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L’ARCADIE DE MESSI- RE JAQUESIAQVES SANNAZAR, gentil homme Napolitain, excellent Poete en- tre les modernes, mise d’Italien en Francoys par JehanIehan Martin secretaire de Monseigneur ReverendissimeReuerendißime Cardinal de Lenoncourt.
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Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
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Première publication :
28/11/2013
Dernière mise à jour : 19/03/2014
A MONSEIGNEURMONSEIGNEVR LE PREVOST
de Paris, ou son Lieutenant CivilCiuil
SUPPLIENTSVPPLIENT humblement Michel de Vasco-
san, & Gilles Corrozet, libraires de ceste villeuille de
Paris, qu’il vousuous plaise leur donner permissionpermißion d’im-
primer & vendreuendre un livreliure nouvellementnouuellement traduict
d’Italien en Francoys, intitulé l’Arcadie de Sanna-
zar, Poete Napolitain: pour lequel imprimer leur
convientconuient faire gros frais & despenses, dont ilz
pourroientpourroiēt estre frustrez, ensembleēsemble de leurs labeurs,
s’il estoit permis a tous de l’imprimer. Ce consideré
il vousuous plaise ordonner que defenses soient faictes
a tous libraires & imprimeurs de la villeuille & pre-
vostepre-
uoste de Paris, de n’imprimer iceluy livreliure, ny d’en
vendreuendre d’autres que de l’impressionimpreßion desdictz sup-
plians, jusquesiusques a quatre ans finiz & accomplizaccõpliz, sur
peine de confiscation des livresliures, & d’amende arbi-
traire. Et vousuous ferez bien.
Soit faict ainsi qu’il est requis.
Faict le 11. jour d’Avriliour d’Auril M. D. XLIII. avantauãnt pasques.
Signé. JI. JI. de Mesmes.
A MONSEIGNEURMONSEIGNEVR
Monseigneur ReverendissimeReuerendißime Cardinal
de Lenoncourt.
MOnseigneur, environenuiron le commencementcõmencemet de
cest yveryuer dernier, V. R. S. me comman-
da que jeie luy feisse veoirueoir ma traduction
francoyse de l’Arcadie Italienne de mes-
sire JaquesIaques Sannazar gentil hommehõme Napolitain. ce que
lors ne me fut possiblepoßible, pour ne l’avoirauoir encores mise au
nect: dontdõt j’i’estoye grandementgrãdemēt desplaisant. Mais pour repa
rer ceste faulte, jeie la vousuous ay faict imprimer en beaux
characteres: & maintenant oze bien prendre la har-
diesse de la vousuous dedier avecauec ma perpetuelle servitudeseruitude:
suppliantsuppliãt treshumblementtreshumblemēt qu’il vousuous plaise l’avoirauoir agrea
ble, & prendre en bonne part que jeie la mette en lu-
miere soubz l’inscriptioninscriptiõ de vostre nom: car jeie ne le faiz
sinon pour luy procurer plus de grace et faveurfaueur entre
les hommeshõmes, consideré que choses consacréescõsacrées aux temples
ou personnages Heroiques, sont reveréesreuerées des propha-
nes nonobstantnõobstant qu’elles soyent souventesfoissouuentesfois de basse &
petite valeurualeur. Pour le moins j’i’ay fiancefiãce que plusieurs gen
tilz hommeshõmes & dames vivansuiuãs noblement en leurs mes-
nages aux champz & autres de moindre qualité, luy
ferontferõt assez bon recuuil, veuueu mesmementmesmemēt qu’elle ne trai-
cte guerres, batailles, bruslemens, ruines de pays, ou
telles cruaultez enormes, dont le recit cause a toutes
gens horreur, compassioncõpaßion, & melancholie, reservéreserué aux
ministres de Mars, qui ne se delectent qu’en fer, feu, ra- A ij
[2v]
pines & subversionssubuersions de loix divinesdiuines et humaines. Tel
subgect, a la veriteuerite, n’est conforme a ceste Arcadie, car
elle ne represente que Nymphes gracieuses, & jolyesiolyes
bergeres, pour l’amour desquelles jeunesieunes pasteurs
soubz le fraiz umbrage des petiz arbrisseaux et en-
tre les murmures des fontaines chantent plusieurs bel-
les chansons, industrieusement tirees des divinsdiuins Poetes
Theocrite & Virgile: avecauec lesquelles s’accorde melo-
dieusement le ramage des oysillons degoysans sus les
branches verdesuerdes, tellement que les escoutans pensent
estre ravizrauiz aux champs Elysées. Mais pource que l’au-
cteur en cest oeuure s’est servyseruy d’un grand nombre de
motz dont l’intelligence n’est communetcõmunet: pour releverreleuer de
peine les lecteurs j’i’en ay bien vouluuoulu faire un petit som-
maire, ou, pour mieux dire, advertissementaduertissemēt, qu’ilz trou-
veronttrou-
ueront aux derniers cahiers: et cela les adressera pour
la descriptiondescriptiõ des plantesplãtes a Dioscoride, pour les situationssituatiõs
des lieux d’Italie a BlondusBlõdus en sa CampagneCãpagne, pour les cho
ses concernantescõcernãtes l’histoire naturelle a Pline, et pour les fi-
ctions Poetiques a la Metamorphose d’OvideOuide, et autres
bonsbõs aucteurs de la languelãgue latine, desquelz j’i’ay cotté les
passages, afin de donnerdõner autant de profit que de plaisir.
Monseigneur jeie prie le Createur vousuous donnerdõner un per-
faicte sante treslongue & tresheureuse vieuie. De Paris
ce XV. d’AvrilAuril. M.D.XLIII.
Vostre treshumble & tresobeissant
serviteurseruiteur. JehanIehan Martin.
ARCADIE
DE MESSIRE JAQUESIAQVES
SANNAZAR
GENTIL HOMME NA-
POLITAIN.
LES grans et spacieux arbres produictz
par nature sus les haultes montagnes,
ordinairement se rendent plus agrea-
bles a la veueueue des regardans, que les plantes son-
gneusement entretenues en vergiersuergiers delicieux par
JardiniersIardiniers bien experimentez. AussiAußi le chant ra-
mage des oyseaux qui par les forestz se degoysent
sus branches verdesuerdes, faict autantautãt de plaisir a qui les
escoute, que le jargoniargon de ceulx qui sont nouriz es
bonnesbõnes villesuilles, et aprins en cages mignottes. Ce qui me
faict estimer que certaines chansonschãsons rurales trassées
sus raboteuses escorces d’arbres, ne contententcõtentent aucu-
nesfois moins les lecteurs, que plusieurs poemes la-
borieusement composezcõposez, & escriptz en beaux cha-
racteres sus feuilletz de livresliures dorez. D’advantageaduãtage
que aucunsaucũs chalumeaux de pasteurs accouplez avecauec
de la cire, rendent parmy les valleesuallees, des armonies
(paravantureparauanture) autant aymables, que les resonances
d’aucuns instrumens civilzciuilz tournez de Buys tant
estimé, encores que l’onlõ s’en delecte en salles et cham-
breschã-
bres pompeusespõmpeuses. PareillementPareillemēt une fontaine bienbiē bordee A iij
[3v]
L’ARCADIE
d’herbes verdoyantesuerdoyantes, et qui naturellement sort de
roche viveuiue, se presente aussiaußi gaye a la veueueue que les
artificielles diaprees de marbre de toutes cou-
leurs. Sus ceste confiance jeie pourray bien reciter
en ces desers, aux arbres escoutans, & a ce peu
de pasteurs qu’il y aura, quelques Eglogues yssues
de naturelle veineueine, encores a present autant rudes
& mal polies, qu’elles estoyent lors que jeie les ouy
chanter soubz le fraiz umbrage des arbrisseaux,
& entre les murmures des fontaines courantes
par aucuns pasteurs d’Arcadie, ausquelz les dieux
des montagnes ravizrauiz de la douceur, ne presterent
une seule fois, mais plus de mille, leurs oreilles en-
tentivesen-
tentiues, mesmes les gentilles Nymphes entrelais-
sans leurs chasses commencées, en appuyerent bien
arcz & trousses contrecõtre les tiges des Sapins de Me-
nalo et Lyceo. A ceste cause, s’il m’estoit licite appro-
cher mes levresleures du simple flageolet que Dametas
donna jadisiadiz a Corydon, jeie m’en estimeroye au-
tant que de manier la trompe resonnante de Pallas,
avecauec laquelle Marsias l’outre cuydél’outrecuydé Satyre oza bienbiē
a son grand dommage provocquerprouocquer Apollo, d’autant
que mieux vaultuault songneusementsongneusemēt cultivercultiuer une sienne
petite piece de terre, que par nonchallancenõchallance en laisser
une bien grandegrãde malheureusementmalheureusemēt tumber en friche.
Dessus le mont Parthenio, qui n’est des moin- dres
4
DE SANNAZAR.
dres de la pastorale Arcadie, se trevuetreuue une belle
plaine de bien petite estendue, pourautant que la si-
tuation du lieu n’en seroit autrement capable: mais
elle est si bien garnie d’herbe verdeuerde, que si les trou
peaux des bestes n’en paissoyentpaissoyēt, l’onlon pourroit en tou
tes saisons y trouvertrouuer de la verdureuerdure. En ce lieu (si jeie
ne m’abuze) peult auoir une douzaine d’arbres de
tant rare & exquise beaute, que qui s’amuseroit a
les contempler, pourroit dire, nature la perfaicte
ouvriereouuriere, avoirauoir prins grand plaisir,& s’estre son-
gneusement estudiée a les former: car estans aucu-
nement distans les uns des autres, & disposez d’un
ordre sans articfice, ilz enrichissent grandement sa
nayvenayue beaute. Tout premier l’onlon y treuvetreuue le Sapin
hault, droict, et sanssãs neudz, formé pour endurer les
tourmentes de la mer. Apres y est le Chesne robuste
a branchesbrãches plus longueslõgues et feuillues. puis on y veoitueoit le
jolyioly Fresne, et le Plane delicieux, dont les umbrages
n’occupent peu de place emmy ce beau pré. D’ad-
vantagead-
uantage y est (a rameaux plus courtz) l’arbre du-
quel Hercules se souloit couronnercourõner, en la tige duquel
furent transforméestrãsformées les dolentes filles de Clymene.
A l’un des costez sont, le nouailleux Chastaigner, le
Buys feuillu, et le hault Pin a dur fruict, et poignantpoignãt
feuillage. De l’autre part, le Hestre umbrageux,
le Tilleul incorruptible, & le fragile Tamarin, a-
A iiij
[4v]
L’ARCADIE
vecuec la Palme orientale, doulx & honorable guerdonguerdõ
des victorieuxuictorieux: au meillieu desquelz joignantioignant une
claire fontaine, s’eslieveeslieue versuers le ciel un Cypres en
guyse d’une haulte Borne, si plaisant a veoirueoir, que nonnõ
seulement Cyparissus, mais (s’il se peult dire sans
offense) Apollo mesme ne se desdaigneroit d’estre
en sa tige transfiguré. Et ne sont ces plantes si mal
gracieuses, que leurs umbrages empeschent totale-
ment les rayonsrayõs du Soleil de penetrer en ce delicieux
pourpris, ains par diversdiuers endroitz les recoyventrecoyuent si
gracieusementgracieusemēt, que rare est l’herbette quiꝗ n’en tire au-
cune recreation. Or combiencõbien qu’en toutes saisons il y
face merveilleusementmerueilleusemēt beau frequenterfrequēter, si est ce queq̄ du-
rant le printemps encores y faict il plus gay qu’en
tout le reste de l’année. En ce lieu tel queq̄ jeie vousuous com-
ptecõ-
pte, les pasteurs des montagnes circunvoisinescircunuoisines ont
apris de mener souventsouuēt paistre leurs troupeaux, &
s’entr’esprouvers’entr’esprouuer a plusieurs penibles exercices, com-
mecõ-
me a getter la barre, tirer de l’arc, saulter a plu-
sieurs saultz, et s’entr’empongerentr’empõgner a la lutte: en quoy
le plus souventsouuent ilz chantent & sonnentsonnēt herpes ou
musettes a l’enuy, non sans pris & louengelouēge de celuy
qui faict le mieux. Or advintaduint une fois entre les au-
tres, que la plus grandgrãd part des pasteurs circunvoi-
sinscircunuoi-
sins s’assembla sus celle montagnemõtagne, chascun avecauec son troupeau
5
DE SANNAZAR.
troupeau. Lors en proposant diversesdiuerses manieres d’es-
batemenses-
batemēs, tous sentoyent plaisir inestimable, excepté
le povrepoure Ergaste, lequel s’estoit assisaßis loing de la
troupe au pied d’un arbre, & la se tenoit sans par-
ler ny mouvoirmouuoir, commecõme une pierre ou quelque souche,
non recors de soy ny de ses bestes, combien que au
paravantparauant il avoitauoit tousjourstousiours esté plus gracieux &
recreatif que nul des aultres. Quoy voyantuoyãt SelvagioSeluagio,
meu a compassioncompaßion de son miserable estat, pour luy
donner allegeance de ses tourmentz, se print ainsi
amiablement a l’araisonner chantantchãtant a haulte voixuoix:
SELVAGIO.
Amy, pourquoy te veoyueoy jeie en ce poinct taire,
Morne, pensif, dolent, & solitaire?
Il n’est pas bon de tes bestes laisser
A leur plaisir ces landes traversertrauerser.
VeoyVeoy celles la qui passent la riviereriuiere.
VeoyVeoy deux belliers qui courent la derriere
Les testes bas, s’ilz se mettent empoinct
Pour se chocquer tout en un mesme poinct.
Au plus vaillantuaillant les autres favorisentfauorisent,
SuyventSuyuent ses pas, le reverentreuerent & prisent,
Chassant d’entr’eulx & mocquant par semblant
Le desconfit de vergogneuergongne tremblant.
Ne scaiz tu pas qu’encores que les loupz
[5v]
L’ARCADIE
Ne facent bruyt, leurs pillages sur nous
Sont merveilleuxmerueilleux, veuueu que noz chiens de garde
Sont endormiz, & que n’y prenons garde?
JaIa par les boys amoureux oyselletz
S’apparians font leurs nidz nouvelletz nouuelletz.
La neige fond, & coule des montagnes,
Dont semble a veoirueoir qu’il sourde en ces campagnescãpagnes
Fleurs a milliers, & que toute branchette
NouveauxNouueaux bourgeons & tendres feuilles gette.
JaIa les aigneaux jusquesiusques aux plus petitz
Vont pasturant l’herbette en ces pastiz:
Et Cupido reprend pour son soulas,
Fleches & arc, dont oncques ne fut las
De navrernaurer ceulx qui luy font resistence,
Et transmuer en cendre leur substance.
Progne revientreuient de region loingtaine
AvecAuec sa seur, en querele haultaine
Se lamenter de l’ancien outrage
Que Tereus leur feit par grande rage.
Mais (a vrayuray dire) ores tant peu se treuvetreuue
De pastoureaux qui chantent a l’espreuveespreuue
En l’umbre assizaßiz, qu’il semble que nous sommes
En la Scythie entre barbares hommes.
Dont puis qu’a toy nul de nous se compare
A bien chanter, & le temps s’y prepare,
Chante de grace une chanson ou deux.
Ergasto.
Helas amy en ce lieu tant hydeux
jeIe n’y enten Progné, ny Philomele,
Mais maint hyboux qui lamente comm’elle.
Printemps pour moy ne s’est de verduerd vestuuestu,
Et n’ont ses fleurs ny ses herbes vertuuertu
De me guarir, au moins jeie ne rencontre
Que des chardons, qui portent mal encontre.
Cest air icy ne m’est point sans brouillart:
Et quand un jouriour vousuous est pur & gaillard,
JeIe pense veoirueoir des noires nuytz d’Autonne
Quand il pleut fort, & horriblement tonne.
Abysme donc tout le monde & ruine,
Crainte n’auray de veoirueoir telle bruine,
Car jeie me sens en ce cruel propos
Le cueur emplir d’une umbre de repos.
Fouldres & feu soient en terre cheans
Comme en Phlegra jadisiadis sus les Geans,
Si que le ciel par force fouldroyer
Se puisse en mer avecauec terre noyer.
Quel soing veulxueulx tu que j’i’aye d’un troupeau
Qui n’a sinon que les os & la peau?
JeIe m’attens bien qu’il s’esparpillera
Entre les loupz, ou tout se pillera.
Ayant ainsi de confort indigence,
A ma douleur jeie ne treuvetreuue allegeance
[6v]
L’ARCADIE
Fors de m’asseoir (chetif & miserable)
Aupres d’un Fau, d’un Sapin, ou Erable.
Et la pensant a qui mon cueur dessire,
Glace deviendeuien: mais mieux jeie ne desire,
Car ce pendant la peine JeIe ne sens,
Qui m’amaigrit,& faict perdre le sens.
Seluagio.
En t’escoutant ainsi triste complaindre,
J’I’endurcissoys comme un roc (sans me faindre)
Mais peu a peu jeie sens qu’il me ramende
En proposant te faire une demande.
Qui est la fille ayant le cueur si fier,
Qu’elle t’a faict ainsi mortifier
Changeant visageuisage & meurs? nomme la moy:
Secret seray, jeie te prometz ma foy.
Ergasto.
Menant un jouriour mes aigneaux en pasture
Le long d’une eau, par un cas d’adventureaduenture
UnVn clair Soleil m’apparut en ses undes,
Qui me lya de ses tresses bien blondes,
Et imprima sus mon cueur une face,
Dont le tainct fraiz, Laict & Roses efface.
Puis se plongea en mon ame de sorte
Qu’impossibleimpoßible est que jamaisiamais il en sorte.
De ce poix seul mon cueur est tant grevégreué
Qu’esbahy suis comme il n’en est crevécreué,
Veu que
7
DE SANNAZAR.
Veu que deslors fuz mis soubz un jougioug tel
Que j’i’ay du mal plus qu’autre homme mortel.
Dire le puis, Amy, l’experience
Me faict quasi perdre la patience.
JeIe veyuey premier luyre l’un de ses yeux,
Puis l’autre apres, en maintien gracieux.
Bien me souvientsouuient qu’elle estoit rebrassée
Jusqu’Iusqu’aux genoux,& que teste baissée
Au chault du jouriour un linge en l’eau lavoitlauoit,
Chantant si doux, que tout ravyrauy m’avoitauoit:
Mais aussiauβi tost comm’elle m’entreveitentreueit,
Elle se teut, que pas un mot ne deit,
Dont J’I’eu grand deuil: & pour plus me fascher,
Elle s’en vaua a sa robe delascher
Pour s’en couvrircouurir: puis sans craindre avantureauanture,
En l’eau se mect jusquesiusques a la ceincture:
Parquoy de rage, a moins de dire ouy,
En terre cheu tout plat esvanouyesuanouy.
Lors par pitité me voulantuoulant secourir,
Elle s’escrie, & se prend a courir
Tout droict a moy, si que ses criz trenchans
Feirent veniruenir tous les pasteurs des champs,
Qui des moyens plus de mille tenterent
Pour me resourdre: & tant en inventerentinuenterent,
Que mon esprit de sortir appresté,
Fut (pour adonc) en mon corps arresté,
[7v]
L’ARCADIE
Remediant a ma vieuie doubteuse.
Cela voyantuoyant la pucelle honteuse
Se retira, monstrant se repentir
Du bon secours que m’avoitauoit faict sentir.
Parquoy mon cueur de sa beaulté surpris,
De desir fut plus vivementuiuement espriz.
JeIe pense bien que cela feit la belle
Pour se monstrer gracieuse & rebelle.
Rebelle est bien d’user de ces facons,
Et froide plus que neiges ou glassons:
Car nuyt & jouriour a mon secours la crye,
Mais ne luy chault de ce dont jeie la prie.
Ces boys icy scaventscauent assez combien
JeIe luy desire & d’honneur & de bien,
Si font ruysseaux, montagnes, gens, & bestes,
Car sans cesser joursiours ouvrablesouurables & festes,
En souspirant d’amour qui me provoqueprouoque,
JeIe la supplie, & doucement invoqueinuoque.
Tout mon bestail qui sans cesse m’escoute,
Soit qu’il rumine en l’umbre, ou au boys broute,
Scait quantesfois jeie la nomme en un jouriour
Piteusement, sans pause, ny sejourseiour.
AussiAußi par fois Echo qui me convoyeconuoye,
Me faict tourner quand elle me renvoyerenuoye
Son jolyioly nom jusquesiusques a mes oreilles
Sonnant en l’air si doux que c’est merveillesmerueilles.
Ces ar-
8
DE SANNAZAR.
Ces arbres cy d’elle tiennent propoz,
Soyent agitez du ventuent, ou de repoz:
Et monstre bien chascun en son escorce
Comm’elle y est gravéegrauée a fine force,
Ce qui me faict, telle fois est, complaindre,
Et puis chanter gayement sans me faindre.
Pour son plaisir mes Toreaux & Belliers
Font bien souventsouuent des combatz singuliers.
En escoutant la piteuse lamentation du dolent Er-
gasto, chascun de nous ne fut moins remply de pitié
que d’esbahissement: car combien que sa voixuoix de-
bile, & ses accentz entrerompuzentrerõpuz, nous eussent desjadesia
faict plusieurs fois grievementgrieuement souspirer, si est ce
qu’en se taisant, seulement l’obgect de son visageuisaige
defaict & mortifié, sa perruque herissée, & ses
yeux tous meurdriz a fine force de pleurer, nous
eussent peu donner occasion de nouvelle nouuelle amertume.
Mais quand il eut mis fin a ses parolles, & que sem
blablement les forestz resonnantesresonnãtes se furent appai-
sées, il n’y eut aucun de la compagnie qui eust cou-
rage de l’abandonner pour retourner aux jeuxieux en-
trepriz, ny qui se souciast d’acheveracheuer les commencezcõmencez:
ains estoit chascun si marry de son infortune, que
tous particulierementparticulieremēt s’efforceoyent selon leur puis-
sance ou scavoirscauoir, le retirer de son erreur, luy ensei-
[8v]
L’ARCADIE
gnant aucuns remedes plus faciles a dire qu’a met-
tre en execution. Puis voyantuoyant que le Soleil appro-
choit de l’occident, & que les fascheux grillons ia
commenceoyent a criqueter dans les crevassecreuasses de la
terre, sentanssentãs approcher les tenebres de la nuyt, nous
ne voulansuoulans permettre que le poure desolé demou-
rast la tout seul, quasi par contraincte le levasmesleuasmes
sus ses piedz: & incontinent le petit pas, feismes
tourner noz bestes deversdeuers leurs estables. Et pour
moins sentir le travailtrauail du chemin pierreux, plu-
sieurs en allant se prindrent a sonner de leurs mu-
settes a qui mieulx mieulx, chascun s’efforceant
produire quelque chanson nouvellenouuelle. Ce pendantpēdant l’un
appelloit ses chiens, l’autre ses bestes, par noms pro-
pres. Quelqu’un se plaignoit de sa pastourelle, &
quelque autre rustiquement se ventoituentoit de la sien-
ne. D’advantageaduantage plusieurs bons compagnons al-
loyent en termes ruraux se mocquans & gaudis-
sans les uns des autres. Et cela dura jusquesiusques a ce
que feussionsfeußions arrivezarriuez en noz cabannes couvertescouuertes
de chaume. Or se passerent en ceste maniere main-
tes journeesiournees. Puis un matin advintaduint que moy (suy-
vantsuy-
uant le devoirdeuoir de bergerie) ayant faict pai-
stre mes bestes a la rosee, & me semblant que
pour la grande chaleur prochaine il estoit heure
de les mener a l’umbre en quelque lieu ou moy &
elles
9
DE SANNAZAR.
elles nous peussionspeußiõs rafraichir de l’aleine des petitz
ventzuentz. JeIe prins mon chemin deversdeuers une umbra-
geuse valleeuallee qui estoit a moins d’un quart de lieue
de moy, conduysant lentement a tout ma houlette
mes dictes bestes: lesquelles a chascun pas vouloyentuouloyēt
entrer dedans les boys. Et n’estois encores gueres
loing quand de bon encontre jeie trouvaytrouuay un pa-
steur nomménõmé Montano: lequel semblablement cher-
choit d’evitereuiter la chaleur ennuyeuse, et a ces fins
avoitauoit faict une couronne de rameaux feuilluz qui
le defendoient du Soleil. Ce pasteur s’en alloit tou
chant son troupeau devantdeuãt soy, sonnant si melodieu-
sement une musette, qu’il sembloit que les forestz
en feussentfeußēt plus gayes que de coustume. AdoncAdõc jeie qui
fuz merveilleusementmerueilleusement curieux d’entendreentēdre telle me-
lodie, en parolles assez humaines luy dy: Amy,
d’aussiaußi bon cueur que jeie prie aux gracieuses Nym-
phes qu’elles daignent de bonnebõne oreille escouter tes
chansonschãsons, et aux dieux champestreschãpestres que les loupz ra-
vissansra-
uissans ne te puissentpuißēt faire dommagedõmage de tes aigneaux,
mais que sains sauvessauues et bien guarniz de fine lay-
ne ilz te puissent rendre agreable profit, faiz moy
(s’il ne te grievegrieue) part de la jouissanceiouyßãce de ton armo
nye. Ce faisant, le chemin et la chaleur nous en sem
bleront beaucoup moindres. Et afin que tu n’esti-
mes perdre ta peine, j’i’ay une houlette de Myrte
B
[9v]
L’ARCADIE
nouailleux, les extremitez de laquelle sont toutes
garnies de plomb poly. mesmes au bout d’enhault
est entaillée de la main de Caritheo bouvierbouuier nague
res venuuenu de la fertile Espaigne, une teste de bellier
avecauec ses cornes retounées, par si grandgrãd artifice que
Toribio l’un des plus riches pasteurs de ce pays
m’en voulutuoulut unefoys donnerdõner un puissant mastin har-
dy et bon estrangleur de loupz: toutesfois pour re-
questes ny pour offres qu’il m’ayt sceu faire, il ne le
peut oncques obtenir de moy. Et si tu veulxueulx chan-
ter, jeie t’en feray ung present tout a ceste heure.
Adonc Montano sans attendre autres prieres, en
cheminant ainsy plaisamment commencea:
MONTANO.
Allez a l’umbre o Brebiettes
Qui repeues et pleines estes,
Soubz ces arbres, puis qu’ainsi vaua
Qu’au Midy le Soleil s’en vaua:
Et la prenant le doux repoz,
Vous entendrez par mes propoz,
Louer les yeux clairs & serains,
Les cheveuxcheueux d’or bien souverainssouuerains,
Les mains a mes desirs iniques,
Et les beaultez au monde uniques.
Lors pendant que mes chalumeaux
Accorderont
10
DE SANNAZAR.
Accorderont au bruyt des eaux,
Vous pourrez aller pas a pas
Faire d’herbettes un repas.
Je veoyIe ueoy la quelqu’unn. Si ce n’est
Souche, ou Rochier, jeie croy que c’est
Vn homme qui dort en ce valual,
Ou las, ou qui se trouvetrouue mal.
Aux espaules, a la stature,
A la facon de sa vestureuesture,
Et a ce chien blanc tout ensemble
C’est UranioVranio, ce me semble.
C’est luy certes, qui bien manye
Et faict rendre telle armonye
A sa harpe gente & doulcette,
Qu’on le compare a ma musette.
Pasteurs (mes amys) en passant
Gardez vousuous du loup ravissantrauissant
De toute meschancete plein:
Car jeie croy qu’il est en ce plain
Guettant pour faire mille maulx,
S’il trouvetrouue a l’escartlescart animaux.
Icy a deux chemins froyez:
Donc sans nous monstrer effroyez
Prenons par le meillieu du mont
Ce sentier la nous y semont.
Veillez sus le loup qui toute heure
B ij
[10v]
L’ARCADIE
En ces buyssons tapy demeure.
JamaisIamais ne dort (la faulse rasse)
Mais suyt les bestes a la trasse.
Homme ne s’estonne en ce boys.
Pasteurs, suyvezsuyuez moy, jeie m’en voysuoys,
Qui congnois le loup, et la ruse
Dont pour nous decevoirdeceuoir il use.
Mais quand jeie n’auroys qu’unqu’n rameau
De Chesne, d’Erable, ou d’Ormeau
JeIe le feray bien reculler
S’il vientuient quelque beste acculer.
O si en ceste matinee
J’I’auoys si bonne destinee,
Brebiz, que je vousie uous peusse mettre
A sauvetésauueté, qui pourroit estre
Plus que moy joyeuxioyeux ou content?
Ne vousuous escartez en montant
Comme tousjourstousiours, car par expres
JeIe vousuous dy que le loup est pres.
Aumoins en sortant de noz granges
J’I’ay ouy des criz bien estranges.
Sus Melampe et Adre courez,
Ou d’abbayer nous secourez.
Chascun prenne garde a la robe
Du loup, qui nous pille et desrobe.
Ces maulx adviennentaduiennent (sus ma vieuie)
Par
11
DE SANNAZAR.
Par nostre rancune, ou envieenuie.
Les plus sages ferment de cloyes,
De paliz, ou de bonnes hayes,
Leurs parquetz, sans point se fyer
A l’abbay des chiens aspre et fier.
Ainsi par bonne garde ilz ont
Laynes et laict, dont profit font
Tout du long que les boys sont versuers,
Ou despouillez par les yversyuers.
On ne les peult veoirueoir mal contens
Pour neige en Mars, ou pire temps.
Beste ne perdent, s’elle fuyt,
Ou couche emmy les champs de nuyt:
Dont semble que les dieux s’accordent
Aux riches, et a nous discordent.
A leurs aigneletz mal ne faict
Empoysonné regard infect.
JeIe ne scay si ces cas procedent
D’herbes, ou charmes qu’ilz possedent:
Mais les nostres d’une allenée
Meurent en tous temps de l’année.
Le loup traistre, larron, pipeur,
A (peut estre) des riches peur,
Et aux povrespoures c’est son usance
De leur faire toute nuysance.
Aumoins sommes nous (de par dieu)
B iij
[11v]
L’ARCADIE
Sans perte arrivezarriuez jusqu’iusq’au lieu
Dont la nature me convieconuie
A chanter d’amoureuse vieuie.
Il fault commencer a un bout.
Sus doncques UranioVranio, debout.
Doys tu passer ainsi le jouriour,
Comme la nuyt propre au sejourseiour?
UranioVranio.
JeIe reposoys sus ce mont la
Quand sus la mynuyt m’esveillaesueilla
Le bruyt des chiens jappansiappans au loup:
Parquoy me levayleuay tout acoup,
Et me prins a crier, Bergiers
Soyez courageux & legiers
De le poursuyvrepoursuyure sans fremir.
Et oncques puis ne sceu dormir
JusquesIusques au jouriour, que jeie comptay
Tout mon bestail, puis me boutay
Soubz cest arbre, & me rendormy.
Tu m’y as trouvétrouué, mon amy.
Montano.
Dirons nous point quelque chanson
A la pastorale facon?
UranioVranio.
Quoy donc? mais jeie ne respondray
Fors a ce que dire entendray.
Montano.
A quoy commenceray jeie doncques?
Car j’i’en scay bien un cent qui oncques
Ne fut commun (par mon serment)
Chanteray jeie Cruel tourment?
Ou celle qui commence ainsi:
Ma belle dame sans mercy?
Ou bien de la belle obstinée
Disant, O dure destinée?
UranioVranio.
Nenny, mais jeie te requier, dy
Celle qu’avantauant hier a midy
Tu chantois emmy ce bourget:
Ell’ est doulce, et de bon subjectsubiect.
Montano.
En plainctz et pleurs ma chair distile,
Comme au Soleil neige subtile,
Ou comme l’onlon veoitueoit par effect
Qu’au ventuent la nue se defaict
Et ne scay moyen d’y pourveoirpourueoir.
Pensez quel mal jeie puis avoirauoir.
UranioVranio.
Pensez quel mal jeie puis avoirauoir,
Car comme cire fond au feu
Que l’eau froyde estainct peu a peu,
JeIe me consume: on le peult veoirueoir:
Et de ce las ne veuilueuil sortir.
Tant me plaist ma peine sentir.
Montano.
Tant me plaist ma peine sentir,
Qu’au son de ma Muse jeie danse,
Tendant a mortelle cadence:
Car jeie pousuy sans diuertir
UnVn Basilir que j’i’ay cherché
Par ma fortune, ou mon peché.
UranioVranio.
Par ma fortune ou mon peché
JeIe voysuoys tousjourstousiours cueuillant fleurettes,
Dont jeie faiz chapeaux d’amourettes,
Pleurant de me veoirueoir empesché
A un Tigre pacifier,
Qui est trop cruel, et trop fier.
Montano.
O ma doulce amy Philis
AussiAußi blanche que le beau Liz,
Et plus uermeille que le pré
De fleurs en Auril dyapré,
Plus prompte a fuyr qu’unequ’ne Biche,
Et d’amoureux guerdon plus chiche
Que Syringua qui un roseau
DevintDeuint, et tremble encor en l’eau
Pour les maux que j’i’ay endurez,
Monstre
13
DE SANNAZAR.
Monstre moy tes cheveuxcheueux dorez.
UranioVranio.
Tyrrhena dont le tainct resemble
Laict & roses meslez ensemble,
Plus legiere a fuyr qu’unn Dain,
Doux feu bruslant mon cueur soudain,
Voire plus dure a mes recors
Que celle qui feit de son corps
Le premier Laurier en Thessale,
Pour effacer ma couleur palle,
Tourne deversdeuers moy tes doux yeulx,
Ou niche Amour vainqueuruainqueur des dieux.
Montano.
Pasteurs qui estes cy autour,
Et nous oyez chanter a tour
Si feu querez, venezuenez en prendre
En moy reduict en Salemandre
Bien heureux monstre, et miserable
Pour l’ardeur en moy perdurable
Depuis l’heure que sans esgard
JeIe fuz navrénauré du beau regard,
Auquel pensant mon cueur se glace,
Et si brusle en tout temps et place.
UranioVranio.
Pasteurs qui pour fuyr au chault
Cherchez l’umbrage ou n’ayt default
De rafraichissement d’eau viveuiue,
Venez a moy, que douleur privepriue
De joyeuxioyeux espoir, & qui rens
De mes yeux, deux amples torrens
Deslors que jeie veyuey la main blanche
Qui lya ma volunteuolunte franche,
Et mon cueur si bien pourchassapourchaßa,
Que tout autre amour en chassachaßa.
Montano.
La nuyt vientuient: le Ciel se faict sombre:
Les montz au plat pays font umbre:
Mais les estoilles & la Lune
Nous reconduyront en la brune.
Tout le bestail se mect ensemble
Hors des boys, veoyantueoyant (comme il semble)
L’heure qu’il y auroit danger
Que les loupz en veinsentueinsent menger.
Les guydes aux villagesuillages tendent,
Puis noz compagnons nous attendent
Craignans quelque perte advenueaduenue
Depuis que la nuyt est venueuenue.
UranioVranio.
JeIe n’en sache point en esmoy
Pour ma demeure: & quant a moy
JaIa n’en bougera mon troupeau
Qu’il n’ayt tresbien emply sa peau.
Quand tu me feroys compagnie,
Ma pannetiere est bien garnye,
Et aussiaußi est bien ma bouteille
Pleine de bon vinuin de ma treille,
Dont tant qu’il y en aura goutte,
L’onLon ne verrauerra que jeie me boute
Au chemin pour m’en retourner,
D’eust il & plouvoirplouuoir & tonner.
JaIa se taysoient les deux pasteurs ayansayãs achevéacheué de
chanter, quand nous levezleuez de noz sieges laissas-
mes la UranioVranio auec deux compagnonscompagnõs, et suyvismessuyuismes
nostre bestail, qui bonne piece avoitauoit s’estoit mis au
retour soubz la conduicte des chiens fideles. Et non-
obstantnõ-
obstant que les Sureaux chargez de feuilles et de
fleurs, umbrageassent quasi toute la voyeuoye, qui tou-
tesfois estoit assez ample, la lueur de la Lune estoit
si claire que nous y veoyionsueoyions comme en plein jouriour.
Lors en cheminant par le silencesilēce de la nuyt, propoz
se meurent du passetemps receu la journeeiournee, et fut
grandement estimée la nouuelle facon de commen-
cer de MontanoMõtano: mais beaucoup plus la promptitude
et asseurance d’UranioVranio, qui avoitauoit commencé a chan
ter n’estant a grand peine esveilléesueillé: et ne luy avoitauoit
le sommeil rien sceu diminuer de sa louenge me-
ritée. Parquoy chascun rendoitrēdoit graces aux dieux de
[14v]
L’ARCADIE
ce que ainsi par cas fortuit nous avoyentauoyent conduictzcõduictz
a si grande recreation. Entre ces devisesdeuises se enten-
doit aucunesfois le murmure des Faisans qui s’esba-
toient en leurs aires, chose qui nous faisoit souventsouuēt
interrompreinterrõpre noz propoz. qui (sans point de doute)
nous sembloyentsembloyēt beaucoup plus doux que s’ilz eus-
sent esté continuezcõtinuez sans une si plaisante interruptioninterruptiõ.
En ce contentementcontētement nous arrivasmesarriuasmes a noz maisons:
ou, apres avoirauoir chassé la fain a force de viandesuiandes ru-
stiques, nous allasmes (comme de coustume) dormir
sus la paille, attendansattēdans en singuliere devotiondeuotion le jouriour
ensuyvantensuyuant, auquel se devoitdeuoit solennelementsolennelemēt celebrer
la joyeuseioyeuse feste de la saincte Pales venerableuenerable Deesse
des pasteurs. Pour la reverencereuerēce de laquelle aussiaußi tost
que le Soleil apparut en Orient, et que les oysillons
ramages se meirent a chanter sus les branches des
arbres, annonceansannõceans la prochaine lumiere, chascun se
levaleua de son giste, et sa maison tapissa de rameaux
de Chesne ou Cormier, parant l'lentrée de feuillars
entremeslez de fleurs de GenevreGeneure et autres que la
saison produysoit. Puis on alla devotementdeuotement faire la
procession alentourproceßion alētour des Estables, perfumant de sou-
phre vifuif tout le bestail, et davantagedauãtage le purifiant par
devotesdeuotes prieres, afin que mal ou inconvenientincõuenient ne luy
peust adveniraduenir. Ce pendant l’onlon entendoit par toutes
les cabannes resonner diversdiuers instrumens champe- stres
15
DE SANNAZAR.
stres: et furentfurēt les rues et carrefours des villagesuillages jon-
chezion-
chez de feuilles de Myrte, et autres herbes odoran-
tes. Aussi pour deuementdeuemēt solennizer la saincte feste,
tous animaux jouyrentiouyrent du repoz desiré: mesmes
les Charrues, Coutres, Rasteaux, Besches et autres
outilz d’agriculture parez de fleurs de toutes sor
tes, donnerent manifeste indice d’agreable oysivetéoysiueté.
Et ny eut aucun manouvriermanouurier qui pour ce jouriour presu
mast faire un seul acte de labeur: ains tous joyeuxioyeux
et deliberez se meirent a chanterchãter amoureuses chan
sons: et faire plusieurs jolizioliz esbatemens environenuiron les
Beufz embouquetez et attachez aux mengeoires
plaines de fourrage. Pareillement les petitz Gar-
sonnetz pleins de merveilleuse vivacitémerueilleuse uiuacité sen alloyentalloyēt
parmy les campagnescãpagnes avecauec les simples fillettes jouantiouãt
a diversdiuers jeuxieux pueriles en signe de commune lyesse.
Mais pour dignement presenter noz offrandes sus
les autelz fumans, et accomplir les veuxueux faictz en
noz adversitezaduersitez passées, tous ensemble nous en al-
lasmes au temple. Auquel estant montez par un pe
tit nombre de marches, apperceumes au dessus du
portail quelques forestz et montaignes de platte
paincture, enrichies d’arbes feuilluz, et de mille
diversitezdiuersitez de fleurs. Entre lesquelles estoient quel-
ques troupeaux de bestes qui s’en alloient pasturantpasturãt
et promenant le long des prez avecauec une dixaine de
[15v]
L’ARCADIE
chiens de garde, la trasse desquelz se monstroit
comme naturelle sus la terre. Aucuns des pasteurs
tiroyent les bestes: autres tondoienttõdoient les laynes: aucunsaucũs
sonnoient de Cornemuses: et d’autres s’efforcoyent
(commecõme il sembloit) d’accorder leurs voixuoix au sonsõ d’icel
les. Mais ce que plus ententivemententētiuemēt me pleut a regar-
der, furentfurēt certaines Nymphes nues, lesquelles estoientestoiēt
demy cachees derriere une tige de Chastaignier, et
ryoientryoiēt d’un moutonmoutõ qui s’amusoyt a rongerrõger une bran-
chebrã-
che de Chesne pendantpēdant devantdeuãt ses yeux, qui luy ostoit
la souvenancesouuenãce de paistre les herbes d’autour de luy.
Et ce pendantpēdant survenoyentsuruenoyent quatre Satyres cornuz a
tout leurs piedz de chieure, qui se couloyentcouloyēt a traverstrauers
une touffe de LentisquesLētisques tout doulcementdoulcemēt pour les sur
prendresur
prēdre par derriere: dont les belles s’appercevansapperceuans
tournoyenttournoyēt en fuyte par le plus espois de la forest, sanssãs
craindre buyssons ou autres choses qui leur peussentpeußēt
nuyre. L’une d’entrētr’elles plus agile que les autres estoit
montéemõtée sus un Charme: et de la se defendoit avecquesdefēdoit auecques
une longuelõgue branchebrãche qu’elle tenoit en sa main. ses compa
gnescõpa
gnes s’estoientestoiēt de peur gettées en une riviereriuiere par ou
elles se sauvoientsauuoiēt en nageantnageãt, dontdõt les undes estoient si
claires, qu’elles ne cachoientcachoiēt que peu ou rien de leurs
charnures blanchesblãches & delicates. Puis se veoyantueoyant es-
chappées du peril, estoientestoiēt assises a l’autre riveriue travail
léestrauail
lées, et presque hors d’alene, essuyantessuyãt leurs cheveuxcheueux
mouillez
16
DE SANNAZAR.
mouillez. mais il sembloit qu’en gestes & paroles
elles se voulussentuoulußēt mocquer de ces Satyres qui ne les
avoientauoiēt sceu attaindre. A l’un des costez de ceste pain
cture estoit figuré Apollo, lequelleq̄l appuyé sus un bastonbastõ
d’Oliuier sauvagesauuage, le long d’une riviereriuiere gardoit les
bestes d’Admetus. Et pour estre trop ententifentētif a regar
der le combatcõbat de deux puissans Toreaux qui sentre-
heurtoientsentre-
heurtoiēt de leurs cornes, il ne s’avisoitauisoit du cauteleux
Mercure qui luy destournoit ses vachesuaches, estant des-
guyse en habit de pasteur portantportãt une peau de chie-
vrechie-
ure soubz son esselle. Mais tout joignantioignãt estoit Battus
deceleur de ce larrecin, transformé en pierre, tenanttenãt
encores le doy estendu commecõme qui enseigne quelque
chose. UnVn peu plus bas se povoitpouoit veoirueoir derechef ce
mesme Mercure assisaßis contrecõtre une roche, ayant ayãt les jouesioues
enflees de sonnersõner une chevrettecheurette, mais il guygnoit du
coing de l’oeuil une Genice blancheblãche estantestãt pres de luy
soubz la conduictecõduicte d’Argus, qu’il s’efforcoit decevoirdeceuoir
par toutes manieres de finesse. De l’autre part gisoit
au pied d’un hestre un pasteur endormy au meillieu
de ses chievreschieures, sa pannetiere soubz sa teste, en la-
quelle un chien mettoit le museau. & pour autant
que la Lune le contemploit de bon oeuil, j’i’estimay
que c’estoit Endymion. Aupres de luy estoit Paris, qui
avecauec sa faucille avoitauoit commencécõmencé d’escrire Oenoné sus
l’escorce d’un Orme, mais il ne l’avoitauoit encores sceu
[16v]
L’ARCADIE
acheveracheuer, pour la survenuesuruenue des troys deesses, dont il
luy falut faire le jugementiugement. Et qui n’estoit moins
subtil a penser, que delectable a regarder, fut l’ap-
percevanceap-
perceuance du paintre discret, lequel ayant figuré
JunoIuno et MinerveMinerue de tant extreme beaulté qu’il eust
esté impossibleimpoßible de plus, se deffiant de povoirpouoir pain-
dre Venus si belle comme le besoing requeroit, la
paignit le doz tourné, excusant par telle industrie
l’imperfection de son art. Plusieurs autres belles
choses (dont maintenantmaintenãt ne me souvientsouuient) estoient mi-
ses sus ce portail. Mais quand nous feusmes entrez
au temple, et pervenuzperuenuz a l’autel sus lequel repo-
soit la statue de la saincte Deesse, nous trouvasmestrouuasmes
un Prestre vestuuestu d’une Aulbe blanche, et couronné
de feuilles verdesuerdes, comme il estoit requis en tel jouriour
et si solennel sacrifice: lequel en admirable silence
nous attendoit pour faire les divinesdiuines ceremonies.
Et plus tost ne nous veit rengezueit rēgez autour du sacrifice,
que de ses propres mains il tua une brebiette blan-
che, de laquelle il offrit devotement deuotemēt les entrailles sus
le feu sacré, avecauec de l’encens masle, de rameaux
d’OlivierOliuier, de Pin, et de Laurier, ensemble de l’herbe
Sabine. Puis agenouillé versuers Orient, les bras esten-
duz, en rependant un vaisseauuaisseau de laict tiede, ainsi
commenca son Oraison:
O venerableuenerable et saincte Deesse, la merveilleusemerueilleuse
puissance
17
DE SANNAZAR.
puissance de laquelle s’est plusieurs foys manifestée
en noz adversitez passeesaduersitez paßees, jeie te supply preste a ce-
ste heure tes oreilles ententivesententiues aux devotesdeuotes prieres
de ce peuple circunstant, lequel en toute humilité
requiert pardonpardõ de ses offenses: ascauoir si par mes-
garde il s’estoit quelque foys assizaßiz ou avoitauoit faict
paistre ses bestes soubz aucun arbre sacré: Ou si
entrant dedans les forestz inviolablesinuiolables, son arrivée arriuée
avoitauoit troublé les passetempspassetēps des sainctes Dryades et
dieux demy boucquins: Ou si par indigenceindigēce d’herbes
il avoitauoit a coupz de coignée despouillé les boccages
sacrez de rameaux umbrageux pour subvenirsubuenir a
son bestail pressépreßé de famine. Lequel semblablement
si par brutalité avoit contaminéauoit cõtaminé les herbes d’environenuiron
les paisibles sepulcres: Ou de ses piedz fangeux
troublé les sources des claires fontaines, corrompantcorrompãt
leur purité accoustumée: Toy propice Deesse ap-
paise les deitez offensees, preservant tousjourspreseruant tousiours les
pasteurs et leurs troupeaux d’inconveniensincõueniens & ma-
ladies. Ne permetz que noz yeux indignes puissentpuissēt
aucunesfoys veoirueoir emmy les forestz les Nymphes
vindicativesuindicatiues, ou la claire Diane toute nue se baigner
dedans les eaux froides: ou le sauvagesauuage Faunus lors
que sus le plus chault du jouriour il retourne de la chas
se, las, travaillétrauaillé, & sans aucune proye, dont par de-
spit s’en va courant a traverssen ua courãt a trauers les campagnescãpagnes. Destourne C
[17v]
L’ARCADIE
de nous & de noz bestes tous blasphemes et im-
precations de magicque. Garde noz tendres aigne-
letz de la poison des yeux pleins d’envieenuie. SauveSauue la
troupe vigilanteuigilãte des chiens, qui sont le refuge et seur
appuy des brebiettes craintivescraintiues, afin que leur nombrenõbre
ne puisse aucunementaucunemēt appetisser, et qu’il ne se trauvetreuue
moindre les soirs au rentrer es estables, que les ma
tins allant en pasture. Faiz que ne puissions jamais
veoirpuißions iamais
ueoir aucuns de noz pasteurs lermoyant rapporter
au logis la peau sanglante d’une beste a grandgrãd peine
recousse de la gueulle du loup. Chasse loing de nous
la dangereuse famine, & nous procure abondance
d’herbes, feuilles, & claires eaux, tant pour nostre
usage, que pour abbreuverabbreuuer et nettoyer noz bestes:
lesquelles semblablement nous soient en toutes sai-
sons fertiles de laict & d’engeance, mesme si bien
revestuesreuestues de layne, que nous en puissionspuißiõs tirer agrea-
ble profit.
Ceste oraison dicte par quatre foys, & autant
par nous taisiblement murmurée, chascun pour
se purger se lavalaua les mains d’eau de fontaine viveuiue.
Puis ayant faict allumer force feux de paille,
nous saultasmes par dessusdeßus les uns apres les au-
tres, afin que la fumée emportast quant et soy noz
offenses du temps passépaßé. Cela faict nous retour-
nasmes devantdeuant l’image de la saincte Deesse presen- ter
18
DE SANNAZAR.
ter noz oblations & offrandes. Puis le sacrifice
achevéacheué saillismes du temple par une autre porte
qui nous mena en une campagne couvertecouuerte de prez
merveilleusemmentmerueilleusement delectables, lesquelz (a mon ju-
gementiu-
gement) n’avoyentauoyent encores esté brouttez de mou-
tons ou de chievreschieures, ny foulez d’autres piedz
que de Nymphes. Et pense que les mouches a miel
n’en avoientauoient encores gousté de la saveursaueur des fleurs:
tant elles se monstroient saines & entieres. En ces
prez nous apperceusmes une troupe de bergieres
qui s’en alloient promenant le petit pas, en faisant
des chapelletz qu’elles affuloyent en mille modes
sus leurs chevelurescheuelures blondes, chascune s’effor-
ceant de surmonter par artifice ses dons de nature.
Entre lesquelles Galicio choysissant (de fortune) sa
mieux aymée, sans se faire prier aucunement, a-
pres auoir getté quelques souspirs du fons de sa
poyctrine, sonnant Eugenio de sa musette, ainsi com
mencea doucement a chanter, chascun faisant si-
lence.
GALICIO
SEULSEVL.
Au rivageriuage d’un ruysseau
D’argentine & courante eau,
En un boys de fleurs orné
UnVn pasteur bien atourné
De mainte feuillue branche,
Par expres d’OliveOliue blanche,
Chantoit au pied d’un grand Orme
Au poinct que l’aube se forme
Le tiers jouriour du moys qui naist
Avant AvrilAuant Auril, qui tant plaist.
UneVne infinité d’oyseaux
Sus arbres & sus roseaux
Respondoyent a sa chanson
En tresarmonieux son.
Lors tourné versuers Orient
Deit au Soleil en ryant:
JeIe te prie ouvreouure ta porte
Plus matin, & nous apporte
Vermeille aube,& temps serain,
Pasteur, de tous souverainsouuerain.
Et te metz en ton devoirdeuoir
De faire avantauant saison veoirueoir
UnVn beau May delicieux,
Fleury, doux, & gracieux.
Monte plus hault d’un degré:
Ta seur t’en scaura bon gré,
Car elle prendra repoz
Plus grand, & plus a propoz.
Et faiz que suyventsuyuent ses pas
Les estoilles par compas:
Car aussiaußi bien que nous sommes,
Bergier fuz entre les hommes.
Vallées, roches, Cypres,
Et tous arbres d’icy pres
Escoutez ce que j’i’exprime
En ceste humble & basse ryme.
Aux troupeaux doux et traictables
Plus ne soyent loupz redoutables.
Le monde plein de meschance
Tourne a sa premiere chance.
Les coupeaux des montz diversdiuers,
Soyent de roses tous couverscouuers:
Et par les espines pendent
Raisins qui lyesse rendent.
Des chesnes saille & degoutte
Le doux miel goutte a goutte.
Fontaines invioleesinuiolees
Courent de laict aux valleesuallees.
Naissent fleurs de grand beaulté.
Bestes qui ont cruaulté,
Totalement la vomissentuomissent,
Et d’yre plus ne fremissent.
Les petitz amours grand erre
Viennent des cieux en la terre
Tous nudz, sans feu, ny sans traict,
Mais tous pleins de doux attraict,
Et s’entrejouententreiouent ensemble
Comme enfans quand bon leur semble.
Toute Nymphe s’estudie
De chanter en melodie.
Faunes & SylvansSyluans en renges
Vestuz de feuillars estranges,
Saillent, dansent, courent, cryent,
Fontaines & prez en ryent.
Et sus ces montz ne soyent veuesueues,
Meshuy bruynes ou nues:
Car en pareille journéeiournée
L’humaine beaulté fut née,
Et la vertuuertu pure & munde
Regaigna place en ce monde:
Pour le moins y a esté
Recongneue chasteté,
Qui long temps en fut bannye
Par une estrange manye.
Dont tous les coupz que je voysie uoys
Me promener dans les boys,
J’engraveI’engraue de ma main dextre
Amarantha sus un Hestre,
Si qu’il n’y a celuy d’eux,
Qui ne monstre un coup ou deux
Le beau nom de ma maistresse,
Qui peult finer ma destresse,
Et garder que jeie ne pleure,
Comme jeie faiz a toute heure.
Mais ce pendant qu’en ces montz
Troupeaux d’appetit semons
Yront errant ca & la,
Et que ces Pins que voyuoy la,
Auront les feuilles poinctues,
Ou que par voyesuoyes tortues
Courront fontaines en Mer,
Muant leurs doux en amer,
Combien qu’elle les recoyverecoyue
Doulcement, puis les decoyvedecoyue:
Pendant aussiaußi qu’amoureux
Seront gays ou langoureux,
Et auront en apparence
Desespoir ou esperance:
De ma Nymphe le beau nom
Sera tousjourstousiours en renom.
Si seront ses mains, ses yeux,
Et cheveuxcheueux d’or precieux,
Qui me font guerre bien dure,
Et qui trop longuement dure.
Mais la vieuie m’est pourtant
Chere, en mon mal supportant.
Chanson de plaisance née
Prie aux dieux toute l’année
Que c’estcest heureux jouriour icy
Puisse estre a jamaisiamais ainsi.
La chanson de Galicio contenta merveilleusementmerueilleusemēt
tous ceux de la compagnie, mais ce fut en diversesdiuerses
manieres: car les uns priserent sa voixuoix resonante, les
autres sa bonnebõne grace, disant qu’elle estoit assez at-
tractiveat-
tractiue pour induire a aimer toute pucelle, pour
rebelle qu’elle fust a l’amour. Plusieurs estimerent
sa ryme jolyeiolye, & encores inusitée entre pastou-
reaux rustiques. Et aucuns s’esbahyrent plus que
d’autre chose, de son prudent advisaduis & discretion,
quand se trouvanttrouuant forcé de nommer le moys qui est
perilleux aux pasteurs & aux bestes, il l’appella
precedent d’AvrilAuril: comme s’il eust volu eviteruolu euiter le
mauvaismauuismauuais Augure en une si gaye journéeiournée. Mais moy
qui ne desiroye moins congnoistre ceste AmaranthaAmarãtha,
que j’avoyei’auoye esté curieux d’escouter la chansonchãson amou
reuse, tenoye songneusement les yeux fichez sus
les visagesuisages de ces jeunesieunes bergieres, & les oreilles
ententivesententiues aux paroles du pasteur amoureux, esti-
mant que jeie le pourroye bien a l’ayse congnoistre
par les gestes & contenances de celle qui se senti-
roit nommernõmer de son amy. Et a la veriteuerite jeie
ne fuz de-
ceu de
21
DE SANNAZAR
ceu de mon esperance: car en les contemplantcontēplant toutes
l’une apres l’autre, j’en advisayi’en aduisay une merveilleusementmerueilleusemēt
belle & de bonnebõne grace, qui portoit sus ses blondzblõdz
cheveuxcheueux un beau coeuvrechiefcoeuurechief d’un crespe delyé,
soubz lequel deux yeux estincellans resplendissoyentresplēdissoyēt
aussiaußi fort que claires estoilles par nuyt quandquãd le ciel
est pur & serain. Le visaigeuisaige de ceste bergiere estoit
de forme perfaicte, un petit plus longuet que rond,
entremeslé d’une blancheur nonnõ fade ou malseante,
mais moderée, & declinante sus le brun, accompa-
gnéeaccõpa-
gnée d’une gracieuse rougeur, qui remplissoitrēplißoit d’ex-
treme couvoytisecouuoytise les affections des regardans. Ses
leures estoyent plus fraiches & vermeillesuermeilles que
roses espanyes de la matinee: et chascunefois qu’elle
parloit, ou soubzryoit, se descouvroitdescouuroit une portion
de ses dentz tant blanches & polyes, qu’elles sem
bloyent Perles orientales. De la descendantdescendãt a la gor-
ge delicate, & plus finementfinemēt blanche qu’alebastre,
j’i’apperceu en son sein deux tetins rons commecõme deux
pommettes, qui repoulsoyent sa robe en dehors: &
entre deux se manifestoit une sente assez largette,
merveilleusementmerueilleusement delectable, pour autant qu’elle
terminoit aux parties plus secrettes. qui fut cause
de me faire penser beaucoup de choses. Ceste pa-
stourelle de riche taille, & de venerableuenerable maintien,
se promenoit du long de la prarie, & cueilloit de
[21v]
L’ARCADIE
sa main blanche les fleurs qui plus satisfaisoyent
a ses yeux: & desjadesia en avoitauoit plein son giron. Mais
aussiaußi tost que par le jeuneieune pasteur elle entendit
nommer Amarantha, son devantierdeuantier luy eschappa
des mains, & son esprit s’esmeut de sorte qu’el-
le perdeit presque toute contenance: dont sans le
sentir, toutes ses fleurs luy tumberent, & en fut
la terre semée d’une vingtaineuingtaine de couleurs diffe-
rentes. Puis quand elle reveintreueint a soy, se blasmant
en son courage, devint aussideuint außi rouge comme est quel-
que fois la face de la Lune enchantée, ou comme
l’aube du jouriour se monstre avantauant que le Soleil se
leveleue. Et pour couvrircouurir ceste rougeur procedant de
honte virginaleuirginale, non pour autre besoing qui a ce la
contraignistcõtraignist, elle baissa la veueueue en terre, & se print
a recueillir sesdictes fleurs l’une apres l’autre,
voulantuoulant (a mon jugementiugement) donner a entendre qu’el-
le ne pensoit fors a tryer les blanches d’avecauec les
rouges, & les jaunes d’avec les violettesiaunes d’auec les uiolettes. Au
moyen de quoy, jeie qui songneusement y prenoye
garde, pensay congnoistre que c’estoit la bergiere
de qui soubz nom faint & couvert nous avions couuert nous auions
entendu chanter. Or incontinent qu’elle eut faict
un chapelet de ses fleurs recueillies, elle se mesla
parmy ses compaignes: lesquelles ayant aussiaußi de-
spouillé la prarie de sa dignite, & icelle appliquée
a leurs
22
DE SANNAZAR
a leurs usages, s’en alloyent marchant en gravitégrauité
comme Naiades ou Napees, d’autant que par la di-
versitédi-
uersité de leurs coeffeures, elles avoyentauoyēt oultre me-
sure augmentéaugmēté leurs grandesgrãdes beautez naturelles. Les
unes portoyent des couronnes de troesnes, entrelas-
sees de fleurs jaunesiaunes & rouges: les autres des liz
blancz & bleuz attachez a quelques branchettesbrãchettes
d’Orengier. L’une blanchissoitblãchissoit entieremententieremēt de Gense-
mis, & l’autre sembloit estellée de roses: tellement
que chascune par soy et toutes en general represen
toientrepresen
toiēt mieux espritz angelicquesãgelicques, que creatures mor
telles: ce quiꝗ faisoit dire a plusieurs: O que bienheu-
reux seroit le possesseur de telles beaultez. Puis
voyantuoyant les belles le Soleil jaia fort haulsé, & qu’il se
preparoit une bien grande chaleur, elles en se jouantiouãt
gracieusementgracieusemēt ensemble dresserent leurs pas deversdeuers
une umbrageuse valléeuallée, ou elles trouverenttrouuerent des fon
taines claires comme Crystal: & la se prindrent a
rafraichir leurs beaux visagesuisages non fardez ny re-
luysans par industrie, rebrassant pour ce faire,
leurs manches estroictes par dessus leurs coudes,
& par ce moyen nous donnant liberté de veoirueoir
leurs bras tous nudz, l’enbonpoinct desquelz e-
stoit grand accroyssement de beaulté a leurs mains
tendres & delicates. A raison de quoy nous deve-
nuzdeue-
nuz plus desireux de les veoirueoir de pres, incontinent
[22v]
L’ARCADIE
en feismes les approches, & nous allasmes seoir
soubz un arbre dont l’umbrage estoit assez am-
ple & spacieux. Puis combiencõbien qu’il se trouvasttrouuast en la
troupe plusieurs pasteurs singulierement bons ou-
vriersou-
uriers de sonner harpes & musettes, si pleut il
a la plus grand partie ouyr chanter Logisto &
Elpino, a l’envyenuy l’un de l’autre. C’estoient deux jeu-
nesieu-
nes hommes natifz d’Arcadie, autant promptz &
appareillez chascun en son endroict a commencercommēcer, com
mecõ
me a respondre: Logisto bergier, & Elpino che
vrierche-
urier. Mais Logisto ne voulantuoulant chanter sans gaigner
ou perdre quelque chose, soudainementsoudainemēt consigna une
breby, & deux aigneaux, disant a sa partie: Tu
pourras de cecy faire sacrifice aux Nymphes si la
victoireuictoire t’est adjugéeadiugée: mais si les dieux de leur gra
ce me l’ottroyent, tu me bailleras pour la palme con-
quisecõ-
quise ton cerf domestique.
Quant est de mon cerf
domestique (respondit Elpino) depuis le jouriour que
jeie l’ostay a sa mere qui encores l’allaictoit, jeie l’ay
tousjourstousiours reservéreserué pour ma Tyrrhena, & pour l’a-
mour d’elle curieusement nourry en continuellescõtinuelles de-
lices, le pignant souventefoissouuētesfois sus les bordz des clai
res fontaines, & attachantattachãt a ses cornes force beaux
boucquetz de roses & de fleurs. Qui plus est, jeie
l’ay si bien mignoté, qu’il s’est accoustume de men-
ger a nostre table. Et quandquãd il est peu a sonsõ ayse, il s’en
23
DE SANNAZAR.
vaua tout le reste du jouriour errant par les forestz, puis
revientreuient a la maison quandquãd bon luy semble: mais c’est
aucunesfois bien tard: & me trouvanttrouuãt a la porte, ou
jeie l’attens de grande affection, il ne se peult souler
de me faire mille caresses, ains sautelle entour moy,
& faict infiniz autres esbatemens. Mais la chose
qui me plaist de luy sus toutes, c’est qu’il congnoist
& ayme sa maistresse, car il endure patiemment
qu’elle luy mette le chevestrecheuestre au col, & l’appla-
nye a son plaisir. DavantageDauantage de sa franche volunteuolunte
luy tend le col pour estre attelé soubz le jougioug, &
par fois presente son doz afin qu’elle luy mette le
bast, puis montemõte dessus a sonsõ ayse. Lors il la porte par
les champzchãpz sans luy faire ny peur ny mal. Or ce col-
lier de coquilles marines, ou pend celle dent de San
glier qui a forme de croyssantcroyßant, que tu luy veoysueoys
battre sus la poyctrine, sadicte maistresse luy atta-
cha, et faict porter pour l’amour de moy: parquoy jeie
ne mettray pas ce gaige: mais jeie t’en fourniray d’un
que tu jugeras noniugeras nõ seulement suffisant, ains plus re-
cevablere-
ceuable que le tientiē. ce sera un grandgrãd bouc de poil bi-
garré, barbu a merveillesmerueilles, armé de quatre cor-
nes: & coustumier de vaincreuaincre les autres a heurter:
voyreuoyre qui par faulte de pasteur conduyroitcõduyroit bien aux
champz un troupeau, quelque grandgrãd qu’il fust. Et si
ce n’est assez, jeie mettray d’avantageauantage un vaisseauuaisseau
[23v]
L’ARCADIE
d’Erable tout neuf, a belles anses du boys mesme:
lequel (certes) a esté faict de la mains d’un excel-
lent ouvrierouurier: car en son millieu est taillé le rouge
Priapus embrassant une Nymphe bien serré, &
la veultueult baiser maugré qu’elle en ayt, dont elle
enflambée de cholere, tourne le visaigeuisaige en derrie-
re, & faict tous ses effortz de s’en desvelopperdesuelopper,
luy esgratignant le nez de sa main gauche, &
de la droicte arrachant sa rude barbe. A l’en-
tour d’eux sont troys enfans nudz, pleins d’ad-
mirable vivacitéuiuacité: l’un desquelz employe toute sa
force pour oster a Priapus la faucille de la main,
ouvrant puerilementouurant puerilemēt ses gros doiz l’un apres l’au-
tre. Son compaignon grinsant les dentz, le mord
tant qu’il peult en la jambe velueiambe uelue, & faict signe
au troysiesme qu’il leur vienneuienne ayder. mais pour
autantautãt qu’il s’amuze a faire une petite cage de joncionc
& de paille pour enfermer (peult estre) des gril-
lons, il ne faict compte d’aller au secours, & ne se
bouge aucunement de sa besongne. De tout cela ce
dieu lascif faisant bien peu d’estime, restrainct de
plus en plus la belle Nymphe contre soy, totale-
ment deliberé d’executer son entreprinse. Encores
est ce mien vaisseauuaisseau par le dehors environnéenuironné d’un
chapeau de pimpinelle verdeuerde, entrelassé entrelaßé d’un rou-
leau contenant ces paroles:
De racine telle naist
Qui de mon mal se repaist.
Et te jureiure par la divinitédiuinité des fontaines sacrées
qu’onques mes levresleures ne le toucherenttoucherēt, ains l’ay tous-
jourstous-
iours nettement conservéconserué en ma pannetiere de-
puis le jouriour que pour une chievrechieure & deux chasie-
res de laict caillé, jeie l’achaptay d’un marinier estran-
geestrā
ge qui arrivaarriua d’avantureauanture en noz forestz. Adonc
SelvagioSeluagio delegué jugeiuge en ceste partye, ne voulutuoulut
permettre que gaiges fussent mys, disant qu’as-
sez seroit si le vainqueuruainqueur en avoitauoit la louenge, &
le vaincuuaincu la vergogneuergongne. puis feit signe a Ophelia
qu’il sonnast sa cornemuse, commandant a Logisto
commencer, & a Elpino replicquer. A l’occasion
de quoy a peine fut le son entendu, que Logisto le
suyveitsuyueit en telles paroles:
LOGISTO.
Qui veultueult ouyr mes souspirs (ô Bergieres)
Escriptz en versuers de toute angoysse pleins,
Et quant de pas ou de courses legieres
En vainuain jeie faiz nuyt & jouriour en ces plains,
Lise en ces rocz, & arbres que voyuoy la:
Tout en est plein desormais, ca, & la.
Elpino.
Pasteurs amys, en ce valual cy n’habite
[24v]
L’ARCADIE
Beste qui n’ayt ouy mon desconfort,
Et n’est cavernecauerne en luy grande ou petite
Qui n’en resonne & murmure bien fort:
Car il ne croist herbe icy a l’entour
Sus quoy cent fois jeie ne passe en un jouriour.
Logisto.
Recors ne suis de l’heure bonnement
Qu’Amour me print en ce valual de servageseruage:
Car jeie n’allay jamaisiamais aucunement
Franc & libere au long de ce rivageriuage,
Ains ay vescuuescu en telle passionpaßion,
Que les rochiers en ont affliction.
Elpino.
JeIe voysuoys querant par rivieresriuieres & mers,
Montaignes, boys, & campagnes aussiaußi
Quelque allegeance a mes souspirs amers:
Mais jeie perdz temps, car en ce valual icy,
Non point ailleurs, cesseront mes escriz
Qui maint pays passent en pleurs & criz.
Logisto.
O animaux qui par le monde errez,
Declairez moy (jeie vousuous prie pour dieu)
Ouystes vousuous oncques motz plus serrez
De forte angoysse en aucun autre lieu?
Veistes vousuous onc pasteur si longuement
Se lamenter de son cruel tourment?
Elpino.
Bien mille nuytz en pleurant ay passépaßé,
Dont j’Dõt i’ay ces champschãps reduictz, presque en marestz,
En fin m’asseizaßeiz en ce valual tout lassé.
Lors une voixuoix me veintueint de ces forestz
Disant, Elpin, le bon jouriour vientuient au prime,
Qui te fera chanter plus douce ryme.
Logisto.
O homme heureux, qui d’autre stile doys
Reconsoler tes ameres douleurs:
Et moy chetif, de jouriour en jouriour m’en voysuoys
Tous elemens faschant de mes malheurs,
Si que jeie croy qu’herbes, fontaines, roches,
Et tous oyseaux en plaignent es vauxuaux proches.
Elpino.
S’ainsi estoit (Logisto) quel pays
Ouyt jamaisiamais tant & de si doux sons?
Danser feroys boys & rocz esbahiz,
Comme Orpheus faisoit de ses chansons,
Et par les champs orroit on Tourterelles
Se resjouyrresiouyr, & Ramiers entour elles.
Logisto.
JeIe te requiers (Elpin) que chascun jouriour
Passant par cy, ma tombe tu decores
Des fleurs qu’auras cueillyes en sejourseiour,
Et que des versuers tu me donnes encores,
Disant, Esprit qui as vescuuescu de deuil,
Repose toy dessoubz ce dur cercueil.
Elpino.
Les fleuvesfleuues ont et les roches ouy
Qu’un heureux jouriour de veniruenir s’appareille,
Pour ton las cueur faire tout esjouyesiouy,
Abolissant ta douleur non pareille,
Au moins si l’herbe en mon valual desseurée
Ne m’a deceu quand jeie l’ay conjuréeconiurée.
Logisto.
En sec pays le poysson hantera,
Roches seront tendres, & la mer dure
Mieux que Tityre Ergasto chantera,
Et nuyt au iour fera honte & laidure
AvantAuant que rocz & Sapins de ce valual
Oyent ma voixuoix chanter que de mon mal.
Elpino.
Si jamaisiamais homme a vescuuescu de destresse,
Ce suis jeie (las) O champs vous l’avezuous l’auez veuueu.
Mais esperant sortir par bonne adresse
De ce valual cloz, & de roches pourveupourueu,
Pensant au bien qu’aura lors ma personne,
De mon flageol a plaisance jeie sonne.
Logisto.
Quand par les champs le jouriour plus ne luyra,
Et les rochiers du fons de la valléeuallée
Doutance auront que le ventuent leur nuyra,
Lors ne sera ma muse desolée.
JaIa par le declinementdeclinemēt du Soleil toute la partie oc-
cidentaleoc-
cidētale se bigarroit de mille diversitezdiuersitez de nuées,
les unes violettesuiolettes, les autres indes, aucunes vermeiluermeil
les, autres entre jauneiaune et noir, et de telles si luysan-
tes par la reverberationreuerberatiõ des rayonsrayõs, qu’elles sembloyentsēbloyēt
fin or bruny. Quoy voyantuoyant les gentilles bergieres,
d’un commun consentementcõsentemēt se leverentleuerēt d’environenuirõ la fontai-fõtai-
ne, et les deux amoureux meirent fin a leurs chan-
sons: lesquelles ainsi commecõme en re lõg silence avoyentauoyēt esté
de tous escoutées, ainsi furent elles en grandegrãde admi-
ration, estimées de chascun egalement, & mesmes
de SelvagioSeluagio: lequel ne sachant discerner qui avoitauoit
esté plus prochain de la victoireuictoire, les jugeaiugea tous
deux dignes de souverainesouueraine louenge. Au jugementiugemēt du
quel, tous sans cõtredict acquiessasmesacquießasmes, ne les pou-
vantpou-
uant estimer plus que nous avionsauions faict. Puis estant
chascunchascū d’advisaduis, qu’il estoit desormais tempstēps de retour
ner a noz villagesuillages, tout le petit pas nous meismes
en chemin devisansdeuisans du passetemps de ceste journéeiournée.
Et combiencõbien que par l’aspreté du pays sauvagesauuage, tou-
te la voyeuoye fust plus montueuse que pleine, si nous
donna ce soir autant de recreations qu’il s’en peult
prendre en semblables endroictz par une joyeuseioyeuse
D j
[26v]
L’ARCADIE
& gaillarde compagniecõpagnie. PremierementPremieremēt chascunchascū choy-
seit un pallet a sa fantasie: puis nous tirasmes a un
certain but: dontdõt le plus pres approchantapprochãt, estoit quel-
que espace de chemin porté sus les espaules du plus
loingtain: et toute la troupe luy alloit applaudissantapplaudißãt,
& faisant merveilleusemerueilleuse feste, commecõme en tel cas estoit
requis. Puis laissans ce jeu, preimes les arcz & les
fondes, atout quoy nous allions de pas en pas tyranttyrãt
fleches, & deschargeant pierres pour nostre plai-
sir: combien qu’avecauec tout art & industrie chascun
s’efforceast de passer le coup de son compagnoncõpagnõ. Mais
quandquãd nous fusmes descenduzdescēduz en la plaine, ayans lais-
sé derriere nous les montaignesmõtaignes pierreuses, d’un com-cõ-
mun accord & pareille voluntéuolunté recommenceasmes a
prendre nouveauxnouueaux esbatemens, tantost a saulter,
tantost a darder noz houlettes, & puis a courir
a qui mieux mieux, par les campagnes estendues: ou
celuy qui par agilité arrivoitarriuoit le premier a la mer-
que designée, estoit par honneur couronné de ra-
meaux de palle OlivierOliuier, au son de la cornemuse.
DavantageDauãtage (commecõme il advientaduient souventsouuent emmy les boys)
sourdanssourdãs regnars de quelque endroit, & chevreulzcheureulz
saillans de l’autre, nous prenionspreniõs plaisir de les pour-
suyvre avecpour-
suyure auec noz chienschiēs, les uns par cy, les autres par
la, tant que nous arrivasmesarriuasmes a noz maisonsmaisõs: ou feus-
mes bien receuz des compagnons qui nous atten-
doyent
27
DE SANNAZAR.
doyent a soupper. Lequel depesché, & bonnebõne partie
de la nuyt passéepaßée en plusieurs autres recreationsrecreatiõs do
mestiques, quasi lassez de plaisir, ottroyasmes le re
poz a noz corps bien exercitez. Mais incontinent
que la belle Aurore dechassa les estoilles du ciel,
& que le Coq matineux salua de son chantchãt le jouriour
qui poignoit, denonceant l’heure que les beufz ac-
couplez doyventdoyuent retourner au labeur ordinaire,
l’un des pasteurs levéleué plus matin que les autres, res
veillares
ueilla toute la brigade au sonsõ du cornet enroué. Lors
chascun laissant le lict paresseux, s’appareilla quantquãt
& l’aube a recevoirreceuoir nouveauxnouueaux passetemps. Par-
quoy tirées noz bestes hors des estables, apres elles
nous meismes en voyeuoye. Et comme elles alloyent par
les coyes forestz, resveillantresueillant du son de leurs cam-
panes les oyseaux encores endormyz, nous allions
imaginant en quel lieu l’onlon se pourroit retirer au
gré de chascun pour y estre tout le long du jouriour en
faisant paistre le bestail. Et comme nous estions en
ce doute, chascun proposant un lieu a sa fantasie,
Opico le plus ancien de la compagniecõpagnie, merveilleuse-
ment merueilleuse-
ment estimé entre les pasteurs, se print a dire: Si vousuous
voulezuoulez, amys, qu’a ce matin jeie soye vostreuostre condu-
cteur, jeie vousuous meneray en un lieu assez pres d’icy,
ou jeie suis certain que ne prendrez peu de plaisir:
de ma part jeie ne me puis garder d’en avoirauoir souvesouue-
D iij
[27v]
L’ARCADIE
nancenãce a toutes heures, pour autantautãt que jeie y passay heu
reusement presque toute ma jeunesseieunesse entre chansonschãsons
& armonies, tellement que les rochiers me con-
gnoissent, & sont bien appris de respondrerespõdre aux ac-
centz de ma voixuoix. La (commecõme jeie pense) nous trouve-
ronstrouue-
rons encores plusieurs arbres, contrecõtre lesquelz au tempstēps
que j’avoyei’auoye le sang plus chault que maintenantmaintenãt, j’e-
scrivyi’e-
scriuy atout ma faucille le nom de celle que j’aimoyei’aimoye
plus que tous mes troupeaux: croy que les lettres
seront creues auec les arbres. Parquoy jeie prie aux
dieux qu’il leur plaise les conservercõseruer a l’exaltation et
louengelouēge eternelle de celle pour quiꝗ elles furentfurēt faictes.
Tous en general trouvasmestrouuasmes si bon le conseilcõseil d’Opi-
co, que a une voixuoix luy respondeismesrespõdeismes que nous estionsestiõs
appareillez de le suyvresuyure ou bon luy sembleroit. Et
n’eusmes pas faict gueres plus de deux mille pas de
voyeuoye, que nous arrivasmesarriuasmes a la source d’un fleuvefleuue
nomme Erymanthus, lequel par une crevassecreuasse de ro
che viveuiue se gette en la plaine, faisant un bruyt mer-
veilleuxmer-
ueilleux & espouventableespouentable par ses bouillons si vio-uio-
lentz, qu’ilz engendrentengēdrent force escume blanche: et cou
rant par icelle plaine, il fasche & presque assour-
dit de sonsõ murmure les forestz circunvoysinescircūuoysines, ce qui
de primeface feroit peur inestimable a qui yroit sanssãs
compagniecõpagnie se promener la au long: & nonnõ certes sans
bonnebõne cause: car suyvantsuyuant la communecõmune opinion des pro- chains
28
DE SANNAZAR
chains habitanshabitãs, l’onlon tienttiēt quasi pour certain, que c’est
le repaire des Nymphes du pays, lequelleslesquelles font ce
bruyt ainsi estrange pour mettre frayeur es coura-
ges de ceux quiꝗ en voudroientuoudroiēt approcher. Or a raison
queq̄ pres d’une telle tempestetēpeste nous n’eussionseußiõs sceu prendreprēdre
le plaisir de chanterchãter ny deviserdeuiser, peu a peu commenceas-comēceas-
mes a monter la montaigne assez facile, laquelle e-
stoit chargée (peult estre) de mille que Pins, que Cy-
prez, si gransgrãs & spacieux, queq̄ chascunchascũ par soy eust qua-
si esté suffisant d’umbragerūbrager toute une forest. Et quandquãd
nous feusmes anun coupeau, voyansuoyãs que le Soleil estoit
un peu monté, nous nous asseismesaßeismes pesle mesle sus
l’herbe. mais noz brebiz & noz cheures qui ay-
moient mieux paistre que reposer, grimperent aux
lieux difficiles et commecõme inaccessiblesinacceßibles d’icelle montai-
gnemōtai-
gne, & se preindrentpreindrēt a broutter, l’une un buyssonbuyßō, l’au
tre un sourgeonsourgeō d’arbrisseau ne faisantfaisãt gueres queq̄ sortir
de terre. quelq’une se hausoit pour prendre un bran-
che de saule, et quelque autre s’en alloit rongeantrōgeãt les
bourgeonsbourgeōs des chesneteaux, et des erables: mesmes
plusieurs beuvansbeuuans dansdãs les fontainesfōtaines, se resiouyssoyent
d’y veoirueoir leurs figures: et pense queq̄ qui les eust veuesueues
de loing, eust peu dire qu’elles estoyentestoyēt pendantespendãtes, &
prestes a tumber. Mais entretant que nous contem-
plions ententivementententiuement ces choses qui faisoyent ou-
blier a dire les chansons, & tous autres passetempspassetēps:
D iiij
[28v]
L’ARCADIE
soudainement nous sembla ouyr de loing un son com
mecō
me d’un haultboys, & de Naccaires, entremeslé
de plusieurs exclamations de pasteurs merveilleu-
sementmerueilleu-
sement penetrantespenetrãtes: parquoy sans autre demeure ti-
rasmes versuers celle partie de la montaigne ou ce tu-
multe s’ entendoitentēdoit: & tant cheminasmes atraversatrauers la
forest, que finablementfinablemēt trouvasmestrouuasmes environenuiron dix va-
chiersua-
chiers qui dansoyent en rondrōd a l’entour du venera-
bleuenera-
ble sepulchre du defunct Androgeo, imitans les Sa-
tyres, qui souventesfoissouuētesfois par les forestz environenuirō la my-
nuyt attendent les Nymphes ayméees au sortir des
fleuvesfleuues prochains. Quoy voyantuoyāt, nous meslasmes par-
my eux pour celebrer le mortuaire office. Entre ces
vachiersuachiers celuy qui estoit de la plus grandegrãde apparenceapparēce,
se meit au meilleu du bal pres la haute pyramide
contrecõtre un autel nouvellementnouuellement faict d’herbes odorife-
rentes, et la (selonselō la coustume antique) se print a re-
pendre deux vaisseauxuaisseaux de laict fraiz, deux de sangsãg
sacré, deux autres de bon vin vieluin uiel rendant une fu-
mée merveilleusementmerueilleusemēt agreable, & grandegrãde abondanabõdan
ce de fleurettes diversesdiuerses en couleurs, accordant en
douce & piteuse armonye au sonsō du haultboys &
des Naccaires, chantantchãtãt diffusementdiffusemēt les louengeslouēges du pa-
steur la ensevelyenseuely, disant, ResjouyResiouy toy Androgeo, res-
jouyres-
iouy toy noble pasteur: si apres la fin de ceste vieuie
l’ouyr est concedécōcedé aux ames sanssãs corps, escoute a cest’ heure
29
DE SANNAZAR.
heure noz paroles: et prensprēs en bonnebōne part ces louengeslouēges
de tes bouviersbouuiers, nonobstantnonobstãt qu’elles ne soyentsoyēt compara-
blescōpara-
bles a celles que tu peulx avoirauoir au lieu ou maintenantmaintenãt tu
resides en eternelle felicité. Certes jeie croy queq̄ ton ame
gracieuse va voletantua uoletãt a ceste heure alentouralētour de ces fo
restz: & qu’elle veoitueoit et entendentēde de poinct en poinct
ce que par nous aujourd’huiauiourd’huy se faict en memoire
d’elle sus ceste neuveneuue sepulture. Or s’il est ainsi, com
ment se peult il faire qu’elle ne responde a tant ap-
peller? Dea, tu soulois avecauec le doux son de ta mu-
sette resjouyrresiouyr toute ceste forest, la remplissant d’ar-
monie inestimable. Es tu doncques maintenant con-
trainct de gesir en eternel silence, par estre cloz en
un petit lieu, entre des pierres froydes & dures?
Helas, par tes doulces paroles tu soulois si bien ac-
corder les controversescontrouerses des pasteurs. O comment tu
les as a ta departie laissez douteux, & mal con-
tens oultre mesure? O noble pere & patron de tou
te ceste troupe pastorale, ou trouveronstrouuerons nous ton pa
reil? de qui suyvronssuyurons nous les commandemenscōmãdemens? Soubz
quelle discipline vivronsuiurons nous desormais en asseu-
rance? Certainement jeie ne puis penser qui sera d’icy
en avantauant nostre fidele directeur es choses douteu-
ses qui peuvent advenirpeuuent aduenir. O pasteur sage & discret,
quand te reverrontreuerront noz forestz? Quand seront en
ces montaignes aymées la justiceiustice, la droicture, &
[29v]
L’ARCADIE
la reverencereuerence des dieux? Lesquelles florissoyent si no
blement soubz tes aelles, que jamaisiamais (par aventureauēture)
le venerableuenerable Terminus ne borna plus egalement les
champs en debat, que tu as faict en ton vivantuiuant.
Helas qui chantera desormais les Nymphes en noz
boys? Qui nous donneradōnera en noz adversitezaduersitez salutai-
re conseil, & consolation en noz tristesses, comme
tu soulois en chantant tes rymes jolyesiolyes sus les ri-
vagesri-
uages des fleuvesfleuues courans? Helas a peine peuventpeuuent
noz troupeaux pasturer emmy les prez sans enten
dre le son de ta musette: & durant ta vieuie ilz sou-
loyent si doulcement ruminer les herbes soubz les
umbrages des chesneteaux. Helas a tontō departementdepartemēt
noz dieux s’en allerent quant et toy, & delaisse-
rent ceste contrée: car du depuis, autant de foys que
nous avonsauõs en noz terres semé le pur fromentfromēt, a cha
scun coup nous avonsauōs en sonsō lieu receuilly la malheu
reuse yvrayeyuraye, ou des steriles avoynesauoynes entre les sillonssillōs
desolez. Mesmes en lieu qu’elles souloyent produyre
violettesuiolettes, & autres fleurs odoriferentes: maintenantmaintenãt
elles nous apportent des ronces, chardons, & espi-
nes poignantes. Pourtant pasteurs gettez feuilles et
fleurs en terre: puis de rameaux umbrageux fai-
ctes courtines aux fraiches fontainesfōtaines: car nostre An-
drogeo requiert qu’ainsi se face en memoire de luy.
O bienheureuxbiē heureux Androgeo, adieu eternelementeternellemēt: adieu.
Voicy le
30
DE SANNAZAR.
Voyci le pasteur Apollo tout gaillard, qui vientuient a ton
sepulcre le decorer de ses couronnes de Laurier: &
les Faunes semblablement auecsemblablemēt auec leurs cornes embou-
quetées, chargez de rustiques presens, qui t’appor-
tent chascun ce qu’il peult, ascavoirascauoir des champs les
espiz, des vignesuignes les raysins en moyssinesmoyßines, et de tous
arbres les fruictz meurs & parez. A l’envieenuie des-
quelz les Nymphes circunvoysinescircunuoysines, que tu as par
cy devantdeuãt tant aymées, serviesseruies et honorées, viennentuiennent
maintenant avecauec beaux paniers d’osiere blanche,
pleins de fleurs & pommes pōmes odoriferentesodoriferētes, te recompenrecõpen
ser des servicesseruices que tu leur as faictz. Mais qui est
de plus grandegrãde importanceimportãce, voireuoire de telle singularité
que l’onlon ne scauroit donnerdōner aux cendres enseveliesenseuelies don
ny present plus exquis ny tanttāt durable, les Muses te
donnent des versuers, des versuers te donnent les Muses:
& nous avecauec noz flagoletz te les chantons, &
chanterons a perpetuite, pour le moins tant que
troupeaux pourront paistre en ces boys, & que ces
Pins, Erables, & Planes qui t’environnentenuironnent, & en-
courtineront tant que le mondemõde sera monde, murmu-
reront ton venerableuenerable nom, et que les Toreaux mu-
gissans, avecauec toutes les troupes champestreschãpestres ferontferõt re-
verencere-
uerēce a tontō umbre, te cryantcryãt a haute voixuoix parmy les
forestz resonnantes: tellement que des cest’heure
en avantauant tu seras mis au catalogue de noz dieux,
[30v]
L’ARCADIE
& te ferons sacrifices aussiaußi bien commecõme a Bacchus,
& a la saincte Ceres, en yveryuer aupres du feu, & en
esté a la fraiche umbre. Et autant sueront les Ifz
mortiferes miel doux & delicieux,& les fleurs
soefues & delicates le feront amer & de mauvai-
se saveurmauuai-
se saueur, plustost aussiaußi se moyssoneront les bledz
en yuer, & en esté se cueilleront les oliues perue-
nues a deue maturité, que par ces forestz perisse ta
renommee. Ces paroles finyes ce vachieruachier se
print soudainementsoudainemēt a sonner une Cornemuse, qui luy
pendoit entre les espaules: a la melodie de laquelle
Ergasto ayant quasi les lermes aux yeux, ouvritouurit sa
bouche pour chanter ainsi:
Ergasto
sus la sepulture.
O belle ame aux dieux alliée,
Qui de ta prison deslyée,
Toute pure volasuolas aux cieux,
Ou t’esbas avecauec ta planete,
Disant mainte gaye sornette
De noz pensers ambicieux:
Entre les plus luysans espritz
Comme un Soleil tu as le pris,
Et de tes dignes piedz tu marches
Dessus les estoilles errantes
Entre myrtes & eaux courantes
Preschant
31
DE SANNAZAR.
Preschant les pasteurs de ces marches.
Tu veoysueoys autres montz, autres plaines,
Autres boys, & rivieresriuieres saines
Au ciel, & plus fraiches fleurettes.
Autres Faunes, autres SylvansSyluans
Par lieux jolizioliz Nymphes suyvanssuyuans
En plus heureuses amourettes.
La entre odeurs sans nul encombre
Nostre Androgeo chante a l’umbre
Entre Melibee & Daphnis,
RavissantRauissant le ciel doucement,
Et accordant tout element
Par ses motz en douceur finiz.
Comme honneur Vigne a l’Orme faict,
Aux troupeaux Toreau bien refaict,
Et aux champs les bledz undoyans:
Ainsi (pere) tu fuz la perle
De tous pasteurs: & moy qui parle,
JeIe le tesmoigne a tous oyans.
O mort qui peulx tous cueurs estaindre,
Si ta flambe scait bien attaindre
Les plus haultz, qui t’eschappera?
Qui verrauerra jamais en ce monde
Pasteur de si gaye faconde,
Et qui loupz si bien happera?
Qui chantera si plaisans versuers
[31v]
L’ARCADIE
Tant les estez, que les yvers yuers?
Et qui semera des branchettes
Sus les fontaines argentines,
Leur faisant ioyeuses courtines
A leurs delectables couchettes?
Les Deesses plaignirent fort
Ta violenteuiolente & dure mort,
Ce scayventscayuent eaux, roches, & arbres:
Tous les rivagesriuages en gemirent,
Et les herbes couleur en mirent
Palle comme est celle des Marbres.
Le Soleil ne monstra ses raiz
En boccages, champs, ou maraiz
De long temps apres: & les bestes
Qui sauvagessauuages sont de nature,
Aux prez ne vindrentuindrent en pasture
Les jours ouvrablesiours ouurables, ny les festes.
Noz troupeaux aussiaußi ne gousterent
Quelque liqueur, & ne broutterent
Vn brin d’herbe: tant leur grevagreua
Ce cas douloureux: & les boys
Nommoyent ton nom a pleine voixuoix,
Dont maint cueur presque se crevacreua.
Or verrasuerras tu dorenavantdorenauant,
Face pluye, serain, ou ventuent,
Sus ta tombe veuxueux & offrandes
De chapeaux de fleurs qu’y mettront
Tes bouviersbouuiers, lesquelz en gettront
Des exclamations bien grandes.
Par ainsi en toutes saisons,
Quand pasteurs tiendront leurs raisons,
Tu volerasuoleras de bouche en bouche,
Comme ung coulomb, & ne verrasuerras
Que le renom que tu auras,
Ayt d’oubliance aucune touche.
Non tant que serpens en buyssonsbuyßons
Seront, & en eau les poyssons,
Et ne vivrasuiuras par mon seul stile,
Mais par celuy de maintz pasteurs,
De versuers mesurez amateurs,
Dont te sera l’ouvrageouurage utile.
Chesnes feuilluz, druz & serrez,
S’aucun esprit d’amour vuosuuos poingt,
Faictes umbre aux os enterrez
En ce lieu, mais n’y faillez poinct.
Ce pendant qu’Ergasto chantoit la piteuse chan-
son, Fronimo tresingenieux entreētre les autres l’escrivitescriuit
en une verdeuerde escorce de hestre: et apres l’auoir en-
richie d’un chapeau de triumphe, la pendit a un ar-
bre estendantestēdant ses rameaux par dessus la blanche se-
pulture. Puis voyansuoyans que l’heure de disner estoit
[32v]
L’ARCADIE
quasi passéepaßée, nous retirasmes aupres d’une claire
fontaine sourdante au pied d’un Sapin: & la estans
assizaßiz par ordre, preimes nostre refection de la
chair des animaux qui avoyentauoyent esté sacrifiez sus
le monument, faisant des entremectz de laict des-
guysé en plusieurs sortes, avecauec des chastaignes, &
autres fruictz que la saison apportoit. Et pour estan
cher la soif, nous eusmes des vins vieuxuins uieux d’une fram
boyse & odeur excellente, lesquelz remettent en
joyeioye les cueurs marriz ou faschez. Puis quandquãd nous
eusmes appaisé la fain a force de viandes diversesuiandes diuerses,
les uns se meyrent a chanter, les autres a compter
des fables: aucuns a joueriouer: & plusieurs surpris de
sommeilsõmeil, a dormir. FinablementFinablemēt moy (a qui, pour estre
tant esloigné de monmō pays, & autres justesiustes accidensaccidēs,
toute resjouyssanceresiouyssance estoit occasion de douleur infi-
nye) jeie m’estoye getté au pied d’un arbre, doulou-
reu, & mal contentcōtent oultre mesure: & lors j’apper
ceui’apper
ceu a moins d’un gect de pierre, un pasteur venantuenant
deversdeuers nous a gransgrãs pas, bien jeuneieune de visaige, vestuuisaige, uestu
d’un roquet de la couleur des Grues, portant a son
costé gauche une belle paneterie d’un simple cuyr
de veau avortéueau auorté. il avoitauoit sus sa perruque pendantpēdant sus
ses espaules plus finement blonde que le jauneiaune de
la rose, un bonnet veluuelu, faict (comme jeie congneu de-
puis) de la peau d’un loup, & tenoit en sa main
droicte
33
DE SANNAZAR.
droicte un aiguillon merveilleusementmerueilleusement beau, dont la
poincte estoit garnye de cuyvrecuyure neuf: mais jeie ne
sceu oncques devinerdeuiner de quel boys: car s’il eust esté
de Cormier, jeie l’eusse bienbiē peu congnoistrecōgnoistre aux neux.
& s’il eust esté de Fraisne, ou de Buys, la couleur
me l’eust incontinent descouuert. Ce pasteur venoituenoit
en une gravitégrauité si grande, que veritablementueritablement il sem-
bloit le beau Troyen Paris, quand (au commencementcõmencement
de bergerie) il demouroit dans les hautes forestz
avecauec sa Nymphe, couronnantcourōnant les moutons victorieuxmoutōs uictorieux.
Et lors qu’il fut approché de moy gisant pres d’une
butte ou aucuns tiroyent, il demanda aux bouviersbouuiers
s’ilz avoyentauoyent point veuueu une sienne vacheuache de poil
blanc, merquée d’une tache noyre au front, laquelle
en ses fuytes passées avoitauoit acoustumé de se mesler
entre leurs Toreaux. Adonc pour response luy fut
amyablement dict qu’il ne se voulsistuoulsist fascher de se-
journer avec la compagnye jusquesse-
iourner auec la cōpagnye iusques a ce que le chault
du mydy seroit monté, pource qu’en celle heure les
troupeaux avoyentauoyent apris de se retirer a l’umbre
pour ruminer les herbes ceuilliescueuillies du matin: & que
si sa vache ne revenoit quantuache ne reuenoit quãt & eulx, ilz l’envoye-
roientenuoye-
roient chercher de tous costez par un valet nomméualet nōmé
UrsachioVrsachio, a cause qu’il estoit robuste & veluuelu com-
me un Ours, lequel la rameneroit ou nous estions.
Alors Carino (ainsi estoit appellé celuy qui avoitauoit a-
E
[33v]
L’ARCADIE
diré sa vacheuache blanche) s’asseit sus un tronc de he-
stre vis a visuis a uis de nous: & apres plusieurs propoz
s’adresse a nostre Opico, le priant bien affectueuse-
ment qu’il voulseistuoulseist chanter quelque chanson. Le
quel demy soubzryant luy respondit en ceste ma-
niere: Mon filz mon amy, les ans, & l’aage devo-
rantdeuo-
rant, emportent avecauec soy toutes chose terriennes,
voireuoire qui plus est, les espritz, encores qu’ilz soyent
celestes. Bien me souvientsouuient qu’en ma jeunesse j’ayieunesse i’ay
maintesfoys chanté sans me lasser, depuis que le
Soleil se levoitleuoit, jusquesiusques a ce qu’il se couchast: mais
maintenant quasi toutes mes chansons me sont sor-
tyes de la memoire: & qui pis est, ma voixuoix s’en vaua
tousjourstousiours en decadence, pour autant que les loupz
m’apperceurent les premiers. Et quant cela n’y fe-
roit rien, ma teste grise, & mon sang refroidy, ne
permettent que jeie m’employe es choses qui appar-
tiennent a la jeunesseieunesse. Aussi long temps y a que ma
Musette est pendue devant le sauvagedeuant le sauuage Faunus. Tou-
tesfois il se trouveratrouuera en ceste troupe plusieurs pa-
steurs qui scauront bien respondrerespōdre a tous autres qui
les vouldront provocqueruouldront prouocquer a chanter. Ceulx la (mon
filz) pourrontpourrōt satisfaire a ce que me demandezdemãdez, mes-
mes encores que jeie ne face mention des autres qui
sont (sans point de doute) singuliers, & de grand
scavoirscauoir. Voyla nostre Serrano, lequel si Tityre ou
Melibee
34
DE SANNAZAR.
Melibee l’entendoient, ilz ne se pourroient tenir de
luy donner souverainesouueraine louenge. Cestuy la chantera
(s’il luy plaist) pour l’amour de vousuous, & de moy,
& nous donnera du plaisir. Adonc Serrano pour
rendre graces a Opico comme il meritoit, respon-
dit: combien (pere) que jeie soye le moindre, & le
moins eloquent de ceste compagnie, & que a bon
droict tel jeie me puisse nommernõmer: si est ce que pour ne
faire office d’hommehõme ingrat enversenuers celuy lequel m’a
contrecōtre raison & devoirdeuoir reputé digne d’un si grand
honneurhōneur, jeie m’efforceray de luy obeyr entantentãt qu’il me
sera possiblepoßible. Et pource que la vacheuache adirée de Ca
rino, me faict maintenant souvenirsouuenir d’une chose qui
ne me plaist gueres, j’i’entens chanter de ce subgect.
PourtanPourtãtt vousuous pere, laissant la vieillesseuieillesse, & les excu
ses a part, lesquelles a mon jugementiugement sont plus su-
perflues que necessaires, s’il vousuous plaist me respon
drez. Puis ainsi commencea:
Serrano.
Combien que ja vousia uous soyez fort aagé,
Et de sens meur (pere Opico) chargé
Par les pensers qui se couventcouuent en vousuous,
Si lamentez (helas) avecquesauecques nous:
Et prenez part de l’amere douleur
Qui m’amaigrit, & faict perdre couleur.
Au jourd’huyiourd’huy plus au monde ne se treuvetreuue
E ij
[34v]
L’ARCADIE
Aucun amy quand ce vient a l’espreuveuient a l’espreuue,
Morte est la Foy, en son regne est EnvieEnuie.
MauvaisesMauuaises meurs corrompans nostre vieuie,
De jour en jour se renouvellentDe iour en iour se renouuellent ores:
Meschant vouloiruouloir & trahison encores
Tiennent les rengz, pour les biens de ce monde,
Qui faire font maint acte ord & immunde,
Si que le filz tous les coupz a son pere
Machinera dommage ou vitupereuitupere.
Tel de mon bien rira, qui dissimuledißimule:
Tel me plaindra, qui n’aura douleur nulle,
Ains en derriere avecauec sa lime sourde
A mon honneur fera playe bien lourde.
Opico.
L’envieenuie (filz) qui ne vientuient a son esme,
Fond & dechet tout ainsi de soy mesme
Comme l’Agneau qu’oeuil mauvaismauuais faict mourir
Q’umbre de Pin ne le peult secourir.
Serrano.
Si le diray jeie, ainsi m’aydent les dieux,
En me vengeantuengeant du paillard odieux
Qui m’a meffaict, avantauant qu’Orges & Bledz
Par moyssonneurs soyent en gerbe assemblez.
Et pour purger mon cueur de son despit,
Que ruyner le voyeuoye sans respit
Du hault a bas d’un grand Chesne, ou d’un Orme,
Si qu’il
35
DE SANNAZAR.
Si qu’il se brise, ou du moins se difforme,
Tant que mon sens ne sache lors choysir,
S’il aura plus de pitié que plaisir.
Scavez vousScauez uous bien ce pas qui quand il pleut
Est si fangeux, que sortir on n’en peult?
La nous faisans au villageuillage retour,
Ce malheureux se tire en un destour.
Que plaise aux dieux que telle soit sa vieuie,
Qu’il la despite ayant de mort envieenuie.
Nul n’y print garde, a cause que chantions,
Mais en ce poinct comme nous esbations
En ma maison un peu devantdeuant soupper,
UnVn pasteur vintuint a la porte frapper,
Et me cria: Serrano, jeie faiz doutes
Que tu n’as pas en tect tes chevrescheures toutes.
Dont en courant jeie tumbay en la rue:
Encor m’en deult le coulde quand jeie rue.
Las, s’il estoit homme es prochaines cours,
A qui pour droict jeie peusse avoirauoir recours.
Mais, O quel droict? dieu qui nous peult ayder,
Veuille abolyr les causes de playder.
Ce faulx larron, qui puisse avoirauoir les fievresfieures,
Me desroba deux chevreauxcheureaux, & deux chevrescheures.
Voyla comment avariceauarice domine
Au monde caut, en faisant bonne mine.
JeIe luy diroys certes clair & ouvertouuert
E iij
[35v]
L’ARCADIE
Mais cestuy la qui tout a descouvertdescouuert,
M’a faict jureriurer que jeie n’en diray rien:
Dont fault que soys muet perdant le mien.
Considerez (pere) s’il m’en fascha.
Il s’est vantéuanté que troys foys il cracha
En perpetrant ce larrecin nuysible,
Dont il devintdeuint a noz yeux invisibleinuisible,
Acte qui fut pour luy sage & prudent:
Car s’il eust faict le cas tout evidenteuident,
JamaisIamais ne feust de mes chiens departy,
Qu’il n’eust esté en cent pieces party:
Car quand ilz sont acharnez une foys,
Siffler ny sert, ou braire a pleine voixuoix.
Sus soy portoit des herbes monstrueuses,
Pierres de pris, grandement verteusesuertueuses:
Palles liqueurs, os de mort, de la pouldre
Prinse es tumbeaux, a craindre autantautãt que fouldre:
Et qui plus est, des coniurations
Fortes assez en operations,
Qui le faisoient muer quand il vouloituouloit,
En ventuent legier, en eau qui s’escouloit,
En buyssonnet, ou herbe en toute part.
Ainsi le monde est abusé par art.
Opico.
C’est Proteus doncques: lequel expres
Se transformoit de liege en un Cyprés,
D’aspic
36
DE SANNAZAR.
D’aspic en Tigre inhumain & felon,
De beuf en bouc, fleuvefleuue, ou roche, selon
Sa voluntéuolunté.
Serrano.
Or voyezuoyez doncques pere,
Si le faulx monde & remply d’impropere
N’engrege pas allant de mal en pis,
Meschans haulsez, & les bons assopis.
Las vous deussiezuous deußiez (ce me semble) vouloiruouloir
Avecques moy vousAuecques moy uous en plaindre & douloir,
Pensant au temps bon de soy, que depravedepraue
Incessamment le monde fier & bravebraue.
Opico.
Mon filz, alors que jeie touchoys a peine
Les plus prochains rameaux de terre plaine,
Et apprenois sus mon asne a porter
Mouldre le grain, pour me bien enhorter
Mon pere vieiluieil qui m’aymoit cherement,
Me souloit bien appeller doulcement
A l’umbre fraiz des lieges umbrageux,
Non pour me dire ou sornettes, ou jeuxieux,
Ains comme on faict a jeuneieune Garsonnetz,
Qui les mentons ont de barbe encor netz,
La m’enseignoit a conduyre troupeaux,
Traire le laict, tondre laynes des peaux:
Puis ses propoz par fois s’entremesloyent
E iiij
[36v]
L’ARCADIE
Du temps jadiziadiz que les bestes parloyent:
Et me disoit que le Ciel en effect
Produisoit lors plus de biens qu’il ne faict,
Veu que les dieux ne desdaignoient mener
Le bestail paistre aux champs ou ruminer,
Et qu’a chanter ainsi que nous faisons,
Leurs passetemps prenoyent toutes saisons.
Qu’on n’eust sceu veoirueoir un homme estre en debat
Encontre un autre, ains tousjourstousiours en esbat:
Veu que les champs, prez, forestz & pastiz
N’estoyent encor limitez ny partiz:
Que lors le fer, qui (ce me semble) extermine
Le genre humain, n’estoit hors de sa myne,
Et qu’il n’estoit encores mention
De faulx rapport, & faulse inventioninuention,
Dont guerre sourt, & dont tout mal se germe,
Qui par douleur faict pleurer mainte lerme.
Qu’on n’eust sceu veoirueoir ces rages furieuses,
Ny a playder personnes curieuses.
Parquoy chascun malheureux se destruit,
Pensant avoirauoir son proces bien instruit.
Que les vieillarsuieillars, quand ilz n’en povoientpouoient plus,
Et leur falloit estre au logis recluz,
Ou se donnoient la mort sans crainte avoirauoir,
Ou se faisoyent jeunesieunes par leur scavoirscauoir,
Et par vertuuertu des herbes enchantées
Qu’ilz scauoyent
37
DE SANNAZAR.
Qu’ilz scavoyentscauoyent estre en quelque lieu plantées.
Qu’adoncadõc les joursiours n’estoientestoiēt ny froidz ny sombressõbres,
Mais temperez, serains, & sans encombres,
Et n’oyoit on chahuan ne hyboux:
Ains chant d’oyseaux armonieux & doux.
Mesmes que terre adonc ne produysoit
Noir aconite, ou herbe qui nuysoit,
Comme elle faict, dont chascun a raison
De lamenter en piteuse oraison:
Ains qu’elle adonc estoit couvertecouuerte & pleine
De mainte plante & de maint’ herbe saine,
Comme sont baulme, & lermoyant encens,
Odorant myrre, & confortant le sens.
Que chascun lors a l’umbre delectable
Mengeoit du glan, ou du laict profitable,
Grains de GenevreGeneure, ou meures en leur temps,
Et en estoient les bonnes gens contens.
O saison doulce, O vieuie gente & gaye.
Quand il fault (filz) qu’en la memoire j’i’aye
Leurs actions, sans plus jeie ne leur faiz
Honneur de bouche, ains comme a gens perfaictz
En mon esprit les honore & reverereuere
En m’inclinant versuers la terre severeseuere.
Mais ou est (las) ceste antique valeurualeur?
Ou est leur gloire? (O filz, o grand malheur)
Ou sont ces gens dont bruyt se faict entendre?
[37v]
L’ARCADIE
Helas ilz sont redigez tous en cendre.
JolizIoliz amans avecauec leurs amourettes
De pré en autre alloyent ceuillant fleurettes,
RamentevansRamenteuans le feu, l’arc & le traict
De Cupido tout plein de doux attraict.
Il n’estoit lors ny jalouxialoux ny demy:
Parquoy dansant l’amye avecauec l’amy,
S’entrebaisoyent comme les coulombelles,
Au grand plaisir des mignons & des belles.
O pure foy, O douce usance antique.
Or veoyueoy jeie bien le monde fantastique
Incessamment aller en empirant,
Tant plus il va deversua deuers la fin tirant.
Parquoy mon filz quand jeie pense a ce poinct,
JeIe sens mon cueur malade & mal empoint,
M’estant advisaduis qu’il se fend en deux pars,
Comme navrénauré d’aucuns venimeuxuenimeux dars.
Serrano.
Helas pour dieu (pere) or vousuous en taisez
Sans mes espritz rendre plus malaysez:
Car si j’i’osoys manifester la rage
Que j’i’ay dedans mon pertroublé courage,
jeie feroys bien que montaignes & boys
En gemiroyent de douloureuses voixuoix.
Quant est a moy, jeie me voudroisuoudrois bien taire:
Mais le despit & la couleur austere
Qui sont
38
DE SANNAZAR.
Qui sont en moy, m’animent si tresfort,
Qu’il fault qu’a vousuous le dye en desconfort.
Congnoissez vousuous Laccinio le cault?
En le nommant, le cueur presque me faut.
C’est ce meschant qui a veillerueiller consomme
Toutes les nuytz, & luy est premier somme
Le chant du Coc: dont Cacus il est dict,
Pource qu’il victuict de larrecin maudict.
Opico.
Est ce Cacus? O combien il en est
De telz que luy parmy ceste forest?
Ce nonobstant les sages veulentueulent dire
Qu’on pourroit bien detracter & mesdire
De mille bons pour un meschant paillard.
Serrano.
JeIe scay tresbien (venerable vieillartuenerable uieillart)
Que plusieurs gens s’entretiennent & viventuiuent
Du sang d’autruy, ou biens qui en deriventderiuent,
J’I’en faiz souventsouuent experience aperte
A mon dommage, & merveilleusemerueilleuse perte.
Tous mes mastins perdent temps a japperiapper,
Car jamaisiamais un ne m’en peuventpeuuent happer.
Opico.
JeIe congnois bien par ce que j’i’en puis veoirueoir,
Que trop de telz en doit au monde avoirauoir:
Car si long temps jeie me suis amusé
[38v]
L’ARCADIE
A querir sens, que j’i’en suis tout usé:
Le doz en ay tout courbe & bossu: mais
A qui que soit, jeie n’en vendy jamaisuendy iamais.
O mon amy, combien l’onlon trouveroittrouueroit
De paysans que bons on jugeroitiugeroit
A les veoirueoir la, qui pillent & ravissentrauissent
Besches, rasateux, coutres, & n’assouvissentassouuissent:
Mesmes baisser ne daigneroient la face
Pour quelque outrage ou honte qu’on leur face.
Ces meschans la comme un Gay ravissansrauissans
En ceste vieuie ont leurs cueurs & leurs sens
Tous endurciz, & tirent leurs mains pleines
Des sacz d’autruy, dont viventuiuent sans grans peines.
Estant Opico venuuenu a la fin de sa chanson, nonnõ sans
grand contentement de toute la compagnie, Carino
s’adressant amyablement a moy, me demanda qui
j’i’estoye, de quel pays, & quelle occasion me faisoit
demourer en Arcadie. Dont (apres avoirauoir gette un
grand souspir) quasi par contraincte luy respondy:
JeIe ne puis (gracieux pasteur) sans merveilleuxmerueilleux en-
nuy rememorer le temps passépaßé, lequel encores que
l’onlon puisse dire ne me avoirauoir esté gueres propice, si
est ce qu’ayant maintenant a en faire le recit, consi-
deré que jeie me treuvetreuue en plus grande moleste que
jamaisiamais, cela me sera un accroyssement de peine,
& quasi
39
DE SANNAZAR.
& quasi aygrissement de douleur a la playe mal
consolidée, laquele naturellement fuyt de se faire
toucher souventsouuēt. Mais pource que l’expressionexpreßion de pa
roles, est aucunesfois aux miserables allegeance de
leurs faix, jeie vousuous diray ce qu’il en est.
Naples (comme chascun de vousuous peut avoirauoir plu-
sieurs fois entendu) est située en la plus fructueuse
& delectable partie d’Italie, sus le rivageriuage de la
mer: au moyen de quoy elle est autant fameuse &
noble en armes & en lettres, que cité (paraventureparauēture)
qui soit en ce monde. Elle fut edifiée par un peuple
venantuenãt de Chalcide sus l’antique sepulture de la Se-
raine Parthenopé, dont elle print & retient enco-
res le venerableuenerable nom. Ceste cité doncques est le lieu
ou jeie prins nayssance, non de sang obscur & rotu-
rier, mais (s’il ne m’est disconvenablediscõuenable de le dire) d’u-
ne tresantique & noble lignée, de quoy rendent
bon tesmoignage les armes de mes ancestres appo-
sees aux plus apparentes places d’icelle: ou jeie n’e-
stoye reputé le moindre des jeunesieunes hõmes de mon
age: car l’ayeul de mon pere, qui estoit de la Gaule
cisalpine (combien que si l’onlon prend garde au com-
mencement, il fut extraict de l’extreme Espagne,
& en ces deux contrées fleurissentfleurißent encores au jour-
d’huyiour-
d’huy les reliques de ma famille) fut oultre la no-
blesse de ses predecesseurs, homme tresnotable par
[39v]
L’ARCADIE
ses propres gestes, & en la magnanime entrepri-
se que feit le Roy Charles troysiesme d’entrer au
Royaume d’Ausonie, il merita par sa vertuuertu, estant
Capitaine d’une bonnebōne troupe de gensgēs de guerre, d’a-
voira-
uoir la seigneurie de l’antique Sinuessa, auec grand
partie des champz Falernes, & des montaignes
MassiquesMaßiques, & d’advantageaduãtage la petite ville assiseuille aßise sus
le rivageriuage de l’impetueux Vulturne, pres du lieu par
ou il entre en la mer: avec aussiauec außi L’interno, encores
que ce soit une place solitaire: toutesfois elle est me-
morable, a cause des cendres du divincēdres du diuin Scipion Afri-
cain, qui y furent enterrées: sans ce qu’en la fertile
Lucanie il tenoit soubz honorable tiltre plusieurs
bourgades & chasteaux, du revenureuenu desquelz il
eust peu vivreuiure honorablement selon qu’il apparte-
noit a son estat: mais la fortune plus liberale a don-
ner, que curieuse de conserverconseruer les prosperitez mon
daines, voulutuoulut par successionsuccesßion de tempstēps, apres la mort
dudict Roy Charles, & pareillement de Ladislao
son legitime successeur, que le Royaume orphelin
tumbast es mains d’une femme: laquelle incitée de
naturelle inconstance & mobilite de courage, adjoustaad-
iousta a ses autres malefices, cestuy cy: C’est qu’elle
annichila & quasi reduict en extreme perdition
ceux qui avoyentauoyent esté en souverainsouuerain honneurhõneurmagni-
fiez de son pere & de son frere. Oultre ce qui vouuou
droit
40
DE SANNAZAR.
droit dire quelles, & en quel nombrenõbre furent les ne-
cessitezne-
ceßitez que ledict ayeul & mon pere souffrirent,
trop seroit long a racompter. Parquoy jeie reviensreuiens a
moy, qui nasquy en ce monde environenuiron les dernieres
années que feu de bonnebōne memoire le victorieuxuictorieux Roy
Alphonse d’AragonAragō passa de ceste vieuie mortelle a sie-
cles plus tranquillestrãquilles, soubz espoventablesespouentables & mal-
heureux prodiges de Cometes, tremblementztrēblementz de ter-
re, pestilencespestilēces, & sanglantessanglãtes batailles: & fuz nour-
ry en povretépoureté, ou (comme diroyent les plus sages)
eslevéesleué en modeste fortune: & (commecōme ma planete ou
destinée voulurentuoulurent) a peine avoyauoy jeie huyt ans pas-
sez, que jeie commenceay a sentir les poinctures d’a-
mour: car estant devenudeuenu amoureux d’une petite fil-
le, plus belle & plus mignonne a mon jugementiugement,
qu’autre que j’i’eusse jamais veueiamais ueue, descendue aussiaußi de
hault & noble sang, jeie tenoye monmō desir caché plus
songneusementsongneusemēt qu’il n’estoit convenableconuenable a mes ans pue
riles. a raisonraisō de quoy elle quiꝗ ne s’en appercevoitapperceuoit, em-
brazoit de jour en jouriour en iour & d’heure en heure mes
tendres veinesueines par son excessivesō exceßiue beaute, se jouantiouãt juve-
nilementiuue-
nilement avecquesauecques moy: en maniere que croyssantcroyßant
l’amour avecauec les ans, nous perveimesperueimes en aage plus
meur, et plus enclin aux ardentesardētes affections. mais ne
cessantceßãt pour tout cela nostre acoustumée conversationcõuersatiõ,
ains augmentantaugmentãt, a tous propoz elle m’estoit occasionoccasiō
[40v]
L’ARCADIE
de plus grand travail & melancholiegrãd trauail & melãcholie: car il me sem
bloit que l’amytie, la benivolencebeniuolence, & la tresgrandetresgrãde
affectionaffectiō qu’elle me portoit, ne tendoienttendoiēt a la fin que
j’i’eusse bien desirée. Et cognoissantcõgnoißãt que j’avoyei’auoye quel-
que chose dans le cueur qu’il ne m’estoit besoing
monstrer exterieurement, n’ayant encores la har-
diesse de me descouvrirdescouurir a elle en aucune maniere,
pour ne perdre en un moment tout ce qu’il me sem
bloit avoirauoir acquis en plusieurs années par industri-
eux labeur, j’i’entray en une si forte douleur & ve-
hemente melancholieue-
hemente melãcholie, que j’i’en perdy repoz & re-
pas: dontdõt jeie sembloye mieux umbre de mort, que vi-
veui-
ue creature. duquel changement elle me demanda
plusieurs fois la cause: mais pour response jeie ne luy
rendoye qu’unqu’n ardant souspir. Et combien que de-
dans le petit lict de ma chambrette jeie proposasse
en mon entendemententendemēt plusieurs choses pour luy faire
entendre, neantmoins quandquãd j’i’estoye en sa presence,
incontinent jeie pallissoye, trembloye, & devenoyedeuenoye
muet, de sorte que jeie donnay (paraventureparauenture) occasion
de souspeconnersouspecōner a plusieurs qui veoyentueoyent mes conte-
nances. Mais elle qui ne s’en appercevoit jamaisapperceuoit iamais (ou
pour sa nayvenayue bonté, ou pour estre de cueur si froid
qu’elle n’y pouvoit recevoirpouoit receuoir l’amour, ou peult estre,
& qui est le plus croyable, pour estre si sage,
que mieux que moy le scavoit dissimulerscauoit dißimuler en gestes
& paroles,
41
DE SANNAZAR.
& paroles) se monstroit merveilleusementmerueilleusement simple
en ceste pratique. Au moyen de quoy jeie ne me pou-
voyepou-
uoye distraire de l’aymer, et si ne m’estoit expedientexpediēt
demourer en si miserable estat: dont pour dernier
remede jeie deliberay me priverpriuer de ceste vieuie. Et pen-
sant en moymesme le moyen de ce faire, jeie pour-
gettay diversesdiuerses & estranges conditions de mort.
Et veritablement j’ueritablement i’eusse mis fin a mes tristes joursiours
ou par corde, ou par poyson, ou par une espée tren
chante, n’eust esté que mon ame dolente surprise de
jeie ne scay quelle pusillanimité, devint craintivedeuint craintiue &
peureuse de ce qu’elle desiroit, tellement que chan-
geant ce cruel propos en plus meure deliberation
de conseil, jeie prins le party d’abandonnerabandōner Naples, &
la maison de mon pere, esperant aussiaußi que jeie pour-
roye laisser l’amour, & mes passionspaßions. Mais il m’ad-
vintad-
uint (helas) bien autrement que jeie ne pensoye, pour-
tant que si jeie me reputoye infortuné lors que jeie
pouvoiepouuoie souventefois veoirsouuentesfois ueoir & parler a ma dame
tant aymée, pensant seulement que l’occasion de ma
langueur luy estoit incongneue: maintenant jeie me
puis a bon droict nommer malheureux sus tous
autres, me trouvanttrouuant par si grande distance de pays
absent de sa belle personne, & peult estre sans espe
rance de jamais la revoiriamais la reuoir, ou d’en ouyr nouvellenouuelle
qui me soit aucunement propice, mesmes consideré
F
[41v]
L’ARCADIE
qu’en ceste bouillante adolescence il me souvientsouuient le
plus du tempstēps, entre ces solitudes d’Arcadie, des plai-
sirs de monmō delicieux pays, Certes j’i’ose bien dire (sauf
meilleur jugementiugement) qu’il seroit impossibleimpoßible, ou mer-
veilleusementmer-
ueilleusemēt difficile, que jeunesieunes hommeshõmes nourriz et
eslevezesleuez es bonnes villesuilles, peussentpeußent icy en plaisir de-
mourer, mais qui plus est, bestes brutes & sauva-
gessauua-
ges n’y scauroient a leur gré converserconuerser. Et quand jeie
n’auroye autre affliction que la doubte de ma pen-
sée, laquelle me tient continuellement suspendu en
diversesdiuerses imaginations pour l’ardant desir que j’i’ay
de revoirreuoir ma mieux aymée, veuueu que jeie ne puis jouriour
ne nuyt comprendre en mon esprit comment elle se
maintient: si me seroit ceste angoysse trop rigoreu-
se & vehementeuehemente. Croyez amys, que jeie ne veoyueoy ja-
maisia-
mais ny montaigne, ny forest, que jeie ne me persua-
de a chascun coup d’y pouvoir trouverpouoir trouuer ma dame, com-
biencō-
bien que a le penser ce me semble une chose impos-
sible: & n’y scauroye sentir aucun mouvementmouuement de
beste, oyseau, ou branche d’arbre, que jeie ne me re-
tourne incontinent tout espoventéespouenté, pour veoirueoir si ce
seroit point elle, qui seroit venueuenue en ce pays afin de
veoirueoir & congnoistre la miserable vieuie que jeie meyne
pour l’amour d’elle. JeIe n’y scauroye semblablement
veoirueoir aucune autre chose, que de primeface & en
plus grandegrãde ardeur elle ne me remette en memoire
la bonne
42
DE SANNAZAR
la bonne grace de madicte maistresse. Et me sem-
ble que les cavernescauernes, les fontaines, les valléesuallées, les
montaignes, & toutes les forestz l’appellent, &
que les arbrisseaux resonnent incessamment son
nom: entre lesquelz me trouvanttrouuant aucunesfois, &
contemplant les Ormes feuilluz embrassez des vi-
gnesui-
gnes rampantes, soudainementsoudainemēt me chet en la pensée
une amertume angoysseuse & insupportable, con-
siderant combien mon estat differe de celuy des ar-
bres insensibles, qui jouyssentiouyssent continuellement des
gracieux embrassementz des vignesuignes tant aymées:
& moy par tant d’espace de ciel, par si grande
longueur de terre, & par tant de distances de mer
esloigné de mon desir, jeie me consume en perpetuel-
les douleurs & lamentations. O quantesfois ay jeie
pleuré presque vaincuuaincu d’envieenuie, voyantuoyãt les affectueux
coulombscoulōbs baiser par les boys en doux murmures les
coulombes amyables, puis desireux de plaisir s’en
aller chercher le nid? Certes alors jeie leur disoye:
O bien heureux animaux, ausquelz sans souspecon
de jalousieialousie est permis le veillerueiller & le dormir les
uns avecauec les autres en seure paix & tranquillité.
longues puissent estre vozuoz amours, longlõgpuisse estre
vostreuostre plaisir, afin que seul entre les vivansuiuans jeie puis-
se demourer spectacle de grievegrieue misere & lan-
gueur. Il m’advientaduient aussi souventesfoisaußi souuentesfois en gardant
F ij
[42v]
L’ARCADIE
les bestes (a quoy jeie me suis acoustumé en cestes fo-
restz vostresuostres) que j’i’appercoy par les grasses campa
gnes quelque Toreau si maigre & descharné que
ses os debiles peuventpeuuent a peine soustenir sa seiche
peau: ce que veritablementueritablement jeie ne puis regarder sans
travailtrauail & douleur inestimable, pensantpēsant bien que un
mesme amour est occasion a luy & a moy de vieuie
malheureuse & tormentée. D’aduantage me sou
vientsou
uient que quand par fois jeie me separe de la compa-
gnie des autres, afin de povoirpouoir mieulx penser a mes
martyres & afflictionsafflictiõs parmy les solitudes, jeie veoyueoy
quelque genice amoureuse aller seulette mugissantmugißãt
par les hautes forestz, & cherchant le jeuneieune To-
reau: puis lasse & travailléetrauaillée se getter sus le bord
de quelque riviereriuiere, ou elle s’oublie de paistre &
de donner lieu aux tenebres de la nuyt. Laquel-
le chose combien elle est ennuyeuse a regarder a
moy qui meyne telle vieuie, celuy seulement le peult
conjecturercõiecturer, qui l’a esprouvéesprouué, ou espreuveespreuue. Asseurez
vousuous amys qu’il me vientuient lors en la pensée une me-
lancholie & tristesse incurable, auec une grande
compassioncompaßion de moymesme, mouvantemouuante du dedans de
mes veynesueynes: laquelle ne me laisse poil sus la person-
ne, qu’elle ne face herisser d’horreur: puis en mes
extremitez refroydies s’esmeut une sueur angois-
seuse, avecauec un battement de cueur si fort, que veri-ueri-
tablement
43
DE SANNAZAR.
tablementtablemēt si jeie ne le desiroye, j’i’auroye peur que mon
ame dolente ne voulustuoulust saillir de mon corps. Mais
pour quoy suis jeie tant longlõg a racompter ce que peult
estre manifeste a un chascun? Certainement amys jeie
ne m’entens jamaisiamais appeller Sannazar par aucun de
vousuous (nonobstant que ce soit un surnom qui a esté
fort honorable a mes predecesseurs) que cela ne
me face souspirer rememorant que ma dame par-
cydevantpar-
cydeuant me souloit nommer Syncero. Et si ne en-
tens jamaisiamais son de musette ny chant de pasteur, quel
qu’il soit, que mes povrespoures yeux ne versentuersent une infi-
nité de lermes angoysseuses, pource que me revien-
nentreuien-
nent en la memoire les temps heureux ausquelz
chantantchantãt mes rymes ou versuers composez, tout a l’heu-
re jeie m’entendoye par elle estimer singulierement.
Et pour n’aller de poinct en poinct racomptant tou
tes mes peines, il n’y a chose qui me plaise, il n’est
jeuieu ny esbatementesbatemēt qui me puisse, jeie ne veulxueulx pas dire
augmenter ma lyesse, mais diminuer mes miseres,
ausquelles veuilleueuille mettre fin le dieu qui exauce les
oraisons & clameurs des douloureux, ou par pro-
chaine mort, ou par successionsucceßiō de tempstēps plus prospere.
AdoncAdōc Carino responditrespõdit a ma longue complainctelōgue cōplaincte ainsi:
Syncero mon amy, tes douleurs sont merveilleuse-
ment grievesmerueilleuse-
ment grieues, & ne peuventpeuuent estre entendues sans
tresgrande compassioncompaßion. Mais dy moy, jeie te prie, ainsi
F iij
[43v]
L’ARCADIE
te puissent mettre les dieux entre les bras de la da-
me tant desirée, quelles rymes estoient ce que jeie
t’ouy nagueres chanter en pleine nuyt? Certaine-
ment si jeie n’avoieauoie oublié les paroles, il me souvien-
droitsouuien-
droit bien de la facon. Et en recompenserecōpense jeie te donneraydōneray
ceste musette de sureau, que j’i’ay ceuillye de mes
propres mains en des montaignesmõtaignes bien difficiles, &
fort loingtaines de noz villages tellementuillages, tellemettellemēt qu’il n’est
a croyre que jamaisiamais chant de Coq matineux arri-
vastarri-
vast jusquesiusques la pour luy oster sa resonnanceresonãnce. AvecAuec ceste
musette j’i’espere (si les dispositions fatales ne te
sont contraires) que tu chanteras quelque fois en
plus hault stile les amours des Faunes & Nym-
phes, & que comme tu as infructueusement dissi-
pédißi-
pé les commencemens de ton adolescence entre pa-
stoureaux simples & champestres, ainsi tu passe-
ras heureusement ta jeunesse entre les trompes re-
sonantes des nobles Poetes de ton siecle, non sans
esperance d’eternelle renommée. Cela dict, il se
teut: & moy en touchant & sonnant ma harpe,
commenceay ainsi:
SYNCERO
SEULSEVL.
Comme nocturne oyseau du Soleil ennemy
JeIe me voysuoys promenant las & fasché parmy
Lieux tenebreux & noirs, pendantpēdãt que sus la terre
J’I’appercoy
44
DE SANNAZAR.
JI’appercoy que le jouriour chemine & vaua grand erre.
Puis quand ce vientuient au soir, le Soleil ne me donne
Repos, ainsi qu’il faict a toute autre personne,
Ainsi fault queq̄ me reveillereueille, & coure par les plains
Lamentant grievementLamentãt grieuement & gettantgettãt tristes plainctz.
Mais s’il advientaduient par fois que jeie ferme les yeux
En quelques vauxuaux obscurs, ou solitaires lieux,
Comme landes, pastiz, & desertes forestz
Que le Soleil ne peult penetrer de ses raiz,
Cruelles visionsuisions, erreur frivolefriuole & trouble
Me tourmētent tourmentent si fort, & donnentdōnent tant de trouble,
Que j’i’ay telle frayeur quand ce vientuient sus le soir,
Que pour ne m’endormir, n’ose a terre me seoir.
O terre gracieuse, universelleuniuerselle mere,
Ne pourray jeie une fois en ma douleur amere
Dedans quelque verduerd pré si bien me disposer,
Que jusqu’auiusq’au dernier jouriour jeie puisse reposer
Sans point me reveillerreueiller tant que le Soleil vienneuienne
Aux yeux troublez monstrermōstrer la claire lueur siennesiēne,
Faisant ressourdre alors monmō corps et mes espritz
Du somme qu’ilz auront si treslongument pris?
Deslors que mon sommeil banny par desplaisir,
Et mon lict delaissay pour en terre gesir,
Les joursiours beaux et serainsseraīs tous troubles m’ontōt semblésēblé
Si ont les champschãpsfleuriz un droict chaume de blé:
Mais quand ce vientquãd ce vientuiēt au poinct que le Soleil retourne
F iiij
[44v]
L’ARCADIE
Des Antipodes bas, & a nous il adjourneadiourne,
Il me semble qu’il met entierement sa cure
De se monstrer a moy plus noir que nuyt obscure.
Ma dame toutesfois un soir (la mercy d’elle)
En songe m’apparut assez joyeuseioyeuse & belle:
Dont mon cueur s’esjouytesiouyt, comme la terre faict
Du Soleil apres pluye (ainsi que chascun scait)
Et me dict, Mon amy, cesse ton triste pleur:
Puis vienuien en mon jardiniardin y cueillir une fleur,
Ces cavernescauernes laissant, ou tu ne peux veoirueoir goutte:
Car tant que je vivray, jeie uiuray, ie seray tienne toute.
Fuyez donc desormais malencontreux ennuys,
Qui m’avez faict avoirauez faict auoir tant de mauvaisesmauuaises nuytz:
Car jeie m’en voysuoys chercher la campagne jolyeiolye,
Bannissant de mon cueur toute melancholye,
Et doux sommeil prendray sus l’herbette menue:
Car jamaisiamais il n’y eut homme dessoubz la nue,
J’I’entens qui comme moy ait esté amoureux,
Plus ayse, plus content, plus gay, ny plus heureux.
O chanson tu verrasuerras au soir en Orient
Le Soleil se leverleuer, son ordre variantuariant,
Et moy soubz terre mis par la fiere Atropos
AvantAuant qu’en ce pays jeie puisse avoirauoir repos.
A peine estois jeie parvenuparuenu aux dernieres nottes de
ma chanson, quandchãson, quãd Carino s’escryants’escryãt me deit en joyeu-ioyeu-
se uoix,
45
DE SANNAZAR.
se voixuoix, ResjouyResiouy toy pasteur Napolitain, & chasse
tant que tu pourras loing de toy la perturbation de
ton courage, rasseurant desormais ta face melancho- melãncho-
lique: car veritablementueritablement tu retourneras a ton doux
pays, & a la dame que plus tu desires, au moins si
le joyeuxioyeux & manifeste signe queq̄ les dieux en demon
strent, ne m’abuse.Helas, commentcõment se pourroit il fai-
re? respondy jeie lors. La vieuie me durera elle bien tant
que jeie la puisse reveoirreueoir? Certes ouy (deit il) & ne
se doit aucun jamaisiamais deffier des augures & pro-
messes des dieux, pource qu’elles sont toutes trescer
taines & infallibles. Parquoy (mon amy) conforte
toy, & pren esperance de future lyesse: car certai-
nement j’i’espere que ton esperer ne sera vainuain. Ne
veoysueoys tu pas sus mains droicte nostre UrsachioVrsachio reve-
nirreue-
nir tout gaillard auec ma vache retrouvéeuache retrouuée, res-
jouyssantres-
iouyssant les forestz circunvoysinescircunuoysines du son de sa
Musette? A ceste cause, si mes prieres sont de quel-
que efficace en ton endroict, jeie te prie & admone-
ste tanttãt que jeie puis, qu’il te prenneprēne pitié de toymesme,
et que tu mettes une fin a tes lermes angoysseuses:
car (commecõmedit le proverbeprouerbe) jamais on ne veitueit saouler
Amour de lermes, Prez de ruysseaux, ChevresCheures de
feuilles, ny Mousches de nouvellesnouuelles fleurs. Et afin de
te donner meilleur espoir en tes afflictions, jeie te com-
pteraycō-
pteray une histoire de moymesme, combien que si jeie
[45v]
L’ARCADIE
ne suis du tout joyeuxioyeux, a tout le moins suis jeie en par-
tie deschargé de mes amertumes & tristesses. Cer-
tes jeie fuz en semblable et peult estre en plus dou-
loureux estat, que tu n’es a present & ne fuz onc-
ques, hors mis le voluntaireuoluntaire exil qui tant te mole-
ste: Car jamais tu ne te mis en peril de perdre ce
qu’il te sembloit paravanture avoirparauanture auoir acquis a grand
labeur: commecōme jeie feys, qui tout a un coup mis tout monmō
bien, toute mon esperanceesperãce, et toute ma felicité, au ha
zart de l’aveugleaueugle fortune. Et ne doubte point que
jeie n’eusse perdu le tout sans recouvrerrecouurer, si jeie me feus
se desesperé de l’abondante grace des dieux, ainsi
que toy. J’I’estoie doncques, combien que jeie le soie en-
cores, et seray tant que jeie vivrayuiuray, des ma premiere
jeunesseieunesse tresardammenttresardammētespris de l’amour d’une fil-
le, laquelle, a mon advisaduis, par son excessiveexceßiue beaulté
ne surmonte seullement les autres pastourelles d’Ar
cadie, mais les sainctes deesses. Ceste fille pour au-
tant que des son jeuneieune aage avoitauoit esté dediée au ser
viceser
uice de la saincte Diane, et que semblablement j’a-
voyei’a-
uoye esté né & nourry dans les boys, facillement
elle avecauec moy, & moy avecauec elle nous acointasmes:
et (commecōme les dieux voulurentuoulurent) tant nous trouvasmestrouuasmes
conformes de meurs & conditions, qu’une amytie
& bienveillancebienueuillance nasquit si grande entre nous,
que jamaisiamais l’une ne l’autre n’avoitn’auoit plaisir ne repoz
sinon
46
DE SANNAZAR
sinon quand nous estions ensemble. puis allions a la
chasse par les forestz, garniz d’instrumens conve-
nablesconue-
nables: & jamais ne revenionsiamais ne reuenions chargez de proye,
qu’avantauant qu’elle fust partie & diviséediuisée entre nous,
les autelz de la saincte deesse ne fussent honora-
blement visitezuisitez & decorez de noz offrandes, at-
tachant aux branches des Sapins quelque hure de
Sanglier, ou rameure de Cerf. Et combien
que nous prinsions merveilleusementmerueilleusement grand plaisir
a toute maniere de chasse, celle des simples oysil-
lons nous delectoit plus que toutes, pource qu’elle
se povoitpouoit continuercõtinuer avecauec plus grand plaisir, et moin-
dre travailtrauail, qu’aucune des autres. Aucunesfois avantauãt
le poinct du jouriour, que les Estoilles n’estoient a grandgrãd
peine disparues pour donnerdōner lieu au Soleil, que nous
veoyons roussirueoyons roußir en Orient entre les nuées vermeil-
lesuermeil-
les, nous en allions en quelque valléeuallée loingtaine
de la conversationconuersation des gens, & la entre deux ar-
bres les plus haultz que nous pouvionspouuions choysir,
tendionstendiōs nostre grandegrãde retz, tanttãt delyée, qu’a peine la
povoitpouoit on discerner entre les branches: pour laquel-
le cause nous la nommions Araigne. Puis apres l’a-
voira-
uoir ordonnée comme il estoit requis, accourans des
limites du boys, & faisant des mains, bastons, &
pierres, le plus espouventableespouuētable bruyt qu’il nous estoit
possiblepoßible, en battant de pas en pas les hasliers &
[46v]
L’ARCADIE
buyssons, venions deversuenions deuers le lieu ou nostre restz e-
stoit preparée. Adonc les Tourdz, Merles, & au-
tres oyseaux se prenoient a escrier, & fuyr devantdeuant
nouz, estonnez de sorte qu’a l’impourveuimpourueu s’alloient
gecter en noz aguetz, ou enveloppezenueloppez demouroientdemouroiēt
penduz comme en plusieurs poches. Parquoy nous
voyansuoyans la proye suffisante, laschions petit a petit les
boutz des maistresses cordes,& en les amenant a
terre, trouvionstrouuions plusieurs oyseaux, les uns se plai-
gnans, & les autres ademy mortz, en si grand
nombre, que souventefoissouuentesfois ennuyez d’en tant tuer,
et n’ayans lieu pour les mettre, les emportions pesle
mesle en noz logis dedans icelle retz mal ploiee.
Par fois aussiaußi en la saison d’Autonne que les espois-
ses trouppes des Estourneaux volansuolans se monstrent
aux regardansregardãs quasi commecōme une boulle ronderōde en l’air,
nous faisions noz effortz d’en recouvrerrecouurer deux ou
trois de leur espece, qui se povoitpouoit faire bien aise-
mentaise-
mēt: puis attachionsattachiōs a la jambeiãbe d’un chascun d’eulx un
peloton de ficelle engluée autant long qu’il en po-
voitpo-
uoit porter Et quandquãd la trouppe volante venoituolãte uenoit a s’ap-
procher de nous, adonc laissionslaißions nous aller en liber-
té les nostres, qui soudainement selon leur instinct
naturel tiroient deversdeuers leurs compagnons, & s’al-
loiental-
loiēt fourrer parmy eulx, dontdõtfalloit bon gré mau-
gré qu’avecauec la ficelle engluée ilz attirassent gran-
de
47
DE SANNAZAR
de partie de la confuse multitude: & les malheu-
reux qui se sentoient precipiter, ignoransignorãs la cause du
retardement de leur voluol, se mettoientmettoiēt a crier de toute
leur puissance: en quoy faisant remplissoient l’air de
douloureux gemissemensgemissemēs: mais finablement nous les
veoyonsueoyons de pas en pas tumber a noz piedz parmy
les campagnes, tellement que le plus souventsouuēt retour-
nions en noz maisons avecauec les sacz tous pleins de
gibier. Il me souvient aussisouuient außi que jeie me suis beaucoup
de fois mis a rire des accidentz de la Corneille, &
vousuous orrez comment. A chascun coup qu’il nous
en tumboit une entre les mains, nous en allions en
quelque grande plaine, & la par le fin bout des
aelles l’attachions sus la terre le ventreuentre contremeont,
comme si elle eust vouluuoulu regarder le cours des pla-
nettes. Et si tost qu’elle se sentoitsētoit ainsi lyée, se prenoit
a cryer & demener si fort qu’elle faisoit assembler
environaßēbler
enuiron soy toutes les corneilles circunvoisinescircunuoisines. Au-
cune desquelles (paradvantureparaduanture) plus piteuse de l’in-
convenientin-
conuenient de sa compagnecōpagne, que bien adviseeaduisee du sien
adveniraduenir, se laissoit par fois aller tout d’un coup versuers
la place ou estoit l’autre attachée, pour la secourir
s’il eust esté possiblepoßible. mais souventesfoissouuentesfois pour bien
faire elle en recevoit mauvaisreceuoit mauuais guerdonguerdõ: car plus tost
n’y estoit abordée, qu’elle ne fust estraincte a beaux
ongles par celle qui attendoitattēdoit le secours, de sorte que
[47v]
L’ARCADIE
s’il eust esté a son choix, elle s’en feust voluntiersuolũtiers des
veloppéedes
uelopée: mais c’estoit pour neantneãt, a cause que la pri-
sonniere la serroit & tenoit si court qu’elle ne la
laissoit tant soit peu separer. Parquoy vous eussiez
veuuous eußiez
ueu sourdre un nouveaunouueau combat, l’une cherchant de
s’en fuyr, et l’autre de se remettre en liberté, chas-
cune pour sa part plus ententiveententiue a son salut, que a
celuy de sa compagne. Lors nous cachez en quel-
que lieu pres dela, apres en avoirauoir longuement pris
nostre plaisir, les allions demesler: & la noise ap-
paisée, rentrions en nostre cachette, attendans que
quelque autre nous vinstuinst redoubler le passetemps.
Que vousuous diray jeie de la Grue? Sans point de doubte
il ne luy servoitseruoit de rien faire le guect toute la nuyt,
tenant une pierre en son pied: car en plain midy el-
le n’estoit bien asseurée de noz engins. AussiAußi que
profitoit au Cygne se tenir dedans les eaux pour se
garder du feu, craignantcraignãt la chute de Phaethon, si au
meillieu d’icelles il ne se pouvoit sauverpouoit sauuer de noz
mains? Et toy miserable Perdrix, a quelle cause evi-
toiseui-
tois tu les toictz des edifices, rememorant le terri-
ble accident de ton antique ruine, si en plaine terre
quand tu pensois estre en plus grandegrãde asseurance, tu
venois a tumber en noz las? Mais qui croyroit estre
possiblepoßible que l’Oye vigilanteuigilante & songneuse guette
des surprises nocturnes, ne scavoitscauoit pour elle mesme
descouurir
48
DE SANNAZAR.
descouvrirdescouurir noz machinations? JeIe vousuous en dy autant
(amys) des Faisans, Coulombs, Tourterelles, Canars
de riviereriuiere, & autres oyseaux: car il n’en fut jamaisiamais
aucun doué par nature de si grande astuce, qui se
peust promettre longue liberté, & se garder de
noz finesses. Mais afin que jeie ne voiseuoise racomptant
toutes choses par le menu, l’aage de m’amye & de
moy, croissant de saison en saison, la longue & con-cõ-
tinuelle acoustumance se convertitconuertit en un amour
si vehementuehement, que jeie n’avoieauoie jamais joyeiamais ioye en mon
cueur sinon quand jeie pensoie en elle. Et n’aiant, amy
Syncero, la hardiesse de luy descouvrirdescouurir aucunement
ma pensée, commecõme tu as dict parcydevantparcydeuãt, jeie devinsdeuins si
piteux a veoirueoir, que nonnō seulementseulemēt les autres pasteurs
en parloient: mais elle qui ne s’en doubtoit, & me
portoit merveilleusementmerueilleusement bonne affection, en avoitauoit
pitie & douleur inestimable. dont nonnō une seule fois,
mais plus de mille a grande instance me pria que
jeie luy voulsisseuoulsisse ouvrirouurir mon cueur, luy faisant enten-
dre le nom de celle qui de ce m’estoit occasion. Ainsi
jeie qui pour n’ozer me descouvrirdescouurir, supportoie en monmō
courage une intolerable amertume, quasi avecauec les
lermes aux yeux luy respondoie, qu’il n’estoit licite
a ma langue nommer celle que j’i’adoroie pour ma
celeste deesse, mais que jeie luy monstreroie bien son
excellent & divindiuin pourtraict, quand la commodité
[48v]
L’ARCADIE
m’en seroit offerte. Or l’ayant par ces paroles plu-
sieurs joursiours tenue en espoir, advintaduint une fois qu’apres
avoirauoir bien giboié, elle & moy seulletz & eslon-
gnez des autres pasteurs, nous retirasmes deversdeuers
quelque valléeuallée ou sourdoit une fontaine, laquelle
pour ce jouriour n’ayantayãt esté troublée par aucune beste
ou oyseau, conservoitconseruoit en ce lieu sauvagesauuage sa clairté si
pure, qu’elle sembloit de fin Crystal: car elle manife
stoit les secretz de son fons transparenttransparēt, de sorte que
c’estoit une chose singuliere a regarder. Alentour de
ceste fontaine l’onlon n’eust sceu veoirueoir aucuns pas de
bergers ny de chevrescheures, a cause que pour la reverencereuērence
des Nymphes les tropeaux n’en osoient approcher.
Ce jouriour la n’estoit dedans tumbé ne feuille ne bran
chette des arbres d’environenuiron: parquoy paisible sans
murmure ou revolutionreuolution de chose indecente s’en al-
loit par le pays herbu coulant si doulcement qu’a
peine la veoitueoit on mouvoirmouuoir. M’amye et moy nous as-
sismes a l’une de ses rivesriues: & apres nous estre un
bien peu rafraichiz, en escoutant un doulx motet
chanté, a mon jugementiugement, par plus de cent diversesdiuerses
sortes d’oyseaux, elle par nouvellesnouuelles prieres recom-
mencea me contraindre et conjurerconiurer par l’amour que
jeie luy portoie, que je luy voulsisseie luy uoulsisse monstrer le pour-
traict promis, prenantprenãt les dieux en tesmoignage, &
faisant mille autres sermens, que si bon ne me sem-
bloit
49
DE SANNAZAR.
bloit, jamaisiamais n’en tiendroit propos a personne. AdoncAdōc
en versantuersant une infinité de larmes, nonnō en ma voixuoix a-
coustumée, mais tremblantetrēblante et casse, luy dy qu’elle la
pourroit veoirueoir en la fontaine. quoy entendantentēdãt elle qui
desiroit cela sus toutes choses, simplement, & sans
plus y penser, baissa les yeux deversdeuers ceste eau serie:
et la dedansdedãsapperceut son visageuisage exprimé au natu-
rel: dontdõt, si bien m’en souvientsouuiēt, promptementprõptement se troubla,
et descoulora de sorte qu’elle fut preste d’en tumbertũber
pasmée. Puis sanssãs me dire un tout seul mot, en visageuisage
eschauffé se departit d’avecquesauecq̄s moy. MaintenantMaintenãt chas
cun de vousuous (sans que jeie le dye) peult considerer en
quel estat je me trouvay, me voyantie me trouuay, me uoyant en courroux a-
bandonner de celle que j’avoie peu auparauanti’auoie peu auparauantauparavãt qua-
si veuueu pleurer de pitye qu’elle avoitauoit de mon marty-
re. Quant a moy, jeie ne scay (certes) que je devinsie deuins en
cest instant, ne qui me reporta en ma maison: mais
bien vousuous puis jeie dire, que jeie fuz quatre joursiours &
autant de nuytz sans reconforter mon corps de re-
pos ny de repas: & que ce pendantpēdant mes vachesuaches af-
famees, closes en l’estable, ne prindrent substance
d’herbe ny d’aucune liqueur: parquoy les povrespoures
veauxueaux susseans les tetines taries des meres ademy
mortes de famine, et n’y trouvanstrouuans le laict acoustu-
mé, languissans aupres d’elles, remplissoientremplissoiēt les pro-
chaines forestz de lamentables mugissemens: dont
G
[49v]
L’ARCADIE
ne faisant gueres d’etime, m’estoye getté sus la ter-
re, & n’entendoye sors a me plaindre, tellementtellemēt que
jamaisiamais homme m’ayant veuueu au temps de ma tran-
quillité passée, ne m’eust recongneurecōgneu pour Carino. Les
bouviersbouuiers, les pasteurs de brebiz & de chevrescheures,
avecauec les paysans des prochains villagesuillages me ve-
noient visiterue-
noient uisiter, pensans que jeie feusse sorty de mon
sens (comme sans point de doubte si estois jeie) & en
grand pitié me demandoient la cause de mon af-
fliction. Mais jeie ne leur faisoye point de response,
ains entendant seulement a gemir, en lamentable
voixuoix disoye: Vous Arcadiens chanterez ma mort
en vozuoz montaignes. Arcadiens qui seulz de chanterchãter
estes maistres, en vozuoz montaignes ma mort vousuous
chanterezchãterez. O que mes os reposerontreposerōt doulcement quanddoulcemēt quãd
vozuoz musettes compteront mes amours & mon in-
fortune a ceulx qui naistrontnaistrōt apres moy. FinablementFinablemēt
la cinquiesme nuyttée, estantestāt oultre mesure desireux
de mourir, pour cest effect sorty de ma maison, mais
jeie ne m’adressay pas a l’odieuse fontaine, occasion
de mon malheur, ains errant parmy les boys sans
tenir voyeuoye ny sentier, et atraversatrauers des montaignes ru
des et malaisées, ainsi que les piedz & la fortu-
ne me guydoient, a bien grand peine j’arrivayi’arriuay sus
une haulte roche, pendante sus la mer, d’ou les pes-
cheurs ont acoustumé descouvrirdescouurir les poyssons na-
geans
50
DE SANNAZAR.
geans en flotte. Sus ceste roche avantauãt que le Soleil se
levastleuast, jeie m’asseisaßeis au pied d’un chesne: ou il me sou-
vintsou-
uint que j’avoyei’auoye autresfois reposé ma teste dans le
giron de mon ennemye: comme si cest arbre eust eu
quelque proprieté pour remedier a ma fureur. Et
apres avoirauoir longuement souspiré, ainsi que faict le
Cygne pronostiqueur de sa mort, jeie me pris en voixuoix
lente et casse a dire ainsi les lecons de mes funerail
les: O cruelle et despite fille, plus severeseuere quesque les
Ourses furieuses, plus dure queq̄ le boys des
chesnes envieillizenuieilliz, & plus sourde a mes prieres
que les flotz enragez de la mer tourmentée: tu
gaignes maintenant la bataille: car voicyuoicy le poinct
que jeie m’en voisuois mourir. Contente toy doncques do-
resnavantdo-
resnauãt : car jamaisiamais plus ma presence ne te fasche-
ra. Mais veritablement j’ueritablemēt i’espere que ton cueur, lequel
ma fortune prospere na sceu esmouvoiresmouuoir a pitié, s’a-
mollira par monmõ malheur: dont trop tard faicte pi-
toyable, seras, peult estre, contrainctecōtraincte de blasmer ta
grande rigueur, & desireras pour le moins veoirueoir
mort celuy, lequelleq̄ vivantuiuant tu n’as voulu conforteruoulu cōforter d’une
simple parole. Helas commentcōment se peult il faire, que la
grande amytie laquelle tu m’as si longuement por-
tée, soit maintenantmaintenãt bannie de ton cueur? Helas ne te
reviennentreuiēnent quelques fois en memoire les delectables
jeuxieux de nostre enfance, et que nous allionsalliōs ensemble
G ij
[50v]
L’ARCADIE
par les forestz cueuillir les fraizes, les faynes des
hestres, et tiranttirãt les chastaignes hors de leurs escor-
ces? As tu desjadesia mis en oubly les premiers lyz, &
les premieres roses, que jeie te souloie apporter des
campagnes, que j’avoyei’auoye si curieusementcurieusemēt cherchées,
qu’a grand peine en avoientauoient encores les mousches a
miel gousté, quand par mon moyen et pourchas tu
alloys parée de mille nouvellesnouuelles fleurettes, dont tu
faisoys des chapeaux et boucquetz? Las combiencōbien de
foys me jurasiuras tu lors, que quandquãd jeie ne te faisoye com-
pagnie, les fleurs ne t’estoient point odorantesodorãtes, et les
fontaines ne te rendoient leur saveursaueur acoustumée?
O ma vieuie douloureuse, a qui parlay jeie maintenant?
Qui escoute mes propoz, sinonsinō Echo? laquelle croiantcroiãt
mes angoisses, commecōme celle qui autrefoys a faict l’es-
preuvees-
preuue de semblables, toute piteuse en murmurant
respond au son de ma voixuoix. Toutesfoys jeie ne scay
ou elle est cachée. Que ne vientuient elle maintenantmaintenãt s’ac-
compagners’ac-
cōpagner avecauec moy? O Dieux du ciel et de la terre,
ensemble tous autres qui avezauez soing de miserables
amoureux, je vousie uous supply prestez vozuoz piteuses o-
reilles a mes lamentationslamētations, et prenez garde aux do-
lentes voixuoix que mon ame faict sortir de mon corps.
O Naiades habitanteshabitãtes des fleuves couransfleuues courãs, O Napées
tourbe gracieuse des lieux separez, & des pures
fontaines, haulsez quelque peu hors des vaguesuagues
uoz
51
DE SANNAZAR.
vozuoz testes blondes, et recevezreceuez mes derniers criz
avantauant que jeie meure. PareillementPareillemēt vousuous belles Orea-
des qui toutes nues avezauez apris d’aller chassantchaßãt par-
my les haultes rivesriues, laissez maintenantmaintenãt le domaine
des montaignesmõtaignes, et venezuenez a ce miserable, lequel, j’i’en
suis certain, vousuous fera pitié, encores que sa cruelle
dame prenneprēne plaisir a le veoirueoir ainsi tourmentertourmēter. Sail-
lez hors de vozuoz logettes o piteuses Hamadryades
songneuses conservatricesconseruatrices des arbres, et prenez un
peu garde au cruel tormenttormēt quiq̄ mes mains promptementprõptemēt
m’appareillent. AussiAußi Dryades tresbelles damoysel-
les des haultes forestz, lesquelles noz pasteurs n’ontõt
une foys seule, mais plus de mille veu environueu enuiron les
soirs danser en rond soubz les Noyers ayant vozuoz
blondes chevellurescheuellures esparses dessus les espaules.
Faictes, je vousie uous supply, si vousuous n’estes revoltées avecreuoltées auec
ma fortune inconstante, que ma mort ne soit celée
entre ces umbrages, mais que tousjourstousiours elle se voiseuoise
divulgant de jour en jourdiuulgant de iour en iour par tous les siecles adve-
niradue-
nir, a ce que le temps qui deffault a ma vieuie, satisfa-
ce a ma renomméerenõmée. O Loupz, o Ours, et tous autres
animaux, qui vousuous cachez dans les horribles ca-
vernesca-
uernes, demeurez maintenant en seureté: car vousuous
ne verrez jamaisuerrez iamais plus ce bouvierbouuier lequel avoitauoit cou-
stume de chanter par les montaignesmõtaignes & forestz. A-
dieu rivagesriuages, Adieu campagnes, Adieu rivieresriuieres &
G iij
[51v]
L’ARCADIE
ruisseaux, et vivezuiuez longuementlonguemēt sans moy. Mais pen-
dantpen-
dãt qu’en soef murmure vousuous yrez parmy les pier-
reuses valléesuallées, courant deversdeuers la haulte mer, ayez
tousjours en souvenance vostretousiours en souuenance uostre Carino, lequel fai-
soit icy paistre ses vachesuaches: lequel y couronnoit ses
Toreaux, & qui avecauec sa Cornemuse y souloit es-
jouyres-
iouyr son bestail, savourantsauourãt la liqueur des fontaines.
En disantdisãt ces parolles, jeie m’estoie levéleué pour me pre-
cipiter du hault en bas de celle roche, quandquãd soudai-
nement sus main droicte vey veniruey uenir deux Coulombs
blancz, qui en joyeux volioyeux uol se vindrentuindrent poser sus le
chesne soubz lequel j’i’estoie, ou en peu de tempstēps s’en-
tredonnerent mille baisers en doux et affectueux
bruyt: dont commecōme de prospere augure j’i’y prins espe
rance de bien futur: parquoy avecauec plus meur conseilcōseil
commenceaycōmēceay a me blasmer de la folle deliberationdeliberatiō que
j’i’avoieauoie vouluuoulu suyvirsuyuir, ascavoirascauoir de destruire par crue-
le mort, une reparable amytié: & n’avoien’auoie encores
gueres demouré en ce penser, quand jeie me trouvaytrouuay
(ne scay commentcommēt) surpris de celle qui m’estoit occa-
sion de tout ce mal: laquelle curieuse de mon salut
avoitauoit d’un lieu ou elle s’estoit mussée, plainement
veuueu et entendu tout ce que j’avoiei’auoie dict et faict. Par-
quoy nonnō autrement queq̄ feroit une piteuse mere es in-
fortunes de son unique filz, gettant maintes larmes
amoureuses, et me reconfortantrecōfortãt d’un recueuil treshon
neste
52
DE SANNAZAR.
neste, elle sceut bien faire que de desespoir et de
mort incontinent me remyt en l’estat queq̄ vousuous voiezuoiez.
Or que dironsdirōs nous maintenantmaintenāt de la puissance admi-
rable des Dieux? sinon qu’a l’heure qu’ilz monstrentmōstrēt
nous menasser de plus perilleuse tempeste, c’est lors
qu’ilz nous conduysentcōduysent a plus tranquilletrãquille port. A ceste
cause, Syncero monmō amy, si tu prestes aucuneaucūe foy a l’hi
stoire par moy comptéecōptée, et si tu es hommehōme tel que j’i’esti-
me, tu devrois desormaisdeurois desormais te reconforter commerecōforter cōme les au-
tres, et fermementfermemēt esperer en tes adversitezaduersitez, que tu
pourras encores a l’ayde des Dieux retourner en
plus joyeuxioyeux estat: car certainement il ne peult estre
qu’entre tanttãt de nuées quelque fois ne se monstre le
Soleil: et dois scavoirscauoir que tanttãt plus on a de peine d’ac
querir les choses desirées, plus sont elles tenues che
res et precieuses quandquãd on vientuiēt a en avoirauoir la fruitionfruitiō.
Cela dict, pour autantautãt qu’il se faisoit tard, mettantmettãt fin
a son propos, nous deit Adieu, et s’en alla touchanttouchãt sa
vache devantuache deuãt soy. Mais si tost qu’il fut party de la com
pagniecō
pagnie, tous ensemble et en un mesme instantinstãt apper-
ceusmes de loing a traverstrauers les arbres veniruenir desssus
un petit asne, un hommehōme si herissé et tanttãt douloureux
a ses gestes, quq̄’il nous faisoit grandementgrãdemēt esmerveilleresmerueiller.
mais apres qu’il se fut destourné de nous, et entréētré en
un sentier qui tiroit a la villeuille, nous congneusmescōgneusmes sans
point de doute queq̄ c’estoit Clonico l’amoureux, pasteur
G iiij
[52v]
L’ARCADIE
tresdocte entre tous autres, et bienbiē expert en la Mu-
sique. A raison de quoy Eugenio quiq̄ estoit de ses plus
gransgrãs amys, et scavoitscauoit toutes ses passionspaßiōs amoureuses,
allant audevantaudeuant de luy, en noz presences se print a
luy dire ainsi:
EUGENIOEVGENIO.
Mais ou vasuas tu sus ton asne en ce poicnt,
Palle, transy, languissant, mal en poinct,
Le poil rebours, la barbe entremeslée,
Errant tout seul parmy ceste valléeuallée?
Certainement qui te verroituerroit ainsi
Plein d’amertume, & comble de soulcy,
S’estonneroit, & diroit tout ensemble,
A Clonico cestuy la ne resemble.
Peult estre as tu vouloiruouloir d’abandonner
La solitude, afin de t’adonner
En quelque villeuille, ou l’amour gette au double
D’ardz furieux, batuz en forge trouble.
Mais qui fiance en feminin cueur met,
Labeure en l’eau: du gravier grauier se promet
Grain receuillir, & le ventuent cuide prendre
En un filé, qu’alencontre il vaua tendre.
Clonico
Si jeie pouvoyspouuoys desnouer de mes mains
Le neu cruel, ou le lascher du moins,
Si que mon col tant ne feust enserré
Dessoubz
53
DE SANNAZAR.
Dessoubz le jougioug ou il est enferré,
En ce pays n’auroit forestz ny champs
Ou bien souventsouuent ne feisse ouyr mes chantz,
Si que SylvansSyluans & Dryades diroient
Que Dametas & Corydon vivroientuiuroient:
Et leur feroys delaisser leur repos
Pour escouter mes devizdeuiz & propos.
Puis en dansant feroyent souventsouuent ouyr
Mille chansons pour maintz cueurs esjouyresiouyr,
Dont Satyreaux tous desceinctz & deschaux
Feroient sus l’herbe infinité de saultz.
Ainsi Amour & sa mere Venus
Vaincuz de deuil, & de rage tenuz,
A se blasmer pourroient bien condescendre
De n’auoir sceu me rediger en cendre.
Toutes les fois que ce penser m’advientaduient,
En pasmoyson tumber il me conuieutconvientconuient.
Las ne viendra jamaisuiendra iamais l’heure & le jouriour
Qu’entre les francz pourray dire en sejourseiour,
Graces aux dieux qui m’ont vouluuoulu renger:
Eschappé suis d’un terrible danger?
Eugenio.
AvantAuant seront le Myrte & GenevrierGeneurier
Secz en esté, comme autres en JanvierIanuier,
Durant lequel sourdront de place en place
NouvellesNouuelles fleurs soubz transparente glace,
[53v]
L’ARCADIE
Que ce qu’en vainuain tu desires, advienneaduienne,
JeIe t’en asseure (amy) & t’en souviennesouuienne,
Si vostreuostre dieu Cupido ne veoytueoyt rien,
Comment peut il discerner mal du bien?
Qui prend pour guyde un follet non voyantuoyant,
MerveilleMerueille n’est s’il s’en vaua forvoyantforuoyant.
Ce vivreuiure humain semble a une journéeiournée
Qui se voyantuoyant trop tost a fin tournée,
Conceoit en soy telle vergogneuergongne & honte,
Que couleur rouge en la face luy monte.
Pareillement quand la vieillesseuieillesse ploye
Les ans vollansuollans, que si mal on employe,
Dedans les cueurs n’aissentnaissent d’espitdespit & deuil,
Causans souspirs & mainte lerme d’oeuil.
O Dieu, comment peuventpeuuent plaisir avoirauoir
PovresPoures mondains quand viennentuiennent a scauoir
Que tous noz faictz en ce valual terrien,
Incontinent sont redigez en rien,
Et que noz biens les heures larronnesses
Furtivement ravissentFurtiuement rauissent par finesses?
Il est bien temps que ton ame enterrée,
En ord bourbier, ou elle est enserrée,
AvantAuant la mort tasche a se resentir:
Ou bien trop tard viendrasuiendras au repentir.
Mais si toymesme a raison ne te renges,
Quelle esperance en auront les estranges?
54
DE SANNAZAR.
Dea, si ton cueur ne peut d’amours jouyriouyr,
Il est bien temps de follie fuyr.
O quantesfois de tes sottes manieres
Se sont gaudiz ces montz & ces rivieresriuieres?
Si tu me dis que ta grand passionpaßion
Les a par fois meuz a compassioncompaßion,
En as tu veuueu les montz a toy courir
Pour a ton mal par pitié secourir?
As tu congneu l’eau son cours arrester
Pour allegeance a ta peine prester?
Clonico.
Bien heureux sont les cueurs d’amour uniz,
En vieuie & mort de franc vouloiruouloir muniz,
Tel que jamais jalouxiamais ialoux, ou filz d’envieenuie
A divorserdiuorser ne les meut ne convieconuie.
Hyer au soir estant au boys ravyrauy,
Sus un Ormeau deux tourterelles veyuey
S’entrebaiser, puis au nid se retraire,
Et a moy seul le Ciel est tant contraire.
En ce regard, amy, jeie ne scay point
Si j’i’eu pouvoirpouoir d’aspirer en ce poinct,
Mais la douleur adonc me pressa tant,
Qu’a peine peu demourer en estant.
Diray jeie tout, ou si jeie m’en tairay?
Certes croy moy, jeie ne t’en mentiray:
JeIe choisy lors un Plane pour m’y pendre,
[54v]
L’ARCADIE
Et fuz tout prest d’une retorte prendre,
Mais ce cruel meurdre alors jeie ne feiz,
Pource qu’aux yeux Amour me meit Iphis.
Eugenio.
Las a combien de frivoles ne visentfriuoles ne uisent
Sotz amoureux qui la vieuie desprisent
Quand un desir de mort les prend & lye?
Tant a chascun plaist sa propre follie.
Si tost qu’ilz sont a l’amour adonnez
Certes ilz sont si fort desordonnez
Qu’avantauant leur poil aura couleur changé,
Qu’a la raison se soit leur sens rengé:
Et priseront une oeuillade ou soubzrire
Plus qu’unqu’n troupeau pour grand qu’on puisse dire.
AussiAußi par fois quand les vientuient occuper
Yre ou despit, ilz voudroientuoudroient bien coupper
Le fil tyssu des Parques par accordz
Pour chasser l’ame & l’amour de leurs corps.
Bien leur plairoit retourner en arriere:
Mais nul n’en tourne au bout de la carriere.
JamaisIamais par feu ne sont ars ou bruslez,
Ny par froydure ou glace congelez:
Et toutesfois incessamment se plaignent
Sans mal avoirauoir (bien est vrayuray qu’ilz le faignent)
Fuyr voudroyentuoudroyent l’amour & son escolle,
Mais chascun d’eux estroictement l’accolle.
Ie ne
55
DE SANNAZAR.
JeIe ne scay pas si c’est vieuie ou mort
Qu’ilz vontuont nommant liberté: mais au fort
Tant plus ilz sont en cela follians,
Plus se vontuont ilz a martyre lyans.
Clonico.
DevantDeuant mes yeux (bien que ne le demande)
Se vientuient offrir la douloureuse amande,
Et pense veoirueoir Phyllis la povrepoure fille
Morte pendant, qui au ventuent se brandille.
Dont s’il se treuvetreuue encores sus la terre
Quelque pitié, jeie la voudroysuoudroys requerre
Me consentir que jeie mette a delivredeliure
Mon ame estant faschée de plus vivreuiure:
Car l’onl’onlon ne peut trouvertrouuer plus doulce vieuie,
Que de mourir quand il en prend envieenuie.
O terre donc, qui contenter me peux,
Contente moy maintemant si tu veuxueux,
Engloutissant en ton centre profond
Ce triste corps qui diminue & fond,
Si que jamaisiamais homme n’en puisse avoirauoir
Indice aucun, ny nouvelle scavoirnouuelle scauoir.
Fouldres aussiaußi qui faictes tout trembler,
De toutes pars venez vousuenez uous assembler
Dessus celuy lequel invoqueinuoqu’ & crye
Vostre secours, & de sa mort vousuous prie
Pource qu’il sent un mal si tres amer
[55v]
L’ARCADIE
Qu’il voudroituoudroit bien apprendre a desaymer.
Bestes venezuenez a moy qui vousuous desire,
Et puis chascune aux ongles me dessiredeßire.
Pasteurs aussiaußi lamentez pas a pas
Cil qui vousuous faict honte par son trespas:
Mais ne prenant garde a mon malefice,
UsezVsez en moy de pitoiable office.
Entre Cypres dressez ma sepulture,
Tesmoing a tous de ma triste adventureaduenture,
Sans oublier d’ardre avecquesauecques ma personne
Les versuers piteux que maugré moy jeie sonne,
Et decorez de bouquetz & de fleurs
Le monument, en lermes & en pleurs:
Puis vousuous tournans par grand compassioncompaßion
Faictes autour une processionproceßion,
Disans, Par trop estre a l’amour soubzmis,
O povrepoure Amant, tu es en cendre mys.
Peut estre lors me monstrerez a celle
Qui ard mon cueur d’amoureuse estincelle,
Et perdrez temps a crier sus ma lame:
Car elle est sourde aussiaußi bien que ma dame.
Eugenio.
En escoutant ta triste plaincte, amy,
JeIe sens quasi comme un Lyon parmy
Tous mes espritz, ou comme un Ours grogner,
Et m’est advisaduis que les veoyueoy renfrongner,
56
DE SANNAZAR.
Dont si les loix de ton Roy jeie renverserenuerse,
Prens ma sentence a ta raison diversediuerse,
Ainsi joyeux vivrasioyeux uiuras si tu le faiz,
Et te verrasuerras deschargé de ce faix.
Ayme Apollo, & Genius sacré:
Fuy ce meurdrier, lequel t’a massacremassacré:
Car il faict mal a la simple jeunesseieunesse,
Et grand vergogneuergogne a la sotte vieillesseuieillesse.
Lors nostre Pan de toutes graces plein,
Auec Pales augmenteront a plein
Ton troupelet, que tu yras comptant
SouventesfoisSouuentesfois en homme bien content.
Adonc porter ne te desdaigneras
La forte besche, a quoy tu gaigneras
VivreViure & vestureuesture, en plantant Nepitelle,
Asperge, Anet, concombre, & autre telle.
Passe a cela ton temps, & t’y dispose:
Car en amy certes jeie te propose
Qu’on ne racquiert la liberté tant chere
Par lamenter, & faire triste chere,
Mesme que l’homme est autant malheureux
Qu’il se repute, ou autant valeureuxualeureux.
De ton rasteau les mottes casseras,
Ou hors des bledz l’yvrayeyuraye poulseras,
Ainsi que moy, qui les joursiours de loysir,
Pour en paresse infame ne moysir,
[56v]
L’ARCADIE
M’en voysuoys souventsouuent tendre aux petiz oyseaux
Trappe ou filez entre herbes & roseaux,
Ou quelque piege au cauteleux Regnard
Qui est souventsouuent attrapé par tel art.
Ainsi se chasse amour aspre & felon,
Et a l’envieenuie adonc ne pense l’onlon.
Ainsi au monde & ses deceptions
Ne met on pas grandes affections.
Ainsi fault il qu’amoureuse esperance
Trop temeraire & folle en apparence
Virilement soit du penser bannye,
Que rudement elle traicte & manye.
Au demourant veoyueoy que tes chevrescheures pleines
S’en vontuont fuyant atraversatrauers de ces plaines
Droict a tes chiens, pour l’effroy que leur faict
Le loup qui tasche en surprendre (de faict).
Advise aussiAduise außi comme les champs s’esmaillent
De mille fleurs, & pastoureaux qui saillent
Pres la fontaine au son du flageolet
En bondissant dessus le serpolet.
Regarde aussiaußi le mouton debonnaire
Du beau Phryxus, c’est un signe ordinaire
Qu’en peu de joursiours aurons neuveneuue saison:
Car le Soleil arrivearriue en sa maison.
Chasse pensers qui te rendent hectique,
Et font aller nuyt & jouriour fantastique
Croyant
57
DE SANNAZAR.
Croyant qu’au monde il n’y a mal aucun,
Ou il n’y ait remede, fors a un.
JeIe ne te dy ces motz a l’estourdye,
Ains jeie les masche avantauant que te les dye.
L’onLon n’entendoit plus par les boys les Cigales
chanterchãter, mais les Grillons se faisoyent bien ouyr tout
le long des campagnes, & s’estoient jaestoiēt ia tous oyseaux
pour fuyr les tenebres de la nuyt, retirez en leurs
nidz accoustumez, excepté les ChauvesChauuessouriz, qui
sortoient de leurs cavernes merveilleusementcauernes merueilleusement ayses
de volleruoller en l’obscurité, quand en un mesme instant
Eugenio meit fin a son chanter, & les troupeaux
de noz bestes devallansdeuallans des montagnes, vindrentuindrent
se renger en la place ou la cornemuse sonnoit. Par-
quoy a la lueur des estoilles tous ensemble partans
du lieu ou l’onlon avoitauoit chanté, nous meismes au retour
emmenans Clonico quant & nous. Ce soir logeas-
mes en une petite valleeuallee assez prochaine, en laquel-
le quand le temps estoit beau (commecōme lors qu’il estoit
Esté) les vachesuaches des bouviersbouuiers du pays y faisoient
leur giste la plupart des nuytz. Mais en temps
de pluye, les eaux descendantes des montagnes cir-
cunvoysinescir-
cunuoysines s’y viennentuiennēt toutes assembleraßēbler. Ceste val-
léeual-
lée naturellement ceincte de Chesnes, Erables, Lie-
ges, Lentisques, Saules, & autres especes d’arbres
H
[57v]
L’ARCADIE
sauvagessauuages, estoit si bien fermée de toutes pars, que
l’onlon n’y povoitpouoit entrer fors par un seul endroit: &
l’umbrage causé de la confusion des branchesbrãches feuil-
lues, estoit tant espes & si fort, que non seulement
a celle heure qu’il faisoit nuyt, mais encores que le
Soleil eust esté au plus hault du ciel, a grand peine
eust on sceu veoirueoir sa lumiere. En ce lieu nous ren-
geasmes noz brebiz & noz chevrescheures a coste des
vachesuaches, le mieux qu’il fut possiblepoßible. Et pource que de
fortune aucun de la compagniecōpagnie n’avoitauoit quant & soy
porté son fusil, Ergasto plus ingenieux que les au-
tres, eut soudainement recours a ce que la commoditécõmodité
luy presenta. il print deux bastons, l’un de Lyerre, et
l’autre de Laurier, & tanttãt les frotta l’un contrecõtre l’au-
tre, qu’il en feit saillir du feu, dont en plusieurs pars
allumasmes des brandonsbrãdons. Cela faict, aucuns se mei-
rent a traire les bestes, d’autres a racoustrer leurs
musettes, ou recoller les bouteilles fendues, chascun
s’appliquantappliquãt a ce quiq̄ luy sembloit bon de faire, jusquesiusques
a ce que le soupper fust prest: lequel achevéacheué en as-
sez grand contentement d’un chascun, pource que
desjadesia bonne partie de la nuyt estoit passéepaßée, toute la
bende s’en alla dormir. Mais le jour venuiour uenu, que les
rayons du Soleil apparurent sus les sommitez des
montaignes, n’estant encores la rosée dessechée sus
les herbes, nous chassasmes nostre bestail hors ceste
valléeuallée
58
DE SANNAZAR
valléeuallée, & le menasmes aux champs paistre, tirans
par un sentier destourné au mont Menalo prochain
de nous, deliberez de visiteruisiter le sainct templetēple du dieu
Pan, honoré en ce pays sus tous autres. AdoncAdõc Cloni-
co vouloituouloit laisser la compagnie. Et quandquãd on luy de-
manda qui le mouvoitmouuoit, il responditrespōdit que son intention
estoit d’acheveracheuer l’entreprise que la nuyt precedente
luy avionsauions destourbée, qui estoit querir remede a sa
langueurlãgueur par le moyen d’une matrone estimée mer-
veilleusementmer-
ueilleusement bonne ouvriereouuriere de sortileges & en-
chantemens: car le communcõmun burytbruyt est (deit il) que la
deesse Dianeluy monstramõstra en songe toutes les herbes
de Circe et Medée, par la vertuuertu desquelles, quandquãd les
nuytz sont les plus obscures, elle s’en va vollantua uollãt en
l’air couuerte de plumes comme une chevechecõme une cheueche, et par
son art souventesfoissouuentesfois obfusque le ciel de nuées um-
brageuses, puis a sa volunteuolūte le reduict en sa preceden-
teprecedē-
te clairte. aucunesfois elle faict arrester le cours des
fleuvesfleuues, & remonterremõter les eaux contrecõtre leurs sources et
fontaines. DavantageDauantage elle est sur toutes autres mai-
stresse d’attirer du ciel les estoilles obfusquées di-
stillantes gouttes de sang, & d’imposer loy par ses
paroles au cours de la lune enchantéeenchãtée: mesmes de con-
voquercõ-
uoquer en plein midy la tenebreuse nuyt sus la face
de la terre, faisant sortir les dieux nocturnes hors
l’infernale confusion. quelques autres fois quandquãd par
H ij
[58v]
L’ARCADIE
son long et secret murmure, la dure terre s’est entre-
ouverteen-
treouuerte, elle evocqueeuocque hors des desertes sepultu-
res les ames des antiques predecesseurs, et scait fai-
re plusieurs autres choses merveilleusemerueilleuses & incre-
dibles a racompterracõpter, & ce par une mixtion composée
de la sanie fluantefluãte des jumensiumēs en amour, meslée avecauec
sang de Vipere, cervelleceruelle d’ours enragé, poil de l’ex-
tremité de la queue du loup, et plusieurs autres jusius
de racines & herbes pleines de puissance admira-
ble. Adonc Opico luy vaua dire, Certainement jeie croy
mon filz que les dieux lesquelz tu sers & adores
devotementdeuotement, te ont ce jourd’huyiourd’huy faict veniruenir entre
nous pour estre pourveupourueu de remede a tes passionspaßions
amoureuses, de sorte que j’i’ay bonne esperance si tu
veulxueulx prester foy a monmō dire, que tu en seras joyeuxioyeux
tout le temps de ta vieuie. Mais a qui te pourrois tu
mieux adresser pour avoirauoir secours en ce besoing, queq̄
au bon hommebõ hõme Enareto pasteur docte pardessus tous?
lequel apres avoirauoir abandonné ses troupeaux, s’est
maintenant dedié aux sacrifices de Pan nostre dieu
souverainsouuerain. La pluspart du secret des choses divinesdiuines
& humaines est manifeste a ce pasteur, car il con-
gnoist ciel, terre, mer, le Soleil, les cours de la Lune,
les estoilles dontdõt le zodiaque est paré, ascavoirascauoir Plia-
des, Hyades, Orion, les Ourses majeurmaieur & mineur,
& une infinité d’autres, qui seroient trop longueslõgues a
racompter
59
DE SANNAZAR.
racompterracõpter: dont par consequentcõsequent il scait les saisons pro-
pices a labourer, semer, moyssonner, planter vignesuignes
& oliviersoliuiers, puis en receuillir les fruictz au tempstēps de
leur maturité: davantagedauantage quand il faict bon esbran
cher arbres, puis les revestirreuestir de branches adopti-
vesadopti-
ues. AussiAußi comme il faut gouvernergouuerner les mouches a
miel: & si elles estoient mortes, la maniere de les
resusciter par sang putrifié de veauxueaux suffoquez.
& qui est chose merveilleusemerueilleuse a dire, mais beaucoup
plus difficile a croyre, advintaduint une nuyt ainsi qu’il se
dormoit entre ses vachesuaches, que deux dragons luy le-
cherent les oreilles, dont il s’esveillaesueilla en sursaut, &
se trouvatrouua terriblement effroyé: mais environenuiron l’aube
du jouriour il eut intelligenceintelligēce perfaicte du jargoniargõ de tous
oyseaux, tellementtellemēt qu’il entenditentēdit un RossignolRoßignol sus un
Cormier chantant, ou pour mieux dire, se lamantantlamentãt
de son amour, quiq̄ invoquoitinuoquoit les prochaines forestz a
son secours: mais un passereau luy respondoitrespõdoit qu’en
Leucadie se treuvetreuue une haute roche, de laquelle qui
se laisseroit tumber en la mer, incontinentaincõtinent seroit hors
de tourment. puis une Alouette l’asseuroit qu’en
une certaine contrée de Grece (dont bonnement ne
suis recors du nom) est la fontaine de Cupido, de tel-
le nature, que qui en boyt, perd tout soudain sa dou-
leur amoureuse. A ceste Alouette le povrepoure Rossi-
gnolRoßi-
gnol gemissant tendrement replicquoit les eaues
H iij
[59v]
L’ARCADIE
estre de nulle efficace en son endroit. Et sus ces en-
trefaictes arriverentarriuerent un Merle, un Bruyant, & une
Linotte, qui reprindrent ledict RossignolRoßignol de sa fol-
lie, d’autant qu’il ne vouloituouloit croyre les celestes ver-
tuzuer-
tuz estre infuses aux eaux sacrées. puis se meyrentmeyrēt a
luy narrer les proprietez de tous les fleuvesfleuues, fon-
taines & viviersuiuiers de ce mondemōde, desquelz iceluy Ena-
reto me sceut amplement repeter les noms, natures,
& pays ou ilz sourdentsourdēt, & par ou ilz passent, sans
en oublier un tout seul: tant il les avoitauoit bien fichez
en sa memoire. Encores me feit il mention d’au-
cuns oyseaux, du sang desquelz brouillé ensemble
se concrée un merveilleuxmerueilleux serpent, de telle proprie-
té, que si quelq’un prenoit la hardiesse d’en men-
ger, il n’y auroit si estrange parler d’oyseaux, qu’il
n’entendist incontinent. AussiAußi me parla il de jeie ne
scay quel animal, et me deit que qui beuroit un peu
de son sang, puis avantauant le poinct du jouriour se trouvasttrouuast
sus une montaignemõtaigne portantportãt plusieurs sortes d’herbes,
il les entendroit ouvertement deviserouuertement deuiser ensemble, &
manifester leurs natures, mesmes au poinct qu’elles
estans chargées de rosée s’ouvrentouurent aux premiers
rayons du Soleil levantleuãt pour rendre graces au crea-
teur des vertuzuertuz qu’il leur a infuses, qui sont sans
point de doubte si merveilleusesmerueilleuses, et en si grandgrãd nom-
bre, que bienbiē heureux seroientseroiēt les pasteurs qui en au-
royent la
60
DE SANNAZAR.
royent la congnoissance. DavantageDauantage (si la memoire
ne me decoyt) il me deit qu’en un pays fort estrangeestrãge
& loing d’icy, ou les gensgēs naissentnaissēt aussiaußi noirs qu’Oli-
vesOli-
ues meures, & ou le Soleil court si bas que s’il n’e-
stoit chault, l’onlon le pourroit toucher du bout du doy,
se treuvetreuue une herbe de telle efficace, que qui la get
teroit en un lac ou riviereriuiere, soudainement l’eau se-
roit toute tarie, & toutes serrures que l’onlon en tou-
cheroit, seroient incontinent ouvertesouuertes. Puis en conti-
nuant propos, me parla d’une autre tant exquise,
que qui la porteroit sus soy, en quelque partie du
monde qu’il allast, jamaisiamais n’auroit necessité, &
ne sentiroit fain n’y soif, ains auroit abondance de
toutes choses convenablesconuenables a la vieuie. Mais entre au-
tres ne me cela,& aussi ne feray jeie a vousuous, la
merveilleuse vertumerueileuse uertu du Chardon a cent testes, as-
sez congneu en noz rivagesriuages: la racine duquel re-
presente aucunesfois similitude du sexe masculin,
ou feminin: combien qu’il s’en treuvetreuue peu sou-
ventsou-
uent: mais si de bonne encontre aucun trouvoittrouuoit
celle de son sexe, sans point de doubte ce seroit
pour avoir grandauoir grãd heur en amours. En apres il pour-
suyuit les proprietez de la VerveyneVerueyne, tresagrea-
ble sacrifice des antiques autelz, affermant que
toute personne s’estant frottée de son jusius, impetre
de chascun tout ce qu’il demande, pourveupourueu qu’el-
H iiij
[60v]
L’ARCADIE
le ait esté cueuillye en temps & heure. Mais pour-
quoy me voys je travaillant a vousuoys ie trauaillant a uous racompter tou-
tes ces choses, quand nous sommes tout pres du
lieu de sa residence, & vousuous sera loysible de l’en-
tendre amplement de luy? He pere (deit adonc
Clonico) moy & tous ceux cy aymons mieux les
ouyr de vousuous tout en cheminantcheminãt, pour alleger le tra-
vailtra-
uail du chemin, afin que quandquãd il nous sera licite de
veoirueoir ce sainct pasteur, l’ayons en plus grande re-
verencere-
uerence, & puis en noz forestz luy facions les
honneurs convenablesconuenables ainsi quasi comme a un dieu
terrestre. Alors le bon homme Opico retournant au
propos delaissédelaißé, se print a dire qu’il avoitauoit apris de
ce mesme Enareto quelques enchantemens pour
resister aux tempestes de la mer, tonnoires, neiges,
pluyes, gresles, et impetuositez des ventsuentz s’entre-
combatans. En outre tesmoingna luy avoir veuauoir ueu le
quinziesme jouriour de la Lune engloutir le cueur d’u-
ne Taulpe encores chault & remouantremouuãt, puis met-
tre sus sa languelãgue l’oeuil d’une Tortue d’Inde: au moyenmoyē
desquelles choses il predisoit beaucoup de futurs
accidens. Apres il deit aussiaußi qu’il luy auoit veuueu une
pierre d’espece de Crystal tirée du gezier d’unũ Coq
blancblãc, ayant telle vertuuertu, que quiconques la porteroit
sus soy aux luttes, infalliblement en gaigneroit le
pris, & vaincroituaincroit tous ses adversairesaduersaires. Puis asseura
luy en
61
DE SANNAZAR.
luy en auoir veuueu une autre en semblance de langue
humaine, toutesfois un petit plus grande, laquel-
le ne vientuient de la terre comme les autres, ains tum-
be du Ciel au deffault de la Lune: & mainte-
noit que celle pierre n’est de petite utilité aux am-
bassadeurs d’amourettes. Semblablement disoit luy
en avoir veuauoir ueu une pour resister au froid, une au
chault, & une contrecõtre les nuysans regardz des yeux
empoysonnez d’envieenuie. Et n’oublia (certes) celle qui
estant enveloppée avecestãt enueloppée auec une certaine herbe & aucu-
nes paroles de Magicque, rend invisibleinuisible celuy qui la
porte, tellement qu’il peult, quand bon luy semble,
aller en toutes places, & faire entierement sa vo-
luntéuo-
lunté sans crainte d’estre empesché d’homme qui
viveuiue. Cela dict, parla d’une dent arrachée du costé
droit d’une certaine beste Hyena nommée (si bien
m’en souvientsouuient) disant qu’elle estoit de telle efficace
que si un chasseur l’avoitauoit lyée a son bras droit, ja-
maisia-
mais ne fauldroit a frapper la beste a laquelle il
tireroit. & sans se departir de ceste Hyena, vaua dire
que qui en porteroit la languelãgue soubz son pied, jamaisiamais
ne seroit par les chiens abbaié. Pareillement qui en
porteroit les poilz du museau enveloppezenueloppez en la
peau de ses genitoires, et attachez au bras gauche,
si tost qu’il regarderoit quelquequelq̄ femmefēme lascivementlasciuemēt, sou-
dain la feroit (voulsistuoulsist elle ou non) veniruenir apres luy
[61v]
L’ARCADIE
par tout ou bon luy sembleroit. Puis laissant le pro-
pos de cest animal, me deit avoirauoir entenduētēdu diceluy mes-
me Enareto, que qui mettroit le cueur d’un Hiboux
sus la mamelle d’une femme dormante, il la feroit
en songeant parler & revelerreueler tout son secret. Ainsi
saultantsaultãt d’une chose en autre, arrivasmesarriuasmes au pied de
la haulte montaigne, avantauant que nous feussionsfeußions ap-
perceuz avoirauoir laissé la plaine: et lors nous trouvanstrouuãs
au lieu desiré, cessant Opico son propos, comme la
fortune voulutuoulut, avisasmesauisasmes le sainct vieillartuieillart qui se
reposoit au pied d’un arbre: et aussiaußi tost qu’il nous
veitueit, se levaleua de sa place pour nous veniruenir a l’encontreencõtre,
& donner la bienvenuebienuenue. C’estoit certainement un
homme de majestemaieste, et digne de grande reverencereuerence, a
veoirueoir son front ridé, sa barbe et ses cheveuxcheueux longz
a merveillesmerueilles, et plus finement blancz, que la laine
des brebiz de Tarente. De l’une de ses mains il te-
noit un baston autant beau que j’i’en eusse jamais veuiamais ueu
a pasteur: car du bout d’en hault retortillé, sortoit
un loup emportantemportãt un mouton, faict de si grand ar-
tifice, qu’on luy eust bien haslé les chiens. Quand ce
vieillartuieillart eut honorablement receuilly nostre Opico,
& puis nous tous l’un apres l’autre, il invitainuita la com-
pagniecõ-
pagnie de reposer avecauec luy en l’umbreũbre: et apres qu’il
eut ouvertouuert sa pannetiere faicte de la peau d’un che-
vreulche-
ureul, mouchetée de blancblãc, il en tira avecauec autres cho
ses
62
DE SANNAZAR.
ses une bouteile de Tamarin, singulierement belle,
& bien tournée, voulantuoulant qu’en reverencereuerēce du communcõmun
Dieu nous beussionsbeußiõs tous avecquesauecques luy. puis la colla-
tion passéepaßée, qui ne dura gueres longuementlõguemēt, il se tour-
na deversdeuers Opico, & luy demanda que nous en tel-
le bende allions querant. Adonc Opico prenant par
la main Clonico l’amoureux, va respondre, Sansua respõdre, Sãs point
de doubte Enareto ta vertuuertu singuliere sus tous au-
tres, & l’extreme de ce povrepoure pasteur,
nous ont faict veniruenir en ceste forest. Cestuy cy, afin
que tu l’entendes, aymant oultre mesure, & ne sa-
chant dominer a ses affections, se va consumantua cõsumant com-
me la cire devantdeuant le feu: a raison de quoy ne som-
mes icy venuzuenuz pour ouyr les oracles du Dieu Pan
qui les rend par nuyt en ces montaignes, plus veri-
tablesueri-
tables qu’en autre temple dontdõt il soit memoire: mais
querons ton ayde & secours, afin que tu le retires
de la tyrannie d’amour, & le rendes franc & li-
bere a nous, & aux forestz qui merveilleusementmerueilleusement
le desirent. ce faisant, confesserons que tu nous au-
ras rendu toutes noz joyesioyes perdues. Et afin que tu
saches quel homme c’est, jeie t’adviseaduise qu’il paist en ces
montaignes pour le moins mille bestes a laine, &
jamais yveriamais yuer ny Esté ne se treuvetreuue despourveudespourueu de
laict fraiz. De son art de chanterchãter jeie ne t’en diray au-
tre chose, mais quand tu l’auras getté de la prison
[62v]
L’ARCADIE
d’amour, tu le pourras ouyr a ton bel ayse, & suis
certain qu’il te plaira. Disant Opico ces paroles, le
vieiluieil prestre contemploitcõtemploit ce pasteur barbu: & meu
de pitié de le veoirueoir ainsi palle & extenué, s’appa-
reilloit de respondrerespõdre a ce subgect: mais en ces entre-
faictes, des prochaines forestz vint jusquesuint iusques a noz
oreilles un sonsõ melodieux meslé d’une voixuoix delicate:
parquoy tournans la veueueue celle part, apperceusmes
sus le bord d’un ruisseau un chevriercheurier nommé Elen-
co, lequel assisaßis au pied d’un Saule, taschoit a res-
jouyrres-
iouyr ses bestes en sonnant de sa chevrettecheurette: ce qui
nous feit incontinent tirer versuers luy: mais si tost qu’il
nous veitueit approcher, comme s’il en eust eu despit,
cacha vistement sa chevretteuistement sa cheurette, & se tint coy. dont
nostre Ophelia fasché en son courage pour l’estran-
getéestrã-
geté de l’acte, luy qui estoit merveilleusementmerueilleusemēt promptprōpt
en gaudisseries & brocars, a noz requestes fut
content l’irriter par injuresiniures, pour le provocquerprouocquer a
chanter: parquoy en se mocquantmocquãt de luy, par ces versuers
picquans acompaignez d’un rire vilipendantuilipendant, le con
traignit a luy respondre.
OPHELIA.
Dy moy nouveau chevriernouueau cheurier, & ne te fasche point,
Ce troupeau que tu as si maigre et mal empoint,
Quel sot te l’ala baillé pour mener aux champschãps paistre?
Elenco.
Mais toy vieillart bouvieruieillart bouuier, dy moy qui te feit estre
Si hardy de briser a Clonico son arc,
Semant inimitié des pastoureaux au parc?
Ophelia.
Ce fut (peult estre) lors que Sauuage en soucy
Pourchassoit sa musette, & son tabour aussiaußi,
Que tu avois emblez, hommehõme meschant & lasche.
Elenco.
Mais contre UranioVranio ne te servitseruit la Bache:
Car mauvaismauuais coup de bec tresbien navrernaurer te sceut:
QuandQuãd le chevreaucheureau robas, aux guestres t’apperceut.
Ophelia.
Moy? jeie l’avoisauois gaigné a mieux chanterchãter, mais en ce
D’Ergasto ne vouloit approuverapprouuer la sentence,
Lequel m’en couronna & de Myrte et de Lyerre.
Elenco.
Qui? toy? N’ouy jeie pas un jouriour sus une pierre
Contre Gallicio ta harpe faire office
D’un aignelet bellant, qu’on traine au sacrifice?
Ophelia.
Or chantons a l’espreuveespreuue, & laissons ce langage,
Metz ta chevrettecheurette en jeuieu, jeie ne veuilueuil autre gage:
Montan la question vuiderauuidera tout d’un traict.
Elenco.
Metz celle vacheuache toy, qui souventsouuēt mugle et brait,
[63v]
L’ARCADIE
JeIe te mettray ce cuir, et deux petitz cerfz masles
Nourriz d’ozeille et Thin, qui sontsōt gras commecōme rasles.
Ophelia.
Metz ta chevrettecheurette donc, jeie mettray ces vaisseauxuaisseaux
Ou tes chevrescheures trairas plus alaise qu’en seaux:
Car ces vachesuaches jeie paiz pour ma marastre austere.
Elenco.
Si ne scaurois tu tant d’excuses me faire,
Que jeie ne te descouvredescouure. Eugene vientuient apoint:
Garder ne te pourras que de moy ne sois poinct.
Ophelia.
J’I’ayme mieulx Montano, qui est plus ancien.
Ce tien jugeiuge n’est pas trop bon practicien,
Et ne croy que son sens puisse attaindre si hault.
Elenco.
Vien a l’umbre Montan, car le ventuent en ce chault
Parmy les feuilles bruyt, & le fleuvefleuue murmure.
Note qui de nous deux la veineueine aura plus meure.
Ophelia.
Vien Montan ce pendant que noz bestes ruminentruminēt,
Et qu’alaigres chasseurs versuers les bois s’acheminementacheminēt
Enseignant a leurs chiens les gistes et les trasses.
Montano.
Chantez a celle fin qu’entendent ces terrasses,
Comment le perdu siecle, en vousuous se renouvellerenouuelle,
Chantez jusquesiusques au soir, mais en mode nouvellenouuelle.
Ophelia.
Montano, cestuy cy qui contre moy s’espreuveespreuue,
Garde les chevrescheures d’un que fantastiqu’on treuvetreuue.
Miserable est la trouppe en telle garde estant.
Elenco.
Corbeau pernicieux, Ours aspre & molestant,
Mors ta langue qui est toute enflée de rage,
Et transporter se laisse au furieux courage.
Ophelia.
Malheureux est ce bois, que tes criz assourdissent,
Phebus & Delia s’en vontuont & se gaudissent,
Gette ta Lyre au loing: car en vainuain tu l’accordes.
Montano.
Quoy? vousuous ne chantez pas, ce sont icy discordes.
Or cessez de par Dieu, cessez vostreuostre follie:
Sus commence Elenco, & respons Ophelie.
Elenco.
La divinediuine Pales prend a mon chant plaisir,
Et pare mes cheveuxcheueux de rameaux a loisir:
Nul ne se peult venteruenter de faveursfaueurs tant apertes.
Ophelia.
Le Dieu Pan demy bouc, lievelieue les cornes, certes
Pour ma musette ouyr, dont court et saulte au son,
Puis s’en fuyt, mais il tourne en joyeuseioyeuse facon.
Elenco.
QuandQuãd par fois au printempsprintēps mes chevrescheures seul jeie tire,
[64v]
L’ARCADIE
Ma chevreriecheuriere s’en rid, & se prend a me dire
Quelque petit brocard, qu’apres elle adoulcit.
Ophelia.
Tyrrhene en bonne foy de ses souspirs m’occit,
Quand semble que des yeux die plus qu’a demy,
Qui me separe (helas) de mon loyal amy?
Elenco.
Il n’y a pas long temps que j’i’apperceu nicher
Sus un antique chesne un coulomb, que j’i’ay cher:
Car jeie l’ay reservéreserué pour ma dure ennemie.
Ophelia.
Et moy j’i’engresse au bois pour ma traictable amie
Un jeune bovillonVn ieune bouuillon, de ses cornes tant bravebraue,
Qu’entre les grans toreaux se marche, & faict (du bravebraue.
Elenco.
Nymphe de ces forestz, tresamiables seurs,
Voz autelz pareray de roses & de fleurs,
Si par vousuous mon amour est en bien fortunée.
Ophelia.
Priape, au commencer de la nouvellenouuelle année
Offrandes te feray de laict chault & recent,
Si tu metz une fin au mal que mon cueur sent.
Elenco.
JeIe scay que celle la sans qui jeie ne puis vivreuiure,
Laquelle par ces bois amour me faict poursuivrepoursuiure,
A pitié de mon mal, combien qu’elle me fuyt.
Ophelia.
La mienne en bonne foy m’incite jouriour & nuyt
De chanter a son huys, et respond a mes roolles
Angelicques propoz, & divinesdiuines paroles.
Elenco.
Ma mignonne m’appelle, & soudain se retire,
Puis quelque pomme apres d’industrie me tire,
Voulant qu’entre feuillars voyeuoye sa cotte blanche.
Ophelia.
Et la mienne m’attend de sa voluntéuolunté franche
A la rive du fleuveriue du fleuue, ou me faict tant de festes,
Que j’i’en metz en oubly ma personne et mes bestes.
Elenco.
Si mon Soleil n’estoit en ces forestz luysant,
Les feuilles des rameaux s’en yroient destruysant,
Et les undes seroient des fontaines taries.
Ophelia.
D’herbe sont desnuez ces montz, & ces praries,
Mais si mon beau Soleil y luyt, on les verrauerra
De fleurs se revestirreuestir par pluye qui cherra.
Elenco.
Saincte viergeuierge Diane, & toy Phebus le blond,
Par les trousses pendans de vozuoz flans tout au long
Faictes moy surmonter cest estrange Cacus.
Ophelia.
O celeste MinerveMinerue, et toy plaisant Bacchus
I
[65v]
L’ARCADIE
Par la vigneuigne sacrée, & le digne olivieroliuier,
Que j’i’emporte en mon sac le pris de ce chevriercheurier.
Elenco.
S’il couroit un torrent de laict emmy ces vauxuaux,
Tant qu’en l’umbreũbre feroys des paniers, mes travauxtrauaux
Me seroient aussiaußi doulx quasi comme un tresor.
Ophelia.
Si tes cornes estoient (blanc Toreau) de fin or,
Et chascun de tes poilz de precieuse soye,
Combien plus qu’a present, me ferois tu de joyeioye?
Elenco.
O quantesfois s’en vient jolieuient iolie & mignonnette
La bergiere que m’a destiné ma planette,
Avec moy deviserAuec moy deuiser parmy tous mes troupeaux?
Ophelia.
Las quelz souspirs me gette aguz comecõe couteaux
La Nymphe que j’i’adore? O ventzuentz delicieux
Portez en trois ou quatre aux oreilles des dieux.
Elenco.
Eglogue, a te former j’i’employe tout mon art,
La main, l’entendement, et le stile sans fard,
Sachant que tu seras en mille livreliures leue.
Ophelia.
Bucolique, or te prise ainsi que chose eleveeleue:
Car mille ans expirez ton renom florira
En loz perpetuel, & maint en soubzrira.
Elenco.
Quiconque de l’ardeur d’amour sera touché,
QuandQuãd sus arbres percreuz verrauerra ton nom couché,
O femme, dira il, que dieu te feit de grace?
Ophelia.
Toy qui renouveller verrasrenouueller uerras de race en race
Ton nom apres ta mort, & de ces boys volleruoller
Aux cieulx, tu te peulx bien tresheureuse appeller.
Elenco.
Faunus se ryd de toy sus ce hault mont icy:
Paix, Vachier: car si j’ay jugementi’ay iugement en cecy,
La chevrecheure ne peult faire au Lyon resistence.
Ophelia.
Cours Cigale en ce lac fangeux a mon instance,
Et provocqueprouocque a chanter les Raines une a une:
Peult estre, mieulx qu’icy sera la ta fortune.
Elenco.
Quelle beste est si pres d’humain entendement,
Qu’elle adore la Lune assez devotementdeuotement,
Puis se voulantuoulant purger entre en quelque fontaine?
Ophelia.
Mais qui est cest oyseau de nature haultaine,
Qui victuict sans per, & puis de vivreuiure estant lasselassé,
Se brule en bois exquis par luy propre amasseamassé?
Montano.
Malfaict qui par orgueil contre le ciel estriveestriue,
I ij
[66v]
L’ARCADIE
Finer fault ce proces, afin que l’onlon l’escriveescriue:
Car oultre ne s’estend le pastoral scavoirscauoir.
Or paix couple gentile, a qui jeie faiz scavoirscauoir
Que bois sacrez se sont de vozuoz chantz esjouyzesiouyz.
Mais j’i’ay grand peur que Pan les aura bien ouyz.
Voy le cy, jeie le sens aux branchesbrãches qu’il faict bruire,
Tourner en l’umbreūbre, plein d’orgeuilorgueil, et prest a nuyre,
Et de son nez crochu soufflant mortel veninuenin.
L’eloquent Apollo, qui vousuous est si begnin
Ait la victoireuictoire seul. Pren tes vases bouvieruases bouuier,
Et toy pareillement ta chevrette chevriercheurette cheurier,
Que le ciel nous accroisse en bontez et valeurualeur
Commme entre les sillons l’herbe par sa chaleur.
Les forestz qui avoientauoient doulcement resonné pen-
dant le chanter des deux pasteurs, s’estoient desjadesia
rapaisées, acquiescentes a la sentence de Montano,
lequel avoitauoit rendu les gages, & donné au Dieu A-
pollo l’honneur & la couronne de victoireuictoire, comme
a celuy qui est stimulateur des bons & nobles en-
tendemens. A raison de quoy nous laissans ce riva-
geriua-
ge herbu, tous joyeuxioyeux commenceasmes a remonter
la coste de la montaigne, riant a chasque pas, et de-
visantde-
uisant du debat passépaßé: & n’eusmes pas faict de che
min plus de deux traictz de fonde, que petit a pe-
tit ne commenceissions a descouvrircommenceißiõs a descouurir de loing le boys
venerableuenerable
67
DE SANNAZAR.
venerableuenerable & sacré, au quel homme vivantuiuant n’osoit
entrer avecquesauecques coignée ou autre ferrementferremēt, dontdõt en gran-
degrã-
de religion, et pour la crainte des dieux vindicatifzuindicatifz
il s’estoit entre les paysans jaia plusieurs annéesãnées conser-
vécõser-
ué en son entier, et dict on (mais jeie ne scay s’il est a
croire) que au temps jadiziadiz quand le monde n’estoit
si plein de mauvaistiezmauuaistiez comme il est, tous les Pins y
parloient en notes entendibles, respondantrespōdant aux chan
sons des pasteurs. Nous estans doncquezdōcquez arrivezarriuez la
soubz la conduicte du sainct prestre, par son ordon
nance lavasmeslauasmes noz mains en une petite fontaine
d’eau viveuiue, qui sourdoit a l’orée du bois, n’estant de
la religion permis entrer avecauec crimes et pechez en
lieu tant sainct. Lors aiant avant toute oeuvreauant toute oeuure adoré
le grand dieu Pan, et puis les autres incongneuzincōgneuz (s’il
y en avoitauoit quelques uns qui pour ne se monstrer
a noz yeux, se mussassent parmy les feuilles) nozus
tirasmes avantauant sus le pied droit en signe d’augure
prospere, chascun priant taisiblement en son cueur
les deitez que tousjourstousiours nous feussent propices tanttãt
au present affaire, que en toutes les occurrentes ne-
cessitezne-
ceßitez futures. Puis entrezētrez en ceste saincte Pinnie-
re, trouvasmestrouuasmes soubz le pendant d’une montaigne,
entre des roches ruinées, une grande & vieilleuieille ca-
verneca-
uerne (ne scay si naturele ou artificiele) mais elle
estoit cavéecauée en la montaigne, en laquelle de la mes-
I iij
[67v]
L’ARCADIE
me roche, & par les mains des rustiques pastou-
reaux fut formé un autel sus lequel estoit posee la
grande effigie du Dieu sauvagesauuage, taillée en bois, ap-
puyée sus un long baston d’olivieroliuier tout entier. En sa
teste deux cornes droictes elevées deverseleuées deuers le ciel. La
face rouge comme une fraize meure. Les jambesiambes et
les piedz veluzueluz, & non point d’autre forme que
ceulx des chevrescheures. Son manteau faict d’une grande
peau mouchetée de taches blanches. De l’un & de
l’autre costé de cest autel pendoientpēdoient deux larges ta-
bles de hestre, escriptes en lettres pastorales, lesquel
les aiant esté conservées successivementconseruées succeßiuement de temps
en autre par les bergers precedens, contenoient les
loix antiques, & les enseignemens de la vieuie pasto-
rale: & de la sont venuesuenues toutes les doctrines qui
maintenant sont en usage par les forestz. En l’une
estoient notez tous les joursiours de l’année, les varia-
blesuaria-
bles changemens des saisons, les inequalitez des
joursiours & nuytz, ensemble l’observationobseruation des heures
(non peu necessaire aux vivansuiuans) les infaillibles pro-
gnostications des tempestes: Quand le Soleil a son
leverleuer denonce beau temps, pluye, ventuent, ou gresle:
Quelz joursiours de la Lune sont heureux, & quelz
infortunez aux negoces des hommes: Mesmes ce
que tout homme en chascune heure doit suyvresuyure ou
evitereuiter pour n’offenser les voluntez divinesuoluntez diuines. En l’au-
tre
68
DE SANNAZAR.
tre table se lisoit quelle devoitdeuoit estre la belle forme
du toreau & de la vacheuache, les aages ydoines a en-
gendrer & veellerueeller, puis les saisons & temps com-
modes a chastrer les veauxueaux pour s’en povoir servirpouoir seruir
soubz le jougioug aux ouvragesouurages de agriculuture. sembla-
blementSēbla-
blement comme la ferocité des MoutonsMoutõs se peult mi-
tiguer en leur perceant la corne joignantioignant l’oreille: et
comme en leur liant le genitoire droict, ilz engen-
drent des femelles: et en leur serrantserrãt le gauche, font
des masles. Comment les aigneaux sont produictz
tous blanczblãcz, ou variezuariez d’autres couleurs. Quel reme
de est bon pour garder que les brebiz n’advortentaduortent
par l’espoventementespouētemēt du tonnoirre. CommentCõment fault gou-
verner les chevrescheures, quelles, de quel aage & forme
elles doiventdoiuēt estre, mesmes en quel quartier de pays
elles sont plus fertiles. AussiAußi comment on peult con-
gnoistre leur aage par les neux de leurs cornes. Da
vantageDa
uantage y estoientestoiēt escriptes toutes les medecines con
cernantes les maladies de pasteurs, de leurs chiens,
& de leurs troupeaux. DevantDeuant ceste cavernecauerne estoit
un Pin merveilleusementmerueilleusement hault & spacieux, qui
rendoit grandgrãd umbrage. A l’une de ses branches pen
doit une musette a sept voixuoix, egalement conjoincteconioincte
de cire blanche par dessus & par dessoubz, &
n’en fut (peult estre) jamais veuiamais ueu la semblable a pa-
steur en aucune forest. Lors nous enquerans qui en I iiij
[68v]
L’ARCADIE
avoit esté l’autheur (pource que la jugionsiugions faicte et
encirée de mains divinesdiuines) le prestre sage respondit,
Ceste canne, mes amys, est celle que le grand Dieu
que maintenant vous voyezuous uoyez, se trouvatrouua en ses mains
quand ayguillonné d’amour, il suyvoitsuyuoit par ces fo-
restz la belle Syringa: par la soudaine transmuta-
tion de laquelle se voyantuoyant frustré de son desir, il
souspira souventesfoyssouuentesfoys en memoire de ses antiques
ardeurs, & les souspirs se convertirentconuertirent en doulce
armonie. Adonc ainsi solitaire assisaßis en ceste caver-
necauer-
ne aupres de ses chevres paissantescheures paißãtes, il se print a join-
dreioin-
dre de cire neufveneufue sept chalumeaux, l’ordre des
quelz venoit successivementuenoit succeßiuement diminuant comme les
doitz de noz mains. AvecAuec ceste musette il lamen-
ta longuement ses infortunes parmy ces montai-
gnes: puis elle veintueint (ne scay comment) es mains
d’un pasteur de Sicile, lequel avantauant tout autre eut
bien hardiesse de la sonner sus les claires undes de
la belle Arethusa, sans craindre Pan, ny autre Dieu:
& dict on que tant qu’il chantoit, les Pins d’envi-
ronenui-
ron luy respondoient, mouvantmouuant leurs sommitez:
& les chesnes champestres, oublians leur nature
sauvagesauuage, abandonnoient leurs montaignes nature-
les pour l’entendre, & faisoient doux umbrage
aux brebiettes escoutantes. Adonc n’y avoitauoit Nym-
phe ny Faune en ces forestz qui ne meist peyne
a tresser
69
DE SANNAZAR.
a tresser chappelletz pour decorer sa perrucque
de fleurs nouvellesnouuelles. Mais ce pasteur estant surpris
de la mort envieuseenuieuse, donna ceste musette a Tityre
Mantuan: & comme l’esprit luy deffailloit, en la
baillant se print a dire: Tu en seras desormais le se-
cond possesseur, & en pourras a ta volunteuolunte recon-
cilier les Toreaux discordans, car tu luy feras get-
ter un son merveilleusementmerueilleusement agreable aux dieux
champestres. Ainsi Tityre bien joyeuxioyeux d’un si grandgrãd
honneur, s’esbatant de ceste musette feit premiere-
ment resonner aux forestz le nom de la belle Ama-
ryllis: puis l’ardeur de Corydon pour Alexis: la con-
tention de Dametas & Menalcas: & consequem-
ment la chansonchãson de Damon & Alphesibeus. PendantPendãt
lesquelles choses souventefoissouuētesfois faisoit aux vachesuaches ou-
blier leur pasturage pour la merveillemerueille qu’elles en
avoyentauoyēt, & contraignoitcōtraignoit les bestes sauvagesauuages de s’ar-
rester entre les pasteurs: pareillement les fleuvesfleuues a
retarder leur cours acoustumé, sans avoirauoir soing de
rendrerēdre a lamerla mer son tribut ordinaire. Encores en son-
na ce Tityre la mort de Daphnis, la chanson de Si-
lenus, l’ardent amour de Gallus, & autres choses,
dont jeie pense que les forestz ont & auront souve-
nancesouue-
nance tant qu’il y aura pastoureaux en ce monde.
Mais il ayant de sa nature l’entendement disposé a
choses plus hautes, ne se povantpouant satisfaire de tant
[69v]
L’ARCADIE
simple armonye, changeachãgea ce tuyau que vous voyezuous uoyez
plus gros et plus neuf que les autres, afin de mieux
chanterchãter les affaires d’importanceimportãce, et rendrerēdre les forestz
dignes des ConsulesCõsules de Rome. puis quand il eut aban-
donnéabã-
dõné les chevrescheures, il se meit a faires des enseignemensenseignemēs
d’agriculture, en espoir de sonner par apres avecauec
trompette plus resonante les armes du magnanime
Aeneas. Et cela faict, la pendit a cest arbre en reve-
rencereue-
rence de ce dieu qui luy avoitauoit presté faveurfaueur en son
chanter. Apres ce Tityre jamaisiamais ne veintueint pasteur en
ces boys qui la peust sonner au devoirdeuoir, nonobstant
que plusieurs stimulez de voluntaireuoluntaire hardiesse, s’y
soyent maintesfois esprouvezesprouuez, & ordinairement
espreuventespreuuent. Mais pour ne consumer toute la journéeiournée
en ces devisesdeuises, & afin de retourner a la cause pour
laquelle vousuous estes cy assemblez, jeie declaire que
ma puissance & mon scavoitscauoir ne sont moins appa-
reillez de subvenirsubuenir aux occurencesoccurrēces d’un chascun de
la compagnie, que ilz sont presentement a cestuy
seul. Toutesfois a raison que pour le decours de la
Lune le temps n’est propre ny commode, vousuous m’en-
tendrez pour cest’heurecest’ heure seulement parler du lieu
ou nous fauldra trouvertrouuer, & des moyensmoyēs que devronsdeurõs
tenir. Toy doncques pasteur amoureux, a qui sin-
gulierement ce faict touche, preste maintenant tes
promptes & ententivesententiues oreilles a mes paroles.
Entre des montaignes desertes qui ne sont gue-
res loing d’icy, se treuvetreuue une creuse valléeuallée ceincte
tout a l’entour de sauvagessauuages forestz resonantes d’u-
ne si terrible sorte, que vousuous n’ouystes oncques telle
chose: & tant est belle, estrangeestrãge & admirable, que
de primeface met frayeur aux courages de ceux
qui y surviennentsuruiennent, lesquelz au bout d’un temps ras-
seurez & remiz en vigueuruigueur, ne se peuventpeuuēt saouler
de la contempler de toutes pars. L’onLon y entre par un
seul passage merveilleusementmerueilleusement estroict & difficile:
mais tanttãt plus bas l’onlon descenddescēd, plus se treuvetreuue la voyeuoye
large, & la clairte diminuée, a cause que depuis le
hault jusquesiusques au plus profond, elle est quasi toute
obscure, pour les umbrages procedans des sauva-
geauxsauua-
geaux & espines qui y sont. Puis quand l’onlon est a la
plaine terre, une fosse grande & noire se presente
devantdeuant les piedz, entrant en laquelle soudainement
sont entenduz horribles rabastementz faictz par
espritz invisiblesinuisibles, comme si mille milliers de Nac-
caires y sonnoientsonnoiēt. En ceste obscurité sourt un fleuvefleuue
impetueux & terrible a merveillesmerueilles, lequel parmy
ce grand vorageuorage s’efforceant saillir en lumiere, n’a
la puissance de ce faire, ains s’abysme tout inconti-
nent, si qu’il ne luy est loysible se monstrer que bien
peu au mondemõde: & se vaua precipiter en la mer par une
voyeuoye occulte & incongeueincõgneue, parquoy l’onlon ne scait de
[70v]
L’ARCADIE
luy autre nouvellenouuelle sus la terre. C’est pour certain un
lieu sacré, & digne d’estre tousjourstousiours habité des
dieux, commecōme sans point de doute si est il: et n’y scau-
roit on trouvertrouuer chose qui ne soit venerableuenerable & sain-
cte: tant il se presente reverendreuerend & de grande ma-
jestéma-
iesté aux yeux des regardans. La te veuxueux jeie mener
si tost que la Lune sera plaine, pour avant toute oeu-
vreauãt toute oeu-
ure te purifier (aumoins si tu as la hardiesse d’y ve-
nirue-
nir) & apres que par neuf foys t’auray plongé de-
dans ce fleuvede-
dãs ce fleuue, jeie feray d’herbes et de terre un autel
neuf, que jeie pareray de troys ornemens de diversesdiuerses
couleurs, puis dessus brusleray de la VerveneVeruene, de
l’ensensēcēs masle, et autres herbes nonnõ arrachées de leurs
racines, mais fauchées a la lueur de la lune nouvel-
lenouuel-
le. Apres enroseray ce lieu d’une eau triple tirée de
trois fontaines, & te feray desceinct & dechaux
d’un pied, faire par sept fois la processionproceßion autour de
cest autel: devantdeuant lequel de ma main gauche tien-
dray par les cornes une breby noire, & de ma
droicte un couteau bien affilé: puis a haute uoix in-
vocquerayin-
uocqueray trois cens noms de dieux incongneuzincōgneuz, &
avecquesauecques eux la venerableuenerable nuyt accompagnée de
ses tenebres, les estoilles taciturnes consentantes des
practiques secrettes, la Lune puissante au ciel &
aux abysmes, la claire face du Soleil environnéeenuironnée de
rayons ardansardãs, laquelle sans cesse tournoyant a l’en-
tour
71
DE SANNAZAR.
tour du monde, veoitueoit & congnoistcõgnoist sans quelque empe-
schementem-
peschemēt tous les negoces des mortelz. Cela faict
appelleray tous les dieux qui habitent au ciel, en
la terre, & en la mer: le grandgrãd Ocean pere & pro-
geniteur universeluniuersel de toutes choses, les chastes Nym
phes engendrées de sa semence, ascavoirascauoir les cent
qui ont la garde des forestz, & les autres cent qui
presidentpresidēt aux fleuvesfleuues, fontaines & ruisseaux. Da-
dvantage invocquerayDad-
uantage inuocqueray les Faunes, Lares, SylvansSyluans &
Satyres, avecauec toute la bendebēde feuillue des demydieux,
l’air souverainsouuerain, la dure face de la terre, les lacz
dormans, fleuves couransfleuues courãs, & les bouillonnantesbouillonnãtes fon-
taines. Puis n’omettray les regnes obscurs des dieux
souterrains, mais invocquantinuoquant la triple Hecate, sub-
joindraysub-
ioindray le profond Chaos, le grandgrãd Erebus, & les
infernales Eumenides habitanteshabitãtes des eaux stygiales.
Et s’il est aucunes autres deitez la bas qui par di-
gne punition chastientchastiēt les detestables crimes des hu-
mains, jeie les supplieray qu’elles soyent toutes pre-
sentes a mon sacrifice. Et en ce disant prendray un
vaisseau de vinuaisseau de uin excellent, lequel jeie verserayuerseray sus le
front de la breby condamnée. Puis quand luy auray
d’entre les cornes arraché une poignée de laine
noire, jeie la getteray dedans le feu pour les premie-
res arres du sacrifice, & luy coupant la gorge
du couteau a ce dedié, jeie recevrayreceuray en une tasse le
[71v]
L’ARCADIE
sangsãg tout chault, duquel gousteray seulementseulemēt de l’ex-
tremité des levresleures: & cela faict, le mesleray avecauec
de l’huille & du laict, que jeie rependrayrepēdray en la fos-
se faicte devantdeuant l’autel, afin d’en esjouyresiouyr nostre me-
re la terre. Lors t’ayant preparé de ceste sorte, te
feray tout plat estendre sus la peau de la breby, &
oindray tes yeux & ton visageuisage de sang de Chau-
vesourizChau-
uesouriz, a ce que les tenebres de la nuyt ne t’ob-
fusquent, mais comme en plein jouriour te manifestent
toutes choses. Et afin que les diversesdiuerses & estranges
figures des dieux convocquezcõuocquez ne t’espouvententespouentent, jeie te
garniray d’une languelãgue d’un oeuil & de la despouil-
le d’un serpentserpēt de Libye: ensemble de la part droicte
du cueur d’un Lyon, seché seulementseulemēt a l’umbre de la
pleine Lune. Apres commanderaycõmanderay aux poissonspoißons, ser-
pens, bestes sauvagessauuages, & oyseaux (desquelz j’entensi’entēs
quand il me plaist, les proprietez des choses, & les
secretz des dieux) que presentement & sans faire
aucune demeure ilz viennentuiennent a moy: puis en retien-
dray ceux qui me feront mestier, & renvoirayrenuoiray les
autres en leurs repaires. Apres ouvrantouurãt ma pannetie-
re, j’pãnetie-
re, i’en tireray certaines drogues de grandegrãde efficace
& valeurualeur, par lesquelles (quand bon me semble)
jeie me transforme en loup, & laissant mes habille-
menshabille-
mēs penduzpēduz a quelque Chesne, me voisuois fourrer auec
les autres parmy les desertes forestz, nonnõ pour piller
(commecõme
72
DE SANNAZAR.
commecõme plusieurs) mais pour entendre leurs secretz,
& les finesses qu’ilzquilz s’appareillent faire aux pa-
steurs. Ces drogues pourront encores estre bien com-
modescõ-
modes a ton besoing: car si tu veuxueux totalementtotalemēt sortir
d’amour, jeie t’enroseray tout le corps d’eau Lustrale,
et avecauec ce te perfumeray de Soulphre viergeuierge mes-
lé d’hysope et chaste rue, puis te getteray sus la te-
ste de la pouldre ou une mule ou autre sterile ani-
mal se sera veautréueautré, & desnouant l’un apres l’au-
tre tous les neux de ton eschine, jeie te feray prendre
la cendre de l’autel sacré, & a deux mains la get-
ter par dessus tes espaules au fleuvefleuue courant, sans
tourner la veueueue en derriere. Lors soudainement ses
undes emporteront ton amour en la haulte mer, &
la laisseront aux Daulphins & Balenes. Mais si tu
as plus grand desir de contraindre ton ennemye a
t’aymer, jeie feray veniruenir des herbes de tous les quar-
tiers d’Arcadie, lesquelleslesq̄lles jeie destrenperaydestrēperay en jusius d’aco-
nite, et y mesleray une louppe cauteuleusementcauteleusemēt arra-
chée du frontfrõt d’un poulain venantuenãt de naistre, avantauãt que
sa mere l’ait mengéemēgée. Ce pendantpendãt (ainsi que jeie t’ensei-
gneray) tu lyeras une image de cire a trois neux a-
veca-
uec trois cordons de trois couleurs: puis la tenanttenãt en
ta main, trois foys tourneras autour de l’autel, a chas
cune fois luy picquantpicquãt le cueur avecauec la poincte d’une
daggue meurdriere, taisiblementtaisiblemēt disant ces paroles:
[72v]
L’ARCADIE
JeIe picque & lye sans rancueur
Celle qui est paincte en mon cueur.
Apres tu auras un lambeau de sa cotte, lequel tu
ployeras peu a peu, et l’enfouyras en la terre, disant:
J’I’encloz & serre en ce drap cy
Tout mon travailtrauail,& mon soucy.
Puis en brulantbrulãt un rameau de Laurier verduerd subjoin-
Ainsi puisse cracquer au feu
Celle qui mon mal prend a jeuieu.
Cela faict, jeie prendray une blanche Coulombe, a
laquelle tu arracheras toutes les plumes l’une apres
l’autre, & en les gettant dedans le feu, diras:
JeIe seme la chair & les os
De celle en qui est mon repos.
Finablement quand tu l’auras toute deplumée, en
la laissant aller seullette, ainsi feras le dernier en-
chantement:
Inique & dure en apparence,
Demeure une d’esperance.
Mais a chascune fois que tu feras ces choses, n’ou-
blie de cracher trois coupz, pource que les dieux
de magicque s’esjouyssents’esiouyssent du nombre imper. QuantQuãt
a moy jeie ne doute point que ces paroles ne soyentsoyēt de
si grandegrãde efficace, que tu verras veniruerras uenir ta dame a toy
sans aucune contradictioncōtradiction, non d’autre sorte que font
les jumensiumens furieuses aux rivagesriuages de l’extreme occi-
dent
73
DE SANNAZAR.
dent, quand elles veulentueulent attendre les generatifz
soufflemens de Zephyrus: & ce te afferme jeie par
la divinitédiuinité de ceste forest, & la puissance de ce
dieu, lequel estant icy present, escoute ce que jeie te
compte. Cela dict, il meit fin a ses paroles: dont ne
fault demander combien de plaisir elles donnerent
a chascun de la compagnie. Finablement nous con-
siderans qu’il estoit tempstēps de retourner a noz bestes
(combiencõbien que le Soleil feust encores bien hault) apres
avoirauoir rendu plusieurs graces a ce sainct prestre,
preinsmes congécõgé de luy, & descendans la montaignemõtaigne
par un chemin plus court que le premier, non sans
grande admiration l’allions estimant en nous mes-
mes, tant que quasi devallezdeuallez en la plaine, estant la
chaleur grande, & voyansuoyans un petit bocage devantdeuant
nous, deliberasmes vouloiruouloir ouyr chanterchãter quelq’un de
la compagniecōpagnie, dont Opico donna charge a SelvagioSeluagio,
luy baillant pour subgect qu’il s’efforceast de ma-
gnifier le noble siecle de nostre temps, abondammentabondãment
fourny de tanttãt & de telz pasteurs, lesquelz on pou
voitpou
uoit ueiorveoirueoir & ouyr chanter entre les troupeaux, et
qui apres mille ans revoluzreuoluz seroient souventesfoissouuentesfois
desirez par les boys. Adonc estant cestuy en poinct
de commencer, il tourna (jeie ne scay commentcōment) la veueueue
deversdeuers un petit tertre qui estoit a sa dextre, & veitueit
la haulte pyramide ou gisent en repos eternel les
K
[73v]
L’ARCADIE
venerablesuenerables ossemensossemēs de MassiliaMaßilia, qui fut mere d’Er-
gasto, laquelle en son vivantuiuant fut entre les pasteurs
estimée comme une Sibylle: par quoy se levantleuãt sus ses
piedz vaua dire: Amys, allons a ce monument: & si
apres les funerailles les ames heureuses ont cure
des choses mondaines, MassiliaMaßilia qui est au ciel, nous
scaura bon gré de nostre chanter. Helas elle souloit
en son vivantuiuãt decider par si bonnebõne grace les differens
qui sourdoient entre nous, donnantdōnant modestementmodestemēt cou-
rage aux vaincuzuaincuz, & exaulceantexaulceãt les vainqueursuainqueurs de
si merveilleusesmerueilleuses louengeslouēges. Ceste proposition de Sel-
vagioSel-
uagio sembla grandement raisonnable a toute la
bende, parquoy legierement y tirasmes, reconfortansrecõfortans
l’un apres l’autre le povrepoure Ergasto quiq̄ pleuroit. QuandQuãd
nous y feusmes arrivez, trouvasmesarriuez, trouuasmes, autant a contem-
plerautãt a cõtem-
pler & repaistre noz yeux, que jamaisiamais feirent pa-
steurs en aucune forest: & vousuous orrez commentcõment. La
belle pyramide estoit assiseaßise en une petite plaine sus
une basse montaignette elevéemõtaignette eleuée entre deux fontaines
d’eau claire & doulce, la poincte dresséedreßée deversdeuers le
ciel en forme d’un Cypres droict et feuillu. A chas-
cun de ses quatre flans se pouvoient veoirpouoient ueoir plusieurs
histoires de tresbelles figures, qu’elle mesme durant
sa vie avoituie auoit faict paindre en reverencereuerence de ses prede-
cesseurs antiques, specifiant combien y avoitauoit eu en
sa race de pasteurs qui au temps jadiz avoyentiadiz auoyent esté
fameux
74
DE SANNAZAR
fameux & singuliers par les forestz, ensemble le
nombre des bestes dont ilz souloient estre posses-
seurs. A l’entour de ceste Pyramide faisoient um-
bre plusieurs arbres jeunesieunes & fraiz qui n’estoient
encores percreuz a l’egale hauteur de la poincte,
pourautant que peu de temps auparavant y avoientauparauant y auoient
esté plantez par le bon Ergasto: en compassioncompaßion du-
quel plusieurs pasteurs avoient aussi environnéauoient außi enuironné le
lieu de hautz sieges, non de ronses ou buyssonsbuyßons,
mais de GenevresGeneures, Rosiers, & Gensemis. puis avecauec
leurs besches formé un throsne pastoral, & de pas
en pas erigé certaines tours de myrte & romarin
tyssues d’un tresmerveilleuxtresmerueilleux artifice: contrecōtre lesquel-
les venoituenoit a plein voyle un navireuoyle un nauire faict seulement
de franc osier & de branchettesbrãchettes de lyerre, si natu-
rellement representé, que vous eussiezuous eußiez dict qu’il
voguoituoguoit en mer calme. Entre ses appareilz alloient
oysillons chantans & rampans, maintenant sus le
timon, et maintenanttimõ, et maintenãt sus la hunne, en maniere de mat-
tellotz expertz & bien exercitez. DavantageDauantage
parmy les arbres & les hayes se veoyentueoyent plusieurs
bestes sauvagessauuages singulierement belles & agiles,
qui sautoient allegrement, & s’esbatoient a di-
vers jeuxdi-
uers ieux, se baignans dedans les eaux des fontai-
nes, pour donner (ce croy jeie) passetemps aux Nym-
phes gardiennes de ce lieu, & aux cendre la en-
K ij
[74v]
L’ARCADIE
terées. A ces beautez s’en adjoignoit une nonadioignoit une nõ moins
estimable qu’aucune des autres, c’est que toute la
terre estoit couvertecouuerte de fleurs, non fleurs a bien di-
re, mais terrestres estoilles, dont elle estoit paincte
d’autant de couleurs qu’il s’en treuvetreuue en la queue
du glorieux Paon, ou que l’onlon en veoitlõ en ueoit en l’arc du ciel
quand il nous denoncedenõce la pluye. La estoientestoiēt lyz, troes-
nes, violettesuiolettes tainctes d’amoureuse palleur, grande
abondance de Pauot dormitif avecauec les testes encli-
nées, les espiz rouges de l’immortel passevelouxpasseueloux,
dontdõt l’onlon faict de beaux chappeletz en la saison d’y-
verd’y-
uer: & pour le faire court, l’onlon y pouvoit veoirpouoit ueoir fleu-
rir tous les beaux jeunesieunes enfans & magnanimes
princes qui furent aux premiers tempstēps deplorez par
les antiques pastoureaux, retenansretenãs encores leurs nomsnõs,
commecõme Adonis, Hyacinthus, AjaxAiax, Crocus, & sa belle
amoureuse, entre lesquelz estoit le temeraire Nar-
cissus, que l’onlon eust jugéiugé contempler sus les eaux la
pernicieuse beaulte qui fut occasionoccasiō de luy faire per-
dre la vieuie. Lesquelles choses apres avoitauoir esté par
nous (l’une apres l’autre) fort estimées, & dili-
gemment leu le digne epitaphe engravéengraué sus la
belle sepulture, aussiaußi que nous y eusmes faict noz
offrandes de plusieurs chappeaux de fleurettes,
nous nous reposasmes avecauec Ergasto dedans des cou-
ches de Lentisques, ou plusieurs Ormes Chesnes &
Lau-
75
DE SANNAZAR.
Lauriers siffloient de leurs fueilles tremblantestremblãtes, &
se mouvoientmouuoient dessus noz testes. AvecAuec ce les murmu-
res des undes enrouées (qui couloient sus les her-
bes verdesuerdes, & s’en alloient trouvertrouuer la plaine) ren-
doient un son fort plaisant a ouyr. Les Cigales du-
rant la force de la chaleur s’efforceoient de chan-
ter dessus les rameaux umbrageux. La dolentedolēte Phi-
lomela se lamentoit de loing entre les espines. Mer-
les, Huppes, & Calendres chantoient. La solitaire
Tourterelle gemissoitgemißoit sus les hautes rivesriues. Les son-
gneuses mousches a miel faisant doux et soef mur-
mure, volloientuolloient a l’entour des fontaines. Bref, tou-
tes choses sentoient l’esté. Les pommes esparses
en terre en si grande abondance qu’elle en estoit quasi
toute couvertecouuerte, fleuroient si bon que merveillesmerueilles. Les
petitz arbres par dessus estoient si chargez de
fruict, que presque vaincuzuaincuz du poix de leur char-
ge, sembloit qu’ilz se vousissentuousißent esclater: dont Sel-
vagioSel-
uagio a qui touchoit de chanter sus ceste matiere,
faisant signe de l’oeuil a Fronimo qu’il luy respondistrespõdist,
finablement rompit le silence par telles paroles:
SELVAGIO.
Ces montz icy (comme d’aucuns estiment)
Ne sont muetz, n’y privezpriuez de cantiques
(O Fronimo) mais si bien les expriment,
K iij
[75v]
L’ARCADIE
Que jeie quasi les compare aux antiques.
Fronimo.
Des muses plus n’oyt on parlementer,
Et ne faict on de Naccaires plus compte,
Veu que pasteurs ne sont par bien chanter
Plus couronnez: qui est une grand honte.
Chascun se touille en la bourbe des vachesuaches,
Dont tel est plus qu’yeble ou Auronne infect,
Qui sent meilleur, ce semble, que les baches,
Ny que l’Ambroise en la saison ne faict.
Parquoy jeie crains que les dieux ne s’esveillentesueillent
Du long sommeil pour aux bons enseigner
Comme il faudra qu’en vengeance travaillentuengeance trauaillent,
Pour des meschans les grans fautes signer:
Et s’une fois advientaduient que deuil en ayent,
JamaisIamais orrage ou pluye ne fera
Que les suspectz pour le moins ne s’essayent
De retourner a ce que bon sera.
SelvagioSeluagio.
Amy, j’i’estoye entre VesuveVesuue & Baie
En la planure ou Sebetho le court
JoindreIoindre se vaua par une sente gaye
A la grand mer, & doulcement y court.
Amour, lequel de mon cueur ne se part,
Vn temps me feit fleuvesfleuues estranges veoirueoir:
Et quand mon ame y pense tost ou tard,
NouveauNouueau
76
DE SANNAZAR.
NouveauNouueau tourment luy en convient avoirconuient auoir.
Si jeie passay ronses, buyssonsbuyßons, orties,
Mes piedz l’ont sceu, & si craintes m’ont mis
Ours furieux, nations assorties
De dures meurs, ou tout mal est permis.
Finablement les oracles me dirent,
Cherche la villeuille ou les Chalcidiens
Dessus le vieiluieil tumbeau se confondirent
NouveauxNouueaux pays & terres mendians.
JeIe n’entendois cela, mais des pasteurs
Prophetisans me le feirent entendre,
Et veyuey depuis qu’ilz n’estoient point menteurs,
Ains pour mon bien parloient sans rien pretendre.
J’I’apprins entre eux a conjurerconiurer la Lune,
Et tout ce dont se venterent jadizuenterent iadiz
Alphesibée & Meris en commune
De la magicque entendans faictz & dictz.
Herbe ne croist sauvagesauuage ou domestique,
Qui bien ne soit congneue en leurs forestz:
Ny quelle estoille est fixe ou erratique:
Dont se prononce entre eux de beaux arrestz.
La tous les soirs quand le ciel devientdeuient sombre,
Contestent l’art de Phebus & Pallas.
Lors pour ouyr chascun se tire en l’umbre,
Mesme Faunus: lequel y prend soulas:
Mais entre tous comme un Soleil esclaire
K iiij
[76v]
L’ARCADIE
Caraciol, qui pour adroit herper,
Ou sonner muse en resonance claire,
Ne trouveroittrouueroit en ArcadeArcadie son per.
JamaisIamais n’apprint a tailler la vignetteuignette
Ou moyssonner, ains a guerir troupeaux
De clavellésclauellée, & rendre leur chair nette,
En conservantconseruant les laines & les peaux.
Un jour advintVn iour aduint pour purger son courage
Qu’ainsi chanta soubz un Fraisne ioly,
Moy des panniers faisant de gros ouvrageouurage,
Luy une cage estant d’osier poly.
Face le ciel qu’a nous icy ne viennentuiennent
Faux detracteurs, & qu’entre les moutons
La destinée & le sort me soustiennent
Contre l’assault de ces paillars gloutons.
Vaches allez en celle verdeuerde plaine,
Afin que quand les montz obscurciront,
Chascune tourne a la maison bien pleine:
Car desormais pastiz accourciront
Que de troupeaux jeusnentjeusnēt bien qu’ilz ne veuillentueuillēt.
Pour ne trouvertrouuer pasturage a foyson,
Feuilles de vigneuigne emmy la terre cueuillent,
Et de cela viventuiuent toute saison.
A peine (helas) de mille une en eschappe:
Car chascun a tant de necessiténeceßité,
Que maintesfois j’i’en pleure soubz ma chappe,
Estant
77
DE SANNAZAR.
Estant mon cueur de douleur incité.
Quiconque donc a des biens abondance
En ce temps cy miserable & meschant,
Poulsant chascun hors de sa residence,
Dieu remercie en hymnes & en chant.
Tous les pasteurs delaissent Hesperie,
Boys usitez, & fontaines aussiaußi:
Le rude temps farcy de tromperie,
Les y contrainct, & leur faict faire ainsi.
Errans s’en vontuont par montz inhabitables,
Pour leurs troupeaux ne veoirueoir exterminer
Par estrangers nullement charitables,
En qui raison ne scauroit dominer.
Et toutesfois a faulte de bons vivresuiures
Paissoient le glan d’Aoust jusquesiusques en JuilletIuillet,
Non au temps d’or, ains de plaisir deliures,
Se retiroient en maint trou noir & laid.
Mais maintenant ilz viventuiuent de pillage,
Comme faisoient ces pastoureaux premiers
En Hetrurie, alors petit uillage:
J’I’ay oublié leurs noms sus ces fumiers.
Bien me souvientsouuient que par l’augure fut
Vaincu l’un d’eux, mourant en facon vileuile:
Ha, c’est Remus, auquel ainsi mescheut
Oultrepassant la merque de leur villeuille.
En un moment jeie sue, & si frissonne,
[77v]
L’ARCADIE
Dont j’i’ay grand peur d’un autre mal latent,
De sel se doit munir toute personne,
Dieu le commande, & fortune l’entend.
Ne voyez vousuoyez uous la Lune estre eclipsée,
Et Orion armé de son couteau?
De mal en pis la saison est glisséeglißée:
Car Arcturus se plonge dedans l’eau.
JaIa le soleil qui se cache de nous,
A ses rayons estainctz, & le ventuent gronde,
Dont ne scay quand ny comment l’Esté doulx
Retournera sus ceste masse ronde.
Les nues font tresmerveilleuxtresmerueilleux orrage:
En s’espartant Tonnoirre, Esclair & feu,
Troublent tant l’air, qu’il chet en mon courage
La fin du monde estre auant qu’il soit peu.
O doulx printemps, O fleurettes nouvellesnouuelles,
O petitz ventzuentz, O tendres arbrisseaux,
Fertiles champs, herbes fraiches & belles,
O montz, o vaulxuaulx, fontaines & ruisseaux.
Palmes, Lauriers, Lyerres, Myrtes, OlivesOliues,
O des forestz venerablesuenerables espritz,
O gente Echo, Rocz & claires eaux vivesuiues,
Nymphes portans arcs & trousses de pris,
O Pans ruraux, SylvansSyluans, Faunes, Dryades,
Naiades, plus deesses qu’a demy,
Napées (las) doulces Hamadryades,
Or
78.
DE SANNAZAR
Or estes vousuous seules, & sans amy.
En tous endroitz sont les fleurs jaia passées,
Tous animaux de chasse, Oyseaux apres,
Qui deschargeoient vozuoz cueurs de grans pensées,
Vont perissant autant loing comme pres.
Le bon vieillartuieillart Silenus parlant cas,
Ne treuvetreuue plus son asne qui le porte,
Mortz sont Daphnis, Mopsus, & Menalcas,
Et avec eulx la preudhommie est morte.
Hors les jardinsiardins Priape est sans sa faulx,
GenevreGeneure n’a ny Saule qui le coeuvrecoeuure,
Vertumne plus es joursiours d’Autonne chaux
Ne se desguyse, & ne faict aucune oeuvreoeuure.
Pomone rompt & desbrise sans faincte
Ses beaux fruittiers qu’elle espart ca & la,
Et ne permet que main sacrée ou saincte
Coupe le boys: dont il demeure la.
Et toy Pales t’indignes de l’oultrage
Qu’on ne te rend deues oblations
Es moys d’Auril & May, comme en l’autre aage
Qui te servoitseruoit sans simulations.
S’un a meffaict, & tu ne l’as dompté,
Qu’en povoientpouoient mais de ses voysinsuoysins les bestes,
Qui s’esbatoient au boys en fleurs monté
Soubz le flageol, jours ouvrablesiours ouurables & festes?
Quand fut ce helas que pour nous affliger
[78v]
L’ARCADIE
L’aveugleaueugle erreur se meit en la pensée
De ce felon, desdaignant s’obliger
A maintenir la coustume passée?
Pan furieux, de rage en a brisé
Sa canne chere, & maintenant s’en blasme,
Priant Amour des Dieux le plus prisé,
Qu’il soit recors de Syringa sa dame.
DoresnavantDoresnauant ne faict Diane estime
De dardz aguz, de cordes ny d’arc d’If.
Qui luy ont faict maint animal victimeuictime,
En le rendant trop pesant & tardif.
Plus, en horreur elle tient la fontaine
Ou Acteon fut Cerf par ces follies,
Et laisse errer sans conduicte certaine
A traverstrauers champs ses compagnes joliesiolies.
Ce non obstant point ne se fie au monde:
Car elle veoitueoit estoilles trebuscher
Du hault du ciel en bourbe trop immunde,
Mais nullement ne s’en veultueult empescher.
Marsias fol, qui sans peau n’a repos,
A tout gasté le haubois de Pallas,
Cause qu’il monstre & sa chair & ses os
Tous denuez, & qu’il en crie helas.
MinerveMinerue au loing son horrible escu lance
Par grand cholere, estant esmeu son fiel:
Apollo plus ne loge en la balance,
Ny en
79
DE SANNAZAR.
Ny en Taurus, des bons logis du ciel,
Ains tout dolent assisaßis sus une roche
Pres Amphrisus, sa houllette en son poing,
Tient soubz ses piedz, en signe de reproche,
Son beau carquoys, & n’en a plus de soing.
O JupiterIupiter, tu le veoisueois de ta tour,
Et qu’il n’a herpe a chanter son libelle,
Dont souspirant desire l’heure & jouriour
Que soit deffaict le monde tout en tour,
Et qu’il reprenne une forme plus belle.
Bacchus, & maint yvrongneyurongne
Chancellant sans appuy,
Veoit Mars armé, qui grongne,
Venir encontre luy
De sa sanglante espée
Rendant de toutes pars
La place inoccupée,[unclear]
Et les hommes espars.
O vieuie langoureuse,
Nul n’y est resistant.
Fortune malheureuse,
Et ciel trop inconstant,
Voicy que mer sauvagesauuage
Se commence a troubler,
Et sont sus le rivageriuage
Dieux marins a trembler,
[79v]
L’ARCADIE
Esbahiz que Neptune
Les chasse, & du Trident
Leurs jouesioues importune,
Durement les bridant.
Libre & Virgo sont closes
Au ciel (leur appetit)
JeIe restrains de grans choses
En ce voyleuoyle petit,
Et tel presume entendre
Ce mien obscur parler,
Qui n’y peult rien comprendre,
Veu que jeie painctz en l’air.
Quand est ce que doulx somme
Hors les boys on prendra?
Quand mort, qui tout assomme,
Droict aux meschans rendra.
Les blasphemes antiques
Ne penserent iamais
Si douloureux cantiques,
Qu’on chante desormais.
Oyseaux rapteurs, & formis de la terre
Mengent noz bledz abandonnez aux champs.
De liberté privepriue la dure guerre
Les laboureurs & les povrespoures marchans.
Si que trop mieulx en la terre Scythique
ViventViuent les gens soubz Boote a l’ouvertouuert
Combien
80
DE SANNAZAR.
Combien que soit leur vivreuiure tout rustique,
Et leur vinuin faict de sorbes aspre & verduerd.
J’ay souvenirI’ay souuenir qu’en la cime d’un Hestre
UneVne Corneille (helas) le predisoit,
Parquoy mon cueur dolent, ce qu’on peult estre,
En un caillou presque se reduisoit.
La crainte en moy de rechef s’imprima,
Voiant le mal s’accroistre: & n’y a doubte
Que la Sibylle en feuilles exprima
Par ses escriptz la digressiondigreßion toute.
Le Tigre & l’Ourse ont faict nopces estranges.
O Parques donc, que n’allez vousuous couper
Ma toile courte au plus pres de ses franges,
Sans le mestier fatal en occuper?
Syez pasteurs le Noyer de qui l’umbre
Par sa froideur aux grains de terre nuyct,
Il en est temps, premier que vienneuienne sombre
Le sang par aage accourant jouriour & nuyt.
N’attendez point que la terre s’attourne
De mauvaismauuais plant, ne tardez jusqu’iusqu’ adonc
A l’arracher, que le taillant se tourne
Des ferremens a l’encontre du tronc.
Coupez bien tost les racines aux Lyerres:
Car si par temps prennent force & vigueuruigueur,
Ne laisseront Sapins entre les pierres
Croistre & monter par oultrage & rigueur.
[80v]
L’ARCADIE
Ainsi chantoit, faisant bois retentir
De telz accentz, que ne scay s’onc en peurent
Gens en Parnase ou Menale sentir,
Mesme en Eurote, aussiaußi doulx comme ilz furent.
Et s’il n’estoit que son troupeau l’amuse
En son ingrate & rude nation,
Qui maintesfois faict a sa doulce Muse
Mort desirer par indignation,
A nous viendroituiendroit laissant l’Idolatrie,
Et fainctes meurs au siecle dissolu,
Sans charité nayvenayue a la patrie:
Car il s’y est long temps a resolu.
C’est un miroer de vertuuertu si luysant,
Que le monde est embelly de son vivreuiure,
Plus digne il est, plus exquis & duisant,
Que mon parler ne le vousuous painct & livreliure.
Bien heureuse est la terre (o mes amys)
Qui l’a produict & formé pour escrire,
Et Bois a qui versuers ouyr est permis,
Ausquelz le ciel ne peult la fin prescrire.
Mais bien vouldroisuouldrois les faux Astres reprendre,
Et ne me chault si mon dire les poingt:
La nuyt du ciel feirent si tost descendre,
Qu’esperant plus de ce pasteur entendre,
Les Ardans veyuey tournoyer en ce poinct.
Il ne fault demander si les longues rymes de Fro-
nimo & SelvagioSeluagio donnerent universelementuniuerselement plai-
sir a chascun de la bende. Quant a moy, oultre le
grand contentement que i’en receu, elles me fei-
rent par force veniruenir les larmes aux yeux, entendantentēdant
si bien parler de la delectable situation de monsituatiõ de mõ pays:
car tant que ses rymes durerent, il me sembloit fer-
mement que j’i’estoie en la belle plaine dont cestuy la
parloit, & que jeie contemploye le plaisant Sebetho
(mon Tibre Napolitain) lequel en diversdiuers canaulx
discourrant atraversatrauers la campaignecãpaigne herbue, puis reuny
tout ensemble, passoit doulcement soubz les arches
d’un petit pont, & sans murmure s’en alloit joindreioindre
a la mer. AussiAußi ne me fut petite occasion d’ardans
souspirs, l’ouyr nommer Baie & VesuvioVesuuio, me reve-
nantreue-
nant en memoire les passetempspassetēps que jeie souloye pren-
dre en ces lieux: auec lesquelz encores me tourne-
rent en souvenancetourne-
rēt en souuenãce les baings tiedes, les superbes edi-
fices, les viviersuiuiers delectables, les belles isles, les mon-
taignesmõ-
taignes sulphurées, & la cavernecauerne percée en l’heu-
reuse coste de Pausilipus, peuplée de plaisantes bour
gades, et doulcement batue des undes marines. Da-
vantageDa-
uantage la fructueuse montaigne dominante a la
villeuille, qui peu ne m’estoit agreable pour la memoire
des iardinsjardins de la belle Antiniana, Nymphe grande-
ment celebrée par mon excellent Pontano. A ceste
L
[81v]
L’ARCADIE
pensée encores s’adjoustaadiousta le recors de la magnificen-
cemagnificē-
ce de mon noble pays, lequel abondantabōdant en richesses,
plein de peuple opulent et prisé, oultre le grandgrãd cir-
cuit des belles murailles, contient en soy l’admira-
ble port, refuge universeluniuersel de toutes les nations du
monde. Et avecauec ce les haultes tours, les riches tem-
ples, les gransgrãs pallais, honorables sieges de noz gou
verneursgou
uerneurs & magistratz, les rues pleines de belles
dames, & d’agreables gentilz hommes. Que diray
je des jeuxie des ieux, festes, tournoys, artz, estudes, & tant
d’autres louables exercices? Veritablement non une
Cite seule, mais quelconquequelcōque provinceprouince ou grandgrãd royau-
me que ce soit, en seroit assez convenablementconuenablement ho-
nore. Si est ce que sur toutes choses jeie prins plaisir
a l’ouyr exaulcer pour les estudes d’eloquence, &
de la divinediuine sublimité de Poesie, mais entre autres,
des louengeslouēges meritoiress du vertueux Caraciol, grandgrãd
ornement des muses vulgairesuulgaires: la chanson duquel si
pour son stile couvertcouuert ne fut de nous bien entendue,
si ne demeura il pourtant qu’elle ne fust de chascun
escoutée en singuliere attention. Toutesfois jeie croy
qu’Ergasto la comprint: car ce pendant qu’elle du-
ra, jeie le vey profundementuey profundemēt occupé en une longue pen-
sée tenantpē-
see, tenãt tousjourstousiours sus ce monumentmonumēt les yeux fichez
sans les mouvoirmouuoir ne siller des paulpieres, commecõme une
personne transportée. Vray est qu’il en gettoit par
fois
82
DE SANNAZAR.
fois aucunes lermes, & murmuroit taisiblement
quelque chose entre ses levresleures. Mais la chanson fi-
nye, & de plusieurs interpretée en diversesdiuerses manie-
res, pource que la nuyt approchoit, et que les estoil-
les commenceoientcommēceoient a se monstrermōstrer au ciel, Ergasto com-
me esveilléesueillé d’un long sommeillõg sõmeil, se dressa sur ses piedz:
& en piteux regard se tournant deversdeuers nous, se
print a dire, Mes amys, j’i’estime que la fortune ne
nous a icy amenez sans la dispositiondispositiõ des dieux, con
sideré que le jouriour qui me sera perpetuelement en-
nuyeux, & que toute ma vieuie honoreray de mes lar
mes, est finablement revolureuolu: car demain s’acheveacheue
la malheureuse annee, en laquelle (a vostreuostre com-
mun regret, & douleur universelleuniuerselle de toute les fo
restz circumvoysinescircunuoysines) les ossemens de vostre Massi-
liauostre Maßi-
lia furent consacrez a la terre. A l’occasion de quoy
si tost que ceste nuyt sera passée, & que le Soleil
par sa lumiere aura dechassé les tenebres, aussiaußi que
les bestes sortirontsortirōt des estables pour aller en pastures
nous semblablementsemblablemēt (convoquantcōuoquant les autres pasteurs)
viendrezuiendrez en ce lieu celebrer avecauec moy les pompes
funebres et jeuxieux solemnelz en memoire d’elle, selon
que nous avonsauons de coustume: et chascun pour sa vi-
ctoireui-
ctoire aura de moy tel dondō que l’onlonlō peult esperer d’un
hommehōme de ma qualité. Cela dict, Opico vouloituouloit demou
rer avecauec luy: mais pource qu’il estoit vieiluieil et caduc,
L ij
[82v]
L’ARCADIE
ne luy fut aucunement permis, ains luy furent bail-
lez quelques jeunesieunes hommes pour le reconduire en
sa maison: & la plus grand partie de nous de-
moura toute celle nuyt a veiller avecueiller auec Ergasto. pour
laquelle chose faire, estantestãt l’obscurité par tout espan-
dueespã-
due, nous allumasmes environenuirō la sepulture plusieurs
flambeaux, mesmement sus la poincte d’icelle un
plus grandgrãd qu’aucun des autres, lequel a mon juge-
mentiuge-
ment se monstroit de loing aux regardans comme
une claire Lune entre plusieurs estoilles. Ainsi en
doulx & lamentables sons de musettes sans point
dormir se passa toute celle nuyt: en laquelle les oy-
seaux quasi desireux de nous vaincreuaincre, s’efforceoientefforceoiēt
de chanter sus tous les arbres de ce pourpris, &
les bestes sauvagessauuages (delaissée leur crainte acoustu-
mée) comme si elles eussent este privéespriuées, gisoient au
tour de la sepulture, de sorte qu’il sembloit qu’elles
prinssent merveilleuxmerueilleux plaisir a nous escouter. En
ces entrefaictes l’aulbe vermeilleuermeille s’eslevantesleuant sus la
terre, advertissoitaduertissoit les hommes de la proximité du
Soleil, quand par le son de la cornemuse nous enten
deismes de loing veniruenir la compagnie: & quelque
espace de temps apres (venantuenant le ciel a s’esclaircir
peu a peu) commenceasmes a la descouvrirdescouurir en la
plaine, ou tous les compagnons venoientuenoiēt en belle or-
donnance, vestuzuestuz & parez de feuillars, chascun
une
83
DE SANNAZAR.
une longue branche en sa main, tellement qu’a les
veoirueoir de loing, ne sembloit que ce feussent hommes,
ains une verdeuerde forest se mouvant versmouuant uers nous avecauec
tous ses arbres. finablement quand ilz furent mon-
tez sus la montaigne ou nous estions, Ergasto met-
tant sus sa teste une couronne d’olivieroliuier, avantauant toute
oeuvreoeuure adora le Soleil levantleuant: puis tourné deversdeuers la
belle sepulture, en piteuse voixuoix se print a dire, chas-
cun faisant silence: O cendrescēdres maternelles, & vousuous
venerablesuenerables & chastes ossemens: Si contraire for-
tune m’a osté la puissance de vous esleveruous esleuer en ce lieu
une sepulture egale a ces montaignes, & l’environ-
nerenuiron-
ner toute de forestz umbrageuses avecauec cent autelz
alentour, sus lesquelz tous les matins cent victi-
mesuicti-
mes vousuous feussent offertes: si ne me pourra elle gar
der que d’une pure voluntéuolunté & amour inviolableinuiolable
jeie ne vousuous presente ces petiz sacrifices, & que jeie
ne vousuous honore de faict & de pensée tant que se
pourrontpourrōt mes forces estendre. En ce disant, il feit ses
offrandes, baisant religieusement la sepulture. Au
tour de laquelle les pasteurs aussiaußi poserent leurs
branches, et tous appellans a haulte voixuoix l’ame di-
vinedi-
uine, semblablement feirent devotesdeuotes oblations, l’un
d’un aigneau, l’autre de miel: l’un de laict, & l’au-
tre de vinuin. mesmes plusieurs offrirent Encens avecauec
myrre & autres herbes odoriferentes. Cela faict,
L iij
[83v]
L’ARCADIE
Ergasto proposa les pris a ceulx qui vouldroientuouldroient
courir: & faisant amener un grand mouton, qui
avoitauoit la laine merveilleusementmerueilleusement blanche, & si l’onlon-
gue qu’elle luy battoit quasi jusquesiusques sus les piedz,
deit: Voycy pour celuy a qui l’agilité & fortune
ottroyeront le premier honneur de la course. Au se-
cond est appareillée une bouteille neuve convenableneuue cōuenable
au salle Bacchus. Le troisiesme sera content de ce
baston de GenevreGeneure, garny d’un si beau fer qu’il
pourra servirseruir de dard & de houlette. A ces paro-
les se meirent en avantauant Ophelia & Carino jeu-
nesieu-
nes hommes, promptz & legers, accoustumez
d’attaindre les Cerfz a la course: & apres eulx
Logisto, Gallicio, et le filz d’Opico nommé Par-
thenopeo, avecauec Elpino, Serrano, & autres leurs
compagnons plus jeunesieunes, & de moindre estime.
Lors chascun s’estant mis en ordre, le signe de des-
loger ne fut si tost donné, que tous en un temps se
prindrent a estendre leurs pas du long de la verdeuerde
campagnecãpagne, avecauec telle impetuosité, que veritablementueritablement
vousuous eussiez dict que c’estoientestoiēt sayettes ou carreaux
de fouldre: & tenans tousjourstenãs tousiours les yeux fichez ou
ilz entendoient arriverentēdoiēt arriuer, chascun s’efforceoit de passer
ses compagnonscōpagnōs. Mais Carino par merveilleusemerueilleuse agilité
estoit ja devantia deuãt tous les autres: apres lequel, toutes
fois d’assez loing, suyvoitsuyuoit Logisto, & puis Ophelia,
du dos
84
DE SANNAZAR.
du dos duquel Gallicio estoit si prochain, que quasi
de sonsō alleine luy eschauffoit le collet, et mettoit ses
piedz sus les mesmes marches qu’il faisoit, telle-
menttelle-
mēt que s’ilz eussent eu plus gueres loing a courir,
il l’eust sans point de doubte laissé derriere. Et jaia Ca
rino vainqueur avoituainqueur auoit peu de chemin a faire pour
toucher a la butte designee, quand (jeie ne scay com-
ment) un pied luy faillit par un estoc, pierre, ou
autre heurt, qui en fut cause: dont sans se povoirpouoir
retenir, il cheut tout estendu, & donna du visageuisage
& de la poitryne en terre. Mais, ou par envieenuie, ne
voulantuoulant que Logisto gaignast le pris, ou de vrayuray se
voulant leveruoulant leuer (jeie ne scay par quelle maniere) en se
dressant, il luy meit une jambe devantiambe deuant: & pour la
grande roydeur dont cestuy la couroit, le feit sem-
blablement cheoir aupres de luy. Logisto tumbé,
Ophelia se print de plus grand cueur a efforcer ses
pas emmy la campagne, se voyantuoyant estre le premier.
Et lors les criz & grandes huées des pasteurs
le stimuloyent a la victoireuictoire, si bien que finable-
ment arrivantarriuant au lieu destiné, il obtint (selon son
desir) la premiere palme: & Gallicio qui le suy-
voitsuy-
uoit de plus pres que nul des autres, eut le second
pris: puis Parthenopeo le tiers. AdoncAdōc Logisto en criz
& rumeurs haultains se print a lamenter de la
fraude dontdōt Carino avoitauoit usé en son endroit, qui met-
L iiij
[84v]
L’ARCADIE
tant le pied entre ses jambesiãbes, luy avoitauoit faict perdre le
premier honneurhōneur, lequel il requeroit a grandegrãnde instanceinstãce.
Mais au contraire Ophelia le maintenoit sien, saisis-
sant a deux mains par les cornes le moutonmoutō gaigné:
sus quoy les voluntezuoluntez des pasteurs inclinoient en
diversesdiuerses parties, quand Parthenopeo filz d’Opico
soubzriant se print a dire: Si vousuous donnez a Logi-
sto le premier pris, lequel auray jeie, moy qui suis
maintenant troysiesme? Auquel Ergasto en joyeuxioyeux
visageuisage respondit, Les pris que vous avez jauous auez ia euz, se-
ront vostresuostres: toutesfoys il m’est loysible avoirauoir com-
passioncom-
paßion d’un amy. & cela disant, feit don a Logisto
d’une belle brebis avecauec deux aigneaux. Quoy voiantuoiãt
Carino, se tournant deverstournãt deuers Ergasto, deit en ceste ma-
niere, Si tu as tanttãt de pitié de tes amys tumbez, qui
merite plus que moy d’avoirauoir quelque gratuité? SansSãs
point de doubte j’i’eusse esté le premier, si l’accident
qui feit dommage a Logisto, ne m’eust aussiaußi esté con-
trairecō-
traire. Et disant ces paroles, monstroit sa poytrine,
son visaigeuisaige, et sa bouche, tous pleins de pouldre, de
sorte qu’il en feit rire tous les pasteurs. Ce pendant
Ergasto feit veniruenir un beau chien blancblãc, & en le te-
nant par les oreilles, deit, Pren ce chien nomménōmé Aste-
rion, qui est de la rasse de mon vieiluieil Petulco, lequel
estant sus tous autres chiens amoureux & loyal,
merita que sa mort advancéeaduancée fust plaincte & re-
grettée
85
DE SANNAZAR.
grettée de moy: & toutes les foys que j’i’en parle,
suis contrainctcōtrainct souspirer profondement. Le tumulte
& devisesdeuises des pasteurs appaisez, Ergasto meit en
evidenceeuidence une barre de fer, grosse, longue, & fort
pesante, & deit: Celuy qui mieux & le plus loing
tirera ceste barre, n’aura de deux ans besoing d’al-
ler a la villeuille pour acheter besches, paelles, ny cou-
tres, car elle luy sera labeur & loyer. A ces paro-
les se leverentleuerent Montano, Elenco, Eugenio, & Ursa-
chioVrsa-
chio: lesquelz passez devantdeuant la presse, & s’estant
mis en ordre, ElencoElēco se print a soubzpeser ceste bar-
re: & apres qu’en soymesme en eut bienbiē examiné la
pesanteur, de toute sa force se meit a la tirer: tou-
tesfois il ne la sceut gueres esloigner de soy. Le coup
fut soudainement merqué par UrsachioVrsachio, lequelleq̄l esti-
mant (peut estre) que la seule force deust suffire en
cest endroit, nonobstant qu’il y employast toute sa
puissance, tira de sorte qu’il en feit rire tous les pa-
steurs, a cause qu’il getta presque a ses piedz. Le
tiers tireur fut Eugenio, lequel passa de trop les deux
precedentz. Mais Montano a qui touchoit le coup
dernier, estant un peu entré en place, se baissa versuers
la terre: & avantauant qu’il prinst ceste barre, deux ou
trois fois frotta sa main en la pouldre, puis adjou-
stantadiou-
stant quelque dexterité a la force, advanceaaduancea tous
les autres d’autant deux fois qu’elle estoit longue.
[85v]
L’ARCADIE
Adonc tous les pasteurs luy congratulerent, & en
grande admiration louerentlouerēt le beau coup qu’il avoitauoit
faict. Quoy voyantuoyant Montano, print ceste barre com-
me sienne, & s’en retourna seoir en sa place.
Ce jeuieu finy, Ergasto feit comencercōmencer le troysiesme,
qui fut tel. Il feit en terre avecauec une de noz houlettes
une fosse si petite, qu’un pasteur y povoitpouoit demourer
seulement sus un pied, & tenir l’autre en l’air, com-
mecō-
me souventesfoissouuentesfois nous voyonsuoyons faire aux Grues. Con
tre celuy qui seroit la, devoientdeuoient tous les compagnonscompagnōs
veniruenir a clochepied l’un apres l’autre, chascun fai-
sant effort de l’engecter. Mais (autantautãt d’une part que
d’autre) qui ne vouloituouloit perdre, ne falloit pour quel-
que chose qui advinstaduinst, toucher terre du pied levéleué.
En ce jeuieu se veirentueirēt plusieurs beaux traictz, et pour
rire, estant mis dehors maintenant l’un, maintenant
l’autre. Finablement quand le tour de UrsachioVrsachio fut
venuuenu, & qu’il deut garder ceste fosse, voyantuoyant de
loing veniruenir un pasteur contre luy, qui se sentoit en-
cores escorné de la risée de compagnonscōpagnons, & cher-
choit d’amender la faulte qu’il avoitauoit faicte en ti-
rant la barre, il eut son recours aux finesses, &
baissant tout d’un coup la teste, en merveilleu-
semerueilleu-
se promptitude la meit entre les jambesiambes de celuy
qui s’estoit approché pour le heurter, & sans luy
laisser prendre alleyne, le getta les jambesiambes en
l’air
86
DE SANNAZAR.
l’air pardessus ses espaules, & l’estendit sus la
pouldre tout aussiaußi long commecōme il estoit. L’esbahisse-
ment, la risée, & les criz des pasteurs furent
grans. parquoy UrsachioVrsachio prenant courage, se meit
a dire, Chascun ne peult scavoirscauoir toutes choses. Si
j’i’ay failly en un endroit, il me suffit d’avoirauoir recou-
vrérecou-
uré mon honneur en l’autre. Lors Ergasto ryant
afferma qu’il disoit bien. & tirant de son coste une
faucille tresmignonnetresmignōne a un beau manchemãche de buys, &
qui jamaisiamais n’avoitauoit esté employée en aucun ouvrageouurage,
luy en feit un present. Puis soudainement constitua
les pris a ceux qui vouldroyentuouldroyent lutter, offrant au
vainqueuruainqueur un beau vaseuase d’Erable enrichy de plu-
sieurs painctures, faictes de la main d’André Man-
tegna Padouan, sur tous ouvriersouuriers ingenieux et ex-
cellent. Entre autres y avoitauoit une Nymphe nue bien
formée de tous membres, reservéreserué les piedz, qui
estoient ceux des chevrescheures. Ceste Nymphe as-
size sus un oyre enflé, donnoitdōnoit la tette a un petit Sa-
tyreau, qu’elle regardoit de si bonnebōne grace, qu’il sem
bloit qu’elle se consumast toute d’amour & d’affe-
ction. L’enfant tettoit l’une des mamelles, & te-
noit sa petite main estendue sus l’autre, la regardantregardãt
du coing de l’oeuil, comme s’il eust eu crainte qu’on
la luy vousistuousist desrober. Tout aupres d’eux se po-
voient veoirpo-
uoient ueoir deux enfans pareillement nudz, les-
[86v]
L’ARCADIE
quelz s’estans acoustrez de deux masques horri-
bles, passoient leurs petites mains par les bouches
d’icelles, afin d’espoventerespouenter deux autres qui estoient
la figurez, l’un desquelz fuyant se retournoit en
derriere, & crioyt de peur, le plus fort qu’il estoit
possiblepoßible. l’autre qui estoit tumbé par terre, pleuroit
a bon escient: & ne se povantpouant autrement secourir,
estendoitestēdoit la main pour les esgratigner. Par le dehors
de ce vaseuase couroit tout autour une vigneuigne chargée
de raisins meurs, a l’un des boutz de laquelle un
serpent se tortilloit de sa queue, & avecauec la bou-
che ouverte venantouuerte uenant a trouvertrouuer le bort d’icelluy, for-
moit une anse merveilleusementmerueilleusement belle & estrange
pour le tenir. La singularité de ce pris incita gran-
dement les courages des circonstanscircōstans a devoirdeuoir lutter:
toutesfois ilz attendirent pour veoirueoir que feroient
les plus grans & plus estimez. Lors voyantuoyant Ura-
nioVra-
nio que nul ne bougeoit encores, se levaleua soudaine-
ment en piedz, & despouillant son manteau, com-
mencea de monstrer ses larges espaules. A l’encon-
tre de luy se presenta courageusement SelvagioSeluagio pa-
steur bien congneu & fort estimé par les forestz.
L’attente des assistensaßistens fut grande voyantuoyant deux telz
compaignons entrer en champ l’un contre l’autre.
Finablement quand ilz se furent entreapprochez,
& longuement regardez depuis les piedz jusquesiusques
a la
87.
DE SANNAZAR
a la teste, d’une impetuosité furieuse se vontuont estrain-
dre a force de bras: & chascun deliberant ne ceder
a sa partie, sembloient deux Ours enragez, ou deux
puissans Toreaux qui se combatissent en ce pré: &
jaia leur couroit la sueur par tous les membres: mes-
mes les veynesueynes des bras & des jambesiambes s’en mon-
stroient beaucoup plus grosses & plus rouges, a
cause de l’emotion du sang: tant chascun d’eux se
travailloittrauailloit pour la victoireuictoire. mais ne se pouvanspouãs ny ab-
batre, ny ebranler, & doutant UranioVranio que la longuelõgue
demeure ennuyast aux regardans, se print a dire a
son compaignon: SelvagioSeluagio puissant & courageux,
le tarder (commecōme tu peux veoirueoir) ennuye a l’assistenceaßistence:
parquoy soubzlevesoubzleue moy de terre, ou jeie te soubz-
leveraysoubz-
leueray, & du reste laissons en convenircōuenir aux dieux.
En ce disant il le soubzlevasoubzleua: mais SelvagioSeluagio n’ayant
oublié ses finesses, luy donna un grand coup du ta-
l’onlon derriere la joinctureioincture du genouil, de sorte que
luy faisant par force ployer le jarretiarret, le feit cheoir a
la renverserenuerse, & tumba sus luy, sans y pouvoirpouoir reme-
dier. Adonc tous les pasteurs esmerveillezesmerueillez commen-
cerentcōmen-
cerēt a faire grandesgrãdes huées. puis estantestãt le tour de Sel-
vagioSel-
uagio venuuenu qu’il devoit soubzleverdeuoit soubzleuer son compaignoncōpaignon,
il le print a deux bras par le faux du corps, mais
pour sa grande pesanteur, & pour le travailtrauail qu’il
avoitauoit enduré, ne le povantpouant soustenir, nonobstantnonobstãt qu’il
[87v]
L’ARCADIE
y meist toute sa puissance, fut force que tous deux
tumbassent l’un aupres de l’autre. A la fin s’estantestãt re-
levezre-
leuez, ilz se preparoient de mauvaismauuais courage a la
tierce lutte: mais Ergasto ne voulutuoulut que ceste fureur
procedast plus avantauant, ains les appellant amyable-
mentamyable-
mēt, leur deit: Voz forces ne sont a consumercōsumer en cest
endroit pour un si petit guerdonguerdō. La victoireuictoire est egal-
le entre vousuous deux, aussi en recevrez vousaußi en receurez uous pareil-
les recompensesrecōpenses. & en disant cela, il delivradeliura a l’un
le beau vaseuase, & a l’autre une harpe neuve ouvreeneuue ouuree
de toutes pars, rendant bien doulce armonye, qu’il
tenoit fort precieuse, pour allegeance & con-
fort de ses douleurs. Les compagnons d’Ergasto
avoyentauoyent la nuyt precedente pris de fortune un loup
en leurs estables, & pour passetemps le tenoienttenoiēt vifuif
attaché a l’un des arbres de ce lieu. De ce loup Er-
gastoEr-
gasto pensapēsa qu’il feroit son dernier jeuieu en ceste jour-
néeiour-
née. Adonc s’adressant a Clonico (qui pour chose
ayant esté faicte ne s’estoit encores levéleué de son sie-
ge) luy deit, Et toy, laisseras tu au jourd’huyiourd’huy ta Mas-
silia impourveueimpourueue d’honneur? ne feras tu en memoi-
re d’elle quelque preuvepreuue de ton corps? O jeuneieune hom-
me valeureuxhō-
me ualeureux, pren ta fonde, & faiz congnoistrecōgnoistre a
l’assistenceassistēce que tu me portes aussiaußi bon vouloiruouloir que
piece des autres. Cela disant, a luy & a la compagniecōpagnie
monstra ce loup ainsi lyé, & deit: Qui veult avoirueult auoir
un jargautiargaut
88
DE SANNAZAR.
un jargautiargaut ou collet de peau de loup pour se garder
des pluyes de l’yveryuer, il le peult maintenant gaigner
a coupz de fonde tirant contrecōtre celle butte. Lors Clo
nico, Parthenopeo, MontanoMōtano(qui nagueres avoitauoit gai-
gné le pris de la barre) & Fronimo le prudent, com-
mencerentcō-
mencerent a desceindre leurs fondes, & en singler
de toutes leurs puissances. puis getté le sort entre
eux, le premier coup advintaduint a Montano, le second a
Fronimo, le tiers a Clonico, & le quart a Parthe-
nopeo. Montano doncques bien ayse de sa preemi-
nence, meit un caillou vifuif en la retz de sa fonde,
& de toute sa force le tournoyant autour de sa te-
ste, le laisse aller versuers ce loup. Le caillou furieuse-
ment bruyant arrivaarriua droict ou il estoit envoyéenuoyé. &
peult estre que MontanoMōtano outre la barre conquisecōquise eust
emporté la secondesecōde victoireuictoire, mais ce loup estonné du
bruyt, se tirant en arriere, desplacea du lieu ou il
estoit, & laissa passer la pierre. Apres tira Froni-
mo: lequel combiencōbien qu’il adressast son coup justementiustemēt
a la teste, si n’eut il l’adventureaduenture de la toucher, mais
en passant tout aupres attaignit l’arbre, dont il em-
porta une piece de l’escorce. Le loup fort estonné,
se print a demener et faire merveilleuxmerueilleux bruyt: dontdōt
a Clonico sembla qu’il devoitdeuoit attendreattēdre sa rasseurancerasseurãce.
et puis si tost commecōme il le veitueit paysible, lascha la pier-
re: laquelle allantallãt droict versuers ce loup, frappa la corde
[88v]
L’ARCADIE
qui le tenoit lyé a l’arbre, & fut occasion qu’il la
rompit pour le grandgrãd effort dontdōt il usa se voulantuoulãt de-
livrerde-
liurer. Tous les pasteurs estimansestimãs qu’il l’eust frappé,
se prindrent a escrier. Mais la faulse beste se senantsentãt
detachée, soudainement se meit en fuytte. pour la-
quelle cause Parthenopeo qui jaia tenoit la fonde em-
poinct, le voyant traverseruoyant trauerser pour se sauversauuer en un
boys sus main gauche, invoquantinuoquant en son ayde les
dieux des pasteurs, laissa vigoreusementuigoureusement aller la
pierre: & luy fut fortune si prospere, que le loup
(qui de toute sa force entendoitentēdoit a courir) fut attainct
en la temple soubz l’oreille senestre, tellement que
sans tirer ne pied ne pate, tumba promptementpromptemēt mort
en terre. dont les compaignons esbahyz de la mer-
veillemer-
ueille, tous a une voixuoix cryerent Parthenopeo vain-
queuruain-
queur. puis se tournans versuers Opico (qui jaia pleu-
roit de la nouvelle joyenouuelle ioye) luy congratuloient faisant
une plaisante feste. mesmes Ergasto bienbiē allegre s’en
alla deversdeuers ce Parthenopeo, qu’il embrassa, le cou-
ronnant d’un beau chappellet de feuilles de Baches:
puis luy donna un chevreulcheureul nourry entre les trou-
peaux, acoustumé de joueriouer avecauec les chiens, & de
heurter contre les moutons, gracieux a merveillesmerueilles
& agreable a tous les pasteurs. Clonico qui avoitauoit
rompu le lyen du loup, eut le second pris, qui fut
une belle caige neufveneufue faicte en facon d’une tour, et
dedans
89
DE SANNAZAR.
dedans une Pye cacquetoire, apprise d’appeller &
saluer les pasteurs par leurs noms, de si bonne gra-
ce, que qui ne l’eust veueueue, mais seulementseulemēt ouy parler,
eust fermement pensé entendre la parole d’un hom
me. Le troysiesme pris fut a Fronimo, lequel de sa
pierre avoitauoit touché l’arbre aupres de la teste du
loup. Et fut une belle pannetierepãnetiere de fine laine, biga-
rée de diversesdiuerses couleurs. Apres eux touchoit a Mon
tano d’avoirauoir son pris, qui estoit le dernier. lors Erga-
sto joyeusementioyeusement & demy soubzryant luy deit: Ta
fortune Montano eust ce jourd’huyiourd’huy esté trop grandegrãde
si pareil heur te fust advenuaduenu en la fonde comme en
la barre. & en ce disant osta de son col une belle
musette de canne faicte seulementseulemēt a deux voixuoix, mais
de singuliere armonie, et luy en feit un present: dontdōt
ledict Montano la recevantreceuant en grand plaisir, le re-
mercia de bien bon cueur. Ces pris ainsi distribuez,
entre les mains d’Ergasto demouroit un beau bastonbastō
de Poyrier sauvagesauuage, tout orné d’entailleures pleines
de cire de diversesdiuerses couleurs, & garny par le bout
d’enhault d’une corne de Buffle, tant noire & si
luysante, que veritablement vousueritablement uous eussiezeußiez dict que
c’estoit verreuerre. De ce bastonbastō feit Ergasto present a Opi
co, disant: Vous aussiaußi pere aurez souvenancesouuenãce de Mas-
silia, & pour l’amour d’elle recevrezreceurez ce petit pre-
sent, pour lequel ne vousuous sera besoing lutter, courir,
M
[89v]
L’ARCADIE
ou faire autre preuve de vostrepreuue de uostre corps: car assez en
a ce jourd’huyiourd’huy faict vostreuostre Parthenopeo, lequel fut
des premiers de la course, & sans contradiction le
premier de la fonde. AdoncAdōc Opico luy rendantrendãt graces
condignescōdignes, respondit en ceste maniere: Mon filz, les
privileges de vieillessepriuileges de uieillesse sontsōt si gransgrãs, que veuillonsueuillōs nous
ou nonnō, il luy fault obeyr. O que tu m’eusses au jour-
d’huyiour-
d’huy bien veuueu triumphertriūpher, si j’i’eusse esté de l’aage &
de la force que j’i’estoye quand les pris furent mis au
sepulchre du grandgrãd pasteur Panormitan, commecōme tu as
faict a present? JeIe t’asseure qu’il n’y eut ny paysant
ny estranger qui se peust comparer a moy: car a la
lutte jeie surmontay Chrisaldo filz de Tyrrheno, &
a saulter advanceayaduanceay de beaucoup le renommérenōmé SilvioSiluio.
Pareillement a la course jeie laissay derriere Idalogo
& Ameto freres, lesquelz en promptitudeprōptitude et vistesseuistesse
de jambesiambes passoient tous les autres pasteurs. Mais
a tirer de l’arc, jeie fuz seulement vaincuuaincu par un pa-
steur nomménōmé Thyrsi, a cause qu’il avoitauoit un puissant
arc garny par les boutz de corne de chevrecheure, dontdōt il
pouvoitpouoit tirer en plus grande asseuranceasseurãce que jeie ne fai-
soye du mien qui n’estoit queq̄ d’If simplementsimplemēt, et avoyeauoye
peur de le romprerōpre. Voyla commentcōment il me gaigna. mais
alors (mon filz) estoys jeie bien congneu entre les
jeunesieunes hommeshōmes: & maintenant le temps use sus moy
de ses raisons. parquoy enfans a qui l’aage le per-
met,
90
DE SANNAZAR.
met, exercitez vousuous desormais aux espreuvesespreuues de
jeunesseieunesse: car quandquãd a moy, les ans & la nature m’as-
subgectissent a autres loix. Mais afin que ceste feste
soit de toutes pars accomplie, toy mon filz pren
ta musette, & faiz que celle qui eut plaisir de t’a-
voira-
uoir produict au monde, se resjouysseresiouysse presente-
ment de ton chanter, & du ciel ou elle est, en joy-
eux visageioy-
eux uisage regarde & entende son sacrificateur
celebrer sa memoire par les forestz. Ce que Opico
disoit, sembla tant raisonnable a Ergasto, que sans
luy faire autre response, il print de la main de Mon-
tanoMō-
tano la musette que peu auparavantauparauant luy avoitauoit don-
née, et l’ayantayāt sonnée bonnebōne espace de tempstēps en piteuse
maniere, voyantuoyant que chascun l’attendoitattendoit en grandgrãd si-
lence, non sans aucunssi-
lēce, nō sans aucũs souspirs getta hors ces paroles:
ERGASTO
SEVL.
Puis qu’en ces boys il n’y a plus d’attente
Qu’en chant joyeuxioyeux & stile doulx on chante,
Recommencez O Muses vostreuostre deuil.
Toy mont sacré tenebreux a mon oeuil,
Creux de rochers obscurs & pleins d’esmoy,
Venez heurlant gemir avecquesauecques moy.
Hestres plaignez & vousuous Chesnes sauvagesauuages:
Mais en plaignant narrez en vozuoz langages
A ces cailloux nostre amere infortune.
M ij
[90v]
L’ARCADIE
Fleuves privezFleuues priuez de doulceur opportune,
Larmoyez en ruysseletz & fontaines,
Tarissez vousuous, mettant fin a vozuoz peines.
Et toy qui vizuiz aux forestz invisibleinuisible
Echo, respons en voix indivisibleuoix indiuisible,
A mes clameurs, puis aux arbres escry
Tout le discours de ce douloureux cry.
Gemissez en O profondes valléesuallées,
Qui demeurez seules & desolées.
Desormais soit ta robe (o terre) paincte
De lyz obscurs, & violetteuiolette en noir taincte:
Car mort soudaine en fureur nous a pris
Celle qui doit avoir avantauoir autant de pris
Qu’Egeria ou Manto la Thebaine:
Dont a present que jeie suis en ma veineueine
De lamenter, & que tel est mon veuilueuil,
Recommencez O Muses vostreuostre deuil.
Rivage verdRiuage uerd s’onques sans fiction
Tu escoutas humaine affection,
JeIe te supply accompagne a cest’heure
Ma triste muse au subgect qu’elle pleure.
Semblablement O herbes & fleurettes
Qui sus estangz & sus rivieresriuieres estes
Par aspre sort, vousuous qui avezauez esté
Princes & Roys de haulte majestémaiesté,
Venez prier avecauec moy dure mort
Qu’elle
91
DE SANNAZAR
Qu’elle ait pitié de mon crier si fort,
Et qu’elle fine a un coup mon tourment,
S’il se peult faire, & non point autrement.
Hyacintho redouble ta querele
En regrettant la despouille tant belle:
Et puis escry sur tes feuilles jolyesiolyes
Noz deux douleurs, noz deux melancholies.
Semblablement O rivageriuage fertile,
Et toy campagne aux laboureurs utile
A Narcissus son deuil ramenteuez,
S’oncques receu mes prieres avezauez.
Herbe ny fleur aux champz plus ne verdoyeuerdoye,
PassevelouxPasseueloux ou Rose l’onlon n’y voyeuoye
Qui ait en soy viveuiue & gaye couleur,
Ains toute blesme en signe de douleur.
Las qui pourroit plus d’esperance avoirauoir
D’oeuvreoeuure louable entre les hommes veoirueoir,
Puis que justiceiustice & foy sont au cerceuil?
Recommencez O Muses vostreuostre deuil.
Petis oyseaux amoureux jeie vousuous prie
Ce temps pendant que jeie souspire & crie,
Saillez dehors de vozuoz nidz tant aymez:
Et mesme toy de qui sont estimez
Les doulx accens O Philomele tendre,
Qui tous les ans te faiz au boys entendre:
AussiAußi Progne, si en changeant de forme
M iij
[91v]
L’ARCADIE
Tu ne perdeis le sens qui nous informe,
Et s’il est vrayuray qu’encor en lamentant
De ton erreur te voysesuoyses repentant,
Laissez vozuoz criz, ne parlez ny pensez
Aucunement a vozuoz malheurs passez
JusquesIusques a ce qu’enroué deviendraydeuiendray
De me complaindre, ou que jeie m’en tiendray.
L’espine (helas) se seiche apres l’Esté:
Mais quand ell’a quelque temps arresté
A recouvrerrecouurer seveseue pour sa croyssance,
Au mesme lieu retourne en son essence:
Et au rebours quand le Ciel nous deffaict,
Vent ny Soleil ou pluye rien ne faict
Pour ramener la terrienne escorce
En son printemps, & naturelle force:
Car ce Soleil qui soir & matin fuyt,
Emble noz joursiours, & noz viesuies poursuit:
Mais quand a luy, tousjourstousiours est coustumier
De se reduire en son estat premier.
O qu’Orpheus le gentil amoureux
AvantAuant son heure extreme fut heureux
De seurement en ces lieux devallerdeualler,
Ou chascun a tant de crainte d’aller,
Pour en tirer celle la qu’il avoitauoit
Tant regrettée, & que morte scavoitscauoit?
Il adoulcit Radamanthe, Megere,
Et le
92
DE SANNAZAR.
Et le tyrant du regne ou l’onlon s’ingere
A tous espritz faire un cruel accueil.
Recommencez O Muses vostreuostre deuil.
Donc, que ne puis jeie (helas) qui m’en destourbe
Si piteux son faire sus ce boys courbe,
Que le joyauioyau tant cher que j’i’ay perdu,
Me soit par grace en presence rendu?
Las si mes vers aussiuers außi bien faictz ne sont
Que ceux d’Orphée, & telz accentz ne font,
Si me semble il que pitié les deust faire
Trouver devotzTrouuer deuotz en la celeste Sphere.
Mais s’elle avoitauoit comme une chose vaineuaine
En tel horreur la povre viepoure uie humaine,
Que revenirreuenir ne daignast, jeie vouldroysuouldroys
TrouverTrouuer le pas bouché quand reviendroisreuiendrois.
O fol desir, O mon estat peu ferme
Quand jeie congnois que par herbes ny charme,
ConjurementConiurement, ou quelque autre secret,
Muable n’est des haultz dieux le decret.
Bien me pourroit un songe resjouyrresiouyr
En me faisant ses paroles ouyr
Par fantasie, ou veoirueoir sa face a l’oeuil.
Recommencez O Muses vostreuostre deuil.
Mais restaurer ne peult ou rendre celle
Qui m’a laissé sans sa lumiere belle
TontTout esblouy, ne le ciel dessaisir
M iiij
[92v]
L’ARCADIE
D’astre si noble, & de si grand plaisir.
Doncques O noble & bien fortuné fleuvefleuue
ConvocqueConuocque & faiz que promptement se treuvetreuue
En ta sacrée & nette profondeur
Chascune Nymphe yssant de ta grandeur:
Puis renouvellerenouuelle en hymnes & cantiques,
Tes sainctes loix, tes coustumes antiques.
JadizIadiz par tout ta trompe souverainesouueraine
Feit renommer la premiere Seraine:
Et cela fut le premier accident,
Mais c’est cyicy le second incident.
Faiz, s’il te plaist, que ceste cy recouvrerecoeuure
Autre trompette, & qui tellement oeuvreoeuure,
Que le beau nom qui de par soy resonne,
TousjoursTousiours s’entende, & de toute personne.
D’aussiaußi bon cueur de cela te supplye,
Qu’aux dieux jeie faiz que par torrent de pluye
Ton jolyioly cours ne regorge oultre bort.
Vueillez aussiaußi prester quelque support
Au stile gros, si que pitié le rende
Plus recevablereceuable, & de grace plus grande.
JeIe ne pretens qu’on escriveescriue en des livresliures
Ces simples versuers, mais que francz & delivresdeliures
Emmy es boys viventuiuent, non autre part,
Rempliz d’amour, & privezpriuez de tout art,
A celle fin que tous les pastoureaux
Qui cy
93
DE SANNAZAR.
Qui cy viendrontuiendront sans moutons ou Toreaux,
Lisent a plein es tiges de ces Fages,
Les belles meurs, & les actes bien sages,
Puis que croyssans peu a peu d’heure en heure,
Entre ces montz la memoire en demeure
Tant que la terre herbettes produira,
Et que le Ciel estoilles conduyra.
Lors oysillons, arbrisseaux, & fontaines,
Hommes & dieux de puissances haultaines,
Exaulceront ce nom sainct & louable
En stile orné bien gravegraue & delectable.
Mais pour autant qu’il me convientconuient haulser
Aucunement versuers la fin, & laisser
Le pastoral, promptes & sans orgueil
Recommencez O Muses vostreuostre dueil.
Plus ne me plaist le son obscur & bas:
Au clair & beau veuilueuil prendre mes esbas
Expressement a ce que l’ame pure
Du Ciel l’entende, & y mette sa cure.
JusquesIusques a moy ses rayons elle envoyeenuoye:
Benignement de secours me pourvoyepouruoye,
Et ce pendant que parleray, souventsouuent
Pour m’escouter descende comme ventuent.
Mais si son estre est tel que l’exprimer
Ma voixuoix ne puisse, elle sans m’opprimer
A soy m’excuse, & monstre le chemin
[93v]
L’ARCADIE
De l’honorer en noble parchemin.
Un temps viendraVn temps uiendra qu’en pris seront tenues
Muses par tout, & les brouillars ou nues
Anichilez des yeux des bonnes gens
Qui se rendront a bien veoirueoir diligens.
Lors conviendraconuiendra que chascun se descombre
De pensement terrestre obscur & sombre,
Le cueur ayant de ferme espoir muny
Pour estre aux dieux perfaictement uny.
En ce temps la j’i’estime que mes versuers
Seront jugez mal poliz, & diversdiuers:
Mais jeie m’attens qu’en ces forestz estranges
De pastoureaux auront quelques louenges.
JeIe pense aussiaußi que plusieurs bons espritz
Qui ne sont or en vogueuogue, ny en pris,
Verront leurs noms au milieu de ces prez
En belles fleurs descritz & dyaprez.
FleuvesFleuues de port, & fontaines duisantes,
UndesVndes menans comme Crystal luisantes
Parmy les vaulxuaulx murmurant s’en yront
Ce que jeie chante, & a tous le diront.
Puis ces Lauriers que jeie plante & dedie,
Leur respondront en doulce melodie,
Sifflant au ventuent, mesmes le Cheurefeuil,
Or mettez fin Muses a vostreuostre deuil.
Bien heureux sont pasteurs qui par bons zeles
A degré
94
DE SANNAZAR.
A degré tel ont adressé leurs aelles:
Car los futur les recompensera.
Mais nul ne peult dire quand ce sera.
Toy doncques ame eternelle, entre toutes
Belle sans per, qui du hault ciel m’escoutes,
En demonstrant qu’egal estre jeie doy
A ton tropeau tant singulier en soy,
Impetre un don de ces beaux lauriers verdzuerdz,
Que quand par mort seray mis a l’enversenuers,
De leurs rameaux feuilluz & bien serrez
Veuillent couvrircouurir noz corps cy enterrez:
Et qu’au doulx bruyt des crystallines eaux
Les oysillons chantent motetz nouveauxnouueaux,
A celle fin que le lieu soit emply
De toute grace, & plaisir accomply:
Ou si tant peult se prolonger ma vieuie,
Comme j’i’en ay bon desir & envieenuie
Pour t’honorer, & que de tel vouloiruouloir
Dieu ne me privepriue, ains le laisse valoirualoir:
J’I’espere bien que ce dur & long somme
Qui tous humains avecauec le temps assomme,
N’aura povoirpouoir sus ton renom tant beau
Pour t’avoirauoir close en si petit tumbeau,
A tout le moins si tant se peult promettre
D’authorité, la force de mon mettre.
La nouvellenouuelle armonie, les doulx accens, les piteu-
ses paroles, & finablement la belle et magnanime
promesse d’Ergasto, tenoient en admiration & com-
mecō-
me suspenduz, les courages des auditeurs, quand le
Soleil entre les sommitez des montaignes, abbais-
sant les rayons deversdeuers l’occident, nous feit congnoi-
stre l’heure tardivetardiue, et qu’il estoit temps de retour-
ner a noz bestes. A l’occasion dequoy Opico nostre
conducteur s’estant levéleué sur piedz, & d’un bon
visageuisage tourné deversdeuers Ergasto, luy deit: Tu as pour
ce jourd’huyiourd’huy faict assez d’honneur a ta mere. Pour
l’adveniraduenir tu mettras peine d’accomplir en ferme et
songneuse perseveranceperseuerãce la promesse en quoy par af-
fectueuse voluntéuolunté t’es obligé a la fin de ta chanson.
Cela dict, baisant la sepulture, & nous invitantinuitant a
faire le semblable, il se meit au retour. Puis tous les
pasteurs prenansprenãs congé l’un apres l’autre, se retirentretirerēt
chascun chez soy, reputans MassiliaMaßilia bien heureuse
entre les femmes, pour avoir laisséauoir laißé aux forestz un
si beau gage de son corps. Mais quand la nuyt ob-
scure, aiant pitié des labeurs mondains, fut venueuenue
pour donner repos a toutes creatures, l’onlon n’enten-
doit plus les forestz resonner, l’abbay des chiens, le
cry d’autres bestes, ny gemissant d’aucunsgemissemēt d’aucũs oyseaux.
Les feuilles aussiaußi ne branloient plus sus les arbres,
& ne tiroit une seule allenée de ventuent, ains durant
ce silence
95
DE SANNAZAR.
ce silence povoitpouoit on seullement veoirueoir au ciel scintil-
ler ou cheoir quelques estoilles, quand me trou-
vanttrou-
uant surpris de pesant somme, jeie senty en ma fanta-
sie diversesdiuerses douleurs & passionspaßions, ne scay si elles
provenoientprouenoient des choses veuesueues le jouriour precedent, ou
de quelque autre occasion secrette: car il me sem-
bloit proprement que j’i’estoye banny des forestz, et
de la compagnie des pasteurs, mesmes qu’en une so-
litude jeie me trouvoyetrouuoye parmy des sepultures deser-
tes, ou ne povoyepouoye appercevoirapperceuoir aucun homme de ma
congnoissance. Parquoy vouloyeuouloye crier de peur, mais
la voixuoix me deffailloit. Et pour chose que jeie m’effor-
ceasse de fuyr, si ne povoyspouoys jeie faire un pas. DontDōt vain-
cuuain-
cu de foiblesse, maulgré moy me falloit demourer
entre ces monumentz. D’advantageaduantage m’estoit advisaduis
qu’en escoutant une Seraine, laquelle se plaignoit a-
merement sus un rocher, une grande vagueuague de mer
m’enveloppoitm’enueloppoit, & donnoit tant de peine a respirer,
que peu sens’en falloit que jeie ne mourusse. Puis me sem
bla veoirueoir un bel Orengier cultivécultiué par moy songneu
sement, lequel estoit tout brisé depuis la racine en
amont, ses feuilles, ses fleurs, & ses fruictz mal-
heureusement dispersez sus la terre. lors deman-
dant qui l’avoitauoit ainsi acoustré, quelques Nymphes
plorantes en ce lieu, me respondoient que les cru-
elles Parques a tout leurs coignees violentesuiolētes l’avoientauoient
[95v]
L’ARCADIE
en ce poinct detrenché. De laquelle chose me sentantsentãt
grevégreué oultre mesure, disoye sus le tronc tant aymé,
Ou me reposeray jeie doncquesdōcques? Soubz quel umbrage
chanteraychãteray jeie doresnavantdoresnauant mes versuers? Et en un destour
m’estoit monstré un Cypres obscur et funebre, sans
faire autre response a mes interrogations. Par-
quoy tant d’ennuy & d’angoisse me saisirent le
cueur, que ne povantpouant plus en supporter la violenceuiolence,
force fut que mon somme se rompist. Et combiencōbien qu’il
me pleust singulierementsingulieremēt de ne trouvertrouuer la chose ain-
si, toutesfois la peur & souspecon m’en demou-
rent tellementdemou-
rerēt tellemēt enracinees en la fantasie, qu’oncques
ne me sceu rendormirrēdormir, ains pour sentir moindre pei-
ne, fuz contrainct me leverleuer, & aller errant par les
campagnes, nonobstant qu’il fust encores bien loing
du jouriour. Ainsi cheminant pas a pas, sans scavoirscauoir ou,
mais seulement commecōme la fortune me guidoit, j’i’ arri-
vayarri-
uay au pied d’une montagne d’ou sortoit un fleuvefleuue
impetueux, qui faisoit un murmure merveilleusementmerueilleusemēt
espouventableespouentable, par especial en celle heure qu’autre
bruyt ne s’entendoit. Puis quandquãd j’i’eu esté sus son ri-
vageri-
uage assez bonnebōne espace de temps, l’aube se print a
rougir au Ciel, pour esveilleresueiller tous les mortelz uni-
versellementuni-
uersellement, & les admonester de se remettre a
leurs negoces. Elle fut par moy humblementhumblemēt adorée,
et requise que son plaisir fust prosperer ma visionuision.
mais
96
DE SANNAZAR.
mais il sembla qu’elle ne daignast escouter mes pa-
roles, & monstra n’en faire gueres d’estime. En ces
entrefaictes du fleuvefleuue prochain se veintueint (ne scay com-
mentcō-
ment) presenter devantdeuãt moy une jeuneieune damoiselle de
singuliere beaulté, veritablement divineueritablemēt diuine en son port
& contenancecōtenãce, acoustrée d’un fin drap de si beau lu-
stre, que si jeie ne l’eusse veuueu flexible, certainementcertainemēt jeie
l’estimoye de crystal. Ses cheveuxcheueux estoient tressez
d’une mode nouvellenouuelle a l’entourētour de sa teste, & dessus
portoit un chapellet de feuilles verdesuerdes, tenanttenãt en l’u-
ne de ses mains un vaseuase de marbre blanc, singulier,
et de riche ouvrageouurage. Ceste damoisellle s’adressant a
moy, me deit: Suy moy, qui suis une des Nymphes de
ce fleuvefleuue. Ce commandementcōmandement et declaration meirent
en mon cueur tanttãt de crainte et de reverencereuerēce, que sans
replicquer un seul mot, jeie me prins a la suyvresuyure, tant
estonné en moymesme, que jeie ne scavoyescauoye discerner
si jeie veilloyeueilloye ou dormoye encores. Puis quand elle y
fut arrivéearriuée, jeie veyuey soudainement les eaux se retirer
d’une part & d’autre, afin de luy faire voyeuoye par le
milieu: ce qui estoit certainement estrange a veoircertainemēt estrãge a ueoir, hor-
rible a penserpēser, monstrueux, et (peult estre) incredible
a recorder. JeIe faisoye difficulté d’aller apres: mais
pour me donnerdōner courage, gracieusementgracieusemēt me print par
la main: et par sa doulceur debonnairedebōnaire me tira dedansdedãs
ce fleuvefleuue: ou la suyvantsuyuant sans mouiller mes piedz,
[96v]
L’RARCADIEARCADIE
j’i’estoye tout esbahy de me veoir environnéueoir enuironné de ces
eaux qui faisoient deux rampars a l’entour de moy,
comme eussent faict deux combes de montaignes
si j’i’eusse cheminé parmy une estroicte valléeuallée. Mais
quand nous feusmes pervenuzperuenuz a la fosse dont tou-
te ceste eau regorgeoit, & de ceste la entrez en
une autre, laquelle (a mon jugementiugement) estoient voultéeuoultée
de PoncesPōces pertuysees, parmy lesquelles pendoientpēdoient au-
cuns lambeaux de Crystal congelé, & dontdōt les mu-
railles estoient parées d’aucunes coquilles de mer,
le pavement couvertpauement couuert de mousse, & de tous costez
garny de beaux sieges, principalement environenuiron les
colonnes de verreuerre transparent, qui soustenoient le
plancher assez bas: nous y trouvasmestrouuasmes des Nym-
phes seurs de ma guide, dont les aucunes sassoient
de l’or en des cribles delyez, & le separoient des
arenes subtiles. Puis les autres apres l’avoirauoir filé, le
mettoient en belles bobynes, & le meslant parmy
des soyes de diversesdiuerses couleurs, en ourdissoient une
tapisserie d’excellent et sumptueux ouvrageouurage. Tou-
tesfois pour l’histoire qu’elle contenoit, jeie conclu que
ce m’estoit un presage de malheur & larmes fu-
tures: car a mon arriveearriuee jeie trouvaytrouuay de fortune qu’en
leurs broderies elles estoient sus le piteux accident
d’Eurydicé l’infortunée, mesmes commecōme estant poin-
cte au talon par le venimeuxuenimeux Aspic, elle fut con-
traincte
97
DE SANNAZAR.
traincte a rendre l’ame, & comment pour recou-
vrer sa vierecou-
urer sa uie, son mary langoureux descendit aux En-
fers: puis par son oubliance la reperdit la seconde
fois. O dieu, voyantuoyant cela qui me ramentevoitramenteuoit mon
songe, quelles angoisses & tourmens senty jeie lors
en mon courage? Le cueur (certainementcertainemēt) me jugeoitiugeoit
quelque chose qui n’estoit point bonne, car malgré
que j’i’en eusse, tousjours trouvoistousiours trouuois mes yeux mouillez
de larmes, qui me faisoit interpreter toutes choses
en mauvaisemauuaise part. Mais la Nymphe qui me guidoit,
ayantayãt (peult estre) pitié de moy, me feit passer oultre
en un lieu beaucoup plus spacieux, ou se pouvoientpouoient
veoir diversesueoir diuerses fosses, lacz, et sources rendansrēdãs les eaux
d’ou procedent les fleuvesfleuues couranscourãs sus la terre. O mer-
veilleuxmer-
ueilleux & inestimable artifice du dieu souverainsouuerain,
la masse que jeie estimoye solide, contenircōtenir en son ventreuētre
tanttãt de concavitezconcauitez? Cela me feit perdre tout l’esbahis
sement que j’avoyei’auoye eu jusquesiusques a lors, ascavoirascauoir commecōme
il estoit possiblepoßible que les rivieresriuieres eussenteußent telle abondan-
ceabōdã-
ce pour maintenir leur cours a perpetuité par une
liqueur infaillible. Ainsi passant auec ma Nymphe
tout estonnéestōné et estourdy du tumulte des eaux, j’i’alloye
regardant entour moy, non sans frayeur & grande
craintecraīte: dontdōt elle s’appercevantapperceuãt me deit, Laisse laisse tes
fantasies, et chasse toute souspecon hors de toy: car
tu ne faiz maintenant ce voyageuoyage sans la disposition
N
[97v]
L’ARCADIE
des dieux. Toutesfois ce pendantpēdant il me plaist que tu
voyesuoyes de quelles sources partent les fleuvesfleuues dont tu
as tanttãt de fois ouy parler. Cestuy la qui court si loing
d’icy, est le froid Tanais. Cest autre le grandgrãd Danube.
Cestuy cy Meander le fameux: & cestuy la Peneus
l’antique. Veoy Caister, regarde Achelous, et le bien-
heureuxbiē-
heureux Eurotas, auquel tant de fois fut loisible
d’ouyr les chansons d’Apollo. Et pource que jeie scay
que tu desires grandement veoirueoir ceulx de ton pays
(lesquelz te sont paravantureparauãture plus prochains que tu
n’estimes.) saches que celuy auquel tous les autres
font tant d’honneur, est le triumphanttriũphant Tibre, qui n’est
(comme les autres) couronné de saules ou roseaux,
mais de beaux lauriers verdoyansuerdoyans, a cause des conti-
nuellescōti-
nuelles victoiresuictoires de ses filz les Romains. Les autres
deux qui en sont le plus pres, se nomment Liris &
Vulturne, lesquelz heureusementheureusemēt traversenttrauersēt le royau-
me de tes anciensanciēs predecesseurs. Ces paroles esmeu-
rent en monmō courage un si merveilleuxmerueilleux desir, que ne
povantpouãt plus garder le silencesilēce, me pris a luy dire ainsi:
O ma loyale guide, ô tresnoble & vertueuseuertueuse Nym
phe, Si mon petit Sebetho peult avoirauoir quelque nom
entre tant et de si grans fleuvesfleuues, jeie te supply que tu
me le veuilles monstrerueuilles mōstrer.Tu le verrasuerras bien (deit elle)
quand tu en seras plus prochain: car a cause de sa
bassesse il ne seroit maintenant possiblepoßible. et voulantuoulant
dire
98
DE SANNAZAR.
dire quelque autre chose, elle se reteint. Mais durantdurãt
ces propoz nous ne cessasmes oncques de cheminer,
ains continuant nostre voyageuoyage allions atraversatrauers ce
grand creux, lequel aucunesfois se retrecissoit en
passages fort serrez, & d’autres se dilatoit en pla-
nures longues & larges, ou se trouvoienttrouuoient montai-
gnes & vallées aussiuallées außi bien comme sus la terre.
Adonc ma Nymphe me redeit: Serois tu point bien
esbahy si jeie t’asseuroye maintenantmaintenãt que la mer pas-
se sus ta teste, & que l’amoureux Alpheus, sans se
mesler avecquesauecques elle, s’en vaua par cy faire l’amour
a dame Arethusa la belle SicilienneSiciliēne? Disant cela, nous
commenceasmescōmenceasmes a descouvrirdescouurir de loing, un feu grandgrãd et
espouventableespouētable, avecauec une merveilleusemerueilleuse puanteurpuãteur de sou-
phre: dontdōt elle voyantuoyant que jeie m’estonnoyeestōnoye, me deit: La
punition des Geans qui furent fouldroyez en assail-
lant le Ciel, est occasion de cecy: car estansestãs opprimez
des montaignes intolerables, ilz respirent encores
le feu celeste dont leurs corps furent consumez, &
de la vientuient que commecōme aux autres regions les caver-
nescauer-
nes sontsōt abondantesabōdãtes d’eaux liquides, tout ainsi en celles
de ce pays ardent incessamment flambes vivesuiues, &
gransgrãs orages. Parquoy, n’estoit le doute que j’i’aurois de
te veoirueoir prendre trop d’espouventementespouentemēt, jeie te monstre-
royemōstre-
roye en passant le superbe Enceladus estenduestēdu soubz
la grande Trinacrie, vomissantuomissant feu et flambeflãbe par les
N ij
[98v]
L’ARCADIE
crevassecreuasses de Mongibel: ou est aussiaußi la fournaise de
Vulcan, en laquelle trois Cyclopes nudz battent
sus leurs enclumes les fouldres du dieu JupiterIupiter. Puis
soubz la fameuse Enaria (que vousuous mortelz appel-
lez Ischia) te feroye veoirueoir le furieux Typhoeus, du-
quel vozuoz baingz de Baie & les montaignes sul-
phurees tirent la chaleur. Pareillement soubz le
grand VesevusVeseuus te feroye ouyr les mugissemens
espouventablesespouētables du geant Alcyoneus. toutesfois jeie pense
que tu les entendras assezaßez quand nous serons plus
pres de ton Sebetho. Et un temps fut que tous les
circunvoysinscircunuoysins les ouyrentouyrēt trop a leur excessiveexceßiue perte
et dommage: car il couvritcouurit entierement le pays, de
cendres & flammeches, dont encores rendent tes-
moignage les rochers fonduz & brouyz. Mais
qui pourroit croire que dessoubz feussent enter-
rées quelques nations & villesuilles bien renommées?
Ce nonobstant il est ainsi: & non seulement celles
qui furent couvertescouuertes des Ponces ardentes, & de la
ruine du mont, ains ceste cy que nous voyonsuoyons pre-
sentement, laquelle souloit estre de grande renom-
mée en tous pays. C’est la belle Pompeia, qui fut ar-
rousée des undes du froid Sarno, & par un trem-
blement soudain fut engloutie de la terre, deffail-
lant (ce croy jeie) soubz ses piedz, le fondement sus
quoy elle estoit posée: qui fut certes une estrange et
horrible
99
DE SANNAZAR.
horrible espece de mort, consideré que tant d’ames
vivantesuiuantes se veirentueirent en un instant oster du nombre
des vivansuiuans. Toutesfois (commentcommēt qu’il en soit) il fault
veniruenir a une fin, qui est la mort, & ne peult on pas-
ser plus oultre. Durant ces paroles nous estions tanttãt
approchez de celle cité, qu’encores en pouvions veoirpouions ueoir
presque tous entiers les Pallais, les Theatres, et les
Temples. JeIe m’esmerveilloyeesmerueilloye fort commentcōment se povoitpouoit
faire qu’en si petite espace de temps nous eussionseußions
peu veniruenir d’Arcadie jusquesiusques la. Mais facilement se
povoitpouoit congnoistre que nous estions poulsez d’une
puissance plus que naturelle. Adonc peu a peu com
menceasmescom
mēceasmes a veoirueoir les petites undes de monmō Sebetho.
De quoy la Nymphe voyantuoyant que jeie me resjouissoyeresiouissoye,
getta un grandgrãd souspir, & se retournant deversretournãt deuers moy
toute piteuse me vaua dire: Tu peux maintenant aller
seul. puis incontinentincōtinēt disparut: dontdōt me trouvaytrouuay en celle
solitude tant triste & surpris de frayeur, que me
voyantuoyant destitué de guide, a peine eusse jeie eu le cou-
rage de faire un pas, n’eust esté que j’appercevoyei’apperceuoye le
petit fleuve tantfleuue tãt aymé, duquel m’estant approché al-
loye (desireux a merveillesmerueilles) cherchant a l’oeil, si jeie
pourroie trouvertrouuer la source d’ou ceste eau procedoit:
car il sembloit que de pas en pas sonsō cours s’augmen-
tasts’augmē-
tast, & tousjourstousiours allast acquerant force et vigueuruigueur.
Ainsi suyvantsuyuant contremontcōtremont son canal, j’i’allay tant d’une
N iij
[99v]
L’ARCADIE
part & d’autre, que finablementfinablemēt arrivayarriuay a une fosse
cavée dedanscauée dedãs le ferme Tuf, et la trouvaytrouuay le dieu ve-
nerableue-
nerable assisaßis a terre, appuyé de son costé gauche
sur un vaseuase espanchantespãchant de l’eau, qu’il faisoit beaucoup
plus ample par celle qui continuellement plouvoitplouuoit
de sonsō visageuisage, de ses cheveuxcheueux, et de sa barbe humide.
Ses vestemens sembloientuestemens sembloiēt de limon verduerd. il avoitauoit en sa
main droicte un roseau, & sus sa teste une couronnecourōne
faicte de jonczioncz & autres herbes provenuesprouenues de ses
mesmes eaux. Autour de luy gisoient en terre (sans
aucunaucū ordre ou dignitié) toutes ses Nymphes, qui fai-
soient en pleurant un murmure inaccoustumé, &
n’osoient seulement leverleuer leurs visagesuisages. Voyant ce-
la pensez qu’un triste spectacle se presenta devantdeuant
mes yeux: et lors commenceaycōmēceay a congnoistre pourquoy
ma guide m’avoitauoit abandonnéabãdōné deuant le tempstēps. Mais me
trouvanttrouuant reduict a ceste extremité, & n’ayant au-
cune fiance de pouvoirpouoir tourner en arriere, sans pren-
dre autre conseilcōseil, dolent & plein de souspecon, avantauãt
tout oeuvreoeuure m’enclinay a baiser la terre, et puis pro-
feray ces paroles: O fleuvefleuue liquide, O roy de mon
pays, O gracieux & amyable Sebetho, qui de tes
eaux fraiches & claires enroses ma noble contrée,
dieu te veuilleueuille exalter à jamaisa iamais. Et vousuous Nymphes
(tresdignes geniture d’un tanttãt louable et puissant pe-
re) dieu vousuous accroisse pareillement. JeIe vousuous supply soyez
100
DE SANNAZAR.
soyez favorablesfauorables a ceste miennemiēne arrivéearriuée, et me rece-
vezrece-
uez benignementbenignemēt en vozuoz forestz. Soit maintenant la
fortune contentecōtēte de m’avoirauoir promené par tant de diversdiuers
accidentzaccidētz, et desormais ou reconciliéerecōciliée, ou assouvyeassouuye de
mes travaulxtrauaulx, laisse ses armes offensivesoffensiues.
JeIe n’avoyeauoye
encores faict conclusioncōclusion a mes paroles, quandquãd deux de
ceste troupe se leverentleuerēt, et vindrentuindrēt a moy toutes esplo
rées: puis me meirent au milieu d’elles: et l’une plus
asseurée que l’autre, levantleuant sa veueueue me print par la
main pour me conduirecōduire a la bouche de ceste cavernecauerne,
ou la petite eau se divisediuise en deux pars, dontdōt l’une sen
court a traverstrauers les campagnes, & l’autre par une
voyeuoye secrette se tire aux commoditezcōmoditez & decorationsdecoratiōs
de la villeuille. Ceste Nymphe estant arrestée me monstramōstra
le chemin, & feit entendre que deslors estoit l’yssue
en monmō arbitre. D’advantageaduãtage pour me declarer qui el-
les estoientestoiēt, me deit: Ceste cy qu’il semblesēble que tu ne re-
congnoisses, par estre maintenantmaintenãt obfusqué de vapo-
reuseuapo-
reuse et noire bruyne, est celle qui baigne le nid tanttãt
aymé de ta singuliere Phenix, & dont tu as tanttãt de
fois par tes larmes faict elevereleuer la liqueur jusquesiusques
aux bordz. et moy quiq̄ parle a toy, suis celle qui resi-
de au pendantpēdant de la montagnemōtagne, ou elle repose: et la me
trouueras tu bien tost. La prolation de ceste derniere
parole, sa transmutationtrãsmutatiō en eau, et sa fluxion par la voyeuoye
secrette, furentfurēt tout une mesme chose: dont jeie te jureiure
N iiij
[100v]
L’ARCADIE
(lecteur) par la divinitédiuinité qui m’a jusquesiusques a present
ottroyé la grace d’escrire, ou jamaisiamais ne se puisse monmō
oeuvre rendreoeuure rēdre immortel, queq̄ jeie me trouvaytrouuay en ce poinct
tanttãt desireux de mourir, que jeie me feusse contentécōtenté de
toute horrible espece de mort: et devenudeuenu hayneux a
moymesme, jeie maudissoye incessammentincessãmēt l’heure queq̄ m’e-
stoye party d’Arcadie. Ce nonobstantnōobstant aucunesfois en-
troye en esperanceesperãce que tout ce quiq̄ s’offroit a ma veueueue
& a mon ouye, n’estoit que fantosme & illusion,
mesmementmesmemēt pource que ne scavoyescauoye estimer combiencōbien de
tempstēps j’avoyei’auoye demouré soubz la terre. Par ainsi entre
ameres penséespēsées, grievesgrieues douleurs, et confusioncōfusiō, lassé, de-
bile, et jaia hors de moymesme, j’arrivayi’arriuay a la fontaine
qui m’avoitauoit esté nommée: et aussiaußi tost qu’elle me sentitsētit
approcher, se print a bouillonnerbouillōner et gargouiller plus
fort que de coustume: commecōme si elle eust vouluuoulu dire, jeie
suis celle que tu as n’agueres veueueue. A l’occasion de
quoy me tournanttournãt sus main droicte, jeie recongneu la
montagnemōtagne grandementgrãdemēt renomméerenōmée pour l’excellence de la
haulte loge que l’on y veoit portantlō y ueoit, portãt le nom du grand
pasteur d’Afrique, gouverneurgouuerneur de tanttãt de troupeaux,
lequel en son vivantuiuant, ainsi qu’un secondsecōd Amphion, au
son de sa gentegēte musette edifia les murailles eternel-
les de la cité divinediuine. Et voulantuoulãt passer oultre, jeie trou-
vay d’adventuretrou-
uay d’aduenture au pied de la pontée qui n’estoit
gueres haulte, Barcinio & SummontioSūmontio, pasteurs bien
congneuzcõgneuz
101
DE SANNAZAR.
congneuzcõgneuz en noz forestz: lesquelz auec leurs trou-
peaux s’estoientestoiēt mis au Soleil, a cause qu’il faisoit ventuēt:
& par ce que jeie pouvoyepouoye comprendrecõprendre a leurs gestes,
ilz s’appareilloient a chanterchãter. Quoy voyantuoyant (encores
que j’i’eusse les oreilles toutes pleines des chansons
d’Arcadie) si vouluuoulu jeie bien entendre celles de mon
pays, pour jugeriuger de combien elles en approchoient:
& ne me sembla desraisonnable faire lá[unclear] quelque
sejourseiour, mettant ceste petite espace avecauec tant d’autre
temps par moy si tresmal employé. parquoy m’as-
siz sus l’herbe, non gueres loing d’eux. a quoy fai-
re me donna courage, la mescongnoissance que jeie
les veoyeueoye avoirauoir de moy, pour le desguisementdesguisemēt de monmō
habit, et la douleur superflue, qui m’avoientauoient en peu
d’espace tout deffaict et transfigurétrãsfiguré. Mais a cest’heu
re que leurs chansons me reviennentreuiennent en memoire,
& pareillement les accens dontdōt ilz deplorerent les
calamitez de Meliseo, il me plaist bien de les avoirauoir
attentivementattentiuement escoutées, non que jeie les veuilleueuille con-
ferer a celles de la Grece, ny que jeie pretendepretēde les met-
tre en ce reng, mais pour me congratuler de nostre
Horizon, qui n’a vouluuoulu du tout laisser ses forestz
vuydesuuydes & despourveuesdespourueues, ains en tous aages leur a
faict produire des pasteurs exquiz, & en attraire
des autres d’estranges contrées, par gracieux ac-
cueuil, & benignité maternelle. Qui m’induict a
[101v]
L’ARCADIE
croire que les Seraines y ont veritablementueritablement au-
tresfois habité, & par la doulceur de leur chant
detenu ceux qui passoientpassoiēt en leurs marches. Toutes-
fois pour retourner a noz pasteurs, apres que Bar-
cinio eut par bonne espace de temps assez soefve-
mentsoefue-
ment sonné sa musette, ayant le visageuisage tourné de-
versde-
uers son compagnon, lequel assisaßis sus une pierre
semblablement se monstroit bien deliberé de luy
respondre, il se preint a dire ainsi:
Barcinio.
Meliseo chanta de sens rassisraßis
En ce lieu propre ou tu me voys assisuoys aßis,
Puis engravaengraua de sa docte main dextre
Contre l’escorce & tige de ce Hestre
Ces motz, Chetif jeie veyuey Philis au poinct
Qu’elle mouroit, & ne me tuay point:
Summontio.
C’est grand pitié. Mais quel dieu consentit
Qu’un mal si grief le povrepoure homme sentist?
Que n’estoit il avant privé de vieauant priué de uie,
Puis qu’il avoitauoit de mourir bonne envieenuie?
Barcinio.
C’est le motif qui cholerer me faict
Contre le ciel trop superbe en effect,
Et que mes sens en sont envenimezenuenimez,
Come un Dragon ou Vipere animez,
Mesme pensant a ce que tel ouvrierouurier
AvoitAuoit escrit dessus un GenevrierGeneurier
Disant, Philis en mourant tu me donnes
Cruelle mort, veuueu que tu m’abandonnes.
O douleur grievegrieue, & a qui de raison
Nulle ne peult avoirauoir comparaison.
Summontio.
Par ton moyen vouldroisuouldrois cest arbre veoirueoir
Pour lamenter dessoubz a mon povoirpouoir:
Car il pourroit (peult estre) m’inciter
A mes douleurs & peines reciter.
Barcinio.
Mille en y a que verrasuerras en la plaine
Quand te plaira, elle en est toute pleine.
Va visiteruisiter ce Nefflier en ce valual,
Mais doulcement, que tu n’y faces mal.
Summontio
lisant.
Helas Philis tu ne faiz ores plus
De ton chef d’or les cheveuxcheueux crespeluz,
Ny de ta main leles couronnes de fleurs,
Ains le destruis, le lavantlauant de mes pleurs.
Barcinio.
Tourne tes yeux a ce couldre & regarde,
Ces motz y sont (si tu y prens bien garde)
Helas Philis devantdeuant moy ne t’en fuy,
Attens un peu, voyantuoyant que jeie te suy,
Ou bien ravyrauy mon cueur tout d’une voyeuoye:
Car seul icy ne scauroit avoirauoir joyeioye.
Summontio.
JeIe ne scaurois te racompter combien
L’ouyr me faict de plaisir & de bien.
Or cherche doncques au long de ce russeau
S’il y a plus de pareil arbrisseau.
Ce nonobstant j’i’ay haste & grand besoing
D’un mien negoce aller faire un peu loing.
Barcinio.
Dessus ce Pin un tableau a posé
Qu’il a luy mesme escript & composé.
Si veoir le veulxueoir le ueulx, allons pres de ces saules,
Et monte lors dessus mes deux espaules.
Mais pour a l’aise & plus tost y saillir,
Deschausse toy premier, pour n’y faillir.
Puis boute bas ta grosse pannetiere,
Manteau, houllette, & ta despouille entiere.
Lors a un sault empongne, si tu peux,
UnVn bout de branche, & grimpe amont les neux.
Summontio.
L’onLon le
L’onLon le veoitueoit bien de ce lieu franchement,
Sans qu’arbre aucun y face empeschement.
Philis, ce Pin jeie te sacre en ce parc
Ou Diana te cede trousse & arc.
C’est l’autel sainct qu’en ton los edifie,
C’est le grand temple ou jeie te deifie:
Et le sepulchre ou par mon deuil amer
JeIe te veuilueuil faire a jamaisiamais renommer,
Et ou souventsouuent entre douleurs & joyesioyes
De fraiches fleurs te feray des montjoyesmontioyes.
Mais si le ciel (qui me semble obstiné)
T’a lieu plus noble en soy predestiné,
Ne veuillesueuilles jaia pourtant mettre en despris
Ces petiz versuers qu’en ta louenge escris,
Ains les vien veoiruien ueoir, laissant par fois les cieulx
Pour converserconuerser avecauec nous en ces lieux.
Et sus ce Pin de raboteuse escorce
Tu trouverastrouueras escrit a fine force,
ARBRE jeie suis dedié a Philis,
Encline toy pasteur qui cecy lis.
Barcinio.
Que dirois tu de ce que quand il eut
Son flageolet getté si loing qu’il peut,
Et pris le fer aigu pour s’en frapper,
Les chalumeaux se prindrent a piper
Philis, Philis, non en son triste ou cas,
[103v]
L’ARCADIE
Qui a l’ouyr fut un estrange cas.
Summontio.
A ce son la fut point Philis esmue
De retourner? car tout le sang me mue
De la pitié qui penetre en mes os,
Oyant de toy si douloureux propos.
Barcinio.
Cesse un petit ce pendant que j’espreuvei’espreuue
S’il sera point poßiblepossible que jeie treuvetreuue
Ses autres versuers, dont (certes) bonnement
Ne me souvientsouuient que du commencement.
Summontio.
Par les discours que tu as recitez,
Tous mes espritz se sont tant concitez,
Que rasseurer encores ne les scay.
Ce nonobstant pren cueur, & faiz essay:
Car aux premiers, puis que tu t’en recorde,
Facilement tout le reste s’accorde.
Barcinio
recite aucuns versuers de Meliseo.
Que feras tu povrepoure homme? quelle ruse
Te subviendrasubuiendra, puis que mort te refuse,
Et que Philis te plonge en aspre deuil,
Ne te faisant doux regard de son oeuil?
Chascun de vousuous o pasteurs me dedie
Vers plus piteux que triste tragedie.
Et qui seroit de ce faire en esmoy,
A tout
104
DE SANNAZAR
A tout le moins lamente quant & moy.
Par ces clameurs chascun m’incite a plaindre,
Communiquant son ennuy sans le faindre,
Combien qu’assez m’en semont jouriour & nuyct
Mon propre mal, qui tant me grevegreue & nuyt.
Mon malheur est si monstrueuse chose,
Et procedant de si amere cause,
Que de mes versuers Grenadiers ay chargez,
Dont en Sorbiers se sont visteuiste changez.
Et s’il advientaduient que jeie m’essaye ou tente
De les couper pour en cueuillir une ente,
Un jusVn ius en sort de tant palle couleur,
Que l’onlon voituoit bien leur seveseue estre douleur.
Quand mon Soleil dont par si longue espace
Esloigné suis, nous privapriua de sa face,
Le rouge tainct des Roses empira,
Et leur nayvenayue odeur en expira,
AussiAußi toute herbe & fleur pour celle année
S’en demonstra languissante & fenée.
PoyssonsPoyßons en l’eau de leur nature agiles,
Alloyent flottant malades & debiles:
Puis par les boys se trainoyent animaux
Hectiques, las, & faschez de mes maulx.
DeversDeuers moy donc VesevoVeseuo se transporte
Pour me narrer les peines qu’il supporte:
Lors jeie verray si sa vigneuerray si sa uigne lambrusque,
[104v]
L’ARCADIE
Et si son fruict est devenudeuenu plus brusque.
Puis me dira comment en ses deux testes
Sourdent tousjourstousiours orages & tempestes.
Mais jeie ne scay quel cueur pourroit ozer
Mergilina gentille t’exposer
Que tes Lauriers exterminez & mors
Sont dispersez tout au long de tes bors.
Las qui te faict Antiniana haulte
Degenerer, & faire telle faulte,
Que tu produys en lieu de Myrtes gentz,
Buissons poinctuz, horreur a toutes gens?
Dy moy Niside, ainsi jamaisiamais ne sente
Ton bord herbu la mer sus toy passante,
Ny battement de cheuaux y venircheuaux y uenir,
Ne t’ay jeie veuueu, peu de temps a, tenir
Herbes & fleurs, avecauec connilz & lievreslieures,
Vaches, brebiz, & grans troupeaux de chevrescheures?
Et maintenant jeie te voyuoy plus deserte
Qu’autre qui soit. est ce point pour ma perte?
Las pour quoy sont tes tailliz & destours
Abandonnez? mesmes les chauldes tours
Ou Cupido ses flesches aceroit,
Froides si fort que l’onlon y glaceroit?
O Sebetho, jeie te prie combien
De peuples grans seront reduictz en rien,
AvantAuant que veoirueoir puisses ta verdeuerde plaine
De beaux
105
DE SANNAZAR.
De beaux Poupliers & d’Ormes aussiaßui pleine?
JadizIadiz (helas) Eridano le grand
Te reveroitreueroit: & le Tibre qui prend
De la cité de Rome son renom,
Se souloit bien encliner a ton nom.
Et maintenant a peine en toy sont seures
Nymphes qui font en tes eaux leurs demeures:
Car morte est celle, & ne peult respirer,
Qui se souloit en tes undes mirer,
Plus estimant y veoirueoir sa belle face,
Qu’en autre exquise & reluisante glace:
Ce qui a faict ton renom penetrer
JusquesIusques aux cieulx, & de faict y entrer.
Or passeront maintz siecles & saisons,
Et les outilz des rustiques maisons
Se changeront avantauant (jeie te promectz)
Qu’un si clair vizuiz se mire en toy jamaisiamais.
Malheureux donc, pourquoy ne vomizuomiz tu
Toute l’humeur dont tu es revestureuestu,
Soudain fondant en abysme terrestre
Quand Naples n’est ce qu’elle souloit estre?
O mon pays, ne t’avoysauoys jeie predict
Cest accident malheureux & maudict,
Le jouriour qu’estant allegre comme un ange,
En mes escriz te fey tant de louenge?
Sache Vulturne, & le beau Silara
O
[105v]
L’ARCADIE
Qu’au jourd’huiiourd’huy fin ma triste muse aura,
Et ne pourray jamaisiamais de bien jouyriouyr,
Qui tant soit peu me puisse resjouyrresiouyr.
JeIe ne verrayuerray de ma vieuie, ays ou roche
En aucun boys, tant soit loingtain ou proche,
Que le beau nom de Philis n’y entaille,
Et comme amour pour elle me detaille,
A celle fin que tous les pastoureaux
Qui la paistront leurs moutons & Toreaux,
Ou y feront leurs habitations,
En gettent pleurs & lamentations.
Puis s’il advientaduient qu’aucun y besche ou marre
En quelque endroit, oyant ce que jeie narre,
Finablement en demeure estonné,
Marry, dolent, de joyeioye abandonné.
Or convientconuient il qu’a vousuous aye recours,
Lieux ou mon cueur a faict tant de discours,
Puis qu’autre part ne treuvetreuue ou me cacher
Pour de mes criz le monde ne fascher.
O Cume, O Baie, O baingz tiedes & bons
JamaisIamais n’orray celebrer vozuoz beaux noms,
Que mon las cueur n’en tremble, & puis tressue
Pour la douleur en cest instant conceue:
Car puis que mort qui Philis a surprise,
Veult que ma vieuie a present jeie desprise,
J’I’iray faschant de mes plainctz odieux
Ciel, terre,
106
DE SANNAZAR.
Ciel, terre, mer, les hommes & les dieux,
Ainsi que faict la vacheuache par les boys
Son veauueau querant en lamentable voixuoix.
JeIe ne verray jamaisuerray iamais Lucrin, AverneAuerne,
Ou Tritola creusée en la cavernecauerne,
Qu’en souspirant ne coure a la valleeuallee,
Qui de mon songe est encor appellée.
ParaventureParauanture y formerent leur trasse
Les piedz mignons marchans sus la terrasse,
Lors que Philis a mon cry s’arresta,
Et audience honneste me presta.
Peult estre y sont les fleurs en leur essence,
Qui feirent lors signe d’esjouyssanceesiouyssance:
DequoyDe quoy mon sens plus grave deviendragraue deuiendra
Quand du beau songe il luy resouviendraresouuiendra.
Mais dictes moy O montaignes ardantes,
Noire vapeuruapeur incessamment gardantes,
La ou Vulcan au fons d’un hydeux gouffre
Faict bouillonner la miniere de Soulphre,
Pourray jeie bien sur vousuous getter mon oeuil
Sans lermoyer, & plaindre de grand deuil?
Non, pour autant que j’i’y pense avoir veuauoir ueu,
Si jeie ne suis de bon sens despourveudespourueu,
Ma dame assise au bord de la soulphriere,
Ou s’engloutit ceste eau hydeuse & fiere
Remplissant l’air d’une odeur si mauvaisemauuaise,
O ij
[106v]
L’ARCADIE
Que j’avoysi’auoys peur qu’elle y fust a malaise:
Et toutesfois il sembloit qu’en soulas
Parmy ce bruyt escoutast mes helas.
O povrepoure amant, O jours vainsiours uains & peu fermes
Muez de joyeioye en douleurs & en lermes
Ou jeie l’aimay vivanteuiuante en esperant,
Morte qu’ell’est, jeie la voysuoys souspirant,
Et par les lieux ou jeie la veyuey hanter,
Tourne souventsouuent mes tristes versuers chanter.
En mon esprit tout le jouriour la contemple,
Et puis de nuyt a gorge ouverteouuerte & ample
Crie Philis, tant (jeie l’estime ainsi)
Qu’elle revientreuient aucunesfois icy:
Au moins en songe elle monstre le dard
Dont me nauray moymesme en son regard.
Puis m’est advisaduis qu’elle me vaua disant,
VocyVoicy le seul remede a toy duisant.
Dont ce pendant hors ma poytrine boute
Si chaultz souspirs de ma puissance toute,
Que quand un fier Aspic les entendroit,
Legerement piteux en deviendroitdeuiendroit.
Il n’y eut onc en toute Arimaspie
Gryfon tant fier, ne si cruelle Harpye
Que s’ilz venoientuenoient son partement a veoirueoir,
UnVn cueur d’acier ne voulsissent avoiruoulsissent auoir.
Lors me tournant sus le coste senestre
Mon clair
107
DE SANNAZAR.
Mon clair Soleil jeie voyuoy a la fenestre,
Auquel ne crains dire a bon escient
Ces motz sentant leur homme impatient:
Comme un Toreau de cornes desarmé
Se treuvetreuue mat parmy le boys ramé,
Ou comme un Orme effeuillé semble indigne
S’il n’est paré des feuilles de la Vigne,
Tel suis sans toy, voireuoire plus mal empoinct
Chere Philis: mais il ne t’en chault point.
Summontio.
Se peuventpeuuent las en un cueur engraverengrauer
Telles fureurs tant aptes a grevergreuer,
Pour chose humaine? & le sens estre attainct
D’un feu duquel l’aliment est estainct?
Quel animal, quelle roche immobile
Ne fremiroit oyant la voixuoix debile
Du povrepoure amant?
Barcinio.
O si tu entendois
Sonner sa harpe, & respondre a ses doys,
Tu jugeroisiugerois que le ciel crystallin
Se dessirastdeßirast comme toile de lin,
Et de pitié fondrois soubz les accors,
Amour tirant les boyaux de ton corps:
Car ce pendant qu’elle dict & redict
Philis, ce mot, comme jeie t’ay predict,
O iij
[107v]
L’ARCADIE
Resonne en l’air par si grand melodie,
Qu’il n’en est point de telle, quoy qu’on dye.
Summontio.
Or me dy donc, en ce mal qu’il supporte,
Veit il jamaisiamais ouvrirouurir la dure porte
De la prison des rigoreuses dames
Qui l’ont enclose avecauec les autres ames?
Barcinio.
O Atropos (crioyt le povrepoure amant)
O Lachesis, & Clotho, las comment
Ne faictes vousuous a ma Philis pardon?
Ottroyez moy pour un extreme don
Que mon esprit de ce corps jeie delivredeliure
Pour avecauec elle eternellement vivreuiure.
Summontio.
Puis qu’ainsi vaua que le ciel est si fier,
Qu’il ne se veultueult en rien pacifier,
Meurent troupeaux par imprecations,
Si qu’aux forestz y ait vacationsuacations.
Feuille en rameau, ny herbe en terre aussiaußi,
Ne repullule apres ce mal icy.
Barcinio.
Quand il advient qu’avecaduient qu’auec son Allouette
Il se lamente en voixuoix basse & flouette,
Et qu’elle rend response a son parler,
L’onLon pourroit veoirueoir en la terre & en l’air
Autour
108
DE SANNAZAR.
Autour de luy Cygnes & Chahuans,
Les uns chanter, & les autres huans:
Puis quand ce vient deversuient deuers le poinct du jouriour,
Le povrepoure amant crie sans nul sejourseiour,
Soleil ingrat, qui te faict revenirreuenir,
Quand ta clairte ne me peult subvenirsubuenir?
Retournes tu afin que de rechef
Parmy ces prez bestail paisse en meschef?
Ou pour me faire incessamment (o roux)
Encontre toy prendre picque & courroux?
Si tu le faiz afin que ta venueuenue
Chasse de moy l’humide & noire nue,
Saches que point ne veuilueuil (par les tous dieux)
Que ta lueur enlumine mes yeux,
Qui sont jaia duictz a tenebres & lermes:
Ny que tes rays vagabondzuagabondz & peu fermes
Seichent le pleur qu’amour m’a concité
Pour mettre hors ma grande cecité.
En toutes pars ou la veueueue jeie rouille,
Incontinent le ciel se charge & brouille
Par mon Soleil estant occasion
Que tousjourstousiours soye en trouble visionuision.
Au temps passépaßé quand j’i’estois sans encombre,
JeIe resemblois au beuf rongeant a l’umbre:
Mais maintenant aller me laisse (helas)
Comme la Vigne estant sans eschalas,
O iiij
[108v]
L’ARCADIE
Parfois pleurant & parlant a moymesme,
Me dict ma harpe en sa querele extreme,
Meliseo de douleur tresorier
Plus ne me fais couronner de Laurier.
Souvent avolleSouuent auolle un Bruyant ou un Merle
Au RossignolRoßignol que j’i’ay, de tous la perle,
Quand il s’escrie, O Myrtes sans esmoy
Contristez vousuous desormais avecauec moy.
Pareillement cracque sus une roche
Le Corbeau viluil, & digne de reproche,
Dont m’est advisaduis que deussent abysmer
Ischia, Capre, & Procide, en la mer,
Atheneus & Misenus aussiaußi,
Pour n’avoirauoir plus de chagrin & soucy.
Apres se monstre a moy la Tourterelle
Qu’en ton giron nouriz, O pastourelle,
Sus un sec Aulne & de mousse couvertcouuert,
Car se poser ne vouldroituouldroit sus un verduerd:
Et dict, O beufz, les montaignes se pellent:
Neiges & vents l’yveruentz l’yuer hideux appellent:
Soubz quel umbrage (helas) pour n’empirer
Se pourra l’onlon desormais retirer?
Mais qui pourroit escoutant ces propos
Rire, ou avoirauoir en son ame repos?
Certainement les Toreaux, ce me semble,
En mugissant me crient tous ensemble
Par tes
109
DE SANNAZAR.
Par tes souspirs tant & tant redoublez,
C’est toy qui as les elemens troublez.
Summontio.
Cause ont les gens de se mettre en devoirdeuoir
Pour Melisee homme tant rare veoirueoir,
Puis que ces versuers en qui pitié ne fault,
Dans les rochers nourissent amour chault.
Barcinio.
Combien de fois, O Fage qui nous coeuvrescoeuures,
T’a il semblé qu’en recitant ses oeuvresoeuures,
Les gros souspirs qui partoient de sa gorge,
Feussent souffletz d’une fournaise ou forge?
Meliseo jouriour & nuyt jeie te sens,
Et en mon cueur s’impriment tes accens
Si bien que quand tu ne dys mot, par ire,
JeIe compren bien ce que tu vouldroisuouldrois dire.
Summontio.
Si tu me veulxueulx (amy) faire plaisir,
Escry ces versuers quand tu auras loisir
Dessus les troncz des arbres d’icy pres,
Afin que quand aucun par cy apres
Les y lira, en soymesme il estime
Qu’entr’eulx ilz vontuont murmurant ceste ryme,
Faiz que du ventuent le soufflement leur vailleuaille,
Faiz que les motz & nombres qu’il leur baille,
S’espandent, si que Resine & Portiques
[109v]
L’RARCADIEARCADIE
SouventesfoisSouuentesfois les sonnent en cantiques.
Barcinio.
Sus son espaule un verduerd Laurier portoit,
Quand ce propos de sa bouche sortoit,
CoeuvreCoeuure ô Laurier ce tombeau sans encombres,
Pendant que seme icy Mente & Concombres.
Le Ciel ne veultueult Deesse en bonne foy,
Qu’encor si tost jeie me taise de toy,
Ains de mon cueur ne te laisse partir
Pour plus d’honneur te faire departir.
Dont si jeie vyuy, saches que par mes versuers
Qui ne sont point trop rudes & diversdiuers,
Entre pasteurs aura ta sepulture
Plus de renom que par belle sculpture:
Car des Tuscans & Ligustiques montz
Viendront pasteurs de voluntéuolunté semons
C’est angle veoirueoir, tant yveryuer comme Esté,
Pource (sans plus) que tu y as esté:
Et puis liront sus la carrée lame
Cest epitaphe a toy propice ô dame,
Lequel me faict le cueur au corps trembler,
Et, peu s’en fault, par douleur estrangler.
CELLE qui fut tant dure en son vivantuiuant,
A Melisee en amours la suyvantsuyuant,
Gist desormais soubz ceste pierre froide
Humble, benigne, & morte toute royde.
Summontio.
Barcinio si tu veulxueulx presumer
De trop souventsouuent ces propoz resumer
Parmy ces boys, longuement ne tardra
Qu’un tien souspir embrasé les ardra.
Barcinio.
De mon couteau par tout jeie les engraveengraue,
Voulant que soit leur renommée bravebraue,
Mesmes expres a ces fins les espars
En tous pays loingtains, de toutes pars,
Dont jeie feray que le Tesin & Adde
Sentant d’amours Meliseo malade,
Le chanteront, & se feront ouyr,
Si que Philis s’en devra conjouyrdeura coniouyr.
AussiAußi le faiz afin qu’en joyeuxioyeux criz
Pasteurs de Mince honnorans ses escriz,
UnVn beau Laurier pour memoire luy plantent,
Combien qu’encor de Tityre se vententuentent.
Summontio.
Meliseo devoit tousjoursdeuoit tousiours durer
Auec Philis sans telz maulx endurer:
Mais qui pourroit immuer le decret
Que les dieux ont conclu en leur secret?
Barcinio.
souventSouuent souloit l’appeller en ces bois,
En gectant criz & lamentables voixuoix.
[110v]
L’ARCADIE
Mais maintenant le povrepoure corps mortel
Est sus ce tertre au devantdeuant d’un autel,
Ou luy faisant d’encens pur sacrifice
TousjoursTousiours l’adore en un sainct edifice.
Summontio.
Helas amy gette la ton manteau
Sus l’herbe tendre aupres de ce rasteau,
Et puis t’en vaua l’appeller a grand erre
Sus ceste mote en sa loge de terre,
Peult estre dieu la grace te fera,
Que de presence il nous satisfera.
JeIe t’en requier d’aussiaußi parfaict courage
Qu’au ciel jeie faiz que gresle ny orage
De ta maison ne ruynent le feste,
Et ou paistras, cheoir ne puisse tempeste.
Barcinio.
S’encor tu veulx que jeueulx que ie le contreface,
Plus en diray: mais le veoirueoir face a face
Pour escouter ses propoz & devisdeuis,
Est malaisé plus qu’il ne t’est advisaduis.
Summontio.
Sa vive voixuiue uoix me plairoit fort entendre
Pour en mon cueur que la pitié faict fendre,
Ses actions noter de poinct en poinct.
Si jeie dy mal, ne me l’impute point.
Barcinio.
Or
Or montons donc versuers celle saincte tour,
Car de ce tertre & du clos tout autour
Il est le seul hermite & laboureur,
Et n’y veultueult point avoirauoir de procureur.
Mais prie au ventuent qu’il ne te soit contraire.
Soubz ces fruytiers nous conviendraconuiendra retraire
Si nous avonsauons temps assez d’y monter,
Et lors pitié te pourra surmonter.
Summontio.
JeIe te faiz veuueu solennel ô Fortune
Si maintenant nous veulxueulx estre opportune,
Que tu auras de mon troupeau jolyioly,
UnVn aigneau blanc le plus gras & poly.
Puis toy Tempeste un aussiaußi noir que meure,
Mais que le Ciel en cest estat demeure.
Ciel eternel ne permetz que jeie fine
AvantAuant ouyr ceste musette fine,
Car jaia pensant son organe escouter,
Il m’est advisaduis que jeie me sens bouter
Veines & nerfz hors la chair amortie,
Tant de pitié mon ame est assortie.
Barcinio.
Allons amy, que les dieux nous conduisent
A bon chemin, & grace nous produisent.
N’entens tu poinct de sa muse le son,
Laquelle exprime une triste lecon
[111v]
L’ARCADIE
Arreste la, que les chiens ne le voyentuoyent,
Et abbayant de l’ouyr nous desvoyentdesuoyent.
Meliseo.
Philis jeie garde en un petit cofin
Tes beaux cheveux jaunescheueux iaunes comme l’or fin.
Quand jeie les tourne, ou que je les renverseie les renuerse,
UnVn dard poignant mon povrepoure cueur traversetrauerse.
SouventesfoisSouuentesfois jeie les lye & deslye,
Laissant mes yeux en grand melancholie
PlouvoirPlouuoir dessus: puis de souspirs ardans
JeIe les essuye, & reserre dedans.
Ceste ryme est debile basse & vaineuaine,
Comme qui sort d’une rustique veineueine:
Mais si clameurs plus ameres que fiel
Peuvent trouverPeuuent trouuer aucun merite au Ciel,
La fermeté du zele qui me mord,
Deust a pitié mouvoirmouuoir la dure mort.
Philis jeie plains ton trop soudain trespas,
Larmes gettant que jeie n’espargne pas
Pour de l’humeur reverdirreuerdir tout le monde
Hors moy, qui suis en noire chartre immunde.
O belle donc, pense au vivreuiure passé,
Et comme avonsauons nostre aage dispensé,
A tout le moins si amour ne se perd
Passant Lethes, qui tout oubly depart.
A la Musette.
Icy finent tes entreprises ô rustique & sauvagesauuage
Musette, indigne pour ta basse resonnance d’estre
sonnée d’un pasteur plus expert, mais bien d’aucun
mieulx fortuné que moy. Tu as esté peu de temps a
ma bouche & a mes mains exercice assez agrea-
ble: et maintenantmaintenãt puis que c’est le vouloiruouloir des dieux,
tu leur imposeras auec long silence (paravantureparauanture)
un repos eternel: car mauvaisemauuaise fortune te faict se-
parer de mes levres, avantleures, auant que par doys experi-
mentez j’i’aye deuement & en bonne mesure sceu
exprimer ton armonie, publiant ces notes (quelles
qu’elles soient) plus convenablesconuenables a contentercontēter simples
brebiettes parmy les forestz, que peuples curieux
dedans les bonnes villesuilles. Et fault que jeie face comme
celuy qui estantestãt offensé des pilleries faictes par nuyt
en ses jardinsiardins, cueuille par despit de dessus les bran
ches fertiles, les fruictz non encores parvenuzparuenuz a
suffisante maturité: ou comme le rude paysant, le-
quel devantdeuant le temps se haste de prendre sur les ar-
bres les oysillons sans plume avecauec les nidz ou ilz
sont escloz, de crainte qu’ilz ne luy soient ravizrauiz et
ostez par les serpens ou pasteurs. A raison dequoy
jeie te prie, & tant que jeie puis admoneste, que con-
tente de ta rusticité, tu veuillesueuilles demourer entre ces
solitudes: car il ne t’appartient d’aller chercher les
[112v]
L’ARCADIE
sumptueux pallais des princes, ne les superbes pla-
ces des citez pour humer les applaudissemens, fa-
veursfa-
ueurs simulées ou gloires venteusesuenteuses qui sont vai-
nesuai-
nes amorses, faulses attractions, sottes & manisfe-
stes flatteries du populaire mal fiable. Ton debile
son ne se pourroit gueres bien entendre parmy ce-
luy des buccines espouventablesespouentables, ou royales trompet-
tes: mais te pourra suffire d’estre enflée sus ces mon
tagnes par les bouches de tous pastoureaux, ensei-
gnant les forestz retentissantesretētissantes a resonner le nom de
ta maistresse, et de plaindre amerement en toymes-
me le dur & inopine accident de sa mort trop ha-
stiveha-
stiue, qui est occasion de mes larmes eterneles, &
de la douloureuse et inconsolable vieuie que jeie meine:
si celuy se peult dire vivantuiuant, qui est ensepvelyensepuely dedans
le gouffre des miseres mondainesmōdaines. Lamente doncques
malheureuse: car sans point de doubte tu en as bien
grande raison. Contriste toy povre vefvepoure uefue desolée.
Pleure infortunée musette, privéepriuée de la plus chere
chose que dieu t’eust prestée en ce monde. Ne cesse
point de larmoyer, & te complaindre de tes cruel-
les advanturesaduantures, tant qu’il te demourra chalumeau
entier en ces forestz: & faiz sortir de toy les ac-
cens qui serontserōt plus conformes a ton miserable estat.
Puis s’il advenoitaduenoit quelquefois qu’aucun pasteur te
voulsistuoulsist employer en choses joyeusesioyeuses, faiz luy pre- mierement
113
DE SANNAZAR.
mierement entendre que tu ne scais sinon gemir &
lamenter, & apres par experience & veritablesueritables
effectz monstre luy qu’il est ainsi, en luy rendant
continuellement un son piteux & lamentable: de
sorte que luy craignant troubler sa feste, soit con-
trainct te esloigner de sa bouche, & te laisser en
repos pendue a cest arbre, ou maintenant avecauec sou-
spirs & merveilleusemerueilleuse abondance de larmes, jeie te
consacre en memoire de celle qui jusquesiusques a present
a esté cause de mes ouvragesouurages: par le soudain trespas
delaquelle la matiere est maintenantmaintenãt du tout faillie
a moy d’escrire, et a toy de sonner. Noz Muses sont
estainctes, noz Lauriers dessechez, nostre Parnase
est ruyné. Les forestz sont toutes muettes, les val-
léesual-
lées & les montagnes sont par douleur devenuesdeuenues
sourdes. Il ne se treuvetreuue plus Nymphes ny Satyres
emmy les boys. Les pasteurs ont perdu le chanter.
A peine peuventpeuuent les troupeaux pasturer dedans les
praries, & de leurs piedz fangeux troublent par
despit les claires fontaines. Mesme se voyansuoyans tarir
le laict, ne daignent plus substanter leurs faons.
Semblablement les bestes sauvagessauuages abandonnent
leurs cavernescauernes. Les oyseaux fuyent leurs nidz. Les
arbres durs & insensibles gettent leurs fruitz par
terre avantauant qu’ilz soient meurs: et les tendres fleu-
rettes toutes desolées se flestrissentflestrissēt. Les povrespoures mou-
P
[113v]
L’ARCADIE
sches a miel dedans leurs ruches laissent perir le
miel imperfaict. Toute chose tumbe en ruine, toute
esperance est defaillie, toute consolation est morte.
Desormais ne te reste ô ma Muse sinon te douloir
jouriour & nuyt en perseveranceperseuerance obstinée. Or te con-
triste doncques langoreuse, et te plains tant que tu
pourras de la mort avareauare, du Ciel sourd, des cruel-
les Planettes, et de tes iniques destinées. Et si d’ad-
venturead-
uenture entre ces rameaux le ventuent te faisant bran-
ler, te donnoit quelque esprit, ce pendant qu’il du-
rera ne faiz jamaisiamais autre chose que crier. Ne te sou
cie point si quelq’un (peult estre) accoustumé d’ouyr
des accors plus exquis, d’un mauvaismauuais goust despri-
soit ta bassesse, & t’appelloit lourde ou grossieregroßiere:
car veritablementueritablement (si tu y penses bien) c’est ta prin-
cipale & propre louenge, pourveupourueu que ne te bou-
ges des forestz, & des lieux qui te sont convena-
blesconuena-
bles. Ausquelz encores suis jeie asseuré qu’il se trou-
veratrou-
uera des personnages qui par jugementiugement subtil exa-
minant tes paroles, diront que tu n’as en quelques
endroitz bien observéobserué les loix de bergerie, et qu’il
n’est licite a aucun de passer oultre ses limites. A
ceulx la jeie veuilueuil bien que (confessant liberalement
ta faulte) tu respondes qu’on ne scauroit trouvertrouuer la-
boureur tant expert a faire des sillons, qu’il se puis-
se tousjourstousiours promettre de les mener tous droicte-
ment
114
DE SANNAZAR.
ment sans tordre d’une part ou d’autre. CombienCōbien que
ne te sera petite excuse d’avoirauoir esté la premiere en
ce siecle qui auras esveilléesueillé les forestz endormies, et
monstré aux pasteurs a chanter les chansons desjadesia
mises en oubliance, et de tant plus, que celuy qui te
composa de ces roseaux quand il fut en Arcadie, n’y
alla comme pastoureau champestre, ains en jeuneieune
homme bien institué, descongneu & pelerin d’A-
mour. D’advantageaduantage au temps passé s’est trouvétrouué des
pasteurs tanttãt hardiz qu’ilz ont osé pousser leur stile
jusquesiusques aux oreilles des Consules Romains: soubz
l’umbre desquelz toy petite musette pourras bien
te couvrircouurir, & defendre ta raison. Mais si de fortu-
ne il t’en venoituenoit un de plus gracieuse nature, lequel
t’escoutant en pitié, gettast hors quelque larme
amoureuse, presente soudainement a Dieu pour luy
tes prieres, a ce qu’il luy plaise le conserverconseruer en sa fe-
licité, l’esloignant de noz miseres: Car a la veritéuerité
qui se sent des adversitezaduersitez d’aultruy, a souvenancesouuenance
de soymesmes. Toutesfois jeie croy que ceulx la se-
ront aussi rares, que corneilles blanches, pource que
la tourbe des detracteurs est beaucoup plus co-
pieuse. Et contre eulx jeie ne puis penser quelles ar-
mes jeie te pourroye donner, sinon te prier chere-
ment, que te rendant la plus humble qu’il te sera
possiblepoßible, te disposes a soustenir en patiencepatiēce leurs vio-uio-
P ij
[114v]
L’ARCADIE
lentes morsures. Nonobstant jeie pense estre asseuréaßeuré
que n’auras besoing de ce faire, si suyvantsuyuant mon con-
seil, tu te veulxueulx tenir en ces boys secretement, &
sans aucune pompe: Car qui ne saulte, n’a peur de
tumber: & qui chet en la plaine (ce que n’aduient
gueres) se relieverelieue sans dommagedōmage, seulement avecauec un
peu de secours de ses propres mains. Parquoy tu
peux tenir pour chose indubitable, que celuy peult
vivreuiure en plus grandgrãd repos, qui est plus loingtain &
retiré de la multitude confuse. Et entre les hommes
se peult plus veritablementueritablement estimer bien heureux
celuy qui sans envieenuie des grandessesgrandeßes d’aultruy, par
modestie de courage se contente de sa fortune.
FIN.
EXPOSITION DE PLUSIEURSPLVSIEVRS
motz contenuz en ce livreliure, dont l’intel-
ligence n’est commune.
A.
B.
C.
D.
E.
F.
G.
H.
I.
L.
M.
N.
O.
P.
R.
S.
T.
V.
Z.
FIN.
LE TRADUCTEURTRADVCTEVR
Aux lecteurs.
Ce n’est espoir de grand loz acquerir,
Qui m’a induict ce labeur entreprendre,
Sachant qu’il fault premier le conquerir
A plus haultz faictz, ou ne s’y point attendre.
Mais mon vouloiruouloir est seulement de rendre
A tous Francois, de ceste fiction
Le vray subjecturay subiect, non en perfection,
Car il fauldroit un plus eloquent stile.
J’I’espere (au moins) que ceste affection
Apportera quelque plaisir utile.
TRADUCTION D’UNETRADVCTION D’VNE ODE
d’Horace des louenges de la
vieuie rustique.
Bien heureux est qui d’affaires est loing,
Et qui n’a rien que de ses champs le soing,
Les labourant comme les bons antiques,
Hors des lyens d’usure, & ses praticques.
Qui en souldart ne s’esveilleesueille en sursault
Par la trompette invitantinuitant a l’assault.
Qui n’a frayeur, & le sang ne luy mue
Quand la Mer est de tourbillons esmue.
Qui le Palais eviteeuite, & maisons bravesbraues
Des plus puissans Citoyens & plus graves.
Tel aux poupliers gettons de Vigne assemble,
Quand d’aage sont assez meur, ce luy semble,
Ou en un valual regarde errans aller
Tous ses troupeaux qui’lqu’il escoute beller,
Ou d’une cerpe acerée qui trenche,
S’en vaua couppant mainte inutile branche.
Puis aux estocz de germe vigoureuxuigoureux
Ente & conjoinctconioinct des greffes plus heureux,
Ou le doux miel serre dans ses tinettes,
Songneusement laveeslauees & bien nettes,
Ou laynes prend de moutons & brebiz
Pour s’en servirseruir, & faire des habitz
Ou quand l’Autonne enrichissant les hommes,
Faict par les champs monstrer poyres & pommespōmes:
O que son ame est en soy contentée
Quand il en tient une qu’il ait entée,
Ou un raisin en sa vigneuigne choysi,
Dont la couleur combat le cramoysi,
Pour en parer dignement ton image
Dieu Priapus, ou pour t’en faire hommage
Pere SylvanSyluan des bornes erecteur,
Et des confins vigilantuigilant protecteur.
Or luy plaira soubz un Chesne s’estendre,
Et tost apres sus la belle herbe tendre:
Mais ce pendant tumbent de hault en bas,
Bruyantes eaux, des Nymphes les esbas:
Par les forestz jargonnentiargonnent oysillons,
Fontaines font undes sourdre en bouillons,
Et cela faict telle envie venirenuie uenir
De sommeiller, qu’on ne s’en peult tenir.
Puis quand le hault JupiterIupiter nous envoyeenuoye
L’yveryuer hydeux qui la terre pourvoyepouruoye
De neiges, ventzuentz, gelees, & bruynes,
De tous costez il pourchasse ruynes
A grans Sangliers, que par force de Chiens
Faict succumber aux toilles ou las siens,
Ou tend filez engluez d’art & ruse
Aux Tourdz gouluz, qu’en ce point il abuse.
Le LievreLieure prend ou la Grue au lasset,
Proyes qui sont a gré, comme l’onl’onlon scait.
Mais qui pourroit entre tant de plaisirs
Se souvenirsouuenir des chagrins & desirs
Que cause Amour? Si tel a d’advantureaduanture
Femme pudique & chaste de nature,
Qui de sa part tienne main au mesnage,
Et aux enfans tant aymez en bas aage,
Comme feroit une Sabine, ou celle
D’Apulius, haslée, & pourtant belle,
Qui au retour de son mary lassé
Face un beau feu de boys sec entassé,
Puis le bestail, de peur de mal ou pis,
Voyse establer, & traire les gros pis,
Prenne au tonneau vinuin de la mere goutte,
Et un repas dresse qui rien ne couste.
S’ainsi m’estoit, jeie n’auroye nul soucy
Du lac Lucrin, ny ses huystres aussiaußi,
Du gros Turbot, ou Scare bien friant,
Quand or le flot de la mer d’Orient
En la saison du froidureux yveryuer
A nostre port le feroit arriverarriuer,
Et ne prendroys plus de goust a mascher
De Poulle d’Inde, où Francolin la chair,
Que jeie ferois un peu d’OlivesOliues franches
Prinses dessus les plus moelleuses branches,
Ou du Lapas qui croist emmy la plaine,
Ou MauveMauue tendre aux mallades fort saine,
Ou quelque Aigneau qu’on occit & appreste
Pour celebrer de Terminus la feste,
Ou un chevreaucheureau des dens du loup rescoux
Par le pasteur a grand force de coupz.
O quilqu’il est bon entre si doux repas
Veoir retourner le bestail pas a pas
Vers la maison, mesme Beufz en la rue
Lassez trainans a l’enversenuers leur charue:
Puis des servansseruans mercenaires foison,
Indice vrayuray d’une bonne maison,
Se reposans sus les bancz de la sale
Dont tout le meuble est luysant, & non sale.
Quand l’usurier Alphius eut ce dict,
J’I’eusse pensé qu’il eust rompu credit,
Et delaissé promptement sa practique
Pour se renger a la vieuie rustique:
Car ses deniers aux Ides assembla:
Mais plus utile aussiaußi tost luy sembla
Les represter aux Calendes suyvantsuyuant,
Pour en tirer profit comme devantdeuant.
FIN.