux,
Qui ne monstre un coup ou deux





20 DE SANNAZAR.


Le beau nom de ma maistresse,
Qui peult finer ma destresse,
Et garder que jeie ne pleure,
Comme jeie faiz a toute heure.
Mais ce pendant qu’en ces montz
Troupeaux d’appetit semons
Yront errant ca & la,
Et que ces Pins que voyuoy la,
Auront les feuilles poinctues,
Ou que par voyesuoyes tortues
Courront fontaines en Mer,
Muant leurs doux en amer,
Combien qu’elle les recoyverecoyue
Doulcement, puis les decoyvedecoyue:
Pendant aussiaußi qu’amoureux
Seront gays ou langoureux,
Et auront en apparence
Desespoir ou esperance:
De ma Nymphe le beau nom
Sera tousjourstousiours en renom.
Si seront ses mains, ses yeux,
Et cheveuxcheueux d’or precieux,
Qui me font guerre bien dure,
Et qui trop longuement dure.
Mais la vieuie m’est pourtant
Chere, en mon mal supportant.

C iiij



[20v] L’ARCADIE


Chanson de plaisance née
Prie aux dieux toute l’année
Que c’estcest heureux jouriour icy
Puisse estre a jamaisiamais ainsi.


La chanson de Galicio contenta merveilleusementmerueilleusemēt
tous ceux de la compagnie, mais ce fut en diversesdiuerses
manieres: car les uns priserent sa voixuoix resonante, les
autres sa bonnebõne grace, disant qu’elle estoit assez at-
tractive
at-
tractiue
pour induire a aimer toute pucelle, pour
rebelle qu’elle fust a l’amour. Plusieurs estimerent
sa ryme jolyeiolye, & encores inusitée entre pastou-
reaux rustiques. Et aucuns s’esbahyrent plus que
d’autre chose, de son prudent advisaduis & discretion,
quand se trouvanttrouuant forcé de nommer le moys qui est
perilleux aux pasteurs & aux bestes, il l’appella
precedent d’AvrilAuril: comme s’il eust volu eviteruolu euiter le
mauvaismauuismauuais Augure en une si gaye journéeiournée. Mais moy
qui ne desiroye moins congnoistre ceste AmaranthaAmarãtha,
que j’avoyei’auoye esté curieux d’escouter la chansonchãson amou
reuse, tenoye songneusement les yeux fichez sus
les visagesuisages de ces jeunesieunes bergieres, & les oreilles
ententivesententiues aux paroles du pasteur amoureux, esti-
mant que jeie le pourroye bien a l’ayse congnoistre
par les gestes & contenances de celle qui se senti-
roit nommernõmer de son amy. Et a la veriteuerite jeie
ne fuz de- ceu de



21 DE SANNAZAR
ceu de mon esperance: car en les contemplantcontēplant toutes
l’une apres l’autre, j’en advisayi’en aduisay une merveilleusementmerueilleusemēt
belle & de bonnebõne grace, qui portoit sus ses blondzblõdz
cheveuxcheueux un beau coeuvrechiefcoeuurechief d’un crespe delyé,
soubz lequel deux yeux estincellans resplendissoyentresplēdissoyēt
aussiaußi fort que claires estoilles par nuyt quandquãd le ciel
est pur & serain. Le visaigeuisaige de ceste bergiere estoit
de forme perfaicte, un petit plus longuet que rond,
entremeslé d’une blancheur non fade ou malseante,
mais moderée, & declinante sus le brun, accompa-
gnée
accõpa-
gnée
d’une gracieuse rougeur, qui remplissoitrēplißoit d’ex-
treme couvoytisecouuoytise les affections des regardans. Ses
leures estoyent plus fraiches & vermeillesuermeilles que
roses espanyes de la matinee: et chascunefois qu’elle
parloit, ou soubzryoit, se descouvroitdescouuroit une portion
de ses dentz tant blanches & polyes, qu’elles sem
bloyent Perles orientales. De la descendantdescendãt a la gor-
ge delicate, & plus finementfinemēt blanche qu’alebastre,
j’i’apperceu en son sein deux tetins rons commecõme deux
pommettes, qui repoulsoyent sa robe en dehors: &
entre deux se manifestoit une sente assez largette,
merveilleusementmerueilleusement delectable, pour autant qu’elle
terminoit aux parties plus secrettes. qui fut cause
de me faire penser beaucoup de choses. Ceste pa-
stourelle de riche taille, & de venerableuenerable maintien,
se promenoit du long de la prarie, & cueilloit de



[21v] L’ARCADIE
sa main blanche les fleurs qui plus satisfaisoyent
a ses yeux: & desjadesia en avoitauoit plein son giron. Mais
aussiaußi tost que par le jeuneieune pasteur elle entendit
nommer Amarantha, son devantierdeuantier luy eschappa
des mains, & son esprit s’esmeut de sorte qu’el-
le perdeit presque toute contenance: dont sans le
sentir, toutes ses fleurs luy tumberent, & en fut
la terre semée d’une vingtaineuingtaine de couleurs diffe-
rentes. Puis quand elle reveintreueint a soy, se blasmant
en son courage, devint aussideuint außi rouge comme est quel-
que fois la face de la Lune enchantée, ou comme
l’aube du jouriour se monstre avantauant que le Soleil se
leveleue. Et pour couvrircouurir ceste rougeur procedant de
honte virginaleuirginale, non pour autre besoing qui a ce la
contraignistcõtraignist, elle baissa la veueueue en terre, & se print
a recueillir sesdictes fleurs l’une apres l’autre,
voulantuoulant (a mon jugementiugement) donner a entendre qu’el-
le ne pensoit fors a tryer les blanches d’avecauec les
rouges, & les jaunes d’avec les violettesiaunes d’auec les uiolettes. Au
moyen de quoy, jeie qui songneusement y prenoye
garde, pensay congnoistre que c’estoit la bergiere
de qui soubz nom faint & couvert nous avions couuert nous auions
entendu chanter. Or incontinent qu’elle eut faict
un chapelet de ses fleurs recueillies, elle se mesla
parmy ses compaignes: lesquelles ayant aussiaußi de-
spouillé la prarie de sa dignite, & icelle appliquée a leurs



22 DE SANNAZAR
a leurs usages, s’en alloyent marchant en gravitégrauité
comme Naiades ou Napees, d’autant que par la di-
versité
di-
uersité
de leurs coeffeures, elles avoyentauoyēt oultre me-
sure augmentéaugmēté leurs grandesgrãdes beautez naturelles. Les
unes portoyent des couronnes de troesnes, entrelas-
sees de fleurs jaunesiaunes & rouges: les autres des liz
blancz & bleuz attachez a quelques branchettesbrãchettes
d’Orengier. L’une blanchissoitblãchissoit entieremententieremēt de Gense-
mis, & l’autre sembloit estellée de roses: tellement
que chascune par soy et toutes en general represen
toient
represen
toiēt
mieux espritz angelicquesãgelicques, que creatures mor
telles: ce qui faisoit dire a plusieurs: O que bienheu-
reux seroit le possesseur de telles beaultez. Puis
voyantuoyant les belles le Soleil jaia fort haulsé, & qu’il se
preparoit une bien grande chaleur, elles en se jouantiouãt
gracieusementgracieusemēt ensemble dresserent leurs pas deversdeuers
une umbrageuse valléeuallée, ou elles trouverenttrouuerent des fon
taines claires comme Crystal: & la se prindrent a
rafraichir leurs beaux visagesuisages non fardez ny re-
luysans par industrie, rebrassant pour ce faire,
leurs manches estroictes par dessus leurs coudes,
& par ce moyen nous donnant liberté de veoirueoir
leurs bras tous nudz, l’enbonpoinct desquelz e-
stoit grand accroyssement de beaulté a leurs mains
tendres & delicates. A raison de quoy nous deve-
nuz
deue-
nuz
plus desireux de les veoirueoir de pres, incontinent



[22v] L’ARCADIE
en feismes les approches, & nous allasmes seoir
soubz un arbre dont l’umbrage estoit assez am-
ple & spacieux. Puis combiencõbien qu’il se trouvasttrouuast en la
troupe plusieurs pasteurs singulierement bons ou-
vriers
ou-
uriers
de sonner harpes & musettes, si pleut il
a la plus grand partie ouyr chanter Logisto &
Elpino, a l’envyenuy l’un de l’autre. C’estoient deux jeu-
nes
ieu-
nes
hommes natifz d’Arcadie, autant promptz &
appareillez chascun en son endroict a commencercommēcer, com
me

me
a respondre: Logisto bergier, & Elpino che
vrier
che-
urier
. Mais Logisto ne voulantuoulant chanter sans gaigner
ou perdre quelque chose, soudainementsoudainemēt consigna une
breby, & deux aigneaux, disant a sa partie: Tu
pourras de cecy faire sacrifice aux Nymphes si la
victoireuictoire t’est adjugéeadiugée: mais si les dieux de leur gra
ce me l’ottroyent, tu me bailleras pour la palme con-
quise
cõ-
quise
ton cerf domestique. Quant est de mon cerf
domestique (respondit Elpino) depuis le jouriour que
jeie l’ostay a sa mere qui encores l’allaictoit, jeie l’ay
tousjourstousiours reservéreserué pour ma Tyrrhena, & pour l’a-
mour d’elle curieusement nourry en continuellescõtinuelles de-
lices, le pignant souventefoissouuētesfois sus les bordz des clai
res fontaines, & attachantattachãt a ses cornes force beaux
boucquetz de roses & de fleurs. Qui plus est, jeie
l’ay si bien mignoté, qu’il s’est accoustume de men-
ger a nostre table. Et quandquãd il est peu a son ayse, il s’en



23 DE SANNAZAR.
vaua tout le reste du jouriour errant par les forestz, puis
revientreuient a la maison quandquãd bon luy semble: mais c’est
aucunesfois bien tard: & me trouvanttrouuãt a la porte, ou
jeie l’attens de grande affection, il ne se peult souler
de me faire mille caresses, ains sautelle entour moy,
& faict infiniz autres esbatemens. Mais la chose
qui me plaist de luy sus toutes, c’est qu’il congnoist
& ayme sa maistresse, car il endure patiemment
qu’elle luy mette le chevestrecheuestre au col, & l’appla-
nye a son plaisir. DavantageDauantage de sa franche volunteuolunte
luy tend le col pour estre attelé soubz le jougioug, &
par fois presente son doz afin qu’elle luy mette le
bast, puis montemõte dessus a son ayse. Lors il la porte par
les champzchãpz sans luy faire ny peur ny mal. Or ce col-
lier de coquilles marines, ou pend celle dent de San
glier qui a forme de croyssantcroyßant, que tu luy veoysueoys
battre sus la poyctrine, sadicte maistresse luy atta-
cha, et faict porter pour l’amour de moy: parquoy jeie
ne mettray pas ce gaige: mais jeie t’en fourniray d’un
que tu jugeras noniugeras nõ seulement suffisant, ains plus re-
cevable
re-
ceuable
que le tientiē. ce sera un grandgrãd bouc de poil bi-
garré, barbu a merveillesmerueilles, armé de quatre cor-
nes: & coustumier de vaincreuaincre les autres a heurter:
voyreuoyre qui par faulte de pasteur conduyroitcõduyroit bien aux
champz un troupeau, quelque grandgrãd qu’il fust. Et si
ce n’est assez, jeie mettray d’avantageauantage un vaisseauuaisseau



[23v] L’ARCADIE
d’Erable tout neuf, a belles anses du boys mesme:
lequel (certes) a esté faict de la mains d’un excel-
lent ouvrierouurier: car en son millieu est taillé le rouge
Priapus embrassant une Nymphe bien serré, &
la veultueult baiser maugré qu’elle en ayt, dont elle
enflambée de cholere, tourne le visaigeuisaige en derrie-
re, & faict tous ses effortz de s’en desvelopperdesuelopper,
luy esgratignant le nez de sa main gauche, &
de la droicte arrachant sa rude barbe. A l’en-
tour d’eux sont troys enfans nudz, pleins d’ad-
mirable vivacitéuiuacité: l’un desquelz employe toute sa
force pour oster a Priapus la faucille de la main,
ouvrant puerilementouurant puerilemēt ses gros doiz l’un apres l’au-
tre. Son compaignon grinsant les dentz, le mord
tant qu’il peult en la jambe velueiambe uelue, & faict signe
au troysiesme qu’il leur vienneuienne ayder. mais pour
autantautãt qu’il s’amuze a faire une petite cage de joncionc
& de paille pour enfermer (peult estre) des gril-
lons, il ne faict compte d’aller au secours, & ne se
bouge aucunement de sa besongne. De tout cela ce
dieu lascif faisant bien peu d’estime, restrainct de
plus en plus la belle Nymphe contre soy, totale-
ment deliberé d’executer son entreprinse. Encores
est ce mien vaisseauuaisseau par le dehors environnéenuironné d’un
chapeau de pimpinelle verdeuerde, entrelassé entrelaßé d’un rou-
leau contenant ces paroles:

De



24 DE SANNAZAR.


De racine telle naist
Qui de mon mal se repaist.


Et te jureiure par la divinitédiuinité des fontaines sacrées
qu’onques mes levresleures ne le toucherenttoucherēt, ains l’ay tous-
jours
tous-
iours
nettement conservéconserué en ma pannetiere de-
puis le jouriour que pour une chievrechieure & deux chasie-
res de laict caillé, jeie l’achaptay d’un marinier estran-
ge
estrā
ge
qui arrivaarriua d’avantureauanture en noz forestz.
Adonc
SelvagioSeluagio delegué jugeiuge en ceste partye, ne voulutuoulut
permettre que gaiges fussent mys, disant qu’as-
sez seroit si le vainqueuruainqueur en avoitauoit la louenge, &
le vaincuuaincu la vergogneuergongne. puis feit signe a Ophelia
qu’il sonnast sa cornemuse, commandant a Logisto
commencer, & a Elpino replicquer. A l’occasion
de quoy a peine fut le son entendu, que Logisto le
suyveitsuyueit en telles paroles:


LOGISTO.


Qui veultueult ouyr mes souspirs (ô Bergieres)
Escriptz en versuers de toute angoysse pleins,
Et quant de pas ou de courses legieres
En vainuain jeie faiz nuyt & jouriour en ces plains,
Lise en ces rocz, & arbres que voyuoy la:
Tout en est plein desormais, ca, & la.


Elpino.


Pasteurs amys, en ce valual cy n’habite



[24v] L’ARCADIE
Beste qui n’ayt ouy mon desconfort,
Et n’est cavernecauerne en luy grande ou petite
Qui n’en resonne & murmure bien fort:
Car il ne croist herbe icy a l’entour
Sus quoy cent fois jeie ne passe en un jouriour.


Logisto.


Recors ne suis de l’heure bonnement
Qu’Amour me print en ce valual de servageseruage:
Car jeie n’allay jamaisiamais aucunement
Franc & libere au long de ce rivageriuage,
Ains ay vescuuescu en telle passionpaßion,
Que les rochiers en ont affliction.


Elpino.


JeIe voysuoys querant par rivieresriuieres & mers,
Montaignes, boys, & campagnes aussiaußi
Quelque allegeance a mes souspirs amers:
Mais jeie perdz temps, car en ce valual icy,
Non point ailleurs, cesseront mes escriz
Qui maint pays passent en pleurs & criz.


Logisto.


O animaux qui par le monde errez,
Declairez moy (jeie vousuous prie pour dieu)
Ouystes vousuous oncques motz plus serrez
De forte angoysse en aucun autre lieu?
Veistes vousuous onc pasteur si longuement
Se lamenter de son cruel tourment?





25 DE SANNAZAR.

Elpino.


Bien mille nuytz en pleurant ay passépaßé,
Dont j’Dõt i’ay ces champschãps reduictz, presque en marestz,
En fin m’asseizaßeiz en ce valual tout lassé.
Lors une voixuoix me veintueint de ces forestz
Disant, Elpin, le bon jouriour vientuient au prime,
Qui te fera chanter plus douce ryme.


Logisto.


O homme heureux, qui d’autre stile doys
Reconsoler tes ameres douleurs:
Et moy chetif, de jouriour en jouriour m’en voysuoys
Tous elemens faschant de mes malheurs,
Si que jeie croy qu’herbes, fontaines, roches,
Et tous oyseaux en plaignent es vauxuaux proches.


Elpino.


S’ainsi estoit (Logisto) quel pays
Ouyt jamaisiamais tant & de si doux sons?
Danser feroys boys & rocz esbahiz,
Comme Orpheus faisoit de ses chansons,
Et par les champs orroit on Tourterelles
Se resjouyrresiouyr, & Ramiers entour elles.


Logisto.


JeIe te requiers (Elpin) que chascun jouriour
Passant par cy, ma tombe tu decores
Des fleurs qu’auras cueillyes en sejourseiour,
Et que des versuers tu me donnes encores,

D



[25v] L’ARCADIE


Disant, Esprit qui as vescuuescu de deuil,
Repose toy dessoubz ce dur cercueil.


Elpino.


Les fleuvesfleuues ont et les roches ouy
Qu’un heureux jouriour de veniruenir s’appareille,
Pour ton las cueur faire tout esjouyesiouy,
Abolissant ta douleur non pareille,
Au moins si l’herbe en mon valual desseurée
Ne m’a deceu quand jeie l’ay conjuréeconiurée.


Logisto.


En sec pays le poysson hantera,
Roches seront tendres, & la mer dure
Mieux que Tityre Ergasto chantera,
Et nuyt au iour fera honte & laidure
AvantAuant que rocz & Sapins de ce valual
Oyent ma voixuoix chanter que de mon mal.


Elpino.


Si jamaisiamais homme a vescuuescu de destresse,
Ce suis jeie (las) O champs vous l’avezuous l’auez veuueu.
Mais esperant sortir par bonne adresse
De ce valual cloz, & de roches pourveupourueu,
Pensant au bien qu’aura lors ma personne,
De mon flageol a plaisance jeie sonne.


Logisto.


Quand par les champs le jouriour plus ne luyra,
Et les rochiers du fons de la valléeuallée

Doutance



26 DE SANNAZAR.


Doutance auront que le ventuent leur nuyra,
Lors ne sera ma muse desolée.


JaIa par le declinementdeclinemēt du Soleil toute la partie oc-
cidentale
oc-
cidētale
se bigarroit de mille diversitezdiuersitez de nuées,
les unes violettesuiolettes, les autres indes, aucunes vermeiluermeil
les, autres entre jauneiaune et noir, et de telles si luysan-
tes par la reverberationreuerberatiõ des rayonsrayõs, qu’elles sembloyentsēbloyēt
fin or bruny. Quoy voyantuoyant les gentilles bergieres,
d’un commun consentementcõsentemēt se leverentleuerēt d’environenuirõ la fontai-fõtai-
ne, et les deux amoureux meirent fin a leurs chan-
sons: lesquelles ainsi commecõme en re lõg silence avoyentauoyēt esté
de tous escoutées, ainsi furent elles en grandegrãde admi-
ration, estimées de chascun egalement, & mesmes
de SelvagioSeluagio: lequel ne sachant discerner qui avoitauoit
esté plus prochain de la victoireuictoire, les jugeaiugea tous
deux dignes de souverainesouueraine louenge. Au jugementiugemēt du
quel, tous sans cõtredict acquiessasmesacquießasmes, ne les pou-
vant
pou-
uant
estimer plus que nous avionsauions faict. Puis estant
chascunchascū d’advisaduis, qu’il estoit desormais tempstēps de retour
ner a noz villagesuillages, tout le petit pas nous meismes
en chemin devisansdeuisans du passetemps de ceste journéeiournée.
Et combiencõbien que par l’aspreté du pays sauvagesauuage, tou-
te la voyeuoye fust plus montueuse que pleine, si nous
donna ce soir autant de recreations qu’il s’en peult
prendre en semblables endroictz par une joyeuseioyeuse D j



[26v] L’ARCADIE
& gaillarde compagniecõpagnie. PremierementPremieremēt chascunchascū choy-
seit un pallet a sa fantasie: puis nous tirasmes a un
certain but: dontdõt le plus pres approchantapprochãt, estoit quel-
que espace de chemin porté sus les espaules du plus
loingtain: et toute la troupe luy alloit applaudissantapplaudißãt,
& faisant merveilleusemerueilleuse feste, commecõme en tel cas estoit
requis. Puis laissans ce jeu, preimes les arcz & les
fondes, atout quoy nous allions de pas en pas tyranttyrãt
fleches, & deschargeant pierres pour nostre plai-
sir: combien qu’avecauec tout art & industrie chascun
s’efforceast de passer le coup de son compagnoncõpagnõ. Mais
quandquãd nous fusmes descenduzdescēduz en la plaine, ayans lais-
sé derriere nous les montaignesmõtaignes pierreuses, d’un com-cõ-
mun accord & pareille voluntéuolunté recommenceasmes a
prendre nouveauxnouueaux esbatemens, tantost a saulter,
tantost a darder noz houlettes, & puis a courir
a qui mieux mieux, par les campagnes estendues: ou
celuy qui par agilité arrivoitarriuoit le premier a la mer-
que designée, estoit par honneur couronné de ra-
meaux de palle OlivierOliuier, au son de la cornemuse.
DavantageDauãtage (commecõme il advientaduient souventsouuent emmy les boys)
sourdanssourdãs regnars de quelque endroit, & chevreulzcheureulz
saillans de l’autre, nous prenionspreniõs plaisir de les pour-
suyvre avec
pour-
suyure auec
noz chienschiēs, les uns par cy, les autres par
la, tant que nous arrivasmesarriuasmes a noz maisonsmaisõs: ou feus-
mes bien receuz des compagnons qui nous atten- doyent



27 DE SANNAZAR.
doyent a soupper. Lequel depesché, & bonnebõne partie
de la nuyt passéepaßée en plusieurs autres recreationsrecreatiõs do
mestiques, quasi lassez de plaisir, ottroyasmes le re
poz a noz corps bien exercitez. Mais incontinent
que la belle Aurore dechassa les estoilles du ciel,
& que le Coq matineux salua de son chantchãt le jouriour
qui poignoit, denonceant l’heure que les beufz ac-
couplez doyventdoyuent retourner au labeur ordinaire,
l’un des pasteurs levéleué plus matin que les autres, res
veilla
res
ueilla
toute la brigade au son du cornet enroué. Lors
chascun laissant le lict paresseux, s’appareilla quantquãt
& l’aube a recevoirreceuoir nouveauxnouueaux passetemps. Par-
quoy tirées noz bestes hors des estables, apres elles
nous meismes en voyeuoye. Et comme elles alloyent par
les coyes forestz, resveillantresueillant du son de leurs cam-
panes les oyseaux encores endormyz, nous allions
imaginant en quel lieu l’onlon se pourroit retirer au
gré de chascun pour y estre tout le long du jouriour en
faisant paistre le bestail. Et comme nous estions en
ce doute, chascun proposant un lieu a sa fantasie,
Opico le plus ancien de la compagniecõpagnie, merveilleuse-
ment
merueilleuse-
ment
estimé entre les pasteurs, se print a dire: Si vousuous
voulezuoulez, amys, qu’a ce matin jeie soye vostreuostre condu-
cteur, jeie vousuous meneray en un lieu assez pres d’icy,
ou jeie suis certain que ne prendrez peu de plaisir:
de ma part jeie ne me puis garder d’en avoirauoir souvesouue- D iij



[27v] L’ARCADIE
nancenãce a toutes heures, pour autantautãt que jeie y passay heu
reusement presque toute ma jeunesseieunesse entre chansonschãsons
& armonies, tellement que les rochiers me con-
gnoissent, & sont bien appris de respondrerespõdre aux ac-
centz de ma voixuoix. La (commecõme jeie pense) nous trouve-
rons
trouue-
rons
encores plusieurs arbres, contrecõtre lesquelz au tempstēps
que j’avoyei’auoye le sang plus chault que maintenantmaintenãt, j’e-
scrivy
i’e-
scriuy
atout ma faucille le nom de celle que j’aimoyei’aimoye
plus que tous mes troupeaux: croy que les lettres
seront creues auec les arbres. Parquoy jeie prie aux
dieux qu’il leur plaise les conservercõseruer a l’exaltation et
louengelouēge eternelle de celle pour qui elles furentfurēt faictes.
Tous en general trouvasmestrouuasmes si bon le conseilcõseil d’Opi-
co, que a une voixuoix luy respondeismesrespõdeismes que nous estionsestiõs
appareillez de le suyvresuyure ou bon luy sembleroit. Et
n’eusmes pas faict gueres plus de deux mille pas de
voyeuoye, que nous arrivasmesarriuasmes a la source d’un fleuvefleuue
nomme Erymanthus, lequel par une crevassecreuasse de ro
che viveuiue se gette en la plaine, faisant un bruyt mer-
veilleux
mer-
ueilleux
& espouventableespouentable par ses bouillons si vio-uio-
lentz, qu’ilz engendrentengēdrent force escume blanche: et cou
rant par icelle plaine, il fasche & presque assour-
dit de son murmure les forestz circunvoysinescircūuoysines, ce qui
de primeface feroit peur inestimable a qui yroit sanssãs
compagniecõpagnie se promener la au long: & non certes sans
bonnebõne cause: car suyvantsuyuant la communecõmune opinion des pro- chains



28 DE SANNAZAR
chains habitanshabitãs, l’onlon tienttiēt quasi pour certain, que c’est
le repaire des Nymphes du pays, lequelleslesquelles font ce
bruyt ainsi estrange pour mettre frayeur es coura-
ges de ceux qui en voudroientuoudroiēt approcher. Or a raison
que pres d’une telle tempestetēpeste nous n’eussionseußiõs sceu prendreprēdre
le plaisir de chanterchãter ny deviserdeuiser, peu a peu commenceas-comēceas-
mes a monter la montaigne assez facile, laquelle e-
stoit chargée (peult estre) de mille que Pins, que Cy-
prez, si gransgrãs & spacieux, que chascunchascũ par soy eust qua-
si esté suffisant d’umbragerūbrager toute une forest. Et quandquãd
nous feusmes anun coupeau, voyansuoyãs que le Soleil estoit
un peu monté, nous nous asseismesaßeismes pesle mesle sus
l’herbe. mais noz brebiz & noz cheures qui ay-
moient mieux paistre que reposer, grimperent aux
lieux difficiles et commecõme inaccessiblesinacceßibles d’icelle montai-
gne
mōtai-
gne
, & se preindrentpreindrēt a broutter, l’une un buyssonbuyßō, l’au
tre un sourgeonsourgeō d’arbrisseau ne faisantfaisãt gueres que sortir
de terre. quelq’une se hausoit pour prendre un bran-
che de saule, et quelque autre s’en alloit rongeantrōgeãt les
bourgeonsbourgeōs des chesneteaux, et des erables: mesmes
plusieurs beuvansbeuuans dansdãs les fontainesfōtaines, se resiouyssoyent
d’y veoirueoir leurs figures: et pense que qui les eust veuesueues
de loing, eust peu dire qu’elles estoyentestoyēt pendantespendãtes, &
prestes a tumber. Mais entretant que nous contem-
plions ententivementententiuement ces choses qui faisoyent ou-
blier a dire les chansons, & tous autres passetempspassetēps: D iiij



[28v] L’ARCADIE
soudainement nous sembla ouyr de loing un son com
me

me
d’un haultboys, & de Naccaires, entremeslé
de plusieurs exclamations de pasteurs merveilleu-
sement
merueilleu-
sement
penetrantespenetrãtes: parquoy sans autre demeure ti-
rasmes versuers celle partie de la montaigne ou ce tu-
multe s’ entendoitentēdoit: & tant cheminasmes atraversatrauers la
forest, que finablementfinablemēt trouvasmestrouuasmes environenuiron dix va-
chiers
ua-
chiers
qui dansoyent en rondrōd a l’entour du venera-
ble
uenera-
ble
sepulchre du defunct Androgeo, imitans les Sa-
tyres, qui souventesfoissouuētesfois par les forestz environenuirō la my-
nuyt attendent les Nymphes ayméees au sortir des
fleuvesfleuues prochains. Quoy voyantuoyāt, nous meslasmes par-
my eux pour celebrer le mortuaire office. Entre ces
vachiersuachiers celuy qui estoit de la plus grandegrãde apparenceapparēce,
se meit au meilleu du bal pres la haute pyramide
contrecõtre un autel nouvellementnouuellement faict d’herbes odorife-
rentes, et la (selonselō la coustume antique) se print a re-
pendre deux vaisseauxuaisseaux de laict fraiz, deux de sangsãg
sacré, deux autres de bon vin vieluin uiel rendant une fu-
mée merveilleusementmerueilleusemēt agreable, & grandegrãde abondanabõdan
ce de fleurettes diversesdiuerses en couleurs, accordant en
douce & piteuse armonye au son du haultboys &
des Naccaires, chantantchãtãt diffusementdiffusemēt les louengeslouēges du pa-
steur la ensevelyenseuely, disant, ResjouyResiouy toy Androgeo, res-
jouy
res-
iouy
toy noble pasteur: si apres la fin de ceste vieuie
l’ouyr est concedécōcedé aux ames sanssãs corps, escoute a cest’ heure



29 DE SANNAZAR.
heure noz paroles: et prensprēs en bonnebōne part ces louengeslouēges
de tes bouviersbouuiers, nonobstantnonobstãt qu’elles ne soyentsoyēt compara-
bles
cōpara-
bles
a celles que tu peulx avoirauoir au lieu ou maintenantmaintenãt tu
resides en eternelle felicité. Certes jeie croy que ton ame
gracieuse va voletantua uoletãt a ceste heure alentouralētour de ces fo
restz: & qu’elle veoitueoit et entendentēde de poinct en poinct
ce que par nous aujourd’huiauiourd’huy se faict en memoire
d’elle sus ceste neuveneuue sepulture. Or s’il est ainsi, com
ment se peult il faire qu’elle ne responde a tant ap-
peller? Dea, tu soulois avecauec le doux son de ta mu-
sette resjouyrresiouyr toute ceste forest, la remplissant d’ar-
monie inestimable. Es tu doncques maintenant con-
trainct de gesir en eternel silence, par estre cloz en
un petit lieu, entre des pierres froydes & dures?
Helas, par tes doulces paroles tu soulois si bien ac-
corder les controversescontrouerses des pasteurs. O comment tu
les as a ta departie laissez douteux, & mal con-
tens oultre mesure? O noble pere & patron de tou
te ceste troupe pastorale, ou trouveronstrouuerons nous ton pa
reil? de qui suyvronssuyurons nous les commandemenscōmãdemens? Soubz
quelle discipline vivronsuiurons nous desormais en asseu-
rance? Certainement jeie ne puis penser qui sera d’icy
en avantauant nostre fidele directeur es choses douteu-
ses qui peuvent advenirpeuuent aduenir. O pasteur sage & discret,
quand te reverrontreuerront noz forestz? Quand seront en
ces montaignes aymées la justiceiustice, la droicture, &



[29v] L’ARCADIE
la reverencereuerence des dieux? Lesquelles florissoyent si no
blement soubz tes aelles, que jamaisiamais (par aventureauēture)
le venerableuenerable Terminus ne borna plus egalement les
champs en debat, que tu as faict en ton vivantuiuant.
Helas qui chantera desormais les Nymphes en noz
boys? Qui nous donneradōnera en noz adversitezaduersitez salutai-
re conseil, & consolation en noz tristesses, comme
tu soulois en chantant tes rymes jolyesiolyes sus les ri-
vages
ri-
uages
des fleuvesfleuues courans? Helas a peine peuventpeuuent
noz troupeaux pasturer emmy les prez sans enten
dre le son de ta musette: & durant ta vieuie ilz sou-
loyent si doulcement ruminer les herbes soubz les
umbrages des chesneteaux. Helas a ton departementdepartemēt
noz dieux s’en allerent quant et toy, & delaisse-
rent ceste contrée: car du depuis, autant de foys que
nous avonsauõs en noz terres semé le pur fromentfromēt, a cha
scun coup nous avonsauōs en son lieu receuilly la malheu
reuse yvrayeyuraye, ou des steriles avoynesauoynes entre les sillonssillōs
desolez. Mesmes en lieu qu’elles souloyent produyre
violettesuiolettes, & autres fleurs odoriferentes: maintenantmaintenãt
elles nous apportent des ronces, chardons, & espi-
nes poignantes. Pourtant pasteurs gettez feuilles et
fleurs en terre: puis de rameaux umbrageux fai-
ctes courtines aux fraiches fontainesfōtaines: car nostre An-
drogeo requiert qu’ainsi se face en memoire de luy.
O bienheureuxbiē heureux Androgeo, adieu eternelementeternellemēt: adieu. Voicy le



30 DE SANNAZAR.
Voyci le pasteur Apollo tout gaillard, qui vientuient a ton
sepulcre le decorer de ses couronnes de Laurier: &
les Faunes semblablement auecsemblablemēt auec leurs cornes embou-
quetées, chargez de rustiques presens, qui t’appor-
tent chascun ce qu’il peult, ascavoirascauoir des champs les
espiz, des vignesuignes les raysins en moyssinesmoyßines, et de tous
arbres les fruictz meurs & parez. A l’envieenuie des-
quelz les Nymphes circunvoysinescircunuoysines, que tu as par
cy devantdeuãt tant aymées, serviesseruies et honorées, viennentuiennent
maintenant avecauec beaux paniers d’osiere blanche,
pleins de fleurs & pommes pōmes odoriferentesodoriferētes, te recompenrecõpen
ser des servicesseruices que tu leur as faictz. Mais qui est
de plus grandegrãde importanceimportãce, voireuoire de telle singularité
que l’onlon ne scauroit donnerdōner aux cendres enseveliesenseuelies don
ny present plus exquis ny tanttāt durable, les Muses te
donnent des versuers, des versuers te donnent les Muses:
& nous avecauec noz flagoletz te les chantons, &
chanterons a perpetuite, pour le moins tant que
troupeaux pourront paistre en ces boys, & que ces
Pins, Erables, & Planes qui t’environnentenuironnent, & en-
courtineront tant que le mondemõde sera monde, murmu-
reront ton venerableuenerable nom, et que les Toreaux mu-
gissans, avecauec toutes les troupes champestreschãpestres ferontferõt re-
verence
re-
uerēce
a ton umbre, te cryantcryãt a haute voixuoix parmy les
forestz resonnantes: tellement que des cest’heure
en avantauant tu seras mis au catalogue de noz dieux,



[30v] L’ARCADIE
& te ferons sacrifices aussiaußi bien commecõme a Bacchus,
& a la saincte Ceres, en yveryuer aupres du feu, & en
esté a la fraiche umbre. Et autant sueront les Ifz
mortiferes miel doux & delicieux,& les fleurs
soefues & delicates le feront amer & de mauvai-
se saveur
mauuai-
se saueur
, plustost aussiaußi se moyssoneront les bledz
en yuer, & en esté se cueilleront les oliues perue-
nues a deue maturité, que par ces forestz perisse ta
renommee. Ces paroles finyes ce vachieruachier se
print soudainementsoudainemēt a sonner une Cornemuse, qui luy
pendoit entre les espaules: a la melodie de laquelle
Ergasto ayant quasi les lermes aux yeux, ouvritouurit sa
bouche pour chanter ainsi:


Ergasto

sus la sepulture.


O belle ame aux dieux alliée,
Qui de ta prison deslyée,
Toute pure volasuolas aux cieux,
Ou t’esbas avecauec ta planete,
Disant mainte gaye sornette
De noz pensers ambicieux:
Entre les plus luysans espritz
Comme un Soleil tu as le pris,
Et de tes dignes piedz tu marches
Dessus les estoilles errantes
Entre myrtes & eaux courantes Preschant



31 DE SANNAZAR.
Preschant les pasteurs de ces marches.
Tu veoysueoys autres montz, autres plaines,
Autres boys, & rivieresriuieres saines
Au ciel, & plus fraiches fleurettes.
Autres Faunes, autres SylvansSyluans
Par lieux jolizioliz Nymphes suyvanssuyuans
En plus heureuses amourettes.
La entre odeurs sans nul encombre
Nostre Androgeo chante a l’umbre
Entre Melibee & Daphnis,
RavissantRauissant le ciel doucement,
Et accordant tout element
Par ses motz en douceur finiz.
Comme honneur Vigne a l’Orme faict,
Aux troupeaux Toreau bien refaict,
Et aux champs les bledz undoyans:
Ainsi (pere) tu fuz la perle
De tous pasteurs: & moy qui parle,
JeIe le tesmoigne a tous oyans.
O mort qui peulx tous cueurs estaindre,
Si ta flambe scait bien attaindre
Les plus haultz, qui t’eschappera?
Qui verrauerra jamais en ce monde
Pasteur de si gaye faconde,
Et qui loupz si bien happera?
Qui chantera si plaisans versuers



[31v] L’ARCADIE
Tant les estez, que les yvers yuers?
Et qui semera des branchettes
Sus les fontaines argentines,
Leur faisant ioyeuses courtines
A leurs delectables couchettes?
Les Deesses plaignirent fort
Ta violenteuiolente & dure mort,
Ce scayventscayuent eaux, roches, & arbres:
Tous les rivagesriuages en gemirent,
Et les herbes couleur en mirent
Palle comme est celle des Marbres.
Le Soleil ne monstra ses raiz
En boccages, champs, ou maraiz
De long temps apres: & les bestes
Qui sauvagessauuages sont de nature,
Aux prez ne vindrentuindrent en pasture
Les jours ouvrablesiours ouurables, ny les festes.
Noz troupeaux aussiaußi ne gousterent
Quelque liqueur, & ne broutterent
Vn brin d’herbe: tant leur grevagreua
Ce cas douloureux: & les boys
Nommoyent ton nom a pleine voixuoix,
Dont maint cueur presque se crevacreua.
Or verrasuerras tu dorenavantdorenauant,
Face pluye, serain, ou ventuent,
Sus ta tombe veuxueux & offrandes

De chapeau



32 DE SANNAZAR.


De chapeaux de fleurs qu’y mettront
Tes bouviersbouuiers, lesquelz en gettront
Des exclamations bien grandes.
Par ainsi en toutes saisons,
Quand pasteurs tiendront leurs raisons,
Tu volerasuoleras de bouche en bouche,
Comme ung coulomb, & ne verrasuerras
Que le renom que tu auras,
Ayt d’oubliance aucune touche.
Non tant que serpens en buyssonsbuyßons
Seront, & en eau les poyssons,
Et ne vivrasuiuras par mon seul stile,
Mais par celuy de maintz pasteurs,
De versuers mesurez amateurs,
Dont te sera l’ouvrageouurage utile.
Chesnes feuilluz, druz & serrez,
S’aucun esprit d’amour vuosuuos poingt,
Faictes umbre aux os enterrez
En ce lieu, mais n’y faillez poinct.


Ce pendant qu’Ergasto chantoit la piteuse chan-
son, Fronimo tresingenieux entreētre les autres l’escrivitescriuit
en une verdeuerde escorce de hestre: et apres l’auoir en-
richie d’un chapeau de triumphe, la pendit a un ar-
bre estendantestēdant ses rameaux par dessus la blanche se-
pulture. Puis voyansuoyans que l’heure de disner estoit



[32v] L’ARCADIE
quasi passéepaßée, nous retirasmes aupres d’une claire
fontaine sourdante au pied d’un Sapin: & la estans
assizaßiz par ordre, preimes nostre refection de la
chair des animaux qui avoyentauoyent esté sacrifiez sus
le monument, faisant des entremectz de laict des-
guysé en plusieurs sortes, avecauec des chastaignes, &
autres fruictz que la saison apportoit. Et pour estan
cher la soif, nous eusmes des vins vieuxuins uieux d’une fram
boyse & odeur excellente, lesquelz remettent en
joyeioye les cueurs marriz ou faschez. Puis quandquãd nous
eusmes appaisé la fain a force de viandes diversesuiandes diuerses,
les uns se meyrent a chanter, les autres a compter
des fables: aucuns a joueriouer: & plusieurs surpris de
sommeilsõmeil, a dormir. FinablementFinablemēt moy (a qui, pour estre
tant esloigné de mon pays, & autres justesiustes accidensaccidēs,
toute resjouyssanceresiouyssance estoit occasion de douleur infi-
nye) jeie m’estoye getté au pied d’un arbre, doulou-
reu, & mal contentcōtent oultre mesure: & lors j’apper
ceu
i’apper
ceu
a moins d’un gect de pierre, un pasteur venantuenant
deversdeuers nous a gransgrãs pas, bien jeuneieune de visaige, vestuuisaige, uestu
d’un roquet de la couleur des Grues, portant a son
costé gauche une belle paneterie d’un simple cuyr
de veau avortéueau auorté. il avoitauoit sus sa perruque pendantpēdant sus
ses espaules plus finement blonde que le jauneiaune de
la rose, un bonnet veluuelu, faict (comme jeie congneu de-
puis) de la peau d’un loup, & tenoit en sa main droicte



33 DE SANNAZAR.
droicte un aiguillon merveilleusementmerueilleusement beau, dont la
poincte estoit garnye de cuyvrecuyure neuf: mais jeie ne
sceu oncques devinerdeuiner de quel boys: car s’il eust esté
de Cormier, jeie l’eusse bienbiē peu congnoistrecōgnoistre aux neux.
& s’il eust esté de Fraisne, ou de Buys, la couleur
me l’eust incontinent descouuert. Ce pasteur venoituenoit
en une gravitégrauité si grande, que veritablementueritablement il sem-
bloit le beau Troyen Paris, quand (au commencementcõmencement
de bergerie) il demouroit dans les hautes forestz
avecauec sa Nymphe, couronnantcourōnant les moutons victorieuxmoutōs uictorieux.
Et lors qu’il fut approché de moy gisant pres d’une
butte ou aucuns tiroyent, il demanda aux bouviersbouuiers
s’ilz avoyentauoyent point veuueu une sienne vacheuache de poil
blanc, merquée d’une tache noyre au front, laquelle
en ses fuytes passées avoitauoit acoustumé de se mesler
entre leurs Toreaux. Adonc pour response luy fut
amyablement dict qu’il ne se voulsistuoulsist fascher de se-
journer avec la compagnye jusques
se-
iourner auec la cōpagnye iusques
a ce que le chault
du mydy seroit monté, pource qu’en celle heure les
troupeaux avoyentauoyent apris de se retirer a l’umbre
pour ruminer les herbes ceuilliescueuillies du matin: & que
si sa vache ne revenoit quantuache ne reuenoit quãt & eulx, ilz l’envoye-
roient
enuoye-
roient
chercher de tous costez par un valet nomméualet nōmé
UrsachioVrsachio, a cause qu’il estoit robuste & veluuelu com-
me un Ours, lequel la rameneroit ou nous estions.
Alors Carino (ainsi estoit appellé celuy qui avoitauoit a- E



[33v] L’ARCADIE
diré sa vacheuache blanche) s’asseit sus un tronc de he-
stre vis a visuis a uis de nous: & apres plusieurs propoz
s’adresse a nostre Opico, le priant bien affectueuse-
ment qu’il voulseistuoulseist chanter quelque chanson. Le
quel demy soubzryant luy respondit en ceste ma-
niere: Mon filz mon amy, les ans, & l’aage devo-
rant
deuo-
rant
, emportent avecauec soy toutes chose terriennes,
voireuoire qui plus est, les espritz, encores qu’ilz soyent
celestes. Bien me souvientsouuient qu’en ma jeunesse j’ayieunesse i’ay
maintesfoys chanté sans me lasser, depuis que le
Soleil se levoitleuoit, jusquesiusques a ce qu’il se couchast: mais
maintenant quasi toutes mes chansons me sont sor-
tyes de la memoire: & qui pis est, ma voixuoix s’en vaua
tousjourstousiours en decadence, pour autant que les loupz
m’apperceurent les premiers. Et quant cela n’y fe-
roit rien, ma teste grise, & mon sang refroidy, ne
permettent que jeie m’employe es choses qui appar-
tiennent a la jeunesseieunesse. Aussi long temps y a que ma
Musette est pendue devant le sauvagedeuant le sauuage Faunus. Tou-
tesfois il se trouveratrouuera en ceste troupe plusieurs pa-
steurs qui scauront bien respondrerespōdre a tous autres qui
les vouldront provocqueruouldront prouocquer a chanter. Ceulx la (mon
filz) pourrontpourrōt satisfaire a ce que me demandezdemãdez, mes-
mes encores que jeie ne face mention des autres qui
sont (sans point de doute) singuliers, & de grand
scavoirscauoir. Voyla nostre Serrano, lequel si Tityre ou Melibee



34 DE SANNAZAR.
Melibee l’entendoient, ilz ne se pourroient tenir de
luy donner souverainesouueraine louenge. Cestuy la chantera
(s’il luy plaist) pour l’amour de vousuous, & de moy,
& nous donnera du plaisir. Adonc Serrano pour
rendre graces a Opico comme il meritoit, respon-
dit: combien (pere) que jeie soye le moindre, & le
moins eloquent de ceste compagnie, & que a bon
droict tel jeie me puisse nommernõmer: si est ce que pour ne
faire office d’hommehõme ingrat enversenuers celuy lequel m’a
contrecōtre raison & devoirdeuoir reputé digne d’un si grand
honneurhōneur, jeie m’efforceray de luy obeyr entantentãt qu’il me
sera possiblepoßible. Et pource que la vacheuache adirée de Ca
rino, me faict maintenant souvenirsouuenir d’une chose qui
ne me plaist gueres, j’i’entens chanter de ce subgect.
PourtanPourtãtt vousuous pere, laissant la vieillesseuieillesse, & les excu
ses a part, lesquelles a mon jugementiugement sont plus su-
perflues que necessaires, s’il vousuous plaist me respon
drez. Puis ainsi commencea:


Serrano.


Combien que ja vousia uous soyez fort aagé,
Et de sens meur (pere Opico) chargé
Par les pensers qui se couventcouuent en vousuous,
Si lamentez (helas) avecquesauecques nous:
Et prenez part de l’amere douleur
Qui m’amaigrit, & faict perdre couleur.
Au jourd’huyiourd’huy plus au monde ne se treuvetreuue E ij



[34v] L’ARCADIE
Aucun amy quand ce vient a l’espreuveuient a l’espreuue,
Morte est la Foy, en son regne est EnvieEnuie.
MauvaisesMauuaises meurs corrompans nostre vieuie,
De jour en jour se renouvellentDe iour en iour se renouuellent ores:
Meschant vouloiruouloir & trahison encores
Tiennent les rengz, pour les biens de ce monde,
Qui faire font maint acte ord & immunde,
Si que le filz tous les coupz a son pere
Machinera dommage ou vitupereuitupere.
Tel de mon bien rira, qui dissimuledißimule:
Tel me plaindra, qui n’aura douleur nulle,
Ains en derriere avecauec sa lime sourde
A mon honneur fera playe bien lourde.


Opico.


L’envieenuie (filz) qui ne vientuient a son esme,
Fond & dechet tout ainsi de soy mesme
Comme l’Agneau qu’oeuil mauvaismauuais faict mourir
Q’umbre de Pin ne le peult secourir.


Serrano.


Si le diray jeie, ainsi m’aydent les dieux,
En me vengeantuengeant du paillard odieux
Qui m’a meffaict, avantauant qu’Orges & Bledz
Par moyssonneurs soyent en gerbe assemblez.
Et pour purger mon cueur de son despit,
Que ruyner le voyeuoye sans respit
Du hault a bas d’un grand Chesne, ou d’un Orme, Si qu’il



35 DE SANNAZAR.
Si qu’il se brise, ou du moins se difforme,
Tant que mon sens ne sache lors choysir,
S’il aura plus de pitié que plaisir.
Scavez vousScauez uous bien ce pas qui quand il pleut
Est si fangeux, que sortir on n’en peult?
La nous faisans au villageuillage retour,
Ce malheureux se tire en un destour.
Que plaise aux dieux que telle soit sa vieuie,
Qu’il la despite ayant de mort envieenuie.
Nul n’y print garde, a cause que chantions,
Mais en ce poinct comme nous esbations
En ma maison un peu devantdeuant soupper,
UnVn pasteur vintuint a la porte frapper,
Et me cria: Serrano, jeie faiz doutes
Que tu n’as pas en tect tes chevrescheures toutes.
Dont en courant jeie tumbay en la rue:
Encor m’en deult le coulde quand jeie rue.
Las, s’il estoit homme es prochaines cours,
A qui pour droict jeie peusse avoirauoir recours.
Mais, O quel droict? dieu qui nous peult ayder,
Veuille abolyr les causes de playder.
Ce faulx larron, qui puisse avoirauoir les fievresfieures,
Me desroba deux chevreauxcheureaux, & deux chevrescheures.
Voyla comment avariceauarice domine
Au monde caut, en faisant bonne mine.
JeIe luy diroys certes clair & ouvertouuert E iij



[35v] L’ARCADIE
Mais cestuy la qui tout a descouvertdescouuert,
M’a faict jureriurer que jeie n’en diray rien:
Dont fault que soys muet perdant le mien.
Considerez (pere) s’il m’en fascha.
Il s’est vantéuanté que troys foys il cracha
En perpetrant ce larrecin nuysible,
Dont il devintdeuint a noz yeux invisibleinuisible,
Acte qui fut pour luy sage & prudent:
Car s’il eust faict le cas tout evidenteuident,
JamaisIamais ne feust de mes chiens departy,
Qu’il n’eust esté en cent pieces party:
Car quand ilz sont acharnez une foys,
Siffler ny sert, ou braire a pleine voixuoix.
Sus soy portoit des herbes monstrueuses,
Pierres de pris, grandement verteusesuertueuses:
Palles liqueurs, os de mort, de la pouldre
Prinse es tumbeaux, a craindre autantautãt que fouldre:
Et qui plus est, des coniurations
Fortes assez en operations,
Qui le faisoient muer quand il vouloituouloit,
En ventuent legier, en eau qui s’escouloit,
En buyssonnet, ou herbe en toute part.
Ainsi le monde est abusé par art.


Opico.


C’est Proteus doncques: lequel expres
Se transformoit de liege en un Cyprés, D’aspic



36 DE SANNAZAR.
D’aspic en Tigre inhumain & felon,
De beuf en bouc, fleuvefleuue, ou roche, selon
Sa voluntéuolunté.


Serrano.


Or voyezuoyez doncques pere,
Si le faulx monde & remply d’impropere
N’engrege pas allant de mal en pis,
Meschans haulsez, & les bons assopis.
Las vous deussiezuous deußiez (ce me semble) vouloiruouloir
Avecques moy vousAuecques moy uous en plaindre & douloir,
Pensant au temps bon de soy, que depravedepraue
Incessamment le monde fier & bravebraue.


Opico.


Mon filz, alors que jeie touchoys a peine
Les plus prochains rameaux de terre plaine,
Et apprenois sus mon asne a porter
Mouldre le grain, pour me bien enhorter
Mon pere vieiluieil qui m’aymoit cherement,
Me souloit bien appeller doulcement
A l’umbre fraiz des lieges umbrageux,
Non pour me dire ou sornettes, ou jeuxieux,
Ains comme on faict a jeuneieune Garsonnetz,
Qui les mentons ont de barbe encor netz,
La m’enseignoit a conduyre troupeaux,
Traire le laict, tondre laynes des peaux:
Puis ses propoz par fois s’entremesloyent E iiij



[36v] L’ARCADIE
Du temps jadiziadiz que les bestes parloyent:
Et me disoit que le Ciel en effect
Produisoit lors plus de biens qu’il ne faict,
Veu que les dieux ne desdaignoient mener
Le bestail paistre aux champs ou ruminer,
Et qu’a chanter ainsi que nous faisons,
Leurs passetemps prenoyent toutes saisons.
Qu’on n’eust sceu veoirueoir un homme estre en debat
Encontre un autre, ains tousjourstousiours en esbat:
Veu que les champs, prez, forestz & pastiz
N’estoyent encor limitez ny partiz:
Que lors le fer, qui (ce me semble) extermine
Le genre humain, n’estoit hors de sa myne,
Et qu’il n’estoit encores mention
De faulx rapport, & faulse inventioninuention,
Dont guerre sourt, & dont tout mal se germe,
Qui par douleur faict pleurer mainte lerme.
Qu’on n’eust sceu veoirueoir ces rages furieuses,
Ny a playder personnes curieuses.
Parquoy chascun malheureux se destruit,
Pensant avoirauoir son proces bien instruit.
Que les vieillarsuieillars, quand ilz n’en povoientpouoient plus,
Et leur falloit estre au logis recluz,
Ou se donnoient la mort sans crainte avoirauoir,
Ou se faisoyent jeunesieunes par leur scavoirscauoir,
Et par vertuuertu des herbes enchantées Qu’ilz scauoyent



37 DE SANNAZAR.
Qu’ilz scavoyentscauoyent estre en quelque lieu plantées.
Qu’adoncadõc les joursiours n’estoientestoiēt ny froidz ny sombressõbres,
Mais temperez, serains, & sans encombres,
Et n’oyoit on chahuan ne hyboux:
Ains chant d’oyseaux armonieux & doux.
Mesmes que terre adonc ne produysoit
Noir aconite, ou herbe qui nuysoit,
Comme elle faict, dont chascun a raison
De lamenter en piteuse oraison:
Ains qu’elle adonc estoit couvertecouuerte & pleine
De mainte plante & de maint’ herbe saine,
Comme sont baulme, & lermoyant encens,
Odorant myrre, & confortant le sens.
Que chascun lors a l’umbre delectable
Mengeoit du glan, ou du laict profitable,
Grains de GenevreGeneure, ou meures en leur temps,
Et en estoient les bonnes gens contens.
O saison doulce, O vieuie gente & gaye.
Quand il fault (filz) qu’en la memoire j’i’aye
Leurs actions, sans plus jeie ne leur faiz
Honneur de bouche, ains comme a gens perfaictz
En mon esprit les honore & reverereuere
En m’inclinant versuers la terre severeseuere.
Mais ou est (las) ceste antique valeurualeur?
Ou est leur gloire? (O filz, o grand malheur)
Ou sont ces gens dont bruyt se faict entendre?



[37v] L’ARCADIE
Helas ilz sont redigez tous en cendre.
JolizIoliz amans avecauec leurs amourettes
De pré en autre alloyent ceuillant fleurettes,
RamentevansRamenteuans le feu, l’arc & le traict
De Cupido tout plein de doux attraict.
Il n’estoit lors ny jalouxialoux ny demy:
Parquoy dansant l’amye avecauec l’amy,
S’entrebaisoyent comme les coulombelles,
Au grand plaisir des mignons & des belles.
O pure foy, O douce usance antique.
Or veoyueoy jeie bien le monde fantastique
Incessamment aller en empirant,
Tant plus il va deversua deuers la fin tirant.
Parquoy mon filz quand jeie pense a ce poinct,
JeIe sens mon cueur malade & mal empoint,
M’estant advisaduis qu’il se fend en deux pars,
Comme navrénauré d’aucuns venimeuxuenimeux dars.


Serrano.


Helas pour dieu (pere) or vousuous en taisez
Sans mes espritz rendre plus malaysez:
Car si j’i’osoys manifester la rage
Que j’i’ay dedans mon pertroublé courage,
jeie feroys bien que montaignes & boys
En gemiroyent de douloureuses voixuoix.
Quant est a moy, jeie me voudroisuoudrois bien taire:
Mais le despit & la couleur austere Qui sont



38 DE SANNAZAR.
Qui sont en moy, m’animent si tresfort,
Qu’il fault qu’a vousuous le dye en desconfort.
Congnoissez vousuous Laccinio le cault?
En le nommant, le cueur presque me faut.
C’est ce meschant qui a veillerueiller consomme
Toutes les nuytz, & luy est premier somme
Le chant du Coc: dont Cacus il est dict,
Pource qu’il victuict de larrecin maudict.


Opico.


Est ce Cacus? O combien il en est
De telz que luy parmy ceste forest?
Ce nonobstant les sages veulentueulent dire
Qu’on pourroit bien detracter & mesdire
De mille bons pour un meschant paillard.


Serrano.


JeIe scay tresbien (venerable vieillartuenerable uieillart)
Que plusieurs gens s’entretiennent & viventuiuent
Du sang d’autruy, ou biens qui en deriventderiuent,
J’I’en faiz souventsouuent experience aperte
A mon dommage, & merveilleusemerueilleuse perte.
Tous mes mastins perdent temps a japperiapper,
Car jamaisiamais un ne m’en peuventpeuuent happer.


Opico.


JeIe congnois bien par ce que j’i’en puis veoirueoir,
Que trop de telz en doit au monde avoirauoir:
Car si long temps jeie me suis amusé



[38v] L’ARCADIE
A querir sens, que j’i’en suis tout usé:
Le doz en ay tout courbe & bossu: mais
A qui que soit, jeie n’en vendy jamaisuendy iamais.
O mon amy, combien l’onlon trouveroittrouueroit
De paysans que bons on jugeroitiugeroit
A les veoirueoir la, qui pillent & ravissentrauissent
Besches, rasateux, coutres, & n’assouvissentassouuissent:
Mesmes baisser ne daigneroient la face
Pour quelque outrage ou honte qu’on leur face.
Ces meschans la comme un Gay ravissansrauissans
En ceste vieuie ont leurs cueurs & leurs sens
Tous endurciz, & tirent leurs mains pleines
Des sacz d’autruy, dont viventuiuent sans grans peines.


Estant Opico venuuenu a la fin de sa chanson, non sans
grand contentement de toute la compagnie, Carino
s’adressant amyablement a moy, me demanda qui
j’i’estoye, de quel pays, & quelle occasion me faisoit
demourer en Arcadie. Dont (apres avoirauoir gette un
grand souspir) quasi par contraincte luy respondy:
JeIe ne puis (gracieux pasteur) sans merveilleuxmerueilleux en-
nuy rememorer le temps passépaßé, lequel encores que
l’onlon puisse dire ne me avoirauoir esté gueres propice, si
est ce qu’ayant maintenant a en faire le recit, consi-
deré que jeie me treuvetreuue en plus grande moleste que
jamaisiamais, cela me sera un accroyssement de peine, & quasi



39 DE SANNAZAR.
& quasi aygrissement de douleur a la playe mal
consolidée, laquele naturellement fuyt de se faire
toucher souventsouuēt. Mais pource que l’expressionexpreßion de pa
roles, est aucunesfois aux miserables allegeance de
leurs faix, jeie vousuous diray ce qu’il en est.


Naples (comme chascun de vousuous peut avoirauoir plu-
sieurs fois entendu) est située en la plus fructueuse
& delectable partie d’Italie, sus le rivageriuage de la
mer: au moyen de quoy elle est autant fameuse &
noble en armes & en lettres, que cité (paraventureparauēture)
qui soit en ce monde. Elle fut edifiée par un peuple
venantuenãt de Chalcide sus l’antique sepulture de la Se-
raine Parthenopé, dont elle print & retient enco-
res le venerableuenerable nom. Ceste cité doncques est le lieu
ou jeie prins nayssance, non de sang obscur & rotu-
rier, mais (s’il ne m’est disconvenablediscõuenable de le dire) d’u-
ne tresantique & noble lignée, de quoy rendent
bon tesmoignage les armes de mes ancestres appo-
sees aux plus apparentes places d’icelle: ou jeie n’e-
stoye reputé le moindre des jeunesieunes hõmes de mon
age: car l’ayeul de mon pere, qui estoit de la Gaule
cisalpine (combien que si l’onlon prend garde au com-
mencement, il fut extraict de l’extreme Espagne,
& en ces deux contrées fleurissentfleurißent encores au jour-
d’huy
iour-
d’huy
les reliques de ma famille) fut oultre la no-
blesse de ses predecesseurs, homme tresnotable par



[39v] L’ARCADIE
ses propres gestes, & en la magnanime entrepri-
se que feit le Roy Charles troysiesme d’entrer au
Royaume d’Ausonie, il merita par sa vertuuertu, estant
Capitaine d’une bonnebōne troupe de gensgēs de guerre, d’a-
voir
a-
uoir
la seigneurie de l’antique Sinuessa, auec grand
partie des champz Falernes, & des montaignes
MassiquesMaßiques, & d’advantageaduãtage la petite ville assiseuille aßise sus
le rivageriuage de l’impetueux Vulturne, pres du lieu par
ou il entre en la mer: avec aussiauec außi L’interno, encores
que ce soit une place solitaire: toutesfois elle est me-
morable, a cause des cendres du divincēdres du diuin Scipion Afri-
cain, qui y furent enterrées: sans ce qu’en la fertile
Lucanie il tenoit soubz honorable tiltre plusieurs
bourgades & chasteaux, du revenureuenu desquelz il
eust peu vivreuiure honorablement selon qu’il apparte-
noit a son estat: mais la fortune plus liberale a don-
ner, que curieuse de conserverconseruer les prosperitez mon
daines, voulutuoulut par successionsuccesßion de tempstēps, apres la mort
dudict Roy Charles, & pareillement de Ladislao
son legitime successeur, que le Royaume orphelin
tumbast es mains d’une femme: laquelle incitée de
naturelle inconstance & mobilite de courage, adjoustaad-
iousta
a ses autres malefices, cestuy cy: C’est qu’elle
annichila & quasi reduict en extreme perdition
ceux qui avoyentauoyent esté en souverainsouuerain honneurhõneurmagni-
fiez de son pere & de son frere. Oultre ce qui vouuou droit



40 DE SANNAZAR.
droit dire quelles, & en quel nombrenõbre furent les ne-
cessitez
ne-
ceßitez
que ledict ayeul & mon pere souffrirent,
trop seroit long a racompter. Parquoy jeie reviensreuiens a
moy, qui nasquy en ce monde environenuiron les dernieres
années que feu de bonnebōne memoire le victorieuxuictorieux Roy
Alphonse d’AragonAragō passa de ceste vieuie mortelle a sie-
cles plus tranquillestrãquilles, soubz espoventablesespouentables & mal-
heureux prodiges de Cometes, tremblementztrēblementz de ter-
re, pestilencespestilēces, & sanglantessanglãtes batailles: & fuz nour-
ry en povretépoureté, ou (comme diroyent les plus sages)
eslevéesleué en modeste fortune: & (commecōme ma planete ou
destinée voulurentuoulurent) a peine avoyauoy jeie huyt ans pas-
sez, que jeie commenceay a sentir les poinctures d’a-
mour: car estant devenudeuenu amoureux d’une petite fil-
le, plus belle & plus mignonne a mon jugementiugement,
qu’autre que j’i’eusse jamais veueiamais ueue, descendue aussiaußi de
hault & noble sang, jeie tenoye mon desir caché plus
songneusementsongneusemēt qu’il n’estoit convenableconuenable a mes ans pue
riles. a raisonraisō de quoy elle qui ne s’en appercevoitapperceuoit, em-
brazoit de jour en jouriour en iour & d’heure en heure mes
tendres veinesueines par son excessivesō exceßiue beaute, se jouantiouãt juve-
nilement
iuue-
nilement
avecquesauecques moy: en maniere que croyssantcroyßant
l’amour avecauec les ans, nous perveimesperueimes en aage plus
meur, et plus enclin aux ardentesardētes affections. mais ne
cessantceßãt pour tout cela nostre acoustumée conversationcõuersatiõ,
ains augmentantaugmentãt, a tous propoz elle m’estoit occasionoccasiō



[40v] L’ARCADIE
de plus grand travail & melancholiegrãd trauail & melãcholie: car il me sem
bloit que l’amytie, la benivolencebeniuolence, & la tresgrandetresgrãde
affectionaffectiō qu’elle me portoit, ne tendoienttendoiēt a la fin que
j’i’eusse bien desirée. Et cognoissantcõgnoißãt que j’avoyei’auoye quel-
que chose dans le cueur qu’il ne m’estoit besoing
monstrer exterieurement, n’ayant encores la har-
diesse de me descouvrirdescouurir a elle en aucune maniere,
pour ne perdre en un moment tout ce qu’il me sem
bloit avoirauoir acquis en plusieurs années par industri-
eux labeur, j’i’entray en une si forte douleur & ve-
hemente melancholie
ue-
hemente melãcholie
, que j’i’en perdy repoz & re-
pas: dontdõt jeie sembloye mieux umbre de mort, que vi-
ve
ui-
ue
creature. duquel changement elle me demanda
plusieurs fois la cause: mais pour response jeie ne luy
rendoye qu’unqu’n ardant souspir. Et combien que de-
dans le petit lict de ma chambrette jeie proposasse
en mon entendemententendemēt plusieurs choses pour luy faire
entendre, neantmoins quandquãd j’i’estoye en sa presence,
incontinent jeie pallissoye, trembloye, & devenoyedeuenoye
muet, de sorte que jeie donnay (paraventureparauenture) occasion
de souspeconnersouspecōner a plusieurs qui veoyentueoyent mes conte-
nances. Mais elle qui ne s’en appercevoit jamaisapperceuoit iamais (ou
pour sa nayvenayue bonté, ou pour estre de cueur si froid
qu’elle n’y pouvoit recevoirpouoit receuoir l’amour, ou peult estre,
& qui est le plus croyable, pour estre si sage,
que mieux que moy le scavoit dissimulerscauoit dißimuler en gestes & paroles,



41 DE SANNAZAR.
& paroles) se monstroit merveilleusementmerueilleusement simple
en ceste pratique. Au moyen de quoy jeie ne me pou-
voye
pou-
uoye
distraire de l’aymer, et si ne m’estoit expedientexpediēt
demourer en si miserable estat: dont pour dernier
remede jeie deliberay me priverpriuer de ceste vieuie. Et pen-
sant en moymesme le moyen de ce faire, jeie pour-
gettay diversesdiuerses & estranges conditions de mort.
Et veritablement j’ueritablement i’eusse mis fin a mes tristes joursiours
ou par corde, ou par poyson, ou par une espée tren
chante, n’eust esté que mon ame dolente surprise de
jeie ne scay quelle pusillanimité, devint craintivedeuint craintiue &
peureuse de ce qu’elle desiroit, tellement que chan-
geant ce cruel propos en plus meure deliberation
de conseil, jeie prins le party d’abandonnerabandōner Naples, &
la maison de mon pere, esperant aussiaußi que jeie pour-
roye laisser l’amour, & mes passionspaßions. Mais il m’ad-
vint
ad-
uint
(helas) bien autrement que jeie ne pensoye, pour-
tant que si jeie me reputoye infortuné lors que jeie
pouvoiepouuoie souventefois veoirsouuentesfois ueoir & parler a ma dame
tant aymée, pensant seulement que l’occasion de ma
langueur luy estoit incongneue: maintenant jeie me
puis a bon droict nommer malheureux sus tous
autres, me trouvanttrouuant par si grande distance de pays
absent de sa belle personne, & peult estre sans espe
rance de jamais la revoiriamais la reuoir, ou d’en ouyr nouvellenouuelle
qui me soit aucunement propice, mesmes consideré F



[41v] L’ARCADIE
qu’en ceste bouillante adolescence il me souvientsouuient le
plus du tempstēps, entre ces solitudes d’Arcadie, des plai-
sirs de mon delicieux pays, Certes j’i’ose bien dire (sauf
meilleur jugementiugement) qu’il seroit impossibleimpoßible, ou mer-
veilleusement
mer-
ueilleusemēt
difficile, que jeunesieunes hommeshõmes nourriz et
eslevezesleuez es bonnes villesuilles, peussentpeußent icy en plaisir de-
mourer, mais qui plus est, bestes brutes & sauva-
ges
sauua-
ges
n’y scauroient a leur gré converserconuerser. Et quand jeie
n’auroye autre affliction que la doubte de ma pen-
sée, laquelle me tient continuellement suspendu en
diversesdiuerses imaginations pour l’ardant desir que j’i’ay
de revoirreuoir ma mieux aymée, veuueu que jeie ne puis jouriour
ne nuyt comprendre en mon esprit comment elle se
maintient: si me seroit ceste angoysse trop rigoreu-
se & vehementeuehemente. Croyez amys, que jeie ne veoyueoy ja-
mais
ia-
mais
ny montaigne, ny forest, que jeie ne me persua-
de a chascun coup d’y pouvoir trouverpouoir trouuer ma dame, com-
bien
cō-
bien
que a le penser ce me semble une chose impos-
sible: & n’y scauroye sentir aucun mouvementmouuement de
beste, oyseau, ou branche d’arbre, que jeie ne me re-
tourne incontinent tout espoventéespouenté, pour veoirueoir si ce
seroit point elle, qui seroit venueuenue en ce pays afin de
veoirueoir & congnoistre la miserable vieuie que jeie meyne
pour l’amour d’elle. JeIe n’y scauroye semblablement
veoirueoir aucune autre chose, que de primeface & en
plus grandegrãde ardeur elle ne me remette en memoire la bonne



42 DE SANNAZAR
la bonne grace de madicte maistresse. Et me sem-
ble que les cavernescauernes, les fontaines, les valléesuallées, les
montaignes, & toutes les forestz l’appellent, &
que les arbrisseaux resonnent incessamment son
nom: entre lesquelz me trouvanttrouuant aucunesfois, &
contemplant les Ormes feuilluz embrassez des vi-
gnes
ui-
gnes
rampantes, soudainementsoudainemēt me chet en la pensée
une amertume angoysseuse & insupportable, con-
siderant combien mon estat differe de celuy des ar-
bres insensibles, qui jouyssentiouyssent continuellement des
gracieux embrassementz des vignesuignes tant aymées:
& moy par tant d’espace de ciel, par si grande
longueur de terre, & par tant de distances de mer
esloigné de mon desir, jeie me consume en perpetuel-
les douleurs & lamentations. O quantesfois ay jeie
pleuré presque vaincuuaincu d’envieenuie, voyantuoyãt les affectueux
coulombscoulōbs baiser par les boys en doux murmures les
coulombes amyables, puis desireux de plaisir s’en
aller chercher le nid? Certes alors jeie leur disoye:
O bien heureux animaux, ausquelz sans souspecon
de jalousieialousie est permis le veillerueiller & le dormir les
uns avecauec les autres en seure paix & tranquillité.
longues puissent estre vozuoz amours, longlõgpuisse estre
vostreuostre plaisir, afin que seul entre les vivansuiuans jeie puis-
se demourer spectacle de grievegrieue misere & lan-
gueur. Il m’advientaduient aussi souventesfoisaußi souuentesfois en gardant F ij



[42v] L’ARCADIE
les bestes (a quoy jeie me suis acoustumé en cestes fo-
restz vostresuostres) que j’i’appercoy par les grasses campa
gnes quelque Toreau si maigre & descharné que
ses os debiles peuventpeuuent a peine soustenir sa seiche
peau: ce que veritablementueritablement jeie ne puis regarder sans
travailtrauail & douleur inestimable, pensantpēsant bien que un
mesme amour est occasion a luy & a moy de vieuie
malheureuse & tormentée. D’aduantage me sou
vient
sou
uient
que quand par fois jeie me separe de la compa-
gnie des autres, afin de povoirpouoir mieulx penser a mes
martyres & afflictionsafflictiõs parmy les solitudes, jeie veoyueoy
quelque genice amoureuse aller seulette mugissantmugißãt
par les hautes forestz, & cherchant le jeuneieune To-
reau: puis lasse & travailléetrauaillée se getter sus le bord
de quelque riviereriuiere, ou elle s’oublie de paistre &
de donner lieu aux tenebres de la nuyt. Laquel-
le chose combien elle est ennuyeuse a regarder a
moy qui meyne telle vieuie, celuy seulement le peult
conjecturercõiecturer, qui l’a esprouvéesprouué, ou espreuveespreuue. Asseurez
vousuous amys qu’il me vientuient lors en la pensée une me-
lancholie & tristesse incurable, auec une grande
compassioncompaßion de moymesme, mouvantemouuante du dedans de
mes veynesueynes: laquelle ne me laisse poil sus la person-
ne, qu’elle ne face herisser d’horreur: puis en mes
extremitez refroydies s’esmeut une sueur angois-
seuse, avecauec un battement de cueur si fort, que veri-ueri- tablement



43 DE SANNAZAR.
tablementtablemēt si jeie ne le desiroye, j’i’auroye peur que mon
ame dolente ne voulustuoulust saillir de mon corps. Mais
pour quoy suis jeie tant longlõg a racompter ce que peult
estre manifeste a un chascun? Certainement amys jeie
ne m’entens jamaisiamais appeller Sannazar par aucun de
vousuous (nonobstant que ce soit un surnom qui a esté
fort honorable a mes predecesseurs) que cela ne
me face souspirer rememorant que ma dame par-
cydevant
par-
cydeuant
me souloit nommer Syncero. Et si ne en-
tens jamaisiamais son de musette ny chant de pasteur, quel
qu’il soit, que mes povrespoures yeux ne versentuersent une infi-
nité de lermes angoysseuses, pource que me revien-
nent
reuien-
nent
en la memoire les temps heureux ausquelz
chantantchantãt mes rymes ou versuers composez, tout a l’heu-
re jeie m’entendoye par elle estimer singulierement.
Et pour n’aller de poinct en poinct racomptant tou
tes mes peines, il n’y a chose qui me plaise, il n’est
jeuieu ny esbatementesbatemēt qui me puisse, jeie ne veulxueulx pas dire
augmenter ma lyesse, mais diminuer mes miseres,
ausquelles veuilleueuille mettre fin le dieu qui exauce les
oraisons & clameurs des douloureux, ou par pro-
chaine mort, ou par successionsucceßiō de tempstēps plus prospere.
AdoncAdōc Carino responditrespõdit a ma longue complainctelōgue cōplaincte ainsi:
Syncero mon amy, tes douleurs sont merveilleuse-
ment grieves
merueilleuse-
ment grieues
, & ne peuventpeuuent estre entendues sans
tresgrande compassioncompaßion. Mais dy moy, jeie te prie, ainsi F iij



[43v] L’ARCADIE
te puissent mettre les dieux entre les bras de la da-
me tant desirée, quelles rymes estoient ce que jeie
t’ouy nagueres chanter en pleine nuyt? Certaine-
ment si jeie n’avoieauoie oublié les paroles, il me souvien-
droit
souuien-
droit
bien de la facon. Et en recompenserecōpense jeie te donneraydōneray
ceste musette de sureau, que j’i’ay ceuillye de mes
propres mains en des montaignesmõtaignes bien difficiles, &
fort loingtaines de noz villages tellementuillages, tellemettellemēt qu’il n’est
a croyre que jamaisiamais chant de Coq matineux arri-
vast
arri-
vast
jusquesiusques la pour luy oster sa resonnanceresonãnce. AvecAuec ceste
musette j’i’espere (si les dispositions fatales ne te
sont contraires) que tu chanteras quelque fois en
plus hault stile les amours des Faunes & Nym-
phes, & que comme tu as infructueusement dissi-
dißi-
les commencemens de ton adolescence entre pa-
stoureaux simples & champestres, ainsi tu passe-
ras heureusement ta jeunesse entre les trompes re-
sonantes des nobles Poetes de ton siecle, non sans
esperance d’eternelle renommée. Cela dict, il se
teut: & moy en touchant & sonnant ma harpe,
commenceay ainsi:


SYNCERO

SEULSEVL.


Comme nocturne oyseau du Soleil ennemy
JeIe me voysuoys promenant las & fasché parmy
Lieux tenebreux & noirs, pendantpēdãt que sus la terre J’I’appercoy



44 DE SANNAZAR.
JI’appercoy que le jouriour chemine & vaua grand erre.
Puis quand ce vientuient au soir, le Soleil ne me donne
Repos, ainsi qu’il faict a toute autre personne,
Ainsi fault que me reveillereueille, & coure par les plains
Lamentant grievementLamentãt grieuement & gettantgettãt tristes plainctz.
Mais s’il advientaduient par fois que jeie ferme les yeux
En quelques vauxuaux obscurs, ou solitaires lieux,
Comme landes, pastiz, & desertes forestz
Que le Soleil ne peult penetrer de ses raiz,
Cruelles visionsuisions, erreur frivolefriuole & trouble
Me tourmētent tourmentent si fort, & donnentdōnent tant de trouble,
Que j’i’ay telle frayeur quand ce vientuient sus le soir,
Que pour ne m’endormir, n’ose a terre me seoir.
O terre gracieuse, universelleuniuerselle mere,
Ne pourray jeie une fois en ma douleur amere
Dedans quelque verduerd pré si bien me disposer,
Que jusqu’auiusq’au dernier jouriour jeie puisse reposer
Sans point me reveillerreueiller tant que le Soleil vienneuienne
Aux yeux troublez monstrermōstrer la claire lueur siennesiēne,
Faisant ressourdre alors mon corps et mes espritz
Du somme qu’ilz auront si treslongument pris?
Deslors que mon sommeil banny par desplaisir,
Et mon lict delaissay pour en terre gesir,
Les joursiours beaux et serainsseraīs tous troubles m’ontōt semblésēblé
Si ont les champschãpsfleuriz un droict chaume de blé:
Mais quand ce vientquãd ce vientuiēt au poinct que le Soleil retourne F iiij



[44v] L’ARCADIE
Des Antipodes bas, & a nous il adjourneadiourne,
Il me semble qu’il met entierement sa cure
De se monstrer a moy plus noir que nuyt obscure.
Ma dame toutesfois un soir (la mercy d’elle)
En songe m’apparut assez joyeuseioyeuse & belle:
Dont mon cueur s’esjouytesiouyt, comme la terre faict
Du Soleil apres pluye (ainsi que chascun scait)
Et me dict, Mon amy, cesse ton triste pleur:
Puis vienuien en mon jardiniardin y cueillir une fleur,
Ces cavernescauernes laissant, ou tu ne peux veoirueoir goutte:
Car tant que je vivray, jeie uiuray, ie seray tienne toute.
Fuyez donc desormais malencontreux ennuys,
Qui m’avez faict avoirauez faict auoir tant de mauvaisesmauuaises nuytz:
Car jeie m’en voysuoys chercher la campagne jolyeiolye,
Bannissant de mon cueur toute melancholye,
Et doux sommeil prendray sus l’herbette menue:
Car jamaisiamais il n’y eut homme dessoubz la nue,
J’I’entens qui comme moy ait esté amoureux,
Plus ayse, plus content, plus gay, ny plus heureux.
O chanson tu verrasuerras au soir en Orient
Le Soleil se leverleuer, son ordre variantuariant,
Et moy soubz terre mis par la fiere Atropos
AvantAuant qu’en ce pays jeie puisse avoirauoir repos.


A peine estois jeie parvenuparuenu aux dernieres nottes de
ma chanson, quandchãson, quãd Carino s’escryants’escryãt me deit en joyeu-ioyeu- se uoix,



45 DE SANNAZAR.
se voixuoix, ResjouyResiouy toy pasteur Napolitain, & chasse
tant que tu pourras loing de toy la perturbation de
ton courage, rasseurant desormais ta face melancho- melãncho-
lique: car veritablementueritablement tu retourneras a ton doux
pays, & a la dame que plus tu desires, au moins si
le joyeuxioyeux & manifeste signe queq̄  les dieux en demon
strent, ne m’abuse.Helas, commentcõment se pourroit il fai-
re? respondy jeie lors. La vieuie me durera elle bien tant
que jeie la puisse reveoirreueoir? Certes ouy (deit il) & ne
se doit aucun jamaisiamais deffier des augures & pro-
messes des dieux, pource qu’elles sont toutes trescer
taines & infallibles. Parquoy (mon amy) conforte
toy, & pren esperance de future lyesse: car certai-
nement j’i’espere que ton esperer ne sera vainuain. Ne
veoysueoys tu pas sus mains droicte nostre UrsachioVrsachio reve-
nir
reue-
nir
tout gaillard auec ma vache retrouvéeuache retrouuée, res-
jouyssant
res-
iouyssant
les forestz circunvoysinescircunuoysines du son de sa
Musette? A ceste cause, si mes prieres sont de quel-
que efficace en ton endroict, jeie te prie & admone-
ste tanttãt que jeie puis, qu’il te prenneprēne pitié de toymesme,
et que tu mettes une fin a tes lermes angoysseuses:
car (commecõmedit le proverbeprouerbe) jamais on ne veitueit saouler
Amour de lermes, Prez de ruysseaux, ChevresCheures de
feuilles, ny Mousches de nouvellesnouuelles fleurs. Et afin de
te donner meilleur espoir en tes afflictions, jeie te com-
pteray
cō-
pteray
une histoire de moymesme, combien que si jeie



[45v] L’ARCADIE
ne suis du tout joyeuxioyeux, a tout le moins suis jeie en par-
tie deschargé de mes amertumes & tristesses. Cer-
tes jeie fuz en semblable et peult estre en plus dou-
loureux estat, que tu n’es a present & ne fuz onc-
ques, hors mis le voluntaireuoluntaire exil qui tant te mole-
ste: Car jamais tu ne te mis en peril de perdre ce
qu’il te sembloit paravanture avoirparauanture auoir acquis a grand
labeur: commecōme jeie feys, qui tout a un coup mis tout mon
bien, toute mon esperanceesperãce, et toute ma felicité, au ha
zart de l’aveugleaueugle fortune. Et ne doubte point que
jeie n’eusse perdu le tout sans recouvrerrecouurer, si jeie me feus
se desesperé de l’abondante grace des dieux, ainsi
que toy. J’I’estoie doncques, combien que jeie le soie en-
cores, et seray tant que jeie vivrayuiuray, des ma premiere
jeunesseieunesse tresardammenttresardammētespris de l’amour d’une fil-
le, laquelle, a mon advisaduis, par son excessiveexceßiue beaulté
ne surmonte seullement les autres pastourelles d’Ar
cadie, mais les sainctes deesses. Ceste fille pour au-
tant que des son jeuneieune aage avoitauoit esté dediée au ser
vice
ser
uice
de la saincte Diane, et que semblablement j’a-
voye
i’a-
uoye
esté né & nourry dans les boys, facillement
elle avecauec moy, & moy avecauec elle nous acointasmes:
et (commecōme les dieux voulurentuoulurent) tant nous trouvasmestrouuasmes
conformes de meurs & conditions, qu’une amytie
& bienveillancebienueuillance nasquit si grande entre nous,
que jamaisiamais l’une ne l’autre n’avoitn’auoit plaisir ne repoz sinon



46 DE SANNAZAR
sinon quand nous estions ensemble. puis allions a la
chasse par les forestz, garniz d’instrumens conve-
nables
conue-
nables
: & jamais ne revenionsiamais ne reuenions chargez de proye,
qu’avantauant qu’elle fust partie & diviséediuisée entre nous,
les autelz de la saincte deesse ne fussent honora-
blement visitezuisitez & decorez de noz offrandes, at-
tachant aux branches des Sapins quelque hure de
Sanglier, ou rameure de Cerf. Et combien
que nous prinsions merveilleusementmerueilleusement grand plaisir
a toute maniere de chasse, celle des simples oysil-
lons nous delectoit plus que toutes, pource qu’elle
se povoitpouoit continuercõtinuer avecauec plus grand plaisir, et moin-
dre travailtrauail, qu’aucune des autres. Aucunesfois avantauãt
le poinct du jouriour, que les Estoilles n’estoient a grandgrãd
peine disparues pour donnerdōner lieu au Soleil, que nous
veoyons roussirueoyons roußir en Orient entre les nuées vermeil-
les
uermeil-
les
, nous en allions en quelque valléeuallée loingtaine
de la conversationconuersation des gens, & la entre deux ar-
bres les plus haultz que nous pouvionspouuions choysir,
tendionstendiōs nostre grandegrãde retz, tanttãt delyée, qu’a peine la
povoitpouoit on discerner entre les branches: pour laquel-
le cause nous la nommions Araigne. Puis apres l’a-
voir
a-
uoir
ordonnée comme il estoit requis, accourans des
limites du boys, & faisant des mains, bastons, &
pierres, le plus espouventableespouuētable bruyt qu’il nous estoit
possiblepoßible, en battant de pas en pas les hasliers &



[46v] L’ARCADIE
buyssons, venions deversuenions deuers le lieu ou nostre restz e-
stoit preparée. Adonc les Tourdz, Merles, & au-
tres oyseaux se prenoient a escrier, & fuyr devantdeuant
nouz, estonnez de sorte qu’a l’impourveuimpourueu s’alloient
gecter en noz aguetz, ou enveloppezenueloppez demouroientdemouroiēt
penduz comme en plusieurs poches. Parquoy nous
voyansuoyans la proye suffisante, laschions petit a petit les
boutz des maistresses cordes,& en les amenant a
terre, trouvionstrouuions plusieurs oyseaux, les uns se plai-
gnans, & les autres ademy mortz, en si grand
nombre, que souventefoissouuentesfois ennuyez d’en tant tuer,
et n’ayans lieu pour les mettre, les emportions pesle
mesle en noz logis dedans icelle retz mal ploiee.
Par fois aussiaußi en la saison d’Autonne que les espois-
ses trouppes des Estourneaux volansuolans se monstrent
aux regardansregardãs quasi commecōme une boulle ronderōde en l’air,
nous faisions noz effortz d’en recouvrerrecouurer deux ou
trois de leur espece, qui se povoitpouoit faire bien aise-
ment
aise-
mēt
: puis attachionsattachiōs a la jambeiãbe d’un chascun d’eulx un
peloton de ficelle engluée autant long qu’il en po-
voit
po-
uoit
porter Et quandquãd la trouppe volante venoituolãte uenoit a s’ap-
procher de nous, adonc laissionslaißions nous aller en liber-
té les nostres, qui soudainement selon leur instinct
naturel tiroient deversdeuers leurs compagnons, & s’al-
loient
al-
loiēt
fourrer parmy eulx, dontdõtfalloit bon gré mau-
gré qu’avecauec la ficelle engluée ilz attirassent gran- de



47 DE SANNAZAR
de partie de la confuse multitude: & les malheu-
reux qui se sentoient precipiter, ignoransignorãs la cause du
retardement de leur voluol, se mettoientmettoiēt a crier de toute
leur puissance: en quoy faisant remplissoient l’air de
douloureux gemissemensgemissemēs: mais finablement nous les
veoyonsueoyons de pas en pas tumber a noz piedz parmy
les campagnes, tellement que le plus souventsouuēt retour-
nions en noz maisons avecauec les sacz tous pleins de
gibier. Il me souvient aussisouuient außi que jeie me suis beaucoup
de fois mis a rire des accidentz de la Corneille, &
vousuous orrez comment. A chascun coup qu’il nous
en tumboit une entre les mains, nous en allions en
quelque grande plaine, & la par le fin bout des
aelles l’attachions sus la terre le ventreuentre contremeont,
comme si elle eust vouluuoulu regarder le cours des pla-
nettes. Et si tost qu’elle se sentoitsētoit ainsi lyée, se prenoit
a cryer & demener si fort qu’elle faisoit assembler
environ
aßēbler
enuiron
soy toutes les corneilles circunvoisinescircunuoisines. Au-
cune desquelles (paradvantureparaduanture) plus piteuse de l’in-
convenient
in-
conuenient
de sa compagnecōpagne, que bien adviseeaduisee du sien
adveniraduenir, se laissoit par fois aller tout d’un coup versuers
la place ou estoit l’autre attachée, pour la secourir
s’il eust esté possiblepoßible. mais souventesfoissouuentesfois pour bien
faire elle en recevoit mauvaisreceuoit mauuais guerdonguerdõ: car plus tost
n’y estoit abordée, qu’elle ne fust estraincte a beaux
ongles par celle qui attendoitattēdoit le secours, de sorte que



[47v] L’ARCADIE
s’il eust esté a son choix, elle s’en feust voluntiersuolũtiers des
veloppée
des
uelopée
: mais c’estoit pour neantneãt, a cause que la pri-
sonniere la serroit & tenoit si court qu’elle ne la
laissoit tant soit peu separer. Parquoy vous eussiez
veu
uous eußiez
ueu
sourdre un nouveaunouueau combat, l’une cherchant de
s’en fuyr, et l’autre de se remettre en liberté, chas-
cune pour sa part plus ententiveententiue a son salut, que a
celuy de sa compagne. Lors nous cachez en quel-
que lieu pres dela, apres en avoirauoir longuement pris
nostre plaisir, les allions demesler: & la noise ap-
paisée, rentrions en nostre cachette, attendans que
quelque autre nous vinstuinst redoubler le passetemps.
Que vousuous diray jeie de la Grue? Sans point de doubte
il ne luy servoitseruoit de rien faire le guect toute la nuyt,
tenant une pierre en son pied: car en plain midy el-
le n’estoit bien asseurée de noz engins. AussiAußi que
profitoit au Cygne se tenir dedans les eaux pour se
garder du feu, craignantcraignãt la chute de Phaethon, si au
meillieu d’icelles il ne se pouvoit sauverpouoit sauuer de noz
mains? Et toy miserable Perdrix, a quelle cause evi-
tois
eui-
tois
tu les toictz des edifices, rememorant le terri-
ble accident de ton antique ruine, si en plaine terre
quand tu pensois estre en plus grandegrãde asseurance, tu
venois a tumber en noz las? Mais qui croyroit estre
possiblepoßible que l’Oye vigilanteuigilante & songneuse guette
des surprises nocturnes, ne scavoitscauoit pour elle mesme descouurir



48 DE SANNAZAR.
descouvrirdescouurir noz machinations? JeIe vousuous en dy autant
(amys) des Faisans, Coulombs, Tourterelles, Canars
de riviereriuiere, & autres oyseaux: car il n’en fut jamaisiamais
aucun doué par nature de si grande astuce, qui se
peust promettre longue liberté, & se garder de
noz finesses. Mais afin que jeie ne voiseuoise racomptant
toutes choses par le menu, l’aage de m’amye & de
moy, croissant de saison en saison, la longue & con-cõ-
tinuelle acoustumance se convertitconuertit en un amour
si vehementuehement, que jeie n’avoieauoie jamais joyeiamais ioye en mon
cueur sinon quand jeie pensoie en elle. Et n’aiant, amy
Syncero, la hardiesse de luy descouvrirdescouurir aucunement
ma pensée, commecõme tu as dict parcydevantparcydeuãt, jeie devinsdeuins si
piteux a veoirueoir, que non seulementseulemēt les autres pasteurs
en parloient: mais elle qui ne s’en doubtoit, & me
portoit merveilleusementmerueilleusement bonne affection, en avoitauoit
pitie & douleur inestimable. dont non une seule fois,
mais plus de mille a grande instance me pria que
jeie luy voulsisseuoulsisse ouvrirouurir mon cueur, luy faisant enten-
dre le nom de celle qui de ce m’estoit occasion. Ainsi
jeie qui pour n’ozer me descouvrirdescouurir, supportoie en mon
courage une intolerable amertume, quasi avecauec les
lermes aux yeux luy respondoie, qu’il n’estoit licite
a ma langue nommer celle que j’i’adoroie pour ma
celeste deesse, mais que jeie luy monstreroie bien son
excellent & divindiuin pourtraict, quand la commodité



[48v] L’ARCADIE
m’en seroit offerte. Or l’ayant par ces paroles plu-
sieurs joursiours tenue en espoir, advintaduint une fois qu’apres
avoirauoir bien giboié, elle & moy seulletz & eslon-
gnez des autres pasteurs, nous retirasmes deversdeuers
quelque valléeuallée ou sourdoit une fontaine, laquelle
pour ce jouriour n’ayantayãt esté troublée par aucune beste
ou oyseau, conservoitconseruoit en ce lieu sauvagesauuage sa clairté si
pure, qu’elle sembloit de fin Crystal: car elle manife
stoit les secretz de son fons transparenttransparēt, de sorte que
c’estoit une chose singuliere a regarder. Alentour de
ceste fontaine l’onlon n’eust sceu veoirueoir aucuns pas de
bergers ny de chevrescheures, a cause que pour la reverencereuērence
des Nymphes les tropeaux n’en osoient approcher.
Ce jouriour la n’estoit dedans tumbé ne feuille ne bran
chette des arbres d’environenuiron: parquoy paisible sans
murmure ou revolutionreuolution de chose indecente s’en al-
loit par le pays herbu coulant si doulcement qu’a
peine la veoitueoit on mouvoirmouuoir. M’amye et moy nous as-
sismes a l’une de ses rivesriues: & apres nous estre un
bien peu rafraichiz, en escoutant un doulx motet
chanté, a mon jugementiugement, par plus de cent diversesdiuerses
sortes d’oyseaux, elle par nouvellesnouuelles prieres recom-
mencea me contraindre et conjurerconiurer par l’amour que
jeie luy portoie, que je luy voulsisseie luy uoulsisse monstrer le pour-
traict promis, prenantprenãt les dieux en tesmoignage, &
faisant mille autres sermens, que si bon ne me sem- bloit



49 DE SANNAZAR.
bloit, jamaisiamais n’en tiendroit propos a personne. AdoncAdōc
en versantuersant une infinité de larmes, non en ma voixuoix a-
coustumée, mais tremblantetrēblante et casse, luy dy qu’elle la
pourroit veoirueoir en la fontaine. quoy entendantentēdãt elle qui
desiroit cela sus toutes choses, simplement, & sans
plus y penser, baissa les yeux deversdeuers ceste eau serie:
et la dedansdedãsapperceut son visageuisage exprimé au natu-
rel: dontdõt, si bien m’en souvientsouuiēt, promptementprõptement se troubla,
et descoulora de sorte qu’elle fut preste d’en tumbertũber
pasmée. Puis sanssãs me dire un tout seul mot, en visageuisage
eschauffé se departit d’avecquesauecq̄s moy. MaintenantMaintenãt chas
cun de vousuous (sans que jeie le dye) peult considerer en
quel estat je me trouvay, me voyantie me trouuay, me uoyant en courroux a-
bandonner de celle que j’avoie peu auparauanti’auoie peu auparauantauparavãt qua-
si veuueu pleurer de pitye qu’elle avoitauoit de mon marty-
re. Quant a moy, jeie ne scay (certes) que je devinsie deuins en
cest instant, ne qui me reporta en ma maison: mais
bien vousuous puis jeie dire, que jeie fuz quatre joursiours &
autant de nuytz sans reconforter mon corps de re-
pos ny de repas: & que ce pendantpēdant mes vachesuaches af-
famees, closes en l’estable, ne prindrent substance
d’herbe ny d’aucune liqueur: parquoy les povrespoures
veauxueaux susseans les tetines taries des meres ademy
mortes de famine, et n’y trouvanstrouuans le laict acoustu-
mé, languissans aupres d’elles, remplissoientremplissoiēt les pro-
chaines forestz de lamentables mugissemens: dont G



[49v] L’ARCADIE
ne faisant gueres d’etime, m’estoye getté sus la ter-
re, & n’entendoye sors a me plaindre, tellementtellemēt que
jamaisiamais homme m’ayant veuueu au temps de ma tran-
quillité passée, ne m’eust recongneurecōgneu pour Carino. Les
bouviersbouuiers, les pasteurs de brebiz & de chevrescheures,
avecauec les paysans des prochains villagesuillages me ve-
noient visiter
ue-
noient uisiter
, pensans que jeie feusse sorty de mon
sens (comme sans point de doubte si estois jeie) & en
grand pitié me demandoient la cause de mon af-
fliction. Mais jeie ne leur faisoye point de response,
ains entendant seulement a gemir, en lamentable
voixuoix disoye: Vous Arcadiens chanterez ma mort
en vozuoz montaignes. Arcadiens qui seulz de chanterchãter
estes maistres, en vozuoz montaignes ma mort vousuous
chanterezchãterez. O que mes os reposerontreposerōt doulcement quanddoulcemēt quãd
vozuoz musettes compteront mes amours & mon in-
fortune a ceulx qui naistrontnaistrōt apres moy. FinablementFinablemēt
la cinquiesme nuyttée, estantestāt oultre mesure desireux
de mourir, pour cest effect sorty de ma maison, mais
jeie ne m’adressay pas a l’odieuse fontaine, occasion
de mon malheur, ains errant parmy les boys sans
tenir voyeuoye ny sentier, et atraversatrauers des montaignes ru
des et malaisées, ainsi que les piedz & la fortu-
ne me guydoient, a bien grand peine j’arrivayi’arriuay sus
une haulte roche, pendante sus la mer, d’ou les pes-
cheurs ont acoustumé descouvrirdescouurir les poyssons na- geans



50 DE SANNAZAR.
geans en flotte. Sus ceste roche avantauãt que le Soleil se
levastleuast, jeie m’asseisaßeis au pied d’un chesne: ou il me sou-
vint
sou-
uint
que j’avoyei’auoye autresfois reposé ma teste dans le
giron de mon ennemye: comme si cest arbre eust eu
quelque proprieté pour remedier a ma fureur. Et
apres avoirauoir longuement souspiré, ainsi que faict le
Cygne pronostiqueur de sa mort, jeie me pris en voixuoix
lente et casse a dire ainsi les lecons de mes funerail
les: O cruelle et despite fille, plus severeseuere quesque les
Ourses furieuses, plus dure que le boys des
chesnes envieillizenuieilliz, & plus sourde a mes prieres
que les flotz enragez de la mer tourmentée: tu
gaignes maintenant la bataille: car voicyuoicy le poinct
que jeie m’en voisuois mourir. Contente toy doncques do-
resnavant
do-
resnauãt
: car jamaisiamais plus ma presence ne te fasche-
ra. Mais veritablement j’ueritablemēt i’espere que ton cueur, lequel
ma fortune prospere na sceu esmouvoiresmouuoir a pitié, s’a-
mollira par mon malheur: dont trop tard faicte pi-
toyable, seras, peult estre, contrainctecōtraincte de blasmer ta
grande rigueur, & desireras pour le moins veoirueoir
mort celuy, lequelleq̄ vivantuiuant tu n’as voulu conforteruoulu cōforter d’une
simple parole. Helas commentcōment se peult il faire, que la
grande amytie laquelle tu m’as si longuement por-
tée, soit maintenantmaintenãt bannie de ton cueur? Helas ne te
reviennentreuiēnent quelques fois en memoire les delectables
jeuxieux de nostre enfance, et que nous allionsalliōs ensemble G ij



[50v] L’ARCADIE
par les forestz cueuillir les fraizes, les faynes des
hestres, et tiranttirãt les chastaignes hors de leurs escor-
ces? As tu desjadesia mis en oubly les premiers lyz, &
les premieres roses, que jeie te souloie apporter des
campagnes, que j’avoyei’auoye si curieusementcurieusemēt cherchées,
qu’a grand peine en avoientauoient encores les mousches a
miel gousté, quand par mon moyen et pourchas tu
alloys parée de mille nouvellesnouuelles fleurettes, dont tu
faisoys des chapeaux et boucquetz? Las combiencōbien de
foys me jurasiuras tu lors, que quandquãd jeie ne te faisoye com-
pagnie, les fleurs ne t’estoient point odorantesodorãtes, et les
fontaines ne te rendoient leur saveursaueur acoustumée?
O ma vieuie douloureuse, a qui parlay jeie maintenant?
Qui escoute mes propoz, sinonsinō Echo? laquelle croiantcroiãt
mes angoisses, commecōme celle qui autrefoys a faict l’es-
preuve
es-
preuue
de semblables, toute piteuse en murmurant
respond au son de ma voixuoix. Toutesfoys jeie ne scay
ou elle est cachée. Que ne vientuient elle maintenantmaintenãt s’ac-
compagner
s’ac-
cōpagner
avecauec moy? O Dieux du ciel et de la terre,
ensemble tous autres qui avezauez soing de miserables
amoureux, je vousie uous supply prestez vozuoz piteuses o-
reilles a mes lamentationslamētations, et prenez garde aux do-
lentes voixuoix que mon ame faict sortir de mon corps.
O Naiades habitanteshabitãtes des fleuves couransfleuues courãs, O Napées
tourbe gracieuse des lieux separez, & des pures
fontaines, haulsez quelque peu hors des vaguesuagues uoz



51 DE SANNAZAR.
vozuoz testes blondes, et recevezreceuez mes derniers criz
avantauant que jeie meure. PareillementPareillemēt vousuous belles Orea-
des qui toutes nues avezauez apris d’aller chassantchaßãt par-
my les haultes rivesriues, laissez maintenantmaintenãt le domaine
des montaignesmõtaignes, et venezuenez a ce miserable, lequel, j’i’en
suis certain, vousuous fera pitié, encores que sa cruelle
dame prenneprēne plaisir a le veoirueoir ainsi tourmentertourmēter. Sail-
lez hors de vozuoz logettes o piteuses Hamadryades
songneuses conservatricesconseruatrices des arbres, et prenez un
peu garde au cruel tormenttormēt qui mes mains promptementprõptemēt
m’appareillent. AussiAußi Dryades tresbelles damoysel-
les des haultes forestz, lesquelles noz pasteurs n’ontõt
une foys seule, mais plus de mille veu environueu enuiron les
soirs danser en rond soubz les Noyers ayant vozuoz
blondes chevellurescheuellures esparses dessus les espaules.
Faictes, je vousie uous supply, si vousuous n’estes revoltées avecreuoltées auec
ma fortune inconstante, que ma mort ne soit celée
entre ces umbrages, mais que tousjourstousiours elle se voiseuoise
divulgant de jour en jourdiuulgant de iour en iour par tous les siecles adve-
nir
adue-
nir
, a ce que le temps qui deffault a ma vieuie, satisfa-
ce a ma renomméerenõmée. O Loupz, o Ours, et tous autres
animaux, qui vousuous cachez dans les horribles ca-
vernes
ca-
uernes
, demeurez maintenant en seureté: car vousuous
ne verrez jamaisuerrez iamais plus ce bouvierbouuier lequel avoitauoit cou-
stume de chanter par les montaignesmõtaignes & forestz. A-
dieu rivagesriuages, Adieu campagnes, Adieu rivieresriuieres & G iij



[51v] L’ARCADIE
ruisseaux, et vivezuiuez longuementlonguemēt sans moy. Mais pen-
dant
pen-
dãt
qu’en soef murmure vousuous yrez parmy les pier-
reuses valléesuallées, courant deversdeuers la haulte mer, ayez
tousjours en souvenance vostretousiours en souuenance uostre Carino, lequel fai-
soit icy paistre ses vachesuaches: lequel y couronnoit ses
Toreaux, & qui avecauec sa Cornemuse y souloit es-
jouyr
es-
iouyr
son bestail, savourantsauourãt la liqueur des fontaines.


En disantdisãt ces parolles, jeie m’estoie levéleué pour me pre-
cipiter du hault en bas de celle roche, quandquãd soudai-
nement sus main droicte vey veniruey uenir deux Coulombs
blancz, qui en joyeux volioyeux uol se vindrentuindrent poser sus le
chesne soubz lequel j’i’estoie, ou en peu de tempstēps s’en-
tredonnerent mille baisers en doux et affectueux
bruyt: dont commecōme de prospere augure j’i’y prins espe
rance de bien futur: parquoy avecauec plus meur conseilcōseil
commenceaycōmēceay a me blasmer de la folle deliberationdeliberatiō que
j’i’avoieauoie vouluuoulu suyvirsuyuir, ascavoirascauoir de destruire par crue-
le mort, une reparable amytié: & n’avoien’auoie encores
gueres demouré en ce penser, quand jeie me trouvaytrouuay
(ne scay commentcommēt) surpris de celle qui m’estoit occa-
sion de tout ce mal: laquelle curieuse de mon salut
avoitauoit d’un lieu ou elle s’estoit mussée, plainement
veuueu et entendu tout ce que j’avoiei’auoie dict et faict. Par-
quoy non autrement que feroit une piteuse mere es in-
fortunes de son unique filz, gettant maintes larmes
amoureuses, et me reconfortantrecōfortãt d’un recueuil treshon neste



52 DE SANNAZAR.
neste, elle sceut bien faire que de desespoir et de
mort incontinent me remyt en l’estat que vousuous voiezuoiez.
Or que dironsdirōs nous maintenantmaintenāt de la puissance admi-
rable des Dieux? sinon qu’a l’heure qu’ilz monstrentmōstrēt
nous menasser de plus perilleuse tempeste, c’est lors
qu’ilz nous conduysentcōduysent a plus tranquilletrãquille port. A ceste
cause, Syncero mon amy, si tu prestes aucuneaucūe foy a l’hi
stoire par moy comptéecōptée, et si tu es hommehōme tel que j’i’esti-
me, tu devrois desormaisdeurois desormais te reconforter commerecōforter cōme les au-
tres, et fermementfermemēt esperer en tes adversitezaduersitez, que tu
pourras encores a l’ayde des Dieux retourner en
plus joyeuxioyeux estat: car certainement il ne peult estre
qu’entre tanttãt de nuées quelque fois ne se monstre le
Soleil: et dois scavoirscauoir que tanttãt plus on a de peine d’ac
querir les choses desirées, plus sont elles tenues che
res et precieuses quandquãd on vientuiēt a en avoirauoir la fruitionfruitiō.
Cela dict, pour autantautãt qu’il se faisoit tard, mettantmettãt fin
a son propos, nous deit Adieu, et s’en alla touchanttouchãt sa
vache devantuache deuãt soy. Mais si tost qu’il fut party de la com
pagnie

pagnie
, tous ensemble et en un mesme instantinstãt apper-
ceusmes de loing a traverstrauers les arbres veniruenir desssus
un petit asne, un hommehōme si herissé et tanttãt douloureux
a ses gestes, qu’il nous faisoit grandementgrãdemēt esmerveilleresmerueiller.
mais apres qu’il se fut destourné de nous, et entréētré en
un sentier qui tiroit a la villeuille, nous congneusmescōgneusmes sans
point de doute que c’estoit Clonico l’amoureux, pasteur G iiij



[52v] L’ARCADIE
tresdocte entre tous autres, et bienbiē expert en la Mu-
sique. A raison de quoy Eugenio qui estoit de ses plus
gransgrãs amys, et scavoitscauoit toutes ses passionspaßiōs amoureuses,
allant audevantaudeuant de luy, en noz presences se print a
luy dire ainsi:


EUGENIOEVGENIO.


Mais ou vasuas tu sus ton asne en ce poicnt,
Palle, transy, languissant, mal en poinct,
Le poil rebours, la barbe entremeslée,
Errant tout seul parmy ceste valléeuallée?
Certainement qui te verroituerroit ainsi
Plein d’amertume, & comble de soulcy,
S’estonneroit, & diroit tout ensemble,
A Clonico cestuy la ne resemble.
Peult estre as tu vouloiruouloir d’abandonner
La solitude, afin de t’adonner
En quelque villeuille, ou l’amour gette au double
D’ardz furieux, batuz en forge trouble.
Mais qui fiance en feminin cueur met,
Labeure en l’eau: du gravier grauier se promet
Grain receuillir, & le ventuent cuide prendre
En un filé, qu’alencontre il vaua tendre.


Clonico


Si jeie pouvoyspouuoys desnouer de mes mains
Le neu cruel, ou le lascher du moins,
Si que mon col tant ne feust enserré Dessoubz



53 DE SANNAZAR.
Dessoubz le jougioug ou il est enferré,
En ce pays n’auroit forestz ny champs
Ou bien souventsouuent ne feisse ouyr mes chantz,
Si que SylvansSyluans & Dryades diroient
Que Dametas & Corydon vivroientuiuroient:
Et leur feroys delaisser leur repos
Pour escouter mes devizdeuiz & propos.
Puis en dansant feroyent souventsouuent ouyr
Mille chansons pour maintz cueurs esjouyresiouyr,
Dont Satyreaux tous desceinctz & deschaux
Feroient sus l’herbe infinité de saultz.
Ainsi Amour & sa mere Venus
Vaincuz de deuil, & de rage tenuz,
A se blasmer pourroient bien condescendre
De n’auoir sceu me rediger en cendre.
Toutes les fois que ce penser m’advientaduient,
En pasmoyson tumber il me conuieutconvientconuient.
Las ne viendra jamaisuiendra iamais l’heure & le jouriour
Qu’entre les francz pourray dire en sejourseiour,
Graces aux dieux qui m’ont vouluuoulu renger:
Eschappé suis d’un terrible danger?


Eugenio.


AvantAuant seront le Myrte & GenevrierGeneurier
Secz en esté, comme autres en JanvierIanuier,
Durant lequel sourdront de place en place
NouvellesNouuelles fleurs soubz transparente glace,



[53v] L’ARCADIE
Que ce qu’en vainuain tu desires, advienneaduienne,
JeIe t’en asseure (amy) & t’en souviennesouuienne,
Si vostreuostre dieu Cupido ne veoytueoyt rien,
Comment peut il discerner mal du bien?
Qui prend pour guyde un follet non voyantuoyant,
MerveilleMerueille n’est s’il s’en vaua forvoyantforuoyant.
Ce vivreuiure humain semble a une journéeiournée
Qui se voyantuoyant trop tost a fin tournée,
Conceoit en soy telle vergogneuergongne & honte,
Que couleur rouge en la face luy monte.
Pareillement quand la vieillesseuieillesse ploye
Les ans vollansuollans, que si mal on employe,
Dedans les cueurs n’aissentnaissent d’espitdespit & deuil,
Causans souspirs & mainte lerme d’oeuil.
O Dieu, comment peuventpeuuent plaisir avoirauoir
PovresPoures mondains quand viennentuiennent a scauoir
Que tous noz faictz en ce valual terrien,
Incontinent sont redigez en rien,
Et que noz biens les heures larronnesses
Furtivement ravissentFurtiuement rauissent par finesses?
Il est bien temps que ton ame enterrée,
En ord bourbier, ou elle est enserrée,
AvantAuant la mort tasche a se resentir:
Ou bien trop tard viendrasuiendras au repentir.
Mais si toymesme a raison ne te renges,
Quelle esperance en auront les estranges?



54 DE SANNAZAR.
Dea, si ton cueur ne peut d’amours jouyriouyr,
Il est bien temps de follie fuyr.
O quantesfois de tes sottes manieres
Se sont gaudiz ces montz & ces rivieresriuieres?
Si tu me dis que ta grand passionpaßion
Les a par fois meuz a compassioncompaßion,
En as tu veuueu les montz a toy courir
Pour a ton mal par pitié secourir?
As tu congneu l’eau son cours arrester
Pour allegeance a ta peine prester?


Clonico.


Bien heureux sont les cueurs d’amour uniz,
En vieuie & mort de franc vouloiruouloir muniz,
Tel que jamais jalouxiamais ialoux, ou filz d’envieenuie
A divorserdiuorser ne les meut ne convieconuie.
Hyer au soir estant au boys ravyrauy,
Sus un Ormeau deux tourterelles veyuey
S’entrebaiser, puis au nid se retraire,
Et a moy seul le Ciel est tant contraire.
En ce regard, amy, jeie ne scay point
Si j’i’eu pouvoirpouoir d’aspirer en ce poinct,
Mais la douleur adonc me pressa tant,
Qu’a peine peu demourer en estant.
Diray jeie tout, ou si jeie m’en tairay?
Certes croy moy, jeie ne t’en mentiray:
JeIe choisy lors un Plane pour m’y pendre,



[54v] L’ARCADIE
Et fuz tout prest d’une retorte prendre,
Mais ce cruel meurdre alors jeie ne feiz,
Pource qu’aux yeux Amour me meit Iphis.


Eugenio.


Las a combien de frivoles ne visentfriuoles ne uisent
Sotz amoureux qui la vieuie desprisent
Quand un desir de mort les prend & lye?
Tant a chascun plaist sa propre follie.
Si tost qu’ilz sont a l’amour adonnez
Certes ilz sont si fort desordonnez
Qu’avantauant leur poil aura couleur changé,
Qu’a la raison se soit leur sens rengé:
Et priseront une oeuillade ou soubzrire
Plus qu’unqu’n troupeau pour grand qu’on puisse dire.
AussiAußi par fois quand les vientuient occuper
Yre ou despit, ilz voudroientuoudroient bien coupper
Le fil tyssu des Parques par accordz
Pour chasser l’ame & l’amour de leurs corps.
Bien leur plairoit retourner en arriere:
Mais nul n’en tourne au bout de la carriere.
JamaisIamais par feu ne sont ars ou bruslez,
Ny par froydure ou glace congelez:
Et toutesfois incessamment se plaignent
Sans mal avoirauoir (bien est vrayuray qu’ilz le faignent)
Fuyr voudroyentuoudroyent l’amour & son escolle,
Mais chascun d’eux estroictement l’accolle. Ie ne



55 DE SANNAZAR.
JeIe ne scay pas si c’est vieuie ou mort
Qu’ilz vontuont nommant liberté: mais au fort
Tant plus ilz sont en cela follians,
Plus se vontuont ilz a martyre lyans.


Clonico.


DevantDeuant mes yeux (bien que ne le demande)
Se vientuient offrir la douloureuse amande,
Et pense veoirueoir Phyllis la povrepoure fille
Morte pendant, qui au ventuent se brandille.
Dont s’il se treuvetreuue encores sus la terre
Quelque pitié, jeie la voudroysuoudroys requerre
Me consentir que jeie mette a delivredeliure
Mon ame estant faschée de plus vivreuiure:
Car l’onl’onlon ne peut trouvertrouuer plus doulce vieuie,
Que de mourir quand il en prend envieenuie.
O terre donc, qui contenter me peux,
Contente moy maintemant si tu veuxueux,
Engloutissant en ton centre profond
Ce triste corps qui diminue & fond,
Si que jamaisiamais homme n’en puisse avoirauoir
Indice aucun, ny nouvelle scavoirnouuelle scauoir.
Fouldres aussiaußi qui faictes tout trembler,
De toutes pars venez vousuenez uous assembler
Dessus celuy lequel invoqueinuoqu’ & crye
Vostre secours, & de sa mort vousuous prie
Pource qu’il sent un mal si tres amer



[55v] L’ARCADIE
Qu’il voudroituoudroit bien apprendre a desaymer.
Bestes venezuenez a moy qui vousuous desire,
Et puis chascune aux ongles me dessiredeßire.
Pasteurs aussiaußi lamentez pas a pas
Cil qui vousuous faict honte par son trespas:
Mais ne prenant garde a mon malefice,
UsezVsez en moy de pitoiable office.
Entre Cypres dressez ma sepulture,
Tesmoing a tous de ma triste adventureaduenture,
Sans oublier d’ardre avecquesauecques ma personne
Les versuers piteux que maugré moy jeie sonne,
Et decorez de bouquetz & de fleurs
Le monument, en lermes & en pleurs:
Puis vousuous tournans par grand compassioncompaßion
Faictes autour une processionproceßion,
Disans, Par trop estre a l’amour soubzmis,
O povrepoure Amant, tu es en cendre mys.
Peut estre lors me monstrerez a celle
Qui ard mon cueur d’amoureuse estincelle,
Et perdrez temps a crier sus ma lame:
Car elle est sourde aussiaußi bien que ma dame.


Eugenio.


En escoutant ta triste plaincte, amy,
JeIe sens quasi comme un Lyon parmy
Tous mes espritz, ou comme un Ours grogner,
Et m’est advisaduis que les veoyueoy renfrongner,



56 DE SANNAZAR.
Dont si les loix de ton Roy jeie renverserenuerse,
Prens ma sentence a ta raison diversediuerse,
Ainsi joyeux vivrasioyeux uiuras si tu le faiz,
Et te verrasuerras deschargé de ce faix.
Ayme Apollo, & Genius sacré:
Fuy ce meurdrier, lequel t’a massacremassacré:
Car il faict mal a la simple jeunesseieunesse,
Et grand vergogneuergogne a la sotte vieillesseuieillesse.
Lors nostre Pan de toutes graces plein,
Auec Pales augmenteront a plein
Ton troupelet, que tu yras comptant
SouventesfoisSouuentesfois en homme bien content.
Adonc porter ne te desdaigneras
La forte besche, a quoy tu gaigneras
VivreViure & vestureuesture, en plantant Nepitelle,
Asperge, Anet, concombre, & autre telle.
Passe a cela ton temps, & t’y dispose:
Car en amy certes jeie te propose
Qu’on ne racquiert la liberté tant chere
Par lamenter, & faire triste chere,
Mesme que l’homme est autant malheureux
Qu’il se repute, ou autant valeureuxualeureux.
De ton rasteau les mottes casseras,
Ou hors des bledz l’yvrayeyuraye poulseras,
Ainsi que moy, qui les joursiours de loysir,
Pour en paresse infame ne moysir,



[56v] L’ARCADIE
M’en voysuoys souventsouuent tendre aux petiz oyseaux
Trappe ou filez entre herbes & roseaux,
Ou quelque piege au cauteleux Regnard
Qui est souventsouuent attrapé par tel art.
Ainsi se chasse amour aspre & felon,
Et a l’envieenuie adonc ne pense l’onlon.
Ainsi au monde & ses deceptions
Ne met on pas grandes affections.
Ainsi fault il qu’amoureuse esperance
Trop temeraire & folle en apparence
Virilement soit du penser bannye,
Que rudement elle traicte & manye.
Au demourant veoyueoy que tes chevrescheures pleines
S’en vontuont fuyant atraversatrauers de ces plaines
Droict a tes chiens, pour l’effroy que leur faict
Le loup qui tasche en surprendre (de faict).
Advise aussiAduise außi comme les champs s’esmaillent
De mille fleurs, & pastoureaux qui saillent
Pres la fontaine au son du flageolet
En bondissant dessus le serpolet.
Regarde aussiaußi le mouton debonnaire
Du beau Phryxus, c’est un signe ordinaire
Qu’en peu de joursiours aurons neuveneuue saison:
Car le Soleil arrivearriue en sa maison.
Chasse pensers qui te rendent hectique,
Et font aller nuyt & jouriour fantastique Croyant



57 DE SANNAZAR.
Croyant qu’au monde il n’y a mal aucun,
Ou il n’y ait remede, fors a un.
JeIe ne te dy ces motz a l’estourdye,
Ains jeie les masche avantauant que te les dye.



L’onLon n’entendoit plus par les boys les Cigales
chanterchãter, mais les Grillons se faisoyent bien ouyr tout
le long des campagnes, & s’estoient jaestoiēt ia tous oyseaux
pour fuyr les tenebres de la nuyt, retirez en leurs
nidz accoustumez, excepté les ChauvesChauuessouriz, qui
sortoient de leurs cavernes merveilleusementcauernes merueilleusement ayses
de volleruoller en l’obscurité, quand en un mesme instant
Eugenio meit fin a son chanter, & les troupeaux
de noz bestes devallansdeuallans des montagnes, vindrentuindrent
se renger en la place ou la cornemuse sonnoit. Par-
quoy a la lueur des estoilles tous ensemble partans
du lieu ou l’onlon avoitauoit chanté, nous meismes au retour
emmenans Clonico quant & nous. Ce soir logeas-
mes en une petite valleeuallee assez prochaine, en laquel-
le quand le temps estoit beau (commecōme lors qu’il estoit
Esté) les vachesuaches des bouviersbouuiers du pays y faisoient
leur giste la plupart des nuytz. Mais en temps
de pluye, les eaux descendantes des montagnes cir-
cunvoysines
cir-
cunuoysines
s’y viennentuiennēt toutes assembleraßēbler. Ceste val-
lée
ual-
lée
naturellement ceincte de Chesnes, Erables, Lie-
ges, Lentisques, Saules, & autres especes d’arbres H



[57v] L’ARCADIE
sauvagessauuages, estoit si bien fermée de toutes pars, que
l’onlon n’y povoitpouoit entrer fors par un seul endroit: &
l’umbrage causé de la confusion des branchesbrãches feuil-
lues, estoit tant espes & si fort, que non seulement
a celle heure qu’il faisoit nuyt, mais encores que le
Soleil eust esté au plus hault du ciel, a grand peine
eust on sceu veoirueoir sa lumiere. En ce lieu nous ren-
geasmes noz brebiz & noz chevrescheures a coste des
vachesuaches, le mieux qu’il fut possiblepoßible. Et pource que de
fortune aucun de la compagniecōpagnie n’avoitauoit quant & soy
porté son fusil, Ergasto plus ingenieux que les au-
tres, eut soudainement recours a ce que la commoditécõmodité
luy presenta. il print deux bastons, l’un de Lyerre, et
l’autre de Laurier, & tanttãt les frotta l’un contrecõtre l’au-
tre, qu’il en feit saillir du feu, dont en plusieurs pars
allumasmes des brandonsbrãdons. Cela faict, aucuns se mei-
rent a traire les bestes, d’autres a racoustrer leurs
musettes, ou recoller les bouteilles fendues, chascun
s’appliquantappliquãt a ce qui luy sembloit bon de faire, jusquesiusques
a ce que le soupper fust prest: lequel achevéacheué en as-
sez grand contentement d’un chascun, pource que
desjadesia bonne partie de la nuyt estoit passéepaßée, toute la
bende s’en alla dormir. Mais le jour venuiour uenu, que les
rayons du Soleil apparurent sus les sommitez des
montaignes, n’estant encores la rosée dessechée sus
les herbes, nous chassasmes nostre bestail hors ceste valléeuallée



58 DE SANNAZAR
valléeuallée, & le menasmes aux champs paistre, tirans
par un sentier destourné au mont Menalo prochain
de nous, deliberez de visiteruisiter le sainct templetēple du dieu
Pan, honoré en ce pays sus tous autres. AdoncAdõc Cloni-
co vouloituouloit laisser la compagnie. Et quandquãd on luy de-
manda qui le mouvoitmouuoit, il responditrespōdit que son intention
estoit d’acheveracheuer l’entreprise que la nuyt precedente
luy avionsauions destourbée, qui estoit querir remede a sa
langueurlãgueur par le moyen d’une matrone estimée mer-
veilleusement
mer-
ueilleusement
bonne ouvriereouuriere de sortileges & en-
chantemens: car le communcõmun burytbruyt est (deit il) que la
deesse Dianeluy monstramõstra en songe toutes les herbes
de Circe et Medée, par la vertuuertu desquelles, quandquãd les
nuytz sont les plus obscures, elle s’en va vollantua uollãt en
l’air couuerte de plumes comme une chevechecõme une cheueche, et par
son art souventesfoissouuentesfois obfusque le ciel de nuées um-
brageuses, puis a sa volunteuolūte le reduict en sa preceden-
te
precedē-
te
clairte. aucunesfois elle faict arrester le cours des
fleuvesfleuues, & remonterremõter les eaux contrecõtre leurs sources et
fontaines. DavantageDauantage elle est sur toutes autres mai-
stresse d’attirer du ciel les estoilles obfusquées di-
stillantes gouttes de sang, & d’imposer loy par ses
paroles au cours de la lune enchantéeenchãtée: mesmes de con-
voquer
cõ-
uoquer
en plein midy la tenebreuse nuyt sus la face
de la terre, faisant sortir les dieux nocturnes hors
l’infernale confusion. quelques autres fois quandquãd par H ij



[58v] L’ARCADIE
son long et secret murmure, la dure terre s’est entre-
ouverte
en-
treouuerte
, elle evocqueeuocque hors des desertes sepultu-
res les ames des antiques predecesseurs, et scait fai-
re plusieurs autres choses merveilleusemerueilleuses & incre-
dibles a racompterracõpter, & ce par une mixtion composée
de la sanie fluantefluãte des jumensiumēs en amour, meslée avecauec
sang de Vipere, cervelleceruelle d’ours enragé, poil de l’ex-
tremité de la queue du loup, et plusieurs autres jusius
de racines & herbes pleines de puissance admira-
ble. Adonc Opico luy vaua dire, Certainement jeie croy
mon filz que les dieux lesquelz tu sers & adores
devotementdeuotement, te ont ce jourd’huyiourd’huy faict veniruenir entre
nous pour estre pourveupourueu de remede a tes passionspaßions
amoureuses, de sorte que j’i’ay bonne esperance si tu
veulxueulx prester foy a mon dire, que tu en seras joyeuxioyeux
tout le temps de ta vieuie. Mais a qui te pourrois tu
mieux adresser pour avoirauoir secours en ce besoing, que
au bon hommebõ hõme Enareto pasteur docte pardessus tous?
lequel apres avoirauoir abandonné ses troupeaux, s’est
maintenant dedié aux sacrifices de Pan nostre dieu
souverainsouuerain. La pluspart du secret des choses divinesdiuines
& humaines est manifeste a ce pasteur, car il con-
gnoist ciel, terre, mer, le Soleil, les cours de la Lune,
les estoilles dontdõt le zodiaque est paré, ascavoirascauoir Plia-
des, Hyades, Orion, les Ourses majeurmaieur & mineur,
& une infinité d’autres, qui seroient trop longueslõgues a racompter



59 DE SANNAZAR.
racompterracõpter: dont par consequentcõsequent il scait les saisons pro-
pices a labourer, semer, moyssonner, planter vignesuignes
& oliviersoliuiers, puis en receuillir les fruictz au tempstēps de
leur maturité: davantagedauantage quand il faict bon esbran
cher arbres, puis les revestirreuestir de branches adopti-
ves
adopti-
ues
. AussiAußi comme il faut gouvernergouuerner les mouches a
miel: & si elles estoient mortes, la maniere de les
resusciter par sang putrifié de veauxueaux suffoquez.
& qui est chose merveilleusemerueilleuse a dire, mais beaucoup
plus difficile a croyre, advintaduint une nuyt ainsi qu’il se
dormoit entre ses vachesuaches, que deux dragons luy le-
cherent les oreilles, dont il s’esveillaesueilla en sursaut, &
se trouvatrouua terriblement effroyé: mais environenuiron l’aube
du jouriour il eut intelligenceintelligēce perfaicte du jargoniargõ de tous
oyseaux, tellementtellemēt qu’il entenditentēdit un RossignolRoßignol sus un
Cormier chantant, ou pour mieux dire, se lamantantlamentãt
de son amour, qui invoquoitinuoquoit les prochaines forestz a
son secours: mais un passereau luy respondoitrespõdoit qu’en
Leucadie se treuvetreuue une haute roche, de laquelle qui
se laisseroit tumber en la mer, incontinentaincõtinent seroit hors
de tourment. puis une Alouette l’asseuroit qu’en
une certaine contrée de Grece (dont bonnement ne
suis recors du nom) est la fontaine de Cupido, de tel-
le nature, que qui en boyt, perd tout soudain sa dou-
leur amoureuse. A ceste Alouette le povrepoure Rossi-
gnol
Roßi-
gnol
gemissant tendrement replicquoit les eaues H iij



[59v] L’ARCADIE
estre de nulle efficace en son endroit. Et sus ces en-
trefaictes arriverentarriuerent un Merle, un Bruyant, & une
Linotte, qui reprindrent ledict RossignolRoßignol de sa fol-
lie, d’autant qu’il ne vouloituouloit croyre les celestes ver-
tuz
uer-
tuz
estre infuses aux eaux sacrées. puis se meyrentmeyrēt a
luy narrer les proprietez de tous les fleuvesfleuues, fon-
taines & viviersuiuiers de ce mondemōde, desquelz iceluy Ena-
reto me sceut amplement repeter les noms, natures,
& pays ou ilz sourdentsourdēt, & par ou ilz passent, sans
en oublier un tout seul: tant il les avoitauoit bien fichez
en sa memoire. Encores me feit il mention d’au-
cuns oyseaux, du sang desquelz brouillé ensemble
se concrée un merveilleuxmerueilleux serpent, de telle proprie-
té, que si quelq’un prenoit la hardiesse d’en men-
ger, il n’y auroit si estrange parler d’oyseaux, qu’il
n’entendist incontinent. AussiAußi me parla il de jeie ne
scay quel animal, et me deit que qui beuroit un peu
de son sang, puis avantauant le poinct du jouriour se trouvasttrouuast
sus une montaignemõtaigne portantportãt plusieurs sortes d’herbes,
il les entendroit ouvertement deviserouuertement deuiser ensemble, &
manifester leurs natures, mesmes au poinct qu’elles
estans chargées de rosée s’ouvrentouurent aux premiers
rayons du Soleil levantleuãt pour rendre graces au crea-
teur des vertuzuertuz qu’il leur a infuses, qui sont sans
point de doubte si merveilleusesmerueilleuses, et en si grandgrãd nom-
bre, que bienbiē heureux seroientseroiēt les pasteurs qui en au- royent la



60 DE SANNAZAR.
royent la congnoissance. DavantageDauantage (si la memoire
ne me decoyt) il me deit qu’en un pays fort estrangeestrãge
& loing d’icy, ou les gensgēs naissentnaissēt aussiaußi noirs qu’Oli-
ves
Oli-
ues
meures, & ou le Soleil court si bas que s’il n’e-
stoit chault, l’onlon le pourroit toucher du bout du doy,
se treuvetreuue une herbe de telle efficace, que qui la get
teroit en un lac ou riviereriuiere, soudainement l’eau se-
roit toute tarie, & toutes serrures que l’onlon en tou-
cheroit, seroient incontinent ouvertesouuertes. Puis en conti-
nuant propos, me parla d’une autre tant exquise,
que qui la porteroit sus soy, en quelque partie du
monde qu’il allast, jamaisiamais n’auroit necessité, &
ne sentiroit fain n’y soif, ains auroit abondance de
toutes choses convenablesconuenables a la vieuie. Mais entre au-
tres ne me cela,& aussi ne feray jeie a vousuous, la
merveilleuse vertumerueileuse uertu du Chardon a cent testes, as-
sez congneu en noz rivagesriuages: la racine duquel re-
presente aucunesfois similitude du sexe masculin,
ou feminin: combien qu’il s’en treuvetreuue peu sou-
vent
sou-
uent
: mais si de bonne encontre aucun trouvoittrouuoit
celle de son sexe, sans point de doubte ce seroit
pour avoir grandauoir grãd heur en amours. En apres il pour-
suyuit les proprietez de la VerveyneVerueyne, tresagrea-
ble sacrifice des antiques autelz, affermant que
toute personne s’estant frottée de son jusius, impetre
de chascun tout ce qu’il demande, pourveupourueu qu’el- H iiij



[60v] L’ARCADIE
le ait esté cueuillye en temps & heure. Mais pour-
quoy me voys je travaillant a vousuoys ie trauaillant a uous racompter tou-
tes ces choses, quand nous sommes tout pres du
lieu de sa residence, & vousuous sera loysible de l’en-
tendre amplement de luy? He pere (deit adonc
Clonico) moy & tous ceux cy aymons mieux les
ouyr de vousuous tout en cheminantcheminãt, pour alleger le tra-
vail
tra-
uail
du chemin, afin que quandquãd il nous sera licite de
veoirueoir ce sainct pasteur, l’ayons en plus grande re-
verence
re-
uerence
, & puis en noz forestz luy facions les
honneurs convenablesconuenables ainsi quasi comme a un dieu
terrestre. Alors le bon homme Opico retournant au
propos delaissédelaißé, se print a dire qu’il avoitauoit apris de
ce mesme Enareto quelques enchantemens pour
resister aux tempestes de la mer, tonnoires, neiges,
pluyes, gresles, et impetuositez des ventsuentz s’entre-
combatans. En outre tesmoingna luy avoir veuauoir ueu le
quinziesme jouriour de la Lune engloutir le cueur d’u-
ne Taulpe encores chault & remouantremouuãt, puis met-
tre sus sa languelãgue l’oeuil d’une Tortue d’Inde: au moyenmoyē
desquelles choses il predisoit beaucoup de futurs
accidens. Apres il deit aussiaußi qu’il luy auoit veuueu une
pierre d’espece de Crystal tirée du gezier d’unũ Coq
blancblãc, ayant telle vertuuertu, que quiconques la porteroit
sus soy aux luttes, infalliblement en gaigneroit le
pris, & vaincroituaincroit tous ses adversairesaduersaires. Puis asseura luy en



61 DE SANNAZAR.
luy en auoir veuueu une autre en semblance de langue
humaine, toutesfois un petit plus grande, laquel-
le ne vientuient de la terre comme les autres, ains tum-
be du Ciel au deffault de la Lune: & mainte-
noit que celle pierre n’est de petite utilité aux am-
bassadeurs d’amourettes. Semblablement disoit luy
en avoir veuauoir ueu une pour resister au froid, une au
chault, & une contrecõtre les nuysans regardz des yeux
empoysonnez d’envieenuie. Et n’oublia (certes) celle qui
estant enveloppée avecestãt enueloppée auec une certaine herbe & aucu-
nes paroles de Magicque, rend invisibleinuisible celuy qui la
porte, tellement qu’il peult, quand bon luy semble,
aller en toutes places, & faire entierement sa vo-
lunté
uo-
lunté
sans crainte d’estre empesché d’homme qui
viveuiue. Cela dict, parla d’une dent arrachée du costé
droit d’une certaine beste Hyena nommée (si bien
m’en souvientsouuient) disant qu’elle estoit de telle efficace
que si un chasseur l’avoitauoit lyée a son bras droit, ja-
mais
ia-
mais
ne fauldroit a frapper la beste a laquelle il
tireroit. & sans se departir de ceste Hyena, vaua dire
que qui en porteroit la languelãgue soubz son pied, jamaisiamais
ne seroit par les chiens abbaié. Pareillement qui en
porteroit les poilz du museau enveloppezenueloppez en la
peau de ses genitoires, et attachez au bras gauche,
si tost qu’il regarderoit quelquequelq̄ femmefēme lascivementlasciuemēt, sou-
dain la feroit (voulsistuoulsist elle ou non) veniruenir apres luy



[61v] L’ARCADIE
par tout ou bon luy sembleroit. Puis laissant le pro-
pos de cest animal, me deit avoirauoir entenduētēdu diceluy mes-
me Enareto, que qui mettroit le cueur d’un Hiboux
sus la mamelle d’une femme dormante, il la feroit
en songeant parler & revelerreueler tout son secret. Ainsi
saultantsaultãt d’une chose en autre, arrivasmesarriuasmes au pied de
la haulte montaigne, avantauant que nous feussionsfeußions ap-
perceuz avoirauoir laissé la plaine: et lors nous trouvanstrouuãs
au lieu desiré, cessant Opico son propos, comme la
fortune voulutuoulut, avisasmesauisasmes le sainct vieillartuieillart qui se
reposoit au pied d’un arbre: et aussiaußi tost qu’il nous
veitueit, se levaleua de sa place pour nous veniruenir a l’encontreencõtre,
& donner la bienvenuebienuenue. C’estoit certainement un
homme de majestemaieste, et digne de grande reverencereuerence, a
veoirueoir son front ridé, sa barbe et ses cheveuxcheueux longz
a merveillesmerueilles, et plus finement blancz, que la laine
des brebiz de Tarente. De l’une de ses mains il te-
noit un baston autant beau que j’i’en eusse jamais veuiamais ueu
a pasteur: car du bout d’en hault retortillé, sortoit
un loup emportantemportãt un mouton, faict de si grand ar-
tifice, qu’on luy eust bien haslé les chiens. Quand ce
vieillartuieillart eut honorablement receuilly nostre Opico,
& puis nous tous l’un apres l’autre, il invitainuita la com-
pagnie
cõ-
pagnie
de reposer avecauec luy en l’umbreũbre: et apres qu’il
eut ouvertouuert sa pannetiere faicte de la peau d’un che-
vreul
che-
ureul
, mouchetée de blancblãc, il en tira avecauec autres cho ses



62 DE SANNAZAR.
ses une bouteile de Tamarin, singulierement belle,
& bien tournée, voulantuoulant qu’en reverencereuerēce du communcõmun
Dieu nous beussionsbeußiõs tous avecquesauecques luy. puis la colla-
tion passéepaßée, qui ne dura gueres longuementlõguemēt, il se tour-
na deversdeuers Opico, & luy demanda que nous en tel-
le bende allions querant. Adonc Opico prenant par
la main Clonico l’amoureux, va respondre, Sansua respõdre, Sãs point
de doubte Enareto ta vertuuertu singuliere sus tous au-
tres, & l’extreme de ce povrepoure pasteur,
nous ont faict veniruenir en ceste forest. Cestuy cy, afin
que tu l’entendes, aymant oultre mesure, & ne sa-
chant dominer a ses affections, se va consumantua cõsumant com-
me la cire devantdeuant le feu: a raison de quoy ne som-
mes icy venuzuenuz pour ouyr les oracles du Dieu Pan
qui les rend par nuyt en ces montaignes, plus veri-
tables
ueri-
tables
qu’en autre temple dontdõt il soit memoire: mais
querons ton ayde & secours, afin que tu le retires
de la tyrannie d’amour, & le rendes franc & li-
bere a nous, & aux forestz qui merveilleusementmerueilleusement
le desirent. ce faisant, confesserons que tu nous au-
ras rendu toutes noz joyesioyes perdues. Et afin que tu
saches quel homme c’est, jeie t’adviseaduise qu’il paist en ces
montaignes pour le moins mille bestes a laine, &
jamais yveriamais yuer ny Esté ne se treuvetreuue despourveudespourueu de
laict fraiz. De son art de chanterchãter jeie ne t’en diray au-
tre chose, mais quand tu l’auras getté de la prison



[62v] L’ARCADIE
d’amour, tu le pourras ouyr a ton bel ayse, & suis
certain qu’il te plaira. Disant Opico ces paroles, le
vieiluieil prestre contemploitcõtemploit ce pasteur barbu: & meu
de pitié de le veoirueoir ainsi palle & extenué, s’appa-
reilloit de respondrerespõdre a ce subgect: mais en ces entre-
faictes, des prochaines forestz vint jusquesuint iusques a noz
oreilles un son melodieux meslé d’une voixuoix delicate:
parquoy tournans la veueueue celle part, apperceusmes
sus le bord d’un ruisseau un chevriercheurier nommé Elen-
co, lequel assisaßis au pied d’un Saule, taschoit a res-
jouyr
res-
iouyr
ses bestes en sonnant de sa chevrettecheurette: ce qui
nous feit incontinent tirer versuers luy: mais si tost qu’il
nous veitueit approcher, comme s’il en eust eu despit,
cacha vistement sa chevretteuistement sa cheurette, & se tint coy. dont
nostre Ophelia fasché en son courage pour l’estran-
geté
estrã-
geté
de l’acte, luy qui estoit merveilleusementmerueilleusemēt promptprōpt
en gaudisseries & brocars, a noz requestes fut
content l’irriter par injuresiniures, pour le provocquerprouocquer a
chanter: parquoy en se mocquantmocquãt de luy, par ces versuers
picquans acompaignez d’un rire vilipendantuilipendant, le con
traignit a luy respondre.


OPHELIA.


Dy moy nouveau chevriernouueau cheurier, & ne te fasche point,
Ce troupeau que tu as si maigre et mal empoint,
Quel sot te l’ala baillé pour mener aux champschãps paistre?

Elen-



63 DE SANNAZAR.

Elenco.


Mais toy vieillart bouvieruieillart bouuier, dy moy qui te feit estre
Si hardy de briser a Clonico son arc,
Semant inimitié des pastoureaux au parc?


Ophelia.


Ce fut (peult estre) lors que Sauuage en soucy
Pourchassoit sa musette, & son tabour aussiaußi,
Que tu avois emblez, hommehõme meschant & lasche.


Elenco.


Mais contre UranioVranio ne te servitseruit la Bache:
Car mauvaismauuais coup de bec tresbien navrernaurer te sceut:
QuandQuãd le chevreaucheureau robas, aux guestres t’apperceut.


Ophelia.


Moy? jeie l’avoisauois gaigné a mieux chanterchãter, mais en ce
D’Ergasto ne vouloit approuverapprouuer la sentence,
Lequel m’en couronna & de Myrte et de Lyerre.


Elenco.


Qui? toy? N’ouy jeie pas un jouriour sus une pierre
Contre Gallicio ta harpe faire office
D’un aignelet bellant, qu’on traine au sacrifice?


Ophelia.


Or chantons a l’espreuveespreuue, & laissons ce langage,
Metz ta chevrettecheurette en jeuieu, jeie ne veuilueuil autre gage:
Montan la question vuiderauuidera tout d’un traict.


Elenco.


Metz celle vacheuache toy, qui souventsouuēt mugle et brait,



[63v] L’ARCADIE
JeIe te mettray ce cuir, et deux petitz cerfz masles
Nourriz d’ozeille et Thin, qui sontsōt gras commecōme rasles.


Ophelia.


Metz ta chevrettecheurette donc, jeie mettray ces vaisseauxuaisseaux
Ou tes chevrescheures trairas plus alaise qu’en seaux:
Car ces vachesuaches jeie paiz pour ma marastre austere.


Elenco.


Si ne scaurois tu tant d’excuses me faire,
Que jeie ne te descouvredescouure. Eugene vientuient apoint:
Garder ne te pourras que de moy ne sois poinct.


Ophelia.


J’I’ayme mieulx Montano, qui est plus ancien.
Ce tien jugeiuge n’est pas trop bon practicien,
Et ne croy que son sens puisse attaindre si hault.


Elenco.


Vien a l’umbre Montan, car le ventuent en ce chault
Parmy les feuilles bruyt, & le fleuvefleuue murmure.
Note qui de nous deux la veineueine aura plus meure.


Ophelia.


Vien Montan ce pendant que noz bestes ruminentruminēt,
Et qu’alaigres chasseurs versuers les bois s’acheminementacheminēt
Enseignant a leurs chiens les gistes et les trasses.


Montano.


Chantez a celle fin qu’entendent ces terrasses,
Comment le perdu siecle, en vousuous se renouvellerenouuelle,
Chantez jusquesiusques au soir, mais en mode nouvellenouuelle.

Ophelia.



64 DE SANNAZAR.

Ophelia.


Montano, cestuy cy qui contre moy s’espreuveespreuue,
Garde les chevrescheures d’un que fantastiqu’on treuvetreuue.
Miserable est la trouppe en telle garde estant.


Elenco.


Corbeau pernicieux, Ours aspre & molestant,
Mors ta langue qui est toute enflée de rage,
Et transporter se laisse au furieux courage.


Ophelia.


Malheureux est ce bois, que tes criz assourdissent,
Phebus & Delia s’en vontuont & se gaudissent,
Gette ta Lyre au loing: car en vainuain tu l’accordes.


Montano.


Quoy? vousuous ne chantez pas, ce sont icy discordes.
Or cessez de par Dieu, cessez vostreuostre follie:
Sus commence Elenco, & respons Ophelie.


Elenco.


La divinediuine Pales prend a mon chant plaisir,
Et pare mes cheveuxcheueux de rameaux a loisir:
Nul ne se peult venteruenter de faveursfaueurs tant apertes.


Ophelia.


Le Dieu Pan demy bouc, lievelieue les cornes, certes
Pour ma musette ouyr, dont court et saulte au son,
Puis s’en fuyt, mais il tourne en joyeuseioyeuse facon.


Elenco.


QuandQuãd par fois au printempsprintēps mes chevrescheures seul jeie tire,



[64v] L’ARCADIE
Ma chevreriecheuriere s’en rid, & se prend a me dire
Quelque petit brocard, qu’apres elle adoulcit.


Ophelia.


Tyrrhene en bonne foy de ses souspirs m’occit,
Quand semble que des yeux die plus qu’a demy,
Qui me separe (helas) de mon loyal amy?


Elenco.


Il n’y a pas long temps que j’i’apperceu nicher
Sus un antique chesne un coulomb, que j’i’ay cher:
Car jeie l’ay reservéreserué pour ma dure ennemie.


Ophelia.


Et moy j’i’engresse au bois pour ma traictable amie
Un jeune bovillonVn ieune bouuillon, de ses cornes tant bravebraue,
Qu’entre les grans toreaux se marche, & faict (du bravebraue.


Elenco.


Nymphe de ces forestz, tresamiables seurs,
Voz autelz pareray de roses & de fleurs,
Si par vousuous mon amour est en bien fortunée.


Ophelia.


Priape, au commencer de la nouvellenouuelle année
Offrandes te feray de laict chault & recent,
Si tu metz une fin au mal que mon cueur sent.


Elenco.


JeIe scay que celle la sans qui jeie ne puis vivreuiure,
Laquelle par ces bois amour me faict poursuivrepoursuiure,
A pitié de mon mal, combien qu’elle me fuyt.

Ophe-



65 DE SANNAZAR.

Ophelia.


La mienne en bonne foy m’incite jouriour & nuyt
De chanter a son huys, et respond a mes roolles
Angelicques propoz, & divinesdiuines paroles.


Elenco.


Ma mignonne m’appelle, & soudain se retire,
Puis quelque pomme apres d’industrie me tire,
Voulant qu’entre feuillars voyeuoye sa cotte blanche.


Ophelia.


Et la mienne m’attend de sa voluntéuolunté franche
A la rive du fleuveriue du fleuue, ou me faict tant de festes,
Que j’i’en metz en oubly ma personne et mes bestes.


Elenco.


Si mon Soleil n’estoit en ces forestz luysant,
Les feuilles des rameaux s’en yroient destruysant,
Et les undes seroient des fontaines taries.


Ophelia.


D’herbe sont desnuez ces montz, & ces praries,
Mais si mon beau Soleil y luyt, on les verrauerra
De fleurs se revestirreuestir par pluye qui cherra.


Elenco.


Saincte viergeuierge Diane, & toy Phebus le blond,
Par les trousses pendans de vozuoz flans tout au long
Faictes moy surmonter cest estrange Cacus.


Ophelia.


O celeste MinerveMinerue, et toy plaisant Bacchus I



[65v] L’ARCADIE
Par la vigneuigne sacrée, & le digne olivieroliuier,
Que j’i’emporte en mon sac le pris de ce chevriercheurier.


Elenco.


S’il couroit un torrent de laict emmy ces vauxuaux,
Tant qu’en l’umbreũbre feroys des paniers, mes travauxtrauaux
Me seroient aussiaußi doulx quasi comme un tresor.


Ophelia.


Si tes cornes estoient (blanc Toreau) de fin or,
Et chascun de tes poilz de precieuse soye,
Combien plus qu’a present, me ferois tu de joyeioye?


Elenco.


O quantesfois s’en vient jolieuient iolie & mignonnette
La bergiere que m’a destiné ma planette,
Avec moy deviserAuec moy deuiser parmy tous mes troupeaux?


Ophelia.


Las quelz souspirs me gette aguz comecõe couteaux
La Nymphe que j’i’adore? O ventzuentz delicieux
Portez en trois ou quatre aux oreilles des dieux.


Elenco.


Eglogue, a te former j’i’employe tout mon art,
La main, l’entendement, et le stile sans fard,
Sachant que tu seras en mille livreliures leue.


Ophelia.


Bucolique, or te prise ainsi que chose eleveeleue:
Car mille ans expirez ton renom florira
En loz perpetuel, & maint en soubzrira.

Elenco



66 DE SANNAZAR.

Elenco.


Quiconque de l’ardeur d’amour sera touché,
QuandQuãd sus arbres percreuz verrauerra ton nom couché,
O femme, dira il, que dieu te feit de grace?


Ophelia.


Toy qui renouveller verrasrenouueller uerras de race en race
Ton nom apres ta mort, & de ces boys volleruoller
Aux cieulx, tu te peulx bien tresheureuse appeller.


Elenco.


Faunus se ryd de toy sus ce hault mont icy:
Paix, Vachier: car si j’ay jugementi’ay iugement en cecy,
La chevrecheure ne peult faire au Lyon resistence.


Ophelia.


Cours Cigale en ce lac fangeux a mon instance,
Et provocqueprouocque a chanter les Raines une a une:
Peult estre, mieulx qu’icy sera la ta fortune.


Elenco.


Quelle beste est si pres d’humain entendement,
Qu’elle adore la Lune assez devotementdeuotement,
Puis se voulantuoulant purger entre en quelque fontaine?


Ophelia.


Mais qui est cest oyseau de nature haultaine,
Qui victuict sans per, & puis de vivreuiure estant lasselassé,
Se brule en bois exquis par luy propre amasseamassé?


Montano.


Malfaict qui par orgueil contre le ciel estriveestriue, I ij



[66v] L’ARCADIE
Finer fault ce proces, afin que l’onlon l’escriveescriue:
Car oultre ne s’estend le pastoral scavoirscauoir.
Or paix couple gentile, a qui jeie faiz scavoirscauoir
Que bois sacrez se sont de vozuoz chantz esjouyzesiouyz.
Mais j’i’ay grand peur que Pan les aura bien ouyz.
Voy le cy, jeie le sens aux branchesbrãches qu’il faict bruire,
Tourner en l’umbreūbre, plein d’orgeuilorgueil, et prest a nuyre,
Et de son nez crochu soufflant mortel veninuenin.
L’eloquent Apollo, qui vousuous est si begnin
Ait la victoireuictoire seul. Pren tes vases bouvieruases bouuier,
Et toy pareillement ta chevrette chevriercheurette cheurier,
Que le ciel nous accroisse en bontez et valeurualeur
Commme entre les sillons l’herbe par sa chaleur.


Les forestz qui avoientauoient doulcement resonné pen-
dant le chanter des deux pasteurs, s’estoient desjadesia
rapaisées, acquiescentes a la sentence de Montano,
lequel avoitauoit rendu les gages, & donné au Dieu A-
pollo l’honneur & la couronne de victoireuictoire, comme
a celuy qui est stimulateur des bons & nobles en-
tendemens. A raison de quoy nous laissans ce riva-
ge
riua-
ge
herbu, tous joyeuxioyeux commenceasmes a remonter
la coste de la montaigne, riant a chasque pas, et de-
visant
de-
uisant
du debat passépaßé: & n’eusmes pas faict de che
min plus de deux traictz de fonde, que petit a pe-
tit ne commenceissions a descouvrircommenceißiõs a descouurir de loing le boys venerableuenerable



67 DE SANNAZAR.
venerableuenerable & sacré, au quel homme vivantuiuant n’osoit
entrer avecquesauecques coignée ou autre ferrementferremēt, dontdõt en gran-
de
grã-
de
religion, et pour la crainte des dieux vindicatifzuindicatifz
il s’estoit entre les paysans jaia plusieurs annéesãnées conser-
cõser-
en son entier, et dict on (mais jeie ne scay s’il est a
croire) que au temps jadiziadiz quand le monde n’estoit
si plein de mauvaistiezmauuaistiez comme il est, tous les Pins y
parloient en notes entendibles, respondantrespōdant aux chan
sons des pasteurs. Nous estans doncquezdōcquez arrivezarriuez la
soubz la conduicte du sainct prestre, par son ordon
nance lavasmeslauasmes noz mains en une petite fontaine
d’eau viveuiue, qui sourdoit a l’orée du bois, n’estant de
la religion permis entrer avecauec crimes et pechez en
lieu tant sainct. Lors aiant avant toute oeuvreauant toute oeuure adoré
le grand dieu Pan, et puis les autres incongneuzincōgneuz (s’il
y en avoitauoit quelques uns qui pour ne se monstrer
a noz yeux, se mussassent parmy les feuilles) nozus
tirasmes avantauant sus le pied droit en signe d’augure
prospere, chascun priant taisiblement en son cueur
les deitez que tousjourstousiours nous feussent propices tanttãt
au present affaire, que en toutes les occurrentes ne-
cessitez
ne-
ceßitez
futures. Puis entrezētrez en ceste saincte Pinnie-
re, trouvasmestrouuasmes soubz le pendant d’une montaigne,
entre des roches ruinées, une grande & vieilleuieille ca-
verne
ca-
uerne
(ne scay si naturele ou artificiele) mais elle
estoit cavéecauée en la montaigne, en laquelle de la mes- I iij



[67v] L’ARCADIE
me roche, & par les mains des rustiques pastou-
reaux fut formé un autel sus lequel estoit posee la
grande effigie du Dieu sauvagesauuage, taillée en bois, ap-
puyée sus un long baston d’olivieroliuier tout entier. En sa
teste deux cornes droictes elevées deverseleuées deuers le ciel. La
face rouge comme une fraize meure. Les jambesiambes et
les piedz veluzueluz, & non point d’autre forme que
ceulx des chevrescheures. Son manteau faict d’une grande
peau mouchetée de taches blanches. De l’un & de
l’autre costé de cest autel pendoientpēdoient deux larges ta-
bles de hestre, escriptes en lettres pastorales, lesquel
les aiant esté conservées successivementconseruées succeßiuement de temps
en autre par les bergers precedens, contenoient les
loix antiques, & les enseignemens de la vieuie pasto-
rale: & de la sont venuesuenues toutes les doctrines qui
maintenant sont en usage par les forestz. En l’une
estoient notez tous les joursiours de l’année, les varia-
bles
uaria-
bles
changemens des saisons, les inequalitez des
joursiours & nuytz, ensemble l’observationobseruation des heures
(non peu necessaire aux vivansuiuans) les infaillibles pro-
gnostications des tempestes: Quand le Soleil a son
leverleuer denonce beau temps, pluye, ventuent, ou gresle:
Quelz joursiours de la Lune sont heureux, & quelz
infortunez aux negoces des hommes: Mesmes ce
que tout homme en chascune heure doit suyvresuyure ou
evitereuiter pour n’offenser les voluntez divinesuoluntez diuines. En l’au- tre



68 DE SANNAZAR.
tre table se lisoit quelle devoitdeuoit estre la belle forme
du toreau & de la vacheuache, les aages ydoines a en-
gendrer & veellerueeller, puis les saisons & temps com-
modes a chastrer les veauxueaux pour s’en povoir servirpouoir seruir
soubz le jougioug aux ouvragesouurages de agriculuture. sembla-
blement
Sēbla-
blement
comme la ferocité des MoutonsMoutõs se peult mi-
tiguer en leur perceant la corne joignantioignant l’oreille: et
comme en leur liant le genitoire droict, ilz engen-
drent des femelles: et en leur serrantserrãt le gauche, font
des masles. Comment les aigneaux sont produictz
tous blanczblãcz, ou variezuariez d’autres couleurs. Quel reme
de est bon pour garder que les brebiz n’advortentaduortent
par l’espoventementespouētemēt du tonnoirre. CommentCõment fault gou-
verner les chevrescheures, quelles, de quel aage & forme
elles doiventdoiuēt estre, mesmes en quel quartier de pays
elles sont plus fertiles. AussiAußi comment on peult con-
gnoistre leur aage par les neux de leurs cornes. Da
vantage
Da
uantage
y estoientestoiēt escriptes toutes les medecines con
cernantes les maladies de pasteurs, de leurs chiens,
& de leurs troupeaux. DevantDeuant ceste cavernecauerne estoit
un Pin merveilleusementmerueilleusement hault & spacieux, qui
rendoit grandgrãd umbrage. A l’une de ses branches pen
doit une musette a sept voixuoix, egalement conjoincteconioincte
de cire blanche par dessus & par dessoubz, &
n’en fut (peult estre) jamais veuiamais ueu la semblable a pa-
steur en aucune forest. Lors nous enquerans qui en I iiij



[68v] L’ARCADIE
avoit esté l’autheur (pource que la jugionsiugions faicte et
encirée de mains divinesdiuines) le prestre sage respondit,
Ceste canne, mes amys, est celle que le grand Dieu
que maintenant vous voyezuous uoyez, se trouvatrouua en ses mains
quand ayguillonné d’amour, il suyvoitsuyuoit par ces fo-
restz la belle Syringa: par la soudaine transmuta-
tion de laquelle se voyantuoyant frustré de son desir, il
souspira souventesfoyssouuentesfoys en memoire de ses antiques
ardeurs, & les souspirs se convertirentconuertirent en doulce
armonie. Adonc ainsi solitaire assisaßis en ceste caver-
ne
cauer-
ne
aupres de ses chevres paissantescheures paißãtes, il se print a join-
dre
ioin-
dre
de cire neufveneufue sept chalumeaux, l’ordre des
quelz venoit successivementuenoit succeßiuement diminuant comme les
doitz de noz mains. AvecAuec ceste musette il lamen-
ta longuement ses infortunes parmy ces montai-
gnes: puis elle veintueint (ne scay comment) es mains
d’un pasteur de Sicile, lequel avantauant tout autre eut
bien hardiesse de la sonner sus les claires undes de
la belle Arethusa, sans craindre Pan, ny autre Dieu:
& dict on que tant qu’il chantoit, les Pins d’envi-
ron
enui-
ron
luy respondoient, mouvantmouuant leurs sommitez:
& les chesnes champestres, oublians leur nature
sauvagesauuage, abandonnoient leurs montaignes nature-
les pour l’entendre, & faisoient doux umbrage
aux brebiettes escoutantes. Adonc n’y avoitauoit Nym-
phe ny Faune en ces forestz qui ne meist peyne a tresser



69 DE SANNAZAR.
a tresser chappelletz pour decorer sa perrucque
de fleurs nouvellesnouuelles. Mais ce pasteur estant surpris
de la mort envieuseenuieuse, donna ceste musette a Tityre
Mantuan: & comme l’esprit luy deffailloit, en la
baillant se print a dire: Tu en seras desormais le se-
cond possesseur, & en pourras a ta volunteuolunte recon-
cilier les Toreaux discordans, car tu luy feras get-
ter un son merveilleusementmerueilleusement agreable aux dieux
champestres. Ainsi Tityre bien joyeuxioyeux d’un si grandgrãd
honneur, s’esbatant de ceste musette feit premiere-
ment resonner aux forestz le nom de la belle Ama-
ryllis: puis l’ardeur de Corydon pour Alexis: la con-
tention de Dametas & Menalcas: & consequem-
ment la chansonchãson de Damon & Alphesibeus. PendantPendãt
lesquelles choses souventefoissouuētesfois faisoit aux vachesuaches ou-
blier leur pasturage pour la merveillemerueille qu’elles en
avoyentauoyēt, & contraignoitcōtraignoit les bestes sauvagesauuages de s’ar-
rester entre les pasteurs: pareillement les fleuvesfleuues a
retarder leur cours acoustumé, sans avoirauoir soing de
rendrerēdre a lamerla mer son tribut ordinaire. Encores en son-
na ce Tityre la mort de Daphnis, la chanson de Si-
lenus, l’ardent amour de Gallus, & autres choses,
dont jeie pense que les forestz ont & auront souve-
nance
souue-
nance
tant qu’il y aura pastoureaux en ce monde.
Mais il ayant de sa nature l’entendement disposé a
choses plus hautes, ne se povantpouant satisfaire de tant



[69v] L’ARCADIE
simple armonye, changeachãgea ce tuyau que vous voyezuous uoyez
plus gros et plus neuf que les autres, afin de mieux
chanterchãter les affaires d’importanceimportãce, et rendrerēdre les forestz
dignes des ConsulesCõsules de Rome. puis quand il eut aban-
donné
abã-
dõné
les chevrescheures, il se meit a faires des enseignemensenseignemēs
d’agriculture, en espoir de sonner par apres avecauec
trompette plus resonante les armes du magnanime
Aeneas. Et cela faict, la pendit a cest arbre en reve-
rence
reue-
rence
de ce dieu qui luy avoitauoit presté faveurfaueur en son
chanter. Apres ce Tityre jamaisiamais ne veintueint pasteur en
ces boys qui la peust sonner au devoirdeuoir, nonobstant
que plusieurs stimulez de voluntaireuoluntaire hardiesse, s’y
soyent maintesfois esprouvezesprouuez, & ordinairement
espreuventespreuuent. Mais pour ne consumer toute la journéeiournée
en ces devisesdeuises, & afin de retourner a la cause pour
laquelle vousuous estes cy assemblez, jeie declaire que
ma puissance & mon scavoitscauoir ne sont moins appa-
reillez de subvenirsubuenir aux occurencesoccurrēces d’un chascun de
la compagnie, que ilz sont presentement a cestuy
seul. Toutesfois a raison que pour le decours de la
Lune le temps n’est propre ny commode, vousuous m’en-
tendrez pour cest’heurecest’ heure seulement parler du lieu
ou nous fauldra trouvertrouuer, & des moyensmoyēs que devronsdeurõs
tenir. Toy doncques pasteur amoureux, a qui sin-
gulierement ce faict touche, preste maintenant tes
promptes & ententivesententiues oreilles a mes paroles.

Entre



70 DE SANNAZAR.


Entre des montaignes desertes qui ne sont gue-
res loing d’icy, se treuvetreuue une creuse valléeuallée ceincte
tout a l’entour de sauvagessauuages forestz resonantes d’u-
ne si terrible sorte, que vousuous n’ouystes oncques telle
chose: & tant est belle, estrangeestrãge & admirable, que
de primeface met frayeur aux courages de ceux
qui y surviennentsuruiennent, lesquelz au bout d’un temps ras-
seurez & remiz en vigueuruigueur, ne se peuventpeuuēt saouler
de la contempler de toutes pars. L’onLon y entre par un
seul passage merveilleusementmerueilleusement estroict & difficile:
mais tanttãt plus bas l’onlon descenddescēd, plus se treuvetreuue la voyeuoye
large, & la clairte diminuée, a cause que depuis le
hault jusquesiusques au plus profond, elle est quasi toute
obscure, pour les umbrages procedans des sauva-
geaux
sauua-
geaux
& espines qui y sont. Puis quand l’onlon est a la
plaine terre, une fosse grande & noire se presente
devantdeuant les piedz, entrant en laquelle soudainement
sont entenduz horribles rabastementz faictz par
espritz invisiblesinuisibles, comme si mille milliers de Nac-
caires y sonnoientsonnoiēt. En ceste obscurité sourt un fleuvefleuue
impetueux & terrible a merveillesmerueilles, lequel parmy
ce grand vorageuorage s’efforceant saillir en lumiere, n’a
la puissance de ce faire, ains s’abysme tout inconti-
nent, si qu’il ne luy est loysible se monstrer que bien
peu au mondemõde: & se vaua precipiter en la mer par une
voyeuoye occulte & incongeueincõgneue, parquoy l’onlon ne scait de



[70v] L’ARCADIE
luy autre nouvellenouuelle sus la terre. C’est pour certain un
lieu sacré, & digne d’estre tousjourstousiours habité des
dieux, commecōme sans point de doute si est il: et n’y scau-
roit on trouvertrouuer chose qui ne soit venerableuenerable & sain-
cte: tant il se presente reverendreuerend & de grande ma-
jesté
ma-
iesté
aux yeux des regardans. La te veuxueux jeie mener
si tost que la Lune sera plaine, pour avant toute oeu-
vre
auãt toute oeu-
ure
te purifier (aumoins si tu as la hardiesse d’y ve-
nir
ue-
nir
) & apres que par neuf foys t’auray plongé de-
dans ce fleuve
de-
dãs ce fleuue
, jeie feray d’herbes et de terre un autel
neuf, que jeie pareray de troys ornemens de diversesdiuerses
couleurs, puis dessus brusleray de la VerveneVeruene, de
l’ensensēcēs masle, et autres herbes non arrachées de leurs
racines, mais fauchées a la lueur de la lune nouvel-
le
nouuel-
le.
Apres enroseray ce lieu d’une eau triple tirée de
trois fontaines, & te feray desceinct & dechaux
d’un pied, faire par sept fois la processionproceßion autour de
cest autel: devantdeuant lequel de ma main gauche tien-
dray par les cornes une breby noire, & de ma
droicte un couteau bien affilé: puis a haute uoix in-
vocqueray
in-
uocqueray
trois cens noms de dieux incongneuzincōgneuz, &
avecquesauecques eux la venerableuenerable nuyt accompagnée de
ses tenebres, les estoilles taciturnes consentantes des
practiques secrettes, la Lune puissante au ciel &
aux abysmes, la claire face du Soleil environnéeenuironnée de
rayons ardansardãs, laquelle sans cesse tournoyant a l’en- tour



71 DE SANNAZAR.
tour du monde, veoitueoit & congnoistcõgnoist sans quelque empe-
schement
em-
peschemēt
tous les negoces des mortelz. Cela faict
appelleray tous les dieux qui habitent au ciel, en
la terre, & en la mer: le grandgrãd Ocean pere & pro-
geniteur universeluniuersel de toutes choses, les chastes Nym
phes engendrées de sa semence, ascavoirascauoir les cent
qui ont la garde des forestz, & les autres cent qui
presidentpresidēt aux fleuvesfleuues, fontaines & ruisseaux. Da-
dvantage invocqueray
Dad-
uantage inuocqueray
les Faunes, Lares, SylvansSyluans &
Satyres, avecauec toute la bendebēde feuillue des demydieux,
l’air souverainsouuerain, la dure face de la terre, les lacz
dormans, fleuves couransfleuues courãs, & les bouillonnantesbouillonnãtes fon-
taines. Puis n’omettray les regnes obscurs des dieux
souterrains, mais invocquantinuoquant la triple Hecate, sub-
joindray
sub-
ioindray
le profond Chaos, le grandgrãd Erebus, & les
infernales Eumenides habitanteshabitãtes des eaux stygiales.
Et s’il est aucunes autres deitez la bas qui par di-
gne punition chastientchastiēt les detestables crimes des hu-
mains, jeie les supplieray qu’elles soyent toutes pre-
sentes a mon sacrifice. Et en ce disant prendray un
vaisseau de vinuaisseau de uin excellent, lequel jeie verserayuerseray sus le
front de la breby condamnée. Puis quand luy auray
d’entre les cornes arraché une poignée de laine
noire, jeie la getteray dedans le feu pour les premie-
res arres du sacrifice, & luy coupant la gorge
du couteau a ce dedié, jeie recevrayreceuray en une tasse le



[71v] L’ARCADIE
sangsãg tout chault, duquel gousteray seulementseulemēt de l’ex-
tremité des levresleures: & cela faict, le mesleray avecauec
de l’huille & du laict, que jeie rependrayrepēdray en la fos-
se faicte devantdeuant l’autel, afin d’en esjouyresiouyr nostre me-
re la terre. Lors t’ayant preparé de ceste sorte, te
feray tout plat estendre sus la peau de la breby, &
oindray tes yeux & ton visageuisage de sang de Chau-
vesouriz
Chau-
uesouriz
, a ce que les tenebres de la nuyt ne t’ob-
fusquent, mais comme en plein jouriour te manifestent
toutes choses. Et afin que les diversesdiuerses & estranges
figures des dieux convocquezcõuocquez ne t’espouvententespouentent, jeie te
garniray d’une languelãgue d’un oeuil & de la despouil-
le d’un serpentserpēt de Libye: ensemble de la part droicte
du cueur d’un Lyon, seché seulementseulemēt a l’umbre de la
pleine Lune. Apres commanderaycõmanderay aux poissonspoißons, ser-
pens, bestes sauvagessauuages, & oyseaux (desquelz j’entensi’entēs
quand il me plaist, les proprietez des choses, & les
secretz des dieux) que presentement & sans faire
aucune demeure ilz viennentuiennent a moy: puis en retien-
dray ceux qui me feront mestier, & renvoirayrenuoiray les
autres en leurs repaires. Apres ouvrantouurãt ma pannetie-
re, j’
pãnetie-
re, i’
en tireray certaines drogues de grandegrãde efficace
& valeurualeur, par lesquelles (quand bon me semble)
jeie me transforme en loup, & laissant mes habille-
mens
habille-
mēs
penduzpēduz a quelque Chesne, me voisuois fourrer auec
les autres parmy les desertes forestz, non pour piller (commecõme



72 DE SANNAZAR.
commecõme plusieurs) mais pour entendre leurs secretz,
& les finesses qu’ilzquilz s’appareillent faire aux pa-
steurs. Ces drogues pourront encores estre bien com-
modes
cõ-
modes
a ton besoing: car si tu veuxueux totalementtotalemēt sortir
d’amour, jeie t’enroseray tout le corps d’eau Lustrale,
et avecauec ce te perfumeray de Soulphre viergeuierge mes-
lé d’hysope et chaste rue, puis te getteray sus la te-
ste de la pouldre ou une mule ou autre sterile ani-
mal se sera veautréueautré, & desnouant l’un apres l’au-
tre tous les neux de ton eschine, jeie te feray prendre
la cendre de l’autel sacré, & a deux mains la get-
ter par dessus tes espaules au fleuvefleuue courant, sans
tourner la veueueue en derriere. Lors soudainement ses
undes emporteront ton amour en la haulte mer, &
la laisseront aux Daulphins & Balenes. Mais si tu
as plus grand desir de contraindre ton ennemye a
t’aymer, jeie feray veniruenir des herbes de tous les quar-
tiers d’Arcadie, lesquelleslesq̄lles jeie destrenperaydestrēperay en jusius d’aco-
nite, et y mesleray une louppe cauteuleusementcauteleusemēt arra-
chée du frontfrõt d’un poulain venantuenãt de naistre, avantauãt que
sa mere l’ait mengéemēgée. Ce pendantpendãt (ainsi que jeie t’ensei-
gneray) tu lyeras une image de cire a trois neux a-
vec
a-
uec
trois cordons de trois couleurs: puis la tenanttenãt en
ta main, trois foys tourneras autour de l’autel, a chas
cune fois luy picquantpicquãt le cueur avecauec la poincte d’une
daggue meurdriere, taisiblementtaisiblemēt disant ces paroles:



[72v] L’ARCADIE


JeIe picque & lye sans rancueur
Celle qui est paincte en mon cueur.
Apres tu auras un lambeau de sa cotte, lequel tu
ployeras peu a peu, et l’enfouyras en la terre, disant:
J’I’encloz & serre en ce drap cy
Tout mon travailtrauail,& mon soucy.
Puis en brulantbrulãt un rameau de Laurier verduerd subjoin-(drassubioin- (dras.
Ainsi puisse cracquer au feu
Celle qui mon mal prend a jeuieu.
Cela faict, jeie prendray une blanche Coulombe, a
laquelle tu arracheras toutes les plumes l’une apres
l’autre, & en les gettant dedans le feu, diras:
JeIe seme la chair & les os
De celle en qui est mon repos.
Finablement quand tu l’auras toute deplumée, en
la laissant aller seullette, ainsi feras le dernier en-
chantement:

Inique & dure en apparence,
Demeure une d’esperance.


Mais a chascune fois que tu feras ces choses, n’ou-
blie de cracher trois coupz, pource que les dieux
de magicque s’esjouyssents’esiouyssent du nombre imper. QuantQuãt
a moy jeie ne doute point que ces paroles ne soyentsoyēt de
si grandegrãde efficace, que tu verras veniruerras uenir ta dame a toy
sans aucune contradictioncōtradiction, non d’autre sorte que font
les jumensiumens furieuses aux rivagesriuages de l’extreme occi- dent



73 DE SANNAZAR.
dent, quand elles veulentueulent attendre les generatifz
soufflemens de Zephyrus: & ce te afferme jeie par
la divinitédiuinité de ceste forest, & la puissance de ce
dieu, lequel estant icy present, escoute ce que jeie te
compte. Cela dict, il meit fin a ses paroles: dont ne
fault demander combien de plaisir elles donnerent
a chascun de la compagnie. Finablement nous con-
siderans qu’il estoit tempstēps de retourner a noz bestes
(combiencõbien que le Soleil feust encores bien hault) apres
avoirauoir rendu plusieurs graces a ce sainct prestre,
preinsmes congécõgé de luy, & descendans la montaignemõtaigne
par un chemin plus court que le premier, non sans
grande admiration l’allions estimant en nous mes-
mes, tant que quasi devallezdeuallez en la plaine, estant la
chaleur grande, & voyansuoyans un petit bocage devantdeuant
nous, deliberasmes vouloiruouloir ouyr chanterchãter quelq’un de
la compagniecōpagnie, dont Opico donna charge a SelvagioSeluagio,
luy baillant pour subgect qu’il s’efforceast de ma-
gnifier le noble siecle de nostre temps, abondammentabondãment
fourny de tanttãt & de telz pasteurs, lesquelz on pou
voit
pou
uoit
ueiorveoirueoir & ouyr chanter entre les troupeaux, et
qui apres mille ans revoluzreuoluz seroient souventesfoissouuentesfois
desirez par les boys. Adonc estant cestuy en poinct
de commencer, il tourna (jeie ne scay commentcōment) la veueueue
deversdeuers un petit tertre qui estoit a sa dextre, & veitueit
la haulte pyramide ou gisent en repos eternel les K



[73v] L’ARCADIE
venerablesuenerables ossemensossemēs de MassiliaMaßilia, qui fut mere d’Er-
gasto, laquelle en son vivantuiuant fut entre les pasteurs
estimée comme une Sibylle: par quoy se levantleuãt sus ses
piedz vaua dire: Amys, allons a ce monument: & si
apres les funerailles les ames heureuses ont cure
des choses mondaines, MassiliaMaßilia qui est au ciel, nous
scaura bon gré de nostre chanter. Helas elle souloit
en son vivantuiuãt decider par si bonnebõne grace les differens
qui sourdoient entre nous, donnantdōnant modestementmodestemēt cou-
rage aux vaincuzuaincuz, & exaulceantexaulceãt les vainqueursuainqueurs de
si merveilleusesmerueilleuses louengeslouēges. Ceste proposition de Sel-
vagio
Sel-
uagio
sembla grandement raisonnable a toute la
bende, parquoy legierement y tirasmes, reconfortansrecõfortans
l’un apres l’autre le povrepoure Ergasto qui pleuroit. QuandQuãd
nous y feusmes arrivez, trouvasmesarriuez, trouuasmes, autant a contem-
pler
autãt a cõtem-
pler
& repaistre noz yeux, que jamaisiamais feirent pa-
steurs en aucune forest: & vousuous orrez commentcõment. La
belle pyramide estoit assiseaßise en une petite plaine sus
une basse montaignette elevéemõtaignette eleuée entre deux fontaines
d’eau claire & doulce, la poincte dresséedreßée deversdeuers le
ciel en forme d’un Cypres droict et feuillu. A chas-
cun de ses quatre flans se pouvoient veoirpouoient ueoir plusieurs
histoires de tresbelles figures, qu’elle mesme durant
sa vie avoituie auoit faict paindre en reverencereuerence de ses prede-
cesseurs antiques, specifiant combien y avoitauoit eu en
sa race de pasteurs qui au temps jadiz avoyentiadiz auoyent esté fameux



74 DE SANNAZAR
fameux & singuliers par les forestz, ensemble le
nombre des bestes dont ilz souloient estre posses-
seurs. A l’entour de ceste Pyramide faisoient um-
bre plusieurs arbres jeunesieunes & fraiz qui n’estoient
encores percreuz a l’egale hauteur de la poincte,
pourautant que peu de temps auparavant y avoientauparauant y auoient
esté plantez par le bon Ergasto: en compassioncompaßion du-
quel plusieurs pasteurs avoient aussi environnéauoient außi enuironné le
lieu de hautz sieges, non de ronses ou buyssonsbuyßons,
mais de GenevresGeneures, Rosiers, & Gensemis. puis avecauec
leurs besches formé un throsne pastoral, & de pas
en pas erigé certaines tours de myrte & romarin
tyssues d’un tresmerveilleuxtresmerueilleux artifice: contrecōtre lesquel-
les venoituenoit a plein voyle un navireuoyle un nauire faict seulement
de franc osier & de branchettesbrãchettes de lyerre, si natu-
rellement representé, que vous eussiezuous eußiez dict qu’il
voguoituoguoit en mer calme. Entre ses appareilz alloient
oysillons chantans & rampans, maintenant sus le
timon, et maintenanttimõ, et maintenãt sus la hunne, en maniere de mat-
tellotz expertz & bien exercitez. DavantageDauantage
parmy les arbres & les hayes se veoyentueoyent plusieurs
bestes sauvagessauuages singulierement belles & agiles,
qui sautoient allegrement, & s’esbatoient a di-
vers jeux
di-
uers ieux
, se baignans dedans les eaux des fontai-
nes, pour donner (ce croy jeie) passetemps aux Nym-
phes gardiennes de ce lieu, & aux cendre la en- K ij



[74v] L’ARCADIE
terées. A ces beautez s’en adjoignoit une nonadioignoit une nõ moins
estimable qu’aucune des autres, c’est que toute la
terre estoit couvertecouuerte de fleurs, non fleurs a bien di-
re, mais terrestres estoilles, dont elle estoit paincte
d’autant de couleurs qu’il s’en treuvetreuue en la queue
du glorieux Paon, ou que l’onlon en veoitlõ en ueoit en l’arc du ciel
quand il nous denoncedenõce la pluye. La estoientestoiēt lyz, troes-
nes, violettesuiolettes tainctes d’amoureuse palleur, grande
abondance de Pauot dormitif avecauec les testes encli-
nées, les espiz rouges de l’immortel passevelouxpasseueloux,
dontdõt l’onlon faict de beaux chappeletz en la saison d’y-
ver
d’y-
uer
: & pour le faire court, l’onlon y pouvoit veoirpouoit ueoir fleu-
rir tous les beaux jeunesieunes enfans & magnanimes
princes qui furent aux premiers tempstēps deplorez par
les antiques pastoureaux, retenansretenãs encores leurs nomsnõs,
commecõme Adonis, Hyacinthus, AjaxAiax, Crocus, & sa belle
amoureuse, entre lesquelz estoit le temeraire Nar-
cissus, que l’onlon eust jugéiugé contempler sus les eaux la
pernicieuse beaulte qui fut occasionoccasiō de luy faire per-
dre la vieuie. Lesquelles choses apres avoitauoir esté par
nous (l’une apres l’autre) fort estimées, & dili-
gemment leu le digne epitaphe engravéengraué sus la
belle sepulture, aussiaußi que nous y eusmes faict noz
offrandes de plusieurs chappeaux de fleurettes,
nous nous reposasmes avecauec Ergasto dedans des cou-
ches de Lentisques, ou plusieurs Ormes Chesnes & Lau-



75 DE SANNAZAR.
Lauriers siffloient de leurs fueilles tremblantestremblãtes, &
se mouvoientmouuoient dessus noz testes. AvecAuec ce les murmu-
res des undes enrouées (qui couloient sus les her-
bes verdesuerdes, & s’en alloient trouvertrouuer la plaine) ren-
doient un son fort plaisant a ouyr. Les Cigales du-
rant la force de la chaleur s’efforceoient de chan-
ter dessus les rameaux umbrageux. La dolentedolēte Phi-
lomela se lamentoit de loing entre les espines. Mer-
les, Huppes, & Calendres chantoient. La solitaire
Tourterelle gemissoitgemißoit sus les hautes rivesriues. Les son-
gneuses mousches a miel faisant doux et soef mur-
mure, volloientuolloient a l’entour des fontaines. Bref, tou-
tes choses sentoient l’esté. Les pommes esparses
en terre en si grande abondance qu’elle en estoit quasi
toute couvertecouuerte, fleuroient si bon que merveillesmerueilles. Les
petitz arbres par dessus estoient si chargez de
fruict, que presque vaincuzuaincuz du poix de leur char-
ge, sembloit qu’ilz se vousissentuousißent esclater: dont Sel-
vagio
Sel-
uagio
a qui touchoit de chanter sus ceste matiere,
faisant signe de l’oeuil a Fronimo qu’il luy respondistrespõdist,
finablement rompit le silence par telles paroles:


SELVAGIO.


Ces montz icy (comme d’aucuns estiment)
Ne sont muetz, n’y privezpriuez de cantiques
(O Fronimo) mais si bien les expriment, K iij



[75v] L’ARCADIE
Que jeie quasi les compare aux antiques.


Fronimo.


Des muses plus n’oyt on parlementer,
Et ne faict on de Naccaires plus compte,
Veu que pasteurs ne sont par bien chanter
Plus couronnez: qui est une grand honte.
Chascun se touille en la bourbe des vachesuaches,
Dont tel est plus qu’yeble ou Auronne infect,
Qui sent meilleur, ce semble, que les baches,
Ny que l’Ambroise en la saison ne faict.
Parquoy jeie crains que les dieux ne s’esveillentesueillent
Du long sommeil pour aux bons enseigner
Comme il faudra qu’en vengeance travaillentuengeance trauaillent,
Pour des meschans les grans fautes signer:
Et s’une fois advientaduient que deuil en ayent,
JamaisIamais orrage ou pluye ne fera
Que les suspectz pour le moins ne s’essayent
De retourner a ce que bon sera.


SelvagioSeluagio.


Amy, j’i’estoye entre VesuveVesuue & Baie
En la planure ou Sebetho le court
JoindreIoindre se vaua par une sente gaye
A la grand mer, & doulcement y court.
Amour, lequel de mon cueur ne se part,
Vn temps me feit fleuvesfleuues estranges veoirueoir:
Et quand mon ame y pense tost ou tard, NouveauNouueau



76 DE SANNAZAR.
NouveauNouueau tourment luy en convient avoirconuient auoir.
Si jeie passay ronses, buyssonsbuyßons, orties,
Mes piedz l’ont sceu, & si craintes m’ont mis
Ours furieux, nations assorties
De dures meurs, ou tout mal est permis.
Finablement les oracles me dirent,
Cherche la villeuille ou les Chalcidiens
Dessus le vieiluieil tumbeau se confondirent
NouveauxNouueaux pays & terres mendians.
JeIe n’entendois cela, mais des pasteurs
Prophetisans me le feirent entendre,
Et veyuey depuis qu’ilz n’estoient point menteurs,
Ains pour mon bien parloient sans rien pretendre.
J’I’apprins entre eux a conjurerconiurer la Lune,
Et tout ce dont se venterent jadizuenterent iadiz
Alphesibée & Meris en commune
De la magicque entendans faictz & dictz.
Herbe ne croist sauvagesauuage ou domestique,
Qui bien ne soit congneue en leurs forestz:
Ny quelle estoille est fixe ou erratique:
Dont se prononce entre eux de beaux arrestz.
La tous les soirs quand le ciel devientdeuient sombre,
Contestent l’art de Phebus & Pallas.
Lors pour ouyr chascun se tire en l’umbre,
Mesme Faunus: lequel y prend soulas:
Mais entre tous comme un Soleil esclaire K iiij



[76v] L’ARCADIE
Caraciol, qui pour adroit herper,
Ou sonner muse en resonance claire,
Ne trouveroittrouueroit en ArcadeArcadie son per.
JamaisIamais n’apprint a tailler la vignetteuignette
Ou moyssonner, ains a guerir troupeaux
De clavellésclauellée, & rendre leur chair nette,
En conservantconseruant les laines & les peaux.
Un jour advintVn iour aduint pour purger son courage
Qu’ainsi chanta soubz un Fraisne ioly,
Moy des panniers faisant de gros ouvrageouurage,
Luy une cage estant d’osier poly.
Face le ciel qu’a nous icy ne viennentuiennent
Faux detracteurs, & qu’entre les moutons
La destinée & le sort me soustiennent
Contre l’assault de ces paillars gloutons.
Vaches allez en celle verdeuerde plaine,
Afin que quand les montz obscurciront,
Chascune tourne a la maison bien pleine:
Car desormais pastiz accourciront
Que de troupeaux jeusnentjeusnēt bien qu’ilz ne veuillentueuillēt.
Pour ne trouvertrouuer pasturage a foyson,
Feuilles de vigneuigne emmy la terre cueuillent,
Et de cela viventuiuent toute saison.
A peine (helas) de mille une en eschappe:
Car chascun a tant de necessiténeceßité,
Que maintesfois j’i’en pleure soubz ma chappe, Estant



77 DE SANNAZAR.
Estant mon cueur de douleur incité.
Quiconque donc a des biens abondance
En ce temps cy miserable & meschant,
Poulsant chascun hors de sa residence,
Dieu remercie en hymnes & en chant.
Tous les pasteurs delaissent Hesperie,
Boys usitez, & fontaines aussiaußi:
Le rude temps farcy de tromperie,
Les y contrainct, & leur faict faire ainsi.
Errans s’en vontuont par montz inhabitables,
Pour leurs troupeaux ne veoirueoir exterminer
Par estrangers nullement charitables,
En qui raison ne scauroit dominer.
Et toutesfois a faulte de bons vivresuiures
Paissoient le glan d’Aoust jusquesiusques en JuilletIuillet,
Non au temps d’or, ains de plaisir deliures,
Se retiroient en maint trou noir & laid.
Mais maintenant ilz viventuiuent de pillage,
Comme faisoient ces pastoureaux premiers
En Hetrurie, alors petit uillage:
J’I’ay oublié leurs noms sus ces fumiers.
Bien me souvientsouuient que par l’augure fut
Vaincu l’un d’eux, mourant en facon vileuile:
Ha, c’est Remus, auquel ainsi mescheut
Oultrepassant la merque de leur villeuille.
En un moment jeie sue, & si frissonne,



[77v] L’ARCADIE
Dont j’i’ay grand peur d’un autre mal latent,
De sel se doit munir toute personne,
Dieu le commande, & fortune l’entend.
Ne voyez vousuoyez uous la Lune estre eclipsée,
Et Orion armé de son couteau?
De mal en pis la saison est glisséeglißée:
Car Arcturus se plonge dedans l’eau.
JaIa le soleil qui se cache de nous,
A ses rayons estainctz, & le ventuent gronde,
Dont ne scay quand ny comment l’Esté doulx
Retournera sus ceste masse ronde.
Les nues font tresmerveilleuxtresmerueilleux orrage:
En s’espartant Tonnoirre, Esclair & feu,
Troublent tant l’air, qu’il chet en mon courage
La fin du monde estre auant qu’il soit peu.
O doulx printemps, O fleurettes nouvellesnouuelles,
O petitz ventzuentz, O tendres arbrisseaux,
Fertiles champs, herbes fraiches & belles,
O montz, o vaulxuaulx, fontaines & ruisseaux.
Palmes, Lauriers, Lyerres, Myrtes, OlivesOliues,
O des forestz venerablesuenerables espritz,
O gente Echo, Rocz & claires eaux vivesuiues,
Nymphes portans arcs & trousses de pris,
O Pans ruraux, SylvansSyluans, Faunes, Dryades,
Naiades, plus deesses qu’a demy,
Napées (las) doulces Hamadryades, Or



78. DE SANNAZAR
Or estes vousuous seules, & sans amy.
En tous endroitz sont les fleurs jaia passées,
Tous animaux de chasse, Oyseaux apres,
Qui deschargeoient vozuoz cueurs de grans pensées,
Vont perissant autant loing comme pres.
Le bon vieillartuieillart Silenus parlant cas,
Ne treuvetreuue plus son asne qui le porte,
Mortz sont Daphnis, Mopsus, & Menalcas,
Et avec eulx la preudhommie est morte.
Hors les jardinsiardins Priape est sans sa faulx,
GenevreGeneure n’a ny Saule qui le coeuvrecoeuure,
Vertumne plus es joursiours d’Autonne chaux
Ne se desguyse, & ne faict aucune oeuvreoeuure.
Pomone rompt & desbrise sans faincte
Ses beaux fruittiers qu’elle espart ca & la,
Et ne permet que main sacrée ou saincte
Coupe le boys: dont il demeure la.
Et toy Pales t’indignes de l’oultrage
Qu’on ne te rend deues oblations
Es moys d’Auril & May, comme en l’autre aage
Qui te servoitseruoit sans simulations.
S’un a meffaict, & tu ne l’as dompté,
Qu’en povoientpouoient mais de ses voysinsuoysins les bestes,
Qui s’esbatoient au boys en fleurs monté
Soubz le flageol, jours ouvrablesiours ouurables & festes?
Quand fut ce helas que pour nous affliger



[78v] L’ARCADIE
L’aveugleaueugle erreur se meit en la pensée
De ce felon, desdaignant s’obliger
A maintenir la coustume passée?
Pan furieux, de rage en a brisé
Sa canne chere, & maintenant s’en blasme,
Priant Amour des Dieux le plus prisé,
Qu’il soit recors de Syringa sa dame.
DoresnavantDoresnauant ne faict Diane estime
De dardz aguz, de cordes ny d’arc d’If.
Qui luy ont faict maint animal victimeuictime,
En le rendant trop pesant & tardif.
Plus, en horreur elle tient la fontaine
Ou Acteon fut Cerf par ces follies,
Et laisse errer sans conduicte certaine
A traverstrauers champs ses compagnes joliesiolies.
Ce non obstant point ne se fie au monde:
Car elle veoitueoit estoilles trebuscher
Du hault du ciel en bourbe trop immunde,
Mais nullement ne s’en veultueult empescher.
Marsias fol, qui sans peau n’a repos,
A tout gasté le haubois de Pallas,
Cause qu’il monstre & sa chair & ses os
Tous denuez, & qu’il en crie helas.
MinerveMinerue au loing son horrible escu lance
Par grand cholere, estant esmeu son fiel:
Apollo plus ne loge en la balance, Ny en



79 DE SANNAZAR.
Ny en Taurus, des bons logis du ciel,
Ains tout dolent assisaßis sus une roche
Pres Amphrisus, sa houllette en son poing,
Tient soubz ses piedz, en signe de reproche,
Son beau carquoys, & n’en a plus de soing.
O JupiterIupiter, tu le veoisueois de ta tour,
Et qu’il n’a herpe a chanter son libelle,
Dont souspirant desire l’heure & jouriour
Que soit deffaict le monde tout en tour,
Et qu’il reprenne une forme plus belle.
Bacchus, & maint yvrongneyurongne
Chancellant sans appuy,
Veoit Mars armé, qui grongne,
Venir encontre luy
De sa sanglante espée
Rendant de toutes pars
La place inoccupée,[unclear]
Et les hommes espars.
O vieuie langoureuse,
Nul n’y est resistant.
Fortune malheureuse,
Et ciel trop inconstant,
Voicy que mer sauvagesauuage
Se commence a troubler,
Et sont sus le rivageriuage
Dieux marins a trembler,



[79v] L’ARCADIE
Esbahiz que Neptune
Les chasse, & du Trident
Leurs jouesioues importune,
Durement les bridant.
Libre & Virgo sont closes
Au ciel (leur appetit)
JeIe restrains de grans choses
En ce voyleuoyle petit,
Et tel presume entendre
Ce mien obscur parler,
Qui n’y peult rien comprendre,
Veu que jeie painctz en l’air.
Quand est ce que doulx somme
Hors les boys on prendra?
Quand mort, qui tout assomme,
Droict aux meschans rendra.
Les blasphemes antiques
Ne penserent iamais
Si douloureux cantiques,
Qu’on chante desormais.
Oyseaux rapteurs, & formis de la terre
Mengent noz bledz abandonnez aux champs.
De liberté privepriue la dure guerre
Les laboureurs & les povrespoures marchans.
Si que trop mieulx en la terre Scythique
ViventViuent les gens soubz Boote a l’ouvertouuert Combien



80 DE SANNAZAR.
Combien que soit leur vivreuiure tout rustique,
Et leur vinuin faict de sorbes aspre & verduerd.
J’ay souvenirI’ay souuenir qu’en la cime d’un Hestre
UneVne Corneille (helas) le predisoit,
Parquoy mon cueur dolent, ce qu’on peult estre,
En un caillou presque se reduisoit.
La crainte en moy de rechef s’imprima,
Voiant le mal s’accroistre: & n’y a doubte
Que la Sibylle en feuilles exprima
Par ses escriptz la digressiondigreßion toute.
Le Tigre & l’Ourse ont faict nopces estranges.
O Parques donc, que n’allez vousuous couper
Ma toile courte au plus pres de ses franges,
Sans le mestier fatal en occuper?
Syez pasteurs le Noyer de qui l’umbre
Par sa froideur aux grains de terre nuyct,
Il en est temps, premier que vienneuienne sombre
Le sang par aage accourant jouriour & nuyt.
N’attendez point que la terre s’attourne
De mauvaismauuais plant, ne tardez jusqu’iusqu’ adonc
A l’arracher, que le taillant se tourne
Des ferremens a l’encontre du tronc.
Coupez bien tost les racines aux Lyerres:
Car si par temps prennent force & vigueuruigueur,
Ne laisseront Sapins entre les pierres
Croistre & monter par oultrage & rigueur.



[80v] L’ARCADIE
Ainsi chantoit, faisant bois retentir
De telz accentz, que ne scay s’onc en peurent
Gens en Parnase ou Menale sentir,
Mesme en Eurote, aussiaußi doulx comme ilz furent.
Et s’il n’estoit que son troupeau l’amuse
En son ingrate & rude nation,
Qui maintesfois faict a sa doulce Muse
Mort desirer par indignation,
A nous viendroituiendroit laissant l’Idolatrie,
Et fainctes meurs au siecle dissolu,
Sans charité nayvenayue a la patrie:
Car il s’y est long temps a resolu.
C’est un miroer de vertuuertu si luysant,
Que le monde est embelly de son vivreuiure,
Plus digne il est, plus exquis & duisant,
Que mon parler ne le vousuous painct & livreliure.
Bien heureuse est la terre (o mes amys)
Qui l’a produict & formé pour escrire,
Et Bois a qui versuers ouyr est permis,
Ausquelz le ciel ne peult la fin prescrire.
Mais bien vouldroisuouldrois les faux Astres reprendre,
Et ne me chault si mon dire les poingt:
La nuyt du ciel feirent si tost descendre,
Qu’esperant plus de ce pasteur entendre,
Les Ardans veyuey tournoyer en ce poinct.

Il ne



81 DE SANNAZAR.


Il ne fault demander si les longues rymes de Fro-
nimo & SelvagioSeluagio donnerent universelementuniuerselement plai-
sir a chascun de la bende. Quant a moy, oultre le
grand contentement que i’en receu, elles me fei-
rent par force veniruenir les larmes aux yeux, entendantentēdant
si bien parler de la delectable situation de monsituatiõ de mõ pays:
car tant que ses rymes durerent, il me sembloit fer-
mement que j’i’estoie en la belle plaine dont cestuy la
parloit, & que jeie contemploye le plaisant Sebetho
(mon Tibre Napolitain) lequel en diversdiuers canaulx
discourrant atraversatrauers la campaignecãpaigne herbue, puis reuny
tout ensemble, passoit doulcement soubz les arches
d’un petit pont, & sans murmure s’en alloit joindreioindre
a la mer. AussiAußi ne me fut petite occasion d’ardans
souspirs, l’ouyr nommer Baie & VesuvioVesuuio, me reve-
nant
reue-
nant
en memoire les passetempspassetēps que jeie souloye pren-
dre en ces lieux: auec lesquelz encores me tourne-
rent en souvenance
tourne-
rēt en souuenãce
les baings tiedes, les superbes edi-
fices, les viviersuiuiers delectables, les belles isles, les mon-
taignes
mõ-
taignes
sulphurées, & la cavernecauerne percée en l’heu-
reuse coste de Pausilipus, peuplée de plaisantes bour
gades, et doulcement batue des undes marines. Da-
vantage
Da-
uantage
la fructueuse montaigne dominante a la
villeuille, qui peu ne m’estoit agreable pour la memoire
des iardinsjardins de la belle Antiniana, Nymphe grande-
ment celebrée par mon excellent Pontano. A ceste L



[81v] L’ARCADIE
pensée encores s’adjoustaadiousta le recors de la magnificen-
ce
magnificē-
ce
de mon noble pays, lequel abondantabōdant en richesses,
plein de peuple opulent et prisé, oultre le grandgrãd cir-
cuit des belles murailles, contient en soy l’admira-
ble port, refuge universeluniuersel de toutes les nations du
monde. Et avecauec ce les haultes tours, les riches tem-
ples, les gransgrãs pallais, honorables sieges de noz gou
verneurs
gou
uerneurs
& magistratz, les rues pleines de belles
dames, & d’agreables gentilz hommes. Que diray
je des jeuxie des ieux, festes, tournoys, artz, estudes, & tant
d’autres louables exercices? Veritablement non une
Cite seule, mais quelconquequelcōque provinceprouince ou grandgrãd royau-
me que ce soit, en seroit assez convenablementconuenablement ho-
nore. Si est ce que sur toutes choses jeie prins plaisir
a l’ouyr exaulcer pour les estudes d’eloquence, &
de la divinediuine sublimité de Poesie, mais entre autres,
des louengeslouēges meritoiress du vertueux Caraciol, grandgrãd
ornement des muses vulgairesuulgaires: la chanson duquel si
pour son stile couvertcouuert ne fut de nous bien entendue,
si ne demeura il pourtant qu’elle ne fust de chascun
escoutée en singuliere attention. Toutesfois jeie croy
qu’Ergasto la comprint: car ce pendant qu’elle du-
ra, jeie le vey profundementuey profundemēt occupé en une longue pen-
sée tenant
pē-
see, tenãt
tousjourstousiours sus ce monumentmonumēt les yeux fichez
sans les mouvoirmouuoir ne siller des paulpieres, commecõme une
personne transportée. Vray est qu’il en gettoit par fois



82 DE SANNAZAR.
fois aucunes lermes, & murmuroit taisiblement
quelque chose entre ses levresleures. Mais la chanson fi-
nye, & de plusieurs interpretée en diversesdiuerses manie-
res, pource que la nuyt approchoit, et que les estoil-
les commenceoientcommēceoient a se monstrermōstrer au ciel, Ergasto com-
me esveilléesueillé d’un long sommeillõg sõmeil, se dressa sur ses piedz:
& en piteux regard se tournant deversdeuers nous, se
print a dire, Mes amys, j’i’estime que la fortune ne
nous a icy amenez sans la dispositiondispositiõ des dieux, con
sideré que le jouriour qui me sera perpetuelement en-
nuyeux, & que toute ma vieuie honoreray de mes lar
mes, est finablement revolureuolu: car demain s’acheveacheue
la malheureuse annee, en laquelle (a vostreuostre com-
mun regret, & douleur universelleuniuerselle de toute les fo
restz circumvoysinescircunuoysines) les ossemens de vostre Massi-
lia
uostre Maßi-
lia
furent consacrez a la terre. A l’occasion de quoy
si tost que ceste nuyt sera passée, & que le Soleil
par sa lumiere aura dechassé les tenebres, aussiaußi que
les bestes sortirontsortirōt des estables pour aller en pastures
nous semblablementsemblablemēt (convoquantcōuoquant les autres pasteurs)
viendrezuiendrez en ce lieu celebrer avecauec moy les pompes
funebres et jeuxieux solemnelz en memoire d’elle, selon
que nous avonsauons de coustume: et chascun pour sa vi-
ctoire
ui-
ctoire
aura de moy tel don que l’onlon peult esperer d’un
hommehōme de ma qualité. Cela dict, Opico vouloituouloit demou
rer avecauec luy: mais pource qu’il estoit vieiluieil et caduc, L ij



[82v] L’ARCADIE
ne luy fut aucunement permis, ains luy furent bail-
lez quelques jeunesieunes hommes pour le reconduire en
sa maison: & la plus grand partie de nous de-
moura toute celle nuyt a veiller avecueiller auec Ergasto. pour
laquelle chose faire, estantestãt l’obscurité par tout espan-
due
espã-
due
, nous allumasmes environenuirō la sepulture plusieurs
flambeaux, mesmement sus la poincte d’icelle un
plus grandgrãd qu’aucun des autres, lequel a mon juge-
ment
iuge-
ment
se monstroit de loing aux regardans comme
une claire Lune entre plusieurs estoilles. Ainsi en
doulx & lamentables sons de musettes sans point
dormir se passa toute celle nuyt: en laquelle les oy-
seaux quasi desireux de nous vaincreuaincre, s’efforceoientefforceoiēt
de chanter sus tous les arbres de ce pourpris, &
les bestes sauvagessauuages (delaissée leur crainte acoustu-
mée) comme si elles eussent este privéespriuées, gisoient au
tour de la sepulture, de sorte qu’il sembloit qu’elles
prinssent merveilleuxmerueilleux plaisir a nous escouter. En
ces entrefaictes l’aulbe vermeilleuermeille s’eslevantesleuant sus la
terre, advertissoitaduertissoit les hommes de la proximité du
Soleil, quand par le son de la cornemuse nous enten
deismes de loing veniruenir la compagnie: & quelque
espace de temps apres (venantuenant le ciel a s’esclaircir
peu a peu) commenceasmes a la descouvrirdescouurir en la
plaine, ou tous les compagnons venoientuenoiēt en belle or-
donnance, vestuzuestuz & parez de feuillars, chascun une



83 DE SANNAZAR.
une longue branche en sa main, tellement qu’a les
veoirueoir de loing, ne sembloit que ce feussent hommes,
ains une verdeuerde forest se mouvant versmouuant uers nous avecauec
tous ses arbres. finablement quand ilz furent mon-
tez sus la montaigne ou nous estions, Ergasto met-
tant sus sa teste une couronne d’olivieroliuier, avantauant toute
oeuvreoeuure adora le Soleil levantleuant: puis tourné deversdeuers la
belle sepulture, en piteuse voixuoix se print a dire, chas-
cun faisant silence: O cendrescēdres maternelles, & vousuous
venerablesuenerables & chastes ossemens: Si contraire for-
tune m’a osté la puissance de vous esleveruous esleuer en ce lieu
une sepulture egale a ces montaignes, & l’environ-
ner
enuiron-
ner
toute de forestz umbrageuses avecauec cent autelz
alentour, sus lesquelz tous les matins cent victi-
mes
uicti-
mes
vousuous feussent offertes: si ne me pourra elle gar
der que d’une pure voluntéuolunté & amour inviolableinuiolable
jeie ne vousuous presente ces petiz sacrifices, & que jeie
ne vousuous honore de faict & de pensée tant que se
pourrontpourrōt mes forces estendre. En ce disant, il feit ses
offrandes, baisant religieusement la sepulture. Au
tour de laquelle les pasteurs aussiaußi poserent leurs
branches, et tous appellans a haulte voixuoix l’ame di-
vine
di-
uine
, semblablement feirent devotesdeuotes oblations, l’un
d’un aigneau, l’autre de miel: l’un de laict, & l’au-
tre de vinuin. mesmes plusieurs offrirent Encens avecauec
myrre & autres herbes odoriferentes. Cela faict, L iij



[83v] L’ARCADIE
Ergasto proposa les pris a ceulx qui vouldroientuouldroient
courir: & faisant amener un grand mouton, qui
avoitauoit la laine merveilleusementmerueilleusement blanche, & si l’onlon-
gue qu’elle luy battoit quasi jusquesiusques sus les piedz,
deit: Voycy pour celuy a qui l’agilité & fortune
ottroyeront le premier honneur de la course. Au se-
cond est appareillée une bouteille neuve convenableneuue cōuenable
au salle Bacchus. Le troisiesme sera content de ce
baston de GenevreGeneure, garny d’un si beau fer qu’il
pourra servirseruir de dard & de houlette. A ces paro-
les se meirent en avantauant Ophelia & Carino jeu-
nes
ieu-
nes
hommes, promptz & legers, accoustumez
d’attaindre les Cerfz a la course: & apres eulx
Logisto, Gallicio, et le filz d’Opico nommé Par-
thenopeo, avecauec Elpino, Serrano, & autres leurs
compagnons plus jeunesieunes, & de moindre estime.
Lors chascun s’estant mis en ordre, le signe de des-
loger ne fut si tost donné, que tous en un temps se
prindrent a estendre leurs pas du long de la verdeuerde
campagnecãpagne, avecauec telle impetuosité, que veritablementueritablement
vousuous eussiez dict que c’estoientestoiēt sayettes ou carreaux
de fouldre: & tenans tousjourstenãs tousiours les yeux fichez ou
ilz entendoient arriverentēdoiēt arriuer, chascun s’efforceoit de passer
ses compagnonscōpagnōs. Mais Carino par merveilleusemerueilleuse agilité
estoit ja devantia deuãt tous les autres: apres lequel, toutes
fois d’assez loing, suyvoitsuyuoit Logisto, & puis Ophelia, du dos



84 DE SANNAZAR.
du dos duquel Gallicio estoit si prochain, que quasi
de son alleine luy eschauffoit le collet, et mettoit ses
piedz sus les mesmes marches qu’il faisoit, telle-
ment
telle-
mēt
que s’ilz eussent eu plus gueres loing a courir,
il l’eust sans point de doubte laissé derriere. Et jaia Ca
rino vainqueur avoituainqueur auoit peu de chemin a faire pour
toucher a la butte designee, quand (jeie ne scay com-
ment) un pied luy faillit par un estoc, pierre, ou
autre heurt, qui en fut cause: dont sans se povoirpouoir
retenir, il cheut tout estendu, & donna du visageuisage
& de la poitryne en terre. Mais, ou par envieenuie, ne
voulantuoulant que Logisto gaignast le pris, ou de vrayuray se
voulant leveruoulant leuer (jeie ne scay par quelle maniere) en se
dressant, il luy meit une jambe devantiambe deuant: & pour la
grande roydeur dont cestuy la couroit, le feit sem-
blablement cheoir aupres de luy. Logisto tumbé,
Ophelia se print de plus grand cueur a efforcer ses
pas emmy la campagne, se voyantuoyant estre le premier.
Et lors les criz & grandes huées des pasteurs
le stimuloyent a la victoireuictoire, si bien que finable-
ment arrivantarriuant au lieu destiné, il obtint (selon son
desir) la premiere palme: & Gallicio qui le suy-
voit
suy-
uoit
de plus pres que nul des autres, eut le second
pris: puis Parthenopeo le tiers. AdoncAdōc Logisto en criz
& rumeurs haultains se print a lamenter de la
fraude dontdōt Carino avoitauoit usé en son endroit, qui met- L iiij



[84v] L’ARCADIE
tant le pied entre ses jambesiãbes, luy avoitauoit faict perdre le
premier honneurhōneur, lequel il requeroit a grandegrãnde instanceinstãce.
Mais au contraire Ophelia le maintenoit sien, saisis-
sant a deux mains par les cornes le moutonmoutō gaigné:
sus quoy les voluntezuoluntez des pasteurs inclinoient en
diversesdiuerses parties, quand Parthenopeo filz d’Opico
soubzriant se print a dire: Si vousuous donnez a Logi-
sto le premier pris, lequel auray jeie, moy qui suis
maintenant troysiesme? Auquel Ergasto en joyeuxioyeux
visageuisage respondit, Les pris que vous avez jauous auez ia euz, se-
ront vostresuostres: toutesfoys il m’est loysible avoirauoir com-
passion
com-
paßion
d’un amy. & cela disant, feit don a Logisto
d’une belle brebis avecauec deux aigneaux. Quoy voiantuoiãt
Carino, se tournant deverstournãt deuers Ergasto, deit en ceste ma-
niere, Si tu as tanttãt de pitié de tes amys tumbez, qui
merite plus que moy d’avoirauoir quelque gratuité? SansSãs
point de doubte j’i’eusse esté le premier, si l’accident
qui feit dommage a Logisto, ne m’eust aussiaußi esté con-
traire
cō-
traire
. Et disant ces paroles, monstroit sa poytrine,
son visaigeuisaige, et sa bouche, tous pleins de pouldre, de
sorte qu’il en feit rire tous les pasteurs. Ce pendant
Ergasto feit veniruenir un beau chien blancblãc, & en le te-
nant par les oreilles, deit, Pren ce chien nomménōmé Aste-
rion, qui est de la rasse de mon vieiluieil Petulco, lequel
estant sus tous autres chiens amoureux & loyal,
merita que sa mort advancéeaduancée fust plaincte & re- grettée



85 DE SANNAZAR.
grettée de moy: & toutes les foys que j’i’en parle,
suis contrainctcōtrainct souspirer profondement. Le tumulte
& devisesdeuises des pasteurs appaisez, Ergasto meit en
evidenceeuidence une barre de fer, grosse, longue, & fort
pesante, & deit: Celuy qui mieux & le plus loing
tirera ceste barre, n’aura de deux ans besoing d’al-
ler a la villeuille pour acheter besches, paelles, ny cou-
tres, car elle luy sera labeur & loyer. A ces paro-
les se leverentleuerent Montano, Elenco, Eugenio, & Ursa-
chio
Vrsa-
chio
: lesquelz passez devantdeuant la presse, & s’estant
mis en ordre, ElencoElēco se print a soubzpeser ceste bar-
re: & apres qu’en soymesme en eut bienbiē examiné la
pesanteur, de toute sa force se meit a la tirer: tou-
tesfois il ne la sceut gueres esloigner de soy. Le coup
fut soudainement merqué par UrsachioVrsachio, lequelleq̄l esti-
mant (peut estre) que la seule force deust suffire en
cest endroit, nonobstant qu’il y employast toute sa
puissance, tira de sorte qu’il en feit rire tous les pa-
steurs, a cause qu’il getta presque a ses piedz. Le
tiers tireur fut Eugenio, lequel passa de trop les deux
precedentz. Mais Montano a qui touchoit le coup
dernier, estant un peu entré en place, se baissa versuers
la terre: & avantauant qu’il prinst ceste barre, deux ou
trois fois frotta sa main en la pouldre, puis adjou-
stant
adiou-
stant
quelque dexterité a la force, advanceaaduancea tous
les autres d’autant deux fois qu’elle estoit longue.



[85v] L’ARCADIE
Adonc tous les pasteurs luy congratulerent, & en
grande admiration louerentlouerēt le beau coup qu’il avoitauoit
faict. Quoy voyantuoyant Montano, print ceste barre com-
me sienne, & s’en retourna seoir en sa place.


Ce jeuieu finy, Ergasto feit comencercōmencer le troysiesme,
qui fut tel. Il feit en terre avecauec une de noz houlettes
une fosse si petite, qu’un pasteur y povoitpouoit demourer
seulement sus un pied, & tenir l’autre en l’air, com-
me
cō-
me
souventesfoissouuentesfois nous voyonsuoyons faire aux Grues. Con
tre celuy qui seroit la, devoientdeuoient tous les compagnonscompagnōs
veniruenir a clochepied l’un apres l’autre, chascun fai-
sant effort de l’engecter. Mais (autantautãt d’une part que
d’autre) qui ne vouloituouloit perdre, ne falloit pour quel-
que chose qui advinstaduinst, toucher terre du pied levéleué.
En ce jeuieu se veirentueirēt plusieurs beaux traictz, et pour
rire, estant mis dehors maintenant l’un, maintenant
l’autre. Finablement quand le tour de UrsachioVrsachio fut
venuuenu, & qu’il deut garder ceste fosse, voyantuoyant de
loing veniruenir un pasteur contre luy, qui se sentoit en-
cores escorné de la risée de compagnonscōpagnons, & cher-
choit d’amender la faulte qu’il avoitauoit faicte en ti-
rant la barre, il eut son recours aux finesses, &
baissant tout d’un coup la teste, en merveilleu-
se
merueilleu-
se
promptitude la meit entre les jambesiambes de celuy
qui s’estoit approché pour le heurter, & sans luy
laisser prendre alleyne, le getta les jambesiambes en l’air



86 DE SANNAZAR.
l’air pardessus ses espaules, & l’estendit sus la
pouldre tout aussiaußi long commecōme il estoit. L’esbahisse-
ment, la risée, & les criz des pasteurs furent
grans. parquoy UrsachioVrsachio prenant courage, se meit
a dire, Chascun ne peult scavoirscauoir toutes choses. Si
j’i’ay failly en un endroit, il me suffit d’avoirauoir recou-
vré
recou-
uré
mon honneur en l’autre. Lors Ergasto ryant
afferma qu’il disoit bien. & tirant de son coste une
faucille tresmignonnetresmignōne a un beau manchemãche de buys, &
qui jamaisiamais n’avoitauoit esté employée en aucun ouvrageouurage,
luy en feit un present. Puis soudainement constitua
les pris a ceux qui vouldroyentuouldroyent lutter, offrant au
vainqueuruainqueur un beau vaseuase d’Erable enrichy de plu-
sieurs painctures, faictes de la main d’André Man-
tegna Padouan, sur tous ouvriersouuriers ingenieux et ex-
cellent. Entre autres y avoitauoit une Nymphe nue bien
formée de tous membres, reservéreserué les piedz, qui
estoient ceux des chevrescheures. Ceste Nymphe as-
size sus un oyre enflé, donnoitdōnoit la tette a un petit Sa-
tyreau, qu’elle regardoit de si bonnebōne grace, qu’il sem
bloit qu’elle se consumast toute d’amour & d’affe-
ction. L’enfant tettoit l’une des mamelles, & te-
noit sa petite main estendue sus l’autre, la regardantregardãt
du coing de l’oeuil, comme s’il eust eu crainte qu’on
la luy vousistuousist desrober. Tout aupres d’eux se po-
voient veoir
po-
uoient ueoir
deux enfans pareillement nudz, les-



[86v] L’ARCADIE
quelz s’estans acoustrez de deux masques horri-
bles, passoient leurs petites mains par les bouches
d’icelles, afin d’espoventerespouenter deux autres qui estoient
la figurez, l’un desquelz fuyant se retournoit en
derriere, & crioyt de peur, le plus fort qu’il estoit
possiblepoßible. l’autre qui estoit tumbé par terre, pleuroit
a bon escient: & ne se povantpouant autrement secourir,
estendoitestēdoit la main pour les esgratigner. Par le dehors
de ce vaseuase couroit tout autour une vigneuigne chargée
de raisins meurs, a l’un des boutz de laquelle un
serpent se tortilloit de sa queue, & avecauec la bou-
che ouverte venantouuerte uenant a trouvertrouuer le bort d’icelluy, for-
moit une anse merveilleusementmerueilleusement belle & estrange
pour le tenir. La singularité de ce pris incita gran-
dement les courages des circonstanscircōstans a devoirdeuoir lutter:
toutesfois ilz attendirent pour veoirueoir que feroient
les plus grans & plus estimez. Lors voyantuoyant Ura-
nio
Vra-
nio
que nul ne bougeoit encores, se levaleua soudaine-
ment en piedz, & despouillant son manteau, com-
mencea de monstrer ses larges espaules. A l’encon-
tre de luy se presenta courageusement SelvagioSeluagio pa-
steur bien congneu & fort estimé par les forestz.
L’attente des assistensaßistens fut grande voyantuoyant deux telz
compaignons entrer en champ l’un contre l’autre.
Finablement quand ilz se furent entreapprochez,
& longuement regardez depuis les piedz jusquesiusques a la



87. DE SANNAZAR
a la teste, d’une impetuosité furieuse se vontuont estrain-
dre a force de bras: & chascun deliberant ne ceder
a sa partie, sembloient deux Ours enragez, ou deux
puissans Toreaux qui se combatissent en ce pré: &
jaia leur couroit la sueur par tous les membres: mes-
mes les veynesueynes des bras & des jambesiambes s’en mon-
stroient beaucoup plus grosses & plus rouges, a
cause de l’emotion du sang: tant chascun d’eux se
travailloittrauailloit pour la victoireuictoire. mais ne se pouvanspouãs ny ab-
batre, ny ebranler, & doutant UranioVranio que la longuelõgue
demeure ennuyast aux regardans, se print a dire a
son compaignon: SelvagioSeluagio puissant & courageux,
le tarder (commecōme tu peux veoirueoir) ennuye a l’assistenceaßistence:
parquoy soubzlevesoubzleue moy de terre, ou jeie te soubz-
leveray
soubz-
leueray
, & du reste laissons en convenircōuenir aux dieux.
En ce disant il le soubzlevasoubzleua: mais SelvagioSeluagio n’ayant
oublié ses finesses, luy donna un grand coup du ta-
l’onlon derriere la joinctureioincture du genouil, de sorte que
luy faisant par force ployer le jarretiarret, le feit cheoir a
la renverserenuerse, & tumba sus luy, sans y pouvoirpouoir reme-
dier. Adonc tous les pasteurs esmerveillezesmerueillez commen-
cerent
cōmen-
cerēt
a faire grandesgrãdes huées. puis estantestãt le tour de Sel-
vagio
Sel-
uagio
venuuenu qu’il devoit soubzleverdeuoit soubzleuer son compaignoncōpaignon,
il le print a deux bras par le faux du corps, mais
pour sa grande pesanteur, & pour le travailtrauail qu’il
avoitauoit enduré, ne le povantpouant soustenir, nonobstantnonobstãt qu’il



[87v] L’ARCADIE
y meist toute sa puissance, fut force que tous deux
tumbassent l’un aupres de l’autre. A la fin s’estantestãt re-
levez
re-
leuez
, ilz se preparoient de mauvaismauuais courage a la
tierce lutte: mais Ergasto ne voulutuoulut que ceste fureur
procedast plus avantauant, ains les appellant amyable-
ment
amyable-
mēt
, leur deit: Voz forces ne sont a consumercōsumer en cest
endroit pour un si petit guerdonguerdō. La victoireuictoire est egal-
le entre vousuous deux, aussi en recevrez vousaußi en receurez uous pareil-
les recompensesrecōpenses. & en disant cela, il delivradeliura a l’un
le beau vaseuase, & a l’autre une harpe neuve ouvreeneuue ouuree
de toutes pars, rendant bien doulce armonye, qu’il
tenoit fort precieuse, pour allegeance & con-
fort de ses douleurs. Les compagnons d’Ergasto
avoyentauoyent la nuyt precedente pris de fortune un loup
en leurs estables, & pour passetemps le tenoienttenoiēt vifuif
attaché a l’un des arbres de ce lieu. De ce loup Er-
gasto
Er-
gasto
pensapēsa qu’il feroit son dernier jeuieu en ceste jour-
née
iour-
née
. Adonc s’adressant a Clonico (qui pour chose
ayant esté faicte ne s’estoit encores levéleué de son sie-
ge) luy deit, Et toy, laisseras tu au jourd’huyiourd’huy ta Mas-
silia impourveueimpourueue d’honneur? ne feras tu en memoi-
re d’elle quelque preuvepreuue de ton corps? O jeuneieune hom-
me valeureux
hō-
me ualeureux
, pren ta fonde, & faiz congnoistrecōgnoistre a
l’assistenceassistēce que tu me portes aussiaußi bon vouloiruouloir que
piece des autres. Cela disant, a luy & a la compagniecōpagnie
monstra ce loup ainsi lyé, & deit: Qui veult avoirueult auoir un jargautiargaut



88 DE SANNAZAR.
un jargautiargaut ou collet de peau de loup pour se garder
des pluyes de l’yveryuer, il le peult maintenant gaigner
a coupz de fonde tirant contrecōtre celle butte. Lors Clo
nico, Parthenopeo, MontanoMōtano(qui nagueres avoitauoit gai-
gné le pris de la barre) & Fronimo le prudent, com-
mencerent
cō-
mencerent
a desceindre leurs fondes, & en singler
de toutes leurs puissances. puis getté le sort entre
eux, le premier coup advintaduint a Montano, le second a
Fronimo, le tiers a Clonico, & le quart a Parthe-
nopeo. Montano doncques bien ayse de sa preemi-
nence, meit un caillou vifuif en la retz de sa fonde,
& de toute sa force le tournoyant autour de sa te-
ste, le laisse aller versuers ce loup. Le caillou furieuse-
ment bruyant arrivaarriua droict ou il estoit envoyéenuoyé. &
peult estre que MontanoMōtano outre la barre conquisecōquise eust
emporté la secondesecōde victoireuictoire, mais ce loup estonné du
bruyt, se tirant en arriere, desplacea du lieu ou il
estoit, & laissa passer la pierre. Apres tira Froni-
mo: lequel combiencōbien qu’il adressast son coup justementiustemēt
a la teste, si n’eut il l’adventureaduenture de la toucher, mais
en passant tout aupres attaignit l’arbre, dont il em-
porta une piece de l’escorce. Le loup fort estonné,
se print a demener et faire merveilleuxmerueilleux bruyt: dontdōt
a Clonico sembla qu’il devoitdeuoit attendreattēdre sa rasseurancerasseurãce.
et puis si tost commecōme il le veitueit paysible, lascha la pier-
re: laquelle allantallãt droict versuers ce loup, frappa la corde



[88v] L’ARCADIE
qui le tenoit lyé a l’arbre, & fut occasion qu’il la
rompit pour le grandgrãd effort dontdōt il usa se voulantuoulãt de-
livrer
de-
liurer
. Tous les pasteurs estimansestimãs qu’il l’eust frappé,
se prindrent a escrier. Mais la faulse beste se senantsentãt
detachée, soudainement se meit en fuytte. pour la-
quelle cause Parthenopeo qui jaia tenoit la fonde em-
poinct, le voyant traverseruoyant trauerser pour se sauversauuer en un
boys sus main gauche, invoquantinuoquant en son ayde les
dieux des pasteurs, laissa vigoreusementuigoureusement aller la
pierre: & luy fut fortune si prospere, que le loup
(qui de toute sa force entendoitentēdoit a courir) fut attainct
en la temple soubz l’oreille senestre, tellement que
sans tirer ne pied ne pate, tumba promptementpromptemēt mort
en terre. dont les compaignons esbahyz de la mer-
veille
mer-
ueille
, tous a une voixuoix cryerent Parthenopeo vain-
queur
uain-
queur
. puis se tournans versuers Opico (qui jaia pleu-
roit de la nouvelle joyenouuelle ioye) luy congratuloient faisant
une plaisante feste. mesmes Ergasto bienbiē allegre s’en
alla deversdeuers ce Parthenopeo, qu’il embrassa, le cou-
ronnant d’un beau chappellet de feuilles de Baches:
puis luy donna un chevreulcheureul nourry entre les trou-
peaux, acoustumé de joueriouer avecauec les chiens, & de
heurter contre les moutons, gracieux a merveillesmerueilles
& agreable a tous les pasteurs. Clonico qui avoitauoit
rompu le lyen du loup, eut le second pris, qui fut
une belle caige neufveneufue faicte en facon d’une tour, et dedans



89 DE SANNAZAR.
dedans une Pye cacquetoire, apprise d’appeller &
saluer les pasteurs par leurs noms, de si bonne gra-
ce, que qui ne l’eust veueueue, mais seulementseulemēt ouy parler,
eust fermement pensé entendre la parole d’un hom
me. Le troysiesme pris fut a Fronimo, lequel de sa
pierre avoitauoit touché l’arbre aupres de la teste du
loup. Et fut une belle pannetierepãnetiere de fine laine, biga-
rée de diversesdiuerses couleurs. Apres eux touchoit a Mon
tano d’avoirauoir son pris, qui estoit le dernier. lors Erga-
sto joyeusementioyeusement & demy soubzryant luy deit: Ta
fortune Montano eust ce jourd’huyiourd’huy esté trop grandegrãde
si pareil heur te fust advenuaduenu en la fonde comme en
la barre. & en ce disant osta de son col une belle
musette de canne faicte seulementseulemēt a deux voixuoix, mais
de singuliere armonie, et luy en feit un present: dontdōt
ledict Montano la recevantreceuant en grand plaisir, le re-
mercia de bien bon cueur. Ces pris ainsi distribuez,
entre les mains d’Ergasto demouroit un beau bastonbastō
de Poyrier sauvagesauuage, tout orné d’entailleures pleines
de cire de diversesdiuerses couleurs, & garny par le bout
d’enhault d’une corne de Buffle, tant noire & si
luysante, que veritablement vousueritablement uous eussiezeußiez dict que
c’estoit verreuerre. De ce bastonbastō feit Ergasto present a Opi
co, disant: Vous aussiaußi pere aurez souvenancesouuenãce de Mas-
silia, & pour l’amour d’elle recevrezreceurez ce petit pre-
sent, pour lequel ne vousuous sera besoing lutter, courir, M



[89v] L’ARCADIE
ou faire autre preuve de vostrepreuue de uostre corps: car assez en
a ce jourd’huyiourd’huy faict vostreuostre Parthenopeo, lequel fut
des premiers de la course, & sans contradiction le
premier de la fonde. AdoncAdōc Opico luy rendantrendãt graces
condignescōdignes, respondit en ceste maniere: Mon filz, les
privileges de vieillessepriuileges de uieillesse