Bibliothèques Virtuelles Humanistes - Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance, Tours | LES DISCOURS FANTASTIQUES DE JUSTIN TONNELIER. Composez en Italien, par Jean Baptiste Gelli, Aca- demic, Florentin. Et nouvellement traduits en François, par C. D. K. P.Claude de Kerquifinen parisien A LYON. A LA SALEMANDRE. M.D.LXVI. |
Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
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Première publication :
20/07/2010
Dernière mise à jour : 19/03/2014
LE TRANSLATEUR
au seigneur E.B. son ancien
& fidele ami.
MONSIEUR, je vous en-
voye à ceste fois les Discours fan
tastiques de Nicolao Gelli, que
j’ay depuis n’agueres achevé de
mettre en François, pour entretenir ma pro-
messe. Ce que j’ay fait d’autant plus volontiers,
que j’ay cognu vostre priere estre fondee à bien
bonne raison, sur le profit qui peut revenir à
nostre France, de la publication de ce petit li
vre. En quoy j’espere que vous & moy ne se-
rons deceus. Car outre les beaux & gentils
discours qui y sont deduits, il invite gratieu-
sement un chacun, & luy descouvre fort a-
pertement & avec grande facilité, les pre-
miers moyens, pour parvenir à la vraye co-
gnoissance de Dieu & de soy-mesmes, qui est
un poinct, sur tout digne d’estre bien entendu,
& encore plus necessaire à retenir & mettre
a.ii.
4
EPISTRE.
en usage, à fin de conduire sagement & heu-
reusement nostre vie en ce monde, & jouyr
avec Dieu de l’eternelle, en l’autre. On ne
doit aussi estimer qu’il soit utile & duise seu
lement aux vieilles personnes, comme si les
jeunes ni trouvoyent rien de sortable pour leur
aage, & qui fust proportionné à leur mesure.
Car au moins, ceux-ci pourront apprendre en
le lisant, à devenir vieils de bonne heure, ain-
si que nous en admoneste le proverbe ancien,
& avancer par bon discours & resolution, la
maturité & sagesse d’esprit, & d’ailleurs com
poser leurs corps a telle temperance & so-
brieté, que d’un costé ils soyent tousjours
prests à desloger alaigrement quand il con-
viendra quitter le monde, voire & fust-ce en
la fleur & force de leur jeunesse. Et d’autre
part, si Dieu permet que le terme de leur vie
soit prolongé plus long temps, qu’ils puissent
jouyr d’une vieillesse gaye, saine, contente,
& asseuree. Au reste, la cause pourquoy je
n’ay
5
EPISRTEEPISTRE.
n’ay voulu manifester autrement vostre nom
ni le mien, c’est d’autant que pour vostre re-
gard vous avez assez de quoy fournir de vo-
stre creu, pour vous faire cognoistre à bien
bonnes enseignes pour l’un des mieux nez, &
plus doctes esprits de la France, sans emprun
ter pleige ni aveu d’un autre. Et quant à moy
je ne veux point cercher en vain d’acquerir
aucune reputation ou honneur pour une sim-
ple traduction, me contentant de satisfaire à
nostre amitié mutuelle, vous ayant obey en
ce que m’avez requis rendre à mon pays une
partie du devoir auquel je luy suis obligé par
nature, luy communiquant le fruict de mon
labeur.
Vostre ancien & fidele ami a jamais,
C. D. K. P.Claude de Kerquifinen parisien
A CEUX QUI SONT
curieux d’entendre les discours fan-
tastiques d’autruy, Jean Baptiste Gel
li, Salut.
N’AYANT le tresbon & grand Dieu
ou bien la nature sa ministre & servan-
te, donné à nostre ame dés sa naissance
son comble & sa perfection, (qui n’est au-
tre certainement que la cognoissance de
la verite) ainsi que l’ont receu les autres esprits &
anges divins, lesquels à l’instant de leur creation com-
mencerent à jouir de la vision & cognoissance parfai-
te de Dieu, qui estoit leur fin, au lieu que la nostre ayant
esté creée nue & sans estre douëe ni couverte d’aucu-
ne cognoissance, ains semblable du tout à ceste table ra
se d’Aristote, en laquelle il n’y a rien de peint ni escrit:
il luy est force d’y parvenir peu à peu & par succession
de temps. Qui fait qu’elle est sans cesse aiguillonnée d’un
desir naturel, de cercher ceste fin, à laquelle Dieu l’a
vouëe & destinee de toute eternité. Mais parce qu’au
mesme instant qu’elle est creée[sic], elle se retrouve enclose en
cestuy nostre corps sensible, elle ne peut jamais par au-
tre moyen, acquerir cognoissance aucune, sinon par ce-
luy des choses sensibles, estant neantmoins conduite &
aidee par les sens exterieurs, qui sont propres à les di-
scerner & cognoistre, & par lesquels les formes & espe
ces de ces choses sensibles venans à passer, elles s’impri-
ment & engravent dans les sens interieurs, ou pour mieux
dire,
7
EPISTRE.
dire, elles s’escrivent en la fantasie & en la memoire
comme en un livre, auquel puis apres l’intellect venant
à lire ce qui est contenu, il parvient par son discours à la
cognoissance des choses intelligibles. Et neantmoins pour
tout cela, encor ne peut-elle jouir de ce sien desir tant ho
neste & louable, sans tresgrande peine & difficulté. Ce
qui ne luy avient pas seulement pour la grande multi-
tude & diversité des choses, qui sont d’elles-mesmes ainsi
difficilles à estre entendues, mais bien plus pour la dif-
ference & contrariété de sa nature, avec celle du corps
auquel elle est logée, & qui est terrestre & mortel, & el-
le divine & immortelle. Tellement que puis qu’il est
vray, que par tout où il y a diversité de nature, il faut
aussi que les fins en soyent diverses: il nous faut conclur-
re necessairement, que la fin du corps est toute autre que
non pas celle de l’ame. Aussi voyons-nous, que le corps
a pour son but l’utilité & le plaisir, & pour ceste cause
il les appette & desire incessamment, en sorte que bien
souvent, voire tousjours, il s’amuse à cercher & requerir
les choses terrestres & sensibles, & s’en repaist & nour-
rist ordinairement, comme de la seule viande qui luy
vient à goust, voire mesmes se repose & accoise en icelle,
au moins mal qu’il peut. Où l’ame qui a pour sa fin le
parfaict & souverain bien, ne trouve & ne prend jamais
son contentement aux biens de ce monde, par ce qu’à
la realle verité, ce ne sont pas vrayement biens, mais
en monstre & apparence tant seulement, sous couleur
de quelque plaisir & utilité qu’on en peut tirer: & si y
a plus, car iceux ne sont ou apparoissent tousjours bons,
mais quelquesfois ouy, & quelquesfois non, selon le be-
soin & necessité qu’on en peut avoir. Et combien que
a. iiii.
8
EPISTRE.
nostre ame, à cause de l’union merveilleuse de laquelle
elle se trouve liee avec nostre corps, & estant desvoyee
par les sens d’iceluy, aspire & court quelquesfois apres
les biens de ce monde, il luy advient comme à ce pelerin
duquel le poete Danté a escrit, qui voyageant par un
chemin neuf & auquel il n’avoit onc passé, il croit de
toute chose qu’il voit de loin, que ce soit le lieu de sa re-
peuë, ou de son giste, & se trouvant deceu lors qu’il en
est approché pres, il jette aussi tost sa veuë sur quelques
autres maisons ou villages voisins, & ne cesse de courir
de l’oeil plus que des jambes, jusques à tant qu’il par-
vienne à l’hostellerie où il est arresté qu’il doit loger.
Pareillement aussi nostre ame venant à entrer au che-
min de ceste vie, soudain qu’elle voit quelque chose qui
a apparence de bien, elle croit quant & quant qu’elle
y doyve trouver son contentement qu’elle souhaite, mais
puis apres quand elle en a acquis la jouyssance, cognois
sant son abus elle dresse ses pensées à un autre, & ne ces
se d’aller au change, jusques à ce qu’elle arrive à son vray
but tant desiré. Or de ceste diversité tant de la nature
comme de la fin, naist la verité de toutes les operations
humaines. De là procede le desir continuel & insatia-
ble des hommes, ne s’en trouvant pas un qui se contente de
sa fortune, mais un chacun louë & prise seulement ce qu’il
n’a point. C’est aussi ce qui engendre en nous tant de fol
les & ectrangesestranges fantasies, tant de pensees & conceptions
diverses & variables, comme un chacun peut recognoi-
stre en soy-mesmes, quand il se trouve de loisir apart soy,
& qu’il discourt en son esprit faisant mille resveries, &
mille chasteaux en l’air, comme l’on dit en commun
proverbe
9
EPISTRE.
proverbe. Et le nombre & diversité d’iceux est telle &
si grande, que si nous pouvions aussi bien entendre ceux
que sont nos compagnons, comme les nostres, outre le
passe-temps & le plaisir que nous y ferions (qui seroit cer
tes merveilleux plus qu’on ne sçauroit dire) nous en ti-
rerions encor un proffit non petit, comme chacun de vous
pourra cognoistre, lisant ces devis & conferences que je
vous presente maintenant, lesquelles ne contiennent au-
tre chose, sinon que certaines resveries, que faisoit en
soy-mesme un certain Justin Tonnelier, demeurant à Flo
rence aupres de sainct Pierre le majeur, qui est mort
depuis deux ans en çà ou environ, homme certainement
d’un bon & gentil naturel, & lequel encor qu’il fust sans
lettres, si avoit-il tant d’experience à cause de son grand
aage qu’il estoit de jugement assez droict & raisonnable.
Et parce qu’il faisoit coustume de deviser à soy-mesmes,
comme font encor beaucoup d’autres, il advint qu’un mai
stre Bindo notaire son neveu, dormant en une chambre
tout joignant la sienne, & qui n’estoit separee que d’u-
ne simple cloison de bois, & l’oyant quelquesfois parler
à part soy assez haut, & faire les deux voix, comme ce-
luy qui avoit perdu à demi le bien du repos pour son
extreme vieillesse, & qui tenoit ses resveries par trop
fichées en sa teste. Son neveu, di-je, prestat l’aureille par
fois à ses propos, & prenant grand plaisir à ouyr un si
nouveau conte, il delibera de le recueillir tout entier, &
ayant à ceste fin commencé de l’espier à ses heures &
se tenir de pres aux escoutes. Il escrivit finalement tout
ce qu’il en avoit entendu, introduisant Justin & son A-
me pour entreparleurs, comme vous verrez clairement
10
EPISTRE.
en ces dialogues suyvans: lesquels ayans esté coppiez se-
crettement, & m’estans tombez entre les mains, avec
quelques autres siennes petites chosettes, d’autant qu’ils
m’ont semblé fort plaisans pour leur diversité, & que
l’on pouvoit, outre le plaisir, en retirer aussi du profit, j’ay
deliberé de vous en faire part à tous. Et encores qu’au
jugement de plusieurs, ils soyent couchez en un style si
bas, & mal tissu: comme n’estant continué de droict fil,
mais souvent entrerompu, que le plaisir qu’on peut rece
voir en le lisant doyve estre bien maigre, attendu mes-
mement que les aureilles des hommes d’aujourd’huy sont
plus nettes & delicates, & de jugement plus certain,
que celles du temps passé. Et outre cela, que ces pour-
parleurs sont farcis de beaucoup d’opinions qui ne sont
point alignées selon la vraye reigle des sciences: & qui
est le pis, qu’ils se monstrent par trop hardis à taxer &
reprendre, principalement quelques hommes qui sont
bien renommez tant pour leur noblesse que pour leur ver-
tu. Si ne les ay-je voulu en rien changer ni limer, m’as-
seurant que vous sçaurez bien avoir esgard, que Justin
estant né en si basse condition, & nourri en si vil me-
stier, il n’a peu converser pour le devis, qu’avec per-
sonnes de sa sorte, outre ce qu’il desiroit selon son humeur
de se retrouver souvent seul, pour s’entretenir soy-mes-
mes à loisir. Et au reste, considerez qu’il n’a peu conti-
nuer son propos au compas, & le faire filer droict, d’au-
tant que les choses dont il discouroit sont par trop diver-
ses & meslees, & ces resveries fort primes & esgarees.
Joint aussi qu’il n’eust sceu avoir le sens de garder tel
ordre & artifice qu’il est requis en la deduction indu-
strieuse d’un propos, n’estant doué d’autre plus grand
sçavoir
11
EPISTRE.
sçavoir que de celuy que nature luy avoit apris, ou
qu’il avoit peu acquerir en la compagnie de ceux qu’il
frequentoit d’ordinaire, ou bien gagné en la lecture de
quelques livres mis en langue vulgaire, ou entendu des
prescheurs qui sermonnent par les eglises. On le devra
aussi tenir pour excusé, s’il se monstre en certains en-
droits plus presomptueux que son infirme qualité ne por
toit, entreprenant de mordre & picquer par ses attain-
tes beaucoup de grans personnages, & qui sont fort ver
sez aux lettres & sciences humaines, consideré qu’il luy e-
stoit permis de ce faire, tant pour le despit & juste cour-
roux qu’il pouvoit avoir conceu raisonnablement con-
tr’eux, sentant qu’ilqu’ils blasmoyent & tenoyent à mespris
nostre langue vulgaire, comme aussi pour la vieillesse, qui
presume naturellement beaucoup de sa sagesse, & suffi-
sance, & qui prend l’authorité de sindicquer un chacun,
& luy donner loy. Et outre toutes ces raisons, il faut pe-
ser un poinct d’avantage, c’est qu’il ne pensoit estre ouy
ni entendu de personne. Voici donc nous vous presen-
tons ses discours, (à vous, di-je, Lecteurs capricieux aus-
quels nommément en est faite l’adresse) en la mesme for-
me & maniere que maistre Bindo les a redigez par
escrit, & en attendez encor d’autres de ceste façon, si je
puis recouvrer ses minutes, comme m’en a donné promesse
celuy qui desrobba les presentes, vous priant qu’il vous
plaise les lire d’un oeil benin & favorable, sans recher-
cher en iceux, ce qui ne peut estre dressé autrement.
Et en recompense de la diligence que j’ay employée à
les faire sortir en lumiere, si vous sentez jamais que mai
stre Bindo se plaigne & se ressente de ce faict, comme
d’une injure qu’il auroit receuë de moy, ayant publié
12
EPISTRE.
ce qu’il eut peut estre bien voulu tenir caché & sous la
clef, excusez-moy envers luy, remonstrant ce qui est
vray, que luy ni autre ne doit tenir compte d’aucun
tort particulier qui redonde au plaisir & utilité d’une
infinité d’autres personnes. Et à tant uniesunis, joyeux &
contens selon Dieu.
DISCOURS FANTA-
STIQUES DE JUSTIN
Tonnelier de Florence.
ENTREPARLEURS,
DISCOURS PREMIER.
JUSTIN.
DISCOURS II.
ENTREPARLEURS,
L’AME.
DISCOURS III.
ENTREPARLEURS,
L’AME.
DISCOURS IIII.
ENTREPARLEURS,
JUSTIN.
DISCOURS V.
ENTREPARLEURS,
JUSTIN.
DISCOURS VI.
ENTREPARLEURS,
L’AME.
DISCOURS VII.
ENTREPARLEURS,
JUSTIN.
Helas je scay, & si j’ay tousjours sceu
Qu’iniquité print avec moy naissance:
J’ay d’autre part certaine cognoissance
Qu’avec peché ma mere m’a conceu.
DISCOURS VIII.
ENTREPARLEURS,
L’AME.
DISCOURS IX.
ENTREPARLEURS,
JUSTIN.
DISCOURS X.
ENTREPARLEURS,
L’AME.
LOUE SOIT DIEU.