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ESSAIS DE MICHEL
DE MONTAIGNE.


Livre Premier.


Par diversdiuers moyens on arrivearriue à pareille fin.
CHAP. I.



LA plus commune façon d’amollir les coeurs
de ceux qu’on a offensez, lors qu’ayant la ven-
geance en main, ils nous tiennenttiennēt à leur mercy:,
c’est de les esmouvoiresmouuoir
Position : Marge droite par summission
à commiserationcommiseratiō & à pi-
tié: tToutesfois la braveriebrauerie, et la constance, & la
resolution, moyens tous contraires, ont quelquefois serviserui à ce
mesme effect. Edouard Pprince[Note (Montaigne) : p] de Galles, celuy qui regenta si
long tempstēps nostre Guienne,: personnage, duquel les conditions
& la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur,
ayant esté bien fort offencé par les Limosins, & prenant leur
ville par force, ne peut estre arresté par les cris du peuple, &
des femmes, & enfans abandonnez à la boucherie, luy criants
mercy, & se jettansiettans à ses pieds, iusqu’à ce que passant tousjourstousiours
outre dans la ville, il apperceut trois gentils-hommes Fran-
çois, qui d’unevne hardiesse incroyable soustenoyent seuls l’effort
de son armee victorieuse. La consideration & le respect d’unevne
si notable vertu, reboucha premierement la pointe de sa cho-
lere,: &Et commença par ces trois, à faire misericorde à tous les
autres habitanshabitās de la ville. Scanderberch, Pprince[Note (Montaigne) : p] de l’Epire, suy-
vant
suy-
uant
unvn soldat des sienssiēs pour le tuer,: & ce soldat ayantayāt essayé par A
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[1v] ESSAIS DE M. DE MONTA.MICHEL DE
toute espeçe d’humilité & de supplication, de l’appaiser, se re-
solut à toute extremité de l’attendre l’espee au poing:. cCette
sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui
pour luy avoirauoir veu prendre unvn si honorable party, le receut en
grace. Cet exemple pourra souffrir autre interpretation de
ceux, qui n’auront leu la monstrueuseprodigieuse force & vaillance de ce
Pprince[Note (Montaigne) : p] là. L’Empereur Conrad troisiesme, ayant assiegé Guel-
phe Dduc[Note (Montaigne) : d] de BavieresBauieres, ne voulut condescendre à plus dou-
ces conditions, quelques viles & laches satisfactions qu’on
luy offrit, que de permettre seulementseulemēt aux gentils-femmes qui
estoyent assiegées avecauec le Duc, de sortir leur honneur sauvesauue à
pied, avecauec ce qu’elles pourroyent emporter sur elles. Elles d’unvn
coeur magnanime s’aviserentauiserēt de charger sur leurs espaules leurs
maris, leurs enfans & le Duc mesme. L’Empereur print si grandgrād
plaisir à voir la gentillesse de leur courage, qu’il en pleura d’ai-
se,: &Et amortit toute cette aigreur d’inimitié mortelle & capi-
tale, qu’il avoitauoit portée contre ce Duc: &Et dés lors en avantauant le
traita humainement luy & les siens. L’unvn & l’autre de ces deux
moyens m’emporteroit aysementaysemēt,. cCar ji’ay unevne merveilleusemerueilleuse las-
cheté vers la misericorde & le pardonla mansuetude : tTant y a qu’à mon ad-
vis
ad-
uis
, jeie serois pour me rendre plus naturellement à la compas-
sion, qu’à l’estimation: sSi est la pitié, passion vitieuse aux Stoi-
ques: iIls veulent qu’on secoure les affligez,: mMais non pas qu’on
flechisse & compatisse avecauec eux. Or ces exemples me semblentsemblēt
plus à propos,: dDautantautāt qu’on voit ces ames assaillies & essayées
par ces deux moyens, en soustenir l’unvn sans s’esbranler, & fle-
chircourber sous l’autre. Il se peut dire, que de se laisser allerrompre son ceur à la com-
passion & à la pitiécommiseration, c’est l’effect de la facilité, debonnairetédebōnaireté, &
mollesse: dD’où il advientaduient que les natures plus foibles, comme
celles des femmes, des enfans, & du vulgaire y sont plus subjet-
tes
subiet-
tes
,: mMais ayant eu à desdaing les larmes & les pleursprieres, de se ren-
dre à la seule reverencereuerence & respect de la saincte image de la ver-
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LIVRE PREMIER.MONTAIGNE LIV. I 2
tu, que c’est l’effect d’unevne ame forte & imployable, ayant en
affection & en honneur unevne vertu viveviuevigeuruigeur, masle, & obstinée.
Toutesfois és ames moins genereuses, l’estonnement & l’ad-
miration, peuventpeuuēt faire naistre unvn pareil effect: tTesmoin le peu-
ple Thebain,: lequel ayant mis en justiceiustice d’accusation capitale
ses capitaines, pour avoirauoir continué leur charge outre le temps,
qui leur avoitauoit esté prescript & preordonné, absolut àlut a[Note (Montaigne) : ult de absolut a] toutes
peines Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles objectionsobiections, &
n’employoit à se garantir que requestes & supplications: &Et
au contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifique-
ment les choses par luy faites, & à les reprocher au peuple, d’u-
ne
v-
ne
façon fiere & asseuréeet arrogante, il n’eut pas le coeur de prendre seule-
ment les balotes en main; &Et se departit l’assemblée, louant
grandement la hautesse du courage de ce personnage.
Position : Marge droite Dionisius Position : Interligne haute le vieiluieil apres grandes
longurs et difficultez extremes aïant
pris la villeuille de Rege et en
icelle le capitene Phyton
grand home de bien qui l’avoitauoit
si obstineemant defandue volutuolut
en tirer un tragique exemple
de vanjanceuaniance. Il luy dict
premieremant comant le jouriour
avantauant il avoitauoit faict noyer son
filx & tous ceus de sa paranté.
A quoi Phyton respondit
sulemant, qu’ils en estoint d’un
jouriour plus hureus que luy Il
ordona Apres il le fit
depouiller et sesir a des
bourreaus et le trainer
par la villeuille en le fessant et
foitant tresignominieusement
et cruellement: et en outre
le chargeant de brocarsfelones
et paroles et contumelieuses. Mais
il eut le corage tousjourstousiours
constant sans se perdre: eEt
d’un visageuisage ferme, alloit au
contrere ramantevantramanteuant a
haute voixuoix l’honorable &
glorieuse cause de sa mort:
pour n’avoirauoir voluuolu rendre
son païs entre les mains du
tirant: le menaçant d’une
procheine punition des Dieus
Dionisius lisant dans les yeus
de ses soldats quelque coman
cemant d’alteration et que
cet example de rare vertuuertu
flechissoit leur corage a
pitie: de maniere qu’ils luy
pourroit[sic] arracher par force
estoint a mesme
la commune de son armee que
quelque au lieu de s’animer des
bravadesbrauades de cet enemi veincuueincu au
mespris de leur chef et de son
triomfe ell’aloit s’amollissantamollissāt
par l’estonement d’une si rare vertuuertu
et marchandoit
de se mutiner
& d’aller par forceestant a mesmes d’arracher
Python d’entre les mains de ses sergens
fit cesser ce martyre et a cachetes
l’envoiaenuoia noyer en la mer.
Certes
c’est unvn subjectsubiect merveilleusementmerueilleusement vain, diversdiuers, & ondoyant,
que l’homme: iIl est malaisé d’y fonder & establir jugementiugement
constant & uniformevniforme. Voyla Pompeius qui pardonna à toute
la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animé, en
consideration de la vertu & magnanimité du citoyen Zenon,
qui se chargeoit seul de la faute publique, & ne requeroit au-
tre grace que d’en porter seul la peine. Et l’hoste de Sylla ayant
usévsé en la Vvuille de Peruse de semblable vertu, n’y gaigna rien,
ny pour soy ny pour les autres. Et directementdirectemēt contre mes pre-
miers exemples, le plus courageuxhardi des hommes qui fut onques, &
le pluset si gratieux aux vaincus, Alexandre, forçant apres beau-
coup de grandes difficultez, la Ville de Gaza, rencontra Betis
qui y commandoitcommādoit, de la valeur duquel il avoitauoit, pendant ce sie-
ge, senty des preuvespreuues merveilleusesmerueilleuses,: lors seul, abandonné des
siens, ses armes despecées, tout couvertcouuert de sang & de playes,
combatant encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui
le chamailloient de toutes parts: &Et luy dict, tout piqué d’unevne si
chere victoire: car entre autres dommagesdōmages, il y avoitauoit receu deux A ij
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[2v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
fresches blessures sur sa personne: tTu ne mourras pas comme
tu as voulu, Betis: fFais estat qu’il te faut souffrir toutes les sortes
de tourmens qui se pourront inventerinuenter contre unvn captif. L’au-
tre, d’unevne mine non seulement asseuree, mais rogue & altiere,
se tint sans mot dire à ces menaces. Lors Alexandre, voyantvoyāt l’obson fier et
stination à se taireobstiné et fier silence: aA-il flechy unvn genouil? luy est-il eschappé
quelque voix suppliante? Vrayment jeie vainqueray ce silence,ta taciturnité :
&Et si jeie n’en puis arracher parole, ji’en arracheray au moins du
gemissement: &Et tournant sa choleresonsa despit cholere en rage, commandacōmanda qu’on
luy perçast les talons, & qu’on y traversasttrauersast unevne corde: & le fit
ainsi trainer tout vif, deschirer & desmembrer au cul d’unevne
charrete. Seroit-ce, que la force de couragehardiesse luy fut si naturelle
& commune, que pour ne l’admirer point, il l’estimast &la res-
pectast moins? ouet Ou qu’il l’enviatenuiat en un autre. Ou qu’il fit besouin une trop forte
opposition pour arreter l’impetuosite de sa naturelle cholere.

Position : Marge gauche Ou qu’il l’estimat si proprementpropremēt
siene qu’en cette hautur
il ne peut souffrir de la voiruoir en un
autre sans le despit d’une passion
envieuseenuieuse. Ou que l’impetuosite
naturelle de sa cholere fut incapable
d’opposition De vraiurai si ell’eut receu
la bride qu’en la prinse et desolation
de Thebes elle l’eut receue
il est a croire
qu’elle qu’en la prinse et desolation de
la villeuille de Thebes elle l’eut receue a
voir cruellemant mettre au fil de
l’espee six mill’ho tant de vaillansuaillans
homes perdus & n’aiant plus moien
de desfance publique car il en fut
tue bien six mille des quels nul ne fut
veu ny fuiant ny demandant merci
au rebours cherchans qui ça qui la
par leurss rues a affronter les enemis
victorieus les provoquantprouoquant a les
faire mourir d’une mort honorable
nul ne fut veuueu si abatu de blessures
qui n’essaiat aen son dernier soupir de
se vanger encores. Et a tout les
armes du desespoir companserconsoler sa
mort paren la mort de quelque enemi.
Si ne trouvatrouua l’affliction de leur vertuuertu aucune pitie et ne
suffit la longur d’un jouriour a assouvirassouuir sa vanjanceuaniance Dura cette
boucheriecarnage jusquesiusques a la derniere goutte de sang qui se trouvatrouua espandable
que d’espandre et jusiuset ne s’arreta ques aus persones desarmees vieillarsuieillars fames et enfans pour en tirer
enfans de quoi il s’en fit trante mille esclavesesclaues.


De la Tristesse.
CHAP. II.



 
JIE suis des plus exemptsexēpts de cesttte[Note (Montaigne) : tt] passion:
Position : Marge gauche Et ne l’aime ny l’estime.
Quoi que les homes monde
aÿent prins come a
pris faict de l’honorer
de faveurfaueur particuliere
Ils en habillent la sagesse
la vertuuertu la consciance.
Sot et monstrueus ornem
ment. Les Italiens ont
plus sortablement bab=
tisé de son nom la malig=
nité. Car c’est une qualitè
tousjourstousiours nuisible, tousjourstousiours
fole. Mais Et come
tousjourstousiours Position : Interligne haute couarde et basse les Stoiciens
en defandentdefandēt le sentimantsentimāt a
leur sage. Mais
mais le con-
te dit, que Psammenitus Roy d’Egypte, ayant esté
deffait & pris par Cambisesz Roy de Perse, voyant
passer devantdeuant luy sa fille prisonniere habillée en ser-
vante
ser-
uante
, qu’on envoyoitenuoyoit puiser de l’eau, tous ses amis pleurans
& lamentans autour de luy, se tint coy sans mot dire, les yeux
fichez en terre: &Et voyantvoyāt encore tantost qu’on menoit son fils
à la mort, se maintint en cesttte[Note (Montaigne) : tt] mesme contenancecontenāce: mMais qu’ayantayāt
apperçeu unvn de ses domestiques conduit entre les captifs, il se
mit à battre sa teste, & mener unvn dueil extreme. Cecy se pour-
roit apparier à ce qu’on vid dernierement d’unvn Prince des no-
stres, qQui ayantayāt ouy à Trante, où il estoit, nouvellesnouuelles de la mort
de son frere aisné, mais unvn frere en qui consistoit l’appuy &
l’honneur de toute sa maison, &Et bien tost apres d’unvn puisné, sa

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LIVRE PREMIER. 3
seconde esperance, &Et ayant soustenu ces deux charges d’unevne
constance exemplaire, cComme quelques joursiours apres unvn de ses
gens vint à mourir, il se laissa emporter à ce dernier accident,
&Et quittant sa resolution, s’abandonna au dueil & aux regrets,
eEn maniere qu’aucuns en prindrent argumentargumēt, qu’il n’avoitauoit esté
touché au vif que de cesttte[Note (Montaigne) : tt] derniere secousse: mMais à la verité ce
fut, qu’estant d’ailleurs plein & comblé de tristesse, la moindre
sur-charge brisa les barrieres de la patience. Il s’en pourroit (di-
jeie) autant jugeriuger de nostre histoire, nN’estoit qu’elle adjousteadiouste,
que Cambises s’enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s’e-
stant esmeu au malheur de son fils & de sa fille, il portoit si
impatiemment celuy d’unvn de ses amis,: cC’est, responditrespōdit il, que ce
seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux pre-
miers surpassans de bien loin tout moyenmoyē de se pouvoirpouuoir expri-
mer. A l’aventureauenture reviendroitreuiendroit à ce propos l’inventioninuention de cet
ancien peintre, lequel ayant à representer au sacrifice de Iphi-
genia, le dueil des assistans, selon les degrez de l’interest que
chacun apportoit à la mort de cesttte[Note (Montaigne) : tt] belle fille innocente,: ayantayāt
espuisé les derniers efforts de son art,: quandquād se vint au pere de la
fille, il le peignit le visage couvertcouuert, cComme si nulle contenance
ne pouvoitpouuoit representer ce degré de dueil. Voyla pourquoy
les Ppoëtes[Note (Montaigne) : p] feignent cette miserable mere Niobé, ayant perdu
premierement sept fils, & puis de suite autantautāt de filles, sur-char-
gée de pertes, avoirauoir esté en fin transmuée en rochier,
Diriguisse malis:diriguisse malis:
pPour exprimer cette morne, muette & sourde stupidité, qui
nous transit, lors que les accidens nous accablentaccablēt surpassans no-
stre portée. De vray, l’effort d’ unvn desplaisir, pour estre extre-
me, doit estonnerestōner toute l’ame, & luy empescher la liberté de ses
actions: cComme il nous advientaduient à la chaude alarme d’unevne bien
mauvaisemauuaise nouvellenouuelle, de nous sentir saisis, transis, & comme per-
clus de tous mouvemensmouuemēs, dDe façon que l’ame se relaschant apres
A iij

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[3v]
  ESSAIS DE M. DE MONTA.
aux larmes & aux plaintes, semble se desprendre, se demesler &
se mettre plus au large, & à son aise,.
Et via vix tandem voci laxata dolore est.
Position : Marge gauche En la guerre que le Roy
Ferdinand fit contre la
veufveveufue de JanIan Roy de
Hongrie autour de Bude
Raïsciac capiteine Alemand
voiant raporter le corps
d’un home de chevalcheual a qui
chacun avoitauoit veusueus
excessivementexcessiuement bien faire
en la meslee cur[unclear] le pleignoit
d’une pleinte commune mais
curieus aveqaueq les autres de
reconoistre qui il estoit
apres qu’on l’eut desarme
trouvatrouua que c’estoit son filx
et parmi les larmes publiques
luy sul se tint sans mot dire
espandre ny voisuois ny pleurs
debout sur ses pieds ses yeus
immobiles le regardant
fixementfixemēt jusquesiusques a ce que
l’effort de la tristesse venantuenāt
a glacer ses esprits vitausuitaus
le porta en cet estat roide
mort par terre

Chi puo dir com’ egli arde é in picciol fuoco
disent les amoureux, qui veulent representer unevne passion in-
supportable.:
misero quod omnes
Eripit sensus mihi. Nam simul te
Lesbia aspexi, nihil est super mi
Quod loquar amens.
Lingua sed torpet, tenuis sub artus
Flamma dimanat, sonitu suopte
Tinniunt aures, gemina teguntur
Lumina nocte.

De vray, ceAussi n’est ce pas en la viveviue & plus cuysante chaleur de l’ac-
cés que nous sommes propres à desployer nos plaintes & nos
persuasions: lL’ame est lors aggraveeaggrauee de profondes pensees, &
le corps abbatu & languissant d’amour:. &Et de là s’engendre par
fois la defaillance fortuite, qui surprent les amoureux si hors
de saison, &Et cesttte[Note (Montaigne) : tt] glace qui les saisit par la force d’unevne ardeur
extreme, au girongirō mesme de la joüyssanceioüyssance: accident qui ne m’est
pas incogneu.[Note (Marie-Luce Demonet) : A noter la rature. Villey dans l’édition municipale tout comme l’édition de la Pléiade notent que cette remarque avait été ajoutée en 1588. Il y a donc une rétractation sur cette confession après 1588.] Toutes passions qui se laissent gouster & dige-
rer, ne sont que mediocres,
Curae leues loquuntur, ingentes stupent.
La surprise d’ unvn plaisir inesperé nous estonne de mesme.,
Vt me conspexit venientem, & Troïa circum
Arma amens vidit, magnis exterrita monstris,
Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit,
Labitur, & longo vix tandem tempore satur.

Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d’aise de
voir son fils revenureuenu de la route de Cannes: Sophocles & Denis
le Tyran, qui trespasserent d’aise: &Et Talua qui mourut en Cor-

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LIVRE PREMIER. 4
segue, lisant les nouvellesnouuelles des honneurs que le Senat de Rome
luy avoitauoit decernez; nNous tenons en nostre siecle que le Pape
Leon dixiesme ayant esté advertyaduerty de la prinse de Milan, qu’il
avoitauoit extremementextrememēt souhaitée, entra en tel excez de joyeioye, que la
fievrefieure l’en print & en mourut. Et pour unvn plus notable tes-
moignage de l’imbecilité naturellehumaine, il a esté remarqué par les
anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champchāp, es-
pris d’unevne extreme passion de honte, pour en son eschole & en
public ne se pouvoitpouuoit desvelopperdesuelopper d’unvn argument qu’on luy
avoitauoit faict. JeIe suis peu en prise de ces violentes passions: JI’ay
l’apprehension naturellement dure; &Et l’encrouste & espessis
tous les joursiours par discours.  


Nos affections s’emportent au delà de nous. CHAP. III.


 
CEUXCEVX qui accusent les hommes d’aller tousjourstousiours
beant apres les choses futures, &Et nous aprennent à
nous saisir des biensbiēs presens, & nous rassoir en ceux-
là, comme n’ayantayāt aucune prise sur ce qui est à venir,:
voire assez moins que nous n’avonsauons sur ce qui est passé, tou-
chent la plus commune des humaines erreurs: sS’ils osent appel-
ler erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le
serviceseruice de la continuation de son ouvrageouurage.
Position : Marge droite : nous imprimant come
asses d’autres cete imagi=
nation fauce: plus jalouseialouse
de nostre profitaction que de no
nostre sciance.
Nous ne sommes
jamaisiamais chez nous, nous sommes tousjourstousiours au delà. La crainte,
le desir, l’esperance nous eslancent vers l’adveniraduenir,: & nous des-
robent le sentiment & la considerationconsideratiō de ce qui est, pour nous
amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.
Position : Marge droite Calamitosus est
animus futuri anxius.

Ce grand praecepte est souvantsouuant
allegueé paren Platon Faicts ton
faict & te conois. Chacun de
ses deus membres envelopeenuelope
generalement tout nostre
devoirdeuoir: et semblablement
envelopeenuelope son p compaignon
Qui aroit a faire son faict
il faudroit en premier lieu
qu’ils s’instruisit de soi et de
ses droits pour ne prendre
l’estrangier pour le sien
n’extravaguerextrauaguer en occupations
superflues et en pensees et propositions inutiles. Et qui aroit
apris a se conoitre aroit apris a s’aimersaimer a se cultivercultiuer
verroituerroit que
sa premiere leçon seroitc’est conestre ce qu’il est et ce qui luy est propre.
Et qui en seroit lase conoit, ne prendroit plus l’estrangierlestrangier faict pour le sien:
s’aimeroitsaimeroit et se cultiveroitcultiueroit avantauant toute autre chose: refuseroit les
occupations superflues et les pensees et propositions inutiles. Vt
stultitia et si adepta est quod concupiuit nunquam se tamen
satis consecutam putat: sic sapientia semper eo contenta est
quod adest, neque eam unquam sui paenitet.
Epicurus
dispense son sage de la prevoiancepreuoiance Position : Interligne haute et sollicitude de l’avenirauenir
Entre
les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant
solide, qui oblige les actionsactiōs des Princes à estre examinees apres
leur mort: iIls sont compaignons, si non maistres des loix: cCe
que la JusticeIustice n’a peu sur leurs testes, c’est raison qu’elle l’ayt
sur leur reputationreputatiō, & biens de leurs successeurs,: qui sont cChoses
que souventsouuent nous preferons à la vie. C’est unevne usancevsance qui ap-
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[4v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
porte des commoditez singulieres aux nations où elle est ob-
servee
ob-
seruee
, & desirable à tous bons Pprinces[Note (Montaigne) : p].
Position : Marge gauche qui ont à se plaindre de ce, qu’on traitte la memoire des meschants comme la leur. Nous devonsdeuons la
subjectionsubiection et l’obeissancelobeissance esgalemant a tous Roys, car elle regarde leur office: mais l’estimationlestimation non
plus que l’affectionlaffection nous ne la devonsdeuons qu’a leur meritevertuuertu. Donons a l’ordrelordre politique de les souffrir
patiammant indignes, de celer leurs vicesuices, d’aider de nostre recomandation leurs actions indifferentes
pendant que leur authorite ha besoin de nostre appui. Mais nostre commerce fini, ce n’est pas raison de
refuser a la justiceiustice & a nostre
liberté l’expression de nos vraisurais
ressentimans. Et
nomeemant de refuser
aus bons subjetssubiets la glo
gloire d’avoirauoir reverammantreuerammant
et fidelemant serviserui un maistre
les imperfections du quel luy
leur estoint si bien conues:,
frustrant la posterite d’un
si utille exemple. Et ceus
qui par respect de quelque
obligation priveepriuee espousentespousēt
iniquement la memoire
d’un prince meslouable,
font justiceiustice particuliere
aus despens de la justiceiustice
publique. Un antienTite LiveLiue dict
vrai, que le langage des
homes nourris sous la
Royauté est tousjourstousiours
plein de folles ostentationsostentatiōs
& veingsueingsvainsuains tesmouignages:
chacun esleveantesleueāt indiffe=
remment son roy a
extreme ligne de valurualur
& grandur souvereinesouuereine.
On peut reprouverreprouuer la
magnanimité de ces
deus soldats qui
respondirent a l’emperurNeron
a sa barbe: l’un enquis,
de luy pourquoi il luy
vouloit mal. JeIe t’eimois
quand tu le valiesualies[sic]: mais
despuis que tu es venuuenu
parricide boutefu
batelur cochier jeie te
hai come tu merites.
L’autre, pourquoi il le
vouloit tuer: Parce que
jeie ne treuvetreuue autre remede
a ces continuelles meschan=
cetez. Mais les
publiques et universelsuniuersels
tesmouignages qui apres
sa mort furentont este randus
& le seront a tout jamaisiamais

de saes m tiranniques et
vilains desportemants
qui de sain entandemantentandemāt
les peut reprouverreprouuer?
Il me desplait qu’en une
si saincte police que la
Lacedemoniene se soitfut misemesle
unevne si sottefeinte ceremonie. A
la mort des Roys tous les
confederez & voisinsuoisins eto
& tous les Ilottes homes femmes
pesle mesle et des spar naturels
spartiates encore
se descou=
poient lale front pour tesmouig=
nage de deuil et disaoint en
leurs cris et lamentations quel qu’il ayeeut este queque celuy la quel qu’il eut este c’estc’estoit le meillur Roy de tous les leurs: quel qu’il eut este.
qu’ils eurent onques attribuants au dernier ranc. Ce los qui se doit au
premier merite
apartenoit au merite & qui apartenoit au premier merite
au postreme et dernier ranc Aristote qui tasteremue toutes choses: s’enquiert sur le mot de Solon
que nul Position : Interligne haute avantauant sa mort ne peut estre dict hureus, si celuy la mesmes qui a vescuuescu et qui est mort selon ordre peut
estre dict hureus veu quesi sa renomee peutva mal aler si sa posterite est re miserable si ses amis haïssent sa memoire
Pandant que nous nous remuons nous nous portonts par praeoccupations ou il nous plait: mais n’estans plusestant hors de l’estrelestre
nous n’avonsauōs aucune communautecommunication aveqaueq ce qui est. Et seroit meillur de dire a Solon que jamaisiamais home n’est donq
hureus s’ilpuis qu’il ne l’est que quand apres qu’il n’est plus

quisquam
Vix radicitus è vita se tollit, & eiicit:
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse,
Nec remouet satis à proiecto corpore sese, &
Vindicat.

Bertrand du Glesquin mourut au siege du chasteau de Ran-
con, pres du Puy en AuvergneAuuergne: lLes assiegez s’estant rendus
apres, furent obligez de porter les clefs de la place sur le corps
du trespassé. Barthelemy d’Aluiane, General de l’armée des
Venitiens, estant mort au serviceseruice de leurs guerres en la Bresse,
& son corps ayantayāt a estre raporté à Venise par le Veronois, ter-
re ennemie: la pluspart de ceux de l’armée estoient d’advisaduis,
qu’on demandast saufconduit pour le passage à ceux de Ve-
rone: mMais Theodore TrivolceTriuolce y contreditcōtredit; & choisit plustost
de le passer par viveviue force, au hazard du combatcōbat: nN’estant conve-conue-
nable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n’avoitauoit jamaisiamais eu peur
de ses ennemis, estant mort fist demonstration de les crain-
dre. De vray, en chose voisine, par les loix Grecques, celuy qui
demandoit à l’ennemy unvn corps pour l’inhumer, renonçoit à
la victoire, & ne luy estoit plus loisible d’en dresser trophee:. àA
celuy qui en estoit requis, c’estoit tiltre de gain. Ainsi perdit
Nicias l’avantageauantage qu’il avoitauoit nettement gaigné sur les Corin-
thiens
Corin-
thiēs
: &Et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien
doubteusementdoubteusemēt acquis sur les Baeotiens. Ces traits se pourroientpourroiēt
trouvertrouuer estranges, s’il n’estoit receu de tout temps, non seule-
ment d’estendre le soing que nous avonsauons de nous au delà cet-
te vie,: mais encore de croire que bien souventsouuent les faveursfaueurs ce-
lestes nous accompaignent au tombeau, & continuent à nos
reliques. Dequoy il y a tant d’exemples anciens, laissant à
part les nostres, qu’il n’est besoing que jeie m’y estende. Edouard
premier

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LIVRE PREMIER. 5
premier Roy d’Angleterre, ayant essayé aux longues guerres
d’entre luy & Robert Roy d’Escosse, combiencombiē sa presence don-
noit
dō-
noit
d’advantageaduantage à ses affaires, rapportantrapportāt tousjourstousiours la victoire
de ce qu’il entreprenoit en personne; mourantmourāt, obligea son fils
par solennel serment, à ce qu’estant trespassé, il fist bouillir son
corps pour desprendredesprēdre sa chair d’avecauec les os, laquelle il fit enter-
rer: & quantquāt aux os, qu’il les reservastreseruast pour les porter avecauec luy &
en son armée, toutes les fois qu’il luy adviendroitaduiēdroit d’avoirauoir guer-
re contre les Escossois,. cCommeōme si la destinée avoitauoit fatalement
attaché la victoire à ses membres. JeanIean Vischa qui troubla la
Boheme pour la deffencedeffēce des erreurs de WiclefVViclef, voulut qu’on
l’escorchast apres sa mort, & de sa peau qu’on fist unvn tabourin
à porter à la guerre contre ses ennemis: eEstimantstimāt que cela ayde-
roit à continuer les avantagesauantages qu’il avoitauoit eus aux guerres, qu’il
avoitauoitpar luy conduites contre eux. Certains Indiens portoientportoiēt ainsin
au combat contre les Espagnols, les ossemens de l’unvn de leurs
Capitaines; en considerationconsideratiō de l’heur qu’il avoitauoit eu en vivantviuant.
Et d’autres peuples en ce mesme monde, trainenttrainēt à la guerre les
corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs batailles,
pour leur servirseruir de bonne fortune & d’encouragement. Les
premiers exemples ne reserventreseruent au tombeau, que la reputationreputatiō
acquise par leurs actionsactiōs passées: mMais ceux-cy y veulent encore
mesler la puissance d’agir. Le fait du Ccapitaine[Note (Montaigne) : c] Bayard est de
meilleure composition, lequel se sentant blessé à mort d’unevne
harquebusade dans le corps, conseillécōseillé de se retirer de la meslée,
respondit, qu’il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le
dos à l’ennemy: &Et ayant combatu autant qu’il eut de force, se
sentantsentāt defaillir & eschapper du chevalcheual, commandacōmanda à son maistre
d’hostel, de le coucher au pied d’unvn arbre:, mMais que ce fut en
façon qu’il mourut le visage tourné vers l’ennemy, comme il
fit. Il me faut adjousteradiouster cet autre exemple aussi remarquable
pour cesttte[Note (Montaigne) : tt] consideration, que nul des precedens. L’Empereur
B

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[5v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
MaximilianMaximiliā bisayeul du Roy Philippes, qui est à present, estoit
Prince garnydoué de tout plein de grandesgrādes qualitez, & entre autres
d’unevne beauté de corps singuliere: mMais parmy ces humeurs, il
avoitauoit cestte-cy bien contraire à celle des princes, qui pour des-
pecher les plus importants affaires font leur throsne de leur
chaire percée: cC’est qu’il n’eust jamaisiamais valet de chambre, si pri-
pri-
, à qui il permit de le voir en sa garderobbe: iIl se desroboit
pour tomber de l’eau, aussi religieux qu’unevne fillepucelle à ne descou-
vrir
descou-
urir
ny à medecin ny à qui que ce fut, les parties qu’onō a accou-
stumé de tenir cachées. Moy, qui ay la bouche si effrontee, suis
pourtant par complexion touché de cesttte[Note (Montaigne) : tt] honte:. sSi ce n’est à
unevne grandegrāde suasion de la necessité ou de Position : Interligne haute la volupté, jeie ne communi- [Note (Montaigne) : la]
que
cōmuni-
que
guiere aux yeux de personne les membres & actions, que
nostre coustume ordonne estre couvertescouuertes: jiJ’y souffre plus de
contraintecōtrainte, que jeie n’estime bien seant à unvn homme,: &Et sur tout,
à unvn homme de ma professionprofessiō: mMais luy, en vint à telle supersti-
tion, qu’il ordonna par paroles expresses de son testament,
qu’on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il de-
voit
de-
uoit
adjousteradiouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit
eut les yeux bandez.
Position : Marge gauche JI’attribue a quelque
devotiondeuotion come d’un
Prince entre ses autres
perfections admirables
singulierement relli=
gieus:
lL’ordonance que
Cyrus faict a ses enfansenfās
que ny eus ny autre
ne viduid son cors apres
qu’il seroit decedé
ne
voieuoie et touche son cors
apres que l’ame en sera
separee. jeie l’attribue a quelque
siene devotiondeuotion. Car et son
Historien & luy entre leurs
grandes qualites ont seme
par tout le cours de leur
vieuie un singulier soins & reve=
rence
reue=
rence
a la relligion.
Ce conte me despleut qu’unvn grand Prin-
ce me fit d’unvn mien allié,: hommehōme assez cogneu & en paix & en
guerre. C’est que mourant bien vieil en sa court, tourmenté
de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures
dernieres avecauec unvn soing vehement, à disposer l’honneur & la
ceremonie de son enterrement, & pressasomma toute la noblesse qui
le visitoit, de luy donner parole d’assister à son convoyconuoy. A ce
prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit unevne instan-
te supplication que sa maison fut commandee de s’y trouvertrouuer,
eEmployant plusieurs exemples & raisons à prouverprouuer que c’e-
stoit chose, qui appartenoit à unvn homme de sa sorte,: &Et sem-
bla expirer content, ayant retiré cesttte[Note (Montaigne) : tt] promesse, & ordonné à
son gré la distribution, & ordre de sa monstre. JeIe n’ay guiere

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LIVRE PREMIER. 6
veu de vanité si perseveranteperseuerante. Cette autre curiosité contraire,
en laquelle jeie n’ay point aussi faute d’exempleexēple domestique, me
semble germaine à cesttte[Note (Montaigne) : tt]-cy, dD’aller se soignant & passionnant
à ce dernier poinct a regler son convoyconuoy, à quelque particulie-
re & inusitee parsimonie, à unvn serviteurseruiteur & unevne lanterne. JeIe
voy louer cett’ humeur, & l’ordonnance de Marcus AEmilius
Lepidus, qui deffendit à ses heritiers d’employer pour luy les
cerimonies qu’onō avoitauoit accoustumé en telles choses. Est-ce en-
core temperance & frugalité, d’evitereuiter la despence & la volup-
té, desquelles l’usagevsage & la cognoissance nous est inperceptible?
VuVoila[Note (Montaigne) : vu] unvn’ aisee reformation & de peu de coust.
Position : Marge gauche S’il estoit besouin
d’en ordoner jeie serois
davisauis qu’en celela
come en toutetoutes actions
de la vieuie chacun en
raportat la regle
en la forme de sa
fortune. Et le philo=
sophe Lycon praescrit
sagementsagemēt a ses amis
de l’enterrer ny
superfluementsuperfluemēt ny
mecaniquement.

mettre son corps ou ils
aviserontauiseront pour le mieus
et quand aus fune=
railles qu’ilsde les facentire
ny superflues ny
mecaniques
JeIe lairroais[Note (Marie-Luce Demonet) : Cette correction de "lairrois" en "lairrai" témoigne de la réduction de la diphtongue][Note (Alain Legros) : C’est aussi un passage du conditionnel (éventuel) au futur (décision, proche)] plu-
stostpuremant la coustume ordonnerordōner de cesttte[Note (Montaigne) : tt] cerimonie, &Et sauf les cho-
ses requises au serviceseruice de ma religion, si c’est en lieu où il soit
besoing de l’enjoindreenioindre
, m’en remettray volontiers à la discre-
tion des premiers à qui cette sollicitudejeie tomberai en partagecharge.
Position : Marge droite
Totus hic locus est contem=
nendus in nobis non negli=
gendus in nostris.
Et
et est sainctemant dict a un
sainct: Curatio funeris conditio
sepulturae pompa exequiarum
magis sunt uiuorum solatia
quam subsidia mortuorum.

Pourtant Socrates a
Crito qui sur l’heure de sa
fin q luy demande comant
il veutueut estre enterre. Come
vousuous voudrezuoudrez respontd il
Mais s’il en faut dire

Si jiavoisauois à m’en empescher plus avantauant, jeie trouveroistrouuerois plus ga-
land, d’imiter ceux, qui veulententreprenent vivansviuās & respirans, jouyriouyr de l’or-
dre & honneur de leur sepulture, &Et qui se plaisent de voir en
marbre, leur morte contenancecōtenance. Heureux, qui sçachentsçachēt resjouyrresiouyr
& gratifier leur sens, par l’insensibilité, & vivreviure de leur mort.
Position : Marge droite Quaeris quo
iaceas post obitum
loco
Quo non nata iacent

A peu que jeie n’entre en haine irre=
conciliable contre toute domination
populere quoi qu’elle me semble la plus
naturelle et aequitable: quand il
me souvientsouuient de cette inhumaine
injusticeiniustice du peuple Athenien, de
faire mourir sans remission &
sans les vouloiruouloir sulement ouïr
en leurs defances, ses bravesbraues
capitenes, venansuenans de gaigner
contre les Lacedemoniens la
bataille navalenauale pres des isles
Arginuses: la plus difficibledifficible la
plus gran contestee la plus forte
bataille que les grecs aïaent
onques doné en mer de leurs
forces: parce qu’apres la victoireuictoire
ils avointauoint plus tost suivisuiui les
occasions que la loi de la guerre
leur presantoint, plus tost, que
de s’arreter a receuillir et
inhumer leurs morts. Et rend
cete execution plus odieuse le
faict de Diomedon. Cetuicy est l’unlun des
condamnès, home de notable vertuuertu, et
militere et politique,: lLequel se tirant
avantauant pour parler, apres avoirauoir oui l’arrest
de leur condemnation: et trouvanttrouuant sulemant
lors, lieutemps de paisible audiance: au lieu de
s’en servirseruir au bien de sa cause et a descouvrirdescouurir
l’evidanteeuidante injusticeiniustice d’une si cruelle conclusion
ne representa qu’un souin de la conservationconseruation
de ses jugesiuges: priant les dieus de tourner a leur
ce jugementiugement a leur bien: et affin qu’a faute de rendre les veusueus
qu’ils avointauoint que luy et ses compaignons
avointauoint voueuoue aus dieus en reconnoissance d’une
si illustre fortune, ils n’attirassent l’irelire des
dieus sur eus les advertissantaduertissant quels veusueus c’estoient.
Et sans dire autre chose, & sans marchander, s’achemina de ce pas courageusement au supplice.
Position : Marge gauche La peine suivitsuiuitfortune quelques années apres cette inique superstition.les punit de mesme pain souppe.
Car Chabrias capitene general de l’armee de mer des Atheniens, aïant
eu le dessus du combat contre Pollis admiral de Sparte en l’islelisle de
Naxe, perdit le fruit tout net et contant de sa victoireuictoire, tresimportant
a leurs affaires: pour n’encourir le malheur de cet example. eEt pour ne
perdre peu des corps mors Position : Interligne haute de ses amis qui flotoint en mer, laissa se retirervogueruoguer en sauvetesauuete
un monde d’enemis vivansuiuans qui bien tostdespuis leur firent bien acheter cete importune superstitionsuperstitiō
Quaeris quo iacentas post obitumobitū loco
Quo non nata iacent.

Cet autre redone le sentimant du repos a un corps sans ame:
Neque sepulchrum quo recipiat, habeat portum corporis,
Vbi, remissa humana vita, corpus requiescat a malis.


Comme l’ame descharge ses passions sur des objectsobiects faux,
quand les vrais luy defaillent.

 
CHAP. IIII.


 
UNVN gentil-hommehōme des nostres merveilleusementmerueilleusement sub-
ject
sub-
iect
à la goutte, estantestāt pressé par les medecins de lais-
ser du tout l’usagevsage des viandes salées, avoitauoit accou-
stumé de respondrerespōdre fort plaisamment, que sur les ef-
forts & tourments du mal, il vouloit avoirauoir à qui s’en prendre,.
&Et que s’escriantescriāt & maudissant tantost le cervelatceruelat, tantost la lan-
gue de boeuf & le jamboniambon, il s’en sentoit d’autant allegé. Mais
en bon escient, comme le bras estant haussé pour frapper, il
B ij
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[6v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous deult, si le coup ne rencontre, & qu’il aille au vent: aAussi
que pour rendre unevne veuë plaisante, il ne faut pas qu’elle soit
perduë & escartée dans le vague de l’air, ains qu’elle aye bute
pour la soustenir à raisonnable distance.,
Ventus vt amittit vires, nisi robore densae
Occurrant siluae spatio diffusus inani.

De mesme il semble que l’ame esbranlée & esmeuë se perde
en soy-mesme, si on ne luy donnedōne prinse: &Et faut tousjourstousiours luy
fournir d’objectobiect où elle s’abutte & agisse. Plutarque dit à pro-
pos de ceux, qui s’affectionnent aux guenonsguenōs & petits chiens,
que la partie amoureuse, qui est en nous, à faute de prise legi-
time, plustost que de demeurer en vain, s’en forge ainsin unevne
faulce & frivolefriuole. Et nous voyons que l’ame en ses passions se
pipe plustost elle mesme, se dressant unvn faux subjectsubiect & fan-
tastique, voire contre sa propre creance, que de n’agir contre
quelque chose. Ainsin emporte les bestes leur rage à s’atta-
quer à la pierre & au fer, qui les a blessees, &Et à se venger à belles
dents sur ellessoi mesmes du mal qu’elles sentent.,
Pannonis haud aliter post ictum saeuior vrsa
Cuim[Note (Montaigne) : m] iaculum parua liLybis[Note (Montaigne) : Ly] amentauit habena,
Se rotat in vulnus, telúmque irata receptum
Impetit, & secum fugientem circuit hastam.

Quelles causes n’inventonsinuentons nous des malheurs, qui nous ad-
viennent
ad-
uiennent
? àA quoy ne nous prenonsprenōs nous à tort ou a droit, pour
avoirauoir ou nous escrimer? Ce ne sont pas ces tresses blondesblōdes, que
tu deschires, ny la blancheur de cesttte[Note (Montaigne) : tt] poictrine, que despite
tu bas si cruellement, qui ont perdu d’unvn malheureux plomb
ce frere bien aymé: pPrens t’en ailleurs.
Position : Marge gauche LiviusLiuius parlant de
l’armee Romeine en
Espaigne apres la perte
des deus freres, leursses
grans capitenes: flere
omnes repente et
offensare capita:
cetc’est
un usage commun.
Et le mot du Position : Interligne haute philosofe Bion asur celuide ce[Note (Mathieu Duboc) : Montaigne écrit d’abord : "Bion a celuy Roy", puis : "Bion sur ce Roy" et enfin : "Bion de ce Roy"] Roy qui de deuil s’arrachoit les poils
ne fut pasil pas plaisant Cetuici pense il que la pelade soulage le deuil.
Qui n’a veu macher &
engloutir les cartes, se gorger d’unevne bale de dets, pour avoirauoir
ou se venger de la perte de son argent? Xerxes foita la mer, Position : Interligne haute de l’Helespont l’enforgea et luy fit dire mille villaniesuillanies &
escrivitescriuit unvn cartel de deffi au montmōt Athos: &Et Cyrus amusa tou-
te unevne armée plusieurs joursiours à se venger de la riviereriuiere de Gyn-

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LIVRE PREMIER 7
dus, pour la peur qu’il avoitauoit eu en la passant: &Et Caligula rui-
na unevne tresbelle maison, pour le plaisir que sa mere y avoitauoit re-
ceueu.
Position : Marge droite Le peuple disoit en ma
junesseiunesse qu’un Roy de nos
voisinsuoisins ayanst receu de
Dieu un coup deune bastonade vergeuergefoet juraiura
de s’en vangeruanger: ordonant que
de dix ans on ne le prierointat
ny parleroitat on de luy, en bien
ny en mal autant qu’il estoit
en son authorite ne croire l’on[unclear]qu’on ne creut
on en luy. Par ou on vouloituouloit
peindre non tant la sottise
que la gloire naturelle a la
nation de quoi estoit le compte.
Ce sont vicesuices tousjourstousiours conjoinctsconioincts
mais telles actions tienent
a la veriteuerite un peu plus encore
de gloire que de sottise d’outre=
cuidance que de bestise.
Augustus Cesar ayant esté battu de la tampeste sur mer, se
print a deffier le Dieu Neptunus, & en la pompe des jeuxieux Cir-
censes fit oster son image du reng, où elle estoit parmy les au-
tres dieux, pour se venger de luy. En quoy il est encore moins
excusable, que les precedens, & moins qu’il ne fut depuis, lors
qu’ayant perdu unevne bataille sous Quintilius Varus en Alle-
maigne, il alloit de colere & de desespoir, choquantchoquāt sa teste con-
tre
cō-
tre
la muraille, en s’escriant,. Varus rens moy mes soldats: cCar
ceux la surpassent toute follie, d’autant que l’impieté y est
joincteioincte, qui s’en adressent à Dieu mesmes à belles injuresiniures, ou à
la fortune, cComme si elle avoitauoit des oreilles subjectessubiectes à nostre
batterie.
Position : Marge droite A l’exemple des Thraces
qui quand il tone ou esclaire
se mettent a tirer contre
le ciel des flesches et des
traicts
d’unedune vanjenceuanience
corageusetytaniene, pour ranger
dieu a raison a coups
de flesche.
Or, comme dit cestt[Note (Montaigne) : t] ancien poëte chez Plutarque,
Point ne se faut courroucer aux affaires.
Il ne leur chaut de toutes nos choleres.

Mais nous ne dirons jamaisiamais assez d’injuresiniures au desreglement
de nostre esprit.


Si le chef d’unevne place assiegée, doit sortir pour parlementer.
 
CHAP. V.


 
LUCIUSLVCIVS Marcius Legat des Romains, en la guerre
contrecōtre Perseus Roy de Macedoine voulant gaigner
le temps, qu’il luy falloit encore a mettre en point
son armée, sema des entregets d’accord, desquels le
Roy endormi accorda trefvetrefue pour quelques joursiours: fFournissantfFournissāt
par ce moyenmoyē son ennemy d’oportunité & loisir pour s’armer:
dD’où le Roy encourut sa derniere ruine. xPosition : Marge droite encourut sa derniere ruine[Main moderne inconnue][Note (Alain Legros) : Restitution postérieure à la tache] Si est-ce, que les Se-
nat Romain, à qui le seul advantageaduantage de la vertu sembloit
moyen justeiuste pour acquerir la victoire, trouvatrouua cette pratique
laide & deshonneste, n’ayant encores ouy sonner à ses oreil-
les cette belle sentence,

vieilsuieils du Senat memoratifs xPosition : Marge droite mémoratifs[Main moderne inconnue][Note (Alain Legros) : Restitution postérieure à la tache] des meurs de leurs peres, accusarent
cette pratique come enemie de leur stile antien: qui fut, disoint ils,
combattre de vertuuertu non de finesse: ny par surprinses et
rencontres de nuict: ny par fuites apostees, & recharges
inopinees: n’entreprenant guerre qu’apres l’avoirauoir denoncee,
et souvantsouuant apres avoirauoir assigné l’heure et lieu de la bataille.
De cette consciancecōsciance, ils renvoiarentrenuoiarent a Pyrrus son trahistre medecin, et aus Falisques
leur meschant maistre d’escolle. C’estoint les formes vraiemanturaiemant Romeines,
non de la Grecque subtilitè et astuce Punique, ou le veincreueincre par force est
moins glorieus que par fraude. Elle pe Le tromper peut servirseruir pour le coup
mais celuy sul se tient pour surmonté qui sçait l’avoirauoir este ny ruse par artruse ny
de sort mais depar vaillanceuaillance, de trope a trope, en une loyalle et justeiuste guerre
Les gensIl appert bien par le langage de ces bones gens qu’ils n’aurint[sic] encores oui soner a leurs oreillesreceu cette belle sentance

B iij

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[7v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
dolus an virtus quis in hoste requirat?
Position : Marge gauche Les Achaeins dict Polibe detestoint toute voieuoie de tromperie
en leurs guerres, n’estimant victoireuictoire sinon ou les corages des enemis
sont abatus. Eam uir sanctus et sapiens sciet ueram esse uictoriam
quae salua fide et integra dignitate parabitur:
dict un autre.
Vos ne uelit an me regnare hera
quidue ferat fors
Virtute experiamur.

Au Royaume de Taernate
parmi ces nations qu’ae si a
pleine bouche nous
apelons si barbares la
loycoustume porte qu’ils n’entre=
prenent guerre sans
l’avoirl’auoir premierement
denoncee y adjoutanstadioutanst
lesample declarations des
moïens qu’ils ont a y em=
ploier a cette guerre
quels combien d’homes
quelles munitions
quelles armes offansivesoffansiues
& defansivesdefansiues Mais
cela faict aussi, ils
[...] permer
si leurs
enemis ne cedent &
vienent a accort ils
se donentdonēt loy par force
et au pis faire et
ne pensent pouvoirpouuoir [unclear]
estre reproches de
trahison de finesse
& de tout moïen qui
sert a veincreueincre Les
antiens Florentins
estoint si eslouignes de
vouloir prendregaigner advan=
tage
aduā=
tage
sur leurs enemis
par surprinse: qu’ils les
advertissointaduertissoint un mois
avantauant que de mettre leur
exercite aus champs par
le continuelcōtinuel son de leura
cloche qu’ils nomoint
Martinella

Quand à nous moings superstitieux, qui tenons celuy avoirauoir
l’honneur de la guerre, qui en a le profit, &Et qui apres Lysan-
der, disons que où la peau du Lylion[Note (Montaigne) : li] ne peut suffire, qu’il y faut
coudre unvn lopin de celle du renard, les plus ordinaires occa-
sions
occa-
siōs
de surprinse se tirent de cesttte[Note (Montaigne) : tt] praticque: &Et n’est heure, di-
sons nous, où unvn chef doivedoiue avoirauoir plus l’oeil au guet, que celle
des parlemens & traités d’accord. Et pour cette cause, c’est unevne
reigle en la bouche de tous les hommes de guerre de nostre
temps, qu’il ne faut jamaisiamais que le gouverneurgouuerneur en unevne place
assiegée sorte luy mesmes pour parlementerparlemēter. Du temps de nos
peres cela fut reproché aux Sseigneurs[Note (Montaigne) : s] de MontmordMōtmord & de l’As-
signi, deffendans Mouson conter le Ccomte[Note (Montaigne) : c] de Nansaut. Mais
aussi à ce conte, celuy la seroit excusable, qui sortiroit en telle
façon, que la seureté & l’advantageaduantage demeurast de son costé:
cComme fit en la ville de Regge, le Comte Guy de RangonRangō (s’il
en faut croire Mmonsieur[Note (Montaigne) : m] du Bellay, car Guicciardin dit que ce
fut luy mesmes) lors que le Seigneur de l’Escut s’en approcha
pour parlementer: cCar il abandonna de si peu son fort, qu’unvn
trouble s’estant esmeu pendant ce Pparlement[Note (Montaigne) : p], non seulement
Monsieur de l’Escut & sa trouppe, qui estoit approchée avecauec
luy, se trouvatrouua la plus foible, de façon que Alexandre TrivulceTriuulce
y fut tué, mais luy mesmes fust contrainct, pour le plus seur,
de suivresuiure le ConteCōte, & se jetterietter sur sa foy à l’abri des coups dans
la ville:. Eumenes en la Ville de Nora pressé par Antigonus
qui l’assiegeoit, de sortir parler à luy, & qui apres plusieurs
autres entremises alleguoit, que c’estoit raisonraisō qu’il vint deversdeuers
luy, attenduattēdu qu’il estoit le plus grandgrād & le plus fort: aApres avoirauoir
faict cette noble responce, jeie n’estimeray jamaisiamais homme plus
grand que moy, tant que ji’auray mon espee en ma puissance, neN’y[Note (Montaigne) : n’y]
s’y consentitcōsentit, qu’Antigonus ne luy eust donné Ptolomaeus son
propre nepveunepueu Position : Marge droite en[Note (Montaigne) : Position : Marge droite en] ostage, commecōme il demandoit:. Si est-ce que en-

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LIVRE PREMIER. 8
cores en y a il, qui se sont tresbien trouveztrouuez de sortir sur la pa-
role de l’assaillant: tTesmoing Henry de Vaux, CchevalierCcheualier[Note (Montaigne) : c] Cham-
penois
Chā-
penois
, lequel estant assiegé dans le Cchasteau[Note (Montaigne) : c] de Commercy
par les Anglois, & Barthelemy de Bonnes, qui commandoitcōmandoit au
siege, ayant par dehors faict sapper la plus part du Chasteau, si
qu’il ne restoit que le feu pour accabler les assiegez sous les rui-
nes, somma ledit Henry de sortir à parlementerparlemēter pour son pro-
fict,: cComme il fit luy quatriesme,: & son evidenteeuidente ruyne luy
ayantayāt esté monstrée à l’oeil, il s’en sentit singulierementsingulieremēt obligé à
l’ennemy: àA la discretion duquel, apres qu’il se fut rendu & sa
trouppe, le feu estant mis à la mine, les estansons de bois ve-
nantus à faillir, le Chasteau fut emporté de fons en comblecōble. JeIe me
fie ayseement à la foy d’autruy,. mMais mal-aiseement le fai-
roiy jeieroy jeie[Note (Montaigne) : y] lors que jeie donPosition : Interligne hautenerois à jugeriuger, l’avoirauoir plustost faict par
desespoir & faute de coeur, que par franchise, & fiance de sa
loyauté.
 


L’heure des parlemens dangereuse.
 
CHAP. VI.


 
TOUTESFOISTOVTES-FOIS jeie vis dernierement en mon voisi-
nage de Mussidan, que ceux, qui en furentfurēt délogez à
force par nostre armée, & autres de leur party, cri-
oient comme de trahison, de ce que pendantpēdant les en-
tremises d’accord, & le Pparlementtreté[Note (Montaigne) : p] se continuant encores, on
les avoitauoit surpris & mis en pieces: cChose qui eust eu à l’avantu-
re
auātu-
re
apparence en unvn autre siecle,. mMais, comme jeie viens de dire,
nos façons sont entierement esloignées de ces reigles: &Et ne se
doit attendreattēdre fiance des unsvns aux autres, que le dernier seau d’o-
bligation n’y soit passé: eEncore y a il lors assés affaire.
Position : Interligne basse Et a tousjourstousiours este conseil hasardeus de fier a la licence d’un’armee
victorieuseuictorieuse l’observationobseruation des la foi qu’on a donee a une villeuille qui vientuient de
se rendre par douce et favorablefauorable composition, et d’en laisser sur la chaude
l’entree libre aus soldats. L. AemyliusAEmylius Regillus praetur Romein aiant
perdu son temps a essaier de prandre la villeuille de Phocaees d a force, pour
la singuliere prouësse & obstination des habitans a se bien desfandre, fit pache
aveqaueq eus marché de les recevoirreceuoir pour amis du peuple Romein, & d’y entrer
come en villeuille confedereecōfederee: leur ostant toute creinte d’action hostile. Mais y
aïant quand et luy introduit son armee, pour s’y faire voiruoir en plus de pompe,
il ne fut en sa puissance, quelque effort qu’il y emploiat, de tenir la main bride
a ses gens: et viduid davantdauant ses yeus fourrager bone partie de la villeuille,: les
droits de l’avariceauarice et de la vangenceuangence, supplantantsuppeditant ceus de son authorité & de la
discipline militaire.
Cleo-
menes disoit, que quelque mal qu’on peut faire aux ennemis
en guerre, cela estoit par dessus la justiceiustice, & non subjectsubiect à icel-
le, tant enversenuers les dieux, qu’enversenuers les hommes,. &Et ayant faict

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[8v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
trevetreue avecauec les ArgiensArgiēs, pour sept joursiours, la troisiesme nuict apres
il les alla charger tous endormis & les défict, aAlleguant qu’en
sa trevetreue il n’avoitauoit pas esté parlé des nuicts: mMais les dieux ven-
gerent cestte perfide subtilité.
Position : Marge gauche CasilinumCasilinū inter collo=
quia, cunctationemque
petentium fidem, per
occasionem captum estfuit

Pendant le parlemaent
et qu’ils musoint a demandersur
leurs surtez la villeuille de
Casilinum fut sesie p[unclear]
par surprinse.

Et cela pourtant du tempsaus siecles
et des plus justesiustes capi=
teines, & de la plus par=
faitte milice Romeine.
Car il n’est pas dict, que
en temps et lieu, il ne
soit permis de nous pre=
valoitr de la sottise de
nos ennemisPosition : Interligne basse, come Position : Interligne haute nous faisons de leur
lascheté. Et certes la
guerre a naturellemantnaturellemāt
beaucoup de privilegespriuileges
contre la justiceiustice raiso=
nables au prejudicepreiudice de
l’equitè &
de la raison.
Position : Marge gauche Et icy faut la regle:
neminem id agere ut ex
alterius praedetur inscitia.

Mais jeie m’estone de
l’estendue que XenophonXenophō
leur done: et par les
propos de son parfaict
emperur
et par diversdiuers
siens exploits de son
parfaict emperur:
autheur de merveillusmerueillus
pois en telles choses:
come grand capitene,
& philosofe des premiers
disciples de Socrates.
Et ne consens pas a la
mesure de sa dispance,
en tout et par tout.
Monsieur d’Aubigny assiegeantassiegeāt
Cappoüe, & apres y avoirauoir fait unevne furieuse baterie, le Sei-
gneur Fabrice Colonne, Capitaine de la Ville, ayant comman-
commā-
a parlementer de dessus unvn bastionbastiō, & ses gens faisant plus
molle garde, les nostres s’en amparerentamparerēt & mirent tout en pie-
ces. Et de plus fresche memoire à YvoyYuoy le Seigneur JullianIullian
Rommero, ayant fait ce pas de clerc de sortir pour parlemen-
ter avecauec Monsieur le ConnestableCōnestable, trouvatrouua au retour sa place
saisie. Mais afin que nous ne nous en aillionsallions pas sans revanchereuāche,:
lLe Mmarquis[Note (Montaigne) : m] de Pesquaire assiegeant Genes, ou le Duc OctavianOctauiā
Fregose commandoitcōmandoit soubs nostre protectionprotectiō, & l’accord entre
eux ayant esté poussé si avantauant, qu’on le tenoit pour fait, sur le
point de la conclusion, les Espagnols s’estans coullés dedans,
en usaerentvsaerent comme en unevne victoire planiere: &Et depuis en Li-
gny en Barrois, où le Comte de Brienne commandoit, l’Em-
pereur l’ayant assiegé en personne, & Bertheuille Lieutenant
dudict Comte estant sorty pour parlemanterparler, pendant le par-
lemantmarché la ville se trouvatrouua saisie.
Fu il vincer sempremai laudabil cosa.,
Vincasi o per fortuna o per ingegno,

disent ils: Mmais[Note (Montaigne) : m] le philosophe Chrisippus n’eust pas esté de
cet advisaduis, &Et moy aussi peu: cCar il disoit que ceux, qui courent
à l’envyenuy, doiventdoiuent bien employer toutes leurs forces à la vistes-
se,. mMais il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre
la main sur leur adversaireaduersaire pour l’arrester, ny de luy tendre la
jambeiambe, pour le faire cheoir:. &Et[Note (Montaigne) : Et] plus genereusement encore ce
grand Alexandre à Polypercon, qui luy suadoit de se servirseruir de
l’avantageauantage que l’obscurité de la nuict luy donnoit pour assail-
lir Darius.: PpPoint[Note (Montaigne) : pP], fit-il, ce n’est pas à moy d’employer des vi-
ctoires

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LIVRE PREMIER. 9
ctoires desrobées: mMalo me fortunae poeniteat, quamquā victoriae pudeat.
Atque idem fugientem haud est dignatus Orodem
Sternere, nec iacta caecum dare cuspide vulnus:
Obuius, aduersoque occurrit, seque viro vir
Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis.

 


Que l’intention jugeiuge nos actions.
 
CHAP. VII.


 
LA mort, dict-on, nous acquitte de toutes nos obliga-
tions
obliga-
tiōs
: jiJI’en sçay qui l’ont prins en diversediuerse façonfaçō. Henry se-
ptiesme Roy d’Angleterre fist compositioncōposition avecauec Dom
Philippe fils de l’Empereur Maximilian, ou pour le confron-
ter plus honnorablement, pere de l’Empereur Charles cin-
quiesme, que ledict Philippe remettoit entre ses mains le
Duc de Suffolc de la Rrose[Note (Montaigne) : r] blanche, son ennemy, lequel s’en
estoit fuy & retiré au pays bas, moyennant qu’il promettoit
de n’attenter rien sur la vie dudict Duc: tToutesfois venant à
mourir, il commandacōmanda par son testament expressementexpressemēt à son fils,
de le faire mourir, soudain apres qu’il seroit decedé. Dernie-
rement en cette tragedie, que le Duc d’Albe nous fit voir à Bru-
xelles és ComtesCōtes de Horne & d’AiguemondAiguemōd, il y eust tout plein
de choses remarquables: &Et entre autres que ledict ComteCōte d’Ai-
guemond, soubs la foy & asseurance duquel le ComteCōte de Hor-
ne s’estoit venu rendre au Duc d’Albe, requit avecauec grande in-
stance, qu’on le fit mourir premier: aAffin que sa mort le ga-
rantitl’affranchit de l’obligation, qu’il avoitauoit audict Comte de Horne. Il
semble que la mort n’ait point deschargé le premier de sa foy
donnéedōnée, &Et que le second en estoit quite, mesmes sans mourir.
Nous ne pouvonspouuons estre tenus au dela de nos forces & de nos
moyens. A cette cause, par ce que les effects & executions ne
sont aucunement en nostre puissance, & qu’il n’y a rienriē en bon
C

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[9v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
escient en nostre puissance, que la volonté: en celle là se fon-
dent par necessité, & s’establissent toutes les reigles du devoirdeuoir
de l’homme. Par ainsi le Comte d’Aiguemond tenant son a-
me & volonté endebtée à sa promesse, bien que la puissance
de l’effectuer ne fut pas en ses mains, estoit sans doute absous
de son devoirdeuoir, quandquād il eust survescusuruescu le Comte de Horne. Mais
le Roy d’Angleterre faillant à sa parolle par son intention, ne
se peut excuser pour avoirauoir retardé jusquesiusques apres sa mort l’exe-
cution de sa desloyauté:. nNon plus que le masson de Herodo-
te, lequel ayant loyallement conservéconserué durant sa vie le secret
des thresors du Roy d’Egypte son maistre, mourant les des-
couvrit
des-
couurit
à ses enfans.
Position : Marge gauche JI’ay veuueu plusieurs
de mon temps conveincusconueincus
par leur consciance, rete=
nir de l’autrui: se dipo=
ser a y satisfaire par leur testamant,
& apres leur decez. Ils ne font rien
qui vailleuaille. Ny de prandre terme a
chose si pressante: ny de vouloiruouloir
restablir un’injureiniure
aveqaueq si peu de leur
ressantimant et interest
Ils doiventdoiuent du plus leur.
Et d’autant qu’ils paient
plus poisammant, et
incommodeemant,:
d’autant en est leur
satisfaction plus justeiuste
& meritoire. La paeni
tence cherchedemande a se
charger. Ceus la font
encore pis qui reserventreseruent la
revelationreuelation de quelque haineuse
volanter enversenuers leur proche
a leur derniere volontéuolonté
montrant peu de soin de
leur honeur qu’ils abando

l’ayant cachée pendant la
leur vieuie. Et montrent avoirauoir
peu de soins deu leur honur
propre honeur irritant l’offancé
a l’encontre de leur memoire:
& moins de leur consciance
ayant pour le respect de la
mort mesme sceu faire mourir
leur maltalant: et en
estendant la vieuie outre la leur.
Iniques jugesiuges qui remettent a jugeriuger
le tempsalors qu’ils n’ont plus de
conoissance de cause. JeIe me
garderai si jeie puis que ma mort die chose que ma vieuie n’ait premierement dict.

 


De l’OisivetéOisiueté. CHAP. VIII.


COmme nous voyons des terres oysivesoysiues, si elles sont
grasses & fertilles, qu’elles ne cessent de foisonner
en cent mille sortes d’herbes sauvagessauuages & inutiles, &Et
que pour les tenir en office, il les faut assubjectirassubiectir & employer
à certaines semences, pour nostre serviceseruice. Et comme nous
voyonsvoyōs, que les femmes produisent bienbiē toutes seules, des amas
& pieces de chair informes, mais que pour faire unevne genera-
tion bonnebōne & naturelle, il les faut embesoigner d’unevne autre se-
mence: aAinsin est-il des espris,. sSi on ne les occupe à certain su-
iet, qui les bride & contraeigne[Note (Montaigne) : e], ils se jettentiettent desreiglez, par-cy
par la, dans le vague champ des imaginations.,
Sicut aquae tremulum labris ubivbi lumen ahenis
Sole repercussum, aut radiantis imagine Lunae
Omnia peruolitat latè loca iámque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti.

Et n’est folie ny réverieréuerie, qu’ils ne produisent en cette agitationagitatiō,
velut aegri somnia, vanae
Finguntur species.


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LIVRE PREMIER. 10
L’ame qui n’a point de but estably, elle se perd: cCar commecōme on
dict, c’est n’estre en aucun lieu, que d’estre par tout.
Quisquis vbique habitat, Maxime; nusquam habitat.
Dernierement que jeie me retiray chez moy, deliberé autant
que jeie pourroy, de ne me mesler d’autre chose, que de passer
en repos, & à part, ce peu qui me reste de vie,: il me sembloit
ne pouvoirpouuoir faire plus grande faveurfaueur à mon esprit, que de le
laisser en pleine oysivetéoysiueté, s’entretenir soymesmes, & s’arrester
& rasseoir en soy: cCe que ji’esperois qu’il peut meshuy faire
plus aisémentaisémēt, devenudeuenu avecauec le tempstēps, plus poisant, & plus meur:
mMais jeie trouvetrouue,
variam semper dant otia mentem, [Commentaire (Montaigne) : - tirés en ça / c’est une fin de vers]
que au rebours, faisant le chevalcheual eschappé, il se donnedōne centcēt fois
plus d’affaire à soy mesmes, qu’il n’en prenoit pour autruy: &Et
m’enfante tant de chimeres & monstres fantasques les unsvns sur
les autres, sans ordre, & sans propos, que pour en contempler
à mon aise l’ineptie & l’estrangeté, ji’ay commancé de les met-
tre en rolle, eEsperant avecauec le temps, luy en faire honte à luy
mesmes.
 


Des Menteurs.
 
CHAP. IX.


 
IL n’est homme à qui il siese si mal de se mesler de par-
ler de memoire, qu’à moy. Car jeie n’en reconnoy qua-
si trasse en moy,. &Et ne pensepēse qu’il y en aye au mondemōde, unevne
autre si monstreuse en defaillance. JI’ay toutes mes autres par-
ties viles & communes,. mMais en cette-là jeie pense estre singu-
lier & tres-rare, & digne de gaigner par là, nom & reputationreputatiō.
Outre l’inconvenientincōuenient naturel que ji’en souffre
Position : Marge droite car certes veuueu sa
necessite les gre Platon a
raison de la nomer une
grande et puissante deesse
si en mon païs on
veut dire qu’unvn homme n’a poinct de sens, ils disent, qu’il n’a
point de memoire: &Et quand jeie me plains du defaut de la mien-
ne
miē-
ne
, ils me reprennent & mescroient, comme si jeie m’accusois
C ij

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[10v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’estre insensé,. iIls ne voyent pas de chois entre memoire &
entendement. C’est bien empirer mon marché: mMais ils me fontfōt
tort,. cCar il se voit par experience plustost au rebours, que les
memoires excellentes se joignentioignent volontiersvolōtiers aux jugemensiugemens de-
biles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay rienriē si bienbiē faire
qu’estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma mala-
die, representent l’ingratitude. On se prend de mon affection
à ma memoire,. &Et d’unvn defaut naturel, on en faict unvn defaut
de consciencecōsciēce. Il a oublié, dict-on, cette priere ou cette promes-
se: iIl ne se souvientsouuiēt point de ses amys: iIl ne s’est point souvenusouuenu
de dire, ou faire, ou taire cela, pour l’amour de moy. Certes jeie
puis aiséement oublier, mais de mettre à nonchalloirnōchalloir la charge
que mon amy m’a donnee jeie ne le fay pas. Qu’on se contentecontēte de
ma misere, sans en faire unevne espece de malice: &Et de la malice
autant ennemye de mon humeur. JeIe me console aucunementaucunemēt.
Premierement desur ce,
Position : Marge gauche que c’est un mal duquel
principalemant ji’ay tire la
raison de corriger un mal pire
qui se fut facilement produit
en moy: sçavoirsçauoir est l’ambition
Position : Marge gauche Car c’est une desfaillance insupportable a qui s’empesche des negotiations du monde. Que come
disent plusieurs pareils exemples du progres de nature, ell’a volontiersuolontiers fortifie d’autres facultez
en moi a mesure que cettecy s’est affoiblie: et irois facilement couchant et alanguissant mon
esprit & mon jugementiugemēt sur les traces d’autruy, come faict le monde, sans esveilleresueiller et exercer leurs
propres forces, si les invantionsinuantions et opinions estrangieres m’estoint presantes par le benefice de la memoire.
qQue mon parler en est plus court,. cCar le
magasin de la memoire, est volontiersvolōtiers plus fourny de matiere,
que n’est celuy de l’inventioninuentiō.
Position : Marge gauche Si elle m’eut tenu bon
ji’eusse assourdi tous
mes amis de babil: les
subjetssubiets esveillantesueillant et estan=
dant mes discours
cette
telle quelle facultè que ji’ay
de les manier et emploier
la picatnt l’e Eschauffant et
attirant mes discours.
C’est pitié,. jJeiIe l’essaye par la preu-
ve
preu-
ue
d’aucunsaucūs de mes privezpriuez amys,. àA mesure que la memoire leur
fournit la chose entiere & presente, ils reculent si arriere leur
narration, & la chargent de vaines circonstances, que si le con-cō-
te est bon, ils en estouffent la bonté,. sS’il ne l’est pas, vous
estes à maudire ou l’heur de leur memoire, ou le malheur de
leur jugementiugement.
Position : Marge gauche Et c’est chose difficile de
fermesr un propos & de le
coupper despuis qu’on est arrouté.
Et n’est rien ou la force d’un
chevalcheual se conesse plus qu’a
faire un arrest ront et fermenet
non tard. Entre les pertinans
mesmes ji’en voiuoi qui se veulentueulent
& ne se peuventpeuuent arreter
retraire
desfaire de leur
course. CependantCependāt qu’ils cherchentcherchēt
point de Valete et plauditeclorre le pas
ils s’en vontuont bastelantbalivernantbaliuernant & treinanttreināt
comme des homes qui desfaillentdesfaillēt
de foiblesse. Sur tout les
vieillars sont dangereus,
à qui la memoiresouvenancesouuenance des conteschoses passees
demeure entiere et n’ont perdu
memoiresouvenancesouuenance de leurs redictes
JI’ay en la bou veuueu des recits bien plesans devenirdeuenir tresennuieus en la
bouche d’un ch seignur: chacun de l’assistanceassistāce en ayant esté abbreveabbreue çent fois.
AussiSecondement, qu’il me souvientsouuient moins des offences
receuës, commeainsi que disoit cet ancien:.
Position : Marge droite Il me faudroit
un protocolle:
cCome [unclear] Darius
pour n’oblier
l’offance qu’il
avoitauoit receu des
Atheniens
faisoit to qu’unvn
page a toutess les
foiscoups qu’il se
mettoit a table
luy vintuint rechan-
ter par trois fois
a l’oreille. Sire
souvienesouuiene vousuous
des Atheniens.
&Et que les lieux & les li-
vres
li-
ures
que jeie revoyreuoy me rient tousjourstousiours d’unevne fresche nouvel-nouuel-
leté. Ce n’est pas sans raison qu’on dit, que qui ne se sent point
assez ferme de memoire, ne se doit pas mesler d’estre menteurmēteur.
JeIe sçay bien que les grammairiens font difference, entre dire
mensonge, & mentir: &Et disent, que dire mensonge, c’est dire
chose fauce, mais qu’on à pris pour vraye,. &Et que la definitiondefinitiō
du mot de mentir en Latin, d’où nostre François est party,
 
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LIVRE PREMIER. 11
porte autant, comme aller contre sa conscience,. &Et que par
consequentconsequēt cela ne touche, que ceux qui disent contre ce qu’ils
sçaventsçauent, desquels jeie parle. Or ceux icy, ou ils invententinuentent marc
& tout, où ils déguisent & alterent unvn fons veritable. Lors
qu’ils déguisent & changent, à les remettre souventsouuēt en ce mes-
me conte, il est mal-aisé qu’ils ne se desferrent: pPar ce que la
chose, comme elle est, s’estant logée la premiere dans la me-
moire, & s’y estant empreincte, par la voye de la connoissan-
ce, & de la science, il est mal-aisé qu’elle ne se represente à l’i-
magination, délogeant la fauceté, qui n’y peut avoirauoir le pied si
ferme, ny si rassis: &Et que les circonstances du premier apren-
tissage, se coulant à tous coups dans l’esprit, ne facent perdre
le souvenirsouuenir des pieces raportées faulses ou abastardies. En ce
qu’ils invententinuentent tout à faict,: d’autant qu’il n’y à nulle impres-
sion contraire, qui choque leur fauceté, ils semblent avoirauoir
d’autant moins à craindre de se mesconter. Toutesfois enco-
re cecy, par ce que c’est unvn corps vain, & sans prise, eschappe
volontiers à la memoire, si elle n’est bien asseurée. Dequoy
ji’ay souventsouuent veu l’experience,. &Et plaisammant, aux despens,
de ceux qui font profession de ne former autrement leur pa-
role, que selon qu’il sert aux affaires qu’ils negotient, &Et qu’il
plaist aux grands à qui ils parlent. Car ces circonstancescircōstances à quoy
ils veulent asservirasseruir leur foy & leur conscience, estans subjettessubiettes
à plusieurs changements, il faut que leur parole se diversifiediuersifie
quand & quand,. dD’où il advientaduient que de mesme chose, ils di-
sent, gris tantost, tantost jauneiaune: àA tel homme d’unevne sorte, à tel
d’unevne autre: &Et si par fortune ces hommes raportent en butin
leurs instructions si contraires, que devientdeuient cette belle art?
Outre ce qu’imprudemmentimprudēment ils se desferrent eux-mesme si sou-
vent
sou-
uent
: cCar quelle memoire leur pourroit suffire à se souvenirsouuenir
de tant de diversesdiuerses formes, qu’ils ont forgées à unvn mesme sub-
ject
sub-
iect
. JI’ay veu plusieurs de mon temps, envierenuier la reputation de
C iij

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[11v]
ESSAIS DE. M. DE MONTA.
cette belle sorte de prudence,. qQui ne voyentvoyēt pas, que si la repu-
tation y est, l’effect n’y peut estre.
Position : Marge gauche En verité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, & ne nous tenons les unsvns aux autres que par la
parole Si nous en conessions l’horrur et le pois nous le poursuivrionspoursuiurions a feu plus justemantiustemant que d’autres crimes
JIe treuvetreuue qu’on s’amuse ordinerement a chastier aus enfans des errurs innocentes tres mal a propos et qu’on les
tourmante pour des actions temereres qui n’ont ny impression ny suite. La manterie sule et un peu au dessous l’opiniatre
me semblent estre celles des quelles
on devroitdeuroit a toute instance
combattre la naissance et le
progres Elles croissent quand
& eus Et despuis qu’on a
donné ce faus trein a la
langue c’est merveillemerueille combien
il est impossible de l’en retirer.
Par ou il advientaduient que nous
voyons des honestes homes
ailleurs, y estre subjetzsubietz et
asservisasseruis. JI’ay un bon
garçon de tailleur a qui
jeie n’ouis jamaisiamais dire une
verite non pas quand elle
s’offre pour luy servirseruir
utilemant Si come la
verite le mansonge n’avoitauoit
qu’un visage nous serions
en meillurs termes. cCar nous
prenderions pour certein
le contrerel’oppose de ce que diroit
le mantur. mais le reversreuers
de la veriteuerite a cent mille
figures et un champ indefini
Position : Marge gauche Les Pythagoriens font
le bien certein et fini le
mal infini et incertein.
Mille routes desvoïentdesuoïent du
blanc, une y vaua. Certes jeie
ne m’assure pas que jeie
peusse veniruenir a bout de moi,
a garantir un dangier
euidenteuident et extreme par un’effrontee
& solemne mansonge.

Il est vraiurai ce que’uUnuVn
antien pere dict que
nous somes mieus en
la compaignie d’un
chien conu qu’en celle
d’un home du quel le
langage nous est inconu
Et de combien est le
langage faus moins
sociable que le silance.

Vt externus alieno
non sit hominis uice.

Et de combien est le
langage faus moins
sociable que le silance
Le Roy François premier,
se vantoit d’avoirauoir mis au rouet par ce moyen Francisque Ta-
verna
Ta-
uerna
, ambassadeur de François Sforce Duc de Milan, hom-
me tres-fameux en science de parlerie. Cettuy-cy avoitauoit esté
depesché pour excuser son maistre enversenuers sa Majesté, d’unvn
fait de grande consequence, qui estoit tel. Le Roy pour main-
tenir tousjourstousiours quelques intelligences en Italie, d’où il avoitauoit
esté dernierement chassé, mesme au Duché de Milan, avoitauoit
adviséaduisé d’y tenir pres du Duc unvn gentil-homme de sa part, am-
bassadeur par effect, mais par apparence homme privépriué, qui
fit la mine d’y estre pour ses affaires particulieres: dD’autant
que le Duc, qui dependoit beaucoup plus de l’Empereur,
lors principalement qu’il estoit en traicté de mariage avecauec sa
niepce, fille du Roy de Dannemarc, qui est à present douai-
riere de Lorraine, ne pouvoitpouuoit descouvrirdescouurir avoirauoir aucune pra-
ticque & conference avecquesauecques nous, sans son grand interest.
A cette commission, se trouvatrouua propre unvn gentil’homme Mi-
lanois, escuyer d’escurie chez le Roy, nommé MerveilleMerueille. Cet-
tuy-cy despesché avecquesauecques lettres secrettes de creance, & in-
structions d’ambassadeur, &Et avecquesauecques d’autres lettres de re-
commandation enversenuers le Duc, en faveurfaueur de ses affaires par
ticuliers, pour le masque & la montre,. fFut si long temps au-
pres du Duc, qu’il en vint quelque resentiment à l’Empe-
reur,. qQui donna cause à ce qui s’ensuivitensuiuit apres, comme nous
pensons: qQui fut, que soubs couleur de quelque meurtre, voi-
la le Duc qui luy faict trancher la teste de belle nuict, & son
procez faict en deux joursiours. Messire Francisque estant venu
prest d’unevne longue deduction contrefaicte de cette histoire,:
car le Roy s’en estoit adressé, pour demander raison, à tous les
princes de Chrestienté, & au Duc mesmes,: fut ouy aux affai-
res du matin, & ayant estably pour le fondement de sa cause,

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 12
& dressé à cette fin, plusieurs belles apparences du faict: qQue
son maistre n’avoitauoit jamaisiamais pris nostre homme, que pour gen-
til
gē-
til
-homme privépriué, & si en sujectsuiect, qui estoit venu faire ses affai-
res à Milan, & qui n’avoitauoit jamaisiamais vescu là soubs autre visage,
dDesadvouantdDesaduouant mesme avoirauoir sceu qu’il fut en estat de la maison
du Roy, ny connu de luy, tant s’en faut qu’il le prit pour am-
bassadeur. Le Roy à son tour le pressant de diversesdiuerses objectionsobiectiōs
& demandes, & le chargeant de toutes pars, l’accusal’accula[Note (Montaigne) : l’accula] en fin sur
le point de l’execution faite de nuict, & comme à la desrobée.
A quoy le pauvrepauure homme embarrassé, respondit, pour faire
l’honneste, que pour le respect de sa Majesté, le Duc eust esté
bien marry, que telle execution se fut faicte de jouriour. Chacun
peut penser, comme il fut relevéreleué, s’estant si lourdement coup-
pé, & à l’endroit d’unvn tel nez, que celuy du Roy François. Le
Pape JuleIule second ayant envoyéenuoyé unvn ambassadeur vers le Roy
d’Angleterre, pour l’animer contre le Roy François, l’ambas-
sadeur ayant esté ouy sur sa charge, & le Roy d’Angleterre s’e-
stant arresté en sa responcerespōce aux difficultez qu’il trouvoittrouuoit, à dres-
ser les preparatifs, qu’il faudroit pour combatre unvn Roy si
puissant, & en alleguant quelques raisons,. lL’ambassadeur re-
pliqua mal à propos, qu’il les avoitauoit aussi consideréescōsiderées de sa part,
& les avoitauoit bien dictes au Pape. De cette parole si esloingnée
de sa propositionpropositiō, qui estoit de le pousser incontinentincontinēt à la guer-
re, le Roy d’Angleterre print le premier argument de ce qu’il
trouvatrouua depuis par effect, que cet ambassadeur de son intentionintentiō
particuliere, pendoit du costé de France,. &Et en ayant advertyaduerty
son maistre, ses biens furent confisquez, & ne tint à guere qu’il
n’en perdit la vie.

 


Fac-similé BVH


[12v] ESSAIS DE M. DE MONTA.



Du parler prompt ou tardif.

 
CHAP. X.


 
ONC ne furent à tous, toutes graces données.
Aussi voyons nous qu’au don d’eloquenceeloquēce, les unsvns ont
la facilité & la promptitude, & ce qu’on dict, le bou-
te-hors, si aisé, qu’à chaque bout de champ ils sont prests: lLes
autres plus tardifs ne parlent jamaisiamais rien qu’élabouré & pre-
medité. Comme on donne des regles aux dames de prendre
les jeuxieux & les exercices du corps, selon l’advantageaduātage de ce, qu’el-
les ont le plus beau,. sSi jiavoisauois à conseiller de mesmes, en ces
deux diversdiuers advantagesaduantages de l’eloquence, de laquelle il semble
en nostre siecle, que les prescheurs & les advocatsaduocats facent prin-
cipale profession, le tardif seroit mieux prescheur, ce me sem-
ble, & l’autre mieux advocataduocat: pPar ce que la charge de celuy-là
luy donne autant qu’il luy plaist de loisir pour se preparer, &Et
puis sa carriere se passe d’unvn fil & d’unevne suite, sans interruptioninterruptiō,
lLà où les commoditez de l’advocataduocat le pressent à toute heure
de se mettre en lice: &Et les responces improuveuesimprouueues de sa par-
tie adverseaduerse, le rejettentreiettent hors de son branle, où il luy faut sur
le champ prendre nouveaunouueau party. Si est-ce qu’à l’entreveueentreueue
du Pape Clement & du Roy François à Marseille, il advintaduint
tout au rebours, qQue monsieur Poyet, homme toute sa vie
nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de
faire la harangue au Pape, & l’ayant de longue main pourpen-
sée, voire, à ce qu’on dict, apportée de Paris toute preste, le
jouriour mesme qu’elle devoitdeuoit estre prononcée, le Pape se crai-
gnant qu’on luy tint propos, qui peut offencer les ambassa-
deurs des autres princes, qui estoient autour de luy, manda
au Roy, l’argument, qui luy sembloit estre le plus propre au
temps & au lieu,. mMais de fortune, tout autre que celuy, sur le-
quel monsieur Poyet s’estoit travaillétrauaillé:. dDe façonfaçō que sa harangueharāgue
demeu-

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LIVRE PREMIER. 13
demeuroit inutile, & luy en falloit promptement refaire unvn
autre. Mais s’en sentant incapable, il fallut que MonsieurMōsieur le Car-
dinal du Bellay en print la charge. La part de l’AdvocatAduocat est
plus difficile que celle d’unvndu Prescheur, &Et nous trouvonstrouuons pour
tanttāt ce me semblem’est avisauis plus de passables AdvocatsAduocats que Prescheurs,.
aAu moins en France. Il semble que ce soit plus le rollele propre de l’es-
prit, d’avoirauoir son operationoperatiō prompte & soudaine, & plus celuyle propre
du jugementiugement, de l’avoirauoir lente & posée. Mais qui demeure du
tout muet, s’il n’a loisir de se preparer, &Et celuy aussi, à qui le
loisir ne donne advantageaduantage de mieux dire, ils sont en pareil
degré d’estrangeté. On recite de SeverusSeuerus Cassius, qu’il disoit
mieux sans y avoirauoir pensé, qQu’il devoitdeuoit plus à la fortune, qu’à sa
diligence, qQu’il luy venoit à profit d’estre troublé en parlant:,
&Et que ses adversairesaduersaires craignoyent de le picquer, de peur que
la colere ne luy fit redoubler son eloquenceeloquēce. JeIe cognois par ex-
perience, cette condition de nature, qui ne peut soustenir unevne
vehemente premeditationpremeditatiō & laborieuse: sSi elle ne va gayementgayemēt
& librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d’aucuns
ouvragesouurages qu’ils puent à l’huyle & à la lampe, pour certaine
aspreté & rudesse, que le travailtrauail imprime en ceux, où il a gran-
de part. Mais outre cela, la solicitude de bien faire, & cette con-cō-
tention de l’ame trop bandée & trop tenduë à son entreprise,
la met au rouet, la rompt, & la trouble’empeche. :, commeAinsi qu’il advientaduient a l’eau qui par force de se pres-
ser de sa violence & abondance, ne peut trouvertrouuer issuë en unvn
passagegoulet ouvertouuert. En cette condition de nature, de quoy jeie par-
le, il y à quant & quant aussi cela,. qQu’elle demande à estre
non pas esbranlée & piquée par ces passions fortes, comme la
colere de Cassius (car ce mouvementmouuemēt seroit trop aspre) elle veut
estre non pas secoüée, mais solicitée: eElle veut estre eschaufée
& reveilléereueillée par les occasions estrangeresestrāgeres, presentes, & fortuites.:
SsSi[Note (Montaigne) : s] elle va toute seule, elle ne fait que trainer & languir: lLagita-
tion
agita-
tiō
est sa vie & sa grace. JeIe ne me tiens pas bienbiē en ma possessionpossessiō
D

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[13v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& dispositiondispositiō: lLe hazard y à plus de droict que moy,: lLoccasionoccasiō,
la compaignie, le branlebrāle mesme de ma voix, tire plus de mon
esprit, que jeie n’y trouvetrouue lors que jeie le sonde, & employe à part
moy. Ainsi les paroles en valent mieux que les escripts,. sS’il y
peut avoirauoir chois où il n’y à point de pris.
Position : Marge droite Ceci m’avientauient aussi: qQue
jeie ne me treuvetreuue pas ou jeie
me cherche: et me treuvetreuue
plus par fortunerencontre que par
l’inquisition de mon jugementiugement.
JI’aurai eslance une pointequelque
invantioninuantionsubtilite en escrivantescriuant.
JI’entans bien: Mornee pour
unvn autre affilee pour moy.
Laissons toutes ces honestetez.
Cela s’entr se dict apar chacun selon
sa force. Cette pointe la jJeiIe l’ailai treuvetreuue
si bien perdue qu’ile m’en faut respondre
quejie ne sçai ce que ji’ay voluuolu dire: et l’a
l’estrangier d’esterreecouvertecouuerte parfois souvantsouuantparfois
avantauant moy. Si jeie portois le
rasoir par tout ou cela
m’avientauient, jeie me desferois tout.
Le rencontre m’en offrira le
jouriour [unclear] quelqu’autre fois plus
apparant que celuy du midi:
& m’estone me faira estoner
de mon hesitation.
 



Des Prognostications.

 
CHAP. XI.


 
QUANTQVANT aux oracles, il est certain, que bonne piece a-
vant
a-
uant
la venuë de JesusIesus-Christ, ils avoyentauoyent commencé
à perdre leur credit: cCar nous voyonsvoyōs que Cicero se met
en peine de trouvertrouuer la cause de leur defaillance:
Position : Marge droite et sces mots
sont a luy.
Cur isto modo
iam oracula
Delphis non
eduntur non
modo nostra
aetate sed iam diu
ut modo nihil
possit esse
contempsius.
mMais quantquāt aux
autres prognostiques, qui se tiroyent de l’anatomie des bestes
aux sacrifices
Position : Marge gauche Ausquels Platon attribue en
partie la constitution des
naturelles des membres internes
d’icelles Aues quasdam rerum
augurandarum causa natas
esse putamus
, du trepignement des poulets, du vol des oy-
seaux,
Position : Marge gauche Aues quasdam rerum
augurandarum causa natas
esse putamus.
des foudres, du tournoiement des rivieresriuieres,
Position : Marge gauche multa certnunt aruspices
multa augures prouident
multa oraculis declarantur
multa uaticinationibus multa
somnijs multa portentis:
& autres sur
lesquels l’anciennetéanciēneté appuioit la plus part des entreprinses, tant
publiques que privéespriuées; nostre religion les a abolies. Et enco-
re qu’il reste entre nous, quelques moyens de divinationdiuination és
astres, és esprits, és figures du corps, és songes, & ailleurs,. nNo-
table exemple de la forçenée curiosité de nostre nature, s’a-
musant à preoccuper les choses futures, comme si elle n’avoitauoit
pas assez affaire à digerer les presentes.:
cur hanc tibi rector Olympi
Sollicitis visum mortalibus addere curam,
Noscant venturas vt dira per omina clades,
Sit subitum quodcunque paras, sit caeca futuri
Mens hominum fati, liceat sperare timenti,
Ne utile quidem est scire quid futurum sit: miseram est enim nihil proficientem angi.

Ssi est-ce qu’elle est de beaucoup moindre auctorité. Voyla
pourquoy l’exemple de François Marquis de Sallusse m’a
semblé remarcable: cCar Llieutenant[Note (Montaigne) : l] du Roy François en son
armée dela les monts, infiniment favoriséfauorisé de nostre cour,
& obligé au Roy du Marquisat mesmes, qui avoitauoit esté con-

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LIVRE PREMIER. 14
fisqué de son frere: aAu reste ne se presentantpresentāt occasionoccasiō de le faire,
son affection mesme y contredisant, se laissa si fort espou-
vanter
espou-
uanter
(comme il à esté adveréadueré) aux belles prognostications
qu’on faisoit lors courir de tous costez à l’advantageaduantage de l’Em-
pereur Charles cinquiesme, & à nostre des-advantageaduātage, mesmes
en Italie, ou ces folles propheties avoyentauoyent trouvétrouué tant de pla-
ce, qu’à Rome fut baillé grande somme d’argent au change,
pour cette opinion de nostre ruine: qQu’apres s’estre souventsouuent
condolu à ses privezpriuez, des maux qu’il voyoit inevitablementineuitablement
preparez à la couronne de France, & aux amis qu’il y avoitauoit, se
revoltareuolta, & changea de party: àA son grand dommage pourtantpourtāt,
quelque constellation qu’il y eut. Mais il s’y conduisit en hom-hō-
me combatu de diversesdiuerses passions: cCar ayantayāt & villes & forces
en sa main, l’armée ennemye soubs Antoine de LeveLeue à trois
pas de luy, & nous sans soubsçon de son faict, il estoit en luy
de faire pis qu’il ne fist.: ccCar[Note (Montaigne) : c] pour sa trahison, nous ne perdis-
mes ny homme, ny ville que Fossan: encore apres l’avoirauoir longlōg
temps contestée.
Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus,
Ridétque si mortalis ultra
Fas trepidat.
Ille potens sui
Laetúsque deget, cui licet in diem
Dixisse, vixi, cras vel atra
Nube polum pater occupato
Vel sole puro
Laetus in praesens animus, quod ultra est,
Oderit curare.

Position : Marge gauche
Et ceus qui croïent
Ciceroce mot au contrere
le croïent a tort.
Ista sic reci=
procantur ut
et si diuinatio sit
dij sint et si
dij sint sit diui
natio.
Beaucoup
plus sagement Pacuuius
Nam istis qui linguam auium intelligunt
Plusque ex alieno iecore sapiunt quam ex suo
Magis audiendum quam auscultandum censeo.

Cette tant celebree art de divinerdiuiner des Thoscans nasquit ainsi.
UnVn laboureur perçant de son coultre profondemant la terre
en viduid sourdre Tages Position : Interligne haute demi dieu d’un visageuisage enfantin mais de senile
prudance. Chacun y a accourut et furent ses paroles et
sciance receuillie et conserveeconseruee a plusieurs
siecles contenant les principes & moïens de cette art:
Naissance conforme a son progres.

JI’aymerois bien mieux regler mes affaires par le sort des dez
que par ces songes. [Note (Alain Legros) : Cette addition est antérieure à la précédente comme l’indique l’enclave entourant "il ordone qu’ils soīt".]
Position : Marge droite Et de vraiurai en toutes
republiques on a tousjourstousiours
laisse bone part d’autho-
rité au sort. Platon en
la police qu’il forge a discretion
luy attribue la decision de plusieurs
effaicts d’importance. Et veutueut
entre autres choses que les mariages se facent par sort entre
les meill bons et done si grand pois a cette eslection
fortuite que les enfans qui en naissent soint
il ordone qu’ils sointsoīt nourris au païs: ceus qui naissent des mauvesmauues en
soint mis hors: toutestois si quelcun de ces banis
venoituenoit par cas d’avantureauanture ena montrer en croissant
quelque bone esperance de soi qu’on le puisse rapeler
et exiler aussi celuy d’entre les retenus qui montrera
peu d’esperance de son adolescence.
JI’en voy qui estudient & glosent leurs Al-
manachs, & nous en alleguentalleguēt l’authorité aux choses qui se pas-
D ij

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[14v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sent. A tant dire, il faut qu’ils dient, & la verité & le menson-
ge:
Position : Marge droite Qui est
enim qui
totum diem
iaculans non
aliquando
conlineet?
jiJIe ne les estime de rien mieux, pour les voir tombertōber en quel-
que rencontre.: CcCe[Note (Montaigne) : c] seroit plus de certitude, s’il y avoitauoit regle &
verité à mentir tousjourstousiours.
Position : Marge haute JointIoint que personne ne tient registre de leur mescontes, d’autant qu’ils sont ordinaires & infinis:
et faict on valoirualoir leurs divinationsdiuinations de ce qu’elles sont rares & incroiables & prodigieuses Ainsi respondit
Diagoras qui fut surnome l’Athee estant en la SamothrageSamothrace A celuy qui en luy montrant Position : Interligne haute au temple force veusueus et tableaus
au temple de ceus qui avointauoint eschapè le naufrage luy dict Et bien vousuous qui penses que les dieus me mettent a
nonchaloir les choses humaines que dictes vousuous de tant d’homes sauvessauues depar leur grace. Il se faict ainsiaīsi respondit il
Ceus la ne sont pas peints qui sont demures noyes, en bien plus grand nombre. Cicero dict que le sul Xenophanes
Colophonius entre tous les philophesphilosophes qui ont
reconuadvoueuoue dles dieus a essaie de desraciner
toute sorte de divinationdiuination. D’autantDautant
est il moins de merveillemerueille si nous avonsauons
JI’ay veu parfois à leur dommagedōmage, au-
cunes de noz ames principesques s’arrester à ces vanitez.
Position : Marge gauche JeIe voudroisuoudrois bien avoirauoir
reconu de mes yeus ces
deus merveillesmerueilles: du livreliure
de JoachimIoachim abbe de Calabre
Calabrois qui predisoit tous
les papes futurs leurs noms
& formes: et celuy de Leon
l’Emperur qui predisoit les
Emperurs de grece leur suite
et semblablemantsemblablemāt lces patri=
arches de graece. Cecy ai jeie
reconu Position : Interligne haute de mes yeus qu’es confusions
publiques les homes estonez
de leur fortune, se vontuont
rejetantreietant come a toute supers=
stition a rechercher de
toutes parts lesau ciel les
causes et
menaces
antienes de leur malhur. Et
y sont este si estrangemant
heureus de mon temps, qu’ils
m’ont persuade, qu’ainsi
que c’est un amusement
d’esperits aigus & oisifs,
ceus qui sont duits a cette
subtilité, de les replier & desnouer, seroint en
tous Position : Interligne haute escris capables de trouvertrouuer tout ce qu’ils
y chercherointdemandent. Mais sur tout leur donepreste
beau jeuieu, le parler obscur ambigu et fantastique
du jargoniargon prognostiquefetique:
auquel nuleurs autheurs
ne donent aucun certein
sens, cler affin que la posterite
y en puisse appliquer de tels
qu’elleil veudueud luy plairra.
Le
demon de Socrates estoit à mon advisaduisl’advantureaduanture certaine impulsion de
volontévolōté, qui se presentoit à luy, sans Position : Interligne haute atandre le Ccconseil[Note (Montaigne) : c] de son discours.
En unevne ame bien espuree, commecōme la sienne:, & preparee par con-cō-
tinuerl exercice de sagesse & de vertu, il est vray semblable
que ces inclinations, quoy que fortuitestemeraires et indigestes, estoyent tousjourstousiours
bonnesimportantes, & dignes d’estre suyviessuyuies. Chacun àsent en soy, quelque
image de telles agitations. JI’en ay eu,
Position : Marge droite d’une opinion
promte vehemanteuehemante
et fortuite:. C’est a
moy de leur
doner quelque
authoritè qui
en done si peu a nos=
tre prudance.
Et en ai eu
de pareil=
lement foi=
bles en fon
dement
raison et
violentesuiolentes
tenir en
incitation,
persuasion: ou en
dissuasion qui
estoint plus ordineres
en Socrates
ausquelles jeie me laissay
emporter si utilementvtilement & heureusement, qu’elles pourroyent
estre jugéesiugées Position : Interligne haute tenir avecauecavoirauoir eu quelque chose d’inspiration divinediuine.


De la Constance. CHAP. XII.


 
LA Loy de la resolution & de la constancecōstance, ne porte pas
que nous ne nous devionsdeuions couvrircouurir, autant qu’il est en
nostre puissance, des maux & inconveniensinconueniens qui nous
menassent,: nNy par consequentconsequēt d’avoirauoir peur qu’ils nous surprei-
gnent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des
maux, sont non seulement permis, mais loüables. Et le jeuieu de
la constance se jouëiouë principalement à porter patiemment, &
de pié ferme, les inconveniensinconueniens, où il n’y à point de remede. De
maniere qu’il n’y à soupplesse de corps, n’y mouvementmouuemēt aux ar-
mes de main, que nous trouvionstrouuions mauvaismauuais, s’il sert à nous ga-
rantir du coup qu’on nous ruë.
Position : Marge gauche Plusieurs nations
tres belliqeuses Position : Interligne haute se servointseruoint en
leurs faicts d’armes se
servointseruoint
de la fuite
pour advantageaduantage principal
& montroint le dos a
l’ennemi plus dangereusementdangereusemēt
que leur visageuisage: Les Turcs
en retienent encore
quelquechose. Et Socrates
en Platon se moquant de
Lachez qui avoitauoit defini
la fortitude: se tenir ferme
en son ranc et jaia contre les

tenir forterme en son ranc
contre les enemis. Quoi fit
il seroit ce donq lachete
de les battre en leur faisant
place. Et luy allegue
Homere qui louë en
Aeneas la sciance de fuir
Et par ce que Lachez se ravisantrauisant avouoiteauouoite bien cet usagevsage aus Scithes et en general aus gens de chevalcheual
enfin generalemantgeneralemāt aus gens de chevalcheual Il luy allegue encores l’examplelexample des gens de pied Lacedemoniens
ceus sur touts duits a combatre de pied fe nation sur toutes duite a combatre de pied ferme en son ranc
qui en la journeeiournee de Platees ne pouvantpouuant rompreouvrirouurir la phalange Macedoniene Persiene s’advisarentaduisarent de s’escarter
& sier arriere pour par l’opinion de leur fuite faire rompre & dissoudre ce corps p cette masse pouren les
pousuivantpoursuiuāt p Par laou ils se donarent gaignè la victoireuictoire. Touchant les Scithes on dict d’eus quand Darius alla pour
les subjuguersubiuguer qu’il manda a leur Roy force reproches pour les voiruoir tousjourstousiours reculerantreculerāt davantdauant luy & [unclear] gauchirssantgauchir dessāt la meslee
A quoi Indathyrse car ainsi se nomoit il fit responce que ce n’estoit pour avoirauoir peur ny de luy ny d’home vivantuiuant
mais que c’estoit sla façon de marcher de sa nation n’ayant ny terre cultiveecultiuee ny villeuille ny maison a defandre et a creindre
que l’ennemi en peut faire profit. mais s’il avoitauoit si grantd faim de’y taster du combatmordre qu’il aprochat pour voiruoir, le lieu de
de leurs antienes sepultures et que la il trouverroittrouuerroit a qui parler.
Toutes-fois aux canonades,
depuis qu’on leur est planté en bute, comme les occasions de
la guerre portent souventsouuent, il est messeant de s’esbranleresbrāler pour la
menasse du coup: dD’autant que pour sa violenceviolēce & vitesse nous
le tenons inevitableineuitable,. &Et en y à meint unvn, qui pour avoirauoir ou
haussé la main, ou baissé la teste, en à pour le moins appresté à

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LIVRE PREMIER. 15
rire à ses compagnonscōpagnons. Si est-ce qu’au voyage que l’Empereur
Charles cinquiesme fit contre nous en ProvenceProuence, le Marquis
de Guast estant allé recognoistre la Ville d’Arle, & s’estantestāt jet-
iet-
hors du couvertcouuert d’unvn moulin à vent, à la faveurfaueur duquel il
s’estoit approché, fut apperceu par les Seigneurs de BonnevalBonneual
& Seneschal d’Agenois, qui se promenoient sus le theatre aux
arenes: lLesquels l’ayant monstre au Seigneur de Villier Com-
missaire de l’artillerie, il braqua si à propos unevne colouvrinecolouurine,
que sans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu se lança à
quartier, il fut tenu qu’il en avoitauoit dans le corps. Et de mesmes
quelques années auparavantauparauant, Laurens de Medicis, Duc d’Ur-Vr-
bin, pere de la Royne, mere du Roy, assiegeant Mondolphe,
place d’Italie, aux terres qu’onō nommenōme du Vicariat, voyantvoyāt mettre
le feu à unevne piece qui le regardoit, bien luy servitseruit de faire la
cane,. cCar autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la
teste, luy donnoit sans doute dans l’estomach. Pour en dire le
vray, jeie ne croy pas que ces mouvemensmouuemēs se fissent avecquesauecques dis-
cours: cCar quel jugementiugement pouvezpouuez vous faire de la mire haute
ou basse en chose si soudaine? &Et est bienbiē plus aisé à croire, que
la fortune favorisafauorisa leur frayeur, & que ce seroit moyen un’-vn’-
autre fois aussi bienbiē pour se jetterietter dans le coup, que pour l’evi-
ter
eui-
ter
. JeIe ne me puis deffendre, si le bruit esclattantesclattāt d’unevne harque-
busade vientviēt à me frapper les oreilles à l’improuveuimprouueu, en lieu où
jeie ne le deusse pas attendre, que jeie n’en tressaille: cCe que ji’ay
veu encores adveniraduenir à d’autres qui valent mieux que moy.
Position : Marge droite Ny n’entandent les
Stoiciens que l’ame de
leur sage puisse resister
aus premieres visionsuisions et
fantasies come a une
subjectionsubiection naturelle
qui luy survienentsuruienent
ains come a une subjectionsubiection
naturelle qu’ils cedent
a un grand bruit pour
example du ciel ou d’une
ruine
consentent qu’il
cede au grand bruit pour
example du ciel ou d’une
ruine
Position : Interligne haute pour example jusquesiusques a la
pallur et contraction
Ainsin aus autres passions
PourveuPourueu que son opinion demeure
sauvesauue et entiere et que l’assiete de son
discours n’en souffre atteinte ny alteration
quelconque et qu’il ne preste nul consen-
temen a son effroi et souffrance. De ceusttuy
qui n’estantnestant pas sages il en vaua de
mesmes qu’aus sages en la premiere
partie. mais tout autremant en la seconde
Car l’impression des passions ne demure pas
en luy superficielle. ains vaua penetrant jusqueiusque
au siege de leursa raison l’infectant et la
corrompant. Ils jugentiugent selon icelles et s’y
conforment. Voyez bien plus disertement
et plainemant l’estat du sage Stoique
Mens immota manit lachrimae uoluuntur inanes.
Le sage peripateticien ne s’exempte pas des
perturbations, mais il les modere.

 



Ceremonie de l’entreveuëentreueuë des Roys.

 
CHAP. XIII.


 
IL n’est subjectsubiect si vain, qui ne merite unvn rang en cette
rapsodie. A nos reigles communes, ce seroit unevne nota-
ble discourtoisie & à l’endroitēdroit d’unvn pareil & plus à l’en-
droict d’unvn grand, de faillir à vous trouvertrouuer chez vous, quand
D iij

Fac-similé BVH

[15v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
il vous auroit advertyaduerty d’y devoirdeuoir venir: vVoire adjoustoitadioustoit la
Royne de NauerreNavarre Marguerite à ce propos, que c’estoit in-
civilité
in-
ciuilité
à unvn Gentil-homme de partir de sa maison, commecōme il se
faict le plus souventsouuent, pour aller au devantdeuant de celuy qui le vientviēt
trouvertrouuer, pour grand qu’il soit: &Et qu’il est plus respectueux &
civilciuil de l’attendreattēdre, pour le recevoirreceuoir, ne fust que de peur de fail-
lir sa route: &Et qu’il suffit de l’accompagner à son partement.
Pour moy ji’oublie souventsouuent l’unvn & l’autre de ces vains offices:
cCommecCōme jeie retranche en ma maison toute ceremonie. Quelqu’unvn
s’en offence: qQu’y ferois-jeie? Il vaut mieux que jeie l’offence, pour
unevne fois, que à moy tous les joursiours: cCe seroit unevne subjectionsubiectiō con-
tinuelle. A quoy faire fuyt-on la servitudeseruitude des cours, si on l’en
traine jusquesiusques en sa taniere. C’est aussi unevne reigle commune
en toutes assemblées, qu’il touche aux moindres de se trou-
ver
trou-
uer
les premiers à l’assignation, d’autant qu’il est mieux deu
aux plus apparans de se faire attendreattēdre. Toutesfois à l’entreveuëentreueuë
qui se dressa du Pape Clement, & du Roy François à Marseil-
le, le Roy y ayant ordonnéordōné les apprets necessaires, s’esloigna de
la ville, & donnadōna loisir au Pape de deux ou trois joursiours pour son
entrée & refreschissement, avantauant qu’il le vint trouvertrouuer. Et de
mesmes à l’entréeētrée aussi du Pape & de l’Empereur à Bouloigne,
l’Empereur donna moyen au Pape d’y estre le premier, & y
survintsuruint apres luy. C’est, disentdisēt-ils, unevne ceriemonie ordinaire aux
abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit avantauant les
autres au lieu assigné,. vVoyre avantauant celuy chez qui se faict l’as-
semblée: &Et le prennent de ce biais, qQue c’est, affin que cette ap-
parence tesmoigne, que c’est le plus grand que les moindres
vont trouvertrouuer, & le recherchent, non pas luy eux. Non
sulemant chaque païs mais chaque cité a la civilitéciuilité particuliere:
particuliere. JI’ai asseset chqaque vacationuacation. JI’y ai este asses souigneusement dressé en mon enfance et ay vescuuescu en asses bone compaignie,
pour n’ignorer pas les loix de la nostre françoise po,
ent en tienderois escole. JI’aime a les ensuivreensuiure,:
mais non pas si couardement que ma vieuie en
demure contreinte. Elles ont quelques formes
servilslesseruilsles,penibles: lesquelles pourveupourueu qu’on oblie par
discretion, non par errur, on n’en a pas moins
de grace. JI’ai veuueu souvantsouuant des homes incivilsinciuils
par trop de civilitèciuilitè,: et importuns a force de
courtoisie honesteté courtoisie. C’est au demurant une tresutile sciance
que la sciance de l’entregent. Elle est come la grace et la beaute conciliatrice des premiers abbors de la societe et
familiarité: & par consequent nous ouvreouure la porte a nous instruire par les examples d’autruy: & a exploiter
& produire nostre exemple, s’il a quelque chose [unclear]santd’instruisant et communicable.


Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 16



Que le goust des biens & des maux depend en bonne partie
de l’opinion, que nous en avonsauons.

CHAP. XIIII.

[Note (Alain Legros) : Le chapitre 14 devient le chapitre 40 dans l’édition de 1595 et dans les éditions suivantes. A partir de là, il y a un décalage des numéros de chapitres.]


 
LEs hommes (dit unevne sentence Grecque ancienne) sont
tourmentez par les opinionsopiniōs qu’ils ont des choses, non
par les choses mesmes. Il y auroit unvn grand poinct gai-
gné pour le soulagementsoulagemēt de nostre miserable conditionconditiō humai-
ne, qui pourroit establir cette propositionpropositiō vraye tout par tout.
Car si les maux n’ont entrée en nous, que par nostre jugementiugemēt,
il semble qu’il soit en nostre pouvoirpouuoir de les mespriser ou con-
tourner à bien. Si les choses se rendent à nostre mercy & de-
votionuotion, pourquoy n’en chevironscheuirons nous, ou ne les accommo-
derons nous à nostre advantageaduantage? Si ce que nous appellons
mal & tourment, n’est ny mal ny tourment de soy, ains seu-
lement que nostre fantasie luy donne cesttte[Note (Montaigne) : tt] qualité, il est en
nous de la changer,: &Et en ayant le choix, si nul ne nous force,
nous sommes estrangement fols de nous bander pour le par-
ty qui nous est le plus ennuyeux: &Et de donner aux maladies,
à l’indigence & au mespris unvn aigre & mauvaismauuais goust, si nous
le leur pouvonspouuons donner bon,. &Et si la fortune fournissant sim-
plement de matiere, c’est à nous de luy donner la forme. Or
que ce que nous appellons mal, ne le soit pas de soy, ou au
moins tel qu’il soit, qu’il depende de nous de luy donner au-
tre saveursaueur, & autre visage, car tout revientreuient à unvn, voyons s’il se
peut maintenir. Si l’estre originel de ces choses que nous crai-
gnons, avoitauoit credit de se loger en nous de son authorité, il lo-
geroit pareil & semblable en tous: cCar les hommes sont tous
d’unevne façon,espece: & sauf le plus & le moins, se trouventtrouuent garnis de
pareils outils & instrumens pour concevoirconceuoir & jugeriuger:. mMais la
diversitédiuersité des opinions, que nous avonsauons de ces choses là, mon-
tre clerement qu’elles n’entrent en nous que par compositioncōposition:
tTel à l’adventureaduēture, les loge chez soy en leur vray estre, mais mille
 
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[16v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
autres leur donnentdōnēt unvn estre nouveaunouueau & contrairecōtraire chez eux. Nous
tenons la mort, la pauvretépauureté & la douleur pour nos principales
parties. Or cette mort que les unsvns appellent des choses horri-
bles la plus horrible, qui ne sçait que d’autres la nomment l’u-
nique
v-
nique
port des tourmens de ceste vie? le souverainsouuerain bien de na-
ture? seul appuy de nostre liberté? & commune & prompte
recepte à tous maux? Et comme les unsvns l’attendent tremblans
& effrayez, d’autres ne la reçoiventreçoiuent-ils pas de tout autre visa-
ge?la desirent & supportent plus aiseemant que la vieuie.
Position : Marge droite Le premier article
de ce beau sermant que
la graece juraiura en la
guerre Medoise ce
fut que chacun postpo=
seroit sa vieuie a la libertè
de son païs
Celuy-la se plaint de sa vilité & facilité.,
Mors vtinam pauidos vita subducere nolles,
Sed virtus te sola daret.

Position : Marge droite Or laissons ces glorieus
courages: et Theodorus
qui respondit a Lysimachus
menaçant de le tuer. Tu
feras un grand coup d’ar=
iver
ar=
iuer
a la force d’une cantha=
ride
cātha=
ride
. Et que lLa plus part
des philosofes se treuventtreuuent
avoirauoir ou prevenupreuenu par
dessein ou haste & secouru
leur mort

Combien voit-on de personnes populaires & communescōmunes, con-
duictes à la mort, & non à unevne mort simple, mais meslée de
honte & quelque fois de griefs tourmens, y apporter unevne tel-
le asseurance,, qQuiqui par opiniatreté, qui par simplesse naturelle,
qu’on n’y apperçoit rienriē de changé de leur estat ordinaire,: eEsta-
blissans leurs affaires domestiques, se recommandans à leurs
amis, chantans, preschans & entretenans le peuple: vVoire y
meslans quelque-fois des mots pour rire, & beuvansbeuuans à leurs
cognoissans, aussi bien que Socrates. UnVn qu’on menoit au gi-
bet, disoit que ce ne fut pas par telle ruë, car il y avoitauoit danger
qu’unvn marchant luy fist mettre la main sur le collet, à cause
d’unvn vieux debte. UnVn autre disoit au bourreau qu’il ne le tou-
chast pas à la gorge, de peur de le faire tressaillir de rire, tant il
estoit chatoüilleux: lL’autre respondit à son confesseur, qui luy
promettoit qu’il soupperoit ce jouriouravecauec nostre Seigneur,
allez vous y en vous, car de ma part jeie jeusneieusne. UnVn autre ayant
demandé à boire, & le bourreau ayant beu le premier, dict ne
vouloir boire apres luy, de peur de prendre la verolle. Chacun
à ouy faire le conte du Picard, auquel estantestāt à l’eschelle on pre-
senta unevne garse, & que (comme nostre justiceiustice permet quelque
fois) s’il la vouloit espouser, on luy sauveroitsauueroit la vie, lLuy, l’ayant
unvn

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LIVRE PREMIER. 17
unvn peu contemplée, & apperçeu qu’elle boitoit: Attache, At-
tache, dit-il, elle cloche. Et on contedict de mesmes qu’en Dan-
nemarc unvn homme condamné à avoirauoir la teste tranchée, estantestāt
sur l’eschaffaut, comme on luy presenta unevne pareille conditioncōdition,
la refusa, par ce que la fille, qu’onō luy offrit, avoitauoit les joüesioües aval-aual-
lées, & le nez trop pointu. UnVn valet à Thoulouse accusé d’he-
resie, pour toute raison de sa creance Position : Interligne haute se rapportoit à celle de
son maistre, jeuneieune escholier prisonnierprisōnier avecauec luy,. &Et ayma mieux
mourir, que separtir de ses opinionsopiniōs, quelles qu’elles fussent.croire se laisser persuader que son maistre peut faillir.
Nous lisons de ceux de la ville d’Arras, lorsque le Roy Loys
unziesmevnziesme là print, qu’il s’en trouvatrouua bon nombre parmy le peu-
ple qui se laisserent pendre, plustost que de dire,. ViveViue le Roy.
Position : Marge droite Au Royaume de
Narsinque encores
aujourdauiourd’huy les femes
de leurs prestres sont
vivesuiues enseveliesenseuelies aveqaueq leurs
maris morts Toutes autres
femes sont brulees aveqaueq
leurs maris
vivesuiues non
constammantconstammāt sulemant mais
gaïement aus funerailles
de leurs maris Et quand
on brule le corps de leur
Roy trespassé toutes ses
femes et concubines ses
mignons & toute sorte
d’officiers d servitursseruiturs
qui font un peuple accourent
si allegremant a ce feu
pour s’y jetterietter quant et leur
maistre qu’ils semblent tenir
estimer a honeur d’estre
compaignons de son trespas.

Et de ces viles ames de bouffons, il s’en est trouvétrouué qui n’ont
voulu abandonner leur mestiergaudisserie en à[Note (Alain Legros) : Montaigne a oublié de biffer "à" après mestier, qu’il remplace par gaudisserie.] la mort mesme,: tesmoing
cCeluy a qui comme le bourreau luy donnoit le branle, s’escria.
vVogue la gallée,. qQui estoit son refrain ordinaire. Et celuyl’autrelautre qu’onō
avoitauoit couché sur le point de rendre sa vie le long du foier sur
unevne paillasse, à qui le medecin demandant où le mal le tenoit,
eEntre le banc & le feu, respondit-il. EeEt le prestre, pour luy don-
ner l’extreme onction, cherchant ses pieds, qu’il avoitauoit reserrez
& contraints par la maladie,. vVous les trouvereztrouuerez, dit-il, au bout
de mes jambesiambes.: AA celuyl’home qui l’exhortoit de se recommander à
Dieu, QqQui y va? demandademāda-il: &Et l’autre respondant, cCe sera tantosttātost
vous mesmes, s’il luy plait,. yY fusse-jeie bien demain au soir, re-
plica-il: rRecommandezrRecōmandez vous seulement à luy, suivitsuiuit l’autre, vous
y serez bien tost: iIl vaut donc mieux, adjoustaadiousta-il, que jeie luy por-
te mes recommandations moy-mesmes. Pendant nos dernie-
res guerres de Milan & tant de prises & récousses, le peuple
impatient de si diversdiuers changemens de fortune, print telle re-
solution à la mort, que ji’ay ouy dire à mon pere, qu’il y veist
tenir conte de bien vingt & cinq maistres de maison, qui s’e-
stoient deffaits eux mesmes en unevne sepmaine: aAccident appro-
E

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[17v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
chant à celuy de la ville des XantiensXantiēs,. lLesquels assiegez par Bru-
tus se precipiterent pesle mesle hommes, femmes, & enfans à
unvn si furieux appetit de mourir, qu’on ne fait rien pour fuir la
mort, que ceux-cy ne fissent pour fuir la vie: eEn maniere qu’à
peine peut Brutus en sauversauuer unvn bienbiē petit nombrenōbre.
Position : Marge gauche Tout’opinion est asses
forte pour se faire espou=
ser au pris de la vieuie.
Le premier article de ce
beau sermant que la
Graece juraiura et maintint
en la guerre Medoise:
[...] ce fut que chacun
changeroit plus tost
la mort a la vieuie, que les
loix Persienes aus leurs.
Combien voituoit on de nombremonde
de peuples en la guerre
des Turcs et des Grecs,
accepter plus tost la
mort tresapre, que de
se descirconcire pour se
babtiser. Exemple de
quoi toutenulle sorte de
relligion n’est trescapable
n’est incapable. Quoties
non modo ductores nostri dict
Cicero sed uniuersi etiam
exercitus ad non dubiam
mortem concurrerunt.
Les
Roys de Castille ayant bani
de leurs terres les JIuifs
le Roy JIan de Portugal
leur vandituandit a huit escus
pour teste la retrete aus
siennes en condition que dans
certein jouriour ils aroint a les
vuider: & luy, prometoit, leur
fournir des vesseausuesseaus a les
trajectertraiecter en Afrique Le
jouriour venuuenu le quel passe il
estoit dict que ceus qui
n’auroint obei demureroint
esclavesesclaues s’ils s’obstinoint a ne
vouloir estre Chretiens
les
vaisseaus leur feurent
fournis si escharcemant
& ceus qui s’y embarquarent
rudemant & vileinementuileinement
traittez par les passagiers
qui outre plusieurs autres
indignites les amusarent
sur mer tantost avantauant
tantost arriere jusquesiusques a
ce qu’ils eussenteussēt consommecōsomme
leurs vittoaillesuittoailles & fussentfussent
contreins [unclear] d’en acheter d’eus si
cheremant & si longuement
qu’ils ne furent randus
a bort qu’apres avoirauoir
éte du tout mis en chemise. La nouvellenouuelle de cette inhumanite raportee a ceus qui estoint en
terre la plus part se resolurent a la servitudeseruitude: aucuns prind firent contenance de changer de
religion. Emanuel venuuenu a la corone les mit premierement en liberte: et changeant d’avisauis
despuis leur dona temps de vuideruuider ses païs assignant trois ports a leur passage Il esperoit dict
l’EvesqueEuesque Osorius des p le premiermeillur historien Latin de nos siecles qui a escrit ses faicts que la faveurfaueur
de la liberte qu’il leur avoitauoit rendue ayant failli de les convertirconuertir au christianisme lesa difficultes de se
commettre come leurs compaignons a la volerieuolerie des mariniers, d’abandoner un païs ou ils estoint habitues
aveqaueq grandes richesses pour s’aler jetterietter en region inconueinconue et estrangiere les y rameneroit. Mais se voiantuoiant
descheu de son esperance et eus tous deliberes au passage il s’avisaauisa de retranchera deus des ports qu’il
leur avoitauoit promis affin que la longur & incommoditeincōmodite du trajettraiet en ravisastrauisast aucuns: ou pour les amonceler tous a
unvn lieu pour une plus grande commodite de l’executionlexecution qu’il avoitauoit destinee. Ce fut qu’il ordona qu’on arrachat
d’entre les mains des peres & des meres tous les enfans au dessous de quatorse ans pour les transporter hors de leur
veue et conversationconuersation en lieu ou ils fussent instruits a nostre relligion. Ils disent que cet effaict produisist un
horrible spectacle: la naturelle affection d’entre les peres & les enfans et de plus, le zele a leur antiene creance combatant
à l’encontre de cette violanteuiolante ordonance. Ma Il y fut veuueu communeement des peres et meres se deffaisans eus mesmes et d’un
plus rude exemple encore, precipitants par amour et compassion leur peti junesiunes enfans dans des puits pour fuir a la loy.
Audemeurant le terme qu’il leur avoitauoit prefix expiré, par faute de moiens, il se remirent en servitudeseruitude. Quelques unsvns se feirent Chrestiens: de la foy desquels [Note (Alain Legros) : L’addition continue au bas du folio 18 recto.]
Position : Marge basse (f.18r) encores aujourd’huyauiourd’huy jeie etou de leur race encores aujourdauiourd’huy cent ans apres peu de Portugois
s’assurent quoi que la costume & la longur du temps soint bien plus forte conseillieres
que tout’autre contreinte. Quoties non modo ductores nostri dict Cicero sed uniuersi etiam
exercitus ad non dubiam mortem concurrerunt.
JI’ay veu quel-
qu’unvn de mes intimes amis courre la mort à force, d’unevne vraye
affection, & enracinee en son cueur par diversdiuers visages de dis-
cours, que jeie ne luy sceu rabatre,: &Et à la premiere qui s’offrit coif-
fee d’unvn lustre d’honneurhōneur s’y precipiter hors de toute apparenceapparēce,
d’unevne faim aspre & ardente. Nous avonsauōs plusieurs exemples en
nostre tempstēps, de ceux, jusquesiusques aux enfansenfās, qui de crainte de quelquequelq̄
legiere incommoditéincōmodité, se sont donnez à la mort. Et à ce propos,
que ne fuyronscreinderonscreīderons nous, dict unvn ancien, si nous fuyonscreignons ce que la
couardise mesme a choisi pour sa retraite? D’enfiler icy unvn
grand rolle de ceux de tous sexes & conditions & de toutes
sectes és siecles plus heureux, qui ont ou attendu la mort
constamment, ou recherchée volontairement,: &Et recher-
chée non seulement pour fuir les maux de cette vie, mMais
aucuns pour fuir simplement la satieté de vivreviure, &Et d’au-
tres pour l’esperance d’unevne meilleure condition ailleurs, jeie
n’auroy jamaisiamais faict.:. EeEt en est le nombre si infiny, qu’à la ve-
rité ji’auroy meilleur marché de mettre en compte ceux qui
l’ont crainte. Cecy seulement.:. Pyrrho le Philosophe, se trou-
vant
trou-
uant
unvn jouriour de grande tourmente dans unvn batteau, mon-
stroit à ceux, qu’il voyoit les plus effrayez autour de luy,
& les encourageoit par l’exemple d’unvn pourceau, qui y estoit,
nullement effrayé ny soucieux de cet orage. Oserons nous
donc dire que cet avantageauantage de la raison, dequoy nous faisons
tant de feste, & pour le respect duquel nous nous tenonstenōs mai-
stres & empereurs du reste des creatures, ait esté mis en nous,
pour nostre tourment? A quoy faire la cognoissance des cho-
ses, si nous en perdons le repos & la tranquillité, ou nous se-

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LIVRE PREMIER. 18
rions sans cela, &Et si elle nous rend de pire condition que le
pourceau de Pyrrho? L’intelligence qui nous a este donnée
pour nostre plus grand bien, l’employeronsemployerōs nous à nostre rui-
ne, combatanscombatās le dessein de nature, & l’universelvniuersel ordre des cho-
ses, qui porte que chacun usevse de ses utilsvtils & moyens pour sa
commodité & advantageaduantage? Bien, me dira l’onlon, vostre regle ser-
ve
ser-
ue
à la mort, mais que direz vous de l’indigenceindigēce? qQue direz vous
encor de la douleur, que Position : Interligne haute Aristippus Hieronimus et la pluspart des sages ont estimé le
souverainsouueraindernier mal,: & ceux qui le nioient de parole, le confessoientconfessoiēt
par effect? Possidonius estant extremement tourmenté d’unevne
maladie aiguë & douloureuse, Pompeius le fut voir, & s’ex-
cusa d’avoirauoir prins heure si importune pour l’ouyr deviserdeuiser de
la Philosophie.: JaIa à Dieu ne plaise, luy dit Possidonius, que la
douleur gaigne tanttāt sur moy, qu’elle m’empesche d’en discou-
rir & d’en parler: &Et se jettaietta sur ce mesme propos du mespris
de la douleur,. mMais cependant elle joüoitioüoit son rolle & le pres-
soit incessamment: àA quoy il s’escrioit,. tTu as beau faire dou-
leur, si ne diray-jeie pas, que tu sois mal. Ce conte qu’ils font tanttāt
valoir, que porte-il pour le mespris de la douleur? iIl ne debat
que du mot, & ce pendant si ces pointures ne l’esmeuventesmeuuent,
pourquoy en rompt-il son propos? pPourquoy pense-il faire
beaucoup de ne l’appeller pas mal? Icy tout ne consiste pas
en l’imagination. Nous opinons du reste, c’est icy la certaine
science, qui jouëiouë son rolle: nNos sens mesme en sont jugesiuges.,
Qui nisi sunt veri, ratio quoque falsa sit omnis.
Ferons nous a croire à nostre peau, que les coups d’estriviereestriuiere
la chatoüillent? &Et à nostre goust que l’aloé soit du vin de
GgravesGgraues. Le pourceau de Pyrrho est icy de nostre escot,. iIl est
bien sans effroy à la mort, mais si on le bat, il crie & se tour-
mente: fForcerons nous la generale habitude de nature, qui se
voit en tout ce qui est vivantviuant sous le ciel, de trembler sous la
douleur? Les arbres mesmes semblent gemir aux offences,
E ij

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[18v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
qu’on leur faict. La mort ne se sent que par le discours, d’autantautāt
que c’est le mouvementmouuement d’unvn instant.,
Aut fuit, aut veniet, nihil est praesentis in illa,
Mórsque minus poenae, quam mora mortis habet.

Mille bestes, mille hommeshōmes sont plustost mors, que menassés.
Et à la verité ce que les Sages craignentnous disons creindre principalement en la
mort, c’est la douleur son avantauant-coureuse coustumiere.
Position : Marge gauche Toutesfois il est dict par
un plus sage
come escrits’il en faut croire un sainct
pere
Malam mortem
non facit nisi quod sequitursequitur
mortem.
Et jeie dirois encores
plus vraisamblablemanturaisamblablemāt que
ny ce qui vaua devantdeuant ny ce qui
vient apres n’est des apartenancesapartenāces
de la mort quand a elle. Nous
nous excusons faucemant. eEt jeie
trouvetrouue par experiance de l’ima=
gination de la mort d qui nous
rent impatians de la dolur.
Et que nous la santons dou=
blemant griefvegriefue de ce qu’elle
nous menace de mourir. Mais
la raison accusant nostre
laschete de creindre chose
si soudeine si inevitableineuitable si
insensible nous prenons cet
autre pretexte de creindre
plus excusable. Il est bien
dict vraiurai que Mais. Or
praesupposons qu’il soit vraiurai
que nous’ils regardonsent en la
mort principalemantprincipalemāt la dolur
come aussi nous regardonsregardōs
principalemant la dolur
come aussi
Tous les maus qui
n’ont autre dangier que du mal
nous les disons peusans dangeurier:
Celuy des dans Position : Interligne haute ou de la goutte pour grief qu’il soit
d’autant qu’il n’est pas homicide qui
le met en conte de maladie Or bien
presupposons le, qu’en la mort nous
regardons principalemantprincipalemāt la dolur
come aussi
Com-
me
Cō-
me
aussi
la pauvretépauureté n’a rien à craindre, que cela, qu’elle nous
jetteiette entre lesses bras de la douleur, par la soif, la faim, le froid, le
chaud, les veilles, qu’elle nous fait souffrir. Ainsi n’ayons affai-
re qu’à la douleur. JeIe leur donne que ce soit le pire accident de
nostre estre, & volontiersvolōtiers.: CcCar jeie suis l’homme du monde qui
luy veux autant de mal, & qui la craintsfuis autant, pour jusquesiusques
à present n’avoirauoir pas eu, Dieu mercy, grand commerce avecauec
elle, mMais qu’il ne soit pourtantil est en nous, si non de l’aneantir,
au moins de l’amoindrir par la patience: qQu’il ne soit en nous,et
quand bien le corps s’en esmouveroitesmouueroit, de maintenir ce neant-
moins l’ame & la raison en bonne trampe,: jeie ne le croy pas. Et
s’il ne l’estoit, qui auroit mis en credit parmy nous, la vertu, la
vaillance, la force, la magnanimité & la resolution: oOù jouë-
royent
iouë-
royent
elles leur rolle, s’il n’y a plus de douleur à deffier.:
Aauida est periculi virtus. [Commentaire (Montaigne) : c’est prose]
S’il ne faut coucher sur la dure,. sSoustenir armé de toutes pie-
ces la chaleur du midy,. sSe paistre d’unvn chevalcheual, & d’unvn asne,. sSe
voir detailler en pieces, & arracher unevne balle d’entre les os, sSe
souffrir recoudre, cauterizer & sonder, par ou s’acquerra l’ad-
vantage
ad-
uantage
que nous voulons avoirauoir sur le vulgaire? C’est bien
loing de fuir le mal & la douleur, ce que disent les Sages, que
des actions égallement bonnes, celle-là est plus souhaitable à
faire, où il y a plus de peine.
Non enim hilaritate nec
lasciuia nec risu aut ioco
comite leuitatis sed saepe
etiam tristes firmitate
& constantia sunt beati.
Et à cette cause il a esté impossible
de persuader à nos peres, que les conquestes faites par viveviue
force, au hazard de la guerre, ne fussent plus advantageusesaduantageuses,

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LIVRE PREMIER. 19
que celles qu’onō faict en toute seureté par pratiques & menées.,
Laetius est, quoties magno sibi constat honestum.
D’avantageauantage, cela nous doit consoler: qQue naturellement, si la
douleur est violente, elle est courte, si elle est longue, elle est
legiere. Position : Interligne haute si grauis breuis, si longus leuis. Tu ne la sentiras guiere long temps, si tu la sens trop,
eElle mettra fin à soy, ou à toy: lLunvn & l’autre revientreuient à unvn.
Position : Marge droite Si tu ne la portes, elle
t’emportera. Memineris
maximos morte finiri: paruos
multa habere intervallainterualla requi=
etis: mediocrium nos esse dominos
ut si tolerabiles sint feramus, sin minus
e uita quumquū ea non placeat tanquam e
theatro theatro exeamus.
Ce
qui nous fait souffrir avecauec tant d’impatience la douleur, c’est
de n’estre pas accoustumez de prendre nostre Position : Interligne haute principal contentement
en l’ame, c’est d’avoirauoir eu trop de commerce avecauec le corps.et de nous armer d’elle contre la mollesse du corps
Position : Marge droite de ne nous atandre point
asses a elle: qui est sule et
souvereinesouuereine maistresse de nostre
condition et conduite. Le
corps n’a qu’un tr sauf le plus
et le moins qu’un trein et
qu’un pli. Elle est variableuariable en
toute sorte de formes. Et
renge a soi et a son estat
quel qu’il soit, les sentimans
du cors, & tous autres
accidans. Pourtant la
faut il estudier et emploierenquerir
et esveilleresueiller en elle ses
ressors tout puissans. Il n’y
a raison ny praescription ny
force, qui puisse contre son
inclination et son plaisirchois
De tant de milliers de biais
qu’ell’a en sa disposition
donons luy en un propre a
nostre repos et conservationconseruation
nous voilàuoilà non couverscouuers
sulemant de toute offance
mais gratiffiez mesmes &
flatez, si bon luy semble
des offances & des maux
Elle faict son profit
due mansonge et de la
veriteuerite
tout indifferemmantindifferēmant
lL’errur les songes luy
serventseruent utillemant comme
une loyale matiere si
elle l’entreprant
a
nous mettre a garant
de toutes incommodi=
tez
et mettre en
plein contantemant
si elle l’entreprant
Il est aisé a voiruoir que
c’est la pointe de nostre
esperit
qui aiguise en
nous la dolur et la volupuolup
c’est la pointe de nostre esperit
d’oudou nait une si infinie
diversitediuersite de nos gouts[Note (Alain Legros) : Montaigne corrige "de nos gouts" en "de gout".]
a les recevoirreceuoir Ausqui est
uniforme aus bestes nulle: com’il se voituoitconjectureconiecture par
la pareille application de leurs
mouvemensmouuemens: en chaque espece. Tout
corps naturellement constituè eut sceu
les recevoirreceuoir en leur naturelle mesure et
justeiuste.

Les bestes qui le tienent plus sous boucle laissent aus corps
sesleurs sentimens libres et naïfs: &Et par consequant uns a peu pres, en
chacuneque espece: cCome nous voionsuoions par la semblable application de
leurs mouvemantsmouuemants. Si nous ne troblions pas en nos membres, la
jurisdictioniurisdiction qui leur apartient en cela: il est a crere que nous ui en
vivserionsuiuserions de bien meillure conditionmieus. eEt que nature leur a done un justeiuste goustet modere temperamant enversenuers la volupteuolupte &
enversenuers la dolur. eEt ne peut faillir d’estre justeiuste puisqu’il estseroit commun seroitestant esgal et commun
Position : Interligne basse C’est folie. Pour rendre un estat complet d’home il faut & qu’il se plaise du plaisir
et que la dolur luy deullesente competemment du mal et du bien
mMais puis que nous nousmais puis que nous nous
somes emancipez de ses regles, pour nous abandoner a la tyrannievagabondeuagabonde liberte de nos fantasies: au moins aidons nous
a les plier du costè le plus salutere agreable. Platon creint unnostre engagement aspre a la dolur & a la volupteuolupte
d’autant qu’il oblige et atache par trop l’ame au corps. Moi plus tost au rebours d’autant qu’il l’en desprent et descloue.

Tout ainsi que l’ennemy se rend plus aspreaigre à nostre fuite, aus-
si s’enorgueillit la douleur, à nous voir trembler soubs elle.
Elle se rendra de bien meilleure composition, à qui luy fera
teste: iIl se faut opposer & bander contre. En nous acculant &
tirant arriere, nous appellons à nous & attirons la ruine, qui
nous menasse.
Position : Marge gauche Come le corps est plus ferme a la charge en le roidissant aussi est l’amelame
Mais venons aux exemples, qui sont propre-
ment du gibier des gens foibles de reins, comme moy: oOu
nous trouveronstrouuerons qu’il va de la douleur, comme des pierres
qui prennent couleur, ou plus haute, ou plus morne, selon la
feuille ou l’on les couche, &Et qu’elle ne prendtient qu’autantautāt de pla-
ce en nous, que nous luy en faisons. Tantum doluerunt, dict S.
Augustin, quantum doloribus se inseruerunt. Nous sentons plus
unvn coup de rasoir du Chirurgien, que dix coups d’espée en la
chaleur du combat. Les douleurs de l’enfantementenfantemēt par les me-
decins, & par Dieu mesme estimées grandesgrādes, & que nous pas-
sons avecauec tant de ceremonies, il y à des nations entieres, qui
n’en font nul conte. JeIe laisse à part les femmes Lacedemonie-
nes: mais aux Souisses parmy nos gens de pied, quel change-
ment y trouveztrouuez vous? sSinon que trottant apres leurs maris,
vous leur voyez aujourd’huyauiourd’huy porter au col l’enfant, qu’elles
avoyentauoyent hier au ventre: &Et ces Egyptiennes contre-faictes ra-
massées d’entre nous, vontvōt elles mesmes laverlauer les leurs enfans, qui
viennent de naistre: & prennentprēnent leur baing en la plus prochai-
E iij

Fac-similé BVH

[19v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ne riviereriuiere.
Position : Marge haute Outre tant de garses qui desrobentdesrobēt tous les joursiours leurs enfantsenfāts en la generation
qu’en la conception: cette honeste feme de Sabinus patricien Romein pour l’interest d’autrui supporta le travail
de l’enfantement de deus jumeausiumeaus sule sans assistance, et sans voixuoix & gemissement quelconque.
UnVn simple garçonnet de Lacedemone, ayant des-
robé unvn renard (car le larrecin y estoit action de vertu, mais
par tel si, qu’il estoit plus vilain qu’entre nous d’y estre sur-
pris)
(car ils creignoint encore plus la honte de leur
sottise au larrecin que nous ne faisons de nostre meschancete) creignonscreignōs sa peine)
& l’ayant mis sous sa cape, endura plustost qu’il luy eut
rongé le ventre, que de se découvrirdécouurir. Et unvn autre donnant de
l’encens à unvn sacrifice, le charbon luy estant tombé dans la
manche, se laissa brusler jusquesiusques à l’os, pour ne troubler le my-
stere. Et s’en est veu unvn grand nombre pour le seul essay de
vertu, suivantsuiuant leur institution, qui ont souffert en l’aage de
sept ans d’estre foëtez jusquesiusques à la mort, sans alterer leur visa-
ge.
Position : Marge gauche Et Cicero les a veusueus
se battre a troupes:
de poins de pieds &
de dens jusquesiusques a
s’evanouireuanouir avantauant
que d’advoueraduouer estre
vaincus. Nunquam
naturam mos uinceret:
est enim ea semper inuic
ta: sed nos umbris delicijs
otio languore desidia
animum infecimus:
opinionibus maloque more
delinitum molliuimus.
Chacun sçait l’histoire de ScevolaSceuola qui s’estant coulé
dans le camp ennemy, pour en tuer le chef, & ayant fail-
li d’attaincte, pour reprendre son effect d’unevne plus estran-
ge inventioninuention, & descharger sa patrie, confessacōfessa à Porsenna, qui
estoit le Roy qu’il vouloit tuer & non seulement son desseing,
mais adjoustaadiousta qu’il y avoitauoit en son camp unvn grand nombre de
Romains complices de son entreprise tels que luy. Et pour
monstrer quel il estoit, s’estant faict apporter unvn brasier, veit
& souffrit griller & rostir son bras, jusquesiusques à ce que l’ennemy
mesme en ayant horreur luy ostaecomandea oster le brasier. Quoy, celuy qui
ne daigna interrompre la lecture de son livreliure pendant qu’on
l’incisoit? Et celuy, qui s’obstina à se mocquer & à rire à l’en-
vy
en-
uy
des maux, qu’on luy faisoit: dDe façon que la cruauté irritée
des bourreaux qui le tenoyent en main, & toutes les inven-
tions
inuen-
tions
des tourmeustourmens redoublez les unsvns sur les autres luy don-
nerent gaigné. Mais c’estoit unvn philosophe. Quoy? unvn gladia-
teur de Caesar, endura tousjourstousiours riant qu’on luy sondat & de-
taillat ses playes.
Position : Marge gauche Quis mediocris gladiator
ingemuit: quis uultum
mutauit unquam? Quis non
modo stestitstetit uerum etiam
decubuit turpiter Quis cum
decubuisset ferrum recipere
iussus collum contraxit?
Meslons y les femmes. Qui n’a ouy parler à
Paris de celle, qui se fit escorcher pour seulement en acquerir
le teint plus frais d’unevne nouvellenouuelle peau? Il y en à qui se sont fait
arracher des dentsdēts vivesviues & saines, pour en former la voix plus
molle, & plus grasse, ou pour les ranger en meilleur ordre.

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LIVRE PREMIER. 20
Combien d’exemples du mespris de la douleur avonsauōs nous en
ce genre? Que ne peuventpeuuent elles? Que craignent elles? pour peu
qu’il y ait d’agencement à esperer en leur beauté.,
Vellere queis cura est albos à stirpe capillos,
Et faciem dempta pelle referre nouam.

JI’en ay veu engloutir du sable, de la cendre, & se travaillertrauailler à
poinct nommé de ruiner leur estomac, pour acquerir les pasles
couleurs. Pour faire unvn corps bienbiē espaignolé qu’elle geine ne
souffrent elles, guindées & sanglées, à tout de grosses coches
sur les costez, jusquesiusques à la chair viveviue? oOuy quelques fois à en
mourir.
Position : Marge droite Il est ordinere a
beaucoup de nations de
nostre temps de se blesser
a esciant pour doner foi a
leur parole et nostre Roy en
recite des notables exemples
de ce qu’il en a veuueu en
Polouigne et en l’endroit de
luy mesmes Mais outre ce que
jeie sçai en avoirauoir este imite
en france par aucuns ji’ay veu
une fille[Note (Alain Legros) : La fille dont il est question est Marie de Gournay. L’édition de 1595 donne une précision de temps et de lieu : "quand je veins de ces fameux Estats de Blois, j’avois veu peu auparavant une fille en Picardie pour tesmoigner...". Il s’agit des États généraux de Blois de 1588.] pour tesmouigner
l’ardurlardur de ses promesses & deaussi
sona affectionconstance se doner deu son
poinçon qu’elle portoit en
son poil quatre ou cinq bons
coups dans le bras qui luy
faisoint craqueter la peau
et la seignoint bien en bon
esciant. Les turcs se font
des grandes escarres pour
leurs dames & affin que la
marque y demure ils la portent
soudein dansdu fu sur la plaie uneplaïe
chandelle brulante et l’y
tienent un temps incroiable
pour arreter le sang et former
la cicatrice. Gens qui l’ont
veuueu, l’ont escrit & me l’ontlont
juréiuré. Mais pour dix aspres
il se treuvetreuue des gens tous
les joursiours entre eus qui se
donrronta une bien profonde
taillade dans le bras &ou dans
les cuisses.
JeIe suis bienbiē ayse que les tesmoins nous sont plus à main,
ou nous en avonsauons plus affaire.: Ccar la ChrestientéChrestiēté nous en four-
nit plus qu’à suffisance. Et apres l’exempleexēple de nostre sainct gui-
de, il y en a eu force, qui par devotiondeuotion ont voulu porter la
croix. Nous apprenons par tesmoing tres-digne de foy, que le
Roy S. Loys porta la here jusquesiusques à ce, que sur sa vieillesse, son
confesseur l’en dispensa, & que tous les Vvuendredis, il se faisoit [Note (Montaigne) : vu]
battre les espaules par son prestre, de cinq chainettes de fer,
que pour cestt effet il portoit tousjourstousiours dans unevne boite. Guil-
laume nostre dernier Duc de Guyenne, pere de cette Alie-
nor, qui transmit ce Duché aux maisons de France & d’An-
gleterre, porta les dix ou douze derniers ans de sa vie, conti-
nuellement unvn corps de cuirasse, soubs unvn habit de religieux,
par penitence. Foulques Comte d’Anjou alla jusquesiusques en Jeru-Ieru-
salem, pour là se faire foëter à deux de ses valets, la corde au
col, devantdeuant le Sepulchre de nostre Seigneur. Mais ne voit-on
encore tous les joursiours le Vendredy S. en diversdiuers lieux unvn grand
nombrenōbre d’hommes & femmes se battre jusquesiusques à se déchirer la
chair & perçer jusquesiusques aux os? Cela ay-jeie veu souventsouuent & sans
enchantement,: &Et disoit-on (car ils vont masquez) qu’il y en
avoitauoit, qui pour de l’argent entreprenoient en cela de garantirgarātir la
religion d’autruy,. pPar unvn mespris de la douleur, d’autant plus

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[20v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
grandgrād, que plus peuventpeuuēt les éguillonséguillōs de la devotiondeuotiō, que de l’avariceauarice.
Position : Marge haute Q. Maximus enterra son filx consulere M.Cato le sien Preteur designé:
Et L. Paulus Position : Interligne haute les siens deus en peu de joursiours d’un visageuisage rassis et ne portant aucun tesmoignage de deuil.
ou d’affliction JeIe disois deen mes joursiours de quelqun en gossant qu’il avoitauoit choué la divinediuine justiceiustice
Car luy estant envoieenuoie pour un grief coup de fleau la mort violanteuiolante de trois grands enfansēfans luy aiant este
envoieeenuoiee en un jouriour pour un aspre
coup d’instruction de chastiement vergeuerge
com’il est a croire: peu s’en
falut qu’il ne la print a
gratification. Et ji’en ai
perdu mais en nourrisse
deus ou trois si non sans regret
certes au moins sans facherie.
Si n’est il guere d accidant qui
touche plus au vifuif les homes. JeIe
vois asses d’autres communes occa
sions d’affliction qu’a peine sentirois
jeie si elles me venointuenoint
Position : Marge gauche et en ai mesprise quandquād
elles me sont venuesuenues, de
celles ausquelles le monde
donne une si atroce figure,
que jeie n’oseroi m’en vanteruanter
au peuple sans rougir.
Ex quo intel=
ligitur non in natura sed in opini=
one esse aegritudinem.

L’opinion est unevne puissante partie, hardie, & sans mesure. Qui
rechercha jamaisiamais de telle faim la seurté & le repos, qu’Alexan-
dre, & Caesar ont faict l’inquietude & les difficultez. Teresz
le Pere de Sitalcesz souloit dire que quand il ne faisoit point
la guerre, il luy estoit advizaduiz qu’il n’y avoitauoit point de difference
entre luy & son pallefrenier.
Position : Marge gauche Caton consul pour
s’assurer d’aucunes
villes en Hespaigne,
ayant sulemantsulemāt interdit
aus habitans d’icelles
de porter les armes,
grand nombre se tuarenttuarēt.
eus mesmes: ferox
gens nullam uitam
rati sine armis esse.
Combien en sçavonssçauons nous qui
ont fuy la douceur d’unevne vie tranquilletrāquille, en leurs maisons, parmi
leurs cognoissanscognoissās, pour suivresuiure l’horreur des desers inhabitables,:
& qui cse sont jetteziettez à l’abjectionabiectiō, vilité, & mespris du mondemōde, &
s’y sont pleuz jusquesiusques à l’affectationaffectatiō. Le Cardinal Borromeé qui
mourut dernierement à Milan, au traverstrauersmilieu de la desbauche, à
quoy le convioitconuioit & sa noblesse, & ses grandes richesses,
& l’air de l’Italie, & sa jeunesseieunesse, se maintint en unevne forme de
vie si austere, que la mesme robe qui luy servoitseruoit en esté, luy
servoitseruoit en hyverhyuer: nNavoitauoit pour son coucher que de la paille: &Et
les heures qui luy restoyent des occupationsoccupatiōs de sa charge, il les
passoit estudiant continuellement, plantéplāté sur ses genouz, ayantayāt
unvn peu d’eau & de pain à costé de son livreliure,: qQui estoit toute la
provisionprouisiō de ses repas, & tout le temps qu’il y employoit. JI’en
sçay qui à leur escient ont tiré & proffit & avancementauancemēt du co-
cuage, dequoy le seul nom effraye tanttāt de gens. Si la veuë n’est
le plus necessaire de nos sens, il est aumoins le plus plaisant:
mMais & les plus plaisans & utilesvtiles de nos membres, semblent
estre ceux qui serventseruent à nous entr’engendrer: tToutesfois assez
de gens les ont pris en hayne mortelle,. pPour cela seulement,
qu’ils estoyent trop aymables,. &Et les ont rejettezreiettez à cause de
leur pris & valeur. AaAutant en opina des yeux, celuy qui se les
crevacreua.
Position : Marge gauche La plus commune
et plus seaine part des
estime homes esti
tient a grand heur
l’abondance des
enfans, moi et quel
quelques autres, a
pareil heur le defaut. Et quand on demande a Thales pourquoi il ne se marie point: il respont qu’il n’aime point d’avoiruoir enfans.laiser lignee de soy.
Que nostre opinion done pris aus choses, il se voituoit par celles en grand nombre
aus quelles nous ne regardons pas sulement pour les estimer Position : Interligne haute ains a nous et ne considerons
ny leurs qualites ny leurs utilites mais sulement nostre coust a les rerc recouvrerrecouurer:
comme si c’estoit quelque piece de leur substance. Regardons en nous leur valurualur
non en elles et appelons valeurualeur en elles non ce qu’elles aportent mais ce que nous y
apportons Sur quoi jeie m’adviseaduise que nous somes grands mesnagiers de nostre mise.
Selon qu’elle poise elle sert de ce mesmes qu’elle poise. Nostre opinion ne la laisse
jamaisiamais courir a faus fret frait. L’argentchatLargentchat done titre au diamant et la difficulte
à la vertu et la dolur a la devotiondeuotion et l’aspretelasprete a la medecine.
Tel pour arriverarriuer à la pauvretépauureté jettaietta ses escuz en cette
mesme mer, que tant d’autres fouillent de toutes pars pour y
pescher des richesses. Epicurus dict que l’estre riche n’est pas
soulagement, mais changementchangemēt d’affaires. De vray, ce n’est pas
la

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LIVRE PREMIER. 21
la necessitédisette, c’est plustost l’abondance qui produict l’avariceauarice.
JeIe veux dire mon experience autour de ce subjectsubiect. JI’ay vescu en
trois sortes de condition, depuis estre sorty de l’enfance. Le
premier tempstēps, qui à duré pres de vingt années, jeie le passay, n’aiantaiāt
autres moyensmoyēs, que fortuites,. &Et despendantdespēdant de l’ordonnance &
secours d’autruy, sans estat certain & sans prescriptionprescriptiō. Ma des-
pence
des-
pēce
se faisoit d’autantautāt plus allegrementallegremēt & avecauec moins de soing,
qu’elle estoit toute en la temerité de la fortune. JeIe ne fu jamaisiamais
mieux. Il ne m’est oncques advenuaduenu de trouvertrouuer la bourçe de
mes amis close: mM’estant enjointenioint au delà de toute autre neces-
sité, la necessité de ne faillir au terme que jiavoyauoy prins Position : Interligne haute a m’acquiter,. lLequel
ils m’ont mille fois estendualongé, voyant l’effort que jeie me faisoy
pour leur satisfaire: eEn maniere que ji’en rendoy unevne loyauté
mesnagere & aucunement piperesse. JeIe sens naturellement
quelque volupté à payer,. cCommecCōme si jeie deschargeois mes espau-
les d’unvn ennuyeux poix, & de cette image de servitudeseruitude.: AaAussi
qu’il y à quelque contentement qui me chatouille à faire unevne
actionactiō justeiuste, & contenter autruy.:. JI’excepte les payements où il
faut venir à marchander & conter, car si jeie ne trouvetrouue à qui en
commettre la charge, jeie les esloingne honteusement & inju-
rieusement
iniu-
rieusemēt
tanttāt que jeie puis,. dDe peur de cette altercationaltercatiō, à laquelle
& mon humeur & ma forme de parler est du tout incompatibleincōpatible.
Il n’est rien que jeie haisse comme à marchander: cC’est unvn pur
commerce de menterietrichoterie & d’impudence.: AaApres unevne heu-
re de debat & de barquignage[sic], l’unvn & l’autre abandonne
sa parolle & ses sermens pour cinq sous d’amandement. Et
si empruntois avecauec desadventagedesaduentage.: CcCar n’ayantayāt point le coeur
de requerir en presence, ji’en renvoyoisrenuoyois le hazard sur le papier,
qQui ne faict guiere d’effort & qui preste grandement la main
au refuser. JeIe me remettois de la conduitte de mon besoing
plus gayement aux astres, & plus librement, que jeie n’ay faict
depuis à ma providenceprouidence & à mon sens. La plus part des mesna-
F

Fac-similé BVH

[21v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
gers estimentestimēt horrible de vivreviure ainsin en incertitude,. &Et ne s’ad-
visent
ad-
uisent
pas, premierement que la plus part du monde vit ainsi.
CombienCōbien d’honnesteshōnestes hommeshōmes ont rejettéreietté tout leur certain à l’a-
bandon, & le font tous les joursiours, pour cercher le vent de la fa-
veur
fa-
ueur
des Roys & de la fortune? Caesar s’endebta d’unvn million
d’or outre son vaillant, pour devenirdeuenir Caesar. Et combien de
marchans commencent leur trafique par la vente de leur me-
tairie, qu’ils envoyentenuoyent aux Indes
Tot per impotentia freta?
En unevne si grande siccité de devotiondeuotion, nous avonsauōs mille & mille
Ccolleges[Note (Montaigne) : c], qui la passent commodeementcōmodeement, attendantattendāt tous les joursiours
de la liberalité du Cciel[Note (Montaigne) : c], ce qu’il faut à euxleur disner. SecondementSecondemēt,
ils ne s’advisentaduisent pas, que cette certitude, sur laquelle ils se fon-
dent
fon-
dēt
, n’est guiere moins incertaine & hazardeuse que le hazard
mesme. JeIe voy d’aussi pres la misere au delà de deux mille es-
cuz de rente, que si elle estoit tout contre moy.
[Note (Montaigne) : Vers][Note (Alain Legros) : Ce commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.]
Fortuna uitrea est
Tunc cum splendet frangitur.
Car outre ce
que la fortunele sort à dequoy ouvrirouurir cent breches à la pauvretépauureté au
traverstrauers de nos richesses,
Position : Marge gauche saepe inter fortunamfortunā
maximam et ultimam
nihil interest

nN’y aiant souvantsouuant nul
moien entre la supreme et
infime fortune

Fortuna uitrea est tunc cum
splendet frangitur:
&Et envoyerenuoyer cul sur pointe toutes nos
deffences & leveesleuees, jeie trouvetrouue que par diversesdiuerses causes l’indigen-indigē-
ce se voit aussi souventsouuentautant ordinerement logee chez ceux qui ont desbiensdes biens, que
chez ceux qui n’en ont point: &Et qu’à l’avantureauanture est elle aucu-
nement moins incommode, quand elle est seule, que quand
elle se rencontre en compaignie des richesses:
Position : Marge gauche eElles vienentuienent plus
de l’ordrelordre que de la
recette: faber est suae
quisque fortunae.
Et
& me semble
plus miserable unvn riche malaisé, necessiteux, affaireux, que ce-
luy qui est simplement pauvrepauure.
Position : Marge gauche In diuitijs inopes, quod
genus egestatis grauis=
ssimum est.
Les plus grandsgrāds
princes et plus riches sont
par povretépoureté et disette
contreins tous conviezconuiez tous
tousjourstousiours a user d’injusticeiniustice.

pousses ordineremant a
l’extreme necessité Car en
est-il de pireplus extreme que d’en devenirdeuenir
tyrans et injustesiniustes usurpaturs
des biens de leurs subjectssubiects.
Ma seconde forme, ç’à esté
d’avoirauoir des biens,l’argentlargent. ausquelsou aA quoi jeie mem’estant prins, si chaudement, que ji’en
fis bien tost des reservesreserues notables selon ma condition: nN’esti-
mant que ce fut avoirauoir, si non autant qu’on possede outre sa
despence & son usagevsage ordinaire: nN’y qu’on se puisse prendre as-
seurancefier du bien qui est encore en esperance de recepte, pour
claire qu’elle soit. Car quoy disoy-jeie, si ji’estois surpris d’unvn tel,
où d’unvn tel accident? &Et à la suite de ces vaines & vitieuses ima-

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LIVRE PREMIER. 22
ginations, ji’allois faisant l’ingenieux à prouvoirprouuoir par cette su-
perflue reservereserue à tous inconveniensinconueniens: &Et sçavoissçauois encore res-
pondre à celuy qui m’alleguoit que le nombre des inconve-inconue-
niens estoit trop infiny,: que si ce n’estoit à tous, c’estoit à au-
cuns & plusieurs. Cela ne se passoit pas sans penible sollicitu-
de.
Position : Marge droite JI’en faisois un secret: &
moi qui ose tant dire toutes
choses de moi: ne tesmou
parlois de mon argent
qu’en mensonge,: come font
les autres: qui s’apovrissentapourissent
riches, s’enrichissent
povrespoures: et dispansent leur
consciance de jamaisiamais
tesmouigner sincerement
de ce qu’ils ont: Ridicule
et honteuse prudance.
Allois-je-ie en voyage, il ne me sembloit estre jamaisiamais suffi-
samment prouveuprouueu,. &Et plus jeie m’estois chargé, Position : Interligne haute de monoie plus aussi jiavoisauoisjeie
d’alarme:m’estois charge de creinte. tTantost de la seurté des chemins, tTantosttTātost de la fidelité
de ceux qui conduisoient mon bagage: duquel comme d’au-
tres que jeie cognoys, jeie ne m’asseurois jamaisiamais assez si jeie ne l’a-
vois
a-
uois
devantdeuant mes yeux. Laissoy-jeie ma boyte chez moy, com-
bien de soubçons & pensements espineux,: & qui pis est incom-incō-
municables,et qui pis est incommunicables jJiIavoisauois tousjourstousiours l’esprit de ce costé.
Position : Marge droite Tout contè, il y
a plus de peine
a garder l’argent
qu’a l’acquerir.
Si jeie n’en fai-
sois du tout tant que ji’en dis, au moins il me coustoit à m’em-
pescher de le faire. De commodité, ji’en tirois peu ou rien:
Position : Marge droite : pour avoirauoir plus de moien
de despance elle ne m’en
poisoit pas moins. Car
CcCar
comme disoit Bion, autantautāt se fache le chevelucheuelu comme le chau-
ve
chau-
ue
, qu’on luy arrache le poil:. &Et depuis que vous estes accou-
stumé & avezauez planté vostre fantasie sur certain monceau, il
n’est plus à vostre serviceseruice. Position : Interligne haute vousuous n’oseries l’escorner: c’est C’est unvn bastiment qui comme il
vous semble, crollera tout, si vous y touchez: iIl faut que la ne-
cessité vous prenne à la gorge pour l’entamer: &Et au paravantparauant
ji’engageois mes hardes, & vendois unvn chevalcheual, avecauec bienbiē moins
de contrainte & moins enuys, que lors jeie ne faisois bresche à
cette bourçe favoriefauorie, que jeie tenois à part. Mais le dangerdāger estoit,
que mal ayséement peut-on establir bornes certaines à ce de-
sir:
Position : Marge droite (modummodū retinere
difficile est in eo quod
bonumbonū esse credideris)

(Elles sont difficiles
a garder es choses
qu’on croit bones.)

(elles sont difficilles
a trouvertrouuer es choses
qu’on croit bones)
& arrester unvn poinct à l’espargne: oOn va tousjourstousiours grossis-
sant cet amas & l’augmentant, d’unvn nombre à autre, jusquesiusques à
se priverpriuer vilainement de la jouyssanceiouyssance de ses propres biens:. &Et
l’establir toute en la garde, & à n’enē uservser point.
Position : Marge droite Tout home pecunieus
est avaritieusauaritieus a mon gré
De cette forme de io
Selon
cette espece d’usage s ce sont
les plus riches gens du monde
qu ceus qui ont charge de
la garde des portes et murs
d’une bone villeuille Tout home pecu=
nieus est avaritieusauaritieus a mon gre. JeIe
Platon fais range ainsi les biens corporels ou
humains: la sante, la beaute, la force, la richesse
Et la richesse dict il n’est pas aveugleaueugle mais
trescler voianteuoiante[sic] quand elle est illuminee par la
prudance.
Dionisius le fils,
eust sur ce propos bonne grace. On l’advertitaduertit que l’unvn de ses
Syracusains avoitauoit caché dans terre unvn thresor,. iIl luy manda de
le luy apporter,. cCe qu’il fit, s’en reservantreseruant à la desrobbée quel-
F ij

Fac-similé BVH

[22v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
que partie,. aAvecaAuec laquelle il s’en alla en unevne autre ville, ou ayant
perdu cet appetit de thesaurizer, il se mit à vivreviure plus liberal-
lement. Ce qu’entendant Dionysius luy fit rendre le demeu-
rant de son thresor, dDisant que puis qu’il avoitauoit appris à en sça-
voir
sça-
uoir
uservser, il le luy rendoit volontiers. JeIe fus quatre où cinqquelques an-
nees en ce point: jJeiIe ne sçay qu’ellequel bonne fortunedaemon m’en jettaietta
hors tres-utilementvtilement, comme aule Siracusain, &Et m’envoyaenuoya toute
cette conserveconserue à l’abandon,. lLe plaisir de certain voyage de gran-
de
grā-
de
despence, ayant mis au pied cette sotte imagination:. pPar où
jeie suis retombé à unevne tierce sorte de vie (JjeIie dis ce que ji’en sens) [Note (Montaigne) : ji]
certes plus plaisante beaucoup & plus reiglée,: cC’est que jeie faits
courir ma despence quand & quand ma recepte, tTantost l’unevne
devancedeuance, tantost l’autre: mMais c’est de peu qu’elles s’abandon-
nent. JeIe vis du jouriour à la journéeiournée,. &Et me contentecōtente d’avoirauoir dequoy
suffire aux besoings presens & ordinaires.: AaAux extraordinai-
res toutes les provisionsprouisions du monde n’y sçauroyent suffirebaster.
Position : Marge gauche Et est folie de
s’atandre nous que
fortune Position : Interligne haute elle mesmes nous arme
jamaisiamais suffisammant
contre soi. C’est de
nos armes qu’il la
faut combattrecōbattre. les fortu
ites n’y
non desLes fortuites -
nous trahiront au bon
du faict.
Si
ji’amasse, ce n’est que pour l’esperance de quelque voisine em-
ploite,: & non pour acheter des terres, Position : Interligne haute de quoi jeie n’ay que faire, mais pour acheter du
plaisir.
Position : Marge droite Non esse
cupidum
pecunia est,
non esse
emacem
uectigal est.
JeIe n’ay ny Position : Interligne haute guere peur que bien me faille, ny Position : Interligne haute nul desir qu’il m’aug- [Note (Montaigne) : nul]
mente,.
Position : Marge gauche Diuitiarum fructus est in
copia, copiam declarat satietas.
&Et me gratifie singulierement que cette correction me
soit arriveearriuee en unvn aage naturellementnaturellemēt enclin à l’avariceauarice,: & que
jeie me vois desfaict de cette maladie si communecōmune aux vieux,. lLa-
quelle ji’ay tousjourstousiours tenu la moins excusable
, & la plus ridi-
cule de toutes les humaines folies.
Position : Interligne basse Feraulez qui avoitauoit passe par les deus fortunes et trouvétrouué que l’accroit de chevancecheuance
n’estoit pas accroit d’appetit au boire manger dormir et embrasser sa fame. Et qui d’autre
part santoit poiser sur ses espaules l’importunite de l’oeconomieloeconomie, einsi qu’elle faict a moi:
delibera de contanter un juneiune home povrepoure son fidelle amy de la faim qu’il avoitauoit desabboiant apres les richesses
et luy fit presant de toutes les sienes grandes et excessivesexcessiues presantes et de celles encore
qu’il estoit en trein d’accumuler tous les joursiours par la liberalite de Cyrus son bon maistre,
et par la guerre: moienant qu’il print lea souincharge de l’entretenir et nourrir honestemant come
son hoste et son ami. Ils vescurentuescurent einsi despuis treshureusemant et esgalemant
contans, deu la mu changemant de leur condition. Voila un tour que ji’imiterois de
grand corage. Et louë grandement la fortune d’un vieiluieil prelat que jeie voisuois s’estre si puremant desmis de sa bourse de sa recette
& de sa mise, tantost à unvn serviteurseruiteur choisi, tantost à un autre qu’il a tantost passea coulè un long espace d’annees quasi austantaustāt ignorant de cette sorte d’affaire
de son mesnage, comme unvn estranger. La fiance de la bonté d’autruy, est unvn non leger tesmoignege de la bonté propre: partant la favorisefauorise Dieu volontiers. Et pour son regard, jeie ne voy point d’ordre de maison, ny plus dignement ny plus
[Note (Alain Legros) : suite de cette addition au bas du folio 23r]Position : Marge basse (f.23r) constamment conduite que lae siene Et si le treuvetreuue bien plus riche de s’estre deschargé
du soin d’accumuler & dispanser ses richesses et de n’y chercher autre chosefin que le sul

usage presantHureus qui aye regle a si justeiuste mesure son besouin que ses richesses y puissent suffire sans son soin et empeschemantempeschemāt et sans que leur
dispensation ou assamblage interrompe d’autres occupations qu’il suit [unclear] plus doucessortables tranquilles
et selon son ceur.
L’aisance doncdōc & l’indigenceindigēce
despendent de l’opinion d’unvn chacun,. &Et non plus la richesse,
que la gloire, que la santé, n’ont qu’autantautāt de beauté & de plai-
sir, que leur en preste celuy qui les possede.
Position : Marge gauche Chacun est bien ou mal
selon qu’il s’en treuvetreuue. Non de qui on
le croit mais qui le croit de soi,
est contant. Et en cela sul la premiere
creance se done essance et veritéuerité
Chacun est hureus &
malhureus selon qu’il
s’en treuvetreuue.
La fortune
ne nous faict ny bien
ny mal: elle nous en
donneoffre sulemantsulemāt la matiere
& la semancesemāce, la quelle
nostre ame plus puissantepuissāte
qu’elle, app tourne &
applique com’il luy plait
seule cause & maistresse de sa conditioncōdition hureuse ou malhureuse.
Les accessions ex-
ternes prennentprēnent goustsaveursaueur & couleur de l’interne constitution,. cCom-cCō-
me les accoustremens nous eschauffent, non de leur chaleur,
mais de la nostre,. lLaquelle ils sont propres à couvercouuer & nour-
rir: qQui en abrieroit unvn corps froit, il en tireroit mesme servi-serui-usa
ce pour la froideur: aAinsi se conserveconserue la neige & la glace. Cer-

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LIVRE PREMIER. 23
tes tout de mesmeen la maniere qu’à unvn faineant l’estude sert de tourmenttourmēt,. àA
unvn yvrongneyurongne l’abstinenceabstinēce du vin,. lLa frugalité est supplice au lu-
xurieux, &Et l’exercice geine à unvn hommehōme delicat & oisif: aAinsin
est-il du reste. Les choses ne sont pas si douloreuses, ny diffici-
les d’elles mesmes: mais nostre foiblesse & lascheté les fait tel-
les. Pour jugeriuger des choses grandesgrādes & haultes, il faut unvn’ ame de
mesme, autrement nous leur attribuons le vice, qui est le no-
stre. UnVn avironauiron droit semble toutes-fois courbée dansen l’eau. Il
n’importe pas seulement qu’on voye la chose, mais commentcommēt
on la voye. Or sus, pourquoy de tanttāt de discours, qui nous per-
suadent Position : Interligne haute diversemantdiuersemant les homes de mespriser la mort, & de ne nous tourmentertourmēter point
deporter la douleur, n’en empoingnonstrouvonstrouuons nous quelcun Position : Interligne haute qui face pour nous?
Et de tanttāt d’especes d’imaginationsimaginatiōs, qui l’ont persuadé à autruy,
que chacunchacū n’en prend il celle qui estapli applique il a soi une le plus selonselō son humeur?
S’ilSil ce n’est unevnene peut digerer la drogue forte & abstersiveabstersiue, pour desraciner le
mal, au moins qu’il la preigne lenitivelenitiue, pour le soulager.
Position : Marge droite Obuersentur species
honestae animo

Opinio est quaedam
effoeminata ac leuis:
nec in dolore magis quam
eadem in uoluptate:qua
cum liquescimus fluimus
que mollitia, apias apis
aculeum sine clamore
ferre non possumus.
Totum in eo est ut tibi
imperes.
Au
demeurantdemeurāt, on n’eschappe pas à la philosophie, pour faire valoir
outre mesure l’aspreté des douleurs. Position : Interligne haute et nostre l’humaine foiblesse. Car on la contraint de
nous donnerdōner en payementpayemēt cecy.se rejetterreietter a cettes invinciblesinuincibles repliques. S’il est mauvaismauuais de vivreviure en ne-
cessité, au moins de vivreviure en necessité, il n’est aucune necessité.
Nemo nisi sua culpa diu dolet.

Position : Marge droite et ceu Nul
n’est mal longtemps
qu’a sa coulpe faute
Qui n’a le corageceur de
morir qu’il aye le
corage de vivreuiure
ceur de souffrir
ny la mort ni la vieuie en
quoi est-il bon?
qui ne
veutueut ny resister ni fuir
a quoi est il bon? que
luy fairoit on?

 


On est puny pour s’opiniastrer à unevne place sans raison.

CHAP. XV.


 
LA vaillance à ses limites, comme les autres vertus.: les-
quels franchis & outrepassez, on se trouvetrouue dansdās le train
du vice: eEn maniere que par chez elle on se peut rendrerēdre
à la temerité, obstination & folie, qui n’en sçait bien les bor-
nes,: malaiseez à laen verité à choisir en l’endroit desur leurs confins.
De cette consideration est née la coustume, que nous avonsauons
aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s’opiniastrent à
defendre unevne place, qui par les reigles militaires ne peut estre
soustenuë. Autrement soubs l’esperance de l’impunité il n’y
F iij

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[23v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
auroit pouillier, qui n’arrestast unvn’ armée. Monsieur le Con-
nestable de Mommorency au siege de PaviePauie, ayant esté com-
mis pour passer le Tesin, & se loger aux fauxbourgs S. Antoi-
ne, estant empesché d’unevne tour au bout du pont, qui s’opinia-
stra jusquesiusques à se faire battre, feist pendre tout ce qui estoit de-
dans: &Et encore depuis accompaignantaccompaignāt Monsieur le Dauphin
au voyage delà les monts, ayant pris par force le chasteau de
Villane, & tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces
par la furie des soldats, hormis le Capitaine & l’enseigne, il les
fit pendre & estrangler, pour cette mesme raison: cComme fit
aussi le Capitaine Martin du Bellay lors gouverneurgouuerneur de Turin
en cestte mesme contrée, le Capitaine de S. Bony,: le reste de ses
gens ayant esté massacré à la prinse de la place. Mais d’autant
que le jugementiugement de la valeur & foiblesse du lieu, se prend par
l’estimation & contrepois des forces qui l’assaillent,: car tel
s’opiniatreroit justementiustement contrecōtre deux couleuvrinescouleuurines, qui feroit
l’enragé d’attendre trente canons,: ou se met encore en conte
la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect
qu’on luy doit, il y a danger qu’on presse unvn peu la balance de
ce costé là. Et en advientaduient par ces mesmes termes, que tels ont
si grande opinion d’eux & de leurs moiens, que ne leur sem-
blant point raisonnable qu’il y ait rienriē digne de leur faire teste,
passent le cousteau par tout, ou ils trouventtrouuent resistance, au-
tant que fortune leur dure: cComm’il se voit par les formes de
sommation & deffi, que les princes d’Orient, les TamburlansTāburlans,
Mahumets, & leurs successeurs, qui sont encores, ont en usa-
ge
vsa-
ge
, fiere, hautaine & pleine d’unvn commandement barbares-
que.
Position : Marge gauche Et au quartier par
les Portugalois
escornerent les Indes
ils trouvarenttrouuarent des
estats aveqaueq cette loy universelleuniuerselle & inviolableinuiolable
que tout enemi qui veincuueincu du Roy en presance
ou de son lieutenant est hors de composition de rançon
& de merci
Ainsi sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre
les mains d’unvn JugeIuge ennemy, victorieux & armé.


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LIVRE PREMIER. 24

De la punition de la couardise.

CHAP. XVI.


 
J’OUYIOVY autrefois tenir à unvn Prince & tresgrand Capi-
taine, que pour lascheté de coeur unvn soldat ne pou-
voit
pou-
uoit
estre condamné à mort: luy estant à table fait re-
cit du procez du Seigneur de VervinsVeruins, qui fut condamné à
mort pour avoirauoir rendurēdu Boulogne. A la verité c’est raison qu’onō
face grande difference entre les fautes qui viennent de nostre
foiblesse, & celles qui viennentviennēt de nostre malice. Car en celles
icy nous nous sommes bandez à nostre escient contre les rei-
gles de la raison, que nature à empreintes en nous: &Et en celles
là, il semble que nous puissions appeller à garant cette mesme
nature, pour nous avoirauoir laissé en telle imperfectionimperfectiō & deffail-
lance: dDe maniere que peuprou de gens ont pensé qu’on ne se pou-
voit
pou-
uoit
prendre à nous, que de ce que nous faisons contre nostre
conscience: &Et sur cette regle est en partie fondée l’opinion de
ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques
& mescreansmescreās: &Et celle qui establit qu’unvn AadvocatAaduocat & unvn JjugeIiuge ne
puissent estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en
leur charge. Mais quantquāt à la coüardise, il est certain, que la plus
commune façon est de la chastier par honte & ignominie. Et
tient on que cette regle à esté premierementpremieremēt mise en usagevsage par
le legislateur CharondasCharōdas: & qu’avantauant luy les loix de Grece pu-
nissoyent de mort ceux qui s’en estoyent fuis d’unevne bataille,.
lLà où il ordonna seulement qu’ils fussent par trois joursiours assis
emmy la place publique, vetus de robe de femme, esperantesperāt en-
cores s’en pouvoirpouuoir servirseruir, leur ayantayāt fait revenirreuenir le courage par
cette honte.
Position : Marge droite Suffundere malis
hominis sanguinem quam
effundere.
Il semble aussi que les loix Romaines condam-
noient anciennement à mort, ceux qui avoientauoient fuy. Car Am-
mianus Marcellinus raconte, que l’Empereur JulienIulien condam-
na
cōdam-
na
dix de ses soldats, qui avoyentauoyent tourné le dos àen unevne charge

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[24v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
contre les Parthes, à estre dégradez, & apres à souffrir mort,
suyvantsuyuant, dict-il, les loix anciennes. Toutes-fois ailleurs pour
unevne pareille faute il en condemne d’autres, seulement à se te-
nir parmy les prisonniers sous l’enseigne du bagage.
Position : Marge gauche L’aspreLaspre condamnationcōdānation
du peuple Romein
contre les soldats
eschapez de Cannes
et enē cete mesme guerre
contre ceus qui
accompaignarent Cn.
Fuluius en sa
desfaicte ne vindrenttuindrētt
pas a la mort. Si est
il a creindre que la
honte les desespere et
les rande non inutilesfroitz
sulemantsulemāt mais domageables
enemis.
Du tempstēps
de nos Peres le Seigneur de Franget jadisiadis LieutenantLieutenāt de la con-
pagnie
cō-
pagnie
de Monsieur le Mareschal de Chastillon, ayantayāt esté mis
par Monsieur le Mareschal de Chabanes, GouverneurGouuerneur de Fon-
tarrabie
Fō-
tarrabie
au lieu de Monsieur deu Lude, & l’ayant renduerēdue aux Es-
pagnols, fut condamné à estre degradé de noblesse, & tanttāt luy
que sa posterité declaré roturier, taillable, & incapable de
porter armes: &Et fut cette rude sentence executée à Lyon. Dé-
puis souffrirent pareille punition tous les gentils-hommeshōmes qui
se trouverenttrouuerent dans Guyse, lors que le Comte de Nansau y en-
tra,: & autres encore depuis. Toutes-fois quandquād il y auroit unevne
si grossiere & apparente ou ignorance ou coüardise, qu’elle
surpassat toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre
pour suffisante preuvepreuue de meschanceté & de malice, & de la
chastier pour telle.
 


UnVn traict de quelques Ambassadeurs.
CHAP. XVII.


 
JIObserveObserue en mes voyages cette practique, pour appren-
dre
apprē-
dre
tousjourstousiours quelque chose, par la communication
d’autruy (qui est unevne des plus belles escholes qui puisse
estre) de ramener tousjourstousiours ceux, avecauec qui jeie confere, aux pro-
pos des choses, qu’ils sçaventsçauent le mieux.
Basti al nocchiero ragionar de’ venti,
Al bifolco dei tori, & le sue piaghe
Conti’l guerrier, conti’l pastor gli armenti.

Car il advientaduient le plus souventsouuent au rebours, que chacun choisit
plustost à discourir du mestier d’autruyun autre que du sien,. eEstimant
que c’est autant de nouvellenouuelle reputation acquise: tTesmoing le
reproche

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LIVRE PREMIER. 25
reproche qu’Archidamus feit à Periander, qu’il quittoit la
gloire de bon medecin, pour acquerir celle de mauvaismauuais poëte,:
Position : Marge droite . Voies combien Cesar
se desploie plus largement
a nous faire entandre ses
invantionsinuātions a bastir pons
et engins de batterie Et
combien au pris il vaua se
serrant ou il parle des offices
de sa profession de sa vaillanceuaillāce
et conduite de sa milice.
Position : Marge droite Ses exploits le verifientuerifient
asses, excellant capiteine
il excellant: il se veutueut
faire conestre excellant
in enginieur: qualité
aucunementaucunemēt estrangiere
Un home de vocationuocation
juridiqueiuridique mené ces joursiours
passes voiruoir un’estude
fournie de toute sortes
de livresliures de son mestier
et de tout autre mestier
sorte n’yny trouvatrouua nulle
occasion de s’entretenir
mais il s’arrete a
gloser rudement &
magistralement une
barricade logee sur
la visuis par ou il estoit
monte
de l’estudelestude que
cent capitenes &
soldats p rencontrentrencontrēt
tous les joursiours sans
remarque & sans
offance.

Le vieiluieil Dionisius estoit tres grand
chef de guerre come il
convenoitconuenoit a sa fortune
mais il se travailloittrauailloit a
doner principale reco=
mandation de soi par
la poësie et si n’y sçavoitsçauoit
rien.

& pPar ce train, vous ne faictes jamaisiamais rien qui vaille.:
Optat ephippia bos piger, optat arare caballus.
Par ce train vousuous ne faictes jamaisiamais rien qui vailleuaille.
Par aAinsinn, il faut travaillertrauailler de rejetterreietter tousjourstousiours l’architecte, le
peintre, le cordonnier, & ainsi du reste, chacun à son gibier. Et
à ce propos, à la lecture des histoires, qui est le subjetsubiet de tou-
tes gens, ji’ay accoustumé de considerer, qui en sont les escri-
vains
escri-
uains
: sSi ce sont personnes, qui ne facent autre profession que
de lettres, ji’en apren principalement le stile & le langage: sSi ce
sont medecins, jeie les croy plus volontiers, en ce qu’ils nous di-
sent de la temperature de l’air, de la santé & complexion des
Princes, des blessures & maladies: sSi JurisconsultesIurisconsultes, il en faut
prendre les controversescontrouerses des droicts, les loix, l’establissement
des polices & choses pareilles: sSi Theologiens, les affaires de
l’Eglise, censures Ecclesiastiques, dispensesdispēses & mariages: sSi cour-
tisans, les meurs & les ceriemonies: sSi gens de guerre, ce qui est
de leur charge, & principalement les deductions des exploits,
où ils se sont trouveztrouuez en personne: sSi Ambassadeurs, les me-
nées, intelligences, & practiques, & maniere de les conduire.
A cette cause ce que ji’eusse passé a unvn autre, sans m’y arrester,
jeie l’ay poisé & remarqué en l’histoire du Seigneur de Langey,
tres-entendu en telles choses. C’est qu’apres avoirauoir conté ces
belles remonstrances de l’Empereur Charles cinquiesme, fai-
ctes au consistoire à Rome, present l’EvesqueEuesque de Mascon, & le
Seigneur du Velly nos Ambassadeurs, où il avoitauoit meslé plu-
sieurs parolles outrageuses contre nous, &Et entre autres, que si
ses Capitaines, soldats, & subjectssubiects n’estoient d’autre fidelité
& suffisance en l’art militaire, que ceux du Roy, tout sur l’heu-
re il s’attacheroit la corde au col, pour luy aller demander
misericorde. Et de cecy il semble qu’il en creut quelque cho-
se, car deux ou trois fois en sa vie depuis il luy advintaduint de redi-
G

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[25v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
re ces mesmes mots: aAussi qu’il défia le Roy de le combatre en
chemise avecauec l’espée & le poignard, dans unvn bateau. Ledit sei-
gneur de Langey suivantsuiuant son histoire, adjousteadiouste que lesdicts
Ambassadeurs faisans unevne despesche au Roy de ces choses, luy
en dissimulerent la plus grande partie, mesmes luy celerent
les deux articles precedens. Or ji’ay trouvétrouué bien estrange, qu’il
fut en la puissance d’unvn Ambassadeur de dispenser sur les ad-
vertissemens
ad-
uertissemens
qu’il doit faire à son maistre,: mesme de telle con-
sequence
cō-
sequence
, venant de telle personne, & dites en si grand’ assem-
blée. Et m’eut semblé l’office du serviteurseruiteur estre de fidelement
representer les choses en leur entier, comme elles sont adve-
nuës
adue-
nuës
: affin que la liberté d’ordonner, jugeriuger, & choisir demeu-
rast au maistre. Car de luy alterer ou cacher la verité, de peur
qu’il ne la preigne autrement qu’il ne doit, & que cela ne le
pousse à quelque mauvaismauuais party,: & ce pendant le laisser igno-
rant de ses affaires,: cela m’eut semblé appartenir à celuy, qui
donne la loy, non à celuy qui la reçoit, au curateur & maistre
d’escholle, non à celuy qui se doit penser inferieur, non en au-
thorité seulementseulemēt, mais aussi en prudence & bon conseil. Quoy
qu’il en soit, jeie ne voudroy pas estre servyseruy de cette façon, en
mon petit faict.
Position : Marge gauche Nous nous soustraions
si volantiersuolantiers du comenan=
dement
comēā=
dement
sous quelque prae=
texte, et usurpons sur
la maistrise: cChacun
aspire si naturellement
à la libertè et authorité,
qu’au superieur nulle utilité
ne doit estre si chere, venantuenant
de ceus qui le serventseruent,
come luy doit estre chere
leur naïfvenaïfue et simple
obeïssance. On corromptcorrōpt
l’office du comander quand
on y obeit par discretion non
par subjectionsubiection. Et P.
Crassus celuy que les
Romeins estimarent cinq
fois hureus, lors qu’il
estoit en Asie consul, aïantaïāt
mandé a un iengeinieur
Grec de luy faire mener
le plus grand des deux
mas de navirenauire qu’il avoitauoit veuueu a Athenes pour quelqu’engin de batterie a qui il
en avoitauoitvouloituouloit affaire: cetuicy sous titre de sa sciance se dona loi de choisir autremant,
et mena le plus petit, & selon la raison de son art le plus commodecōmode: Crassus aiant
patiammant oui ses raisons, luy fit tresbien doner le foit: estimant l’interest
de la s discipline plus que l’interest de son l’ouvrageouurage. D’autre part Position : Interligne haute pourtant on pourroit aussi
considerer que cet’obeissanceobeissāce si contreinte n’apartient qu’aus comandemans exprez
singuliersprecis et prefix. Les ambassadurs ont une charge plus libre, qui en plusieurs
parties despant souvereinemantsouuereinemant de leur disposition: ils n’executentexecutēt pas simplemantsimplemāt
[Note (Alain Legros) : Suite de cette addition au bas du folio 26r.]
Position : Marge basse (f.26r) mais forment aussi et dressent par leur conseil la volantéuolanté du maistre. JIeu ai
veuueu en mon temps des persones de comandemant repris d’avoirauoir plus tost obei aus
parolles des lettres du Roy qu’a l’occasion des affaires qui estoint pres d’eusdeus:
Position : Marge basse (f.26r) Les homes d’entandemantentandemāt accusent encores l’usage des Roys de pPerse ne de [unclear] tailler les mourceaus si courts
a leurs agens et lieutenans qu’aus moindres choses ils eussent a recourir a leur ordonnance. Ce delai aiant aporte
souvantsouuant notable domage a leurs affaires veuueu la grandeen une si longue estendue de leur domination aiant souvantsouuant aporte des
notables dommages à leurs affaires.

Et Crassus escrivantescriuant a un home du mestier sambloit le convierconuier a interposer
son decret luy donant advisaduis de l’usage au quel il destinoit ce mas et entrer en
conferancecōferance de sa deliberation sambloit il pas entrer en conferance de sa
deliberation & le convierconuier a y interposer son decret.

 



De la Peur. CHAP. XVIII.


 
OBstupui, steterúntque comae, & vox faucibus haesit.
JeIe ne suis pas bon naturaliste (qu’ils disent) & ne sçay
guiere par quels ressors la peur agit en nous, mais tanttāt
y a que c’est unevne estrange passion: &Et disent les medecins qu’il
n’en est aucune, qui emporte plustost nostre jugementiugemēt hors de
sa deuë assiette. De vray, ji’ay veu beaucoup de gens devenusdeuenus
insensez de peur, & aus plus rassis, il est certain pendant que son
accés dure, qu’elle engendre de terribles esblouissemensesblouissemēs. JeIe lais-
se à part le vulgaire, à qui elle represente tantost les bisayeulx

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LIVRE PREMIER. 26
sortis du tombeautōbeau enveloppezenueloppez en leur suaire, tantosttātost des Loups-
garous, des Lutins, & des chimeres. Mais parmy les guerrierssoldats
mesme, ou elle devroitdeuroit trouvertrouuer moins de place, combien de
fois à elle
Position : Marge gauche metu
interprete
changé unvn troupeau de brebis en esquadron de cor-
selets? des roseaux & des cannes en gensgēs-d’armes & lanciers? nos
amis en nos ennemis? & la croix blanche à la rouge? Lors que
Monsieur de Bourbon print Rome, unvn port’enseigne, qui e-
stoit à la garde du bourg sainct Pierre, printfut sesi de tel effroy à la pre-
miere alarme, que par le trou d’unevne ruine il se jettaietta, l’enseigne
au poing, hors la ville droit aux ennemis, pensant tirer vers le
dedans de la ville, &Et à peine en fin voyant la troupe de Mon-
sieur de Bourbon se renger pour le soustenir, estimant que ce
fut unevne sortie, que ceux de la ville fissent, il se recogneust, &
tournant teste r’entra par ce mesme trou, par lequel il estoit
sorty, plus de trois cens pas avantauant en la campaigne. Il n’en ad-
vint
ad-
uint
pas du tout si heureusement à l’enseigne du Capitaine
JuilleIuille, lorsque S. Pol fut pris sur nous par le ConteCōte de Bures &
Monsieur du Reu.: Ccar estant si fort esperdu de la frayeur, que
de se jetterietter à tout son enseigne hors de la ville, par unevne canon-
niere, il fut mis en pieces: par les assaillans,. &Et au mesme siege
fut memorable la peur, qui serra, saisit, & glaça si fort le coeur
d’unvn gentil-homme, qu’il en tomba roide mort par terre à la
bresche, sans aucune blessure. Pareille ragepeur saisit par foys des
armées entierestoute une multitude:. eEn l’unevne des rencontres de Germanicus contrecōtre
les Allemans, la frayeur s’estant mise en leur armée, deux gros-
ses trouppes prindrent d’effroy deux routes opposites, l’unevne
fuyoit d’ou l’autre partoit. Tantost elle nous donne des aisles
aux talons, commecōme aux deux premiers:, tTantost elle nous cloüe
les pieds & les entraveentraue, cComme on lit de l’Empereur Theo-
phile, lequel en unevne bataille, qu’il perdit contre les Agarenes,
devintdeuint si estonné & si transi, qu’il ne pouvoitpouuoit prendre party
de s’enfuyr:, adeò pauor etiam auxilia formidat,: jusquesiusques à ce que
G ij

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[26v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Manuel l’unvn des principaux chefs de son armée, l’ayant tirassé
& secoüé, comme pour l’esveilleresueiller d’unvn profond somme, luy
dit,. sSi vous ne me suivezsuiuez jeie vous tueray:, car il vaut mieux que
vous perdiez la vie, que si estant prisonnier vous veniez à ruy-
nerperdre l’Empire.
Position : Marge haute Lors exprime elle sa derniere force quand pour son serviceseruice elle nous
rejettereiette a la vaillanceuaillance qu’elle a soustrait a nostre devoirdeuoir et a nostre honeur.
En la premiere justeiuste bataille que les Romeins perdirent contre Annibal sous le
consul Sempronius une trope de bien dix mille homes de pied aiant pris l’espouvanteespouuante,
ne voiantuoiant ailleurs par ou
faire passage a leur
fuite
sa lacheté s’ala jeterieter au
traverstrauers le gros des
ennemis le qu’elle perça
d’un merveillusmerueillus effortquel
elle perça d’un merveillus
effort etaveqaueq grand meurtre
de Carthaginois

achetant une honteuse
fuite au mesme pris
qu’elle eut eu d’une
glorieuse victoireuictoire. C’est
ce que de quoi ji’ay le plus
de peur que la peur. Aussi
surmonte elle en aigrur tous autres
accidans. [Note (Alain Legros) : la marque d’insertion I indique qu’il faut ajouter un texte qu’on trouvait peut-être sur feuille volante et qu’il faut ici importer de l’édition de 1595.]
Quelle affection peut estre plus aspre & plus justeiuste, que celle des amis de Ponpeius, qui
estoint en son navirenauire, spectateurs de cet horrible massacre? Si est-ce que la peur des voiles
Egyptiennes, qui commençoient à les approcher, l’estouffa de maniere, qu’on a remerqué, qu’ils
ne s’amuserent qu’à haster les mariniers de diligenter, & de se sauversauuer à coups d’avironauiron; jusquesiusques à
ce qu’arrivezarriuez à Tyr, libres de crainte, ils eurent loy de tourner leur pensee à la perte qu’ils
venoient de faire, & lascher la bride aux lamentations & aux larmes, que cette autre plus forte passion avoitauoit suspendües.
Tum pauor sapientiam omnem mihi ex animo expectorat.
Ceus qui aront esté
bien frotez en quelque estour
de guerre tous blessez encores
et ensanglantez on les
rameine bien landemein a
la charge: mais ceus qui ont
conceu quelque bone peur des
ennemis vousuous ne les leur fairies
pas sulement regarder au
en face. Ceus qui sont en
pressante creinte de perdre
leur bien d’estre exilez d’estre
subjuguezsubiuguez viventuiuent en continuelle
angoisse en perdant le boire
le manger et le repos: la ou
les povrespoures les banis les serfs
viventviuent souvantsouuāt aussi
joyeusementioyeusement qu’que les autres.
Et tant de gens qui de
l’impatiance des pointures de
la peur se sont pendus noyez
& precipitez nous ont bien
appris qu’elle est encores plus
importune et insupportable
que la mort et que toute
autre extremité
Les
Grecs en reconnessent une
autre espece qui est outre
l’errur de nostre discours
venant disent ils sans raison
ny cause apparante et d’une
impulsion celeste. Des
peuples entiers s’en voientuoient
souvantsouuant sesis et des armees
entieres. Telle fut cele qui
apporta a Carthage une
merveilleusemerueilleuse desolation.
On n’y oioit que cris et
voix effraiees. On voioituoioit
les habitans sortir de
leurs maison come a
l’alarme et se charger
blesser et entretuer
les uns les autres come
si ce fussent enemis qui vinsentuinsent a occuper leur villeuille.
Tout y estoit en continuel desordre et en tumulte:
jusquesiusques a ce que par oraisons et sacrifices ils eussent
appaisé l’ire des Dieus. Ils nomentnomēt cela terrurs Paniques.

 



Qu’il ne faut jugeriuger de nostre heur, qu’apres la mort.

CHAP. XIX.


 
SCilicet ultima semper
Expectanda dies homini est, dicique beatus
Ante obitum nemo, supremáque funera debet.

Les enfans sçaventsçauent le conte du Roy Croesus à ce propos: lLe-
quel ayant esté pris par Cyrus, & condamné à la mort, sur le
point de l’execution, il s’escria O Solon, Solon: cCela rapporté
à Cyrus, & s’estant enquis que c’estoit à dire, il luy fist enten-
dre, qu’il verifioit lors à ses despens l’advertissementaduertissement qu’autre-
fois luy avoitauoit donné Solon, qQue les hommes, quelque beau
visage que fortune leur face, quelques richesses, Royautez &
Empires qu’ils se voyent entre mains,
ne se peuventpeuuent appeller
heureux, jusquesiusques à ce qu’on leur aye veu passer le dernier jouriour
de leur vie,. pPour l’incertitude & variete des choses humai-
nes, qui d’unvn bien leger mouvementmouuement se changent d’unvn estat
en autre tout diversdiuers. Et pourtant Agesilaus, à quelqu’unvn qui
disoit heureux le Roy de Perse, de ce qu’il estoit venu fort jeu-
ne
ieu-
ne
à unvn si puissant estat,. voireoOuy mais, dit-il, Priam en tel aage
ne fut pas malheureux. Tantost des Roys de Macedoine, suc-
cesseurs de ce grand Alexandre, il s’en faict des menuisiers &
greffiers à Rome: dDes tyrans de Sicile, des pedantespedātes à Corinthe:
dDunvn conquerant de la moitié du monde, & Empereur de tant
d’armées, il s’en faict unvn miserable suppliant des belitres offi-
ciers d’unvn Roy d’Egypte:. tTant cousta à ce grand Pompeius l’a-
longementla prolongation de cinq ou six mois de vie. Et du tempstēps de nos peres

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LIVRE PREMIER. 27
ce LudovicLudouic Sforce dixiesme Duc de Milan, soubs qui avoitauoit
si long temps branslé toute l’Italie, on l’a veu mourir prison-
nier à Loches: mMais apres y avoirauoir vescu dix ans, qui est le pis
de son marché.
Position : Marge droite Et lLa plus belle roine
veufveueufue du plus grand Roy
de la Chrestiente vientuient
elle pas de mourir par la
main de bourreau.
Et mille tels exemples. Car il semble que com-
me les orages & tempestes se piquent contrecōtre l’orgueil & hau-
taineté de nos bastimens, il y ait aussi la haut des esprits en-
vieux
en-
uieux
des grandeurs de ça bas.,
Vsque adeo res humanas vis abdita quaedam
Obterit, & pulchros fasces saeuásque secures
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur.

Et semble que la fortune quelquefois guette à point nommé
le dernier jouriour de nostre vie, pour monstrer sa puissance de
renverserrenuerser en unvn moment, ce qu’elle avoitauoit basty en longueslōgues an-
nées, &Et nous fait crier apres Laberius,. Nimirum hac die vna plus
vixi, mihi quam viuendum fuit.
Ainsi se peut prendre avecauec rai-
son, ce bon advisaduis de Solon. Mais d’autantautāt que c’est unvn philoso-
phe, à l’endroit desquels les faveursfaueurs & disgraces de la fortune
ne tiennent rang, ny d’heur ny de mal’heur: &Et sont les gran-
deurs, richesses & puissances, accidens de qualité à peu pres in-
differente, jeie trouvetrouue vray-semblable, qu’il aye regardé plus a-
vant
a-
uant
, & voulu dire que ce mesme bon-heur de nostre vie,
qui dépend de la tranquillité & contentement d’unvn esprit
bien né, & de la resolution & asseurance d’unvn’ame reglée
ne se doivedoiue jamaisiamais attribuer à l’homme qu’on ne luy aye
veu joüerioüer le dernier acte de sa comedie, & sans doute le plus
difficile. En tout le reste il y peut avoirauoir du masque: oOu ces
beaux discours de la Philosophie ne sont en nous que par con-
tenance
cō-
tenance
,. oOu les accidens ne nous essayant pas jusquesiusques au vif,
nous donnentdōnent loysir de maintenir tousjourstousiours nostre visage ras-
sis. Mais à ce dernier rolle de la mort & de nous, il n’y à plus
que faindre, il faut parler François, il faut monstrer ce qu’il y
à de bon & de net dans le fond du pot.,
G iij

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[27v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
Nam verae voces tum demum pectore ab imo
Eiiciuntur, & eripitur persona, manet res.

Voyla pourquoy se doiventdoiuent à ce dernier traict toucher & es-
prouver
es-
prouuer
toutes les autres actions de nostre vie. C’est le mai-
stre jouriour, c’est le jouriour jugeiuge de tous les autres: c’est le jouriour, dict
unvn ancien, qui doit jugeriuger de toutes mes années passées. JeIe re-
mets à la mort l’essay du fruict de mes estudes. Nous verrons
là si mes discours me partent de la bouche, ou du coeur. JI’ay
veu plusieurs donner par leur mort reputation en bien où en
mal, à toute leur vie. Scipion beau-pere de Pompeius rabilla
en bien mourant la mauvaisemauuaise opinion qu’on avoitauoit eu de luy
jusquesiusques lors. Epaminondas interrogé lequel des trois il esti-
moit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates, ou soy-mesme. Il
nous faut voir mourir, fit-il, avantauāt que d’en pouvoirpouuoir resoudre.
Position : Marge gauche JamaisIamais home ne le
dict mieus a propos:
et c’est un merveilleusmerueilleus
evenemant

De vray on desroberoit beaucoup à celuy là, qui le poiseroit
sans l’honneur & grandeur de sa fin. Dieu l’a voulu comme il
luy à pleu: mais en mon temps trois les plus execrables person-
nes, que jeie cogneusse en toute abomination de vie, & les plus
infames, ont eu des mors reglées & en toute circonstance
composées jusquesiusques à la perfection.
Position : Marge droite Il est des mors glorieusesbravesbraues
& fortunees Elle coupa aJeIe luy ai veuueu
tranchaaer un de ces joursioursdespuis le
fil d’un progres de
merveilleusmerueilleus avancemantauancemant:
& dans la fleur de saon croit
coursecroit a quelcun: fin point
[...] d’une fin si pompeuse
et riche qu’a mon avisauis
ses ambitieus & corageus desseins
n’avointn’auoint rien de si haut que fut leur
interruption. Il arrivaarriua sans y aller[unclear] ou[Note (Mathieu Duboc) : Montaigne commence cette phrase d’abord par : "Il arriva sans y aller mieus qu’il n’esperoit", puis la corrige en "Il arriva sans y aller au nom et a la gloire qu’il pretandoit:" pour finalement choisir : "Il arriva sans y aller ou il pretandoit:"]
mieus qu’il n’esperoitau nom et a la gloire qu’il pretandoit:
plus grandement & richemant qu’il n’esperoit.glorieusement
que ne portoit son desir et esperance. Et devançadeuança
par sa chute le pouvoirpouuoir et lae gloirenom ou il aspiroit
par ses effaictssa course.
Au JugementIugemēt de la vie d’au-
truy, jeie regarde tousjourstousiours comment s’en est porté le bout, &
des principaux estudes de la mienne, c’est qu’il se porte bien,
c’est à dire quietement & seurementsourdement.
 


Que Philosopher, c’est apprendre à mourir.
CHAP. XX.



CICERO dit que Philosopher ce n’est autre chose que
s’aprester à la mort. C’est d’autant que l’estude & la
contemplation retirent aucunementaucunemēt nostre ame hors
de nous, & l’ embesongnent à part du corps, qui est quelque
aprentissage & ressemblance de la mort: oOu bienbiē, c’est que tou-
te la sagesse & discours du monde se resoult en fin à ce point,

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LIVRE PREMIER. 28
de nous apprendre à ne craindre Position : Interligne haute point à mourir. De vray, ou la rai-
son se mocque, ou elle ne doit viser qu’à nostre contentementcontentemēt,
& tout son travailtrauail tendre en somme à nous faire bien vivreviure,
& à nostre aise, comme dict la Saincte parolleescriture. Toutes les o-
pinions du mondemōde en sont la, Position : Interligne haute que le plaisir est nostre but: quoy qu’elles en prennent diversdiuers
moyens, autrementautremēt on les chasseroit d’arrivéearriuée.: CcCar qui escou-
teroit celuy, qui Position : Interligne haute pranderoit pour sa fin establiroit nostre Position : Interligne haute peine et mesaise. tourment?
Position : Marge gauche Les dissentionsdissētions des sectes Philosophiques en ce cas, sont verbales.
Transcurramus solertissimas nugas. Il y a plus d’opiniatretè et de picoterie qu’il n’apartient a une si seincte
profession. Mais Qquelque personage que l’home entrepraigne il joueioue tousjourstousiours le sien parmy. Quoi qu’ils dient en la vertuuertu
mesme le dernier but de nostre viseeuisee c’est la voluptèuoluptè. Il me plait de battre leurs oreilles de ce mot qui leur est si fort
a contreceur. Et s’il signifie quelque supreme plaisir et excessif contentemant il est mieus deu a l’assistantce de la
vertu qu’a null’autre assistance.
Cette volupteuolupte pour
estre plus gaillarde
nerveusenerueuse robuste
virile n’en est que
plus Position : Interligne haute serieusement voluptueuseuoluptueuse. eEt
luy devionsdeuions doner
le nom du plaisir
plustost, plus favo=
rable
fauo=
rable
plus dous et
naturel: quenon celuy
de la viguruigur duquel
nous l’avonsauons denomee.
Cett’autre voluptéuolupté
plus basse si elle
meritoit ce beau nom
ce devoitdeuoit estre en
concurrance non par
privilegepriuilege. JeIe la treuvetreuue
moins pure d’incom=
moditez & de traversestrauerses
que n’est la vertuuertu. Outre
que son goust est plus
momentanee fluide &
caduque, ell’a ses
veilleesueillees ses junesiunes &
ses travaustrauaus & la sueur
et le sang. Et en outre
particulierement ses
passions tranchantes
de tant de sortes &
a son costé une satie
té si lourde qu’elle
equipolle a repenpoenitancerepenpoenitāce.
Nous avonsauons grand
tort d’estimer que ces
incommoditez luy
serventseruent d’eguillon et
de condimant a sa
douceur: come en
nature le contrere se
vivifieuiuifie par son contrere.
Et de dire quand
nous venonsuenons a la
vertuuertu que pareilles
suites & difficultez
l’accablent, la rendentrendēt
austere & inaccessible.
La ou beaucoup plus
propremant qu’a la
volupteuolupte elles l’a
annoblissent esguisent
et rehaussent le
plaisir divindiuin et parfaict
qu’elle nous moiene.
Celuy la est certes bien
indigne de son acoin=
tance qui contrepoise
son coust a son fruit.
et n’en conoit ny les
graces ny l’usage.
Ceus qui nous veulentueulēt
vontuont instruisant
que sa queste est
scabreuse et laborieuse
sa jouissanceiouissance agreable
que nous disent ils
par la si non qu’elle
est tousjourstousiours desagre
able. Car quel moien
humain arrivaarriua jamaisiamais a sa jouissanceiouissance. Les plus parfaicts se sont bien contantez d’y aspirer et de l’aprocher sans la posseder.
Mais ils se trompent: veuueu que de tous les plaisirs que nous conessons la poursuite mesme en est plaisante. L’entreprinse et le
dessein se saentent de la qualite de la chose qu’ilelle regardent
Position : Interligne basse car c’est une bone portion de l’effaictleffaict et consubstantielle.
L’heur et la beatitude qui reluit en la vertuuertu ramplit toutes
ses apartenances & avenuesauenues jusquesiusques a la premiere Position : Interligne haute entree et extreme barriere. Or des principaus bienfaicts de la vertuuertu est le
mespris de la mort sans le quel tout’autre voluptèuoluptè est esteinte. EtMoien qui fournit nostre vieuie d’une molle tranquillité
et sul nous en done le goust pur et amiable sans qui tout’autre voluptèuoluptè est esteinte.
Or
il est hors de moyenmoyē d’arriverarriuer à ce point, de nous former unvn so-
lide contentementcontētement, qui ne franchira lacette crainte de la mort
. Voy-
la pourquoy toutes les sectes des Philosophesregles se rencontrent
& conviennentconuiennent à c’estcet article de nous instruire à la mespriser.
Et bien qu’elles nous conduisent aussi toutes d’unvn commun
accord, à mespriser la douleur, la pauvretépauureté, & autres accidens,
à quoy la vie humaine est subjectesubiecte, ce n’est pas d’unvn pareil
soing: tTant par ce que ces accidens ne sont pas de telle necessi-
té, lLa pluspart des hommes passent leur vie sans gouster de la
pauvretépauureté, & tels encore sans sentiment de douleur & de ma-
ladie, cComme Xenophilus le Musicien, qui vescut, cent & six
ans d’unevne entiere santé: qQu’aussi d’autantautāt qu’au pis aller, la mort
peut mettre fin, quandquād il nous plaira, & coupper broche à tous
autres inconvenientsinconuenients. Mais quant à la mort, elle est ineui-
table.,
Omnes eodem cogimur, omnium
Versatur vrna, serius ocius
Sors exitura & nos in aeter-
Num exitium impositura, cymbae.

Et par consequent, si elle nous faict peur, c’est unvn subjectsubiect con-
tinuel de tourment, & qui ne se peut aucunement soulager.
Position : Marge droite Il n’est lieu d’oudou
elle ne nous vieigneuieigne
nous pouvonspouuons tourner
ça et la la teste sans
cesse, come en païs
suspet
la teste ça & la
come en païs suspect
quae quasi saxum Tantalo
semper impendet.

Nos parlemens renvoyentrenuoyent souventsouuent executer les criminels au
lieu ou le crime est commis: dDurant le chemin, promenez les
par toutes ldesdes belles maisons de France, faictes leur tant de
bonne chere, qu’il vous plaira.,

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[28v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
non Siculae dapes
Dulcem elaborabunt saporem,
Non auium, cytharaeque cantus
Somnum reducent
.,
PpPensez vous qu’ils s’en puissent resjouirresiouir, & que la finale inten-
tion
intē-
tion
de leur voyage leur estant ordinairementordinairemēt devantdeuant les yeux,
ne leur ait alteré & affadi le goust à toutes ces commoditez?
Audit iter, numerátque dies, spacióque viarum
Metitur vitam, torquetur peste futura
,.
Le but de nostre carriere c’est la mort, c’est l’objectobiect necessaire
de nostre visée: sSi elle nous effraye, comme est il possible d’al-
ler unvn pas avantauant sans fiebvrefiebure? Le remede du vulgaire c’est de
n’y penser pas. Mais de quelle brutale stupidité luy peut venir
unvn si grossier aveuglementaueuglement? Il luy faut faire brider l’asne par
la queuë,
Qui capite ipse suo instituit vestigia retro.
Ce n’est pas de merveillemerueille s’il est si souventsouuent pris au piege. On
faict peur à nos gens, seulementseulemēt de nommer la mort, & la plus-
part s’en seignent comme du nom du diable. Et par-ce qu’ils
s’en faict mention aux testamens, ne vous attendez pas qu’ils
y mettent la main, que le medecin ne leur ait donné l’extreme
sentence.: EetEt Dieu sçait lors entre la douleur & la frayeur de
quel bon jugementiugement ils vous le patissent. Parce que cette sylla-
be frappoit trop rudementrudemēt leurs oreilles, & que cette voix leur
sembloit malencontreuse, les Romains avoyentauoyent apris de l’a-
mollir ou de l’estendre en perifrazes.: AaAu lieu de dire il est
mort, il à cessé de vivreviure, disent-ils, il à vescu, vixerunt.: PpPourveuPpPourueu
que ce soit vie, soit elle passée, ils sont contensse consolent. Nous en avonsauōs
emprunté, nostre, feu Maistre-JehanIehan. A l’adventureaduēture est-ce, que
comme on dict, le terme vaut l’argent. JeIe nasquis entre unzevnze
heures & midi le dernier jouriour de FebvrierFeburier, mil cinq cens trentetrēte
trois:, comme nous contons à cette heure, commençant Position : Interligne haute l’an en
JanvierIanuier.

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LIVRE PREMIER. 29
JanvierIanuier. Il n’y à justementiustement que quinze joursiours que ji’ay franchi
39. ans, il m’en faut pour le moins encore autant.: CcCependant
s’empescher du pensement de chose si esloignée, ce seroit fo-
lie. Mais quoy, les jeunesieunes & les vieux,
Position : Marge droite sortent delaissent la vieuie
ende mesme condition
nemo non ita exit e
uita tanquam modo
intrauerit.
Et
: nNul
n’en sort autremant
que come si tout
presantemant il y
entroit. Et JointIoint
qu’il
y pensentpēsent aussi peu les unsvns
que les autres.: Eet
n’est homme si décrepite tant qu’il voit Ma-
thusalem
Ma-
thusalē
devantdeuant, qui ne pense avoirauoir encore unvnvintuint ans dansdās le corps.
D’avantageauantage, pauvrepauure fol que tu es, qui t’a estably les termes de
ta vie? Tu te fondes sur les contes des Medecins. Regarde plu-
stost l’effect & l’experience. Par le commun train des choses,
tu vis desjadesia pieça par faveurfaueur extraordinaire. Tu as passé les ter-
mes accoustumez de vivreviure: &Et qu’il soit ainsi, conte de tes co-
gnoissans, combien il en est mort avantauant ton aage, plus qu’il
n’en y à qui l’ayentayēt atteint: &Et de ceux mesme qui ont annobli
leur vie par renommée, fais en registre, & ji’entreray en gageu-
re d’en trouvertrouuer plus, qui sont morts, avantauant, qu’apres trentetrēte cinq
ans. Il est plein de raison, & de pieté, de prendre exemple de
l’humanité mesme de JesusIesus-Christ,. or il finit sa vie à trente &
trois ans. Le plus grand homme, simplement homme, Alexan-
dre
Alexā-
dre
, mourut aussi à ce terme. Combien a la mort de façons
de surprise?
Quid quisque, vitet, nunquam homini satis
Cautum est in horas.

JeIe laisse à part les fiebvresfiebures & les pleuresies. Qui eut jamaisiamais pensépēsé
qu’unvn Duc de Bretaigne deut estre estouffé de la presse, com-
me fut celuy là à l’entrée du Pape Clement mon voisin, à LyonLyō?
N’as tu pas veu tuer unvn de nos roys en se jouantiouant: &Et unvn de ses
ancestres mourut il pas choqué par unvn pourceau. AEschilus
menassé de la cheute d’unevne maison, à beau se tenir à l’airrte, le
voyla assommé d’unvn toict de tortue, qui eschappa des pates
d’unvn’Aigle en l’air: lL’autre mourut d’unvn grein de raisin: uUnvVn
Empereur de l’esgrafigneure d’unvn peigne en se testonnanttestōnant: AE-
milius Lepidus pour avoirauoir hurté du pied contrecōtre le seuil de son
H

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[29v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
huis: &Et Aufidius pour avoirauoir choqué en entrant contrecōtre la porte
de la chambre du conseil. Et entre les cuisses des femmes Cor-
nelius Gallus preteur, Tigillinus Capitaine du guet à Rome,
LudovicLudouic fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe. Et
d’unvn encore pire exemple, Speusippus Philosophe PlatonicienPlatoniciē,
& l’unvn de nos Papes. lLe pauvrepauure Bebius, JjugeIiuge, cependant
qu’il donne delay de huictaine à unevne partie, le voyla saisi, le
sien de vivreviure estant expiré: &Et Caius JuliusIulius medecin gressant
les yeux d’unvn patient, voyla la mort qui clost les siens. Et s’il
m’y faut mesler: unvn mien frere le Capitaine S. Martin, aagé de
vint & trois ans, qui avoitauoit desjadesia faict assez bonne preuvepreuue de
sa valeur, jouantiouant à la paume receut unvn coup d’esteuf qui l’asse-
na unvn peu au dessus de l’oreille droite, sans aucune apparence
de contusioncōtusiō, ny de blessure: iIl ne s’en assit, ny reposa:, mais cinq
ou six heures apres il mourut d’unevne Apoplexie que ce coup
luy causa. Ces exemplesexēples si frequens & si ordinaires nous passant
devantdeuant les yeux, comme est-il possible qu’on se puisse deffaire
du pensementpensemēt de la mort, & qu’à chaque instantinstāt il ne nous sem-
ble qu’elle nous tient au collet? Qu’import’il, me direz vous,
commentcōmēt que ce soit, pourveupourueu qu’on ne s’en donnedōne point de pei-
ne? JeIe suis de cet advisaduis, & en quelque maniere qu’on se puisse
mettre à l’abri des coups fut ce soubs la peau d’unvn veau, jeie ne
suis pas home qui y reculasse: cCar il me suffit de passer à mon
aise,: & le meilleur jeuieu que jeie me puisse donner jeie le prens, si
peu glorieux au reste & exemplaire que vous voudrez.,
praetulerim delirus inérsque videri,
Dum mea delectent mala me, vel denique fallant,
Quam sapere & ringi.

Mais c’est folie d’y penser arriverarriuer par là. Ils vont, ils vien-
nent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouvellesnouuelles. Tout
cela est beau: mMais aussi quand elle arrivearriue, ou à eux, ou à
leurs femmes, enfansenfās & amis, les surprenant à l’improveuimproueuen dessoude & au

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LIVRE PREMIER. 30
decouvertdecouuert, quels tourmens?, quels cris?, quelle rage?, & quel de-
sespoir les acable? Vites vous jamaisiamais rien si rabaissé, si changéchāgé, si
confus? Il y faut prouvoirprouuoir de meilleur heure: &Et cette noncha-
lance
nōcha-
lance
bestiale, quandquād elle pourroit loger en la teste d’unvn hommehōme
d’entendement, ce que jeie trouvetrouue entieremententieremēt impossible, nous
vendvēd trop cher ses denréesdērées. Si c’estoit ennemy qui se peut evitereuiter,
jeie conseillerois d’emprunter les armes de la coüardise: mMais
puis qu’il ne se peut, puis qu’il vous attrape fuyant & poltron
aussi bien qu’honeste homme.,
Nempe & fugacem persequitur virum,
Nec parcit imbellis iuuentae
Poplitibus, timidóque tergo,

Et que nulle trampe de cuirasse vous couvrecouure.,
Ille licet ferro cautus se condat aere,
Mors tamen inclusum protrahet inde caput
.,
Aaprenons à le soutenir de pied ferme, & à le combattrecōbattre:. &Et pour
commencercōmencer à luy oster son plus grand advantageaduantage contre nous,
prenonsprenōs voye toute contraire à la communecōmune., Oostons luy l’estran-
geté
estrā-
geté
, pratiquons le, accoustumons le, nN’ayons rienriē si souventsouuēt en
la teste que la mort: àA tous instansinstās representons là à nostre ima-
gination
ima-
ginatiō
& en tous visages: aAu broncherbrōcher d’unvn chevalcheual, à la cheute
d’unevne tuille, à la moindre piqueure d’espleingue, remaçhonsremachons
soudain,. &Et bien quandquād ce seroit la mort mesme? & là dessus, roi
dissons nous, & efforçonsefforçōs nous. Parmy les festes & la joyeioye, ayonsayōs
tousjourstousiours ce refrein de la souvenancesouuenāce de nostre conditioncōdition, & ne
nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que par fois il ne
nous repasse en la memoire, en combiencōbien de sortes cette nostre
allegresse, est en bute à la mort, & de combiencōbien de prinses elle la
menasse. Ainsi faisoyent les Egyptiens, qui au milieu de leurs
festins, & parmy leur meilleure chere, faisoient aporter l’Ana-
tomie seche d’unvn corps d’homme mort, pour servirseruir d’adver-
tissement
aduer-
tissement
aux conviezconuiez.
H ij

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[30v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Omnem crede diem tibi diluxisse supremum.
Grata superueniet, quae non sperabitur hora.

Il est incertain ou la mort nous attende, attendonsattendōs là par tout.
La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté.
Qui a apris à mourir, il à desapris à servirseruir. Le sçavoirsçauoir mourir,
nous afranchit de toute subjectionsubiection & contrainte.
Position : Marge gauche Il n’y a rien de mal en
la vieuie pour celuy qui a
bien comprins que la privationpriuation
de la vieuie n’est pas mal.
Paulus AE-
milius responditrespōdit à celuy, que ce miserable Roy de Macedoine
son prisonnier luy envoyoitenuoyoit, pour le prier de ne le mener pas
en son triomphetriōphe,. qQu’il en face la requeste à soy mesme. A la ve-
rité en toutes choses si nature ne preste unvn peu, il est mal-aisé
que l’art & l’industrie aillent guiere avantauāt. JeIe suis de moy-mes-
me non melancholiquemelācholique, mais songecreux: iIl n’est rien dequoy
jeie me soye des tousjourstousiours plus entretenu que des imaginationsimaginatiōs
de la mort,. vVoire en la saison la plus licentieuse de mon aage.,
Iucundum cum aetas florida ver ageret.,
PpParmy les dames & les jeuxieux, tel me pensoitpēsoit empesché à digerer
à par moy quelque jalousieialousie, ou l’incertitude de quelque espe-
rance, cependantcepēdant que jeie m’entretenois de jeie ne sçay qui surpris
les joursiours precedensprecedēs d’unevne fievrefieure chaude & de la mortsa fin, au partir
d’unevne feste pareille, & la teste pleine d’oisivetéoisiueté, d’amour & de
bon temps, commecōme moy, & qu’autant m’en pendoit à l’oreille.:
Iam fuerit, nec post vnquam reuocare licebit.
JeIe ne ridois non plus le front de ce pensement là, que d’unvn au-
tre. Il est impossible que d’arrivéearriuée nous ne sentionssentiōs des piqueu-
res de telles imaginations: mMais en les maniant & pratiquantrepassant,
au long aller, on les aprivoiseapriuoise sans doubte: aAutrement de ma
part jeie fusse en continuelle frayeur & frenesie: cCar jamaisiamais hom-
me
hō-
ne se défia tanttāt de sa vie, jamaisiamais hommehōme ne feit moins d’estat
de sa durée. Ny la santé, que ji’ay jouyiouy jusquesiusques à present tresvi-
goureuse
tresui-
goureuse
& peu souventsouuēt interrompueinterrōpue, ne m’en alongealōge l’esperanceesperāce,
ny les maladies ne me l’acourcissent. A chaque minute il me
semble que jeie m’eschape.
Position : Marge gauche Et me rechante
tousjourstousiourssans cesse: tTout ce
qui peut estre faict
unevne[sic] autre foisjouriour le peut estre aujourd’huiauiourd’hui.
De vray les hazards & dangiersdāgiers nous

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 31
approchentapprochēt peu ou rienriē de nostre fin: &Et si nous pensons, combiencōbien
il Position : Interligne haute en reste, sans cet accident qui semble nous menasser le plus,
de millions d’autres sur nos testes, nous trouveronstrouuerons que gail-
lars, & fievreusfieureus, en la mer & en nos maisons, en la battaille &
en repos, elle nous est égallement pres.
Position : Marge droite Nemo altero
fragilior est: nemo
in crastinum sui
certior.
Ce que ji’ay affaire avantauāt
mourir, pour l’acheveracheuer tout loisir me semble court, fut ce
d’unvn’heure. QuelcunQuelcū feuilletant l’autre jouriour mes tablettes, trou-
va
trou-
ua
unvn memoire de quelque chose, que jeie vouloy estre faite a-
pres ma mort: jJeiIe luy dy, comme il estoit vray, que n’estantestāt qu’à
unevne lieuë de ma maison & sain & gaillard, ie m’estoy hasté de
l’escrire là, pour ne m’asseurer point d’arriuer iusques chez
moy.
Position : Marge droite Come celluy qui continu=
ellemant me couvecouue de mes
pensees et les couche en moy
JeIe ne suis a tout’heure
preparé environenuiron ce que jeie
le puis estre. Et ne
m’advertieraaduertiera de rien de
nouveaunouueau s la survenancesuruenance
de la mort.
Il faut estre tousiours boté & prest à partir, en tanttāt qu’en
nous est,: &Et sur tout se garder qu’on n’aye lors affaire qu’a soy.:
Quid breui fortes iaculamur aeuo
Multa?

Car nous y aurons assez de besongne, sans autre surcroist. L’unvn
se pleint plus que de la mort, dequoy elle luy rompt le train
d’unevne belle victoire,: lL’autre qu’il luy faut desloger avantauant qu’a-
voir
a-
uoir
marié sa fille, ou contrerolé l’institution de ses enfans:
lLunvn pleint la compagnie de sa femme, l’autre de son fils, com-
me commoditez principales de son estre.:
Position : Marge droite JeIe suis pour cette
heure dieu merci en tel estat
dieu mercy que jeie puis desloger quand
il luy plairra sans regret
de chose quelconque: si ce n’est
de la vieuie, si sa perte vientuient à
me poiser. JeIe me suis
desnoué partout: mes
adieus sont Position : Interligne haute a demi prins de
tout le mondechacun, sauf de moy
JamaisIamais home ne se prepara à
quitter le monde plus
purement et pleinement
et ne s’en desprint plus
universellementuniuersellement que jeie
ji’esperem’atansatās de faire.

miser ô miser aiunt, omnia ademit
Vna dies infesta mihi tot proemia vitae.

&Et le bastisseur,
manent (dict-il) opera interrupta, minaeque [Commentaire (Montaigne) : plus en ça]
Murorum ingentes.

jeie m’estoy hasté de
l’escrire là, pour ne m’asseurer point d’arriverarriuer jusquesiusques chez
moy. Il faut estre tousjourstousiours boté & pre
Il ne faut rien desseigner de si longue haleine, ou au moins a-
vec
a-
uec
telle intention de se passionner pour Position : Interligne haute n’en voir la fin. Nous
sommes nés pour agir: & jeie suis d’advisaduis que non seulementseulemēt unvn
Empereur, comme disoit Vespasien, mais que tout gallant
homme doit mourir debout
.,
Cum moriar, medium soluar & inter opus.
H iij

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[31v]
ESSAIS DE. M. DE MONTA.
JeIe veux qu’on agisse
Position : Marge gauche et qu’on alonge les
offices de la vieuie tant
qu’on peut: et
sans cesse, que la mort me treuvetreuue plantant
mes chous,: mais nonchalant d’elle, & encore plus de mon jar-
din
iar-
din
imparfait. JI’en vis mourir unvn, qui estant à l’extremité, se
pleignoit incessamment, de quoy sa destinée coupoit le fil de
l’histoire qu’il avoitauoit en main, sur le quinziesme ou seiziesme
de nos Roys.
Illud in his rebus non addunt, nec tibi carum
Iam desiderium rerum super insidet unavna.

Il faut se descharger de ces humeurs vulgaires & nuisibles.
Tout ainsi qu’on à planté nos cimetieres joignantioignant les Eglises,
& aux lieux les plus frequentez de la ville, pour accoustumer,
disoit Lycurgus, le bas populaire, les femmes & les enfans à
ne s’effaroucher point de voir unvn hommehōme mort: &Et affin que ce
continuel spectacle d’ossemens, de tombeaus, & de convoisconuois
nous advertisseaduertisse de nostre condition.:
Quin etiam exhilarare viris conuiuia caede
Mos olim, & miscere epulis spectacula dira
CertaantumCertaātum ferro, saepe & super ipsa cadentum
Pocula respersis non parco, sanguine mensis.

Position : Marge gauche Et comes les AEgiptiens
apres leurs festins faisoint
presanter aus assistans une
grand’image de la mort par
unvn qui leur crioit Boy et
t’esjouyesiouy car mort tu seras tel.

Aussi ay-jeie pris en coustume, d’avoirauoir non seulement en l’ima-
gination, mais continuellement la mort en la bouche.: EeEt n’est
rien dequoy jeie m’informe si volontiers, que de la mort des
hommes,: quelle parole, quel visage, quelle contenance ils y
ont eu: ny endroit des histoires, que jeie remarque si attantifve-
ment
attantifue-
ment
.
Position : Marge gauche Il y paret a la
farcissure de mes
examples,: queet que ji’ay en
particuliere affection
cette mattiere. Et sSi
ji’estoi faisur de livresliures
jeie fairoi un registre
commanté, des belles
mors diversesdiuerses. Qui
appranderoit les homes
à mourir leur apran=
deroit a vivreuiure.
Dicaearchus en fit un
pareil tiltre mais de
differanteautre & moins utile
fin.
On me dira, que l’effect surmonte de si loing l’imagina-
tion, qu’il n’y a si belle escrime, qui ne s’yse perde, quand on en
vient là: lLaissez les dire, le premediter donne sans doubte grandgrād
avantageauantage: &Et puis n’est-ce rien, d’aller au moins jusquesiusques là sans
alteration & sans fiévrefiéure. Il y a plus.: JeIe reconnoy par experien-
ce, que
nNature mesme nous preste la main, & nous donne cou-
rage. Si c’est unevne mort courte & violente, nous n’avonsauons pas
loisir de la craindre: sSi elle est autre, jeie m’apperçois qu’à mesu-

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LIVRE PREMIER. 32
re que jeie m’engage dans ses avennuesauennues, & dans la maladie, ji’entre
naturellement & de moy mesme en quelque desdein de la vie.
JeIe trouvetrouue que ji’ay bien plus affaire à digerer cette resolution
de mourir, quand jeie suis en vigueur & en pleine santé, que jeie
n’ay, quand jeie suis maladeen fievrefieure: dD’autant que jeie ne tiens plus si fort
aux commoditez de la vie, à raison que jeie commancecommāce à en per-
dre l’usagevsage & le plaisir, ji’en voy la mort d’unevne veuë beaucoup
moins effrayée. Cela me fait esperer, que plus jeie m’eslongne-
ray de celle-là, & approcheray de cette-cy plus aisément ji’en-
treray en composition de leur eschange. Tout ainsi que ji’ay
essayé en plusieurs autres occurrences, ce que dit Cesar, que
les choses nous paroissent souventsouuent plus grandes de loing que
de pres, ji’ay trouvétrouué que sain jiavoisauois eu les maladies beaucoup
plus en horreur, que lors que jeie les ay senties: lL’alegresse ou jeie
suis, le plaisir & la force, me font paroistre l’autre estat si dis-
proportionné à celuy-là, que par imagination jeie grossis ces
incommoditez de la moitié, & les conçoy plus poisantes, que
jeie ne les trouvetrouue, quand jeie les ay sur les espaules: jJiI’espere qu’il
m’en adviendraaduiendra ainsi de la mort. Voyons à ces mutations &
declinaisons ordinaires que nous souffrons, comme nature
nous desrobbe le goust de nostre perte & empirement. Que
reste-il à unvn vieillard de la vigueur de sa jeunesseieunesse, & de la vie
passée,
Heu senibus vitae portio quanta manet.
Position : Marge droite Cesar a un soldat
de sa garde vieusuieusrecreu et
casse qui vintuint en la rue
luy demandantāter conge de se
faire mourir: regardant sa
decrepite co son maintien
decrepite luy respondit
plesammant. Tu penses
donq estre en vieuie.

Qui y tomberoit tout à unvn coup, jeie ne crois pas que nous fus-
sions capables de porter unvn tel changement: mMais conduicts
par sa main, d’unevne douce pente & commecōme insensible, peu à peu,
de degré en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, &
nous y apprivoiseappriuoise,. sSi que nous ne sentons en nous aucune
secousse:, quand la jeunesseieunesse meurt Position : Interligne haute en nous,: qui est en essence & en
verité, unevne mort plus fortedure:, que n’est la mort entiere d’unevne
vie languissante, & que n’est la mort de la vieillesse: dD’autant

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[32v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
que le sault n’est pas si lourd du mal estre au non estre, comme
il est d’unvn estre doux & fleurissant, à unvn estre penible & dou-
loureux. Le corps courbe & plié, a moins de force à soustenir
unvn fais, aussi a nostre ame.: Iil la faut dresser & esleveresleuer contre
l’effort de cet adversaireaduersaire. Car comme il est impossible, qu’elle
se mette en repos & à son aise, pendant qu’elle Position : Interligne haute le craint: si elle s’en
asseure aussi, elle se peut venter, qui est chose comme surpas-
sant l’humaine condition, qu’il est impossible que l’inquietu-
de, le tourment, & la peur, non le moindre desplaisir loge chezen
elle.,
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster
Dux inquieti turbidus Adriae,
Nec fulminantis magna Iouis manus.

Elle est renduë maistresse de ses passions & concupiscences,:
maistresse de l’indigence, de la hontehōte, de la pauvretépauureté, & de tou-
tes autres injuresiniures de fortune. Gaignons cet advantageaduantage qui
pourra: cC’est icy la vraye & souverainesouueraine liberté, qui nous don-
ne dequoy faire la figue à la force, & à l’injusticeiniustice, & nous mo-
quer des prisons & des fers.,
in manicis, &
Compedibus, saeuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet: opinor,
Hoc sentit, moriar mors vltima linea rerum est.

Nostre religion n’a point eu de plus asseuré fondement hu-
main, que le mespris de la viemort vieuie. Non seulement le discours de la
raison nous y appelle, cCar pourquoy craindrions nous de per-
dre unevne chose laquelle perduë ne peut estre regrettée: &Et puis
que nous sommes menassez de tant de façons de mort, ne’y a il pas
voyonsvoyōs nous pas, qu’il y a plus de mal à les craindre toutes, qu’à
en soustenir unevne?
Position : Marge gauche Que chaut il qu’elle ellequand ce soit
puis qu’elle est inevitableineuitable: A celuy
qui disoit a Socrates les trante
tyrans t’ont condamne a la
mort: Luy soudeine et nature
a eus respondit il.
qQuelle sottise de
nous peiner sur le
point de lexemp=
ption de toute peine:

du passage a l’examption de toute peine. Peut ce estre incommodite que la mort,
puis qu’elle ne touche rien, qui soit. Que peut offancer la mort, elle ne
touche rien, qui soit. C’est

come nostre naissance nous aporta la naissance de toutes choses aussi faira la mort de toutes choses nostre
mort. Parquoi c’est
toute pareille folie de pleurer de ce que d’icy a cent ans nous
ne vivronsuiurons pas que de pleurer de ce que nous ne vivionsuiuions pas il y a cent ans. L’un temps
n’est non plus nostre que l’autre.
ut initium omnium rerum nobis
rerum omnium artus noster affert sic exitum mors.
La mort est naissanceorigine de un’autre vieuie. Einsi plurames
pleuramesnous: einsi nous couta il d’entrer en cetecy: einsin y despoui nous despouillames
nous de nostre voileuoile entien voileuoile, en y entrant. Rien ne peut estre grief qui n’est qu’une
fois. Est ce raison de creindecreindre si longtemps chose de brief temps si brief temps. Le longtemps vivreuiure
& le peu de temps vivreuiure est randu tout un par la mort. Le mal et le bienCar le long et le court n’apartientn’est point aus choses
qui ne sont plus. Aristote dict qu’il y a des Position : Interligne haute petites bestes sur la riviereriuiere de Hypanis qui ne viventuiuent qu’un jouriour Cele qui meurt a
huit heures Position : Interligne haute du matin elle meurt en junesseiunesse celle qui meurt a cinq heures du soir meurt en sa descrepitude Nous nous moquons de
leur voiruoir met
Qui de nous ne se moque de voiruoir mettre en considerationcōsideration d’heur ou de malheur ce moment de duree: la nostre le plus et
le moins en la nostre, si nous le comparons a l’eterniteleternite, ou encores a la duree des montaignesmōtaignes des rivieresriuieres des estoiles et des
arbres, & mesmes d’aucuns animaux, n’est pas moins ridicule.
mMais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de
ce monde, comme vous y estes entrez. Le mesme passage que
vous

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LIVRE PREMIER. 33
vous fites de la mort à la vie, sans passion & sans frayeur, refai-
tes le de la vie à la mort. Vostre mort est unevne des pieces de
l’ordre de l’universvniuers, cC’est unevne piece de la vie du monde.,
inter se mortales mutua viuunt
Et quasi cursores vitai lampada tradunt.

Changeray-jeie pas pour vous cette belle contexture des cho-
ses? c’C’est la condition de vostre creation, c’est unevne partie de
vous que la mort: vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vo-
stre estre, que vous joüyssezioüyssez, est également party à la mort &
à la vie. Le premier jouriour de vostre naissance vous achemine à
mourir comme à vivreviure.,
Prima, quae vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet
.
Position : Marge droite Tout ce que nous[sic] vivonsesuiuonses, nvousnuous
le desrobonses a la vieuie Position : Interligne haute c’est a ses despans. Le
continuel ouvrageouurage de vostreuostre vieuie
c’est bastir la mort. Vous
estes en la mort pendant
que vousuous estes en vieuie. car
vousuous estes apres la mort quand
vousuous n’estes plus en vieuie. Apres
la vieuie vousuous estes mort mais
vousuous estes mourant pendantdurant la
vieuie.
Ou si vousuous l’Ou si vousuous aimes mieus ainsi
Vous estes mort apres la vieuie mais
pandant la vieuie vousuous estes mourant
et la mort toucheagit bien mieus surenversenuers
le mourant que Position : Interligne haute enversenuers le mort
touche bien plus rudement
contre le mourant que contrecōtre le mort &
plus vivementuiuement et essentiellement.

Si vous avezauez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu,
allez vous en satisfaict.,
Cur non vt plenus vitae conuiua recedis?
Si vous n’en avezauez sçeu uservser, si elle vous estoit inutile, que vous
chault-il de l’avoirauoir perduë, à quoy faire la voulez vous encores?
cur amplius addere quaeris
Rursum quod pereat male, & ingratum occidat omne?

Position : Marge droite La vieuie n’est de soi ny bien
ny mal: c’est la place du bien
et du mal selon que vousuous la
leur faictes.

Et si vous avezauez vescu unvn jouriour, vous avezauez tout veu: uUnvVn jouriour est
égal à tousjourstousiours. Il n’y a point d’autre lumiere, ny d’autre
nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles, cette dispositiondispositiō, c’est
celle mesme, que vos ayeuls ont jouyeiouye, & qui entretiendra vos
arriere-nepveuxnepueux:
Position : Marge droite Non alium videreuidere
patres: aliumue nepotes
Aspicient.
&Et au pis aller la distributiondistributiō & varieté de tous
les actes de ma comedie, se parfournit en unvn an. Si vous avezauez
pris garde au beau branle de mes quatre saisons, elles embras-
sent, l’enfance, l’adolescence, la virilité, & la vieillesse du mon-
de
mō-
de
. Il a joüéioüé son rollejeuieu: iIl n’y sçait autre finesse, que de reco-
mencer, cCe sera tousjourstousiours cela mesme.,
versamur ibidem, atque insumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.

I

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[33v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
JeIe ne suis pas deliberée de vous forger autres nouveauxnouueaux passe-
temps.,
Nam tibi praeterea quod machiner, inueniámque
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.

Faites place aux autres, comme d’autres vous l’ont faite.
Position : Marge gauche L’equalite est la première
piece de l’equitélequité: Qui se
peut pleindre d’estre
comprins ou tous sont comprinscōprins.
Aussi
avezauez vous beau vivreviure, vous n’en rebattrez rien du temps, que
vous avezauez à estre mort: cC’est pour neant,: aAussi long temps se-
rez vous en cet estat là, que vous craignez, commecōme si vous estiez
mort en nourrisse.,
licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors aeterna tamen, nihilominus illa manebit.

Et si vous metteray en tel estat, duquelestatpoinct poinct, auquel vous n’aurez aucunaucū mes-
contentement.,
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stánsque iacentem.

Ny ne desirerez la vie que vous plaingnez tant.,
Nec sibi enim quisquam tum se vitámque requirit
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.

La mort est moins à craindre que rien, s’il y avoitauoit quelque
chose de moins, que rien.,
multo mortem minus ad nos esse putandum
Si minus esse potest quam quod nihil esse videmus.

Position : Marge gauche Pourquoi la creignes
vous, elle n’est jamaisiamais
ou vousuous estes.
Elle
ne vousuous concerne ny mort
ny vifuif. Vif par ce que vousuous
estes: mort parce que vousuous
n’estes plus.

D’avantageauantage nNul ne meurt avantauant son heure,. cCe que vous laissez
de temps, n’estoit non plus vostre, que celuy qui s’est passé a-
vant
a-
uant
vostre naissance: & ne vous touche non plus.,
Respice enim quam nil ad nos ante acta vetustas
Temporis aeterni fuerit.

Où que vostre vie finisse, elle y est toute.
Position : Marge gauche L’utilitèLutilitè du vivreuiure
n’est pas en l’espace, ell’
est en l’usage: tel a
vescu long temps qui a
peu vescuuescu: attandez vousuous
y pandant que vousuous y estes.
Il gist en vostreuostre volonteuolonte
nons au nombre des ans,
que vousuous aies asses vescuuescu.
Pensiez vous jamaisiamais
n’arriverarriuer là, ou vous alliez sans cesse. Position : Interligne haute : encore n’y a il chemin qui n’aye son issue. Et si la compagnie vous
peut soulager: le mondemōde ne va-il pas mesme train que vous allez?
omnia te vita perfuncta sequentur.

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LIVRE PREMIER. 34
Tout ne branle-il pas vostre branle? y a-il rienchose qui ne vieillisse
quant & vous? mille hommes, mille animaux & mille autres
creatures meurent en cette mesme heureinstant, que vous mourez.:
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quae non audierit mistos vagitibus aegris
Ploratus mortis comites & funeris atri.

Position : Marge droite A quoi faire vousuousy
reculez vousuous si vousuous
ne pouvespouues tirer
arriere. Vous en avezauez
asses veuueu qui se
sont bien trouveztrouuez
de mourir eschevantescheuāt
par la des grandes
miseres. Mais
quelcun qui s’en soit
mal trouvètrouuè en avezauez
vousuous veuueu? Si est ce
grand simplesse de
condamner chose
que vousuous n’avesaues
esprouveeesprouuee ny par
vousuous ny par autre.
Pourquoi te pleins
tu de moi: te fais jeie
tort et de la destinée
te fesons nous tort.
Est ce a toi de nous
gouvernergouuerner ou nous a toy?
Encore que ton eage
ne soit pas achetaveachetaue ta vieuie
l’est. Come uUnuVn petit
home est home par entierētier
come un grand: aussi est la
vieuie
Que jeie te done
une vieuie perdurable
elle te sera bien moins
supportable que n’est
la mort veuueu ta condition

Et la vieuie pour estre plus
longue n’en vautuaut pas mieus
non plus qu’une pantoufle

ny les homes ny leurs viesuies
ne se mesurent a l’aunelaune. Chiron
refusa l’immortalitè informé des la conditions d’icelle par le Dieu mesmes du temps et
de la duree,: Saturne son pere. Imagines de la condition que vousuouscombien
estes combien vousuousde vraiurai combien a l’home seroit une vieuie perdurable moins supportable Position : Interligne haute a l’home & plus penible que n’est
la mortvieuie que jeie luy ai donee Si vousuous ne l’aviesauies pas la mort vousuous me maudiries sans cesse de vousuous en avoirauoir privépriuè.
JI’y ay a esciant meslè quelque peu d’amertume pour vousuous empescher voiantuoiant la commoditécōmodité
de son usage de l’embrasser trop avidemantauidemant et indiscretemant. Pour vousuous loger en cette
moderation ny de fuir la vieuie ny de refuir a la mort que jeie demande de vousuous ji’ay tempere
l’une et l’autrelautre entre la douceur et l’aigrur
Position : Interligne basse Thales JI’aprins a Thales le premier de voussuouss sages que le vivreuiure et le mourir estoit indifferant a l’home par
ou a celuy qui luy demanda pourquoi donq il ne mouroit il respondit tressagement: par ce qu’il est indifferant.
L’eauLeau la terre l’airlair le feu & autres mambresmābres
de ce mien bastimantbastimāt ne sont non plus instrumansinstrumās de ta vieuie qu’instrumansinstrumās
de ta mort. Pourquoi creins tu ton dernier jouriour il ne confere non plus a
ta mort que l’un chacun des autres. Le dernier pas ne faict pas la lassitude
il la declare. Tous ples joursiours vontuont a la mort le dernier y arrivearriue.

Voila les bons advertissemensaduertissemens de nostre mere nature. Or ji’ay
pensépēsé souventsouuent d’où venoit cela, qu’aux guerres le visage de la
mort, soit que nous la voyonsvoyōs en nous ou en autruy, nous sem-
ble sans comparaisoncōparaison moins effroyable qu’enē nos maisons: autre
ment ce seroit unvn’armée de medecins & de pleurars: &Et elle e-
stant
e-
stāt
tousjourstousiours unevne, qu’il y ait toutes-fois beaucoup plus d’as-
seurance parmy les gens de village & de basse condition qu’és
autres. JeIe croy à la verité que ce sont ces mines & appareils ef-
froyables, dequoy nous l’entournons, qui nous font plus de
peur qu’elle: uUnevVne toute nouvellenouuelle forme de vivreviure: les cris des
meres, des femmes, & des enfans: la visitation de personnes e-
stonnees, & transies: l’assistance d’unvn nombrenōbre de valets pasles &
éplorés: unevne chambre sans jouriour: des cierges allumez: nostre
chevetcheuet assiegé de medecins & de prescheurs: somme tout hor-
reur & tout effroy autour de nous. Nous voyla des-jaia enseue-
lis & enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mesmes quandquād
ils les voyent masquez, aussi avonsauōs nous. Il faut oster le masque
aussi bienbiē des choses, que des personnes.: OoOsté qu’il sera, nous ne
trouveronstrouuerōs au dessoubs, que cette mesme mort, qu’unvn valet ou
simple chambriere passerent dernierementdernieremēt sans peur. Heureu-
se la mort & heureuse trois fois, qui oste le loisir aux apprests
de tel equipage.
I ij


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[34v] ESSAIS DE M. DE MONTA.


De la force de l’imagination. CHAP. XXI.


FOrtis imaginatio generat casum, disent les clercs.
disent les clercs. JeIe suis de ceux, qui sentent tres-grandgrād
effort de l’imagination,. cChacun en est feruhurtè, mais au-
cuns en sont transformeztrāsformezrenversezrenuersez.
Position : Marge gauche Son impression me perse.
Et mon art est de luy eschaper
non pas de lauy combattreresister. JeIe
vivroisviurois et guerirois dede la sule
assistance de persones saines
et gayes. Les a La veueueue des
angoisses d’autruy m’engoissent
et a souvantsouuantmateriellementmateriellemēt et a mon sentimantsentimāt a
souvantsouuant usurpe les maus du
sentimantsentimāt d’autruyun tiers un tousseur
continuel me pinse leirrite mon poulmon et mon gosier
JeIe visiteuisite plus mal volontiersuolontiers
les malades ausquels le devoirdeuoir
m’interesse que ceus aus quels
jeie m’attans moins et que ie considerecōsidere moins
JeIe sesis le mal en l’estudiant que
ji’estudie & le couche suren moy
JeIe ne treuvetreuue pas estrange
qu’elle done et les fievresfieures &
la mort a ceus qui la laissent
faire et qui luy applaudissentapplaudissēt
SimonSimō Thomas estoit un grand
medecin de monson temps Il me
souvientsouuient que me rencontrantrencōtrant
un jouriour ches un riche vieillarduieillart
pulmonique et traictant aveqaueq
luy des moiens de sa guerison
il luy dict que c’en estoit l’unlun
de me doner occasion de me plaire
en sa compaigniecōpaignie & que fichant ses
yeus sur la freschur de mon
visage et sa pensee etsur cette
gaye allegresse & vigeuruigeur qui
regorgeoit de mon adolescence et remplis=
sant tous ses sens de cet estat
flurissant en quoi ji’estois son
habitude s’en pourroit amander
Mais il oblioit a dire que la
miene s’en pourroit empirer aussi
Gallus Vibius bandabāda si bien son ame,
& la tendy, à comprendre & imaginer l’essence & les mouve-
mens
mouue-
mens
de la folie, qu’il emporta son jugementiugement mesme hors de
son siege, si qu’onques puis il ne Position : Interligne haute l’y peut remettre: &Et se pou-
voit
pou-
uoit
vanter d’estre devenudeuenu fol par discourssagesse. Il y en a, qui de
frayeur anticipent la main du bourreau,. &Et celuy qu’on deban-
doit
debā-
doit
pour luy lire sa grace, se trouvatrouua roide mort sur l’eschafaut
du seul coup de son imagination. Nous tressuons, nous trem-
blons, nous pallissons, & rougissons aux secousses de nos ima-
ginations, &Et renversezrenuersez dans la plume sentons nostre corps
agité à leur bransle, quelques-fois jusquesiusques à la morten expirer. Et la jeu-
nesse
ieu-
nesse
bouillante s’eschauffe si avantauant en son harnois tout’en-
dormie, qu’elle assouvitassouuit en songe ses amoureux desirs.,
Vt quasi transactis saepe omnibus rebus profundant
Fluminis ingentes fluctus, vestémque cruentent.

Et encore qu’il ne soit pas nouveaunouueau de voir croistre la nuict
des cornes à tel, qui ne les avoitauoit pas en se couchant: toutesfois
l’evenementeuenement de Cyppus Roy d’Italie est memorable,. lLequel
pour avoirauoir assisté le jouriour avecauec grande affectionaffectiō au combat des
taureaux, & avoirauoir eu en songe toute la nuict des cornes en la
teste, les produisit en son frontfrōt par la force de l’imaginationimaginatiō. La
passionpassiō donnadōna au fils de Croesus la voix, que nature luy avoitauoit re-
fusée. Et Antigonusochus print la fievrefieure de la beauté de Stratonicé
trop vivementviuemēt empreinte en son ame. Pline dict avoirauoir veu Lu-
cius Cossitius, de femme changéchāgé en hommehōme le jouriour de ses nopces.
Pontanus & d’autres, racontent pareilles metamorphoses ad-
venuës
ad-
uenuës
en Italie ces siecles passez: & par vehement desir de luy
& de sa mere.,

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 35
Vota puer soluit, quae foemina vouerat Iphis.
Passant à Victry le Françoys, jeie peuz voir unvn homme que l’E-
vesque
E-
uesque
de Soissons avoitauoit nommé Germain, en confirmation,
lequel tous les habitans de là ont cogneu, & veu fille, jusquesiusques
à l’aage de vingt deux ans, nommée Marie. Il estestoit à cett’heure la
fort barbu, & vieil, & ne s’est point marié. Faisant, dict-
il, quelque effort en sautant, ses membres virils se produi-
sirent,: & est encore en usagevsage entre les filles de là, unevne
chanson, par laquelle elles s’entraduertissent de ne faire
point de grandes enjambeeseniambees, de peur de devenirdeuenir garçons, com-
me
cō-
me
Marie Germain. Ce n’est pas tant de merveillesmerueilles, sique cette
sorte d’accident se rencontre frequent: cCar si l’imagination
peut en telles choses, elle est si continuellement & si vigou-
reusement exercée enatachee a ce subjectsubiect, que pour n’avoirauoir si souventsouuent
à rechoir en mesme pensée & aspreté de desir, elle a meilleur
compte d’attacher & incorporer, unevne fois pour toutes, cette
virile partie aux filles. Les unsvns attribuent à la force de l’imagi-
nation, les cicatrices du Roy Dagobert & de Sainct François.
On dict que les corps s’en-enleventenleuent telle fois de leur place. Et
Celsus recite d’unvn Prebstre, qui ravissoitrauissoit son ame en telle ex-
tase, que le corps en demeuroit longue espace sans respirationrespiratiō
& sans sentiment.
Position : Marge droite Sainct Augustin en nome
un autre a qui il ne faloit
que faire ouir des cris lamen=
tables & pleintifs soudein il
defailloit et s’emportoit si
vifvementuifuement hors de soi qu’on
avoitauoit le tempester et le
hurler beau le tempester
et hurler et le pincer et le
griller jusquesiusques a ce qu’il fut
resuscitè: lors il disoit avoirauoir
ouï des voixuoix, mais come venantuenant
de louin: et s’apercevoitaperceuoit de ses
eschaudures & murtrissures.
Et que ce ne fut une
obstination apostee
contre son sentimant, cela le
montroit qu’il n’avoitauoit
cepandant ny pous ny haleine.
Il est vray semblable, que le principal cre-
dit des miracles, des visions, des enchantemens, & de tels ef-
fects extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination,
agissant principalement contre les ames du vulgaire, ou il y
a moins de resistanceplus molles[Note (Alain Legros) : Cette addition interligne est antérieure à l’addition marginale comme l’indique l’enclave tracée par Montaigne.].: OoOn leur a si fort saisi la creance, qu’ils
pensent voir ce qu’ils ne voyent pas. JeIe suis encore de cette o-
pinion
o-
piniō
, que ces plaisantes liaisons des mariages, dequoy lenostre mon-
de
mō-
de
se voit si pleinentravéentraué, qu’il ne se parle d’autre chose, ce sont Position : Interligne haute volontiersuolontiers des
impressions de l’apprehension & de la crainte. Car jeie sçay par
experience, que tel de qui jeie puis respondre, comme de moy
mesme, en qui il ne pouvoitpouuoit eschoir soupçon Position : Interligne haute aucune de foiblesse,
I iij

Fac-similé BVH

[35v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& aussi peu d’enchantement, ayant ouy faire unvnle conte à unvn siensiē
compagnon, d’unevne defaillancedefaillāce extraordinaire, en quoy il estoit
tombé sur le point, qu’il en avoitauoit le moins de besoin, se trou-
vant
trou-
uant
en pareille occasion,: l’horreur de ce conte luy vintuint Position : Interligne haute a coup si ru-
dement frapper l’imagination, qu’il en encourut unevne fortune
pareille.
Position : Marge gaucheeEt de la en hors
fut subjetsubiet a y
rechoir,: ce vilainuilain
souvenirsouuenir tirannisant
son ame de son
inconveniantinconueniant le
gourmandant et
transissant tiran=
nisant. Il trouvatrouua
quelque remede a cette
resverieresuerie par un’autre
resverieresuerie,. c’C’est que
advouantaduouant luymesmes
et preschant avantauant la
main cette siene sub=
jection
sub=
iection
, la contantion
de son ame se solageoit
sur ce qu’aportant ce
mal come atandu son
obligation en amoin=
drissoit et luy en poi=
soit moins. Quand il
a eu loi, a son chois,
sa pensee desbrouillee
et desbandee, son cors
se trouvanttrouuant en son deu,
de le faire lors pre=
mierement Position : Interligne haute tenter sesir et
surprendre a la
cognoissance d’autruy:
il s’est pour jamaisiamais
gueri tout nettout net a
l’endroit de ce subjetsubiet.
A qui on a este une
fois capable on n’est
plus incapable come on
ne devientdeuient guere capable
enversenuers qui on a este premi=
eremant incapable.
si non que par
justeiuste foiblesse
CelaCe malheur n’est à craindre qu’aux entreprinses, où nostre
ame se trouvetrouue outre mesure tandue de desir & de respect, &
notamment ounomeement si notemment si les commoditez se rencontrent improueues
& pressantes.: A qui a assez de loisir pourOn n’a pas moien de se ravoirrauoir & remettredesrober
de ce trouble,. mon conseilcōseil est qu’il divertissediuertisse ailleurs son pen-
sement
pen-
semēt
, s’il peut, carmais il est difficile, & qu’il se desrobe de cette ar-
deur & contentioncōtention de son imaginationimaginatiō.
JI’en sçay, à qui il à servyseruy
d’y apporter le corps mesme, Position : Interligne haute comancè a ressasier amolly & affoibly d’ailleurs.
Position : Marge droite , et a demi ressasié, pour endormir Position : Interligne haute un peu l’ardurlardur de cette
fureur imaginaire: et en qui l’affoyblissemant de l’eage a
utillememant ouvréouuré despuis.
et qui par l’eageleage se treuvetreuue moins impuissant de ce qu’il est
moins puissant.
Et tel autre
à celuy qui sera en alarme des liaisons, qu’on luy persuade
hors de là, qu’on luy fournira des contre-enchantemensenchantemēs d’unvn
effect merveilleuxmerueilleux & certain

tel a qui il a serviserui aussi que unquelqu’amy l’aye assure d’estre fourni d’une
contrebaterie d’enchantemens certeins a le preserverpreseruer. Il vautuaut mieus que
jeie die comant ce fut
. [Note (Alain Legros) : Cette addition continue sur le folio 36, d’abord dans la marge du bas, puis dans la marge du haut.]
Position : Marge basse (f.36r) Un compte de bonUn compte de fort bontresbon
lieu de qui ji’estois
fort privépriué se mariant aveqaueq une belle dame qui avoitauoit este poursuiviepoursuiuie de tel qui assistoit a la feste mettoit en grand peine ses amis et nomeement
une vieilleuieille dame sa parante qui presidoit a ces nopces maistresse de la maison ou ell et les faisoit ches elle creintifvecreintifue de ces sorcelleries: Ce
qu’elle fme fit entandre. EtJeIe la priai s’en reposer sur moi. JIavoisauois de fortune en mes coffres certeine petite piece d’or plate ou estoint graveesgrauees quelques
figures celestes pour endormir la pointe du soleil et chassercontre et pour le coup du soleil et oster la dolur de teste: la logeant propremant sur la coupure,a point sur la cousture du test: et pour l’y tenir, elle estoit cousue a un
ruban propre a ratacher sous le manton. ResverieResuerie germeine a celle de quoi nous parlons. JaquesIaques Peletier m’avoitauoit faict ce presant singulier: JIadvisaiaduisai d’en
tirer quelque usage. Et dicts au courrecompte qu’il pourroit courre fortune come les autres: ety avoitauoitaiant la des homes pour luy en vouloiruouloir prester d’une. Mais que
hardimant il s’allat coucher. Que jeie luy fairois un tour d’ami: et n’espargnerois a son besouin un miracle qui estoit en ma puissance, pour veu que sur son
honeur il me promit de le tenir tresfidelemant secret. Sulemant, come sur la nuit on iroit luy porter le resveillonresueillon Position : Interligne haute il me fit un signe s’il luy estoit mal allé il me fit un tel
signe. Il avoitauoit eu l’ame et les oreilles si battues, qu’il se trouvatrouua entravéentrauèlié du trouble de son imagination Position : Interligne haute et me fit son signe. JeIe luy dis Position : Interligne haute lors qu’il se levatleuat sous colur de nous chasser et
print en se jouantiouant la robe de nuit que j’avoisiauois sur moiy: nous estions de taille fort voisineuoisine: et s’en vestituestit: tant qu’il aroit executé mon ordonance. Qui fut sulement
Quand nous serions sortis qu’il se retirat a tumbertūber de l’eauleau Se mit en devotiondeuotion. Dict trois fois telles oraisons et fit tels signesmouvemensmouuemens. Qu’a chacune de ces trois fois
il ceignit le ruban que jeie luy mettois en mein et couchat bien souigneusemant la medale qui y estoit atachee sur ses rouignons: la figure en telle posture.
Cela faict, ayant bienbiē estreint ce ruban pour qu’il ne se peut ny desnouer ny mouvoirmouuoir de sa place que en toute assurance il s’en retournat a son pris faict &
n’obliat de rejeterreieter ma robe sur son lict en maniere qu’elle les abriat tous deus. Ces singeries sont le principal de l’effaict. Nostre pansee ne se pouvantpouuant
demesler que mouvemantmouuemantmoyens si estranges ne vienentuienent de quelqu’abstruse sciance. Leur inanite leur done pois & autho reverancereuerance. Somme, il fut certein
que mes caracteres se trouvarenttrouuarēt plus Veneriens que Soleres: plus en action qu’en defance prohibition. Ce fut un[sic] humeur prompte et
curieuse qui me conviaconuia a tel effaict treseslouigne de ma naturelle condition. JeIe suis enemi des actions subtiles & couvertescouuertes trompeusesfeintes
et hay la finesse en mes mains non seulement recreativerecreatiue mais aussi profitable. [unclear] Si l’action
n’est vicieuse, la routte l’est.
Position : Marge haute Amasis Roy d’AEgypte espousa Laodice tresbelle fille Grecque: & luy, qui se
fmontroit gentil compaignon par tout ailleurs se trouvatrouua court a prendre sa
compaignie jouiriouir d’elle et menaça de la tuer estimant que ce fut quellque sorcerie.
Come es accidans qui co choses qui consistent en fantasie elle le rejetareieta a la
devotiondeuotion et aïant faict ses veusueus et promesses a Venus il se trouvatrouua divinementdiuinement remis
des la premiere nuit d’empres ses oblations et sacrifices.
Mais il faut aussi que celles, à
qui legitimement on le peut demander, ostent ces façons ce-
remonieuses & affectées de rigueur & de refus, & qu’elles se
contraignentcontraignēt unvn peu, pour s’accommoderaccōmoder à la necessité de ce sie-
cle malheureux:
Or elles ont tort de nous
receuillir de ces contenances mineuses quereleuses et fuiardes, qui
nous esteignent en nous alumant. La bru de Pythagoras disoit que
la fame qui se couche aveqaueq un home devoitdeuoitdoit aveqaueq leurla cotilloncote laisser aussi la honte:
et la reprandre aveqaueq le cotillon.
car lL’ame de l’assaillantassaillāt troublée de plusieurs di-
verses
di
uerses
allarmes, elle se perd aisementaisemēt: &Et ce n’est pas tout, car ce-
luy à qui l’imaginationimaginatiō à faict unevne fois souffrir cette hontehōte (& elle
ne l’ale fait guiere souffrir qu’aux premieres accointances, d’au-
tant qu’elles sont plus ardantesbouillantes & aspres,: & aussi qu’en cette
premiere connoissance qu’on donne de soy, on craint beau-
coup plus de faillir) ayant mal commencé, il entre en si gran-
de fievrefieure & despit de cet accident, que cette frayeur s’en aug-
mentemēte &qui luy redoubledure à toutes lesaus occasions suivantessuiuantes: & sans
quelque contre-mine on n’en vientviēt pas aisément à bout
.
Position : Marge gauche Les mariez ont
meillur jeuieu, le temps
estant tout leur, et
ne doiventdoiuent ny presser
ny taster leur entreprin-
se
ētreprin-
se
s’ils ne sont pretz:
Et vautuaut mieus faillir
indecemmant a Position : Interligne haute estrener la la couche nuptiale pleine d’agitation et de fievrefieure:
attandantattādant une et un’autre commodite plus priveepriuee et moins allarmee,
que de tumber en une perpetuelle misere, pour s’estre estoné et desesperé
irremediablement condamnè du premier refus. AvantAuant la possession
prinse il se fautle patiant se doit a saillies & diversdiuers tamps legieremant essaïer et offrir,
sans se piquer & opiniatrer a se conveincreconueincre definitivemantdefinitiuemāt en soimesmes.
Ceus qui sçaventsçauent leurs membres de nature dociles, qu’ils se souignent
sulement de contrepiper leur fantasie. On a raison de remarquer l’indocile liberté de ce membre
s’offrants’ingerant si importuneemant lors que nous n’en avonsauons que faire et deffaillant si importuneement lors que nous en avonsauons
le plus affaire: et contestant de l’authoritè, si imperieusement aveqaueq nostre volonteuolonte Position : Interligne haute refusant aveqaueq tant de fierte et d’obstination nos sollicitations et mentales et manueles Si toutesfois en ce que si on gourmande sa
rebellion, & qu’on en tire preuvepreuue de sa condemnation, il m’avoitauoit payé pour plaider sa cause: à l’advantureaduanture mettrois jeie en supçon nos autres membres [Note (Alain Legros) : Cette addition continue sur le folio 36, d’abord dans la marge droite, puis dans la gauche.]
Position : Marge droite ses compaignons de luy estre alle dresser par belle envieenuie de l’importancelimportance et douceur de son usage cette querelle apostee et avoirauoir par
complot arme le monde a l’encontre de luy: le chargeant malignement sul de leur faute commune. Car jeie vousuous done a penser, s’il y a une
sule des parties de nostre corps qui ne refuse a nostre volontéuolonté souvantsouuant son operation et qui souvantsouuant ne ls’exerce contre nostre volantéuolanté: Elles ont chacune
des passions propres, qui les esveillentesueillent et endorment sans nostre congé. A quant de fois tesmouignent les mouvemensmouuemens forcez de nostre visageuisage les pensees que
nous tenions secretes, et nous trahissent aus assistans. Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi, sans nostre sceu le ceur, le poulmon, et le pous,
la veueueue d’un objectobiect agreable respoandant inperceptiblement en nous la flamme d’un’emotion fievreusefieureuse. N’y a il que ces muscles et ces veinesueines qui s’eleventeleuent
et se couchent sans l’adveuadueu nousnon sulement de nostre volontéuolontè mais aussi de nostre pensee. Nous ne comandons pas a nos cheveuscheueus de se herisser, et a
nostre peau de fremir de desir ou de creinte. La main se porte souvantsouuant ou nous ne l’envoionsenuoions pas. La langue se transit et la voixuoix se fige a son heure.
Lors mesme que n’ayant de quoi frire nous le luy defanderions volantiersuolantiers la faim ne laisse pas l’appetit de manger et de boire ne laisse pas
d’esmouvoirdesmouuoir les parties qui luy sont subjectessubiectes, ny plus ny moins que cet autre appetit: et nous abandone de mesmes, hors de propos quand bon luy semble. Les utils
qui serventseruent a descharger le ventreuentre ont leurs propres dilatations et restrinctionscompressions outre et contre nostre avisauis, come ceus cy destinez a descharger nos rouignons. Et
ce que pour authoriser la toute puissance de nostre volontéuolonté Sainct Augustin allegue avoirauoir veuueu quelcun qui comandoit a son derriere autant de petz qu’il en vouloit
et que VivesViues son glosatur encherit d’un autre example de son temps de petz organisez suivanssuiuans le ton des versuers qu’on luyleur prononçoit, ne suppose non plus pure
l’obeissance de ces membres: car en est il ordineremant de plus indiscret et tumultuere. JouintIouint que ji’en sçai un si tub turbulant et reveschereuesche qu’il y a quarante ans
qu’il tient son maistre à peter d’unevne haleine & d’unevne obligation constante & irremittente [unclear] en despit qu’il en aye.pettera jusquesiusques a la mort et le meine ainsin a la mort.
Position : Marge gauche Mais nostre volonteuolonte pour les droits de qui nous mettons en avantauant ce reproche, combien plus vraisemblablementuraisemblablement la pouvonspouuons nous marquer
de rebellion et sedition par son desreglement et desobeissance. Veut elle tousjourstousiours ce que nous voudrionsuoudrions qu’elle vousituousit. Ne veutueut elle
pas souvantsouuant ce que nous luy prohibons de vouloiruouloir: et a nostre evidanteuidant domage. Se laisse elle non plus mener aus conclusions de nostre raison.
En fin les advocatsaduocats et les jugesiuges ont beau s’ensen quereler et sentencier: nature cepandant tire son trein jeie dirois pour monsieur ma partie
que plaise a considerer qu’en ce faict sa cause estant inseparablement conjouinteconiouinte a un consort et indistinctement on ne s’adresse pourtant
qu’a luy, et par des Position : Interligne haute argumans et charges telles veuueu la naturecondition des parties qu’elles ne peuventpeuuent aucunemant apartenir ny concerner son dict consort.
Partant se voituoit l’animosité et illegalite Position : Interligne haute manifeste des accusateurs. Quoi qu’il en soit, protestantprotestāt que les advocatsaduocats et jugesiuges ont beau quereler et
sentancier, nature tirera cependant son trein: qui n’aroit faict que raison quand ell’aroit doué ce membre de quelque particulier
priviliegepriuiliege veuueu son divindiuin office d’une immortelle propagationautheur du sul ouvrageouurage immortel des mortels Pourtant est a Socrates action divinediuine que la generation et
amour desir d’immortalité. et Daemon immortel luy mesmes
Tel à-
l’adventureaduenture par cet effect de l’imagination, laisse icy les es-
cruelles, que son compagnon raporte en Espaigne. Voyla
pourquoy en telles choses, l’on à accoustumé de demander

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 36
unevne ame preparée. Pourquoy praticquent les medecins avantauāt
main, la creance de leur patient, avecauec tant de fauces promesses
de sa guerison: si ce n’est afin que l’effect de l’imagination sup-
plisse l’imposture de leur aposeme? Ils sçaventsçauent qu’unvn des mai-
stres de ce mestier leur à laissé par escrit, qu’il s’est trouvétrouué des
hommes à qui la seule veüe de la Medecine faisoit l’operationoperatiō:
&Et tout ce capriçe[Note (Alain Legros) : "capriçe" venant de l’italien "capriccio"] m’est tombé presentement en main, sur le
conte que me faisoit unvn domestique apotiquaire de feu mon
pere, homme simple & Souysse, nation peu vaine & menson-
giere
mēson-
giere
: dDavoirauoir cogneu long temps unvn marchand à Toulouse
maladif & subjectsubiect à la pierre, qui avoitauoit souventsouuent besoing de
clisteres & se les faisoit diversementdiuersement ordonner aux medecins,
selon l’occurrence de son mal: aApportez qu’ils estoyent, il n’y
avoitauoit rien obmis des formes accoustumées: sSouventsSouuent il tastoit
s’ils estoyent trop chauds: lLe voyla couché, renversérenuersé & toutes
les approches faictes, sauf qu’il ne s’y faisoit nulleaucune injectioniniection.
L’apotiquaire retiré apres cette ceremonie, le patient accom-
modé, comme s’il avoitauoit veritablement pris le clystere, il en
sentoit pareil effect à ceux qui les prennent. Et si le medecin
n’en trouvoittrouuoit l’operation suffisante, il luy en redonnoit deux
ou trois autres, de mesme forme. Mon tesmoin jureiure, que pour
espargner la despence (car il les payoit, comme s’il les eut re-
ceus) la femme de ce malade ayant quelquefois essayé d’y fai-
re seulement mettre de l’eau tiede, l’effect en descouvritdescouurit la
fourbe, & pour avoirauoir trouvétrouué ceux là inutiles, qu’il fausit reve-
nir à la premiere façon. Ces joursiours passez uUnevVne femme pensant
avoirauoir avaléaualé unvn’ esplingue avecauec son pain, crioit & se tourmen-
toit comme ayant unevne douleur insupportable au gosier, ou
elle pensoit la sentir arrestée: mais, par ce qu’il n’y avoitauoit ny en-
fleure ny alteration par le dehors, unvn habil’homme ayant ju-
iu-
que ce n’estoit que fantasie & opinion, prise de quelque
morceau de pain qui l’avoitauoit piquée en passant, la fit vomir &

Fac-similé BVH


[36v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
jettaietta à la desrobée dans ce qu’elle renditrēdit, unevne esplingue tortue.
Cette femme cuidant l’avoitauoit renduerēdue, se sentit soudain deschar-
gée de sa douleur. JeIe sçay qu’unvn gentil’homme ayant traicté
chez luy unevne bonnebōne compagnie, se vanta trois ou quatre joursiours
apres par maniere de jeuieu (car il n’en estoit rien) de leur avoirauoir
faict menger unvn chat en paste: dequoy unevne damoyselle de la
troupe print telle horreur, qu’en estant tombée en unvn grand
dévoyementdéuoyement d’estomac & fievrefieure, il fut impossible de la sau-
ver
sau-
uer
. Les bestes mesmes, se voyent comme nous, subjectessubiectes à la
force de l’imaginationimaginatiō: tTesmoing, les chienschiēs, qui se laissent mou-
rir de dueil de la perte de leurs maistres: nNous les voyons aussi
japperiapper & tremousser en songe, hannir les chevauxcheuaux & se deba-
tre: mMais tout cecy se peut raporter à l’estroite cousture de l’es-
prit & du corps s’entre-communiquantscommuniquāts leurs fortunes. Mais
cC’est bien autre chose,. qQue l’imagination agisse quelque fois,
non contre son corps seulement, mais contre le corps d’au-
truy: &Et tout ainsi qu’unvn corps rejettereiette son mal à son voisin,
comme il se voit en la peste, en la verolle, & au mal des yeux
qui se chargent de l’unvn à l’autre:
Dum spectant oculi laesos, laeduntur & ipsi:
Multáque corporibus transitione nocent.

Pareillement l’imagination esbranlée avecquesauecques vehemence,
eslanceeslāce des traits, qui puissent offencer l’objectobiect estrangierestrāgier. L’an-
cienneté a tenu de certaines femmes en Scythie, que animées
& courroussées contre quelqu’unvn, elles le tuoient du seul re-
gard. Les tortues, & les autruches couventcouuent leurs oeufs de la
seule veuë,: signe qu’ils y ont quelque vertu ejaculatrice. Et
quant aux sorciers on les dit avoirauoir des yeux offensifs &
nuisans.,
Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.
Mais cCe sont pour moy mauvaismauuais respondans que magiciens.
Tant y a que nous voyonsvoyōs par experience, les femmes envoyerenuoyer
aux

Fac-similé BVH

LIVRE PREMIER. 37
aux corps des enfans, qu’elles portent au ventre, des marques
de leurs fantasies, tTesmoing celle qui engendra le more. Et il
fut presenté à Charles Roy de Boheme & Empereur unevne fil-
le d’aupres de Pise toute velue & herissée, que sa mere disoit
avoirauoir esté ainsi conceüe, à cause d’unvn’ image de Sainct IeanIeā Ba-
ptiste penduepēdue en son lit. Des animaux il en est de mesmes,. tTes-
moing les brebis de JacobIacob, & les perdris & les lievreslieures, que la
neige blanchit aux montaignes. On vit dernierement chez
moy unvn chat guestant unvn oyseau au haut d’unvn arbre, & s’estansestās
fichez la veuë ferme l’unvn contrecōtre l’autre quelque espace de tempstēps,
l’oyseau s’estre laissé choir comme mort entre les pates du
chat, ou ennyvréennyuré par sa propre imagination, ou attiré par
quelque force atractiveatractiue du chat. Ceux qui ayment la volerie
ont ouy faire le conte du fauconnier, qui arrestant obstiné-
ment sa veüe contre unvn milan, qui estoit amont, en l’airlair, gageoit de
la seule force de sa veüe le ramener contrecōtre bas: & le faisoit, à ce
qu’on dit. Car les Histoires que jeie reciteji’emprunte, jeie les renvoyerenuoye sur la
conscience de ceux, de qui jeie les tienstiēsprens:. lLes discours sont à moy,
& se tienent par la preuvepreuue de la raison, non de l’experienceexperiēce,: cCha-
cun y peut joindreioindre ses exemplesexēples,: &Et qui n’en à point qu’il ne lais-
se pas de croire qu’il en est assez, veu le nombre & varieté des
accidens humains. Si jeie ne come bien, qu’un autre come pour moi: ce n’est
pas mal parler que mal comer.

Position : Marge droite DavantageDauantageAussi en l’estude de
quoie jeie me mesle le plustraicte, de
nos meurs et mouvementsmouuements: les
tesmouignages fabuleus
pourveupourueu qu’ils sointsoīt possibles
y serventseruent comme les vraisurais.
AdvenuAduenu ou non advenuaduenu a
Paris ou a Rome para JanIan
ou para Pierre c’est tousjourstousiours
un tour de l’humeine capaci
du quel jeie suis utillement
adviséaduisé par ce recit. JeIe le
voisuois et le jugeiugeen fois mon profit esgalement
en ombre que en corps. Nous
supposons des comes, quand
nous n’en avonsauons pas.
Et aus
diversesdiuerses leçons qu’ont souvantsouuant
les histoires jeie prens a me
servirseruir de celle qui est la plus
rare et memorable. quoi que son
tesmouignage ne soit si ferme a
l’avantureauanture du tout si cler.
Il y a
des autheurs des quels la fin c’est
dire les evenemantseuenemants. La miene si
jie’y sçavoissçauois arriverarriueravenirauenir seroit dire sur ce qui
peut avenirauenir. Il est justemantiustemant
permis aus escoles de supposer des
comessimilitudes quand ils n’en ont point
JeIe n’ennen fois pas ainsi pourtant
et surpasse de ce costé la en
relligion superstitieuse toute
foi historialle. en mes propresaus
narations qui sont mienes
en ce livreliure. En ceus
Aus Aus exemples que jeie
tire ceans de ce que ji’ay oui
faict ou dict jeie me suis
deffendu d’oser alterer
jusquesiusques au[sic] plus legierets et
inutiles circonstances. Sur
Position : Marge gauche Ma consciancecōsciance
ne falsifie pas un
ïota, ma sciance
jeie ne sçai Sur ce
propos, quandji’entre par fois ji’yen pensee de pres ji’entre en doubte qu’il puisse assez bien convenierrconuenierr a un Thelogien a un philoso=
fe et telles gens d’exquise et exacte consciance d’escrire l’Histoire et prudance d’escrire l’histoire. Comant peuventpeuuent ils
engager leur foi sur une foi populere: comant respondre des pensees de persones inconues et doner pour argent contant leurs
conjecturesconiectures:. veuueu que dDes actions a diversdiuers membres qui se passent en leur presance ils refuseroint d’en rendre tesmouignage
assermentez par un jugeiuge: eEt n’ont home si familier, des intantions du quel ils entreprenent de pleinemant respondre. JeIe
tiens moins hasardeus d’escrire les choses passees que presantes: d’autant que l’escriveinescriuein n’a a rendre conte que d’une veriteuerite empruntee.
Aucuns me convientconuient d’escrire les affaires de mon temps, estimant que jeie les voisuois d’une veueueue moins blessee de passion qu’un autre,
et de plus pres, pour l’accez que fortune m’a done aus chefs de diversdiuers partis. Mais ils ne disent pas que pour la gloire de Salluste jeie n’en
pranderois pas la peine: enemi jureiure d’obligation d’assiduitè de constance. Qu’il n’est rien si enemi decontrere a mon stile qu’une narration
estendue. JeIe me recoupe si souvantsouuant a faute de haleine. JeIe n’ay ny composition ny explication qui vailleuaille: iIgnorant au dela d’un enfant des
frases et vocablesuocables qui serventseruent aus choses plus communes. Pourtant ai jeie pris a dire ce que jeie sçai dire: accommodantaccommodāt la matiere a ma force.
Si ji’en prenois qui me guidast: ma mesure pourroit faillir a la siene. Que ma libertè estant si libre ji’eusse publié des jugemensiugemens a mon gré mesme
et selon raison illegitimes et punissables. Plutarque nous diroit volantiersuolantiers de ce qu’il en a faict, que c’est l’ouvrageouurage d’autruy que ses examples
soient en tout & par tout veritables: qu’ils soient utilesvtiles à la posterité, & presentez d’unvn lustre, qui nous esclaire a la vertu, que c’est son ouvrageouurage.
Il n’est pas dangereux, comme en unevne drogue medicinale, en unvn compte ancien, qu’il soit ainsin ou ainsi.


Le profit de l’unvn est dommage de l’autre.
CHAP. XXII.


DEMADES Athenien condamnacondāna unvn hommehōme de sa ville, qui
faisoit mestier de vendre les choses necessaires aux en-
terremens, soubs tiltre de ce qu’il en demandoitdemādoit trop de
profit, & que ce profit ne luy pouvoitpouuoit venir sans la mort de
beaucoup de gens. Ce jugementiugement semble estre mal pris, d’au-
tant
au-
tāt
qu’il ne se fait nulaucun profit qu’au dommage d’autruy, & qu’à
ce conte il faudroit condamner toute sorte de guein. Le mar-
chand ne se fait bien ses affaires, qu’à la débauche de la jeunesieunes-
K

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[37v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
se: le laboureur à la cherté des bleds: l’architecte à la ruine des
maisons: les officiers de la justiceiustice aux procez & querelles des
hommes: l’honneur mesme & pratique des ministres de la
religion se tire de nostre mort & de nos vices. Nul medecin
ne prent plaisir à la santé de ses amis mesmes, dit l’ancien Co-
mique Grec, ny soldat à la paix de sa ville: ainsi du reste. Et qui
pis est, que chacun se sonde au dedansdedās, il trouveratrouuera que nos sou-
haits interieurs pour la plus part naissent & se nourrissent aux
despens d’autruy. Ce que considerant, il m’est venu en fanta-
sie, comme nature ne se dement point en cela de sa generale
police: cCar les Physiciens tiennent, que la naissance, nourris-
sement, & angmentationaugmentation de chaque chose, est l’alteration &
corruption d’unvn’ autre.,
Nam quodcunque suis mutatum finibus exit,
Continuo hoc mors est illius, quod fuit ante.

 


De la coustume & de ne changer aisement unevne loy receüe.
CHAP. XIIIXXIII.


CELUYCELVY me semble avoirauoir tres-bien conceu la force de
la coustume, qui premier forgea ce contecōte, qu’unevne fem-
me de village ayantayāt apris de caresser & porter entre ses
bras unvn veau des l’heure de sa naissance, & continuantcontinuāt tousjourstousiours
à ce faire, gaigna cela par l’accoustumanceaccoustumāce, que tout grandgrād beuf
qu’il estoit, elle le portoit encore. Car c’est à la verité unevne vio-
lente & traistresse maistresse d’escole, que la coustume. Elle
establit en nous, peu à peu, à la desrobée, le pied de son autho-
rité: mais par ce doux & humble commencement, l’ayantayāt ras-
sis & planté avecauec l’ayde du temps, elle nous descouvredescouure tantosttātost
unvn furieux & tyrannique visage contre lequel nous n’avonsauons
plus la liberté de hausser seulement les yeux. Nous luy voyonsvoyōs
forcer tous les coups les reigles de nature:
Position : Marge gauche Vsus efficacissimus
rerum omnium
magister.
JI’en croi
l’antre de Platon en sa
republique et
ji’en croy les mede-
cins, qui quitent si souventsouuent à son authorité les raisons de leur
art: &Et ce Roy qui par son moyenmoyē rengearēgea son estomac à se nour-

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LIVRE PREMIER. 38
rir de poison: &Et la fille qu’Albert recite s’estre accoustumée à
vivreviure d’araignées: &Et en ce mondemōde des Indes nouvellesnouuelles on trou-
va
trou-
ua
des grandsgrāds peuples, & en fort diversdiuers climats, qui en vivoientviuoiēt,
en faisoient provisionprouision, & les apastoient: comme aussi des sau-
terelles, formiz, laizards, chauvessourizchauuessouriz, & fut unvn crapault ven-
du
vē-
du
six escus en unevne necessité de vivresviures: ils les cuisent & appre-
stent à diversesdiuerses sauces. Il en fut trouvétrouué d’autres ausquels noz
chairs & noz viandes estoyent mortelles & venimeuses.
Position : Marge droite Consuetudinis magna
uis est. Pernoctant
uenatores in niue: in
montibus uri se patiuntur:
Pugiles caestibus contusi
ne ingemiscunt quidem
.
Ces exemples estrangiers ne
sont pas estranges et asi nous considerons
ce que nous essaions ordine=
rement quecombien l’acostumance
hebete nos sens. iIl ne nous faut
pas aller chercher ce qu’on dit
des AEgiptiens voisinsuoisins des
cataractes du Nile et ce que
les philosophes estimentestimēt de la
musique celeste que les corps
de ces cercles estant solides et
venansuenans a se lecher & froter
l’unlun eta l’autrelautre en roulant ne
peuventpeuuent faillir de produire
une merveilleusemerueilleuse harmonie
aux coupures et muances de la
quelle se manient etles contours et
changements des caroles des
astres: mais qu’universelementuniuerselement
les ouïes des creatures endor=
mies comes celles des AEgiptiens
par la continuation de ce son
ne le peuventpeuuent apercevoiraperceuoir pour
grand qu’il soit. Les marechaux
musniers armuriers ne sauroient
durer au bruit qui les frape
s’ils s’en estonoint come nous [Note (Mathieu Duboc) : Cette addition est restituée à cet emplacement grâce à l’édition de 1595.]
Position : Interligne basse Mon colet de fleur sert a mon nez pour trois joursiours
mais apres que jeie m’en suis vestuuestu trois joursiours de suite
il ne sert queaus nez assistans

Cecy est plus estrange que non=
obstant des longs intervallesinterualles et
intermissions l’acostumance
puisse jouindreiouindre et establir
l’effaict de son impression sur
nos oreillessens : come essaient les
voisinsuoisins des clochiers. JeIe loge
ches moi en une tour ou a la
diane et a la retrete une fort
glrosse cloche sonne tous les joursiours
l’aveaue maria. Ce tintamarre
effraie ma tour mesmes: et aux
premiers joursiours me semblant insup=
portable surtout au matin, heure
de mon meillur sommeil
, en peu de
temps m’apprivoiseappriuoise de maniere que jeie
l’ois sans offance et souvantsouuāt sanssās m’en
esveilleresueiller[unclear].
Position : Marge droite Mais aussi
au matin heure de mon meillur

et mMon collet de fleur et mes gans sert
aus nez estrangiers assistans mais au mien
apres trois ou quatre joursiours que jeie m’en
de suide suite que jeie m’en suis serviserui de suitevestuuestu il
ne sert plus.

Position : Marge droite Platon tansa un enfant
qui jouoitiouoit aux nois Il luy repondit Tu me
tanses de peu de chose: L’acostumance
replica Platon n’est pas chose de peu
Position : Interligne basse JeIe treuvetreuue que nos plus gradnds vicesuices prenent leur pli ende nostre plus
tendre enfance et que nostre principal gouvernementgouuernement est entre les mains
des nourrisses. C’est passetemps aus meres de voiruoir un enfant et tordre le col a un
poulet et battre un chien s’esbattre a battre & blesser un chien et un chat et tel pere
est si sott de prendre a bon augure d’un’ame martialle quand il voituoit son fis gourmer
injurieusementiniurieusement un paisan ou un laquai qui ne se defant pouint et a jantillesseiantillesse quandquād
il le voituoit affiner son compaignon par quelque malitieuse desloiaute et tromperie. Ce sont pourtant
les vraiesuraies semances et racines de la cruaute de la tirannie de la trahison: elles se
germent la et s’esleventesleuent apres gaillardement et profitent a force entre les mains de la costume. Et est une tres dangereuse institution d’excuserdexcuser ces vileinesuileines inclinations
par la foiblesse de l’eageleage et legierete du subjetsubiet Premierement c’est nature qui parle
de qui la voisuoix est lors plus poisantepure & plus pureforte qu’ell’est plus gresle. Secondement la
laidur de la piperie ne despent pas de la difference des escus aus esplingues. elle despent de
soy. JeIe trouvetrouuue bien plus justeiuste de conclurre ainsi: Pourquoy ne tromperoit il aus escus puis qu’il trompe aus esplingues que come ils
font; Ce n’est qu’aux espingles: il n’auroit garde de le faire aux escutz. Il faut apprendre soigneusementsoigneusemēt aux enfans de haïr les [Note (Alain Legros) : Cette addition se poursuit au bas de la marge du folio 37v.]
Position : Marge basse (f.37v) vicesuices de leur propre contexture, & leur faut aprandre la naturelle & difformitè a ce
Il faut qu’ils les fuïent non en leur action sulement mais sur tout en leur ceur: que la pensee
mesme leur en soit odieuse quelque masque qu’ils portentportēt JeIe sçai bien que pour m’estre duit
en ma puerilite de marcher tousjourstousiours mon grand et plein chemin & avoirauoir eu a contrecōtre ceur
de mesler ny trichoterie ny finesse a mes jeusieus enfantins come de vraiurai il faut noter que
les jeusieus des enfans ne sont pas jeusieus et les faut jugeriuger en eus come leurs plus serieuses actions
il n’est passe temps si legier ou jeie n’aporte du dedans & d’une propansion naturelle & sans
aucun soinestude un’extreme contradiction a tromper. JeIe manie les cartes & l pour les doubles, & tiens
conte, come pour les doubles ducats:doublons: lors que le gaigner et le perdre est du du toutcontre ma fame et ma fille m’est indifferant,
come lors qu’il est du plus grand poisy vaua de bon. En tout et par tout il y a asses de mes yeus a me tenir en
office: il n’y en a point qui me veillentueillent plusde si pres, ny que jeie respecte plus.
JeIe
viens de voir chez moy unvn petit homme natif de Nantes, né
sans bras, qui à si bien façonné ses pieds, au serviceseruice que luy
devoyentdeuoyēt les mains, qu’ils en ont à la verité à demy oublié leur
office naturel. Au demourant il les nomme ses mains, il tren-
che, il charge unvn pistolet & le láche, il énfille son eguille, il
coud, il escrit, il tire le bonnet, il se peigne, il jouëiouë aux cartes
& aux dez, & les remue avecauec autant de dexterité que sçauroit
faire quelqu’autre: l’argent que jeie luy ay donné (car il gaigne
sa vie à se faire voir) il l’a emporté en son pied, comme nous
faisons en nostre main. JI’en vy unvn autre estantestāt enfant, qui ma-
nioit unvn’espée à deux mains, & unvn’hallebarde, du pli du col, à
faute de mains, les jettoitiettoit en l’air & les reprenoit, lançoit unevne
dague, & faisoit craqueter unvn foët aussi bienbiē que charretier de
France. Mais on decouvredecouure bien mieux ses effets aux estrangesestrāges
impressions, qu’elle fait en nos ames, où elle ne trouvetrouue pas
tant de resistance. Que ne peut elle en nos jugemensiugemens & en
nos creances? y à il opinion si fantasquebizzarre (jeie laisse à part la
grossiere imposture des religions, dequoy tant de grandes
nationsnatiōs, & tant de suffisans personnages se sont veuxveus enyvrezenyurez:
car cette partie estantestāt hors de nos raisons humaines, il est plus
excusable de s’y perdre, à qui n’y est extraordinairement es-
clairé par unevne faveurfaueur divinediuine) mais d’autres opinions y en à il
de si estrangesestrāges, qu’elle n’aye planté & estably par loix és regionsregiōs
que bon luy à semblé.
Position : Marge droite Et est tresjusteiuste cette
antiene exclamation.
Non pudet physicum
idestid est speculatorem uenatoremque
naturae ab animis consuetudine
imbutis quaerere testimonium ueritatis.
JI’estime qu’il ne tombetōbe en l’imagination
K ij

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[38v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
humaine aucune fantasie si forcenée qui ne rencontrerencōtre l’exem-
ple de quelque usagevsage public, & par consequent que nostre rai-
sondiscours n’estaie & ne fonde. Il est des peuples ou on tourne le doz
à celuy qu’on salue, & ne regarde l’on jamaisiamais celuy qu’on veut
honorer. Il en est ou quandquād le Roy crache, la plus favoriefauorie des da
mes de sa Cour tend la main: & en autre nationnatiō les plus appa-
rents
appa-
rēts
qui sont autour de luy se baissent à terre, pour amasser en
du linge son ordure:
Position : Marge gauche Desrobons icy la place
d’un conte. UnVn gentil=
home frances de bone
maison
se mouchoit
tousjourstousiours de sa main:
sans mouchoir chose
tres enemie de nostre
usage. Defendant la
dessus son faict: et
estoit fameus en bons
rencontres: il me demanda
quel priviliegepriuiliege avoitauoit ce
salle excremant que nous
allassions luy aprestant
unvn beau linge delicat a
le recevoirreceuoir et puis quei plus est a
l’empaqueter & serrer souig=
neusemant sur nous. qQue
cela devoitdeuoit faire plus de
horrur & de mal au ceur
que de le voiruoir verseruerser
ou que ce fut: come nous
faisons tous autres excre=
mans. JeIe trouvaitrouuai qu’il ne
parloit pas du tout sans
raison: et m’avoitauoit la
coustume oste l’apercevanceaperceuance
de cette estrangeté: laquelle
pourtantpourtāt nous trouvonstrouuons si
hideuse quand ell’est
recitee d’undun pais autre païs
Je m’en retourne. Les
miracles sont selon nostre
ignorance
l’ignorancelignorance en quoi
nous somes
de la nature non
selon Position : Interligne haute l’estre de la nature. L’assuefaction
endort la veueueue de nostre
jugemantiugemant. Les barbares ne
nous sont de rien plus estrangesmerveilleusmerueilleus
que nous somes a eus. ny aveqaueq
plus de rais d’occasion: come
chascun advouëroitaduouëroit, si chacun
sçavoitsçauoit apres s’estre promene
par sces nouveausnouueaus examples, se
coucher sur ses les propres, et
les conferer sainemant. La
raison est humaine est une
teinture infuse environenuiron de
pareil pois a toutes nos
opinions et meurs de quelque
forme qu’elles soint: infinie
en matiere infinie en diver=
site
diuer=
site
. JeIe m’en retourne. Il est des peuples
ou sauf sa femme & ses enfans aucun ne
parle au Roy que par sarbatanesarbacane. En unevne mesme nation & les
Vierges monstrent à descouvertdescouuert leurs parties honteuseshōteuses, & les
mariées les couvrentcouurent & cachent soigneusementsoigneusemēt: à quoy cette
autre coustume qui est ailleurs, à quelque relation: la chasteté
n’y est en pris que pour le serviceseruice du mariage: car les filles se
peuventpeuuent abandonner à leur poste, & engreoissees se faire avor-
ter
auor-
ter
par medicamens propres, au veu d’unvn chacun. Et ailleurs,
si c’est unvn marchant qui se marie, tous les marchans conviezconuiez
à la nopce, couchent avecauec l’espousee avantauant luy: & plus il y en à
plus à elle d’honneur & de recommandation de fermeté &
de capacité: si unvn officier se marie, il en va de mesme, de mes-
me si c’est unvn noble, & ainsi des autres, sauf si c’est unvn la-
boureur ou quelqu’unvn du bas peuple: car lors c’est au Sei-
gneur à faire: & si on ne laisse pas d’y recommanderrecōmāder estroitementestroitemēt
la loyauté, pendant le mariage. Il en est, où il se void des bor-
deaux publicz de masles, voire & des mariages: ou les femmes
vont à la guerre quand & leurs maris, & ont rang, non au com-
bat
cō-
bat
seulement, mais aussi au commandementcōmandement. Où non seulement
les bagues se portent au nez, aux levresleures, auyaux jouesioues, & aux or-
teils des pieds: mais des verges d’or bien poisantes au traverstrauers
des tetins & des fesses. Ou en mangeantmangeāt on s’essuye les doigts
aux cuisses & à la bourse des genitoires & à la planteplāte des pieds.
Où les enfans ne sont pas heritiers, ce sont les freres & ne-
pueux: & ailleurs les nepveuxnepueux seulementseulemēt, sauf en la successionsuccessiō du

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LIVRE PREMIER. 239
PrincePrīce. Où pour reigler la communautécōmunauté des biensbiēs, qui s’y observeobserue,
certains Magistrats souverainssouuerains ont charge universellevniuerselle de la
culture des terres, & de la distributiondistributiō des fruits, selonselō le besoing
d’unvn chacun. Où l’on pleure la mort des enfans, & festoye l’onō
celle des vieillarts. Où ils couchent en des licts dix ou douze
ensemble avecauec leurs femmes. Où les femmes qui perdentperdēt leurs
maris, par mort violenteviolēte, se peuventpeuuēt remarier, les autres non. Où
l’on estime si mal de la condition des femmes, qu’on y tuë
les femelles qui y naissent, & achepte l’on des voisins, des fem-
mes pour le besoing. Où les maris peuventpeuuent repudier sans alle-
guer aucune cause, les femmes non pour cause quelconque.
Où les maris ont loy de les vendre, si elles sont steriles. Où ils
font cuire le corps du trespassé, & puis piler, jusquesiusques à ce qu’il
se forme comme en bouillie, laquelle ils meslent à leur vin &
la boiventboiuent. Où la plus desirable sepulture est d’estre mangémāgé des
chiens, ailleurs des oiseaux. Où l’on croit que les ames heureu-
ses viventviuent en toute liberté, en des champs plaisans, fournis de
toutes commoditezcōmoditez: & que ce sont elles qui font cet echo que
nous oyons. Où ils combatent en l’eau, & tirent seurement de
leurs arcs en nageant. Où pour signe de subjectionsubiectiō il faut haus-
ser les espaules, & baisser la teste: & deschausser ses souliers
quand on entre au logis du Roy. Où les Eunuques qui ont les
femmes religieuses en garde, ont encore le nez & levresleures à dire,
pour ne pouvoirpouuoir estre aymez: & les prestres se creventcreuēt les yeux
pour accointer leurs demons:, & prendre les oracles. Où cha-
cun faict unvn Dieu de ce qui luy plaist, le chasseur d’unvn lyon où
d’unvn renard, le pescheur de certain poisson: & des Idoles de
chaque action ou passion humaine: le soleil, la lune, & la terre,
sont les dieux principaux,: la forme de jureriurer c’est toucher la
terre regardant le soleil: & y mange l’on la chair & le poisson
crud.
Position : Marge droite Ou le grand sermant
c’est jureriurer le nom de
quelque home trespasse
qui a este en bone reputation
au païs: touchant de la main
sa tumbe. Ou le peuple
adore cet certeins Dieus mais Bacchus
Diane Le Roy un dieu particulier
pour soi Mercure.
ou les etrenes
annuelles que le Roy envoïeenuoïe aus princes ses vassausuassaus
c’est du feu L’ambassadurLambassadur qui l’apporte arrivantarriuant l’esteintlesteint
l’antien feu est esteint tout par tout en la maison Et de
ce feu nouveaunouueau le peuple despendant de ce prince en doit
veniruenir prendre chacun pour soi sur peine de crime de leze
majestemaieste Ou quand le Roy pour s’adoner du tout
a la devotiondeuotion (com’ils font souventsouuent) se retire de sa charge son premier successur est oblige d’en faire
autant et passe le droit du Royaume au troisiesme successur ou ilsl’onlon diversifientdiuersifient la forme de la police selon
que les affaires le requierent On depose le Roy quandquād il semble bon & substitue l’onlon des antiens a prendre ce gouver=
nement
gouuer=
nement
de l’estat: et le laisse l’on par fois aussi és mains de la communecōmune. Ou homes et femes sont circoncis &
pareillementpareillemēt baptisés. Où le soldat, qui en unvn ou diversdiuers combatscōbats, est arrivéarriué a presenter a son Roy sept testes d’ennemis, est faict noble.
Où l’on vit soubs cette opinion desnaturéesi rare et incivileinciuile de la morta-
lité des ames. Où les femmes s’accouchent sans plaincte &
K iij

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[39v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
sans effroy.
Position : Marge gauche Ou les femmes en l’une
& l’autrelautre jambeiambe portent des
grevesgreues de cuivrecuiure: et si un pouil
les mort sont tenues par devoirdeuoir
de magnanimite de le remordre
& n’osent espouser qu’elles ne se
soint’ayent offertes a leur Roy s’il
veut de leur pucelage.
Où l’on saluë mettant le doigt à terre:, & puis le
haussant vers le ciel. Où les hommes portent les charges sur la
teste, les femmes sur les espaules: elles pissent debout, les hom-
mes croupisaccroupis. Où ils envoientenuoient de leur sang en signe d’amitié, &
encensent comme les Dieux, les hommes qu’ils veulent hon-
norer. Où non seulement jusquesiusques au quatriesme degré, mais
en aucun plus esloingné, la parenté n’est soufferte aux maria-
ges. Où les enfans sont quatre ans en nourrisse, & souventsouuēt dou-
ze: & la mesme, il est estimé mortel de donner à l’enfant à tet-
ter tout le premier jouriour. Où les peres ont charge du chasti-
ment des masles, & les meres à part, des femelles: & est le cha-
stiement de les fumer pendus par les pieds. Où on faict cir-
concire les femmes. Où l’on mange toute sorte d’herbes, sans
autre discretion, que de refuser celles qui leur semblent avoirauoir
mauvaisemauuaise senteur. Où tout est ouvertouuert, & les maisonsmaisōs pour bel-
les & riches qu’elles soyent, sans porte, sans fenestre, sans coffre
qui ferme: & sont les larrons doublement punis qu’ailleurs.
Où ils tuent les pouils avecauec les dents comme les Magots, &
trouventtrouuēt horrible de les voir escacher soubs les ongles. Où l’on
ne couppe en toute la vie ny poils ny ongles: ailleurs où
l’on ne couppe que les ongles de la droicte, celles de la
gauche se nourrissent par gentillesse.
Position : Marge gauche Ou ils nourrissent tout
le poil du corps du coste
droit tant qu’il peut
croitre et coupent l’autre
tienent ras le poil de l’autrelautre
costé Et en voisinesuoisines
provincesprouinces l’unecell’ icy nourrit
le poil de davantdauant l’autre
ceuscelle la
le poil
de derrierent et
rasent l’autrelautre l’opposite.
Où les peres prestent
leurs enfans, les maris leurs femmes, à jouyriouyr aux hostes, en
payant. Où on peut honnestement faire des enfans à sa me-
re, les peres se mesler à leurs filles, & à leurs fils.
Position : Marge droite Ou aus
assamblees
des festins
ils s’entreprestent
les enfans les
uns aus autres
Icy on vit de
chair humaine: la c’est office de pieté de tuer son pere en cer-
tain aage: ailleurs les peres ordonnent des enfans encore au
ventre des meres, ceux qu’ils veulent estre nourris & conser-
vez
conser-
uez
, & ceux qu’ils veulent estre abandonnez & tuez: ailleurs
les vieux maris prestent leurs femmes à la jeunesseieunesse pour s’en
servirseruir: & ailleurs elles sont communes sans peché: voire en tel
pays portent pour merque d’honneurhōneur autant de belles houpes

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 40
frangées au bord de leurs robes, qu’elles ont accointé de ma-
sles. N’a pas faict la coustume encore unevne chose publique de
femmes à part? leur a elle pas mis les armes à la main? faict
dresser des armées, & livrerliurer des batailles? Et ce que toute la
philosophie ne peut planter en la teste des plus sages, ne l’ap-
prend elle pas de sa seule ordonnance au plus grossier vulgai-
re? car nous sçavonssçauons des nations entieres, où non seulement
l’horreur de la mort estoit mesprisée,:, mais l’heure de sa venuë
à l’endroict des plus cheres personnes qu’on eut,
mais festoyée: avecauec
grande allegresse:. &Et quant à la douleur, nous en sçavonssçauons d’au-
tres,
ou les enfans de sept ans souffroyent pour l’essay de leur
constance, à estre foëttez jusquesiusques à la mort, sans changer de
démarche ny de visage: & où la richesse estoit en tel mespris,
que le plus chetif citoyen de la ville, n’eust daigné baisser le
bras pour releverreleueramasser unevne bource d’escus. Et sçavonssçauons des regions
tres-fertiles en toutes façons de vivresviures, où toutesfois les plus
ordinaires méz & les plus savoureuxsauoureux, c’estoyent du pain du
nasitort & de l’eau. Fit elle pas encore ce miracle en Cio, qu’il
s’y passa sept cens ans, sans memoire que femme ny fille y ayteut
faict faute à son honneur? Et somme, à ma fantasie, il n’est rienriē
qu’elle ne face, ou qu’elle ne puisse: & avecauec raison l’appelle
Pindarus, à ce qu’on m’a dict, la Royne & Emperiere du mon-
de
mō-
de
.
Position : Marge droite Celuy que recite en Aristote
qu’on rencontra batant
son pere respondit que
c’estoit la costume de sa
meson que son pere avoitauoit ainsi
batu son aïelul son aïeul
son bisaieul: & montrant
son fils Et et cetuici me
battera quand il sera venuuenu
au son adolescence terme
de l’eageleage ou jeie suis Et
le pere que le filx tirassoit
et sabouloit emmi la ruë
luy comanda de s’arreter
a certein huis car luy
n’avoitauoit tirassetraine son pere que
jusquesiusques la: que c’estoit
la borne des injurieusiniurieus
tretemans herediteres
que les enfans avointauoint en
usage faire aus peres en
leur famille Par costume dit
Aristote cer Position : Interligne haute aussi souvantsouuant que par maladie des femmes s’arrachentarrachēt le poil rongent leurs ongles
mangent des charbons et de la terre. & par costume souvantsouuantque moitie par costume
plus souvantsouuant quemoitie autant par costume que par nature les masles se meslent aus masles.
Les loix de la consciance Position : Interligne haute que nous disons naistre de nature, ne naissent que de la costume: chacun
aïant en venerationueneration interne les opinions et meurs approveesapprouees &
receuses autour de luy, ne ls’en pouvantpouuantpeut desprendre sans remors, ny s’y
appliquer sans applaudissement.
Quand ceux de Crete vouloyent au temps passé maudire
quelqu’unvn, ils prioyentprioyēt les dieux de l’engager en quelque mau-
vaise
mau-
uaise
coustume. Mais le principal effect de sa puissance, c’est
de nous saisir & empieter de telle sorte, qu’a peine soit-il en
nous, de nous r’avoirauoir de sa prinse, & de r’entrer en nous, pour
discourir & raisonner de ses ordonnances. De vray, parce que
nous les humons avecauec le laict de nostre naissance, & que le vi-
sage du monde se presente en cet estat à nostre premiere veuë,
il semble que nous soyons nais à la condition de suyvresuyure ce
train. Et les communes imaginations, que nous trouvonstrouuons en

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[40v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
credit autour de nous, & infuses en nostre ame par la semen-
ce de nos peres, il semble que ce soyent les generalles & natu-
relles.
Position : Marge haute Par ou il n’est pas advientaduient, que ce qui est hors les gonds de la coustume, on le croid
hors des gons de la raison: Dieu sçait combien desraisonablement, le plus souvantsouuant: Si
comme nous qui nous estudions, avonsauons apris de faire, chacun qui oit une justeiuste sentance,
regardoit incontinant par ou elle luy apartient en son propre, chacun trouverroittrouuerroit que cettecy
n’est pas tant un bon mot qu’onun bon coup de foit a la sottisebestise ordinere de son jugementiugement. Mais on reçoit
les advisaduis de la veriteuerite et ses preceptes
comme adressez au peuple, non jamaisiamais a soi:
& au lieu de les coucher sur ses meurs, chacun les couche en
sa memoire, tres sotement et
tres inutilement. RevenonsReuenōs a l’empire de la costume.
Les peuples nourris a la
liberte et a se comander
eux mesmes estiment toute
autre forme Position : Interligne haute de police monstrueuse
& contre nature. Ceus qui
sont duits a la monarchie
en font de mesme. Et quelque
facilite que leur preste
fortune au changement
lors mesmes qu’ils se sont
aveqaueq grandes difficultez
desfaicts l de l’importunite
d’unvn maistre ils courent a
en replanter un nouveaunouueau
aveqaueq pareilles difficultez
avantauant que pour ne se
pouvoirpouuoir resoudre de
prandre en haine la
maistrise.
Darius demandoit à quelques Grecs, pour combien ils
voudroient prendre la coustume des Indes, de manger leurs
peres trespassez (car c’estoit leur forme, estimans ne leur pou-
voir
pou-
uoir
donner plus favorablefauorable sepulture, que dans eux-mesmes)
ils luy respondirentrespondirēt que pour chose du monde ils ne le feroientferoiēt:
mais s’estantestāt aussi essayé de persuader aux Indiens de laisser leur
façon & prendre celle de Grece, qui estoit de brusler les corps
de leurs peres, il leur fit encore plus d’horreur. Chacun en fait
ainsi, d’autant que l’usagevsage nous desrobbe le vray visage des
choses.,
Nil adeo magnum, nec tam mirabile quicquam
Principio, quod non minuant mirarier omnes
Paulatim.

Autrefois ayant à faire valoir quelqu’unevne de nos observationsobseruatiōs,
& receüe avecauec resolue authorité bien loing autour de nous:, &
ne voulant point, comme il se faict, l’establir seulement par la
force des loix & des exemples, mais questant tousjourstousiours jus-
ques
ius-
ques
à son origine, ji’y trouvaytrouuay le fondement si chetif & si foi-
ble, qu’à peine que jeie ne m’en dégoutasse moy, qui avoisauois à la
confirmer en autruy.
Position : Marge gauche C’est cette recepte de
quoi Platon entreprant
de chasser les amours
vitieusesuitieusesdesnaturees de son temps
qu’il estime souvereinesouuereine
a sçavoirsçauoir et suleet principale A sçavoirsçauoir
que l’opinion publique les
condamne que les poëtes
que chacun en face des
mauvesmauues contes. Recette
qui a gaigne quepar le moien de la quelle les plus
belles filles n’attirent plus
poinct l’amour des peres ny
les plus b freres plus excel=
lens en beaute l’amour
des seurs. Les fables demesme de
Thyestes d’OEdippus de
Macareus aus aiant aveqaueq
le plaisir de leur chant infus
cette utile creance en la
tendre cervelleceruelle des enfans.
De vraiurai la pudicite est
unevne belle vertuuertu & de la
quelle l’utilite est asses
connue: mais de la traicter
& faire valoirualoir selon nature il est bien plusautant malaise
com’il est aise de la faire valoirualoir selon l’usagelusage les loix et
les preceptes et exemples Les premieres et universellesuniuerselles raisons
sont de difficille perscrutation Et les passent nous nos
maitres en escumant ou ne les osant pas sulement taster se
jettentiettent d’abordee dans la franchise de la costume ou ils s’enflent & triomphenttriomphēt a bon conte.
Ceus qui ne se veulentueulent laisser tirertirer hors de cette originelle source faillentfaillēt encore plus et s’obligentobligēt a des
opinions sauvagessauuages come Chrysippus qui sema en tant de lieus de ses escris le peu de conte en quoi il tenoit
les conjonctionsconionctions incestueuses quelles qu’elles fussent.
Et qQui se voudra essayer de mesme, & se
desfaire de ce violent prejudicepreiudice de la coustume, il trouveratrouuera
plusieurs choses receues d’unevne resolution indubitable, qui
n’ont appuy qu’en la barbe chenue & rides de l’usagevsage, qui les
accompaigne: mais ce masque arraché, rapportant les choses à
la verité & à la raison, il sentira son jugementiugement, commecōme tout bou-
leversé
bou-
leuersé
, & remis pourtantpourtāt en bien plus seur estat. Pour exempleexēple,
jeie luy demanderay lors, quelle chose peut estre de plus estran-
ge, que de voir unvn peuple obligé à suivresuiure des loix, qu’il n’en-
tendit onques: attaché en tous ses affaires domestiques, ma-
riages, donations, testamens, ventes, & achapts, à des regles,
qu’il

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LIVRE PREMIER. 41
qu’il ne peut sçavoirsçauoir, n’estantestāt escrites ny publiées en sa langue,
& desquelles par necessité il luy faille acheter l’interpretation
& l’usagevsage.
Position : Marge droite Non selon l’ingenieuselingenieuse
opinion d’Isocrates qui
conseille a son Roy de laisserrendre les
trafiques & negotiations de ses
subjetssubiets libres et franches et
lucratifveslucratifues maiset leurs debats
et querelles onereuses sesles chargeant
de poisans subsides Mais selon
un’opinion monstrueuse de
mettre en trafique la raison
mesme & doner aus loix cours de
marchandise.
JeIe sçay bon gré à la fortune, dequoy, comme disent
nos historiens, ce fut unvn Gentil-homme Gascon & de mon
pays, qui le premier s’opposa à Charlemaigne, nous voulant
donner les loix Latines & Imperiales. Qu’est-il plus farouche
que de voir unevne nation, ou par legitime coustume la charge
de jugeriuger se vende, & les jugemensiugemens soyent payez a purs deniers
contans, & où legitimementlegitimemēt la justiceiustice soit refusée à qui n’a de-
quoy la payer, & aye cesttte marchandise si grand credit, qu’il se
face en unevne police unvn quatriesme estat, de gens maniants les
procés, pour le joindreioindre aux trois anciens, de l’Eglise, de la No-
blesse, & du Peuple. Lequel estat ayantayāt la charge des loix & sou-
veraine
sou-
ueraine
authorité des biens & des vies, face unvn corps à part de
celuy de la noblesse: d’ou il avienneauienne qu’il y ayt doubles loix,
celles de l’honneur, & celles de la justiceiustice, en plusieurs choses
fort contraires: aussi rigoureusement condamnent celles-là
unvn démanti souffert, comme celles icy unvn démanti revanchéreuanché:
par le devoirdeuoir des armes, celuy-là soit degradé d’honneur & de
noblesse, qui souffre unvninjureiniure, & par le devoirdeuoir civilciuil, celuy qui
s’en venge, encoure unevne peine capitale?. qui s’adresse aux loix
pour avoirauoir raison d’unevne offence faite à son honneur, il se des-
honnore:, & qui ne s’y adresse, il en est puny & chastié par les
loix:. &Et de ces deux pieces si diversesdiuerses, se raportant toutesfois à
unvn seul chef, ceux-là ayent la paix, ceux-cy la guerre en char-
ge: ceux-là ayent le gaing, ceux-cy l’honneur: ceux-là le sça-
voir
sça-
uoir
, ceux-cy la vertu: ceux-là la parole, ceux-cy l’action: ceux
là la justiceiustice, ceux-cy la vaillance,: ceux-là la raison, ceux-cy la
force,: ceux-là la robbe longue, ceux-cy là courte en partaige.
Quant aux choses indifferentes, commecōme vestemens, qui les vou-
dra ramener à leur vraye fin, qui est le serviceseruice & commodité
du corps, d’où dependdepēd leur grace & bienbiē seance originelle:, pour
L

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[41v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
les plus monstrueuxmōstrueux à mon gré qui se puissent imaginer, jeie luy
donray entre autres, nos bonnets carrez: cette longue queuë
de veloux plissé, qui pend aux testes de nos femmes, avecauec son
attirail bigarré: & ce vain modelle & inutile, d’unvn membremēbre, que
nous ne pouvonspouuons seulement honnestement nommer, duquel
toutesfois nous faisons montre & parade en public. Ces con-
siderations
cō-
siderations
ne destournent pourtant pas unvn homme d’enten-
dement de suivresuiure le stille commun: ains au rebours il me sem-
ble, que toutes façons escartées & particulieres partent plu-
stost de folie ou d’affectation ambitieuse, que de vraye raison:
& que le sage doit au dedans retirer son ame de la presse, & la
tenir en liberté & puissance de jugeriuger librementlibremēt des choses: mais
quant au dehors qu’il doit suivresuiure entierement les façons &
formes receues. La societé publique n’a que faire de nos pen-
sées: mais le demeurant, comme nos actionsactiōs, nostre travailtrauail, nos
fortunes & nostre vie propre, il la faut préter & abandonnerabādonner à
son serviceseruice, & aux opinions communes. Comme ce bon &
grand Socrates refusa de sauversauuer sa vie, par la desobeissance du
magistrat, voire d’unvn magistrat tres-injusteiniuste & tres-inique.
Car c’est la regle des regles, & generale loy des loix, que cha-
cun observeobserue celles du lieu où il est.,
νόμοιϛ ἕπεσθαι τοῖσιν εγχώροιϛἐγχώροιϛ κάλον. [Note (Alain Legros) : Ici commence la deuxième partie du chapitre, sans doute indépendante à l’origine et intitulée "De ne changer aisément une loi reçue" (seconde partie du titre actuel, au prix d’une maladresse syntaxique).]
En voicy d’unvn autre cuvéecuuée. Il y a grand doute, s’il se peut trou-
ver
trou-
uer
si evidenteuidēt profit au changementchangemēt d’unevne loy receue, telle qu’el-
le soit, qu’il y à de mal à la remuer: d’autant qu’unevne police,
c’est comme unvn bastiment de diversesdiuerses pieces jointesiointes ensem-
ble, d’unevne telle liaison, qu’il est impossible d’en esbranler la
moindreune, que tout le corps ne s’en sente. Le legislateur des
Thuriens ordonna, que quiconque voudroit ou abolir unevne
des vieilles loix, ou en establir unevne nouvellenouuelle, se presenteroit au
peuple la corde au col: afin que Position : Interligne haute si la nouvelleténouuelleté n’estoit approu-
vée
approu-
uée
d’unvn chacun, si il fut incontinentincontinēt estranglé. Et celuy de La-

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LIVRE PREMIER. 42
cedemone employa sa vie pour tirer de ses citoyens unevne pro-
messe asseurée, de n’enfraindre aucune de ses ordonnances.
L’ephore qui coupa si rudement les deux cordes que Phrinys
avoitauoit adjoustéadiousté à la musique, ne s’esmaie pas, si elle en vaut mieux,
ou si les accords en sont mieux remplis: il luy suffit pour les
condamner, que ce soit unevne alteration de la vieille façonfaçō. C’est
ce que signifioit cette vieille espée roüillée de la justiceiustice de Mar-
seille. JeIe suis desgousté de la nouvelleténouuelleté quelque visage qu’elle
porte,: & ay raison, car ji’en ay veu des effets tres-dommageablesdōmageables.
Celle qui nous presse depuis vingt cinq ou trente anstant d’ans, elle n’a
pas tout exploicté, mais on peut dire avecauec apparence, que par
accident, elle a tout produict & engendré,: voire & les maux
& ruines, qui se font depuis sans elle, & contre elle: c’est à elle
à s’en prendre au nez,
Heu patior telis vulnera facta meis. Position : Marge droite L
Les premiersCeus qui donnentdōnent le branle à unvn estat, sont volontiers
les premiers absorbezabsorbez en sa ruyne.
Position : Marge droite . lesfaictfruit du trouble
ne demure guiere a
celluy qui l’a esmeu, il
bat et brouille l’eau, pour
und’autres pescheurs.
La liaison & contexture de
cette monarchie & ce grand bastiment, ayant esté desmis &
dissout, notamment sur ses vieux ans, par elle, donne tanttāt qu’on
veut d’ouvertureouuerture, & d’entrée à pareilles injuresiniures.
Position : Marge droite
: regum enim maiestas
difficilius ab summo
fastigio ad medium
detrahitur, quam a
medijs ad ima praecipitatur

La majestemaieste Royalle
dict un antien s’avaleauale
plus difficilemant du
sommet au milieu qu’elle
ne se precipite du milieu à
fons. Mais si les invantursinuanturs sont
plus domageables les imitaturs
sont Position : Interligne haute plus vitieusuitieus de se jetterietter en des
examples desquels ils ont senti
et reconupuny l’horrur et le mal. Et s’il y
a quelque degrè d’honur mesmes au
malfaire ceuscy doiventdoiuent aus autres
la gloire de l’invantioninuantion et le corage du
premier effort.
Toutes sortes
de nouvellenouuelle desbauche puisent Position : Interligne haute hureusemant en cette premiere & foeconde
source, les images & patrons à troubler nostre police. On lict
en nos loix mesmes, faites pour le remede de ce premier mal,
l’aprentissage & l’excuse de toutes sortes de mauvaisesmauuaises entre-
prises: &Et nous advientaduient, ce que Thucidides dict des guerres ci-
viles
ci-
uiles
de son tempstēps, qu’en faveurfaueur des vices publiques, on les bat-
tisoit de mots nouveauxnouueaux plus doux, pour leur excuse, abastar-
dissant & amolissant leurs vrais titres. C’est pourtant, pour re-
former nos consciences & nos creances,. hHonesta oratio est. Mais
le meilleur tiltrepraetexte de nouvelleténouuelleté est tres-dangereux.
Position : Marge droite : adeo nihil motum
ex antiquo probabile
est.
Si me sem-
ble-il, a le dire franchement, qu’il y a grand amour de soy &
presomption, d’estimer ses opinions jusqueiusque-là, que pour les
L ij

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[42v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
establir, il faille renverserrenuerser unevne paix publique, & introduire
tant de maux inevitablesineuitables, & unevne si horrible corruption de
meurs que les guerres civilesciuiles apportent, & les mutations
d’estat, en chose de tel poixs: & les introduire en son pays
propre. [Note (Alain Legros) : Montaigne a écrit le premier mot "Est" et dicté à Marie de Gournay la suite jusqu’à "cognoissance?"]
Position : Marge gauche Est [Main de Marie de Gournay] ce pas mal
mesnagé d’advenceraduencer
tant de vicesuices certains
et cognus, pour
combatre des erreurs
contestees et debatables.
Est il quelque pire
espece de vicesuices, que
ceux qui choquent
la propre consciance,
et naturelle cognoissance?[Main de Montaigne]
sance? Le senat osa
doner en paiemant
cette desfaicte sur le
differant d’entre luy et
le peuple, touchantpour le
ministere de leur religion
que cela touchoit les
dieus plus qu’eus, qui
aroint asses l’euilleuil que
leur serviceseruice ne fut pollu.
Ad deos id magis quam
ad se pertinere: ipsos
uisuros ne sacra sua pollu
antur

Ad Deos id magis quam ad se pertinere
ipsos uisuros ne sacra sua polluantur

conformeement a ce que respondit l’oracleloracle
à ceus de delphes en la guere Medoise
creignans l’invasioninuasion des Perses ils
demandarent au Dieu ce qu’ils avointauoint
à faire des thresors sacrez de son te
temple ou les cacher ou les emporter.
Il leur respondit qu’ils ne bougeassent rien
qu’ils se souignassent d’eus: qu’il estoit suffisantsuffisāt
pour pourvoirpouruoir a ce qui luy estoit propre.
La religion Chrestienne à toutes les marques d’ex-
treme justiceiustice & utilitévtilité: mais nulle siplus apparente, que l’exa-
cte recommandation de l’obeissance du Magistrat, & ma-
nutention des polices. Quel merveilleuxmerueilleux exemple nous en
à laissé la sapience divinediuine, qui pour establir le salut du gen-
re humain, & conduire cette sienne glorieuse victoire con-
tre la mort & le peché, ne l’a voulu faire qu’à la mercy de
nostre ordre politique: & a soubmis son progrez, & la con-
duicte d’unvn si haut effect & si salutaire, à l’aveuglementaueuglement
& injusticeiniustice de nos observationsobseruations & usancesvsances: y laissant cou-
rir le sang mesme innocent, de tant d’esleuz ses favorizfauoriz, &
souffrant unevne longue perte d’anneees à meurir ce fruict in-
estimable. Il y à grand à dire, entre la cause de celuy qui
suyt les formes & les loix de son pays, & celuy qui entre-
prend de les regenter & changer. Celuy là allegue pour
son excuse la simplicité l’obeissance & l’exemple: quoy qu’il
face, ce ne peut estre malice, c’est pour le plus malheur.
Position : Marge droite Quis est
enim quem
non moueat
clarissimis
monumentis
testata con
signataque
antiquitas.

Outre ce que
dict Isocrates
que la defec=
tuosite a plus
de part a la
moderation
que n’a l’exceslexces.

L’autre est en bien plus rude party. [Note (Mathieu Duboc) : R.A. Sayce et V. Maskell dans A Descriptive Bibliography of Montaigne’s Essais p.29 en 1983 et avant eux A. Salles dans son article "Dans la librairie de Montaigne", BSAM 1939 signalent que cette addition n’apparait pas dans un certain nombre d’exemplaires de 1595, dont celui actuellement en ligne sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes. Le compositeur a dans un premier temps omis ces lignes. Pour réparer cette erreur, les pages 63 et 64 ont été recomposées en cours de tirage dans une typographie très serrée en y intégrant les vingt-quatre lignes omises.]
Position : Marge gauche Car qui se mesle de
choisir et de changer
usurpe l’authorite de
jugeriuger et se doit faire
fort ou il est un fol de
voir la faute et le viceuice
de ce qu’il chasse et le
bien de ce qu’il introduit
Cette si clere et naturellevulguereuulguere
consideration m’a fermi
en mon siege: et tenu ma
jeunesseieunesse mesme plus teme=
rere, en bride: de ne me
charger lmes espaules d’un
si lourd poisfais que de me
rendre respondant
d’une si haute sciance
de telle hautur et impor=
tance et oser en cetecy
ce qu’en sein jugemantiugemant jeie
ne pourrois oser en la plus
facile de celles aus quelles
on m’avoitauoit instruit et aus quesslles la temerite de jugeriuger est de nul prejudicepreiudice. Me semblant tresinique
de vouloiruouloir sousmettre les constitutions et observancesobseruances publiques & immobiles a l’instabilité d’une priveepriuee
fantasie. La raison priveepriuee n’a qu’une jurisdictioniurisdiction priveepriuee. Et entreprandre sur les loix divinesdiuines ce que nulle
justiceiustice ne supporteroit aus civilesciuiles Ausquelles encore que n l’humaine raison aye beaucoup plus de commerce si
sont elles souvereinemantsouuereinemant jugesiuges de leurs jugesiuges et l’extreme suffisance s’estantsert a expliquer et estandre
l’usag l’usagelusage qui en est receu non a le destourner et corrompreinnoverinnouer. Si quelque fois la providanceprouidance divinediuine
a passe par dessus les regles aus quelles elle nous a necesseremant astreint ce n’est pas pour nous en dispanser
Ce sont coups de sa main divinediuine qu’il nous faut non pas imiter mais admirer: et examples marquez d’un
extraordineres marquez d’un exprez et particulier adveuadueu. Du genre des miracles: qu’elle nous offre pour
tesmouignage de sa toute puissance au dessus de nos ordres & de nos forces: qu’il est folie & temeri impiete
d’essaier a represanter et que nous ne devonsdeuons pas suivresuiure mais contempler aveqaueq estonemant. OuvragesOuuragesActes
de son personage non pas du nostre. Cotta proteste bien opportunement. Quum de religione agitur
T. Coruncanium P. Scipionem P. Scaeuolam pontifices maximos, non Zenonem aut Cleanthem aut Chrysippum sequor.
: on ne peut changer
qu’on ne jugeiuge du mal qu’on laisse, & du bien qu’on prend.
Et Dieu le sçache, en nostre presente querelle, où il y a cent
articles à oster & remettre, grands & profonds articles, com-
bien ils sont, qui se puissent vanter d’avoirauoir exactement reco-
gneu les raisons & fondements de l’unvn & l’autre party. C’est
unvn nombre, si c’est nombre, qui n’auroit pas grand moyen de
nous troubler. Mais toute cette autre presse ou va elle? soubs
quel tiltrequell’enseigne se jetteiette elle à quartier? Il advientaduient de la leur, comme
des autres medecines foibles & mal appliquées: les humeurs
qu’elle vouloit purger en nous, elle les a eschaufées, exasperées

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LIVRE PREMIER. 43
& aigries par le conflict, & si nous est demeuree dansdās le corps.
Elle n’a sçeu nous purger par sa foiblesse, & nous à cependantcependāt
affoiblis, en maniere que nous ne la pouvonspouuōs vuider non plus,
& ne recevonsreceuons de son operation que des douleurs longues &
intestines. Si est-ce que la fortune reservantreseruant tousjourstousiours son au –
thorité au dessus de nos discours, nous presente aucunefois la
necessité si urgentevrgente, qu’il est besoing que les loix luy facent
quelqueplace: commeeEt quand on resiste à l’accroissance d’unevne innoua-
tion qui vient par violence à s’introduire:, car de se tenir en
tout & par tout, en bride & en reigle, contre ceux qui ont la
clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peut avan-
cer
auā-
cer
leur dessein, qui n’ont ny loy ny ordre, que de suyvresuyure leur
advantageaduātage, c’est unevne dangereuse obligationobligatiō & inequalité:
Position : Marge droite Aditum nocendi
perfido praestat fides.

D’autant
d’au-
tant que la discipline ordinaire d’unvn Estat qui est en sa santé,
ne pourvoitpouruoit pas à ces accidens extraordinaires: elle presuppo-
se unvn corps qui se tient en ses principaux membres & offices,
& unvn commun consentement à son observationobseruation & obeïssan-
ce.
Position : Marge droite L’aler legitime
est un aller froid
contreint limitepoisant et contreint. Et
n’est pas pour tenir
bon a un aller
licentieus et effrené.
On sçait qu’il est encore reproché à ces deux grands per-
sonnages OctaviusOctauius & Caton, aux guerres civilesciuiles l’unvn de Syl-
la, l’autre de Cesar, d’avoirauoir plustost laissé encourir toutes ex-
tremitez à leur patrie, que de la secourir aux despensdespēs de ses loix,
& que de rien remuer. Car à la verité en ces dernieres necessi-
tez, où il n’y à plus que tenir, il seroit à l’avantureauanture plus sage-
ment fait, de baisser la teste, & prester unvn peu au coup, que s’a
hurtant outre la possibilité à ne rien relascher, donner occasionoccasiō
à la violance de fouler tout aux pieds: & vaudroit mieux faire
vouloir aux loix ce qu’elles peuventpeuuent, puis qu’elles ne peuventpeuuent
ce qu’elles veulent. Ainsi feit celuy qui ordonna qu’elles dor-
missent vint & quatre heures: &Et celuy qui remua pour
cette fois unvn jouriour du calendrier.: EeEt cet autre qui du mois de
JuinIuin fit le second May. Les Lacedemoniens mesmes, tant
religieux observateursobseruateurs des ordonnances de leur païs, estans
L iij

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[43v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pressez de leur loy, qui defendoit d’eslire par deux fois Admi-
ral, unvn mesme personnage, & de l’autre part leurs affaires re-
querans de toute necessité, que Lysander print de rechef cette
charge, ils firent bienbiē unvn Aracus Admiral, mais Lysander surin-
tendant de la marine. Et de mesme subtilité, unvn de leurs am-
bassadeurs, estant envoyéenuoyé vers les Atheniens, pour obtenir le
changement de quelqu’ordonnance, & Pericles luy alleguantalleguāt
qu’il estoit defendu d’oster le tableau, où unevne loy estoit unevne
fois posée, luy conseilla de le tourner seulement, d’autārautant que
cela n’estoit pas defendu. C’est ce dequoy Plutarque loüe
PhilopaemenPhilopaemēPhilopoemen, qu’estant né pour commander, il sçavoitsçauoit non seu-
lement commander selon les loix, mais aux loix mesme, quandquād
la necessité publique le requeroit.
 


DiversDiuers evenemenseuenemens de mesme Conseil.
 
CHAP. XXIIII.


 
JAQUESIAQVES Amiot, grand Aumosnier de France, me re-
cita unvn jouriour cette Histoire à l’honneurhōneur d’unvn Prince des
nostres (& nostre estoit-il à tres-bonnes enseignes, en-
core que son origine fut estrangere) que durant nos premiers
troubles au siege de Roüan, ce Prince ayant esté advertiaduerti par
la Royne mere du Roy d’unevne entreprinse, qu’on faisoit sur sa
vie, & instruit particulierement par ses lettres de celuy qui la
devoitdeuoit conduire à chef, qui estoit unvn gentilgētil’homme AngevinAngeuin
ou Manceau, frequentant lors ordinairementordinairemēt pour cet effect
la maison de ce Prince: il ne communiquacōmuniqua à personne cet ad-
vertissement
ad-
uertissement
: mais se promenant l’endemain au mont saincte
Catherine, d’où se faisoit nostre baterie à Roüan (car c’estoit
au temps que nous la tenions assiegée) ayant à ses costez ledit
Seigneur grand Aumosnier & unvn autre EvesqueEuesque, il aperçeut
ce gentil’homme, qui luy avoitauoit esté remarqué, & le fit appel-
ler. Comme il fut en sa presence, il luy dict ainsi, le voiantvoiāt desjadesia

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LIVRE PREMIER. 44
pallir & fremir des alarmes de sa conscience: Monsieur de tel
lieu, vous vous doutez bien de ce que jeie vous veux, & vostre
visage le montre, vous n’avezauez rien à me cacher, car jeie suis in-
struict de vostre affaire si avantauant, que vous ne feriez qu’empi-
rer vostre marché d’essayer à le couvrircouurir. Vous sçavezsçauez bien tel-
le chose & telle (qui estoyent les tenanstenās & aboutissans des plus
secretes pieces de cette menée) ne faillez sur vostre vie à me
confesser la verité de tout ce dessein. Quand ce pauvrepauure hommehōme
se trouvatrouua pris & convaincuconuaincu (car le tout avoitauoit esté descouvertdescouuert
à la Royne par l’unvn des complisses) il n’eust qu’à joindreioindre les
mains & requerir la grace & misericorde de ce Prince, aux
pieds duquel il se voulut jetterietter, mais il l’en garda, suyvantsuyuant ain-
si son propos: Venez ça, vous ay-jeie autres-fois fait desplaisir?
ay-jeie offencé quelqu’unvn des vostres par haine particuliere? Il
n’y à pas trois semaines que jeie vous congnois, qu’elle raison
vous à peu mouvoirmouuoir à entreprendreentreprēdre ma mort? Le gentil’hom-
me respondit à cela d’unevne voix tremblante, que ce n’estoit au-
cune occasion particuliere qu’il en eust, mais l’interest de la
cause generale de son party: & qu’aucunsaucūs luy avoyentauoyent persua-
dé que ce seroit unevne execution pleine de pieté, d’extirper en
quelque maniere que ce fut, unvn si puissant ennemy de leur re-
ligion. Or suyvitsuyuit ce Prince, jeie vous veux montrer, combiencombiē la
religion que jeie tienstiēs est plus douce, que celle dequoy vous fai-
ctes profession. La vostre vous à conseillé de me tuer sans
m’ouir, n’ayant receu de moy aucune offence, & la miennemiēne me
commande, que jeie vous pardonne, tout convaincuconuaincu que vous
estes de m’avoirauoir voulu homicider sans raison, Allez vous en,
retirez vous, que jeie ne vous voye plus icy, & si vous estes sage,
prenez doresnavantdoresnauant en voz entreprinses des conseillers plus
gens de bien que ceux la. L’Empereur Auguste estant en la
Gaule reçeut certain advertissementaduertissement d’unevne conjurationconiuration que
luy brassoit Lucius Cinna,: il delibera de s’en venger, & mandamāda

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[44v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pour c’estcet effect au lendemain le Conseil de ses amis: mais la
nuict d’entredeux il la passa avecauec grande inquietude, conside-
rant qu’il avoitauoit à faire mourir unvn jeuneieune homme de bonnebōne mai-
son, & nepveunepueu du grand Pompeius: & produisoit en se plei-
gnant plusieurs diversdiuers discours. Quoy donq, faisoit-il, sera il
dict que jeie demeureray en crainte & en alarme, & que jeie lair-
ray mon meurtrier se promener cependantcepēdant à son ayse? S’en ira
il quitte ayant assailly ma teste, que ji’ay sauvéesauuée de tanttāt de guer-
res civilesciuiles, de tant de batailles, par mer & par terre? & apres
avoirauoir estably la paix universellevniuerselle du monde, sera il absouz ayantayāt
deliberé non de me meurtrir seulement, mais de me sacrifier?
Car la conjurationconiuration estoit faicte de le tuer, commecōme il feroit quel-
que sacrifice. Apres cela s’estant tenu coy quelque espace de
temps, il recommençoit d’unevne vois plus forte, & s’en prenoit
à soy-mesme. Pourquoy vis tu, s’il importe à tanttāt de gensgēs que tu
meures? n’y aura-il point de fin à tes vengeancesvengeāces & à tes cruau-
tez? Ta vie vaut elle que tant de dommage se face pour la con-
server
cō-
seruer
? LiviaLiuia sa femme le sentant en ces angoisses: & les conseilscōseils
des femmes y seront ils receuz, luy fit elle? fais ce que font les
medecins, quand les receptes accoustumées ne peuventpeuuēt servirseruir,
ils en essayent de contraires. Par severitéseuerité tu n’as jusquesiusques à cet-
te heure rienriē profité: Lepidus à suivysuiuy Saluidienus, Murena Le-
pidus, Caepio Murena, Egnatius Caepio.: Ccommence à expe-
rimenter comment te succederont la douceur & la clemenceclemēce.:
Cinna est convaincuconuaincu, pardonne leyuy,: de te nuire mes-huydesormais il ne
pourra, & profitera à ta gloire. Auguste fut bien ayse d’avoirauoir
trouvétrouué unvn AdvocatAduocat de son humeur, & ayant remercié sa fem-
me & contremandé ses amis, qu’il avoitauoit assignez au Conseil,
commandacommāda qu’on fit venir à luy Cinna tout seul: & ayant fait
sortir tout le monde de sa chambre & fait donner unvn siege à
Cinna, il luy parla en cette maniere. En premier lieu jeie te de-
mande Cinna, paisible audience. N’interrons pas mon parler,
jeie te

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LIVRE PREMIER. 45
jeie te doneray temps & loisir d’y respondre. Tu sçais Cinna que
t’ayant pris au camp de mes ennemis, non seulement t’estant
faict mon ennemy, mais estantestāt né tel, jeie te sauvaysauuay, jeie te mis en-
tre mains tous tes biens, & t’ay en fin rendu si accommodé
& si aisé, que les victorieux sont envieuxenuieux de la condition du
vaincu: l’office du sacerdoce que tu me demandas, jeie te l’ot-
troiay, l’ayant refusé à d’autres, desquels les peres avoyentauoyēt tous-
jours
tous-
iours
combatu avecauec moy: t’ayant si fort obligé tu as entrepris
de me tuer. A quoy Cinna s’estant escrié, qu’il estoit bienbiē esloi-
gné d’unevne si meschante pensée. Tu ne me tiens pas Cinna ce
que tu m’avoisauois promis, suyvitsuyuit Auguste, tu m’avoisauois asseuré
que jeie ne serois pas interrompu: ouy tu as entrepris de me
tuer, en tel lieu, tel jouriour, en telle compagnie, & de telle façon:
& le voyant transi de ces nouvellesnouuelles, & en silence, non plus pour
tenir le marché de se taire, mais de la presse de sa conscience:
Pourquoy adjoutaadiouta il, le fais tu? Est-ce pour estre Empereur?
Vrayement il va bien mal à la chose publique, s’il n’y à que
moy, qui t’empesche d’arriverarriuer à l’Empire. Tu ne peus pas seu-
lement deffendre ta maison, & perdis dernierementdernieremēt unvn procez
par la faveurfaueur d’unvn simple libertin. Quoy, n’as tu moyenmoyē ny pou-
voir
pou-
uoir
en autre chose que à entreprendre Caesar? JeIe le quitte, s’il
n’y à que moy qui empesche tes esperancesesperāces. PensesPēses tu, que Pau-
lus, que Fabius, que les CossePosition : Interligne hauteens, & ServiliensSeruiliēs te souffrent? & unevne
si grande trouppe de nobles, non seulement nobles de nom,
mais qui par leur vertu honorenthonorēt leur noblesse? Apres plusieurs
autres propos (car il parla à luy plus de deux heures entieres)
or va, luy dit-il, jeie te donne, Cinna, la vie, à traistre & à parri-
cide, que jeie te donnay autres-fois à ennemy: que l’amitié com-
mence
cō-
mence
de ce jourdiourd’huy entre nous: essayons qui de nous deux
de meilleure foy, moy t’aye donné ta vie, ou tu l’ayes receüe.
Et se despartit d’avecauec luy en cette maniere. Quelque tempstēps apres
M

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[45v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
il luy donna le consulat, se pleignant dequoy il ne le luy avoitauoit
osé demander. Il l’eut depuis pour fort amy, & fut seul faict
par luy heritier de ses biens. Or depuis cet accidantaccidāt, qui advintaduint
à Auguste au quarantiesme an de son aage, il n’y eut jamaisiamais
de conjurationconiuration ny d’entreprinse contre luy, & receut unevne ju-
ste
iu-
ste
recompense de cette sienne clemence. Mais il n’en advintaduint
pas de mesmes au nostre: car sa douceur ne le sceut garentir,
qu’il ne cheut depuis aux lacs de pareille trahison. Tant cetc’est
chose vaine & frivolefriuole que l’humaine prudence: & au traverstrauers
de tous nos projectsproiects, de nos conseils & precautionsprecautiōs, la fortune
maintient tousjourstousiours la possession des evenemenseuenemens. Nous ap-
pellouns les medecins heureux, quand ils arriventarriuent à quelque
bonne fin: comme s’il n’y avoitauoit que leur art, qui ne se peut
maintenir d’elle mesme, & qui eust les fondemens trop frai-
les, pour s’appuyer de sa propre force: & comme s’il n’y avoitauoit
qu’elle, qui aye besoin que le hazart & la fortune preste la
main à ses operations. JeIe croy d’elle tout le pis ou le mieux
qu’on voudra. Car nous n’avonsauons, Dieu mercy, nul commercecōmerce
ensemble: jeie suis au rebours des autres, car jeie la mesprise bien
tousjourstousiours, mais quand jeie suis malade, au lieu d’entrer en compo-
sition
cōpo-
sition
, jeie commence encore à la haïr & à la craindre: & responsrespōs
à ceux, qui me pressent de prendre medecine, qu’ils attendent
au moins que jeie sois rendu à mes forces & à ma santé, pour a-
voir
a-
uoir
plus de moyen de soustenir l’effort & le hazart de leur
breuvagebreuuage. JeIe laisse faire nature, & presuppose qu’elle se soit
garniepourveuepourueue de dents & de griffes, pour se deffendre des assaux qui
luy viennent, & pour maintenir cette contexture, dequoy el-
le fuit la dissolutiondissolutiō: jeie crain au lieu de l’aller secourir ainsi com-
me
cō-
elle est aux prises bien estroites & bien jointesiointes avecauec la ma-
ladie, qu’on secoure son adversaireaduersaire au lieu d’elle, & qu’on la
recharge de nouveauxnouueaux affaires. Or jeie dy que non en la medeci-
ne, seulementseulemēt: mais en plusieurs arts plus certaines la fortune y

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LIVRE PREMIER. 46
à bonnebōne part. Les saillies poëtiques, qui emportentemportēt leur autheur
& le ravissentrauissent hors de soy, pourquoy ne les attribuerons
nous à son bon heur? puis qu’il confesse luy mesme qu’elles
surpassent sa suffisance & ses forces, & les reconnoitrecōnoit venir d’ail-
leurs que de soy, & ne les avoirauoir aucunement en sa puissance:
non plus que les orateurs ne disent avoirauoir en la leur ces mouve-
mens
mouue-
mens
& agitationsagitatiōs extraordinaires, qui les poussent au delà de
leur dessein. Il en est de mesmes en la peinture, qu’il eschappe
par fois des traits de la main du peintre surpassans sa conceptioncōceptiō
& sa science, qui le tirent luy mesmes en admirationadmiratiō, & qui l’e-
stonnent. Mais la fortune montre bienbiē encores plus evidem-
ment
euidem-
ment
, la part qu’elle à en tous ces ouvragesouurages, par les graces &
beautez qui s’y treuventtreuuent, non seulement sans l’invtentioninutentiō, mais
sans la cognoissance mesme de l’ouvrierouurier. UnVn suffisant lecteur
descouvredescouure souvantsouuant és escrits d’autruy des perfections autres,
que celles que l’autheur y à mises & apperceües, & y preste
des sens & des visages plus riches. Quant aux entreprinses mi-
litaires, chacun void commentcōment la fortune y a bonnebōne part: en nos
conseils mesmes & en nos deliberations, il faut certes qu’il y
ait du sort & du bonheur meslé parmy: car tout ce que nostre
sagesse peut, ce n’est pas grandgrād chose: plus elle est aigue & viveviue,
plus elle trouvetrouue en soy de foiblesse, & se deffie d’autant plus
d’elle mesme. JeIe suis de l’advisaduis de Sylla: & quand jeie me prens
garde de prez aux plus glorieux exploicts de la guerre, jeie voi,
ce me semble, que ceux qui les conduisent n’y employent la
deliberationdeliberatiō & le conseil, que par acquit, & que la plusmeillurepart de
l’entreprinse ils l’abandonnent à la fortune, & sur la fiance
qu’ils ont à son secours, passent a tous les coups au delà des
bornes de tout discours: il survientsuruient des allegresses fortui-
tes & des fureurs estrangeres parmy leurs deliberations, qui
les poussent le plus souventsouuent à prendre le party le moins fon-
dé en apparence, & qui grossissent leur courage au dessus de
M ij

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[46v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
la raison. D’où il est advenuaduenu à plusieurs grands Capitaines an-
ciens, pour donner credit à ces conseils temeraires, d’aleguer à
leurs gens, qu’ils y estoyent conviezconuiez par quelque inspiration,
par quelque signe & prognostique. Voyla pourquoy en cet-
te incertitude & perplexité, que nous aporte l’impuissance de
voir & choisir ce qui est le plus commodecōmode, pour les difficultez
que les diversdiuers accidensaccidēs & circonstancescircōstances de chaque chose tirent
quantquāt & elle, le plus seur, quandquād autre considerationcōsideration ne nous y con-
vieroit
cō-
uieroit
, est à mon advisaduis de se rejetterreietter au parti, où il y à plus d’hon
nesteté & de justiceiustice: & puis qu’on est en doute du plus court
chemin, tenir tousjourstousiours le droit. CommeCōme en ces deux exemples,
que jeie vien de proposer, il n’y à point de doubte, qu’il ne fut
plus beau & plus genereux à celuy qui avoitauoit receu l’offenceoffēce de
la pardonnerpardōner, que s’il eust fait autrementautremēt. S’il en est mes-advenuaduenu
au premier, il ne s’en faut pas prendreprēdre à ce sien bon dessein, & ne
sçait on, quand il eust pris le party contrairecōtraire, s’il eust eschapé la
fin, à laquelle son destin l’appeloit, & si eust perdu la gloire
d’unevne si notable bonté. Il se void dans les histoires, force gens
en cette crainte, d’où la plus part ont suivisuiui le chemin de courir
au devantdeuant des conjurationscōiurations, qu’on faisoit contrcōtr’eux, par vengean-
ce
vengeā-
ce
& par supplices: mais ji’en voy fort peu ausquels ce remede
ait servyseruy, tesmoing tant d’Empereurs Romains. Celuy, qui se
trouvetrouue en ce dangier, ne doibt pas beaucoup esperer ny de sa
force, ny de sa vigilance. Car combien est-il mal aisé de se ga-
rentir d’unvn ennemy, qui est couvertcouuert du visage du plus offi-
cieux amy que nous ayons? & de connoistrecōnoistre les volontezvolōtez & pen-
semens
pen-
semēs
interieurs de ceux, qui nous assistentassistēt? Il à beau employer
des nationsnatiōs estrangieres pour sa garde, & estre tousjourstousiours ceint
d’unevne haye d’hommeshōmes armez: quiconque aura sa vie à mespris,
se rendra tousjourstousiours maistre de celle d’autruy. Et puis ce con-
tinuel soupçon, cette deffiance, qui met le Prince en doute
de tout le monde, luy doit servirseruir d’unvn merveilleuxmerueilleux tourmenttourmēt.

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LIVRE PREMIER. 47
Pourtant Dion estant advertyaduerty que Callipus espioit les moyensmoyēs
de le faire mourir, n’eust jamaisiamais le coeur d’en informer, disant
qu’il aymoit mieux mourir que vivreviure en cette misere, d’avoirauoir
à se garder non de ses ennemys seulement, mais aussi de ses
amis. Ce qu’Alexandre representa bien plus vivementviuement par ef-
fect, & plus courageusementroiddement, quand ayant eu advisaduis par unevne
lettre de Parmenion, que Philippus son plus cher medecin
estoit corrompu par l’argent de Darius pour l’empoisonner,
en mesme temps qu’il donnoit a lire sa lettre à Philippus, il
avalaauala le bruvagebruuage qu’il luy avoitauoit presenté. Fut ce pas exprimer
cesttte resolution, que si ses amys le vouloiPosition : Interligne hautent tuer, il consentoit
qu’ils le peussent faire? La vaillance n’est pas seulement à la
guerre:. cCe prince est le souverainsouuerain patronpatrō des actes hazardeux:
mais jeie ne sçay s’il y a traict en sa vie, qui ayt plus de fermeté
que cestuy-cy, ny unevne beauté illustre par tanttāt de visages. Ceux qui
preschentpreschēt aux princes le soubçonsoubçō & la deffiancedeffiāce si attentiveattētiue, soubs
couleur de leur prescher leur seurté, leur preschent leur ruyne
& leur honte. Rien de noble ne se faict sans hazard. JeIeJI’en sçay unvn
grandde corage tres martial de sa complexion, et hasardeusentreprenant, de qui tous les joursiours on corrompt la bonnebōne fortune par
telles persuasions,: qQu’il se resserre entre les siens, qu’il n’entendeentēde
à aucune reconciliation de ses anciens ennemys, se tienne à
part, & ne se commette entre mains plus fortes, quelque pro-
messe qu’on luy face, quelque utilitévtilité qu’il y voye. [Note (Alain Legros) : Les trois premiers mots sont de la main de Montaigne et la suite de Marie de Gournay écrivant sous sa dictée.]
Position : Marge droite JI’en sçai [Main de Marie de Gournay] un autre grand, qui a inesperément
advencéaduencé sa fortune, pour avoirauoir une fois et
deux, pris conseil tout contraire. La hardiesse,
dequoy ilz cherchent si avidementauidement la gloire,
se represante quant il est besoin, aussy
magnifiquement en pourpoinct qu’en armes,
en un cabinet qu’en un camp, le bras
pendant que le bras levéleué.
La pruden-
ce si tendre & circonspecte, est mortelle ennemye de hautes
executions.
Position : Interligne basse Annibal fut mort ravagentantrauagentant l’italie
si Scipion n’eut sceut pour pratiquer la volantéuolanté
de Syphax, quitant son armee, et abandonantabandonāt l’hespaigne
doubteuse encores sous la nouvellenouuelle conqueste, passer en
Aphrique dans deus simples vesseausuesseaus pour se commettre en
terre enemie, ena la puissance d’un Roy barbare, a une foi inconue,
sans obligation, sans hostage, sous la sule surete de la grandur
de son propre corage, & de son bonheur, et de la promesse de ses
hautes esperances: habita fides ipsam plerumque fidem obligat.
A unevne vie royalleambitieuse & fameuse, il faut au rebours,
prester peu, & porter la bride courte aux soubçons: la crainte
& la deffiance attirent l’offence & la convientconuient. Le plus def-
fiant de nos Roys, establit ses affaires, principallement pour
avoirauoir volontairement abandonné & commis sa vie, & sa li-
berté, entre les mains de ses ennemis, monstrant avoirauoir entiere
fiance d’eux, affin qu’ils la prinsent de luy. A ses legions muti-
nées & armées contre luy, Caesar opposoit seulementseulemēt l’autho-
M iij

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[47v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
rité de son visage, & Position : Interligne haute la fierté de ses paroles,: & se fioit tant à soy & à sa
fortune, qu’il ne craingnoit point de l’abandonner & commet-
tre
cōmet-
tre
à unevne armée seditieuse & rebelle.
Position : Marge haute Stetit aggere fulti
Cespitis, intrepidus uultu, meruitque timeri
Nil metuens.
Mais il est bien vray, que
cette forte asseurance, ne se peut representer bien entiere, &
naifvenaifue, que par ceux ausquels l’imagination de la mort, & du
pis qui peut adveniraduenir apres tout, ne donne point d’effroy: car
de la presenter tremblante, encore doubteuse & incertaine,
pour le serviceseruice d’unevne importante reconciliation, ce n’est rien
faire qui vaille:. cC’est unvn excellent moyen de gaigner le coeur
& volonté d’autruy, de s’y aller soubsmettre & fier, pourveupourueu
que ce soit librementlibremēt, & sans contrainte d’aucune necessité, &
que ce soit en conditionconditiō, qu’onō y porte unevne fiancefiāce pure & nette, le
frontfrōt aumoins deschargé de tout scrupule. JeIe vis en mon enfan-
ce, unvn Gentil-homme commandant à unevne grande provinceprouincevilleuille,
empressé à l’esmotion d’unvn peuple furieux: pPour esteindre ce
commencement de trouble, il print party de sortir d’unvn lieu
tres-asseuré où il estoit:, & se rendrerēdre à cette tourbe mutine: d’où
mal luy print, & y fut miserablement tué:. mMais il ne me sem-
ble pas que sa faute fut tant, d’estre sorty, ainsi qu’ordinaire-
ment on le reproche à sa memoire, comme ce fut, d’avoirauoir pris
unevne voye de douceur, d’humilitésummission, & de mollesse: & d’avoirauoir vou
lu endormir cette rage, plustost en flatantsuivantsuiuant que commandanten guidant,
& en requerant plustost qu’en remonstrant,: & estime que la
Position : Marge gauche unevne gratieuse seve=
ri
seue=
ri
, aveqaueq un coman=
demant militere
plein de une gaye
securité etde confiance,

fermetéseveritéseuerité, l’authorité, & unevne contenance deet parole Position : Interligne haute comanderesse, convenableconuenable
à son rang, & à la dignité de sa charge, luy eust mieux succedé,
aumoins avecauec plus d’honneur, & de bien-seance. Il n’est rien
moins esperable de ce monstre ainsin agité, que l’humanité &
la douceur, il recevrareceura bien plustost la reverencereuerence, & la craincte.
JeIe luy reprocherois aussi, qu’ayant pris unevne si hazardeuse &
belle resolutionresolutiō,
Position : Marge gauche plus Position : Interligne haute tost bravebraue a mon
gre, que temerere,
de se jetterietter foible & en pourpoint, emmy cet-
te mer tempestueuse d’hommes insensez, il la devoitdeuoit avalleraualler
entieretoute, & n’abandonner sa constancece personage: lLa où il luy advintaduint apres

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LIVRE PREMIER. 48
avoirauoir recogneu le danger de pres, de
Position : Marge haute seigner du nez: et d’alterer encore depuis cette contenance démise & flatteuse
qu’il avoitauoit entreprinse, en une contenance effraïee: chargeant sa voixuoix et ses yeus
d’estonemantdestonemant et de paenitance:. cCherchant a coniller et se desrober, il les
enflamma & appela sur soi.
se remplirrēplir l’ame & le front
de repentance Position : Interligne haute et d’effrai, n’ayant plus autre soing que de sa conserva-
tion
conserua-
tion
: si qu’abandonnant son premier rolleoffice de regler & guider,
& cedant plustost que s’opposant, il attiraapela cet orage sur soy,
employant Position : Interligne haute inconsidereement tous moyens de le fuyr & eschaper.
On deliberoit
de faire unevne montre generalle de diversesdiuerses trouppes en armes,
(c’est le lieu des vengeances secretes, & n’en est point ou, en
plus grande seurté on les puisse exercer) Il y avoitauoit publiques
et notoires apparencesapparēces, qu’il n’y faisoit pas fort bon pour aucuns,
ausquels touchoit la principalle & necessaire charge de les re-
cognoistre. Il s’y proposa plusieurs & diversdiuers conseils, comme
en chose difficile, & qui avoitauoit beaucoup de poids & de suyte:
le mien fut, qu’on evitasteuitast sur tout de donner aucun tesmoi-
gnage de ce doubte, & qu’on s’y trouvasttrouuast & meslast parmy les
files, la teste droicte, & le visage ouvertouuert, & qu’au lieu d’en re-
trancher
re-
trācher
aucune chose (à quoy les autres opinionsopiniōs visoyentvisoyēt le plus)
qu’au contrairecōtraire, on sollicitast les capitaines d’advertiraduertir les soldats
de faire leurs salues belles & gaillardes en l’honneur des assi-
stans, & n’espargner leur poudre. Cela servitseruit de gratification
enversenuers ces troupes suspectes, & nous engendra dés lors en
avantauāt unevne mutuelle & utilevtile confidencecōfidence. La voye qu’y tint JuliusIulius
Caesar, jeie trouvetrouue que c’est la plus belle, qu’on y puisse prendreprēdre. Pre-
mierement il essaya par clemence & douceur, à se faire aymer
de ses ennemis mesmes, se contentant aux conjurationsconiurations, qui
luy estoient descouvertesdescouuertes, de declarer simplement qu’il en e-
stoit advertyaduerty: cela faict, il print unevne tres-noble resolutionresolutiō, d’at-
tendre sans effroy & sans solicitude, ce qui luy en pourroit ad-
venir
ad-
uenir
, s’abandonnantabandonnāt & se remettantremettāt à la garde des dieux & de la
fortune.: Ccar certainement c’est l’estat où il estoit quand il fut
tué. UnVn estrangerestrāger ayantayāt dict & publié par tout, qu’il pourroit in-
struire Dionysius Tyran de Syracuse, d’unvn moyen de sentir &
descouvrirdescouurir en toute certitude, les parties que ses subjetssubiets ma-

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[48v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
chineroyent contre luy, s’il luy vouloit donner unevne bonnebōne pie-
ce d’argent, Dionysius en estant advertyaduerty, le fit appeller à soy,
pour l’esclarcir d’unvn art si necessaire à sa conservationconseruation: cet
estrangier, luy dict, qu’il n’y avoitauoit pas d’autre art, sinon qu’il
luy fit delivrerdeliurer unvn talent, & se ventast d’avoirauoir apris de luy unvn
singulier secret. Dionysius trouvatrouua cette inventioninuention bonne, &
luy fit compter six cens escus. Il n’estoit pas vray-sembla-
ble, qu’il eust donné si grande somme à unvn homme incogneu,
qu’en recompense d’unvn tres-utilevtile aprentissage, & servoitseruoit cette
reputation à tenir ses ennemis en crainte. Pourtant les Prin-
ces sagement publient les advisaduis qu’ils reçoiventreçoiuent des menées
qu’on dresse contre leur vie, pour faire croire qu’ils sont bien
advertisaduertis, & qu’il ne se peut rien entreprendre dequoy ils ne
sentent le vent.
Position : Marge gauche Le duc d’Athenes fit
plusieurs sottises en la
l’establissement de sa
fresche tirannie sur
Florence: mais cete ci la
plus notable qu’estant
ayant receu le premier
advisaduis des monopoles que
ce peuple dressoit contre
luy par Matteo di Morozo
complice d’icelles il le fit
mourir pour supprimer cet
advertissementaduertissement et ne faire
sentir qu’aucun en la villeuille se peut
enuïer de son justeiuste
gouvernementgouuernement.
Il me souvientsouuient d’avoirauoir leu autrefois l’histoire
de quelque Romain, personnage de dignité, lequel fuyant la
tyrannie du Triumuirat, avoitauoit eschappé mille fois les mains
de ceux, qui le poursuivoyentpoursuiuoyēt, par la subtilité de ses inventionsinuētions:
Il advintaduint unvn jouriour, qu’unevne troupe de gens de chevalcheual, qui avoitauoit
charge de le prendre, passa tout joignantioignant unvn halier, où il s’e-
stoit tapy, & faillit de le descouvrirdescouurir: mais luy sur ce point là,
considerant la peine & les difficultez, ausquelles il avoitauoit desjadesia
si long temps duré, pour se sauversauuer des continuelles & curieu-
ses recherches, qu’on faisoit de luy par tout, le peu de plaisir
qu’il pouvoitpouuoit esperer d’unevne telle vie, & combien il luy valoit
mieux de passer unevne fois le pas, que de demeurer tousjourstousiours en
cestte transe, luy mesme les r’apella & leur trahit sa cachete, s’a-
bandonnant volontairement à leur cruauté, pour oster eux
& luy d’unevne plus longue peine. D’appeller les mains enne-
mies, c’est unvn conseilcōseil unvn peu gaillard & hardy:, si croy-jeie, qu’en-
core vaudroit-il mieux le prendre, que de demeurer en la fie-
vre
fie-
ure
continuelle d’unvn accident, qui n’a point de remede:. mMais
puisque les provisionsprouisions qu’on y peut aporter sont pleines d’in-
quie-

Fac-similé BVH

LIVRE PREMIER. 49
quietude, de tourment & d’incertitude, il vaut mieux d’unevne
belle asseurance se preparer à tout ce qui en pourra adveniraduenir, &
tirer quelque consolation de ce qu’on n’est pas asseuré qu’il
advienneaduienne.


Du pedantisme. CHAP. XXV.


 
JEIE me suis souventsouuent despité en mon enfance, de voir és
comedies Italiennes, tousjourstousiours unvn pedantepedāte pour badin,
&Et le surnom de magister, n’avoitauoit guiere plus honora-
ble signification parmy nous. Car leur estant donné en gou-
vernement
gou-
uernemēt
& en garde, que pouvoispouuois-jeie moins faire que d’estre
jalousialous de leur reputationreputatiō? JeIe cherchois bienbiē de les excuser par la
disconvenancediscōuenance naturelle qu’il y a entre le vulgaire, & les person-
nes
persō-
nes
rares & excellentes en jugementiugement, & en sçavoirsçauoir: dD’autant
qu’ils vont unvn train entierement contraire les unsvns des autres.
Mais en cecy perdois jeie mon latin, que les plus galans hom-
mes c’estoient ceux qui les avoyentauoyēt le plus à mespris, tesmoing
nostre bon du Bellay.
Mais jeie hay par sur tout unvn sçavoirsçauoir pedantesque.
Et est cette coustume ancienne: cCar Plutarque dit que Grec &
escholier, estoient mots de reproche entre les Romains, & de
mespris. Depuis avecauec l’eage ji’ay trouvétrouué qu’on avoitauoit unevne gran-
dissime raison, & que magis magnos clericos, non sunt magis magnos
sapientes
. Mais d’où il puisse adveniraduenir qu’unevne ame garnieriche de la
connoissancecōnoissance de tant de choses, n’en deviennedeuienne pas plus viveviue, &
plus esveilléeesueillée, &Et qu’unvn esprit grossier & vulgaire puisse loger
en soy, sans s’amender, les discours & les jugemensiugemens des plus
excellens esprits, que le monde ait porté, ji’en suis encore en
doute. A recevoirreceuoir tant de cervellesceruelles estrangeres, & si fortes, &
si grandes, il est necessaire (me disoit unevne fille, la premiere de
nos Princesses, parlant de quelqu’unvn) que la sienne se foule, se
contraingne & rapetisse, pour faire place aux autres. JeIe dirois
N

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[49v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
volontiers, que comme les plantes s’estouffent de trop d’hu-
meur, Position : Interligne haute et les lampes de trop d’huile aussi l’action de l’esprit par trop d’estude, & que l’ameet de matiere. Lequel
saisie & embarassée de tant de’une grande diversitédiuersité de choses, perde le
moyen de se desmesler,. &Et que cette grande charge lae tienne
comme courbe & croupie.
Position : Marge gauche Tout ainsi que les lampes
qui ne peuventpeuuent esclarer
estoufees de trop de huile.
Ne plus ne moins que nous
voionsuoions les lampes ne nous
pouvoirpouuoir esl esclarer suffo=
quees de trop de huile.
Mais il en va autrement, car nostre
ame s’eslargit d’autant plus qu’elle se remplit, &Et aux exemples
des vieux temps, il se voit tout au rebours, que les plusdes suffi-
sans hommes aux maniemens des choses publiques, les plusdes
grands capitaines, & les meilleursgrands conseillers aux affaires d’e-
stat, ontavoirauoir esté ensemble les plustres sçavanssçauans. Et quant aux philoso-
phes retirez de toute occupation publique, ils ont esté aussi
quelque fois à la verité mesprisez, par la liberté Comique de
leur temps:
Position : Marge haute leurs opinions & façons les rendans ridicules.
ce quecome la chamberiere reprochoit a Thales qu’il ignoroit ce qui estoit a ses pieds. Les voulesuoules vousuous faire jugesiuges des droits d’un
proces des actions d’un home. Ils en sont bien pretz. Ils cherchentcherchēt encores s’il y a vieuie s’il y a mouvementmouuement si l’home est autre chose qu’un
boeuf que c’est qu’agir et souffrir. Quelles gensbestes se sont que loix & justiceiustice. Parlent ils du magistrat ou parlent ils a luy c’est
d’une liberte insupportableirreverenteirreuerente et incivilleinciuille OitOyentOyēt ils louer leur prince ou un roy c’est un pastre pour luyeus oisif come un pastre: etoccupe a pressurantāter et
come un pastre sauf qu’un peutondantātre ses bestes: mais bien plus rudement qu’un pastre ses bestesqu’un pastrequ’un pastre. En estimes vousuous quelqun plus grand pour posseder deus mille
arpans de terre ils estimentestimēteus present cela riens’en moquent,
accostumez d’embrasser tout le
monde come leur possession.
vousuous vantesuantes vousuous de vostreuostre
noblesse pour contercōter sept ayeuls
riches: ils vousuous estiment en rien de
sot et ne rienpeu: ne concevantconceuant de grand
regardant pas a
l’imagelimage univer=
selle
uniuer=
selle
de nature: et combien chacunchacū
de nous a eu de predecessurs
riches povrespoures roys valetsualets grecs
et barbares. Et quand vousuous
series ni cinquantiemecinquātieme
descendant de Hercules ils vousuous
trouventtrouuēt vainuain de faire valoirualoir
ce presant de la fortune.
Ainsi les desdeignoit le
vulguere come ignorans desles
premieres choses et communes
& come presomptueus et
insolens. come Mais cette
peinture Platonique est bien
eslouignee de celle qu’il faut
à nos gens. On envioitenuioit ceus la
comme estant libres et oisifs
mais au rebours des nostres: car on envioitenuioit ceux-
, comme estans au dessus de la commune façon, commecōme mes-
prisans les actions publiques, comme ayansayās dressé unevne vie par-
ticuliere & inimitable, reglée à certains discours hautains &
hors d’usagevsage: cCeux-cy on les desdeigne, come serfs trescome homes venausuenaus et affaireus comme estans au des-
soubs de la commune façon, comme incapables des charges
publiques, comme trainans unevne vie & des meurs basses & vi-
les apres le vulgaire.
[Note (Montaigne) : Vers][Note (Alain Legros) : Ce commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.]
Position : Marge gauche Odi homines ignaua
opera, philosofa sententia.
Quant à ces philosophes, dis-jeie, comme
ils estoient grands en science, ils estoient encore plus grandsgrāds en
tout’autre perfection & excellanceaction. Et tout ainsi qu’on dit de
ce Geometrien de Siracuse, lequel ayant esté destourné de sa
contemplation, pour en mettre quelque chose en practique, à
la deffence de sa patrieson païs, qu’il mit soudain en train des engins
espouvantablesespouuantables, & des effets surpassans toute creance humai-
ne: desdaignant toutefois luy mesme toute cestte siennesiēne manu-
facture,: & pensant en cela, avoirauoir corrompu & gasté la dignité
de son art, de laquelle ses ouvragesouurages n’estoient que l’aprentissa-
ge & le jouetiouet. Aussi eux, si quelquefois on les a mis à la preuvepreuue
de l’action, on les à veu voler d’unevne aisle si haute, qu’il pa-
roissoit bien leur coeur, & leur ame, s’estre merveilleusementmerueilleusement

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  LIVRE PREMIER. 50
grossie & enrichie par l’intelligence des choses. Mais
Position : Marge droite aucuns voïantuoïant les se la
place du gouvernementgouuernemēt
politique sesie par homes
incapables s’en sont reculés
et celuy qui demanda
a Crates combie jusquesiusques a
quant il faudroit philosopher
en receut cette responce:
jusquesiusques a teant que ce ne
soint plus des asniers qui
conduisent nos armees.
d’autres aïant et Hera=
clitusHeraclytus resigna la royaute à
son frere: eEt
aus Ephesiens qui
luy reprochoint dea quoi il
passoit son temps a joueriouer
aveqaueq les enfans devantdeuāt le
temple: Vaut il pas mieux
faire ceciy que gouvernergouuerner les
affaires en vostreuostre compaigniecōpaignie
D’autres aïant
leurs
imaginations logées au dessus de la fortune & du mondemōde, leur
faisoient trouvertrouuer
trouverenttrouuerent les sieges de la justiceiustice, & les thrones mesmes
des Roys, bas & viles.
Position : Marge gauche et refusa
Empedocles
la Royaute que
les Agrigentins
luy offrirent.
UnVn d’entr’eux, Thales, accusant quelque
fois le soing du mesnage & de s’enrichir, on luy reprocha que
c’estoit à la mode du renard, pour n’y pouvoirpouuoir adveniraduenir. Il luy
print envieenuie par passetemps d’en montrer l’experience, & ayantayāt
pour ce coup ravaléraualé son sçavoirsçauoir au serviceseruice du proffit & du
gain, dressa unevne trafique, qui dans unvn an rapporta telles riches-
ses, qu’à peine en toute leur vie, les plus experimentezexperimētez de ce me-
stier là, en pouvoientpouuoient faire de pareilles.
Position : Marge droite Ce qu’Aristote Position : Marge droite recite d’aucuns qui apelleointapelleoīt et et
celuy la et Anaxagoras et
leurs semblables sages plu et
non prudans pour n’avoirauoir
asses de soin des leur profitchoses plus utiles
outre ce que jeie ne digére pas
bien cette differance de mots
cela ne sert point d’excuse à
mes gens: et a voiruoir la basse
et necessiteuse fortune de
quoi ils se païent, nous
arions plustost occasion de
dire qu’ilsquils ne sont ny sagesprononcer
tous les deus, qu’ilils sont & non saiges &
non prudans.
Par ainsi jeie quitte cetteJeIe quitte cette premiere
raison, & croy qu’il vaut mieux dire, que cela vienneviēne à nos mai-
stres d’escoleque ce mal leur vieneuiene de leur mauvaisemauuaise façon de se prendre aux scien-
ces: &Et qu’à la mode dequoy nous sommes instruicts, il n’est
pas merveillemerueille, si ny les escholiers, ny les maistres n’en devien-
nent
deuien-
nent
pas plus habiles, quoy qu’ils s’y facent plus sçavanssçauansdoctes. De
vray le soing & la despence de nos peres, ne vise qu’a nous gar-
nirmeubler la teste de science: du jugementiugement & de la vertu, nullespeu de nou-
velles
nou-
uelles
.
Position : Marge droite Qui criera davantdauantCriez d’un passant
Position : Interligne haute a nostre peuple. O le
sçavantsçauant home. Et d’un
autre. O le bon homme.
Il ne faudra pas a des=
tourner les yeus et
son respet versuers le
premier. Il y
faudroit un tiers
crieur. O les folles gens
lourdes testes.
Nous nous enquerons volontiers, sçait-il du Grec ou
du Latin? escrit-il en vers ou en prose? mais s’il est devenudeuenu meil-
leur ou plus adviséaduisé, c’estoit le principal, & c’est ce qui demeu-
re derriere. Il falloit s’enquerir qui est mieux sçavantsçauant, non qui
est plus sçavantsçauant. Nous ne travaillonstrauaillons qu’à remplir la memoi-
re, & laissons l’entendemententendemēt Position : Interligne haute et la consciance vuide. Tout ainsi que les oyseaux
vont quelquefois à la queste du grein, & le portentportēt au bec sans
le taster, pour en faire bechée à leurs petits: ainsi nos pedantes
vont pillotant la science dans les livresliures, & ne la logent qu’au
bout de leurs lévresléures, pour la dégorger seulement, & mettre au
ventvēt.
Position : Marge droite Non est loquendum
sed gubernandum.

C’est merveillemerueille combien
proprement la sottise se
loge sur mon exemple Est
ce pas faire de mesmes, ce
que jeie fois en la plus part
de cette composition JeIe
m’en voisuois escorniflant par cy par la
des autheurslivresliures, les sentances qui me plaisent
non pour les garder, car jeie n’ay point de gardoire
mais pour les transporter en cetuicy, ou a vraiurai
dire, elles ne sont non plus mienes qu’en leur
premiere place. Nous ne somes ce crois jeie sçavantssçauants
que de la sciance presante: non de la passee: &
aussi peu Position : Interligne haute que de la future
Mais qui pis est, leurs escholiers & leurs petits, ne s’enē nour-
rissent & alimententalimētent non plus,: ains elle passe de main en main,
pour cette seule fin, d’en faire parade, d’enē entretenir autruy, &
d’en faire des contes,: commecōme unevne vaine monnoye inutile à tout
N ij

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[50v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
autre usagevsage & emploite, qu’a compter & jetterietter.
Position : Marge gauche Apud alios loqui
didicerunt, non
ipsi secum. Non
est loquendumloquendū sed
gubernandumgubernandū
. Nature
pour montrer qu’il n’y a
rien de sauvagesauuage en ce qui
est conduit par elle, faict
naistre es nations moins
cultiveescultiuees par art, des
productionproductions d’espritdesprit souvantsouuant
qui luitent les plus artistes
productions. Come sur mon
propos le proverbeprouerbe Gascon
est il delicat: Bouha prou
bouha, mas a remuda lous
ditz qu’em
. Souffler prou
souffler: mais nous en somes
à remuer les doits. tirè d’une
chalemie
Nous sçavonssçauōs
dire, Cicero dit ainsi, voila l’opinionopiniōles meurs de PlatonPlatō, ce sont les mots
mesmes d’Aristote: mais nous que disons nous nous mesmes?
qu’opinons nous? que jugeonsiugeons nous? Position : Interligne haute que faisons nous? Autant en feroitdiroit bien unvn
perroquet. Cette façon me fait justementiustemēt souvenirsouuenir de ce riche
Romain, qui avoitauoit esté soigneux à fort grande despencedespēce de re-
couvrer
re-
couurer
des hommes suffisans en tout genre de sciences, qu’il
tenoit continuellementcontinuellemēt autour de luy, affin que quandquād il escher-
roit entre ses amis quelque occasion de parler d’unevne chose ou
d’autre, ils supplissent sa place, & fussent tous prets à luy four-
nir, qui d’unvn discours, qui d’unvn vers d’Homere, chacun selon
son gibier: & pensoit ce sçavoirsçauoir estre sien, par ce qu’il estoit
en la teste de ses gensgēs: & comme font aussi ceux, desquels la suf-
fisance loge en leurs somptueuses librairies.
Position : Marge gauche JI’en conois a qui quand jeie
demande ce qu’il sçait il me
demande un livreliure pour me le
montrer: et n’oseroit me dire
qu’il a le derriere galus s’il
ne vaua sur le champ estudier en
son lexicon que c’est que galus &
derriere que c’est que derriere
Nous de mesmes,
nous prenons en garde les opinions & le sçavoirsçauoir d’autruy, &
puis c’est tout: iIl les faut faire nostres. Nous semblons propre-
ment celuy, qui ayant besoing de feu, en iroit querir chez son
voisin, & y en ayant trouvétrouué unvn beau & grand, s’arresteroit là à
se chauffer, sans plus se souvenirsouuenir d’en raporter chez soy. Que
nous sert-il d’avoirauoir la panse pleine de viande, si elle ne se dige-
re, si elle ne se trans-forme en nous? si elle ne nous augmenteaugmēte &
fortifie? Pensons nous que Lucullus, que les lettres rendirent
& formairent si grand capitaine & si adviséaduisé, sans l’essay & sans
l’experience, les eut prises à nostre mode? Nous nous laissons
si fort aller sur les bras d’autruy, que nous aneantissonsaneātissons nos for-
ces. Me veus-jeie armer contrecōtre la crainte de la mort: c’est aux des-
pens de Seneca. Veus-jeie tirer de la consolation pour moy, ou
pour unvn autre, jeie l’emprunteemprūte de Cicero: jiJe l’eusse prise en moy-
mesme, si on m’y eust exercé. JeIe n’ayme point cette suffisance
relativerelatiue & mendiée. Quand bien nous pourrions estre sçavanssçauās
du sçavoirsçauoir d’autruy, au moins sages ne pouvonspouuons nous estre
que de nostre propre sagesse.,

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LIVRE PREMIER. 51
μισῶ σοφιστὴν, ὅστιϛ ὀυχοὐχ ἁυτῷ σόφοϛσοφόϛ.,
JIjie haï, dict-il, le Sage qui n’est pas sage pour soy mesmesEx quo Ennius Nequicquam sibi sapere sapientem qui ipse sibi prodesse non quiret.,
si cupidus, si [Commentaire (Montaigne) : en ça cete fin de versuers]
Vanus, & Euganea quamtumuis vilior agna.

Position : Marge droite Non enim paranda nobis
solum sed fruenda sapientia
est
: dict Cicero.
Dionisius se moquoit des grammai=
riens qui avointauointontōt soin de
ls’enquerir des maus d’Ulysse
et ignoroientētnt les propres: et des
musiciens qui accordent leurs
flutes & n’accordentaccordēt pas leurs
meurs: des oraturs qui estudient
a dire non a faire justiceiustice non
a la faire.

Si nostre ame n’en va unvn meilleur bransle, si nous n’en avonsauons
le jugementiugement plus sain, ji’aymeroy aussi cher que mon escolier
eut passé le temps à joüerioüer à la paume, au moins le corps en se-
roit plus allegre. Voyez le revenirreuenir de la, apres quinze ou seze
ans employez, il n’est rienriē si mal propre à mettre en besongne,
tTout ce que vous y recognoissez d’avantageauantage, c’est que son La-
tin & son Grec l’ont rendu plus fier & plus outrecuidé, qu’il
n’estoit party de la maison.
Position : Marge droite Il en devoitdeuoit raporter
l’ame pleine, il ne l’en
raporte que bouffie. &
enflee au lieu de la
grossir, l’a
l’a sulemant enflee au
lieu de la grossir.
Ces maistres iciy come Platon
dict des Sophistes Position : Interligne haute leurs germains sont de
tous les homes ceus qui promettentpromettēt
d’estredestre les plus utilles aus hommes
et suls entre tous les autreshomes
qui non sulement n’amandent
point ce qu’on leur commet
come fait ou un cordonier un
charpentier & un masson
mais l’empirent & se font
païer pourde l’avoirauoir empirè
Si la loi que Protagoras propo=
soit a ses disciples estoit suiviesuiuie
ou qu’ils le paiassent selon son
mot ou qu’ils jurassentiurassent au temple
a combien ils estimoint le
profit qu’ils avointauoint receu de ses
disciplines et selon iceluy
satisfissent sa peine jeie jureroisiurerois
selon le sermant que jeie
fairois
mes paedagogues
se trouverrointtrouuerroint chouez s[...]
se fioints’estant remis au sermant de mon
experiance.
Mon vulgaire Perigordin les ap-
pelle fort plaisamment Lettreferits: ces sçavanteaussçauanteaus comme si vous disiez let-
tre-ferus, Position : Interligne haute ceus ausquels les lettres ont donné unvn coup de marteau,
comme on dict. De vray le plus souventsouuent ils semblent estre ra-
valez
ra-
ualez
, mesmes du sens commun. Car le paisant & le cordon-
nier vous leur voiez aller simplementsimplemēt & naïfvementnaïfuemēt leur train,
parlant de ce qu’ils sçaventsçauent: ceux cy pour se vouloir esleveresleuer &
jagendarmeriagendarmer de ce sçavoirsçauoir, qui nage en la superficie de leur cer-
velle
cer-
uelle
, vont s’ambarrassant, & enpestrant sans cesse. Il leur es-
chappe de belles parolles, mais qu’unvn autre les accommode:
iIls cognoissent bien Galien, mais nullementnullemēt le malade: iIls vous
ont des-ja rempli la teste de loix, & si n’ont encore conçeu le
neud de la cause: iIls sçaventsçauēt la theorique de toutes choses, cher-
chez qui là mette en practique. JI’ay veu chez moy unvn mien
amy, par maniere de passetemps, ayant affaire à unvn de ceux cy,
contrefaire unvn jargoniargon Position : Interligne haute de galimathias, qui sont de propos sans suite, & tissu de toutes
pieces rapportées, sauf qu’il estoit souventsouuēt entrelardé de mots
propres à leur dispute, amuser ainsi tout unvn jouriour ce sot à de-
battre, pensant tousjourstousiours respondre aux objectionsobiections, qu’on luy
faisoit, &Et si estoit homme de lettres & de reputation, & qui
N iij

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[51v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
avoitauoit unevne belle robe.:
Vos ô patritius sanguis quos viuere par est
Occipiti caeco, posticae occurrite sannae.

Qui regardera de bien pres à ce genre de gens, qui s’estand
bien loing, il trouveratrouuera commecōme moy, que le plus souventsouuent ils ne
s’entendent, ny autruy, & qu’ils ont la souvenancesouuenance assez plei-
ne, mais le jugementiugement entierement creux: sinon que leur natu-
re d’elle mesme le leur ait autrementautremēt façonné. Comme ji’ay veu
Adrianus Turnebus, qui n’ayant faict autre profession que
des lettres, en laquelle c’estoit à mon opinion, le plus grand
homme, qui fut il y à mil’ans, n’avoitauoit toutesfois rienriē de pedan-
tesque
pedā-
tesque
que le port de sa robe, & quelque façon externe, qui
pouvoitpouuoit n’estre pas civiliséeciuilisée à la courtisane: qui sont choses
de neant,: &Et hai nos gens qui supportent plus mal-aysement
unevne robe qu’unvn ame de traverstrauers, & regardent à sa reverencereuerence à
son maintien & à ses bottes, quel homme il est. Car au dedansdedās
c’estoit l’ame la plus polie du monde. JeIe l’ay souventsouuent à mon
esciant jettéietté en propos eslongnez de son gibier & de son usa-
ge
vsa-
ge
,: il y voyoit si cler, d’unevne aprehension si prompte, d’unvn ju-
gement
iu-
gement
si sain, qu’il sembloit, qu’il n’eut jamaisiamais faict autre
mestier que la guerre, & affaires d’Estat. Ce sont natures bel-
les & fortes.,
queis arte benigna
Et meliore luto finxit praecordia Titan
.:
qui se maintiennent au traverstrauers d’unevne mauvaisemauuaise institution.
Or ce n’est pas assez que nostre institution ne nous gaste pas,
il faut qu’elle nous change en mieux,. & qu’elle nous amende,
ou elle est vaine & inutile. Il y à aucuns de nos ParlemensParlemēs, quandquād
ils ont à recevoirreceuoir des officiers, qui les examinent seulementseulemēt sur
la science: les autres y adjoutentadioutent encores l’essay du sens, en leur
presentant le jugementiugement de quelque cause. Ceux cy me sem-
blent
sem-
blēt
avoirauoir unvn beaucoup meilleur stile: &Et encore que ces deux

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LIVRE PREMIER. 52
pieces soyent necessaires, & qu’il faille qu’elles s’y trouventtrouuent
toutes deux: si est ce qu’à la verité celle du sçavoirsçauoir est moins
prisable, que celle du jugementiugemēt,. cCette icy se peut passer de l’au-
tre, & non l’autre de cette icy. Car comme dict ce vers Grec,
ὡϛ ὀυδένοὐδὲν ἡ μάθησιϛ ἤν μὴ νὸυϛνοῦϛ παρῇ.
A quoy faire la science, si l’entendement n’y est? Pleut à Dieu
que pour le bien de nostre justiceiustice, ces compagnies là se trou-
vassent
trou-
uassent
aussi bien fournies d’entendement & de conscience,
comme elles sont encore de sciencesciēce.
Position : Marge droite Non uitae sed
scholae discimus.
Or il ne faut pas attacher
le sçavoirsçauoir à l’ame, il l’y faut incorporer,: il ne l’en faut pas ar-
rouser, il l’en faut teindre,: & s’il ne la change, & amendemeliore son
premier estat imparfaict, certainement il vaut beaucoup
mieux le laisser là,. cC’est unvn dangereux glaiveglaiue, & qui empesche
& offence son maistre mesme, s’il est en main foible, & qui
n’en sçache l’usagevsage. Position : Interligne haute ut fuerit melius non didicisse. A l’adventureaduenture est ce la cause, que & nous,
& la Theologie ne requerons pas beaucoup de sciencesciēce aux fae-
mes,: &Et que FrançoisFrāçois Duc de Bretaigne filz de Iean cinquiesme,
commecōme on luy parla de son mariage avecauec Isabeau fille d’Escos-
se, & qu’on luy adjoustaadiousta qu’elle avoitauoit esté nourrie simplementsimplemēt
& sans aucune instruction de lettres,: respondit, qu’il l’en ay-
moit mieux,: & qu’unevne fame estoit assez sçavantesçauante, quand elle
sçavoitsçauoit mettre difference entre la chemise & le pourpoint de
son mary. Aussi, ce n’est pas si grande merveillemerueille, comme on
crie, que nos ancestres n’ayentayēt pas faict grand estat des lettres,:
& qu’encores aujourdauiourd’huy elles ne se trouventtrouuent que par rencon-
tre
rencō-
tre
aux principaux conseils de nos Roys: &Et si cette fin de s’en
enrichir, qui seule nous est aujourdauiourd’huy en buteproposee, par le moyenmoyē
de la JurisprudenceIurisprudence, de la Medecine, du pedantisme, & de la
Theologie encore, ne les tenoit en credit, vous les verriez sans
doubte aussi marmiteuses qu’elles furent onques. Quel dom-
mage, puis qu’sielles ne nous aprenent ny à bien penser, ny à
bien faire?
Position : Marge droite Postquam docti
prodieruntprodierūt, boni
desunt.
Toute autre
sciance est domageable a celuy qui
n’a la sciance de la bontè Mais la
raison que jeie cherchois tantost seroit elle pas aussi de la: que nostre estude en france n’ayant Position : Interligne haute quasi autre but que le profit, moins
peu de ceus que nature a faict naistre a plus genereus offices que lucratifs sa ne s’adonans pas aus lettres ou si courtemant: retirez
avantauant que d’en avoirauoir savourèsauourèprins le gout a des une profession qui n’a rien de commun aveqaueq les livresliures il ne reste quasi a notre malhurplus ordinerement
pour s’engager tout a faict a l’estude Position : Interligne haute plus communeement que les gens de plus basse fortune qui y cherchent de quoi vivreuiurequestent des moïens a vivreuiure.
Et de ces gens la les ames estant et par nature et par domestique institution du plus bas alloi et example du plus bas
aloiy raportent faucemant le fruit de la sciance. Car elle n’est pas pour doner jouriour a l’ame qui n’en a pouint: ce seroitny pour
faire voiruoir un aveugleaueugle: son mestier est non de luy fournir de veueueue mais de la luy dresser [unclear] : de luy regler ses allures pourveupourueu
qu’ell’estaye de soi les pieds et les jambesiambes droites & capables. C’est une bone drogue que la sciance: mais nulle drogue n’est asses
forte pour le preserverpreseruer sans alteration et corruption selon le viceuice du vesseauuesseau[unclear] vaseuase qui l’estuïe. Tel a la veueueue clere
qui ne l’a pas droite: et par consequant voituoit le bien et ne le suit pas: et voituoit la sciance et ne s’en sert pas. La
principale ordonanceordonāce de Platon en sa republique c’est doner aus ames de ses citoïens selon leur naturelle
leur charge. Nature peut tout, & fait tout. Les boiteux sont in mal propres aus exercices du corps
& aux exercices de l’esprit les ames boiteuses. [Note (Alain Legros) : Cette addition se poursuit au bas du folio précédent (51v.)]
Position : Marge basse (f.51v) Quand nous voïonsuoïons un home mal chausse nous disonts et jeie ne s que ce n’est par merveillemerueille, car s’il
est chaussetier De mesme d’un medecin s’il est malade d’un theologien viceieusuiceieusvicieusuicieus d’un il semble
que l’experiance nous offre Position : Interligne haute souvantsouuant un medecin plus mal medeciné qu’un autre un theologien moinsplu reforme
unvn sçavantsçauant moins suffisant que tout autre. Aristo Chius avoitauoit antienemant raison de dire que les
philosofes nuisoint aus auditurs d’autantautāt que la plus part des naturesames ne se treuventtreuuent propres a faire leur
profit de leurtelle instruction: qui si elle ne se met a bien se met a mal. asotos ex Aristippi acerbus ex Zeznonis schola
exire
.
En cette belle institution que Xenophon preste

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[52v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
aux Perses, nous trouvonstrouuons qu’ils apprenoient la vertu à leurs
enfans, comme les autres nations font les lettres.
Position : Marge haute Platon dit que le fils aisné en leur succession royale, estoit ainsi nourry. Apres sa naissance, on
le donoit non a des fames mais a des Eunuches de la premiere authorite autour des leurs Roys a cause de leur
[unclear] vertuuertu. Ceus ci prenoint charge de luy randre le corps beau & sain et apres sept ans le duisoint a monter
à chevalcheual et aller a la chasse Quand il estoit arrivearriue au quatorzieme ceus ciils le deposoint entre les mains de quatre
[unclear] le plus sage le plus justeiuste le plus temperant le plus vaillantuaillāt de la nation. Le premier luy aprenoit la
relligion Le secont a estre toujourstouiours
veritable. Le tiers a se rendre
maistre des cupiditez. Le
quart a ne rien creindre.
Et si ji’ay bonequelque memoire
de ce que me demuradu lieu de la
leçon des loix en
Platon ou
il traicte de l’institution de
la junesseiunesse de sa villeuille il done
peu de part ou nulle part a la
sciance des lettres De la Position : Interligne haute danse de la
course escrime sauterie chevaucheriecheuaucherie
luitte
de la musique de la chasse
il donefaict infinis preceptes et
veutueut que l’ame s’exerce et
profite en ces corporels exer=
cices. Ses gymnases dict il
et toutes instructions militeres
ne semblesēble ne doner ranc qu’il
donelaisse a l’estudelestude de la poisie
semble le faire pour le serviceseruice
principalementprincipalemēt deu la musiquechanter.
C’est cho
Et m’a sem-
bléC’est chose digne de tres-grande considerationconsideratiō, que en cette ex-
cellente police de Licurgus, & à la verité monstrueuse par sa
perfection, si songneuse pourtantpourtāt de la nourriture des enfans,
comme de sa principale charge, & au gitste mesmes des Mu-
ses, il s’y face si peu de mention de l’apprentissage des lettresla doctrine:
commecōme si cette genereuse jeunesseieunesse desdaignant tout autre jougioug
que de la vertu, on luy aye deu fournir, au lieu de nos mai-
stres de science, seulement des maistres de vaillance, pru-
dence, & justiceiustice. Position : Interligne haute exemple que Platon semble a suivisuiui. La façon de leur discipline, c’estoit leur faire
des questions sur le jugementiugement des hommes, & de leurs actionsactiōs:
& s’ils condamnoient & loüoient, ou ce personnage, ou ce
faict, il failloit raisonner leur dire, & par ce moyen ils aigui-
soient ensemble leur entendement, & apprenoient la justiceiusticele droit.
Astiages en Xenophon, demande à Cyrus conte de sa dernie-
re leçon,: c’est dict-il , qu’en nostre escole unvn grandgrād garçon ayantayāt
unvn petit saye, le donna à unvn de ses compaignons de plus petite
taille, & luy osta son saye, qui estoit plus grand: nostre pre-
cepteur m’ayant faict jugeiuge de ce different, jeie jugeayiugeay qu’il fal-
loit laisser les choses en cet estat, & que l’unvn & l’autre sem-
bloit estre mieux accommodé en ce point: sur quoy il me
remontra que jiavoisauois mal fait, car jeie m’estois arresté à con-
siderer la bien seance, & il falloit premierement avoirauoir proveuproueu
à la justiceiustice, qui vouloit que nul ne fust forcé en ce qui luy ap-
partenoit. Et dict qu’il en fut foité, tout ainsi que nous som-
mes en nos vilages, pour avoirauoir oublié le premier Aoriste de
τύπτω. Mon regent me feroit unevne belle harengue in genere De-
monstratiuo
, avantauant qu’il me persuadat que son escole vaut cet-
te là. Ils ont voulu couper chemin: & puis qu’il est ainsi que
les sciences, lors mesmes qu’on les prent de droit fil, ne peu-
vent
peu-
uent
que nous apprendreenseigner la prudence, la prud’hommie & la
reso-

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LIVRE PREMIER. 53
resolution, ils ont voulu d’arrivéearriuée mettre leurs enfans au pro-
pre des effects, & les instruire non par ouïr dire, mais par l’es-
say mesmes de l’action, en les formant & moulant vifvementvifuemēt,
non seulement de preceptes & parolles, mais principalement
d’exemples & d’oeuvresoeuures: afin que ce ne fut pas unevne science en
leur ame, mais sa complexion & habitude: que ce ne fut pas
unvn acquest, mais unevne naturelle possession. A ce propos, on de-
mandoit à Agesilaus ce qu’il seroit d’advisaduis, que les enfans ap-
prinsent: ce qu’ils doiventdoiuent faire encore estants hommes, res-
pondit-il. Ce n’est pas merveillemerueille, si unevne telle institution à pro-
duit des effects si admirables. On alloit, dict-on, aux autres
Villes de Grece chercher des Rhetoriciens, des peintres, & des
Musiciens: mais en Lacedemone des legislateurs, des magi-
strats, & empereurs d’armée: à Athenes on aprenoit à bien
dire, & icy à bien faire: la à se desmeler d’unvn argument sophi-
stique, & à rabattre l’imposture des mots captieusement en-
trelassez, icy à se desmeler des appats de la volupté, & à raba-
tre d’unvn grand courage invincibleinuincible les menasses de la fortune & de la
mort: ceux là s’embesongnoient apres les parolles, ceux cy a-
pres les choses: là c’estoit unevne continuelle exercitation de la
langue, icy unevne continuelle exercitation de l’ame. Parquoy il
n’est pas estrange, si Antipater leur demandant cinquante en-
fans pour ostages, ils respondirent, tout au rebours de ce que
nous ferions, qu’ils aymoient mieux donner deux fois au-
tant d’hommes faicts, tant ils estimoient la perte de l’educa-
tion de leur païs. Quand Agesilaus convieconuie Xenophon d’en-
voyer
en-
uoyer
nourrir ses enfans à Sparte, ce n’est pas pour y appren-
dre la Rhetorique, ou Dialectique: mais pour apprendre (ce
dict-il) la plus belle science qui soit,: asçavoirasçauoir la science d’o-
beïr & de commander. Il est tresplaisant en Platon Socrates
de voiruoir Socrates, a sa mode, se moquant de Hippias qui luy
recite comant il a gaigne en tels et tels destrois nomeemantnomeemāt de
la Sicillesspecialement en certenes petites vilettesuilettes de la Sicille bone somme
d’argent a regenter. Et qu’a Sparte il n’a gaigné pas un soul. Que
ce sont gens idiots qui ne sçaventsçauent ny mesurer ny conter ne font estat ny
de grammere ny de rithme Sulemant S’amusans sulement a sçavoirsçauoir la
suite des Roys establissemans et decadances des estats et tels fatras de contes.
d’histoires Et au bout S de cela Socrates luy fesant advouëraduouër par le menu
l’excellance de leur forme de gouvernementgouuernement publique l’heur et vertuuertu de leur vieuie
luy laisse devinerdeuiner la conclusion de l’inutilitè de ses ars. Les examples nous
aprenent et en cette martiale police et en toutes ses semblables que l’estudelestude des
sciances amollit et effoemine les corages plus qu’il ne les fermit & aguerrit
Le plus fort estat qui paroisse pour le presant au monde est celuy des
Turcs: peuples esgalement duits a l’estimationlestimation des armes et mespris des
lettres. JeIe treuvetreuue Rome plus vaillanteuaillante avantauant qu’elle fut sçavantesçauante.
Position : Marge droite Les plus belliqueuses nations en nos joursiours sont les plus grossieres et ignorantes. Les Scithes les
Parthes Tamburlan nous serventseruent a cette preuvepreuue. Quand les Gots ravagerentrauagerent la Grece, ce qui
sauvasauua toutes les libreries d’estredestre passees au fu ce fut un d’entre eus qui sema cette opinion qu’il
faloit laisser ce meuble entier aus enemis, propre a les destourner de l’exercicelexecice militere & amuser
a des occupations veinesueinessedenteres et oisifvesoisifues Quand nostre Roy charles Position : Interligne haute huictieme sans tirer l’espeelespee du fourreau se
vituit maistre du Royaume de Naples & d’une bone partie de la Thoscane Les seignurs de sa suite
attribuarent cette inesperee facilite de conqueste a ce que les princes & la noblesse d’italie
s’amusointsamusoint plus a se rendre ingenieus & sçavanssçauans que vigoreusuigoreus et guerriers

O

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[53v] ESSAIS DE M. DE MONTA.


De l’institution des enfans, à Madame Diane de Foix
Contesse de Gurson.
CHAP. XXVI.


JEIE ne vis jamaisiamais pere, pour bossé ou boiteuxborgne teigneux ou boiteusbossè que fut
son fils, qui laissaist de l’avoüerauoüer: nNon pourtant, s’il n’est
du tout enyvréenyuré de cet affection, qu’il ne s’aperçoiveaperçoiue de
sa defaillance: mais tant y à qu’il est sien. Aussi moy, jeie voy
mieux que tout autre, que ce ne sont icy que resveriesresueries d’hom-
me
hō-
me
, qui n’a gousté des sciences que la crouste premiere en son
enfance, & n’en à retenu qu’unvn general & informe visage: unvn
peu de chaque chose & rien du tout, à la Françoise. Car en
somme, jeie sçay qu’il y à unevne Medecine, unevne JurisprudenceIurisprudēce, qua-
tre parties en la Mathematique, & en grosgrossierement ce à quoy elles vi-
sent:
Position : Marge gauche Et a l’avanturelauāture encore sçai
jeie la pretantion que ldes sciances
et en general au serviceseruice de
nostre vieuie
mais de y enfoncer plus avantauāt, de m’estre rongé les ongles
à l’estude de PlatonPlatō, ou d’Aristote, Position : Interligne haute sul monarche de la scia doctrine moderne. ou opiniatré apres quelque
science solide, jeie ne l’ay jamaisiamais faict: ce n’est pas mon occupa-
tion.[Note (Mathieu Duboc) : Ce signe d’insertion de la forme d’un I renvoyait initialement à l’addition située dans la marge gauche. Montaigne l’a, dans un second temps, supprimé avec la fin de phrase qui le précédait puis a commencé une nouvelle addition en interligne qu’il a continué dans la marge droite. A la fin de cette addition un nouveau signe d’appel sous la forme d’un I augmenté d’un trait horizontal en son milieu renvoi à l’ajout marginal de la marge gauche dont il a modifié le signe de renvoi afin qu’il n’y ait pas de confusion possible.] ny n’est art de quoi jeie sceusse peindre sulement les
premiers lineamanslineamās
Et n’est enfant
des classes moienes
qui ne se puisse
dire plus sçavantsçauant
que moy. Qui n’ay
sulement pas de
quoi l’examiner
sur sa premiere
leçon: au moins
selon icelle. Et si
l’onlon m’y force: jeie
suis contreint,
asses ineptement,
d’en tirer quelque
matiere de propos
universelsuniuersels sur quoi
ji’examine leurson
jugementiugement naturel.
Leçon qui leur est
autant inconueinconue
come la leur a moi,
la leur
Position : Marge gauche JeIe n’ay dressè commerce
aveqaueq aucun livreliure solide
materiel que par
secousses,
sinon tantost a
Plutarque tantost et
a Seneque parvenuesparuenues,:
reiterees. Car ce que jeie
ne lis qu’une fois jeie le lis
pour neant
en faveurfaueur de ma maudite
memoire. Et y
ou jeie puise come les
Danaidesdes remplissant et
versant sans cesse. JI’en
attache quelque chose a ce
mien livreliure papier. Aa moi, si peu
que rien.
L’Histoire c’est Position : Interligne haute plus mon gibier en matiere de livresliures, ou la
poësie, que ji’ayme d’unevne particuliere inclination: cCar, com-
me disoit Cleantes, tout ainsi que la voix contrainte dans l’é-
troit canal d’unevne trompette sort plus aigue & plus forte, ainsi
me semble il que la sentence pressée aux pieds nombreux de
la poësie s’eslance bien plus brusquement, & me fiert d’unevne
plus viveviue secousse. Quant aux facultez naturelles qui sont en
moy, dequoy c’est icy l’essay, jeie les sens flechir sous la charge:
mMes conceptions & mon jugementiugement ne marche qu’à tastons,
chancelant, bronchant & chopant: &Et quand jeie suis allé le
plus avantauant que jeie puis, si ne me suis-jeie aucunement satisfaict:
JeIe voy encore du païs au delà: mais d’unevne veuë trouble, & en
nuage, que jeie ne puis desmeler: &Et puis entreprenant de parler
indifferemment de tout ce qui se presente à ma fantasie, &
n’y employant que mes propres & naturels moyensmoyēs, s’il m’ad-
vient
ad-
uient
, comme il faict à tous coupssouvantsouuant, de rencontrer de fortune

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LIVRE PREMIER. 54
dans les bons autheurs ces mesmes lieux, que ji’ay entrepris
de traiter, comme jeie vien de faire chez Plutarque tout pre-
sentement, son discours de la force de l’imagination.: Aa me
reconnoistre au prix de ces gens là, si foible & si chetif, si poi-
sant & si endormy, jeie me fay pitié, ou desdain à moy mes-
mes. Si me gratifie-jeie de cecy, que mes opinions ont cet hon-
neur de rencontrer Position : Interligne haute souvantsouuant aux leurs, & dequoyque
Position : Marge droite Position : Interligne haute que jeie voisuois Position : Interligne haute au moins de loin apres
disant que voireuoire. Aussi
ai jeie cela
que ji’ay
aussi ji’ay au moins
cela, qu’unvn chacun n’a pas, de connoistre l’extreme differen-
ce d’entre eux & moy: &Et laisse ce neant-moins courir mes
inventionsinuentions ainsi foibles & basses, comme jeie les ay produites,
sans en replastrer & recoudre les defaux que cette comparai-
son m’y à descouvertdescouuert: car autrement ji’engendrerois des mon-
stres
mō-
stres
: comme font les
Il faut avoirauoir les reins bien fermes pour entreprandre de marcher
front a front aveqaueq ces gens la. Les
escrivainsescriuains indiscrets de nostre siecle,
qui parmy leurs ouvragesouurages de neant, vont semant des lieux en-
tiers des anciens autheurs, pour se faire honneur de ce larre-
cin:, & c’est aufont le contraire,: cCar cett’infinie dissemblance de lu-
stres rend unvn visage si pasle, si terni, & si laid à ce qui est leur,
qu’ils y perdent beaucoup plus qu’ils n’y gaignent.
Position : Marge droite C’estoit une estrangedeus contreres
fantasies. duLe philosofe
Chrysippus dequi mesleroit a ses
livresliures non les passages
sulemant mais des ouvragesouurages
entiers d’autres autheurs
et en un, d’iceus la Medee
d’Euripides: entiere etet disoit
Apollodorus voulantuoulant
verifieruerifier que Epicurus
avoitauoit escrit plus que luy
Chrysippus se sert de cet
argument
que qui en retran
cheraoit de ceus de Chrysippusles livresliures
ce qu’il y a insereavoitauoit d’estrangierdestrangier
son papier demurerademureroit en blanc.
La ou en tous les trois cens
Cylindres d’
Epicurus il
n’y avoitauoit pas une sule
allegation
au rebours esen trois cens
livresliuresvolumesuolumes qu’il laissa n’avoitnauoit pas seme
une sule allegation estrangiereestrāgiere[Note (Marie-Luce Demonet) : Le mot "estrangiere" n’existe pas dans l’édition de 1595. Montaigne utilisant souvent cette graphie, c’est celle-ci que nous avons choisi de restituer.]
Il m’ad-
vint
ad-
uint
l’autre jouriour de tomber sur unvn tel passage: jJiIavoisauois trainé
languissant apres des parolles Françoises, si exangues, si des-
charnées, & si vuides de matiere & de sens, que ce n’estoient
voirement que paroles Françoises: au bout d’unvn long & en-
nuyeux chemin, jeie vins à rencontrer unevne piece haute, riche
& eslevéeesleuée jusquesiusques aux nuës: sSi ji’eusse trouvétrouué la pente douce
& la montée unvn peu alongée, cela eust esté excusable: cC’e-
stoit unvn precipice si droit & si coupé que des six premieres
paroles jeie conneuz que jeie m’envoloisenuolois en l’autre monde: dDe
la jeie descouvrisdescouuris la fondriere d’où jeie venois, si basse & si pro-
fonde, que jeie n’eus onques plus le coeur de m’y ravalerraualer. Si jeie
fardoisSi ji’estoffois l’unvn de mes discours de ces riches peinturesdespouilles, il esclai-
reroit par trop la bestise des autres.
Position : Interligne basse Reprendre en autrui mes propres vicesuicesfautes ne me semble
nousnon plus incompatible que de reprendre ceuscome d’autruyjeie fois souvantsouuant celles d’autruy
en moi Il les faut chargeraccuser par tout et leur oster tout
lieu de franchise. Si sçai jeie bien combien fierement etaucune fois et
temererement ji’entreprans souvantsouuantmoimesmes de m’esgaler a mes larrecins de mesleret presanter indistinctemant mes traicts aus
de les soutenir et m’y jouindreiouindre [Note (Mathieu Duboc) : ce signe indiquait un déplacement du mot mesconoissablement au niveau du précédent signe] mesconoissablement et de
mes invantionsinuantions aus traictz et[unclear] invantionsinuantions [unclear]traicts antieness
audacieusement ji’entreprans moi mesmes a tous coups de m’esgaler
a mes larrecins [unclear] d’aller pair a pair qu quand et eus
non sans une temerere esperance
si que jeie puisse
tromper les yeus des jugesiuges a les discerner.[Note (Mathieu Duboc) : Voici quelles seraient les variantes de ce passage sans prétention chronologique, faute d’analyse des encres : 1. Si scai ie bien combien fierement et temererement i’entreprans souuant de m’esgaler a mes larrecins de les soutenir et m’y iouindre mesconoissablement et de tromper les iuges a les discerner. 2. Si scai ie bien combien fierement aucune fois et temererement i’entreprans moimesme de m’esgaler a mes larrecins de les soutenir et mesconoissablement m’y iouindre si que ie puisse tromper les iuges a les discerner. 3. Si scai ie bien combien fierement aucune fois et temererement i’entreprans moimesme de m’esgaler a mes larrecins de mesler mes inuantions aus traictz [et] inuantions antienes si que ie puisse tromper les iuges a les discerner. 4. Si scai ie bien combien fierement aucune fois et temererement i’entreprans moimesme de m’esgaler a mes larrecins et presenter indistinctemant mes traicts a[us] traictz antiens si que ie puisse tromper les iuges a les discerner. ] Mais c’est autant
ou plus par le benefice de mon application que par la vigur de ma
force.le benefice de mon invantioninuantion et de ma force. Et puis jeie ne luite paspoint en gros ces vieusuieus champions la: et corps a corps:
c’est par reprinses, menues et legieres atteintes. JeIe ne m’y
ahurte pas jeie ne fois que les taster: et m’y presenter JeIe ne voisuois pas jeiepoint, jeietant, come jeie
marchande d’aller. Si jeie leur pouvoispouuois tenir palot jeie serois honeste home car jeie ne les appellentreprens
a ma compaignie que par la ou ils sont les plus roiddes. De faire ce que ji’ay descouvertdescouuert d’aucuns Se[sic] couvrircouurir des
armes d’autruy, jusquesiusques à ne montrer pas seulement le bout des doits leursses doits conduire son dessein com’il est aise aus sçavanssçauans en une
matiere commune sous les inventionsinuentions anciennes, rappiecees par cy par là : a ceux
qui les veulent cacher & faire propres, c’est premierement injusticeiniustice & lascheté,
que n’ayans rien en leur vaillant, par où se produire, ils cherchent à se presenter par
[Note (Alain Legros) : Cette addition se poursuit sur le folio précédent (53v.)]
Position : Marge basse (f.53v) une valurualur estrangiere: et puis grande sottise se contantant par piperie d’acquerir pour so de s’acquerir l’ignorante approbation du vulguereuulguere
et se descrianter enversenuers les gens d’entandemententandemēt qui hochent du nez vostreuostre incrustation empruntee des quels suls la loange a du pois. De ma part il n’est rien que jeie veuilleueuille moins faire.
JeIe ne dis les autres, sinon pour d’autant plus me dire JeIe ne parleCecy ne touche pas des centons qui se publient pour centons: et ji’en ai veuueu
de tres-ingenieux en mon temps: entre-autres unvn, sous le nom de Capilupus: outre les anciensanciēs. Ce sont des esprits qui se font voiruoir.
& par ailleurs, & par là, comme Lipsius en ce docte & laborieux tissu de ses Politiques.
Quoy qu’il en soit, veux-
O ij

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[54v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
jeie dire, & qu’elles que soyent ces inepties, jeie n’ay pas delibe-
ré de les cacher, non plus qu’unvn mien pourtraict chauvechauue &
grisonnant, ou le peintre auroit mis non unvn visage parfaict,
mais le mien. Car aussi ce sont icy mes humeurs & opinions:
jJeiIe les donne, pour ce qui est en ma creance, non pource qui
est à croire: jJeiIe ne vise icy qu’à découvrirdécouurir moy mesmes, qui se-
ray par adventureaduenture autre demain, si nouveaunouueau apprentissageapprētissage me
change. JeIe n’ay point l’authorité d’estre creu, ny ne le desire,
me sentant trop mal instruit pour instruire autruy. Quelcun
donq’ ayant veu l’article precedant, me disoit chez moy l’au-
tre jouriour, que jeie me devoydeuoy estre unvn peu estendu sur le discours
de l’institution des enfans. Or Madame, si jiavoyauoy quelque
suffisance en ce subjectsubiect, jeie ne pourroi la mieux employer
que d’en faire unvn present à ce petit homme, qui vous menasse
de faire tantost unevne belle sortie de chez vous (vous estes trop
genereuse Madame pour commencer autrement que par unvn
masle) Car ayant eu tant de part à la conduite de vostre ma-
riage, ji’ay quelque droit & interest à la grandeur & prosperi-
té de tout ce qui en viendra: oOutre ce que l’ancienne possessionpossessiō
que vous avezauez de tout temps sur ma servitudeseruitude, m’obligent as-
sez à desirer honneur, bien & advantageaduantage à tout ce qui vous
touche: mMais à la verité jeie n’y entens sinon cela, que la plus
grande difficulté & importante de l’humaine science semble
estre en cet endroit, ou il se traite de la nourriture & institu-
tion des enfans.
Position : Marge gauche Tout ainsi qu’en l’agricul=
ture les façons qui vontuont avantauāt
le planter sont certeines et
aysees et le planter mesmes.
Mais despuis que ce qui est
plante vientuient a prandre vieuie:
à l’esleveresleuer il y a une grandegrāde
variete de façons et difficulte
et Pareillemant aus homes
il y a peu de façon’industrie a les
planter mais despuis qu’ils
sont nais on entre a un souin
a plusieurs visagesuisages
on se
charge d’un soin a plusieurs
visagesuisagesdiversdiuers plein d’enbesouig=
nement et de creinte a les
dresser et nourrir.
La montre de leurs inclinations est si tendre
en ce bas aage & si obscure,: les promesses si incertaines &
fauces, qu’il est mal-aisé d’y establir aucun solide jugementiugement.
Voyez CimonCimō voyez Themistocles & mille autres, combiencōbien ils
se sont disconvenuzdiscōuenuz à eux mesme. Les petits des ours, des chienschiēs,
monstrent leur inclination naturelle, mais les hommeshōmes se jettansiettās
incontinentincontinēt en des accoustumancesaccoustumāces, en des opinionsopiniōs, en des loix,
se changentchāgent ou se deguisent & masquent facilementfacilemēt. Si est-il dif-

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LIVRE PREMIER. 55
ficile de forcer les propensionspropēsions naturelles: dD’où il advientaduiēt que par
faute d’avoirauoir bien choisi leur route, pour neant se travailletrauaille on
souventsouuēt & employe l’on beaucoup d’aage, à dresser des enfans
aux choses, ausquelles ils ne peuventpeuuent prendre goustpied. Toutes-
fois en cette difficulté, mon opinionopiniō est, de les acheminer tou-
sjours
tou-
siours
aux meilleures choses & plus profitables, & qu’on nese
doit s’peu appliquer aucunement à ces legieres divinationsdiuinatiōs, & pro-
gnostiques, que nous prenons des mouvemensmouuemens de leur enfan-
ce.
Position : Marge droite Et Platon Position : Interligne haute mesmes en sa repu=
blique me semble leur doner
de beaucoup trop de pris
d’authorite.
Madame c’est unvn grand ornement que la science, & unvn utilvtil
de merveilleuxmerueilleux serviceseruice, & notamment aux personnes élevéeséleuées
en tel degré de fortune, comme vous estes. A la verité elle n’a
point son vray usagevsage en mains viles & basses. Elle est bien plus
fiere, de préter ses moyens à conduire unevne guerre,: à comman-
der unvn peuple,: à pratiquer l’amitié d’unvn prince, où d’unevne nationnatiō
estrangiere, qu’à dresser unvn argument dialectique,: ou à plaider
unvn appel,: ou ordonner unevne masse de pillules. Ainsi Madame,
par ce que jeie croy que vous n’oublierez pas cette partie en l’in
stitution des vostres, vous qui en avezauez savourésauouré la douceur, &
qui estes d’unevne race lettrée: cCar nous avonsauons encore en main les
escrits de ces anciens Comtes de Foix, d’où monsieur le Com-
te vostre mary & vous, estes descendus: &Et François monsieur
de Candale, vostre oncle en faict naistre tous les joursiours d’au-
tres, qui estendront la connoissance de cette qualité de vostre
famille, à plusieurs siecles: jJeiIe vous veux dire là dessus unevne seule
fantasie, que ji’ay contraire au communcommū usagevsage: cC’est tout ce que
jeie puis conferer à vostre serviceseruice en cela. La charge du gouver-
neur
gouuer-
neur
, que vous luy donrez, du chois duquel depend tout l’ef-
fect de son institution, ell’à plusieurs autres grandes parties,
mais jeie n’y touche point, pour n’y sçavoirsçauoir rien apporter qui
vaille: & de cet article, sur lequel jeie me mesle de luy donner
advisaduis, il m’en croira autant qu’il y verra d’apparence. A unvn en-
fant de maison, qui recherche les lettres & la discipline, non
O iij

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[55v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pour le gaing (car unevne fin si abjecteabiecte, est indigne de la gra-
ce & faveurfaueur des Muses, & puis elle regarde & depend d’au-
truy) ny tant pour les commoditez externes, que pour les sie-
nes propres, & pour s’en enrichir & parer au dedans, ayant
plustost envieenuie d’en tirer unvn habil’homme, qu’unvn homme sça-
vant
sça-
uant
, jeie voudrois aussi qu’on fut soigneux de luy choisir unvn
conducteur, qui eust plustost la teste bien faicte, que bienbiē plei-
ne, & qu’on y requit tous les deux, mais plus les meurs & l’en-
tendement que la science. Et qu’il se conduisist en sa charge
d’unevne nouvellenouuelle maniere. On ne cesse de criailler à nos oreilles,
comme qui verseroit dans unvn antonnoir, & nostre charge ce
n’est que redire ce qu’on nous à dict. JeIe voudrois qu’il corri-
geast unvn peu cette partie,: & que de belle arrivéearriuée, selon la portée
de l’ame, qu’il a en main, il commençast à la mettre sur le trot-
toërla montre, luy faisant gouster les choses, les choisir, & discerner d’el-
le mesme. Quelquefois luy monstrantouvrantouurant chemin, quelquefois
le luy laissant prendre le devantdeuantouvrirouurir. JeIe ne veux pas qu’il inventeinuente, &
parle seul, jeie veux qu’il escoute son disciple parler à son tour,
Position : Marge gauche Socrates et quoidespuis Archesilas
imita faisoitnt premierementpremieremēt
parler leurs disciples et puis
ils parloint a eus. Obest
plerumque ijs qui discere
uolunt authoritas eorum
qui se docereentēt
profitentur
desinunt enim suum iudiciumiudiciū
adhibere: id habent ratum
quod ab eo quem probant iudica=
tum uident
Il est bon qu’il le
face troter davantdauant luy pour
jugeriuger de son trein et jugeriuger
jusquesiusques a quel point il se doit
ravalerraualer pour
s’accommoder a sa
force A faute de cette proportion
nous gastonts tout et de la sçavoirsçauoir
choisir et s’y conduire bien mesureement
c’est l’une des plus ardues besouignes
Position : Marge gauche que jeie sache: et est selon
moi l’effaictleffaict d’une haute ame
& bien forte, sçavoirsçauoir condes=
cendre a ses allures pueriles
et les guider JeIe marche plus seur
& plus ferme a mont qu’a valual Ceus
qui come porte nostre
costumeusage, entreprenent
unevne mesme leçon, et
pareille mesure de conduite,
regenter plusieurs esprits
de si diversesdiuerses mesures ,et formes
ce n’est pas merveillemerueille si
en tout un peuple d’enfans, ils en rencontrent a peine deus ou trois
qui raportent unquelque justeiuste fruit de leur discipline.

qQu’il ne luy demande pas seulementseulemēt compte des mots de sa le-
çon, mais du sens & de la substancesubstāce, & qu’il jugeiuge du profit qu’il
aura fait, non par le tesmoignage de sa memoire, mais de son
jugementiugementsa vieuie. Que ce qu’il viendra d’apprendre il le luy face met-
tre en cent visages, & accommoder à autant de diversdiuers subjetssubiets,
pour voir s’il l’a encore bien pris & bien faict sien.
Position : Marge gauche Prenant l’instruction
de son progrez des
paedagogismes de Platon.
C’est tes-
moignage de crudité & indigestion que de regorger la vian-
de comme on l’a avalléeauallée: lL’estomac n’a pas faict son operationoperatiō,
s’il n’a faict changer la façon & la forme, à ce qu’on luy avoitauoit
donné à cuire. On ne cherche reputation que de sciencesciēce. QuandQuād
ils disent c’est unvn homme sçavantsçauant, il leur semble tout dire:
lLeurNostre
ame ne branle qu’à credit,: liée & contrainte au serviceseruicel’appetit des fan-
tasies d’autruy, basseserveserue & croupiecaptiveecaptiuee soubs l’authorité de leur le-
çon. On lesnous à tant assubjectisassubiectis aux cordes, qu’ils n’ontque nous n’avonsauons plus de

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LIVRE PREMIER. 56
franches allures: lLeurNoNostre vigueur & liberté est esteinte.
Position : Marge droite Nunquam
tutelae suae fiunt.
JeIe vy pri-
véement
pri-
uéement
à Pise unvn honneste homme, mais si Aristotelicien,
que le plus general de ses dogmes est, que la touche & reigle
de toutes imaginations solides, & de toute verité, c’est la con-
formité
cō-
formité
à la doctrine d’Aristote, que hors de là, ce ne sont que
chimeres & inanité: qu’il a tout veu & tout dict. Cette sienne
proposition, pour avoirauoir esté unvn peu trop largement & inju-
rieusement
iniu-
rieusement
iniquement interpretée, le mit autrefois & tint long temps en
grand accessoire Position : Interligne haute a l’inquisition à Rome. Qu’il luy face tout passer par l’esta-
mine, & ne loge rien en sa teste par Position : Interligne haute simple authorité, & à credit. Les
principes d’Aristote, ne luy soyent principes, non plus que
ceux des Stoiciens ou Epicuriens: qQu’on luy propose cette di-
versité
di-
uersité
de jugemensiugemens: il choisira s’il peut,: sinon il en demeurera
en doubte., Il n’y a que les fols certeins et resolus. [Note (Mathieu Duboc) : Cette addition a été biffée d’un trait encore visible, en partie effacée par grattage. Bien qu’apparemment rétablie, elle ne figure pas dans l’édition de 1595.]
Che non men che saper dubbiar m’aggrada.
Car s’il embrasse les opinions de Xenophon & de Platon, par
son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les
siennes.
Position : Marge droite Qui suit un autre
il ne suit rien. Il ne
treuvetreuue rien, voireuoire il
ne cherche rien. Non
suntsumus sub rege, sibi
quisque se uindicet.

Qu’il sache qu’il
sçait, au moins.
Il faut qu’il emboiveemboiue leurs humeurs, non qu’il aprenneaprēne
leurs preceptes: &Et qu’il oublie hardiment s’il veut, d’où il les tienttiēt
mais qu’il se les sçache approprier. La verité & la raison sont
communes à unvn chacun, & ne sont non plus à qui les à dites
premierement, qu’à qui les dict apres.
Position : Marge droite Ce n’est non plus
selon Platon que selon
moi pb puis que luy et
moi l’entendons & voïonsuoïons
de mesmes.
Les abeilles pillotentpillotēt de-
çà delà les fleurs, mais elles en font apres le miel, qui est tout
leur, ce n’est plus thin, ny mariolaine: aAinsi les pieces emprun-
tées d’autruy, il les transformera & confondera, pour en faire
unvn ouvrageouurage tout sien: à sçavoirsçauoir son jugementiugement: sSon institutioninstitutiō,
son travailtrauail & estude ne vise qu’à le former.
Position : Marge droite Qu’il cachecele tout ce
de quoi il a este secoru
et ne produise que ce
qu’il en a faict. Les
pilleurs les emprunteurs
mettent en parade
leurs bastimans leurs
acquetzachatz non pas ce
qu’ils tienenttienēttirent d’autruy.
Vous ne voïesuoïes pas les
espices et apres disneeset les contreditz
escritures d’un home de parlement vousuous voiesuoies les
alliances qu’il a acheteesa acq gaignées & honurs a ses
enfans. Null Nul ne met en compte
publique sa recette: chacunchacū y met son
emploite acquest. Le guein de nostre estude
c’est en estre devenudeuenu d meillur & plus sage
C’est disoit Epi-
charmus l’entendement qui voyt & qui oyt, c’est l’entende-
ment qui approfite tout, qui dispose tout, qui agit, qui domi-
ne & qui regne: toutes autres choses sont aveuglesaueugles, sourdes &
sans ame. Certes nous le rendons servileseruile & coüard, pour ne
luy laisser la liberté de rien faire de soy. Qui demanda jamaisiamais à

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[56v]

son disciple ce qu’il luy semble de la Rethorique & de la Gram-
maire
Grā-
maire
, de telle ou telle sentence de Ciceron? On nous les plac-
que en la memoire toutes empennées, comme des oracles, ou
les lettres & les syllabes sont de la substancesubstāce de la chose.
Position : Marge gauche SçavoirSçauoir par ceur
n’est pas sçavoirsçauoir: c’est
tenir ce qu’on a doné
en garde a sa memoire.
Ce qu’on sçait droite=
ment, on en dispose, sanssās
regarder au patron, sans
tourner les yeus versuers
son livreliure. Facheuse
suffisance a mon gre
qu’une suffisance pure
livresqueliuresque Elle doit
servirseruir d’ornemant non
de fondement
. JeIe
m’atans qu’elle serveserue
d’ornemant non de
fondemant. SuivantSuiuant
l’advisl’aduis de Platon: qui
dict la fermete la foi
la sincerité estre la vrayeuraye
philosofie Les autres
sciances & qui visentuisent aill
ailleurs n’estre introduites
que pour la parade fard
JeIe vou-
drois que le Paluël ou PompéePōpée ces beaux danseurs de mon tempstēps,
apprinsent des caprioles à les voir seulement faire, sans nous
bouger de nos places, comme ceux-cy veulentveulēt instruire nostre
entendemententendemēt, sans l’esbranleresbrāler & mettre en besongne.
Position : Marge droite ou qu’on nous aprins a manier un chevalcheual ou une pique
ou un lut ou la voixuoix, par musique sans nous y exercer come ceus icy
nous veulentueulent a prandre a bien jugeriuger et a bien parler sans
nous exercer ny a parler ny a jugeriuger.
Or à cet ap-
prentissage tout ce qui se presente à nos yeux sert de livreliure suffi-
sant: lLa malice d’unvn page, la sottise d’unvn valet, unvn propos de ta-
ble, ce sontsōt autantautāt de nouvellesnouuelles matieres. A cette cause le commer-
ce
cōmer-
ce
des hommes y est merveilleusementmerueilleusement propre, & la visite des
pays estrangers,. nNon pour en rapporter seulement, à la mode
de nostre noblesse Françoise, combien de pas à Santa rotonda,
ou la richesse des calessons de la Signora LiviaLiuia, ou comme
d’autres, combien le visage de Neron, de quelque vieille ruy-
ne de là, est plus long ou plus large, que celuy de quelque pa-
reille medaille. Mais pour en raporter principalement les hu-
meurs de ces nations & leurs façons, & pour frotter & limer
nostre cervelleceruelle contre celle d’autruy. JeIe voudrois qu’on com-
mençast à le promener des sa tendre enfance: &Et premierementpremieremēt
pour faire d’unevne pierre deux coups, par les nationsnatiōs voisines, où
le langage est plus esloigné du nostre, & auquel si vous ne la
formez de bon’heure la languelāgue ne se peut façonnerplier. Aussi bien
est-ce unevne opinion receuë d’unvn chacun, que ce n’est pas raison
de nourrir unvn enfant au giron de ses parents: cCette amour na-
turelle les attendrist trop, & relasche, voire les plus sages: iIls ne
sont capables ny de chastier ses fautes, ny de le voir nourry
grossierement comme il faut, & sans delicatessehasardeusement: iIls ne le sçau-
roient souffrir revenirreuenir suant & poudreux de son exercice, nyboire chaut boire froit,
ny le voir hazarder tantost sur unvn chevalcheual farouche, tantost unvnrebours: ny contre un rude tireur
le floret au poing, tantost unvnny la premiere harquebouse. Car il n’y à remede,
qui

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LIVRE PREMIER. 57
qui en veut faire unvn homme de bien, sans doubte il ne le faut ha-
zarderespargner unvn peu en cestte jeunesseieunesse,: & souventsouuent choquer les regles
de la medecine.,
vitàmque sub dio & trepidis agat
iIn rebus.

Position : Marge haute Ce n’est pas assez de luy roidir l’ame, il luy faut aussi roidir les muscles, elle est
trop pressee si elle n’est secondee et a trop a faire, de soutenir sule fournir deus offices.
JeIe sçai combien la miene ahane la miene en compaignie d’un cors si tendre si sensible
qui se laisse si fort aller sur elle. Et aperçois souvantsouuant en ma leçon qu’en leurs escris mes
maistres font valoirualoir pour magnanimitè et force de corage des examples qui tienent
volontiersuolontiers plus de stupidite et fermete de membres l’espessissurelespessissure de la peau et durtè
des os. JI’ay veuueu des homes des fames &
des enfans einsi nais
qu’une bastonade leur
est moins qu’a moi une
chiquenaude: qui ne
remuent ny langue ny
sourci aus coups qu’on
leur done. Quand les
Athletes contrefont einsi
les philosophes en pati=
ance c’est plus tost
vigeuruigeur de nef nerfs que
de ceur. Or l’acostu=
mance a porter le travailtrauail
est acostumance a porter
la dolur Position : Interligne haute labor callum obducit dolori. Il le faut
rompre a la peine et
aspreté des exercices
pour le dresser a la peine
et aspretè des la desloueure[Note (Mathieu Duboc) : L’édition de 95 donne "dislocation" à la place de "desloueure"]
de la cholique deu l’insi=
sion
cautere et de la geole
prison & de lade la de la torture
Car de celesces dernieres icy encore
peut il estre en buteprinse: qui
regardentregardēt les bons selon
le temps come les meschants.
Nous en somes a l’espreuveespreuue.
QuiconqueQuicōque comb combat
les loix menace les plus
gens de bien d’escorgees
et de la corde.

Et puis, l’authorité du gouverneurgouuerneur, qui doit estre souverainesouueraine
sur luy, s’interrompt & s’empesche par la presence des parens.
JointIoint que ce respect que la famille luy porte, la connoissance
des moyens & grandeurs de sa maison, ce ne sont à mon opi-
nion pas legieres incommoditez en cet aage. En cette escho-
le du commerce des hommes, ji’ay souventsouuent remarqué ce vice,
qQu’au lieu de prendre connoissance d’autruy, nous ne travail-
lons
trauail-
lons
qu’à la donner de nous: & sommes plus en peine d’em-
ploiter nostre marchandise, que d’en acquerir de nouvellenouuelle. Le
silence & la modestie, sont qualitez tres-commodes à la con-
versation
con-
uersation
des hommes. On dressera cet enfant à estre espar-
gnant
espar-
gnāt
& mesnagier de sa suffisance, quandquād il l’araaura acquise: àA ne se
formalizer point des sottises & fables qui se diront en sa pre-
sence
pre-
sēce
,. cCar c’est unevne incivileinciuile importunité de choquer tout ce qui
n’est pas de nostre goustappetit.
Position : Marge droite Qu’il se contantecōtante de
se corriger soimesmes
eEt ne semble pas
reprocher a autruy Position : Interligne haute tout
ce qu’il n’eime pasrefuse
a faire ny contraster
aus meurs publiques
Licet sapere sine pompa
sine inuidia

Position : Marge droite Fuye ces images regenteuses
et incivillesinciuilles: et cette puerile
ambition de voloiruoloir paroitre
plus fin pour estre autre et
tirer nom par reprehantions et
nouveleteznouueletez
Qu’il
luy inculque souvantsouuant
qu’il n’y a que les
fols bien certeins
et bien resolus
Come il
n’affiertnaffiert qu’aus grands poetes
d’user des licences de l’art aussi n’est
il supportable qu’aus grandes ames et
illustres de se privilegierpriuilegier audessus de la costume.
Si quid
Socrates et Aristippus contra
co morem et consuetudinem
fecerint idem sibi ne arbi
tretur licere: magnis enim
illi et diuinis bonis hanc
licentiam assequebantur.
On luy apprendraapprēdra de n’entrer en dis-
cours & contestationcontestatiō, que où il verra unvn champion digne de sa
luite: &Et là mesmes à n’emploier pas tous les tours qui luy peu-
vent
peu-
uent
servirseruir, mais ceux-là seulement qui luy peuventpeuuēt le plus ser-
vir
ser-
uir
. Qu’on le rende delicat au chois & triage de ses raisons, &
aymant la pertinence, & par consequent la briefvetébriefueté. Qu’on
l’instruise sur tout à se rendre, & à quitter les armes à la verité,
tout aussi tost qu’il l’appercevraapperceura: sSoit qu’elle naisse és mains de
son adversaireaduersaire, soit qu’elle naisse en luy-mesmes par quelque ra-
visement
ra-
uisemēt
. Car il ne sera pas mis en chaise pour dire unvn rolle pres-
cript,: iIl n’est engagé à aucune cause, que par ce qu’il l’appreuveappreuue,.
nNy ne sera du mestier, ou se vent à purs deniers contanscōtans, la liberté
de se pouvoirpouuoir raviserrauiserrepentir & reconnoistre.
Position : Marge droite nNeque ut omnia quae
praescripta et imperata
sint defendat necessitate
ulla cogitur.
Si son gouverneurgouuerneur
tient de mon humeur il leuy dres formera la volonteuolonte a estre
tresloïal serviturseruitur de son prince maiset legitime serviturseruitur mais non
que legitime et tresvolontereuolontereaffectione & trescorageus mais il luy
refroidira l’envieenuie de s’y teniratacher autrement que par un devoirdeuoir publique.
Outre plusieurs autres inconveniansinconuenians qui blessent un home librenostre franchise
ferme par ces obligations particulieres le jugementiugement d’un home gage et
acheté ou il est moins entier et moins libre ou il est tache d’ingratitudeet d’imprudence
et d’ingratitude. UnVn courtisan ne peut avoirauoir ny loi ni volonteuolonte de dire &
penser que favorablementfauorablement d’un maistre qui parmi tant de milliers d’autres
subjectzsubiectz l’a choisi pour le nourrir et esleveresleuer de sa main Cette faveurfaueur & utilite
esbl corrompent non sans quelque raison sa franchise et l’esblouissent Pourtant
voituoit on costumierement le langage de ces gens la diversdiuers a tout le reste autre
langage d’un estat et de peu de foi en telle matiere.
Que sa conscience & sa
P

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[57v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
vertu, reluisent jusquesiusques àen son parler. Position : Interligne haute et n’aïent que la raison pour guide. Qu’on luy face entendreentēdre que
de confesser la faute qu’il descouvriradescouurira en son propre discours,
encore qu’elle ne soit aperceuë que par luy, c’est unvn effet de ju-
gement
iu-
gement
& de sincerité, qui sont les principales qualitezparties qu’il
cherche.
Position : Marge gauche Que l’opiniatrer & contester
sont qualites communes &
plus apparantes aus plus
basses ames: que se raviserrauiser
& se corriger: aAbandoner
unvn mauvesmauues parti sur le cours
de son ardur, ce sont qualitez
rares fortes et philosofiques.
On l’adviseraertiraaduiseraertira, estantestāt en compaigniecōpaignie, d’avoirauoir les yeux par
tout: cCar jeie trouvetrouue que les premiers sieges fsont communémentcommunémēt
saisis par les hommes moins capables, & que les grandeurs de
fortune ne se trouventtrouuent guieres meslées à la suffisance. JI’ay veu
cependant qu’on s’entretenoit au haut bout d’unevne table, de la
beauté d’unevne tapisserie, ou du goust de la maluoisie, se perdre
beaucoup de beaux traicts à l’autre bout. Il sondera la portée
d’unvn chacunchacū,: unvn bouvierbouuier, unvn masson, unvn passantpassāt,: il faut tout met-
tre en besongne, & emprunter chacunchacū selon sa marchandisemarchādise: car
tout sert en mesnage: lLa sottise mesmes, & foiblesse d’autruy
luy sera instruction. A contreroller les graces & façons d’unvn
chacun, il s’engendrera envieenuie des bonnes, & mespris des mau-
vaises
mau-
uaises
. Qu’on luy mette en fantasie unevne honeste curiosité de
s’enquerir de toutes choses: tTout ce qu’il y aura de singulier
autour de luy, il le verra: uUnvVn bastimentbastimēt, unevne fontaine, unvn hom-
me, le lieu d’unevne bataille ancienne, le passage de Caesar ou de
Charlemaigne.,
Quae tellus sit lenta gelu, quae putris ab aestu,
Ventus in Italiam quis bene vela ferat
,.
Il s’enquerra des meurs, des moyens & des alliances de ce Prin-
ce, & de celuy-là. Ce sont choses tres-plaisantes à apprendreapprēdre, &
tres-utilesvtiles à sçavoirsçauoir. En cette practique des hommes, ji’entends
y comprendre & principalement, ceux qui ne viventviuent qu’en la
memoire des livresliures. Il practiquera par le moyen des histoires,
ces grandes ames des meilleurs siecles. C’est unvn vain estude qui
veut: mais qui veut aussi c’est unvn estude de fruit inestimable.
Position : Marge gauche Et le sul estude come
dict Platon que les
Lacedemoniens eussent
reservèreseruè a leur part.

Quel profit ne fera-il en cestte part là, à la lecture des vies de
nostre Plutarque? Mais que mon guide se souvienesouuiene ou vise sa

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LIVRE PREMIER. 58
charge,. &Et qu’il n’imprime pas tant à son disciple,
Position : Marge droite la datte de la ruine
de Carthage que les
meurs de Hannibal et
Scipion: ny tant
ou mourut
Marcellus, que pourquoy il fut indigne de son devoirdeuoir, qu’il
mourut là: qQu’il ne luy apprenneapprēne pas tanttāt les histoires, qu’à en ju-
ger
iu-
ger
.
Position : Marge droite C’est a mon grè entre
toutes, la matiere a
laquelle l’nos esprits s’appliquent
de plus diversediuerse mesure
JeIe lis en Tite ce q
plusieurs choses.
JeIe’ay
lisleu en Tite LiveLiue
cent choses que tel
n’y a pas leu Plutarque
en a a leu deus fois
autant
cent outre ce que
ji’y ai sceu lire: & a l’aven=
ture
lauen=
ture
outre ce que l’autheurlautheur
y avoitauoit mis. C’estCest aus uns
un
A d’aucuns
c’est un
peur estude
grammerien: a d’autres
l’anatomie de la phiso
philosofie ouen laquelle les plus
abstruses parties de nostre
nature se penetrent.
Il y a dans cet autheurPlutarque beaucoup de discours estandusestādus, tres-
dignes d’estre sceus, car à mon gré c’est le maistre ouvrierouurier de
telle besongne: mMais il y en à mille qu’il n’a que touché sim-
plement: iIl guigne seulement du doigt par ou nous irons, s’il
nous plaist,: & se contentecōtente quelquefois de ne donner qu’unevne at-
tainte dans le plus vif d’unvn propos. Il les faut arracher de là, &
mettre en place marchande. Comme ce sien mot, que les ha-
bitans d’Asie, servoientseruoient à unvn seul, pour ne sçavoirsçauoir pronon-
cer unevne seule sillabe, qui est, non, donna peut estre, la matie-
re, & l’occasionoccasiō à Position : Interligne haute Estiene de la Boitie, de sa servitudeseruitude volontaire. Cela mes-
me de luy voir Plutarque, tirertrier unevne legiere action en la vie d’unvn
homme, ou unvn mot, qui semble ne porter pas,: cela, c’est unvn
discours,. c’C’est dommage que les gens d’entendement, ay-
ment tant la briefvetébriefueté: sSans doute leur reputation en vaut
mieux, mais nous en valons moins: Plutarque aime mieux
que nous le vantions de son jugementiugement que de son sçavoirsçauoir,:
il ayme mieux nous laisser desir de soy que satieté. Il sçavoitsçauoit
qu’és choses bonnes mesmes on peut trop dire,: & que Ale-
xandridas reprocha justementiustement, à celuy qui tenoit aux Epho-
res des bons propos, mais trop longs: O estrangier, tu dis
ce qu’il faut, autrement qu’il ne faut.
Position : Marge droite Ceus qui ont le corps gresle
le grossissent d’embourrures:
ceus qui ont la matiere exile,
l’enflent de paroles.
Il se tire unevne merveil-
leuse
merueil-
leuse
clarté pour le jugementiugemēt humain,Position : Interligne basse de la frequentation du monde. ce commercecōmerce des hom-
mes. Nous sommes tous contraintscōtraints & amoncellezamōcellez en nous mes-
mes, & avonsauōs la veuë racourcie à la longueur de nostre nez. On
demandoit à Socrates d’où il estoit, il ne responditrespōdit pas d’Athe-
nes, mais du mondemōde. Luy qui avoitauoit son imaginationimaginatiō plus plaine &
plus estanduëestāduë, embrassoit l’universvniuers, commecōme sa ville,: jettoitiettoit ses con-
noissances
cō-
noissances
, sa societé & ses affectionsaffectiōs à tout le genregēre humain: nNonnNō
pas commecōme nous, qui ne regardonsregardōs qu’à nos piedsque sous nous. Quand les vi-
P ij

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[58v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
gnes gelent en mon village, mon prebstre en argumente l’ire de
Dieu sur la race humaine, & jugeiuge que la pepie en tienne des-jaia
les Cannibales. A voir nos guerres civilesciuiles, qui ne crie que cet-
te machine se bouleversebouleuerse, & que le jouriour du jugementiugemēt nous tienttiētprent
au collet: sSans s’aviserauiser que plusieurs pires choses se sont veuës,
& que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le
bon temps cependant. Moy, selon leur licencelicēce & impunité, ad-
mire de les voir si douces & molles. A qui il gresle sur la teste,
tout l’hemisphere semble estre en tempeste & orage: &Et disoit
le SavoïartSauoïart, que si ce sot de Roy de France, eut sceu bien con-
duire sa fortune, il estoit homme pour devenirdeuenir maistre d’ho-
stel de son Duc. Son imagination ne concevoitconceuoit autre plus es-
levée
es-
leuée
grandeur, que celle de son maistre.
Position : Marge gauche Nous somes insensi=
blement tous en cette
errur, errur de grandestendue
et de grand pois suite
et importance. praejudicepraeiudice.
Mais qui se presente
comme dans unvn tableau, cette grandegrāde image de nostre mere na-
ture en son entiere magesté: qui lit en son visage, unevne si gene-
rale & constante varieté,: qui se remarque la dedans, & non soy,
mais tout unvn royaume, comme unvn traict d’unevne pointe tres-de-
licate,: celuy-là seul estime les choses selon leur justeiuste grandeurgrādeur.
Ce grand monde, que les unsvns multiplient encore comme es-
peces soubs unvn genregēre, c’est le miroüer, où il nous faut regarder,
pour nous connoistrecōnoistre de bon biais. Somme jeie veux que ce soit
le livreliure de mon escholier. Tant d’humeurs, de sectes, de juge-
mens
iuge-
mens
, d’opinions, de loix & de coustumes nous apprennent à
jugeriuger sainement des nostres,: & apprenent nostre jugementiugement à
reconnoistre son imperfection & sa naturelle foiblesse: qui
n’est pas unvn legier apprentissage. Tant de remuements d’estat,
& changements de fortune Position : Interligne haute publique, nous instruisent à ne faire pas
grande receptemiracle de la nostre. Tant de noms, tanttāt de victoires &
conquestes enseveliesenseuelies soubs l’oubliance, rendent ridicule l’es-
perance d’eterniser nostre nom par la prise de dix argolets, &
d’unvn pouillier, qui n’est conneu que de sa cheute. L’orgueil
& la fiereté de tant de pompes estrangieres, la magesté si

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LIVRE PREMIER. 59
enflée de tant de cours & de grandeurs, nous fermit & asseure
la veüe, à soustenir l’esclat des nostres, sans siller les yeux. TantTāt
de milliasses d’hommes enterrez avantauant nous, nous encou-
ragent à ne craindre d’aller trouvertrouuer si bonne compagnie en
l’autre monde: aAinsi du reste.
Position : Marge droite La viesuies des homesNostre vieuie disoit
Pythagoras retire a la
grande & populeuse assambleeassāblee
des jeusieus Olimpiques. Les uns
s’y exercent le corps pour en
acquerir la gloire des jeusieus
d’autres y portent des marchan=
dises a vandreuandre pour le guein.
Il en est et qui ne sont pas les
pires quilesquels n’ye cherchent autre
fruit que de regarder ce qui
s’y faict comant et pourquoi
chaque chose se faict et estre
spectaturs de la vieuie des autres homes
pour regler la leur en jugeriuger
et regler la leur.
Aux exemples, se pourront pro-
prement
pro-
premēt
assortir tous les plus profitables discours de la philo-
sophie,: à laquelle se doiventdoiuent toucher les actions humaines,
comme à leur reigle. On luy dira.,
quid fas optare, quid asper [Commentaire (Montaigne) : plus en ça]
Vtile nummus habet patriae charisque propinquis
Quantum elargiri deceat, quem te Deus esse
Iussit, & humana qua parte locaueritlocatus es in re,
Quid sumus, aut quidnam victuri gignimur:

QqQue c’est que sçavoirsçauoir & ignorer, qui doit estre le but de l’e-
stude,: qQue c’est que vaillance, temperance, & justiceiustice: cCe qu’il y
à a dire entre l’ambition & l’avariceauarice, la servitudeseruitude & la subie-
ction, la licence & la liberté: àA quelles marques on connoit le
vray & solide contentement: jJusquesiIusques ou il faut craindre la
mort, la douleur & la honte.:
Et quo quemque modo fugiátque ferátque laborem.:
QqQuels ressors nous meuventmeuuent, & le moyen de tant diversdiuers bran-
les
brā-
les
en nous. Car il me semble que les premiers discours, de-
quoy on luy doit abreuverabreuuer l’entendement, ce doiventdoiuent estre
ceux, qui reglent ses meurs & son sens,. qQui luy apprendront à
se connoistre, & à sçavoirsçauoir bien mourir & bien vivreviure.
Position : Marge droite Entre les ars
liberaus comançons
par l’artlart qui nous faict
libres. Elles serventseruent toutes
voirementuoirement en quelque maniereaucunement
a l’instruction de nostre vieuie
et a son usage: come toutes
autres choses Position : Interligne haute y serventseruent aucunement. Mais choisissons
celle qui y sert directemant
et conjouintementconiouintement et
professoirement. Si nous
sçavionssçauions restreindre les apartenances de
nostre vieuie a leurs justesiustes et naturels
limites nous trouverrionstrouuerrions que la meilleure
part des sciances qui sont en usage nous est
de nul usage est hors de nostre usage.
Et en celles mesmes qui le sont qu’il y a
des estendues et enfonceures tresinutilles [unclear]
que nous fairions mieus de laisser la Et
suivantsuiuant l’institution de Socrates borner le
cours de nostre estude en icelles:, ou faut
l’utilite.

sapere aude,
Incipe, Vuiuendi qui rectè prorogat horam,
Rusticus expectat dum defluat amnis, at ille
Labitur, & labetur in omne volubilis aeuum
:.
C’est unevne grande simplesse d’apprendre à nos enfans.,
Quid moueant pisces, animosáque signa leonis,
Lotus & Hesperia quid capricoruus aqua
.,
P iij

Fac-similé BVH

[59v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Lla science des astres & le mouvementmouuement de la huitiesme sphe-
re, avantauant que les leurs propres.,
τί πλειάδεσσι κἀμοί.
τί δ’αστράσιδ’ἀστράσι βοώτεωβοωτέω

Position : Marge haute Anaximenes escrivantescriuant à Pythagoras: De quel sens
puis jeie m’amuser aus secrets dudes ciel estoiles aïant la mort
ou la servitudeseruitude tousjourstousiours presante aus yeus (car lors les
Roys de Perse preparoint la guerre contre son païs) ChacunChacū
doit dire aisinainsin AEstant battu d’ambition d’avariceauarice de
temerite de supersitition
et aïant au dedans tels
autres enemis
de la vieuie irai
jeie songer au branle
du monde.

Apres qu’on luy aura aprisdict ce qui sert à le faire plus sage &
meilleur, on l’entretiendra que c’est que Logique, Musiquephisique,
Geometrie, Rhetorique: &Et la science qu’il choisira ayant des-
ja le goust & jugementiugement formé, il en viendraviēdra bien tost à bout.
Sa leçon se fera tantost par devisdeuis, tantost par livreliure: tantost
son gouverneurgouuerneur luy fournira de l’auteur mesme propre à cet-
te fin de son institution: tantost il luy en donnera la moelle,
& la substance toute maschée. Et si de soy mesme il n’est as-
sez familier des livresliures, pour y trouvertrouuer tant de beaux discours
qui y sont, pour l’effect de son dessein, on luy pourra joindreioindre
quelque homme de lettres, de qui à chaque besoing il retirefournisse
les munitions qu’il luy faudra, pour apres à sa mode les distri-
buer & dispenser à son nourrisson. Et que cette leçon ne
soit plus aisée, & naturelle que celle de Gaza, qui y peut
faire doute? Ce sont la preceptes espineux & mal plaisans,
& des mots vains & descharnez, ou il n’y à point de pri-
se, rien qui vous esveilleesueille l’esprit, rien qui vous chatouille: eEn
cette cy l’ame trouvetrouue ou mordre, et ou se paistre,. & ou se gen-
darmer: Ce fruict est plus grand sans comparaison, & si sera
plustost meury. C’est grand cas que les choses en soyent là en
nostre siecle, que la philosophie ce soit jusquesiusques aux gens d’en-
tendement
en-
tendemēt
, unvn nom vain & fantastique, qui se treuvetreuue de nul usagevsage, & de nul
pris. Position : Interligne haute et par opinion et par effaict. JeIe croy que ces ergotismes en sont cause, qui ont saisi ses
avenuesauenues. On à grand tort de la peindre inaccessible aux en-
fans, & d’unvn visage renfroignérēfroigné, sourcilleux & horribleterrible: qQui me
l’a masquée de ce faux visage pasle & hideux? Il n’est rienriē plus
gay, plus gaillard, plus enjouéenioué, & à peu que jeie ne die follastre.
Elle ne presche que feste & bon tempstēps: uUnevVne mine triste & tran-

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 5060
sie, montre, que ce n’est pas la son giste. Demetrius le Gram-
mairien rencontrant dans le temple de Delphes unevne troupe
de philosophes assis ensemble, il leur dit,. oOu jeie me trompe,
ou à vous voir la contenance si paisible & si gaye, vous n’e-
stes pas en grand discours entre vous. A quoy l’unvn d’eux He-
racleon le Megarien respondit: cC’est à faire à ceux qui cher-
chent si le futur du verbe βάλλω à double λ, ou qui cherchent
la derivationderiuation des comparatifs χεῖρον & βέλτιον, & des superlatifs
χεῖριστονχείριστον & βέλτιστον, qu’il faut rider le front s’entretenant de leur
science: mMais quant aux discours de la philosophie, ils ont ac-
coustumé d’esgayer & resjouïrresiouïr ceux qui les traictent, non
les renfroigner & contrister.:
Deprendas animi tormenta latentis in aegro
Corpore, deprendas & gaudia, sumit vtrumque
Inde habitum facies.

L’ame qui loge la philosophie, doit par sa santé rendre sain
encores le corps: eElle doit faire luire jusquesiusques au dehors son
contentement, son repos, & son aise: dDoit former à son moule
le port exterieur, & le garnir’armer par consequent d’unevne gratieuse
fierté, d’unvn maintien actif, & allegre, & d’unevne contenance ras-
sisecontente & debonnaire.
Position : Marge droite La plus expresse
marque de la sagesse
c’est une ejouissanceeiouissance
constante: son estat
est come des choses
au dessus de la Lune
tousjourstousiours serein.
C’est Barroco & Baralipton, qui rendent
leurs supposts ainsi marmiteuxcrotez & enfumés, cCe n’est pas elle,
ils ne la connoissent que par ouïr dire?. Comment? elle faict
estat de serainer les tempestes de la fortunel’ame, & d’aprendre la
fain & les fiebvresfiebures à rire:. nNon par quelques Epicycles ima-
ginaires, mais par raisons grossieresnaturelles, maniables & palpables.
Position : Marge droite Ell’a pour son but la
vertuuertu qui n’est pas
come dict l’escolelescole plantée
a la teste d’un mont
cope raboteus & inacces
sible. Ceus qui l’ont
aprochee, au rebours
l’ont veuueu
la tienent logee au reb
rebours
au rebours logee dans une belle
pleine fertile & fleuris=
sente, d’oudou elle voituoit
bien sous soi toutes
choses, mais si f peut on y arriverarriuer qui
en sçait l’adresse par des routes unies
ombrageuses gasonees & dous fleurantes, & ombragees
plesammant et d’une pente insansible
imperceptible.routes facile et polie come est celle des voutesuoutes celestes. Pour n’avoirauoir hanté cette vertuuertu belle et triomfante supreme belle
triomfante amoureuse, delicieuse pareillement et corageuse, enemie professe et
irreconciliable d’aigrur de desplaisir de creinte et de contreinte aiant pour guide nature
fortune et volupteuolupte pour compaignes: ils sont alles selon leur foiblesse feindre cette
sotte image triste quereleuse despite menaceuse mineuse et la placer sur un
rochier a l’escart emmi des ronces: fantosme a estoner les gens. Mon gouvernurgouuernur
qui conoit devoirdeuoir ramplir la volonteuolonte de son disciple autant ou plus d’affection que de reverancereuerance enversenuers
la vertu, lui sçaura dire, que les poëtes suiventsuiuent les humeurs communes: & lui faire toucher au doigt,
que les dieux ont mis plustost la sueur aux advenuesaduenues des cabinetz de Venus que de Pallas.
Et quant il commencera de se sentir, luy presentant Bradamant ou
[Note (Alain Legros) : Cette addition se poursuit sur le folio précédent (f.59v.) où est se trouve serrée en marge gauche et dans la longueur, peut-être recopiée à partir d’un brouillon?]
Position : Marge gauche Angelique, pour maistresse à joüirioüir: & d’unevne beauté naïvenaïue, activeactiue, genereuse, non hommasse, mais virile, au prix d’unevne beauté molle, affettée, delicate, artificielle;
l’unevne travestietrauestie en garçon coiffee d’un morrion luysant: l’autrelautre vestueuestue en garce coiffee d’un attiffet en enperlé: il jugeraiugera masle son amour mesme, s’il choisit
tout diversemantdiuersemant a cet effemine pastur de Phrygie. Il luy faira cette nouvellenouuelle leçon que le pris et hautur de la vraïeuraïe vertuuertu est en la facilitè
utilitévtilité et voluptéuoluptéplaisir de son exercice, si eslouigné de difficulté que les enfans y peuventpeuuent come les homes, les simples come les subtils. Le g reglemant c’est
son utilvtil non pas la force. Socrates son premier mignon quitte, a esciant sa force pour glisser en la naïfvetenaïfuete et aisance de son progrez. C’est la maire nourrisse des
plaisirs humains. En les rendant justesiustes, elle les rant surs et purs. Les moderant, elle les tient en haleine et en goust. Retranchant ceus qu’elle refuse elle nous
aiguise enversenuers ceus qu’elle nous laisse Et nous laisse abondammant tous ceus que veutueut nature et jusquesiusques a la satiete maternellemantmaternellemāt sinon jusquesiusques
la lassete. Si d’avantureauanture nous ne volonsuolons dire que le regime qui arrete le beuveurbeuueur avantauant l’ivresseiuresse, le mangeur avantauant la crudité le paillart avantauant la pelade, soit
ennemi de nos plaisirs. Si la fortune commune luy faut ou elle luy eschape ou elle s’en passe et s’en forge un’autre toute siene non plus flottante & roulante.
Elle sçait estre riche et puissante et sçavantesçauante: et coucher dans des matelas musquez Elle aime la vieuie elle aime la beaute et la gloire et la sante. Mais son office propre et
particulier c’est sçavoirsçauoir user de ces biens la regleemant et les sçavoirsçauoir perdre constammant. Office bien plus noble qu’aspre. Sans le quel tout cours de vieuie est
desnaturè turbulant et difforme: et y peut on justemantiustemant atacher ces esceuils ces haliers et ces monstres. Si ce disciple se rencontre de si diversediuerse condition qu’il
aime mieus ouir le babil d’une famefable que la narration d’un beau voïageuoïage ou un sage propos quand il l’entandera Qui au son du tabourin qui arme la juneiune
ardur de ses compaignons se destourne a un autre qui l’apelle au jeuieu des batelurs Qui ypar souhet ne treuvetreuue plus plesant et plus dous revenirreuenir poudreus et
victorieus d’un combat, que de la paume ou du bal aveqaueq le pris de cet exercice: jeie n’y treuvetreuue autre remede sinon que de bone heure son gouvernurgouuernur l’estrangle s’il
est sans tesmoins ou qu’on le mette pattissier dans quelque bone villeuille fut il filx d’un duc suivantsuiuant le precepte de Platon qu’ilquil faut colloquer les enfans non selon les
facultez de leur pere mais selon les
facultez de leur ame.

Puis que Position : Interligne haute la philosophie c’est celle qui nous instruict à vivreviure, & que l’enfance
y à sa leçon, comme les autres aages, pourquoy ne la luy con-
munique
cō-
munique
l’on?
Vdum & molle lutum est, nunc nunc proper andus, & acri
Fingendus sine fine rota.

On nous aprent à vivreviure, quand la vie est passée. CentCēt escoliers

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[60v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ont pris la verolle avantauant que d’estre arrivezarriuez à leur leçon d’A-
ristote de la temperance.
Position : Marge gauche Cicero disoit que quand
il vivroituiuroit la vieuie de
deus homes il ne
pranderoit pas le loisir
d’estudier les poëtes
Lyriques: eEt jeie treuvetreuue
ces ergotistmes plus
tristement encores
inutilles. Nostre enfantenfāt
est bien plus pressé: il
ne doit a l’estudelestude toute
sorte d’estude
l’escolagelescolage
au paedagisme
que les
premiers quinse ou sese
ans de sa vieuie: le demu=
rant est deu a l’actionlaction:
Emploions un temps si
court aus instructions
necesseres.
Ce sont abus, ostez toutes ces subti-
litez espineuses de la Dialectique, dequoy nostre vie ne se
peut amender, prenez les simples discours de la philosophie,
sçachez les choisir & traitter à point, ils sont plus aisez à con-
cevoir
con-
ceuoir
qu’unvn conte de Boccace. UnVn enfant en est capable au
partir de la nourrisse, beaucoup mieux que d’aprendre à lire
ou escrire. La philosophie à des discours pour la naissance des
hommes, comme pour la decrepitude. JeIe suis de l’advisaduis de
Plutarque, qu’Aristote n’amusa pas tant son grand disciple à
l’artifice de composer syllogismes, ou aux Principes de Geo-
metrie, comme à l’instruire des bons preceptes, touchant la
vaillance, proüesse, la magnanimité & temperance, & l’asseu-
rance de ne rien craindre: &Et avecauec cette munition, il l’envoyaenuoya
encores enfant subjuguersubiuguer l’Empire du monde avecaueca tout seulementseulemēt
30000. hommes de pied, 4000. chevauxcheuaux, & quarante deux
mille escuz. Les autres arts & sciences, dict-il, Alexandre les
honoroit bien, & loüoit leur excellence & gentillesse, mais
pour plaisir qu’il y prit, il n’estoit pas facile à se laisser surpren-
dre à l’affection de les vouloir exercer.
petite hinc iuuenésque senesque
Finem animo certum, miserísque, viatica canis.

Position : Marge gauche C’est ce que dict
Epicurus au comancementcomācemēt
de sa lettre a Meniceus:
Ny le plus juneiune refuie
à philosofer ny le
plus vieiluieil s’y lasse.
Qui faict autremant
il semble dire ou qu’il
n’est pas encore seson
d’hureusement vivreuiure
ou qu’il n’en est plus
saison.

Pour tout cecy, jeie ne veu pas qu’on emprisonne cet enfant
dans unvn college,ce garçon,: jJeiIe ne veux pas qu’on l’abandonne à la colere
& humeur melancholique d’unvn furieux maistre d’escole: jJeiIe
ne veux pas corrompre son esprit, à le tenir à la gehene & au
travailtrauail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par
jouriour, comme unvn portefaiz:
Position : Marge gauche Ny ne trouvueroistrouuuerois bon quandquād
on le trouveroittrouueroit par quelque
complexion solitere et
melancholique Position : Interligne haute on le verroituerroit adone d’une
application trop indiscrete
a l’estudelestude des livresliures qu’on
la luy nourrit Cela les
rend ineptes a la conversationconuersation civilleciuille et de les destourne de
meilleures occupations et combien ai jeie veuueu de mon temps
d’homes abestis par temerere aviditeauidite de sciance
Carneades s’en trouvatrouua si affole qu’il ne trouvoittrouuoitn’eut plus le loisir de
se faire le poil et les ongles.
nNy ne veux gaster ses meurs gene-
reuses par l’incivilitéinciuilité & barbarie d’autruy. La sagesse Françoi-
se à esté anciennement en proverbeprouerbe, pour unevne sagesse qui pre-
noit de bon’heure & n’avoitauoit guieres de tenue. A la verité nous
voyons encores qu’il n’est rien si gentil que les petits enfans
en
Fac-similé BVH

LIVRE PREMIER. 4861
en France: mais ordinairement ils trompent l’esperanceesperāce qu’on
en à conceuë,: & hommeshōmes faicts, on n’y voit aucune excellence.
JI’ay ouy tenir à gens d’entendement, que ces colleges ou on
les envoieenuoie, dequoy ils ont foisonabondancefoison, les abrutissent ainsin. Au no-
stre, unvn cabinet, unvn jardiniardrin, la table, & le lit, la solitude, la com-
paignie, le matin & le vespre, toutes heures luy seront unesvnes:
toutes places luy seront estude: cCar la philosophie, qui, commecōme
formatrice des jugementsiugements & des meurs, sera sa principale le-
çon, à ce privilegepriuilege, de se mesler par tout. Isocrates l’orateur
estant prié en unvn festin de parler de son art, chacun trouvetrouue
qu’il eut raison de respondre: iIl n’est pas maintenant temps
de ce que jeie sçay faire, & ce dequoy il est maintenant temps,
jeie ne le sçay pas faire: cCar de presenter des harangues ou des
disputes de rhetorique à unevne compaignie, assemblée pour ri-
re & faire bonne chere, ce seroit unvn meslange de trop mauvaismauuais
accord. Et autant en pourroit-on quasi dire de toutes les au-
tres sciences: mMais quant à la philosophie, en la partie, ou elle
traicte de l’homme & de ses devoirsdeuoirs & offices, ç’à esté le juge-
ment
iuge-
ment
commun de tous les sages, que pour la douceur de sa
conversationcōuersation, elle ne devoitdeuoit estre refusée, ny aux festins, ny aux
jeuxieux: &Et Platon l’ayant conviéeconuiéeinviteeinuitee à son conviveconuiue, nous voyons
comme elle entretient l’assistence d’unevne façon molle, & accom-
modée
accō-
modée
au temps & au lieu, quoy que ce soit de ses plus hauts
discours & plus salutaires.
Aeque pauperibus prodest, locupletibus aeque,
Et neglecta aeque pueris senibúsque nocebit.

Ainsi sans doubte il chomera moins, que les autres: mMais com-
me les pas que nous employons à nous promener dans unevne
galerie, quoy qu’il y en ait trois fois autantautāt, ne nous lassent pas,
comme ceux que nous mettons à quelque chemin desseigné:
aussi nostre leçon se passant comme par rencontre, sans obli-
gation de temps & de lieu, & se meslant à toutes nos actionsactiōs, se
Q

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[61v]

coulera sans se faire sentir. Les jeuxieux mesmes, & les exercices se-
ront unevne Position : Interligne haute bone partie de l’estude: lLa course, la luite, Position : Interligne haute la musique la danse, la chas-
se, le maniementmaniemēt des chevauxcheuaux & des armes. JeIe veux que la bien-
seance exterieure, & l’entre-gent Position : Interligne haute et la disposition dude corsla persone, se façonne quant & quant
l’ame. Ce n’est pas unevne ame, ce n’est pas unvn pas corps, qu’on dresse,
c’est unvn homme, il n’en faut pas faire à deux. Et comme dict
Platon, il ne faut pas les exercerdresser l’unvn sans l’autre, mais les con-
duire également, comme unevne couple de chevauxcheuaux attelez à
mesme timon. Position : Interligne haute Et a l’ouirlouir semble il pas qu’il prester et plus de temps et plus de sollicitude aus exercices du cors est et estimer
que l’esprit s’en
exerce quand
et quant, et non
au rebours. [Note (Alain Legros) : Chronologiquement, Montaigne a écrit : 1-Qu’on evite cete indiscrete... 2-Qu’on evite de les induire a cete indiscrete... 3-Qu’on evite de l’induire a cete indiscrete...]
Qu’on eviteeuite de les
induire a

cete indiscrete
aviditeauidite d’estudedestude
des livresliures qui
leur oste toute
grace en la
conversationconuersation
civileciuile et les
destourne de
tout’autreautres
meillures occu
pations Carneades
en devintdeuint si
affolé qu’il ne
trouvatrouua plus loisir
a se faire les
ongles & le poil.
Combien d’homes
ai jeie veuueu de mon
temps abestis par
l’estudelestude
Au demeurant, toute cette institution se doit
conduirecōduire par unevne severeseuere douceur, non comme aux colleges, ouil se faict:
aAu lieu de conviercōuier les enfans aux lettres, & leur en donnerdōner goust,
on ne leur presente à la veriréverité, que horreur & cruauté: oOstez
moy la violence & la force, il n’est rien à mon advisaduis qui aba-
stardisse & estourdisse si fort unevne nature bien née,: sSi vous avezauez
envieenuie qu’il craigne la honte & le chastiementchastiemēt ne l’y endurcissez
pas: eEndurcissez le à la sueur & au froid, au vent, au soleil & aux
hazards qu’il luy faut mespriser: oOstez luy toute mollesse &
delicatesse au vestir & coucher, au manger & au boire: accou-
stumez le à tout: qQue ce ne soit pas unvn beau garçongarçō & dameret,
mais unvn garçon vert & vigoureux.
Position : Marge gauche Enfant, home, vieiluieil, ji’ay tousjourstousiours creu et jugéiugé de mesme,. a peu pres. Mais entre autresMais entre autres choses, cette
police de la plus part de nos collieges m’a tousjourstousiours despleu. On eut failli a l’avantureauanture moins domageablement
s’inclinant versuers l’indulgence. C’est une vrayeuraye geole de junesseiunesse captivecaptiue. On la rent desbauchee l’en punissantpunissāt
avantauant qu’elle le soit. ArrivezArriuez y sur le poinct de leur office vousuous n’oyes que cris et d’enfans suppliciez
et de maistres enyvrezenyurez en leur cholere. Quelle maniere d’pour esveilleresueiller l’appetit enversenuers leur leçon, dea ces tendres
ames et creintivescreintiues, de les y guider d’une trouigne effroiable, les mains armees de fouetz. Inique et
pernicieuse forme. JointIoint ce que’un antienQuintilien en a tresbien remarqué que cette imperïeuse authorité tire des
suites perilleuses: et nomeemant a nostre façon de chatiemant. Combien leurs classes seroint plus decemment
et ingenieusement joncheesionchees de rosesfleurs et de feuillee que de tronçons d’osier sanglans. JI’y fairois portraire
lela jeuieu la gaietéjoieioye l’alegresse et flora et les graces Position : Interligne haute come fit en son escole le philofephilosofe Speusippus: Ou est leur profit que ce fut aussi leur esbat. On doit ensucrer les viandesuiandes
salubres a l’enfant et enfieler celes qui luy sont nuisibles. C’est merveillemerueille combien Platon se montre souigneus et ses loix de la gayete Position : Interligne haute et passe temps de la junesseiunesse des enfans
de sa cite et combien il s’arrete po a leurs exercicesexe courses, jeusieus chançons etsaus et danses, et courses des quelles il dict que l’antiquitélantiquite a done la conduite et le partronage aus
dieus mesmes: Apollo et les Muses et Bacchus. Leset MinerveMinerue pour ceus de plus bastout eage Bacchus pour l’eage plusbien avancéauancé. Il s’estant a mille praeceptes pour ses gymnases:
pour les sciances lettrees il s’y amuse fort peu & semblesēble ne recomander particulierement la poisie que pour la musique
Toute estrangeté & parti-
cularité en nos meurs & conditions est evitableeuitable, comme en-
nemie de communication & de societé:.
Position : Marge droite et come
monstrueusemōstrueuse
tesmouin
Qui ne s’esto=
neroit de la
complexioncōplexion de
Demophon
maistre d’hostel
d’Alexandre
qui suoit a
l’ombrelombre &
trambloittrābloit au
soleil.
jJiI’en ay veu fuir la sen-
teur des pommespōmes, plus que les harquebusades,: d’autres s’effrayer
pour unevne souris,: d’autres rendre la gorge à voir de la cresme:
d’autres à voir branslersser [Note (Montaigne) : /brasser/] unvn lict de plume: comme Germanicus
ne pouvoitpouuoit souffrir ny la veue ny le chant des coqs. Il y peut
avoirauoir à l’avantureauanture à cela quelque proprieté occulte, mais on
l’esteindroit à mon advisaduis, qui s’y prendroitprēdroit de bon’heure. L’in-
stitution à gaigné cela sur moy, il est vray que ce n’a point esté
sans quelque soing, que sauf la biere, mon goustappetit est accommo-
dable Position : Interligne haute indifferammant a toutes choses, dequoy on se pait. Le corps encore sou-
ple, on le doit a cette cause, plier a toutes façons & coustumes:

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 62
&Et pourveupourueu qu’on puisse tenir l’appetit & la volontévolōté soubs bou-
cle, qu’on rende hardimenthardimēt unvn jeuneieune homme commode a tou-
tes nations & compaignies,. vVoire au desreglementdesreglemēt & aus exces,
si besoing est:
Position : Marge droite . Son exercitation
doit en fin suivesuiuent
l’usagelusage.
Qu’il puisse faire toutes choses, & n’ayme a faire
que les bonnes. Les philosophes mesmes ne trouventtrouuēt pas loua-
ble en Calisthenes, d’avoirauoir perdu la bonne grace du grand A-
lexandre son maistre, pour n’avoirauoir voulu boire d’autantautāt a luy.
Il rira, il follastrera, il se desbauchera avecauec son prince: jJeiIe veux
qu’en la desbauche mesme, il surpasse en vigueur & en ferme-
té ses compagnons,: &Et qu’il ne laisse a faire le mal, ny a faute de
force ny de science, mais a faute de volonté.
Position : Marge droite Multum interest
utrum peccare ali
quis nolit aut nesciat.
JeIe pensoispēsois faire hon-
neur
hō-
neur
à unvn seigneur aussi eslongné de ces débordemens, qu’il
en soit en France, de m’enquerir à luy en bonne compaignie,
combien de fois en sa vie il s’estoit enyvréenyuré, pour la necessité
des affaires du Roy en Allemagne: iIl le print de cette mesme
façon, & me respondit que c’estoit trois fois, lesquelles il reci-
ta. JI’en sçay, qui à faute de cette faculté, se sont mis en grand
peine ayans à pratiquer cette nation. JI’ay souventsouuent remarqué
avecauec grand’admiration cettela merveilleusemerueilleuse nature d’Alcibia-
des, de se transformer si aisément à façons si diversesdiuerses, sans in-
terest de sa santé,. sSurpassant tantost la somptuosité & pompe
Persienne, tantost l’austerité & frugalité Lacedemoniene,: au-
tant reformé en Sparte, comme voluptueux en Ionië.,
Omnis Aristippum decuit color, & status, & res.
Tel voudrois-jeie former mon disciple,
quem duplici panno patientia velat
Mirabor, vitae via si conuersa decebit,
Personámque feret non incocinnnusinconcinnus vtrámque.

Voicy mes leçons,
Position : Marge droite : qQui les faict a mieux
profite que de luy
Celluy la y a mieus profite
qui les faict que
qui
les sçait. Si vousuous le
voiesuoies vousuous l’oïes: si vousuous
l’oïes vousuous le voiesuoies. JaIa à
dieu ne plaise dict quelc’unquelcun
en Platon que philosofer
ce soit aprandre plusieurs
choses et traicter les ars. Hanc
amplissimam omnium artium bene
uiuendi disciplinam uita magis quam
literis persequuti sunt
. Leon prince des
Phliasiens s’enquerant a Heraclides Ponticus
de quelle sciance de quelle art il faisoit
profession JeIe ne sçai dict il ny art ny
sciance mais jeie suis philosophe SuivantSuiuāt
le dogme d’Antisthenes maintenant que la
vertuuertu n’avoitauoit besouin ny des disciplines ny
des paroles ny des effaicts, qu’elle suffisoit a soi
On reprochoit
a Diogenes comant estant ignorant il se mesloit de la philosofie
JeIe sm’en mesle dict il d’autant mieus a propos

Hegesias le prioit Diogenes de luy lire quelque livreliure Vous estes
plaisant, luy respondit-il: vous choisisses les figues vraiesuraies et non
et naturelles, non peintes: que ne choisissez vous aussi les exercitations naturelles vrayes, et non escrites?
ou le faire va avecauec le dire. Car à quoy sert
il qu’on presche l’esprit, si les effects ne vont quant & quant?
On verra à ses entreprinses, s’il y à de la prudence, s’il y à de la
bontébōté en ses actionsactiōs
Il ne dira pas tant sa leçon come il la faira Il la
repetera en ses actions. On verrauerra s’il y a de la prudance en ses entreprinses s’il y a de
la bonte et de la justiceiustice en ses desportemans s’il y a du d’ jugementiugement & de la grace en son parler
de la vigeuruigeur en ses maladies de la modestie en ses jeusieus de la temperance en ses voluptezuoluptez
, de l’indifferenceindifferēce en son goust, soit chair, pois-
Q ij

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[62v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
son, vin, ou eau.
Position : Marge gauche de l’ordrelordre en son oeconomie:
Qui discliplinam suam
non ostentationem
scientiae qui obtemperet
ipse sibi et decretis
pareat
sed legem uitae
putet quique obtemperet
ipse sibi et decretis pareat.

Le vraiurai miroir de nos
discours, est le cours de
nos viesuies.
Il ne faut pas seulement qu’il die sa leçonleçō, mais
qu’il la face.
Zeuxidamus responditrespōdit à unvn, qui luy demandademāda pour-
quoy les Lacedemoniens ne redigeoient par escrit les ordon-
nances de la prouesse, & ne les donnoient à lire à leurs jeunesieunes
gens,: que c’estoit par ce qu’ils les vouloient accoustumer aux
faits, non pas aux escrituresparolles. ComparezCōparez au bout de 15. ou 16. ans, à
cettuy cy, unvn de ces latineurs de college, qui aura mis autantautāt de
temps à n’aprendre simplement qu’à parler. Le monde n’est
que babil, & ne vis jamaisiamais hommehōme, qui ne die plustost plus, que
moins qu’il ne doit: toutesfois la moictié de nostre aage s’en
va la. On nous tienttiēt quatre ou cinq ans à entendreentēdre les mots & les
coudre en clauses,. eEncores autant à en proportionner unvn grandgrād
corps estendu en quatre ou cinq parties,. &Et autres cinq pour
le moins à les sçavoirsçauoir brefvementbrefuemēt mesler & entrelasser de quel-
que subtile façon. Laissons celale à ceux, qui en font profession
expresse. Allant unvn jouriour à Orleans, jeie trouvaytrouuay dansdās cette plaine
au deça de Clery, deux regens qui venoyent à Bourdeaux, en-
viron
en-
uiron
à cinquante pas l’unvn de l’autre: pPlus loing derriere eux, jeie
descouvrisdescouuris unevne trouppe & unvn maistre en teste, qui estoit feu
Monsieur le Comte de la Rochefoucaut: uUnvVn de mes gensgēs s’en-
quit au premier de ces regents, qui estoit ce gentilgētil’homme qui
venoit apres luy, lLuy qui n’avoitauoit pas veu ce trein, qui le suy-
voit
suy-
uoit
, & qui pensoit qu’on luy parlast de son compagnon, res-
pondit plaisamment,. iIl n’est pas gentil’hommehōme, c’est unvn grammai-
rien
grāmai-
rien
, & jeie suis logicien. Or nous qui cerchons icy au rebours,
de former non unvn grammairiengrammairiē ou logicienlogiciē, mais unvn gentil hom-
me
hō-
me
, laissons les abuser de leur loisir: nous avonsauons affaire ail-
leurs. Mais que nostre disciple soit bien garnypourveupourueu de choses,
les parolles ne suivrontsuiuront que trop: il les trainera, si elles ne
veulent suivresuiure. JI’en oy qui s’excusent de ne se pouvoirpouuoir expri-
mer, & font contenance d’avoirauoir la teste pleine de plusieurs
belles choses, mais à faute d’eloquence, ne les pouvoirpouuoir met-
tre en evidenceeuidence: c’C’est unevne baye. SçavezSçauez vous a mon advisaduis

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LIVRE PREMIER. 5063
que c’est que cela? cCe sont des ombrages, qui leur viennent de
quelques conceptions informes, qu’ils ne peuventpeuuent desmeler
& esclarcir au dedans, ny par consequant produire au dehors:
IiIls ne s’entendent pas encore eux mesmes: &Et voyez les unvn peu
begayer sur le point de l’enfanter, vous jugeziugez que leur travailtrauail
n’est Position : Interligne haute point à l’acouchement, mais Position : Interligne haute a la conception, et qu’ils ne font que lecher encores
cette matiere imparfaicte. De ma part, jeie tiens Position : Interligne haute et Socrates aussi l’ordone que qui à en
l’esprit unevne viveviue imagination & claire, il la produira, soit en
Bergamasque, soit par mines, s’il est muet.,
Verbáque praeuisam rem non inuita sequentur.
Et comme disoit cet autreceluy la, aussi poëtiquement en sa prose,
cum res animum occupauere, verba ambiunt.
Position : Marge droite Et cet autre: ipsae
res uerba rapiunt
Il ne sçait pas ablatif,
conjunctifcōiunctif, substantif, ny la grammairegrāmaire,: ne faict pas son laquais,
ou unevne harangiere du petit pont, & si vous entretiendront
tout vostre soul, si vous en avezauez envieenuie, & se desferreront aussi
peu à l’adventureaduenture aux regles de leur langage, que le meilleur
maistre és arts de FranceFrāce. Il ne sçait pas la rhetorique, ny pour
avantauant-jeuieu capter la benivolencebeniuolence du candide lecteur, ny ne luy
chaut de le sçavoirsçauoir. De vray toute cette belle peincture s’effa-
ce aisément par le lustre d’unevne verité simple & naifvenaifue: cCes gen-
tillesses
gē-
tillesses
ne serventseruent que pour amuser le vulgaire, incapable de
gousterprendre la viande plus massivemassiue & plus ferme,: comme Afer
monstre bien clairement chez Tacitus. Les Ambassadeurs de
Samos estoyent venus à Cleomenes Roy de Sparte, preparez
d’unevne belle & longue oraison, pour l’esmouvoiresmouuoir à la guerre
contre le tyran Policrates: aApres qu’il les eust bien laissez dire,
il leur respondit: qQuant à vostre commencement, & exorde,
il ne m’en souvientsouuient plus, ny par consequent du milieu, & quantquāt
à vostre conclusion jeie n’en vieux rien faire. Voyla unevne belle
responce, ce me semble, & des harangueurs bien cameus. Et
quoy cet autre? Les Atheniens estoyent à choisir de deux ar-
chitectes, à conduire unevne grande fabrique,: lLe premier plus
Q iij

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[63v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
affeté, se presenta avecauec unvn beau discours premedité sur le sub-
ject
sub-
iect
de cette besongne, & tiroit le jugementiugement du peuple à sa fa-
veur
fa-
ueur
: mMais l’autre en trois mots: sSeigneurs Atheniens ce que
cetuy à dict, jeie le feray. Au fort de l’eloquence de Cicero, plu-
sieurs en estoyent tirezentroint en admirationadmiratiō, mais Caton n’en faisant
que rire: nous avonsauons, disoit-il, unvn plaisant consul. Aille devantdeuant
ou apres: unvn vif argumentun’utile sentance, unvn beau traict, est tousjourstousiours de sai-
son.
Position : Marge gauche s’il n’est pas bien
à ce qui vaua devantdeuant, ny
à ce qui vientuient apres:
il est bien en soi.
JeIe ne suis pas de ceux qui pensent la bonnebōne rithme faire le
bon poeme: laissez luy allonger unevne courte syllabe s’il veut,
pour cela non force: si les inventionsinuentions y rient, si l’esprit & le ju-
gement
iu-
gement
y ont bien jouéiouéfaict leur rolleoffice, voyla unvn bon poete, diray-
jeie, mais unvn mauvaismauuais versificateur,
Emunctae naris, durus componere versus,.
Qu’on face dict Horace, perdre à son ouvrageouurage toutes ses cou-
stures & mesures,
Tempora certa modosque, & quod prius ordine verbum est
Posterius facias, praeponens vltima primis,
Inuenias etiam disiecti membra poetae,

il ne se démentira point pour cela: les pieces mesmes en serontserōt
belles. C’estCest ce que respondit Menander, comme on le tensat,
approchant le jouriour, auquel il avoitauoit promis unevne comedie, de-
quoy il n’y avoitauoit encore mis la main: eElle est composée & pre-
ste, il ne reste qu’à y adjousteradiouster les vers. Ayant les choses & la
matiere en l’ame disposée & rangéeen l’ame, il mettoit en peu de con-
pte
cō-
pte
les mots, les pieds, & les cesures, qui sont à la verité de fort
peu, au pris du reste. Et qu’il soit ainsi
demurant,. dDepuis que Ronsard &
du Bellay ont mis en honneurdoné credit a nostre poesie Françoise, jeie ne
vois si petit apprentis, qui n’enfle des mots, qui ne renge les
cadences, à peu pres, comme eux. mesmes.
Position : Marge droite : pPlus sonat
quam ualet.
Pour le vulgaire, il
ne fut jamaisiamais tant de poëtes: mMais comme il leur à esté bien ai-
sé de representer leurs rithmes, ils demeurent bienbiē aussi court,
à imiter les riches descriptions de l’unvn, & les delicates inveninuen-

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LIVRE PREMIER. 64
tions de l’autre. Voire mais, que fera-il, si on le presse de la sub-
tilité sophistique de quelque syllogisme? Le jamboniambon fait boi-
re, le boire desaltere, parquoy le jamboniambon desaltere.
Position : Marge droite : qQu’il s’en moque. Il est
plus subtil de s’en moquer
que d’y respondre. Voici
ce qu’il en semble a Platon
en l’Euthydeme: et par=
tout la guerre jureeiuree de
Socrates a l’encontre des
Sophistes
Qu’il emprunte
d’Aristippus cette plaisante
contrefinesse
responcedesfaicte Pourquoi le des=
nouerailierai jeie cet argumentargumēt
& le deslierai
puis que tout
lie il nous done de l’affaire
m’empesche asses. Quelqu’unvn
proposoit Position : Interligne haute contre Cleanthes des finesses dialectiques
a Cleanthes a qui Chrysippus dit
jouëiouë toi de ces batelages aveqaueq les
enfans et ne destourne a cela, les
pensees serieuses d’un home d’eage.
Si ces sot-
tes finiesses arguties contorta et aculeata sophismata, luy doiventdoiuent persuader unevne mensonge, cela est dan-
gereux: mais si elles demeurent sans effect, & ne l’esmeuventesmeuuent
qu’à rire, jeie ne voy pas pourquoy il s’en doivedoiue donnerdōner garde. Il
en est de si sots, qui se destournent de leur voye unvn quart de
lieuë, pour courir apres unvn beau mot [Note (Mathieu Duboc) : Ce signe, à l’origine sous forme de I renvoyait à l’addition latine barrée en marge droite. Dans un second temps, Montaigne l’a modifié afin qu’il renvoi à l’addition marginale verticale qui remplaçait la première biffée.]
Position : Marge droite aut qui res extrinsecus
arcessunt, quibus
uerba conueniantcōueniant
Position : Marge gauche , aut qui non uerba rebus aptant, sed res extrinsecus arcessunt, quibus
uerba conueniant
Et l’autre. Sunt qui alicuius uerbi decore placentis uocentur ad id
quod non proposuerant scribere
. Au JeJe tors bien plus volontiersuolontiers une bone sentance
pour la couchercoudre sur moi que jeie ne tors mon fil pour l’aler querir. Au
: au rebours, c’est aux pa-
roles à servirseruir & à suyvresuyure, & que le Gascon y arrivearriue, si le Fran-
çois n’y peut aller. JeIe veux que les choses surmontentsurmōtent, & qu’el-
les remplissent, de façon l’imagination de celuy qui escoute,
qu’il n’aye aucune souvenancesouuenance des mots. Le parler que ji’ay-
me, c’est unvn parler simple & naif, tel sur le papier qu’à la bou-
che: uUnvVn parler succulent & nerveuxnerueux, court & serré,
Position : Marge droite non tant delicat
et peignè, come
vehementuehement et brusque
Haec demum sapiet
dictio, quae feriet.
pPlustost
difficile que ennuieux,. eEsloingné d’affectation,: & d’artifice,
dDesreglé, descousu, & hardy: cChaque lopin y face son corps:
nNon pedantésque, non fratesque, non pleideresque, mais plu-
stost soldatesque, comme Suetone appelle celuy de JuliusIulius
Caesar.
Position : Marge droite : et si ne sens pas bien
pourquoi il l’en apelle.
JI’ay volontiers imité cette desbauche qui se voit en
nostre jeunesseieunesse, au port de leurs vestemens,. de laisser pendre
son reistre
uUVn manteau pendantpendāt
en escharpe
, de porter sa cape en escharpeune sa cape sur une espaule, & unvn bas mal tendu,
qui represente unevne fierté desdaigneuse de ces paremens estran-
gers
estrā-
gers
, & nonchallante de l’art: mMmais jeie la trouvetrouue encore mieus
employée en la forme du parler.
Position : Marge droite a Non est ornamen=
tum uirile concinnitas

Toute affectation
nomeemant en la
gaiete et liberte fran=
çoise est mesadvenantemesaduenante
au courtisan. eEt en une
monarchie tout genti=
lhome doit estre dressé
poura la façon d’un cortisan : pParquoy
nous faisons bien de gau=
chir un peus sur le naïf &
mesprisant.
JeIe n’ayme point de tissure,
ou les liaisons & les coutures paroisseunt: tTout ainsi qu’en
unvn Position : Interligne haute beaus corps, il ne faut qu’on y puisse compter les os & les vei-
nes.
Position : Marge droite Quae ueritati
operam dat oratio
incomposita sit
et simplex. Quis
accurate loquitur
nisi qui uult
putide loqui?

L’eloquenceLeloquance faict
injureiniure aus choses, qui
nous destourne a soy.
Come aus acoustremants c’est pusillanimité de se vouloiruouloir re marquer
par quelque façon particuliere et inusitee. De mesmes au
langage la recherche des frases nouvellesnouuelles & des mots npeu conuz
estvientuient d’un’ambition puerile et pedantesque. car Peusse jeie ne me
servirseruir que de ceus qui serventseruent aus hales a Paris.
Position : Interligne basse Aristophanes les grammerien
n’y entandoit rien, de reprendre
en Epicurus la simplicite de ses mots:
et la fin de son art oratoire
qui estoit perspicuite de langage
sulement.
L’imitationLimitation
du parler par sa facilite suit incontinant tout un peuple.
L’imitation du jugeriuger de l’invanterinuanter ne vaua pas si visteuiste.
La plus part des lecturs pour avoirauoir trouvètrouuè une pareille
robe pansent tresfaucemant tenir un pareil corps. La
force et les nerfs ne s’empruntent point, les ornementatours et lale
robemanteau s’empruntent. La plus part qui me h de ceus qui me hantent
parlent come les essais de mesmes les essais mais jeie ne sçay s’ils
pensent de mesmes.
Les Atheniens (dict Platon) ont pour leur part, le soing
de l’abondance & elegance du parler, les Lacedemoniens de
la briefvetébriefueté, & ceux de Crete, de la fecundité des conceptionscōceptions,
plus que du langage: cCeux-cy sont les miensmeilleurs. Zenon disoit
qu’il avoitauoit deux sortes de disciples: les unsvns qu’il nommoit
φιλολόγουϛ, curieux d’apprendre les choses, qui estoyent ses mi-

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[64v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gnons: les autres λογοφίλoυϛ qui n’avoyentauoyent soing que du langagelāgage.
Ce n’est pas à dire que ce ne soit unevne belle & bonne chose que
le bien dire: mais non pas si bonne qu’on la faict, & suis despit
dequoy nostre vie s’embesongne toute à cela. JeIe voudrois
premierement bien sçavoirsçauoir ma langue, & celle de mes voi-
sins, ou ji’ay plus ordinaire commerce: cC’est unvn bel & grand a-
gencement sans doubte, que le Grec & Latin, mais on l’ache-
pte trop cher. JeIe diray icy unevne façon d’en avoirauoir meilleur mar-
ché que de coustume, qui à esté essayée en moymesmes,. sS’en ser-
vira
ser-
uira
qui voudra. Feu mon pere, ayantayāt fait toutes les recherches
qu’homme peut faire, parmy les gensgēs sçavanssçauans & d’entendemententēdement,
d’unevne forme d’institution exquise, fut adviséaduisé de cet inconve-
nient
inconue-
nient
, qui estoit en usagevsage: &Et luy disoit-on que cette longueur
que nous mettions à apprendre les langues, Position : Interligne haute qui ne leur coustoint rien estoit la seule cau-
se, pourquoy nous ne pouvionspouuiōs arriverarriuer à la perfectionperfectiō, de sciencesciēce,grandur d’ame et de conoissance
des anciens Grecs & Romains, d’autant que le langagelāgage ne leur
coutoit rien: jJeiIe ne les en croy pas, que ce en soit la seule cause.
Tant y a, que l’expedient que mon pere y trouvatrouua, ce fut que
en nourrice, & avantauant le premier desnouement de ma langue,
il me donna en charge à unvn Alleman, qui dépuis est mort fa-
meux medecin en FranceFrāce, du tout ignorant de nostre languelāgue, &
tresbien versé en la Latine. Cettuy-cy, qu’il avoitauoit faict venir ex-
pres, & qui estoit bienbiē cherementcheremēt gagé, m’avoitauoit continuellementcontinuellemēt
entre les bras. Il en eust aussi avecauec luy deux autres moindres en
sçavoirsçauoir, pour m’accompagneraccōpagner & servirseruirme suivresuiure, & soulager le premier:
cCeux-cy ne m’entretenoient d’autre langue que Latine. QuantQuāt
au reste de sa maison, c’estoit unevne reigle inviolableinuiolable, que ny luy
mesme, ny ma mere, ny valet, ny chambriere, ne parloyent en
ma compaigniecōpaignie, qu’autant de mots de Latin, que chacun avoitauoit
apris pour jargonneriargonner avecauec moy. C’est merveillemerueille du fruict que
chacun y fit: mMon pere & ma mere y apprindrent assez de La-
tin pour l’entendre,: & en acquirent à suffisance, pour s’en
servirseruir
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LIVRE PREMIER. 65
servirseruir à la necessité, cComme firentfirēt aussi les autres domestiques,
qui estoient plus attachez à mon serviceseruice. Somme, nous nous
Latinizames tant, qu’il en regorgea jusquesiusques à nos villages tout
autour,: où il y a encores, & ont pris pied par l’usagevsage, plusieurs
appellations Latines d’artisans & d’utilsvtils. Quant à moy, jiavoisauois
plus de six ans, avantauant que ji’entendisse non plus de François ou
de Perigordin, que d’Arabesque: &Et sans art, sans livreliure, sans
grammaire ou precepte, sans fouet, & sans contraintelarmes, jiavoisauois
appris du Latin, tout aussi pur que mon maistre d’eschole le
sçavoitsçauoit: cCar jeie ne le pouvoispouuois avoirauoir meslé ny alteré. Si par essay
on me vouloit donnerdōner unvn theme, à la mode des colleges, on le
donne aux autres en François,: mais à moy il me le falloit don-
ner en mauvaismauuais Latin, pour le tourner en bon. Et Nicolas
Groucchi, qui a escrit de comitiis Romanorum, Guillaume Gue-
rente, qui à commenté Aristote, George Bucanan, ce grand
poëte Escossois, Marc Antoine Muret, Position : Interligne haute que la france et l’italie reconoit pour le meillur oratur du tempstēps qui m’ont esté prece-
mes precepteurs domestiques, m’ont dict souventsouuent, que jiavoisauois ce langa-
ge en mon enfance, si prest & si à main, qu’ils craingnoientcraingnoiēt eux
mesmes à m’accoster. Bucanan que jeie vis depuis à la suite de
feu monsieur le Mareschal de Brissac, me dit, qu’il estoit apres
à escrire de l’institution des enfans: & qu’il prenoit le patron’examplaire
de la mienne: cCar il avoitauoit lors en charge ce Comte de Brissac,
que nous avonsauons veu depuis si valeureux & si bravebraue. Quant au
Grec, duquel jeie n’ay quasi du tout point d’intelligence, mon
pere desseignoaita me le faire apprendre par art, mMais d’unevne voie
nouvellenouuelle, par forme d’ébat & d’exercice: nNous pelotions nos
declinaisons:, à la maniere de ceux, qui par certains jeuxieux de ta-
blier apprennent l’Arithmetique & la Geometrie. Car entre
autres choses, il avoitauoit esté conseillécōseillé sur tout, de me faire gouster
la science & le devoirdeuoir, par unevne volonté non forcee, & de mon
propre desir, & d’esleveresleuer mon ame en toute douceur & liber-
té, sans rigueur & contrainte,: jJeiIe dis jusquesiusques à telle superstitionsuperstitiō,
R

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[65v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
que par ce que aucuns tiennent, que cela trouble la cervelleceruelle
taendre des enfans, de les esveilleresueiller le matin en effroy & en sur-
saut, & de les arracher du sommeilsōmeil (auquel ils sont plongezplōgez beau-
coup plus que nous ne sommes) tout à coup, & par violence,
il me faisoit esveilleresueiller par le son de quelque instrument, & ne
fus jamaisiamais, sans hommehōme qui m’en servitseruit. Cet exempleexēple suffira pour
en jugeriuger le reste, & pour recommander aussi & le jugementiugementla prudance &
l’affectionaffectiō d’unvn si bon pere. Auquel il ne se faut nullementnullemēt pren-
dre, s’il n’a recueilly aucuns fruits respondans à unevne si exquise
culture. Deux choses en furent cause, lLe champ sterile & incom-
mode
incō-
mode
: cCar quoy que ji’eusse la santé ferme & entiere, & quant
& quantquāt unvn naturel doux & traitable, ji’estois parmy cela si poi-
sant, mol & endormi, qu’on ne me pouvoitpouuoit arracher de l’oisi-
veté
oisi-
ueté
, non pas, mesme pour me menerfaire joueriouer. Ce que jeie voyois,
jeie le voyois d’unvn jugementiugementd’un jugementiugement bien, seur & ouvertouuert,seur et ouvert,ouuert &Et soubs cette
complexioncōplexion endormielourde, nourrissois des imaginationsimaginatiōs bienbiē hardies,
& des opinions eslevéesesleuées au dessus de mon aage. L’esprit jeie l’a-
vois
a-
uois
mousséelent, & qui n’alloit qu’autantautāt qu’on le guidoitmenoit: lL’appre-
hension tardivetardiue: lLinventioninuention stupidelache: &Et apres tout unvn incroia-
ble defaut de memoire. De tout cela il n’est pas merveillemerueille, s’il
ne sceut rien tirer qui vaille. Secondement,: comme ceux que
presse unvn furieux desir de guerison, se laissent aller à toute sor-
te de conseil, le bon homme, ayant extreme peur de faillir en
chose, qu’il avoitauoit tant à coeur, se laissa en fin emporter à l’opi-
nion commune, qui suit tousjourstousiours ceux, qui vont devantdeuant, com-
me
cō-
me
les gruës,: & se rengea à l’usagevsage & à la coustume, n’ayantayāt plus
autour de luy ceux, qui luy avoientauoient donné ces premieres in-
stitutions, qu’il avoitauoit aportées d’Italie: &Et m’envoyaenuoya environenuiron
mes six ans au college de Guienne, tres-florissant pour lors, &
le meilleur de France. Et là, il n’est possible de rien adjousteradiouster
au soing qu’il eut, & à me choisir des precepteurs Position : Interligne haute de chambre suffisans, &
à toutes les autres circonstances de ma nourriture,: en laquelle

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LIVRE PREMIER. 66
il reservareserua plusieurs façons particulieres, contre l’usagevsage des col-
leges: mMais tant y a, que c’estoit tousjourstousiours college. Mon Latin
s’abastardit incontinent,: duquel depuis par desacoustuman-
ce ji’ay perdu tout l’usagevsage, &Et ne me servitseruit cette mienne nou-
velle
nou-
uelle
institution, que de me faire enjambereniamber d’arrivéearriuée aux pre-
mieres chlasses: cCar à treize ans, que jeie sortis du college, jiavoyauoy [Note (Montaigne) : classes/]
achevéacheué mon cours (qu’ils appellentappellēt) & à la verité sans aucunaucū fruit,
que jeie peusse à present mettre en comptecōpte. Le premier goust que
ji’euzs aux livresliures, il me vint du plaisir des fables de la Metamor-
phose d’OvideOuide.: CcCar environenuiron l’aage de sept ou huict ans, jeie me
desrobois de tout autre plaisir, pour les lire: d’autantautāt que cette
langue estoit la mienne maternelle, & que c’estoit le plus aisé
livreliure, que jeie cogneusse, & le plus accommodé à la foiblesse de
mon aage, à cause de la matiere: cCar des Lancelots du Lac, des
Amadis, des HuonsHuōs de Bordeaus, & tels fatras de livresliures, à quoy
la jeunesseieunesse’enfance s’amuse, jeie n’en connoissois pas seulement le nom,
ny Position : Interligne haute ne fais encore le corps: tant exacte estoit le soing qu’on avoitauoit
à mon institution.ma discipline. JeIe m’en rendoisrēdois plus láchenonchalant à l’estude de mes
autres leçons contraintesprescriptes. Là, il me vint singulierement à pro-
pos, d’avoirauoir affaire à unvn homme d’entendemententendemēt de precepteur,
qui sçeut dextrement conniverconniuer à cette mienne desbauche, &
autres pareilles. Car par là, ji’enfilay tout d’unvn train Vergile en
l’AeneideAEneide, & puis Terence, & puis Plaute, & des comedies Ita-
lienes, lurré tousjourstousiours par la douceur du subjectsubiect. S’il eut esté si
fol de rompre ce train, ji’estime que jeie n’eusse raporté du col-
lege que la haine des livresliures, comme fait quasi toute nostre no-
blesse. Il s’y porta bien dextrementgouvernagouuerna ingenieusement,. fFaisant semblant de n’en
voir rien, il aiguisoit ma faim, ne me laissant que à la desrobée
gourmander ces livresliures, & me tenant doucementdoucemēt en office pour
les autres estudes plus necessaires.de la regle. Car les principales parties
que mon pere cherchoit à ceux à qui il donnoitdōnoit charge de moy
c’estoit la debonnairetédebōnaireté & facilité de complexion: aAussi n’avoitauoit
R ij

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[66v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
la mienne autre vice, que la pesanteurlangur & paresse. Le danger
n’estoit pas que jeie fisse mal, mais que jeie ne fisse rien. Nul ne
prognostiquoit que jeie deusse devenirdeuenir mauvaismauuais, mais inutile:
oOn y prevoyoitpreuoyoit de la stupiditéfaineantise, non pas de la malice.
Position : Marge gauche JeIe sens qu’il en est advenuaduenu de mesmes.
Les pleintes qui me cornent aus oreilles
sont come cela: Ois Oisif: nonchalantnonchalāt
des siens froit a ses amis:
avareauare a ses parans
fraint froit
aus offices d’amitie et de parante
et aus offices publiques
: nonchalantnonchalāt
de ce qui se passe:du faict d’autrui: trop particulier.
Les plus injurieusiniurieus ne disentdisēt pas
pourquoi a il prins, pourquoi n’a il
païe, mais pourquoi ne quitte il ne done il.
JeIe prenderoisreceveroisreceuerois a faveurfaueur
qu’on mene desirat deen moi
Position : Marge gauche que tels effaicts de super=
erogation. Mais ils sont
injustesiniustes de les exiger et de
m’obliger a ce a quoi nul
d’eus n’aspire.
d’exiger ce qu’ae la rigur jeie ne dois
pas plus rigoreusement beaucoup qu’ils
n’exigent deus ce qu’ils doiventdoiuent.
En m’y con=
demnant ils ostentostēteffacent la grati
fication de l’action & la grati=
tude qui m’en seroit due. Et La ou
le bien faire actif devroitdeuroit plus
ferepoiser ende moima qui n’en ai nul
passif d’autant
main en consideration
de ce
que jeie n’en aiy de
nul passif nul qui soit. JIe paye[unclear] puis
d’autant plus librement a disposer
de ma fortune qu’elle est plus quemiene.
Toutesfois si ji’estois grand enlumi=
neur de mes bienfaictsactions a l’avanturealauāture
rembarrerois jeie bien ces reproches.
& leura quelques uns apranderois qu’ils ne sont
pas si offancez que jeie ne face pas assesasses
que de quoi jeie puisse faire asses
plus que jeie ne fois
Mon ame
ne laissoit pourtant en mesme temps d’avoirauoir à part soy des re-
muemens fermes, [Note (Mathieu Duboc) : Cette addition est antérieure à la précedente qui l’encadre dans la marge gauche. Montaigne a décliné le premier signe d’insertion I correspondant à l’addition postérieure en y ajoutant un barre horizontale afin qu’il n’y ait pas de confusion possible]
Position : Marge gauche et des jugemansiugemans
seurs & ouversouuers autour
des objetsobiets qu’elle
conessoit,: et les
qu’elle digeroit seule, & sans aucune com-
munication. Et entre autres, Position : Interligne haute choses jeie croy à la verité qu’elle eust esté
du tout incapable de se rendre à la force & à la violence. Met-
tray-jeie en compte cette faculté de mon enfance,: uUnevVne asseuran-
ce de visage, & soupplesse de voix & de geste, à m’appliquer
aux rolles que ji’entreprenois. Car avantauant l’aage,
Alter ab vndecimo tum me vix coeperat annus,
JI’ay soustenu les premiers personnages, és tragedies latines de
Bucanan, de PGuerente, & de Muret, qui se representairent, en
nostre college de Guienne avecauec dignité.: En quoyeEn cela Andreas
Goueanus nostre principal, comme en toutes autres parties
de sa charge, fut sans comparaison le plus grand, & plus
nobledign principal de France,: &Et m’en tenoit-on maistre ou-
vrier
ou-
urier
. C’est unvn exercice, que jeie ne meslouë poinct aux
jeunesieunes enfans de maison,: &Et ay veu nos Princes, s’y adon-
ner depuis en personne, à l’exemple d’aucuns des anciens,
honnestement & louablement. [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne a d’abord écrit : "Il estoit loisible mesme d’en faire mestier". Plus tard il a réécrit cette phrase en dessous avant d’en biffer une partie et d’utiliser le reste comme complément à la première addition. Puis il l’a entièrement barrée d’un trait en diagonale avant de revenir sur sa décision et d’inscrire un "Bon" juste au dessus.]
[Commentaire (Montaigne) : Bon]
Position : Marge gauche Il estoit loisible
mesme d’en faire
mestier
Il estoit excuseloisible aus gens d’honur
mesme d’en faire mestier
d’honur, en grece:
Aristoni tragico actori
rem aperit: huic et et genus
& fortuna honesta erant, nec
ars, quia nihil tale apud
Graecos pudori est, ea defor=
mabat
.
Car ji’ay tousjourstousiours accusé
d’impertinence, ceux qui condemnent ces esbattemens,: &Et
d’injusticeiniustice, ceux qui refusent l’entrée de nos bonnes villes aux
comediens qui le valent,: & envientenuient au peuple ces plaisirs
publiques. Les bonnes polices, prennent soing d’assembler
les citoyens, & les r’allier, comme aux offices serieux de la
devotiondeuotion, aussi aux exercices & jeuxieux: lLa societé & amitié
s’en augmente,: &Et puis on ne leur sçauroit condonnerconceder des
passetemps plus reglez, que ceux qui se font en presence d’unvn
chacun, & à la veuë mesmes du magistrat,: &Et trouveroistrouuerois justeiusteraisonable
que le magistrat, & le prince à ses despensdespēs en gratifiast quelque-

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LIVRE PREMIER. 67
fois la commune, d’unevne affection & bonté commecōme paternelle.
Position : Marge droite eEt qu’aus grandes villesuilles
et populeuses il y eut des
lieus destinez et disposez
pour ces spectacles:
quelque divertissementdiuertissement
des pires actions & occultes.

Pour revenirreuenir à mon propos, iIl n’y à tel, que d’allecher l’appetit
& l’affection, autrementautremēt on ne faict que des asnes chargez de
livresliures: oOn leur donne à coups de foüet en garde leur pochette
pleine de science,: laquelle pour bien faire, il ne faut pas seu-
lement loger chez soy, il la faut espouser.


C’est folie de rapporter le vray & le faux à nostre suffisance.
 
CHAP. XXVII.


 
CE n’est pas à l’adventureaduenture sans raison, que nous attri-
buons à simplesse & ignorance, la facilité de croire
& de se laisser persuader: cCar il me semble avoirauoir apris
autrefois, que la creancecreāce, c’estoit comme unvn’impression, qui se
faisoit en nostre ame,: & à mesure qu’elle se trouvoittrouuoit plus
molle & de moindre resistanceresistāce, il estoit plus aysé à y emprein-
dre quelque chose.
Position : Marge droite UtVt necesse est lancem
in libra ponderibus
impositis deprimi sic
animum perspicuis cedere.

D’autantDautant que l’ame etest plus
nue vuideuuide et sans contrepoids
elle se baisse plus facilement
sous la charge de la premiere
persuasion.
Voyla pourquoy les enfans, le vulgaire,
les femmes & les malades estoyentsont plus subjectssubiects à estre me-
nez par les oreilles. Mais aussi de l’autre part, c’est unevne sotte
presumption d’aller desdaignant & condamnant pour faux,
ce qui ne nous semble pas vray-semblable: qQui est unvn vice or-
dinaire de ceux, qui pensent avoirauoir quelque suffisance, outre la
commune. JI’en faisoy ainsin autrefois, & si ji’oyois parler ou
des esprits qui reviennentreuiennent, ou du prognostique des chose fu-
tures, des enchantemens, des sorceleries, ou faire quelque au-
tre compte, ou jeie ne peusse pas mordre,
Somnia, terrores magicos, miracula, sagas,
Nocturnos lemures portentáque Thessala,

Iil me venoit compassion du pauvrepauure peuple abusé de ces fo-
lies. Et à present jeie treuvetreuue, que ji’estoy pour le moins autant à
plaindre moy mesme: nNon que l’experience m’aye dépuis rienriē.
fait voir, au dessus de mes premieres creances, & si n’a pas tenu
à ma curiosité: mMais la raison m’a instruit, que de condamner
R iij

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[67v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ainsi resoluement unevne chose pour fauce, & impossible, c’est
se donner l’advantageaduantage d’avoirauoir dans la teste, les bornes & limi-
tes de la volonté de Dieu, & de la puissance de nostre mere
nature: &Et qu’il n’y à point de plus notable folie au monde,
que de les ramener à la mesure de nostre capacité & suffisan-
ce. Si nous appellons monstres ou miracles, ce ou nostre rai-
son ne peut aller, combien s’en presente il continuellement à
nostre veuë? Considerons au traverstrauers de combien dequels nuages,
& commant à tastons, on nous meine à la connoissance de la
pluspart des choses qui nous sont entre mains: certes nous
trouveronstrouuerons que c’est plustost accoustumance, que science
qui nous en oste l’estrangeté.,
iam nemo fessus satiate videndi,
Suspicere in caeli dignatur lucida templa.

Et que ces choses là, si elles nous estoyentestoyēt presentées de nou-
veau
nou-
ueau
, nous les trouverionstrouuerions autant ou plus incroyables que
aucunes autres.,
si nunc primum mortalibus adsint,
Ex improuiso, ceu sint obiecta repente,
Nil magis his rebus poterat mirabile dici,
Aut minus ante quod auderent fore credere gentes.

Celuy qui n’avoitauoit jamaisiamais veu de riviereriuiere, à la premiere qu’il ren-
contra
rē-
contra
, il pensa que ce fut l’Ocean,. &Et les choses qui sont à no
stre connoissance les plus grandes, nous les jugeonsiugeons estre les
extremes que nature face en ce genre.,
Scilicet & fluuius qui non est maximus, eij est
Qui non ante aliquem maiorem vidit, & ingens
Arbor homóque videtur, & omnia de genere omni,
Maxima quae vidit quisque, haec ingentia fingit.

Position : Marge gauche Consuetudine oculorum
assuescunt animi neque
admitantur neque requiruntrequirūt
rationes earum rerum quas
semper uidentuidēt proinde quas
nouitas nos magis quam
magnitudo rerum debeat ad
exquirendas causas excitare
.
La nouveletenouuelete des choses nous incite plus que leur grandur a en rechercher les causes.

Il faut jugeriuger des choses avecauec plus de reverencereuerence de cette infinie
puissance de Dieunature, & plus de reconnoissance de nostre igno-

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LIVRE PREMIER. 68
rance & foiblesse. Combien y à il de choses peu vray-sembla-
bles, tesmoignées par gens dignes de foy, desquelles si nous
ne pouvonspouuons estre persuadez, au moins les faut-il laisser en sus-
pens: cCar de les condamner impossibles, c’est se faire fort, par
unevne temeraire presumption, de sçavoirsçauoir jusquesiusques ou va la possi-
bilité.
Position : Marge droite Si l’onlon entandoit bien, a
un antien, la differance
qu’il y a entre l’impossible
et l’inusite: et entre ce
qui est contre l’ordre du
cours de nature, et contre
la commune opinion des
homes, en ac ne croyant
pas temererement, ny
aussi ne descroyant pas
facilement, on observeroitobserueroit
la regle de: rien trop:
comandee par Chilon.
Quant on trouvetrouue dans Froissard, que le conte de Foix
sçeut en Bearn la defaite du Roy Iean de Castille à JuberothIuberoth,
le lendemain qu’elle fut advenueaduenue, & les moyens qu’il en alle-
gue, on s’en peut moquer: &Et de ce mesme que nos annales di-
sent, que le Pape Honorius le propre jouriour que le Roy Philip-
pe Auguste mourut à ManteMāte, fit faire ses funerailles publiques,
& les manda faire par toute l’Italie. Car l’authorité de ces tes-
moins n’a pas à l’adventureaduenture assez de rang pour nous tenir en
bride. Mais quoy? si Plutarque outre plusieurs exemples, qu’il
allegue de l’antiquité, dict sçavoirsçauoir de certaine science que du
temps de Domitian, la nouvellenouuelle de la bataille perdue par An-
tonius en Allemaigne à plusieurs journéesiournées de la, fut publiée
à Rome, & semée par tout le monde le mesme jouriour qu’elle a-
voit
a-
uoit
esté perdue: &Et si Caesar tient, qu’il est souventsouuent advenuaduenu
que la nouvellenouuellerenomee à devancédeuancé l’accident: dDirons nous pas que ces
simples gens la, se sont laissez piper apres le vulgaire, pour n’e-
stre pas clair-voyansuoyans comme nous? Est-il rienriē plus delicat, plus
net, & plus vif, que le jugementiugement de Pline, quandquād il luy plaist de
le mettre en jeuieu,: rien plus esloingné de vanité,: jeie laisse à part
l’excellence de son sçavoirsçauoir, duquel jeie fay moins de conte: en
quelle partie de ces deux là le surpassons nous,. tToutesfois il
n’est si petit escolier, qui ne le convainqueconuainque de mensonge, &
qui ne luy face saveuilleueuille faire leçon sur le progrez des ouvragesouurages de nature.
Quand nous lisons deans Bouchet les miracles des reliques de
Sainct Hilaire: pPasse: son credit n’est pas assez grandgrād pour nous
oster la licence d’y contredire: mMais de condamner d’unvn train
toutes pareilles histoires, me semble singuliere imprudence.

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[68v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Ce grand Sainct Augustin, tesmoigne avoirauoir veu sur les reli-
ques Sainct GervaisGeruais & Protaise à Milan, unvn enfant aveugleaueugle
recouvrerrecouurer la veüe: uUnevVne femme à Carthage estre guerie d’unvn
cancer par le signe de croix, qu’unevne femme nouvellementnouuellement ba-
ptisée luy fit:. Hesperius unvn sien familier avoirauoir chassé les es-
prits qui infestoient sa maison, avecauec unvn peu de terre du Se-
pulchre de nostre Seigneur: & cette terre dépuis transportée
à l’Eglise, unvn paralitique y estant apporté,en avoirauoir esté soudain
gueri: uUnevVne femme en unevne procession ayant touché à la chasse
Sainct EstienneEstiēne, d’unvn bouquet, & de ce bouquet s’estant frot-
tée les yeux, avoirauoir recouvrérecouuré la veuë, qu’elle avoitauoit pieça perdue:
&Et plusieurs autres miracles, ou il dict luy mesmes avoirauoir assi-
sté. Dequoy accuserons nous & luy & deux Sainct EvesquesEuesques
Aurelius & Maximinus, qu’il appelle pour ses recors: sSera ce
d’ignorance, simplesse, facilité, ou de malice & imposture?
Est-il homme en nostre siecle si impudent, qui pensepēse leur estre
comparable, soit en vertu & pieté, soit en sçavoirsçauoir, jugementiugement
& suffisance?
Position : Marge gauche Qui ut rationem nullam
afferrent ipsa authoritate
me frangerent.
C’est unevne hardiesse dangereuse & de consequen-
ce
consequē-
ce
, outre l’absurde temerité qu’elle traine quantquāt & soy, de mes-
priser ce que nous n’entendonsentēdonsne concevonsconceuons pas. Car apres que selon vostre
bel entendement, vous avezauez estably les limites de la verité &
de la mensongemēsonge, & qu’il se treuvetreuue que vous avezauez necessairementnecessairemēt
à croire des choses ou il y à encores plus d’etrangeté qu’en ce
que vous niez, vous vous estez des-ja obligé de les abandon-
ner. Or ce qui me semble aporter autant de desordre en nos
consciences en ces troubles, ou nous sommes, de la religion,
c’est cette dispensation que les Catholiques font de leur crean-
ce
creā-
ce
: iIl leur semble qu’ils fontfaire bien les moderez & les entenduz,
quand ils quittent & cedent aux adversairesaduersaires aucuns articles
de ceux, qui sont en debat. Mais outre ce, qu’ils ne voyent pas
quel avantageauantage c’est à celuy qui vous charge, de commancer à
luy ceder & vous tirer arriere, & combiencombiē cela l’anime à pour-
sui-

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LIVRE PREMIER. 69
suivresuiure sa victoirepoincte: ces articles la qu’ils choisissent pour les plus
legiers, sont aucunefois tres-importans. Ou il faut se submet-
tre du tout à l’authorité de nostre police ecclesiastique, ou du
tout s’en dispenserdispēser: cCe n’est pas à nous à establir la part que nous
luy devonsdeuons d’obeïssance. Et d’avantageauantage jeie le puis dire pour
l’avoirauoir essayé, ayant autrefois usévsé de cette liberté de mon chois
& triage particulier, mettant à nonchaloir certains points
de l’observanceobseruance de nostre Eglise, qui semblent avoirauoir unvn visa-
ge ou plus vain, ou plus estrange, venant à en communiquer
aux hommes sçavanssçauans & bien fondez, ji’ay trouvétrouué que ces cho-
ses là, ont unvn fondement massif & tressolide,: & que ce n’est
que bestise & ignoranceignorāce, qui nous fait les recevoirreceuoir avecauec moin-
dre reverencereuerence que le reste. Que ne nous souvientsouuient il combien
nous sentons de contradiction en nostre jugementiugement mesmes:
combiencombiē de choses nous servoyentseruoyent hier d’articles de foy, qui
nous sont Position : Interligne haute fables aujourdauiourd’huy vaines mensonges? La gloire & la cu-
riosité, sont les deux fleaux de nostre ame. Cette cy, nous
conduit à mettre le nez par tout, & celle là nous defant de rienriē
laisser irresolu & indecis.



De l’Amitié.
CHAP. XXVIII.


 
CONSIDERANT la conduite de la besongne d’unvn
peintre, que ji’ay, il m’a pris envieenuie de l’ensuivreēsuiure. Il choi-
sit le plus noblebel endroit & milieu de chaque paroy,
pour y loger unvn tableau élabouré de toute sa suffisance,: &Et le
vuide tout au tour, il le remplit de crotesques, qui sont pein-
tures fantasques, n’ayant grace qu’en la varieté & estrangeté.
Que sont-ce icy aussi à la verité que crotesques & corps
monstrueux, rappiecez de diversdiuers membres, sans certai-
ne figure, n’ayants ordre, suite, ny proportion que for-
tuité
for-
tuite
?
Desinit in piscem mulier formosa superne.
S

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[69v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
JeIe vay bien jusquesiusques à ce second point, avecauec mon peintre: mais
jeie demeure court en l’autre, & meilleure partie: cCar ma suffi-
sance ne va pas si avantauant, que d’oser entreprendre unvn tableau
riche, poly & formé selon l’art. JeIe me suis adviséaduisé d’en emprun-
ter unvn d’Estienne de la Boitie, qui honorera tout le reste de
cette besongne. C’est unvn discours auquel il donna nom. La
ServitudeSeruitude volontaire
: mMais ceux qui l’ont ignoré, l’ont bienbiē pro-
prement dépuis rebaptisé, le contre unvn[Commentaire (Montaigne) : en autre lettre]. Il l’escrivitescriuit par manie-
re d’essay, en sa premiere jeunesseieunesse, n’ayant pas attaint le dixhui-
tiesme an de son aage, à l’honneur de la liberté contre les ty-
rans. Il court pieça és mains des gens d’entendement, non sans
bien grande & meritée recommandation: car il est gentil, &
plein ce qu’il est possible. Si y à il bien à dire, que ce ne
soit le mieux qu’il peut faire: & si en l’aage que jeie l’ay conneu
plus avancéauancé, il eut pris unvn tel desseing que le mien, de mettre
par escrit ses fantasies, nous verrions plusieurs choses rares, &
qui nous approcheroient bien pres de l’honneur de l’antiqui-
té: cCar notammentnomeementnotemment[Note (Montaigne) : notemment] en cette partie des dons de nature, jeie n’en
connois point qui luy soit comparable. Mais il n’est demeuré
de luy que ce discours, encore par rencontre, & croy qu’il ne
le veit onques depuis qu’il luy eschapa: & quelques memoires
sur cet edict de JanvierIanuier fameus par nos guerres civilesciuiles, qui
trouveronttrouueront encores ailleurs Position : Interligne haute peut estre leur place. C’est tout ce que ji’ay
peu recouvrerrecouurer de ses reliques,
Position : Marge gauche Moi, qu’il laissa d’une
si amoureuse recoman=
dation Position : Interligne haute la mort entre le dents par en son testament
heretier de sa bibliotheque
& de ses esc papiers:
outre le livretliuret de ses oeuvresoeuures que
ji’ay fait mettre en lumiere: &Et si suis obligé particulierement à
cette piece, d’autant qu’elle à servyseruy de moyen à nostre pre-
miere accointance. Car elle me fut montrée Position : Interligne haute longue piece avantauant que jeie
l’eusse veu, & me donna la premiere connoissance de son non,
acheminant ainsi cette amitié, que nous avonsauons nourrie, tant
que Dieu à voulu, entre nous, si entiere & si parfaite, que cer-
tainement
cer-
tainemēt
il ne s’en lit guiere de pareilles, & entre nos hommeshōmes il
ne s’en voit aucune trace en usagevsage. Il faut que tant de choses se

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LIVRE PREMIER. 70
rencontrents poura la bastir, que c’est beaucoup si la fortune y
arrivearriue unevne fois en trois siecles. Il n’est rienriē à quoy il semble que
nature nous aye plus acheminé qu’à la societé
Position : Marge droite : et dict Aristote que les
bons legislaturs ont eu plus de
soin qu de nostre accort et
convenanceconuenance
l’amitie entre nous
que de la justiceiustice
: or le dernier
point de sa perfection c’est cetuy-cy.
Position : Marge droite Car celles que les loix que le
voisinageuoisinage le sang ou le
en general toutes celles que
la volupteuolupte ou le profit: le
besoin
et utilite publique ou priveepriuee
forcge :et nourrit: en sont d’autant moins
libresbelles et genereuses Position : Interligne haute et d’autant moins amitie qu’elles
meslent en autre cause et but
autre but et autre fruit en
l’amitié qu’elle mesme. Ny
ces quatre especes antiennes
: naturelle, sociale, hospita=
liere, venerieneueneriene, particu=
lierement ny convienentconuienent
ny a l’avanturel’auāture a cojoinctementcoioinctement.
Car dDes enfans aux pe-
res, c’est plustost respect. qu’amitié: lL’amitié se nourrit de com-
munication
com-
municatiō
, qui ne peut se trouvertrouuer entre eux, pour la trop
grande disparité, & offenceroit à l’adventureaduēture les devoirsdeuoirs de na-
ture: cCar ny toutes les secrettes pensées des peres ne se peuventpeuuēt
communiquer aux enfans, pour n’y engendrer unevne messeante
privautépriuauté: ny les advertissemensaduertissemens & corrections, qui est unvn des
premiers offices d’amitié, ne se pourroyent exercer des enfans
aux peres. Il s’est trouvétrouué des nations, ou par usagevsage les enfans
tuoyent leurs peres,: & d’autres, où les peres tuoyent leurs en-
fans, pour evitereuiter l’empeschement qu’ils se peuventpeuuent quelque-
fois entreporter, & naturellement l’unvn depend de la ruine de
l’autre: lL’amitié n’en vient jamaisiamais là. Il s’est trouvétrouué jusquesiusques à
des philosophes desdaignans cette cousture naturelle,: tes-
moing celuy quiAristippus,: quand on le pressoit de l’affectationaffectatiō qu’il de-
voit
de-
uoit
à ses enfans pour estre sortis de luy, il se mit à cracher.: EtetEtdisant
que cela, dict-il, en estestoit aussi bien sorty:: que nous engendrions aussi bienbiē
des pouz & des vers. Et cet autre que Plutarque vouloit in-
duire à s’accorder avecauec son frere: jJeiIe n’en fais pas, dict-il, plus
grand estat, pour estre sorty de mesme trou. C’est à la verité
unvn beau nom, & plein de dilection que le nom de frere, & à
cette cause en fismes nous luy & moy nostre alliance: mMais ce
meslange de biens, ces partages, & que la richesse de l’unvn soit
la pauvretépauureté de l’autre, cela detrampe merveilleusementmerueilleusement & re-
lasche cette soudure fraternelle: lLes freres ayants à conduire le
progrez de leur avancementauācement, en mesme sentier & mesme train,
il est force qu’ils se hurtent & choquent souventsouuent. D’avantageauantage,
la correspondance & relation qui engendre ces vrayes & par-
faictes amitiez, pourquoy se trouveratrouuera elle en ceux cy? Le
S ij

Fac-similé BVH

[70v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
pere & le fils peuventpeuuent estre de complexion entierement eslon-
gnée
eslō-
gnée
, & les freres aussi: cC’est mon fils, c’est mon parent: mais
c’est unvn homme farouche, unvn meschant, ou unvn sot. Et puis, à
mesure que ce sont amitiez que la loy & l’obligation naturel-
le nous commande, il y à d’autant moins de nostre chois &
liberté volontaire: &Et nostre liberté volontaire n’a point de
production qui soit plus proprement sienne, que celle de l’af-
fection
af-
fectiō
& amitié. Ce n’est pas que jeie n’aye essayé de ce costé la,
tout ce qui en peut estre, aAyant eu le meilleur pere qui fut on-
ques, & le plus indulgent, jusquesiusques à son extreme vieillesse, &
estant d’unevne famille fameuse de pere en fils, & exemplaire en
cette partie de la concorde fraternelle.,
& ipse
Notus in fratres animi paterni.

D’y comparercōparer l’affection enversenuers les femmes, quoy qu’elle nais-
se à la verité de nostre choix, on ne peut, ny la loger en ce rol-
le. Son feu, jeie le confesse,
Nneque enim est dea nescia nostri
Quae dulcem curis miscet amaritiem
,
est plus actif, plus cuisant, & plus aspre. Mais c’est unvn feu te-
meraire & volage, ondoyant & diversdiuers, feu de fiebvrefiebure, sub-
ject
sub-
iect
à accez & remises, & qui ne nous tient qu’à unvn coing. En
l’amitié, c’est unevne chaleur generale & universellevniuerselle, temperée
au demeurant & égale, unevne chaleur constante & rassize, toute
douceur & pollissure, qui n’a rien d’aspre & de poignantpoignāt. Qui
plus est en l’amour ce n’est qu’unvn desir forcené apres ce qui
nous fuit,
Come segue la lepre il cacciatore
Al freddo, al caldo, alla montagna, al lito,
Ne piu l’estima poi, che presa vede
Et sol dietro a chi fugge affretta il piede.

Aussi tost qu’il entre aux termes de l’amitié, c’est à dire en la
convenanceconuenance des volontez, il s’esvanouistesuanouist & s’alanguist: lLa

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 71
jouyssanceiouyssance le perd, comme ayant la fin corporelle & sujectesuiecte
la sacieté. L’amitié au rebours, est jouyeiouye à mesure qu’elle est
desirée, ne s’esleveesleue, se nourrit, ny ne prend accroissance qu’en
la jouyssanceiouyssance, comme estant spirituelle, & l’ame s’affinant par
l’usagevsage. Sous cette parfaicte amitié, ces affections volages ont
autrefois trouvétrouué place chez moy, affin que jeie ne parle de luy,
qui n’en confesse que trop par ces vers. Ainsi ces deux passionspassiōs
sont entrées chez moy en connoissance l’unevne de l’autre, mais
en comparaison jamaisiamais: lLa premiere maintenant sa route d’unvn
vol hautain & superbe, & regardant desdaigneusement cette
cy: passer ses pointes bien loing au dessoubs d’elle. Quant aux
mariages, outre ce que c’est unvn marché qui n’a que l’entrée li-
bre, sa durée estant contraintecōtrainte & forcée, dependant d’ailleurs que
de nostre vouloir,: &Et marché, qui ordinairementordinairemēt se fait à autres
fins,: il y survientsuruiēt mille fusées estrangeresestrāgeres à desmeler parmy, suffi-
santes à rompre le fil & troubler le cours d’unevne viveviue affectionaffectiō: lLà
où en l’amitié, il n’y a affaire ny commercecōmerce que d’elle mesme. JointIoint
qu’à dire le vray la suffisance ordinaire des femmes, n’est pas
pour respondre à cette conference & communication, nour-
risse de cette saincte couture: nNy leur ame ne semble assez
ferme pour soustenir l’estreinte d’unvn neud si pressé, & si dura-
ble. Et certes sans cela, s’il se pouvoitpouuoit dresser unevne telle accoin-
tance libre & volontaire, ou non seulement les ames eussent
cette entiere jouyssanceiouyssance, mais encores ou les corps eussenteussēt part
à l’alliance, il est vray-semblableou l’home fut engage tout entier: il est certein que l’amitié en seroit plus
pleine & plus comble: mMais ce sexe par nul exemple n’y est
encore peu arriverarriuer,
Position : Marge gauche en aiant est et
et par les escholes
de la philosophie
en a este rejettéreietté

et par le commun
consantemantconsantemāt des
escholes de la
philosophie
antienes en
est rejettèreiettè.
&Et cet’autre licence Grecque est justementiustement
abhorrée par nos meurs.
Position : Marge droite La quelle pourtant
pour avoirauoir selon leur
usage une par trop neces=
sere
et une necessere si neces=
sere
disparité d’eages &
differance d’offices entre les
amans ne respontrespondoit non plus
asses exactemantasses a la parf
parfaicte union et conve=
nance
conue=
nance
qu’icy nous demandons.
Cette tendrur d’eageans et cette
si juneiunefleur de beauté tant recherchee
montre par effaict en la
description mesme de
l’Academie quoi qu’elle s’en
defande que le corps que le corps y
tenoit une part bienbien principale et
que le dangier y estoit grandgrād de
variationuariation et d’inconstance.

Quis est enim iste amor
amicitiae? cur neque
deformem adolescentem quis=
quam amat, neque formosum
senem?

Car la peinture mesmes qu’en faict l’Academie ne me desadvoueradesaduouera pas come jeie pense de dire ainsi
de sa part. Que cette premiere furur inspiree par le filx de Venus au ceur de l’amant
sur l’obei l’objetobiet de la flur d’une tendre junesseiunesse a laquelle ils permettent tous les insolens
insolens et passionez effors que peut produire un’ardur immoderee: estoit simplemant fondee
en une beautè externe: fauce image de la generation corporelle. Car en l’esperit elle ne
pouvoitpouuoit. Duquel la montre estoit encores cachee: qui n’estoit qu’en sa naissance et avantauant l’eageleage de germer. Que quandsi
cette furrur sesissoit un bas corage: les moiens de sa poursuite c’estoint richesses, presans, faveurfaueur a l’avancemantauancemant des
dignites, et telle autre basse marchandise. Quand elle tumboit c qu’ils reprouventreprouuent. QuandSi elle tumboit en un corage
plus generus: les entremises estoint generuses de mesme. Instructions philosophiques Enseignemens a revererreuerer la religion
obeir aus loix mourir pour le bien de son païs Examples de vaillanceuaillance prudance justiceiustice. S’estudiant l’amant de
ses rendre acceptable par la bone grace et beaute de son ame: celle de son corps estant pieç’a fanie Et
esperant par cette convenanceconuenance spirituellesociete mentale rendre sonestablir un marche plus ferme & durable. Quand cette
poursuite arrivoitarriuoit a sonl’effaict, en sa saison: car ce qu’ils ne requierent point en l’amant qu’il aportat loisir
& discretion en son entreprise; ils le requierent exactemant en l’aimé: d’autant qu’il luy faloit jugeriuger [Note (Alain Legros) : Cette addition se poursuit sur le folio précédent (f. 70v.)]
Position : Marge basse (f.70v) d’une beauté interne: de difficile conoissance et abstruse descouvertedescouuerte. Lors naissoit en l’aymé le desir d’une
conception spirituelle par l’entremise d’une spirituelle beaute. Cettecy estoit icy principale: la corporelle accidentale
& seconde Tout le rebours de l’amant. A cette cause preferent ils l’aimelaime: et verifientuerifient que les dieus aussi le
preferent. Et tansent grandemant le poëte AEschilus d’avoirauoir en l’amour d’Achilles et de Patrocleus doné la part de
l’amant a Achilles: qui estoit en la premiere et imberbe verduruerdur de son adolescence: et le plus beau des Grecs. Apres
cette mixtioncommunaute generale: la maistresse et plus digne partie d’icelle exerçant ses offices & predominant: ils disent
qu’il en provenoitprouenoit des fruits tresutilles au privépriué et au publiq. Que c’estoit la force des païs qui en recevointreceuoint l’usage:
& la principale defance de l’equitélequité et de la liberté. Tesmoin les saluteres amours de Hermodius et d’Aristogiton.
Pourtant la noment ils sacree et divinediuine. Et n’est a leur conte que la violanceuiolance des tirans & lacheté des peuples
qui luy soit adversereaduersere. En fin tout ce qu’on peut doner a la faveurfaueur de l’Academie c’est de dire que c’estoit un
amour se terminant en amitie. JeIe reviensreuiens a ma description: qui est de toute autre façon et plus pure & plusesgale et conforme
a la raison si l’amour eut este plus decemment a
de façon plus equitable plus equable Chose qui ne se raporte pas trop
mal a la definition Stoiques de l’amour Amorem conatum esse amicitiae faciendae ex pulchritudinis specie. JeIe
revienreuien à ma descriptiondescriptiō, de façonfaçō plus equitable & plus equable. Omnino enim amicitiae corroboratis iam
confirmatisque ingenijs & aetatibus, iudicandaeiudicādae sunt.
Au demeurant, ce que nous appellonsappellōs
ordinairement amis & amitiez, ce ne sont qu’accoinctances
& familiaritez nouées par quelque occasion ou commodité,
par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. En l’ami-
tié, dequoy jeie parle, elles se meslent & confondent l’unevne en
S iij

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[71v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
l’autre, d’unvn melange si universelvniuersel, qu’elles effacenteffacēt, & ne retrour-
vent
retrour-
uent
plus la couture qui les à jointesiointes. Si on me presse de dire
pourquoy jeie l’aymois, jeie sens que cela ne se peut exprimer,:
Position : Marge droite qu’en respon
disantdant: par
ce que c’estoit
luy. par ce que
c’estoit moy.
[Note (Alain Legros) : "par ce que c’estoit luy." (premier jet, avec point final) / "parce que c’estoit moy." (addition postérieure dans une encre plus pâle)]
iIl y
à ce semble au delà de tout mon discours, & de ce que ji’en puis
dire, Position : Interligne haute particulierement, ne sçay qu’elle force divinediuineinexplicable & fatale mediatrice de cette
unionvnion.
Position : Marge haute Nous nous cherchions avantauant que de nous estre veus, & par des rapports que nous oyïons l’unvn de l’autre:
qui faisoint en nostre affection plus d’effort que ne porte la raison des rappors: jeie croi par l’influance de quelque ordonance
de constellationdu ciel: nous nous enbrassions par nos noms. eEt a nostre premiere rencontre qui fut par hasard en no une grande
grand feste & compaignie de vileuile nous nous trouvamestrouuames si sesisprins si conus si obligez entre nous que rien des lors ne nous
fut si proche que l’un a l’autre. Il escrivitescriuit une Satyre Latine excellante qui est publiee par la quell’il excuse et explique
la praecipitation de nostre intellijance si promptemant parvenueparuenue a sa perfection. Aiant si peu a durer: et aïant si
tard comance: estant homescar nous estions tous deus homes faicts
& luy plus que moia l’avanturelauanture de quelqu’annee:
elle n’avoitauoit point a perdere temps
Et n’avoitauoit a se regler au
patron des amoursities molles &
regulieres ausquelles il faut
tant de praecautions de longue
& prealable conversationcōuersation.
Cetteci n’a point d’autre idee
que d’elle mesme et ne se peut
rapporter qu’a soi.
Ce n’est pas unevne particulierespeciale consideration, ny deux,
ny trois, ny quatre, ny mille: c’est jeie ne sçay quelle quinte es-
sence de tout ce meslange, qui ayant saisi toute ma volonté,
l’amena se plonger & se perdre dans la sienne.
Position : Marge gauche qui aiant sesi Position : Interligne haute toute sa
volante l’amena se
plonger et se perdre en
la miene: d’une faim
d’unevne concurrance pareille.
JeIe dis perdre à
la verité, ne luynous reservantreseruant rien qui luynous fut propre, ny qui fut ou sien
sienou mien. Quand Laelius en presence des ConsulsCōsuls Romains, lesquels
apres la condemnation de Tiberius Gracchus, poursuivoyentpoursuiuoyēt
tous ceux, qui avoyentauoyent esté de son intelligenceintelligēce, vint à s’enque-
rir de Caius Blosius (qui estoit le principal de ses amis) combiencōbien
il eut voulu faire pour luy,: & qu’il eut respondu, toutes cho-
ses. Comment toutes choses, suivitsuiuit-il, & quoy s’il t’eut com-
mandé de mettre le feu en nos temples? Il ne me l’eut jamaisiamais
commandé, replica Blosius: mMais s’il l’eut fait? adjoutaadiouta Laelius:
jJiI’y eusse obey, respondit-il. S’il estoit si parfaictement amy de
Gracchus, comme disent les histoires, Position : Interligne haute ou pour mieus dire come est ma peinture il n’avoitauoit que faire d’of-
fenser les consuls par cette derniere & hardie confession:, &Et
ne se devoitdeuoit départir de l’asseurance qu’il avoitauoit de la volonté
de Gracchus,. de laquelle il se pouvoitpouuoit respondre, commecōme de la
sienne.
Mais toutefois ceux, qui accusent cette responce com-
me seditieuse, n’entendent pas bien ce mystere:, &Et ne presup-
posent pas, comme il est, qu’il tenoit la volonté de Gracchus
en sa manche, & par puissance & par connoissance:,
Position : Marge gauche C’est un’ame en deus corps dict
singulierement bien Aristote

Ils estoint plus amis que
citoiens: plus amis entre eus
qu’amis et qu’enemis de leur païs:
qu’amis d’ambition et de
trouble. S’estant parfaictement
commismis l’un a l’autrelautre ils
tenoint parfaictement les renes
de la volanteuolantel’inclination l’un de l’autrelautre.
& faictes guider cet harnois
de la vertuuertu et conduite de
la raison come aussi est il du
tout impossible de l’atteler
autrem sans cela la responce
de Blosius est telle qu’elle devoitdeuoit estre Au demurant elle
Si leurs actions se desmancharent ils n’estoint ny amis selon nostrema mesure l’un
de l’autrelautre, ny amis a eus mesmes Au demureant elle cette responce
&Et qu’ainsi
sa responcerespōce ne sonne non plus que feroit la miennemiēne, à qui s’enquer-
roit
ēquer-
roit
à moy de cette façon: sSi vostre volonté vous commandoitcommādoit
de tuer vostre fille, la tueriez vous? & que jeie l’accordasse:, cCar
cela ne porte aucunaucū tesmoignage de consentementconsentemēt à ce faire, par
ce que jeie ne suis point en doute de ma volontévolōté, & tout aussi peu

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LIVRE PREMIER. 72
de celle d’unvn tel amy. Il n’est pas en la puissance de tous les dis-
cours du monde, de me desloger de la certitude, que ji’ay des
intentions & jugemensiugemens du mien: aAucune de ses actions ne me
sçauroit estre presentée, quelque visage qu’elle eut, que jeie n’en
trouvassetrouuasse incontinent le vray ressort. Nos ames ont charrié si
long tempsuniement ensemble, elles se sont considerées d’unevne si ardan-
te affection, & de pareille affection descouvertesdescouuertes jusquesiusques au
fin fond des entrailles l’unevne à l’autre: que non seulement jeie con-
noissoy
cō-
noissoy
la sienne comme la mienne, mais jeie me fusse certai-
ne ment plus volontiers fié à luy de moy, qu’à moy-mesme.
Qu’on ne me mette pas en ce reng, ces autres amitiez commu-
nes
cōmu-
nes
: car ji’en ay autant de connoissance qu’unvn autre, & des plus
parfaictes de leur genre:, mais jeie ne conseille pas qu’on con-
fonde leurs regles,: on s’y tromperoit: iIl faut marcher en ces
autres amitiez, la bride à la main, avecauec prudence & precautionprecautiō:
lLa liaison n’est pas nouée en maniere, qu’on n’ait aucunementaucunemēt
à s’en deffier. Aymeés le (disoit Chilon) comme ayant quelque
jouriour à le haïr,: haïssez le, commecōme ayant à l’aymer. Ce precepte Position : Interligne haute qui est
si abominable en cette souverainesouueraine & maistresse amitié, il est
salubre en l’usagevsage Position : Interligne haute des amities ordinaires.
Position : Marge droite et costumieres: A
l’endroitlendroit des quelles il
faut emploïer le mot
qu’Aristote avoitauoit
tresfamilier. O mes amys,
il n’y a nul ami.
En ce noble commerce, les offices
& les bienfaits nourrissiers des autres amitiez, ne meritent pas
seulement d’estre mis en compte: cCette confusion si pleine
de nos volontez en est cause:, cCar tout ainsi que l’amitié, que jeie
me porte, ne reçoit point augmentation, pour le secours que
jeie me donne au besoin, quoy que dient les Stoiciens, & com-
me jeie ne me sçay aucunaucū gré du serviceseruice que jeie me fay: aussi l’unionvniō
de tels amis estant veritablement parfaicte, elle leur faict per-
dre le sentiment de tels devoirsdeuoirs, &Et haïr & chasser d’entre eux,
ces mots de divisiondiuision & de difference,: comme, bien faict, obli-
gation, reconnoissance, priere, remerciement, & leurs pareils.
Tout estant par effect commun entre eux, volontez, pense-
mens, jugemensiugemens, biens, femmes, enfans, honneur & vie,
Position : Marge droite et leur convenanceconuenance,
n’estant qu’un’ame en deux
cors selon la trespropre definition
d’Aristote
ils ne

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[72v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
se peuventpeuuent ny prester, ny donner rien. Voila pourquoy les
faiseurs de loix, pour honorer le mariage de quelque imagi-
naire ressemblance de cette divinediuine liaison, defendent les dona-
tions entre le mary & la femme,. vVoulant inferer par là, que
tout doit estre à chacun d’eux, & qu’ils n’ont rien à diviserdiuiser &
partir ensemble. Si en l’amitié, dequoy jeie parle, l’unvn pouvoitpouuoit
donner à l’autre, ce seroit celuy qui recevroitreceuroit le bien-fait, qui
obligeroit son compagnon. Car cherchant l’unvn & l’autre, plus
que toute autre chose de s’entre-bienfaire, celuy qui en preste
la matiere & l’occasion, est celuy-là qui faict l’honneste & le
courtoisliberal, donnant ce contentement à son amy, d’effectuer en
son endroit ce qu’il desire le plus.
Position : Marge gauche Quand le philosofe
Diogenes avoitauoit faute
d’argent il disoit qu’il
le redemandoit a ses
amis non qu’il le demandoit
qu’ils le luy devointdeuoint par
droit d’amitie
.
Et pour monstrer commentcommēt
cela se practique par effect, ji’en reciteray unvn ancien exemple,
qui y est singulierement propre. Eudamidas CorinthienCorinthiē, avoitauoit
deux amis, Charixeneus SycionienSycioniē, & Aretheus Corinthien: vVe-
nant à mourir estant pauvrepauure, & ses deux amis riches, il fit ainsi
son testamenttestamēt: JeIe legue à Aretheus de nourrir ma mere, & l’en-
tretenir en sa vieillesse: à Charixenus de marier ma fille, & luy
donner le doüaire le plus grand qu’il pourra.: Eet au cas que l’unvn
d’eux vienneviēne à defaillir, jeie substitue en sa part celuy, qui survi-
vra
surui-
ura
. Ceux qui premiers virentvirēt ce testamenttestamēt s’en moquerentmoquerēt:, mais
ses heritiers en ayantayāt esté advertisaduertis l’accepterentaccepterēt, avecauec unvn singulier
contentementcōtentemēt. Et l’unvn d’entr’eux, CharixenusCharixēus, estantestāt trespassé cinq
joursiours apres, la substitutionsubstitutiō estantestāt ouverteouuerte en faveurfaueur d’Aretheus,
il nourrit curieusementcurieusemēt cette mere, & de cinq talens qu’il avoitauoit
en ses biens, il en donna les deux & demy mariage à unevne
sienne fille uniquevnique, & deux & demy pour le mariage de la fille
d’Eudamidas, desquelles il fit les nopces en mesme jouriour. Cet
exemple est bien plein, si unevne condition en estoit à dire, qui
est la multitude d’amis: cCar cette parfaicte amitié, dequoy jeie
parle, est indivisibleindiuisible: cChacun se donne si entier à son amy, qu’il
ne luy reste rien à departir ailleurs: aAu rebours, il est marry
qu’il

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LIVRE PREMIER. 73
qu’il ne soit double, triple, ou quadruple, & qu’il n’ait plu-
sieurs ames & plusieurs volontez, pour les conferer toutes à
ce subjetsubiet. Les amitiez communes, on les peut départir, oOn peut
aymer en cesttuy-cy la beauté, en cet autre la facilité de ses
meurs, en l’autre la liberalité, en celuy-là la paternité, en cet au-
tre la fraternité, ainsi du reste: mMais cette amitié, qui possede
l’ame & la regente en toute souverainetésouueraineté, il est impossible
qu’elle soit double.
Position : Marge haute Si deux en mesme tempstēps demandoientdemādoiēt à estre secourus, auquel
courries vousuous? S’ils requeroint de vousuous chosesdes offices contreres quel ordre y
trouverriestrouuerries vousuous? Si l’un commetoit a vostreuostre silance chose qui fut utille
a l’autrelautre de sçavoirsçauoir, comant vousuous en desmesleries vousuous? L’unique et
principale amitie descout toutes autres obligations. Le secret que ji’ay jureiure ne
deceler a unnul autre jeie le puis sans parjurepariure communiquer a unceluy quil n’est pas autre, c’est
moy. C’est un asses grand miracle de
se doubler et n’en conessent pas la
hauteur ceus qui parlent de se tripler.
Rien n’est extreme qui a son pareil.
Et qu’il entanderapresupposera que de deus ji’en aime
autant l’un que l’autrelautre et qu’ils s’en=
traiment et m’aiment come jeie les aime
autant que jeie les aime il multiplie en
confrerie la chose la plus une et unie : et de
quoi une et sule est encore la plus rare
a trouvertrouuer au monde. L’encheineure
amouruse de ces trois philosofes
Polemon Crates Crantor, jugeansiugeant
de mesmes vivansuiuans & mourans ensemble.
Le demeurant de cette histoire convientconuient
tres-bien à ce que jeie disois: cCar Eudamidas donne pour grace
& pour faveurfaueur à ses amis de les employer à son besoin: iIl les
laisse heritiers de cette siennesiēne liberalité, qui consiste à leur met-
tre en main les moyensmoyēs de luy bien-faire. Et sans doubte, la for-
ce de l’amitié se monstre bien plus richementrichemēt en son fait, qu’en
celuy d’Aretheus. Somme, ce sont effects inimaginables, à qui
n’en a gousté:
Position : Marge droite Et qui me font honorer
a merveillesmerueilles la responce
de ce jeuneieune soldat a Cyrus
s’enquerant a luy pour
combiencōbien il voudroituoudroit donner
un chevalcheual par le moien
du quel il venoituenoit de
gaigner le pris de la
course: et s’il le voudroituoudroit
eschanger a un Royaume:
Non certes Sire mais
bien Position : Interligne haute le lairrois jeie volontiersuolontiers pour en acquerir
un ami si jeie trouvoistrouuois
home de vertuuertu digne de
telle alliance. Et Il
ne disoit pas mal s’il sji’en
trouvoitstrouuoits: car on treuvetreuue
facilemant des homes propres
a une conversationconuersationconjonctionconionction superfi=
cielle Position : Interligne haute acointance mais en ceteci en la
quelle on negotie du fin fond
de son corage qui emploie tout
qui ne faict rien de reste
certes il est besoin que tous
les ressors soint netz et
surs parfaictemant. Ici
Aus speciales alliancesconfederations qui ne
se tienent que par un bout on n’a
a pourvoirspouruoirs qu’aus imperfections
qui particulierement les interessentinteressent ce bout là.
Il ne peut chaloir de quelle
relligion soit mon medecin et
mon advocataduocat, cette consideration
n’a rien de commun aveqaueq les offices
de l’amitie qu’ils me doiventdoiuent JeIeEt en l’acouintance domestique d’ que
dressent aveqaueq moi ceus qui me serventseruent ji’en fois de mesmes. Et
m’enquiers peu d’un laquai s’il est chaste JeIe cherche s’il est diligent.
Et ne creins pas tant un muletier joueurioueur que foibleimbecille. ny un secreterecuisinier
jureuriureur qu’ignorant. JeIe ne dis pas que jeie fois bien mais jeie dis que jeie fois
ainsi
D’autres diront sur ce premier article. Position : Interligne haute Mihi sic usus est, tibi ut opus est facto face
Position : Interligne basse JeIe ne me mesle pas de prescherdire ce qu’il faut faire au monde Position : Interligne haute d’autres asses s’en meslent mais ce que
ji’y fois. Mihi sic usus est, tibi ut opus est facto face.
A la familiarite de la table
ji’associe le plesant plus tost quenon le prudant. aAu lict la beaute avantauant
la bonté. En lacointance societe du discours qu’il soit preud’home s’il veutueut mais
qu’il soit sadviséaduisé la suffisance avantauantvoireuoire sans la preud’homie. Pareillement ailleurs.
Tout
& tout ainsi que celuycil qui fut rencontré à che-
vauchons
che-
uauchons
sur unvn baton, se jouantiouāt avecauec ses enfans, pria celuyl’home qui
l’y surprint, de n’en rien dire, jusquesiusques à ce qu’il fut pere luy-
mesme,: estimant que la passion qui luy naistroit lors en l’ame,
le rendroit jugeiuge equitable d’unevne telle action: jJeiIe souhaiterois
aussi parler à des gens qui eussent essayé ce que jeie dis. Mais sça-
chant combien c’est chose eslongnée du communcommū usagevsage, qu’u-
ne
v-
ne
telle amitié, & combien elle est rare, jeie ne m’attens pas d’en
trouvertrouuer nulaucun bon jugeiuge. Car les discours mesmes que l’antiquité
nous à laissé sur ce subjectsubiect, me semblentsemblēt láches au pris du goustsentiment
que ji’en ay: &Et en ce seul poinct, les effects surpassent les prece-
ptes mesmes de la philosophie.
Nil ego contulerim iucundo sanus amico.
L’ancien Menander disoit celuy-là heureux, qui avoitauoit peu ren-
contrer
rē-
contrer
seulement l’ombre d’unvn amy: iIl avoitauoit certes raison de
le dire, mesmes s’il en avoitauoit tasté: cCar à la verité si jeie comparecōpare tout
le reste de ma vie, quoy que paraveqaueq la grace de Dieu jeie l’aye passée
douce, aisée, & sauf la perte d’unvn tel amy, exempte d’affliction
T

Fac-similé BVH

[73v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
poisante, pleine de contentement & de tranquillité d’esprit,
aAyant prins en payementpayemēt mes commoditez naturelles & origi-
nelles sans en rechercher d’autres: sSi jeie la compare, dis-jeie, tou-
te, aux quatre ou cinq années, qu’il m’a esté donné de jouyriouyr de
la douce compagnie & societé de ce personnage, ce n’est que
fumée, ce n’est qu’unevne nuit obscure & ennuyeuse. Depuis le
jouriour que jeie le perdy,
quem semper acerbum, [Commentaire (Montaigne) : plus en ça]
Semper honoratum (sic Dij voluistis) habebo,
jeie ne fay que trainer languissantlāguissant,: &Et les plaisirs mesmes qui s’of-
frent à moy, au lieu de me consoler me redoublent le regret
de sa perte. Nous estions à moitié de tout: il me semble que jeie
luy desrobe sa part,
Nec fas esse vlla me voluptate hic frui
Decreui, tantisper dum ille abest meus particeps.

JI’estois desjadesia si fait & accoustumé à estre deuxiesme par tout,
qu’il me semble n’estre plus qu’a demy.
Illam meae si partem animae tulit
Maturior vis, quid moror altera,
Nec charus aequè nec superstes
Integer? Ille dies vtramque
Duxit ruinam.

Il n’est action ou imagination, ou jeie ne le trouvetrouue à dire,: com-
me si eut-il bien faict à moy: cCar de mesme qu’il me surpassoit
d’unevne distance infinie en toute autre suffisance & vertu, aussi
faisoit il au devoirdeuoir de l’amitié.
Quis desiderio sit pudor aut modus
Tam chari capitis?
O misero frater adempte mihi!
[Commentaire (Montaigne) : plus en ça]
Omnia tecum unavna perierunt gaudia nostra,
Quae tuus in vita dulcis alebat amor.
Tu mea, tu moriens fregisti commoda frater


Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 74
Tecum vna tota est nostra sepulta anima,
Cuius ego interitu tota de mente fugaui
Haec studia, atque omnes delicias animi.
Alloquar? audiero nunquam tua verba loquentem?
Nunquam ego te vita frater amabilior
Aspiciam posthac? at certè semper amabo.

Mais oyons unvn peu parler ce garson de dixhuictsese ans. [Note (Alain Legros) : Le changement de paragraphe pour "Parce que j’ay trouvé..." est rarissime dans les Essais. La rupture était encore plus marquée dans les éditions de 1580 (3 astérisques) et de 1582 (5 astérisques), comme une cicatrice.]
Parce que ji’ay trouvétrouué que cet ouvrageouurage à esté depuis mis en lu-
miere & à mauvaisemauuaise fin, par ceux qui cherchent à troubler &
changer l’estat de nostre police, sans se soucier s’ils l’amende-
ront, qu’ils ont meslé à d’autres escris de leur farine, jeie me suis
dédit de le loger icy. Et affin que la memoire de l’auteur n’en
soit interessée en l’endroit de ceux, qui n’ont peu connoistre
de pres ses opinions & ses actions: jJeiIe les adviseaduise que ce subjectsubiect
fut traicté par luy en son enfance, par maniere d’exercitation
seulement, commecōme subjetsubiet vulgaire & tracassé en mille endroits
des livresliures. JeIe ne fay nul doubte qu’il ne creust ce qu’il escrivoitescriuoit:,
car il estoit assez conscientieuxcōscientieux, pour ne mentir pas mesmes en
se jouantiouāt,: &Et sçay d’avantageauātage que s’il eut eu à choisir, il eut mieux
aimé estre nay à Venise qu’à Sarlac,: & avoitauoitaveqaueq raison: mMais il a-
voit
a-
uoit
unvn’ autre maxime souverainementsouuerainemēt empreinte en son ame,
d’obeyr & de se soubmettre tres-religieusement aux loix, sous
lesquelles il estoit nay. Il ne fut jamaisiamais unvn meilleur citoyen, ny
plus affectionné au repos de sa patrieson païs, ny plus ennemy des re-
muements & nouvelleteznouuelletez de son temps: iIl eut bien plustost
employé sa suffisancesuffisāce à les esteindre, que à leur fournir dequoy
les émouvoirémouuoir d’avantageauantage: iIl avoitauoit son esprit moulé au patron
d’autres siecles que ceux-cy. Or en eschange de cest ouvrageouurage
serieux ji’en substitueray unvn autre, produit en cestte mesme sai-
son de son aage, plus gaillard & plus enjouéenioué. Ce sont 29. son-
nets que le sieur de Poiferré homme d’affaires, & d’entende-
ment, qui le connoissoit long temps avantauant moy, à retrouvéretrouué

T ij

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[74v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
par fortune chez luy, parmy quelques autres papiers, & me les
vientviēt d’envoyerenuoyer: dequoy jeie luy suis tres-obligé, & souhaiterois
que d’autres qui detiennent plusieurs lopins de ses escris, par-
cy, par-là, en fissent de mesmes.

 


Vingt & neuf sonnets d’Estienne de la Boetie, à Madame de GrammontGrāmont
Comtesse de Guissen.
CHAP. XXVIII.


 
MADAME jeie ne vous offre rien du mien, ou par ce qu’il
est desjadesia vostre, ou pour ce que jeie n’y trouvetrouue rienriē digne de
vous. Mais ji’ay voulu que ces vers en quelque lieu qu’ils se vis-
sent, portassent vostre nom en teste, pour l’honneur que ce leur
sera d’avoirauoir pour guide cette grandegrāde Corisande d’Andoins. Ce
present m’a semblé vous estre propre, d’autant qu’il est peu de
dames en France, qui jugentiugent mieux, & se serventseruent plus à propos
que vous, de la poësie: & puis qu’il n’en est point qui la puis-
sent rendre viveviue & animée, comme vous faites par ces beaux
& riches accords, dequoy parmy unvn million d’autres beautez,
nature vous à estrenée. Madame ces vers meritent que vous
les cherissez: car vous serez de mon advisaduis, qu’il n’en est point
sorty de Gascoigne, qui eussent plus d’inventioninuention & de gentil-
lesse, & qui tesmoignent estre sortis d’unevne plus riche main. Et
n’entrez pas en jalousieialousie, dequoy vous n’avezauez que le reste de ce
que pieç’a ji’en ay faict imprimer sous le nom de monsieur de
Foix, vostre bon parentparēt: car certes ceux-cy ont jeie ne sçay quoy
de plus vif & de plus bouillant: comme il les fit en sa plus ver-
te jeunesseieunesse, & eschaufé d’unevne belle & noble ardeur que jeie vous
diray, Madame, unvn jouriour à l’oreille. Les autres furentfurēt faits depuis
comme il estoit à la poursuite de son mariage, en faveurfaueur de sa
femme, & sentent desjadesia jeie ne sçay quelle froideur maritale. Et
moy jeie suis de ceux, qui tiennent que la poësie ne rid point
ailleurs, comme elle faict en unvn subjectsubiect folatre & desreglé.
[Commentaire (Montaigne) : Ces versuers se voientuoient ailleurs]


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SONNET.

75

[Note (Alain Legros) : Dans les éditions de 1580 et 1582 les feuillets où figurent les sonnets ne sont pas numérotés.] [Note (Alain Legros) : Montaigne supprime d’un long trait de plume en diagonale chacune des pages consacrées aux sonnets.]

I.


PARDON AMOURAMOVR, pardon, ô Seigneur jeie te voüe
Le reste de mes ans, ma voix & mes escris,
Mes sanglots, mes souspirs, mes larmes & mes cris:
Rien, rien tenir d’aucun, que de toy jeie n’advoueaduoue.
Helas comment de moy, ma fortune se joueioue.
De toy n’a pas long temps, amour, jeie me suis ris.
JI’ay failly, jeie le voy, jeie me rends, jeie suis pris.
JI’ay trop gardé mon coeur, or jeie le desaduoüe.
Si ji’ay pour le garder retardé ta victoire,
Ne l’en traitte plus mal, plus grande en est ta gloire.
Et si du premier coup tu ne m’as abbatu,
Pense qu’unvn bon vainqueur & nay pour estre grand,
Son nouveaunouueau prisonnier, quand unvn coup il se rend,
Il prise & l’ayme mieux, s’il à bien combatu.

II.


C’est amour, c’est amour, c’est luy seul, jeie le sens:
Mais le plus vif amour, la poison la plus forte,
A qui onq pauvrepauure coeur ait ouverteouuerte la porte.
Ce cruel n’a pas mis unvn de ses tratiztraitz perçans,
Mais arc, traits & carquois, & luy tout dans mes sens.
Encor unvn mois n’a pas, que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines jeie porte,
Et des-ja ji’ay perdu, & le coeur & le sens.
Et quoy? si cest amour à mesure croissoit,
Qui en si grand tourment dedans moy se conçoit?
O croistz, si tu peuz, croistre, & amende en croissant.
Tu te nourris de pleurs, des pleurs jeie te prometz,
Et pour te refreschir, des souspirs pour jamaisiamais.
Mais que le plus grand mal soit au moings en naissant.


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[75v]

III.


C’est faict mon coeur, quitons la liberté.
Dequoy meshuy serviroitseruiroit la deffence,
Que d’agrandir & la peine & l’offence?
Plus ne suis fort, ainsi que ji’ay esté.
La raison fust unvn temps de mon costé,
Or revoltéereuoltée elle veut que jeie pense
Qu’il faut servirseruir, & prendre en recompence
Qu’oncq d’unvn tel neud nul ne fust arresté.
S’il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n’a plus deversdeuers soy la raison.
JeIe voy qu’amour, sans que jeie le deservedeserue,
Sans aucun droict, se vient saisir de moy?
Et voy qu’encor il faut à ce grand Roy
Quand il à tort, que la raison luy serveserue.


IIII.


C’estoit alors, quand les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuvescuues va foulant,
Le raisin gras dessoubz le pied coulant,
Que mes douleurs furent encommencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caveauxcaueaux ses bouillans muis roulant,
Et des fruitiers son automne croulant
Se vange lors des peines advancéesaduancées.
Seroit ce point unvn presage donné
Que mon espoir est des-ja moissonné?
Non certes, non. Mais pour certain jeie pense,
JI’auray, si bien à devinerdeuiner ji’entends,
Si lon peut rien prognostiquer du temps,
Quelque grand fruict de ma longue esperance.


V.


JI’ay veu ses yeux perçans, ji’ay veu sa face claire:
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76
(Nul jamaisiamais sans son dam ne regarde les dieux)
Froit, sans coeur me laissa son oeil victorieux,
Tout estourdy du coup de sa forte lumiere.
Comme unvn surpris de nuit aux champs quand il esclaire
Estonné, se pallist si la fleche des cieux
Sifflant luy passe contre, & luy serre les yeux,
Il tremble, & veoit, transi, JupiterIupiter en colere.
Dy moy Madame, au vray, dy moy si tes yeux vertz
Ne sont pas ceux qu’on dit que l’amour tient couvertzcouuertz?
Tu les avoisauois, jeie croy, la fois que jeie t’ay veüe,
Au moins il me souvientsouuient, qu’il me fust lors advisaduis
Qu’amour, tout à unvn coup, quand premier jeie te vis,
Desbanda dessus moy, & son arc, & sa veüe.


VI.


Ce dit maint unvn de moy, dequoy se plaint il tant,
Perdant ses ans meilleurs en chose si legiere?
Qu’à il tant à crier, si encore il espere?
Et s’il n’espere rien, pourquoy n’est il content?
Quand ji’estois libre & sain jien disois bien autant.
Mais certes celuy la n’a la raison entiere,
Ains à le coeur gasté de quelque rigueur fiere,
S’il se plaint de ma plainte, & mon mal il n’entend.
Amour tout à unvn coup de cent douleurs me point,
Et puis l’on m’advertitaduertit que jeie ne crie point.
Si vain jeie ne suis pas que mon mal ji’agrandisse
A force de parler: son m’en peut exempter,
JeIe quitte les sonnetz, jeie quitte le chanter.
Qui me deffend le deuil, celuy la me guerisse.


VII.


Quant à chanter ton los, par fois jeie m’adventureaduenture,
Sans oser ton grand nom, dans mes vers exprimer,
Sondant le moins profond de cette large mer,
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[76v]
JeIe tremble de m’y perdre, & aux rivesriues m’asseure.
JeIe crains en loüant mal, que jeie te face injureiniure.
Mais le peuple estonné d’ouir tant t’estimer,
Ardant de te connoistre, essaie à te nommer,
Et cherchant ton sainct nom ainsi à l’adventureaduenture,
Esbloui n’attaint pas à veoir chose si claire,
Et ne te trouvetrouue point ce grossier populaire,
Qui n’ayant qu’unvn moyen, ne voit pas celuy là:
C’est que s’il peut trier, la comparaison faicte
Des parfaictes du monde, unevne la plus parfaicte,
L’ors, s’il à voix, qu’il crie hardimant la voyla.


VIII.


Quand viendra ce jouriour la, que ton nom au vray passe
Par France, dans mes vers? combien & quantesfois
S’en empresse mon coeur, s’en demangent mes doits?
SouventSouuent dans mes escrits de soy mesme il prend place.
Maugré moy jeie t’escris, maugré moy jeie t’efface.
Quand astrée viendroit & la foy & le droit,
Alors joyeuxioyeux ton nom au monde se rendroit.
Ores c’est à ce temps, que cacher il te face,
C’est à ce temps maling unevne grande vergogne
Donc Madame tandis tu seras ma Dourdouigne.
Toutesfois laisse moy, laisse moy ton nom mettre,
Ayez pitié du temps, si au jouriour jeie te metz,
Si le temps ce cognoist, lors jeie te le prometz,
Lors il sera doré, s’il le doit jamaisiamais estre.


IX.


O entre tes beautez, que ta constance est belle.
C’estCest ce coeur asseuré, ce courage constant,
C’est parmy tes vertus, ce que l’on prise tant:
Aussi qu’est il plus beau, qu’unevne amitié fidelle?
Or ne charge donc rien de ta soeur infidele,
De
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77
De Vesere ta soeur: elle va s’escartant
TousjoursTousiours flotant mal seure en son cours inconstant.
Voy tu comme à leur gré les vens se joüentioüent d’elle?
Et ne te repens point pour droict de ton aisnage
D’avoirauoir des-jaia choisi la constance en partage.
Mesme race porta l’amitie souverainesouueraine
Des bons jumeauxiumeaux, desquels l’unvn à l’autre despart
Du ciel & de l’enfer la moitié de sa part,
Et l’amour diffamé de la trop belle Heleine.


X.


JeIe voy bien, ma Dourdouigne encor humble tu vas:
De te monstrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si à il bien esté quelquefois aussi bas.
Voys tu le petit Loir comme il haste le pas?
Comme des-jaia parmy les plus grands il se conte?
Comme il marche hautain d’unevne course plus prompte
Tout à costé du Mince, & il ne s’en plaint pas?
UnVn seul OlivierOliuier d’Arne enté au bord de Loire,
Le faict courir plus bravebraue & luy donne sa gloire.
Laisse, laisse moy faire, Et unvn jouriour ma Dourdouigne,
Si jeie devinedeuine bien, on te cognoistra mieux:
Et Garonne, & le Rhone, & ces autres grands Dieux
En auront quelque envieenuie, & possible vergoigne.


XI.


Toy qui oys mes souspirs, ne me sois rigoureux
Si mes larmes apart toutes miennes jeie verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diversediuerse
Du Florentin transi les regrets languoreux,
Ny de Catulle aussi, le folastre amoureux,
Qui le coeur de sa dame en chatouillant luy perce,
Ny le sçavantsçauant amour du migregeois Properce,
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[77v]
Ils n’ayment pas pour moy, jeie n’ayme pas pour eux.
Qui pourra sur autruy ses douleurs limiter,
Celuy pourra d’autruy les plaintes imiter:
Chacun sent son tourment, & sçait ce qu’il endure
Chacun parla d’amour ainsi qu’il l’entendit.
JeIe dis ce que mon coeur, ce que mon mal me dict.
Que celuy ayme peu, qui ayme à la mesure.


XII.


Quoy? qu’est-ce? ô vens, ô nues, ô l’orage!
A point nommé, quand d’elle m’aprochant
Les bois, les monts, les baisses vois tranchant
Sur moy d’aguest vous poussez vostre rage.
Ores mon coeur s’embrase d’avantageauantage.
Allez allez faire peur au marchant,
Qui dans la mer les thresors va cherchant:
Ce n’est ainsi, qu’on mabbat le courage.
Quand ji’oy les vents, leur tempeste, & leur cris,
De leur malice, en mon coeur jeie me ris.
Me pensent ils pour cela faire rendre?
Face le ciel du pire, & l’air aussi:
JeIe veux, jeie veux, & le declaire ainsi
S’il faut mourir, mourir comme Leandre.


XIII.


Vous qui aimer encore ne sçavezsçauez,
Ores m’oyant parler de mon Leandre,
Ou jamaisiamais non, vous y debuez aprendre,
Si rien de bon dans le coeur vous avezauez.
Il oza bien branlant ses bras lavezlauez,
Armé d’amour, contre l’eau se deffendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frere, & le mouton sauvezsauuez.
UnVn soir vaincu par les flos rigoureux,
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Voyant des-jaia, ce vaillant amoureux,
Que l’eau maistresse à son plaisir le tourne:
Parlant aux flos, leur jectaiecta cette voix:
Pardonnez moy maintenant que ji’y veois,
Et gardez moy la mort, quand jeie retourne.


XIIII.


O coeur leger, ô courage mal seur,
Penses-tu plus que souffrir jeie te puisse?
O bonté creuze, ô couvertecouuerte malice,
Traitre beauté, venimeuse douceur.
Tu estois donc tousjourstousiours soeur de ta soeur?
Et moy trop simple il failloit que ji’en fisse
Lessay sur moy? & que tard ji’entendisse
Ton parler double & tes chants de chasseur?
Depuis le jouriour que ji’ay prins à t’aimer,
JI’eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu’est-ce meshuy que jeie pourrois attendre?
Comment de toy pourrois ji’estre content?
Qui apprendra ton coeur d’estre constant,
Puis que le mien ne le luy peut aprendre?


XV.


Ce n’est pas moy que l’on abuse ainsi:
Qu’a quelque enfant ses ruses on employe,
Qui n’a nul goust, qui n’entend rien qu’il oye:
JeIe sçay aymer, jeie sçay hayr aussi.
Contente toy de m’avoirauoir jusquiusqu’icy
Fermé les yeux, il est temps que ji’y voye:
Et que mes-huy, las & honteux jeie soye
D’avoirauoir mal mis mon temps & mon soucy,
Oserois tu m’ayant ainsi traicté
Parler à moy jamaisiamais de fermeté?
Tu prens plaisir à ma douleur extreme: V ij
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[78v]
Tu me deffends de sentir mon tourment:
Et si veux bien que jeie meure en t’aimant.
Si jeie ne sens, comment veux tu que ji’ayme?


XVI.


O l’ay jeie dict? helas l’ay jeie songé?
Ou si pour vray ji’ay dict blaspheme telle?
S’a fauce langue, il faut que l’honneur d’elle
De moy, par moy, desus moy, soit vangé.
Mon coeur chez toy, ó madame, est logé:
Lá donne luy quelque geéne nouvellenouuelle:
Fais luy souffrir quelque peine cruelle:
Fais, fais luy tout, fors luy donner congé.
Or seras tu (jeie le sçay) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine.
Mais unvn tel faict, faut il qu’il se pardonne?
A tout le moins haut jeie me desdiray
De mes sonnets, & me desmentiray,
Pour ces deux faux, cinq cens vrais jeie t’en donne.


XVII.


Si ma raison en moy s’est peu remettre,
Si recouvrerrecouurer astheure jeie me puis,
Si ji’ay du sens, si plus homme jeie suis,
JeIe t’en mercie, ô bien heureuse lettre.
Qui m’eust (helas) qui m’eust sçeu recognoistre
Lors qu’enrage vaincu de mes ennuys,
En blasphemant madame jeie poursuis?
De loing, honteux, jeie te vis lors paroistre
O sainct papier, alors jeie me revinsreuins,
Et deversdeuers toy devotementdeuotement jeie vins.
JeIe te donrois unvn autel pour ce faict,
Qu’on vist les traicts de cette main divinediuine.
Mais de les voir aucun homme n’est digne,
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79
Ny moy aussi, s’elle ne m’en eust faict.


XVIII.


JI’estois prest d’encourir pour jamaisiamais quelque blasme.
De colere eschauffé mon courage brusloit,
Ma fole voix au gré de ma fureur branloit,
JeIe despitois les dieux, & encore ma dame.
Lors qu’elle de loing jetteiette unvn brevetbreuet dans ma flamme
JeIe le sentis soudain comme il me rabilloit,
Qu’aussi tost devantdeuant luy ma fureur s’en alloit,
Qu’il me rendoit, vainqueur, en sa place mon ame.
Entre vous, qui de moy, ces merveillesmerueilles oyez,
Que me dites vous d’elle? & jeie vous prie voyez,
S’ainsi comme jeie fais, adorer jeie la dois?
Quels miracles en moy, pensez vous qu’elle fasse
De son oeil tout puissant, ou d’unvn ray de sa face.
puis qu’en moy firent tant les traces de ses doigts.


XIX.


JeIe tremblois devantdeuant elle, & attendois, transi,
Pour venger mon forfaict quelque justeiuste sentence,
A moy mesme consent du poids de mon offence,
Lors qu’elle me dict, va, jeie te prens à mercy.
Que mon loz desormais par tout soit esclarcy:
Employe là tes ans: & sans plus, mes-huy pense
D’enrichir de mon nom par tes vers nostre France,
CouvreCouure de vers ta faute, & paye moy ainsi.
Sus donc ma plume, il faut, pour jouyriouyr de ma peine
Courir par sa grandeur, d’unevne plus large veine.
Mais regarde à son oeil, qu’il ne nous abandonne.
Sans ses yeux, nos esprits se mourroient languissants.
Ils nous donnent le coeur, ils nous donnent le sens.
Pour se payer de moy, il faut qu’elle me donne. V iij
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[79v]

XX.


O vous maudits sonnets, vous qui printes l’audace
De toucher à madame: ô malings & perversperuers,
Des Muses le reproche, & honte de mes vers:
Si jeie vous feis jamaisiamais, s’il faut que jeie me fasse
Ce tort de confesser vous tenir de ma race,
Lors pour vous, les ruisseaux ne furent pas ouvertsouuerts
D’Appollon le doré, des muses aux yeux verts,
Mais vous receut naissants Tisiphoné en leur place
Si j’ayiay oncq quelque part à la posterité
JeIe veux que l’unvn & l’autre en soit desherité.
Et si au feu vangeur des or jeie ne vous donne,
C’est pour vous diffamer, vivezviuez chetifs, vivezviuez,
VivezViuez aux yeux de tous, de tout honneur privezpriuez:
Car c’est pour vous punir, qu’ores jeie vous pardonne.


XXI.


N’ayez plus mes amis, n’ayez plus cette envieenuie
Que jeie cesse d’aimer, laissez moy obstiné,
VivreViure & mourir ainsi, puis qu’il est ordonné,
Mon amour c’est le fil, auquel se tient ma vie.
Ainsi me dict la fée, ainsi en AEagrie
Elle feit Meleagre à l’amour destiné,
Et alluma sa souche à l’heure qu’il fust né,
Et dict, toy, & ce feu, tenez vous compaignie.
Elle le dict ainsi, & la fin ordonnée
SuyvitSuyuit apres le fil de cette destinée.
La souche (ce dict l’onlon) au feu fut consommée,
Et deslors (grand miracle) en unvn mesme moment
On veid tout à unvn coup, du miserable amant
La vie & le tison, s’en aller en fumée.


XXII.


Quand tes yeux conquerans estonné jeie regarde,
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80
JI’y veoy dedans à clair tout mon espoir escript,
JI’y veoy dedans amour, luy mesme qui me rit,
Et m’y monstre mignard le bon heur qu’il me garde.
Mais quand de te parler par fois jeie me hazarde,
C’est lors que mon espoir desseiché se tarit.
Et d’advoueraduouer jamaisiamais ton oeil, qui me nourrit,
D’unvn seul mot de faveurfaueur, cruelle tu n’as garde.
Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que jeie dis,
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui jeie me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toy mesme se dresse,
Si ta bouche & tes yeux se veulent desmentir.
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les departir,
Et que jeie prenne au mot de tes yeux la promesse.


XXIII.


Ce sont tes yeux tranchans qui me font le courage.
JeIe veoy saulter dedans la gaye liberté,
Et mon petit archer, qui mene à son costé
La belle gaillardise & plaisir le volage.
Mais apres, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton coeur la fiere honnesteté.
Et condamné jeie veoy la dure chasteté,
gravementgrauement assise & la vertu sauvagesauuage,
Ainsi mon temps diversdiuers par ces vagues se passe.
Ores son oeil m’appelle, or sa bouche me chasse.
Helas, en c’est estrif, combien ay ji’enduré.
Et puis qu’on pense avoirauoir d’amour quelque asseurance,
Sans cesse nuict & jouriour à la servirseruir jeie pense,
Ny encor de mon mal, ne puis estre asseuré.


XXIIII.


Or dis-jeie bien, mon esperance est morte.
Or est-ce faict de mon aise & mon bien.
Mon mal est clair: maintenant jeie veoy bien,
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[80v]
JI’ay espousé la douleur que jeie porte.
Tout me court sus, rien ne me reconforte,
Tout m’abandonne & d’elle jeie n’ay rien,
Sinon tousjourstousiours quelque nouveaunouueau soustien,
Qui rend ma peine & ma douleur plus forte.
Ce que ji’attends, c’est unvn jouriour d’obtenir
Quelques souspirs des gens de l’adveniraduenir:
Quelqu’unvn dira dessus moy par pitié:
Sa dame & luy nasquirent destinez,
Egalement de mourir obstinez,
L’unvn en rigueur, & l’autre en amitié.


XXV.


JI’ay tant vescu, chetif, en ma langueur,
Qu’or ji’ay veu rompre, & suis encor en vie,
Mon esperance avantauant mes yeux ravierauie,
Contre l’escueil de sa fiere rigueur.
Que m’a servyseruy de tant d’ans la longueur?
Elle n’est pas de ma peine assouvieassouuie:
Elle s’en rit, & n’a point d’autre envieenuie,
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
Donques ji’auray, mal’heureux en aimant
TousjoursTousiours unvn coeur, tousjourstousiours nouveaunouueau tourment.
JeIe me sens bien que ji’en suis hors d’halaine,
Prest à laisser la vie soubs le faix:
Qu’y feroit-on sinon ce que jeie fais?
Piqué du mal, jeie m’obstine en ma peine.


XXVI.


Puis qu’ainsi sont mes dures destinées,
JI’en saouleray, si jeie puis, mon soucy.
Si ji’ay du mal, elle le veut aussi.
JI’accompliray mes peines ordonnées
Nymphes des bois qui avezauez estonnées, De
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De mes douleurs, jeie croy quelque mercy,
Qu’en pensez vous? puis-jeie durer ainsi,
Si à mes maux trefvestrefues ne sont donnees?
Or si quelqu’unevne à m’escouter s’encline,
Oyez pour Dieu ce qu’ores jeie devinedeuine.
Le jouriour est pres que mes forces jaia vainésvaines
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C’est mon espoir, si jeie meurs en aymant,
A donc, jeie croy, failliray-jeie à mes peines.


XXVII.


Lors que lasse est, de me lasser ma peine,
Amour d’unvn bien mon mal refreschissant,
Flate au coeur mort ma playe languissant,
Nourrit mon mal, & luy faict prendre alaine.
Lors jeie conçoy quelque esperance vaine:
Mais aussi tost, ce dur tyran, s’il sent
Que mon espoir se renforce en croissant,
Pour l’estoufer, cent tourmens il m’ameine
Encor tous frez: lors jeie me veois blasmant
D’avoirauoir esté rebelle à mon tourmant.
ViveViue le mal, ô dieux, qui me devoredeuore,
ViveViue à son gré mon tourmant rigoureux.
O bien-heureux, & bien-heureux encore
Qui sans relasche est tousjourstousiours mal’heureux.


XXVIII.


Si contre amour jeie n’ay autre deffence
JeIe m’en plaindray, mes vers le maudiront,
Et apres moy les roches rediront
Le tort qu’il faict à ma dure constance.
Puis que de luy ji’endure cette offence.
Au moings tout haut, mes rithmes le diront,
Et nos neveusneueus, alors qu’ils me liront, X
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[81v]
En l’outrageant, m’en feront la vengeance.
Ayant perdu tout l’aise que jiavoisauois,
Ce sera peu que de perdre ma voix.
S’on sçait l’aigreur de mon triste soucy,
Et fut celuy qui m’a faict cette playe,
Il en aura, pour si dur coeur qu’il aye,
Quelque pitié, mais non pas de mercy.


XXIX.


JaIa reluisoit la benoiste journéeiournée
Que la nature au monde te devoitdeuoit,
Quand des thresors qu’elle te reservoitreseruoit
Sa grande clef, te fust abandonnée.
Tu prins la grace à toy seule ordonnée,
Tu pillas tant de beautez qu’elle avoitauoit:
Tant qu’elle, fiere, alors qu’elle te veoit
En est par fois, elle mesme estonnée.
Ta main de prendre en fin se contenta:
Mais la nature encor te presenta,
Pour t’enrichir cette terre ou nous sommes.
Tu n’en prins rien: mais en toy tu t’en ris,
Te sentant bien en avoirauoir assez pris
Pour estre icy royne du coeur des hommes.



De la moderation. CHAP. XXX.


 
COMME si nous avionsauions l’attouchement infect, nous
corrompons par nostre maniementmaniemēt les choses, qui d’el-
les mesmes sont belles & bonnesbōnes. Nous pouvonspouuons saisir
la vertu, de façon qu’elle en deviendradeuiendra vicieuse: comme il ad-
vientuient quandsi nous l’embrassons d’unvn desir trop aspre & trop
violant. Ceux qui disent qu’il n’y à jamaisiamais d’exces en la vertu,
d’autant que ce n’est plus vertu, si l’exces y est, ils se jouentiouent de
la subtilité des parolles.:

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LIVRE PREMIER. 82
Insani sapiens nomen ferat, aequus iniqui,
Vltra quam satis est, virtutem si petat ipsam.

C’est unevne subtile consideration de la philosophie. On peut &
trop aimer la vertu, & se porter immoderémentimmoderémētexcessivementexcessiuement en unevne action
justeiuste & vertueuse. A ce biaiz se peut accommoder la parollevoixuoix
divinediuine,: ne soyez pas plus sages qu’il ne faut, mais soyez sobre-
ment sages.
Position : Marge droite J’ayI’ay veuueu tel Position : Interligne haute grand, blesser
la reputation de sa
religion pour se
montrer relligieus
outre tout example
des homes de sa
sorte. JI’aime des natures
temperees et moïenes.
L’immoderation versuers
le bien mesme si elle
ne m’offance elle m’estone
et me met en peine de
la babtiser. Ny la mere
de Br Pausanias qui
dona la premiere l’instruc=
tion et porta la premiere
pierre pour à la mort de
son filx: ny le dictatur
Postumius qui fit
mourir le sien que l’ardeurlardeur
de junesseiunesse avoitauoit pousse
sur les enemispousse hureusement
sur les enemis, un peu
avantauant son ranc: ne me
semble si purement
justeiuste come estrange.
Et n’aime ny a prescherconseiller ny
a suivresuiure une vertuuertu si
sauvagesauuage et si chere. L’archerLarcher
qui outrepasse le blanc faut comme
celluy qui n’y arrivearriue pas.
Position : Marge haute Calliclez en Platon dit, l’extremité de la philosophie estre dommageable: & conseille de ne s’y
enfoncer outre les bornes dedu l’utiliteprofit: Que prinse avequesaueques moderation, elle est plaisante & commode: mais qu’en fin elle
rant un home sauvagesauuage et vitieusuitieus: desdeigneus des religions et loix communes: enemi de la conversationconuersation civileciuile: enemi des
voluptesuoluptes humaines: incapables de tout’administration politique et de tout commerce et de secourir autruy et de se secourir
a soi mesmes: capable d’propre a estre foulè aus pieds sans se pleindre impuneemant souffletè: Il dict vraiurai: qu’car en son excez
elle gourmande et esclaveesclaue nostre naturelle franchise: et nous desvoiedesuoie par un’inportune subtilitè du beau et plein
chemin que nature nous a tracé.
Et les
yeus me troublent a monter a coup
versuers une grande lumiere egalementegalemēt come a devalerdeualer a l’ombre.
L’amitié que nous portons à nos femmes, elle est
tres-legitime: la theologie ne laisse pas de la brider pourtantpourtāt, &
de la restraindre. Il me semble avoirauoir leu autresfois chez sainct
Thomas, en unvn endroit où il condamnecondāne les mariages des paran-s
tes és degrez deffandus, cestte raison parmy les autres: qQu’il y a
dangerdāger que l’amitié qu’on porte à unevne telle femme soit immo-
derée: cCar si l’affection maritalle s’y trouvetrouue entiere & perfaite
comme elle doit, & qu’on la surcharge encore de celle qu’on
doit à la parantelle, il n’y a point de doubte, que ce surcroist
n’emporteēporte unvn tel mary hors les barrieres de la raison,. soit en l’a-
mitié, soit aux effects de la jouïssanceiouïssance.
Les sciences qui reglent
les meurs des hommes, comme la religiontheologie & la philosophie,
elles se meslent de tout. Il n’est action si privéepriuée & secrette, qui
se desrobe de leur cognoissance & jurisdictioniurisdiction.
Position : Marge gauche Vrais veausueaus et bBien aprantis sont ceus qui syndiquent leur liberte. Ce sont les femmes
qui communiquent tant qu’on veutueut leurs pieces a m garsoner: a medeciner la
honte le defant.
JeIe veux donc
de leur part apprendre encore cecy aux maris (car il y a grand
dangier qu’ils ne se perdent en ce débordement)
s’il s’en treuvetreuue
encores qui y soint trop acharnez:
c’est que les
plaisirs mesmes qu’ils ont à l’acointance de leurs femmes, ils
sont merveilleusementmerueilleusement reprouvezreprouuez, si la moderationmoderatiō n’y est ob-
servée
ob-
seruée
: &Et qu’il y à dequoy faillir en licence & desbordementdesbordemēt en
ce subjetsubiet là, comme en unvn subjetsubiet estranger & illegitime.
Position : Marge droite Ces encherimans
deshontez que la
chalur premiere nous
fourn suggere en ce
jeuieu, sont non indecem=
mant sulemant mais
domageablement
emploiez enversenuers nos
fames. Qu’elles apren=
nent l’impudance
au moins d’un’autre
main. Elles sont
tousjoustousioustousjours asses esveil=
lees
esueil=
lees
pour nostre besoing.
JeIe ne m’y suis servyseruy
que de l’instruction naturelle
et simple.
C’est
unevne religieuse liaison & devotedeuote que le mariage,: vVoila pour-
quoy le plaisir qu’on en tire, ce doit estre unvn plaisir retenu, se-
rieux & meslé à quelque peu de severitéseuerité: cCe doit estre unevne vo-
lupté Position : Interligne haute aucunemant prudente & conscientieuse. Et parce que sa principale
fin c’est la generation, il y en à qui mettent en doubte, si lors
que nous sommes sans l’esperance de cet usagevsage fruit, comme lors
X ij

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[82v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que les femmesquand elles sont hors d’aage, ou enceinteenceintes, il est permis d’enē
rechercher cette accointance:l’embrassemant. cela tiens jeie pour certain qu’il
est beaucoup plus sainct de s’en abstenir.
C’est un homicide a la mode de Platon. Certaines nationsnatiōs Position : Interligne haute et entre autre la Mahumetane abo-
mineenēt la conjonctionconionction avecauec les femmes enceintes, comme elle
faictplusieurs aussi avecauec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia ne rece-
voit
rece-
uoit
son mary que pour unevne charge, & cela fait elle le laissoit
courir tout le tempstēps de sa conceptioncōception, luy donnantdōnant lors seulementseulemēt,
loy de recommencer: noblebravebraue & genereux exemple de mariage.
Position : Marge gauche C’est de quelque poëte disett
diseteus & affamè de ce
deduit de que Platon enprunta
cette narration que JuppiterIuppiter
fit a sa fame une si chalureuse
charge un jouriour que ne pouvantpouuāt
avoirauoir patiance qu’ell’eut gaigné
son lict il la versauersa sur le
planchier et par la vehemanceuehemance
du plaisir oblia les resolutions
grandes et importantes qu’il
venoit de prandre aveqaueq les
autres dieus en sa court celeste:
se vantant qu’ilquil l’avoitauoit trouvètrouuè
aussi bon ce coup la que lorsque
premieremant il la depucela
a cachettes de leurs parans.

Les Roys de Perse appelloient leurs femmes à la compaignie
de leurs festins, mais quand le vin venoit à les eschaufer en bon
escient, & qu’il falloit tout à fait, lascher la bride à la desbau-
chevoluptéuolupté, ils les r’envoioientenuoioiēt en leur privépriué, pour ne les faire participan-
tes
participā-
tes
des excez de leurs appetits desreglez & immoderez, & fai-
soient venir en leur lieu, des femmes, ausquelles ils n’eussent
point cette obligationobligatiō & cede respect. Tous plaisirs & toutes gra-
tifications ne sont pas bien emploiées àlogees en toutes gens: Epami-
nondas avoitauoit fait emprisonner unvn garson desbauché, Pelopi-
das le pria de le mettre en liberté en sa faveurfaueur,: il l’en refusa, &
l’accorda à unevne sienne garse, qui aussi l’en pria: disant que c’e-
stoit unevne gratification deuë à unevne amie, non à unvn capitaine.
Position : Marge gauche Sophocles estant compaignon
en la Praeture aveqaueq Pericles
voyant de cas de fortune passer
unvn beau garçon. O le beau
garçon que voilauoila fit il a
Pericles Cela seroit bon a un
autre qu’a un Praetur luy
dit Pericles qui doit avoirauoir
non les mains sulemant
mais aussi les yeus chastes

AeliusAElius Verus, l’Empereur, respondit à sa femmefēme sur ce propos,
comme elle se plaignoit, dequoy il se laissoit aller à l’amitiéour
d’autres femmesfēmes, qu’il le faisoit par occasion conscientieuse,
d’autant que le mariage estoit unvn nom d’honneur & dignité,
non de folastre & lascivelasciue voluptéconcupiscence.
Position : Marge gauche Et nos antiensātiens autheurs ecclesiastiques
font aveqaueq honur mantion d’une
femme qui repudia son mari pour
ne vouloir seconder ses trop
lasciveslasciues et immoderees amours.
Il n’est en somme aucune
si justeiuste volupté, en laquelle l’excez & l’intemperance ne nous
soit reprochable. Mais à parler en bon escientesciēt:, est-ce pas unvn mi-
serable animal que l’homme? àA peine est-il en son pouvoirpouuoir par
sa condition naturelle, de gouter unvn seul plaisir entier & pur,
encore se met-il en peine de le retrancher par discours: il n’est
pas assez chetif, si par art & par estude il n’augmente sa misere,
Fortunae miseras auximus arte vias.
Position : Marge gauche La sagesse fa humeine
faict bien sottemant
l’ingenieuse de s’exercer
à rabattre le nombre &
la douceur des voluptezuoluptez
qui nous apartienent: come elle faict favorablemantfauorablemāt & industrieusemantindustrieusemāt
d’emploier d’emploier ses arf artifices a nous peigner et cacherfarder les maus &
en alleger le sentimant. Si ji’eusse esté chef de part, ji’eusse pris autre route voyeuoye
plus naturelle: qui est a dire vraïeesuraïees commode & saincte: et me fusse peut
estre randu asses fort pour la borner.

Quoy que nos medecins spirituels & corporels, comme par
 
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LIVRE PREMIER. 583
complotcōplot fait entre eux, ne trouventtrouuent aucune voye à la guerison,
ny remede aux maladies du corps & de l’ame, que par le tour-
ment, la douleur & la peine. Les veilles, les jeusnesieusnes, les haires,
les exils lointains & solitaires, les prisons perpetuelles, les ver-
ges & autres afflictions ont esté introduites pour cela: mMais
en telle condition, que ce soyent veritablement afflictions, &
qu’il y ait de l’aigreur poignante:. &Et qu’il n’en advienneaduienne point
comme à unvn Gallio, lequel ayant esté envoyéenuoyé en exil en l’isle
de Lesbos, on fut advertyaduerty à Romme qu’il s’y donnoit du bon
temps, & que ce que l’on luy avoitauoit enjointenioint pour peine, luy
tournoit à commodité: parquoy ils se raviserentrauiserēt, de le rappeler
pres de sa femme, & en sa maison, & luy ordonnerent de s’y
tenir, pour accommoder leur chastiementpunition à son ressentimentressentimēt.
Car à qui le jeusneieusne aiguiseroit la santé & l’alegresse, à qui le
poisson seroit plus appetissant que la chair, ce ne seroit plus
recepte salutaire: non plus qu’en l’autre medecine, les drogues
n’ont point d’effect à l’endroit de celuy, qui les prend avecauec
goustappetit & plaisir. L’amertume & la difficulté sont circonstancescirconstāces
servantsseruants à leur operation. Le naturel qui accepteroit la rubar-
be comme familiere, en corromproit l’usagevsage: iIl faut que ce
soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir: &Et& icy
faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs
contraires, car le mal y guerit le mal. Cette impression se ra-
porte aucunement à cette autre si ancienne, de penserpēser gratifier
au Ciel & à la nature par nostre massacre & homicide, qui
fut universellementvniuersellement embrassee en toutes religions.
Position : Marge droite
Encore du temps de
nos peres Amurat en la
prinse de l’Istme
immola six cens junesiunes
homes grecs a l’ombreame
de son pere affin que
ce sang luy servitseruit de
propitiation d a
l’expiationlexpiation des pechez
du trespassé. Et
Car en ces
nouvellesnouuelles terres descouvertesdescouuertes en nostre aage pures encore &
vierges au pris des nostres, l’usagevsage en est aucunementaucunemēt receu par
tout: toutes leurs Idoles s’abreuventabreuuent de sang humain, non
sans diversdiuers exemples d’horrible cruauté. On les brule vifs, &
demy rotis on les retire du brasier, pour leur arracher le coeur
& les entrailles. A d’autres voire aux femmes, on les escorche
X iij

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[83v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
vifvesvifues, & de leur peau ainsi sanglante en revestreuest on & masque
d’autres. Et non moins d’exemples de constance & resolutionresolutiō.
CerCar ces pauvrespauures gens sacrifiables, vieillars, femmes, enfans, vontvōt
quelques joursiours avantauāt, questant eux mesme les aumosnes pour
l’offrande de leur sacrifice, & se presentent à la boucherie
chantans & dançans avecauec les assistans. Les ambassadeurs du
Roy de Merxico, faisant entendre à Fernaund Cortez la gran-
deur de leur maistre, apres luy avoirauoir dict qu’il avoitauoit trente vas-
saux, desquels chacun pouvoitpouuoit assembler cent mille comba-
tans
comba-
tās
, & qu’il se tenoit en la plus belle & forte ville qui fut soubs
le ciel,: luy adjousterentadiousterent, qu’il avoitauoit à sacrifier aux Dieux cin-
quante
cin-
quāte
mille hommes par an. De vray, ils disent qu’il nourris-
soit la guerre avecauec certains grands peuples voisins, non seule-
ment pour l’exercice de la jeunesseieunesse du païs, mais principalle-
ment pour avoirauoir dequoy fournir à ses sacrifices, par des pri-
sonniers de guerre. Ailleurs, en certain bourg, pour la bienbiē ve-
nue dudit Cortez, ils sacrifierent cinquante hommes tout à la
fois. JeIe diray encore ce compte. Aucuns de ces peuples ayants
esté batuz par luy, envoyerentenuoyerent le recognoistre & rechercher
d’amitié: les messagers luy presenterentpresenterēt trois sortes de presens,
en cette maniere. Seigneur voyla cinq esclavesesclaues: si tu és unvn
Dieu fier, qui te paisses de chair & de sang, mange les, & nous
t’en amerrons d’avantageauantage: si tu és unvn Dieu debonnaire, voyla
de l’encens & des plumes: si tu es homme, prens les oiseaux &
les fruicts que voicy.
 


Des Cannibales. CHAP. XXXI.


 
QUANDQVAND le Roy Pyrrhus passa en Italie, apres qu’il eut
reconneu l’ordonnance de l’armée que les Romains
luy envoyoientenuoyoient au devantdeuant, jeie ne sçay, dit-il, quels bar-
bares sont ceux-ci (car les Grecs appelloyent ainsi toutes les nationsnatiōs
estrangieres barbares) mais la disposition de cette armée, que

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LIVRE PREMIER. 84
jeie voy, n’est aucunement barbare. Autant en dirent les Grecs
de celle que Flaminius fit passer en leur païs.
Position : Marge droite
Et Philippus voïantuoïant
d’un tertre la disposition
l’ordrelordre et distribution
du camp Romein en son
royaume sous Publius
Sulpicius Galba.
Voyla comment
il se faut garder de s’atacher aux opinions vulgaires, & les faut
jugeriuger les choses par la voyevoie de la raison, non depar la voix com-
mune. JI’ay eu long temps avecauec moy unvn homme qui avoitauoit de-
meuré dix ou douze ans en cest autre monde, qui à esté des-
couvert
des-
couuert
en nostre siecle, en l’endroit ou Vilegaignon print
terre, qu’il surnomma la France Antartique. Cette descou-
verte
descou-
uerte
d’unvn païs infini de terre ferme, semble de grandeestre de consi-
deration. JeIe ne sçay si jeie me puis respondre, que il ne s’en face
à l’adveniraduenir quelqu’autre, tant de grands personnages plus grands que nous ayans
esté trompez en cette-cy. JI’ay peur que nous avonsauons les yeux
plus grands que le ventre, comme on dict, & le dit on de
ceux, ausquels l’appetit & la faim font plus desirer de viande,
qu’ils n’en peuventpeuuent empocher: JeIe crains aussi que nous avonsauons
beaucoup
et plus de curiosité, que nous n’avonsauons de capacité:
nNous embrassons tout, mais jeie crains que nous n’étreignons
rien que du vent. Platon introduit Solon racontant avoirauoir a-
pris des Prestres de la ville de Saïs en AegypteAEgypte, que jadisiadis & avantauāt
le deluge, il y avoitauoit unevne grandegrāde Isle nommée AthlantideAthlātide, droict
à la bouche du destroit de Gibaltar, qui tenoit plus de païs
que l’Afrique & l’Asie toutes deux ensemble: & que les Roys
de cette contrée la, qui ne possedoient pas seulement cette is-
le, mais s’estoyent estendus dans la terre ferme si avantauant, qu’ils
tenoyent de la largeur d’Afrique, jusquesiusques en AegypteAEgypte, & de la
longueur de l’Europe, jusquesiusques en la Toscane, entreprindrent
d’enjambereniamber jusquesiusques sur l’Asie, & subjuguersubiuguer toutes les nationsnatiōs
qui bordent la mer Mediterranée, jusquesiusques au golfe de la mer
MajourMaiour: & pour cet effect, traverserenttrauerserent les Espaignes, la Gau-
le, l’Italie jusquesiusques en la Grece, ou les Atheniens les soustin-
drent: mais que quelque temps apres, & les Atheniens & eux
& leur isle furent engloutis par le deluge. Il est bienbiē vray-sem-

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[84v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
blable, que cet extreme ravagerauage d’eaux ait faict des changemenschangemēs
estranges aux habitations de la terre: comme on tient que la
mer à retranché la Sycile d’avecauec l’Italie:,
Haec loca vi quondam, & vasta conuulsa ruina
Dissiluisse ferunt, cùm protinus vtráque tellus
Vna foret
.,
Chipre d’avecauec la Surie, l’Isle de NegrepontNegrepōt de la terre ferme de
la Beoeoce: & jointioint ailleurs les terres qui estoyent diviseesdiuisees, com-
blant
cō-
blant
de limon & de sable les fossezs d’entre-deux.,
sterilisque diu palus aptáque remis
Vicinas vrbes alit, & graue sentit aratum.

Mais il n’y à pas grande apparence, que cette Isle soit ce mon-
de nouveaunouueau, que nous venonsvenōs de descouvrirdescouurir: car elle touchoit
quasi l’Espaigne, & ce seroit unvn effect incroyable d’inunda-
tion, de l’en avoirauoir reculée comme elle est, de plus de douze
cens lieuës: outre ce que les navigationsnauigations des modernes ont
des-ja presque descouvertdescouuert, que ce n’est point unevne isle, ains ter-
re ferme, & continente avecauec l’Inde orientaleoriētale d’unvn costé, & avecauec
les terres, qui sont soubs les deux poles d’autre part: ou si elle
en est separée, que c’est d’unvn si petit destroit & intervalleinterualle, qu’el
le ne merite pas d’estre nommée isle, pour cela. Il semble qu’il
y aye des mouvemensmouuemēs naturels les uns, les autres maladifs & fievreuxfieureux en ces grandsgrāds corps,
comme aux nostres. Quand jeie considere l’impression que ma
riviereriuiere de Dordoigne faict de mon temps, vers la riveriue droicte
de sa descente, & qu’en vingt ans elle à tant gaigné,: &Et desrobé
le fondement à plusieurs bastimens,: jeie vois bienbiē que c’est unevne
agitationagitatiō extraordinaire: car si elle fut tousjourstousiours allee ce train,
ou deut aller à l’adveniraduenir, la figure du monde seroit renverseerenuersee:
mais il leur prend des changements: tantost elles s’espendent
d’unvn costé, tantost d’unvn autre, tantost elles se contiennentcontiēnent. JeIe
ne parle pas des soudaines inondations de quoy nous manionsmaniōs
les causes: En Medoc, le long de la mer, mon frere Sieur d’Ar-
sac,

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  LIVRE PREMIER. 85
sac, voit unevne siene terre, ensevelieenseuelie soubs les sables, que la mer
vomit devantdeuant elle: le feste d’aucuns bastimens paroist encore:
ses rentes & domaines, se sont eschangez en pasquages bien
maigres. Les habitanshabitās disent, que depuis quelque temps, la mer
se pousse si fort vers eux, qu’ils ont perdu quatre lieuës de ter-
re, & marche ainsi: cCes sables sont ses fourriers.
Position : Marge droite : et voionsuoions des grandes
monjoiesmonioies d’arene Position : Interligne haute mouvantesmouuantes qui
marchent davantdauant elle
d’une demi lieue davantdauant
elle et gaignent païs.
L’autre tesmoi
gnage de l’antiquité, auquel on veut raporter cette descou-
verte
descou-
uerte
, est dansdās Aristote, au moins si ce petit livretliuret des merveil-
les
merueil-
les
inouies est à luy. Il raconte là, que certains Carthaginois
s’estant jetteziettez au traverstrauers de la mer AthlantiqueAthlātique, hors le destroit
de Gibaltar, & naviguénauigué long temps, avoientauoient descouvertdescouuert en
fin unevne grande isle fertile, toute revestuëreuestuë de bois, & arrousée
de grandes & profondes rivieresriuieres, fort esloignée de toutes ter-
res fermes: & qu’eux, & autres dépuis, attirez par la bonté &
fertilité du terroir, s’y en allerent avecauec leurs femmes & enfans,
& commencerent à s’y habituer. Les Seigneurs de Carthage,
voyans que leur pays se dépeuploit peu à peu, firent deffence
expresse sur peine de mort que nul n’eut plus à aller là, & en
chasserent ces nouveauxnouueaux habitans, craignantscraignāts, à ce que l’on dit,
que par succession de temps ils ne vinsent à multiplier telle-
ment qu’ils les supplantassent eux mesmes, & ruinassent leur
estat. Cette narration d’Aristote n’a non plus d’accord avecauec
nos terres neufvesneufues. Cet homme que jiavoyauoy, estoit homme
simple & grossier, qui est unevne condition propre à rendre ve-
ritable tesmoignage: car les fines gens, remarquent bien plus
curieusement, & plus de choses, mais ils les glosent: & pour
faire valoir leur interpretation & la persuader, ils ne se peuventpeuuēt
garder d’alterer unvn peu l’Histoire: Iils ne vous represen-
tent jamaisiamais les choses pures, ils les inclinent & masquent selonselō
le visage qu’ils leur ont veu: & pour donner credit à leur
jugementiugemēt & vous y attirer, prestentprestēt volontiers de ce costé la, à la
matiere, l’alongent & l’amplifient. Où il faut unvn homme
Y

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[85v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
tres-fidelle, ou si simple, qu’il n’ait pas dequoy bastir & donnerdōner
de la vray-semblance à des inventionsinuentions fauces, & qui n’ait rienriē
espousé. Le mien estoit tel: & outre cela, il m’a faict voir à di-
verses
di-
uerses
fois plusieurs matelots & marchans, qu’il avoitauoit co-
gneuz en ce voyage. Ainsi jeie me contente de cette informa-
tion, sans m’enquerir de ce que les cosmographes en disent. Il
nous faudroit des topographes, qui nous fissent narration,
particuliere, des endroits où ils ont esté. Mais pour avoirauoir cet
avantageauantage sur nous, d’avoirauoir veu la Palestine, ils veulent avoirauoirjouiriouir de
ce privilegepriuilege, de nous conter nouvellesnouuelles de tout le demeurantdemeurāt du
monde. JeIe voudroy que chacun escrivitescriuit ce qu’il sçait, & au-
tant qu’il en sçait: non en cela seulement, mais en tous autres
subjectssubiects: car tel peut avoirauoir quelque particuliere science ou
experience de la nature d’unevne riviereriuiere, ou d’unevne fontaine, qui
ne sçait au reste, que ce que chacun sçait: Il entreprendra tou-
tes-fois, pour faire courir ce petit lopin, d’escrire toute la phy-
sique. De ce vice sourdent plusieurs grandes incommoditez.
Or jeie trouvetrouue, pour revenirreuenir à mon propos, qu’il n’y à rien de
barbare & de sauvagesauuage en cette nation, à ce qu’on m’en à rap-
porté: sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de
son usagevsage. Comme de vray il semble, que nous n’avonsauons autre
touchemire de la verité, & de la raison, que l’exemple & idée des
opinionsopiniōs & usancesvsances du païs où nous sommes. La est tousjourstousiours
la parfaicte religion, la parfaicte police, perfect & accomply
usagevsage de toutes choses. Ils sont sauvagessauuages de mesmes que nous
appellons sauvagessauuages les fruicts, que nature de soy & de son
progrez ordinaire à produicts: là où à la verité ce sont ceux
que nous avonsauons alterez par nostre artifice, & detournez de
l’ordre commun, que nous devrionsdeurions appeller plutost sauva-
ges
sauua-
ges
. En ceux là sont vivesviues & vigoureuses, les vrayes, & plus u-
tiles
v-
tiles
& naturelles, vertus & proprietez, lesquelles nous avonsauons
abastardies en ceux-cy, & les avonsauons seulementseulemēt accommodées

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 86
au plaisir de nostre goust corrompu.
Position : Marge droite : et la faEt si pourtant la faveurfaueur
mesme et delicatesse
se treuvetreuue sans art &
sans culture, se treuvetreuue
a nostre goust
excellante a l’envienui
des nostres, en pl diversdiuers
fruits des ces contrees
la, sans culture.
Ce n’est pas raison que
l’art gaigne le point d’honneur sur nostre grande & puissan-
te mere nature. Nous avonsauōs tant rechargé la beauté & riches-
se de ses ouvragesouurages par nos inventionsinuentions, que nous l’avonsauons du
tout estouffée. Si est-ce que par tout où sa pureté reluit, elle
fait unevne merveilleusemerueilleuse honte à nos vaines & frivolesfriuoles entre-
prinses.,
&Et veniunt ederae sponte sua melius,
Surgit & in solis formosior arbutus antris,
Et volucres nulla dulcius arte canunt.

Tous nos efforts ne peuventpeuuent seulement arriverarriuer à representer
le nid du moindre oyselet, sa contexture, sa beauté, & l’utilitévtilité
de son usagevsage: non pas la tissure de la chetivechetiue & vile araignée.
Position : Marge droite Toutes choses selon Platonselon ditdict Platon
sont produites par la nature
par la fortune ou par l’artlart. Les plus
grandes et plus belles choses
sont produictes
par l’une ou
l’autrelautre des deus premieres causes
les moindres et moins imparfaictes
par l’artlart la derniere.

Ces nations me semblent donq ainsi barbares, pour avoirauoir re-
ceu fort peu de façon, de l’esprit humain, & estre encore fort
voisines de leur naifveténaifueté originelle. Les loix naturelles leur
commandent encores, fort peu abastardies par les nostres:
mais c’est en telle pureté, qu’il me prend quelque fois desplai-
sir, dequoy la cognoissance n’en soit venuë plutost, du temps
qu’il y avoitauoit des hommeshōmes qui en eussent sçeu mieux jugeriuger que
nous. Il me desplait que Licurgus & Platon ne l’ayentayēt eüe: car
il me semble que ce que nous voyons par experienceexperiēce en ces na-
tions la, surpasse non seulement toutes les peintures dequoy
la poësie à embelly l’age doré, & toutes ses inventionsinuentions à fein-
dre unevne heureuse condition d’hommes: mais encore la conce-
ption
cōce-
ption
& le desir mesme de la philosophie. Ils n’ont peu ima-
giner unevne nayfveténayfueté si pure & simple, comme nous la voyons
par experience: n’y n’ont peu croire que nostre societé se peut
maintenir avecauec si peu d’artifice, & de soudeure humaine. C’est
unevne nationnatiō, diroy jeie à Platon, en laquelle il n’y à aucune espece
de trafique, nulle cognoissance de lettres, nulle science de
nombres, nul nom de magistrat, ny de superiorité politique,
Y ij

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[86v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nul goustusage de serviceseruice, de richesse, ou de pauvretépauureté, nuls contratscōtrats,
nulles successions, nuls partages, nulles occupations qu’oysi-
ves
oysi-
ues
, nul respect de parenté que communcōmun, nuls vestemens, nul-
le agriculture, nul metal, nul usagevsage de vin ou de bled. Les pa-
roles mesmes, qui signifient la mensonge, la trahison, la dis-
simulation, l’avariceauarice, l’envieenuie, la detraction, le pardonpardō, inouies.
Combien trouveroittrouueroit il la republique qu’il à imaginée esloi-
gnée de cette perfection.: uiri a dijs recentes.
Hos natura modos primum dedit.

Au demeurant, ils viventviuent en unevne contrée de païs tres-plaisan-
te, & bien temperée: de façon qu’à ce que m’ont dit mes
tesmoings, il est rare d’y voir unvn homme malade: & m’ont as-
seuré n’en y avoirauoir veu aucunaucū tremblant, chassieux, edenté, ou
courbé de vieillesse. Ils sont assis le long de la mer, & fermez
du costé de la terre de grandes & hautes montaignes, ayant
entre-deux, cent lieuës ou environenuirō d’estendue en large. Ils ont
grande abondanceabōdance de poisson & de chairs, qui n’ont aucune
ressemblance aux nostres, & les mangent sans autre arti-
fice, que de les cuire. Le premier qui y mena unvn chevalcheual, quiquoi qu’il les
avoitauoiteut pratiquez à plusieurs autres voyages, il leur fit tant
d’horreur en cette assiete, qu’ils le tuerent à coups de traict,
avantauant que le pouvoirpouuoir recognoistre. Leurs bastimens sont fort
longs, & capables de deux ou trois cents ames, estoffez d’es-
corse de grands arbres, tenanstenās à terre par unvn bout, & se souste-
nans & appuyans l’unvn contrecōtre l’autre par le feste, à la mode d’au-
cunes de noz granges, desquelles la couverturecouuerture pend jusquesiusques
à terre, & sert de flanq & de paroy. Ils ont du bois si dur &
si ferme, qu’ils en coupent & en font leurs espées, & des
grils à cuyuire leur viande. Leurs lits sont d’unvn tissu de co-
ton, suspenduz contre le toict, comme ceux de nos navi-
res
naui-
res
, à chacun le sien: car les femmes couchent à part des
maris. Ils se leventleuent avecauec le soleil, & mangent soudain apres

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LIVRE PREMIER. 87
s’estre levezleuez, pour toute la journéeiournée, car ils ne font autre re-
pas que celuy là. Ils ne boyventboyuent pas lors, comme Suidas dict,
de quelques autres peuples d’Orient, qui beuvoientbeuuoient hors du
manger: ils boiventboiuent à plusieurs fois sur jouriour, & d’autant.
Leur breuvagebreuuage est faict de quelque racine, & est de la couleur
de nos vins clairets. Ils ne le boyventboyuent pas que tiede: ce
breuvagebreuuage ne se conserveconserue que deux ou trois joursiours: il a le
goust unvn peu piquantpiquāt, nullementnullemēt fumeux, salutaire à l’estomac,
& laxatif à ceux qui ne l’ontōt guiere accoustumé: c’est unevne bois-
son tres-agreable à ceux qui y sontest duits. Au lieu du pain, ils
mangentmāgentusent d’unevne certaine matiere blancheblāche, commecōme du coriandre con-
fit
cō-
fit
.: JIenē ay tasté, il a le goust en est doux & unvn peu fade. Toute la jour-
née
iour-
née
se passe à dancerdācer. Les plus jeunesieunes vont à la chasse des bestes,
à tout des arcs. UneVne partie des femmes s’amusent cependant à
chauffer leur breuvagebreuuage, qui est leleur principal office qu’ils reçoi-
ventuent d’elles. Il y a quelqu’unvn des vieillars, qui le matin avantauant
qu’ils se mettent à manger, presche en commun toute la
grangée, en se promenant d’unvn bout à autre, & redisant unevne
mesme clause à plusieurs fois, jusquesiusques à ce qu’il ayt achevéacheué le
tour (car ce sont bastimens qui ont bien cent pas de longueurlōgueur)
il ne leur recommande que deux choses, la vaillance contrecōtre les
ennemis, & l’amitié à leurs femmes. Et ne faillent jamaisiamais de
remerquer cette obligationobligatiō, pour leur refrein, que ce sont elles
qui leur maintiennent leur boisson tiede & assaisonnée. Il se
void en plusieurs lieux, & entre autres chez moy, la forme de
leurs lits, de leurs cordons, de leurs espées, & brasselets de bois,
dequoy ils couvrentcouurent leurs poignets aux combats, & des gran-
des
grā-
des
cannes ouvertesouuertes par unvn bout, par le son desquelles ils sou-
stiennent
sou-
stiennēt
la cadancecadāce en leur dancerdācer. Ils sont ras par tout, & se font
le poil beaucoup plus nettement que nous, sans autre rasouër que
de bois, ou de pierre. Ils croyent les ames eternelles, & celles
qui ont bienbiē merité des dieux, estre logées à l’endroitēdroit du ciel où
Y iij

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[87v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
le soleil se leveleue: les maudites, du costé de l’Occident. Ils ont jeie
ne sçay quels prestres & prophetes, qui se presentent bien ra-
rement au peuple, ayant leur demeure aux montaignes. A
leur arrivéearriuée, il se faict unevne grande feste & assemblée solennel-
le de plusieurs vilages, (chaque grange comme jeie l’ay descrite,
faict unvn vilage, & sont environenuiron à unevne lieuë Françoise l’unevne de
l’autre.) Ce prophete parle à eux en public, les exhortant à la
vertu & à leur devoirdeuoir: mais toute leur science ethique ne con-
tient que ces deux articles, de la resolution à la guerre, & affe-
ction à leurs femmes. Cettuy-cy leur prognostique les choses
à venir, & les evenemenseuenemens qu’ils doiventdoiuent esperer de leurs entre-
prinses: les achemine ou destourne de la guerre: mais c’est apar
telle conditionsi, que s’ou il faut à bien devinerdeuiner, & s’il leur advientaduient
autrement qu’il ne leur à predit, il est haché en mille pieces,
s’ils l’attrapent, & condamné pour faux prophete. A cette cau-
se, celuy, qui s’est unevne fois mesconté, on ne le void plus.
Position : Marge gauche C’est don de dieu que
la divinationdiuination: voilauoila
pourquoi ce devroitdeuroit estre
unevne imposture punissable
d’en abuser. Entre les
Scythes ce quand les divinsdiuinsdevins
avointauoint failli de rencontre
on les couchointt enforgez
de pieds et de mains sur des
charriotes pleines de bruiere
tirees par des beufs en quoi
on mestoit le feu les
faisoit bruler. Ceus qui
manient les choses subjectessubiectes
à la conduite de l’humainelhumaine
suffisance sont excusables
d’y faire ce qu’ils peuventpeuuent
Mais ces autres qui nous
vienent pipant des promesses
& assurances d’une faculte
extraordinere qui est hors
de nostre conoissance faut
il pas les punir s’de ce qu’ils ne
maintienent l’effaict de
leur promesse et de la
temerite de leur imposture.
Ils ont
leurs guerres contrecōtre les nationsnatiōs, qui sont au delà de leurs montai-
gnes
mōtai-
gnes
, plus avantauāt en la terre ferme, ausquelles ils vontvōt tous nuds,
n’ayantayāt autres armes que des ares ou des espées de bois, apoin-
tées par unvn bout, à la mode des langues de nos espieuz. C’est
chose esmerveillableesmerueillable que de la fermeté de leurs combats, qui
ne finissent jamaisiamais que par meurtre & effusion de sang, car de
routes & d’effroy, ils ne sçaventsçauent que c’est. Chacun raporte
pour son trophée la teste de l’ennemy qu’il à tué, & l’attache
à l’entrée de son logis. Apres avoirauoir long temps bienbiē traité leurs
prisonniers, & de toutes les commoditez, dont ils se peuventpeuuent
aviserauiser, celuy qui en est le maistre, faict unevne grande assemblée
de ses cognoissans.: Iil attache unevne corde à l’unvn des bras du pri-
sonnier,
Position : Marge gauche , par le bout de la
quelle il le tient
eslouigné de quelques
pas, de peur d’en estre
offancé,
& donne au plus fidellecher de ses amis, l’autre bras à tenir
de mesme,: & eux deux en presence de toute l’assemblée l’as-
somment à coups d’espée. Apres celaCela faict ils le rostissent, & en man-
gent
mā-
gent
en communcōmun, & en envoientenuoient des lopins à ceux de leurs amis,

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LIVRE PREMIER. 88
qui sont absens. Ce n’est pas comme on pense pour s’en nour-
rir, ainsi que faisoient anciennement les Scythes,: c’est pour
representer unevne extreme vengeance:. &Et qu’il soit ainsi, ayantayāt ap-
perceu que les Portuguois, qui s’estoient r’alliez à leurs adver-
saires
aduer-
saires
, usoientvsoient d’unevne autre sorte de mort contre eux, quand ils
les prenoient, qui estoit de les enterrer jusquesiusques à la ceinture, &
tirer au demeurant du corps force coups de traict, & les pen-
dre apres: ils penserent que ces gens icy de l’autre mondemōde, com-
me ceux qui avoyentauoyent semé la connoissance de beaucoup de
vices parmy leur voisinage, & qui estoient beaucoup plus
grands maistres qu’eux en toute sorte de malice, ne prenoient
pas sans occasion cette sorte de vengeance, & qu’elle devoitdeuoit
estre plus aigre que la leur, commencerent de quitter leur fa-
çon ancienne, pour suivresuiure cette-cy. JeIe ne suis pas marry, que
nous remerquons l’horreur barbaresque, qu’il y a en unevne telle
action, mais ouy bien dequoy jugeansiugeās bienbiē de leurs fautes nous
soyons si aveuglezaueuglez aux nostres. JeIe pense qu’il y a plus de bar-
barie à manger unvn homme vivantviuant, qu’à le manger mort, à des-
chirer par tourmens & par geénes, unvn corps encore plein de
sentiment, le faire rostir par le menu, le faire mordre & meur-
trir aux chiens, & aux pourceaux: comme nous l’avonsauons, non
seulement leu, mais veu de fresche memoire, non entre des
ennemis anciens, mais entre des voisins & concitoyens, & qui
pis est, sous pretexte de pieté & de religion, que de le rostir &
manger apres qu’il est trespassé. Chrysippus & Zenon chefs
de la secte Stoicque, ont bien pensé qu’il n’y avoitauoit aucun
mal de se servirseruir de nostre charoigne à quoy que ce fut, pour
nostre besoin, & d’en tirer de la nourriture: comme nos ance-
stres estans assiegez par Caesar en la ville de Alexia, se resolu-
rent de soustenir la faim de ce siege par les corps des vieillars,
des femmes, & toutes autres personnes inutiles au combat:

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[88v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Vascones fama est, alimentis talibus vsi
Produxere animas.

Et les medecins ne craignent pas de s’en servirseruir à toute sorte
d’usagevsage, pour nostre santé, soit pour l’appliquer au dedans, ou
au dehors: mais il ne s’yse trouvatrouua jamaisiamais aucune opinion si des-
reglée, qui excusat la trahison, la desloyauté, la tyrannie, la
cruauté, qui sont nos fautes ordinaires. Nous les pouvonspouuōs donqdōq
bienbiē appeller barbares, eu esgard aux regles de la raison, mais non
pas eu esgard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barba-
rie. Leur guerre est toute noble & genereuse, & à autantautāt d’excu
se & de beauté que cette maladie humaine en peut recevoirreceuoir: el-
le n’a autre fondement parmy eux, que la seule jalousieialousie de la
vertu. Ils ne sont pas en debat de la conqueste de nouvellesnouuelles
terres: car ils jouyssentiouyssent encore de cette ubertévberté naturelle, qui les
fournit sans travailtrauail & sans peine, de toutes choses necessaires:,
en telle abondance, qu’ils n’ont que faire d’agrandir leurs li-
mites. Ils sont encore en cet heureux point, de ne desirer qu’au
tant que leurs necessitez naturelles leur ordonnent: tout ce
qui est au delà, est superflu pour eux. Ils s’entr’appellent gene-
ralement, ceux de mesme aage freres: enfans, ceux qui sont au
dessoubs,: & les vieillards, sont peres à tous les autres. Ceux-
cy laissent à leurs heritiers en commun, cette pleine posses-
sion de biens par indivisindiuis, sans autre titre, que celuy tout
pur, que nature donne à ses creatures les produisant au mon-
de. Si leurs voisins passent les montaignesmōtaignes pour les venir assail-
lir, & qu’ils emportent la victoire sur eux, l’acquest du victo-
rieux, c’est la gloire, & l’avantageauantage d’estre demeuré maistre en
valeur & en vertu: car autrement ils n’ont que faire des biens
des vaincus, & s’en retournent à leur pays, où ils n’ont faute
de nulleaucune chose necessaire, ny faute encore de cestte grande par-
tie, de sçavoirsçauoir heureusement jouyriouyr de leur condition, & s’en
contenter. Autant en font ceux-cy à leur tour. Ils ne deman-
dent

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LIVRE PREMIER. 89
dent à leurs prisonniers, autre rançon que la confession, & re-
cognoissance d’estre vaincus: mais il ne s’en trouvetrouue pas unvn en
tout unvn siecle, qui n’ayme mieux la mort, que de relascher, ny
par contenance, ny de parole, unvn seul point d’unevne grandeur de
courage invincibleinuincible.: Iil ne s’en void aucun, qui n’ayme mieux
estre tué & mangé, que de requerir seulementseulemēt de ne l’estre pas.
Ils les traictent en toute liberté, & leur fournissent de toutes
les commoditez, dequoy ils se peuventpeuuēt adviseraduiser,
affin que la vie
leur soit d’autant plus chere: & les entretiennent communé-
ment des menasses de leur mort future, des tourmens qu’ils y
auront à souffrir, des apprests qu’on dresse pour cet effect, du
detranchement de leurs membresmēbres, & du festin qui se fera à leurs
despens. Tout cela se faict pour cette seule fin, d’arracher de
leur bouche quelque parole molle ou rabaissée, ou de leur don-
ner
dō-
ner
envieenuie de s’en fuyr, pour gaigner cet avantageauantage de les avoirauoir
espouvantezespouuantez, & d’avoirauoir faict force à leur vertu & leur constan-
ce
constā-
ce
. Car aussi à le bien prendre, c’est en ce seul point que consistecōsiste
la vraye & solide victoire:
Position : Marge droite uictoria nulla est
Quam quae confessos
animo quoque sub=
iugat hostes.

Les Hongres tresbelliqueux
combatans ne poursuivointpoursuiuoīt
jamaisiamaisjadisiadis leur pointe outre
avoirauoir rendu l’enemi a
sa merci leur merci.
sans meurtre sans rançon
Car en aiant tirearrache cette
confession ils le laissentoint
aller sans offance sans
rançon sauf pour le plus
d’en tirer parole ne de
ne s’armer deslors en avantauant
contre eus. Tous
tous les autres Asses d’avantagesauantages que nous
gaignons Position : Interligne haute nous sur nos ennemis, cequi sont avantagesauantages empruntezemprūtez, ils ne
sontnon pas nostres: cC’est la qualité d’unvn portefaix non de la ver-
tu, d’avoirauoir les bras & les jambesiambes plus roides: c’est unevne qualité
morte & corporelle que la disposition: c’est unvn coup de la for-
tune, de faire broncher nostre ennemy, & de luy faire silleresblouir les
yeux par la lumiere du Soleil: c’est unvn tour d’art & de sciencesciēce, &
qui peut tomber en unevne personne láche & de neantneāt, d’estre suf-
fisant à l’escrime. L’estimation & le pris d’unvn homme, consiste
au coeur & en la volonté: c’est là ou gist son vray honneur: la
vaillance c’est la fermeté, non pas des jambesiambes & des bras, mais
du courage & de l’ame: elle ne consiste pas en la valeur de no-
stre chevalcheual, ny de nos armes, mais en la nostre. Celuy qui tombetōbe
obstiné en son courage,
Position : Marge droite si succiderit, de
genu pugnat.
qQui pour quelque dangier de la mort
voisine, ne relasche aucun point de sa constancecōstance &son asseurance,
Z

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[89v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui regarde encores en rendant l’ame, son ennemy d’unevne veuё
ferme & desdaigneuse, il est battu, non pas de nous, mais de la
fortune, il est vaincu par effect, & non pas par raison: c’est son
mal’heur qu’on peut accuser, non sa lácheté
tue tue non pas vaincuuaincu: les plus vaillans
sont par fois les plus infortunez.
Position : Marge gauche Aussi y a il des pertes
triomphantes a l’envienui
des victoiresuictoires. Ny ces
quatre victoiresuictoires seurs
les plus belles ques le
soleil aye onques veuueu
de ses yeus de Salamine
de Plattees de Mycale de
Sicille osarent onques
opposer toute leur gloire
ensemble a la gloire de
la desconfiture et
perte du Roy Leonidas
& des ses compaignonssiens
au pas des [unclear] Thermopyles.
Qui courut jamaisiamais d’une plus
glorieuse envieenuie et plus ambi=
tieuse au guein d’un combat
que le capiteine Ischolas a
la perte. Qui plus ingenieusemantingenieusemāt
& curieusemant s’est assuré de
son salut que luy de sa ruine:
Il estoit commis a defandre
certein passage du Peloponesse
contre les Arcadiens. Pourquoi
faire se trouvanttrouuant du tout
incapable veuueu la nature
du lieu et inegalite des
forces: et se resolvantresoluant que
tout ce qui se presanteroit aus
ennemis aroit de necessite a y
demurer. D’autre part estimant
indigne et de sa propre vertuuertu et
magnanimite, & deu la nom
Lacedemonien de faillir a sa
charge: il print entre ces
deus extremitez un moien
parti, de telle sorte. Les plus
jeunesieunes et dispos de sa trope il
les conservaconserua a la tuition et
serviceseruice de leur païs: & les y
renvoiarenuoia: et aveqaueq ceus desquels
le defaut estointt moindre, il
delibera de soutenir ce pas: &
par leur mort en faire acheter
aus enemis l’entree la
plus chere qu’il luy
seroit possible. Come il
advintaduint: cCar estant tantost
environeenuirone de toutes pars par les
Arcadiens: apres en avoirauoir
faict une grande boucherie:
luy et les siens furent tous
mis au fil de l’espee. Etst il
quelque trophee assigne pour
les veincursueincurs qui ne soit mieus
deu a ces veincusueincus. Le vraiurai
veincre ha pour son rolle cle combattrel’estourlestour non pas l’eschaperle salut et ne consiste pas l’honur de la vertuuertu a combattre non a battre.
Pour revenirreuenir à nostre histoi-
re, il s’en faut tant que ces prisonniers se rendent, pour tout ce
qu’on leur fait, qu’au rebours pendant ces deux ou trois mois
qu’on les garde, ils portent unevne contenance gaye, ils pressent
leurs maistres de se haster de les mettre en cette espreuveespreuue, ils
les deffient, les injurientiniurient, leur reprochent leur lácheté, & le nom-
bre
nō-
bre
des batailles perduёs contre les leurs. JI’ay unevne chanson fai-
cte par unvn prisonnier, où il y à ce traict: qu’ils viennent hardi-
ment trétous & s’assemblent pour disner de luy, car ils man-
geront quant & quantquāt leurs peres & leurs ayeux, qui ont servyseruy
d’aliment & de nourriture à son corps: ces muscles, dit-il, cet-
te cher & ces veines, ce sont les vostres, pauvrespauures fols que vous
estes: vous ne recognoissez pas que la substance des mem-
bres de vos ancestres s’y tient encore: savourezsauourez les bien, vous
y trouvereztrouuerez le goust de vostre propre chair: inventioninuention, qui
ne sent aucunement la barbarie. Ceux qui les peignent mou-
rans, & qui representent cette action quand on les assomme,
ils peignent le prisonnier, crachant au visage de ceux qui le
tuent, & leur faisant la mouё. De vray ils ne cessent jusquesiusques au
dernier souspir, de les braverbrauer & deffier de parole & de conte-
nance. Sans mentir, au pris de nous, voila des hommeshōmes bien sau-
vages
sau-
uages
: car où il faut qu’ils le soyent bien à bon escient, ou que
nous le soyons: il y a unevne merveilleusemerueilleuse distance entre leur con-
stancestāceforme & la nostre. Les hommeshōmes y ont plusieurs femmes, & en ont
d’autant plus grand nombre, qu’ils sont en meilleure reputa-
tion de vaillance: c’est unevne beauté remerquable en leurs maria-
ges, que la mesme jalousieialousie que nos femmes ont pour nous
empescher de l’amitié & bien-veuillance d’autres femmes, les

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LIVRE PREMIER. 90
leurs l’ont toute pareille pour la leur acquerir. Estans plus soi-
gneuses de l’honneur de leurs maris, que de toute autre chose,
elles cherchent & mettentmettēt leur solicitude à avoirauoir le plus de con-
paignes
cō-
paignes
qu’elles peuventpeuuent, d’autant que c’est unvn tesmoignage de
la vertu du mary.
Position : Marge droite Ce n’est nullementLes nostres crieront au miracle
ce me diront les nostresne l’est pas: c’est
une vertuuertu proprement matri=
moniale: mais du plus haut
estage. Et en la Bible Lia
Rachel Sara et les fames
de JacopIacop fournirent leurs
belles servantesseruantes a leurs maris et
LiviaLiuia seconda les appetits
d’Auguste, jusquesiusques a son
interest: et la fame du Roy
DejotarusDeiotarus Stratonique presta
non sulemant a l’usage de
son mari une fort belle
juneiune fille de chambre qui
la servoitseruoit mais les n en
nourrist souigneusement les
enfans & leur fit espaule
a succeder aaus lestats de leur
pere.
Et afin qu’on ne pense point que tout cecy
se face par unevne simple & servileseruile obligationobligatiō à leur usancevsance, & par
l’impression de l’authorité de leur ancienne coustume, sans
discours & sans jugementiugement, & pour avoirauoir l’ame si stupide, que
de ne pouvoirpouuoir prendre autre party, il faut alleguer quelques
traits de leur suffisance. Outre celuy que jeie vien de reciter de
l’unevne de leurs chansonschāsons guerrieres, ji’en ay unvn’autre amoureuse,
qui commence en ce sens: CcouleuvreCcouleuure arreste toy, arreste toy
couleuvrecouleuure, afin que ma soeur tire sur le patron de ta peinture,
la façon & l’ouvrageouurage d’unvn riche cordon, que jeie puisse donnerdōner à
m’amie: ainsi soit en tout tempstēps ta beauté & ta dispositiondispositiō prefe-
rée à tous les autres serpens: ce premier couplet c’est le refrein
de la chanson.: or ji’ay assez de commerce avecauec la poёsie pour
jugeriuger cecy, que non seulement il n’y à rien de barbarie en cet-
te imaginationimaginatiō, mais qu’elle est tout à fait Anacreontique. Leur
langage au demeurant, c’est le plusun doux langage du monde,
& qui à le son le plustres aggreable à l’oreille, il retireantāt[Note (Montaigne) : retirant] fortretirant aux ter-
minaisons Grecques. Trois d’entre eux, ignorans combiencōbien cou-
tera unvn jouriour à leur repos, & à leur bon heur, la connoissancecōnoissance des
corruptions de deçà, & que de ce commerce naistra leur ruy-
ne, comme jeie presuppose qu’elle soit desjadesia avancéeauancée, bien mise-
rables de s’estre laissez piper au desir de la nouvelleténouuelleté, & avoirauoir
quitté la douceur de leur ciel, pour venir voir le nostre, furent
à RoüanRoüā, du temps que le feu Roy Charles neufiesme y estoit:
le Roy parla à eux long temps, on leur fit voir nostre façon,
nostre pompe, la forme d’unevne belle ville: apres cela, quelqu’unvn
en demanda leur advisaduis, & voulut sçavoirsçauoir d’eux, ce qu’ils y
avoientauoient trouvétrouué de plus admirable: ils respondirent trois cho-
Z ij

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[90v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ses, d’où ji’ay perdu la troisiesme, & en suis bien marry, mais
ji’en ay encore deux en memoire. Ils dirent qu’ils trouvoienttrouuoiēt en
premier lieu fort estrange, que tant de grands hommes por-
tans barbe, forts & armez, qui estoient autour du Roy (il est
vray-semblable que ils parloient des Suisses de sa garde) se
soubs-missent à obeyr à unvn enfant, & qu’on ne choisissoit plus
tost quelqu’unvn d’entr’eux pour commander: Ssecondement
(ils ont unevne façon de leur langage, telle, qu’ils nomment les
hommeshōmes, moitié les unsvns des autres) qu’ils avoyentauoyent aperçeu qu’il
y avoitauoit parmy nous des hommes pleins & gorgez, de toutes
sortes de commoditezcōmoditez, & bien souls, & que leurs moitiez estoient
mendians à leurs portes, décharnez de faim & de pauvretépauureté, &
trouvoienttrouuoient estrangeestrāge comme ces moitiez icy necessiteuses pou-
voient
pou-
uoient
souffrir unevne telle injusticeiniustice, qu’ils ne prinsent les autres
à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons. JeIe parlay à l’unvn
d’eux fort long temps, mais jiavoisauois unvn truchement qui me
suyvoitsuyuoit si mal, & qui estoit si empesché à recevoirreceuoir mes ima-
ginations par sa bestise, que jeie n’en peus tirer guiere de plaisir.
Sur ce que jeie luy demandaydemāday quel fruit il recevoitreceuoit de la superio-
rité qu’il avoitauoit parmy les siens (car c’estoit unvn Capitaine, &
nos matelots le nommoient Roy) il me dict, que c’estoit mar-
cher le premier à la guerre: de combiencombiē d’hommes il estoit suy-
vy
suy-
uy
, il me montra unevne espace de lieu, pour signifier que c’estoit
autant qu’il en pourroit en unevne telle espace, ce pouvoitpouuoit estre
quatre ou cinq mille hommes: si hors la guerre toute son au-
thorité estoit expirée, il dict qu’il luy en restoit cela, que quandquād
il visitoit les vilages qui dépendoient de luy, on luy dressoit
des sentiers au traverstrauers des hayes de leurs bois, par où il peut
passer bien à l’aise. Tout cela ne va pas trop mal: mais quoy, ils
ne portent point de haut de chausses.


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LIVRE PREMIER. 91


Qu’il faut sobrement se mesler de jugeriuger des ordonnances
divinesdiuines.
CHAP. XXXII.


 
LE vray champ & subjectsubiect de l’imposture, sont les cho-
ses inconnuës,. dD’autant qu’en premier lieu l’estrange-
estrāge-
mesme donne credit,: & puis n’estant point subie-
ctes à nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de
les combatre,
Position : Marge droite Et . A cette cause dict
Platon est il bien plus
aise de satisfaire parlant
de la nature des dieus
que de la nature des hommes
d’autantpar cause ce que l’ignorance
ouvreouure une belle et facile
carriere
des auditeurs preste
une belle et large carriere
et toute liberte au maniement
d’une matiere inconueinconue cachee.
Il advientaduient de la
d’où il advientaduiēt qu’il n’est rien creu si fermementfermemēt,
que ce qu’on sçait le moins,: ny gens si asseurez, que ceux qui
nous content des fables,: comme Alchimistes, Prognosti-
queurs, JudiciairesIudiciaires, Chiromantiens, Medecins, id genus omne.
Ausquels jeie joindroisioindrois volontiers, si ji’osois, unvn tas de gens, in-
terpretes & contrerolleurs ordinaires des dessains de Dieu,
faisans estat de trouvertrouuer les causes de chaque accident, & de
veoir dans les secrets de la volonté divinediuine, les motifs incom-
prehensibles de ses operationsoeuvresoeuures, & quoy que la varieté & dis-
cordance continuelle des evenemenseuenemens les rejettereiette de coin en
coin, & d’orient en occident, ils ne laissent de suivresuiure pourtant
leur esteuf, & de mesme creon peindre le blanc & le noir. En
unevne nation IndienneIndiēne, il y à cette loüable observanceobseruance, quand il
leur mes-advientaduient en quelque rencontre ou bataille, ils en de-
mandent publiquement pardon au Soleil, qui est leur Dieu:
comme d’unevne action injusteiniuste, raportant leur heur ou malheur
à la raison divinediuine, & luy submettantsubmettāt leur JugementIugemēt & discours.
Suffit à unvn Chrestien croire toutes choses venir de Dieu, les
recevoirreceuoir avecauec reconnoissance de sa divinediuine & inscrutable sa-
pience, pourtant les prendre en bonne part, en quelque visa-
ge qu’elles luy soient envoyeesenuoyees. Mais jeie trouvetrouue mauvaismauuais
ce que jeie voy en usagevsage, de chercher à fermir & appuyer
nostre religion par le bon-heur & prosperité de nos entrepri-
ses. Nostre creance à assez d’autres fondemens, sans l’authori-
ser par les evenemenseuenemens: car le peuple accoustumé à ces argu-
Z iij

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[91v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mens plausibles & proprement de son goust, il est dangier,
quand les evenemenseuenemens viennent à leur tour contraires & des-
avantageux
des-
auantageux
, qu’il en esbranle sa foy:. cComme aux guerres ou
nous sommes pour la religion, ceux qui eurenteurēt l’advantageaduantage au
rencontre de la Rochelabeille, faisans grand feste de cet acci-
dent, & se servansseruans de cette fortune, pour certaine approbationapprobatiō
de leur party:, quand ils viennent apres à excuser leurs defor-
tunes de Mont-contour & de JarnacIarnac, surce que ce sont ver-
ges & chastiemens paternels, s’ils n’ont unvn peuple du tout à
leur mercy, ils luy font assez aisément sentir que c’est prendre
d’unvn sac deux mouldures, & de mesme bouche souffler le
chaud & le froid. Il vaudroit mieux l’entretenirētretenir des vrays fon-
demens de la verité. C’est unevne belle bataille navalenauale qui s’est
gaignée ces mois passez contre les Turcs, soubs la conduitecōduite de
don JoanIoan d’Austria, mais il à bien pleu à Dieu en faire autres-
fois voir d’autres telles à nos despens. Somme, il est mal-aysé
de ramener les choses divinesdiuines à nostre balancebalāce, qu’elles n’y souf-
frent du deschet. Et qui voudroit rendre raison de ce que Ar-
rius & Leon son Pape, chefs principaux de cette heresie, mou-
rurent en diversdiuers temps de mors si pareilles & si estranges (car
retirez de la dispute par douleur de ventrevētre à la garderobe, tous
deux y rendirent subitement l’ame) & exagerer cette vengean-
ce
vengeā-
ce
divinediuine par la circonstance du lieu, y pourroit bien encore
adjousteradiouster la mort de Heliogabalus, qui fut aussi tué en unvn re-
traict. Mais quoy? Irenée se trouvetrouue engagé en mesme fortu-
ne.
Position : Marge gauche Dieu nous voulantuoulant
apprandre que les bons
ont autre chose a
esperer & les mauvesmauues
autre chose a creindre
que les fortunes et ou
infortunes de ce monde
il les manie et appli=
que selon sa raisondisposition
occulte et impenetrablenous oste le moïen
d’en faire sottement nostre profit.

Et se moquent ceus qui sen veulentueulent prevaloirpreualoir
selon l’humaine raison Ils n’en donent jamaisiamais
unevne touche a leur adversereaduersere qu’ils n’en reçoiventreçoiuent deus
non celuy qui a plus de raison mais celuy qui a plus
de memoire y gaigne sa cause
. S. Augustin en faict
sentir une belle preuvepreuue asur ses adverseresaduerseres. C’est un conflict
qui se decide par les armes de la memoire plus que par
celles de la raison.
Il se faut contenter de la lumiere qu’il plait au Soleil nous
communiquer par ses rayonsrayōs, & qui esleveraesleuera ses yeux pour en
prendre unevne plus grande dans son corps mesme, qu’il ne trou-
ve
trou-
ue
pas estrange, si pour la peine de son outrecuidance il y perd
la veüe.
Position : Interligne basse Quis hominum potest scire consilium dei: aut quis poterit cogitare quid
uelit dominus?
Ou la veueueue de son entandemant pour come il avintauīt a Anaxagoras pour trop
hautemant vouloiruouloir penetrer les choses celestes


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LIVRE PREMIER. 92


De fuir les voluptez au pris de la vie.
CHAP. XXXIII.


 
JI’AVOIS bien veu convenirconuenir en cecy la pluspart des an-
ciennes opinions: qu’il est heure de mourir lors qu’il y
à plus de mal que de bien à vivreviure, & que de conserverconseruer
nostre vie à nostre tourment & incommodité, c’est choquer
les reiglesloix mesmes de nature, comme disent ces vieilles
regles,
ζήνζῆν αλύπωϛἀλύπωϛ, θανεῖν ἐυδαιμόνωϛεὐδαιμόνωϛ
ΚαλόνΚαλὸν θνήσκεινθνῄσκειν ὁιϛοἱϛ ῦβρινὕβριν τὸ ζῆν φὲρειφέρει
Κρεῖσσον τὸ μημὴ ζῆν ε῀στὶνἐστὶν ζηνζῆν αθλίωϛἀθλίωϛ

mais de pousser le mespris de la mort jusquesiusques à tel degré, que
de l’employer pour se distraire des honneurs, richesses, gran-
deurs, & autres faveursfaueurs & biens que nous appellons de la for-
tune, commecōme si la raison n’avoitauoit pas assez affaire à nous persua-
der de les abandonner, sans y adjouteradiouter cette nouvellenouuelle rechar-
ge, jeie ne l’avoisauois veu ny commander, ny pratiquer, jusquesiusques lors
que ce passage de Seneca me tomba entre mains, auquel con-
seillant à Lucilius personnage puissant & de grande authori-
té autour de l’Empereur, de changer cette vie voluptueuse &
tumultuairepompeuse, & de se retirer de cette presseambition du monde, à quel-
que vie solitaire, tranquille & philosophique: surquoy Luci-
lius alleguoit quelques difficultez: JeIe suis d’advizaduiz (dict-il) que
tu quites cette vie la, où la vie tout à faict: bien te conseille-jeie
de suivresuiure la plus douce voye, & de destacher plustost que de
romprerōpre ce que tu as mal noüé, pourveupourueu que s’il ne se peut autre-
ment destacher, tu le rompes. Il n’y à homme si coüard qui
n’ayme mieux tomber unevne fois, que de demeurer tousjourstousiours
en branle. JI’eusse trouvétrouué ce conseil sortable à la rudesse Stoï-
que: mais il est plus estrange qu’il soit emprunté d’Epicurus,
qui escrit à ce propos, choses toutes pareilles à Idomeneus. Si

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[92v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
est-ce que jeie pense avoirauoir remarqué quelque traict semblable
parmy nos gens, mais avecauec la moderation Chrestienne. S.Hi-
laire EvesqueEuesque de Poitiers, ce fameux ennemy de l’heresie Ar-
riene, estant en Syrie fut advertiaduerti, qu’Abra sa fille uniquevnique, qu’il
avoitauoit laissée pardeça avecquesauecques sa mere, estoit poursuyviepoursuyuie en
mariage par les plus apparens Seigneurs du païs, comme fille
tres-bien nourrie, belle, riche, & en la fleur de son aage: il luy
escrivitescriuit (comme nous voyons) qu’elle ostat son affection de
tous ces plaisirs & advantagesaduantages, qu’on luy presentoit: qu’il luy
avoitauoit trouvétrouué en son voyage unvn party bien plus grand & plus
digne, d’unvn mary de bien autre pouvoirpouuoir & magnificence, qui
luy feroit presens de robes & de joyauxioyaux de pris inestimable:.
sSon dessein estoit de luy faire perdre le goust’appetit & l’usagevsage des
plaisirs mondainsmōdains, pour la joindreioindre toute à Dieu: mais à cela, le
plus court & plus certain moyen luy semblant estre la mort
de sa fille, il ne cessa par veux, prieres, & oraisons, de faire re-
queste à Dieu de l’oster de ce monde, & de l’appeller à soy:
comme il advintaduint: car bien-tost apres son retour, elle luy mou-
rut, dequoy il monstra unevne singuliere allegressejoyeioye. Cettuy-cy
semble encherir sur les autres, de ce qu’il s’adresse à ce moyen
de prime face, lequel ils ne prennentprēnent que subsidierementsubsidieremēt: & puis
que c’est à l’endroit de sa fille uniquevnique. Mais jeie ne veux obmet-
tre le bout de cette histoire, encore qu’il ne soit pas de mon
propos. La femme de Sainct Hilaire ayant entendu par luy,
comme la mort de leur fille s’estoit conduite par son dessein
& volonté, & combien elle avoitauoit plus d’heur d’estre deslogée
de ce monde, que d’y estre, print unevne si viveviue apprehension de
la beatitude eternelle & celeste, qu’elle solicita son mary avecauec
extreme instance, d’en faire autant pour elle. Et Dieu à leurs
prieres communes, l’ayant retirée à soy bienbiē tost apres, il nece fut
jamaisiamaisune mort embrassée avecauec si grandsingulier contentement., commun.
La


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LIVRE PREMIER. 93


La fortune se rencontre souventsouuent au train de la raison.
CHAP. XXXIIII.


L’INCONSTANCE du branslebrāsle diversdiuers de la fortune, fait
qu’elle nous doivedoiue presenter toute espece de visages,:
y à il action de justiceiustice plus expresse que celle icy? Le
Duc de Valentinois ayant resolu d’empoisonner Adrian Car-
dinal de Cornete, chez qui le Pape Alexandre sixiesme son
pere, & luy alloyent souper au Vatican, envoyaenuoya devantdeuant, quel-
que bouteille de vin empoisonné, & commanda au somme-
lier qu’il la gardast bien soigneusement: le Pape y estant arri-
arri-
avantauant le fils, & ayant demandé à boire, ce sommelier, qui
pensoit ce vin ne luy avoirauoir esté recommandé que pour sa bon-
bō-
, en servitseruit au Pape,: & le Duc mesme y arrivantarriuant sur le point
de la collation, & se fiant qu’on n’auroit pas touché à sa bou-
teille, en prit à son tour,: en maniere que le pere en mourut
soudain, & le fils apres avoirauoir esté longuement tourmenté de
maladie, fut reservéreserué à unvn’autre pire fortune. Quelquefois il
semble à point nommé qu’elle se joüeioüe à nous: le Seigneur
d’Estrée, lors guidonguidō de MonsieurMōsieur de Vandome, & le Seigneur
de Liques Lieutenant de la compagnie du Duc d’Ascot, estansestās
tous deux serviteursseruiteurs de la soeur du Sieur de Foungueselles,
quoy que de diversdiuers partis (comme il advientaduient aux voisins de la
frontiere) le Sieur de Licques l’emporta: mais le mesme jouriour
des nopces, & qui pis est, avantauant le coucher, le marié ayant en-
vie
en-
uie
de rompre unvn bois en faveurfaueur de sa nouvellenouuelle espouse, sortit
à l’escarmouche pres de Sainct Omer, où le sieur d’Estrée se
trouvanttrouuāt le plus fort, le feit son prisonnier,: & pour faire valoir
son advantageaduantage, encore fausit il que la Damoiselle,
Coniugis ante coacta noui dimittere collum,
Quam veniens vna atque altera rursus hyems
Noctibus in longis auidum saturasset amorem,

Aa

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[93v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
luy fit elle mesme requeste par courtoisie de luy rendre son
prisonnier: comme il fist, la noblesse Françoise, ne refusant ja-
mais
ia-
mais
rien aux Dames.
Position : Marge droite Semble il pas que
ce soit un sort
artiste. Constantin
filx de Heleine fonda
l’Empire de Constanti=
nople et tant de siecles
apres constantin filx
d’Heleine le finit.
Quelque fois il luy plait envierenuier sur nos
miracles: nous tenons que le Roy Clouis assiegeant Angou-
lesme, les murailles cheurent d’elles mesmes par faveurfaueur divi-
ne
diui-
ne
: &Et Bouchet emprunte de quelqu’autheur, que le Roy Ro-
bert assiegeant unevne ville, & s’estant desrobé du siege, pour al-
ler à Orleans solemnizer la feste Sainct Aignan, comme il e-
stoit en devotiondeuotion, sur certain point de la messe, les murailles
de la ville assiegée, s’en allerent sans aucun effort en ruine. Elle
fit tout à contrepoil en nos guerres de Milan: car le Capitai-
ne Rense assiegeant pour nous la ville d’Eronne, & ayant fait
mettre la mine soubs unvn grand pan de mur, & le mur en estantestāt
brusquement enlevéenleué hors de terre, recheut toutes-fois tout
empanné, si droit dans son fondement, que les assiegez n’en
vausirent pas moins. Quelquefois elle faict la medecine. Ja-
son
Ia-
son
Phereus estant abandonné des medecins, pour unevne apo-
stume, qu’il avoitauoit dans la poitrine, ayant envieenuie de s’en défaire,
au moins par la mort, se jettaietta en unevne bataille à corps perdu
dans la presse des ennemis, où il fut blessé à traverstrauers le corps, si
à point, que son apostume en crevacreua, & guerit. Surpassa elle pas
le peintre Protogenes en la science de son art? Cettuy-cy estoit peintre,
& ayant parfaict l’image d’unvn chien las, & recreu, à son conten-
tement
cōten-
tement
en toutes les autres parties, mais ne pouvantpouuant represen-
ter à son gré l’escume & la bavebaue, despité contre sa beson-
gne, prit son esponge, & comme elle estoit abreuvéeabreuuée de
diversesdiuerses peintures, la jettaietta contre, pour tout effacer: la
fortune porta tout à pointpropos le coup à l’endroit de la bouche
du chien, & y parfournit ce à quoy l’art n’avoitauoit peu attaindre.
N’adresse elle pas quelquefois nos conseils & les corrige? Isa-
bel Royne d’Angleterre ayant à repasser de Zelande en son
Royaume, avecauec unevne armée en faveurfaueur de son fils contre son

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LIVRE PREMIER. 94
mary, estoit perdue, si elle fut arrivéearriuée au port qu’elle avoitauoit
projetéproieté, y estant attendue par ses ennemis: mais la fortune la
jettaietta contre son vouloir ailleurs, où elle print terre en toute
seurté. Et cet ancien qui ruant la pierre à unvn chien en assena
& tua sa marastre, eust il pas raison de prononcer ce vers,
ΤαυτόματονΤαὐτόματον ἡμῶν καλλίω βουλέυεταιβουλεύεται.,
Lla fortune à meilleur advisaduis que nous.
Position : Marge droite Icetes avoitauoit prattiqué deux soldats, pour tuer Timoleon,
sejournantseiournant a Adrane en la Sicille. Ils prindrent heure sur le
point qu’il fairoit quelque sacrifice: et se meslans parmi la
multitude, come ils se guignoint l’unlun l’autrelautre que l’occasionloccasion estoit
propre a leur besouigne: voicyuoicy un tiers qui d’un grand coup d’espeedespee
en assene l’unlun par la teste et le rue mort par terre: &
s’en fuit. Le compaignon se
tenant pour decouvertdecouuert &
perdu, recourut a l’autellautel
requerant franchise, aveqaueq
promesse de dire toute la
veriteuerite. Ainsi qu’il faisoit
le conte de la conjurationconiuration
voicyuoicy le tiers qui avoitauoit esté
atrapé, lequel come murtrier
le peuple poss pousse et saboule
au traverstrauers de la presse versuers
Timoleon et les plus apparents
de l’assambleelassamblee. La il crie
merci: et dict avoirauoir juste=
ment
iuste=
ment
tue le murtrier’assassin de son
pere: verifiantuerifiant sur le champ
par des tesmoins que son
bon sort luy fournit tout
a propos, qu’en la villeuille des
Leontins son pere de vrayuray
avoitauoit este tue par celuy
sur lequel il s’estoit vangéuangé.
On luy ordona dix mines
Attiques pour avoirauoir eu
cet heur prenant raison
de la mort de son pere
d’avoirauoir retire de mort le
pere commun des Siciliens.
cette fortune surpasse
en reglement les regles de
l’humaine prudance.
Pour la fin. En ce faict
icy, se descouvredescouure il pas unevne bien expresse application de sa fa-
veur
fa-
ueur
, de bonté & pieté singuliere.: Ignatius Pere & fils, pros-
cripts par les Triumuirs à Romme, se resolurentresolurēt à ce genereux
office, de rendre leurs vies, entre les mains l’unvn de l’autre, & en
frustrer la cruauté des Tyrans,: ils se coururent sus, l’espee au
poing: elle en dressa les pointes, & en fit deux coups esgalle-
ment mortels:, & donna à l’honneurhōneur d’unevne si belle amitié, qu’ils
eussent justementiustement la force de retirer encore des playes, leurs
bras sanglants & armés, pour s’entrembrasser en cet estat,: d’u-
ne
v-
ne
si forte estrainte, que les bourreaux coupaerent ensemble
leurs deux testes, laissant les corps tousjourstousiours pris en ce noble
neud, & les playes jointesiointes, humant amoureusement, le sang &
les restes de la vie, l’unevne de l’autre.


D’unvn defaut de nos polices.
CHAP. XXXV.


 
FEUFEV mon pere, homme pour n’estre aydé que de l’ex-
perience & du naturel, d’unvn jugementiugement bien net, m’a
dict autrefois, qu’es commandemens qui luy estoyentestoyēt
tombez en main
, il avoitauoit desiré de mettre en train, qu’il y eust
es villesuilles certain lieu designé, auquel ceux qui eussentaroint besoin de quel-
que chose, se peussent rendre, & faire enregistrer leur affaire, à
unvn officier estably pour cet effect: comme,:
Position : Marge droite jeie cherche a
vandreuandre
des perles, jeie cherche
des perles a
vendreuendre:
tel chercheveutueut com-
pagnie pour aller à Paris, tel cherche s’enquiert d’unvn serviteurseruiteur de telle qua-
lité, tel cherche d’unvn maistre, tel demande unvn ouvrierouurier,: qui cecy,
Aa ij

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[94v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui cela, chacun selon son besoing. Et semble que ce moyen
de nous entr’advertiraduertir, apporteroit non legiere commodité au
commerce publique: car à tous coups, il y à des conditionsconditiōs,
qui s’entrecherchent: & pour ne se pouvoirpouuoir rencontrers’entr’entendre, lais-
sent les hommes en extreme necessite. JI’entens, avecauec unevne gran-
de
grā-
de
hontehōte de nostre siecle, qu’à nostre veüe, deux tres-excellens
personnages en sçavoirsçauoir, sont morts en estat de n’avoirauoir pas
leur soul à manger: Eilius Gregorius Giraldus en Italie, &
Sebastianus Castalio en Allemagne: & croy qu’il y à mil’hom-
mes
hō-
mes
qui les eussent appellez avecauec tres-advantageusesaduantageuses condi-
tions, Position : Interligne haute ou secourus ouou leurils estoint s’ils l’eussent sçeu. Le monde n’est pas si generalement
corrompu, que jeie ne sçache tel homme, qui souhaiteroit de
bien grande affection, que les moyens que les sienssiēs luy ont mis
en main, se peussent employer tant qu’il plaira à la fortune,
qu’il en joüisseioüisse, à mettre à l’abry de la necessité, les personna-
ges rares & remarquables en quelque forteespece de valeur, que le
mal’heur combat quelquefois jusquesiusques à l’extremité: & qui
les mettroiintmettroiīt pour le moins en tel estat, qu’il ne tiendroit qu’à
faute de bon discours, s’ils n’estoyent contens.
Position : Marge gauche En la police oeco=
nomique ilmon pere avoitauoit
cet ordre que jeie sçai
louer mais nullemant
ensuivreensuiure. C’est qu’outre
le registre des negoces
du mesnage ou se logent
les menus contes paiemanspaiemās
marchez qui ne requi=
erent la main du notere
celuy de ses gens qui
servoitseruoit a escrire
le
quel registre un
ReceveurReceueur a en charge
il ordonoit a celuy de
ses gens qui luy servoitseruoit
à escrire un papier
journaliournal a inserer toutes
les survenancessuruenances de
quelque remarque jouriour
& jouriour par jouriour les me=
moires de l’histoire de sa
maison: tresplesante a
veoir quand le temps comançoitce
à en effacer la souvenancesouuenance et tresapropos
tresutille apour nous oster souvantsouuant
de peine. Quant fut comanceeentamee
telle besouigne quand acheveeacheuee.
quels treins y ont passe.
combien arreste. Nos
voiages nos absances.
Mariages. Mors. La
reception des hureuses
ou malancontreusesmalancōtreuses
nouvellesnouuelles. Changemant
des servitursseruiturs principaus.
telles matieres.
UsageVsage antien que jeie
treuvetreuue bon dea refreschir
chacun en sa chacuniere
& me treuvetreuue un sot d’y
avoirauoir failli.


De l’usagevsage de se vestir.
CHAP. XXXVI.


 
OUOV que jeie vueille donner, il me faut forcer quelque
barriere de la coustume, tant ell’a soigneusementsoigneusemēt bri-
dé toutes nos avenuesauenues. JeIe devisoydeuisoy en cette saison fri-
leuse, si la façon d’aller tout nud de ces nations derniere-
ment trouvéestrouuées, est unevne façon forcée par la chaude tempera-
ture de l’air, comme nous disons des Indiens, & des Mores,
ou si c’est loriginele des hommeshōmes. Les gens d’entendement, d’au-
tant que tout ce qui est soubs le ciel, comme dit la saincte
parole, est subjectsubiect à mesmes loix, ont accoustumé en pa-
reilles considerations à celles icy, où il faut distinguer les loix

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LIVRE PREMIER. 95
naturelles des controuvéescōtrouuées, de recourir à la generalle police du
monde, où il n’y peut avoirauoir rien de contrefaict. Or tout estantestāt
exactement fourny ailleurs de filet & d’éguille, pour mainte-
nir son estre, il est à la verité mécreable, que nous soyons seuls
produits en estat deffectueux & indigent, & en estat qui ne se
puisse maintenir sans secours estrangier. Ainsi jeie tiens que com-
me
cō-
me
les plantes, arbres, animaux & tout ce qui vit, se treuvetreuue na-
turellement equippé de suffisante couverturecouuerture, pour se deffen-
dre de l’injureiniure du temps,
Proptereáque ferè res omnes, aut corio sunt,
Aut seta, aut conchis, aut callo, aut cortice tectae,

aussi estions nous: mais comme ceux, qui esteignent par arti-
ficielle lumiere celle du jouriour, nous avonsauons esteint & estouffé
nos propres moyens, par les moyens empruntez & estrangiersestrāgiers.
Et est aisé à voir que c’est la coustume qui nous faict impossi-
ble ce qui ne l’est pas: car de ces nations, qui n’ont aucune con-
noissance
cō-
noissance
de vestemens, il s’en trouvetrouue d’assises environenuiron soubs
mesme ciel, que le nostre: & puis la plus delicate partie de
nous est celle, qui se tient tousjourstousiours descouvertedescouuerte.
Position : Marge droite
: les yeus la bouche
le nez les oreilles:
aA nos contadins comme
a nos ayeuls la partie
pectoralle et le ventreuentre.
Si nous fus-
sions nez avecauec condition de cotillons & de greguesques, il ne
faut faire doubte, que nature n’eust armé d’unevne peau plus es-
poisse ce qu’elle eust abandonné à la baterie des saisons, com-
me elle à garnyfaict le bout des doigts & plante des pieds.
Position : Marge droite Pour tant[unclear]quoi semble il
difficile a croire. Et tr Entre
ma façon d’estre vestuuestu et
celle d’un paisan de mon païs
jeie treuvetreuue bien plus de differance
distance qu’il n’y a de sa façon
a un home mal qui n’est vestuuestu que
de sa peau. Combien d’homes
et en Turquie surtout vontuont
nuds par devotiondeuotion
JeIe ne
sçay qui, demandoit à unvn de nos gueux, qu’il voyoit en che-
mise en plain hyverhyuer, aussi scarrebillat que tel qui se tienttiēt aemmi-
toné dans les martes jusquesiusques aux oreilles, comme il pouvoitpouuoit
avoirauoir patience. Et vous monsieur, responditrespōdit-il, vous avezauez bien
la face descouvertedescouuerte, or moy jeie suis tout face. Les Italiens con-
tent du fol du Duc de Florence, ce me semble, que son mai-
stre s’enquerant comment ainsi mal vestu, il pouvoitpouuoit porter le
froid, à quoy il estoit bien empesché luy-mesme: suivezsuiuez dict-
il, ma recepte de charger sur vous tous vos accoustremens,
Aa iij

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[95v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
comme jeie fay les miens, vous n’en souffrirez non plus que
moy. Le Roy Massinissa jusquesiusques à l’extreme vieillesse, ne peut
estre induit à aller la teste couvertecouuerte par froid, orage, & pluye
qu’il fit,
Position : Marge gauche ce qu’on dict aussi de
l’Emperur SeverusSeuerus, Aus
batailles donees entre les
AEgiptiens et les Perses Herodote
dit avoirauoir este m remarque et
par d’autres & par luy mesme que
de ceus qui y demuroint mors le
test des testes estoit sans comparaison
plus fo dur aus AEgiptiens qu’ausquaus
Persieness et que laà raison estoitque ceus icy
que les PersiensPerses portent leur testes
tousjourstousiours couvertescouuertes de beguins & puis
de turbans les AEgiptiensceus la rases des
l’enfance & descouvertesdescouuertes.
& le Roy Agesilaus observaobserua jusquesiusques à sa decrepitude,
de porter pareille vesture en hyverhyuer qu’en esté. Caesar, dict Sue-
tone, marchoit tousjourstousiours devantdeuant sa troupe, & le plus souventsouuent
à pied, la teste descouvertedescouuerte, soit qu’il fit Soleil, ou qu’il pleut,
& autant en dict on de Hannibal.,
tum vertice nudo
Excipere insanos imbres, caelique ruinam.

Position : Marge gauche Un venitienuenitien qui s’y est tenu
longtemps & qui ne faict
que d’en veniruenir escrit
qu’au Royaume du
Pegu les autres parties
du cors vestuesuestues les
homes et les fames vontuōt
marchentmarchēt tousjourstousiours les
pieds nuds et les portentportēt
de mesme dans les estriefs
à chevalcheual. Et Platon
conseille merveilleusemantmerueilleusemāt
pour la santesāte de tout le corps
de ne doner aus pieds
& à la teste autre couverturecouuerture
que celle que naturanature y yy a
voluuolu mise

Celuy que les Polonnois ont choisi pour leur Roy, apres le
nostre, qui est à la verité unvn des plus grands Princes de nostre
siecle, ne porte jamaisiamais gans, ny ne changechāge pour hyverhyuer & temps
qu’il face, le mesme bonnet qu’il porte au couvertcouuert. Comme jeie
ne puis souffrir d’aller desboutonnédesboutōné & destaché, les laboureurs
de mon voisinage, se sentiroient entravezentrauez de l’estre. Varro
dicttient, que quand on ordonna que nous tinsions la teste des-
couverte
des-
couuerte
, en presence des Dieux, ou du Magistrat, on le fit
plus pour nostre santé, & nous fermir contre les injuresiniures du
temps, que pour compte de la reverencereuerence. Et puis que nous
sommes sur le froid, & François accoustumez à nous biguar-
rer, (non pas moy, car jeie ne m’habille guiere, que de noir ou
de blanc, à l’imitation de mon pere,) adjoustonsadioustons d’unevne autre
piece: que le Capitaine Martin du Bellay dict, au voyage de
Luxembourg, avoirauoir veu les gelées si aspres, que le vin de la
munition se coupoit à coups de hache & de coignée, se debi-
toit aux soldats par poix, & qu’ils l’emportoient dans des pa-
niers: & OvideOuide à deux doigts prez.,
Nudáque consistunt formam seruantia testae
Vina, nec hausta meri, sed data frusta bibunt.

Les gelées sont si aspres en l’emboucheure des Palus Maeotides,
qu’en la mesme place ou le Lieutenant de Mithridates avoitauoit

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LIVRE PREMIER. 96
livréliuré bataille aux ennemis à pied sec, & les y avoitauoit desfaicts,:
l’esté venu, il y gaigna contre eux encore unevne bataille navalenauale.
Position : Marge droite Les Romains souffrirent grand desadvantagedesaduantage au
combat qu’ils eurent contre les Carthaginois pres de
Plaisance, de ce qu’ils alarent a la charge le sang figé
et les membres contreins de froit: la ou Annibal
avoitauoit faict espandre du feu par tout son ost pour eschauffer
lesses siens,soldats et distribuer de l’huile par les bandes
affin que en s’ou s’ouignant ils randissent leurs nerfs
plus soupples et desgourdis et encroustassent les
pores contre les coups de l’air et du ventuent gelè qui
tiroit lors.
Position : Marge haute La retraitte des Grecs, de Babylone en leurs païs, est fameuse des difficultez
et mesaises qu’ils eurent à supporter surmonter cettecy en fut qu’accueillis aus montaignes
d’Armenie d’un horrible ravagerauage de neges ils en perdirent la conoissance qu du païs et des cheminschemīs
routes et en estant assiegez tout court furent un jouriour et une nuit sans boire et sans manger
la plus part de leurs bestes mortes dD’entre eus plusieurs morts plusieurs aveuglesaueugles du coup du
ventuentgresil et lueur de la nege. plusieurs stropiez par les extremitez plusieurs roides transis et immobiles
de froit aïant encore le sens entier
Alexandre viduid une nation en laquelle
on enterre les arbres
fruitiers en hiverhiuer
pour les defandre
de la gelee.

Sur le subjectsubiect de vestir, le Roy de la Mexique changeoit qua-
tre fois par jouriour d’accoustremens, jamaisiamais ne les reiteroit, em-
ployant sa desferre à ses continuellescōtinuelles liberalitez & recompen-
ses: comme aussi jamaisiamais ny pot, ny plat, ny utensilevtensile de sa cuisi-
ne, & de sa table ne luy estoient servisseruis à deux fois.


Du jeuneieune Caton. CHAP. XXXVII.


 
JEIE n’ay point cette erreur communecōmune, de jugeriuger d’autruyun autre
selon moy,que jeie suis & de rapporter la condition des autres
hommeshōmes à la mienneEt ne louer qu’autant que jeie sçai imiter: jeieJI’en croy aysément d’autruy beau-
coup dedes choses, ou mes forces ne peuventpeuuent attaindre:diversesdiuerses a moy.
Position : Marge droite :. pPour me voiruoirsentir
engagé a une forme
jeie n’yny oblige pas le
monde, come chacun
faict: eEt crois et
conçois mille contrai=
res figuresfaçons de vieuie: en
nous: eEt aus rebours
du communcommū, reçois plus
aiseemantaiseemātfacilement la differance
que la ressamblance
en nos estresen nous: jJeiIe
descharge aiseemantaiseemāttant qu’onquō veutueut
un autre estre de mes
conditions & principes
et lale considere puremant en elle mesme
sanssimplemantsimplemāt en luy mesme: sans relation: a mon
modelle et l’estoffant sur son propre
modelle. pPour n’estre continant jeie
ne laisse d’advoueraduouer sinceremant la
continance des Feuillens et des
Capuchins: et de bien treuvertreuuer l’airlair
de leur trein[unclear]: jJeiIe m’insinue par
imagination fort bien en leur place:
Et en outresi les aime et les honore
d’autantautāt plus qu’ils sont autres que moi
JeIe desire singulierement qu’on nous jugeiuge
chascun à part soy: & qu’on ne me tire en consequence
des communs exemples.
lLaMa foi-
blesse que jeie sens en moy, n’altere aucunement les opinions
que jeie dois avoirauoir de la vertuforce & valeurvigeuruigeur de ceux qui le meritent.
Position : Interligne haute Sunt qui nihil laudent nisi quod se imitari posse confidunt.
Position : Marge gauche Sunt qui nihil
laudent nisi quod
se imitari posse
confidunt

Rampant au limonlimō de la terre, jeie ne laisse pas de remerquer jus-
ques
ius-
ques
dans les nuës la hauteur inimitable d’aucunes ames heroïques
Position : Marge droite
et par quel moien
elles s’y sont montees
quel tour elles se
donent pour s’esleveresleuer
come jeie n’admire
aucune action ou
pansee pour sa basses=
se, jie’ay et reconois en
mon ame, les semancessemāces
de tous ces mouvemansmouuemās &
progrez.
: cC’est
beaucoup pour moy d’avoirauoir le jugementiugement reglé, si les effects
ne le peuventpeuuēt estre,: & maintenir, au moins cette maistresse par-
tie, exempte de la corruption & débauche: cC’est quelque cho-
se d’avoirauoir la volonté bonne, quand les jambesiambes me faillent. Ce
siecle, auquel nous vivonsviuons, au moins pour nostre climat, est si
plombéplōbé, que Position : Interligne haute jeie ne dis pas l’execution mais l’imagination mesme le goust mesme de la vertu en est à dire, &Et semble
que ce ne soit autre chose qu’unvn jargoniargon de colliege. Virtutem
verba putant, vt lucum ligna:

Position : Marge gauche uirtutem uerba putant, ut
Lucum ligna:.
quam uereri deberent etiam si percipere non possent
. C’est un affiquet
a pendre en un cabinet, ou au bout de la langue come au bout de
l’oreille pour parement.
iIl ne se recognoit plus d’action pu-
rement vertueuse: cCelles qui en portentportēt le visage, elles n’en ont
pas pourtant l’essence: cCar le ptofitprofit, la gloire, la crainte, l’accou-
tumance, & autres telles causes estrangeres nous acheminent
à les produire. La justiceiustice, la vaillance, la debonnaireté, que
nous exerçons lors, elles peuventpeuuent estre dictes tellesainsi nomees, pour la
consideration d’autruy, & du visage qu’elles portent en pu-
blic, mais chez l’ouvrierouurier ce n’est aucunement vertu: iIl y a unevne

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[96v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
autre fin proposée: elleautre cause mouvantemouuante. Or la vertuuertu n’advoueaduoue rien, que ce qui se faict en sa
considerationpar elle, & pour elle seule.
Position : Marge haute En cete grande co[unclear] bataille de Potidee, que les Grecs sous Pausanias
gaignarent contre Mardonius et les Perses les victorieusuictorieus suivantsuiuant leur
costume venansuenans a jugeriuger partir entre eus la gloire de l’exploitlexploit attribuarent ausa la nation
LacedemoniensSpartiate la praecellance de vertuuertu valurualur en ce combat les Spartiates excellans jugesiuges
de la vertuuertu quand ils vindrentuindrent a trier parmdecider a quel particulier devoitdeuoit demurer l’honur de avoirauoir
le mieus faict en cette journeeiournee treuvarenttreuuarent qu’Aristodeme s’estoit le plus corageusement hasardé mais pourtant ils
ne luy en donarent point le prinss d’autantparce que
sa vertuuertu avoitauoit este incitee du desir de se purger
du reproche qu’il avoitauoit encoru au co
faict des Thermopiles et d’un appetit
de mourir corageusement pour
garantir sa honte passee.
Qui plus est, nNos jugemensiugemens
sont encores malades, & suyventsuyuent la corruptiondepravationdeprauation de nos meurs:.
jJeiIe voy la pluspart des esprits de mon temps, faire les ingenieux
à obscurcir la gloire des belles & genereuses actions anciennesanciēnes,
leur donnant quelque interpretation vile, & leur controuvantcōtrouuant
des occasions & des causes vaines: gGrande subtilité:! qQqu’on me
donne l’action la plus exellente & pure, jeie m’en vois y four-
nir vraysemblablement cinquante vitieuses intentions. Dieu
sçait, à qui les veut estendreestēdre, qu’elle diversitédiuersité d’images ne souf-
fre nostre interne volonté:
Position : Marge gauche Ils ne font Position : Interligne haute pas tant malitieusementmalitieusemēt que bien lourdement et
grossierement les ingenieus a
tout leur mesdisance.
La mesme peine qu’ilson prenentt
à detracter des ces grands
noms et la mesme licence
jeie la pranderois volantiersuolantiers
à leur prester quelque tour
d’espaule a les hausser. Ces
rares figures et triees pour
l’example du monde par le
consantemant des sages jeie
ne me feinderois pas de les
rescharger d’honur autantautāt
que mon invantioninuantion pourroit
en interpretation et favo=
rable
fauo=
rable
circonstance. Mais
il faut croire que les
effors de nostre conceptionconceptiō
sont loin au dessous deus
leur merite. C’est l’office
des gens de bien de peindre
la vertuuertu la plus belle quils se
trouventtrouuentpuisse et ne leurnous messi=
eroit pas quant la passion
les emnous transporteroit versuersa la faveurfaueur
cette d’affectionde si versuers cesenversenuers
formes ces sainctes formes. [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne a écrit successivement : 1- la passion les emporteroit uers [cet]te 2- la passion nous transporteroit a la faueur d’affection uers ces [for]mes 3- la passion nous transporteroit a la faueur d’affection enuers ces sainctes formes 4- la passion nous transporteroit a la faueur d’affection de si sainctes formes]
Ce que ceus ci font au contrere
iIls[Note (Mathieu Duboc) : La syntaxe exige pourtant "ils" comme dans l’édition de 95. Montaigne a sans doute omis de rétablir le pronom.] le font soitou par malice, ou par
ce vice de ramener leur creancecreāce à leur portée, dequoy jeie viensviēs de
parler: soitou, commecōme jeie pensepēse plustost, pour n’avoirauoir pas la veuë as-
sez forte & assez nette, pour imaginer & concevoirconceuoir: la splen-
deur de la vertu en sa pureté naifvenaifue Position : Interligne haute ny dressee a cela.: cComme Plutarque dict,
que de son temps, il y en avoitauoit quiaucuns attribuoient la cause de la
mort du jeuneieune Caton, à la crainte qu’il avoitauoit eu de Caesar: dDe-
quoy il se picque avecquesauecques raison: &Et peut on jugeriuger par là, com-
bien
cō-
bien
il se fut encore plus offencé de ceux qui l’ont attribuée à
l’ambition.
Position : Marge gauche Sottes gens. Il
eut bien faict une
belle action aveqaueq
la honte plus tost
que pour la gloire.

genereuse et justeiuste
plus tost aveqaueq igno=
minie que pour la
gloire.
Ce personnage là, fut veritablement unvn patron,
que nature choisit, pour monstrer jusquesiusques ou l’humaine Position : Interligne haute vertuuertu et fer-
meté, & constance pouvoitpouuoit atteindre: mMais jeie ne suis pas icy à
mesmes pour traicter ce riche argument: jJeiIe veux seulement
faire luiter ensemble, les traits de cinq poëtes Latins, sur la
louange de Caton,.
Position : Marge gauche Et pour l’interest de
Caton et par incidant pour
le leur aussi. Or devradeura l’enfant
bien nourri trouvertrouuer les
au pris des autres les deus
premiers treinans. Le troisieme
plus verstuerst: mais qui s’est
abatu par l’extravaganceextrauagance de sa
de sa forceforce pointe. Estimer que
il y aroit place, poura un ou
deus ou trois invinu degrez
dinvantioninuantion a les atacher.encores pour arriverarriuer
Auau quatriesme Position : Interligne haute Sur ce point du quel il jouinderaiouindera
ses mains par admiration.
Au dernier, premier de si
longuequelque espace, mais laquelle espace il jureraiurera ne pouvoirpouuoir estre remplie
par nul esperit humain, il s’estonera il se transira. Voicy merveillemerueille: Nous avonsauons bien plus de poëtes
que de jugesiuges et interpretes de poesie Il est plus aise de la faire que de la conoistre. A certeine mesure basse on la peut
jugeriuger par les praeceptes et par art. Mais la bone l’excessiveexcessiue la divinediuine est au dessus des regles & de la raison. Quiconque
en discerne la beaute d’une veueueue ferme et rassise il ne la voituoit pas: non plus que la splandur d’un esclair. Elle ne pratique paspoint
nostre jugementiugement: elle le ravistrauist et ravagerauage. La furur et la rage qui espoinçone celuy qui la sçait penetrer, fiert encores un
tiers a la luy ouir tret traicter & reciter. Come l’aimant non sulement attire un’eguille mais infont encores en icelle sa
faculte d’enden attirer d’autres. Et il se voituoit plus cleremant aus theatres / que l’inspiration violanteuiolantesacree des muses aiant premierementpremieremēt
transportèagité le poëte a la cholere au deuil a la heine et hors de soi ou elles veulentueulent frape encores Position : Interligne haute par le poete: l’acturlactur et par l’acturlactur
l’interpreteconsecutivementconsecutiuement tout un peuple. Et se faict ainsiC’est l’enfilure de plusieursnos eguilles pendantessuspendues l’une de l’autre. Des ma premiere
enfance la poesie a eu cela de me transpercer et transporter Mais ce ressentiment bien vifuif qui est naturellement en moi a este
diversementdiuersement manie par diversitediuersite de formes. nNon tant plus hautes et plus basses car c’estoint tousjourstousiours des plus hautes en chq chaque
espace: come differantes en colur. Premierement une fluidite gaye et ingenieuse qui me flatoit Despuis une subtilite
aiguë et relleveerelleuee qui me picast eEnfin une force meure et constante solide L’exampleLexample le dira mieus. OvideOuide. Lucain. Vergile
Mais voyla nos gens sur la carriere.

Sit Cato dum viuit sane vel Caesare maior,
dict l’unvn,.
& inuictum deuicta morte Catonem
dict l’autre:. &Et l’autre, parlant des guerres civilesciuiles d’entre Caesar
& Pompeius,
Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.
Et le quatriesme, sur les louanges de Caesar.,
Et

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LIVRE PREMIER. 97
Et cuncta terrarum subacta
Praeter atrocem animum Catonis.

Et le maistre du choeur, apres avoirauoir étalé les nomsnōs des plus grands
Romains en sa peinture, finit en cette maniere:,
his dantem iura Catonem.


Comme nous pleurons & rions d’unevne mesme chose.
CHAP. XXXVIII.


QUANDQVAND nous rencontrons dans les histoires qu’Anti-
gonus sceut tres mauvaismauuais gré à son fils de luy avoirauoir
presenté la teste du Roy Pyrrhus son ennemy, qui ve-
noit sur l’heure mesme d’estre tué combatantcōbatant contre luy: & que
l’ayant veuë il se print bien fort à pleurer: & que le Duc René
de Lorraine, pleurapleinsit aussi la mort du Duc Charles de Bourgoi-
gne, qu’il venoit de deffaire, & en porta le deuil en son enter-
rement: & que en la bataille d’Auroy, que le Comte de Mont-
fort
Mōt-
fort
gaigna contrecōtre Charles de Blois, sa partie pour le Duché de
Bretaigne, le victorieux rencontrant le corps de son ennemy
trespassé, en mena grand deuil, il ne faut pas s’escrier soudain,
Et co si auen che l’animo ciascuna
Sua passion sotto el contrario manto
Ricopre, con la vista hor’ chiara hor bruna.

Quand on presenta à Caesar la teste de Pompeius, les histoires
disent qu’il en destourna sa veuë, comme d’unvn vilain & mal
plaisant spectacle. Il y avoitauoit eu entr’eux unevne si longue intelli-
gence, & societé au maniement des affaires publiques, tant de
communauté de fortunes, tant d’offices reciproques & d’al-
liance, qu’il ne faut pas croire que cette contenance fut toute
fauce & contrefaicte, comme estime cet autre,
Ttutúmque putauit [Commentaire (Montaigne) : t / tires en ça]
Iam bonus esse socer, lachrimas non sponte cadentes
Effudit, gemitúsque expressit pectore laeto.

Car bien que à la verité la pluspart de nos actions ne soientsoiēt que
masque & fard, & qu’il puisse quelquefois estre vray,
B b

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[97v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Haeredis fletus sub persona risus est.
Si est-ce qu’au jugementiugement de ces accidens, il faut considerer,
comme nos ames se trouventtrouuent souventsouuent agitées de diversesdiuerses pas-
sions
pas-
siōs
. Et tout ainsi qu’en nos corps ils disent qu’il y à unevne assem-
blée de diversesdiuerses humeurs, desquelles celle là est maistresse, qui
commande le plus ordinairement en nous, selon nos com-
plexions: aussi en nos ames, bien qu’il y ait diversdiuers mouvemensmouuemēs,
qui l’agitent, si faut-il qu’il y en ait unvn à qui le champ demeu-
re. Mais ce n’est pas avecauec si entier avantageauantage, que pour la volu-
bilité & soupplesse de nostre ame, les plus foibles, par occasionoccasiō
ne regaignent encor la place, & ne facent unevne courte charge à
leur tour. D’où nous voyons non seulement auxles enfans, qui
vont tout naifvementnaifuement apres la nature, pleurer & rire souventsouuent
de mesme chose: mais nul d’entre nous ne se peut vanter, quel-
que voyage qu’il face à son souhait, que encore au départir de
sa famille, & de ses amis, il ne se sente frissonner le courage: &
si les larmes ne luy en eschappent tout à faict, au moins met-il
le pied à l’estrieué d’unvn visage morne & contristé. Et quelque
gentille flamme qui eschaufe le coeur des filles bien nées, en-
core les desprend on à force, du col de leurs meres, pour les ren-
dre à leur espous: quoy que die ce bon compaignon,
Est ne nouis nuptis odio venus, anne parentum
Frustrantur falsis gaudia lachrimulis,
Vbertim thalami quas intra limina fundunt?
Non, ita me diui, vera gemunt, iuuerint.

Ainsin il n’est pas estrangeestrāge de plaindre celuy-là mort, qu’on ne
voudroit aucunement estre en vie. Quand jeie tance avecauec mon
valet, jeie tance du meilleur courage que ji’aye,: ce sont vrayes &
non feintes imprecationsimprecatiōs,: mais cette fumée passée, qu’il ayt be-
soing de moy, jeie luy bienbiē feray volontiers,: jeie tourne à l’instant
le fueillet.
Position : Marge gauche Quand jeie l’appele un
badin un sotveauueau jeie
n’entreprans pas de luy
coudre a jamaisiamais ces
tiltres. Ny ne pense me desdire pour le jugeriuger nomer
tantost honeste home. Nulle qualitè nous enbrasse
puremant et universellemantuniuersellemant Si ce n’estoit la contenance
d’un fol de parler sul et a part soi il n’est jouriour au quel on
ne m’ouit criergronder aen moi mesmes O le baditn O le sotet contre moy. Bran du fat.
Et si n’entans pas que ce soit ma definition.
Qui pour me voir unevne mine tantost froide, tantost
amoureuse enversenuers ma femme, estime que l’unevne ou l’autre soit

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LIVRE PREMIER. 8998
feinte, il est unvn sot. Neron prenant congé de sa mere, qu’il en-
voyoit
en-
uoyoit
noyer, sentit toutesfois l’émotion de cet adieu mater-
nel: & en eust horreur & pitié. On dict que la lumiere du So-
leil, n’est pas d’unevne piece continuëcōtinuë: mais qu’il nous élance si dru
sans cesse nouveauxnouueaux rayonsrayōs les unsvns sur les autres, que nous n’en
pouvonspouuons appercevoirapperceuoir l’entre deux.,
Largus enim liquidi fons luminis aetherius sol
Inrigat assidue caelum candore recenti,
Suppeditátque nouo confestim lumine lumen
,:
ainsin eslance nostre ame ses pointes diversementdiuersement & imper-
ceptiblement.
Position : Marge droite Artabanus surprisintsurprisīt Xerxes son
neveuneueu et le reprinttança de la soudeine
mutation de sa contenance. Il
estoit a considerer la grandur
desmesuree de ses forces au
passage de l’Helespont pour
l’entreprinse de la Graece. Il
luy print premierementpremieremēt un
tressaillemant de ceur et de
d’aise dea voiruoir tant de milliers
d’homes a son serviceseruice et le
tesmouigna par l’alegresse
et feste de son visageuisage: et tout
soudein en mesme instant sa
pensee luy suggerant come
tant de viesuies avointauoint a defaillir
au plus louin dans un siecle
il refrouigna son front et
s’attrista jusquiusqu’aus larmes.
Nous avonsauons poursuivypoursuiuy avecauec resoluë volonté
la vengeance d’unevne injureiniure, & resenty unvn singulier contente-
ment de la victoire,: nous en pleurons pourtant: ce n’est pas
de cela que nous pleurons: il n’y à rien de changé, mais nostre
ame regarde la chose d’unvn autre oeil, & se la represente par unvn
autre visage: car chaque chose à plusieurs biais & plusieurs lu-
stres. La parenté, les anciennes accointances & amitiez, saisis-
sent sonnostre imagination, & la passionnent pour l’heure, selon
leur condition, mais le contour en est si brusque, qu’il nous
eschappe.,
Nil adeo fieri celeri ratione videtur
Quam si mens fieri proponit & inchoat ipsa.
Ocius ergo animus quam res se perciet vlla,
Ante oculos quarum in promptu natura videtur.

Et à cette cause, voulansvoulās de toute cette suite continuercōtinuer unvn corps,
nous nous trompons. Quand Timoleon pleure le meurtre
qu’il avoitauoit commis d’unevne si meure & genereuse deliberation,
il ne pleure pas la liberté rendue à sa patrie, il ne pleure pas le
Tyran, mais il pleure son frere. L’unevne partie de son devoirdeuoir est
jouéeiouée, laissons luy en joueriouer l’autre.
Bb ij

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[98v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
 


De la solitude. CHAP. XXXIX.


 
LAISSONS à part cestte longue comparaison de la vie
solitaire à l’activeactiue: &Et quant à ce beau mot, dequoy se
couvrecouure l’ambition & l’avariceauarice, que nous ne sommes
pas nez pour nostre particulier, ains pour le publicq,:, rappor-
tons nous en hardiment à ceux qui sont en la danse, & qu’ils se
battent sur la consciencecōscience, si au rebours, les estats, les charges, &
cette tracasserie du monde, ne se recherche plutost, pour tirer
du publicq son profit particulier. Les mauvaismauuais moyensmoyēs par où
on s’y pousse en nostre siecle, monstrent bien que la fin n’en
vaut gueres. RespondonsRespōdons à l’ambition que c’est elle mesme qui
nous donne goust de la solitude, cCar que fuit elle tant que la
societé, que cherche elle tant que ses coudées franchesfrāches? Il y à de-
quoy bien & mal faire par tout: toutefois si le mot de Biais est
vray, que la pire part c’est la plus grande, ou ce que dit l’Ec-
clesiastique, que de mille il n’en est pas unvn bon,
Rari quippe boni numero vix sunt totidem, quot
Thebarum portae, vel diuitis ostia Nili
.,
la contagion est tres-dangereuse en la presse.: Il faut ou imiter
les vitieux, ou les haïr: tTous les deux sont dangereuxdāgereux, & de leur
ressembler, par ce qu’ils fsontsont[Note (Montaigne) : s] beaucoup, & d’en hair beaucoup
parce qu’ils sont dissemblables:
Position : Marge gauche Et les marchans qui
se mettentvontuont en mer ont
raison de regarder
que ceus qui se mettentmettēt
en mesme vesseauuesseau ne
soint irreligieus
dissolus, blasphematurs
meschans: estimans
telle societe infortunee.
Par quoi Bias Position : Interligne haute plaisammant a ceus qui passoint
aveqaueq luy en le dangier d’une grandegrāde
tourmante et apeloint le secours des
Dieus. Taises vousuous fit il qu’ils ne
sentessentent point que vousuous soïes icy aveqaueq moi. [Note (Alain Legros) : Suite de l’addition en bas de page.]
Position : Interligne basse Et d’un presplus pressant exemple Albuquerque viceroyuiceroy en l’inde pour le Roy
Emanuel de Portugal en un extreme peril de tormantefortune de mer print sur ses espaules un jeuneieune
garçon pour cette sule fin qu’en la societe de leur fortune son innocence luy servitseruit
de garant & de recomandationrecomādation enversenuers la faveurfaueur divinediuine pour le mettre a sauvetesauuete
cCe n’est pas que le sage ne puis-
se par tout vivreviure content, voire & seul en la foule d’unvn palais:
mais s’il est à choisir, il en fuira, dit-il, mesmes la veue: iIl por-
tera s’il est besoing cela, mais s’il est en luy, il eslira cecy. Il ne
luy semble point suffisammentsuffisammēt s’estre desfait des vices, s’il faut
encores qu’il conteste avecauec ceux d’autruy. CharondasCharōdas chastioit
de griefvesgriefues punitionspunitiōspour mauvaismauuais ceux qui estoientestoiēt convaincuscōuaincus de hanterhāter mau-
vaise
mau
uaise
compaigniecōpaignie.
Position : Marge gauche Sainct Augustin dict
tresbien: qu’
iIl n’est
rien si dissociable par
un viceuice que l’home: rien si sociable par sa nature.

Et sociable que l’home: l’un par son viceuice, l’autre par sa nature.
Et Antisthenes ne me semble avoirauoir suffisammant satisfaict a celuy qui luy
reprochoit sa conversationconuersation aveqaueq les meschans en disant que les medecins viventuiuent bien
hantoint bienentre les malades car s’ils serventseruēt a la sante des malades
ils deteriorent la leur par la contagioncōtagion du mauvesmauues air & de la veueueue mesme
continuelle et gravemementgrauememētpratique des maladies
Or la fin, ce crois-jeie, en est tout’unevne, d’en vivreviure
plus à loisir & à son aise. Mais on n’en cherche pas tousjourstousiours

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LIVRE PREMIER. 99
bien le chemin: sSouventsSouuēt on pense avoirauoir quitté les affaires, on
ne les à que changez: iIl n’y à guiere moins de tourment au
gouvernementgouuernement d’unevne famille qu’enē unvnque d’un estat entier: oOu que l’a-
me soit empeschée, elle y est toute: &Et pour estre les occupa-
tions domestiques moins importantes, elles n’en sont pas
moins importunes. D’avantageauantage, pour nous estre deffaits de la
Cour & du marché, nous ne sommes pas deffaits des princi-
paux tourmens de nostre vie.,
ratio & prudentia curas,
Non locus effusi latè maris arbiter aufert.

L’ambition, l’avariceauarice, l’irresolution, la peur & les concupiscen-
ces
concupiscē-
ces
, ne nous abandonnent point pour changer de contrée.,
Et post equidtem sedet atra cura.
Elles nous suiventsuiuent souventsouuent jusquesiusques dans les cloistres, & dans
les escoles de philosophie. Ny les desers, ny les rochers creu-
sez, ny la here, ny les jeunesieunes, ne nous en démeslent.,
haaeret lateri laeetalis arundo.
On disoit à Socrates, que quelqu’unvn ne s’estoit aucunementaucunemēt a-
mendé en son voyage: jJeiIe croy bien, dit-il, il s’estoit emporté
avecquesauecques soy.,:
Quid terras alio calentes
Sole mutamus? patria quis exul
Se quoque fugit?

Si on ne se descharge premierement Position : Interligne haute soy & son ame, du fais qui la
presse, le remuement la fera fouler davantagedauantage, cComme en unvn
navirenauire les charges empeschent moins, quand elles sont rassi-
ses: vVous faictes plus de mal que de bien au malade de luy
faire changer de place,: vVous ensachez le mal en le remuant:
cComme les pals s’enfoncent plus avantauāt, & s’affermissent en les
branlant & secouant. Parquoy ce n’est pas assez de s’estre es-
carté du peuple, ce n’est pas assez de changer de place, il se
faut escarter des conditions populaires, qui sont en nous: il se
B b iij

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[99v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
faut sequestrer & r’avoirauoir de soy.
rupi iam vincula, dicas
Nam luctata canis nodum arripit, attamen illi
Cum fugit, à collo trahitur pars longa catenae.

NnNous emportons nos fers quand & nous: cCe n’est pas unevne en-
tiere liberté, nous tournons encore la veuë vers ce que nous
avonsauons laissé, nous en avonsauons la fantasie plaine.
nisi purgatum est pectus, quae praelia nobis
Atque pericula tunc ingratis insinuandum:
Quantae conscindunt hominem cuppedinis acres
Sollicitum curae, quantique perinde timores,
Quidue superbia, spurcitia, ac petulantia, quantas
Efficiunt clades, quid luxus desidiésque.

Nostre mal nous tient en l’ame: or elle ne se peut échaper à
elle mesme,
In culpa est animus, qui se non effugit vnquam.
Ainsin il la faut ramener & retirer en soy: cC’est la vraie solitude,
& qui se peut joüirioüir au milieu des villes & des cours des Roys,
mais elle se jouytiouyt plus commodémentcōmodément à part. Or puis que nous
entreprenons de vivreviure seuls, & de nous passer de compagnie,
faisons que nostre contentement despende de nous: dDespre-
nons nous de toutes les liaisons qui nous attachent à autruy:
gGaignons sur nous, de pouvoirpouuoir à bon escient vivreviure seuls & y
vivreviure à nostr’aise. Stilpon estant eschappé de l’embrasement
de sa ville, où il avoitauoit perdu femme, enfans, & chevancecheuance, Dé-
metrius Poliorcetes, le voyant en unevne si grande ruine de sa pa-
trie, le visage non effrayé, luy demanda, s’il n’avoitauoit pas eu du
dommage, iIl respondit que non, & qu’il n’y avoitauoit Dieu mer-
cy rien perdu Position : Interligne haute de sien.
Position : Marge gauche C’est ce que le philosofe
Antisthenes disoit
plaisammant que l’home
se devoitdeuoit pourvoirpouruoir de
munitions qui flotassent sur
l’eau et peussent a nage eschaper
aveqaueq luy du naufrage. a
nage
Certes l’homme d’entendemententendemēt n’a rienriē per-
du, s’il à soy mesme. Quand la ville de Nole fut ruinée par les
Barbares, Paulinus qui en estoit EvésqueEuésque, y ayant tout perdu,
& leur prisonnier, prioit ainsi Dieu, Seigneur garde moy de

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LIVRE PREMIER. 100
sentir cette perte, car tu sçais qu’ils n’ont encore rien touché
de ce qui est à moy. Les richesses qui le faisoyent riche, & les
biens qui le faisoient bon, estoyentestoyēt encore en leur entier. Voy-
la que c’est de bienbiē choisir les thresors qui se puissent garantirgarātiraffranchir de
l’injureiniure: & de les cacher en lieu, ou personne n’aille, & lequel
ne puisse estre trahi que par nous mesmes. Il faut avoirauoir fem-
mes, enfans, biens & sur tout de la santé, qui peut, mais non pas
s’y attacher en maniere que tout nostre heur en despende. Il
se faut reserverreseruer unevne arriereboutique, toute nostre, toute fran-
che, en laquelle nous establissons nostre vraye liberté & prin-
cipale retraicte & solitude. En cette-cy faut-il prendre nostre
ordinaire entretien, de nous à nous mesmes, & si privépriué, que
nulle acointance ou communication estrangiere n’y trouvetrouue
place: dDiscourir & y rire, comme sans femme, sans enfans, &
sans biens, sans train, & sans valetz: afin que quand l’occasion
adviendraaduiendra de leur perte, il ne nous soit pas nouveaunouueau de nous
en passer. Nous avonsauons unevne ame contournable en soy mesme,
elle se peut faire compagnie, elle à dequoy assaillir & dequoy
defendre, dequoy recevoirreceuoir, & dequoy donner: ne craignons
pas en cette solitude nous croupir d’oisivetéoisiueté ennuyeuse,
in solis sis tibi turba locis. [Commentaire (Montaigne) : en ça]
Position : Marge droite La vertuuertu dict Antis=
thenes se contante de
soi: sans disciplines
sans paroles sans effaicts.

En nos actions accoustumées, de mille, il n’en est pas unevne qui
nous regarde. Celuy que tu vois grimpant contremont les
ruines de ce mur, furieux & hors de soy, en bute de tanttāt de har-
quebuzades: & cet autre tout cicatricé, transitrāsi & pasle de faim,
de liberé de crevercreuer plutost que de luy ouvrirouurir la porte, pense
tu qu’ils y soyent pour eux? pPour tel à l’adventureaduenture qu’ils ne
virent onques, & qui ne se donne aucune peine de leur faict,
plongé cependantcepēdant en l’oysivetéoysiueté & aux delices. Cettuy-cy tout
pituiteux, chassieux & crasseux, que tu vois sortir apres mi-
nuit d’unvn estude, penses tu qu’il cherche parmy les livresliures, com-
me
cō-
me
il se rendra plus homme de bien, plus contentcontēt & plus sage?

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[100v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
nNulles nouvellesnouuelles. Il y mourra, ou il apprendra à la posterité la
mesure des vers de Plaute, & la vraye orthographie d’unvn mot
Latin. Qui ne contre-change volontiers la santé, le repos, &
la vie, à la reputation & à la gloire, la plus inutile, vaine &
fauce monnoye, qui soit en nostre usagevsage:. nNostre mort ne
nous faisoit pas assez de peur, chargeons nous encores de cel-
le de nos femmes, de nos enfans, & de nos gens. Nos affaires
ne nous donnoyent pas assez de peine, prenons encores à
nous tourmenter, & rompre la teste de ceux de nos voi-
sins & amis.,
Vah quemquamne hominem in animum instituere, aut
Parare, quod sit charius, quam ipse est sibi?

Position : Marge gauche La solitude me semble
avoirauoir plus d’apparance et
de raison a ceus qui ont
donne au monde leur eage
plus actif & flerissantfleurissant
suivantsuiuant l’exemple de Thales

Or cC’est assez vescu pour autruy, vivonsviuons pour nous au moins
ce bout de vie: rRamenons à nous, & à nostre vray profitaise nos
cogitationspensees & nos intentions. Ce n’est pas unevne legiere partie
que de faire seurement sa retraicte, elle nous empesche assez
sans y mesler d’autres entreprinses. Puis que Dieu nous donnedōne
loisir de disposer de nostre deslogement, preparons nous y,
plions bagage, prenons de bon’heure congé de la compaigniecōpaignie,
despetrons nous de ces violentes prinses, qui nous engagent
ailleurs, & esloignent de nous. Il faut desnoüer ces obligationsobligatiōs
si fortes:, & meshuy aymer ce-cy & cela:, mais n’espouser rien
que soy. C’est à dire, le reste soit à nous: mais non pas jointioint &
colé en façon qu’on ne le puisse desprendre sans nous escor-
cher, & arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus
grande chose du monde, c’est de sçavoirsçauoir estre à soy.
Position : Marge gauche Il est temps de nous
desnouer de la societé
puisque nous n’y pouvonspouuons
rien apporter Et qui ne
peut prester qu’il se
deffende d’emprunter.
Nos forces nous faillent
retirons les et resserrons
en nous. Qui peut renverserrenuerser
& confondrecōfondre en soi les
offices de l’amitie et de
la compaignie qu’il le face.
Qu’il se En cete chute
qui le rant inutile poisant et importun aus autres qu’il se garde d’estre importun a soi mesmes et poisant et inutile.
Qu’il se flate se chatouilleet caresse et surtout qu’il se regente: et instruisequ’il respecteantrespecteāt et creigneant
sa raison et sa consciancecōsciance et n’os Si qu’il n’ose clocher en saleur presance Rarum est ut
satis se quisque uereatur
.
ne puisse sans honte broncher en leur presence. Rarum est enim
ut satis se quisque uereatur
. Socrates dict ques les junesiunes se doiventdoiuent faire instruire Homes Les homes
s’exercer a bien faire VieusLes vieilsuieils se retirer de tout’occupation civileciuile et militere vivansuiuans a leur discretion
sans obligation a nul certein office
Il y à des
complexionscomplexiōs plus propres à ces preceptes Position : Interligne haute de la retrete les unesvnes que les autres.
Celles qui ont l’apprehension molle & láche, & unvn’affection
& volonté difficiledelicate, & qui ne se prends’asservistasseruist ny s’employe pas aysément, desquels
jeie suis, & par naturelle conditioncōdition & par discours, ils se plieront
plus aisémentaisémētmieus à ce conseil,: que les ames activesactiues & tenduesoccupees, qui
embrassent tout, & s’engagent par tout, qui se passionnent de
tou-

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LIVRE PREMIER. 101
toutes choses: qui s’offrent, qui se presentent, & qui se donnentdōnent
à toutes occasions. Il se faut servirseruir de ces commoditez acciden-
tales
accidē-
tales
& hors de nous, en tant qu’elles nous sont plaisantes,
mMais sans en faire nostre principal fondement: cCe ne l’est pas,
ny la raison, ny la nature ne le veulent: pPourquoy contre ses
loix asservironsasseruirons nous nostre contentement à la puissance
d’autruy? D’anticiper aussi les accidens de fortune, se priverpriuer
des commoditez qui nous sont en main, commecōme plusieurs ont
faict par devotiondeuotion, & quelques philosophes par discours, se
servirseruir soy-mesmes, coucher sur la dure, se crevercreuer les yeux, jet-
ter
iet-
ter
ses richesses emmy la riviereriuiere, rechercher la douleur: cCeux
là pour par le tourment de cette vie, en acquerir la beatitude
d’unvnune autre: ceux-cy pour s’estant logez en la plus basse mar-
che, se mettre en seurté de nouvellenouuelle cheute, c’est l’action d’unevne
vertu excessiveexcessiue. Les natures plus roides & plus fortes facent
leur cachete mesmes, glorieuse & exemplaire.
tuta & paruula laudo,
Cum res deficiunt, satis inter vilia fortis:
Verùm vbi quid melius contingit & vnctius, idem
Hos sapere, & solos aio benè viuere, quorum
Conspicitur nitidis fundata fundata pecunia villis.

Il y à pour moy assez affaire sans aller si avantauant, iIl me suffit sous
la faveurfaueur de la fortune me preparer à sa défaveurdéfaueur, & me repre-
senter estant à mon aise, le mal adveniraduenir, autant que l’imagina-
tion y peut attaindre: tTout ainsi que nous nous accoustumonsaccoustumōs
aux joutesioutes & tournois, & contrefaisons la guerre en pleine
paix.
Position : Marge droite JeIe n’estime point la vieuie
d’Arcesilaus le philosophe moins
reformes pour luyle sçavoirsçauoir avoirauoir user
des vasesuasesutansiles d’ordor d & d’argentdargent selon
que la condition de sa fortune
le luy permetoit et l’estimelestime mieux
que s’il s’en fut desmis de ce
qu’il en usoit modereement
et liberalement
JeIe voy jusquesiusques à quels limites va la necessité naturelle:
& considerant le pauvrepauure mendiant à ma porte, souventsouuent plus
enjouéenioué & plus sain que moy, jeie me plante en sa place: ji’essaye
de chausser mon ame à son biaiz. Et courant ainsi par les au-
tres exemples, quoy que jeie pense la mort, la pauvretépauureté, le mes-
pris, & la maladie à mes talons, jeie me resous aisément de n’en-
C c

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[101v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
trer en effroy, de ce qu’unvn moindre que moy prend avecauec telle
patience: &Et ne puis croire que la bassesse de l’entendement,
puisse plus que la vigueur,: oOu que les effects du discours, ne
puissent arriverarriuer aux effects de l’accoustumance. Et connois-
sant combien ces commoditez accessoires tiennent à peu, jeie
ne laisse pas en pleine jouyssanceiouyssance, de supplier Dieu pour ma
souverainesouueraine requeste, qu’il me rende content de moy-mesme,
& des biens qui naissent de moy. JeIe voy des jeunesieunes hommes
gaillards, qui ne laissent pas de porter dans leurs coffres unevne
masse de pillules, pour s’en servirseruir quandquād le rheume les pressera,
lequel ils craignent d’autant moins, qu’ils en pensent avoirauoir le
remede en main. Ainsi faut il faire: &Et encore si on se sent sub-
ject
sub-
iect
à quelque maladie plus forte, se garnir de ces medicamensmedicamēs
qui assopissent & endorment la partie. L’occupationoccupatiō qu’il faut
choisir à unevne telle vie, ce doit estre unevne occupation non peni-
ble ny ennuyeuse, autrement pour neant ferions nous estat
d’y estre venuz chercher le sejourseiour. Cela depend du goust par-
ticulier d’unvn chacun: lLe mien ne s’accommodeaccōmode aucunement au
ménage. Ceux qui l’aiment, ils s’y doiventdoiuent adonner avecauec mo-
deration,
Conentur sibi res, non se submittere rebus.
C’est autrement unvn office servileseruile que la mesnagerie, comme
le nomme Saluste: eEll’a des parties plus nobles & excusables,
comme le soing des jardinagesiardinages que XenophonXenophō attribue à Cy-
rus: &Et se peut trouvertrouuer unvn moyen, entre ce bas & vile soing, tan-
du
tā-
du
& plein de solicitude, qu’on voit aux hommes qui s’y plon-
gent
plō-
gent
du tout,: & cette profonde & extreme nonchalance lais-
sant tout aller à l’abandon, qu’on voit en d’autres.,
Democriti pecus edit agellos
Cultáque, dum peregre est animus sine corpore velox.

Mais oyons le conseil que donne le jeuneieune Pline à Cornelius
Rufus son amy, sur ce propos de la solitude. JeIe te conseille en

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LIVRE PREMIER. 102
cette pleine & grasse retraicte, où tu es, de quiter à tes gens ce
bas & abjectabiect soing du mesnage, & t’adonner à l’estude des let-
tres, pour en tirer quelque chose qui soit toute tienne: iIl entendentēd
la reputation: dDunevne pareille humeur à celle de Cicero, qui
dict vouloir employer sa solitude & sejourseiour des affaires publi-
ques, à s’en acquerir par ses escris unevne vie immortelle.:
vsque adeo ne
Scire tuumtuū nihil est, nisi te scire hoc sciat alter?
[Note (Alain Legros) : Passage sans doute recopié.]
Position : Marge droite Il semble, que ce soit raison, puis qu’on parle de se retirer du monde, qu’on regarde hors de luy. Ceus-ci ne le font qu’a demi. Ils
dressent bien leur partie pour quand ils n’y seront plus: mais le fruit de leur dessein, ils pretandent le tirer encore lors du monde
absans, par une ridicule contradiction. L’imagination de ceus qui par devotiondeuotion recherchent la solitude, remplissans leur
corage de la certitude des promesses divinesdiuines en l’autrelautre vieuie, est bien plus seinemant assortie. Ils se proposent dieu, objectobiect
infini et en bonte et en puissance: lL’ame a de quoi y ressasier ses desirs en toute liberté. Les afflictions les dolurs leur viennentuiennent
a profit, emploiees a l’acquet d’une santé et rejouissancereiouissance eternelle: lLa mort a souhet, passage a un si parfaict estat. L’aspreté
de leurs regles est incontinant applanie par l’acostumance: et les appetis charnels rebutez et endormis par leur refus, car
rien ne les entretient que l’usage et exercice. Cette sule fin d’une vieuie autre vieuie heureusement immortele, merite loialement
que nous abandonons les commoditez et douceurs de cette vieuie nostre. Et qui peut embraser son ame de l’ardurlardur de cette
viveuiue foi et esperance, reelemant et constammant, il se bastit en la solitude une vieuie voluptueuseuoluptueuse et delicate au dela de
tout’autre forme de vieuie.

Ny la fin Position : Interligne haute donq ny le moyen de ce conseilcōseil Position : Interligne haute de Pline ne me contentecōtente.: Nnous retom-
bons
retō-
bons
tous-joursiours de la fievrefieure en chaud mal. Premierement,
cCette occupation des livresliures, est aussi penible que toute autre,
& autantautāt ennemie de la santé, qui doit estre principalementprincipalemēt con-
siderée
cō-
siderée
. Et ne se faut point laisser endormir au plaisir, qu’on y
prend: cC’est ce mesme plaisir qui perd le mesnagier, l’avari-
cieux
auari-
cieux
, le voluptueux, & l’ambitieux. Les sages nous appren-
nent assez, à nous garder de la trahison de nos appetits, & à
discerner les vrays plaisirs & entiers, des plaisirs meslez & bi-
garrez de plus de peine. Car la pluspart des plaisirs, disent ils,
nous chatouillent & embrassent pour nous estrangler, com-
me faisoyent les larrons que les AegyptiensAEgyptiens appelloient Phi-
listas: &Et si la douleur de teste nous venoit avantauāt l’yvresseyuresse, nous
nous garderions de trop boire,. mMais la volupté, pour nous
tromper, marche devantdeuant & nous cache sa suite. Les livresliures sont
plaisans: mais si de leur frequentation nous en perdons en fin
la gayeté & la santé nos meilleurs pieces, quittons les: jJeiIe suis
de ceux qui pensent que leur fruict ne sçauroitpouvoirpouuoir contrepoiser
cette perte. Comme les hommes qui se sententsentēt de long temps
affoiblis par quelque indisposition, se rengent à la fin à la
mercy de la medecine, & se font desseigner par art certaines
regles de vivreviure, pour ne les plus outrepasser: aussi celuy qui se
retire ennuié & dégousté de la vie communecōmune, doit former cet-
te-cy aux regles de la raison, l’ordonner & renger par preme-
Cc ij

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[102v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ditation & discours. Il doit avoirauoir prins congé de toute espe-
ce de tourmenttravailtrauail, quelque visage qu’il porte,. &Et fuïr en general
les passions, qui empeschent la tranquillité du corps & de l’a-
me, & choisir la route qui est plus selon son humeur.,
Vnusquisque sua nouerit ire via.
Au menage, à l’estude, à la chasse, & tout autre exercice, il faut
donner jusquesiusques aux derniers limites du plaisir, & garder de
s’engager plus avantauant, ou la peine commence à se mesler par-
my. Il faut reserverreseruer d’embesoignement & d’occupation, au-
tant seulement qu’il en est besoing, pour nous tenir en halei-
ne, & pour nous garantir des incommoditez que tire apres
soy l’autre extremité d’unevne mollelache oysivetéoysiueté & assopie. Il y à des
sciences steriles & épineuses, & la plus part forgées pour le
serviceseruice de la presse: il les faut laisser à ceux qui sont au serviceseruice
du monde. JeIe n’ayme pour moy, que des livresliures ou plaisans &
faciles, qui me chatouilleutchatouillent,: ou ceux qui me consolent, & con-
seillent
cō-
seillent
à regler ma vie & ma mort.
tacitum syluas inter reptare salubres
Curantem quidquid dignum sapiente bonóque est.

Les gens plus sages, peuventpeuuent se forger unvn repos tout spirituel,
ayant l’ame forte & vigoureuse: mMoy qui l’ay molle & commu-
ne
cōmu-
ne
, il faut que ji’ayde à me soutenir par les commoditez cor-
porelles: &Et l’aage m’ayant tantost desrobé celles qui estoyent
plus selon mon gousta ma fantasie, ji’instruis & aiguise mon appetit à cel-
les qui restent plus sortables à cette autre saison. Il faut rete-
nir à tout nos dents & nos griffes l’usagevsage des plaisirs de la vie,
que nos ans nous arrachent des poingts, les unsvns apres les au-
tres:
carpamus dulcia, nostrum est
Quod viuis, cinis & manes & fabula fies.

Or quant à la fin que Pline & Cicero nous proposent, de la

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LIVRE PREMIER. 103
gloire, c’est bien loing de mon compte: lLa plus contraire hu-
meur à la retraicte c’est l’ambition: lLa gloire & le repos sont
choses, qui ne peuventpeuuent loger en mesme giste: àA ce que jeie voy,
ceux-cy n’ont que les bras & les jambesiambes hors de la presse, leur
ame, leur intention y demeure engagée plus que jamaisiamais.
Tun’ vetule auriculis alienis colligis escas?
Ils se sont seulement reculez pour mieux sauter, & pour d’unvn
plus fort mouvementmouuement faire unevne plus viveviue faucée dansdās la troup-
pe. Vous plaist-il voir comme ils tirent court d’unvn grain: mMet-
tons au contrepois, l’advisaduis de deux philosophes, & de deux se-
ctes tres-differentes, escrivansescriuans l’unvn à Idomeneus, l’autre à Lu-
cilius leurs amis, pour du maniement des affaires & des gran-
deurs les retirer à la solitude. Vous avezauez (disent-ils) vescu na-
geant & flotant jusquesiusques à present, venez vous en mourir au
port: vVous avezauez donné le reste de vostre vie à la lumiere, don-
nez cecy à l’ombre: iIl est impossible de quitter les occupationsoccupatiōs,
si vous n’en quittez le fruit, à cette cause défaites vous de tout
soing de nom & de gloire: iIl est dangier que la lueur de vos
actionsactiōs passées, ne vous esclaire que trop, & vous suivesuiue jusquesiusques
dans vostre taniere: qQuitez avecqauecq les autres voluptez, celle qui
vient de l’approbation d’autruy: &Et quant à vostre science &
suffisance, ne vous chaille, elle ne perdra pas son effect, si vous
en valez mieux vous mesme: sSouviennesSouuienne vous de celuy, à qui
comme on demandast, à quoy faire il se pénoit si fort en unvn
art, qui ne pouvoitpouuoit venir à la cognoissance de guiere de gens:
jJiI’en ay assez de peu, respondit-il, ji’en ay assez d’unvn, ji’en ay assez
de pas unvn: iIl disoit vray: vous & unvn compagnon estes assez suf-
fisant theatre l’unvn à l’autre, ou vous à vous-mesmes. Que le
peuple vous soit unvn, & unvn vous soit tout le peuple: cC’est unevne
lasche ambition de vouloir tirer gloire de son oysivetéoysiueté, & de
son repossa cachette: iIl faut faire comme les animaux, qui effacent la tra-
ce, à la porte de leur taniere: cCe n’est plus ce qu’il vous faut
Cc iij

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[103v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
chercher, que le monde parle de vous, mais comme il faut que
vous parliez à vous mesmes: rRetirez vous en vous, mais prepa-
rez vous premierement de vous y recevoirreceuoir: cCe seroit folie de
vous fier à vous mesmes, si vous ne vous sçavezsçauez gouvernergouuerner: iIl
y a moyen de faillir en la solitude, comme en la compagnie:
jJusquesiIusques à ce que vous vous soiez rendu tel, devantdeuant qui vous
n’osiez clocher,
Position : Marge gauche rarum est enim
ut satis se quisque
uereatur
,
& jusquesiusques à ce que vous ayez honte & respect
de vous mesmes, Position : Interligne haute obuersentur species honestae animo presentez vous tousjourstousiours en l’imagination
Caton, Phocion, & Aristides, en la presence desquels les fols
mesme cacheroient leurs fautes, & establissez les contrerol-
leurs de toutes vos intentions: sSi elles se detraquent, leur reve-
rence les remettra en train: iIl vous contiendront en cette voie,
de vous contenter de vous mesmes, de n’emprunter rien que
de vous, d’arrester & fermir vostre ame en certaines & limi-
tées cogitations, où elle se puisse plaire: &Et ayant entendu les
vrays biens, desquels on jouitiouit à mesure qu’on les entend, s’en
contenter, sans desir de prolongement de vie ny de nom.
Voyla le conseil de la vraye & naifvenaifue philosophie, non d’unevne
philosophie ostentatrice & parliere, comme est celle des deux
premiers.
 


Consideration sur Ciceron. CHAP. XL.


 
ENCOR’unvn traict à la comparaison de ces couples: iIl
se tire des escris de Cicero, & de ce Pline (nullementpeu
retirant à mon advisaduis aux humeurs de son oncle) infi-
nis tesmoignages de nature outre mesure ambitieuse: eEntre
autres qu’ils sollicitent au sceu de tout le mondemōde, les historiens
de leur temps, de ne les oublier en leurs registres: &Et la fortune
comme par despit, à faict durer jusquesiusques à nous la vanité de ces
requestes, & pieça faict perdre ces histoires: mMais cecy surpas-
se toute bassesse de coeur, en personnes de tel rang, d’avoirauoir
voulu tirer quelque principale gloire du caquet, & de la par-

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LIVRE PREMIER. 104
lerie, jusquesiusques à y employer les lettres privéespriuées écriptes à leurs
amis: eEn maniere, que aucunes ayant failly leur saison pour
estre envoyéesenuoyées, ils les font ce neantmoins publier avecauec cette
digne excuse, qu’ils n’ont pas voulu perdre leur travailtrauail & veil-
lées. Sied-il pas bien à deux consuls Romains, souverainssouuerains ma-
gistrats de la chose publique emperiere du mondemōde, d’employer
leur loisir, à ordonner & fagoter gentiment unevne belle missivemissiue,
pour en tirer la reputationreputatiō, de bien entendre le langage de leur
nourrisse? Que feroit pis unvn simple maistre d’école qui en gai-
gnat sa vie? Si les gestes de Xenophon & de Caesar, n’eussent
de bien loing surpassé leur eloquence, jeie ne croy pas qu’ils les
eussent jamaisiamais escris: iIls ont cherché à recommander non leur
dire, mais leur faire,. &Et si la perfection du bien parler pouvoitpouuoit
apporter quelque gloire sortable à unvn grand personnage, cer-
tainement Scipion & Laelius, n’eussent pas resigné l’honneur
de leurs comedies, & toutes les mignardises & delices du lan-
gage Latin, à unvn serf Afriquain: cCar que cet ouvrageouurage soit leur,
sa beauté & son excellence le maintient assez, & Terence l’ad-
voüe
ad-
uoüe
luy mesme,. & oOn me feroit desplaisir de me desloger de
cette creance. C’est unevne espece de mocquerie & d’injureiniure de
vouloir faire valoir unvn homme, par des qualitez mes-advenan-
tes
aduenā-
tes
à son rang, quoy qu’elles soient autrement loüables,. &Et par
les qualitez aussi qui ne doiventdoiuent pas estre les siennes principa-
les: cComme qui loüeroit unvn Roy d’estre bon peintre, ou bon
architecte, ou encore bon arquebouzier, ou bon coureur de
bague: cCes loüanges ne font honneur, si elles ne sont presen-
tées en foule, & à la suite de celles qui luy sont propres: àA sça-
voir
sça-
uoir
de la justiceiustice, & de la science de conduire son peuple en
paix & en guerre: dDe cette façon faict honneur à Cyrus l’agri-
culture, & à Charlemaigne l’éloquence, & connoissance des
bonne lettres.
Position : Marge droite JI’ay veuueu de mon
temps Position : Interligne haute en plus fors termes des personages
qui tiroint d’escrire et
leurs titres et leurs riches=
ses Position : Interligne haute et leur vocationuocation desadvouerdesaduouer leur
sciance come vileuile et populereaprantissage et corromprecorrōpre
leur plume et affecter l’ignorancelignorance
de qualite si vulguereuulguere & peu recoman=
dable pour et que nostre peuple
tient sur ce
et que nostre peuple tient
cette qualite ne se rencontrerrēcontrer guere
en mains sçavantessçauantes: cho cse recomandants
par meillures qualitez
Les compaignonscompaignōs de Demosthenes en l’ambas-
sade vers Philippus, loüoient ce Prince d’estre beau, eloquent,

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[104v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
& bon beuveurbeuueur: Demosthenes disoit que c’estoient louanges
qui appartenoient mieux à unevne femme, à unvn advocataduocat, à unevne
esponge, qu’à unvn Roy.
Imperet bellante prior, iacentem
Lenis in hostem.

Ce n’est pas sa profession de sçavoirsçauoir, ou bien chasser, ou bien
dancer,
Orabunt causas alij, caelique meatus
Describent radio, & fulgentia sidera dicent,
Hic regere imperio populos sciat.

Plutarque dict d’avantageauantage, que de paroistre si excellent en ces
parties moins necessaires, c’est produire contre soy le tesmoi-
gnage d’avoirauoir mal dispencé son loisir, & l’estude, qui devoitdeuoit
estre employé à choses plus necessaires & utilesvtiles. De façon que
Philippus Roy de Macedoine, ayant ouy ce grand Alexandre
son fils, chanter en unvn festin à l’envyenuy des meilleurs musiciens,
nN’as tu pas honte, luy dict-il, de chanter si bien? Et à ce mesme
Philippus, unvn musicien contre lequel il debatoit de son art, jJaiIa
à Dieu ne plaise Sire, dit-il, qu’il t’advienneaduienne jamaisiamais tant de
mal que tu entendes ces choses là, mieux que moy. UnVn Roy
doit pouvoirpouuoir respondre, comme Iphicrates respondit à l’ora-
teur qui le pressoit en son invectiveinuectiue de cette maniere: &Et bien
qu’es-tu pour faire tant le bravebraue, es-tu homme d’armes, es-tu
archier, es-tu piquier? JeIe ne suis rien de tout cela, mais jeie suis
celuy qui sçait commander à tous ceux-là. Et Antisthenes
print pour argument de peu de valeur en Ismenias, dequoy
on le vantoit d’estre excellent joüeurioüeur de flutes:
Position : Marge gauche JeIe sçai bien, quand
ji’oi quelcunquelcū qui s’arrete au
langadge des essais, que
ji’aimerois mieus qu’il
s’en teust. Ce n’est pas
tant esleveresleuerdeprimer esleveresleuer les mots
comme c’est abbattredeprimer. LaLe
matiere sens: d’autantdautant
plus piquammant que plus
subtilement plus subti
lement

plus courtoisement et couvert
ement
couuert
ement
obliquement
Si suis jeie trompé
si guere d’autres donentdonēt
plus a mordreprendre en la matiere. Et comant que ce soit mal ou bien a tort ou a droit si nul escriveinescriuein
l’a semee ny guere plus materielle Position : Interligne haute ny au moins ny plus drue Position : Interligne haute au moins en son papier. Pour en ranger davantagedauantage
jeie n’en assambleentasse que les testes. Non est ornamentum uirile concinnitas qQue ji’y atache leur suite jeie multiplierai
ou tripleraiplusieurs fois ce volumeuolume
Position : Interligne basse Et combien y ai jeie espendu d’histoires qui ne disent mot, les quelles qui voudrauoudra esplucher un peu ingenieusement
en produira infinis essais. Ny elles ny mes allegations ne serventseruent pas tousjourstousiours simplement d’exemple ny d’authorite ou
d’ornement. JeIe ne les regarde pas sulement par l’usage que ji’en tire. Ce Elles portent souvantsouuant hors de mon propos
la semance d’une matiere plus riche et plus hardie: et sonent a gauche un ton plus delicat, et pour moi qui n’en veusueus
exprimer davantagedauantage, et pour ceus qui rencontreront mon air. RevenantReuenant a la vertuuertu parliere.,
Non est ornamentum uirile concinnitas. JeIe ne treuvetreuue pas grand chois entre
ne sçavoirsçauoir dire que mal, ou ne sçavoirsçauoir rien que bien dire. Non est ornamentum uirile concinnitas.
Et disent lLes sa-
ges, Position : Interligne haute disent, que pour le regard du sçavoirsçauoir, il n’est que la philosophie,
& pour le regard des effets, que la vertu, qui generalementgeneralemēt soit
propre à tous degrez, & à tous ordres. Il y a quelque chose de
pareil en ces autres deux philosophes: cCar ils promettent aussi
eternité aux lettres qu’ils escriventescriuēt à leurs amis,. mMais c’est d’au-
tre

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LIVRE PREMIER. 105
tre façon, & s’accommodant pour unevne bonne fin, à la vanité
d’autruy: cCar ils leur mandent, que si le soing de se faire connoi-
stre
cōnoi-
stre
aux siecles adveniraduenir, & de la renommée, les arreste encore
au maniement des affaires, & leur fait craindre la solitude &
la retraicte, où ils les veulent appeller,: qu’ils ne s’en donnent
plus de peine: car d’autant qu’ils ont assez de credit avecauec la posterité pour
leur respondre, que ne fut que par les lettres qu’ils leur escri-
vent
escri-
uent
, ils rendront leur nom aussi conneu & fameus que pour-
roient faire leurs actions publiques. Et outre cette difference,:
encore ne sont ce pas lettres vuides & descharnées, qui ne se
soutiennent que par unvn delicat chois de mots, entassez & ran-
gez à unevne justeiuste cadence,: ains farcies & pleines de beaux dis-
cours de sapience,: par lesquelles on se rend non plus eloquenteloquēt,
mais plus sage, & qui nous aprennent non à bien dire:, mais à
bien faire. Fy de l’eloquence qui nous laisse envieenuie de soy, non
des choses: sSi ce n’est qu’on die que celle de Cicero, estant en
si extreme perfection, se donne corps elle mesme. JIadjouste-
ray
adiouste-
ray
encore unvn conte que nous lisons de luy à ce propos, pour
nous faire toucher au doigt son naturel. Il avoitauoit à orer en pu-
blic, & estoit unvn peu pressé du temps, pour se preparer à son
aise: Eros l’unvn de ses serfs le vint advertiraduertir, que l’audience estoit
remise au lendemainlēdemain: iIl en fut si aise, qu’il luy donnadōna liberté pour
cette bonne nouvellenouuelle. Sur ce subjectsubiect de lettres, jeie veux dire ce
mot, queqū c’est unvn ouvrageouurage, auquel mes amys tiennenttiēnent, que jeie puis
quelquequelqū chose:
Position : Marge droite Et eusse prins plus volon=
tiers
uolon=
tiers
cette forme a publier
mes vervesuerues que celle que ii’ai
prinse
si ji’eusse eu a qui
parler. Il me faloit come jeie
l’ai eu autresfois un certein
commerce Position : Interligne haute qui fut et sortable et
veritableueritable: qui m’attirast
qui m’attirast qui
me soustint qui me souslevatet
souslevatsousleuat. Car de negotier
au ventuent come d’autres jeie ne
saurois que de songes ny
forger des vaeinsuaeins noms a
entretenir, en chose serieuse
enemi jureiure de toute falsification.
JI’eusse este plus attantif et
plus seur aïant un’adresse
forte et amie que jeie ne suis
regardant les diversdiuers visagesuisages
d’un peuple. Et suis deceu s’il ne m’eut
mieus succede. JI’ay
ji’ay naturellementnaturellemēt unvn stile comique & privépriué:, mMais
c’est d’unevne forme mienne, inepte aux negotiations publiques,
comme en toutes façons est mon langage: tTrop serré, desor-
donné, couppé, & difficileparticulier: &Et ne m’entens pas en lettres cerie-
monieuses, qui n’ont autre substance, que d’unevne belle enfileu-
re de paroles courtoises: jJeiIe n’ay ny la faculté, ny le goust de ces
longues offres d’affection & de serviceseruice: jJeiIe n’en crois pas tant,
Dd

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[105v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
& me desplaist d’en dire guiere, outre ce que ji’en crois: cC’est
bien loing de l’usagevsage present: car il ne fut jamaisiamais si abjecteabiecte &
servileseruile prostitution de presentations: lLa vie, l’ame, devotiondeuotion,
adoration, serf, esclaveesclaue, tous ces mots y courentcourēt si vulgairementvulgairemēt,
que quand ils veulent faire sentir unevne plus expresse volonté &
plus respectueuseserieuse respectueuse, ils n’ont plus de maniere pour l’exprimer.
JeIe hay à mort de sentir au flateur, qQui faict, que jeie me jetteiette na-
turellement à unvn parler sec, &rond et crud,
Position : Marge gauche rond et crud,
qui tire, à qui ne me cognoit
d’ailleurs, unvn peu vers le dedaigneux:
Position : Marge droite JI’honore le plus
ceus que ji’honore
le moins: et ou
mon ame marche
d’une grande
allegresse ji’oblie
les pas de la
contenance
cCeux que ji’ayme me met-
tent en peine, s’il faut que jeie le leur die
,: &Et m’offre maigrement
& fierementet fierement, à ceux à qui jeie suis:
Position : Marge droite Et me
presante moins
a qui jeie me
suis le plus done
iIl me semble qu’ils le doiventdoiuent
lire en mon coeur, & que l’expression de mes paroles, fait tort
à ma conception.
Position : Marge gauche A bienveignerbienueigner, a
prandre congé, a
remercier, a saluer,
à presanter mon
serviceseruice, jeie ne conoisse
persone si sottemant
sterile de langage
que moi.
et tels
complimens verbeusuerbeus
des nostre civciu loix
ceremonieuses de
nostre civiliteciuilite, jeie ne
conois persone si
sottement sterile
de langage que moi.
Et n’ai jamaisiamais este
emploie a faire des
lettres de favurfauur et
recomandationrecomandatiō pour
un autre qu’ilquil ne les
que celuy
pour qui c’estoit
n’
aye trouveestrouuees seches et
steriles laches.
Ce sont grands imprimeurs de lettres, que
les ItaliensItaliēs: jJiI’en ay ce crois-jeie, centcēt diversdiuers volumes: cCelles de HaAn-
nibale Caro, me semblent les meilleures. Si tout le papier que
ji’ay autres fois barbouillé pour les dames, estoit en nature, lors
que ma main estoit veritablement emportée par ma passion,
il s’en trouveroittrouueroit à l’adventureaduenture quelque page digne d’estre con-
muniquée
cō-
muniquée
à la jeunesseieunesse oysiveoysiue, embabouinée de cette fureur.
JI’escris mes lettres tousjourstousiours en poste, & si precipiteusement,
que quoy que jeie peigne insupportablementinsupportablemēt mal, ji’ayme mieux
escrire de ma main, que d’y en employer unvn’autre, cCar jeie n’en
trouvetrouue poinct qui me puisse suyvresuyure, & ne les transcris jamaisiamais:
jiJI’ay accoustumé les grands, qui me connoissent, à y supporter
des litures & des trasseures, & unvn papier sans plieure & sans
marge:. cCelles qui me coustent le plus, sont celles qui valent le
moins.: DdDepuis que jeie les traine, c’est signe que jeie n’y suis pas.
JeIe commence volontiers sans projectproiect, le premier traict pro-
duict le second. Les lettres de ce temps, sont plus en bordures
& prefaces, qu’en matiere:. cComme ji’ayme mieux composer
deux lettres, que d’en clorre & plier unevne, & resigne tousjourstousiours

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LIVRE PREMIER. 89106
cette chargecommission à quelque autre: de mesme quand la matiere est
acheuée, jeie donrois volontiers à quelqu’unvn la charge d’y ad-
jouster
ad-
iouster
ces longues harengues, offres, & prieres, que nous lo-
geons sur la fin, & desire que quelque nouvelnouuel usagevsage nous en
descharge:. cComme aussi de les inscrire d’unevne legende de qua-
litez & tiltres, pour ausquels ne broncher, ji’ay maintesfois
laissé d’escrire & notamment à gens de justiceiustice & de finance:.
TtantTantTāt d’innovationsinnouations d’offices, unevne si difficile dispensation &
ordonnance de diversdiuers noms d’honneur, lesquels estant si
cherement acheptez, ne peuventpeuuent estre eschangez, ou oubliez
sans offence. JeIe trouvetrouue pareillement de mauvaisemauuaise grace, d’en
charger le front & inscription des livresliures, que nous faisons im-
primer.


De ne communiquer sa gloire.
CHAP. XLI.


 
DE toutes les resveriesresueries du monde, la plus receuë & plus
universellevniuerselle, est le soing de la reputation & de la gloire,
qQue nous espousons jusquesiusques à quitter les richesses, le repos, la
vie & la santé, qui sont bien effectuels & substantiaux, pour
fuyvrefuyure cette vaine image, & cette simple voix, qui n’a ny
corps ny prise:
La fama ch’inuaghisce a unvn dolce suono [Note (Montaigne) : inuaghisce]
Gli superbi mortali, & par si bella,
E unvn echo, unvn sogno, anzi d’unvn sogno unvn ombra
Ch’adogni vento si dilegua & sgombra.

Et des humeurs des-raisonnables des hommes, il semble que
les philosophes mesmes se défacent plus tard & plus enuis de
ceste-cy, que de nulle autre: cC’est la plus revesche & opiniastre,
Position : Marge droite Quia etiam bene[unclear]bene
proficientes animos
tentare non cessat.

iIl n’en est guiere de laquelle la raison accuse si clairement la
vanité:, mais elle à ses racines si vifvesvifues en nous, que jeie ne sçay si
jamaisiamais aucun s’en est peu nettement deffairedescharger. Apres que vous
Dd ij

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[106v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
avezauez tout dict, & tout creu pour la desadvouerdesaduouer, elle produict
contre vostre discours unevne inclination si intestine, que vous
avezauez peu que tenir à l’encontre: car comme dit Cicero, ceux
mesmes qui la combatent, encores veulent-ils, que les livresliures,
qu’ils en escriventescriuent, portent au front leur nom, & se veulent
rendre glorieux de ce qu’ils ont mesprisé la gloire. Toutes au-
tres choses tombent en commerce: nous prestons nos biens
& nos vies au besoin de nos amis: mais de communiquer son
honneur & d’estrener autruy de sa gloire, il ne se voit guieres.
Catulus Luctatius en la guerre contre les Cymbres, ayantayāt faict
tous ses efforts d’arrester ses soldats qui fuyoient devantdeuāt les en-
nemis, se mit luy-mesmes entre les fuyards, & contrefit le
coüard, affin qu’ils semblassent plustost suivresuiure leur capitaine,
que fuyr l’ennemy: c’estoit abandonner sa reputation, pour
couvrircouurir la hontehōte d’autruy. QuandQuād l’Empereur Charles cinquies-
me passa en ProvenceProuence, l’an mil cinq cens trente sept, on tient
que Anthoine de LeveLeue voyant son maistre resolu de ce voia-
ge, & l’estimant luy estre merveilleusementmerueilleusement glorieux, opinoit
toutefois le contraire, & le desconseilloit, à cette fin que tou-
te la gloire & honneur de ce conseil, en fut attribué à son mai-
stre, & qu’il fut dict, son bon advisaduis & sa prevoiancepreuoiance avoirauoir esté
telle, que contre l’opinion de tous, il eust mis à fin unevne si bel-
le entreprinse: qui estoit l’honnorer à ses despens. Les Ambas-
sadeurs Thraciens, consolans Archileonide mere de Brasidas,
de la mort de son fils, & le haut-louans, jusquesiusques à dire, qu’il
n’avoitauoit paspoint laissé son pareil: elle refusa cette louange pri-
vée
pri-
uée
& particuliere, pour la rendre au public: ne me dites
pas cela, fit-elle, jeie sçay que la ville de Sparte à plusieurs ci-
toyens plus grands & plus vaillans qu’il n’estoit. En la ba-
taille de Crecy, le Prince de Gales, encores fort jeuneieune a-
voit
a-
uoit
l’avantauant-garde à conduire: le principal effort du rencon-
tre, fust en cestt endroit: les seigneurs qui l’accompagnoient se

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LIVRE PREMIER. 107
trouvanstrouuans en dur party d’armes, mandarent au Roy Edoüard
de s’approcher, pour les secourir: il s’enquit de l’estat de son
fils, & luy ayant esté respondu, qu’il estoit vivantviuant & à chevalcheual:
JeIe luy ferois, dit-il, tort de luy aller maintenant desrober l’hon-
neur
hō-
neur
de la victoire de ce combat, qu’il à si long temps sou-
stenu: quelque hazard qu’il y ait, elle sera toute sienne: & n’y
voulut aller ny envoierenuoier: sçachantsçachāt s’il y fust allé, qu’on eust dict
que tout estoit perdu sans son secours, & qu’on luy eut attri-
bué l’advantageaduantage de tout cet exploit.
Position : Marge droite : semper enim quod
postremum adiectum
est, id rem totam
uidetur traxisse.
Plusieurs estimoyent à
Romme, & se disoit communément, que les principaux
beaux-faits de Scipion estoyentestoyēt Position : Interligne haute en partie deus à Laelius, qui toutesfois
alla tousjourstousiours promouveantpromouueant & secondant la grandeur & gloi-
re de Scipion, sans aucun soing de la sienne. Et Theopompus
Roy de Spartes, à celuy qui luy disoit que la chose publique
demeuroit sur ses pieds, pour autant qu’il sçavoitsçauoit bien com-
mander: c’est plustost, dict-il, parce que le peuple sçait bien
obeyr.
Position : Interligne basse Come les fames qui succedoint aus pairies avointauoint Position : Interligne haute nonobstant leur sexe droit d’assister et opiner aus causes
qui apartienent a la jurisdictioniurisdiction des pairs: aussi les pairs ecclesiastiques nonobstant
leur profession pacifique et verbaleuerbale estoint tenus d’assister nos roys en leurs guerres, non sulemant
de leurs amis et servitursseruiturs mais de leur persone aussi. L’evesqueL’euesque de BeauvaisBeauuais se trouvanttrouuant aveqaueq
Philippes Auguste en la bataille de BouvinesBouuines, participoit bien fort corageusemant a l’effaictleffaict, mais
il luy sembloit ne devoirdeuoir toucher au fruit et gloire de cet exercice, senglant et violantuiolant. Il mena de
sa main plusieurs des enemis a raison ce jouriour la, et les donoit au premier gentillhome qu’il trouvoittrouuoit
pres de luy a esgosiller ou prendre prisoniers: come si luy en resignant toute l’exploitsecution: et le
fit einsin de guillaume conte de Salsbery a messire JanIan de Nesle: d’une pareille subtilité de
consciance a cett’autre: il vouloituouloit bien assomer, mais non pas blesser,: et pourtant ne combatoit que
de masse. Quelcun en mes joursiours estant re reprochè par le Roy d’avoirauoir mis les mains sur un prestre
le nioit fort & ferme: c’estoit qu’il l’avoitauoit battu & foulé aux pieds.

 


De l’inequalité qui est entre nous.
CHAP. XLII.


 
PLVTARQUEPLVTARQVE dit en quelque lieu, qu’il ne trouvetrouue
point si grande distance de beste à beste, comme il
trouvetrouue d’homme à homme. Il parle de la suffisance
de l’ame & qualitez internes. A la verité jeie trouvetrouue si loing
d’Epaminundas, comme jeie l’imagine, jusquesiusques à tel que jeie con-
nois
cō-
nois
, jeie dy capable de sens commun, que ji’encherirois volon-
tiers sur Plutarque: & pensedirois qu’il y à plus de distance de tel à
tel homme, qu’il n’y a de tel homme à telle beste:
[Commentaire (Montaigne) : fin de versuers][Note (Alain Legros) : Ce commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.]
Position : Marge droite . hem uir uiro
quid praestat.

Et qu’il y a autant de
degrez d’espritsdesprits qu’il y en a
d’icy aussi ciel Position : Interligne haute de brasses et autant
innumerables.
c’est à dire,
que le plus excellentexcellēt animal, est plus approchant de l’homme,
de la plus basse marche, que n’est cet homme, d’unvn autre hom-
me
hō-
me
grand & excellent.
Mais à propos de l’estimation des hom-
mes
hō-
mes
, c’est merveillemerueille, que sauf nous, aucune chose ne s’estime que
Dd iij

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[107v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
par ses propres qualitez. Nous loüons unvn chevalcheual de ce qu’il est
vigoureux & adroit,
volucrem [Commentaire (Montaigne) : ---- en ça][Note (Alain Legros) : Le tiret allongé signifie "tirés"]
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Feruet, & exultat rauco victoria circo,

non de son harnois: unvn levrierleurier de sa vitesse, non de son colier:
unvn oyseau de son aile, non de ses longes & sonettes. Pourquoy
de mesmes n’estimons nous unvn homme par ce qui est sien? Il
à unvn grand train, unvn beau palais, tant de credit, tant de rente:
tout cela est autour de luy, non en luy. Vous n’achetez pas unvn
chat en poche: sSi vous marchandez unvn chevalcheual, vous luy ostez
ses bardes, vous le voyez nud & à descouvertdescouuert: oOu s’il est cou-
vert
cou-
uert
, comme on les presentoit anciennement aux Princes à
vandre, c’est par les parties moins necessaires, afin que vous ne
vous amusez pas à la beauté de son poil, ou largeur de sa crou
pe, & que vous vous arrestez principalement à considerer les
jambesiambes, les yeux, & le pied, qui sont les membres les plus no-
bles, & les plus utilesvtiles,
Regibus hic mos est, vbi equos mercantur, opertos
Inspiciunt, ne si facies vt saepe decora
Molli fulta pede est, emptorem inducat hiantem,
Quod pulchrae clunes, breue quod caput, ardua ceruix.

Pourquoy estimant unvn homme l’estimez vous tout envelop-
enuelop-
& empacqueté? Il ne nous faict monstrestre que des parties, qui
ne sont aucunement siennessiēnes:, & nous cache celles, par lesquelles
seules on peut vrayement jugeriuger de son estimation. C’est le
pris de l’espée que vous cherchez, non de la guaine: vVous n’en
donnerez à l’adventureaduenture pas unvn quatrain, si vous l’avezauez des-
pouillé: iIl le faut jugeriuger par luy mesme, non par ses atours. Et
comme dit tres-plaisamment unvn ancien:, sSçavezsSçauez vous pour-
quoy vous l’estimez grand, vous y comptez la hauteur de ses
patins: lLa base n’est pas de la statue. Mesurez le sans ses escha-

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LIVRE PREMIER. 108
ces: qQu’il mette à part ses richesses & honneurs, qu’il se presen-
te en chemise: AaA il le corps propre à ses functions, sain & alle-
gré
alle-
gre
? qQu’elle ame à il? Eest elle belle, capable, & heureusement
garniepourveuepourueue de toutes ses pieces? Est elle riche du sien, ou de l’au-
truy? Lla fortune n’y à elle que voir? Si les yeux ouvertsouuerts elle at-
tend les espées traites: s’il ne luy chaut par ou luy sorte la vie,
par la bouche, ou par le gosier: si elle est rassise, equable & con-
tente
cō-
tente
: c’est ce qu’il faut veoir, & jugeriuger par la les extremes diffe-
rences qui sont entre nous. Est-il.
sapiens, sibique imperiosus,
Quem neque pauperies, neque mors, neque vincula terrent,
Responsare cupidinibus, contemnere honores
Fortis, & in seipso totus teres atque rotundus,
Externi ne quid valeat per laeue morari,
In quem manca ruit semper fortuna
.:
UunVun tel homme est cinq cens brasses au dessus des Royaumes
& des duchez: il est luy mesmes à soy, son empire.
[Commentaire (Montaigne) : versuers][Note (Alain Legros) : Ce commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.]
Position : Marge droite Sapiens pol ipse
fingit fortunam sibi

Que luy reste il a
desirer?
& ses ri-
chesses: il vit satis-fait, content & allegre. Et à qui à cela, que
reste-il?

Nnon ne videmus [Commentaire (Montaigne) : tir en ça]
Nil aliud sibi naturam latrare, nisi vt quoi
Corpore seiunctus dolor absit, mente fruatur,
Iucundo sensu cura semotus metúque?

Comparez à celuy , la tourbe de nos hommes, ignoranteignorāte, stu-
pide & endormie, basse, servileseruile, pleine de fiebvrefiebure & de fraieur,
instable, & continuellement flotante en l’orage des passions
diversesdiuerses, qui la poussent & tempestentrepoussent,: pendant toute d’au-
truy: il y à plus d’esloignement que du Ciel à la terre: & tou-
tefois l’aveuglementaueuglement de nostre usagevsage est tel, que nous en fai-
sons peu ou point d’estat. Là où, si nous considerons unvn pai-
san & unvn Roy
Position : Marge droite un noble et un villainuillain,
un magistrat et un home
privepriue un riche et pun
povrepoure
, il se presente soudain à nos yeux unvn’extreme
disparité,: qui ne sont differentsdifferēts par maniere de dire qu’en leurs

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[108v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
chausses.
Position : Marge gauche Bracteata ista
faelicitas[sic] est.

Position : Marge haute En Thrace le Roy est estoit distingué de son peuple d’unevne plaisante maniere,
et bien rencherie il avoitauoit une religion a part un dieu tout as a luy
qu’il n’apartenoit a ses subjetssubiets d’adorer c’estoit Mercure et luy desdeignoit
les leurs Mars Bacchus Diane: Ce ne sont pourtantpourtāt que peintures qui ne font
aucune distinctiondissemblance essentielle.
Car comme les joueursioueurs de comedie, vous les voyez
sur l’eschaffaut faire unevne mine de Duc & d’Empereur, mais
tantost apres, les voyla devenuzdeuenuz valets & crocheteurs misera-
bles, qui est leur nayfvenayfue & originelle condition: aussi l’Empe-
reur, duquel la pompe vous esblouit en public,
ScilietScilicet & grandes viridi cum luce smaragdi
Auro includuntur, teritúrque Thalassima vestis
Assiduè, & Veneris sudorem exercita potat,

voyez le derriere le rideau, ce n’est rien qu’unvn homme com-
mun, & à l’adventureaduenture plus vil que le moindre de ses subjectssubiects.
Position : Marge gauche Bracteata ista
faelicitas[sic] est
. Ille
beatus introrsum
est. Bracteata ista
faelicitas est.
Istius
bracteata faelicitas
est

La coüardise, l’irresolution, l’ambition, le despit & l’envieenuie l’a-
gitent comme unvn autre:
Non enim gazae, neque consularis
Summouet lictor, miseros tumultus
Mentis & curas laqueata circum
Tecta volantes:

&Et le soing & la crainte le tiennent à la gorge au milieu de ses
armées.,
Re veráque metus hominum, curaeque sequaces,
Nec metuunt sonitus armorum, nec fera tela,
Audactérque inter reges, rerúmque potentes
Versantur, neque fulgorem reuerentur ab auro.

La fiebvrefiebure, la migcraine & la goutte l’espargnent elles non plus
que nous? Quand la vieillesse luy sera sur les espaules, les ar-
chiers de sa garde l’en deschargeront ils? qQuand la frayeur de
la mort le transira, se r’asseurera il par l’assistance des gentils-
hommes de sa chambre? Quand il sera en jalousieialousie & caprice,
nos bonnettades le remettrontremettrōt elles? Ce ciel de lict de velours
tout enflé d’or & de perles, n’a aucune vertu à rappaiser les tran-
chées
trā-
chées
d’unevne verte colique.:
Nec calidae citius decedunt corpore febres,
Textilibus si in picturis ostróque rubentirubēti

Iacteris

Fac-similé BVH

LIVRE PREMIER. 109
Iacteris, quam si plebeia in veste cubandum est.
Les flateurs du grand Alexandre, luy faisoyent à croire qu’il
estoit fils de JupiterIupiter: unvn jouriour estant blessé, regardant escouler
le sang de sa plaie,: &Et bien qu’en dites vous? fit-il, est-ce pas icy
unvn sang vermeil, & purement humain? il n’est pas de la façontrampe
de celuy que Homere fait escouler de la playe des dieux. Her-
modorus le poëte, avoitauoit fait des vers en l’honneur d’Antigo-
nus, ou il l’appelloit fils du Soleil: & luy au contraire, celuy,
dit-il, qui vuide ma chaize percée, sçait bien qu’il n’en est rienriē.
C’est unvn homme pour tous potages: & si de soy-mesmes c’est
unvn hommehōme mal né, l’empire de l’universvniuers ne le sçauroit rabiller.:
puellae
Hunc rapiant, quicquid calcauerit hic, rosa fiat
.,
Qquoy pour cela, si c’est unevne ame grossiere & stupide? la volu-
pté mesme & le bon heur, ne s’ase perçoiventperçoiuēt point sans vigueur
& suffisance:sans esprit:
haec perinde sunt, vt illius animus qui ea possidet,
Qui vti scit, ei bona, illi qui non vtitur rectè, mala.

Les biens de la fortune tous tels qu’ils sont, encores faut il a-
voir
a-
uoir
du goustsentimant pour les savourersauourer: c’C’est le jouïriouïr, non le posseder,
qui nous rend heureux.:
Non domus & fundus, non aeris aceruus & auri,
Aegroto domini deduxit corpore febres,
Non animo curas, valeat possessor oportet,
Qui comportatis rebus benè cogitat vti.
Qui cupit, aut metuit, iuuat illum sic domus aut res,
Vt lippum pictae tabulae, fomenta podagram.
Sincerum est nisi vas, quodcumque infundis acessitacescit.

Il est unvn sot, son goust est mousse & hebeté,: il n’en jouitiouit non
plus qu’unvn morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu’unvn
chevalcheual de la richesse du harnois, duquel on l’a paré.
Position : Marge droite Tout ainsi come Platon
dict que la sante la
beaute la force les riches=
ses et esc tout ce qui
s’apele bien est egalemant
mal a l’injusteiniuste come bien au
justeiuste et dule mal au rebours
Et puis, ou
le corps & l’esprit sont en mauvaismauuais estat, à quoy faire ces com-
E e

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[109v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
moditez externes? veu que la moindre picqueure d’espingle,
veu que la moindreet passion de l’ame, est suffisante à nous oster
le plaisir de la monarchie du monde: AaA la moindrepremiere strette
que luy donne la goutte, il à beau estre Sire & Majesté,
Totus & argento conflatus, totus & auro.,
perd il pas le souvenirsouuenir de ses palais & de ses grandeurs? S’il est
en colere, sa principauté le garde elle de rougir, de paslir, de
grincer les dents, comme unvn fol? Or si ç’est unvn habile homme
& bien né, la royauté n’adjouteadioute rienpeu à son bon’heur:
Si ventri bene, si lateri est pedibúsque tuis, nil
Diuitiae poteruntpoterūt regales addere maius,

il voit que ce n’est que biffe & piperie,: voireoOui à l’adventureaduenture il
sera de l’advisaduis du Roy Seleucus, que qui sçauroit le poix d’unvn
sceptre, ne daigneroit l’amasser quand il le trouveroittrouueroit à terre:
il le disoit pour les grandes & penibles charges, qui touchent
unvn bon Roy. Certes ce n’est pas peu de chose que d’avoirauoir à re-
gler autruy, puis qu’à regler nous mesmes il se presente tanttāt de
difficultez. Quant au commander, qui semble estre si doux,:
considerant l’imbecillité du jugementiugement humain, & la difficul-
té du chois es choses nouvellesnouuelles & doubteuses, jeie suis fort de
cet advisaduis, qu’il est bien plus aisé & plus plaisant de suivresuiure, que
de guider,: & que c’est unvn grand sejourseiour d’esprit de n’avoirauoir à te-
nir qu’unevne voye tracée, & à respondre que de soy:
Vt satiùs multo iam fit, parere quietumquietū,
Quam regere imperio res velle
:.
JointIoint que Cyrus disoit, qu’il n’appartenoit de commander à
homme, qui ne vaille mieux que ceux à qui il commande.
Mais le Roy Hieron en Xenophon dict davantagedauantage,: qu’àen la
jouyssanceiouyssance des voluptez mesmes, ils sont de pire condition
que les privezpriuez:, d’autant que l’aysance & la facilité, leur oste
l’aigre-douce pointe que nous y trouvonstrouuons,.
Pinguis amor nimiúmque potens, in toediataedia nobis

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LIVRE PREMIER. 110
Vertitur, & stomacho dulcis vt esca nocet.
Pensons nous que les enfans de coeur prennent grand plaisir
à la musique? Lla sacieté la leur rend plustost ennuyeuse. Les
festins, les danses, les masquarades, les tournois rejouyssentreiouyssent
ceux qui ne les voyent pas souventsouuēt, & qui ont desiré de les voir:
mais à qui en faict ordinaire, le goust en devientdeuient fade & mal
plaisant: ny les dames ne chatouillentchatouillēt celuy qui en joytioytjouyt à coeur
saoul. Qui ne se donne loisir d’avoirauoir soif, ne sçauroit prendre
plaisir à boire. Les farces des bateleurs nous res-jouissentiouissent, mais
aux jouëursiouëurs elles serventseruent de corvéecoruée. Et qu’il soit ainsi, ce sont
delices aux Princes, & c’est leur feste, de se pouvoirpouuoir quelque
fois travestirtrauestir, & démettre à la façon de vivreviure basse & po-
pulaire.,
Plerúmque gratae principibus vices
Mundaeque paruo sub lare pauperum
CaenaeCoenae, sine aulaeis & ostro,
Solicitam explicuere frontem.

Position : Marge droite Il n’est rien si empes=
chant si desgouté que
l’abondance. Quel appetit
ne se rebuteroit a voiruoir trois
cens femmes a sa merci
come les ha le grand seigneur
en son serrail Et quel
appetit et visageuisage de chasse
s’estoit reservéreserué celuy de ses ancestres qui
n’aloit jamaisiamais aus champs
a moinsmoīs de sept mille faucon=
niers.

Et outre cela, jeie croy à dire la verité, que ce lustre de grandeurgrādeur,
apporte non legieres incommoditez à la jouyssanceiouyssance des prin-
cipales voluptezplaisirs plus dous: ils sont trop esclairez & trop en butte. Et jeie
ne sçay comment, on requiert plus d’eux de cacher & couvrircouurir
leur faute:. Ccar ce qui est à nous indiscretion, à eux le peuple
jugeiuge que ce soit tyrannie, mespris, & desdain des loix: & ou-
tre l’inclination au vice, il semble qu’ils y adjoustentadioustent, encore
le plaisir de gourmander, & sousmettre à leur pieds les obser-
vances
obser-
uances
publiques.
Position : Marge droite De vraiurai Platon en son
Gorgias definit tyran
celuy a qui tou celuy qui
a licence en une cite de
faire tout ce qui luy plait.
Et souventsouuent à cette cause, la montre & pu-
blication de leur vieviceuice, blesse plus, que le vice mesme. Chacun
craint à estre espié & contrerollé: ils le sont jusquesiusques à leur con-
tenances
cō-
tenances
& à leurs pensees,: tout le peuple estimantestimāt avoirauoir droict
& interest d’en ,iugerIiuger. Outre ce que les taches s’agrandissentagrādissent se-
lon l’eminence & clarté du lieu, où elles sont assises:, & qu’unvn
seing & unevne verrue au visagefront, paroissent plus que ne faict ail-
E e ij

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[110v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
leurs unevne balafre. Voyla pourquoy, les poëtes feignent les a-
mours de JupiterIupiter conduites soubs autre visage que le sien,: &
de tant de practiques amoureuses qu’ils luy attribuent, il n’en
est qu’unevne seule, ce me semble, ou il se trouvetrouue en sa grandeur
& Majesté. Mais revenonsreuenons à Hyeron: il recite aussi com-
bien il sent d’incommoditez en sa royauté, pour ne pouvoirpouuoir
aller & voyager en liberté, estant comme prisonnier dans les
limites de son païs: & qu’en toutes ses actions il se trouvetrouue en-
veloppé
en-
ueloppé
d’unevne facheuse presse. De vray, à voir les nostres tous
seuls à table, assiegez de tant de parleurs & regardans incon-
nuz, ji’en ay eu souventsouuent plus de pitié que d’envieenuie. Le Roy Al-
phonse disoit que les asnes estoyent en cela de meilleure con-
dition que les Roys: leurs maistres les laissent paistre à leur
aise, là où les Roys ne peuventpeuuent pas obtenir cela de leurs ser-
viteurs
ser-
uiteurs
. Et ne m’est jamaisiamais tombé en fantasie, que ce fut quel-
que notable commodité à la vie d’unvn homme d’entendemententendemēt,
d’avoirauoir unevne vingtaine de contrerolleurs à sa chaise percée: ny
que les servicesseruices d’unvn homme qui à dix mille livresliures de rente,
ou qui à pris Casal, ou defendu Siene, luy soyent plus com-
modes & acceptables, que d’unvn bon valet & bien experimen-
té. Les avantagesauantages principesques sont quasi avantagesauantages imagi-
naires: cChaque degré de fortune à quelque image de princi-
pauté. CaesarCęsar appelle Roytelets, tous les Seigneurs ayantayāt justiceiustice
en France de son temps. De vray, sauf le nom de Sire, on va
bienbiē avantauāt, avecauec nos Roys. Et voyez aux ProvincesProuinces esloingnées
de la Cour, nommons Bretaigne pour exemple, le train, les
subjectssubiects, les officiers, les occupations, le serviceseruice & cerimonie
d’unvn Seigneur retiré & casanier, nourry entre ses valets,: &
voyes aussi le vol de son imagination, il n’est rien plus Royal:
il oyt parler de son maistre unevne fois l’an, comme du Roy de
Perse,: & ne le recognoit, que par quelque vieux cousinage,

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LIVRE PREMIER. 111
que son secretaire tient en registre. A la verité nos loix sont
libres assez, & le pois de la souverainetésouueraineté ne touche unvn gentil-
homme
gentil-
hōme
François, à peine deux fois en sa vie:. lLa subjectionsubiectiō essen-
tielle & effectuelle, ne regarde d’entre nous, que ceux qui s’y
convientconuient, & qui ayment à s’honnorer & enrichir par tel servi-
ce
serui-
ce
: car qui se veut tapir en son foyer, & sçait conduire sa mai-
son sans querelle, & sans procés, il est aussi libre que le Duc
de Venise.
Position : Marge droite : paucos
seruitus,
plures ser=
uitutem
tenent.
Mais sur tout Hieron faict cas, dequoy il se voit
privépriué de toute amitié & societé mutuelle: en laquelle consi-
ste le plus parfait & doux fruict de la vie humaine. Car quel
tesmoignage d’affection & de bonne volonté, puis-jeie tirer de
celuy, qui me doit, veuille-il ou non, tout ce qu’il peut? Puis-jeie
faire estat de son humble parler & courtoise reverencereuerence, veu
qu’il n’est pas en luy de me la refuser? L’honneur que nous re-
cevons
re-
ceuons
de ceux qui nous craignent, ce n’est pas honneur: ces
respects se doiventdoiuent à la royauté non à moy.:
maximum hoc regni bonum est
Quod facta domini cogitur populus sui
Quam ferre tam laudare.

Vois-jeie pas que le meschant, le bon Roy, celuy qu’on haït, ce-
luy qu’on ayme, autant en à l’unvn que l’autre: de mesmes appa-
rences, de mesme cerimonie, estoit servyseruy mon predecesseur,
& le sera mon successeur:. sSi mes subjectssubiects ne m’offencent pas,
ce n’est tesmoignage d’aucune bonne affection: pPourquoy
le prendray-jeie en cette part-là, puis qu’ils ne pourroientpourroiēt quand
ils voudroientvoudroiēt? Nul ne me suit pour l’amitié, qui soit entre luy
& moy:, car il ne s’y sçauroit coudre amitié, où il y a si peu de
relation & de correspondance. Ma hauteur m’a mis hors du
commerce des hommes: il y a trop de disparité & de dispro-
portion:. Ils me suiventsuiuent par contenance & par coustume, ou
pour en tirer leurs aggrandissemens & commoditez particu-
lieres,:
plus tost que moy, ma fortune, pour en accroistre la leur:
tTout ce qu’ils me dient, tout ce qu’ils meet font, ce n’est
Ee iij

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[111v]
ESSAIS DE M. MONTA.
que fard & piperie,: lLeur liberté estantestāt toute bridée Position : Interligne haute de toutes pars, par la gran-
de puissance que ji’ay sur eux:, jeie ne voy rienriē autour de moy, que
couvertcouuert & masqué. Ses courtisans loüoient unvn jouriour JulienIulien
l’Empereur de faire bonne justiceiustice: jeie m’en orgueilliroisenorgueillirois volon-
tiers
volō-
tiers
, dict-il, de ces loüanges, si elles venoientvenoiēt de personnes, qui
ozassent accuser ou mesloüer mes actions contraires, quand
elles y seroientseroiēt. Toutes les vraies commoditez qu’ont les Prin-
ces, leurs sont communes avecauec les hommes de moyenne for-
tune: c’est à faire aux Dieux de monter des chevauxcheuaux aislez, &
se paistre d’Ambrosie: ils n’ont point d’autre sommeil & d’au-
tre appetit que le nostre: leur acier n’est pas de meilleure trem-
pe, que celuy dequoy nous nous armons, leur couronne ne les
couvrecouure, ny du soleil, ny de la pluie. Diocletian qui en portoit
unevne si reveréereuerée & si fortunée, la resigna pour se retirer au plaisir
d’unevne vie privéepriuée: & quelque temps apres, la necessité des affai-
res publiques, requerant qu’il revintreuint en prendre la charge, il
respondit à ceux qui l’en prioient: vous n’entreprendriez pas
de me persuader cela, si vous aviezauiez veu le bel ordre des arbres,
que ji’ay moymesme planté chez moy, & les beaux melonsmelōs que
ji’y ay semez. A l’advisaduis d’Anacharsis, le plus heureux estat d’unevne
police, seroit, ou toutes autres choses estant esgales, la prece-
dence se mesureroit à la vertu, & le rebut au vice. Quand le
Roy Pyrrhus entreprenoit de passer en Italie, Cyneas son sage
conseiller luy voulant faire sentir la vanité de son ambition:
& bien Sire, luy demanda-il, à quelle fin dressez vous cette
grande entreprinse? Pour me faire maistre de l’Italie, responditrespōdit-
il soudain: & puis suyvitsuyuit Cyneas, cela faict? JeIe passeray dict
l’autre, en Gaule & en Espaigne: & apres? jeie m’en iray subju-
guer
subiu-
guer
l’Afrique, & en fin, quand ji’auray mis le monde en ma
subjectionsubiection, jeie me reposeray & vivrayviuray content & à mon aise.
Pour Dieu, Sire, fitrechargea lors Cyneas, dictes moy, à quoy il tient
que vous ne soyez dés à present, si vous voulez en cest estat?

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LIVRE PREMIER. 103112
Ppourquoy ne vous logez vous des cette heure, ou vous dictes
aspirer, & vous espargnez tanttāt de travailtrauail & de hazard, que vous
jetteziettez entre deux?
Nimirum quia non bene norat quae esset habendi
Finis, & omnino quoad crescat vera voluptas.

JeIe m’en vais clorre ce pas par unvn verset ancien, que jeie trouvetrouue
singulierement beau à ce propos.,
Mores cuique sui fingunt fortunam.
 


Des loix somptuaires. CHAP. XXXIXXLIII.


 
LA façon dequoy nos loix essayent à regler les foles &
vaines despences des tables, & vestemens, semble estre
contraire à sa fin. Le vray moyen, ce seroit d’engendrer
aux hommes le mespris de l’or & de la soye, comme de choses
vaines & inutiles: & nous leur augmentons l’honneur & le
prix, qui est unevne bien inepte façonfaçō pour en dégouster les hom-
mes: car dire ainsi, qu’il n’y aura que les Princes qui mangent du turbot et qui puissent
porter du velours & de la tresse d’or, & l’interdire au peuple,
qu’est-ce autre chose que mettre en credit ces vanitezchoses là, &
faire croistre l’envieenuie à chacun d’en uservser? Que les Roys quittentquittēt
hardiment ces marques de grandeur, ils en ont assez d’autres,
tels excez sont plus excusables à tout autre qu’à unvn prince. Par
l’exemple de plusieurs nationsnatiōs, nous pouvonspouuons apprendre assez
de meilleures façons de nous distinguer exterieurement, &
nos degrez (ce que ji’estime à la verité, estre bien requis en unvn
estat) sans nourrir pour cet effect, cette corruption & incom-
modité si apparente: cC’est merveillemerueille comme la coustume en
ces choses indifferentes plante aisément & soudain le pied de
son authorité. A peine fusmes nous unvn an, pour le dueil du
roy Henry secondsecōd à porter du drap à la cour, il est certain que
desjadesia à l’opinion d’unvn chacun, les soyes estoient venuës à telle
vilité, que si vous en voyez quelqu’unvn vestu, vous en faisiez

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[112v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
soudain argumentargumēt, que c’estoitincontinant quelque hommehōme de peu,villeuille. eElles estoientestoiēt
demeurées en partage aux medecins & aux chirurgiens: &
quoy qu’unvn chacun fust à peu pres vestu de mesme, si y avoitauoit-
il d’ailleurs assez de distinctions apparentes, des qualitez
des hommes. Combien soudainement viennent en hon-
neur parmy nos armées, les pourpoins crasseux de chamois
& de toile, & la pollisseure & richesse des vestements à repro-
che & à mespris. Que les Rois & les Princes commencent à
quitter ces despences, ce sera faict en unvn moins, sans edict, &
sans ordonnance,: nous irons trestous apres. La Loy devroitdeuroit
dire tout au rebours, que le cramoisy & l’orfeverieorfeuerie est defen-
duë à toute espece de gens, sauf aux basteleurs & aux courtisa-
nes. De pareille inventioninuention corrigea Zeleucus, les meurs cor-
rompuës des Locriens: ses ordonnances estoient telles: que la
femme de condition libre, ne puisse mener apres elle plus d’u-
ne
v-
ne
chambriere, sinon lors qu’elle sera yvreyure: ny ne puisse sortir
hors de la ville de nuict, ny porter joyauxioyaux d’or à l’entour de sa
personne, ny robbe enrichie de broderie, si elle n’est publique
& putain: que sauf les ruffiensruffiēs, à l’homme ne loise porter en son
doigt anneau d’or, ny robbe delicate, comme sont celles des
draps tissus en la ville de Milet. Et ainsi par ces exceptionsexceptiōs hon-
teuses, il divertissoitdiuertissoit ingenieusement les personnesses citoiens, des super-
fluitez & delices pernicieuses. C’estoit unevne tres-utilevtile maniere
d’attirer par honneur & ambition, les hommes à l’obeissance.
Nos Roys peuventpeuuent tout en telles reformations externes: leur
inclination y sert de loy,
Position : Marge gauche , quidquid Position : Interligne haute principes faciuntfaciūt
praecipere uidentur:

car come dict un
antien tout ce
que le prince faict
il semble a voiruoir qu’il
le comande
. Quidquid
principes faciunt praecipere
uidentur.
car lLe reste de la France prend pour
patron, ce qui se faict àregle la regle de la court: ces façons vitieuses naissent
pres d’eux
:. qQu’ils se desplaisent de cette vilaine chaussure, qui
montre si à descouvertdescouuert nos membres plus honteuxoccultes,: ce mon-
strueuxlourd grossissement de pourpoins, qui nous faict tous au-
tres que nous ne sommes, si incommode à ceux qui ont à s’ar-
mer: ces longues tresses de poil effeminées: cet usagevsage de baiser
ce

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LIVRE PREMIER. 113
ce que nous presentons à nos compaignons, & nos mains en
les saluant, ceremonie deuë autresfois aux seuls Princes: &
qu’unvn gentil-homme se trouvetrouue en lieu de respect, sans espée à
son costé, tout esbraillé, & destaché, comme s’il venoit de la
garderobbe: & que contre la forme de nos peres, & la parti-
culiere liberté de la noblesse de ce Royaume, nous nous tenonstenōs
descouvertsdescouuerts bien loing autour d’eux, en quelque lieu qu’ils
soient: & commecōme autour d’eux, autour de cent autres, tant nous
avonsauons de tiercelets & quartelets de Roys: & ainsi d’autres pa-
reilles introductions nouvellesnouuelles & vitieuses:, elles se verront in-
continent esvanouyesesuanouyes & descriées. Ce sont erreurs superfi-
cielles, mais pourtant de mauvaismauuais prognostique, & sommes
advertisaduertis que le massif se desment, quand nous voyons fendil-
ler l’enduict, & la crouste de nos parois.
Position : Marge droite Platon en ses loix n’estime
peste du monde plus domagea=
ble a la cite que de doner licence
a la junesseiunesse
laisser prendre
liberte a la junesseiunesse de
changer en acoustrements en
gestes en danses Position : Interligne haute en exercices et en chançons
d’une forme a autre: remuant
son jugementiugement d’une en autretantost en cete assiete
tantost en celela courant apres les nouveleteznouueletez et
honorant leurs invantursinuanturs: par ou les meurs se
corrompent et toutes antienes
institutions vienentuienent a desdein &
a mespris. En toutes choses sauf
simplement aus mauvesesmauueses
la mutation est a creindre.
La mutation des saisons des
vensuens des vivresuiures des humeurs
et nulles loix ne sont en Position : Interligne haute leur vrayuray credit
que celles aus quellequelles dieu a do
quelqu’antiene duree de mode
que nulpersone ne sache qu’elles aïent
jamaisiamais este autres
leur naissance
etny qu’elles ayent jamaisiamais esté
autres.

 


Du dormir. CHAP. XLIIII.


 
LA raison nous ordonne bien d’aller tousjourstousiours mesme
chemin, mais non toutesfois mesme train: & ores que
le sage ne doivedoiue donner aux passions humaines, de
se fourvoierfouruoier de la droicte carriere, il peut bien sans interest de
son devoirdeuoir, leur quitter, aussi, d’en haster ou retarder son pas, &
ne se planter comme unvn Colosse immobile & impassible.
QuandQuād la vertu mesme seroit incarnée, jeie croy que le poux luy
battroit plus fort allant à l’assaut, qu’allant disner: voire il est
necessaire qu’elle s’eschauffe & s’esmeuveesmeuue. A cette cause ji’ay re-
marqué pour chose rare, de voir quelquefois les grands per-
sonnages, aux plus hautes entreprinses & importans affaires,
se tenir si entiers en leur assiette, que de n’en accourcir pas seu-
lement leur sommeil. Alexandre le grandgrād, le jouriour assigné à cet-
te furieuse bataille contre Darius, dormit si profondement, &
si haute matinée, que Parmenion fut contraint d’entrer en sa
chambre, & approchantapprochāt de son lit, l’appeller deux ou trois fois
Ff

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[113v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
par son nom, pour l’esveilleresueiller, le temps d’aller au combatcōbat le pres-
sant. l’Empereur Othon ayant resolu de se tuer, cette mesme
nuit, apres avoitauoit mis ordre à ses affaires domestiques, partagé
son argent à ses serviteursseruiteurs, & affilé le tranchant d’unevne espée
dequoy il se vouloit donner, n’attendant plus qu’à sçavoirsçauoir si
chacunchacū de ses amis s’estoit retiré en seureté, se print si profonde-
ment
profōde-
ment
à dormir, que ses valets de chambrechābre l’entendoient ronfler.
La mort de cet Empereur à beaucoup de choses pareilles à cel
le du grand Caton, & mesmes cecy: car Caton estant prest à se
deffaire, cependant qu’il attendoit qu’on luy rapportast nou-
velles
nou-
uelles
si les senateurs qu’il faisoit retirer, s’estoient eslargis du
port d’UtiqueVtique, se mit si fort à dormir, qu’on l’oyoit souffler de
la chambre voisine: & celuy qu’il avoitauoit envoyéenuoyé vers le port,
l’ayant esveilléesueillé, pour luy dire que la tourmente empeschoit
les senateurs de faire voile à leur aise, il y en renvoyarēuoya encore unvn
autre, & se r’enfonçantenfonçāt dans le lict, se remit encore à sommeil-
ler, jusquesiusques à ce que ce dernier l’asseura de leur partement. En-
core avonsauons nous dequoy le comparer au faict d’AlexandreAlexādre, en
ce grand & dangereux orage, qui le menassoit, par la sedition
du Tribun Metellus, voulant publier le decret du rappel de
Pompeius dans la ville avecquesauecques son armée, lors de l’émotion
de Catilina: auquel decret Caton seul insistoit, & en avoientauoiēt eu
Metellus & luy, de grosses paroles & grandsgrāds menasses au Senat:
mais c’estoit au lendemainlēdemain en la place, qu’il failloit venir à l’ex-
ecution, ou Metellus, outre la faveurfaueur du peuple & de Caesar
conspirantconspirāt lors aux advantagesaduātages de Pompeius, se devoitdeuoit trouvertrouuer,
accompagné de force esclavesesclaues estrangiers, & escrimeurs à ou-
trance
ou-
trāce
, & CatonCatō fortifié de sa seule constancecōstance: de sorte que ses pa-
rens
pa-
rēs
, ses domestiques, & beaucoup de gensgēs de bienbiē, en estoyentestoyēt en
grand soucy: & en y eut qui passerent la nuict ensemble, sans
vouloir reposer, ny boire, ny manger, pour le dangierdāgier qu’ils luy
voioyent preparé: mesme sa femme, & ses soeurs ne faisoyent

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 114
que pleurer & se tourmenter en sa maison: là où luy au con-
traire, reconfortoit tout le monde: & apres avoirauoir souppé com-
me
cō-
me
de coustume, s’en alla coucher & dormir de fort profond
sommeil, jusquesiusques au matin, que l’unvn de ses compagnonscōpagnons au Tri-
bunat, le vint esveilleresueiller pour aller à l’escarmouche. La connois-
sance
cōnois-
sance
, que nous avonsauons de la grandeur de courage, de ces troist
hommes, par le reste de leursa vie, nous peut faire jugeriuger en tou-
te seureté, que cecy leurlui partoit d’unevne ame si loing enslevéeensleuée
au dessus de tels accidents, qu’ils n’en daignoient entrer en Position : Interligne haute cervelleceruelle cervelleceruelle,
émotionalteration, non plus que d’accidensaccidēs ordinaires. En la bataille na-
vale
na-
uale
que Augustus gaigna contre Sextus Pompeius en Sicile,
sur le point d’aller au combatcōbat, il se trouvatrouua pressé d’unvn si profond
sommeil, qu’il fausit que ses amis l’esveillassentesueillassent, pour donner
le signe de la bataille. Cela donna occasion à M. Antonius de
luy reprocher depuis, qu’il n’avoitauoit pas eu le coeur, seulementseulemēt de
regarder les yeux ouvertsouuerts, l’ordonnanceordonnāce de son armée, & de n’a-
voir
a-
uoir
osé se presenter aux soldats, jusquesiusques à ce qu’Agrippa luy
vint annoncer la nouvellenouuelle de la victoire, qu’il avoitauoit eu sur ses
ennemis. Mais quant au jeuneieune Marius, qui fit encore pis, car le
jouriour de sa derniere journéeiournée contre Sylla, apres avoirauoir ordonné
son armée, & donné le mot & signe de la bataille, il se coucha
dessoubs unvn arbre à l’ombre, pour se reposer, & s’endormit si
serré, qu’à peine se peut-il esveilleresueiller de la route & fuitte de ses
gens, n’ayant rien veu du combat, ils disent que ce fut pour
estre si extremementextrememēt aggravéaggraué de travailtrauail, & de faute de dormir,
que nature n’en pouvoitpouuoit plus. Et à ce propos les medecins, ad-
viseront
ad-
uiseront
si le dormir est si necessaire, que nostre vie en dépendedépēde,
car nous trouvonstrouuons bien, qu’on fit mourir le Roy Perseus de
Macedoine prisonnier à Rome, luy empeschant le sommeil,
mais Pline en allegue, qui ont vescu long temps sans dormir.
Position : Interligne basse Ches Herodote il y a des nations aus quelles les homes
dorment et veillentueillent par demi annees. Et ceus qui escriventescriuent
la vieuie du philosophesage Epimenides disent qu’il dormit cinquante
sept ans de suite

Ff ij

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[114v]
ESSAIS DE M. DE MONT.


De la bataille de Dreux. CHAP. XLV.


IL y eut tout plein de rares accidensaccidēs en nostre bataille de
Dreux: mais ceux qui ne favorisentfauorisent pas fort la repu-
tation de monsieur de Guise, mettent volontiers en a-
vant
a-
uant
, qu’il ne se peut excuser d’avoirauoir faict alte, & temporisé a-
vec
a-
uec
les forces qu’il commandoit, cependant qu’on enfonçoit
monsieur le Connestable chef de l’armée, avecquesauecques l’artille-
rie: & qu’il valoit mieux se hazarder, prenantprenāt l’ennemy par flancflāc,
qu’attendant l’advantageaduantage de le voir en queuë, souffrir unevne si
lourde perte: mais outre ce, que l’issuë en tesmoigna, qui en
debattra sans passion, me confessera aisément, à mon advisaduis,
que le but & la visée, non seulement d’unvn capitaine, mais
de chasque soldat, doit regarder la victoire en gros, & que
nulles occurrences particulieres, quelque interest qu’il y ayt,
ne le doiventdoiuent divertirdiuertir de ce point là. Philopoemen en unevne ren-
contre contre Machanidas, ayant envoyéenuoyé devantdeuant pour atta-
quer l’escarmouche, bonne trouppe d’archers & gensgēs de traict:
& l’ennemy apres les avoirauoir renversezrenuersez, s’amusant à les poursui-
vre
poursui-
ure
à toute bride, & coulant apres sa victoire le long de la ba-
taille où estoit PhilopoemenPhilopoemē, quoy que ses soldats s’en émeus-
sent, il ne fut d’advisaduis de bouger de sa place, ny de se presenter
à l’ennemy, pour secourir ses gens: ains les ayant laissé chasser
& mettre en pieces à sa veue, commença la charge sur les en-
nemis au bataillon de leurs gens de pied, lors qu’il les vit tout
à fait abandonnez de leurs gens de chevalcheual: & bien que ce fus-
sent Lacedemoniens, d’autant qu’il les prit à heure, que pour
tenir tout gaigné, ils commençoientcōmençoient à se desordonner, il en vint
aisément à bout, & cela fait se mit à poursuivrepoursuiure Machanidas.
Ce faictcas est germain à celuy de MonsieurMōsieur de Guise. En cette as-
pre bataille d’Agesilaus contre les Boeotiens, que Xenophon
qui y estoit, dict estre la plus rude qu’il eust onques veu, Age-
silaus refusa l’avantageauātage que fortune luy presentoit, de laisser passer

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LIVRE PREMIER. 115
le bataillon des BoeotiensBoeotiēs & les charger en queue, quelque cer-
taine victoire qu’il en previstpreuist, estimant qu’il y avoitauoit plus d’art
que de vaillance,: & pour monstrer sa proësse d’unevne merveil-
leuse
merueil-
leuse
ardeur de courage, choisit plustost de leur donner en te-
ste: mais aussi y fut-il bien battu & blessé, & contraint en fin
de se demesler, & prendre le party qu’il avoitauoit refusé au com-
mencement, faisant ouvrirouurir ses gens, pour donner passage à ce
torrent de Boeotiens: puis quandquād ils furent passez, prenant gar-
de qu’ils marcheoyent en desordre, comme ceux qui cui-
doient bien estre hors de tout dangier, il les fit suivresuiure, & char-
ger, par les flancs: mais pour cela ne les peut-il tourner en fui-
te à val de route, ains se retirarent le petit pas, monstrant
tousjourstousiours les dens, jusquesiusques à ce qu’ils se furent rendus à sau-
veté
sau-
ueté
.
 


Des noms. CHAP. XLVI.


QUELQUEQVELQVE diversitédiuersité d’herbes qu’il y ait, tout s’enve-
loppe
enue-
loppe
sous le nom de salade. De mesme, sous la con-
sideration des noms, jeie m’en voy faire icy unevne gali-
mafrée de diversdiuers articles. Chaque nationnatiō a quelques noms qui
se prennent, jeie ne sçay comment, en mauvaisemauuaise part: & à nous
JehanIehan, Guillaume, Benoit. Item, il semble y avoirauoir en la genea-
logie des Princes, certains noms fatalement affectez: comme
des Ptolomées à ceux d’AEgypte, de Henris en Angleterre,
Charles en France, Baudoins en Flandres, & en nostre ancien-
ne
anciē-
ne
Aquitaine des Guillaumes, d’où l’on dict que le nom de
Guienne est venu: par unvn froid rencontre, s’il n’en y avoitauoit
d’aussi cruds dansdās Platon mesme. Item, c’est unevne chose legiere,
mais toutefois digne de memoire pour son estrangeté, & es-
cripte par tesmoing oculaire, que Henry Duc ce NormandieNormādie,
fils de Henry second Roy d’Angleterre, faisant unvn festin en
France, l’assemblée de la noblesse y fut si grandegrāde, que pour pas-
Ff iij

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[115v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
se-temps, s’estant diviséediuisée en bandes par la ressemblance des
nomsnōs: en la premiere troupe qui fut des Guillaumes, il se trou-
va
trou-
ua
cent dix ChevaliersCheualiers assis à table portans ce nom, sans met-
tre en conte les simples gentils-hommes & serviteursseruiteurs. Il est
autant plaisant de distribuer les tables par les noms des assi-
stans, comme il estoit à l’Empereur Geta, de faire distribuer
le serviceseruice de ses mets, par la consideration des premieres let-
tres du nom des viandes: on servoytseruoyt celles qui se commen-
çoient
commē-
çoient
par, m: mouton, marcassin, merlus, marsoin, ainsi des
autres. Item, il se dit qu’il faict bon avoirauoir bon nom, c’est à di-
re credit & reputation: mais encore à la verité est-il commo-
de, d’avoirauoir unvn nom beau & qui aisément se puisse comprendrecomprēdreprononcer,
& mettre en memoireretenir: car les Roys & les grands, nous en
connoissent plus aisément, & oublient plus mal volontiers,:
& de ceux mesmes qui nous serventseruent, nous comman-
dons plus ordinairement & employons ceux, desquels
les noms se presentent le plus facilement ena la bouchelangue. JI’ay
veu le Roy Henry secondsecōd, ne pouvoirpouuoir jamaisiamais nommer à droit,
unvn gentilgētil-homme de ce quartier de Gascouigne, & à unevne fille
de la Royne, il fut luy mesme d’advisaduis de donner le nom gene-
ral de la race, parce que celuy de la maison paternelle luy sem-
bla trop direversdireuers.
Position : Marge gauche Et Socrates estime digne
du soin paternel de
doner un beau nom
aus enfans
Item, on dit que la fondation de nostre Da-
me la grand à Poitiers, prit origine de ce que unvn jeuneieune hommehōme
débauché, logé en cet endroit, ayant recouvrérecouuré unevne garce, &
luy ayant d’arrivéearriuée demandé son nom, qui estoit Marie, se
sentit si vivementviuement espris de religion & de respect, de ce nom
Sacrosainct de la Vierge mere de nostre SauveurSauueur, que non seu-
lement il la chassa soudain, mais en amanda tout le reste de sa
vie: & qu’en consideration de ce miracle, il fut basti en la pla-
ce, où estoit la maison de ce jeuneieune homme, unevne chapelle au
nom de nostre Dame, & depuis l’Eglise que nous y voyons.
Position : Marge gauche Cette correction
voïelleuoïelle et auriculere,
relligieuse,devotieusedeuotieuse, donatira
droit a l’amelame: cett’autre de mesme genre, s’insinura par les sens corporels: Pythagoras
estant en compaignie de junesiunes homes, lesquels il sentit comploter, eschauffez de la
feste, d’aller violeruioler une maison pudique, comanda a la menestriere, de changer
de ton, et par une musique poisante severeseuere et spondaique, enchanta tout
doucemant leur ardur et l’endormit.

Item, dira pas la posterité, que nostre reformation d’aujourauiour-

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LIVRE PREMIER. 116
d’huy ait esté delicate & exacte, de n’avoirauoir pas seulement com-
batu
cō-
batu
les erreurs, & les vices, & rempli le monde de devotiondeuotion,
d’humilité, d’obeïssance, de paix, & de toute espece de vertu,
mais d’avoirauoir passé jusqueiusque à combatre ces anciensanciēs noms de nos
baptesmes, Charles, Loys, François, pour peupler le monde
de Mathusalem, Ezechiel, Malachie, beaucoup mieux sentanssentās
de la foy? UnVn gentil’homme mien voisin, estimant les commo-
ditez
cōmo-
ditez
du vieux temps au pris du nostre, n’oublioit pas de met-
tre en conte, la fierté & magnifiencéemagnificence des noms de la noblesse
de ce temps, Don Grumedan, Quedragan, Agesilan, & qu’à
les ouïr seulement sonner, il se sentoit qu’ils avoyentauoyent esté bienbiē
autres gens, que Pierre, Guillot, & Michel. Item, jeie sçay bon
gré à JacquesIacques Amiot d’avoirauoir laissé dans le cours d’unvn oraison
Françoise, les noms Latins tous entiers, sans les bigarrer &
changer, pour leur donner unevne cadence Françoise. Cela sem-
bloit unvn peu rude au commencement: mais des-jaia l’usagevsage par
le credit de son Plutarque, nous en a osté toute l’estrangeté:.
jJiI’ay souhaité souventsouuent, que ceux qui escriventescriuent les histoires en
Latin, nous laissassent nos noms tous tels qu’ils sont: car en
faisant de Vaudemont, Vallemontanus, & les Metamorpho-
sant, pour les garber à la Grecque ou à la Romaine, nous ne
sçavonssçauons où nous en sommes, & en perdons la connoissance.
Pour clorre nostre conte, c’est unvn vilain usagevsage & de tresmau-
vaise
tresmau-
uaise
consequence en nostre France, d’appeler chacun par le
nom de sa terre & Seigneurie, & la chose du monde, qui faict
plus mesler & mesconnoistre les races. UnVn cabdet de bonne
maison, ayantayāt eu pour son appanage unevne terre, sous le nom de
laquelle il à esté connu & honoré, ne peut honnestement l’a-
bandonner: dix ans apres sa mort, la terre s’en va à unvn estran-
gier, qui en faict de mesmes: devinezdeuinez où nous sommes, de la
connoissance de ces hommes. Il ne faut pas aller querir d’au-
tres exemples, que de nostre maison Royalle, ou autant de

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[116v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
partages, autant de surnoms: cependant l’originel de la tige
nous est eschappé. Il y à tant de liberté en ces mutations, que
de mon temps jeie n’ay veu personne eslevéesleué par la fortune à quel
que grandeur extraordinaire, à qui on n’ait attaché inconti-
nent des titres genealogiques, nouveauxnouueaux & ignorez à son pe-
re, & qu’on n’ait anté en quelque illustre tige: &Et de bonnebōne for-
tune les plus obscures familles, sont plus idoynes à falsifica-
tion. Combien avonsauons nous de gentils-hommes en FranceFrāce, qui
sont de Royalle race selon leurs comptes: plus ce croys-jeie
que d’autres. Fut-il pas dict de bonne grace par unvn de mes
amys: ils estoyent plusieurs assemblez pour la querelle d’unvn
Seigneur, contre unvn autre, lequel autre, avoitauoit à la verité quel-
que prerogativeprerogatiue de titres & d’alliances, eslevéesesleuées au dessus de la
commune noblesse. Sur le propos de cette prerogativeprerogatiue, cha-
cun cherchant à s’esgaler à luy, alleguoit, qui unvn’origine, qui
unvn’autre, qui la ressemblance du nom, qui des armes, qui unevne
vieille pancarte domestique: & le moindre se trouvoittrouuoit arriere
fils de quelque Roy d’outremer. Comme ce fut à disner, cet-
tuy cy, au lieu de prendre sa place, se recula en profondes re-
verences
re-
uerences
, suppliant l’assistance de l’excuser, de ce que par te-
merité il avoitauoit jusquesiusques lors vescu avecauec eux en compaignon:
mais qu’ayant esté nouvellementnouuellement informé de leurs vieilles
qualitez, il commençoit à les honnorer selon leurs degrez
& qu’il ne luy appartenoit pas de se soir parmy tant de Prin-
ces. Apres sa farce, il leur dict mille injuresiniures: contentez vous
de par Dieu, de ce de quoi nos peres se sont contantez: et de ce que nous sommes, nous sommes assez si nous
le sçavonssçauons bien maintenir: ne desadvouonsdesaduouons pas la fortune &
condition de nos peresayeuls, & ostons ces sotes imaginations, qui
ne peuventpeuuent faillir à quiconque à l’impudence de les alleguer.
Les armoiries n’ont de seurté, non plus que les surnoms. IlJeIe
porte d’azur semé de trefles d’or, à unevne pate de LyonLyō de mesme,
armée de gueules, mise en face. Quel privilegepriuilege à cette figure
pour

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LIVRE PREMIER. 117
pour demeurer particulierement en unevnema maison: unvn gendre
la transportera en unevne autre famille,: quelque chetif acheteur
en fera ses premieres armes: il n’est chose où il se rencontre
plus de mutation & de confusion. Mais cette consideration
me tire par force à unvn autre champchāp. Sondons unvn peu de pres, &
pour Dieu regardons, à quel fondement nous attachonsattachōs cette
gloire & reputation, pour laquelle se bouleversebouleuerse le mondemōde: ou
asseonsasseōs nous cette renommée que nous allons questant avecauec si
grandgrād peine? [Note (Mathieu Duboc) : Ce signe d’insertion biffé a été déplacé à la ligne suivante après "touche."] C’est en somme Pierre ou Guillaume, qui la por-
te, prend en garde, & à qui elle touche.
Position : Marge droite O la courageuse faculté
que l’esperancelesperane qui en un
subjetsubiet mortel et en un
moment vaua usurpant
l’infinite l’immansité
l’aeternitélaeternité: nature nous ha
la donè un plaisant jouëtiouët.
Et ce Pierre ou Guil-
laume qu’est ce qu’unevne voix pour tous potages? ou trois ou
quatre traicts de plume, premierement si aisez à varier, que jeie
demanderois volontiers à qui touche l’honneur de tant de
victoires, à Guesquin, à Glesquin, ou Position : Interligne haute a Gueaquin? Il y auroit
bien plus d’apparence icy, qu’en Lucien que Σ. mit T. en
procez, car
non leuia aut ludicra petuntur
Praemia,

Iil y va de bon, il est questionquestiō laquelle de ces lettres doit estre
payée de tant de sieges, batailles, blessures, prisons & servicesseruices
faits à la couronne de France, par ce sien fameux connestable.
Nicolas Denisot n’a eu soing que des lettres de son nom, &
en à changé toute la contexturecōtexture, pour en bastir le Conte d’Al-
sinois, qu’il à estrené de la gloire de sa poësie & peinture. Et
l’Historien Suetone n’a aymé que le sens du sien, & en ayant
privépriué Lénis, qui estoit le surnom de son pere, à laissé Tran-
quillus successeur de la reputationreputatiō de ses escrits. Qui croroitcroiroit que
le Capitaine Bayard n’eut honneur, que celuy qu’il à emprun-
emprū-
des faicts de Pierre Terrail? & qu’Antoine Escalin se laisse
voler à sa veuë tant de navigationsnauigations & charges par mer & par
terre au Capitaine Poulin, & au Baron de la Garde? Secon-
dement ce sont traicts de plume communs à mill’hommes.
Gg

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[117v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Combien y à il en toutes les races, de personnes de mesme non
& surnom?
Position : Marge gauche Et en diversesdiuerses races Position : Interligne haute siecles & païs combien?
L’histoire a conu trois Socrates, cinq Platons, huict Aristotes, sept Xenophons vintuint Demetrius vintuint Theodores
six AnaximandresCrates, quatre
Anaxagores, sept Xenophons,
vintuint Theodores:
et divinesdiuines
combien elle n’en a pas conu
Et puis qQui empesche mon palefrenier de s’ap-
peller PompeéPompée le grand? Mais apres tout, quels moyens, quels
ressors y à il qui attachent à mon palefrenier trespassé, ou à
cet autre homme qui eut la teste tranchée en AEgypte, &
qui joignentioignent à eux, cette voix glorifiée, & ces traicts de plu-
me, ainsin honorez, pouraffin qu’ils s’en adventagentaduentagent.,
Id cinerem & manes credis curare sepultos?
Position : Marge gauche Quel ressentimant ont
les premiers homes qui
furent onques
deus compaignons en principale
valur entre les homes
. Epaminondas,
de ce gol glorieus & magnifique
vers qui court pour t luy en nos
bouches
Consilijs nostris laus est attonsa Laconum
& Aphricanus de cet autre
A sole exoriente supra Maeotis paludes
Nemo est qui factis me aequiparare queat.

Les survivanssuruiuans se chatouillent de
la douceur de ces voixuoix pour les
trespasses a qui elles ne vienentuienēt
plus
et sont par icelles sollicites
de jalousieialousie et desir transmetanāenēt
par fantasie inconsidereement
par fantasie aus tres passez[sic] cettuy
leur propre ressentiment et sed’une pipantpipeuse
de l’par esperance se donent a croire
d’en estre capables a leur tour.
Dieu le sçait. Toutesfois

Toutesfois.
ad haec se
Romanus Graiúsque & Barbarus Induperator
Erexit, causas discriminis atque laboris
Inde habuit, tanto maior famae sitis est, quam
Virtutis.


De l’incertitude de nostre jugementiugement.
CHAP. XLVII.


 
C’EST bien ce que dict ce vers,
ΕπέωνἘπέων δὲ πολὺϛ νόμοϛ ἔνθα καὶ ἔνθα [Note (Alain Legros) : Dans le vers d’Homère cité, l’accent (grave) du mot nomos est sur le second o, signifiant "champ". En le plaçant sur le premier o (accent aigu), Montaigne lui donne le sens de "possibilité".]
il y à prou loy de parler par tout, & pour, & contre.
Pour exemple
Vinse Hannibal & non seppe vsar’ poi
Ben la vittoriosa sua ventura,

Qqui voudra estre de ce party, & faire valoir avecquesauecques nos gensgēs,
la faute de n’avoirauoir dernierement poursuivypoursuiuy nostre pointe à
Montcontour, ou qui voudra accuser le Roy d’Espagne, de
n’avoirauoir sçeu se servirseruir de l’advantageaduantage qu’il eut contre nous à
Sainct Quentin, il pourra dire cette faute partir d’unevne ame
enyvréeenyurée de sa bonne fortune, & d’unvn courage, lequel plein &
gorgé de ce commencement de bon heur, perd le goust de
l’accroistre, des-jaia par trop empesché à digerer ce qu’il en à: il
en à sa brassée toute comblecōble, il n’en peut saisir davantagedauantage, indi-
gne que la fortune luy aye mis unvn tel bien entre mains: car

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LIVRE PREMIER. 118
quel profit en sent-il, si neantmoins il donne à son ennemy
moyen de se remettre sus? Qqu’ell’esperanceQquell’esperance peut on avoirauoir
qu’il ose unvn’autrefois attaquer ceux-cy ralliez & remis, & de
nouveaunouueau armez de despit & de vengeance, qui ne les à osé ou
sçeu poursuivrepoursuiure tous rompus & effrayez?
Dum fortuna calet, dum conficit omnia terror.
Mais en fin, que peut il attendre de mieux, que ce qu’il vient
de perdre? Ce n’est pas comme à l’escrime ou le nombre des
touches donne gain: tant que l’ennemy est en pieds, c’est à
recommencer de plus belle: ce n’est pas victoire, si elle ne
met fin à la guerre. En cette escarmouche ou Caesar eut du
pire pres la Ville d’Oricum, il reprochoit aux soldats de Pom-
peius
Pō-
peius
, qu’il eust esté perdu, si leur Capitaine eust sçeu vaincre:,
& luy chaussa bien autrement les esperons, quand ce fut à son
tour. Mais pourquoy ne dira l’on aussi au contraire?, que c’est
l’effect d’unvn esprit precipiteux & insatiable, de ne sçavoirsçauoir
mettre fin à sa convoitisecōuoitise: que c’est abuser des faveursfaueurs de Dieu,
de leur vouloir faire perdre la mesure qu’il leur à prescripte:
& que de se rejetterreietter au dangier apres la victoire, c’est la re-
mettre encore unvn coup à la mercy de la fortune: que l’unevne des
plus grandes sagesses en l’art militaire c’est de ne pousser
son ennemy au desespoir. Sylla & Marius en la guerre socia-
le ayant défaict les Marses, en voyant encore unevne trouppe de
reste, qui par desespoir se revenoientreuenoiēt jetterietter à eux, commecōme bestes
furieuses, ne furent pas d’advisaduis de les attendre. Si l’ardeur de
Monsieur de Foix ne l’eut emporté à poursuivrepoursuiure trop aspre-
ment les restes de la victoire de RavenneRauenne, il ne l’eut pas souil-
lée de sa mort. Toutesfois encore servitseruit la recente memoire
de son exemple, à conserverconseruer Monsieur d’Anguien de pareil
inconvenientinconuenient, à Serisoles. Il faict dangereux assaillir unvn
homme, à qui vous avezauez osté tout autre moyen d’escha-
per que par les armes: car c’est unevne violente maistresse d’es-
Gg ij

Fac-similé BVH

[118v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
cole que la necessité., grauissimi sunt morsus irritata necessitatis:
Vincitur haud gratis iugulo qui prouocat hostem.

Position : Marge haute Voyla pourquoy Pharax empescha le Roy de Lacedemone, qui venoit de gaigner
la journeeiournee contre les MantineensMantineēs de n’aller affronter mille Argiens qui estoint
eschapez entiers de la desconfiture ains les laisser couler en liberte pour
ne veniruenir a essaier la vertuuertu piquee & despitee par le malheur.

Clodomitre Roy d’Aquitaine, apres sa victoire poursuyvantpoursuyuant
Gondemar Roy de Bourgogne vaincu & fuiant, le força de
tourner test, mais son opiniatreté luy osta le fruict de sa vi-
ctoire, car il y mourut. [Note (Alain Legros) : Dès 1580, ce chapitre est le seul des Essais à être entièrement paragraphé.]
PareillementPareillemēt qui auroit à choisir ou de tenir ses soldats riche-
ment
riche-
mēt
& somptueusementsomptueusemēt armez, ou armez seulementseulemēt pour la ne-
cessité: il se presenteroit en faveurfaueur du premier party, duquel e-
stoit Sertorius, PhilopoemenPhilopoemē, Brutus, Caesar & autres, que c’est
tousjourstousiours unvn éguillon d’honneur & de gloire au soldat de se
voir paré, & unvn’occasion de se rendre plus obstiné au combatcōbat,
ayantayāt à sauversauuer ses armes, comme ses biens & heritages.
Position : Marge gauche Raison dict Xenophon
pourquoi les Asiatiques
menoint en leurleurs
guerres fames concu
bines aveqaueq leurs joyeausioyeaus
& richesses plus cheres
Mais il
s’offriroit aussi de l’autre part, qu’onō doit plustost oster au sol-
dat le soing de se conservercōseruer, que de le luy accroistre: qu’il crain-
dra par ce moyenmoyē doublementdoublemēt à se hazarder: jointioint que c’est aug-
menter
aug-
mēter
à l’ennemy l’envieēuie de la victoire, par ces riches despouil-
les: & à l’on remarqué que d’autres fois cela encouragea mer-
veilleusement
mer-
ueilleusement
les Romains à l’encontreencōtre des Samnites. Car An-
tiochus montrant à HannibalHānibal l’armée qu’il preparoit contrcōtr’eux
pompeusepōpeuse & magnifique en toute sorte d’equipage, & luy de-
mandant
de-
mandāt
ainsi.: Lles Romains se contenterontcontenterōt ils de cette armée?
Ss’ils s’en contenteront responditrespōdit-il, vrayement c’est mon, pour
avaresauares qu’ils soyent. Licurgus deffendoit aux siens, non seule-
ment la sumptuosité en leur equipage, mais encore de des-
pouiller leurs ennemis vaincus, voulant, disoit-il, que la pau-
vreté
pau-
ureté
& frugalité reluisit avecauec le reste de la bataille.
Aux sieges & ailleurs, où l’occasion nous approche de l’en-
nemy, nous donnons volontiers licence aux soldats de le
braverbrauer, desdaigner, & injurieriniurier de toutes façons de repro-
ches: & non sans apparence de raison.: Ccar ce n’est pas faire
peu, de leur oster toute esperance de grace & de compo-

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 119
sition, en leur representant qu’il n’y à plus ordre de l’attendre
de celuy, qu’ils ont si fort outragé, & qu’il ne reste remede que
de la victoire. Si est-ce qu’il en mesprit à Vitellius, car ayant
affaire à Othon, plus foible en valeur de soldats, des-accoustu-
mez de longue main du faict de la guerre, & amollis par les
delices de la ville, il les agassa tant en fin, par ses paroles picquan-
tes
picquā-
tes
, leur reprochant leur pusillanimité, & le regret des Dames
& festes, qu’ils venoient de laisser à Rome, qu’il leur remit par
ce moyen le coeur au ventre, ce que nuls enhortemensenhortemēs n’avoientauoiēt
sceu faire:, & les attira luy mesme sur ses bras, ou l’on ne les pou
voit
pou
uoit
pousser: & de vray, quand ce sont injuresiniures qui touchent au
vif, elles peuventpeuuent faire ayséement, que celuy qui alloit láche-
ment à la besongne pour la querelle de son Roy, y aille d’un
autre affection pour la sienne propre.
A considerer de combien d’importance est la conservationconseruation
d’unvn chef en unvn’armée, & que la visée de l’ennemy regarde
principalement cette teste, à laquelle tiennenttiennēt toutes les autres
& en dependent: il semble qu’on ne puisse mettre en doubte
ce conseil, que nous voions avoirauoir esté pris par plusieurs grandsgrāds
chefs, de se travestirtrauestir & desguiser sur le point de la meslée: tou-
tefois l’inconvenientinconuenient qu’on encourt par ce moyen, n’est pas
moindre, que celuy qu’on pense fuir: car le capitaine venant à
estre mesconu des siens, le courage qu’ils prennent de son ex-
emple & de sa presence, vient aussi quant & quant à leur fail-
lir, & perdant la veuë de ses marques & enseignes accoustu-
mées, ils le jugentiugēt où mort, ou s’estre desrobé desesperantdesesperāt de l’af-
faire. Et quantquāt à l’experienceexperiēce nous luy voyonsvoyōs favoriserfauoriser tantosttātost l’unvn,
tantosttātost l’autre party:. lLaccidentaccidēt de Pyrrhus en la bataille qu’il eut
contre le consul LevinusLeuinus en Italie, nous sert à l’unvn & à l’autre
visage: car pour s’estre voulu cacher sous les armes de Demo-
gacles, & luy avoirauoir donné les siennes, il sauvasauua bien sans doute
sa vie, mais aussi il en cuida encourir l’autre inconvenientinconuenient, de
Gg iij

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[119v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
perdre la bataille.journeeiournee.
Position : Marge gauche Alexandre, Caesar, Lucullus, eimointaimoint a se marquer au combat
par des acostremans & armes Position : Interligne haute riches de colur reluisante & particuliere:
Agis Agesilaus et ce
grand Gilippus au rebours
alloint a la guerre
sulemantobscurement couverscouuers
et au dessous du
commun soldat.
et sans
attour imperial.

A la bataille de Pharsale entre autres reproches qu’on don-
ne à Pompeius, c’est d’avoirauoir arresté son armée pied coy atten-
dant l’ennemy: pour autant que cela (jeie des-roberay icy les
mots mesmes de Plutarque, qui valentvalēt mieux que les miensmiēs) af-
foiblit la violence, que le courir donne aux premiers coups,
& quant & quant oste l’eslancement des combatans, les unsvns
contre les autres, qui a accoustumé de les remplir d’impe-
tuosité, & de fureur, plus que autre chose, quand ils viennent
à s’entrechoquer de roideur, leur augmentant le courage par
le cry & la course:, & rend la chaleur des soldats en maniere de
dire refroidie & figée. Voila ce qu’il dict pour ce rolle: mais si
Caesar eut perdu, qui n’eust peu aussi bien dire, qu’au contrai-
re, la plus forte & roide assiette, est celle en laquelle on se tient
planté sans bouger, & que qui est en sa marche arresté, res-
serrant & espargnant pour le besoing, sa force en soymesmes,
à grand avantageauantage contre celuy qui est esbranlé, & qui a desjadesia
employéconsommé à la course la moitié de son haleine: outre ce que
l’armée estant unvn corps de tant de diversesdiuerses pieces, il est impos-
sible qu’elle s’esmeuveesmeuue en cette furie, d’unvn mouvementmouuement si ju-
ste
iu-
ste
, qu’elle n’en altere ou rompe son ordonnanceordōnance:, & que le plus
dispost ne soit aux prises, avantauāt que son compagnon le secou-
re.
Position : Marge gauche En cette vileineuileine et
malancontreuse

bataille des deus freres
Perses, Clearchus
Lacedemonien qui
commandoit les grecs du
parti de Cirus les mena
tout le pasbellemant a la charge
sans soi haster mais a
cinquante pas pres il les
mit a la course esperant
par la briefvetebriefuete de
l’espace mesnager et leur
ordre & leur haleine leur
donnant cepandant
l’avantagel’auantage de l’impetuosité
pour leurs persones et
pour leurs armes a trait.
D’autres ont reglé ce doubte en leur armée de cette manie-
re: si les ennemis vous courent sus, attendezattēdez les de pied coy:, s’ils
vous attendent de pied coy, courez leur sus.
Au passage que l’Empereur Charles cinquiesme fit en Pro-
vence
Pro-
uence
, le Roy François fust au propre d’eslire, ou de luy aller
au devantdeuant en Italie, ou de l’attendre en ses terres: & bien qu’il
considerast combien c’est d’avantageauantage, de conserverconseruer sa maison
pure & nette de troubles de la guerre, afin qu’entiereētiere en ses for-
ces, elle puisse continuellement fournir deniers, & secours au
besoing: que la necessité des guerres porte à tous les coups, de

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LIVRE PREMIER. 120
faire le gast, ce qui ne se peut faire bonnement en nos biens
propres, & si le païsant ne porte pas si doucement ce ravagerauage
de ceux de son party, que de l’ennemy, en maniere qu’il s’en
peut aysément allumer des seditions, & des troubles parmy
nous: que la licence de desrober & de piller, qui ne peut estre
permise en son pays, est unvn grand support aux ennuis de la
guerre:, & qui n’a autre esperance de gaing que sa solde, il est
mal aisé qu’il soit tenu en office, estant à deux pas de sa femme
& de sa retraicte.: que celuy qui met la nappe tombe tousjourstousiours
des despens: qu’il y a plus d’allegresse à assaillir qu’à deffendre:
& que la secousse de la perte d’unevne bataille dans nos entrailles
est si violente, qu’il est malaisé qu’elle ne crolle tout le corps,
attendu qu’il n’est passion contagieuse, commecōme celle de la peur,
ny qui se preigne si ayséement à credit, & qui s’espande plus
brusquement: & que les villes qui auront ouy l’esclat de cette
tempeste à leurs portes, qui auront recueilly leurs Capitaines
& soldats tremblans encore, & hors d’haleine, il est dangereux
sur la chaude, qu’ils ne se jettentiettent à quelque mauvaismauuais party. Si
est-ce qu’il choisit de r’appeler les forces qu’il avoitauoit delà les
monts, & de voir venir l’ennemy.: Ccar il peut imaginer au con-
traire
cō-
traire
, qu’estant chez luy & entre ses amis, il ne pouvoitpouuoit faillir
d’avoirauoir planté de toutes commoditez, les rivieresriuieres, les pas-
sages à sa devotiondeuotion, luy conduiroient, & vivresviures, & deniers,
en toute seureté & sans besoing d’escorte: qu’il auroit ses su-
bjects
su-
biects
d’autant plus affectionnez, qu’ils auroient le dangier
plus pres: qu’ayant tant de villes & de barrieres pour sa seure-
té, ce seroit à luy de donner loy au combat, selon son oppor-
tunité & advantageaduantage: & s’il luy plaisoit de temporiser, qu’à l’a-
bry & à son aise, il pourroit voir morfondre son ennemy, &
se défaire soy mesmes, par les difficultez qui le combatroyent
engagé en unevne terre estrangierecontrere, où il n’auroit devantdeuant, ny der-
riere luy, ny à costé, rien qui ne luy fit guerre: nul moyen de

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[120v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
refréchir ou eslargir son armée, si les maladies s’y mettoient,
ny de loger à couvertcouuert ses blessez, nuls deniers, nuls vivresviures, qu’à
pointe de lance, nul loisir de se reposer & prendreprēdre haleine, nul-
le science de lieux, & duny de pays, qui le sçeut deffendre d’embus-
ches & surprises: & s’il venoit à la perte d’unevne bataille, aucun
moyen d’en sauversauuer les reliques. Et n’avoitauoit pas faute d’exemplesexēples
pour l’unvn & pour l’autre party. Scipion trouvatrouua bien meilleur
d’aller assaillir les terres de son ennemy en Afrique, que de de-
fendre les siennes, & le combatre en Italie: où il estoit, d’où
bien luy en print: mMais au contrairecōtrairerebours, Hannibal en cette mesme
guerre, se ruina, d’avoirauoir abandonné la conqueste d’unvn pays e-
stranger, pour aller deffendre le sien. Les Atheniens ayantayāt laissé
l’ennemy en leurs terres, pour passer en la Sicile, eurent la for-
tune contraire: mais Agathocles Roy de Siracuse l’eust favo-
rable
fauo-
rable
, ayantayāt passé en Afrique, & laissé la guerre chez soy. Ainsin
nous avonsauōs bien accoustumé de dire avecauec raison, que les eue-
nemens
eue-
nemēs
& issuës dependentdependēt, notammentnotāment en la guerre, pour la plus-
part, de la fortune:, laquelle ne se veut pas renger & assujectirassuiectir
à nostre discours & prudence, comme disent ces vers,
Et male consultis pretium est, prudentia fallax,
Nec fortuna probat causas sequitúrque merentes:
Sed vaga per cunctos nullo discrimine fertur.
Scilicet est aliud quod nos cogátque regátque
Maius, & in proprias ducat mortalia leges.

Mais à le bien prendre, il semble que nos conseils & delibera-
tions, en dépendent bien autant, & que la fortune n’est pas
plus incertaine & temeraire que
engage en son troble
et incertitude, aussi
nos discours. Nous raisonons
hasardeusement et inconsidereement dict Timaeus en Platon
parce que come nous nos discours ont grande participation au hasard.

Des

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LIVRE PREMIER. 121


Des destries. CHAP. XLVIII.


 
ME voicy devenudeuenu Grammairien, moy qui n’apprins
jamaisiamais langue, que par routine, & qui ne sçay encore
que c’est d’adjectifadiectif, conjunctifconiunctif, & d’ablatif: il me sem-
ble avoirauoir ouy dire que les Romains avoientauoiēt des chevauxcheuaux qu’ils
appelloient funales, où dextrarios, qui se menoient à dextre où
à relais, pour les prendre tous frez au besoin: & de là vientviēt que
nous appellons destriers les chevauxcheuaux de serviceseruice. Et nos Ro-
mans disent ordinairement, adestrer, pour accompaigner. Ils
appelloyent aussi desultorios equos, des chevauxcheuaux qui estoyent
dressez de façon, que courans de toute leur roideur, accou-
plez costé à costé l’unvn de l’autre, sans bride, sans selle, les gen-
tils-hommeshōmes Romains, voire tous armez, au milieu de la course
se jettoientiettoient & rejettoientreiettoient de l’unvn à l’autre.
Position : Marge droite Les Numides gendarmes
menoint en main un
secont chevalcheual pour
charger au plus chaud
de la meslee: quibus
desultorumdesultorū in modum
binos trahentibus
equos inter acerrimam
saepe pugnam in recentem
equum ex fesso armatis
transsultare mos erat:
tanta uelocritas ipsis tamquam
docile equorum genus.
Il
se treuvetreuue plusiurs chevauscheuaus
dressez a secourir leur
maistre, courir sus s’ils [unclear]a qui
[unclear] leur presante un’espee nue
se jetterietter des pieds & des dants
sur ceus qui les ataquent et
affrontent: mais il leur
avientauient plus souvantsouuāt de nuire
aus amis qu’aus enemis.
JointIoint que vousuous ne les
desprenez pas a vostreuostre poste
quand ils sontsōt une fois
harpez: et demuse demurez
a la misericorde leur de
leur combat. Artibie Il
mesprit lourdemant a
Artibie general de l’armee
de Perse combatantcombatāt de persone
a persone contre Onesile
Roy de Salamis de persone
a persone, d’estre monte sur
un tel chevalcheual Position : Interligne haute façone en cette escole qui fut
car il fut cause de sa mort: le
cousteillier d’oOnesile l’aïant
acceuilli d’une fauls entre
les deus espaules come il
s’estoit cabré sur son maistre. Et
ce que les Italiens disent qu’en
la bataille de Fornuoue le chevalcheual du Roy
le deschargea a ruades et coups de pied
des enemis qui le pressoint et qu’il
estoit perdu sans cela: cest un fut un grand
coup de hasard, s’il est vraiurai Les
Mammelus se vantentuantent d’avoirdauoir les plus adroits chevauscheuaus de gendarmes
du monde Et dict on que et par nature et par costume ils sont faicts par
certeins signes & voixuoix a ramasser aveqaueq les dans les lances et les darts et a
les offrir au maistre en pleine meslee et a conoistre leset enemis discerner
l’ennemy sur qui il faut qu’ils se ruent de dents et de pieds,
On dict de CaesarCęsar, &
aussi du grandgrād PompeiusPōpeius, que parmy leurs autres excellentesexcellētes qua-
litez, ils estoientestoiēt fort bonsbōs hommeshōmes de chevalcheual: & de Caesar, qu’enē sa
jeunesseieunesse monté à dos sur unvn chevalcheual, & sans bride, il luy faisoit
prendreprēdre carriere les mains tournées derriere le dos. Comme na-
ture à voulu faire de ce personnage, & d’Alexandre deux mi-
racles en l’art militaire, vous diriez qu’elle s’est aussi efforcée à
les armer extraordinairement: car chacun sçait, du chevalcheual d’A-
lexandre
A-
lexādre
Bucefal, qu’il avoitauoit la teste retirantretirāt à celle d’unvn toreau,
qu’il ne se souffroit montermōter à personne qu’à son maistre, ne peut
estre dressé que par luy mesme, fut honoré apres sa mort, & unevne
ville bastie en son non. Caesar en avoitauoit aussi unvn autre qui avoitauoit
les pieds de devantdeuant comme unvn homme, ayant l’ongle coupée
en forme de doigts, lequel ne peut estre monté ny dressé que
par Caesar, qui dédia son image apres sa mort à la déesse Ve-
nus. JeIe ne démonte pas volontiers quand jeie suis à chevalcheual: car
c’est l’assiette, en laquelle jeie me trouvetrouue le mieux & sain & ma-
lade: Position : Interligne haute Platon la recommande pour la sante aussi dict Pline qu’elle est tres-salutaire à l’estomach &
Hh

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[121v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
aux jointuresiointures: poursuivonspoursuiuōs donc, puis que nous y sommes. On
lict en Xenophon la loy de Cyrus, deffendant de voyager à
pied, à homme qui eust chevalcheual. Trogus & JustinusIustinus disent que
les Parthes avoientauoient accoustumé de faire à chevalcheual, non seule-
ment la guerre, mais aussi tous leurs affaires publiques & pri-
vez
pri-
uez
, marchander, parlementer, s’entretenir, & se promener: &
que la plus notable difference des libres, & des serfs parmy
eux, c’est que les unsvns vontvōt à chevalcheual, & les autres à pié. Position : Interligne haute institution nee du Roy Cyrus. Il y a plu-
sieurs exemples en l’histoire Romaine (& Suetone le remar-
que plus particulierement de Caesar) des Capitaines qui com-
mandoient à leurs gens de chevalcheual de mettre pied à terre, quandquād
ils se trouvoienttrouuoient pressez de l’occasion, pour oster aux soldats
toute esperance de fuite:
Position : Marge gauche et pour l’avantageauantage
qu’ils esperoint en
cette sorte de combat
Quo haud dubie
superat Romanus

dict Tite LiveLiue: qui
estoit plus propre et
advantageusaduantageus aus
Romeins come dict
Tite LiveLiue

Quo haud dubie
superat Romanus

dict Tite LiveLiue. Si est il que
la premiere premiere
provisionprouision de quoi lesils Romeins
se servointseruoint a brider la
rebellion
des peuples de
nouvellenouuelle conqueste, c’estoit
leur oster armes et chevauscheuaus.
Pourtant voïonsuoïons nous si
souventsouuent en Cesar: arma
proferri, iumenta produci,
obsides dari iubet
. Le grand
Seignur ne permet aujour=
d’hui
auiour=
d’hui
ny a Chrestien ny a
JuifIuif d’avoirauoir chevalcheual a soi, a
ceus qui sont sous son empire.
mMais nNos ancestres & notammantnotammāt du
temps de la guerre des Anglois, en tous les combats solennels
& journéesiournées assignées, se mettoient Position : Interligne haute la plupart du temps tous à pié, pour ne se fier
à autre chose, qu’à leur force propre, & vigueur de leur
courage, & de leurs membres, de chose si chere que l’honneur
& la vie. Vous engagez Position : Interligne haute quoi que die Chrysantez en Xenophon vostre valeur & vostre fortune, à cel-
le de vostre chevalcheual,: ses playes & sa mort tirent la vostre en con-
sequence
cō-
sequence
,: son effray où sa fureurfougue vous rendent ou temeraire
où láche,: s’il à faute de bouche ou d’esperon, c’est à vostre hon-
neur
hō-
neur
à en respondre: àA cette cause jeie ne trouvetrouue pas estrangeestrāge, que
ces combats là fussent plus fermes, & plus furieux que ceux
qui se font à chevalcheual.,
cedebant pariter, paritérque ruebant
Victores victique, neque his fuga nota neque illis.

Position : Marge gauche Leurs batailles se
voientuoient bien mieus
contestees, ce ne
sont asture que routes.
Primus clamort
atque impetus rem
decernit.

Et chose que nous appellons à la societé d’unvn si grandgrād hazard,
doit estre en nostre puissance le plus qu’il se peut:. cComme jeie
conseilleroy de choisir les armes les plus courtes, & celles de-
quoy nous nous pouvonspouuons le mieux respondre. Il est bien plus
apparent de s’asseurer d’unevne espée que nous tenons au poing,
que du boulet qui eschappe de nostre pistole, en laquelle il y a

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LIVRE PREMIER. 122
plusieurs pieces, la poudre, la pierre, le rouët, desquelles la
moindre qui viendra à faillir, vous fera faillir vostre fortune.
On asseurne peu seurement le coup, que l’air vous conduict,
Et quo ferre velint permittere vulnera ventis,:
Ensis habet vires, & gens quaecunque virorum est
Bella gerit gladiis.

Mais quant à cett’arme là, ji’en parleray plus largementamplement, où jeie
feray comparaison des armes anciennes aux nostres: & sauf
l’estonnement des oreilles, à quoy meshuydesormais chacun est appri-
voisé
appri-
uoisé
, jeie croy que c’est unvn’arme de fort peu d’effect, & espere
que nous en quitterons bien tostun jouriour l’usagevsage.
Position : Marge droite Celle de quoi les RomeinsItaliens se servointseruoint de jetiet et a feu, estoit plus effroiable. Ils
nomoint phalarica une certeine espece de javelineiaueline armee par le bout d’un fer de trois
pieds, affin qu’il peut percer de partoutre en partoutre un home armé: et se lançoit tantost de la m
main en la campaignecāpaigne, tantost a tout des engins pour defandre les lieus assiegez: la
hante revestuereuestue d’estoupe empoixee et huilee s’enflammoit de sa course: et s’atachant au corps
ou au bouclier ostoit tout usage d’armes et de membres. Toutesfois il me samble que pour
veniruenir au jouindreiouindre, elle portat aussi empeschemant a l’assaillant, et que le champ jonchéionché de
ces tronçons bruslans produisit en la meslee une commune incommodité,
magnum stridens contorta phalarica uenit
Fulminis acta modo.

Position : Interligne basse
Ils avointauoint d’autres moïens a quoi l’usage les adressoit & qui nous semblent incroïables
par inexperiance: par ou ils suppleoint au defaut de nostre poudre & de nos bouletz. Ils
dardoint leurs pilles de te piles de telle roidur que souvantsouuāt ils en enfiloint deus boucliers & deus
homes Position : Interligne haute armez et les cousoint. Les coups de leurs fondes[sic] n’estoint pas moins certeins & louinteins: saxis
globosis funda mare apertum incessentes: coronas modici circuli magno ex interualle loci,
assueti traijcere: non capita modo hostium uulnerabant, sed quem locum destinassent
saxis
globosis funda mare apertum incessentes: coronas modoci circuli magno ex interualle loci
assueti traijcere: non capita modo hostium uulnerabant sed quem locum destinassent
. Leurs
pieces de batterie represantoint come l’effaict aussi le tintamarre des nostres: ad ictus moenium
cum terribili sonitu editos pauor et trepidatio cepit.
ad ictus moenium
cum terribili sonitu editos pauor et trepidatio cepit.
Les gaulois nos cousins en Asie haïssoint ces
armes trahistresses et volantesuolantes: duits a combatre main a main aveqaueq plus de corage. QuemadmodumQuemadmodū
comminus ubi inuicem pati ac inferre uulnera licet, accendit ira animos: ita ubi ex occulto uulnerantur
quo ruant caeco impetu non habent
. Cette autre raison est plus hardie.
Non tam patentibus plagis
mouentur: ubi latior quam altior plaga est, etiam gloriosius se pugnare putant: idem cum aculeus
sagittae aut glandis abditae introrsus tenui uulnere in speciem urit, tum in rabiem et pudorem
tam paruae perimentis pestis uersi prosternunt corpora humi.
Peinture bien expressevoisineuoisine
d’une arquebusade Les dix mile greqs en leur longue et fameuse retraicte rencontrerentrencontrerēt
unevne nation, qui les endommagea merveilleusementmerueilleusement à coups de grands arcs & forts
Position : Marge basse (f.121v) de quoi ils les et des sagettes si longues qu’a les reprandre a la main on les pouvoitpouuoit rejeterreieter
à la mode d’un dart et perçoint de part en part le bouclier & un home armé. Les engins que
Dionisius invantainuanta a Siracuse a tirer gros traict massifs & des pierres d’horrible grandur d’une si
longue voleeuolee et si horrible impetuosité represantoint de pi bien pres nostre effaict inuantions.
Encore ne faut-il pas
oublier la plaisante assiette qu’avoitauoit à chevalcheualsur sa mule unvn maistre Pier-
re Pol Docteur en Theologie, que MonstreletMōstrelet recite avoirauoir ac-
coustumé se promener par la ville de Paris, & ailleurs, assis de
costé, comme les femmes. Il dit aussi ailleurs, que les Gascons
avoientauoient des chevauxcheuaux terribles, accoustumez de virer en cou-
rant, dequoy les François, Piccards, Flamens, & Brabançons,
faisoient grand miracle, pour n’avoirauoir accoustumé de le voir:
ce sont cesses mots. JeIe ne sçay quel maniement ce pouvoitpouuoit estre,
si ce n’est celuy de nos passades.
Caesar parlant de ceux de Sue-
de: aAux rencontres qui se font à chevalcheual, dict-il, ils se jettentiettent
souventsouuent à terrenterrē pour combattre à pié, ayant accoustumé leurs
chevauxcheuaux de ne bouger ce pendant de la place, ausquels ils re-
courent promptement, s’il en est besoing: & selon leur cou-
stume, il n’est rienriē si vilain & si láche que d’uservser de selles & bar-
delles, & mesprisentmesprisēt ceux qui en usentvsent:, de maniere que fort peu
en nombre, ils ne craignent pas d’en assaillir plusieurs. Ce que
ji’ay admiré autresfois de voir unvn chevalcheual dressé, à se manier à
toutes mains, avecauec unevne baguette, la bride avalléeauallée sur ses oreil-
les, estoit ordinaire aux Massiliens, qui se servoientseruoient de leurs
chevauxcheuaux sans selle & sans bride.,
Hh ij

Fac-similé BVH

[122v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Et gens quae nudo residens Massilia derso
Ora leui flectit frenorum nescia, virga.

Position : Marge gauche generosissimarum
gentium equites
frenatos et infrenatos.

Position : Marge gauche Et des Numidiens:Et Numidae infraeni terrentcingunt: equi sine
fraenis, deformis ipse cursus, rigida
ceruice et extento capite currentium.

Le Roy Alphonce, celuy qui dressa en Espaigne, l’ordre des
chevallierscheualliers de la Bande, ou de L’escharpe, leur donna entre au-
tres regles, de ne montermōter ny mule ny mulet, sur peine d’unvn marc
d’argent d’amende: comme jeie viens d’apprendre dans les let-
tres de GuevaraGueuara, desquelles ceux qui les ont appellées dorées,
faisoient jugementiugement bien autre que celuy que ji’en fay.
Position : Marge gauche Le cortisan dict
qu’avantauant son temps
c’estoit reproche a un
gentillhome den les
chevauchercheuaucher.
Position : Marge gauche Les Abyssins a mesure
qu’ils sont plus grands &
plus avancesauances pres le
PretejanPreteian leur maistre
affectent au rebours des
mules a monter par honeur.
Xenofon
dict[Note (Mathieu Duboc) : Montaigne a effacé "dict" avant d’ajouter le complément à cette addition qui se situe au dessus de la rédaction primitive. Il oublie sans doute ensuite de le rétablir. L’édition de 95 donne : "Xenophon recite".] que les Assyriens
tenoint leurs chevauscheuaus
tousjourstousiours entravezentrauez au
logis tant ils estoint
facheus & farouches &
qu’il faloit tant de temps
à les destacher et
harnacher que pour
que cette longur a la
guerre ne leur aportat
domage s’ils venointuenoint
à estre en dessoude
surpris par les enemis
ils ne logeoint jamaisiamais
en camp qui ne fut
fossoie & remparé Son
Cyrus si grand maistre au
enfaict de chevaleriecheualerie mettoit
les chevauscheuaus de son escot:
& ne leur faisoit bailler
à manger qu’ils ne
l’eussent gaigné par la
sueur de quelque exercice.
Les Scy-
thes, ou la necessité les pressoit en la guerre, tiroienttiroiēt du sang de
leurs chevauxcheuaux, & s’en abreuvoientabreuuoient & nourrissoient,
Venit & epoto Sarmatusa pastus equo.
Ceux de Crotte assiegéz par Metellus, se trouverenttrouuerent en telle
disette de tout autre breuvagebreuuage, qu’ils eurent à se servirseruir de l’u-
rine
v-
rine
de leurs chevauxcheuaux.
Position : Marge droite Pour verifieruerifier combien les armees Turquesques se conduisentconduisēt et maintienent a meillure raison que les nostres ils disent
qu’outre ce que les soldats ne boiventboiuent que de l’eauleau et ne mangent que ris et de la cher salee p mise en poudre de quoi chacun
porte aiseement sur soi provisionprouision pour un mois: ils sçaventsçauent aussi vivreuiure du sang de leurs chevauscheuaus come les Tartares & MoscovitesMoscouites &
le salent.
Ces nouveauxnouueaux peuples des Indes, quandquād
les Espagnols y arriverentarriuerent, estimerent tant des hommes que
des chevauxcheuaux, que ce fussentfussēt, ou Dieux ou animaux, en noblesse
au dessus de leur nature: aAucuns apres avoirauoir esté vaincus, ve-
nant demander paix & pardon aux hommes, & leur apporter
de l’or & des viandes, ne faillirent d’en aller autant offrir aux
chevauxcheuaux, avecauec unevne toute pareille harengue à celle des hommeshōmes,
prenant leur hannissement, pour langage de composition &
de trefvetrefue. Aux Indes de deçà, c’estoit anciennementanciēnemēt le principal
& royal honneur de chevauchercheuaucher unvn elephant, le second d’aller
en coche, trainé à quatre chevauxcheuaux, le tiers de monter unvn cha-
meau, le dernier & plus vile degré, d’estre porté où charrié par
unvn chevalcheual seul.
Position : Marge gauche Quelcun de nostre
tamps escrit avoirauoir
veu en ce climat la,
des païs, ou l’onlon che=
vauche
che=
uauche
les beufs,
aveqaueq bones bastines
estriez et brides, et
s’estre bien trouvétrouué de
leur porture. Quintus
Fabius Maximus
Rutilianus contre
les Samnites voiantuoiāt
que ses gens de
chevalcheual a trois q ou quatre charges avointauoint failli d’enfoncer le bataillon des
ennemis print cet estrange conseil qu’ils debridassent leurs chevauscheuaus et
brechassent a toute force des esperons, si que rien ne les pouvantpouuant arreter
au traverstrauers des armes et des homes renversezrenuersez ouvrirentouurirent le pas a leurs
gens de pied qui parfirentparfirēt une tressanglante desfaicte. Autant en comandacomāda
QuitQuintus FulviusFuluius Flaccus pr contre les Celtiberiens quod saepe Romanos equites id cum
maiore ui equorum facietis si effrenatos in co hostes equos immittitis quod saepe
Romanos equites cum laude fecisse sua maemoriae proditum est

id cum maiore ui equorum facietis si effrenatos in hostes equos immittitis quod saepe Romanos equites cum
laude fecisse sua maemoriae proditum est
Detractisque frenis
bis ultrò citròque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt.
Le Duc de MoscovieMoscouie devoitdeuoit anciennementanciennemēt cet-
te reverencereuerence aux Tartares, quand ils envoioyentenuoioyent vers luy des
Ambassadeurs, qu’il leur alloit au devantdeuant à pié, & leur luy presen-
toit unvn gobeau de lait de jumentiument (breuvagebreuuage qui leur est en de-
lices) & si en beuvantbeuuant quelque goutte en tomboittōboit sur le crin de
leurs chevauxcheuaux, il estoit tenu de la lecher avecauec la langue. En
Russie, l’armée que l’Empereur BajazetBaiazet y avoitauoit envoyéenuoyé, fut
accablée d’unvn si horrible ravagerauage de neiges, que pour s’en

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LIVRE PREMIER. 123
mettre à couvertcouuert, & garentirsauversauuer du froid, plusieurs s’adviserentaduiserent
de tuer & eventrereuentrer leurs chevauxcheuaux, pour se getter dedans, &
jouyriouyr de cette chaleur vitale.
Position : Marge gauche BajazetPaiazet apres cet aspre estour ou il fut rompu par Tamburlan se sauvoitsauuoit bell’erre sur une jumantiumant Arabesque s’il
n’eut este contreins de la laisser boire son soul au passage d’un ruisseau: ce qui la rendit si flacque et refroidie
qu’il fut bien aiseemant apres aconsuiviaconsuiui par ceus qui le poursuivointpoursuiuoint. On dict bien qu’on les lache les laissant
pisser mais le boire ji’eusse plus tost estime qu’il l’eut refrechie et r’enforcee[sic]. Croesus passant le long de la villeuille
de Sardis y trouvatrouua des pastitz ou il y avoitauoit grande quantite de serpans des quels les chevauscheuaus de son armee mangeoint de grandgrādbon appetit,
a force d’oudou il printqui fut un mauvesmauues prodige a ses affaires dict Herodote.
Nous appellons unvn chevalcheual en-
tier qui à crin & oreille, & ne passent les autres à la montre:
les Lacedemoniens ayant desfait les Atheniens, en la Sicile,
retournans de la victoire en pompe en la ville de Siracuse,
entre autres bravadesbrauades, firent tondre les chevauxcheuaux vaincus, &
les menaerent ainsin en triomphe. Alexandre combatit unevne
nation Dahas,: ils alloyent deux à deux armez à chevalcheual à la
guerre, mais en la meslée l’unvn descendoit à terre, & comba-
toient
comba-
toiēt
astureore à pied, astureore à chevalcheual, l’unvn apres l’autre.
Position : Marge droite JeIe n’estime point, qu’en suffisance, & en grace à chevalcheual, nulle nation nous emporte. Bon homme de
chevalcheual a l’usage de nostre parler samble plus regarder au corage qu’a l’adresse. Le plus sçavantsçauant le plus seur et mieux
advenantaduenant a mener un chevalcheual a raison que ji’aye conu fut a mon grè le sieur de CarnevaletCarneualet qui en servoitseruoit nostre Roy
Henry secont. JI’ay veuueu home doner carriere a deus pieds sur sa selle Demonter sa selle & au retour la relleverrelleuer reacommoder
& s’y rassoir fuiant toujourstouiours a bride avalleeauallee. Aiant passe par dessus un bonet y tirer par derriere des bons coups de son arc.
Amasser ce qu’il vouloituouloit a terre se jettantiettant d’un pied a terre tenanttenāt l’autrelautre en l’estrielestrie: et autres pareilles singeries de quoi il vivoituiuoit.
On à veu
de mon temps à Constantinople, deux hommes sur unvn che-
val
che-
ual
, lesquels en sa plus roide course, se rejettoyentreiettoyent à tours, à
terre, & puis sur la selle:. &Et unvn, qui seulement des dents, bri-
doit & harnachoit son chevalcheual. UnVn autre, qui entre deux che-
vaux
che-
uaux
, unvn pied sur unevne selle, l’autre sur l’autre, portant unvn se-
cond
se-
cōd
sur ses bras, couroit à toute bride: ce secondsecōd tout debout, sur luy,
tirant en la course, des coups bien certains de son arc. Plu-
sieurs, qui les jambesiambes contre-mont, couroyent la teste plan-
tee sur leurs selles, entre les pointes des simeterres attachez au
harnois. En mon enfance le Prince de Sulmone à Naples,
maniant unvn rude chevalcheual, de toute sorte de maniemens, te-
noit soubs ses genouz & soubs ses orteils des reales:m pour comme
si elles y eussent esté clouees.: pmontrer pour montrer la
fermetè de son assiete.


Des coustumes anciennes. CHAP. XLVIIII.


JIEXCUSEROISEXCVSEROIS volontiers en nostre peuple, de n’a-
voir
a-
uoir
autre patron & regle de perfection, que ses pro-
pres meurs & usancesvsances: car c’est unvn commun vice, non
du vulgaire seulement, mais quasi de tous hommes, d’avoirauoir
leur visée & leur arrest, sur le train, auquel ils sont nais. JeIe suis
content, quand il verra Fabritius ou ScipionScipiōLaelius, qu’il leur trouvetrouue
Hh iij

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[123v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
la contenance & le port barbare, puis qu’ils ne sont ny vestus
ny façonnez à nostre mode. Mais jeie me plains de sa particu-
liere indiscretion, de se laisser si fort piper & aveugleraueugler à l’au-
thorité de l’usagevsage present, qu’il soit capable de changer d’o-
pinion
o-
piniō
& d’advisaduis tous les mois, s’il plait à la coustume: & qu’il
jugeiuge si diversementdiuersement de soy mesmes. Quand il portoit le busc
de son pourpoin entre les mamelles, il maintenoit par vivesviues
raisons qu’il estoit tresbienen son vraiurai lieu: quelques années apres le voyla
avaléaualé jusquesiusques entre les cuisses, il se moque de son autre usagevsage,
le trouvetrouue inepte & insupportable. La façon de se vestir pre-
sente, luy faict incontinent condamner & mespriser l’ancien-
ne, d’unevne resolution si grande, & d’unvn consentement si uni-
versel
vni-
uersel
, que vous diriez que c’est unevne vrayeespece de manie, qui luy rou-
letourneboule ainsi l’entendement. Par ce que nostre changement est
si subit & si prompt en cela, que l’inventioninuention de tous les tail-
leurs du monde ne sçauroit fournir assez de nouvelleteznouuelletez, il
est force que bien souventsouuent les formes mesprisées reviennentreuiennent
en credit, & celles là mesmes tombent en mespris tantost a-
pres, & qu’unvn mesme jugementiugement preigne en l’espace de quinze
ou vingt ans, deux ou trois, non diversesdiuerses seulement, mais con-
traires
cō-
traires
opinions, d’unevne inconstance & legereté incroyable.
Position : Marge gauche Il n’y a si fin d’entre
nous qui ne se laisse
embabouiner de cette
contradiction & esblouir
tant les yeus internes
que les externes insen
siblement.
JeIe
veux icy entasser aucunes coustumesfaçons anciennes, que ji’ay en
memoire: les unesvnes de mesme les nostres, les autres differen-
tes: afin qu’ayant en l’imagination cette continuelle variationvariatiō
des choses humaines, nous en ayons le jugementiugement plus esclair-
cy & plus ferme. Ce que nous disons de combatrecōbatre, à l’espée &
la cape, il s’usoitvsoit encores entre les Romains, ce dict Caesar,
sinistris sagos inuoluunt, gladiósque distringunt. Et remerque des
lors, en nostre nation ce vice, qui y est encore, d’arrester les pas-
sans que nous rencontronsrencōtrons en chemin, & de les forcer de nous
dire qui ils sont, & de prendrerecevoirreveuoir à injureiniure & occasion de querel-
le, s’ils refusent de nous respondre. Aux bains que les anciens

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LIVRE PREMIER. 124
prenoyent tous les joursiours avantauant le repas, & les prenoyent aus-
si ordinairement que nous faisons de l’eau à laverlauer les mains,
ils ne se lavoyentlauoyent du commencement que les bras & les jam-
bes
iam-
bes
, mais dépuis, & d’unevne coustume qui à duré plusieurs sie-
cles & en la plus part des nations du monde, ils se lavoyentlauoyent
tous nudz, d’eau mixtionnée & parfumée: de maniere, qu’ils
prenoyentemploioint pour tesmoignage de grande simplicité, de se la-
ver
la-
uer
d’eau simple. Les plus affetez & delicatz, se parfumoyent,
Position : Interligne haute tout le corps bien trois ou quatrefois par jouriour tout le corps. Ils se faisoyent
souventsouuent pinceter tout le poil par tout, comme les femmes Fran-
çoises ont pris en usagevsage, depuis quelque tempstēps de faire leur frontfrōt,
Quod pectus, quod crura tibi, quod brachia vellis.
Quoy qu’ils eussent des oignemens, qui servoyentseruoyentpropres à cela,. de
faire tomber le poil,
Psilotro nitet, aut arida latet abdita creta.
Ils aymoient à se coucher mollementmollemēt, & alleguent pour preu-
ve
preu-
ue
de patience, de coucher sur le matelas. Ils mangeoyent
couchez sur des lits, à peu prez en mesme assiete que les Turcs
de nostre temps.,
Inde thoro pater Aeneas sic orsus ab alto.
Et dit on du jeuneieune CatonCatō qui depuis la bataille de Pharsale, estantestāt
entré en deuil du mauvaismauuais estat des affaires publiques, il man-
gea tousjourstousiours assis, prenant unvn train de vie plus austere. Ils bai-
soyent les mains aux grands pour les honnorer & caresser. Et
entre les amis, ils s’entrebaisoyent en se saluant, comme font
les Venitiens.,
Gratatúsque darem cum dulcibus oscula verbis.
Position : Marge droite Et touchointtouchoīt aus
genous pour requerir
ou saluer un grand
Et Pasicles le philosofe
frere de Crates au lieu
de porter la main au
genou la porta aus
genitoires Celui a
qui il s’adressoit l’aiant
rudementrudemēt repousse
Comant dit il cecy n’est il pas vostreuostre
aussi bien que les genous.

Ils mangeoyent comme nous, le fruict à l’yssue de table. Ils se
torchoyent le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine super-
stition des parolles) avecauec unevne esponge: voyla pour quoy spon-
gia
est unvn mot obscoene en Latin: & estoit cette esponge at-
tachée au bout d’unvn bastonbastō: comme tesmoigne l’histoire de

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[124v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
celuy qu’on menoit pour estre presenté aux bestes, devantdeuant le
peuple, qui demanda congé d’aller à ses affaires, & n’ayant
autre moyen de se tuer, il se fourra ce baston & esponge dans
le gosier, & s’en estouffa. Ils s’essuyoient le catze de laine per-
fumée, quand ils en avoyentauoyent faict,
At tibi nil faciam, sed lota mentula lana.
Il y avoitauoit aux carrefours à Rome, des vaisseaux & demy-cu-
ves
cu-
ues
, pour y apprester à pisser aux passans.,
Pusi saepe lacum propter, se ac dolia curta
Somno deuincti credunt extollere vestem.

Ils faisoyent collation entre les repas. Et y avoitauoit en esté, des
vendeurs de nege pour refrechir le vin: & en y avoirauoir qui se
servoyentseruoyent de nege en hyverhyuer, ne trouvanstrouuans pas le vin encore
lors assez froid. Les grands avoyentauoyent leurs eschançons & tren-
chans
trē-
chans
, & leurs fols, pour leur donner du plaisir. On leur ser-
voit
ser-
uoit
en hyverhyuer la viande sur des fouyers qui se portoient sur la
table: & avoyentauoyent des cuisines portativesportatiues, Position : Interligne haute come ji’en ai veuueu dans lesquelles tout
leur serviceseruice se trainoit apres eux,
Has vobis epulas habete lauti,
Nos offendimur ambulante coena.

Et en esté ils faisoyent souventsouuent en leurs sales basses, couler de
l’eau fresche & claire, dans des canaus au dessous d’eux, où il y
avoitauoit force poisson en vie, que les assistans choisissoyent &
prenoyentprenoyēt en la main, pour le faire aprester, chacunchacū à son goustsa poste:
car lLe poisson à tousjourstousiours eu ce privilegepriuilege, comme il à enco-
res, que les grans se meslent de le sçavoirsçauoir aprester: aussi en est
le goust beaucoup plus exquis, que de la chair, aumoins pour
moy. Mais en toute sorte de magnificence, de desbauche, &
d’inventionsinuentiōs voluptueuses, de mollesse & de sumptuosité, nous
faisons à la verité ce que nous pouvonspouuōs pour les égaler, car no-
stre volonté est bien aussi gastée que la leur, mais nostre suffi-
sance n’y peut arriverarriuer: nos forces ne sont non plus capables
de

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LIVRE PREMIER. 125
de les joindreioindre, en ces parties la vitieuses, qu’aux vertueuses: car
les unesvnes & les autres partent d’unevne vigueur d’esprit, qui estoit
sans comparaison plus grande en eux qu’en nous: & les ames
à mesure qu’elles sont moins fortes, elles ont d’autant moins
de moyen de faire ny fort bienbiē, ny fort mal. Le haut bout d’en-
tre eux c’estoit le milieu. Le devantdeuant & derriere n’avoyentauoyent en
escrivantescriuant & parlant aucune signification de grandeur, com-
me il se voit evidemmenteuidemment par leurs escris: ils diront Oppius
& Caesar, aussi volontiers, que Caesar & Oppius: & diront
moy & toy indifferemmentindifferemmēt comme toy & moy. Voyla pour-
quoy ji’ay autrefois remarqué en la vie de Flaminius de Plu-
tarque François, unvn endroit, où il semble que l’autheur parlantparlāt
de la jalousieialousie de gloire, qui estoit entre les AEtoliensAEtoliēs & les Ro-
mains, pour le gain d’unevne bataille qu’ils avoyentauoyent obtenu en
commun, face quelque pois de ce qu’aux chansonschāsons Grecques,
on nommoit les AEtholiens avantauant les Romains, s’il n’y à de
l’Amphibologie aux mots François. Les Dames estant aux e-
stuves
e-
stuues
, y recevoyentreceuoyent quant & quant des hommes, & se ser-
voyent
ser-
uoyent
la mesme, de leurs valets à les frotter & oindre.,
Inguina succinctus nigra tibi seruus aluta
Stat, quoties calidis nuda foueris aquis.

Elles se saupoudroyent de quelque poudre, pour reprimer les
sueurs. Les anciens Gaulois, dict Sidonius Apollinaris, por-
toyent le poil long par le devantdeuant, & le derriere de la teste ton-
du
tō-
du
, qui est cette façon qui vientviēt à estre renouvelléerenouuellée par l’usagevsage
effeminé & láche de ce siecle. Les Romains payoient ce qui
estoit deu aux bateliers, pour leur voiturenolleage, des l’entrée du ba-
teau, ce que nous faisons apres estre rendus à port.,
dum as exigitur, dum mula ligatur, [Commentaire (Montaigne) : en ça]
tTota abit hora.
Les femmes couchoyent au lict du costé de la ruelle: voyla
pourquoy on appelloit Caesar, spondam Regis Nicomedis. Ils pre-
Ii

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[125v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
noyent aleine en beuvantbeuuant. Ils baptisoient le vin,
quis puer ocius
Restinguet ardentis falerni
Pocula praetereunte lympha?

Et ces champisses contenances de nos laquais y estoyentestoyēt aussi.,
O Iane à tergo quem nulla ciconia pinsit,
Nec manus auriculas imitata est mobilis albas,
Nec linguae quantum sitiet canis Apula tantum.

Les Dames Argienes & Romaines, portoyent le deuil blanc,
comme les nostres avoientauoiēt accoustumé, & devoyentdeuoyēt continuer
de faire, si ji’en estois creu. Mais il y à des livresliures entiers faits sur
cet argument.


De Democritus & Heraclitus
CHAP. L.


LE jugementiugement est unvn utilvtil à tous subjectssubiects, & se mesle par
tout. A cette cause aux essais, que jienē fay icy, ji’y employe
toute sorte d’occasion. Si c’est unvn subjectsubiect que jeie n’en-
tende point, à cela mesme jeie l’essaye, sondant le gué de bien
loing, &Et puis le trouvanttrouuant trop profond pour ma taille, jeie me
tiens à la riveriue,: &Et cette reconnoissancerecōnoissance de ne pouvoirpouuoir passer ou-
tre, c’est unvn traict de son effect, voire de ceux, dequoy il se van-
te
vā-
te
le plus. Tantost à unvn subjectsubiect vain & de neant, ji’essaye voir
s’il trouveratrouuera dequoy luy donner corps, & dequoy l’appuyer
& estançonner. Tantost jeie le promene à unvn subjectsubiect noble &
fort tracassé, auquel il n’a rien à trouvertrouuer de soy-mesme, le che-
min en estant si frayé & si batu, qu’il ne peut marcher que sur
la piste d’autruy. Là il fait son jeuieu à eslire la route quy luy sem
ble la meilleure:, & de mille sentiers, il dict que cettuy-cy,
ou celuy là, à esté le mieux choisi. Au demeurant jeie lais-
seJeIe prens de la fortune me fournir les subjectssubiectsle premier argument,: d’autant qu’iIls me
sont également bons: &Et si n’entreprens pasne desseigne jamaisiamais de les traicterproduire enti en-

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LIVRE PREMIER. 126
tiers & à fons de cuvecuuetiers et a fons de cuvecuue:
Position : Marge haute . Car jeie ne voy le tout de rien: Ne font pas, ceux
qui promettent de le voiruoir et traicternous le faire voiruoir. De millecent membres et visagesuisages qu’ilsa chaque
ontchose ji’en prans quelque brin a escorcher et pinseret lecher par foisun tantost a lescher sulemant, tantost a efflorer Et, par fois a pinser jusquiusqu’à
l’os au sang Si non le plus largement que jeie sçai au moins le plus profondemant et
interieuremant
JI’y done une poincte non pas le plus largement, mais le plus profondemant que jeie sçay.
Et aime plus souvantsouuant a a les sesir par quelque poinctlustre inusité.
plus souvantsouuant.
de mille visages qu’ils ont chacunchacū, ji’en
prens celuy qu’il me plait
Position : Marge droite, et n’en dis que
autant qu’il me plait
: jeie les saisis voleontiers par quelque
lustre extraordinaire: jiJIen trieroy bienbiē de plus
JeIe me hasarderois par fois a des matieres riches & pleinset gravesgraues,
si jiavoyauoy quelque autre fin proposée, [Note (Mathieu Duboc) : Ce signe d’insertion renvoyait initialement à l’addition située verticalement en marge gauche.] que celle que ji’ay. Tou-
te action est propre à nous faire connoistrecōnoistre:
Tout mouvementmouuement
nous descouvredescouuure
JeIe me hasarderois de traicter a fons quelque
matiere
Position : Marge gauche et si jeie me conessois moins. Si ji’y tumbe c’est accessoiremant. En sSemant icy un
mot icy un autre Eschantillons des hors de leur theme Eeschantillons despris
de leur piece: escartez. Sans corps, sans proposition: jeie n’en suis pas tenu
dessein et sanssans promesse. Partantjeie ne suis jeie pas tenu d’en faire bon. Ny de m’y tenir
moismesme sans varieruarier quand il me plait. Et me randre au doubte et incertitude
& a ma maistresse forme, qui est l’ignorance. Tout mouvemantmouuemant nous descouvredescouure.
cCette mesme ame
de Caesar, qui se faict voir à ordonner & dresser la bataille de
Pharsale, elle se faict aussi voir à dresser des parties oysivesoysiues &
amoureuses:.
Position : Marge droite et n’est non plus
ouverteouuerte et entiere
a faire les aproches
d’un siege qu’a un
jeuieu d’eschez ou
autre pareil jeuieu
de son usage:
oOn jugeiuge unvn chevalcheual, non seulement à le voir ma-
nier sur unevne carriere, mais encore à luy voir aller le pas, voire
& à le voir en repos à l’estable.
Position : Marge droite. Entre les functions
de l’ame il en est de
basses: qui ne la voiduoid
encores par la, n’acheveacheue
pas de la conoistre. Et
a l’avanturelauanture la remarque
l’onlon mieus ou elle vaua son pas
simple. Les vansuans des passions la
prenent plus en ces hautes
assietes. JointIoint qu’elle se couche
entiere sur chaque matiere: et
s’y exerce entiere et n’en trete jamaisiamais plus d’une à
la fois. Etl la traicte
non selon elle, mais
selon soy. Les choses à
par elles ont peut estre
leurs pois et mesures et
conditions, mais au
dedans en nous, elle les
leur taille come elle
l’entant. La mort est
effroiable a Ciceron,
desirable a Caton,
indifferante a Socrates.
La sante la consciance
l’authoritelauthorite la sciance
la richesse la beaute
et leurs contreres se
despouillent a l’entree
et reçoiventreçoiuent de l’amelame
nouvellenouuelle vestureuesture et de
la teinture qu’il luy
brune verteuerte clere
obscure aigre douce
profonde superficielle
plait: brune verteuerte clere obscure aigre douce profonde superfi=
cielle: et qu’il plait a chacune d’elles: car elles n’ont pas verifieuerifie en commun leurs stilles
regles et formes: chacune est roine en son estat. Parquoi ne prenons plus excuse des exter=
nes qualitez des choses: c’est a nous a nous en rendre conte. Nostre bien et nostre mal ne tient
qu’a nous. Offrons y nos offrandes et nos veusueus, non pas a la fortune: elle ne peut rien sur nos
meurs: au rebours, elles l’entreinent a leur suite, et la moulent a leur forme. Pourquoi ne
jugeraiiugerai jeie d’Alexandere a table devisantdeuisant et beuvantbeuuant d’autant: ou s’il maniantoit des eschetz.
Quelle corde de son esperit ne touche et n’emploie ce niais et puerille jeuieu. JeIe le hai et fuis, de
ce qu’il n’est pas asses jeuieu, et qu’il nous esbat trop serieusemant, ayant honte d’y fournir
l’attantion qui suffiroit a quelque bone chose. Il ne fut pas plus enbesouigné a dresser [Note (Alain Legros) : Suite de cette addition au bas de la marge du folio 125v.]
Position : Marge basse (f.125v) son glorieus passage aus Indes: ny cet autre, a desnouer un passage du quel
despant le salut du genre humain. Voies combien nostre ame grossit et espessit cet
amusemant ridicule: si tous ses nerfs ne bandent. Combien amplemant elle done a chacun loi
en cela, de se conoistre, et de jugeriuger droictemant de soi. JeIe ne me voisuois et retaste plus
universellemantuniuersellemant en null’autre posture. Quelle passion noe nous y exerce: la cholere
le despit la heine l’impatiance, et une vehemanteuehemante ambition de veue surmonterveincreueincre, en chose
en laquelle il seroit plus excusable d’estre ambitieusābitieus de perdred’estre veincuueincu. Car la praecellance
rare et audessus du commun messiet a un home d’honur en chose frivolefriuole. Ce que jeie
dis en cet example se peut dire en tous autres: chaque parcelle chaque occupation
de l’homme, l’accuse,et le montre esgallemant qu’un’autre. Omnia omnium rerum
[...]
Democritus & Heraclytus,
ont esté deux philosophes, desquels le premier trouvanttrouuant vai-
ne & ridicule l’humaine condition, ne sortoit en public,
qu’avecauec unvn visage moqueur & riant: Heraclitus, ayant pi-
tié & compassion de cette mesme conditionconditiō nostre, en por-
toit le visage continuellement atristé, & les yeux chargez de
larmes.,
alter
Ridebat quoties à limine mouerat vnum
Protulerátque pedem, flebat contrarius alter.

JI’ayme mieux la premiere humeur, non par ce qu’il est plus plai-
sant de rire que de pleurer: mais par ce qu’elle est plus desdai-
gneuse, & qu’elle nous accusecondamne plus que l’autre: & il me sem-
ble, que nous ne pouvonspouuons jamaisiamais estre assez mesprisez selon
nostre merite. La plainte & la commiseration sont meslées à
quelque estimation de la chose qu’on plaint: les choses de-
quoy on se moque, on les estime vaines & sans pris. JeIe ne pen-
se
pē-
se
point qu’il y ait tant de malheur en nous, comme il y à de
vanité, ny tant de malice comme de sotise: nous ne sommes
pas tanttātsi pleins de mal, comme d’inanité : nous ne sommes pas
tantsi miserables, comme nous sommes viles. Ainsi Diogenes,
qui baguenaudoit apart soy, roulant son tonneautōneau, & hochant
du nez le grand Alexandre, nous estimant trestous des mou-
Ii ij

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[126v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
ches, ou des vessies pleines de vent, estoit bien jugeiuge plus aigre
& plus piquantpouignant, & par consequent, plus justeiuste à mon humeur
que TimonTimō, celuy qui fut snurnomme le haisseur des hommes.
Car ce qu’on hait on le prend à coeur. Cettuy-cy nous sou-
haitoit du mal, estoit passionnépassiōné du desir de nostre ruine, fuioit
nostre conversationconuersation comme dangereuse, de meschans, & de
nature depravéedeprauée: l’autre nous estimoit si peu, que nous ne
pourrions, ny le troubler, ny l’alterer par nostre contagion,
nous laissoit de compagnie, non pour la crainte, mais pour
le desdain de nostre commerce: il ne nous estimoit capables,
ny de bien, ny de mal faire. De mesme marque fut la respon-
ce de Statilius, auquel Brutus parla pour le joindreioindre à la cons-
piration contre Caesar: il trouvatrouua l’entreprinse justeiuste, mais il ne
trouvatrouua pas les hommes dignes, pour lesquels on se mit aucu-
nement en peine.
Position : Marge gauche Conformeement a la
discipline de Hegesias
qui disoit le sage ne devoirdeuoir
rien faire que pour soy:
d’autant qu’ile n’y a que
soy qui merite qu’on face
pour luy
sul, il est digne pour qui on face.
Et a celle de Theodorus que c’est
injusticeiniustice que le sage se hasarde se pour
le bien de son païs et qu’il mette en
peril la sagesse pour des fols.
Nostre propre et peculiere condition,
est autant ridicule que risible.

 


De la vanité des paroles.
CHAP. LI.


 
UNVN Rhetoricien du temps passé, disoit que son mestier
estoit, de choses petites les faire paroistre & trouvertrouuer
grandes.: Cc’est unvn cordonnier qui sçait faire de grands
souliers à unvn petit pied. On luy eut faict donner le fouët en
Sparte, de faire profession d’unvn’art piperesse & mensongere:
& croy que Archidamus qui en estoit Roy, n’ouit pas sans e-
stonnement
e-
stōnement
la responcerespōce de Thucididez, auquel il s’enqueroitēqueroit, qui
estoit plus fort à la luicte, ou Pericles ou luy: cela, fit-il, seroit
mal-aysé à verifier, car quandquād jeie l’ay porté par terre en luictantluictāt,
il persuade à ceux qui l’ontōt veu, qu’il n’est pas tombtōbé, & le gaigne.
Ceux qui masquentmasquēt & fardent les femmes, font moins de mal,
car c’est chose de peu de perte de ne les voir pas en leur natu-
rel: là où ceux-cy font estat de trompertrōper, non pas nos yeux, mais

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 127
nostre jugementiugemēt, & d’abastardir & corromprecorrōpre l’essenceessēce des choses.
Les republiques qui se sont maintenuës en unvn estat reglé &
bien policé, comme la Cretense ou Lacedemonienne, elles
n’ont pas faict grand compte d’orateurs,:
Position : Marge droite Ariston definit sagemantsagemāt la rhetorique sciance a persuader le peuple: Socrates
Platon Celsus Athenaeus art de tromper et de flater: et ceus qui le nient
en la generale description le verifientuerifient par tout en leurs preceptes.
Socrates disoit sa fin n’estre qu’adulation Les Mahumetans en defandent l’instruction
a leurs enfans pour son inutilite come Postel escrit Et les Atheniens s’apercevensaperceuens combien son usage qui avoitauoit
tout credit en leur villeuille estoit pernicieus ordonarent que sala principale partie qui est emouvoiremouuoir les affections en fut ostee ensamble les exordes et perorations.
cC’est unvn utilvtil inventéinuenté
pour manier & agiter unevne tourbe, & unevne commune desrei-
glée: & est utilvtil qui ne s’employeēploye qu’aux estats malades, commecōme la me-
decine: eEn ceux ou le peuplevulguereuulguere, ou les ignorans, ou tous ont tout
peu, comme celuy d’Athenes, de Rhodes, & de Rome, & où
les choses ont esté en perpetuelle tempeste, là ont foisonnéafflué
les orateurs. Et à la verité, il se void peu de personnages en ces
republiques là, qui se soient poussez en grand credit sans le se-
cours de l’eloquenceeloquēce: Pompeius, Caesar, Crassus, Lucullus, Len-
tulus, Metellus, ont pris de la, leur grand appuy à se monter à
cette grandeur d’authorité, où ils sont en fin arrivezarriuez: & s’en
sont aydez plus que des armes.
Position : Marge droite
cContre l’opinion des
meilleurs temps:. La
sciance et le bien dire
on l’assignoit aus jugesiuges
& praeturs: aus consuls
la vertuuertu & le bien faire
Car
L. Volumius consul
parlant en publiq en
faveurfaueur de l’election
au consulatcōsulat faicte des
persones de Q. Fabius
& P. Decius. Esse praeter
praeterea uiros natos
militiae, factis magnos
ad verborumuerborū linguaeque
certamina rudes: ea
ingenia consularia
esse: callidos soler=
tesque, iuris atque
eloquentiae consultos
urbi ac foro praesides
habendos, praetoresque
ad reddenda iura
creandos esse.
Ce sont
gens nais a la guerre
propresgrans aus effaicts
au combat du babil
rudes: esperits vraiementuraiement
consuleres: lLes
subtils eloquans et
sçavanssçauans sont bons
pour la villeuille, praeturs
a faire justiceiustice., dict il.
On remarque aussi que l’art
dLeloquenceeloquēce à fleury le plus, Position : Interligne haute a Rome lors que les affaires ont esté en plus
mauvaismauuais estat, & que l’orage des guerres civilesciuiles les à agitezagitoit:
commecōme unvn champchāp libre & indomptéindōpté, porte les herbes plus gaillar-
des. Il semble par là que les estatspolices, qui dépendent d’unvn monar-
que en ont moins de besoin que les autres: car la bestise & fa-
cilité, qui se trouvetrouue en la commune, & qui la rend subjectesubiecte à
estre maniée & contournéecōtournée par les oreilles, au doux son de cet-
te harmonie, sans venir à poiser & connoistrecōnoistre la verité des cho-
ses par la force de la raison,: cette facillité Position : Interligne haute dis jeie ne se trouvetrouue pas si
aisément en unvn seul, & est plus aisé de le garentir par Position : Interligne haute bone institution et bon con-
seil de l’impression de cette poison. On n’a pas veu sortir de
Macedoine ny de Perse, aucun orateur de renomrenō. JI’en ay dict ce
mot, sur le subjectsubiect d’unvn Italien, que jeie vien d’entretenir, qui à
servyseruy le feu Cardinal Caraffe de maistre d’hostel jusquesiusques à sa
mort. JeIe luy faisoy comptercōpter de sa charge: il m’a fait unvn discours
de cette sciencesciēce de gueule, avecauec unevne gravitégrauité & contenance ma-
gistrale, comme s’il m’eust parlé de quelque grand poinct de
Ii iij

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[127v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Theologie. Il m’a dechifré unevne difference de gousts’appetis: celuy
qu’on a à jeunieun, qu’on a apres le second & tiers serviceseruice: les
moyens tantost de luy plaire simplement, tantost de l’eveil-
ler
eueil-
ler
& picquer: la police de ses sauces,: premierementpremieremēt en general,
& puis particularisant les qualitez des ingrediens, & leurs ef-
fects: les differences des salades selon leur saison, celle qui doit
estre reschaufée, celle qui veut estre servieseruie froide, la façon de
les orner & embellir, pour les rendre encores plaisantes à la
veuë. Apres cela il est entré sur l’ordre du serviceseruice, plein de bel-
les & importantes considerations.,
nec minimo sane discrimine refert
Quo gestu lepores, & quo gallina secetur.

Et tout cela enflé de riches & magnifiques parolles, & celles
mesmes qu’on employe à traiter du gouvernementgouuernement d’unvn Em-
pire. Il m’est souvenusouuenu de mon homme
Holc salsum est, hoc adustum est, hoc lautum est parum,
Illud rectè, iterum sic memento, sedulo
Moneo quae possum pro mea sapientia.
Postremo tanquam in speculum, in patinas, Demea,
Inspicere iubeo, & moneo quid facto vsus sit.

Si est-ce que les Grecs mesmes loüerent grandement l’or-
dre & la disposition que Paulus AEmilius, observaobserua au fe-
stin, qu’il leur fit au retour de Macedoine: mais jeie ne parle
point icy des effects, jeie parle des mots. JeIe ne sçay s’il en advientaduient
aux autres comme à moy, mais jeie ne me puis garder quandquād ji’oy
nos architectes, s’enfler de ces gros mots de pilastres, architra-
ves
architra-
ues
, corniches, d’ouvrageouurage CorinthienCorinthiē, & Dorique, & semblables
de leur jargoniargon, que mon imagination ne se saisisse incontinentincontinēt
du palais d’Apolidon, & par effect jeie trouvetrouue que ce sont les
chetiveschetiues pieces de la porte de ma cuisine. Oyez dire metono-
mie, metaphore, allegorie, & autres tels noms de la grammai-
re, semble-il pas qu’on signifie quelque forme de langage ra-

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LIVRE PREMIER. 128
re & pellegrin,: ce sontsōt titres qui touchenttouchēt le babil de vostre chan-
briere
chā-
briere
. C’est unevne piperie voisine à cettecy, d’appeller les offices
de nostre estat, par les titres superbes des Romains, encore
qu’ils n’ayentayēt aucune ressemblanceressemblāce de charge, & encores moins
d’authorité & de puissance. Et cette-cy aussi, qui serviraseruira à mon
advisaduis unvn jouriour de tesmoignage d’unevne singuliere vanitéineptie de no-
stre siecle, d’employer vainement & sans considerationindignement à
qui bon nous semble, les surnoms les plus glorieux, dequoy
l’ancienneté ait honoré unvn ou deux personnages en plusieurs
siecles. Platon à emporté ce surnom de divindiuin, par unvn con-
sentement
con-
sentemēt
universelvniuersel, que aucun n’a essayé luy envierenuier: & les Ita-
liens qui se vantent, & avecquesauecques raison, d’avoirauoir communémentcōmunément
l’esprit plus esveilléesueillé, & le discours plus sain que les autres na-
tions de leur temps, en viennent d’estrener l’Aretin: auquel
sauf unevne façon de parler bouffie & bouillonnée de pointes, in-
genieuses à la verité, mais recherchées de loing, & fantasques,
& outre l’eloquence en fin, telle qu’elle puisse estre, jeie ne voy
pas qu’il y ait rien au dessus des communs autheurs de son sie-
cle, tant s’en faut qu’il approche de cestte divinitédiuinité ancienne. Et
le surnom de grand, nous l’attachons à des Princes, qui n’ont
eu rien au dessus de la grandeur communepopulere.


De la parsimonie des anciens.
CHAP. LII.


ATTILIVS Regulus, general de l’armée Romaine en
Afrique, au milieu de sa gloire & de ses victoires con-
tre les Carthaginois, escrivitescriuit à la chose publique qu’unvn
valet de labourage, qu’il avoitauoit laissé seul au gouvernementgouuernement de
son bien, qui estoit en tout sept arpents de terre, s’en estoit en-
fuy, ayant desrobé ses utilsvtils de labourage, & demandoit congé
pour s’en retourner & y pourvoirpouruoir, de peur que sa femme, &
ses enfans n’en eussent à souffrir: le Senat pourveutpourueut à com-

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[128v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
mettre unvn autre à la conduite de ses biens, & luy fist restablir,
ce qui luy avoitauoit esté desrobé, & ordonna que sa femme & en-
fans seroient nourris aux despens du public. Le vieux Caton
revenantreuenant d’Espaigne Consul, venditvēdit son chevalcheual de serviceseruice pour
espargner l’argent qu’il eut couté à le ramener par mer en Ita-
lie: & estant au gouvernementgouuernement de Sardaigne, faisoit ses vi-
sitations à pied, n’ayant avecauec luy autre suite que dunvn offi-
cier de la chose publique, qui luy portoit sa robbe, & unvn
vase à faire des sacrifices: & le plus souventsouuent il pourtoit sa male
luy mesme: iIl se vantoit de n’avoirauoir jamaisiamais eu robbe qui
eust cousté plus de dix escus, ny avoirauoir envoyéenuoyé au marché plus
de dix sols pour unvn jouriour: & de ses maisons aux champs, qu’il
n’en avoitauoit aucune qui fut crepie & enduite par dehors, ScipionScipiō
AEmilianus apres deux triomphes & deux Consulats, alla en
legation avecauec sept serviteursseruiteurs seulementseulemēt. [Il ne fut taxé que cinq
sols & demy, pour jouriour, à Tyberius Gracchus, allant en com-
mission pour la chose publique, estant lors le premier hom-
me des Romains.] [Commentaire (Montaigne) :
mettez cette clause
enfermee, a la
fin du chapitre]
On tient qu’Homere n’enē eust jamaisiamais qu’unvn,
Platon trois, Zenon le chef de la secte Stoique pas unvn.
 


D’unvn mot de Caesar. CHAP. LIII.


 
SI nous nous amusions par fois à nous considerer, &
le temps que nous mettons à contreroller autruy, & à
connoistre les choses qui sont hors de nous, que nous
l’emploissions à nous sonder nous mesmes, nous sentirions
aisément combien toute cette nostre contexture est bastie de
pieces foibles & defaillantes. N’est-ce pas unvn singulier tesmoi-
gnage d’imperfection, de ne pouvoirpouuoir r’assoir nostre contente-
ment
contente-
mēt
en aucune chose, & que par desir mesme & imaginationimaginatiō il
soit hors de nostre puissance de choisir ce qu’il nous faut? De-
quoy porte bon tesmoignage cette grande & noble dispute,
qui

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LIVRE PREMIER. 129
qui à tousjourstousiours esté entre les Philosophes, pour trouvertrouuer le
souverainsouuerain bienbiē de l’homme, & qui dure encores & durera eter-
nellement, sans resolution & sans accord.:
dum abest quod auemus, id exuperare videtur
Caetera, post aliud cùm contigit illud auemus
Et sitis aequa tenet.

Quoy que ce soit qui tombe en nostre connoissance & jouïs-
sance
iouïs-
sance
, nous sentons qu’il ne nous satisfaict pas, & allonsallōs beant
apres les choses adveniraduenir & inconnuës, d’autant que les presen-
tes ne nous soulent point: non pas à mon advisaduis qu’elles n’ayent
assez dequoy nous souler, mais c’est que nous les saisissonssaisissōs d’u-
ne
v-
ne
prise malade & desreglée.,
Nam cùm vidit hic ad vsum quae flagitat vsus,
Omnia iam ferme mortalibus esse parata,
Diuitiis homines & honore & laude potentes
Affluere, atque bona natorum excellere fama,
Nec minus esse domi, cuiquam tamen anxia corda,
Atque animum infestis cogi seruire querelis:
Intellexit ibi vitium vas facere ipsum,
Omniáque illius vitio corrumpier intus
Quae collata foris & commoda quaeque venirent.

Nostre goustappetit est irresolu & incertain: il ne sçait rien tenir, ny
rien jouyriouyr de bonne façon. L’homme estimant que ce soit le
vice de ces choses, se remplit & se paist d’autres choses qu’il
ne sçait point, & qu’il ne cognoit point, où il applique ses de-
sirs & ses esperances, les prend en honneur & reverencereuerence: com-
me dict Caesar, Communi fit vitio naturae, vt inuisis, latitantibus
atque incognitis rebus magis confidamus, vehementiúsque exterreamur.

Il se fait par unvn vice ordinaire de nature, que nous ayonsayōs & plus
de fiance, & plus de crainte des choses, que nous n’avonsauons pas
veu, & qui sont cachées & inconnues.

Kk

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[129v] ESSAIS DE M. DE MONTA.


Des vaines subtilitez. CHAP. LIIII.


IL est de ces subtlitez frivolesfriuoles & vaines, par le moyen
desquelles, les hommes cherchent quelques fois de la
recommandation: comme les poëtes, qui font des ou-
vrages
ou-
urages
entiers, de vers, commençanscōmençās par unevne mesme lettre: nous
voyons des oeufs, des boules, des aisles, des haches façonnées
anciennement par les Grecs, avecauec la mesure de leurs vers, en les
alongeant ou accoursissant, en maniere qu’ils viennentviennēt à repre-
senter telle, ou telle figure. Telle estoit la sciencesciēce de celuy, qui
s’amusa à conter en combien de sortes se pouvoientpouuoient renger les
lettres de l’alphabet, & y en trouvatrouua ce nombre incroiable, qui
se void dans Plutarque. JeIe trouvetrouue bonne l’opinion de celuy, à
qui on presenta unvn homme, apris à jetterietter de la main unvn grain
de mil, avecauec telle industrie, que sanssās faillir, il le passoit tousjourstousiours
dans le trou d’unevne esguille, & luy demanda l’onlon apres quelque
present pour loyer d’unevne si rare suffisance: surquoy il ordonna
bien plaisamment, & justementiustemēt à mon advisaduis, qu’on fit donner
à cet ouvrierouurier deux ou trois minots de mil, affin qu’unvn si bel art
ne demeurast sans exercice. C’est unvn tesmoignage merveilleusmerueilleus de la foi-
blesse de nostre jugementiugement, dequ’il recommander les choses par la
rareté ou nouvelleténouuelleté, ou encore par la difficulté, si la bonté &
utilitévtilité n’y sont joinctesioinctes. Nous venons presentement de nous
jouëriouër chez moy, à qui pourroit trouvertrouuer plus de choses qui se
tiennent par les deux bouts extremes: comme, Sire, c’est unvn
tiltre qui se donne à la plus eslevéeesleuée personne de nostre estat,
qui est le Roy, & se donne aussi au vulgaire, comme aux mar-
chans, & ne touche point ceux d’entre deux. Les femmes de
qualité, on les nomme Dames, les moyennes, Damoiselles, &
Dames encore celles de la plus basse marche. Les dez qu’on e-
stend sur les tables, ne sont permis qu’aux maisons des princes
& aux tavernestauernes. Democritus disoit, que les dieux & les bestes

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LIVRE PREMIER. 122130
avoientauoient les sentimens plus aiguz que les hommes, qui sont au
moyen estage. Les Romains portoient mesme accoutrement
les joursiours de deuil & les joursiours de feste. Il est certain que la peur
extreme, & l’extreme ardeur de courage troublent égalementégalemēt
le ventre & le laschentlaschēt.
Position : Marge droite Le saubli saubriquet
de tremblant, du quel
le 12 Roy de NavarreNauarre
Sancho fut surnome
nous aprant que la hardies=
se aussi bien que la peur
font frissoner et tresmousser
nos membres Et celuy a
qui ses jansians qui l’armointlarmoint
voïantuoïant frissoner lela peaupeau
corps s’essaioint de le
rassurer etn apetissant
Position : Marge droite le hasard au quel il
s’aloit presanter luyleur
dict Vous me conessez
mal. Si ma cher sçavoitsçauoit
ou mon corage la
portera tantost elle
s’en transiroittrāsiroit tout a faict
plat.
La foiblesse qui nous vient de froideur,
& desgoutement aux exercices de Venus, elle nous vient aussi
d’unvn appetit trop vehement, & d’unevne chaleur desreglée. L’ex-
treme froideur & l’extreme chaleur cuisent & rotissent. Ari-
stote dict que les cueus de plomb se fondent, & coulent de
froid, & de la rigueur de l’hyverhyuer, comme d’unevne chaleur vehe-
mente.
Position : Marge droite LaLe soifdesir et la satieté
remplissent de dolur
les sieges au dessus et
au dessous de la voluptéuolupté.
La bestise & la sagesse se rencontrent en mesme point
de goustsentimant & de resolution à la souffrance des accidensaccidēs humains:
les Sages gourmandent & commandent le mal, & les autres
l’ignorent: ceux-cy sont, par maniere de dire, au deçà des acci-
dens, les autres au delà: lesquels apres en avoirauoir bien poi-
sé & consideré les qualitez, les avoirauoir mesurez & jugeziugez tels
qu’ils sont, s’eslancent au dessus, par la force d’unvn vigoureux
courage: Iils les desdaignent & foulent aux pieds, ayant
unevne ame forte & solide, contre laquelle les traicts de la fortu-
ne venant à donner, il est force qu’ils rejalissentreialissent & s’émous-
sent, trouvanttrouuant unvn corps dans lequel ils ne peuventpeuuēt faire impres-
sion: l’ordinaire & moyenne conditionconditiō des hommes, loge en-
tre ces deux extremitez:, qui est de ceux qui apperçoiventapperçoiuent les
maux, les goustentsentent, & ne les peuventpeuuent supporter. L’enfance &
la decrepitude se rencontrent en imbecillité de cerveaucerueau. L’a-
varice
a-
uarice
& la profusion en pareil desir d’attirer & d’acquerir. Il
se peut dire avecauec apparenceapparēce,
Position : Marge gauche que l’infime
estage est le
giste de l
il y a une ignorance
le secont deabecedere qui precede la
sciance. Le supreme
de l’ignorancelignorance
encores.
un’autre
doctorale et
Socratique
Et se
peut dire aussi
qui suit la sciance.

qu’il y a ignorance
abecedere qui
vaua devancetdeuancet la sciance
un’autre doctorale
et Socratique qui suitqui vientuient apres la sciance:
ignorance que la sciance ce faict et dicte et engendre
tout ainsiaīsi come elle desfaict Position : Interligne haute et destruit la premiere.
que dDes esprits simples, moins cu-
rieux & moins sçavanssçauansinstruits, il s’en faict de bons Chrestiens, qui
par reverencereuerence & obeissance, croient simplement & se maintiennent soubs
les loix. En la moyenne vigueur des esprits, & moyennemoyēne scien-
cedoctrine capacite, s’engendre l’erreur des opinionsopiniōs: ils suyventsuyuent l’apparence du
premier sens: & ont quelque tiltre d’interpreter à simplicité
& ignoranceignorācebestise, de nous voir arrester en l’ancien train, regardant
Kk ij

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[130v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
à nous, qui n’y sommes pas instruicts par estude. Les grands
esprits plus rassis & clairuoians, font unvn autre genre de bien
croyans: lesquels par longue & religieuse investigationinuestigation, pe-
netrent unevne plus profonde & abstruse lumiere, és escriptures,
& sentent le misterieux & divindiuin secret, de nostre police Ec-
clesiastique. Pourtant en voyons nous aucuns estre arrivezarriuez à
ce dernier estage, par le second, avecauec merveilleuxmerueilleux fruict, &
confirmation: comme à l’extreme limite de la Chrestienne
intelligence: & jouyriouyr de leur victoire avecauec consolation, a-
ction de graces, reformationreformatiō de meurs, & grande modestie. Et
en ce rang n’entens-jeie pas loger, ces autres, qui pour se purger
du soubçon de leur erreur passé, & pour nous asseurer d’eux,
se rendent extremes, indiscrets, & injustesiniustes, à la conduicte de
nostre cause, & là taschent, d’infinis reproches de violence.
Position : Marge gauche tous ceus Position : Interligne haute enfin qui viventuiuent sans lettres
Les paisans simples, sont honestes
gens et honestes gens les
philosophes ou selon nostre
temps des natures fortes
et cleres enrichies d’une
large instruction de sciances
utillesvtilles. Les mestis qui ont
perdu la pr desdeigné le
premier siege Position : Interligne haute d’ignorance de lettres, et n’ont peu
jouindreiouindre l’autrelautre: le cul
entre deus selles: des quels
jeie suis, et tant d’autres,
sont dangereus ineptes
importuns: ceus icy troblenttroblēt
le monde. Pourtant de ma
part jeie me recule tant que jeie
puis dans le premier & naturel
siegle siege, d’oudou jeie me suis pour
neant parti essaie de partir.
La poësie populere et purement
naturellea des naïfveteznaïfuetez et graces
par ou elle se compare a la
principale beaute de la
poësie parfaicte selon l’artlart:
comme il se voituoit es villanellesuillanelles
de gascouigne, et aus
chançons qu’on nous raporte
des nations qui n’ont conois=
sance de nulle’aucune sciance ny
mesmes d’escriture. La
poësie mediocre qui s’arrete
entre deus est mesprisee desdesdeignee, des
maistres sans honur et sans pris.

Mais parce que apres que le pas à esté ouvertouuert à l’esprit, ji’ay
trouvétrouué, comme il advientaduient ordinairement, que nous avionsauions
pris pour unvn exercice malaisé & d’unvn rare subjectsubiect, ce qui ne
l’est aucunement: & qu’apres que nostre inventioninuention à esté es-
chaufée, elle descouvredescouure unvn nombrenōbre infiny de pareils exemples,
jeie n’en adjousterayadiousteray que cettuy-cy: que si ces essays estoyent
dignes, qu’on en jugeatiugeat, il en pourroit adveniraduenir à mon advisaduis,
qu’ils ne plairoient guiere aux esprits communs & vulgaires,
ny guiere aux singuliers & excellens: ceux-là n’y entendroiententendroiēt
pas assez, ceux-cy y entendroient trop: ils pourroient vivoterviuoter
en la moyenne region.
 


Des Senteurs. CHAP. LV.


 
IL se dict d’aucuns, comme d’Alexandre le grand, que
leur sueur espandoit unvn, odeur souefvesouefue par quelque ra-
re & extraordinaire complexioncōplexion: dequoy Plutarque &
autres recherchent la cause. Mais la communecōmune façon des corps

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LIVRE PREMIER. 131
est au contraire: & la meilleure conditionconditiō qui soit en celaqu’ils aïent, c’est
de ne sentir rien de mauvaismauuais. Etd’estre exemps de sentur lLa douceur mesmes des ha-
laines les plus pures, elle n’a rien de plus excellent, que d’estre
simple & sans aucune odeur, qui nous offence: comme
sont celles des enfans biens sains. Voyla pourquoy dict
Plaute.,
Mulier tum benè olet, vbi nihil olet.
La plus parfaicte senteur d’unevne femme, c’est ne sentir à rien,
comme on dict que la meilleure odeur de ses actions, c’est
qu’elles soyent insensibles & sourdes. Et les bonnes senteurs
estrangieres, on à raison de les tenir pour suspectes, à ceux qui
s’en serventseruent, & d’estimer qu’elles soyent employees pour cou-
vrir
cou-
urir
quelque defaut naturel de ce costé-la. D’où naissent ces
rencontres des Poëtes anciens,: Cc’est puïr, que de santir
bon.,
Rides nos Coracine nil olentes.
Malo quam bene olere nil olere.
Et ailleurs.
Posthume non benè olet, qui benè semper olet.
JI’ayme pourtant bien fort à estre entretenu de bonnes sen-
teurs, & hay outre mesure les mauvaisesmauuaises, que jeie tire de plus
loing que tout autre.,
Namque sagacius vnus odoror,
Polypus, an grauis hirsutis cubet hircus in alis,
Quam canis acer vbi lateat sus.

Position : Marge droite Les senturs plus simples et
naturelles me semblent plus
agreables. Et touche ce soing
principalement les dames. En
la plus espaisse barbarie les
fames Scithes apres s’estre
laveeslauees se saupoudrent et
encroustent tout le cors et
le visageuisage de certeine drogue
qui nait en leur terroir
odoriferante Et pour aprocher
les homes aiant oste ce fart
elles s’en treuventtreuuent et polies
et parfumees.

Quelque odeur que ce soit, c’est merveillemerueille combiencombiē elle s’atta-
che à moy, & combiencombiē ji’ay la peau propre à s’en abreuverabreuuer. Ce-
luy qui se plaint de nature dequoy elle à laissé l’homme sans
instrument à porter les senteurs au nez, à tort:, car elles se por-
tent elles mesmes. Mais à moy particulierement, les mousta-
ches que ji’ay pleines, m’en serventseruent: sSi ji’en approche mes gans
ou mon mouchoir, la senteurodeur y tiendra tout unvn jouriour: eElles res-
pondent duaccusent le lieu d’où jeie viensviēs. Les estroits baisers de la jeunesseieunesse,
Kk iij

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[131v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
savoureuxsauoureux & gourmansgloutons et gluans, s’y colloyent autresfois, & s’y te-
noient plusieurs heures apres. Et si pourtantpourtāt jeie me trouvetrouue peu
subjectsubiect aux maladies populaires, qui se chargent par la con-
versation
con-
uersation
, & qui naissent de la contagion de l’air,: & me suis
garantysauvésauué de celles de mon temps, dequoy il y en à eu plusieurs
sortes, en nos villes, & en noz armées.
Position : Marge gauche On lictt ce me semble de
Socrates que n’estant jamaisiamais
parti d’Athenes pandant
plusieurs rechutes de pestes
qui la tourmantarent tant
de fois luy sul ne s’en trouvatrouua
jamaisiamais plus mal.
Les medecins pourroientpourroiēt
croi-jeie tirer des odeurs, plus d’usagesvsages qu’ils ne font: car ji’ay
souventsouuent aperçeu qu’elles me changent, & agissent en mes es-
pris, selon qu’elles sont: qQui me faict approuverapprouuer ce qu’on dict,
que l’inventioninuention des encens & parfuns aux Eglises, qui est si
ancienne & espandue en toutes nations & religions, regarde
à cela, de nous resjouirresiouir esveilleresueiller & purifier le sens, pour nous
rendre plus propres à la contemplation.
Position : Marge gauche
JeIe vodroiuodroi bien pour en
jugeriuger, avoirauoir eu ma part
de l’apprestart de ces cuisiniers
qui sçaventsçauent assaisoner des
les odurs estrangieres aveqaueq
[unclear] la saveursaueur des viandesuiandes.
Comme singulierement on
remerqua au serviceseruice de ce
Roy de Thunes qui de nostre
aage print terre a Naples
pour s’aboucher aveqaueq
l’Empereur Charles. On
farcissoit ses viandesuiandes de drogues
odoriferantes de telle sumptuositè
qu’un Paon & deus faisans se treuvarenttreuuarēt revenointreuenoint
avoirauoir costea cent ducats apour les aprester
a sa mode selon leur maniere
Et quandquād on les despeçoit
remplissoint non sulemant
la sale mais toutes les chambreschābres
de son palais & jusquesiusques aus
maisonmaisons du voisinageuoisinage d’une
tressouefvesouefue vapuruapur qui ne se
perdoit pas si tost.
Le principal soing
que ji’aye à me loger, c’est àde fuir l’air puant & poisant. Ces
belles villes, Venise & Paris, alterent la faveurfaueur que jeie leur por-
te, par l’aigre senteur, l’unevne de son marets, l’autre de sa boue.
 


Des prieres. CHAP. LVI.


[Note (Alain Legros) : Voir l’édition d’Alain Legros de ce chapitre : Montaigne, Essais, I, 56, "Des prières", Édition annotée des sept premiers états du texte avec étude de genèse et commentaires, TLF n°558, Genève, Droz, 2003.]
JEIE propose icy des fantasies informes & irresolues,
comme font ceux qui publient des questions doub-
teuses, à debattre aux escoles: nNon pour establir la ve-
rité, mais pour la chercher: &Et les soubmets au jugementiugement de
ceux, à qui il touche de regler non seulement mes actions &
mes escris, mais encore mes pensées. Esgalement m’en sera ac-
ceptable & utilevtile la condemnation, comme l’approbation.
Position : Marge gauche
tenant serieusement
pour execrable s’il se
treuvetreuue chose dicte
par monpar moy ignorament
ou inadvertamentinaduertamēt contrere
aules sainctes prescriptions
de l’egliseleglise en la quelle
jeie meurs et en laquelle
jeie suis nai
catholique
apostolique et Romeine
en laquelle jeie meurs et
en laquelle jeie suis nai
Et
pourtant me remettant tousjourstousiours à l’authorité de leur censu-
re, qui peut tout sur moy, jeie me mesle ainsin temerairement à
toute sorte de propos: cComme icy. JeIe ne sçay si jeie me trompe:,
mMais puis puis que par unevne faveurfaueur particuliere de la bonté di-
vine
di-
uine
, certaine façon de priere nous à esté prescripte & dictée
mot à mot par la bouche de Dieu, il m’a tousjourstousiours semblé
que nous en devionsdeuions avoirauoir l’usagevsage plus ordinaire, que nous

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LIVRE PREMIER. 132
n’avonsauons: &Et si ji’en estoy creu, à l’entrée & à l’issue de nos tables,
à nostre leverleuer & coucher, & à toutes actionsactiōs particulieres, aus-
quelles on à accoustumé de mesler des prieres, jeie voudroy que
ce fut le seul patenostre que les Chrestiens y employassent. Position : Interligne haute et en use ainsi
Position : Marge droite Si non sulement au moins
tousjourstousiours.

L’Eglise peut estendreestēdre & diversifierdiuersifier les prieres selon le besoing
de nostre instructioninstructiō: car jeie sçay bien, que c’est tousjourstousiours mes-
me substance, & mesme chose: mMais on devoitdeuoit donner à celle
là ce privilegepriuilege, que le peuple l’eust continuellementcōtinuellement en la bou-
che: cCar il est certain qu’elle dit tout ce qui nous sertqu’il faut, & qu’el-
le est trespropre à toutes occasions.
Position : Marge droite C’est l’unique priere de
quoi jeie me sers partout:
et la repete p au lieu d’en
changer. D’ouDou il advientaduient
que jeie n’en ai aussi bien
en memoire que cellela.
JIavoyauoy presentement en
la pensée, d’où nous venoit cett’erreur, de recourir à Dieu en
tous nos desseins & entreprinses, & l’appeler à toute sorte de
besoing, & en quelque lieu que nostre foiblesse requiertveutueut de
l’aide,. sSans considerer si l’occasion est justeiuste ou injusteiniuste,. &Et d’es-
escrier
des-
escrier
son nom, & sa puissance, en quelque estat, & action que
nous soyons, pour vitieuse qu’elle soit. Il est bien nostre seul
& uniquevnique protecteur Position : Interligne haute et peut toutes choses a nous aider,: mais encore qu’il daigne nous hono-
rer de cette douce aliance paternelle, il est pourtant autant
justeiuste, comme il est bon
Position : Marge gauche et come il est
puissant. Mais
il use bien plus
souvantsouuant de sa
justiceiustice que de
son pouvoirpouuoir
,: & nous favorisefauorise selon la raison de sa
justiceiusticed’icelle, non selon nos inclinations & volontezdemandes.
Position : Marge droite Platon en ses loix faict trois
sortes d’injurieuseiniurieuse creance des
Dieus Qu’il n’y en aïe pouint qu’ils
ne se meslent pas de nos affaires
Qu’ils ne refusent rien a nos
veusueus offrandes et sacrifices.
La premiere errur selon son
avisauis ne dura jamaisiamais en home
non es immuable en home despuis
son enfance jusquesiusques a sa vieillesseuieillesse
Les deus suivantessuiuantes oui peuventpeuuēt
souffrir de la constance
Sa justiceiustice &
sa puissance sont inseparables: pPour neant implorons nous sa
force en unevne mauvaisemauuaise cause: iIl faut avoirauoir l’ame nette, au
moins en ce temps làmoment, auquel nous le prions, & deschargée
de passions vitieuses: autrement nous luy presentons, nous
mesmes les verges, dequoy nous chastier. Au lieu de rabiller
nostre faute, nous la redoublons,. pPresentanspPresentās à celuy, à qui nous
avonsauons à demander pardon, unevne affection pleine d’irreverenceirreuerence
& de haine. Voyla pourquoy jeie ne loüe pas volontiers ceux
que jeie voy prier Dieu plus souventsouuent & plus ordinairement, si
les actions voisines de la priere, ne me tesmoignent quelque
amendement & reformation.,

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[132v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
si nocturnus adulter
Tempora sSanctonico velas adoperta cucullo
.
Position : Marge droite Et l’assiettelassiete d’un home meslantmeslāt
meschant a une vieuie execrable la
devotiondeuotion semble estre aucunement
plus condamnable que celle d’un home
conforme a soi et dissolu partout. p
Pourtant refuse
nostre esglise
tous les joursiours la
faveurfaueur de son
entree et societe
aus meurs
obstinees a
quelque insigne
malice.

Nous prions par usagevsage & par coustume: oOu pour mieux dire,
nous lisons ou prononçons nos prieres: cCe n’est en fin, que
contenancemine: &Et me desplait de voir faire trois signes de croix
au benedicite, autant à graces (& d’autant plus m’en desplaist
il, que ce sont façons que ji’honore & imite souventsouuent)de ce que c’est un signe que ji’ay en reverancereuerance et continuel usage, mesmemant au bailler) & ce pen-
dant
pē-
dant
toutes les autres heures du jouriour, les voir occupees à usuvsu-
res, venjagencesveniagences & paillardisesla haine l’avariceauarice l’injusticeiniustice: aAux vices leur heure, son heure
à Dieu:, comme par compensation & composition. C’est mi-
racle, de voir continuer des actions si diversesdiuerses d’unevne si pareil-
le teneur, qu’il ne s’y sente point d’interruption & d’alterationalteratiō
aux confins mesme, & passage de l’unevne à l’autre.
Position : Marge gauche Quelle prodigieuse consciencecōscience se peut donner repos, nourrissant en mesme giste, d’unevne societé si
accordante & si paisible le crime et le jugeiuge. Un home de qui la paillardise ou la mensonge vanjanceuaniancesans cesse regente
la teste et qui lesla tientjugeiuge tresodieuses a la veueueue divinediuine que dict il a dieu quand il luy en parle. Il se rameine:
mais soudein il rechoit. Si l’objectobiect de la divinediuine justiceiustice et sa presance frapoint com’il dict et chastioint son ame
pour courte qu’en fut la poenitance la creinte mesme rejeteroireieteroi y rejeteroitreieteroit si souvantsouuant sa pensee qu’incontinantincontināt
il se verroituerroit maistre de ces vicesuices qui sont habituez et acharnez en luy. Mais quoy ceus qui couchent une vieuie
entiere sur le fruit et esmolument dedu leur
peché qu’ils tienent m sçaitsçaventsçauent mortel [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne a écrit : 1- qu’ils tienent m 2- qu’il sçait mortel 3- qu’ils (s rétabli) sçavent mortel]
marchans: volursuolurs: acheturs et vendursuendurs de benefices:
usuriers: etc. Tout le monde en fin.

combiencombiens avonsauons nous de mestiers et vacationsuacations receues de quoi l’essancelessance
est vitieuseuitieuse
Et celuy
quei se confessant a moi me recitoit
avoirauoir tout un eage faict profession
& les effaicts d’une religion
damnable pourselon luy & contradic=
toire a celle de son ame qu’ilquil avoitauoit
en son ceur: pour ne perdre son
credit mondein & l’honur de
ses charges: comant pastissoit il
ce discours en son corage:. dDe quiquel
langage entretienent ils sur ce
subjectsubiect la justiceiustice divinediuine. Leur
repentance consistant en visiblesuisibles
& maniables reparation ils perdentperdēt
& enversenuers dieu et enversenuers nous le
moyen de l’alleguer. Sont ils si
hardis de demander pardon
sans satisfaction et sans repantance. JeIe tiens que de
cetteces premieres repantance qu’il
en vaua come de cette cyceus icy a peu pres
mais p mais l’obstination n’y
est pas si descouvertedescouuerte aisee a
conveincreconueincre. Cette contrarité
& volubiliteuolubilite d’opinion si sou=
daine si violanteuiolante ha pour moy
quelqu’image de miracle. JeIe
pense avoirauoir dresse mon trein
aveqaueq un peu plus de conformité
sent qu’ils
nous feignent au sent pour
moy au miracle.

Ils nous represantent l’estat
d’un’indigestible agonie. ne
faisant qu’aller et veniruenir come
pois en pot
. Que l’imagination
me sembloit fantastique de ceus
qui ces annees passees avointauoint
en usage de reprocher aus esperits
un peu clairs faisa
tout chacun
en qui il reluisoit quelque clarté
d’esperit professant la relligion
Catholique que c’estoit a feinte
& tenoint mesmes pour luy faire
honeur quoi qu’il dict par apparance
qu’il ne pouvoitpouuoit faillir au dedans
d’avoirauoir sa creance reformee a
leur pied. Facheuse maladie
de se croire si fort qu’on se
persuade qu’il ne se puisse croire
au contrere. Et plus facheuse
encore qu’on se persuade d’un tel
esperit qu’il prefere jeie ne sçai
quelle disparite de fortune
presante aus esperances et
menaces de la vieuie eternelle
Ils m’en peuventpeuuent croire. Si ji’eusse
rien eut deu tenter ma junesseiunesse
l’ambition du hasard et difficultez
qui suivointsuiuoint cette recente entre=
prinse y eut eu bone part.
Ce n’est pas
sans grandegrāde raison, ce me semble, que l’Eglise Catholique de-
fend l’usagevsage promiscue, temeraire & indiscret des sainctes &
divinesdiuines chansons, que le Sainct Esprit à dicté en DavidDauid. Il ne
faut mesler Dieu en nos actions qu’avecqueauecque reverencereuerence & at-
tention pleine d’honneur & de respect. Cette voisx est trop
divinediuine, pour n’avoirauoir autre usagevsage que d’exercer les poulmons,
& plaire à nos oreilles.: CcC’est de la conscienceconsciēce qu’elle doit estre
produite, & non pas de la langue. Ce n’est pas raison qu’on
permette qu’unvn garçon de boutique parmy cesses vains & fri-
voles
fri-
uoles
pensemens, s’en entretienne & s’en jouëiouë. N’y n’est cer-
tes raison de voir tracasser entre les mains de toutes person-
nes, par unevne sale, & par unevne cuysine, le Sainct livreliure des sacrez
mysteres de nostre creance. Position : Interligne haute C’estoint autresfois mysteres ce sont a presant desduitz et esbatz. Ce n’est pas en passant, & tumul-
tuairement, qu’il faut manier unvn estude si serieuz & venera-
ble. Ce doibt estre unevne action destinée, & rassise, à laquelle
on doibt tousjourstousiours adjousteradiouster cette preface de nostre office,
sursum corda, & y apporter le corps mesme disposé en conte-
nance, qui tesmoigne unevne particuliere attention & reverencereuerēce.
Position : Marge gauche Ce n’est pas l’estudelestude de tout
le monde c’est l’estudelestude des persones
qui y sont voueesuouees que dieu y apele.
Les meschans les ignorans s’y
empirent. Ce n’est pas une histoire a
reciter c’est conter c’est une histoire
à reverereuerer creindrecreīdre et adorer PlesantesPlesātes
gens qui pensent l’avoirauoir rendue
Position : Marge que cette loi de la quelle
Platon faict la premiere
des sienes qui defant aus junesiunes gens de mettre
en question et
maniable au peuple pour l’avoirauoir mise en langage populere Ne tient il qu’aus mots
qu’ils n’entandent tout ce qu’ils treuventtreuuent par escrit Dirai jeie plus. Pour l’en aprocher side ce peu ils l’en reculentreculēt
L’ignorance pure et remise toute en autruy estoit bien plus salutere et plus sçavantesçauante que n’est cete sciance verbaleuerbale
et veineueine nourrisse de presomption et de temerite.

EtJeIe croi d’avantageauantageaussi, que la liberté à chacun de le traduire &
dissi-

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LIVRE PREMIER. 133
dissiper unevne parole si religieuse & importante à tant de sortes
d’idiomes, à beaucoup plus de dangerdāger que d’utilitévtilité. Les JuifsIuifs,
les Mahometants, & quasi tous autres, ont espousé, & reve-
rent, le langage, auquel originellement leurs mysteres avoyentauoyēt
esté conceuz, & en est defendue l’alteration & changement,:
nNon sans apparance. SçavonsSçauons nous bien qu’en Basque, & en
Bretaigne, il y ayt des JugesIuges assez, pour establir cette traductiontraductiō
faicte en leur langue: lL’Eglise universellevniuerselle n’a point de Juge-
ment
Iuge-
ment
plus ardu à faire, & plus solennesolēne: eEn preschant & parlantparlāt,
l’interpretationinterpretatiō est vague, libre, muable, & d’unevne parcelle: ainsi
ce n’est pas de mesme.
Position : Marge droite L’unvn de noz historiens Grecs accuse justementiustement son siecle, de ce que les secrets de la religion Chrestienne, estoient espandus emmy la place, és mains des moindres artisans: que chacun en pouvoitpouuoit debattre et dire selon son sens. Et que ce nous devoitdeuoit estre grande honte qui par la
grace de Dieu jouissonsiouissons des purs mysteres de la veritéuerité piete de les laisser profaner en la bouche des persones ignorantes et populeres veuueu que les
Gentils interdisoint a Socrates a Platon et aus plus sages de parler et s’enquerir des choses commises aus prestres de Delphes. Dict aussi que
les factions des Princes sur le subjectsubiect de la Theologie sont armees non de zelle mais de cholere. Que le zelle tient de la divinediuine raison et
justiceiustice se conduisant ordoneement et modereement. Mais qu’il se change en haine et envieenuie & produit au lieu du froment et du
raisin de l’yvraïeyuraïe et des horties quand il est conduit d’une passion humaine. Et justemantiustemant aussi cet autre conseillant l’Empereur
Theodose disoit les disputes n’endormir pas tant les scismes de l’eEgliseleEglise que les esveilleresueiller, et animer les Haeresies. Que pourtant il
faloit fuir toutes contantions et argumentations dialectiques et se raporter nuemant aus praescriptions et formules de la foi
establies par les antiens. Et l’Emperur AndrodicusAndronicus aïant rencontre en son palais deus grands homes aus prises de parole contre LopadiusLapodius
s’en courrou sur un de nos points de grande importance les tança jusquesiusques a menacer de les jetterietter en la riviereriuiere s’ils continuoint. Les
enfans et les femmes en nos joursiours regentent les plus vieusuieus et experimantez sur les poins de la religionl’esgliselesglise et en tienent escoleLoix ecclesiastiques la ou la premiere
loyde celles de Platon leur defant de s’enquerir sulement de la raisons des Loix receues en sa policecivillesciuilles et defant aus vieillarsuieillars de sulemant en
parler en leur presance des junesiunes gens les recevoirreceuoir come ordonances divinesdiuines sans s’amuser a en jugeriuger
qui doiventdoiuent tenir lieu d’ordonances divinesdiuines non et permetant aus vieusuieus
d’en communiquesr entre eus & aveqaueq le magistrat il adjouteadioute pourveupourueu que ce ne soit pas en presances des junesiunes genset persones profanes.
Position : Interligne basse
Un evesqueeuesque a laisse par escrit que en l’autrelautre bout du monde
il y a unune Isle que les antiens nomoint Dioscoride: commode en
tou fertilite de toutes sortes d’arbres & fruits et salubrite d’air:
de la quelle le peuple est Chrestien: aïant des esglises et des autels
qui ne sont parez que de croix sans autres images: grand observaturobseruatur
de jusnesiusnes & de festes, exacte païeur de dismes aus prestres et si
chaste que nul d’eus ne peut conestre qu’une feme en sa vieuie. Au
demurant si contant de sa fortune qu’au milieu de la mer il
ignore l’usagelusage des naviresnauires et si simple que de la relligion qu’il
observeobserue si souigneusement il n’en entant un sul mot. Chose incroïable
a qui ne sauroit les païens Position : Interligne haute si devotsdeuots idolatres ne conoistre de leurs dieus que simplement le nom & la statue. L’antien
commencement de Menalippe, tragedie d’Euripides, portoit ainsi.
O JuppiterIuppiter, car de toy rien sinon
JeIe ne cognois seulement que le nom.
JI’ay veu aussi de mon temps, faire plain-
te d’aucuns escris, de ce qu’ils sont purement humains & phi-
losophiques, sans meslangemeslāge de Theologie. Qui diroit au con-
traire, ce ne seroit pourtant sans quelque raison. Que la do-
ctrine divinediuine tient mieux son rang à part, comme Royne &
dominatrice. Qu’elle doibt estre principale par tout, poinct
suffragante & subsidiaire. QueEt qu’a l’lavantureauanture se tireroint les exemples à la grammaire,
Rhetorique, Logique, se tirent plus sortablement d’ailleurs
que d’unevne si sainte matiere,. cComme aussi les arguments des
Theatres, jeuzieuz & spectacles publiques?. Que les raisonsraisōs divinesdiuines
se considerent plus venerablementvenerablemēt & reverammentreuerāment seules, & en
leur stile, qu’appariées aux discours humains. Qu’il se voit plus
souventsouuent cette faute, que les Theologiens escriventescriuent trop hu-
mainement,: que cett’autre, que les humanistes escriventescriuent trop
peu theologalementtheologalemēt: lLa Philosophie, dict Saint Chrysostome,
est pieça banie de l’escole sainte, comme servanteseruante inutile, &
estimee indigne de voir seulement en passant de l’entree, le sa-
craire des saints Thresors de la doctrine celeste. Que le dire
humain a ses formes plus basses,: & ne se doibt servitseruit de la di-
gnité, majesté, regenceregēce, du parler divindiuin. JeIe luy laisse pour moy,
dire, Position : Interligne haute uerbis indisciplinatis fortune, d’estinéedestinée, accidentaccidēt, heur, & malheur, & les Dieux,
& autres frases, selonselō sa mode vulgaire.
Position : Marge droite JeIe propose les fantasies
humaines et les mienes,
de simplemant come humaines
fantasies: et separeemant considerees:
nNon come arretees et reglees par l’ordonancelordonance
celeste incapable de doubte et d’altercation.
Matiere d’opinion non matiere de foi. Ce
que jeie croisdiscours selon moi, non ce que jeie
crois selon dieu. Et cCome les enfans
proposent leurs essais, instruisables non
instruisans. D’une maniere non clericale
mais laïque non clericale: mais
tres religieuse tousjourstousiours.
Et ne diroit on pas aussi
L l

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[133v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
sans apparence, que l’ordonnance de ne s’entremettre que bienbiē
reserveementreserueement d’escrire de la Religion, à tous autres qu’à ceux
qui en font expresse profession, n’auroit pas faute de quelque
image d’utilitévtilité & de justiceiustice,: & à moy mesmeaveqaueq à l’avantureauanture de
m’en taire. On m’a dict que ceux mesmes, qui ne sont pas des
nostres advisaduis, defendent pourtant entre eux l’usagevsage du nom
de Dieu, en leurs propos communs: iIls ne veulent pas qu’on
s’en serveserue par unevne maniere d’interjectioninteriection, ou d’exclamation,
ny pour tesmoignage, ny pour comparaisoncōparaison: eEn quoy jeie trou-
ve
trou-
ue
qu’ils ont raison. Et en quelque maniere que ce soit, que
nous appellons Dieu à nostre commerce & societé, il faut
que ce soit serieusement, & religieusement. Il y à, ce me sem-
ble, en Xenophon unvn tel discours, où il montre que nous de-
vons
de-
uons
plus rarement prier Dieu: d’autant qu’il n’est pas aisé,
que nous puissions si souventsouuent remettre nostre ame, en cette
assiete reglée, reformée, & devotieusedeuotieuse, où il faut qu’elle soit
pour ce faire:, autrement nos prieres ne sont pas seulementseulemēt vai-
nes & inutiles, mais vitieuses. Pardonne nous, disons nous,
comme nous pardonnonspardōnons à ceux qui nous ont offencez. Que
disons nous par là, sinon que nous luy offrons nostre ame
exempte de vengeance & de rancunerācune? Toutesfois jeie voy qu’enē
nos vices mesmes, nous appellons Dieu à nostreet son ayde & au
complot de nos fautes, et le convionsconuions a l’injusticeiniustice.
Quae nisi seductis nequeas committere diuis.
L’avaricieuxauaricieux le prie pour la conservationconseruation vaine & superflue
de ses thresors: l’ambitieux pour ses victoires, & conduite de
sa fortunepassion: le voleur l’employe à son ayde, pour franchir le ha-
zart & les difficultez, qui s’opposent à l’executionexecutiō de ses mes-
chantes entreprinses:, ou le remercie de l’aisance qu’il à trou-
trou-
à desgosiller unvn passant.
Position : Marge gauche Au pied de la maison qu’ils
vont escheller ou petarder
ils font leurs prieres l’intantionintātion
pleine de cruaute de luxure
d’avariced’auarice et l’esperancelesperance
et l’esperance pleine
de cruaute de luxure d’avariceauarice.

Hoc ipsum quo tu Iouis aurem impellere tentas,
Dic agedum, Staio, pro Iuppiter, ô bone clamet,


Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 134
Iuppiter, at sese non clamet Iuppiter ipse.
La Royne de NavarreNauarre Marguerite recite d’unvn jeuneieune prince, &
encore qu’elle ne le nomme pas, sa grandeur l’a rendu assez
connoissable, qu’allant à unevne assignation amoureuse, & cou-
cher avecauec la femme d’unvn AdvocatAduocat de Paris, son chemin s’adon-
nant
adō-
nāt
au traverstrauers d’unevne Eglise, il ne passoit jamaisiamais en ce lieu saint
alantalāt ou retournantretournāt de son entreprinse, qu’il ne fit ses prieres &
oraisons. JeIe vous laisse à jugeriuger, l’ame pleine de ce beau pense-
ment, à quoy il employoit la faveurfaueur divinediuine: tToutesfois elle
allegue cela pour unvn tesmoignage de singuliere devotiondeuotion.
Mais ce n’est pas par cette preuvepreuue seulement qu’on pourroit
verifier que les femmes ne sont guieres propres à traiter les
mysteresmatieres de la Theologie. UneVne vraye priere, & unevne religieuse
reconciliation de nous à Dieu, elle ne peut tomber en unevne a-
me impure & soubmise lors mesmes, à la dominationdominatiō de SatanSatā.
Celuy qui appelle Dieu à son assistance, pendant qu’il est dansdās
le train du vice, il fait comme le coupeur de bourse, qui appel-
leroit la justiceiustice à son ayde, ou comme ceux qui produisent le
nom de Dieu en tesmoignage de mensonge.:
tacito mala nuota susurro,
Concipimus.

Il est peu d’hommeshōmes qui ozassent mettre en evidanceeuidance & presen-
ter en public les requestes, & prieres secretes qu’ils fontfōt à Dieu.,
Haud cuiuis promptum est murmurque humilesque susurros,
Tollere de templis, & aperto viuere voto.

Voyla pourquoy les Pythagoriens vouloyent que les prieres
qu’on faisoit à Dieu,’elles fussent publiques & ouyes d’unvn chacun,
afin qu’on ne le requit pas de chose indecenteindecēte & injusteiniuste, com-
me faisoit celuy là.,
clare cum dixit Apollo,
Labra mouet metuens audiri: pulchra Lauerna
Da mihi fallere, da iustum sanctúmque videri.

L l ij

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[134v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
Noctem peccatis, & fraudibus obiice nubem.
Position : Marge haute Les dieus punirent griefvemantgriefuemant les iniques voeusuoeus d’OEdippus en
les luy ottroiant. Il les avoitauoit pries de faire que ces enfans vuidassentuuidassent
par armes entre eus la succession de son estat Il fut si miserable d’estre de se voiruoir
prins au mot. Il ne faut pas demander que toutes choses suiventsuiuent nostre volontéuolonté
opinion mais qu’elle suivesuiue la prudance.

Il semble à la verité, que nous nous servonsseruons de nos prieres,
Position : Interligne haute come d’un jargoniargon, et comme ceux qui employent les paroles sainctes & divinesdiuines à
des sorcelleries & effects magiciens, &Et que nous facionsfaciōs nostre
conte que ce soit de la contexture, ou son, ou suite des motz,
ou de nostre contenance, que depende leur effect. Car ayant
l’ame pleine de concupiscence, non touchée de repentance,
ny d’aucune nouvellenouuelle reconciliation enversenuers Dieu, nous luy
alons presenter ces parolles que la memoire preste à nostre
langue: & esperons en tirer unevne expiationexpiatiō generale de nos fau-
tes. Il n’est rien si aisé, si doux, & si favorablefauorable que la loy divi-
ne
diui-
ne
: elle nous appelle à soy, ainsi fautiers & detestables com-
me nous sommes: elle nous tendtēd les bras & nous reçoit en son
giron, pour vilains, ords, & bourbeux, que nous soyonssoyōs, & que
nous ayons à estre à l’adveniraduenir. Mais encore en recompense là
faut il regarder de bon oeuil: eEncore faut-il recevoirreceuoir ce pardonpardō
avecauec action de graces: &Et au moins pour cest instant que nous
nous addressons à elle, avoirauoir l’ame desplaisante de ses fautes
& ennemie des concupiscencespassions, qui nous ont poussez à l’of-
fencer: Ny les dieus ny les gens de bien dict Platon n’acceptent le presant d’un meschantmeschāt.
Immunis aram si tetigit manus,
Non sumptuosa blandior hostia
Molliuit auersos penates,
Farre pio & saliente mica.


De l’aage. CHAP. LVII.


JEIE ne puis recevoirreceuoir la façon, dequoy nous establissons
la durée de nostre vie. JeIe voy que les sages l’acoursis-
sent bien fort au pris de la commune opinion. Com-
ment, dict le jeuneieune Caton, à ceux qui le vouloyent empescher
de se tuer: suis jeie a cette heure en aage, ou l’onō me puisse repro-
cher d’abandonnerabādōner trop tost la vie? Si n’avoitauoit il que quarante &
huict ans. Il estimoit cet aage la bien meur & bienbiē avancéauācé, consicōsi-

Fac-similé BVH


LIVRE PREMIER. 135
derant combien peu d’hommes y arriventarriuent: & ceux qui se con-
solent ens’entretienent de ce, que jeie ne sçay quel cours qu’ils nomment natu-
rel, promet quelques années au delà: ils le pourroient faire,
s’ils avoientauoient privilegepriuilege qui les exemptast d’unvn si grand nombre
d’accidents, ausquels chacun de nous est en bute par unevne na-
turelle subjectionsubiection, qui peuventpeuuent interrompre ce cours qu’ils se
promettentpromettēt. Quelle resverieresuerie est-ce de s’attendre de mourir d’u-
ne
v-
ne
defaillance de forces, que l’extreme vieillesse apporte, &
de se proposer ce but à nostre durée: veu que c’est la façonl’espece de
mort la plus rare de toutes, & la moins en usagevsage? Nous l’apel-
lons seule naturelle, comme si c’estoit contre nature, de voir
unvn homme se rompre le col d’unevne cheute, s’estoufer d’unvn nau-
frage, se laisser surprendre à la peste où à unevne pleuresie, & com-
me
cō-
me
si nostre condition ordinaire ne nous presentoit poinct à
tous ces inconvenientsinconuenients. Ne nous flatons pas de ces beaux
mots: on doit à l’aventureauenture appeller plustost naturel, ce qui est
general, commun, & universelvniuersel. Mourir de vieillesse, c’est unevne
mort rare, singuliere & extraordinaire, & d’autant moins na-
turelle que les autres: c’est la derniere & extreme sorte de mou
rir: plus elle est esloignée de nous, d’autant est elle moins es-
perable: c’est bien la borne, au delà de laquelle nous n’ironsirōs pas,
& que la loy de nature à prescript, pour n’estre poinct outre-
passée: mais c’est unvn sien rare privilegepriuilege de nous faire durer jus-
ques
ius-
ques
là. C’est unevne exemption qu’elle donne par faveurfaueur parti-
culiere, à unvn seul, en l’espace de deux ou trois siecles, le deschar-
geant des traversestrauerses & difficultez qu’elle à jettéietté entre deux, en
cette longue carriere. Par ainsi mon opinion est, de regarder
que l’aage auquel nous sommes arrivezarriuez, c’est unvn aage auquel
peu de gens arriventarriuent. Puis que d’unvn train ordinaire les hommeshōmes
ne viennent pas jusquesiusques là, c’est signe que nous sommes bien
avantauant,. &Et puis que nous avonsauons passé les limites accoustumez,
qui est la vraye mesure de nostre vie, nous ne devonsdeuons esperer
Ll iij

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[135v] ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’aller guiere outre: ayant eschappé tanttāt d’occasionsoccasiōs de mourir,
ou nous voyonsvoyōs trebucher le mondemōde, nous devonsdeuons reconnoistre
qu’unevne fortune extraordinaire commecōme celle-là qui nous main-
tient
main-
tiēt
, & hors de l’usagevsage communcōmun, ne nous doit guiere durer. C’est
unvn vice des loix mesmes d’avoirauoir cette fauce imagination: elles
ne veulent pas qu’unvn hommehōme soit capable du maniement de ses
biensbiēs, qu’il n’ait vingt & cinq ans, & à peine conserveracōseruera-il jusquesiusques
lors le maniement de sa vie. Auguste retrancha cinq ans des an-
ciennes ordonnancesordōnances Romaines, & declara qu’il suffisoit à ceux
qui prenoient charge de judicatureiudicature d’avoirauoir trente ans. ServiusSeruius
Tullius, dispensa les chevalierscheualiers qui avoientauoient passé quarante
sept ans des courvéescouruées de la guerre: Auguste les remit à quaran-
te & cinq. De renvoyerrenuoyer les hommeshōmes au sejourseiour avantauant cinquante
cinq ou soixante ans, il me semble n’y avoirauoir pas grande appa-
rence. JeIe serois d’advisaduis qu’on estandit nostre vacation & oc-
cupation autant qu’on pourroit, pour la commodité publi-
que: mais jeie trouvetrouue la faute en l’autre costé, de ne nous y em-
besongner pas assez tost. Cettuy-cy avoitauoit esté jugeiuge universelvniuersel
du mondemōde à dix & neuf ans, & veut que pour jugeriuger de la place d’u-
ne
v-
ne
goutiere on en ait trente. Quant à moy ji’estime que nos a-
mes sont denoüées à vingt ans, ce qu’elles doiventdoiuent estre, &
qu’elles peuventpeuuentpromettent tout ce qu’elles pourront. JamaisIamais ame qui
n’ait donné en cet aage, là, preuvepreuuearre bien evidenteeuidente & certaine de
sa force, ne lan’en donna depuis. Position : Interligne haute la preuvepreuue. Les qualitez & vertus naturelles
produisentenseignent dans ce terme là, ou jamaisiamais, ce qu’elles ont de vi-
goureux & de beau.:
Si l’espine nou pique quand nai
A pene que pique jamaiiamai
, disent-ils en Dauphiné,.
De toutes les belles actions humaines, qui sont venuës à ma
connoissance, de quelque sorte qu’elles soient, jeie penserois en
avoirauoir plus grande part, à nombrer celles qui ont esté produi-
tes & aux siecles anciens & au nostre, avantauant l’aage de trente

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LIVRE PREMIER. 136
ans, que celles qui l’ont esté apres. [Note (Alain Legros) : "vie" a été réécrit au-dessus par Montaigne à cause d’une tache à ce qu’il semble.]
Position : Marge droite Ouï, en la vieuievieuie de
mesmes homes souvantsouuant.
Ne le puis jeie pas dire
en toute surtè, de celles
de Hannibal & de
Scipion son gn[unclear] grand
adversereaduersere.? La belle
moitie de leur eagevieuie ils
la viventuiuentvescurentuescurent de la gloire
acquise en leur jeunesseieunesse
grans homes tousjourstousioursdespuis
au pris de tous autres, mais
nullemant au pris d’eus mesmes.
Quant à moy jeie tien pour
certain que depuis cet aage, & mon esprit, & mon corps ont
plus diminué, qu’augmenté, & plus reculé que avancéauancé: iIl est
possible qu’à ceux qui emploient bien le temps, la science, &
l’experience croissent avecauec la vie: mais la vivacitéviuacité, la prompti-
tude, la fermeté, & autres parties bienbiē plus nostres, plus impor-
tantes & essentielles, se fanissent & s’alanguissent.
vbi iam validis quassatum est viribus aeui
Corpus, & obtusis ceciderunt viribus artus
Claudicat ingenium, delirat linguáque ménsque.

Tantost c’est le corps qui se rend le premier à la vieillesse: par
fois aussi c’est l’ame: & en ay assez veu, qui ont eu la cervelleceruelle
affoiblie, avantauant l’estomac & les jambesiambes: & d’autantautāt que c’est unvn
mal peu sensible à qui le souffre, & d’unevne obscure montre,
d’autant est-il plus dangereux. Pour ce coup, jeie me plains des
loix, non pas dequoy elles nous laissent trop long tempstard à la
besongne, mais dequoy elles nous y employent trop tard. Il me
semble que considerant la foiblesse de nostre vie, & à combiencōbien
d’escueils ordinaires & naturels elle est opexposée, on n’en de-
vroit
de-
uroit
pas faire si grande part à la naissance, à l’oisivetéoisiueté, & à
l’apprentissage.




FIN DUDV PREMIER LIVRE.

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[136v] [Main de Montbalon]
de la Bibliothéque Centrale de Bordeaux
departement de la gironde
M
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Première publication : 07/12/2015