Pantagruel, Lyon, 1542

Bibliothèques Virtuelles Humanistes - Médiathèque de Châteauroux

Pantagruel,
Roy des Dipsodes, restitue
a son naturel, avec ses faictz
& prouesses espoventa
bles: composez par feu
M. Alcofribas
abstracteur
de quinte
essence.

M. D. XLII.
On les vend a Lyon chez Francoys
Juste, devant nostre Dame de Confort.

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Première publication : 24/07/2012
Dernière mise à jour : 19/03/2014


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[1v]


Dizain de Maistre Hugues
Salel a l’auteurlauteur de
ce Livre.


Si pour mesler profit avec doulceur
On mect en pris un aucteur grandement,
Prise seras, de cela tien toy sceur:
Je le congnois car ton entendement
En ce livret soubz plaisant fondement
l’UtiliteLutilite a si tresbien descripte,
qu’IlQuil m’estmest advis que voy un Democrite
Riant les faictz de nostre vie humaine.
Or persevere & si n’ennen as merite
En ces bas lieux: l’auraslauras au hault
dommaine.


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Fu.2.


Prologue de l’auteurlauteur.


TResillustres et Treschevaleu-
reux champions, gentilz hommes,
& aultres, qui voluntiers vous
adonnez a toutes gentillesses & honne-
stetez, vous avez nagueresna gueres veu, leu, et
sceu, les grandes & inestimables Chro
nicques de l’enormelenorme geant Gargantua:
& comme vrays fideles les avez creues,
gualantement, & y avez maintesfoys
passe vostre temps avecques les hono-
rables Dames & Damoyselles, leur en
faisans beaulx & longs narrez, alors
que estiez hors de propos: dont estez bien
dignes de grande louange, & memoire
sempiternelle. Et a la mienne volunte A ij
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[2v] Prologue.
que chascun laissast sa propre besoigne,
ne se souciast de son mestier & mist ses
affaires propres en oubly, pour y vac-
quer entierement, sans que son esperit
feust de ailleurs distraict ny empesche:
jusques a ce que l’onlon les tint par cueur,
affin que si d’adventuredadventure l’artlart de l’Impri
merie
Limpri
merie
cessoit, ou en cas que tous livres
perissent, on temps advenir un chascun
les peust bien au net enseigner a ses en
fans, & a ses successeurs & survivens
bailler comme de main en main, ainsy
que une religieuse Caballe. Car il y a
plus de fruict que paradventure ne pen-
sent un tas de gros talvassiers tous
croustelevez, qui entendent beaucoup
moins en ces petites joyeusetes, que ne
faict Raclet en l’InstituteLinstitute. J’enJen ay congneu
de haultz & puissans seigneurs en bon
nombre, qui allant a chasse de grosses
bestes, ou voller pour canes: s’ilsil adve-
noit que la beste ne feust rencontree par
les brisees, ou que le faulcon se mist a
planer, voyant la proye gaigner a tire
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Prologue. Fu.3.
d’esledesle, ilz estoient bien marrys, comme
entendez assez: mais leur refuge de recon-
fort, & affin de ne soy morfondre, estoit a
recoler les inestimables faictz dudict
Gargantua. Aultres sont par le monde
(ce ne sont fariboles) qui estans grande
ment affligez du mal des dentz, apres
avoir tous leurs biens despenduz en
medicins sans en rien profiter, ne ont
trouve remede plus expedient que de
mettre lesdictes chronicques entre deux
beaulx linges bien chaulx, & les appli-
quer au lieu de la douleur, les sinapi-
zand avecques un peu de pouldre dori-
bus. Mais que diray je des pauvres
verolez et goutteux? O quantesfoys
nous les avons veu, a l’heurelheure que ilz
estoyent bien oingtz & engressez a poinct
& le visaige leur reluysoit comme la cla
veure d’undun charnier, & les dentz leur tres-
sailloyent comme font les marchettes
d’undun clavier d’orguesdorgues ou d’espinettedespinette, quand
on joue dessus, & que le gosier leur escu-
moit comme a un verrat que les vaul- A iij
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[3v] Prologue.
tres ont aculé entre les toilles: que fai-
soyent ilz alors? toute leur consolation
n’estoitnestoit que de ouyr lire quelquesquelque page
dudict livre. Et en avons veu qui se don-
noyent a cent pipes de vieulx diables,
en cas que ilz n’eussentneussent senty allegement
manifeste a la lecture dudict livre, lors
qu’onquon les tenoit es lymbes, ny plus ny
moins que les femmes estans en mal
d’enfantdenfant quand on leurs leist la vie de
saincte Marguerite. Est ce rien cela?
Trouve moy livre en quelque langue,
en quelque faculte & science que ce soit,
qui ayt telles vertus, proprietes, & pre-
rogatives, & je poieray chopine de trip-
pes. Non messieurs non. Il est sans
pair, incomparable & sans parragon.
Je le maintiens jusques au feu exclu-
sive. Et ceulx qui vouldroient mainte-
nir que si deputesreputes les abuseurs presti-
nateurs, emposteurs, & seducteurs. Bien
vray est il, que l’onlon trouve en aulcuns
livres dignes de haulte fustaye certai-
nes proprietes occultes, au nombre des-
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Prologue. Fu.4.
quelz l’onlon tient Fessepinte, Orlando fu
rioso
, Robert le diable, Fierabras,
Guillaume sans paour, Huon de bour
deaulx
, Montevieille, & Matabrune.
Mais ilz ne sont comparables a celluy
duquel parlons. Et le monde a bien con
gneu par experience infallible le grand
emolument & utilite qui venoit de la-
dicte chronicque Gargantuine: car il en
a este plus vendu par les imprimeurs
en deux moys, qu’ilquil ne sera achete de
Bibles en neuf ans. Voulant doncques
je vostre humble esclave accroistre vos
passetemps dadvantaige, vous offre de
present un aultre livre de mesme billon
sinon qu’ilquil est un peu plus equitable &
digne de foy que n’estoitnestoit l’aultrelaultre. Car
ne croyez (si ne voulez errer a vostre es-
cient) que j’enjen parle comme les juifz de la
loy. Je ne suis nay en telle planette, & ne
m’advintmadvint oncques de mentir, ou asseu-
rer chose que ne feust veritable. J’enJen par
le comme un gaillard Onocratale, voy
re dy je crotenotaire des martyrs amans A iiij
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[4v] Prologue.
& crocquenotaire de amours: quod vi-
dimus testamur
. C’estCest des horribles
faictz & prouesses de Pantagruel, lequel
j’ayjay servy a gaiges des ce que je fuz hors
de page, jusques a present, que par son
congie je m’enmen suis venu visiter mon pais
de vache, a scavoir si en vie estoyt parent
mien aulcun. Pourtant, affin que je fa
ce fin a ce prologue, tout ainsi comme je
me donne a cent mille panerespanerées de beaulx
diables, corps & ame, trippes & boyaulx
en cas que j’enjen mente en toute l’hystoirelhystoire
d’undun seul mot. Pareillement le feu sainct
Antoine vous arde, mau de terre vous
vire, le lancy, le maulubec vous trousse
la caquesangue vous viengne, le mau
fin feu de ricquracquericqueraque, aussi menu que
poil de vache, tout renforcé de vif ar-
gent vous puisse entrer au fondement,
& comme Sodome & Gomorre puissiez
tomber en soulphre en feu & en abysme,
en cas que vous ne croyez fermement
tout ce que je vous racompteray en ceste
presente chronicque.


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Fu.5.


De l’originelorigine & antiquité du
grand Pantagruel.
Chapitre.j.


CE ne sera chose inutile ne
oysifve, veu que sommes
de sejour, vous ramentevoir
la premiere source & origine
dont nous est né le bon Pan-
tagruel. Car je voy que tous bons hy-
storiographes ainsi ont traicté leurs
Chronicques, non seullement les Ara-
bes, Barbares & Latins, mais aussi
Gregoys, Gentilz, qui furent buveurs
eternelz. Il vous convient doncques
noter que au commencement du monde. A v
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[5v]
(je parle de loing il y a plus de quaran
te quarantaines de muyctznuyctz, pour nom-
bre a la mode des antiques Druides)
peu apres que Abel fust occis par son
frere Cain, la terre embue du sang du
juste fut certaine annee si tresfertile en
tous fruictz qui de ses flans nous sont
produytz & singulierement en Mesles,
que on l’appellalappella de toute memoire, l’an-
nee
lan-
neé
des grosses Mesles: car les troys
en faisoyent le boysseau, En ycelle les
Kalendes feurent trouvees par les bre
viaires des Grecz le moys de Mars
faillit en Karesme & fut la myoust en
May On moys de Octobre, ce me sem
ble, ou bien de Septembre (affin que je
ne erre car de cela me vieulxveulx je curieuse
ment guarder) fut la sepmaine tant re-
nommee par les annales, qu’onquon nomme
la sepmaine des troys Jeudis: car il y
en eut troys, a cause des irreguliers bis
sextes, que le Soleil bruncha quelque
peu comme debitoribus a gauche, & la
Lune varia de son cours plus de cinq
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Fu.6.
toyzes, & feut manifestement veu le mo
vement de trepidation on firmament
dict Aplane: tellement que la Pleiade
moyene laissant ses compaignons de-
clina vers l’equinoctiallequinoctial & l’estoillelestoille nomme
l’EspyLespy laissa la vierge se retirant vers
la balance qui sont bien espoventablessont cas bien espoventables
& matieres tant dures & difficiles, que les
astrologues ne y peuvent, mordre. Aussy
auroient ilz les dens bien longues, s’ilzsilz
povoient toucher jusques la. Faictes vo
stre compte que le monde voluntiers
mangeoit desdictes Mesles: car elles
estoient belles a l’oeilloeil, & delicieuses au
goust. Mais tout ainsi comme Noe le
sainct homme (auquel tant sommes
obligez & tenuz de ce qu’ilquil nous planta
la vine, dont nous vient celle nectaricque
delicieuse, precieuse, celeste, joyeuse & dei
ficque liqueur, qu’onquon nomme le piot) fut
trompe en le beuvant, car il ignoroit la gran
de vertu & puissance d’icelluydicelluy. Sembla-
blement les hommes & femmes de celluy
temps mangeoyent en grand plaisir de
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[6v]
ce beau & gros fruict, mais accidens
bien divers leurs en advindrent Car a
tous survint au corps une enfleure tres
horrible, mais non a tous en un mesme
lieu. Car aulcuns enfloyent par le
ventre, & le ventre leur devenoit bossu
comme une grosse tonne: desquelz est
escript: Ventrem omnipotentem: les-
quelz furent tous gens de bien & bons
raillars. Et de ceste race nasquit sainct
Pansart & Mardygras. Les aul-
tres enfloyent par les espaules, & tant
estoyent bossus qu’onquon les appelloit mon-
tiferes, comme portemontaignes, dont
vous en voyez encores par le monde en
divers sexes & dignites Et de ceste race
yssit Esopet: duquel vous avez les beaulx
faictz & dictz par escript. Les aultres
enfloyent en longueur par le membre,
qu’onquon nomme le laboureur de nature:
en sorte qu’ilzquilz le avoyent merveilleuse-
ment long, grand, gras, gros, vert, & a-
cresté, a la mode antique, si bien qu’ilzquilz s’ensen
servoyent de ceinture, le redoublans a
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Fu.7.
cinq ou a six foys par le corps. Et s’ilsil
advenoit qu’ilquil feust en poinct: & eust vent
en pouppe, a les veoir eussiez dict que
c’estoyentcestoyent gens qui eussent leurs lances
en l’arrestlarrest pour jouster a la quintaine.
Et d’yceulxdyceulx est perdue la race, ainsi com-
me disent les femmes. Car elles lamen
tent continuellement, qu’ilquil n’ennen est plus
de ces gros &c. Vous scavez la[sic] reste de
la chanson, Aultres croissoient en ma-
tiere de couilles si enormement, que les
troys emplissoient bien un muy. d’yceulxdyceulx
sont descendues les couilles de Lorrai
ne, lesquelles jamays ne habitent en bra
guette, elles tombent au fond des chaus
ses. Aultres croyssoient par les jam
bes, & a les veoir eussiez dict que c’esto-
yent
cesto-
yent
grues, ou Flammans, ou bien
gens marchans sus eschasses. Et les
petits grimaulx les appellent en gram
maire Jambus. Es aultres tant cros-
soit
crois-
soit
le nez qu’ilquil sembloit la fleute d’undun
alambic, tout diapré, tout estincelé de
bubeletes: pullulant, purpuré, a pom-
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[7v]
pettes, tout esmaille, tout boutonne &
brode de gueules. Et tel avez veu le cha
noyne Panzoult & Piedeboys medicin
de Angiers, de la quelle race peu furent
qui aimassent la ptissane, mais tous fu
rent amateurs de puree Septembrale.
Nason, & Ovide en prindrent leur origi
ne, Et tous ceulx desquelz est escript.
Ne reminiscaris. Aultres croissoyent
par les aureilles, lesquelles tant gran-
des avoyent, que de l’unelune faisoyent pour
point, chausses, & sayon: de l’aultrelaultre se
couvroyent comme d’unedune cape a l’espa-
gnole
lespa-
gnole
. Et dict on que en Bourbonnoys
encores dure l’eraigeleraige, dont sont dictes
aureilles de Bourbonnoys. Les aul
tres croissoyent en long du corps: & de
ceulx la sont venuz les geans, & par
eulx Pantagruel Et le premier fut
Chalbroth, Qui engendra Sara-
broth, Qui engendra Faribroth,
Qui engendra Hurtaly, qui fut beau
mangeur de souppes, & resnaregna au temps
du deluge: Qui engendra Nembroth,
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Fu.8.
Qui engendra Athlas, qui avecques
ses espaulles garda le ciel de tumber,
Qui engendra Goliath, Qui en-
gendra Eryx lequel fut ienventeurinventeur du
jeu des gobeletz, Qui engendra Tite,
Qui engendra Eryon, Qui engen
dra Polypheme, Qui engendra Ca
ce, Qui engendra Etion, lequel pre-
mier eut la verolle pour n’avoirnavoir beu
frayz en este, comme tesmoigne Barta-
chim: Qui engendra Encelade,
Qui engendra Cee, Qui engen-
dra Typhoe, Qui engendra Aloe:
Qui engendra Othe, Qui engen
dra Aegeon, Qui engendra Briare qui
avoit cent mains, Qui engendra Por
phirio, Qui engendra Adamastor,
Qui engendra Antee, Qui engen
dra Agatho, Qui engendra Pore, con
tre lequel batailla Alexandre le grand,
Qui engendra Aranthas: Qui
engendra Gabbara, qui premier inven
ta de boire d’autantdautant, Qui engendra
Goliath de Secundille, Qui engen
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[8v]
dra Offot, lequel eut terriblement beau
nez a boyre au baril, Qui engendra
Artachees, Qui engendra Orome-
don, Qui engendra Gemmagog, qui
fut ienventeurinventeur des souliers a poulai-
ne, Qui engendra Sisyphe, Qui
engendra les Titanes, dont nasquit
Hercules, Qui engendra Enay, qui
fut tresexpert en matiere de oster les ce
rons des mains, Qui engendra Fie-
rabras, lequel fut vaincu par Olivier
pair de France compaignon de Roland,
Qui engendra Morguan, lequel pre
mier de ce monde joua aux dez avecques
ses bezicles, Qui engendra Fracassus
duquel a escript Merlin Caccaie, Dont
nasquit Ferragus, Qui engendra
Happemousche, qui premier inventa
de fumer les langues de beuf a la che-
minee, car au paravant le monde les sa
loit comme on faict les jambons: Qui
engendra Bolivorax, Qui engendra
Longys, Qui engendra Gayoffe, le-
quel avoit les couillons de peuple & le
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Fu.9.
vit de cormier, Qui engendra Mas-
chefain, Qui engendra Bruslefer,
Qui engendra Engolevent. Qui
engendra Galehault, lequel fut inven-
teur des flacons, Qui engendra Mi
relangault, Qui engendra Galaffre,
Qui engendra Falourdin, Qui
engendra RoboasteRoboastre, Qui engendra
Sortibrant de conimbres, Qui en-
gendra Brushant de Mommiere, Qui
engendra Bruyer, lequel fut vaincu par
Ogier le Dannoys pair de France,
Qui engendra Mabrun, Qui en
gendra Foutasnon, Qui engendra
Hacquelebac, Qui engendra Vitde-
grain, Qui engendra Grand Gosier
Qui engendra Gargantua, Qui
engendra le noble Pantagruel mon
maistre, j’EntendsJentends bien que lysans ce
passaige, vous faictez en vous mesmes
un doubte bien raisonnable. Et deman-
dez comment est il possible que ainsi soit:
veu que au temps du deluge tout le mon
de perit, fors Noe & sept personnes avec B
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[9v]
ques luy dedans l’archelarche: au nombre des
quelz n’estnest mis ledict Hurtaly? La de-
mande est bien faicte sans doubte & bien
apparente: mais la responce vous con
tentera ou j’ayjay le sens mal gallefreté.
Et par ce que n’estoysnestoys de ce temps la pour
vous en dire a mon plaisir, Je vous alle
gueray l’autoritelautorite des Massoretz bons
couillaux, & beaux cornemuseurs He-
braicques: lesquelz afferment, que veri
tablement ledict Hurtaly n’estoitnestoit dedans
l’archelarche de Noe aussi ny eust il peu entrer
car il estoit trop grand: mais il estoit
dessus a cheval jambe desa jambe dela,
comme sont les petitz enfans sus les che-
vaulx de boys, & comme le gros toreau de
Berne, qui feut tue a Marignan, che-
vauchoyt pour sa monture un gros canon
pevier. c’estcest une beste de beau & joyeux
amble, sans poinct de faulte. En icelle
facon, saulva apres dieu ladicte arche
de periller: car il luy bailloit le bransle
avecques les jambes, & du pied la tournoit
ou il vouloit, comme on faict du gouver-
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Fu.10.
nail d’unedune navire. Ceulx qui dedans esto-
ient, luy envoyoient vivres par une chemi-
nee a suffisance, comme gens recongnoissans
le bien qu’ilquil leurs faisoit Et quelque foys
parlementoyent ensemble, comme faisoit Ica
romenippe a Jupiter selon le raport de
Lucian. Aves vous bien le tout entendu, beu
vez donc un bon coup sans eaue. Car si
ne le croiez, non foys je fist elle.


De la nativite du tresredoubte
Pantagruel. Chap. ij.


GArgantua en son eage de qua-
tre cens quatre vingtz quarante
et quatre ans engendra son filz B ij
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[10v]
Pantagruel de sa femme nommee Ba
debec, fille du Roy des Amaurotes en
Utopie laquelle mourut du mal d’en-
fant
den-
fant
, car il estoit si merveilleusement
grand & si lourd, qu’ilquil ne peut venir a lu
miere, sans ainsi suffocquer sa mere.
Mais pour entendre pleinement la cau
se & raison de son nom qui luy feut bail
le en baptesme. Vous noterez qu’enquen
icelle annee feut seicheresse tant grande
en tout le pays de Africque, que passe-
rent .xxxvj. moys, troys sepmaines
quatre jours, treze heures, & quelque peu
d’advantaigedadvantaige sans pluye, avec chaleur
de soleil si vehemente que toute la terre
en estoit aride. Et ne fut au temps de
Helye, plus eschauffee que fut pour
lors. Car il n’estoitnestoit arbre sus terre qui
eust ny fueille ny fleur, les herbes esto-
ient sans verdure, les rivieres taries,
les fontaines a sec, les pauvres poissons
delaissez de leurs propres elemens, va-
gans & crians par la terre horriblement,
les oyseaux tumbans de l’airlair par faul-
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Fu.11.
te de rosee, les loups, les regnars, cerfz,
sangliers, dains, lievres, connifz, belet-
tes, foynes, blereaux, & aultres bestes
l’onlon trouvoit par les champs mortes la
gueulle baye. Au regard des hommes,
c’estoitcestoit la grande pitie, vous les eussiez
veuz tirans la langue comme levriers
qui ont couru six heures. Plusieurs se
gettoyent dedans les puys. Aultres se
mettoyent au ventre d’unedune vache pour
estre a l’hombrelhombre: & les appelle Homere
Alibantes. Toute la contree estoit a
l’ancrelancre, c’estoitcestoit pitoyable cas, de veoir le
travail des humains pour se garentir
de ceste horrificque alteration. Car il
avoit prou affaire de sauver l’eaueleaue be-
noiste par les eglises: a ce que ne feust
desconfite, mais l’onlon y donna tel ordre
par le conseil de messieurs les Cardi-
naulx & du sainct pere, que nul n’ennen osoit
prendre que une venue. Encores quand
quelcun entroit en l’egliseleglise, vous en eussiez
veu a vingtaines de pauvres alterez
qui venoyent au derriere de celluy qui la B iij
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[11v]
destribuoitdistribuoit a quelcun, la gueulle ouver
te pour en avoir quelque goutellete, com-
me le maulvais Riche affin que rien ne
se perdist. O que bien heureux fut en
icelle annee celluy qui eut cave fresche
& bien garnie. Le philosophe raconte
en mouvent la question. Parquoy c’estcest,
que l’eaueleaue de la mer est salee? que au temps
que Phebus bailla le gouvernement de
son chariot lucificque a son filz Phae-
ton, ledict Phaeton mal apris en l’artlart,
& ne scavant ensuyvre la line ecliptique
entre les deux tropiques de la sphere du
Soleil, varia de son chemin, & tant ap-
procha de terre, qu’ilquil mist a sec toutes les
contrees subjacentes, bruslant une gran
de partie du ciel, que les philosophes ap
pellent via lactea: & les Lifrelofres, nom
ment le chemin sainct Jacques. Com-
bien que les plus Huppez poetes disent
estre la part ou tomba le laict de Juno,
lors qu’ellequelle allaicta Hercules. Adoncques la
terre fut tant eschaufee, que il luy vint
une sueur enorme, dont elle sua toute la
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Fu.12.
mer, qui par ce est salee: car toute sueur
est salee: ce que vous direz estre vray si
voulez taster de la vostre propre ou bien
de celles des verollez quand on les faict
suer, ce me est tout un. Quasi pa-
reil cas arriva en ceste dicte annee, car
un jour de vendredy que tout le monde
s’estoitsestoit mis en devotion, & faisoit une bel
le procession avecques forces letanies &
beaux preschans, supplians, a dieu om
nipotent les vouloir regarder de son oeil
de clemence en tel desconfort, visiblement
furent veues de terre sortir grosses gout
tes deaue comme quand quelque personne
sue copieusement. Et le pauvre peuple
commenca a s’esjouyrsesjouyr comme si ce eust este
chose a eulx proffitable, car les aulcuns
disoient que de humeur il n’yny en avoit
goute en l’airlair, dont on esperast avoir plu
ye, & que la tere supplioit au deffault.
Les aultres gens scavans disoyent que
c’estoitcestoit pluye des Antipodes: comme Se-
necque narre au quart livre questionum
naturalium
, parlant de l’originelorigine & sour B iiij
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[12v]
ce du Nil, mais ilz y furent trompes,
car la procession finie alors que chascun
vouloit recueillir de ceste rosee & en boi
re a plein godet, trouverent que ce n’estoitnestoit
que saulmure pire & plus salee que n’e-
stoit
ne-
stoit
l’eaueleaue de la mer. Et par ce que
en ce propre jour nasquit Pantagruel,
son pere luy imposa tel nonnom. Car Pan
ta
en Grec vault autant a dire comme
tout, & Gruel en langue Hagarene vault
autant comme alteré, voulent inferer, que
a l’heurelheure de sa nativite le monde estoit
tout altere. Et voyant en esperit de pro
phetie qu’ilquil seroit quelque jour domina
teur des alterez, Ce que luy fut mon-
stre a celle heure mesmes par aultre si
gne plus evident. Car alors que sa
mere Badebec l’enfantoitlenfantoit, & que les sa-
ges femmes attendoyent pour le rece-
pvoir, yssirent premier de son ventre soi
xante & huyt tregeniers chascun tirant
par le licol un mulet tout charge de sel,
apres lesquelz sortirent neuf dromadai
res charges de jambons & langues de
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Fu.13.
beuf fumees, sept chameaulx chargez
d’anguillettesdanguillettes, puis.xxv. charretees de
porreaulx, d’aulxdaulx, d’oignonsdoignons, & de cibotz
ce que espoventa bien lesdictes saiges
femmes, mais les aulcunes d’entredentre elles
disoyent. Voicy bonne provision aussy
bien ne bevyons nous que lachement
non en lancement, cecy n’estnest que bon si-
gne, ce sont aguillons de vin. Et com
me elles caquetoyent de ces menus pro
pos entre elles, voicy sorty Pantagruel,
tout velu comme un Ours, dont dict
une d’ellesdelles en esperit propheticque. Il est
né a tout le poil, il fera choses merveil-
leuses, & s’ilsil vit il aura de l’eageleage.


Du dueil que mena Gargantua
de la mort de sa femme Ba-
debec. Chapitre. iij.


QUand Pantagruel fut né
qui fut bien esbahy & per-
plex ce fut Gargantua son
pere, car voyant d’undun cousté
sa femme Badebec morte, & B v
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[13v]
de l’aultrelaultre son filz Pantagruel né, tant
beau & tant grand, ne scavoit que dire
ny que faire. Et le doubte qui troubloit
son entendement estoit, assavoir s’ilsil de-
voit plorer pour le dueil de sa femme,
ou rire pour la joye de son filz? D’unDun co
sté & d’aultredaultre il avoit argumens sophi-
sticques qui le suffocquoyent, car il les
faisoit tresbien in modo & figura, mais
il ne les povoit souldre. Et par ce mo-
yen demouroit empestre comme la sou-
riz empeigee, ou un Milan prins au las
set. Pleureray je, disoit il? ouy: car
pourquoy? Ma tant bonne femme est
morte, qui estoit la plus cecy la plus ce-
la qui feust au monde. Jamais je ne la
verray, jamais je n’ennen recouvreray une
telle: ce m’estmest une perte inestimable. O
mon dieu, que te avoys je faict pour ain
si me punir? Que ne envoyas tu la mort
a moy premier que a elle? car vivre sans
elle ne m’estmest que languir. Ha Badebec,
ma mignonne, mamye, mon petit con
(toutesfois elle en avoit bien troys arpens
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Fu.14.
& deux sexterees) ma tendrette, ma bra
guette, ma savate, ma pantofle jamais
je ne te verray. Ha pauvre Pantagruel
tu as perdu ta bonne mere, ta doulce
nourrisse, ta dame tresaymee. Ha faul-
ce mort tant tu me es malivole, tant tu me
es oultrageuse de me tollir celle a laquel-
le immortalite appartenoit de droict.


Et ce disant pleuroit comme une va-
che, mais tout soubdain rioit comme un
veau, quand Pantagruel luy venoit en
memoire. Ho mon petit filz (disoildisoit il)
mon coillon, mon peton, que tu es joly,
& tant je suis tenu a dieu de ce qu’ilquil m’ama
donne un si beau filz tant joyeux, tant
riant, tant joly. Ho, ho, ho, ho, que suis
ayse, beuvons ho, laissons toute melan
cholie, apporte du meilleur, rince les ver
res, boute la nappe, chasse sesces chiens,
souffle ce feu, allume la chandelle, fer-
me ceste porte, taille ces souppes, envoye
ces pauvres, baille leur ce qu’ilzquilz deman
dent tiens ma robbe, que je me mette en
pourpoint pour mieux festoyer les com-
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[14v]
meres. Ce disant ouyt la letanie et
les mementos des prebstres qui porto-
yent sa femme en terre, dont laissa son
bon propos & tout soubdain fut ravy
ailleurs, disant, Seigneur dieu fault il
que je me contriste encores? cela me fas-
che, je ne suis plus jeune, je deviens vieulx
le temps est dangereux, je pourray pren-
dre quelque fiebvre, me voyla affolé.
Foy de gentil homme il vault mieulx
pleurer moins et boire d’advantaigedadvantaige.
Ma femme est morte, & bien: par dieu
(da jurandi) je ne la resusciteray pas
par mes pleurs, elle est bien, elle est en
paradis pour le moins si mieulx ne est:
elle prie dieu pour nous, elle est bien heu
reuse, elle ne se soucie plus de nos mise-
res & calamitez, autant nous en pend a
l’oeilloeil, dieu gard le demourant, il me fault
penser d’enden trouver une aultre. Mais
voicy que vous ferez, dict il es saiges
femmes (ou sont elles bonnes gens, je ne
vous peulx veoyr) allez a l’enterrementlenterrement
d’elledelle, & ce pendent je berceray icy mon
Fac-similé BVH



Fu.15.
filz, car je me sens bien fort altere, & se-
rois en danger de tomber malade, mais
beuvez quelque bon traict devant: car
vous vous en trouverez bien & m’enmen cro
yez sur mon honneur. A quoy obtempe
rantz allerent a l’enterrementlenterrement et fune-
railles, & le pauvre Gargantua demou
ra a l’hostellhostel. Et ce pendent feist l’epita-
phe
lepita-
phe
pour estre engravé en la maniere
que s’ensuytsensuyt.


Elle en mourut la noble Badebec
Du mal d’enfantdenfant, que tant me sembloit nice:
Car elle avoit visaige de rebec,
Corps d’espaignoledespaignole, & ventre de Souyce
Priez a dieu, qu’aqua elle soit propice,
Luy perdonnant sans rien oultrepassa:
Cy gist son corps lequel vesquit sans vice,
Et mourut l’anlan & jour que trespassa.


De l’lenfantenfance de Pantagruel.
Chapitre. iiij.


JE trouve par les anciens historio-
graphes et poetes, que plusieurs
sont nez en ce monde en facons bien
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[15v]
estranges que seroient trop longues a
racompter, lisez le. vij. livre de Pline,
si aves loysir, Mais vous n’ennen ouystes
jamais d’unedune si merveilleuse comme fut
celle de Pantagruel, car c’estoitcestoit chose
difficille a croyre comment il creut en corps
& en force en peu de temps. Et n’estoitnestoit
rien Hercules qui estant au berseau tua
les deux serpens: car lesdictz serpens
estoyent bien petitz & fragiles, Mais
Pantagruel estant encores au berseau
feist cas bien espouventables. Je laisse
icy a dire comment a chascun de ses repas
il humoit le laict de quatre mille six
cens vaches. Et comment pour luy faire
un paeslon a cuire sa bouillie furent oc
cupez tous les pesliers de Saumur en
Anjou, de Villedieu en Normandie, de
Bramont en LarraineLorraine, & luy bailloit on
ladicte bouillie en un grand timbre qui
est encores de present a Bourges pres
du palays, mais les dentz luy estoient
desja tant crues & fortifiesfortifiées qu’ilquil en rom
pit dudict tymbre un grand morceau com
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Fu.16.
me tresbien apparoist. Certains jours
vers le matin que on le vouloit faire tet
ter une de ses vaches (car de nourrisses
il n’ennen eut jamais aultrement comme
dict l’hystoirelhystoire) Il se deffit des liens qui
le tenoyent au berceau un des bras, &
vous prent ladicte vache par dessoubz
le jarret, & luy mangea les deux tetins
& la moytie du ventre, avecques le foye
& les roignons, & l’eustleust toute devoree,
n’eustneust este qu’ellequelle cryoit horriblement com
me si les loups la tenoient aux jambes,
auquel cry le monde arriva, & osterent
ladicte vache a Pantagruel, mais ilz
ne sceurent si bien faire que le jarret ne
luy en demourast comme il le tenoit, &
le mangeoit tresbien comme vous feriez
d’unedune saulcisse, & quand on luy voulut
oster l’oslos, il l’avallalavalla bien tost, comme un
CormaranCormoran feroit un petit poisson, &
apres commenca a dire, bon bon bon,
car il ne scavoit encores bien parler,
voulant donner a entendre, que il avoit
trouve fort bon: & qu’ilquil n’ennen failloit plus
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[16v]
que autant. Ce que voyans ceulx qui
le servoyent, le lierent a gros cables com
me sont ceulx que l’onlon faict a Tain pour
le voyage du sel a Lyon: ou comme sont
ceulx de la grand nauf Francoyse qui
est au port de Grace en Normandie.
Mais quelquefoys que un grand Ours
que nourrissoit son pere eschappa, & luy
venoit lescher le visaige, car les nour-
risses ne luy avoyent bien apoinct tor-
che les babines, il se deffist desdictz Ca
bles aussi facillement comme Sanson
d’entredentre les Philistins, & vous print mon
sieur de l’OursLours, & le mist en pieces comme
un poulet, & vous en fist une bonne gor
ge chaulde pour ce repas. Parquoy crai
gnant Gargantua qu’ilquil se gastast, fist
faire quatre grosses chaines de fer pour
le lyer, & fist faire des arboutans a son
berceau bien afustez. Et de ces chaines
en avez une a la Rochelle, que l’onlon leve
au soir entre les deux grosses tours du
havre. l’AultreLaultre est a Lyon, l’AultreLaultre a
Angiers. Et la quarte fut emportee des
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Fu.17.
diables pour lier. Lucifer qui se deschai-
noit en ce temps la a cause d’unedune colicque
qui le tormentoit extraordinairement, pour
avoir mangé l’amelame d’undun sergeant en fri-
cassee a son desjeuner. Dont povez bien
croire ce que dict Nicolas de Lyra sur le
passaige du psaultier ou il est escript.
Et Og regem Basan. Que ledict Og
estant encores petit estoit tant fort & ro-
buste, qu’ilquil le failloit lyer de chaisnes de
fer en son berceau. Et ainsi demoura
coy & pacificque: car il ne pouvoit rompre
tant facillement lesdictes chaisnes, mes-
mement qu’ilquil n’avoitnavoit pas espace au berceau
de donner la secousse des bras. Mais
voicy que arriva un jour d’unedune grande fe-
ste, que son pere Gargantua faisoit un beau
banquet a tous les princes de sa court. Je
croy bien que tous les officiers de sa court
estoyent tant occupes au service du fe-
stin, que l’onlon ne se soucyoit du pauvre Pan
tagruel, & demouroit ainsi a reculorum.
Que fist il, qu’ilquil fist, mes bonnes gens, escou
tez. Il essaya de rompre les chaisnes du C
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[17v]
berceau avecques les bras, mais il ne peut,
car elles estoyent trop fortes: adonc il tre-
pigna tant des piedz qu’ilquil rompit le bout de
son berceau qui toutesfoys estoit d’unedune
grosse poste de sept empans en quarré, &
ainsi qu’ilquil eut mys les piedz dehors il se
avalla le mieux qu’ilquil peut, en sorte que il tou
choit les piedz en terre Et alors avecques
grande puissance se leva emportant son
berceau sur l’eschineleschine ainsi lye comme une
tortue qui monte contre une muraille, & a le
veoir sembloit que ce feust une grande car-
racque de cinq cens tonneaulx qui feust de-
bout En ce point entra en la salle ou l’onlon
banquetoit, & hardiment qu’ilquil espoventa bien
l’assistancelassistance, mais par autant qu’ilquil avoit les
bras lyez dedans il ne povoit rien prendre
a manger, mais en grande peine se encli-
noit pour prendre a tout la langue quelque
lippee. Quoy voyant son pere entendit
bien que l’onlon l’avoitlavoit laisse sans luy bailler
a repaistre & commanda qu’ilquil fut deslye des
dictes chesnes par le conseil des princes
& seigneurs assistans, ensemble aussi que
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Fu.18.
les medicins de Gargantua disoyent que si
l’onlon le tenoit ainsi au berseau qu’ilquil seroit
toute sa vie subject a la gravelleLors
qu’ilquil feust deschaine, l’onlon le fist asseoir & re
peut fort bien, & mist son dict berceau en
plus de cinq cens mille pieces d’undun coup de
poing qu’ilquil frappa au millieu par despit,
avec protestation de jamais n’yny retourner.


Des faictz du noble Pantagruel en
son jeune eage. Chap. v.


AInsi croissoit Pantagruel, de
jour en jour & prouffitoit a veu
d’oeildoeil, dont son pere s’esjouyssoitsesjouyssoit C ij
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[18v]
par affection naturelle. Et luy feist fai
re comme il estoit petit une arbaleste pour
s’esbatresesbatre apres les oysillons qu’onquon ap-
pelle de present la grand arbaleste de
Chantelle. Puis l’envoyalenvoya a l’escholeleschole
pour apprendre & passer son jeune eage.
De faict vint a Poictiers, pour estu-
dier, & proffita beaucoup, auquel lieu vo
yant que les escoliers estoyent aulcu-
nesfoys de loysir & ne scavoient a quoy
passer temps, en eut compassion. Et
un jour print d’undun grand rochier qu’onquon
nomme Passelourdin, une grosse Roche,
ayant environ de douze toizes en quar-
re, & d’espesseurdespesseur quatorze pans. Et la
mist sur quatre pilliers au millieu d’undun
champ bien a son ayse: affin que lesdictz
escoliers quand ilz ne scauroyent aul-
tre chose faire passassent temps a mon
ter sur ladicte pierre, & la banqueter a
force flacons, jambons, & pastez, & escrip-
re leurs noms dessus avec un cousteau,
& de present l’apellelapelle on la Pierre levee.
Et en memoire de ce n’estnest aujourd’huyaujourdhuy
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Fu.19.
passé aulcun en la matricule de ladicte
universite de Poictiers sinon qu’ilquil ait
beu en la fontaine Caballine de Crou
stelles, passe a Passelourdin, & monté
sur la Pierre levee. En apres lisant
les belles chronicques de ces ancestres,
trouva que Geoffroy de LusignanLusignam,
dict Geoffroy a la grand dent, grand
pere du beau cousin de la seur aisnee de
la tante du gendre de l’oncleloncle de la bruz
de sa belle mere: estoit enterré a Maille
zays, dont print un jour campos pour
le visiter comme homme de bien. Et par-
tant de Poictiers avecques aulcuns de
ses compaignons, passerent par Legu-
ge visitant le noble Ardillon abbe par
Lusignan, par Sansay, par Celles,
par Colonges, par Fontenay le conte
saluant le docte Tiraqueau, & de la ar
riverent a Maillezays, ou visita le se-
pulchre dudict Geoffroy a la grand dent,
dont eut quelque peu de frayeur, voyant
sa pourtraicture, car il y est en image
comme d’undun homme furieux, tirant a demy C iij
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[19v]
son grand malchus de la guaine Et de
mandoit la cause de ce, les chanoines du
dict lieu luy dirent que n’estoitnestoit aultre cau
se sinon que Pictoribus atque poetis &c.
c’estcest a dire que les Painctres & Poetes
ont liberté de paindre a leur plaisir ce
qu’ilzquilz veullent. Mais il ne se contenta de
leur responce, & dist, Il n’estnest ainsi painct
sans cause. Et me doubte que a sa mort
on luy a faict quelque tord, duquel il de
mande vengeance a ses parens. Je m’enmen
enquesteray plus a plein & en feray ce
que de raison. Puys retourna non
a Poictiers, mais voulut visiter les
aultres universitez de France, dont pas-
sant a La Rochelle se mist sur mer & vint
a Bourdeaulx, on quel lieu ne trouva
grand excercice, sinon des guabarriers
jouans aux luettes sur la grave, de la
vint a Thoulouse ou aprint fort bien a
dancer & a jouer de l’espeelespee a deux mains,
comme est l’usancelusance des escholiers de la-
dicte université, mais il n’yny demoura
gueres, quand il vit qu’ilzquilz faisoyent brusler
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Fu.20.
leurs regens tout vifz comme harans
soretz: disant, Ja dieu ne plaise que ain
si je meure, car je suis de ma nature as-
sez alteré sans me chauffer davantaige.


Puis vint a Montpellier ou il trou
va fort bon vinsbons vins de Mirevaulx & jo-
yeuse compagnie, & se cuida mettre a estu
dier en Medicine, mais il considera que
l’estastlestast estoit fascheux par trop & melan
cholicque & que les medicins sentoyent
les clisteres comme vieulx diables.
Pourtant vouloit estudier en loix, mais
voyant que la n’estoientnestoient que troys tei-
gneux & un pelé de legistes audict lieu
s’ensen partit. Et au chemin fist le pont du
Guard & l’amphitheatrelamphitheatre de Nimes en
moins de troys heures, qui toutesfoys
semble oeuvre plus divin que humain.
Et vint en Avignon ou il ne fut troys
jours qu’ilquil ne devint amoureux, car les
femmes y jouent voluntiers du serre-
cropyere par ce que c’estcest terre papale, Ce
que voyant son pedagogue nomme Epi-
stemon l’enlen tira, & le mena a Valence au C iiij
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[20v]
Daulphine, mais il vit qu’ilquil n’yny avoit
grand exercice, & que les marroufles de
la vile batoyent les escholiers, dont eut
despit, & un beau Dimanche que tout le
monde dansoit publiquement, un escho
lier se voulut mettre en dance, ce que ne
permirent lesdictz marroufles. Quoy
voyant Pantagruel leur bailla a tous
la chasse jusques au bort du Rosne, &
les vouloit faire tous noyer, mais ilz se
musserent contre terre comme taulpes
bien demye lieue soubz le rosne. Le per-
tuys encores y apparoist. Apres il
s’ensen partit & a troys pas & un sault vint
a Angiers, ou il se trouvoit fort bien & y
eust demeure quelque espace, n’eustneust este
que la peste les en chassa. Ainsi vint
a Bourges ou estudia bien long temps
& proffita beaucoup en la faculté des
loix, Et disoit aulcunesfois que les
livres des loix luy sembloyent une belle
robbe d’ordor triumphante & precieuse a mer-
veilles, qui feust brodee de merde, car di
soit il, au monde n’yny a livres tant beaulx
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Fu.21.
tant aornes, tant elegans, comme sont
les textes des Pandectes, mais la bro
dure d’iceulxdiceulx, c’estcest assavoir la glose de
Accurse est tant salle, tant infame, & pu
naise, que ce n’estnest que ordure & villenie.
Partant de Bourges vint a Orleans &
la trouva force rustres d’escholiersdescholiers, qui
luy firent grand chere a sa venue & en
peu de temps aprint avecque eulx a
jouer a la paulme si bien qu’ilquil en estoit
maistre. Car les estudians dudict lieu
en font bel exercice & le menoyent aul-
cunesfoys es isles pour s’esbatresesbatre au jeu
du poussavant. Et au regard de se rom
pre fort la teste a estudier, il ne le faisoit
mie de peur que la veue luy diminuast.
Mesmement que un quidam des regens
disoit souvent en ses lectures qu’ilquil n’yny a
chose tant contraire a la veue comme
est la maladie des yeulx. Et quelque
jour que l’onlon passa Lincentié en loix
quelcun des escholliers de sa congnois-
sance, qui de science n’ennen avoit gueres
plus que sa portee, mais en recompen C v
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[21v]
se scavoit fort bien danser & jouer a la paul
me. Il fist le blason & divise des licen-
tiez, en ladicte université disant. Un
esteuf en la braguette, en la main une
raquette, une loy en la cornette, une bas
se dance au talon, vous voyez la passe
coquillon.


Comment Pantagruel rencontra
un Limosin, qui contrefaisoit
le langaige Francoys.
Chapitre. vj.


QUelque jour je ne scay quand
Pantagruel se pourmenoit apres
soupper avecques ses compai-
gnons par la porte dont l’onlon va a Pa-
ris, la rencontra un escholier tout jol-
liet, qui venoit par icelluy chemin: & apres
qu’ilzquilz se furent saluez, luy demanda, Mon
amy dont viens tu a ceste heure? L’es-
cholier
Les-
cholier
luy respondit. De l’almelalme inclyte
& celebre academie, que l’onlon vocite Lute
ce. Qu’estQuest ce a dire? dist Pantagruel, a
un de ses gens, c’estcest (respondit il) de Pa-
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Fu.22.
ris. Tu viens doncques de Paris, dist
il. Et a quoy passez vous le temps vous
aultres messieurs estudiens audict Pa
ris? Respondit l’escolierlescolier. Nous trans-
fertons
trans-
fretons
la Sequane au dilucule, & cre-
puscule, nous deambulons par les com-
pites & quadriviers de l’urbelurbe, nous des-
pumons la verbocination Latiale & com
me verisimiles amorabonds captons
la benevolence de l’omijugelomijuge omniforme
& omnigene sexe feminin, certaines die-
cules nous invisons les lupanares, &
en ecstase Venereique inculcons nos
veretres es penitissimes recesses des
pudendes de ces meritricules amicabi-
lissimes, puis cauponizons es tabernes
meritoires, de la pomme de pin, du ca-
stel, de la Magdaleine & de la Mulle,
belles spatules vervecines perforami-
nees de petrosil. Et si par forte fortune
y a rarité ou penurie de pecune en nos
marsupies & soyent exhaustes de me-
tal ferruginé, pour l’escotlescot nous dimit-
tons nos codices & vestes opignerees, pre
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[22v]
stolans les tabellaires a venir des pe-
nates & lares patriotiques.
A quoy Pan
tagruel dist. Que diable de langaige
est cecy? Par dieu tu es quelque here-
tique. Seignor non dist l’escholierlescolier, car li-
bentissiment des ce qu’ilquil illucesce quelque
minutule lesche du jour je demigre en
quelcun de ces tant bien architectez mon
stiers: & la me irrorant de belle eaue lu-
strale, grignotte d’undun transon de quelque
missicque precation de nos sacrificu-
les. Et submirmillant mes precules ho
raires elue, & absterge mon anime de ses
inquinamens nocturnes, Je revere les
olimpicoles, Je venere latrialement le
supernel astripotent, Je dilige & redame
mes proximes. Je serve les prescriptz
decalogicques, & selon la facultatule de
mes vivres, n’ennen discede le late unguicu
le. Bien est veriforme que a cause que
Mammone ne supergurgite goutte en
mes locules, je suis quelque peu rare &
lend a supereroger les eleemosynes a
ces egenes queritans leurs stipe hostia-
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Fu.23.
tement
. Et bren bren dist Pantagruel,
qu’estquest ce que veult dire ce fol? Je croys
qui nous forgequ’il nous forge icy quelque langaige dia-
bolique, & qu’ilquil nous cherme comme en-
chanteur. A quoy dist un de ses gens.
Seigneur sans doubte ce gallant veult
contrefaire la langue des Parisians,
mais il ne faict que escorcher le latin &
cuide ainsi Pindariser, & luy semble
bien qu’ilquil est quelque grand orateur en
Francoys: par ce qu’ilquil dedaigne l’usancelusance
commun de parler. A quoy dict Panta
gruel. Est il vray? L’escholierLescolier respondit.
Seignor Missayre, mon genie n’estnest poinct
apte nate a ce que dict, ce flagitiose ne-
bulon, pour escorier la cuticule de no-
stre vernacule Gallicque, mais vice ver
sement je gnave opere & par vele & ra-
mes je me enite de le locupleter de la re
dundance latinicome
. Par dieu (dist Pan
tagruel) je vous apprendray a parler.
Mais devant responds moy dont es
tu? A quoy dist l’escholierlescholier, l’OrigineLorigine pri-
meve de mes aves & ataves fut indige-
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[23v]
ne des regions Lemovicques, ou requie
sce se corporele corpore de lagiotade sainct Mar-
cial
. J’entensJentens bien, dist Pantagruel. Tu
es Lymosin, pour tout potaige. Et tu
veulx icy contrefaire le Parisian. Or
vien cza que je te donne un tour de pigne
Lors le print a la gorge, luy disant. Tu
escorche le latin, par sainct Jan je te fe-
ray eschorcherescorcher le renard, car je te escor-
cheray tout vif. Lors commenca le pau
vre Lymosin a dire. Vee dicou gentila
stre. Ho sainct Marsault adjouda my.
Hau hau laissas a quau au nom de
dious, & ne me touquas grou
. A quoy
dist Pantagruel. A ceste heure parleparles
tu naturellement, & ainsi le laissa: car le
pauvre Lymosin conchioit toutes ses
chausses qui estoient faictes a queheue
de merluz, & non a plein fons, dont dist
Pantagruel Sainct Alipentin, quelle
civette? Au diable soit le mascherable
tant il put Et le laissa. Mais ce luy
fut un tel remord toute sa vie a tant fut
alteré, qu’ilquil disoit souvent que Panta-
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Fu.24.
gruel le tenoit a la gorge. Et apres quel
que annees mourut de la mort Roland
ce faisant la vengeance divine & nous
demonstrant ce que dit le Philosophe
& Aule Gelle, qu’ilquil nous convient par
ler selon le langaige usité. Et comme di-
soit Octavian Auguste qu’ilquil fault evi-
ter les motz espaves en pareille diligen
ce que les patrons des navires evitent
les rochiers de mer.


Comment Pantagruel vint a Paris:
& des beaulx livres de la li-
brairie de sainct Victor.
Chapitre. vij.


APres que Pantagruel
eut fort bien estudie en
Aurelians, il delibera vi
siter la grande universi-
te de Paris, mais devant
que partir fut adverty que
une grosse & enorme cloche estoit a saictsainct
Aignan dudict Aurelians, en terre: pas-
sez deux cens quatorze ans: car elle estoit
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[24v]
tant grosse que par engin aulcun ne la
povoit on mettre seullement hors terre,
combien que l’onlon y eust applicque tous
les moyens que mettent Vitruvius de
architectura
, Albertus de re edificato-
ria
, Euclides, Theon, Archimedes, &
Hero de ingeniis, car tout n’yny servit de
rien. Dont voluntiers encliné a l’hum-
ble
lhum-
ble
requeste des citoyens & habitans de
ladicte ville, delibera la porter au clo-
chier a ce destine. De faict vint au
lieu ou elle estoit: & la leva de terre avecques
ques le petit doigt aussi facillement que
feriez une sonnette d’esparvierdesparvier. Et de-
vant que la porter au clochier, Panta-
gruel en voulut donner une aubade par
la ville, & la faire sonner par toutes les
rues en la portant en sa main, dont tout
le monde se resjouyst fort: mais il en ad
vint un inconvenient bien grand, car la
portant ainsi, & la faisant sonner par
les rues, tout le bon vin D’D orleans poul
sa, & se gasta. De quoy le monde ne se
advisa que la nuyct ensuyvant: car un
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Fu.25.
chascun se sentit tant alteré de avoir
beu de ces vins poulsez, qu’ilzquilz ne faiso-
ient que cracher aussi blanc comme cot-
ton de Malthe disans, nous avons du
Pantagruel, & avons les gorges sallees.


Ce faict vint a Paris avecques ses
gens. Et a son entree tout le monde sor
tit hors pour le veoir, comme vous scavez
bien que le peuple de Paris est sot par
nature, par bequare, & per bemol, & le
regardoyent en grand esbahyssement,
& non sans grande peur qu’ilquil n’empor-
tast
nempor-
tast
le Palais ailleurs en quelque pays
a remotis, comme son pere avoit emporté
les campanes de nostre dame, pour ata
cher au col de sa jument. Et apres
quelque espace de temps qu’ilquil y eut de-
mouré & fort bien estudie en tous les sept
ars liberaulx, Il disoit que c’estoitcestoit une
bonne ville pour vivre, mais non pour
mourir car le guenaulx de sainct In-
nocent se chauffoyent le cul des osse-
mens des mors. Et trouva la librairie
de sainct Victor fort magnificque, mes- D
Fac-similé BVH

[25v]
mement d’aulcunsdaulcuns livres qu’ilquil y trouva
desquelz s’ensuitsensuit le repertoyre, & primo.

BIgua salutis.
Bregueta juris.
Pantofla decretorum.
Malogranatum vitiorum.
Le peloton de theologie.
Le vistempenard des prescheurs, compo-
se par Turelupin.
La couillebarine des preux.
Les hanebanes des evesques.
Marmotretus de baboinis & cingis cum
commento Dorbellis
.
Decretum universitatis Parisiensis
super grogiasitategorgiasitate muliercularum
ad placitum.
L’apparitionLapparition de saincte Geltrude a une
nonnain de Poissy estant en mal d’enfantdenfant.
Ars honeste pettandi in societate per M.
Ortuinum
.
Le moustardier de penitence.
Les hoseaulx, alias les bottes de patien (ce.
Formicarium artium.
De brodiorum usu & honestate chopinan
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Fu.26.
di, per
Silvestrem prieratem Jacospinum.
Le beliné en court.
Le cabat des notaires.
Le pacquet de mariage.
Le creziou de contemplation.
Les fariboles de droict.
L’aguillonLaguillon de vin.
L’esperonLesperon de fromaige.
Decrotatorium scholarium.
Tartaretus de modo cacandi.
Les fanfares de Rome.
Bricot de differentiis soupparum.
Le culot de discipline.
La savate de humilité.
Le tripier de bon pensement.
Le chaulderon de magnanimité.
Les hanicrochemens des confesseurs.
La croquignolle des curés.
Reverendi patris fratris Lubini pro-
vincialis Bavardie, de croquendis
lardonibus libri tres.
Pasquili doctoris marmorei. de capreo
lis cum chardoneta comedendis tem
pore papali ab ecclesia interdicto
.
D ij
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[26v]
L’inventionLinvention saincte croix a six perso-
naiges jouée par les clercs de finesse.
Les lunettes des Romipetes.
Majoris de modo faciendi boudinos.
La cornemuse des prelatz.
Beda de optimitate triparum.
La complainte des advocatz sus la re-
formation des dragees.
Le chatfourré des procureurs.
Des poys au lart cum commento.
La profiterolle des indulgences.
Preclarissimi juris utriusque doctoris
Maistre. Pilloti.
Racquedenari de bobelidandis glosse
.
Accursiane baguenaudis repetitio enu
cidilu culidissima
.
Stratagemata Francarchieri de Bai-
gnolet.
Franctopinus de re militari cum figu-
ris Tevoti
.
De usu & utilitate escorchandi equos &
equas, autore m. nostro de Quebecu
.
La rustrie des prestolans.
M. n.Magistri nostri Rostocostojambed anesseRostocostojambedanesse, de monmou
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Fu.27.
starda post prandium servienda lib. qua
tuordeci, apostilati p. M. Vaurrillonis
Le couillaige des promoteurs.
Questio subtilissima, Utrum Chimera
in vacuo bombinans possit comede-
re secundas intentiones? & fuit deba-
tuta per decem hebdomadas in con-
cilio Constantiensi
.
Le maschefain des advocatz.
Bar bouilamenta Scoti.
Le retepenade des cardinaulx.
De calcaribus removendis decades un-
decim, per m. Albericum de rosata
.
Ejusdem de castrametandis crinibus
lib. tres
.
L’entreeLentree de anthoine de Leive es terres
du Bresil.
Marforii. bacalarii cubentis Rome, de
pelendis mascarendisque cardinalium mulis
Apologie d’icelluydicelluy contre ceulx qui di-
sent que la mule du pape ne mange
qu’aqua cesses heures.
Pronostication que incipit SilviSilvius trique
bille balata per m. n
Songecrusyon.
D iij
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[27v]
Boudarini episcopi de emulgentiarum
profectibus eneades novem cum privile-
gio papali ad triennium & postea non
.
Le chiabrena des pucelles.
Le culpelé des vefves.
La cocqueluche des moines.
Les brimborions des padres Celestins.
Le barrage de manducité.
Le clacquedent des marroufles.
La ratouere des theologiens
L’embouchouoirLambouchouoir des maistres en ars.
Les marmitons de Olcam a simple
tonsure.
Magistri n. Fripesaulcetis de grabel-
lationibus. horrarum[sic] canonicaruncanonicarum,
lib. quadraginta
.
Cullebutatorium confratriarum, incerto (autore.
La cabourne des briffaulx.
Le faguenat des Hespaignolz super co-
quelicanticqué par frai Inigo.
La barbotine des marmiteux.
Poiltronismus rerum Italicarum au
tore magistro Bruslefer
.
R.Raymond Lullius de batisfolagiis principiumprincipum.

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Fu.28.
Callibistratorium caffardie, actore[Var. autore] M.
Jacobo Hocstratem hereticometra
.
Chault couillons de magistro nostran
dorum magistro nostratorumque beuve-
tis lib. octo gualantissimi
.
Les petarrades des bullistes, copistes,
scripteurs, abbreviateurs, referendai-
res, & dataires compillees par Regis.
Almanach perpetuel pour les gouteux
& verollez.
Maneries ramonandi fournellos, par
M. Eccium.
Le poulemart des marchans.
Les aisez de vie monachale.
La gualimaffree des Bigotz.
L’histoireLhistoire des farfadetz.
La belistrandie des Millesouldiers.
Les happelourdes des officiaulx.
La bauduffe des thesauriers.
Badinatorium sophistarum.
Antipericatametanaparbeugedamphi
cribrationes merdicantium
.
Le limasson des rimasseurs.
Le boutavent des Alchymistes.
D iiij
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[28v]
La nicquenocque des questeurs caba-
bezacee par frere Serratis.
Les entraves de religion.
La racquette des brimbaleurs.
L’Lacoduoiracoudoir de vieillesse.
La museliere de noblesse.
La patenostre du cinge.
Les grezillons de devotion.
La marmite des quatre temps.
Le mortier de vie politicque.
Le mouschet des hermites.
La barbute des penitenciers.
Le trictrac des freres frapars.
Lourdaudus de vita & honestate bra-
guardorum
,
Lyrippii Sorbonici moralisationes,
per m. Lupoldum
.
Les brimbelettes des voyageurs.
Les potingues des evesques potatifz.
Tarraballationes doctorum Colonien-
sium adversus Reuchlin
.
Les cymbales des dames.
La martingalle des fianteurs.
Virevoustatorum nac quettorum per. f.
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Fu.29
Pedebilletis
.
Les bobelis de franc couraige.
La mommerie des rebatz & lutins.
Gerson de auferibilitate pape ab acclesia.
La ramasse des nommez & graduez.
Jo.Johannes Dytebrodii de terribiliditate exco-
municationum libellus acephalos
.
Ingeniositas invocandi diabolos & dia
bolas per M. Guinguolfum
.
Le hoschepot des perpetuons.
La morisque des hereticques.
Les henilles de Gaietan.
Moillegroin doctoris cherubici de ori-
gine patepelutarum & torticollorum
ritibus lib. septem
.
Soixante & neuf breviaires de haulte
gresse.
Le godemarre des cinq ordres des men
dians.
La pelletiere des tyrelupins, extraicte
de la bote fauve incornifistibulee en
la somme angelicque.
Le Ravasseur des cas de conscience.
La bedondaine des presidens.
D v
Fac-similé BVH

[29v]
Le vietdazouer des abbés.
Sutoris adversus quendam qui voca-
verat eum fripponnatorem, & quod
fripponnantoremfripponnatores non sunt damnati
ab ecclesia
.
Cacatorium medicorum.
Le rammonneur d’astrologiedastrologie.
Campi clysteriorum per.§. C.
Le tyrepet des apothecaires,
Le baisecul de chirurgie.
Justinianus, de cagotis tollendis,
Antidotarium anime
.
Merlinus Coccaius de patria diabo-
lorum
, Desquelz aulcuns sont ja impri
mez, & les aultres l’onlon Imprime main
tenant en ceste noble ville de Tubinge


Comment Pantagruel estant a Pa-
ris, receut letres de son pere Gar-
gantua, & la copie d’icellesdicelles.
Chapitre. viij.


PAntagruel estudioit fort bien com
me assez entendez, & proufitoit de
mesmes, car il avoit l’entendementlentendement
Fac-similé BVH



Fu.30.
a double rebras & capacité de memoire
a la mesure de douze oyres & botes do-
lif. Et comme il estoit ainsi la demou-
rant receut un jour lettres de son Pere
en la maniere que s’ensuytsensuyt. Treschier
filz entre les dons, graces & prerogatives
desquelles le souvrainsouverain plasmateur Dieu
tout puissant a endouayré & aorné l’hu-
maine
lhu-
maine
nature a son commencement, cel
le me semble singuliere & excellente, par
laquelle elle peut en estat mortel acque-
rir espece de immortalité, & en decours
de vie transitoire perpetuer son nom &
sa semence. Ce que est faict par lignee
yssue de nous en mariage legitime, Dont
nous est aulcunement instauré ce que
nous feut tollu par le peché de nos pre
miers parens, esquelz fut dict, que par
ce qu’ilzquilz n’avoyentnavoyent este obeyssans au com
mendement de Dieu le createur, ilz mour
royent: & par mort seroit reduicte a neant
ceste tant magnificque plasmature, en
laquelle avoit esté l’hommelhomme creé. Mais
par ce moyen de propagation seminale
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[30v]
demoure es enfans ce que estoit de per-
du es parens, & es nepveux, ce que depe
rissoit es enfans, & ainsi successivement
jusques a l’heurelheure du jugement final,
quand Jesuchrist aura rendu a Dieu le
pere son Royaulme pacificque hors
tout dangier & contamination de pe-
ché, car alors cesseront toutes genera-
tions & corruptions, & seront les elemens
hors de leurs transmutations continues
veu que la paix tant desiree sera consu-
mee, & parfaicte, & que toutes choses se-
ront reduites a leur fin & periode. Non
doncques sans juste & equitable cause
je rends graces a Dieu mon conserva-
teur, de ce qu’ilquil m’ama donné povoir veoir
mon antiquité chanue refleurir en ta
jeunesse, car quand par le plaisir de luy
qui tout regist & modere, mon ame laisse
ra ceste habitation humaine, Je ne me
reputeray totallement mourir, ains
passer d’undun lieu en aultre, attendu que
en toy & par toy je demeure en mon ima
ge visible en ce monde vivant, voyant,
Fac-similé BVH



Fu.31.
& conversant entre gens de honneur &
mes amys comme je souloys. Laquelle
mienne conversation a este moyennant
l’aydelayde & grace divine, non sans peche, je
le confesse (car nous pechons tous, & con
tinuellement requerons a dieu qu’ilquil effa
ce noz pechez) mais sans reproche.


Parquoy ainsi comme en toy demeu
re l’imagelimage de mon corps, si pareillement
ne reluysoient les meurs de l’amelame, l’onlon
ne te jugeroit estre garde & tresor de l’im
mortallité
lim
mortallité
de nostre nom, & le plaisir
que prendroys ce voyant, seroit petit,
considerant que la moindre partie de
moy, qui est le corps, demoureroit, & la
meilleure qui est l’amelame: & par laquelle de
meure nostre nom en benediction entre
les hommes, seroit degenerante & aba-
stardie. Ce que je ne dis par defiance
que je aye de ta vertu, laquelle ma este
ja par cy devant esprouvee, Mais pour
plus fort te encourager a proffiter de
bien en mieulx. Et ce que presentement
te escriz, n’estnest tant affin qu’enquen ce train ver-
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[31v]
tueux tu vives, que de ainsi vivre & avoir
vescu tu te resjouisses & te refraischisses
en courage pareil pour l’advenirladvenir. A la-
quelle entreprinse parfaire & consom-
mer, il te peut assez souvenir comment
je n’aynay rien espargné: mais ainsi y ay je
secouru comme si je n’eusseneusse aultre thesor
en ce monde, que de te veoir une foys en
ma vie absolu & parfaict, tant en vertu
honesteté & preudhommie, comme en tout
scavoir liberal & honeste, & tel te laisser
apres ma mort comme un mirouoir re-
presentant la personne de moy ton pe-
re, & sinon tant excellent, & tel de faict,
comme je te souhaite, certes bien tel en
desir. Mais encores que mon feu pe-
re de bonne memoire Grand Gousier
eust adonné tout son estude, a ce que je
proffitasse en toute perfection & scavoir
politique, & que mon labeur & estude cor-
respondit tresbien, voire encores oultre
passast son desir: toutesfoys comme tu
peulx bien entendre, le temps n’estoitnestoit
tant idoine ne commode es lettres com-
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Fu.32.
me est de present, & n’avoysnavoys copie de telz
precepteurs comme tu as eu. Le temps
estoit encores tenebreux & sentant l’in-
felicité
lin-
felicité
& calamite des Gothz, qui avo-
ient mis a destruction toute bonne lite-
rature, Mais par la bonte divine, la lu
miere & dignité a esté de mon eage rendue
es lettres, & y voy tel amendement que
de present a difficulté seroys je creureceu en
la premiere classe des petitz grimaulx
qui en mon eage virile estoys (non a tord)
reputé le plus scavant dudict siecle.


Ce que je ne dis par jactance vaine,
encores que je le puisse louablement faire
en t’escripvanttescripvant comme tu as l’autoritélautorité
de Marc Tulle en son livre de vieilles
se, & la sentence de Plutarche au livre
intitule, comment on se peut louer sans
envie, mais pour te donner affection de
plus hault tendre. Maintenant tou
tes disciplines sont restituesrestituées, les lan-
gues instaurees, Grecque sans laquel-
le c’estcest honte que une personne se die sca
vant. Hebraicque, Caldaicque, Latine
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[32v]
Les impressions tant elegantes & cor-
rectes en usance, qui ont este inventees
de mon eage par inspiration divine, com-
me a contrefil l’artillerielartillerie par suggestion
diabolicque. Tout le monde est plein
de gens savans, de precpteursprecepteurs tresdoc-
tes, de librairies tresamples, qu’ilquil m’estmest
advis que ny au temps de Platon, ny
de Ciceron, ny de Papinian, n’estoitnestoit tel
le commodité d’estudedestude qu’onquon y veoit main-
tenant. Et ne se fauldra plus doresna-
vant trouver en place ny en compaignie
qui ne sera bien exployexpoly en l’officinelofficine de
Minerve. Je voy les brigans, les bou-
reaulx, les avanturiers, les palefre-
niers, de maintenant plus doctes que
les docteurs & prescheurs de mon temps.


Que diray je? Les femmes & filles
ont aspire a ceste louange & manne ce-
leste de bonne doctrine. Tant y a que
en l’eageleage ou je suis j’ayjay esté contrainct de
apprendre les lettres Grecques, lesquel
les je n’avoisnavois continuecontemné comme Caton,
mais je n’avoysnavoys eu loysir de comprendre
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Fu.33.
en mon jeune eage. Et voluntiers me
delecte a lire les moraulx de Plutar-
che, les beaulx dialogues de Platon,
les monuemens de Pausanias, & anti-
quitez de Atheneus, attendant l’heurelheure qu’ilquil
plaira a dieu mon createur me appeller
& commander yssir de ceste terre. Par-
quoy mon filz je te admoneste que em-
ploye ta jeunesse a bien profiter en estu-
de & en vertus. Tu es a Paris, tu as
ton precepteur Epistemon dont l’unlun par
vives & vocables instructions, l’aultrelaultre
par louables exemples te peut endoctri-
ner. J’entensJentens & veulx que tu aprenes
les langues parfaictement. Premiere-
ment la Grecque comme le veult Quin-
tilian. Secondement la Latine. Et puis
l’hebraicquelhebraicque pour les sainctes letres,
& la Chaldaicque & Arabicque pareille
ment, & que tu formes ton stille quand
a la Grecque, a l’imitationlimitation de Platon:
quand a la latine, a Ciceron. Qu’ilQuil n’yny
ait hystoire que tu ne tienne en memoire
presente, a quoy te aydera la Cosmo- E
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[33v]
graphie de ceulx qui en ont escript. Des
ars liberaux, Geometrie, Arismeticque
& Musicque. Je t’enten donnay quelque
goust quand tu estoys encores petit en
l’eageleage de cinq a six ans, poursuys la re-
ste, & de Astronomie saiche en tous les
canons, laisse moy l’AstrologieLastrologie divina
trice, & l’artlart de Lullius comme abuz & va-
nitez Du droit civil, je veulx que tu sai
che par cueur les beaulx textes, & me
les confere avecques philosophieEt
quand a la congnoissance des faictz de
nature, je veulx que tu te y adonne cu-
rieusement, qu’ilquil n’yny ayt mer, riviere, ny
fontaine, dont tu ne congnoisse les pois
sons, tous les oyseaulx de l’airlair, tous les
arbres arbustes & fructices des foretz,
toutes les herbes de la terre, tous les
metaulx cachez au ventre des abysmes,
les pierreries de tout Orient & midy,
rien ne te soit incongneu. Puis son-
gneusement revisite les livres des me-
dicins Grecz, Arabes, & Latins, sans
contemner les Thalmudistes, & Caba-
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Fu.34.
listes, & par frequentes anatomies ac-
quiers toy parfaicte congnoissance de
l’aultrelaultre monde, qui est l’hommelhomme Et par
lesquelles heures du jour commence a
visiter les sainctes lettres. Premiere-
ment en Grec, le nouveau testament &
Epistres des apostres, & puis en He-
brieu le vieulx testament. Somme que
je voy un abysme de science: car dores-
navant que tu deviens homme & te fais
grand, il te fauldra yssir de ceste tran-
quillite & repos d’estudedestude: & apprendre la
chevalerie, & les armes pour defendre
ma maison, & nos amys secourir en
tous leurs affaires contre les assaulx
des mal faisansEt veux que de brief
tu essaye combien tu as proffite, ce que
tu ne pourras mieulx faire, que tenent
conclusions en tout scavoir publique-
ment envers tous & contre tous: & han
tant les gens lettrez, qui sont tant a Pa
ris comme ailleurs. Mais par ce que
selon le saige Salomon. Sapience n’en
tre
nen
tre
point en ame malivole, & science sans E ij
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[34v]
conscience n’estnest que ruine de l’amelame. Il te
convient servir, aymer, & craindre Dieu
& en luy mettre toutes tes pensées, &
tout ton espoir, & par foy formee de cha
rite estre a luy adjoinct, en sorte que ja-
mais n’ennen soys desamparé par peché,
aye suspectz les abus du monde, ne metz
ton cueur a vanité: car ceste vie est tran
sitoire: mais la parolle de Dieu demeu
re eternellement. Soys serviable a tous
tes prochains, & les ayme comme toy-
mesmes. Revere tes precepteurs, fuis
les compaignies de gens esquelz tu ne
veulx point resembler. & les graces que
Dieu te a donnees, icelles ne recoipz en
en[sic] vain. Et quand tu congnoistras que
auras tout le scavoir de par dela ac-
quis, retourne vers moy, affin que je te
voye & donne ma benediction devant
que mourir. Mon filz la paix & grace
de nostre seigneur soit avecques toy,
Amen, de Utopie ce dix septiesme jour
du moys de mars, ton pere Gargantua.


Fac-similé BVH



Fu.35.

Ces lettres receues & veues Panta
gruel print nouveau courage & feut en-
flambe a proffiter plus que jamais en
sorte que le voyant estudier & proffiter,
eussiez dict que tel estoit son esperit en-
tre les livres, comme est le feu parmy les
brandes, tant il avoit infatigable & strident.


Comment Pantagruel trouva
Panurge lequel il ayma
toute sa vie. Cha-
pitre. ix.


UN jour Pantagruel se pour-
menant hors la ville vers l’ab-
baye
lab-
baye
sainct Antoine devisant & E iij
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[35v]
philosophant avecques ses gens & aul-
cuns escholiers, rencontra un homme
beau de stature & elegant en tous linea
mens du copscorps, mais pitoyablement na
vre en divers lieux: & tant mal en ordre
qu’ilquil sembloit estre eschappe es chiens,
ou mieulx resembloit un cueilleur de
pommes du pais du Perche. De tant
loing que le vit Pantagruel, il dist es
assistans. Voyez vous cest homme qui
vient par le chemin du pont Charan-
ton? Par ma foy, il n’estnest pauvre que par
fortune: car je vous asseure que a sa phy-
sonomie nature la produict de riche & no
ble lignee, mais les adventures des gens
curieulx le ont reduict en telle penurie
& indigence. Et ainsi qu’ilquil fut au droict
d’entredentre eulx, il luy demanda. Mon amy
je vous prie que un peu vueillez icy ar-
rester & me respondre a ce que vous de-
manderay, & vous ne vous en repentirez
point, car j’ayjay affection tresgrande de
vous donner ayde a mon povoir en la
calamite ou je vous voy: car vous me
Fac-similé BVH

Fu.36.
faictes grand pitié. Pourtant mon amy
dictes moy qui estes vous, dont venez
vous, ou allez vous, que querez vous, &
quel est vostre nom. Le compaignon
luy respond en langue Germanicque.
Juncker gott geb euch gluck unnd
hail. Luvor lieber juncker ichlas euch
wissendas da ir mich von fragt, ist ein
arm unnd erbarmglich din, unnd wer
vil darvon zu sagen welches euch ver
druslich zuhoerem, unnd mir zu erzelen
wer, vievol die Poeten unnd Orators
vorzeiten haben gesagt in irem spruchen
unnd sentenzen das die gedechtnus des
elleds unnd armuot vorlangs erlitten,
ist ain grosser lust
. A quoy respondit
Pantagruel. Mon amy je n’entensnentens
poinct ce barragouin, pourtant si vou
lez qu’onquon vous entende, parlez aultre lan
gaige. Adoncques le compaignon luy
respondit. Ai barildim gotfano dech
min brin alabo dordin falbroth ringuan
albaras. Nin porthzadikim almuca-
thin milko prin al elmim enthoth dal E iiij
Fac-similé BVH

[36v]
heben ensouim: kuthim al dum alka-
tim nim broth dechoth porth min mi-
chais im endoth, pruch dal maisoulum
hol moth dansrilrim lupaldas im vol-
demoth. Nin hur diavosth mnarbotim
dal gousch palfrapin duch im scoth
pruch galeth dal chinon, min foulchrich
al conin butathen doth dal prim.
En
tendez vous rien la: dist Pantagruel
es assistans. A quoy dist Epistemon. Je
croy que c’estcest langaige des Antipodes,
le diable ny mordroit mie. Lors dist Pan
tagruel. Compere, je ne scay si les mu-
railles vous entendront, mais de nous
nul n’yny entend note. Dont dist le com-
paignon. Signor mio voividete per exem
plo che la Cornamusa non suona mai
se la non a il ventre pieno, Cosi io pa-
rimente non vi saperi contare le mio for
tune, se prima il tribulato ventre non a
la solita refectione. Al quale e adviso
che le mani & li denti abbui perso illoro
ordine naturale & del tuto annichillati
.


A quoy respondit Epistemon. Autant
Fac-similé BVH



Fu.37.
de l’unlun comme de l’aultrelaultre. Dont dist Pa-
nurge. Lard gesttholb be sua virtiuss
be intelligence: ass yi body schalbiss be
naturall relutht tholb suld ofme pety
have for natur hass ulss egualy maide:
bot fortune sum exaltit hess andoyis
deprevit: non yeless vioiss mou virtiuss
deprevit and virtiuss men discriviss for
anen ye lad end iss non gud.
Encores
moins, respondit Pantagruel. Adonc-
ques dist Panurge. Jona andie guaus
sa goussy etan be harda er remedio be-
harde versela ysser landa. Anbates otoy
y es nausu ey nessassu gourray pro-
posian ordine den. Nonyssena bayta
fascheria egabe gen herassy badia sa-
dassu noura assia. Aran Hondovan gual
de eydassu naydassuna. Estou oussyc
eguinan soury hin er darstura eguy
harm. Genicoa plasar vadu.
Estez
vous la respondit Eudemon GeincoaGenicoa.


A quoy dist Carpalin. Sainct Trei
gnan foutys vous D’escossDescoss. ou j’ayjay failly
a entendre, Lors respondit Panurge. E v
Fac-similé BVH

[37v]
Prug frest strinst sorgdmand strochdt
drhds pag brleland. Gravot chavygny
pomardiere rusth pkallhdracg devinie-
re pres Nays. Bouille kalmuch mo-
nach drupp delmenpplist rincq dlrnd
dodelb up drent loch minc stz rinquald
de vins ders cordelis hur jocst stzampe
nards.
A quoy dist Epistemon. Par
lez vous christian? mon amy, ou langai
ge Patelinoys. Non c’estcest langaige lan-
ternoys. Dont dist Panurge. Her re ie
en spreke anders gheen taele dan ker-
sten taele my dunct nochtans, al en seg
ie v met een word, myuen noot vclaert
ghenonch wat ie beglere, gheest my unyt
ber mher ticheyt yet waer un ie ghe-
voet mach zunch.
A quoy respondit
Pantagruel Autant de cestuy la. Dont
dist Panurge. Seignor de tanto hablar
yo soy cansado, por que supplico a vo-
stra reverentia que mire a los preceptos
evangeliquos, para que ellos movant
vostra reverentia a lo ques de conscien
tia, y sy ellos non bastarent para mover
Fac-similé BVH



Fu.38.
vostra reverentia a piedad, supplico que
mire ala piedad natural, laqual yo creo
que le movra como es de razon, y con
esto non digo mas
. Aquoy respondit
Pantagruel, dea mon amy Je ne fais
doubte aulcun que ne sachez bien par-
ler divers langaiges, mais dictedictes nous
ce que vouldrez en quelque langue que
puissions entendre. Lors dist le compai
gnon. Mynherre endog jeg met inghen
tunge talede, lyge som boeen ocg usk
vvlig creatner: myne Kleebon och my
ne, legoms mager hed vvduyser allygue
Klalig hvvad tyng meg meest behoff
girereb, somaer sandeligh mad och dry-
cke: hvvar for forbar me teg om syder
offver meg: och befael atgyffuc meg no
geth: aff huylket ieg kand styre myne
groeendes maghe lygeruss son mand Cer
bero en soppeforsetthr. Soa schal tue
loeffve lenge ochlyk saligth.
Je croy
(dist Eustenes) que les Gothz parloient
ainsi. Et si Dieu vouloit, ainsi parlerions
nous du cul. Adoncques dist le com-
Fac-similé BVH

[38v]
paignon. Adoni scolomlecha: im ischar
harob halhabdeca bemeherah thithen
li Kikar lehem, chancathub laah al
adonai cho nen ral.
Aquoy respondit
Epistemon. A ceste heure ay je bien en-
tendu: Car c’estcest langue Hebraicque
bien Rhetoricquement pronuncee.


Dont dist le compaignon. Despota
tinyn panagathe, doiti sy mi uc artodo
tis, horas gar limo analiscomenon
eme atlhios, ce en to metaxyeme uc eleis
udamos, zetis de par emu ha u chre ce
homos philo logi pamdes homologusi
tote logus te ce rhemeta peritta hyrpar
chin, opo te pragma asto pasi delon esti,
Entha gar anancei monon logi isin,
hina pragmata (hon peri amphibetu-
men) me prosphoros epiphenete
, Quoy?
dist Carpalim lacquays de Panta-
gruel, c’estcest Grec, je l’aylay entendu. Et com
ment, as tu demoure en Grece? Doncques
dist le compaignon. Agonou dont oussys
vou denaguez algarou. nou den farou
zamist vous mariston ulbrou, fousquez
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Fu.39.
vou brol tam bredaguez moupreton den
goul houst, daguez daguez nou croupys
fost bardounnoflist nou grou. Agou pa
ston tol nalprissys hourtou los echato-
nous, prou dhouquys brol panygou den
bascrou noudous caguons goulfren
goul oust troppassou.
J’entendsJentends sesi me
semble, dist Pantagruel: car ou c’estcest lan
gaige de mon pays de Utopie, ou bien
luy ressemble quant au son. Et comme
il vouloit commencer quelque propos,
le compaignon dist. Jam toties vos
per sacra perque deos deasque omnis ob-
testatus sum, ut si qua vos pietas per-
movet, egestatem meam solaremini, nec
hilum proficio clamans & ejulans. Si-
nite, queso, sinite viri impii quo me fata
vocant abire, nec ultra vanis vestris in
terpellationibus obtundatis, memores
veteris illius adagi, quo venter fameli-
cus auriculis carere dicitur
. Dea mon
amy dist Pantagruel, ne scavez vous
parler Francoys? Si faictz tresbien sei-
gneur, respondit le compaignon, Dieu mer
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[39v]
cy? c’estcest ma langue naturelle, & maternel-
le, car je suis ne & ay este nourry jeune
au jardin de France, c’estcest Touraine.
Doncques. dist Pantagruel, racom-
tez nous quel est vostre nom, & dont
vous venez, Car par foy je vous ay ja
prins en amour si grand que si vous
condescendez a mon vouloir, vous ne
bougerez jamais de ma compaignie, &
vous & moy ferons un nouveau pair
d’amitiedamitie telle que feut entre Enee & Acha-
tes. Seigneur dist le compaignon.
Mon vray & propre nom de baptesme,
est Panurge, & a present viens de Tur
quie, ou je fuz mené prisonnier lors qu’onquon
alla a Metelin en la male heure. Et
voluntiers vous racompteroys mes
fortunes qui sont plus merveilleuses,
que celles de Ulysses, mais puis qu’ilquil
vous plaist me retenir avecques vous,
& je accepte voluntiers l’offreloffre, protestant
jamais ne vous laisser, & alissiez vous
a tous les diables, nous aurons en aul
tre temps plus commode, assez loysir
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Fu.40.
d’enden racompter, car pour ceste heure j’ayjay
necessite bien urgente de repaistre, dentz
agues, ventre vuyde, gorge seiche, appe
tit strident tout y est delibere si me vou-
lez mettre en oeuvre, ce sera basme de
me veoir briber, pour Dieu donnez y or
dre. Lors commenda Pantagruel qu’onquon
le menast en son logis & qu’onquon luy ap-
portast force vivres. Ce que fut faict, &
mangea tresbien a ce soir: & s’ensen alla cou
cher en chappon, & dormit jusques au lende
main heure de disner, en sorte qu’il ne feist
que troys pas & un sault du lict a table.


Comment Pantagruel equitablement
jugea d’unedune controverse merveil-
leusement obscure & difficile
si justement, que son ju-
gement fut dict fort
admirable.
Chap. x.


PAntagruel bien records des let-
tres et admonition de son pere,
voulut un jour essayer son sca-
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[40v]
voir, De faict par tous les carrefours
de la ville mist conclusions en nombre
de neuf mille sept cens soixante & qua-
tre en tout scavoir, touchant en ycelles
les plus fors doubtes qui feussent en
toutes sciences. Et premierement en
la rue du feurre tint contre tous les re-
gens, artiens, & orateurs, & les mist tous
de cul, Puis en Sorbonne tint contre
tous les Theologiens par l’espacelespace de
six sepmaines despuis le matin quatre
heures, jusques a six du soir: exceptez
deux heures d’intervalledintervalle pour repaistre
& prendre sa refection. Et a ce assisterent
la plus part des seigneurs de la court:
maistres des requestes, presidens, con-
seilliers, les gens des comptes, secretai-
res, advocatz, & aultres: ensemble les
eschevins de ladicte ville, avecques les
medicins & canonistes. Et notez que
d’iceulxdiceulx la plus part prindrent bien le
frain au dentz: mais nonobstant leurs
ergotz & fallaces, il les feist tous qui-
naulx, & leurs monstra visiblement qu’ilzquilz
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Fu.41.
n’estoientnestoient que veaulx engiponnez.


Dont tout le monde commenca a bruy
re & parler de son scavoir si merveilleux
jusques es bonnes femmes lavandieres,
courratieres, roustissieres: ganyvetie-
res, & aultres, lesquelles quand il passoit
par les rues disoient, c’estcest luy, a quoy il
prenoit plaisir, comme Demosthenes
prince des orateurs Grecz faisoit quand
de luy dist une vieille acropie le mon-
strant au doigt, c’estcest cestuy la. Or en
ceste propre saison estoit un proces pen-
dent en la court entre deux gros sei-
gneurs, desquelz l’unlun estoit monsieur de
Baysecul demandeur d’unedune part, l’aul-
tre
laul-
tre
monsieur de Humevesne defendeur
de l’aultrelaultre. Desquelz la controverse
estoit si haulte & difficile en droict que la
court de Parlement n’yny entendoit que
le hault Alemant. Dont par le comman
dement du Roy furent assemblez qua-
tre les plus scavans & les plus gras
de tous les Parlemens de France, en-
semble le grand conseil, & tous les prin- F
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[41v]
cipaulx Regens des universitez, non
seulement de France, mais aussi d’An
gleterre
Dan
gleterre
& Italie, comme Jason, Philip
pe, Dece, Petrus de petronibus, & un
tas d’aultresdaultres vieulx Rabanistes. Ain
si assemblez par l’espacelespace de quarente &
six sepmaines n’yny avoyent sceu mordre,
ny entendre le cas au net, pour le met-
tre en droict en facon quelconques: dont
ilz estoyent si despitz qu’ilzquilz se conchioyent
de honte villainement. Mais un d’en
tre
den
tre
eulx nomme Du douhet, le plus sca
vant, le plus expert & prudent de tous
les aultres, un jour qu’ilzquilz estoyent tous
philogrobolizez du cerveau, leur dist,
Messieurs ja long temps a que som-
mes icy sans rien faire que despendre, &
ne pouvons trouver fond ny rive en ce
ste matiere, & tant plus y estudions tant
moins y entendons, qui nous est grand
honte & charge de conscience, & a mon
advis que nous n’ennen sortirons que a des
honneur, car nous ne faisons que ra-
vasser en noz consultations Mais voicy
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Fu.42.
que j’ayjay advise, vous avez bien ouy parler
de ce grand personnaige nomme maistre
Pantagruel, lequel on a congneu estre
scavant dessus la capacité du temps
de maintenant: es grandes disputations
qu’ilquil a tenu contre tous publiquement.
Je suis d’opiniondopinion, que nous l’apellonslapellons, &
conferons de cest affaire avecques luy,
car jamais homme n’ennen viendra a bout
si cestuy la n’ennen vient. A quoy volun-
tiers consentirent touttous ces conseilliers
& docteurs: de faict l’envoyerentlenvoyerent querir
sur l’heurelheure, & le prierent vouloir le pro-
ces canabasser & grabeler a poinct, &
leur en faire le raport tel que de bon luy
sembleroit en vraye science legale, & luy
livrerent les sacs & pantarques entre
ses mains, qui faisoyent presque le fais
de quatre gros asnes couillars. Mais
Pantagruel leur dist. Messieurs, les
deux Seigneurs qui ont ce proces en-
tre eulx, sont ilz encore vivans? A quoy
luy fut respondu, que ouy. De quoy dia
ble donc (dist il) servent tant de fatras- F ij
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[42v]
series de papiers & copies que me bail-
liez? N’estNest ce le mieulx ouyr par leur vi-
ve voix leur debat, que lire ces babouy
neries icy, qui ne sont que tromperies,
cautelles diabolicques de Cepola, et
subversions de droict? Car je suis sceur
que vous & tous ceulx par les mains
desquelz a passe le proces, y avez machi
ne ce que avez peu: pro & contra, & au cas
que leur controverse estoit patente & fa
cile a juger, vous l’avezlavez obscurcie par
sottes & desraisonnables raisons & inep
tes opinions de Accurse, Balde, Bar-
tole, de castro, de Imola, HoppolytusHippolytus,
Panorme, Bertachin, Alexandre, Cur-
tius, & ces aultres vieulx mastins, qui
jamais n’entendirentnentendirent la moindre loy des
Pandectes, & n’estoyentnestoyent que gros veaulx
de disme ignorans de tout ce qu’estquest ne-
cessaire a l’intelligencelintelligence des loix, Car (com-
me il est tout certain) ilz n’avoyentnavoyent con-
gnoissance de langue ny Grecque ny
Latine: mais seullement de Gothique
& Barbare, Et toutesfoys les loix sont
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Fu.43.
premierement prinses des Grecz, com-
me vous avez le tesmoignage de Ul-
pian. l posteriori. de orig. juris. & toutes
les loix sont pleines de sentences & motz
Grecz: & secondement sont redigees en
Latin le plus elegant & aorné qui soit
en toute la langue Latine, & n’ennen excep-
teroys voluntiers ny Saluste, ny Var
ron, ny Ciceron, ny Senecque, ny T.Tite
Live, ny Quintilian. Comment donc-
ques eussent peu entendre ces vieulx
resveurs le texte des loix, qui jamais
ne virent bon livre de langue Latine?
comme manifestement appert a leur stile
qui est stille de ramonneur de cheminee,
ou de cuysinier & marmiteux: non de ju
risconsulte. Davantaige veu que les
loix sont extirpees du mylieu de philo-
sophie moralle & naturelle, comment l’en
tendront
len-
tendront
ces folz qui ont par dieu moins
estudie en philosophie que ma mulle? Au
regard des lettres de humanité, & con-
gnoissance des antiquitez & histoire, ilz
en estoyent chargez comme un crapault F iij
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[43v]
de plumes, dont toutesfoys les droictz
sont tous pleins, & sans ce ne pevent
estre entenduz, comme quelque jour je
monstreray plus apertement par es-
cript. Par ce si voulez que je congnois-
se de ce proces, premierement faictez moy
brusler tous ces papiers: & secondement
faictez moy venir les deux gentilz hom
mes personnellement devant moy, &
quand je les auray ouy, je vous en di-
ray mon opinion sans fiction ny dissi-
mulation quelconques. A quoy aul-
cuns d’entredentre eulx contredisoient, comme
vous scavez, que en toutes compaignies
il y a plus de folz que de saiges, & la plus
grande partie surmonte tousjours la
meilleure, ainsi que dict Tite Live par
lant des Cartagiens. Mais ledict du
Douhet tint au contraire virilement
contendent que Pantagruel avoit bien
dict, que ces registres, enquestes, replic-
ques, reproches, salvations, & aultres
telles diableries, n’estoientnestoient que subver-
sions de droict, & allongement de pro-
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Fu.44.
ces, & que le diable les emporteroit tous
s’ilzsilz ne procedoient aultrement selon
equite evangelicque & philosophicque.
Somme tous les papiers furent brus-
lez, & les deux gentilz hommes person-
nellement convocquez. Et lors Pan
tagruel leur dist. Estes vous ceulx qui
avez ce grand different ensemble? Ouy
dirent ilz monsieur. Lequel de vous
est demandeur? C’estCest moy dist le sei-
gneur de Baisecul. Or mon amy, con-
tez moy de poinct en poinct vostre af-
faire, selon la verite, car par le corps
bieu si vous en mentes d’undun mot, je vous
osteray la teste de dessus les espaules,

& vous monstreray que en justice &
jugement l’onlon ne doibt dire que
verite, par ce donnez vous
garde de adjouster ny
diminuer au nar
re de vostre cas,
dictes?


F iiij

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[44v]


Comment les seigneurs de Baise-
cul & Hume vesne plaido-
ient devant Pantagruel
sans advocatz,
Chap. xj.


DOnc commenca Baisecul en
la maniere que s’ensuytsensuyt. Mon-
sieur il est vray que une bonne
femme de ma maison portoit vendre des
oeufz au marchez, Couvrez vous Bai-
secul, dist Pantagruel. Grand mercy
monsieur, dist le seigneur de Baisecul.
Mais a propos, passoit entre les deux
tropicques six blans vers le zenith &
maille par autant que les mons Rhiphees
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Fu.45.
avoyent eu celle annee grande sterilité
de happelourdes, moyennant une sedi-
tion de ballivernes meue entre les
Barragouyns & les Accoursiers pour
la rebellion des Souyces qui s’estoyentsestoyent
assemblez jusques au nombre de bon
bies, pour aller a l’aguillanneuflaguillanneuf, le pre-
mier trou de l’anlan, que l’onlon livre la soup-
pe aux boeufz, & la clef du charbon aux
filles, pour donner l’avoinelavoine aux chiens.
Toute la nuict l’onlon ne feist la main sur
le pot, que despescher bulles a pied &
bulles a cheval pour retenir les ba-
teaulx, car les cousturiers vouloyent
faire des retaillons desrobez une sarba
taine pour couvrir la mer Oceane, qui
pour lors estoit grosse d’unedune potee de
chous selon l’opinionlopinion des boteleurs de
foin: mais les physiciens disoyent que
a son urine ilz ne congnoissoyent signe
evident au pas d’ostardedostarde de manger be-
zagues a la moustarde, si non que mes-
sieurs de la court feissent par bemol com
mandement a la verolle, de non plus F v
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[45v]
allebouter apres les maignans, car les
marroufles avoient ja bon commence-
ment a danser l’estrindorelestrindore au diapason
un pied au feu & la teste au mylieu com
me disoit le bon Ragot. Ha messieurs
Dieu modere tout a son plaisir, & contre
fortune la diverse un chartier rompit
nazardes son fouet, ce fut au retour de
la Bicocque, a lors qu’onquon passa licentie
maistre Antitus des crossonniers en
toute lourderie: comme disent les ca-
nonistes. Beati lourdes quoniam ipsi
trebuchaverunt
. Mais ce que faict la
quaresme si hault, par sainct Fiacre de
Brye , ce n’estnest pour aultre chose que la
Penthecoste ne vient foys qu’ellequelle ne me
couste: mais hay avant peu de pluye
abat grand vent, entendu que le sergeant
me mist si hault le blanc a la butte, que
le greffier ne s’ensen leschat orbiculairement
ses doigtz empenez de jardz, & nous vo-
yons manifestement que chascun s’ensen
prent au nez, sinon qu’onquon regardast en
perspective oculairement vers la che-
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Fu.46.
minee a l’endroitlendroit ou pend l’enseignelenseigne du
vin a quarente sangles, qui sont neces-
saire a vingt bas de quinquenelle: a tout
le moins qui ne vouldroit lascher l’oy-
seau
loy-
seau
devant talemouses que le descou-
vrir, car la memoire souvent se pert
quand on se chausse au rebours: sa dieu
gard de mal Thibault mitaine. Alors
dist Pantagruel. Tout beau mon amy,
tout beau, parlez a traict & sans chole-
re. J’entendsJentends le cas, poursuyvez. Or
monsieur dist Baisecul, ladicte bonne
femme disant ses gaudez & audinos, ne
peut se couvritcouvrir d’undun revers fault mon-
tant par la vertuz guoy des privileges
de l’universitéluniversité, sinon par bien soy bassi-
ner anglicquement le couvrant d’undun
sept de quarreaulx & luy tirant un estoc
vollant, au plus pres du lieu ou l’onlon vent
les vieux drapeaulx, dont usent les pain
tres de Flandres, quand ilz veullent
bien a droict ferrer les cigalles, & mesba
hys bien fort comment le monde ne pont
veu qu’ilquil faict si beau couver. Icy vou-
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[46v]
lut interpeller & dire quelque chose le
seigneur de Humevesne, dont luy dist
Pantagruel. Et ventre sainct Antoine
t’appertienttappertient il de parler sans comman-
dement? Je sue icy de haan, pour enten-
dre la procedure de vostre different, & tu
me viens encores tabuster? paix, de par
le diable paix, tu parleras ton sou, quand
cestuy cy aura achevé. Poursuyvez,
dist il a Baisecul, & ne vous hastez point.


Voyant doncques, dist Baisecul, que
la Pragmatique sanction n’ennen faisoit
nulle mention, & que le pape donnoit li-
berté a un chascun de peter a son aise,
si les blanchetz n’estoyentnestoyent rayez, quelque
pauvreté que feust au monde, pourveu
qu’onquon ne se signast de ribaudaille, l’arc
anciel
larc
anciel
fraischement esmoulu a Milan
pour esclourre les alouettes, consentit
que la bonne femme escullast les iscia-
ticques par le protest des petitz poissons
couillatrys qui estoyent pour lors ne-
cessaires a entendre la construction des
vieilles bottes pourtant Jan le veau son
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Fu.47.
cousin gervays remué d’unedune busche de
moulle, luy conseilla qu’ellequelle ne se mist
poinct en ce hazard de seconder la buee
brimballatoyre sans premier aluner le
papier: a tant pille, nade, jocque, fore,
car non de ponte vadit qui cum sapien-
tia cadit
, attendu que messieurs des
comptes ne convenoyent en la somma-
tion des fleutes d’allemantdallemant, dont on avoit
basty les lunettes des princes impri-
mee nouvellement a Anvers. Et voyla
messieurs que faict maulvais raport.
Et en croy partie adverse in sacer ver-
bo dotis
, car voulant obtemperer au
plaisir du roy je me estois armé de pied
en cap d’unedune carrelure de ventre pour
aller veoir comment mes vendangeurs
avoyent dechicqueté leurs haulx bon-
netz, pour mieulx jouer des manequins
& le temps estoit quelque peu dangereux
de la foire, dont plusieurs francz ar-
chiers avoyent este refusez a la monstre,
nonobstant que les cheminees feussent
assez haultes selon la proportion du
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[47v]
javart & des malandres l’amilami baudichon.
Et par ce moyen fut grande annee de
quaquerolles en tout le pays de Artoys
qui ne feust petit amandement pour
messieurs les porteurs de cousteretz,
quand on mangeoit sans desguainer
cocques cigrues a ventre deboutonne.
Et a la mienne volunte que chascun
eust aussi belle voix, l’onlon en jourroit beau
coup mieulx a la paulme, & ces petites
finesses qu’onquon faict a etymologizer les
pattins, descendroyent plus aisement
en Seine pour tousjours servir au pont
aux meusniers, comme jadis feut decre
te par le Roy de Canarre, & l’arrestlarrest en
est au greffe de ceans. Pour ce monsieur
je requiers que par vostre seigneurie soit
dict & declaire sur le cas ce que de raison
avecques despens, dommaiges & interestz.


Lors dist Pantagruel Mon amy
voulez vous plus rien dire? Respondit
Baisecul, non monsieur: car je ay dict
tout le tu autem, & n’ennen ay en rien varié sur
mon honneur. Vous doncques (dist Pan
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Fu.48.
tagruel) monsieur de Humevesne, dictes
ce que vouldrez & abreviez, sans rien tou
tesfoys laisser de ce que servira au propos.


Comment le seigneur de Hume-
vesne plaidoie davant Pan-
tagruel. Chap. xij.


LOrs commenca le seigneur de
Humevesne ainsi que s’ensuitsensuit.Mon
sieur & messieurs, si l’iniquiteliniquite des
hommes estoit aussi facilement veue en
jugement categoricque comme on con-
gnoist mousches en laict, le monde, qua
tre beufz ne seroit tant mange de ratz
comme il est, & seroient aureilles maintes
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[48v]
sur terre, qui en ont este rongees trop
laschement. Car combien que tout ce
que a dit partie adverse soit de dumet
bien vray quand a la lettre & histoire du
factum, toutesfoys messieurs la finesse,
la tricherie, les petitz hanicrochemens,
sont cachez soubz le pot aux roses.
Doibs je endurer que a l’heurelheure que je
mange au pair ma souppe sans mal pen
ser ny mal dire l’onlon me vienne ratisser &
tabuster le cerveau me sonnant l’anti-
quaille
lanti-
quaille
, & disant, qui boit en mangeant
sa souppe, quand il est mort il n’yny voit
goutte. Et saincte dame combien avons
nous veu de gros cappitaines en plein
camp de bataille, alors qu’onquon donnoit
les horions du pain benist de la confra-
rie, pour plus honnestement se delinerdodeliner,
jouer du luc sonner du cul, & faire les
petiz saulx en plate forme? mais main-
tenant le monde est tout detravé de lou-
chetz des balles de lucestre, l’unlun se desbau
chez, l’aultrelaultre cinq quatre & deux & si la
court n’yny donne ordre, il fera aussi mal
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Fu.49.
glener ceste annee, qu’ilquil feist ou bien fe-
ra des goubeletz. Si une pauvre person
ne va aux estuves pour se faire enlumi
ner le museau de bouzes de vache ou
acheter bottes de hyver, & les sergeans
passans, ou bien ceulx du guet receuvent
la decoction d’undun clystere, ou la matiere fe
cale d’unedune celle persee sur leurs tintamar
res, en doibt l’onlon pourtant roigner les te-
stons & fricasser les escutz elles de boys?
Aulcunesfoys nous pensons l’unlun mais
Dieu faict l’aultrelaultre, & quand le soleil est
couché, toutes bestes sont a l’ombrelombre, je n’ennen
veulx estre creu, si je ne le prouve hugre
ment par gens de plain jour. L’anLan tren
te & six achaptant un courtault d’Ale-
maigne
Dale-
maigne
hault & court d’assezdassez bonne lai-
ne & tainct en grene, comme asseuroyent
les orfevres, toutesfoys le notaire y mist
du cetera. Je ne suis poinct clerc pour
prendre la lune avecques les dentz, mais
au pot de beurre ou l’onlon selloit les instru
mens Vulcaniques le bruyt estoit, que
le boeuf sale faisoit trouver le vin sans G
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[49v]
chandelle & feust il caiche au fond d’undun
sac de charbonnier, houzé & bardé avec-
ques le chanfrain & hoguines requises
a bien fricasser rusterie, c’estcest teste de mou
ton, & c’estcest bien ce qu’onquon dict en proverbe,
qu’ilquil faict bon veoir vaches noires en
boys brusle, quand on jouist de ses
amours. J’enJen fis consulter la matiere
a messieurs les clercs, & pour resolution
conclurent en Frisesomorum qu’ilquil n’estnest
tel que faucher lesté en cave bien gar-
nie de papier & d’ancredancre, de plumes & ga-
nivet de Lyon sur le Rosne tarabin ta
rebas: car incontinent que un harnoys
sent les aulx, la rouille luy mangeue le
foye, & puis l’onlon ne faict que rebecquer
torty colli fleuretant le dormir d’apresdapres
disner, & voyla qui faict le sel tant cher.
Messieurs ne croyez que au temps que
ladicte bonne femme englua la po-
checuilliere pour le record du sergeant
mieulx apanager & que la fressure boudi
nalle tergiversa par les bourses des
usuriers, il n’yny eust rien meilleur a soy
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Fu.50.
garder des Canibales, que prendre une
liasse d’oignonsdoignons liee de troys cens na-
veaulx, & quelque peu d’unedune fraize de
veau du meilleur alloy que ayent les al
chistunes, & bien luter & calciner ces pan
toufles mouflin mouflart avecques bel
le saulce de raballe & soy mucer en quel
que petit trou de taulpe, salvantsaulvant tous-
jours les lardons. Et si le dez ne vous
veult aultrement ambezars, ternes du
gros bout. guare daz, mettez la dame au
coing du lict, fringuez la toureloura la
la, & bevez a oultrance: depiscando gre-
noillibus
a tout beaulx houseaulx co-
turnicques, ce sera pour les petitz oy-
sons de mue qui s’esbatentsesbatent au jeu de fouc
quet, attendant battre le metal, & chauf-
fer la cyre aux bavars de godale. Bien
vray est il que les quatre beufz desquelz
est question, avoyent quelque peu la me
moire courte, toutesfoys pour scavoir
la game ilz n’ennen craignoyent courmaran
ny quanard de Savoye, & les bonnes
gens de ma terre en avoyent bonne espe- G ij
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[50v]
rance, disant ces enfans deviendront
grands en Algorisme, ce nous sera une
rubrique de droict, nous ne pouvons
faillir a prendre le loup, faisans nos ha
yes dessus le moulin a vent duquel a
este parlé par partie adverse. Mais le
grand diole y eut envie: & mist les Alle-
mans par le derriere, qui firent diables
de humer her tringue, tringue, de dou-
blet en case. Car il n’yny a nulle apparen-
ce de dire que a Paris sur petit pont
geline de feurre, & feussent ilz aussi hup
pez que duppes de marays, sinon vra-
yement qu’onquon scacrifiast les pompetes
au moret fraichement esmoulu de let-
tres versalles ou coursives ce m’estmest tout
un, pourveu que la tranchefille n’yny en-
gendre les vers. Et posé le cas que au
coublement des chiens courans, les mar
mouzelles eussent corne prinse devant
que le notaire eust baille sa relation par art
Cabalisticque, il ne s’ensuitsensuit (saulve meil
leur jugement de la court) que six arpens
de pre a la grand laize feissent troys
Fac-similé BVH

Fu.51.
bottes de fine ancre sans souffler au
bassin, considere que aulx funerailles
du Roy Charles l’onlon avoit en plain
marché la toyson pour deux & ar j’entensjentens
par mon serment de laine, Et je voy or-
dinairement en toutes bonnes corne-
muses que quand l’onlon va a la pipee, fai-
sant troys tours de balay par la che-
minee, & insinuant sa nomination: l’onlon
ne faict que bander aux reins & soufler
au cul, si d’adventuredadventure il est trop chault,
& qu’illequille luy bille, incontinent les lettres
veues, les vaches luy furent rendues.
Et an fut donne pareil arrest a la mar
tingalle l’anlan dix & sept pour le maulgou
vert de Louzefougerouse, a quoy il plai
ra a la court d’avoirdavoir esguard. Je ne dis
vrayement qu’onquon ne puisse par equité
desposseder en juste tiltre ceulx qui de
l’eaueleaue beniste beuvroyent comme on faict
d’undun rancon de tisserant dont on faict
les suppositoires a ceulx qui ne voulent
resigner, sinon a beau jeu bel argent.
Tunc messieurs quid juris pro minori G iij
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[51v]
bus
? Car lusance commecommune de la loy Sa
licque est telle, que le premier boute feu
qui escornifle la vache qui mousche en
plein chant de Musicque, sans solfier
les poinctz des savatiers, doibt en temps
de godemarre sublimer la penurie de
son membre par la mousse cuillie alors
qu’onquon se morfond a la messe de minuict
pour bailler l’estrapadelestrapade a ces vins blancs
d’AnjouDanjou, qui font la jambette collet a
collet a la mode de Bretaigne. Con-
cluent comme dessus avecques despens,
dommaiges, & interestz. Apres, que le
seigneur de Humevesne eut achevé, Pan
tagruel dist au seigneur de Baisecul
Mon amy voulez vous rien replicquer?
A quoy respondit Baisecul. Non mon-

sieur: car je n’ennen ay dict que la verite:
& pour dieu donnons fin a no-
stre different: car nous
ne sommes icy
sans grand
frais.


Fac-similé BVH



Fu.52.


Comment Pantagruel donna
sentence sus le different
des deux seigneurs.
Chapitre. xiij.


ALors Pantagruel se le-
ve, & assemble tous les
Presidens, Conseilliers
& Docteurs la assistans,
& leur dist. Or cza mes-
sieurs, vous avez ouy (vi
ve vocis oraculo
) le different dont est que
stion, que vous en semble? A quoy res-
pondirent. Nous l’avonslavons veritablement
ouy, mais nous n’yny avons entendu au
diable la cause. Par ce nous vous prions G iiij
Fac-similé BVH

[52v]
una voce & supplions par grace, que
vueilliez donner la sentence telle que ver
rez, & ex nunc prout ex tunc nous l’avonslavons
aggreable, & ratifions de nos pleins
consentemens. Et bien messieurs, dist
Pantagruel, puis qu’ilquil vous plaist je le
feray: mais je ne trouve le cas tant dif-
ficile que vous le faictes. Vostre para-
phe Caton, la loy Frater, la loy Gallus
la loy Quinque pedum, la loy Vinum,
la loy Si dominus, la loy Mater, la
loy Mulier bona, la loy Si quis, la loy
Pomponius, la loy Fundi, la loy Em-
ptor
, la loy Pretor, la loy Venditor, &
tant d’aultresdaultres, sont bien plus difficiles
en mon oppinion. Et apres ce dict, il se
pourmena un tour ou deux par la sa-
le, pensant bien profundement, comme
l’onlon povoit estimer, car il gehaignoyt com
me un asne qu’onquon sangle trop fort pen-
sant qu’ilquil failloit a un chascun faire
droict, sans varier ny accepter person-
ne, puis retourna s’asseoirsasseoir & commenca
pronuncer la sentence comme s’ensuytsensuyt.


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Fu.53.

Veu, entendu, & bien calculé le diffe-
rent d’entredentre les Seigneurs de Baisecul
& Humevesne, la court leur dict que con
sideree l’orripilationlorripilation de la ratepenade
declinent bravement du solstice estival
pour mugueter les billes vesees qui ont
eu mat du pyon par les males vexa-
tions des lucifuges qui sont au climat
diarhomes d’undun matagot a cheval ben-
dant une arbaleste au reins, le deman-
deur eut juste cause de callafater le gal
lion que la bonne femme boursouffloit
un pied chausse & l’aultrelaultre nud, le rem-
boursant bas & roidde en sa conscience
d’aultantdaultant de baguenaudes, comme y a de
poil en dixhuit vaches, & autant pour
le brodeur. Semblablement est declai-
re innoceutinnocent du cas privilegié des grin-
guenaudes, qu’onquon pensoit qu’ilquil eust en-
couru de ce qu’ilquil ne pouvoit baudement
fianter par la decision d’unedune paire de
gands parfumes de petarrades a la
chandelle de noix, comme on use en son
pays de Mirebaloys, laschant la bou- G v
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[53v]
line avecques les bouletz de bronze, dont
les houssepailleurs pastissoyent cone-
stablement ses legumaiges interbastez
du Loyrre a tout les sonnettes despar-
vier faictes apoinct de Hongrie, que son
beau frere portoit memoriallement en
un penier limitrophe, brode de gueulles
a troys chevrons hallebrenez de cana-
basserie, au caignard angulaire dont
on tire au papeguay vermiforme avec-
ques la vistempenarde. Mais en ce qu’ilquil
met sus au defendeur qu’ilquil fut ratacon-
neur tyrofageux & goildronneur de mom
mye, que n’ana este en brimbalant trouvé
vray, comme bien la debastu ledict de-
fendeur, la court le condemne en troys
verrassees de caillebotes assimentees
prelorelitantees & gaudepisees comme
est la coustume du pays envers ledict
defendeur payables a la My doust en
May, mais ledict defendeur sera tenu
de fournir de foin & destoupes a l’embou
chement
lembou
chement
des chassetrapes guitturales
emburelucocquees de guilverdons bien
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Fu.54.
grabelez a rouelle, & amis comme devant
sans despens, & pour cause. Laquelle
sentence pronuncee les deux parties
departirent toutes deux contentes de
l’arrestlarrest, qui fust quasi chose increable.
Car venu n’estoytnestoyt despuys les grandes
pluyes & n’adviendranadviendra de treze Jubilez
que deux parties contendentes en juge-
ment contradictoires soient egualement
contentez d’undun arrest diffinitif. Au re
gard des Conseilliers & aultres Do-
cteurs qui la assistoyent, ilz demeurerent
en ecstase esvanoys bien troys heures,
& tous ravys en admiration de la pru-
dence de Pantagruel plus que humaine
laquelle avoyent congneu clerement
en la decision de ce jugement tant diffi-
cile & espineux. Et y feussent encores,
sinon qu’onquon apporta force vinaigre &

eaue rose pour leur faire reve-
nir le sens & entendement
acoustumé, dont dieu
soit loué par
tout.


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[54v]


Comment Panurge racompte la
maniere comment il eschappa de
la main des Turcqs.
Chapitre. xiiij.


LE jugement de Pantagruel
feut incontinent sceu & enten
du de tout le monde, & impri-
mé a force, & redigé es Ar-
chives du Palays, en sorte que le mon-
de commenca a dire. Salomon qui ren
dit par soubson l’enfantlenfant a sa mere, ja-
mais ne monstra tel chief d’oeuvredoeuvre de
prudence comme a faict le bon Panta-
gruel: nous sommes heureux de l’avoirlavoir
en notre pays. Et de faict on le vou-
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Fu.55.
lut faire maistre des requestes, & presi-
dent en la court: mais il refusa tout, les
remerciant gracieusement, car il y a (dist
il) trop grande servitude a ces offices, &
a trop grande poine peuvent estre saul-
vez ceulx qui les exercent, veu la corrup
tion des hommes. Et croy que si les sie
ges vuides des anges ne sont rempliz
d’aultredaultre sorte de gens, que de trente sept
Jubilez nous n’auronsnaurons le jugement final
& sera Cusanus trompé en ses conjectu
res. Je vous en advertis de bonne heure.
Mais si avez quelque muitz de bon vin,
voluntiers j’enjen recepvray le present.


Ce que ilz firent voluntiers & luy
envoyerent du meilleur de la ville, & beut
assez bien, Mais le pauvre Panurge en
beut vaillamment, car il estoit eximé
comme un haran soret. Aussi alloit il
du pied comme un chat maigre. Et quelcun
l’admonestaladmonesta a demye alaine d’undun grand
hanat plein de vin vermeil, disant. Com
pere tout beau, vous faictes rage de
humer. Je doncq au diesble (dist il) tu
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[55v]
n’asnas pas trouvé tes petitz beuvreaux
de Paris qui ne beuvent en plus q’unqun
pinson, & ne prenent leur bechee sinon
qu’onquon leurs tape la queue a la mode des
passereaux. O compaing si je montasse
aussi bien comme je avalle, je feusse desja
au dessus la sphere de la lune, avecques
Empedocles. Mais je ne scay que dia-
ble cecy veult dire, ce vin est fort bon &
bien delicieux, mais plus j’enjen boy plus
j’ayjay de soif. Je croy que l’ombrelombre de mon-
seigneur Pantagruel engendre les al-
terez, comme la lune faict les catharres.
Auquel commencerent rire les assistans.


Ce que voyant Pantagruel dist.
Panurge qu’estquest ce que avez a rire? Sei-
gneur, (dist il) Je leur contoys, comment
ces diables de Turcqs sont bien ma-
lheureux de ne boire goutte de vin. Si
aultre mal n’estoitnestoit en Lalchoran de Ma
humeth, encores ne me mettroys je mie
de sa loy. Mais or me dictes comment
(dist Pantagruel) vous eschappastes
leurs mains? Par dieu seigneur, dist
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Fu.56.
Panurge, je ne vous en mentiray de
mot. Les paillards Turcqs m’avo-
ient
mavo-
ient
mys en broche tout lardé, comme
un connil, car j’estoisjestois tant exime que aul-
trement de ma chair eust este fort maul
vaise viande, & en ce poinct me faisoyent
roustir tout vif. Ainsi comme ilz me rou
tissoyent, je me recommandoys a la gra
ce divine, ayant en memoyre le bon sainct
Laurent, & tousjours esperoys en Dieu,
qu’ilquil me delivreroit de ce torment, ce qui
feut faict bien estrangement. Car ainsi
que me recommandoys bien de bon
cueur a dieu, cryant. Seigneur dieu ay
de moy, Seigneur dieu saulve moy,
Seigneur Dieu oste moy de ce torment,
auquel ces traistres chiens me detien-
nent, pour la maintenance de ta loy? le
routisseur s’endormitsendormit par le vouloir di-
vin, ou bien de quelque bon Mercure
qui endormit cautement Argus qui avoit
cent yeulx. Quand je vys qu’ilquil ne me
tournoit plus en routissant, je le regar-
de, & voy qu’ilquil s’endortsendort, lors je prens avec
Fac-similé BVH



[56v]
ques les dents un tyson par le bout ou
il n’estoitnestoit point bruslé, & vous le gette au
gyron de mon routisseur, & un aultre je
gette le mieulx que je peuz soubz un lict
de camp, qui estoit aupres de la chemi-
nee, ou estoit la paillasse de monsieur
mon roustisseur. Incontinent le feu se
print a la paille, & de la paille au lict, &
du lict au solier qui estoit embrunche de
sapin faict a quehues de lampes. Mais
le bon feut, que le feu que j’avoysjavoys getté
au gyron de mon paillard routisseur
luy brusla tout le penil & se prenoit aux
couillons, sinon qu’ilquil n’estoitnestoit tant punays
qu’ilquil ne le sentit plus tost que le jour,
& debouq estourdy se levant crya a la
fenestre tant qu’ilquil peut dal baroth, dal
baroth
, qui vault autant a dire comme
au feu, au feu: & vint droict a moy pour
me getter du tout au feu, & desja avoit
couppé les cordes dont on m’avoitmavoit lye
les mains, & couppoit les lyens des
piedz, mais le maistre de la maison ou-
yant le cry du feu, & sentent ja la fumee
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Fu.57.
de la rue ou il se pourmenoit avecques
quelquequelques aultres Baschatz & Musaffiz,
courut tant qu’ilquil peut y donner secours
& pour emporter les bagues. De plei
ne arrivee il tire la broche ou j’estoysjestoys em
broché, & tua tout roidde mon routisseur,
dont il mourut la par faulte de gouver
nement ou aultrement, car il luy passa
la broche peu au dessus du nombril vers
le flan droict, & luy percea la tierce lobe
du foye & le coup haussant luy penetra
le diaphragme, & par atravers la cap-
sule du cueur luy sortit la broche par
le hault des espaules entre les spon-
dyles & l’omoplatelomoplate senestre. Vray est
que en tirant la broche de mon corps je
tumbe a terre pres des landiers, & me
feist peu de mal la cheute toutesfoys
non grand: car les lardons soustindrent
le coup. Puis voyant mon Baschaz,
que le cas estoit desespere, & que sa mai-
son estoit bruslee sans remission, & tout
son bien perdu: se donna a tous les dia-
bles, appellant Grilgoth, Astarost Rap H
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[57v]
pallus & GribonillisGribouillis par neuf foys.


Quoy voyant je euz de peur pour plus
de cinq solz, craignant: les diables vien
dront a ceste heure pour emporter ce fol
icy, seroyent ilz bien gens pour m’empor
ter
mempor
ter
aussi? Je suis ja demy rousty, mes
lardons seront cause de mon mal: car
ces diables icy sont frians de lardons,
comme vous avez l’autoritelautorite du philoso-
phe Jamblicque & Murmault en l’apo
logie
lapo
logie
de bossutis & contrefactis pro Ma
gistros nostros
, mais je fis le signe de
de[sic] la croix, criant agyos, athanatos, ho
theos
, & nul ne venoit, Ce que con-
gnoissant mon villain Baschatz se vou
loit tuer de ma broche, & s’ensen percer le
cueur, de faict la mist contre sa poictri-
ne: mais elle ne povoit oultre passer car
elle n’estoitnestoit assez poinctue: & poulsoit tant
qu’ilquil povoit, mais il ne prouffitoit rien.
Alors je vins a luy, disant. Missaire
bougrino tu pers icy ton temps: car tu
ne te tueras jamais ainsi: bien te blesse-
ras quelque hurte, dont tu languiras
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Fu.58.
toute ta vie entre les mains des bar-
biers: mais si tu veulx je te tueray icy
tout franc, en sorte que tu n’ennen sentiras
rien, & m’enmen croys: car j’enjen ay bien tué
d’aultresdaultres qui s’ensen sont bien trouvez. Ha
mon amy (dist il) je t’enten prie, & ce faisant
je te donne ma bougette, tiens voy la la[sic]
il y a six cens seraphz dedans, & quel-
ques dyamans & rubiz en perfection. Et
ou sont ililz (dist Epistemon) Par sainct
Joan, dist Panurge, ilz sont bien loing
s’ilzsilz vont tousjours, mais ou sont les
neiges d’antandantan?
c’estoitcestoit le plus grand sou-
cy que eust Villon le poete Parisien.
Acheve (dist Pantagruel) je te prie que
nous saichons comment tu acoustras
ton Baschatz. Foy d’hommedhomme de bien,
dist Panurge, je n’ennen mentz de mot. Je
le bande d’unedune meschante braye que je
trouve la demy bruslee, & vous le lye ru
strement piedz & mains de mes cordes,
si bien qu’ilquil n’eustneust sceu regimber, puis
luy passay ma broche a travers la gar-
gamelle, & le pendys acrochant la bro- H ij
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[58v]
che a deux gros crampons, qui souste-
noient des alebardes. Et vous attise
un beau feu au dessoubz & vous flam-
boys mon milourt comme on faict les
harans soretz a la cheminee, puis pre-
nant sa bougette & un petit javelot qui
estoit sur les crampons m’enmen fuys le beau
galot. Et dieu scait comme je sentoys
mon espaule de mouton. Quand je
fuz descendu en la rue, je trouvay tout
le monde qui estoit acouru au feu a for
ce d’eaudeau pour l’estaindrelestaindre. Et me voyans
ainsi a demy rousty eurent pitie de moy
naturellement & me getterent toute leur
eau sur moy, & me refraicherent joyeu-
sement, ce que me fist fort grand bien,
puis me donnerent quelque peu a re-
paistre, mais je ne mangeoys gueres: car
ilz ne me bailloient que de l’eauleau a boyre
a leur mode. Aultre mal ne me firent
sinon un villain petit Turq bossu par
devant, qui furtivement me crocquoit
mes lardons: mais je luy baillys si vert
dronos sur les doigtz a tout mon jave-
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Fu.59.
lot qu’ilquil n’yny retourna pas deux foys.


Et une jeune Corinthiace, qui m’a-
voit
ma-
voit
aporté un pot de Myrobolans em
bliez confictz a leur mode, laquelle re-
gardoit mon pauvre haire esmoucheté,
comment il s’estoitsestoit retiré au feu, car il ne
me alloit plus que jusques sur les ge-
noulx. Mais notez que cestuy rotis-
sement me guerist d’unedune Isciaticque en-
tierement a la quelle j’estoysjestoys subject plus
de sept ans avoit du cousté au quel mon
rotisseur s’endormentsendorment me laissa brusler.


Or ce pendent qu’ilzquilz se amusoyent a
moy, le feu triumphoit ne demandez com-
ment a prendre en plus de deux mille
maisons, tant que quelcun d’entredentre eulx
l’advisaladvisa & s’escriasescria, disant. Ventre Ma-
hom toute la ville brusle, & nous amu-
sons icy. Ainsi chascun s’ensen va a sa chas
cuniere. De moy je prens mon chemin
vers la porte. Quand je fuz sur un
petit tucquet qui est aupres, je me retour
ne arriere, comme la femme de Loth, &
vys toute la ville bruslant, dont je fuz H iij
Fac-similé BVH

[59v]
tant aise que je me cuyde conchier de
joye: mais Dieu m’enmen punit bien. Com
ment? (dist Pantagruel). Ainsi (dist
Panurge) que je regardoys en grand
liesse ce beau feu, me gabelant: & disant.
Ha pauvres pulses, ha pauvres souris,
vous aurez maulvais hyver, le feu est
en vostre paillier, sortirent plus de six
voire plus de treze cens & unze chiens
gros & menutz tous ensemble de la ville
fuyant le feu. De premiere venue acou
rurent droict a moy, sentant l’odeurlodeur de
ma paillarde chair demy rostie, & me
eussent devoré a l’heurelheure, si mon bon an-
ge ne m’eustmeust bien inspire me enseignant
un remede bien oportun contre le mal
des dens. Et a quel propous (dist Pan
tagruel) craignois tu le mal des dens.
N’estoisNestois tu guery de tes rheumes? Pas
ques de soles (respondit Panurge) est il
mal de dens plus grand, que quand les
chiens vous tenent au jambes. Mais
soudain je me advise de mes lardons,
& les gettoys au mylieu d’entredentre eulx,
Fac-similé BVH

Fu.60.
lors chiens d’allerdaller, & de se entrebatre l’unlun
l’aultrelaultre a belles dentz, a qui auroit le
lardon. Par ce moyen me laisserent, &
je les laisse aussi se pelaudans l’unlun l’au
tre
lau
tre
. Ainsi eschappe gaillard & dehayt;
& vive la roustisserie.


Comment Panurge enseigne une ma-
niere bien nouvelle de bastir les
murailles de Paris.
Chapitre. xv.


PAntagruel quelque jour pour se
recreer de son estude se pourme-
noit vers les faulxbours sainct
Marceau voulant veoir la follie Gou
belin. Panurge estoit avecques luy,
ayant tousjours le Flacon soubz sa rob
be, & quelque morceau de jambon: car
sans cela jamais ne alloit il, disautdisant que
c’estoitcestoit son garde corps, aultre espee ne
portoit il. Et quand Pantagruel luy
en voulut bailler une, il respondit, quel
le luy eschaufferoit la ratelle. Voire
mais, dist Epistemon, si l’onlon te assailloit. H iiij
Fac-similé BVH

[60v]
comment te defendroys tu? A grands
coups de brodequin: respondit il, pour-
veu que les estocz feussent defenduz.


A leur retour Panurge consideroit
les murailles de la ville de Paris, & en
irrision dist a Pantagruel. Voyez cy
ces belles murailles. O que fortes sont
& bien en poinct pour garder les oysons
en mue? Par ma barbe, elles sont com-
petement meschantes pour une telle vil
le comme ceste cy: car une vache avecques
un pet en abbatroit plus de six brasses.


O mon amy, dist Pantagruel, scaitz
tu bien ce que dist AgesilaceAgesilaus, quand on
luy demanda: Pourquoy la grande cite
de Lacedemone n’estoitnestoit ceincte de mu-
railles? Car monstrant les habitans &
citoyens de la ville tant bien expers en
discipline militaire: & tant fors & bien
armez. Voicy (dist il) les murailles de
la Cite. Signifiant qu’ilquil n’neustest murail-
le que de os, & que les Villes & Citez ne
scauroyent avoir muraille plus seure
& plus forte que la vertus des cotoyenscitoyens
Fac-similé BVH



Fu.61.
& habitans. Ainsi ceste ville est si forte
par la multitude du peuple belliqueux
qui est dedans, qu’ilzquilz ne se soucient de
faire aultres murailles, Davantaige,
qui la vouldroit emmurailler comme
Strasbourg, Orleans, ou Ferrare, il
ne seroit possible, tant les frais & des-
pens seroyent excessifz, Voire mais
dist Panurge, si faict il bon avoir quel
que visaige de pierre, quand on est enva
hy de ses ennemys, & ne feust ce que pour
demander, qui est la bas? Au regard des
frays enormes que dictes estre necessai
res si on la vouloit murer. Si messieurs
de la ville me voulent donner quelque
bon pot de vin, je leurs enseigneray une
maniere bien nouvelle, comment ilz les
pourront bastir a bon marché. Com-
ment dist Pantagruel. Ne le dictes
doncques mie (respondit Panurge) si je
vous l’enseignelenseigne. Je voy que les calli-
bistrys des femmes de ce pays, sont a
meilleur marché que les pierres, d’iceulxdiceulx
fauldroit bastir les murailles en les H v
Fac-similé BVH

[61v]
arrengeant par bonne symmeterye d’ar-
chitecture
dar-
chitecture
, & mettant les plus grans au
premiers rancz, & puis en taluant a doz
d’asnedasne arranger les moyens, & finable-
ment les petitz. Puis faire un beau pe-
tit entrelardement, a poinctes de dia-
mans comme la grosse tour de Bour-
ges de tant de bracquemars enroiddys
qui habitent par les braguettes clau-
strales. Quel diable defferoit telles
murailles? Il n’yny a metal qui tant resi-
stast aux coups. Et puis que les couil-
levrines se y vinsent froter, vous en ver
riez (par dieu) incontinent distiller de ce
benoist fruict de grosse verolle menu com
me pluye. Sec au nom des diables Dad
vantaige la fouldre ne tumberoit jamais
dessus. Car pourquoy? ilz sont tous be
nists ou sacrez. Je n’yny voy q’unqun incon
venient ho, ho, ha, ha, ha, (dist Panta-
gruel) Et quel? C’estCest que les mousches
en sont tant friandes que merveilles, &
se y cueilleroyent facillement & y fero-
ient leur ordure: & voyla l’ouvragelouvrage gasté.
Fac-similé BVH

Fu.62.
Mais voicy comment l’onlon y remediroit:
Il fauldroit tresbien les esmoucheter
avecques belles quehues de renards,
ou bon gros vietz d’azesdazes de Provence.
Et a ce propos je vous veux dire (nous
en allans pour soupper) un bel exemple
que met frater Lubinus, libro de com-
potationibus mendicantium
. Au temps
que les bestes parloyent (il n’yny a pas
troys jours) un pauvre Lyon par la fo
rest de Bievre se pourmenant & disant
ses menus suffrages passa par dessoubz
un arbre auquel estoit monte un villain
charbonnier pour abastre du boys. Le
quel voyant le Lyon, lui getta sa coi-
gnee, & le blessa enormement en une cuis-
se. Dont le Lyon cloppant tant courucourut
& tracassa par la forest pour trouver ay
de qu’ilquil rencontra un charpantier, lequel
voluntiers regarda sa playe, la netto-
ya le mieux qu’ilquil peust, & l’emplitlemplit de mous-
se, luy disant, qu’ilquil esmouchast bien sa
playe, que les mousches ne y feissent
ordure, attendant qu’ilquil yroit chercher de
Fac-similé BVH



[62v]
l’herbelherbe au charpentier. Ainsi le Lyon gue
ry, se pourmenoist par la forest, a quelle
heure une vieille sempiterneuse ebusche
toit & amassoit du boys par ladicte fo-
rest, laquelle voyant le Lyon venir, tum
ba de peur a la renverse en telle faczon,
que le vent luy renversa robbe, cotte, &
chemise jusques au dessus des espau-
les. Ce que voyant le Lyon accourut
de pitie, veoir si elle s’estoitsestoit faict aulcun
mal, & considerant son comment a nom? dist,
O pauvre femme qui t’ata ainsi blessee? &
ce disant, apperceut un regnard, lequel
il l’appellalappella, disant. Compere regnard,
hau cza cza, & pour cause. Quand le
regnard fut venu, il luy dict. Compere
mon amy, l’onlon a blessé ceste bonne femme
ici entre les jambes bien villainement
& y a solution de continuité manifeste, re
garde que la playe est grande depuis le
cul jusques au nombril mesure quatre:
mais bien cinq empans & demy, c’estcest un
coup de coignie, je me doubte que la pla
ye soit vieille, pourtant affin que les
Fac-similé BVH



Fu.63.
mousches n’yny prennent, esmouche la bien
fort je t’enten prie, & dedans & dehors, tu as
bonne quehue & longue esmouche mon amy
esmouche je t’enten supplye, & ce pendent je
voys querir de la mousse pour y mettre
Car ainsi nous fault il secourir & ay-
der l’unlun l’aultrelaultre. Esmouche fort, ainsi
mon amy, esmouche bien: car ceste playe
veult estre esmouchee souvent, aultre-
ment la personne ne peut estre a son aise.
Or esmouche bien mon petit compere, es-
mouche, dieu t’ata bien pourveu de quehue,
tu l’aslas grande & grosse a l’advenentladvenent, es-
mouche fort & ne t’ennuyetennuye poinct, un bon
esmoucheteur qui en esmouchetant con
tinuellement esmouche de son mouchet
par mousches jamais emousché[sic] ne sera.
Esmouche couillaud, esmouche mon pe-
tit bedaud je n’arresteraynarresteray gueres. Puis
va chercher force mousse, & quand il feut
quelque peu loing il s’escryasescrya parlant au
regnard. Esmouche bien tousjours com-
pere, esmouche, & ne te fasche jamais de
bien esmoucher, mon petit compere je te
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[63v]
feray estre a gaiges, esmoucheteur de
don Pietro de Castille. Esmouche seu-
lement, esmouche & rien plus. Le pau-
vre regnard esmouchoit fort bien & de-
ca & dela & dedans & dehors: mais la
faulse vieille vesnoit & vessoit puant com
me cent diables. Le pauvre regnard
estoit bien mal a son ayse: car il ne sca-
voit dequel cousté se virer: pour evader
le parfun des vesses de la vieille: & ainsi
qu’ilquil se tournoit il veit que au derriere
estoit encores un aultre pertuys, non si
grand que celluy qu’ilquil esmouchoit, dont
luy venoit ce vent tant puant & infect.
Le lyon finablement retourne, portant
de mousse plus que n’ennen tiendroyent dix
& huyt basles, & commenca en mettre de-
dans la playe, avecques un baston qu’ilquil
aporta, & y en avoit ja bien mys seize
basles & demye, & s’esbahyssoitsesbahyssoit que dia-
ble ceste playe est parfonde, il y en-
treroit de mousse plus de deux char-
rettees, Mais le regnard l’advisaladvisa. O
compere lyon mon amy, je te prie ne metz
Fac-similé BVH



Fu.5464.
icy toute la mousse, gardes en quelque
peu, car y a encores icy dessoubz un aul
tre petit pertuys, qui put comme cinq
cens diables. J’enJen suis empoisonné de
l’odeurlodeur, tant il est punays. Ainsi faul
droit garder ces murailles des mous-
ches, & mettre esmoucheteurs a gaiges.


Lors dist Pantagruel Comment scez
tu que les membres honteux des fem-
mes sont a si bon marche: car en ceste vil
le il y a force preudes femmes, chastes &
pucelles. Et ubi prenus? dist Panurge.
Je vous en diray non oppinion, mais
vraye certitude & asseurance. Je ne
me vante d’enden avoir embourré quatre
cens dix & sept despuis que suis en ceste
ville, & n’yny a que neuf jours. Mais a ce
matin j’ayjay trouve un bon homme, qui en
un bissac tel comme celluy de Esopet por
toit deux petites fillettes de l’eageleage de
deux ou troys ans au plus, l’unelune d’a-
vant
da-
vant
, l’aultrelaultre derriere. Il me demande
l’aulmosnelaulmosne, mais je luy feis responce que
j’avoysjavoys beaucoup plus de couillons que
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[64v]
de deniers Et apres luy demande, Bon
homme ces deux fillettes sont elles pu-
celles? Frere dist il. Il y a deux ans que
ainsi je les porte, & au regard de ceste
cy devant: laquelle je voy continuellement
en mon advis elle est pucelle toutesfoys
je n’ennen vouldroys mettre mon doigt au
feu, quand est de celle que je porte der-
riere, je ne scay sans faulte rien. Vra-
yement dist Pantagruel: tu es gentil
compaignon, je te veulx habiller de ma
livree. Et le feist vestir galantement se
lon la mode du temps qui couroit: ex-
cepte que Panurge voulut que la bra
guette de ses chausses feust longue de
troys piedz, & quarree nomnon ronde, ce que
feust faict, & la faisoit bon veoir. Et di-
soit souvent que le monde n’avoitnavoit enco-
res congneu l’emolumentlemolument & utilité qui est
de porter grande braguette: mais le temps
leur enseigneroit quelque jour, comme
toutes choses ont este inventees en temps.


Dieu gard de mal (disoit il) le com-
paignon a qui la longue braguette a
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Fu.65.
saulve la vie. Dieu gard de mal a qui la
longue braguette a valu pour un jour
cent soixante mille & neuf escutz. Dieu
gard de mal, qui par sa longue braguet
te a saulvé toute une ville de mourir de
fain. Et par dieu je feray un livre de la
commodité des longues braguettes, quand
j’aurayjauray plus de loysir. De faict en com
posa un beau & grand livre avecques
les figures: mais il n’estnest encores impri-
me, que je saiche.


Des meurs & condictions de Pa-
nurge. Chapitre. xvj.


PAnurge estoit de stature moyen-
ne ny trop grand, ny trop petit, &
avoit le nez un peu aquillin faict
a manche de rasouer. Et pour lors estoit
de l’eageleage de trente & cinq ans ou environ,
fin a dorer comme une dague de plomb
bien galand homme de sa personne, si-
non qu’ilquil estoit quelque peu paillard, &
subject de nature a une maladie qu’onquon
appelloit en ce temps la, faulte d’argentdargent J
Fac-similé BVH

[65v]
c’estcest doleur non pareille
, toutesfoys il
avoit soixante & troys manieres d’enden
trouver tousjours a son besoing, dont
la plus honorable & la plus commune
estoit par facon de larrecin furtivement
faict, malfaisant, pipeur, beuveur, ba-
teur de pavez, ribleur s’ilsil en estoit a Pa
ris: au demaurantdemourant le meilleur filz du
monde & tousjours machinoit quelque
chose contre les sergeans & contre le guet.


A l’unelune foys il assembloit troys ou
quatre bons rustres, les faisoit boire com
me Templiers sur le soir, apres les me
noit au dessoubz de saincte Geneviefve
ou aupres du colliege de Navarre & a
l’heurelheure que le guet montoit par la: ce que
il congnoissoit en mettant son espee sur
le pave & l’aureillelaureille aupres, & lors qu’ilquil
oyoit son espee bransler: c’estoitcestoit signe in
fallible que le guet estoit pres: a l’heurelheure
doncques luy & ses compaignons pre-
noyent un tombereau, & luy bailloyent
le bransle le ruant de grande force contre
la vallee, & ainsi mettoyent tout le pau-
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Fu.66.
vre guet par terre comme porcs, puis
fuyoyent de l’aultrelaultre couste, car en moins
de deux jours, il sceut toutes les rues,
ruelles & traverses de Paris comme son
Deus det. A l’aultrelaultre foys faisoit en
quelque belle place par ou ledict guet
debvoit passer une trainnee de pouldre
de canon, & a l’heurelheure que passoit mettoit
le feu dedans, & puis prenoit son passe-
temps a veoir la bonne grace qu’ilquil avo-
yent en fuyant pensans que le feu sainct
Antoine les tint aux jambes. Et au
regard des pauvres maistres es ars, il
les persecutoit sur tous aultres, quand
il recontroit quelcun d’entredentre eulx par
la rue, jamais ne failloit de leur faire
quelque mal, maintenant leurs mettant
un estronc dedans leurs chaperons au
bourlet, maintenant leur attachant de
petites quehues de regnard, ou des au-
reilles de lievres par derriere, ou quel-
que aultre mal. Un jour que l’onlon avoit
assigne a yceulx se trouver en la rue du
feurre, il feist une tartre borbonnoise J ij
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[66v]
composee de force de hailz, de galbanum,
de assa fetida, de castoreum: d’estroncsdestroncs
tous chaulx, & la destrampit en sanie
de bosses chancreuses, & de fort bon ma
tin engressa & oignit tout le pavé en sor
te que le diable n’yny eust pas duré. Et
tous ces bonnes gens rendoyent la leurs
gorges devant tout le monde, comme s’ilzsilz
eussent escorché le regnard, & en mourut
dix ou douze, de peste, quatorze en feurent
ladres, dix & huyct en furent pouacres:
& plus de vingt & sept en eurent la ve-
rolle, mais il ne s’ensen soucioit mie. Et
portoit ordinairement un fouet soubz
sa robbe, duquel il fouettoyt sans re-
mission les paiges qu’ilquil trouvoit portans
du vin a leurs maistres, pour les avan
cer d’allerdaller. En son saye avoit plus de
vingt & six petites bougettes & fasques
tousjours pleines, l’unelune d’undun petit deau de
plomb, & d’undun petit cousteau affilé comme
l’aguillelaguille d’undun peletier, dont il couppoit
les bourses: l’aultrelaultre de aigrest qu’ilquil get-
toit aux yeulx de ceulx qu’ilquil trouvoit,
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Fu.67.
l’aultrelaultre de gtateronsglaterons empenez de petites
plumes de oysons ou de chappons, qlzqu’ilz
gettoit sus les robes & bonnetz des bon
nes gens: & souvent leur en faisoit de bel
les cornes qu’ilzquilz portoyent par toute la
ville, aulcunesfoys toute leur vie.


Aux femmes aussi par dessus leurs
chapperons au derriere, aulcunesfoys
en mettoit faictz en forme d’undun membre
d’hommedhomme. En l’aultrelaultre un tas de cor-
netz tous pleins de pulses & de poux,
qu’ilquil empruntoit des guenaulx de sainct
Innocent, & les gettoit avecques belles
petites cannes ou plumes dont on escript
sur les colletz des plus sucrees damoi-
selles qu’ilquil trouvoit, & mesmement en l’egli
se
legli
se
: car jamais ne se mettoit au cueur au
hault, mais tousjours demouroit en la
nef entre les femmes, tant a la messe, a
vespres, comme au sermon. En l’aul
tre
laul
tre
force provision de haims & claveaulx
dont il acouploit souvent les hommes
& les femmes en compaignies ou ilz esto
ient serrez, & mesmement celles qui por J iij
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[67v]
toyent robbes de tafetas armoisy, & a
l’heurelheure qu’ellesquelles se vouloyent departir, el
les rompoyent toutes leurs robbes.


En l’aultrelaultre un fouzil garny desmor-
che, d’allumettesdallumettes, de pierre a feu, & tout
aultre appareil a ce requis. En l’aul-
tre
laul-
tre
deux ou troys mirouers ardens, dont
il faisoit enrager aulcunesfoys les hom-
mes & les femmes, & leur faisoit perdre
contenence a l’egliseleglise: car il disoit qu’ilquil n’yny
avoit q’unqun antistrophe entre femme fol-
le &a la messe, & femme molle a la fesse.


En l’aultrelaultre avoit provision de fil &
d’agueillesdagueilles, dont il faisoit mille petites
diableries. Une foys a l’issuelissue du Pa
lays a la grand salle lors que un cor-
delier disoit la messe de messieurs: il luy
ayda a soy habiller & revestir, mais
en l’acoustrantlacoustrant il luy cousit l’aulbelaulbe avec
sa robbe & chemise, & puis se retira quand
messieurs de la court vindrent s’asseoirsasseoir
pour ouyr icelle messe. Mais quand ce
fut a l’l ite missa est, que le pauvre frater
se voulut devestir son aulbe, il emporta
Fac-similé BVH



Fu.68.
ensemble & habit & chemise qui estoyent
bien cousuz ensemble, & se rebassit jus-
ques aux espaules, monstrant son cal-
libistris a tout le monde, qui n’estoitnestoit pas
petit: sans doubte. Et le frater tousjours
tiroit, mais tant plus se descouvroit il,
jusques a ce q’unqun de messieurs de la court
dist. Et quoy ce beaupere nous veult il
icy faire l’offrandeloffrande & baiser son cul? le
feu sainct Antoine le baise. Des lors
fut ordonne que les pauvres beaulx pe
res ne se despouilleroyent plus devant
le monde: mais en leur sacristie, mesme-
ment en presence des femmes: car ce leur
seroit occasion du peche d’enviedenvie. Et le
monde demandoit. Pourquoy est ce que
ces fratres avoyent la couille si longue?
ledict Panurge soulut tresbien le pro-
bleme, disant. Ce que faict les aureil-
les des asnes si grandes, ce est par ce que
leurs meres ne leurs mettoyent poinct
de beguin en la teste, comme dict de Al-
liaco en ses suppositions. A pareille
raison, ce que faict la couille des pauvres J iiij
Fac-similé BVH

[68v]
beatz peres, c’estcest qu’ilzquilz ne portent point
de chausses foncees, & leur pauvre mem-
bre s’estendsestend en liberté a bride avallee, &
leur va ainsi triballant sur les genoulx,
comme font les patenostres aux fem-
mes. Mais la cause pourquoy ilz l’avo
yent
lavo
yent
gros a l’equipollentlequipollent, c’estoitcestoit que en
ce triballement les humeurs du corps
descendent audict membre: car selon les
Legistes, agitation & motion continuel
le est cause d’atractiondatraction. Item il avoit
un aultre poche pleine de alun de plu-
me, dont il gettoit dedans le doz des fem
mes qu’ilquil voyoit les plus acrestées, & les
faisoit despouiller devant tout le mon-
de, les aultres dancer comme jau sur bre-
ze ou bille sur tabour: les aultres courir
les rues, & luy apres couroit: & a celles
qui se despouilloyent, il mettoit sa cap-
pe sur le doz, comme homme courtoys
& gracieux. Item en un aultre il avoit
une petite guedoufle pleine de vieille
huyle, & quand il trouvoit ou femme ou
homme qui eust quelque belle robbe il
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Fu.69.
leurs engressoit & guastoit tous les plus
beaulx endroictz, soubz le semblant de
les toucher & dire, voicy de bon drap,
voicy bon satin, bon tafetas, ma dame
dieu vous doint ce que vostre noble cueur
desire: voz aves robbe neufve, novel
amy, dieu vous y maintienne, ce disant
leurs mettoit la main sur le collet, en-
semble la male tache y demouroit per-
petuellement, si enormement engravee
en l’amelame, en corps, & renommee, que le dia
ble ne l’eustleust poinct ostee, puis a la fin leur
disoit. Ma damez donne vous garde de
tomber: car il y a icy un grand & sale trou
devant vous. Et[sic] un aultre il avoit
tout plein de Euphorbe pulverisé bien
subtilement, & la dedans mettoit un
mouschenez beau & bien ouvré qu’ilquil avoit
desrobé a la belle lingere du palays, en
luy oustant un poul dessus son sein, le-
quel toutesfoys il y avoit mis. Et quand
il se trouvoit en compaignie de quelques
bonnes dames, il leur mettoit sus le
propos de lingerie, et leur mettoit la J v
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[69v]
main au sein demandant, & c’estcest ouvrai
ge est il de Flandre ou de Haynault? &
puis tiroit son mouschenez disant, tenez
tenez voyez en cy de l’ouvragelouvrage, elle est de
foutignan ou de Foutarabie, & le seco-
uoit bien fort a leur nez, & les faissoitfaisoit
esternuer quatre heures sans repos:
Ce pendent il petoit comme un rousin
& les femmes ryoient luy disans com-
ment vous petez Panurge? Non foys:
disoit il ma dame: mais je accorde au con
trepoint de la musicque que vous son-
nes du nez. En l’aultrelaultre un daviet, un
pellican, un crochet & quelques aultres
ferremens dont il n’yny avoit porte ny cof
fre qu’ilquil ne crochetast. En l’aultrelaultre tout
plein de petitz goubeletz: dont il jouoit
fort artificiellement: car il avoit les
doigts faictz a la main comme Miner-
ve ou Arachne, Et avoit aultresfoys
crie le theriacle. Et quand il changeoit
un teston, ou quelque aultre piece, le chan
geur eust este plus fin que maistre mous
che si PanargePanurge n’eustneust faict esvanouyr
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Fu.70.
a chascune foys cinq ou six grans blancs
visiblement, apertement, manifestement,
sans faire lesion ne blessure aulcune, dont
le changeur n’ennen eust senty que le vent.


Comment Panurge guaingnoyt
les pardons & maryoit les
vieilles et des proces
qu’ilquil eut a Paris.
Chap. xvij.


UN jour je trouvay Panurge
quelque peu escorné & tacitur-
ne, & me doubtay bien qu’ilquil n’a-
voit
na-
voit
denare dont je luy dys. Panurge
vous estes malade a ce que je voy a vo-
stre physionomie, & j’entensjentens le mal, vous
avez un fluz de bourse, mais ne vous
souciez. J’ayJay encores six solx & maille,
qui ne virent oncq pere ny mere, qui ne
vous fauldront non plus que la verol-
le, en vostre necessité. A quoy il me res-
pondit. Et bren pour l’argentlargent, Je n’ennen
auray quelque jour que trop: car j’ayjay
une pierre philosophale qui me attire
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[70v]
l’argentlargent des bourses, comme l’aymantlaymant
attire le fer. Mais voules vous venir
gaigner les pardons? dist il. Et par ma
foy: (je luy respons) Je ne suis grand
pardonneur en ce monde icy, je ne scay
si je seray en l’aultrelaultre, bien allons au nom
de dieu, pour un denier ny plus ny moismoins.
Mais (dist il) prestez moy doncques un
denier a l’interestlinterest. Rien rien, dis je. Je
vous le donne de bon cueur, grates vo-
bis dominos
dist il. Ainsi allasmes com
manceant a sainct Gervays, & je gai-
gne les pardons au premier tronc seu-
lement: car je me contente de peu en ces
matieres, puis disoys mes menuz suffra
ges, & oraisons de saincte Brigide: mais
il gaigna a tous les tronc, & tousjours
bailloit argent a chascun des pardon-
naires. De la nous transportasmes a
nostre Dame, a sainct Jean, a sainct
Antoine, & ainsi des aultres eglises ou
estoit bancque de pardons. de ma part
je n’ennen gaignoys plus: mais luy a tous
les troncz, il baisoit les relicques, & a
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Fu.71.
chascun donnoit. Brief quand nous
fusmes de retour il me mena boire au
cabaret du chasteau & me monstra dix
ou douze de ses bougettes pleines d’ar-
gent
dar-
gent
. A quoy je me seignay faisant la
croix, & disant. Dont avez vous tant re
couvert d’argentdargent en si peu de temps?
A quoy il me respondit que il avoit prins
es bessains des pardons: car en leur
baillant le premier dernierdenier (dist il) je le
mis si souplement que il sembla que feust
un grand blanc, ainsi d’unedune main je prins
douze deniers, voyre bien douze liards
ou doubles pour le moins, & de l’aultrelaultre
troys ou quatre douzains: & ainsi par
toutes les eglises ou nous avons esté.


Voire mais (dis je) vous vous damp
nez comme une sarpe, & estes larron &
sacrilege Ouy bien (dist il) comme il vous
semble, mais il ne me semble quand a
moy. Car les pardonnaires me le don
nent: quand ilz me disent en presentant
les relicques a baiser, centuplum acci-
pies
, que pour un denier j’enjen prene cent:
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[71v]
car accipies est dict selon la maniere des
Hebreux qui usent du futur en lieu de
l’imperatiflimperatif, comme vous avez en la loy.
diliges dominum & dilige. Ainsi quand
le pardonnigere me dict, centuplum ac-
cipies
, il veult dire, centuplum accipe, &
ainsi l’exposelexpose Rabi Kimy: & Rabi aben
Ezra & tous les Massoretz: & ibi Bar-
tolus. Dadvantaige le pape Sixte
me donna quinze cens livres de rente
sur son dommaine & thesor ecclesiasticque
pour luy avoir guery une bosse chan-
creuse, qui tant le tormentoit qu’ilquil en cui
da devenir boyteux toute sa vie. Ainsi
je me paye par mes mains: car il n’estnest
tel, sur ledict thesor ecclesiasticque.


Ho mon amy (disoit il) si tu scavoys
comment je fis mes chous gras de la
croysade, tu seroys tout esbahy. Elle
me valut plus de six mille fleurins. Et
ou diable sont ilz allez? dis je, car tu n’ennen
as une maille Dont ilz estoyent venuz
(dist il) Ilz ne feirent seulement que chan
ger maistre, Mais j’enjen emploiay bien
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Fu.72.
troys mille a marier non les jeunes fil-
les: car elles ne trouvent que trop ma-
rys, mais grandes vieilles sempiter-
neuses qui n’avoyentnavoyent dentz en gueulle.
Considerant, ces bonnes femmes icy
ont tresbien employe leur temps en jeu
nesse & ont joue du serrecropiere a cul le
vé a tous venans, jusques a ce que on
n’ennen a plus voulu Et par dieu je les fe-
ray saccader encores une foys devant
qu’ellesquelles meurent. Par ce moyen a l’unelune
donnois cent fleurins, a l’aultrelaultre six vingtz
a l’aultrelaultre troys cens. selon qu’ellesquelles estoient
bien infames, detestables, & abhomina
bles, car d’aultantdaultant qu’ellesquelles estoyent plus
horribles, & execrables, d’autantdautant il leur
failloyt donner dadvantage, aultrement
le diable ne les eust voulu biscoter. In-
continent m’enmen alloys a quelque porteur
de coustretz gros & gras, & faisoys moy
mesmes le mariage, mais premier que
lui monstrer les vieilles, je luy mon-
stroys les escutz disant. Compere, voi-
cy qui est a toy si tu veulx fretin fretailler
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[72v]
un bon coup. Des lors les pauvres hay
res bubajalloient comme vieulx mul-
letz, ainsi leur faisoys bien aprester a
bancqueter, boire du meilleur & force es
piceries pour mettre les vieilles en ruyt
& en chaleur. Fin de compte ilz besoin-
gnoyent comme toutes bonnes ames,
sinon que a celles qui estoyent horrible
ment villaines & defaictes, je leur fai-
soys mettre un sac sur le visaige. Da
vantaige j’enjen ay perdu beaucoup en pro
ces. Et quelz proces as tu peu avoir?
(disoys je,) tu ne as ny terre ny maison,
Mon amy (dist il) les damoyselles
de ceste ville avoyent trouvé par insti-
gation du diable d’enferdenfer, une maniere
de colletz ou cachecoulx a la haulte fa-
con, qui leur cachoyent si bien les seins,
que l’onlon n’yny povoit plus mettre la main
par dessoubz: car la fente diceulx elles
avoyent mise par derriere, & estoyent
tous cloz par devant, dont les pauvres
amans dolens contemplatifz n’estoyentnestoyent
contens, un beau jour de Mardy, j’enjen
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Fu.73.
presentay requeste a la court, me for-
mant partie contre lesdictes damoysel
les & remonstrant les grans interestz
que je y prendroys, protestant que a mes
me raison je feroys couldre la braguette
de mes chausses au derriere, si la court
n’yny donnoit ordre, somme toute les da-
moyselles formerent syndicat monstre-
rent leurs fondemens & passerent pro-
curation a defendre leur cause: mais je
les poursuivy si vertement, que par ar-
rest de la court fut dict, que ces haulx
cachecoulx ne seroyent plus portez, si-
non qu’quililz
par devant. Mais il me cousta beau-
coup. J’euzJeuz un aulttreaultre proces bien
hord & bien sale contre Maistre Fy fy
& ses suppostz, a ce qu’ilzquilz n’eussentneussent plus
a lire clandestinement de nuyct. la pi-
pe de bussart, ne le quart de Senten-
ces: mais de beau plein jour, & ce es
escholes du Feurre, en face de tous les
aultres Sophistes, ou je fuz condenné
es despens pour quelque formalité de K
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[73v]
la relation du seigneursergeant. Une aultre
foys je fourmay complainte a la court
contre les mulles des Presidens & Con
seilliers, & aultres: tendent a fin que quand
en la basse court du Palays l’onlon les met
troit a ronger leur frain, les Conseillieres
leur feissent de belles baverettes affin
que de leur bave elles ne gastassent le
pavé en sorte que les pages du palais
peussent jouer dessus a beaulx detz,
ou au reniguebieu a leur ayse, sans y
guaster leurs chausses aulx genoulx.
Et de ce en euz bel arrest: mais il me cou
ste bon. Or sommez a ceste heure com
bien me coustent les petitz bancquetz
que je fais aux paiges du palays de
jour en jour. Et a quelle fin dis je.


Mon amy (dist il) tu ne as passe-
temps aulcun en ce monde. J’enJen ay plus
que le Roy. Et si vouloys te raislier
avecques moy, nous ferions diables.
Non non (dis je) par sainct Adauras:
car tu seras une foys pendu, Et toy (dist
il) tu seras une foys enterre, lequel est
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Fu.74.
plus honorablement ou l’airlair ou la ter-
re? He grosse pecore. Ce pendent que
ces paiges banquetoient je garde leurs
mulles: & couppe a quelcune l’estrivierelestriviere
du couste du montouoir, en sorte qu’ellequelle
ne tient que a un fillet. Quand le gros
enflé de Conseiller ou aultre a prins
son bransle pour monter sus, ilz tom-
bent tous platz comme porcz devant
tout le monde, & aprestent a rire pour
plus de cent francs. Mais je me rys
encores dadvantage, c’estcest que eulx arri-
vez au logis ilz font fouetter monsieur
du paige comme seigle vert, par ainsi je
ne plains poinct ce que m’ama couste a les
bancqueter. Fin de compte il avoit
(comme ay dict dessus) soixante & troys
manieres de recouvrer argent: mais
il en avoit deux cens quatorze de le des-
pendre, hors mis la reparation de des-
soubz le nez.

K ij

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[74v]


Comment un grand clerc de Angle-
terre vouloit arguer contre
Pantagruel, & fut vain-
cu par Panurge.
Chap. xviij.


EN ces mesmes jours un scavant
homme nommé Thaumaste oyant
le bruict & renommee du scavoir
incomparable de Pantagruel vint de
pays de Angleterre en ceste seule inten
tion de veoir Pantagruel, & le congnoi
stre. & esprouver si tel estoit son scavoir
comme en estoit la renommee. De faict
arrivé a Paris se transporta vers l’ho
stel
lho-
stel
dudict Pantagruel qui estoit logé
Fac-similé BVH



Fu.75.
a l’hostellhostel sainct Denys, & pour lors se
pourmenoit par le jardin avecques Pa
nurge, philosophant a la mode des Pe
ripateticques. De premiere entree tres
saillit tout de paour, le voyant si grand
& si gros: puis le salua, comme est la fa
con, courtoysement luy disant. Bien
vray est il ce dit Platon prince des phi-
losophes, que si l’imaigelimaige de science & sa-
pience estoit corporelle & spectable es
yeulx des humains, elle exciteroit tout
le monde en admiration de soy. Car
seullement le bruyt d’icelledicelle espendu par
l’airlair, s’ilsil est receu es aureilles des stu-
dieux & amateurs d’icelledicelle, qu’onquon nomme
Philosophes, ne les laisse dormir ny re
poser a leur ayse, tant les stimule & em
brase de acourir au lieu, & veoir la per-
sonne, en qui est dicte science avoir esta
bly son temple, & produyre ses oracles.


Comme il nous feust manifestement
demonstre en la Royne de Saba, que
vint des limites d’OrientDorient & mer Per-
sicque pour veoir l’ordrelordre de la maison K iij
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[75v]
du saige Salomon & ouyr sa sapience.


En Anacharsis qui de Scithie alla
jusques en Athenes pour veoir Solon.


En Pythagoras, qui visita les vati
cinateurs Memphiticques. En Pla
ton qui visita les Mages de Egypte &
Architas de Tarente. En Apolonius
Tyaneus. qui alla jusques au mont
Caucase, passa les Scytes, les Massa
gettes, les Indiens, naviga le grand
fleuve Physon, jusques es Brachmanes
pour veoir Hiarchas. Et en Babyloi-
ne, Caldee, Medee, Assyrie, Parthie,
Syrie, Phoenice, Arabie, Palestine,
Alexandrie, jusques en Ethiopie, pour
veoir les Gymnosophistes. Pareil
exemple avons nous de Tite Live, pour
lequel veoir & ouyr plusieurs gens stu-
dieux vindrent en Rome, des fins limi-
trophes de France & Hespagne. Je ne
me ause recenser au nombre & ordre de
ces gens tant parfaictz: mais bien je
veulx, estre dict studieux, & amateur,
non seulement des lettres, mais aussi
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Fu.76.
des gens lettrez. De faict ouyant le
bruyt de ton scavoir tant inestimable,
ay delaisse pays, parens & maison, & me
suis icy transporte, rien ne estimant la
longueur du chemin, l’attediationlattediation de la
mer, la nouveaulté des contrees, pour
seulement te veoir, & conferer avecques
toy d’aulcunsdaulcuns passages de Philosophie,
de Geomantie, & de Caballe, desquelz
je doubte & ne puis contenter mon esprit,
lesquelz si tu me peulx souldre: je me
rens des a present ton esclave moy & tou
te ma posterite: car aultre don ne ay que
assez je estimasse pour la recompense.
Je les redigeray par escript & demain
le feray scavoir a tous les gens sca-
vans de la ville: affin que devant eulx
publicquement nous en disputons.


Mais voicy la maniere comment
j’entensjentens que nous disputerons. Je ne
veulx disputer, pro & contra, comme font
ces sotz sophistes de ceste ville & de ail-
leurs Semblablement je ne veulx dispu-
ter en la maniere des Academicques: K iiij
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[76v]
par declamation, ny aussi par nombres
comme faisoit Pythagoras, & comme
voulut faire Picus Mirandula a Rom
me. Mais je veulx disputer par si-
gnes seulement sans parler: car les ma
tieres sont tant ardues, que les parol-
les humaines ne seroyent suffisantes a
les expliquer a mon plaisir. Par ce il
plaira a ta magnificence de soy y trou-
ver, ce sera en la grande salle de Navar
re a sept heures de matin. Ces pa-
rolles achevees, Pantagruel luy dist
honorablement. Seigneur des graces
que Dieu m’ama donné. Je ne vouldroyes
denier a personne en despartir a mon
pouvoir: car tout bien vient de luy: &
son plaisir est que soit multiplie quand
on se trouve entre gens dignes & ydoi-
nes de recepvoir ceste celeste manne de
honneste scavoir. Au nombre desquelz
par ce que en ce temps, comme ja bien
aprercoyappercoy, tu tiens le premier ranc Je te
notifie que a toutes heures me trouve-
ras prest de optemperer a une chascune
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Fu.77.
de tes requestes, selon mon petit pou-
voir. Combien que plus de toy je deus-
se apprendre que toy de moy: mais com
me as protesté nous confererons de tes
doubtes ensemble, & en chercherons la
resolution, jusques au fond du puis
inespuisable au quel disoit Heraclite
estre la verite cachee. Et loue gran-
dement la maniere d’arguerdarguer que as pro
posee, c’estcest assavoir par signes sans par
ler: car ce faisant toy & moy nous enten
drons: & serons hors de ces frapemens
de mains, que font ces badaulx sophi-
stes quand on argue: alors qu’onquon est au
bon de l’argumentlargument. Or demain je ne
fauldray me trouver au lieu & heure
que me as assigné: mais je te prye que
entre nous n’yny ait debat ny tumulte, &
que ne cherchons honeur ny applause-
ment des hommes: mais la verite seule.


A quoy respondit Thaumaste. Sei-
gneur, dieu te maintienne en sa grace, te
remerciant de ce que ta haulte magni-
ficence tant se veult condescendre a ma K v
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[77v]
petite vilité. Or a dieu jusques a de-
main. A dieu dist Pantagruel. Mes-
sieurs vous qui lisez ce present escript,
ne pensez que jamais gens plus feussent
eslevez & transportez en pensee, que fu-
rent toute celle nuict, tant Thaumaste
que Pantagruel. Car ledict Thau-
maste dist au concierge de l’l hostel de
Cluny, auquel il estoit loge, que de sa
vie ne se estoit trouve tant altere comme
il estoit celle nuyct. Il m’estmest (disoit il) ad-
vis que Pantagruel me tient a la gor-
ge, donnez ordre que beuvons je vous
prie, & faictes tant que ayons de l’eaueleaue
fresche, pour me guargariser le palat.


De l’aultrelaultre couste Pantagruel en-
tra en la haulte game & toute la nuict
ne faisoit que ravasser apres:

Le livre de Beda de numeris & signis.
Le livre de Plotin de inenarrabilibus.
Le livre de Procle de magia.
Les livres de Artemidore per onirocri- (ticon.
De Anaxagoras perisemion.
Dynarius periaphaton.

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Fu.78.
Les livres de Philistion.
Hipponax peri anecphoneton, & un
tas d’aultresdaultres, tant que Panurge luy dist.


Seigneur laissez toutes ces pensees
& vous allez coucher: car je vous sens
tant esmeu en vostre esprit, que bien tost
tomberiez en quelque fievre ephemere
par cest exces de pensement: mais pre-
mier beuvant vingt & cinq ou trente bon
nes foys retirez vous & dormez a vostre
aise, car de matin je respondray & argue
ray contre monsieur l’AngloysLangloys, & au
cas que je ne le mette ad metan non lo-
qui
, dictes mal de moy. Voire mes
(dist Pantagruel) Panurge mon amy,
il est merveilleusement scavant, com-
ment luy pourras tu satisfaire? Tres-
bien, respondit Panurge. Je vous prye
n’ennen parlez plus, & m’enmen laissez faire, y a
il homme tant scavant que sont les dia
bles. Non vrayement (dist Pantagruel)
sans grace divine especiale. Et toutes-
foys (dist Panurge) j’aijai argué main-
tesfoys contre eulx, & les ay faictz qui-
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[78v]
naulx & mistmis de cul. Par ce soyez asseu
re de ce glorieux Angloys, que je vous
le feray demain chier vinaigre devant
tout le monde. Ainsi passa la nuctnuyct Pa-
nurge a chopiner avecques les paiges,
& jouer toutes les aigueillettes de ses
chausses a primus & secondus, & a la ver
gette. Et quand vint l’heurelheure assignee
il conduysit son maistre Pantagruel
au lieu constitué. Et hardiment croyez
qu’ilquil n’yny eut petit ne grand dedans Paris
qu’ilquil ne se trouvast au lieu: pensant, ce
diable de Pantagruel, qui a convain-
cu tous les ruseurs & bejaunes Sophi
stes, a ceste heure aura son vin: car c’estcest
Angloys est un aultre diable de Vau-
vert, nous verrons qui en gaignera.


Ainsi tout le monde assemblé, Thau
maste les attendoit. Et lors que Pan-
tagruel & Panurge arriverent a la sal-
le, tous ces grimaulx, artiens, & In-
trans commencerent frapper des mains
comme est leur badaude coustume.


Mais Pantagruel s’escryasescrya a haulte
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Fu.79.
voix, comme si ce eust esté le son d’undun dou-
ble canon, disant, Paix de par le dia-
ble: paix par dieu coquins si vous me
tabustez icy, je vous couperay la teste a
trestous. A laquelle parolle ilz demou
rerent tous estonnez comme canes, & ne
ausoient seulement tousser, voire eussent
ilz mangé quinze livres de plume. Et fu-
rent tant alterez de ceste seule voix qu’ilzquilz
tiroyent la langue demy pied hors la
gueule, comme si Pantagruel leur eust
les gorges salees. Lors commenca Pa
nurge a parler disant a l’AngloysLangloys. Sei-
gneur est tu icy venu pour disputer con
tentieusement de ces propositions que
tu as mis, ou bien pour aprendre et en
scavoir la verite? A quoy respondit
ThumasteThaumaste. Seigneur, aultre chose ne
me ameine sinon bon desir de apprendre
& scavoir ce, dont j’ayjay doubté toute ma
vie, & n’aynay trouvé ny livre ny homme qui
me ayt contente en la resolution des
doubtes que j’ayjay proposez. Et au regard
de disputer par contention, Je ne le veulx
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[79v]
faire, aussi est ce chose trop vile, & le lais
se a ces maraulx Sophistes, Lesquelz
en leurs disputations ne cherchent veri
te mais contradiction & debat. Donc-
ques dist Panurge, si je qui suis petit
disciple de mon maistre monsieur Pan
tagruel, te contente & satisfays en tout
& par tout, ce seroit chose indigne d’enden
empescher mondict maistre, par ce
mieulx vauldra qu’ilquil soit cathedrant,
jugeant de noz propos, & te contentent
au parsus, s’ilsil te semble que je ne aye sa
tisfaict a ton studieux desir.


Vrayement, dist ThaumastreThaumaste, c’estcest tres- (bien lictdict.
Commence doncques.


Or notez que Panurge avoit mis au
bout de sa longue braguette un beau
Floc de soye rouge blanche. verte, &
bleue, & dedans avoit mis une belle pom
me d’orangedorange.


Comment Panurge feist quinaud
l’AngloysLangloys, qui arguoit par
signe. Chap. xix.


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Fu.80.


ADoncques tout le monde
assistant & escoutant en
bonne silence, l’AngloysLangloys
leva hault en l’airlair les
deux mains separement
clouant toutes les extre
mitez des doigtz en forme qu’onquon nomme
en Chinonnoys, cul de poulle, & frappa
de l’unelune l’aultrelaultre par les ongles quatre
foys. puys les ouvrit, & ainsi a plat de
l’unelune frappa l’aultrelaultre en son strident, une
foys de rechief les joignant comme des
sus frappa deux foys, & quatre foys de
rechief les ouvrant. Puys les remist
joinctes & extendues l’unelune jouxte l’aullaul-
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[80v]
tre, comme semblant devotement dieu
prier. Panurge soubdain leva en
l’airlair la main dextre, puys d’ycelledycelle mist
le poulse dedans la narine d’ycelluydycelluy cou-
sté, tenant les quatre doigtz estenduz &
serrez par leur ordre en ligne parallelle
a la pene du nez, fermant l’oeilloeil gausche
entierement, & guaignant du dextre avec
ques profonde depression de la sourcile
& paulpiere. Puys la gausche leva
hault, avecques fort serrement & exten
sion des quatre doigtz & elevation du
poulse, & la tenoyt en ligne directement
correspondente a l’assietelassiete de la dextre,
avecques distance entre les deux d’unedune
couldee & demye. Cela faict, en pareille
forme baissa contre terre l’unelune & l’aultrelaultre
main: finablement les tint on my lieu,
comme visant droict au nez de l’AngloysLangloys.


Et si Mercure, dist l’L aagloysAngloys. La
Panurge interrompt disant. Vous
avez parlé masque. Lors feist l’An-
gloys
Lan-
gloys
tel signe. La main gausche toute
ouverte il leva hault en l’airlair. Puys fer-
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Fu.81.
ma on poing les quatre doigts d’ycelledycelle,
& le poulse extendu assist suz la pinne
du nez. Soubdain apres leva la dextre
toute ouverte, & toute ouverte la baissa
joignant le poulse on lieu que fermoyt
le petit doigt de la gausche, & les qua-
tre doigtz d’ycelledycelle mouvoyt lentement
en l’airlair. Puys au rebours feist de la
dextre ce qu’ilquil avoyt faict de la gausche
& de la gausche, ce que avoyt faict de la
dextre. Panurge de ce non estonné
tyra en l’airlair sa tresmegiste braguette de
la gausche, & de la dextre en tira un tran
son de couste bovine blanche & deux pie
ces de boys de forme pareille, l’unelune de
Ebene noir, l’aultrelaultre de Bresil incarnat
& les mist entre les doigtz d’ycelledycelle en bon-
ne symmetrie, & les chocquant ensem-
ble, faisoyt son, tel que font les ladres
en Bretaigne avecques leurs clicquet-
tes mieulx toutesfoys resonnant & plus
harmonieux: & de la langue contracte
dedans la bouche fredonnoyt joyeuse-
ment, tousjours reguardant l’AngloysLangloys.

L
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[81v]

Les theologiens, medicins, & chirur
giens penserent que par ce signe il infe-
royt, l’AngloysLangloys estre ladre. Les conseil
liers, legistes & decretistes, pensoient que
ce faisant il vouloyt conclurre, quelque
espece de felicite humaine consister en
estat de ladrye, comme jadys maintenoyt
le seigneur. L’angloysLangloys pource ne s’ef-
fraya
sef-
fraya
, & levant les deux mains en l’airlair
les tint en telle forme, que les troys mai
stres doigtz serroyt on poing, & passoyt
les poulses entre le doigtz indice & moien
& les doigtz auriculaires demouroient
en leurs extendues ainsi les presentoyt
a Panurge, puys les acoubla de mode
que le poulse dextre touchoyt le gaus-
che, & le doigt petit gausche touchoyt le
dextre. A ce Panurge sans mot dire
leva les mains, & en feist tel signe: De
la main gauche il joingnit l’onglelongle du
doigt indice a l’onglelongle du poulce faisant
au meillieu de la distance comme une bou
cle, & de la main dextre serroit tous les
doigts au poing, excepte le doigt indice,
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Fu.82.
lequel il mettoit & tiroit souvent par en
tre les deux aultres susdictes de la main
gauche, puis de la dextre estendit le doigt
indice & le mylieu les esloignant le mieulx
qu’ilquil povoit, & les tirans vers Thauma
ste, puis mettoit le poulce de la mai[unclear]n
gauche sur l’angletlanglet de l’oeilloeil gauche esten-
dant toute la main comme une aesle d’oy-
seau
doy-
seau
; ou une pinne de poisson, & la meu-
vant bien mignonnement decza & dela,
autant en faisoit de la dextre sur l’an-
glet
lan-
glet
de l’oeilloeil dextre. Thaumaste com-
mencza paslir & trembler, & luy feist tel
signe, De la main dextre il frappa
du doigt meillieu contre le muscle de la
vole, qui est au dessoubz le poulce, puis
mist le doigt indice de la dextre en pa-
pareille

pareille
boucle de la senestre: mais il le
mist par dessoubz, non par dessus, comme
faisoit Panurge. Adoncques Pa-
nurge frappe la main l’unelune contre l’aul-
tre
laul-
tre
, & souffle en paulme, ce faict, met en-
cores le doigt indice de la dextre en la
boucle de la gauche le tirant & mettant L ij
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[82v]
souvent: puis estendit le menton, regar
dant intentement Thaumaste. Le
monde qui n’entendoitnentendoit rien a ces signes,
entendit bien que en ce il demandoit sans
dire mot a Thaumaste, que voulez vous
dire la? De faict Thaumaste com-
menca suer a grosses gouttes, & sembloit
bien un homme qui feust ravy en haul-
te contemplation. Puis se advisa, & mist
tous les ongles de la gauche contre ceulx
de la dextre. ouvrant les doigts, comme
si ce eussent este demys cercles, & elevoit
tant qu’ilquil povoit les mains en ce signe.


A quoy Panurge soubdain mist le
poulce de la main dextre soubz les man-
dibules & le doigt auriculaire d’icelledicelle en
la boucle de la gauche, & en ce poinct
faisoit sonner ses dentz bien melodieu-
sement les basses contre les haultes.


Thaumaste de grand hahan se leva
mais en se levant fist un gros pet de bou
langier: car le bran vint apres & pissa
vinaigre bien fort, & puoit comme tous
les diables, les assistans commencerent
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Fu.83.
se estouper les nez, car il se conchioit de
angustie, puis leva la main dextre la
clouant en telle faczon, qu’ilquil assembloit
les boutz de tous les doigt ensemble, &
la main gauche assist toute pleine sur
la poictrine. A quoy Panurge tira
sa longue braguette avecques son Floc,
& l’estenditlestendit d’unedune couldee & demie, & la te
noit en l’airlair de la main gauche, & de la
dextre print sa pomme d’orangedorange, & la get-
tant en l’airlair par sept foys, a la huyties-
me la cacha au poing de la dextre, la te
nant en hault tout coy, puis commenca
secouer sa belle braguette, la monstrant
a Thaumaste. Apres cella Thau-
maste commenca enfler les deux joues
comme un cornemuseur & souffloit, com-
me se il enfloit une vessie de porc. A
quoy Panurge mist un doigt de la gau
che ou trou du cul, & de la bouche tiroit
l’airlair comme quand on mange des huy-
tres en escalle: ou quand on hume sa sou
pe, ce faict ouvre quelque peu de la bou
che & avecques le plat de la main dextre L iij
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[83v]
frappoit dessus, faisant en ce un grand
son & parfond, comme s’ilsil venoit de la
superficie du diaphragme par la tra-
chee artere, & le feist par seize foys. Mais
Thaumaste souffloit tousjours comme
une oye. Adoncques Panurge mist
le doigt indice de la dextre dedans la
bouche, le servantserrant bien fort avecques
les muscles de la bouche, puis le tiroit
& le tirant faisoit un grand son, comme
quand les petitz garsons tirent d’undun ca-
non de sulz avecques belles rabbes, & le
fist par neuf foys. Alors Thauma-
ste s’escriasescria. Ha messieurs, le grand secret:
il y a mis la main jusques au coulde,
puis tira un poignard qu’ilquil avoit, le te-
nant par la poincte contre bas. A quoy
Panurge print sa longue braguette, &
la secouoit tant qu’ilquil povoit contre ses
cuisses: puis mist ses deux mains lyezlyeez
en forme de peigne sur sa teste, tirant la
langue tant qu’ilquil povoit, & tournant les
yeulx en la teste, comme une chievre qui
meurt. Ha j’entensjentens, dist Thaumaste,
Fac-similé BVH

Fu.84.
mais quoy? faisant tel signe, qu’ilquil met-
toit le manche de son poignard contre
la poictrine & sur la poincte mettoit le
plat de la main en retournant quelque
peu le bout des doigts. A quoy Pa-
nurge baissa sa teste du couste gauche &
mist le doigt mylieu en l’aureillelaureille dextre,
elevant le poulce contre mont. Puis
croisa les deux bras sur la poictrine,
toussant par cinq foys, & a la cinquies-
me frappant du pied droict contre terre,
puis leva le bras gauche, & serrant tous
les doigtz au poing, tenoit le poulse con-
tre le front, frappant de la main dextre
par six foys contre la poictrine, Mais
Thaumaste comme non content de ce
mist le poulse de la gauche sur le bout
du nez fermant la[sic] reste de ladicte main.


Dont Panurge mist les deux mai-
stres doigtz a chascun cousté de la bou-
che le retirant tant qu’ilquil pouvoit & mon
strant toutes ses dentz: & des deux poul
ses rabaissoit les paulpiers des yeulx
bien parfondement en faisant assez lay L iiij
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[84v]
de grimace selon que sembloit es assistans.


Comment Thaumaste racompte les vertuz et scavoirs de Panurge
Chapitre. xx.


ADoncques se leva Thauma-
ste & ostant son bonnet de la te-
ste, remercia ledict Panurge
doulcement. Puis dist a haulte voix a
toute l’assistancelassistance. Seigneurs a ceste
heure puis je bien dire le mot evangelic-
que. Et ecce plusquam Salomon hic.
Vous avez icy un thesor incomparable
en vostre presence, c’estcest monsieur Pan-
tagruel, duquel la renommee me avoit
icy attire du fin fond de Angleterre, pour
conferer avecques luy des problemes
insolubles tant de Magie, Alchymie,
de Caballe, de Geomantie, de Astrolo
gie, que de Philosophie: lesquelz je avoys
en mon esprit. Mais de present je me
courrouce contre la renommee, laquel-
le me semble estre envieuse contre luy,
car elle n’ennen raporte la miliesme partie,
de ce que en est par efficace. Vous avez
veu, comment son seul disciple me acon-
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Fu.85.
tente & m’enmen a plus dict que n’ennen deman
doys, dabundand m’ama ouvert & ensem-
ble solu d’aultresdaultres doubtes inestimables.
En quoy je vous puisse asseurer qu’ilquil
m’ama ouvert le vrays payspuys & abisme, de
Encyclopedie, voire en une sorte que je
ne pensoys trouver homme qui en sceust
les premiers elemens seulement, c’estcest
quand[unclear] nou[unclear]s avons disputé par signes
sans dire mot ny demy. Mais a tant
je redigeray par escript ce que avons
dict & resolu, affin que l’onlon ne pense que
ce ayent este mocqueries, & le feray im-
primer a ce que chascun y apreigne com
me je ay faict. Dont povez juger, ce que
eust peu dire le maistre, veu que le disci-
ple a faict telle prouesse: car Non est
discipulus super magistrum
. En tous
cas Dieu soit loué, & bien humblement
vous remercie de l’honneurlhonneur que nous
avez faict a cest acte, Dieu vous le re-
tribue eternellement. Semblables
actions de graces rendit Pantagruel
a toute l’assistancelassistance, & de la partant mena L v
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[85v]
disner Thaumaste avecques luy, et
croyez qu’ilzquilz beurent a ventre debou-
tonné (car en ce temps la on fermoit les
ventres a boutons, comme les colletz
de present). jusques a dire, dont venez
vous? Saincte dame comment ilz ti-
royent au chevrotin, & flaccons d’allerdaller,
& eulx de corner, tyre, baille, paige, vin,
boutte de par le diable. boutte, il[unclear] n[unclear]’yny eut
celluy qui ne beust vingt & cinq[unclear] o[unclear]u tren-tren-
te
muys. Et scavez comment, sicut terra
sine aqua
, car il faisoit chault, & dadvan
taige se estoyent alterez. Au regard
de l’expositionlexposition des propositions mises
par Thaumaste, & significations des
signes desquelz ils userent en disputant
je vous les exposeroys selon la rela-
tion d’entredentre eulx mesmes: mais l’onlon m’ama
dict que Thaumaste en feist un grand
livre imprimé a Londres, auquel il de-
claire tout sans rien laisser: par ce je
m’enmen deporte pour le present.


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Fu.86.


Comment Panurge feut amoureux
d’unedune haulte dame de Pa-
ris. Chapitre. xxj.


PAnurge commenca estre en repu
tation en la ville de Paris par
ceste disputation que il obtint con
tre l’AngloysLangloys, & faisoit des lors bien va
loir sa braguette, & la feist au dessus es-
moucheter de broderie a la Romanicque.
Et le monde le louoit publicquement, &
en feust faicte une Chanson, dont les
petitz enfans alloyent a la muostardemoustarde,
& estoit bien venu en toutes compaignies
des dames & damoiselles, en sorte qu’ilquil
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[86v]
devint glorieux, si bien qu’ilquil entreprint
venir au dessus d’unedune des grandes da-
mes de la ville. De faict laissant un
tas de longs prologues & protestations
que font ordinairement ces dolens con
templatifz amoureux de Karesme, les-
quelz poinct a la chair ne touchent, luy
dict un jour. Ma dame, ce seroit bien
fort utile a toute la republicque, dele-
ctable a vous, honnestementhonneste a vostre li
gnee, & a moy necessaire, que feussiez cou
verte de ma race, & le croyez, car l’expe
rience
lexpe-
rience
vous le demonstrera. La da-
me a ceste parolle le reculla plus de cent
lieues, disant. Meschant fol vous ap-
pertient il me tenir telz propos? A qui
pensez vous parler? allez, ne vous trou
vez jamais devant moy, car si n’estoitnestoit
pour un petit, je vous feroys coupper
bras & jambes. Or (dist il) ce me seroit
bien tout un d’avoirdavoir bras & jambes coup-
pez, en condition que nous fissonsfissions vous
& moy un transon de chere lie, jouans
des manequins a basses marches: car
Fac-similé BVH



Fu.87.
(monstrant sa longue braguette) voicy
maistre Jean Jeudy: qui vous sonne-
roit une antiquaille, dont vous sentirez
jusques a la moelle des os. Il est gal-
land & vous scait tant bien trouver les
alibitz forains & petitz poullains gre-
nez en la ratouere, que apres luy n’yny a
que espousseter. A quoy respondit la
dame. Allez meschant allez, si vous me
dictes encores un mot, je appelleray le
monde: & vous feray icy assommer de
coups. Ho (dist il) vous n’esteznestez tant ma-
le que vous dictez, non ou je suis bien
trompé a vostre physionomie: car plus
tost la terre monteroit es cieulx & les
haulx cieulx descendroyent en l’abismelabisme
& tout ordre de nature seroyt parverty:
qu’enquen si grande beaulte & elegance com-
me la vostre, y eust une goutte de fiel,
ny de malice. L’onLon dict bien que a grand
peine veit on jamais femme belle, qui
aussi ne feust rebelle: mais cella est dict
de ces beaultez vulgaires. La vostre est
tant excellente, tant singuliere: tant ce-
Fac-similé BVH



[87v]
leste, que je croy que nature l’ala mise en
vous comme un parragon pour nous
donner entendre combien elle peut faire
quand elle veult employer toute sa puis-
sance & tout son scavoir. Ce n’estnest que
miel, ce n’estnest que sucre, ce n’estnest que manne
celeste, de tout ce qu’estquest en vous. C’estoitCestoit
a vous a qui Paris debvoit adjuger la
pomme d’ordor non a Venus non, ny a Ju
no, ny a Minerve: car oncques n’yny eut
tant de magnificence en Juno, tant de
prudence en Minerve, tant de elegance
en Venus, comme y a en vous. O dieux
& deesses celestes, que heureux sera cel-
luy a qui ferez celle grace de ceste cy ac-
coller, de la baiser & de frotter son lart
avecques elle. Par dieu ce sera moy, je
le voy bien, car desja elle me ayme tout
a plein, je le congnoys, & suis a ce pre-
destine des phees. Doncques pour gai-
gner temps boutte poussenjambions.
Et la vouloit embrasser, mais elle fist
semblant de se mettre a la fenestre pour
appeller les voisins a la force. Adonc-
Fac-similé BVH



Fu.88.
ques sortit Panurge bien tost, & luy dist
en fuyant. Ma dame attendez moy
icy, je les voys querir moy mesme, n’ennen
prenez la poine. Ainsi s’ensen alla, sans
grandement se soucier du reffus qu’ilquil
avoit eu, & n’ennen fist oncques pire chiere.


Au lendemain il se trouva a l’egliseleglise a
l’heurelheure qu’ellequelle alloit a la messe. a l’entreelentree
luy bailla de l’eauleau beniste se enclinant
parfondement devant elle, apres se age
nouilla aupres de elle familiairement, &
luy dist. Ma dame saichez que je suis
tant amoureux de vous, que je n’ennen peuz
ny pisser ny fanterfianter, je ne scay comment
l’entendezlentendez. S’ilSil m’enmen advenoit quelque
mal, que en seroit il? Allez (dist elle)
allez, je ne m’enmen soucie: laissez moy icy
prier dieu. Mais (dist il) equivocquez
sur A beau mont le viconte. Je ne scau
roys, dist elle. C’estCest (dist il) a beau con le
vit monte. Et sur cella priez dieu qu’ilquil
me doint ce que vostre noble cueur de-
sire, & me donnez ces patenostres par
grace. Tenez (dist elle) & ne me tabustez
Fac-similé BVH



[88v]
plus. Ce dict, luy vouloit tirer ses pa-
tenostres que estoyent de cestrin avecques
grosses marques d’ordor, mais Panurge
promptement tira un de ses cousteaux,
& les couppa tresbien & les emporta a
la fryperie, luy disant, voulez vous mon
cousteau? Non non, dist elle. Mais (dist
il) a propos, il est bien a vostre commen
dement corps & biens, tripes & boyaulx.


Ce pendent la dame n’estoitnestoit fort con-
tente de ses patenostres: car c’estoitcestoit une
de ses contenences a l’egliseleglise. Et pensoit
ce bon bavart icy est quelque esvente,
homme d’estrangedestrange pays, je ne recouvre
ray jamais mes patenostres, que m’enmen
dira mon mary? Il se courroucera a
moy: mais je luy diray que un larron
me les a couppescouppées dedans l’egliseleglise, ce que
il croira facillement, voyant encorrsencores le
bout du ruban a ma ceincture. Apres
disner Panurge l’allalalla veoir portant en
sa manche une grande bourse pleine
d’escuzdescuz du palais & de gettons, & luy com-
menca dire, Lequel des deux aymez
Fac-similé BVH



Fu.89.
plus l’aultrelaultre ou vous moy, ou moy vous?
A quoy elle respondit. Quant est de moy
je ne vous hays poinct: car comme dieu
le commande: je ayme tout le monde.


Mais a propos (dist il) n’esteznestez vous
amoureuse de moy? Je vous ay (dist elle)
ja dict tant de foys que vous ne me te-
nissiez plus telles parolles, si vous m’enmen
parlez encores je vous monstreray que
ce n’estnest a moy a qui vous debvez ainsi
parler de deshonneur, Partez d’icydicy, & me
rendez mes patenostres, a ce que mon
mary ne me les demande. Comment
(dist il) ma dame voz patenostres? non
feray par mon sergent, mais je vous en
veux bien donner d’aultresdaultres, en aymerez
vous mieulx d’ordor bien esmaillé en for-
me de grosses spheres, ou de beaulx
lacz d’amoursdamours, ou bien toutes massifves
comme gros lingotz, ou si en voulez de
Ebene, ou de gros Hyacinthes, de gros
grenatz taillez avecques les marches de
fines Turquoyses, ou de beaulx To-
pazes marchez de fins Saphiz ou de M
Fac-similé BVH

[89v]
beaulx Balays a tout grosses marches
de Dyamans a vingt & huyt quarres,
Non non, c’estcest trop peu. J’enJen scay un
beau chapellet de fines Esmerauldes
marchees de Ambre gris, coscoté & a la
boucle un Union Persicque gros com
me une pomme d’orangedorange: elles ne coustent
que vingt & cinq mille ducatz, je vous en
veulx faire un present: car j’enjen ay du con
tent. Et de ce disoit faisant sonner
ses gettons comme si se feussent escutz
au soleil. Voules vous une piece de
veloux violet cramoysi tainct en grene,
une piece de satin broché ou bien cra-
moysi. Voulez vous chaisnes, doreures
templettes, bagues? il ne fault que dire
ouy. Jusques a cinquante mille ducatz,
ce ne m’meftest rien cela. Par la vertus
desquelles parolles il luy faisoit venir
l’eauleau a la bouche. Mais elle luy dict.
Non, je vous remercie: je ne veulx rien
de vous. Par dieu (dist il) si veulx
bien moy de vous: mais c’estcest chose qui
ne vous coustera rien, & n’ennen aurez rien
Fac-similé BVH

Fu.90.
moins, tenez, (monstrant sa longue bra
guette) voicy maistre Jan Chouart qui
demande logis, & apres la vouloit ac-
coller, Mais elle commenca a s’escriersescrier,
toutesfoys non trop hault. Adonc-
ques Panurge tourna son faulx visai
ge, & luy dist. Vous ne voulez doncques
aultrement me laisser un peu faire?
Bren pour vous. Il ne vous appartient
tant de bien ny de honneur: mais par
Dieu je vous feray chevaucher aux
chiens: & se dict s’ensen fouit le grand pas
de peur des coups: lesquelz il craignoit
naturellement.


Comment Panurge feist un
tour a la dame Parisian-
ne qui ne fut poinct
a son adventage.
Chapitre.
xxixxij.

M ij
Fac-similé BVH

[90v]


OR notez que lendemain estoit
la grande feste du sacre, a la-
quelle toutes les femmes se
mettent en leur triumphe de habillemens
& pour ce jour ladicte dame s’estoitsestoit ve-
stue d’unedune tresbelle robbe de satin cra-
moysi, & d’unedune cotte de veloux blanc
bien precieux. Le jour de la vigile Pa-
nurge chercha tant d’undun couste & d’aultredaultre
qu’ilquil trouva une lycisque orgoose en la-
quelle il lya avecques sa ceincture & la
mena en sa chambre, & la nourrist tresbien
cedict jour & toute la nuyct, au matin la
tua, & en print ce que scavent les Geo-
mantiens Gregoys, & le mist en pieces
Fac-similé BVH



Fu.91.
le plus menu qu’ilquil peut, & les emporta
bien cachees, & alla ou la dame devoit
aller pour suyvre la procession, comme est
de coustume a ladicte feste. Et alors
qu’ellequelle entra, Panurge luy donna de l’eaueleaue
beniste bien courtoisement la saluant, &
quelque peu de temps apres qu’ellequelle eut
dict ses menuz suffrages il se va joindre
a elle en son banc, & luy bailla un Ron-
deau par escript en la forme que s’ensuytsensuyt.


Rondeau.


Pour ceste foys, que a vous dame tresbelle
Mon cas disoys, par trop feustes rebelle.
De me chasser, sans espoir de retour: M iij
Fac-similé BVH

[91v]
Veu que a vous oncq ne feis austere tour
En dict ny faict, en soubson ny libelle.
Si tant a vous deplaisoit ma querelle,
Vous pouviez par vous sans maquerelle,
Me dire, amy partez d’icydicy entour

Pour ceste foys.


Tort ne vous fays, si mon cueur vous decel (le.
En remonstrant comme lard l’estincellelestincelle.
De la beaulte que couvre vostre atour
Car rien n’yny quiers, sinon qu’enquen vostre tour
Me faciez dehait la combrecelle,

Pour ceste foys.


Et ainsi qu’ellequelle ouvrit se[sic] papier pour
veoir que c’estoitcestoit, Panurge promptement
sema la drogue qu’ilquil avoit sur elle
en divers lieux, & mesmement au replis
de ses manches & de sa robbe, puis luy
dist. Ma dame, les pauvres amans
ne sont tousjours a leur aise. Quant
est de moy j’esperejespere que les males nuictz,
les travaulx & ennuytz, esquelz me tient
l’amourlamour de vous, me seront en deduction
de autant des poines de purgatoire. A
tout le moins priez dieu qu’ilquil me doint
Fac-similé BVH



Fu.92.
en mon mal patience. Panurge n’eutneut
acheve ce mot, que tous les chiens qui
estoient en l’egliseleglise acoururent a ceste da
me pour l’odeurlodeur des drogues que il avoit
espandu sur elle, petitz & grands, gros
& menuz tous y venoyent tirans le mem-
bre & la sentens & pissans par tout sur el-
le, c’estoytcestoyt la plus grande villanie du mon
de. Panurge les chassa quelque peu,
puis d’elledelle print congé & se retira en quel
que chappelle pour veoir le deduyt: car
ces villains chiens compissoyent tous
ses habillemens, tant que un grand le-
vrier luy pissa sur la teste, les aultres
aux manches, les aultres a la croppe:
les petitz pissoient sus ses patins. En
sorte que toutes les femmes de la au-
tour avoyent beaucoup affaire a la saul
ver. Et Panurge de rire, & dist a quelcun
des seigneurs de la ville. Je croy que
ceste dame la est en chaleur, ou bien que
quelque levrier la couverte fraischement
Et quand il veid que tous les chiens
grondoyent bien a l’entourlentour de elle comme M iiij
Fac-similé BVH

[92v]
ilz font autour d’unedune chienne chaulde,
partit de la, & alla querir Pantagruel.
Par toutes les rues ou il trouvoit chiens
il leur bailloit un coup de pied, disant.
Ne yrez vous pas avec voz compaignons
aux nopces? devant devant de par le dia
ble devant. Et arrive au logis dist a
Pantagruel, Maistre je vous prye ve-
nez veoir tous les chiens du pays qui
sont assembles a l’entourlentour d’unedune dame la
plus belle de ceste ville, & la veullent joc
queter. A quoy voluntiers consentit
Pantagruel, & veit le mystere lequel il
trouva fort beau & nouveau. Mais
le bon feut a la procession: en laquelle
feurent veuz plus de six cens mille &
quatorze chiens a l’entourlentour d’elledelle, lesquelz
luy faisoyent mille hayres: & par tout
ou elle passoit les chiens frays venuz
la suyvoyent a la trasse, pissans par le
chemin ou ses robbes avoyent touché.


Tout le monde se arestoit a ce specta-
cle considerant les contenences de ces
chiens qui luy montoyent jusques au
Fac-similé BVH



Fu.93.
col, & luy gasterent tous ces beaulx acou
stremens, a quoy ne sceust trouver aul-
cun remede, sinon soy retirer en son hostel.


Et chiens d’allerdaller apres, & elle de se ca-
cher, & chamberieres de rire. Quand elle
feut entree en sa maison & ferme la por-
te apres elle, tous les chiens y acouroyent
de demye lieue, & compisserent si bien la por
te de sa maison qu’ilzquilz y feirent un rousseauruysseau
de leurs urines, auquel les cannes eussent
bien nagé. Et c’estcest celluy ruysseau qui de
present passe a sainct Victor, auquel
Guobelin tainct l’escarlattelescarlatte, pour la vertu
specificque de ses pisse chiens, comme jadis
prescha publicquement nostre maistre Dori-
bus. Ainsi vous aist dieu, un moulin y
eust peu mouldre. Non tant toutesfoys
que ceulx du Bazacle a Thoulouse.


Comment Pantagruel partit de Pa-
ris ouyant nouvelles que les Dipsodes en
vahyssoient le pays des Amaurotes Et
la cause pourquoy les lieues sont tant
petites en France. Chapitre. xxijxxiij.

M v
Fac-similé BVH

[93v]


PEu de temps apres Pantagruel
ouyt nouvelles que son pere Gar
gantua avoit este translaté au
pays des Phees par Morgue, comme
feut jadis Ogier & Artus, ensemble que
le bruyt de sa translation entendu, les
Dipsodes estoyent yssus de leurs limi-
tes, & avoyent gasté un grand pays de
Utopie, & tenoyent pour lors la grande
ville des Amaurotes assiegée, Dont
partit de Paris sans dire a dieu a nul
luy: car l’affairelaffaire requeroit diligence, &
vint a Rouen. Or en cheminant vo-
yant Pantagruel que les lieues de Fran
ce estoient petites par trop au regard
des aultres pays. en demanda la cause
& raison a Panurge, lequel luy dist une
histoire que mect Marotus du lac mona-
chus
es gestes des Roys de Canarre.


Disant que d’anciennetédancienneté les pays
n’estoyentnestoyent distinctz par lieues, miliaires,
stades, ny parasanges, jusques a ce que
le roy Pharamond les distingua, ce
que feut faict en la maniere que s’ensuytsensuyt.


Fac-similé BVH

Fu.94.

Car il print dedans Paris cent beaulx
jeunes & gallans compaignons bien de
liberez, & cent belles garses Picardes,
& les feist bien traicter & bien penser
par huyt jours, puis les appella & a un
chascun bailla sa garse avecques for-
ce argent pour les despens, leur faisant
commandement qu’ilzquilz allassent en di-
vers lieux par cy & par la, Et a tous les
passaiges qu’ilzquilz biscoteroyent leurs gar
ses que ilz missent une pierre, & ce se-
roit une lieue. Ainsi les compaignons
joyeusement partirent, & pource qu’ilzquilz
estoient frays & de sejour ilz fanfrelu-
choient a chasque bout de champ, et
voyla pourquoy les lieues de France
sont tant petites. Mais quand ilz
eurent long chemin parfaict & estoient
ja las comme pauvres diables & n’yny
avoit plus dolif en lycaleil, ilz ne beli-
noyent si souvent et se contentoyent
bien (j’entendsjentends quand aux hommes) de
quelque meschante & paillarde foys le
jour, Et voyla qui faict les lieues de
Fac-similé BVH



[94v]
Bretaigne, De lanes, d’allemaigneDallemaigne,
& aultre pays plus esloignez, si gran-
des. Les aultres mettent d’aultresdaultres rai-
sons: mais celle la me semble la meil-
leure. A quoy consentit voluntiers
Pantagruel. Partans de Rouen
arriverent a Hommefleur ou se mirent
sur mer Pantagruel, Panurge, Epi-
stemon, Eusthenes, & Carpalim. Au-
quel lieu attendans le vent propice &
calfretant leur nef receut d’unedune dame
de Paris (laquelle il avoit entretenue
bonne espace de temps) unes lettres
inscriptes au dessus. Au plus aymé
des belles, & moins loyal des preux.

PNTGRLPANTAGRUEL.


Lettres que un messagier aporta
a Pantagruel d’unedune dame de
Paris, et l’expositionlexposition
d’undun mot escript en
un aneau d’ordor.
Chapitre.
xxiijxxiiij.


Fac-similé BVH



Fu.95.


QUand Pantagruel eut leue
l’InscriptionLinscription il feut bien esba-
hy, & demandant audict messa
gier le nom de celle qui l’avoitlavoit envoyé,
ouvrit les lettres & rien ne trouva de-
dans escript, mais seulement un aneau
d’ordor avecques un Diament en table.
Lors appella Panurge & luy monstra
le cas. A quoy Panurge luy dist, que la
fueille de papier estoit escripte, mais c’e
stoit
ce
stoit
par telle subtilité que l’onlon n’yny veoit
poinct d’escripturedescripture. Et pour le scavoir,
la mist aupres du feu pour veoir si l’es-
cripture
les-
cripture
estoit faicte avec du sel Ammo
niac destrempe en eau. Puis la mist
Fac-similé BVH



[95v]
dedans l’eauleau pour scavoir si la lettre
estoit escripte du suc de Tithymalle.


Puis la monstra a la chandelle, si
elle estoit poinct escripte du jus de oignons
blans. Puis en frotta une partie
d’huilledhuille de noix, pour veoir si elle estoit
poinct escripte de lexif de figuier. Puis
en frotta une part, de laict de femme al
laictant sa fille premiere nee, pour veoir
si elle estoit poinct escripte de sang de
Rubettes. Puis en frotta un coing
de cendres d’undun nic[sic] de Arondelles, pour
veoir si elle estoit escripte de rousee qu’onquon
trouve dedans les pommes de Alicacabut.


Puis en frotta un aultre bout de la
sanie des aureilles, pour veoir si elle
estoit escripte de fiel de corbeau. Puis
les trempa en vinaigre pour veoir si
elle estoit escripte de laict de espurge.


Puis les gressa d’axungedaxunge de souris
chauves pour veoir si elle estoit escripte
avec sperme de baleine qu’onquon appelle
ambre gris. Puis la mist tout doul-
cement dedans un bassin d’eaudeau fresche,
Fac-similé BVH



Fu.96.
& soubdain la tira pour veoir si elle estoit
escripte avecques alum de plume. Et[sic]


Et voyant qu’ilquil n’yny congnoissoit rien,
appella le messagier & luy demanda.
Compaing la dame qui t’ata icy envoyé,
t’ata elle poinct baille de baston pour ap-
porter? pensant que feust la finesse que
mect Aulle Gelle, & le messagier luy res
pondit. Non monsieur. Adoncques
Panurge luy voulut faire raire les che
veulx pour scavoir si la dame avoit
faict escripre avecques fort moret sur
sa teste rase, ce qu’ellequelle vouloit mander,
mais voyant que ses cheveulx estoyent
fort grandgrandz, il desista: considerant que en
si peu de temps ses cheveulx n’eussentneussent
creuz si longs. Alors dist a Panta-
gruel. Maistre par les vertuz dieu je
n’yny scauroys que faire ny dire. Je ay em
ploye pour congnoistre si rien y a icy
escript, une partie de ce que en met Mes
sere Francesco di Nianto le Thuscan
qui a escript la maniere de lire lettres
non apparentes, & ce que escript zoroaster
Fac-similé BVH



[96v]
peri grammato acriton. Et Calphur
nius Bassus de literis illegibilibus,
mais je n’yny voy rien, & croy qu’ilquil n’yny a
aultre chose que l’aneaulaneau. Or le voyons.


Lors le regardant trouverent escript
par dedans en Hebrieu, Lamah haza-
bthani
, dont appellerent Epistemon,
luy demandant que c’estoitcestoit a dire? a quoy
respondit que c’estoyentcestoyent motz Hebraicques
signifians, pourquoy me as tu laissé,
dont soubdain replicqua Panurge, j’En
tens
Jen
tens
le cas, voyez vous ce dyament? c’estcest
un dyamant faulx. Telle est doncques
l’expositionlexposition de ce veultce que veult dire la dame.
Dyamant faulx pourquoy me as tu
laissee? Laquelle exposition entendit
Pantagruel incontinent: & luy souvint
comment a son departir n’avoitnavoit dict a
dieu a la dame, & s’ensen contristoit: & vo-
luntiers fust retourné a paris pour faire
sa paix avecques elle. Mais Episte-
mon luy reduyt a memoire le departe-
ment de Eneas d’avecquesdavecques Dido, & le
dict de Heraclides Tarentin: que la
Fac-similé BVH



Fu.97.
navire restant a l’ancrelancre, quand la neces-
site presse, il fault coupper la chorde plus
tost que perdre temps a la deslier. Et
qu’ilquil debvoit laisser tous pensemens pour
survenir a la ville de sa nativite, qui
estoit en dangier, De faict une heure
apres se leva le vent nomme Nordnord
west, auquel ilz donnerent pleines voil-
les & prindrent la haulte mer, & en briefz
jours passans par porto sancto, & par
Medere, firent scalle es isles de Canar
re. De la partans passerent par Cap
blanco, par Senege, par Cap virido,
par Gambre, par Sagres, par Melli,
par le Cap de bona sperantza, & firent
scalle au royaulme de Melinde, de la
partans feirent voille au vent de la trans
montane passans par Meden, par Uti,
par Udem, par Gelasim, par les isles
dedes Phees, & jouxte le royaulme de Acho
rie, finablement arriverent au port de
Utopie: distant de la ville des Amau-
rotes par troys lieues, & quelque peu
davantaige. Quand ilz feurent en N
Fac-similé BVH

[97v]
terre quelque peu refraichiz, Panta-
gruel dist. Enfans la ville n’estnest loing
d’icydicy d’avantdavant que marcher oultre il seroit
bon deliberer de ce qu’estquest a faire, affin que
ne semblons es Atheniens qui ne consul
toient jamais sinon apres le cas faict.
Estez vous deliberez de vivre & mourir
avecques moy? Seigneur ouy (dirent
ilz tous) tenez vous asseure de nous, com
me de voz doigtz propres. Or (dist il)
il n’yny a q’unqun poinct que tienne mon espe-
rit suspend & doubteux, c’estcest que je ne
scay en quel ordre, ny en quel nombre
sont les ennemis qui tiennent la ville
assiegee: car quand je le scauroys. je m’ymy
en iroys en plus grande asseurance: par
ce advisons ensemble du moyen comment
nous le pourrons scavoir. A quoy
tous ensemble dirent. Laissez nous y
aller veoir, & nous attendez icy: car pour
tout le jourd’huyjourdhuy nous vous en apporte-
rons nouvelles certaines. Je (dist Pa
nurge) entreprens de entrer en leur camp
par le meillieu des gardes & du guet, &
Fac-similé BVH

Fu.98.
bancqueter avec eulx & bragmader a
leurs despens, sans estre congneu de
nully, visiter l’artillerielartillerie, les tentes de tous
les capitaines & me prelasser par les
bandes sans jamais estre descouvert:
le diable ne me affineroit pas, car je suis
de la lignee de zopyre. Je (dist Episte-
mon) scay tous les stratagemates & pro
uesses des vaillans capitaines a& cham
pions du temps passe, & toutes les ru-
ses & finesses de discipline militaire, je
iray, & encores que feusse descouvert et
decele, j’eschapperayjeschapperay en leur faisant
croire de vous tout ce que me plaira:
car je suis de la lignee de Sinon. Je
(dist Eusthenes) entreray par atravers
leurs tranchees, maulgre le guet & tous
les gardes, car je leur passeray sur le
ventre & leur rompray bras & jambes,
& feussent ilz aussi fors que le diable: car
je suis de la lignee de Hercules. Je
(dist Carpalim) y entreray si les oy-
seaulx y entrent: car j’ayjay le corps tant
allaigre que je auray saulte leurs tran- N ij
Fac-similé BVH

[98v]
chees & percé oultre tout leur camp, d’a-
vant
da-
vant
qu’ilzquilz me ayent apperceu. Et ne
crains ny traict ny flesche, ny cheval
tant soit legier & feust ce Pegase de Per
seus, ou Pacolet, que devant eulx je
n’eschappeneschappe gaillard & sauf. J’entreprensJentreprens
de marcher sur les espiz de bled, sur l’her
be
lher
be
des prez, sans qu’ellequelle flechisse des-
soubz moy: car je suis de la lignee de
Camille Amazone.


Comment Panurge, Carpalim, Eu-
sthenes, Epistemon, compaignons
de Pantagruel desconfirent
six cens soixante cheva-
liers bien subtile-
ment. Chapi.
xxiiiixxv.


AInsi qu’ilquil disoit cela ilz
adviserent six cens soi-
xante chevaliers montez
a l’advantageladvantage sus che-
vaulx legiers, qui acou-
royent la veoir quelle na-
Fac-similé BVH



Fu.99.
vire c’estoitcestoit qui estoit de nouveau abor-
dee au port, & couroyent a bride avallee
pour les prendre s’ilzsilz eussent peu. Lors
dist Pantagruel. Enfans retirez vous
en la navire, voyez cy de noz ennemys
qui accourent, mais je vous les tueray icy
comme bestes & feussent ilz dix foys au
tant: ce pendent retirez vous & en prenez
vostre passetemps. Adonc respondit
Panurge Non seigneur, il n’estnest de rai-
son que ainsi faciez: mais au contraire
retirez vous en la navire & vous & les
aultres. Car tout seul les desconfiray
icy: mais y ne fauldra pas tarder: avan-
cez vous A quoy dirent les aultres, c’estcest
bien dict. Seigneur retirez vous, & nous
ayderons icy a Panurge, & vous con-
gnoistrez que nous scavons faire. Adonc
Pantagruel dist. Or je le veulx bien,
mais au cas que feussiez plus foybles:
je ne vous fauldray. Alors Panur-
ge tira deux grandes cordes de la nef, &
les atacha au tour qui estoit sur le tillac
& les mist en terre & en fist un long cir- N iij
Fac-similé BVH

[99v]
cuyt, l’unlun plus loing, l’aultrelaultre dedans ce-
stuy la. Et dist a Epistemon, entrez de-
dans la navire, & quand je vous sonne-
ray, tournez le tour sus le tillac diligen
tement en ramenant a vous ces deux
chordes. Puis dist a Eusthenes et a
Carpalim Enfans attendez icy & vous
offrez es ennemys franchement, & obtem-
perez a eux & faictes semblant de vous
rendre, mais advisez, que ne entrez au
cerne de ces chordes: retirez vous tous-
jours hors. Et incontinent entra dedans
la navire, & print un fais de paille & une
botte de pouldre de canon & espandit par
le cerne des chordes, & avec une migraine
de feu se tint aupres. Soubdain ar-
riverent a grande force les chevaliers,
& les premiers chocquerent jusques au
pres de la navire, & par ce que le rivage
glissoit, tumberent eux & leurs chevaulx
jusques au nombre de quarante & quatre.
Quoy voyans les aultres approche-
rent pensans que on leur eust resisté a
l’arrivéelarrivée, Mais Panurge leur dist.
Fac-similé BVH

Fu.100.
Messieurs je croy que vous soyez faict
mal, pardonnez le nous: car ce n’estnest de
nous, mais c’estcest de la lubricite de l’eauleau
de mer, qui est tousjours unctueuse.
Nous nous rendons a vostre bon plaisir.
Autant en dirent ses deux compaignons,
& Epistemon qui estoit sur le tillacttillac.


Ce pendent Panurge s’esloignoitsesloignoit &
voyant que tous estoyent dedans le cer
ne des chordes, & que ses deux compai-
gnons s’ensen estoyent esloignez faisans
place a tous ces chevaliers qui a foul-
le alloyent pour veoir la nef & qui estoit
dedans, soubdain crya a Epistemon,
tire, tire, Lors Epistemon commen-
ca tirer au tour, & les deux chordes se
empestrerent entre les chevaulx & les
ruoyent par terre bien aysement avec
ques les chevaucheurs: mais eulx ce
voyant tirerent a l’espeelespee & les vouloyent
desfaire, dont Panurge met le feu en
la trainee & les fist tous la brusler com
me ames dannees, hommes & chevaulx
nul n’ennen eschappa, excepte un qui estoit N iiij
Fac-similé BVH

[100v]
monte sur un cheval turcq, qui le gai-
gna a fouyr: mais quand Carpalim
l’apperceutlapperceut, il courut apres en telle ha-
stivete & allaigresse qui le attrappa en
moins de cent pas, & saultant sur la
crouppe de son cheval l’embrassalembrassa par
derriere & l’amenalamena a la naviere. Ceste
deffaicte parachevee Pantagruel feut
bien joyeux, & loua merveilleusement
l’industrielindustrie de ses compaignons, & les
fist refraichir & bien repaistre sur le ri-
vaige joyeusement & boire d’autantdautant le
ventre contre terre, & leur prisonnier
avecques eulx familiairement: sinon
que le pauvre diable n’estoitnestoit point as-
seure que Pantagruel ne le devorast
tout entier, ce qu’ilquil eust faict tant avoit

la gorge large, aussi facillement que
feriez un grain de dragee, & ne
luy eust monte en sa bouche
en plus q’unqun grain de mil
let en la gueul-
le d’undun
asne.


Fac-similé BVH



Fu.101.


Comment Pantagruel & ses compai-
gnons estoient fachez de manger
de la chair salee, & comme Car
palim alla chasser pour
avoir de la venai-
son. Cha. xxvxxvj.


AInsi comme ilz bancquetoyent
Carpalim dist. Et ventre sainct
Quenet ne mangerons nous
jamais de venaison? Ceste chair sallee
me altere tout. Je vous voys apporter
icy une cuysse de ces chevaulx que avons
faict brusler elle sera assez bien rostie. N v
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[101v]
Tout ainsi qu’ilquil se levoit pour ce faire
apperceut a l’oreeloree du boys un beau grand
chevreul qui estoit yssu du fort, voyant
le feu de Panurge, a mon advis. In-
continent courut apres de telle roiddeur,
qu’ilquil sembloit que feust un carreau d’ar
baleste
dar
baleste
, & l’attrapalattrapa en un moment: & en
courant print de ses mains en l’airlair

qua
tre grandes Otardes.
Sept Bitars.
Vingt & six perdrys grises.
Trente & deux rouges.
Seize Faisans.
Neuf Beccasses.
Dix & neuf Herons.
Trente & deux Pigeons ramiers.
Et tua de ces pieds dix ou douze que
Levraulx que Lapins qui ja estoyent
hors de piege.
Dixhuyt Rasles parez ensemble.
Quinze sanglerons.
Deux Blereaux.
Troys grands Renards.

Frappant doncques le Chevreul de
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Fu.102.
son Malcus a travers la teste le tua, &
l’apportantlapportant recueillit ses Levraulx, Ras
les & Sanglerons. Et de tant loing que
peust estre ouy, s’escriasescria, disant. Panur-
ge mon amy: vinaigre, vinaigre. Dont
pensoit le bon Pantagruel, que le cueur
luy fist mal, & commanda qu’onquon lui ap
prestast du vinaigre: Mais Panurge
entendit bien, qu’ilquil y avoit Levrault au
croc, de faict monstra au noble Panta
gruel comment il portoit a son col un beau
chevreul, & toute sa ceincture brodee de
levraulx. Soubdain Epistemon fist
au nom des neuf Muses neuf belles
broches de boys a l’anticquelanticque: Eusthe-
nes aydoit a escorcher. Et Panurge
mist deux selles d’armesdarmes des chevaliers
en tel ordre qu’ellesquelles servirent de landiers,
& firent roustisseur leur prisonnier, & au
feu ou brusloyent les chevaliers, firent
roustir leur venaison. Et apres grand
chere a force vinaigre, au diable l’unlun qui
ce faignoit, c’estoitcestoit triumphe de les veoir
bauffrer. Lors dist Pantagruel,
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[102v]
Pleust a dieu que chascun de vous eust
deux paires de sonnettes de Sacre au
menton, & que je eusse au mien les gros-
ses horologes de Renes, de Poictiers,
de Tours, & de Cambray, pour veoir
l’aubadelaubade que nous donnerions au re-
muement de noz badignoincesbadiguoinces. Mais
dist Panurge, il vault mieulx penser
de nostre affaire un peu, & par quel moyen
nous pourrons venir au dessus de noz
ennemys. C’estCest bien advise, dist Pan-
tagruel. Pourtant demanda a leur
prisonnier. Mon amy, dys nous icy la
verité & ne nous mens en rien, si tu ne
veulx estre escorché tout vif: car c’estcest
moy qui mange les petiz enfans. Con-
te nous entierement l’ordrelordre, le nombre, &
la forteresse de l’armeelarmee. Aquoy respon-
dit, le prisonnier. Seigneur sachez pour
la verité que en l’armeelarmee sont troys cens
Geans tous armez de pierre de taille
grands a merveilles, toutesfoys non
tant du tout que vous, excepte un qui
est leur chef, & a nom Loupgarou, & est
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Fu.103.
tout arme d’enclumesdenclumes Cyclopicques.
Cent soixante & troys mille pietons
tous armes de peaulx de Lutins, gens
fortz & courageux: unze mille quatre
cens hommes d’armesdarmes, troys mille six
cens doubles canons, & d’espingarderiedespingarderie
sans nombre: quatre vingtz quatorze
mille pionniers: cent cinquante mille
putains belles comme deesses (voyla
pour moy, dist Panurge) dont les aul-
cunes sont Amazones, les aultres Lyon
noyses, les aultres Parisiannes, Tou
rangelles, Angevines, Poictevines, Nor
mandes, Allemandes, de tous pays &
toutes langues y en a. Voire mais
(dist Pantagruel) le Roy y est il? Ouy
Sire, dist le prisonnier, il y est en person
ne: & nous le nommons Anarche roy
des Dipsodes, qui vault autant a dire
comme gens alterez: car vous ne veistes
oncques gens tant alterez, ny beuvans
plus voluntiers. Et a sa tente en la garde
des geans. C’estCest assez, dist Panta-
gruel. Sus enfans estez vous deliberez
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[103v]
d’ydy venir avecques moy? A quoy res-
pondit Panurge. DieuDieu confonde qui
vous laissera, j’AyJay ja pense comment je
vous les rendray tous mors comme porcs,
qu’ilquil n’ennen eschappera au diable le jarret
Mais je me soucie quelque peu d’undun cas.
Et qui est ce? dist Pantagruel.
C’estCest (dist Panurge) comment je pour-
ray avanger a braquemarder toutes
les putains qui y sont en ceste apres
disnee, qu’ilquil n’ennen eschappe pas une, que
je ne taboure en forme commune.
Ha, ha, ha, dist Pantagruel.
Et Carpalim dist. Au diable de biterne:
par dieu j’enjen embourreray quelque une.
Et je, dist Eusthenes, quoy? qui ne dressay
oncques puis que bougeasmes de Rouen,
au moins que l’aguillelaguille montast jusques sur
les dix ou unze heures: voire encores que
laye dur & fort comme cent diables.
Vrayement dist Panurge, tu en auras
des plus grasses & des plus refaictes.
Comment (dist Epistemon) tout le mon-
de chevauchera & je meneray l’asnelasne, le
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Fu.104.
diable emport qui en fera rien. Nous
userons du droict de guerre, qui potest
capere capiat
. Non, non, dist Panurge.
Mais atache ton asne a un croc, & che-
vauche comme le monde. Et le bon Pan
tagruel ryoit a tout, puis leur dist. Vous
comptez sans vostre hoste. J’ayJay grand
peur que devant qu’ilquil soit nuyct, ne vous
voye en estat, que ne aurez grande envie
d’arresserdarresser, & qu’onquon vous chevauchera
a grand coup de picque & de lance.
Baste, dist Epistemon. Je vous les
rends a roustir ou boillir: a fricasser ou
mettre en paste. Ilz ne sont en si grand
nombre comme avoit Xerces: car il avoit
trente cens mille combatans si croyez
Herodote & Troge pompone. Et tou-
tesfoys Themistocles a peu de gens
les desconfit. Ne vous souciez pour
dieu. Merde merde, dist Panurge.
Ma seulle braguette espoussetera tous
les hommes, & sainct Balletrou qui
dedans y repose, decrottera toutes les
femmes,
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[104v]
Sus doncques enfans, dict Pan-
tagruel, commencons a marcher.


Comment Pantagruel droissa un Tro
phee en memoire de leur prouesse, & Pa
nurge un aultre en memoire des Le-
vraulx. Et comment Pantagruel de
ses petz engendroit les petitz hommes,
& de ses vesnes les petites fem-
mes. Et comment Panurge
rompit un gros baston
sur deux verres.
Chap. xxvj.xxvij.


DEvant que partions d’icydicy, dist
Pantagruel, en memoire de la
prouesse que avez presentement
faict, je veulx eriger en ce lieu un beau
trophee. Adoncques un chascun d’en
tre
den
tre
eulx en grande liesse & petites chan-
sonnettes villaticques dresserent un
grand boys, auquel y pendirent une
selle d’armesdarmes, un chanfrain de cheval,
des pompes, des estrivieres, des espe-
rons, un haubert, un hault appareil
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Fu.105.
asseré, une hasche, un estoc d’armesdarmes, un
gantelet, une masse, des goussetz, des
greves, un gorgery, & ainsi de tout ap-
pareil requis a un arc triumphal ou
Trophee. Puis en memoire eternelle
escripvit Pantagruel le dicton victorial
comme s’ensuytsensuyt.


Ce fut icy qu’apparutquapparut la vertus
De quatre preux & vaillans champions,
Qui de bon sens, non de harnois vestuz
Comme Fabie, ou les deux Scipions
Firent six cens soixantes morpions
Puissans ribaulx, brusler comme une
escorce:

Prenez y tous Roys, ducz, rocz & pions
Enseignement, que engin mieux vault
que force.


Car la victoire
Comme est notoire,
Ne gist que en heur,
Du consistoire
Ou regne en gloire
Le hault seigneur, O
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[105v]
Vient, non au plus fort ou greigneur,
Ains a qui luy plaist, com’ fault croire:
Doncques a chevanche & honneur
Cil qui par foy en luy espoire.


Ce pendent que Pantagruel escrip-
voit les carmes susdictz Panurge em-
mancha en un grand pal les cornes du
chevreul, & la peau, & les piedz droitz de
devant d’icelluydicelluy. Puis les anreillesaureilles de
troys levraulx, le rable d’undun lapin, les
mandibules d’undun lievre, les aesles de
deux bitars, les piedz de quatre ramiers
une guedofle de vinaigre, une corne ou
ilz mettoient le sel, leur broche de boys,
une lardouere, un meschant chauldron
tout pertuisé, une breusse ou ilz saulso-
ient, une saliere de terre, & un guobelet
de Beauvoys. Et en imitation des vers
& Trophee de Pantagruel escripvit ce
que s’ensuytsensuyt.


Ce feut icy que mirent abaz culz
Joyeusement quatre gaillars pions,
Pour bancqueter a l’honneurlhonneur de Baccus
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Fu.106.
Beuvans a gré comme beaulx carpions,
Lors y perdit rables & cropions
Maistre levrault, quand chascun si effor- (ce:
Sel & vinaigre, ainsi que scorpions,
Le poursuivoyent, dont en eurent, l’estorcelestorce.


Car l’inventoirelinventoire
D’unDun defensoire.
En la chaleur,
Ce n’estnest que a boire
Droict & net, voire
Et du meilleur,
Mais manger levrault, c’estcest malheur
Sans de vinaigre avoir memoire:
Vinaigre est son ame & valeur,
Retenez le en poinct peremptoire.


Lors dist Pantagruel. Allons en-
fans, c’estcest trop muse icy a la viande: car
a grand poine voit on advenir que grans
bancqueteurs facent beaulx faictz d’ar
mes
dar
mes
. Il n’estnest umbre que d’estandartzdestandartz, il
n’estnest fumee que de chevaulx, & clycquetys
que de harnoys. A ce commencza Epi-
stemon soubrire, & dist. Il n’estnest umbre O ij
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[106v]
que de cuisine, fumee que de pastez, & clic
quetys que de tasses. A quoy respon
dit Panurge. Il n’estnest umbre que de cour
tines, fumee que de tetins, & clicquetys
que de couillons. Puis se levant fist
un pet: un sault, & un sublet, & crya a
haulte voix joyeusement, vive tousjours
Pantagruel. Ce voyant Panta-
gruel en voulut autant faire, mais du
pet qu’ilquil fist, la terre trembla, neuf lieues
a la ronde, duquel avec l’airlair corrumpu
engendra plus de cinquante & troys mil
le petitz hommes nains & contrefaictz:
& d’unedune vesne qu’ilquil fist, engendra autant
de petites femmes acropies comme vous
en voyez en plusieurs lieux, qui jamais
ne croissent, sinon comme les quehues
des vaches, contre bas, ou bien comme
les rabbes de Lymousin, en rond. Et
quoy dist Panurge, voz petz sont ilz tant
fructueux? Par dieu voicy de belles sa
vates d’hommesdhommes, & de belles vesses de
femmes, il les fault marier ensemble.
Ilz engendreront des mouches bovines.
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Fu.107.
Ce que fist Pantagruel, & les nomma
Pygmees. Et les envoya vivre en une
isle la aupres, ou ilz se sont fort multi-
pliez despuis. Mais les grues leur
font continuellement guerre, desquel-
les ilz se defendent courageusement, car
ces petitz boutz d’hommesdhommes (lesquelz en
Escosse l’onlon appelle manches d’estrillesdestrilles)
sont voluntiers cholericques. La rai-
son physicale est: par ce qu’ilzquilz ont le
cueur pres de la merde. En ceste mes
me heure Panurge print deux verres
qui la estoient tous deux d’unedune gran-
deur, & les emplit d’eaudeau tant qu’ilzquilz en
peurent tenir, & en mist l’unlun sur une esca
belle, & l’aultrelaultre sur une aultre les esloin
gnans a part par la distance de cinq
piedz, puis print le fust d’unedune javeline de
la grandeur de cinq piedz & demy, & les
mist dessus les deux verres, en sorte que
les deux boutz du fustz touchoient ju-
stement les bors des verres. Cela faict
print un gros pau, & dist a Pantagruel
& es aultres. Messieurs considerez O iij
Fac-similé BVH

[107v]
comment nous aurons victoire facille-
ment de noz ennemys. Car ainsi com-
me je rompray ce fust icy dessus les ver
res sans que les verres soient en rien
rompus ne brisez, encores que plus est,
sans que une seulle goutte d’eaudeau en sor-
te dehors: tout ainsi nous romprons la
teste a noz Dipsodes, sans ce que nul de
nous soit blesse, & sans perte aulcune
de noz besoignes. Mais affin que ne
pensez qu’ilquil y ait enchantement, tenez dist
il a Eusthenes, frappez de ce pau tant
que pourrez au millieu. Ce que fist Eu
sthenes, & le fust rompit en deux pieces
tout net, sans que une goutte d’eaudeau tum-
bast des verres. Puis dist. J’enJen scay bien
d’aultresdaultres, allons seullement en asseurance.


Comment Pantagruel eut victoire
bien estrangement des Dip-
sodes, & des Geans,
Chapitre.
xxvijxxviij.


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Fu 108.


APres tous ces propos Panta
gruel appella leur prisonnier
& le renvoya, disant. Va t’enten
a ton Roy en son camp, & luy dis nou-
velles de ce que tu as veu, & qu’ilquil se deli
bere de me festoyer demain sus le midy:
car incontinent que mes galleres seront
venues, qui sera de matin au plus tard
je luy prouveray par dixhuyt cens mil
le combatans & sept mille Geans tous
plus grans que tu me veois, qu’ilquil a faict
follement & contre raison de assaillir
ainsi mon pays. En quoy faignoit Pan
tagruel avoir armee sur mer. Mais le
prisonnier respondit qu’ilquil se rendoit son
esclave, & qu’ilquil estoit content de jamais
ne retourner a ses gens, ains plustost
combatre avecques Pantagruel contre
eulx, & pour dieu qu’ainsiquainsi le permist.
A quoy Pantagruel ne voulut consen-
tir, ains luy commanda que partist de
la briefvement & allast ainsi qu’ilquil avoit
dict, & luy bailla une boette pleine de
Euphorge & de grains de Coccagnide O iiij
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[108v]
confictz en eau ardente en forme de com
pouste, luy commandant la porter a son
Roy & luy dire que s’ilsil en pouvoit man-
ger une once sans boire, qu’ilquil pourroit
a luy resister sans peur, Adonc le pri-
sonnier le supplia a joinctes mains que
a l’heurelheure de sa bataille il eust de luy pitié
dont luy dist Pantagruel. Apres que tu
auras le tout annoncé a ton Roy, metz
tout ton espoir en dieu, & il ne te delais-
sera poinct. Car de moy encores que
soye puissant comme tu peuz veoir, & aye
gens infinitz en armes, toutesfoys je
n’esperenespere en ma force, ny en mon industrie:
mais toute ma fiance est en dieu mon
protecteur, lequel jamais ne delaisse ceulx
qui en luy ont mis leur espoir & pensee.


Ce faict le prisonnier luy requist que
touchant sa ranson il luy voulut faire
party raisonnable. A quoy respondit
Pantagruel, Que sa fin n’estoitnestoit de piller
ny ransonner les humains, mais de les
enrichir & reformer en liberté totalle.


Vaten (dist il) en en[sic] la paix du Dieu
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Fu.109.
vivant: & ne suiz jamais maulvaise com-
paignie, que malheur ne te advienne.


Le prisonnier party Pantagruel
dist a ses gens: Enfans j’ayjay donne en-
tendre a ce prisonnier que nous avons
armee sur mer, ensemble que nous ne leur
donnerons l’assaultlassault que jusques a de-
main sus le midy, a celle fin que eulx
doubtant la grande venue de gens, ce-
ste nuyct se occupent a mettre en ordre
& soy remparer: mais ce pendent mon
intention est que nous chargeons sur
eulx environ l’heurelheure du premier somme.


Laissons icy Pantagruel avecques
ses apostoles, Et parlons du roy Anar
che & de son armee. Quand le prison
nier feut arrive il se transporta vers le
Roy, & luy conta comment estoit venu
un grand Geant nomme Pantagruel
qui avoit desconfit & faict roustir cruel
lement tous les six cens cinquante et
neuf chevaliers, & luy seul estoit saulvé
pour en porter les nouvelles. Davan-
taige avoit charge dudict geant de luy O v
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[109v]
dire qu’ilquil luy aprestast au lendemain
sur le midy a disner: car il deliberoit de
le envahir a ladicte heure. Puis luy
bailla celle boete en laquelle estoient les
confitures. Mais tout soubdain qu’ilquil
en eut avalle une cueilleree, luy vint tel
eschauffement de gorge avecque ulcera
tion de la luette, que la langue luy pela.
Et pour remede qu’onquon luy feist ne trou-
va allegement quelconques, sinon de
boire sans remission: car incontinent
qu’ilquil ostoit le guobelet de la bouche, la
langue luy brusloit. Par ce l’onlon ne fai-
soit que luy entonner vin en gorge avec
un embut. Ce que voyans ses capi-
taines, Baschatz, & gens de garde, gou-
sterent desdictes drogues pour esprou-
ver si elles estoient tant alteratives: mais
il leur en print comme a leur roy. Et tous
flacconnerent si bien que le bruyt vint
par tout le camp, comment le prisonnier
estoit de retour, & qu’ilzquilz debvoient avoir
au lendemain sassaultl’assault, & que a ce ja se
preparoit le Roy & les capitaines, en-
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Fu.110.
semble les gens de garde, & ce par boire
a tyre larigot. Parquoy un chascun de
l’armeelarmee commencza Martiner, chopiner,
& tringuer de mesmes. Somme ilz beu-
rent tant & tant, qu’ilzquilz s’endormirentsendormirent com-
me porcs sans ordre parmy le camp.


Maintenant retournons au bon Pan
tagruel: & racontons comment il se por
ta en cest affaire. Partant du lieu du
Trophee, print le mast de leur navire
en sa main comme un bourdon: & mist
dedans la hune deux cens trente & sept
poinsons de vin blanc d’AnjouDanjou du re-
ste de Rouen, & atacha a sa ceincture
la barque toute pleine de sel aussi aise-
ment comme les Lansquenettes portent
leurs petitz panerotz. Et ainsi se mist
en chemin avecques ses compaignons.


Quand il fut pres du camp des en-
nemys, Panurge luy dist. Seigneur
voulez vous bien faire? Devallez ce vin
blanc d’AnjouDanjou de la hune, & beuvons
icy a la Bretesque. Aquoy condescen
dit voluntiers Pantagruel, & beurent
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[110v]
si net qu’ilquil n’yny demeura une seulle gout-
te, des deux cens trente & sept poinsons
excepté une ferriere de cuir bouilly de
Tours que Panurge emplit pour soy.
Car il appelloitl’appelloit son vademecum, & quel-
ques meschantes baissieres pour le vi-
naigre. Apres qu’ilzquilz eurent bien tire
au chevrotin, Panurge donna man-
ger a Pantagruel quelque diable de
drogues composees de lithontripon, ne
phrocatarticon, coudinac cantharidise,
& aultres especes diureticques. Ce
faict Pantagruel dist a Carpalim Al
lez en la ville gravant comme un rat
contre la muraille, comme bien scavez
faire, & leur dictes que a l’heurelheure presen-
te ilz sortent & donnent sur les ennemys
tant roiddement qu’ilzquilz pourront, & ce dit,
descendez, prenant une torche allumee,
avecques laquelle vous mettrez le feu
dedans toutes les tentes & pavillons
du camp, puys vous crierez tant que
pourrez de vostre grosse voix, & partez
dudict camp. Voire mais, dist Car-
Fac-similé BVH



Fu.111.
palim, seroit ce bon que je encloasse tou
te leur artillerie? Non non, dist Panta
gruel, mais bien mettez le feu en leurs
pouldres. A quoy obtemperant Car
palim partit soubdain & fist comme avoit
esté decreté par Pantagruel, & sortirent
de la ville tous les combatans qui y
estoyent Et alors que il eut mis le feu
par les tentes & pavillons, passoit le-
gierement par sur eulx sans qu’ilzquilz en
sentissent rien tant ilz ronfloyent & dor
moyent parfondement. Il vint au lieu
ou estoit l’artillerielartillerie & mist le feu en leurs
munitions, (Mais ce feust le dangier)
le feu feut si soubdain que il cuida em-
brazer le pauvre Carpalim. Et n’eustneust
esté sa merveilleuse hastiveté, il estoit fri
casse comme un cochon, mais il depar-
tit si roidement q’unqun quarreau d’arba-
leste
darba-
leste
ne vole pas plustost. Quant il
feut hors des tranchees il s’escriasescria si espo-
ventablement, qu’ilquil sembloit que tous
les diables feussent deschainez. Auquel
son s’esveillerentsesveillerent les ennemys, mais
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[111v]
scavez vous comment? aussi estourdys
que le premier son de matines, qu’onquon ap-
pelle en Lussonnoys, frotte couille.


Ce pendent Pantagruel commen-
ca semer le sel qu’ilquil avoit en sa barque,
& par ce qu’ilzquilz dormoyent la gueulle baye
& ouverte, il leur en remplit tout le gou
zier, tant que ces pauvres haires tous-
sissoient comme regnards, cryans. Ha
Pantagruel tant tu nous chauffes le
tizon. Soubdain print envie a Pan
tagruel de pisser, a cause des drogues
que luy avoit baille Panurge, & pissa
parmy leur camp si bien & copieusement
qu’ilquil les noya tous: & y eut deluge par-
ticulier dix lieues a la ronde. Et dist
l’histoirelhistoire, que si la grand jument de son
pere y eust este & pisse pareillement, qu’ilquil
y eust deluge plus enorme que celluy de
Deucalion: car elle ne pissoit foys qu’el
le
quel
le
ne fist une riviere plus grande que
n’estnest le Rosne, & le Danouble. Ce que
voyans ceulx qui estoient yssuz de la
ville, disoient. Ilz sont tous mors cruel
Fac-similé BVH



Fu.112.
lement voyez le sang courir. Mais ilz
estoient trompez, pensans de l’urinelurine de
Pantagruel que feust le sang des enne
mys, car ilz ne veoyent sinon au lustre
du feu des pavillons & quelque peu de
clarte de la Lune. Les ennemys apres
soy estre reveillez voyans d’undun cousté le
feu en leur camp, & liundationl’inundationlinundation & deluge
urinal, ne scavoyent que dire ny que pen
ser. Aulcuns disoient que c’estoitcestoit la fin
du monde & le jugement final, qui doibt
estre consommé par feu: les aultres, que
les dieux marins Neptune, Protheus,
TritousTritons, aultres les persecutoient, &
que de faict c’estoitcestoit eaue marine & salee.


O qui pourra maintenant racompter
comment se porta Pantagruel contre
les troys cens geans. O ma muse,
ma Calliope, ma Thalie inspire moy
a ceste heure, restaure moy mes esperitz,
car voicy le pont aux asnes de Logicque,
voicy le trebuchet, voicy la difficulte de
pouvoir exprimer l’horriblelhorrible bataille que
fut faicte. A la mienne volunte que je
Fac-similé BVH



[112v]
eusse maintenant un boucal du meilleur
vin que beurent oncques ceulx qui li-
ront ceste histoire tant veridicque.


Comment Pantagruel deffit les
troys cens Geans armez de
pierre de taille. Et Loup-
garou leur capitaine.
Chap. xxviijxxviiij.


LEs Geans voyans que tout
leur camp estoit noyé empor
terent leur Roy Anarche a
leur col le mieulx qu’ilzquilz peu-
rent hors du fort, comme fist Eneas son
pere Anchises de la conflagration de
Troye. Lesquelz quand Panurge
apperceut, dist a Pantagruel. Seigneur
voyez la les Geans qui sont yssuz, don
nez dessus a vostre mast gualantement
a la ville escrime. Car c’estcest a ceste heure
qu’ilquil se fault monstrer homme de bien.
Et de nostre cousté nous ne vous faul-
drons. Et hardiment que je vous en
tueray beaucoup, Car quoy? David
Fac-similé BVH



Fu.113.
tua bien GoliahtGoliath facillement, Et puis
ce gros paillard Eusthenes qui est fort
comme quatre beufz, ne si espargnera.
Prenez couraige, chocquez a travers
d’estocdestoc & de taille. Or dist Pantagruel,
de couraige j’enjen ay pour plus de cinquan
te francs. Mais quoy? Hercules ne
ausa jamais entreprendre contre deux.


C’estCest dist Panurge, bien chié en mon
nez, vous comparez vous a Hercules?
vous avez par dieu plus de force aux
dentz, & plus de sens au cul, que n’eutneut
jamais Hercules en tout son corps et
ame. Autant vault l’hommelhomme comme il
sestime. Eulx disans ces parolles, voi-
cy arriver Loupgarou avecques tous
ses Geans, Lequel voyant Pantagruel
seul, feut esprins de temerite & oultre-
cuidance, par espoir qu’ilquil avoit de occire
le pauvre bon hommet. Dont dict a
ses compaignons Geans. Paillars de
plat pays, par Mahon si aulcun de vous
entreprent combatre contre ceulx cy, je
vous feray mourir cruellement. Je veulx P
Fac-similé BVH

[113v]
que me laissiez combatre seul: ce pendent
vous aurez vostre passetemps a nous
regarder. Adonc se retirerent tous les
Geans avecques leur Roy la aupres
ou estoient les flaccons, & Panurge &
ses compaignons avecques eulx, qui con-
trefaisoit ceulx qui ont eu la verolle, car
il tordoit la geule & retiroit les doigts,
& en parolle enrouee leur dist, Je renie
bieu compaignons, nous ne faisons poinct
la guerre donnez nous a repaistre avec
ques vous ce pendent que noz maistres
s’entrebatentsentrebatent. A quoy voluntiers le
Roy & les Geans consentirent, & les
firent bancqueter avecques eulxCe
pendent Panurge leur contoit les fa-
bles de Turpin, les exemples de sainct
Nicolas, & le conte de la Ciguoingne.


Loupgarou doncques s’adressasadressa a Pan-
tagruel avec une masse toute d’acierdacier pe
sante neuf mille sept cens quintaulx
deux quarterons d’acierdacier de Calibes,
au bout de laquelle estoient treze poin-
ctes de dyamans, dont la moindre estoit
Fac-similé BVH



Fu.114.
aussi grosse comme la plus grande clo-
che de nostre dame de Paris, (il s’ensen fail
loit par adventure l’espesseurlespesseur d’undun ongle,
ou au plus que je ne mente, d’undun doz de
ces cousteaulx qu’onquon appelle couppe-
aureille: mais pour un petit, ne avant
ne arriere) Et estoit pheée en maniere que
jamais ne pouvoit rompre, mais au con-
traire, tout ce qu’ilquil en touchoit rompoit
incontinent. Ainsi doncques comme
il approuchoit en grande fierté, Pan-
tagruel jectant ses yeulx au ciel se re-
commanda a Dieu de bien bon cueur,
faisant veu tel comme s’ensuytsensuyt. Sei-
gneur dieu qui tousjours as esté mon pro
tecteur & mon servateur, tu vois la de-
stresse en laquelle je suis maintenant.
Rien icy ne me amene, sinon zele natu-
rel, ainsi comme tu as octroyé es hu-
mains de garder & defendre soy, leurs
femmes, enfans, pays, & famille, en cas
que ne seroit ton negoce propre qui est la
foy, car en tel affaire tu ne veulx coad-
juteur: sinon de confession catholicque, P ij
Fac-similé BVH

[114v]
& service de ta parolle: & nous as defen
du toutes armes & defences: car tu es le
tout puissant, qui en ton affaire propre,
& ou ta cause propre est tiree en action,
te peulx defendre trop plus qu’onquon ne scau
roit estimer: toy qui as mille milliers de
centaines de milions de legions d’angesdanges
duquel le moindre peut occire tous les
humains, & tourner le ciel & la terre a
son plaisir, comme jadys bien apparut
en l’armeelarmee de Sennacherib. Doncques
s’ilsil te plaist a ceste heure me estre en ay-
de, comme en toy seul est ma totale con
fiance & espoir. Je te fais veu que par
toutes contrees tant de ce pays de Uto
pie que d’ailleursdailleurs, ou je auray puissance
& auctorité, Je feray prescher ton sainct
Evangile, purement, simplement, & en-
tierement, si que les abus d’undun tas de pa-
pelars & faulx prophetes, qui ont par
constitutions humaines & inventions
depravees envenimé tout le monde: se-
ront d’entourdentour moy exterminez. Alors
feut ouye une voix du ciel, disant, Hoc
Fac-similé BVH



Fu.115.
fac & vinces
, c’estcest a dire, Fais ainsi, & tu
auras victoire. Puys voyant Pan
tagruel que Loupgarou approcheoit
la gueulle ouverte, vint contre luy har
diment & s’escryasescrya tant qu’ilquil peut. A mort
ribault a mort, pour luy faire paour, se
lon la discipline des Lacedemoniens,
par son horrible cry. Puis luy getta
de sa barque, qu’ilquil portoit a sa ceinctu-
re, plus de dix & huyct cacques & un mi
not de sel, dont il luy emplit & gorge et
gouzier, & le nez & les yeulx. De ce ir
rité Loupgarou, luy lancea un coup de
sa masse, luy voulant rompre la cervelle.


Mais Pantagruel feut habille et
eut tousjours bon pied & bon oeil, par
ce demarcha du pied gauche un pas ar
riere, mais il ne sceut si bien faire que le
coup ne tumbast sur la barque, laquel-
le rompit en quatre mille octante & six
pieces & versa la reste du sel en terre.


Quoy voyant Pantagruel gualen
tement ses bras desplie & comme est l’artlart
de la hasche, luy donna du gros bout P iij
Fac-similé BVH

[115v]
sur son mast, en estoc au dessus de la
mammelle, & retirant le coup a gauche
en taillade luy frappa entre col & collet
puis avanceant le pied droict luy donna
sur les couillons un pic du hault bout
de son mast, a quoy rompit la hune, et
versa troys ou quatre poinsons de vin
qui estoient de reste. Dont Loupga-
rou pensa qu’ilquil luy eust incise la vessie, &
du vin que se feust son urine qui en sortist.


De ce non contant Pantagruel vou-
loit redoubler au coulouoir: mais Loup
garou haussant sa masse avancea son
pas sur luy, & de toute sa force la vou-
loit enfoncer sur Pantagruel: de faict
en donna si vertement que si dieu n’eustneust
secouru le bon Pantagruel, il l’eustleust fen
du despuis le sommet de la teste jusques
au fond de la ratelle: mais le coup de-
clina a droict par la brusque hastiveté
de Pantagruel Et entra sa masse plus
de soixante & treize piedz en terre a tra-
vers un gros rochier, dont il feist sortir
le feu plus gros que neuf mille six ton-
Fac-similé BVH



Fu.116.
neaux. Voyant Pantagruel, qu’ilquil
s’amusoitsamusoit a tirer sadicte masse qui tenoit
en terre entre le roc, luy court sus, & luy
vouloit avaller la teste tout net: mais
son mast de male fortune toucha un peu
au fust de la masse de Loupgarou qui
estoit pheée (comme avons dict devant) par
ce moyen, son mast luy rompit a troys
doigtz de la[sic] poignee. Dont il feut plus
estonné q’unqun fondeur de cloches & s’escriasescria.
Ha Panurge ou es tu? Ce que ouyant
Panurge, dict au Roy & aux Geans.
Par dieu ilz se feront mal, qui ne les de
partira. Mais les Geans estoient
aises comme s’ilzsilz feussent de nopces.


Lors Carpalim se voulut lever de
la pour secourir son maistre: mais un
Geant luy dist. Par Golfarin nepveu
de Mahon, si tu bouges d’icydicy je te met-
tray au fond de mes chausses comme
on faict d’undun suppositoire, aussi bien
suis je constipé du ventre, & ne peulx
gueres bien cagar, sinon a force de grin
cer les dentz. Puis PontagruelPantagruel ainsi P iiij
Fac-similé BVH

[116v]
destitué de baston, reprint le bout de son
mast, en frappant torche lorgne, dessus
le Geant, mais il ne luy faisoit mal en
plus que feriez baillant une chicque-
naude sus un enclume de forgeron. Ce
pendent Loupgarou tiroit de terre sa
masse & l’avoitlavoit ja tiree & la paroit pour
en ferir. Pantagruel qui estoit soubdain
au remuement & declinoit tout ses coups
jusques a ce que une foys voyant que
Loupgarou le menassoit, disant mes-
chant a ceste heure te hascheray je com-
me chair a pastez. Jamais tu ne altere-
ras les pauvres gens. Pantagruel le
frappa du pied un si grand coup contre
le ventre, qu’ilquil le getta en arriere a jam-
bes rebindaines, & vous le trainnoyt
aisiainsi a l’escorchelescorche cul plus d’undun traict d’arcdarc.
Et Loupgarou s’escrioitsescrioit rendant le sang
par la gorge. Mahon, Mahon, Mahon.


A quelle voix se leverent tous les
Geans pour le secourir. Mais Panur
ge leur dist. Messieurs n’yny alez pas si
m’enmen croyez: car nostre maistre est fol, et
Fac-similé BVH



Fu.117.
frappe a tors & a travers, & ne regarde
poinct (ou) il vous donnera malencontre.


Mais les Geans n’ennen tindrent compte,
voyant que Pantagruel estoit sans
baston: Lors que aprocher les veid Pan
tagruel, print Loupgarou par les deux
piedz & son corps leva comme une picque
en l’airlair & d’icelluydicelluy armé d’enclumesdenclumes frap
poit parmy ces Geans armez de pier-
res de taille, & les abbatoit comme un
masson faict de couppeaulx, que nul
arrestoit devant luy qu’ilquil ne ruast par
terre. Dont a la rupture de ces har-
noys pierreux feut faict un si horrible
tumulte qu’ilquil me souvint, quand la gros-
se tour de beurre qui estoit a sainct Estien-
ne de Bourges, fondit au soleil. Pa
nurge ensemble Carpalim & Eusthe-
nes ce pendent esgorgetoyent ceulx qui
estoyent portez par terre. Faictez vo-
stre compte qu’ilquil n’ennen eschappa un seul,
& a veoir Pantagruel sembloit un faus
cheur, qui de sa faulx (c’estoitcestoit Loupga-
rou) abbatoit l’herbelherbe d’undun pré (c’estoyentcestoyent P v
Fac-similé BVH

[117v]
les Geans.Geans.) Mais a ceste escrime,
Loupgarou perdit la teste, ce feut, quand
Pantagruel en abatit un, qui avoit nom
Riflandouille, qui estoit armé a hault
appareil, c’estoitcestoit de pierres de gryson,
dont un esclat couppa la gorge tout oul-
tre a Epistemon: car aultrement la plus
part d’entredentre eulx estoyent armez a la le
giere, c’estoitcestoit de pierre de tuffe, & les aul
tres de pierre ardoyzine. Finablement
voyant que tous estoient mors getta le
corps de Loupgarou tant qu’ilquil peut con-
tre la ville, & tomba comme une grenoil
le, sus ventre en la place mage de ladi-
cte ville: & en tombant du coup tua un
chat brusle, une chatte mouillée, une can
ne petiere, & un oyson bridé.


Comment Epistemon qui avoit la coup-
pe testee, feut guery habillement
par Panurge. Et des nou-
velles des diables, & des
damnez. Chapitre.
xxx.


Fac-similé BVH



Fu.118.


CEste desconfite gigantale
parachevee, Pantagruel
se retira au lieu des flaccons
& appella Panurge, & les
aultres, lesquelz se rendi-
rent a luy sains & saulves, excepté Eu
sthenes lequel un des Geans avoit egra
phiné quelque peu au visaige: ainsi qu’ilquil
l’esgorgetoitlesgorgetoit Et Epistemon qui ne se com
paroit poinct. Dont Pantagruel fut
si dolent qu’ilquil se voulut tuer soymesmes,
mais Panurge luy dict, Dea seigneur
attendez un peu, & nous le chercherons
entre les mors, & voirons la verite du
tout. Ainsi doncques comme ilz cher
choyent, ilz le trouverent tout roidde mort
& sa teste entre ses bras toute sanglante.


Lors Eusthenes s’escriasescria Ha male
mort, nous as tu tollu le plus parfaict
des hommes? A laquelle voix se leva
Pantagruel au plus grand dueil qu’onquon
veit jamais au monde. Et dist a Pa-
nurge. Ha mon amy l’auspicelauspice de vos
deux verres & du fust de javeline estoyt
Fac-similé BVH



[118v]
bien par trop fallace. Mais Panurge
dist. Enfans ne pleurez goutte, il est en-
cores tout chault, Je vous le gueriray
aussi sain qu’ilquil fut jamais. Ce disant
print la teste & la tint sus sa braguette
chauldement affin qu’ellequelle ne print vent.
Eusthenes & Carpalim porterent le
corps au lieu ou ilz avoient bancquette,
non par espoir que jamais guerist, mais
affin que Pantagruel le veist. Toutes
foys, Panurge le reconfortoit, disant.
Si je ne le guery je veulx perdre la teste
(qui est le gaige d’undun fol) laissez ces pleurs
& me aydez. Adonc noctoyanectoya tresbien
de beau vin blanc le col, & puis la teste:
& y synapiza de pouldre de diamerdis
qu’ilquil portoit tousjours en une de ses fas
ques, apres les oignit de je ne scay quel
oingnement: & les afusta justement veine
contre veine, nerf contre nerf, spondyle
contre spondyle, affin qu’ilquil ne feust torty
colly (car telles gens il haissoit de mort)
ce faict luy fist a l’entourlentour quinze ou seize
poincts de agueille, affin qu’ellequelle ne tum-
Fac-similé BVH



Fu 119.
bast de rechief: puis mist a l’entourlentour un
peu d’undun unguent, qu’ilquil appelloit resus-
citatif. Soubdain Epistemon com-
menca respirer, puis ouvrir les yeulx,
puis baisler, puis esternuer, puis fist un
gros pet de mesnage. Dont dist Pa
nurge, a ceste heure est il guery asseure-
ment, & luy bailla a boire un voirre d’undun
grand villain vin blanc avecques une
roustie succree. En ceste faczon feut
Epistemon guery habillement, excepté
qu’ilquil feut enroué plus de troys sepmaines
& eut une toux seiche, dont il ne peut
oncques guerir, sinon a force de boire.


Et la commencza a parler, disant.
Qu’ilQuil avoit veu les diables, avoit par-
lé a Lucifer familierement, & faict grand
chere en enfer. Et par les champs Eli-
sees. Et asseuroit d’avantdavant tous que les
diables estoyent bons compaignons. Au
regard des damnez, il dist, qu’ilquil estoit bien
marry de ce que Panurge l’avoitlavoit si tost
revocqué en vie. Car je prenois (dist il)
un singulier passetemps a les veoir.


Fac-similé BVH



[119v]

Comment? dist Pantagruel, l’OnLon
ne les traicte (dist Epistemon) si mal que
vous penseriez: mais leur estat est chan
gé en estrange facon. Car je veis Ale
xandre le grand qui repetassoit de vieilles
chausses, & ainsi gaignoit sa pauvre vie,

Xerces crioit la moustarde.
Romule estoit saulnier.
Numa clouatier.
Tarquin tacquin.
Piso paisant.
Sylla riveran.
Cyre estoit vachier.
Themistocles verrier.
Epaminondas myrallier.
Brute & Cassie agrimenseurs.
Demosthenes vigneron.
Ciceron atizefeu.
Fabie enfileur de patenostres.
AtaxercesArtaxerces cordier.
Eneas meusnier.
Achilles teigneux.
AgamemnonAgamenon lichecasse.
Ulysses fauscheur.

Fac-similé BVH



Fu.120.
Nestor harpailleur.
Darie cureur de retraictz.
Ancus Martius gallefretier.
Camillus gallochier.
Marcellus esgousseur de febves.
Drusus trinquamolle.
Scipion Africain cryoit la lye en un sa- (bot.
Asdrubal estoit lanternier.
Hannibal cocquassier.
Priam vendoit les vieulx drapeaulx.
Lancelot du lac estoit escorcheur de
chevaulx mors.


Tous les chevaliers de la table ronde
estoyent pauvres gaingnedeniers tirans
la rame pour passer les rivieres de Coc
cyte, Phlegeton, Styx, Acheron, & Le-
the, quand messieurs les diables se vou
lent esbatre sur l’eauleau comme sontfont les ba
stelieres de Lyon & gomdoliers de Ve-
nise. Mais pour chascune passade ilz
ne ont que une nazarde, & sus le soir quel-
que morceau de pain chaumeny.

Trajan estoit pescheur de Grenoilles,
Antonin lacquays.

Fac-similé BVH



[120v]
Commode gaeytier.
Pertinax eschalleur de noys.
Luculle grillotier.
Justinian bimbelotier.
Hector estoit fripesaulce.
Paris estoit pauvre loqueteux.
Achilles boteleur de foin.
Cambyses mulletier.
Artaxerces escumeur de potz.
Neron estoit vielleux, & Fierabras son
varlet: mais il luy faisoit mille maulx,
& luy faisoit manger le pain bis, & boire
vin poulsé, luy mangeoit & beuvoit du
meilleur.
Julles Cesar & Pompee estoient guoil-
dronneurs de navires.
Valentin & Orson servoient aux estu-
ves d’enferdenfer, & estoient ragletorelz.
Giglan & Gauvain estoient pauvres
porchiers.
Geoffroy a la grand den estoit allumetier
Godeffroy de Billon dominotier.
Jason estoit manillier.
Don Pietre de Castille porteur de ro- (gatons.

Fac-similé BVH



Fu.121.
Morgant brasseur de byere.

Huon de Bordeaulx estoit relieur de ton- (neaulx.
Pirrhus souillart de cuysine
Antioché estoit rammoneur de cheminees.
Romule estoit rataconneur de bobelins.
Octavian ratisseur de papier.
Nerva houssepaillier.
Le pape Jules crieur de petitz pastez,
mais il ne portoit plus sa grande et
bougrisque barbe.
Jan de Paris estoit gresseur de bottes.
Artus de Bretaigne degresseur de bonnetz
Perceforest porteur de coustretz.
Boniface pape huytiesme estoit escu-
meur des marmites.
Nicolas pape tiers estoit papetier.
Le pape alexandre estoit preneur de ratz.
Le pape Sixte gresseur de verolle.


Comment? dist Pantagruel, y a il
des verollez de par dela? certes dist Epi
stemon, Je n’ennen veiz oncques tant, il en
y a plus de cent milions. Car croyez
que ceulx qui n’ontnont eu la verolle en ce
monde cy, l’ontlont en l’aultrelaultre.

Q
Fac-similé BVH

[121v]

Cor dieu, dist Panurge, j’enjen suis
doncques quite, Car je y ai este jusques
au trou de Gylbathar, & remply les
bondes de Hercules, & ay abatu des
plus meures.

Ogier le Dannoys estoit frobisseur de
harnoys.
Le roy Tigranes estoit recouvreur.
Galien Restauré preneur de taulpes.
Les quatre filz Aymon arracheurs de dentz
Le pape Calixte estoit barbier de mau
(joinct.
Le pape Urbain crocquelardon.
Melusine estoit souillarde de cuysine.
Matabrune lavandiere de buees.
Cleopatra revenderesse d’oignonsdoignons.
Helene courratiere de chamberieres.
Semyramis espouilleresse de belistres.
Dido vendoit des mousserons.
Panthasilee estoit cressonniere.
Lucresse hospitaliere.
Hortensia filandiere.
Livie racleresse de verdet.


En ceste facon ceulx qui avoient este
gros Seigneurs en ce mond[unclear]e ic[unclear]y, guain
Fac-similé BVH



Fu.122.
gnoyent leur pauvre meschante & pail
larde vie la bas. Au contraire les philo
sophes, & ceulx qui avoient este indigens
en ce monde, de par dela estoient gros
seigneurs en leur tour. Je veiz Dio-
genes qui se prelassoit en magnificence
avec une grand robbe de poulpre, & un
sceptre en sa dextre, & faisoit enrager
Alexandre le grand, quand il n’avoitnavoit
bien repetassé ses chausses, & le payoit
en grands coups de baston. Je veiz
Epictete vestu gualentement a la Fran-
coyse soubz une belle armeeramee avecques
force Damoizelles se rigolant, beuvant,
dansant, faisant en tous cas grande che
re, & aupres de luy force escuz au soleil.
Au dessus de la treille estoient pour sa
devise ces vers escriptz.


Saulter, dancer, faire les tours,
Et boyre vin blanc & vermeil:
Et ne faire rien tous les jours
Que compter escuz au soleil.


Lors quand me veit il me invita a Qij
Fac-similé BVH

[122v]
boire avecques luy courtoisement, ce
que je feiz voluntiers, & chopinasmes
theologalement. Ce pendent vint Cy-
re luy demander un denier en l’honneurlhonneur
de Mercure pour achapter un peu d’oi
gnons
doi
gnons
pour son souper. Rien, rien, dict
Epictete, je ne donne poinct deniers.
Tien marault, voy la un escu, soys hom
me de bien. Cyre feut bien aisé d’avoirdavoir
rancontré tel butin, Mais les aultres
coquins de Royx qui sont la bas, com
me Alexandre, Daire & aultres le des-
roberent la nuyct. Je veiz Pathelin
thesaurier de Rhadamanthe qui mar-
chandoit des petitz pastez que cryoit le
pape Jules, & luy demanda combien la
douzaine? troys blancs, dist le pape.
Mais dist Pathelin, troys coups de
barre, baille icy villain baille, & en va
querir d’aultresdaultres. Le pauvre pape al-
loit pleurant, quand il feut devant son
maistre patissier, luy dict, qu’onquon luy avoit
osté ses pastez. Adonc le patissier luy
bailla l’anguilladelanguillade si bien que sa peau
Fac-similé BVH

Fu.123.
n’eustneust rien vallu a faire cornemuses.


Je veiz maistre Jean le maire qui con-
trefaisoit du pape, & a tous ces pau-
vres roys & papes de ce monde faisoit
baiser ses piedz, & en faisant du grobis
leur donnoit sa benediction, disant, Gai-
gnez les pardons coquins, guaignez,
ilz sont a bon marché, Je vous absoulz
de pain & de souppe, & vous dispense de
ne valoir jamais rien, & appella Cail-
lette & Triboulet, disant. Messieurs
les Cardinaulx depeschez leurs bul-
les, a chascun un coup de pau sus les
reins, ce que fut faict incontinent. Je
veiz maistre Francoys Villon qui de-
manda a Xerces, Combien la denree de
moustarde? un denier, dist Xerces, a
quoy dict ledict de Villon, Tes fievres
quartaines villain, la blanchee n’ennen vault
q’unqun pinard, & tu nous surfaictz icy les
vivres. Adonc pissa dedans son bacquet
comme font les moustardiers a Paris.


Je veiz le franc archier de Baigno-
let qui estoit inquisiteur des heretiques. Q iij
Fac-similé BVH

[123v]
Il rencontra Perseforest pissant contre
une muraille en laquelle estoit painct le
feu de sainct Antoine. Il le declaira he
retique, & le eust faict brusler tout vif,
n’eustneust esté Morgant qui pour son pro-
ficiat & aultres menuz droictdroictz luy donna
neuf muys de biere. Or dist Panta-
gruel, reserve nous ces beaulx comptes
a une aultre foys. Seullement dis nous
comment y sont traictez les usuriers?


Je les veis dist Epistemon tous oc-
cupez a chercher les espingles rouillees
& vieulx cloux parmy les ruisseaulx
des rues, comme vous voyez que font
les coquins en ce monde. Mais le quin
tal de ses quinqualleries ne vault que
un boussin de pain, encores y en a il
maulvaise depesche, ainsi les pauvres
malautruz sont aulcunesfoys plus de
troys sepmaines sans manger morceau
ny miette, & travaillent jour & nuict at-
tendant la foyre a venir: mais de ce tra
vail & de malheurté y ne leur souvient
tant ilz sont actifz & mauldictz, pourveu
Fac-similé BVH



Fu.124.
que au bout de lan ilz gaignent quelque
meschant denier. Or dict PantagurelPantagruel,
faisons un transon de bonne chere, et
beuvons je vous en prie enfans: car il
faict beau boire tout ce moys. Lors
degainerent flaccons a tas, & des muni
tions du camp feirent grande chere.
Mais le pauvre roy Anarche ne se po-
voit esjouyr. Dont dist Panurge, De
quel mestier ferons nous monsieur du
roy icy? affin qu’ilquil soit ja tout expert en
l’artlart quand il sera de par dela a tous les
diables. Vrayement, dist Pantagruel,
c’estcest bien advisé a toy, or fais en a ton
plaisir: je le te donne. Grand mercy, dist
Panurge, le present n’estnest de refus & l’ay
me
lay
me
de vous.


Comment Pantagruel entra en la
ville des Amaurotes Et com-
ment Panurge maria
le roy Anarche, & le
feist cryeur de saul
ce vert. Cha.
xxxj.

Q iiij
Fac-similé BVH

[124v]


APres celle victoire mer-
veilleuse Pantagruel en-
voya Carpalim en la
ville des Amaurotes di-
re & annoncer comment
le Roy Anarche estoit
prins, & tous leurs ennemys defaictz.
Laquelle nouvelle entendue, sortirent
au devant de luy tous les habitans de
la ville en bon ordre & en grande pompe
triumphale, avecques une liesse divine
& le conduirent en la ville. Et furent
faictz beaulx feuz de joye par toute la
ville, & belles tables rondes garnies de
force vivres dressees par les rues. Ce
feut un renouvellement du temps de
Saturne, tant y fut faicte lors grande
chere. Mais Pantagruel tout le se-
nat ensemble, dist Messieurs ce pendent
que le fer est chault il le fault batre, pa-
reillement devant que nous debaucher
davantaige, je veulx que allions pren
dre d’assaultdassault tout le Royaulme des Dip
sodes. Pourtant ceulx qui avecques
Fac-similé BVH



Fu.125.
moy vonldrontvouldront venir, se aprestent a de-
main apres boire: car lors je commence-
ray marcher. Non qu’ilquil me faille gens
davantaige pour me ayder a le conque
ster: car autant vauldroit que je le tinse
desja: mais je voy que ceste ville est tant
pleine des habitans quilqu’ilz ne peuvent se
tourner par les rues. Doncques je les
meneray comme une colonie en Dipso
de, & leur donneray tout le pays, qui est
beau, salubre, fructueux, & plaisant
sus tous les pays du monde, comme plu-
sieurs de vous scavent qui y estes allez
aultreffoys. Un chascun de vous qui
y vouldra venir soit prest comme j’ayjay dict.


Ce conseil & deliberation fut divul-
gue par la ville, & au lendemain se trou
verent en la place devant le palais jus
ques au nombre de dixhuyct cens cin-
quante & six mille, & unze sans les fem-
mes & petitz enfans. Ainsi commen-
cerent a marcher droict en DispodieDipsodie en
si bon ordre qu’ilzquilz ressembloyent es en-
fans d’israelDisrael quand ilz partirent de Q v
Fac-similé BVH

[125v]
Egypte pour passer la mer rouge.


Mais d’avantdavant que poursuyvre ceste
entreprinse je vous veulx dire comment
Panurge traicta son prisonnier le roy
Anarche Il luy souvint de ce que avoit
raconté Epistemon comment estoient
traictez les Roys & riches de ce monde
par les champs Elisees, & comment ilz
gaignoient pour lors leur vie a vilz &
salles mestiers. Pourtant un jour
habilla sondict Roy d’undun beau petit pour
point de toille tout deschicquete comme
la cornette d’undun Albanoys, & de belles
chausses a la mariniere, sans souliers:
car (disoit il) ilz luy gasteroient la veue,
& un petit bonnet pers avecques une
grande plume de chappon. Je faulx, car
il m’estmest advis qu’ilquil y en avoit deux, & une
belle ceincture de pers & vert, disant que
ceste livree luy advenoit bien, veu qu’ilquil
avoit este pervers. En tel poinct l’a-
mena
la-
mena
davant Pantagruel, & luy dist.
Congnoissez vous ce rustre? Non cer-
tes, dist Pantagruel. C’estCest monsieur
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Fu.126.
du Roy de troys cuittes. Je le veulx
faire homme de bien: ces diables de roys
icy ne sont que veaulx, & ne scavent ny
ne valent rien, sinon a faire des maulx
es pauvres subjectz, & a troubler tout
le monde par guerre pour leur inique &
detestable plaisir. Je le veulx mettre
a mestier, & le faire crieur de saulce vert
Or commence a cryer, Vous fault il
poinct de saulce vert? Et le pauvre dia
ble cryoit, C’estCest trop bas, dist Panurge
& le print par l’aureillelaureille, disant. Chante
plus hault en .g. sol re ut. Ainsi, diable
tu as bonne gorge, tu ne fuz jamais si
heureux que de n’estrenestre plus roy. Et
Pantagruel prenoit a tout plaisir. Car
je ause bien dire que c’estoitcestoit le meilleur
petit bon homme qui fust d’icydicy au bout
d’undun baston. Ainsi feut Anarche bon
cryeur de saulce vert. Deux jours
apres Panurge le maria avecques une
vieille lanterniere, & luy mesmes fist les
nopces a belles testes de mouton, bon-
nes hastilles a la moustarde, & beaulx
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[126v]
tribars aux ailz, dont il en envoya cinq
sommades a Pantagruel, lesquelles il
mangea toutes tant il les trouva appe
tissantes, & a boire belle piscantine et
beau cormé. Et pour les faire dancer,
loua un aveugle qui leur sonnoit la no
te avecques sa vielle. Apres disner
les amena au palais & les monstra a
Pantagruel, & luy dist monstrant la
mariee, Elle n’ana garde de peter. Pour-
quoy? dist Pantagruel. Pource, dist
Panurge, qu’ellequelle est bien entamee. Quel
le parolle est cela? dist Pantagruel. Ne
voyez vous, dist Panurge, que les chastai
gnes qu’onquon faict cuire au feu, si elles sont
entieres elles petent que c’estcest raige: & pour
les engarder de peter l’onlon les entame.
Aussi ceste nouvelle mariee est bien enta
mee par le bas, ainsi elle ne petera poinct


Pantagruel leur donna une petite
loge aupres de la basse rue, & un mortier
de pierre a piller la saulce. Et firent en
ce poinct leur petit mesnage: & feut aussi
gentil cryeur de saulce vert qui feust
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Fu.127.
oncques veu en Utopie, Mais l’onlon m’ama
dict despuis que sa femme le bat comme
plastre, & le pauvre sot ne se ause defen-
dre, tant il est nies.


Comment Pantagruel de sa langue
couvrit toute une armee, & de
ce que l’auteurlauteur veit de-
dans sa bouche.
chapitre.
xxxij.


AInsi que Pantagruel avecques
toute sa bande entrerent es ter
res des Dipsodes, tout le mon
de en estoit joyeux, & incontinent se ren-
dirent a luy, & de leur franc vouloir luy
apporterent les clefz de toutes les vil-
les ou il alloit, exceptez les Almyrodes
qui voulurent tenir contre luy, & feirent
responce a ses heraulx, qu’ilzquilz ne se ren-
deroyent: sinon a bonnes enseignes.


Quoy, dict Pantagruel, en deman-
dent ilz meilleures que la main au pot,
& le verre au poing? Allons, & qu’onquon me
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[127v]
les mette a sac. Adonc tous se mirent
en ordre comme deliberez de donner l’assaultlassault.


Mais on chemin passant une grande
campaigne, furent saisiz d’unedune grosse
housee de pluye. Aquoy commencerent
se tresmousser & se serrer l’unlun l’aultrelaultre.
Ce que voyant Pantagruel leur fist
dire par les capitaines que ce n’estoitnestoit
rien, & qu’ilquil veoit bien au dessus des nuees
que ce ne seroit q’unequne petite rousee, mais
a toutes fins qu’ilzquilz se missent en ordre, &
qu’ilquil les vouloit couvrir. Lors se mi-
rent en bon ordre & bien serrez. Et Pan-
tagruel tira sa langue seulement a demy,
& les en couvrit comme une geline faict
ses poulletz. Ce pendent je qui vous
fais ces tant veritables contes, mestois
caché dessoubz une fueille de Bardane,
qui n’estoitnestoit moins large que l’archelarche du
pont de Monstrible: mais quand je les
veiz ainsi bien couvers je m’enmen allay a
eulx rendre a l’abritlabrit, ce que je ne peuz tant
ilz estoient comme l’onlon dict, au bout de
l’aulnelaulne fault le drap. Doncques le mieulx
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Fu.128.
que je peuz montay par dessus & chemi-
nay bien deux lieues sus sa langue, tant
que je entray dedans sa boucheMais
o dieux & deesses, que veiz je la? Juppi-
ter me confonde de sa fouldre trisulque
si j’enjen mens. Je y cheminoys comme l’onlon
faict en Sophie a Constantinoble, & y
veiz de grands rochiers, comme les mons
des Dannoys, je croy que c’estoientcestoient ses
dentz, & de grands prez, de grandes fo-
restz, de fortes & grosses villes non moins
grandes que Lyon ou Poictiers. Le
premier que y trouvay, ce fut un bon
homme qui plantoit des choulx. Dont tout
esbahy luy demanday. Mon amy que
fais tu icy? Je plante (dist il) des choulx.
Et a quoy ny comment? dis je. Ha mon
sieur (dist il) chascun ne peut avoir les
couillons aussi pesant q’unqun mortier, & ne
pouvons estre tous riches. Je gaigne
ainsi ma vie: & les porte vendre au mar
che en la cite qui est icy derriere. Jesus
(dis je) il y a icy un nouveau monde. Cer
tes (dist il) il n’estnest mie nouveau: mais l’onlon
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[128v]
dist bien que hors dicy y a une terre neuf
ve ou ilz ont & Soleil & Lune: et tout
plein de belles besoignes: mais cestuy
cy est plus ancien. Voire mais (dis je)
mon amy, comment a nom ceste ville
ou tu portes vendre tes choulx? Elle
a (dist il) nom Aspharage, & sont Chri-
stians, gens de bien, & vous feront gran
de chere. Bref je deliberay d’ydy aller.


Or en mon chemin je trouvay un
compaignon: qui tendoit aux pigeons.
Auquel je demanday. Mon amy dont
vous viennent ces pigeons icy? Cyre
(dist il) ilz viennent de l’aultrelaultre monde.


Lors je pensay que quand Panta-
gruel basloitbaisloit, les pigeons a pleines vo-
lees entroyent dedans sa gorge, pensans
que feust un colombier. Puis entray
en la ville, laquelle je trouvay belle, bien
forte, & en bel air, mais a l’entreelentree les por
tiers me demanderent mon bulletin, de
quoy je fuz fort esbahy, & leur demanday
messieurs, y a il ici dangier de peste?


O seigneur (dirent ilz) l’onlon se meurt ici
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Fu 129
icy aupres tant que le charriot court par
les rues Vray dieu (dis je) & ou? Aquoy
me dirent, que c’estoitcestoit en Laryngues et
Pharingues, qui sont deux grosses villes
telles comme Rouen & Nantes riches et
bien marchandes. Et la cause de la peste
a esté pour une puante & infecte exhala-
tion qui est sortie des abysmes despuis
na gueres, dont ilz sont mors plus de vingt
& deux cens soixante mille & seize person
nes, despuis huict jours.


Lors je pense & calcule, & trouve que
c’estoitcestoit une puante halaine qui estoit ve
nue de l’estomachlestomach de Pantagruel alors
qu’ilquil mangea tant daillade, comme nous
avons dict dessus.


De la partant passay entre les rochiers
qui estoyent ses dentz, & feis tant que je montay
sus une, & la trouvay les plus beaulx
lieux du monde, beaulx grands jeux de
paulme, belles galleries, belles praries,
force vignes, & une infinité de cassines a
la mode Italicque par les champs pleins
de delices: & la demouray bien quatre R
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[129v]
moys & ne feis oncques telle chere que pour
lorsPuis descendis par les dentz du der
riere pour venir aux baulievres, mais
en passant je fuz destroussé des brigans
par une grande forest qui est vers la par-
tie des aureilles, puis trouvay une pe-
tite bourgade a la devallée, j’ayjay oublié
son nom, ou je feiz encores meilleure chere
que jamais, & gaignay quelque peu d’ar
gent
dar
gent
pour vivre. Scavez vous comment?
a dormir, car l’onlon loue les gens a journée
pour dormir, & gaignent cinq & six solz
par jour, mais ceulx qui ronflent bien fort
gaignent bien sept solx & demy.
Et contois aux senateurs comment on m’a
voit
ma
voit
destroussé par la valée: lesquelz me
dirent que pour tout vray les gens de dela
estoient mal vivans & brigans de nature.


A quoy je congneu que ainsi comme nous
avons les contrees de deca & de dela les
montz, aussi ont ilz deca & dela les dentz.
Mais il fait beaucoup meilleur deca &
y a meilleur air.


La commencay penser qu’ilquil est bien vray
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Fu.130.
ce que l’onlon dit, que la moytié du monde ne
scait comment l’autrelautre vit. Veu que nul avoit
encores escrit de ce pais la auquel sont
plus de xxv. royaulmes habitez, sans
les desers, & un gros bras de mer: mais
j’enjen ay composé un grand livre intitule l’Hi
stoire
Lhi
stoire
des Gorgias: car ainsi les ay je
nommez par ce qu’ilzquilz demourent en la gor
ge de mon maistre Pantagruel.


Finablement vouluz retourner & pas-
sant par sa barbe me gettay sus ses es-
paulles, & de la me devalle en terre & tum
be devant luy. Quand il me apperceut
il me demanda, Dont viens tu Alcofry
bas? Je luy responds, de vostre gorge
monsieur, Et despuis quand y es tu? dist
il. Despuis (dis je) que vous alliez contre
les Almyrodes, Il y a (dist il) pluz de six
moys. Et dequoy vivois tu? que beuvoys
tu? Je responds. Seigneur de mesmes
vous, & des plus frians morceaulx qui
passoient par vostre gorge jen prenois le
barraige. Voire mais (dist il) ou
chioys tu? En vostre gorge monsieur, dis je, R ij
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[130v]
Ha, ha, tu es gentil compaignon (dist il)
Nous avons avecques l’aydelayde de dieu con-
questé tout le pays des Dipsodes, je te
donne la chatellenie de Salmigondin.
Grand mercy (dis je) monsieur, vous me
faictes du bien plus que n’aynay deservy
envers vous.


Comment Pantagruel feut
malade, & la facon com-
ment il guerit. Chapi
tre. xxxijxxxiij.


Eu de temps apres le bon
Pantagruel tomba ma-
lade, & feut tant prins de
l’estomachlestomach qu’ilquil ne pouvoit
boire ny manger, & par ce
q’unqun malheur ne vient ja-
mais seul, luy print une pisse chaulde qui
le tormenta plus que ne penseriez: mais ses
medicins le secoururent & tresbien avecques
force de drogues lenitives & diureticques
le feirent pisser son malheur. Son urine
tant estoit chaulde que despuis ce temps
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Fu.131..[sic]
la elle n’estnest encores refroydie, Et en avez
en France en divers lieulx selon quelle
print son cours: & l’onlon l’appellelappelle les bains
chaulx, comme

a Coderetz,
a Limons, a Dast,
a Balleruc,
a Neric,
a Bourbonnensy: & ailleurs,

En Italie,
a Mons grot,
a Appone,
a Sancto Petro de Padua,
a Saincte Helene,
a Casa nova,
a Sancto Bartholomeo,
En la conté de Bouloigne,
a la Porrette, & mille aultres lieux.
Et m’esbahismesbahis grandement d’undun tas de folz
philosophes & medicis, qui perdent temps a
disputer dont vient la chaleur de cesdictes
eaulx, ou si c’estcest a cause du Baurach,
ou du Soulphre, ou de l’AllunLallun, ou de
Salpetre qui est dedans la minere: car ilz R iij
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[131v]
ne y font que ravasser, & mieulx leur vaul-
droit se aller froter le cul au panicault
que de perdre ainsi le temps a disputer de ce
dont ilz ne scavent l’originelorigine. Car la reso-
lution est aysee & n’ennen fault enquester da-
vantaige, que lesdictz bains sont chaulx
par ce que ilz sont yssus par une chaulde
pisse du bon Pantagruel. Or pour vous
dire comment il guerist de son mal princi-
pal je laisse icy comment pour une mino-
rative il print
Quatre quintaulx de
ScammonnesScammonée Colophoniacque.
Six
vingtz & dixhuyt charretees de Casse.

Unze mille neuf cens livres de Reu-
barbe, sans les aultres barbouillemens.

Il vous fault entendre que par le con
seil des medicins feut decrete qu’onquon oste
roit ce que luy faisoit le mal a l’estomachlestomach,
Pour ce l’onlon fist xvii. grosses pommes de
cuyvre plus grosses que celle qui est a Rom
me a l’aguillelaguille de Virgile, en telle facon
qu’onquon les ouvroit par le mylieu & fer-
moit a un ressort. En l’unelune entra un
de ses gens portant une lanterne & un
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Fu.132.
flambeau allumé. Et ainsi l’avallalavalla Pan
tagruel comme une petite pillule.
En cinq aultres entrerent troys pay-
zans chascun ayant une pasle a son col.
En sept aultres entrerent sept por-
teurs de coustretz chascun ayant une cor
beille a son col Et ainsi furent avallees
comme pillules. Quand furent en l’e
stomach
le
stomach
, chascun deffit son ressort & sorti
rent de leurs cabanes, & premier celluy
qui portoit la lanterne, & ainsi cheurent
plus de demye lieue en un goulphre hor
rible, puant, & infect plus que Mephitis,
ny la palus Camarine, ny le punays
lac de Sorbone, duquel escript Strabo.
Et n’eustneust este qu’ilzquilz estoient tresbien anti
dotez le cueur, l’estomachlestomach, & le pot au vin
(lequel on nomme la caboche) ilz feussent
suffocquez & estainctz de ces vapeurs
abhominables. O quel parfum, O
quel vaporament, pour embrener touretz
de néz a jeunes gualoyses. Apres en ta-
ctonnant & fleuretant aprocherent de la
matiere fecale & des humeurs corrumpues. R iiij
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[132v]
Finablement trouverent une montjoye
d’orduredordure, lors les pionniers frapperent
sus pour la desrocher & les aultres
avecques leurs pasles en emplirent les
corbeilles: & quand tout fut bien nettoyé,
chascun se retira en sa pomme. Ce faict
Pantagruel se parforce de rendre sa gor
ge, & facillement les mist dehors, & ne mon
stroyent en sa gorge en plus q’unqun pet en
la vostre, & la sortirent hors de leur pillu
les joyeusement. Il me souvenoit quand
les Gregeoys sortirent du cheval en
Troye. Et par ce moyen fut guery & re
duict a sa premiere convalescence.

Et de ces pillules darin en avez
une a Orleans sus le clo-
chier de l’l esglise de
saincte Croix.


La conclusion du present
livre, et l’excuselexcuse de
l’auteurlauteur. Chapi-
tre. xxxiijxxxiiij.


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Fu.133.


OR messieurs vous avez ouy un
commencement de l’histoirelhistoire horri-
ficque de mon maistre & seigneur
Pantagruel Icy je feray fin a
ce premier livre: la teste me faict un peu
de mal & sens bien que les registres de
mon cerveau sont quelque peu brouillez
de ceste puree de Septembre. Vous aurez
la reste de l’histoirelhistoire a ces foires de Franc
fort prochainement venantes, & la vous
verrez comment Panurge fut marié, &
cocqu des le premier moys de ses nopces
& comment Pantagruel trouva la pierre
philosophale, & la maniere de la trou-
ver & d’enden user. Et comment il passa les
R v
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[133v]
mons Caspies, comment il naviga par
la mer Athlanticque & deffit les Cani-
balles, & conquesta les isles de Perlas.
Comment il espousa la fille du roy de
Inde nommée Presthan. Comment il com
batit contre les diables, & fist brusler cinq
chambres d’enferdenfer, & mist a sac la grande
chambre noire, & getta Proserpine au
feu, & rompit quatre dentz a Lucifer, & une
corne au cul, & comment il visita les re-
gions de la lune, pour scavoir si a la ve
rite la Lune n’estoitnestoit entiere: mais que les
femmes en avoient troys quartiers en la
teste Et mille aultres petites joyeusetez
toutes veritables. Ce sont belles besoi
gnes. Bon soir messieurs. Pardonnante
my
, & ne pensez tant a mes faultes, que
ne pensez bien es vostres. Si vous me
dictes. Maistre, il sembleroit que ne feussiez
grandement saige de nous escrire ces
balivernes & plaisantes mocquettes.


Je vous responds, que vous ne l’esteslestes
gueres plus, de vous amuser a les lire.
Toutesfoys sy pour passetemps joyeulx
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Fu.134.
les lisez, comme passant temps les escrip
voys, vous & moy sommes plus dignes
de pardon q’unqun grand tas de Sarrabo-
vittes, Cagotz, Escargotz, Hypocrites,
Caffars, Frapars, Botineurs & aultres
telles sectes de gens, qui se sont desguizez
comme masques pour tromper le monde.


Car donnans entendre au populaire
commun, qu’ilzquilz ne sont occupez sinon a con
templation & devotion, en jeusnes & ma
ceration de la sensualite: sinon vrayement
pour sustenter & alimenter la petite fra-
gilite de leur humanite: au contraire font
chiere dieu scait quelle, & Curios simu-
lant, sed Bacchanalia vivunt
. Vous le
pouvez lire en grosse lettre & enlumine-
ure de leurs rouges muzeaulx, & ventres
a poulaine, sinon quand ilz se parfument
de Soulphre. Quant est de leur estu-
de, elle est toute consummee a la lecture
de livres Pantagruelicques: non tant
pour passer temps joyeusement, que pour
nuyre a quelc’unquelcun meschantement, scavoir
est, articulant, monorticulant, torticulant,
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[134v]
culletant, couilletant, & diabliculant, c’estcest a
dire callumniant. Ce que faisans sem
blent es coquins de village qui fougent
& escharbottent la merde des petitz en-
fans en la saison des cerises & guignes,
pour trouver les noyaulx, & iceulx ven
dre es drogueurs qui font l’huillelhuille de Ma
guelet. Iceulx fuyez abhorrissez, &
haissez autant que je foys & vous en trou
verez bien sur ma foy. Et si desirez estre
bons pantagruelistes (c’estcest a dire vivre
en paix, joye, santé, faisans tousjours
grand chere) ne vous fiez jamais en gens
qui regardent par un partuys.


Fin des Cronicques de Panta-
gruel, Roy des Dipsodes resti-
tuez a leur naturel, avec ses
faictz & prouesses espoventa
bles: composez par feu
M. Alcofribas ab
stracteur de quin
te essence.


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Pantagrueli
ne Prognostication, cer-
taine, veritable & infailli-
ble. Pour l’AnLan perpetuel.
NouvellemeutNouvellement composee au
prouffit & advisement de
gens estourdis & musars de
nature, Par Maistre AL-
COFRIBAS Archi-
triclin dudict Pantagruel.
Du nombre d’OrDor non dicitur, Je n’ennen trou-
ve point ceste annee quelque calculation
que j’enjen aye faict, passons oultre.
Verte folium.




[135v] [Page blanche]
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Fu. 136


Au Liseur Benivole Salut &
Paix en Jesus le Christ.


COnsiderant infiniz abus estre
perpetrez a cause d’undun tas de Pro
gnostications de Lovain faictes
a l’ombrelombre d’undun verre de vin, je vous en ay
presentement calculé une la plus sceure
& veritable que feut oncques veue, com
me l’experiencelexperience vous le demonstrera. Car
sans doubte veu que dict le Prophete
Royal, Psal. v. a Dieu. Tu destruy-
ras tous ceulx qui disent mensonges, ce
n’estnest legier peché de mentir a son escient
& abuser le pauvre monde curieux de sca
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[136v]
voir choses nouvelles. Comme de tout
temps ont esté singulierement les Fran
coys, ainsi que escript Cesar en ses com-
mentaires, & Jean de Gravot on mytho
logies Gallicques. Ce que nous voyons
encores de jour en jour par France, ou le
premier propos qu’onquon tient a gens frai-
schement arrivez sont. Quelles nou-
velles? scavez vous rien de nouveau?
Qui dict? qui bruyt par le monde? Et
tant y sont attentifz, que souvent se cour
roussent contre ceulx qui viennent de
pays estranges sans apporter pleines
bougettes de nouvelles, les appellant
veaulx & idiotz. Si doncques comme
ilz sont promptz a demander nouvelles
autant ou plus sont ilz faciles a croire
ce que leur est annoncé, debvroit on pas
mettre gens dignes de foy a gaiges a l’en-
tree
len-
tree
du Royaulme qui ne serviroyent
d’aultredaultre chose sinon d’examinerdexaminer les nou
velles qu’onquon y apporte, & a scavoir si elles
sont veritables? Ouy certes. Et ainsi
a faict mon bon maistre Pantagruel par
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Fu. 137.
tout le pays de Utopie, & Dipsodie,
Aussi luy en est il si bien advenu & tant
prospere son territoire, qu’ilzquilz ne peuvent
de present avanger a boyre, & leur convi
endra espandre le vin en terre, si d’ailleursdailleurs
ne leur vient renfort de beuveurs & bons
raillars. Voulant doncques satis-
faire a la curiosité de tous bons compai-
gnons, j’ayjay revolvé toutes les Pantar
ches des cieulx, calculé les quadratz de
la Lune, crocheté tout ce que jamais pen
serent tous les astrophiles, hypernephe
listes, Anemophylaces, Uranopetes, &
Ombrophores, & confere du tout avecques
Empedocles, lequel se recommande a vo
stre bonne grace. Et tout le tu autem
ay icy en peu de chapitres redige, vous
asseurant que je n’ennen dis sinon ce que j’enjen
pense, & n’ennen pense sinon ce que en est, &
n’ennen est aultre chose pour toute verite que
ce qu’enquen lirez a ceste heure. Ce que sera
dict au parsus, sera passe au gros ta-
mys a tors & a travers, & par adventure
adviendra, par advetnureadventure n’adviendranadviendra S
Fac-similé BVH

[137v]
mie. D’unDun cas vous advertys. Que
si ne croyez le tout vous me faictes un
maulvais tour, pour lequel ycy ou ail-
leurs serez tresgriefvement puniz. Les
petites anguillades a la saulse de ners
bovins ne seront espargnées suz vos
espaules, & humez de l’airlair comme de huy-
tres tant que vouldrez. Car hardiment
il y aura de bien chauffez, si le fournier ne
s’endortsendort. Or mouchez voz nez petitz
enfans: & vous aultres vieux resveurs
affustez voz bezicles & pesez ces motz au
pois du Sanctuaire.


Du gouvernement & seigneur
de ceste annee. Chapi-
tre premier.


Fac-similé BVH



Fu. 138


QUelque chose que vous disent
ces folz Astrologues de Lovain
de Nurnberg, de TubigeTubinge, & de
Lyon, ne croyez que ceste année y aie aul-
tre gouverneur de l’universelluniversel monde que
Dieu le createur, lequel par sa divine
parolle tout regist & modere, par laquelle
sont toutes choses en leur nature & pro
prieté & condition, & sans la maintenance
& gouvernement duquel toutes choses
seroient en un moment reduictes a neant
comme de neant elles ont este par luy pro
duictes en leur estre. Car de luy vient,
en luy est, & par luy se parfaict tout
estre, & tout bien: toute vie & mouvement,
comme dict la trompette evangelicque mon-
seigneur sainct Paul Ro. xi. Doncques
le gouverneur de ceste année & toutes
aultres selon nostre veridicque resolu-
tion sera dieu tout puissant. Et ne aura
Saturne, ne Mars, ne Jupiter, ne aul
tre planete, certes non les anges, ny les
saincts, ny les hommes, ny les diables,
vertuz, efficace, puissance, ne influence S ii
Fac-similé BVH

[138v]
aulcune si Dieu de son bon plaisir ne
leur donne. Comme dict Avicenne que
les causes secondes ne ont influence ne
action aulcune si la cause premiere n’yny in-
flue: dict il pas vray, le petit bon hommet?


Des ecclipses de ceste an-
nee. Chapitre. ii.


CEste annee seront tant d’ecclipsesdecclipses
du Soleil & de la Lune que j’ayjay
peur (& non a tort) que noz bour-
ses en patiront inanition & nos sens per
turbation. Saturne sera retrograde.
Venus directe. Mercure insconstant.
Et un tas d’aultresdaultres planetes ne iront
pas a vostre commendement.
Dont pour ceste annee les chancres iront de
cousté, & les cordiers a reculons, les esca-
belles monteront sur les bancs, les bro
ches sur les landiers & les bonnetz sus
les chapeaulx. les couilles pendront a
plusieurs par faulte de gibessieres, les
pusses seront noires pour la plus grande
part. le lard fuyra les pois en quares-
Fac-similé BVH



Fu. 139.
me: le ventre ira devant, le cul se assoira
le premier, l’onlon ne pourra trouver la fe-
bve au gasteau des Roys, l’onlon ne rencon
trera poinct d’asdas au flux, le dez ne dira
poinct a soubhait quoy qu’onquon le flate, et
ne viendra souvant la chance qu’onquon de-
mande, les bestes parleront en divers
lieux. Quaresmeprenant gaignera son
proces, l’unelune partie du monde se desgui-
sera pour tromper l’aultrelaultre, & courront par
my les rues comme folz & hors du sens,
l’onlon ne veit oncques tel desordre en natu
re. Et se feront ceste annee plus de xxvii
verbes anomaulx sy Priscian ne les
tient de court. Si dieu ne nous ayde
nous aurons prou d’affairesdaffaires, mais au
contrepoinct, s’ilsil est pour nous, rien ne
nous pourra nuyre, comme dict le celeste
astrologue, qui feut ravy jusques au
ciel, Ro. vii.c. Si deus pro nobis quis
contra nos?
Ma foy nemo domine, Car
il est trop bon & trop puissant. Icy benis-
sez son sainct nom, pour la pareille.

S iii

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[139v]


Des maladies de ceste an-
nee. Chapitre. iii.


CEste annee les aveugles ne ver-
ront que bien peu, les sourdz oyront
assez mal: les muetz ne parleront
guieres: les riches se porteront un peu
mieulx que les pauvres, & les sains
mieulx que les malades. Plusieurs
Moutons, Beufz, Pourceaulx, Oysons
Pouletz: & Canars, mourront & ne sera
sy cruelle mortalité entre les cinges &
Dromadaires. Vieillesse sera incura-
ble ceste annee a cause des annees passees.
Ceulx qui seront pleureticques auront
grand mal au cousté, ceulx qui auront
flus de ventre iront souvent a la celle
percée, les catharres descendront ceste
année du cerveau es membres inferieurs:
le mal des yeulx sera fort contraire a la
veue, les aureilles seront courtes & ra-
res en Guascongne plus que de coustu
me. Et regnera quasi universellement,
une maladie bien horrible, & redoubta-
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Fu. 140
ble: maligne, perverse, espoventable, et
mal plaisante, laquelle rendra le monde
bien estonné, & dont plusieurs ne scau-
ront de quel boys faire fleches, & bien
souvent composeront en ravasserie, syl
logisans en la pierre philosophale & es
aureilles de Midas. Je tremble de peur
quand je y pense. car je vous diz, qu’ellequelle
sera epidimiale & l’appellelappelle Averroys vii
colliget. Faulte d’argentdargent. Et attendu
le comete de l’anlan passe & la retrograda-
tion de Saturne, mourra a l’hospitallhospital
un grand marault tout catharré & crou-
stelevé. A la mort du quel sera sedition
horrialehorrible entre les chatz & les ratz, entre
les chiens & les lievres, entre les faulcons
& canars, entre les moines & les oeufz.


Des fruictz & biens croissant
de terre. Chapitre. iiii.


JE trouve par les calcules de Albu
masar, on livre de la grande conjun-
ction & ailleurs, que ceste annee sera
bien fertile avecques planté de tous biens S iiii
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[140v]
a ceulx qui auront de quoy. Mais le ho
belon de Picardie, craindra quelque peu
la froidure, l’avoinelavoine fera grand bien es
chevaux: il ne fera gueres plus de lart
que de pourceaux a cause de Pisces ascen-
dent, il sera grand annee de caquerolles. Mer
cure menasse quelque peu le persil, mais
ce nonobstant il sera a pris raisonnable
Le soucil & l’ancholyelancholye croistroient plus
que de coustume, avecques abondance
de poyres d’angoissedangoisse. De bledz, de vins,
de fruitages & legumages on n’ennen veit
oncques tant si les soubhaytz des pau
vres gens sont ouys.


De l’estatlestat d’aulcunesdaulcunes gens.
Chapitre. v.


LA plus grande folie du monde est
de penser qu’ilquil y ait des astres pour
les Roys, Papes, & gros sei-
gneurs, plustost que pour les pauvres &
souffreteux, comme si nouvelles estoilles
avoient este creez depuis le temps du de
luge, ou de Romulus, ou Pharamond
a la nouvelle creation des Roys: Ce que
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Fu. 141.
Triboulet, ny cailhette, ne diroient: qui
ont este tousfoys gens de hault scavoir
& grand renom. Et par adventure en
l’archelarche de Noe, ledict Triboulet estoit
de la lignee des Roys de Castille, Et
cailhette du sang de Priam, mais tout
cest erreur, ne procede que par deffault
de vraye foy catholicque. Tenant donc-
ques pour certain que les astres se sou-
cient aussi peu des Roys, comme des
gueux, & des riches comme des maraux,
je laisseray es aultres folz pronostic-
queurs a parler des Roys & riches, &
parleray des gens de bas estat.


Et premierement des gens soubmis
a Saturne, comme gens despourveuz
d’argentdargent, jaloux, resveurs, mal pensans,
soubsonneux, preneurs de taulpes, usu
riers, rachapteurs de rentes, tyreurs de
rivetz, tanneurs de cuirs, tuilliers, fon-
deurs de cloches, composeurs d’emprunsdempruns,
rataconneurs de bobelins, gens melan
cholicques, n’aurontnauront en ceste annee tout
ce qu’ilzquilz vouldroient bien, ilz s’estudirontsestudiront
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[141v]
a l’inventionlinvention saincte croix, ne getteront
leur lart aux chiens: & se grateront sou
vent la ou il ne leur demange poinct.


A Jupiter comme cagotz, caffars, bo
tineurs, porteurs de rogatons, abbrevia
teurs, scripteurs, copistes, Bulistes,
Dataires, chiquaneurs, caputons,
Moines, hermites, hypocrites, chate-
mittes, Sanctorons, Patepellues, Tor
ticollis, Barbouilleurs de papiers, Pre
linguans, Esperrucquetz, clercz de greffe
Dominotiers, Maminotiers, Pateno
striers, Chaffoureus de parchemim,
Notaires, Raminagrobis, portecolles
promoteurs, se porteront selon leur ar-
gent Et tant mourra de gens d’esglisedesglise,
qu’onquon ne pourra trouver a qui conferer
les benefices, en sorte que plusieurs en
tiendront deux, troys, quatre, & davan-
taige. Caffarderie fera grande jacture
de son antique bruyt, puis que le monde
est devenu maulvais garson, & n’estnest plus
gueres fat, ainsi comme dict Avenzagel.


A Mars comme Bourreaux, Meu
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Fu. 142
triers, adventuriers, Brigans, Sergeans,
records de tesmoings, gens de guet, Mor
tepayes, arracheurs de dens, coupeurs
de couilles, Barberotz, bouchiers, faulx
monnoieurs, Medicins de trinquenique
Tacnins & Marranes, Renieurs de
dieu, allumetiers, Boutefeux, Ramon
neurs de cheminées, Franctaupins, char
bonniers, alchimistes, coquassiers, grillo
tiers, chercuitiers, Bimbelotiers: Ma-
nilliers, Lanterniers, maignins, feront
ceste annee de beaulx coups, mais aul-
cuns d’iceulxdiceulx seront fort subjectz a recep
voir quelque coup de baston a l’embléelemblée.
Un des susdictz sera ceste annee faict
evesque des champs donnant la bene-
diction avec les piedz aux passans.


A Sol comme beuveurs, Enlumi-
neurs de museaulx, ventres a poulaine,
brasseurs de biere, Boteleurs de foing,
Portefaix, Faulcheurs, recouvreurs,
crocheteurs, emballeurs, bergiers, bou
viers, vachiers, porchiers, oizilleurs, jar
diniers, grangiers, cloisiers, Gueux de
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[142v]
l’hostiarelhostiare, gaignedeniers, degresseurs de
bonnetz: emboureurs de bastz, loque-
teurs, claquedens, crocquelardons, gene
ralement tous portans la chemise noée
sus le dos: seront sains & alaigres & ne
auront la goutte es dentz quand ilz se-
ront de nopces.


A Venus comme putains, maquerelles
marioletz, Bougrins, bragars, Na-
pleux, eschancrez, ribleurs rufiens, cai-
gnardiers, Chamberieres d’hosteleriedhostelerie,
Nomina mulierum desinentia in iere,
ut Lingiere, advocatiere, taverniere, bu
andiere, frippiere, seront ceste annee en
reputanation, mais le Soleil entrant
en Cancer & aultres signes se doibvent
garder de verolle, de chancre, de pisses
chauldes, poullains grenetz etc. Les
nonnains a poine concepvront sans ope
ration virile, bien peu de pucelles au-
ront en mamelles laict.


A Mercure, comme pipeurs, trompeurs,
affineurs, theriacleurs, larrons meus-
niers, bateurs de pavé, maistre es ars,
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Fu. 143.
decretistes, crocheteurs, harpailleurs,
rimasseurs, basteleurs, joueurs de passe
passe, enchanteurs, vielleurs, poetes,
escorcheurs de latin, faiseurs de Rebus
papetiers, cartiers, bagatis, escumeurs
de mer serontferont semblant de estre plus
joyeulx que souvent ne seront, quelque
foys riront lors que n’ennen auront talent,
& seront fort subjectz a faire bancques
rouptes s’ilzsilz se trouvent plus d’argentdargent
en bourse que ne leur en fault.


A la Lune, comme bisouars, veneurs,
chasseurs, asturciers, faulconniers, cour
riers, sauniers lunatiques, folz, ecervelez
acariastres, esvantez, courratiers, pos-
tes, laquays, nacquetz, verriers, estra-
diotz, riverans, matelotz, chevaucheurs
de escurye, alleboteurs, n’aurontnauront ceste
annee gueres d’arrestdarrest. Toutesfoys ne
iront tant de Lifrelofres a sainct Hiac
cho comme feirent l’Lan D.xxiiii. Il de-
scendra grand abundance de micquelotz
des montaignes de Savoye, & de Auver
gne: mais Sagitarius les menasse des
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[143v]
mules aux talons.


De l’estatlestat d’aulcunsdaulcuns pays.
Chapitre. vi.


LE noble royaulme de France pro
sperera & trihumphera ceste an-
nee en tous plaisirs & delices, telle
ment que les nations estranges volun
tiers se y retireront. Petitz bancquetz,
petitz esbatemens, milles joyeusetez se y
feront ou un chascun prendra plaisir,
on n’yny veit oncques tant de vins ny plus
frians, force raves en Lymousin, force
chastaignes en perigort, & Daulphiné,
force olyves en Languegoth, force sables
en Olone, force poissons en la mer, force
estoilles au ciel, force sel en Brouage,
Planté de bledz, legumaiges, fruitages
jardinaiges, beurres, laictaiges, Nulle
peste, nulle guerre, nul ennuy, bren de
pauvreté, bren de soucy, bren de melan-
chollie, & ces vieulx doubles ducatz, no-
bles a la rose, angelotz: aigrefins, roy-
aulx, & moutons a la grand laine, re-
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Fu. 144
tourneront en usance avecques planté
de Serapz & escuz au soleil. Toutes-
foys sus le millieu de l’EstéLesté, sera a re-
doubter quelque venue de pusses noyres
& cheussons de la Deviniere. Adeo nihil
est ex omni parte beatum
. Mais il les
fauldra brider a force de collations ve-
spertines.


Italie, Romanie, Naples, Cecile,
demouront ou elles estoient l’anlan passé.
Ilz songeront bien profundement vers
la fin du karesme, et resveront quelques
foys vers le hault du jour.


Alemaigne, Souisses, Saxe, Stra
sbourg, Anvers &c. profiteront s’ilzsilz ne
faillent: les porteurs de rogatons les
doibvent redoubter, & ceste annee ne se
y fonderont pas beaucoup de anniver-
saires.


Hespaigne, Castille, Portugal, ar-
ragon seront bien subiectz a soubdaines
alterations, & craindront de mourir bien
fort autant les jeunes que les vieulx. &
pourtant se tiendront chaudement & sou
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[144v]
vent compteront leurs escutz, s’ilzsilz en ont.


Angleterre, Escosse, les Estrelins,
seront assez maulvais Pantagruelistes.
Autant sain leurs seroit le vin que la
biere, pourveu qu’ilquil feust bon & friant.
A toutes tables leur espoir sera en l’ar-
riere
lar-
riere
jeu. Sainct Treignan d’EscosseDescosse
fera de miracles tant & plus. Mais des
chandelles qu’onquon luy portera, il ne verra
goutte plus clair, Si aries ascendent de
sa busche ne trebusche, & n’estnest de sa cor-
ne escorné.


Moscovites, Indiens, Perses, &
Troglodytes, souvent auront la cacque
sangue, par ce qu’ilzquilz ne vouldront estre
par les Romanistes belinez, attendu le
bal de Sagittarius ascendent.


Bohesmes, Juifz, Egyptiens, ne se
ront pas ceste annee reduictz en plate
forme de leur attente. Venus les me-
nasse aigrement des escrouelles guorge
rines mais ilz condescendront au vueil
du roy des parpaillons.


Escargotz, Sarabovytes, Cau-
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Fu. 145
quemarres, Canibales, seront fort mo
lestez des mousches bovynes & peu joue
ront des cymbales, & manequins, si le
GuaiaeGuaiac n’estnest de requeste.


Austriche, Hongrie, Turquie, par
ma foy mes bons hillotz je ne scay com
ment ilz se porteront, & bien peu m’enmen sou-
cie veu la brave entrée du Soleil en
Capricornus, & si plus en scavez n’ennen dictes
mot, mais attendez la venue du boyteux.


Des quatre saisons de l’annéelannée.
Et premierement du prin
temps. Cha. vii.


EN toute ceste année ne sera q’unequne
Lune, encores ne sera elle poinct
nouvelle, vous en estes bien mar
riz vous aultres qui ne croyez mie en
dieu, qui persecutez sa saincte & divine
parolle, ensemble ceulx qui la maintien-
nent. Mais allez vous pendre, ja ne se-
ra aultre lune que celle laquelle dieu crea
au commencement du monde, & laquel-
le par l’effectleffect de sadicte sacre parolle a T
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[145v]
esté establie au firmament pour luyre
et guider les humains de nuyct. Ma
Dia je ne veulx par ce inferer qu’ellequelle ne
monstre a la terre et gens terrestres di-
minution, ou accroissement de sa clar-
té, selon qu’ellequelle approchera ou s’esloignesesloigne
ra du Soleil. Car, Pourquoy? Pour
autant que &c. Et plus pour elle ne priez
que dieu la garde des loups car ilz ne y
toucheront de cest an. Je vous affie. A
propos: vous verrez ceste saison a moy
tié plus de fleurs, qu’enquen toutes les troys
aultres. Et ne sera reputé fol cil qui en
ce temps fera sa provision d’argentdargent mieulx
que de Aranes toute l’annéelannee. Les gry-
phons & marrons des montaignes de
Savoye, Daulphiné, & hyperborées
qui ont neiges sempiternelles, seront fru
strez de ceste saison, & n’ennen auront poinct,
selon l’opinionlopinion de Avicenne qui dict que
le printemps est lors que les neiges tom
bent des monts. Croyez ce porteur.
De mon temps l’onlon contoyt Ver, quand
le Soleil entroyt on premier degre de
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[146]
Aries. Si maintenant on le compte au-
trement, je passe condemnation. Et jou mot.


De l’estélesté. Chapitre. viii.


EN esté je ne scay quel vent cour-
ra, mais je scay bien qu’ilquil doibt
fayre chault, et regner vent ma-
rin. Toutes foys si aultrement arrive,
pour tant ne fauldra regnier Dieu.
Car il est plus saige que nous. Et scayt
trop mieulx ce que nous est necessaire,
que nous mesmes, Je vous en asseure
sus mon honneur. Quoy qu’enquen ayt dict
Haly, & ses suppostz. Beau fera se tenir
joyeux, et boyre frays. Combien qu’aul-
cuns
quaul-
cuns
ayent dict, qu’ilquil n’estnest chose plus con
traire a la soif. Je le croy. Aussi, contra
ria contrariis curantur
.


De Autonne. Chap. ix.


EN Autonne l’onlon vendengera, ou
d’avantdavant ou apres ce m’estmest tout un
pourveu que ayons du piot a suf
fisance. Les cuydez seront de saison. T ii
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[146v]
Car tel cuidera vessir, qui baudement
fiantera. Ceulx & celles qui ont voue
jeuner jeusnes a ce que les estoilles soient
au ciel, a heure presente peuvent bien
repaistre par mon octroy, & dispense.
Encores ont ilz beaucoup tardé, Car
elles y sont devant seize mille: et ne scay
quants jours. Je vous diz bien atachées.
Et n’espereznesperez dorenavant prendre les a-
louettes a la cheute du ciel, car il ne
tombera de vostre aage, sus mon honneur.
Cagotz, Caffars, et porteurs de roga-
tons, perpetuons, & aultres telles tri-
quedondaines sortiront de leurs tesnie-
res. Chascun se guarde qui vouldra.
Guardez vous aussy des arestes, quand
vous mangerez du poisson, et de poison
Dieu vous en gard.


De l’HyverLhyver. Chap. x.


EN Hyver selon mon petit en-
tendement ne seront saiges ceulx
qui vendront leurs pellices & four
rures pour achapter du boys. Et ainsi
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[147]
ne faisoient les antiques, comme tesmoi-
gne Avenzouar. S’ilSil pleut, ne vous en
melancholiez, tant moins aurez vous
de pouldre pour chemin. Tenez vous
chaudement. Redoubtés les catharres

Beuvés du meilleur, attendans que l’aul
tre
laul
tre
amendera. Et ne chiez plus
dorenavant ou lict. O O
poulailles faictes
vous voz nidz
tant hault?


FINIS.

T iii
[147v] [Page blanche]
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Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
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Première publication : 24/07/2012