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ESSAIS DE MICHEL
DE MONTAIGNE.

LIVRE TROISIESME.



De l’utilevtile & de l’honneste.

CHAP. I.



PERSONNE n’est exempt de dire des fadaises:.
lLe malheur est, de les dire curieusement:.
Nae iste magno conatu magnas nugas dixerit.
Cela ne me touche pas,. lLes miennes m’eschap-
pent aussi nonchallammentnonchallammēt qu’elles le valent:.
dD’où bien leur prend:. jJeiIe les quitterois soudain,
à peu de coust qu’il y eust,. &Et ne les achette, & neny les vens, que
ce qu’elles poisent: jJeiIe parle au papier, comme jeie parle au pre-
mier que jeie rencontre: qQu’il soit vray, voicy dequoy. A qui ne
doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si
grand interest. On luy manda d’Allemaigne, que s’il le trou-
voit
trou-
uoit
bon, on le defferoit d’Ariminius par poison: cC’estoit le plus
puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoitauoit si vi-
lainement traictez soubs Varus, & qui seul empeschoit l’ac-
croissement de sa domination en ces contrées là. Il fit respon-
ce, que le peuple Romain, avoitauoit accoustumé de se venger de
ses ennemis par voye ouverteouuerte, les armes en main, non par frau-
de & en cachette: iIl quitta l’utilevtile pour l’honneste. C’estoit (me
direz vous) unvn affronteur. JeIe le croy: cCe n’est pas grand miracle,
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[352v] ESSAIS DE M. DE MONT.
à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne por-
te pas moins en la bouche de celuy qui la hayt: dDautantautāt, que la
verité la luy arrache par force,: & que s’il ne la veut recevoirreceuoir en
soy,: aumoins il s’en couvrecouure, pour s’en parer. Nostre bastiment
& public & privépriué, est plain d’imperfection: mMais il n’y à rien
d’inutile en nature,: nNon pas l’inutilité mesmes,: rRien ne s’est in-
geré en cet universvniuers, qui n’y tienne place opportune. Nostre e-
stre est simenté de qualitez maladivesmaladiues: lL’ambition, la jalousieialousie,
l’envieenuie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en
nous, d’unevne si naturelle possessionpossessiō, que l’image s’en reconnoist
aussi aux bestes: vVoire & la cruauté, vice si desnaturé: cCar au mi-
lieu de la compassion, nous sentons au dedans, jeie ne sçay quel-
le aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir au-
truy: &Et les enfans le sentent.,
Suaue mari magno turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem.

Desquelles qualitez qui osteroit les semences en l’homme, de-
struiroit les fondamentalles conditions de nostre vie:. dDe mes-
me, en toute police, il y à des offices necessaires, non seulement
abjectsabiects, mais encore vitieux: lLes vices y trouventtrouuent leur rang, &
s’employent à la cousture de nostre liaison: comme les venins
à la conservationconseruation de nostre santé. S’ils deviennentdeuiennent excusables,
d’autant qu’ils nous font besoing,: & que la necessité commu-
ne efface leur vraye qualité,: il faut laisser joueriouer cette partie,
aux citoyens plus vigoureux, & moins craintifs,: qui sacrifientsacrifiēt
leur honneur & leur conscience, comme ces autres antiens sa-
crifierent leur vie, pour le salut de leur pays: nNous autres plus
foibles, prenons des rolles & plus aisez & moins hazardeux: lLe
bien public requiert qu’on trahisse, & qu’on mente, [Note (Alain Legros) : La différence des encres montre bien une correction de la virgule en deux-points après "massacre".]
Position : Marge droite et qu’on
massacre,:
resignonsresignōs
cette commission à gens plus obeissans & plus soupples. Cer-
tes ji’ay eu souventsouuent despit, de voir des jugesiuges attirer par fraude &
fauces esperances, de faveurfaueur ou pardonpardō, le criminel à descouvrirdescouurir
son
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LIVRE TROISIESME.345353
son fait,: & y employer la piperie & l’impudenceimpudēce: iIl serviroitseruiroit bienbiē
à la justiceiustice,: & à Platon mesmes, qui favorisefauorise cet usagevsage, de me
fournir d’autres moyens plus selon moy. C’est unevne justiceiustice ma-
litieuse,: &Et ne l’estime pas moins blessee par soy-mesme, que
par autruy. JeIe respondy, n’y a pas long temps, qu’a peine tra-
hirois-jeie le Prince pour unvn particulier, qui serois tre-marry de
trahir aucun particulier, pour le Prince: &Et ne hay pas seulementseulemēt
à piper, mais jeie hay aussi qu’on se pipe en moy: jJeiIe n’y veux pas
seulement fournir de matiere & d’occasion. En ce peu que
ji’ay eu à negotier entre nos Princes, en ces divisionsdiuisions, & subdi-
visions
subdi-
uisions
, qui nous deschirent aujourdauiourd’huy,: ji’ay curieusement
evitéeuité qu’ils se mesprinssent en moy, & s’enferrassent en mon
masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couvertscouuerts, &
se presentent & contrefont les plus moyensmoyēs, & les plus voisins
qu’ils peuventpeuuent: mMoy, jeie m’offre par mes opinionsopiniōs les plus vivesviues,
& par la forme plus mienne: tTendre negotiateur & novicenouice,: qui
ayme mieux faillir à l’affaire, qu’à moy. C’a esté pourtant jus-
ques
ius-
q̄s
à cette heure, avecauec tel heur: (car certes lala fortune y a la[Note (Marie-Luce Demonet) : Hésitation entre "fortune" et "la fortune", mais Montaigne enlève tout de même le "la" devant "part", ce qui démontre une recherche d’équilibre stylistique.] prin-
cipalle part.) que peu ont passé de main à autre, avecauec moins
de soubçon, plus de faveurfaueur & de privautépriuauté. JI’ay unevne fa-
çon ouverteouuerte, aisée à s’insinuer, & à se donner credit aux pre-
mieres accointances. La naifveténaifueté & la verité pure, en quelque
siecle que ce soit, trouventtrouuent encore leur opportunité & leur
mise. Et puis,: de ceux-là est la liberté peu suspecte, & peu o-
dieuse, qui besoingent sans aucun leur interest: &Et qui peuventpeuuent
veritablement employer la responcerespōce de Hipperides aux Athe-
niens, lesquels se plaingnoientans de l’aspreté de son parler: mMes-
sieurs, ne considerez pas si jeie suis libre, mais si jeie Position : Interligne haute le suis sans rien
prendre, & sans amender par là mes affaires,. mMa liberté m’a
aussi aiséementaiséemēt deschargé du soubçonsoubçō de faintise par sa vigueur:
n’espargnant rien à dire pour poisant & cuisant qu’il fut, jeie
n’eusse peu dire pis absent: EeEt[Note (Montaigne) : e] quelle à unevne montremōtre apparenteapparēte, de
VVVv
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[353v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
simplesse & de nonchalance: jJeiIe ne pretens autre fruict en agis-
sant, que d’agir, & n’y attache longues suittes & propositionspropositiōs:
cChasque action fait particulierement son jeuieu: porte s’il peut.
Au demeurant, jeie ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou a-
moureuse enversenuers les grands: ny n’ay ma volontévolōté garrotée d’of-
fence, ou obligation particuliere.
Position : Marge gauche JeIe regarde nos Roys d’une
affection simplement legitime
& publique civileciuile: ny desmeue ny esmeue
ny destourneemeue par interest privèpriuè.
dequoi jeie me sçai bon gré.
La cause generale & legiti-
mejusteiuste, ne m’attache non plus, que moderéement & sans fiévrefiéure,: jJeiIe
ne suis pas subjetsubiet à ces hypotheques & engagemens penetrans
& intimes: lLa colere & la hayne, sont au delà du devoirdeuoir de la
justiceiustice: &Et sont passions servansseruans seulement, à ceux, qui ne tien-
nent pas assez à leur devoirdeuoir, par la raison simple: tToutes inten-
tions legitimesequitables legitimes et equitables, sont d’elles mesmes equables et temperées,: sinonsinō, elles s’al-
terent en seditieuses & illegitimes. C’est ce qui me faict mar-
cher par tout, la teste haute, le visage & le coeur ouvertouuert. A la
verité, & ne crains point de l’advoueraduouer, jeie porterois facilement
au besoing, unevne chandelle à S. Michel, l’autre à son serpent, sui-
vant
sui-
uant
le dessein de la vieille: jJeiIe suivraysuiuray le bon party jusquesiusques au
feu,: mais exclusivementexclusiuement si jeie puis: qQue Montaigne s’engouffre
quant & la ruyne publique, si besoin est: mMais s’il n’est pas be-
soin, & s’il ne sert, jeie sçauray bon gré à la fortune qu’il se sau-
ve
sau-
ue
: &Et autant que mon devoirdeuoir me donne de corde, jeie l’employeēploye
à sa conservationconseruation.
Position : Marge gauche Suos[unclear] quisque periculo in
commune consultum non uult.
Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au justeiuste
party, & au party qui perdit, se sauvasauua par sa moderation, en cet
universelvniuersel naufrage du monde,: parmy tant de mutations & di-
versitez
di-
uersitez
? Mais aAux hommeshōmes, commecōme luy, privezpriuez, il est plus aisé: careEt
en telle sorte de besongne, jeie trouvetrouue qu’on peut justementiustemēt n’e-
stre pas ambitieux à s’ingerer & conviercōuier soymesmes: dDe se tenir
chancelantchancelāt & mestis,: de tenir son affectionaffectiō immobile, & sans in-
clination
in-
clinatiō
aus troubles de son pays, & en unevne divisiondiuision publique,
jeie ne le trouvetrouue ny beau, ny honnestehōneste:
Position : Marge gauche : eEa non media sed
nulla uia est, uelut
euentum expectantium
quo fortuna consilia
sua applicent.
Il Cela
peut estre permis enversenuers
les affaires des voisinsuoisins et Gelon Roytiran de Siracuse suspandit ainsi son inclination
en la guerre des Barbares contre les grecs envoiantenuoianttenant un’ambasseambassade a Delphes a tout
des presans pour estre laen eschoguette a voiruoir du quel coste tumberoittūberoit la fortune
et prandre partil’occasion a point pour le conciliercōcilier au victoriusuictorius. Mais aus propres affaires & domestiques il
Ce seroit une espece de trahison de le faire aus propres & domestiques affaires: aus quels necesseremant il
il faut prendre party, Position : Interligne haute par application de dessein mMais
de ne s’embesongner point,: à hommehōme, qui n’a ny charge, ny com-
mandement
cō-
mādemēt
expreés qui le presse, jeie le trouvetrouue plus excusable (& si
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LIVRE TROISIESME.346354
ne me serspratique pour moy de cette excuse) qu’aux guerres estrange-
res,: dDesquelles pourtantpourtāt selon nos loix, ne s’empescheēpesche qui ne veut.
Toutesfois ceux encore qui s’y engagent tout à faict, le peu-
vent
peu-
uent
, avecauec tel ordre & attrempanceattrēpance, que l’orage devradeura couler par
dessus leur teste sans offence. N’avionsauions nous pas raison de l’es-
perer ainsi du feu EvesqueEuesque d’Orleans, sieur de Moruilliers? Et
ji’en cognois entre ceux qui y ouvrentouurent valeureusement, à cette
heure,: de meurs ou si equables, ou si douces, qu’ils serontserōt, pour
demeurer debout, quelque injurieuseiniurieuse mutationmutatiō, & cheute. que
le ciel nous appreste. JeIe tiens que c’est aus Roys proprementpropremēt, de
s’animer contre les Roys: &Et me moque de ces esprits, qui de
gayeté de coeur, se presentent à querelles si disproportionnéesdisproportiōnées:
cCar on ne prend pas querelle particuliere avecauec unvn prince, pour
marcher contre luy ouvertementouuertement & courageusement, pour
son honneur, & selon son devoirdeuoir: sS’il n’aime unvn tel personna-
ge,: il fait mieux, il l’estime. Et notammentnotāment la cause des loix, & de-
fence de l’ancien estat, à tousjourstousiours cela,: que ceux mesmes, qui
pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les pro-
tecteurs,deffanceurs: s’ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller de-
voir
de-
uoir
,: comme nous faisons tous les joursiours,: unevne aigreur & aspre-
té intestine, qui naist de l’interest & passion privéepriuée,: nNy coura-
ge, unevne conduitte traistresse & malitieuse. Ils nomment zele,
leur propension vers la malignité, & violence: cCe n’est pas la
cause, qui les embesongneeschauffe, c’est leur interest: iIls attirsenēt la guer-
re,: non par ce qu’elle est justeiuste, mais par ce que c’est guerre. RienRiē
n’empéche qu’onō ne se puisse comportercōporter commodémentcōmodément entre des
hommeshōmes, qui se sont ennemis, & loyalementloyalemēt: cConduisezcCōduisez vous y d’u-
ne
v-
ne
, sinonsinō par tout esgale affectionaffectiō (car elle peut souffrir differentesdifferētes
mesures) mais au moins temperéetēperée,: &Et qui ne vous engage tant à
l’unvn, qu’il puisse tout requerir de vous: &Et vous contentez aussi
d’unevne moienne mesure de leur grace,. &Et de couler en eau trou-
ble, sans y vouloir pescher. L’autre maniere, de s’offrir de toute
VVVu ij
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[354v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sa force, aux l’unsvns & aux l’autres, aceus la et a ceus cy tient encore moins de la prudenceprudēce que
de la conscience. Celuy enversenuers qui vous en trahissez unvn, duquel
vous estes pareillementpareillemēt bien venu, sçait-il pas, que de soy vous
en faites autantautāt à son tour? Il vous tienttiēt pour unvn meschantmeschāt hommehōme:
cCe pendant il vous oit, & tire de vous, & fait ses affaires de vo-
stre desloyauté: cCar les hommeshōmes doubles sont utilesvtiles, en ce qu’ils
apportent,: mMais il se faut garder, qu’ils n’emportentēportēt que le moins
qu’on peut. JeIe ne dis rien à l’unvn, que jeie ne puisse dire à l’autre, à
son heure, l’accent seulement unvn peu changé: &Et ne rapporte
que les choses ou indifferentes, ou cogneuës, ou qui serventseruēt en
commun. Il n’y a point d’utilitévtilité, pour laquelle jeie me permette
de leur mentir. Ce qui à esté fié à mon silencesilēce, jeie le cele religieu-
sement: mMais jeie prens à celer le moins que jeie puis: cC’est unevne im-
portune garde, du secret des princes, à qui n’en a que faire. JeIe pre-
sente volontiersvolōtiers ce marché,: qQu’ils me fient peu, mais qu’ils se fientfiēt
hardimenthardimēt, de ce que jJeiIe leur apporte: ji’en ay tousjourstousiours plus sçeu
que jeie n’ay voulu:
Position : Marge gauche UnVn parler ouvertouuert
ouvreouure un autre parler,
& le tire hors come faict
le vinuin et l’amour.
car Philippides respondit sagement à mon
gré, au Roy Lyzimachus,: qui luy disoit,: qQue veux-tu que jeie te
communique de mes biens: cCe que tu voudras, pourveupourueu que
ce ne soit de tes secrets. JeIe vois que chacun se mutine, si on luy
cache le fons des affaires ausquels on l’emploie,: &Et si on luy en
a desrobé quelque arriere sens: pPour moy,: jeie suis contantcōtant, qu’on
ne m’en die non plus, qu’on veut que ji’en mette en besoigne:
&Et ne desire pas, que ma science outrepasse & contraigne ma
parole. Si jeie dois servirseruir d’instrument de tromperie,: que ce soit
aumoins sauvesauue ma conscience. JeIe ne veus estre tenu serviteurseruiteur,
ny si affectionné, ny si loyal, qu’on me treuvetreuue bon à trahir per-
sonne. Qui est infidelle à soymesme, l’est excusablementexcusablemēt à son
maistre. Mais ce soint Princes,: qui n’acceptent pas les hom-
mes à moytié, & mesprisent les servicesseruices limitez & condi-
tionnez. Il n’y à remede,: jJeiIe leur dis franchement mes bornes:
cCar esclaveesclaue, jeie ne le doibts estre que de la raison, encore ne
puis jeie bien en venir à bout.
Position : Interligne basse Et eus aussi ont tort, d’exiger d’un home libre, telle
subjectionsubiection a leur serviceseruice, et telle obligation, que de
celuy qu’ils ont faict, et acheté: ou du quel la
fortune tient particulieremant ex et expressemant a la leur.
Les loix m’ont osté de grand
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LIVRE TROISIESME.347355
peine,: eElles m’ont choisy party, & donné unvn maistre Position : Interligne haute commun: tTou-
te autre superiorité & obligation, doibt estre relativerelatiue à
celle là, & retrenchée. Si n’est pas à dire, quand mon affection
me porteroit autrement, qu’incontinent, ji’y portasse la main:
lLa volonté & les desirs se font loy eux mesmes,: lLes actions, ont
à la recevoirreceuoir de l’ordonnance publique. Tout ce mien pro-
ceder, est unvn peu bien dissonant à nos formes: cCe ne seroit pas
pour produire grands effets, ny pour y durer: lLinnocenceinnocēce mes-
me, ne sçauroit, ny negotier Position : Interligne haute entre nous sans dissimulation,: nNy marchan-
der sans manterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier,
les occupations publiques: cCe que ma profession en requiert,
jeie l’y fournis, en la forme que jeie puis la plus privéepriuée. Enfant, on
m’y plongea jusquesiusques aux oreilles,: &Et il succedoit,: sSi m’en des-
prins jeie de belle heure. JI’ay souvantsouuant dépuis evitéeuité de m’en me-
sler,: rarement accepté,: jamaisiamais requis: tTenant le dos tourné à
l’ambition: mMais sinon commecōme les tireurs d’avironauiron, qui s’avancentauācēt
ainsin à reculons: tTellementtTellemēt toutesfois, que de ne m’y estre poinct
embarqué, ji’en suis moings obligé à ma resolution, qu’a ma
bonne fortune: cCar il y à des voyes moings ennemyes de mon
goust, & plus conformes à ma portée, par lesquelles si elle
m’eut appellé autrefois, au serviceseruice public, & à mon avance-
ment
auance-
ment
vers le credit du monde, jeie sçay, que ji’eusse passé par dessus
la raison de mes discours, pour la suyvresuyure. Ceux qui disent com-
munément
cō-
munément
contre ma profession, que ce que ji’appelle fran-
chise, simplesse, & nayfveténayfueté, en mes moeurs,: c’est art & fines-
se,: &Et plustost prudence, que bonté,: iIndustrie, que nature,: bBonbBō
sens, que bon heur,: me font plus d’honneur qu’ils ne m’en ostentostēt.
Mais certes ils font ma finesse trop fine: &Et qui m’aura suyvisuyui &
espié de pres, jeie luy donray gaigné, s’il ne confesse, qu’il n’y a
point de reigle en leur escolle, qui sçeut raporter ce naturel
mouvementmouuement,: &Et maintenir unevne apparence de liberté, & de li-
cence si pareille, & inflexible, parmy des routes si tortues, &
VVVu iij
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[355v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
diversesdiuerses: &Et que toute leur attention & engin, ne les y sçauroit
conduire. La voye de la verité est unevne, & simple,: cCelle du pro-
fit particuliere, & de la commoditécōmodité des affaires, qu’on à en char-
ge, double, inegalle, & fortuite. JI’ay veu souvantsouuant en usagevsage, ces
libertez contrefaites, & artificielles,: mMais le plus souvantsouuant, sans
succez. Elles sentent volontiers à l’asne d’Esope: lLequel par
emulation du chien, vint à se jetterietter tout gayement, à deux
pieds, sur les espaules de son maistre: mMais autant que le chien
recevoitreceuoit de caresses, de pareille feste, le pauvrepauure asne, en reçeut
deux fois autant de bastonnades.
Position : Marge gauche Id maxime quenque[sic] decet
quod est cuiusque suum
maxime.
JeIe ne veux pas priverpriuer la trom-
perie
trō-
perie
de son rang,: cCe seroit mal entendre le monde: jJeiIe sçay
qu’elle à servyseruy souvantsouuant bien utilementvtilement,proffitablement: &Et qu’elle maintient
& nourrit, la plus part des vacations des hommes. Il y a des
vices legitimes,: comme plusieurs actions, ou bonnes, ou ex-
cusables, illegitimes. La justiceiustice en soy, naturelle & universellevniuerselle,
est autrement reiglée, & plus noblement, que n’est cette au-
tre justiceiustice, Position : Interligne haute speciale, nationale, locale, contrainte au besoing de nos polices:
Position : Marge gauche Veri iuris germanaeque
iustitiae solidam et
expressam effigiem
nullam tenemus: umbra
et imaginibus utimur.
sSi que le sa-
ge Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras,
Diogenes, les JugeaIugea[sic] grands personnages en toute autre chose,
mais trop asservisasseruis à la reverencereuerence des loix: pPour lesquelles au-
ctoriser, & seconder, la vraye vertu & Philosophique, à beau-
coup à se desmettre de sa vigueur originelle,: &Et non seulementseulemēt
par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu,: mMais
encores à leur suasion.
Position : Marge gauche Ex senatusconsultis plebis
plebisque scitis scelera exercentur.
JeIe suy le langage commun,: qui faict
difference, entre les choses utilesvtiles, & les honnestes: sSi que d’au-
cunes actions naturelles, non seulement utilesvtiles, mais necessai-
res, il les nomme deshonnestes & sales. Mais continuons no-
stre exemple de la trahison. Deux pretendans au Royaume
de Thrace, estoyent tombez en debat de leurs droicts,: l’Em-
pereur les empesçha de venir aux armes, mMais l’unvn d’eux, sous
couleur de conduire unvn accord amiable, par leur entreveüeentreueüe,
ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison,
le fit emprisonner & tuer. La justiceiustice requeroit, que les Ro-
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LIVRE TROISIESME.348356
mains eussent raison de ce forfaict,. lLa difficulté en empéchoit
les voyes ordinaires: cCe qu’ils ne peurent legitimement, sans
guerre, & sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahi-
son: cCe qu’ils ne peurent honnestement, ils le firent utilementvtilemēt.
A quoy se trouvatrouua propre unvn Pomponius Flaccus: cCettuy-cy,
soubs feintes parolles, & asseurances, ayant attiré cest hom-
me, dans ses rets, au lieu de l’honneur & faveurfaueur qu’il luy pro-
mettoit, l’envoyaenuoya pieds & poincts liez, à Romme. UnVn traistre
y trahit l’autre, contre l’usagevsage commun: cCar ils sont pleins de
deffiance,: &Et est mal-aysé de les surprendre par leur art: tTes-
moing lea poisante experience, que nous venons d’en sentir.
Sera Pomponius Flaccus qui voudra,: &Et en est assez qui le
voudront: qQuant à moy, & ma parolle, Position : Interligne haute et ma foy, sont comme
le demeurant, pieces de ce commun corps: lLeur meilleur ef-
fect, c’est le serviceseruice public: jJeiIe tiens cela pour presupposé. Mais
comme si on me commandoit, que jeie prinse la charge du Pa-
lais, & des plaids,: jeie responderoy,: jJeiIe n’y entens rien: oOu la char-
ge de conducteur de pioniers, jeie diroy, jJeiIe suis appellé à unvn rol-
le plus digne: dDe mesmes, qui me voudroit employer, à men-
tir, à trahir, & à me parjurerpariurer, pour quelque serviceseruice notable,
non que d’assassiner, ou empoisonner,: jeie diroy,: sSi ji’ay volé ou
desrobé quelqu’unvn, envoyezenuoyez moy plustost en gallere. Car il
est loisible à unvn homme d’honneur, de parler ainsi que firent,
les Lacedemoniens, ayans esté deffaicts par Antipater, sur le
poinct de leurs accords: vVous nous pouvezpouuez commander des
charges poisantes & dommageables, autant qu’il vous plair-
ra
plaira
,: mMais de honteuses, & deshonnestes, vous perdrez vostre
temps de nous en commander. Chacun doit avoirauoir juréiuré à soy-
mesme, ce que les Roys d’AEgypte faisoyent solemnellement
jureriurer à leurs jugesiuges, qQu’ils ne se desvoyeroyentdesuoyeroyent de leur conscien-
ce
consciē-
ce
, pour quelque commandement qu’eux mesmes leur en fis-
sent. A telles commissions, il y a notte evidenteeuidente d’ignominie.
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[356v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& de condemnation,: &Et qui vous la donne, vous accuse, &
vous la donne, si vous l’entendez bien, en charge & en peine:
aAutant que les affaires publiques s’amendentamēdent de vostre exploit,
autant s’en empirent les vostres: vVous y faictes d’autantautāt pis, que
mieux vous y faites. Et ne sera pas nouveaunouueau,: ny à l’avantureauanture
sans quelque air de JusticeIustice, que celuy mesmes vous ruine,en chastie, qui
vous aura mis en besoigne. Position : Interligne haute La perfidie n’est en nul cas si excusable
Position : Marge gauche La perfidie peut estre en
quelque cas excusable: lors
seulement elle l’est, qu’elle
s’emploict a punir & trahir
la perfidie.
Il se trouvetrouue assez de trahisons, non
seulement refusees, mais chastiéespunies, par ceux en faveurfaueur desquelsdesq̄ls
elles avoyentauoyent esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fla-
miniusFabritius, à l’encontre du Medecin de Pyrrhus? Mais cecy enco-
re se trouvetrouue,: qQue tel, l’ala commandée, qui l’ala vengée rigoureuse-
ment, sur celuy qu’il y avoitauoit employé,: rRefusant unvn credit &
pouvoirpouuoir si effrené, & desadvouantdesaduouant Position : Interligne haute un servageseruage et unevne obeïssance si abandonabandon-
née
abandōabandon-
née
, & si láche. JaropelcIaropelc Duc de Russie, practiqua unvn gentil-
homme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Bo-
leslaus, en le faisant mourir,: ou donnant aux Russiens moyen
de luy faire quelque notable dommage. Cettuy cy s’y porta
en galand hommehōme,: s’S’adonna plus que devantdeuāt au serviceseruice de ce Roy,:
oObtint d’estre de son conseil, & de ses plus feaux: aAvecaAuec ces ad-
vantages
ad-
uantages
, & choisissant à point l’opportunité de l’absence de
son maistre,: il trahit aux Russiens Visilicie, grande & riche ci-
,: qui fut entierement saccagée, & arse par eux,: avecauec occisionoccisiō
totale,: non seulement des habitans d’icelle, de tout sexe & aa-
ge,: mais de grand nombre de noblesse, de la autour, qu’il y a-
voit
a-
uoit
assemblé à ces fins. JaropelcIaropelc assouvyassouuy de sa vengeance, &
de son courroux,: qui pourtant n’estoit pars sans titre,. (car Bo-
leslaus l’avoitauoit fort offencé, & en pareille conduitte) & saoul
du fruict de cette trahison,: venant à en considerer la laideur
nue & seule,: & la regarder, d’unevne veuë saine, & non plus trou-
blée par sa passion,: la print à unvn tel remors, & contre-cueur,
qu’il en fit crevercreuer les yeux, & couper la langue, & les parties
honteuses à son executeur. Antigonus persuada les soldats
Argy-
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LIVRE TROISIESME.349357
Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general,
son adversaireaduersaire: mMais l’eust-il faict tuer,. aApres qu’ils le luy eurenteurēt
livréliuré, il desira estre luymesme commissairecōmissaire de la JusticeIustice divinediuine,
pour le chastiement d’unvn forfaict si detestable: &Et les consignacōsigna
entre les mains du gouverneurgouuerneur de la ProvinceProuince,: luy donnant
tres-expres commandementcōmandement, de les perdre & mettre à malefin,
en quelque maniere que ce fut: tTellement, que de ce grandgrād nom-
bre
nō-
bre
qu’ils estoyent, aucunaucū ne vit onques puis, l’air de Macedoi-
ne. Mieux il en avoitauoit esté servyseruy, d’autant le jugeaiugea il avoirauoir esté
plus meschammentmeschāment & punissablement.
Position : Marge droite . L’esclaveLesclaue qui trahit
la cachete de P. Sulpicius
son maistre, fut mis en
liberté, suivantsuiuant la promesse
de la proscription de Sylla:
mMais suivantsuiuant la promesse
de la raison publique, tout
libre, il fut come trahistre
tout de suite
praecipite du
roc Tarpeien: iIls dles font
pendre aveqaueq la bourse de
leur païemant au col: aAiant
satisfaict a leur seconde
foi et particulierespeciale, ils satis=
font a la generale & premiere.
Mahumet second se voulantuoulant
desfaire de son frere sui pour
la jalousieialousie de la domination
suivantsuiuant le stile de leur race,
y emploia l’un de ses offi=
ciers qui le suffoca: l’engorgeant
de quantité d’eau prinse
trop a coup. Cela faict, il livraliura
pour l’expiation de ce meurtre
le meurtrier entre les mains de
la mere du trespasse: car ils
n’estoint freres que de pere: elle
en sa presance luy ouvritouuritouvritouurit a ce traistre murtrier
l’estomaclestomac: et tout chaudement
de ses mains foillant et
arrachant son ceur le jettaietta
a manger aus chiens. Et nostre
Roy ClovisClouis fit pendre les trois
servitursseruiturs de Canacre apres qu’ils
luy eurent trahi leur maistre a
quoi il les avoitauoit pratiquez
Et à ceux mesme qui ne
valent rien, il est si doux, ayant tiré l’usagevsage d’unevne actionactiō vicieu-
se, y pouvoirpouuoir hormais coudre en toute seurté, quelque traict
de bonté, & de justiceiustice, commecōme par compensation, & correctioncorrectiō
conscientieuse.
Position : Marge gauche . JointIoint que, grauiorum scelerum ministri quasi exprobrantes
aspiciuntur
.
ils regardent les ministres de tels horribles
malefices come gens qui les leur reprochent:. eEt cherchent par leur mort
d’en estouffer la conoissance et tesmouignage de telles menees.
Or si par fortune on vous en recompencerecōpence, pour
ne frustrer la necessité publique, de cet extreme & desesperé
remede: celuy qui le faict, ne laisse pas de vous tenir, s’il ne l’est
luy-mesme, pour unvn hommehōme, maudit & execrable: &Et vous tient
plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l’estes,. cCar il
touche la malignité de vostre courage, par voz mains,. sSans
desadveudesadueu, sans objectobiect. Mais il vous y employe, tout ainsi qu’onō
faict les hommes perdus, aux executions de la haute justiceiustice,
cCharge autant utilevtile, comme elle est peu honeste. Outre la vi-
lité de telles commissionscōmissions, il y a de la prostitution de conscienceconsciēce.
La fille à Seyanus, ne pouvantpouuant estre punie à mort, en certaine
forme de JugementIugement à RommeRōme, d’autant qu’elle estoit Vierge,
fut, pour donner passage aux loix, forcée par le bourreau, avantauāt
qu’il l’estranglat: nNon sa main seulementseulemēt, mais son ame, est es-
clave
es-
claue
à la commodité publique.
Position : Marge droite Quand Position : Interligne haute le premier Amurat
pour aigrir la punition
contre ses subjetssubiets qui
avointauoint doné support a
la parricide rebellion
de son filx contre luy
ordona que leurs plus
proches parans pres=
teroint la main a cette
execution jeie treuvetreuue
treshoneste a aucuns d’avoirauoir
mieus eimechoisi plus tost d’estre iniquemant
tenus coupables du parricide d’un autre que
de servirseruir la justiceiustice de leur propre parricide.
Et ous aus en quelques bicoques forcees de mon
temps ji’ay veuueu des coquins pour garantir leur vieuie
accepter de pendre leurs amis et consors jeie ne les
ay trouvertrouuer tenus de pire condition que les
pendus. On dict, que Vuitolde prince des
Lituaniens ordonafit autresfois que les crimi cette q loy, que les criminels
condamnes, eussent a se tuer eus mesmesexecuter eus mesmes de leurs mains la sentance
capitale contre eus donee trouvanttrouuāt estrange qu’un tiers innocent de la
faute fut emploïe et charge d’un homicide
Le Prince mesme, quand unevne
urgentevrgente circonstance, & quelque impetueux & inopiné acci-
dent
acci-
dēt
, du besoing de son estat, luy faict gauchir sa parolle & sa
foy, (uideat ne quaera ou autrement le jetteiette hors de son devoirdeuoir ordinaire, doibt
attribuer cette necessité, à unvn coup de la verge divinediuine: vVice
XXXx
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[357v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
n’est-ce pas, cCar il à quitté sa raison, à unevne plus universellevniuerselle &
puissante raison, mMais certes c’est mal’heur. De maniere, qu’a
quelqu’unvn qui me demandoit, qQuel remede? nNul remede fis jeie,:
sS’il fut veritablement geiné entre ces deux extremes,
Position : Marge droite (sed uideat
ne quaeratur
latebra periurio
)
il le fal-
loit faire: mMais s’il le fit, sans regret, s’il ne luy grevagreua de le faire,
c’est signe que sa conscience est en mauvaismauuais termes.
Position : Marge haute Quand il s’en trouveroittrouueroit quelqu’un de si tendre consciencecōscience, à qui nulle guarison ne semblastsēblast digne d’un si poisant remede, jeie ne l’en
esti
merois pas moins. Il ne se sauroit perdre plus excusablemant et decemmant. Nous ne pouvonspouuōs pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut
il souvantsouuant com’a la derniere ancre remettre la protection de nostre vesseauuesseau a la pure conduite du ciel. A quelle plus justeiuste necessite se
reservereserue il a le faire qu’en cetecy n’ayant a se racheterQue luy est il moins possible a faire que ce qu’il ne peut faire qu’aus despans de sa foi et de son honeur choses qui come jeie pensea l’avanturelauanture luy doiventdoiuent estre
plus cheres que son propre salut. oui, et que le salut de son peuple. Quand les bras croisez il appelera dieu simplemant a son aide n’aura
il pas a esperer que la divinediuine bonte n’est pas pour refuser la faveurfaueur de sa main extraordinere a une main pure et justeiuste
Ce sont
dangereux exemples, rares, & maladifvesmaladifues exceptionsexceptiōs, à nos rei-
gles naturelles: iIl y faut ceder, mMais avecauec grande moderation
& circonspection: aAucune utilitévtilité privéepriuée, n’est digne, pour laquel-
le nous façions cest effort à nostre conscience: lLa publique
bien, lors qu’elle est, & tres-apparente, & tres-importante.
Position : Marge gauche uideat ne quaeratur latebra periurio.
Timoleon se garantist a propos
de l’estrangetelestrangete de son exploit
par les larmes qu’il randit se
souvenantsouuenant que c’estoit d’une main
fraternelle qu’il avoitauoit tué le tiran
Et cela pinça justemantiustemant sa cons=
cience qu’il eut esté necessité
d’acheter l’utilitè publique a tel
pris de l’honestete de ses meurs.
Le senat mesme delivrèdeliurè de servi=
tude
serui=
tude
par son moien n’orsa rondemantrondemāt
decider d’un si haut faict et
deschirè en deus si poisants et
contreres visagesuisages. Mais les Sira=
cusains aiant tout a point a
l’heure mesmes envoieenuoie requerir
les Corinthiens de leur protection
& d’un chef digne de restablir
leur villeuille en sa premiere dignité
et nettoier la Sicille de plusieurs
tyranneaus qui l’oppressoint il
y deputa Timoleon aveqaueq cette
nouvellenouuelle desfaicte et declaration
Que selon ce qu’il se porteroit bien
ou mal en cettesa charge leur arrest
prenderoit party e a la faveurfaueur du
liberatur de son païs ou a la des=
faveur
des=
faueur
du meurtrier de son frere.
Cette fantastique conclusion ha
pourtant quelque excuse due l’obscurite
de la cause La vieuie universelleuniuerselle du
criminel y estoit considerable du
sur le
dangier de l’example et importance
d’un faict si diversdiuers. Et firent bien
d’en descharger leur jugemantiugemant ou
de l’appuier ailleurs et en des
considerations tierces. M Or les
deportemans de Timoleon en ce
voiage randirent bien tost sa
[...]sell cause plus clere tant il s’y
porta dignemant & vertueusemantuertueusemāt
en toutes façons Et le bon heur
qui l’acompaigna aus aspretez
qu’il eut a vaincreuaincre en cette noble
besouigne sambla luy estre envoieenuoie
par les dieus conspirans et
favorablesfauorables a sa justificationiustification.
La fin de cetuicy est excusa=
ble si aucune le pouvoitpouuoit estre
Mais l’utilite de l’augmentationlaugmentation
du revenureuenu de leur finepublique qui
causa servitseruit de pretexte au
Senat Position : Interligne haute Romain a cete orde et vileineuileine
conclusion que jeie m’enmen voisuois
reciter n’aest pas asses forte
pour mettre a garant une
telle injusticeiniustice Certeines
cites s’estointsestoint rachetees
à pris d’argentdargent & remises
en liberte aveqaueq l’ordonancelordonance
& permission du Senat par
l’entremise
des mains de L. Sylla La chose estant tumbee en
nouveaunouueau jugementiugement sLe senat ordo les condamne a estre
taillables come auparavantauparauant et que l’argentlargent qu’elles ont avointauoint
emploie pour se racheter demureraoit perdu pour elles Les guerres civillesciuilles produisent souvantsouuant ces
vileins examples que nous punissons les privespriues de l’obeissancelobeissance qu’ils ont fidelement preste et
qu’ils se sont appliquez a nous lors que nous estions autres et se prent impudammant le magistrat
a eus de sa propre temerite et variationuariation.
ce qu’ils nous ont creu quand nous estions autres
et un mesme magistrat faict porter la peine de son changement a qui n’en peut mais Le maistre foite son
disciple de sa docilite et la guide son aveugleaueugle
Horrible image de justiceiustice. Il y a des regles en la philosophie
et fauces et molles. L’exampleLexample qu’on nous propose pour faire praevaloirpraeualoir l’utilitelutilite priveepriuee a la foi donee ne reçoit pas
asses de pois par la circonstance qu’ils y meslent Des volursuolurs vousuous ont prins ils vousuous ont remis en liberte aïant tire
de vousuous sermant du païement de certeine somme. On aEll’a On a tort de dire qu’un home de bien sera quitte de sa foi
sans païer, estant hors de leurs mains Il n’en est rien Ce que la creinte m’a ordone defaict une fois vouloiruouloir jeie suis tenu
de le vouloiruouloir encore sans creinte. Et quand elle n’aura force que ma langue sans la volonteuolonte encore y suis jeie tenu
de faire la maille bone de ma parolle
Position : Marge basse (f.358r) Pour moy, quand par fois ell’a
inconsidereement devancèdeuancè ma pensee,
ji’ay faict consciancecōsciance de la desadvouerdesaduouer pourtant.
Autrement de degre en degre nous vienderonsuienderons a renverserrēuerser tout le droit
qu’un tiers prend de noz promesses & sermens. Quasi uero forti uiro uis possit adhiberi. En cecy sulement a loy
l’interest privépriué, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avonsauons promis chose meschante de soi et damnableinique de soi car
le droit de la vertu doibt prevaloirpreualoir le droit de nostre obligation.
JI’ay
autrefois logé Epaminondas au premier rang des hommeshōmes ex-
cellens, &Et ne m’en desdy pas: jJusquesiIusques ou montoit il, la conside-
ration
cōside-
ration
de son particulier devoirdeuoir: qQui ne tua jamaisiamais homme,
qu’il eust vaincu: qQui pour ce bien inestimable, de rendre la
liberté à son pays, faisoit conscience, de tuer unvn TyranTyrā, Position : Interligne haute ou ses complices sans les
formes de la JusticeIustice: &Et qui jugeoitiugeoit meschant homme, quelque
bon Citoyen qu’il fut, celuy, qui entre les ennemys, & en la ba-
taille, n’espargnoit son amy & son hoste. Voyla unevne ame de
riche compositioncōposition,: iIl marioit aux plus rudes & violentes actionsactiōs
humaines, la bonté & l’humanité,. vVoire la plus delicate, qui
se treuvetreuue en l’escole de la Philosophie. Ce courage si gros, en-
flé, & obstiné, contre la douleur, la mort, la pauvretépauureté, estoit ce
nature, ou art, qui l’eust attendry, jusquesiusques au poinct d’unevne si
extreme douceur, & debonnaireté de complexion? Horrible
de fer & de sang, il va fracassant & rompant, unevne nationnatiō invin-
cible
inuin-
cible
contre tout autre, que contre luy seul, & gauchit au mi-
lieu d’unevne telle meslée, au rencontre de son hoste & de son
amy. Vrayement celuy la proprement, commandoitcommādoit Position : Interligne haute bien à la guer-
re, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le poinct
de sa plus forte chaleur, aAinsin enflammée qu’elle estoit, & es-
cumeuse de fureur & de meurtre. C’est miracle, de pouvoirpouuoir
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LIVRE TROISIESME.350358
mesler à telles actions quelque image de justiceiustice, mMais il n’ap-
partient qu’a la vigueurroiddeur d’Epaminondas, d’y pouvoirpouuoir mesler
la douceur, & la facilité des meurs les plus molles.
Position : Marge droite et la pure innocence.
Et ou l’unvn
dict aux Mammertins, que les statuts n’avoyentauoyent point de mi-
se, enversenuers les hommes armez: lL’autre, au Tribun du peuple, que
le temps de la justiceiustice, & de la guerre estoyentestoyēt deux: lLe tiers, que
le bruit des armes, l’empeschoit d’entendre la voix des loix:
cCettuy-cy, n’estoit pas seulement empesché d’entendre celles
de la civilitéciuilité, & pure courtoisie. AvoitAuoit il pas emprunté de ses
ennemis, l’usagevsage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour
destremper par leur douceur & gayeté, cette furie & aspreté
martiale. Ne craignons point apres unvn si grand precepteur,
d’estimer,
Position : Marge gauche aliquod etiam in hostes nefas esse. Et
qu’il y a quelque chose illicite contre les enemis mesmes:
aliquid etiam in hostes nefas esse
que l’interest commun ne doibt pas tout requerir
de tous, contre l’interest privépriué: manente memoria etiam etiam
in dissidio publicorum foederum, priuati iuris,

eEet nulla potentia vires
Praestandi, ne quid peccet amicus, habet:

&Et que toutes choses, ne sont pas loisibles à unvn hommehōme de bien,
pour le serviceseruice
Position : Marge droite du princede son Roy, ny de
la cause generale et
des loix. Non enim patria
praestat omnibus
officijs et ipsi conducit
pios habere ciues in parentes.
de la cause generalle & des loix. C’est unevne in-
struction propre au temps: nNous n’avonsauons que faire de durcir
nos courages par ces lames de fer, c’est assez que nos espau-
les le soyent: cC’est assez de tramper nos plumes en ancre, sans
les tramper en sang. Si c’est grandeur de courage, & l’effect
d’unevne vertu rare & singuliere, de mespriser l’amitié, les obliga-
tions
obliga-
tiōs
privéespriuées, sa parolle, & la parenté, pour le bien commun, &
obeïssance du magistrat: cC’est assez vrayement, pour nous en
excuser, que c’est unevne grandeur, qui ne peut loger Position : Interligne haute en la grandur du au courage
d’Epaminondas. JI’abomine les enhortemens enragez, de cet-
te autre ame des-reiglée,
dum tela micant, non vos pietatis imago
Vlla, nec aduersa conspecti fronte parentes
Commoueant, vultus gladio turbate verendos.

Ostons aux meschants naturels, & sanguinaires, & traistres,
XXXx ij
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[358v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce pretexte de raison: lLaissons la cette justiceiustice enorme, & hors
de soy,. &Et nous tenons aus plus humaines imitations. CombienCōbien
peut le temps & l’exemple? En unevne rencontre de la guerre Ci-
vile
Ci-
uile
contre Cynna, unvn soldat de Pompeius, ayant tué sans y
penser, son frere, qui estoit au parti contraire, se tua sur le champchāp
soymesme, de honte & de regret: &Et quelques années apres, en
unevne autre guerre civileciuile de ce mesme peuple, unvn soldat, pour
avoirauoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On
argumente mal l’honneuresteté & la beauté d’unevne action, par son
utilitévtilité,: &Et concludcōclud on mal, d’estimer que chacun y soit obligé,
Position : Marge gauche et qu’elle soit honeste a chacun,

si elle est utilevtile.
Position : Marge gauche Omnia non pariter
rerum sunt omnibus
apta.
Choisissons la plus necessaire, & plus utilevtile de
l’humaine societé, cCe sera le mariage: sSi est-ce, que le conseilcōseil des
saincts, trouvetrouue le contrairecōtraire party plus dignehoneste, & en exclut la plus
venerable vacation des hommes,: cComme nous assignons au
haras, les bestes qui sont de moindre estime.


Du repentir. CHAP. II.



LEs autres forment l’homme, jJeiIe le recite, & en repre-
sente unvn particulier, bien mal formé, &Et lequel si jia-
voy
a-
uoy
à façonnerfaçōner de nouveaunouueau, jeie ferois, vrayementvrayemēt bienbiē au-
tre qu’il n’est: mMes-huy c’est fait. Or les traits de ma peinture,
ne se forvoyentforuoyent point, quoy qu’ils se changentchāgent & diversifientdiuersifient.
Le monde n’est qu’unevne branloire perenne: tToutes choses y
branlent sans cesse,: lLa terre, les rochers du Caucase, les pyrami-
des d’AEgypte: &Et du branle public, & du leur. La constance
mesme, n’est autre chose qu’unvn branle plus languissant. JeIe ne
puis asseurer mon objectobiect: iIl va trouble & chancelant, d’unevne
yvresseyuresse naturelle. JeIe le prens en ce point, comme il est, en l’in-
stant que jeie m’amuse à luy.
Et au pis aller emmi tant de
formes variablesuariables prens celle
qui a varièuariè le moins
JeIe ne peints pas l’estre,. jJeiIe peints le
passage: nNon unvn passage d’aage en autre, ou comme dict
le peuple, de sept en sept ans,: mais de jouriour en jouriour, de
minute en minute. Il faut accommoder, mon histoire à
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.351359
l’heure presante.: JJeIIe pourray tantost changer, non de fortune seulementseulemēt,
mais aussi d’intention: c’C’est unvn contrerolle de diversdiuers & mua-
bles accidens, & d’imaginations irresoluës,. &Et quand il y es-
chet, contraires: sSoit que jeie sois autre moymesme,: sSoit que jeie
saisisse les subjectssubiects, par autres circonstances, & considerationsconsideratiōs.
Tant y a, que jeie me contredits bien à l’adventureaduenture, mMais la veri-
té, comme disoit Demades, jeie ne la contredy point. Si mon a-
me pouvoitpouuoit prendre pied & forme, jeie ne m’essaierois pas, jeie
me resoudrois: eElle est tousjourstousiours en apprentissageapprētissage, & en espreu-
ve
espreu-
ue
. JeIe propose unevne vie basse, & sans lustre: c’C’est tout unvn,. oOn at-
tache aussi bien toute la philosophie morale, à unevne vie popu-
laire & privéepriuée, que à unevne vie de plus riche estoffe: cChaque hom-
me
hō-
me
porte la forme entiere, de l’humaine condition.
Position : Marge droite . Les autheurs se
communiquent au
peuple par quelque
marque particuliere
architectes, medecins,
legistes,. mMoi
et estrangiere: moi le premier
par mon estre simplementuniverseluniuersel
come montaigne, non
come grammerien ou
poëte
michel de
montaigne: non comme
grammerien ou
poete ou jurisconsulteiurisconsulteou jurisconsulteiurisconsulte.
Si le monde se pleint de quoy
jeie parle trop de moy: si fai[unclear]
jeie moie pleins de quoi il ne pense
sulement pas a soi.
Mais est-
ce raison, que si particulier en usagevsage, jeie pretende me rendre
public en cognoissance? Est-il aussi raison, que jeie produise au
monde, où la façon & l’art, ont tant de credit & de comman-
dement, des effects de nature crus & simples, & d’unevne nature
encore bien foiblette? Est-ce pas faire unevne muraille sans pier-
re, ou chose semblable, que de bastir des livresliures sans sciencesciēce Position : Interligne haute et de philosofer sans Aristote Position : Interligne haute et sans art? Les
fantasies de la musique, sont conduictes par art, les miennes
par la fortunesort. Au moins ji’ay cecy selonselō la discipline, que jamaisiamais
homme ne traicta subjectsubiect, qu’il entendit ne cogneust mieux,
que jeie fay celuy que ji’ay entrepris: &Et qu’en celuy-là, jeie suis le
plus sçavantsçauant homme qui viveviue. SecondementSecondemēt, que jamaisiamais aucun
Position : Marge droite ne penetra en
sa matiere plus
avantauant, ny en
esplucha plus par=
ticulieremant les
mambres et suittes
eEt

n’arrivaarriua plus exactement & plus plainement, à la fin qu’il s’e-
stoit proposé à sa besoingne: pPour la parfaire, jeie n’ay besoing
nd’y apporter que de la fidelité: cCelle-là y est, la plus sincere &
pure qui se trouvetrouue. JeIe dy vray, non pas tout mon saoul: mais
autant que jeie l’ose dire: &Et l’ose unvn peu plus en vieillissant: cCar il
semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté de
bavasserbauasser, & d’indiscretion à parler de soy. Il ne peut adveniraduenir i-
cy, ce que jeie voy adveniraduenir souventsouuent, que l’artizan & sa besoigne
XXXx iij
Fac-similé BVH

[359v] ESSAIS DE M. DE MONT.
se contrarient: uUnvVn homme de si honneste conversationconuersation, a-il
faict unvn si sot escrit? Oou, des escrits si sçavanssçauans, sont-ils partis
d’unvn homme de si foible conversationconuersation? [Note (Mathieu Duboc) : La place primitive de cette addition se trouvait à l’emplacement du signe d’insertion biffé après "touche l’autre."]
Position : Marge gauche Quand un home parleQui ha un entretien
communeemantcommuneemāt et ses escrits
d’une façon rares C’est a dire
que sa suffisancesa capacite est en lieu d’oudou
il la vaua querir au besoinl’emprunte:
& non en luy. UnVn homepersonage
sçavantsçauant n’est pas sçavantsçauāt par
tout: mais le suffisant est
partout suffisant: signammantsignammātet
à ignorer mesme.
Icy, nous allons con-
formément, & tout d’unvn trein, mon livreliure & moy. Ailleurs, on
peut recommander & accuser l’ouvrageouurage, à part de l’ouvrierouurier,. iI-
cy non,: qui touche l’unvn, touche l’autre. Celuy qui en jugeraiugera
sans le connoistre, se fera plus de tort qu’à moy: cCeluy qui l’au-
ra conneu, m’a du tout satisfaict. Heureux outre mon merite,
si ji’ay seulementseulemēt cette part à l’approbation publique, que jeie fa-
ce sentir aux gens d’entendement, que ji’estoy capable de faire
mon profit de la science, si ji’en eusse eu,: &Et que jeie meritoy que
la memoire me secourut mieux. Excusons, icy, ce que jeie dy, sou-
vent
sou-
uent
, que jeie me repens rarement.
Position : Marge gauche et que ma consciance
se contante de soi: non
comme de la consciance
d’un ange : mais come
de la consciance d’un
home
ou d’un chevalcheual:
mais come de la consciance
d’un home. ordinere
AdjoustantAdioustant tousjourstousiours ce re-
frein,. nNonnNō pas unvn refrein de ceremonie,: mais de naifvenaifue & essen-
tielle submission, qQue jeie parle enquerant & ignorant,: mMe rap-
portant de la resolution, purement & simplement, aux crean-
ces communes & legitimes. JeIe n’enseigne poinct, jeie narreraconte. Il
n’est vice veritablement vice, qui n’offence, & qu’unvn jugementiugemēt
entier n’accuse: cCar il a de la laideur & incommodité si appa-
rente, qu’à l’advantureaduanture ceux-là ont raison, qui disent, qu’il est
principalement produict par bestise & ignorance: tTant est-il
malaisé, d’imaginer qu’on le cognoisse sans le haïr.
Position : Marge gauche La malice hume
la plus grand part de
pois sa propre poison.
sa poison propre veninuenin
& s’en empoisone.
Le vice lais-
se comme unvn ulcerevlcere en la chair, unevne repentance en l’ame, qui
tousjourstousiours s’esgratigne, & s’ensanglante elle mesme. Car la rai-
son efface les autres tristesses & douleurs, mais elle engendre
celle de la repentance: qQui est plus griefvegriefue, d’autantautāt qu’elle naist
au dedans,. cComme le froid & le chaut des fiévresfiéures, est plus poi-
gnant, que celuy qui vient du dehors. JeIe tiens pour vices (mais
chacun selon sa mesure) non seulement ceux que la raison &
la nature condamnent,: mMais ceux aussi, que l’opinionopiniō des hom-
mes à forgé,: vVoire fauce & erronée, si les loix & l’usagevsage l’au-
ctorise. Il n’est pareillement bonté, qui ne resjouysseresiouysse unevne na-
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.352360
ture bien née. Il y à certes, jeie ne sçay quelle congratulation, de
bien faire, qui nous resjouitresiouit en nous mesmes, &Et unevne fierté ge-
nereuse, qui accompaigne la bonne conscience. UneVne ame cou
rageusement vitieuse, se peut à l’adventureaduenture garnir de securité,.
mMais de cette complaisance & satis-factionfactiō, elle n’enne s’en peut four-
nir. Ce n’est pas unvn leger plaisir, de se sentir preservépreserué de la con-
tagion d’unvn siecle si gasté,. &Et de dire en soy: qQui me verroit jus-
ques
ius-
ques
dans l’ame, encore ne me trouveroittrouueroit-il coulpable, nNy de
l’affliction & ruyne de personne,. nNy de vengence ou d’envieenuie,:
nNy d’offenceoffēce publique des loix,: nNy de nouvelleténouuelleté & de trouble,:
nNy de faute à ma parole: &Et quoy que la licence du temps per-
mit Position : Interligne haute et aprint à chacun, si n’ay-jeie mis la main, ny és biens, ny en la bour-
se d’hommehōme François,: &Et n’ay vescu que sur la mienne, non plus en
guerre qu’en paix,: nNy ne me suis servyseruy du travailtrauail de personne,
sans loyer. Ces tesmoignages de la conscienceconsciēce, plaisent,: & nous
est grand benefice que cette esjouyssanceesiouyssance naturelle,. &Et le seul
payement qui jamaisiamais ne nous fautmanque. De fonder la recompence
des actions vertueuses, sur l’approbation d’autruy, c’est pren-
dre unvn trop incertain & trouble fondementfondemēt:
Position : Marge droite . NomeemantSignemment en un
siecle corrompu et
ignorant come cestuicy
la bone estime du peuple
est injurieuseiniurieuse: Aa qui
vousuous fiez vousuous d’estimer
ce qui est louable
de
voiruoir ce qui est louable?
dDieu me gard d’estre
home de bien a sa modeselon la
description: Quae
fuerant uitia mores sunt

que jeie voisuois faire tous les
joursiours par honur, a chacun de
soi. Quae fuerant uitia
mores sunt.
Quelquefois il
est avenuauenu a mes amis honestes
gens, ou a ma requisition, car il
n’est fruit en la societe,

Position : Marge droite comparable a celui la, ny en
utilite, ny en douceur, a un’ame
bien faicte: ou par saillie de
leur propre mouvementmouuement, d’entre=
prendreens de me chapitrer et
mercurialiser en privepriue, a ceur ouvertouuert, jeie meure
s’il n’avenoitauenoit qu’imbus de ces fauces opinions du
temps, que ji’eusse peuils m’offroint a destourner a honur leurs
reprimandes, et leurs approbations a reprobation
Ce n’estoit pas a moi pourtant de le leur faire sentir
eins de les en remercier et sçavoirsçauoir gre, pour ne trobler
la faveurfaueur d’un si bon office.

Position : Interligne basse Tels des mes amis ont par fois entrepris de me chapitrer et
mercurialiser a ceur ouvertouuert, ou de leur propre mouvementmouuement,
ou pressessemons par moi, come d’un office, qui, a un’ame bien faicte,
non en utilite sulement mais en douceur aussi, surpasse
tous les offices de l’amitie. JeIe l’ay tousjourstousiours acceuilli des bras
de la courtoisie & reconoissance les plus ouversouuers. Mais a en
jugeriuger a ma mode ils me batoint d’accusation que jeie pouvoipouuoi
prendre pour excusation a peu pres: et me consoloint d’approbation
qui sonoit a reprobation plus tost
parler asture en conscianceconsciāce
jeieji’ay souventsouuent trouvoisetrouuoise en leurs reproches et louanges tant de fauce mesure que jeie n’eusse
guere failli, de faillir plus tost que de bien faire a leur mode.
Nous autres prin-
cipalement, qui vivonsviuons unevne vie privéepriuée, qui n’est en montremōtre qu’à
nous, devonsdeuons avoirauoir estably unvn patron au dedans, auquel tou-
cher nos actions: &Et selon iceluy, nous caresser tantost, tantost
nous chastier. JI’ay mes loix & ma court, pour jugeriuger de moy, &
m’y adresse plus qu’ailleurs. JeIe restrains bien selon autruy mes
actions,: mais jeie ne les estends que selon moy. Il n’y a que vous
qui sçache si vous estes láche & cruel, ou loyal & devotieuxdeuotieux,.
lLes autres ne vous voyent poinct, ils vous devinentdeuinent, par con-
jectures
con-
iectures
incertaines,: iIls voyent, non tant vostre naturel, que
vostre art. Par ainsi ne vous tenez pas à leur sentence,: tTenez
vous à celle dela vostre. conscience. Position : Interligne haute Tuo tibi iudicio est utendum.
Position : Marge droite Virtutis et uitiorum
graue ipsius conscientiae
pondus est: qua sublata,
iacent omnia.
Mais ce qu’on dit, que la re-
pentance suit de pres le peché,: ne semble pas regarder le peché
qui est en son haut appareil,: qQui loge en nous comme en son
propre domicile. On peut desavouërdesauouër & desdire les vices, qui
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[360v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous surprennent, & vers lesquels les passions nous emportentemportēt:
mMais ceux qui par longue habitude, sont enracinées Position : Interligne haute et ancrés en unevne
volonté forte & vigoureuse, ne sont subjectssubiects à contradictioncōtradiction.
Le repentir n’est qu’unevne desditte de nostre volonté, & oppo-
sition de nos fantasies, qQui nous pourmene à tout sens. Il
faict desadvouërdesaduouër à celuy-là, sa vertu passée & sa continence.,
Quae mens est hodie, cur eadem non puero fuit,
Vel cur his animis incolumes non redeunt genae?

C’est unevne vie exquise, celle qui se maintient en ordre jusquesiusques
en son privépriué. Chacun peut avoirauoir part au battelage, & repre-
senter unvn honneste rollepersonage en l’eschaffaut,. mMais au dedans, & en
sa poictrine, ou tout nous est loisible, ou tout est caché, d’y e-
stre reglé, c’est le poinct,: lLe voisin degré:, c’est de l’estre, en sa
maison, en ses actions ordinaires, & privéespriuées, desquelles nous
n’avonsauons à rendre compteraison à personne: oOù il n’y à point d’estu-
de, point d’artifice. Et pourtant Bias, ayant à peindrepeignant unvn excel-
lent estat de famille,: dDe laquelle, dit-il, le maistre soit tel au de-
dans, par luy-mesme, comme il est au dehors, par la crainte de
la loy, & du dire des hommes. Et fut unevne digne parole de Ju-
lius
Iu-
lius
Drusus, aux ouvriersouuriers qui luy offroient pour trois mille
escus mettre sa maison en tel poinct, que ses voisins n’y au-
roient plus la veuë qu’ils y avoientauoient: jJeiIe vous en donneraydōneray, dit-il,
six mille, & faictes que chacun y voye de toutes parts. On re-
marque avecauec honneur l’usagevsage d’Agesilaus, de faireprendre en voya-
geant son logis dansdās les Eglises, affin que le peuple, & les dieux
mesmes, vissent dans ses actions domestiques & privéespriuées. Tel à
esté miraculeux au monde, auquel sa femme & son valet, n’ontōt
rien veu seulement de louableremercable. Peu d’hommes ont esté admi-
rez par leurs domestiques,.
Position : Marge gauche Nemo propheta in patriaNul a este profete Position : Interligne haute non sulement enē sa maison, mais en son païs
dict l’experiance des
histoires. De mesmes au
choses de neant: Et en ce
bas example se voituoit tresbien
l’image des grands. En mon
climat de gascouigne on
tient pour drolerie de me
veoir imprimè. Les honestes
homes et
lettrez de quoi il
y
qui y sont a foison
du païs y passent les yeus
come sur un Almanach ou matiere plus vileuileinutile si l’impression en souffre
Ailleurs jeie suis mieus
receu specialementspecialemēt au plus louin
D’autantautāt que la conoissance qu’on prent de moi s’eslouigne
de mon giste, mieus ji’en vausuaus d’autant mieus.
[Note (Mathieu Duboc) : Le signe d’insertion en forme de croix renvoi à la dernière phrase de la page. Puis le sens de la lecture reprend à cet endroit par "Sur cet accidant".]
Position : Interligne basse JI’achete les imprimurs en Guiene: en Franceailleurs ils m’achetent.
Sur cet accidant se fondentfondēt ceus qui se cachent vivansuiuans Position : Interligne haute et presens pour
se mettre en credit enversenuers la posteritetrespassez et absans. JIe suis bien au rebours’aime mieus en avoirauoir moins. Et ne me jetteiette au monde que pour la
part que ji’en tire. Au partir de la jeie l’en quitte.
lLe peuple reconvoyereconuoye celuy-là, d’unvn
acte public, avecauec estonnement jusquiusqu’à sa porte: il laisse avecauec sa
robbe ce rolle:, iIl en retombe d’autant plus bas, qu’il s’estoit
plus haut monté. AaAu dedans, chez luy, tout est tumultuaire &
vile.
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LIVRE TROISIESME.353361
vile. Quand le reiglement s’y trouveroittrouueroit, il faut unvn jugementiugement
vif & bien trié, pour l’appercevoirapperceuoir en ces actions basses & pri-
vées
pri-
uées
. JointIoint que l’ordre est unevne vertu morne & sombre: gGaigner
unevne bresche, conduire unevne ambassade, regir unvn peuple, ce sont
actions esclatantes: tTancer, rire, vendre, payer, aymer, hayr, &
converserconuerser avecauec les siens, & avecauec soymesme, doucement & ju-
stement
iu-
stement
,: ne relácher point, ne se desmentir poinct,: c’est chose
plus rare plus difficile, & moins remerquable. Les vies retirées
& privéespriuées, soustiennent par là, quoy qu’on die, des devoirsdeuoirs au-
tant ou plus aspres & tendus, que ne font les autres vies.
Position : Marge droite Et les privezpriuez dict Aris=
tote serventseruent la vertuuertu
de rien moins ains de
beaucoup plus
plus difficilement et [unclear] hautement que ne font
que ceus qui sont en magistrat.
Nous
nous preparons aux occasions eminentes, plus par gloire que
par conscience.
Position : Marge droite Praeclare Socrates
hanc uiam ad gloriam
proximam et quasi compen=
diariam dicebat esse, si
quis id ageret ut qualis
haberi uellet, talis esset.

La plus courte façon d’arriverdarriuer
a la gloire ce seroit faire
par consciance ce que nous
faisons pour la gloire
Et la vertu d’Alexandre me semble represen-
ter assez moins de vigueur en son theatre, que ne fait cel-
le de Socrates, en cette exercitation basse & obscure. JeIe con-
çois aisément Socrates, en la place d’Alexandre,. Alexandre, au
rolleen celle de Socrates, jeie ne puis: qQui demandera à celuy-là ce qu’il
sçait faire, il respondrarespōdra, subjuguersubiuguer Position : Interligne haute comander le monde: qQui le demandera
à cettuy-cy, il dira, qu’il sçait conduiremener l’humaine vie confor-
mément à sa naturelle condition:
Position : Marge droite faire auau monde ce
pour quoi il est au monde
sScience bien plus generale,
plus poisante, & plus legitime. Le pris de l’ame ne consiste pas
à aller haut, mais ordonnéement:
Position : Marge droite . LSa grandur de ne
l’ame n’ests’exerce pas, en la
grandur tant comec’est en
la mediocritè. ComeAinsi que
ceus qui nous jugentiugent et
touchent au dedans ne
font pas grand recette de
la lueur de nos actions
publiques. eEt voientuoient que ce
ne sount que filetz & pouintes
d’eau fine rejaliesreialies d’un fond
au demurant limoneus et
poisant. En pareil cas, ceus qui
nous voientuoientjugentiugent par cette bravebraue
apparance concul concluent
de mesmes de nostre constitution
interne: eEt ne peuventpeuuent
accoupler des facultes
populeres & pareilles aus
leurs, a ces autres facultez
qui les estonent si loin de
leur porteeviseeuisee. Ainsi donons
nous aus daemons des formes
sauvagessauuages: eEt qui non, a
Tamburlan des sourcils eslevezesleuez des
naseaus ouversouuers des gros yeus farouchesun visageuisage affreus
et une taille desmesuree come est la
taille de l’imagination qu’il en a conceue
de ses faicts grands et rudes.par ledu bruit de par son histoir nom. Qui meust
l’eut faict voiruoir Erasme autresfois, il eut este
malaisé que jeie n’eusse pris pour adages
et apohtegmesapophtegmes tout ce qu’Erasmeil eut dict a
son valet & a son hostesse. Nous imaginons
bien plus sortablemant un artisan sur sa garde robe
ou sur sa fame qu’un grand presidant venerableuenerable en par
son maintien saes vertuuertumeurs et suffisance Il nous semble que de
ces haus throsnes ils ne s’abaissent pas [unclear] jusquesiusques à
vivreviure.
cComme les ames vicieuses,
sont incitées souventsouuent à bien faire, par quelque impulsion e-
strangere, aussi sont les vertueuses à faire mal. Il les faut doncq
jugeriuger par leur estat rassis, quand elles sont chez elles, si quel-
que fois elles y sont: oOu aumoins quand elles sont plus voisi-
nes du repos, & ende leur naifvenaifue assiette. Les inclinations natu-
relles, s’aident & fortifient par institution,. mMais elles ne se
changent guiere & surmontent. Mille natures, de mon temps,
ont eschappé vers la vertu, ou vers le vice, au traverstrauers d’unevne di-
scipline contraire.:
Sic vbi desuetae siluis in carcere clausae
Mansueuere ferae, & vultus posuere minaces,.

YYYy
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[361v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Atque hominem didicere pati, si torrida paruus,
Venit in ora cruor, redeunt rabiésque furórque,
Admonitaeque tument gustato sanguine fauces,
Feruet, & à trepido vix abstinet ira magistro.

On n’extirpe pas ces qualitez originelles, on les couvrecouure, on les
cache:. lLe langage latin m’est, comme naturel: jeie l’entens mieux
que le François: mMais il y à quarante ans, que jeie ne m’en suis du
tout poinct servyseruy à parler, ny guere à escrire,: sSi est-ce que à des
extremes & soudaines esmotions, ou jeie suis tombé, deux ou
trois fois en ma vie: & l’unevne, voyentvoyēt mon pere tout sain, se ren-
verser
ren-
uerser
sur moy, pasmé, ji’ay tousjourstousiours eslancé du fond des en-
trailles les premieres paroles Latines:
Position : Marge gauche nNature se sourdant
& s’exir s’exprimant
contre l’artlart & l’usagelusage.
Et au traverstrauers de l’artlart
et de l’
force contre un si
long
usage. Et
a
force, a l’encontre dun
si long usage. Et
& cet exemple, se dict
d’assez d’autres. Ceux qui ont essaié de r’aviserauiser les meurs du
monde, de mon temps, par nouvellesnouuelles opinions,: reforment les
vices de l’apparence, ceux de l’essence ils les laissent là, s’ils ne
les augmentent: &Et l’augmentation y est à craindre: oOn se se-
journe
se-
iourne
volontiers de tout autre bien faire, sur ces reformationsreformatiōs
externes, arbitreres, de moindre coust, & de plus grand merite,: &Et satis-
fait-on Position : Interligne haute a bon marché, par là, les autres vices naturels & internes:consubstantiels et intestins. rRegardez unvn
peu comment s’en porte nostre experience. Il n’est personne,
s’il s’escoute, qui ne descouvredescouure en soy unevne forme sienne, unevne
forme maistresse, qui luicte contre l’art & l’institution, & con-
tre la tempeste des passions, qui luy sont contrairescōtraires. De moy jeie
ne me sens guere agiter par secousse,. jJeiIe me trouvetrouue quasi tou-
sjours
tou-
siours
en ma place, comme font les corps lourds & poisans. Si
jeie ne suis chez moy, ji’en suis tousjourstousiours bien pres: mMes desbau-
ches ne m’emportent pas fort loing: iIl n’y à rien d’extreme &
d’estrange: &Et si ay des ravisemensrauisemens sains & vigoureux. La vraie
condamnation, & qui touche la commune façonfaçō de nos hom-
mes, c’est, que leur retraicte mesme, est pleine de corruption,
& d’ordure,: l’idée de leur amendement chafourrée,: leur peni-
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LIVRE TROISIESME.354362
tence malade, & en coulpe, autant à peu pres que leur peché.
Aucuns, ou pour estre colléz au vice, d’unevne attache naturelle,
ou par la longue accoustumance, n’en trouventtrouuent plus la lai-
deur. A d’autres (duquel regiment jeie suis) le vice poise, mais ils
le contrebalancent avecauec le plaisir, ou autre occasionoccasiō: &Et le souf-
frent & s’y prestent à certain prix,: vVitieusement pourtant, &
injustementiniustementlachement. Si ce pourroit-il à l’advantureaduanture imaginer, si esloi-
gnée disproportion de mesure, ou avecauec justiceiustice, le plaisir excu-
seroit le peché, comme nous disons de l’utilitévtilité: notammentnNon sulement
s’il estoit accidentalaccidētal, & hors du peché, comme au larrecin, mais
en l’exercice mesme d’iceluy, comme en l’accointanceaccointāce des fem-
mes, ou l’incitation est violente, & dit-on, par fois invincibleinuincible.
En la terre d’unvn mien parentparēt, l’autre jouriour que ji’estois en Armai-
gnac, jeie vy unvn paisan, que chacun surnomme le larron. Il fai-
soit ainsi le conte de sa vie: qQu’estant né mendiant, & trou-
vant
trou-
uant
, que à gaigner son pain au travailtrauail de ses mains, il n’arri-
veroit
arri-
ueroit
jamaisiamais à se fortifier assez contre l’indigence, il s’advisaaduisa
de se faire larron: &Et avoitauoit employé à ce mestier toute sa jeu-
nesse
ieu-
nesse
, en seureté, par le moyen de sa force corporelle:, cCar il
moissonnoit & vendangeoit des terres d’autruy:, mais c’estoit
au loing, & à si gros monceaux, qu’il estoit inimaginable
qu’unvn homme en eust tant rapporté en unevne nuict sur ses es-
paules,. &Et avoitauoit soing outre cela, d’egaler, & disperser le dom-
mage qu’il faisoit, si que la foule estoit moins importable à
chaque particulier. Il se trouvetrouue à cette heure en sa vieillesse, ri-
che pour unvn homme de sa fortunecondition, mercy à cette trafique,: dDe-
quoy il se confesse ouvertementouuertement, & pour s’accommoder a-
vec
a-
uec
Dieu, de ses acquests, il dict estre tous les joursiours apres
à satisfaire par bien-faicts, aux successeurs de ceux qu’il a des-
robez,. &Et s’il n’acheveacheue,: car d’y pourvoirpouruoir tout à la fois il ne
peut,: qu’il en chargera ses heritiers, à la raison de la science
qu’il à luy seul, du mal qu’il à faict à chacun. Par cesttte[Note (Montaigne) : tt] descri-
YYYy ij
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[362v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ption, soit vraye ou fauce, cettuy-cy regarde le larrecin, com-
me action des-honneste, & le hayt, mais moins que l’indigen-
ce: sS’en repent bien simplement, mais en tant qu’elle estoit
ainsi contrebalancée & compencée, il ne s’en repent pas. Cela,
ce n’est pas cette habitude, qui nous incorpore au vice, & y con-
forme
cō-
forme
nostre entendemententendemēt mesme: ny n’est ce vent impetueux
qui va troublant & aveuglantaueuglant à secousses, nostre ame, & nous
precipite pour l’heure, jugementiugement & tout, en la puissance du
vice. JeIe fay coustumierement entier ce que jeie fay, & marche
tout d’unevne piece: jJeiIe n’ay guere de mouvementmouuement, qui se cache
& desrobe à ma raison, & qui ne se conduise à peu pres, par le
consentement de touts mes parties,. sSans divisiondiuision, sans sedi-
tion intestine: mMon jugementiugement en a la coulpe, ou la louange
entiere: &Et la coulpe qu’il a unevne fois, il l’a tousjourstousiours: cCar quasi
dés sa naissance il est unvn,: mesme inclination, mesme route,
mesme force. Et en matiere d’opinions universellesvniuerselles, dés l’en-
fance, jeie me logeay au poinct ou jiavoisauois à me tenir. Il y à des
pechez impetueux, prompts & subits, laissons les à part: mMais
en ces autres pechez, à tant de fois reprins, deliberez, & con-
sultez, ou pechez de complexion,
Position : Marge gauche voireuoire pechez de
profession et de
vacation:
jeie ne puis pas facilement
concevoirconceuoir, qu’ils soient plantez si long temps en unvn mesme
courage, sans que la raison & la conscience de celuy qui les
possede, le veuille constamment, & l’entende ainsi: &Et le repen-
tir qu’il se vante, luy en venir à certain instant prescript, m’est
unvn peu dur à imaginer & former.
Position : Marge gauche JeIe ne suis pas de
la secte de Pytha=
goras que les homes
[...]ne les prenent une
ame nouvellenouuelle quand
ils aprochent cles
simulachres des dieus
pour receuillir leurs
oracles. Si non qu’il
voulut dire cela
mesme,. qQu’il faut
bien qu’elle soit
estrangiere si elle
s’y treuvetreuue purifiee
nouvellenouuelle
et prestee pour le
temps: la: la leur montrant si peu
de signe de purification et nettete
condigne a cet office
Ils font tout à l’opposite
des preceptes Stoiques, qui nous ordonnent bien, de corri-
ger les imperfections, & vices que nous reconnoissons en
nous, mais nous deffendent d’en estre marris & desplaisants:
cCeux-cy nous font à croire, qu’ils en ont grand regret & re-
mors au dedans,: mMais d’amendement & correctioncorrectiō, Position : Interligne haute puri ny d’interruption: ils ne nous
en font rien apparoir. Si n’est ce pas guerison si on ne se des-
charge du mal: sSi la repentancerepentāce pesoit sur le plat de la balancebalāce, elle
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LIVRE TROISIESME.355363
en-porteroit le peché. JeIe ne trouvetrouue aucune qualité si aysée à
contrefaire que la devotiondeuotion,: si on n’y conforme les meurs &
la vie: sSon essence est abstruse & occulte,: les apparences faci-
les & pompeusespōpeuses. Quant à moy, jeie puis desirer en general estre
autre: jeie puis condamner & me desplaire de ma forme uni-
verselle
vni-
uerselle
,: & supplier Dieu pour mon entiere reformation,: &
pour l’excuse de ma foiblesse naturelle: mMais cela,: jeie ne le doits
nommer repentir ce me semble,: non plus que le desplaisir de
n’estre, ny Ange ny Caton. Mes operationsactions sont reglées, &
conformes à ce que jeie suis, & à ma condition. JeIe ne puis faire
mieux,: &Et le repentir, ne touche pas proprementpropremēt les choses qui
ne sont pas en nostre force, ouy bien le regeretreter. JI’imagine in-
finies natures plus hautes & plus reglées que la mienne: jJeiIe n’a-
mande pourtant mes facultez: cComme ny mon bras, ny mon
esprit, ne deviennentdeuiēnent plus vigoreux, pour en concevoirconceuoir unvn au-
tre qui le soit. Si d’imaginer & desirer unvn agir plus noble que
le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à
nous repentir de nos operations plus innocentes: dDautantautāt que
nous jugeonsiugeons bien qu’en la nature plus excellente, telles ope-
rations auroyent esté conduites d’unevne plus grande perfectionperfectiō
& dignité,: & voudrionsvoudriōs faire de mesme. Lors que jeie consulte,
des deportemens de ma jeunesseieunesse avecauec ma vieillesse, jeie trouvetrouue
que jeie les ay communement conduits avecauec ordre, selon moy:
cC’est tout ce que peut ma resistance. JeIe ne me flatte pas: àA cir-
constances pareilles, jeie seroy tousjourstousiours tel. Ce n’est pas tachemacheure,
c’est plustost unevne teinture universellevniuerselle qui me noircisttache. JeIe ne
cognoy pas de repentance superficielle, moyenne, & de cere-
monie,: iIl faut qu’elle me touche de toutes pars, avantauant que jeie la
nomme ainsin, & qu’elle pinse mes entrailles, & les afflige au-
tant profondement, que Dieu me voit,: & autant universelle-
ment
vniuerselle-
ment
. Quant aux negoces, il m’est eschappé plusieurs bonnes
avanturesauantures, à faute d’heureureuse conduitte: mMes conseils ont
YYYy iij
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[363v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pourtant bien choisi, selon les occurrences qu’on leur presen-
toit: lLeur façon est de prendre tousjourstousiours le plus facile & seur
party. JeIe trouvetrouue qu’en mes deliberations passées, ji’ay selon ma
regle, sagement procedé, pour l’estat du subjectsubiect qu’on me
proposoit,. &Et en ferois autant d’icy à mille ans, en pareilles oc-
casions
oc-
casiōs
. JeIe ne regarde pas, quel il est à cette heure, mais quel
il estoit, quand ji’en consultois.
Position : Marge gauche La force de tout conseil
gist au temps: Les occasions
& les matieres roulent
& changent sans cesse.
JI’ay faict fresencouru quelques
lourdes fauteserrurs en ma vieuie
& importantes: po non par
faute de bon advisaduis, mais
par faute de bonheur. Il
y a des parties secretes aus
objectsobiects qu’on manie et indivi
nables
indiui
nables
: signammant en la
nature des homes: des conditions
muettes, sans montre, inconues
par fois du possessur mesme:
qui se produisentproduisēt et esveillentesueillēt
par des occasions survenantessuruenantes.
Si ma prudance ne les a peu
penetrer & profetiser, jeie ne luy
en sçai nul mauvesmauues gré: sa
charge se contient en ses limites.
Si l’evenementeuenement me bat: & s’il
a
Si l’evenementeuenement à favoriséfauorisé le
party que ji’ay refusé: iIl n’y a remede: jJeiIe ne m’en prensprēs pas à moy
de ne l’avoirauoir sçeu prevoirpreuoir,: jJiI’accuse ma fortune, non pas mon
operationouvrageouurage,: cCela ne s’appelle pas repentir. Phocion avoitauoit don-
né aux Atheniens certain advisaduis, qui ne fut pas suyvisuyui: l’affaire
pourtant se passant contre son opinion avecauec prosperité, quel-
qu’unvn luy dict,. &Et bien Phocion, és tu content que la chose
aille si bien? Bien suis-jeie content, fit-il, qu’il soit advenuaduenu cecy,.
mais jeie ne me repens point d’avoirauoir conseillé cela. Quand mes
amis s’adressent à moy, pour estre conseillez, jeie le fay libre-
ment & clairement,. sSans m’arrester comme faict quasi tout
le monde, à ce que la chose estant hazardeuse, il peut adveniraduenir
au rebours de mon sens, par où ils ayent à me faire reproche
de mon conseil: dDequoy il ne me chaut. Car ils auront tort,: &Et
cependant jeie n’ay peudeu leur refuser cest office.
Position : Marge gauche JeIe n’ay guere a me prendre
de mes fautes ou infortunes
à autre que’a sur moi. Car en
jeie me guide moi sul. Et meeffaict jeie me
sers rarement des advisaduis
d’autrui si ce n’est par honeur
de ceremonie: sauf en ce ou [Note (Mathieu Duboc) : Les deux versions de ce passage donnent : 1- sauf en ce ou il est requis estre instruit de la sciance du faict plus que du raisonement et discours il eschoit de la sciance ou de la conoissance du faict. 2- sauf ou j’ay besouin d’instruction de sciance ou de la cognoissance du faict.]
il est requis estre instruit due fai
la sciance du faict plus que
du raisonement et discours
il eschoit
ji’ay besouin d’instruction de la sciance ou de la
cognoissance du faict. Mais
és choses ou jeie n’ay a
emploier que le jugementiugement
et le discours, les raisons
estrangesres peuventpeuuent servirseruir
à m’appuier mais nullementpeu
à me destourner. jJeiIe les escoute
favorablementfauorablement & decemment
mais jeie n’en croi que les mienes.toutes.
Mais qu’il m’en souvienesouuiene
jeie n’en ai crueu jusquiusqu’asture
que les mienes. Selon moy
ce ne sont que mouches et atomes
qui promeinent ma volontéuolonté JeIe
prise peu mes opinions mais jeie
prise aussi peu celles des autres.
Position : Interligne basse Fortune me païe dignement Si jeie done peune reçoi pas
ausde conseils d’a des autres les autres donent
encore moins aux miens Si quelcunOn s’en enquiert
c’est par acquit: et cela tresrarement
peu: et les reçoitventreçoituēt on encore moins du tout point
ji’en done encores moins JI’en suis fort peu enquis
mais ji’en suis encore moins creu: et ne sache nulle entreprinse
Position : Marge gauche d’autrui, publique ny priveepriuee que mon advisaduis
aie redressee et ramenee
. Ceus mesme
que la fortune y avoitauoit commis a ma conduiteaucunement atache se
sont laisses plus volontiersuolontiers manier plus tost para toute autre cervelleceruelle
que par la miene. Come celuy qui suis bien plus autantautāt
jalousialous des droits de mon repos que des droicts de mon
authoritè jeie l’aime bien mieus ainsi: pour estre deschargé
du gariement des succez: de leurs entreprinses. Quand
on
jointioint qu’en me laisseantlaisseāt la, on faict selon ma profession, qui est de
[...]
Me laissant la
on faict selon ma profession, qui est de m’establir et
contenir tout en moy. Ce m’est plaisir d’estre desinteresse des affaires
d’autrui & desgage de leur gariement.
En tous affaires
quand ils sont passés, comment que ce soit, ji’y ay peu de re-
gret: cCar cette imagination me met hors de peine, qu’ils de-
voyent
de-
uoyent
ainsi passer: lLes voyla dans le grand cours de l’universvniuers,
& dans l’encheineure des causes Stoïques,. vVostre fantasie n’en
peut, par souhait & imagination, remuer unvn point, que tout
l’ordre des choses ne renverserenuerse, & le passé & l’adveniraduenir. Au de-
meurant,: jeie hay cest accidental repentir que l’aage apporte.
Celuy qui disoit anciennement estre obligé aux années, de-
quoy elles l’avoyentauoyent deffaict de la volupté, avoitauoit autre opi-
nion que la mienne: jJeiIe ne sçauray jamaisiamais bon gré à l’impuis-
sance, de bien qu’elle me face.
Position : Marge gauche Nec tam auersa
unquam uidebitur
ab opere suo prouidentia, ut
debilitas inter optima inuenta sit.
Nos appetits sont rares en la
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LIVRE TROISIESME.356364
vieillesse,: unevne profonde satieté nous saisit apres: eEn cela jeie ne
voy rien de conscience: lLe chagrin, & la foiblesse, nous impri-
ment unevne vertu lache, & catarreuse. Il ne nous faut pas laisser
emporter si entiers, aux alterations naturelles, que d’en aba-
stardir nostre jugementiugemēt. La jeunesseieunesse & le plaisir, n’ont pas faict
autrefois que ji’aie m’escogneu le visage du vice, en la volupté:
nNy ne faict à cette heure, le degoust que les ans m’apportent,
que jeie mescognoisse celuy de la volupté, au vice. Ores, que jeie
n’y suis plus, ji’en jugeiuge comme si ji’y estoy:
Position : Marge droite Moi qui la secoue vifve=
ment
uifue=
ment
et attantifvementattantifuement
treuvetreuue que ma
mMa raison est celle
mesme que jiavoyauoy en l’aage plus licencieux,: sSinon à l’avantu-
re
auantu-
re
, d’autant qu’elle s’est affoiblie & empirée, en viellissant.
Position : Marge droite : de s’enfourner a ce plaisiet treuvetreuue que ce qu’elle
refuse de s’m’enfourner a ce
plaisir en consideration de
l’interest de sma sante corpo=
relle elle ne le fairoit non
plus qu’autre fois pour la
santé spirituelle.

Pour la voir hors de combat, jeie ne l’estime pas plus valeu-
reuse. Mes tentations sont si cassées & mortifiées, qu’elles ne
valent pas qu’elle s’y oppose: tTandant seulement les mains
au devantdeuant, jeie les esconjureesconiure. Qu’on luy remette en testepresence, cette an-
cienne concupiscence,: jeie crains qu’elle auroit moins de force
à la soustenir, qu’elle n’avoitauoit autrefois. JeIe ne luy voy rien ju-
ger
iu-
ger
a par soy, que lors elle ne jugeastiugeast,: il n’y any aucune nouvellenouuelle
clarté. Parquoy s’il y a convalescenceconualescence, c’est unevne convalescenceconualescence
maladifvemaladifuefievreusefieureusemaleficiee.
Position : Marge droite Miserable sorte
de remede, daevoirdaeuoir
sa santé a sa la
maladie sa santé.
Et Platon dict: mais
come en nous le reprochantreprochāt
que les maus et le voisinageuoisinage
de la mort nous serventseruent
d’instruction.
Ce n’est pas à
au malheur nostre malheur
de faire cet office: c’est au bon
heur de nostre jugemantiugemant. On ne me
faict rien faire par les offanses
et afflictions que de les maudire. C’est aux
faire a gens qui ne s’eveillenteueillent
qu’a coups de foit. Ma raison
a bien la veuueu son cours plus
delivredeliure en la prosperite. Elle
est bien plus empresseedistrette aet occupee
a digerer les maus que les plaisirs.
JeIe voisuois bien plus cler en temps
serein. La sante m’advertitaduertit
etcome plus allegremant &aussi plus
utillemant que la maladie.
JeIe me suis avancéauancé le plus
que ji’ay peu versuers ma reparation
et reglemant lors que jiavoisauois a
en jouiriouir. JeIe serois honteus &
envieusenuieus que la misere et desfortune de ma decrepitude eut a se preferer a mes
bones annees seines esveilléesesueillées vigoreusesuigoreuses. eEt qu’on eut a m’estimer non par ou ji’ay este
pmais par ou ji’ay cessé d’estre.
Position : Marge gauche Ce n’est pas JI’estime queA mon advisaduis c’est le
vivreuiure hureusement non come disoit
Antisthenes le mourir hureusement
qui faict l’humaine felicite.
JeIe ne me suis pas atandu d’atacher monstrueusemant
la queue d’un philosophe a la teste et au corps d’un home perdu. Ny que ce chetif bout
eut a desadvouërdesaduouër et desmantir la plus belle entiere et longue partie de ma vieuie. JeIe
me veusueus presanter et faire voiruoir par tout uniformeemant.
Position : Marge gauche Si jiavoisauois a revivrereuiure jeie revivroisreuiurois
come ji’ay vescuuescu: ny jeie ne pleins le
passe, ny jeie ne creins l’adveniraduenir.
Et si jeie ne me deçois il
est alle [unclear]du dedans environenuiron come du dehors: C’est une des principales obligations
que ji’aye a ma fortune que le cours de ma vieuieon Position : Interligne haute estat corporel aye este conduit chaque chose en sa
seson. JI’en ai veuueu l’herbe et les fru fleurs et le fruit. et en voisuois la secheresse. HureusemantHureusemāt
puis que c’est naturellemant. JeIe porte bien plus doucemantdoucemāt les maus que ji’ay, d’autant
qu’ils sont en leur point. Et qu’ils me font aussi plus favorablemantfauorablemant souvenirsouuenir de la longue
felicité de ma vieuie passee. JeIe resigne donq ces reformations casuelles et
doleureuses. Ma
Pareillement ma sagesse peut bien estre de mesme taille en l’unlun et en l’autrelautre temps.
Mais ell’estoit bien de plus d’exploit et de meillure grace verteuerte gaye naïfvenaïfue
Qu’elle n’est a presant: croupie grondeuse laborieuse. JeIe renonce donq a
ces reformations casuelles & douloureuses.
Il faut que Dieu nous touche le courage,: iIl faut
que nostre conscience s’amende d’elle mesme, par renforce-
ment de nostre raison, non par la defaillance’affoiblissement de nos forcesappetits. La
volupté n’en est en soy, n’y pasle ny descolorée, pour estre a-
perceuë par des yeux chassieux & troubles. On doibt aymer
la temperance par elle mesme, & pour le respect de Dieu qui
nous l’a ordonnéeordōnée, & la chasteté: cCelle que les catarres nous pre-
stent, & que jeie doibts au benefice de ma cholique, ce n’est ny
chasteté, ny temperance. On ne peut se vanter de mespriser &
combatre la volupté, si on ne la voit, si on l’ignore, & ses gra-
ces, & ses forces, & sa beauté, plus attrayante. JeIe cognoy l’unevne
& l’autre, c’est à moy à le dire: mMais il me semble, qu’enē la vieil-
lesse, nos ames sont subjectessubiectes à des maladies & imperfections
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[364v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
plus importunes qu’en la jeunesseieunesse: jJeiIe le disois estant jeuneieune,: lors
on me donnoit de mon menton par le nez: jJeiIe le dis encores à
cette heure, que mon poil gris m’en donne le credit: nNous appel-
lons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des cho-
ses presentes: mMais à la verité nous ne quittons pas tant les vi-
ces, comme nous les changeons,: & à mon opinionopiniō, en pis. Ou-
tre unevne sotte & caduque fierté, unvn babil ennuyeux, ces hu-
meurs espineuses & inassociables, & la superstitionsuperstitiō, & unvn soin
ridicule des richesses, lors que l’usagevsage en est perdu, ji’y trouvetrouue
plus d’envieenuie, d’injusticeiniustice & de malignité. Elle nous attache plus
de rides en l’esprit qu’au visage: &Et ne se void point d’ames, ou
fort rares, qui en vieillissant, ne sentent à l’aigre & au moisi.
L’homme marche entier, vers son croist & vers son décroist.
Position : Marge gauche A voiruoir la sagesse de
Socrates et plusieurs circons=
tances de sa condamnation
ji’oserois croire qu’il s’y presta aucunementaucunemēt
luy mesmes par discours se [Note (Mathieu Duboc) : Voici une hypothèse de reconstitution des trois versions de ce passage : 1- par discours se sentant prevoiant entrer en decadance des forces de son discours et l’esblouissement de l’acostume clarte de son ame/esprit de quoi sa vieillesse l’estoit menaceant. 2- par prevarication prevoiant l’affoiblissement des allures acostumees de son discours eage de soixante et dix ans. 3- par prevarication et dessein: ayant de si pres, eage de soixante dix ans a souffrir l’engourdissement...]
sentant prevoiantpreuoiant entrer
en decadance des forces de son
discours et l’esblouis=
semant de l’acostumee clarte
de son ameesprit de quoi sa vieillesseuieillesse
l’estoit menaceant
prevaricationpreuarication
a dessein: ayant de si pres,
l’affoiblissement des allures
acostumees
eage de soixantesoixāte
& dix ans
a souffrir
l’engour
dissement des ces riches allures
de son esprit & l’esblouissementlesblouissement
de sa clartè acostumee de quoi
le menaçoit sa
par
le droit de la
vieillesseuieillesse eagè
de septante ans.

Qu’ellesQuelles Metamorphoses luy voy-jeie faire tous les joursiours, en
plusieurs de mes cognoissans? c’C’est unevne violentepuissante maladie, &
qui se coule naturellement & imperceptiblement,: iIl y faut
grande provisionprouision d’estude, & grande precaution, pour evi-
ter
eui-
ter
les imperfections qu’elle nous charge: ou aumoins affoi-
blir leur progrets[sic]. JeIe sens que nonobstant tous mes retran-
chemens, elle gaigne pied à pied sur moy: jJeiIe soustien tant que
jeie puis,: mMais jeie ne sçay en fin, ou elle me menera moy-mesme:
àA toutes avanturesauantures, jeie suis content qu’on sçache d’où jeie seray
tombé.


De trois commerces. CHAP. III.



IL ne faut pas se clouër si fort à ses humeurs & comple-
xions
cōple-
xions
. Nostre principalle suffisance, c’est, sçavoirsçauoir s’ap-
pliquer à diversdiuers usagesvsages. C’est estre, mais ce n’est pas
vivreviure que se tenir attaché, & obligé par necessité à unvn seul
train. Les plus belles ames sont celles, qui ont plus de varieté
& de soupplesse.
Position : Marge gauche Voila un honorable
tesmouignage du vieusuieus
Caton: huic uersatile
ingenium sic pariter ad
omnia fuit, ut natumnatū ad id unum diceres quodcumquequodcūque ageret.
Si c’estoit à moy à me dresser à ma postemode, il
n’est aucune si bonne façon, ou jeie vouleusse estre plantéfiché, pour
ne
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LIVRE TROISIESME.357365
ne m’en sçavoirsçauoir destournerdesprendre. La vie est unvn mouvementmouuement inegal,
irregulier, & multiforme. Ce n’est pas estre amy de soy, &
moins encore maistre, c’est en estre esclaveesclaue, de se suivresuiure inces-
samment, &Et estre si pris à ses inclinations, qu’on n’en puisse
fourvoyerfouruoyer, qu’on ne les puisse tordre. JeIe le dy à cette heure,
pour ne me pouvoirpouuoir facilement despestrer de l’importunité
de mon ame, en ce, qu’elle ne sçait communément s’amuser,
sinon ou elle s’empeche, ny s’employer, que Position : Interligne haute bandee et entiere. Pour le-
ger subjectsubiect qu’on luy donne, elle le grossit volontiers, & l’es-
tire, jusquesiusques au poinct ou elle ait à s’y embesongner de toute
sa force. Son oysifvetéoysifueté m’est à cette cause unevne penible occu-
pation, & qui offence ma santé. La plus part des esprits, ont
besoing de matiere estrangere, pour se desgourdir & exercer:
le mien en à besoing, pour se rassoir plustost & sejournerseiourner,
vitia otij negotio discutienda sunt: cCar son plus laborieux & prin-
cipal estude, c’est, s’estudier à soy.
Position : Marge droite Les livresliures sont pour
moiluy du genre des
occupations qui me
distrayent
le
desbauchent
de monson
estude et sans perte.
mais qui m’en distra[...]
distrayent sans perte.
Aux premieres penséespēséescogitations pensees qui
luy viennentviēnent, il s’agite, & faict preuvepreuue de sa vigueur à tout sens:
eExerce son maniement tantost vers la force, tantost vers l’or-
dre & la grace Position : Interligne haute se range se modere et fortifie par son propre discours.. Il à dequoy esveilleresueiller ses facultez par luy mes-
me: nNature luy à donné comme à tous, assez de matiere sien-
ne, pour son utilitévtilité,. &Et de subjectssubiects propressiens assez, ou inventerinuenter
& jugeriuger.
Position : Marge droite Mon ame se sonde
se contrerolle: range
modere et fortifie ses
mouvemansmouuemans par ses discours
tout par tout ou ell’a loiy
d’entretenir ses pensees
propres: tout par tout
ou ell’a loi d’entretenir
ses pensees.
Le mediter est
un puissant estude et plein, a
qui sçait se taster et emploier
vigoreusementuigoreusement. JI’aime mieux
faireforger mon ame que la meubler
et la grossir que la farcir Il
n’est point d’occupation ny
plus foible ny plus forte que
selon le subjectsubiect que celle
d’entretenir ses pansees
selon l’amelame que c’est. Les
plus grandes en font faict
autresfois
leur vacationuacation
quibus uiuere est cogitare
Aussi ll’a nature favoriseefauorisee de ce privilegepriuilege
qu’il n’y a rien que nous puissions faire si
longtemps: ny action a laquelle nous nous
adonons plus ordinerement et facillement.
C’est la sbesouigne des Dieus dict Aristote
d’oudouque la contemplationcōtemplation de la quelle nait et leur beatitude et la nostre
La lecture me sert specialement a esveilleresueiller par
diversdiuers objectsobiects ma meditation.mon discours, et mettre mes estudespensees
a en mbesouigner non a remplircombler ma la memoiremon jugementiugement non
ma memoire.
Au pris de ce fruict & amendement essentiel, auquel
ilelle vise, ilelle faict peu de compte de l’estude qu’on employe à
charger & meubler sa memoire de la suffisance d’autruy.
Peu
d’entretiens doncq m’arretent sans vigueur & sans effort:
iIl est vray que la gentillesse & la beauté, me remplissent & oc-
cupent, autant ou plus, que le pois & la profondeur. Et d’au-
tant que jeie sommeille en toute autre communication, & que
jeie n’y preste que l’escorce de mon attention,: il m’advientaduient
souventsouuent, en telle sorte de propos, rompusabatus & láches, sans pois
& sans grace, propos de contenance, de dire & respondre des
songes, & bestises, indignes d’unvn enfant, & ridicules,: oOu de me
ZZZz
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[365v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tenir obstiné en silence,: plus ineptement encore & incivile-
ment
inciuile-
ment
. JI’ay unevne façon resveuseresueuse par fois, qui me retire à moy,
&Et d’autre part unevne lourde ignorance & puerile, de plusieurs
choses communes: pPar ces deux qualitez, ji’ay gaigné, qu’on
puisse faire au vray, cinq ou six contes de moy, aussi niais que
d’autre quel qu’il soit. Or suyvantsuyuant mon propos,. cCette comple-
xion difficile, me rend delicat à la pratique des hommes,. iIl
me les faut trier sur le volet,. &Et me rend incommode aux
actions communes. Nous vivonsviuons, & negotions avecauec le peu-
ple,: si sa conversationconuersation nous importune, si nous desdaignons
à nous appliquer aux ames basses & vulgaires,: & les basses &
vulguaires sont souventsouuent aussi sagesreglees que les plus desliées,:
Position : Marge gauche , plus sapit interdum
uulgus quia tantum
quantum opus est sapit,

& toute sapiance incommodeinsipide
qui ne s’accommode a l’insipiance
commune.
il ne
nous faut plus entremettre n’y de nos propres affaires ny de
ceux d’autruy: &Et les publiques & les privezpriuez se demeslent a-
vec
a-
uec
ces gens la. Les moins tandues & plus naturelles alleures
de nostre ame, sont les plus belles: lLes meilleures occupations,
les moins efforcées. Mon Dieu, que la sagesse faict unvn bon of-
fice à ceux, de qui elle reglerange les desirs à leur puissance: iIl n’est
point de plus utilevtile sciencesciēce. Selon qu’on peut,: c’estoit le refrein
& le mot favoryfauory de Socrates: mMot de grande substance: iIl faut
addresser & arrester nos desirs, aux choses les plus aysées &
voisines. Ne m’est-ce pas unevne sotte humeur, de disconvenirdisconuenir
avecauec unvn milier à qui ma fortune me jointioint, de qui jeie ne me
puis passer, pour me tenir à unvn ou deux qui sont hors de mon
commerce: oOu plustost à unvn desir fantastique de chose, que
jeie ne puis recouvrerrecouurer? Mes meurs molles, ennemies de toute
aigreur & aspreté, peuventpeuuent aysément m’avoirauoir deschargé d’en-
vies
en-
uies
& d’inimitiez: dD’estre aimé, jeie ne dy, mais de n’estre point
hay, jamaisiamais homme n’en donna plus d’occasionoccasiō: mMais la froi-
deur de ma conversationconuersatiō, m’a desrobé avecauec raison, la bien-veil-
lance de plusieurs, qui sont excusables de l’interpreter à autre,
& pire sens.
Position : Marge gauche Et certes meshui n’oserois
me pleindre d’estre aimè
si peu, en aimant si peu: et n’ayant par ci devantdeuant jamaisiamais failli d’estre aimé ou jamaisiamais en bon esciant
sans revanchereuanche.
JeIe suis tres-capable d’acquerir & maintenir des
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LIVRE TROISIESME.358366
amitiez rares & exquises, dD’autant que jeie me harpe avecauec si
grande faim aux accointances qui reviennentreuiennent à mon goust,: jeie
m’y produis, jeie m’y jetteiette si avidementauidement, que jeie ne faux pas ay-
sément de m’y attacher, & de faire impression ou jeie donne:
jJiI’en ay faict souvantsouuant heureuse preuvepreuue. Aux amitiez commu-
nes, jeie suis aucunement sterile & mol,froit. cCar mon aller n’est pas
naturel, s’il n’est à pleine voile. Outre ce, que ma fortune
m’ayant duit, & acoquinéaffriandy des jeunesseieunesse, à unevne amitié seule &
parfaicte, m’a à la verité aucunement desgouté des autres: &Et
trop imprimé en la fantasie, qu’elle est beste de compaignie,
non pas de troupe, comme disoit cet antien. Aussi, que ji’ay
naturellementnaturellemēt peine à me communiquer à demy,. &Et avecauec mo-
dification,: &Et cette servileseruile prudence & soupçonneuse, qu’on
nous ordonne, en la conversationconuersation de ces amitiés nombreuses,
& imparfaictes.: eEet nous l’ordonne l’on principalement en ce
temps, qu’il ne se peut parler du monde, que dangereusementdangereusemēt,
ou faucement. Si voy-jeie bien pourtant, que qui à comme
moy, pour sa fin, les commoditez de sa vie (jeie dy les commo-
ditez essentielles) doibt fuyr comme la peste, ces difficultez &
delicatesse d’humeur. JeIe louerois unvn’ame à diversdiuers estages,. qQui
sçache & se tendre & se desmonter,. qQui soit bien par tout ou
sa fortune la porte,. qQui puisse deviserdeuiser avecauec son voisin, de son
bastiment, de sa chasse & de sa querelle,. eEntretenir avecauec plai-
sir, unvn charpentiercharpētier & unvn jardinieriardinier: jJiIenvieenuie ceux, qui sçaventsçauent s’a-
privoiser
a-
priuoiser
au moindre de leur suitte, & dresser de l’entretien en
leur propre train.
Position : Marge droite Et le conseil de Platon
ne me plait pas de parler
tousjourstousiours d’un parler
maistrisant
langage
maestral
a ses servitursseruiturs
sanssans jeuieu sans familiarite sans
privautepriuaute
soit enversenuers les
masles soit enversenuers les femelles.
Car outre ma raison il est
inhumain et injusticeeiniusticee Position : Interligne haute de faire tanttāt valoirualoir cette
telle quelle prerogativeprerogatiue de la
fortune: eEt les polices ou il se
souffre moins de disparite entre
les valetsualets & les maistres, me
semblentsēblent les plus aequitables.
Les autres s’estudient à eslancer & guinder
leur esprit,. mMoy a le rabaisser & coucher,. iIl n’est vicieux qu’en
extantion.:
Narras & genus Aeaci,
Et pugnata sacro bella sub Ilio,
Quo Chium pretio cadum
Mercemur, quis aquam temperet ignibus,

ZZZz ij
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[366v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Quo praebente domum, & quota
Pelignis caream frigoribus, taces.

Ainsi comme la vaillance Lacedemonienne, avoitauoit besoing
de moderation, & du son doux & gratieux du jeuieu des flutes
pour la flatter en la guerre, depeur qu’elle ne se jettatiettat à la te-
merité, & à la furie: lLà ou toutes autres nations, ordinairementordinairemēt
employent des sons & des voix aigues & fortes, qui esmou-
vent
esmou-
uent
& qui eschauffent à outrance le courage des soldats: iIl
me semble de mesme, contre la forme ordinaire,: qQu’en l’usa-
ge
vsa-
ge
de nostre esprit, nous avonsauons pour la plus part, plus besoing
de plomb, que d’ailes, de froideur & de repos, que d’ardeur
& d’agitation. Sur tout, c’est à mon gré bien faire le sot, que
de faire l’entendu, entre ceux qui ne le sont pas,. pParler tous-
jours
tous-
iours
bandé, favellarfauellar in punta di forchetta: iIl faut se desmettre au
train de ceux avecauec qui vous estes, & par fois affecter l’ignoran-
ce
ignorā-
ce
: mMettez à part la force & la subtilité: eEn l’usagevsage commun,
c’est assez d’y reserverreseruer l’ordre: tTrainez vous au demeurant à
terre, s’ils veulent. Les sçavanssçauans chopent volontiersvolōtiers à cette pier-
re: iIls font tousjourstousiours parade de leur magistere, & sement leurs
livresliures par tout: iIls en ont en ce temps, entonné si fort les ca-
binets & oreilles des dames, que si elles n’en ont retenu la sub-
stance, aumoins elles en ont la mine: àA toute sorte de propos,
& matiere, pour basse & populaire qu’elle soit, elles se ser-
vent
ser-
uent
d’unevne façon de parler & d’escrire, nouvellenouuelle & sça-
vante
sça-
uante
.,
Hoc sermone pauent, hoc iram, gaudia, curas,
Hoc cuncta effundunt animi secreta, quid vltra?
Concumbunt doctè,

EeEt alleguent Platon & Sainct Thomas, aux choses ausquel-
les le premier rencontré, serviroitseruiroit aussi bien de tesmoing: lLa
doctrine qui ne leur à peu arriverarriuer en l’ame, leur est demeurée
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LIVRE TROISIESME.359367
en la langue. Si les bien-nées me croient, elles se contenteront
de faire valoir leurs propres & naturelles richesses: eElles cachentcachēt
& couvrentcouurent leurs beautez, soubs des beautez estrangeres: cC’est
grande simplesse, d’estouffer sa clarté pour luire d’unevne lumie-
re empruntée: eElles sont enterrées & enseveliesenseuelies soubs l’art. dDe capsula totae. [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne avait d’abord écrit : "soubs l’art de capsula totae" puis : "soubs l’art. De capsula Totae"]
C’est qu’elles ne se cognoissent point assez: lLe monde n’a rien
de plus beau: cC’est à elles d’honnorer les arts, & de farder le
fard. Que leur faut-il, que vivreviure aymées & honnorées? Elles
n’ont, & ne sçaventsçauent que trop, pour cela. Il ne faut qu’esveilleresueiller
unvn peu, & rechauffer les facultez qui sont en elles. Quand jeie
les voy attachées à la rhetorique, à la judiciaireiudiciaire, à la logique,
& semblables drogueries, si vaines & inutiles à leur besoing,
ji’entre en crainte, que les hommes qui le leur conseillent, le fa-
cent
fa-
cēt
pour avoirauoir loy de les regenterregēter soubs ce tiltre.: CcCar quelleq̄lle autre
excuse leur trouveroistrouuerois-jeie? bBaste, qu’elles peuventpeuuent sans nous,
renger la grace de leurs yeux, à la gaieté, à la severitéseuerité, & à la
douceur: assaisonner unvn nenny de rudesse, de doubte, & de fa-
veur
fa-
ueur
, & qu’elles ne cherchent point d’interprete aux discours
qu’on faict pour leur serviceseruice. AvecAuec cette science, elles peuventpeuuent
commanderentcommanderēt à baguette, & regenterentregenterēt les regens & l’eschole. Si
toutesfois il leur fache de nous ceder en quoy que ce soit, &
veulentveulēt par curiosité, avoirauoir part aux livresliures, lLa poësie est unvn amu-
sement propre à leur besoin: cC’est unvn art follastre, & subtil, des-
guisé, parlier, tout en plaisir, tout en montre, comme elles. El-
les tireront aussi diversesdiuerses commoditez de l’histoire: eEn la phi-
losophie, de la part qui sert à la vie, elles prendront les discours
qui les dressent, à jugeriuger de nos humeurs & conditions, àA se def-
fendre de nos trahisons, àA regler la temerité de leurs propres
desirs, àA ménager leur liberté, aAlonger les plaisirs de la vie, &Et à
porter humainement l’inconstance d’unvn serviteurseruiteur, la rudesse
d’unvn mary, & l’importunité des ans, & des rides,: & choses sem-
blables. Voila pour le plus, la part que jeie leur assignerois aux
ZZZz iij
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[367v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sciences. Il y à des naturels particuliers, retirez & internes: mMa
forme essentielle est propre à la communication, & à la pro-
duction: jJeiIe suis tout au dehors & en evidenceeuidence, nNay à la societé
& a l’amitié: lLa solitude que ji’ayme & que jeie presche,: ce n’est
principallement, que ramener a moy mes affections, & mes
pensées,: rRestreindre & resserrer, non mes pas, maisains mes desirs &
mon soingsouci,: rResignant la solicitude estrangere, &Et fuyant mor-
tellement la servitudeseruitude, & l’obligation.
Position : Marge gauche : eEt plus la pressenon tant la foule
des homes, que la
pressefoule des affaires.
La solitude locale, a di-
re verité, m’estantd plustost, & m’eslargit au dehors: jJeiIe me jetteiette
aux affaires d’estat, & a l’universvniuers, plus volontiers quand jeie suis
seul. Au LouvreLouure & en la pressefoule, jeie me resserre & contraincts en
ma peau.: LlLa foule me repousse a moy,: &Et ne m’entretiens ja-
mais
ia-
mais
si folementfolemēt, si licentieusement & particulierementparticulieremēt, qu’aux
lieux de respect, & de prudence ceremonieuse,: nNos folies ne
me font pas rire, ce sont nos sagessespiances. De ma complexion, jeie
ne suis pas ennemy de l’agitation des cours, jJiI’y ay passé partie
de la vie,. &Et suis faict à me porter allegrement aux grandes com-
paignies
cō-
paignies
, pPourveupPourueu que ce soit par intervallesinterualles, & a mon poinct.
Mais cette mollesse de jugementiugement, dequoy jeie parle, m’attache
par force a la solitude,. vVoire chez moy, au milieu d’unevne famil-
le peuplée, & maison des plus frequentéesfrequētées,: jJiI’y voy des gensgēs assez,
mais rarement ceux, avecqauecq qui ji’ayme a communiquercōmuniquer: &Et jeie re-
serve
re-
serue
la, & pour moy & pour les autres, unevne liberté inusitée: iIl
s’y faict trefvetrefue de ceremonie, d’assistance, & convoiemensconuoiemens, &
telles autres reglesordonences penibles de nostre courtoisie (ô la servileseruile &
importune usancevsance) chacun s’y gouvernegouuerne a sa mode, y entretiententretiēt
qui veut ses penséespēsées: jJeiIe m’y tiens muet, resveurresueur, & enfermé, sans
offence de mes hostes. Les hommeshōmes, de la societé & familiarité
desquels jeie suis en queste, sont ceux qu’on appelle honnestes
& habiles hommes: lL’image de ceux icy me degouste des au-
tres. C’est a le bien prendre, de nos formes, la plus rare: &Et for-
me qui se doit principallement a la nature. La fin de ce com-
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LIVRE TROISIESME.360368
merce, c’est simplement la privautépriuauté, frequentation, & confe-
rence: lL’exercice des ames, sans autre fruit. En nos propos, tous
subjetssubiets me sont égaux: iIl ne me chaut qu’il y ait, ny poix, ny
profondeur,: lLa grace & la pertinence, y sont tousjourstousiours, tTout y
est teinct d’unvn jugementiugement meur & constant, &Et meslé de bonté,
de franchise, de gayeté & d’amitié. Ce n’est pas au subjectsubiect des
substitutions seulement, que nostre esprit montre sa beauté
& sa force, & aux affaires des Roys:. iIl la monstrestre autantautāt aux con-
fabulations privéespriuées. JeIe connois mes gens au silence mesme, &
à leur soubsrire, &Et les descouvredescouure mieux à l’advantureaduanture à table,
qu’au conseil. Hyppomachus disoit bien, qu’il connoissoit les
bons luicteurs, à les voir simplement marcher par unevne ruë.
S’il plaist à la doctrine de se mesler a nos devisdeuis, elle n’en sera
point refusée,: nNon magistrale, imperieuse, & importune com-
me de coustume, mais suffragante & docile elle mesme. Nous
n’y cherchons qu’a passer le temps: aA l’heure d’estre instruicts
& preschez, nous l’irons trouvertrouuer en son throsne, qQu’elle se de-
mette à nous pour ce coup s’il luy plaist: cCar toute belleutille & de-
sirable qu’elle est, jeie presuppose, qu’encore au besoing, nous
en pourrions nous bien du tout passer, & faire nostre effect
sans elle. UneVne ame bien née, & exercée à la practique des hom-
mes, se rend plaeinement aggreable d’elle mesme. L’art n’est au-
tre chose que le contrerolle, & le registre des productions de
telles ames. C’est aussi pour moy, unvn doux commerce, que ce-
luy des honnestesbelles et honestes femmes & bien nées:Nam nos quoque oculos eruditos habemus. sSi l’ame n’y a pas tant à
jouyriouyr qu’au premier, les sens corporels qui participent aussi
plus à cettuy-cy, le ramenent à unevne proportionproportiō voisine de l’au-
tre, qQuoy que selon moy non pas esgalle. Mais c’est unvn com-
merce où il se faut tenir unvn peu sur ses gardes, &Et notamment
ceux en qui le corps peut beaucoup, comme en moy. JeIe m’y
eschauday en mon enfance, & y souffris Position : Interligne haute quasi toutes les rages, que
les poëtes disent adveniraduenir à ceux, qui s’y laissent aller sans ordre
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[368v] ESSAIS DE M. DE MONT.
& sans jugementiugement. Il est vray que ce coup de fouet, m’a servyseruy
depuis d’instruction,
Quicunque Argolica de classe Capharea fugit,
Semper ab Euboicis vela retorquet aquis.

C’est folie d’y attacher toutes ses pensées, & s’y engager d’unevne
affection furieuse & indiscrette: mMais d’autre part, de s’y mesler
sans amour, & sans obligation de volonté, en forme de come-
diens, pour joueriouer unvn rolle commun, de l’aage & de la coustu-
me, & n’y mettre du sien que les parolles,: cC’est de vray pour-
voyer
pour-
uoyer
à sa seureté, mais bien láchement, cComme celuy qui a-
bandonneroit son honneur où son proffit, ou son plaisir, de
peur du dangerdāger: cCar il est certain, que d’unevne telle pratique, ceux
qui la dressent n’en peuventpeuuent esperer aucun fruict, qui touche
ou satisface unevne belle ame. Il faut avoirauoir en bon escient desiré,
ce qu’on veut prendre en bon escient plaisir de jouyriouyr: jJeiIe dy
quand injustementiniustement fortune favoriseroitfauoriseroit leur masque: cCe qui
advientaduient souventsouuent, à cause de ce qu’il n’y à aucune d’elles, pour
malotruë qu’elle soit, qui ne pense estre bien aymable,
Position : Marge gauche qui ne se recomande
par sa taille son eage,
ou par son ris, ou par
son mouvemantmouuemāt, ou par
son trou
: car dexactemantexactemāt
laides, et universelemantuniuerselemāt,
il n’en est non plus, que
de belles: : et les filles
Brachmanes qui ont
faute d’autre reco=
mandation sont as
le peuple assamblé a
cri publiq pour cet effet
vont aenē la place faisant
montre de leurs parties
nobles,matrimoniales: voiruoir si par la
au moins, elles ne valentualēt
pas d’acquerir un mari.
Et
& qui
pPar consequent Position : Interligne haute il n’en est pas qui une qui ne se laisse trop facilement persuader au pre-
mier serment, qu’on luy faict de la servirseruir. Or de cette trahison
commune & ordinaire des hommes d’aujourdauiourd’huy, il faut
qu’il advienneaduiēne, ce que desjadesia nous montremōtre l’experienceexperiēce, cC’est, qu’el-
les se r’alient & rejettentreiettent a elles mesmes, ou entre elles, pour
nous fuyr: oOu bien qu’elles se rengent aussi de leur costé, a cet
exemple que nous leur donnons, qQu’elles jouentiouent leur part de
la farce, & se prestent a cette negotiation, sans passion, sans
soing & sans amour.
Position : Marge gauche : nNeque affectui
suo aut alieno
obnoxiae.
EstimantEstimāt
suivantsuiuāt la persuasion
de la raison de Lysias
en Platon qu’elles se peuventpeuuent
adoner d’autantautāt plus
utilemant a nous
d’autant que moins
moins
nous les aimons n’en
somes pas amoureus
et
commodeement a
nous, d’autant que moins nous les aimons.
Il en ira comme des comedies,: le peuple
y aura autant ou plus de plaisir que les comediens. De moy, jeie
ne connois non plus Venus sans Cupidon, qu’unevne maternité
sans engence: cCe sont choses qui s’entreprestent & s’entredoi-
vent
entredoi-
uent
leur essence. Ainsi cette pipperie rejallitreiallit sur celuy qui la
faict: iIl ne luy couste guiere, mais il n’acquiert aussi rien qui
vaille.
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LIVRE TROISIESME.361369
vaille. Ceux qui ont faict Venus Deesse, ont regardé que sa
principale beauté estoit incorporelle & spirituelle, mMais celle
que ces gens cy cerchent, n’est pas seulement humaine,. nNy
mesme brutale: lLes bestes ne la veulent si lourde & si terrestre.
Nous voyons que l’imagination & le desir les eschauffe sou-
vent
sou-
uent
, & solicite avantauant le corps: nNous voyons en l’unvn & l’autre
sexe, qu’en la presse, elles ont du chois & du triage en leurs af-
fections, &Et qu’elles ont entre-elles des accointances de longuelōgue
bienveuillancebienueuillance. Celles mesmes à qui la vieillesse refuse la for-
ce corporelle, fremissent encores, hannissenthānissent & tressaillent d’a-
mour. Nous les voyons avantauant le faict, plaeines d’esperance &
d’ardeur: &Et quand le corps à jouéioué son jeuieu, se chatouiller encor
de la douceur de cette souvenancesouuenance: &Et en voyons qui s’enflent
de fierté au partir de là, & qui en produisent des chants de fe-
ste & de triomphe,: lasses & saoules:. qQui n’a qu’a descharger
le corps d’unevne necessité naturelle, n’a que faire d’y embeson-
gner autruy, à tout des apprests si curieux,: cCe n’est pas viande à
unevne grosse & lourde faim. CommeCōme celuy qui ne demande point
qu’on me tienne pour meilleur que jeie suis, jeie diray cecy des er-
reurs de ma jeunesseieunesse: nNon seulement pour le danger qu’il y a,
Position : Marge droite de la santè, (si n’ai-jeie
sceu si bien faire, que jeie
n’en aie eus deus atteintes
mais legieres et pream=
bulaires:)
toutesfois, et
preambulaires)

mais encores par mespris, jeie ne me suis guere adonné aux ac-
cointances venales & publiques, jJiI’ay voulu esguiser ce plaisir
par la difficulté, par le desir & par quelque gloire: &Et aymois la
façon de l’Empereur Tibere, qui se prenoit en ses amours, au-
tant par la modestie & noblesse, que par autre qualité: &Et l’hu-
meur de la courtisane Flora, qui ne se prestoit à moins que d’unvn
dictateur, ou consul, ou censeur, & prenoit son déduit, en la
dignité de ses amoureux: cCertes les veloursperles & le brocadel, y
conferent quelque chose, &Et les tiltres & le trein. Au demeu-
rant, jeie faisois grand conte de l’esprit, mais pourveupourueu que le
corps n’en fut pas à dire: cCar à respondre en conscience, si l’unevne
ou l’autre des deux beautez devoitdeuoit necessairement y faillir,
AAAAa
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[369v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ji’eusse choisi de quitter plustost la spirituelle: eElle à son usagevsage
en meilleures choses: mMais au subjectsubiect de l’amour, subjectsubiect qui
principallement se rapporte à la veue & à l’atouchement,: on
faict quelque chose sans les graces de l’esprit, rien sans les gra-
ces corporelles. C’est le vray avantageauātage des dames que
Position : Marge gauche la beaute. La nostre
elle est si leur, que la
nostre quoi qu’elle desire
des traicts un peu autres,
n’est en sa fleur,son poinct, que
confuse aveqaueq la leur puerile et
imberbe. On dict que ches
le grand seignur ceus qui
le serventseruent sous tiltre de
beaute qui sont en nombre
infini ont leur conge exacte=
ment
au plus loin a vintuint et deus ans.
le corps:
lLes discours, la prudenceprudēce, & les offices d’amitié, se trouventtrouuēt mieux
chez les hommes: pPourtant gouvernentgouuernent-ils les affaires du mon-
de
mō-
de
. Ces deux commerces sont fortuites, & despendans d’au-
truy: lLunvn est ennuyeux par sa rareté, lL’autre se flestrit avecauec l’aa-
ge: aAinsin ils n’eussent pas assez prouveuprouueu au besoing de ma vie.
Celuy des livresliures, qui est le troisiesme, est bien plus seur & plus
à nous. Il cede aux premiers les autres avantagesauantages, mMais il a pour
sa part la constance & facilité de son serviceseruice: cCettuy-cy costoie
tout mon cours, & m’assiste par tout: iIl me console en la vieil-
lesse & en la solitude: iIl me descharge du pois d’unevne oisivetéoisiueté
ennuyeuse: &Et me deffaict à toute heure, des compaignies, qui
me faschentfaschēt: iIl emousse les pointures de la douleur, si elle n’est
du tout extreme & maistresse: pPour me distraire d’unevne imagi-
nation importune, il n’est que de recourir aux livresliures, iIls me de-
stournent facilement à eux, & me la desrobent: &Et si ne se mu-
tinent
mu-
tinēt
point, pour voir que jeie ne les recherche, qu’au deffaut de
ces autres commoditez, plus reelles, vivesviues & naturelles: iIls me
reçoiventreçoiuēt tousjourstousiours de mesme visage. Il a beau aller à pied, dit-
on, qui meine son chevalcheual par la bride: &Et nostre JacquesIacques Roy
de Naples, & de Sicile, qui beau, jeuneieune, & sain, se faisoit porter
par pays en civiereciuiere, couché sur unvn meschant orPosition : Interligne hauteeiller de plume,
vestu d’unevne robe de drap gris, & unvn bonnet de mesme,: suyvysuyuy
ce pendant d’unevne grande pompe royalle, lictieres, chevauxcheuaux à
main, de toutes sortes, gentils-hommes, & officiers,: represen-
toit unevne austerité tendre encores & chancellante: lLe malade
n’est pas à plaindre, qui à la guarison en sa manche. En l’expe-
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LIVRE TROISIESME.362370
rience & usagevsage de cette sentence, qui est tres-veritable, consi-
ste tout le fruict que jeie tire des livresliures. JeIe ne m’en sers en effect,
quasi non plus que ceux qui ne les cognoissent poinct: jJiI’en
jouysiouys comme les avaritieuxauaritieux des tresors, pour sçavoirsçauoir que ji’en
jouyrayiouyray quand il me plaira: mMon ame se rassasie & contente
de ce droict de possession. JeIe ne voyage sans livresliures, ny en paix,
ny en guerre. Toutesfois il se passera plusieurs joursiours, & des
mois, sans que jeie les employe: cCe sera tantost, fais-jeie, ou demain,
ou quand il me plaira: lLe temps court & s’en va ce pendant,
sans me blesser. Car il ne se peut dire combien jeie me repose,
& sejourneseiourne, en cette consideration, qu’ils sont à mon costé
pour me donner du plaisir à mon heure: &Et à reconnoistre,
combien ils portent de secours à ma vie: cC’est la meilleure
munition que ji’aye trouvétrouué à cet humain voyage, &Et plains
extremement les hommes d’entendement, qui l’ont à dire.
JI’accepte plustost toute autre sorte d’amusement, pour leger
qu’il soit, dD’autant que cettuy-cy ne me peut eschapperfaillir. Chez
moy, jeie me destourne unvn peu plus souventsouuent à ma librairie, d’où
tout d’unevne main, jeie commande à mon mesnage:. jJeiIe suis sur
l’entrée, & vois soubs moy, mon jardiniardin, ma basse court, ma
court, & dans la pluspart des membres de ma maison. Là, jeie
feuillette à cette heure unvn livreliure, à cette heure unvn autre, sans
ordre & sans dessein, à pieces descousues: tTantost jeie resveresue,
tantost ji’enregistre & dicte, en me promenant, mes songes,
que voicy.
Position : Marge droite Elle est au troisiesme estage d’unevne tour. Le premier, c’est ma chapelle, le second unevne chambre & sa suitte, où jeie me
couche souventsouuent, pour estre seul. Au dessus, elle a unevne grande garderobe. C’estoit au temps passé, le lieu plus inutile de ma
maison. JeIe passe la et la plus part des joursiours de ma vieuie et la plus part des hures du jouriour. JeIe n’y suis jamaisiamais la nuit. A sa
suite est un cabinet asses poli, capable a recevoirreceuoir du fu pour l’hiverhiuer, tresplaisammant percé. Et si jeie ne creignois non
plus qui le soin que la despance: le soin qui me chasse de toute besouigne: ji’ye pouvoispouuois facilemant coudre a chaque
coste une galerie de cent pas de long et vintuintdouse de large, a plainplein pied, aïant trouvetrouue tous les murs montez a la
pour autre usage, a la hauteur qu’il me faut. Tout lieu retirè requiert un promenoir. Mes pensees dorment si
jeie les assis. Mon esperit ne vaua si les jambesiambes ne l’agitent. Ceus qui estudient sans livreliure en sont tous la. La
figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut a ma table et a mon siege. et vientuient m’offrant en se
courbant, d’une veueueue, tous mes livresliures, rengez a cinq degrez tout a l’environenuiron. Ell’a trois veuesueues de riche et
libre prospet, et sese pas de vuideuuide en diamettre. En hiverhiuer ji’y suis moins continuellemant: car ma maison
est jucheeiuchee sur un tertre, come dict son nom: et n’a point de piece plus esvanteeesuantee que cetecy: qui me plait
d’estre un peu penible et a l’escart: tant pour le fruit de l’exercice: que pour reculer de moi la presse. C’est
mon siege. J’essaieIessaie a m’en rendre la domination pure. et a dist soustraire ce sul coin a la communaute et
conjugaleconiugale et filiale et civileciuile. Partout ailleurs jeie n’ai qu’une authorité verbaleuerbale: en essance, confuse.
Position : Interligne basse Miserable a mon gre, qui n’a ches soi ou estre a soiy: ou se faire
particulieremantparticulieremāt la court: a soi mesmes, ou se cacher. L’ambition
païe bien ses gens, de les tenir tousjourstousiours en montre, come la statue d’un
marche:marchè. Magna seruitus est magna fortuna. iIls n’ont pas sulemant leur retret pour retrete. JeIe n’ai rien
jugèiugè de si rude en l’austeritèlausteritè de vieuie que nos religieus affectent,
que ce que jeie voisuois en quelcune de leurs compaignies aAvoiraAuoir pour regle,
une perpetuelle societè de lieu: et assistance universeuniuerse nombreuse,
des uns aus autresentre eus, en quelque action que ce soit. Et treuvetreuue
aucunemant plus supportable d’estre tousjourstousiours sul, que ne le
pouvoirpouuoir jamaisiamais estre.
Si quelqu’unvn me dict, que c’est avillirauillir les muses de
s’en servirseruir seulement de jouetiouet, & de passetemps, il ne sçait pas
comme moy, combien vaut le plaisir: Position : Interligne haute le jeuieu et le passetemps. àA peine que jeie ne die
toute autre fin estre ridicule. JeIe vis du jouriour à la journéeiournée, &Et par-
lant en reverencereuerence, ne vis que pour moy: mMes desseins se ter-
minent là. JI’estudiay jeuneieune, pour l’ostentation,: dDepuis, unvn peu,
pour m’assagir,: àA cette heure, pour m’esbatre,: jJamaisiIamais, pour le
AAAAa ij
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[370v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
gain:.quest. uUnevVne humeur vaine & despensiere que jiavoisauois, apres cette
sorte de meuble non pour en pourvoirpouruoir sulement mon besouin: mais de trois pars au dela, pour m’en tapisser & parer,
Position : Marge gauche pour en assambler de
toutes manieres au
serviceseruice commun, sans respect qu’ilsquils
ne fussent a moi de nul’aucun
usage peussent estre a
moi d’aucun usage
inutiles au mien
particulier des quatre
pars les trois
jeie l’ay pieça aban-
donnée
abā-
donnée
. Les livresliures ont beaucoup de qualitez aggreables, à
ceux qui les sçaventsçauent choisir: mMais aucun bien sans peine: cC’est
unvn plaisir qui n’est pas net & pur, non plus que les autres: iIl a
ses incommoditez, & bien poisantes: lL’ame s’y exerce, mMais le
corps, duquel jeie n’ay non plus oublié le soing, demeure ce
pendant sans action, s’atterre & s’attriste. JeIe ne sçache excez
plus dommageable pour moy, ny plus à evitereuiter, en cette decli-
naison d’aage. Voila mes trois occupations favoriesfauories & parti-
culieres: jJeiIe ne parle point de celles que jeie doibs au monde par
obligation civileciuile.


De la diversiondiuersion. CHAP. IIII.



JI’AY autresfois esté emploié à consolercōsoler unevne dame vraie-
ment
vraie-
mēt
affligée: cCar la plus part de leurs deuils sont artifi-
ciels & ceremonieux.:
Vberibus semper lachrimis sempérque paratis,
In statione sua, atque expectantibus illam
Quo iubeat manare modo.

On y procede mal, quand on s’oppose à cette passionpassiō: cCar l’op-
position les pique & les engage plus avantauant à la tristesse: oOn ex-
aspere le mal par la jalousieialousie du debat: nNous voyons, des pro-
pos communs, que ce que ji’auray dict sans soing, si on vient à
me le contester, jeie m’en formalise, jeie l’espouse: bBeaucoup plus
ce à quoy ji’aurois interest. Et puis en ce faisant, vous vous
presentés à vostre operation d’unevne entrée rude: lLa où les
premiers accueils du medecin enversenuers son patient, doiventdoiuent
estre gracieux, gays, & aggreables: &Et jamaisiamais medecin laid, &
rechigné n’y fit oeuvreoeuure. Au contraire doncq, il faut ayder
d’arrivéearriuée & favoriserfauoriser leur plaincte, & en tesmoigner quelque
approbationapprobatiō & excuse. Par cette intelligenceintelligēce, vous gaignez credit
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LIVRE TROISIESME.363371
à passer outre, &Et d’unevne facile & insensible inclination, vous
vous coulez aus discours plus fermes & propres à leur gueri-
son. Moy, qui ne desirois principalement que de piper l’assi-
stance, qui avoitauoit les yeux sur moy, m’advisayaduisay de plastrer
le mal. Aussi me trouvetrouue-jeie par experienceexperiēce avoirauoir mauvaisemauuaise main
& infructueuse à persuader,. quand il y a resistance.jeie pre-
sente mes raisons trop pointues & trop seiches: oOu trop brus-
quement, oOu trop nonchalamment. Apres que jeie me fus ap-
pliqué bonne pieceun temps à son tourment, jeie n’essayai pas de le gua-
rir par fortes & vivesviues raisons, pPar ce que ji’en ay faute, ou que
jeie pensois autrement faire mieux mon effect:
Position : Marge droite Ny n’alai choisissant
les diversesdiuerses manieres que
la philosofie prescrit a
consoler. Que ce qu’on p
pleint n’est pas mal, come
Cleanthes. Que c’est un
legier mal, comes les Peripa=
teticiens. Que ce pleindre
n’est pas un’action ny justeiuste ny
louable., come Chrisippus. Ny cetteci d’Epi=
curus plus voisineuoisine dea mon
stile de transferer la pensee
des choses facheuses aux
plaisantes Ny faire une
charge de tout cet amas
le dispensant par occasion
come Cicero.
mMais declinant
tout mollement noz propos, & les gauchissant peu à peu aus
subjectssubiects plus voisins,: & puis unvn peu plus esloingnez, selon
qu’elle se prestoit plus à moy, jeie luy desrobay imperceptible-
ment cette pensée doulereuse, & la tins en bonne contenance
& du tout r’apaisée autantautāt que ji’y fus. JIusayvsay de diversiondiuersion. Ceux
qui me suyvirentsuyuirent à ce mesme serviceseruice, n’y trouverenttrouuerent aucun
amendement, car jeie n’avoisauois pas porté la coignée aux racines.
Position : Marge gauche A l’avantureauanture ai
jeie touchè ailleurs
quelque espece de
diversionsdiuersions publiques.
Et l’usagelusage des militai=
res de quoi se servitseruit
Pericles en la guerre
Peloponessiaque et
Scipion contre Han=
nibal
et mille autres
ailleurs pour revoquerreuoquer
de leur païs les forces
contreres est trop
frequant aus histoires.

Ce fut unvn ingenieux destour, dequoy le Sieur de Himber-
court sauvasauua & soy & d’autres, en la ville du Liege: oOu le Duc
de Bourgoigne, qui la tenoit assiegée, l’avoitauoit fait entrer, pour
executer les convenancesconuenances de leur reddition accordée. Ce peu-
ple assemblé de nuict pour y pourvoirpouruoir, print à se mutiner con-
tre
cō-
tre
ces accords passez: & se delibererent plusieurs, de courre
sus aux negotiateurs qu’ils tenoyent en leur puissance. Luy,
sentant le vent de la premiere ondée de ces gens, qui venoyentvenoyēt
se ruer en son logis, lácha soudain vers eux, deux des habitans
de la ville, (car il y en avoitauoit aucuns avecauec luy) chargez de plus
douces & nouvellesnouuelles offres, à proposer en leur conseil,: qu’il a-
voit
a-
uoit
forgées sur le champ, pour son besoing. Ces deux arreste-
rent la premiere tempeste, ramenant cette tourbe esmeüe en
la maison de ville, pour ouyr leur charge & y deliberer. La
AAAAa iij
Fac-similé BVH

[371v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
deliberation fut courte: vVoicy desbonder unvn second orage,
autantautāt animé que l’autre: &Et luy à leur despecher en teste, quat-
tre nouveauxnouueaux & semblables intercesseurs, protestans avoirauoir à
leur declarer à ce coup, des presentationspresentatiōs plus grasses, du tout à
leur contentementcontētement & satisfactionsatisfactiō: pPar ou ce peuple fut derechef
repoussé dans le conclaveconclaue. Somme, que par telle dispensation
d’amusemens, divertissantdiuertissant leur furie, & la dissipant en vaines
consultations, il l’endormit en fin, & gaigna le jouriour, qui estoit
son principal affaire. Cet autre compte est aussi de ce predi-
cament. Atalante fille de beauté excellente, & de merveilleu-
se
merueilleu-
se
disposition, pour se deffaire de la presse de mille poursui-
vants
poursui-
uants
, qui la demandoient en mariage, leur donna cette loy,
qQu’elle accepteroit celuy qui l’egualeroit à la course, pour-
veu
pour-
ueu
que ceux qui y faudroient, en perdissent la vie: iIl s’en trou-
va
trou-
ua
assez, qui estimerent ce pris digne d’unvn tel hazard, & qui
encoururentencoururēt la peine de ce cruel marché. Hyppomenes ayant à
faire son essay apres les autres, s’adressa à la deesse tutrisse de
cette amoureuse ardeur, l’appellant à son secours, qQui exauçantexauçāt
sa priere le fournit de trois pommes d’or, & de leur usagevsage. Le
champ de la course ouvertouuert, à mesure que Hippomenes sent
sa maistresse luy presser les talonstalōs, Position : Interligne haute il laisse eschapper, comme par
inadvertanceinaduertāce, l’unevne de ces pommes,: lLa fille amusée de sa beauté,
ne faut point de se destourner pour l’amasser,
Obstupuit virgo, nitidique cupidine pomi
Declinat cursus, aurumque volubile tollit.

Autant en fit-il à son poinct, & de la seconde & de la tierce,
jJusquesiIusques à ce que par ce fourvoyementfouruoyement & divertissementdiuertissement, l’ad-
vantage
ad-
uantage
de la course luy demeura. Quand les medecins ne
peuventpeuuent purger le catarre, ils le divertissentdiuertissent, & le desvoyentdesuoyent
à unevne autre partie moins dangereuse. JeIe m’apperçoy que c’est
aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l’ame.
Position : Marge gauche Abducendus etiam
nonnunquamnon̄unquam animus est
ad alia studia solicitu=
dines curas negotia.
Loci denique mutatione
tanquam aegroti non conualescentes saepe curandus est.
On luy
faict peu choquer les maux de droit fil: oOn ne luy en faict ny
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LIVRE TROISIESME.364372
soustenir ny rabatre l’ateinte: oOn la luy faict decliner & gau-
chir. Cette autre leçon est trop haute & trop difficile. C’est à
faire à ceux de la premiere classe, de s’arrester purement à la
chose, la considerer, la jugeriuger. Il apartient à unvn seul Socrates,
d’accointer la mort d’unvn visage ordinaire, s’en aprivoiserapriuoiser &
s’en joueriouer: iIl ne cherche point de consolation hors de la cho-
se: lLe mourir luy semble accident naturel & indifferent: iIl fi-
che la justementiustement sa veüe, & s’y resoult, sans regarder ailleurs.
Les disciples de Hegesias, qui se font mourir de faim, eschauf-
fez des beaux discours de son oraison:ses leçons
Position : Marge droite et si dru que le Roy
Ptolemaee luy fit
desfandre d’entretenir
plus son escole de ces
mortels homicides
discours.
cCeux la ne considerent
point la mort en soy, ils ne la jugentiugent point: cCe n’est pas là ou
ils arrestent leur pensée,: ils courent, ils visent à unvn estre nou-
veau
nou-
ueau
. Ces pauvrespauures gens, qu’on void sur unvn eschafaut, remplis
d’unevne ardente devotiondeuotion, y occupant tous leurs sens, autant
qu’ils peuventpeuuent,: les aureilles aux instructions qu’on leur
donne,: les yeux & les mains tendues au ciel,: la voix à des
prieres hautes, avecauec unevne esmotion aspre & continuelle, font
certes chose louable & convenableconuenable à unevne telle necessité.
On les doibt louer de religion: mais non proprement de con-
stance
cō-
stance
. Ils fuyent la luicte: iIls destournent de la mort leur con-
sideration
cō-
sideration
, cComme on amuse les enfans pendant qu’on leur
veut donner le coup de lancette. JI’en ay veu, si par fois leur
veuë se ravaloitraualoit à ces horribles aprests de la mort, qui sont au-
tour d’eux, s’en transir & rejetterreietter avecauec furie ailleurs leur pen-
sée. A ceux qui passent unevne profondeur effroyable, on ordon-
ne de clorre ou destourner leurs yeux.
Position : Marge droite . Subrius FlaviusFlauius
aiant par le
comandemant de
Neron a estre
desfaict et par
les mains de Niger
tous deus chefs de
guerre: quand on
le mena au champ
ou il devoitdeuoit e de
l’executionlexecution
ou l’execution devoitdeuoit estre
faicte
, voiantuoiant
le trou que Niger
avoitauoit faict cavercauer
pour le mettre, inegal
et mal formé: ny cela
mesme dict il se
tournant aus soldats
qui y assistoint, n’est
selon la discipline
militere. Et a Niger
qui l’exhortoit de
tenir la teste ferme
frapasses tu sulemant
aussi ferme. luy dict
il
Et divinadiuina bien
car lae mainbras tremblant
a Niger il la luy coupa
a diversdiuers coups. Cetuy-cy
semble bien avoirauoir eu sa pensee droi=
temant en la matiere et fixement
en la matiere au subjectsubiect.
Celuy qui meurt en la
meslée, les armes à la main, il n’estudie pas lors la mort, il ne la
sent, ny ne la considere: l’ardeur du combat l’emporte. UnVn
honneste homme de ma cognoissance, estantestāt tombé en com-
batant en estacade,: & se sentant daguer à terre par son enne-
my, de neuf ou dix coups, chacun des assistans luy criant qu’il
estoit mort, & qu’il pensat à sa conscience, me dict depuis,
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[372v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’encore que ces voix luy vinsent aux oreilles, elles ne l’a-
voient
a-
uoient
aucunement touché, & qu’il ne pensa jamaisiamais qu’a se
descharger & à se venger: iIl tua son homme en ce mesme
combat.
Position : Marge haute Celuy Beaucoup fit pour L. Syllanus, celuy qui luy apporta sa condamnation: de ce qu’
ai
ant ouï sa responce: qu’il estoit bien prepare a mourir, mais non pas de mains murtrieresscelerees, se ruant
sur luy aveqaueq ses soldats pour le forcer, et luy tout desarme se desfandant obstineemant de pouingspouīgs
& de pieds, le tua en cettefit mourir en ce debat: dissipant en prompte cholere et tumultuere, le
sentimant d’une penible d’une mort longue et preparee, a quoi il estoit destiné.
Nous pensons tousjourstousiours ailleurs: lL’esperance d’unevne
meilleure vie nous arreste & appuye:, oOù l’esperance de la va-
leur de nos enfans, oOu la gloire future de nostre nom, oOu la
fuite des maux de cette vie, oOu la vengeance qui menasse ceux
qui nous causent la mort,
Spero equidem mediis, si quid pia numina possunt,
Supplicia hausurum scopulis, & nomine Dido
Saepe vocaturum.:
Audiam, & haec manes veniet mihi fama sub imos.

Position : Marge droite Xenophon sacrifioit
coronè quand on luy
vintuint anoncer la mort
de son filx Gryllus en
la bataille de
Mantinee Au
premier sentimantsentimāt
de cette nouvellenouuelle
il jettaietta a terre
sa corone
mais par
la suite
du propos entan=
dant
entā=
dant
la forme
d’une mort
tresvalureuseretresualureuseretresvalureuse
il l’amassa sa
corone
et remit
sur sa teste.

Epicurus mesme se console en sa fin, sur l’eternité & utilitévtilité de
ses escrits:
Position : Marge gauche Omnes clari et nobilitati
labores fiunt tolerabiles.

Et la mesme plaïe le mesme
travailtrauail ne poise pas dict
Xenophon a un general d’ar=
mee qu’a Position : Interligne haute come a un soldat. Epa
minondas print sa mort
bien plus alegremant
ayant este informe que la
victoire estoit demuree
de son coste. Haec sunt
solatia haec fomenta
summorum dolorum

Et telles autres circons=
tances
circōs=
tances
nous amusent
divertissentdiuertissent & destournent de
[...]la consideration
de la chose en soi.

Voire les argumants de
la philosofie vontuont a tous coups
costoiant et gauchissant
la matiere : et a peine
essuiant sa croute. Le
premier home de la
premiere escole philo
sophique et surintendante
des autres: ce grand [Note (Mathieu Duboc) : Cette addition était à l’origine insérée après les deux lignes imprimées biffées : "Et telles autres...de la chose en soy."]
Les argumants de
l’escolelescole vontuont a tous
coups costoiant la
matiere et n’y donent
pas: A peine visentuisent
ils a la croute.
Zenon
contre la mort. Nul
mal n’est honorable,
la mort l’est: elle
n’est donq pas mal.
Contre l’ivrouigne=
rie
iurouigne=
rie
. Nul ne fie son
secret a l’ivrouigneiurouigne,
chacun le fie au
sage, le sage ne sera
donq pas ivrouigneiurouigne.
Cela est ce viseruiser
donner au blanc Mais
de ceus icy sones disciples
aont certes raison de
se moquer
. JI’eime a
voiruoir ces grandes [unclear]
ames et excellantes
nigauder a leur tour:
et
principalles ne se pouvoirpouuoir
entieremant desprendre
de nostre consorce.
Tant parfaicts homes
qu’ils soient ce sont
tousjourstousiours bien lourde
mant des homes.
&Et telles autres circonstances nous amusent, diver-
tissent
diuer-
tissent
& destournent, de la consideration de la chose en soy.

C’est unevne douce passion que la vengeance, de grande impres-
sion & naturelle: jJeiIe le voy bien, encore que jeie n’en aye aucune
experience: pPour en distraire dernierement unvn jeuneieune prince,
jeie ne luy allois pas disant, qQu’il falloit prester la jouёiouё à celuy
qui vous avoitauoit frappé l’autre, pour le devoirdeuoir de charité: nNy ne
luy allois representer les tragiques evenementseuenemēts que la poёsie
attribue à cette passion. JeIe la laissay la,: & m’amusay à luy faire
gouster la beauté d’unevne image contraire: l’honneur, la faveurfaueur,
la bien-veillance qu’il acquerroit par clemence & bonté: jJeiIe le
destournay à l’ambition. Voyla commeentcommeēt on en faict. Si vostre
affection en l’amour est trop puissante, dissipez la, disent ils,
&Et disent vray, car jeie l’ay souvantsouuant essayé avecauec utilitévtilité: rRompez la
à diversdiuers desirs,. dDesquels il y en ayt unvn regent & unvn maistre, si
vous voulez, mMais depeur qu’il ne vous gourmande & tyran-
nise
tyrā-
nise
, affoiblissez le, sejournezseiournez le, en le divisantdiuisant & divertis-
sant
diuertis-
sant
.,
Cum
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LIVRE TROISIESME.365373
Cum morosa vago singultiet inguine vena,
Coniicito humorem collectum in corpora quaeque.

Et pourvoyezpouruoyez y de bonne heure, de peur que vous n’en soyez
en peine, s’il vous à unevne fois saisi,
Si non prima nouis conturbes vulnera plagis,
Volgiuagaque vagus venere ante recentia cures.

JeIe fus autrefois touché d’unvn puissant desplaisir, selon ma com-
plexion,: &Et encores plus justeiuste que puissant: jJeiIe m’y fusse perdu
à l’avantureauanture, si jeie m’en fusse simplement fié à mes forces. AyantAyāt
besoing d’unevne vehemente diversiondiuersion pour m’en distraire, jeie me
fis par art amoureux, & par estude, à quoy l’aage m’aidoit lL’a-
mour me soulagea & retira du mal, qui m’estoit causé par l’a-
mitié. Par tout ailleurs de mesme: uUnevVne aigre imagination me
tient, jeie trouvetrouue plus court, que de la dompter, la changer: jJeiIe
luy en substitue, si jeie ne puis unevne contraire, au moins unvn’autre:
tTousjourstTousiours la variation soulage, dissout & dissipe: sSi jeie ne puis
la combatre, jeie luy eschape: &Et en la fuyant, jeie fourvoyefouruoye, jeie
ruse: mMuant de lieu, d’occupation, de compaignie, jeie me sau-
ve
sau-
ue
dans la presse d’autres amusemens & pensées, ou elle perd
ma trace, & m’esgare. Nature procede ainsi, par le benefice de
l’inconstance: cCar le temps, qu’elle nous à donnédōné pour souve-
rain
souue-
rain
medecin de nos passionspassiōs, gaigne son effaict principalementprincipalemēt
par la, que fournissant autres & autres affaires à nostre imagina-
tion, il demesle & corrompt cette premiere apprehension,
pour forte qu’elle soit:. uUnvVn sage ne voit guiere moins, son amy
mourant, au bout de vint & cinq ans, qu’au premier an,
Position : Marge droite et suivantsuiuant Epicurus
de rien moins. Car il
iugeoitiugeoit que ny la praemedi=
tation n’allegeoit le mal
ny la vieillesseuieillesse
quicar il
n’attribuoit aucun
leniment des facheries
ny a la prevoiancepreuoiance ny
a la vieillesseuieillesse d’icelles.
mMais
tant d’autres cogitationscogitatiōs traversenttrauersent cette-cy, qu’elle s’alanguit,
& se lasse en fin. Pour destourner l’inclination des bruits com-
muns
cō-
muns
, Alcibiades coupa les oreilles & la queue à son beau
chien, & le chassa en la place: aAfin que donnant ce subjectsubiect pour
babiller au peuple, il laissat en repospaix ses autres actions. JI’ay veu
aussi, pour cet effect de divertirdiuertir les opinions & conjecturesconiectures
BBBBb
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[373v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
du peuple, & desvoyerdesuoyer les parleurs, des femmes couvrircouurir leurs
vrayes affections par des affections contrefaictes. Mais ji’en ay
veu telle qui en se contrefaisant s’est laissée prendre à bon es-
cient, &Et à quitté la vraye & originelle affection pour la fein-
te: &Et aprins par elle, que ceux, qui se trouventtrouuent bien logez, sont
des sots de consentir à ce masque. Les acueilss acceuils & entretiensentretiēs pu-
bliques estans reservezreseruez à ce serviteurseruiteur aposté, croyez qu’il n’est
guere habile, s’il ne se met en fin en vostre place, & vous chas-
seenvoieenuoie en la sienne.
Position : Marge gauche Cela c’est proprement tailler
& coudre un soulier pour
qu’un autre le chausse.
Peu de chose nous divertitdiuertit & destourne: car
peu de chose nous tient. Nous ne regardons gueres les sub-
jects
sub-
iects
en gros & seuls: cCe sont des circonstances ou des images
menues & superficieles qui nous frapent, &Et des vaines escor-
ces qui rejalissentreialissent des subjectssubiects,
Folliculos vt nunc teretes aestate cicadae
Linquunt,.

Plutarque mesme, regrette sa fille par des singeries de son en-
fance. Le souvenirsouuenir d’unvn adieu, d’unevne action, d’unevne grace parti-
culiere, d’unevne recommandation derniere, nous afflige. La
robe de Caesar troubla toute Romme, ce que sa mort n’avoitauoit
pas faict. Le son mesme des noms, qui nous tintoüine aux o-
reilles: mMon pauvrepauure maistre, ou mon grand amy, hHelas mon
cher pere, ou ma bonne fille: qQuand ces redites me pinsent,
& que ji’y regarde de pres, jeie trouvetrouue que c’est unevne plainte gram-
mairiene
grā-
mairiene
, & que ce sont les mots qui me blessentvoyelleuoyelle. Le mot et le ton me blessent,: cComme les
exclamations des prescheurs esmouventesmouuent leur auditoire sou-
vant
sou-
uant
, plus que ne font leurs raisons: &Et comme nous frappe la
voix piteuse d’unevne beste qu’on tue pour nostre serviceseruice: sSans
que jeie poise ou penetre cependantcependāt, la vraye essence & massivemassiue
de mon subjectsubiect,:
his se stimulis dolor ipse lacessit.:
CcCe sont les fondemens de nostre deuil.
Position : Marge gauche . L’opiniastreté de mes
pierres, nota specialement
en la vergeuerge, m’a parfois jettèiettè
en longues suppressions
d’urine, de trois de q
quattre joursiours: eEt si avantauant
en la mort, que c’eut estè
follie d’esperer l’evitereuiter,
voire desirer,: veuueu les
cruels et endiablez
effors que cet estat apporte.
Position : Interligne basse O que ce bon emperur qui fesoit lier la vergeuerge a ses criminels pour les faire mourir a faute
de pisser, estoit grand maistre en la science de bourrellerie.
Me trouvanttrouuant la, jeie consideroi par combien tendreslegieres causes
l’ima et objetzobietz, l’imagination nourrissoit en moi le regret de la vieuie: de quels atomes se
bastissoit en mon ame, le pois et la difficultè de ce deslogemant: a combien frivollesfriuolles pansees
nous donions place en un si grand affaire:. UnVn chien, un verreuerrechevalcheual, un livreliure Position : Interligne haute un verreuerre et quoi non? tenoint
comte en ma perte. Aus autres leurs ambitieuses esperances, leur bourse, leur sciance,
en riennon moins sottement a mon grè. JeIe voioiuoioi nonchalammant la mort quand jeie la voyoisuoyois
universellemantuniuersellemāt, come fin de la vieuie: jeie la gormande en gros: en destaibloc, par le menu, elle
me rongepille. Les larmes d’un laquais, la dispensation de ma desferre, l’atouchemantatouchemāt d’une
main conue, une consolation commune, me descoragensole & m’attandrit.
Ainsi nous troublent
l’ame, les plaintes des fables: &Et les regrets de Didon, & d’A-
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LIVRE TROISIESME.366374
riadné passionnent ceux mesmes qui ne les croyent point en
Virgile & en Catulle:
Position : Marge droite c’est un exemple de nature
obstinee & dure n’en sentir
aucune emotion: come on
recite Position : Interligne haute pour miracle de Polemon: mais aussi
ne pallit il pas sulement a la
morsure d’un chien enrage qui
luy emporta le gras de la jambeiambe.
&Et nulle sagesse ne va si avantauant, de conce-
voir
conce-
uoir
la cause d’unevne tristesse, si viveviue & entiere, par jugementiugement,
qu’elle ne souffre accession par la presence, quand les yeux &
les oreilles y ont leur part: pParties qui ne peuventpeuuent estre agitées
que par vains & frivolesfriuoles accidens. Est-ce raison que les arts
mesmes se serventseruent & facent leur proufit de nostre imbecilité
& bestise naturelle? L’Orateur, dict la rethoriquerhetorique, en cette
farce de son plaidoier, s’esmouveraesmouuera par le son de sa voix, & par
ses agitations feintes, & se lairra piper à la passion qu’il repre-
sente: iIl s’imprimera unvn vray deuil & essentiel, par le moyenmoyē de
ce battelage qu’il joüeioüe, pour le transmettre aux jugesiuges, à qui il
touche encore moins:. cComme font ces personnes qu’onō louё
aus mortuaires, pour ayder à la ceremonie du deuil, qui ven-
dent leurs larmes à pois & à mesure, & leur tristesse.: CcCar en-
core qu’ils s’esbranlent en forme empruntée,: toutesfois en
habituant & rengeant la contenance, il est certain qu’ils s’em-
portent souvantsouuant tous entiers, & reçoiventreçoiuent en eux unevne vraye
melancholie. JeIe fus entre plusieurs autres de ses amis, condui-
re à Soissons le corps de monsieur de Gramont, du siege de la
Fere, ou il fut tué: jJeiIe consideray que par tout ou nous passionspassiōs,
nous remplissonsremplissions de lamentation & de pleurs, le peuple que
nous rencontrions, par la seule montre de l’appareil de no-
stre convoyconuoy: cCar seulement le nom du trepassé n’y estoit pas
cogneu
Position : Marge droite Quintilian dict
avoirauoir veuueu des come=
dians si fort engai
engagez en un rolle
de deuil qu’ils venointuenoint
de represanter
qu’ils
en raporte pleuroint
encores au logis: et de
soimesmes pour y
convierconuier ses disciples

qu’aiant pris a esmou=
voir
esmou=
uoir
quelque passion
en autrui, il l’avoitauoit
si bien espousee iusques
a se trouvertrouuer surpris
de larmes non sulement
de larmes, mais d’une
pallur de visageuisage et p[...]port
teint d’home vraiemanturaiemāt atteint
accablè sesi de dolur.
En unevne contrée pres de nos montaignes, les femmes
font le prestre martin: cCar comme elles agrandissent le regret
du mary perdu par la souvenancesouuenance des bonnes & agreables
conditions qu’il avoitauoit, elles font tout d’unvn trein aussi recueil
& publient ses imperfections: cComme pour entrer d’elles
mesmes en quelque compensationcōpensation,: & se divertirdiuertir de la pitié au
desdain.
Position : Interligne basse De bien meillure grace encore, que nous, qui
a la perte du premier conu, nous piquons a luy
prester des louanges nouvellesnouuelles et fauces: & a le faire tout autre
quand nous l’avonsauons perdu de veueueue que’ilqueil ne nous ne lesembloit
trouvionstrouuionsestre quand nous le voïonsuoïons: come si le regret
estoit une partie instructiveinstructiue: ou que les larmes en lavantlauant
nostre entendement, l’esclercissentlesclercissent. JeIe renonce des a present
aus favorablesfauorables tesmouignages qu’on me voudrauoudra doner
non par ce que ji’en serai digne mais par ce que jeie serai mort.
Qui demandera à celuy là, quel interest avezauez vous à
ce siege: lL’interest de l’exemple, dira il, & de l’obeyssance com-
BBBBb ij
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[374v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mune du prince: jJeiIe n’y pretens proffit quelconquequelcōque,: &Et de gloire,
jeie sçay la petite part qui en peut toucher unvn particulier commecōme
moy: jJeiIe n’ay icy ny passion ny querelle. Voyez le pourtant le
lendemain, tout changé, tout bouillant & rougissant de cho-
lere en son rancrāc de bataille pour l’assaut: cC’est la lueur de tanttāt d’a-
cier, & le feu & tintamarre de nos canons & de nos tambours,
qui luy ont jettéietté cette nouvellenouuelle rigueur & hayne dans les vei-
nes. FrivoleFriuole cause,: me direz vous: cComment cause? iIl n’en faut
point, pour agiter nostre ame: uUnevVne resverieresuerie sanssās corps & sanssās su-
ject
su-
iect
la regenteregēte & l’agite. Que jeie me mettejetteiette à faire des chasteaux
en Espaigne,: mon imagination m’y forge des commoditez
& des plaisirs,: desquels mon ame est reellement chatouillée
& resjouyeresiouye: cCombiencCōbien de fois embrouillonsembrouillōs nous nostre esprit de
cholere ou de tristesse, par telles ombres, & nous inseronsinserōs en des
passions fantastiques, qui nous alterentalterēt & l’ame & le corps?
Position : Marge gauche Quelles grimaces tristes
choleres
estonees riardes confuses
excite la resverieresuerie en nos
visages Quelles saillies
& agitations de membres
& de voixuoix Semble il pas de
cet home sul qu’il aye des
visions fauces d’une presse
d’autres homes aveqaueq qui il
negotie ou quelque daemon
interne qui le persecute.
eEn-
querez vous à vous, ou est l’objectobiect de cette mutation. Est il rienriē
sauf nous, en nature, que l’inanité sustante, sur quoy elle puis-
se? Cambises pour avoirauoir songé en dormant que son frere de-
voit
de-
uoit
devenirdeuenir Roy de Perse, le fit mourir,: uUnvVn frere qu’il aimoit,
& duquel il s’estoit tousjourstousiours fié. Aristodemus Roy des Mes-
seniens se tua, pour unevne fantasie qu’il print de mauvaismauuais augu-
re, de jeie ne sçay quel hurlement de ses chienschiēs. Et le Roy Midas
en fit autant, troublé & faché de quelque mal plaisant songe
qu’il avoitauoit songé: cC’est priser sa vie justementiustemēt ce qu’elle est, de
l’abandonnerabandōner pour unvn songe. Oyez Position : Interligne haute pourtant nostre ame, triompher de
la misere du corps, de sa foiblesse, de ce qu’il est en butte à
toutes offences & alterations: vVrayement elle à raison d’en
parler.:
O prima infoelix fingenti terra Prometheo,
Ille parum cauti pectoris egit opus.
Corpora disponens, mentem non vidit in arte,
Recta animi primum debuit esse via.


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LIVRE TROISIESME.367375

Sur des vers de Virgile.

CHAP. V.



A Mesure que les pensemens utilesvtiles sont plus plains, plus
gravesgraues & solides, ils sont aussi plus empeschansempeschās, & plus
onereux. Le vice, la mort, la pauvretépauureté, les maladies,
sont subjetssubiets peniblesgravesgraues, & qui lassentgreventgreuent. Il faut avoirauoir l’ame instrui-
te des moyens de soustenir & combatre les maux, & instruite
des reigles de bien vivreviure, & de bien croire, & souventsouuent l’esveil-
ler
esueil-
ler
& exercer en cette belle estude: mMais à unevne ame de commu-
ne sorte, il faut que ce soit avecauec reláche & moderation: eElle
s’affole d’estre trop continuellement bandée. JIavoyauoy besoing
en jeunesseieunesse, de m’advertiraduertir & solliciter pour me tenir en office:
lL’alegresse & la santé ne conviennentconuiennent pas tant bien, Position : Interligne haute dict on avecauec ces
discours serieux & sages: jJeiIe suis à present en unvn autre estat:. lLes
conditions de la vieillesse ne m’advertissentaduertissent que trop, m’assa-
gissent & me preschent: dDe l’excez de la gayeté, jeie suis tombé
en celuy de la severitéseuerité,: plus fácheus. Parquoy jeie me laisse à cet-
te heure aller unvn peu à la desbauche, par dessein: &Et emploie parquelque
fois, l’ame à des pensemens folsfolastres & jeunesieunes, ou elle se sejourneseiourne,: jJeiIe
ne suis meshuy que trop rassis, trop poisant, & trop meur:. lLes
ans me font leçon tous les joursiours, de froideur, & de temperan-
ce: cCe corps fuyt le desreiglement & le craint: iIl est à son tour
de guider l’esprit vers la reformation: iIl regente à son tour,: &
plus rudement & imperieusement: iIl ne me laisse pas unevne heu-
re, ny dormantdormāt ny veillant, chaumer d’instruction, de mort, de
patience, & de poenitence:. jJeiIe me deffens de la temperance, com-
me
cō-
me
ji’ay faict autresfois de la volupté,: eElle me tire trop arriere,
& jusquesiusques à la stupidité: oOr jeie veus estre maistre de moy, à tout
sens. La sagesse à ses excés,: & n’a pas moins de besoin de mode-
ration que la folie: aAinsi de peur que jeie ne seche, tarisse, &
BBBBb iij
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[375v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
moysissem’aggraveaggraue de prudence, aus intervallesinterualles que mes maux me don-
nent,
Mens intenta suis ne siet vsque malis,
JjeIie gauchis tout doucement, & desrobe ma veuë de ce ciel o-
rageux & nubileux que ji’ay devantdeuant moy: lLequel, Dieu mercy,
jeie considere bien sans effroy, mais non pas sans contention, &
sans estude: &Et me vois amusant en la recordation des foliesjeunessesieunesses
passées.,
animus quod perdidit optat,
Atque in praeterita se totus imagine versat.

Que l’enfance regarde devantdeuant elle, la vieillesse derriere: eEstoit-
ce pas ce que signifioit le double visage de JanusIanus? Les ans m’en-
trainent
ē-
trainent
s’ils veulent, mais à reculons: aAutantaAutāt que mes yeux peu-
vent
peu-
uēt
encor reconnoistrerecōnoistre cette belle saison passéeexpiree, jeie les y destour-
ne à secousses. Si elle eschappe de mon sang & de mes veines,
au moins n’en veus-jeie desraciner l’image de la memoire,
hoc est,
Viuere bis, vita posse priore frui.

Position : Marge gauche Et Platon ordone aus
vieillarsuieillars d’assister aus
exercices danses et jeusieus
de la junesseiunesse pour se rejouirreiouir
en autrui de lalegresse et
soupplesse et beaute du
corsps qui n’est plus en eus:
& rapeler en leur souvenancesouuenāce
la grace et faveurfaueur de cet
aage fleurissant. Et veutueut
qu’en ces exercices ils donentdonēt
la victuict
esbats ils attribuent
l’honeur de la victoireuictoire a au
celuy des junesiunes gens qui les
aura le plus esbaudis
home

l’honeur de la victoireuictoire au
jeuneieune home qui ara le plus
esbaudi et rejouireioui et plus
grand nombre d’entre eus.

JeIe merquois autresfois les joursiours poisans & tenebreux, comme
extraordinaires: ceux-là sont tantost les miens ordinaires: lLes
extraordinaires, sont les beaux & serains. JeIe m’en vay au train
de tressaillir, comme d’unevne nouvellenouuelle faveurfaueur, quand aucune
chose ne me deust. Que jeie me chatouille, jeie ne puis tantosttātost plus
arracher unvn pauvrepauure rire, de ce meschant corps. JeIe ne m’esgaye
qu’en fantasie & en songe:, pour destourner par ruse, le cha-
grin de la vieillesse: mMais certes il y faudroit autre remede, qu’enē
songe: fFoible luicte, de l’art contre la nature. C’est grand sim-
plesse d’alonger & anticiper, comme chacun faict, les incom-
moditez humaines: jJiI’ayme mieux estre moins long tempstēps vieil,
que d’estre vieil, avantauāt que de l’estre. JusquesIusques aux moindres oc-
casions de plaisir que jeie puis rencontrer, jeie les empoigne:. jJeiIe
connois bien par ouyir dire, certainesplusieurs especes de voluptez prudentes, for-
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LIVRE TROISIESME.359376
tes & glorieuses: mais l’opinionopiniō ne peut pas assez sur moy pour
m’en mettre en appetit.
Position : Marge droite JI . jJeiIe ne les veusueus
pas tant, magnani=
mes magnifiques et
fastueuses, come jeie les
veusueus, doucereuses
faciles et prestes. A
natura discedimus
populo nos damus
nullius rei bono auctori.
Ma philosophie est en action, &en usa-
ge
vsa-
ge
naturel, Position : Interligne haute et present: peu en fantasie:. pPrinsse-jeie plaisir à joueriouer aux noiset-
tes & à la toupie.:.
Non ponebat enim rumores ante salutem.
La volupté est qualité peu ambitieuse,. eElle s’estime assez riche
de soy, sans y mesler le pris de la reputation: & s’ayme mieux à
l’ombre. Il faudroit donner le fouët à unvn jeuneieune homme, qui
s’amuseroit à choisir le goust du vin, & des sauces.: IiIl n’est rien
que ji’aye moins sceu, & moins prisé,. aA cette heure jeie l’apprens:
jJiI’en ay grand honte, mais qu’y feroy-jeie? JI’ay encor plus de hon-
te
hō-
& de despit, des occasions qui m’y poussent. C’est à nous à
resverresuer & baguenauder, & à la jeunesseieunesse àde se tenir sur la reputa-
tion & sur le bon bout: eElle va vers le monde, vers le credit:,
nous en venons:
Position : Marge droite Sibi arma sibi equos
sibi hastas sibi clauam
sibi pilam sibi natationes
et cursus habeant: nobis
senibus ex lusionibus
multis talos relinquant
et tesseras.
lLes loix mesme nous envoyentenuoyent au logis. JeIe ne
puis moins en faveurfaueur de cette chetivechetiue condition, ou mon aage
me pousse, que de luy fournir de jouetsiouets & d’amusoires, com-
me à l’enfance: aussi y retombons nous. Et la sagesse & la folie,
auront prou à faire, à m’estayer & secourir par offices alterna-
tifs, en cette calamité d’aage.:
Misce stultitiam consiliis breuem:.
JeIe fuis de mesme, les plus legeres pointures,. &Et celles qui ne
m’eussent pas autres-fois esgratigné, me transperçent à cette
heure: mMon habitude commence de s’appliquer si volon-
tiers au mal., in fragili corpore odiosa omnis offensio est.
Ménsque pati durum sustinet aegra nihil.
JI’ay esté tousjourstousiours chatouilleux & delicat aux offences,: jJeiIe suis
plus tendre à cette heure, & ouvertouuert par tout.,
Et minimae vires frangere quassa valent.
Mon jugementiugement m’empesche bien de regimber & grondergrōder con-
tre les inconvenientsinconuenients que nature m’ordonne à souffrir, mais
non pas de les sentir. JeIe courrois d’unvn bout du mondemōde à l’autre,
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[376v] ESSAIS DE M. DE MONT.
chercher unvn bon an, de tranquillité plaisante & enjouéeeniouée,: moy
qui n’ay autre fin que vivreviure & me resjouyrresiouyr: lLa tranquillitétrāquillité som-
bre & stupide, se trouvetrouue assez pour moy, mais elle m’endort
& enteste: jeie ne m’en contente pas. S’il y à quelque personne
d’honneur, quelque bonne compagnie, aux champs, en la vil-
le, en France, ou ailleurs, resseante, ou voyagere, a qui mes hu-
meurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes, il
n’est que de siffler en paume,: jeie leur iray fournir des essays, en
cher & en os. Puisque c’est le privilegepriuilege de l’esprit, de se r’avoirauoir
de la vieillesse, jeie luy conseille autant que jeie puis, de le faire:
qQu’il verdisse, qu’il fleurisse ce pendantpēdant, s’il peut, comme le guy
sur unvn arbre mort: jJeiIe crains que c’est unvn traistre,. iIl s’est si estroit-
tement affreré au corps, qu’il m’abandonneabandōne à tous coups, pour
le suyvresuyure en sa necessité: jJeiIe le flatte à part,: jeie le practique pour
neant,. jJiI’ay beau essayer de le destourner de cette colligeance,: &
luy presenter & Seneque & Catulle, & les dames & les dances
royales,. sSi son compagnon à la cholique, il semble qu’il l’ait
aussi. Les operations mesmes qui luy sont particuliers & pro-
pres, ne se peuventpeuuent lors sousleversousleuer:, elles sentent evidemmenteuidemment
au morfondu: iIl n’y à poinct d’allegresse en ses productions,
s’il n’en y à quand & quand au corps,.
Position : Marge gauche Nos maistres ont tort quede
quoi cherchant les causes des
eslancemans extraordineres de
nostre esprit et daemoniacles outre
ce qu’ils en attribuent Position : Interligne haute au ravissementrauissement divindiuin a l’amourlamour
a Bacchus a mars aus muses
au vinuin a l’aspretélaspreté guerriere a la poisie au vinuin
ils n’en [unclear] ont done sa part a la sante
Une sante juneiunebouillante vigoreuseuigoreuse
pleine oisifveoisifue telle qu’autresfois
la verdur des ans et la securite
me la fournissointfournissoīt par venuesuenues: quelCe
feu quelle vieuie quelle fureur
d’enthousiasme n’engendroit elle
pas en mon ame jeie ne pouvoispouuois pas
estre moy: quellecette maniacle gaiete etpointe et
qualite[unclear] d’imagination portoit loin
de ma disposition ordinere
de gaiete suscitante en mon
l’esprit des eloises vifvesuifues et cleres
outre nostre portee naturelle et
entre les enthousiasmes
les plus gaillars si non les plus
esperdus.
Or bien
ce n’est pas merveillemerueille si un contrere
estat affesse mon esprit et le clouë,
& faict un effaict contrere.

Ad nullum consurgit opus cum corpore languet,.
Et veut encores que jeie luy sois tenu, dequoy il preste, comme
il dict, beaucoup moins à ce consentement, que ne porte l’u-
sage
v-
sage
ordinaire des hommes. Aumoins pendant que nous avonsauōs
trefvestrefues, chassons les maux & difficultez de nostre commerce,
Dum licet obducta soluatur fronte senectus:
tetrica sunt amaenanda iocularibus.
JI’ayme unevne sagesse gaye & ci-
vile
ci-
uile
,: & fuis l’aspreté des meurs, & l’austerité: ayant pour suspe-
cte toute mine rebarbativerebarbatiue.:,
Tristemque uultus tetrici arrogantiam:
& habet tristis quoque turba cynaedos.
Position : Marge gauche JeIe crois Platon de bon ceur
qui dict les humurs douces
faciles ou difficilles estre
un grand prejudicepreiudice a la
bonte ou mauvestiemauuestie de l’ame.
Socrates eut un visageuisage constant mais serein
en serenite et gayeteet riant, Non constant come le
vieil Crassus qu’on ne vistuist jamaisiamais rire.

La vertu est qualité plaisante & voluptueusegaye.
Position : Interligne basse JeIe sçai bien que fort peu de gens rechigneront a la
licence de mes escris, qui n’aient plus a rechigner a
la licence de leur consciancecōsciancepensee: leur courage n’en est
pouint frape ce sont leurs yeus. Est ce pas fpure follie.
Non pudeat dicere quod
non pudeat sentire
jeie me
conforme bien a leur courage, mais ji’offance leurs yeus. C’est une humeur
Non pudeat dicere id quod non pudeat sentire bien ordonee de pinser les escris
de Platon, et couler ses negotiations Position : Interligne haute pretandues aveqaueq Phaedon Dion Stella Archeanassa. Non pudeat
dicere quod non pudeat sentire.
JeIe hay unvn esprit
dan-[sic]
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LIVRE TROISIESME.369377
hargneux & triste, qui glisse par dessus les plaisirs de sa vie, &
s’empoigne & paist aux malheurs: cComme les mouches, qui
ne peuventpeuuent tenir contre unvn corps bien poly, & bien lissé, &
s’attachentattachēt & reposent aux lieux scabreux & raboteux: &Et com-
me les vantouses, qui ne hument & appetent que le mauvaismauuais
sang. Au reste, jeie me suis ordonné d’oser dire tout ce que ji’ose
faire: &Et me desplais des pensées mesmes impubliables. La pi-
re de mes actions & conditions, ne me semble pas si laide, com-
me
cō-
me
jeie trouvetrouue laid & láche de ne l’oser avouerauouer. Chacun est dis-
cret en la confession, on le devoitdeuoit estre en l’action: lLa hardies-
se de faillir est aucunement compensée & bridée, par la har-
diesse de le confesser.
Position : Marge droite : qQui s’obligeroit a
tout dire, s’obligeroit
a ne rien faire, de ce
qu’on est contreint de
taire. Dieu veuilleueuille
que cet excez de ma
licence attire au
moins
lesnos homes Position : Interligne haute jusquesiusques a la
liberté, et leur face
passer
par dessus ces
vertusuertus couardes et
mineuses nees de nos
imperfections
Position : Interligne basse : qu’aus despans de mon immoderation jeie les attire
jusquesiusques au point de la raison.
Il faut
voiruoir son viceuice et l’estudier
pour le redire: cCeus qui
le celent a autruy le
celent ordineremant a
eus mesmes. et l’ignorentignorēt
JeIe
eEt ne le tienenttienēt
pas pour asses
couvertcouuert s’ils le voïentuoïent
iIls le soustreent et
desguisent a leur propre
consciance. par le
monopole du
jugemantiugemant.
Quare
uitia sua nemo
confitetur, quia
etiam nunc in
illis est. somniumsomniū
narrare, uigilantis
est.
Les maus du
cors s’esclercissent
en augmentant.
Nous trouvonstrouuons que
c’est goutte que nous nomions
reume ou foulure. Les maus de l’amelame
s’obscurcissent en leur force : le
plus malade les sent le moins. Voila
pourquoi il les faut souvantsouuant remanier d’une main rude les arracher du
creus et pousser en place marchanmarchā creus et pousser en place marchandemarchāde.

Position : Marge gauche pourquoi il les faut souvantsouuant remanier
au jouriour, d’une main impiteuse, les ouvrirouurir et arracher du creus de nostre poitrine:.

Comme en matiere de bien faicts, de
mesme en matiere de mesfaicts c’est par
fois satisfaction que la confession sule [unclear]
confession. Est il quelque laidur aus mesfaictsfaillir qui nous
dispanse de nous en devoirdeuoir confesser.
JeIe souffre peine à me feindre,. sSi que jievi-
te
eui-
te
de prendre les secrets d’autruy en garde,: n’ayant pas bien le
coeur de desadvouerdesaduouer ma science: jJeiIe puis la taire, mais la nyer, jeie
ne puis sans effort, & desplaisir: pPour estre bien secret, il le faut
estre par nature, non par obligation: c’C’est peu, au serviceseruice des
princes, d’estre secret, si on n’est menteur encore. Celuy qui
s’enquestoit à Thales Milesius, s’il devoitdeuoit solemnellementsolemnellemēt nier
d’avoirauoir paillardé, s’il se fut addressé à moy, jeie luy eusse respon-
du qu’il ne le devoitdeuoit pas faire, cCar le mentir me semble encore
pire que la paillardise:. Thales conseillacōseilla tout autrement,: & qu’il
jurastiurast, pour garentir le plus, par le moins: tToutesfois ce con-
seil, n’estoit pas tant election de vice, que multiplication. Sur
quoy, disons ce mot en passant, qQu’on faict bon marché à unvn
homme de conscience, quand on luy propose quelque diffi-
culté au contrepois du vice, mMais quand on l’enferme entre
deux vices, on le met à unvn rude chois: cComme on fit Origene:
ou qu’il idolatrast, ou qu’il se souffrit jouyriouyr charnellement à
unvn grand vilain AEthiopien qu’on luy presenta: iIl subit la pre-
miere condition,. &Et vitieusement dict on. Pourtant ne seroientseroiēt
pas sans goust, selon leur erreur, celles qui nous protestent en
ce temps, qu’elles aymeroient mieux charger leur conscience
CCCCc
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[377v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
de dix hommes, que d’unevne assistance de devotiondeuotiō à nostre for-
me.messe. Si c’est indiscretion de publier ainsi ses erreurs, il n’y à pas
grand danger qu’elle passe en exemple & usagevsage: cCar Ariston
disoit que les vens que les hommes craignentcraignēt le plus, sont ceux
qui les descouvrentdescouurent: iIl faut rebrasser ce sot haillon qui couvrecouure
nos meurs: iIls envoyentenuoyent leur conscience au bordel, & tiennent
leur contenance en regle: jJusquesiIusques aux traistres & assassins, ils
espousent les loix de la ceremonie, & attachentattachēt là leur devoirdeuoir: sSi
n’est ce, pasny à l’injusticeiniustice de se plaindre de l’incivilitéinciuilité.
Position : Marge gauche ny a la malice de
l’indiscretion. C’est
domage qu’un meschantmeschāt
home ne soit encores
un sot. et que la decence
pallie son viceuice. Ces
incrustations n’apartie=
nent qu’a une bone et
saine matiere paroi: qui
merite d’estre conserveeconseruee ou
blanchie.
En faveurfaueur
des Huguenots qui accusent nostre confession privéepriuée & auri-
culaire, jeie me confesse en publiq, religieusement & purementpuremēt.
S. Augustin, Origene, & Hippocrates, ont publié les erreurs
de leurs opinions, moy encore, de mes meurs. JeIe suis affamé de me fai-
re connoistre: &Et ne me chaut à combien, pourveupourueu que ce soit
veritablement: oOu pour dire mieux,: jeie n’ay faim de rien,: mais
jeie fuiscreins mortellement, d’estre pris en eschange, par ceux à qui il
arrivearriue de connoistrecōnoistre mon nom.
Position : Marge gauche Plesante fantasie.
Plesante fantasie.
Plusieurs choses

ce que jeie ne voudroisuoudrois
dire a persone jeie le dis
au peuple. Et sur mes
plus secretes sciances
et pensees renvoierenuoie
a mon livreliure mes plus
privezpriuez amis.
Celuy qui faict tout pour l’hon-
neur & pour la gloire, que pense-il gaigner, en se produisant
au monde en masque,: desrobant son vray estre à la connois-
sance du peuple? Louez unvn bossu de sa belle taille, il le doit re-
cevoir
re-
ceuoir
à injureiniure: sSi vous estes couard, & qu’on vous honnore
pour unvn honnestevaillantuaillant hommehōme, est-ce de vous qu’on parle? oOn vous
prend pour unvn autre: jJiI’aymeroy aussi cher que celuy-là se gra-
tifiast des bonnetades qu’on luy faict, pensant qu’il soit mai-
stre de la trouppe,: luy qui est des moindres de la suitte. Arche-
laus Roy de Macedoine, passant par la ruë, quelqu’unvn versa de
l’eau sur luy: lLes assistans disoient qu’il devoitdeuoit le chastierpunir: voi-
reoOuy mais, fitdict-il, ilil n’a pas versé l’eau sur moy, mais sur celuy qu’il
pensoit que jeie fusse.
Position : Marge gauche Pareillement Socrates a
celuy qui l’avertissoitauertissoit
qu’on mesdisoit de luy. Point
dit il: il n’y a rien en moi de
ce qu’ils en disent
Pour moy,: qui me louëroit d’estre bon
pilote, d’estre bien modeste, ou d’estre bien chaste, jeie ne luy
en devroisdeurois nul grammercy: &Et pareillement, qui m’appelleroit
traistre, voleur ou yvrongneyurongne, jeie me tiendroy aussi peu offen-
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LIVRE TROISIESME.370378
cé. Ceux qui se mescognoissent, se peuventpeuuent paistre de fauces
approbations: nNon pas moy, qui me voy, & qui me recherche
jusquesiusques aux entrailles,: qui sçay bien ce qui m’appartient. Il me
plaist d’estre moins loué, pourveupourueu que jeie soy mieux conneu.
Position : Marge droite On me pourroit
tenir pour sage en
telle condition de
sagesse que jeie tien
pour sottise.

JeIe m’ennuie, que mes essais serventseruent les dames de meuble com-
mun seulement, & de meuble de sale: cCe chapitre me fera du
cabinet: jJiI’ayme leur commerce unvn peu privépriué,. lLe publique est
sans faveurfaueur & saveursaueur. Aux adieus, nous eschauffons outre l’or-
dinaire, l’affection, enversenuers les choses que nous abandonnons:
jJeiIe prens l’extreme congé des jeuxieux du monde: vVoicy nos der-
nieres caressesaccolades: mMais venons à mon theme. Qu’à faict l’action
genitale aux hommeshōmes, si naturelle, si necessaire, & si justeiuste, pour
n’en oser parler sans vergongne, & pour l’exclurre des propos
serieux & reglez? nNous prononçons hardimenthardimēt, tuer, desrober,
trahir: & cela, nous n’oserions qu’entre les dents. Est-ce à dire,
que moins nous en exhalons en parole, d’autant nous avonsauons
loy d’en grossir la pensée?
Position : Marge droite Car il est bon, que les
mots qui sont le moins
en usage, moins escrits
et plusmieus teus, sont les
mieus sceus & plus
generalemant conus: nNul
eage, nulles meurs l’ig
l’ignorent, non plus que le
pain. iIls s’impriment, en en
chacuchascun sans estre exprimez
et sans voixuoix et sans figure. Il
est bon aussi, que c’est un’action que
nous avonsauons mis en la franchise du
silence: d’oudou c’est crime de l’arracher
non pas mesme pour l’accuser et jugeriuger. Ny
n’osons la foiter qu’en perifrase
et peinture. Grand faveurfaueur
a un criminel d’estre si
execrable que chacun
creinsit a le toucher & a
le voiruoir
la justiceiustice estime
injusteiniuste de le toucher et
de le voiruoir: libre et sauvesauue
par l’exasperati l’as le benefice
de l’aigrurlaigrur de sa condamnation.
N’en vaua il pas come en
matiere de livresliures qui se
rendent d’autantdautant plus
publiques communsvenausuenaus et
publiques de ce qu’ils sont
supprimez. JeIe m’en voiuoi
pour moi prendre au mot
l’avislauis d’Aristote qui dict l’estrelestre
honteus servirseruir d’ornemant a la
junesseiunesse et a la vieillesseuieillessemais de
reproche a la vieilleisseuieilleissevieillesse
Ces vers se preschent en l’escole an-
cienne,: escole à laquelle jeie me tiens bien plus qu’à la mo-
derne, d’autant que lesleursses vertusuertus de lors me semblent plus
grandes, et lses vicesuices moindres.

Ceux qui par trop fuyant Venus estriventestriuent,
Faillent autant que ceux qui trop la suiventsuiuent.

Tu Dea tu rerum naturam sola gubernas,
Nec sine te quicquam dias in luminis oras
Exoritur, neque sit laetum nec amabile quicquam.

JeIe ne sçay qui à peu mal mesler Pallas & les Muses, avecauec Ve-
nus, & les refroidir enversenuers l’amour: mMais jeie ne voy aucunes
deitez qui s’aviennentauiennent mieux, ny qui s’entredoivententredoiuent plus. Qui
ostera aux muses les imaginations amoureuses, leur desrobe-
ra le plus bel entretien qu’elles ayent, & la plus noble matiere
de leur ouvrageouurage: &Et qui fera perdre à l’amour la communica-
tion
communica-
tiō
& serviceseruice de la poësie, l’affoiblira de ses meilleures armes:
pPar ainsin on charge le Dieu d’accointanceaccointāce, & de bien vueillanvueillā-
CCCCc ij
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[378v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce,: & les deesses protectrices d’humanité & de justiceiustice, du vice
d’ingratitude & de mesconnoissance. JeIe ne suis pas de si long
temps cassé de l’estat & suitte de ce Dieu, que jeie n’aye la me-
moire informée de ses forces & valeurs.,
agnosco veteris vestigia flammae.
Il y a encore quelque demeurant d’emotion & chaleur apres
la fiévrefiéure,
Nec mihi deficiat calor hic, hiemantibus annis.
Tout asseché que jeie suis, & appesanty, jeie sens encore quelques
tiedes restes de cette ardeur passée,
Qual l’alto AEgeo per che Aquilone o Noto,.
Cessi, che tutto prima il vuolse & scosse,
Non s’accheta ei pero, ma’l sono e’l moto,
Ritien de l’onde anco agitate è grosse.

Mais de ce que jeie m’y entends,: les forces & valeur de ce Dieu,
se trouventtrouuēt plus vivesviues & plus animées en la peinture de la poe-
sie, qu’en leur propre essence,
&Et versus digitos habet: [Commentaire (Montaigne) : - comancemantcomācemāt de versuers]
eElle represente jeie ne sçay quel air, plus amoureux que l’amour
mesme:. Venus n’est pas si belle toute nue, & viveviue, & haletan-
te, comme elle est icy chez Virgile.
Dixerat, & niueis hinc atque hinc diua lacertis
Cunctantem amplexu molli fouet: Ille repente
Accepit solitam flammam, notusque medullas
Intrauit calor, & labefacta per ossa cucurrit.
Non secus atque olim tonitru cum rupta corusco
Ignea rima micans percurrit lumine nimbos:
ea verba loquutus,
Optatos dedit amplexus, placidumque petiuit
Coniugis infusus gremio per membra soporem.

Ce que ji’y trouvetrouue à considerer, c’est qu’il la peinct unvn peu bien
esmeue pour unevne Venus maritale. En ce sage marché, les appe-
tits ne se trouventtrouuent pas si aigusfollastres: ils sont sombres & plus mous-
ses. L’amour hait qu’on se tienne par ailleurs que par luy, & se
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LIVRE TROISIESME.371379
mesle láchement aux accointances qui sont dressées & entre-
tenues soubs autre titre, comme est le mariage: lL’aliance, les
moyens, y poisent par raison, autant ou plus, que les graces &
la beauté: oOn ne se marie pas pour soy, quoi qu’onō die,: ou se ma-
rie autantautāt ou plus, pour sa posterité, pour sa famille: lLusagevsage & in-
terest du mariage, touche nostre race, bienbiē loing pardelà nous:
pPourtant me plait cette façon, qu’on le conduise plustost par
mains tierces, que par les propres, & par le sens d’autruy, que
par le sien: tTout cecy combien à l’opposite des conventionsconuentions
amoureuses? Aussi estce unevne espece d’inceste, d’aller employer
à ce parentage venerable & sacré, les efforts & les extravagan-
ces
extrauagā-
ces
de la licencelicēce amoureuse, comme il Position : Interligne haute me semble que ji’ayavoirauoir dict ail-
leurs: iIl faut (dict Aristote) toucher sa femme prudemment
& severementseuerement, depeur qu’en la chatouillant trop lascivementlasciuemēt
le plaisir ne la face sortir hors des gons de raison. Ce qu’il dict,
pour la conscienceconsciēce, les medecins le disent pour la santé: qQu’unvn
plaisir excessivementexcessiuement chaut, voluptueux, & assidu, altere la se-
mence, & empesche la conception: dDisent d’autrepart, qu’a
unevne congression languissante, comme celle la est de sa natu-
re,: pour la remplir d’unevne justeiuste & fertile chaleur, il s’y faut pre-
senter rarement, & à notables intervallesinterualles,
Quo rapiat sitiens venerem interiúsque recondat.
JeIe ne vois point de mariages qui faillent plustost, & se trou-
blent, que ceux qui s’acheminentacheminēt par la beauté & desirs amou-
reux: iIl y faut des fondemens plus solides, & plus constans,: &
y marcher d’aguet: cette bouillante allegresse n’y vaut rien.
Ceux qui pensent faire honneur au mariage, pour y joindreioindre
l’amour, font, ce me semble, de mesme ceux, qui pour faire
faveurfaueur à la vertu, tiennenttiennēt, que la noblesse n’est autre chose que
vertu. Ce sont choses qui ont quelque cousinage: mais il y a
beaucoup de diversitédiuersité: oOn n’a que faire de meslertroubler leurs noms
& leurs titres: oOn faict tort à l’unevne ou à l’autre de les confon-
CCCCc iij
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[379v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
dre. La noblesse est unevne belle qualité, & introduite avecauec rai-
son, mMais d’autant que c’est unevne qualité dependantdependāt d’autruy, &
qui peut tomber en unvn homme vicieux & de neant, elle est
en estimation bien loing au dessoubs de la vertu. C’est unevne
vertu, si ce l’est, artificiele & visible,: dependant du temps &
de la fortune,: diversediuerse en forme selon les contrées,: vivanteviuante &
mortelle,: sans naissance non plus que la riviereriuiere du Nil,: genea-
logique & commune,: de suite & de similitude,: tirée par con-
sequence, & consequence bien foible. La science, la force, la
bonté, la beauté, la richesse, toutes autres qualitez, tombent
en communication & en commerce,: cCette-cy se consomme
en soi, de nulle en-ploite au serviceseruice d’autruy. On proposoit à
l’unvn de nos Roys, le chois de deux competiteurs, en unevne mes-
me charge, desquels l’unvn estoit gentil’homme, l’autre ne l’e-
stoit point: iIl ordonna que sans respect de cette qualité, on
choisit celuy qui auroit le plus de merite: mMais ou la valeur se-
roit entierement pareille, qu’en ce cas on eust respect à la no-
blesse: c’estoit justementiustement luy donner son rang. Antigonus à
unvn jeuneieune homme incogneu, qui luy demandoit la charge de
son pere, homme de valeur qui venoit de mourir: mMon amy,
fit il, en mestels bien faicts, jeie ne regarde pas tant la noblesse de
mes soldats, comme jeie fais leur prouësse.
Position : Marge gauche De vraiurai il n’en doit pas
aller come des officiers
des Roys de Sparte trompettes
menestriers cuisiniers a qui
en leur charge succedoint les
enfans pour ignorans qu’ils
soient[unclear]fussentfussēt avantauant les mieus
experimantez du mestier.
Ceus de Calecut font des
nobles un’espece par dessus
l’humaine. Nul eage
nulle faveurfaueur de prince
nulsnulle valeurualeur ou charge ou
richesse peut faire arriverarriuer
a cette qualite ceus qui ne
l’ont point.
Le mariage leur
est interdict et toute
autre vacationuacation que
bellique De concubines
ils en peuventpeuuent avoirauoir leur
com’il leur plaitsaoul et les
femes autant de ruffiens
qui les jouissentiouissent sans
jalousieialousie les uns des
autres. mais ce leur c’est horribleun crime et capital crime de mortcapital & irremissible de se mesler accoupler
a persone d’autredautre condition que la leur. eEt se tienent pollus s’ilssils en sont sulement touches en
passant. Ils ne faillent de tuer tout roiturier qui ce se aproche d’eusdeus de trop pres et come
leur noblesse en estant merveilleusementmerueilleusement injurieeiniuriee et interessee tuent ceus d’autre condition qui sulementsulemēt
les ont approche un peu trop pres d’eusdeus De maniere que pour evitereuiter ce dangier les ignobles sont tenus
de crier par les ruesen marchant: come les gondoliers de Venise au contour des rues pour ne s’entre hurter:
et les nobles leur comandent qu’ilsde se jettentriettentr au cartier qu’ils veulentueulēt. Les uns e Ceus cy evitenteuitēt par la
cete ignominie qu’ils estiment si grandeperpetuelle ceus la une certeine mort certaine. Nulle eageduree de temps nulle faveurfaueur
de prince nul office ou vertuuertu ou richesse peut faire qu’un roiturier devienedeuiene noble A quoi aide cete costume
que les mariages sont defandus de l’unlun mestier a l’autrelautre & nNe peut une de race courdoniere espouser un charpantier
et sont les parans obliges de dresser les enfans a la vacationuacation des peres precisement, et non a autre vacationuacation par ou cse maintient la
distinction et constancecōstance d’unede mesmeleur fortune
UngVng bon mariage,
s’il en est, refuse la compaignie & conditions de l’amour,. iIl ta-
che à representer celles de l’amitié. C’est unevne douce societé de
vie, pleine de constance, de fiance, & d’ungvng nombrenōbre infiny d’u-
tiles
v-
tiles
& solides offices, & obligationsobligatiōs mutuelles:. aAucune femme
qui en savouresauoure le goust,
optato quam iunxit lumine taeda,
ne voudroit tenir lieu de maistresse & d’amye à son mary. Si
elle est logee en son affection comme femme, elle y est bien
plus honorablement & seurement logee. Quand il faira l’es-
meu ailleurs, & l’empressé, qu’on luy demande pourtant lors,
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LIVRE TROISIESME.372380
à qui il aymeroit mieux arriverarriuer unevne honte, ou à sa femme ou
à sa maistresse, de qui la desfortune l’affligeroit le plus, à qui il
desire plus de grandeur: ces demandes n’ont aucun doubte
en unvn mariage sain. Ce qu’il s’en voit si peu de bons, est signe
de son pris & de sa valeur. A le bien façonner & à le bien pren-
dre
prē-
dre
, il n’est paspoint de plus belle piece en nostre societé. Nous ne
nous en pouvonspouuons passer, & l’allons avilissantauilissant. Il en advientaduient ce
qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont hors desesperent
d’y entrer, & d’unvn pareil soing en sortir, ceux qui sont au de-
dans.
Position : Marge droite Socrates enquis par lequelqui
estoit plus commodecōmode de prendre
ou ne prendre point de femme
Qu Lequel des deus on face
dict il, on s’en repentira.
C’est unevne conventionconuention à laquelle se raporte bien à point
ce qu’on dict, homo homini ou Deus ou lupus. Il faut le rencon-
tre de beaucoup de qualitez à le bastir. Il se trouvetrouue en ce tempstēps
plus commode aux ames simples & populaires, ou les deli-
ces, la curiosité, & l’oysivetéoysiueté, ne le troublent pas tant. Les hu-
meurs desbauchées, comme est la mienne, qui hay toute sor-
te de liaison & d’obligation, n’y sont pas si propres,
Et mihi dulce magis resoluto viuere collo.
De mon dessein, ji’eusse fuy d’espouser la sagesse mesme, si elle
m’eust voulu:. mMais nous avonsauons beau dire,: la coustume & l’ex-
empleusage de la vie commune nous emporte. La plus part de mes
actions se conduitisent par exemple, non par chois. Toutesfois jeie
ne m’y conviayconuiay pas proprement,. oOn m’y mena, & y fus porté
par des occasions estrangeres. Car non seulement les choses
incommodes, mais il n’en est aucune si laide & vitieuse & e-
vitable
e-
uitable
, qui ne puisse devenirdeuenir acceptable par quelque condi-
tion & accidentaccidēt,: tTant l’humaine posture est vaine. Et y fus por-
té certes plus mal preparé lors & plus rebours, que jeie ne suis à
present apres l’avoirauoir essayé. Et tout licencieux qu’on me tienttiēt,
ji’ay en verité plus severementseueremēt observéobserué les loix de mariage, que
jeie n’avoisauois ny promis ny esperé. Il n’est plus temps de regim-
ber quand on s’est laissé entraverentrauer,: iIl faut prudemment mesna-
ger sa liberté, mMais dépuis qu’on s’est submis à l’obligation, il
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[380v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
s’y faut tenir soubs les loix du debvoirdebuoir commun,: aumoins
s’en efforcer. Ceux qui entreprennententreprēnent ce marché pour s’y por-
ter avecauec haine & mespris, font injustementiniustement & incommodée-
ment: &Et cette belle reigle que jeie voy passer de main en main
entre elles, comme unvn sainct oracle,
Sers ton mary comme ton maistre,
Et t’en guarde comme d’unvn traistre,:

qQui est à dire,. pPorte toy enversenuers luy d’unevne reverencereuerence contrain-
te, ennemie, & deffiante,: cry de guerre & de deffi, est pareille-
ment injurieuseiniurieuse & difficille: jJeiIe suis trop mol pour desseins si
espineux. A dire vray,: jeie ne suis pas encore arrivéarriué à cette per-
fection d’habileté & gentillessegalantise d’esprit, que de confondre la
raison avecauec l’injusticeiniustice, & mettre en risée tout ordre & reigle
qui n’accorde à mon appetit:. pPour hayr la superstition, jeie ne
me jetteiette pas incontinent à l’irreligion. Si on ne fait tousjourstousiours
son debvoirdebuoir, aumoins le faut il tousjourstousiours aymer & recognoi-
stre. Position : Interligne haute C’estCest trahison de se marier sans s’espouser. Passons outre. Nostre poëte represente unvn mariage plein
d’accord & de bonne convenanceconuenance, auquel pourtant il n’y a
pas beaucoup de loyauté: àA il voulu dire, qu’il ne soit pas im-
possible de se rendre aux efforts de l’amour, & ce neantmoins
reserverreseruer quelque devoirdeuoir enversenuers le mariage,. &Et qu’on le peut
blesser, sans le rompre tout à faict.
Position : Marge gauche Tel valetualet ferre la
mule au maistre qu’il
ne hait pas pourtant.
La beauté, l’oportunité, la
destinée (car la destinée y met aussi la main)
fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit: nam si tibi sidera cessent
Nil faciet longi mensura incognita nerui,

l’ont attachée à unvn estranger: non pas si entiere peut estre, qu’il
ne luy puisse rester, quelque liaison par ou elle tient encore à
son mary. Ce sont deux desseins, qui ont des routes distin-
guées, & non confondues: uUnevVne femme se peut rendre, à tel
personnage, que nullement elle ne voudroit avoirauoir espousé?:
jJeiIe ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour
celles
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LIVRE TROISIESME.373381
celles mesmes de la personne. Peu de gens ont espousé des a-
mesamies qui ne s’en soyentsoyēt repentisrepētis.
Position : Marge droite Et jusquesiusques en paradisl’autrelautre monde
voïesuoïes quel mauvesmauues mesnage
a faict JuppiterIuppiter aveqaueq sa
fame qu’il avoitauoit Position : Interligne haute premierement pratiquee
et jouieiouie par amourettes et a la
desrobee C’est ce qu’on dit
chier dans le panier
et puis s’en affeublerpour apres le mettre sur sa
teste.
JI’ay veu de mon temps en quel-
que bon lieu, guerir honteusement & deshonnestement, l’a-
mour, par le mariage: lLes considerations sont trop autres:
nNous aimons, sans nonnous empescher, deux choses diversesdiuerses, &
qui se contrarient. Isocrates disoit, que la ville d’Athenes
plaisoit à la mode que font les dames qu’on sert par amour,
cChacun aimoit à s’y venir promener, & y passer son temps,
nul ne l’aymoit pour l’espouser, c’C’est à dire, pour s’y habituer
& domicilier. JI’ay avecauec despit veu des maris hayr leurs femmesfēmes,
de ce seulement, qu’ils leur font tort: aAumoins ne les faut il
pas moins aymer, de nostre faute: pPar repentancerepētance & compassioncōpassion aumoins,
elles nous en devoyentdeuoyēt aumoins estre plus cheres. Ce sont fins
differentes,: & pourtant compatiblescōpatibles, dict il, en quelque façon.
Le mariage, à pour sa part l’utilitévtilité, la justiceiustice, l’honneur, & la
constance: uUnvVn plaisir plat, mais plus universelvniuersel. L’amour se
fonde au seul plaisir,. &Et l’a de vray plus chatouillant, plus vif,
& plus aigu: uUnvVn plaisir attizé par la difficulté: iIl y faut de la pi-
queure & de la cuison: cCe n’est plus amour, s’il est sans fleches
& sans feu. La liberalité des dames est trop profuse au maria-
ge, & esmousse la poincte de l’affection & du desir.
Position : Marge droite Pour fuir a cet inconve=
niant
inconue=
niant
voiesuoies quell la peine
qu’y prenent en leurs loix
Licurgus & Platon.
Les fem-
mes n’ont pas tort du tout, quand elles refusent les reigles
de vie, qui sont introduites au monde, dD’autant que ce
sont les hommes qui les ont faictes sans elles. Il y à naturelle-
ment de la brigue & riotte entre elles & nous: lLe plus estroit
consentement que nous ayons avecauec elles, encores est-il tu-
multuaire & tempesteux. A l’advisaduis de nostre autheur, nous les
traictons inconsideréement en cecy: aApres que nous avonsauons
cogneu qu’elles sont sans comparaison plus capables & ar-
dentes aux effects de l’amour que nous, & que ce prestre an-
cien l’a ainsi tesmoigné, qui avoitauoit esté tantost homme tantost
femme,
DDDDd
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[381v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Venus huic erat vtraque nota:.
Et en outre que nous avonsauons apris de leur propre bouche, la
preuvepreuue qu’en firent autrefois, en diversdiuers siecles, unvn Empereur
& unevne Emperiere de Romme, maistres ouvriersouuriers & fameux
en cette besongne: lLuy despucela bien en unevne nuict dix vier-
ges Sarmates ses captivescaptiues,. mMais elle fournit reelementreelemēt en unevne
nuit, à vint & cinq entreprinses, changeantchāgeant de compaignie se-
lon son besoing & son goust,.
adhuc ardens rigidae tentigine vuluae:,
Et lassata viris, nondum satiata recessit.

Et que sur le different advenuaduenu à Cateloigne, entre unevne fem-
me, se plaignantplaignāt des efforts trop assiduelz de son mary: nNon tanttāt
à mon advisaduis qu’elle en fut incommodée (car jeie ne crois les
miracles qu’en foy) comme pour retrancher soubs ce pretex-
te, & brider en cela mesme, qui est l’action fondamentale du
mariage, l’authorité des maris enversenuers leurs femmes, &Et pour
monstrer que leurs hergnes & leur malignité, passe outre la
couche nuptiale, & foule aus pieds les graces & douceurs mes-
mes de Venus: àA laquelle plainte, le mary respondoit, hom-
me vrayement brutal & desnaturé, qu’aux joursiours mesme de
jeuneieune il ne s’en sçauroit passer à moins de, dix par jouriour,. iInter-
vint
iInter-
uint
ce notable arrest de la Royne d’Aragon, par lequel, apres
meure deliberation de conseil, cette bonne Royne, pour don-
ner
dō-
ner
reigle & exemple à tout temps, de la moderation & mo-
destie requise en unvn justeiuste mariage, ordonna pour bornes le-
gitimes & necessaires, le nombre de six par jouriour: rReláchant &
condonnantquitant beaucoup du besoing & desir de son sexe, pour
establir, disoit elle, unevne forme aysée, & par consequent con-
stantepermanante & immuable. En quoy s’escrientescriēt les docteurs, quel doit
estre l’appetit & la concupiscence feminine, puisque leur rai-
son, leur reformation, & leur vertu, se taille à ce pris?
Position : Marge gauche Ce reglement est
merveilleusementmerueilleusement
authorise par la
rigoreuse execution
de JaneIane roine de
Naples qui fit estrangler Andreosse son premier mari sur ce qu’il ne respondoit
pas suffisamment
aus courveescouruees matrimoniales il ne respondoit pas aus
grilles de sa fenestre a tout un li laz d’ordor et de soie tissu de sa propre main
sur ce qu’aus corveescoruees matrimoniales elle ne le trouvoittrouuoit pas asses exactement respondantrespondāt a son
esperance & a la montre de sa junesseiunesse beaute et disposition par ou il ell’avoitauoit este prinse et pipee abusee.

Position : Interligne basse Nous somes bienConsiderans le diversdiuers au jugementiugemēt de nos appetits Position : Interligne haute et que Car Solon Position : Interligne haute chef de l’escholeleschole juridiqueiuridique ne taxe que trois fois par mois
pour ne faillir point cette hantise conjugaleconiugale
Apres
avoirauoir creu & presché cela, nous sommes allez, leur donner
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LIVRE TROISIESME.374382
la continence peculierement en partage,. &Et sur peines dernie-
res & extremes. Il n’est passion plus pressante, que cette cy,
à la quelle nous voulons qu’elles resistent seules: nNon simple-
ment, comme à unvn vice de sa mesure, mMais comme à l’abomi-
nation & execration, pPlus qu’a l’irreligion & au parricide, &Et
nous nous y rendons cependant sans coulpe & reproche.
Ceux mesme d’entre nous, qui ont essayé d’en venir à bout,
ont assez avouéauoué, qu’elle difficulté, ou plustost impossibilité, il
y avoitauoit, usantvsant de remedes materiels, à macerertter affoiblir & re-
froidir le corps. Nous au contraire,: les voulons saines, vigo-
reuses, en bon point, bien nourries, & chastes ensemble,: c’est
à dire, & chaudes & froides. Car le mariage, que nous disons
avoirauoir charge de les empescher de bruler, leur apporte peu de
rafrechissementrafrechissemēt, selon nos meurs. Si elles en prennent unvn, à qui
la vigueur de l’aage boulst encores, il faira gloire de l’espan-
dre ailleurs:
Sit tandem pudor, aut eamus in ius,
Multis mentula millibus redempta,
Non est haec tua, Basse, vendidisti.

Position : Marge droite Le philosophe Polemon fut
justemantiustemant apele en justiceiustice
par sa fame de ce qu’il aloit
semant en un champ sterile
le fruit qui est deu au champ
genital.

Si c’est de ces autres cassez, les voyla en plain mariage, de pire
condition que vierges & vefvesvefues. Nous les tenons pour bien
fournies, parce que elles ont unvn homme aupres,. cComme les
Romains tindrent pour violée Clodia Laeta vestale, que Cal-
ligula avoitauoit approchée, encores qu’il fut averéaueré, qu’il ne l’avoitauoit
qu’aprochée: mMais au rebours, on recharge par la, leur neces-
sité, dD’autant que l’atouchementatouchemēt & la compaignie de quelque
masle que ce soit, esveilleesueille leur chaleur, qui demeureroit plus
paisiblequiete en la solitude. Et à cette fin, comme il est vray-sem-
blable, de rendrerēdre par cette circonstance & consideration, leur
chasteté plus meritoire, Boleslaus & Kinge sa femme, Roys
de Poulongne, la vouërent d’unvn commun accord, couchez
ensemble, le jouriour mesme de leurs nopces, & la maintindrent
DDDDd ij
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[382v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
à la barbe des commoditez maritales. Nous les dressons des
l’enfance, aus entremises de l’amour: lLeur grace, leur atiffeure,
leur science, leur parole, toute leur instructioninstructiō, ne regarde qu’a
ce but. Leurs gouvernantesgouuernantes ne leur impriment autre chose que
le visage de l’amour,. nNe fut qu’en le leur representant conti-
nuellement pour les en desgouster. Ma fille (c’est tout ce que
ji’ay d’enfans) est en l’aage auquel les loix excusent les plus es-
chauffées de se marier: eElle est d’unevne complexioncōplexion tardivetardiue mince
& molle, & à esté par sa mere eslevéeesleuée de mesme, d’unevne forme
retirée & particuliere: si qu’elle ne commence encore qu’a se
desniaiser de la nayfveténayfueté de l’enfance. Elle lisoit unvn livreliure fran-
çois devantdeuant moy, le mot de, fouteau, s’y rencontra, nom d’unvn
arbre cogneu, lLa femme qu’ell’a pour sa conduitte, l’arresta
tout court, unvn peu rudementrudemēt, & la fit passer par dessus ce mau-
vais
mau-
uais
pas: jJeiIe la laissay faire, pour ne troubler leurs reigles:, cCar jeie
ne m’empesche aucunement de ce gouvernementgouuernement: lLa police
feminine à unvn trein mysterieux, il faut le leur quitter: mMais si
jeie ne me trompe, le commerce de vingt laquays, n’eust sçeu
imprimer en sa fantasie, de six moys, l’intelligence & usagevsage, &
toutes les consequences, du son de ces syllabes scelerées, com-
me fit cette bonne vieille par sa reprimande & interdiction.
Motus doceri gaudet Ionicos
Matura virgo, & frangitur artubus
Iam nunc, & incestos amores
De tenero meditatur vngui.

Qu’elles se dispensent unvn peu de la ceremonie,: qu’elles entrententrēt
en liberté de discours, nous ne sommes qu’enfans au pris d’el-
les, en cette science. Oyez leur representer nos poursuittes &
nos entretiens, elles vous font bien cognoistre que nous ne leur
apportons rien, qu’elles n’ayent sçeu & digeré sans nous.
-
Position : Marge gauche Seroit ce ce que dict Platon
qu’elles aïent este garçons
autresfois desbauchesz
autresfois car lea son advisaduis
est que le premier degre
de punition apres cette vieuie
c’est a un home c’est devenirdeuenir fame et de la s’il y faict encores mal beste le contigu beste.
Mon
oreille se rencontra unvn jouriour en lieu, ou elle pouvoitpouuoit desrober
aucun des discours faicts entre elles sans soubçon: qQue ne
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LIVRE TROISIESME.375383
puis-jeie le dire? Nostredame (fis-jeie,) allons à cette heure estu-
dier des frases d’Amadis & des registres de Boccace & de l’A-
retin, pour faire les habiles, nous employons vrayement bien
nostre temps: iIl n’est ny parole, ny exemple, ny démarche,
qu’elles ne sçachent mieux que nos livresliures: c’C’est unevne discipli-
ne qui naist dans leurs veines,
Et mentem Venus ipsa dedit,
qQue ces bons maistres d’escole, nature, jeunesseieunesse, & santé, leur
soufflent continuellement dans l’ame: eElles n’ont que faire de
l’apprendre, elles l’engendrent.
Nec tantum niueo gauisa est vlla columbo,
Compar, vel si quid dicitur improbius
Oscula mordenti semper decerpere rostro:
Quantum praecipuè multiuola est mulier.

Qui n’eut tenu unvn peu en bride cette naturelle violenceviolēce de leur
desir, par la crainte & honneur dequoy on les à pourveuespourueues,
nous estions affolezdiffamez. Tout le mouvementmouuement du mondemōde se resoult
& rend à cet accoupplage: c’C’est unevne matiere infuse par tout,:
c’C’est unvn centre ou toutes choses regardent. On void encore
des ordonnances de la vieille & sage Romme, faictes pour le
serviceseruice de l’amour, & les preceptes de Socrates, à instruire les
courtisanes.,
Nec non libelli Stoici inter sericos,
Iacere puluillos amant.

Zenon parmy ses loix, regloit aussi les escarquillemens, & les
secousses du depucelage. [Note (Mathieu Duboc) : Voici une proposition de restitution des différentes versions rédigées par Montaigne : 1- En Platon se voit exactemant peinte la conduite des amours plus licentieuses de son temps. 2- Jusques ou se voit en Platon la conduite des amours plus licentieus de son temps. 3- De quoi le divin Platon traictoit la conduite des amours plus licentieus de son temps. 4- De quoi traictoit le livre de Theophrastus intitule l’amoureus et l’autre de l’amour. De quoi traictoit le livre d’Aristippus: intitule antienes delices. Jusques a quel point se voit e Platon estendue et descrite la conduite des amours plus licentieus de son temps.]
En PlatonJusquesIusques ou se voituoit enDe quoi le divindiuin
exactemantexactemāt peintePlaton la
conduite des amours plus
licentieuses de son temps

Position : Interligne haute De quoi traictoit le livreliure de
Theophrastus intitule l’amou=
reus et l’autre de l’amour. De quoi le
livreliure des
traictoit le livreliure
d’Aristippus: intitule
antienes delices.
JusquesIusques a quel point se voituoit en
Platon estendue et descrite la
conduite des amours plus
licentieus de son temps.

Position : Interligne basse De quel sens estoit le livreliure du philosophe Strato de la conjunctionconiunctiō
charnelle Et de quoi traictoit Theophraste en celuyceus qu’il intitula l’un
l’amoureus & l’autrelautre de l’amour. De quoi Aristippus au sienssiēs des antienes delices
Que veulentueulent pretandre les descriptions si estendues et vivesuiues en Platon des amours de son
temps plus hardies. Et le livreliure de l’amoureus de Demetrius Phalereus: & Clinias
ou l’amoureus forcé de Heraclides Ponticus. Et d’Antisthenes celuy de faire les enfans ou des nopces
et celuyl’autrelautre du maistre ou de l’amant. Et d’Aristo celuy des exercitationsces amoureuses
De cleanthes, un de l’amour, l’autrelautre de l’artlart d’aimer. Les dialogues amoureus de Sphaerus.
Et la fable de JuppiterIuppiter & JunoIuno de Chrysippus escrite eshontee au dela de toute example souffrancesouffrāce & ses cinquante epistres si lasciveslasciues
Car il faut laisser a part Position : Interligne haute les escris des autheurs de ces sectes protectrices de la volupteuoluptephilosofes qui ontōt suivisuiui la secte Epicuriene.
Cinquante deitez estoient au temps
passé asserviesasseruies à cet office: &Et s’est trouvétrouué nation, ou pour en-
dormir la concupiscence de ceux qui venoient à la devotiondeuotion,
on tenoit aux Eglises, des garses, & des garsons à jouyriouyr, & e-
stoit acte de ceremonie de s’en servirseruir avantauant venir à l’office.
Position : Marge droite . S’ils n’y entr
entroint chastes
par consciance
c’estoit au moins
par satieté [unclear]

Nimirum propter continentiam
incontinentia necessaria est:
incendium ignibus extinguitur.
En
la plus part du monde, cette partie de nostre corps estoit dei-
fiée. En mesme provinceprouince, les unsvns se l’escorchoient pour en of-
DDDDd iij
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[383v] ESSAIS DE M. DE MONT.
frir & consacrer unvn lopin, lLes autres offroient & consacroient
leur semence. En unevne autre, les jeunesieunes hommes se le perçoient
publiquement, & ouvroientouuroiēt en diversdiuers lieux entre chair & cuir,
& traversoienttrauersoient par ces ouverturesouuertures, des brochettes, les plus lon-
gues
lō-
gues
& grosses qu’ils pouvoientpouuoient souffrir,. &Et de ces brochettes
faisoient apres du feu, pour offrande à leurs Dieux, eEstimez
peu vigoureux & peu chastes, s’ils venoient à s’estonner par la
force de cete cruelle douleur. Ailleurs,: le plus sacré magistrat,
estoit reveréreueré & reconneu par ces parties là: &Et en plusieurs ce-
remonies l’effigie en estoit portée en pompe, à l’honneur de
diversesdiuerses divinitezdiuinitez. Les dames Egyptiennes en la feste des Bac-
chanales en portoient au col unvn de bois, exquisement formé,
grand & pesant, chacune selon sa force: oOutre ce que la statue
de leur Dieu, en representoit, qui surpassoit en mesure le reste
du corps. Les femmes mariées icy pres, en forgentforgēt de leur cou-
vrechef
cou-
urechef
unevne figure sur leur front, pour se glorifier de la jouys-
sance
iouys-
sance
qu’elles en ont: &Et venant à estre vefvesvefues, le couchent en
arriere, & ensevelissentenseuelissent soubs leur coiffure. Les plus sages ma-
trones à Romme, estoient honnorées d’offrir des fleurs & des
couronnes, au Dieu Priapus, &Et sur ses parties moins honnesteshōnestes,
faisoit on soir les vierges, au temps de leurs nopces. Encore ne
sçay-jeie si ji’ay veu en mes joursiours quelque air de pareille devo-
tion
deuo-
tion
. Que vouloit dire cette ridicule piece de la chaussure de
nos peres, qui se voit encore en nos Souysses: àA quoy faire, la
monstre que nous faisons à cette heure de nos pieces en for-
me, soubs nos gregues: &Et souventsouuent, qui pis est, outre leur gran-
deur naturelle, par fauceté & imposture?
Position : Marge gauche Il me prent envieenuie de
croire que cette sorte de
vestement fut invanteeinuantee
aus meillurs & plus
consciantieus siecles
pour ne piper personele monde
pour randre en[unclear]que chacun rendist en publiq
egalemantegalemāt conte de son
faict. Et qu’il soit ainsi
Les nations plus simples
l’ont encores plus aprochantaprochātaucunemant
raportant au naturelvraiurai
Lors on instruisoit la sciance de l’ouvrierlouurier com’il se faict
de la mesure du bras ou du pied.
Ce bon homme qui
en ma jeunesseieunesse, chastra tant de belles & antiques statues en sa
grande ville, pour ne corrompre la veue
Position : Marge droite des dames:
suivantsuiuant l’advisladuis
de cet autre
antien bon home.
Flagitij prin
cipium est nu=
dare inter ciues
corpora

[Commentaire (Montaigne) : versuers]
des dames du paysde la junesseiunesse, se
devoitdeuoit adviseraduiser, comme aux misteres de la bonne Deesse, toute
apparence masculine en estoit forclose, que ce n’estoit rien a-
vancer
a-
uancer
, s’il ne faisoit encore chastrer, & chevauxcheuaux, & asnes, &
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LIVRE TROISIESME.376384
nature en fin.
Omne adeo genus in terris, hominúmque ferarúmque,
Et genus aequoreum, pecudes pictaeque volucres,
In furias ignémque ruunt.

Position : Marge haute Les Dieux, dit Platon, nous ont fourni d’unvn membre inobedient & tyrannique:
qui, comme unvn animal furieux, entreprend par la violence de son appetit, sousmettre tout

a soi. De mesme aus fames, un animal glouton et avideauide au quel si on refuse alimans
en sa saison il forcene impatiant de demencelai et soufflant sa rage en leurs corps empesche
les conduits arrete la respiration causant mille sortes de maus jusquesiusques a ce que qu’aïant
humè le fruit de s la soif commune il en aïe largement arrose et ensaemance le fond
de leur matrice.

EtOr se devoitdeuoit adviseraduiser aussi Position : Interligne haute mon legislatur, qu’à l’avantureauanture est-ce unvn plus chaste
& fructueux usagevsage, de leur faire de bonne heure connoistre le
vif, que de le leur laisser devinerdeuiner, selonselō la liberté, & chaleur de leur
fantasie: aAu lieu des parties vrayes, elles en substituent par de-
sir & par esperance, d’autres extravagantesextrauagantes au triple.
Position : Marge droite Et tel de ma conoissance
s’est perdu pour avoirauoir faict la
descouvertedescouuerte des sienes avantauant
que d’estre a mesmes
en lieu où
il n’estoit encore au propre
de les
mettre en possession de leur plus
serieus usage.
Quel dom-
mage
dō-
mage
ne font ces enormes pourtraicts, que les enfans vont
semant aux passages & escalliers des maisons Royalles? De là
leur vient unvn cruel mespris de nostre portée naturelle.
Position : Marge droite Que sçait on si Platon Position : Interligne haute ordonant apres
quelques d’autres republiques bien
instituees que les homes & femmes
vieusuieus jeunesieunes se presantent nuds
a la veueueue les uns des autres en ses
gymnastiques n’a Position : Interligne haute pas regarde a cela?
Les In-
diennes qui voyent les hommes à crud, ont aumoins refroidy
le sens de la veue.
Position : Marge droite Et quoi que dient les
fames de ce grand royaume
du Pegu quiy au dessous de
la ceinture n’ont a se
couvrircouurir qu’un drap &
fort si e fandu par le
davantdauant & si estroit que
quelque ceremonieuse
decence qu’elles y cherchent
qu’a chaque pas on les
voituoit toutes, que c’est une
invantioninuātion trouveetrouuee aus fins
d’attirer les homes a elles
et les retirer des masles
a quoi antienemantantienemāt cette
nation estoit du tout
abandonee: il se pourroit
dire qu’elles y perdent
plus qu’elles n’advancentaduancent
et qu’une faim entiere
est plus aspre que celle
qu’on a ressasiee au moins
par les yeus.
Aussi disoit LiviaLiuia, qu’à unevne femme de bien,
unvn homme nud, n’est non plus qu’unevne image.
Position : Marge gauche Les fames Lacedemonienes plus viergesuierges fames que ne sont nos filles
estoint surnomees de ce qu’en marchant elles montroint leurs cuisses
et
voiointuoioint tous les joursiours sans tentation les junesiunes homes de leur
villeuille despouillez en leurs exercices et montroint en marchant leurs
cuisses a nud
peu exactes elles mesmes a couvrircouurir leurs cuisses en marchant Position : Interligne haute s’estimans come dict Platon asses couvertescouuertes de leur vertuuertu sans vertugadeuertugade. Mais ceus la
desquels tesmouigne S. Augustin ont donointe un merveilleusmerueilleus effort de tentation a la nudite qui mettointont mis en doute resusciteroint si les fames
au jugemantiugemant universeluniuersel resusciteront en leur sexe ent non plus tost au nostre de peurpour dene nous incitertenter encores en ce sainct estat a luxure par leur presance.
Si c’estoit a elles de dogmatiser en telles choses diroint elles pas que pour cette raison il vaudroituaudroit mieus que ce fut a nous de changer en elles.
On les leurre en
somme, & acharne, par tous moyens: nNous eschauffons & in-
citons leur imagination sans cesse, & puis nous crions au ven-
tre. Confessons le vray, il n’en est guere d’entre nous, qui ne
craingne plus la honte, qui luy vient des vices de sa femme,
que des siens,: qQui ne se soigne plus (charité esmerveillableesmerueillable) de
la conscience de sa bonnebōne espouse, que de la sienne propre,: qQui
n’aymast mieux estre voleur & sacrilege, & que sa femme fust
meurtriere & heretique, que si elle n’estoit plus chaste que son
mary. Et elles offriront volontiers d’aller au palais querir du
gain,: & à la guerre de la reputation, plustost que d’avoirauoir au
milieu de l’oisivetéoisiueté, & des delices, à faire unevne si difficile garde.
Voyent-elles pas, qu’il n’est ny marchant, ny procureur, ny
soldat, qui ne quitte sa besoigne pour courre à cette autre: &Et
le crocheteur, & le savetiersauetier, tous harassez & hallebrenez qu’ils
sont de travailtrauail & de faim.
Num tu quae tenuit diues Achoemenes,
Aut pinguis Phrygiae Mygdonias opes,

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[384v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Permutare velis crine Licinniae,
Plenas aut Arabum domos,
Dum fragrantia detorquet ad oscula
Ceruicem, aut facili saeuitia negat,
Quae poscente magis gaudeat eripi,
Interdum rapere occupet.

Position : Marge gauche Inique estimation de
vicesuices: Nature a faict et
nous & elles somes capables de
mille corruptions pires plus
dommageables et desnaturees
que n’est la lascivetèlasciuetè. Mais
nous faisons & poisons les
vicesuices non selon nature
mais selon nostre interest.
Par ou ils prenent tant de
formes inegales. L’asprete
de nos decretz exalterend
l’application des femmes a
ce viceuice plus Position : Interligne haute aspre et vicieuseuicieuse que ne porte
en soi lSa condition de et
[unclear] l’engage a des suites
pires que n’est leur cause.

JeIe ne sçay si les exploicts de Caesar & d’Alexandre, surpassent
en aspretérudesse, la resolution d’unevne belle jeuneieune femme, nourrie à
nostre façon, à la lumiere & commerce du monde, battue de
tant d’exemples contraires, se maintenant entiere, au milieu
de mille continuelles & fortes poursuittes. Il n’y à poinct de
faire, plus espineux, qu’est ce non faire, ny plus actif. JeIe treuvetreuue
plus aisé, de porter unevne cuirasse toute sa vie, qu’unvn pucelage.
Et est le voeu de la virginité, le plus noble de tous les voeus, com-
me
cō-
me
estant le plus aspre. [Note (Mathieu Duboc) : Voici une restitution des versions de rédaction successives: 1- Diaboli virtus in lumbis est. 2- : car le throsne du diable est aus rouignons, 3- car la force du diable est aus rouignons: 4- car selon S. Jerosme la vertu du diable siege aus rouignons. 5- Diaboli virtus in lumbis est dict S. Jerosme.]
Position : Marge gauche Diaboli uirtus in
lumbis est
: car le
throsnecar la force
du diable
est aus rouignons,: car
selon S. JerosmeIerosme la
vertuuertu du diable
siege aus rouignons.

Diaboli uirtus in
lumbis est
dict S.
JerosmeIerosme
Certes le plus ardu & le plus vigoureus
des humains devoirsdeuoirs, nous l’avonsauōs resigné aux dames, & leur en
quittonsquittōs la gloire. Cela leur doit servirseruir d’unvn singulier esguillon
à s’y opiniastrer: cC’est unevne belle matiere à nous braverbrauer, & à fou-
ler aux pieds, cette vaine praeeminence de valeur & de vertu,
que nous pretendons sur elles. Elles trouveronttrouueront si elles s’en
prennent garde, qu’elles en seront non seulement tres-esti-
mées: mais aussi plus aymées: uUnvVn galant homme n’abandon-
ne point sa poursuitte, pour estre refusé, pourveupourueu que ce soit
unvn refus de chasteté, non de chois. Nous avonsauons beau jureriurer &
menasser, & nous plaindre,: nous mentons,: nous les en aymons
mieux: iIl n’est point de pareil leurre, que la sagesse, non rude,
& renfroignée. C’est stupidité & lácheté, de s’opiniatrer, con-
tre la hayne & le mespris,: mMais contre unevne resolution vertueu-
se & constante, meslée d’unevne volonté recognoissante, c’est
l’exercice d’unevne ame noble & genereuse. Elles peuventpeuuent recon-
noistre nos servicesseruices, jusquesiusques à certaine mesure, & nous faire
sentir honnestement qu’elles ne nous desdaignent pas.
Position : Marge gauche Car cette loy qui leur comande
de nous abominer par ce
que nous les adorons: et nous
haïr de ce que nous les
aymons elle est certes cruelle ne fut que de sa difficultè.
Pourquoi n’orront elles nos offres et nos demandes autant qu’elles se
contienent sous le devoirdeuoir de la modestie: qu’a l’onlon affaire d’esplucher si
ce cas d’avantureauanture
qQue vaua l’onlon divinantdiuinant qu’elles sonent au dedens quelque
sens plus libre. UneVne Roine de nostre temps disoit ingenieusemant que de
refuser ces abbors c’estoit tesmouignage de foiblesse et de desfianceaccusation de sa propre
facilité Et qu’une dame non tentee ne se pouvoitpouuoit vanteruanter de sa chastete.
Les li-
mites
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LIVRE TROISIESME.377385
mites de l’honneur ne sont pas retranchez du tout si court,:
iIl à dequoy se relácher, il peut se dispenser aucunement
sans s’affolerse forfaire. Au bout de sa frontiere, il y à quelque esten-
due, libre, indifferente, & neutre: qQui l’a peu chasser & acculer
à force, jusquesiusques dans son coin & son fort, c’est unvn mal habile
homme s’il n’est satisfaict de sa fortune. Le pris de la victoire,
se considere par la difficulté. Voulez vous sçavoirsçauoir quelle im-
pression à faict en son coeur vostre servitudeseruitude & vostre merite,
mesurez le à ses meurs. Telle peut donner plus, qui ne donne
pas tant. L’obligation du bien-faict se rapporte entierement
à la volonté de celuy qui donne,. lLes autres circonstances qui
tombenttombēt au bien faire, sont muettes, mortes & fortuitescasuelles: cCe peu
luy couste plus à donner, qu’a sa compaigne son tout. Si en
quelque chose la rareté sert d’estimation, ce doit estre en cecy:
nNe regardez pas combien peu c’est, mais combien peu l’ont.
La valeur de la monnoye se change selon le coin & la merque
du lieu. Quoy que le despit & indiscretion d’aucuns, leur puis-
se faire dire, sur l’excez de leur mescontentement, tousjourstousiours la
vertu & la verité regaigne son avantageauantage. JI’en ay veu, desquel-
les la reputation à esté long temps interessée par injureiniure, s’estre
remises en l’approbation universellevniuerselle des hommes, par leur
seule constance, sans soing & sans artifice: cChacun se repent
& se desment de ce qu’il en a creu: dDe filles unvn peu suspectes,
elles tiennent le premier rang entre les dames de bien & d’hon-
neur
hō-
neur
. Quelqu’unvn disoit à Platon, tout le monde mesdit de
vous,. lLaissez les dire, fit-il, jeie vivrayviuray de façon que jeie leur
feray changer de langage. Outre la crainte de Dieu, & le
pris d’unevne gloire si rare, qui les doibt inciter à se conser-
ver
conser-
uer
, la corruption de ce siecle les y force: &Et si ji’estois en
leur place, il n’est rien que jeie ne fisse plustost, que de com-
mettre ma reputation en mains si dangereuses. De mon
EEEEe
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[385v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
temps le plaisir d’en compter (plaisir qui ne doit guere en
douceur à celuy mesme de l’effect) n’estoit permis qu’a
ceux qui avoientauoient quelque amy fidelle & uniquevnique: àA present
les entretiens ordinaires des assemblées & des tables, ce
sont les vanteries des faveursfaueurs receuës, & liberalité secrette
des dames. Vrayement c’est trop d’abjectionabiection, & de basses-
se de coeur, de laisser ainsi fierement persecuter, pestrir, &
fourrager ces divinesdiuinestendres graces, à des personnes ingrates, in-
discrettes, & si volages. Cette nostre exasperation immo-
derée, & illegitime, contre ce vice, naist de la plus vaine
& tempesteuse maladie qui afflige les ames humaines,: qui
est la jalousieialousie.:
Quis vetat apposito lumen de lumine sumi?
Dent licet assiduè nil tamen inde perit.

Celle-là, & l’envieenuie sa soeur, me semblent des plus ineptes de
la trouppe. De cetre-cycette-cy jeie n’en puis guere parler: cCette pas-
sion qu’on peinct si forte & si puissante, n’a de sa grace au-
cune addresse en moy. Quand à l’autre, jeie la cognois, au-
moins de veue. Les bestes en ont ressentiment: lLe pasteur
Cratis estant tombé en l’amour d’unevne chevrecheure, son bouc,
ainsi qu’il dormoit, luy vint par jalousieialousie choquer la teste,
de la sienne, & la luy escraza. Nous avonsauons monté l’excez de
cette fiévrefiéure a l’exemple d’aucunes nations barbares: lLes mieux
disciplinées en ont esté touchées,: c’est raison,: mais non pas
transportées:
Ense maritali nemo confossus adulter,
Purpureuso stygias sanguine tinxit aquas.

Lucullus, Caesar, Pompeius, Antonius, Caton, & d’autres bra-
ves
bra-
ues
hommes furent cocus, & le sceurent, sans en exciter tu-
multe. Il n’y eust en ce temps là, qu’unvn sot de Lepidus, qui en
mourut d’angoisse.
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LIVRE TROISIESME.378386
Ah tum te miserum malíque fati,
Quem attractis pedibus patente porta,
Percurrent mugilésque raphaníque.:

EeEt le Dieu de nostre poëte, quand il surprint avecauec sa femme
l’unvn de ses compaignons se contenta de leur en faire hon-
te,
atque aliquis de Diis non tristibus optat,
Sic fieri turpis,:

&Et ne laisse pourtant Position : Interligne haute pas de s’eschauffer des douces caresses, qu’elle
luy offre, se plaignant qu’elle soit pour cela entrée en deffian-
ce de son affection.:
Quid causas petis ex alto?, fiducia cessit
Quo tibi diua mei.?

Voire elle luy faict requeste pour unvn sien bastard,
Arma rogo genitrix nato:
qui luy est liberalement accordée,: &Et parle Vulcan d’AEneas
avecauec honneur,
Arma acri facienda viro.
D’unevne humanité à la verité plus qu’humaine. Et cet excez de
bonté, jeie consens qu’on le quitte aux Dieux:
nec diuis homines componier aequum est.
Quand à la confusion des enfans,
Position : Marge droite outre ce ques les plus
gravesgraues legislaturs
l’ordonent et l’affectent
en touteleurs republiques,
elle ne touche pas les fem-
mes, ou cette passion est jeie ne sçay comment encore mieux
en son siege.
Saepe etiam Iuno maxima caelicolum
Coniugis in culpa flagrauit quotidiana.

Lors que la jalousieialousie saisit ces pauvrespauures ames, foibles, & sans resi-
stance, c’est pitié commecōme elle les tirasse & tyrannise cruellementcruellemēt:
eElle s’y insinue sous tiltre d’amitié, mais depuis qu’elle les pos-
sede, les mesmes causes qui servoientseruoiēt de fondementfōdemēt à la bienvueil-
lance
biēvueil-
lāce
, serventseruent de fondementfondemēt de hayne capitale:
Position : Marge droite C’est lades maladiemaladies
d’espritdesprit celle a qui plus de
choses serventseruent d’alimant
et moins de choses de remede
lLa vertu, la santé,
EEEEe ij
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[386v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
le merite, la reputation du mary, sont les boutefeus de leur
maltalent & de leur rage.
Nullae sunt inimicitiae nisi amoris acerbae.
Cette fiévrefiéure laidit & corrompt, tout ce qu’elles ont de bel &
de bon d’ailleurs: &Et d’unevne femme jalouseialouse, quelque chaste
qu’elle soit, & mesnagere, il n’est action qui ne sente à l’ai-
gre & à l’importun. C’est unevne monstrueuse agitation, enragee, qui les
rejectereiecte à unevne extremité du tout contraire à sa cause. Il fut bon
d’unvn OctaviusOctauius à Romme: aAyant couché avecauec Pontia Po-
sthumia, il augmenta son affection par la jouyssanceiouyssance, &
poursuyvitpoursuyuit à toute instance de l’espouser: nNe la pouvantpouuant
persuader, cet amour extreme le precipita aux effects de
la plus cruelle & mortelle inimitié,: il la tua. Pareillement
les symptomes ordinaires de cette autre maladie amoureu-
se, ce sont haynes intestines, monopoles, conjurationsconiurations,
notúmque furens, quid foemina possit,
&Et unevne rage, qui se ronge d’autant plus, qu’elle est contrain-
cte de s’excuser du pretexte de bien-vueillance. Or le de-
voir
de-
uoir
de chasteté à unevne grande estendue. Est-ce la volonté
que nous voulons qu’elles brident? C’est unevne piece bien
soupple & activeactiue, eElle à beaucoup de promptitude pour
la pouvoirpouuoir arrester. Comment, si les songes les engagent
par fois si avantauant, qu’elles ne s’en puissent desdire? Il n’est
pas en elles ny à l’advantureaduanture en la temperancechastete mesme, puis
qu’elle est femelle, de se deffendre des concupiscences &
du desirer. Si leur volonté seule, nous interesse, ou en
sommes nous? Imaginez la grand presse, à qui auroit ce
privilegepriuilege, d’estre porté tout empenné, sans yeux, & sans
langue, sur le poinct de chacune qui l’accepteroit.
Position : Marge gauche Les femmes Scythes crevointcreuoint
les yeus a tous leurs esclavesesclaues
prisoniers de guerre pour
s’en servirseruir plus librement &
couvertementcouuertement.
O le
furieux advantageaduantage que l’opportunité. Qui me demande-
roit la premiere partie en l’amour: jJeiIe responderois que
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LIVRE TROISIESME.379387
c’est sçavoirsçauoir prendre le temps: la seconde de mesme: & en-
core la tierce. C’est unvn poinct qui peut tout. JI’ay eu faute
de fortune souvantsouuant, mais par fois aussi d’entreprise: Dieu
gard de mal qui àpeut encores à s’en moquer. Il y faut en ce siecle,
plus de temerité,: laquelle nos jeunesieunes hommesgens excusent sous
pretexte de chaleur, mMais si elles y regardoyent de pres, elles
trouveroyenttrouueroyēt que elle vient plustost de mespris. JeIe craignois
superstitieusement d’offenser,: & respecte volontiers, ce que
ji’ayme. Outre ce qu’en cette marchandise qui en oste la re-
verence
re-
uerence
, en efface le lustre. JI’ayme qu’on y face unvn peu l’en-
fant, le craintif & le serviteurseruiteur. Si ce n’est du tout en cecy, ji’ay
d’ailleurs quelques airs de la sotte honte dequoy parle Plu-
tarque, &Et en a esté le cours de ma vie blessé & taché diverse-
ment
diuerse-
ment
: qQualité bien mal-avenanteauenante à ma forme universellevniuerselle:
qQu’est-il de nous aussi, que sedition & discrepance? JI’ay les
yeux tendres à soustenir unvn refus, comme à refuser: &Et me poi-
se tant de poiser Position : Interligne haute a autruy, que és occasions ou le devoirdeuoir me for-
ce d’essayer la volonté de quelqu’unvn, en chose doubteuse &
qui luy couste, jeie le fois maigrement & envisenuis: & pour moy,Mais si c’est pour mon particulier
ji’y
commets volontiers à unvn tiers, de rougir en ma place.qui rougisse pour moi en ma place.
Position : Marge droite Mais si c’est pour mon
particuliere quoi que
die veritablemantueritablemant Homere
qu’a un indigent c’est une
sotte vertuuertu que la honte
ji’y commetz volontieruolontier une
ordinerement un tiers qui
rougisse pour moi en ma
place.
&Et escon-
duis
escō-
duis
ceux qui m’emploient de pareille difficulté, sSi qu’il m’est
advenuaduenu par fois, d’avoirauoir la volonté de nier, que jeie n’en avoisauois
pas la force. C’est donc folie d’essayer à brider aux femmes unvn
desir qui leur est si Position : Interligne haute cuisant et si naturel. Et quand jeie les oy se vanter d’a-
voir
a-
uoir
leur volonté si vierge & si froide, jeie me moque d’elles,:
eElles se reculent trop arriere. Si c’est unevne vieille esdentee & de-
crepite, ou unevne jeuneieune seche & pulmonique, s’il n’est du tout
croyable, aumoins elles ont apparence de le dire. Mais celles
qui se meuventmeuuent & qui respirent encores, elles en empirentempirēt leur
marché,. dD’autant que les excuses inconsiderées, serventseruent d’ac-
cusation. Comme unvn gentil’homme de mes voisins, qu’on
soubçonnoit d’impuissance,
EEEEe iij
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[387v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Languidior tenera cui pendens sicula beta
Nunquam se mediam sustulit ad tunicam,

trois ou quatre joursiours apres ses nopces, alla jureriurer tout hardi-
ment pour se justifieriustifier, qu’il avoitauoit faict vingt postes la nuict
precedente: dDequoy on s’est servyseruy depuis à le convaincreconuaincre de
pure ignorance, & à le desmarier. Outre, que ce n’est rien dire
qui vaille: cCar il n’y a ny continence ny vertu, s’il ny a de l’ef-
fort au contraire. Il est vray, faut il dire, mais jeie ne suis pas pre-
ste à me rendre. Les saincts mesme parlent ainsi. S’entant, de
celles qui se vantent en bon escient, de leur froideur & insen-
sibilité, & qui veulent en estre creües: Position : Interligne haute d’un visageuisage serieus: cCar quand c’est d’unvn vi-
sage affeté, ou les yeux dementent leurs parolles, & du jargoniargon
de leur profession, qui porte coup à contrepoil, jeie le trouvetrouue
bon. JeIe suis fort serviteurseruiteur de la nayfveténayfueté & de la liberté, mMais
il n’yny a remede,. sSi elle n’est du tout niaise ou enfantine, elle est
inepte aus dames, & messeante en ce commerce,. eElle gauchit
incontinent sur l’impudence. Leurs desguisements & leurs fi-
gures ne trompent que les sots,. lLe mentir y est en siege d’hon-
neur: cC’est unvn destour qui nous conduit à la verité par unevne fau-
ce porte. Si nous ne pouvonspouuons contenir leur imagination, que
voulons nous d’elles? lLes effects? iIl en est assez qui eschappenteschappēt
à toute communication estrangere, par lesquels la chasteté
peut estre corrompue,
Illud saepe facit, quod sine teste facit.
Et ceux que nous craignons le moins, sont à l’avantureauanture les plus
à craindre: lLeurs pechez muets sont les pires.:
Offendor moecha simpliciore minus.
Position : Marge gauche Il en estest des effaicts qui offancentoffancēt mesme
non sciammantsciammāt la pudicitépureté
corporelle.

Il est des effaicts qui
peuventpeuuent perdre non sans
impudiquemantcitè laleur
pudicitè corporelle et
mesme qui plus est
sans leur sçeu.
Obstetrix
uirginis cuiusdam integri=
tatem manu uelut explorans
siue maleuolentia siue
inscitia siue casu dum
inspicit perdidit.
Telle a
n’eut perdua d esdiré[sic] sa virginiteuirginite si
elle ne l’eut
pour l’avoirauoir cherchèe.
telle s’en la chatouillant l’a
tuee
jouantiouant esbatant l’ala tuee.

Nous ne sçaurions leur circonscrire precisement les actions
que nous leur deffendons. Il faut concevoirconceuoir nostre loy, soubs
parolles generalles & incertaines. L’idee mesme que nous for-
geons à leur chasteté est ridicule: cCar entre les extremes patronspatrōs
que ji’en aye, c’est Fatua femme de Faunus, qui ne se laissa voir
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LIVRE TROISIESME.380388
oncques puis ses nopces à masle quelconque: &Et la femme de
Hieron qui ne sentoit pas son mary punais, estimant que ce
fut unevne commune qualité à tous hommes. Il faut qu’elles de-
viennent
de-
uiennent
insensibles & invisiblesinuisibles pour nous satisfaire. Or con-
fessons
cō-
fessons
, que le neud du jugementiugemēt de ce devoirdeuoir gist principalle-
ment en la volonté. Il y a eu des maris qui ont souffert cet
accident, non seulement sans reproche & offence enversenuers leurs
femmes, mais avecauec singuliere obligation & recommandationrecommandatiō
de leur vertu. Telle, qui aymoit mieux son honneur que sa
vie, l’a prostitué à l’appetit forcené d’unvn mortel ennemy, pour
sauversauuer la vie à son mary: &Et à faict pour luy ce qu’elle n’eust
aucunement faict pour soy. Ce n’est pas icy le lieu d’estendre
ces exemples, iIls sont trop hauts & trop riches, pour estre re-
presentez en ce lustre: gGardons les à unvn plus noble siege.
Position : Marge droite Mais pour des exemplesexēples
de lustre plus vulguereuulguere
est il pas tous les joursiours des
femes qui pour la sule
utilite de leurs maris se
prestent & par leur expresse
ordonance et entreprinmiseētreprinmise.
Et antienementātienemēt Phaulius
l’Argien offrit la siene
au Roy Philippus par ambi=
tion
ābi=
tion
Tout ainsi que par
civiliteciuilite ce Galba qui
avoitauoit done a souper a
Mecaenas voiantuoiant que sa
feme et luy comançoint a
comploter par euillades &
signes se laissant couler
sur son coussin represantant
un home aggraveaggraue de som=
meil pour faire espaule a
leur intellijance Et l’advoualaduoua
d’asses bone grace Car sur ce
point un valetualet aïant pris
la hardiesse de porter la
main sur les vasesuases qui estoient
sur la table, il lui cria. Vois
tu pas coquin que jeie ne dors
que pour Mecenas.
Telle
à les meurs desbordées, qui à la volonté plus reformée que
n’a cet’autre, qui se conduitcōduit soubs unevne apparence reiglée. Con-
me
Com-
me
nous en voyonsvoyōs qui se plaignent d’avoirauoir esté vouées à cha-
steté avantauant l’aage de cognoissance, ji’en ay veu aussi se plaindre
veritablement, d’avoirauoir esté vouées à la desbauche, avantauant l’aage
de cognoissance: lLe vice des parens, en peut estre cause, ou la
force du besoing, qui est unvn rude conseillier. Aus Indes orien-
tales, la chasteté y estant en singuliere recommandation, l’u-
sage
v-
sage
pourtant souffroit qu’unevne femme mariée se peut aban-
donner à qui luy presentoit unvn elephant: &Et cela, avecauec quel-
que gloire d’avoirauoir esté estimée à si haut pris.
Position : Marge droite Phaedon le philosofe
home de maison, apres la
prinse de son païs d’Elide
fit mestier de prostituer
autant qu’elle dura, la
beaute de sa junesseiunesse a qui
volutuolut, a pris d’argent Position : Interligne haute pour en vivreuiure. Et
Solon fut le premier en la
graece dict on qui par ses loix
dona liberte aus fames aus
despans de leur cors pudicite
de pourvoirpouruoir au besouin de leur
vieuie: Her costume que Herodote
dict avoirauoir este receue avantauant
luy en plusieurs polices
Et puis, quel fruit
de cette penible solicitude? Car quelque justiceiustice, qu’il y ait en
cette passionpassiō, encores faudroit il voier si elle nous charrie uti-
lement
vti-
lement
. Est-il quelqu’unvn qui les pense boucler par son in-
dustrie.?
Pone seram, cohibe, sed quis custodiet ipsos
Custodes? cauta est & ab illis incipit vxor.

Quelle commodité ne leur est suffisante, en unvn siecle si sçavantsçauāt?
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[388v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
La curiosité est vicieuse partout: mais elle est pernicieuse icy.
C’est folie de vouloir s’esclaircir d’unvn mal, auquelauq̄l il n’y a point
de medecine, qui ne l’empire & le rengrege: dDuquel la honte
s’augmente & se publie principalement par la jalousieialousie: dDu-
quel la vanjancevaniance blesse plus sesnos enfans, qu’elle ne lenous guerit à
luy? Vous assechez & mourez à la queste d’unevne si obscure ve-
rification. Combien piteusement y sont arrivezarriuez ceux de mon
temps, qui en sont venus à bout. Si l’advertisseuraduertisseur n’y presente
quand & quand le remede & son secours, c’est unvn advertisse-
ment
aduertisse-
ment
injurieuxiniurieux, & qui merite mieux unvn coup de poignard, que
ne faict unvn dementirdemētir. On ne se moque pas moins de celuy qui
est en peine d’y pourvoirpouruoir, que de celuy qui l’ignore. Le cara-
ctere de la coürnardise est indelebile: àA qui il est unevne fois attaché
il l’est tousjourstousiours: lLe chastiement l’exprime plus, que la faute. Il
faict beau voir,: arracher de l’ombre & du doubte, nos mal-
heurs privéspriués, pour les trompeter en eschaffaux tragiques: &Et
mal’heurs, qui ne pinsent, que par le raport: cCar bonne femme
& bon mariage, se dict, non de qui l’est, mais duquel on se taist.
Il faut estre ingenieux à evitereuiter cette ennuyeuse & inutile co-
gnoissance. Et avoyentauoyent les Romains en coustume, revenansreuenans
de voyage, d’envoyerenuoyer au devantdeuāt en la maison, faire sçavoirsçauoir leur
arrivéearriuée aus femmes, pour ne les snurprendre. Et pourtant, à in-
troduit certaine nation, que le prestre ouvreouure le pas à l’espou-
sée, le jouriour des nopces, pPour oster au marié le doubte & la cu-
riosité, de cercher en ce premier essay, si elle vient à luy vierge,
ou blessée d’unvn’amour estrangere. Mais le monde en parle.
JeIe sçay çantcent honestes hommes coqus, honnestement, & peu
indecemment:. uUnvVn galant homme en est pleint, non pas dese-
stimé. Faites que vostre vertu estouffe vostre mal’heur: qQue
les gens de bien en maudissent l’occasionoccasiō: qQue celuy qui vous
offence, tremble seulement à le penser. Et puis, de qui ne par-
le on en ce sens, depuis le petit jusquesiusques au plus grand?
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LIVRE TROISIESME.381389
tot qui legionibus imperitauit,
Et melior quàm tu multis fuit improbe rebus.

Voys tu qu’on engage en ce reproche tant d’honnestes hom-
mes en ta presence,. pPense qu’on ne t’espargne non plus ail-
leurs. Mais jusquesiusques aux dames elles s’en moquerontmoquerōt: &Et dequoy
se moquent elles en ce temps, plus volontiers, que d’unvn ma-
riage paisible & bien composé?
Position : Marge droite Chacun de nousvousuous
ha faict quelcun
coqu: or nature est
toute en Position : Interligne haute pareilles en compensation
et vicissitudeuicissitude.
La frequence de cet accident
en doibt meshuy avoirauoir moderé l’aigreur: lLe voyla tantost pas-
sé en coustume. Miserable passion, qui à cecy encore, d’estre
incommunicable,
Fors etiam nostris inuidit questibus aures.
Car à quel amy osez vous fairefier vos doleances, qui, s’il ne s’en
rit, ne s’en serveserue d’acheminement & d’instruction pour pren-
dre luy-mesme sa part à la curee?
Position : Marge droite . Les aigrurs comme
les douceurs du
mariage se tienenttienēt
secretes par les
sages. Et parmi les autres
importunes conditions quequi se
treuveenttreuueēt au mariageen iceluy ceteci a
un home langagier come jeie suis
n’e est des principales qu’il soit
in
que la costume rende indecent
et nuisible qu’on communique a
persone Position : Interligne haute tout ce qu’on en sçait et ce
qu’on en sent.
De leur donner mesme con-
seil à elles, pour les desgouster de la jalousieialousie, ce seroit temps
perdu: lLeur essence est si confite en soubçon, en vanité & en
curiosité, que de les guarir par voye legitime, il ne faut pas
l’esperer. Elles s’amendent souvantsouuant de cet inconvenientinconuenient, par
unevne forme de santé, beaucoup plus à craindre, que n’est la ma-
ladie mesme. Car comme il y a des enchantemens, qui ne sça-
vent
sça-
uent
pas oster le mal, qu’en le rechargeant à unvn autre,: elles re-
jettent
re-
iettent
ainsi volontiers cette fievrefieure à leurs maris, quandquād elles la
perdent. Toutesfois à dire vray, jeie ne sçay si on peut souffrir
d’elles, pis que la jalousieialousie: cC’est la plus dangereuse de leurs con-
ditions, comme de leurs membres la teste. Pittacus disoit,
que chacun avoitauoit son defaut: qQue le sien estoit la mauvaisemauuaise te-
ste de sa femme,: sans laquellehors cela, il s’estimeroit de tout poinct
heureux. C’est unvn bien poisant inconvenientinconuenient, duquel unvn per-
sonnage si justeiuste, si sage, si vaillant, sentoit tout l’estat de sa vie
alteré: que devonsdeuons nous faire nosnous autres hommenetsz?
Position : Marge droite . Le senat de Marseil=
le eut raison d’accor=
der la requeste a celuy
d qui demandoit
permission de se tuer
pour s’exampter de la
tempeste de sa fame: cCar
c’est un mal qui ne s’emporte
jamaisiamais qu’en emportant la piece:
et qui n’a autre composition qui
vailleuaille, que la fuite ou la souffrance
quoi que toutes les duesdeus tres difficilles.
Celuy
la s’y entendoit, ce me semble, qui dict qu’unvn bon mariage se
dressoit d’unevne femme aveugleaueugle, avecauec unvn mary sourd. RegardonsRegardōs
FFFFf
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[389v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
aussi que cette grande & violente aspreté d’obligation, que
nous leur enjoignonsenioignons, ne produise deux effects contraires à
nostre fin: aAsçavoiraAsçauoir, qu’elle esguise les poursuyvantspoursuyuants, & face
les femmes plus faciles à se rendrerēdre. Car quandquād au premier point,
montant le pris de la place, nous montons le pris & le desir de
la conqueste. Seroit-ce pas Venus mesme qui eut ainsi fine-
ment haussé le chevetcheuet à sa marchandise, par le maquerelage
des loix:, cognoissant combien c’est unvn sot desduit, qui ne le
feroit valoir par fantasiefātasie & par cherté: eEn fin c’est tout chair de
porc que la sauce diversifiediuersifie, comme disoit l’hoste de Flami-
nius. Cupidon est unvn Dieu [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne en redoublant sa correction a oublié de biffer l’un des deux "felon"]
Position : Marge gauche felon, mutin:
ambitieux:arrogant felon: il faict son jeuieu, à luit-
ter la devotiondeuotiō & la justiceiustice: cC’est sa gloire, que sa puissance cho-
que tout’autre puissance, & que toutes autres regles cedent
aux siennes,
Materiam culpae prosequiturque suae.
Et quant au second poinct, serions nous pas moins coqus, si
nous craignionscraigniōs moins de l’estre:, sSuyvantsSuyuant la complexioncōplexion des fem-
mes, car la deffence les incite & convieconuie,
Vbi velis nolunt, vbi nolis volunt vltro:
Concessa pudet ire via.

Quelle meilleure interpretation trouverionstrouuerions nous au faict de
Messalina: eElle fit au commencement son mary coqu à ca-
chetes, comme il se faict: mMais conduisant ses parties trop ay-
séement, par la stupidité qui estoit en luy, elle desdaigna sou-
dain cet usagevsage: lLa voyla, à faire l’amour à la descouvertedescouuerte, ad-
voüer
ad-
uoüer
des serviteursseruiteurs, les entretenir & les favoriserfauoriser à la veüe
d’unvn chacun. Elle vouloit qu’il s’en ressentit. Cet animal ne se
pouvantpouuant esveilleresueiller pour tout cela, & luy rendant ses plaisirs
mols & fades, par cette trop láche facilité, par laquelle il sem-
bloit qu’il les advouataduouatauthorisat & legitimat: qQue fit elle? fFemme d’unvn
Empereur sain & vivantviuant, & à Romme, au theatre du monde,
en plein midy, en feste & ceremonie publique, & avecauec Si-
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LIVRE TROISIESME.382390
lius, duquel elle jouyssoitiouyssoit long temps devantdeuant, elle se marie unvn
jouriour que son mary estoit hors de la ville. Semble il pas qu’elle
s’acheminast à devenirdeuenir chaste, par la nonchallance de son ma-
ry? oOu qu’elle ne cerchast unvn autre mary qui luy esguisast
l’appetit par sa jalousieialousie?
-
Position : Marge droite et qui en luy insistant
l’incitat.
Mais la premiere difficulté qu’elle ren-
contra
rē-
contra
, fut aussi la derniere. Cette beste s’esveillaesueilla en sursaut.
On à souventsouuent pire marché de ces sourdaus endormis. JI’ay
veu par experience que cette extreme souffrance, quand elle
vient à se desnouër, produit des vengeances plus aspres: cCar
prenant feu tout à coup, la cholere & la fureur s’emmouncelantemmouncelāt
en unvn, esclate tous ses efforts à la premiere charge,
irarúmque omnes effundit habenas.
Il la fit mourir,: & grand nombre de ceux de son intelligence:,
jJusquesiIusques à tel qui n’en pouvoitpouuoit mais, & qu’elle avoitauoit conviéconuié à
son lict, à coups d’escorgée. Ce que Virgile dict de Venus &
de Vulcan, Lucrece l’avoitauoit dict plus sortablement d’unevne jouis-
sance
iouis-
sance
desrobée, d’elle & de Mars.:
belli fera moenera Mauors
Armipotens regit, in gremium qui saepe tuum se
Reiicit, aeterno deuinctus vulnere amoris:
Pascit amore auidos inhians in te Dea visus,
Eque tuo pendet resupini spiritus ore:
Hunc tu diua tuo recubantem corpore sancto
Circunfusa super, suaueis ex ore loquelas
Funde:.

Quand jeie rumine ce, reiicit, pascit, inhians, molli, fouet, medullas,
labefacta, pendet, percurrit
, & cette noble, circunfusa, mere du
gentil, infusus, ji’ay desdain de ces menues pointes & allusions
verballes, qui nasquirent depuis. A ces bonnes gens, il ne fal-
loit pas d’aigue & subtile rencontre: lLeur langage est tout
plein, & gros d’unevne vigueur naturelle & constante: iIls sont
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[390v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tout epigramme,: non la queuë seulement, mais la teste, l’esto-
mac, & les pieds. Il n’y a rien d’efforcé, rien de treinant: tout y
marche d’unevne pareille teneur.
-
Position : Marge gauche Contextus totus
uirilis est: non sunt
circa flosculos occupati.
Ce n’est pas unevne eloquenceeloquēce mol-
le, & seulement sans offence: eElle est nerveusenerueuse & solide, qui
ne plaict pas tant, comme elle remplit & ravitrauit: &Et ravitrauit, le plus,
les plus forts espris.
Position : Marge gauche Qui signifie plus
qu’elle ne dict.
Quand jeie voy ces bravesbraues formes de s’ex-
pliquer, si vifvesvifues, si profondes, jeie ne dicts pas que c’est bien di-
re, jeie dicts que c’est bien penser. C’est la gaillardise de l’imagi-
nation, qui esleveesleue & enfle les parolles.
-
Position : Marge gauche Pectus est quod
disertum facit.
Nos gens appellent ju-
gement
iu-
gement
langage,. &Et beaux mots les plaines conceptions.
Cette peinture est conduitte, non tant par dexterité de la main,
comme pour avoirauoir l’objectobiect plus vifvementvifuement empreint en l’a-
me. Gallus parle simplementsimplemēt, par ce qu’il conçoit simplementsimplemēt:.
Horace ne se contente point d’unevne superficielle expression,
eElle le trahiroit: iIl voit plus cler & plus outre dans la chose:
sSon esprit crochette & furette tout le magasin des mots &
des figures, pour se representer: &Et les luy faut outre l’ordinai-
re, comme sa conception est outre l’ordinaire. Plutarque dit,
qu’il veid le langage latin par les choses,: iIcy de mesme,: le sens
esclaire & produict les parolles: nNonnNō plus de vent, ains de chair
& d’os.
-
Position : Marge gauche Elles signifient
plus qu’elles ne disent.
Les imbecilles sentent encores quelque image de ce-
cy. Car en Italie jeie disois ce qu’il me plaisoit en devisdeuis communscōmuns,
mais aus propos roides jeie n’eusse osé me fier à unvn Idiome, que
jeie ne pouvoispouuois plier ny contourner, outre son alleure commu-
ne
cōmu-
ne
. JI’y veux pouvoirpouuoir quelque chose du mien. Le maniement
& emploite des beaux espris donne pris à la langue: nNon pas
l’innovantinnouant, tanttāt, comme la remplissant de plus vigoreux & di-
vers
di-
uers
servicesseruices, l’estirant & ployant,: iIls n’y aportent point des
mots, mais ils enrichissent les leurs, appesantissent & enfon-
cent leur signification & leur usagevsage: lLuy aprenent des mou-
vements
mou-
uemēts
inaccoustumés, mais prudemmentprudēment & ingenieusementingenieusemēt.
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LIVRE TROISIESME.383391
Et combien peu cela soit donné à tous, il se voit par tant d’es-
crivains
es-
criuains
françoisfrāçois de ce siecle. Ils sont assez hardis & dédaigneux,
pour ne suyvresuyure la route commune, mais faute d’inventioninuention &
de discretion les pert. Il ne s’y voit qu’unevne miserable affectationaffectatiō
d’estrangeté: dDes déguisements froids & absurdes, qui au lieu
d’esleveresleuer, abbattent la matiere. PourveuPourueu qu’ils se gorgiasent en
la nouvelleténouuelleté, il ne leur chaut de l’efficace: pPour saisir unvn nou-
veau
nou-
ueau
mot, ils quittent l’ordinaire, souventsouuēt plus fort & plus ner-
veux
ner-
ueux
. En nostre langage jeie trouvetrouue assez d’estoffe, mais unvn peu,
faute de façon. Car il n’est rien, qu’on ne fit du jargoniargon de nos
chasses, & de nostre guerre, qui est unvn genereux terrein à em-
prunter. Et les formes de parler, commecōme les herbes, s’amendentamendēt &
fortifient en les transplantant. JeIe le trouvetrouue suffisamment a-
bondant, mais non pas Position : Interligne haute soupplemaniant et vigoureux suffisamment: iIl succombe
ordinairement à unevne puissante conception. Si vous allez ten-
du, vous sentez souventsouuent qu’il languit soubs vous & fleschit, &Et
qu’à son deffaut le Latin se presente au secours, &Et le Grec à
d’autres. D’aucuns de ces mots que jeie viens de trier, nous en a-
percevons
a-
perceuons
plus malaisément l’energie, d’autant que l’usagevsage &
la frequence, nous en ont aucunement avilyauily & rendu vulgai-
re la grace. Comme en nostre commun, il s’y rencontrerencōtre des fra-
ses excellentes, & des metaphores, desquelles la beauté flestrit
de vieillesse, & la couleur se ternits’est ternie par maniement trop ordi-
naire. Mais cela n’oste rien du goust, à ceux qui ont bon nez
nNy ne desroge à la gloire de ces anciens autheurs, qui comme
il est vray semblable, mirent premierement ces mots en ce lu-
stre. Les sciences traictent les choses trop finementfinemēt, d’unevne mo-
de trop artificielle, & differente à la commune & naturelle.
Mon page faict l’amour & l’entend: lLisez luy Leon Hebreu, &
Ficin,: on parle de luy, de ses pensées, & de ses actions, &Et si il
n’y entend rien. JeIe ne recognois pas chez Aristote la plus part
de mes mouvemensmouuemens ordinaires: oOn les à couvertscouuerts & revestusreuestus
FFFFf iij
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[391v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’unevne autre robbe, pour l’usagevsage de l’eschole. Dieu leur doint
bienbiē faire: sSi ji’estois du mestier: jeie traiteroy l’art le plus naturel-
lement
naturel-
lemēt
que jeie pourrois.
naturaliserois l’artlart, autant come ils
artialisent la nature.
Laissons la Bembo & Equicola. QuandQuād
ji’escris, jeie me passe bien de la compaignie, & souvenancesouuenance des
livresliures: de peur qu’ils n’interrompent ma forme. Aussi que à la
verité, les bons autheurs m’abattent par trop, & rompent le
courage. JeIe fais volontiers le tour de ce peintre, lequel ayant
miserablement representé des coqs, deffendoit à ses garçons,
qu’ils ne laissassent venir en sa boutique aucun coq naturel.
Position : Marge gauche Et arois plus tost
besouin pour me doner
un peu de lustre de
l’invantioninuantion du musicien
Antigonides qui quantd
il faisoitavoitauoit a faire la musique
faisoit passer devantdeuant ou
apres luy
mettoit ordre
que davantdauant ou apres luy
passat quelque mauvesmauues
chantre
son auditoire fut
abreuvéabreuué de quelques mauvesmauuesautres
chantre mauvesmauues chantres.

Mais jeie me puis plus malaiséementmalaiséemēt deffaire de Plutarque,. iIl est
si universelvniuersel & si plain, qu’a toutes occasions, & quelque sujectsuiect
extravagantextrauagant que vous ayez pris, il s’ingere à vostre besongne,
& vous tend unevne main liberale & inespuisable de richesses, &
d’embellissemens. Il m’en faict despit, d’estre si fort exposé au
pillage de ceux qui le hantent. Position : Interligne haute JeIe ne le puis si peu r’acouinter, que jeie n’en tire cuisse ou aisle. Pour ce mien dessein il me vientviēt
aussi à propos, d’escrire chez moy, en pays sauvagesauuage, ou person-
ne ne m’ayde, ny me relevereleue,: oOu jeie ne hante communéement
homme, qui entende le latin de son patenostre, & de françoisfrāçois
unvn peu moins. JeIe l’eusse faict meilleur ailleurs, mais l’ouvrageouurage
eust esté moins mien: &Et sa fin principale & perfection, c’est
d’estre exactement mien. JeIe corrigerois volontiersbien unevne erreur
accidentale, dequoy jeie suis plain, ainsi que jeie cours inaduer-
temment
inaduer-
temment
, mMais les imperfections qui sont en moy ordinaires
& constantes, ce seroit trahison de les oster. Quand on m’a dit,
ou que moy-mesme me suis dict,. tTu es trop espais en figures,:
vVoila unvn mot du creu de Gascoingne,. vVoila unevne frase dangereu-
se, (jeie n’enē refuis aucune de celles qui s’usentvsent emmy les rues fran-
çoises
frā-
çoises
,: ceux qui veulent combatre l’usagevsage par la grammaire se
moquent) vVoila unvn discours ignorant,: vVoila unvn discours pa-
radoxe, en voila unvn trop fol:
Position : Marge gauche tu te jouësiouës souvantsouuant,
on estimera que tu
dies a droit, ce que tu
dis a feinte. Oui
ouy fais-jeie, mais jeie corrige les fau-
tes d’inadvertenceinaduertence, non celles de coustume. Est-ce pas ainsi
que jeie parle par tout? mMe represente-jeie pas vivementviuement? sSuffit.
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LIVRE TROISIESME.384392
JI’ay faict ce que ji’ay voulu,. tTout le monde me reconnoit en
mon livreliure, & mon livreliure en moy. Or ji’ay unevne condition singe-
resse & imitatrice: qQuand jeie me meslois de faire des vers, & n’enē
fis jamaisiamais que des Latins, ils accusoient evidemmenteuidemment le poete
que jeie venois dernierement de lire: &Et de mes premiers essays,
aucuns puent unvn peu Position : Interligne haute a l’estranger.
-
Position : Marge droite A Paris jeie
parle un langage
aucunement autre
qu’a Montaigne.
Qui que jeie regarde avecauec at-
tention, m’imprime facilementfacilemēt quelque chose du sien. Ce que
jeie considere, jeie l’usurpevsurpe: uUnevVne sotte contenance, unevne desplaisan-
te grimace, unevne forme de parler ridicule. Les vices plus: dD’au-
tant qu’ils me poingnent, ils s’acrochent à moy, & ne s’en vontvōt
pas sans secouer. On m’a veu plus souventsouuēt jureriurer par similitude,
que par complexion. [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne a donné deux versions de ce passage avant de le biffer entièrement : 1- Tantost je ne cesse de jurer, je cesse tantost une longue seson, selon la compaignie ou je me suis tenu et ne jure que, dieu, qui est le plus formè et juste de tous les sermans. 2- Tantost je ne cesse de jurer, je cesse tantost une longue seson, selon la compaignie ou je me suis tenu mais selon ma forme, qui est, pour dieu, le plus excusable et droit de tous les sermans.]
Position : Marge droite . tTantost jeie ne
cesse de jureriurer, jeie
cesse tantost une
longue seson, selon
la compaigniecōpaignie ou
jeie me suis tenu
et ne jureiure que,mais selon ma forme, qui est, par
dieu, qui est le
plus formè et
justeiuste
excusable et
droit
de tous les
sermans.
Cette
nuisible imitation me
remet en memoire cette
autre imitation murtriere
des serpentssinges horribles que le
Roy Alexandre rancontra en
certein destroit des Indes
desquels autremant on ne
pourroit veniruenir a bout. Mais
ils ont aprins aus homes du
païs qu’ils aiment a contrefaire
ce qu’ils leur voïentuoïent faire. Les
chasseurs oignent leurs yeus
de miel et laissent de la glus
en la place font semblant de
se mirer tout contre la terre
et y atachentatachēt des lacs courans
et chaussent a la veueueue de ces
singes leurs souliers a tout
des liens Par ou ces povrespoures
bestes ainsi duites a contrefairecōtrefaire
sur ce qu’elles voientuoient
se prenent elles mesmes et se
perdent
. Imitation
meurtriere comme celle des
singes horribles en grandur
et en force que le Roy Alexandre
rencontra en certene contreecōtree des
Indes. Des quels autremant
il eut este difficille de veniruenir
a bout. Mais ils en prestarent
le moien par cette leur inclina=
tion a contrefaire tout ce qu’ils
voiointuoioint faire. Car par la les chasseurs
aprindrent de faire semblantsemblāt de
se chausser des souliers a leur veuëueuë
a tout force neuds de liens: de
s’affubler d’acoutremans de teste
a tout des lacs courans: & ouindre
les yeus de quelque autre drogue
et au lieu de celela y mettre de la
glus.
par semblant leurs yeus de glus. Ainsi les metoit imprudam=
mant a mal leur complexion singeresse
ces povrespoures bestes leur complexion
singeresse Ils s’engluoint et
s’enlassoint par imitation
s’encheve=
troint
s’encheue=
troint
et garrotoint d’elles mesmes.
Cett’autre faculte de represanter ingenieusementingenieusemēt les gestes et
parolles d’un autre par dessein, qui apporte souvantsouuant plaisir &
admiration, n’est nullementnullemētaucunement en moy non plus qu’en une souche.
Position : Marge gauche Quand jeie jureiure selon moi c’est plus volontiersuolontierssulement, par dieu,
qui est le plus droit de tous les sermens Ils disent
que Socrates juroitiuroit le chien, Zenon les capres,
Pythagoras l’eauleau & l’airlair,
cette mesme interjectioninteriection qui sert asture aus
Italiens, Cappari: Pythagoras, l’eau & l’airlair.
JeIe suis Position : Interligne haute si aisé à recevoirreceuoir Position : Interligne haute sans y penser ces impressions su-
perficielles,: sSi ji’ayqu’ayant eu en la bouche, Sire ou altesse, trois joursiours
de suite, huict joursiours apres ils m’eschappent, pour excellence,
ou pour seigneurie. Et ce que ji’auray pris à dire en battellant
& en me moquant, jeie le diray lendemain serieusement. Par-
quoy, à escrire, ji’accepte plus envisenuis les arguments battus, de
peur que jeie les traicte aux despens d’autruy. Tout argument
m’est egallement fertille. JeIe les prens sur unevne mouche,: &Et Dieu
veuille que celuy que ji’ay icy en main, n’ait pas esté pris par le
commandementcōmandemēt d’unevne volontévolōté autantautāt volage. Que jeie commencecōmēce par
celle qu’il me plaira, car les matieres se tiennent toutes enches-
nées les unesvnes aux autres. Mais mon ame me desplait, de ce qu’el-
le produict ordinairement ses plus profondes resveriesresueries, plus
folles & qui me plaisent le mieux, à l’improuveuimprouueu, & lors
que jeie les cerche moins: lLesquelles s’esvanouissentesuanouissent soudain,
n’ayant sur le champ où les attacher: àA chevalcheual, à la table, au lit,:
mais plus à chevalcheual, où sont mes plus larges entretiens. JI’ay le
parler unvn peu delicatement jalouxialoux d’attention & de silence, si
jeie parle de force.: QqQui m’interromptinterrōpt, m’arreste. En voiage, la ne-
cessité mesme des chemins couppe les propos: oOutre ce que
jeie voyage plus souventsouuent sans compaignie, propre à ces entre-
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[392v] ESSAIS DE M. DE MONT.
tiens de suite, par ou jeie prens tout loisir de m’entretenir moy-
mesme. Il m’en advientaduient comme de mes songes: eEn songeant,
jeie les recommande à ma memoire, (car jeie songe volontiersvolōtiers que
jeie songe) mais le lendemain, jeie me represente bienbiē leur couleur,
comme elle estoit, ou gaye, ou triste, ou estrange, mais quels
ils estoient au reste, plus ji’ahane à le trouvertrouuer, plus jeie l’enfonce
en l’oubliance. Aussi de ces discours fortuites qui me tombenttombēt
en fantasie, il ne m’en reste en memoire qu’unevne vaine image:
aAutant seulementseulemēt qu’il m’en faut pour me faire ronger, & des-
piter, apres leur queste, inutilement. Or donc laissant les livresliures
à part, parlant plus materiellement & simplement: jJeiIe trouvetrouue
apres tout, que l’amour n’est autre chose, que la faimsoif de cette
jouyssanceiouyssance. Position : Interligne haute en un beau subjectsubiect.
Position : Marge gauche en un subjectsubiect desiré.
Ny Venus autre chose
que lae plaisir a u deschar
descharger ses roignonsvasesuases:
qui devientdeuient vicieusuicieus ou
par immoderation ou
par indiscretion. Pour
Socrates l’amour est
appetit de generation
par l’entremise de la beautè.
Et considerant maintesfois, la ridicule titillation
de ce plaisir, par où il nous tient, les absurdes mouvemensmouuemens es-
cervelez
es-
ceruelez
& estourdis, dequoy il agite Zenon & Cratippus,: cCé-
te rage indiscrette, ce visage enflammé de fureur & de cruau-
té, au plus doux effect de l’amour, &Et puis cette morgue gravegraue,
severeseuere, & ecstatique, en unevne actionactiō si fole,
Position : Marge gauche Et qu’on aye logé
pesle mesle nos delices
& nos ordures ensemble.
&Et que la supreme vo-
lupté, aye du transy & du plaintif, commecōme la douleur, jeie crois qu’il
on se joueioue de nous,est vraiurai comece que dict Platon que l’home est le jouetiouet des Dieus
quaaenam ista iocandi
Saeuitia?

&Et que c’est par industriemoquerie, que nature nous à laissé la plus trou-
ble de nos actionsactiōs, la plus commune,: pour nous esgaller par là,
& apparier les fols & les sages,: & nous & les bestes. Le plus con-
templatif
cō-
templatif
, & prudent, homme, quand jeie l’imagine, en cette
assiette, jeie le tiens pour unvn affronteur, de faire le prudent, & le
contemplatif: cCe sont les pieds du paon, qui abbatent son or-
gueuil,.
Rridentem dicere verum, [Commentaire (Montaigne) : r fin de versuers / en ça]
Quid vetat?
Position : Marge gauche Ceus qui parmi les
jeusieus refusent les opinions
serieuses font Position : Interligne haute dict quelcun come
celuy qui creint
d’adorer la statue d’un sainct
si ell’est sans davantieredauantiere

Nous mangeons bien & beuvonsbeuuons comme les bestes, mais ce
ne
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LIVRE TROISIESME.385393
ne sont pas actions, qui empeschent les operations de nostre
ame. En celles-là, nous gardons nostre avantageauantage sur elles: cCet-
te-cy met toute autre pensée soubs le jougioug, aAbrutit & abestit
par son imperieuse authorité, toute la theologie & philoso-
phie qui est en PlatonPlatō,. &Et si il ne s’en plaint pas. Par tout ailleurs,
vous pouvezpouuez garder quelque decence,. tToutes autres operationsoperatiōs
souffrent des reigles d’honnesteté,. cCette-cy ne se peut pas seu-
lement imaginer, que vitieuse ou ridicule: tTrouveztTrouuez y pour-
voir
pour-
uoir
unvn proceder sage & discret. Alexandre disoit qu’il se con-
noissoit
cō-
noissoit
principallementprincipallemēt mortel, par cette action, & par le dor-
mir: lLe sommeil suffoque & supprime les facultez de nostre a-
me,. lLa besongne les absorbe & dissipe de mesme. Certes c’est
unevne marque non seulement de nostre corruption originelle:,
mMais aussi de nostre vanité & deformité. D’unvn costé nature
nous y pousse, ayant attaché à ce desir, la plus noble, utilevtile, &
plaisante de toutes ses operationsoperatiōs,: &Et là nous laisse d’autre part,
accuser & fuyr, comme insolente & deshonneste, eEn rougir &
recommander l’abstinence.
Position : Marge droite Somes nous pas
bien brutes d’ap de
nomer brutale l’ope=
ration qui nous faict?
Les peuples, és religions, se sont
rencontrez en plusieurs convenancesconuenances, comme sacrifices, lumi-
naires, encensements, jeunesieunes, offrandes, & entre autres, en la
condemnation de cette action. Toutes les opinions y vien-
nent, outre l’usagevsage si estendu des circoncisions. du tronçonement du prepuce qui en est une punition. Nous avonsauons à
l’avantureauanture raison, de nous blasmer, de faire unevne si sotte produ-
ction que l’homme, d’appeller l’action honteuse, & honteuseshōteuses
les parties qui y serventseruent.
Position : Marge droite (asteure sont les
mienes proprement
honteuseset) bien et
peneuses).peneuses) Mais lLes
Esseniens come dict
Pline ont ils pas reson de
chasser toute
fuient les fames d’entre
eus
et fuir d’engendrer des
homes: nation qui
aontōt dure
pourtant plus de mille ans
par
de l’abbort d’autres homes
de leur humeur qui
continuelemantcontinuelemāt se vontuont ran
ranger a eus des

estrangiers: sans bastir
un sul nouvelnouuel home de quoi parle
Pline me plaisoint se meintenant
plusieurs siecles de l’abbort des estrangiers qui
suivanssuiuans cette belle humur se rangeoint continuellemantcōtinuellemāt a eus
plusieurs siecles fuians tout
embrassemantēbrassemant feminin sans nourrisse
sans maillol
sans forger un sul home
nouveaunouueau.

Position : Marge gauche de quoi parle Pline me plaisoint se meintenantoint
sans nourrisse sans maillol
plusieurs siecles de l’abbort des
estrangiers qui continuelementcontinuelemēt
suivanssuiuans cette belle humeur se rangeoint
continuellemantcontinuellemāt a eus
Aiant toute une nation
hasardé de se perdres’exterminer plus tost que
de s’engager a un embrassement
feminin. Et de perdre la suite
des homes plus tost que d’en forger
un. Ils disent que Z
enon ne tasta den’eut affaire a fame
qu’une fois en sa vie: Et que ce fut par civilitéciuilité, pour ne sembler dedaigner trop obstinement le sexe.
Chacun desdaignefuit à le voir naistre,
chacun courtsuit à le voir mourir & ensevelirenseuelir
Position : Marge gauche Pour le perdredestruire on cherche un champ plein grandspatieus en pleine
lumiere: pour le construire on se musse dans q[unclear] un creus tenebreus
et contreint
. C’est le devoirdeuoir, de
se cacher et rougir pour le faire, & c’est gloire, & naissent plusieurs ver-
tus, de le sçavoirsçauoir deffaire. L’unvn est injureiniure, l’autre est faveurfaueur:grace. cCar
Aristote dict, que bonifier quelqu’unvn, c’est le tuer, en certaine
frase de son pays.
Position : Marge gauche Les Atheniens pour apparier la desfaveurdesfaueur de
ces duesdeus actions aiant a mundifier lisde lisle de
Delos et se justifieriustifier enversenuers Apollo defandirent au
pourpris d’icelle tout enterrement et tout enfantement
pareillement.ensamble.
Nostri nosmet poenitet. Nous accusons en mil-
le choses, les conditions de nostre estre.
nous volonsuolons mal
Nous estimons a viceuice nostre estre.
Il y a des nations qui
se couvrentcouurent en mangeant. JeIe sçay unevne dame, & des plus gran-
GGGGg
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[393v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
des en toute sorte de grandeur, qui a cette mesme opinion, que
cest unevne contenance desagreable, de macher, qui rabat beau-
coup de leur grace, & de leur beauté: &Et ne se presente pas vo-
lontiers
vo-
lōtiers
en public avecauec appetit. Et sçay unvn homme, qui ne peut
souffrir de voir manger, ny qu’on le voye, & fuyt toute assi-
stance, plus quand il s’emplit, que s’il se vuide.
Position : Marge gauche En l’empirelempire du Turc il se voituoit
grand nombre d’homes qui pour
exceller sur les autres ne se laissentlaissēt
jamaisiamais voiruoir quand ils fontfōt leurs
repas n’en font qu’un qui n’en
font qu’un la sepmeine qui
se dechiquetent & decoupent
la face & les membresmēbres qui ne
parlent jamaisiamais a persone
Toutes gens qui pensent honorer
leur nature en se desnaturant
qui se prisent de leur mespris &
s’amandent de leur empirement.
Quel Position : Interligne haute monstrueus animal
desnaturé, qui se fait horreur à soymesme. Position : Interligne haute a qui ses plaisirs poisent: qui se tient a malheur. Il y en a qui cachentcachēt
leur vie,
Exilióque domos & dulcia limina mutant,
& la desrobent de la veuë des autres hommes: qQui evitenteuitent la
santé & l’allegresse, commecōme, qualitez ennemies & dommagea-
bles. Non seulement plusieurs sectes, mais plusieurs peuples,
maudissent leur naissance & benissentbenissēt leur mort.
Position : Marge gauche Il en est ou le soleil
est abominé: les tenebres
adorees.
Nous ne som-
mes ingenieux qu’a nous mal mener: cC’est le vray gibbier de
la force de nostre esprit: dangereus util en desreglement.
O miseri quorum gaudia crimen habent.
pauvrepauure homme, tu as assez d’incommoditez naturellesnecesseres,
sans les augmenter par ton inventioninuention: &Et éses assez miserable de
conditionconditiō, sans l’estre par art: tTu as des laideurs reelles & essen-
tielles à suffisance, sans en forger d’imaginaires.
Position : Marge gauche TrouvesTrouues tu que tu sois
trop a ton aise si tu ne prens
a desplaisir ton aise
ton aise
ne te vientuient a desplaisir
TrouvesTrouues tu
que tu ayes remply tous les offices necessaires, à quoy nature
t’engage, & qu’elle soit manque et oisiveoisiue chez toy, si tu ne t’obliges à nou-
veaux
nou-
ueaux
offices? Tu ne crains point d’offencer ses loix univer-
selles
vniuer-
selles
& indubitables, & te piques aux tiennes partisanes &
fantastiques: &Et d’autantautāt plus qu’elles sont particulieres Position : Interligne haute incerteines & plus
contredictes, d’autant, plus, tu fais là ton effort: Position : Interligne haute Les regles positivespositiues de ton invantioninuantion t’occupent et atachent et les regles de ta parroisse: Celles de Dieu et du monde ne te touchenttouchēt pouintpouīt. cCourts unvn peu
par les exemples de cette consideration,: ta vie en est toute. Les
vers de ces deux poëtes, traitant ainsi reservéementreseruéement & discret-
tement de la lascivetélasciueté, comme ils font, me semblentsemblēt la descou-
vrir
descou-
urir
& esclairer de plus pres. Les dames couvrentcouurēt leur sein d’unvn
reseu, les prestres plusieurs choses sacrées, les peintres ombra-
gent leur ouvrageouurage, pour luy donner plus de lustre,: &Et dict-on
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LIVRE TROISIESME.386394
que le coup du Soleil & du vent, est plus poisant, par reflexionreflexiō
qu’à droit fil. L’AEgyptien respondit sagement à celuy qui luy
demandoit, que portes tu là, caché soubs ton manteau? Il est
caché soubs mon manteau, affin que tu ne sçaches pas que
c’est: mMais il y à certaines autres choses qu’on cache, pour les
montrer. Oyez cet autretuila plus ouvertouuert,
Et nudam pressi corpus adúsque meum.:
IiIl me semble qu’il me chapone. Que Martial retrousse Venus
à sa poste, il n’arrivearriue pas à la faire paroistre si entiere. Celuy qui
dict tout, il nous saoule & nous desgouste. Celuy qui craint à
s’exprimer, nous achemine à en penser plus qu’il n’en y a. Il y
a de la trahison en cette sorte de modestie,: &Et notamment
nous entr’ouvrantouurant, comme font ceux cy, unevne si belle route à
l’imagination: &Et l’action & la peinture doiventdoiuent sentir aule
larrecin. L’amour des Espagnols, & des Italiens, plus respe-
ctueuse & craintifvecraintifue, plus mineuse & couvertecouuerte me plaist. JeIe
ne sçay qui, anciennement, desiroit le gosier allongé comme
le col d’unevne gruë, pour gouster plus long temps ce qu’il aval-
loit
aual-
loit
. Ce souhait est mieux à propos en cette volupté, viste &
precipiteuse: mMesmes à telles natures comme est la mienne,
qui suis vitieux en soudaineté. Pour arrester sa fuitte, & l’e-
stendre en preambules, entre eux tout sert de faveurfaueur & de re-
compense,: unevne oeillade, unevne inclination, unevne parolle, unvn si-
gne. Qui se pourroit disner de la fumée du rost, feroit-il pas
unevne belle espargne? C’est unevne passion qui mesle à bien peu
d’essence solide, beaucoup plus de vanité & resverieresuerie fievreusefieureuse:
iIl la faut payer & servirseruir de mesme. Apprenons aux dames à
se faire valoir, à s’estimer, à nous amuser, & a nous piper. Nous
faisons nostre charge extreme la premiere: iIl y a tousjourstousiours de
l’impetuosité françoise. Faisant filer leurs faveursfaueurs, & les estal-
lant en detail, chacun jusquesiusques à la vieillesse miserable, y trou-
ve
trou-
ue
quelque bout de lisiere, selon son vaillant & son merite.
GGGGg ij
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[394v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Qui n’a jouyssanceiouyssance, qu’en la jouyssanceiouyssance, qui ne gaigne que du
haut poinct, qui n’aime la chasse qu’en la prinse, il ne luy ap-
partient pas de se mesler à nostre escole. Plus il y à de marches
& degrez, plus il y a de hauteur & d’honneur au dernier sie-
ge. Nous nous devrionsdeurions plaire d’y estre conduicts, comme il
se faict aux palais magnifiques, par diversdiuers portiques, & passa-
ges, longues & plaisantes galleries, & plusieurs destours. Cette
dispensation reviendroitreuiendroit à nostre commodité: nNous y arreste-
rions, & nous y aymerions plus long temps: sSans esperance, &
sans desir, nous n’allons plus qui vaille: nNostre maistrise &
entiere possession, leur est infiniementinfiniemēt à craindre: dDepuis qu’el-
les sont du tout rendues à la mercy de nostre foy, & constan-
ce, elles sont mal:un peu bien hasardees. cCe sont vertus rares & difficiles: sSoudain
qu’elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles.:
postquam cupidae mentis satiata libido est,
Verba nihil metuere, nihil periura curant.

Position : Marge gauche un peu bien hasar=
dees: Et Thrasominidez
au temps passe
Et Thrasonidez juneiune home
grec fut si amoureus de son
amour qu’il refusa
aiant
gaigne lale ceur d’une fame
qu’il aimoit fort refusa
de sa maistresse
d’enden jouiriouir l’aiantla tenant en sa
puissance,
pour n’amortir
cette ardur viveuiue de son
amitie enversenuers elle,

ressasier et affoiblir
allanguir
par la
satiete & jouissanceiouissance cette
ardur viveuiue de son amitie
enversenuers elle
inquiete de la quelle il se
glorifioit & paissoit

La cherté donne goust à la viande. Voyez combien la forme
des salutations, qui est particuliere à nostre nation, abastardit
par sa facilité, la grace des baisers, lesquels Socrates dit estre si
puissans & dangereux à voler nos cueurs. C’est unevne desplai-
sante
desplai-
sāte
coustume, & injurieuseiniurieuse aux dames, d’avoirauoir à prester leurs
lévresléures, à quiconque à trois valets à sa suitte, pour mal plaisant
qu’il soit,
Cuius liuida naribus caninis,
Dependet glacies rigétque barba:
Centum occurrere malo culilingis.

Et nous mesme n’y gaignons guere: cCar comme le monde
se voit party, pour trois belles, il nous en faut baiser cinquante
laides: &Et à unevne estomac tendre, comme sont ceux de mon aage,
unvn mauvaismauuais baiser en surpaie unvn bon. Ils font les poursuyvanspoursuyuans
en Italie, & les transis, de celles mesmes qui sont à vendre,: &
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LIVRE TROISIESME.387395
se defendent ainsi: qQu’il y a des degrez en la jouyssanceiouyssance, & que
par servicesseruices ils veulent obtenir pour eux, celle qui est la plus
entiere. Elles ne vendent que le corps, la volonté ne peut estre
mise en vente, elle est trop libre & trop sienne: aAinsi ceux cy
disent, que c’est la volonté qu’ils entreprennententreprēnent,: & ont raison.
C’est la volonté qu’il faut servirseruir & practiquer. JI’ay horreur
d’imaginer mien, unvn corps privépriué d’affectionaffectiō. Et me semble que
cette rageforcenerie, est voisine à celle de ce garçon, qui alla sallir par a-
mour, la belle image de Venus que Praxiteles avoitauoit faicte:
oOu de ce furieux AEgyptien eschauffé apres la charongne d’u-
ne
v-
ne
morte qu’il embaumoit & ensueroit: lLequel donna occa-
sion à la loy, qui fut faicte dépuis en AEgypte, que les corps
des belles & jeunesieunes femmes, & de celles de bonne maison, se-
royent gardez trois joursiours, avantauant qu’on les mit entre les mains
de ceux qui avoyentauoyent charge de prouvoirprouuoir à leur enterrement.
Periander fit plus monstrueusement, qui estendist l’affection
conjugaleconiugale (plus reiglée & legitime) à la jouyssanceiouyssance de Melissa
sa femme trespassée.
Position : Marge droite Ne semble ce pas estre
un’humeur lunatique
de la Lune ne pouvantpouuant
autrement jouiriouir de
Endymion son mignonmignō
l’aler endormir pour
plusieurs mois come n[unclear]
rat
et se paistre de la
jouissanceiouissance d’un garçon
qui ne se remuoit qu’en
songe.
JeIe dis pareillement, qu’on ayme unvn corps
sans ame Position : Interligne haute ou senssans sentiment, quand on ayme unvn corps sans son consentement, &
sans son desir. Toutes jouyssancesiouyssances ne sont pas unesvnes: iIl y a des
jouyssancesiouyssances ethiques & languissantes: mMille autres causes que
la bien-veuillance, nous peuventpeuuent acquerir cet octroy des da-
mes: cCe n’est suffisant tesmoignage d’affectionaffectiō: iIl y peut eschoir
de la trahison, comme ailleurs: eElles n’y vont par fois que d’u-
ne
v-
ne
fesse,
tanquam thura merumque parent:
absentem marmoreamue putes.

JI’en sçay qui ayment mieux prester cela, que leur coche,. &Et qui
ne se communiquent, que par la: iIl faut regarder si vostre com-
paignie
cō-
paignie
leur plaist pour quelque autre fin encores,: ou pour
celle la seulement, comme d’unvn gros garson d’estable: eEn quel
rang & à quel pris vous y estes logé,
GGGGg iij
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[395v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tibi si datur vni
Quo lapide illa diem candidiore notet.

Quoy, si elle mange vostre pain, à la sauce d’unevne plus agreable
imagination?
Te tenet, absentes alios suspirat amores.
Comment? avonsauōs nous pas veu quelqu’unvn en nos joursiours, s’estre
servyseruy de cette action, à l’usagevsage d’unevne horrible vengence, pour
tuer par la, & empoisonner, comme il fit, unevne honneste fem-
me. Ceux qui cognoissent l’Italie, ne trouveronttrouueront jamaisiamais estran-
ge
estrā-
ge
, si pour ce subjectsubiect, jeie ne cerche ailleurs des exemples. Car
cette nation se peut dire regente du reste du monde en cela.
Ils ont plus communement des belles femmes, & moins de
laydes que nous: mMais des rares & excellentes beautez, ji’esti-
me que nous allons à pair. Et en jugeiuge autantautāt des espris: dDe ceux
de la commune façon, ils en ont beaucoup plus, & evidem-
ment
euidem-
ment
la brutalité y est sans comparaison plus rare: dD’ames sin-
gulieres & du plus haut estage, nous ne leur en devonsdeuons
guererien. Si jiavoisauois à estendre cette similitude,: il me sembleroit
pouvoirpouuoir dire de la vaillance, qu’au rebours, elle est au pris
d’eux, populaire chez nous, & naturelle: mMais on la voit par
fois, en leurs mains, si plaine & si vigoreuse, qu’elle surpasse tous
les plus roides exemples que nous en ayons. Les mariages de
ce pays la, clochent en cecy: lLeur coustume donne commu-
nement la loy si rude aus femmes & si serveserue, que la plus esloi-
gnée accointance avecauec l’estranger, leur est autant capitale que
la plus voisine. Cette loy faict, que toutes les approches se ren-
dent
rē-
dent
necessairement substantieles,: &Et puis que tout leur re-
vient
re-
uient
à mesme compte, elles ont le chois bien aysé.
Position : Marge gauche Et ont elles brisé
ces cloisons, croïes
qu’elles font feu:
Luxuria ipsis uinculis
sicut fera bestia
irritata, deinde emissa.
Il leur faut
unvn peu lácher les resnes.,
Vidi ego nuper equum contra sua frena tenacem
Ore reluctanti fulminis ire modo.

On alanguit le desir de la compaignie, en luy donnant quel-
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LIVRE TROISIESME.388396
que course & quelque liberté. Ayant tant de pieces à mettre
en communication, on les achemine à y employer tousjourstousiours
la derniere, puisque c’est tout d’unvn pris.
Nous courons à peu
pres mesme fortune. Ils sont trop extremes en contrainte,
nous en licence. C’est unvn bel usagevsage de nostre nation, que aux
bonnes maisons, nos enfans soyent receuz, pour y estre nour-
ris & eslevezesleuez Position : Interligne haute pages, commecōme en unevne escole de noblesse. Et est discour-
toisie, dict-on, & injureiniure, d’en refuser unvn gentil’homme. JI’ay
aperçeu, car autant de maisons autant de diversdiuers stiles & for-
mes, que les dames qui ont voulu donner aux filles de leur
suite, les reigles plus austeres, n’y ont pas eu meilleure fortune.advantureaduanture.
Il y faut de la moderation: iIl faut laisser bonne partye de leur
conduite, à leur propre discretion: cCar ainsi comme ainsi, n’y
a il discipline qui les sçeut brider de toutes parts. Mais il est
bien vray, que celle qui est eschappée bagues sauvessauues, d’unvn es-
colage libre, aporte bien plus de fiance de soy., que celle qui sort sai-
ne, d’unevne escole severeseuere & prisonniere. Nos peres dressoyent la
contenancecōtenance de leurs filles à la hontehōte & à la crainte (les courages &
les desirs estoyentestoyēt pareils) nous à l’asseuranceasseurāce,: nous n’y enten-
dons rien.
Position : Marge droite C’est aus Sauromates
qui n’ont loi de coucher
aveqaueq home que de leurs mains
elles n’en aient tue un autre
en guerre.
A moy qui n’y ay droit que par les oreilles, c’est as-
sezsuffit si elles me retiennent pour le conseil, suyvantsuyuant le privilegepriuilege
de mon aage. JeIe leur conseille donc Position : Interligne haute come a nous l’abstinence, mais si ce
siecle en est trop ennemy, aumoins la discretion & la mode-
stie:
Position : Marge droite Car come dict le conte
d’Aristippus parlant a des
junesiunes gens qui rougissoient
de le voiruoir entrer ches une
courtisane: Le viceuice est de
n’en pouvoitpouuoit pas sortir non
pas d’y entrer.
qQui ne veut exempter sa conscience, qu’elle exempte son
nom: sSi le fons n’en vaut guiere, que l’apparence tienne bon.
JeIe louë la gradation & la longueur en la dispensation de leurs
faveursfaueurs.
Position : Marge droite En la dispance graeque
des
Aus endroits de la graece
ou estoint licites les
amours des garçons et
Platon dict qu’ile les flateries
les poursuites les servicesseruices en
estoitent b estoint bien veusueus
et favorisezfauorisez la hastivetéhastiueté a
se randre estoit ce neantmoins
descriee et condamnee: come
dict Platon: Platon dict que
es contrees de la graece ou a
quelque condition estimée
utile l’amour des garçons
estoit licite et ou les poursuites
les flateries les veilleesueillees les servicesseruices
les passions estoint veuesueues en pl publiq
de bon euil et favorablefauorable: si la hastivitehastiuite
de complerecōplere et de se rendre estoit pourtantpourtātce neantmoins tresreprouveetresreprouuee
aus tenans et condamnee.
Platon montre
qu’en toute espece d’amour le facili
et promptitude est interdicte aus
tenans.
C’est unvn traict de gourmandise & de faim, laquelle il
faut qu’elles couvrentcouurent de toute leur art, de se rendre ainsi te-
merairement en gros, & tumultuairement. Position : Interligne haute et sans cse doner loisir de nous reconoitre et jugeriuger. Se conduisant en
leur dispensationdispensatiō, ordonéement & mesuréement, elles pipent
bien mieux nostre desir, & cachent le leur. Qu’elles fuyent
tousjourstousiours devantdeuant nous,. jJeiIe dis celles mesmes qui ont à se lais-
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[396v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ser atraper. Elles nous battent mieux en fuyant, comme les
Scythes. De vray, selon la loy que nature leur donne, ce n’est
pas proprement à elles de vouloir & desirer: lLeur rolle est
souffrir, obeir, consentir: cC’est pourquoy nature leur à donné
unevne perpetuelle capacité,: à nous, rare & incertaine: eElles ont
tousjourstousiours leur heure, afin qu’elles soyent tousjourstousiours prestes à la
nostre.
-
Position : Marge gauche pPati natae.
Et ou elle à voulu, que nos appetis eussent montre &
declaration prominante, ell’à faict que les leurs, fussent oc-
cultes & intestins,
&Et les à garniesfournies de pieces impropres a l’ostentation et simplement pour la defensi-
ve
defensi-
ue
.
Position : Marge gauche Il faut laisser a la licence
Amazoniene pareils traicts
à cetuicy. Alexandre passant
par l’Hircanie Thalestris roine
des Amazones le vintuint trouvertrouuer
aveqaueq trois cens gendarmes de son sexe:
bien montés et bien armez:
ayant laisse le demurant d’une
grosse armee qui la suivoitsuiuoit sur
au dela des voisinesuoisines montaignes
Et luy dict Position : Interligne haute tout haut et en publiq que le bruit de ses
histoires et de sa valurualur l’avointauoīt
menee la pour le voiruoir, luy offrir
ses moiens et sa puissance au
secours de ses entreprinses. Et
que le treuvanttreuuant si beau juneiune
& vigorusuigorus, elle qui estoit
parfaicte en toutes ses qualites,
luy conseilloitcōseilloit qu’ils couchassentcouchassēt
ensamble: affin qu’il nasquit
de la plus vaillanteuaillante fame
du monde, et du plus vaillantuaillant
home qui fut lors vivantuiuant,
quelque chose de grand et de
rare apour l’advenirladuenir. Alexandre
la remercia du reste: mais
pour doner temps a l’acom=
plissemant de sa derniere
demande, il arreta trese joursiours
en ce lieu qu’lesquels il festoia le plus
alegremant qu’il futpeut en
faveurfaueur d’une si corageuse
princesse.
Nous sommes quasi en tout iniques jugesiuges de leurs actionsactiōs,
commecōme elles sont des nostres. JIadvoüeaduoüe la verité lors qu’elle me
nuict, de mesme que si elle me sert. C’est unvn vilain desreigle-
ment, qui les pousse si souvantsouuant au change, & les empesche de
fermir leur affection en quelque subjectsubiect que ce soit: cComme
on voit de cette Deesse, à qui l’on donne tant de changemens
& d’amis. Mais si est-il vray, que c’est contre la nature de l’a-
mour, s’il n’est violantviolāt, & contre la nature de la violance, s’il est
constant. Et ceux qui s’en estonnent, s’en escrient, & cerchent
les causes de cette maladie en elles, comme desnaturée &: mon-
strueuse
mō-
strueuse
incroïable, que ne voyent ils, combien souventsouuent ils la reçoyventreçoyuent
en eux, sans espouvantementespouuantement & sans miracle. Il seroit à l’ad-
venture
ad-
uenture
plus estrangeestrāge d’y voierveoir de l’arrest.: CcCe n’est pas unevne pas-
sion simplement corporelle.: SsSi on ne trouvetrouue point de bout
en l’avariceauarice, & en l’ambition, il n’y en à non plus en la paillar-
dise. Elle vit encore apres la satieté, &Et ne luy peut on prescrire
ny satisfaction constantecōstante ny fin, eElle va tousjourstousiours outre sa pos-
session.: EeEt si, l’inconstance leur est à l’adventureaduenture aucunement
plus pardonnable qu’a nous. Elles peuventpeuuent alleguer comme
nous, l’inclination qui nous est commune à la varieté & à la
nouvelleténouuelleté: &Et alleguer secondement sans nous, qu’onelles acheteentacheteēt
chat en poche,:
Position : Marge gauche JaneIane Roine de Naples
feit estrangler Andreosse
son premier mari aus
grilles de sa fenestre a
tout un laz d’or & de soie
tissu de sa main propre: sur ce qu’aus corveescoruees matrimonialles elle ne luy trouvoittrouuoit ny les parties
ny les effors asses respondans a l’esperancelesperance qu’ell’en avoitauoit conceu a voiruoir sa taille sa beaute
sa junesseiunesse et disposition par ou ell’avoitauoit estreesté prinse et abusee.
qQue l’actionactiō à plus d’effort que n’a la souffrance:
aAinsi, que de leur part, tousjourstousiours aumoins il est pourveupourueu à la
neces-
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LIVRE TROISIESME.389397
necessité: dDe nostre part il peut avenirauenir autrement:
Position : Marge droite Platon Position : Interligne haute a cette cause establit sagement
par ses loix que pour decider
de l’opportunite des mariages
les jugesiuges voientuoient les garçons
qui y pretandentpretandēt entieremententieremēttous fins
nuds et les filles nues jusquesiusques
a laau bas ceinture du ventreuentre. a
la ceinture sulement.
eEn nous es-
sayant, elles ne nous trouventtrouuent à l’adventureaduenture pas dignes de leur
chois.,
experta latus madidoque simillima loro
Inguina, nec lassa stare coacta manu,
Deserit imbelles thalamos.

Ce n’est pas tout que la volonté charrie droict. La foiblesse &
l’incapacité, rompent legitimement unvn mariage:
Et quaerendum aliunde foret neruosius illud,
Quod posset zonam soluere virgineam,

pPourquoy non, & selon sa mesure, unevne intelligenceintelligēce amoureuse,
plus licentieuse & plus activeactiue?
si blando nequeat superesse labori.
Mais n’est-ce pas grandegrāde impudence, d’apporter nos imperfe-
ctions & foiblesses, en lieu ou nous desirons plaire, & y laisser
bonne estime de nous & recommandationrecōmandation? Pour ce peu qu’il
m’en faut à cette heure,
ad vnum,
Mollis opus,

jeie ne voudrois importuner unevne personne d’honneur, que ji’ay
à revererreuerer & craindre.:
fuge suspicari,
Cuius heu denumundenum heu denum[Note (Montaigne) : heu denum] trepidauit aetas
Claudere lustrum.

Nature se devoitdeuoit contenter d’avoirauoir rendu cet aage misera-
ble, sans le rendre encore ridicule. JeIe hay, de le voir, pour unvn
pouce de chetivechetiue vigueur, qui l’eschaufe trois fois la semaine,
s’empresser & se gendarmer, de pareille aspreté, comme s’il a-
voit
a-
uoit
quelque grande & legitime journéeiournée dans le ventre: uUnvVn
vray feu d’estoupe.
Position : Marge droite : et admirae sa
cuisson si viveuiue et
fretillante:, si promp=
teen un
mo
mant etsi lourdement
morte.congelee et esteinte. Cet
appetit ne devroitdeuroit
appartenir qu’a la
fleur d’une belle jeunieun
jeunesseieunesse.
Fiez vous y, pour voir, à seconder cett’ar-
deur indefatigable, pleine, constante, & magnanime, qui est
en vous, il vous la lairra vrayement en beau chemin. RenvoiezRēuoiez
HHHHh
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[397v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
le hardiment plustost vers quelque enfance molle, estonnée,
& ignoranteignorāte, qui tremble encore soubs la verge, & en rougisse.,
Indum sanguineo veluti violauerit ostro
Si quis ebur, vel mista rubent vbi lilia, multa
Alba rosa.

Qui peut attendre le lendemain, sans mourir de honte, le des-
dain de ces beaux yeux, consens de sa lácheté & imperti-
nence,
Et taciti fecere tamen conuitia vultus,
il n’a jamaisiamais senty le contentementcontētement & la fierté, de les leur avoirauoir
battus & ternis, par le vigoreux exercice d’unevne nuict officieu-
se & activeactiue. Quand ji’en ay veu quelqu’unevne s’ennuyer de moy,
jeie n’en ay point incontinent accusé sa legereté: ji’ay mis en
doubte si jeie n’avoisauois pas raison de m’en prendre à nature plu-
stost. Certes elle m’a traitté illegitimement & incivilementinciuilement.,
Si non longa, satis si non benè mentula crassa:
Nimirum sapiunt vidéntque paruam
Matronae quoque mentulam illibenter.

Position : Marge gauche Chacune de mes pieces
me faict esgallement moi
que toute autre piece. Et me
fait mon portraict par par
touttout esgalemant, pour[unclear] homeau publiq.

Et d’une lesion enormissime.
Chacune de mes pieces
me faict esgalemant moi
que toute autre. Et nulle
autre ne me faict plus
propremant home que cetecy.
JeIe dois au publiq universellemantuniuersellemant
mon portraict Et Platon ordone bien[Note (Mathieu Duboc) : Ce passage biffé sur Platon a été reporté ultérieuremet par montaigne au folio 397r.]
ordone que les homes qui se veulentueulent marier se
presantent aus jugesiuges tous nuds et les fames
jusquesiusques au dessous de la ceinture

La sagesse de ma leçon
est en veritéuerité en liberté
en essance, toute. Desdeig=
nant au rolle de ses vraisurais
devoirsdeuoirs ces petites regles
feintes usuelles nationalesprovincialesprouinciales.
toute naturelle et locales, toute
universelle.uniuerselle. prouincialles.

Naturelle toute,
constante universelleuniuerselle.
De la quelle sont filles
mais bastardes la civilitéciuilité
la ceremonie. Nous
aurons bien les vicesuices de
la contenancel’apparance quand
nous arons eu ceus de la
substancel’essance. Quand nous
aurons faict a ceus icy
nous courrons apres ceus la
sus aus autres si nous trou=
vons
trou=
uons
qu’il y faille courir.
Car il y a dangier que
nous fantasions des
offices nouveausnouueaus pour
excuser nostre negli=
gence enversenuers les natu=
rels offices [Note (Mathieu Duboc) : Suite de l’addition quelques lignes plus loin en marge basse.]
Position : Interligne basse et le pour les confondre. Qu’il soit einsin il se voituoit Position : Interligne haute qu’es lieus ou les fautes sont malefices les malefices ne sont que fautes: eEt qu’esques nations ou les loix de la bienseance sont plus
rares [unclear] et laches les loix primitivesprimitiues et communes sont mieus observeesobseruees. L’innumerable multitude
de tant de devoirsdeuoirs suffoquant nostre soin l’alanguissant et dissipant. L’application
aus menues choses nous retire des pressantes. O que ces homes superficiels prenent une route facile
et plausible au pris de nous la nostre.
cCe s Ce sont ombrages superficiels de quoi nous
nous plastrons et entrepaïons. Mais nous n’en paions pas einçois en
rechargeons nostre debte enversenuers ce grand jugeiuge qui trousse nos paneaus et haillons
d’autour de nos parties honteuses et ne se feint point a nous voiruoir par
tout jusquesiusques Position : Interligne haute a nos intimes et plus secretes ordures. aen la moele. UtileVtile honte si elle luy pouvoitpouuoit defendre cette descouvertedescouuertela decence de nostre virginaleuirginale
nostre pudeur honteuse si elle luy pouvoitpouuoit interdire cette descouvertedescouuerte. [Note (Mathieu Duboc) : Suite de cette addition tout en bas de la marge.]
Position : Interligne basse En fin, qui desniaiseroit l’home de cette’une si scrupuleuse superstition verbaleuerbale n’aporteroit
pas grande perte au monde. Nostre vie est partie en folie, partie en [Note (Mathieu Duboc) : Cette addition se poursuit sur le folio 398r, d’abord dans la marge basse, puis dans la marge haute.]
Position : Marge basse (f.398r) sagesseprudance: qui n’en escrit que reveremmentreueremment et regulierement il en laisse en arriere plus de
la moitie
Position : Marge haute JeIe ne m’excuse pas enversenuers moy: & si jeie le faisoy, ce seroit plustost de
mes excuses que jeie m’excuserois que de null’autre partie de ce traicté. JeIe m’excuse a certeines humeurs que jeie tiens plus
fortes en nombre que celles qui sont de mon costè. En leur consideration si dirai encores cecy: car jeie desire Position : Interligne haute de contanter chacun (chose pourtant
tres difficile) de m’accommoder a chacun: esse unum hominem accommodatum ad tantam morum ac sermonum et uoluntatum
uarietatem
: qu’ils n’ont a se prandre propremant a moi de ce que jeie fois dire aus authoritez receues et approuveesapprouuees de plusieurs siecles
Et que ce n’est pas raison qu’a faute de rime ils me refusent la dispance que mesmes des homes ecclesiastiques des nostres et
plus cretez jouissentiouissent en ce siecle.
En voiciuoici deus
Rimula dispeream ni mono=
gramma tua est

UnVn vituit d’ami la contante et
bien traicte
Quoi tant d’autres? approvesapproues
SuivonsSuiuons. Pareillement
Et si
c’estcest nature ce
JI’ayme la
modestie: et
n’est par
jugementiugement que ji’ai choisi
cette sotrte de parler licentieusdesvergondedesuergonde
scandaleus
c’est nature qui l’ala choisi
pour moy: jeie ne le loue
pas non plus que toutes
formes contreres a l’usagelusage
receu: mais jeie l’excuselexcuse &
par particulieres Position : Interligne haute et generalles circons=
tances en allege l’accusation.
SuivonsSuiuons. Pareillement
SuivonsSuiuons Ma preface liminere montre que jeie n’esperois pas tant oser. Les plus sages et sains escris des antiens m’ont
enhardi. Et le receuil qu’on a faict a mon premier projetproietdespuis enhardi Si que jeie me suis pique a rompre la glace et montrer a nos
[...]aussi ste receuil qu’ont faict a ma proposition [...]
Et les praeceptes de nos maistres et leurs exemples portent que tout esprit dort qui par
fois ne se sent agite de quelque allegresse foliante

Aussi d’où peut venir cette usurpationvsurpation d’authorité souverai-
ne
souuerai-
ne
, que vous prenez sur celles, qui vous favorisentfauorisent à leurs
despens?
Si furtiua dedit nigra munuscula nocte,
qQue vous en investissesinuestisses incontinent l’interest, la froideur, &
unevne auctorité maritale? cC’est unevne conventionconuention libre, qQue ne
vous y prenez vous comme vous les y voulez tenir? Position : Interligne haute Il n’y a point de prescription sur les choses volonteresuolonteres. C’est con-
tre
cō-
tre
la forme, mMais il est vray pourtant, que ji’ay en mon temps
conduict ce marché, selon que sa nature peut souffrir, aussi
conscientieusement qu’autre marché, & avecauec quelque air de
justiceiustice: &Et que jeie ne leur ay tesmoigné de mon affection, que
ce que ji’en sentois, &Et leur en ay representé naïfvementnaïfuement, la
decadence, la vigueur, & la naïssance, les accez & les remises:
oOn n’y va pas tousjourstousiours unvn train. JI’ay esté si espargnant à pro-
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.390398
mettre, que jeie pense avoirauoir plus tenu que promis, ny deu. El-
les y ont trouvétrouué de la fidelité, jusquesiusques au serviceseruice de leur incon-
stance
incō-
stance
: jJeiIe dis inconstance advouéeaduouée, & par foys multipliée. JeIe
n’ay jamaisiamais rompu avecauec elles, tant que ji’y tenois, ne fut que
par le bout d’unvn filet: &Et quelques occasions qu’elles m’en
ayent donné, n’ay jamaisiamais rompu jusquesiusques au mespris & à la
haine. Car telles privautezpriuautez, lors mesme qu’on les acquiert
par les plus vileshonteuses conventionsconuentions, encores m’obligent elles, à
quelque bien-veuillance. De cholere & d’impatience unvn peu
indiscrete, sur le poinct de leur ruses & desfuites, & de nos
contestations, jeie leur en ay faict voir par fois: cCar jeie suis de ma
complexion subjectsubiect à des emotions brusques, qui nuisent
souventsouuent à mes marchez, quoy qu’elles soyent legieres &
courtes. Si elles ont voulu essayer la liberté de mon jugementiugemēt,
jeie ne me suis pas feint à leur donner des advisaduis paternels &
mordansmordās, & à les pinser où il leur cuysoit. Si jeie leur ay laissé à se
plaindre de moy, c’est plustost d’y avoirauoir trouvétrouué unvn amour,
selonau pris de l’usagevsage moderne, sottement consciencieux. JI’ay obser-
obser-
ma parolle, és choses dequoy on m’eut ayséement dispen-
sé: eElles se rendoyent lors par fois avecauec reputation, & soubs
des capitulations ceremonieuses, qu’elles souffroyent aysée-
ment estre faucées par le vaincueur. JI’ay faict caler soubs l’in-
terest de leur honneur, le plaisir, en son plus grand effort, plus
d’unevne fois: &Et où la raison me pressoit, les ay armées contre
moy, sSi qu’elles se conduisoyent plus seurement & severementseueremēt,
par mes reigles, quand elles s’y estoyent franchement remises,
qu’elles n’eussent faict par les leurs propres.
Position : Marge droite J’ayIay autant que
ji’ay peu chargé
sur moi sul le
hasard & de nos
assignations, pour
les en descharger
eEt ai dresse [unclear] nos
parties tousjourstousiours
par le plus aspre
et inopiné et inesperé: pour estre
plus hors demoins en supçon,
et en outre par mon avisauis plus accessible. Ils sont ounversounuers
principalemant par les endroits qu’ils tienent de soi couverscouuers:
lLes choses moins creintes sont moins defandues & observeesobseruees:
oOn peut oser plus aiseemant ce que persone ne panse que
vousuous oserez, qui devientdeuient facile par sa difficulte.
JamaisIamais homme
n’eust ses approches plus impertinemment genitales.
Position : Marge gauche Le dessein
d’engendrer doit
estre puremant
legitime.
Cette
voye d’aymer est plus selon la discipline, mMais combien elle
est ridicule
Position : Marge gauche a nos gens
& peu effectuelle, qui le sçait mieux que moy? sSi
ne m’en viendra point le repentir: jJeiIe n’y ay plus que per-
dre,
HHHHh ij
Fac-similé BVH

[398v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
me tabula sacer
Votiua paries, indicat vuida,
Suspendisse potenti,
Vestimenta maris Deo.

Il est à cette heure temps d’en parler ouvertementouuertement. Mais tout
ainsi comme à unvn autre, jeie dirois à l’avantureauanture, mMonmMō amy tu res-
ves
res-
ues
, l’amour de ton temps à peu de commerce avecauec la foy &
la preud’hommie,
haec si tu postules
Ratione certa facere, nihilo plus agas,
Quam si des operam, vt cum ratione insanias:

aAussi au rebours, si c’estoit à moy à recommencer, ce seroit
certes le mesme train, & par mesme progrez, pour infru-
ctueux qu’il me peut estre.
-
Position : Marge gauche L’insuffisance et la sottise
est louable en une action
meslouable.
Autant que jeie m’esloingne de
leur humeur en cela, jeie m’approche de la mienne. Au de-
meurant, en ce marché, jeie ne me laissois pas tout aller: jJeiIe
m’y plaisois, mais jeie ne m’y oubliois pas: jJeiIe reservoisreseruois en
son entier, ce peu de sens & de discretion, que nature m’a
donné, pour leur serviceseruice & pour le mien: uUnvVn peu d’esmo-
tion, mais point de resverieresuerie. Ma conscience s’y engageoit
aussi, jusquesiusques à la desbauche & dissolution, mMais jusquesiusques à l’in-
gratitude, trahison, malignité, & cruauté, non. JeIe n’achetois
pas le plaisir de ce vice à tout pris: &Et me contentois de son
propre & simple coust.
-
Position : Marge gauche Nullum intra se
uitium est.
JeIe hay quasi à pareille mesure unevne oy-
siveté
oy-
siueté
croupie & endormie, comme unvn embesongnement
espineux & penible. L’unvn me pince, l’autre m’assopit: jJiI’ay-
me autant les blesseures, comme les meurtrisseures, & les
coups trenchans, comme les coups orbes. JI’ay trouvétrouué en
ce marché, quand ji’y estois plus propre, unevne justeiuste modera-
tion entre ces deux extremitez. L’amour est unevne agitation
esveilléeesueillée, viveviue, & gaye: jJeiIe n’en estois ny troublé, ny affligé,
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.391399
mMais ji’en estois eschauffé & encores alteré: iIl s’en faut arrester
là: eElle n’est nuisible qu’aux fols. UnVn jeuneieune homme, demandoitdemādoit
au philosophe Panetius, s’il sieroit bien au sage d’estre amou-
reux: lLaissons là le sage, respondit-il, mais toy & moy qui ne le
sommes pas, ne nous engageons en chose si esmeuë & violen-
te, qui nous esclaveesclaue à autruy, & nous rende contemptibles à
nous. Il disoit vray,. qQu’il ne faut pas fier chose de soy si preci-
piteuse, à unevne ame qui n’aie dequoy en soustenir les venues,. &Et
dequoy rabatre par effect la parole d’Agesilaus, que la pruden-
ce
prudē-
ce
& l’amour ne peuventpeuuent ensemble. C’est unevne vaine occupa-
tion,. iIl est vray, messeante, honteuse, & vitieuseillegitime: mMais à la con-
duire en cette façonfaçō, jeie l’estime salubre,: propre à desgourdir unvn
esprit, & unvn corps poisant: &Et commecōme medecin, l’ordonnerois a
unvn hommehōme de ma forme & condition, autant volontiers qu’au-
cune autre recepte, pour l’esveilleresueiller & tenir en vigueurforce bien a-
vant
a-
uant
dans les ans, & le retarder des prises de la vieillesse. Pen-
dant que nous n’en sommes qu’aux fauxbourgs, que le pouls
bat encores,
Dum noua canities, dum prima & recta senectus,
Dum superest Lachesi quod torqueat, & pedibus me
Porto meis, nullo dextram subeunte bacillo,

nons avonsauōs besoing d’estre sollicitez & chatouillez, par quel-
que agitation mordicante, comme est cette-cy. Voyez com-
bien elle à rendu de jeunesseieunesse, de vigueur, & de gaieté, au bon
hommesage Anacreon. Et Socrates plus vieil que jeie ne suis, par-
lant d’unvn subjectsubiectobjectobiect amoureux: mM’estant, dict il, appuyé contre
son espaule de la mienne, & approché ma teste à la sienne, ain-
si que nous regardionsregardiōs ensemble dans unvn livreliure, jeie senty sans mentirmētir,
soudain unevne piqueure dansdās l’espaule, comme de quelque mor-
sure de beste, &Et fus plus de cinq joursiours depuis, qu’elle me four-
milloit,. &Et m’escoula dans le coeur unevne demangeaison conti-
HHHHh iij
Fac-similé BVH

[399v] ESSAIS DE M. DE MONT.
nuelle. UnVn attouchement, & fortuite, & par unevne espaule, aller
eschauffer, & alterer unevne ame refroidie, & esnervéeesneruée par l’aage,
&Et la premiere de toutes les humaines, en regle, & en reforma-
tion.
Position : Marge gauche Pourquoi non dea:
Socrates estoit home:
& ne vouloituouloit ny estre
ny sembler autre chose.
La philosophie n’estriveestriue guerespoint contre les voluptez na-
turelles, pourveupourueu que la reglemesure y soit joincteioincte: Position : Interligne haute et en presche la temperance non l’abstinance.moderation non la disettefuite lL’effort de sa resi-
stance, s’employe contre les estrangeres & bastardes. Elle dict
que les appetits du corps, ne doiventdoiuent pas estre augmentez par
l’esprit,. &Et nous advertitaduertit ingenieusement,
Position : Marge gauche de ne vouloiruouloir point
esveilleresueiller nostre faim
par la saturitè: dDe
ne vouloiruouloir quepas sulementque que farcir
au lieu de remplir le
ventre. dDevitereuiter toute
subjetsubiet de jouissanceiouissāce
qui nous mete en
disette. eEt
d’evitereuiter toute vian-
de & boisson, qui nous altere, & qui nous affame: c’est à dire
qui nous face desirer nouvellenouuelle faim. Comme au serviceseruice de l’a-
mour, Position : Interligne haute elle nous ordone de prendre unvn objectobiect qui satisface simplement au be-
soing du corps, qQui n’esmeuveesmeuue point l’ame,: lLaquelle n’en doit
pas faire son faict, maisains suyvresuyure nuement & assister le corps.
Mais ay-jeie pas raison d’estimer que ces preceptes, qui ont pour-
tant d’ailleurs, selonselō moy, unvn peu de rigueur, & d’inhumanité,
regardent unvn corps qui face son office,: &Et qu’à unvn corps abattu
comme unvn estomac prosterné, il est excusable de le rechauffer
& soustenir par art:. &Et par l’entremise de la fantasie, luy faire
revenirreuenir l’appetit & l’allegresse, puis que de soy il l’a perdue.
PouvonsPouuons nous pas dire, qu’il n’y à rien en nous, pendant cette
prison terrestre, purement, ny corporel, ny spirituel,: &Et que
injurieusementiniurieusement nous Position : Interligne haute dessirons desmembronspieçonsdeschirons unvn homme tout vif: &Et
qu’il semble y avoirauoir raison, que nous nous portions enversenuers
l’usagevsage du plaisir, autantaussi favorablementfauorablement, aumoins, que nous
faisons enversenuers la douleur. Elle estoit (pour exemple) vehemen-
te
vehemē-
te
, jusquesiusques à la perfection, en l’ame des saincts par la poeniten-
ce,: lLe corps y avoitauoit naturellement part, par le droict de leur
colligance,: &Et si pouvoitpouuoit avoirauoir peu de part à la cause: sSi ne se
sont ils pas contentez qu’il suyvitsuyuit nuement, & assistat l’ame
affligée,: iIls l’ont affligé luy mesme, de peines atroces & propres,.
aAffin qu’à l’envyenuy l’unvn de l’autre, l’ame & le corps, plongeassent
l’homme dans la douleur, d’autant plus salutaire, que plus as-
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.392400
pre. [Note (Mathieu Duboc) : Cette addition commençait primitivement au niveau du signe d’insertion biffé (addition située dans la marge droite). Elle a été augmentée dans un second temps dans la marge haute.]
Position : Marge haute En pareil cas, aux plaisirs corporels, est-ce pas injusticeiniustice d’en refroidir l’ame, & dire, qu’il l’y
faille entreiner com’a quelque obligation et necessite contreinte et servileseruile. C’est a elle plus tost de
les couvercouuer et fomenter: de s’y presanter et convierconuier: la charge de regir luy apartenant. Come c’est
aussi a mon avisauis a elle de aus plaisirs qui luy sont propres d’en inspirer ent infondre t au corps tout le
ressentiment que porte leur condition et de s’estudier qu’ils luy s luy soint dous et saluteres. Car
tout einsi come C’c’est bien raison come
ils disent que le corps ne
suivesuiue point ses appetits au
domage due corpsl’esperit mais
pourquoi n’est ce pas aussi
raison que l’esperit ne suivesuiue
s’exerce pointpas les siens au domage
du corps.
JeIe n’ay point autre passion qui m’exerceme tiene en halaine. Ce que l’avariceauarice,
l’ambition, les querelles, les procés, font à l’endroit des autres,
qui comme moy, n’ont point de vacation assignée, l’amour
le feroit plus commodéement: iIl me rendroit la vigilance, la
sobrieté, Position : Interligne haute la grace le soing de ma personne: rR’asseureroit ma contenan-
ce, à ce que les grimaces de la vieillesse,: ces grimaces diffor-
mes & pitoiables, ne vinssent à la corrompre:
Position : Marge droite Me remetteroit aus estudes
sains et sages par ou jeie me
peusse randre plus estimé
et plus aime: ostant a mon
esperit le desespoir de soi &
de son usage et le r’acouintantr’acouintāt
a soy luy et clarifiant soy
mMe divertiroitdiuertiroit
de mille pensées ennuyeuses, Position : Interligne haute de mille chagreins melancholiques que l’oisivetéoisiueté nous charge en tel
aage: Position : Interligne haute et le pi mauvesmauues estat de nostre sante. rReschauferoit, aumoins en songe, ce sang que nature a-
bandonne: sSoustiendroit le menton, & allongeroit unvn peu l’a-
laineles nerfs et la vigeuruigeur de l’ame et son allegresse de l’ame, à ce pauvrepauure homme, qui s’en va le grand train vers sa rui-
ne. Mais ji’entens bien, que c’est unevne commodité bien malai-
sée à recouvrerrecouurer: pPar foiblesse, & longue experience, nostre
goust est devenudeuenu plus tendre & plus exquis: nNous demandonsdemandōs
plus, lors que nous aportons moins,: nNous voulonsvoulōs le plus choi-
sir, lors que nous meritons le moins d’estre acceptez: nNous co-
gnoissans tels, nous sommes moins hardis, & plus deffiansdeffiās: rRien
ne nous peut asseurer d’estre aymez, sçachants nostre condi-
tion & la leur. JI’ay honte de me trouvertrouuer parmy cette verte &
bouillante jeunesseieunesse,
Cuius in indomito constantior inguine neruus,
Quam noua collibus arbor inhaeret:.

Qu’irionsiriōs nous presenter nostre misere parmy cette allegresse?
Possint vt iuuenes visere feruidi
Multo non sine risu,
Dilapsam in cineres facem.

Ils ont la force & la raison pour eux, fFaisons leur place, nous
n’avonsauons plus que tenir.
Position : Marge droite Et cete fleur germe de beau
naissante et affetee ne se
laisse manier a mains si
gourdes & pratiquer a
moiens purs materiels.
Car come responditrespōdit ce
philosofe antien a celuy
qui se moquoit de quoy
il n’avoitauoit sceu gaigner
la bone grace d’un tendron
qu’il pourchassoit. Mon
amy le hameçon ne mord
pas a du caillé fromage si
fraiz
Or c’est unvn commerce qui a besoin de
relation & de correspondance: lLes autres plaisirs que nous re-
cevons
re-
ceuons
, se peuventpeuuent recognoistre par recompenses de nature
diversediuerse: mMais cettuy-cy, ne se paye que de mesme espece de
monnoye.
Position : Marge gauche En veritèueritè en
ce desduit le
plaisir que jeie fois chatouille plus
doucement mon imagination que
celuy que jeie sens
Or celuycil n’a rien de genereux, qui ne peut recevoirreceuoir
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[400v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
plaisir où il n’en donne point: cC’est unevne vile ame, qui veut tout
devoirdeuoir, &Et qui se plaist de nourrir de la conferencecōference, avecauec les per-
sonnes ausqueles il est en charge. Il n’y à beauté, ny grace, ny
privautépriuauté si exquise, qu’unvn galantgalāt homme deut desirer à ce prix.
Si elles ne nous peuventpeuuent faire du bien que par pitié, ji’ayme bien
plus cher ne vivreviure point, que de vivreviure d’aumosne. JeIe voudrois
avoirauoir droit de le leur demander, au stile auquel ji’ay veu que-
ster en Italie. Fate ben per voi.
-
Position : Marge gauche Ou a la modeguise que
Cyrus enhortoit ses
soldats. Qui s’aimera
si me suivesuiue.
Raliez vous me dira l’onō,
à celles de vostre condition, que la compaignie de mesme fortune vous ren-
dra plus aisées. O le sot pasle meslangela sotte composition & insipide!
nolo
Barbam vellere mortuo leoni,.

Position : Marge droite Xenophon se servoitseruoitemploieēploie pour
d’objectionobiection & accusation
a l’encontre de Menon
qu’ilen emploiat son amour
enversenuersil enbesouignat des objectsobiects qui
passointant fleur. JeIe
treuvetreuue plus de
volupteuolupte a sulementsulemēt
voiruoir le justeiuste et dous
meslange de deus
junesiunes beaultes ou a le
sulement considerer par
fantasie qu’a faire
moimesmes le secont
d’un meslange triste
et informe.

JeIe resigne cet appetit fantastique, à l’Empereur Galba, qui ne
s’adonnoit qu’aux chairs dures & vieilles,: &Et à ce pauvrepauure mi-
serable,
O ego di’ faciant talem te cernere possim,
Charáque mutatis oscula ferre comis,
Amplectique meis corpus non pingue lacertis.

Position : Marge gauche MaisEt entre les premieres
laidurs jeie conte les beautes
artificieles & forcees Une
[...]e
Emones juneiune homeEmonez juneiune gars de Chio pensant
par des beaus atours acquerir
la beaute que nature luy ostoit
einsi se presantant au
philosophe Arcesilaus: et luy
demanda si un phi sage se pourroit
veoir amoureus. Oui dea, respondit
l’autre, pourveupourueu que ce ne soit pas
d’une beaute paree et sophistiquee come
la tiene. UneVne laidur & une vieillesseuieillesse
advoueeaduouee me sembleest moins vieilleuieille et
moins laide a mon gre qu’un’autre
peinte et lissee.

Le diray-jeie, pourveupourueu qu’on ne m’en prenneprēne à la gorge:. lL’amour
ne me semble proprement & naturellementnaturellemēt en sa saison, qu’en
l’aage voisin de l’enfance,: non plus que la beautè
Quem si puellarum insereres choro,
Mille sagaces falleret hospites,
Discrimen obscurum, solutis
Crinibus, ambiguóque vultu.

Position : Marge gauche EtEt la beaute non plus. Car
ce que Homere
l’estend jusquesiusques a cet
eage au quel le menton acomance a
ombrager de son premier
frison
il a este remarquè par
Platon mesme come rare l’a
remarquè pour rare flur Et
Xenophon se servoitseruoit de reproche
contre Menon d’userqu’il usast en l’ses amours
de subjectssubiets avancesauances en eage
qui passoint fleur.
Et est
notoire la cause pour la
quelle si plaisammant
le sophiste Dion apeloit
les poils folets de l’Adolescence
Aristogitons et Armodiens.

En la virilité, jeie le trouvetrouue desjadesia aucunement hors de son siege,.
nNon qu’en la vieillesse.,
Importunus enim transuolat aridas,
Quercus.

Position : Marge gauche Et Marguerite Roine de
NavarreNauarre alonge, en fame,
bien louin le priviliegepriuiliegeavantageauantage
des fames, ordonant qu’il
est saison a trante ans
qu’elles changent le titre
de belles en bones.

Plus courte possessionpossessiō nous luy donnonsdonnōs sur nostre aagevieuie, mieux
nous en valons. Voyez son port,. cC’est unvn mentonmentō puerile: qQui ne
sçait en son eschole, combien on procede au rebours de tout
ordre:
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LIVRE TROISIESME.393401
ordre: lL’estude, l’exercitation, l’usagevsage, sont voies à l’insuffisance:
les novicesnouices y regentent
-
Position : Marge droite , amor ordinem
nescit.
: cCertes sa conduicte a plus de garbe,
quand elle est meslée d’inadvertanceinaduertance, & de trouble: lLes fautes,
les succez contraires, y donnent poincte & grace: pPourveupPourueu
qu’elle soit aspre & affamée, il chaut peu qu’elle soit prudente.
Voyez comme il va chancelantchancelāt, chopant, & aveugleaueuglefolastrant: oOn le met
aux ceps quand on le guide par art, & par sagesseprudence sagesse: &Et contraint
on sa divinediuine liberté, quand on le submet à ces mains barbues
& rassiseset calleuses. Au demeurant, jeie leur oy souventsouuent peindre cette in-
telligence toute spirituelle, & desdaigner de mettre en consi-
deration l’interest que les sens y ont. Tout y sert,: mMais jeie puis
dire, avoirauoir veu souventsouuent, que nous avonsauons excusé la foiblesse de
leurs esprits, en faveurfaueur de leurs beautez corporelles,: mais que
jeie n’ay point encore veu, qu’en faveurfaueur de la beauté de l’esprit,
tant prudent, & meur soit-il, elles vueillent prester la main à
unvn corps, qui tombe tant soit peu en decadence. Que ne prendprēd
il envieenuie à quelqu’unevne, d’entrer ende cette noble troqueharde Position : Interligne haute Socratique du corps
à l’esprit,
Position : Marge droite : achetant au pris de ses
cuisses un’intelligence et Position : Interligne haute generation
philosofique Position : Interligne haute et spirituelle le plus haut
justeiuste pris ou elle les puisse
monter. Platon ordone en ses
loix que celuy qui aura faict
quelque seignalé et utile exploit
en la guerre ne puisse estre refusé
durant l’expedition d’icelle sans
respet de sa laidur ou de son eage
de baiser ou autre plus estroite
faveurfaueur amoureuse de quiconque
il la veuilleueuille. Ce qu’il treuvetreuue si
justeiuste en recomandation de la
valurualur militere ne le peut il pas
estre aussi en recomandation de
quelqu’autre valeurualeur. Et neque
ne prend il envieenuie a quelcune
&Et de praeoccuper sur ses compaignes la gloire de cet
amour chaste: cChaste dis-jeie bien,
nam si quando ad praelia ventum est,
Vt quondam Position : Interligne haute in stipulis magnus sine viribus ignis
Incassum furit.

Les vices qui s’estoussffent en la pensée, ne sont Position : Interligne haute pas des pires. Pour
finir ce notable commentaire, qui m’est eschappé d’unvn flux de
caquet, fFlux impetueux par fois & nuisible,
Vt missum sponsi furtiuo munere malum,
Procurrit casto virginis è gremio:
Quod miserae oblitae molli sub veste locatum,
Dum aduentu matris prosilit, excutitur,
Atque illud prono praeceps agitur decursu
Huic manat tristi conscius ore rubor.,

JjJeIiIe dis, que les masles & femelles, sont jetteziettez en mesme moule:
IIIIi
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[401v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sSauf l’institution & l’usagevsage, la difference n’y est pas grandegrāde:
Position : Marge gauche Platon les apelle Position : Interligne haute les femes a toute
societe d’estudesdestudes d’exercices
et vacationsuacations aveqaueq les masles
mesmes
indifferemmant
les uns et les autres a la societe
de tous estudes exercices charges
& vacations en sa chose publique
guerrieres et paisibles en
republique. Et Antisthenez
disoit nostre vertuuertu & la leur
estre mesme chose

le philosophe Antisthenez
ostoit
toute distinction entre
leur vertuuertu et la nostre.
iIl est
bien plus aisé d’accuser l’unvn sexe, que d’excuser l’autre. C’est ce
qu’on dict,. lLe fourgon se moque de la poele.


Des Coches. CHAP. VI.


Il est bienbiē aisé à verifier, que les grandsgrāds autheurs, escrivantescriuāt
des causes, ne se serventseruēt pas seulementseulemēt de celles qu’ils esti-
ment
esti-
mēt
estre vraies, mais de celles encores qu’ils ne croient
pas, pourveupourueu qu’elles ayent quelque rencontreinvantioninuantion ou quelqueet
beauté. Ils disent assez veritablement & utilementvtilement, s’ils disent
ingenieusement. Nous ne pouvonspouuons nous asseurer de la mai-
stresse cause, nous en entassons plusieurs, voir si par rencontre
elle se trouveratrouuera en ce nombre,
namque vnam dicere causam,
Non satis est, verum plures vnde vna tamen sit.

Me demandezdemādez vous d’où vient cette coustume, de benire ceux
qui estrenuent. Nous produisons trois sortes de ventvēt,. cCeluy qui
sort par embas est trop sale,. cCeluy qui sort par la bouche porte
quelque reproche de gourmandisegourmādise, lLe troisiesme est l’estrenue-
ment: &Et parce qu’il vientviēt de la teste, & est sans blasme, nous luy
faisons cet honneste recueil: nNe vous moquez pas de cette su-
btilité, elle est (dict-on) d’Aristote. Il me semble avoirauoir veu en
Plutarque (qui est de tous les autheurs que jeie cognoisse, celuy
qui à mieux meslé l’art à la nature, & le jugementiugement à la science)
rendant la cause du souslevementsousleuement d’estomac, qui advientaduient à
ceux qui voyagent en mer, que cela leur arrivearriue de crainte:
aAyant trouvétrouué quelque raison, par laquelle il prouveprouue, que la
crainte peut produire unvn tel effect. Moy, qui y suis fort subjetsubiet,
sçay bien, que cette cause ne me touche pas, &Et le sçay non par
argument, mais par necessaire experienceexperiēce. Sans alleguer ce qu’onō
m’a dict, qu’il en arrivearriue de mesme, souventsouuent aux bestes, & no-
tamment aux pourceaux, sanshors de toute apprehension de danger: &Et ce
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LIVRE TROISIESME.394402
qu’unvn mien connoissantcōnoissant m’a tesmoigné de soy, qu’y estantestāt fort
subjetsubiet, l’envieenuie de vomir luy estoit passée, deux ou trois fois, se
trouvanttrouuant pressé de fraieur en grande tourmente:
-
Position : Marge droite : come a cet antien
peius uexabar quam
ut periculum mihi
succurreret:
jJeiIe n’eus ja-
mais
ia-
mais
peur sur l’eau: cComme jeie n’ay aussi ailleurs (& (s’en est as-
sez souventsouuent offert de justesiustes, si la mort l’est) qui m’ait Position : Interligne haute aumoins troublé
ou esblouy. Elle naist par fois de faute de jugementiugement, comme
de faute de coeur. Tous les dangers que ji’ay veu, ç’a esté les
yeux ouvertsouuerts, la veuë libre, saine, & entiere: eEncore faut-il du
courage à craindre. Il me servitseruit autrefois au pris d’autres, pour
conduire & tenir en ordre, ma fuite, qu’elle fut
-
Position : Marge droite sinon sans creinte
toutesfois
sans effroy, &
sans estonnement. Elle estoit esmeue,: mais non pas estour-
die &ny esperdue. Les grandes ames vont bien plus outre, & re-
presentent
re-
presentēt
des fuites, non rassises seulementseulemēt, & saines, mais fieres.
Disons celle qu’Alcibiades recite de Socrates, son compagnoncōpagnon
d’armes: jJeiIe le trouvaytrouuay (faictdict-il) apres la route de nostre armée,
luy & Lachez, des derniers entre les fuyans, &Et le consideraycōsideray tout
à mon aise, & en seureté, car ji’estois sur unvn bon chevalcheual, & luy à
pied, & avionsauions ainsi combatucōbatu. JeIe remerquay premierement, com-
bien
cō-
il montroit d’avisementauisement & de resolution, au pris de La-
chez, &Et puis la braveriebrauerie de son marcher, nullementnullemēt differentdifferēt du
sien ordinaire: sSa veue ferme & reglée. considerant & jugeantiugeāt ce
qui se passoit autour de luy, regardant tantost les unsvns, tantost
les autres, amis & ennemis, d’unevne façon, qui encourageoit les
unsvns, & signifioit aux autres, qu’il estoit pour vendre bien cher
son sang & sa vie, à qui essayeroit de la luy oster, &Et se sauverentsauuerēt
ainsi: cCar volontiers on n’ataque pas ceux-cy, on court apres
les effraiez. Voila le tesmoignage de ce grand capitaine,. qQui
nous apprend ce que nous essayons tous les joursiours, qu’il n’est
rien qui nous jetteiette tant aux dangers, qu’unevne faim inconside-
rée de nous en mettre hors.
-
Position : Marge droite Quo timoris minus
est, eo minus fermè
periculi est.
Nostre peuple à tort, de dire: que
celuy-là craint la mort,: quand il veut exprimer, qu’il y songe,
& qu’il la prevoitpreuoit. La prevoyancepreuoyance convientconuient egallement à ce
IIIIi ij
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[402v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui nous touche en bien, & en mal. Considerer & jugeriuger le dan-
ger
dā-
ger
, est aucunement le rebours de s’en estonner. JeIe ne me sens
pas assez fort pour soustenir le coup, & l’impetuosité de cette
passion de la peur,: ny d’autre vehemente. Si ji’en estois unvn
coup vaincu, & atterré, jeie ne m’enē releveroisreleuerois jamaisiamais bienbiē entier.
Qui auroit fait perdre pied à mon ame, ne la remettroit jamaisiamais
droicte en sa place. Elle se retaste & recherche trop vifvementvifuemēt
& profondement,. &Et pourtant, ne lairroit jamaisiamais Position : Interligne haute ressouder et consolider la
plaie qui l’auroit percée: iIl m’a bien pris qu’aucune maladie ne
me l’ayt encore desmise. A chaque charge qui me vient, jeie me
presente & oppose, en mon haut appareil.:. AaAinsi la premiere
qui m’emporteroit, me mettroit sans resource. JeIe n’en faicts
poinct à deux.: [Note (Montaigne) : |p|]PpPar quelque endroict que le ravagerauage fauçast
ma levéeleuée, me voyla ouvertouuert, & noyé sans remede.
Position : Marge gauche Epicurus dict que le
sage ne peut jamaisiamais
passer a un estat contrere
JI’ay quelqu’opinion de
l’enversenuers de cete sentance
que jamaisiamais fol ne devintdeuint
sage
qui aura este une
fois bien fol ne sera pourveupourueu
nulle autre fois bien sage.
Dieu donne
le froid selon la robe, & me donne les passions selon le moien
que ji’ay de les soustenir. Nature m’ayantayāt descouvertdescouuert d’unvn costé,
m’a couvertcouuert de l’autre: mM’ayant peu garnydesarmé de force, m’a gar-
nyarmè d’insensibilité,. &Et d’unevne apprehension reiglée, ou mousse.
Or jeie ne puis souffrir long temps (& les souffrois plus diffici-
cilement
difficilement en jeunesseieunesse) ny coche, ny littiere, ny bateau, &Et hay
toute autre voiture que de chevalcheual, & en la ville, & aux champschāps:
mMais jeie puis souffrir la lictiere, moins qu’unvn coche: &Et par mes-
me raison, plus aiséement unevne agitation rude sur l’eau, d’où
se produict la peur, que le mouvementmouuement qui se sent en temps
calme. Par cette legere secousse, que les avironsauirons donnent:,
desrobant le vaisseau soubs nous, jeie me sens brouiller, jeie
ne sçay comment la teste & l’estomac: cComme jeie ne puis
souffrir soubs moy unvn siege tremblant. Quand la voile, ou
le cours de l’eau, nous emporte esgalement, ou qu’on nous
[Note (Montaigne) : |touë|]tousë, cette agitation unievnie ne me blesse aucunement. C’est
unvn remuement interrompu, qui m’offence, & plus, quand il
est languissant. JeIe ne sçaurois autrement peindre sa forme:
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LIVRE TROISIESME.395403
Les medecins m’ont ordonné de me presser & sangler d’unevne
servietteseruiette le bas du ventre, pour pourvoierpouruoierremedier à cet accident,: ce
que jeie n’ay point essayé, ayant accoustumé de luicter les def-
fauts qui sont en moy, & les dompter par moymesme.
Position : Marge droite Si ji’en avoyauoy la memoire suffisamment
informee jeie ne pleinderois mon temps
a dire icy l’infinie varieteuariete que les
histoires nous presantent des coches
armez pour la
l’usagelusage des coches au
serviceseruice de la guerre selon les nations
selon les siecles
diversdiuers
selon les nations selon
les siecles de grand
effaict ce me semble
et necessite. Si que
c’est merveillemerueille que nous
en aions perdu toute
conoissance JI’en diray
sulement cecy que tout
frechemant du temps
de nos peres Les Hongres
les mirent tres utillement
en besouigne contre les
Turcs: en checun y aiant
un rondelier & un
mosquetere a tout une
bone quantite
et nombre de harque=
bouses rengees prestes &
chargees: le tout couvertcouuert
d’une pavesadepauesade a la
mode d’une galiotte
Ils fesoiintfesoiīt front a saleur bataille
de trois mille tels coches
et apres que le canon
avoitauoit jouëiouë les faisointfaisoīt
tirer avantauant & avaleraualer
aus enemis cette salvesalue
avantauant que de taster le
reste: qui n’estoit pas
un legier avancemantauancemant
Ou les descochoit dans
lesleurs escadrons des enemis
pour les rompre & y
faire jouriour Outre le
secours qu’ils en pouvoientpouuoient
tirer pour flanquer en
lieu chatouilleus les
tropes marchant en la
campaigne ou a
couvrircouurir le un camplogis
a la haste & le fortifier.
De mon temps un
gentillhome en l’une
de nos frontieres impost
de sa persone et ne
trouvanttrouuant chevalcheual capable
de son pois aïant une
querelle marchoit par
païs en coche en de
mesmes cete peinture et
s’en trouvoittrouuoit tresbien.
Mais laissons ces
coches guerriers. pour
un’autre fois
Les Roys
de nostre premiere race
marchoint en païs sur
un charriot traine par quatre beufs.
Marc
Antoine fut le premier, qui se fit trainermener à Romme & unevne
garse menestriere quand & luy, par des lyons attelez à unvn co-
che. Heliogabalus en fit dépuis autant, se disant Cibelé la me-
re des dieux: & aussi par des tigres, contrefaisant le Dieu Bac-
chus: il attela aussi par fois deux cerfs à son coche, & unvnune autre-
fois quattres chiens, & encore quattre garses nues, se faisant
trainer par elles en pompe tout nud. L’Empereur Firmus, fit mener at-
tela à son coche Position : Interligne haute a des autruches de merveilleusemerueilleuse grandeur, de
maniere qu’il sembloit plus voler que rouler. L’estrangeté de
ces inventionsinuentions me met en teste cett’autre fantasie,. qQue c’est
unevne espece de pusillanimité aux monarques, & unvn tesmoi-
gnage de ne sentir point assez, ce qu’ils sont, de travaillertrauailler à se
faire valloir & paroistre par despences excessivesexcessiues. Ce seroit
chose excusable en pays estranger: mais parmy ses subjectssubiects,
où il peut tout, il tire de sa dignité, le plus extreme degré d’hon-
neur
hō-
neur
, où il puisse arriverarriuer. Comme à unvn gentil’homme, il me
semble, qu’il est superflu de se vestir curieusement en son pri-
pri-
: sa maison, son trein, sa cuysine respondentrespōdent assez de luy.
Position : Marge gauche Le conseil qu’isocrates done a son Roy ne me semble sans raison Qu’il soit splendide en meubles et
utansiles d’autantdautant que c’est une despanse de duree qui passe jusquesiusques a ses successurs Et qu’il fuie
toutes magnificences qui s’escoulentsescoulent incontinant et de l’usagelusage et de la memoire.
JI’ay-
mois à me parer quand ji’estoy cabdet, à faute d’autre parure,
& me fioit bien: il en est sur qui les belles robes pleurentpleurēt. Nous
avonsauons des comptes merveilleuxmerueilleux de la frugalité de nos Roys
au tour de leur personne, & en leurs dons: grands Roys en
credit, en valeur, & en fortune. Demostenes combat à ou-
trance, la loy de sa ville qui assignoit les deniers publics aux
pompes, des jeuxieux & de leurs festes: il veut que leur grandeur se
monstre, en quantité de vaisseaux bien equipez, & bonnes ar-
mées bienbiē fournies.
Position : Marge gauche Et a l’onlon
raison d’accu=
ser Theophrastus
d’avoirauoir tenuestabli en
son livreliure des
richesses un avisauis contrere et telle maintenu telle
nature de despence estre le vraiurai fruit
de l’opulence. Ce sont plaisirs dict Aristote qui ne
touchent que la plus basse commune et des quelsqui s’evanouissenteuanouissent de la
memoire se pert aussi tost qu’on en est ressasie
et des quels nul home judicieusiudicieus et gravegraue ne peut faire
estime. Illae impensae meliores muri naualia portus
aquarum ductus
L’emploimte me sembleroit bien plus justeiuste et Royalle come
plus utille justeiuste et durable en ports en havreshaures fortifications et murs en bastimens
sumptueus d’en eglises et ded’hospitaus collieges et reformation des rues Position : Interligne haute et chemins en quoi le pape
gregoire tresieme a laisse sa memoire recomandable de mon temps Et en quoi nostre Roine Katherine
tesmouigneroit a longues annees sa liberalite naturelle & munificence si ses moiens suffisoint a son affection. La fortune
m’a faict grand desplesir d’interrompre la belle structure du beaunostre pont neuf de nostre grande villeuille JeIe desireroiset m’oster l’espoirlespoir
avantauant de mourir d’en voiruoir en trein l’usage
Outre ce, qu’il semble aus subjectssubiects specta-
teurs de ces triomphes, qu’on leur faict monstre de leurs pro-
IIIIi iij
Fac-similé BVH

[403v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pres richesses, & qu’on les festoye à leurs despens. Car les peu-
ples presument volontiers des Roys, comme nous faisons de
nos valets, qu’ils doiventdoiuent prendre soing de nous aprester en a-
bondance tout ce qu’il nous faut, mais qu’ils n’y doyventdoyuent au-
cunement toucher de leur part. Et pourtant l’Empereur Gal-
ba, ayantayāt pris plaisir à unvn musicien pendant son souper, se fit a-
porter sa boëte, & luy donna en sa main unevne poignée d’escus,
qu’il y pescha, avecauec ces paroles,: ce n’est pas du public, c’est du
mien. Tant y a, qu’il advientaduient le plus souvantsouuant, que le peuple à
raison, & qu’on repaist ses yeux, de ce dequoy il avoitauoit à paistre
son ventre. La liberalité mesme, n’est pas bien en son lustre en
mains souverainessouueraines, les privezpriuez y ont plus de droict. Car à le
prendre exactement, unvn Roy n’a rien proprement sien, il se
doibt soy-mesmes à autruy.
Position : Marge gauche La jurisdictioniurisdiction ne se
done point en faveurfaueur du
juridiciantiuridiciant c’est en faveurfaueur
du juridicieiuridicie. On faict un
Roysuperiur non jamaisiamais pour son
profit ains pour le profit
de ses subjetssubietsl’inferieur comeet un
medecin non pour soi mais
pour le malade non pour soi.
Toute magistrat etmagistrature come toute art
jetteiette sa fin hors de soy d’elle.
Nulla ars in se uersatur.
Parquoy les gouverneursgouuerneurs de l’en-
fance
ē-
fance
des princes qui se piquent à leur imprimer cette vertu
de largesse, & les preschent de ne sçavoirsçauoir rien refuser, & n’esti-
mer rien si bien employé, que ce qu’ils donPosition : Interligne hauteneront (instruction
que ji’ay veu en mon temps fort en usagevsagecredit) où ils regardentregardēt plus
à leur proufit, qu’a celuy de leur maistre, où ils entendent mal
à qui ils parlent. Il est trop aysé d’imprimer la liberalité, en
celuy, qui à dequoy y fournir autant qu’il veut, aus despens
d’autruy.
Position : Marge gauche Et son estimation se regleantregleāt
non a la mesure du presant
mais a la mesure des moiens
de ce queluy qui l’exerce elle vientuient
a estre vaineuaine en mains si
puissantes. Ils se treuventtreuuent
prodigues avantauant qu’ils soint
liberaus.
Pourtant est elle de peu de recommandationrecommandatiō, au pris
d’autres vertus royalles. Et la seule, comme disoit le tyrantyrā Dio-
nysius, qui se comporte bien, avecauec la tyrannie mesme. JeIe leurluy
apprendroy plustost ce verset du laboureur ancien,
Τῇ χειρὶ δεῖ σπείρειν ἀλλὰ μὴ ὁλῳ τῶ θυλακῶὃλῳ τῷ θυλάκῳ.,
Qqu’il faut à qui en veut retirer fruict, semer de la main, non pas
verser du sac:
-
Position : Marge gauche Il faut espandre le grain,
non pas le respandre:
& qu’ayant à donnerdōner, ou pour mieux dire à paier,
& rendre à tant de gens, selon qu’ils l’ont deservydeseruy, il en doibt
estre loyal & aviséauisé dispensateur. Si la liberalité d’unvn prince
est sans discretion & sans mesure, jeie l’aime mieux avareauare. La
vertu Royalle semble consister le plus en la justiceiustice: & de tou-
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LIVRE TROISIESME.396404
tes les parties de la justiceiustice, celle la remarque mieux les Roys,
qui accompaigne la liberalité: car ils l’ont particulierement
reservéereseruée à leur rollecharge: là ou toute autre justiceiustice, ils l’exercent vo-
lontiers par l’entremise d’autruy. L’immoderée largesse, est unvn
moyen foible à leur acquerir, bien-veuillance: car elle rebute
plus de gensgēs, qu’elle n’en practique: Position : Interligne haute quo in plures usus sis eo minus in multos uti possis. Et
Position : Marge droite Quo inin plures usus sis,
minus in multos uti possis
Quid autem est stultius
quam quod libenter facias
curare ut id diutius
facere non possis.
Et
&Et si elle est employee sans
respect du merite, fait vergonignevergongne à qui la reçoit: & se reçoit,
sans grace. Des tyrans ont esté sacrifiez à la hayne du peuple,
par les mains de ceux mesme, lesquels ils avoyentauoyent iniquement
avancezauancez, bouffons, maquereaux, menestriers, & telle racaillemaniere
d’hommes, estimans asseurer la possession des biens indeue-
ment receuz, en monstrant avoirauoir à mespris & hayne, celuy de
qui ils les tenoyent, & se raliant au jugementiugement & opinionopiniō com-
mune en cela. Les subjectssubiects d’unvn prince excessif en dons, se ren-
dent
rē-
dent
excessifs en demandes: ils se taillent, non à la raison, mais
à l’exemple. Position : Interligne haute Largitio fundum non habet Il y a certes souvantsouuant, dequoy rougir, de nostre im-
pudence: nNous sommes surpayez selon justiceiustice, quand la recom-
pence
recō-
pence
esgalle nostre serviceseruice, car n’en devonsdeuons nous rien à nos
princes d’obligation naturelle? S’il porte nostre despence, il
faict trop, c’est assez qu’il l’ayde: le surplus s’appelle bienfaict:
lequel ne se peut exiger, car le nom mesme de la liberalité son-
ne
sō-
ne
liberté. A nostre mode, ce n’est jamaisiamais faict, le reçeu ne se
met plus en compte: on n’ayme la liberalité que future: par-
quoy plus unvn Prince s’espuise en donnant, plus il s’apouvritapouurit
d’amys.
Position : Marge droite Comant assouvi=
roit
assouui=
roit
il des enviesenuies qui
croissentcroissēt a mesure
qu’elles se ramplissent
Qui a sa pensee a
prandre ne l’a plus
a ce qu’il a prins. La
convoitiseconuoitise est de soi
tousjourstousiours ingrate
n’a
rien si propre que
d’estre ingrate
L’example de Cyrus ne
duira pas mal en ce lieu
pour servirseruir aus Roys de ce temps de touche a reconoistre leurs [unclear] dons bien ou mal emploiez
et leur faire voiruoir combient cet Emperur les assenoit plus hureusemant qu’ils ne font. Par ou ils
sont reduits de faire leurs empruns sur les subjetzsubietz inconus et plus tost sur ceus a qui ils ont faict
du mal que sur ceus a qui ils ont faict du bien.
Position : Marge gauche et n’enē reçoiventreçoiuent
aides de leurs
subjetssubiets
ou il y
aïe rien de
gratuit que le
nom.
Craesus luy reprochoit sa largesse et calculoit a
combien se monteroit son thresor s’il eut eu les mains plus restreintes Il eut envieenuie de justifieriustifier sa
liberalite et despechant de toutes pars versuers les grands de son estat qu’il avoitauoit particulierement avancezauancez
pria chacun de le secourir d’autant d’argent qu’il pourroit, a une siene necessite et le luy envoierenuoier par
registre declation declaration. Quand tous ces bordereaus luy furent aportes chacun de ses amis
n’estimant pas que ce fut asses faire de luy en offrir autant sulemant qu’il en avoitauoit receu de sa munificence
y en meslant du sien plus propre beaucoup il se trouvatrouua que cette somme se montoit beaucoupbien plus que l’espargne
de Craesus. Sur quoi luy dict Cyrus JeIe ne suis pas moins amoureus des richesses que les autres princes
et en suis plus tost plus mesnagier Vous voiesuoies a combien peu de mise ji’ay acquis le thresor inestimable de
tant d’amis Et combien ils me sont plus fidelles thresoriers que ne seroint des homes merceneres sans obligation
sans affection: & ma chevancecheuance mieux logee qu’en des coffres, appellant s
ur moi la heine l’envieenuie et le mespris des
autres princes.
Les Empereurs prenoyenttiroint excuse à la superfluité de
leurs jeuxieux & montres publiques, de ce que leur authorité
dependoit aucunement (aumoins par apparence) de la vo-
lonté du peuple Romain, lequel avoitauoit de tout temps accou-
stumé d’estre flaté par telle sorte de spectacles & excez. Mais
c’estoyent particuliers qui avoyentauoyent nourry cette coustume,
de gratifier leurs concitoyens & compaignonscompaignōs, Position : Interligne haute principalemant sur leur bourse,
par telle profusion & magnificencemagnificēce: elle eust tout autre goust,
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[404v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
quand ce furent les maistres qui vindrent à l’imiter.
Position : Marge gauche Pecuniarum translatio a
iustis dominis ad alienos
non debet liberalis uideri.

Philippus tansoit par saune
lettre son filx Alexandre de
voiloiruoloir par presans de sa
liberalite pal gaigner le
corage des Macedoniens Position : Interligne haute en cette maniere As
tu envieenuie luy faict il que tes
subjetssubiets t’estiment non leur
Roy mais leur thresorier &
leur donur
boursier? et leur
doneur. gaigne les de ta
vertuuertu non de ton coffre.
Pratique les qdes bienfaicts
de ta vertuuertu non des bienfaicts
de ton coffre.
Philippus de ce
que son filx essaioit par
presans de gaigner la
volonte des Macedoniens
l’en tança par une lettre en
cette maniere Quoi? as tu
envieenuie que tes subjetssubiets te
tiennent pour leur boursier
non pour leur maistre Roy?
Veus tu les pratiquer prati
pratique les non des bien=
faicts de ta vertuuertu non des
bienfaicts de ton coffre.
C’estoit
pourtant unevne belle chose, d’aller faire apporter & planter en
la place aus arenes, unevne grande quantité de gros arbres, tous
branchus & tous verts, representansrepresentās unevne grandegrāde forest ombra-
geuse, despartie en belle symmetrie: & le premier jouriour, jetterietter
la dedans mille austruches, mille cerfs, mille sangliers, & mil-
le dains, les abandonnant à piller au peuple: le lendemain
faire assomer en sa presence, cent gros lions, cent leopards, &
trois censcēs ours: & pour le troisiesme jouriour, faire combatre à ou-
trance, trois cens pairs de gladiateurs, comme fit l’Empereur
Probus. C’estoit aussi belle chose à voir, ces grands amphi-
theatres encroustez de marbre au dehors, labouré d’ouvragesouurages
& statues, le dedans reluisant de plusieurs rares enrichisse-
mens,
Baltheus en gemmis, en illita porticus auro.
Tous les coustez de ce grand vuide, remplis & environnezenuironnez
depuis le fons jusquesiusques au comblecōble, de soixante ou quattre vingts
rangs d’eschelons, aussi de marbre, couverscouuers de carreaus,
exeat, inquit,
Si pudor est, & de puluino surgat equestri,
Cuius res legi non sufficit,

ou se peut renger cent mille hommes, assis à leur aise,: & la pla-
ce du fons, ou les jeuxieux se jouoyentiouoyent, la faire premierement par
art, entr’ouvrirouurir & fendre en crevassescreuasses, representant des antres
qui vomissoient les bestes destinées au spectacle: & puis secon-
dement
secō-
dement
, l’innonder d’unevne mer profonde, qui charrioit force
monstres marins, chargée de vaisseaux armez à representer
unevne bataille navallenaualle: & tiercementtiercemēt l’applanir & assecher de nou-
veau
nou-
ueau
, pour le combat des gladiateurs: & pour la quatriesme
façon, la sabler de vermillon & de storax, au lieu d’arene, pour
y dresser unvn festin solemne, à tout ce nombrenōbre infiny de peuple:
le dernier acte d’unvn seul jouriour.
quoties
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LIVRE TROISIESME.397405
quoties nos descendentis arenae
Vidimus in partes, ruptáque voragine terrae
Emersisse seras, & ijsdem saepe latebris
Aurea cum croceo creuerunt arbuta libro.
Nec solum nobis siluestria cernere monstra
Contigit, aequoreos ego cum certantibus, vrsis
Spectaui vitulos, & equorum nomine dignum,
Sed deforme pecus.

Quelquefois on y a faict naistre, unevne haute montaigne plai-
ne de fruitiers & arbres verdoyans, rendans par son feste, unvn
ruisseau d’eau, comme de la bouche d’unevne viveviue fontainefōtaine. Quel-
que fois on y promena unvn grand navirenauire, qui s’ouvroitouuroit & des-
prenoit de soy-mesmes, & apres avoirauoir renduvomiuomi de son ventre,
quatre ou cinq cens bestes à combat, se resserroit & s’esva-
nouissoit
esua-
nouissoit
, sans ayde. Autresfois, du bas de cette place, ils fai-
soyent eslancer des surgeons & filets d’eau, qui rejalissoyentreialissoyent
contremont, & à cette hauteur infinie, alloyent arrousant &
embaumant cette grandeinfinie multitude. Pour se couvrircouurir de l’in-
jure
in-
iure
du temps, ils faisoient tendre cette immense capacité,
tantost de voiles de pourpre labourez à l’eguille, tantost de
soye, d’unevne ou autre couleur, & les avançoyentauançoyent & retiroyent
en unvn moment, comme il leur venoit en fantasie,
Quamuis non modico caleant spectacula sole,
vela reducuntur cum venit Hermogenes.

Les rets aussi qu’onō mettoit au devantdeuant du peuple, pour le de-
fendre de la violence de ces bestes eslancées, estoyent tyssus
d’or,
auro quoque torta refulgent
Retia.

S’il y a quelque chose qui soit excusable en tels excez, c’est,
ou l’inventioninuention & la nouveauténouueauté, fournit d’admiration, non pas
la despence. En ces vanitez mesme, nous descouvronsdescouurons, com-
KKKKk
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[405v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
bien ces siecles estoyent fertiles d’autres espris que ne sont
les nostres. Il va de cette sorte de fertilité, comme il faict de
toutes autres productions de la nature. Ce n’est pas à dire
qu’elle y ayt lors employé son dernier effort: il est vray-sem-
blable, que nNous n’allons ny en avantauant ny à reculons, mais rou-
lant plustost tournoyant & changeant.
pas point, nous rodons plus tost et tournoions. Nous nousça et la.
Nous nous promenons sur nos pas.
JeIe crains, que nostre
cognoissance soit foible en tous sens,: nous ne voyons ny
gueres loin, ny guere arriere, elle embrasse peu & vit peu,
courte & en estandue de temps, & en estandue de matiere.:
Vixere fortes ante Agamemnona
Multi, sed omnes illachrimabiles
Vrgentur, ignotique longa
Nocte.
Et supera bellum Troianum & funera Troiae,
Multi alias alij quoque res cecinere poetae.

Position : Marge gauche Et la narration de Solon
sur ce qu’il avoitauoit aprïs des
prebtres d’AEgipte de la longue
vie de leur estat et maniere
d’aprandre et conserverconseruer les
histoires estrangieres ne
me semble tesmouignage de
refus en cete consideration.
Si immensam et interminatam
in omneis partes magnitudinem
regionum uideremus in quam
& temporum in quam se
iniiciens animus et intendens
ita late longeque peregrinatur
ut nullam oram ultimi uideat
in qua possit coinsistere In
hac immensitate infinita
uis innumerabilium est
formarum.
appareret formarum

Quand tout ce qui est venu Position : Interligne haute par raport du passé jusquesiusques à nous, seroit
vray, & seroit sçeu par quelqu’unvn, ce seroit moins que rien,
au pris de ce qui est ignoré,: & de cette mesme image du mon-
de
mō-
de
, qui coule pendant que nous y sommes, combien chetivechetiue
& racourcie est la cognoissance des plus curieux: non seule-
ment des evenemenseuenemens particuliers, que fortune rend souvantsouuant
exemplaires & poisans, mais de l’estat des grandes polices &
nationsnatiōs, il nous en eschappe cent fois plus, qu’il n’en vientviēt à no-
stre science. Nous nous escriïons, du miracle de l’inventioninuentiō de
nostre artillerie, de nostre impression: d’autres hommeshōmes, unvn au-
tre bout du monde à la Chine, en jouyssoitiouyssoit mille ans aupara-
vant
aupara-
uant
. Si nous voyons autant du monde, comme nous n’en
voyons pas, nous apercevrionsaperceurions comme il est à croire, unevne per-
petuele Position : Interligne haute multiplication et vicissitude de formes. Il n’yny a rien de seul & de rare, eu
esgard à nature, ouy bien eu esgard à nostre cognoissance, qui
est unvn miserable fondement de nos regles, & qui nous repre-
sente volontiers unevne tres-fauce image des choses. CommeCōme vai-
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LIVRE TROISIESME.398406
nement nous concluons aujourdauiourd’huy, l’inclination & la de-
crepitude du monde, par les arguments que nous tironstirōs de no-
stre propre foiblesse & decadence,
Iamque adeo affecta est aetas, affectáque tellus:
Aainsi vainement concluoit cet autrecettuyla, sa naissance & jeunesseieunesse,
par la vigueur qu’il voyoit aux espris de son temps, abondans
en nouvelleteznouuelletez & inventionsinuentions de diversdiuers arts,
Verùm, vt opinor, habet nouitatem summa, recénsque
Natura est mundi, neque pridem exordia coepit:
Quare etiam quaedam nunc artes expoliuntur,
Nunc etiam augescunt, nunc addita nauigiis sunt
Multa.

Nostre mondemōde vient d’en trouvertrouuer unvn autre ( & qui nous respondrespōd
si c’est le dernier de ses freres, puis que les DaemonsDaemōs, les Sybilles, &
nous, avonsauons ignoré cettuy-cy jusquiusqu’asture) non moins grandgrād,
plain, & membrumēbru, que luy, toutesfois si nouveaunouueau & si enfant,
qu’on luy aprend encore son a, b, c: il n’y a pas cinquante ans,
qu’il ne sçavoitsçauoit, ny lettres, ny pois, ny mesure, ny vestements,
ny bleds, ny vignes. Il estoit encore tout nud, au giron, & ne
vivoitviuoit que des moyens de sa mere nourrice. Si nous concluonscōcluons
bien, de nostre fin, & ce poëte de la jeunesseieunesse de son siecle, cet
autre mondemōde, ne faira qu’entrer en lumiere, quand le nostre en
sortira. L’universvniuers tombera en paralisie: l’unvn membre sera per-
clus, l’autre en vigueur. Bien crains-jeie, que nous aurons bien
fort hasté sa declinaison & sa ruyne, par nostre contagion, &
que nous luy aurons bien cher vendu, nos opinions & nos
arts. C’estoit unvn monde enfant, si ne l’avonsauons nous pas foité &
soubmis à nostre discipline, par l’avantageauantage de nostre valeur, &
forces naturelles, ny ne l’avonsauons practiqué par nostre justiceiustice
& bontébōté, ny subjuguésubiugué par nostre magnanimité. La plus part de
leurs responces, & des negotiations faictes avecauec eux, tesmoi-
gnent qu’ils ne nous devoyentdeuoyent rienriē en clarté d’esprit naturelle,
KKKKk ij
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[406v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& en pertinence. L’espouventableespouuentable magnificence des villes
de Cusco & de Mexico, & entre plusieurs choses pareilles, le
jardiniardin de ce Roy, ou tous les arbres, les fruicts, & toutes les
herbes, selon l’ordre & grandeur qu’ils sont en unvn jardiniardin, natu-
rel, estoyent excellemment formez en or: comme en son ca-
binet, tous les animaux, qui naissoient en son estat & en ses
mers: & la beauté de leurs ouvragesouurages, en pierrerie, en plume, en
cotton, en la peinture, montrent qu’ils ne nous devoyentdeuoyentcedoint non
plus en l’industrie. Mais quant à la devotiondeuotion, observanceobseruance des
loix, bonté, liberalité, loyauté, franchise, il nous à bien servyseruy,
de n’en avoirauoir pas tant qu’eux: ils se sont perdus par cet advan-
tage
aduā-
tage
, & vendus, & trahis eux mesme. Quant à la hardiesse &
courage,: quant à la fermeté, constance, resolution contre les
douleurs & la faim, & la mort, jeie ne craindrois pas d’opposer
les exemples, que jeie trouveroistrouuerois parmy eux, aux plus noblesfameus ex-
emples anciens, que nous ayons aus memoires de nostre mon-
de
mō-
de
par deça. Car pour ceux qui les ont subjuguezsubiuguez, qu’ils ostentostēt
les ruses & batelages, dequoy ils se sont servisseruis à les piper, & le
justeiuste estonnementestōnement qu’aportoit à ces nations la, de voir arriverarriuer
si inopinéement des gens barbus, diversdiuers en langage, religionreligiō,
en forme, & en contenance, d’unvn endroict du monde si esloi-
gné, & où ils n’avoyentauoyent jamaisiamais imaginé qu’il y eust habita-
tion quelconque, montezmōtez sur des grands monstres incogneuz,
contre ceux, qui n’avoyentauoyent non seulement jamaisiamais veu de che-
val
che-
ual
, mais beste quelconque duicte à porter & soustenir hommehōme
ny autre charge, garnis d’unevne peau luysante & dure, & d’unevne
arme trenchante & resplendissanteresplēdissante, contrecōtre ceux, qui pour le mi-
racle de la lueur d’unvn miroir ou d’unvn cousteau, alloyent eschan-
geant
eschā-
geant
unevne grandegrāde richesse en or & en perles, & qui n’avoientauoiēt ny
science ny matiere, par ou tout à loisir, ils sçeussentsçeussēt percer no-
stre acier: adjoustezadioustez y les foudres & tonnerrestōnerres de nos pieces &
harquebousesharq̄bouses, capables de troubler Caesar mesme, qui l’en eust
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LIVRE TROISIESME.399407
surpris autantautāt inexperimenté: & à cet heure, contre des peuples
nuds, si ce n’est ou l’inventioninuentiō estoit arrivéearriuée de quelqueq̄lq̄ tissu de cot-
ton
cot-
, sans autres armes pour le plus, que d’arcs, pierres, & bastonsbastōs:, & boucliers de bois
des peuples surpris soubs couleur d’amitié & de bonnebōne foy, par
la curiosité de veoir des choses estrangeres & incogneues: con-
tez
cō-
tez
dis-jeie aux conquerans cette disparité, vous leur ostez tou-
te l’occasion de tanttāt de victoires. Quand jeie regarde à cete ardeur
indomptable, dequoy tant de milliers d’hommes, femmes, &
enfans, se presentent & rejettentreiettent à tant de fois, aux dangers in-
evitables
in-
euitables
, pour la deffence de leurs dieux, & de leur liberté: cé-
te genereuse obstination de souffrir toutes extremitez & dif-
ficultez, & la mort, plus volontiers, que de se soubmettre à la
domination de ceux, de qui ils ont esté si honteusement abu-
sez: & aucunsaucūs, choisissans plustost de se laisser defaillir par faim
& par jeuneieune, estans pris, que d’accepter le vivreviure des mains de
leurs ennemis, si vilement victorieuses: jeie prevoispreuois que à
qui les eust attaquez pair à pair, & d’armes, & d’experience, &
de nombre, il y eust faict autantaussi dangereux, & plus, qu’en au-
tre guerre que nous voyons. Que n’est tombée soubs Alexan-
dre, ou soubs ces anciens Grecs & Romains, unevne si noble con-
queste, & unevne si grande mutation & alteration de tant d’em-
pires & de peuples, soubs des mains, qui eussent doucementdoucemēt po-
ly & defriché, ce qu’il y avoitauoit de sauvagesauuage, & eussent conforté
& promeu les bonnes semences, que nature y avoitauoit produit:
meslant non seulement à la culture des terres, & ornement
des villes, les arts de deça, en tant qu’elles y eussent esté neces-
saires, mais aussi, meslant les vertus Grecques & Romaines,
aux originelles du pays. Quelle reparation eust-ce esté, & quel
amendement à toute cette machine, que les premiers exem-
ples & deportemens nostres, qui se sont presentés par de là,
eussent appellé ces peuples, à l’admiration, & imitation de la
vertu, & eussent dressé entre eux & nous, unevne fraternele socie-
KKKKk iij
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[407v] ESSAIS DE M. DE MONT.
té & intelligence? Combien il eust esté aisé, de faire son pro-
fit, d’ames si neuvesneuues, si affamées d’apprentissage, ayant pour la
plus part, de si beaux commencemens naturels? Au rebours,
nous nous sommes servisseruis de leur ignorance, & inexperience, à
les plier plus facilementfacilemēt vers la trahison, luxure, avariceauarice, & vers
toute sorte d’inhumanité & de cruauté, à l’exemple & patron
de nos meurs. Qui mit jamaisiamais à tel pris, le serviceseruice de la merca-
dence & de la trafique? Tant de villes rasées, tant de nations
exterminées, tant de millions de peuples, passez au fil de l’es-
pée, & la plus riche & belle partie du mondemōde bouleverseebouleuersee, pour
la negotiation des perles & du poivrepoiure: mechaniques victoi-
res. JamaisIamais l’ambition, jamaisiamais les inimitiez publiques, ne pous-
serent les hommes, les unsvns contre les autres, à si horribles ho-
stilitez, & calamitez si miserables. En costoyant la mer à la
queste de leurs mines, aucuns Espagnols prindrent terre en u-
ne
v-
ne
contrée fertile & plaisante, fort habitée, & firent à ce peu-
ple leurs remonstrances accoustumées. Qu’ils estoient gens
paisibles, venans de loingtains voyages, envoyezenuoyez de la part du
Roy de Castille, le plus grand Prince de la terre habitable, au-
quel le Pape, representant Dieu en terre, avoitauoit donné la prin-
cipauté de toutes les Indes. Que s’ils vouloient luy estre tri-
butaires, ils seroient tres-benignement traictez, leur deman-
doient des vivresviures, pour leur nourriture, & de l’or, pour le be-
soing de quelque medecine. Leur remonstroient au demeu-
rant, la creance d’unvn seul Dieu, & la verité de nostre religion,
laquelle ils leur conseilloient d’accepter, y adjoustansadioustās quelques
menasses. La responce fut telle. Que quand à estre paisibles, ils
n’en portoient pas la mine, s’ils l’estoient: quand à leur Roy,
puis qu’il demandoit, il devoitdeuoit estre indigent, & necessiteux,:
& celuy qui luy avoitauoit faict cette distribution, homme aymantaymāt
dissention, d’aller donner à unvn tiers, chose qui n’estoit pas sien-
ne
siē-
ne
, pour le mettre en debat contrecōtre les anciens possesseurs. QuantQuāt
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LIVRE TROISIESME.400408
aux vivresviures, qu’ils leur en fourniroient: d’or, ils en avoientauoient peu,
& que c’estoit chose qu’ils mettoient en peu d’null’estime, d’autantautāt
qu’elle estoit inutile au serviceseruice de leur vie, la où tout leur soin
regardoit seulement, à la passer heureusement & plaisammentplaisammēt:
pourtant ce qu’ils en pourroient trouvertrouuer, sauf ce qui estoit
employé au serviceseruice de leurs dieux, qu’ils le prinssent hardi-
ment. Quant à unvn seul Dieu, le discours leur en avoitauoit pleu,
mais qu’ils ne vouloient changer leur religion, s’en estans si
utilementvtilement servisseruis si long temps, & qu’ils n’avoientauoient accoustu-
mé prendre conseil, que de leur amis & connoissans. Quant
aux menasses, c’estoit signe de faute de jugementiugement, d’aller me-
nassant ceux, desquels la nature, & les moyens estoient incon-
neux. Ainsin qu’ils se despeschassent promptement de vuy-
der leur terre, car ils n’estoient pas accoustumez de prendreprēdre en
bonne part, les honnestetez & remonstrances, de gens armez,
& estrangers: autrement qu’on feroit d’eux, comme de ces au-
tres, leur monstrant les testes d’aucuns hommes justicieziusticiez au-
tour de leur ville. Voila unvn exemple de la balbucie de cette
enfance. Mais tant y a, que ny en ce lieu-là, ny en plusieurs au-
tres, où les Espagnols ne trouverenttrouuerent les marchandises qu’ils
cerchoient, ils ne feirent arrest ny entreprise:, quelque autre
commodité qu’il y eust, tesmoing mes Cannibales. Des deux
les plus puissans Monarques de ce mondemōde là, & à l’avantureauanture de
cettuy-cy, Roys de tant de Roys: les derniers qu’ils en chas-
serent: celuy du Peru ayant esté pris en unevne bataille, & mis à
unevne rançon si excessifveexcessifue, qu’elle surpasse toute creance, & cel-
le là fidellement payée: & avoirauoir donné par sa conversationconuersation
signe d’unvn courage franc, liberal, & constant, & d’unvn entende-
ment
entende-
mēt
net, & bien composé: il print envieenuie aux vainqueurs, apres
en avoirauoir tiré, unvn million trois cens vingt cinq mille cinq cens
poisant d’or, outre l’argent, & autres choses, qui ne monterentmonterēt
pas moins, si que leurs chevauxcheuaux n’alloient plus ferrez, que d’or
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[408v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
massif, de voir encores, au pris de quelque desloyauté que ce
fut, quel pouvoitpouuoit estre le reste des thresors de ce Roy Position : Interligne haute et jouiriouir libremant de ce qu’il avoitauoit reservereserue. On luy
appreosta unevne fauce accusation & preuvepreuue, qu’il desseignoit de
faire sousleversousleuer ses provincesprouinces, pour se remettre en liberté. Sur-
quoy par beau jugementiugement, de ceux mesme qui luy avoientauoiēt dres-
sé cette trahison, on le condemna à estre pendu & estranglé
publiquement: luy ayant faict racheter le tourment d’estre
bruslé tout vif, par le baptesme qu’on luy donna au supplice
mesme. Accident horrible & inouy: qu’il souffrit pourtant
sans se démentir, ny de contenance, ny de parole, d’unevne forme
& gravitégrauité vrayement royalle. Et puis pour endormir les peu-
ples estonnez & transis de chose si estrange, on contrefit unvn
grand deuil de sa mort, & luy ordonna l’on des somptueuses
funerailles. L’autre Roy de Mexico, ayant long temps defen-
du sa ville assiegée, & montré en ce siege tout ce que peut & la
souffrance, & la perseveranceperseuerance, si onques prince, & peuple, le
monstra: & son malheur l’ayant rendu vif, entre les mains des
ennemis, avecauec capitulation d’estre traité en Roy: aussi ne leur
fit-il rien voir en la prison, indigne de ce tiltre: ne trouvanttrouuant
poinct apres cette victoire, tout l’or qu’ils s’estoient promis:
apres avoirauoir tout remué, & tout fouillé, se mirent à en cercher
des nouvellesnouuelles, par les plus aspres geines, dequoy ils se peurent
adviseraduiser, sur les prisonniers qu’ils tenoient. Mais n’ayant rien
profité, trouvanttrouuant des courages plus forts que leurs tormentstormēts,
ils en vindrent en fin à telle rage, que contre leur foy & contre
tout droict des gens, ils condamnerent le Roy mesme, & l’unvn
des principaux seigneurs de sa court à la geine, en presence l’unvn
de l’autre. Ce seigneur se trouvanttrouuāt forcé de la douleur, environ-
enuirō-
de braziers ardensardēs, tourna sur la fin, piteusementpiteusemēt sa veue vers
son maistre, comme pour luy demanderdemāder congé, de dire ce qu’il
en sçavoitsçauoit, pour se redimerracheter de cette peine insupportable:merci de ce qu’il n’en pouvoitpouuoit plus. lLe
Roy plantant fierement & rigoureusement les yeux sur luy,
pour
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LIVRE TROISIESME.401409
pour reproche de sa lascheté & pusillanimité, luy dict seule-
ment ces mots, d’unevne voix rude & ferme: & moy suis-jeie dans
unvn bain, suis jeie pas plus à mon aise que toy? Celuy-là soudain
apres, succomba aux douleurs, & mourut sur la place. Le Roy
à demy rosty, fut emporté de là: non tant par pitié (car quel-
le pitié toucha jamaisiamais des ames, qui pour la doubteuse infor-
mation de quelque vase d’or à piller, fissent griller devantdeuāt leurs
yeux unvn homme, non qu’unvn Roy, si grand, & en fortune, &
en merite) mais ce fut que sa constancecōstance rendoit de plus en plus
vainehonteuse leur cruauté. Ils le pendirent depuis, ayant courageuse-
ment entrepris de se delivrerdeliurer par armes d’unevne si longue capti-
vité
capti-
uité
& subjectionsubiection, où il fit sa fin digne d’unvn magnanime prin-
ce. A unevne autrefois, ils mirent brusler pour unvn coup, en mes-
me feu, quatre cens soixante hommes tous vifs, les quatre censcēs
du commun peuple, les soixantesoixāte des principaux seigneurs d’u-
ne
v-
ne
provinceprouince, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons
d’eux-mesmes ces narrations, car ils ne les advouentaduouent pas seu-
lement, ils s’en vententuentent, et les preschent & publient. Seroit-ce pour tesmoi-
gnage de leur justiceiustice, ou zele enversenuers la religion. Certes ce
sont voyes trop diversesdiuerses, & ennemies d’unevne si saincte fin. S’ils
se fussent proposés d’estendre nostre foy, ils eussent consideré
que ce n’est pas en possession de terres qu’elle s’amplifie, mais
en possession d’hommes, & se fussent trop contentez des meurtres
que la necessité de la guerre apporte, sans y mesler indifferem-
ment unevne boucherie, comme sur des bestes sauvagessauuages, univer-
selle
vniuer-
selle
, autantautāt que le fer, & le feu y ont peu attaindre, n’en ayant,
ce semble, conservéconserué par leur dessein, qu’autant qu’ils en ont
voulu faire de miserables esclavesesclaues, pour l’ouvrageouurage & serviceseruice
de leurs minieres: sSi que plusieurs des chefs ont esté punis à
mort, sur les lieux de leur conquestecōqueste, par ordonnance des Rois
d’Espaignede Castille, justementiustement offencez de l’horreur de leurs deporte-
LLLLl
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[409v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mensmēs, & quasi tous desestimez & mal-voulus. Dieu à meritoi-
rement permis, que ces grands pillages, se soient absorbez par
la mer en les transportanttransportāt, ou par les guerres intestines, dequoy
ils se sont entremangez entre eux, & la plus part, s’enterrerent
sur les lieux, sans aucun fruict de leur victoire. Quant à ce,
que la recepte, & entre les mains d’unvn prince mesnager, &
prudent, respond si peu à l’esperance, qu’on en donna à ses
predecesseurs, & à cette premiere abondance de richesses,
qu’on rencontra à l’abord de ces nouvellesnouuelles terres (car encore
qu’on en retire beaucoup, nous voyons que ce n’est rien, au
pris de ce qui s’en devoitdeuoit attendre) c’est que l’usagevsage de la
monnoye estoit entierement inconneu, & que par conse-
quent, leur or se trouvatrouua tout assemblé, n’estant en autre servi-
ce
serui-
ce
, que de montre, & de parade, comme unvn meuble reservéreserué
de pere en fils, par plusieurs puissants Roys, qui espuisoient
tousjourstousiours leurs mines, pour faire ce grand monceau de vases
& statues, à l’ornement de leurs palais, & de leurs temples: au
lieu que nostre or, est tout en emploite & en commercecōmerce. Nous le
menuisons & alterons en mille formes, l’espandons & disper-
sons. Imaginons, que nos Roys amoncelassent ainsi tout l’or,
qu’ils pourroient trouvertrouuer en plusieurs siecles, & le gardassent
immobile. Ceux du Royaume de Mexico, estoient aucune-
ment plus civilisezciuilisez, & plus artistes, que n’estoient les autres
nations de là. Aussi jugeoientiugeoient-ils, ainsi que nous, que l’uni-
vers
vni-
uers
fut proche de sa fin, & en prindrent pour signe la desola-
tion que nous y apportames. Ils croyoyent que l’estre du
monde, se depart en cinq aages, & en la vie de cinq soleils con-
secutifs, desquels les quatre avoientauoient desjadesia fourny leur temps,
& que celuy qui leur esclairoit, estoit le cinquiesme. Le pre-
mier perit avecauec toutes les autres creatures, par universellevniuerselle in-
ondation d’eaux. Le second, par la cheute du ciel sur nous,
qui estouffa toute chose vivanteviuante, auquel aage ils assignent les
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LIVRE TROISIESME.402410
geants, & en firent voir aux Espagnols des ossements, à la pro-
portion desquels, la stature des hommes revenoitreuenoit à vingt
paumes de hauteur. Le troisiesme, par feu, qui embrasa &
consuma tout. Le quatriesme, par unevne émotion d’air, & de
vent, qui abbatit jusquesiusques à plusieurs montaignes: les hom-
mes n’en moururent poinct, mais ils furent changez en ma-
gots (quelles impressions ne souffre la lácheté de l’humaine
creance.) apres la mort de ce quatriesme Soleil, le monde fut
vingt-cinq ans, en perpetuelles tenebres: au quinziesme des-
quels fut creé unvn homme, & unevne femme, qui refeirent l’hu-
maine race: dix ans apres, à certain de leurs joursiours, le Soleil, pa-
rut nouvellementnouuellement creé, & commencecōmence depuis, le compte de leurs
années par ce jouriour là. Le troisiesme jouriour de sa creation, mou-
rurent les Dieux anciens: les nouveauxnouueaux, sont nays depuis du
jouriour à la journéeiournée. Ce qu’ils estiment de la maniere que ce der-
nier Soleil perira, mon autheur n’en à rien appris. Mais leur
nombre, de ce quatriesme changement, rencontre à cet-
te grande conjonctionconionction des astres, qui produisit il y à huict
cens, tant d’ans, selon que les Astrologiens estiment, plusieurs
grandes alterations & nouvelleteznouuelletez au monde. Quant à la
pompe & magnificence, par où jeie suis entré en ce propos,
ny Graece, ny Romme, ny Aegypte, ne peut, soit en uti-
lité
vti-
lité
, ou difficulté, ou noblesse, comparer aucun de ses
ouvragesouurages, au chemin, qui se voit au Peru, dressé par les Roys
du pays, depuis la ville de Quito, jusquesiusques à celle de Cus-
co (il y à trois cens lieuës) droict, unyvny, large de vingt-
cinq pas, pavépaué, garnyrevestureuestu de costé & d’autre, de belles & hau-
tes murailles, & le long d’icelles par le dedans, deux ruis-
seaux perennes, bordez de beaux arbres, qu’ils nomment
molly. Où ils ont trouvétrouué des montaignes & rochers, ils
les ont taillez & applanis, & comblé les fondrieres de
LLLLl ij
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[410v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pierre & chaux. Au chef de chasque journéeiournée, il y à de beaux
palais fournis de vivresviures, de vestements, & d’armes, tant
pour les voyageurs, que pour les armées qui ont a y pas-
ser. En l’estimation de cet ouvrageouurage, ji’ay compté la difficul-
té, qui est particulierement considerable en ce lieu là. Ils
ne bastissoient poinct de moindres pierres, que de dix pieds
en carré,: ils n’avoientauoient autre moyen de charrier, qu’à force de
bras en trainant leur charge: & pas seulement l’art d’eschafau-
der, ny sçachant autre finesse, que de hausser autant de terre,
contre leur bastiment, comme il s’esleveesleue, pour l’oster apres.
Retombons à nos coches. En leur place, & de toute autre
voiture: ils se faisoient porter par les hommes, & sur leurs
espaules. Ce dernier Roy du Peru, le jouriour qu’il fut pris, e-
stoit ainsi porté sur des brancars d’or, & assis dans unevne cheze
d’or, au milieu de sa bataille. Autant qu’on tuoit de ces por-
teurs, pour le faire choir à bas, car on le vouloit prendre vif,
autant d’autres, & à l’envyenuy, prenoient la place des morts, de fa-
çon qu’on ne le peut onques abbatre, quelque meurtre qu’on
fit de ces gens là, jusquesiusques à ce qu’unvn homme de chevalcheual l’alla
saisir au corps, & le portaavalaauala par terre.


De l’incommodité de la grandeur.

CHAP. VII.



PUISQUEPVISQUE nous ne la pouvonspouuons aveindreaueindre, vengeons
nous à en mesdire: sSi n’est pas entierement mesdire de
quelque chose, d’y trouvertrouuer des deffauts: il s’en trouvetrouue
en toutes choses, pour belles & desirables qu’elles soyent. En
general, elle a cet evidenteuident avantageauantage, qu’elle se ravalleraualle quand il
luy plaist,: & qu’a peu pres, elle a le chois, de l’unevne & l’au-
tre condition. Car on ne tombe pas de toute hauteur,: il
en est plus, desquelles on peut descendre, sans tomber. Bien
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LIVRE TROISIESME.403411
me semble il, que nous la faisons trop valoir,: & trop va-
loir aussi, la resolution de ceux que nous avonsauōs, ou veu ou ouy
dire, l’avoirauoir mesprisee,: ou s’en estre desmis, de leur propre des-
sein. Son essence n’est pas si evidemmenteuidemment commode, qu’on ne
la puisse refuser sans miracle. JeIe trouvetrouue l’effort bien difficile à
la souffrance des maux,: mais au contentement d’unevne medio-
cre mesure de fortune, & fuite de la grandeurgrādeur, ji’y trouvetrouue fort
peu d’affaire. C’est unevne vertu ce me semble, ou moy, qui ne suis
qu’unvn oyson, arriveroisarriuerois sans beaucoup de contention. Que
doiventdoiuent faire ceux, qui mettroyent encores en consideration,
la gloire qui accompaigne ce refus, auquel il peut escheoir
plus d’ambition, qu’au desir mesme & jouyssanceiouyssance de la gran-
deur.: Dd’autant que l’ambition ne se conduit jamaisiamais mieux se-
lon soy, que par unevne voye esgarée & inusitée. JI’esguise mon
courage vers la patience, jeie l’affoiblis vers le desir. Autant ay-
jeie à souhaiter qu’unvn autre, & laisse à mes souhaits autant de
liberté & d’indiscretion,: mais pourtant si ne m’est-il jamaisiamais
advenuaduenu, de souhaiter ny empire ny Royauté, ny l’eminenceeminēce de
ces hautes fortunes & commenderesses. JeIe ne vise pas de ce
costé la, jeie m’ayme trop. Quand jeie pense à croistre, c’est basse-
ment, d’unevne accroissance contrainte & coüarde, proprement
pour moy: en resolution, en prudence, en santé, en beauté, &
en richesse encore. Mais ce credit, cette auctorité si puissante,
foule mon imagination. Et tout à l’opposite de l’autre, m’ai-
merois à l’avantureauāture mieux, deuxiesme ou troisiesme à Perigeus,
que premier à Paris: au moins sans mentir, mieux troisiesme à
Paris, que premier en charge. JeIe ne veux ny debattre avecauec unvn
huissier de porte, miserable inconu,: ny faire fendre en adora-
tion, les presses ou jeie passe: jJeiIe suis duit à unvn estage moyen, com-
me
cō-
me
par ma fortunemon sort, aussi par mon goust.
Position : Marge droite : et ay montré en la
conduite de ma vieuie et de
mes entreprinses que
ji’ay plus tost fu4i qu’au=
tremeant, d’enjambereniamber au
pardessus le degre de
fortune au quel Dieu
logea ma naissance.
Toute conduite[unclear]constitution naturelle est
pareillement justeiuste et aisee.
JI’ay ainsi l’ame pol-
trone, que jeie ne mesure pas la bonne fortune selonselō sa hauteur,
maisjeie la mesure selon sa facilité.
Position : Interligne basse Mais si jeie n’ay point le ceur gros asses, jeie l’ay
a l’equipolantlequipolant ouvertouuert, et qui m’ordone de publier
hardimant sa foiblesse. Qui me donrroit a conferer la vieuie de
L. Thorius Balbus galant home beau sçavantsçauant sain entandu et abondant
en toute sorte de commodites et plaisirs conduisant une vieuie tranquille et priveepriuee toute siene
l’amelame pr bien preparee contre la mort la superstition les dolurs et autres encombriers de l’humaine necessi
mourant en fin en bataille les armes a la main pour la defance de son païs, d’une part. Et d’autre part la vieuie
de M. Regulus ainsiaīsi grande et hauteine que chacun la conoit et sa fin admirable: l’une sens[sic] nom sens[sic] dignite
l’autre exemplere et glorieuse a merveillesmerueilles: ji’en dirois certes ce qu’en dict Cicero, si jeie sçavoissçauois aussi bien dire
que luy. Mais s’il me les faloit coucher sur la miene, jeie dirois aussi que la premiere est autant selon ma portee et
selon mon Position : Interligne haute desir que jeie conforme a ma portee projetproiet come la seconde est loin au dela. Qu’a ceteci jeie ne puis avenirauenir que par venerationueneration: jiavienderoyauienderoy
volontiersuolontiers a l’autrelautre par usage. RevenonsReuenonsRetournons a nostre grandur temporelle d’oudou nous somes partis.
JeIe suis desgousté de maistrise, & activeactiue
LLLLl iij
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[411v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& passivepassiue.
Position : Marge gauche Otanez l’un des ceussept qui
avointauoint droit de pretandre
au Royaume de Perse print
un parti que ji’eusse pris volon=
tiers
uolon=
tiers
: c’est qu’il quita a ses
compaignons son droit d’y
pouvoirpouuoir arriverarriuer par eslection
ou par sort pourveupourueu que luy
& les siens peussent vivreuiure en
toutes franchise et libertè

vescussent en cet empire hors
de toute subjectionsubiection et mais=
trise sauf celle des loix anti=
ques et y eussent toute authoritè
liberte sauf en ce quipourveupourueu qu’elle n’aporteroitat
prejudicepreiudice a icelles
qui
[...] ne portastporteroit prejudicepreiudice
à icelles: desgouté de
impatiant de comander
comme d’estredestre comandè
Le plus aspre & difficile mestier du monde, à mon
gré, c’est faire dignement le Roy. JI’excuse plus de leurs fautes,
qu’on ne faict communéement, en consideration de l’horri-
ble poix de leur charge, qui m’estonne. Il est difficile de gar-
der mesure, à unevne puissance si desmesurée. Si est-ce que c’est
enversenuers ceux mesme qui sont de moins excellente nature, unevne
singuliere incitationincitatiō à la vertu, d’estre logé en tel lieu, ou vous
ne faciez aucun bien, qui ne soit mis en registre & en conte:
& ou le moindre bien faire porte sur tant de gens: & ou vo-
stre suffisance, comme celle des prescheurs, s’adresse princi-
palement au peuple, jugeiuge peu exacte, facile à piper, facile à con-
tenter
cō-
tenter
. Il est peu de choses, ausquelles nous puissions donner
le jugementiugement syncere, parce qu’il en est peu, ausquelles en quel-
que façon nous n’ayons particulier interest. La superiorité &
inferiorité, la maistrise & la subjectionsubiection, sont obligées à unevne
naturelle envieenuie & contestation, il faut qu’elles s’entrepillent
perpetuellement. JeIe n’enne crois n’y l’unevne ny l’autre, des droicts
de sa compaigne: laissons en dire à la raison, qui est inflexible
& impassible, quand nous en pourrons finer. JeIe feuilletois il
n’y a pas unvn mois, deux livresliures escossois, se combattans sur ce
subjectsubiect. Le populaire rend le Roy de pire condition qu’unvn
charretier, le monarchique le loge quelques brasses au dessus
de Dieu, en puissance & souverainetésouueraineté. Or l’incommodité de
la grandeur, que ji’ay pris icy à remarquer, par quelque occasionoccasiō
qui vient de m’en advertiraduertir, est cette cy. Il n’est à l’avantureauanture rienriē
plus plaisant au commerce des hommes, que les essays que
nous faisons les unsvns contre les autres, par jalousieialousie d’honneur
& de valeur, soit aux exercices du corps ou de l’esprit: aus-
quels la grandeur souverainesouueraine n’a aucune vraye part. A la ve-
rité, il m’a semblé souventsouuent, qu’a force de respect, on y traicte
les Princes desdaigneusement & injurieusementiniurieusement. Car ce
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LIVRE TROISIESME.404412
dequoy jeie m’offençois infiniement en mon enfance, que ceux
qui s’exerçoyent avecauec moy, espargnassent de s’y employer à
bon escient, pour me trouvertrouuer indigne contre qui ils s’effor-
çassent, c’est ce qu’on voit leur adveniraduenir tous les joursiours, chacun
se trouvanttrouuant indigne de s’efforcer contre eux. Si on recognoist
qu’ils ayent tant soit peu d’affection à la victoire, il n’est ce-
luy, qui ne se travailletrauaille à la leur prester, & qui n’aime mieux
trahir sa gloire, que d’offenser la leur: on n’y employe qu’au-
tant d’effort qu’il en faut pour servirseruir à leur honneur. Qu’elle
part ont ils à la meslée, en laquelle chacun est pour eux. Il me
semble voir ces paladins du temps passé, se presentans aus jou-
stes
iou-
stes
& aus combats, avecauec des corps, & des armes faëes. Brisson
courant contre Alexandre, se feingnit en la course: Alexandre
l’en tança, mais il luy en devoitdeuoit faire donner le foet. Pour cet-
te consideration, Carneades disoit que les enfans des Princes
n’apprenentapprenēt rien à droict qu’a manier des chevauxcheuaux, d’autantautāt que
en tout autre exercice, chacun fleschit soubs eux & leur don-
ne gaigné, mais unvn chevalcheual qui n’est ny flateur ny courtisan,
verse le fils du Roy à terre, comme il feroit le fils d’unvn croche-
teur. Homere à esté contrainct de consentir que Venus fut
blessee au combat de Troye, unevne si douce, saincte, & si delica-
te, pour luy donner du courage & de la hardiesse, qualitez qui
ne tombent aucunement en ceux qui sont exempts de dangerdāger.
On faict courroucer, craindre, fuyr les Dieux, Position : Interligne haute s’en jalouserialouser se douloir & se
passionner, pour les honorer des vertus qui se bastissent entre
nous, de ces imperfections. Qui ne participe au hazard & dif-
ficulté, ne peut pretendre interest à l’honneurhōneur & plaisir qui suit
les actions hazardeuses. C’est pitié de pouvoirpouuoir tant, qu’il
advienneaduienne que toutes choses vous cedent. Vostre fortune re-
jecte
re-
iecte
trop loing de vous la societé & la compaignie, elle vous
plante trop à l’escart. Cette aysance & láche facilité, de faire
tout baisser soubs soy, est ennemye de toute sorte de plaisir.
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[412v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
C’est glisser cela, ce n’est pas aller, c’est dormir ce n’est pas vi-
vre
vi-
ure
. ConcevezConceuez l’homme accompaigné d’omnipotence, vous
l’abismez: il faut qu’il vous demande par aumosne, de l’empes-
chement & de la resistance.: Sson estre & son bien, est en indi-
gence.
Position : Marge gauche Le mal est a l’home
bien a son tour, & le bien
mal ny la dolur n’este luy
est tousjourstousiours a fuir ny
la volupteuolupte tousjourstousiours a
suivresuiure
Leurs bonnes qualitez sont mortes & perdues, car elles
ne se sentent que par comparaison, & on les en met hors: ils
ont peu de cognoissance de la vraye loüange, estans batus d’u-
ne
v-
ne
si continuele approbation & uniformevniforme. Ont ils affaire au
plus sot de leurs subjectssubiects, ils n’ont aucun moyen de prendre
advantageaduantage sur luy: en disant, c’est pour ce qu’il est mon Roy,
il luy semble avoirauoir assez dict, qu’il à presté la main à se laisser
vaincre. Cette qualité estouffe & consomme les autres quali-
tez vrayes & essentielles,: elles sont enfoncées dans la Royau-
té, & ne leur laisse à eux faire valoir, que les actions qui la tou-
chent directement, & qui luy serventseruent: les offices de leur char-
ge. C’est tanttāt estre Roy, qu’il n’est que par la. Cette lueur estran-
gere
estrā-
gere
qui l’environneenuironne, le cache, & nous le desrobe,: nostre veüe
s’y rompt & s’y dissipe, estantestāt remplie & arrestée par cette forte
lumiere. Le Senat ordonna le pris d’eloquence à Tybere, il le
refusa, n’estimant pas que d’unvn jugementiugement si peu libre, quand
bienbiē il eust esté veritable, il s’en peut ressentir. Comme on leur
cede tous avantagesauantages d’honneur, aussi conforte l’on & aucto-
rise les deffauts & vices qu’ils ont: non seulement par appro-
bation, mais aussi par imitation. Chacun des suyvanssuyuans d’Ale-
xandre portoit comme luy la teste à costé. Et les flateurs de
Dionysius s’entrehurtoyent en sa presence, poussoyent & ver-
soyent ce qui se rencontroit à leurs pieds, pour dire qu’ils a-
voyent
a-
uoyent
la veuë aussi courte que luy. Les greveuresgreueures ont aussi
par fois servyseruy de recommandation & faveurfaueur. JI’en ay veu la
surdité en affectationaffectatiō: & par ce que le maistre hayssoit sa fem-
me, Plutarque à veu les courtisans repudier les leurs, qu’ils ay-
moyent. Qui plus est, la paillardise s’en est veüe en credit, &
toute
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LIVRE TROISIESME.405413
toute dissolution: comme aussi la desloyauté, les blasphemes,
la cruauté: comme l’heresie: commecōme la superstition, l’irreligion,
la mollesse, & pis si pis il y a: par unvn exemple encores plus dan-
gereux
dā-
gereux
, que celuy des flateurs de Mithridates, qui d’autantautāt que
leur maistre envioitenuioit l’honneur de bon medecin, luy portoyentportoyēt
à inciser & cautheriser leurs membres: car ces autres souffrentsouffrēt
cautheriser leur ame, partie plus delicate & plus noble. Mais
pour acheveracheuer par ou ji’ay commencé. Adrian l’Empereur de-
batant avecauec le philosophe FavorinusFauorinus de l’interpretation de
quelque mot, FavorinusFauorinus luy en quicta bienbiē tost la victoire: ses
amys se plaignans à luy, vous vous moquez fit-il, voudriez
vous qu’il ne fut pas plus sçavantsçauant que moy, luy qui comman-
de
commā-
de
à trente legions. Auguste escrivitescriuit des vers contre Asinius
Pollio, & moy dict Pollio, jeie me tais, ce n’est pas sagesse d’es-
crire, à l’envyenuy de celuy qui peut proscrire: & avoyentauoyēt raisonraisō. Car
Dionysius pour ne pouvoirpouuoir esgaller Philoxenus en la poësie,
& Platon en discours, en condemna l’unvn aus carrieres, & en-
voya
en-
uoya
vendre l’autre esclaveesclaue en l’isle d’Aegine.


De l’art de conferer.
CHAP. VIII.


C’EST unvn usagevsage de nostre justiceiustice, d’en condamner au-
cuns, pour le seul exempleadvertissementaduertissement des autres.
Position : Marge droite De les condamner par ce
qu’ils ont failli ce seroit
bestise come dict Platon. Car
ce qui est faict ne se peut
desfaire: mais c’est affin
qu’ils ne faillent plus ou
par eus mesmes ou par autre
moïen de l’incitation de
leur exemple
de mesmes ou qu’on fuye
l’exemple de leur faute
On ne corrige
pas celuy qu’on pendpēd, on corrige les autres par luy. JeIe
faicts de mesmes. Mes erreurs sont tantost naturelles & irre-
mediables:incorrigibles. mMais ce que les honnestes hommes profitent
au public en se faisant imiter, jeie le profiteray à l’avantureauanture à
me faire evitereuiter.:
Nonne vides Albi vt malè viuat filius, vtque
Barrus inops? magnum documentum, ne patriam rem
Perdere quis velit.

Publiant & accusant mes imperfections quelqu’unvn apprendraapprēdra de
à les craindre. Les parties que ji’estime le plus en moy, tirenttirēt plus
MMMMm
Fac-similé BVH

[413v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’avantageauantagehoneur de m’accuser, que de me recommanderrecōmander. Voila pour-
quoi ji’y retomberetōbe & m’y arreste plus souvantsouuant. Mais quand tout
est contécōté, on ne parle jamaisiamais de soy sans perte: lLes propres con-
demnations
con-
dēnations
sont tousjourstousiours accruës, les louanges mescruës. Il en
peut estre aucunsaucūs de ma complexioncōplexiō, qui m’instruis mieux par con-
trarieté
cō-
trarieté
que par exemple, & par fuite que par suite. A cette
sorte de discipline regardoit le vieux Caton, quandquād il dict, que
les sages ont plus à apprendre des fols, que les fols des sages:
&Et cet ancien joueurioueur de lyre, que Pausanias recite, avoirauoir ac-
coustumé contraindre ses disciples d’aller ouyr unvn mauvaismauuais
sonneur, qui logeoit vis à vis de luy, où ils apprinsent à hayr
ses desaccords & fauces mesures. L’horreur de la cruauté me
rejectereiecte plus avantauant en la clemence, qu’aucun patron de clemen-
ce
clemē-
ce
ne me sçauroit attirer. UnVn bon escuyer ne redresse pas tant
mon assiete, comme faict unvn procureur, ou unvn Venitien à che-
val
che-
ual
: &Et unevne mauvaisemauuaise façon de langage reforme mieux la mien-
ne
miē-
ne
, que ne faict unevnela bonne. Tous les joursiours la sotte contenance
d’unvn autre, m’advertitaduertit & m’adviseaduise. Ce qui poind, touche &
esveilleesueille mieux, que ce qui plaist. Ce temps n’est propre à nous
amender qu’à reculons,: par disconvenancedisconuenance plus que par accord,:
par difference, que par similitude. EstantEstāt peu aprins par les bonsbōs
exemples, jeie me sers des mauvaismauuais, desquels la leçonleçō est ordinai-
re: la veuë ordinaire de la volerie, de la perfidie, à reiglé mes
meurs & contenu.
Position : Marge gauche JeIe me suis efforcè de
me rendre autant agre=
able come ji’en voyoisuoyois de
fascheus. Aussi ferme
que ji’en voioisuoiois de mols.
aussi dous que ji’en
voiois d’aspres. Mais
jeie me proposois des
mesures invinciblesinuincibles.
Le plus fructueux & naturel exercice de
nostre esprit, c’est à mon gré la conference. JI’en trouvetrouue l’usa-
ge
vsa-
ge
plus doux que d’aucune autre action de nostre vie, &Et c’est
la raison pourquoy, si ji’estois asture forcé de choisir, jeie con-
sentirois plustost, ce crois-jeie, de perdre la veuë, que l’ouir
ou le parler. Les Atheniens & encore les Romains, conser-
voient
conser-
uoient
en grand honneur cet exercice en leurs Academies.
De nostre temps les Italiens en retiennent quelques vesti-
ges, à leur grand profict, comme il se voit, par la compa-
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LIVRE TROISIESME.406414
raison de nos entendemens aux leurs. L’estude des livresliures, c’est
unvn mouvementmouuement languissant & foible, qui n’eschauffe poinct:
la où la conference, apprend & exerce en unvn coup. Si jeie confe-
re avecauec unevne ame forte, & unvn roide jousteuriousteur, il me presse les
flancs, me pique à gauche & à dextre, ses imaginations eslan-
cent les miennes. La jalousieialousie, la gloire, la contentioncontentiō, me pous-
sent & rehaussent au dessus de moy-mesmes. Et l’unissonvnisson, est
qualité du tout ennuyeuse en la conferenceconferēce. Comme nostre es-
prit se fortifie par la communication des esprits vigoureux
& reiglez, il ne se peut dire combien il perd, & s’abastardit par
le continuel commerce, & frequentation, que nous avonsauons a-
vec
a-
uec
les esprits bas & maladifs. Il n’est contagion qui s’espande
comme celle-là. JeIe sçay par assez d’experience, combien en
vaut l’aune. JI’ayme à contester, & à discourir, mais c’est avecauec
peu d’hommes, & pour moy: cCar de servirseruir de spectacle aux
grands, & faire a l’envyenuy parade de son esprit, & de son caquet,
jeie trouvetrouue que c’est unvn mestier tres-messeant, à unvn hommehōme d’hon-
neur
hō-
neur
. La sottise est unevne mauvaisemauuaise qualité, mais de ne la pou-
voir
pou-
uoir
supporter, & s’en despiter & rongerrōger, comme il m’advientaduient,
c’est unevne autre sorte de maladie, qui ne doit guere à la sottise,
en importunité: & est-ce qu’à present jeie veux accuser du mienmiē.
JI’entre en conference & en dispute, avecauec grande liberté & fa-
cilité, d’autant que l’opinion trouvetrouue en moy, le terrein mal
propre à y penetrer, & y pousser des hautes racines: nNulles pro-
positions m’estonnent, nulle creance me blesse, quelque con-
trarieté qu’elle aye à la miennemiēne. Il n’est si frivolefriuole & si extravagan-
te
extrauagā-
te
fantasiefātasie, qui ne me semble bienbiē sortable, à la productionproductiō de l’es-
prit humain. Nous autres qui privonspriuons nostre jugementiugement du
droict, de faire des arrests, regardons mollement les opinions
diversesdiuerses, & si nous n’y prestons le jugementiugement, nous y prestons
aiséement l’oreille. Ou l’unvn plat est vuide du tout en la balancebalāce,
jeie laisse vaciller l’autre, sous les songessōges d’unevne vieille. Et me sem-
MMMMm ij
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[414v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ble estre excusable, si jeie suisji’accepte plustost le nombrenōbre impair: lLe jeudyieudy
au pris du vendredy: sSi jeie m’aime mieux douziesme ou qua-
torziesme, que treziesme à table: sSi jeie vois plus volontiers unvn
liévreliéure costoyant, que traversanttrauersant mon chemin, quand jeie voya-
ge: &Et donne plustost le pied gauche, que le droict, à chausser.
Toutes telles ravasseriesrauasseries, qui sont en credit autour de nous,
meritent, aumoins qu’on les escoute. Pour moy, elles empor-
tent seulement l’inanité, mais elles l’emportent. Encores sont
en poids, les opinions vulgaires & casuelles, autre chose, que
rien, en nature. Et qui ne s’y laisse aller jusquesiusques la, tombe à l’a-
vanture
a-
uanture
au vice de l’opiniastreté, pour evitereuiter celuy de la su-
perstition. Les contradictions donc, des jugemensiugemēs ne m’offen-
cent, ny m’alterent, elles m’esveillentesueillēt seulement & m’exercent.
Nous fuyons à la correction, il s’y faudroit presenter & pro-
duire: notamment quand elle vient par forme de conferance,
non de rejancereiance. A chaque opposition, on ne regarde pas si elle
est justeiuste, mais à tort, ou à droit, commentcōment on s’en deffera: aAu lieu
d’y tendre les bras, nous y tendons les griffes. JeIe souffrirois e-
stre rudement heurté par mes amis,. tTu es unvn sot, tu resvesresues: jJiI’ay-
me entre les galans hommeshōmes, qu’on s’exprime courageusement:
que les mots aillentaillēt ou va la pensée. Il nous faut fortifier l’ouie,
& la durcir, contre cette tandreur, du son ceremonieux des pa-
rolles. JI’ayme unevne societé, & familiarité forte, & virile: unevne a-
mitié, qui se flatte en l’aspreté & vigueur de son commerce:
comme l’amour, és morsures & esgratigneures sanglantes.
Position : Marge gauche Les amities ne me
samblentsamblēt
Elle n’est pas asses vigo=
reuses
uigo=
reuses
et genereuses
si elles ne sont n’est
quereleuses. Si elle
est civiliseeciuilisee modifiee
et artiste. Si elle
creint le hurt & ha ses
allures contreintes.
Neque enim disputari
sine reprehensione potest.

Quand on me contrarie, on esveilleesueille mon attention, non pas
ma cholere: jeie m’avanceauance vers celuy qui me contreditcōtredit, qui m’ad-
vertit
ad-
uertit
. La cause de la verité, devroitdeuroit estre la cause commune, à
l’unvn & à l’autre:. qQue respondra-il? lLa passion du courroux luy à
desjadesia frappé le jugementiugement: lLe trouble, s’en est saisi, avantauant la rai-
son. Il seroit utilevtile, qu’on passast par gageure, le jugementiugemētla decision de nos
disputes: qQu’il y eut unevne marque materielle de nos pertes: affin
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LIVRE TROISIESME.407415
que nous en tinssions contecōteestat: & que mon valet me peut dire,. iIl vous
costa l’année passée cent escus, à vingt fois, d’avoirauoir esté igno-
rant & opiniastre. JeIe festoye & caresse la verité en quelque
main que jeie la trouvetrouue,: & m’y rends alaigrement, & luy tends
mes armes vaincues, de loing que jeie la vois approcher.
Position : Marge droite Et pourveupourueu qu’ilson n’y procedent d’une trouigne re trop imperieuse et
regentesquemagistrale, jeie preste l’espaule aus reprehantions que les l’onlon
amis fontfaict en mes escris: et les ai souvantsouuant corrigezchangez plus part changez plus
par raison de civilitèciuilitè, que par raison d’amandemant: aimant a
gratifier et nourrir la libertè de m’advertiraduertir, par la facilitè
de ceder: oui, a mes despans. Toutesfois il est certes malaisé d’y attirer
les homes de mon temps: ils n’ont pas le corage de corriger, par ce qu’ils
n’ont pas le corage de souffrir a l’estre, et parlent tousjourstousiours aveqaueq dissimu=
lation en visageuisagepresance les uns des autres. JeIe prens si grandgrād plaisir d’estre jugéiugé &
conu qu’il m’est come indifferent en quelle des deus formes jeie cle soits. Mon imagination
se contredit
elle mesme si souventsouuent ent condamne, que ce m’est tout un qu’un autre le
face: veu principalement que jeie ne done à sa
reprehantionreprehātion que l’authorité que jeie veuxueux.
Position : Marge haute Mais jeie romps paille avecauec celuy, qui se tient si haut à la main: comme ji’en cognoy quelqu’unvn, qui plaint son
advertissementaduertissement s’il n’en est creu: & prend à injureiniure, si on estriveestriue à le suivresuiure. Ce que
Socrates receuilloit tousjourstousiours riant les contradictions qu’on faisoit a son discours on pourroit dire
que sa force en estoit cause et que l’avantageauantage aïant a tumber certeinemant de son coste il les
acceptoit come matiere de nouvellenouuelle gloire. Mais nous voionsuoions au rebours qu’il n’est rien qui nous y
rende le sentimant si delicat que l’opinion de la praeeminance et desdein de l’adversereaduersere. Et que par raison
c’est au foible plus tost d’accepter de bon gre les oppositions qui le redressent et instruisentrabillentrabillēt
EtJeIe cer-
che certesa la veritéuerité plus la frequentation de ceux qui me gourment,
que de ceux qui me craignent. C’est unvn plaisir fade & nuisi-
ble, d’avoirauoir affaire à gens qui nous admirent & facent place.
Antisthenes commanda à ses enfans, de ne sçavoirsçauoir jamaisiamais gré
ny grace, à homme qui les louat. JeIe me sens bien plus fier de
la victoire que jeie gaigne sur moy, quand en l’ardeur mesme
du combatcōbat, jeie me faicts plier soubs la force de la raison de mon
adversaireaduersaire,: que jeie ne me sens gré, de la victoire que jeie gaigne
sur luy, par sa foiblesse. En fin jeie reçois & advoueaduoue toute sorte
d’atteinctes qui sont de droict fil, pour foibles qu’elles soient,
mMais jeie suis par trop impatient de celles qui se donnent sans forme. Il
me chaut peu de la matiere, & me sont les opinions unesvnes, &
la victoire du subjectsubiect à peu pres indifferente. Tout unvn jouriour
jeie contesteray paisiblement, si la conduicte du debat se suit
avecauec ordre,
Position : Marge droite Ce n’est pas Position : Interligne haute tant la force et la subtilite que jeie demande, c’estcome l’ordrelordre. L’ordre qui se voituoit tous les
tousjourstousiours aus altercations des bergiers et des enfans de boutique: jamaisiamais entre nous. S’ils
se detraquent c’est en inciviliteinciuilite: si faisons nous bien. Tant y a que le sens tient bon: le
propos ne bouge de son cours: le nostre n’y est jamaisiamais. Ils s’entrecoupent et ne s’atandent
point: nous ne nous atandons ny ne nous entandons.
Mais si la conduicte leur tumulte et
impatiance ne les devoyedeuoye pas de leur theme: leur propos suit son cours. S’ils praevienentpraeuienent
l’un l’autrelautre s’ils ne s’atandent pas, au moins ils s’entendent. On respontd tousjourstousiours trop bien pour moi
si on respond a propos.
mais au rebours, si elleMais jeie dis que quand la dispute est trouble & des-reglée,
jeie quitte la chose, & m’attache à la forme, avecauec despit & indis-
cretion: & me jetteiette à unevne façon de debattre, testuée, malicieu-
se, & imperieuse, dequoy ji’ay à rougir apres.
Position : Marge droite : il est impossible
de disputertreter de bonne
foy aveqaueq un sot. Mon
jugementiugement ne se
corrompt pas sulement
a la maisn d’un m
maistre si impetueux.
Mais aussi ma consci=
ance
sci=
ance
. Nos disputes
devointdeuoint estre pu
defandues et punies
come d’autres crimes
verbausuerbaus. Quel viceuice
n’esveillentesueillent elles &
n’amoncellent
tousjourstousiours guidees
par la cholere
regies
et comandees par la cholere.
Nous entrons en inimitie premie=
remant
premie=
remāt
contre les raisons et puis contre
les homes. mesmes Platon dict que
nNous n’aprenonsaprenōs a disputer que pour
contredire et que chacunchacū contredisant
et estant contredict il en advientaduient que lae
veriteuerite se pert et aneantit fruit du disputer,
c’est perdre & aneantir la veriteuerite. Ainsi
Platon en sa republique prohibe cet
exercice aus esprits ineptes et mal nays.
De vray, àA quoy
faire vous mettez vous en voie de quester la veritéce qui est, avecauec celuy
qui n’a ny pas, ny alleure qui vaille. On ne faict poinct tort au
subjectsubiect, quand on le quicte, pour voir du moyen de le trai-
cter: jeie ne dis pas moyen scholastique & artiste, jeie dis moyen
naturel, d’unvn sain entendement. Que sera-ce en fin? l’unvn va en
orient, l’autre en occident: iIls perdent le principal, & l’escar-
tent dans la presse des incidens,: aAu bout d’unevne heure de tem-
peste, ils ne sçaventsçauent ce qu’ils cerchent,: l’unvn est bas, l’autre
haut, l’autre costié. Qui se prend à unvn mot & unevne comparai-similitude
MMMMm iij
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[415v] ESSAIS DE M. DE MONT.
son:. qQui ne sent plus ce qu’on luy oppose, tant il est engagé en
sa course,: & pense à se suyvresuyure, non pas à vous respondre. Qui
se trouvanttrouuant foible de reins, craint tout, refuse tout,: mesle
des l’entrée, & trouble la dispute.confont le propos
Position : Marge gauche
ou sur l’effort du
debat se mutine
à se taire tout
plat: par une
ignorance despite
affectant ung
orgueilleux
mespris: ou une
sottemant modeste
fuite de contan=
tion.
PourveuPourueu que cettuy-cy frap-
pe, il ne luy chaut combien il se descouvredescouure?. L’autre compte ses
mots & les poise pour raisons. Celuy-là ny emploie que l’ad-
vantage
ad-
uantage
de sa voix, & de ses poulmons. En voila qui conclud
contrecōtre soy-mesme:. &Et cettuy-cy qui vous assourdit de prefaces
& digressions inutiles.
Position : Marge droite . Cet autre s’arme de pures injuresiniures: aimant mieus estre
en querelle qu’en dispute
, et se trouvanttrouuant plus fort de poings que
de raisons
sSe fiant plus de son poing que de sa langue. Ou
aimant mieus ceder par le corps que par l’esperit.
et cherche une
querelle d’Alemaigne pour se desfaire de la societe et
conferance d’un esperit qui presse le sien.
Ce dernier ne voit rienriē en la raison, mais
il vous tient assiegé sur la closture dialectique de ses clauses,
& sur les formules de son art. Or qui n’entre en deffiance des
sciences, & n’est en doubte, s’il s’en peut tirer quelque solide
fruict, au serviceseruicebesoin de la vie, à considerer l’usagevsage que nous en
avonsauons?
Position : Marge gauche Nihil sanantibus
litteris.
Qui à pris de l’entendement en la logique,? où sont ses
belles promesses, Position : Interligne haute nec ad melius uiuendum nec ad commodius disserendum. vVoit-on plus de barbouillage au caquet des
harengeres, qu’aux disputes publiques des hommes de cette
profession? JI’aymeroy mieux, que mon fils apprint aux taver-
nes
tauer-
nes
à parler, qu’aux escholes de la parlerie. Ayez unvn maistre és
arts, conferez avecauec luy, que ne nous faict-il sentir cette excel-
lence artificielle, & ne ravitrauit les femmes, & les ignorans commecōme
nous sommes, par l’admiration de la fermeté de ses raisons, de
la beauté de son ordre: que ne nous domine-il & persuade
comme il veut? UnVn homme si avantageuxauantageux en matiere, & en
conduicte, pourquoy mesle-il à son escrime les injuresiniures, l’in-
discretion & la rage? Qu’il oste son chapperon, sa robbe,
& son latin, qu’il ne batte pas nos aureilles d’Aristote tout
pur & tout cru, vous le prendrez pour l’unvn d’entre nous,
ou pis. Il me semble de cette implication & entrelasseure
due langage, par où ils nous pressent, qu’il en va comme des
joueursioueurs de passe-passe: leur soupplesse combat & force nos
sens, mais elle n’esbranle aucunement nostre creance: hors
ce bastelage, ils ne font rien qui ne soit commun & vile.
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LIVRE TROISIESME.408416
Pour estre plus sçavanssçauans, ils n’en sont pas moins ineptes. JI’ay-
me & honore le sçavoirsçauoir, autant que ceux qui l’ont, & en son
vray usagevsage, c’est le plus noble & puissant acquest des hom-
mes: mais en ceux là (& il en est unvn nombre infiny de ce gen-
re) qui en establissent leur fondamentale suffisance & valeur,
qui se raportent de leur entendement à leur memoire,
Position : Marge droite sub aliena umbra
latentes, nunquam
auctores, semper
interpretes
qui se
tapissent sous l’ombre
estrangiere

sub aliena umbra late
latentes
& ne
peuventpeuuent rien que par livreliure, jeie le hay, si jeie l’ose dire, unvn peu plus
que la bestise. En mon pays, & de mon temps, la doctrine a-
mande assez les bourses, rarement les ames. Si elle les remncon-
tre mousses, elle les aggraveaggraue & suffoque, masse crue & indi-
geste: si desliées, elle les purifie volontiers, clarifie & subtilise
jusquesiusques à l’exinanition. C’est chose de qualité à peu pres in-
differente
in-
differēte
: tres-utilevtile, accessoire à unevne ame bienbiē née, pernicieux à
unevne autre ame & dommageabledōmageable. Ou plustost, chose, de tres-no-
ble & tres pretieux usagevsage, qui ne se laisse pas posseder à vil pris:
en quelque main c’est unvn sceptre, en quelque autre, unevne ma-
rotte. Mais suyvonssuyuons. Qu’elleQuelle plus grande victoire attendez
vous, que d’apprendre à vostre ennemy qu’il ne vous peut
combatre? Quand vous gaignez l’avantageauantage de vostre propo-
sition, c’est la verité qui gaigne: quand vous gaignez l’avan-
tage
auan-
tage
de l’ordre, & de la conduite, c’est vous qui gaignez.
Position : Marge droite Il m’est advisaduis que en
Platon et en Xenophon
Socrates displute plus en
faveurfaueur des disputans
que en faveurfaueur de la
dispute et pour instruire
Euthydemus Gorgias &
Protagoras de la conois=
sance
conois=
sāce
de leur impertinance
plus que de l’impertinance
de leur art Il empouigne
la premiere matiere comme
celuy qui ha une fin plus
utille que de l’esclercir
asçavoirasçauoir esclercir les
esprits qu’il prant a manier
et exercer.
L’a-
gitation & la chasse est proprement de nostre rollegibier, nous ne
sommes pas excusables de la conduire mal & impertinem-
ment: de faillir à la prise c’est autre chose. Car nous sommes
nais à quester la verité, il appartient de la posseder à unevne plus
grande puissance. Elle n’est pas, comme disoit Democritus,
cachée dans le fons des abismes, mais plustost eslevéeesleuée en hau-
teur infinie en la cognoissance divinediuine.
Position : Marge droite Multis fuit pericu=
lis caussa philosofia
insolenter iactata est
contumaciter.
[Note (Mathieu Duboc) : Cette addition était insérée primitivement quelques lignes plus loin après "dire." au niveau de la marque d’insertion biffée.]
Position : Marge droite Le monde n’est
qu’une escole
d’inquisition
Ce n’est pas à qui met-
tra dedans, mais à qui faira les plus belles courses. AutantAutāt peut
faire le sot, celuy qui dict vray, que celuy qui dict faux: car
nous sommes sur la maniere, non sur la matiere du dire. Mon
humeur est de regarder plusautant à la forme qu’a la substance, plusautant
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[416v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
à l’advocataduocat qu’a la cause, comme Alcibiades ordonnoitordōnoit qu’on
fit.
Position : Marge gauche Et me suis souvantsouuanttous les joursiours m’
amusè[Note (Mathieu Duboc) : Montaigne en modifiant sa phrase a omis de supprimer l’accent du mot "amusé".] a lire en des
autheurs sans soin du
bien fonde
de leur matieresciance:
y cherchant laleur façon
sulemant et la force viguruigur
de
non leur ame.matiere. come en
Pline le vieiluieil, en
subjectsubiect.
Quintilien. Tout ainsi
que jeie rechercheroispoursuis la
communication de quelque
esprit fameus non pour
qu’il m’enseignate mais
pour que jeie le conesse.
Tout homme peut dire veritablement, mais dire ordon-
néement, prudemment, & suffisamment,prudemment et suffisamment peu d’hommes le
peuventpeuuent. Par ainsi la fauceté qui vient d’ignorance, ne m’of-
fence point, c’est l’ineptie. JI’ay rompu plusieurs marchez qui
m’estoyent utilesvtiles, par l’impertinence de la contestation de
ceux, avecauec qui jeie marchandois. JeIe ne m’esmeus pas unevne fois
l’an, des fautes de ceux sur lesquels ji’ay puissance, mais sur le
poinct de la bestise & opiniastreté de leurs allegations, excu-
ses & defences, asnieres & brutales, nous sommes tous les
joursiours à nous en prendre à la gorge. Ils n’entendent ny ce qui
se dict, ny pourquoy, & respondent de mesme: c’est pour de-
sesperer. JeIe ne sens heurter rudement ma teste, que par unevne
autre teste. Et entre plustost en composition avecauec le vice de
mes gens, qu’avecauec leur temerité, importunité & leur sottise.
Qu’ils facent moins, pourveupourueu qu’ils soyent capables de faire:
vous vivezviuez en esperance d’eschauffer leur volonté: mais d’unevne
souche, il n’yny a ny qu’esperer, ny que jouyriouyr qui vaille. Or quoi
si jeie prens les choses autrement qu’elles ne sont:? il peut estre:
& pourtant ji’accuse mon impatience. Et tiens, premierementpremieremēt,
qu’elle est également vitieuse en celuy qui à droict, comme
en celuy qui à tort: car c’est tousjourstousiours unvn’aigreur tyrannique,
de ne pouvoirpouuoir souffrir unevne forme diversediuerse à la sienne: &Et puis,:
qu’il n’est à la verité point de plus grande fadese, & plus con-
stante, que de s’esmouvoiresmouuoir & piquer des fadeses du monde,
ny plus heteroclite. Car elle nous formalise principallement
contre nous: & ce philosophe du temps passé n’eust jamaisiamais
eu faute d’occasion à ses pleurs, tant qu’il se fut consideré.
Position : Marge gauche EtCar mMyson l’un des sept
sages d’une humeur Timo=
niene interroge de quoi il
rioit ainsi tout sul
et Democritiene interrogè
de quoi il rioit tout sul: de
ce mesmes, que jeie ris tout sul,
respondit il.
Com-
bien
Cō-
bien
de sottises dis-jeie, & respons-jeie tous les joursiours, selon moy-:
mesme: & volontiers Position : Interligne haute donq combien plus frequentes, selon au-
truy.
Position : Marge gauche Si moimesmejeie m’en mors
les levresleures, qu’en doiventdoiuent
faire les autres. Pour
bien faire
somme, il faut vivreuiure
entre les vivansuiuans et laisser chacun courre a sa modecourre la riviereriuiere sous le pont sans nostre souin
ou a tout le moins sans nostre alteration.
Voyre mais, pourquoy sans nous esmouvoiresmouuoir, rencontronsrencōtrōs
nous quelqu’unvn qui ayt le corps tortu & mal basty, & ne pou-
vonsuons
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LIVRE TROISIESME.409417
vonsuons souffrir le rencontrerencōtre d’unvn esprit mal rengé, sans nous met-
tre en cholere. Cette Position : Interligne haute vitieuseuitieuse aspreté tient plus au jugeiuge qu’à la faute.
Ayons tousjourstousiours en la bouche ce mot de PlatonPlatō:
Position : Marge droite Ce que jeie treuvetreuue mal
sain n’est ce pas que jeie sois
mal sain moimesme
pour
estre moimesme mal sain
nNe suis-jeie pas
moy mesmes en coulpe, mMon advertissementaduertissemēt se peut-il pas con-
tourner
cō-
tourner
enrenverser contrerenuerser contre moy? Sage & divindiuin refrein, qui fouete la plus uni-
verselle
vni-
uerselle
, & commune erreur des hommes:
Position : Marge gauche Non sulement
les reproches que nous faisons les
uns aus autres
Mais nos raisons
aussi et nos argu=
mans es matieres
controversescontrouerses sont
ordineremant
contournables versuers
nous et nous
enferrons de
nos armes. De
quoi l’antienetélantieneté
m’a laisse asses
de gravesgraues
exemples.
c’estcest veritable-
ment
Ce fut ingenieusement
bien
dict, & bientres à propos, par celuy qui l’invantainuanta.
sStercus cuique suum bene olet.
Position : Marge droite Nos yeus ne voientuoient
rien en derriere. Cent
fois du jouriour nous Position : Interligne haute nous nous moquons de nous sur le subjetsubiet de nostre voisinuoisin et detestons
en d’autres les mausdefaus qui
sont en nous plus clerement
et plus apparamet les admirons d’une
merveilleusemerueilleuse impudance
et inadvertanceinaduertance
Position : Interligne basse Encores hier jeie fus a mesmes de voiruoir un home d’entendement et
gentil personage se moquant aussi plaisammantplaisammāt que justemantiustemāt de l’importuneinepte
façon d’un autre qui rompt la teste a tout le monde de ses genealogies & alliances
plus de moitie fauces (ceus la se jettentiettēt plus volontiersuolontiers sur leur noblessetels sots propos qui l’ont leurs qualites plus doubteuses
moins seures) par maniere de precaution.) Et luy s’il eut recule sur soi se fut trouvetrouue non moinsguere moins
intemperant et ennuïeus a fai semer & faire valoirualoir les prerogativesprerogatiues de la race de sa feme O importune
presumption de la quelle la feme se voituoit armee par les mains de son mari mesme. S’ils entandoiintentandoiīt Latin
il luyle faudroit dire Age si haec non insanit satis sua sponte, instiga
JeIe
n’entans pas que nul n’accuse
qui ne soit net: car nul
n’accuseroit: voireuoire ny net
en mesme sorte de coulpe.
Mais ji’entans que nostre
jugementiugement chargeant sur un
autre, du quel pour lors il
est question, ne nous
espargne pas d’une interne
jurisdictioniurisdiction. C’est un office
de charite que qui ne peut oster
un viceuice en soi chercher a
l’oster en autruy mais le
condamner esgalemantesgalemāt en l’un
et en l’autre
ce neantmoins
en autruy: ou il peut avoirauoir
moins maligne et reveschereuesche
semence. Ny me ne me semble
responce a propos, a celuy
qui m’advertitaduertit de ma faute
luy dire qu’ell’est aussi en luy.
Quoi pour cela? TousjoursTousiours
l’advertissementaduertissement est vraiurai &
utille et charitable. Si nous
avionsauions bon nez nostre ordure
nous devroitdeuroit plus puïr d’autant
qu’elle est nostre. Et Socrates
est d’avisauis que chacun aïant
faict
qui se trouveroittrouueroit
coulpable & son filx & un
estrangier de quelque
violanceuiolance et injureiniure devroitdeuroit
comancer par soi a se presenter
a la condamnationcōdānation de la justiceiustice
et implorer pour se purger
le secours de la main du
bourreau secondemantsecondemāt pour son
fis et dernierementdernieremēt l’estrangierlestrāgier
pour l’estrangier. Si ce
precepte prent le ton un peu
trop haut au moins se doit il
presanter le premier a la punition de
sa propre consciance.

Somme, il faut vivreviure entre les vivansviuans, & laisser chacun courre
sa mode, sans nostre soing, & sans alteration.
Les sens sont nos
propres & premiers jugesiuges, qui n’apperçoiventapperçoiuent les choses que
par les accidensaccidēs extremernes: & n’est merveillemerueille, si en toutes les pie-
ces du serviceseruice de nostre societé, il y a unvn si perpetuel, & uni-
versel
vni-
uersel
meslange de ceremonies & apparences superficielles,: si
que la meilleure, & plus effectuelle part des polices, consiste
en cela. C’est tousjourstousiours à l’homme que nous avonsauons affaire,
duquel la condition est merveilleusementmerueilleusement corporelle. Que
ceux qui nous ont voulu bastir ces années passées, unvn exerci-
ce de religion, si contemplatif & immateriel, ne s’estonnent
point, s’il s’en trouvetrouue, qui pensent, qu’elle fut eschapée & fon-
due entre leurs doigts, si elle ne tenoit parmy nous, comme
marque, tiltre, & instrument de divisiondiuision & de part, plus que
par soy-mesmes. Comme en la conference: la gravitégrauité, la rob-
be, & la fortune, de celuy qui parle, donne souventsouuent credit à
des propos vains & ineptes: il n’est pas à presumer, qu’unvn mon-
sieur
mō-
sieur
, si suivysuiuy, si redouté, n’aye au dedansdedās quelque suffisance au-
tre que populaire, & qu’unvn homme à qui on donne tant de
commissions, & de charges, si desdaigneux & si morguant, ne
soit plus habile, que cet autre, qui le salue de si loing, & que per-
sonne n’employe. Non seulement les mots, mais aussi les gri-
maces, de ces gens là, se considerent & mettent en comptecōpte: cha-
cun s’appliquant à y donner quelque belle & solide interpre-
NNNNn
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[417v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tation. S’ils se rabaissent à la conference commune, & qu’on
leur presente autre chose qu’aprobation & reverencereuerence, ils vous
assomment de l’authorité de leur experience: ils ont ouy, ils
ont veu, ils ont faict, vous estes accablé d’exemples. JeIe leur di-
rois volontiers, que le fruict de l’experience d’unvn chirurgien,
n’est pas l’histoire de ses practiques, & se souvenirsouuenir qu’il a gue-
ry quatre empestez & trois gouteux, s’il ne sçait de cet usagevsage,
tirer dequoy former son jugementiugement, & ne nous sçait faire sen-
tir, qu’il en soit devenudeuenu plus sage au serviceseruice l’usage de son art.
Position : Marge gauche
Come en un concert
d’instrumans on n’oit
pas un lut un’espinete &
la flutte: on oit une
harmonie en globe, l’as=
semblage
las=
semblage
et le fruict de
tout cet amas.
Si les
voyages & les charges les ont amendez, c’est à la production
de leur entendement de le faire paroistre. Ce n’est pas assez de
compter les experiences, il les faut poiser & assortir, & les faut
avoirauoir digerées & alambiquées, pour en tirer les raisons & con-
clusions qu’elles portent. Il ne fut jamaisiamais tant d’historiens. Bon
est-il tousjourstousiours, & utilevtile de les ouyr, car ils nous fournissent
tout plain de belles instructions & louables, du magasin de
leur memoire: grande partie certes, au serviceseruicesecours de la vie: mais
nous ne cerchons pas cela pour cette heure, nous cerchons si
ces recitateurs & recueilleurs sont louables eux mesmemesmes. JeIe hay
toute sorte de tyrannie, & la parliere, & l’effectuelle. JeIe me ban-
de
bā-
de
volontiers contre ces vaines circonstances, qui pipent no-
stre jugementiugement par les sens: & me tenant au guet de ces gran-
deurs extraordinaires, ay trouvétrouué que ce sont en sommepour le plus, des
hommes comme les autres.,
Rarus enim fermè sensus communis in illa
Fortuna,.

A l’avantureauāture les estime l’onō, & aperçoit moindres qu’ils ne sont,
d’autant qu’ils entreprennent plus, & se montrent plus,: ils ne
respondent point au faix qu’ils ont pris. Il faut qu’il y ayt plus
de vigueur, & de pouvoirpouuoir, au porteur, qu’en la charge. Celuy
qui n’a pas remplyrēply sa force, il vous laisse devinerdeuiner, s’il a encore de
la force au delà, & s’il à esté essayé jusquesiusques à son dernier point:
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LIVRE TROISIESME.410418
celuy qui succombesuccōbe à sa charge, il descouvredescouure sa mesure, & foi-
blesse de ses espaules. C’est pourquoy on voit tant d’ineptes
ames entre les sçavantessçauantes, & plus que d’autres: il s’en fut faict
des bons hommes de mesnage, bons marchans, bons artizansartizās:
leur vigueur naturelle estoit taillée à cette proportion. C’est
chose de grand poix que la science, ils fondent dessoubs: pour
estaller & distribuer cette noble & puissante matiere, pour
l’employer & s’en ayder, leur engin n’a, ny assez de vigueur, ny
assez de maniement: elle ne peut qu’en unevne forte nature,
or elles sont bien rares.
Position : Marge droite Et les foibles dict
Socrates corrompent
la dignite de la philosofie
en la maniant. Elle paroist
et inutile et vitieuseuitieuse quand
elle est mal estuïee.
Voila commentcōment ils se gastentgastēt & affolent,
Humani qualis simulator simius oris,
Quem puer arridens, pretioso stamine serum
Velauit, nudásque nates ac terga reliquit,
Ludibrium mensis.

A ceux pareillement, qui nous regissent & commandent, qui
tiennent le monde en leur conduictemain, ce n’est pas assez d’avoirauoir
unvn entendement commun, de pouvoirpouuoir ce que nous pouvonspouuōs:
ils sont bien loing au dessoubs de nous, s’ils ne sont bien loing
au dessus. Comme ils promettent plus, ils doiventdoiuent aussi plus: &
pourtant leur est le silence, non seulement contenance de res-
pect & gravitégrauité, mais encore souventsouuent de profit & de mesnage:
car Megabysus estant allé voir Appelles en son ouvrouerouurouer, fut
long temps sans mot dire, & puis commençacōmença à discourir de ses
ouvragesouurages, dont il receut cette rude reprimende. Tandis que
tu as gardé silence, tu semblois quelque grande chose, à cause
de tes cheines & de ta pompe: mais maintenant qu’on t’ata ouy
parler, il n’est pas jusquesiusques aux garsons de ma boutique qui ne
te mesprisent. Ces magnifiques atours, ce grand estat, ne luy
permettoientpermettoiēt point d’estre ignorant d’unevne ignoranceignorāce populaire:,
& de parler impertinemmentimpertinēmēt de la peinture: il devoitdeuoit maintenir
muet, cette externe & praesomptivepraesomptiue suffisance. A combien de
sottes ames en mon tempstēps, à servyseruy unevne mine froide & taciturne,
NNNNn ij
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[418v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
de tiltre de prudenceprudēce & de capacité. Les dignitez, les charges, se
donnent necessairement, plus par fortune que par merite, & à
l’onō tort souventsouuēt de s’en prendreprēdre aux Roys. Au rebours, c’est mer-
veille
mer-
ueille
qu’ils y aient tanttāt d’heur, y ayant si peu d’adresse:
-
Position : Marge gauche Principis est uirtus
maxima, nosse suos:
car la na-
ture ne leur a pas donnédōné la veuë, qui se puisse estendreestēdre à tanttāt de peu
ples, pour discerner de la precellenceprecellēce, & perser nos poitrines, où
loge la cognoissance de nostre volonté & de nostre Position : Interligne haute vraieuraie suffisance.meillure valurualur.
Il faut qu’ils nous trienttriēt par conjecturecōiecture, & à tastonstastōs: par la race, les
richesses, la doctrine, la voix du peuple: tres-foibles argumens.
Qui pourroit trouvertrouuer moienmoiē, qu’onō en peut jugeriuger par justiceiustice, &
choisir les hommeshōmes par raisonraisō, establiroit de ce seul trait, unevne par-
faite forme de police. Ouy mais, il à mené à point ce grandgrād af-
faire: c’est dire quelque chose, mais ce n’est pas assez dire,: car
cette sentencesentēce est justementiustemēt receuë, qu’il ne faut pas jugeriuger les con-
seils
cō-
seils
par les evenemenseuenemens:
Position : Marge gauche Les Carthaginois
punissoint les mauvesmauues
advisaduis de leurs capitenes
encore qu’ils fussent
corrigez par une hureuse
yssue. Et le peuple Romein
a souvantsouuant refuse le triumfe
a des grandes & tres utilles
victoires par ce que la
conduite du chef ne
respondoit point a son
bonheur. On
& s’aperçoit on ordinairement aux a-
ctions du mondemōde, que la fortune, pour nous apprendre, combiencōbien
elle peut en toutes choses, & qui prent plaisir à rabatre nostre
presomptionpresomptiō, n’aiant peu faire les malhabiles sages, elles les fait
heureux, à l’envyenuy de la vertu. Et se mesle volontiers à favoriserfauoriser
les executions, ou l’operationoperatiōla trame est plus purementpuremēt sienne. D’où il
se voit tous les joursiours, que les plus simples d’entre nous, mettentmettēt
a fin de tresgrandes besongnes & publiques & privéespriuées. Et com-
me
cō-
me
SiranneszSirānesz le Persien, responditrespōdit à ceux qui s’estonnoientestonnoiēt commentcōment
ses affaires succedoientsuccedoiēt si mal, veu que ses propos estoientestoiēt si sages,
qu’il estoit seul maistre de ses propos, mais du succez de ses af-
faires c’estoit la fortune: ceux-cy peuventpeuuēt respondrerespōdre de mesme,
mais d’unvn contrairecōtraire biais. La plus part des choses du mondemōde se fontfōt
par elles mesmes., Fata viam inueniunt,. [Note (Mathieu Duboc) : versuers]
L’issuë authorise souventsouuēt unevne tresinepte conduitecōduite. Nostre entre-
mise n’est quasi qu’unevne routine, & plus communéementcōmunéement conside-
ration
cōside-
ratiō
d’usagevsage, & d’exempleexēple, que de raison. EstonnéEstōné de la grandeurgrādeur de
l’affaire, ji’ay autrefois sceu par ceux qui l’avoientauoient mené à fin,
leurs motifs & leur addresse, jeie n’y ay trouvétrouué que des advisaduis
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LIVRE TROISIESME.411419
vulgaires,: & les plus vulgaires & usitezvsitez, sont aussi peut estre, les
plus seurs & plus commodescōmodes à la pratiquepratiq̄, sinonsinō à la montremōtre:. qQuoy si
les plus plattes raisons, sont les mieux assises,: les plus mollesbasses et laches, &
les plus battues, se couchentcouchēt mieux aux affaires? Pour conserverconseruer
l’authorité du conseil des Roys, il n’est pas besoing que les
personnes profanes y participent, & y voyent plus avantauant que
de la premiere barriere. Il se doibt revererreuerer à credit & en bloc,
qui en veut nourrir la reputation. Ma consultation esbauche
unvn peu la matiere, & la considere legierement par ses premiers
visages: le fort, & principal de la besongne ji’ay accoustumé
de le resigner au ciel,
Permitte diuis caetera.
L’heur & le mal’heur, sont à mon gré deux souverainessouueraines puis-
sances. C’est imprudence, d’estimer que l’humaine prudence
puisse remplirrēplir le rolle de la fortune. Et vaine est l’entrepriseētreprise de ce-
luy, qui presume d’embrasserēbrasser & causes & consequencescōsequēces, & mener
par la main, le progrez de son faict,: vaine sur tout aux delibe-
rations guerrieres. Il ne fut jamaisiamais tantplus de circonspection &
prudence militaire, notamment en nostre nation, comme ji’en
vois en usagevsage
qu’il s’en voituoit par fois entre nous: sSeroit ce que chacun’onque chacunon crainct de se perdre en
chemin, se reservantreseruant à la catastrophe de ce jeuieu. JeIe dis plus, que
nostre sagesse mesme & consultation, suit pour la plus part
la conduicte du hazard. Ma volonté & mon discours, se re-
mue tantost d’unvn air, tantost d’unvn autre, & y a plusieurs de ces
mouvemensmouuemens, qui se gouvernentgouuernent sans moy: ma raison à des
impulsions & agitations journallieresiournallieres, et casuelles,
VertuntnrVertuntur species animorum, & pectora motus
Nunc alios, alios dum nubila ventus agebat
Concipiunt.

Qu’on regarde qui sont les plus puissans aus villes, & qui font
mieux leurs besongnes, on trouveratrouuera ordinairementordinairemēt, que ce sont
les moins habiles: il est advenuaduenu aux femmes aux enfans, & aux
NNNNn iij
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[419v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
insensez, de commander des grands estats, à l’esgal des plus
suffisans Princes.
-
Position : Marge gauche et y rencontrent
les esperits mousses
nous
dict Thucidides
plus ordineremant
que les pointus
grossiers que les
subtils.
Nous attribuons les effects de leur bonne
fortune à leur prudence.
Position : Marge droite ut quisque fortuna utitur
Ita praecellet, atque exinde sapere illum omnes dicimus.
Parquoy jeie dis bien, en toutes fa-
çons, que les evenemenseuenemēs, sont debilesmaigres tesmoings de nostre pris
& capacité. Or ji’estois sur ce point, qu’il ne faut que voir unvn
homme eslevéesleué en dignité, quand nous l’aurions cogneu trois
joursiours devantdeuant, homme de peu, il coule insensiblement en nos
opinions, unevne image de grandeur, de suffisance, & nous per-
suadons que croissant de trein & de credit, il est creu de meri-
te. Nous jugeonsiugeons de luy non selon sa valeur:, mais à la mode
des getons, selon la prerogativeprerogatiue de son rang. Que la chanse
tourne aussi, qu’il retombe & se remesle à la presse, chacunchacū s’en-
quiert avecauec admiration de la cause qui l’avoitauoit guindé si haut.
Est-ce luy, faict on? n’y sçavoitsçauoit il autre chose quandquād il y estoit?
les Princes se contentent ils de si peu? nous estions vrayment
en bonnes mains. C’est chose que ji’ay veu souvantsouuant de mon
temps. Voyre & le masque des grandeurs, qu’on represente
aus comedies, nous touche aucunement & nous pipe. Ce que
ji’adore moy-mesmes aus Roys, c’est la foule de leurs adora-
teurs:. tToute inclination & soubmission leur est deuë, sauf cel-
le de l’entendement: ma raison n’est pas duite à se courber &
flechir, ce sont mes genoux. Melanthius interrogé ce qu’il luy
sembloit de la tragedie de Dionysius, jeie ne l’ay, dict-il, point
veuë, tant elle est offusquée de langage: aussi la pluspart de
ceux qui jugentiugent les discours des grans, debvroientdeburoient dire, jeie n’ay
point entendu son propos, tant il estoit offusqué de gravitégrauité,
de grandeur, & de majesté. Antisthenes suadoit unvn jouriour aus
Atheniens, qu’ils commandassent que leurs asnes fussent aussi
bien employez au labourage des terres, comme estoyent les
chevauxcheuaux: surquoy il luy fut respondu, que cet animal n’e-
stoit pas nay à unvn tel serviceseruice: c’est tout unvn repliqua il, il n’y va
que de vostre ordonnance, car les plus ignorans & incapables
hommes, que vous employez aus commandemens de vos
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LIVRE TROISIESME.412420
guerres, ne laissent pas d’en devenirdeuenir incontinent tres-dignes,
parce que vous les y employez. A quoy, touche l’usagevsage de tanttāt
de peuples, qui canonizentcanonizēt le Roy, qu’ils ont faict d’entre eux,
& ne se contentent point de l’honnorer, s’ils ne l’adorentadorēt. Ceux
de Mexico dépuis que les ceremonies de son sacre sont para-
chevées
para-
cheuées
, n’osent plus le regarder au visage: ains comme s’ils l’a-
voyent
a-
uoyēt
deifié par sa royauté, entre les serements qu’ils luy font
jureriurer, de maintenir leur religionreligiō, leurs loix, leurs libertez, d’estre
vaillant, justeiuste & debonnaire, il jureiure aussi, de faire marcher le
soleil en sa lumiere accoustumée, desgouster les nuees en tempstēps
oportun, courir aux rivieresriuieres leur cours, & faire porter à la ter-
re toutes choses necessaires à son peuple. JeIe suis diversdiuers à cette
façon commune, & me deffie plus de la suffisance, quand jeie
la vois accompaignée de grandeur de fortune, & de recom-
mandation populaire. Il nous faut prendre garde, combien
c’est, de parler à son heure, de choisir son point, de rompre le
propos, ou le changerchāger, d’unevne authorité magistrale,: de se deffen-
dre des oppositions d’autruy, par unvn mouvementmouuement de teste, unvn
sous-ris, ou unvn silence, devantdeuant unevne assistance, qui tremble de
reverencereuerence & de respect. UnVn homme de monstrueuse fortune,
venant mesler son advisaduis à certain leger propos, qui se deme-
noit, tout láchement, en sa table, commença justementiustement ainsi:
cCe ne peut estre qu’unvn menteur ou ignorant, qui dira autre-
ment que, & c. sSuyvezsSuyuez cette pointe philosophique, unvn poui-
gnart à la main. Voicy unvn autre advertissementaduertissement, duquel jeie tire
grand usagevsage,: c’est qu’aus disputes & conferencesconferēces, tous les mots
qui nous semblent bons, ne doiventdoiuent pas incontinent estre ac-
ceptez. La plus part des hommes sont riches d’unevne suffisance
estrangere. Il peut adveniraduenir à tel, de dire unvn beau traict, unevne
bonne responce & sentence, & la mettre en avantauant, sans en co-
gnoistre la force.
Position : Marge droite Qu’on ne tient pas tout
ce qu’on emprunte, a
l’avanturelauanture se pourra il
verifieruerifier par moimesme.
Il n’y faut point tousjourstousiours ceder, quelque
verité ou beauté qu’elle ait. Où il la faut combatre à escient,
ou se tirer arriere, soubs couleur de ne l’entendre pas, pour ta-
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[420v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ster de toutes parts, comment elle est logée en son autheur. Il
peut adveniraduenir, que nous nous enferronsenferrōs, & aidons au coup, ou-
tre sa portée. JI’ay autrefois employé à la necessité & presse
du combat, des reviradesreuirades, qui ont faict faucée outre mon des-
sein, & mon esperance. JeIe ne les donnois qu’en nombre, on
les recevoitreceuoit en pois. Tout ainsi, comme, quand jeie debats con-
tre unvn homme vigoureux, jeie me plais d’anticiper ses conclu-
sions
cōclu-
sions
, jeie luy oste la peine de s’interpreter, ji’essaye de prevenirpreuenir
son imagination imparfaicte encores & naissante, l’ordre &
la pertinence de son entendement, m’advertitaduertit & menace de
loing: de ces autres, jeie faicts tout le rebours, il ne faut rien en-
tendre que par eux, ny rien presupposer. S’ils jugentiugent en parolles
universellesvniuerselles: cecy est bon, cela ne l’est pas, & qu’ils rencontrentrencōtrent,
voyez si c’est la fortune, qui rencontrerēcontre pour eux.
Position : Marge gauche Qu’ils circonscriventcirconscriuent et
restreignent leurun peut leur
sentance. Pourquoi c’est:
par ou c’est. Ces jugemensiugemens
universelsuniuersels que jeie voisuois si
[...]nesordineres ne disent rien.
Ce sont gens qui saluent
tout un peuple en foule
& en trope. Ceus qui en
ont vrayeuraye conoissance
le saluent et remarquentremarquēt
specialemantspecialemātnomeement et particu=
lieremant. par leur nom
un chacun selon
qu’il s’offre Videndum
est non modo quid quisque
loquatur, sed etiam quid
quisque sentiat, atque
etiam qua de causa quisque
sentiat
Mais c’est
une hasardeuse entreprinse.
D’ouDou ji’ay veuueu si plus
souvantsouuant que tous les joursiours,
adveniraduenir, que les esprits foible=
ment fondez, voulantuoulant faire les
ingenieus a remarquer en la
lecture de quelque ouvrageouurage
le point de la beaute, arretointent
leur admiration d’un si mauvesmauues
chois, qu’au lieu de nous
apprandre l’excellance de
l’autheur, il nous aprenent
leur propre ignorance. Cestte
exclamations sontest seures.
Voyla qui est beau: aiant oui
une entiere page de Vergile:
Par oula se sauventsauuent les fins.
Mais d’entreprendre a le suivresuiure
par espauletes, et de jugementiugement
expres & particuliertrie vouloiruouloir
remarquer p[unclear]ar ou un bon
autheur se surmonte, par ou
il se rehausse Position : Interligne haute poisant les mots les frases les gardez uous
en
Position : Interligne hauteinvantionsinuantions une apres l’autrelautre: ostez vousuous de la.
Videndum est non modo
quid quisque loquatur, sed
etiam quid quisque sentiat, atque etiam qua de causa quisque sentiat.

JI’oui journellementiournellement dire a des sots des mots non sots.
Ils disent unevne
bonne chose, sçachons jusquesiusques ou ils la cognoissent, voyons
par où ils la tiennent. Nous les aydons à employer ce beau
mot, & cette belle raison, qu’ils ne possedent pas, ils ne l’ont
qu’en garde, ils l’auront produicte à l’avantureauanture, & à tastons,
nous la leur mettons en credit & en pris. Vous leur prestez la
main,: à quoy faire? ils ne vous en sçaventsçauent nul gré, & en devien-
nent
deuiē-
nent
plus ineptes. Ne les secondez pas, laisses les aller: ils ma-
nieront cette matiere, comme gens qui ont peur de s’eschau-
der, ils n’osent luy changer d’assiete & de jouriour, ny l’enfoncer.
Croslez là tant soit peu, elle leur eschappe, ils vous la quittentquittēt,
toute forte & belle qu’elle est. Ce sont belles armes:, mais elles
sont mal emmanchées. Combien de fois en ay-jeie veu l’expe-
rience? Or si vous venez à les esclaircir & confirmer, ils vous
saisissent & desrobent incontinent cet avantageauātage de vostre in-
terpretation: c’estoit ce que jeie voulois dire,: voyla justementiustement
ma conception:, si jeie ne l’ay ainsin exprimé, ce n’est que faute
de langue. Souflez,: il faut employer la malice mesme, à corri-
ger cette fiere bestise.
Position : Marge droite Le dogme
de Hegesias,
a bien de
l’apparancelapparance

qu’il ne faut
ny hayr ny accuser
mais qu’il faut ains
instruire: si non
que ji’en
a de la
raison ailleurs.
Mais icy, c’est
C’est injusticeiniustice & inhumanité de secou-
rir
Fac-similé BVH

LIVRE TROISIESME.413421
rir & redresser celuy qui n’enē à que faire, & qui en vaut moins.
JI’ayme à les laisser embourber & empestrer encore plus qu’ils
ne sont, & si avantauant s’il est possible, qu’en fin ils se recognois-
sent. La sottise & desreglement de sens, n’est pas chose gue-
rissable par unvn traict d’advertissementaduertissement.
Position : Marge droite Et pouvonspouuons propremant
dire de cette reparation ce
que Cyrus respont en Xenofon
a celuy qui le presse
d’enhorter son ost sur
le point d’une bataille.
qQue les homes ne se
rendent pas corageus et
belliqeus sur le champ,
par une bone harangue
non plus qu’on ne devientdeuient
incontinant musicien
pour ouir une bone chançon.
Ce sont aprantissages qui
ont a estre faicts avantauant la
main par longue et constantecōstante
institution.
Nous devonsdeuons ce soing
aux nostres, & cette assiduité de correction & d’instruction:
mais d’aller prescher le premier passant, & regenter l’ignoran-
ce ou ineptie du premier rencontré, c’est unvn usagevsage auquel jeie
veux grand mal. Rarement le fais-jeie, aus propos mesme qui se
passent avecauec moy, & quite plustost tout, que de venir à ces
instructions reculées & magistrales.:
Position : Marge droite Mon humeur n’est
propre non plus a
parler qu’a escrire
pour les principians.
Mais
Mmais aux choses qui se
disent en commun, ou entre autres, pour fauces & absurdes
que jeie les jugeiuge, jeie ne me jetteiette jamaisiamais à la traversetrauerse, ny de parolle
ny de signe. Au demeurant rien ne m’offenceme despite tant en la sotti-
se, que dequoy elle se plaist plus, que aucune raison ne se peut
raisonnablement plaire. C’est mal’heur, que la prudence vous
deffend de vous satiffairesatisfaire & fier de vous, & vous en envoyeenuoye
tousjourstousiours mal content & craintif: là ou l’opiniastreté & la
temerité, remplissent leurs hostes d’esjouïssanceesiouïssance & d’asseuran-
ce. C’est aux plus mal habiles de regarder les autres hommes
par dessus l’espaule, s’en retournans tousjourstousiours du combatcōbat, plains
de gloire & d’allegresse. Et le plus souventsouuent encore il advientaduient,
que cette outrecuidance de langage & gayeté de visage, leur
donne gaigné, à l’endroit de l’assistance, qui est communémentcommunémēt
foible & incapable de bien jugeriuger, & discerner les vrays avan-
tages
auan-
tages
.
Position : Marge droite La fermeté’obstination et
ardur d’opinion
est la plus seureseure
preuvepreuue de bestise.
Est il rien certein
resolu desdeigneus
come en un asnecontemplatif gravegraue
serieus come le port
d’un
l’asne.
PouvonsPouuons nous pas mesler au tiltre de la conference &
communication, les devisdeuis pointus & coupez que l’alegresse
& la privautépriuauté introduict entre les amis, gossans & gaudissans
plaisamment & vifvementvifuement les unsvns les autres. Exercice auquel
ma gayeté naturelle me rend assez propre: & s’il n’est aussi
tendu & serieux que cet autre exercice que jeie viens de dire,
OOOOo
Fac-similé BVH

[421v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
il n’est pas moins aigu & ingenieux.
-
Position : Marge gauche , ny moins utileprofitable
comme il sambloit a
Lycurgus.
Pour mon regard ji’y four-
nisapporte plus de liberté que d’esprit, & y ay plus d’heur que d’in-
vention
in-
uention
: mais jeie suis parfaict en la souffrance: car ji’endure
la revenchereuenche, non seulement aspre, mais indiscrete aussi, sans
alteration. Et à la charge qu’on me faict, si jeie n’ay dequoy
repartir brusquement sur le champ, jeie ne vay pas m’amu-
sant à suivresuiure cette pointe, d’unevne contestation ennuyeuse &
lasche, tirant à l’opiniastreté: jeie la laisse passer, & baissant
joyeusementioyeusement les oreilles, remets d’en avoirauoir ma raison à quel-
que heure meilleure: n’est pas marchant qui tousjourstousiours gai-
gne. La plus part changent de visage, & de voix, ou la force
leur faut, & par unevne importune cholere, au lieu de se ven-
ger, accusent leur foiblesse, ensemble & leur impatience. En
cette gaillardise, nous pinçons par fois des cordes secrettes
de nos imperfections, lesquelles, rassis, nous ne pouvonspouuons tou-
cher sans offence: & nous entreadvertissonsentreaduertissons utillementvtillement de
nos deffauts. Il y a d’autres jeuxieux de main, indiscrets & as-
pres:, à la Françoise, que jeie hay mortellement: ji’ay la peau
tendre & sensible: ji’en ay veu en ma vie, enterrer deux Prin-
ces de nostre sang. Position : Interligne haute royal
-
Position : Marge gauche royal. Il faict beaulaid
se battre en sesbatantesbatāt.
Au reste, quand jeie veux jugeriuger de quel-
qu’unvn, jeie luy demande, combien il se contente de soy, jusquesiusques
ou son parler, ou sa besongne luy plaist. JeIe veux evitereuiter ces bel-
les excuses, jeie le fis en me joüantioüant,
Ablatum mediis opus est incudibus istud,
jeie n’y fus pas unevne heure, jeie ne l’ay reveureueu depuis. Or fais-jeie,
laissons donc ces pieces, donnez m’en unevne qui vous represen-
te bien entier, par laquelle il vous plaise qu’on vous mesu-
re. Et puis, que trouveztrouuez vous le plus beau en vostre ouvra-
ge
ouura-
ge
: est-ce ou cette partie, ou cette cy, la grace, ou la ma-
tiere, ou l’inventioninuention, ou le jugementiugement, ou la science. Car or-
dinairement jeie m’aperçoy, qu’on faut autant à jugeriuger de sa
propre besongne, que de celle d’autruy: non seulement pour
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LIVRE TROISIESME.414422
l’affection qu’on y mesle, mais pour n’avoirauoir la suffisance de
la cognoistre & distinguer. L’ouvrageouurage de sa propre force, &
fortune, peut seconder l’ouvrierouurier outre son inventioninuention, & con-
noissance. Position : Interligne haute et le desvancerdesuancer. Pour moy jeie ne jugeiuge la valeur d’autre besongne,
plus obscurement que de la mienne, & loge les essais tantost
bas, tantost haut, fort inconstammentinconstammēt & doubteusement. Il y a
plusieurs livresliures utilesvtiles à raison de leurs subjectssubiects, desquels l’au-
theur ne tire aucune recommandation: & des bons livresliures, com-
me
cō-
me
des bons ouvragesouurages, qui font honte à l’ouvrierouurier. JI’escriray
la façon de nos convivesconuiues, & de nos vestemens, & l’escriray de
mauvaisemauuaise grace: jeie publieray les edits de mon temps, & les
lettres des Princes qui passent és mains publiques: jeie feray unvn
abbregé sur unvn bon livreliure, & tout abbregé sur unvn bon livreliure
est unvn sot abregé, lequel livreliure viendra à se perdre, & choses
semblables. La posterité, retirera utilitévtilité singuliere de telles com-
positions
cō-
positions
, moy quel honneur, si n’est de ma bonne fortune.
Bonne part des livresliures fameux, sont de cette condition. QuandQuād
jeie leuxs Philippe de Comines, il y a plusieurs années, tresbon
autheur certes, ji’y remarquay ce mot pour non vulgaire: qu’il
se faut bien garder de faire tant de serviceseruice à son maistre, qu’on
l’empesche d’en trouvertrouuer la justeiuste recompence. JeIe devoisdeuois louer
l’inventioninuention, non pas luy. JeIe la r’encontray en Tacitus, il n’y a
pas long temps: Beneficia eo vsque laeta sunt, dum videntur exol-
ui posse, vbi multum anteuenere, pro gratia odium redditur.

Position : Marge droite Et Seneque vigo=
reusement
uigo=
reusement
. Nam qui
putat esse turpe non
reddere, non uult
esse cui reddat.
Q.
Cicero d’un biaiz plus lache
Qui se non putat satisfacere
amicus esse nullo modo potest.
Le su-
ject
su-
iect
selon qu’il est, peut faire trouvertrouuer unvn homme sçavantsçauant &
memorieux: mais pour jugeriuger en luy les parties plus siennes,
& plus dignes, la force & beauté de son ame, il faut sçavoirsçauoir
ce qui est sien, & ce qui ne l’est point: & en ce qui n’est pas
sien, combien on luy doibt en consideration du chois, dis-
position, ornement, & langage qu’il y a fourny. Quoy, s’il a
emprunté la matiere, & empiré la forme, comme il advientaduient
souventsouuent. Nous autres qui avonsauons peu de practique avecauec les
OOOOo ij
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[422v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
livresliures, sommes en cette peine, que quand nous voyons quel-
que belle inventioninuention en unvn poëte nouveaunouueau, quelque fort ar-
gument en unvn prescheur, nous n’osons pourtant les en louer,
que nous n’ayons prins instruction de quelque sçavantsçauant, si
cette piece leur est propre, ou si elle est estrangere. JusquesIusques
lors jeie me tienstiēs tousjourstousiours sur maes gardes. JeIe viens de courre d’unvn
fil, l’histoire de Tacitus (ce qui ne m’advientaduient guere,: il y a
vint ans que jeie ne mis en livreliure, unevne heure de suite) & l’ay faict,
à la suasion d’unvn gentil’homme que la France estime beau-
coup, tant pour sa valeur propre, que pour unevne constante
forme de suffisance, & bonté qui se voit en plusieurs freres
qu’ils sont. JeIe ne sçache point d’autheur, qui mesle à unvn regi-
stre public, tant de consideration des meurs, & inclinations
particulieres.
Position : Marge gauche Et me samble le
rebours de ce qu’il
luy semble a luy, que
aiant specialemant a
vivreuiure suivresuiure les
vies des emperurs
de son temps si diver=
ses
diuer=
ses
et extremes en
toute sorte de formes
tant de notables
actions que nomee=
mant leur cruaute
produisit en leurs
subjectssubiects, il avoitauoit une
matiere plus forte
discourant et na
attirante, a discou=
rir et a narrer que
s’il eut eu a dire des
batailles & agitations
universellesuniuerselles: si que
souvantsouuant jeie le treuvetreuue
sterille, a courant
par dessus ces belles
morts come s’il
creignoit nous
facher de leur
multitude. et
longur.
Il n’est pas en cela moins curieux & diligent
que Plutarque, qui en à faict expresse profession.
Cette for-
me d’Histoire, est de beaucoup la plus utilevtile: les mouvemensmouuemens
publics, dependent plus de la conduicte de la fortune, les pri-
vez
pri-
uez
de la nostre. Et si n’en à point oublié ce qu’il devoitdeuoit à
l’autre partie.
C’est plustost unvn jugementiugement, que narrationdeduction
d’Histoire: il y a plus de preceptes, que de contes: ce
n’est pas unvn livreliure à lire, c’est unvn livreliure à estudier & apprendre:
il est si plain de sentences, qu’il y en a à tort & à droict: c’est
unevne pepiniere de discours ethiques, & politiques, pour la
provisionprouision & ornement de ceux, qui tiennent rang au ma-
niement du monde. Il plaide tousjourstousiours par raisons solides
& vigoreuses, d’unevne façon pointue, & subtile, suyvantsuyuant le
stile affecté du siecle: ils aymoyent tant à s’enfler, qu’où ils
ne trouvoyenttrouuoyent de la pointe & subtilité aux choses, ils l’em-
pruntoyent des parolles. Il ne retire pas mal à l’escrire de
Seneque, il me semble plus charnu, Seneque plus aigu. Son
serviceseruice est plus propre à unvn estat trouble & malade, com-
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LIVRE TROISIESME.415423
me est le nostre present, vous diriez souventsouuent qu’il nous peinct
& qu’il nous pinse. Ceux qui doubtent de sa foy, s’accusent
assez de luy vouloir mal d’ailleurs. Il a les opinions saines, &
pendpēd du bon party aux affaires Romaines. JeIe me plains unvn peu
toutesfois, dequoy il a jugéiugé de Pompeius plus aigrement, que
ne porte l’advisaduis des gens de bien, qui ont vescu & negotiétraicté a-
vec
a-
uec
luy, de l’avoirauoir estimé du tout pareil à Marius & à Sylla, si-
non d’autant qu’il estoit plus couvertcouuert. On n’a pas exempté
d’ambition, son intention au gouvernementgouuernement des affaires, ny
de vengeance: & ont crainct ses amis mesme, que la victoire
l’eust emporté outre les bornes de la raison, mais non pas jus-
ques
ius-
ques
à unevne mesure si effrenée: il n’y à rien en sa vie qui nous
ayt menassé d’unevne si expresse cruauté & tyrannie,: encores ne
faut-il pas contrepoiser le soubçon à l’evidenceeuidence: ainsi jeie ne
l’en crois pas. Que ses narrationsnarratiōs soient naifvesnaifues & droictes, il se
pourroit à l’avantureauanture argumenter de cecy mesme, qu’elles ne
s’appliquent pas tousjourstousiours exactement aux conclusions de ses
jugementsiugements, lesquels il suit selon la pente qu’il y a prise, souventsouuent
outre la matiere qu’il nous montre, laquelle il n’a daigné in-
cliner d’unvn seul air. Il n’a pas besoing d’excuse, d’avoirauoir approu-
approu-
la religion de son temps, selon les loix qui luy comman-
doient, & ignoreé la vraye. Cela, c’est son malheur, non pas son
defaut. JI’ay principalement consideré son jugementiugement, & n’en
suis pas bien esclarcy par tout,: comme ces mots de la lettre
que Tibere vieil & malade, envoyoitenuoyoit au Senat: que vous es-
criray-jeie messieurs, ou comment vous escriray-jeie, où que ne
vous escriray-jeie poinct, en ce temps? Lles dieux, & les deesses
me perdent pirement, que jeie ne me sens tous les joursiours perir, si
jeie le sçay: jeie n’apperçois pas pourquoy il les applique si certai-
nement, à unvn poignant remors qui tourmente la conscience
de Tibere: aumoins lors que ji’estois à mesme, jeie ne le vis
OOOOo iij
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[423v] ESSAIS DE M. DE MONT.
point. Cela m’a semblé aussi unvn peu láche, qu’ayant eu à dire,.
qu’il avoitauoit exercé certain honorable magistrat à Romme, il
s’aille excusant que ce n’est point par ostentation, qu’il l’a dit:.
cCe traict me semble bas de poil, pour unevne ame de sa sorte:
cCar le n’oser parler rondementrondemēt de soy, à, quelque faute de coeur:
uUnvVn jugementiugement roide & hautain, & qui jugeiuge de soy sainementsainemēt, &
seurement, il usevse à toutes mains des propres exemples, ainsi
que de chose estrangere,: & tesmoigne franchement de soyluy,
commecōme de chose tierce: iIl faut passer par dessus ces regles popu-
laires, de la civilitéciuilité, en faveurfaueur de la verité, & de la liberté.
Position : Marge gauche . JI’ose non sule=
ment parler de moi,
mais escrire,parler, sule=
mant de moi: jJeiIe
fourvoiefouruoie, quand
jiescris d’autre cho=
se, et me desrobe
à mon subjectsubiect. JeIe
ne m’aime pas si
profondemantindiscretemant, et ne
suis si atachè et
meslè a moi, que jeie
ne me puisse distin=
guer et considerer a
qartier: come un voisinuoisin
comme un arbre. C’est
pareillemant faillir
de ne voiruoir pas jusquesiusques
ou on vautuaut, ou d’en
dire plus qu’on n’en
voit. Nous devonsdeuons
plus d’amour a dieu
qu’a nous, et le
conessons moins, et
si en parlons tout
nostre soul.
Si ses
escris rapportent aucune chose de ses conditions, c’estoit unvn
grand personnage, droicturier, & courageux, non d’unevne vertu
superstitieuse, mais philosophique & genereuse. On le pour-
ra trouvertrouuer hardy en ses tesmoignages: comme où il tienttiēt, qu’unvn
soldat portant unvn fais de bois, ses mains se roidirent de froid,
& se collerent à sa charge, si qu’elles y demeurerent attachées
& mortes, s’estant departies des bras. JI’ay accoustumé en tel-
les choses, de plier soubs l’authorité de si grands tesmoings.
Ce qu’il dict aussi, que Vespasian, par la faveurfaueur du Dieu Sera-
pis, guarit en Alexandrie unevne femme aveugleaueugle, en luy oignant
les yeux de sa salivesaliue, & jeie ne sçay quel autre miracle, il le faict
par l’exemple & devoirdeuoir de tous bons historiens. Ils tiennent
registre des evenementseuenements d’importance: parmy les accidensaccidēs pu-
blics, sont aussi les bruits & opinions populaires. C’est leur
rolle, de reciter les communes creances, non pas de les regler.
Cette part touche les Theologiens, & les philosophes dire-
cteurs des consciences. Pourtant tressagement, ce sien com-
paignon & grand homme comme luy: Equidem plura transcri-
bo quam credo: Nnam nec affirmare sustineo, de quibus dubito, nec sub-
ducere quae accepi:

Position : Marge gauche et l’autrelautre: hHaec d
ad ostentationem
[...]enae gaudentis
miraculis aptiora
quam ad sedem
neque affirmare neque refellere operae pretium est: famae
rerum standum est
: et escrivantescriuant en un siecle au quel la creance des
prodiges comançoit a diminuer il dict ne vouloiruouloir pourtant laisser d’inserer
en ses annales et doner pied a chose receue de tant de gens de bien et
aveqaueq si grande reverancereuerāce de l’antiquitè.
c’est tresbien dict. Qu’ils nous rendent l’hi-
stoire, plus selon qu’ils reçoiventreçoiuent, que selon qu’ils estiment.
Moy qui suis Roy de la matiere que jeie traicte, & qui n’en dois
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LIVRE TROISIESME.416424
conte à personne, ne m’en crois pourtant pas du tout: jJeiIe ha-
sarde souventsouuent des boutades de mon esprit, qui ne me conten-
tent pas
desquelles jeie me desfie et certeines finesses verbalesuerbales de quoi jeie
secouë les oreilles
: mais jeie les laisse courir à l’avantureauāture,. voir si quelque au-
tre s’en contentera:
JeIe voisuois qu’on s’honore de pareilles choses. Ce n’est pas
a moy puremantsul d’en jugeriuger.

Position : Marge droite et me laisse aller
a des formes de parler
quil n’est[unclear]ne sontsōt

suy par fois quelque
frase qui n’est fort
a mon gré: par
ce que mon inclination
m’y porte: et plus encore
parce que gens des plus grandgrāds
nom que le mien
gens par
le grand nom l’y affectent.
Come l’allusionlallusion des vocables.uocables.come subtile
Tel peut estre m’estimera
le plus par ou jeie me desestime
moinmoins.
JeIe me presante droit
debout et couché, le devantdeuant et le derriere
le costea droite et aussi le a
gauche. Tel peut estre
m’estimera le plus par ou
jeie m’estime le moins. Car

et tous mes naturels
plis.
lLes jugemensiugemēsesperits, voire pareils en force, ne sont
pas tousjourstousiours pareils en application & en goust. Voila ce que
la memoire m’en represente en gros, & assez incertainement.
Tous jugemensiugemens universelsvniuerselsen gros sont láches & dangereux. imparfaictsimparfaicts.


De la vanité. CHAP. IX.



IL n’en est à l’avantureauanture aucune plus expresse, que d’en
escrire si vainement: cCe que la divinitédiuinité nous en à si divine-
ment
diuine-
ment
exprimé, devroitdeuroit estre soingneusement & con-
tinuellement, medité par les gens d’entendemententendemēt. Qui ne voit,
que ji’ay pris unevne route, par laquelle sans cesse & sans travailtrauail, ji’i-
ray autant, qu’il y aura d’ancre & de papier au monde. JeIe ne
puis tenir registre de ma vie, par mes actions, fortune les met
trop bas: jJeiIe le tiens par mes fantasies. Si ay-jeie veu unvn Gentil-
homme, qui ne communiquoit sa vie, que par les operations
de son ventre: vVous voyez chez luy, en montre, unvn ordre de
bassins de sept ou huict joursiours: cC’estoit son estude, ses discours:
tTout autre propos, luy puoit. Ce sont icy, unvn peu plus civile-
ment
ciuile-
mēt
, des excremens d’unvn vieil esprit, dur tantost, tantosttātost lache,
& tousjourstousiours indigeste. Et quand seray-jeie à bout de represen-
ter unevne continuelle agitation & mutation de mes pensées, en
quelque matiere qu’elles tombent, puisque Diomedes rem-
plit six mille livresliures, du seul subjectsubiect de la grammaire? Que doit
produire le babil, puisque le begaiement & desnouement de
la langue, estouffa le monde d’unevne si horrible charge de volu-
mes? TantTāt de paroles, pour les paroles seules. O Pythagoras, que
n’esconjuras-tu cette tempeste. On accusoit unvn Galba du tempstēps
passé, de ce qu’il vivoitviuoit oiseusement: iIl respondit, que chacun
devoitdeuoit rendre raison de ses actions, non pas de son sejourseiour. Il se
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[424v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
trompoit: cCar la justiceiustice a cognoissance & animadvertionanimaduertion
aussi, sur ceux qui chaument. Mais il y devroitdeuroit avoirauoir quelque
coërction des loix, contre les escrivainsescriuains ineptes & inutiles, com-
me
cō-
me
il y à contre les vagabons & faineants: oOn banniroit des
mains de nostre peuple, & moy, & centcēt autres. Ce n’est pas mo-
querie, lLescrivaillerieescriuaillerie semble estre quelque simptome d’unvn
siecle desbordé: qQuand escrivismesescriuismes nous tant, que depuis que
nous sommes en trouble: quand les Romains tant, que lors de
leur ruyne. Outre ce que l’affinement des esprits, ce n’en est
pas l’assagissement en unevne police: cet embesoingnement oisif,
naist de ce que chacun se prent lachement à l’office de sa vaca-
tion, & s’en desbauche. La corruption du siecle se faict, par la
contribution particuliere de chacun de nous: lLes unsvns y confe-
rent la trahison, les autres l’injusticeiniustice, l’irreligion, la tyrannie,
l’avariceauarice, la cruauté, selon qu’ils sont plus puissans: lLes plus foi-
bles y apportent la sottise, la vanité, l’oisivetéoisiueté,: desquels jeie suis.
Il semble que ce soit la saison des choses vaines, quand les dom-
mageables
dō-
mageables
nous pressent. En unvn temps, ou le meschamment
faire est si commun, de ne faire que inutilement, il est comme
louable. JeIe me console que jeie seray des derniers, sur qui il fau-
dra mettre la main: cCe pendant qu’on pourvoirapouruoira aux plus
pressans, ji’auray loy de m’amender: cCar il me semble que ce se-
roit contre raison, de poursuyvrepoursuyure les menus inconvenientsinconuenients,
quand les grands nous infestent. Et le medecin Philotinmus[Note (Montaigne) : m], à
unvn qui luy presentoit le doit à penser, à qui il recognoissoit au
visage, & à l’haleine unvn ulcerevlcere aux poulmons,. mMon amy fit-il,
ce n’est pas à cette heure le temps de t’amuser à tes ongles. JeIe
vis pourtant sur ce propos, il y à quelques années, qu’unvn per-
sonnage, duquel ji’ay la memoire en recommendation singu-
liere, au milieu de nos grands maux, qu’il ny avoitauoit ny loy, ny
justiceiustice, ny magistrat, qui fit son office, non plus qu’à cette heu-
re: alla publier jeie ne sçay quelles reformations, sur les
habil-
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LIVRE TROISIESME.417425
lemens la cuisine & la chicane. Ce sont amusoires dequoy on
paist unvn peuple mal-mené, pour dire qu’on ne l’a pas du tout
mis en oubly. Ces autres fontfōt de mesme, qui s’arrestentarrestēt à deffen-
dre à toute instance, des formes de parler, les dancesdāces, & les jeuxieux,
à unvn peuple perdu de toute sorte de vices execrables. Il n’est
pas temps de se laverlauer & decrasser, quand on est atteint d’unevne
bonne fiévrefiéure.
Position : Marge droite C’est a faire aus suls
Spartiates de se mettre à
se peigner et testoner
sur le pouint qu’ils se vontuont
jetterietter a quelque extreme
abandonhasard de leur vieuie.
Quand à moy, ji’ay cette autre pire coustume,
que si ji’ay unvn escarpin de traverstrauers, jeie laisse encores de traverstrauers, &
ma chemise & ma cappe: jJeiIe desdaigne de m’amender à de-
my: qQuand jeie suis en mauvaismauuais estat, jeie m’acharne au mal,. jJeiIe
m’abandonne par desespoir, & me laisse aller vers la cheute:
Position : Marge droite . Et jetteiette come on dict
le manche apres la
coignee.
jJeiIe
m’obstine à l’empirement, & ne m’estime plus digne de mon
soing: oOù tout bien où tout mal. Ce m’est faveurfaueur que la deso-
lation de cet estat, se rencontre à la desolation de mon aage:
jJeiIe souffre plus volontiers, que mes maux en soient rechargez,
que si mes biens en eussent esté troublez. Les paroles que ji’ex-
prime au malheur, sont paroles de despit, mMon courage se he-
risse au lieu de s’applatir. Et au rebours des autres, jeie me trou-
ve
trou-
ue
plus devotdeuot, en la bonne, qu’en la mauvaisemauuaise fortune: suy-
vant
suy-
uant
le precepte de Xenophon, si non suyvantsuyuant sa raison. Et
faicts plus volontiers les doux yeux au ciel, pour le remercier,
que pour le requerir: jJiI’ay plus de soing d’augmenter la san-
té, quand elle me rit, que jeie n’ay de la remettre quand jeie l’ay
escartee. Les prosperitez me serventseruent de discipline & d’instru-
ction,: comme aux autres, les adversitezaduersitez & les verges.
Position : Marge droite Come si la bone
fortune estoit
incompatible aveqaueq
la bone consciance
les homes ne se rendent
gens de bien qu’en
la mauvesemauuese.
Lae bon-
ne fortuneheur m’est unvn singulier esguillon, à la moderation, &
modestie. La priere me gaigne, la menace me rebute.
Position : Marge droite : la faveurfaueur me ploye
la creinte m’obstine et
m’effarouche
me
roiddit
Parmy
les conditions humaines, cette-cy est assez commune,: de nous
plaire plus des choses estrangeres que des nostres, & d’aymer
le remuement & le changement.:
Ipsa dies ideo nos grato perluit haustu,
Quod permutatis hora recurrit equis.

PPPPp
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[425v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
JI’en tiens ma part. Ceux qui suyventsuyuent l’autre extremité,: de
s’aggreer en eux-mesmes, d’estimer ce qu’ils possedenttienent au des-
sus de tout ledu reste, & de ne reconnoistre aucune forme plus
belle, que celle qu’ils voyent, s’ils ne sont plus advisezaduisez que
nous, ils sont à la verité plus heureux. JeIe n’envieenuie poinct leur
sagesse, mais ouy leur bonne fortune. Cette humeur avideauide
des choses nouvellesnouuelles & inconnues, ayde bien à nourrir en
moy, le desir de voyager,: mais assez d’autres circonstances y
conferent. JeIe me destourne volontiers du gouvernementgouuernement de
ma maison. Il y à quelque commodité à commander, fut ce
dans unevne grange, & à estre obey des siens, mMais c’est unvn plai-
sir trop uniformevniforme & languissant. Et puis il est par necessité
meslé de plusieurs pensements fascheux. Tantost l’indigence
& oppression de vostre peuple, tantost la querelle d’entre vos
voisins, tantost l’usurpationvsurpation qu’ils font sur vous, vous af-
flige.,
Aut verberatae grandine vineae,
Fundúsque mendax, arbore nunc aquas,
Culpante, nunc torrentia agros
Sidera, nunc hyemes iniquas.

Et que à peine en six mois, envoieraenuoiera Dieu unevne saison, dequoy
vostre receveurreceueur se contente bien à plain,: & que si elle sert aux
vignes, elle ne nuise aux prez,
Aut nimiis torret feruoribus aetherius sol,
Aut subiti perimunt imbres, gelidaeque pruinae,
Flabráque ventorum violento turbine vexant.

JoinctIoinct le soulier neuf, & bien formé, de cet homme du temps
passeé, qui vous blesse le pied. Et que l’estranger n’entend pas
combien il vous couste, & combiencombiē vous prestez, à maintenir
l’apparence de cet ordre, qu’on voit en vostre famille,. &Et
qu’a l’avantureauanture l’achetez vous trop cher. JeIe me suis pris tard
au mesnage.: CcCeux que nature avoitauoit faict naistre avantauant
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.418426
moy, m’en ont deschargé long temps.: JjJIiIavoisauois desjadesia pris unvn
autre ply, plus selon ma complexion. Toutesfois de ce que
ji’en ay veu, c’est choseun’occupation plus empeschante, que difficile.: Qqui-
conque est capable d’autre chose, le sera bien aiséement,
de celle là. Si jeie cherchois à m’enrichir, cette voye me sem-
bleroit trop longue: jJiI’eusse servyseruy les Roys, trafique plus
fertile que toute autre.
Position : Marge droite La plus large fin
que jeie me sois propose
en cecy c’est de
rouler sans guein et
sans perte. Rendre a
la fortune ce qu’elle
au desloger ce qu’elle
m’avoisauoisavoit done a jouiriouir
sans detrimant &come sans
amandemant.
Puis que
Position : Marge gauche jeie ne cherche apretans acquerir que la reputation
de n’avoirauoir rien Position : Interligne haute non plus acquis Position : Interligne haute non plus nyque dissipè:. eEt que jeie
conformeement au reste de ma vieuie impropre a faire bien et
a faire mal. Et que jeie
jJeiIe ne cerche qu’a passer, jeie
le puis faire, Dieu mercy, sans grande attention. Au pis al-
ler, courez tousjourstousiours par retranchement de despence, devantdeuant
la pauvretépauureté.: CcC’est à quoy jeie m’attends, & de me reformer,
avantauant qu’elle m’y force. JI’ay estably Position : Interligne haute au demurant en mon ame, assez de
degrez, à me passer de moins, que ce que ji’ay.: JjJeIiIe dis, passer a-
vec
a-
uec
contentement.
Position : Marge droite Non aestimatione census
uerum uictu atque cultu
terminatur pecuniae modus.
Mon vray besoing, n’occupe pas si juste-
ment
iuste-
ment
, tout ce que ji’aymon avoirauoir, que sans venir au vif, fortune n’ait ou
mordre sur moy. Ma presence, toute ignoranteignorāte & desdaigneu-
se qu’elle est, preste grandegrāde espaule à mes affaires domestiques:
jeie m’y employe, mais despiteusementdespiteusemēt. JoinctIoinct, que ji’ay cela chez
moy, que pour brusler a part, la chandellechādelle par mon bout, l’autre
bout, ne se descharge’espargne de rien.
Position : Marge droite
Les voiagesuoiages ne me
blessent que par la
despance, qui est grande
et outre mes forces, ayant
acostumè d’y estre avecauec
equipage non necessaire
sulemantsulemāt, mais encores
honeste: il me les en
faut faire d’autant
plus cours, t& moins fre
frequans: et n’y employeēploye
que l’escume et ma reserue
de mon mesnage, tempori=
sant & differant selon
qu’elle vientuient. JeIe ne veuxueux
pas que le plaisir du
promener interessecorrompe mine le
plaisir du repos: au re=
bours ji’entans qu’ils se
nourrissent et facentvorisentfacentuorisent
espaule l’un a l’autrelautre.
La fortune m’a aide
en ceci, que puis que
ma principale profession
en cette vieuie estoit de
la vivreuiure mollement
et plus tost lachemant
qu’affaireusementaffaireusemēt,: elle
m’a ostè le besouin de
multiplier en richesses pour
pourvoirpouruoir a la multitude de mes
heretiers: pour un, s’il n’a assez
de ce, de quoi ji’ai eu si largemantlargemātplantureusement assez,
a son dam. son imprudance ne
merites pas que jeie luy en desire
davantagedauantage.
Position : Interligne basse Et chacunchacū selon l’examplelexample de Phocion
pourvoitpouruoit suffisammant a ses enfans
qui leur pourvoitpouruoit en tant qu’ils ne luy
sont dissemblables
Nullement serois jeie d’avisauis du
faict de Crates Il laissa son biens en argent ches un
banquier, aveqaueq cette conditioncōdition. Si ces enfans estoint des sots
qu’il le leur donat: s’ils estoint habilles gens qu’il les distribuast
aus plus simples du peuple. Come si les sots pour estre moins
capables de s’en passer, estoient plus capables d’user des richesses.
Tant y à, que le dommage qui
vient de mon abscence, ne me semble point meriter, pendant
que ji’auray dequoy le porter, que jeie refuse d’accepter les oc-
casions qui se presentent, de me distraire de cette assistanceassistāce pe-
nible. Il y a tousjourstousiours quelque piece qui va de traverstrauers. Les ne-
goces, tantost d’unevne maison, tantost d’unevne autre, vous tiras-
sent
tiras-
sēt
. Vous esclairez toutes choses de trop pres: vVostre perspica-
cité vous nuit, icy, comme si faict elle assez ailleurs. JeIe me des-
robe aux occasions de me fascher, & me destourne de la con-
noissance des choses, qui vont mal,: &Et si ne puis tant faire, qu’à
toute heure, jeie ne heurte chez moy, en quelque rencontrerencōtre, qui
me desplaise.
Position : Marge gauche Et les friponeries qu’on me cache
le plus, sont celles que jeie sçai le mieus.
Il en est que pour le mieus il faut
eider soimesmes a cacher.
faire moins
mal il faut eider soimesmes a cacher.
Vaines pointures,: & honteuses,vainesuaines parfois, mais tousjourstousiours
pointures. Les plus menus Position : Interligne haute et gresles empeschemensempeschemēs sont les plus persans:
& comme les petites lettres, offencent & lassent plus les yeux,
PPPPp ij
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[426v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
aussi nous piquent plus, les petits affaires.
-
Position : Marge gauche La tourbe des menus
maus offance plus, que
la violanceuiolance d’un, pour
grand qu’il soit.
A mesure que ces
espines domestiques, sont drues & desliées, elles nous mor-
dent plus aigu, & sans menace, nous surprenant facilement à
l’impourveuimpourueu. Or nous monstre assez Homere, combien la
surprise donne d’avantageauantage, qui faict UlisseVlisse pleurantpleurāt de la mort
de son chien, & ne pleurant point des pleurs de sa mere: le
premier accident, tout legier qu’il estoit, l’emporta, d’autant
qu’il en fut inopinéement assailly, il soustint le second, plus,
impetueux, parce qu’il y estoit preparé. Ce sont legieres oc-
casions, qui pourtant troublent la vie: c’est chose tendre que
nostre vie, & aisée à blesser.
JeIe ne suis pas filosofe: les maus me foulent
selon qu’ils poisent. Et poisent parselon la forme come par la matiereselonselō selon
la matiere,
et souvantsouuant plus. JI’en ai plus de conoissance que le vulguereuulguere
si ji’ai plus de patiance. En fin s’ils ne me blessent, ils
m’offancent. C’est chose tendre que la vieuie et aisee a
troubler.
Depuis que ji’ay le visage tourné
vers le chagrin,
-
Position : Marge gauche (nemo enim resistit sibi
cum coeperit impelli)
pour sotte cause qui m’y aye porté, ji’irrite
l’humeur de ce costé là, qui se nourrit apres, & s’exaspere, de
son propre branle,: aAttirant & emmoncellant, unevne matiere sur
autre, dequoy se paistre,.
Stillicidi casus lapidem canuat:.
cCes continuellesordineres goutieres, m’enfoncent & m’ulcerentvlcerentme mangent.
Position : Marge gauche Les inconveniansinconuenians ordineres conti=
nuels
ne sont jamaisiamais
legiers. Ils sont continuels
& irreparables,: nomee=
mant quand ils naissent
des mambres du mesnage,
continuels & inseparables.
QuandQuād
jeie considere mes affaires de loing, & en gros, jeie trouvetrouue, soit
pour n’en avoirauoir la memoire guere exacte, qu’ils sont allez jus-
ques
ius-
ques
à cette heure, en prosperant, outre mes contes & mes
raisons. JI’en retire ce me semble plus qu’il ny en a, leur bon
heur me trahit.: MmMais suis-jeie au dedans de la besongne, voy-jeie
marcher toutes ces parcelles,
Tum verò in curas animum diducimur omnes,
mille choses m’y donnent à desirer & craindre. De les aban-
donner du tout, il m’est tres-facile,: de m’y prendre sans m’en
peiner, tres-difficile. C’est pitié, d’estre en lieu ou tout ce que
vous voyez, vous en besongne, & vous concerne. Et me sem-
ble jouyriouyr plus gayement les plaisirs d’unevne maison estrangie-
re, & y apporter le goust plus libre & purnaïf.
Position : Marge gauche Diogenes respondit
selon moy, a celuy qui
luy demanda quelle sorte
de vinuin il trouvoittrouuoit le
meillur: l’estrangierlestrangier, fit il.
Mon pere aymoit
à bastir le lieuMontaigne où il estoit nay: &Et en toute cette police d’af-
faires domestiques, ji’ayme à me servirseruir de son exemple & de
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LIVRE TROISIESME.419427
ses reigles, & y attacheray mes successeurs autant que jeie pour-
ray.: SsSi jeie pouvoispouuois mieux pour luy, jeie le feroys. JeIe me glorifie
que sa volonté s’exerce encores & agisse par moy. JaIa à Dieu
ne plaise que jeie laisse faillir entre mes mains aucune image de
vie, que jeie puisse rendre à unvn si bon pere. Ce que jeie me suis me-
slé chez moy, d’acheveracheuer quelque vieux pan de mur, & de ren-
ger quelque piece de bastiment mal dolé, ç’a esté certes, plus
regardant à son intention, qu’a mon contentement. [Note (Mathieu Duboc) : Voici les trois versions rédigées, et corrigées successivement par Montaigne : 1- Et accuse ma faineance de n’avoir passe outre a parfaire tout ce qu’il avoit comance en sa maison: que cela faict pouvoit estre contée entre les belles & amples en sa province some que je suis... 2- Et accuse ma faineance de n’avoir passe outre a parfaire tout ce qu’il avoit comance en sa maison: que cela faict l’on eut peu estre entre les belles & amples de sa province some que je suis... 3- Et accuse ma faineance de n’avoir passe outre a parfaire les beaus comancements qu’il a laissez en sa maison: d’autant plus que je suis...]
Position : Marge droite Et accuse ma faineance
de n’avoirauoir passe outre a
parfaire tout ce qu’il avoitauoit
comance
les beaus comancements
qu’il a laissez
en sa maison: que
cela faict pouvoitpouuoit estrel’on eut peu conteer
entre les belles & amples en sade sa
provinceprouince some
d’autant plus que jeie suis en
grans termes d’en estre
le dernier possessur de ma
race
de ma
race
et d’y porter la derniere
main de ma race.
Car quantquāt
à mon application particuliere, ny ce plaisir de bastir, qu’on
dict estre si attrayant, ny la chasse, ny les jardinsiardins, ny ces au-
tres plaisirs de la vie retirée, ne me peuventpeuuent beaucoup amuser.
C’est chose dequoy jeie me veux mal, comme de toutes autres
opinions qui me sont incommodes. JeIe ne me soucie pas tant
de les avoirauoir vigoreuses & doctes, comme jeie me soucie de les
avoirauoir aisées & commodes à la vie.
Position : Marge droite : elles sont assez
vraïesuraïes et saines si
elles sont utiles et
agreables.
Ceux qui en m’oyant dire
mon insuffisance aux occupationsoccupatiōs du mesnage, vont me souf-
flant aux oreilles que c’est desdain,. &Et que jeie laisse de sçavoirsçauoir
les instrumens du labourage, ses saisons, son ordre, comment
on faict mes vins, comme on ente, & de sçavoirsçauoir le nom & la
forme des herbes & des fruicts, & l’aprest des viandesviādes, dequoy
jeie vis,
Position : Marge droite , le nom et le t[unclear]pris des
estoffes de quoi jeie
me vestisuestis, habille,
pour avoirauoir à cueur quelque plus hau te science,: ils me
font mourir. Ce n’est pas mespris:,Cela, c’est sottise: & plustost be-
stise, que gloire: jJeiIe m’aimerois mieux bon escuyer, que bon lo-
gitien.:
Quin tu aliquid saltem potius quorum indiget vsus,
Viminibus molli-que[sic] paras detexere iunco.

Position : Marge droite Nosus empeschons temere=
rem
imprudammant noz
pensees du gros et du
general de l’estrelestre du
monde & du nostre et
ommetons les pieces
particulieres d’oudou le trein
se faict et ommetons
et des causes et
conduites universellesuniuerselles de qui
nous n’avonauon
qui se conduisent
tresbien sans nous et
laissons en arriere nostre faict
et
Michel qui nous touche
encore de plus pres que
l’home

Or ji’arreste bien chez moy le plus ordinairementordinairemēt, mais jeie vou-
drois m’y plaire plus qu’ailleurs,
Sit meae sedes vtinam senectae,
Sit modus lasso maris, & viarum,
Militiaeque.

JeIe ne sçay si ji’en viendrayviēdray à bout. JeIe voudrois qu’au lieu de quel-q̄l-
PPPPPp iij[sic]
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[427v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
que autre piece de sa succession, mon pere m’eust resigné, cet-
te passionnee amour, qu’en ses vieux ans, il portoit à son mes-
nage. Il estoit bienbiē heureux, de ramener ses desirs, à sa fortune,
& de se sçavoirsçauoir plaire de ce qu’il avoitauoit. La philosophie politi-
que, aura bel accuser la bassesse & sterilité de mon occupationoccupatiō,
si ji’en puis Position : Interligne haute une fois prendre le goust. Position : Interligne haute come luy. JeIe suis de cet avisauis, Position : Interligne haute il est certein, que la plus no-
blehonorable vacationvacatiō & la plus justeiuste, est de servirseruir au publiq, & estre utilevtile à
beaucoup.
Position : Marge gauche Fructus enim ingenii et
uirtutis omnisque praes=
tantiae tum maximus
accipitur cum in proximumproximū
quemque confertur.
Pour mon regard djedie m’enē despars: pPartie par consciencecōsciēce,
cCar par ou jeie vois le pois qui touche telles vacations, jeie vois
aussi le peu de moyen que ji’ay d’y fournir:
Position : Marge gauche Et Platon maistre
ouvrierouurier en tout gouver=
nement
gouuer=
nement
politique ne laissa
de s’en abstenir.
pPartie par poltro-
nerie: jJeiIe me contente de jouïriouïr le monde, sans m’en empresser,:
dDe vivreviure unevne vie, seulement excusable,: &Et qui seulementseulemēt, ne poi-
se, ny à moy ny a autruy. JamaisIamais homme ne se laissa aller plus
plainement & plus láchement, au soing & gouvernementgouuernement
d’unvn tiers, que jeie fairois, si jiavoisauois à qui. L’unvn de mes souhaits
pour cette heure, ce seroit de trouvertrouuer unvn gendre, qui sçeut
appaster commodéement mes vieux ans, & les endormir.
Entre les mains de qui jeie deposasse en toute souverainetésouueraineté, la
conduite & usagevsage de mes biens: qQu’il en fit ce que ji’en fais, &
gaignat sur moy ce que ji’y gaigne: pPourveupPourueu qu’il y apportat
unvn courage vrayement reconnoissant, & amy. Mais quoy, nous
vivonsviuons en unvn monde, ou la loyauté des propres enfans est in-
connue. Qui à la garde de ma bourse en voyage, il l’a pure &
sans contrerole: aAussi bienbiē me tromperoit il en contant. Et si ce
n’est unvn diable, jeie l’oblige à bien faire, par unevne si abandonnée
confiance.
Position : Marge gauche habita fides
uersam plerumqueplerūque
fidem obligat.

Multi fallere
docuerunt dum
timent falli, et
alijs ius peccandi
suspicando feceruntfecerūt.
La plus commune seureté, que jeie prens de mes gensgēs,
c’est la m’esconnoissancemesconnoissance: jJeiIe ne presume les vices qu’apres que
jeie les ayavoirauoir veux[sic]: &Et m’en fie plus aux jeunesieunes, que ji’estime moins
gastez par mauvaismauuais exemple. JI’oi plus volontiers dire, au bout
de deux mois, que ji’ay despandu quatre çens escus, que d’a-
voir
a-
uoir
les oreilles battues tous les soirs, de trois, cinq, sept. Si
ay-jeie esté desrobé aussi peu que’un autre.
Position : Marge gauche de cette sorte
de larrecin.
Il est vray, que jeie preste
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LIVRE TROISIESME.420428
unvn peu l’espaulela main à l’ignorance: jJeiIe nourris à escient, aucunementaucunemēt
trouble & incertaine la science de mon arjantariant: jJusquesiIusques à cer-
taine mesure, jeie suis content, d’en pouvoirpouuoir doubter. Il faut
laisser unvn peu de place à la desloyauté, ou imprudence de vo-
stre valet: sS’il nous en reste en gros, de quoy faire vnostre effect,
cet excez de la liberalité de la fortune, laissezons les unvn peu plus
courre à sa mercy.
Position : Marge droite , la part du glanportion du
glaneur. Apres
tout jeie ne prise pas
tant la foi de mes
gens come jeie mesprise
leur injureiniure.
O le vilein & sot estude, d’estudier son argentargēt
se plaire à le manier Position : Interligne haute poiser & reconter: cC’est par la, que l’avariceauarice faict
ses aproches:. Dépuis dixhuict ans, que jeie gouvernegouuerne des biens,
jeie n’ay sçeu gaigner sur moy, de voir, ny tiltres, ny mes princi-
paux affaires, qui ont necessairement à passer par ma sciencesciēce, &
par mon soing. Ce n’est pas unvn mespris philosophique, des
choses transitoires & mondaines:, jJeiIe n’ay pas le goust si espu-
,: & les prise pour le moins ce qu’elles valent:, mMais certes c’est
faitardiseparesse & mollessenegligence inexcusable & puerile. [Note (Mathieu Duboc) : Addition insérée primitiement trois lignes plus haut, après "par mon soing.", au niveau du signe d’insertion biffé.]
Position : Marge droite Que ne ferois jeie
plus tost que de lire
un contract. Et plus
aller secouant ces
paperasses poudreuses
esclaveesclaue de mes negoces

tost que ji’aille d’aller
secouans ses paperasses
poudreuses esclaveesclaue de
mes negoces d’aller
secouant ces
d’aller secouant
ces paperasses poure
poudreuses, esclaveesclaueserf de
mes negoces. Ou encore
pis pourde ceus d’autrui comme
font tant de gens a pris
d’argent. JeIe n’ay rien cher que
le soucy et la peine: et ne cherche
qu’a m’anonchalir & avachirauachir.
JI’estoy, ce croi-
jeie plus propre, à vivreviure de la fortune d’autruy, s’il se pouvoitpouuoit
sans obligation & sans servitudeseruitude. Et si ne sçay à l’examiner de
pres, si selon mon humeur & mon sort, ce que ji’ay à souffrir
des affaires, & des serviteursseruiteurs, & des domestiques, n’a point plus
d’abjectionabiection, d’importunité, & d’aigreur, que n’auroit la suitte
d’unvn hommehōme, n’aynay plus grandgrād que moy,: qui me guidat unvn peu à
mon aise.
-
Position : Marge gauche Seruitus
obedientia est
fracti animi
et abiecti, ar=
bitrio carentis
suo:
Crates fit pis, qui se jettaietta en la franchisefrāchise de la pauvretépauureté,
pour se deffaire des indignitez & cures du mesnagede la maison. Cela ne
fairois-jeie pas: jJeiIe hay la pauvretépauureté à pair de la douleur: mMais ouy
bien, changer cette sorte de vie, à unevne autre moins noble, &bravebraue, et
moins affaireuse. Absent jeie me despouille de tous tels pense-
mens: & sentirois moins lors la ruyne d’unevne tour, que jeie ne
faicts present, la cheute d’unevne ardoyse. Mon ame se démesle
bien ayséement à part, mais en presence, elle souffre:, comme
celle d’unvn vigneron.
Position : Marge droite UneVne rene de trau
traverstrauers a mon
chevalcheual, un bout
bout d’estriviereestriuiere qui
me batte lma jambeiambe
me despiteront toute
une journeeiournee entiere

tienderont tout un jouriour
en humeur.
J’esleveIesleue assez mon courage à l’encontre
des inconveniensinconueniens, les yeux jeie ne puis.,
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[428v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Sensus ô superi sensus.
JeIe suis chez moy, respondantrespōdant de tout ce qui va mal. Peu de mai-
stres, jeie parle de ceux de moienne condition commecōme est la mien-
ne, & s’il en est, ils sont plus heureux, se peuventpeuuent tant reposer,
sur unvn second, qu’il ne leur reste bonne part de la charge. Ce-
la oste
Position : Marge gauche volantiersuolantiers quelque
chose de ma façon au
tretemanttretemāt des es survenanssuruenās:
& en ai peut estre p[unclear] come
les fachus plustel
arreter par
ma cuisine que par ma
grace et estre aucun, tel

quelcun parvantureparuanture
plus par ma cuisine, que
par ma grace, come font
les fachus: et oste
beaucoup, du plaisir que jeie devroisdeurois prendreprēdre chez moy,
de la visitation & assemblée de mes amis. La plus ineptesotte con-
tenance, & plus vile d’unvn gentilhomme en sa maison, c’est de
le voir empesché de l’ordredu train de sa police,: parler à l’oreille d’unvn
valet,: en menacer unvn autre des yeux. Elle doit couler insensi-
blement, & representer unvn traincours ordinaire.: Et treuvetreuue laid qu’onō
entretienne ses hostes, du traictement qu’on leur faict, autant
à l’excuser qu’à lae vanter. JI’ayme l’ordre & la netteté,
& cantharus & lanx,
Ostendunt mihi me,

au pris de l’abondanceabōdance: &Et regarde chez moy exactementexactemēt à la ne-
cessité, peu à la parade. Si unvn valet se bat chez autruy, si unvn plat
se verse, vous n’en faites que rire: vous dormez ce pendant que
monsieur rengerēge avecauec son maistre d’hostel, ses affairesson faict, pour vo-
stre traitement du lendemain.
Position : Marge droite JI’en parle selon moy: et selon mon humur et
selon ma fortune.
Ne laissant pas en general d’estimer
combien c’est un dous amusemant a certeines natures et sages
qu’un mesnage paisible prospere conduit par un ordre reglé.
Et ne voulantuoulant atacher a la choses mes propres errurs et inconveniansinconuenians.
Ny desdire Platon qui estime la plus heureuse occupation a chacun:
faire ses propres affaires, quand ils ne sontsens[sic] injustesiceiniustesice.
Quand jeie voyage, jeie n’ay à pen-
ser qu’à moy, & à l’emploicte de mon argent: cela se dispose
d’unvn seul precepte. Il est requis trop de parties à amasser, jeie
n’y entens rien: aA despendre, jeie m’y entens unvn peu,: & à don-
ner jouriour à ma despence, qui est de vray son principal usagevsage:
mMais jeie m’y attens trop ambitieusement, qui la rend inegalle
& difforme, & en outre immoderée en l’unvn, & l’autre visage.
Si elle paroit, si elle sert, jeie m’y laisse indiscrettement aller: &Et
me resserre autant indiscrettement, si elle ne luit, & si elle ne
me rit. Qui que ce soit, ou art, ou nature, qui nous imprime
cette condition de vivreviure, par la relation à autruy, nous faict
beaucoup plus de mal que de bien. Nous nous defraudons de
nos propres utilitezvtilitez, pour former les apparences à l’opinion
com-
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LIVRE TROISIESME.421429
commune.: IiIl ne nous chaut pas tant, quel soit nostre estre, en
nous, & en effaict, comme quel il soit, en la cognoissance pu-
blique. Les biens mesmes de l’esprit, & la sagesse, nous semble
sans fruict, si elle n’est jouieiouie que de nous:, sSi elle ne se produict
à la veuë & approbation estrangere. Il y en a, de qui l’or coul-
le à gros bouillons, par des lieux sousterreins, imperceptible-
ment: dD’autres l’estandentestādent tout en lames & en feuille: sSi qu’aus
unsvns, les liars valent escuz, aux autres le rebours: le monde esti-
mant l’emploite & la valeur, selon la montre. Tout soing cu-
rieus autour des richesses sent à l’sonavariceauarice: lLeur dispensation
mesme, & la liberalité trop ordonnéeordōnée & artificielle: eElles ne va-
lent pas unevne advertanceaduertance & sollicitude penible. Qui veut faire
sa despence justeiuste, la faict estroitte & contrainte. La garde, ou
l’emploite, sont de soy choses indifferentesindifferētes, & ne prennentprēnent cou-
leur de bienbiē ou de mal, que selon l’applicationapplicatiō de nostre volontévolōté.
L’autre cause qui me conviecōuie à ces promenades, c’est la disconve-
nance
discōue-
nāce
aux meurs presentes de nostre estat: jJeiIe me consoleroiscōsolerois ay-
séement
ay-
séemēt
de cette corruptioncorruptiō, pour le regard de l’interest public,
peioraque saecula ferri
Temporibus, quorum sceleri non inuenit ipsa
Nomen, & à nullo posuit natura metallo,

mMais pour le mienmiē, non. JI’en suis en particulier trop pressé. Car
en mon voisinage, nous sommes tantost par la longue licen-
ce de ces guerres civilesciuiles, envieillisenuieillis en unevne forme d’estat si des-
bordée,
Quippe vbi fas versum atque nefas.
qu’a la verité c’est merveillemerueille qu’elle se puisse maintenir.:
Armati terram exercent, sempérque recentes
Conuectare iuuat praedas, & viuere rapto.

En fin jeie vois par nostre exemple, que la societé des hommes
se tient & se coust, à quelque pris que ce soit: eEn quelque as-
siete qu’on les couche, ils s’appilent, & se rengent, en se
QQQQq
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[429v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
remuant, & s’entassant, comme des corps mal unisvnis qu’on em-
poche sans ordre, trouventtrouuent d’eux mesme la façon de s’accom-
moder, se joindreioindre, & s’emplacer les unsvns parmy les autres, sou-
vant
sou-
uāt
mieux que l’art ne les eust sçeu disposer. Le Roy Philippus
fit unvn amas, des plus meschansmeschās hommeshōmes & incorrigibles qu’il peut
trouvertrouuer, & les logea tous en unevne ville, qu’il leur fit bastir, qui
en portoit le nom. JI’estime qu’ils dressarent des vices mesme,
unevne contexture politique entre eux, & unevne commode & ju-
ste
iu-
ste
societé. JeIe vois, non, unevne action, ou trois, ou cent, mais des
meurs en usagevsage commun & receu, si monstrueuses, en inhu-
manité sur tout & desloyauté, qui est pour moy la pire espe-
ce des vices, que jeie n’ay point le courage de les concevoirconceuoir sans
horreur,: & les admire, quasi autant que jeie les deteste. L’exer-
cice de ces meschancetez insignes, porte marque de vigueur
& force d’ame, autant que d’erreur & desreglement. La neces-
sité compose les hommes & les assemble. Cette cousture for-
tuite se forme apres en loix. Car il en à esté d’aussi farouches
qu’aucune opinion humaine puisse enfanter, qui toutesfois
ont maintenu leurs corps, avecauec autant de santé & longueur
de vie, que celles de Platon & Aristote sçauroyent faire. Et
certes toutes ces descriptionsdescriptiōs de police, feintes par art, se trou-
vent
trou-
uent
ridicules, & ineptes à mettre en practique.
Position : Marge gauche quam docti fingunt
magis quam norunt.
Ces grandes
& longues altercations, de la meilleurmeilleure forme de societé, & des
reigles plus commodes à nous attacher, sont altercations
propres seulement à l’exercice de nostre esprit: cComme il se
trouvetrouue és arts, plusieurs subjectssubiects qui ont leur essence en l’agi-
tation & en la dispute, & n’ont aucune vie hors dela. Telle
peinture de police seroit de mise en unvn nouveaunouueau monde,
mais nous prenonsprenōs les hommes obligez desjadesia, & formez à cer-
taines coustumes. Nous ne les engendrons pas comme Pyr-
rha ou comme Cadmus. Par quelque moyen que nous ayonsayōs
loy de les redresser, & renger de nouveaunouueau, nous ne pouvonspouuons
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LIVRE TROISIESME.422430
guieres les tordre de leur ply accoustumé, que nous ne rom-
pons tout. On demandoit à Solon, s’il avoitauoit estably les meil-
leures loys qu’il avoitauoit peu aux Atheniens: oOuy bien, respon-
dit-il, de celles qu’ils eussent receuës.
Position : Marge droite Varro s’excuse de pareil
air. Que s’il avoitauoit tout de
nouveaunouueau a escrire de la
relligion il diroit ce qu’il
en croit. Mais aiant a
l’escrire desjadesia receue il
est tenu de suivresuiure plus l’usagelusage
que la nature
estant dejadeia
receue et formee il en dira
selon l’usage plus que selon
nature.
Non par opinion, mais
paren verité, l’excellente & meilleure police, est à chacune na-
tion, celle soubs laquelle elle s’est maintenuë. Sa forme & com-
modité
cō-
modité
essentielle despend de l’usagevsage. Nous nous desplaisons
volontiers de la condition presente: mMais jeie tiens pourtant,
que d’aller desirant le commandement de peu, en unvn estat po-
pulaire, ou en la monarchie unevne autre sorteespece de gouvernementgouuernemēt,
c’est vice & folie:
Ayme l’estat tel que tu le vois estre,
S’il est royal ayme la royauté,
S’il est de peu, ou bien communauté,
Ayme l’aussi car Dieu t’y à faict naistre.

Le bon monsieur de Pibrac, que nous venons de perdre,: unvn
esprit si gentil, les opinions si saines, les meurs si douces. Cet-
te perte, & celle qu’en mesme temps, nous avonsauons faicte de
monsieur de Foix, sont pertes importantes à nostre couron-
ne. JeIe ne sçay s’il reste à la France de quoy substituer unvn au-
tre coupple pareil à ces deux gascons, en syncerité, & en suffi-
sance, pour le conseil de nos Roys. C’estoyent ames diverse-
ment
diuerse-
ment
belles, & certes selonselō le siecle, rares & belles, chacune en
sa forme. Mais qui les avoitauoit logées en ce sieclecet aage, si disconvena-
bles
disconuena-
bles
& si disproportionnées, à nostre corruption, & à nos tem-
pestes
tē-
pestes
? Rien ne presse unvn estat que l’innovationinnouation: lLe change-
ment donne seul forme à l’injusticeiniustice, & à la tyrannie. Quand
quelque piece se démanchedémāche, on peut l’estayer: on peut s’oppo-
ser à ce, que l’alteration & corruption naturelle à toutes cho-
ses, ne nous esloingne trop de nos commencemens & princi-
pes: mMais d’entreprendre à refondre unevne si grande machinemasse,
QQQQ q ij
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[430v] ESSAIS DE M. DE MONT.
& ena changer les fondements Position : Interligne haute d’un si grand bastimant, c’est à faire à ceux, Position : Interligne haute qui pour descrasser effacent: qui veulentveulēt a-
mender les deffauts particuliers, par unevne confusion univer-
selle
vniuer-
selle
, & guarir les maladies par la mort. Position : Interligne haute non tam commutandarum quam euertaendarum rerum cupidi. Le monde est ine-
pte à se guarir: iIl est si impatient de ce qui le presse, qu’il ne
vise qu’a s’en deffaire, sans regarder à quel pris. Nous voyons
par mille exemples, qu’il se guarit ordinairement à ses des-
pens: lLa descharge du mal present, n’est pas guarison, s’il n’y
à en general amendement de condition. [Note (Mathieu Duboc) : Cette grande addition commence dans la marge gauche et continue dans la marge basse.]
Position : Marge gauche La fin du Chirurgien, n’est pas de faire mourir la mauvaisemauuaise chair: ce n’est que l’acheminement de sa cure: il regarde au delà,
d’y faire renaistre la naturelle, et rendre la partie a son deu estre. Quiconque propose sulemant d’emporter ce qui le mache,
il demure court, car le bien ne succede pas necesseremant au maltoutes: un autre mal luy peut succeder, et pire, come il advintaduint aus
tueurs de cesar qui jettarentiettarent la chose publique a tel pouint qu’ils eurent a se repantir de s’en estre meslez. A plusieurs despuis
jusquesiusques a nos siecles il est advenuaduenu de mesmes Les françois memes contemporanees sçaventsçauent bien qu’en dire. Toutes grandes mutations esbranlent l’estatlestat et le desordonent. Qui viseroituiseroit droit a la
l’amandemant guerison et en consulteroit avantauant toute euvreeuure, se refroidiroit volontiersuolontiers d’y mettre la main. PacuviusPacuuius CalaviusCalauius corrigea le viceuice
de ce proceder, par un example insigne. Ses concitoiens estoint mutinez contre leurs magistrats: Luy personage de grande authoritè en la villeuille de Capo
trouvatrouua un jouriour moien d’enfermer le senat dans le palais: et convocantconuocant le peuple en la place leur dict que le jouriour estoit venuuenu auquel en pleine liberté
ils pouvointpouuoint prandre vangenceuangence des tirans qui les avointauoint si longtemps oppressez, lesquels il tenoit a sa merci suls et desarmez: fut d’avisauis qu’au sort
on les tirat hors l’un apres l’autrelautre, & de chacunchacū on ordonat particulieremant, faisant sur le champ executer ce qui en seroit decretè: pourveupourueu aussi
que tout d’un trein ils avisassentauisassent d’establir quelque home de bien en la place du condamnè, affin qu’elle ne demurat vuideuuide d’officier. Ils n’eurent pas
plus tost oui le nom d’un senatur qu’il s’eslevaesleua un cri de mescontantemant universeluniuersel a l’encontrelencontre de luy. JeIe voiuoi bien dict PacuviusPacuuius, il faut desmettre
Position : Interligne basse cettuy-cy: c’est un meschant: ayons en un bon en change. Ce fut un prompt
sillance, tout le monde se trouvanttrouuant bien empechè au chois. Au premier
plus effrontè, qui dict le sien: voilauoila un consantement de voixuoix encores plus
grand a refuser celluyla: cent imperfections & iustesiustes causes de le rebuter.
Ces humeurs contradictoires s’estant eschauffees il advintaduint encore pis du
secont senatur et du tiers. Autant de discorde a l’election que de convenanceconuenance
a la demission. S’estant inutilemant lassez a ce troble, ils comancent
qui deça qui dela a se desrober peu a peu de l’assamblee, raportant
chacun cette resolution en son ame, que le plus vieiluieil et mieus conu mal
est tousjourstousiours plus supportable, que le mal recent et inexperimanté.
Pour nous voir
bien piteusement agitez, car que n’avonsauons nous faict?
Eheu cicatricum & sceleris pudet,
Fratrumque: quid nos dura refugimus
Aetas? quid intactum nefasti
Liquimus? vnde manus iuuentus
Metu Deorum continuit? quibus
Pepercit aris?

jeie ne vay pas soudain me resolvantresoluant, que c’est faict de nous:
ipsa si velit salus
Seruare prorsus non potest hanc familiam:

nNous ne sommes pas pourtant à l’avantureauanture, à nostre dernier
periode. La conservationconseruation des estats, est chose qui vray-sem-
blablement surpasse nostre intelligence.
Position : Marge droite C’est come dict Platon chose puissante et de difficille dissolution qu’une Position : Interligne haute civileciuile police. Elle dure
souvantsouuant contre des maladies mortelles et instestines contre l’injureiniure des loix vicieusesuicieusesinjustesiniustes contre la tyrannie
contre lae ldesbordement et ignorance des magistrats licence et sedition des peuples et contre les maladies externes
la famine la peste la guerre
.
En toutes nos for-
tunes, nous nous comparons à ce qui est au dessus de nous,
& regardons vers ceux qui sont mieux: mMesurons nous à ce
qui est au dessous, il n’en est point de si malotru, qui ne trou-
ve
trou-
ue
mille exemples ou se consoler.
Position : Marge droite Mais c’C’est nostre viceuice. qQue nous voïonsuoïons plus
mal volontiersuolontiers ce qui est d’avantdauant nous que
volontiersuolontiers ce quei nous laissons derriere.est apres nous.
Et commeSi disoit Solon,
qui dresseroit unvn tas de tous les maux ensemble, qu’il n’est
aucun, qui ne choisit plustost de raporter avecauec soy les maux
qu’il a, que de venir à divisiondiuision legitime, avecauec tous les autres
hommes, de ce tas de maux, & en prendre sa quotte part.
Nostre police se porte mal,: il en à esté pourtant de plus
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LIVRE TROISIESME.423431
malades sans mourir. Les dieux se jouentiouents’esbattent de nous à la pe-
lote, & nous agitent à toutes mains, enimuero Dij nos homi-
nes quasi pilas habenthabēt
. Les astres ont fatalement destiné l’estat de
Romme, pour patronexamplaire de ce qu’ils peuventpeuuent en ce genregēre: iIl com-
prend en soy, toutes les formes & avanturesauantures, qui touchent unvn
estat: tout ce que l’ordre y peut, & le trouble, & l’heur, & le
malheur. Qui se doit desesperer de sa condition, voyant les se-
cousses & mouvemensmouuemens dequoy celuy-là fut agité, & qu’il sup-
porta. Si l’estenduë de la domination, est la santé d’unvn estat:,
(dequoy jeie ne suis aucunement d’advisaduis)
Position : Marge droite et me plait Isocrates de
doner avisauis a
qui
instruit
Nicocles non
d’envierenuier les princes qui ont
des dominations loin estendueslarges
mais ceus qui sçaventsçauent bien
conserverconseruer & conduirecōduire celles qui
leurs sont escheues)
celuy-là ne fut jamaisiamais
si sain, que quand il fut le plus malade. La pire de ses formes,
luy fut la plus fortunée. A peine reconnoit-on l’image d’au-
cune police, soubs les prémiers Empereurs: c’est la plus hor-
rible & espesse confusion qu’on puisse concevoirconceuoir. Toutesfois
il la supporta, & y dura, conservantconseruant, non pas unevne monarchie
resserrée en ses limites, mais tant de nations, si diversesdiuerses, si esloi-
gnées, si mal affectionnées, si desordonnéement commandéescommādées,
& injustementiniustement conquises.,
nec gentibus vllis
Commodat in populum terrae pelagíque potentem,
Inuidiam fortuna suam.

Tout ce qui branle ne tombe pas. La contexture d’unvn si grandgrād
corps tient à plus d’unvn clou. Il tient mesme par son antiquité:
cComme les vieux bastimens, ausquels l’aage à desrobé le pied,
sans crouste & sans cyment, qui pourtantpourtāt viventviuent & se soustien-
nent en leur propre poix,
nec’iam validis radicibus haerens,
Pondere tuta suo est.

D’avantageauantage, ce n’est pas bien procedé, de reconnoistre seule-
ment le flanc & le fossé: pPour jugeriuger de la seureté d’unevne place, il
faut voir, par où on y peut venir, en quel estat est l’assaillant.
QQQQq iij
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[431v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Peu de vaisseaux fondent de leur propre poix, & sans violen-
ce estrangere. Or tournons les yeux par tout, tout crolle au-
tour de nous: eEn tous les grands estats, soit de ChrestientéChrestiēté, soit
d’ailleurs, que nous cognoissons, regardez y, vous y trouvereztrouuerez
unevne evidenteeuidente menasse de changement & de ruyne:,
Et sua sunt illis incommoda, párque per omnes
Tempestas.

Les astrologues ont beau jeuieu, à nous advertiraduertir, commecōme ils font,
de grandes alterations, & mutations prochaines: lLeurs devi-
nations
deui-
nations
sont presentes & palpables, il ne faut pas aller au ciel
pour cela. Nous n’avonsauons pas seulement à tirer consolation, de
cette societé universellevniuerselle de mal & de menasse, mais encores
quelque esperance, pour la durée de nostre estat: dD’autant que
naturellementnaturellemēt, rien ne tombe, là ou tout tombe: la maladie u-
niverselle
v-
niuerselle
est la santé particuliere: la conformité, est qualité
ennemie à la dissolution. Pour moy, jeie n’en entre point au de-
sespoir, & me semble y voir des routes à nous sauversauuer:
Deus haec fortasse benigna,
Reducet in sedem vice.

Qui sçait, si Dieu voudra qu’il en advienneaduiēne, commecōme des corps qui
se purgentpurgēt, & remettentremettēt en meilleur estat, par longueslōgues & griefvesgriefues
maladies: lesquelles leur donnentrendent unevne santé plus entiere &
plus nette, que celle qu’elles leur avoientauoient osté: Ce qui me poi-
se le plus, c’est qu’à compter les simptomes de nostre mal, ji’en
vois autant de naturels, & de ceux que le ciel nous envoyeenuoye, &
proprement siens, que de ceux que nostre desreiglement, &
l’imprudence humaine y conferent.
Position : Marge gauche il samble que les astres
ciel nous avertitauertitmesme ordonent que
nous avonsauons asses duré,
& outres les termes ordi=
neres. Et ceci aussi me
poise, que le plus voisinuoisin
mal qui samblesāble nous menacer
ce n’est pas la difforma=
tion en toute la masse
le changemantchāgemāt solide et
universeluniuersel mais sa
dissipation et divulsiondiuulsion,
la pire de toutes nos creintes
alteration en la masse entiere et solide,
mais sa dissipation et divulsiondiuulsion,: l’extremelextreme de nos creintes.
Encores en ces ravasseriesrauasseries
icy, crains-jeie, la trahison, de ma memoire, que par inadver-
tance
inaduer-
tance
, elle m’aye faict enregistrer unevne chose deux fois. JeIe hay
à me reconnoistre, & ne retaste jamaisiamais qu’enuis ce qui m’est u-
ne
v-
ne
fois eschappe. Or jeie n’apporte icy rien de nouvelnouuel appren-
tissage, cCe sont imaginations communes, les ayant à l’avantuauantu-
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LIVRE TROISIESME.424432
re conceuës cent fois, ji’ay peur de les avoirauoir desjadesia enrollées. La
redicte est par tout ennuyeuse, fut ce dans Homere: mais elle
est ruineuse aux choses qui n’ont qu’unevne montre superficiel-
le & passagiere. JeIe me desplais de l’inculcation, voire aux cho-
ses utilesvtiles, comme en Seneque.
Et l’usagelusage de son eschole
Stoique me desplait de
redire sur chaque matiere
tout au long et au large
etles principes & presupposition
qui serventseruent a tout le corps en
general et re realleguer
tousjourstousiours de nouveaunouueau les
argumans & raisons communes
et universelesuniuerseles.
Ma memoire s’empire cruelle-
ment tous les joursiours.
Pocula Lethaeos vt si ducentia somnos,
Arente fauce traxerim.

Il faudra doresnavantdoresnauant, car Dieu mercy jusquesiusques à cette heure, il
n’en est pas advenuaduenu de faute, que au lieu que les autres cerchentcerchēt
temps, & occasion de penser à ce qu’ils ont à dire, jeie fuye à me
preparer, de peur de m’attacher à quelque obligation, de la-
quelle ji’aye à despendredespēdre. L’estre tenu & obligé, me fourvoiefouruoie, &
le despendre d’unvn si foible instrument qu’est ma memoire. JeIe
ne lis jamaisiamais cette histoire, que jeie ne m’en offence, d’unvn ressen-
timent propre & naturel. Lyncestez accusé de conjurationconiuration,
contre Alexandre, le jouriour qu’il fut mené en la presence de l’ar-
mée, suyvantsuyuant la coustume, pour estre ouy en ses deffences, a-
voit
a-
uoit
en sa teste unevne harangue estudiée, de laquelle tout hesitanthesitāt
& begayant, il prononça quelques paroles: cComme il se trou-
bloit de plus en plus, ce pendant qu’il luicte avecauec sa memoire,
& qu’il la retaste, le voila chargé & tué à coups de pique, par
les soldats, qui luy estoientestoiēt plus voisins, le tenanttenāt pour convaincucōuaincu:
sSon estonnementestonnemēt & son silencesilēce, leur servitseruit de confession. Ayant
eu en prison tant de loisir de se preparer, ce n’est à leur advisaduis,
plus la memoire qui luy manque,: c’est la conscience qui luy
bride la langue, & luy oste la force. Vrayment c’est bien dict,:
oOn s’estonne du lieu, deLe lieu estone, l’assistance, de l’expectation, lors mes-
me qu’il n’y va que de l’ambition de bien dire,: qQue peut-on
faire quand c’est unevne harangue, qui porte la vie en consequen-
ce
consequē-
ce
. Pour moy, cela mesme, que jeie sois lié à ce que ji’ay à dire, sert
à m’en desprendre. Quand jeie me suis commis & assigné entie-
rement á ma memoire, jeie pends si fort sur elle, que jeie l’accable:
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[432v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
eElle s’effraye de sa charge. Autant que jeie m’en rapporte à elle,
jeie me mets hors de moy, jusquesiusques à essaier ma contenance: &Et
me suis veu quelque jouriour en peine, de celer la servitudeseruitude en la-
quelle ji’estois entravéentraué:. lLà ou mon dessein est,. de representer en
parlant, unevne profonde nonchalance, & des mouvemensmouuemens for-
tuites & impremeditez, comme naissans des occasionsoccasiōs presen-
tes: aAymant aussi cher ne rien dire qui vaille, que de montrer
estre venu premeditéprepare pour bienbiē dire: cChose messeante, sur tout
à gens de ma profession.
Position : Marge gauche Et chose de trop
grande obligation a
qui ne peut beaucoup
tenir: L’apprest done
plus a esperer qu’il ne
porte. On se met souvantsouuāt
sotemant en perpouint,
pour ne sauter pars mieus
qu’en saye. Ils ont
Nihil est his qui placere
uolunt tam aduersarium
quam expectatio.
Ils ont
On a laissé par escrit de l’orateur Cu-
rio, que quand il proposoit la distribution des pieces de son
oraison, en trois, ou en quatre, ou le nombre de ses arguments
& raisons, il luy advenoitaduenoit volontiers, ou d’en oublier quel-
qu’unvn, ou d’y en adjousteradiouster unvn ou deux de plus. JeIe me suis tou-
sjours
tou-
siours
bien gardé, de tomber en cet inconvenientinconuenient, ayant hay
ces promesses & prescriptions: nNon seulement pour la deffian-
ce
deffiā-
ce
de ma memoire, mais aussi pour ce que cette forme, retire
trop a l’attisteartiste.
Position : Marge gauche Simpliciora mili=
tares decent.
Baste, que jeie me suis meshuy promis, de
ne prendre plus la charge de parler en lieu de respect: cCar quantquāt
à parler en lisant son escript, outtre ce qu’il est monstrueux, il
est de grand desavantagedesauātage à ceux, qui par nature pouvoientpouuoiēt quel-
que chose en l’action. Et de me jetterietter à la mercy de mon in-
vention
in-
uention
presente, encore moins: jJeiIe l’ay lourde & trouble, qui
ne sçauroit fournir à soudaines necessitez, & importantes.
Laisse lecteur courir encore ce coup d’essay, & ce troisiesme a-
longeail, du reste des pieces de ma peinture. JIadjousteadiouste, mais jeie
ne corrige pas: pPremierementpPremieremēt, par ce que celuy qui à hypothec-
qué au monde son ouvrageouurage, jeie trouvetrouue apparence, qu’il n’y aye
plus de droict: qQu’il die s’il peut, mieux ailleurs, & ne corrom-
pe la besongne qu’il nous à venduë: dDe telles gensgēs il ne faudroit
rien acheter qu’apres leur mort: qQu’ils y pensent bien, avantauant que
de se produire: qQui les haste?
Position : Marge gauche Mon livreliure est
tousjourstousiours un. Sauf
qu’a mesure que’onō les
imprimurs
seschauf=
fent
met a le renouvellerrenouueller
affin que l’acheturlachetur ne s’en aille les mains du tout vuidesuuides
jeie me done loy d’y atacher quelque embleme supernumerere
ou quelque marque obliee de mon image si la memoire m’en
suggere.
Ce ne sont que surpois. En fin ce ne sont que surpois.
Et come ce n’est qu’une marqueterie mal jouinteiouinte & descolleecome ce n’est qu’une marqueterie mal jouinteiouinte quelque embleme supernumerere.
Ce ne sont que surpois. Et en peut avenirauenir que la chronologie se trouble. Par ou il s’y pourra bien trouvertrouuer quelque transposition de
chronologie.
D’ouDou il y peut eschoir quelque praeoccupation en la chronologie sur les evenemanseuenemans de mon temps.

qui ne condamnent pouint la premiere impressionforme mais donent quelque pris particulier a chacune des suivantessuiuantes par une petite
finessesubtilite ambitieuse Par ouDe la toutesfois il se trouverratrouuerra volontiersuolontiersadvienderaaduiendera facilement qu’il s’y mesle quelque transposition de chronologie. Mes contes
prenant place selon leur opportunité, non tousjourstousiours selon leur eage.
Secondement, que pour mon re-
gard, jeie crains de perdre au change: mMon entendement ne va
pas
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LIVRE TROISIESME.425433
pas tousjourstousiours avantauant, il va à reculons par foisaussi: jJeiIe ne me deffie
guiere moins de mes fantasies, pour estre secondes ou tierces,
que premieres: ou presentes, que passées. Nous nous corrigeonscorrigeōs
aussi sottement souventsouuēt, Position : Interligne haute come nous corrigeons les qu’aux autres. JeIe suis envieillyenuieilly de huit
sept ans depuis mes premieres publications
Position : Marge gauche , qui furent l’an 1580
: mais jeie fais doute que
jeie sois amandé
Mes premieres publications furent l’an 1580. Despuis, d’un long
traict de temps jeie suis enviellienuielli mais assagi jeie ne suis pas le suis certes pas
d’unvn pouce.
Position : Marge droite Moi asture et moi a
tantosttantost somes bien
deus. Mais quand
meillur jeie n’en puis
rien dire. Nous allons
visuis a visuis par fois de traverstrauers
costé par fois souvantsouuant
en arriere.
Il feroit
beau estre vieiluieil si
nous amandions en
vieillissantuieillissant
ne mar=
chions que versuers l’aman=
demant. C’est un pasmouvemantmouuemant
d’yvrouigneyurouigne titubant
vacillantuacillant ou l’agitation
des joncsioncs que l’airlair manie
selon soi.
vertigineusxuertigineusx
informe: ou des joncsioncs que
l’airlair manie selon soy, casu=
ellement selon soy.
Antiochus avoitauoit vigoreu=
sement
uigoreu=
sement
escrit en faveurfaueur
de l’Academie il prit sur
ses vieusuieus ans un autre
parti: le quel des deus jeie
suivissesuiuisse seroit pas tous=
jours
tous=
iours
suivresuiure Antiochus.
Apres avoirauoir establi de
le doubte vouloiruouloir establir
la certitude des opinions
humaines, estoit ce pas
establir le doubte no[unclear]n la la
certitude. Sembloit il pasEt
promettre qui luy eut doné un
nouvelnouuel
encores un eage a durer qu’il
estoit tousjourstousiours en luiterme
de nouvellenouuelle agitation: non
tant meilleure qu’autre.
La faveurfaueur publique m’a donné unvn
peu plus de hardiesse que jeie n’esperois: mMais ce que jeie crains le
plus, c’est de saouler,. jJiI’aymerois mieux poindre que lasser, com-
me
cō-
me
à faict unvn honnestesçavantsçauant homme de mon temps. La louange est
tousjourstousiours plaisante, de qui, & pourquoy qu’elle vienne: sSi faut
il pour s’en aggréer justementiustement, estre informé de sa cause. Les
imperfections mesme, ont leur moyen de se recommander.
L’estimation vulgaire & commune, se voit le plus souventsouuēt, peu
heureuse en rencontre: &Et de mon temps, jeie suis trompé, si les
pires escrits ne sont ceux qui ont gaigné le dessus du vent po-
pulaire. Certes jeie rends graces à des honnestes hommes, qui
daignent prendre en bonne part, mes foibles efforts. Il n’est
lieu où les fautes de la façon paroissent tant, qu’en unevne matie-
re qui de soy n’a point de recommendation:. nNe te prensprēs point
à moy Lecteur, de celles qui se coulent icy, par la fantasie, ou
inadvertanceinaduertāce d’autruy: cChaque main, chaque ouvrierouurier, y apporte
les siennes. JeIe ne me mesle, n’yny d’ortografe,: & ordonne seule-
ment qu’ils suiventsuiuent l’ancienne,: nNy de la punctuationpunctuatiō: jeie suis peu
expert en l’unvn & en l’autre. Ou ils rompent du tout le sens, jeie
m’en donne peu de peine, car aumoins ils me deschargentdeschargēt: mMais
ou ils en substituent unvn faux, comme ils font si souventsouuent, & me
destournent à leur conception, ils me perdentruinent. Toutesfois
quand la sentence n’est forte à ma mesure, unvn honeste homme
la doit refuser pour mienne. Qui connoistra combien jeie suis
peu laborieux, combien jeie suis faict à ma mode, croira faci-
lement, que jeie redicterois plus volontiers, encore autant d’es-
sais, que de m’assujettirassuiettir à les resuivreresuiure ceus cy, pour cette puerile corre-
RRRRr
Fac-similé BVH

[433v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ction. JeIe disois donc tantost, qu’estant planté en la plus pro-
fonde miniere de ce nouveaunouueau metal, non seulementseulemēt jeie suis pri-
pri-
de grande familiarité, avecauec gens d’autres humeurs, Position : Interligne haute que les mienes: & opi-
nions que les miennes, & qui se tiennent
d’autres
et d’autres opinions, par les quelles ils tienent ensemble
d’unvn neud qui fuit à
tout autre neud,: mMais encore jeie ne suis pas sans hazard, parmy
ceux à qui tout est egalement loisible, & desquels la plus part
ne peut meshuy empirer son marché, enversenuers nostre justiceiustice,
d’ou naist l’extreme degré de licence. Contant toutes les par-
ticulieres circonstances qui me regardent, jeie ne trouvetrouue hommehōme
des nostres, à qui la deffencedeffēce des loix, couste, & en guain cessantcessāt,
& en dommagedōmage emergeantemergeāt, disent les clercs, plus qu’à moy.
Position : Marge gauche et tels font bien les
bravesbraues de leur chalur
et aspreté, qui font
beaucoup moins que moi
en justeiuste balance.
CommeCōme
maison de tout tempstēps libre, ouverteouuerte,de grand abbord, & officieuse à chacunchacū, (car jeie
ne me suis jamaisiamais laissé induire, d’enē faire unvn outil de guerre of-
fensive
of-
fensiue
: à laquellelaq̄lle jeie me mesle plus volontiers ou elle est lea plus
esloingnée de mon voisinage,) ma maison à merité assez d’affe-
ction
affe-
ctiō
populaire,. &Et seroit bienbiē malaisé de me gourmandergourmāder sur mon
fumier: &Et estime à unvn merveilleuxmerueilleux chef d’oeuvreoeuure, & exemplai-
re, qu’elle soit encore vierge de sang, & de sac, soubs unvn si long
orage, tant de changemens & agitations voisines. Car à dire
vray, il estoit possible, à unvn homme de ma complexion, d’es-
chaper à unevne forme constante, & continue, quelle qu’elle fut:
mMais les invasionsinuasions & incursions contraires, & alternations &
vicissitudes de la fortune, autour de moy, ont jusquiusqu’a cette
heure plus exasperé que amolly, l’humeur du pays,: & me re-
chargent de dangersdāgers, & difficultez invinciblesinuincibles. JI’eschape,: mMais
il me desplaist que ce soit plus par fortune, voire, & par ma
prudence, que par justiceiustice: &Et me desplaist d’estre hors la prote-
ction des loix, & soubs autre sauvegardesauuegarde que la leur. Comme
les choses sont, jeie vis plus qu’à demy, de la faveurfaueur d’autruy,: qui
est unevne rude obligation. JeIe ne veux debvoirdebuoir ma seureté, ny à
la bonté, & benignité des grands, qui s’aggreent de ma legali-
té, & liberté: ny à la facilité des meurs de mes predecesseurs, &
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.426434
miennes: cCar quoy si ji’estois autre? Si mes deportemens, & la
franchise de ma conversationconuersation, obligent mes voisins, ou la pa-
renté, c’est cruauté qu’ils s’en puissent acquiter, en me laissant
vivreviure: &Et qu’ils puissent dire,: nous luy condonnons
Position : Marge droite la libre continuation du
serviceseruice divindiuin en la chapelle de
sa maison toutes les esglises
d’autour estant de si longtempspar nous
desertees & ruinees et lusage
de ses biens et luy condonons sa
vieuie
luy condonons l’usagelusage
de ses biens & de sa vieuie
sa mai-
son, & sa vie, commecōme il conservecōserue nos femmes, & nos beufs au be-
soing. De longue main chez moy, nous avonsauons part à la louangelouāge
de Licurgus Athenien, qui estoit general depositaire & gardiengardiē
des bourses de ses concitoyens. Or jeie tienstiēs, qu’il faut vivreviure par
droict, & par auctorité, non par Position : Interligne haute recompance ny par grace. Combien d’honnestesde galans
hommes, ont mieux aimé perdre la vie, que la devoirdeuoir. JeIe fuis à
me submettre à toute sorte d’obligation,: mMais sur tout, à celle
qui m’attache, par devoirdeuoir d’honneur. JeIe ne trouvetrouue rien si cher,
que ce qui m’est donné, & ce pourquoy, ma volonté demeure
hypothequée par tiltre de gratitude: &Et reçois plus volontiers
les offices, qui sont à vendre.: JjJeIiIe[Note (Montaigne) : i] croy bien: pPour ceux-cy, jeie ne
donne que de l’argentargēt, pour les autres, jeie me donne moy-mes-
me. Le neud qui me tient par la loy d’honnesteté, me semble
bien plus pressant & plus poisant, que n’est celuy de la contrain-
te
cōtrain-
te
civileciuile. On me garrote plus doucement par unvn notaire, que
par moymesme. N’est-ce pas raison, que ma conscience soit
beaucoup plus engagee, à ce, en quoy on s’est simplement fié
d’elle. Ailleurs, ma foy ne doit rien:, car on ne luy à rien presté:
qQu’on s’ayde de la fiance & asseurance, qu’on à prise hors de
moy. JI’aymeroy bienbiē plus cher, rompre la prison d’unevne murail-
le, & des loix, que de ma parole.
Position : Marge droite JeIe suis delicat
a l’observationobseruation de
mes promesses jusquesiusques
a la superstition: et
les fois en tous subjectssubiects
volantiersuolantiers incerteines
et conditionelles. A
celles qui sont de nul
pois et interest, jeie
done pois de la jalou=
sie
ialou=
sie
de ma regle: elle
me geine de son p et charge
de son propre interest. Oui
es entreprinses toutes mienes
et libres si ji’en dicts le point, il me semble
que jeie me le prescris, et que le doner a la
sciance d’autrui c’est en priverpriuer ma liberte
ainsi jeie l’evanteeuante peu
le le l’oster preordoner
a soi
Il me semble que
jeie le prometz quand jeie le dicts. Ainsi
jiesvanteesuante peu mes propositions.
La condemnation que jeie faits
de moy, est plus vifvevifue & plus vigoureuseroidde, que n’est celle des
jugesiuges, qui ne me prennent que par le visage de l’obligation
commune: lL’estreinte quede ma conscience me donne, est plus
serrée & plus severeseuere:. jJeiIe suy lachement, les debvoirsdebuoirs ausquels
on m’entraineroit, si jeie n’y allois.
Position : Marge gauche Hoc ipsum ita
iustum est quod
recte fit si est
uoluntarium.
Si l’action n’a quelque splen-
deur de liberté, elle n’a point de grace &ny d’honneur,
RRRRr ij
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[434v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Quod me ius cogit, vix voluntate impetrent,
OoOu la necessité me tire, ji’ayme à lacher la volonté. Quia quic-
quid imperio cogitur, exigenti magis, quàm praestanti acceptum refer-
tur.
JI’en sçay qui suyventsuyuent cet air, jusquesiusques à l’injusticeiniustice: dDonnent
plustost, qu’ils ne rendent,: prestent plustost qu’ils ne payent,:
font plus escharsement bien à celuy, à qui ils en sonsont tenus. JeIe
ne vois pas là, mais jeie touche contre. JI’ayme tant à me des-
charger & desobliger, que ji’ay par fois compté à profit, les in-
gratitudes, offences, & desplaisirsindignitez, que jiavoisauois receu de ceux,
à qui, ou par nature, ou par accident:, jiavoisauois quelque devoirdeuoir
d’amitié: pPrenant cette occasion de leur faute, à autant d’ac-
quit, & descharge de ma debte. Encore que jeie continue à leur
payer les offices apparents, de la raison publique, jeie trouvetrouue
grande espargne pourtant, Position : Interligne haute a faire par justiceiustice ce que jeie faisois par affection, et à me soulager unvn peu, de l’attentionattētion
& sollicitude, de ma volonté au dedans, & de l’obligation in-
terne de mon affection.
-
Position : Marge gauche Est prudentis sustinere
ut cursum sic impetum
beneuolentiae.
Laquelle ji’ay unvn peu bien violente, &urgente et
pressante, ou jeie m’adonne: aAu moins pour unvn homme, qui ne
veut aucunement estre en presse. Et me sert cette mesnagerie,
de quelque consolation, aux imperfections de ceux qui me
touchent. JeIe suis bien desplaisant qu’ils en vaillent moins,
mais tant y à aussi, que ji’en espargne Position : Interligne haute aussi quelque chose de mon
application & engagement, enversenuers eux. JIapprouveapprouue celuy qui
ayme moins son enfant, & son cousin, d’autant qu’il est où tei-
gneux ou bossu: &Et non seulement, quand il est malicieux, mais
aussi quand il est malheureux, & mal nay: (Dieu mesme en
a rabbatu cela de son pris, & estimation naturelle,:) pPourveupPourueu
qu’il se porte en ce refroidissementrefroidissemēt, avecauec moderation, & exacte
justiceiustice. PourEn moy, la proximité n’allege pas les deffaults, el-
le les aggraveaggraue plustost. Apres tout, selon que jeie m’entends
en la science du bien-faict & de recognoissance, qui est unevne
subtile science & de grandgrād usagevsage, jeie ne vois guere hommepersone, plus
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LIVRE TROISIESME.427435
libre & moins endebté, que jeie suis jusquesiusques à cette heure. Ce
que jeie doibts, jeie le doibts aux obligations communes & na-
turelles. Il n’en est point, qui soit plus nettementnettemēt quitte d’obli-
gations & bienfaicts estrangers,: jamaisiamais roy ne me dona un double:, en païement
ny en don:
de toutes pars:. JamaisIamaisd’ailleurs.
nec sunt mihi nota potentum
Munera.

Les princes Position : Interligne haute me donent prou s’ils ne m’ostent, et rien, et me font assez de bienbiē, quandquād ils ne me font point de
mal,: c’est Position : Interligne haute tout ce que ji’en demandedemāde. O combiencōbien jeie suis tenu à Dieu, de
ce qu’il luy à pleu, que ji’aye receu immediatementimmediatemēt de sa grace,
tout ce que ji’ay: qu’il à retenu particulierement et à soy toute
ma debte.
Position : Marge droite O que jeieCombien jeie le supplie
instammant sa
seinte misericorde
que jamaisiamais jeie ne
doivedoiue un essantiel
grammercisgrammerci a
persone. Bienhureu=
se franchise:. qui m’a
conduit si loin,: qu’ell’acheveacheue.
JI’essaye à n’avoirauoir necessairementexprez besoing de per-
sonne:nul. In me omnis spes est mihi. cC’est chose que chacun peut en soy, mais plus facile-
ment ceux, que Dieu à mis à l’abrylabry des necessitez naturelles &
urgentesvrgentes. Il fait bien piteux, & hazardeux. Nous mesme, des-
pendre d’unvn autre, Position : Interligne haute . Nous mesme qui est la plus justeiuste adresse, & la plus seure,
ne nous sommes pas assez asseurez: jJeiIe n’ay rienriē mien, que moy,
& si, en est la possession Position : Interligne haute en partie manque & empruntée. JeIe me cultivecultiue
& m’augmente de tout mon soing, Position : Interligne haute fo et en corage, qui est le plus fort: f et encores en fortune,: pour y trouvertrouuer dequoy
me satisfaire, quandquād Position : Interligne haute ailleurs tout m’abandonneroitabandōneroit.
Position : Marge droite Eleus Hippias ne
se fournit pas sule=
mant de sciance
pour au giron des
muses se pouvoirpouuoir
joïeusemantioïeusemant escarter
de toute autre
compaignie au
besoin: ny sulemant
de la conoissance de
la philosophie, pour
aprandre a son ame
de se contanter
puremant d’elle,
et se passer viri=
lement
uiri=
lement
des commo=
ditez qui luy vienentuienēt
du dehors, quand
fortunele sort l’ordone.
Il fut si curieus
d’aprandre encore
a faire sa cuisine et
son poil, ses robes
ses souliers ses bagues
pour se fonder en
soi autant qu’il pour=
roit, et soustrere au
secours estrangier.
On jouitiouit bien plus
librement, & plus gayement, des biens estrangersempruntez, quand ce
n’est pas unevne jouyssanceiouyssance obligée & contrainte par le besoing:
& qu’onō a, & en sa volontévolōté, & en sa fortune, la force & les moiensmoiēs
de s’en passer. JI’ay tres-volontiers cerché l’occasion de bien
faire, & d’attacher les autres à moy: & me semble qu’il n’est
point de plus doux usagevsage de nos moyensbiens:
[Note (Mathieu Duboc) : Montaigne commence son addition dans la marge gauche en vertical, puis, au milieu de ce premier ensemble, il passe à la marge basse du verso du folio précédent (434v) par le signe en forme de B. Revenant en marge gauche du folio 435, nous le suivons ensuite en marge basse du même folio pour terminer dans l’interligne après la première marque d’insertion.]
Position : Marge gauche JeIe me conois bien. Mais il m’est mal aisé d’imaginer nulle si pure liberalité de
en persone, nulle hospitalité si franche et gratuite qui ne me samblat disgratiee
tirannique et plei pteinte de reproche si la necessitè m’y avoitauoit atache: a la mal’heure
enchevestreencheuestre. Come le doner est qualite ambitieuse et de praerogativepraerogatiue
aussi est l’accepter qualite de summission: tesmoin lesl’injurieusiniurieus et quereleus
refus que PajazetPaiazet fit des presans que Temir luy envoioitenuoioit.
Position : Marge basse (f.434v) Et que les presans de la part deceus qu’on ceus offrit de la que part de l’Emperur Soliman estantenvoiaenuoia fit presantesr
a l’emperur de Calicut le mirent qu’en si grand despit que non
sulementsulemēt il les refusa rudementrudemēt disant que ny luy ny ses predecessurs
n’avointauoīt acostume de rien prendre et que c’estoit leur office de doner
mais en outre fit mettre en un cul de fosse sles ambassadurs envoiesenuoies
a cet effaict
Quand Thetis dict Aristote
flate JuppiterIuppiter, quand les Lacedemoniens flatent les Atheniens ils ne vontuont pas leur refrechissant la memoire
memoire des biens qu’ils leur ont faicts qui est tousjourstousiours odieuse et injurieuseiniurieuse mais q ceusla memoire des bienfaicts qu’ils
en ont receus[unclear] d’eus. Ceus que jeie voiuoi si familierement emploier tout chacun et s’y engager, ne le
fairoint pas s’ils poisoit autant que doit poiser a un sage home l’engageure d’une obligation: elle
se paye a l’avantureauanture quelque fois mais elle ne se dissout jamaisiamais.
Position : Interligne basse cruel garrotage, a qui aime d’alegeraffranchir les couddees de sa liberte
en toutess façons sans. Mes conoissans et au dessus et au dessous
de moy sçaventsçauent s’ils en ont jamaisiamais veuueu de moins chargeant sur autruy
de moins requerant pour legiere chose que ce soit JI’exerce outre
tout exemple moderne la leçon de me passer pour fuir a celle
de demander. JeIe hay a mort d’estre tenu ny a autre ny par autre que moi
Qu’on me soit tenu et de bien faire ji’en ai volontiersuolontiers cherche la matiere
et me semble qu’il n’est
Si jeie le suis au dessusdela de
tout exemple moderne a quelque occasion ce n’est pas grande merveillemerueille tant de pieces de maes vieuiemeurs y contri=
buant. UnVn peu de fierte naturelle: l’impatiance du refus: La contraction de mes desirs et desseins
inhabilete a toute sorte d’affaires: et mes qualitez plus favoriesfauories l’oisifveteoisifuete la franchise: partout cela ji’ay
pris a haine mortelle d’estre tenu ny a autre ny par autre que moy JI’emploie bien vifvementuifuement tout ce que jeie puis a
me passer avantauant que ji’emploie la beneficence d’un autre en quelque ou legiere ou poisante occasion que ce soit Mes
amis m’importunent estrangement quand ils me requierent de requerir
un tiers Et ne me semble pointguere
moins de coust de s’engagersengager celuy qui me doit, usant de luy, que m’engager pour eus
enversenuers celuy, qui ne me doibt rien. Cette condition ostee, & cet’autre, qu’ils ne veuillentueuillent de moi chose
negotieuse et soucieuse car ji’ay denonce a tout souin
guerre capitale jeie suis infiniement procliveprocliue a bien faire a chacun et
tresfacile
commodeement facile au bien faire a chacun besouin de chacun.
mMais ji’ay encore
plus fuy à recevoirreceuoir, que jeie n’ay cerché à donner. Position : Interligne haute aussi est il bien plus facileaise selon Aristote. Ma fortune ne
m’a guerepeu permis de bienbiē faire à autruy, & ce peu qu’elle m’en
à permis, elle l’a assez meaigremement logé. Si elle m’eust faict
naistre pour tenir quelque rang entre les hommes, ji’eusse esté
ambitieux de me faire aymer,: peunon de me faire craindre ou ad-
mirer
Position : Marge droite : plus tost
cheri qu’adoré.

Position : Interligne basse Cyrus tressagemant et par la bouche d’un bon tresbon
capiteine & meillur philosophe, estime sa bonte et
ses bienfaicts loin au dela de sa vaillancevaillāce et
grandes conquestes.
. L’exprimeray jeie plus insolamment, ji’eusse autant re-
RRRRr iij
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[435v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
gardé, au plaire, que au prouffiter.
Position : Marge haute Cyrus tres-sagement, & par la bouche d’unvn tres bon Capitaine, & meilleur Philosophe
encores: estime sa bonte et ses bien faicts, loing au delà de sa vaillance, & belliqueuses
conquestes. Et le premier Scipion par tout ou il se veutueut faire valoirualoir faict bien poiser sa
debonaireté & humanité au dessus de son hardiesse et de ses victoiresuictoires et ha tousjourstousiours en la
bouche ce glorieus mot qu’il a laisse aus enemis autant a l’aimer qu’aus amis.
JeIe veux donc dire, que s’il
faut ainsi debvoirdebuoir quelque chose, ce doibt estre à plus legiti-
me titre, que celuy dequoy jeie parle, auquel la loy de cette mi-
serable guerre m’engage,. &Et non d’unvn si gros debte, comme ce-
luy de ma totale conservationconseruation,: iIl m’accable. JeIe me suis couché
mille foys chez moy, imaginant qu’on me trahiroit & assom-
meroit cette nuict la,: cComposant avecauec la fortune, que ce fut
sans effroy & sans langueur,: &Et me suis escrié apres mon pate-
nostre,
Impius haec tam culta noualia miles habebit.
Quel remede? c’est le lieu de ma naissance,
Position : Marge droite et de mon
pere,
& de la plus part de
mes ancestres: ils y ont mis leur affectionaffectiō & leur nom: nNous nous
durcissons à tout ce que nous accoustumons. Et à unevne misera-
ble condition comme est la nostre, ç’a esté unvn tresfavorabletresfauorable
present de nature, que l’accoustumance,: qui endort nostre
sentiment à la souffrance de plusieurs maux. Les guerres civi-
les
ciui-
les
ont cela de pire que les autres guerres, de nous mettre cha-
cun en garnisonprison eschauguette Position : Interligne haute eschoguette en sa propre maison.,
Quàm miserum porta vitam muróque tueri,
Vixque suae tutum viribus esse domus.

C’est grande extremité d’estre pressé jusquesiusques dans son mesna-
ge, & repos domestique. Ce malheur me touche plus que nul
autre, pour la conditioncōditiō du
Le lieu ou jeie me tiens, qui est tousjourstousiours
le premier & le dernier à la batterie de nos troubles, & ou la
paix n’a jamaisiamais son visage entier,
Tum quoque cum pax est, trepidant formidine belli.
quoties pacem fortuna lacessit,
Hac iter est bellis, melius fortuna dedisses
Orbe sub Eoo sedem, gelidáque sub Arcto,
Errantésque domos.

JeIe tire par foys, le moyen de me fermir contre ces considera-
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LIVRE TROISIESME.428436
tions, de la nonchalance & lácheté. Elles nous menent aussi
aucunement à la resolution. Il m’advientaduient souvantsouuant, d’imagi-
ner avecauec quelque plaisir, les dangiers mortels, & les attendre:
jJeiIe me plonge la teste baissée, stupidement dans la mort, sans la
considerercōsiderer & recognoistre, comme dansdās unevne profondeur muet-
te & obscure, qui m’engloutit tout d’unvn saut, & m’accable en
unvn instant, d’unvn puissant sommeil, plein d’insipidité & indo-
lence. Et en ces morts courtes & violentes, la consequence
que ji’en prevoypreuoy, me donne plus de consolation, que l’effait de
trouble.
Position : Marge droite : . uUt non utique melior
est longior uita, sicut
peior utique mors
longior,
dict il
Ils
disent come la vieuie
n’est pas la meillure
pour estre longue que
la mort est la meilleure
pour n’estre pas longue.
JeIe ne m’estrangeestrāge pas tant de l’estre mort, comme ji’en-
tre en confidence avecauec le mourir. JeIe m’envelopeenuelope & me tapis
en cet orage, qui me doibt aveugleraueugler & ravirrauir de furie, d’unevne
charge prompte & insensible. Encore s’il advenoitaduenoit, comme
disent aucuns jardiniersiardiniers, que les roses & violettes naissent plus
odoriferantes pres des aulx & des oignons, d’autant qu’ils es-
puisentsucent & tirent à eux, ce qu’il y a de mauvaisemauuaise odeur en la ter-
re: aAussi que ces dépravéesdéprauées natures, humassent tout le venin de
mon air & du climat, & m’en rendissent d’autant meilleur &
plus pur, par leur voisinage: qQue jeie ne perdisse pas tout. Cela
n’est pas,. mMais de cecy il en peut estre quelque chose,
que la bonté est plus belle & plus attraiante quand elle est
rare, & que la contrarieté & diversitédiuersité, roidit & resserre en
soy le bien faire, & l’enflamme par la jalousieialousie de l’opposi-
tion, & par la gloire.
Position : Marge droite Les volursuolurs de
leur grace ne
m’en veulentueulent pas
particulierement.
Fais jeie pas moi a
eus. Il m’en
faudroit a trop
de gens. Pareilles
consciances logent
sous diversediuerse sorte
de robesfortunes. Pareille
cruautè desloiauté,
volerieuolerie. Et d’autant
pire, qu’elle est
plus lache plus
seure et plus
obscure, sous l’ombrelōbre
des loix. JeIe hai moins l’injureiniure professe que
trahitresse: guerriere que pacifique. et
juridiqueiuridique. Nostre fievrefieure est survenuesuruenue en
un corps qu’elle n’a de guere empiré. Le feu
y estoit, la flamme s’y est prinse. Le bruit
est plus grand,: le mal, de peu.
JeIe respons ordinairement, à ceux qui me
demandent raison de mes voyages,: que jeie sçay bien ce que jeie
fuis, mais non pas ce que jeie cerche. Si on me dict, que parmy
les estrangers il y peut avoirauoir pareilles maladiesaussi peu de santé, & que leurs
meurs ne valent pas mieux que les nostres: jJeiIe respons premiere-
ment, qu’il est mal-aysé,
Tam multae scelerum facies.
Secondement, que c’est tousjourstousiours gain, de changer unvn mau-
vais
mau-
uais
estat à unvn estat incertain,. &Et que les maux d’autruy ne
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[436v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous doiventdoiuent pas poindre comme les nostres. JeIe ne veux pas
oublier cecy, que jeie ne me mutine jamaisiamais tant contre la Fran-
ce, que jeie ne regarde Paris de bon oeil: eElle à mon cueur des
mon enfance: &Et m’en est advenuaduenu comme des choses excellen-
tes
excellē-
tes
, pPlus ji’ay veu dépuis d’autres villes belles, plus la beauté
de cette-cy, peut & gaigne sur mon affection. JeIe l’ayme par
elle mesme, & plus en son propreseul estre Position : Interligne haute seul, que rechargée de pom-
pe
pō-
pe
estrangiere: jJeiIe l’ayme tendrement jusquesiusques à ses verrues & à
ses taches. JeIe ne suis françois, que par cette grande cité,. gGran-
de
gGrā-
de
en peuples, grandegrāde en noblessefelicité de son assiette: mais sur tout
grande, & incomparable en varieté, & diversitédiuersité de commo-
ditez: lLa gloire de la France, & l’unvn des plus notables ornemensornemēs
du monde. Dieu en chasse loing nos divisionsdiuisiōs: eEntiere & unievnie,
jeie la trouvetrouue deffendue de toute autre violence. JeIe l’adviseaduise, que
de tous les partis, le pire, sera celuy qui la metra en divisiondiuisiōdiscorde: &Et
ne crains pour elle, qu’elle mesme: &Et crains pour elle autant
certes, que pour autre piece de cet estat. Tant qu’elle durera,
jeie n’auray faute de retraicte, ou rendre mes abboys, suffisante,
à me faire perdre le regret de tout’autre retraicte. Non parce
que Socrates l’a dict, mais parce qu’enē verité c’est mon humeur,
& à l’avantureauanture non sans quelque tortexcez, ji’estime tous les hom-
mes mes compatriotes: & embrasse unvn Polonois:, comme unvn
François,: postposant cette lyaison nationnale, à l’universellevniuerselle
& commune: jJeiIe ne suis guere feru de la douceur d’unvn air na-
turel: lLes cognoissances toutes neufvesneufues & toutes miennes, me
semblent bien valoir, ces autres communes & fortuites co-
gnoissances
co-
gnoissāces
du voisinage: lLes amitiez pures de nostre acquest,
emportent ordinairement, celles, ausquelles la communica-
tion du climat, ou du sang nous joignentioignent. Nature nous à mis
au monde libres & desliez, nous nous emprisonnons en cer-
tains destroits: cComme les Roys de Perse qui s’obligeoient de
ne boire jamaisiamais autre eau, que celle du fleuvefleuue de Choaspez, re-
non-
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LIVRE TROISIESME.429437
nonçoyent par sottise, à leur droict d’usagevsage en toutes les au-
tres eaux, & asseçhoient pour leur regard, tout le reste du mon-
de
mō-
de
.
Position : Marge droite Ce que Socrates fit sur sa
fin d’esper d’estimer une
santance d’exil comepis qu’ unepire qu’une
santance de mort contre soi:
jeie ne serai a mon avisauis jamaisiamais
ny si cassé ny si Position : Interligne haute estroitement habitue en mon
païs que jeie le fisse. Ces viesuies
celestes ont asses de choses
images que ji’enbrasse par
estimation plus que par affection.
Et en ont aussi de si esleveesesleuees
et extraordineres que par
estimation mesme jeie ne
puis enbrasser dignement
d’autantdautāt que jeie ne les puis
concevoirconceuoir Cette humur fut bien
tendre a un home qui jugeoitiugeoit le monde
sa villeuille Il est vraiurai qu’il desdeignoit les
peregrinations et n’avoitauoit gueres en
sa vieuie mis le pied hors dule territoire
d’AthenesAttyque d’Attique Quoi qu’il
pleignoit l’argentlargent de ses amis a
desengager sa vieuie. Et qu’il refusa
de sortir de prison par l’entremise
d’autrui pour ne desobeir aus loix
en un temps qu’elles estoint d’ailleurs
si fort corrompues Ces examples sont
de la premiere espece pour moi
De la seconde sont d’autres que jeie
pourroi trouvertrouuer en ce mesme
personage. Plusieurs de ces rares
exemples surpassent la force de mon action
mais aucunes surpassent encore la force
de mon jugementiugement.
Outre ces raisons, le voyager me semble unvn exercice pro-
fitable. L’ame y a unevne continuele embesongnementexercitation, à remar-
quer des choses incogneuës & nouvellesnouuelles. Et jeie ne sçache
point meilleure escolle, comme ji’ay dict souventsouuent, à former la
vie, que de luy proposer incessammentincessammēt la diversitédiuersité de tant d’au-
tres vies, Position : Interligne haute fantasies et usances, & luy faire gouster unevne si perpetuelle varieté defor-
mes
de for-
mes
de nostre nature. Le corps n’y est ny oisif ny travaillétrauaillé, &
cette moderée agitation le tientmet en haleine. JeIe me tientiē à chevalcheual
sans demonterdemōter tout choliqueux que jeie suis, & sans m’y ennuyer,
huict & dix heures.,
vires vltra sortémque senectae.
Nulle saison m’est ennemye, que le chaut aspre d’unvn Soleil poi-
gnant. Car les ombrelles, dequoy dépuis les anciens Romains
l’Italie se sert, chargent plus les bras, qu’ils ne deschargent la
teste.
Position : Marge droite JeIe voudroisuoudrois sçavoirsçauoir
quell’industrie
c’estoit aus Perses
si antienement et
en la naissance de
la luxure de se
faire du ventuent frez
et des ombrages a leur
poste come dict
Xenofon.
JI’ayme les pluyes & les crotes comme les canes. La mu-
tation d’air & de climat ne me touche point, tout Ciel m’est
unvn: jJeiIe ne suis battu que des alterations internes, que jeie pro-
duicts en moy,: & celles la m’arriventarriuent moins en voyageantvoyageāt. JeIe
suis mal-aisé à esbranler, mais estant avoyéauoyé, jeie vay tant qu’on
veut. JIestriveestriue plusautant aux petites entreprises, qu’aux grandesgrādes, & à
m’equiper pour faire unevne journéeiournée, & visiter unvn voisin, que
pour unvn justeiuste voyage. JI’ay apris à faire mes journéesiournées à l’Espa-
gnole, d’unevne traicte,: grandesgrādes & raisonnablesraisōnables journéesiournées,: &Et aux ex-
tremes chaleurs les passe de nuict, du Soleil couchantcouchāt jusquesiusq̄s au
levantleuāt. L’autre façon de repaistre en chemin, en tumulte & ha-
ste pour la disnée, notamment aux joursiours cours, est incommodeincōmode.
Mes chevauxcheuaux en valent mieux: jJamaisiIamais chevalcheual ne m’a failli, qui
à sçeu faire avecauec moy la premiere journéeiournée. JeIe les abreuveabreuue par
tout, & regarde seulement qu’ils ayent assez de chemin de re-
ste pour battre leur eau. La paresse à me leverleuer, donne loisir à
SSSSs
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[437v] ESSAIS DE M. DE MONT.
ceux qui me suyventsuyuent de disner à leur ayse, avantauant partir. Pour
moy, jeie ne mange jamaisiamais trop tard,: l’appetit me vient en man-
geant
mā-
geant
, & point autrement,: jeie n’ay point de faim qu’a table.
Aucuns se plaignent dequoy jeie me suis agreé à continuer cet-
te occupationexercice, marié, & tantost vieil. Ils ont tort. Il est mieux
temps d’abandonner sa famille, quand on l’a mise en train de
continuer sans nous: quand on y a laissé de l’ordre qui ne de-
mente point sa forme passee. C’est bien plus d’imprudence,
de s’esloingner, laissant en sa maison unevne garde moins fidelle,
& qui ayt moins de soing de pourvoirpouruoir à vostre besoing. La
plus utilevtile & honnorable science & occupation à unevne femme,
c’est la science du mesnage. JI’en vois quelcune avareauare, de mes-
nagere, fort peu. C’est sa maistresse qualité, & qu’en moyen-
ne sorte de fortune on doibt chercher en mariage, avantauant
tout autre, cC’est, come le seul doire qui sert à ruyner ou sauversauuer nos
maisons.
Position : Marge gauche Qu’on ne m’en parle pas,
selon que l’experiance
m’en a aprins jeie requiers
d’une fame mariee au
dessus de toute autre
vertu la vertuuertu oeconomique
quelle qu’elle soit
la vertuuertu
oeconomique
JeIe l’en mets au propre, luy laissant par mon absence
tout le gouvernémentgouuernément en main:. jJeiIe vois avecauec despit en plu-
sieurs mesnages, monsieur revenirreuenir maussade & tout vilainmarmiteus
du tracas des affaires, environenuiron midy, que madame est encore
apres à se coiffer & atiffer, en son cabinet. C’est à faire aux
Reynes, encores ne sçay-jeie. Il est ridicule & injusteiniuste, que la
pompe & l’oysivetéoysiueté de nos femmes, soit entretenuë de no-
stre sueur & travailtrauail.
Position : Marge gauche :. iIl n’avienderaauiendera que
jeie puisse, a persone,
davoirauoir l’usage de mes
biens plus liquide que
moi, plus molquiete et plus
quitte.
Si le mary fournit de matiere, nature
mesme veut qu’elles fournissent de forme. Quant aux de-
voirs
de-
uoirs
de l’amitié maritale, qu’on pense estre interessez par cet-
te absence,: jeie ne le crois pas: aAu rebours,: c’est unevne intelligence,
qui se refroidit volontiers par unevne trop continuelle assistan-
ce: & que l’assiduité blesse.: Ttoute femme estrangere nous
semble honneste femme:. &Et chacun sent par experience, que
la continuation de se voir, ne peut representer, le plaisir que
l’on sent à se perdredesprendre, & reprendre à secousses.:
Position : Marge gauche Ces interruptions, me
ramplissent d’un’amour
recente enversenuers les miens,
& me redonnent l’usage
de ma maison plus dous:
et plus guai appetissant. La vicissitudeuicissitude eschauffe mon redone mon appetit a
appetit versuers l’unlun, et puis versuersa l’autrelautre parti
eschauffe mon appetit versuers l’unlun, et puis versuers l’autrelautre parti.
JeIe sçay que l’a-
mitié à les bras assez longslōgs, pour se tenir & se joindreioindre, d’unvn coin
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LIVRE TROISIESME.430438
de monde à l’autre: & notamment cette cy, où il y a unevne con-
tinuelle communication d’offices, qui en reveillentreueillent l’obliga-
tion & la souvenancesouuenance. Les Stoïciens disent bien, qu’il y a si
grande colligance & relation entre les sages, que celuy qui
disne en France, repaist son compaignon en AEgypte, & qui
estend seulement son doigt, ou que ce soit, tous les sages qui
sont sur la terre habitable, en sentent ayde. La jouyssanceiouyssance,
& la possession, appartiennent principalement à l’imagina-
tion.
Position : Marge droite Elle embrasse plus
chaudemant ce qu’
elle vaua querir que ce
que nous touchons &
plus continuellemant.
Contez vosuos amusemants
journaliersiournaliers vousuous
trouverrestrouuerres que vousuous
estes lors plus absant de vostreuostre
amy quand il vousuous est presant.
Son assistance relache vostreuostre
attention & done
libertè a vostreuostre pen=
see de s’absanter a
tout’heure pour toute
occasion.
De Romme en hors, jeie tiens & regente ma maison, &
les commoditez que ji’y ay laissé: jJeiIe voy croistre mes murail-
les, mes arbres, & mes rentes, & descroistre, à deux doigts pres,
comme quand ji’y suis,
Ante oculos errat domus, errat forma locorum.
Si nous ne jouyssonsiouyssons que ce que nous touchons, adieu nos
escuz quand ils sont en nos coffres, & nos enfans s’ils sont à la
chasse. Nous les voulons plus pres. Au jardiniardin est ce loing? àA
unevne demy journéeiournée? Quoy, dix lieües, est-ce loing ou pres? sSi
c’est pres, quoy onze, douze, treze? & ainsi pas à pas. Vray-
ment celle qui prescrira à son mary, le quantiesme pas finyt le
pres, & le quantiesme pas donne commencement au loin, jeie
suis d’advisaduis qu’elle l’arreste entre-deux,
excludat iurgia finis:
Vtor permisso, caudaeque pilos vt equinae
Paulatim vello: & demo vnum, demo etiam vnum
Dum cadat elusus ratione ruentis acerui.

Et qu’elles appellent hardiment la Philosophie à leur secours:
àA qui quelqu’unvn pourroit reprocher, puis qu’elle ne voit ny
l’unvn ny l’autre bout de la jointureiointure entre le trop & le peu, le
long & le court, le leger & le poisant, les pres & le loing: puis
qu’elle n’en recognoist le commencement ny la fin, quelle
jugeiuge bien incertainement du millieu.
Position : Marge droite Rerum natura nullam
nobis dedit cognitionem
finium.
Sont elles pas encore
femmes & amyes des trespassez, qui ne sont pas au bout de
SSSSs ij
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[438v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
cettuy cy, mais en l’autre monde? Nous embrassons & ceux
qui ont esté, & ceux qui ne sont point encore, non que les
absens. Nous n’avonsauons pas faict marché, en nous mariant, de
nous tenir continuelement accouez l’unvn à l’autre, comme jeie
ne sçay quels petis animaux que nous voyons. Position : Interligne haute : ou come les ensorcelez de Karaenti[Note (Montaigne) : Karenti] d’une maniere chienine.
Position : Marge gauche Et ne doit une feme
avoirauoir les yeus si avide=gourmande=
ment
auide=gourmande=
ment
fichez sur le
devantdeuant de son mari,
qu’elle n’en puisse voiruoir
le derriere ou besouin
est.
Mais ce mot
de ce peintre si excellent, de leurs humeurs, seroit il point de
mise en ce lieu, pour representer la cause de leurs plaintes:
Vxor si cesses, aut te amare cogitat,
Aut tete amari, aut potare, aut animo obsequi,
Et tibi bene esse soli, cum sibi sit malè.

Ou bien seroit ce pas, que de soy l’oppositionoppositiō & contradictioncontradictiō
les entretient & nourrit, & qu’elles s’accommodent assez,
pourveupourueu qu’elles vous incommodent. En la vraye amitié, de
laquelle jeie suis expert, jeie me donne à mon amy, plus que jeie ne
le tire à moy. JeIe n’ayme pas seulement mieux, luy faire bien,
que s’il m’en faisoit, mais encore qu’il s’en face, qu’a moy: il
m’en faict lors le plus, quand il s’en faict: &Et si l’absence luy est
ou plaisante ou utilevtile, elle m’est bien plus douce que sa presen-
ce: &Et ce n’est pas proprementpropremēt absence, quandquād il y a moyenmoyē de s’en-
tr’advertiraduertir. JI’ay tiré autrefois usagevsage de nostre esloingnementesloingnemēt, &
commoditécōmodité:. nNous remplissionsrēplissions mieux, & estandionsestandiōs, la possession
de la vie, en nous separant: iIl vivoitviuoit, il jouissoitiouissoit, il voyoit pour
moy, & moy pour luy, autant plainement que s’il y eust esté:
lLunevne partie demeuroit oisifveoisifue, quand nous estions ensemble.,
NnNnous nous confondions: lLa separation du lieu, rendoit la con-
jonction
cō-
ionction
de nos volontez plus riche. Cette fainm insatiable de
la presence corporelle, accuse unvn peu la foiblesse en la jouys-
sance
iouys-
sance
des ames. Quant à la vieillesse qu’on m’allegue,. aAu re-
bours,: c’est à la jeunesseieunesse à s’asservirasseruir aus opinions communes,
& se contraindre pour autruy. Elle peut fournir à tous les
deux, au peuple & à soy: nous n’avonsauons que trop à faire,
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LIVRE TROISIESME.431439
à nous seuls. A mesure que les commoditez naturelles
nous faillent, soustenons nous par les artificielles. C’est inju-
stice
iniu-
stice
d’excuser la jeunesseieunesse de suyvresuyure ses plaisirs, & deffendre à
la vieillesse d’en cercher.
Position : Marge haute JeuneIeune, jeie couvroiscouurois mes passions enjoüeesenioüees, de prudence: vieil,
les tristes, de débauche. Si prohibent les loix Platoniques, de peregriner
avantauant quarante ans, ou cinquante: pour rendre la

peregrination plus utille et instructiveinstructiue. JeIe
consantirois plus volontiersuolontiers a cet autre secont
article des mesmes loix qui l’interdit apres les
soixante.
Mais en tel aage, vous ne reviendrezreuiendrez
jamaisiamais d’unvn si long chemin.
Position : Marge droite Si defandentprohibent les loix
de Platoniques de pere=
griner avantauant l’eageleage de
quarante ans passez
quarante ou
cinquante ans et jeie consans
a ce qu’elles adjoutentadioutent non
au dela des soixante.
Que m’en chaut-il,: jJeiIe ne l’entre-
prens, ny pour en revenirreuenir, ny pour le parfaire. JI’entreprens seu-
lement de me branler, pendant que le branle me plaist:
Position : Marge droite Et me promeine
pour me promener.
Ceus qui courent un
benefice ou un lievrelieure
ne courent pas. Ceus la
courent qui courent
aus barres & pour
exercer leur vistesseuistesse
course.
mMon
dessein est divisiblediuisible par tout,: il n’est pas fondé en grandes es-
perances,: chaque journéeiournée en faict le bout,: &Et le voyage de ma
vie se conduict de mesme. JI’ay veu pourtant assez de lieux e-
sloignez, ou ji’eusse desiré qu’on m’eust arresté. Pourquoy non,
si Chrysippus, Cleanthes, Diogenes, Zenon, Antipater, tant
d’honnestes hommeshōmesd’homes sages, de la secte la plus refroingnée, abandon-
nerent bien leur pays, sans aucune occasion de s’en plaindre, &
seulement pour la beautéle desir la jouissanceiouissance d’unvn autre air. Certes le plus grand
desplaisir de mes peregrinations, c’est que jeie n’y puisse appor-
ter cette resolution, d’establir ma demeure ou jeie me plairroy,:
& qu’il me faille tousjourstousiours proposer de revenirreuenir, pour m’accom-
moder
accō-
moder
aux humeurs communes. Si jeie craingnois de mourir
en autre airlieu, que celuy de ma naissance,: si jeie pensois mourir
moins à mon aise esloingné des miens, à peine sortiroy-jeie hors
de France, jeie ne sortirois pas sans effroy hors de ma parroisse.
JeIe sens la mort qui me pince continuellement la gorge, où les
reins: mMais jeie suis autrement faict,: elle m’est unevne par tout. Si
toutesfois jiavoisauois à choisir, ce seroit ce croy-jeie, plustost à che-
val
che-
ual
, que dans unvn lict, hors de ma maison, & esloigné des miensmiēs.
Il y a plus de crevecoeurcreuecoeur que de consolation, à prendre congé
de ses amis. JI’oublie volontiers ce devoirdeuoir de nostre entrejgententreigent:
cCar des offices de l’amitié, celuy-là est le seul desplaisant: & ou-
blierois ainsi volontiers à dire ce grand & eternel adieu. S’il se
tire quelque commodité de cette assistance, il s’en tire cent in-
commoditez: jJiI’ay veu plusieurs, mourans bien piteusement,
SSSSs iij
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[439v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
assiegez de tout ce train: cCette presse les estouffe. C’est contre
le devoirdeuoir, & est tesmoignage de peu d’affection, & de peu de
soing, de vous laisser mourir en repos: lLunvn tourmente vos
yeux, l’autre vos oreilles, l’autre la bouche: il n’y à sens, ny mem-
bre
mē-
bre
, qu’on ne vous fracasse. Le coeur vous serre de pitié, d’ouyr
les plaintes des amis,: & de despit à l’avantureauanture, d’ouyr d’autres
plaintes, feintes & masquées. Qui à tousjourstousiours eu le goust ten-
dre, affoibly, il l’a encore plus: illors. Il luy faut en unevne si grandegrāde neces-
sité, unevne main douce, & accommodée à son sentimentsentimēt, pour le
grater justementiustement ou il luy cuit,: oOù qu’on ne le graten’y touche point du
tout. Si nous avonsauons besoing de sage femme, à nous mettre au
monde, nous avonsauons bien besoing d’unvn homme encore plus
sage, à nous en sortir. Tel, & amy, le faudroit-il achetter bien
cherement, pour le serviceseruice d’unevne telle occasionoccasiō. JeIe ne suis point
arrivéarriué à cette vigueur desdaigneuse, qui se fortifie en soy-mes-
me,: que rien n’ayde, ny ne trouble,: jeie suis d’unvn point plus bas:
jJeiIe cerche à coniller, & à me desrober de ce passage, non par
crainte, mais par art. Ce n’est pas mon advisaduis, de faire en cette
action, preuvepreuue ou montre de ma constanceconstāce. Pour qui? lors ces-
sera tout le droict & interest, que ji’ay à la reputation. JeIe me
contente d’unevne mort recueillie en soy, quiete, & solitaire, tou-
te miennemiēne, convenablecōuenable à ma vie retirée & privéepriuée. Au rebours de
la superstition Romaine, où l’on estimoit malheureux, celuy
qui mouroit sans parler, & qui n’avoitauoit ses plus proches à luy
clorre les yeux. JI’ay assez affaire à me consoler, sans avoirauoir à con-
soler
cō-
soler
autruy,: assez de pensées en la teste, sans que les circonstan-
ces
circōstan-
ces
m’en apportentapportēt de nouvellesnouuelles,: & assez de matiere chez moy,
à m’entretenir, sans l’emprunter. Cette partie n’est pas du rol-
le de la societé,: c’est l’acte à unvn seul personnage. VivonsViuons & rionsriōs
entre les nostres, allonsallōs mourir & rechigner entre les inconneusincōneus.
On trouvetrouue en payantpayāt, qui vous tourne la teste, & qui vous fro-
te les pieds,: qui ne vous presse qu’autant que vous voulez,
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LIVRE TROISIESME.432440
vous presentant unvn visage indifferent, vous laissant vous en-
tretenir, & plaindre à vostre mode. JeIe me deffais tous les joursiours
par discours, de cette humeur puerile & inhumaine, qui faict
que nous desirons d’esmouvoiresmouuoir par nos maux, la compassion
& le deuil en nos amis: Nous faisons valoir nos inconveniensinconueniens
outre leur mesure, pour attirer leurs larmes: &Et la fermeté que
nous louons en chacun, à soustenir sa mauvaisemauuaise fortune, nous
l’accusons & hayssons enreprochons a nos proches, quandquād c’est en la nostre.
Nous ne nous contentons pas qu’ils se ressententressentēt de nos maux,
si encores ils ne s’en affligent. Il faut estendre la joyeioye, mais re-
trencher autant qu’on peut la tristesse.
Position : Marge droite Qui se faict pleindre
sans raison est home
pour n’estre pas pleint
quand la raison y sera
JI’en ai veuueu n’estreEt pour n’estre
C’est pour n’estre
jamaisiamais pleint d’autantdautant
que’ils se pleignointntpleindre
tousjourstousiours Et fairesant
tantsi souvantsouuant les
piteus qu’ils n’estointqu’on ne soit n’estre
pitoiables a persone
Qui se faict mort
vivantuiuant est subjectsubiect
d’estre tenu pour vifuif
mourant. JI’en ai veuueu
prandre la chevrecheure
de ce qu’on leur trou=
voit
trou=
uoit
le visauisavisageuisage frez et
le pous posè: contrein=
dre leur ris parce qu’il
trahissoit leur
guerison: et haïr
la santé de ce qu’elle
n’estoit pas pleinteregretable
Qui bien plus est
ce n’estoint pas fames.
JeIe represente mes ma-
ladies, pour le plus, telles qu’elles sont,: & eviteeuite les parolles de
mauvaismauuais prognostique, & exclamations composées. Sinon
l’allegresse, aumoins la contenance rassise des assistans, est pro-
pre, pres d’unvn sage malade. Pour se voir en unvn estat contraire,
il n’entre point en querelle avecauec la santé: il luy plaist de la con-
templer en autruy, forte & entiere, & en jouyriouyr au moings par
compaignie. Pour se sentir fondre contre-bas, il ne rejectereiecte pas
du tout les pensées de la vie, ny ne fuyt auxles entretiens com-
muns. JeIe veux estudier la maladie quand jeie suis sain,: quand el-
le y est, elle faict son impression assez réele, sans que mon ima-
gination laiyde[Note (Montaigne) : |l’ayde|]. Nous nous preparons avantauant la main, aux voia-
ges que nous entreprenonsentreprenōs, & y sommes resolus: l’heure qu’ils
nous faut monter à chevalcheual, nous la donnons à l’assistance, &
en sa faveurfaueur, l’estendons. JeIe sens ce proffit inesperé de la publi-
cation de mes meurs, qu’elle me sert aucunement de regle: iIl
me vient par fois quelque considerationconsideratiō de ne trahir ma pein-
ture
l’histoire de
ma vieuie
. Cette publique declaration m’oblige de me tenir en ma
route, & à ne desmentir l’image de mes conditions: commu-
néement moins desfigurées & contreditescōtredites, que ne porte la ma-
lignité & maladie des jugementsiugements d’aujourdauiourd’huy. L’uniformi-
vniformi-
& simplesse de mes meurs, produict bien unvn visage d’aisée
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[440v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
interpretation:, mais parce que la façon en est unvn peu nouvel-
le
nouuel-
le
, & hors d’usagevsage, elle donne trop beau jeuieu à l’envieenuiela mesdisance. Si est-il,
qu’à qui me veut loyallement injurieriniurier, il me semble fournir
bien suffisammentsuffisammēt, ou mordre, en mes imperfectionsimperfectiōs advouéesaduouées,
& cogneuës, & dequoy s’y saouler, sans s’escarmoucher au
vent. Si pour en praeoccuper moy-mesme l’accusation & la
descouvertedescouuerte, il luy semble que jeie luy esdente sa morsure, c’est
raison qu’il preigne son droict, vers l’amplification & exten-
tion: lL’offence à ses droicts outre la justiceiustice: &Et que les vices de-
quoy jeie luy montre des racines chez moy, il les estiregrossisse en ar-
bres: qQu’il y emploie non seulement ceux qui me possedent,
mais ceux aussi qui ne font que me menasser,: iInjurieuxiIniurieux vices,
& en qualité, & en nombre,: qQu’il me batte par là.
Position : Marge gauche La propre confession
descharge merveilleusementmerueilleusemēt
les reproches

JI’embrasserois franchementfranchemēt
l’exemplelexemple du philosofe
Dion.
Antigon le vouloituouloit
piquer le philosofe Bion sur
le subjetsubiet de son origine. Il luy
coupa broche. JeIe suis, dict il,
fils d’un serf, bouchier, stig=
matisé, & d’une putein que mon
cousin pere espousa par la
bassesse de sa fortune. Tous
deus furent chasses punis pour
quelque mesfaict. UnVn oratur
m’acheta enfant, me trouvanttrouuāt
agreable, et m’a laissé mourantmourāt
tous ses biens. Les quels aïant
transporté en cette villeuille d’Athenes
jeie me suis adone a la philoso=
phie. Que les historiens ne
s’empeschentempeschēt a chercher
nouvellesnouuelles de moi jeie leur
qu’ils parlent a moi sulementsulemēt
jeie leur en dirai ce qui en est.
La confession genereuse &
libre enerveenerue le reproche et
desarme l’injureiniure.
Tant y a
que tout conté, il me semble qu’aussi souventsouuent on me louë,
qu’on me desprise outre mesurela raison. Comme il me semble aussi
que des mon enfance, en rang & degré d’honneur, on m’a don-
dō-
lieu, plustost au dessus, qu’au dessoubs de ce qui m’appar-
tient.
Position : Marge droite JeIe me trouveroistrouuerois mieus en païs auquel ces ordres fussent ou
reglez ou mesprisez. Entre les homes despuis que l’altercation
de la presseanceprerogativeprerogatiue au marcher ou a se soir passe trois repliques jeie la elle est
treuvetreuue incivileinciuile. JeIe ne creins point de ceder ou praeceder
iniquemant pour fuir a une si importune contestation. Et jamaisiamais
home n’a eu envieenuie de ma presseance a qui jeie ne l’aie quittee.
Outre ce profit, que jeie tire d’escrire de moy, ji’en espere
cet autre, qQue s’il advientaduient que mes humeurs plaisent, & accor-
dent à quelque honneste homme, avantauant que jeie meure, il re-
cerchera de nous joindreioindre,. jJeiIe luy donne beaucoup de pays gai-
gné: car tout ce qu’unevne longue connoissancecōnoissance & familiarité, luy
pourroit avoirauoir acquis en plusieurs années, il le voit en trois
joursiours en ce registre, & plus seurement & exactement.
Position : Marge gauche Plesante fantasie.
plusieurs choses que
jeie ne voudroisuoudrois dire a
persone jeie les dis au
peuple. Et sur mes plus
secretes sciances ou
pensees renvoierenuoie a mon
livreliure mes plus privezpriuez
une
boutique de librere mes

amis plus feaus.
Excutienda damus
praecordia.
Si a si
bonnes enseignes, jeie sçavoissçauois quelqu’unvn qui me fut propre,
certes jeie l’irois trouvertrouuer bien loing.: CcCar la douceur d’unevne sor-
table, & aggreable compaignie, ne se peut assez acheter à mon
gré.
Position : Marge gauche ji’en visuis en
grand disette
faim et disette
faim

grand regret me sera ce si
le sentiment me suit encores hors
d’icy d’entendre que un personage
de merite pleigne d’avoirauoir failli
l’opportunite de s’estr
l’usage de mon amitie et conversationconuersation
moi qui visuis si en espoir et attante de
compaignie sortable.
[Note (Alain Legros) : L’édition de 1595 donne "Eh qu’est-ce qu’un amy!" à la place de "O un amy:"]O unvn amy.: CcCombien est vraye cette ancienne sentence,
que l’usagevsage en est plus necessaire, & plus doux, que des elemenselemēs
de l’eau & du feu. Pour revenirreuenir à mon conte, il n’y à donc pas
beaucoup de mal de mourir loing, & à part:.
Position : Marge gauche Si estimons nous a
devoirdeuoir de nous retirer
pour des actions naturelles
moins disgratiees que
cetteci et moins hideuses.
Mais encore ceux
qui en viennent là, de trainer languissans unvn long espace, de
vie,
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LIVRE TROISIESME.433441
vie, ne debvroientdeburoient à l’avantureauanture souhaiter, d’empescher de leur
misere unevne grande famille.
Position : Marge droite Pourtant les Indois en
certeine provinceprouince estimoint
justeiuste de tuer celuy qui seroit
tumbe en telle necessite: en
telleune autre provinceprouince ils l’aban=
donoint sul sans secours a se
sauversauuer com’il pourroit.
A qui ne se rendent-ils en fin en-
nuyeux & insupportables? Les offices communs n’en vont
poinct jusquesiusques là. Vous apprenez la cruauté par force, à voz
meilleurs amis, durcissant & femme & enfans, par long usa-
ge
vsa-
ge
, à ne sentir & à ne plaindre plus vos maux. Les souspirs de
ma cholique, n’apportent plus d’esmoy à personne. Et quand
nous tirerions quelque plaisir de leur conversationconuersation, ce qui
n’advientaduient pas tousjourstousiours, pour la disparité des conditions, qui
produict ayséement mespris ou envieenuie, enversenuers qui que ce soit,
n’est-ce pas trop, d’en abuser tout unvn aage. Plus jeie les verrois
se contraindre de bon coeur pour moy, plus jeie plainderois leur
peine. Nous avonsauons loy de nous appuyer, non pas de nous cou-
cher, si lourdement sur autruy, & nous estayer en leur ruyne:
cComme celuy qui faisoit esgorger des petits enfans, pour se
servirseruir de leur sang, à guarir unevne sienne maladie: oOù cet autre, à
qui on fournissoit des jeunesieunes tendrons, à couvercouuer la nuict ses
vieux membres, & mesler la douceur de leur haleine, à la sien-
ne aigre & poisante. JeIe Position : Interligne haute me conseillerois volontiers Venise, pour
la retraicte, d’unevne telle condition & foiblesse de vie.
Position : Marge droite La decrepitude est une
qualite solitere. JeIe suis
sociable jusquesiusques a l’excezlexcez.
Si me semble il raisonable
que meshui jeie soustraie de la
veueueue du monde mon importunité
et la couvecouue a moi sul. Que jeie
m’appile et me receuille en
ma coque come les coquillestortues:
JI’aprans a voiruoir les homes sans
m’y tenir. Ce seroit outrage en
un pas si pendant. Il faut
estre proprement avareauare des
maus, et des biens liberal.

Il est temps de tourner
le dos a la compaignie
Les Indois estimoint justeiuste
de tuer un home ou fame
vieiluieil et malade.
Mais en
unvn si long voyage, vous serez arresté miserablementmiserablemēt en unvn cai-
gnart, ou tout vous manquera. La plus part des choses neces-
saires, jeie les porte quant & moy: &Et puis, nous ne sçaurions evi-
ter
eui-
ter
la fortune, si elle entreprend de nous courre sus. Il ne me
faut rien d’extraordinaire, quand jeie suis malade: cCe que nature
ne peut en moy, jeie ne veux pas qu’unvn bolus le face. Tout au
commencementcommencemēt de mes fiévresfiéures, & des maladies qui m’atterrentatterrēt,
entier encores, & voisin de la santé, jeie me reconcilie à Dieu,
par les derniers offices Chrestiens: &Et m’en trouvetrouue plus libre,
& deschargé,: & me semblelant en avoirauoir d’autant meilleure raison
de la maladie. De notaire & de conseil, il m’en faut moins que
de medecins: cCe que jeie n’auray estably de mes affaires tout
TTTTt
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[441v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sain, qu’on ne s’attende point que jeie le face malade: cCe que jeie
veux faire pour le serviceseruice de la mort, est tousjourstousiours fait: jJeiIe n’o-
serois le deslaier d’unvn seul jouriour. Et s’il n’y à rien de faict, c’est à
dire, ou que le doubte m’en aura retardé le choix, car par fois
c’est bien choisir de ne choisir pas,: ou que tout à fait jeie n’auray
rienriē voulu faire. JI’escris mon livreliure à peu d’hommeshōmes, & à peu d’an-
nées: sSi ç’eut esté unevne matiere de durée, il l’eust fallu commettrecōmettre à
unvn langage plus ferme: sSelon la variationvariatiō continuelle, qui à sui-
vy
sui-
uy
le nostre jusquesiusques à cette heure, qui peut esperer que sa forme
presente soit en creditusage, d’icy à cinquante ans:
Position : Marge gauche Il escoule tous les joursiours
de nos mains: et despuis
que jeie visuis s’est alterè de
moitie. Nous disons qu’il
est asture parfaict. Autant
en dict du sien chaque siecle.
JeIe n’ai garde de l’en tenir
là tant qu’il fuira et se
difformera com’il faict.
C’est aus bons et utiles escris
de le clouër a eus: et a la ira
fortune de nostre estat de
maintenir le credit de son
son
usage credit selon la fortune
de nostre estat.
&Et pPourtant ne
crains-jeie poinct, d’y inserer plusieurs articles privezpriuez, qui con-
sument leur usagevsage entre les hommes qui viventviuent aujourdauiourd’huy,
&Et qui touchent la particuliere science d’aucuns, qui y verront
plus avantauant, que de la commune intelligence. JeIe ne veux pas,
apres tout, comme jeie vois souventsouuent agiter la memoire des tres-
passez, qu’on aille debatant,: iIl jugeoitiugeoit, il vivoitviuoit ainsin,: il vou-
loit cecy,: sS’il eust parlé sur sa fin, il eust dict, il eust donné, jJeiIe
le connoissois mieux que tout autre. Or autant que la bien-
seance me le permet: jeie faicts icy sentir mes inclinations &
affections: mMais plus librement, & plus volontiers, le faits-jeie
de bouche, à quiconque desire en estre informé. Tant y à,
qu’en ces memoires, si on y regarde, on trouveratrouuera que ji’ay tout
dict, ou tout designé: cCe que jeie ne puis exprimer, jeie le montre
au doigt.:
Verum animo satis haec vestigia parua sagaci,
Sunt, per quae possis cognoscere caetera tute:

JeIe ne laisse rien à desirer, & devinerdeuiner de moy. Si on doibt s’en
entretenir, jeie veus que ce soit veritablement & justementiustement. JeIe
reviendroisreuiendrois volontiers de l’autre monde, pour démentir ce-
luy, qui me formeroit autre que jeie n’estois,: fut ce pour m’ho-
norer. Des vivansviuans mesme, jeie sens qu’on parle tousjourstousiours autre-
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LIVRE TROISIESME.434442
ment qu’ils ne sont. Et si à toute force, jeie n’eusse maintenu
unvn amy que ji’ay perdu, on me l’eust deschiré en mille con-
traires visages. JeIe sçay bien que jeie ne lairray apres moy, aucun
respondant, si affectionné de bien loing, & entendu en mon
faict, comme ji’ay esté au sien, nNy personne à qui jeie vousisse
pleinement compromettre de ma peinture:
-
Position : Marge droite eEt si en y a, qu’il me
que jeie recuse, pour les
conoistre trop exces=
sivemant
exces=
siuemant
proclivesprocliues en
ma faveurfaueur:
lLuy seul jouys-
soit
iouys-
soit
de ma vraye image, & l’emporta. C’est pourquoy jeie me
deschiffre moy-mesme, si curieusement.
Pour acheveracheuer de di-
re mes foibles humeurs. JIadvoueaduoue qu’en voyageant, jeie n’arri-
ve
arri-
ue
gueres en logis, où il ne me passe par la fantasie, si ji’y pour-
ray estre, & malade, & mourantmourāt à mon aise: jJeiIe veus estre logé en
lieu, qui me soit bien particulier, sans bruict, non maussadesale,
ou fumeux, ou estouffé. JeIe cherche à flatter la mort, par ces
frivolesfriuoles circonstances, oOu pour mieux dire, à me descharger
de tout autre empeschement: affin que jeie n’aye qu’à m’atten-
dre à elle, qui me poisera volontiers assez, sans autre rechar-
ge. JeIe veux qu’elle ayt sa part à l’aisance & commodité de ma
vie: cCe en est unvn grand lopin & d’importance, & espere mes-
huy qu’il ne dementira pas le passé. La mort à des formes plus
aisées les unesvnes que les autres, & prend diversesdiuerses qualitez se-
lon la fantasie de chacun. Entre les naturelles, celle qui
vient d’affoiblissement & appesantissement, me semble mol-
le & douce: eEntre les violentes ji’imagine plus mal aiséement
unvn precipice qu’unevne ruine qui m’accable,: & unvn coup tranchanttranchāt
d’unevne espée qu’unevne harquebousade,: & eusse plustost beu le
breuvagebreuuage de Socrates que de me fraper commecōme CatonCatō. Et quoy
que l’effectce soit unvn, si sent mon imaginationimaginatiō difference, commecōme de
la mort à la vie, à me jetterietter dans unevne fournaise ardente, ou dansdās
le canal d’unevne platte riviereriuiere.
-
Position : Marge droite : tTant sottemant
nostre creinte
regarde plus au
moïen qu’a l’effect
Ce n’est qu’unvn instantinstāt,: mais il est de
tel pois, que jeie donneroy volontiers plusieurs joursiours de ma vie,
pour le passer à ma mode.
Position : Marge droite : mon imagination
m’en fournit des
visagesuisages, qui luy samblentsāblent
tresfaciles, et puis
qu’il faut mourir, souhetables
. Puisque la fantasie d’unvn chacun
TTTTt ij
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[442v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
trouvetrouue du plus & du moins en son aigreur,: puisquepuisq̄ chacunchacū à quel-
que
q̄l-
que
chois entre les formes de mourir,: essayonsessayōs unvn peu plus avantauāt,
d’en trouvertrouuer quelqu’q̄lqu’unevne deschargée de tout desplaisir. Pourroit
on pas la rendre encore voluptueuse, comme les commourans
d’Antonius & de Cleopatra. JeIe laisse à part, les efforts que la
philosophie, & la religion produisent, aspres & exemplaires:
mais entre les hommes de peu, il s’en est trouvétrouué, comme unvn
Petronius, & unvn Tigillinus à Romme, condamnezcōdamnez par les Em-
pereurs deengagez a se donner la mort, selon les reigles de ce temps là,
qui l’ont comme endormie par la mollesse de leurs apprests:
iIls l’ont faicte couler & glisser parmy la lácheté de leurs occu-
pationspasse temps accoustumées,: entre des garses & bons compaignonscompaignōs,
nul propos de consolation, nulle mention de testament, nul-
le affectation ambitieuse de constance, nul discours de leur
condition future: mMais entre les jeuxieux, les festins, facecies, entre-
tiens communs & populaires, & la musique, & des vers a-
moureux. Ne sçaurions nous imiter cette resolution en plus
honneste contenance. Puis qu’il y a des mors bonnes aux fols,
bonnes aux sages: trouvonstrouuons en qui soyent bonnesbōnes à ceux d’en-
tre deux.
Position : Marge gauche Mon imagination m’en
presante quelque visageuisage,
facile, et puis qu’il faut
mourir, desirable. Les
tyrans Romeins
pensoint doner la vieuie
au criminel a qui ils
donnoint le chois de sa
mort. pMais Theo=
phraste philosofe si
delicat si modeste si
sage a il pas este
force par la raison
d’oser dire ce versuers
[...] Latinisé par Cicero
Vitam regit fortuna
non sapientia

Combien aide la fortune
à la facilite du marche
de ma vieuie me l’aïant
logee en tel point qu’elle
ne faict meshui ny besouin a
personenul ny empochementempeschement.
C’est une condition que ji’eusse acceptee en toutes les saisons de mon eage
mais en cette occasion de serrertrousser mes bribes & de plier bagage jeie prens grand plus particulierement
plaisir a ne faire guiere ny de plaisir ny de desp deplaisir a persone en mourant.
Position : Interligne basse Ell’a, d’un’artiste conpensation, faict, que ceus qui peuventpeuuent pretendre quelque
materiel fruit de ma mort, ens reçoiventreçoiuent d’ailleur[sic] conjointementconiointement, une materielle
perte.

La mort s’appesantit souvantsouuant en nous de ce qu’elle poise aus autres: et nous interesse
de leur interest autant que de n quasi autant que dedu nostre: et plus et tout, par fois.
En cette commodité de logis que jeie cerche, jeie n’y
mesle pas la pompe & l’amplitude,: jeie la hay plustost: mMais
certaine proprieté simple, qui se rencontre plus souvantsouuant aux
lieux où il y a moins d’art, & que nature honore de quelque
grace toute sienne,. nNon ampliter sed munditer conuiuium,. pPlus sa-
lis quam sumptus.
Et puis c’est à faire à ceux que les affaires en-
trainent en plain hyverhyuer par les Grisons, d’estre surpris en che-
min en cette extremité: mMoy qui le plus souvantsouuāt voyage pour
mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il faict laid à droicte, jeie
prens à gauche: si jeie me trouvetrouue mal propre à monter à che-
val
che-
ual
, jeie m’arreste. Et faisant ainsi, jeie ne vois à la verité rien, qui
ne soit aussi plaisant & commodecōmode que ma maison,: iIl est vray que jeie
trouvetrouue la superfluité tousjourstousiours superflue, & remarque quel-
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LIVRE TROISIESME.435443
quede l’ empeschement en la delicatesse mesme & en l’abondan-
ce. Ay-jeie laissé quelque chose à voir derriere moy, ji’y retour-
ne, c’est tousjourstousiours mon chemin. JeIe ne trace aucune ligne cer-
taine, ny droicte ny courbe. Ne trouvetrouue-jeie point ou jeie vay, ce
qu’on m’avoitauoit dict, comme il advientaduient souventsouuent que les juge-
mens
iuge-
mens
d’autruy ne s’accordent pas aux miens, & les ay trouveztrouuez
plus souvantsouuant faux, jeie ne plains pas ma peine, ji’ay apris que ce
qu’on disoit ny est point. JI’ay la complexion du corps libre,
& le goust commun, autant qu’homme du monde: lLa diver-
sité
diuer-
sité
des façons d’unevne nation à autre, ne me touche que par le
plaisir de la varieté. Chaque usagevsage à sa raison. Soyent des as-
sietes d’estain, de bois, de terre,: bouilly ou rosty,: beurre, ou
huyle: de nois ou d’oliveoliue,: chaut ou froit, tTout m’est unvn:. &Et si
unvn, que vieillissant, ji’accuse cette genereuse faculté,: & auroy
besoin que la delicatesse & le chois arrestat l’indiscretion de
mon appetit, & par fois soulageat mon estomac.
Position : Marge droite Quand ji’ay este
ailleurs qu’en france
et que pour me faire
courtoisie on m’a
demande si jeie
vouloisuoulois estre serviserui
a la françoise jeie
m’en suis moque &
me suis tousjourstousiours
jetteiette aus tables
les plus espesses
d’estrangiers.
JI’ay hontehōte de
voir noz hommes, enyvrezenyurez de cette sotte humeur, de s’effa-
roucher des formes contraires aux leurs: iIl leur semble estre
hors de leur element, quand ils sont hors de leur vilage: oOu
qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, & abominent les
estrangeresestrāgeres. RetrouventRetrouuent ils unvn compatriote en Hongrie, ils fe-
stoyent cette avantureauanture,: les voyla à se ralier, & à se recoudre
ensemble, à condamner tant de meurs barbares qu’ils voient.
Pourquoy non barbares, puis qu’elles ne sont françoises. En-
core sont ce les plus habilles, qui les ont recogneuës, pour en
mesdire: lLa plus part ne prennent l’aller que pour le venir. Ils
voyagent couvertscouuerts & resserrez, d’unevne prudence taciturne &
incommunicable, se defendans de la contagion d’unvn air in-
cogneu. Ce que jeie dis de ceux là, me ramentoit en chose sembla-
ble
sēbla-
ble
, ce que ji’ay par fois aperçeu en aucunsaucūs de noz jeunesieunes courti-
sans: iIls ne tiennenttiēnent qu’aux hommeshōmes de leur sorte,: nous regardent
comme gensgēs de l’autre monde, avecauec desdain, ou commiserationcōmiserationpitié:
TTTTt iij
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[443v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
oOstez leur, les entretiens des mysteres de la court, ils sont hors
de leur gibier, aussi neufs pour nous & malhabiles, commecōme nous
sommessōmes à eux. On dict bienbiē vray, qu’unvn honnestehōneste hommehōme, c’est unvn
hommehōme meslé. Au rebours,. jJeiIe peregrine tressaoul de nos façonsfaçōs,.
nNon pour cercher des Gascons en Sicile, ji’en ay assez laissé au
logis,: jeie cerche des Grecs plustost, & des Persans: jJiI’acointe
ceux la, jeie les considere, c’est là ou jeie me preste, & ou jeie m’em-
ploye. Et qui plus est, il me semble, que jeie n’ay rencontré gue-
re de manieres, qui ne vaillent les nostres: jJeiIe couche de peu,
car à peine ay-jeie perdu mes girouettes de veuë. Au demeu-
rant, la plus part des compaignies fortuites que vous rencon-
trez en chemin, ont plus d’incommodité que de plaisir: jJeiIe ne
m’y attache point,: asture mesmementmMoins asteure, que la vieillesse me parti.=
cularise & sequestre aucunement des formes communescōmunes: vVous
souffrez pour autruy, ou autruy pour vous: lLunvn & l’autre incon-
venient
incō-
ueniēt
est poisant,: mais le dernier me semble encore plus rude.
C’est unevne rare fortune, mais de soulagementsoulagemēt inestimable, d’a-
voir
a-
uoir
unvn honnestehōneste hommehōme, d’entendemententendemēt ferme, & de meurs con-
formes aux vostres, qui ayme à vous suyvresuyure, & qui prenne
plaisir à vous assister: jJiI’en ay eu faute Position : Interligne haute extreme en tous mes voyages.
Mais unevne telle compaignie, il la faut avoirauoir choisie & acquise
des le logis. Nul plaisir n’a goust pour moy sans communi-
cation: iIl ne me vient pas seulement unevne gaillarde pensée en
l’ame, qu’il ne me fáche de l’avoirauoir produite seul, & n’ayant à
qui l’offrir.
Position : Marge gauche Si cum hac excepti=
one detur sapientia,
ut illamillā inclusam
teneam, nec enunti=
em
enūti=
em
, reiiciam.
Si
la sagesse dict
Seneque m’estoit
octroiee par tel si
que ji’eusse a la taire
et tenir close ji’y jeie
renoncerois la
rejetteroisreietterois refuserois.

Si cum hac exceptione
detur sapientia ut
illam inclusam teneam
nec enuntiem, reijciam.

L’autre l’avoitauoit monte
d’un ton au dessus.
Si contigerit ea uita
sapienti ut omnium
rerum affluentibus
copiis quamuis omnia
quae cognitione digna sunt
summo otio secum ipse consideret et contempletur tandemtamen si solitudo tanta sit
ut hominem uidere non possit, excedat è uita.
L’opinion d’Architas me plaist’agree, qu’il feroit des-
plaisant au ciel mesme, & à se promener dans ces grands &
divinsdiuins corps celestes, sans l’assistance d’unvn compaignon. Mais
il vaut mieux encore estre seul, qu’en compaignie ennuyeuse
& inepte. Aristippus s’aymoit à vivreviure estrangier par tout,.
Me si fata meis paterentur ducere vitam,
Auspiciis.,

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LIVRE TROISIESME.436444
jeie choisirois à la passer le cul sur la selle,:
visere gestiens,
Qua parte debacchentur ignes,
Qua nebulae pluuijque rores.

AvezAuez vous pas des passe-temps plus aysez,. dDequoy avezauez vous
faute,. vVostre maison est elle pas en bel air & sain, suffisammentsuffisammēt
fournie, & capable plus que suffisamment:
-
Position : Marge droite La majestemaieste Royalle
y a peu plus d’une fois
en sa pompe.
vVostre famille
n’en laisse elle pas en reiglement, plus au dessoubs d’elle, qu’el-
le n’en à au dessus, en eminenenceeminence: yY a il quelque pensée locale
qui vous ulcerevlcere, extraordinaire, irremediable?, indigestible,
Quae te nunc coquat & vexet sub pectore fixa.?
Ou pensepēsecuidez vous pouvoirpouuoir estre sans empeschementempeschemēt & sans destour
bier,. nNunquamnNunquā simpliciter fortuna indulget. Voyez doncdōc qu’il n’y a que
vous qui vous empeschez,. &Et vous vous suyverezsuyuerez par tout, & vous
plainderez par tout,. cCar il n’y a satisfactionsatisfactiō ça bas, que pour les a-
mes ou brutales ou divinesdiuines. Qui n’a du contentement à unevne
si justeiuste occasion, ou pense il le trouvertrouuer: àA combiencombiē de milliers
d’hommes, arreste unevne telle fortunecondition que la vostre, le but de
leurs souhaits? Reformez vous seulement,: car en cela vous
pouvezpouuez tout,: là ou vous n’avezauez droict que de patience, enversenuers la
fortune.
-
Position : Marge droite Nulla placida
quies est nisi quam
ratio composuit.
JeIe voy la raison de cet advertissementaduertissement, & la voy
tresbien: mMais on auroit plustost faict, & plus pertinemment,
de me dire en unvn mot,: soyez sage. Cette resolution, est outre la
sagesse: c’est son ouvrageouurage, & sa production. Ainsi faict le me-
decin, qui va criaillant apres unvn pauvrepauure malade languissant,
qu’il se resjouysseresiouysse: iIl luy conseilleroit unvn peu moins inepte-
ment, s’il luy disoit, soyez sain. Pour moy, jeie ne suis qu’hom-
me de la commune sorte:basse forme.[Note (Montaigne) : basse forme:] cC’est unvn precepte salutaire certain
& d’aisée intelligence,: cContentez vous du vostre, c’est à di-
re, de la raison,: lL’execution pourtant, n’en est non plus au
plus sages, qu’en moy: cC’est unevne parolle populaire, mais el-
le à unevne terrible estandue: qQue ne comprend elle? Toutes
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[444v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
choses tombent en discretion & mesuremodification. JeIe sçay bien qu’à
le prendre à la lettre, ce plaisir de voyager, porte tesmoi-
gnage d’inquietude & d’irresolution: aAussi sont ce nos mai-
stresses qualitez, & praedominantes. Ouy, jeie le confesse, jeie ne
vois rien, seulement en songe, & par souhait, ou jeie me puisse
tenir: lLea seule desir de la varieté me paye, & la possession de la
diversitédiuersité: aumoins si aucune chose me paye. A voyager, cela
mesme me nourrit, que jeie me puis arrester sans interests, & que
ji’ay où m’en divertirdiuertir commodéementcommodéemēt. JI’ayme la vie privéepriuée, par
ce que c’est par mon chois que jeie l’ayme, non par disconvenan-
ce
disconuenā-
ce
à la vie publique, qui est à l’avantureauanture, autant selon ma com-
plexion. JI’en sers plus gayement mon prince, par ce que c’est
par libre eslection de mon jugementiugement, & de ma raison, Position : Interligne haute sans obligation particuliere: &Et que
jeie n’y suis pas rejectéreiecté ny contrainct, pour estre irrecevableirreceuable à
tout autre party, & malvoulu: aAinsi du reste. JeIe hay les mor-
ceaux que la necessité me taille: tToute commodité me tien-
droit à la gorge, de laquelle seule ji’aurois à despendre:
Alter remus aquas alter mihi radat arenas:
uUnevVne seule corde ne m’arreste jamaisiamais à mon aise.asses. Il y a de la va-
nité, dictes vous, en cet amusementamusemēt,. mMais ou non? Et ces beaux
preceptes, sont vanité, & vanité nostretoute la sagesse.
-
Position : Marge gauche Dominus nouit
cogitationes sapien=
tium quoniam uanae
sunt.
Ces exquises
subtilitez, ne sont propres qu’au presche: cCe sont discours qui
nous veulentveulēt envoyerenuoyer tous bastez en l’autre mondemōde:. lLa vie est unvn
mouvementmouuement materiel & corporel,. aAction imparfaicte de
sa propre essence, & desreglée: jeie m’emploie à la servirseruir selon
elle.
Quisque suos patimur manes.
Position : Marge gauche Sic est faciendum, ut
contra naturam uniuersam
nihil contendamus: ea
tamen conseruata propriampropriā
sequamur.

A quoy faire, ces poinctes eslevéesesleuées de la philosophie, sur les-
quelles, aucun estre humain ne se peut rassoir,: & ces regles qui
excedent nostre usagevsage & nostre force. JeIe voy souventsouuent qu’on
nous propose des images de vie, lesquelles, ny le proposant,
ny les auditeurs, n’ont aucune esperanceesperāce de suyvresuyure,: nNy qui plus
est,
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LIVRE TROISIESME.437445
est, envieenuie. De ce mesme papier ou il vient d’escrire l’arrest de
condemnation contre unvn adultere, le jugeiuge en desrobe unvn lo-
pin, pour en faire unvn poulet à la femme de son compaignon.
Position : Marge droite Une femeCelle a qui vousuous
vienderesuienderes de vousuous froter
illicitement, criera plus
asprement apres le viceuice
d’un’autre que ne voudroituoudroit
faire Porcia
tantost, en
vostreuostre presance mesmes,
a l’encontrelencontre d’une pareille
faute d’une autre de sa compaigne, que
ne fairoit Porcie

Et tel condamne des hommes à mourir, pour des crimes, qu’il
n’estime point fautes. JI’ay veu en ma jeunesseieunesse, unvn galant hom-
me, presenter d’unevne main au peuple, des vers excellens & en
beauté & en desbordementdesbordemēt,: & de l’autre main en mesme instantinstāt,
la plus quereleuse & espineuse reformation theologienne, de
quoy le monde se soit desjeunédesieuné il y a long temps. Les hom-
mes vontvōt ainsin. On laisse les loix, & preceptes suivresuiure leur voie,
nous en tenonstenōs unevne autre: nNon par desreiglementdesreiglemēt de meurs seu-
lement, mais par opinionopiniō souventsouuēt, & par jugementiugement contrairecōtraire. Sen-
tez
Sē-
tez
lire unvn discours de philosophie, l’inventioninuention, l’eloquence,
la pertinence frape incontinent vostre esprit, & vous esmeut:
iIl n’y a rien qui chatouille &ou poigne vostre conscienceconsciēce,: cCe n’est
pas à elle qu’on parle, est-il pas vray? Si disoit Ariston, que ny
unevne esteuveesteuue ny unevne leçonleçō, n’est d’aucunaucū fruict, si elle ne nettoye
& ne decrasse. On peut s’arrester à l’escorce: mais c’est apres
qu’on en à retiré la mouele: cComme apres avoirauoir avaléaualé le bon
vin d’unevne belle coupe, nous en considerons les graveuresgraueures &
l’ouvrageouurage. En toutes les chambrées de la philosophie ancien-
ne, cecy se trouveratrouuera,: qQu’unvn mesme ouvrierouurier y publie des reigles
de temperance, & publie ensemble des escris d’amour & des-
bauche.
-
Position : Marge droite Et Xenophon au giron
de Clinias escrivitescriuit contre la
volupteuolupte Aristippique
Ce n’est pas qu’il y ait unevne conversionconuersion miraculeuse,
qui les agite à ondées: mMais c’est que Solon se represente tan-
tost soy-mesme, tantost en forme de legislateur: tantosttātost il parle
pour la presse, tantost pour soy. Et prend pour soy les reigles
libres & naturelles, s’asseurant d’unevne santé ferme & entiere:
Curentur dubij medicis maioribus aegri.
Position : Marge droite AristippusAntisthenes permet au sage
d’aimer & faire a sa mode
ce qu’il treuvetreuue estre opportun
sans s’atandre aus loix d’autant
qu’il a meillur advisaduis qu’elles et
plus de conoissanceconoissāce de la vraïeuraïe vertuuertu.
Son disciple Diogenes disoit opposer
aus perturbations la raison aus
[unclear] fortune la consianceconfidence aus loix nature

AuxPour les estomacs tendres, il faut des reiglesordonancesordonāces contraintes & artifi-
cielles: Position : Interligne haute Les bons estomacs suiventsuiuent simplement les prescriptions de leur naturel appetit. aAinsi font nos medecins, qui mangent le melon &
boiventboiuent le vin fraiz, ce pendant qu’ils tiennent leur patient
VVVVu
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[445v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
obligé au sirop & à la panade. JeIe ne sçay quels livresliures, disoit
la courtisane Lays, quelle sapience, quelle philosophie, mais
ces gens la, battent aussi souvantsouuant à ma porte, que nulsaucuns autres.
D’autant que nostre licence nous porte tousjourstousiours au dela de
ce qui nous est loisible, & permis, on à estressy souvantsouuant outre
la raison, Position : Interligne haute universelleuniuerselle, les preceptes & loys de nostre vie,:
Nemo satis credit tantum delinquere, quantum
Permittas.

Il seroit à desirer, qu’il y eust plus de proportion du comman-
dement
commā-
dement
à l’obeyssance: &Et semble la visée injusteiniuste à laquelle on
ne peut atteindre:. iIl n’est si homme de bien qu’il mette à l’ex-
amen des loix toutes ses actions & pensées, qui ne soit penda-
ble dix fois en sa vie,. vVoire tel, qu’il seroit tres-grand dommagedōmage,
& tres-injusteiniuste de punir & de perdre,:
Olle quid ad te,
De cute quid faciat ille vel illa sua.

Et tel pourroit n’offenser point les loix, qui n’en meriteroit
point la loüange d’homme de vertu,. Position : Interligne haute et que la philosophie fairoit tres justementiustement foiter tTant cette relation est
trouble & inegale. Nous n’avonsauons garde d’estre gens de bien
selon Dieu, nous ne le sçaurions estre selon nous. L’humaine
loisagesse, n’arrivaarriua jamaisiamais aux devoirsdeuoirs qu’elle s’estoit elle mesme
prescrit: &Et si elle y estoit arrivéearriuée, elle s’en prescriroit d’autres
au dela, ou elle aspirat tousjourstousiours & pretendit,. tTant nostre e-
stat est ennemy de consistance.
Position : Marge gauche L’home s’ordone a
soimesme, d’estre
necessairemant en
faute. Il n’est guiere
fin, de tailler son
obligation, a la raison
d’un autre estre que
le sien. A qui comandeprescrit
il ce qu’il s’atand
que persone ne face.
Luy est il injusteiniuste
de ne faire pouint,
ce qu’il luy est
impossible de faire?
Les loix qui nous condamnent a ne pouvoirpouuoir pas, nous accusent
elles mesmes de ne pouvoirpouuoir pas.
Au pis aller, cette difforme li-
berté de se presenter à deux endroicts, & les actions d’unevne fa-
çon, les discours de l’autre, soit loisible à ceux, qui disent les
choses, mMais elle ne le peut estre à ceux, qui se disent eux mes-
me, comme jJeiIe fay: il faut que ji’aille de la plume comme des
pieds. La vie commune doibt avoirauoir conferanceconferāce aux autres vies.
La vertu de Caton estoit vigoreuse outre la raisonmesure de son sie-
cle,: & à unvn homme qui se mesloit de gouvernergouuerner les autres, de-
stiné au serviceseruice commun, il se pourroit dire, que c’estoit unevne
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LIVRE TROISIESME.438446
justiceiustice, sinonsinō injusteiniuste, au moins vaine & hors de saison.
Position : Marge droite Mes meurs mesme qui
ne disconvienentdisconuienent de celles
qui courent a peine de la
largeur d’un pouce me
rendent farouche a
mon siecle
pourtant aucunement
farouche a mon aage
et inassociable. JeIe ne sçai
pas si jeie me treuvetreuue desgoutè
sans raison du monde presantque jeie hante
mais jeie sçai bien que ce
seroit sans raison si ie me
pleignois qu’il fut desgoute
de moi puisplus que jeie le suis de
luy
La ver-
tu assignée aus affaires du monde, est unevne vertu, à plusieurs
plis, encoigneures, & couddes, pour s’apliquer & joindreioindre à
l’humaine foiblesse: mMeslée & artificielle,: non droitte, nette,
constante, ny purement innocente. Les annales reprochent
jusquesiusques à cette heure à quelqu’unvn de nos Roys, de s’estre trop
simplement laissé aller aux consciéncieuses persuasions de
son confesseur. Les affaires d’estat ont des preceptes plus
hardis.,
exeat aula,
Qui vult esse pius.

JI’ay autresfois essayé d’employer au serviceseruice des negotiationsmaniemans
publiques, les opinions & reigles de vivreviure, ainsi rudes, neuf-
ves
neuf-
ues
, impolies ou impollues, comme jeie les ay nées chez moy,
ou raportées de mon institution, & desquelles, jeie me sers Position : Interligne haute sinon com-
modéement
cō-
modéement
Position : Interligne haute au moins surement en particulier,. uUnevVne vertu scholastique & novicenouice,.
jJeiIe les y ay trouvéestrouuées Position : Interligne haute ineptes et dangereuses & ineptes. Celuy qui va en la
presse, il faut qu’il gauchisse, qu’il serre ses couddes, qu’il re-
cule, ou qu’il avanceauance, voire qu’il quitte le droict chemin, selonselō
ce qu’il rencontre: qQu’il viveviue non tant selon soy, que selon au-
truy,: non selonselō ce qu’il se propose, mais selon ce qu’on luy pro-
pose,: selon le temps, selon les hommes, selon les affaires.
Position : Marge droite Platon dict que qui
eschape braïes nettes du
maniemant du monde il en
eschape
c’est par miracle qu’il en
eschape. Et dict aussi que
quand il ordone son philosophe
chef d’une police il n’entant pas
le dire d’une police corrompue come celle
d’Athenes et encore bien moins
come la nostre enversenuers les quelles
la sagesse mesme perderoit son
Latin. Come un’herbe transplan=
tèe en solage fort diversdiuers a sa
condition se conforme bien
plus tost au viceuice de ce nouveaunouueau
terroir
a iceluy qu’elle ne le reforme a
soy
a soy
JeIe
sens que si jiavoisauois à me dresser tout à faict à telles occupationsoccupatiōs,
il m’y faudroit beaucoup de changement & de rabillage.
Quand jeie pourrois cela sur moy, (& pourquoy ne le pourrois
jeie, avecauec le temps & le soing?) jeie ne le voudrois pas. De ce peu
que jeie me suis essayé en cette occupation du mondemōdevacationuacation, jeie m’en suis
d’autant degousté: jJeiIe me sens fumer en l’ame par fois, aucu-
nes tentations vers l’ambition,: mais jeie me bande & obstine
au contraire:
At tu Catulled obstinatus obdura.
On ne m’y appelle guieres, & jeie m’y conviecōuie aussi peu.
Position : Marge droite La libertè & l’oisifvetéoisifueté
qui sont mes maistresses
qualites sont contradictoires
qualites a ce mestier la dia=
metralement contreres a ce
mestier la
Nous ne
VVVVu ij
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[446v] ESSAIS DE M. DE MONT.
sçavonssçauōs pas distinguer les facultez des hommeshōmes,: eElles ont des di-
visions
di-
uisiōs
, & bornes mal-aysées à choisir & delicates. De conclurrecōclurre
par la suffisance d’unevne vie particuliere, quelque suffisance à l’u-
sage
v-
sage
public, c’est mal conclud: tTel se conduict bien, qui ne
conduict pas bien les autres,
-
Position : Marge gauche eEt faict des essais
qui ne sauroit faire
des effaicts. Tel
& tel dresse bienbiē unvn siege qui dres-
seroit mal unevne bataille,: &Et discourt bien en privépriué qui haren-
gueroit mal unvn peuple, ou unvn prince. Voyre à l’aventureauenture est-
ce plustost tesmoignage à celuy qui peut l’unvn, de ne pouvoirpouuoir
point l’autre,: qu’autrement.
Position : Marge JeIe treuvetreuue que les esprits haus
ne sont de guere moins
aptes d aus choses basses
que les bas esprits aus hautes

Estoit il a croire que
Socrates eut apretes aus
Atheniens matiere de
rire de luya ses despans pour n’avoirauoir
onques sceu computer
les suffrages de sa tribu
pouret en faire raport au
conseil. Certes la vene=
ration
uene=
ration
en quoi ji’ay les
perfections de sce persona=
ge merite que sa fortune
fournisse a mes imperfe
l’excuse des mes principalles
imperfections un si
magnifique exemple.
Nostre suffisance est detaillée à
menues pieces,: la mienne n’a point de latitude, & si est chetif-
ve
chetif-
ue
en nombre. Saturninus, à ceux qui luy avoyentauoyent deferé tout
commandement,: cCompaignons, fit-il, vous avezauez perdu unvn
bon capitaine, pour en faire unvn mauvaismauuais general d’armée. Qui
se vante, en unvn temps malade comme cettuy-cy, d’employer
au serviceseruice du monde, unevne vertu nayfvenayfue & exquisesincere[Note (Montaigne) : |sincere|]: ou il ne la
cognoit pas, les opinions se corrompant avecauec les meurs, (de
vray oyez la leur peindre, oyez la plus part se vanterglorifier de leurs
deportemens, & former leurs reigles, au lieu de peindre la
vertu, ils peignentpeignēt l’injusticeiniustice toute pure & le vice, & la presen-
tent ainsi fauce à l’institution des princes:) ou s’il la cognoist, il
se vante à tort,: & quoy qu’il die, faict mille choses dequoy sa
conscience l’accuse. JeIe croirois volontiers Seneca de l’expe-
rience
expe-
riēce
qu’il en fit en pareille occasion,: pourveupourueu qu’il m’en vou-
lut parler à coeur ouvertouuert. La plus honorable marque de bon-
té en unevne telle necessité,: c’est recognoistre librement sa faute,
& celle d’autruy,: appuyer & retarder de sa puissancepuissāce, l’inclina-
tion vers le mal,: suyvresuyure envisenuis cette pente,: mieux esperer &
mieux desirer. JI’aperçois en ces desmambremensdesmābremens de la FranceFrāce, &
divisionsdiuisiōs ou nous sommes tombez,: chacun se travailletrauaille à def-
fendre sa cause, mais jusquesiusq̄s aux meilleurs, avecauec desguisementdesguisemēt &
mensongemēsonge. Qui en escriroit rondementrōdemēt, en escriroit temererementtemereremēt
& vitieusementvitieusemēt. Le plus justeiuste party, si est-ce encore le membremēbre
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LIVRE TROISIESME.439447
d’unvn corps vermoulu & vereux: mMais d’unvn tel corps, le mem-
bre moins malade s’appelle sain,: &Et à bon droit,: d’autant que
nos qualitez n’ont tiltre qu’en la comparaison. L’innocence
civileciuile, se mesure selonselō les lieux & saisons. JI’aymerois bienbiē à voir
en Xenophon, unevne telle louange d’Agesilaus. Estant prié par
unvn prince voisin, avecauec lequel il avoitauoit autresfois esté en guerre,
de le laisser passer en ses terres, il l’octroya, luy donnant passa-
ge à traverstrauers le Peloponnesse,: & non seulement mne l’empri-
sonna ou empoisonna, le tenant à sa mercy,: mais l’accueillit,
courtoisement sans luy faire offence. A ces humeurs là, ce ne
seroit rien dire: aAilleurs & en autre temps, il se fera compte de
la franchise, & magnanimité d’unevne telle actionactiō: cCes babouyns
capettes s’en fussent moquez,: sSi peu retire l’innocence spartai-
ne à la françoise. Nous ne laissons pas d’avoirauoir des hommeshōmes ver-
tueux: mais c’est selon nous. Qui à ses meurs establies en regle-
ment au dessus de son siecle,: ou qu’il torde, & émousse ses re-
gles,: ou, ce que jeie luy conseille plustost, qu’il se retire à quar-
tier, & ne se mesle point de nous. Qu’y gaigneroit-il?
Egregium sanctúmque virum si cerno, bimembri
Hoc monstrum puero, & miranti iam sub aratro,
Piscibus inuentis & foetae comparo mulae.

On peut regretter les meilleurs temps,: mais non pas fuyr
aux presens,: oOn peut desirer autres magistrats, mais il faut
ce nonobstant, obeyr à ceux icy: &Et à l’advantureaduanture y a il
plus de recommendation d’obeyr aux mauvaismauuais, qu’aux bons.
Autant que l’image des loix receuës, & antiennes de cet-
te monarchie, reluyra en quelque coin, m’y voila plantéplāté: sSi elles
viennent par malheur à se contredire, troubler, & empescher
entr’elles, & produire deux pars, de chois doubteux & diffici-
le,:, mon election sera volontiers, d’eschapper, & me desrober à
cette tempeste: nNature m’y pourra prester ce pendant la main,
ou les hazards de la guerre. Entre Caesar & PompeiusPōpeius, jeie me fusse
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[447v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
franchement declaré,: mMais entre ces trois voleurs, qui vin-
drent depuis,: où il eust fallu se cacher, ou suyvresuyure le ventvēt,: cCe que
ji’estime loisible, quand la raison ne guide plus.
Quo diuersus abis?
CcCette farcisseure est unvn peu hors de mon theme. JeIe m’esgare,:
mais plustost par licence, que par mesgarde: mMes fantasies, se
suyventsuyuent,: mais par fois c’est de loing: &Et se regardent, mais d’u-
ne
v-
ne
veuë obliqueobliq̄,:
Position : Marge gauche JI’ay passé les yeus sur
tel dialogue de Platon
la teste et le vantreuantre
sont de l’amour tout le bas
de la Rhetorique Ils ne
creignent pouint ces muances.

mi parti d’une estrange
mi parti d’une fantastique
bigarrure le davantdauant a
l’amour tout le bas a la
Rhetorique Ils ne creignentcreignēt
ces muances point ces
muances Et ont une
merveilleusemerueilleuse grace a
laisser einsi rouler au ventuent,
ou a le sembler.
lLes noms de mes chapitres n’en embrassent pas
tousjourstousiours la matiere,: souventsouuent ils la denotentdenotēt seulementseulemēt, par quelqueq̄lq̄
marque, comme ces autres Position : Interligne haute tiltres l’Andrie l’Eunuche ou ces autres noms, Sylla, Cicero, Torquatus.
JI’ayme l’alleure poetique, à sauts & à gambades, Position : Interligne haute C’est un’art come dict Platon legiere volageuolage sacree daemoniacle sacree demoniacle.
Position : Marge droite Il me semble
qu’il y a ouvrageouurage
en Plutarche qu’il
dedieé a Socrates de qui
et a peine en parle il
il un mot sur la
fin tout le corps estantestāt
et d’Epaminondas.
Ces escartemants
sont d’autant plus
ingenieus qu’ils
semblent estre
fortuites.

Position : Marge droite Ils en lisent tousjourstousiours en quelque coin un mot bien serré. L’autheur ne la
pert pas c’est l’indiligent lectur. Au demurant encore la que la montre soit autre
et autre le gros du corps si ne la laisse jeie pas en arriere et en laisse en un coin tousjourstousiours
quelque mot et bien serré. c’est l’indiligent lectur qui lal’a pert non pas moi
Il est des ouvragesouurages en Plutarque
ou il oblie sason promessetheme ou sonle propos desseignede son argument ne se treuvetreuue que par incidant: tout estouffé en matiere
estrangiere. voïes ses allures au daemon de Socrates. O dieu que ces escartemansgaillardes escapades que cette variationuariation
a de gracesbeauté & plus lors qu’elle semble nonchalante et fortuite que plus elle
le retire auau nonchalant et fortuite. C’est l’indiligent lectur qui pert
mon subjetsubiet non pas moi: il s’en trouveratrouuera tousjourstousiours en un coin quelque mot
bien serre: ilqui ne laisse pas d’estre pertinant & suffisant quoi qu’il
ne soit estendu
bastant quoi qu’il ne soit estendu serré. JeIe
&Et vois au
change, indiscrettement & tumultuairement: Position : Interligne haute . Mon stile et mon esprit, vontuont vagabondantuagabondant de mesmes. iIl faut avoirauoir unvn
peu de folie, qui ne veut avoirauoir plus de sottise: Position : Interligne haute disent et les preceptes de nos maistres et encore plus leurs exemples. mMille poëtes
trainent & languissent à la prosaïque, mMais la meilleure prose
ancienne,
Position : Marge gauche et jeie la seme ceans
indifferammant pour
vers,
reluit par tout, de la vigueur & hardiesse poetique,:
& represente quelque l’air de sa fureur: iIl luy faut certes quit-
ter la maistrise, & preeminence en la parlerie.
Position : Marge gauche Le poete, dict Platon, assis
sur le trepie des muses verseuerse
de furie tout ce qui luy vientuient
en la bouche come la gargouille
d’une fontaine sans le ruminer
& poiser. et luy eschape des
choses de diversediuerse colur de
contrere substance et d’un
ordre rompu cours rompu.
Luy mesmes est tout poëtique
et la vieilleuieille theologie poësie
disent les sçavanssçauans et la premi=
ere philosofie
c’est l’originel langage des Dieus.[Note (Mathieu Duboc) : Montaigne ajoute cette sentence au dessus de son addition, sans doute par manque de place. L’édition de 1595 nous permet de la restituer à cette place.]
JI’entends que la
matiere se distingue soy-mesmes, eElle montre assez ou elle se
change, où elle conclud, où elle commence, où elle se reprendreprēd,
sans l’entrelasser de paroles, de liaison, & de cousture, intro-
duictes pour le serviceseruice des oreilles foibles, où nonchallantes,
& sanssās me gloser moy mesme. Qui est celuy, qui n’ayme mieux
n’estre pas leu, que de l’estre en dormant, ou en fuyant.
Position : Marge gauche : nNihil est tam
utile, quod in
transitu profit.

Si prendre ldes livresliures estoit
les aprendre et si les voiruoir
estoit les regarder & les
parcourir les sesir ji’arois tort
de me faire du tout si ignorant
que jeie dis.
Puis-
que jeie ne puis arrester l’attention du lecteur par le pois,: manco
male
,: s’il advientaduient que jeie l’arreste par mon embrouilleure: vVoire
mais il se repentira aprespar apres, de s’y estre amusé,: cC’est mon,: mais il
s’y sera tousjourstousiours amusé. Et puis il est des humeurs comme ce-
la,: à qui l’intelligenceintelligēce porte desdain,: qQui m’en estimerontestimerōt mieux
de ce qu’ils ne sçauront ce que jeie dis,: iIls conclurrontconclurrōt la profon-
deur de mon sens, par l’obscurité.:[sic] lLaquelle à parler, en bon es-
cient, jeie hay, Position : Interligne haute bien fort: & l’eviteroiseuiterois si jeie me sçavoissçauois contrefaire:evitereuiter Aristote
se vante en quelque lieu, de l’affecter,: vVitieuse imaginationaffectation.
Position : Interligne basse . Par ce que la coupure si frequante des chapitres de quoi j’usoisiusois au
comancemant m’a samble rompre l’attention avantauant qu’elle soit nee: et la dissoudre,
desdeignant s’y coucher pour si peu, et se recolligerrecueillir: jeie me suis mis a les faire plus
longs, qui requierent de la proposition & du loisir assigné. En telle occupation
à qui on ne veutueut doner une sule heure on ne veutueut rien doner Et ne faict on
rien pour celuy pour qui on ne faict, qu’autre chose faisant. JointIoint qu’a l’avanturelauanture
ai jeie quelqu’obligation particuliere a ne dire qu’a demi, a dire confuseement & a dire
diversementdiuersement discordemment
JI’a-
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LIVRE TROISIESME.440448
voisuois à dire,: que jeie veus mal à cette raison trouble-feste: &Et que
ces projectsproiects extravagantsextrauagants qui travaillenttrauaillent la vie, & ces opinionsopiniōs
si fines, si elles ont de la verité, jeie la trouvetrouue trop chere & incom-
mode
incō-
mode
. Au rebours,: jeie m’emploie à faire valoir la vanité mes-
me, & la grosseriel’asnerie, si elle m’apporte du contentementcōtentemētplaisir,. &Et me lais-
se aller apres mes inclinations naturelles, sans les contreroller
de si pres. JI’ay veu ailleurs des maisons ruynées, & des statues,
& du ciel, & de la terre,: ce sont tousjourstousiours des hommes. Tout
cela est vray,: & si pourtant ne sçauroy revoirreuoir si souventsouuent le tom-
beau
tō-
beau
, de cette ville,: si grande, & si puissante, que jeie ne l’admire
& reverereuere. Le soing des morts nous est en recommandationrecommandatiō. Or
ji’ay esté nourry dés mon enfance, avecauec ceux icy: jJiI’ay eu con-
noissance des affaires de Romme, long temps avantauāt que jeie l’aye
eue de ceux de ma maison. JjJeIiIe sçavoissçauois le Capitole & son plant,
avantauant que jeie sceusse le LouvreLouure,: & le Tibre avantauant la Seine. JI’ay
eu plus en teste les conditions & fortunes de Lucullus, Metel-
lus, & Scipion, que jeie n’ay d’aucuns hommes des nostres. Ils
sont trespassez,: si est bien mon pere, aussi entierement qu’eux,
& s’est esloigné de moy, & de la vie, autantautāt en dixhuict ans, que
ceux-là ont faict en seize censcēs,: duquel pourtant, jeie ne laisse pas
d’embrasser & practiquer la memoire, l’amitié & societé, d’u-
ne
v-
ne
parfaicte unionvnion & tres-viveviue. Voire de mon humeur, jeie
me rends plus officieux enversenuers les trespassez: iIls ne s’aydent
plus,. iIls en requierent ce me semble d’autant plus mon ayde:
lLa gratitude est là, justementiustement en son lustre. Le bien-faict,
est moins richement assigné, où il y à retrogradation, &
reflexion. Arcesilaus visitant Position : Interligne haute un AppellesCtesibius malade, & le trouvanttrouuant
en pauvrepauure estat, luy fourra tout bellement soubs le chevetcheuet du
lict, de l’argent qu’il luy donnoit,: &Et en le luy celantcelāt, luy donnoitdōnoit
en outre, exemptionquitance de luy en sçavoirsçauoir gré. Ceux qui ont me-
rité de moy de l’amitié & de la reconnoissancerecōnoissance, ne l’ont jamaisiamais
perdue pour n’y estre plus,: jJeiIe les ay mieux payez, & plus soi-
gneusement, absens & ignorans. JeIe parle plus affectueusementaffectueusemēt
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[448v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
de mes amis, quand il n’y à plus moyenmoyē qu’ils le sçachentsçachēt. Or ji’ay
attaqué cent querelles pour la deffence de Pompeius, & pour
la cause de Brutus. Cette accointance dure encore entre nous:
lLes choses presentes mesmes, nous ne les tenonstenōs que par la fan-
tasie. Me trouvanttrouuant inutile à ce siecle, jeie me rejectereiecte à cet autre,:
&Et en suis si embabouyné, que l’estat de cette vieille Romme,
libre, justeiuste, & florissante (car jeie n’en ayme, ny la naissance, ny la
vieillesse) m’interesse & me passionne. Parquoy, jeie ne sçauroy
revoirreuoir si souventsouuent, l’assiette de leurs rues, & de leurs maisons, &
ces ruynes profondes jusquesiusques aux Antipodes, que jeie ne m’y a-
muse.
Position : Marge gauche Tanta uis admonitionis inest in locis.
SoitEst ce par nature soitou par
errur de fantasie il avientauiēt
que la veueueue des places que
nous sçavonssçauons avoirauoir este
hantees & habitees par persones
des quelles la memoire est en
recomandation nous esmeut
aucunement plus qu’ouir le recit
de leur faicts ou lire leurs escris.
Position : Marge droite Tanta uis est admonitio=
nis inest in locis. Et id
quidem infinitum hac
urbe infinitum: quacunque
enim ingredimur in aliquam
historiam uestigium ponimus.
Il me plaist de considerer leur visage, leur port, & leurs
vestements: jJeiIe remache ces grands noms entre les dents, & les
faicts retentir à mes oreilles.
-
Position : Marge gauche Ego illos ueneror
Et tantis nominibus
semper assurgo.
Des choses qui sont en quelque
partie grandes & admirables, ji’en admire les parties mesmes
communes. JeIe les visse volontiers diviserdiuiser, promener, & soup-
per:. cCe seroit ingratitude de mespriser les reliques, & images
de tant d’honnestes hommes, & si valeureux, que ji’ay veu vi-
vre
vi-
ure
& mourir, & qui nous donnent tant de bonnesbōnes instructionsinstructiōs
par leur exemple, si nous les sçavionssçauions suivresuiure. Et puis cette mes-
me Romme que nous voyons, merite qu’on l’ayme,. cConfede-
rée de si long temps, & par tant de tiltres à nostre couronne:
sSeule ville, commune, & universellevniuerselle: lLe magistrat souverainsouuerain
qui y commande, est reconneu pareillement ailleurs, cC’est la
ville metropolitaine de toutes les nations Chrestiennes: lL’Es-
paignol & le François, chacun y est chez soy: pPour estre des
princes de cet estat, il ne faut qu’estre de Chrestienté, ou qu’el-
le soit. Il n’est lieu çà bas, que le ciel ayt embrassé avecauec telle in-
fluence de faveurfaueur, & telle constance: sSa ruyne mesme est glo-
rieuse & enflée,.
Position : Marge droite Laudandis
preciosior
ruinis,

[Commentaire (Montaigne) : versuers]
eEncore retient elle au tombeau des marques &
image d’empire.
-
Position : Marge gauche Vt palam sit uno
in loco gaudentis
opus esse naturae.
fortunae. naturae.
Quelqu’unvn se blasmeroit, & se mutineroit en
soy-mesme, de se sentir chatouiller d’unvn si vain plaisir. Nos
humeurs ne sont pas trop vaines qui sont plaisantes. Quelles
quelles[sic]
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LIVRE TROISIESME.441449
qu’elles soient, qui contentent constamment unvn homme ca-
pable de sens communcommū, jeie ne sçaurois avoirauoir le coeur de le plein-
dre. JeIe doibs beaucoup à la fortune, dequoy jusquesiusques à cette
heure, elle n’a rien fait contrecōtre moy, outrageux,: &au moins au de là de ma
forceportee. Seroit ce pas sa façon, de laisser en paix ceux de qui elle
n’est point importunée.:
Quanto quísque sibi plura negauerit,
A Diis plura seret, nil cupientium,
Nudus castra peto, multa petentibus,
Desunt multa.

Si elle continue, elle m’en envoyeraenuoyera tres-content, & satis-
faict,
nihil supra,
Deos lacesso.

Mais gare le heurt,. iIl en est mille, qui rompent au port. JeIe me
console aiséement, de ce qui adviendraaduiendra icy, quand jeie n’y seray
plus: lLes choses presentes m’embesoingnent assez,.
Ffortunae caetera mando.
Aussi n’ay-jeie poinct cette forte liaison, qu’on dicts attacher les
hommes à l’adveniraduenir, par les enfans qui portent leur nom, &
leur honneur,. &Et en doibs desirer à l’avantureauanture d’autant moins,
s’ils sont si desirables. JeIe ne tiens que trop au monde, & à cet-
te vie par moy-mesme: jJeiIe me contente d’estre en prise de la
fortune, par les circonstances proprement necessaires, à mon
estre, sans luy alonger par ailleurs sa jurisdictioniurisdiction sur moy: &Et
n’ay jamaisiamais estimé qu’estre sans enfans, fut unvn defaut qui deut
rendre la vie moins complete, & moins contente. La vaca-
tion sterile, à bien aussi ses commoditez. Les enfans sont du
rollenombre des choses, qui n’ont pas fort dequoy estre desirées,: no-
tamment à cette heure, qu’il seroit si difficile de les rendre
bons
-
Position : Marge droite : bona iam nec nasci
licet, ita corrupta sunt
semina:
,: & si ont justementiustement dequoy estre regrettées, à qui les
perd, apres les avoirauoir acquises. Celuy qui me laissa ma maisonmaisō en
XXXXx
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[449v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
charge, prognostiquoit que jeie la deusse ruyner,: regardant à
mon humeur, si peu casaniere. Il se trompa,: mMe voicy com-
me ji’y entray,. sSinon unvn peu mieux,. sSans office pourtant & sans
benefice. Au demeurant,: si la fortune ne m’a faict aucune of-
fence violente, & extraordinaire, aussi n’a-elle pas de grace.
Tout ce qu’il y à de ses dons chez nous, il y est Position : Interligne haute plus de cent ans avantauant moy,:
& Position : Interligne haute loin au delà de cent ansd’un siecle. JeIe n’ay Position : Interligne haute particulieremant pour moi aucun bien essentiel, & solide,
que jeie doivedoiue à sa liberalité: eElle m’a faict quelques faveursfaueurs
venteuses, honnoraires, & titulaires, sans substance,: &Et me les
a aussi à la verité, non pas accordées, mais offertes. Dieu sçait,
à moy,: qui suis tout materiel, qui ne me paye que de la reali-
, encores bien massivemassiue,: &Et qui, si jeie l’osois confesser,: ne trou-
verois
trou-
uerois
l’avariceauarice guere moins excusable que l’ambition,: ny la
douleur moins evitableeuitable que la honte,: ny la santé moins desi-
rable que la doctrine,: ou la richesse que la noblesse. Parmy
ses faveursfaueurs vaines, jeie n’en ay poinct qui plaise tant à cette
niaise humeur, qui s’en paist chez moy, qu’unevne bulle authen-
tique de bourgeoisie Romaine, qui me fut octroyée dernie-
rement que ji’y estois,: pompeuse en seaux, & lettres dorées,: &
octroyee avecauec toute gratieuse liberalité. Et par ce qu’elles se
donnent en diversdiuers stile, plus ou moins favorablefauorable:, & qu’avantauant
que ji’en eusse veu, ji’eusse esté bien aise, qu’on m’en eust mon-
stré unvn formulaire, jeie veux, pour satisfaire à quelqu’unvn, s’il s’en
trouvetrouue malade de pareille curiosité à la mienne, la transcrire
icy en sa forme.[Note (Alain Legros) : La bulle est transcrite sur la page suivante.]
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LIVRE TROISIESME.442450
Quod Horatius Maximus Martius Cecius Alexander Mutus
almae vrbis conseruatores de IllmoIllustrissimo viro Michaele Montano e-
quite sancti Michaelis, & à Cubiculo Regis Christianissimi Ro-
mana Ciuitate donando ad Senatum retulerunt. S. P. Q. R. de ea
re ita fieri censuit.


CVM veteri more & instituto cupide illi semper studioséque su-
scepti sint qui virtute ac nobilitate praestantes, magno Reip. no-
strae vsui atque ornamento fuissent vel esse aliquando possent. Nos ma-
iorum nostrorum exemplo atque auctoritate permoti, praeclaram hanc
Consuetudinem nobis imitandam ac seruandam fore censemus. Qua-
mobrem cum IllmusIllustrissimus Michael Montanus Eques sancti Michaelis & à
Cubiculo Regis Christianissimi Romani nominis studiosissimus & fa-
miliae laude atque splendore & propriis virtutum meritis dignissimus
sit qui summo Senatus Populíque Romani Iudicio ac studio in Roma-
nam Ciuitatem adsciscatur placere Senatui P. Q. R. IllmumIllustrissimum Michaelem
MontanumMōtanum rebus omnibus ornatissimum atque huic inclyto populo cha-
rissimum ipsum posterósque in Romanam Ciuitatem adscribi ornarí-
que omnibus & praemiis & honoribus quibus illi fruuntur qui Ciues
Patritiique Romani nati aut iure optimo facti sunt. In quo censere
Senatum P. Q. R. se non tam illi Ius Ciuitatis largiri quam debitum
tribuere neque magis beneficium dare quam ab ipso accipere qui hoc
Ciuitatis munere accipiendo singulari Ciuitatem ipsam ornamentoornamēto at-
que honore affecerit. Quam quidem S. C. auctoritatem iidem Con-
seruatores per Senatus P. Q. R. scribas in acta referri atque in Ca-
pitolij curia seruari priuilegiúmque huiusmodi fieri solitóque vrbis
sigillo communiri curarunt. Anno ab vrbe condita CXƆ CCC-
XXXI post Christum natum M.D.LXXXI.III. Idus
Martij.

Horatius fuscus sacri S. P. Q. R. scriba
Vincen.Vincē.Vincentius Martholus sacri S. P. Q. R. scriba.

XXXXx ij
Fac-similé BVH

[450v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
N’estant bourgeois d’aucune ville, jeie suis bien aise de l’estre
de la plus noble qui fut & qui sera onques. Si les autres se re-
gardoient attentivementattentiuement, comme jeie fay, ils se trouveroienttrouueroiēt com-
me
cō-
me
jeie fay, pleins d’inanité & de fadaise: dDe m’en deffaire jeie ne
puis, sans me deffaire moy-mesmes,. nNous en sommes tous con-
fits
cō-
fits
tant les unsvns que les autres: mais ceux qui le sentent en ont
unvn peu meilleur compte: encore ne sçay-jeie. Cette opinion &
usancevsance commune, de regarder ailleurs qu’à nous, a bien pour-
veu
pour-
ueu
à nostre affaire. C’est unvn objetobiet plein de mescontentementmescontentemēt,
nous n’y voyons que misere & vanité. Pour ne nous descon-
forter, nature à rejettéreietté bien à propos, l’action de nostre veuë
au dehors: nNous allons en avantauant à vau l’eau, mais de rebrousser
vers nous nostre course, c’est unvn mouvementmouuement penible,: la mer
se brouille & s’empesche ainsi, quand elle est repoussée à soy.
Regardez dict chacunchacū, les mouvementsmouuemētsbranles du ciel, regardez au pu-
blic, à la querelle de cestttuy-là[Note (Montaigne) : tt], au pouls d’unvn tel, au testamenttestamēt de
cet autre, somme regardez tousjourstousiours haut ou bas, où à costé,
ou devantdeuant, ou derriere vous. C’estoit unvn commandement pa-
radoxe, que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes: rRe-
gardez dans vous, reconnoissezrecōnoissez vous, tenez vous à vous,: vostre
esprit, & vostre volonté qui se consomme ailleurs, ramenez là
en soy mesme: vous vous escoulez, vous vous respandez:
appilez vous, soutenez vous: on vous trahit, on vous dissipe,
on vous desrobe à vous. Voy tu pas que ce monde, tient tou-
tes ses veues contraintes au dedans, & ses yeux ouvertsouuerts à se con-
templer
cō-
templer
soy-mesme? C’est tousjourstousiours vanité pour toy, dedans
& dehors, mais elle est moins vanité, quand elle est moins e-
stendue. Sauf toy ô hommehōme, disoit ce Dieu, cháque chose s’estu-
die la premiere, & à selon son besoin des limites à ses occupa-
tionstravaustrauaus & desirs. Il n’en est unevne seule si vuide & necessiteuse que
toy, qui embrassezs l’universvniuers: tu es le scrutateur sans connois-
sance, le magistrat sans jurisdictioniurisdictiō, & apres tout, le badin de la
farce.


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LIVRE TROISIESME.44451

De mesnager sa volonté.

CHAP. X



AUAV pris du commun des hommes, peu de choses me
touchent, ou pour mieux dire, me tiennent. Car c’est
raison qu’elles touchenttouchēt, pourveupourueu qu’elles ne nous pos-
sedent. JI’ay grand soin d’augmenteraugmēter par estude, & par discours,
ce privilegepriuilege d’insensibilité, qui est naturellement bien avancéauancé
en moy. JI’espouse, & me passionne par consequant, de peu
de choses. JI’ay la veuë clere,: mais jeie l’attache à peu de choses:objectsobiects.
lLe sens delicat & mol,. mMais l’apprehension & l’application,
jeie l’ay dure & sourde: jJeiIe m’engage difficilement. Autant
que jeie puis, jeie m’employe tout à moy: &Et en ce subjectsubiect mes-
me, jeie briderois pourtant & soutiendrois volontiers mon
affection, qu’elle ne s’y plonge trop entiere,: puis que c’est unvn
subjectsubiect, que jeie possede à la mercy d’autruy, & sur lequel la
fortune à plus de droict que jeie n’ay. De maniere, que jusquesiusques
à la santé que ji’estime tant, il me seroit besoing, de ne la pas
desirer, & m’y adonner si furieusement, que ji’en trouvetrouue les
maladies importables.
Position : Marge droite Il se fautOn se doit moderer dit
Platon
entre la haine de
la dolur & l’amour de la
voluptéuolupté Et ordone Platon
en une moïene route de vieuie
entre les deus
Mais aux affections qui me distrayent
de moy, & attachent ailleurs,: à celles la certes m’oppose-jeie de
toute ma force. Mon opinionopiniō est, qu’il se faut prester à autruy,
& ne se donner qu’a soy-mesme. Si ma volonté se trouvoittrouuoit
aysée à se hypothequer & à s’appliquer, jeie n’y durerois pas: jJeiIe
suis trop tendre, & par nature & par usagevsage,
fugax rerum, securaque in otia natus.
Les debats contestezcōtestez & opiniastrez, qui doneroyent en fin ad-
vantage
ad-
uantage
à mon adversaireaduersaire,: l’issue qui rendroit honteuse ma
chaude poursuite, me rongeroit à l’avantureauanture bien cruellementcruellemēt.
Si jeie mordois à mesme, comme font les autres, mon ame
n’auroit jamaisiamais la force de porter les alarmes, & emotionsemotiōs, qui
XXXXx iij
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[451v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
suyventsuyuent ceux qui embrassent tant,. eElle seroit incontinent dis-
loquée par cette agitation intestine. Si quelquefois on ma
poussé au maniement d’affaires estrangieres, ji’ay promis de
les prendre en main, non pas au poulmon & au foye,: de m’en
charger, non de les incorporer: de m’en soigner ouy, de m’en
passionner, nullement: ji’y regarde, mais jeie ne les couvecouue point.
JI’ay assez affaire à disposer & rengerrēger la presse domestique que
ji’ay dans mes entrailles, & dans mes veines, sans y loger, & me
fouler d’unevne presse estrangere: &Et suis assez interessé de mes
affaires essentiels, propres, & naturels, sans en convierconuier d’au-
tres forains. Ceux qui sçaventsçauent combien ils se doiventdoiuent, & de
combien d’offices ils sont obligez à eux, trouventtrouuent que natu-
re leur à donné cette commission plaine assez, & nullement
oysifveoysifue. Tu as bien largement affaire chez toy, ne t’esloingne
pas. Les hommes se donnent à louage,. lLeurs facultez ne sont
pas pour eux, elles sont pour ceux à qui ils s’asservissentasseruissent,. lLeurs
locataires sont chez eux, ce ne sont pas eux. Cette humeur com-
mune
cō-
mune
ne me plaict pas,: iIl faut mesnager la liberté de nostre
ame, & ne l’hypothequer qu’aux occasions justesiustes: lLesquelles
sont en bien petit nombre, si nous jugeonsiugeons sainementsainemēt. Voyez
les gens apris à se laisser emporter & saisir, ils le font par tout,.
aAux petites choses comme aux grandes, àA ce qui ne les touche
point comme à ce qui les touche,: iIls s’ingerent indifferem-
ment ou il y a de la besongne, Position : Interligne haute et de l’obligation. &Et sont sans vie quand ils sont
sans agitation tumultuaire. [Note (Alain Legros) : La première phrase latine est biffée par Montaigne puis rétablie.]
Position : Marge gauche In negotijs sunt
negotij causa:

In negotijs sunt
negotii causa.
Ils
ne cherchent la
besouigene que pour
enbesouignement.
Ce n’est pas qu’ils
veuillent aller, tant,
come c’est, qu’ils ne
se peuventpeuuent tenir.
Ne plus ne moins qu’
une pierre esbranlee
en ch sa chute qui
ne s’arrete jusquesiusques
a tant qu’elle se
couche. Ils prenent lL’occupation leur est a ces gens la certeine smaniere de gens
pour marque de grandurgrādur & de suffisance &
de dignitè.
Leur esprit cerche son repos au
branle, comme les enfans au berceau. Ils se peuventpeuuent dire autantautāt
serviablesseruiables à leurs amys, comme importuns à eux mesme. Per-
sonne ne distribue son argent à autruy, chacun y distribue
son temps & sa vie: iIl n’est rien dequoy nous soyons si prodi-
gues que de ces choses la, desquelles seules l’avariceauarice nous se-
roit utilevtile & louable. JeIe prens unevne complexioncōplexion toute diversediuerse,. jJeiIe
me tiens sur moy,. &Et communéementcōmunéement desire mollement ce que
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LIVRE TROISIESME.444452
jeie desire, & desire peu: mM’occupe & embesongne de mesme,:
rarement & tranquillement. Tout ce qu’ils veulent & con-
duisent, ils le font de toute leur volonté & vehemence. Il y a
tant de mauvaismauuais pas, que pour le plus seur, il faut unvn peu le-
gierement & superficiellement couler ce monde,.
Position : Marge droite Il le faut glisser non
pas s’y enfoncer.
lLa volupté
mesme est douleoureuse en sa profondeur,
incedis per ignes,
Suppositos cineri doloso.

Messieurs de Bordeaux m’esleurent maire de leur ville, estant
esloigné de France, & encore plus esloigne d’unvn tel pensementpensemēt.
JeIe m’en excusay,: mMais on m’aprint que jiavoisauois tort,: lLe com-
mandement du Roy aussi s’y interposant. C’est unevne charge
qui en doibt sembler d’autant plus belle qu’elle n’a, ny loyer
ny guain, autre que l’honneur de son executionexecutiō. Elle dure deux
ans,: mais elle peut estre continuée par seconde election.:. CcCeCe
qui advientaduient tresrarement. Elle le fut à moy, & ne l’avoitauoit esté
que deux fois auparavantauparauant: qQuelques années y avoitauoit, à Mon-
sieur de Laanssac,: & freschaement à Monsieur de Biron Mares-
chal de FranceFrāce: eEn la place duquel jeie succeday, & laissay la mien-
ne
miē-
ne
, à Monsieur de Matignon aussi Mareschal de France:. glo-
rieuxbBravebBraue de si noble assistance,
pacisque bonus bellique minister vtérque.uterque bonus pacis bellique minister.
La fortune voulut part à ma promotionpromotiō, par cette particuliere
circonstance qu’elle y mit du sien: nNon vaine du tout: cCar A-
lexandre hoçha du nezdesdeigna les Ambassadeurs CorinthiensCorinthiēs qui luy
offroyent la bourgeoisie de leur ville,: mais quand ils vindrentvindrēt
à luy deduire, comment Bacchus & Hercules estoyent aussi
en ce registre, il les en remercia gratieusement. A mon arri-
vée
arri-
uée
, jeie me deschiffray fidelement, & conscientieusement,
tout tel que jeie me sens estre: sSans memoire, sans vigilance, sans
experience, & sans vigueur: sSans hayne aussi, sans ambition,
sans avariceauarice, & sans violence: à ce qu’ils fussent informez & in-
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[452v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
struicts de ce qu’ils avoyentauoyent à attendre de mon serviceseruice. Et par
ce que la cognoissance de feu mon pere les avoitauoit seule incitez
à cela, & l’honneur de sa memoire: jeie leur adjoustayadioustay bien clai-
rement, que jeie serois tresmarry que chose quelconque fit au-
tant d’impression en ma volonté, comme avoyentauoyent faict au-
trefois en la siennesiēne, leurs affaires, & leur ville, pendant qu’il l’a-
voit
a-
uoit
en gouvernementgouuernement, en ce mesme lieu auquel ils m’avoientauoiēt
appellé. Il me souvenoitsouuenoit, de l’avoirauoir veu vieil en mon enfance,
l’ame cruellement agitée de cette tracasserie publique,: ou-
bliant le doux air de sa maison, ou la foiblesse des ans l’avoitauoit
attaché long temps avantauant,: & son mesnage, & sa santé,: & en
mesprisant certes sa vie, qu’il y cuida perdre, engagé pour eux,
à des longs & penibles voyages. Il estoit tel,: & luy partoit cet-
te humeur d’unevne grande bonté de nature: iIl ne fut jamaisiamais ame
plus charitable & populaire. Ce train que jeie louё en autruy,
jeie n’aime point à le suivresuiure,: &Et ne suis pas sans excuse: iIl avoitauoit
ouy dire qu’il se falloit oublier pour le prochain,. qQue le par-
ticulier ne venoit en aucune consideration au pris du gene-
ral:. lLa plus part des reigles & preceptes du monde prennentprēnent ce
train, de nous pousser hors de nous, & chasser en la place, à l’u-
sage
v-
sage
de la societé publique: iIls ont pensé faire unvn bel effect, de
nous destourner & distraire de nous,: presupposans que nous
n’y tinsions que trop, & dunevne attache trop naturelle,: & n’ont
espargné rien à dire pour cette fin. Car il n’est pas nouveaunouueau
aux sages, de prescher les choses comme elles serventseruent, non com-
me
cō-
me
elles sont.
Position : Marge gauche La veritèueritè ha ses
empeschemans & ses
tares: imperiti
enim iudicantiudicāt, et qui
frequenter in hoc
ipsum fallendi sunt
ne errent.
Il faut
souvantsouuant tromper le
peuple a ce qu’il ne
se trompe. Et il se
voituoit par plusieurs expe=
riances qu’il nous faut
abestir souvantsouuant pour nous
amander et assagir

incommoditez et incompatibilitez aveqaueq nous. Il nous faut souvantsouuant tromper affin que nous
ne nous trompons: Et nous abbestir pour nous assagir Imperiti enim iudicant et qui frequenter
in hoc ipsum fallendi sunt ne errent.
Et nous eslourdir pour nous amander.
Et nous esblouir pour nous [unclear].
Et filler nostre veueueue eslourdir nostre entandemant pour les dresser et amander.
Imperiti enim iudicant
Et qui frequenter in hoc ipsum fallendi sunt ne errent
Quand ils nous ordonnentordōnent, d’aymer avantauant nous,
trois, quattre, & cinquante degrez de choses,: ils representent
l’art des archiers, qui pour arriverarriuer au point, vont prenant leur
visée grande espace au dessus de la bute. Pour dresser unvn bois
courbe on le recourbe au rebours. JI’estime qu’au temple de
Pallas, comme nous voyons en toutes autres religions,: il y a-
voit
a-
uoit
des mysteres apparens, pour estre montrez au peuple, &
d’autres
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LIVRE TROISIESME.445453
d’autres mysteres plus secrets, & plus nobleshauts, pour estre mon-
trés seulement à ceux qui en estoyentestoyēt profez. Il est vray-sem-
blable que en ceux icy se trouvetrouue le vray point de l’amitié que
chacun se doibt,. nNonnNō unevne amitié
Position : Marge droite fauce qui nous faict enbrasser
la gloire la sciance la richesse
et les voluptesuoluptestelles choses externes d’une affection
principale et immoderee come
membres souvereinssouuereins & suls de nos
estres ny une amitie
molle & indiscrete,: en laquel-
le il advientaduient ce qui se voit au lierre, qu’il corrompt & ruyne la
paroy qu’il cherit & qu’il accole: mMais unevne amitié salutaire
& reiglée,: également utilevtile & plaisante: qQui en sçait les devoirsdeuoirs
& les exerces, il est vrayementvrayemēt du cabinet des muses,: il à attaint
le sommet de la sagesse humaine, & de nostre bon heur. Cet-
tuy-cy sçachant exactement ce qu’il se doibt,: trouvetrouue dans son
rolle, qu’il doibt appliquer à soy, l’usagevsage des autres hommes,
& du monde,: &Et pour ce faire, contribuercōtribuer à la societé publique
les devoirsdeuoirs & offices qui le touchent.
Position : Marge droite Qui sibi amicus est
scito hunc amicum
omnibus esse.

Qui est ami a soi
il l’est a un chacun
Qui ne
vituit aucunement a
autruy, ne vituit guere a
soi. Qui sibi amicus est
scito hunc amicum omnibus
esse.
La principale & plus le-
gitime charge que nous ayonsayōs, c’est à chacun sa conduite. Position : Interligne haute : et est ce pour quoi nous somes icy. Com-
me
Cō-
me
qui oublieroit de bien & saintement vivreviure, & penseroit
estre quite de son devoirdeuoir, en y acheminantachemināt & dressant les autres,
ce seroit unvn sot: tTout de mesme qui abandonneabandōne en son propre,
le sainement & gayementgayemēt vivreviure, pour en servirseruir autruy, prent à
mon gré unvn mauvaismauuais & desnaturé parti. JeIe ne veux pas qu’on
refuse aux charges qu’on prend, l’attentionattentiō, les pas, les parolles,
& la sueur & le sang au besoing,.
non ipse pro charis amicis
Aut patria timidus perire.

Mais c’est par emprunt & accidentalement,: l’esprit se tenant
tousjourstousiours en repos & en santé: nNon pas sans action, mais sans
vexation, sans passion. L’agir simplement, luy coste si peu,
qu’en dormant mesme il agit. Mais il luy faut donnerdōner le branlebrāle,
avecauec discretion: cCar le corps reçoit les charges qu’on luy met
sus, justementiustement selon qu’elles sont: l’esprit les estantestāt & les appe-
santit souvantsouuant à ses despens, leur donnantdonnāt la mesure que bon luy
semble. On faict pareilles choses avecauec diversdiuers efforts, & diffe-
rente contention de volonté. L’unvn va bien sans l’autre. Car com-
YYYYy
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[453v] ESSAIS DE M. DE MONT.
bien de gens se hazardent tous les joursiours aux guerres, dequoy
il ne leur chaut,: & se pressent aux dangers des batailles, des-
quelles la perte ne leur troublera pas le voisin sommeil. Tel
en sa maison, hors de ce dangier, qu’il n’oseroit avoirauoir regardé,
est plus passionné de l’yssue de cette guerre, & en à l’ame plus
travailléetrauaillée, que n’a le soldat qui y employe son sang & sa vie.
JI’ay peu, me mesler des charges publiques, sans me despartir
de moy, de la largeur d’unevne ongle.
-
Position : Marge gauche : eEt puis me doner a
autruy sans m’oter a moi
moy.
Cette aspreté & violenceviolēce de
desir, empesche plus, qu’elle ne sert, à la conduitte de ce qu’on
entreprend.:. NnNous remplit d’impatience enversenuers les evenemenseuenemēs,
ou contraires ou tardifs, & d’aigreur & de soupçon enversenuers
ceux avecauec qui nous negotions. Nous ne conduisons jamaisiamais
bienbiē la chose de laquelle nous sommes possedez & conduicts:.
-
Position : Marge gauche male cuncta mi=
nistrat
Impetus.

cCeluy qui n’y employe que son jugementiugement, & son adresse, il y
procede plus gayement,: iIl feinct, il ploye, il differe tout à son
aise, selon le besoing des occasions: iIl faut d’atainte, sans tour-
ment, & sans affliction, prest & entier pour unevne nouvellenouuelle en-
treprise: iIl marche tousjourstousiours la bride à la main. En celuy qui
est enyvréenyuré de cette intention violente & tyrannique, on voit
par necessité beaucoup d’indiscretion & d’injusticeiniusticeimprudence,. lL’impe-
tuosité de son desir l’emporte. Ce sont mouvemensmouuemens temerai-
res, & si fortune n’y preste beaucoup, de peu de fruict. La phi-
losophie veut qu’au chastiementchastiemēt des offences receuёs, nous en
distrayons la cholere,. nNon afin que la vengeance en soit moin-
dre,: ains au rebours,:, afin qu’elle en soit d’autant mieux assen-
nee & plus poisante: à quoy il luy semble que cette impetuo-
sité porte empeschementempeschemēt:
Position : Marge gauche Non sulement la cholere
trouble: mais de soi elle lasse
aussi les bras de ceus qui
chastient. Ce feu estourdit et
consomme leur force.
cComme en la precipitation, festinatio
tarda est
, la hastivetéhastiueté se donne elle mesme la jambeiambe, s’entraveentraue
& s’arreste.
-
Position : Marge gauche : iIpsa se uelocitas
implicat.
Pour exemple,: sSelon ce que ji’en vois par usagevsage ordi-
naire, l’avariceauarice n’a point de plus grand destourbier que soy-
mesme,. pPlus elle est tendue & vigoreuse, moins elle en est fer-
tile. CommunementCōmunement elle attrape plus promptementpromptemēt les richesses
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LIVRE TROISIESME.446454
masquée d’unvn’image de liberalité. UnVn gentilgētilhommehōme tres-hommehōme
de bien, & mon amy, cuyda troublerbrouiller la santé de sa teste, par
unevne trop passionnée attention & affection aux affaires d’unvn
prince, son maistre: lLequel maistre, s’est ainsi peinct soy-mes-
mes à moy,. qQue il voit le pois des negocesaccidens, comme unvn autre,
mais qu’a ceux qui n’ont point de remede, il se resout soudain
à la souffrance: aAux autres, apres y avoirauoir ordonné les provisionsprouisiōs
necessaires,: ce qu’il peut faire promptement par la vivacitéviuacité de
son esprit,: il attend en repos ce qui s’en peut suyvresuyure. De vray,
jeie l’ay veu à mesme,: maintenant unevne grande nonchalanche &
liberté d’actions & de visage, au traverstrauers de bien grands affai-
res & espineux. JeIe le trouvetrouue plus grand & plus capable, en u-
ne
v-
ne
mauvaisemauuaise qu’en unevne bonne fortune. [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne biffe entièrement cette addition avant de revenir sur sa décision en ajoutant le mot "Bon".]
[Commentaire (Montaigne) : Bon]
Position : Marge droite : ses pertes luy
sont plus glorieuses
que ses victoiresuictoires,
et son deuil que
son triomphe.
Considerez, qu’aux
actions mesmes qui sont vaines & frivolesfriuoles, au jeuieu des eschets,
de la paume & semblables,: cet engagement aspre & ardant
d’unvn desir impetueus, jetteiette incontinent l’esprit & les mem-
bres à l’indiscretion, & au troubledesordre.: OoOn s’esblouit on s’embar-
rasse soy-mesme. Celuy qui se porte plus moderéement en-
vers
en-
uers
le gain, & la perte, il est tousjourstousiours chez soy,: mMoins il se
pique & passionne au jeuieu, il le conduict d’autant plus avanta-
geusement
auanta-
geusement
& seurement. Nous empeschons au demeurant, la
prise & la serre de l’ame, à luy donner tant de choses à saisir.
Les unesvnes, il les luy faut seulementseulemēt presenter, les autres attacher,
les autres incorporer. Elle peut voir & sentir toutes choses,
mais elle ne se doibt paistre que de soy: &Et doibt estre instrui-
cte de ce qui la touche proprement, & qui proprement est de
son avoirauoir & de sa substance. Les loix de nature nous aprenent
ce que justementiustement, il nous faut. Apres que les sages nous ont
dict, que selon elle personne n’est indigent, & que chacunchacū l’est
selon l’opinion,: ils distinguent ainsi subtilement, les desirs
qui viennent d’elle, de ceux qui viennent du desreiglementdesreiglemēt de
nostre fantasie.: CcCeux desquels on voit le bout, sont sienssiēs, ceux
YYYYy ij
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[454v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui fuient devantdeuant nous, & desquels nous ne pouvonspouuons joindreioindre
la fin, sont nostres. La pauvretépauureté des biens, est aisée à guerir, la
pauvretépauureté de l’ame impossible.
Position : Marge haute Nam si, quod satis est homini, id satis esse potesset,
H
oc sat erat: nunc cum hoc non est, qui credimus porro
Diuitias ullas animum mi explere potesse?

Socrates voiantuoiant porter en pompe par sa villeuille grande quantite de richesse joieausioieaus et
meubles de pris Combien de
choses dict il jeie ne
desire point.
Metrodorus vivoitviuoit du pois de
douze onces par jouriour, Epicurus à moins: Metroclez dormoit
en hyverhyuer avecauec les moutons, en esté aux cloistres des Eglises.
Position : Marge gauche Sufficit ad id
natura, quod poscit.

Cleanthes vivoituiuoit de ses
mains et se vantoituantoit que
Cleanthes s’il vouloituouloit
nourriroit encores un autre
Cleanthes.

Si ce que nature exactement, & originelement nous deman-
de pour la conservationconseruation de nostre estre, est trop peu, commecōme de
vray combien ce l’est, & combien à bon compte nostre vie se
peut maintenir, il ne se doibt exprimer mieux que par cette
considerationconsideratiō, que c’est si peu qu’il eschappe la prise & le choc
de la fortune, par sa petitesse: dispensonsdispēsons nous de quelque cho-
se plus outre, appellons encore nature, l’usagevsage & conditionconditiō de
chacun de nous, taxons nous, traitons nous à cette mesure, e-
standons nos appartenances & nos comptes jusquesiusques la. Car
jusquesiusques là, il me semble bien, que nous avonsauons quelque excuse.
L’accoustumance est unevne seconde nature, & non moins puis-
sante:
Position : Marge gauche Ce qui manque a ma
coustume jeie tiens qu’il me
manque. Et
& pour mon humeur, jiaymerois quasi esgalementesgalemēt qu’onō
m’ostat la vie, que si on me l’estausoitssimoit & retranchoit bienbiē loing
de l’estat auquel jeie l’ay vescue si long temps.
Position : Marge gauche Nobis personam imposuit
ipsa natura.
JeIe ne suis plus en
termes d’unvn grand changement, & de me jetterietter à unvn nouveaunouueau
trein & inusité,. nNon pas mesme vers l’augmentation: iIl n’est
plus temps de devenirdeuenir autre. Et comme jeie plaindrois quelque
grande fortuneadvantureaduanture qui me tombast à cette heure entre mains,
de ce qu’elle ne seroit venuё en temps que ji’en peusse jouyriouyr,
Quo mihi fortuna si non conceditur vti.: [Note (Mathieu Duboc) : Dans la mesure où l’addition interligne qui continue dans la marge basse remplace le texte imprimé biffé, y compris les deux premières lignes de la page suivante, elle s’insère au folio 455.]
JjeIie ne me reforme pareillement guere en sagesse pour l’usagevsage
& commerce du monde, sans regret que cet amendementamendemēt me
soit arrivéarriué si tard, que jeie n’aye plus loisir d’en uservser: jeie n’ay d’o-
resenavant
d’o-
resenauant
besoing d’autre suffisance, que de patiencepatiēce contrecōtre la
mort & la vieillesse. A quoy faire unevne nouvellenouuelle science de vie,
à telle declinaison, & unevne nouvellenouuelle industrie à me conduire
en cette voye, ou jeie n’ay plus que trois pas à marcher.: Aaprenez

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LIVRE TROISIESME.447455
voir la rhetorique à unvn homme relegué aux desers d’Arabie.
Il ne faut point d’art à la cheute.

JeIe me pleinderois de mesme de quelque acquest interne. Il vautuaut quasi mieus jamaisiamais que si tard devenirdeuenir
honeste home. Et bien entandu a vivreuiure lors qu’on n’a plus de vieuie. Moi qui m’en voisuois resignerois
facilement a quelqun qui vintuint, ce que ji’aprans de prudance pour le commerce du monde. Moustarde apres
disnersr. JeIe n’ay que faire du bien du quel jeie ne puis rien faire. A quoi la sciance a qui n’a plus
de teste. C’est injureiniure et desfaveurdesfaueur de fortunfortune de nous offrir des presans qui nous remplissentremplissēt de’un
justeiuste despit de nous avoirauoir failli en leur saison. Ne me guidez plus jeie ne puis plus aller. De tant
de membres qu’a la suffisance la patiance nous suffit. Donez la capacité d’un excellant dessus
au chantre qui a les
poulmons pourris. et d’eloquance a l’heremite releguè aus desers d’Arabie. Il ne faut point
d’art a la chute. La fin se treuvetreuue d’elle mesmesde soi au bout de chaque besouigne. Mon monde est
failli ma forme est vuideeuuidee. JeIe suis tout du passé. Et suis tenu de l’authoriser & d’y conformercōformer mon
issue. JeIe veusueus dire ceci. que l’eclipsemantleclipsemant nouveaunouueau des dix joursiours du pape m’ont prins si bas
que ieie ne m’en puis bonement acoustrer. JeIe suis des annees aus quelles nous contions autremant. Un
si antien & long usage me vendiqueuendique et rapelle a soi. Ie suis contreint d’estre un peu heretique
par la. Incapable de nouvelleténouuelleté mesmes correctivecorrectiue. Mon imagination en despit de mes dents se jetteiette tousjourstousiours dix
joursiours plus avantauant ou plus arriere Position : Interligne haute Et groumelle a mes oreilles entre [unclear]mes dens: Cette regle touche dict elle ceus qui ont a
estre. Si la santè mesme si sucree vientuient a me retrouverretrouuer par boutades, c’est pour me doner
regret plus tost que possession de soi. JeIe n’ay plus ou la retirer. Le temps me laisse.
Sans lequelluy rien ne se possede. O que jeie ferois peu d’estat de ces grandes dignitez
eslectiveseslectiues que jeie voisuois au monde qui ne se offrentdonent qu’aus homes decrepitsesqui s’ensen vontuont pretz a partir: ausquelles
on ne regarde pas tant, combien deuëment on les exercera, que combien [unclear]peu longuemantlonguemāt on les exercera: des
l’entrée on vise à l’issue.
SommeSōme jeie suisme voicyuoicy apres à acheveracheuer
cet homme, non à en refaire unvn autre. Par long usagevsage, cette
forme m’est passée en substance, & fortune en nature. JeIe dis
donc, que chacun d’entreētre nous foibletsz, est excusable d’estimer
siensiē, ce qui est compriscōpris soubs cette mesure. Mais aussi au delà de
ces limites, ce n’est plus que confusion: c’C’est la plus large estan-
due
estā-
due
que nous puissions octroier à nos droicts. Plus nous am-
plifions nostre besoing & possession, d’autant plus nous en-
gageons nous aux coups de la fortune, & des adversitezaduersitez. La
carriere de nos desirs doit estre circonscripte, & restraincte, à
unvn court limite, des commoditez les plus proches & conti-
gues,: &Et doit en outre leur course, se manier non en ligne droi-
te, qui face bout ailleurs, mais en rond, duquel les deux poin-
tes se tiennenttiennēt & terminent en nous, par unvn brief contour. Les
actions qui se conduisent sans cette reflexion, s’entend voisi-
ne reflexion & essentielle, comme sont celles des avaritieuxauaritieux,
des ambitieux, & tant d’autres qui courent de pointe, des-
quels la course les emporte tousjourstousiours devantdeuant eux, ce sont a-
ctions vaineserronees & maladivesmaladiues. La plus part de nos vacations sont
farcesques, mMundus vniuersus exercet histrioniam. Il faut joueriouer
deuement nostre rolle, mais comme rolle d’unvn personnage
emprunté. Du masque & de l’apparence, il n’en faut pas faire
unevne essence réelle, ny de l’estranger le propre. Nous ne sça-
vons
sça-
uons
pas distinguer la peau de la chemise.
-
Position : Marge droite C’est asses de
s’enfariner le visageuisage,
sans s’enfariner la
poictrine.
JI’en vois qui se
transforment & se transsubstantient, en autant de nouvellesnouuelles
figures, & de nouveauxnouueaux estres, qu’ils entreprennententreprennēt de charges:
&Et qui se prelatent jusquesiusques au foye & aux intestins: &Et entrei-
nent leur office jusquesiusques en leur garderobe. JeIe ne puis leur ap-
prendre
ap-
prēdre
à distinguer les bonnetadesbōnetades, qui les regardent,: de celles
qui regardent leur commission, ou leur suite, ou leur mule.
Tantum se fortunae permittunt, etiam vt naturam dediscant. Ils en-
YYYYy iij
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[455v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
flent & grossissent leur ame, & leur discours naturel à la hau-
teur de leur siege magistral. Le Maire & Montaigne, ont tous-
jours
tous-
iours
esté deux d’unevne separation bien claire. Pour estre advo-
cat
aduo-
cat
ou financier, il n’en faut pas mesconnoistre, la fourbe, qu’il
y à en telles vacations. UnVn honneste homme, n’est pas com-
ptable du vice ou sottise de son mestier, & ne doibt pourtant
en refuser l’exercice: cC’est l’usagevsage de son pays, & il y a du prof-
fict: iIl faut vivreviure du monde, & s’en paistreprevaloirpreualoir, tel qu’on le trouvetrouue.
Mais le jugementiugement d’unvn Empereur, doit estre au dessus de son
empire, & le voir & considerer, comme accident estranger:
&Et luy, doit sçavoirsçauoir jouyriouyr de soy à part, & se communicquer
comme JacquesIacques & Pierre: au moins à soymesmes. JeIe ne sçay
pas m’engager si profondement, & si entier. Quand ma volon-
volō-
me donne à unvn party, ce n’est pas d’unevne si violente obliga-
tion, que mon entendemententendemēt s’en infecte. Aus dissentions pre-
sentes
presens
brouillis
de cet estat, mon interest ne m’a faict mesconnoistre,[unclear]
n’yny les qualitez louables en mesnos adversairesaduersaires, ny celles qui sont
reprochables en ceux que ji’ay suivysuiuy.
Position : Marge gauche Isls adorent tout
ce qui est de leur
coste: moy jeie
n’excuse pas
seulemant la plus
part des fauteschoses
que ji’y voisuois.jeie voisuois du mien. Un bon
courage ne pert pas ses
graces pour pleider
contre ma cause.
Hors le neud du debat, jeie
me suis maintenu en equanimité, & pure indifferenceindifferēce. Position : Interligne haute Neque extra necessitates belli praecipuum odium gero. Dequoy
jeie me gratifie, d’autant que jeie voy communément faillir au
contraire. Position : Interligne haute Vtatur motu animi qui uti ratione non potest.[Note (Alain Legros) : Cette citation est absente de l’édition de 1595.] Ceux qui alongentalongēt leur cholere, & leur haine au delà
des affaires, comme faict la plus part, montrent qu’elle leur
part d’ailleurs, & de cause particuliere: tTout ainsi comme, à
qui estant guary de son ulcerevlcere, la fiévrefiéure demeure encore, mon-
tre qu’elle avoitauoit unvn autre principe plus internecaché.
Position : Marge droite C’est qu’ils en n’en ont point a la cause en commun: et en tant qu’elle blesse
l’interest de tous & de l’estat. Mais luy en veulentueulent sulement en ce qu’elle leur
mache en privépriué. Voila pourquoi ils s’en piquent de passion particuliere et
au dela de la justiceiustice & de la raison publique. Non tam omnia uniuersi,
quam ea quae ad quemque pertinent singuli carpebant.
JeIe veux que
l’avantageauantage soit pour nous: mais jeie ne forcene point s’il ne l’est.
Position : Marge gauche JeIe me prans
fermemant au
plus sain des partis.
Mais jeie n’affecte pas
qu’on me remarque
specialement, enemy
des autres, et outre
la raison generalle.
JI’accuse merveilleusementmerueilleusemēt
cette vitieuseuitieuse forme d’opiner.
Il est de la ligue car il
faict cas du corage et
de
admire la grace de monsieur de Guise. L’activetéactiueté la courtoisie du Roy de NavarreNauarre luy plaisentt’estone, il est Huguenot.
Il treuvetreuue ceci a dire aus meurs du Roy, il est seditieus en son ceur. Et ne concedaiy pas au magistrat
mesme, qu’il eut raison de condamner un livreliure pour avoirauoir logè entre les meillurs poëtes de ce
siecle, un heretique. N’oserions nous dire d’un voluruolur qu’il ha belle grevegreue.
Position : Interligne basse faut il si elle est putain qu’elle soit aussi punese [Note (Mathieu Duboc) : La suite de ce passage à laquelle renvoi le signe en forme de croix se trouvait sans doute sur un papillon désormais disparu. La restitution qui suit vient de l’édition de 1595.]
Position : Indéterminée Aux siecles plus sages, revoquareuoqua-on le superbe tiltre de Capitolinus, qu’on avoitauoit aupara-
vant
aupara-
uant
donné à Marcus Manlius, comme conservateurconseruateur de la religion & liberté
publique? Estouffa-on la memoire de sa liberalité, & de ses faicts d’armes, &
recompenses militaires ottroyées à sa vertu, par ce qu’il affecta depuis la
Royauté, au prejudicepreiudice des loix de son pays?
S’ils ont pris en heine un avocatauocat
l’endemain il leur devientdeuient ineloquant. J’ayIay touchè ailleurs le zele qui poussa des gens de bien a
semblables errursfautes. Pour moi, jeie sçai bien dire, il faict meschammant cela, et vertueusemantuertueusemant ceci.
De mesme, aus prognostiques ou evenemanseuenemans sinistres des affaires, ils veulentueulent que chacun en son
parti soit aveugleaueugle et hebeté: que nostre persuasion et jugementiugement serveserue non a la veritèueritè mais au
projetproiet de nostre desir. JeIe faudrois plus tost versuers l’autrelautre extremitè, tant jeie creins que mon desir
ne me suborne. JouintIouint que jeie me desfie un peu tendrement des choses que jeie souhete.
Position : Marge basse (f.456) JI’ai veuueu de mon temps merveillesmerueilles en l’indiscrete & monstrueuseprodigieuse facilitè des peuples a se
laisser mener et manier la creance & l’esperancelesperance ou il a pleu et serviserui a leurs chefs: par dessus cent
mescontes reiterez,les uns sur les autres, par dessus les fantosmes et les songes. JeIe ne m’estone plus de ceus que les
singeries d’Apollonius et de Mehumet enbufflarent. Leur sens et entandemantentandemāt est entieremant
estouffè en leur passion. Leur discretion n’a plus d’autre chois que ce qui leur rit et qui conforte leur
cause. JIavoiauoi veuueu cela excellammantremarqué souvereinemantsouuereinemant cella au premier de nos partis fievreusfieureus. Cet autre qui est nai
despuis en l’imitant le surmonte. Par ou jeie m’adviseaduise que c’est une qualité inseparable des errurs populeres.
Apres la premiere qui branlepart les opinions s’entrepoussent suivantsuiuant le vantuant come les flots. On n’est pas
du cors si on s’en peut desdire, si on ne vagueuaguevagueuague vagueuague le trein commun. Position : Interligne haute Mais certes Oon faict tort aus partis justesiustes quand
on les veutueut secourir de fourbes. JI’y ai tousjourstousiours contredit. Le moien ne porte qu’enversenuers les testes malades
enversenuers les seines, il y a des voiesuoies plus seures et non sulemant plus honestes, a meintenir les corages et excuser les
accidents contraires.

Le ciel n’a point veu unvn si poisant desaccord, que celuy de Cae-
sar
, & de Pompeius, ny ne verra pour l’adveniraduenir. Toutesfois il
me semble reconnoistre en ces belles ames, unevne grande mo-
deration de l’unvn enversenuers l’autre. C’estoit unevne jalousieialousie d’honneurhōneur
& de commandement, qui ne les emporta pas à haine furieu-
se & indiscrete, sans malignité & sans detractiondetractiō. En leurs plus
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LIVRE TROISIESME.448456
aigres exploits, jeie descouvredescouure quelque demeurant de respect,
& de bien-veuillanceueuillance, &Et jugeiuge ainsi, que s’il leur eust esté pos-
sible, chacun d’eux eust desiré de faire son affaire sans la ruyne
de son compaignon, plustost qu’avecauec sa ruyne. Combien au-
trement il en va de Marius, & de Sylla: pPrenez y garde. Il ne
faut pas se precipiter si esperduement apres nos affections, &
interests. Comme estant jeuneieune, jeie m’opposois au progrez de
l’amour, que jeie sentoy trop avancerauācer sur moy, & estudiois qu’il
ne me fut si aggreable, qu’il vint à me forcer en fin, & capti-
ver
capti-
uer
du tout à sa mercy. JeIe faictsJI’en use de mesme à toutes autres oc-
casions, ou ma volonté se prend, Position : Interligne haute aveqaueq trop d’appetit:. jJeiIe me panche à l’opposite de
son inclination, comme jeie la voy se plonger, & enyvrerenyurer de son
vin: jJeiIe fuis à nourrir son plaisir si avantauant, que jeie ne l’en puisse
plus r’avoirauoir, sans perte sanglantesanglāte. Les ames qui par stupidité ne
voyentvoyēt les choses qu’à demy, jouyssentiouyssent de cet heur que les nui-
sibles les blessent moins: cC’est unevne ladrerie spirituelle, qui a
quelque air de santé,: & telle santé, que la philosophie ne mes-
prise pas du tout. Mais pourtant ce n’est pas raison de la nom-
mer sagesse, ce que nous faisons souventsouuent: &Et de cette maniere
se moqua quelqu’unvn anciennement de Diogenes, qui alloit
embrassant en plain hyverhyuer tout nud, unevne image de neige pour
l’essay de sa patience: cCeluy-là le rencontrant en cette démar-
che,. aAs tu grand froid à cette heure, luy fitdict-il,: du tout poinct,
respond Diogenes: oOr suyvitsuyuit l’autre, que penses-tu donc faire
de difficile, & d’exemplaire à te tenir là. Pour mesurer la con-
stance, il faut necessairement sçavoirsçauoir la souffrance: mMais les a-
mes qui auront à voir les evenementseuenements contraires, & les injuresiniures
de la fortune, en leur profondeur & aspreté,: qui auront à les
poiser & gouster, selon leur aigreur naturelle, & leur charge,:
qu’elles employent leur art, à se garder d’en enfiler les causes,:
& en destournent les advenuesaduenues. Que fit le Roy Cotys,: il paya
liberalementliberalemēt la belle & riche vaisselle qu’onō luy avoitauoit presentée:
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[456v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mais parce qu’elle estoit singulierement fragile, il la cassa inconti-
nent luy-mesme, pour s’oster de bonne heure unevne si aisee, ma-
tiere de courroux contre ses serviteursseruiteurs.
Position : Marge gauche Pareillement ji’ai
volontiers evitéeuité de
n’avoirauoir mes affaires
confus et les biens voisinsuoisins
aveqaueq
n’ay cherche que mes biens contigusfussent
contigus a
mes proches: et ceus
a qui ji’ay a me jouindreiouindre
d’un’estroite amitie: d’oudou
naissent ordineremant
matieres d’alienation et
dissantion.
JI’aymois autresfois
les jeuxieux hazardeux des cartes & dets,: jeie m’en suis deffaict, il y à
long temps, pour cela seulement, que quelque bonne mine
que jeie fisse en ma perte, jeie ne laissois Position : Interligne haute pas d’en avoirauoir au dedans de la
cuison, & de la piqueure. UnVn homme d’honneur, qui doit sen-
tir unvn desmentir, & unevne offence jusquesiusques au coeur, Position : Interligne haute qui n’est pour prendre une sottise en paiemant et consolation de sa perte qu’il eviteeuite le
progrez Position : Interligne haute des affaires doubteus et des altercations contentieuses. JeIe fuis les complexionscomplexiōs
tristes, & les hommes hargneux, comme les empestez,: &Et aux
propos que jeie ne puis traicter sans interest, & sans emotion, jeie
ne m’y mesle si le devoirdeuoir ne m’y force.
-
Position : Marge gauche Melius non inci=
pient, quam desinentdesinēt.
La plus seure façon est
donc, se preparer avantauant les occasions. JeIe sçay bien qu’aucuns
sages, ont pris autre voye,: & n’ont pas crainct de se harper &
engager jusquesiusques au vif, à plusieurs objectsobiects. Ces gens là s’asseu-
rent de leur force, soubs laquelle ils se mettent à couvertcouuert en
toute sorte de succez enemis,: faisant luicter les maux, par la
vigueur de la patience:
velut rupes vastum quae prodit in aequor,
Obuia ventorum furiis, expostáque ponto,
Vim cunctam atque minas perfert coelíque marisque,
Ipsa immota manens.

N’ataquons pas ces exemples,: nous n’y arriverionsarriuerions poinct. Ils
s’obstinent à voir resoluement, & sans se troubler, la ruyne de
leur pays, qui possedoit & commandoit toute leur volonté.
Pour nos ames communes, il y à trop d’effort, & trop de ru-
desse a cela. Caton en abandonna la plus noble vie, qui fut
onques. A nous autres petis, il faut fuyr l’orage de plus loing:
iIl faut pourvoerpouruoer au sentiment non a la patience, &Et escheverescheuer
aux coups que nous ne sçaurions parer.
Position : Marge gauche Zenon s’estant leveleue sur ce que
le juneiune garsChremonidez duquel
il estoit amoureus se venoituenoit
aupres de luy:
Zenon voiantuoiant aprocher
Chremonidez juneiune home qu’il
aimoit pour se soir aupres de luy
se levaleua soudein:
Et CleantheCleāthe
luy en demandantdemādant la
raison: JI’entans dict il
que les medecins ordonent le repos a toutes tumurs principalement,
& defandent l’emotion a toutes tumeurs.
Socrates ne dit point.
ne vous rendez pas aux attraicts de la beauté, soustenez la, ef-
forcez vous au contraire: il n’espere point que la jeunesseieunesse en
puisse
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LIVRE TROISIESME.449457
puisse venir à bout. Fuyez là, faict-il, courez hors de sa veuё
& de son rencontrerencōtre, comme d’unevne poison puissante qui s’eslan-
ce & frappe de loing.
Position : Marge droite Et son discisbon disciple
feignant ou recitant
mais a mon avisauis recitant
plus tost que feignant
les rares perfections de
ce grand Cyrus le fait
desfiant de ses forces a
porter les attraits de la
divinediuine beaute de cette
illustre Panthee sa
prisoniere de guerre
captivecaptiue et en commetant
la visiteuisite et garde a un
autre qui eut moins de
libertè que luy.
Et le sainct Esprit de mesme, ne nos indu-
cas in tentationem
. Nous ne prions pas que nostre raison ne soit
combatue & surmontée par la concupiscence,: mMais qu’elle
n’en soit pas seulement essayée: qQue nous ne soyons conduits
en estat ou nous ayons seulement à souffrir les approches so-
licitations, & tentations du peché: &Et supplionssuppliōs nostre seigneur
de maintenir nostre conscience tranquille, plainementplainemēt & par-
fectement delivréedeliurée du commerce du mal.
Position : Marge droite Ceus qui disent avoirauoir
raison de leur passion
vindicativeuindicatiue ou de
quelqu’autre espece de
passion penible disent
souvantsouuant vraiurai come les
choses sount, mais non pas
come elles furent. Ils parlent
a nous lors que les causes de
leur errur sont nourries
et avanceesauancees par eus=
mesmes. Mais reculez
plus arriere, r’apeles
ces causes a leur principe
la, vousuous les pranderes
sans vertuert. Veulent ils
que leur faute soit
moindre pour estre plus
vieilleuieille: et que d’un
injusteiniuste comancement la
suite soit justeiuste.
Qui desirera du bienbiē
à son païs comme moy, sans s’en ulcerervlcerer ou maigrir,: il sera des-
plaisant, mais non pas transi, de le voir menassant, ou sa ruyne,
ou unevne durée non moins ruyneuse. PauvrePauure vaisseau que les
flots, les vents, & le pilotte, tirassent à si contraires desseins:
in tam diuersa, magister,
Ventus & vnda trahunt.

Qui ne bee poinct apres la faveurfaueur des princes, comme apres
chose dequoy il ne se sçauroit passer,: ne se pique pas beau-
coup de la froideur de leur recueil, & de leur visage, ny de l’in-
constance de leur volonté. Qui ne couvecouue point ses enfans,
ou ses honneurs, d’unevne propension tyranniqueesclaveesclaue,: ne laisse pas
de vivreviure commodéement apres leur perte. Qui fait bien prin-
cipalement pour sa propre satisfaction,: ne s’altere guere
pour voir les hommes jugeriuger de ses actions contre son merite.
UnVn quart d’once de patience, pourvoitpouruoit à tels inconvenientsinconuenients.
JeIe me trouvetrouue bien de cette recepte,: me rachetant des com-
mencemens, au meilleur conte que jeie puis, &Et me sens avoirauoir
eschapé par son moyen beaucoup de travailtrauail & de difficultez.
AvecAuec bien peu d’effort, ji’arreste ce premier branle de mes es-
motions,: &Et abandonne l’affairele subjectsubiect qui me commence à poiser,
& avantauant qu’il m’emporte.
Position : Marge droite Qui n’arrete le partir,
n’a garde d’arreter lea
courirse. Qui ne sçait leur
fermer la porte ne les chassera
pas entrees. Qui ne peut veniruenir a
bout du comancemant nen vienderauiendera pas de
a bout de la fin. Ny n’en soustiendera la chute qui
n’en a peu soustenir l’esbranlemant. Ubi
semel a ratione discessum est
Etenim ipsae se impellunt,
ubi semel a ratione discessum est: ipsaque sibi imbecil=
litas indulget, in altumque prouehitur imprudens: neque
nec reperit locum consistendi.
JeIe sens à temps, les petis vents qui
ZZZZz
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[457v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
me viennent taster & bruire au dedans, avantcoureusauantcoureus de la
tempeste: Animus multo antequam opprimatur, quatitur.
ceu flamina prima
Cum deprensa fremunt Ssyluis, & caeca volutant
Murmura, venturos nautis prodentia ventos.

A combiencōbien de fois me suis-jeie faict unevne bien evidenteeuidente injusticeiniustice,
pour fuir le hazard de la recepvoirrecepuoir encore pire des jugesiuges,
apres unvn siecle d’ennuys, & d’ordes & viles pratiques, plus en-
nemies de mon naturel, que n’est la geine & le feu.
Position : Marge gauche Conuenit a litibus quantum
licet et nescio an paulo plus
etiam quam licet abhorrentemabhorrētem
esse. Est enim non modo
liberale, paululum nonumquamnonumquā
de suo iure decidere, sed
interdum etiam fructuo sum,

Si nous estions bien sages nous
nous devrionsdeurions rejouirreiouir et vanteruanter
comeainsi que j’ouisiouis un jouriour bienbiē naïfvementnaïfuement
un enfant de grande maison
faire feste a chacun tres plaisammantplaisammāt de
quoi sa mere venoituenoit de perdre son
proces come sa tous sa fievrefieure ou
autre chose d’importune garde.
Les faveursfaueurs mesme que la
fortune pouvoitpouuoit m’avoirauoir
donne parantez & acointancesacointāces
enversenuers ceus qui ont
souvereinesouuereine authorite en
ces choses la ji’ay beaucoup
faict selon ma consciance de
fuir instammant de les
emploïer au prejudicepreiudice d’autruy
en fin, ji’ay etet a ne monter par
dessus leur droicte valurualur
mes droicts. En fin ji’ay
JI’ay tant
faict par mes journéesiournées, à la bonne heure le puisse-jeie dire, que
me voicy encore vierge de procés,. qQui n’ont pas laissé de se con-
vier
cō-
uier
à plusieurs fois à mon serviceseruice, par bien justeiuste titre, si ji’eus-
se voulu y entendre. Et vierge de querelles: jJiI’ay sans offence de
pois passivepassiue ou activeactiue, escoulé tantost unevne longue vie: &Et sans
avoirauoir ouy pis que de mon nom: rRare grace du ciel. Nos plus
grandes agitations ont des ressorts & causes ridicules. Com-
bien encourut de ruyne nostre dernier Duc de Bourgongne,
pour la querelle d’unevne charretée de peaux de mouton. Et l’en-
graveure
en-
graueure
d’unvn cachet, fut-ce pas la premiere & maistresse cau-
se du plus horrible crollement, que cette machine aye on-
ques souffert. : cCar Pompeius & Caesar, ce ne sont que les re-
jettons
re-
iettons
& la suitte des deux autres. Et ji’ay veu de mon temps,
les plus sages testes de ce Royaume, assemblées avecauec grande
ceremonie, & publique despence, pour des negocestraictez & ac-
cords, desquels la vraye decision despendoit ce pendant en
toute souverainetésouueraineté, des devisdeuis du cabinet des dames, & inclina-
tion
inclina-
tiō
de quelque fammelette.
Position : Marge gauche Les poëtes ont bien entandu
cela qui ont mis pour n une
pomme la graece et l’asie a feu
& a sang.
Regardez pourquoy celuy-là s’en
va courre fortune de son honneurhōneur & de sa vie, à tout son espée
& son poignart,: qu’il vous die d’où vientviēt la source de ce debat,:
il ne le peut faire sans rougir, tant l’occasion en est vaine, &
frivolefriuole. A l’enfourner il n’y va que d’unvn peu d’avisementauisement, mais
depuis que vous estes embarqué toutes les cordes tirent. Il y
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LIVRE TROISIESME.450458
faict besoing grandes provisionsprouisions, bien plus difficiles & im-
portantes.
-
Position : Marge droite De combien il est plus
aise de n’y entrer pas,
que d’en sortir. Entreprenez
lachement disoit Bias
et poursuivespoursuiues chaudement.
Or il faut proceder au rebours du roseau, qui pro-
duict unevne longue tige & droicte, de la premiere venue,: mais a-
pres, comme s’il s’estoit alanguy & mis hors d’haleine, il vient
à faire des neuds frequens & espais,: comme des pauses, qui
montrent qu’il n’a plus cette premiere vigueur & constance.
Il faut plustost commencer bellement & froidement,: & gar-
der son haleine & ses vigoureux eslans, au fort & perfectionperfectiō de
la besongne. Nous guidonsguidōs les affaires en leurs commencemenscōmencemens,
& les tenonstenōs à nostre mercy: mais par apres quandquād ils sont esbran-
lez
esbrā-
lez
, ce sont eux qui nous guident & emportent,: & avonsauons à
les suyvresuyure.
Position : Marge droite Pourtant n’est ce pas
a dire que ce conseilcōseil m’aye
descharge de toute difficulté;
Et que jeie n’aye eu de la peine Position : Interligne haute souvantsouuant a
gourmer & brider souvantsouuant mes
passions. Elles ne se gouvernentgouuernent
pas tousjourstousiours selon la mesure
des occasions: et ont des esla leurs
entrees mesmes souvantsouuant aspres
et violantesuiolantes. Tant y a qu’il
s’en tire une belle espargne et
du fruit: sauf pour ceus qui
au bien faire ne se contantent
de nul fruit si la reputation en
est a dire. Car a la veriteuerite un
tel effaict n’est en conte qu’a
soy chacun en soy. Vous en estes
certes plus contant mais non
plus estimé: vousuous estant
reforme avantauant que d’estre
en danse, & que la matiere
fut en veuëueuë. Toutesfois
aussi, non en ceci sulement
mais en tous autres devoirsdeuoirs
de la vieuie la route de ceus
qui visentuisent a l’honur est bien
diversediuerse a ceuslle quie setienent ceus qui
se proposentproposēt l’ordrelordre & la raison.
JI’en trouvetrouue, qui se mettent inconsideréement &
furieusementfurieusemēt en lice, & s’alentissent en la course. Comme Plu-
tarque dict, que ceux qui par le vice de la mauvaisemauuaise hontehōte, sont
mols & faciles à accorder quoy qu’on leur demande, sont fa-
ciles apres à faillir de parole, & à se desdire: pPareillement qui
entre legerement en querelle, est subjectsubiect d’en sortir aussi lege-
rement. Cette mesme difficulté qui me garde de l’entamer,
m’inciteroit, quand jeie serois esbranlé & eschauffé. C’est unevne
mauvaisemauuaise façon,: dDepuis qu’on y est, il faut aller ou crevercreuer:
-
Position : Marge gauche Entreprenes
lachement disoit
Bias, mais
poursuivezpoursuiuez
chaudement.
dDe
faute de prudence, on retombe en faute de coeur, qui est en-
core moins supportable. La pluspart des accords de nos que-
relles du jourdiourd’huy sont honteux & menteurs: nNous ne cer-
chons qu’à sauversauuer les apparences,: & trahissons cependant, &
desadvouonsdesaduouons nos vrayes intentions. Nous plastrons le faict:
nNous sçavonssçauons comment nous l’avonsauons dict, & en quel sens, &
les assistans le sçaventsçauent, & nos amis à qui nous avonsauons voulu fai-
re sentir nostre avantageauantage. C’est aux despens de nostre franchi-
se & de l’honneurhōneur de nostre courage, que nous desadvouonsdesaduouōs no-
stre pensée, & cerchonscerchōs des conillieres en la fauceté, pour nous
accorder. Nous nous desmentons nous mesmes, pour sau-
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[458v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
veruer unvn desmentir que nous avonsauons donnédōné à unvn autre. Il ne faut pas
regarder si vostre action ou vostre parole, peut avoirauoir autre in-
terpretation
in-
terpretatiō
,: c’est vostre vraie & sincere interpretationinterpretatiō, qu’il faut
meshuy maintenir, quoy qu’il vous couste. On parle à vostre
vertu, & à vostre conscience: ce ne sont pas parties à mettre en
masque. Laissons ces vils moyens, & ces expediens, à la chica-
ne du palais. Les excuses & reparations, que jeie voy faire tous
les joursiours, pour purger l’indiscretion, me semblent plus laides
que l’indiscretion mesme. Il vaudroit mieux l’offencer enco-
re unvn coup, que de s’offencer soymesme en faisant telle a-
mende à son adversaireaduersaire. Vous l’avezauez bravébraué esmeu de cholere,
& vous l’alles rapaiser & flatter en vostre froid & meilleur
sens: ainsi vous vous soubmettez plus que vous ne vous e-
stiez advancéaduancé. JeIe ne trouvetrouue aucun dire si vicieux à unvn gentil-
homme, comme le desdire me semble luy estre honteux,:
qQuand c’est unvn desdire, qu’on luy arrache par authorité:
dD’autant que l’opiniastreté luy est plus excusable, que la pu-
sillanimité. Les passions me sont autant aisees à evitereuiter, com-
me elles me sont difficiles à moderer.
-
Position : Marge gauche Abscinduntur faci=
lius animo quam
temperantur.
On les
arrache plus aiseemantaiseemāt
de l’amelame qu’on ne less
bride.
Abscinduntur
facilius animo quam
temperantur
Qui ne peut atteindre à
cette noble impassibilité Stoicque, qu’il se sauvesauue au giron de
cette mienne stupidité populaire. Ce que ceux-là faisoient
par vertu, jeie me duits à le faire par complexion. La moyenne
region loge les tempestes,: les deux extremes, des hommes
philosophes, & des hommes ruraus, concurrent en tranquil-
lité & en bon heur,
Foelix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes & inexorabile fatum
Subiecit pedibus, strepitúmque Acherontis auari.
Fortunatus & ille, Deos qui nouit agrestes,
Panáque syluanúmque senem, nymphásque sorores.

De toutes choses les naissances sont foibles & tendres. Pour-
tant faut-il avoirauoir les yeux ouvertsouuerts aux commencements,. cCar
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LIVRE TROISIESME.451459
comme lors en sa petitesse, on n’en descouvredescouure pas le dan-
gier,: quand il est accreu, on n’en trouvetrouuedescouvredescouure plus le remede. JI’eusse
rencontré unvn million de traversestrauerses tous les joursiours, plus mal ay-
sées à digerer, au cours de l’ambition, qu’il ne m’a esté malaysé
d’arrester l’inclination naturelle qui m’y portoit,.
iure perhorrui,
Late conspicuum tollere verticem.

Toutes actions publiques sont subjectessubiectes à incertaines & di-
verses
di-
uerses
interpretations,. cCar trop de testes en jugentiugent. AucunsAucūs di-
sent de cette miennemiēne occupation de ville (& jeie suis contentcontēt d’en
parler unvn mot, non qu’elle le vaille, mais pour servirseruir de patronmontre
de mes meurs en telles choses) que jeie m’y suis porté en hom-
me qui s’esmeut trop laschement, & d’unevne affection languis-
sante: &Et ils ne sont pas du tout esloignez d’apparence. JI’essaie
à tenir mon ame & mes pensées en repos, Position : Interligne haute cum semper natura tum etiam aetate iam quietus. &Et si elles se desbau-
chent par fois à quelque impression rude & penetrante, c’est
à la verité sans mon conseil. De cette langueur naturelle, on ne
doibt pourtant tirer aucune preuvepreuue d’impuissance: cCar faute
de soing & faute de sens ce sontsōt deux choses: &Et moins de mes-
cognoissance & ingratitude enversenuers ce peuple, qui employa
tous les plus extremes moyens qu’il eust en ses mains à me
gratifier, & avantauāt m’avoirauoir cogneu, & apres. Et fit bienbiē plus pour
moy en me redonnant ma charge, qu’en me la donnant pre-
mierement. JeIe luy veux tout le bien qui se peut,. &Et certes si
l’occasion y eust esté, il n’est rien que ji’eusse espargné pour
son serviceseruice. JeIe me suis esbranléesbrālé pour luy, comme jeie faicts pour
moy-mesme. C’est unvn bon peuple, guerrier & genereux,: ca-
pable pourtant d’obeyssance & discipline, & de servirseruir à quel-
que bon usagevsage s’il y est bien guidé. Ils disent aussi, cette mien-
ne vacation s’estre passée sans marque & sans trace. Il est bon,.
oOn accuse ma cessation, en unvn temps, ou quasi tout le monde
estoit convaincuconuaincu de trop faire. JI’ay unvn agir esmeu,trepignant, ou la vo-
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[459v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
lonté me tirecharrie, mMais cette pointe est ennemye de perseveranceperseuerāce:
Qui se voudra servirseruir de moy selon moy, qu’il me donne des
affaires ou il face besoing de la vigueur & de la liberté,: qui
ayent unevne conduitte droicte, & courte,: & encores hazardeu-
se, ji’y pourray quelque chose: sS’il la faut longue, subtile, labo-
rieuse, artificielle, & tortue, il faira mieux de s’adresser à quel-
que autre. Toutes charges importantes ne sont pas difficiles.
JI’estois preparé à m’embesongner plus rudement unvn peu, s’il
en eust esté grand besoing. Car il est en mon pouvoirpouuoir de faire
quelque chose plus que jeie ne fais, & que jeie n’ayme à faire. JeIe
ne laissay que jeie sçache, aucun mouvementmouuement que le devoirdeuoir re-
quist en bon escient de moy: jJiI’ay facilement oublié ceux, que
l’ambitionambitiō mesle au devoirdeuoir, & couvrecouure de son titre. Ce sontsōt ceux,
qui le plus souvantsouuant remplissent les yeux & les oreilles, & con-
tentent les hommes. Non pas la chose, mais l’apparence les
paye. S’ils n’oyent du bruict il leur semble qu’on dorme. Mes
humeurs sont contradictoires aux humeurs bruyantes. JI’ar-
resterois bien unvn trouble sans me troubler,: & chastierois unvn
desordre sans alteration. Ay-jeie besoing de cholere & d’inflam-
mation
inflā-
matiō
, jeie l’emprunteemprūte, & m’en masque: mMes meurs sont mous-
ses, plustost fades qu’aspres. JeIe n’accuse pas unvn magistrat qui
dorme. pourveupourueu que ceux qui sont soubs sa main, dorment
quand & luy. Les loix dorment de mesme. Pour moy, jeie louё
unevne vie glissante, sombre & muette: Position : Interligne haute neque summissam et abiectam, neque se efferentem. mMa fortune le veut ain-
si. JeIe suis nay d’unevne famille qui à coulé sans esclat, & sans tu-
multe,. &Et de longue memoire, particulierement ambitieuse
de preud’hommie. Nos hommes sont si formez à l’agitation
& ostentationostentatiō que la bonté, la moderation, l’equabilité, la con-
stance
cō-
stance
, & telles qualitez mornes Position : Interligne haute quietes & obscures ne se sentent plus.
Les corps raboteux se sentent,: les polis se manient imper-
ceptiblement. La maladie se sent, la santé peu ou point: nNy les
choses qui nous oignent, au pris de celles qui nous poignent.
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LIVRE TROISIESME.452460
C’est agir pour sa reputation, & proffit particulier, non pour
le bien, de remettre à faire en la place, ce qu’on peut faire en la
chambre du conseil: &Et en plain midy, ce qu’on eust faict la
nuict precedente,: &Et d’estre jalouxialoux de faire soy-mesme, ce que
son compaignon faict aussi bien. Ainsi faisoyent aucuns chi-
rurgiens de Grece, les operations de leur art, sur des eschauf-
faux à la veuё des passans, pour en acquerir plus de practique,
& de chalandise. Ils jugentiugent que les bons reiglemens ne se peu-
vent
peu-
uent
gousterentendre qu’au son de la trompette. L’ambition n’est pas
unvn vice de petis compagnonscompagnōs, & de tels efforts que les nostres.
On disoit à Alexandre, vostre pere vous lairra unevne grande do-
mination, aysée, & pacifique: ce garçongarçō estoit envieuxenuieux des vi-
ctoires de son pere, & de la justiceiustice de son gouvernementgouuernement. Il
n’eust pas voulu jouyriouyr l’empire du monde, mollement & pai-
siblement.
Position : Marge droite Alcibiades en Platon
aime mieus mourir juneiune
beau par riche noble sçavantsçauant
que de se copar excellance que de s’arreter en
l’estatlestat de sa fortune.cette condition.
Cette maladie est à l’avantureauanture excusable en unevne
ame si forte & si plaine. Quand ces ametes naines & chetiveschetiues
s’en vont enbabouynant, & pensent espendreespēdre leur nom, pour
avoirauoir jugéiugé à droict unvn affaire,: ou continué l’ordre des gardes
d’unevne porte de ville, ils en montrent d’autantautāt plus le cul, qu’ils
esperent en hausser la teste. Ce menu bien faire, n’a ne corps
ne vie.: iIl va s’esvanouyssantesuanouyssant en la premiere bouche,: & ne se
promeine que d’unvn carrefour de ruё à l’autre. Entretenez en
hardiment vostre fils & vostre valet,. cComme cet antien, qui
n’ayantayāt autre auditeur de ses loüanges, & consent de sa valeur,
se bravoitbrauoit avecauec sa chambriere, en s’escriant,. ôO Perrete le galant
& suffisant homme de maistre que tu as. Entretenez vous en
vous-mesme au pis aller: cComme unvn conseillier de ma con-
noissance, ayantayāt desgorgé unevne battelée de paragrafes, d’unevne ex-
treme contention, & pareille ineptie: s’estant retiré de la cham-
bre
chā-
bre
du conseil, au pissoir du palais: fut ouy, marmotant entre
les dansdents tout conscientieusement: nNon nobis, Domine non nobis,
sed nomini tuo da gloriam
. Qui ne peut d’ailleurs, si se paye de sa
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[460v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
bourse. La renommée ne se prostitue pas à si vil conte. Les a-
ctions rares & exemplaires à qui elle est deuё, ne souffriroient
pas la compagnie de cette foule immnnunmerable de petites a-
ctions journalieresiournalieres. Le marbre esleveraesleuera vos titres tant qu’il
vous plaira, pour avoirauoir faict rapetasser unvn pan de mur, ou des-
croter unvn ruisseau public,: mais non pas les hommes qui ont
du sens. Le bruit ne suit pas toute bonté, si la difficulté & e-
strangeté n’y est joincteioincte. Voyre ny la simple estimation n’est
deuё à toute action qui nait de la vertu, selon les Stoїciens: &Et
ne veulent qu’on sçache seulement gré, à celuy qui par tem-
perance s’abstient d’unevne vieille chassieuse.
Position : Marge gauche Ceus qui ont conu les
admirables qualites de
Scipion L’AphricainAprhicain refu=
sent la lo gloire que Panae=
tius luy done d’avoirauoir este
abstinant de dons: come
gloire non tant siene propre
comme de tout son siecle.
Nous avonsauōs les vo-
luptez sortables à nostre fortune,: n’usurponsvsurpons pas celles de la
grandeur. Les nostres sont plus naturelles,. &Et d’autant plus so-
lides & seures, qu’elles sont plus basses. Puis que ce n’est par
conscience, aumoins par ambition refusons l’ambition: dDes-
daignons cette fainm de renommée & d’honneur, basse & be-
listresse, qui nous le faict coquiner de toute sorte de gensgēs,:
-
Position : Marge gauche quae est ista laus quae
possit è macello peti:
par
moyens abjectsabiects, & à quelque vil pris que ce soit. C’est hontedeshoneur
d’estre ainsin, honnoré. AprenonsAprenōs à n’estre non plus avidesauides, que
nous ne sommes capables de gloire. De s’enfler de toute actionactiō
utilevtile & innocente, c’est à faire à gens à qui elle est extraordi-
naire & rare,. iIls la veulent mettre, pour ce,le prix qu’elle leur couste.
A mesure, qu’unvn bon effect est plus esclatant, jeie rabats de sa
bonté, le soupçon en quoy ji’entre, qu’il soit produict, plus
pour estre esclatant, que pour estre bon. Estalé, il est à demy
vendu. Ces actions là ont bien plus de grace, qui eschapent de
la main de l’ouvrierouurier, nonchalamment & sans bruict, & que
quelque honneste homme choisit apres & relevereleue de l’ombre,
pour les pousser en lumiere,: à cause d’elles mesmes.
Position : Marge gauche Mihi quidem lauda
biliora uidentur
omnia quae sine uendi=
tatione et sine populo
teste fiunt:
dict le
plus glorieus home du
monde.
JeIe n’avoisauois
qu’a conserverconseruer & durer, qui sont effects sourds & insensibles.
L’innovationinnouation est de grand lustre,. mMais elle est interdicte en ce
temps, ou nous sommes pressez, & n’avonsauons à nous deffendre
que
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LIVRE TROISIESME.453461
que des la nouvelleténouuelletés.
Position : Marge droite L’abstinance de faire est
souvantsouuant aussi genereuse que
le faire: mais ell’est moins au
jouriour: Et ce peu que jeie vausuaus est
quasi tout de ce costé la.
En somme,: les occasions en cette char-
ge ont suivysuiuy ma complexion,: dequoy jeie leur sçay tresbon
gré. Est-il quelqu’unvn qui desire estre malade pour voir son
medecin en besoigne,. &Et faudroit il pas foyter le medecin
qui nous desireroit la peste pour mettre son art en practique.
JeIe n’ay point eu cett’humeur inique & assez communecōmune, de desi-
rer que le trouble & maladie des affaires de cette cité, rehaus-
sast & honnorat mon gouvernementgouuernement: jJiI’ay presté de bon
cueur l’espaule à leur aysance & facilité. Qui ne me voudra
sçavoirsçauoir gré de l’ordre, de la douce & muette tranquillitétrāquillité, qui
à accompaigné ma conduitte,: aumoins ne peut-il me priverpriuer
de la part qui m’en appartient par le titre de ma bonne for-
tune. Et jeie suis ainsi faict, que ji’ayme autant estre heureux
que sage,. &Et devoirdeuoir mes succez purement à la grace de Dieu,
qu’a l’entremise de mon operation. JIavoisauois assez disertementdisertemēt
publié au monde mon insuffisance en tels maniemens pu-
bliques
pu-
bliq̄s
,: jJiI’ay encore pis que l’insuffisance: c’C’est qu’elle ne me
desplaict guiere, & que jeie ne cerche guiere à la guaerir, veu
le train de vie que ji’ay desseigné. JeIe ne me suis en cette occu-
pationentremise, non plus satisfaict à moy-mesme,. mMais à peu pres ji’en
suis arrivéarriué à ce que jeie m’en estois promis,. &Et ay de beaucoup
surmonté ce que ji’en avoisauois promis à ceux à qui jiavoisauois à fai-
re: cCar jeie promets volontiersvolōtiers unvn peu moins de ce que jeie puis,
& de ce que ji’espere tenir. JeIe m’asseure n’y avoirauoir laissé ny of-
fence ny haine: dD’y laisser regret & desir de moy, jeie sçay à tout
le moins bien cela, que jeie ne l’ay pas fort souhaité,: affectè.
me ne huic considere monstro,
Mene salis placidi vultum, fluctúsque quietos
Ignorare?

AAAAAa


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[461v] ESSAIS DE M. DE MONT.

Des boyteux. CHAP. XI.


IL y a deux ou trois ans, qu’on acoursit l’an de dix
joursiours en France. Combien de changemens doiventdoiuentdevointdeuoint
suyvresuyure cette reformation: cCe fut proprement re-
muer le ciel & la terre à la fois: cCe neantmoins, il n’est rienriē qui
bouge de sa place: mMes voisins trouventtrouuent l’heure de leurs se-
mences,: de leur recolte,: l’opportunité de leurs negoces,:
les joursiours nuisibles & propices,: au mesme point justementiustement, où
ils les avoyentauoyent assignez de tout temps: nNy l’erreur ne se sentoit
en nostre usagevsage, ny l’amendement ne s’y sent: tTant il y a d’in-
certitude par tout: tTant nostre apercevanceaperceuance est grossiere. Position : Interligne haute obscure et obtuse. On
dict que ce reiglementreiglemēt se pouvoitpouuoit conduirecōduire d’unevne façon moins
incommode,. sSoustraiant à l’exemple d’Auguste, pour quel-
ques années, le jouriour du bissexte,: qui ainsi comme ainsin, est
unvn jouriour d’empeschementempeschemēt & de trouble,: jusquesiusques à ce qu’on fut
arrivéarriué à satisfaire exactement ce debte: cCe que mesme on n’a
pas faict, par cette correction,: & demeuronsdemeurōs encores en arre-
rages de quelquesq̄lques joursiours: &Et si par mesme moyen on pouvoitpouuoit
prouvoirprouuoir à l’adveniraduenir,: ordonnant qu’apres la revolutionreuolutiō de tel
ou tel nombrenōbre d’années, ce jouriour extraordinaire seroit tousjourstousiours
eclipsé: sSi que nostre mesconte ne pourroit dores en avantauant
exceder vingt & quatre heures. Nous n’avonsauōs autre compte du
temps que les ans: iIl y a tant de siecles que le monde s’en sert,: &
si c’est unevne mesure que nous n’avonsauōs encore achevéacheué d’arrester:
&Et telle, que nous doubtons tous les joursiours quelle forme les
autres nations luy ont diversementdiuersement donné,: & quel en estoit
l’usagevsage. Quoy, ce que disent aucuns, que les cieux se comprimentcōprimēt
vers nous en vieillissant, & nous jettentiettent en incertitude des
heures mesme & des joursiours: &Et des moys ce que dict Plutarque,
qu’encoreēcore de son tempstēps l’astrologie n’avoitauoit sçeu borner le mou-
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LIVRE TROISIESME.454462
vementuement de la lune: nNous voyla bien accommodez pour tenir
registre des choses passées. JeIe ravassoisrauassois presentement, comme
jeie faicts souvantsouuant, sur ce, combien l’humaine raison est unvn in-
strument libre & vague. JeIe vois ordinairement, que les hom-
mes
hō-
mes
aux faicts qu’on leur propose, s’amusent plus volontiers
à en cercher la raison, qu’a en cercher la verité: iIls laissent la les
choses, & s’amusent à traiter les causes:.
Position : Marge droite Plaisants causesurs
La conoissance des causes
apartient sulementsulemēt a
celuy qui a la conduitecōduite
des choses, non a nous
qui n’aen avonsauōs que la
souffrance. Et qui en
avonsauons l’usage parfaicte=
ment plein, selon nostre
nature, sans en penetrer
l’originelorigine et l’essencelessence. Ny
le vinuin n’en est plus plaisant
a celuy qui en sçait les
facultez premieres. Et
aAu contrere: et le corps
et l’amelame, troblentinterrompent l& alte=
rent, le droit qu’ils ont de
l’usagelusage du monde, y meslant
l’opinionlopinion de sciance. Le
determiner et le sçavoirsçauoir
apartienent a un’essance
maistrisante
come le
doner, apartient a un’essancela regenceregēce
et a la maistrisantee: a un’essance
inferieure & subjectesubiecte
n’apartient que le jouiriouir & l’accepter
simplement.
a l’interiori
subjectionsubiection et aprantissageaprātissage
apartient le jouiriouir l’accepter
et pour le plus s’enquerir
RevenonsReuenōs a nostre usage
costume.
iIls passent par dessus les
presuppositionspresuppositiōs,effaicts, mais ils en examinent curieusement les consequen-
ces
cōsequē-
ces
. Ils commencentcommencēt ordinairement ainsi: cComment est-ce que
cela se faict? mMais, se fait il, faudroit il dire. Nostre discours est
capable d’estoffer cent autres mondesmōdes, & d’en trouvertrouuer les prin-
cipes & la contexturecōtexture. Il ne luy faut ny matiere ny baze,: lLaissez
le courre, il bastit aussi bien sur le vuide que sur le plain, & de
l’inanité que de matiere,
dare corpuspondus idonea fumo.
JeIe trouvetrouue quasi par tout, qu’il faudroit dire,. iIl n’en est rien: &
employerois souvantsouuant cette responce,. mMais jeie n’ose,: car ils crientcriēt
que c’est unevne deffaicte produicte de foiblesse d’esprit & d’i-
gnorance,: &Et me faut ordinairement bateler par compaignie
à traicter des subjectssubiects, & comptes frivolesfriuoles, que jeie mescrois en-
tierement
en-
tieremēt
. JoinctIoinct qu’a la verité, il est unvn peu rude & quereleux,
de nier tout sec, unevne proposition de faict: &Et peu de gens fail-
lent, notammentnotammēt aux choses mal-aysées à persuader, d’affermer
qu’ils l’ont veu,: ou d’alleguer des tesmoins desquels l’authori-
té arreste nostre contradictioncontradictiō. SuyvantSuyuant cet usagevsage,: nous sçavonssçauōs
les fondemens, & les causes de mille choses qui ne furent on-
ques: &Et s’escarmouche le monde en mille questions, desquel-
les, & le pour & le contre est faux.
Position : Marge droite Ita finitima sunt
falsa ueris ut in
praecipitem locum non
debeat se sapiens com=
mittere.
La verité & le mensonge
ont leur visages conformes, le port, le goust, & les alleures pa-
reilles: nous les regardons de mesme oeil. JeIe trouvetrouue que nous ne
sommessōmes pas seulementseulemēt láches à nous defendre de la piperie,: mais
que nous cerchons, & convionsconuions à nous y enferrer: nNous aymonsaymōs à
AAAAAa ij
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[462v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous embrouiller en la vanité, comme conforme à nostre e-
stre. JI’ay veu la naissance de plusieurs miracles de mon temps.
Encore qu’ils s’estoufent en naissant, nous ne laissons pas de
prevoirpreuoir le train qu’ils eussent pris, s’ils eussent vescu leur aage:
cCar il n’est que de trouvertrouuer le bout du fil, on en desvidedesuide tant qu’onō
veut: &Et y a plus loing, de rien, à la plus petite chose du mondemōde,
qu’il n’yny a de celle la, jusquesiusques à la plus grandegrāde. Or les premiers qui
sont touchezabbreuvezabbreuuez de ce commencementcōmencement d’estrangeté, venantvenāt à semer
leur histoire, sententsentēt par les oppositionsoppositiōs qu’on leur fait, ou loge
la difficulté de la persuasionpersuasiō,: & vont calfeutrantcalfeutrāt cet endroict de
quelque piece fauce.
Position : Marge gauche Outre ce que Outre ce que, insitá
hominibus libidine
alendi de industria
rumores
nous
faisons naturelemantnaturelemāt
consciance de rendre
ce qu’on nous a prestè
sans quelque usure &
accession de nostre creu.
L’errur particuliere
faict premierement
l’errur publique: et
à son tour apres
l’errur publique faict
l’errur particuliere.
Ainsi va tout ce bastiment s’estoffant &
formant de main en main,: de maniere que le plus esloigné tes-
moin, en est mieux instruict & persuadé, que le plus voisin,: &Et
le dernier Position : Interligne haute informé mieus persuadé que le premier. C’est unvn progrez naturel: cCar quiconquequiconq̄
croit quelque chose, estime que c’est ouvrageouurage de charité, de
la persuader à unvn autre: &Et pour ce faire, ne craint poinct d’ad-
jouster
ad-
iouster
de son inventioninuention, autant qu’il voit estre necessaire en
son comptecōpte, pour suppleer à la resistance & au deffaut qu’il pensepēse
estre en la conceptionconceptiō d’autruy. Moy-mesme qui faicts singu-
liere conscience de mentir,: & qui ne me soucie guiere de don-
ner
dō-
ner
creancecreāce & authorité à ce que jeie dis,: m’apperçoy toutesfois
aux propos que ji’ay en main, qu’estant eschauffé,
Position : Marge droite ou par la
resistance Position : Interligne haute d’un autre ou
par la propre
chalur de la
narration,
jeie grossis
& enfle, mon subjectsubiect, par vois, mouvemensmouuemens, vigueur &
force de parolles, & encore par extentionextētion & amplificationamplificatiō: non
sans interest de la verité nayfvenayfue: mMais jeie le fais en condition
pourtantpourtāt, qu’au premier qui me rameine,: & qui me demandedemāde la
verité nue & cruё,: jeie quitte soudain mon effort,: & la luy donnedōne,
sans exaggerationexaggeratiō, sans emphase, & remplissagerēplissage.
Position : Marge gauche . La parole viveuiue
et bruiante come
est la miene ordinere
s’emporte volontiersuolontiers
à l’hyperbole.
Il n’est rienriē à quoi
communementcōmunement les hommeshōmes soientsoiēt plus tendus qu’a donnerdōner voye à
leurs opinions: oOu le moyen ordinaire nous faut, nous y ad-
joustons
ad-
ioustons
le commandement, la force, le fer, & le feu. Il y a
du mal’heur d’en estre la, que la meilleure touçhe de la verité,
ce soit la multitude des croianscroiās, en unevne presse ou les fols surpas-
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LIVRE TROISIESME.455463
sent de tanttāt les sages en nombrenōbre.
Position : Marge droite Quasi uero quidquam sit
tam ualde quam nil
sapere uulgare.

Sanitatis patrocinium
est insanientium turba.
Q
C’est chose difficile, de resoudre
son jugementiugement contre les opinions communes. La premiere
persuasion prinse du subjectsubiect mesme, saisit les simples,: de là el-
le s’espend aux habiles, soubs l’authorité du nombre & ancien-
neté
anciē-
neté
des tesmoignages. Pour moy, de ce que jeie n’en croirois
pas unvn, jeie n’en croirois pas, cent unsvns,. &Et ne jugeiuge pas les opinionsopiniōs,
par les ans. Il y à peu de temps, que l’unvn de nos princes, en qui
la goute avoitauoit perdu unvn beau naturel, & unevne allegre composi-
tion, se laissa si fort persuader, au raport qu’on faisoit des mer-
veilleuses
mer-
ueilleuses
operations d’unvn prestre, qui par la voie des parolles
& des gestes, guerissoit toutes maladies, qu’il fit unvn long voia-
ge pour l’aller trouvertrouuer, & par la force de son apprehensionapprehēsion, per-
suada & endormit ses jambesiambes pour quelques heures, si qu’il
en tira du serviceseruice, qu’elles avoientauoient desapris luy faire, il y avoitauoit
long tempstēps. Si la fortune eust laissé emmonceler cinq ou six tel-
les advanturesaduantures, elles estoient capables de metrremettre ce miracle en
nature. On trouvatrouua depuis tant de simplesse, & si peu d’art en
l’architecte de tels ouvragesouurages, qu’on le jugeaiugea indigne d’aucun
chastiement: cComme si feroit on, de la plus part de telles cho-
ses qui les reconnoistroit en leur giste.
-
Position : Marge droite . Miramur ex
interuallo
fallentia.
Nostre veuё represen-
te ainsi souventsouuent de loing, des images estrangesestrāges, qui s’esvanouis-
sent
esuanouis-
sent
en s’approchant,. NunquamNunquā ad liquidum fama perducitur. C’est
merveillemerueille de combien vains commencemens, & frivolesfriuoles cau-
ses, naissent ordinairement si fameuses impressions: cCela mes-
mes en empesche l’information: cCar pendant qu’on cherche
des causes, & des fins fortes, & poisantes, & dignes d’unvn si
grand nom, on pert les vrayes,. eElles eschapent de nostre veuё
par leur petitesse. Et à la verité il est requis unvn bien prudent at-
tentif, & subtil inquisiteur en telles recherches, indifferent, &
non preoccupé. JusquesIusques à cette heure tous ces miracles & e-
venemens
e-
uenemens
estranges, se cachent devantdeuāt moy: jJeiIe n’ay veu mon-
stre & miracle au monde, plus expres que moymesme: oOn
AAAAAa iij
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[463v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
s’apprivoiseappriuoise à toute estrangetéestrāgeté par l’usagevsage & le temps,. mMais plus
jeie me hante & me connois, plus ma difformité m’estonne,.
mMoins jeie m’entensentēs en moy. Le principal droict d’avancerauācer & pro-
duire tels accidens, est reservéreserué à la fortune. Passant avantauant hier
dans unvn vilage à deux lieues de ma maison, jeie trouvaytrouuay la place
encore toute chaude, d’unvn miracle qui venoit d’y faillir,. pPar
lequel le voisinage avoitauoit esté amusé plusieurs mois,: & com-
mençoient les provincesprouinces voisines, de s’en esmouvoiresmouuoir & y ac-
courir à grosses troupes, de toutes qualitez. UnVn jeuneieune homme
du lieu, s’estoit jouéioué à contrefaire unevne nuict en sa maison, la
voix d’unvn esprit,: sans penser à autre finesse, qu’à jouyriouyr d’unvn ba-
dinage present: cCela luy ayant unvn peu mieux succedé qu’il n’es-
peroit, pour estendre sa farce à plus de ressorts, il y associa unevne
fille de village, du tout stupide, & niaise: &Et furent trois en fin,
de mesme aage & pareille suffisance,: & de presches domesti-
ques en firent des presches publics, se cachans soubs l’autel de
l’Eglise, ne parlans que de nuict, & deffendans d’y apporter
aucune lumiere. De paroles, qui tendoient à la conversionconuersion du
monde, & menace du jouriour du jugementiugement (car ce sont subjectssubiects
soubs l’authorité & reverencereuerence desquels, l’imposture se tapit
plus aiséement) ils vindrent à quelques visions & mouvementsmouuemēts
si niais, & si ridicules, qu’à peine y a-il rien si grossier au jeuieu des
petits enfans: sSi toutesfois la fortune y eust voulu prester unvn
peu de faveurfaueur, qui sçait, jusquesiusques ou se fut accreu ce battelage?
Ces pauvrespauures diables sont à cette heure en prison,: & porteront
volontiers la peine de la sottise commune,: & ne sçay si quel-
que jugeiuge se vengera sur eux, de la sienne. On voit cler en cette-
cy, qui est descouvertedescouuerte,: mMais en plusieurs choses de pareille
qualité, surpassant nostre connoissance, jeie suis d’advisaduis, que
nous soustenons nostre jugementiugement, aussi bien à rejetterreietter, qu’à
recevoirreceuoir. Il s’engendre beaucoup d’abus au mondemōde,
Position : Marge droite : ou pour le
dire plus
hardiment,
tous les abus
du monde s’engendrentengendrēt,
de ce qu’on
nous apprend à craindre de faire profession de nostre igno-
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LIVRE TROISIESME.456464
rance.: Position : Interligne haute et que nous somes tenus d’accepter, tout ce que nous ne pouvonspouuons refuter. Nous parlons de toutes choses par precepte & resolu-
tion. Le stile à Romme portoit, que cecela mesme, qu’unvn tesmoin
deposoit pour l’avoirauoir veu de ses yeux,: & ce qu’unvn jugeiuge ordon-
noit de sa plus certaine science, estoit conceu en cette forme
de parler: iIl me semble. On me faict hayr les choses vray-sem-
blables, quand on me les plante pour infallibles. JI’ayme ces
mots, qui amollissent & moderent la temerité de nos propo-
sitions: à l’avantureauanture, aucunement, quelque, on dict, jeie pensepēse, &
semblables: &Et si ji’eusse eu à dresser des enfans, jeie leur eusse tanttāt
mis en la bouche, cette façon de respondre,: Position : Interligne haute enquesteuse non resolutiveresolutiue qQu’est-ce à dire? jJeiIe
ne l’entens pas,: iIl pourroit estre,: eEst-il vray? qu’ils eussent plu-
stost gardé la forme d’apprentis à soixante ans, que de repre-
senter les docteurs à dix ans,: comme ils font. Qui veut guerir
de l’ignorance, il faut la confesser.
Position : Marge droite IrisIris est fille de ThaumantisThaumātis
L’admiration dict
Platon
est fondemantfondemāt
de toute philosofie
l’inquisition le progrez
L’ignorance le bout.
Voire dea, il y à quelque i-
gnorance forte & genereuse, qui ne doit rien en honneur &
en courage à la science.
Position : Marge droite Ignorance pour la quelle
establirconcevoirconceuoir il n’y vaua pas moins
de sciance que pour establirconcevoirconceuoir
la sciance.
JeIe vy en mon enfance, unvn procés que
Corras conseiller de Toulouse fist imprimer, d’unvn accident e-
strange,: de deux hommes qui se presentoient l’unvn pour l’au-
tre: iIl me souvientsouuient (& ne me souvientsouuient aussi d’autre chose) qu’il
me sembla avoirauoir rendu l’imposture de celuy qu’il jugeaiugea coul-
pable, si merveilleusemerueilleuse & excedant de si loing nostre connois-
sance, & la sienne, qui estoit jugeiuge, que jeie trouvaytrouuay beaucoup de
hardiesse en l’arrest qui l’avoitauoit condamné à estre pendu. Re-
cevons
Re-
ceuons
quelque forme d’arrest qui die,. lLa court ny entendentēd rien:
pPlus librement & ingenuement, que ne firent les Areopagites,
lesquels se trouvanstrouuans pressez d’unevne cause, qu’ils ne pouvoientpouuoient
desveloperdesueloper, ordonnerent que les parties en viendroientviendroiēt à cent
ans. Les sorcieres de mon voisinage, courent fortunehasard de leur
vie, sur l’advisaduis de cháque nouvelnouuel autheur, qui vient de donnerdōner
corps à leurs songes. Pour accommoder les exemples que la
divinediuine parolle nous donneoffre de telles choses,: tres-certains & ir-
refragables exemples,: & les attacher à nos evenemenseuenemens moder-
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[464v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nes,: puisque nous n’en voyons, ny les causes, ny les moyens, il
y faut autre engin que le nostre: iIl appartient à l’avantureauanture, à
ce seul tres-puissant tesmoignage, de nous dire,: cettuy-cy en
est, & celle-là,: & non cet autre. Dieu en doit estre creu: c’est
vrayement bien raison,. mMais non pourtant unvn d’entre nous,:
qui s’estonne de sa propre narration (& necessairement il s’en
estonne, s’il n’est hors de sens) soit qu’il l’employe au faict
d’autruy,: soit qu’il l’employe contre soy-mesme. JeIe suis
lourd,: & me tiens unvn peu au massif, & au vray-semblable,.
eEvitanteEuitant les reproches anciens,. Maiorem fidem homines adhi-
bent iis quae non intelligunt. Cupidine humani ingenij libentius
obscura creduntur.
JeIe vois bien qu’on se courrouce,. &Et me
deffend on d’en doubter, sur peine d’injuresiniures execrables:
nNouvellenNouuelle façon de persuader. Pour Dieu mercy: mMa crean-
ce ne se manie pas à coups de poing. Qu’ils gourman-
dent ceux qui accusent de fauceté leur opinion,: jJeiIe ne l’accu-
se que de difficulté & de hardiesse,: &Et condamne l’affirmation
opposite, egalement avecauec eux,: sinon si imperieusement. Position : Interligne haute uideantur sane, ne affirmentur modo. Qui
establit son discours par braveriebrauerie & commandement, mon-
tre que la raison y est foible. Pour unevne altercation verbale &
scolastique, qu’ils ayent autant d’apparence que leurs contra-
dicteurs: mais en la consequence effectuelle qu’ils en tirent,:
ceux-cy ont bien de l’avantageauantage: àA tuer les gens, il faut unevne clar-
té lumineuse & nette,. &Et est nostre vie trop réele & essentielle
pour garantirgarātir ces accidens supernaturels & fantastiques. QuantQuāt
aux drogues & poisons, jeie les mets hors de mon compte,. cCe
sont homicides, & de la pire espece: tToutesfois en cela mesme,
on dict qu’il ne faut pas tousjourstousiours s’arrester, à la propre confes-
sion
cōfes-
sion
de ces gens icy,. cCar on leur à veu par fois, s’accuser d’avoirauoir
tué des personnes, qu’on trouvoittrouuoit saines & vivantesviuantes. En ces
autres accusations extravagantesextrauagantes, jeie dirois volontiers,: que c’est
bien assez, qu’unvn homme, quelque recommendation qu’il
aye,
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LIVRE TROISIESME.457465
aye, soit creu de ce qui est humain: dDe ce qui est hors de sa con-
ception, & d’unvn effect supernaturel, il en doit estre creu, lors
seulement qu’unevne approbationapprobatiō supernaturelle l’a authorisé. Ce
privilegepriuilege qu’il à pleu à Dieu donner à aucuns de nos tesmoi-
gnages, ne doibt pas estre avilyauily, & communiqué legerement.
JI’ay les oreilles battüs de mille tels comptes: tTrois le virent unvn
tel jouriour en levantleuant,: trois le virent lendemain en occident,: à
telle heure, tel lieu, ainsi vestu: cCertes jeie ne m’en croirois pas
moymesme. Combien trouvetrouue-jeie plus naturel, & plus vray-
semblable, que deux hommes mentent,: que jeie ne fay qu’unvn
homme en douze heures, passe quand & les vents, d’orient en
occident? cCombiencCombiē plus naturel, que nostre entendement soit
emporté de sa place par la volubilité de nostre esprit detra-
qué,: que cela,: qu’unvn de nous, soit envoléenuolé sur unvn balay, au long
du tuiau de sa cheminée, en chair & en os, par unvn esprit estran-
gier. Ne cherchons pas des illusions estrangeresdu dehors de nous., & incon-
neuёs,: nous qui sommes perpetuellement agitez d’illusions
domestiques & nostres. Il me semble qu’on est pardonnable
de mescroire unevne merveillemerueille, autant Position : Interligne haute au moins, qu’on peut en destourner
& elider la verification, par voie non merveilleusemerueilleuse: &Et suis l’ad-
vis
ad-
uis
de sainct Augustin, qu’il vaut mieux pancher vers le dou-
te que vers l’asseurance, és choses de difficile preuvepreuue, & dan-
gereuse creance. Il y a quelques années, que jeie passay par les
terres d’unvn prince souverainsouuerain,: lequel en ma faveurfaueur, & pour ra-
batre mon incredulité, me fit cette grace, de me faire voir en
sa presence, en lieu particulier, dix ou douze prisonniers de
cette nature,: & unevne vieille entre autres, vrayment bien sorcie-
re en laideur & deformité, tres-fameuse de longue main en
cette profession: jJeiIe vis & preuvespreuues, & libres confessions, &
jeie ne sçay quelle marque insensible sur cette miserable
vieille,: & m’enquis, & parlay tout mon saoul,: y apportant
la plus saine attention que jeie peusse,: & ne suis pas homme
BBBBBb
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[465v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui me laisse guiere garroter le jugementiugement par preoccupation:
en fin & en conscience, jeie leur eusse plustost ordonné de l’el-
lebore que de la cicue.:
Position : Marge gauche Captisque res magis
mentibus quam
consceleratis similis
uisa.
La justiceiustice à ses propres corrections
pour telles maladies. Quant aux oppositions & arguments
que des honnestes hommes m’ont faict,: & là, & souventsouuent ail-
leurs,: jeie n’en ay poinct senty, qui m’attachent, &Et qui ne
souffrentsouffrēt solution tousjourstousiours plus vray-semblable que leurs con-
clusions
cō-
clusions
. Bien est vray,: que les preuvespreuues & raisons qui se fon-
dent Position : Interligne haute sur l’experiance et sur le faict,: celles là, jeie ne les desnoue point,: aussi n’ont
elles point de bout,: jeie les tranche souventsouuent, comme Alexan-
dre son neud. Apres tout,: c’est mettre ses conjecturesconiectures à bien
haut pris, que d’en faire cuire unvn hommehōme tout vif.
Position : Marge gauche On recite par diversdiuers exemples
& Prestantius de son pere que
assopi et endormi bien plus
lourdement que d’un parfaict
sommeil il fantasia estre jumantiumant
& servirseruir de somier a des soldats
et ce qu’il fantasioit il l’estoit.
Si les sorciers songeint ainsi
materielement: si les songes se
peuventpeuuent ainsi par fois incorpo=
rer en effaicts: encore ne crois
jeie pas que nostre volontéuolonté en fut
tenue a la justiceiustice.
Ce que jeie dis,: commecōme
celuy, qui n’est, ny jugeiuge, ny conseiller des Roys,: ny s’en esti-
me de bien loing digne,: ains homme du commun,: nay &
voué à l’obeissance de la raison publique, & en ses faicts, & en
ses dicts. Qui mettroit mes resveriesresueries en compte, au prejudicepreiudice
de la plus chetivechetiue loy de son village, ou opinion, ou coustu-
me, il se feroit grand tort, & encores autant à moy.
Position : Marge gauche Car en ce que jeie dis,
jeie ne pleuviepleuuie autre
certitude, sinon, que
c’est a ce que lors, ji’en
avoisauois en lma pensee,.
jeie n’ai une pPensee
tumultuaire et
versatileuersatile vacillanteuacillante.
C’est par maniere de devisdeuis
que jeie parle de tout et de rien
par maniere d’advisaduis. Nec me
pudet ut istos, fateri
nescire quod nesciam.
JeIe ne se-
rois pas si hardy à parler, s’il m’appartenoit d’en estre creu: &Et
fut, ce que jeie respondis à unvn grand, qui se plaingnoit de l’as-
preté & contention de mes enhortemens. Vous sentant ban-
dé & preparé d’unevne part, jeie vous propose l’autre, de tout le
soing que jeie puis, pour esclarcir vostre jugementiugement, non pour
l’attirer:.obliger. Dieu tient vos courages, & vous fournira de chois:.
jJeiIe ne suis pas si presomptueux, de desirer seulement, que mes
opinions donnassent pante, à chose de telle importance: mMa
fortune ne les à pas dressées a si puissantes & eslevéesesleuées conclu-
sions. Certes ji’ay non seulement des complexions en grand
nombre,: mais aussi des opinions assez, desquelles jeie desgoute-
rois volontiersvolōtiers mon fils si ji’en avoisauois. Quoy, si les plus vrayes ne
sont pas tousjourstousiours les plus commodescōmodes à l’hommehōme,. tTant il est de sau-
vage
sau-
uage
composition. A propos, ou hors de propos, il n’importe.
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LIVRE TROISIESME.458466
On dict en Italie en commun proverbeprouerbe, que celuy-là ne co-
gnoit pas Venus en sa parfaicte douceur, qui n’a couché a-
vec
a-
uec
la boiteuse. La fortune, ou quelque particulier accident,
ont mis il y à long temps ce mot en la bouche du peuple, &Et se
dict des masles comme des femelles: cCar la Royne des Ama-
zonnes, respondit au Scyte qui la convioitconuioit à l’amour, ἄριστα
χολὸϛ ὀιφεῖχωλὸϛ οἰφεῖ
, le boiteux le faict le mieux. En cette republique fe-
minine, pour fuir la domination des masles, elles les stropi-
oient des l’enfance, bras, jambesiambes, & autres membres qui leur
donnoient avantageauantage sur elles,. &Et se servoientseruoient d’eux, à ce seule-
ment, à quoy nous nous servonsseruons d’elles par deçà. JI’eusse dict,:
que le mouvementmouuement detraqué de la boiteuse, apportast quel-
que nouveaunouueau goustplaisir à la besongne, & quelque pointe de dou-
ceur à ceux qui l’essayent: mMais jeie viens d’apprendre, que mes-
me la philosophie ancienne en a decidé: eElle dict que les jam-
bes
iam-
bes
& cuisses des boiteuses, ne recevantreceuant a cause de leur im-
perfection, l’aliment qui leur est deu,: il en advientaduient que les par-
ties genitales, qui sont au dessus, sont plus plaines, plus nour-
ries, & vigoureuses. Ou bien, que ce defaut empeschant l’ex-
ercice,: ceux qui en sont entachez, dissipent moins leurs for-
ces, & en viennent plus entiers aux operationsjeusieus[Note (Montaigne) : |jeusieus|] de Venus. Qui
est aussi la raison, pourquoy les Grecs descrioient les tisseran-
des d’estre plus chaudes que les autres femmes,: à cause du me-
stier sedentaire qu’elles font, sans grand exercice du corps.
Dequoy ne pouvonspouuons nous raisonner à ce pris là. De celles icy
jeie pourrois aussi dire, que ce tremoussement que leur ouvra-
ge
ouura-
ge
leur donne ainsin assises, les esveilleesueille & sollicite, comme
faict les dames, le crolement & tremblement de leurs coches.
Ces exemples serventseruent-ils pas à ce que jeie disois au commence-
ment,: qQue nos raisons anticipent souventsouuent l’effect,: & ont l’e-
stendue de leur jurisdictioniurisdiction si infinie, qu’elles jugentiugent & s’ex-
ercent en l’inanité mesme, & au non estre. Outre la flexibilité
BBBBBb ij
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[466v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
de nostre inventioninuention, à forger des raisons à toute sorte de son-
ges,: nostre imagination se trouvetrouue pareillement facile, à rece-
voir
rece-
uoir
des impressions de la fauceté, par bien frivolesfriuoles appa-
rences. Car par la seule authorité de l’usagevsage ancien, & publi-
que de ce mot,: jeie me suis autresfois faict à croire, avoirauoir receu
plus de plaisir d’unevne femme, de ce qu’elle n’estoit pas droicte,.
& mis cela au compteen recepte de ses graces. Torquato Tasso en la
comparaison qu’il faict de la France à l’Italie, dict avoirauoir re-
marqué cela,: que nous avonsauons les jambesiambes plus greles, que les
gentils-hommes Italiens,. &Et en attribue la cause à ce que
nous sommes continuellement à chevalcheual: qQui est unevne causecelle mesmes de
laquelle Suetone, tire unevne toute contraire conclusion: cCar il
dict au rebours, que Germanicus avoitauoit grossi les siennes, par
continuation de ce mesme exercice. Il n’est rien si soupple &
erratique que nostre entendement: cC’est le soulier de Thera-
menez,: bon à tous pieds. Et il est double & diversdiuers, & les ma-
tieres doubles, & diversesdiuerses. Donne moy unevne dragme d’argent,
disoit unvn philosophe Cynique à Antigonus,: cCe n’est pas pre-
sent de Roy, respondit-il,: dDonne moy donc unvn talent,: cCe n’est
pas present pour Cynique:
Seu plures calor ille vias, & caeca relaxat
Spiramenta, nouas veniat qua succus in herbas:
Seu durat magis, & venas astringit hiantes,
Ne tenues pluuiae, rapidiue potentia solis
Acrior, aut Boreae penetrabile frigus adurat.:

Ogni medaglia ha il suo riversoriuerso. [Commentaire (Montaigne) : ---- prose][Note (Alain Legros) : Le tiret allongé signifie "tirés"]
Voila pourquoy Clitomachus disoit anciennementanciennemēt, que Car-
neades avoitauoit surmonté les labeurs de Hercules, pour avoirauoir
arraché des hommes le consentement,. cC’est à dire l’opinion &
la temerité de jugeriuger. Cette fantasie de Carneades si vigoureu-
se, nasquit à mon advisaduis anciennement, de l’impudence de
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LIVRE TROISIESME.459467
de ceux, qui font profession de sçavoirsçauoir,: & de leur outre-cui-
dance desmesurée. On mit AEsope en vente avecauec deux autres
esclavesesclaues,: lL’acheteur s’enquit du premier, ce qu’il sçavoitsçauoit faire,:
celuy la pour se faire valoir, responditrespōdit montsmōts & merveillesmerueilles,: qu’il
sçavoitsçauoit & cecy & cela: lLe deuxiesme en responditrespōdit de soy autantautāt
ou plus: qQuand ce fut à AEsope, & qu’on luy eust aussi demandédemādé
ce qu’il sçavoitsçauoit faire,: rien, fitdict-il,: car ceux cy ont tout preoccu-
,: ils sçaventsçauent tout. Ainsin est il advenuaduenu en l’escole de la phi-
losophie: lLa fierté de ceux qui attribuoyent à l’esprit humain
la capacité de toutes choses, causa en d’autres, par despit &
par emulation, cette opinion,: qu’il n’est capable d’aucune
chose. Les unsvns tiennent en l’ignorance, cette mesme extremi-
té, que les autres tiennent en la science, aAfin qu’on ne puisse
nier, que l’homme ne soit immoderé par tout,: &Et qu’il n’a
point d’arrest, que celuy de la necessité, & impuissance d’aller
outre.


De la Phisionomie.

CHAP. XII.



QUASIQVASI toutes les opinions que nous avonsauons, sont prin-
ses par authorité & à credit,: iIl n’y a point de mal,. nNous
ne sçaurions pirementpiremēt choisir que par nous, en unvn siecle
si foible. Cette image des discours de Socrates, que ses amys
nous ont laissée, nous ne l’approuvonsapprouuons, que pour la reverencereuerence
de l’approbation publique,: cCe n’est pas par nostre cognois-
sance: iIls ne sont pas selon nostre goust & usagevsage. S’il naissoit à
cette heure quelque chose de pareil, il est peu d’hommes qui
le prisassent Nous n’apercevonsaperceuōs les graces que pointues, bouf-
fies, & enflées d’artifice: cCelles qui coulent soubs la nayfveténayfueté,
& la simplicité, eschapent ayséement à unevne veuё grossiere
comme est la nostre. Elles ont unevne beauté delicate & cachee:
BBBBBb iij
Fac-similé BVH

[467v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
iIl faut la veuё nette & bien purgee, pour descouvrirdescouurir cette se-
crette lumiere. Est pas, la naifveténaifueté, selon nous, germeine à la
sottise, & qualité de reproche & d’injureiniure? Socrates faict mou-
voir
mou-
uoir
son ame d’unvn mouvementmouuemēt naturel & commun. Ainsi dict
unvn paysan, ainsi dict unevne femme.
-
Position : Marge gauche Il n’a jamaisiamais en la bouche
que cochiers menuisiers
savetierssauetiers & maçons.
Ce sont inductions & simi-
litudes, tirees des plus vulgaires & cogneues operationsactions des
hommeshōmes: cChacun l’entend. Soubs unevne si vile forme, nous n’eus-
sions jamaisiamais choisi la noblesse & splendeur de ses conceptionsconceptiōs
admirables: nNous,
-
Position : Marge gauche qui estimons plates
& basses toutes celes
que la doctrine ne
relevereleue,:
qui n’apercevonsaperceuons la richesse qu’en montre
& en pompe. Nostre monde n’est formé qu’a l’ostentation:
lLes hommes ne s’enflent que de vent,: & se manient à bonds,
comme les balons. Cettuy-cy ne se propose point des vaines
fantasies: sSa fin fut, de nous fournir de choses & de preceptes,
qui reelement & plus jointementiointement serventseruent à la vie,
seruare modum, finémque tenere,
Naturámque sequi:.

iIl fut aussi tousjourstousiours unvn & pareil,. &Et se monta non par bouta-
dessaillies, mais par complexion, au dernier poinct de vigueur. Ou
pour mieux dire,: il ne monta rien,: mais ravalarauala plustost & ra-
mena à son point, originel & naturel, & luy soubmit, la vi-
gueur les aspretez & les difficultez. Car en Caton,: on void bienbiē
à clair, que c’est unevne alleure forcée, & tenduё bien loing au
dessus des communes: aAux noblesbravesbraues exploits de sa vie, & en sa
mort, on le sent tousjourstousiours monté sur les grands chevauxcheuaux. Cet-
tuy-cy ralle à terre, & d’unvn pas mol & ordinaire, traicte les plus
utilesvtiles discours,: & se conduict & à la mort & aux plus espi-
neuses traversestrauerses qui se puissent presenter au trein de la vie hu-
maine. Il est bien advenuaduenu, que le plus digne homme d’estre
cogneu & d’estre presenté au monde pour exemple, ce soit
celuy duquel nous ayons plus certaine cognoissance. Il à esté
esclairé par les plus clair voyans hommes qui furent onques:.
lLes tesmoins, que nous avonsauons de luy, sont admirables en fide-
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.460468
lité & en suffisance,. soit pour jugeriuger soit pour raporter. C’est
grand cas, d’avoirauoir peu donner tel ordre aux pures imaginationsimaginatiōs
d’unvn enfant, que sans les alterer ou Position : Interligne haute estirer les estirerbander, il en ait produict
les plus beaux effects de nostre ame. Il ne la represente ny esle-
vée
esle-
uée
ny riche,: il ne la represente que saine,: mais certes d’unevne bienbiē
allegre & nette santé. Par ces vulguaires ressorts & naturels,:
par ces fantasies ordinaires & communescōmunes,: sans s’esmouvoiresmouuoir &
sans se piquer,: il dressa non seulement les plus reglées, mais les
plus hautes & vigoreuses Position : Interligne haute creances, actionsactiōs, & meurs, qui furent onques.
Position : Marge droite C’est luy qui ramena du
ciel ou elle perdoit son
temps la sagesse humaine
pour la rendre a l’home:
est sa plus justeiuste et bien
plus laborieuse besouigne
et plus utille.

Voyez le plaider devantdeuant ses jugesiuges,: voyez par qu’ellesquelles raisons,
il esveilleesueille son courage aux hazards de la guerre: quels argu-
ments fortifient sa patience contre la calomnie, la tyrannie,
la mort, & contre la teste de sa femme: il n’y a rien d’emprun-
té de l’art, & des sciencessciēces,. lLes plus simples y recognoissent leurs
moyensmoyēs & leur force: iIl n’est possible d’aller plus arriere & plus
bas. Il à faict grand serviceseruicefaveurfaueur à l’humaine nature, de montrer,
combien elle peut d’elle mesme. Nous sommes chacun plus
riche, que nous ne pensons: mMais on nous dresse à l’emprunt,
& à la queste: on nous duict à nous servirseruir plus de l’autruy que
du nostre. En aucune chose l’homme ne sçait s’arrester au
point de son besoing: dDe volupté, de richesse, de puissance, il
en embrasse plus qu’il n’en peut estreindre,: sSon aviditéauidité est in-
capable de moderation: jJeiIe trouvetrouue qu’en curiosité de sçavoirsçauoir,
il en est de mesme: iIl se taille de la besongne bien plus qu’il
n’en peut faire, & bien plus qu’il n’en à affaire.
Position : Marge droite : estendant
l’utilitè du sçavoirsçauoir
autant qu’est sa
matiere. Ut omnium
rerum sic literarumliterarū
quoque intemperantiaintemperātia
laboramus: non
uitae sed scholae
discimus
.
Et Tacitus
a raison de louer
la mere d’Agricola
d’avoirauoir bride en son fils
un appetit trop
bouillant versuersde la
sciance. C’est un bien
a le regarder d’yeus fermes
qui ha come les autres biens des
homes, beaucoup de vaniteuanite propre
et foiblesse propre et naturelle [unclear]: et d’un cher coust.
a bien haut pris.
Et Bbien plus hasardeus lL’emploite en est bien plus hasardeuses que de tout autre viandeuiande ou boisson. Car
en cette cyau reste ce que nous avonsauons acheté nous l’emportons au logis en quelque vesseauuesseau: et la avonsauons loi d’en examiner
la valurualur: combien et a quel’heure nous en prenderons. Mais les sciances nous ne les pouvonspouuons d’arriveearriuee mettre
en autre vesseauuesseau qu’en nostr’ame: nous les avalonsaualons en les achetant, & sortons du marchè ou infectz desjadesia ou
amandez. Il est en esty en a qui ne font que nous empecher Position : Interligne haute et charger au lieu de nour nourrir et telles encore qui nous
empoisonent
sous titre de nous guerir nous empoisonent.
JI’ay pris plaisir
de voir en quelque lieu, des hommes par devotiondeuotion, faire veu
d’ignorance, comme de chasteté, de pauvretépauureté, de poenitence.
C’est aussi, chastrer nos appetits desordonnez, d’esmousser
cette cupidité qui nous espoinçonne à l’estude des livresliures: &Et
de priverpriuer l’ame de cette complaisance voluptueuse, qui nous
chatouille par l’opinion de science.
Position : Marge gauche Et est
richemant
acomplir le
veuueu de povretèpouretè
d’y joindreioindre encore
celle de l’esperit.
Il ne nous faut guiere de
doctrine pour vivreviure à nostre aise,. &Et Socrates nous aprend
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[468v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’elle est en nous,: & la maniere de l’y trouvertrouuer, & de s’en ayder.
Toute cette nostre suffisance, qui est au delà de la communecōmune &
naturelle, est Position : Interligne haute a peu pres vaine & superflue: c’C’est beaucoup si elle ne nous
charge & trouble, plus qu’elle ne nous sert.
Position : Marge gauche : non uitae sed
scholae discimus

Paucis opus est
litteris ad mentem
bonam
Ce sontsōt des excez fie-
vreux
fie-
ureux
de nostre esprit, instrumentinstrumēt brouillonbrouillō & inquiete. Recueil
lez vous,: vous trouvereztrouuerez en vous les argumentsargumēts de la nature con-
tre
cō-
tre
la mort,: vrais,: & les plus propres à vous servirseruir à la necessité: Position : Interligne haute ceus que ji’y
cCe sont ceux qui font mourir unvn paisan & des peuples entiers,
aussi constamment qu’unvn philosophe.
Position : Marge gauche Fusse jeie mort moins alle=
grement avantauant qu’avoirauoir veuueu
Seneque Quand jeie retaste au
loin
les Tusculanes. J’es=
time
Ies=
time
que non. Et quand jeie me
trouvetrouue au propre, jeie sens que ma
langue s’est enrichie, mon corage
de peu rien. Il est come nature me
le forgea: et se targue pour le
conflict d’une marche populere & communecōmune. Les livresliures m’ontmont serviserui non tant d’instruction que d’exercitation.
La scienceQuoi? si la sciance, essayant de
nous armer de nouvellesnouuelles deffences contre les inconveniensinconueniens
naturels, nous à, crains-jeie, plus imprimé en la fantasie leur
grandeurgrādeur & leur pois, qu’elle n’a ses raisons & subtilitez à nous
en couvrircouurir.
Position : Marge gauche Ce sont voiremantuoiremant
subtilitez: par ou
elle nous pique et
esveilleesueille souvantsouuant bien
veinemant. Les autheurs
mesme plus serrez et
plus sages, apres avoirauoir
desdeignè les finesses
et longurs grammerienes
et logiques,
voiezuoiez, autour
d’un bon argumant,
combien ils en sement
d’autres legiers, & qui
y regarde de pres
incorporels. cCe ne sont
qu’arguties verbalesuerbales,
qui nous trompent.
Mais d’autant que ce
peut estre utilemant,
jeie nen les les veusueus pas
remarquer: et en ai
asses transportè ceans
en diversdiuers lieus

autrement esplucher. iIl y en
a ceans asses de cette
pareille condition
en diversdiuers lieus: ou
par emprunt ou par
imitation. Si se faut
il prandre un peu
garde de n’apeler pas
force ce qui n’est que
gentillesse: et ce qui
n’est que aigu, solide:
souvantsouuant ce qui
chatouille ne paie pas
souventsouuent pas l’appetit
ne norrit pas l’estomac.
Ou bon ce qui n’est
que beau
ou bon ce qui n’est que
beau: quae magis gustata
quam potata delectant
. Tout ce
qui plait ne paist
pas. Vbi non ingenij sed animi negotium agitur.
A voir les efforts que Seneque se donne pour se
preparer contre la mort, à le voir suer d’ahan, pour se roidir
& pour s’asseurer, & se desbatre si long temps en cette perche,
ji’eusse esbranlé sa reputationreputatiō, s’il ne l’eut en mourant tresvaillam-
ment
tresuaillā-
ment
maintenuё. Son agitationagitatiō, si ardanteardāte
Position : Marge droite si pointue si
frequante
montre qu’il
estoit inquiete et
chautimpetueus luy=
mesme. Non est
alius ingenio
alius animo
color,
comme il
dict. Et au=
cunement

Position : Marge droite si frequante, montre qu’il estoit inquiete et
chaut et impetueus luy mesmes. selon ses regles.
Magnus animus remissius loquitur et securius.
Non est alius ingenio alius animo color.
Et
montre aucunement Il le faut conveincreconueincre par ses
luy mesmedespens. Et montre aucunement
si animée, montremōtre qu’il
estoit pressé de son adversaireaduersaire. La façon de Plutarque, d’autantautāt
qu’elle est plus desdaigneuse, & plus destendue, elle est selon
moy, d’autant plus fortevifveuifuevirileuirile virileuirile & persuasivepersuasiue: jJeiIe croyrois ayséement
que son ame avoitauoit les mouvementsmouuements plus asseurez, & plus rei-
glés. L’unvn plus aigupointu vifuif, nous esveilleesueille piqueesguillone pique & eslance en sursaut:
touche plus l’esprit. L’autre plus soliderassis, nous informe establit
& conforte constamment: touche plus l’entendemententendemēt.
Position : Marge droite Celuy la emporteravistrauist nostre
jugemantiugemant cetuicy le merite.gaigne.
Position : Interligne basse JI’ay veuueu pareillemantAbstulit ille iudicium, iste meruit autem. JI’ay veuueu pareillemant d’autres escrisauteur encore plus reverezreuerez, qui en la
peinture du conflict qu’ils soutienent contre les eguillons de la cher
les represantent si cuisans si puissans et invinciblesinuincibles que nous mesme
qui somes de la voirieuoirie du peuple avontsauonts autant a admirer l’estrangetélestrangeté
[unclear]& viguruigur Position : Interligne haute inconue de leur tentation que de leur resistance.
A quoi
faire nous allons nous gendarmant par ces subtilitez, &finesses ef-
forts de la science? rRegardons à terre, les pauvrespauures gensgēs que nous
y voyons espandus, la teste penchante, apres leur besongne,
qui ne sçaventsçauent ny Aristote ny Caton, ny exemple ny precep-
te,: dDe ceux là tire nature tous les joursiours des effects de constan-
ce & de patience, plus purs & plus roides, que ne sont ceux
que nous estudions si curieusement en l’escole. Combien en
vois jeie ordinairement, qui mescognoissent la pauvretépauureté,: com-
bien
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LIVRE TROISIESME.461469
bien qui desirent la mort, ou qui la passent sans alarme &
sans afflictionafflictiō. Celuy la qui fouyt mon jardiniardin, il à ce matin en-
terré son pere ou son fils. Les noms mesme dequoy ils appel-
lent les maladies, en adoucissent & amollissent l’aspreté. La
phtisie c’est la tous pour eux,: la dysenterie devoyementdeuoyement d’e-
stomac,: unvn pleuresis c’est unvn morfondement,. &Et selon qu’ils
les nommentnōment doucement, ils les supportent aussi. Elles sont bienbiē
griefvesgriefues, quand elles rompent leur travailtrauail ordinaire: iIls ne se
couchents’allictent que pour mourir.
Position : Marge gauche . Simplex illa et aperta uirtus in obscuram et solertem scientiam uersa est.
docemurque disputare non uiuere.
JIescrivoisescriuois cecy environenuirō le temps,
qu’unevne forte charge de nos troubles se croupitfondit pour
Position : Marge droite se croupit
plusieurs mois,
de tout son pois, droict sur moy. JIavoisauois d’unevne part, les enne-
mys à ma porte, d’autre part, les picoreurs, pires ennemys:
Position : Marge droite : non armis sed
uitijs certatur:
&Et
essayois toute sorte d’injuresiniures militaires à la fois,
Hostis adest dextra leuáque à parte timendus,
Vicinóque malo terret vtrúmque latus.

Monstrueuse guerre: lLes autres agissent au dehors,: cette-cy
encore contre soy, se ronge & se desfaict par son propre ve-
nin. Elle est de nature si maligne & ruineuse, qu’elle se ruine
quand & quand le reste, & se deschire & desmembre de rage.
Nous la voyons plus souventsouuent se dissoudre par elle mesme,
que par disette d’aucune chose necessaire, ou par la force en-
nemye. Toute discipline la fuyt. Elle vient guarir la sedition,
& en est pleine,: vVeut chastier la desobeyssance, & en montre
l’exemple,: &Et employée à la deffence des loix, faict sa part de
rebellion à l’encontre des siennes propres. Ou en sommes
nous? nNostre propre medecine porte infection.,
Nostre mal s’empoisonne
Du secours qu’on luy donne,

exuperat magis aegrescitque medendo.
Omnia fanda nefanda malo permista furore,
Iustificam nobis mentem auertere Deorum.

En ces maladies populaires, on peut distinguer sur le commencōmen-
CCCCCc
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[469v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
cement, les sains des malades,: mais quand elles viennent à du-
rer, comme la nostre, tout le corps s’en sent, & la teste & les ta-
lons, aucune partye n’est exempte de corruption: cCar il n’est
air qui se hume si gouluement, qui s’espande & penetre, com-
me faict la licence. Nos armées ne se lientliēt & tiennent plus que
par simantsimāt estrangerestrāger: dDes françois, on ne sçait plus faire unvn corps
d’armée, constant & reglé: qQu’elleqQuelle honte? Il n’y a qu’autant de
discipline que nous en font voir des soldats empruntez:
qQuant à nous,: nous nous conduisons à discretion,: & non pas
du chef,: chacun selon la sienne: iIl à plus affaire au dedansdedās qu’au
dehors,. cC’est à luyau comandant de suivresuiure courtizer & plier,: à luy seul d’o-
beir,: tout le reste est libre & dissolu. Il me plaist de voir, com-
bien il y a de lascheté & de pusillanimité en l’ambition,: par
combien d’abjectionabiection & de servitudeseruitude, il luy faut arriverarriuer à son
but. Mais çcecy me deplaist il de voir,: des natures debonnai-
res, & capables de justiceiustice, se corrompre tous les joursiours, au ma-
niement & commandement de cette confusion. La longue
souffrance engendre la coustume,: la coustume, le consente-
ment, & l’imitation. Nous avionsauions assez d’ames mal nées, sans
gaster les bonnes & genereuses: sSi que, si nous continuons, il
restera mal-ayséement à qui fier la santé de cet estat, au cas
que fortune nous la redonne:
Hunc saltem euerso iuuenem succurrere seclo,
Ne prohibite.

Position : Marge gauche . Qu’est devenudeuenu cet
antien praecepte, que
les soldatz ont plus a
creindre leur generalchef
que a l’enemi: eEt ce
merveilleusmerueilleus example,
qu’un pomier s’estant
trouvètrouuè enfermé dans
le pourpris du camp
de l’armeelarmee Romeine,
elle fut veueueue landemein
en desloger, laissant
au possessur le conte
entier de ses pomes
meures & delicieuses.
JI’aymerois bien que nostre junesseiunesse au lieu t du temps qu’elle emploie
à des peregrinations moins utiles & aprantissages moins honorables
elle l’emplointle mit moitie a uoir de la guerre sur mer sous quelque bon
capitene comandur de Rhodes moitie a reconoitre la discipline des
armees turquesques car ell’a beaucoup de differances et d’avantagesauantages sur
la nostre Ceci en est, que nos soldats devienentdeuienent plus licentieus aus
expeditions: la plus retenus et docilescreintifs. [Note (Mathieu Duboc) : 1-Car les offances ou larrecins qu'ils font sur le menu puple se punissent de coups de baston en paix: mais en guerre ils n'en rabatent rien de la hart et sans remission quelconque 2-Car les offances ou larrecins qu'ils font sur le menu puple se punissent de moitie plus legieremant en paix que en guerre et de ce qu'on n'avoit acostume qu'estre batu on est pendu. 3-Car les offances ou larrecins qu'ils font sur le menu puple se punissent de mort en guerre et en paix de bastonades Un seul euf en guerre ce sont cinquante coups de basto 4-Car les offances ou larrecins sur le menu puple qui se punissent de bastonades en la paix sont capitales en guerre ] Car les offancesoffāces ou larrecins qu’ils font
sur le menu puple qui se punissent de coups de bastonmoitie plus legieremant en paix : Maisque en guerre et de ce
ils n’en rabatent rien de la hart et sans remission quelconque
le conte faict
qu[unclear]on n’avoitauoit acostume qu’estre batu on est pendu.
mort en guerre en paix de bastonades
Un seul euf en guerre ce sont cinquante coups de basto

de bastonades en la paix sont capitales en guerre Pour un euf prins sans païer
ce sont de contecōte prefix cinquantecinquāte coups de baston Pour toute autre chose tant legiere soit elle non propre
à la nourriture, on les enpale ou decapite sans deport. JeIe me suis estone en l’histoire de Selim pere de SolimanSolimā le plus
cruel conquerant qui fut onques, veoir, que lors qu’il subjuguasubiugua l’AEgipte que les jariar admirables jardinsiardins qui sontsōt autour de [Note (Alain Legros) : L’addition continue au bas de la page suivante.]
Position : Marge basse (f.470r) la villeuille de Damas en abondance & delicatesse
restarentrestarēt viergesuierges des mains de ses soldats tous
ouversouuers & non clos com’ils sont

Mais est-il quelque mal en unevne police, qui vaille estre comba-
tu par unevne drogue si mortelle: nNon pas disoit FaoniusFavonius, l’usur-
pation
vsur-
pation
de la possession tyrannique d’unvn estat.
Position : Marge droite Pailaton de mesme: ne consent pas qu’on face violantceuiolantce au
repos de son païs pour le guerir. et n’accepte pas l’amendementamendemēt
qui couste le sang et ruine des citoïens citoïens. Establissant
l’office d’un home de bien: en ce cas, de laisser tout la: sulemant de
prier Dieu qu’il y porte sa main extraordinere. Et semble sçavoirsçauoir
mauvesmauues gre a Dion son grand amy d’y avoirauoir un peu autremant procede
Position : Marge droite JI’estois Platonicien de ce costé là, avantauant que jeie sçeusse qu’il y eust de Platon
au monde. Et si ce personage, doit purement estre refuse de nostre consorce: luy, qui
par la sincerite de sa consciance, merita enverenuer la faveurfaueur divinediuine, de penetrer si avantauant
en la Chrestine lumiere:, au traverstrauers des tenebres publiques du monde de son temps: jeie ne
pense pas, qu’il nous siese bien de nous laisser instruire a un païen, combien c’est d’impi=
ete, de n’atandre de Dieu, nul secours, simplement siens et sans nostre cooperation. JeIe doubte
souvantsouuant, si entre tant de gens, qui se meslent de telle besouigne, nul s’est rencontre d’entandemententādemēt
si imbecille, a qui on aye en bon esciant persuade, qu’il aloit versuers la reformation, par la derniere des
difformations: qu’il tiroit versuers son salut, par les plus expresses causes que nous ayons de tres cer=
teine damnation: que renversantrenuersant la police le magistrat, et les loix, en la tutelle des quelles dieu
l’a colloque: desmembrant sa mere, et en donant a ronger les pieces, a ses antiens enemis: remplis=
sant des haynes parricides les corages fraternels: apelant a son aide les diables et les furies
il puisse aporter secours a la sacrosaincte douceur, et justiceiustice de la parole divinediuine.
L’ambition, l’a-
varice
a-
uarice
, la cruauté, la vengeance, n’ont point assez de propre &
naturelle impetuosité,: amorchons les & les attisons par le
glorieux titre de justiceiustice & devotiondeuotion. Il ne se peut imaginer
unvn pire visage des choses, qu’ou la meschanceté vient à estre
legitime,: & prendre avecauec le congé du magistrat le manteau
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LIVRE TROISIESME.462470
de la vertu.
Position : Marge droite Nihil in speciem fallacius
quam praua relligio: ubi
deorum numen praetenditur
sceleribus.
L’extreme figureespece
de d’injusticeiniustice selon Platon c’est
que celuyce qui est injusteiniuste soit
tenu pour justeiuste.
Le peuple y souffrit bien largement lors, non les
dommages presens seulement,
vndique totis,
Vsque adeo turbatur agris,

mais les futurs aussi. Les vivansviuans y eurent à patir,: si eurent ceux
qui n’estoient encore nays. On le pilla, & à moy par conse-
quent, jusquesiusques à l’esperance,: luy ravissantrauissant tout ce qu’il avoitauoit à
s’aprester à vivreviure pour longues années,:
Quae nequeunt secum ferre aut abducere, perdunt,
Et cremat insontes turba scelesta casas:
Muris nulla fides, squallent populatibus agri.

Outre cette secousse, ji’en souffris d’autres. JI’encorus les incon-
veniens
incō-
ueniens
que la moderation aporte en telles maladies. JeIe fus
pelaudé à toutes mains: aAu Gibelin ji’estois Guelphe, au Guel-
phe Gibelin: qQuelqu’unvn de mes poёtes dict bien cela, mais
jeie ne sçay ou c’est. La situationsituatiō de ma maison, & l’acointanceacointāce des
hommes de mon voisinage, me presentoient d’unvn visage,: ma
vie & mes actions d’unvn autre. Il ne s’en faisoit point des accu-
sations formées: car il n’y avoitauoit ou mordre,. jJeiIe ne desempare
jamaisiamais les loix: &Et qui m’eust recerché, m’en eust deu de re-
ste. C’estoyent suspitions muettes & desrobéesqui couroint sous main,: ausquelles il
n’y a jamaisiamais faute d’apparence, en unvn meslange si confus,: non
plus que d’espris ou envieuxenuieux ou ineptes.
Position : Marge droite JI’aide ordinerement aus
presomptions injurieusesiniurieuses que la
fortune seme contre moy par
une façons que ji’ay des tousjourstousiours
de fuir a me justifieriustifier excuser
et interpreter estimant que c’est
mettre ma consciancecōsciance en compromis
de pleider pour elle Position : Interligne haute perspicuitas enim argumentatione eleuatur et come, si
chacun voïoituoïoit en moi aussi cler
que jeie fois au lieu de me tirer
arriere de l’accusation jeie m’y
avanceauance et la rencheris plustost
par une confession ironique et
moqueuse,: si jeie ne m’en tais
tout a fai plat, come de chose
indigne de responce. Mais et
ceus qui le prenent pour une
trop hauteine confiance ne
m’en veulentueulent guere moins que
ceus qui le prenent pour
foiblesse d’une cause indefansible
nomeement les grans enversenuers les
quels faute de summission est
la premiere injusticeiniustice.l’extreme faute: JI’ay
souvantsouuant hurte a ce pilier. Tant y à
que de ce qui m’en advintaduint lors un

rudes a toute justiceiustice qui se conoit qui se sent:
non tremblantedesmise humble et suppliante. JI’ay
souvantsouuant hurtè a ce pillier. Tant y a que de ce qui
m’avintauint lors, un
UnVn ambitieux s’en fut
pandu,: si eust faict unvn avaritieuxauaritieux. JeIe n’ay soing quelconque
d’acquerir,
Sit mihi quod nunc est, etiam minus, vt mihi viuam
Quod superest aeui, siquid superesse volent dij.

Mais les pertes qui me viennent par l’injureiniure d’autruy,: soit lar-
recin, soit violence, me pinsent, environenuirō comme à unvn homme
malade & geiné d’avariceauarice. L’offence à sans mesure plus d’ai-
greur que n’ya la perte. MMille diversesdiuerses sortes de maux accoureurentaccoureurēt
à moy à la file, jJeiIe les eusse plus gaillardement souffers à la
CCCCCc ij
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[470v] ESSAIS DE M. DE MONT.
foule. JeIe pensay desjadesia, entre mes amys à qui jeie pourrois com-
mettre unevne vieillesse necessiteuse & disgratiée: aApres avoirauoir ro-
dé les yeux par tout, jeie me trouvaytrouuay en pourpoint. Pour se
laisser tomber à plomb, & de si haut, il faut que ce soit entre
les bras d’unevne affection solide, vigoreuse & fortunée. Elles
sont rares, s’il y en a. En fin jeie cogneuz que le plus seur, estoit
de me fier à moy-mesme de moy, & de ma necessité: &Et s’il
m’advenoitaduenoit d’estre froidement en la grace de la fortune, que
jeie me recommandasse de plus fort à la mienne: m’atachasse,
regardasse de plus pres à moy.
Position : Marge gauche En toutes choses
les homes se jettentiettent
aus appuis estrangiers
pour espargner les
propres: seuls certeins
& suls puissants, qui
ait s’en armer.
Chacun court ailleurs
& à l’avenirlauenir d’autant
que nul n’est arrivèarriuè a soi.
Et me resolus que c’estoyent
utilesvtiles inconveniensinconueniens,: dD’autant premierement, qu’il faut aver-
tir
auer-
tir
à coups de foyt, les mauvaismauuais disciples, quand la rayson n’y
peut assez.
-
Position : Marge droite Come par
le feu et
violanceuiolance des
coins nous
ramenons un
bois tortu a sa
droitur[sic].
JeIe me presche, il y a si long temps, de me tenir à
moy, & separer des choses estrangeres, toutesfois, jeie tourne
encores tousjourstousiours les yeux à costé: lL’inclination, unvn mot fa-
vorable
fa-
uorable
d’unvn grandgrād, unvn bon visage, me tentetēte:. Dieu sçait s’il en est
cherté en ce temps, & quel sens il porte. JI’oys encore sans ri-
der le front, les subornemens qu’on me faict pour me tirer en
place marchande, &Et m’en deffens si mollement, qu’il semble
que jeie souffrisse plus volontiers d’en estre vaincu. Or à unvn es-
prit si indocile, il faut des bastonnades,: &Et faut rebattre & res-
serrer à bons coups de mail, ce vaisseau qui se desprent, se des-
cout, qui s’eschape & desrobe de soy. Secondement, que cet
accident me servoitseruoit d’exercitation, pour me preparer à pis, sSi
jeiemoi, qui & par le benefice de la fortune, & par la condition de
mes meurs, esperois estre des derniers, venois à estre des pre-
miers attrapé de cette tempeste: mM’instruisant de bonne heu-
re à contraindre ma vie, & la renger pour unvn nouvelnouuel estat. La
vraye liberté c’est pouvoirpouuoir toutes choses sur soy.
-
Position : Marge gauche . Potentissimus est
qui se habet in
potestate. Seruitus
e obedientia est fracti
animi et abiecti, arbitrio
carentis suo.
En unvn estattemps
ordinaire & tranquille, on se prepare à des accidens moderez
& communscōmuns,: mMais en cette confusion, ou nous sommes dépuis
trente ans, tout homme françois, soit en particulier soit en
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LIVRE TROISIESME.463471
general, se voit à chaque heure, sur le point de l’entier renver-
sement
renuer-
sement
de sa fortune: dD’autant faut-il tenir son courage four-
ny de provisionsprouisions plus fortes & vigoureuses. Sçachons gré au
sort, de nous avoirauoir fait vivreviure en unvn siecle, non mol, languissant,
ny oisif: tTel qui ne l’eut esté par autre moyen, se rendrarēdra fameux
par son malheur.
Position : Marge droite Come jeie ne ly guere és histoires, ces confusionconfusions, des autres estats,
que jeie ne sante desplaisir’aye regret de ne les avoirauoir peu mieus considerer presant. Einsi faict ma
curiosité, que jeie me plaise’agree aucunemant de voiruoir de mes yeus ce notable spectacle de
nostre mort publique, ses symptomes et sa forme: eEt puis que jeie ne la puis
retarder, suis contant d’estre destinè a y assister, & m’en instruire. Si cherchons nous
avidemantauidemant de ren reconoistre en ombre mesmes et en la fable des theatres, la montre
des jeusieus tragiques de l’humaine fortune. Certes il est bien vraiurai: Mores cuique sui fingunt fortunam. Ie
n’ose honestemant dire aveqaueq combien peu de deschet de ma tranquillité ji’ay coulé meshui tant de temps en cete tempeste.

Ce n’est pas sans compassion de ce que nous oions, mais nous ne nous plaisons d’esveilleresueiller nostre desplesir par la raretè
de ces pitoiables evenemanseuenemans. Rien ne chatouille qui ne pinse. Et les bons historiens fuient come un’eau dormante des
& mer morte des narrations calmes et mousses pour regaigner les seditions les meurtres les guerres ou ils sçaventsçauent que nous les apelons.
Position : Interligne basse JeIe doute si jeie puis assez honnestement advouëraduouër, à combien vil
pris du repos et tranquillitè de ma vieuie jeie l’ai plus de moitie passee en la ruine de mon païs. JeIe
me done un peu trop bon marché de patiance es accidans qui ne me sesissent au propre: et pour me
pleindre poura moi, regarde non tant ce qu’on m’oste que ce qui me reste de sauvesauue et dedans et dehors.
Il y a de la consolation a escheverescheuer tantost l’un tantost l’autre des maus qui nous guignent de suite,
et assenent ailleurs autour de nous. Aussi qu’en matiere d’interetz publiques a mesure que mon
affection est plus universellemantuniuersellemant espandue elle en est plus foible.
Position : Marge gauche JointIoint que certes a peu pres
Tantum nimirum
ex publicis malis
sentimus quantum
ad priuatas res
pertinet.
Et Position : Interligne haute certes que la santè d’oudou nous
partismes estoit telle qu’elle solage elle mesmes le regret que nous en devrionsdeurions avoirauoir.
C’estoit santè mais non qu’a la comparaison de la maladie qui l’a suiviesuiuie Nous ne somes chus
de gueres haut La corruption et le brigandage qui est en dignitè et en ordre me semble le moins
supportable On nous voleuole moins injurieusementiniurieusement dans un bois qu’en lieu de
suretè. C’estoit une jouintureiouinture universelleuniuerselle de membres gastez et ulcerez
en particulier a l’envienui les uns des autres: et la plus part d’ulceres envieillisenuieillis
qui ne recevointreceuoint plus ny ne demandoint guerison.
Tant est, que cCe crollement donq m’anima certes
plus qu’il ne m’atterra,. àA l’aide de ma conscienceconsciēce, qui se portoit
non paisiblement seulement, mais fierement,: & ne trouvoistrouuois
en quoy me plaindre de moy. Aussi comme Dieu n’envoieenuoie ja-
mais
ia-
mais
non plus les maux, que les biens tous purs aux hommes,
ma santé tint bon ce temps là, outre son ordinaire: &Et ainsi que
sans elle jeie ne puis rienriē, il est peu de choses que jeie ne puisse avecauec
elle. Elle me donna moyen d’esveilleresueiller toutes mes provisionsprouisions,
& de porter la main au devantdeuant de la playe, qui eust passé vo-
lontiers plus outre: &Et esprouvayesprouuay en ma patience, que jiavoysauoys
quelque tenue contre la fortune,: & qu’à me faire perdre mes
arçons, il me falloit unvn grand heurt. JeIe ne le dis pas pour l’irri-
ter à me faire unevne charge plus vigoureuse,. jJeiIe suis son serviteurseruiteur,:
jeie luy tends les mains,. pPour Dieu qu’elle se contente. Si jeie sens
ses assaux? si foais:. mais cComme ceux que la tristesse accable &
possede, se laissent pourtant par intervallesinterualles tastonner à quel-
que plaisir, & leur eschappe unvn soubsrire: jeie puis aussi assez sur
moy, pour rendre mon estat ordinaire, paisible, & deschargé
d’ennuyeuse imagination, mMais jeie me laisse pourtant à bouta-
des surprendre des morsures de ces malplaisantes pensées,: qui
me battent, pendant que jeie m’arme pour les chasser, ou pour
les luicter. Voicy unvn autre rengregement de mal, qui m’arrivaarriua
à la suitte du reste. Et dehors & dedans ma maison, jeie fus ac-
cueilly d’unevne peste vehementevehemēte au pris de toute autre. Car com-
me les corps sains sont subjectssubiects à plus griefvesgriefues maladies, d’au-
tant qu’ils ne peuventpeuuent estre forcez que par celles là,: aussi mon
air tressalubre, où d’aucune memoire, la contagion, bien que
CCCCCc iij
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[471v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
voisine n’avoitauoit sceu prendre pied, venant à s’empoisonner,
produisit des effects estranges. & inouys.
Mista senum & iuuenum densantur funera, nullum
Saeua caput Proserpina fugit.

JI’eus à souffrir cette plaisante condition, que la veue de ma
maison m’estoit effroiable. Tout ce qui y estoit, estoit sanssās gar-
de, & à l’abandon de qui en avoitauoit envieenuie. Moy qui suis si hos-
pitalier, fus en trespenible queste de retraicte, pour ma famil-
le. UneVne famille esgarée,: faisant peur à ses amis & à soy-mesme,:
& horreur ou qu’elle cerchast à se planter: aAyantcer: ayant a changer de
demeure, soudain qu’unvn de la troupe commençoitcōmençoit a se douloir
du bout du doigt. Toutes maladies sont prises pour peste: oOn
ne se donne pas le loisir de les reconnoistrerecōnoistre. Et c’est le bon,: que
selon les reigles de l’art, a tout danger qu’on approche, il faut
estre quarante joursiours en transe de ce mal,. lL’imagination vous
exerceant ce pendant à sa mode,: & enfievrantenfieurant vostre santé
mesme. Tout cela m’eust beaucoup moins touché, si jeie n’eus-
se eu à me ressentir de la peine d’autruy,: & servirseruir six mois mi-
serablement de guide à cette caravanecarauane. Car jeie porte en moy
mes preservatifspreseruatifs, qui sont resolution & souffrance: lL’appre-
hension ne me presse guere,: laquelle on crainct particuliere-
ment en ce mal,: &Et si estant seul, jeie l’eusse voulu prendre,
c’eust esté unevne fuite bienbiē plus gaillarde & plus esloingnée. C’est
unevne mort, qui ne me semble des pires: eElle est communéementcommunéemēt
courte, d’estourdissement, sans douleur: cConsolée par la con-
dition publique: sSans ceremonie, sans deuil, sans presse. Mais
quant au monde des environsenuirons, la centiesme partie des ames
ne se peust sauversauuer,
videas desertáque regna
Pastorum, & longè saltus latéque vacantes.

En ce lieu, mon meilleur revenureuenu est manuel: cCe que cent hom-
mes travailloienttrauailloient pour moy, chaume pour long temps. Or
lors, quel exemple de resolution ne vismes nous, en la simpli-
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LIVRE TROISIESME.464472
cité de tout ce peuple. Generalement chacun renonçoit au
soing de la vie. Les raisins demeurerent suspendus aux vignes,
le bien principal du pays: tTous indifferemment se preparans &
attendans la mort, à ce soir, ou au lendemain: d’unvn visage &
parolled’une voixuoix si peu effroyée, qu’il sembloit qu’ils eussent compro-
mis à cette necessité,: & que ce fut unevne condemnation univer-
selle
vniuer-
selle
& inevitableineuitable. Elle est tousjourstousiours telle: mMais à combien peu
tient la resolution au mourir: lLa distance & differencedifferēce de quel-
ques heures,: la seule consideration de la compaignie, nous en
rend le goust tout diversdiuers.’apprehantion diversediuerse. Voyez ceux-cy,: pource qu’ils meu-
rent en mesme mois: enfans, jeunesieunes, vieillards, ils ne s’estonnentestonnēt
plus, ils ne se pleurent plus. JI’en vis qui craingnoientcraingnoiēt de demeu-
rer derriere, comme en unevne horrible solitude,. &Et n’y conneu
communéement autre soing que des sepultures: iIl leur fas-
choit de voir les corps espars emmy les champs, à la mercy des
bestes,: qui y peuplerent incontinent.
Position : Marge droite Comant les fantasies deshumaines
homes se decoupent. les Neo=
rites nation qu’Alexandre
subjugasubiuga jetentietent les corps des
mors au plus profont de
leurs bois pour y estre mangez.
Sule sepulture estimee digne
entre eus hureuse.
Tel sain faisoit desjadesia sa
fosse,: d’autres s’y couchoient encore vivansviuans,: &Et unvn maneuvremaneuure
des miens, à tout ses mains, & ses pieds, attira sur soy la terre
en mourant: eEstoit ce pas s’abrier pour s’endormir plus à son
aise.:
Position : Marge droite D’une entreprise
auaucunemant sambla=
ble a celle
D’une entreprinse en
hauteur aucunemant
pareille a celle
des plusieurs
soldats romeins qu’on
trouvatrouua apres la
journeeiournee de Cannes la
teste plongee dans des
trous qu’ils avointauoint faicts
pour s’y estouffer et
comblez de leurs
mains en s’y suffo=
quant.
Somme, que toute unevne nation fut incontinent par usagevsage,
logée en unevne desmarche, qui ne cede en roideur à aucune re-
solution estudiée & consultée. La plus part des instructions
de la science à nous encourager, ont plus de montre que de
force,: & plus d’ornement que de fruict. Nous avonsauons abandon-
abandō-
nature, & luy voulons apprendre sa leçonleçō: elle, qui nous me-
noit si heureusement & si seurement: &Et ce pendant les traces
de son instruction, & ce peu qui par le benefice de l’ignoran-
ce reste de son image, empreint en la vie de cette tourbe rusti-
que d’hommes impolis, la science est contrainte de l’aller tous
les joursiours empruntant pour en faire patron à ses disciples, de
constance, d’innocence, & de tranquillité. Il faict beau voir,:
que ceux-cy plains de tant de belle cognoissance, ayent à
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[472v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
imiter cette sotte simplicité,: & à l’imiter aux premieres actionsactiōs
de la vertu: &Et que nostre sapiencesapiēce, apreigne des bestes mesmes,
les plus utilesvtiles enseignemens, aux plus grandes & necessaires
parties de nostre vie: cComme il nous faut vivreviure & mourir,
mesnager nos biensbiēs, aymer & esleveresleuer nos enfans, entretenir ju-
stice
iu-
stice
: sSingulier tesmoignage de l’humaine maladie,. &Et que cet-
te raison qui se manie à nostre poste, trouvanttrouuāt tousjourstousiours quel-
que diversitédiuersité & nouvelleténouuelleté, ne laisse chez nous aucune trace ap-
parente de la nature: &Et en ontont faict les hommes, comme les
parfumiers de l’huile,: ils l’ont sophistiquée de tanttāt d’argumen-
tations, & de discours adjoustezadioustezapelez du dehors, qu’elle en est de-
venue
de-
uenue
variable, & particuliere à chacun,. &Et à perdu son pro-
pre visage, constant, & universelvniuersel, &Et nous faut en cercher tes-
moignage, des bestes, non subjectsubiect à faveurfaueur, corruption, ny à
diversitédiuersité d’opinions. Car il est bien vray, qu’elles mesmes ne
vont pas tousjourstousiours exactement dans la route de nature, mMais
ce qu’elles en desvoyentdesuoyent, c’est si peu, que vous en appercevezapperceuez
tousjourstousiours l’ormniere. Tout ainsi que les chevauxcheuaux qu’on meine
en main, font bien des bondsbōds, & des escapades, mais c’est la lon-
gueur de leurs longes, & suyventsuyuent ce neantmoins tousjourstousiours les
pas de celuy qui les guide: &Et comme l’oiseau prend son vol,
mais sous la bride de sa filiere.
Position : Marge gauche Exilia, tormenta,
bella, morbos, nau=
fragia meditare, ut
nullo sis malo tiro.
A quoy nous sert cette curiosi-
qui nous faictde preoccuper tous les inconvenientsinconuenients de l’hu-
maine nature,: & nous preparer avecauec tant de peine à l’encontre
de ceux mesme qui n’ont à l’avantureauanture poinct à nous toucher?
Position : Marge gauche Parem passis
tristitiam facit,
pati posse.
Ou Non
pas sulemant le coup
mais le pet aussile ventuent et pet le pet nous
frape. Ou

comme les plus fievreuxfieureux, car certes c’est fiévrefiéure, aller des à
cette heure vous faire donner le fouet, par ce qu’il peut adve-
nir
adue-
nir
, que fortune vous le fera souffrir unvn jouriour.
-
Position : Marge gauche : et prendre vostreuostre
robe fourree des la
S. JanIan, par ce que
vous en arez besouin
à Noel. Appeler la
misere a veniruenir &
de sa creinte
corrompr infecter
le presant bonheur.
JettezIettez vous en l’expe-
rience
expe-
riēce
des tous les maux qui vous peuventpeuuent arriverarriuer, ou aumoinsnomeemant
des plus extremes: esprouvezesprouuez vous la, disentdisēt-ils, asseurez vous là.
Position : Marge droite Exilia
tormenta
morbos bella
morbos
naufragia
meditare.

Au rebours, le plus facile & plus naturel, seroit en descharger
mesme sa pensée. Ils ne viendront pas assez tost, leur vray estre
ne
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LIVRE TROISIESME.465473
ne nous dure pas assez, il faut que nostre esprit l’les estende & l’a-
longe, & qu’avantauant la main il l’les incorpore en soy, & s’en entre-
tienne, comme s’ils ne poisoient pas assezraisonablement à nos sens.
Position : Marge droite Satins scito dolebit
cum uenenerituenerit: interea
tibi faue, crede quod
mauis: quid iuuat
dolori suo occurrere?
Le
mesme Seneque
et
praesens tempus futuri
metu perdere? et esse
iam miserummiserū quia
quandoque futurus
miser:
Seneque mesme

Position : Marge haute Ils poiseront assez, quand ils y seront (dit unvn des maistres, non de
quelque tendre secte, mais de la plus dure) cependant favorisefauorise toy:

crois ce que tu eimes le mieus: que te sert Position : Interligne haute il d’aller receuillant et prevenantpreuenant
ta male fortune, et de perdre le presant par la creinte du futur: et estre dés
cet’heure miserable par ce que tu le dois estre quelque jouriouraveqaueq le temps. Ce sont ses mots. mesmes
La scien-
ce nous faict volontiers unvn bon office de nous instruire bien
exactement des dimentions des maux,
curis acuens mortalia corda,:
cCe seroit grand dommage, si partie de leur grandeurgrādeur eschapoit
à nostre sentiment & cognoissance. Il est certain, qu’à la plus
part, la preparation à la mort, à donné plus de tourment, que
n’a faict la souffrance.
Position : Marge droite Il fut jadisiadis
veritablemantueritablemant dict
et par un bien judiciudic
judicieusiudicieus autheur,
minus afficit sensus
fatigatio quam
cogitatio.
la pensee
des maus nous done
plus de peine que le
sentimant. Celluy
Le sentimant de
la mort presante, nous anime Position : Interligne haute par fois de soimes=
mes d’une prompte resolution de ne
plus evitereuiter chose du tout inevitableineuitable.
Plusieurs gladiaturs se sont veusueus au temps
passe apres avoirauoir coardemant combattu
avaleraualer corageusemant
la mort: offrant leur
gosier au fer de l’enemy
et le conviantconuiant. La veueueue
de la mort a veniruenir a
besouin d’une ferme
lente: et difficille par
fournir consequantcōsequāt a
fournir.
Si vous ne sçavezsçauez pas mourir, ne vous
chaille, nature vous en informera sur le champ, plainement &
suffisamment,: eElle fera exactementexactemēt cette besongne pour vous,
n’en empeschez vostre soing.
Incertam frustra mortales funeris horam,
Quaeritis, & qua sit mors aditura via.
Poena minor certam subito perferre ruinam,
Quod timeas, grauius sustinuisse diu.

Nous troublons la vie par le soing de la mort, & la mort par
le soing de la vie.
-
Position : Marge gauche L’une nous
ennuïe, l’autrelautre
nous effraïe.
Ce n’est pas contre la mort, que nous nous
preparons, c’est chose trop momentanée:
Position : Marge droite UnVn quart d’heure
de passion sans
consequance sans
nuisance ne merite
pas dedes praeceptes
particuliers. A
a dire vray, nous
nous preparons contre les preparations de la mort. La philo-
sophie nous ordonne, d’avoirauoir la mort tousjourstousiours devantdeuant les
yeux, de la prevoirpreuoir & considerer avantauant le temps, & nous don-
ne apres, les reigles & les precautions, pour prouvoirprouuoir à ce, que
cette prevoiancepreuoiance, & cette pensée ne nous blesse. Ainsi font les
medecins qui nous jettentiettent aux maladies, affin qu’ils ayent ou
employer leurs drogues & leur art.
Position : Marge droite Si nous n’avonsauons sceu
vivreuiure c’est injusticeiniustice de
nous apprandre a
mourir. Et de diformer
la fin de son tout. Si
nous avonsauons sceu
vivreuiure constammant
et tranquillemant nous
sçaurons mourir de mesme.
Ils s’en vanterontuanteront tant qu’il
leur plairra Tota philosoforumphilosoforū uita commen=
tatio mortis est.
Mais il m’est advisaduis que c’est bien
le bout la fin l’extremitelextremite de la vieuie que la mort Non
portant le but et l’objetlobiet de la fin vieuie. C’estCest sa fin son
extremite non pourtant son obejectobeiect Elle doit estre a
elle mesmes Position : Interligne haute a soi sa viseeuisee son projetproiet dessein. Son droit estude doit
estre se regler se conduirecōduire se souffrir. Au nombre de
plusieurs autres offices que comprant le general et
principal chapitre de sçavoitrsçauoitr vivreuiure est cet officearticle de sçavoirsçauoir
mourir. Et a l’avanturelauāture des plus legiers si nostre creinte
ne luy donoit pois.
A les jugeriuger par l’utilitévtilité, &
par la verité naifvenaifue, cesles leçons de la simplicité, ne cedent à l’a-
vanture
a-
uanture
gueres, à celles que nous presche la doctrine au con-
traire. Les hommeshōmes sontsōt diversdiuers en goust & en force, il les faut me-
ner à leur bien selonselō eux, & par routes diversesdiuerses.
-
Position : Interligne basse Quo me cunque rapit tempestas deferor hospes.
JeIe ne vy jamaisiamais
DDDDDd
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[473v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
paysan de mes voisins, entrer en cogitation de quelle conte-
nance, & asseurance, il passeroit cette heure derniere: nNatu-
re luy apprend à ne songer à la mort que quand il se meurt.
Et lors il y a meilleure grace qu’Aristote,: lequel la mort
presse doublement, & par elle, & par unevne si longue pre-voianceuoiance.
meditation. Pourtant fut-ce l’opinion de Caesar, que la
moins premeditéepourpensee mort, estoit la plus heureuse, & plus
deschargée.
Position : Marge gauche Plus dolet quam
necesse est qui ante
dolet quam necesse
est.
L’aigrurLaigrur de cette
imagination nait
come la plus part, de
nostre curiosite. Nous
nous empeschons
tousjourstousiours einsi: volantsuolants
devancerdeuancer et regenter
les praescriptions natu
relles. Ce n’est qu’aus
nos maistresdocturs d’en
disner plus mal tous
sains et de se refrouig=
ner de la memoirel’imagelimage
de la mort. Le commun
n’a besoin ny de remede
ny de consolation q
qu’au malcoup. presant.
Et n’en considere que
autant justemantiustemant qu’il
le en sent. pour l’heure sur
le champ.
Est-ce pas ce que nous disons, que la stupidité, et
faute d’apprehension, & bestise du vulgaire, luy donne cette
patience aux maux, plus grande que nous n’avonsauons,presens: & cette
profonde nonchalance des sinistres accidens futurs, Position : Interligne haute que leur ame pour estre crasse et obtuse est moins penetrable et agitable:
agitable.
& de la
mort à venir.
Pour Dieu s’il est ainsi, tenons d’ores en avantauant
escolle de bestise. C’est l’extreme fruict, que les sciences nous
promettent, auquel cette-cy conduict si doucement ses di-
sciples. Nous n’aurons pas faute de bons regens, interpre-
tes de la simplicité naturelle,. Socrates en sera l’unvn. Car de ce
qu’il m’en souvientsouuient, il parle environenuiron en ce sens, aux jugesiuges qui
deliberent de sa vie. JI’ay peur, messieurs, si jeie vous prie de
ne me faire mourir, que jeie m’enferre en la delation de mes ac-
cusateurs,. qQui est, que jeie fais plus l’entendu que les autres,
comme ayant quelque cognoissance plus internecachee, des choses
qui sont au dessus & au dessous de nous: jJeiIe sçay que jeie n’ay
ny frequenté, ny recogneu la mort,: ny n’ay veu personne qui
ayt essayé ses qualitez, pour m’en instruire: cCeux qui la crain-
gnent presupposent la cognoistre: qQuant à moy, jeie ne sçay
ny quelle elle est, ny quel il faict en l’autre monde: àA l’avan-
ture
auan-
ture
est la mort chose indifferente, à l’avantureauanture desirable:
Position : Marge gauche Il est a croire Position : Interligne haute pourtant si c’est une
transmigration d’une place a
autre qu’il y a de l’amandemant
d’aller vivreuiure aveqaueq tant de grans
personages trespassez: et d’estre
exampt d’avoirauoir plus a faire a
jugesiuges iniques et corrompus. Si
c’est un aneantissemant de nostre
estre c’est encores amandemant
d’entrer en une longue et paisible
nuit. Nous ne sentons rien de
plus dous Position : Interligne haute en la vieuie qu’un repos et som=
meil tranquille exempt de et
profont, sans songes.

lLes choses que jeie sçay estre mauvaisesmauuaises,: comme d’offencer
son prochain, & desobeir au superieur, soit Dieu soit hom-
me, jeie les eviteeuite songneusement: cCelles desquelles jeie ne sçay,
si elles sont bonnes ou mauvaisesmauuaises, jeie ne les sçauroy crain-
dre: vVous en ordonnerez doncq comme il vous plaira. Quand
jeie m’en irai mourir et vousuous lerrai vivansuiuans c’est a dieu sul aqui
sçavoirsçauoirvoituoit a qui de vousuous ou de moi il iraen est mieus
jeie ne sçai a qui de vousuous ou de moi il en ira
mieus les dieus suls le sçaventsçauent
. Par quoi vousuous
en ordonerez com’il vousuous plairra pour mon regart. pPour
le vostreuostre et le bien de vostreuostre consciance et le profitbesouin que jeie fois vousuous fois
a vostreuostre villeuillepar mes instructions jeie vousuous conseille pour le meillur de mesrelaxer. m’eslargir.
[Note (Mathieu Duboc) : Cette addition apparait au recto du folio suivant (474r).]
Position : Marge basse (f.474r) Si jeie m’en voisuois mourir et vousuous laisse en vieuie les dieus suls voientuoient a qui de
vousuous ou de moi il en ira mieus. Par quoi pour mon regart vousuous en ordoneres
come il vousuous plairra. Mais selon ma façon de conseiller les choses justesiustes et utiles jeie dis bien que pour
vostreuostre consciance vousuous faires mieus de m’eslargir si vousuous ne voiesuoies plus avantauant que moy en ma cause. Et
jugeantiugeant selon mes actions passees et plu publiques et priveespriuees selon mes intantions et selon le profit que tirent tous les joursiours de ma conversationconuersation tant de nos
citoiens et junesiunes et vieusuieus et le fruit que jeie vousuous fois a tous vousuous ne pouvespouues duhemant vousuous descharger enversenuers mon merite qu’en ordonant que jeie sois
nourri atandu ma povretepourete au Prytanee aus despans publiques ce que souvantsouuant jeie vousuous ai veuueu faire a moindre merite raison ottroier a d’autres.
Ne prenes pas a obstination ou desdein que suivantsuiuant la costume jeie n’aille vousuous suppliant et esmouvantesmouuant a commiseration JI’ay des amis et des parans: et Position : Interligne haute n’estant comme
dict Homere ne suis engendre ny de bois ny de pierre non plus que les autres: capables de se presanter aveqaueq des larmes et le deuil et ay trois enfans
esplorez de quoi vousuous fairetirer a pitie Mais jeie ferois honte a nostre villeuille en l’eageleage que jeie suis et en telle reputation de sagesse que m’en voicyuoicy en prevantionpreuantion
de m’aler desmettre a si laches contenances. Que diroit on des autres Atheniens JI’ay tousjourstousiours admonetè ceus qui m’ont oui parler de ne racheter leur vieuie par
un’action deshonette Et aus guerres de mon païs a Amphipolis a Potidee a Delie et autres ou jeie me suis trouvétrouué ji’ay montre par effaict combien ji’estois loing
de garantir ma surete par ma honte. DavantageDauantage ji’interesserois vostreuostre devoirdeuoir et vousuous convieroisconuierois a choses laides car ce n’est pas a mes prieres de vousuous persuader
c’est aus raisons pures et solides de la justiceiustice. Vous avesaues jureiure aus dieus d’ainsi vousuous maintenir. Il sembleroit que jeie vousuous vousisseuousisse supçoner et
recriminer de ne croire pas qu’il y en aye Et moi mesmes tesmoingnerois contre moi de ne croire point en eus come jeie dois me desfiant de leur conduicte
et ne remetant puremant en leurs mains mon affaire JeIe m’y fie du tout et tiens pour certein qu’ils fairont en ceci ceselon quil sera le plus propre a vousuous
et a moi Les gens de bien ny vivansuiuans ny mors n’ont aucunemant a se creindre des Dieus.

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LIVRE TROISIESME.466474
Voyla pas unvn plaidoyer puerile, Position : Interligne haute sec et sain et sec mais quand et quand naïf et bas, d’unevne hauteur inimaginable,
veritableueritable franc et justeiuste au dela de tout example
& employé en quelle necessité.
Position : Interligne basse Vrayement ce fut raison, qu’il le preferast à celuy, que ce grand Orateur Lysias, avoitauoit mis par escrit
pour luy: excellemment façonné au stile judiciaireiudiciaire: mais indigne d’unvn si noble

criminel. Eut on ouï de la vouo bouche de Socrates une voixuoix suppliante: cete superbe vertuuertu eust
elle calé au plus fort de sa montre. Et sa riche et puissante nature eut elle commis a l’artlart sa
defance, et en son plus haut et examplere essai renonce a la veriteuerite et naïfvetenaïfuete ornemans de
son parler, pour se parler
du fard des figures &
feintesfeintes d’un’oraison
aprinse. Il fit tressa=
gement et selon soiluy, de
ne corromplre une teneur
de vieuie incorruptible, et
une si saincte image de
l’humeine forforme, pour
alonger d’un an sa
decrepitude: et trahir
l’immortelle memoire
de cette fin glorieuse.
Il devoitdeuoit sa vieuie non
pas a soi mais a l’exampleexāple
du monde: sSeroit ce pas
domage publique
qu’il l’eut acheveeacheuee
d’un autre et comm[unclear] oisifveoisifue et
obscure façon.
Certes unevne si nonchallante &
molle consideration de sa mort, meritoit que la posterité la
considerast d’autant plus pour luy: cCe qu’elle fit,. &Et il n’y a
rien en la justiceiustice si justeiuste, que ce que la fortune fit àordona pour sa recom-
mandation. Car les Atheniens eurent en telle abomination
ceux, qui en avoientauoient esté cause, qu’on les fuyoit comme per-
sonnes excommuniées: oOn tenoit pollu tout ce, à quoy ils
avoientauoient touché,: personne à l’estuveestuue ne lavoitlauoit avecauec eux,: per-
sonne ne les saluoit ny accointoit: sSi qu’en fin ne pouvantpouuant
plus porter cette hayne publique, ils se pendirent eux-mes-
mes. Si quelqu’unvn estime, que parmy tant d’autres exemples
que jiavoisauois à choisir pour le serviceseruice de mon propos, és dicts
de Socrates, ji’aye mal trié cettuy-cy, & qu’il jugeiuge ce dis-
cours estre eslevéesleué au dessus des opinions communes,: jJeiIe l’ay
faict à escient: cCar jeie jugeiuge autrement,. &Et tiens, que c’est
unvn discours, en rang, & en naifveténaifueté, bien plus arriere, &
plus bas, que les opinions communes: iIl represente
Position : Marge droite en une hardiesse inartificielle
et niaise: en une securitè enfantine
puerile
la pu-
re & premiere fantasieimpression et ignorance de nature. Car il est croyable que
nous avonsauons naturellement craincte de la douleur,: mais
non de la mort, à cause d’elle mesmes: cC’est unevne partie
de nostre estre, non moins essentielle que le vivreviure: àA quoy
faire, nous en auroit nature impriméengendré la hayne & l’horreur,
veu qu’elle luy tient rang de tres-grande utilitévtilité, pour nourrir
la succession & vicissitude de ses ouvragesouurages: &Et qu’en cette be-
songnerepublique universellevniuerselle, elle sert plus de naissance & d’augmenta-
tion que de perte ou ruyne,
sic rerum summa nouatur.
mille animos una necata dedit.

La deffaillance d’unevne vie, est le passage à mille autres vies.
Position : Marge droite
Nature a empreint
aus bestes le soin
d’elles et de leur
conservationconseruation. JeIe
croi qu’
eElles vontuont
jusquesiusques la de creindre
leur empiremant de
creindre
de se hurter et blesser que nous les
enchevestronsencheuestrons et
battons ce sont
accidens subjetssubiets au leur
sens et a l’experiance
mMais que nous les
tuons elles ne le
peuventpeuuent creindre ny
n’ont la facultè
d’imaginer & conclurre
la mort. Si dict on encore
qu’on les voituoit

Et voyons les bestes, non seulement la souffrir gayement:
la plus part des chevauxcheuaux hannissent en mourant,: les ci-
DDDDDd ij
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[474v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
gnes là festoient de leurs chants, maischantent. mMais de plus, la rechercher encores à
leur besoing,: comme disentportent plusieurs exemples des elephans.
Outre ce,: la façon d’argumenter, de laquelle se sert icy Socra-
tes, est elle pas admirable esgalement, en simplicité & en ve-
hemence. Vrayment il est bien plus aisé de parler comme A-
ristote, & vivreviure comme Caesar, qu’il n’est aisé de parler &
vivreviure comme Socrates. La, loge l’extreme degré de perfe-
ction & de difficulté: lL’art n’y peut joindreioindre. Or nos facul-
tez ne sont pas ainsi dressées,. nNous ne les essayons, ny ne les
cognoissons: nNous nous investissonsinuestissons de celles d’autruy, &
laissons chomer les nostres. Comme quelqu’unvn pourroit
dire de moy, que ji’ay seulement faict icy unvn amas de fleurs
estrangeres,: qQue jeie n’y ayaiantaiāt fourny du mien, que le filet à les lier.
les joindreioindrecoudre. Certes ji’ay donné à l’opinion publique, que
ces ornementsparemens empruntez m’accompaignent,. mMais jeie n’en-
tends pas qu’ils me couvrentcouurent, & qu’ils me cachent: c’C’est
le rebours de mon dessein,: qui ne veux faire montre que
du mien,. &Et de ce qui est mien par nature: &Et si jeie m’en
fusse creu, à tout hazard, ji’eusse parlé tout fin seul.
Position : Marge gauche JeIe m’en charge Position : Interligne haute de plus fort tous les joursiours, outre ma
proposition & ma forme
premiere, sur la fantasie
du siecle et enhortemens
d’autruy. S’il me messiet
à moi, come jeie le croi:
n’importe: il peut estre utille
à quelqu’autre.
Tel al-
legue Platon & Homere qui ne les veid onques,. &Et moy,
ay prins des lieux assez, ailleurs qu’en leur source Position : Interligne haute et a credit. Sans pei-
ne, & sans suffisance, ayant mille volumes de livresliures, au-
tour de moy, en ce lieu où ji’escris, ji’emprunteray presen-
tement s’il me plaist, d’unevne douzaine de tels ravaudeursrauaudeurs,:
gens que jeie ne feuillette guiere,: dequoy enrichiresmailler le traicté de
la phisionomie. Il ne faut que l’espitre liminaire d’unvn alemand
pour me farcir d’allegations: &Et nous allons quester par là unevne
friande gloire, à piper le sot monde.
Position : Marge gauche Ces pastissages de lieus
communs de quoi tant de gens
mesnagent leur estude ne
serventseruent guere qu’a subjectssubiects
communs: et serventseruent a nous
montrer non a nous conduire:
ridicule fruit de la sciance
Position : Interligne basse que Socrates exagite si plaisammant contre Euthydeme

JI’ay veuueu faire des livresliures de
choses ny estr jamaisiamais estu=
diees ny entandues: l’autheur
commetant a diversdiuers de ses
amis sçavanssçauans la recherche
de cetteci et de cette autre
matiere a le bastir: se contantant pour sa part d’en avoirauoir projetteproiette le dessein et
empiler par son industrie ce fagot de provisionsprouisions estrangieresinconues: au moins est
sien l’ancre et le papier. Cela c’est en consciance acheter ou emprunter un livreliure
non pas le faire. C’est aprandre aus homes non qu’on sçait faire un livreliure mais ce de quoi ils pouvointpouuoint estre en doubte qu’on ne le sçait pas faire.
UnVn president se vantoit
ou ji’estois, d’avoirauoir amoncelé deux censcēs tant de lieux estrangers,
en unvn sien arrest presidental: Position : Interligne haute En le preschant a chacun il me sembla effacer la gloire qu’on luy en donoit. pPusillanime & absurde vanterie
à mon gré, pour unvn tel subjectsubiect & telle personne.
Position : Interligne basse JeIe desrobe autant que jeie puitout a faict aucuns de mes larrecins: aucuns jeie les desguise, et come les larrons des chevauscheuaus jeie leur peins le crin
et la queuë et par fois jeie les esborgne: si le premier maistre s’en servoitseruoit a bestes d’amble jeie les mets au trot, et au bast s’ils servointseruoint a la
seelle
Parmi tant d’emprunts jeie suis bien aise d’en pouvoirpouuoir desrober quelcunquelcū le desguisantdesguisāt et difformantdifformāt a nouveaunouueau serviceseruice:
aAu hasard que jeie laisse dire a quelcun que c’est par faute d’avoirauoir entandu leur naturel usage. JI’en mesle d’autres si confuseementcōfuseement
a mon trein que jeie les y cache tout a faict Autant que jeie puis
jeie leurluy done quelque particuliere adresse de ma main a ce qu’ils
en soint d’autant moins purement estrangiers. Quelcun jeie le et cache & confons si fort en mon trein que ii’en oste toute conoissance.
Ceus cy les mettent leurs larrecins en parade et en compte: aussi ont ils plus de credit aus loix que moi. Nous autres naturalistes estimons qu’il
y aie grande et incomparable praeferance de l’honeur de l’invantioninuantion a l’honur de l’allegation.
JeIe desrobe Position : Interligne basse Position : Interligne haute autant que jeie puis
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LIVRE TROISIESME.467475
mes larrecins, & les desguise. Position : Interligne haute Et si ji’en declare quelcun c’est pour en couvrircouurir deus fois autant. Ceux cy les mettent en parade
& en comptecōpte: aussi ont ils plus de credit avecauec les loix que moy.
Comme ceux qui desrobent les chevauxcheuaux, jeie leur peins le crin
& la queuё, & par fois jeie les esborgne: [Note (Mathieu Duboc) : Avant de biffer le tout, Montaigne remplace cette première addition située en marge droite par celle située en marge haute.]
Position : Marge droite . Il me plait de les
emploier non a serviceseruicesouvantsouuant a
usage non diuers
sulemant mais souvantsouuantdu tout
contrere a celuy
qu’en tirent son
premier maistre.
S’il Par fois sulement
diversdiuers Come, s’il

au hasard de mettre
quelcun en supçon que
ce soit par ignorance de
son vraiurai et originel
usage. Par fois
sulement diversdiuers. Come
s’il

Position : Marge haute [...]
mettre quelcun en supçon que ce soit plus tost que par [unclear] par ignorance
de son vraiurai et originel usage. S’il que par f de propos deliberé. S’il
si le premier maistre
s’en servoittseruoitt à bestes d’amble, jeie les mets au trot,: & au bast, s’ils
servoyentseruoyent à la selle. [Note (Mathieu Duboc) : Avant de biffer le tout, Montaigne remplace cette première addition située en vertical dans la marge gauche par celle située de la même manière, dans la même marge mais d’une encre plus foncée.]
Position : Marge gauche C’est un’humeur scholastique d’estre plus jalousialous de
l’honur de l’allegation que de l’invantioninuantion: et que nous
autres naturalistes condamnons. estrangemant.

Position : Marge gauche Et Position : Interligne haute parfois les
mesle aet
mon trein
si subtilementsubtilemēt
qu’il est difficille
de les distinguer.

cache dans
mon trein si
propremant
qu’il faut avoirauoir bone veuëueuë et les avoirauoir maniez souvantsouuant pour les distinguer et choisir. C’est un’humeur puerile
un’humeur scholastique d’estre plus jalousialous de l’honur de l’allegation que de l’invantioninuantion
et que nous autres naturalistes condamnons estrangemant. ce qui se peut.
Si ji’eusse voulu parler par science, jie n’eus-
se pas tant tardéparlé plus tost,. jJeiIe’eusse escript du temps plus voisin de mes e-
studes, que jiavoisauois plus d’esprit & de memoire: &Et me fusse
plus fié à la vigueur de cet aage la, qu’a cettuy-icy, si ji’en eus-
se voulu faire mestier d’escrire.
Position : Marge droite DavantageDauantage, telle
faveurfaueur gratieuse que
fortune m’apeut m’avoirauoir offerte en
considcōsid
par l’entremise de
cet ouvrageouurage eut lors
rencontrè une plus propre[Note (Marie-Luce Demonet) : L’édition municipale restitue "propice" à la place de "propre".]
seson.
Deux de mes cognoissans, grands hom-
mes
hō-
mes
en cette faculté, ont perdu par moitié, à mon advisaduis, d’a-
voir
a-
uoir
refusé de se mettre au jouriour à quarante ans, pour attendre apres
les septantesoixante. La maturité à ses deffauts, comme la verdeur, &
pires: &Et autant est la vieillesse incommode à cette nature de
besongne, qu’a toute autre. Quiconque met sa decrepitude
soubs la presse, faict folie, s’il espere en espreindre des hu-
meurs, qui ne sentent aule disgratiè aule resveurresueur & à l’assopi. No-
stre esprit se constipe & s’espessitse croupit en vieillissant. JeIe dis pompeu-
sement
pōpeu-
sement
& opulemment l’ignorance,: & dys la science megre-
ment & piteusementpiteusemēt.
Position : Marge droite Accidentalement
Accessoirement
cetecy & acciden=
talement
acciden=
talemēt
: celela
expressement et
principalement
Et de rien jeie ne parle
expres
traicte par la aul=
trement que due rien que
du rien
ne traicte a pouint nome
de rien que du rien ny d’aucune
sciance que de la sciance de
celle de
l’insciance
JI’ay choisi le tempstēps, ou ma vie, que ji’ay à pein-
dre, jeie l’ay toute devantdeuāt moy: ce qui en reste, tienttiēt plus de la mort.
Et de ma mort seulement, si jeie la rencontroisrēcōtrois babillarde, comme
fontfōt d’autres, donrrois jeie encores volontiersvolōtiers advisaduis au peuple, en
deslogeant.
Position : Marge droite La Boitie n’avoitauoit rien de
beau que l’ame: du demurant
il faisoit asses d’echaper a
estre laid. Mais
Socrates qui à esté unvn patronexamplaire admirableparfaict en toutes
grandesgrādes qualitez., Mais ji’ay despit, qu’il eust rencontré unvn corps
& unvn visageport visageuisage si vilain: Position : Interligne haute come ils disent: & si disconvenabledisconuenable à la beauté de son a-
me.
Position : Marge droite Luy si amoureus & si
affolè de la beauté. Nature
luy fit injusticeiniustice.
Il n’est rien plus vray-semblable que la conformité & re-
lation du corps à l’esprit.:
Position : Marge droite Ipsi animi magni refert
quali in corpore locati sint
multa enim è corpore existunt
quae acuant mentem multa
quae obtundant.
Cetuicy
parle d’une laidur ext
desnaturee ent difformité
de membres. Mais nous
apelons laidur aussi
quelque disgrace de visageuisage & de port
soubs des membres entiers La Boitie
estoit ainsi laid
une demesavenancedemesauenance & disgrace
au premier regard: qui loge principalement
au visageuisage: et Position : Interligne haute souvantsouuant nous desgoute par bien legieres
causes: souvantsouuāt le come par lecome d’un teint par d’une tache
d’une rude contenancecōtenance: sous des membres biende quelque disgrace inexplicable mesadvenantemesaduenante
cause inexplicable soussur des membres bien

ordonez et entiersētiers. Lae fautedefaut de beaute
qui estoit en la Boitie estoit de ce
predicamant qui estaioit pourtant
La laideur qui revestoitreuestoit un’ame
tres belle en la Boitie estoit de ce predicament.
Cette laidur superficielle qui est pourtantpourtāt la plus
tresimperieuse est un legierde moindre prejudicepreiudice a l’estatlestat de l’espritlesprit et a
peu de conformitecertitude en l’opinion des homes L’autreLautre est mieus
desnaturee
monstrueusemōstrueuse et
qui d’un plus
propre nom s’apelle difformite est plus
substantielle, et porte plus volantiersuolantiers coup
jusquesiusques au dedans. Non pas tout solier de cuir bien
lissè mais tout soulier bien forme montre l’interieure forme du pied
IlEt n’est pas à croire que cette disso-
nance advienneaduienne sans quelque accident, qui a interrompu le
cours ordinaire
: cCommecCōme ilSocrates disoit de sa laideurla siene, qu’elle en accusoit
justementiustement, autant en son ame, s’il ne l’eust corrigée par institu-
DDDDDd iij
Fac-similé BVH

[475v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tiontiō.
Position : Marge gauche Mais en le disant jeie tiens
qu’il se moquoit suivantsuiuant son
usage: et jamaisiamais ame si excellante
ne se fist elle mesme.
JeIe ne puis dire assez souvantsouuant, combien ji’estime la beauté,
qualité puissante & advantageuseaduantageuse.: IiIl l’appelloit unevne courte
tyrannie Position : Interligne haute et Platon le priviliegepriuiliege de nature. Nous n’en avonsauons point qui la surpasse en credit,. ny
que ji’estime tenir plus deElle tient le premier rang au commerce des hommes: eEl-
le se presente au devantdeuant,: seduict & preoccupe nostre jugementiugemēt,
avecauec grande authorité & merveilleusemerueilleuse impression.
Position : Marge gauche Phryné perdoit sa
cause entre les mains
d’un excellant advocataduocat
si ouvrantouurant sa robe
elle n’eut corrompu ses
jugesiuges par l’esclatlesclat de sa
beauté. Et jeie treuvetreuue
que Cyrus Alexandre
Caesar ces trois maistres
du monde ne l’ont pas
oubliee a faire leurs
grands affaires. N’a
pas le premier Scipion.
UnVn tmesme mot embrasse
en grec le bel et le bon. Et
le s. Esprit apelle souvantsouuant
bons ceus qu’il veutueut dire beaus.
JeIe meintienderois volon=
tiers
uolon=
tiers
la dispositionle ranc ranc des
biens selon que portoit
la chançon que Platon
dit avoitauoit este si trivialetriuiale:
prinse de quelque antien
Poëte. La santé lae premiere
la beaute lae seconde la
richesse. lae tiers. Aristote
dict lesaus beaus apartenir
le droit de comander: et
quand il en est de qui la
beaute aproche celle des
images des Dieus, que lea
serviceseruice et venerationueneration leur
est due pareillement due.
Position : Marge gauche A celuy qui luy demandoit
pourquoi plus long temps
& plus souvantsouuant nouson hantonsoit
les beaus Cette demande
dict il n’apartient a estre
faicte que par un aveugleaueugle.

La plus part Position : Interligne haute et les plus grans des philosofes
paiarent leur escolage
& achetarent l’acquirent
la beaute spirituellesagesse par
entremise de laet faveurfaueur de
leur beaute.
Non seu-
lement aux hommes qui me serventseruent,: mais aux bestes aussi, jeie
la considere à deux doits pres de la bonté. Si me semble il, que
ce traict & façon de visage, & ces lineaments, par lesquels on
argumente aucunes complexions internes, & nos fortunes à
venir, est chose, qui ne loge pas bien directement & simple-
ment, soubs le chapitre de beauté & de laideur: nNon plus que
toute bonne odeur & serenité d’air, n’en promet pas la santé,:
ny toute espesseur & puanteur, l’infection, en temps pesti-
lent. Ceux qui accusent les dames de contre-dire leur beauté
par leurs meurs, ne rencontrent pas tousjourstousiours.: CcCar en unevne face
qui ne sera pas trop bien composée, il peut loger quelque air
de probité & de fiance: cComme au rebours, ji’ay leu par fois
entre deux beaux yeux, des menasses d’unevne nature maligne &
dangereuse. Il y a des phisionnomies favorablesfauorables: &Et en unevne
presse d’ennemys victorieux, vous choisires incontinent par-
my des hommeshōmes incogneus, l’unvn plustost que l’autre, à qui vous
rendre & fier vostre vie: &Et non proprementsimplement proprement par la considera-
tion de la beauté. C’est unevne foible garantie que la mine,: tou-
tesfois elle à quelque consideration,: &Et si jiavoisauois à les foyter,
ce seroit plus rudement, les meschans qui dementent & tra-
hissent les promesses que nature leur avoitauoit plantées au front:
jJeiIe punirois plus aigrement la malice en unevne apparence de-
bonnaire
de-
bōnaire
. Il semble qu’il y ait aucuns visages heureux, d’autres
malencontreux. Et crois qu’il y a quelque art, à distinguer les
visages debonnaires des nyais,: les severesseueres des rudes,: les mali-
cieux des chagrins,: les desdaigneux des melancholiques,: &
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LIVRE TROISIESME.468476
telles autres qualitez voisines. Il y a des beautez, non fieres seu-
lement,: mais aygres,: il y en a d’autres douces, & encores au de-
la, fades. D’en prognostiquer les avanturesauantures futures, ce sont
questionsmatieres que jeie laisse indecises. JI’ay pris comme ji’ay dict ail-
leurs, bien simplement & cruement, pour mon regard, ce pre-
cepte ancien,: que nous ne sçaurions faillir à suivresuiure nature:
que le souverainsouuerain precepte c’est de se conformer à elle. JeIe n’ay
pas corrigé comme Socrates, par institution, & force de la
raison, mes complexions naturelles,: & n’ay aucunementaucunemēt trou-
blé par art mon inclination. JeIe me laisse aller, comme jeie suis
venu,. jJeiIe ne combats rien,. mMes deux maistresses pieces viventviuent
de leur grace en pais & bon accord: mMais le lait de ma nourri-
ce à esté Dieu mercy mediocrement sain & temperé.
Position : Marge droite Diray-jeie cecy en passant: que jeie voy tenir en plus de prix qu’elle ne vaut, qui est seule quasi en usage entre nous, certeine
image de preud’homie scholastique, serveserue des praeceptes, contreinte sous l’esperancelesperance et la creinte. JeIe l’aime telle, que
les loix et relligions, non facent, mais Position : Interligne haute parfacent et authorisent: qui se sente de quoi se soutenir sans elles:ayde: nee en nous de ses
propres racines, par la semance de la raison universelleuniuerselle que nature aet primitiveprimitiue empreinte en tout home non denaturè. Cette raison
qui redresse Socrates de saon vicieusesuicieuses pantepli pli, le rant obeissant aus homes et aus dieus qui comandent en sa villeuille,
corageus en la mort, non parce que son ame est immortele, mais par ce qu’il est mortel. Ruineuse instruction ena toute
police et bien plus domageable qu’ingenieuse et subtile qui persuade aus peuples la droite Position : Interligne haute et relligieuse creance suffire sule Position : Interligne haute et sans les meurs a contanter
la divinediuine justiceiustice. L’usage nous faict voiruoir une distinction & enorme Position : Interligne haute souvantsouuant entre la devotiondeuotion et la consciance.
JI’ay unvn
visageport favorablefauorable & en forme & en interpretation,
Quid dixi habere me? Imo habui Chreme,
Heu tantum attriti corporis ossa vides,

& qui faict unevne contraire montre à celuy de Socrates. Il
m’est souvantsouuant advenuaduenu, que sur le simple credit de mon portma presance &
de mon air, des personnes qui n’avoyentauoyent aucune cognoissan-
ce de moy, s’y sont grandement fiées,: soit pour leurs propres
affaires, soit pour les miennes,. &Et en ay tiré és pays estrangiers
des faveursfaueurs singulieres & rares: mMais ces deux experiences va-
lent à l’avantureauanture, que jeie les recite particulierement. UnVn qui-
dam, delibera de surprendre ma maison & moy: sSon art fut,
d’arriverarriuer seul à ma porte, & d’en presser unvn peu instamment
l’entrée: jJeiIe le cognoissois de nom, & avoisauois occasion de me
fier de luy, comme de mon voisin & aucunement mon alié.
JeIe luy fis ouvrirouurir: Position : Interligne haute come jeie fois a chacun. lLe voicy tout effroyé, son chevalcheual hors d’ha-
leine, fort harassé: iIl m’entretint de cette fable, qu’il venoit
d’estre rencontré à unevne demie lieuё de la, par unvn sien ennemy,
lequel jeie cognoissois aussi, & avoisauois ouy parler de leur querel-
le: que cet ennemy luy avoitauoit merveilleusementmerueilleusement chaussé les
Fac-similé BVH


[476v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
esperons, & qu’estantqu’aiant esté surpris Position : Interligne haute en desarroi & plus foible de beaucoupen nombre, il
s’estoit jettéietté à ma porte à sauvetésauueté: qQu’il estoit en grand peine
de ses gens, lesquels il disoit tenir pour morts & desfaictsou prins,. ayansayās
esté rencontrez en desordre & fort escartés les unsvns des autres.

JI’essayay tout nayfvementnayfuement de le conforter asseurer & rafres-
chir. Tantost apres,: voyla quatre ou cinq de ses soldats, qui se
presentent en mesme contenancecontenāce, & effroy, pour entrer,: & puis
d’autres, & d’autres encores apres, bien equipez au demeu-
rant, & bien armez, jusquesiusques à vingt cinq ou trante, fein-
gnants avoirauoir leur ennemy à leursaus talons.
Position : Marge gauche Ce mistere comançoit
à taster mon supçon ma
supçon.
JeIe n’ignorois pas en
quel siecle jeie vivoisviuois,: combien ma maison pouvoitpouuoit estre en-
viée
en-
uiée
,: & nonobstant ce vain intervalleinterualle de guerre, auquel lors
nous estions, ji
avoisauois plusieurs exemples d’autres maisons de
ma cognoissance, ausquellesa qui il estoit mes-advenuaduenu de mesme.
Tant y a, que trouvanttrouuant qu’il n’y avoitauoit point d’acquest d’avoirauoir
commencé à faire plaisir, si jeie ne parfaisoisachevoisacheuois, & ne pouvantpouuant me
desfaire sans tout rompre,: jeie me laissay aller au party le plus
naturel & le plus simple,: comme jeie faicts tousjourstousiours,: & com-
mendayant
com-
mendayāt
qu’ils entrassent. Aussi à la verité, jeie suis peu deffiant
& soubçonneus de ma nature,. jJeiIe penche volontiers vers l’ex-
cuse & interpretation plus douce: jJeiIe prens les hommes selon
le commun ordre,: & ne croy pas ces inclinations perversesperuerses &
desnaturées,: si jeie n’y suis forcé par grand tesmoignage, non
plus que les monstres & miracles. Et suis homme en outre,
qui me commets volontiers à la fortune,: & me laisse Position : Interligne haute librement aller à
corps perdu entre ses bras: dDequoy jusquesiusques à cette heure ji’ay
eu plus d’occasion de me louёr, que de me plaindre,. &Et l’ay
trouvéetrouuée Position : Interligne haute et plus aviseeauisee et plus amie de mes affaires que jeie ne suis. plus sage que moy. Il y a quelquesq̄lques actionsactiōs en ma vie, des-
quelles
des-
q̄lles
on peut justementiustemēt nommernōmer la conduitecōduite difficile, ou qui vou-
dra prudente: dDe celles la mesmes, posez, que la tierce partie soit
du mienmiē, certes les deux tierces sont richementrichemēt à elle.
Position : Marge gauche Nous faillons ce me
semble principalement
en ce que nous ne nous
fions a pas asses au
ciel, de nous. Ce qu’ Et
pretandons plus de
part de nostre conduite qu’il ne nousnous enluy apartient
Pourtant fouruoient si souvantsouuant nos desseins: la
puissance souvereinesouuereine estant
Il est jalousesialouses de l’estandue
que nous attribuons aaus droits de l’humaine prudanceprudāce autre ses limites prejudicepreiudice des ses droits siens
Et nous en faict d’a la partles racourcit d’autant plus petite que nous laes faisons trop grande. amplifions.
Ceux cy se
tindrent à chevalcheual dans ma cour,. lLe chef avecauec moy en ma sale,
qui
Fac-similé BVH

LIVRE TROISIESME.469477
qui n’avoitauoit voulu qu’on establat son chevalcheual, disant avoirauoir à se
retirer incontinent qu’il auroit eu nouvellesnouuelles de ses gens.homes. Il se
veid maistre de son entreprise,: & n’y restoit sur ce poinct, que
l’execution. SouvantSouuant depuis il à dict, car il ne craingnoit pas
de faire ce compte, que mon visage, & ma franchise luy avoientauoiēt
arraché la trahison des poincts. Il remonta à chevalcheual,: ses gens
ayants continuellement les yeux sur luy, pour voir quel si-
gne il leur donneroit,: bien estonnez de le voir sortir & aban-
donner
abā-
doner
son avantageauantage. UneVne autrefois, me fiant à jeie ne sçay
qu’elle trevetreue qui venoit d’estre publiée en nos armées, jeie m’a-
cheminai à unvn voyage, par pays estrangement chatouil-
leux: jJeiIe ne fus pas si tost esventéesuenté, que voyla trois ou quatre
cavalcadescaualcades de diversdiuers lieux pour m’attraper: lLunevne me join-
gnit
ioin-
gnit
à la troisiesme journéeiournée, ou jeie fus chargé par quinze ou
vingt gentils-hommes masquez, bien montezmōtez, & bien armez,
suyvissuyuis d’unevne ondée d’argolets. Me voyla pris & rendu,: retiré
dans l’espais d’unevne forest voisine, desmonté, devalizédeualizé, mes
cofres fouilletz, ma boyte prise, chevauxcheuaux & esquipage disper-
desparti à nouveauxnouueaux maistres. Nous fumes long temps à contester
dans ce halier sur le faict de ma rançon, qu’ils me tailloyent si
haute, qu’il paroissoit bien que jeie ne leur estois guere cogneu.
Ils entrerent en grande contestation de ma vie. De vray, il y
avoitauoit plusieurs circonstances qui me menassoyent du dangierdāgier
ji’en estois.
Position : Marge droite Tunc animis opus AEnea
tunc pectore firmo.
JeIe me maintins tousjourstousiours sur le tiltre de ma tres-
ve
tres-
ue
, à leur quitter seulement le gain qu’ils avoyentauoyent faict de ma
despouille,: qui n’estoit pas à mespriser,: sans promesse d’autre
rançon. Apres deux ou trois heures que nous eusmes esté la,:
& qu’ils m’eurent faict monter sur unvn chevalcheual, qui n’avoitauoit gar-
de de leur eschaper,: & commis ma conduitte particuliere à
quinze ou vingt harquebousiers,: & dispersé mes gens à d’au-
tres, ayant ordonné qu’on nous menast prisonniers, diversesdiuerses
EEEEEe
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[477v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
routes,: & moy desjadesia acheminé à deux ou trois harquebousa-
des de la,
Iam prece Pollucis iam Castoris implorata:
voicy unevne soudaine & tres-inopinée mutation qui lesleur print.
JeIe vis revenirreuenir à moy le chef, non plus avecauec ses menasses, mais
avecauec parolles plaines de courtoisieplus douces, se mettant en peine de re-
cercher en la troupe mes hardes escartées,: & men faisant ren-
dre les principales, selon qu’il s’en pouvoitpouuoit recouvrerrecouurer,: jusquesiusques
à ma bource & ma boyte. Le meilleur present qu’ils me firent
ce fut en fin ma liberté,: le reste ne me touchoit guieres au
prisen ce temps la. La vraye cause d’unvn changement si nouveaunouueau & de ce ra-
visement
ra-
uisement
, sans aucune impulsion apparente, & d’unvn repentir
si miraculeux, en tel temps, en unevne entreprinse pourpensée &
deliberée, & devenuedeuenue justeiuste par l’usagevsage, (car d’arrivéearriuée jeie leur
confessay ouvertementouuertement le party duquel ji’estois, & le chemin
que jeie tenois) certes jeie ne sçay pas bien encores qu’elle elle est.
Tant y a, que lLe plus apparent de la troupe, qui se demasqua,
& me fit cognoistre son nom (ji’essayerois volontiers à mon
tour, qu’elle mine il feroit en unvn pareil accident)
me redict
lors plusieurs fois, que jeie devoydeuoy cette delivrancedeliurance à mon visa-
ge, liberté, & fermeté de mes parolles,: qui me rendoyent in-
digne d’unevne telle mes-adventureaduenture, & me demanda asseurance
d’unevne pareille. Il est possible, que la bontébōté divinediuine se voulut ser-
vir
ser-
uir
de ce vain instrument pour ma conservationconseruation: eElle me ga-
rentitdeffandit encore l’endemain d’autres dangersdāgers pires, desquelspires enbusches desquelles ceux
cy mesme m’avoyentauoyent advertyaduerty. Le dernier est encore en pieds
pour en faire le compte,: le premier fut tué, il ny a pas long
temps. Si mon visage ne respondoit pour moy,: si on ne lisoit
en mes yeux, & en ma voix, la simplicité de mon intention, jeie
n’eusse pas duré sans querelle, & sans offence, si long temps,:
avecauec cette liberté indiscrete de dire à tort & à droict ce qui
me vient en fantasie,: & jugeriuger temerairement des choses. Cet-
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LIVRE TROISIESME.470478
te façon peut paroistre avecauec raison incivileinciuile, & mal accom-
modée à nostre usagevsage, mais outrageuse & malitieuse, jeie n’ay
veu personne qui l’en ayt jugéeiugée, nNe qui se soit piqué de ma li-
berté, s’il l’a receuë de ma bouche,: lLes paroles redictes ont come au-
tre son, & autre sens. Aussi ne hay-jeie personne,: &Et suis si láche
à offencer, que pour le serviceseruice de la raison mesme, jeie ne le puis
faire. Et lors que l’occasion m’a conviéconuié aux condemnations
crimineles, ji’ay plustost manqué à la justiceiustice.
Position : Marge droite Vt magis peccari
nolim quam satis animi
ad uindicanda peccata
habeam.
On reprochoit
dict on a Aristotes
d’avoirauoir este trop misericordieux
enversenuers un meschant home.
JI’ay este misericordieusde vraiurai
dict il, misericordieus
enversenuers l’home, non enversenuers sa
mechanceté. Les jugementsiugements
ordineres s’exasperent a
la vengenceuengence, par l’horrur
du mesfaict: le Cela
mesme refroidit le mien.
L’horrur du premier
meurtre, m’en faict
craindre un secont. Et
la haine de la premiere
cruaute m’en faict hayr
toute imitation
A moy, qui ne
suis que valet’escuier de trefles, peut toucher, ce qu’on disoit de Cha-
rillus Roy de Sparte. Il ne sçauroit estre bon, puis qu’il n’est
pas mauvaismauuais aux meschantsmeschāts. Ou bien ainsi,: car Plutarque mes-
me le presente en ces [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne biffe "mesme le presente en ces" avant de se reprendre et d’effacer du doigt son trait de biffure. Il repasse sur le mot "mesme" par une suite de traits verticaux afin de bien indiquer que ce mot doit être supprimé.] deux visagessortes, comme mille autres cho-
ses diversementdiuersement & contrairement. Il faut bien qu’il soit bon,
puis qu’il l’est aux meschants mesme. Comme aux actions
legitimes, jeie me fasche de m’y employer, quand c’est enversenuers
ceux qui s’en desplaisent: aussi à dire verité, aux illegitimes,
jeie ne fay pas assez de conscience de m’y employer, quand c’est
enversenuers ceux qui y consentent.: et en est de plus d’une espece.


De l’experience. CHAP. XIII.



IL n’est desir plus naturel que le desir de connoissancecōnoissance.
Nous essayons tous les moyens qui nous y peuventpeuuent
mener. Quand la raison nous faut, nous y employonsemployōs
l’experience,
Position : Marge droite , Per uarios usus
artem experientia fecit:
Exemplo monstrante
uiam,
qQui est unvn moyen plus foible & plus vileet moins digne: mMais la
verité est chose si grande, que nous ne devonsdeuons desdaigner au-
cune entremise qui nous y conduise. La raison à tant de for-
mes, que nous ne sçavonssçauons à laquelle nous prendre.: lL’expe-
rience n’en à pas moins. La consequence que nous voulons
tirer de la conferenceressemblance des evenemenseuenemens, est mal seure, d’autant
qu’ils sont tousjourstousiours dissemblables. Il n’est aucune qualité si
universellevniuerselle en cette image des choses, que la diversitédiuersité & va-
EEEEEe ij
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[478v] ESSAIS DE M. DE MONT.
rieté. Et les Grecs, & les Latins, & nous, pour le plus expres
exemple de similitude, nous servonsseruons de celuy des oeufs: tTou-
tesfois il s’est trouvétrouué des hommes, & notamment unvn en Del-
phes, qui recognoissoit des marques de difference entre les
oeufs, si qu’il n’en prenoit jamaisiamais l’unvn pour l’autre.
-
Position : Marge gauche Et y aïant plusieurs poules
avoitauoit diui jugeriuger de la
quelle estoit leuf l’oeufloeuf.
La dissimi-
litude s’ingere d’elle mesme en nos ouvragesouurages,: nul art peut ar-
river
ar-
riuer
à la similitude. Ny Perrozet ny autre, ne peut si soigneu-
sement polir & blanchir l’enversenuers de ses cartes, qu’aucuns
joueursioueurs ne les distinguent à les voyr seulement couler par
les mains d’unvn autre. La ressemblance ne faict pas tant, unvn,
comme la difference faict, autre.
-
Position : Marge gauche Nature s’est
obligee a ne rien
faire autre, qui ne
fust dissemblable.
Pourtant l’opinion de ce-
luy-la ne me plaist guiere, qui pensoit par la multitude des
loix, brider l’authorité des jugesiuges, en leur taillanttaillāt leur morceaux:
iIl ne sentoit point qu’il y a autant de liberté & d’estendue à
l’interpretation des loix, qu’a leur façon. Et ceux la se mo-
quent, qui pensent appetisser nos debats & les arrester, en
nous r’appellant à l’expresse parolle de la bBible,: dD’autant que
nostre esprit ne trouvetrouue pas le champ moins spatieux à con-
treroller le sens d’autruy, qu’a representer le siensiē: &Et commecōme s’il y
avoitauoit moins d’animosité & d’aspreté à gloser qu’a inventerinuenter.
Nous voyons, combien il se trompoit. Car nous avonsauons en
France, plus de loix que tout le reste du monde ensemble,: &
plus qu’il n’en faudroit à reigler tous les mondesmōdes d’Epicurus,
-
Position : Marge gauche , ut olim flagitijs
sic nunc legibus
laboramus:
&
si avonsauons tant laissé à opiner & decider à nos jugesiuges, qu’il ne fut
jamaisiamais liberté si puissante & si licencieuse. Qu’ont gaigné nos
legislateurs à choisir cent mille especes & faicts particuliers,
& y attacher cent mille loix? cCe nombre n’a aucune propor-
tion, avecauec l’infinie diversitédiuersité des actions humaines. La multi-
plication de nos inventionsinuentions, n’arriveraarriuera pas à la variation des
exemples. AdjoustezAdioustez y en cent fois autant,: il n’advien-
dra
aduien-
dra
pas pourtant, que des evenemenseuenemens à venir, il s’en
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LIVRE TROISIESME.471479
trouvetrouue aucun, qui en tout ce grand nombre de milliers d’e-
venemens
e-
uenemens
choisis & enregistrez, en rencontre unvn, auquel il
se puisse joindreioindre & apparier, si exactement, qu’il n’yny reste quel-
que circonstance & diversitédiuersité, qui requiere diversediuerse conside-
ration de jugementiugement: iIl y à peu de relation de nos actions, qui
sont en perpetuelle mutationmutatiō, avecauec les loix fixes & immobiles.
Les plus desirables, ce sont les plus rares, plus simples, & gene-
rales: &Et encore crois-jeie qu’il vaudroit mieux n’en avoirauoir point
du tout, que de les avoitauoit en tel nombre que nous avonsauons. Na-
ture les donnedōne tousjourstousiours plus heureuses, que ne sont celles que
nous nous donnons,. tTesmoing la peinture de l’aage doré des
poёtes,: & l’estat ou nous voyons vivreviure, les nations, qui n’en
ont point d’autres. En voyla, qui pour tous jugesiuges, employent
en leurs causes le premier passant, qui voyage le long de leurs
montaignesmōtaignes: &Et ces autres, eslisent le jouriour du marché, quelqu’unvn
d’entre eux, qui sur le champchāp decide tous leurs proces. Quel dan-
ger
dā-
ger
y auroit-il, que les plus sages vuidassent ainsi les nostres,
selon les occurrences, & à l’oeil,: & sans obligation d’exemple
& de consequence: àA chaque pied son soulier. Le Roy Ferdi-
nand envoyantenuoyant des colonies aux Indes, prouveutprouueut sagement
qu’on n’y menast aucuns escholiers de la jurisprudenceiurisprudence,: de
crainte que les proces ne peuplassent en ce nouveaunouueau monde,.
cComme estant science de sa nature, generatrice d’altercation
& divisiondiuision: jJugeantiIugeant avecauec Platon, que c’est unevne mauvaisemauuaise pro-
vision
pro-
uision
de pays, que jurisconsultesiurisconsultes & medecins. Pourquoy est-
ce que nostre langage commun si aisé à tout autre usagevsage, de-
vient
de-
uient
obscur & non intelligible en unvn contract & testamenttestamēt,. &Et
que celuy qui s’exprime si clairement, quoy qu’il die & escri-
ve
escri-
ue
, ne trouvetrouue en cela aucune maniere de se declarer, qui ne tom-
be
tō-
be
en doubte & contradiction: sSi ce n’est, que les princes de
cet art, s’appliquans d’unevne peculiere attention, à trier des mots
solemnes, & former des clauses artistes, ont tant poisé chaque
EEEEEe iij
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[479v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sillabe, espluché si primementprimemēt chaque espece de cousture, que
les voila enfrasquez & embrouillez en l’infinité des figures, &
si menuёs partitions, qu’elles ne peuventpeuuent plus tombertōber soubs au-
cun reiglement & prescriptionprescriptiō, ny aucune certaine intelligen-
ce.
-
Position : Marge gauche Confusum est
quidquid usque in
puluerem sectum est.
Qui à veu des enfans, essayans de renger à certain nombre,
unevne masse d’argent vif: pPlus ils le pressent & pestrissent, & s’e-
studient à le contraindre à leur loy, plus ils irritent la liberté
de ce genereux metal: iIl fuit à leur art, & se va menuisant & es-
parpillant
es-
parpillāt
au delà de tout compte. C’est de mesme,. cCar en sub-
divisant
sub-
diuisant
ces subtilitez, on apprend aux hommes d’accroistre
les doubtes: oOn nous met en trein d’estendre & diversifierdiuersifier les
difficultez: oOn les alonge, on les disperse. En semant les que-
stions & les retaillant, on faict fructifier & foisonner le mon-
de, en incertitude & en querelles.
Position : Marge gauche come la terre se
rend plu fertile
plus elle est esmiee
et profondement
labouree remuee.
Difficultatem facit
doctrina.
Nous doubtions sur UlpianVlpian,
redoutons encore sur Bartolus & Baldus. Il falloit effacer la
trace de cette diversitédiuersité innumerable d’opinions,: non poinct
s’en parer, & en entester la posterité. JeIe ne sçay qu’en dire: mMais
il se sent par experience, que tant d’interpretations dissipent la
verité, & la rompent. Aristote à escrit pour estre entendu,: s’il
ne l’ala peu, moins le fera unvn moins habile, & unvn tiers, que celuy
qui traite sa propre imagination. Nous ouvronsouurons la matiere, &
l’espandons en la destrempant,. dDunvn subjectsubiect nous en faisons
mille,. &Et retombons en multipliant & subdivisantsubdiuisant, à l’infinité
des atomes d’Epicurus. JamaisIamais deux hommes ne jugerentiugerent
pareillement de mesme chose, &Et est impossible de voir
deux opinions semblables exactement,. nNon seulement en
diversdiuers hommes, mais en mesme homme, à diversesdiuerses heures.
Ordinairement jeie trouvetrouue à doubter en ce que le commen-
taire n’a daigné toucher. JeIe bronche plus volontiers en
pays plat,: comme certains chevauxcheuaux que jeie connois, qui cho-
pent plus souventsouuent en chemin unyvny. Qui ne diroit que les glos-
ses augmentent les doubtes & l’ignorance, puis qu’il ne se voit
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LIVRE TROISIESME.472480
aucun livreliure, soit humain, soit divindiuin, auquel le monde s’embe-
songne, duquel l’interpretation face tarir la difficulté. Le cen-
tiesme commentaire le renvoyerenuoye à son suivantsuiuant, plus espineux,
& plus scabreux, que le premier ne l’avoitauoit trouvétrouué. Quand est il
convenucōuenu entre nous,: ce livreliure en a assez,: il n’y à meshuy plus que
dire. Cecy se voit mieux en la chicane. On donne authorité
de loy à infinis docteurs, infinis arrests, & à autant d’interpre-
tations. TrouvonsTrouuons nous pourtant quelque fin au besoin d’in-
terpreter? sS’y voit-il quelque progres & advancementaduancement vers la
tranquillité? nNous faut-il moins d’advocatsaduocats & de jugesiuges, que
lors que cette masse de droict, estoit encore en sa premiere en-
fance? Au rebours, nous obscurcissons & ensevelissonsenseuelissons l’intel-
ligence.: NnNous ne la descouvronsdescouurons plus qu’à la mercy de tant de
clostures & barrieres. Les hommes mescognoissent la mala-
die naturelle de leur esprit: iIl ne faict que fureter & quester,. &Et
va sans cesse, tournoiant, bastissant, & s’empestrant en sa be-
songne,: comme nos vers de soye,: & s’y estouffe: mMus in pice. Il
pense remarquer de loing, jeie ne sçay qu’elle apparenceapparēce de clar-
té & verité imaginaire,: mais pendant qu’il y court, tant de dif-
ficultez luy traversenttrauersent la voye, d’empeschemens & de nou-
velles
nou-
uelles
questes, qu’elles l’esgarent & l’enyvrentenyurent: nNon guiere au-
trement qu’il advintaduint aux chiens d’Esope,: lesquels descouvrantdescouurāt
quelque apparence de corps mort floter en mer, & ne le pou-
vant
pou-
uāt
l’approcher, entreprindrent de boire cette eau, d’assecher
le passage,: & s’y tuerenttuerēt.estouffarent.
Position : Marge droite A quoi se rencontre
ce qu’un Crates disoit
des escris de Heraclytus
qu’ils avointauoint besouin
d’un Position : Interligne haute lectur bon nageur affin que
la profondur et pois de sa
doctrine philosophique
ne l’engloutitlengloutit & suffucast.
Ce n’est rien que foiblesse particuliere,
qui nous faict contenter de ce que d’autres, ou que nous-mes-
mes avonsauons trouvétrouué en cette chasse de cognoissance,. uUnvVn plus ha-
bile ne s’en contentera pas. Il y à tousjourstousiours place pour unvn suy-
vant
suy-
uant
, Position : Interligne haute . Oui et pour nous mesmes, & route par ailleurs. Il n’y à point de fin en nos inquisi-
tions: nNostre fin est en l’autre monde.
Position : Marge droite C’est signe de racourciment
d’esperitdesperit quand il se
contante: etou de lassetel’assete
quand il s’arrete en soi
Nul esperit genereus ne
s’arrete en soi Il pretand
tousjourstousiours & vaua outre ses
forces. Il a des eslans
au dela de ses effaicts
S’il ne s’avanceauance et ne se
presse et ne s’accule et ne se choque
il n’est vifuif qu’a demi.
LSes poursuites de l’es-
prit humain sont sans terme, & sans forme: sSon aliment, c’est
doubte &admiration chasse ambiguité: cCe que declaroit assez Apollo, parlant
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[480v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tousjourstousiours à nous doublement, obscurement & obliquement,.
nNe nous repaissant pas, mais nous amusant & embesongnant.
C’est unvn mouvementmouuement Position : Interligne haute irregulier perpetuel, sans arrestregle patron, & sans but. Ses in-
ventions
in-
uentions
s’eschauffent, se suyventsuyuent, & s’entreproduisent l’unevne
l’autre.:
Ainsi voit l’on en unvn ruisseau coulant,
Sans fin l’unevne eau, apres l’autre roulant:
Et tout de rang, d’unvn eternel conduict,
L’unevne suit l’autre, & l’unevne l’autre fuyt,
Par cette cy, celle-là est poussée,
Et cette-cy, par l’autre est devancéedeuancée:
TousjoursTousiours l’eau va dans l’eau, & tousjourstousiours est-ce
Mesme ruisseau, & tousjourstousiours eau diversediuerse.
Il y à plus affaire à interpreter les interpretations, qu’à inter-
preter les choses: &Et plus de livresliures sur les livresliures, que sur autre
subjectsubiect: nNous ne faisons que nous entregloser.
Position : Marge gauche Tout formille de
d’interpretes,commenteres,
d’auteurs il en est
grand charte
Position : Marge gauche Le principal & plus
fameus sçavoirsçauoir de nos
siecles est ce pas sçavoirsçauoir
interpreter d’autresinterpreter entendre les
sçavanssçauans Est ce pas la
fin commune & derniere
de tous estudes?
Nos
opinions se plantents’antent
les unes sur les autre
autres. La premiere
sert de planchetige a
la seconde La seconde
à la tierce. Par ou
il avientauient que lea plus
haut montee a par
fois plus d’honeur
que de merite
Nous
eschelons ainsi de
degrè en degrè. Et
[...] avientauient de la
que lae plus haut
montée ha souvantsouuāt
plus d’honeur que de
merite. Car il n’est
monte que d’un [unclear]grain
sur les espaules d’un
autre
du penultime:
Combien sou-
vent
sou-
uent
& sottement à l’avantureauanture, ay jeie estandu mon livreliure à par-
ler de soy.
Position : Marge droite Sottement,: ne futquand ce ne seroit que pour cette raison. Qu’il me devoitdeuoit souvenirsouuenir de ce que jeie dis des autres qui en
font de mesmes. Que ces euillades si frequantes a leur ouvrageouurage tesmouignent que le ceur leur frissone de
son amour. Et les rudoiemens Position : Interligne haute mesmes desdeigneus de quoi ils le battent que ce ne sont que mignardiesses
et affetteries d’une faveurfaueur maternelle.
Position : Marge droite : suivantsuiuant Aristote a qui et se priser et se mespriser naissent souvantsouuant de pareil air d’arrogance.
Car mon excuse: que jeie dois avoirauoir en cela plus de
liberté que les autres: d’autant que ji’escris de mo a point nomé ji’escris de moy et de mes escris come de
mes autres actions:. que mon theme se renverserenuerse en soi: jeie ne sçai si chacun la prendera
JI’ay veu en Alemagne que Luther à laissé autant de
divisionsdiuisions & d’altercations, sur le doubte de ses opinions, &
plus, qu’il n’en esmeut sur les escritures sainctes. Nostre con-
testation est verbale: jJeiIe demande que c’est que nature, volu-
pté, cercle, & substitutionsubstitutiō. La question est de parolles & se paye
de mesme. UneVne pierre c’est unvn corps: mais qui presseroit, &
corps qu’est-ce? substance, & substance quoy? ainsi de suitte,
acculeroit en fin le respondant au bout de son calepin. On es-
change unvn mot, pour unvn autre mot, & souventsouuēt plus incogneu:
jJeiIe sçay mieux que c’est qu’hommehōme, que jeie ne sçay que c’est, ani-
mal, ou mortel, ou raisonnable. Pour satisfaire à unvn doubte, ils
m’en donnent trois: c’C’est la teste de Hydra. Socrates deman-
doit à Memnon, que c’estoit que vertu: il y a, fit Memnon,
vertu d’homme & de femme, de magistrat & d’homme pri-
pri-
, d’enfant & de vieillart. Voicy qui va bien, s’escria Socrates:
nous
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LIVRE TROISIESME.473481
nous estions en cherche d’unevne vertu, en voicy unvn exaim:
nNous communiquons unevne question, on nous en redonneredōne unevne
ruchee. Comme nul evenementeuenement & nulle forme, ressemble en-
tierement à unevne autre, aussi ne differe nulle de l’autre entiere-
ment.
Position : Marge droite Ingenieus meslange de nature.
Si nos faces n’estoint
semblables on ne sçauroit
discerner l’home de la
beste: si elles n’estoint
dissemblables on ne
sçauroit discerner l’home
de l’home.
Toutes choses se tiennenttiennēt par quelque similitude: tTout
exemple cloche,. &Et la relation qui se tire de l’experience, est
tousjourstousiours defaillante & imparfaicte: oOn joinctioinct toutesfois les
comparaisons par quelque coin. Ainsi serventseruent les loix,: & s’as-
sortissent ainsin, à chacun de nos affaires, par quelque inter-
pretation estiréedestournee, contrainte & biaise. Puisque les loix ethi-
ques, qui regardent le devoirdeuoir particulier de chacun en soy,
sont si difficiles à dresser, comme nous voyons qu’elles sont,:
ce n’est pas merveillemerueille, si celles qui gouvernentgouuernent tant de parti-
culiers, le sont d’avantageauantage. Considerez la forme de cette ju-
stice
iu-
stice
qui nous regit,. cC’est unvn vray tesmoignage de l’humaine
imbecillité,: tant il y à de contradiction & d’erreur. Ce que
nous trouvonstrouuons faveurfaueur & rigueur en la justiceiustice, & y en trouvonstrouuōs
tant, que jeie ne sçay si l’entre-deux s’y trouvetrouue si souventsouuent, ce sont
parties maladivesmaladiues, & membres injustesiniustes, du corps mesmes &
essence de la justiceiustice. Des paysans viennent de m’advertiraduertir en
haste, qu’ils ont laissé presentement en unevne forest qui est à
moy, unvn homme meurtry de cent coups, qui respire encores,
& qui leur a demandé de l’eau par pitié, & du secours pour le
soubsleversoubsleuer: dDisent, qu’ils n’ont osé l’approcher, & s’en sont
fuis, de peur que les gens de la justiceiustice, ne les y attrapassent, &Et
comme il se faict de ceux qu’on rencontre pres d’unvn homme
tué, ils n’eussent à rendre compte de cet accident, à leur tota-
le ruyne: nN’ayant ny suffisance, ny argent, pour deffendre leur
innocence. Que leur eusse-jeie dict. Il est certain que cet office
d’humanité les eust mis en peine. Combien avonsauons nous des-
couvert
des-
couuert
d’innocensinnocēs avoirauoir esté punis,: jeie dis sans la coulpe des ju-
ges
iu-
ges
,: & combien en y a-il eu, que nous n’avonsauons pas descou-
FFFFFf
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[481v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
vertuert. Cecy est advenuaduenu de mon temps: cCertains sont condamnezcondānez
à la mort pour unvn homicide,: l’arrest sinon prononcépronōcé, aumoins
concludcōclud & arresté. Sur ce poinct, les jugesiuges sont advertisaduertis par les
officiers d’unevne court subalterne, voisine,: qu’ils tiennent quel-
ques prisonniers, lesquels advouentaduouent disertement cet homici-
de,: & apportent à tout ce faict, unevne lumiere indubitable. On
delibere, si pourtant on doit interrompre & differer l’execu-
tion de l’arrest donné contre les premiers. On considere la
nouvelleténouuelleté de l’exemple,: & sa consequence, pour accrocher
les jugemensiugemens: qQue la condemnation est juridiquementiuridiquement pas-
sée,: les jugesiuges privezpriuez de repentance. Somme ces pauvrespauures dia-
bles sont consacrez aux formules de la justiceiustice. Philippus, ou
quelque autre, prouventprouuent à unvn pareil inconvenientinconuenient, en cette
manière. Il avoitauoit condamné en grosses amendes, unvn homme
enversenuers unvn autre, par unvn jugementiugement resolu: lLa verité se descou-
vrant
descou-
urant
quelque temps apres, il se trouvatrouua qu’il avoitauoit iniquementiniquemēt
jugéiugé: dDunvn costé estoit la raison de la cause,: de l’autre costé la
raison des formes judiciairesiudiciaires,. iIl satisfit aucunement à toutes
les deux,: laissant en son estat la sentence, & recompensant de
sa bourse l’interest du condamné: mMais il avoitauoit affaire à unvn
accident reparable,: les miens furent pendus irreparablementirreparablemēt.
-
Position : Marge gauche Combien ai jeie veuueu
de i sentances pires
que le crime
condemnations plus
crimineuses que le
crime.

Tout cecy me faict souvenirsouuenir de ces anciennes opinions,. qQu’il
est force de faire tort en detail, qui veut faire droict en gros,:
& injusticeiniustice en petites choses, qui veut venir à chef de faire
justiceiustice és grandes: qQue l’humaine justiceiustice est formée au pa-
tronmodelle de la medecine,: selon laquelle, tout ce qui est utilevtile est
aussi justeiuste & honneste: &Et de ce que tiennent les Stoiciens,
que nature mesme oeuvreoeuureprocede contre justiceiustice, en la plus part de
ses operationsoeuvresoeuuresouvragesouurages.
Position : Marge gauche Et de ce que tienent les
Cyrenaiques qu’il n’y a
rien justeiuste de soi: que les
coustumes & loix forment la
justiceiustice. Et les Theodoriens
qui permettenttreuventtreuuent justeiuste au sage
le larrecin le sacrilege
toute sorte de paillardise
s’il conoit qu’elle luy soit profitable.
Il n’y à remede,. jJiI’en suis là, comme Alcibia-
des,: que jeie ne me representeray jamaisiamais que jeie puisse, à hom-
me qui decide de ma teste,: oOu mon honneur, & ma vie, dé-
pende de l’industrie & soing de mon procureur, plus que de
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LIVRE TROISIESME.474482
mon innocence. JeIe me hazarderois à unevne telle justiceiustice,: qui me
reconneut du bien faict, comme du malfaict,: ou ji’eusse au-
tant à esperer, que à craindre. L’indemnité, n’est pas monnoye
suffisante, à unvn homme, qui n’est pas seulement exempt de
malfaire, mais qui faict mieux que les autres.
faict mieus que de ne faillir point. Nostre justiceiustice
ne nous presente que l’unevne de ses mains,. & encore la gauche:
qQuiconque il soit, il en sort avecquesauecques perte.
Position : Marge droite En la Chine, duquel Royaume la police & les arts, sans commerce & cognoissance des nostres,
surpassent nos examples en plusieurs parties d’excerllance, et duquelle l’histoire m’aprantaprāt combiencōbien
le monde est cho plus ample et plus diversdiuers que ny les antiens ny nous ne penetrons, et les officiers
d[unclear]eputéz par le prince pour visiteruisiter l’estat de ses provincesprouinces, com’ils punissent ceus qui malversentmaluersent en leur
charge, ils remunerent aussi de pure liberalitè, ceus qui s’y sont bien portez outre la commune sorte
et outre la necessitè de leur devoirdeuoir: on s’y presante non pour y estre quite sulemant et absous,
garantir sulement, mais aussi pour y acquerir et amander: ny simplemantsimplemāt pour estre païé, mais aussi pour y estre estrené.
aussi estrené.
Nul jugeiuge n’a en-
core, Dieu mercy, parlé à moy comme jugeiuge, pour quelque
cause que ce soit, ou mienne, ou tierce, ou criminelle, ou
civileciuile: nNulle prison m’a receu,: non pas seulement pour m’y
promener. L’imagination m’en rend la veue mesme du de-
hors, desplaisante. JeIe suis si affady apres la liberté, que qui me
deffenderoit l’accez de quelque coin des Indes, ji’en vivroysviuroys
aucunement plus mal à mon aise. Et tant que jeie trouveraytrouueray
terre, ou air ouvertouuert ailleurs, jeie ne croupiray en lieu, où il
me faille cacher. Mon Dieu, que mal pourroy-jeie souffrir
la condition, ou jeie vois tant de gens, clouez à unvn quar-
tier de ce Royaume,: privéspriués de l’entrée des villes principal-
les, & des courts, & de l’usagevsage des chemins publics,: pour
avoirauoir querellé nos loix. Si celles que jeie sers, me menassoient
seulement le bout du doigt, jeie m’en irois incontinent en
trouvertrouuer d’autres, ou que ce fut. Toute ma petite pruden-
ce en ces guerres civilesciuiles ou nous sommes, s’employe à ce,
qu’elles n’interrompent ma liberté d’aller & venir. Or les
loix se maintiennent en credit, non par ce qu’elles sont ju-
stes
iu-
stes
, mais par ce qu’elles sont loix. C’est le fondement my-
stique de leur authorité: eElles n’en ont poinct d’autre.
Position : Marge gauche . Qui bien
leur sert.
Elles sont souvantsouuāt
faictes par des
sots. Plus souvantsouuāt
par des meschans.
LaEt la domination
particuliere n’a
volontiersuolontiers peu de commercecōmerce
aveqaueq l’aequalitèl’equitelequite par
la haine de l’equalitelequalite
gens qui en
haine d’equalitè
ont faute d’equitè

Mais tousjourstousiours
par des homes: autheurs veinsueins et irresolus. Quiconque
Il n’est rien si lourdemant & ordineremant fautierdangereusement lourdemant et largemantlargemāt fautier
que les loix Quiconque ny si souvantsouuant ordineremant. Quiconque
Et
quiconqueleur obeyt à la loy, par ce qu’elles estsont justesiustes, ne luyleur o-
beyt pas justementiustement par ou il doibt. Les nostres françoises
prestent aucunement la main, par leur desreiglement & de-
formité, au desordre & corruption qui se voit en leur dis-
pensation, & execution. Le commandement est si trouble &
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[482v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
inconstant, qu’il excuse aucunement, & la desobeyssance, &
le vice de l’interpretation, de l’administrationadministratiō, & de l’observa-
tion
obserua-
tion
. Quel que soit donq le fruict que nous pouvonspouuons avoirauoir de
l’experience, à peine serviraseruira beaucoup à nostre institution,
celle que nous tirons des exemples estrangers, si nous fai-
sons si mal nostre proffict, de celle que nous avonsauons de nous-
mesme,: qui nous est plus familiere, & certes suffisante à
nous instruire de ce qu’il nous faut. JeIe m’estudie plus qu’autre
subjectsubiect.: CcC’est ma metaphisique, c’est ma phisique.:.
Qua Deus hanc mundi temperet arte domum,
Qua venit exoriens qua deficit, vnde coactis
Cornibus in plenum menstrua luna redit,
Vnde salo superant venti, quid flamine captet
Eurus, & in nubes vnde perennis aqua.:
Sit uentura dies mundi quae subruat arces:

Quaerite quos agitat mundi labor.

Position : Marge gauche En ceste universitévniuersité, jeie me laisse ignoramment & negligemment manier à la loy generale du monde.
JeIe la sarai asses quand jeie la sentirai. Ma sciance ne luy sauroit faire changer de route. Elle ne se diversifieradiuersifiera
pas pour moi. C’est folie de l’esperer. Et plus grand folie de s’en mettre en soinpeine puis qu’elle est necesseremant semblable
publique Position : Interligne haute uniforme et commune. Position : Interligne haute Nous avonsauons un trop bon guide et trop fiable pour nous souigner des moiens de sa conduite
Position : Interligne basse La bonte et
capacite du gouvernurgouuernur
nous doit a pur et a
plein descharger du
soin de son gouvernementgouuernemēt
Les inquisitions et contemplations philosophiques ne serventseruēt que d’alimant a nostre curiosité
Les philosophes aveqaueq grand raison nous renvoienstrenuoienst aus regles de nature mais elles n’ont que faire de si
sublime conoissance: Position : Interligne haute ils les falsifient et Ils nous presantent son visageuisage Position : Interligne haute peint trop Position : Interligne haute haut en colur et trop peint so sophistique Position : Interligne haute d’oudou naissent tant de diversdiuers portraicts d’un suiet si uniforme. Come elle nous a fourni de pieds
a marcher aussi a elle de prudance a nous guider en la vieuie: prudance non tant ingenieuse Position : Interligne haute robuste sertie et et pompeuse
come celle de leur invantioninuantion: mais a l’avenantauenant Position : Interligne haute facile simple et salutere: et qui faict tresbien ce que l’autre dict, a qui
sçait loyalemant user de soi naïfvemantnaïfuemant & ordoneemant s’emploier sans estude sans travailtrauail & contantion
en celuy qui a
l’heur de sçavoirsçauoir s’emploier naïfvemantnaïfuemant et ordoneement: c’est a dire naturellement. Le plus simplement se commettre a nature
c’est s’y commettre le plus prudammant sagemant. CO ’estque c’est un dous et mol chevetcheuet Position : Interligne haute et sain que l’ignorance Position : Interligne haute et l’incuriosite a reposer une teste bien faicte et l’incuriosite a reposer une
teste bien faicte.

JI’aymerois mieux m’entendre bien en moy, qu’en PlatonCiceron.
De l’experience que ji’ay de moy, jeie trouvetrouue assez dequoy me
faire sage, si ji’estoy bon escholier. Qui remet en sa memoire,
l’excez de sa cholere passée,: & jusquesiusques ou cette fiévrefiéure l’empor-
ta, voit la laideur de cette passion mieux que dans Aristote,:
& en conçoit unevne haine plus justeiuste. Qui se souvientsouuient des maux
qu’il à couru, de ceux qui l’ont menassé, des legeres occasions
qui l’ont remué d’unvn estat à autre, se prepare par là, aux mu-
tations futures, & à la recognoissance de sa condition. La vie
de Caesar n’a poinct plus d’exemple, que la nostre pour nous:
&Et emperiere, & populaire,: c’est tousjourstousiours unevne vie que tous
accidents humains regardent. Escoutons y seulement,: nous
nous disons, tout ce dequoy nous avonsauons principalement be-
soing. Qui se souvientsouuient de s’estre tant & tant de fois mesconté
de son propre jugementiugement, est-il pas unvn sot, de n’en entrer
pour jamaisiamais en deffiance. Quand jeie me trouvetrouue convaincuconuaincu par
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LIVRE TROISIESME.475483
la raison d’autruy d’unevne opinion fauce, jeie n’apprens pas tant
ce qu’il m’a dict de nouveaunouueau, & cette ignorance particuliere,:
ce seroit peu d’acquest,: comme en general ji’apprens ma debi-
lité & la trahison de mon entendement,: d’où jeie tire la refor-
mation de toute la masse. En toutes mes autres erreurs, jeie faits
de mesme,: & senstiretiresens de cette reigle grande utilitévtilité à la vie. JeIe ne
regarde pas l’espece & l’individuindiuidu, comme unevne pierre ou ji’aye
bronché,: jJiI’apprens à craindre mon alleure par tout, & m’attensattēs,
à la reigler.
Position : Marge droite D’aprandre qu’on a
dict ou faict une
sottise, ce n’est rien que
cela. Il faut aprandre
qu’on n’est qu’un sot
Instruction bien plus
ample et importante.
Les faux pas que ma memoire m’a fait si souvantsouuant,
lors mesme qu’elle s’asseure le plus de soy, ne le sont pas inu-
tilement perduz: eElle à beau me jureriurer à cette heure & m’asseu-
rer, jeie secouё les oreilles: lLa premiere opposition qu’on faict à
son tesmoignage me met en suspens,. &Et n’oserois me fier d’el-
le en chose d’importancede poix,: ny la garentir sur le faict d’autruy:
&Et n’estoit que jeie ne voy que mentir, & que ce que jeie fay par
faute de memoire, les autres le font encore plus souvantsouuant par
faute de foy, jeie prendrois tousjourstousiours en chose de faict, la verité
de la bouche d’unvn autre plustost que de la mienne. Si cha-
cun espioit de pres les effects & circonstances des passions
qui le regentent, comme ji’ay faict de celle à qui ji’estois tom-
bé en partage,: il les verroit venir, & ralantiroit unvn peu leur
impetuosité & leur course: eElles ne nous sautent pas tous-
jours
tous-
iours
au colet d’unvn prinsaut,. iIl y a de la menasse & des de-
gretsz,
Fluctus vti primo coepit cum albescere ponto,
Paulatim sese tollit mare, & altius vndas
Erigit, inde imo consurgit ad aethera fundo.

Le jugementiugement tient chez moy unvn siege magistral, aumoins il
s’enē efforce soingneusementsoingneusemēt: iIl laisse mes appetis aller leur trein,
& la haine & l’amitié,: voire & celle que jeie me porte à moy-
mesme, sans s’en alterer & corrompre. S’il ne peut reformer
les autres parties selon soy, aumoins ne se laisse il pas diffor-
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[483v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mer à elles: iIl faict son jeuieu à part. L’advertissementaduertissement à chacun
de se cognoistre, doibt estre d’unvn important effect, puisque
ce Dieu de science & de lumiere, le fit planter au front de son
temple: comme comprenant tout ce qu’il avoitauoit à nous con-
seiller.
Position : Marge gauche Platon en un mot
appele son effaict
dict aussi que prudanceprudāce
n’est autre chose que
l’execution de cett’ordonanceordonāce
et Socrates le verifieeuerifieeverifie par
le menu en Xenophon
Les difficultez & l’obscurité, ne s’aperçoiventaperçoiuent en cha-
cune science, que par ceux qui y ont entrée. Car encore faut
il quelque degré d’intelligence, à pouvoirpouuoir remarquer qu’on
ignore,. &Et faut pousser à unevne porte pour sçavoirsçauoir qu’elle nous
est close.
Position : Marge gauche D’ouDou Platon tire cettenait cette philosophiquePlatonique
subtilite que ny ceus
qui sçaventsçauent n’ont a
s’enquerir d’autant qu’ils
aventauent ny ceus qui ne
aventauent d’autant qu’ils
ne sçaventsçauent ce de quoi ils
s’enquierent
que pour
s’enquerir il faut sçavoirsçauoir
de quoi on s’enquiert
Ainsin, en cette-cy de se cognoistre soy-mesme, ce
que chacun se voit si resolu & satisfaict, ce que chacun y pen-
se estre suffisamment entendu, signifie que chacun n’y entendentēd
rien du tout. Position : Interligne haute come Socrates aprant a Euthydeme en Xenophons. Moy qui ne faicts autre profession,: y trouvetrouue unevne
profondeur & varieté si infinie, que mon apprentissage n’a
autre fruict, que de me faire sentir, combien il me reste à ap-
prendre. A moy & à ma foiblesse si souvantsouuant recogneuё, jeie
doibts l’inclination que ji’ay à la modestie,: à l’obeyssance des
creances qui me sont prescrites: à unevne constante froideur &
moderation d’opinions,: & la hayne, à cette arrogance impor-
tune & quereleuse, se croyant & fiant toute à soy,: ennemye
capitale de discipline & de verité. Oyez les regenter,. lLes pre-
mieres sotises qu’ils mettent en avantauant, c’est au stile qu’on esta-
blit les religions & les loix.
-
Position : Marge gauche Nil hoc est turpius quam
cognitioni et perceptioni asser=
tionem approbationemque
praecurrere.
Aristarchus disoit, qu’ancienne-
ment à peine se ttrouvattrouua il sept sages au monde,: & que de son
temps à peine se trouvoittrouuoit il sept ignorans: aAurions nous pas
plus de raison que luy, de le dire en nostre temps? L’affirmationaffirmatiō
& l’opiniastreté sont signes ordinairesexprez de bestise & d’ignoran-
ce
ignorā-
ce
. Cettuy-cy aura donné du nez à terre, cent fois pour unvn
jouriour,: le voyla sur ses ergots, aussi resolu & entier que devantdeuant,
vous diriez qu’on luy à infuz dépuis, quelque nouvellenouuelle ame,
& vigueur d’entendement, &Et qu’il luy advientaduient, comme à cet
ancien fils de la terre, qui reprenoit nouvellenouuelle fermeté & se ren-
forçoit
rē-
forçoit
par sa cheute.,
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LIVRE TROISIESME.476484
cui cum tetigere parentem,
Iam defecta vigent renouato robore membra:

cCe testu indocile, pense il pas reprendrereprēdre unvn nouvelnouuel esprit, pour
reprendre unevne nouvellenouuelle dispute? C’est par mon experienceexperiēce, que
ji’accuse l’humaine bestise,.ignorance. qQui est à mon advisaduis, le plus seur par-
ty de l’escole du monde. Ceux qui ne la veulent conclurre en
eux, par unvn si vain exemple que le mien, ou que le leur,: qu’ils
la recognoissent par Socrates,
Position : Marge droite le maistre des maistres.
Carcar le philosophe Antis=
thenes a sesses disciples: allons
disoit il vousuous et moi ouir
Socrates, la jeie serai disciple
aveqaueq vousuous. et meinsoutenant ce
dogme de lsa secte Stoique que la
vertuuertu suffisoit sule a rendre
l’home hureus de tout point
il adjoutoitadioutoit sule & sans autre
appui, il adjoutoitadioutoit sauf la force
de Socrates, adjoutoitadioutoit il
une
vieuie pleinementpleinemēt hureuse & n’ayant
besouin adjoutoitadioutoit il que de la
force de Socrates
de chose
quelconque: sauf si non de la
force de Socrates, adjoutoitadioutoit-il.
le plus sage qui fut onques, au
tesmoignage des dieux & des hommes.
Cette longue atten-
tion que ji’employe à me considerer, me dresse à jugeriuger aussi
passablement des autres: &Et est peu de choses dequoy jeie parle
plus heureusement & excusablement. Il m’advientaduient souvantsouuāt, de
voir & distinguer plus exactement les conditions de mes a-
mys, qu’ils ne font eux mesmes. JI’en ay estonné quelqu’unvn,
par la pertinence de ma description,: & l’ay advertyaduerty de soy.
Pour m’estre des mon enfance dressé à mirer ma vie dans cel-
le d’autruy, ji’ay acquis unevne complexion studieuse en cela,. &Et
quand ji’y pense, jeie laisse eschaper au tour de moy peu de cho-
ses qui y serventseruent: contenances, humeurs, discours. JI’estudie
tout,: ce qu’il me faut fuyr, ce qu’il me faut suyvresuyure. Ainsin à
mes amys, jeie descouvredescouure par leurs productions, leurs inclina-
tions internes: nNon pour renger cette infinie varieté d’actionsactiōs
si diversesdiuerses & si descoupées, à certains genres & chapitres, &
distribuer distinctement mes partages & divisionsdiuisions, en classes
& regions cogneuёs,
Sed neque quam multae species & nomina quae sint,
Est numerus:

Position : Marge droite Les sçavanssçauans partent et
denotent leurs fantasies plus
specifiquement et par le menu
moy qui n’y voisuois qu’autant que
l’usage m’en presanteinforme sans regle,
presante generalement les miennes
et a tastons. Come en cecy

jJeiIe prononce ma sentence par articles descousus,: ainsi que comme de
chose qui ne se peut dire à la fois & en bloc. La relation, & la
conformité ne se trouventtrouuent poinct en telles ames que les no-
stres, vilesbasses & communes. La sagesse, est unvn bastiment solide &
entier, dont chaque piece tient son rang & porte sa marque.
Position : Marge droite Sola sapientia in se
tota conuersa est

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[484v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
JeIe laisse aux artistes, & ne sçay s’ils en viennent à bout, en cho-
se si meslée si menue & fortuite,: de renger en bandes cette in-
finie diversitédiuersité de visages, & arrester nostre inconstance, & la
mettre par ordre. Non seulement jeie trouvetrouue mal-aisé, d’atta-
cher nos actions les unesvnes aux autres, mais chacune à part soy,
jeie trouvetrouue mal-aysé, de la designer proprement par quelque
qualité principalle: tant elles sont doubles & bigarrées à di-
vers
di-
uers
lustres.
Position : Marge haute Ce qu’on remarque pour rare, au Roy de Macedoine, Perseus, que son esprit, ne
s’atachant a aucune condition alloit errant par tout genre de vieuie, et represantant des
meurs si insolantesessorees et vagabondesuagabondes qu’il n’estoit conu ny de luy ny d’autre quel home
ce fut, me semble a peu pres convenirconuenir a tout le monde. Et par dessus tous, ji’ai veuueu
quelqu’autre Roy despuisde sa taille,
a qui cete conclusion
s’appliqueroit plus
proprement encore
ce crois jeie. Nulle
assiete moiene.:
s’emportant tousjourstousiours
de l’un a l’autrelautre
extreme, par occasions
indivinablesindiuinables: nulle
espece de trein sans
traversetrauerse et contrarieté
merveilleusemerueilleuse: nulle
faculte simple: si
que le plus vraisem=
blablement
uraisem=
blablement
qu’on en
pourrait feindre Position : Interligne haute un jouriour, ce
seroita qu’il affectoit
et estudioit de se
rendre conu par es
estre mesconoissable.
Il faict besoing des oreilles bienbiē fortes, pour s’ouyr
franchement jugeriuger: &Et par ce qu’il en est peu qui le puissent
souffrir sans morsure & sans amertume, ceux qui se hazardenthazardēt
de l’entreprendre enversenuers nous, nous montrent unvn singulier
effect d’amitié, cCar c’est aimer sainement, d’entreprendre à
blesser & offencer, pour proffiter. JeIe trouvetrouue rude de jugeriuger cel-
luy-la, en qui les mauvaisesmauuaises qualitez surpassent les bonnes.
-
Position : Marge droite Platon
demandeordone
trois chosesparties
a qui veutueut examiner
l’ame d’un
autre
de’un
quelcun autre:
sciance
bienveuillancebienueuillāce
hardiesse

Quelque fois on me demandoit, à quoy ji’eusse pensé estre
bon, qui se fut adviséaduisé de se servirseruir de moy pendantpēdant que ji’en avoisauois
l’aage,
Dum melior vires sanguis dabat, aemula nec dum
Temporibus geminis canebat sparsa senectus.

A rienriē, fis-jeie,: &Et m’excuse volontiersvolōtiers de ne sçavoirsçauoir faire chose qui
m’esclaveesclaue à autruy. Mais ji’eusse dict ses veritez à mon maistre, &
eusse contrerrolé ses meurs, s’il eust voulu: nNonnNō en gros, par le-
çons scholastiques, que jeie ne sçay point,: & n’en vois naistre
aucune vraye reformation en ceux qui les sçaventsçauent: mMais les
observantobseruant pas à pas, à toute oportunité, & en jugeantiugeant à l’oeil,
piece à piece, simplement & naturellement: lLuy faisant voyer
quel il est en l’opinion commune, m’opposant à ses flateurs.
Il n’y a nul de nous, qui ne valut moins que les Roys, s’il estoit
ainsi continuellement trahy & pipécorrompu, comme ils sont, de cette
racecanaille de gens. Comment, si Alexandre, ce grand & Roy & phi-
losophe, ne s’en peut deffendre? JI’eusse eu assez de fidelité de
jugementiugemēt & de liberté pour cela. Ce seroit unvn office sans nom,
autre-
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LIVRE TROISIESME.477485
aAutrement il perdroit son effect & sa grace. Et est unvn rolle
qui ne peut indifferemment appartenir à tous: cCar la verité
mesme, n’a pas ce privilegepriuilege d’estre employée à toute heure, &
en toute sorte,: sSon usagevsage, tout noble qu’il est, à ses circonscrip-
tions, & limites. Il advientaduient souvantsouuant, comme le monde est,
qu’on la láche à l’oreille du prince, non seulement sans fruict,
mais dommageablement,: & encore injustementiniustement. Et ne me
fera l’on pas accroire, qu’unevne sainte remonstrance, ne puisse e-
stre appliquée vitieusement,. &Et que l’interest de la substance,
ne doivedoiue souventsouuent ceder à l’interest de la forme. JeIe voudrois à
ce mestier, unvn homme content de sa fortune,
Quod sit esse velit nihilque malit,
& nay de moyenne fortune: dD’autant que d’unevne part, il n’au-
roit point de craincte de toucher vifvementvifuement & profonde-
ment le coeur du maistre, pour ne perdre par la, le cours de
son advancementaduancement: &Et d’autre part, pour estre d’unevne condition
moyenne, il auroit plus aysée communication à toute sorte
de gens.
Position : Marge droite JeIe le voudroisuoudrois a
un home sul: car de
respandre le privilegepriuilege
de cette liberte et
privautepriuaute a plusieurs
seroit pour engendrer
de l’
engendreroit une nuisible irreveranceirreuerance. Ouy,
et de celuy la, jeie re=
querrois sur tout la
fidelite du silance.
UnVn princeRoy n’est pas à croire, quand il se vante de sa
constance à attendre le rencontre de l’ennemy, pour le servi-
ce
serui-
ce
de sa gloire, si pour son proffit & amendement, il ne peut
souffrir la liberté des parolles d’unvn amy,: qui n’ont autre ef-
fort, que de luy pincer l’ouye,: le reste de leur operationeffaict estant
en sa main. Or il n’est aucune condition d’hommes, qui ayt
si grand besoing, que ceux là, de vrays & libres advertissemensaduertissemēs.
Ils soustiennent unevne vie publique,: & ont à agreer à l’opinion
de tant de spectateurs, que comme on à accoustumé de leur
taire tout ce qui les divertitdiuertit de leur route, ils se trouventtrouuent sans
le sentir, engagez en la hayne & detestation de leurs peuples,
pour des occasions souventsouuent, qu’ils eussent peu evitereuiter, à nul in-
terest de leurs plaisirs mesme, qui les en eut advisezaduisez & redres-
sez à tempstēps. Communement leurs favoritsfauorits regardent à soy plus
qu’au maistre: &Et il leur va de bon,. dDautantautāt qu’a la verité la plus
GGGGGg
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[485v] ESSAIS DE M. DE MONT.
part des offices de la vraye amitié, sont enversenuers le souverainsouuerain en
unvn rude & perilleus essay: dDe maniere qu’il y faict besoing, non
seulementseulemēt beaucoup d’affection & de franchisefrāchise, mais encore de
courage. En fin toute cette fricassée que jeie barbouille icy, n’est
qu’unvn registre des essais de ma vie,: qui est pour l’interne santé,
exemplaireexēplaire assez, à prendre l’instruction à contrecōtre-poil,. mMais quantquāt
à la santé corporelle, personne ne peut fournir d’experience
plus utilevtile que moy, qui la presente pure, nullement corrompuecorrōpue
& alterée par art, & par opination. L’experience est propre-
ment
propre-
mēt
sur son fumier au subjectsubiect de la medecine, ou la raison luy
quite toute la place. Tibere disoit, que quiconque avoitauoit ves-
cu vingt ans, se debvoitdebuoit respondre des choses qui luy estoyentestoyēt
nuisibles ou salutaires, & se sçavoirsçauoir conduire sans medecine.
Position : Marge gauche Et le pouvoitpouuoit apri
avoirauoir apris de Socrates:
lequel conseillantcōseillant a ses
disciples souigneusementsouigneusemēt
et come un tres principal
estude l’estudelestude de leur
sante adjoustoitadioustoit qu’il
estoit malaise qu’un home
d’entandemant prenant
garde a ses exercices a son
boire & a son manger ne
discernat mieus que tout
medecin ce qui luy estoit
utille ou nuisible. La
medecine
bon ou mauvesmauues
La medecine Si faict la
medecine

Elle faict profession d’avoirauoir tousjourstousiours l’experience, pour tou-
che de son operation. Ainsi Platon avoitauoit raison de dire, que
pour estre vray medecin, il seroit necessaire que celuy qui
l’entreprendroit, eust passé par toutes les maladies, qu’il veut
guarir, & par tous les accidens & circonstances de quoy il doit
jugeriuger. C’est raison qu’ils prennentprēnent la verole, s’ils la veulent sça-
voir
sça-
uoir
penser. Vrayement jeie m’en fierois à celuy la. Car les au-
tres nous guidentguidēt, comme celuy qui peint les mers, les escueils,
& les ports, estant assis, sur sa table, & y faict promener le mo-
dele d’unvn navirenauire en toute seureté: jJetteziIettez le à l’effect, il ne sçait
par ou s’y prendre: iIls font telle description de nos maux, que
faict unvn trompette de ville, qui crie unvn chevalcheual ou unvn chienchiē per-
du,: tel poil, telle hauteur, telle oreille,: mais presentez le luy, il
ne le cognoit pas pourtant. Pour Dieu, que la medecine me
face unvn jouriour quelque bon & perceptible secours, voir comme
jeie crieray de bonne foy,
Tandem efficaci do manus scientiae.
Les arts qui promettent de nous tenir le corps en santé, & l’a-
me en santé, nous promettent beaucoup,: mais aussi n’en est il
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LIVRE TROISIESME.478486
point qui tiennenttiēnent moins ce qu’elles promettent. Et en nostre
temps ceux qui font profession de ces arts entre nous, en mon-
trent
mō-
trent
moins les effects que tous autres hommes. On peut di-
re d’eus pour le plus, qu’ils vendent les drogues medecinales,
mais qu’ils soyent medecins, cela ne peut on dire, à les voir,
& ceux qui se gouvernentgouuernent par eux
. JI’ay assez vescu, pour met-
tre en compte l’usagevsage qui m’a conduict si loing: pPour qui en
voudra gouster, ji’en ay faict l’essay, son eschançon. En voicy
quelques articles, comme la souvenancesouuenance me les fournira.
-
Position : Marge droite JeIe n’ay point de façon
qui ne se ne soit allee
variantuariant selon les accidans
mais ji’enregistre celles que
ji’ay plus souvantsouuant veuueu en
trein: qui ont eu plus de possession
en moy jusquiusqu’asteure.
Ma
forme de vie, est pareille en maladie comme en santé,. mMesme
lict, mesmes heures, mesmes viandes me serventseruent, & mesme
breuvagebreuuage. JeIe n’y adjousteadiouste du tout rien, que la moderation du
plus & du moins, selon ma force & appetit. Ma santé, c’est
maintenir sans destourbier mon estat accoustumé. JeIe voy que
la maladie m’en desloge d’unvn costé,: si jeie crois les medecins, ils
m’en destourneront de l’autre: &Et par fortune, & par art me
voyla hors de ma route. JeIe ne croys rien plus certainement que
cecy,: que jeie ne sçauroy estre offencé par l’usagevsage des choses que
ji’ay si long temps accoustumées. C’est à la coustume de don-
ner forme à nostre vie, telle qu’il luy plaist,: elle peut tout en
cela. C’est le breuvagebreuuage de Circé, qui diversifiediuersifie nostre nature,
commecōme bon luy semble. Combien de nations, & à trois pas de
nous, estiment ridicule la crainte du serain, qui nous blesse si
apparemment: &Et nos bateliers & nos paysans s’en moquent.
Vous faites malade unvn Aleman de le coucher sur unvn matelas,:
commecōme unvn ItalienItaliē sur la plume,: & unvn François sans rideau & sans
feu. L’estomac d’unvn Espagnol ne dure pas à nostre forme de
manger,: ny le nostre à boire à la Souysse. UnVn Aleman me fit
plaisir à Auguste, de combatrecōbatre l’incommodité de noz fouyers,
par ce mesme argument, dequoy nous nous servonsseruons ordinai-
rement à condamnercondāner leurs poyles. Car à la verité cette chaleur
croupie, & puis la senteursēteur de cette matiere reschauffée, dequoy
GGGGGg ij
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[486v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ils sont composezcōposez, enteste la plus part de ceux qui n’y sont expe-
rimentez
expe-
rimētez
,: àA moy non. Mais au demeurantdemeurāt, estant cette challeur e-
guale, constante, & universellevniuerselle, sans lueur, sans fumée, sans
le ventvēt que l’ouvertureouuerture de nos cheminées nous apporte, elle à
bienbiē par ailleurs, dequoi se comparercōparer à la nostre. Que n’imitonsimitōs nous
l’architecture Romaine.: CcCar on dict que anciennementanciēnement, le feu ne
se faisoit en leurs maisons que par le dehors, & au pied d’icelles,:
d’où s’inspiroit la chaleur à tout le logis, par les tuyaux practi-
quez dansdās l’espais du mur,: lesquelslesq̄ls alloientalloiēt embrassant les lieux qui
en devoientdeuoiēt estre eschauffez. Ce que ji’ay veu clairementclairemēt signifié, jeie
ne sçay, ou, en Seneque. Cettuy-cy, m’oyantoyāt louёr les commodi-
tez
cōmodi-
tez
, & beautez de sa ville, qui le merite certes, commençacōmença à me
plaindre, dequoy jiavoisauois à m’en esloigner,: &Et des premiers in-
conveniens
in-
cōueniens
qu’il m’allega, ce fut la poisanteur de teste, que m’ap-
porteroient
ap-
porteroiēt
les cheminées ailleurs. Il avoitauoit ouï faire cette plain-
te à quelqu’unvn, & nous l’attachoit, estantestāt privépriué par l’usagevsage de l’ap-
percevoir
ap-
perceuoir
chez luy. Toute chaleur qui vientviēt du feu, m’affoiblit
& m’appesantit.: SsSi disoit EvenusEuenus, que le meilleur condimentcōdimēt de
la vie, estoit le feu.: JjJeIiIe prens plustost toute autre façon d’escha-
per au froid. Nous craingnonscraingnōs les vins au bas,: en Portugal, cet-
te fumée est en delices,: & est le breuvagebreuuage des princes. En som-
me, chaque nationnatiō à plusieurs coustumes & usancesvsances, qui sont non
seulementseulemēt incongneuёs, mais farouches & miraculeuses à quel-
que autre nationnatiō. Que feronsferōs nous à ce peuple, qui ne fait recepte
que de tesmoignages imprimez,. qQui ne croit les hommeshōmes, s’ils ne
sont en livreliure,. nNy la verité, si elle n’est d’aage competant.
-
Position : Marge gauche : nNous mettons en
dignitè nos besti=
ses, quand nous les
metons en moule.
Il y a
bienbiē pour luy autre poix, de dire,: jeie l’ay leu,: que si vous dictes,:
jeie l’ay ouy dire. Mais moy, qui ne mescrois non plus la bou-
che que la main des hommes,: & qui sçay qu’on escript autant
indiscretement qu’on parle,: & qui estime ce siecle, comme
unvn autre passé,: ji’allegue aussi volontiers unvn mien amy, que
Aulugele, & que Macrobe,: & ce que ji’ay veu, que ce qu’ils ont
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LIVRE TROISIESME.479487
escrit.
Position : Marge droite Et come ils disenttienent
de la vertuuertu qu’elle
n’est pas plus grande
pour estre plus longue
il ji’estime de mesme
de la veriteuerite quelle n’est
de rien plus
pour estre
plus vieilleuieille elle n’est
pas plus sage.
JeIe dis souventsouuent que c’est pure sottise, qui nous fait courir
apres les exemples estrangers & scholastiques: lLeur fertilité est
pareille à cette heure à celle du temps d’Homere & de Platon.
Mais n’est-ce pas, que nous cherchons plus l’honneur de l’alle-
gation, que la verité du discours: cComme si s’il c’estoit plus, noble
d’emprunter, de la boutique de Vascosan, ou de Plantin, nos
preuvespreuues, que de ce qui se voit en nostre village. Ou bien cer-
tes, que nous n’avonsauōs pas l’esprit, d’esplucher, & faire valoir, ce
qui se passe devantdeuant nous, & le jugeriuger assez vifvementvifuement, pour le
tirer en exemple. Car si nous disons que l’authorité nous man-
que
mā-
que
, pour donner foy à nostre tesmoignage, nous le disons
hors de propos,. dD’autant qu’à mon advisaduis, des plus ordinai-
res choses, & plus communes, & cogneuёs, si nous sçavionssçauions
trouvertrouuer leur jouriour, se peuventpeuuent former les plus grands miracles
de nature,: & les plus merveilleuxmerueilleux exemples, notamment sur
le subjectsubiect des actions humaines. Or sur mon subjectsubiect, laissant
les exemples que jeie sçay par les livresliures:
Position : Marge droite et ce que dict Aristote
d’Andron Argien qu’il
traversoittrauersoit sans boire les
arides sablons de la Lybie.
uUnvVn gentil-homme qui
s’est acquité dignementdignemēt de plusieurs charges, disoit où ji’estois,
qu’il estoit allé de Madril[sic] à Lisbonne, en plain esté, sans boire.
Il se porte vigoureusement pour son aage,: & n’a rien d’extra-
ordinaire en l’usagevsage de sa vie, que cecy, d’estre deux ou trois
mois, voire unvn an, ce m’a-il dict, sans boire. Il sent de l’altera-
tion, mais il l’ala laisse passer,: & tient que c’est unvn appetit qui s’a-
languit aiséementaiséemēt de soy-mesme,: & boit plus par capricce, que
pour le besoing, ou pour le plaisir. En voicy d’unvn autre,. iIl n’y à
pas long temps, que jeie rencontray, l’unvn des plus sçavanssçauans hom-
mes de France, entre ceux de non mediocre fortune, estudiantestudiāt
au coin d’unevne sale, qu’on luy avoitauoit rembarré de tapisserie,: &
autour de luy, unvn tabut de ses valets, plain de licencelicēce. Il me dict,
-
Position : Marge droite et Seneque quasi
autant de soi:

qu’il faisoit son profit de ce tintamarre,. cComme si battu de ce
bruict, il se ramenast & reserrast plus en soy, pour la contem-
plation, & que cette tempeste de voix repercutast ses pensées
GGGGGg iij
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[487v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
au dedans. Estant escholier à Padoue, il eust son estude si long
temps logé à la batterie des coches, & du tumulte de la place,
qu’il se forma non seulementseulemēt au mespris, mais à l’usagevsage du bruit,
pour le serviceseruice l’utilite de ses estudes.
Position : Marge gauche Socrates a Al respondoit a
Alcibiades s’estonant coment
il pouvoitpouuoit porter le continuel
tintamarre de la teste de
sa fame: Come ceus qui sont
accostumez au continuel l’ordinere son
des roues a puiser l’eauleau.
JeIe suis bien au contraire: ji’ay l’es-
prit tendre & facile à prendre l’essorlessor: qQuand il est empesché à
part soy, le moindre bourdonnement de mouche l’assassine.
Position : Marge gauche Seneque en sa junesseiunesse
aiant mordu chaudemantchaudemāt
à l’examplelexample de Sextius
de ne manger de chose
qui eut pris mort s’en
passoit dans un an aveqaueq
plaisir, come il dict
Et s’en laissa sulemant
pour n’estre supçone d
d’enprunter cette regle
d’aucunes relligions
nouvellesnouuelles qui la semoint
de mesme Il print quandquād
et quand des praeceptes
d’Attalus de ne se coucher
plus mollemant sur des
coitesloudiers

sur des loudiers qui enfondrent
& continua jusquiusqu’a sa
vieillesseuieillesse cellesceus quei ne
cedent point au corps. Ce
que l’usage luy faict
prendre a rudesse il nous
le faict prandre a mollesse.

de son temps luy faict
conter a rudesse le nostre
nous le faict estimer a tenir a
mollesse.

Regardez la difference du vivreviure de mes valets à bras, à la mien-
ne
miē-
ne
: lLes Scythes & les Indes n’ont rienriē plus esloingné de ma for-
ce, & de ma forme. JeIe sçay, avoirauoir retiré de l’aumosne, des enfansenfās
pour m’en servirseruir, qui bien tost apres m’ont quicté & ma cui-
sine, & leur livréeliurée, seulementseulemēt pour se rendrerēdre à leur premiere vie,.
&Et en trouvaytrouuay unvn amassantamassāt depuis des moules, emmy la voirie
pour son disner, que par priere, ny par menasse, jeie ne sceu distraire
de la saveursaueur & douceur, qu’il trouvoittrouuoit en l’indigenceindigēce. Les gueux
ont leurs magnificences, & leurs voluptez, comme les riches,:
& dict-on, leurs dignitez, & ordres politiques. Ce sont effects
de l’accoustumance: eElle nous peut duire, non seulementseulemēt à tel-
le forme qu’il luy plaist (pourtant disent les sages, nous faut-il
planter a la meilleure, qu’elle nous facilitera incontinent)
mais au changement Position : Interligne haute aussi & à la variation,. qQui est le plus noble, &
le plus utilevtile de ses apprentissagesapprētissages. La meilleure de mes comple-
xions corporelles, c’est d’estre flexible & peu opiniastre. JI’ay
des inclinations plus propres & ordinaires, & plus agreables,
que d’autres: mMais avecauec bien peu d’effort, jeie m’en destourne, &
me coule aiséement à la façon contraire. UnVn jeuneieune homme,
doit troubler ses regles, pour esveilleresueiller sa vigueur,: la garder de
moisir & s’apoltronir: &Et n’est train de vie, si sot & si debile, que
celuy qui se conduict par ordonnance & discipline.
Ad primum lapidem vectari cùm placet, hora
Sumitur ex libro, si prurit frictus ocelli
Angulus, inspecta genesi collyria quaerit.

Il se rejetterareiettera souventsouuent aux excez mesme, s’il m’en croit,. aAutre-
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LIVRE TROISIESME.480488
ment, la moindre desbauche le ruyne: iIl se rend incommode
& desaggreable en conversationconuersation. La plus contraire qualité à
unvn honneste homme, c’est la delicatesse & obligation à certai-
ne façon particuliere,. &Et elle est particuliere, si elle n’est ploia-
ble, & soupple. Il y a de la hontehōte, de laisser à faire par impuissan-
ce, ou de n’oser, ce qu’on voit faire à ses compaignonscompaignōs: qQue tel-
les gens gardent leur cuisine. Par tout ailleurs il est indecent:
mMais à unvn homme de guerre, il est vitieux & insupportable: lLe-
quel comme disoit Philopoemen, se doit accoustumer à toute
diversitédiuersité & inegalité de vie. Quoy que ji’aye esté dressé autant
qu’on à peu, à la liberté & à l’indifference,: si est-ce que par non-
chalance
nō-
chalance
, m’estant en vieillissant, plus arresté sur certaines for-
mes (mon aage est hors d’institution, & n’a meshuydesormais dequoy
regarder ailleurs que à se maintenir) la coustume à desjadesia sans y
penser, imprimé si bienbiē en moy son caractere, en certaines cho-
ses, que ji’appelle excez de tir, m’en desparPosition : Interligne hautetir, &. Et sans m’essaier,
ne puis, ny dormir sur jouriour,: ny faire collation entre les repas,:
ny desjeunerdesieuner,: ny m’aller coucher sans grand intervalleinterualle Position : Interligne haute come de trois bones heures apres
le soupper,: ny faire des enfans qu’avantauant le sommeil,: ny les fai-
re debout,: ny porter ma sueur,: ny m’abreuverabreuuer d’eau pure ou
de vin pur,: ny me tenir nud teste long temps,: ny me faire ton-
dre apres disner,: &Et me passerois autant malaiséement de mes
gans que de ma chemise,: & de me laverlauer à l’issuё de table, & à
mon leverleuer,: & de ciel & rideaux à mon lict, comme de choses
bien necessaires: jJeiIe disnerois sans nape,: mais à l’alemande sans
servietteseruiette blanche, tres-incommodéementincōmodéement,. jJeiIe les barbouillesouille plus
qu’eux, & les Italiens ne font,: &Et m’ayde peu de cullier, & de
fourchete. JeIe plains qu’on n’aye suyvysuyuy unvn train, que ji’ay veu
commencer à l’exemple des Roys,: qu’on nous changeast de
servietteseruiette, selon les servicesseruices, comme d’assiette. Nous tenons de
ce laborieux soldat Marius, que vieillissant, il devintdeuint si delicat
en son boire, qu’ilet ne le pouvoitpouuoit prendreprenoit, que dans’en unevne sienne
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[488v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
couppe particuliere:
Position : Marge gauche Moi, jeie me laisse aller aussi,
à certeine forme de verresuerres,
& ne bois pas volontiersuolontiers
en verreuerre commun: non
plus que d’une main
commune. Tout metal
m’y desplait au pris
d’une matiere claire et
transparantetrāsparante. Que mes
yeus y tastent aussi,
selon leur capacite
lLes tasses me desplaisent,. &Et l’argenttout metal, au
pris du verre,. &Et d’estre servyseruy à boire d’unevne main laide ou inaccoustu-
mée & estrangere et laide:,: & en verre commun,: & me laisse aller au
choix de certaine forme de verres.
JeIe dois plusieurs telles mol-
lesses à l’usagevsage. Nature m’a aussi d’autre part apporté les siennessiēnes:
cComme de ne soustenir plus deux plains repas en unvn jouriour, sans
surcharger mon estomac: nNy l’abstinence pure de l’unvn des re-
pas,: sans me remplir de vents, assecher ma bouche, estonner
mon appetit: dDe m’offenser d’unvn long serain. Car depuis quel-
ques années, aux courvéescouruées de la guerre, quand toute la nuict y
court, comme il advientaduient communément, apres cinq ou six
heures, l’estomac me commence à troubler, avecauec vehemente
douleur de teste,: & n’arrivearriue poinct au jouriour, sans vomir. Com-
me les autres s’en vontvōt desjeunerdesieuner, jeie m’en vay dormir: & au par-
tir de là, aussi gay qu’au paravantparauant. JIavoisauois tousjourstousiours appris, que
le serain ne s’espandoit qu’à la naissance de la nuict: mais han-
tant ces années passées familierement, & long temps, unvn sei-
gneur imbu de cette creance, que le serain est plus aspre &
dangereux sur l’inclination du Soleil, unevne heure ou deux avantauāt
son coucher, lequel il eviteeuite songneusement, & mesprise celuy
de la nuict,: il m’a cuidé imprimer non tant son discours, que
son sentiment. Quoy? que le doubte mesme, & inquisition de
l’imagination, nous frappefrape nostre imagination, & nous change. Ceux qui cedent
tout à coup à ces panentespāētes[Note (Montaigne) : pentes], attirentattirēt l’entiere ruyne sur eux.: EetEt plains
plusieurs gentils-hommeshōmes, qui par la sottise de leurs medecins, se
sont mis en chartre, tous jeunesieunes & entiers. Encores vaudroit-il
mieux souffrir unvn reume, que de perdre pour jamaisiamais par desa-
coutumance le commerce de la vie commune, en action de si
grand usagevsage.
-
Position : Marge gauche Facheuse sciance,
qui nous descrie
les plus douces
heures du jouriour.
Estendons nostre possession jusqueiusque aux derniers
moyens.: LlLe plus souventsouuent on s’y durcit, en s’opiniastrantopiniastrāt, & cor-
rige l’on sa complexion,. cComme fit Caesar le haut mal, a force
de le mespriser & corrompre. On se doit adonner aux meil-
leu-
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LIVRE TROISIESME.481489
leures regles, mais non pas s’y asservirasseruir: sSi ce n’est à celles, s’il y en
à quelqu’unevne, ausquelles l’obligation & servitudeseruitude soit utilevtile.
Et les Roys & les philosophes fientent, & les dames aussi: les
autres ont pour leur part, la discretion & la suffisance, moy
l’ingenuité & la liberté:
lLes vies publiques se doiventdoiuent à la ce-
remonie,: la mienne cachéeobscure & privéepriuée, jouitiouit de toute dispen-
ce naturelle: sSoldat & Gascon, sont qualitez aussi, unvn peu sub-
jettes
sub-
iettes
à l’indiscretion. Parquoy jeie diray cecy de cette action,.
qQu’il est besoing de la renvoyerrenuoyer à certaines heures, prescriptes
& nocturnes,: & s’y forcer par coustume, & assubjectirassubiectir, com-
me ji’ay faict: mMais non s’assujectirassuiectir, comme ji’ay faict en vieil-
lissant, au soing de particuliere commodité de lieu, & de siege
pour ce serviceseruice,: & le rendre empeschant par longueur & mol-
lesse: tToutesfois aux plus sales servicesseruices, est-il pas aucunement
excusable, de requerir plus de soing & de netteté.
cCar deDe magis
Position : Interligne haute Natura homo
mundum et elegans
animal est.
De
toutes les
actions naturelles
c’est celle que jeie
souffre plus mal
volontiersuolontiers m’estre
interrompue.
JI’ay veu
beaucoup de gens de guerre, incommodez du desreiglement
de leur ventre: lLe mien & moy, ne nous faillons jamaisiamais au
poinct de nostre assignation,: qui est au saut du lict, si quelque
violente occupation, ou maladie ne nous trouble. JeIe ne jugeiuge
donc point, comme jeie disois, ou les malades se puissent met-
tre mieux en seurté, qu’en se tenant quoy, dans le train de vie,
où ils se sont eslevezesleuez & nourris. Le changement quel qu’il soit
estonne & blesse. Allez croire que les chastaignes nuisent à unvn
Perigourdin, ou à unvn Lucquois: & le laict & le fromage aux
gens de la montaigne. On leur va ordonnant, unevne non seule-
ment nouvellenouuelle, mais contradictoirecontrere forme de vie: mMutation
qu’unvn sain ne pourroit souffrir. Ordonnez de l’eau à unvn Bre-
ton de soixante dix ans,: enfermez dans unevne estuveestuue unevne hom-
me de marine,: deffendez le promener à unvn laquay basque: iIls
les priventpriuent de mouvementmouuement, & en fin d’air & de lumiere.
HHHHHh
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[489v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
an viuere tanti est?
Cogimur a suetis animum suspendere rebus,
Atque vt viuamus viuere desinimus:
Hos superesse rear quibus & spirabilis aer,
Et lux qua regimur redditur ipsa grauis.

S’ils ne font autre bien, ils font aumoins cecy, qu’ils prepa-
rent de bonne heure les patiens à la mort, leur sapantsapāt peu à peu
& retranchantretranchāt l’usagevsage de la vie. Et sain & malade, jeie me suis vo-
lontiers laissé aller aux appetits qui me pressoient. JeIe donne
grande authorité à mes desirs & propensionspropensiōs. JeIe n’ayme point
à guarir le mal par le mal. JeIe hay les remedes qui importunent
plus que la maladie. D’estre subjectsubiect à la cholique, & subjectsubiect à
m’abstenir du plaisir de mangermāger des huitres, ce sont deux maux
pour unvn. Le mal nous pinse d’unvn costé, la regle de l’autre. Puis-
que on est au hazard de se mesconter,: hazardons nous plu-
stost à la suitte du plaisir. Le monde faict au rebours, & ne
pense rien utilevtile, qui ne soit penible: lLa facilité luy est suspe-
cte. Mon appetit en plusieurs choses, c’est assez heureusement
accommodé par soy-mesme, & rangé à la santé de mon esto-
mac,: lL’acrimonie & la pointe des sauces m’agréerent estant
jeuneieune,: mon estomac s’en ennuyant depuis, le goust là incon-
tinent suyvysuyuy.
Position : Marge gauche Le vinuin nuit aus fievresfieuresmalades
c’est la premiere chose
de quoi ma bouche se
desgoute et d’un desgout
invincibleinuincible.
Quoy que jeie reçoivereçoiue desagreablementdesagreablemēt, me nuit,
& rien ne me nuit, que jeie face avecauec faim, & allegresse: jJeiIe n’ay
jamaisiamais receu nuisance d’action, qui m’eust esté bien plaisante.
Et si ay fait ceder à mon plaisir bien largement, toute conclu-
sion medicinalle,: &Et me suis jeuneieune,
Quem circumcursans huc atque huc saepe Cupido
Fulgebat crocina splendidus in tunica,

presté autant licentieusement & inconsideréement, qu’autre,
au desir qui me tenoit saisi,.
Et militaui non sine gloria.:
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.482490
PpPlus toutesfois en continuation & en durée, qu’en saillie.,
Sex me vix memini sustinuisse vices.
Il y a du malheur certes, & du miracle, à confesser en quelle
foiblesse d’ans, jeie me rencontrayrencōtray premierementpremieremēt en sa subjectionsubiectiō:
cCe fut bienbiē rencontréerencōtrée,: car ce fut long temps avantauāt l’aage de choix
& de cognoissance: iIl ne me souvientsouuiēt point de moy de si loing:
&Et peut on marier ma fortune à celle de Quartilla, qui n’avoitauoit
point memoire de son fillage.:
Inde tragus celerésque pili, mirandáque matri,
Barba meae.

Les medecins ploient ordinairement avecauec utilitévtilité, leurs regles,
à la violence des enviesenuies aspres, qui surviennentsuruiennent aux malades.
Ce grand desir ne se peut imaginer, si estrangerestrāger & vicieux, que
nature ne s’y applique. Et puis,: combien est-ce de contenter la
fantasie.: AaA mon opinion cette piece là, importe de tout, au-
moins au dela de toute autre. Les plus griefs & ordinaires
maux, sont ceux que la fantasie nous charge. Ce mot Espa-
gnol me plaist à plusieurs visages: Defienda me Dios de my.
JeIe plains estant malade, dequoy jeie n’ay quelque desir qui me
donne ce contentement de l’assouvirassouuir, à peine m’en destour-
neroit la medecine.: AaAutant en fay-jeie sain: jJeiIe ne vois guere plus
qu’esperer & vouloir: c’C’est pitié d’estre alanguyalāguy & affoibly, jus-
ques
ius-
ques
au souhaiter. L’art de medecine n’est pas si resolue que
nous soyonssoyōs sans authorité, quoy que nous facions: eElle chan-
ge selon les climats,: & selon les Lunes,: selon Farnel & selon
l’Escale. Si vostre medecin ne trouvetrouue bon, que vous dormez,
que vous usezvsez de vin, ou de telle viande,: ne vous chaille, jeie
vous en trouveraytrouueray unvn autre qui ne sera pas de son advisaduis. La di-
versité
di-
uersité
des arguments & opinions medicinales embrasse tou-
te sorte de formes. JeIe vis unvn miserable malade, crevercreuer & se pas-
mer d’alteration, pour se guarir,: & estre moqué depuis par unvn
HHHHHh ij
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[490v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
autre medecin,: condamnant ce conseil comme nuisible: aA-
voit
aA-
uoit
-il pas bien employé sa peine. Il est mort freschement de
la pierre unvn homme de ce mestier, qui s’estoit servyseruy d’extreme
abstinence à combatre son mal: sSes compagnons disent qu’au
rebours, ce jeusneieusne l’avoitauoit asseché, & luy avoitauoit cuit le sable
dans les roignons. JI’ay aperceu qu’aux blesseures, & aux ma-
ladies, le parler m’esmeut & me nuit, autant que desordre
que jeie face. La voix me couste & me lasse,: car jeie l’ay haute &
efforcée,. sSi que, quand jeie suis venu à entretenir l’oreille des
grands, d’affaires de poix, jeie les ay mis souventsouuent en soing
de moderer ma voix. Ce compte merite de me divertirdiuertir. Quel-
qu’unvn en certaine eschole grecque, parloit haut comme moy,.
lLe maistre des ceremonies luy manda qu’il parlast plus bas:
qQu’il m’envoyeenuoye, fit-il, le ton auquel il veut que jeie parle: lL’autre
luy replica, qu’il print son ton des oreilles de celuy à qui il
parloit. C’estoit bien dict,: pourveupourueu qu’il s’entende, parlez se-
lon ce que vous avezauez affaire à vostre auditeur: cCar si c’est à di-
re,: suffise vous qu’il vous oye, ou reglez vous par luy,: jeie ne
trouvetrouue pas que ce fut raison. Le ton & mouvementmouuemēt de la voix
a quelque expression & significationsignificatiō de mon sens,: c’est à moy
à le conduire pour me representer. Il y à voix pour instruire
voix pour flater, ou pour tancer. JeIe veux que ma voix non seu-
lement arrivearriue à luy, mais à l’avantureauanture qu’elle le frape, & qu’el-
le le perse. Quand jeie mastine mon laquay, d’unvn ton aigre &
poignant, il seroit bon qu’il vint à me dire, mon maistre par-
lez plus doux, jeie vous oys bien.
Position : Marge gauche Est quaedam uox
ad auditum
accommodata non
magnitudine sed
proprietate.
La parole est moitié à celuy
qui parle, moitié à celuy qui l’escoute. Cettuy-cy se doibt
preparer à la recevoirreceuoir, selon le branle qu’elle prend: cComme
entre ceux qui jouentiouent à la paume, celuy qui soustient, se des-
marche & s’apreste, selon qu’il voit remuer celuy qui luy jet-
te
iet-
te
le coup,: & selon la forme du coup. L’experience m’a en-
cores appris cecy, que nous nous perdons d’impatience. Les
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LIVRE TROISIESME.483491
maux ont leur vie, & leurs bornes,
Position : Marge droite leurs maladiesdeclinaisonsmaladies
et leur santè: La
constitution des maladies
dict Platon est formee au
patron de la constitution des
animaus. Elles ont leur dureefortune
limitee des leur naissance
et le conte de leurs joursiours. Qui
essaie de les abreger par drog
drogues dans
imperieusement
par force au traverstrauers de
leur course
naturelle il les alonge et
multiplie: et les harsele
au lieu des les appaiser.
JeIe suis de l’avisauis de Crantor
qu’il ne faut ny obstineement
s’opposer aus maus ny l et a l’estour=
di
lestour=
di
ny leur succomber de mollesse
mais qu’il leur faut ceder
naturellement selon leur condition
et la nostre.
iIl leur fautOn doit donner pas-
sage: jJeiIe trouvetrouue qu’ilsaus maladies: et jeie treuvetreuue qu’elles arrestent moins chez moy qui les laisse
faire,. &Et en ay perdu de ceuxcelles qu’on estime plus opiniastres &
tenanstenaces, de leur propre decadence,: sans ayde & sans art,: & con-
tre
cō-
tre
ses reigles. Laissons faire unvn peu à nature,: elle entendentēd mieux
ses affaires que nous. Mais unvn tel en mourut,: sSi faires vous,: si-
non de ce mal la, d’unvn autre, &Et combien n’ont pas laissé d’en
mourir, ayant trois medecins à leur costécul: lL’exemple est unvn
patron libremirouer vagueuague universelvniuersel, & à tout sens. Si c’est unevne medecine vo-
luptueuse, acceptez la,: c’est tousjourstousiours autant de bien present.
Position : Marge droite JeIe ne m’arreterai
ny au nom ny a la
colur, si elle est
delicieuse et
appetissante:
lLe plaisir est des
principales especes
du profit.

JI’ay laissé envieillirenuieillir & mourir en moy, de mort naturelle, des
reumes,: defluxions gouteuses,: relaxation,: battementbattemēt de coeur,:
micraines,: & autres accidensaccidēs, que ji’ay perdu, quand jeie m’estois
à demy formeé à les nourrir. On les esconjureescōiure mieux par cour-
toisie, que par braveriebrauerie. Il faut souffrir doucement les loix
de nostre condition: nNous sommes pour vieillir, pour affoi-
blir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C’est la
premiere leçon, que les Mexicains font à leurs enfans, quand
au partir du ventre des meres, ils les vont saluant, ainsin: eEn-
fant, tu és venu au mondemōde pour endurer: endure, souffre, & tais
toy. C’est injusticeiniustice de se douloir qu’il soit advenuaduenu à quelqu’q̄lqu’unvn,
ce qui peut adveniraduenir à chacun.
Position : Marge droite Indignare, si quid
in te inique proprie
constitutum est.
Voyez unvn vieillart qui deman-
de
demā-
de
à Dieu qu’il luy maintienne sa santé entiere & vigoreuse,
c’C’est à dire qu’il le remette en jeunesseieunesse,
Stulte quid haec frustra votis puerilibus optas:
n’N’est-ce pas folie? sSa condition ne le porte pas.
Position : Marge droite La goutte la gravellegrauelle
l’indigestion sont
simptomes des longueslōgues
annees come des longs
voiagesuoiages la chalur les
pluies & les ventsuents. Et Plat
Platon ne croit pas qu’AEsculape
se mit en peine de guerir les
maladies doner des
prouvoirprouuoir par regimes a
faire durer la vieuie en un cors gas
et imbecille: inutile a son païs inutile
a sa s vacationuacation et a produire des enfants
sains et robustes: et ne treuvetreuue pas tresce soing
convenableconuenable a la justiceiustice et prudanceprudāce
divinediuine qui doit conduirecōduire toutes choses
a utillité.
Mon bon hom-
me
hō-
me
, c’est faict,: on ne vous sçauroit plus redresser,: on vous pla-
strera Position : Interligne haute pour le plus & estançonnera unvn peu, et alongera on Position : Interligne haute de quelque heure vostreuostre misere.
Non secus instantem cupiens fulcire ruinam,
Diuersis contra nititur obicibus,
Donec certa dies omni compage soluta,
Ipsum cum rebus subruat auxilium.
HHHHHh iij
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[491v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Il faut apprendre à souffrir ce qu’on ne peut evitereuiter. Nostre
vie est composée, comme l’armonie du monde de choses con-
traires
cō-
traires
, aussi de diversdiuers tons, douz & aspres, aigus & plats, mols
& gravesgraues,. lLe musicien qui n’en aymeroit que les unsvns, que vou-
droit il dire? iIl faut qu’il s’en sçache servirseruir en commun,: & les
mesler,. &Et nous, aussi, les biens & les maux, qui sont consub-
stantiels à nostre vie. Nostre estre ne peut sans ce meslange,. &Et
y est l’unevne bande non moins necessaire que l’autre. D’essayer à
regimber contre la necessité naturelle, c’est representer la fo-
lie de Ctesiphon, qui entreprenoit de faire à coups de pied
contreaveqaueq sa mule. JeIe consulte peu, des alterations que jeie sens,. cCar
ces gens icy sont avantageuxauantageux, quand ils vous tiennent à leur
misericorde: iIls vous gourmandent les oreilles de leurs pro-
gnostiques,. &Et me surpreneant autre fois affoibly du mal, m’ontōt
injurieusementiniurieusement traicté de leurs dogmes, & contenancetroigne magi-
strale: mMe menassant tantost de grandes douleurs,: tantost de
mort prochaine: jJeiIe n’en estois abbatu ny deslogé de ma place,:
mais ji’en estois heurté & poussé: sSi mon jugementiugement, n’en est ny
changéchāgé, ny troublé, aumoins il en estoit empesché. C’est tous-
jours
tous-
iours
agitation & combat. Or jeie trete mon imagination le
plus doucement que jeie puis,. &Et la deschargerois si jeie pouvoispouuois,
de toute peine & contestation,. iIl la faut secourir, & flatter, &
piper qui peut. Mon esprit est propre à ce serviceseruice,. iIl n’a point
faute d’apparences par tout. S’il persuadoit, comme il pres-
che, il me secourroit heureusement. Vous en plaict il unvn exem-
ple
exē-
ple
. Il dict que c’est pour mon mieux que ji’ay la gravelegrauele. Que
les bastimens de mon aage, ont naturellement à souffrir quel-
que goutiere,. iIl est temps qu’ils commencent à se lácher &
desmentirdesmētir: c’C’est unevne commune necessité,. &Et n’eust on pas faict
pour moy, unvn nouveaunouueau miracle. JeIe paye par la, le loyer deu à la
vieillesse,: & ne sçaurois en avoirauoir meilleur compte. Que la com-
paignie
cō-
paignie
me doibt consoler,: estant tombé en l’accident le plus
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LIVRE TROISIESME.484492
ordinaire des hommes de mon temps. JI’en vois par tout d’af-
fligez de mesme nature de mal,: &Et m’en est la societe honora-
ble,: d’autant qu’il se prend plus volontiers aux grands: sSon es-
sence à de la noblesse & de la dignité. Que des hommes qui
en sont frapez, il en est peu de quittes à meilleure raison,. &Et si,
il leur couste la peine d’unvn facheux regime,: & la prise ennuieu-
se, & quotidienne, des drogues medicinales: lLà ou jeie le doy pu-
rement à ma bonne fortune. Car quelques bouillons com-
muns de l’eringium, & herbe du turc, que deux ou trois fois
ji’ay avaléaualé, en faveurfaueur des dames, qui plus gratieusement que
mon mal n’est aigre, m’en offroyent la moitié du leur, m’ont
semblé également faciles à prendre, & inutiles en operation.
Ils ont à payer mille veux à Esculape, & autant d’escus à leur
medecin, de la profluvionprofluuion de sable aysée & abondante que jeie
reçoy souventsouuent par le benefice de nature.
Position : Marge droite La decence mesme
de ma contenance en Position : Interligne haute compaignie
ordinere n’en est pas
troublee et porte mon
eau sept oudix heures et
aussi longtemps que’en
tout autre.
La crainte de ce mal,
faict-il, t’effraioit autresfois, quand il t’estoit incogneu: lLes
cris & le desespoir de ceux qui l’aigrissentlaigrissent par leur impatience,
t’en engendroient l’horreur. C’est unvn mal, qui te bat les mem-
bres, par lesquels tu as le plus failly: tTu és homme de cons-
cience,
Quae venit indignè poena delenda venit.
Regarde ce chastiement,: il est bien doux au pris d’autres, &
d’unevne faveurfaueur paternelle. Regarde sa tardifvetétardifueté: iIl n’incom-
mode & occupe que la saison de ta vie, qui ainsi comme
ainsin est mes-huy perdue & sterile,: ayant faict place à la
licence & plaisirs de ta jeunesseieunesse,: comme par composition.
La crainte & pitié que le peuple à de ce mal, te sert de ma-
tiere de gloire: qQualité de laquelle si tu as le jugementiugement pur-
gé, & en as guery ton discours,: tes amys pourtant en reco-
gnoissent encore quelque teinture en ta complexion. Il y a
plaisir à ouyr dire de soy,: vVoyla bien de la force,. vVoyla bien de
la patiencepatiēce. On te voit suer d’ahan, pallir, rougir, trembler, vo-
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[492v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mir jusquesiusques au sang,: souffrir des contractions & convulsionsconuulsions
estranges,: degouter par foys de grosses larmes des yeux,: rendrerēdre
les urinesvrines espesses, noires, & effroyables,: ou les avoirauoir arrestées
par quelque pierre espineuse & herissée qui te pouinct, & escor-
che cruellement le col de la verge,. eEntretenant cependant les
assistans d’unevne contenance commune, raillantbouffonant à pauses avecauec
les dames[unclear]tes gens,: tenant ta partie en unvn discours tendu,: excusant de
parolle ta douleur,: & rabatant de ta souffrance. Te souvientsouuient
il de ces gens du temps passé, qui recerchoyent les maux avecauec
si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine, & en exercice:
mMets le cas que nature te porte, & te pousse à cette nobleglorieuse es-
cole,: en laquelle tu ne fusses jamaisiamais entré de ton gré. Si tu me
dis, que c’est unvn mal dangereux & mortel,. qQuels autres ne le
sont? Car c’est unevne piperie medecinale, d’en excepter aucuns,:
qu’ils disent n’aller point de droict fil à la mort: qQu’importe,
s’ils y vont par accident,: & s’ils glissent, & gauchissent aysée-
ment, vers la voye qui nous y meine.
Position : Marge gauche Mais vousuoustu ne
meuress pas de ce
que vousuoustu estes malade
vousuoustu mourezmeurs de ce
que vousuous vivezsuiuezstu es vivantuiuant. La
mort vousuouste tue bien
sans le secours de la
maladie. Et a
d’aucuns les mala=
dies ont eslouigné
la mort, etqui ont plus
vescu de ce qu’il
leur sambloit s’en
aller mourans. JointIoint
qu’il est come des
plaïes, aussi des mala
dies medecinales et
saluteres
La cholique est souventsouuent
non moins vivaceviuace que nvousnuous,: iIl se voit des hommes, ausquels
elle à continué depuis leur enfance jusquesiusques à leur extreme
vieillesse,: & s’ils ne luy eussent failly de compaignie, elle estoit
pour les assister plus outre.: VvVous la tuez plus souventsouuent qu’elle
ne vous tue,. &Et quand elle te presenteroit l’image de la mort
voisine, seroit ce pas unvn bon office, à unvn homme de tel aage, de
le ramener aux cogitations de sa fin.
-
Position : Marge droite Et qui pis
est. Tu n’as plus
pour qui guerir
D’ailleurs aAuAinsi come ainsin au premier
jouriour la commune
necessitè t’apele
Considere combien arti-
ficielement & doucement, elle te desgouste de la vie, & des-
prend du monde: nNon te forçant, d’unevne subjectionsubiectiō tyranniquetyrānique,
comme tant d’autres maux, que tu vois aux vieillarts, qui les
tiennent continuellement entravezentrauez, & sans reláche de foy-
blesses & douleurs: mMais par advertissemensaduertissemens, & instructions
reprises à intervallesinterualles,: entremeslant des longues pauses de re-
pos, comme pour te donner moyen de mediter, & repeter sa
leçon à ton ayse. Pour te donner moyen de jugeriuger sainement,
& pren-
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LIVRE TROISIESME.485493
& prendre party en homme de coeur elle te presente l’estat
de ta condition entiere, & en bien & en mal,: &Et en mes-
me jouriour, unevne vie tres-alegre tantost, tantost insupporta-
ble. Si tu n’accoles la mort, au moins tu luy touches en pau-
me, unevne fois le moys.
Position : Marge droite Par où tu as de plus à esperer, qu’elle t’attrappera unvn jouriour sans menace. Et
quecar estant si souvantsouuant conduit jusquesiusques au
port: te fiant d’estre encores aus termes
acostumez, on t’ara et ta fiance passé un
matin
l’eauleau un matin insensiblement. Ce
inopineement. Ce que les moindres
mouvemansmouuemans comancent
tantost a espreindre le sang
de tes reins c’est que quelque
grosse pierre les foule et
consome. N’as tu pas grand
raison d’un si grand
mouvementmouuement qu’il ne te coste
qu’une sourde poisanteur &
alteration en cete partie
Voila ta vieuie que tu vuidesuuides
non sans quelque naturelle
douceurs come un excrement
hormais superflu & inuti em=
peschant.
On n’a point à se plaindre des maladies,
qui partagent loyallement le temps avecauec la santé. JeIe suis obli-
gé à la fortune, de quoy elle m’assaut si souventsouuent de mesme
sorte d’armes: eElle m’y façonne, & m’y dresse par usagevsage, m’y
durcit & habitue: jJeiIe sçay à peu pres mes-huy, en quoy ji’en
doibts estre quitte.
Position : Marge droite
A faute de memoire
naturelle ji’en forge
de papier: eEt come
quelque a ce nouveaunouueau
simptome survientsuruient à
mon mal jeie l’escris
dD’oudDou il avientauient que
asture estantestāt quasi
passe par toute sorte
d’examples si quelque
estonemant me
menace, feuilletant
ces petits brevetzbreuetz
descousus jeie ne
faus plus de
trouvertrouuer ou me
consoler sur quelq
quelque experiance
passee
come des
feuilles Sybillines,
jeie ne faus plus de
trouvertrouuer ou me
consoler de quelque
prognostique favo=
rable
fauo=
rable
en mon
experiance passee.
Me sert aussi l’accoustumance, à mieux es-
perer pour l’adveniraduenir,. cCar la conduicte de ce vuidange ayant
continué si long temps, il est à croire, que nature ne changera
point ce trein,: & n’en adviendraaduiendra autre pire accident, que celuy
que jeie sens. En outre, la conditionconditiō de cette maladie n’est point
mal advenanteaduenante à ma complexion prompte & soudaine. QuandQuād
elle m’assaut mollement, elle me faict peur, car c’est pour longlōg
temps: mMais naturellement elle à des excez vigoreux & gail-
larts,. eElle me secouё à outrance pour unvn jouriour ou deux. Mes
reins ont duré quarante ansun aage sans alteration,: il y en a tantost
quatorzeun autre qu’ils ont changé d’estat,: lLes maux ont leur perio-
de comme les biens: à l’avantureauanture est cet accident à sa fin.
L’aage affoiblit la chaleur de mon estomac,: sa digestion en e-
stant moins parfaicte, il renvoyerenuoye cette matiere crue à mes
reins: pPourquoy ne pourra estre à certaine revolutionreuolution affoi-
blie pareillement la chaleur de mes reins, si qu’ils ne puissent
plus petrifier mon flegme,: & nature s’acheminer à prendre
quelque autre voye de purgation. Les ans m’ont evidem-
ment
euidem-
ment
faict tarir aucuns reumes,. pPourquoy non ces excre-
mens qui fournissent de matiere à la gravegraue. Mais est-il rien
doux au pris de cette soudaine mutation,: quand d’unevne dou-
leur extreme, jeie viens par le vuidange de ma pierre à recou-
vrer
recou-
urer
, comme d’unvn esclair, la belle lumiere de la santé, si libre
IIIIIi
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[493v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& si pleine: cComme il advientaduient en nos soudaines & plus as-
pres choliques: y a il rien en cette douleur soufferte, qu’on
puisse contrepoiser au plaisir d’unvn si prompt amandement.
De combien la santé me semble plus belle apres la maladie,
si voisine & si contigue, que jeie les puis recognoistre en pre-
sence l’unevne de l’autre, en leur plus haut appareil, ou elles se
mettent à l’envyenuy, comme pour se faire teste & contrecarre.
Tout ainsi que les Stoyciens disent, que les vices sont utile-
ment
vtile-
ment
introduicts, pour donner pris & faire espaule à la ver-
tu,: nous pouvonspouuons dire, avecauec meilleure raison, & conjectureconiecture
moins hardie, que nature nous à fournipresté la douleur, pour
l’honneur & serviceseruice de la volupté & indolence. Lors que
Socrates apres qu’on l’eust deschargé de ses fers, sentit la frian-
dise
friā-
dise
de cette demangeson, que leur pesanteur avoitauoit causé en
ses jambesiambes,: il se resjouytresiouyt, à considerer l’estroitte alliance de la
douleur à la volupté,: comme elles sont associées d’unevne liai-
son necessaire,: si qu’a tours, elles se suyventsuyuent, & s’entr’engen-
drent: &Et s’escrioit au bon Esope, qu’il deut avoirauoir pris, de cet-
te consideration, unvn corps propre à unevne belle fable. Le pis
que jeie voye aux autres maladies, c’est qu’elles ne sont pas si
griefvesgriefues en leur effect, comme elles sont en leur yssue: oOn est
unvn an à se ravoirrauoir,: tousjourstousiours plein de foiblesse, & de crainte: iIl
y a tant de hazard, & tant de degrez à se reconduire à sauve-
sauue-
, que ce n’est jamaisiamais faict. AvantAuant qu’on vous aye deffublé
d’unvn couvrechefcouurechef, & puis d’unevne calote,: avantauant qu’on vous aye
rendu l’usagevsage de l’air, & du vin, & de vostre femme, & des
melons, c’est grand cas si vous n’estes reçheu en quelque nou-
velle
nou-
uelle
misere. Cette-cy à ce privilegepriuilege, qu’elle s’emporte tout
net,. lLa ou les autres, laissent tousjourstousiours quelque impression, &
alteration, qui rend le corps susceptible de nouveaunouueau mal,. &Et
se prestent la main les unsvns aux autres.: CcCeux la sont excusa-
bles, qui se contentent de leur possession sur nous, sans l’e-
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LIVRE TROISIESME.486494
stendre,: & sanssās introduire leur sequeleseq̄le: mMais courtois, & gratieux
sont ceux, de qui le passage nous apporte quelque utilevtile con-
sequence. Depuis ma cholique, jeie me trouvetrouue deschargé d’au-
tres accidens, plus ce me semble que jeie n’estois auparavantauparauant,:
& n’ay point eu de fievrefieure depuis. JI’argumente que les vomis-
semens extremes & frequens que jeie souffre, me purgent,: &Et
d’autre costé, mes degoustemensdegoustemēs, & les jeunesieunes estranges que jeie
passe, digerent mes humeurs peccantes,: &Et nature vuide en
ces pierres ce qu’elle à de superflu & nuysible. Qu’on ne me
die point, que c’est unevne medecine trop cher vendue: cCar quoy
tant de puans breuvagesbreuuages, cauteres, incisions, suées, sedons,
dietes, & tant de formes de guarir, qui nous apportent sou-
vent
sou-
uent
la mort, pour ne pouvoirpouuoir soustenir leur violence, & im-
portunité. Par ainsi, quand jeie suis atteint, jeie le prens à mede-
cine,: quand jeie suis exempt, jeie le prens à constante & entiere
delivrancedeliurance. Voicy encore unevne faveurfaueur de mon mal, particulie-
re: c’C’est qu’a peu prez, il faict son jeuieu à part,: & me laisse faire
le mien,: ou il ne tient qu’a faute de courage: eEn sa plus gran-
de esmotion, jeie l’ay tenu dix heures à chevalcheual: sSouffrez seule-
ment, vous n’avezauez que faire d’autre regime: jJoueziIouez, disnez,
courez, faictes cecy & faites encore cela, si vous pouvezpouuez,: vo-
stre desbauche y serviraseruira plus qu’elle n’y nuira. Dictes en au-
tant à unvn verolé, à unvn gouteux, à unvn hernieux. Les autres ma-
ladies ont des obligations plus universellesvniuerselles,: geinent bien au-
trement nos actions,: troublent tout nostre ordre,: & enga-
gent à leur consideration tout l’estat de la vie. Cette-cy ne
faict que pinser la peau,: elle vous laisse l’entendement, & la
volonté en vostre disposition, & la langue, & les pieds, & les
mains. Elle vous esveilleesueille plustost qu’elle ne vous assopit. L’a-
me est frappée de l’ardeur d’unevne fievrefieure,: & atterrée d’unevne epi-
lepsie,: & disloquée par unevne aspre micraine,: & en fin eston-
IIIIIi ij
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[494v] ESSAIS DE M. DE MONT.
née par toutes les maladies qui blessent la masse, & les plus
nobles parties: iIcy, on ne l’ataque point,. sS’il luy va mal, à sa
coulpe: eElle se trahit elle mesme, s’abandonne, & se des-
monte. Il n’y a que les fols qui se laissent persuader, que ce
corps dur & massif, qui se cuyt en nos roignons, se puisse dis-
soudre par breuvagesbreuuages: pParquoy dépuis qu’il est esbranlé,
il n’est que de luy donner passage,: aussi bien le prendra il. JeIe
remarque encore cette particuliere commodité,: que c’est
unvn mal, auquel nous avonsauons peu à divinerdiuiner,. nNous sommes dis-
pensez du trouble, auquel les autres maus nous jettentiettent, par
l’incertitude de leurs causes, & conditions, & progrez: tTrou-
ble infiniement penible. Nous n’avonsauons que faire de consul-
tations & interpretations doctorales: les sens nous mon-
trent que c’est, & ou c’est. Par tels argumens, & forts & foi-
bles, comme Cicero le mal de sa vieillesse, ji’essaye d’endor-
mir & amuser mon imagination & gresser ses playes,: sSi el-
les s’empirent demain, demain nous y pourvoyeronspouruoyerons d’au-
tres eschapatoires.
Position : Marge gauche Qu’il soit vraiurai. Voici
despuis de nouveaunouueau que
les plus legiers mouvemensmouuemens
espreignent le pur sang de
mes reins. Quoi pour cela? jeie
ne laisse de me mouvoirmouuoir come
devantdeuant, et courir des lievreslieures a
toute bride
piquer apres mes chiens d’une juvenileiuuenile ardur, et insolente come un page. Et treuvetreuue que
ji’ay grand raison d’un si
important accidant: qui ne
me coste qu’une sourde poisanturpoisātur
& alteration en cette partie.
C’est quelque grosse pierre qui
foulle et consome la substance
de mes rouignons: et ma vieuie
que jeie vuideuuide peu a peu, non sans
quelque naturelle douceur come
unvn excrement hormais superflu
& empechant.
Or, sens jeie quelque chose qui crosle,: ne
vous attendez pas que ji’aille m’amusant à recognoistre mon
pous, & mes urinesvrines, pour y prendre quelque prevoyancepreuoyance en-
nuyeuse,: jJeiIe seray assez à temps à sentir le mal, sans l’alonger
par le mal de la crainte.peur.
Position : Marge gauche Qui creint de
souffrir, il souffre
dejadeia de ce qu’il creint.
JointIoint que la perpe dubi=
tation et ignorance
de ceus qui se meslent
d’expliquer les ressors
de nature & ses internes
progrez et tant de faus
prognostiques de leur art
nous doit faire conestre
quell’a ses moïens nous sont
infiniement inconus Il
y a grande incertitude
variete & obscurite
de ce qu’elle nous promet
ou menace Sauf la
vieillesse qui est un
signe indubitable de
l’approche de la mort
de tous les autres accidansaccidās
jeie voisuois peu de signes certeins
de l’avenirlauenir sur quoi nous
avonsauons a fonder nostre divinationdiuination. et co
JeIe ne me jugeiuge que par vray senti-
ment, non par discours: àA quoy faire, puisque jeie ny veux
apporter que l’attenteattēte & la patiencepatiēce. Voulez vous sçavoirsçauoir com-
bien jeie gaigne à cela, rRegardez ceux qui font autrement, &
qui dependentdependēt de tant de diversesdiuerses persuasions & conseils: com-
bien souventsouuent l’imagination les presse sans le corps. JI’ay main-
tesfois prins plaisir estant en seurté, & delivredeliure de ces acci-
dens dangereux, de les communiquer aux medecins, com-
me naissans lors en moy: jJeiIe souffrois l’arrest de leurs hor-
ribles conclusions bien à mon aise,: & en demeurois de tant
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LIVRE TROISIESME.487495
plus obligé à Dieu de sa grace, & mieux instruict de la va-
nité de cet art. Il n’est rien qu’on doivedoiue tant recommander à
la jeunesseieunesse, que l’activetéactiueté & la vigilance. Nostre vie n’est que
mouvementmouuement: jeie m’esbranle difficilementdifficilemēt, & suis tardif par tout:
à me leverleuer, à me coucher, & à mes repas,: c’est matin pour moy
que sept heures: & ou jeie gouvernegouuerne, jeie ne disne, ny avantauant onze,
ny ne soupe, qu’apres six heures. JI’ay autrefois attribué la cau-
se des fiévresfiéures, & maladies ou jeie suis tombé, à la pesanteur &
assoupissement que le long sommeil m’avoitauoit apporté, & me
suis tousjourstousiours repenty de me r’endormir le matin.
Position : Marge droite Platon veutueut plus de mal
au a l’excez deu dormir qu’à
l’exezlexez d l’excezlexcez du boire
UnVn home qui dort ne vautuaut
rien dict il.
JI’ayme à
coucher dur & seul, voire sans femme, à la royalle: unvn peu, bienbiē
couvertcouuert: on ne bassine jamaisiamais mon lict, mais depuis la vieilles-
se, on me donne quand ji’en ay besoing, des draps, à eschauffer
les pieds & l’estomach. On trouvoittrouuoit à redire au grand Scipion
d’estre dormart, non à mon advisaduis pour autre raison, sinon
qu’il faschoit aux hommes, qu’en luy seul, il n’y eust aucune
chose à redire. Si ji’ay quelque curiosité en mon traictement,
c’est plustost au coucher, qu’a autre chose,: mais jeie cede Position : Interligne haute et m’accommode en ge-
neral, autant que tout autre, a la necessité. Le dormir a occupé
unevne grande partie de ma vie, & le continuё encores en cet aa-
ge, huict ou neuf heures d’unevne halaine. JeIe me retire avecauec utilitévtilité
de cette propensionpropensiō paresseuse, & en vauts evidemmenteuidemmēt mieux:
jeie sens unvn peu le coup de la mutation, mais c’est faict en trois
joursiours. Et n’en voy guieres qui viveviue a moins quandquād il est besoin,
& qui s’exerce plus constamment, ny a qui les corvéescoruées poisent
moins: mon corps est capable d’unevne agitation ferme, mais
non pas vehemente & soudaine. JeIe fuis meshuy les exercices
violents, & qui me meinent a la sueur: mes membres se lassent
avantauant qu’ils s’eschauffent. JeIe me tiens debout tout le longlōg d’unvn
jouriour, & ne m’ennuye poinct a me promener: mais sur le pavépaué, despuis mon premier
aage jeie ne puis jeie n’ay aimè d’aller qu’a chevalcheual: a pied jeie me crotte jusquesiusques aux fes-
IIIIIi iij
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[495v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ses,: & les petites gens, sont subjetssubiets par ces ruёs, a estre choquez Position : Interligne haute et coubdoyez
et coubdoïeza faute d’apparence. JIEt ay aymeé a me reposer, soit couché soit as-
sis, les jambesiambes autant ou plus hautes que le siege. Il n’est occu-
pation plaisante comme la militaire: occupation & noble en
execution, car la plus forte, genereuse, & superbe de toutes les
vertus, est la vaillance. Et noble en sa cause: il n’est point d’uti-
lité
vti-
lité
ny plus justeiuste, ny plus universellevniuerselle, que la protection du re-
pos, & grandeur de son pays. La compaignie de tant d’hom-
mes vous plaist, nobles, jeunesieunes, actifs: la veue ordinaire de tant
de spectacles tragiques: la liberté de cette conversationconuersation, sans
art, & unevne façon de vie masle & sans ceremonie: la varieté de
mille actions diversesdiuerses: cette courageuse harmonie de la musi-
que guerriere, qui vous entretient & eschauffe, & les oreilles,
& l’ame: l’honneurhōneur & noblesse de cet exercice: son aspreté mes-
me & sa difficulté.
Position : Marge gauche que Platon estime si peu que
en sa republique il y mesle en
faict part aus femmes et aus
enfans.
Vous vous conviezconuiez aux rolles, & hazards
particuliers, selon que vous jugeziugez de leur esclat, & de leur im-
portance Position : Interligne haute , soldat volontereuolontere: & voyez quand la vie mesme y est excusablement
employée,
pulchrúmque mori succurrit in armis.
De craindre les hazards communs, qui regardent unevne si gran-
de presse, de n’oser ce que tant de sortes d’ames osent, c’est a
faire a unvn coeur vilemol, & bas outre mesure. La compagnie asseu-
re jusquesiusques aux enfans. Si d’autres vous surpassent en science, en
grace, en force, en fortune, vous avezauez des causes tierces, a qui
vous en prendre, mais de leur ceder en fermeté d’ame, vous
n’avezauez a vous en prendre qu’a vous. La mort est plus abjecteabiecte,
plus languissante, & penible dans unvn lict, qu’en unvn combat,:
les fiévresfiéures & les catarres, autant doleureux & mortels, qu’unevne
harquebusade:. qQui seroit faict, a porter valeureusement les ac-
cidents de la vie commune, n’auroit poinct a grossir son cou-
rage pour se rendre gendarme.
Position : Marge gauche Viuere mi Lucili
militare est.

Il ne me souvientsouuiēt
point de m’estre
jamaisiamais veuueu galeus.
Si est la graterie des gratifications de nature
les plus douces & autant a main. Mais ell’a la
paenitance trop vouo importuneement voisineuoisine.
JeIe l’exerce plus aus oreilles que ji’ay pruantes par sesons.
au dedans bien fort pruantes par sesons.
JeIe suis nay de tous les sens cor-
porels, entiers quasi a la perfection. Mon estomac est com-
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LIVRE TROISIESME.488496
modéement bon, comme est ma teste: & le plus souventsouuent, se
maintiennent au traverstrauers de mes fiévresfiéures, & aussi mon haleine.
JI’ay passé l’aage,JI’ay outrepasse tantosttātost de six ans, le cinquantieme, auquel aucundes nationsnatiōs, non sans occasion, a-
voient
a-
uoient
prescript unevne si justeiuste fin à la vie, qu’elles ne permet-
toient point qu’on l’excedat: si ay-jeie encore des remises, quoy
qu’inconstantes & courtes, si nettes, qu’il y à peu à dire de la
santé & indolenceindolēce de ma jeunesseieunesse: jeie ne parle pas de la vigueur
& allegresse, ce n’est pas raison qu’elle me suyvesuyue hors ses li-
mites.:
Non haec amplius est liminis, aut aquae
Coelestis, patiens latus.

Mon visage me descouvredescouure incontinentincontinēt:
-
Position : Marge droite , et mes yeus.
Ttous mes changemenschāgemens
commencent par là, & unvn peu plus aigres, qu’ils ne sont en ef-
fect.: JjeIie faits souventsouuent pitié a mes amis, avantauant que ji’en sente la
cause. Mon miroir ne m’estonneestōne pas, car en la jeunesseieunesse mesme,
il m’est advenuaduenu plus d’unevne fois, de chausser ainsin unvn teinct, &
unvn port trouble, & de mauvaismauuais prognostique, sans grand ac-
cident: en maniere que les medecins, qui ne trouvoienttrouuoient au de-
dans cause qui respondit à cette alterationalteratiō externe, l’attribuoientattribuoiēt
à l’esprit, & à quelque passion secrete, qui me rongeast au de-
dans: ils se trompoient. Si le corps se gouvernoitgouuernoit autant selon
moy, que faict l’ame, nous marcherions unvn peu plus à nostre
aise. JeIe l’avoisauois lors, non seulement exempte de trouble, mais
encore plaine de satisfaction, & de feste, comme elle est le plus
ordinairement, moytié de sa complexion, moytié de son des-
sein:
Nec vitiant artus aegrae contagia mentis.
JeIe tiens, que cette sienne temperature, à relevéreleué maintesfois le
corps de ses cheutes: il est souventsouuent abbatu, que si elle n’est en-
jouée
en-
iouée
, elle est aumoins en estat tranquille & reposé. JI’eus la
fiévrefiéure quarte, quatre ou cinq mois, qui m’avoitauoit tout desvisa-
desuisa-
: l’esprit alla tousjourstousiours non paisiblement seulement, mais
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[496v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
plaisamment. Si la douleur est hors de moy, l’affoiblissement
& langueur ne m’attrisstent guiere. JeIe vois plusieurs defaillan-
ces corporelles, qui font horreur seulement à nommer, que jeie
craindrois moins que mille passions, & agitations d’esprit, que
jeie vois en usagevsage. JeIe prensprēs party de ne plus courre, c’est assez que
jeie me traine,: ny ne me plains de la decadencedecadēce naturelle qui me
tient, aux talons,
Quis tumidum guttur miratur in Alpibus?
Non plus que jeie ne regrette que ma durée, ne soit aussi longue &
entiere que celle d’unvn chesne. JeIe n’ay poinct à me plaindre de
mon imagination: ji’ay eu peu de pensées en ma vie qui m’ayentayēt
seulement interrompu le cours de mon sommeil,: si elles n’ontōt
esté du desir, qui m’esveillatesueillat, sans m’affliger. JeIe songe peu sou-
vent
sou-
uent
, & lors c’est des choses fantastiques & des chimeres, pro-
duictes communément de pensées plaisantes: plustost ridicu-
les que tristes. Et tiens qu’il est vray, que les songes sont
loyaux interpretes de nos inclinations, mais il y a de l’art
à les assortir & entendre.
[Commentaire (Montaigne) : vers]
Position : Marge gauche Res quae in uita usurpant
homines cogitant curant uident
Quaeque agunt uigilantes
agitantque ea sicut in somno
accidunt
Minus mirandum est

Et Platon dict Position : Interligne haute davantagedauātage que c’estcest
l’office de la prudance
d’en tirer des instructions
divinatricesdiuinatrices pour l’avenirauenir
JeIe ne voisuois rien a cela. [Note (Mathieu Duboc) : Voici les versions de ce passage rédigées successivement par Montaigne avant d’être entièrement biffées: 1- Les histoires grecques disent que les Atlantes ne songent jamais je sçai si c’est pour [...]le leur... (rédaction interrompue) 2- Les histoires grecques disent que les Atlantes ne songent jamais je sçai si c’est pour ne manger jamais chose qui aïe prins mort que ils ne font. 3- Les livres nous assurent que les Atlantes ne songent jamais je sçai si c’est pour ne manger jamais chose qui aïe prins mort com’ils ne font.]
Les histoires grecques disentlivresliures nous assurent
ques les Atlantes ne songent
jamaisiamais jeie ne sçai si c’est pour
[...]le leur [unclear] ne manger
jamaisiamais chose qui aïe prins mort
que ils ne font. com’ils ne font.

sinon les merveilleusesmerueilleuses
experiances que Socrates
Xenophon Aristote en recitentrecitēt
personages d’authorite
inobjectableinobiectableirreprochable Les histoires
disent que les Atlantes ne
songent jamaisiamais: qui ne
mangentmangēt aussi rien qui
aye prins mort: ce que jeie
y adjouteadioute d’autant que
c’est a l’avantureauāture l’occasionloccasion
pourquoi ils ne songent point:
Car Pythagoras ordonoit
certeine preparation de
ces nourriture pour rendrefaire
les songes plus a propos
Les miens sont tendres et
ne m’aportent point desaucune
agitations[sic] de cors ny de langue qu’il[sic] fontfōt
a d’autres asses que jeie conois
pareils
ny expression de
voix JI’ay veuueu plusieurs
de mon temps en estre
merveilleusementmerueilleusement agitez Theon le philosophe se promenoit en songeant
et le valetualet de Pericles sur les tuiles mesmes & feste de la maison.
jJeiIe ne choisis guiere à table, & me prensprēs
à la premiere chose & plus voisine: & me remue mal volon-
tiers d’unvn goust à unvn autre. La presse des plats, & des servicesseruices
me desplaist, autantautāt qu’autre presse: jeie me contentecōtente aiséementaiséemēt de
peu de mets, & hay l’opinion de FavorinusFauorinus, qu’en unvn festin, il
faut qu’on vous desrobe la viande ou vous prenez goustappetit, &
qu’on vous en substitue tousjourstousiours unevne nouvellenouuelle: & que c’est
unvn miserable souper, si on n’a saoulé les assistans de croupions
de diversdiuers oiseaux, & que le seul bequefigue merite qu’on le
mange entier. JjIiusevse familierement de viandes sallées,: si ayme-
jeie mieux le pain sans sel, & mon boulangerboulāger chez moy, n’en sert
pas d’autre pour ma table, contre l’usagevsage du pays. On a eu en
mon enfanceenfāce principalementprincipalemēt à corriger, le refus, que jeie faisois des
choses que communement on ay me le mieux en cet aage, su-
cres, confitures, pieces de four. Mon gouverneurgouuerneur combatit
cet-
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LIVRE TROISIESME.489497
cette hayne de viandes delicates, comme unevne espece de delica-
tesse. Aussi n’est elle autre chose, que difficulté de goust, ou
qu’il s’applique. Qui oste à unvn enfant certaine particuliere &
obstinée affection au pain bis, & au lart, ou à l’ail, il luy oste la
friandise. Il en est, qui font les laborieux, & les patiens, pour re-
gretter le boeuf, & le jamboniambon, parmy les perdris: ils ont bon
temps: c’est la delicatesse des delicats, c’est le goust d’unevne mol-
le fortune, qui s’affadit aux choses ordinaires & accoustumées.
Position : Marge droite : per quae luxu
luxuria diuitiarum
taedio ludit.

Laisser à faire bonne chere de ce qu’unvn autre l’a faict, avoirauoir unvn
soing curieux de son traictement, c’est l’essence de ce vice,
Si modica coenare times olus omne patella.
Il y a bienbiē vraymentvraymēt cette differencedifferēce, qu’il vaut mieux obliger son
desir aux choses plus aisées à recouvrerrecouurer, mais c’est tousjourstousiours
vice de s’obliger. JI’appellois autresfois, delicat unvn mienmiē parent,
qui avoitauoit desapris en nos galeres, à se servirseruir de nos licts, & se
despouiller pour se coucher. Si jiavoisauois des enfansenfās masles, jeie leur
desirasse volontiersvolōtiers ma fortune: le bon pere que Dieu me donnadōna,
qui n’a de moy que la recognoissance de sa bonté, mais certes
bienbiē gaillarde, m’envoiaenuoia dés le berceau, nourrir à unvn pauvrepauure vil-
lage des siens, & m’y tint autantautāt que jeie fus en nourrisse, & enco-
res au delà: me dressant à la plus basse & communecōmune façon de vi-
vre
vi-
ure
.
Position : Marge droite Magna pars liberta=
tis est bene moratus
uenter
Ne prenez jamaisiamais, & donnezdōnez encore moins à vos femmesfēmes, la
charge de leur nourriture: laissez les former à la fortune, soubs
des loix populaires & naturelles: laissez à la coustume de les
dresser à la frugalité & à l’austerité, qu’ils ayent plustost à de-
scendre
de-
scēdre
de l’aspreté, qu’a montermōter vers elle. Son humeur visoit en-
core ena unevne autre fin,: de me ralier avecauec le peuple, & cette condi-
tion
cōdi-
tiō
d’hommeshōmes, qui a besoin de nostre ayde: & estimoit que jeie fusse
tenu de regarder plutost, vers celuy qui me tendtēd les bras, que vers
celuy qui me tourne le dos. Et fut céte raisonraisō, pourquoy aussi il
me donnadōna à tenir sur les fons, à des personnes de la plus abjecteabiecte
fortune, pour m’y obliger & attacher. Son dessein n’a pas du
Kkkkkk
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[497v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tout mal succedé: jeie m’adonneadōne volontiersvolōtiers aux petits, soit pour ce
qu’il y a plus de gloire, soit par naturelle compassioncompassiō, qui peut
infiniement en moy. JeIe condamne en nos troubles la cause de
l’unvn des partis, mais plus quand elle fleurit & qu’elle
Le parti que jeie condamnerai en nos guerres, jeie le
condamnerai plus asprement fleurissant et
prospere,:
elle m’a par fois aucunementaucunemēt conciliécōcilié à soy, pour la voirIl sera pour me concilier aucunement a soy, quant jeie le verraiuerrai misera-
ble & accablée. CombienCōbien volontiers jeie considerecōsidere la belle humeur
de Chelonis, fille & femme de Roys de Sparte: pendantpendāt que Cleom-
brotus
Cleō-
brotus
son mary, aux desordres de sa ville, eust avantageauantage sur
Leonidas son pere, elle fit la bonne fille, se r’allia avecauec son pere,
en son exil, en sa misere, s’opposant au victorieux: la chancechāce vint
elle à tourner, la voila changéechāgée de vouloir avecauec la fortune, se ran-
geant
rā-
geant
courageusement à son mary, lequel elle suivitsuiuit par tout,
ou sa ruine le porta: n’ayant ce semble autre chois, que de se jetterietter
au party, ou elle faisoit le plus de besoin, & ou elle se monstroitstroit
plus pitoyable. JeIe me laisse plus naturellementnaturellemēt aller apres l’exem-
ple
exē-
ple
de Flaminius, qui se prestoit à ceux qui avoientauoient besoin de
luy, plus qu’à ceux qui luy pouvoientpouuoiēt bienbiē-faire: que jeie ne fais à ce-
luy de Pyrrus, propre à s’abaisser soubs les gransgrās, & à s’enorgueil-
lir
ēorgueil-
lir
sur les petis. Les longueslōgues tables me fachent et me nuisent: car, soit pour m’y
estre accoustumé enfant, à faute de meilleure contenance, jeie
mange autant que ji’y suis: pPourtantpPourtāt chez moy, quoi qu’elle soit des courtes jeie m’y mets vo-
lontiers
vo-
lōtiers
quelque tempsun peu apres les autres, sur le patronpatrōla forme d’Auguste:
mais jeie ne l’imite pas en ce, qu’il en sortoit aussi avantauāt les autres.
Au rebours, ji’ayme à me reposer long temps apres, & en ouyr
contercōter: pourveupourueu que jeie ne m’y mesle point,: car jeie me lasse & me
blesse de parler, l’estomac plain, autantautāt commecōme jeie trouvetrouue l’exerci-
ce de crier, & contester, avantauant le repas tressalubre & plaisant.
Position : Marge gauche Les antiens grecs et
Romeins avointauoint pourtantpourtāt
meillure raison que nous
n’avonsauons de assignant a
la nourriture qui est
une action principale de la
vie si autres extraordinere
occupations ne les en
divertissointtdiuertissointt plusieurs hures
& la meillure partie de la
nuit mangeant et beuvantbeuuāt
moins hastivemanthastiuemant que nous
qui passons en poste toutes
nos actions et estandant
ce plesir naturel a plus de
loisir et d’usage y entrese
mant diversdiuers offices de conversationconuersation utiles
& agreables.

Ceux qui ontdoiventdoiuent avoirauoir soing de moy, ontpourroint a bon marché, de me desrober
ce qu’ils pensentpēsent m’estre nuisible: car en telles choses jeie ne desire
jamaisiamais, ny ne trouvetrouue a dire, ce que jeie ne vois pas: mais aussi de
celles qui se presentent, ils perdentperdēt leur temps de m’en prescher
l’abstinence: si que, quandquād jeie veus jeusnerieusner, il me faut mettre à part
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.490498
des soupeurs, & qu’on me presente justementiustement, autant qu’il est
besoin pour unevne reglée collationcollatiō: car si jeie me mets à table, ji’ou-
blie ma resolution. Quand ji’ordonne qu’on change d’aprest à
quelque viande, mes gensgēs sçaventsçauēt, que c’est à dire, que mon appetit
est alanguyalāguy, & que jeie n’y toucheray point. En toutes celles qui
le peuventpeuuēt souffrir, jeie les ayme peu cuites: & les ayme fort mor-
tifiées, & jusquesiusques à l’alterationalteratiō de la senteursēteur, en plusieurs. Il n’y à
que la dureté qui generalement me fache (de toute autre qua-
lité, jeie suis aussi nonchalant & souffrant qu’hommehōme que ji’aye co-
gneu) si que contre l’humeur communecōmune, entre les poissons mes-
me, il m’advientaduiēt d’en trouvertrouuer, & de trop frais, & de trop fermes.
Ce n’est pas la faute de mes dents, que ji’ay eu tousjourstousiours bonnesbōnes
jusquesiusques à l’excellence, & que l’aage ne commence de menasser
qu’à céte heure. JI’ay aprins dés l’enfance à les froter de ma ser-
viette
ser-
uiette
, & le matin, & à l’entrée & issuё de la table. Dieu faict
grace à ceux, a qui il soustrait la vie par le menu: c’est le seul be-
nefice de la vieillesse: la derniere mort en sera d’autant moins
plaine & nuisible: elle ne tuera plus qu’unvn demy, ou unvn quart
d’hommehōme. Voila unevne dentdēt qui me vientviēt de choir, sans douleur, sans
effort, c’estoit le terme naturel de sa durée: & cette partie de
mon estre, & plusieurs autres sont desjadesia mortes,: autres demy
mortes, des plus activesactiues, & qui tenoient le premier rang pen-
dant la vigueur de mon aage. C’est ainsi que jeie fons, & eschape
à moy. Quelle bestise sera-ce à mon entendement, de sentir le
saut de cette cheute, desjadesia si avancéeauācée, commecōme si elle estoit entiere:
jJeiIe ne l’espere pas.
Position : Marge droite Cesar eut raisonfut philosofique
Caesar fut philo=
sofiquemant plesant

au soldat de ses
gardes vieiluieil et cassé
qui luy alla demanderdemāder
en la rue conge de se
tuer: apres l’avoirauoir
regarde contemple,
de luy respondre
Comant? tu panses
donq estre en vieuie.

A la veriteuerite jeie reçois
une principale consolation
aus pensees de ma mort
qu’elle soit des communesjustesiustes &
naturelles: et que meshui jeie ne puisse
en cela requerir ny esperer de la
destinee faveurfaueur qu’illegitime
Position : Interligne basse uitam adolescentibus uis aufert, senibus maturitas.
Les homes se font
accroire qu’ils ont eu autresfois &come la stature et la
vieuie aussi plus grande. mMais Solon qui est de ces vieusuieus
temps la, en taille pourtant par desir mesme
l’extreme duree a soixante dix ans Moi qui ai
tant adoré et si universellementuniuersellement cet rien tropἄριστον μέτρον[Note (Alain Legros) : Le grec est également de la main de Montaigne.] du
temps passé et ay pris pour la plus parfaicte la
moïene mesure, pretanderai jeie une Position : Interligne haute desmesuree et monstrueuse
vieillesseuieillesse? Tout ce qui vientuient au reversreuers du cours de nature
estpeut estre facheus mais ce qui vientuient selon elle estdoit estre tousjourstousiours plaisant Position : Interligne haute Omnia quae secundum naturam fiunt sunt habenda in bonis. Par ainsi dict Platon la mort que les plaïes ou maladies apportent
estsoit violanteuiolante mais celle qui nous surprantsurprāt, la vieillesseuieillesse nous y conduisantcōduisant, est de toutes la plus legiere, et aucunement delicieuse. Vitam
adolescentibus, uis aufert, senibus maturitas.
La mort se mesle & confondcōfond par tout, à nostre
vie: le declin praeoccupe son heure, & s’ingere au cours de no-
stre avancementauācemēt mesme. JI’ay des portraits de ma forme de vingt
& cinq, & de trentetrēte cinq ans: jeie les comparecōpare avecauec celuy d’asteure:
combiencōbien de fois, ce n’est plus moy,: combiencōbien est mon image presen-
te plus esloingnée de celles là, que de celle de mon trespas. C’est
trop abusé de nature, de la trainertracasser si loing, qu’elle soit contraincōtrain-
Kkkkkk ij
Fac-similé BVH

[498v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
te de nous quitter, & abandonnerabandōner nostre conduitecōduite, nos yeux, nos
dens, nos jambesiābes, & le reste, à la mercy d’unvn secours estranger &
mandiémādié: & nous resigner entre les mains de l’art, lasse de nous
suivresuiure. JeIe ne suis excessivementexcessiuement desireux, ny de salades, ny de
fruits, sauf les melonsmelōs. Mon père haїssoit toute sorte de sauces, jeie
les aime toutes. Le trop mangermāger m’empecheēpeche, mais par sa qualité,
jeie n’ay encore cognoissance bien certaine, qu’aucune viande
me nuise: commecōme aussi jeie ne remarque, ny lune plaine, ny basse,
ny l’automne du printemps. Il y a des mouvemensmouuemēs en nous, in-
constans & incogneus: car des refors, pour exemple, jeie les ay
trouveztrouuez premierement commodescōmodes, depuis facheux, a present de
rechef commodescōmodes: en plusieurs choses jeie sens mon estomac &
mon appetit aller ainsi diversifiantdiuersifiant: ji’ay rechangé du blanc au
clairet, & puis du clairet au blancblāc. JeIe suis friantfriāt de poisson, & fais
mes joursiours gras des maigres, & mes festes des joursiours de jeusneieusne.
JeIe croy ce qu’aucuns disent, qu’il est de plus aisée digestiondigestiō que
la chair. CommeCōme jeie fais conscience de mangermāger de la viandeviāde, le jouriour
de poisson, aussi fait mon goust, de mesler le poisson à la chair:
cette diversitédiuersité me semble trop esloingnée. Dés ma jeunesseieunesse, jeie
desrobois par fois quelque repas, ou affin d’esguiser mon appe-
tit au lendemain (car commecōme Epicurus jeusnoitieusnoit & faisoit des re-
pas maigres, pour accoustumer sa volupté à se passer de l’abon-
dance
abō-
dance
, moy au rebours, pour dresser ma volupté a faire mieux
son profit, & se servirseruir plus alaigrement de l’abondance) où jeie
jeusnoisieusnois, pour conserverconseruer ma vigueur au serviceseruice de quelque a-
ction
a-
ctiō
de corps ou d’esprit, car & l’unvn & l’autre s’apparesse cruel-
lement en moy par la repletionrepletiō: & sur tout, jeie hay ce sot accou-
plage, d’unevne Deesse si saine & si alegre, avecauec ce petit Dieu indi-
gest & roteur, tout bouffy de la fumée de sa liqueur: ou pour
guarir mon estomac malade: ou pour estre sans compaigniecōpaignie pro-
pre. Car jeie dy commecōme ce mesme Epicurus, qu’il ne faut pas tanttāt re-
garder ce qu’on mangemāge, qu’avecauec qui on mangemāge: & louё ChilonChilō. de
n’avoirauoir voulu promettre de se trouvertrouuer au festin de Periander,
Fac-similé BVH


LIVRE TROISIESME.491499
avantauāt que d’estre informé qui estoyent les autres conviezconuiez. Il n’est
point de si doux apprest pour moy, ny de sauce si appetissanteappetissāte,
que celle qui se tire de la societé. JeIe croys qu’il est plus sain, de
menger plus bellement & moins, & de menger plus souventsouuent:
mais jeie veux faire valoir l’appetit & la faim: jeie n’aurois nul
plaisir à trainer à la medecinale, trois ou quattre chetifs repas
par jouriour, ainsi contrains:
Position : Marge droite Qui m’assureroit que
le goust ouvertouuert que ji’ay
ce matin jeie le retrouvasseretrouuasse
encores a souper. Prenons
surtout les vieillarsuieillars,
prenons le premier temps
opportun qui nous vientuient.
Au demura Laissons aux
faiseurs d’almanac les
ephemerides & aus medecins.
lL’extreme fruict de ma santé, c’est la
volupté, tenons nous à la premiere presente & cogneuё. JIe-
vite
e-
uite
la constance en ces loix de jeusneieusne: qui veut qu’unevne for-
me luy serveserue, fuye à la continuer: nous nous y durcissons, nos
forces s’y endorment: six mois apres, vous y aurez si bien aco-
quiné vostre estomac, que vostre proffit, ce ne sera, que d’a-
voir
a-
uoir
perdu la liberté d’en uservser autrement sans dommage. JeIe
ne porte les jambesiambes, & les cuisses, non plus couvertescouuertes en hyverhyuer
qu’en esté, unvn bas de soye tout simple: jeie me suis laissé aller
pour le servicecoursseruicecours de mes reumes, à tenir la teste plus chaude,: &
le ventre, pour ma cholique: mes maux s’y habituarent en peu
de joursiours, & desdaignarent mes ordinaires provisionsprouisions: ji’estois
monté d’unevne coife à unvn couvrechefcouurechef, & d’unvn bonnet à unvn cha-
peau double: les embourreures de mon pourpoint, ne me ser-
vent
ser-
uēt
plus que de garbe: ce n’est rien, si jeie n’y adjousteadiouste unevne peau
de lievrelieure, ou de vautour, unevne calote à ma teste: suyvezsuyuez cette
gradation, vous irez beau train: jeie n’en feray rien, & me des-
dirois volontiers du commencement que ji’y ay donné, si ji’o-
sois:. tTombez vous en quelque inconvenientinconuenient nouveaunouueau, cette
reformation ne vous sert plus, vous y estes accoustumé, cer-
chez en unevne autre:. aAinsi se ruinent ceux qui se laissent empe-
strer à des regimes contraincts, & s’y astreignentastreignēt superstitive-
sement
superstitiue-
sement
: il leur en faut encore, & encore apres, d’autres au dela:
ce n’est jamaisiamais faict. Pour nos occupations, & le plaisir, il est
beaucoup plus commode, comme faisoyent les anciens, de
perdre le disner, & remettre à faire bonne chere à l’heure de la
KKKKKk iij
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[499v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
retraicte & du repos, sans rompre le jouriour: ainsi le faisois-jeie au-
trefois. Pour la santé, jeie trouvetrouue despuis par experience, au re-
bours, qu’il vaut mieux disner, & que la digestion se faict
mieux en veillant. JeIe ne suis guiere subjectsubiect à estre alteré ny
sain ny malade: ji’ay bien volontiersvolōtiers lors la bouche seche, mais
sans soif,. & ne bois communement,Communeement, jeie ne bois que du desir qui m’en
vient en mangeant, & bien avantauant dans le repas. JeIe bois assez
bien pour unvn hommehōme de commune façon: en esté, & en unvn re-
pas appetissant, jeie n’outrepasse poinct seulement les limites
d’Auguste, qui ne beuvoitbeuuoit que trois fois precisement: mais
pour n’offenser la reigle de Democritus, qui deffendoit de s’ar-
rester à quattre, comme à unvn nombre mal fortuné, jeie coule à
unvn besoing, jusquesiusques à cinq, trois demyseties, environenuiron: car les
petis verres sont les miens favorisfauoris, & me plaict de les vuider,
ce que d’autres evitenteuitent comme chose mal seante. JeIe trempe
mon vin plus souventsouuent à moitié, par fois au tiers d’eau: & quandquād
jeie suis en ma maison, d’unvn antien usagevsage que son medecin or-
donnoit à mon pere & à soy, on mesle celuy qu’il me faut, des
la somelerie, deux ou trois heures avantauāt qu’on serveserue.
Position : Marge gauche Ils disent que
Cranaus antien Roi
des Atheniens fut
invanturinuantur de cet
usage de mes
tramper le vinuin
d’eau: utilemant
ou non ji’en ai veuueu
debatre. JI’estime
plus decent et plus
sain que les enfans
n’en boiventboiuentusent qu’apres
enfance sese ou
dishuit ans.
La forme
de vivreviure plus usitéevsitée & commune, est la plus belle: toute par-
ticularité m’y semble à evitereuiter:, & haїrois autant unvn aleman
qui mit de l’eau au vin, qu’unvn françois qui le boiroit pur. L’u-
sage
v-
sage
, publiq, donne loy à telles choses. JeIe crains unvn air empes-
ché, & fuys mortellement la fumée: (la premiere reparation
ou jeie courus chez moy, ce fut aux cheminées, & aux retrets,
vice commun des vieux bastimens & insupportable:) & en-
tre les aspretésdifficultez de la guerre, comptecōpte ces espaisses poussieres, dansdās
lesquelles on nous tient enterrez en estéau chaut, tout le long d’unevne
journéeiournée. JI’ay la respiration libre & aisée, & se passent mes mor-
fordements le plus souventsouuent sans offence du poulmon, & sans
toux. L’aspreté de l’esté m’est plus ennemie que celle de l’hy-
ver
hy-
uer
,: car outre l’incommoditéincōmodité de la chaleur, moins remediable
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LIVRE TROISIESME.492500
que celle du froid, & outre le coup que les rayons du soleil
donnent à la teste, mes yeux s’offencent de toute lueur escla-
tante: jeie ne sçaurois à cette heure, disner assiz vis à vis d’unvn feu
ardent, & lumineux. Pour amortir la blancheur du papier, au
temps que jiavoisauois plus accoustumé de lire, jeie couchois sur
mon livreliure unevne piece de verre, & m’en trouvoistrouuois sort soula-
gé. JI’ignore jusquesiusques à present, à cinquante quattre ans, l’usagevsage
des lunettes,: & vois aussi loing, que jeie fis onques, & que tout
autre: il est vray, que sur le declin du jouriour, jeie commence à sen-
tir du trouble, & de la foiblesse à lire: dequoy l’exercice à
tousjourstousiours travaillétrauaillé mes yeux, mais sur tout, nocturne.
Position : Marge droite Voila un pas en
arriere: sensible a toute
peine sensible: JeIe reculerai
d’un autre: du secont
au tiers du tiers au quart
si mollementcoyement qu’il me
faudra estre to aveugleaueugle
formé avantauant que jeie sente
la decadence & vieillesseuieillesse
de ma veueueue. Tant no les
parques devidentdeuidentdetordent
artificiellement nostre vieuie.
Si suis jeie en doubte que mon
ouïe marchande a sesple
s’espessir: et verresuerres que jeie
l’arai demi perdue que jeie
m’en pranderai encores à
la voixuoix de ceus qui parlent
a moy. Il faut bien bander
l’amelame pour luy faire sentir
come elle s’escoule.
Mon
marcher, est prompt & ferme,: & ne sçay lequel des deux, ou
l’esprit ou le corps, jiarresteay arresté plus mal-aiséement, en mesme
point. Le prescheur est bien de mes amys, qui oblige mon at-
tention, tout unvn sermon. Aux lieux de ceremonie, ou chacun
est si bandé en contenance, ou ji’ay veu les dames tenir leurs
yeux mesme si certains, jeie ne puisne suis jamaisiamais venuuenu a bout, que quelque piece des mien-
nes
miē-
nes
n’extravagueextrauague tousjourstousiours: encore que ji’y sois assis, ji’y suis
peu rassis:
Position : Marge gauche Come la chamberierechāberiere
du philosofe Chry=
sippus disoit de son
maistre qu’il n’estoit
yvreyure que par les
jambesiambes car il avoitauoit
en costume de les
remuer et
car il avoitauoit cette
costume de les remuer en quelque assiete qu’il fut et elle
le disoit
lors que
le vinuin esmouvantesmouuātt
les autres luyluy il qui
n’en sentoit aucune
alteration: car il
avoitauoit ordinere cette
façon de ne tenir
ses jambesiambes en repos:

on a peu dire aussi des
mon enfance que
ji’estois jiavoisauois de
la folie aus pieds
ou de l’argentlargent vifuif
tant ji’y ai eu de
remuemant et
d’insconstance en
quelque lieu que
jeie fusse les place.
& pour la gesticulation, ne me trouvetrouue guiere, sans
baguette à la main, soit à chevalcheual ou à pied.
Il y a de l’C’est indecen-
ce, outre ce qu’il nuit à la santé, voire & au plaisir, de manger
gouluement, comme jeie fais,: jeie mors souventsouuent ma langue,: par
fois mes doits, de hastivetéhastiueté. Diogenes rencontrant unvn enfant
qui mangeoit ainsin, en donna unvn soufflet à son precepteur:
Position : Marge droite iIl y avoitauoit a Rome
des gens qui enseignoyent
a macher come a marcher
de bone grace:

jJiI’en pers le loisir de parler, qui est unvn si doux condimentassaisonement des
tables,: pourveupourueu que ce soyent des propos de mesme, plaisans
& courts. Il y a de la jalousieialousie, & envieenuie entre nos plaisirs, ils se
choquent & empechent l’unvn l’autre. Alcibiades homme bien
entendu à faire bonne chere, chassoit la musique mesme des
tables, poura ce qu’elle ne troublat la douceur des devisdeuis.
Position : Marge droite par la raison que
Platon luy preste. Que
c’est une invantioninuātion usage d’homes
populeres d’apeler des
joueursioueurs d’instrumans
et des chantres a leurs
festins a faute de bons discours
et agreables entretiens de quoy
les gens d’entandemantentandemāt sçaventsçauent
s’entrefestoier.
Varro
demande cecy au serviceseruice du conviveconuiue, l’assemblée de person-
nes belles de presence, & agreables de conversationconuersation, qui ne
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[500v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
soyent n’yny muets ny bavartsbauarts: netteté & delicatesse aux vivresviures,
& au lieu: & le temps serain.
Position : Marge haute Ce n’est pas unevne feste peu artificielle, & peu voluptueuse,
qu’unvn bon traittement de table. Ny les grands chefs de guerre, ny les grands philosophes,

n’en ont refuse l’usage & la sciance. Mon imagination en a done trois en garde
a ma memoire que la fortune me rendit en bien diversdiuers temps de principale douceur
en diversdiuers temps de mon eage plus fleurissantfleurissāt. Car chacunchacū des conviescōuies y apporte la
principale grace selon la bone trampe de cors & d’ame en quoi il se treuvetreuue. Mon estat
presant m’en forclost.
Moy qui ne manie que terre à
terre, hay cette inhumaine sapience, qui nous veut rendre Position : Interligne haute desdeigneus et en-
nemis de la culture & plaisir du corps. JeIe trouvetrouueJI’estime pareille in-
justice
in-
iustice
de prendre à contre coeur les voluptez naturelles, que
de les prendre trop à coeur:
Position : Marge droite Xerxes estoit un
fat qui envelopéenuelopé en
toutes les voluptezuoluptez
humaines aloit proposer
pris a qui luy en
trouveroittrouueroit d’autres.
Mais non guere
moints fat est celuy
qui retranche celles
que nature luy a
trouveestrouuees.
iIl ne les faut ny suyvresuyure ny fuir,:
mais il les faut recevoirreceuoir: jJeiIe les reçois unvn peu plus grassementgrassemēt &
gratieusement, & me laisse plus volontiers aller vers la pante
naturelle.
Position : Marge gauche Nous n’avonsauons que faire d’exaggerer leur inanité: elle se faict asses santir et se produit asses: mMerci a
Nnostre esprit maladif, rabatjoyerabatioye, qui nous desgoute d’elles, come de soi mesme: iIl traicte et soy, et tout ce qu’il reçoit, tantost
qu’il reçoit,avantauant tantost arriere, selon son estre insatiable, uaynvagabontuagabont, et versatileuersatile:. sa veueueue esgaree trouble en nous, le vraiurai
visageuisage des choses.

Sincerum est nisi uas, quodcunque infundis acessit.
Moi qui me vanteuante d’enbrasser si curieusemant les commoditesz de la vieuie, et si particulieremantparticulieremāt n’enbrassey treuvetreuue quand ji’y regarde einsi
finemant, a peu pres que du ventuent. Mais quoi, nostre estre est de mesmesus somes par tout ventuent. Et le ventuent encore, Position : Interligne haute plus sagement que nous, s’aime a bruire, a s’agiter,
et se contante en ses propres offices, sans envierenuierdesirer la stabilité, la solidité, qualitez non sienes.
Position : Interligne basse Les plaisirs depurs de la fantasiel’imagination purs einsi que les desplesirs disent aucuns,
sont dict on, les plus grans Position : Interligne haute come l’exprimoitlexprimoit la balance de Cristolaus:. Ce n’est pas merveillemerueille: eElle les compose
a sa poste, et se les taille en plein drap: iI’en voiuoi tous les joursiours des
examples insignes, et a l’avanturelauanture desirables: mMais moi, d’une
condition mixte, et lourd,grossier, ne puis mordre Position : Interligne haute si a faict a certes sul en cet objectobiect, si
immateriell et aeree: jeiesimple: que par fois jeie ne me laisse plustout lourdemant Position : Interligne haute et simplemant aller aus goust
plaisirs Position : Interligne haute presans de la prescription naturelleloi humaine et generalle: intellectuellement
sensibles, sensiblement intellectuels. Contr Les Position : Interligne haute philosofes Cyrenaiques tienent come les dolurs
aussi les plaisirs corporels plus puissans et come doubles & come plus justesiustes
Il en est, Position : Interligne haute qui d’une ferocefarouche stupidite come dict Aristote en fsont les desgoutez, JI’en conois
qui par ambition protestent le font.
de nostre jeunesseieunesse, qui protestentprotestēt ambitieu-
sement de les fouler aux pieds
: qQue ne renoncent ils encores
au respirer,: que ne viventviuent-ils du leur, Position : Interligne haute et ne refusent la lumiere de ce qu’elle est gratuite et ne leur couste
ny invantioninuantion ny viguruigur.
sans secours de leur for-
me ordinaire?
qQue Mars, ou Pallas, ou Mercure, les sustantent
pour voir, au lieu de Venus, de Cerez, & de Bacchus. Ces hu-
meurs vanteusesfarouches, se peuventpeuuent forger quelque contentement,
car que ne peut sur nous la fantasie, mais de sagesse, elles n’en
tiennent tache.non pas aus sages.
Chercheront ils pas la quadrature du
cerch cercle jucheziuchez sur leurs fames.
JeIe hay qu’on nous ordonneordōne d’avoirauoir l’esprit aus
nues, pendant que nous avonsauons le corps à table. JeIe ne veux pas
que l’esprit s’y cloue, &ny qu’il s’y croupisseveautreueautre, mais jeie veux qu’il
s’y appliqueappliq̄.
Position : Marge droite : non obstant hae res per illas euntibus
sed circa illas haerentibus qui corporis
cura mentem obruerunt.
JeIe ne veusueus pas
qu’il s’y couche c’est asses qu’il s’y see.
JeIe
Et me contante qu’on y soit assis sans qu’on s’y
couche
ny qu’onil s’y couche mais qu’onil s’y see.

qu’il s’y see non qu’il s’y couche. Aristippus ne defandoit que le corps come si nous n’avionsauions pas d’ame:
Zenon n’embrassoit que l’ame come si nous n’avionsauions pas de corps. Tous deus vitieusemantuitieusemant. Pythagoras disent ils
a est suivisuiui une philosofie toute en contemplation: Socrates toute en meurs et en action: Platon en a trouvetrouue
le temperamant entre les deus. Mais ils le disent pour en conter. eEt le vrayuray temperamant se
trouveroittrouueroit bien plus tost en Socrates: et Platon est bien plus Socratique que Pythagorique
et luy siet mieus.
Quand jeie dancedāce, jeie dancedāce, quandquād jeie dors, jeie dors: voyre,
& quand jeie me promeine solitairementsolitairemēt en unvn beau vergier, si
mes pensées se sont entretenues des occurrences estrangieres
quelque partie du temps:, quelque autre partie, jeie les rameine
à la promenade, au vergier, à la douceur de cette solitude, &
à moy. Nature à maternellement observéobserué cela, que les actions
qu’elle nous à enjoinctesenioinctes pour nostre besoing, nous fussent
aussi voluptueuses: & nous y convieconuie non seulement par la rai-
son, mais aussi par l’appetit: c’est injusticeiniustice de corrompre ses
reigles. Quand jeie vois, & Caesar, & Alexandre, au plus es-
pais de sa grande besongne, jouyriouyr si plainement des plaisirs
humains & corporelsnaturels et par consequant necesseres et justesiustes, jeie ne dicts pas que ce soit relascher son
ame, jeie dicts que c’est la roidir, sousmetant par vigueur de
courage, à l’usagevsage de la vie communeordinaire, ces violentes occupa-
tions
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LIVRE TROISIESME.493501
tions & laborieuses pensées.
Position : Marge droite Sages, s’ils eussent creu que
c’estoitcestoit la leur legitime vacationuacation
cette cy la bastarde

Position : Marge haute Sages, s’ils eussent creu, que c’estoit là leur ordinaire vocation, cette-cy, l’extraordinaire. Nous sommes de grands fols.
Il a passé sa vie en oisivetéoisiueté, disons-nous: jeie n’ay rien faict d’aujourd’huyauiourd’huy. Quoy? avezauez-vous pas vescu? C’est non

sulement la fondamentale mais la plus illustre de vosuos occupations. Si on m’eut mis au propre des grands affairesmaniements ji’eusse
montre ce que jeie sçavoissçauois faire. AvezAues vousuous sceu mediter & manier vostreuostre vieuie vousuous avesaues faict la plus grande besouigne de toutes
Pour se montrer et exploiter nature n’a que faire de fortune Elle se montre esgalementesgalemēt
en tous estages et derriere come sans rideau Composer nos meurs est nostre office non pas
composer des livresliures et gaigner non pas des batailles et provincesprouinces mais l’ordrelordre et tranquillite a nostre conduite
Nostre grand et glorieus chef d’euvreeuure c’est
vivreuiure: tout le reste n’en sontsōt qu’appendicules admi=
nicules
vivreuiure a propos Toutes autres
choses
regner theesauriser
bastirer n’en sont qu’appendicules
et adminicules pour le plus.
JeIe prens plaisir de voir unvn gene-
ral d’armée, au pied d’unevne breche qu’il veut tantost attaquer,
se prestant tout entier & delivredeliure, à son disner, Position : Interligne haute a son devisdeuis entre ses amys.
Position : Marge droite Et Brutus aiant le ciel
et la terre conspirez
a l’encontre de luy et de la
libertè Romeine desrober
a ses rondes quelque heure
pour lire et breveterbreueter Polybe
de nuict pour lire et breveterbreueter
Polybe en toute securite.

C’est aux petites ames ensepveliesensepuelies du pois des affaires, de ne
s’en sçavoirsçauoir purement desmesler, de ne les sçavoirsçauoir & laisser &
reprendre.:
ô fortes peioráque passi,
Mecum saepe viri, nunc vino pellite curas,
Cras ingens iterabimus aequor.

Soit par gosserie, soit à certes, que le vin theologal & do-
ctoralSorbonique est passé en proverbeprouerbe, & leurs festinstables festins[Note (Montaigne) : festins]: jeie trouvetrouue que c’est
raison qu’ils en disnent d’autantautāt plus commodéement & plai-
samment, qu’ils ont utilementvtilement & serieusement employé la
matinée à l’exercice de leur escole. La conscience d’avoirauoir bien
employédispansè les autres heures, est unvn justeiuste & savoureuxsauoureux condimantcondimāt
des tables. Ainsin ont vescu les sages,. &Et cette inimitable con-
tention à la vertu, qui nous estonne en l’unvn & l’autre Caton,
cett’humeur severeseuere jusquesiusques à l’importunité, s’est ainsi molle-
ment submise, & pleue aux loix de l’humaine condition, &
de Venus & de Bacchus.
Position : Marge droite Illis est indulgendum
non seruiendumseruiendū.
SuivantSuiuant
les praeceptes de leur
secte: qui demandent
le sage parfaict, autant
expert et entandu a
l’usagelusage des voluptezuoluptez
naturelles qu’en tout
autre devoirdeuoir de la vieuie
Cui cor sapiat, ei et sapiat
palatus.
Le relachement & facilité, honore
ce semble à merveillesmerueilles & sied mieux, à unevne ame forte & puis-
santegenereuse. Epaminondas n’estimoit pas que de se mesler à la dan-
ce des garçons de sa ville, Position : Interligne haute de chanter de soner, & de s’y embesongner avecauec atten-
tion, fut chose qui desrogeat à l’honneur de ses glorieuses vi-
ctoires, & à la plus reigléeparfaicte reformation de meurs qui fut ja-
mais
ia-
mais
en homme
estoit en luy. Et parmy tant d’admirables actionsactiōs due jeuneieune
Scipion (tout compté le premier homme des Romains,)l’ayeul, personage digne de l’opinion d’un’origine celeste il
n’est rien qui luy donne plus de grace, que de le voir noncha-
lamment & puerilement baguenaudant à amasser & choisir
des coquilles, & joueriouer à cornichon va devantdeuāt le long de la ma-
rine avecauec Laelius: &Et s’il faisoit mauvaismauuais temps, s’amusant & se
chatouillantchatouillāt à representer par escript en comedies, les plus po-
LLLLLl
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[501v] ESSAIS DE M. DE MONT.
pulaires & basses actions des hommeshōmes.
Position : Marge haute Et la teste pleine de cette merveilleusemerueilleuse entreprinse
d’Annibal & d’Affrique, visitantuisitant les escholes en Sicile,
et se trouvanttrouuant aus leçons de la philosophie, jusquesiusques a en avoirauoir
armeré les densts de l’aveugleaueugle envieenuie de ses enemis a Rome.
(JeIe suis extremementextrememēt des-
pit dequoy le plus beau couple de vies, qui fut dans Plutar-
que, des ces deux grands hommeshōmes,
Position : Marge gauche par la commune voixuoix
du monde l’un le premier
des grecs l’autrelautre des
Romains, Epaminondas
et le jeuneieune Scipion
se rencontre des premiers à
estre perdu)
nNy chose plus remercable en Socrates, que ce que
tout vieil, il trouvetrouue le tempstēps de se faire instruire à baller, & joueriouer
des instrumens,: & le tient pour bien employé. Cettui-cy s’est
veu en ecstase debout, unvn jouriour entier & unevne nuict, en presencepresēce
de toute l’armée grecque, surpris & raviraui par quelqueq̄lque profonde
penséepēsée,:
Position : Marge gauche (cett’action est
un peu haute et
surhumaine: jeie m’enjeie m’en
passerois pour moi
volontiersuolontiers au conterecit
de sa vieuie.) Ce sont des
miracles de ces divinesdiuines ames
jeie n’en puis faire esta lesquels
jeie ne puis poiser ne les pouvantpouuant
concevoirconceuoir)
iIl s’est veu
Position : Marge droite le premier parmi tant de vaillansuaillans homes de l’armee courir au secours d’Alcibiades accable des enemis: le couvrircouurir
de son corps, et le descharger de la presse a viveuiue force d’armes: et le premier emmi tout le peuple d’Athenes outré come
luy d’un si indigne spectacle se presenter a recourir Theramenes que les trante tirans fesoint mener a la mort par leurs
satellites. eEt ne desista cette hardie entreprinse qu’a la remontrance de Theramenez mesme: quoi qu’il ne fut suivisuiui que de
deus en tout. Il s’est veuueu recherché par une beauté de laquelle il estoit espris maintenir au besouin une severeseuere abstinance.
Il s’est veuueu en la bataille Deliene releverreleuer et sauversauuer Xenophon renverserenuerse de son chevalcheual Il s’est veuueu
continuellementcontinuellemēt marcher à la guerre Position : Interligne haute et fouler la glace les pieds
nuds,: porter mesme robe en hyverhyuer & en esté,: surmonter tous
ses compaignonscōpaignons en patience de travailtrauail,: ne menger point autre-
ment en festin, qu’en son ordinaire:
Position : Marge droite Il s’est veuueu vintuint et sept ans de pareil visageuisage luitter la faim porter la faim
la povretèpouretè l’indocilitè de ses enfans les griffes de sa fame. Et en fin la calomnie
la tirannie la prison les fers & le veninuenin. Mais cet home la
mais estoit-il conviéconuié de
boire à lut par devoirdeuoir de civilitéciuilité, c’estoit aussi celuy de l’armée
à qui en demeuroit l’avantageauantage,: &Et ne refusoit ny à joueriouer aux
noysettes avecauec les enfans, n’yny à courir avecauec eux sur unvn chevalcheual
de bois,. &Et y avoitauoit bonne grace: cCar toutes actions dict la phi-
losophie, siesent également bien, & honnorent egallement le
sage. On à dequoy, & ne doibt on jamaisiamais se lasser de presenter
l’image de ce personnagepersōnage à tous exemplesexēplespatrons & formes de perfectionperfectiō.
Position : Marge gauche Il est fort peu d’exemplesexēples
de vieuie pleins et purs. Et
faict on tort a nostre
instruction de nous en
proposer tous les joursiours
d’imbecilles et manques:
à peine bons a un sul pli:
qui souvantsouuant nous tirenttirēt
en arriere, plus bas. tost:
corrupturs plus tost que
correcturs.

Le peuple se trompetrōpe: on va bienbiē plus facilement par les bouts, ou
l’extremité sert de borne d’arrest & de guide, que par la voye
du millieu large & ouverteouuerte,: & selonselō l’art que selon nature,: mais
bien moins noblement aussi, & moins recommandablementrecōmandablemēt.
Position : Marge gauche La grandur de l’ame
n’est pas tant, tirer
à mont et tirer avantauant,
comme sçavoirsçauoir se ranger
& circonscrire: magni
animi est mediocria malle
quam nimia
. Elle
tient pour grand
tout ce qui est asses.
Et montre sa hautur
à eimer mieus les choses
moienes que les eminantes.
L’immoderation ne s’accorde
ny aveqaueq soi ny aveqaueq la moderation.
Il
n’est rien si beau & legitime que de faire bien l’hommehōme & deuё-
ment,. nNy science si ardue que de bien Position : Interligne haute et naturellement sçavoirsçauoir vivreviure cette vie,:
&Et de nos maladies la plus sauvagesauuage, c’est hayr & desdaignermespriser no-
stre estre Position : Interligne haute et en envierenuier d’autres.. Qui veut escarter son ame, le face hardimenthardimēt s’il peut,
lors que le corps se portera mal, pour la descharger de cette
contagion: aAilleurs au contraire,: qu’elle l’assiste & favorisefauorise, &
ne refuse point de participer à ses naturels plaisirs, & de s’y
complairecōplaire conjugalementcōiugalement,: y apportant, si elle est plus sage, la mo-
deration, de peur que par indiscretionindiscretiō, ils ne se confondentconfondēt avecauec
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LIVRE TROISIESME.494502
le desplaisir.
Position : Marge haute L’intemperance, est peste de la volupté: & la temperance
ce n’est pas son fleau c’est son assaisonement et sa m[...][Note (Marie-Luce Demonet) : L’édition municipale restitue "mesure".]
Eudoxus qui en establissoit le souvereinsouuerein bien estoit aussi souvereinementsouuereinement
temperant en ses meurs
et ses compaignons qui la montarent a si haut pris la savourerentsauourerent
en sa plus hautegratieuse douceur par le moien de la temperance qui fut en eus singuliere et exemplere.
JIordonneordōne à la miennemon ame, de regarder & la douleur &
la volupté, de veuё pareillement Position : Interligne haute reglee: eodem enim uitio est effusio animi in laetitia quo in dolore contractio: et pareillement ferme: mMais gayement l’unevne,
l’autre severementseuerement: &Et selon ce qu’elle y peut aporter, autant
songneuse d’en esteindre l’unevne, que d’estendre l’autre.
Position : Marge droite Platon ordone a son legisla=
teur d’y avoirauoir esgalement l’euilleuil.

Le voiruoir seiainemant
les biens tire apres
soi le voiruoir seinemant
les maus. Et la dolur a
quelque chose de non evitableeuitable
en son tendre comancemant et la
voluptèuoluptè quelque chose d’evi=
table
eui=
table
en sa fin excessiveexcessiue. Platon
les accouple esgalement et en
descharge sa cite: et ordone que

veutueut que ce soit pareillemant
l’office de la fortitude combattrecōbatre
a l’encontrelencontre de la dolur & a
l’encontrelencontre des immoderees et
enchanteusescharmeresses blandices de la
volupteuolupte. Ce sont deus fonteines
aus quelles qui puise d’oudou
quand et combien il faut
soit cité soit home soit beste
il est bienhureus. La premiere
il la faut prendre par medecine
et par necessite plus escharcement:
L’autreLautre par soif mais non jusquesiusques
a l’ivresseliuresse. La dolur la voluptéuolupté
l’amour la haine sont les premieres
choses que sent un enfant: si la raison
survenantsuruenant elles s’appliquent a [unclear] elle:
c’est la vertuuertu cela c’est vertuuertu.
JI’ay unvn
dictionaire tout à part moy:. jJeiIe passe le tempstēps, quand il est mau-
vais
mau-
uais
& incommodeincōmode,: qQuand il est bon, jeie ne le veux pas passer, jeie
le gousteretaste, jeie m’y arreste.tiens. Il faut courir le mauvaismauuais, & se rassoir
au bon. Cette fraze ordinaire, de passe-tempstēps, & de passer le tempstēps,
represente l’usagevsage de ces prudentes gens, qui ne pensent point
avoirauoir meilleur compte de leur vie, que de la couler, & eschap-
per: de la passer, gauchir, & autant qu’il est en eux, ignorer &
fuir, commecōme chose de qualité ennuyeuse & desdaignable: mMais
jeie la cognois autre, & la trouvetrouue, & prisable & commodecōmode, voyre
en sa decadencedecadēceson dernier decours, ou jeie la tiens: &Et nous l’a nature mise en main,
garnie de telles circonstances & si favorablesfauorables, que nous n’a-
vons
a-
uōs
à nous plaindre qu’a nous, si elle nous presse, & si elle nous
eschappe inutilement.
Position : Marge droite Stulti uita ingrata
est, trepida est, tota
in futurum fertur.
La
vieuie n’est a la veriteuerite ny bien ny
mal: c’est la place du bien ou du
mal: selon ce que nous la leur faisons
JeIe me composecōpose pourtant à la perdre sans
regret: mais comme perdable de sa condition, non commecōme mo-
leste & importune.
Position : Marge droite Aussi ne siet il
propremant bien, de
ne se desplaire de
perdre qu’a ceus
qui se plaisent de

a mourir qu’a ceus
qui se plaisent a
vivreuiure.
Il y a du mesnage à la jouyriouyr:. jJeiIe la jouysiouys
au doublement des autres: cCar la mesure en la jouyssanceiouyssance dependdepēd
du plus ou moins d’application, que nous y prestons. Principal-
lement
Principal-
lemēt
à cette heure, que ji’aperçoy la miennemiēne si briefvebriefue en tempstēps,
jeie la veux grossir & estendre en pois: jJeiIe veus arrester la prom-
ptitude de sa fuite, par la promptitude de ma sesie: &Et par la vi-
gueur de l’usagevsage, compenser la hastivetéhastiueté de son escoulement:
àA mesure que la possessionpossessiō du vivreviure est plus courte, il me la faut
rendre plus profonde, & plus pleine . Les autres sentent la
douceur d’unvn contentement, & de la prosperité: jeie la sens
ainsi qu’eux,: mais ce n’est pas en passant & glissant. Si la faut
il estudier savourersauourer & ruminer, pour en rendre graces condi-
gnes à celuy qui nous l’ottroye. Ils jouyssentiouyssent les autres plai-
LLLLLI ij
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[502v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sirs, comme ils font celluy du sommeil, sans les cognoistre.
A celle fin que le dormir mesme ne m’eschapat ainsi stupide-
ment, ji’ay autresfois trouvétrouué bon qu’on me le troublat, pour
que jeie l’entrevisseentreuisse. JeIe consulte d’unvn contentement avecauec moy,
jeie ne l’escume pas, jeie le sonde & retaste,: & plie ma raison à le
recueillir, devenuedeuenue chagreigune & desgoutée. Me trouvetrouue-jeie
en quelque assiete tranquille, y a il quelque volupté qui me
chatouille, jeie ne la laisse pas friponer aux sens, ji’y associe mon
ame: nNon pas pour s’y enyvrerenyurerengager, mais pour s’y agreer,: nNon
pas pour s’y perdre, ainsmais pour s’y trouvertrouuer: &Et l’employe de sa
part, à se mirer dans ce prospere estat,: à en poiser & estimer
le bon heur, & amplifier. Elle mesure, combien c’est, qu’elle
doibt à Dieu, d’estre en repos de sa conscience, & d’autres
passions intestines,: d’avoirauoir le corps en sa santédisposition naturelle,
jouyssantiouyssant ordonnéement & pleinementcompetammant, des functions mol-
les & flateuses, dequoypar les quelles il luy plait compenser parde sa grace,
les douleurs, dequoy sa justiceiustice nous bat à son tour: cCombien
luy vaut, d’estre logée en tel point, que ou qu’elle jetteiette sa
veuё, le ciel est calme autour d’elle,: nul desir, nulle crainte
ou doubte, qui luy trouble l’air,: aucune difficulté Position : Interligne haute passee presante future, par dessus
laquelle son imagination ne passe sans offence.
Position : Marge gauche , nul scrupule
qui la pinse ny
pres ny loin.
Cette consi-
deration prent grand lustre de la comparaison des conditionsconditiōs
differentes: aAinsi, jeie me representepropose en mille visages, ceux que
la fortune, ou que leur propre erreur, emporte & tempeste:
&Et encores ceux cy plus pres de moy, qui reçoyventreçoyuent si láche-
ment, & incurieusement leur bonne fortune. Ce sont gens
qui passent voyrement leur temps,: ils outrepassent le present,
& ce qu’ils possedent, pour servirseruir à l’esperance,: & pour des
ombrages & vaines images, que la fantasie leur met au de-
vant
de-
uant
,
Morte obita quales fama est volitare figuras,
Aut quae sopitos deludunt somnia sensus,

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LIVRE TROISIESME.495503
lesquelles hastent & allongent leur fuite, a mesme qu’on les
suit. Le fruit & but de leur poursuitte, c’est poursuivrepoursuiure: cCommecCōme
Alexandre disoit que la fin de son travailtrauail, c’estoit travaillertrauailler,
Nil actum credens cum quid superesset agendum.
Pour moy donc, ji’ayme la vie, & la cultivecultiue, telle qu’il à pleu à
Dieu nous l’octroier: jJeiIe ne vay pas desirant, qu’elle eust à dire
la necessité de boire & de manger:,
Position : Marge droite , eins Position : Interligne haute parlant en reverancereuerance plus tost
Et me sembleroitsēbleroit
desirer plus excusable=
ment
excusable=
mēt
qu’elle l’eut
double: ny

Position : Marge gauche Et me sembleroit faillir plus excusablement non moins excusablement
de desirer qu’elle l’eut double. Ny Sapiens
diuitiarum naturalium quaesitor acerrimus

Ny
&ny que nous nous sustentis-
sions
sustētis-
sions
, mettant seulementseulemēt en la bouche unvn peu de cette drogue
par laquelle Epimenides se privoitpriuoit d’appetit, & se maintenoit:
nNy qu’on produisit stupidement des enfans, par les doigts, ou
par les talons:
Position : Marge droite eins Position : Interligne haute parlant en reverencereuerence plus tost
qu’on les produisist
encore voluptueu=
semant
uoluptueu=
semant
par les doigts
et par les talons.
que le corps fut sans desir & sans chatouillementchatouillemēt:
cCe sont plaintes d’ingratitude.ingrates et iniques. JI’accepte de bon coeur Position : Interligne haute et reconoissant, ce que
nature a faict pour moy, & m’en agrée & l’en remercie.m’en loue. On
fait tort à ce grand & tout puissant donneur, de mespriserrefuser son
don, l’altererl’anuller[Note (Montaigne) : l’anuller] & desfigurer. Position : Interligne haute Tout bon il a faict tout bon. Omnia quae secundum naturam sunt aestimatione digna sunt. Des opinions de la philosophie,
ji’embrasse plus volontiers celles, qui sont les plus solides, c’est
à dire les plus humaines, & nostres: mMes discours sont confor-
méement à mes meurs, bas & humbles.
Position : Marge gauche IntrandumIntrādum est
in rerum natu=
ram et penitus
quid ea postulet
peruidendumperuidendū

Position : Marge droite . Elle faict bien
l’enfant a mon gré
quand elle se met sur
ses ergotz pour nous
prescher que c’est
une monstrueusefarouche alli=
ance de marier le divindiuin
aveqaueq le terrestre le
raisonable aveqaueq le
desraisonable le severeseuere
a l’indulgent l’honneste
au deshoneste. Que la
voluptèuoluptè est quali
brutale indigne que
le sage la gouste. Le
sul plaisir qu’il tire
de la jouissanceiouissance d’une
belle juneiune espouse que c’est
le plaisir de sa conscien=
ce
cōscien=
ce
de faire un’action
selon [unclear] l’ordrelordre. cCome de
chausser ses bottes
pour une utille chevau=
chee
cheuau=
chee
. N’eussent ses
suivanssuiuans
ils non plus de
droit & de nerfs
et de suc a laau [unclear] depucelerage
de leurs fames qu’en a leursa presche leçon.
Ce n’est pas ce que dict Socrates son praeceptur &
le nostre. iIl prise comme elle vautuautil doit la beaute et volupuolup
corporelle mais il praefere celle de l’esperit duquel les
moiens sont plus pl puissants et plus nobles. Et pour ce
ordone il qu’on s’y atande principalemant
come ayant
plus de force de constance de facilite de varietèuarietè de dignité.
Cetecy vaua, non sule selon luy mais premiere en ranc
nullemant sule, selon luy, il n’est pas si fantastique, mais
sulement premiere en ranc. Pour Socrates, l’amour est
appetit de generation par l’entremiselentremise de la beauté. La generation divinediuine
action et immortelle des mortels. Et par consequant l’amour daemon
immortel luy mesmes et desir d’immortalitédimmortalité et daemon immortel
luy mesmes.
Pour luy la temperance est grande vertuuertumoderatrice, non l’abstinence
adversaireaduersaire des voluptez.
Nature est unvn doux
guide: mais non pas plus doux, que prudent, & justeiuste. Position : Interligne haute qui la suit est parfaictement hureus et sage.
Intrandum est in rerum naturam, et penitus quid ea postulet peruidendum.
JeIe queste
par tout sa piste: nous l’avonsauons confonduё de traces bastardes
& artificielles.
Position : Marge gauche Et ce souvereinsouuerein
bien Academique
& Peripatetique
qui est vivreuiure selon
nature icelle
devientdeuient a cette
cause difficile a
borner et expri=
mer. Come celuyEt celuy
des Stoiciens voisinuoisin
contigue a celuila:
qui est, consentir a
nature. Omnia
quae secundum
naturam sunt
aestimatione digna
sunt.
Est-ce pas erreur, d’estimer aucunes actions
moins dignes, de ce qu’elles sont necessaires. Si ne m’osteront-
ils pas de la teste, que ce ne soit unvn tres-convenableconuenable mariage
du plaisir avecauec la necessiité. Position : Interligne haute AveqAueq laquelle dict un antien les Dieus complotent tousjourstousiours. A quoy faire desmembrons nous
en divorcediuorce, unvn bastiment tissu, d’unevne si joincteioincte & fraternelle
correspondance. Au rebours, renouonsrenouōs le par mutuels offices:
que l’esprit esveilleesueille & vivifieviuifie la pesanteur du corps, le corps
arreste la legereté de l’esprit, & la fixe.
Position : Marge gauche L’effaict
de la par=
faicte raison
n’est autre que
de suivresuiure la
volontèuolontè de
nature. Haec
est sapientia,
ad naturam conuerti.

Qui uelut summum bonum laudat animae naturam et
tanquam malum naturam carnis accusat profecto et animam
carnaliter appetit et carnem carnaliter fugit. quoniam id uanitate
sentit humana non ueritate diuina.
Il n’y à piece indigne de
nostre soin, en ce present que Dieu nous à faict: nous en de-
vons
de-
uons
conte jusquesiusques à unvn poil.
Position : Marge droite La raison parsule
parfaicte est
celle qui suit la
volontèuolontè de nature.
Et n’est pas unevne commission far-
cesquepar acquit à l’homme, de conduire l’homme selon sa condition:
naturelle: elle est Position : Interligne haute expresse simple, naïfvenaїfue, Position : Interligne haute et tres principale. Et & nous l’a le createur donnée
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[503v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
serieusement & expressement.severementseuerement. Position : Interligne haute pour maistresse fin de nostre devoirsdeuoirs[sic] et souvereinsouuerein bien de l’home
Position : Marge droite L’authoritè peut seule enversenuers les communs entandemans: Oiouns[Note (Alain Legros) : "Oiouns" pour "Oions" : provincialisme.] la voixuoix du maistre. JeIe ne
tire mes folies que des plus severesseueres escholes.
et poise plus en langage peregrin.
Rechargeons en, ce lieu.
Stultitiae proprium quis non dixerit ing
ignauè et contumaciter facere quae facere debeasfacienda sunt facienda sunt
: et alio corpus impellere
alio animum: distrahique inter diuersissimos motus.
Or sus pour voir, faictes vous
dire unvn jouriour, les amusemens & imaginations, que celuy là met
en sa teste, & pour lesquelles il destourne sa pensée d’unvn bon
repas, & plainct l’heure qu’il emploie à se nourrir,: vVous trou-
verez
trou-
uerez
qu’il n’y à rien si fade, en tous les mets de vostre table,
que ce bel entretien de son ame (le plus souventsouuent il nous vau-
droit mieux dormir tout à faict, que de veiller à ce, à quoy
nous veillons) & trouvereztrouuerez que son discours & intentions, ne
valent pas vostre capirotade. Quand ce seroient les ravissemensrauissemēs
d’Archimedes mesme, que seroit-ce? JeIe ne touche pas icy, &
ne mesle point à cette voiriemarmaille d’hommes que nous sommes, &
à cette vanité de desirs & cogitations, qui nous divertissentdiuertissent,
ces ames venerables, eslevéesesleuées par ardeur de devotiondeuotion & reli-
gion, à unevne constante & conscientieuse meditation des choses
divinesdiuines,
Position : Marge gauche , les quelles preoccupant par l’effort d’une vifveuifue Position : Interligne haute et vehementeuehemente esperance, l’usage de la nourriture eternelle, but
final, et dernier arrest des Chrestiens desirs, seul plaisir entier et solide, constant incorruptibleseul plaisir constant incorruptible,
desdeignent de s’atandre a nos necessiteuses commodités, flotantesfluides et ambigues: et resignent
facilemant au cors, le souin et le goust’usage, de la pasture sensuelle et temporele:
c’est unvn estude privilegépriuilegé. Nos estudes sont tous mon-
dains, & entre les mondains, les plus naturels Position : Interligne haute et usuels sont les plus ju-
stes
iu-
stes
.
Entre nous, ce sont choses que ji’ay
tousjourstousiours veuesueues u de singulier accort: les opinions supercelestes et les meurs soubsterreines.

soubst soubsterreines. Esope Position : Interligne haute ce grand home vid son maistre qui pissoit en se promenant, quoy
donq, fit-il, nous faudra-il chier en courant. Mesnageons le
temps, encore nous en reste-il beaucoup d’oisif, & mal em-
ployé. Nostre esprit n’a volontiers pas assez d’autres heures, à
faire ses besongnes, sans se desassocier du corps, en ce peu d’es-
pace qu’il luy faut pour sa necessité. Ils veulent se mettre hors
d’eux, & eschapper à l’homme: c’C’est folie,: aAu lieu de se trans-
former en anges, ils se transforment en bestes: au lieu de se
hausser ils s’abattent.
Position : Interligne basse
Ces humeurs transcendantes m’effraient come les lieus hauteins et inaccessibles.
Et rien ne m’est si puerilea digerer facheus en la vieuie de Socrates que ses ecstases et ses daemoneries.
Rien plussi humain en Platon que ce pourquoi ils disent qu’on l’appelle divindiuin.
Et des humainesnos sciences, celles-là me
semblent plus terrestres, Position : Interligne haute et basses qui sont le plus haut montées: &Et jeie
ne trouvetrouue rien si bashumble & si mortel en la vie d’Alexandre, que ses
fantasies autour de sa deification.son immortalisation. Philotas le mordit plaisam-
ment par sa responce. Il s’estoit conjouyconiouy avecauec luy par lettre, de
l’oracle de JupiterIupiter HammonHammō, qui l’avoitauoit logé entre les Dieux,:
pPour ta consideration, ji’en suis bien aise,: mais il y a dequoy
plaindre les hommes, qui auront à vivreviure avecauec unvn homme, &
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LIVRE TROISIESME.496504
luy obeyr, lequel excedeoutrepasse et ne se contante de la mesure d’unvn homme.
-
Position : Marge droite Dijs te minorem
quod geris, imperas
La gentille
inscription, dequoy les Atheniens honorerent la venue de
Pompeius en leur ville, se conforme à mon sens:
D’autant es tu Dieu, comme
Tu te recognois homme.

C’est unevne absolue perfectionperfectiō, & commecōme divinediuine, de sçavoirsçauoir jouyriouyr
loiallement de son estre: nNous cherchons d’autres conditions,
pour n’entendre l’usagevsage des nostres: & sortons hors de nous,
pour ne sçavoirsçauoir quel il y fait.
Position : Marge droite NousSi avonsauons nous beau
monter sur des eschasses
etcar sur des eschasses
encore faut il marcher
des nos jambesiambes. Et au
plus esleveesleue trhonethrone du
monde si ne somes fondezassis
que sur nostre cul. nous
assis que sur nostre
cul.
Les plus belles vies, sont à mon
gré celles, qui se rangent au modelle commun, sans merveillemerueille, Position : Interligne haute et humain: aveqaueq ordre: mais
sans miracle et sans extravaganceextrauagance. Or la vieillesse à unvn peu besoin d’estre trai-
ctée plus doucementbassement & plus delicatementfacilementtendrement. Recommandons
là à ce Dieu, protecteur de santé & de sagesse, mais gaye &
sociale:
Frui paratis & valido mihi
Latoe dones, & precor integra
Cum mente, nec turpem senectam
Degere, nec Ccythara carentem.




FIN DUDV TROISIESME LIVRE.

[Main de Montbalon]
De la Bibliotheque Centrale de Bordeaux
departement de la gironde
M
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Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
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Première publication : 07/12/2015