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ESSAIS DE MICHEL
DE MONTAIGNE.
LIVRE TROISIESME.
De l’utilevtile & de l’honneste.
CHAP. I.
PERSONNE n’est exempt de dire des fadaises:.
lLe malheur est, de les dire curieusement:.
Nae iste magno conatu magnas nugas dixerit.
Cela ne me touche pas,. lLes miennes m’eschap-
pent aussi nonchallammentnonchallammēt qu’elles le valent:.
dD’où bien leur prend:. jJeiIe les quitterois soudain,
à peu de coust qu’il y eust,. &Et ne les achette, & neny les vens, que
ce qu’elles poisent: jJeiIe parle au papier, comme jeie parle au pre-
mier que jeie rencontre: qQu’il soit vray, voicy dequoy. A qui ne
doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si
grand interest. On luy manda d’Allemaigne, que s’il le trou-
voittrou-
uoit bonbō, on le defferoit d’Ariminius par poison: cC’estoit le plus
puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoitauoit si vi-
lainement traictez soubs Varus, & qui seul empeschoit l’ac-
croissement de sa domination en ces contrées là. Il fit respon-
ce, que le peuple Romain, avoitauoit accoustumé de se venger de
ses ennemis par voye ouverteouuerte, les armes en main, nonnō par frau-
de & en cachette: iIl quitta l’utilevtile pour l’honneste. C’estoit (me
direz vous) unvn affronteur. JeIe le croy: cCe n’est pas grand miracle,
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ESSAIS DE M. DE MONT.
à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne por-
te pas moins en la bouche de celuy qui la hayt: dD’autantautāt, que la
verité la luy arrache par force,: & que s’il ne la veut recevoirreceuoir en
soy,: aumoins il s’en couvrecouure, pour s’en parer. Nostre bastiment
& public & privépriué, est plain d’imperfection: mMais il n’y à rien
d’inutile en nature,: nNon pas l’inutilité mesmes,: rRien ne s’est in-
geré en cet universvniuers, qui n’y tienne place opportune. Nostre e-
stre est simenté de qualitez maladivesmaladiues: lL’ambition, la jalousieialousie,
l’envieenuie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en
nous, d’unevne si naturelle possessionpossessiō, que l’image s’en reconnoist
aussi aux bestes: vVoire & la cruauté, vice si desnaturé: cCar au mi-
lieu de la compassion, nous sentons au dedans, jeie ne sçay quel-
le aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir au-
truy: &Et les enfans le sentent.,
Suaue mari magno turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem.
Desquelles qualitez qui osteroit les semences en l’homme, de-
struiroit les fondamentalles conditions de nostre vie:. dDe mes-
me, en toute police, il y à des offices necessaires, non seulement
abjectsabiects, mais encore vitieux: lLes vices y trouventtrouuent leur rang, &
s’employent à la cousture de nostre liaison: comme les venins
à la conservationconseruation de nostre santé. S’ils deviennentdeuiennent excusables,
d’autant qu’ils nous font besoing,: & que la necessité commu-
ne efface leur vraye qualité,: il faut laisser joueriouer cette partie,
aux citoyens plus vigoureux, & moins craintifs,: qui sacrifientsacrifiēt
leur honneur & leur conscience, comme ces autres antiens sa-
crifierent leur vie, pour le salut de leur pays: nNous autres plus
foibles, prenons des rolles & plus aisez & moins hazardeux: lLe
bien public requiert qu’on trahisse, & qu’on mente,
[Note (Alain Legros) : La différence des encres montre bien une correction de la virgule en deux-points après "massacre".]
et qu’on
massacre,:
resignonsresignōs
cette commission à gens plus obeissans & plus soupples. Cer-
tes ji’ay eu souventsouuent despit, de voir des jugesiuges attirer par fraude &
fauces esperances, de faveurfaueur ou pardonpardō, le criminel à descouvrirdescouurir
son
LIVRE TROISIESME.345353
son fait,: & y employer la piperie & l’impudenceimpudēce: iIl serviroitseruiroit bienbiē
à la justiceiustice,: & à Platon mesmes, qui favorisefauorise cet usagevsage, de me
fournir d’autres moyens plus selon moy. C’est unevne justiceiustice ma-
litieuse,: &Et ne l’estime pas moins blessee par soy-mesme, que
par autruy. JeIe respondy, n’y a pas long temps, qu’a peine tra-
hirois-jeie le Prince pour unvn particulier, qui serois tre-marry de
trahir aucun particulier, pour le Prince: &Et ne hay pas seulementseulemēt
à piper, mais jeie hay aussi qu’on se pipe en moy: jJeiIe n’y veux pas
seulement fournir de matiere & d’occasion. En ce peu que
ji’ay eu à negotier entre nos Princes, en ces divisionsdiuisions, & subdi-
visionssubdi-
uisions, qui nous deschirent aujourdauiourd’huy,: ji’ay curieusement
evitéeuité qu’ils se mesprinssent en moy, & s’enferrassent en mon
masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couvertscouuerts, &
se presentent & contrefont les plus moyensmoyēs, & les plus voisins
qu’ils peuventpeuuent: mMoy, jeie m’offre par mes opinionsopiniōs les plus vivesviues,
& par la forme plus mienne: tTendre negotiateur & novicenouice,: qui
ayme mieux faillir à l’affaire, qu’à moy. C’a esté pourtant jus-
quesius-
q̄s à cette heure, avecauec tel heur: (car certes lala fortune y a la[Note (Marie-Luce Demonet) : Hésitation entre "fortune" et "la fortune", mais Montaigne enlève tout de même le "la" devant "part", ce qui démontre une recherche d’équilibre stylistique.] prin-
cipalle part.) que peu ont passé de main à autre, avecauec moins
de soubçon, plus de faveurfaueur & de privautépriuauté. JI’ay unevne fa-
çon ouverteouuerte, aisée à s’insinuer, & à se donner credit aux pre-
mieres accointances. La naifveténaifueté & la verité pure, en quelque
siecle que ce soit, trouventtrouuent encore leur opportunité & leur
mise. Et puis,: de ceux-là est la liberté peu suspecte, & peu o-
dieuse, qui besoingent sans aucun leur interest: &Et qui peuventpeuuent
veritablement employer la responcerespōce de Hipperides aux Athe-
niens, lesquels se plaingnoientans de l’aspreté de son parler: mMes-
sieurs, ne considerez pas si jeie suis libre, mais si jeie suis sans rien
le
prendre, & sans amender par là mes affaires,. mMa liberté m’a
aussi aiséementaiséemēt deschargé du soubçonsoubçō de faintise par sa vigueur:
n’espargnant rien à dire pour poisant & cuisant qu’il fut, jeie
n’eusse peu dire pis absent: EeEt[Note (Montaigne) : e] qu’elle à unevne montremōtre apparenteapparēte, de
VVVv
[353v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
simplesse & de nonchalance: jJeiIe ne pretens autre fruict en agis-
sant, que d’agir, & n’y attache longues suittes & propositionspropositiōs:
cChasque action fait particulierement son jeuieu: porte s’il peut.
Au demeurant, jeie ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou a-
moureuse enversenuers les grands: ny n’ay ma volontévolōté garrotée d’of-
fence, ou obligation particuliere.
JeIe regarde nos Roys d’une
affection simplement legitime
& publique civileciuile: ny desmeue ny esmeue
ny destourneemeue par interest privèpriuè.
dequoi jeie me sçai bon gré.
La cause generale & legiti-
mejusteiuste, ne m’attache non plus, que moderéement & sans fiévrefiéure,: jJeiIe
ne suis pas subjetsubiet à ces hypotheques & engagemens penetrans
& intimes: lLa colere & la hayne, sont au delà du devoirdeuoir de la
justiceiustice: &Et sont passions servansseruans seulement, à ceux, qui ne tien-
nent pas assez à leur devoirdeuoir, par la raison simple: tToutes inten-
tions legitimesequitables legitimes et equitables, sont d’elles mesmes equables et temperées,: sinonsinō, elles s’al-
terent en seditieuses & illegitimes. C’est ce qui me faict mar-
cher par tout, la teste haute, le visage & le coeur ouvertouuert. A la
verité, & ne crains point de l’advoueraduouer, jeie porterois facilement
au besoing, unevne chandelle à S. Michel, l’autre à son serpent, sui-
vantsui-
uant le dessein de la vieille: jJeiIe suivraysuiuray le bon party jusquesiusques au
feu,: mais exclusivementexclusiuement si jeie puis: qQue Montaigne s’engouffre
quant & la ruyne publique, si besoin est: mMais s’il n’est pas be-
soin, & s’il ne sert, jeie sçauray bon gré à la fortune qu’il se sau-
vesau-
ue: &Et autant que mon devoirdeuoir me donne de corde, jeie l’employeēploye
à sa conservationconseruation.
Suos[unclear] quisque periculo in
commune consultum non uult.
Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au justeiuste
party, & au party qui perdit, se sauvasauua par sa moderation, en cet
universelvniuersel naufrage du monde,: parmy tant de mutations & di-
versitezdi-
uersitez? Mais aAux hommeshōmes, commecōme luy, privezpriuez, il est plus aisé: careEt
en telle sorte de besongne, jeie trouvetrouue qu’on peut justementiustemēt n’e-
stre pas ambitieux à s’ingerer & conviercōuier soymesmes: dDe se tenir
chancelantchancelāt & mestis,: de tenir son affectionaffectiō immobile, & sans in-
clinationin-
clinatiō aus troubles de son pays, & en unevne divisiondiuision publique,
jeie ne le trouvetrouue ny beau, ny honnestehōneste:
: eEa non media sed
nulla uia est, uelut
euentum expectantium
quo fortuna consilia
sua applicent. Il Cela
peut estre permis enversenuers
les affaires des voisinsuoisins et Gelon Roytiran de Siracuse suspandit ainsi son inclination
en la guerre des Barbares contre les grecs envoiantenuoianttenant un’ambasseambassade a Delphes a tout
des presans pour estre laen eschoguette a voiruoir du quel coste tumberoittūberoit la fortune
et prandre partil’occasion a point pour le conciliercōcilier au victoriusuictorius. Mais aus propres affaires & domestiques il
Ce seroit une espece de trahison de le faire aus propres & domestiques affaires: aus quels necesseremant il
il faut prendre party, par application de desseinmMais
de ne s’embesongner point,: à hommehōme, qui n’a ny charge, ny com-
mandementcō-
mādemēt expreés qui le presse, jeie le trouvetrouue plus excusable (& si
LIVRE TROISIESME.346354
ne me serspratique pour moy de cette excuse) qu’aux guerres estrange-
res,: dDesquelles pourtantpourtāt selon nos loix, ne s’empescheēpesche qui ne veut.
Toutesfois ceux encore qui s’y engagent tout à faict, le peu-
ventpeu-
uent, avecauec tel ordre & attrempanceattrēpance, que l’orage devradeura couler par
dessus leur teste sans offence. N’avionsauions nous pas raison de l’es-
perer ainsi du feu EvesqueEuesque d’Orleans, sieur de Moruilliers? Et
ji’en cognois entre ceux qui y ouvrentouurent valeureusement, à cette
heure,: de meurs ou si equables, ou si douces, qu’ils serontserōt, pour
demeurer debout, quelque injurieuseiniurieuse mutationmutatiō, & cheute. que
le ciel nous appreste. JeIe tiens que c’est aus Roys proprementpropremēt, de
s’animer contre les Roys: &Et me moque de ces esprits, qui de
gayeté de coeur, se presentent à querelles si disproportionnéesdisproportiōnées:
cCar on ne prend pas querelle particuliere avecauec unvn prince, pour
marcher contre luy ouvertementouuertement & courageusement, pour
son honneur, & selon son devoirdeuoir: sS’il n’aime unvn tel personna-
ge,: il fait mieux, il l’estime. Et notammentnotāment la cause des loix, & de-
fence de l’ancien estat, à tousjourstousiours cela,: que ceux mesmes, qui
pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les pro-
tecteurs,deffanceurs: s’ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller de-
voirde-
uoir,: comme nous faisons tous les joursiours,: unevne aigreur & aspre-
té intestine, qui naist de l’interest & passion privéepriuée,: nNy coura-
ge, unevne conduitte traistresse & malitieuse. Ils nomment zele,
leur propension vers la malignité, & violence: cCe n’est pas la
cause, qui les embesongneeschauffe, c’est leur interest: iIls attirsenēt la guer-
re,: non par ce qu’elle est justeiuste, mais par ce que c’est guerre. RienRiē
n’empéche qu’onō ne se puisse comportercōporter commodémentcōmodément entre des
hommeshōmes, qui se sont ennemis, & loyalementloyalemēt: cConduisezcCōduisez vous y d’u-
nev-
ne, sinonsinō par tout esgale affectionaffectiō (car elle peut souffrir differentesdifferētes
mesures) mais au moins temperéetēperée,: &Et qui ne vous engage tant à
l’unvn, qu’il puisse tout requerir de vous: &Et vous contentez aussi
d’unevne moienne mesure de leur grace,. &Et de couler en eau trou-
ble, sans y vouloir pescher. L’autre maniere, de s’offrir de toute
VVVu ij
[354v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sa force, aux l’unsvns & aux l’autres, aceus la et a ceus cy tient encore moins de la prudenceprudēce que
de la conscience. Celuy enversenuers qui vous en trahissez unvn, duquel
vous estes pareillementpareillemēt bien venu, sçait-il pas, que de soy vous
en faites autantautāt à son tour? Il vous tienttiēt pour unvn meschantmeschāt hommehōme:
cCe pendant il vous oit, & tire de vous, & fait ses affaires de vo-
stre desloyauté: cCar les hommeshōmes doubles sont utilesvtiles, en ce qu’ils
apportent,: mMais il se faut garder, qu’ils n’emportentēportēt que le moins
qu’on peut. JeIe ne dis rien à l’unvn, que jeie ne puisse dire à l’autre, à
son heure, l’accent seulement unvn peu changé: &Et ne rapporte
que les choses ou indifferentes, ou cogneuës, ou qui serventseruēt en
commun. Il n’y a point d’utilitévtilité, pour laquelle jeie me permette
de leur mentir. Ce qui à esté fié à monmō silencesilēce, jeie le cele religieu-
sement: mMais jeie prens à celer le moins que jeie puis: cC’est unevne im-
portune garde, du secret des princes, à qui n’en a queq̄ faire. JeIe pre-
sente volontiersvolōtiers ce marché,: qQu’ils me fient peu, mais qu’ils se fientfiēt
hardimenthardimēt, de ce que jJeiIe leur apporte: ji’en ay tousjourstousiours plus sçeu
que jeie n’ay voulu:
UnVn parler ouvertouuert
ouvreouure un autre parler,
& le tire hors come faict
le vinuin et l’amour.
car Philippides respondit sagement à mon
gré, au Roy Lyzimachus,: qui luy disoit,: qQue veux-tu que jeie te
communique de mes biens: cCe que tu voudras, pourveupourueu que
ce ne soit de tes secrets. JeIe vois que chacun se mutine, si on luy
cache le fons des affaires ausquels on l’emploie,: &Et si on luy en
a desrobé quelque arriere sens: pPour moy,: jeie suis contantcōtant, qu’on
ne m’en die non plus, qu’on veut que ji’en mette en besoigne:
&Et ne desire pas, que ma science outrepasse & contraigne ma
parole. Si jeie dois servirseruir d’instrument de tromperie,: que ce soit
aumoins sauvesauue ma conscience. JeIe ne veus estre tenu serviteurseruiteur,
ny si affectionné, ny si loyal, qu’on me treuvetreuue bonbō à trahir per-
sonne. Qui est infidelle à soymesme, l’est excusablementexcusablemēt à son
maistre. Mais ce soint Princes,: qui n’acceptent pas les hom-
mes à moytié, & mesprisent les servicesseruices limitez & condi-
tionnez. Il n’y à remede,: jJeiIe leur dis franchement mes bornes:
cCar esclaveesclaue, jeie ne le doibts estre que de la raison, encore ne
puis jeie bien en venir à bout.
Et eus aussi ont tort, d’exiger d’un home libre, telle
subjectionsubiection a leur serviceseruice, et telle obligation, que de
celuy qu’ils ont faict, et acheté: ou du quel la
fortune tient particulieremant ex et expressemant a la leur.
Les loix m’ont osté de grand
LIVRE TROISIESME.347355
peine,: eElles m’ont choisy party, & donné unvn maistre commun: tTou-
te autre superiorité & obligation, doibt estre relativerelatiue à
celle là, & retrenchée. Si n’est pas à dire, quand mon affection
me porteroit autrement, qu’incontinent, ji’y portasse la main:
lLa volonté & les desirs se font loy eux mesmes,: lLes actions, ont
à la recevoirreceuoir de l’ordonnance publique. Tout ce mien pro-
ceder, est unvn peu bien dissonant à nos formes: cCe ne seroit pas
pour produire grands effets, ny pour y durer: lL’innocenceinnocēce mes-
me, ne sçauroit, ny negotier sans dissimulation entre nous,: nNy marchan-
der sans manterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier,
les occupations publiques: cCe que ma profession en requiert,
jeie l’y fournis, en la forme que jeie puis la plus privéepriuée. Enfant, on
m’y plongea jusquesiusques aux oreilles,: &Et il succedoit,: sSi m’en des-
prins jeie de belle heure. JI’ay souvantsouuant dépuis evitéeuité de m’en me-
sler,: rarement accepté,: jamaisiamais requis: tTenant le dos tourné à
l’ambition: mMais sinon commecōme les tireurs d’avironauiron, qui s’avancentauācēt
ainsin à reculons: tTellementtTellemēt toutesfois, queq̄ de ne m’y estre poinct
embarqué, ji’en suis moings obligé à ma resolution, qu’a ma
bonne fortune: cCar il y à des voyes moings ennemyes de monmō
goust, & plus conformes à ma portée, par lesquelles si elle
m’eut appellé autrefois, au serviceseruice public, & à mon avance-
mentauance-
ment vers le credit du monde, jeie sçay, queq̄ ji’eusse passé par dessus
la raison de mes discours, pour la suyvresuyure. Ceux qui disent com-
munémentcō-
munément contre ma profession, que ce que ji’appelle fran-
chise, simplesse, & nayfveténayfueté, en mes moeurs,: c’est art & fines-
se,: &Et plustost prudence, que bonté,: iIndustrie, que nature,: bBonbBō
sens, queq̄ bon heur,: me font plus d’honneur qu’ils ne m’en ostentostēt.
Mais certes ils font ma finesse trop fine: &Et qui m’aura suyvisuyui &
espié de pres, jeie luy donray gaigné, s’il ne confesse, qu’il n’y a
point de reigle en leur escolle, qui sçeut r’aporter ce naturel
mouvementmouuement,: &Et maintenir unevne apparence de liberté, & de li-
cence si pareille, & inflexible, parmy des routes si tortues, &
VVVu iij
[355v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
diversesdiuerses: &Et que toute leur attention & engin, ne les y sçauroit
conduire. La voye de la verité est unevne, & simple,: cCelle du pro-
fit particuliere, & de la commoditécōmodité des affaires, qu’on à en char-
ge, double, inegalle, & fortuite. JI’ay veu souvantsouuant en usagevsage, ces
libertez contrefaites, & artificielles,: mMais le plus souvantsouuant, sans
succez. Elles sentent volontiers à l’asne d’Esope: lLequel par
emulation du chien, vint à se jetterietter tout gayement, à deux
pieds, sur les espaules de son maistre: mMais autant que le chien
recevoitreceuoit de caresses, de pareille feste, le pauvrepauure asne, en reçeut
deux fois autant de bastonnades.
Id maxime quenque[sic] decet
quod est cuiusque suum
maxime.
JeIe ne veux pas priverpriuer la trom-
perietrō-
perie de son rang,: cCe seroit mal entendre le monde: jJeiIe sçay
qu’elle à servyseruy souvantsouuant bien utilementvtilement,proffitablement: &Et qu’elle maintient
& nourrit, la plus part des vacations des hommes. Il y a des
vices legitimes,: comme plusieurs actions, ou bonnes, ou ex-
cusables, illegitimes. La justiceiustice en soy, naturelle & universellevniuerselle,
est autrement reiglée, & plus noblement, que n’est cette au-
tre justiceiustice, locale, contrainte au besoing de nos polices:
speciale, nationale,
Veri iuris germanaeque
iustitiae solidam et
expressam effigiem
nullam tenemus: umbra
et imaginibus utimur.
sSi que le sa-
ge Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras,
Diogenes, les JugeaIugea[sic] grands personnages en toute autre chose,
mais trop asservisasseruis à la reverencereuerence des loix: pPour lesquelles au-
ctoriser, & seconder, la vraye vertu & Philosophique, à beau-
coup à se desmettre de sa vigueur originelle,: &Et non seulementseulemēt
par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu,: mMais
encores à leur suasion.
Ex senatusconsultis plebis
plebisque scitis scelera exercentur.
JeIe suy le langage commun,: qui faict
difference, entre les choses utilesvtiles, & les honnestes: sSi que d’au-
cunes actions naturelles, non seulement utilesvtiles, mais necessai-
res, il les nomme deshonnestes & sales. Mais continuons no-
stre exemple de la trahison. Deux pretendans au Royaume
de Thrace, estoyent tombez en debat de leurs droicts,: l’Em-
pereur les empesçha de venir aux armes, mMais l’unvn d’eux, sous
couleur de conduire unvn accord amiable, par leur entreveüeentreueüe,
ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison,
le fit emprisonner & tuer. La justiceiustice requeroit, que les Ro-
LIVRE TROISIESME.348356
mains eussent raison de ce forfaict,. lLa difficulté en empéchoit
les voyes ordinaires: cCe qu’ils ne peurent legitimement, sans
guerre, & sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahi-
son: cCe qu’ils ne peurent honnestement, ils le firent utilementvtilemēt.
A quoy se trouvatrouua propre unvn Pomponius Flaccus: cCettuy-cy,
soubs feintes parolles, & asseurances, ayant attiré c’est hom-
me, dans ses rets, au lieu de l’honneur & faveurfaueur qu’il luy pro-
mettoit, l’envoyaenuoya pieds & poincts liez, à Romme. UnVn traistre
y trahit l’autre, contre l’usagevsage commun: cCar ils sont pleins de
deffiance,: &Et est mal-aysé de les surprendre par leur art: tTes-
moing lea poisante experience, que nous venons d’en sentir.
Sera Pomponius Flaccus qui voudra,: &Et en est assez qui le
voudront: qQuant à moy, & ma parolle, ma foy, sont comme
et
le demeurant, pieces de ce commun corps: lLeur meilleur ef-
fect, c’est le serviceseruice public: jJeiIe tiens cela pour presupposé. Mais
comme si on me commandoit, que jeie prinse la charge du Pa-
lais, & des plaids,: jeie responderoy,: jJeiIe n’y entens rien: oOu la char-
ge de conducteur de pioniers, jeie diroy, jJeiIe suis appellé à unvn rol-
le plus digne: dDe mesmes, qui me voudroit employer, à men-
tir, à trahir, & à me parjurerpariurer, pour quelque serviceseruice notable,
non que d’assassiner, ou empoisonner,: jeie diroy,: sSi ji’ay volé ou
desrobé quelqu’unvn, envoyezenuoyez moy plustost en gallere. Car il
est loisible à unvn homme d’honneur, de parler ainsi que firent,
les Lacedemoniens, ayans esté deffaicts par Antipater, sur le
poinct de leurs accords: vVous nous pouvezpouuez commander des
charges poisantes & dommageables, autant qu’il vous plair-
raplaira
,: mMais de honteuses, & deshonnestes, vous perdrez vostre
temps de nous en commander. Chacun doit avoirauoir juréiuré à soy-
mesme, ce que les Roys d’AEgypte faisoyent solemnellement
jureriurer à leurs jugesiuges, qQu’ils ne se desvoyeroyentdesuoyeroyent de leur conscien-
ceconsciē-
ce, pour quelque commandement qu’eux mesmes leur en fis-
sent. A telles commissions, il y a notte evidenteeuidente d’ignominie.
[356v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& de condemnation,: &Et qui vous la donne, vous accuse, &
vous la donne, si vous l’entendez bien, en charge & en peine:
aAutant que les affaires publiques s’amendentamēdent de vostre exploit,
autant s’en empirent les vostres: vVous y faictes d’autantautāt pis, que
mieux vous y faites. Et ne sera pas nouveaunouueau,: ny à l’avantureauanture
sans quelque air de JusticeIustice, que celuy mesmes vous ruine,en chastie, qui
vous aura mis en besoigne. La perfidie n’est en nul cas si excusable
La perfidie peut estre en
quelque cas excusable: lors
seulement elle l’est, qu’elle
s’emploict a punir & trahir
la perfidie.
Il se trouvetrouue assez de trahisons, non
seulement refusees, mais chastiéespunies, par ceux en faveurfaueur desquelsdesq̄ls
elles avoyentauoyent esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fla-
miniusFabritius, à l’encontre du Medecin de Pyrrhus? Mais cecy enco-
re se trouvetrouue,: qQue tel, l’ala commandée, qui l’ala vengée rigoureuse-
ment, sur celuy qu’il y avoitauoit employé,: rRefusant unvn credit &
pouvoirpouuoir si effrené, & desadvouantdesaduouant servageseruage et un unevne obeïssance si abandonabandon-
néeabandōabandon-
née, & si láche. JaropelcIaropelc Duc de Russie, practiqua unvn gentil-
homme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Bo-
leslaus, en le faisant mourir,: ou donnant aux Russiens moyen
de luy faire quelque notable dommage. Cettuy cy s’y porta
en galand hommehōme,: s’S’adonna plus queq̄ devantdeuāt au serviceseruice de ce Roy,:
oObtint d’estre de son conseil, & de ses plus feaux: aAvecaAuec ces ad-
vantagesad-
uantages, & choisissant à point l’opportunité de l’absence de
son maistre,: il trahit aux Russiens Visilicie, grande & riche ci-
té,: qui fut entierement saccagée, & arse par eux,: avecauec occisionoccisiō
totale,: non seulement des habitans d’icelle, de tout sexe & aa-
ge,: mais de grand nombre de noblesse, de la autour, qu’il y a-
voita-
uoit assemblé à ces fins. JaropelcIaropelc assouvyassouuy de sa vengeance, &
de son courroux,: qui pourtant n’estoit pars sans titre,. (car Bo-
leslaus l’avoitauoit fort offencé, & en pareille conduitte) & saoul
du fruict de cette trahison,: venant à en considerer la laideur
nue & seule,: & la regarder, d’unevne veuë saine, & non plus trou-
blée par sa passion,: la print à unvn tel remors, & contre-cueur,
qu’il en fit crevercreuer les yeux, & couper la langue, & les parties
honteuses à son executeur. Antigonus persuada les soldats
Argy-
LIVRE TROISIESME.349357
Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general,
son adversaireaduersaire: mMais l’eust-il faict tuer,. aApres qu’ils le luy eurenteurēt
livréliuré, il desira estre luymesme commissairecōmissaire de la JusticeIustice divinediuine,
pour le chastiement d’unvn forfaict si detestable: &Et les consignacōsigna
entre les mains du gouverneurgouuerneur de la ProvinceProuince,: luy donnant
tres-expres commandementcōmandement, de les perdre & mettre à malefin,
en quelque maniere que ce fut: tTellement, que de ce grandgrād nom-
brenō-
bre qu’ils estoyent, aucunaucū ne vit onques puis, l’air de Macedoi-
ne. Mieux il en avoitauoit esté servyseruy, d’autant le jugeaiugea il avoirauoir esté
plus meschammentmeschāment & punissablement.
. L’esclaveLesclaue qui trahit
la cachete de P. Sulpicius
son maistre, fut mis en
liberté, suivantsuiuant la promesse
de la proscription de Sylla:
mMais suivantsuiuant la promesse
de la raison publique, tout
libre, il fut come trahistre
tout de suite praecipite du
roc Tarpeien: iIls dles font
pendre aveqaueq la bourse de
leur païemant au col: aAiant
satisfaict a leur seconde
foi et particulierespeciale, ils satis=
font a la generale & premiere.
Mahumet second se voulantuoulant
desfaire de son frere sui pour
la jalousieialousie de la domination
suivantsuiuant le stile de leur race,
y emploia l’un de ses offi=
ciers qui le suffoca: l’engorgeant
de quantité d’eau prinse
trop a coup. Cela faict, il livraliura
pour l’expiation de ce meurtre
le meurtrier entre les mains de
la mere du trespasse: car ils
n’estoint freres que de pere: elle
en sa presance luy ouvritouuritouvritouurit a ce traistre murtrier
l’estomaclestomac: et tout chaudement
de ses mains foillant et
arrachant son ceur le jettaietta
a manger aus chiens. Et nostre
Roy ClovisClouis fit pendre les trois
servitursseruiturs de Canacre apres qu’ils
luy eurent trahi leur maistre a
quoi il les avoitauoit pratiquez
Et à ceux mesme qui ne
valent rien, il est si doux, ayant tiré l’usagevsage d’unevne actionactiō vicieu-
se, y pouvoirpouuoir hormais coudre en toute seurté, quelque traict
de bonté, & de justiceiustice, commecōme par compensation, & correctioncorrectiō
conscientieuse.
. JointIoint que’, grauiorum scelerum ministri quasi exprobrantes
aspiciuntur. ils regardent les ministres de tels horribles
malefices come gens qui les leur reprochent:. eEt cherchent par leur mort
d’en estouffer la conoissance et tesmouignage de telles menees.
Or si par fortune on vous en recompencerecōpence, pour
ne frustrer la necessité publique, de cet extreme & desesperé
remede: celuy qui le faict, ne laisse pas de vous tenir, s’il ne l’est
luy-mesme, pour unvn hommehōme, maudit & execrable: &Et vous tient
plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l’estes,. cCar il
touche la malignité de vostre courage, par voz mains,. sSans
desadveudesadueu, sans objectobiect. Mais il vous y employe, tout ainsi qu’onō
faict les hommes perdus, aux executions de la haute justiceiustice,
cCharge autant utilevtile, comme elle est peu honeste. Outre la vi-
lité de telles commissionscōmissions, il y a de la prostitution de conscienceconsciēce.
La fille à Seyanus, ne pouvantpouuant estre punie à mort, en certaine
forme de JugementIugement à RommeRōme, d’autant qu’elle estoit Vierge,
fut, pour donner passage aux loix, forcée par le bourreau, avantauāt
qu’il l’estranglat: nNon sa main seulementseulemēt, mais son ame, est es-
clavees-
claue à la commodité publique.
Quand Amurat
le premier
pour aigrir la punition
contre ses subjetssubiets qui
avointauoint doné support a
la parricide rebellion
de son filx contre luy
ordona que leurs plus
proches parans pres=
teroint la main a cette
execution jeie treuvetreuue
treshoneste a aucuns d’avoirauoir
mieus eimechoisi plus tost d’estre iniquemant
tenus coupables du parricide d’un autre que
de servirseruir la justiceiustice de leur propre parricide.
Et ous aus en quelques bicoques forcees de mon
temps ji’ay veuueu des coquins pour garantir leur vieuie
accepter de pendre leurs amis et consors jeie ne les
ay trouvertrouuer tenus de pire condition que les
pendus. On dict, que Vuitolde prince des
Lituaniens ordonafit autresfois que les crimi cette q loy, que les criminels
condamnes, eussent a se tuer eus mesmesexecuter eus mesmes de leurs mains la sentance
capitale contre eus donee trouvanttrouuāt estrange qu’un tiers innocent de la
faute fut emploïe et charge d’un homicide
Le Prince mesme, quand unevne
urgentevrgente circonstance, & quelque impetueux & inopiné acci-
dentacci-
dēt, du besoing de son estat, luy faict gauchir sa parolle & sa
foy, (uideat ne quaera ou autrement le jetteiette hors de son devoirdeuoir ordinaire, doibt
attribuer cette necessité, à unvn coup de la verge divinediuine: vVice
XXXx
[357v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
n’est-ce pas, cCar il à quitté sa raison, à unevne plus universellevniuerselle &
puissante raison, mMais certes c’est mal’heur. De maniere, qu’a
quelqu’unvn qui me demandoit, qQuel remede? nNul remede fis jeie,:
sS’il fut veritablement geiné entre ces deux extremes,
(sed uideat
ne quaeratur
latebra periurio)
il le fal-
loit faire: mMais s’il le fit, sans regret, s’il ne luy grevagreua de le faire,
c’est signe que sa conscience est en mauvaismauuais termes.
Quand il s’en trouveroittrouueroit quelqu’un de si tendre consciencecōscience, à qui nulle guarison ne semblastsēblast digne d’un si poisant remede, jeie ne l’en
estimerois pas moins. Il ne se sauroit perdre plus excusablemant et decemmant. Nous ne pouvonspouuōs pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut
il souvantsouuant com’a la derniere ancre remettre la protection de nostre vesseauuesseau a la pure conduite du ciel. A quelle plus justeiuste necessite se
reservereserue il a le faire qu’en cetecy n’ayant a se racheterQue luy est il moins possible a faire que ce qu’il ne peut faire qu’aus despans de sa foi et de son honeur choses qui come jeie pensea l’avanturelauanture luy doiventdoiuent estre
plus cheres que son propre salut. oui, et que le salut de son peuple. Quand les bras croisez il appelera dieu simplemant a son aide n’aura
il pas a esperer que la divinediuine bonte n’est pas pour refuser la faveurfaueur de sa main extraordinere a une main pure et justeiuste
Ce sont
dangereux exemples, rares, & maladifvesmaladifues exceptionsexceptiōs, à nos rei-
gles naturelles: iIl y faut ceder, mMais avecauec grande moderation
& circonspection: aAucune utilitévtilité privéepriuée, n’est digne, pour laquel-
le nous façions cest effort à nostre conscience: lLa publique
bien, lors qu’elle est, & tres-apparente, & tres-importante.
uideat ne quaeratur latebra periurio.
Timoleon se garantist a propos
de l’estrangetelestrangete de son exploit
par les larmes qu’il randit se
souvenantsouuenant que c’estoit d’une main
fraternelle qu’il avoitauoit tué le tiran
Et cela pinça justemantiustemant sa cons=
cience qu’il eut esté necessité
d’acheter l’utilitè publique a tel
pris de l’honestete de ses meurs.
Le senat mesme delivrèdeliurè de servi=
tudeserui=
tude par son moien n’orsa rondemantrondemāt
decider d’un si haut faict et
deschirè en deus si poisants et
contreres visagesuisages. Mais les Sira=
cusains aiant tout a point a
l’heure mesmes envoieenuoie requerir
les Corinthiens de leur protection
& d’un chef digne de restablir
leur villeuille en sa premiere dignité
et nettoier la Sicille de plusieurs
tyranneaus qui l’oppressoint il
y deputa Timoleon aveqaueq cette
nouvellenouuelle desfaicte et declaration
Que selon ce qu’il se porteroit bien
ou mal en cettesa charge leur arrest
prenderoit party e a la faveurfaueur du
liberatur de son païs ou a la des=
faveurdes=
faueur du meurtrier de son frere.
Cette fantastique conclusion ha
pourtant quelque excuse due l’obscurite
de la cause La vieuie universelleuniuerselle du
criminel y estoit considerable dusur le
dangier de l’example et importance
d’un faict si diversdiuers. Et firent bien
d’en descharger leur jugemantiugemant ou
de l’appuier ailleurs et en des
considerations tierces. M Or les
deportemans de Timoleon en ce
voiage randirent bien tost sa
[...]sell cause plus clere tant il s’y
porta dignemant & vertueusemantuertueusemāt
en toutes façons Et le bon heur
qui l’acompaigna aus aspretez
qu’il eut a vaincreuaincre en cette noble
besouigne sambla luy estre envoieenuoie
par les dieus conspirans et
favorablesfauorables a sa justificationiustification.
La fin de cetuicy est excusa=
ble si aucune le pouvoitpouuoit estre
Mais l’utilite de l’augmentationlaugmentation
du revenureuenu de leur finepublique qui
causa servitseruit de pretexte au
Senat a cete orde Romainet vileineuileine
conclusion que jeie m’enmen voisuois
reciter n’aest pas asses forte
pour mettre a garant une
telle injusticeiniustice Certeines
cites s’estointsestoint rachetees
à pris d’argentdargent & remises
en liberte aveqaueq l’ordonancelordonance
& permission du Senat par
l’entremise des mains de L. Sylla La chose estant tumbee en
nouveaunouueau jugementiugement sLe senat ordo les condamne a estre
taillables come auparavantauparauant et que l’argentlargent qu’elles ont avointauoint
emploie pour se racheter demureraoit perdu pour elles Les guerres civillesciuilles produisent souvantsouuant ces
vileins examples que nous punissons les privespriues de l’obeissancelobeissance qu’ils ont fidelement preste et
qu’ils se sont appliquez a nous lors que nous estions autres et se prent impudammant le magistrat
a eus de sa propre temerite et variationuariation.ce qu’ils nous ont creu quand nous estions autres
et un mesme magistrat faict porter la peine de son changement a qui n’en peut mais Le maistre foite son
disciple de sa docilite et la guide son aveugleaueugle Horrible image de justiceiustice. Il y a des regles en la philosophie
et fauces et molles. L’exampleLexample qu’on nous propose pour faire praevaloirpraeualoir l’utilitelutilite priveepriuee a la foi donee ne reçoit pas
asses de pois par la circonstance qu’ils y meslent Des volursuolurs vousuous ont prins ils vousuous ont remis en liberte aïant tire
de vousuous sermant du païement de certeine somme. On aEll’a On a tort de dire qu’un home de bien sera quitte de sa foi
sans païer, estant hors de leurs mains Il n’en est rien Ce que la creinte m’a ordone defaict une fois vouloiruouloir jeie suis tenu
de le vouloiruouloir encore sans creinte. Et quand elle n’aura force que ma langue sans la volonteuolonte encore y suis jeie tenu
de faire la maille bone de ma parolle
Pour moy, quand par fois ell’a
inconsidereement devancèdeuancè ma pensee,
ji’ay faict consciancecōsciance de la desadvouerdesaduouer pourtant.
Autrement de degre en degre nous vienderonsuienderons a renverserrēuerser tout le droit
qu’un tiers prend de noz promesses & sermens. Quasi uero forti uiro uis possit adhiberi. En cecy sulement a loy
l’interest privépriué, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avonsauons promis chose meschante de soi et damnableinique de soi car
le droit de la vertu doibt prevaloirpreualoir le droit de nostre obligation.
JI’ay
autrefois logé Epaminondas au premier rang des hommeshōmes ex-
cellens, &Et ne m’en desdy pas: jJusquesiIusques ou montoit il, la conside-
rationcōside-
ration de son particulier devoirdeuoir: qQui ne tua jamaisiamais homme,
qu’il eust vaincu: qQui pour ce bien inestimable, de rendre la
liberté à son pays, faisoit conscience, de tuer unvn TyranTyrā, sans les
ou ses complices
formes de la JusticeIustice: &Et qui jugeoitiugeoit meschant homme, quelque
bonbō Citoyen qu’il fut, celuy, qui entre les ennemys, & en la ba-
taille, n’espargnoit son amy & son hoste. Voyla unevne ame de
riche compositioncōposition,: iIl marioit aux plus rudes & violentes actionsactiōs
humaines, la bonté & l’humanité,. vVoire la plus delicate, qui
se treuvetreuue en l’escole de la Philosophie. Ce courage si gros, en-
flé, & obstiné, contre la douleur, la mort, la pauvretépauureté, estoit ce
nature, ou art, qui l’eust attendry, jusquesiusques au poinct d’unevne si
extreme douceur, & debonnaireté de complexion? Horrible
de fer & de sang, il va fracassant & rompant, unevne nationnatiō invin-
cibleinuin-
cible contre tout autre, que contre luy seul, & gauchit au mi-
lieu d’unevne telle meslée, au rencontre de son hoste & de son
amy. Vrayement celuy la proprement, commandoitcommādoit à la guer-
bien
re, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le poinct
de sa plus forte chaleur, aAinsin enflammée qu’elle estoit, & es-
cumeuse de fureur & de meurtre. C’est miracle, de pouvoirpouuoir
LIVRE TROISIESME.350358
mesler à telles actions quelque image de justiceiustice, mMais il n’ap-
partient qu’a la vigueurroiddeur d’Epaminondas, d’y pouvoirpouuoir mesler
la douceur, & la facilité des meurs les plus molles.
et la pure innocence.
Et ou l’unvn
dict aux Mammertins, que les statuts n’avoyentauoyent point de mi-
se, enversenuers les hommes armez: lL’autre, au Tribun du peuple, queq̄
le temps de la justiceiustice, & de la guerre estoyentestoyēt deux: lLe tiers, que
le bruit des armes, l’empeschoit d’entendre la voix des loix:
cCettuy-cy, n’estoit pas seulement empesché d’entendre celles
de la civilitéciuilité, & pure courtoisie. AvoitAuoit il pas emprunté de ses
ennemis, l’usagevsage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour
destremper par leur douceur & gayeté, cette furie & aspreté
martiale. Ne craignons point apres unvn si grand precepteur,
d’estimer,
aliquod etiam in hostes nefas esse. Et
qu’il y a quelque chose illicite contre les enemis mesmes:
aliquid etiam in hostes nefas esse
que l’interest commun ne doibt pas tout requerir
de tous, contre l’interest privépriué: manente memoria etiam etiam
in dissidio publicorum foederum, priuati iuris,
eEet nulla potentia vires
Praestandi, ne quid peccet amicus, habet:
&Et que toutes choses, ne sont pas loisibles à unvn hommehōme de bien,
pour le serviceseruice
du princede son Roy, ny de
la cause generale et
des loix. Non enim patria
praestat omnibus
officijs et ipsi conducit
pios habere ciues in parentes.
de la cause generalle & des loix. C’est unevne in-
struction propre au temps: nNous n’avonsauons que faire de durcir
nos courages par ces lames de fer, c’est assez que nos espau-
les le soyent: cC’est assez de tramper nos plumes en ancre, sans
les tramper en sang. Si c’est grandeur de courage, & l’effect
d’unevne vertu rare & singuliere, de mespriser l’amitié, les obliga-
tionsobliga-
tiōs privéespriuées, sa parolle, & la parenté, pour le bien commun, &
obeïssance du magistrat: cC’est assez vrayement, pour nous en
excuser, que c’est unevne grandeur, qui ne peut loger en la grandur duau courage
d’Epaminondas. JI’abomine les enhortemens enragez, de cet-
te autre ame des-reiglée,
dum tela micant, non vos pietatis imago
Vlla, nec aduersa conspecti fronte parentes
Commoueant, vultus gladio turbate verendos.
Ostons aux meschants naturels, & sanguinaires, & traistres,
XXXx ij
[358v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce pretexte de raison: lLaissons la cette justiceiustice enorme, & hors
de soy,. &Et nous tenons aus plus humaines imitations. CombienCōbien
peut le temps & l’exemple? En unevne rencontre de la guerre Ci-
vileCi-
uile contre Cynna, unvn soldat de Pompeius, ayant tué sans y
penser, son frere, qui estoit au parti contraire, se tua sur le champchāp
soymesme, de honte & de regret: &Et quelques années apres, en
unevne autre guerre civileciuile de ce mesme peuple, unvn soldat, pour
avoirauoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On
argumente mal l’honneuresteté & la beauté d’unevne action, par son
utilitévtilité,: &Et concludcōclud on mal, d’estimer que chacun y soit obligé,
et qu’elle soit honeste a chacun,
si elle est utilevtile.
Omnia non pariter
rerum sunt omnibus
apta.
Choisissons la plus necessaire, & plus utilevtile de
l’humaine societé, cCe sera le mariage: sSi est-ce, que le conseilcōseil des
saincts, trouvetrouue le contrairecōtraire party plus dignehoneste, & en exclut la plus
venerable vacation des hommes,: cComme nous assignons au
haras, les bestes qui sont de moindre estime.
Du repentir. CHAP. II.
LEs autres forment l’homme, jJeiIe le recite, & en repre-
sente unvn particulier, bien mal formé, &Et lequel si ji’a-
voya-
uoy à façonnerfaçōner de nouveaunouueau, jeie ferois, vrayementvrayemēt bienbiē au-
tre qu’il n’est: mMes-huy c’est fait. Or les traits de ma peinture,
ne se forvoyentforuoyent point, quoy qu’ils se changentchāgent & diversifientdiuersifient.
Le monde n’est qu’unevne branloire perenne: tToutes choses y
branlent sans cesse,: lLa terre, les rochers du Caucase, les pyrami-
des d’AEgypte: &Et du branle public, & du leur. La constance
mesme, n’est autre chose qu’unvn branle plus languissant. JeIe ne
puis asseurer mon objectobiect: iIl va trouble & chancelant, d’unevne
yvresseyuresse naturelle. JeIe le prens en ce point, comme il est, en l’in-
stant que jeie m’amuse à luy.
Et au pis aller emmi tant de
formes variablesuariables prens celle
qui a varièuariè le moins
JeIe ne peints pas l’estre,. jJeiIe peints le
passage: nNon unvn passage d’aage en autre, ou comme dict
le peuple, de sept en sept ans,: mais de jouriour en jouriour, de
minute en minute. Il faut accommoder, mon histoire à
LIVRE TROISIESME.351359
l’heure presante.: JJeIIe pourray tantost changer, non de fortune seulementseulemēt,
mais aussi d’intention: c’C’est unvn contrerolle de diversdiuers & mua-
bles accidens, & d’imaginations irresoluës,. &Et quand il y es-
chet, contraires: sSoit que jeie sois autre moymesme,: sSoit que jeie
saisisse les subjectssubiects, par autres circonstances, & considerationsconsideratiōs.
Tant y a, que jeie me contredits bien à l’adventureaduenture, mMais la veri-
té, comme disoit Demades, jeie ne la contredy point. Si mon a-
me pouvoitpouuoit prendre pied & forme, jeie ne m’essaierois pas, jeie
me resoudrois: eElle est tousjourstousiours en apprentissageapprētissage, & en espreu-
veespreu-
ue. JeIe propose unevne vie basse, & sans lustre: c’C’est tout unvn,. oOn at-
tache aussi bien toute la philosophie morale, à unevne vie popu-
laire & privéepriuée, que à unevne vie de plus riche estoffe: cChaque hom-
mehō-
me porte la forme entiere, de l’humaine condition.
. Les autheurs se
communiquent au
peuple par quelque
marque particuliere
architectes, medecins,
legistes,. mMoiet estrangiere: moi le premier
par mon estre simplementuniverseluniuersel
come montaigne, non
come grammerien ou
poëte michel de
montaigne: non comme
grammerien ou
poete ou jurisconsulteiurisconsulteou jurisconsulteiurisconsulte.
Si le monde se pleint de quoy
jeie parle trop de moy: si fai[unclear]
jeie moie pleins de quoi il ne pense
sulement pas a soi.
Mais est-
ce raison, que si particulier en usagevsage, jeie pretende me rendre
public en cognoissance? Est-il aussi raison, que jeie produise au
monde, où la façon & l’art, ont tant de credit & de comman-
dement, des effects de nature crus & simples, & d’unevne nature
encore bien foiblette? Est-ce pas faire unevne muraille sans pier-
re, ou chose semblable, que de bastir des livresliures sans sciencesciēce et de philosofer sans Aristote ? Les
et sans art
fantasies de la musique, sont conduictes par art, les miennes
par la fortunesort. Au moins ji’ay cecy selonselō la discipline, que jamaisiamais
homme ne traicta subjectsubiect, qu’il entendit ne cogneust mieux,
que jeie fay celuy que ji’ay entrepris: &Et qu’en celuy-là, jeie suis le
plus sçavantsçauant homme qui viveviue. SecondementSecondemēt, que jamaisiamais aucun
ne penetra en
sa matiere plus
avantauant, ny en
esplucha plus par=
ticulieremant les
mambres et suittes
eEt
n’arrivaarriua plus exactement & plus plainement, à la fin qu’il s’e-
stoit proposé à sa besoingne: pPour la parfaire, jeie n’ay besoing
nd’y apporter que de la fidelité: cCelle-là y est, la plus sincere &
pure qui se trouvetrouue. JeIe dy vray, non pas tout mon saoul: mais
autant que jeie l’ose dire: &Et l’ose unvn peu plus en vieillissant: cCar il
semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté de
bavasserbauasser, & d’indiscretion à parler de soy. Il ne peut adveniraduenir i-
cy, ce que jeie voy adveniraduenir souventsouuent, que l’artizan & sa besoigne
XXXx iij
[359v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
se contrarient: uUnvVn homme de si honneste conversationconuersation, a-il
faict unvn si sot escrit? Oou, des escrits si sçavanssçauans, sont-ils partis
d’unvn homme de si foible conversationconuersation?
[Note (Mathieu Duboc) : La place primitive de cette addition se trouvait à l’emplacement du signe d’insertion biffé après "touche l’autre."]
Quand un home parleQui ha un entretien
communeemantcommuneemāt et ses escrits
d’une façon rares C’est a dire
que sa suffisancesa capacite est en lieu d’oudou
il la vaua querir au besoinl’emprunte:
& non en luy. UnVn homepersonage
sçavantsçauant n’est pas sçavantsçauāt par
tout: mais le suffisant est
partout suffisant: signammantsignammātet
à ignorer mesme.
Icy, nous allons con-
formément, & tout d’unvn trein, mon livreliure & moy. Ailleurs, on
peut recommander & accuser l’ouvrageouurage, à part de l’ouvrierouurier,. iI-
cy non,: qui touche l’unvn, touche l’autre. ⁁ Celuy qui en jugeraiugera
sans le connoistre, se fera plus de tort qu’à moy: cCeluy qui l’au-
ra conneu, m’a du tout satisfaict. Heureux outre mon merite,
si ji’ay seulementseulemēt cette part à l’approbation publique, que jeie fa-
ce sentir aux gens d’entendement, que ji’estoy capable de faire
mon profit de la science, si ji’en eusse eu,: &Et que jeie meritoy que
la memoire me secourut mieux. Excusons, icy, ce que jeie dy, sou-
ventsou-
uent, que jeie me repens rarement.
et que ma consciance
se contante de soi: non
comme de la consciance
d’un ange : mais come
de la consciance d’un
home ou d’un chevalcheual:
mais come de la consciance
d’un home. ordinere
AdjoustantAdioustant tousjourstousiours ce re-
frein,. nNonnNō pas unvn refrein de ceremonie,: mais de naifvenaifue & essen-
tielle submission, qQue jeie parle enquerant & ignorant,: mMe rap-
portant de la resolution, purement & simplement, aux crean-
ces communes & legitimes. JeIe n’enseigne poinct, jeie narreraconte. Il
n’est vice veritablement vice, qui n’offence, & qu’unvn jugementiugemēt
entier n’accuse: cCar il a de la laideur & incommodité si appa-
rente, qu’à l’advantureaduanture ceux-là ont raison, qui disent, qu’il est
principalement produict par bestise & ignorance: tTant est-il
malaisé, d’imaginer qu’on le cognoisse sans le haïr.
La malice hume
la plus grand part de
pois sa propre poison.
sa poison propre veninuenin
& s’en empoisone.
Le vice lais-
se comme unvn ulcerevlcere en la chair, unevne repentance en l’ame, qui
tousjourstousiours s’esgratigne, & s’ensanglante elle mesme. Car la rai-
son efface les autres tristesses & douleurs, mais elle engendre
celle de la repentance: qQui est plus griefvegriefue, d’autantautāt qu’elle naist
au dedans,. cComme le froid & le chaut des fiévresfiéures, est plus poi-
gnant, que celuy qui vient du dehors. JeIe tiens pour vices (mais
chacun selon sa mesure) non seulement ceux que la raison &
la nature condamnent,: mMais ceux aussi, que l’opinionopiniō des hom-
mes à forgé,: vVoire fauce & erronée, si les loix & l’usagevsage l’au-
ctorise. Il n’est pareillement bonté, qui ne resjouysseresiouysse unevne na-
LIVRE TROISIESME.352360
ture bien née. Il y à certes, jeie ne sçay quelle congratulation, de
bien faire, qui nous resjouitresiouit en nous mesmes, &Et unevne fierté ge-
nereuse, qui accompaigne la bonne conscience. UneVne ame cou
rageusement vitieuse, se peut à l’adventureaduenture garnir de securité,.
mMais de cette complaisance & satis-factionfactiō, elle n’enne s’en peut four-
nir. Ce n’est pas unvn leger plaisir, de se sentir preservépreserué de la con-
tagion d’unvn siecle si gasté,. &Et de dire en soy: qQui me verroit jus-
quesius-
ques dans l’ame, encore ne me trouveroittrouueroit-il coulpable, nNy de
l’affliction & ruyne de personne,. nNy de vengence ou d’envieenuie,:
nNy d’offenceoffēce publique des loix,: nNy de nouvelleténouuelleté & de trouble,:
nNy de faute à ma parole: &Et quoy que la licence du temps per-
mit à chacun, si n’ay- et aprintjeie mis la main, ny és biens, ny en la bour-
se d’hommehōme François,: &Et n’ay vescu que sur la mienne, nonnō plus en
guerre qu’en paix,: nNy ne me suis servyseruy du travailtrauail de personne,
sans loyer. Ces tesmoignages de la conscienceconsciēce, plaisent,: & nous
est grand benefice que cette esjouyssanceesiouyssance naturelle,. &Et le seul
payement qui jamaisiamais ne nous fautmanque. De fonder la recompence
des actions vertueuses, sur l’approbation d’autruy, c’est pren-
dre unvn trop incertain & trouble fondementfondemēt:
. NomeemantSignemment en un
siecle corrompu et
ignorant come cestuicy
la bone estime du peuple
est injurieuseiniurieuse: Aa qui
vousuous fiez vousuous d’estimer
ce qui est louable de
voiruoir ce qui est louable?
dDieu me gard d’estre
home de bien a sa modeselon la
description: Quae
fuerant uitia mores sunt
que jeie voisuois faire tous les
joursiours par honur, a chacun de
soi. Quae fuerant uitia
mores sunt. Quelquefois il
est avenuauenu a mes amis honestes
gens, ou a ma requisition, car il
n’est fruit en la societe,
comparable a celui la, ny en
utilite, ny en douceur, a un’ame
bien faicte: ou par saillie de
leur propre mouvementmouuement, d’entre=
prendreens de me chapitrer et
mercurialiser en privepriue, a ceur ouvertouuert, jeie meure
s’il n’avenoitauenoit qu’imbus de ces fauces opinions du
temps, que ji’eusse peuils m’offroint a destourner a honur leurs
reprimandes, et leurs approbations a reprobation
Ce n’estoit pas a moi pourtant de le leur faire sentir
eins de les en remercier et sçavoirsçauoir gre, pour ne trobler
la faveurfaueur d’un si bon office.
Tels des mes amis ont par fois entrepris de me chapitrer et
mercurialiser a ceur ouvertouuert, ou de leur propre mouvementmouuement,
ou pressessemons par moi, come d’un office, qui, a un’ame bien faicte,
non en utilite sulement mais en douceur aussi, surpasse
tous les offices de l’amitie. JeIe l’ay tousjourstousiours acceuilli des bras
de la courtoisie & reconoissance les plus ouversouuers. Mais a en
jugeriuger a ma mode ils me batoint d’accusation que jeie pouvoipouuoi
prendre pour excusation a peu pres: et me consoloint d’approbation
qui sonoit a reprobation plus tost parler asture en conscianceconsciāce
jeieji’ay souventsouuent trouvoisetrouuoise en leurs reproches et louanges tant de fauce mesure que jeie n’eusse
guere failli, de faillir plus tost que de bien faire a leur mode.
Nous autres prin-
cipalement, qui vivonsviuons unevne vie privéepriuée, qui n’est en montremōtre qu’à
nous, devonsdeuons avoirauoir estably unvn patron au dedans, auquel tou-
cher nos actions: &Et selon iceluy, nous caresser tantost, tantost
nous chastier. JI’ay mes loix & ma court, pour jugeriuger de moy, &
m’y adresse plus qu’ailleurs. JeIe restrains bien selon autruy mes
actions,: mais jeie ne les estends que selon moy. Il n’y a que vous
qui sçache si vous estes láche & cruel, ou loyal & devotieuxdeuotieux,.
lLes autres ne vous voyent poinct, ils vous devinentdeuinent, par con-
jecturescon-
iectures incertaines,: iIls voyent, non tant vostre naturel, que
vostre art. Par ainsi ne vous tenez pas à leur sentence,: tTenez
vous à celle dela vostre. conscience. Tuo tibi iudicio est utendum.
Virtutis et uitiorum
graue ipsius conscientiae
pondus est: qua sublata,
iacent omnia.
Mais ce qu’on dit, que la re-
pentance suit de pres le peché,: ne semble pas regarder le peché
qui est en son haut appareil,: qQui loge en nous comme en son
propre domicile. On peut desavouërdesauouër & desdire les vices, qui
[360v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous surprennent, & vers lesquels les passions nous emportentemportēt:
mMais ceux qui par longue habitude, sont enracinées en et ancrésunevne
volonté forte & vigoureuse, ne sont subjectssubiects à contradictioncōtradiction.
Le repentir n’est qu’unevne desditte de nostre volonté, & oppo-
sition de nos fantasies, qQui nous pourmene à tout sens. Il
faict desadvouërdesaduouër à celuy-là, sa vertu passée & sa continence.,
Quae mens est hodie, cur eadem non puero fuit,
Vel cur his animis incolumes non redeunt genae?
C’est unevne vie exquise, celle qui se maintient en ordre jusquesiusques
en son privépriué. Chacun peut avoirauoir part au battelage, & repre-
senter unvn honneste rollepersonage en l’eschaffaut,. mMais au dedans, & en
sa poictrine, ou tout nous est loisible, ou tout est caché, d’y e-
stre reglé, c’est le poinct,: lLe voisin degré:, c’est de l’estre, en sa
maison, en ses actions ordinaires, & privéespriuées, desquelles nous
n’avonsauons à rendre compteraison à personne: oOù il n’y à point d’estu-
de, point d’artifice. Et pourtant Bias, ayant à peindrepeignant unvn excel-
lent estat de famille,: dDe laquelle, dit-il, le maistre soit tel au de-
dans, par luy-mesme, comme il est au dehors, par la crainte de
la loy, & du dire des hommes. Et fut unevne digne parole de Ju-
liusIu-
lius Drusus, aux ouvriersouuriers qui luy offroient pour trois mille
escus mettre sa maison en tel poinct, que ses voisins n’y au-
roient plus la veuë qu’ils y avoientauoient: jJeiIe vous en donneraydōneray, dit-il,
six mille, & faictes que chacun y voye de toutes parts. On re-
marque avecauec honneur l’usagevsage d’Agesilaus, de faireprendre en voya-
geant son logis dansdās les Eglises, affin que le peuple, & les dieux
mesmes, vissent dans ses actions domestiques & privéespriuées. Tel à
esté miraculeux au monde, auquel sa femme & son valet, n’ontōt
rien veu seulement de louableremercable. Peu d’hommes ont esté admi-
rez par leurs domestiques,.
Nemo propheta in patriaNul a este profete enē sa maison, mais en son païs non sulement
dict l’experiance des
histoires. De mesmes au
choses de neant: Et en ce
bas example se voituoit tresbien
l’image des grands. En mon
climat de gascouigne on
tient pour drolerie de me
veoir imprimè. Les honestes
homes et lettrez de quoi il
yqui y sont a foisondu païs y passent les yeus
come sur un Almanach ou matiere plus vileuileinutile si l’impression en souffre Ailleurs jeie suis mieus
receu specialementspecialemēt au plus louinD’autantautāt que la conoissance qu’on prent de moi s’eslouigne
de mon giste, mieus ji’en vausuaus d’autant mieus.
[Note (Mathieu Duboc) : Le signe d’insertion en forme de croix renvoi à la dernière phrase de la page. Puis le sens de la lecture reprend à cet endroit par "Sur cet accidant".]
JI’achete les imprimurs en Guiene: en Franceailleurs ils m’achetent.
Sur cet accidant se fondentfondēt ceus qui se cachent vivansuiuans pour
et presens
se mettre en credit enversenuers la posteritetrespassez et absans. JIe suis bien au rebours’aime mieus en avoirauoir moins. Et ne me jetteiette au monde que pour la
part que ji’en tire. Au partir de la jeie l’en quitte.
lLe peuple reconvoyereconuoye celuy-là, d’unvn
acte public, avecauec estonnement jusquiusqu’à sa porte: il laisse avecauec sa
robbe ce rolle:, iIl en retombe d’autant plus bas, qu’il s’estoit
plus haut monté. AaAu dedans, chez luy, tout est tumultuaire &
vile.
LIVRE TROISIESME.353361
vile. Quand le reiglement s’y trouveroittrouueroit, il faut unvn jugementiugement
vif & bien trié, pour l’appercevoirapperceuoir en ces actions basses & pri-
véespri-
uées. JointIoint que l’ordre est unevne vertu morne & sombre: gGaigner
unevne bresche, conduire unevne ambassade, regir unvn peuple, ce sont
actions esclatantes: tTancer, rire, vendre, payer, aymer, hayr, &
converserconuerser avecauec les siens, & avecauec soymesme, doucement & ju-
stementiu-
stement,: ne relácher point, ne se desmentir poinct,: c’est chose
plus rare plus difficile, & moins remerquable. Les vies retirées
& privéespriuées, soustiennent par là, quoy qu’on die, des devoirsdeuoirs au-
tant ou plus aspres & tendus, que ne font les autres vies.
Et les privezpriuez dict Aris=
tote serventseruent la vertuuertu
de rien moins ains de
beaucoup plusplus difficilement et [unclear] hautement que ne font
que ceus qui sont en magistrat.
Nous
nous preparons aux occasions eminentes, plus par gloire que
par conscience.
Praeclare Socrates
hanc uiam ad gloriam
proximam et quasi compen=
diariam dicebat esse, si
quis id ageret ut qualis
haberi uellet, talis esset.
La plus courte façon d’arriverdarriuer
a la gloire ce seroit faire
par consciance ce que nous
faisons pour la gloire
Et la vertu d’Alexandre me semble represen-
ter assez moins de vigueur en son theatre, que ne fait cel-
le de Socrates, en cette exercitation basse & obscure. JeIe con-
çois aisément Socrates, en la place d’Alexandre,. Alexandre, au
rolleen celle de Socrates, jeie ne puis: qQui demandera à celuy-là ce qu’il
sçait faire, il respondrarespōdra, subjuguersubiuguer comander le monde: qQui le demandera
à cettuy-cy, il dira, qu’il sçait conduiremener l’humaine vie confor-
mément à sa naturelle condition:
faire auau monde ce
pour quoi il est au monde
sScience bien plus generale,
plus poisante, & plus legitime. Le pris de l’ame ne consiste pas
à aller haut, mais ordonnéement:
. LSa grandur de ne
l’ame n’ests’exerce pas, en la
grandur tant comec’est en
la mediocritè. ComeAinsi que
ceus qui nous jugentiugent et
touchent au dedans ne
font pas grand recette de
la lueur de nos actions
publiques. eEt voientuoient que ce
ne sount que filetz & pouintes
d’eau fine rejaliesreialies d’un fond
au demurant limoneus et
poisant. En pareil cas, ceus qui
nous voientuoientjugentiugent par cette bravebraue
apparance concul concluent
de mesmes de nostre constitution
interne: eEt ne peuventpeuuent
accoupler des facultes
populeres & pareilles aus
leurs, a ces autres facultez
qui les estonent si loin de
leur porteeviseeuisee. Ainsi donons
nous aus daemons des formes
sauvagessauuages: eEt qui non, a
Tamburlan des sourcils eslevezesleuez des
naseaus ouversouuers des gros yeus farouchesun visageuisage affreus
et une taille desmesuree come est la
taille de l’imagination qu’il en a conceue
de ses faicts grands et rudes.par ledu bruit de par son histoir nom. Qui m’eust
l’eut faict voiruoir Erasme autresfois, il eut este
malaisé que jeie n’eusse pris pour adages
et apohtegmesapophtegmes tout ce qu’Erasmeil eut dict a
son valet & a son hostesse. Nous imaginons
bien plus sortablemant un artisan sur sa garde robe
ou sur sa fame qu’un grand presidant venerableuenerable en par
son maintien saes vertuuertumeurs et suffisance Il nous semble que de
ces haus throsnes ils ne s’abaissent pas [unclear] jusquesiusques à
vivreviure.
cComme les ames vicieuses,
sont incitées souventsouuent à bien faire, par quelque impulsion e-
strangere, aussi sont les vertueuses à faire mal. Il les faut doncq
jugeriuger par leur estat rassis, quand elles sont chez elles, si quel-
que fois elles y sont: oOu aumoins quand elles sont plus voisi-
nes du repos, & ende leur naifvenaifue assiette. Les inclinations natu-
relles, s’aident & fortifient par institution,. mMais elles ne se
changent guiere & surmontent. Mille natures, de monmō temps,
ont eschappé vers la vertu, ou vers le vice, au traverstrauers d’unevne di-
scipline contraire.:
Sic vbi desuetae siluis in carcere clausae
Mansueuere ferae, & vultus posuere minaces,.
YYYy
[361v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Atque hominem didicere pati, si torrida paruus,
Venit in ora cruor, redeunt rabiésque furórque,
Admonitaeque tument gustato sanguine fauces,
Feruet, & à trepido vix abstinet ira magistro.
On n’extirpe pas ces qualitez originelles, on les couvrecouure, on les
cache:. lLe langage latin m’est, comme naturel: jeie l’entens mieux
que le François: mMais il y à quarante ans, que jeie ne m’en suis du
tout poinct servyseruy à parler, ny guere à escrire,: sSi est-ce que à des
extremes & soudaines esmotions, ou jeie suis tombé, deux ou
trois fois en ma vie: & l’unevne, voyentvoyēt mon pere tout sain, se ren-
verserren-
uerser sur moy, pasmé, ji’ay tousjourstousiours eslancé du fond des en-
trailles les premieres paroles Latines:
nNature se sourdant
& s’exir s’exprimant
contre l’artlart & l’usagelusage.
Et au traverstrauers de l’artlart
et de l’force contre un si
long usage. Et a
force, a l’encontre d’un
si long usage. Et
& cet exemple, se dict
d’assez d’autres. Ceux qui ont essaié de r’aviserauiser les meurs du
monde, de mon temps, par nouvellesnouuelles opinions,: reforment les
vices de l’apparence, ceux de l’essence ils les laissent là, s’ils ne
les augmentent: &Et l’augmentation y est à craindre: oOn se se-
journese-
iourne volontiers de tout autre bien faire, sur ces reformationsreformatiōs
externes, arbitreres, de moindre coust, & de plus grand merite,: &Et satis-
fait-on , par là a bon marché, les autres vices naturels & internes:consubstantiels et intestins. rRegardez unvn
peu comment s’en porte nostre experience. Il n’est personne,
s’il s’escoute, qui ne descouvredescouure en soy unevne forme sienne, unevne
forme maistresse, qui luicte contre l’art & l’institution, & con-
tre la tempeste des passions, qui luy sont contrairescōtraires. De moy jeie
ne me sens guere agiter par secousse,. jJeiIe me trouvetrouue quasi tou-
sjourstou-
siours en ma place, comme font les corps lourds & poisans. Si
jeie ne suis chez moy, ji’en suis tousjourstousiours bien pres: mMes desbau-
ches ne m’emportent pas fort loing: iIl n’y à rien d’extreme &
d’estrange: &Et si ay des ravisemensrauisemens sains & vigoureux. La vraie
condamnation, & qui touche la commune façonfaçō de nos hom-
mes, c’est, que leur retraicte mesme, est pleine de corruption,
& d’ordure,: l’idée de leur amendement chafourrée,: leur peni-
LIVRE TROISIESME.354362
tence malade, & en coulpe, autant à peu pres que leur peché.
Aucuns, ou pour estre colléz au vice, d’unevne attache naturelle,
ou par la longue accoustumance, n’en trouventtrouuent plus la lai-
deur. A d’autres (duquel regiment jeie suis) le vice poise, mais ils
le contrebalancent avecauec le plaisir, ou autre occasionoccasiō: &Et le souf-
frent & s’y prestent à certain prix,: vVitieusement pourtant, &
injustementiniustementlachement. Si ce pourroit-il à l’advantureaduanture imaginer, si esloi-
gnée disproportion de mesure, ou avecauec justiceiustice, le plaisir excu-
seroit le peché, comme nous disons de l’utilitévtilité: notammentnNon sulement
s’il estoit accidentalaccidētal, & hors du peché, comme au larrecin, mais
en l’exercice mesme d’iceluy, comme en l’accointanceaccointāce des fem-
mes, ou l’incitation est violente, & dit-on, par fois invincibleinuincible.
En la terre d’unvn mien parentparēt, l’autre jouriour que ji’estois en Armai-
gnac, jeie vy unvn paisan, que chacun surnomme le larron. Il fai-
soit ainsi le conte de sa vie: qQu’estant né mendiant, & trou-
vanttrou-
uant, que à gaigner son pain au travailtrauail de ses mains, il n’arri-
veroitarri-
ueroit jamaisiamais à se fortifier assez contre l’indigence, il s’advisaaduisa
de se faire larron: &Et avoitauoit employé à ce mestier toute sa jeu-
nesseieu-
nesse, en seureté, par le moyen de sa force corporelle:, cCar il
moissonnoit & vendangeoit des terres d’autruy:, mais c’estoit
au loing, & à si gros monceaux, qu’il estoit inimaginable
qu’unvn homme en eust tant rapporté en unevne nuict sur ses es-
paules,. &Et avoitauoit soing outre cela, d’egaler, & disperser le dom-
mage qu’il faisoit, si que la foule estoit moins importable à
chaque particulier. Il se trouvetrouue à cette heure en sa vieillesse, ri-
che pour unvn homme de sa fortunecondition, mercy à cette trafique,: dDe-
quoy il se confesse ouvertementouuertement, & pour s’accommoder a-
veca-
uec Dieu, de ses acquests, il dict estre tous les joursiours apres
à satisfaire par bien-faicts, aux successeurs de ceux qu’il a des-
robez,. &Et s’il n’acheveacheue,: car d’y pourvoirpouruoir tout à la fois il ne
peut,: qu’il en chargera ses heritiers, à la raison de la science
qu’il à luy seul, du mal qu’il à faict à chacun. Par ceste[Note (Montaigne) : tt] descri-
YYYy ij
[362v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ption, soit vraye ou fauce, cettuy-cy regarde le larrecin, com-
me action des-honneste, & le hayt, mais moins que l’indigen-
ce: sS’en repent bien simplement, mais en tant qu’elle estoit
ainsi contrebalancée & compencée, il ne s’en repent pas. Cela,
ce n’est pas cette habitude, qui nous incorpore au vice, & y con-
formecō-
forme nostre entendemententendemēt mesme: ny n’est ce vent impetueux
qui va troublant & aveuglantaueuglant à secousses, nostre ame, & nous
precipite pour l’heure, jugementiugement & tout, en la puissance du
vice. JeIe fay coustumierement entier ce que jeie fay, & marche
tout d’unevne piece: jJeiIe n’ay guere de mouvementmouuement, qui se cache
& desrobe à ma raison, & qui ne se conduise à peu pres, par le
consentement de touts mes parties,. sSans divisiondiuision, sans sedi-
tion intestine: mMon jugementiugement en a la coulpe, ou la louange
entiere: &Et la coulpe qu’il a unevne fois, il l’a tousjourstousiours: cCar quasi
dés sa naissance il est unvn,: mesme inclination, mesme route,
mesme force. Et en matiere d’opinions universellesvniuerselles, dés l’en-
fance, jeie me logeay au poinct ou ji’avoisauois à me tenir. Il y à des
pechez impetueux, prompts & subits, laissons les à part: mMais
en ces autres pechez, à tant de fois reprins, deliberez, & con-
sultez, ou pechez de complexion,
voireuoire pechez de
profession et de
vacation:
jeie ne puis pas facilement
concevoirconceuoir, qu’ils soient plantez si long temps en unvn mesme
courage, sans que la raison & la conscience de celuy qui les
possede, le veuille constamment, & l’entende ainsi: &Et le repen-
tir qu’il se vante, luy en venir à certain instant prescript, m’est
unvn peu dur à imaginer & former.
JeIe ne suis pas de
la secte de Pytha=
goras que les homes
[...]ne les prenent une
ame nouvellenouuelle quand
ils aprochent cles
simulachres des dieus
pour receuillir leurs
oracles. Si non qu’il
voulut dire cela
mesme,. qQu’il faut
bien qu’elle soit
estrangiere si elle
s’y treuvetreuue purifieenouvellenouuelle
et prestee pour le
temps: la: la leur montrant si peu
de signe de purification et nettete
condigne a cet office
Ils font tout à l’opposite
des preceptes Stoiques, qui nous ordonnent bien, de corri-
ger les imperfections, & vices que nous reconnoissons en
nous, mais nous deffendent d’en estre marris & desplaisants:
cCeux-cy nous font à croire, qu’ils en ont grand regret & re-
mors au dedans,: mMais d’amendement & correctioncorrectiō, puri ny d’interruption: ils ne nous
en font rien apparoir. Si n’est ce pas guerison si on ne se des-
charge du mal: sSi la repentancerepentāce pesoit sur le plat de la balancebalāce, elle
LIVRE TROISIESME.355363
en-porteroit le peché. JeIe ne trouvetrouue aucune qualité si aysée à
contrefaire que la devotiondeuotion,: si on n’y conforme les meurs &
la vie: sSon essence est abstruse & occulte,: les apparences faci-
les & pompeusespōpeuses. Quant à moy, jeie puis desirer en general estre
autre: jeie puis condamner & me desplaire de ma forme uni-
versellevni-
uerselle,: & supplier Dieu pour mon entiere reformation,: &
pour l’excuse de ma foiblesse naturelle: mMais cela,: jeie ne le doits
nommer repentir ce me semble,: non plus que le desplaisir de
n’estre, ny Ange ny Caton. Mes operationsactions sont reglées, &
conformes à ce que jeie suis, & à ma condition. JeIe ne puis faire
mieux,: &Et le repentir, ne touche pas proprementpropremēt les choses qui
ne sont pas en nostre force, ouy bien le regeretreter. JI’imagine in-
finies natures plus hautes & plus reglées que la mienne: jJeiIe n’a-
mande pourtant mes facultez: cComme ny mon bras, ny mon
esprit, ne deviennentdeuiēnent plus vigoreux, pour en concevoirconceuoir unvn au-
tre qui le soit. Si d’imaginer & desirer unvn agir plus noble que
le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à
nous repentir de nos operations plus innocentes: dD’autantautāt que
nous jugeonsiugeons bien qu’en la nature plus excellente, telles ope-
rations auroyent esté conduites d’unevne plus grande perfectionperfectiō
& dignité,: & voudrionsvoudriōs faire de mesme. Lors que jeie consulte,
des deportemens de ma jeunesseieunesse avecauec ma vieillesse, jeie trouvetrouue
que jeie les ay communement conduits avecauec ordre, selon moy:
cC’est tout ce que peut ma resistance. JeIe ne me flatte pas: àA cir-
constances pareilles, jeie seroy tousjourstousiours tel. Ce n’est pas tachemacheure,
c’est plustost unevne teinture universellevniuerselle qui me noircisttache. JeIe ne
cognoy pas de repentance superficielle, moyenne, & de cere-
monie,: iIl faut qu’elle me touche de toutes pars, avantauant que jeie la
nomme ainsin, & qu’elle pinse mes entrailles, & les afflige au-
tant profondement, que Dieu me voit,: & autant universelle-
mentvniuerselle-
ment. Quant aux negoces, il m’est eschappé plusieurs bonnes
avanturesauantures, à faute d’heureureuse conduitte: mMes conseils ont
YYYy iij
[363v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pourtant bien choisi, selon les occurrences qu’on leur presen-
toit: lLeur façon est de prendre tousjourstousiours le plus facile & seur
party. JeIe trouvetrouue qu’en mes deliberations passées, ji’ay selon ma
regle, sagement procedé, pour l’estat du subjectsubiect qu’on me
proposoit,. &Et en ferois autant d’icy à mille ans, en pareilles oc-
casionsoc-
casiōs. JeIe ne regarde pas, quel il est à cette heure, mais quel
il estoit, quand ji’en consultois.
La force de tout conseil
gist au temps: Les occasions
& les matieres roulent
& changent sans cesse.
JI’ay faict fresencouru quelques
lourdes fauteserrurs en ma vieuie
& importantes: po non par
faute de bon advisaduis, mais
par faute de bonheur. Il
y a des parties secretes aus
objectsobiects qu’on manie et indivi
nablesindiui
nables: signammant en la
nature des homes: des conditions
muettes, sans montre, inconues
par fois du possessur mesme:
qui se produisentproduisēt et esveillentesueillēt
par des occasions survenantessuruenantes.
Si ma prudance ne les a peu
penetrer & profetiser, jeie ne luy
en sçai nul mauvesmauues gré: sa
charge se contient en ses limites.
Si l’evenementeuenement me bat: & s’il
a
Si l’evenementeuenement à favoriséfauorisé le
party que ji’ay refusé: iIl n’y a remede: jJeiIe ne m’en prensprēs pas à moy
de ne l’avoirauoir sçeu prevoirpreuoir,: jJiI’accuse ma fortune, non pas mon
operationouvrageouurage,: cCela ne s’appelle pas repentir. Phocion avoitauoit don-
né aux Atheniens certain advisaduis, qui ne fut pas suyvisuyui: l’affaire
pourtant se passant contre son opinion avecauec prosperité, quel-
qu’unvn luy dict,. &Et bien Phocion, és tu content que la chose
aille si bien? Bien suis-jeie content, fit-il, qu’il soit advenuaduenu cecy,.
mais jeie ne me repens point d’avoirauoir conseillé cela. Quand mes
amis s’adressent à moy, pour estre conseillez, jeie le fay libre-
ment & clairement,. sSans m’arrester comme faict quasi tout
le monde, à ce que la chose estant hazardeuse, il peut adveniraduenir
au rebours de mon sens, par où ils ayent à me faire reproche
de mon conseil: dDequoy il ne me chaut. Car ils auront tort,: &Et
cependant jeie n’ay peudeu leur refuser cest office.
JeIe n’ay guere a me prendre
de mes fautes ou infortunes
à autre que’a sur moi. Car en
jeie me guide moi sul. Et meeffaict jeie me
sers rarement des advisaduis
d’autrui si ce n’est par honeur
de ceremonie: sauf en ce ou
[Note (Mathieu Duboc) : Les deux versions de ce passage donnent :
1- sauf en ce ou il est requis estre instruit de la sciance du faict plus que du raisonement et discours il eschoit de la sciance ou de la conoissance du faict.
2- sauf ou j’ay besouin d’instruction de sciance ou de la cognoissance du faict.]
il est requis estre instruit due fai
la sciance du faict plus que
du raisonement et discours
il eschoitji’ay besouin d’instruction de la sciance ou de la
cognoissance du faict. Mais
és choses ou jeie n’ay a
emploier que le jugementiugement
et le discours, les raisons
estrangesres peuventpeuuent servirseruir
à m’appuier mais nullementpeu
à me destourner. jJeiIe les escoute
favorablementfauorablement & decemment
mais jeie n’en croi que les mienes.toutes.
Mais qu’il m’en souvienesouuiene
jeie n’en ai crueu jusquiusqu’asture
que les mienes. Selon moy
ce ne sont que mouches et atomes
qui promeinent ma volontéuolonté JeIe
prise peu mes opinions mais jeie
prise aussi peu celles des autres.
Fortune me païe dignement Si jeie done peune reçoi pas
ausde conseils d’a des autres les autres donent
encore moins aux miens Si quelcunOn s’en enquiert
c’est par acquit: et cela tresrarement
peu: et les reçoitventreçoituēt on encore moins du tout point ji’en done encores moins JI’en suis fort peu enquis
mais ji’en suis encore moins creu: et ne sache nulle entreprinse
d’autrui, publique ny priveepriuee que mon advisaduis
aie redressee et ramenee
. Ceus mesme
que la fortune y avoitauoit commis a ma conduiteaucunement atache se
sont laisses plus volontiersuolontiers manier plus tost para toute autre cervelleceruelle
que par la miene. Come celuy qui suis bien plus autantautāt
jalousialous des droits de mon repos que des droicts de mon
authoritè jeie l’aime bien mieus ainsi: pour estre deschargé
du gariement des succez: de leurs entreprinses. Quand
onjointioint qu’en me laisseantlaisseāt la, on faict selon ma profession, qui est de
[...]Me laissant la
on faict selon ma profession, qui est de m’establir et
contenir tout en moy. Ce m’est plaisir d’estre desinteresse des affaires
d’autrui & desgage de leur gariement.
En tous affaires
quand ils sont passés, comment que ce soit, ji’y ay peu de re-
gret: cCar cette imagination me met hors de peine, qu’ils de-
voyentde-
uoyent ainsi passer: lLes voyla dans le grand cours de l’universvniuers,
& dans l’encheineure des causes Stoïques,. vVostre fantasie n’en
peut, par souhait & imagination, remuer unvn point, que tout
l’ordre des choses ne renverserenuerse, & le passé & l’adveniraduenir. Au de-
meurant,: jeie hay cest accidental repentir que l’aage apporte.
Celuy qui disoit anciennement estre obligé aux années, de-
quoy elles l’avoyentauoyent deffaict de la volupté, avoitauoit autre opi-
nion que la mienne: jJeiIe ne sçauray jamaisiamais bon gré à l’impuis-
sance, de bien qu’elle me face.
Nec tam auersa
unquam uidebitur
ab opere suo prouidentia, ut
debilitas inter optima inuenta sit.
Nos appetits sont rares en la
LIVRE TROISIESME.356364
vieillesse,: unevne profonde satieté nous saisit apres: eEn cela jeie ne
voy rien de conscience: lLe chagrin, & la foiblesse, nous impri-
ment unevne vertu lache, & catarreuse. Il ne nous faut pas laisser
emporter si entiers, aux alterations naturelles, que d’en aba-
stardir nostre jugementiugemēt. La jeunesseieunesse & le plaisir, n’ont pas faict
autrefois que ji’aie m’escogneu le visage du vice, en la volupté:
nNy ne faict à cette heure, le degoust que les ans m’apportent,
que jeie mescognoisse celuy de la volupté, au vice. Ores, que jeie
n’y suis plus, ji’en jugeiuge comme si ji’y estoy:
Moi qui la secoue vifve=
mentuifue=
ment et attantifvementattantifuement
treuvetreuue que ma
mMa raison est celle
mesme que ji’avoyauoy en l’aage plus licencieux,: sSinon à l’avantu-
reauantu-
re, d’autant qu’elle s’est affoiblie & empirée, en viellissant.
: de s’enfourner a ce plaisiet treuvetreuue que ce qu’elle
refuse de s’m’enfourner a ce
plaisir en consideration de
l’interest de sma sante corpo=
relle elle ne le fairoit non
plus qu’autre fois pour la
santé spirituelle.
Pour la voir hors de combat, jeie ne l’estime pas plus valeu-
reuse. Mes tentations sont si cassées & mortifiées, qu’elles ne
valent pas qu’elle s’y oppose: tTandant seulement les mains
au devantdeuant, jeie les esconjureesconiure. Qu’on luy remette en testepresence, cette an-
cienne concupiscence,: jeie crains qu’elle auroit moins de force
à la soustenir, qu’elle n’avoitauoit autrefois. JeIe ne luy voy rien ju-
geriu-
ger a par soy, que lors elle ne jugeastiugeast,: il n’y any aucune nouvellenouuelle
clarté. Parquoy s’il y a convalescenceconualescence, c’est unevne convalescenceconualescence
maladifvemaladifuefievreusefieureusemaleficiee.
Miserable sorte
de remede, daevoirdaeuoir
sa santé a sa la
maladie sa santé.
Et Platon dict: mais
come en nous le reprochantreprochāt
que les maus et le voisinageuoisinage
de la mort nous serventseruent
d’instruction. Ce n’est pas à
au malheur nostre malheur
de faire cet office: c’est au bon
heur de nostre jugemantiugemant. On ne me
faict rien faire par les offanses
et afflictions que de les maudire. C’est aux
faire a gens qui ne s’eveillenteueillent
qu’a coups de foit. Ma raison
a bien la veuueu son cours plus
delivredeliure en la prosperite. Elle
est bien plus empresseedistrette aet occupee
a digerer les maus que les plaisirs.
JeIe voisuois bien plus cler en temps
serein. La sante m’advertitaduertit
etcome plus allegremant &aussi plus
utillemant que la maladie.
JeIe me suis avancéauancé le plus
que ji’ay peu versuers ma reparation
et reglemant lors que ji’avoisauois a
en jouiriouir. JeIe serois honteus &
envieusenuieus que la misere et desfortune de ma decrepitude eut a se preferer a mes
bones annees seines esveilléesesueillées vigoreusesuigoreuses. eEt qu’on eut a m’estimer non par ou ji’ay este
pmais par ou ji’ay cessé d’estre.
Ce n’est pas JI’estime queA mon advisaduis c’est le
vivreuiure hureusement non come disoit
Antisthenes le mourir hureusement
qui faict l’humaine felicite.
JeIe ne me suis pas atandu d’atacher monstrueusemant
la queue d’un philosophe a la teste et au corps d’un home perdu. Ny que ce chetif bout
eut a desadvouërdesaduouër et desmantir la plus belle entiere et longue partie de ma vieuie. JeIe
me veusueus presanter et faire voiruoir par tout uniformeemant.
Si ji’avoisauois a revivrereuiure jeie revivroisreuiurois
come ji’ay vescuuescu: ny jeie ne pleins le
passe, ny jeie ne creins l’adveniraduenir.
Et si jeie ne me deçois il
est alle [unclear]du dedans environenuiron come du dehors: C’est une des principales obligations
que ji’aye a ma fortune que le cours de ma vieuieon aye este conduit chaque chose en sa
estat corporel
seson. JI’en ai veuueu l’herbe et les fru fleurs et le fruit. et en voisuois la secheresse. HureusemantHureusemāt
puis que c’est naturellemant. JeIe porte bien plus doucemantdoucemāt les maus que ji’ay, d’autant
qu’ils sont en leur point. Et qu’ils me font aussi plus favorablemantfauorablemant souvenirsouuenir de la longue
felicité de ma vieuie passee. JeIe resigne donq ces reformations casuelles et
doleureuses. MaPareillement ma sagesse peut bien estre de mesme taille en l’unlun et en l’autrelautre temps.
Mais ell’estoit bien de plus d’exploit et de meillure grace verteuerte gaye naïfvenaïfue
Qu’elle n’est a presant: croupie grondeuse laborieuse. JeIe renonce donq a
ces reformations casuelles & douloureuses.
Il faut que Dieu nous touche le courage,: iIl faut
que nostre conscience s’amende d’elle mesme, par r’enforce-
ment de nostre raison, non par la defaillance’affoiblissement de nos forcesappetits. La
volupté n’en est en soy, n’y pasle ny descolorée, pour estre a-
perceuë par des yeux chassieux & troubles. On doibt aymer
la temperance par elle mesme, & pour le respect de Dieu qui
nous l’a ordonnéeordōnée, & la chasteté: cCelle que les catarres nous pre-
stent, & que jeie doibts au benefice de ma cholique, ce n’est ny
chasteté, ny temperance. On ne peut se vanter de mespriser &
combatre la volupté, si on ne la voit, si on l’ignore, & ses gra-
ces, & ses forces, & sa beauté, plus attrayante. JeIe cognoy l’unevne
& l’autre, c’est à moy à le dire: mMais il me semble, qu’enē la vieil-
lesse, nos ames sont subjectessubiectes à des maladies & imperfections
[364v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
plus importunes qu’en la jeunesseieunesse: jJeiIe le disois estant jeuneieune,: lors
on me donnoit de mon menton par le nez: jJeiIe le dis encores à
cette heure, que mon poil gris m’en donne le credit: nNous appel-
lons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des cho-
ses presentes: mMais à la verité nous ne quittons pas tant les vi-
ces, comme nous les changeons,: & à mon opinionopiniō, en pis. Ou-
tre unevne sotte & caduque fierté, unvn babil ennuyeux, ces hu-
meurs espineuses & inassociables, & la superstitionsuperstitiō, & unvn soin
ridicule des richesses, lors que l’usagevsage en est perdu, ji’y trouvetrouue
plus d’envieenuie, d’injusticeiniustice & de malignité. Elle nous attache plus
de rides en l’esprit qu’au visage: &Et ne se void point d’ames, ou
fort rares, qui en vieillissant, ne sentent à l’aigre & au moisi.
L’homme marche entier, vers son croist & vers son décroist.
A voiruoir la sagesse de
Socrates et plusieurs circons=
tances de sa condamnation
ji’oserois croire qu’il s’y presta aucunementaucunemēt
luy mesmes par discours se
[Note (Mathieu Duboc) : Voici une hypothèse de reconstitution des trois versions de ce passage :
1- par discours se sentant prevoiant entrer en decadance des forces de son discours et l’esblouissement de l’acostume clarte de son ame/esprit de quoi sa vieillesse l’estoit menaceant.
2- par prevarication prevoiant l’affoiblissement des allures acostumees de son discours eage de soixante et dix ans.
3- par prevarication et dessein: ayant de si pres, eage de soixante dix ans a souffrir l’engourdissement...]
sentant prevoiantpreuoiant entrer
en decadance des forces de son
discours et l’esblouis=
semant de l’acostumee clarte
de son ameesprit de quoi sa vieillesseuieillesse
l’estoit menaceantprevaricationpreuarication
a dessein: ayant de si pres,
l’affoiblissement des allures
acostumees eage de soixantesoixāte
& dix ans
a souffrir l’engour
dissement des ces riches allures
de son esprit & l’esblouissementlesblouissement
de sa clartè acostumee de quoi
le menaçoit sapar
le droit de la vieillesseuieillesse eagè
de septante ans.
Qu’ellesQuelles Metamorphoses luy voy-jeie faire tous les joursiours, en
plusieurs de mes cognoissans? c’C’est unevne violentepuissante maladie, &
qui se coule naturellement & imperceptiblement,: iIl y faut
grande provisionprouision d’estude, & grande precaution, pour evi-
tereui-
ter les imperfections qu’elle nous charge: ou aumoins affoi-
blir leur progrets[sic]. JeIe sens que nonobstant tous mes retran-
chemens, elle gaigne pied à pied sur moy: jJeiIe soustien tant que
jeie puis,: mMais jeie ne sçay en fin, ou elle me menera moy-mesme:
àA toutes avanturesauantures, jeie suis content qu’on sçache d’où jeie seray
tombé.
De trois commerces. CHAP. III.
IL ne faut pas se clouër si fort à ses humeurs & comple-
xionscōple-
xions. Nostre principalle suffisance, c’est, sçavoirsçauoir s’ap-
pliquer à diversdiuers usagesvsages. C’est estre, mais ce n’est pas
vivreviure que se tenir attaché, & obligé par necessité à unvn seul
train. Les plus belles ames sont celles, qui ont plus de varieté
& de soupplesse.
Voila un honorable
tesmouignage du vieusuieus
Caton: huic uersatile
ingenium sic pariter ad
omnia fuit, ut natumnatū ad id unum diceres quodcumquequodcūque ageret.
Si c’estoit à moy à me dresser à ma postemode, il
n’est aucune si bonne façon, ou jeie vouleusse estre plantéfiché, pour
ne
LIVRE TROISIESME.357365
ne m’en sçavoirsçauoir destournerdesprendre. La vie est unvn mouvementmouuement inegal,
irregulier, & multiforme. Ce n’est pas estre amy de soy, &
moins encore maistre, c’est en estre esclaveesclaue, de se suivresuiure inces-
samment, &Et estre si pris à ses inclinations, qu’on n’en puisse
fourvoyerfouruoyer, qu’on ne les puisse tordre. JeIe le dy à cette heure,
pour ne me pouvoirpouuoir facilement despestrer de l’importunité
de mon ame, en ce, qu’elle ne sçait communément s’amuser,
sinon ou elle s’empeche, ny s’employer, que entiere. Pour le-
bandee et
ger subjectsubiect qu’on luy donne, elle le grossit volontiers, & l’es-
tire, jusquesiusques au poinct ou elle ait à s’y embesongner de toute
sa force. Son oysifvetéoysifueté m’est à cette cause unevne penible occu-
pation, & qui offence ma santé. La plus part des esprits, ont
besoing de matiere estrangere, pour se desgourdir & exercer:
le mien en à besoing, pour se rassoir plustost & sejournerseiourner,
vitia otij negotio discutienda sunt: cCar son plus laborieux & prin-
cipal estude, c’est, s’estudier à soy.
Les livresliures sont pour
moiluy du genre des
occupations qui me
distrayentle
desbauchent de monson
estude et sans perte.
mais qui m’en distra[...]
distrayent sans perte.
Aux premieres penséespēséescogitations pensees qui
luy viennentviēnent, il s’agite, & faict preuvepreuue de sa vigueur à tout sens:
eExerce son maniement tantost vers la force, tantost vers l’or-
dre & la grace se modere et fortifie par son propre discours.. Il à dequoy se range esveilleresueiller ses facultez par luy mes-
me: nNature luy à donné comme à tous, assez de matiere sien-
ne, pour son utilitévtilité,. &Et de subjectssubiects propressiens assez, ou inventerinuenter
& jugeriuger.
Mon ame se sonde
se contrerolle: range
modere et fortifie ses
mouvemansmouuemans par ses discours
tout par tout ou ell’a loiy
d’entretenir ses pensees
propres: tout par tout
ou ell’a loi d’entretenir
ses pensees. Le mediter est
un puissant estude et plein, a
qui sçait se taster et emploier
vigoreusementuigoreusement. JI’aime mieux
faireforger mon ame que la meubler
et la grossir que la farcir Il
n’est point d’occupation ny
plus foible ny plus forte que
selon le subjectsubiect que celle
d’entretenir ses pansees
selon l’amelame que c’est. Les
plus grandes en font faict
autresfois leur vacationuacation
quibus uiuere est cogitare
Aussi ll’a nature favoriseefauorisee de ce privilegepriuilege
qu’il n’y a rien que nous puissions faire si
longtemps: ny action a laquelle nous nous
adonons plus ordinerement et facillement.
C’est la sbesouigne des Dieus dict Aristote
d’oudouque la contemplationcōtemplation de la quelle nait et leur beatitude et la nostre
La lecture me sert specialement a esveilleresueiller par
diversdiuers objectsobiects ma meditation.mon discours, et mettre mes estudespensees
a en mbesouigner non a remplircombler ma la memoiremon jugementiugement non
ma memoire.
Au pris de ce fruict & amendement essentiel, auquel
ilelle vise, ilelle faict peu de compte de l’estude qu’on employe à
charger & meubler sa memoire de la suffisance d’autruy. Peu
d’entretiens doncq m’arretent sans vigueur & sans effort:
iIl est vray que la gentillesse & la beauté, me remplissent & oc-
cupent, autant ou plus, que le pois & la profondeur. Et d’au-
tant que jeie sommeille en toute autre communication, & que
jeie n’y preste que l’escorce de mon attention,: il m’advientaduient
souventsouuent, en telle sorte de propos, rompusabatus & láches, sans pois
& sans grace, propos de contenance, de dire & respondre des
songes, & bestises, indignes d’unvn enfant, & ridicules,: oOu de me
ZZZz
[365v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tenir obstiné en silence,: plus ineptement encore & incivile-
mentinciuile-
ment. JI’ay unevne façon resveuseresueuse par fois, qui me retire à moy,
&Et d’autre part unevne lourde ignorance & puerile, de plusieurs
choses communes: pPar ces deux qualitez, ji’ay gaigné, qu’on
puisse faire au vray, cinq ou six contes de moy, aussi niais que
d’autre quel qu’il soit. Or suyvantsuyuant monmō propos,. cCette comple-
xion difficile, me rend delicat à la pratique des hommes,. iIl
me les faut trier sur le volet,. &Et me rend incommode aux
actions communes. Nous vivonsviuons, & negotions avecauec le peu-
ple,: si sa conversationconuersation nous importune, si nous desdaignons
à nous appliquer aux ames basses & vulgaires,: & les basses &
vulguaires sont souventsouuent aussi sagesreglees que les plus desliées,:
, plus sapit interdum
uulgus quia tantum
quantum opus est sapit,
& toute sapiance incommodeinsipide
qui ne s’accommode a l’insipiance
commune.
il ne
nous faut plus entremettre n’y de nos propres affaires ny de
ceux d’autruy: &Et les publiques & les privezpriuez se demeslent a-
veca-
uec ces gens la. Les moins tandues & plus naturelles alleures
de nostre ame, sont les plus belles: lLes meilleures occupations,
les moins efforcées. Mon Dieu, que la sagesse faict unvn bon of-
fice à ceux, de qui elle reglerange les desirs à leur puissance: iIl n’est
point de plus utilevtile sciencesciēce. Selon qu’on peut,: c’estoit le refrein
& le mot favoryfauory de Socrates: mMot de grande substance: iIl faut
addresser & arrester nos desirs, aux choses les plus aysées &
voisines. Ne m’est-ce pas unevne sotte humeur, de disconvenirdisconuenir
avecauec unvn milier à qui ma fortune me jointioint, de qui jeie ne me
puis passer, pour me tenir à unvn ou deux qui sont hors de mon
commerce: oOu plustost à unvn desir fantastique de chose, que
jeie ne puis recouvrerrecouurer? Mes meurs molles, ennemies de toute
aigreur & aspreté, peuventpeuuent aysément m’avoirauoir deschargé d’en-
viesen-
uies & d’inimitiez: dD’estre aimé, jeie ne dy, mais de n’estre point
hay, jamaisiamais homme n’en donna plus d’occasionoccasiō: mMais la froi-
deur de ma conversationconuersatiō, m’a desrobé avecauec raison, la bien-veil-
lance de plusieurs, qui sont excusables de l’interpreter à autre,
& pire sens.
Et certes meshui n’oserois
me pleindre d’estre aimè
si peu, en aimant si peu: et n’ayant par ci devantdeuant jamaisiamais failli d’estre aimé ou jamaisiamais en bon esciant
sans revanchereuanche.
JeIe suis tres-capable d’acquerir & maintenir des
LIVRE TROISIESME.358366
amitiez rares & exquises, dD’autant que jeie me harpe avecauec si
grande faim aux accointances qui reviennentreuiennent à monmō goust,: jeie
m’y produis, jeie m’y jetteiette si avidementauidement, que jeie ne faux pas ay-
sément de m’y attacher, & de faire impression ou jeie donne:
jJiI’en ay faict souvantsouuant heureuse preuvepreuue. Aux amitiez commu-
nes, jeie suis aucunement sterile & mol,froit. cCar mon aller n’est pas
naturel, s’il n’est à pleine voile. Outre ce, que ma fortune
m’ayant duit, & acoquinéaffriandy des jeunesseieunesse, à unevne amitié seule &
parfaicte, m’a à la verité aucunement desgouté des autres: &Et
trop imprimé en la fantasie, qu’elle est beste de compaignie,
non pas de troupe, comme disoit cet antien. Aussi, que ji’ay
naturellementnaturellemēt peine à me communiquer à demy,. &Et avecauec mo-
dification,: &Et cette servileseruile prudence & soupçonneuse, qu’on
nous ordonne, en la conversationconuersation de ces amitiés nombreuses,
& imparfaictes.: eEet nous l’ordonne l’on principalement en ce
temps, qu’il ne se peut parler du monde, que dangereusementdangereusemēt,
ou faucement. Si voy-jeie bien pourtant, que qui à comme
moy, pour sa fin, les commoditez de sa vie (jeie dy les commo-
ditez essentielles) doibt fuyr comme la peste, ces difficultez &
delicatesse d’humeur. JeIe louerois unvn’ame à diversdiuers estages,. qQui
sçache & se tendre & se desmonter,. qQui soit bien par tout ou
sa fortune la porte,. qQui puisse deviserdeuiser avecauec son voisin, de son
bastiment, de sa chasse & de sa querelle,. eEntretenir avecauec plai-
sir, unvn charpentiercharpētier & unvn jardinieriardinier: jJiI’envieenuie ceux, qui sçaventsçauent s’a-
privoisera-
priuoiser au moindre de leur suitte, & dresser de l’entretien en
leur propre train.
Et le conseil de Platon
ne me plait pas de parler
tousjourstousiours d’un parler
maistrisantlangage
maestral a ses servitursseruiturs
sanssans jeuieu sans familiarite sans
privautepriuaute soit enversenuers les
masles soit enversenuers les femelles.
Car outre ma raison il est
inhumain et injusticeeiniusticee tanttāt valoirualoir cette
de faire
telle quelle prerogativeprerogatiue de la
fortune: eEt les polices ou il se
souffre moins de disparite entre
les valetsualets & les maistres, me
semblentsēblent les plus aequitables.
Les autres s’estudient à eslancer & guinder
leur esprit,. mMoy a le rabaisser & coucher,. iIl n’est vicieux qu’en
extantion.:
Narras & genus Aeaci,
Et pugnata sacro bella sub Ilio,
Quo Chium pretio cadum
Mercemur, quis aquam temperet ignibus,
ZZZz ij
[366v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Quo praebente domum, & quota
Pelignis caream frigoribus, taces.
Ainsi comme la vaillance Lacedemonienne, avoitauoit besoing
de moderation, & du son doux & gratieux du jeuieu des flutes
pour la flatter en la guerre, depeur qu’elle ne se jettatiettat à la te-
merité, & à la furie: lLà ou toutes autres nations, ordinairementordinairemēt
employent des sons & des voix aigues & fortes, qui esmou-
ventesmou-
uent & qui eschauffent à outrance le courage des soldats: iIl
me semble de mesme, contre la forme ordinaire,: qQu’en l’usa-
gevsa-
ge de nostre esprit, nous avonsauons pour la plus part, plus besoing
de plomb, que d’ailes, de froideur & de repos, que d’ardeur
& d’agitation. Sur tout, c’est à mon gré bien faire le sot, que
de faire l’entendu, entre ceux qui ne le sont pas,. pParler tous-
jourstous-
iours bandé, favellarfauellar in punta di forchetta: iIl faut se desmettre au
train de ceux avecauec qui vous estes, & par fois affecter l’ignoran-
ceignorā-
ce: mMettez à part la force & la subtilité: eEn l’usagevsage commun,
c’est assez d’y reserverreseruer l’ordre: tTrainez vous au demeurant à
terre, s’ils veulent. Les sçavanssçauans chopent volontiersvolōtiers à cette pier-
re: iIls font tousjourstousiours parade de leur magistere, & sement leurs
livresliures par tout: iIls en ont en ce temps, entonné si fort les ca-
binets & oreilles des dames, que si elles n’en ont retenu la sub-
stance, aumoins elles en ont la mine: àA toute sorte de propos,
& matiere, pour basse & populaire qu’elle soit, elles se ser-
ventser-
uent d’unevne façon de parler & d’escrire, nouvellenouuelle & sça-
vantesça-
uante.,
Hoc sermone pauent, hoc iram, gaudia, curas,
Hoc cuncta effundunt animi secreta, quid vltra?
Concumbunt doctè,
EeEt alleguent Platon & Sainct Thomas, aux choses ausquel-
les le premier rencontré, serviroitseruiroit aussi bien de tesmoing: lLa
doctrine qui ne leur à peu arriverarriuer en l’ame, leur est demeurée
LIVRE TROISIESME.359367
en la langue. Si les bien-nées me croient, elles se contenteront
de faire valoir leurs propres & naturelles richesses: eElles cachentcachēt
& couvrentcouurent leurs beautez, soubs des beautez estrangeres: cC’est
grande simplesse, d’estouffer sa clarté pour luire d’unevne lumie-
re empruntée: eElles sont enterrées & enseveliesenseuelies soubs l’art. [Note (Mathieu Duboc) : Montaigne avait d’abord écrit : "soubs l’art de capsula totae" puis : "soubs l’art. De capsula Totae"]
C’est qu’elles ne se cognoissent point assez: lLe monde n’a rien
de plus beau: cC’est à elles d’honnorer les arts, & de farder le
fard. Que leur faut-il, que vivreviure aymées & honnorées? Elles
n’ont, & ne sçaventsçauent que trop, pour cela. Il ne faut qu’esveilleresueiller
unvn peu, & rechauffer les facultez qui sont en elles. Quand jeie
les voy attachées à la rhetorique, à la judiciaireiudiciaire, à la logique,
& semblables drogueries, si vaines & inutiles à leur besoing,
ji’entre en crainte, que les hommes qui le leur conseillent, le fa-
centfa-
cēt pour avoirauoir loy de les regenterregēter soubs ce tiltre.: CcCar quelleq̄lle autre
excuse leur trouveroistrouuerois-jeie? bBaste, qu’elles peuventpeuuent sans nous,
renger la grace de leurs yeux, à la gaieté, à la severitéseuerité, & à la
douceur: assaisonner unvn nenny de rudesse, de doubte, & de fa-
veurfa-
ueur, & qu’elles ne cherchent point d’interprete aux discours
qu’on faict pour leur serviceseruice. AvecAuec cette science, elles peuventpeuuent
commanderentcommanderēt à baguette, & regenterentregenterēt les regens & l’eschole. Si
toutesfois il leur fache de nous ceder en quoy que ce soit, &
veulentveulēt par curiosité, avoirauoir part aux livresliures, lLa poësie est unvn amu-
sement propre à leur besoin: cC’est unvn art follastre, & subtil, des-
guisé, parlier, tout en plaisir, tout en montre, comme elles. El-
les tireront aussi diversesdiuerses commoditez de l’histoire: eEn la phi-
losophie, de la part qui sert à la vie, elles prendront les discours
qui les dressent, à jugeriuger de nos humeurs & conditions, àA se def-
fendre de nos trahisons, àA regler la temerité de leurs propres
desirs, àA ménager leur liberté, aAlonger les plaisirs de la vie, &Et à
porter humainement l’inconstance d’unvn serviteurseruiteur, la rudesse
d’unvn mary, & l’importunité des ans, & des rides,: & choses sem-
blables. Voila pour le plus, la part que jeie leur assignerois aux
ZZZz iij
[367v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sciences. Il y à des naturels particuliers, retirez & internes: mMa
forme essentielle est propre à la communication, & à la pro-
duction: jJeiIe suis tout au dehors & en evidenceeuidence, nNay à la societé
& a l’amitié: lLa solitude que ji’ayme & que jeie presche,: ce n’est
principallement, que ramener a moy mes affections, & mes
pensées,: rRestreindre & resserrer, nonnō mes pas, maisains mes desirs &
mon soingsouci,: rResignant la solicitude estrangere, &Et fuyant mor-
tellement la servitudeseruitude, & l’obligation.
: eEt plus la pressenon tant la foule
des homes, que la
pressefoule des affaires.
La solitude locale, a di-
re verité, m’estantd plustost, & m’eslargit au dehors: jJeiIe me jetteiette
aux affaires d’estat, & a l’universvniuers, plus volontiers quand jeie suis
seul. Au LouvreLouure & en la pressefoule, jeie me resserre & contraincts en
ma peau.: LlLa foule me repousse a moy,: &Et ne m’entretiens ja-
maisia-
mais si folementfolemēt, si licentieusement & particulierementparticulieremēt, qu’aux
lieux de respect, & de prudence ceremonieuse,: nNos folies ne
me font pas rire, ce sont nos sagessespiances. De ma complexion, jeie
ne suis pas ennemy de l’agitation des cours, jJiI’y ay passé partie
de la vie,. &Et suis faict à me porter allegrement aux grandes com-
paigniescō-
paignies, pPourveupPourueu que ce soit par intervallesinterualles, & a mon poinct.
Mais cette mollesse de jugementiugement, dequoy jeie parle, m’attache
par force a la solitude,. vVoire chez moy, au milieu d’unevne famil-
le peuplée, & maison des plus frequentéesfrequētées,: jJiI’y voy des gensgēs assez,
mais rarement ceux, avecqauecq qui ji’ayme a communiquercōmuniquer: &Et jeie re-
servere-
serue la, & pour moy & pour les autres, unevne liberté inusitée: iIl
s’y faict trefvetrefue de ceremonie, d’assistance, & convoiemensconuoiemens, &
telles autres reglesordonences penibles de nostre courtoisie (ô la servileseruile &
importune usancevsance) chacun s’y gouvernegouuerne a sa mode, y entretiententretiēt
qui veut ses penséespēsées: jJeiIe m’y tiens muet, resveurresueur, & enfermé, sans
offence de mes hostes. Les hommeshōmes, de la societé & familiarité
desquels jeie suis en queste, sont ceux qu’on appelle honnestes
& habiles hommes: lL’image de ceux icy me degouste des au-
tres. C’est a le bien prendre, de nos formes, la plus rare: &Et for-
me qui se doit principallement a la nature. La fin de ce com-
LIVRE TROISIESME.360368
merce, c’est simplement la privautépriuauté, frequentation, & confe-
rence: lL’exercice des ames, sans autre fruit. En nos propos, tous
subjetssubiets me sont égaux: iIl ne me chaut qu’il y ait, ny poix, ny
profondeur,: lLa grace & la pertinence, y sont tousjourstousiours, tTout y
est teinct d’unvn jugementiugement meur & constant, &Et meslé de bonté,
de franchise, de gayeté & d’amitié. Ce n’est pas au subjectsubiect des
substitutions seulement, que nostre esprit montre sa beauté
& sa force, & aux affaires des Roys:. iIl la monstremōstre autantautāt aux con-
fabulations privéespriuées. JeIe connois mes gens au silence mesme, &
à leur soubsrire, &Et les descouvredescouure mieux à l’advantureaduanture à table,
qu’au conseil. Hyppomachus disoit bien, qu’il connoissoit les
bons luicteurs, à les voir simplement marcher par unevne ruë.
S’il plaist à la doctrine de se mesler a nos devisdeuis, elle n’en sera
point refusée,: nNon magistrale, imperieuse, & importune com-
me de coustume, mais suffragante & docile elle mesme. Nous
n’y cherchons qu’a passer le temps: aA l’heure d’estre instruicts
& preschez, nous l’irons trouvertrouuer en son throsne, qQu’elle se de-
mette à nous pour ce coup s’il luy plaist: cCar toute belleutille & de-
sirable qu’elle est, jeie presuppose, qu’encore au besoing, nous
en pourrions nous bien du tout passer, & faire nostre effect
sans elle. UneVne ame bien née, & exercée à la practique des hom-
mes, se rend plaeinement aggreable d’elle mesme. L’art n’est au-
tre chose que le contrerolle, & le registre des productions de
telles ames. C’est aussi pour moy, unvn doux commerce, que ce-
luy des honnestesbelles et honestes femmes & bien nées:Nam nos quoque oculos eruditos habemus. sSi l’ame n’y a pas tant à
jouyriouyr qu’au premier, les sens corporels qui participent aussi
plus à cettuy-cy, le ramenent à unevne proportionproportiō voisine de l’au-
tre, qQuoy que selon moy non pas esgalle. Mais c’est unvn com-
merce où il se faut tenir unvn peu sur ses gardes, &Et notamment
ceux en qui le corps peut beaucoup, comme en moy. JeIe m’y
eschauday en mon enfance, & y souffris quasi toutes les rages, que
les poëtes disent adveniraduenir à ceux, qui s’y laissent aller sans ordre
[368v]
ESSAIS DE M. DE MONT.
& sans jugementiugement. Il est vray que ce coup de fouet, m’a servyseruy
depuis d’instruction,
Quicunque Argolica de classe Capharea fugit,
Semper ab Euboicis vela retorquet aquis.
C’est folie d’y attacher toutes ses pensées, & s’y engager d’unevne
affection furieuse & indiscrette: mMais d’autre part, de s’y mesler
sans amour, & sans obligation de volonté, en forme de come-
diens, pour joueriouer unvn rolle commun, de l’aage & de la coustu-
me, & n’y mettre du sien que les parolles,: cC’est de vray pour-
voyerpour-
uoyer à sa seureté, mais bien láchement, cComme celuy qui a-
bandonneroit son honneur où son proffit, ou son plaisir, de
peur du dangerdāger: cCar il est certain, que d’unevne telle pratique, ceux
qui la dressent n’en peuventpeuuent esperer aucun fruict, qui touche
ou satisface unevne belle ame. Il faut avoirauoir en bon escient desiré,
ce qu’on veut prendre en bon escient plaisir de jouyriouyr: jJeiIe dy
quand injustementiniustement fortune favoriseroitfauoriseroit leur masque: cCe qui
advientaduient souventsouuent, à cause de ce qu’il n’y à aucune d’elles, pour
malotruë qu’elle soit, qui ne pense estre bien aymable,
qui ne se recomande
par sa taille son eage,
ou par son ris, ou par
son mouvemantmouuemāt, ou par
son trou: car d’exactemantexactemāt
laides, et universelemantuniuerselemāt,
il n’en est non plus, que
de belles: : et les filles
Brachmanes qui ont
faute d’autre reco=
mandation sont as
le peuple assamblé a
cri publiq pour cet effet
vont aenē la place faisant
montre de leurs parties
nobles,matrimoniales: voiruoir si par la
au moins, elles ne valentualēt
pas d’acquerir un mari.
Et
& qui
pPar consequent qui une qui ne se laisse il n’en est pas trop facilement persuader au pre-
mier serment, qu’on luy faict de la servirseruir. Or de cette trahison
commune & ordinaire des hommes d’aujourdauiourd’huy, il faut
qu’il advienneaduiēne, ce que desjadesia nous montremōtre l’experienceexperiēce, cC’est, qu’el-
les se r’alient & rejettentreiettent a elles mesmes, ou entre elles, pour
nous fuyr: oOu bien qu’elles se rengent aussi de leur costé, a cet
exemple que nous leur donnons, qQu’elles jouentiouent leur part de
la farce, & se prestent a cette negotiation, sans passion, sans
soing & sans amour.
: nNeque affectui
suo aut alieno
obnoxiae. EstimantEstimāt
suivantsuiuāt la persuasion
de la raison de Lysias
en Platon qu’elles se peuventpeuuent
adoner d’autantautāt plus
utilemant a nous
d’autant que moins
moins
nous les aimons n’en
somes pas amoureus et
commodeement a
nous, d’autant que moins nous les aimons.
Il en ira comme des comedies,: le peuple
y aura autant ou plus de plaisir que les comediens. De moy, jeie
ne connois non plus Venus sans Cupidon, qu’unevne maternité
sans engence: cCe sont choses qui s’entreprestent & s’entredoi-
vententredoi-
uent leur essence. Ainsi cette pipperie rejallitreiallit sur celuy qui la
faict: iIl ne luy couste guiere, mais il n’acquiert aussi rien qui
vaille.
LIVRE TROISIESME.361369
vaille. Ceux qui ont faict Venus Deesse, ont regardé que sa
principale beauté estoit incorporelle & spirituelle, mMais celle
que ces gens cy cerchent, n’est pas seulement humaine,. nNy
mesme brutale: lLes bestes ne la veulent si lourde & si terrestre.
Nous voyons que l’imagination & le desir les eschauffe sou-
ventsou-
uent, & solicite avantauant le corps: nNous voyons en l’unvn & l’autre
sexe, qu’en la presse, elles ont du chois & du triage en leurs af-
fections, &Et qu’elles ont entre-elles des accointances de longuelōgue
bienveuillancebienueuillance. Celles mesmes à qui la vieillesse refuse la for-
ce corporelle, fremissent encores, hannissenthānissent & tressaillent d’a-
mour. Nous les voyons avantauant le faict, plaeines d’esperance &
d’ardeur: &Et quand le corps à jouéioué son jeuieu, se chatouiller encor
de la douceur de cette souvenancesouuenance: &Et en voyons qui s’enflent
de fierté au partir de là, & qui en produisent des chants de fe-
ste & de triomphe,: lasses & saoules:. qQui n’a qu’a descharger
le corps d’unevne necessité naturelle, n’a que faire d’y embeson-
gner autruy, à tout des apprests si curieux,: cCe n’est pas viande à
unevne grosse & lourde faim. CommeCōme celuy qui ne demande point
qu’on me tienne pour meilleur que jeie suis, jeie diray cecy des er-
reurs de ma jeunesseieunesse: nNon seulement pour le danger qu’il y a,
de la santè, (si n’ai-jeie
sceu si bien faire, que jeie
n’en aie eus deus atteintes
mais legieres et pream=
bulaires:) toutesfois, et
preambulaires)
mais encores par mespris, jeie ne me suis guere adonné aux ac-
cointances venales & publiques, jJiI’ay voulu esguiser ce plaisir
par la difficulté, par le desir & par quelque gloire: &Et aymois la
façon de l’Empereur Tibere, qui se prenoit en ses amours, au-
tant par la modestie & noblesse, que par autre qualité: &Et l’hu-
meur de la courtisane Flora, qui ne se prestoit à moins queq̄ d’unvn
dictateur, ou consul, ou censeur, & prenoit son déduit, en la
dignité de ses amoureux: cCertes les veloursperles & le brocadel, y
conferent quelque chose, &Et les tiltres & le trein. Au demeu-
rant, jeie faisois grand conte de l’esprit, mais pourveupourueu que le
corps n’en fut pas à dire: cCar à respondre en conscience, si l’unevne
ou l’autre des deux beautez devoitdeuoit necessairement y faillir,
AAAAa
[369v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ji’eusse choisi de quitter plustost la spirituelle: eElle à son usagevsage
en meilleures choses: mMais au subjectsubiect de l’amour, subjectsubiect qui
principallement se rapporte à la veue & à l’atouchement,: on
faict quelque chose sans les graces de l’esprit, rien sans les gra-
ces corporelles. C’est le vray avantageauātage des dames que
la beaute. La nostre
elle est si leur, que la
nostre quoi qu’elle desire
des traicts un peu autres,
n’est en sa fleur,son poinct, que
confuse aveqaueq la leur puerile et
imberbe. On dict que ches
le grand seignur ceus qui
le serventseruent sous tiltre de
beaute qui sont en nombre
infini ont leur conge exacte=
mentau plus loin a vintuint et deus ans.
le corps:
lLes discours, la prudenceprudēce, & les offices d’amitié, se trouventtrouuēt mieux
chez les hommes: pPourtant gouvernentgouuernent-ils les affaires du mon-
demō-
de. Ces deux commerces sont fortuites, & despendans d’au-
truy: lL’unvn est ennuyeux par sa rareté, lL’autre se flestrit avecauec l’aa-
ge: aAinsin ils n’eussent pas assez prouveuprouueu au besoing de ma vie.
Celuy des livresliures, qui est le troisiesme, est bien plus seur & plus
à nous. Il cede aux premiers les autres avantagesauantages, mMais il a pour
sa part la constance & facilité de son serviceseruice: cCettuy-cy costoie
tout mon cours, & m’assiste par tout: iIl me console en la vieil-
lesse & en la solitude: iIl me descharge du pois d’unevne oisivetéoisiueté
ennuyeuse: &Et me deffaict à toute heure, des compaignies, qui
me faschentfaschēt: iIl emousse les pointures de la douleur, si elle n’est
du tout extreme & maistresse: pPour me distraire d’unevne imagi-
nation importune, il n’est que de recourir aux livresliures, iIls me de-
stournent facilement à eux, & me la desrobent: &Et si ne se mu-
tinentmu-
tinēt point, pour voir que jeie ne les recherche, qu’au deffaut de
ces autres commoditez, plus reelles, vivesviues & naturelles: iIls me
reçoiventreçoiuēt tousjourstousiours de mesme visage. Il a beau aller à pied, dit-
on, qui meine son chevalcheual par la bride: &Et nostre JacquesIacques Roy
de Naples, & de Sicile, qui beau, jeuneieune, & sain, se faisoit porter
par pays en civiereciuiere, couché sur unvn meschant oriller de plume,
e
vestu d’unevne robe de drap gris, & unvn bonnet de mesme,: suyvysuyuy
ce pendant d’unevne grande pompe royalle, lictieres, chevauxcheuaux à
main, de toutes sortes, gentils-hommes, & officiers,: represen-
toit unevne austerité tendre encores & chancellante: lLe malade
n’est pas à plaindre, qui à la guarison en sa manche. En l’expe-
LIVRE TROISIESME.362370
rience & usagevsage de cette sentence, qui est tres-veritable, consi-
ste tout le fruict que jeie tire des livresliures. JeIe ne m’en sers en effect,
quasi non plus que ceux qui ne les cognoissent poinct: jJiI’en
jouysiouys comme les avaritieuxauaritieux des tresors, pour sçavoirsçauoir que ji’en
jouyrayiouyray quand il me plaira: mMon ame se rassasie & contente
de ce droict de possession. JeIe ne voyage sans livresliures, ny en paix,
ny en guerre. Toutesfois il se passera plusieurs joursiours, & des
mois, sans queq̄ jeie les employe: cCe sera tantost, fais-jeie, ou demain,
ou quand il me plaira: lLe temps court & s’en va ce pendant,
sans me blesser. Car il ne se peut dire combien jeie me repose,
& sejourneseiourne, en cette consideration, qu’ils sont à mon costé
pour me donner du plaisir à mon heure: &Et à reconnoistre,
combien ils portent de secours à ma vie: cC’est la meilleure
munition que ji’aye trouvétrouué à cet humain voyage, &Et plains
extremement les hommes d’entendement, qui l’ont à dire.
JI’accepte plustost toute autre sorte d’amusement, pour leger
qu’il soit, dD’autant que cettuy-cy ne me peut eschapperfaillir. Chez
moy, jeie me destourne unvn peu plus souventsouuent à ma librairie, d’où
tout d’unevne main, jeie commande à mon mesnage:. jJeiIe suis sur
l’entrée, & vois soubs moy, mon jardiniardin, ma basse court, ma
court, & dans la pluspart des membres de ma maison. Là, jeie
feuillette à cette heure unvn livreliure, à cette heure unvn autre, sans
ordre & sans dessein, à pieces descousues: tTantost jeie resveresue,
tantost ji’enregistre & dicte, en me promenant, mes songes,
que voicy.
Elle est au troisiesme estage d’unevne tour. Le premier, c’est ma chapelle, le second unevne chambre & sa suitte, où jeie me
couche souventsouuent, pour estre seul. Au dessus, elle a unevne grande garderobe. C’estoit au temps passé, le lieu plus inutile de ma
maison. JeIe passe la et la plus part des joursiours de ma vieuie et la plus part des hures du jouriour. JeIe n’y suis jamaisiamais la nuit. A sa
suite est un cabinet asses poli, capable a recevoirreceuoir du fu pour l’hiverhiuer, tresplaisammant percé. Et si jeie ne creignois non
plus qui le soin que la despance: le soin qui me chasse de toute besouigne: ji’ye pouvoispouuois facilemant coudre a chaque
coste une galerie de cent pas de long et vintuintdouse de large, a plainplein pied, aïant trouvetrouue tous les murs montez a la
pour autre usage, a la hauteur qu’il me faut. Tout lieu retirè requiert un promenoir. Mes pensees dorment si
jeie les assis. Mon esperit ne vaua si les jambesiambes ne l’agitent. Ceus qui estudient sans livreliure en sont tous la. La
figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut a ma table et a mon siege. et vientuient m’offrant en se
courbant, d’une veueueue, tous mes livresliures, rengez a cinq degrez tout a l’environenuiron. Ell’a trois veuesueues de riche et
libre prospet, et sese pas de vuideuuide en diamettre. En hiverhiuer ji’y suis moins continuellemant: car ma maison
est jucheeiuchee sur un tertre, come dict son nom: et n’a point de piece plus esvanteeesuantee que cetecy: qui me plait
d’estre un peu penible et a l’escart: tant pour le fruit de l’exercice: que pour reculer de moi la presse. C’est
là mon siege. J’essaieIessaie a m’en rendre la domination pure. et a dist soustraire ce sul coin a la communaute et
conjugaleconiugale et filiale et civileciuile. Partout ailleurs jeie n’ai qu’une authorité verbaleuerbale: en essance, confuse.
Miserable a mon gre, qui n’a ches soi ou estre a soiy: ou se faire
particulieremantparticulieremāt la court: a soi mesmes, ou se cacher. L’ambition
païe bien ses gens, de les tenir tousjourstousiours en montre, come la statue d’un
marche:marchè. Magna seruitus est magna fortuna. iIls n’ont pas sulemant leur retret pour retrete. JeIe n’ai rien
jugèiugè de si rude en l’austeritèlausteritè de vieuie que nos religieus affectent,
que ce que jeie voisuois en quelcune de leurs compaignies aAvoiraAuoir pour regle,
une perpetuelle societè de lieu: et assistance universeuniuerse nombreuse,
des uns aus autresentre eus, en quelque action que ce soit. Et treuvetreuue
aucunemant plus supportable d’estre tousjourstousiours sul, que ne le
pouvoirpouuoir jamaisiamais estre.
Si quelqu’unvn me dict, que c’est avillirauillir les muses de
s’en servirseruir seulement de jouetiouet, & de passetemps, il ne sçait pas
comme moy, combien vaut le plaisir: jeuieu et le passetemps. le àA peine que jeie ne die
toute autre fin estre ridicule. JeIe vis du jouriour à la journéeiournée, &Et par-
lant en reverencereuerence, ne vis que pour moy: mMes desseins se ter-
minent là. JI’estudiay jeuneieune, pour l’ostentation,: dDepuis, unvn peu,
pour m’assagir,: àA cette heure, pour m’esbatre,: jJamaisiIamais, pour le
AAAAa ij
[370v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gain:.quest. uUnevVne humeur vaine & despensiere que ji’avoisauois, apres cette
sorte de meuble non pour en pourvoirpouruoir sulement mon besouin: mais de trois pars au dela, pour m’en tapisser & parer,
pour en assambler de
toutes manieres au
serviceseruice commun, sans respect qu’ilsquils
ne fussent a moi de nul’aucun
usage peussent estre a
moi d’aucun usageinutiles au mien
particulier des quatre
pars les trois
jeie l’ay pieça aban-
donnéeabā-
donnée. Les livresliures ont beaucoup de qualitez aggreables, à
ceux qui les sçaventsçauent choisir: mMais aucun bien sans peine: cC’est
unvn plaisir qui n’est pas net & pur, non plus que les autres: iIl a
ses incommoditez, & bien poisantes: lL’ame s’y exerce, mMais le
corps, duquel jeie n’ay non plus oublié le soing, demeure ce
pendant sans action, s’atterre & s’attriste. JeIe ne sçache excez
plus dommageable pour moy, ny plus à evitereuiter, en cette decli-
naison d’aage. Voila mes trois occupations favoriesfauories & parti-
culieres: jJeiIe ne parle point de celles que jeie doibs au monde par
obligation civileciuile.
De la diversiondiuersion. CHAP. IIII.
JI’AY autresfois esté emploié à consolercōsoler unevne dame vraie-
mentvraie-
mēt affligée: cCar la plus part de leurs deuils sont artifi-
ciels & ceremonieux.:
Vberibus semper lachrimis sempérque paratis,
In statione sua, atque expectantibus illam
Quo iubeat manare modo.
On y procede mal, quand on s’oppose à cette passionpassiō: cCar l’op-
position les pique & les engage plus avantauant à la tristesse: oOn ex-
aspere le mal par la jalousieialousie du debat: nNous voyons, des pro-
pos communs, que ce que ji’auray dict sans soing, si on vient à
me le contester, jeie m’en formalise, jeie l’espouse: bBeaucoup plus
ce à quoy ji’aurois interest. Et puis en ce faisant, vous vous
presentés à vostre operation d’unevne entrée rude: lLa où les
premiers accueils du medecin enversenuers son patient, doiventdoiuent
estre gracieux, gays, & aggreables: &Et jamaisiamais medecin laid, &
rechigné n’y fit oeuvreoeuure. Au contraire doncq, il faut ayder
d’arrivéearriuée & favoriserfauoriser leur plaincte, & en tesmoigner quelque
approbationapprobatiō & excuse. Par cette intelligenceintelligēce, vous gaignez credit
LIVRE TROISIESME.363371
à passer outre, &Et d’unevne facile & insensible inclination, vous
vous coulez aus discours plus fermes & propres à leur gueri-
son. Moy, qui ne desirois principalement que de piper l’assi-
stance, qui avoitauoit les yeux sur moy, m’advisayaduisay de plastrer
le mal. Aussi me trouvetrouue-jeie par experienceexperiēce avoirauoir mauvaisemauuaise main
& infructueuse à persuader,. quand il y a resistance. Où jeie pre-
sente mes raisons trop pointues & trop seiches: oOu trop brus-
quement, oOu trop nonchalamment. Apres que jeie me fus ap-
pliqué bonne pieceun temps à son tourment, jeie n’essayai pas de le gua-
rir par fortes & vivesviues raisons, pPar ce que ji’en ay faute, ou que
jeie pensois autrement faire mieux mon effect:
Ny n’alai choisissant
les diversesdiuerses manieres que
la philosofie prescrit a
consoler. Que ce qu’on p
pleint n’est pas mal, come
Cleanthes. Que c’est un
legier mal, comes les Peripa=
teticiens. Que ce pleindre
n’est pas un’action ny justeiuste ny
louable., come Chrisippus. Ny cetteci d’Epi=
curus plus voisineuoisine dea mon
stile de transferer la pensee
des choses facheuses aux
plaisantes Ny faire une
charge de tout cet amas
le dispensant par occasion
come Cicero.
mMais declinant
tout mollement noz propos, & les gauchissant peu à peu aus
subjectssubiects plus voisins,: & puis unvn peu plus esloingnez, selon
qu’elle se prestoit plus à moy, jeie luy desrobay imperceptible-
ment cette pensée doulereuse, & la tins en bonne contenance
& du tout r’apaisée autantautāt que ji’y fus. JI’usayvsay de diversiondiuersion. Ceux
qui me suyvirentsuyuirent à ce mesme serviceseruice, n’y trouverenttrouuerent aucun
amendement, car jeie n’avoisauois pas porté la coignée aux racines.
⁁
A l’avantureauanture ai
jeie touchè ailleurs
quelque espece de
diversionsdiuersions publiques.
Et l’usagelusage des militai=
res de quoi se servitseruit
Pericles en la guerre
Peloponessiaque et
Scipion contre Han=
nibal et mille autres
ailleurs pour revoquerreuoquer
de leur païs les forces
contreres est trop
frequant aus histoires.
Ce fut unvn ingenieux destour, dequoy le Sieur de Himber-
court sauvasauua & soy & d’autres, en la ville du Liege: oOu le Duc
de Bourgoigne, qui la tenoit assiegée, l’avoitauoit fait entrer, pour
executer les convenancesconuenances de leur reddition accordée. Ce peu-
ple assemblé de nuict pour y pourvoirpouruoir, print à se mutiner con-
trecō-
tre ces accords passez: & se delibererent plusieurs, de courre
sus aux negotiateurs qu’ils tenoyent en leur puissance. Luy,
sentant le vent de la premiere ondée de ces gens, qui venoyentvenoyēt
se ruer en son logis, lácha soudain vers eux, deux des habitans
de la ville, (car il y en avoitauoit aucuns avecauec luy) chargez de plus
douces & nouvellesnouuelles offres, à proposer en leur conseil,: qu’il a-
voita-
uoit forgées sur le champ, pour son besoing. Ces deux arreste-
rent la premiere tempeste, ramenant cette tourbe esmeüe en
la maison de ville, pour ouyr leur charge & y deliberer. La
AAAAa iij
[371v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
deliberation fut courte: vVoicy desbonder unvn second orage,
autantautāt animé que l’autre: &Et luy à leur despecher en teste, quat-
tre nouveauxnouueaux & semblables intercesseurs, protestans avoirauoir à
leur declarer à ce coup, des presentationspresentatiōs plus grasses, du tout à
leur contentementcontētement & satisfactionsatisfactiō: pPar ou ce peuple fut derechef
repoussé dans le conclaveconclaue. Somme, que par telle dispensation
d’amusemens, divertissantdiuertissant leur furie, & la dissipant en vaines
consultations, il l’endormit en fin, & gaigna le jouriour, qui estoit
son principal affaire. Cet autre compte est aussi de ce predi-
cament. Atalante fille de beauté excellente, & de merveilleu-
semerueilleu-
se disposition, pour se deffaire de la presse de mille poursui-
vantspoursui-
uants, qui la demandoient en mariage, leur donna cette loy,
qQu’elle accepteroit celuy qui l’egualeroit à la course, pour-
veupour-
ueu que ceux qui y faudroient, en perdissent la vie: iIl s’en trou-
vatrou-
ua assez, qui estimerent ce pris digne d’unvn tel hazard, & qui
encoururentencoururēt la peine de ce cruel marché. Hyppomenes ayant à
faire son essay apres les autres, s’adressa à la deesse tutrisse de
cette amoureuse ardeur, l’appellant à son secours, qQui exauçantexauçāt
sa priere le fournit de trois pommes d’or, & de leur usagevsage. Le
champ de la course ouvertouuert, à mesure que Hippomenes sent
sa maistresse luy presser les talonstalōs, l il’aisse eschapper, comme par
inadvertanceinaduertāce, l’unevne de ces pommes,: lLa fille amusée de sa beauté,
ne faut point de se destourner pour l’amasser,
Obstupuit virgo, nitidique cupidine pomi
Declinat cursus, aurumque volubile tollit.
Autant en fit-il à son poinct, & de la seconde & de la tierce,
jJusquesiIusques à ce que par ce fourvoyementfouruoyement & divertissementdiuertissement, l’ad-
vantagead-
uantage de la course luy demeura. Quand les medecins ne
peuventpeuuent purger le catarre, ils le divertissentdiuertissent, & le desvoyentdesuoyent
à unevne autre partie moins dangereuse. JeIe m’apperçoy que c’est
aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l’ame.
Abducendus etiam
nonnunquamnon̄unquam animus est
ad alia studia solicitu=
dines curas negotia.
Loci denique mutatione
tanquam aegroti non conualescentes saepe curandus est.
On luy
faict peu choquer les maux de droit fil: oOn ne luy en faict ny
LIVRE TROISIESME.364372
soustenir ny rabatre l’ateinte: oOn la luy faict decliner & gau-
chir. Cette autre leçon est trop haute & trop difficile. C’est à
faire à ceux de la premiere classe, de s’arrester purement à la
chose, la considerer, la jugeriuger. Il apartient à unvn seul Socrates,
d’accointer la mort d’unvn visage ordinaire, s’en aprivoiserapriuoiser &
s’en joueriouer: iIl ne cherche point de consolation hors de la cho-
se: lLe mourir luy semble accident naturel & indifferent: iIl fi-
che la justementiustement sa veüe, & s’y resoult, sans regarder ailleurs.
Les disciples de Hegesias, qui se font mourir de faim, eschauf-
fez des beaux discours de son oraison:ses leçons
et si dru que le Roy
Ptolemaee luy fit
desfandre d’entretenir
plus son escole de ces
mortels homicides
discours.
cCeux la ne considerent
point la mort en soy, ils ne la jugentiugent point: cCe n’est pas là ou
ils arrestent leur pensée,: ils courent, ils visent à unvn estre nou-
veaunou-
ueau. Ces pauvrespauures gens, qu’on void sur unvn eschafaut, remplis
d’unevne ardente devotiondeuotion, y occupant tous leurs sens, autant
qu’ils peuventpeuuent,: les aureilles aux instructions qu’on leur
donne,: les yeux & les mains tendues au ciel,: la voix à des
prieres hautes, avecauec unevne esmotion aspre & continuelle, font
certes chose louable & convenableconuenable à unevne telle necessité.
On les doibt louer de religion: mais non proprement de con-
stancecō-
stance. Ils fuyent la luicte: iIls destournent de la mort leur con-
siderationcō-
sideration, cComme on amuse les enfans pendant qu’on leur
veut donner le coup de lancette. JI’en ay veu, si par fois leur
veuë se ravaloitraualoit à ces horribles aprests de la mort, qui sont au-
tour d’eux, s’en transir & rejetterreietter avecauec furie ailleurs leur pen-
sée. A ceux qui passent unevne profondeur effroyable, on ordon-
ne de clorre ou destourner leurs yeux.
. Subrius FlaviusFlauius
aiant par le
comandemant de
Neron a estre
desfaict et par
les mains de Niger
tous deus chefs de
guerre: quand on
le mena au champ
ou il devoitdeuoit e de
l’executionlexecutionou l’execution devoitdeuoit estre
faicte, voiantuoiant
le trou que Niger
avoitauoit faict cavercauer
pour le mettre, inegal
et mal formé: ny cela
mesme dict il se
tournant aus soldats
qui y assistoint, n’est
selon la discipline
militere. Et a Niger
qui l’exhortoit de
tenir la teste ferme
frapasses tu sulemant
aussi ferme. luy dict
il Et divinadiuina bien
car lae mainbras tremblant
a Niger il la luy coupa
a diversdiuers coups. Cetuy-cy
semble bien avoirauoir eu sa pensee droi=
temant en la matiere et fixement
en la matiere au subjectsubiect.
Celuy qui meurt en la
meslée, les armes à la main, il n’estudie pas lors la mort, il ne la
sent, ny ne la considere: l’ardeur du combat l’emporte. UnVn
honneste homme de ma cognoissance, estantestāt tombé en com-
batant en estacade,: & se sentant daguer à terre par son enne-
my, de neuf ou dix coups, chacun des assistans luy criant qu’il
estoit mort, & qu’il pensat à sa conscience, me dict depuis,
[372v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’encore que ces voix luy vinsent aux oreilles, elles ne l’a-
voienta-
uoient aucunement touché, & qu’il ne pensa jamaisiamais qu’a se
descharger & à se venger: iIl tua son homme en ce mesme
combat.
Celuy Beaucoup fit pour L. Syllanus, celuy qui luy apporta sa condamnation: de ce qu’
aiant ouï sa responce: qu’il estoit bien prepare a mourir, mais non pas de mains murtrieresscelerees, se ruant
sur luy aveqaueq ses soldats pour le forcer, et luy tout desarme se desfandant obstineemant de pouingspouīgs
& de pieds, le tua en cettefit mourir en ce debat: dissipant en prompte cholere et tumultuere, le
sentimant d’une penible d’une mort longue et preparee, a quoi il estoit destiné.
Nous pensons tousjourstousiours ailleurs: lL’esperance d’unevne
meilleure vie nous arreste & appuye:, oOù l’esperance de la va-
leur de nos enfans, oOu la gloire future de nostre nom, oOu la
fuite des maux de cette vie, oOu la vengeance qui menasse ceux
qui nous causent la mort,
Spero equidem mediis, si quid pia numina possunt,
Supplicia hausurum scopulis, & nomine Dido
Saepe vocaturum.:
Audiam, & haec manes veniet mihi fama sub imos.
Xenophon sacrifioit
coronè quand on luy
vintuint anoncer la mort
de son filx Gryllus en
la bataille de
Mantinee Au
premier sentimantsentimāt
de cette nouvellenouuelle
il jettaietta a terre
sa corone
mais par
la suite
du propos entan=
dantentā=
dant la forme
d’une mort
tresvalureuseretresualureuseretresvalureuse
il l’amassa sa
corone et remit
sur sa teste.
Epicurus mesme se console en sa fin, sur l’eternité & utilitévtilité de
ses escrits:
Omnes clari et nobilitati
labores fiunt tolerabiles.
Et la mesme plaïe le mesme
travailtrauail ne poise pas dict
Xenophon a un general d’ar=
mee qu’a come a un soldat. Epa
minondas print sa mort
bien plus alegremant
ayant este informe que la
victoire estoit demuree
de son coste. Haec sunt
solatia haec fomenta
summorum dolorum
Et telles autres circons=
tancescircōs=
tances nous amusent
divertissentdiuertissent & destournent de
[...]la consideration
de la chose en soi.
Voire les argumants de
la philosofie vontuont a tous coups
costoiant et gauchissant
la matiere : et a peine
essuiant sa croute. Le
premier home de la
premiere escole philo
sophique et surintendante
des autres: ce grand
[Note (Mathieu Duboc) : Cette addition était à l’origine insérée après les deux lignes imprimées biffées : "Et telles autres...de la chose en soy."]
⁁ Les argumants de
l’escolelescole vontuont a tous
coups costoiant la
matiere et n’y donent
pas: A peine visentuisent
ils a la croute. Zenon
contre la mort. Nul
mal n’est honorable,
la mort l’est: elle
n’est donq pas mal.
Contre l’ivrouigne=
rieiurouigne=
rie. Nul ne fie son
secret a l’ivrouigneiurouigne,
chacun le fie au
sage, le sage ne sera
donq pas ivrouigneiurouigne.
Cela est ce viseruiser
donner au blanc Mais
de ceus icy sones disciples
aont certes raison de
se moquer. JI’eime a
voiruoir ces grandes [unclear]
ames et excellantes
nigauder a leur tour:
etprincipalles ne se pouvoirpouuoir
entieremant desprendre
de nostre consorce.
Tant parfaicts homes
qu’ils soient ce sont
tousjourstousiours bien lourde
mant des homes.
&Et telles autres circonstances nous amusent, diver-
tissentdiuer-
tissent & destournent, de la consideration de la chose en soy.
C’est unevne douce passion que la vengeance, de grande impres-
sion & naturelle: jJeiIe le voy bien, encore que jeie n’en aye aucune
experience: pPour en distraire dernierement unvn jeuneieune prince,
jeie ne luy allois pas disant, qQu’il falloit prester la jouёiouё à celuy
qui vous avoitauoit frappé l’autre, pour le devoirdeuoir de charité: nNy ne
luy allois representer les tragiques evenementseuenemēts que la poёsie
attribue à cette passion. JeIe la laissay la,: & m’amusay à luy faire
gouster la beauté d’unevne image contraire: l’honneur, la faveurfaueur,
la bien-veillance qu’il acquerroit par clemence & bonté: jJeiIe le
destournay à l’ambition. Voyla commeentcommeēt on en faict. Si vostre
affection en l’amour est trop puissante, dissipez la, disent ils,
&Et disent vray, car jeie l’ay souvantsouuant essayé avecauec utilitévtilité: rRompez la
à diversdiuers desirs,. dDesquels il y en ayt unvn regent & unvn maistre, si
vous voulez, mMais depeur qu’il ne vous gourmande & tyran-
nisetyrā-
nise, affoiblissez le, sejournezseiournez le, en le divisantdiuisant & divertis-
santdiuertis-
sant.,
Cum
LIVRE TROISIESME.365373
Cum morosa vago singultiet inguine vena,
Coniicito humorem collectum in corpora quaeque.
Et pourvoyezpouruoyez y de bonne heure, de peur que vous n’en soyez
en peine, s’il vous à unevne fois saisi,
Si non prima nouis conturbes vulnera plagis,
Volgiuagaque vagus venere ante recentia cures.
JeIe fus autrefois touché d’unvn puissant desplaisir, selon ma com-
plexion,: &Et encores plus justeiuste que puissant: jJeiIe m’y fusse perdu
à l’avantureauanture, si jeie m’en fusse simplement fié à mes forces. AyantAyāt
besoing d’unevne vehemente diversiondiuersion pour m’en distraire, jeie me
fis par art amoureux, & par estude, à quoy l’aage m’aidoit lL’a-
mour me soulagea & retira du mal, qui m’estoit causé par l’a-
mitié. Par tout ailleurs de mesme: uUnevVne aigre imagination me
tient, jeie trouvetrouue plus court, que de la dompter, la changer: jJeiIe
luy en substitue, si jeie ne puis unevne contraire, au moins unvn’autre:
tTousjourstTousiours la variation soulage, dissout & dissipe: sSi jeie ne puis
la combatre, jeie luy eschape: &Et en la fuyant, jeie fourvoyefouruoye, jeie
ruse: mMuant de lieu, d’occupation, de compaignie, jeie me sau-
vesau-
ue dans la presse d’autres amusemens & pensées, ou elle perd
ma trace, & m’esgare. Nature procede ainsi, par le benefice de
l’inconstance: cCar le temps, qu’elle nous à donnédōné pour souve-
rainsouue-
rain medecin de nos passionspassiōs, gaigne son effaict principalementprincipalemēt
par la, queq̄ fournissant autres & autres affaires à nostre imagina-
tion, il demesle & corrompt cette premiere apprehension,
pour forte qu’elle soit:. uUnvVn sage ne voit guiere moins, son amy
mourant, au bout de vint & cinq ans, qu’au premier an,
et suivantsuiuant Epicurus
de rien moins. Car il
iugeoitiugeoit que ny la praemedi=
tation n’allegeoit le mal
ny la vieillesseuieillesse quicar il
n’attribuoit aucun
leniment des facheries
ny a la prevoiancepreuoiance ny
a la vieillesseuieillesse d’icelles.
mMais
tant d’autres cogitationscogitatiōs traversenttrauersent cette-cy, qu’elle s’alanguit,
& se lasse en fin. Pour destourner l’inclination des bruits com-
munscō-
muns, Alcibiades coupa les oreilles & la queue à son beau
chien, & le chassa en la place: aAfin que donnant ce subjectsubiect pour
babiller au peuple, il laissat en repospaix ses autres actions. JI’ay veu
aussi, pour cet effect de divertirdiuertir les opinions & conjecturesconiectures
BBBBb
[373v]
ESSAIS DE M. DE MONTA.
du peuple, & desvoyerdesuoyer les parleurs, des femmes couvrircouurir leurs
vrayes affections par des affections contrefaictes. Mais ji’en ay
veu telle qui en se contrefaisant s’est laissée prendre à bon es-
cient, &Et à quitté la vraye & originelle affection pour la fein-
te: &Et aprins par elle, que ceux, qui se trouventtrouuent bien logez, sont
des sots de consentir à ce masque. Les acueilss acceuils & entretiensentretiēs pu-
bliques estans reservezreseruez à ce serviteurseruiteur aposté, croyez qu’il n’est
guere habile, s’il ne se met en fin en vostre place, & vous chas-
seenvoieenuoie en la sienne.
Cela c’est proprement tailler
& coudre un soulier pour
qu’un autre le chausse.
Peu de chose nous divertitdiuertit & destourne: car
peu de chose nous tient. Nous ne regardons gueres les sub-
jectssub-
iects en gros & seuls: cCe sont des circonstances ou des images
menues & superficieles qui nous frapent, &Et des vaines escor-
ces qui rejalissentreialissent des subjectssubiects,
Folliculos vt nunc teretes aestate cicadae
Linquunt,.
Plutarque mesme, regrette sa fille par des singeries de son en-
fance. Le souvenirsouuenir d’unvn adieu, d’unevne action, d’unevne grace parti-
culiere, d’unevne recommandation derniere, nous afflige. La
robe de Caesar troubla toute Romme, ce que sa mort n’avoitauoit
pas faict. Le son mesme des noms, qui nous tintoüine aux o-
reilles: mMon pauvrepauure maistre, ou mon grand amy, hHelas mon
cher pere, ou ma bonne fille: qQuand ces redites me pinsent,
& que ji’y regarde de pres, jeie trouvetrouue que c’est unevne plainte gram-
mairienegrā-
mairiene, & que ce sont les mots qui me blessentvoyelleuoyelle. Le mot et le ton me blessent,: cComme les
exclamations des prescheurs esmouventesmouuent leur auditoire sou-
vantsou-
uant, plus que ne font leurs raisons: &Et comme nous frappe la
voix piteuse d’unevne beste qu’on tue pour nostre serviceseruice: sSans
que jeie poise ou penetre cependantcependāt, la vraye essence & massivemassiue
de mon subjectsubiect,:
his se stimulis dolor ipse lacessit.:
CcCe sont les fondemens de nostre deuil.
. L’opiniastreté de mes
pierres, nota specialement
en la vergeuerge, m’a parfois jettèiettè
en longues suppressions
d’urine, de trois de q
quattre joursiours: eEt si avantauant
en la mort, que c’eut estè
follie d’esperer l’evitereuiter,
voire desirer,: veuueu les
cruels et endiablez
effors que cet estat apporte.
O que ce bon emperur qui fesoit lier la vergeuerge a ses criminels pour les faire mourir a faute
de pisser, estoit grand maistre en la science de bourrellerie.
Me trouvanttrouuant la, jeie consideroi par combien tendreslegieres causes
l’ima et objetzobietz, l’imagination nourrissoit en moi le regret de la vieuie: de quels atomes se
bastissoit en mon ame, le pois et la difficultè de ce deslogemant: a combien frivollesfriuolles pansees
nous donions place en un si grand affaire:. UnVn chien, un verreuerrechevalcheual, un livreliure verreuerre et quoi non? tenoint
un
comte en ma perte. Aus autres leurs ambitieuses esperances, leur bourse, leur sciance,
en riennon moins sottement a mon grè. JeIe voioiuoioi nonchalammant la mort quand jeie la voyoisuoyois
universellemantuniuersellemāt, come fin de la vieuie: jeie la gormande en gros: en destaibloc, par le menu, elle
me rongepille. Les larmes d’un laquais, la dispensation de ma desferre, l’atouchemantatouchemāt d’une