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[3]


Cinquante
SONNETZ A LA LOU-
ANGE DE L’OLIVE.


I.


Je ne quiers pas la fa-
meuse Couronne,

Sainct ornement du
Dieu au chef doré,

Ou que du Dieu aux
Indes adoré

Le gay chapeau la te
ste m’environne.

Encores moins veux-je, que lon me donne
Le mol rameau en Cypre decoré,
Celuy, qui est d’Athenes honoré
Seul je le veux, & le ciel me l’ordonne.
O Arbre heureux, que la sage Deesse
En sa tutelle, & garde a voulu prendre,
Pour faire honneur à son sacré Autel!
Orne mon chef, donne moy hardiesse
De te chanter, qui espere te rendre
Egal un jour au Laurier immortel.

A iij

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[3v]


II.


D’Amour, de Grace, & de haulte Valeur
Les Feuz divins estoient ceinctz, & les Cieulx
S’estoient vestuz d’un Manteau precieux
A Raiz ardens, de diverse couleur.
Tout estoit plein de Beaulté, de Bonheur
La Mer tranquile, & le Vent gracieux
Quand celle la naquit en ces bas Lieux
Qui a pillé du Monde tout l’Honneur.
Ell’ prist son Teint des beaux Lyz blanchissans,
Son chef de l’Or, ses deux Levres des Rozes,
Et du Soleil ses yeux resplendissans
Le Ciel usant de Liberalité
Mist en l’Esprit ses Semences encloses,
Son Nom des Dieux prist l’Immortalité.


III.


Loyre fameux, qui ta petite Source
Enfles de maintz gros fleuves, & Ruysseaux,
Et qui de loing coules tes cleres Eaux
En l’Occëan d’une assez lente Course.
Ton chef Royal hardiment bien hault pousse
Et aparoy entre tous les plus beaux
Comme un Thaureau sur les menuz Troupeaux
Quoy que le Pau envieux s’en courrousse.
Commande doncq’ aux gentiles Naiades
Sortir dehors leurs beaux Palaiz humides
Avecques toy, leur Fleuve Paternel.
Pour salüer de joyeuses Aubades
Celle, qui t’a, & tes Filles liquides
Deïfié de ce bruyt eternel.


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[4]


IIII.


L’heureuse Branche à Pallas consacrée,
Branche de Paix, porte le Nom de celle,
Qui le Sens m’oste, & soubz grand’ Beaulté cele
La Cruaulté, qui à Mars tant agrée.
Delaisse doncq’ ô Cruelle obstinée!
Ce tant doulx Nom, ou bien te montre telle,
Qu’ainsi qu’en tout sembles estre Immortelle,
Sembles le Nom avoir par Destinée.
Que du hault Ciel il t’ait eté donné,
Je ne suy’ point de le croyre etonné
Veu qu’en Esprit tu es la Souveraine.
Et que tes yeulx à ceulx, qui te contemplent,
Coeur, Cors, Esprit, Sens, Ame, & vouloir emblent
Par leur Douceur angelique, & seraine.


V.


C’etoit la Nuyt que la Divinité
Du plus hault Ciel en Terre se rendit
Quand dessus moy Amour son Arc tendit
Et me fist Serf de sa grand’ Deïté.
Ny le sainct Lieu de telle Cruaulté,
Ny le Tens mesme assez me deffendit:
Le coup au Cœur par les yeulx descendit
Trop ententifz à ceste grand’ Beauté.
Je pensoy’ bien que l’Archer eust visé
A tous les deux, & qu’un mesme Lien
Nous deust ensemble egalement conjoindre.
Mais comme Aveugle, Enfant, mal avisé,
Vous a laissée (helas) qui etiez bien
La plus grand’ Proye, & a choisi la moindre.

A iiij

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[4v]


VI.


Comme on ne peult d’oeil constant soustenir
Du beau Soleil la clarté violente,
Aussi qui void vostre face excellente,
Ne peult les yeulx assez fermes tenir.
Et si de pres il cuyde parvenir
A contempler vostre Beauté luysante,
Telle clarté à voir luy est nuysante
Et si le faict aveugle devenir.
Regardez doncq’ si suffisant je suy’
A vous louer, qui seulement ne puy’
Voz grands Beautez contempler à mon gré.
Que si mes yeulx avoient un tel pouvoir,
J’estimeroy’ plus fermes les avoir,
Que n’a l’Oyseau à Jupiter sacré.


VII.


De grand’ Beauté ma Déesse est si pleine,
Que je ne voy’ chose au Monde plus belle.
Soit que le front je voye, ou les yeulx d’elle,
Dont la clarté saincte me guyde, & meine.
Soit ceste Bouche, ou souspire une halaine,
Qui les odeurs des Arabes excelle.
Soit ce chef d’or, qui rendroit l’estincelle
Du beau Soleil honteuse, obscure, & vaine.
Soient ces coutaux d’Albastre, & Main polie,
Qui mon coeur serre, enferme, estreinct, & lie,
Bref, ce que d’elle on peult ou voir, ou croyre,
Tout est divin, celeste, incomparable:
Mais j’ose bien me donner ceste gloyre,
Que ma Constance est trop plus admirable.


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[5]


VIII.


Auroy’-je bien de louer le pouvoir
Ceste Beauté, qui decore le monde?
Quand pour orner sa Chevelure blonde
Je sens ma langue ineptement mouvoir?
Ny le Romain, ny l’Atique Scavoir,
Quoy que la feust l’Ecolle de facunde,
Aux Cheveux mesme, ou le fin Or abunde,
Eussent bien faict à demy leur debvoir.
Quand je les voy’ si reluysans, & blonds,
Entrenouez, crespes, egaulx, & longs,
Je m’esmerveille, & fay’ telle complaincte.
Puis que pour vous (Cheveulx) j’ay tel martyre,
Que n’ay-je beu à la Fontaine saincte?
Je mourroy’ Cygne, ou je meurs sans mot dire.


IX.


Garde toy bien ô gracieux Zephire!
D’empestrer l’esle en ces beaulx nœuds epars,
Que ca, & la, doulcement tu depars
Sur ce beau Col de Marbre, & de Porphire.
Si tu t’y prens, plus ne vouldra nous ryre
Le verd Printemps: aincoys de toutes pars
Flore voyant que d’autre amour tu ards,
Fera ses Fleurs dessecher par grand’ ire.
Que dy-je las? Zephire n’est-ce point,
C’est toy Amour, qui voles en ce point
Tout à l’entour, & par dedans ces Retz.
Que tu as faictz d’art plus laborieux
Que ceulx, ausquelz jadis feurent serrez
Ta doulce Mere, & le Dieu furieux.


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[5v]


X.


Ces Cheveux d’or sont les Liens Madame,
Dont feut premier ma Liberté surprise,
Amour la Flamme autour du Cœur eprise,
Ces yeux le Traict, qui me transperse l’Ame.
Fors sont les Neudz, apre, & vive la flamme.
Le Coup, de Main à tyrer bien apprise,
Et toutesfois j’ayme, j’adore, & prise
Ce qui m’etraint, qui me brusle, & entame.
Pour briser doncq’, pour eteindre, & guerir
Ce dur Lyen, ceste Ardeur, ceste Playe,
Je ne quiers Fer, Liqueur, ny Medicine,
L’heur, & plaisir, que ce m’est de perir
De telle Main, ne permect que j’essaye
Glayve tranchant, ny Froydeur, ny Racine.


XI.


Des Ventz emeuz la raige impetueuse
Un Voyle noyr etendoit par les Cieux,
Qui l’Orizon jusq’aux extremes lieux
Rendoit obscur, & la Mer fluctueuse.
De mon Soleil la clarté radieuse
Ne daignoit plus aparoitre à mes yeulx
Ains m’annonceoient les flotz audacieux
De tous coutez une mort odieuse.
Une peur froyde avoit saisi mon Ame
Voyant ma Nef en ce mortel danger,
Quand de la Mer la fille je reclame,
Lors tout soudain je voy’ le Ciel changer,
Et sortir hors de leurs nubileux Voyles
Ces feuz Jumeaux, mes fatales Etoiles.


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[6]


XII.


O de ma vie à peu pres expirée
Le seul filet! yeux, dont l’Aveugle Archer
A bien sceu mil’, & mil’, fleches lascher
Sans qu’il en ait oncq’ une en vain tirée.
Toute ma force est en vous retirée,
Vers vous je vien’ ma guerison chercher,
Qui pouvez seulz la playe dessecher,
Que j’ay par vous (ô beaux yeux!) endurée.
Vous estes seulz mon Etoile amyable,
Vous pouvez seulz tout l’ennuy terminer,
Ennuy mortel de mon Ame offensée.
Vostre Clarté me soit doncq’ pitoyable,
Et d’un beau Jour vous plaise illuminer
L’obscure Nuyt de ma triste pensée.


XIII.


La belle Main, dont la forte foyblesse
D’un Joug captif domte les plus puyssans
La Main, qui rend les plus sains languissans,
Debendant l’Arc meurtrier, qui les cœurs blesse,
La belle Main, qui gouverne, & radresse
Les freins dorez des Oyseaux blanchissans,
Quand sur les Champs de Pourpre rougissans
Guydent en l’Air le Char de leur Maitresse,
Si bien en moy a gravé le Protraict
De voz Beautez au plus beau du Ciel nées,
Que ny la Fleur, qui le Sommeil attraict,
Ny toute l’Eau d’oubly, qui en est ceinte,
Effaceroient en mil’, & mil’ Années
Vostre figure en un jour en moy peinte.


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XIIII.


Le fort Sommeil, que celeste on doibt croyre,
Plus doulx que miel, couloit aux yeulx lassez
Lors que d’Amour les plaisirs amassez
Entrent en moy par la porte d’Ivoyre.
J’avoy’ lié ce Col de Marbre: voyre
Ce seing d’albastre en mes bras enlassez,
Non moins qu’on voit les Ormes embrassez
Du Sep lascif, au fecund bord de Loyre.
Amour avoit en mes lasses mouëlles
Dardé le traict de ses flammes cruelles,
Et l’ame erroit par ces levres de roses.
Preste d’aller au fleuve oblivieux
Quand le reveil de mon ayse envieux
Du doulx sommeil a les portes decloses.


XV.


Pié, que Thetis pour sien eust avoué,
Pié, qui au bout monstres cinq Pierres telles,
Que l’Orient seroit enrichi d’elles,
Cil Orient en Perles tant loué.
Pied Albastrin, sur qui est appuyé
Le beau Sejour des Graces immortelles,
Qui feut baty sur deulx Coulonnes belles
De marbre blanc, poly, & essuyé.
Si l’Oeil n’a plus de me nourir esmoy,
Si ses Thesors la Bouche ne m’octroye,
Si les Mains sont en mes playes si fortes,
Au moins (ô Pié) n’esloingnes point de moy
Mon triste coeur, dont Amour a faict proye.
L’emprisonnant en ce Corps, que tu portes.


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[7]


XVI.


Qui a peu voir celle, que Déle adore,
Se devaler de son Cercle congneu,
Vers le pasteur d’un long sommeil tenu
Dessus le Mont, qui la Carie honore.
Et qui a veu sortir la belle Aurore
Du jaulne lict de son espoux chenu
Lors que le ciel encor’ tout pur, & nu
De mainte Rose Indique se colore.
Celuy a veu encores (ce me semble)
Non point les Lyz, & les Roses ensemble,
Non ce, que peult le Printemps concepvoir.
Mais il a veu la Beaulté nompareille
De ma Deesse, ou reluyre on peult voir
La clere Lune, & l’Aurore vermeille.


XVII.


J’ay veu Amour, (et tes beaulx Traictz dorez
M’en soient tesmoings,) suyvant ma Souvereine,
Naistre les fleurs de l’infertile Arene
Apres ses pas dignes d’estre adorez.
Phebus honteux ses cheveux honorez
Cacher alors, que les Ventz par la Plaine
Eparpilloient de leur souëfve halaine
Ceulx la, qui sont de fin Or colorez.
Puis s’en voler de chascun Oeil d’icelle
Jusques au Ciel une vive Etincelle,
Dont feurent faictz deux Astres clers, & beaux.
Favorisans d’influences heureuses
(O Feux divins! ô bienheureux Flambeaulx!)
Tous Coeurs bruslans aux flammes amoureuses.


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[7v]


XVIII.


Le Chef doré cestuy blazonnera,
Cestuy le Cors, l’autre le blanc Ivoyre
De l’Estommac, l’autre eternelle gloyre
Aux yeux Archers par ses vers donnera.
Comme une fleur tout cela perira,
Mais en Esprit, en Facunde, & Memoire
Quand l’Aage aura sur la Beauté victoire,
Mieux que devant Madame florira.
Que si en moy le souverain Donneur
Pour tel Subject heureusement poursuyvre
Eust mis tant d’Art, tant de grace, & bonheur,
Mieux qu’en tableau, en bronze, marbre, ou cuyvre
Je luy feroy’, & à moy un Honneur,
Qui elle, & moy feroit vivre, & revivre.


XIX.


Face le Ciel (quand il vouldra) revivre
Lisippe, Apelle, Homere, qui le pris
Ont emporté sur tous humains Espris
En la Statue, au Tableau, & au Livre.
Pour engraver, tyrer, decrire, en Cuyvre,
Peinture, & Vers ce, qu’en vous est compris,
Si ne pouront leur Ouvraige entrepris,
Cyzeau, Pinceau, ou la Plume bien suyvre.
Voyla pourquoy ne fault, que je souhete
De l’Engraveur, du Peintre, ou du Poëte
Marteau, Couleur, ny Encre, ô ma Déesse!
L’Art peut errer, la Main fault, l’Oeil s’ecarte.
De votz Beautez mon cœur soit doncq’ sans cesse
Le Marbre seul, & la Table, & la Charte.


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[8]


XX.


Puis que les Cieux m’avoient predestiné
A vous aymer, digne Object de celuy,
Par qui Achille est encor’ aujourdhuy
Contre les Grecz pour s’Amye obstiné,
Pourquoy aussi n’avoient-ilz ordonné
Renaitre en moy l’Ame, & l’Esprit de luy?
Par maintz beaux vers tesmoings de mon ennuy
Je leur rendroy’, ce qu’ilz vous ont donné.
Helas Nature, au moins puis que les Cieux
M’ont denié leurs Liberalitez,
Tu me devois cent Langues, & cent yeulx.
Pour admirer, & louër cete la,
Dont le Renom (pour cent Graces, qu’elle a)
Merite bien cent Immortalitez.


XXI.


Les Boys fueilluz, & les herbeuses Ryves
N’admirent tant parmy sa Troupe saincte
Dyane, alors que le chaut l’a contrainte
De pardonner aux Bestes fugitives,
Que tes Beautez, dont les autres tu prives
De leurs Honneurs, non sans Envie mainte
Veu que tu rends toute Lumiere etainte
Par la clarté de deux Etoiles vyves.
Les Demydieux, & les Nymphes des Boys
Par l’epesseur des forestz chevelues
Te regardant, s’etonnent maintesfoys
Et pour à Loyre eternité donner
Contre leurs bords ses Filles impolues
Font ton hault bruyt sans cesse resonner.


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[8v]


XXII.


O doulce ardeur, que des yeulx de ma Dame
Amour avecq’ sa Torche accoustumée
Dedans mon coeur a si bien allumée,
Que je la sens au plus profund de l’Ame!
Combien le Ciel favorable je clame,
Combien Amour, combien ma Destinée,
Qui en ce point ma vie ont terminée
Par le torment d’une si doulce Flamme!
Qu’en moy (amour) ne durent tes doulx feuz,
Je ne le puy’ & pouvoir ne le veulx
Bien que la Chair soit caducque, & mortelle.
Car ceste ardeur, dont mon Ame est ravie,
Prendra aussi immortalité d’elle
Vivant par Mort d’une eternelle Vie.


XXIII.


Piteuse Voix, qui ecoutes mes pleurs,
Et qui errant entre rochers, & boys
Avecques moy: m’as semblé maintesfoys
Avoir pitié de mes tristes douleurs.
Voix, qui tes plainctz mesles à mes clameurs,
Mon dueil au tien, si Olive est ma voix,
Olive aussi soubdain dire tu voys,
Et m’est avis, qu’avecques moy tu meurs.
Seule je t’ay pitoyable trouvée.
O noble Nymphe! en qui (peult estre) encores
L’antique feu de nouveau s’evertue.
Pareille Amour nous avons eprouvée,
Pareille peine aussi nous souffrons ores.
Mais plus grande est la Beaulté, qui me tue.

Je ne

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[9]


XXIIII.


Je ne croy point, veu le dueil que je meine
Pour l’apre ardeur d’une flamme subtile,
Que mon Oeil feust en larmes si fertile,
Si n’eusse au Chef d’eaue vive une fonteine.
Larmes ne sont, qu’avecq’ si large vene
Hors de mes yeux maintenant je distile.
Tout pleur seroit à finir inutile
Mon dueil, qui n’est qu’au meillieu de sa peine.
L’Humeur vitale en soy toute reduite
Devant mon feu craintive prent la fuyte
Par le Sentier, qui meine droict aux yeux.
C’est cete ardeur, dont mon Ame ravie
Fuyra bien tost la Lumiere des Cieux,
Tirant à soy & ma peine, & ma vie.


XXV.


La Nuyt m’est courte, & le Jour trop me dure,
Je fuy’ l’Amour, & le suy’ à la trace,
Cruel me suy’, & requiers vostre grace,
Je prens plaisir au torment, que j’endure.
Je voy’ mon bien, & mon mal je procure,
Desir m’enflamme, & Crainte me rent glace,
Je veux courir, & jamais ne deplace
L’obscur m’est cler, & la Lumiere obscure.
Votre je suy’ & ne puis estre mien,
Mon Cors est libre, & d’un etroict lyen
Je sen’ mon Coeur en Prison retenu.
Obtenir veux, & ne puy’ requerir,
Ainsi me blesse, & ne me veult guerir
Ce vieil Enfant, aveugle Archer, & nu.

B

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[9v]


XXVI.


Quand le Soleil lave sa Teste blonde
En l’Occëan, l’humide, & noyre Nuyt
Un coy Sommeil, un doulx Repos sans bruyt
Epant en l’Air, sur la Terre, & soubz l’Unde.
Mais ce Repos, qui soulaige le Monde
De ses travaux, est ce, qui plus me nuist,
Et d’Astres lors si grand nombre ne luist,
Que j’ay d’ennuiz & d’angoisse profunde.
Puis quand le Ciel de rougeur se colore,
Ce que je puy’ de plaisir concevoir,
Semble renaitre avec la belle Aurore.
Mais qui me fait tant de bien recevoir?
Le doulx espoir, que j’ay de bien tost voir
L’autre Soleil, qui la Terre decore.


XXVII.


Ce, que je sen’, la Langue ne refuse
Vous decouvrir, quand suy’ de vous absent,
Mais tout soudain que pres de moy vous sent,
Elle devient & muette, & confuse.
Ainsi, Espoir me promect, & m’abuse,
Moins pres je suy’ quand plus je suy’ present.
Ce qui me nuist, c’est ce, qui m’est plaisent,
Je quiers cela, que trouver je recuse.
Joyeux la Nuyt, le Jour triste je suy’.
J’ay en dormant ce, qu’en veillant poursuy’
Mon Bien est faulx, mon Mal est veritable.
D’une me plaing, & deffault n’est en elle,
Fay doncq’ Amour, pour m’estre charitable,
Breve ma vie, ou ma Nuyt eternelle.


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[10]


XXVIII.


Les Cieux, l’Amour, la Mort, & la Nature,
Honneur, Credit, faveur, Envie, ou Crainte
De ceste forme en moy si bien emprainte
N’effaceront la vive Protraiture.
Ivoyre, Gemme, & toute Pierre dure
Se peut briser, si du fer est attainte,
Mais bien qu’ell’ soit de se rompre contrainte,
De se changer jamais elle n’endure.
Mon cœur est tel: & me le fist prouver
Amour, alors que pour vous y graver,
A coups de Traict me livra la Battaille.
Je scay combien son Arc y travailla,
Plus de cent coups, non un seul, me bailla
Premier qu’il peust en lever une Ecaille.


XXVIX.


Bien que le mal, que pour vous je supporte,
Soit violent, toutesfois je ne l’ose
Apeller mal, pource qu’aucune chose
Ne vient de vous, qui plaisir ne m’aporte.
Mais ce m’est bien une douleur plus forte
Que je ne puy’ de ma tristesse enclose
Tourner la Clef, lors que je me dispose
A vous ouvrir de mes pensers la porte.
Si donc mes pleurs, & mes soupirs cuysans
Si me ennuiz ne vous sont suffisans
Temoings d’Amour, quele plus seure preuve.
Quele autre foy, si non mourir, me reste?
Mais le Remede (helas) trop tard se treuve
A la douleur, que la Mort manifeste.

B ij

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[10v]


XXX.


Le grand Flambeau, gouverneur de l’Année.
Par la Vertu de l’enflammée Corne
Du blanc Thaureau, Prez, Montz, Rivaiges orne
De mainte fleur du sang des Princes née.
Puis de son Char la roüe etant tournée
Vers le cartier prochain du Capricorne,
Froid est le vent, la saison nue, & morne,
Et toute fleur devient seiche, & fenée.
Ainsi, alors que sur moy tu etens
O mon Soleil! tes clers Rayons epars,
Sentir me fais un gracieux Printens.
Mais tout soudain, que de moy tu depars,
Je sens en moy venir de toutes pars
Plus d’un Hyver, tout en un mesme tens.


XXXI.


O Prison douce, ou captif je demeure
Non par dedaing, force, ou inimitié,
Mais par les yeux de ma douce Moitié
Qui m’y tiendra jusq’à tant que je meure.
O l’An heureux, le Moys, le Jour, & l’Heure,
Que mon cœur feut avecq’elle allié!
O l’heureux neud, par qui j’y feu’ lïé
Bien que souvent je plaing, soupire, & pleure!
Tous prisonniers, vous etes en soucy,
Craignant la Loy, & le Juge severe
Moy plus heureux, je ne suy’ pas ainsi.
Mile doulx motz, doucement exprimez,
Mil’ doulx baisers, doucement imprimez,
Sont les tormens, ou ma foy persevere.


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[11]


XXXII.


Apres avoir d’un braz victorieux
Domté l’effort des superbes couraiges,
Aucuns jadis bastirent haulx Ouvraiges
Pour se vanger du Tens injurieux.
Autres craignans leurs Actes glorieux
Assubjetir à flammes, & oraiges,
Firent Ecriz, qui malgré telz oultraiges
Ont fait leurs noms voler jusques aux Cieux.
Maintz au jourd’huy en signe de Victoire
Pendent au Temple armes bien etophées,
Mais je ne veux comme eux acquerir gloire.
Avoir eté par vous vaincu, & pris,
C’est mon Laurier, mon Triumphe, & mon pris,
Qui ma depouille egale à leurs Trophées.


XXXIII.


Me soit Amour ou rude, ou favorable,
Ou hault, ou bas me pousse la Fortune,
Tout ce, qu’au cœur je sens pour l’amour d’une
Jusq’à la mort, & plus, sera durable.
Je suy’ le Roc de foy non variable,
Que Vent, que Mer, que le Ciel importune.
Et toutefois adverse, ou oportune
Soit la saison, il demeure imployable.
Plus tost vouldra le Diament apprendre
A s’amolir de son bon gré, ou prendre.
Soubz un Burin de plomb, diverse forme.
Que par nouveau ou bon heur, ou malheur
Mon cœur, ou est de votre grand’ valeur
Le vray Protraict, en autre se transforme.

B iij

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[11v]


XXXIIII.


L’unic Oyzeau (miracle emerveillable)
Par feu se tue, ennuyé de sa vie,
Puis quand son Ame est par flammes ravie,
Des Cendres naist un autre à luy semblable.
Et moy, qui suy’ l’unique Miserable,
Faché de vivre, une flamme ay suyvie,
Dont conviendra bien tost, que je devie
Si par pitié ne m’etes secourable.
O grand’ Douceur! ô Bonté souveraine!
Si tu ne veux dure, & inhumaine estre
Soubz ceste face angelique, & seraine,
Puis qu’ay pour toy du Phenix le semblant,
Fay qu’en tous poinctz je luy soy’ ressemblant,
Tu me feras de moy mesme renaitre.


XXXV.


Celle, qui tient par sa fiere Beauté
Les Dieux en feu, en glace, ayse, & martyre,
L’œil impiteux soudain de moy retire
Quand je me plaing’ à sa grand’ Cruauté.
Si je la suy’, ell’ fuit d’autre couté
Si je me deulx, mes larmes la font ryre,
Et si je veux ou parler, ou ecrire,
D’elle jamais ne puys estre ecouté.
Mais (ô moy sot!) de quoy me doy’-je plaindre,
Fors du desir, qui par trop hault ataindre,
Me porte au lieu, ou il brusle ses Esles?
Puis moy tumbé, Amour, qui ne permet
Finir mon dueil, soudain les luy remet,
Renouvelant mes Cheutes eternelles.


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[12]


XXXVI.


Sacrée, saincte, & celeste Figure,
Pour qui du Ciel l’admirable, & hault Temple
Semble courbé, afin qu’en toy contemple
Tout ce, que peut son Industrie, & cure.
Si de tes yeux les beaux Raiz d’avanture
Daignent mon cœur echaufer, il me semble
Qu’en moy soudain un feu divin s’assemble,
Qui mue, altere, & ravist ma Nature.
Et si mon Oeil ose se hazarder
A contempler une Beauté si grande,
Un Ange adoncq’ me semble regarder.
Lors te faisant d’Ame, & de Cors offrande
Ne puy’ le coeur idolatre garder,
Qu’il ne t’adore, & ses Vœutz ne te rande.


XXXVII.


Plus ferme foy ne feut onques jurée
A nouveau Prince, ô ma seule Princesse!
Que mon Amour, qui vous sera sans cesse
Contre le Tens, & la Mort, assurée.
De fosse creuse, ou de Tour bien murée
N’a point besoing de ma foy la Fortresse,
Dont je vous fi’ Dame, Royne, & Maitresse,
Pour ce qu’ell’ est d’eternelle durée.
Thesor ne peut sur elle estre vainqueur,
Un si vil prix n’aquiert un gentil cœur:
Non point faveur, ou grandeur de lignaige,
Qui eblouist les yeux du Populaire,
Non la beauté, qui un leger couraige
Peut emouvoir, tant que vous, me peut plaire.

B iiij

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[12v]


XXXVIII.


Je suy’ semblable au Marinier timide,
Qui voyant l’Air ca, & la se troubler,
La Mer ses flotz ecumeux redoubler,
Sa Nef gemir soubz ceste force humide,
D’art, d’industrie, & d’esperance vide
Pense le Ciel, & la Mer s’assembler,
Se met à plaindre, à crier, à trembler,
Et de ses ventz les Dieux enrichir cuyde.
Le Nocher suy’, mes pensers sont la Mer,
Soupirs, & pleurs sont les Ventz, & l’oraige.
Vous ma Déesse etes ma clere Etoile.
Que seule doy’, veux, & puy’ reclamer,
Pour asseurer la Nef de mon couraige,
Et eclersir tout ce tenebreux Voyle.


XXXIX.


Les chaulx soupirs de ma flamme incongnue
Ne sont soupirs, & telz ne les veux dire
Mais bien un vent: car tant plus je soupire,
Moins de mon feu la chaleur diminue.
Ma vie en est toutefois soutenue,
Lors que par eux de l’ardeur je respire.
Ma peine aussi par eux mesmes empire,
Veu que ma flamme en est entretenue.
Tout cela vient de l’Amour, qui enflamme
Mon estommac d’une eternelle flamme,
Et puis l’evente au tour de luy volant.
O petit Dieu, qui Terre, & Cieux allumes!
Par quel miracle en feu si violant
Tiens-tu mon coeur, & point ne le consumes?


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[13]


XL.


Penser volaige, est leger comme Vent,
Qui or’ au Ciel, or’ en Mer, or’ en Terre
En un moment cours, & recours grand erre,
Mais soubz la nuit des Umbres bien souvent.
Et quelque part, que voyses t’elevant,
Ou rabaissant, celle, qui me fait guerre,
Celle Beauté, tousjours devant toy erre,
Et tu la vas d’un leger pié suyvant.
Pourquoy suys-tu (ô penser trop peu saige!)
Ce, qui te nuist? pourquoy vas-tu sans Guyde
Par ce chemin plein d’erreur variable?
Si de parler au moins eusses l’usaige,
Tu me rendrois de tant de peines vide,
Toy en repos, & elle pitoyable.


XLI.


Ores qu’en l’air le grand Dieu du Tonnerre
Se rue au Seing de son Epouse aymée,
Et que de fleurs la Nature semée
A fait le Ciel amoureux de la Terre.
Or’ que des Ventz le Gouverneur desserre
Le doux Zephire, & la forest armée
Voit par l’épaiz de sa neuve Ramée
Maint libre Oyzeau, qui de tous coutez erre.
Je voy’ faisant un cry non entendu
Entre les fleurs du sang amoureux nées
Pasle, dessoubz l’Arbre pasle entendu.
Et de son fruict amer me repaissant,
Aux plus beaux jours de mes verdes Années
Un triste Hyver sens en moy renaissant


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[13v]


XLII.


Le doulx Sommeil paix, & plaisir m’ordonne,
Et le Reveil guerre, & douleur m’aporte,
Le faulx me plaist, le vray me deconforte,
Le Jour tout mal, la Nuyt tout bien me donne.
S’il est ainsi, soit en toute personne
La verité ensevelie, & morte,
O Animaux de plus heureuse sorte,
Dont l’œil six moys le Dormir n’abandonne!
Que le Sommeil à la Mort soit semblant,
Que le Veiller de vie ait le semblant,
Je ne le dy, & le croy’ moins encores.
Ou s’il est vray, puis que le jour me nuist
Plus que la Mort, ô Mort, veilles doncq’ ores
Clore mes yeux d’une eternelle Nuyt.


XLIII.


Pere Occëan, Commencement des Choses,
Des Dieux marins le Sceptre vertueux,
Qui maint Ruysseau, & Fleuve impetueux
En ton Seing large enfermes, & composes:
Tu ne sens point, quand moins tu te reposes,
Plus s’irriter de flotz tempetueux
Contre tes Bords, qu’en mon coeur fluctueux
Je sen’ de ventz, & Tempestes encloses.
Helas, recoy mes chaudes Larmes donques
En ton Liquide: eteins leur feu, si onques
Tu as senty d’Amour quelque Scintile,
Et si tes Eaux peuvent le feu eteindre,
Qui rend la Foudre, & Trident inutile,
Et qui se fait jusques aux Enfers creindre.


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[14]


XLIIII.


Sacré Rameau, de celeste Presaige,
Rameau, par qui la Columbe envoyée,
Au Demeurant de la Terre noyée
Porta jadis un si joyeux messaige.
Heureux Rameau, soubz qui gist à l’umbraige
La douce Paix icy tant desirée
Alors que Mars, & la Discorde irée
Ont tout remply de feu, de sang, & raige:
S’il est ainsi que par les sainctz Ecriz
Soys tant loué, helas, recoy mes criz
O mon seul Bien! ô mon Espoir en Terre!
Qui seulement ne me temoingnes ores
Paix, & Beautens: mais toymesmes encores
Me peux sauver de Naufrage, & de Guerre.


XLV.


O toy, à qui a eté ottroyé
Voir cete flamme ardent’, qui s’entretient
En l’Estommac du Geant, qui soutient
Un Mont de feu sur son doz foudroyé.
Et cetuy la, qui l’Oyzeau dedié
Au Dieu Vangeur, qui la foudre en main tient,
Paist d’un Poumon, qui tousjours luy revient,
Au froid Sommet de Caucase lié.
Je te suply’ imaginer encore
Ce, qui mon cœur brusle, englace, & devore
Sans me donner loysir de respirer.
Lors me diras, voyant ma peine telle,
Tu sers d’Exemple, à qui ose aspirer
Trop hardiment à chose non mortelle.


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[14v]


XLVI.


Mere d’Amour, & fille de la Mer,
Du Cercle tiers lumiere souverene,
Qui Ciel, & Terre, & Chams semez d’Arene
Peuz jusq’au fond des undes enflammer.
Toy, qui le doulx mesles avecq’ l’amer,
Quand ce beau Ryz, qui le Ciel rasserene,
De tous les Dieux le plus cruel refrene,
Et le contrainct ton ayde reclamer.
Dont luy tout plein de ce tant doulx venin
Entre tes braz paist son œil ja benin
En ta divine, & celeste Beauté.
Te plaise (helas) Déesse, à ma priere,
Flechir un peu ceste mienne Guerriere,
Qui a trop plus, que Mars de cruaulté.


XLVII.


Or’ que la Nuyt son Char etoilé guide
Qui le silence, & le sommeil rameine,
Me plaist lascher, pour desaigrir ma peine
Aux pleurs, aux criz, & aux soupirs la bride.
O Ciel! ô Terre! ô Element liquide!
O ventz! ô Boys! Rochers! Montaigne, & Pleine!
Tout lieu desert, tout rivaige, & Fonteine,
Tout lieu remply, & tout espace vide.
O Demydieux! ô vous Nymphes des Boys!
Nymphes des Eaux, tous Animaux divers,
Si oncq’ avez senty quelque Amitié,
Veillez piteux ouyr ma triste voix,
Puis que ma foy, mon Amour, & mes Vers
N’ont sceu trouver en Madame pitié.


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[15]


XLVIII.


O foible Esprit, chargé de tant de peines,
Que ne veux-tu soubz la Terre descendre?
O Coeur ardent, que n’es-tu mis en cendre?
O tristes yeux, que n’estes-vous fonteine?
O bien douteux! ô peines trop certaines!
O doulx scavoir, trop amer à comprendre!
O Dieu, qui fais, que tant j’ose entreprendre,
Pourquoy rends-tu mes entreprises vaines?
O jeune Archer, Archer, qui n’as point d’yeux,
Pourquoy si droict as-tu pris ta visée?
O vif flambeau, qui embrases les Dieux,
Pourquoy as-tu ma froydeur attisée?
O face d’Ange! ô cœur de Pierre dure!
Regarde au moins le torment, que j’endure.


XLIX.


Qui a nombré, quand l’Astre, qui plus luyt,
Ja le milieu du bas Cercle environne,
Tous ces beaux feuz, qui font une Couronne
Aux noirs Cheveux de la plus clere nuyt,
Et qui a sceu combien de fleurs produyt.
Le verd Printens, combien de fruictz l’Autonne,
Et les Thesors, que l’Inde riche donne
Au Marinier, qu’Avarice conduyt?
Qui a conté les etincelles vives
D’Aetne, ou Vesuve, & les flotz, qui en Mer
Hurtent le front des ecumeuses Rives,
Celuy encor’ d’une, qui tout excelle,
Peut les Vertuz, & Beautez estimer,
Et les tormens, que j’ay pour l’Amour d’elle.


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[15v]


L.


Moy, que l’Amour a fait plus d’un Lëandre,
De cet Oyzeau prendray le blanc Pennaige,
Qui en chantant plaingt la fin de son Aige
Aux Bords herbuz du sinueux Mëandre.
Dessoubz mes chantz voudront (possible) apprendre
Maint Boys sacré, & maint Antre sauvaige,
Non gueres loing de ce fameux Rivaige,
Ou Meine va dedans Loyre se rendre.
Puis descendant en la saincte Forest,
Ou maint Amant à l’umbraige encor’ est,
Iray chanter au Bord oblivieux,
D’ou arrachant votre bruyt nonpareil,
De revoler icy hault envieux
Luy feray voir l’un, & l’autre Soleil.



FIN.


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