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[f. 1]
67. 82

contre la tirannie Et Tirans. / La ServitudeSeruitude Volontaire

La Boetie
D’Davoirauoir plusieurs seigneurs, aucun bien jeie n’ni voysuoys
Qu’Quun sans plus soit le maistre, Et qu’quun seul soit le Roy.
Dit Ulysse en Homere parlant en publicq: s’sil n’neut plus rien dict sinon,
D’avoirauoir plusieurs seigneurs aucun bien jeie n’ny voy, cela estoit tant bien dict que
rien plus: Mais au lieu que pour Raisonner il faloit dire que la domination
de plusieurs ne pouvoitpouuoit estre bonne, puisque la puissance d’dun seul deslors qu’quil
prent ce tiltre, de Maistre, est dure et desraisonnable, il est allé adjousteradiouster
tout au rebours, qu’quun sans plus soit le maistre et qu’quun seul soit le Roy:
Toutesfois il faut d’adventureaduenture excuser Ulysse auquel possible il estoit lors
besoing d’user de ce langage, et s’sen servirseruir pour apaiser la revoltereuolte de
l’larmee, conformant jeie croy son propos plus au temps qu’a la verité.
Mais a parler a bon escient, c’cest un extreme malheur d’destre subjectsubiect a
un Maistre duquel on ne peut jamaisiamais esperer qu’quil soit bon, puisqu’puisquil est
tousjourstousiours en sa puissance quand il voudra d’destre mauvaismauuais: Et d’davoirauoir plusieurs
Maistres, c’cest autant qu’quon en a, autant de fois estre malheureux extremement.
Si ne veux jeie pas pour ceste heure debattre ceste question tant pourmenee
si les autres facons de republiques sont meilleures que la Monarchie:
A quoy si jeie voulois venir, encore voudrois jeie scavoirscauoir devantdeuant que mettre
en doubte, quel rang la Monarchie doibt tenir, si elle doibt y en avoirauoir
aucun: pource qu’quil est malaisé a croire qu’quil y aye rien de publicq en ce
gouvernementgouuernement ou tout est a un. Mais ceste question est reserveereseruee a un
autre temps, et demanderoit bien son traitté a part, ou plustost emmener
emmeneroit quant et soy quasi toutes les disputes politiques: pour ce
coup jeie ne voudrois sinon entendre (s’sil est possible) comm’commil se peut
faire, que tant d’dhommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de
Nations, tant de Royaumes endurent quelquefois un Tiran seul, qui
n’na puissance que celle qu’quils luy donnent, qui n’na pouvoirpouuoir de leur nuire
sinon tant qu’quils ont vouloir de l’endurer, ni ne scaroit[sic] leur faire mal
aucun, sinon lors qu’quils ayment mieux le souffrir que luy contredire;
Grand chose certes, et toutesfois si commune, qu’quil s’sen faut de tant plus
douloir, et moins esbahir, de voir un million de milliers d’dhommes servirseruir
miserablement ayant le col soubs le jougioug; non pas contraints par une
plus grand force, mais aucunement ce semble enchantés et charmés par
le seul Nom d’un, duquel ils ne doibventdoibuent craindre la puissance, puisqu’puisquil
est seul, ni aymer les qualités, puisqu’puisquil est en leur endroict mesmes,
inhumain et sauvagesauuage. La foiblesse d’dentre nous hommes est telle, qu’quil 302 1
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[f. 1v]
faut souventsouuent que nous obeissions a la force, il est besoing de temporizer,
on ne peut pas tousjourstousiours estre le plus fort, si donc une nation est contrainte
par la force de la guerre de servirseruir a un, comme la Republique d’dAthenes aux
trente Tirans, il ne se faut pas esbair qu’quelle serveserue, mais se plaindre de
l’accident, ou bien plustot ne s’sesbayr ni ne se plaindre, mais porter patiemment
le malheur present, et se resjouirresiouir a meilleure fortune a l’ladveniraduenir. Nostre
Nature est telle que les communs devoirsdeuoirs de l’lamitie emportent une bonne
partie du cours de nostre vie; Il est raisonnable d’daymer la vertu, d’destimer
les beaux faicts, de recognoistre les biens d’dou l’lon les l’la receus, et diminuer
souventsouuent de nostre aise pour augmenter l’lhonneur et advantageaduantage de celuy
qu’on ayme et qui le merite; Ainsi donc si les habitans d’dun pays ont
trouvétrouué quelque grand personnage qui leur ayt monstre par espreuveespreuue
une grand prevoyancepreuoyance pour les garder, grande hardiesse pour les defendre,
grand soing pour les gouvernergouuerner, si dela en avantauant ils s’saprivoisentapriuoisent tant
que de luy obeir, et s’sy fient tant de luy donner quelques advantagesaduantages,
jeie ne scay si seroit se[sic] seroit sagesse, parcequ’on l’oste du lieu ou
il faisoit bien, pour l’lavancerauancer en un autre ou il pourra mal faire,
Mais certes si ne pourroit il faillir d’dy avoirauoir de la bonté, de ne craindre
point de mal, de celuy duquel on n’na receu que bien: Mais, bon Dieu!
que peut estre cela? comment l’lapellerons nous? quel malheur est ce?
ou quel vice? ou plustost quel infortuné desvoyementdesuoyement d’desprit? Un
nombre infini de personnes, non obeir, mais servirseruir, non estre gouvernésgouuernés,
mais tirannizés, n’navoirauoir bien, ni parens, ni enfans, ni femme, ni leur vie
mesme qui soit a eux, et souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés,
non pas d’dune armée, non pas d’dun camp barbare contre lequel il faudroit
espandre son sang et sa vie devantdeuant, mais d’dun seul, non d’dun Hercule,
ne d’dun Sanson, mais d’dun seul hommet, et le plus souventsouuent du plus lasche,
et plus feminin de la nation, non pas accoustumé a la poudre des
battailles, mais encor a grand peine au sable des tournois, non qui puisse
par force commander aux hommes, mais tout empesché de servirseruirservirseruir villainement
a la moindre femmelete: apellerons nous cela laschesté? dirons nous
que ceux qui serventseruent sont couards, et recreux? Si deux, si trois, si quatre
ne se deffendent d’un, cela est estrange, toutesfois possible; bien pourra
on dire lors que c’cest faute de coeur; Mais si cent, si mille, endurent
d’dun seul, ne dira l’lon pas qu’quils ne veulent, non qu’quils n’nosent se prendre
a luy, et que c’cest non couardise, ains plustost mespris et desdain,.
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[f. 2] 68.
Si l’lon voit non cent, ni mille hommes, mais cent pays, mille villes, un
million d’dhommes, n’nassaillir pas un seul, duquel le mieux traitté de tous en
recoit ce mal d’destre esclaveesclaue, comment pourrons nous nommer cela? laschete:
Or il y a en tous vices naturellement quelque borne outre laquelle ils ne
peuventpeuuent passer, d’deux peuventpeuuent craindre un, et possible dix, mais mille, un
million, mille villes si elles ne se deffendent d’Un, ce n’nest point couardise, elle
ne va point jusquesiusques la, non plus que la vaillance ne s’sestend pas qu’quun seul
eschelle une forteresse, qu’quil assaille une armee, qu’quil conquere un Royaume;
Doncques quel monstre de vice est cecy qui ne merite pas encor le tiltre
de couardise, qui ne trouvetrouue point de nom asses vilain, que la Nature
desadvouedesaduoue avoirauoir faict, et la langue refuse de le nommer? Qu’Quon mette d’dun
costé cinquante milhommes en armes, d’dun autre autant, qu’quon les range en
battaille, qu’quils vienent au joindreioindre, les uns libres combatans pour leurs
franchises, les autres pour les leur ravirrauir, ausquels par conjecture prometra
l’lon la victoire, lesquels pensera l’lon aller plus gaillardement au combat,
ou ceux qui esperent pour guerdon de leurs peines l’lentretenement de leurs
libertés, ou ceux qui n’nattendent autre loyer des coups qu’quils donnent ou
recoiventrecoiuent que la servitudeseruitude d’autruy? Les uns ont tousjourstousiours devantdeuant leurs yeux
le bonheur de leur vie passee, l’lattente de pareil ayse a l’ladveniraduenir, il ne
leur souvientsouuient pas tant de ce qu’quils endurent ce peu de temps que dure la
battaille, comme de ce qu’quil conviendraconuiendra endurer a jamaisiamais a eux a leurs
enfans et a toute la posterité: les autres n’nont rien qui les enhardisse
qu’quune petite poincte de leur convoitiseconuoitise qui se rebousche soudain contre le
danger, et qui ne peut estre si ardente qu’quelle ne s’sestaigne par la moindre
goutte de sang qui sorte de leurs playes. Aux battailles tant renommees
de Miltiade, Leonide, et Themistocle qui ont esté donnees deux mille ans
a, et viventviuent encor aujourd’auiourdhuy aussi fresches en la memoire des livresliures,
et des hommes comme si c’ceust este puis deux joursiours, lesquelles feurent livreesliurees
en Grece, pour le bien des Grecs, et l’lexemple de tout le monde; Que croit
on qui donna a si petit nombre de gens comme estoyent les Grecs non le
pouvoirpouuoir mais le coeur de soustenir la force de tant de NaviresNauires que la
mer mesmes en estoit chargee, de deffaire tant de Nations qui estoyent
si nombreuses que l’lescadron des Grecs n’neut sceu fournir s’sil eut fallu
des capitaines aux armees des ennemis quand tous l’leussent esté jusquesiusques
a un; sinon qu’quil semble qu’quen ces glorieux joursiours, ce n’nestoit pas tant 303 2
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[f. 2v]
la battaille des Grecs contre les Perses, comme la victoire de la liberté
sur la domination, de la franchise sur la convoitiseconuoitise. C’Cest chose estrange
d’douir parler de la vaillance que la liberté met dans les coeurs de ceux qui la
deffendent: Mais ce qui se faict en tous pays par les hommes tous les
joursiours qu’quun homme mastine mille villes, et les privepriue de leur liberté,
qui le croiroit s’sil ne faisoit que l’louir dire, non le voir, et s’sil ne se
voyoit qu’quen pays estranges et loingtaines terres et qu’quon le dict qui ne
penseroit que cela feut plustost feinct et trouvétrouué que non pas veritable?
Quoy plus, un Tiran, qu’quil n’nest besoing de le combatre, ni s’sen deffendre
pour le deffaire, car il est de soy mesmes deffaict mais que le pays n’nen
consente a sa servitudeseruitude, qu’quil ne faut pas luy rien oster, mais ne luy rien
donner, qu’quil n’nest besoing que le pays se mette en peine de rien faire pour
soy, mais qu’quil ne se mette en peine de faire rien contre soy. Ce sont
doncques les Peuples mesmes qui se laissent ou plustost se font gourmander,
puis qu’quen cessant de servirseruir ils en seroyent quittes, c’cest le peuple qui
s’sasservitasseruit, qui se couppe la gorge, qui ayant le chois d’destre subjetsubiet, ou
d’destre libre, quitte sa franchise et prend le jougioug, qui consent a son
mal ou plustost le pourchasse. S’Sil lui coustoit quelque chose a
recouvrerrecouurer sa liberté jeie ne l’len presserois pas, combien que l’lhomme ne
puisse avoirauoir rien de plus cher que de se remettre en son droict naturel,
et par maniere de dire de Beste revenirreuenir homme, mais encor jeie ne
desire pas en luy si grand hardiesse, jeie luy permets qu’quil ayme mieux
une, jeie ne scay quelle seureté de vivreviure miserablement qu’quune doubteuse
esperance de vivreviure a son ayse, Toutesfois si pour avoirauoir sa liberté il
ne luy faut que la vouloir, s’sil n’na besoing que d’dun simple desir,
se trouveratrouuera il Nation au monde qui l’lestime trop chere la pouvantpouuant
gaigner d’dun souhait, et qui plaigne sa volonté a recouvrerrecouurer le bien
qu’quon debvroitdeburoit acheter au prix de son sang, et lequel perdu toutes gens
d’dhonneur doibventdoibuent estimer la vie desplaisante et la mort salutaire.
Certes tout ainsi que le feu d’dune petite estincelle devientdeuient grand et
tousjourstousiours se renforce, plus il trouvetrouue de bois plus il est prest d’den
brusler, sans qu’quon y mette de l’leau pour l’lestaindre, seulement en n’ni
mettant plus de bois n’nayant plus que consommer se consomme soy mesmes,
vient sans force aucune, et non plus feu, pareillement les Tirans
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[f. 3] 69
plus ils pillent plus ils exigent plus ils ruinent et destruisent, plus on leur
baille plus on leur sert de tant plus ils se fortifient et devienentdeuienent tousjourstousiours
plus frais et plus forts pour aneantir et destruire le tout, et si on ne leur
baille rien si on ne leur obeit point sans combatre sans fraper ils
demeurent nuds et deffaicts et ne sont plus rien, comme si la racine n’nenvoyeenuoye
plus d’dhumeur et d’daliment a la branche elle devientdeuient seche et morte.
Les hardis pour acquerir le bien qu’quils demandent ne craignent point les
dangiers ne refusent point la peyne, les lasches et engourdis ne scaventscauent
ni endurer le mal ni recouvrerrecouurer le bien ils s’sarrestent en cela de le souhaiter
et la vertu d’dy pretendre leur estant ostee par leur faineantise le desir
de l’lavoirauoir leur demeure par la Nature: Ce desir ceste volonte est
commune aux sages et inconsiderés, aux courageux et aux poltrons pour
souhaiter toutes choses qui estant acquises les rendroyent heureus et
contens, une seule en est a dire, en laquelle jeie ne scay comment la
Nature fault aux hommes pour la desirer, c’cest la Liberté; qui est
toutesfois un bien si grand et si plaisant, qu’quelle perdue tous les
maux vienent a la file, et les biens mesmes qui demeurent apres elle
perdent entierement leur goust et saveursaueur corrompus par la servitudeseruitude;
La seule liberté, les hommes ne la desirent point; non pas pour autre
raison ce semble, sinon pource que s’sils la desiroyent ils l’lauroyent,
comme s’sils refusoyent de faire ce bel acquest seulement parcequ’parcequil
est trop aisé: pauvrespauures peuples insensés et miserables, opiniastres en vostre
mal, et aveuglesaueugles en vostre bien! vous laisses emporter devantdeuant vous le
plus beau et le plus clair de vostre revenureuenu, piller vos champs, voler
vos maisons, et les despouiller des meubles anciens et paternels, vous
vivesviues de sorte que vous ne pouvespouues dire que rien soit a vous, et sembleroit
que meshuy ce vous seroit grand heur s’sil vous estoit permis de tenir
a mestairie vos biens, vos familles et vos vies: Et tout ce desgast,
ce malheur, ceste ruyne vous vient, non pas des ennemis mais certes
bien de l’lennemi, et de celuy que vous faictes si grand qu’quil est, pour
lequel vous alles courageusement a la guerre, et pour la grandeur duquel
vous ne refusés de presenter a la mort vos personnes. Celuy qui vous
Maistrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps,
et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du nombre grand
et infini de vos villes, sinon ce qu’quil a de vous tout l’ladvantageaduantage que 304 3
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[f. 3v]
vous tous luy faictes pour vous destruire. D’ou a il prins tant d’yeux
dont il vous espie, si vous ne les luy donnes? comment a il tant de mains
pour vous fraper, s’sil ne les prend de vous? Les pieds dont il foule vos
cités ne sont ce pas les vostres? comment a il pouvoirpouuoir sur vous que
par vous? comment vous oseroit il courir sus s’sil n’navoitauoit intelligence
avecquesauecques vous? que vous pourroit il faire si vous n’nesties receleurs du
larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue, et traistres
a vous mesmes? vous semes vos fruicts afin qu’quil en face le degast,
vous meublés et remplissés vos maisons pour fournir a ses voleries,
vous nourrissés vos filles afin qu’quil ait dequoy saouller sa luxure,
vous eslevésesleués vos enfans afin qu’quils les traine a la bouscherie, qu’quil
les fasse les ministres de ses convoitisesconuoitises, les executeurs de ses vengean
vengeances, vous rompes a la peyne vos personnes afin qu’quil se puisse
mignarder en ses delices, et se veautrer dans les salles et villains
plaisirs, vous vous affoiblisses afin de le rendre plus fort et roide
pour vous tenir la bride plus courte: Et de tant d’indignités que les
bestes mesmes ou ne sentiroyent ou n’nendureroyent point vous pouvéspouués
vous en delivrerdeliurer si vous essayés non pas de vous en delivrerdeliurer mais
seulement de le vouloir faire, soyés resolus de ne servirseruir plus et vous
voila libres, jeie ne veux pas que vous le poussies ni l’lesbranlies, ne
le soustenes plus seulement et vous le verres comm’un grand Colosse
a qui on a desrobe la baze de son poids mesme fondre en bas et se
rompre. Veritablement les Medecins conseillent bien de ne mettre pas
la main aux playes incurables, et jeie ne fais pas sagement de vouloir
prescher en cecy le peuple qui a perdu long temps y a toute cognoissance,
Et duquel veu qu’quil ne sent plus son mal cela seul monstre asses que
la maladie est mortelle: Cherchons doncMais cherchons par conjectureconiecture (si nous en
pouvonspouuons trouvertrouuer) comment s’sest ainsi avantauant enracinee ceste opiniastre
volonté de servirseruir qu’quil semble maintenant que l’amour mesme de la
liberté ne seroit pas si naturelle. Premierement cela est jeie croy hors
de doubte que si nous vivionsviuions avecquesauecques les droits que la Nature nous
a donnés, et les enseignemens qu’quelle nous aprend, nous serions naturellement
obeissans aux parens, subjetssubiets a la raison, et serfs de personne.
De l’lobeissance que chascun sans autre advertissementaduertissement que de son
naturel porte a ses pere et mere tous les hommes en sont tesmoings
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[f. 4] 70.
chascun pour soy. De la raison si elle n’nait avecquesauecques nous ou non
qui est une question debatue a fonds par les Academiques, et touschee par
toute l’leschole des philosophes, pour ceste heure jeie ne penseray point
faillir croyant qu’quil y a en nostre ame quelque naturelle semence de
raison qui entretenue par bon conseil et coustume fleurit en vertu, et
au contraire souventsouuent ne pouvantpouuant durer contre les vices survenussuruenus estoufee
s’avorteauorte,. Mais s’sil y a rien de clair et aparent en la Nature, et en quoy
il ne soit permis de faire l’aveugleaueugle, c’cest cela que Nature la ministre de
Dieu et la gouvernantegouuernante des hommes nous a tous faits de mesme forme, et
comm’commil semble a mesme moule, afin de nous entrecognoistre tous pour
compagnons ou plustot pour freres: Et si faisant les partages des presens
qu’quelle nous faisoit elle a faict quelques advantagesaduantages de son bien soit au
corps ou en l’lesprit aux uns plus qu’aux autres, il est aisé a voir qu’quelle
n’nentendoit pas pourtant de nous mettre en ce monde comme dans un
Camp clos, et n’nenvoyoitenuoyoit pas icy les plus forts et plus advisésaduisés comme des
brigans dans une forest armés de sa propre main pour y gourmander
les plus foibles, mais bien plustot faut il croire que faisant ainsi
aux uns les lots plus grands et aux autres plus petits, elle vouloit faire
place a la fraternelle affection afin qu’ell’eut a s’employer, ayans les uns
puissans moyen de donner ayde, et les autres foibles besoing d’en recevoirreceuoir.
Puis donc que ceste bonne mere nous a donné a tous toute la terre pour
demeure, nous a tous logés aucunement en mesme maison, nous a tous
figurés a mesme patron afin que chascun se peut mirer et quasi recog-
noistre l’lun dans l’lautre, si elle nous a donné en commun ce present de
la voix et de la parole pour nous accoster et fraterniser d’avantageauantage, et
faire par la mutuelle declaration de nos pensees une communion de nos
volontés, Et si elle a tasché par tous moyens de serrer et estraindre
plus fort le noeud de nostre alliance et société, si elle a monstré en
toutes choses qu’quelle ne vouloit pas tant nous faire tous unis que tous
uns, il ne faut doubter que nous ne soyons tous naturellement libres,
veu que nous sommes tous compagnons, et ne peut tomber en l’lentendement
de personne que Nature ait mis aucun en servitudeseruitude, nous ayant tous mis
en compagnie: c’cest pour Neant debattre si la liberté est naturelle, puisque
l’lon ne peut tenir personne en servitudeseruitude sans faire tort, et qu’quil n’ny a
rien au monde si contraire a la Nature estant toute raisonnable que 305 4
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[f. 4v]
l’injureiniure: Reste doncques la liberté estre naturelle, et par mesme moyen
a mon advisaduis que nous ne sommes pas seulement mis en pocession de nostre
franchise, mais aussi avecquesauecques affection de la deffendre: Et si d’dadventureaduenture
nous faisons quelque doubte en cela, et sommes tant abastardis que ne
puissions recognoistre nos biens, ni seulement nos naivesnaiues affections, il
faudra que jeie face l’lhonneur qui nous apartient et que jeie monte les
bestes brutes en chere pour nous enseigner nostre nature et condition.
Les Bestes si les hommes ne font trop les sourds leur crient ViveViue liberté,
plusieurs en y a d’dentr’entrelles qui meurent deslors qu’quelles sont prises, et comme
le poisson qui perd la vie aussi tot que l’leau, pareillement celles la quittent
la lumiere et ne veulent point survivresuruiure a leur naturelle franchise; Si
les animaus avoyentauoyent entr’entreux leurs rangs et preeminances ils fairoyent
a mon advisaduis de ceux la leur noblesse. Les autres des plus grandes
jusquesiusques aux plus petites lorsqu’lorsquon les prend font si grande resistence
d’dongles, de cornes, de pieds, et de bec qu’quelles declarent asses combien elles
tiennent cher ce qu’quelles perdent, puis estant prises nous donnent
tant de signes aparens de la cognoissance qu’quelles ont de leur malheur,
qu’quil est facile a voir que doresenavantdoresenauant cela leur est plus languir que
vivreviure, et qu’quelles continuent leur vie plus pour plaindre leur aise perdu
que pour se plaire en servitudeseruitude. Que veut dire autre chose l’Elephant
lorsque s’sestant deffendu tant qu’quil a peu, ni voyant plus d’dordre, estant
sur le poinct d’destre prins il enfonce ses maschoires et casse ses dens contre
les arbres, sinon que le grand desir de demeurer libre comm’commil est né, luy
donne de l’lesprit et l’ladviseaduise de marchander avequesaueques les chasseurs si pour
le prix de ses dens il en sera quitte, et s’sil sera receu a bailler son yvoireyuoire,
et payer ceste rançon pour sa liberté. Nous apastons le chevalcheual deslors
qu’quil est né pour l’laprivoiserapriuoiser a servirseruir, et si ne le scavonsscauons nous tant
flatter que quand se[sic] vient a le dompter il ne morde le frain, ne rue
contre l’lesperon afin de monstrer a la Nature, et tesmoigner au moings
par la que s’sil sert ce n’nest pas de son gré, mais par nostre contrainte.
que faut il tant dire Les boeufs ne gemissent ils pas soubs le jougioug,
et les oiseaux ne pleurent ils pas leur infortune dans la cage par
leurs tristes chansons. Ainsi donc puisque toutes choses qui ont
sentiment, deslors qu’quelles l’ont sentent mal de la subjectionsubiection et courent
apres la liberté: veu que les bestes mesmes qui encore possible sont
faictes pour le serviceseruice de l’lhomme ne se peuventpeuuent acoustumer de servirseruir
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[f. 5] 71.
qu’quaveqaueq protestation d’dun desir contraire, quel malencontre est celuy la
qui a peu desnaturer l’lhomme (seul creé de vray pour vivreviure franchement) de
luy faire perdre la souvenancesouuenance de son premier estre et le desir de le reprendr
reprendre. Il y a de trois sortes de Tirans, les uns ont le Royaume
par Election du peuple; les autres par la force des armes, les autres
par la succession de leur race. Celuy a qui le peuple a donné l’lEstat
devroitdeuroit estre ce semble plus suportable, et le seroit jeie croy, n’nestoit que
deslors qu’quil se voit eslevéesleué par dessus les autres en ce lieu, flatté par
jeie ne scay quoy qu’on apelle la Grandeur, il delibere de n’nen bouger point,
communement celuy la faict estat de la puissance que le peuple luy a donnee
de la transmettre a ses enfans, et deslors qu’quils ont pris ceste opinion, c’cest
chose estrange de combien ils passent en toute sorte de vices, et mesmes en
la cruauté les autres Tirans, ils ne voyent autre moyen pour s’asseurer
de la nouvellenouuelle Tirannie, sinon que d’destraindre si fort la servitudeseruitude, et
estranger tant les subjetssubiets de la liberté qu’encor que la memoire en soit
fresche ils la luy puissent faire perdre. Ceux qui les ont acquis par le
droict de la guerre ils s’si portent ainsi qu’quon cognoit bien, qu’quils sont
comm’on dict en terre de conqueste. Ceux qui naissent Roys ne sont pas
gueres meilleurs, ains estant nes et nourris dans le sein de la Tirannie
succent avequesaueques le laict la nature du Tiran, et font estat des peuples
qui sont soubs eux comme de leurs fiefs hereditaires, et selon la
complexion a quoy ils sont plus enclins, ou AvaresAuares, ou prodigues, tels
qu’quils sont ils font du royaume comme de leur heritage. Ainsi pour
dire la verité jeie voy qu’quil y a entr’eux quelques differens[sic], mais de chois
jeie n’nen y vois point, et estans les moyens de venir au regne diversdiuers,
toutesfois la façon de regner est quasi semblable, desles esleus comme s’sils
avoyentauoyent prins des taureaux a dompter, ainsi les traittent ils, les
leurs subjetssubiets, les Conquerans pensent avoirauoir droict d’den user comme de leur proye, les successeu
successeurs d’den faire ainsi que de leurs naturels EsclavesEsclaues. S’Sil naissoit
d’dadvantureaduanture aujourd’aujourdhuy quelques gens tous nuds, ni accoustumés a la
subjectionsubiection, ni afriandes a la liberté, et qu’quils ne sceussent que c’cest ne de l’lun
ni de l’lautre, ni a grand peine des noms, si on leur presentoit ou d’destre
subjetssubiets, ou de vivreviure francs suivantsuiuant les loys dequoy ils s’saccorderoyent,
Il ne faut pas faire dificulté qu’quils n’aymassent trop mieux obeir seulement
a la raison, que servirseruir a un homme, sinon que possible ils naquissent 306 5
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[f. 5v]
de ceux d’Israel qui sans contrainte et sans aucun besoing se feirent un
Tiran, duquel peuple jeie ne lis jamaisiamais l’lhistoire que jeie n’nen aye trop grand
despit, et quasi jusquesiusques a en devenirdeuenir inhumain pour me resjouirresiouir de tant de
maux qui leur en advindrentaduindrent. Mais certes tous les hommes tant qu’quils
ont quelque chose d’homme, devantdeuant qu’quils se laissent assubjettirassubiettir il faut
l’un des deux, qu’quils soyent ou contraints, ou deceus, contraints par
les armes estrangeres comme Sparte et Athenes par les forces d’dAlexandre,
ou par les factions ainsi que la seigneurie d’dAthenes estoit devantdeuant venue
entre les mains de Pisistrat, par tromperie souventsouuent perdent ils la liberté,
et en cela ils ne sont pas si souventsouuent seduits par autruy comm’commils sont
trompés par eux mesmes, ainsi le peuple de Siracuse capitale de Sicile
estant pressee par les guerres inconsiderement ne mettant ordre qu’au
danger presant eslevaesleua Denis le premier, luy bailla charge de la
conduitte de l’armee, et ne se donna garde qu’quil l’leut faict si grand, que
ceste bonne piece revenantreuenant victorieux, comme s’sil n’neut pas vaincu les
ennemis mais ses citoyens, se feit de Capitaine Roy, et de Roy Tiran.
Il n’nest pas croyable comment le peuple deslors qu’quil est assubjetiassubieti
tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la franchise qu’quil ne
peut s’sesveilleresueiller pour la ravoirrauoir, servantseruant si franchement et tant volontiers
qu’quon diroit a le voir qu’quil a non pas perdu sa liberté, mais gaigné sa
servitudeseruitude: Il est bien vray qu’au commancement l’on sert contraint
et vaincu par la force, mais ceux qui vienent apres n’nayans jamaisiamais veu
la liberté et ne scachans que c’cest serventseruent sans regret, et font volontiers,
ce que leurs devanciersdeuanciers avoyentauoyent faict par contrainte: c’cest cela que les
hommes naissent soubs le jougioug, et puis nourris et eslevésesleués dans le
servageseruage sans regarder plus avantauant se contentent de vivreviure comm’commils sont
nez, et ne pensent point avoirauoir d’autre droict ni autre bien que ce qu’quils
ont trouvétrouué, ils prenent pour leur naturel l’estat de la naissance: Et
toutesfois il n’nest point d’heritier si prodigue ni nonchalant qui
quelquefois ne passe les yeux dans ses registres pour entendre s’sil jouitiouit
de tous les droits de sa succession, ou si l’on a rien entrepris sur luy
ou son predecesseur: Mais certes la coustume qui a en toutes choses
grand pouvoirpouuoir, n’na en aucun endroit si grand vertu qu’en ceci de nous
enseigner a servirseruir, et comme l’on dict de Mitridat qui se feit ordinaire
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[f. 6] 72.
de boire la poison, pour nous aprendre a avaleraualer et ne trouvertrouuer point amer
le venin de la servitudeseruitude. L’on ne peut nier que la nature n’nait en nous
bonne part pour nous tirer ou elle veut, et nous faire dire bien ou mal
nais, mais si faut il confesser qu’elle a de tant moins de pouvoirpouuoir en
nous que la coustume, pource que le naturel pour bon qu’quil soit se pert
s’sil n’nest entretenu, et la nourriture nous faict tousjourstousiours de sa fasson
comment que se[sic] soit maugre la nature: les semences du bien que la Nature
met en nous sont si menues et glissantes qu’quelles n’endurent pas le moindre
heurt de la norriture contraire, elles ne s’sentretienent pas si aiseement
qu’quelles s’sabatardissent et se fondent et vienent en rien, ne plus ne moins
que les fruictiers qui ont bien tous quelque naturel a part, lesquels ils
gardent bien si on les laisse venir, mais ils le perdent aussi tost pour
porter d’dautres fruicts estrangers et non leurs selon qu’on les ante. Les
herbes ont chascune leur proprieté, leur naturel et singularité, mais
toutesfois le ciel, le temps, et le terroir, la main du jardinieriardinier ou adjoustentadioustent
ou en ostent beaucoup de la vertu, la plante qu’quon a veu en un endroit,
on est ailleurs empesché de la recognoistre. Qui verroit les Venitiens, une
poignee de gens vivansviuans si librement que le plus meschant d’entreux ne
voudroit pas estre le Roy de tous, ainsi nais et nourris qu’ils ne cognoissent
point d’dautre ambition sinon que a qui mieux adviseraaduisera et plus soigneusement
pour entretenir leur liberté, ainsi aprins et faicts des le berceau qu’quils
ne voudroyent point tout le reste des foelicités de la vie pour perdre le
moindre poinct de leur franchise. Qui aura veu dis jeie ces personnages,
et au partir de la s’sen ira aux terres de celuy que nous apellons le
Grand Seigneur, voyant ses[sic] gens qui ne pensent estre nais que pour le
servirseruir, et qui pour maintenir sa puissance abandonnent leurs vies,
penseroit il que les autres et ceux la eussent mesme naturel, ou plustot
s’sil n’nestimeroit pas que sortant d’dune Cité d’hommes il estoit entré dans
un parc de bestes. Licurgue le policeur de Sparte ayant nourri dict on
deux chiens freres et alaictés de mesme laict, l’lun engraissé a la cuisine,
l’lautre acoustumé par les champs au son de la trompe et du huchet,
voulant monstrer aux Laconiens que les hommes sont tels que la norriture
les fait, meit les deux chiens en plain marché et entre deux une soupe et
un lievrelieure, l’lun courut au plat l’lautre apres le lievrelieure, et toutesfois dit
il, si sont ils freres. Doncques celuy la avecauec ses loix et sa police norrit
et fit si bien les Lacedemoniens, que chascun d’deux eut eu plus cher de 307 6
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[f. 6v]
Mourir de mille morts que de recognoistre autre Seigneur que la loy et la
raison. Je prens plaisir de rementevoirrementeuoir un propos qu’on dit que se tindrent
jadisiadis un des favorisfauoris de Xerxes le grand Roy des Perses, et deux Spartains,
quand Xerxes faisoit l’apareil de sa grand armee pour conquerir la
Grece il envoyaenuoya ses Ambassadeurs par toutes les Cités Grecoises demender
de l’eauleau, et de la terre (s’s[sic]estoit la façon que les Perses avoyentauoyent accoustumé
de sommer les villes) horsmis a Sparte et Athenes, parce que ceux que
Daire son pere y avoitauoit envoyéenuoyé pour faire pareille demende, les Spartains
et Atheniens en avoyentauoyent jettéietté les uns dans des fossés les autres dans des
puits, leur disant qu’quils prinsent dela hardiment de l’leau et de la terre
pour porter a leur Prince: Ces gens ne pouvoyentpouuoyent souffrir que de la moindre
parole seulement on touschat a leur liberté: pour en avoirauoir ainsi usé les
Spartains sentirent apres qu’quils avoyentauoyent encouru la haine des Dieux, mesmes
de Taltibie le Dieu des herauts, ils s’saviserentauiserent pour les appaiser d’envoyerenuoyer
a Xerxes deux de leurs citoyens pour se presenter a luy afin qu’il en fit a
sa volonté et se payat dela pour les ambassadeurs qu’quils avoyentauoyent tué a
son pere, Sperte, et Bullis s’offrirent de leur gré pour aller faire ce payement,
de fait ils y allerent, et en chemin ils arriverentarriuerent au palays de Hidarne
lieutenant du Roy en toutes les villes d’Asie qui sont sur la coste marine, qui
les receut fort honorablement et leur feit bonne chere, et apres plusieurs propos
tombant de l’lun en l’lautre, il leur demanda pourquoy ils refusoyent l’lamitié
du Roy, Voyés dit il Spartains, et recognoissés par moy comment il scait
honorer ceux qui le meritent, et pensés que si vous estiés a luy, il vous fairoit
le mesme s’il vous avoitauoit cognus, il n’ni a celuy d’entre vous qu’quil ne fit Seigneur
d’une ville de Grece, En ceci Hidarne tu ne nous scaurois donner bon conseil
dirent les Lacedemoniens parceque le bien que tu nous promets tu l’las essayé,
mais de celuy dont nous jouissonsiouissons tu l’ignores, tu as esprouvéesprouué la faveurfaueur
du Roy mais de la liberté quel goust elle a, combien ell’ellest douce tu
n’nen scais rien, or si tu en avoisauois tasté toy mesmes tascherois de la garder
et defendre non pas avecauec la lance et l’lescu mais avecauec les dens et les ongles.
Les seuls spartains disoyent, ce qu’quil faloit dire; et les uns et les autres parloyent
comm’commils avoyentauoyent este norris, car il ne se pouvoitpouuoit faire que le Perse eut
regret a la liberté ne l’ayant jamaisiamais eue, ne que les Lacedemoniens endurassent
la subjectionsubiection ayant gousté de la franchise. Caton l’Uticain estant encor
enfant et soubs la verge alloit souventsouuent ches Sylla le Dictateur tant pourceque
a raison du lieu et maison dont il estoit on ne luy refusoit jamaisiamais la porte
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[f. 7] 73.
qu’aussi ils estoyent proches parens, il estoit tousjourstousiours accompagné de son maistre
comm’avoyentauoyent accoustumé les enfans de bonne maison part, il s’aperceut qu’quen
l’lhostel de Sylla en sa presence ou par son commandement on emprisonnoit les uns,
on condemnoit les autres, l’lun estoit banni, l’lautre estranglé, l’lun demandoit la
confiscacion d’dun Citoyen, l’lautre la teste, bref tout y alloit non comme ches
un officier de ville, mais comme ches un Tiran de Peuple, et c’cestoit non pas un
parquet de Justice, mais un ouvroirouuroir de Tirannie: ce noble garçon dit a son
Maistre donnes moy un poignard jeie le cacheray bien soubs ma robe, j’ientre
souventsouuent dans la chambre de Sylla devantdeuant qu’quil soit levéleué, j’iay le bras asses
fort pour en despescher la ville: voila certes une parole apartenant vrayment
a Caton, c’cestoit un commencement de ce personnage digne de sa mort: Et
neantmoins qu’quon ne die ni son nom, ni son pays, qu’on conte seulement le
faict tel qu’quil est, la chose mesme parlera, et jugeraiugera l’on a belle advantureaduanture
qu’quil estoit Romain, nay dans Rome, mais dans la vraye, et lors qu’quelle estoit
libre. A quel propos tout cecy, non pas certes que j’iestime que le pays, ni
le terroir y facent rien, car en toutes contrees, en tout air est amere la
subjectionsubiection, et plaisant d’destre libre: mais pourceque jeie suis d’dadvisaduis qu’on ait
quelque pitie de ceux qui en naissant se sont trouvéstrouués le jougioug au col, et que
ou bien on les excuse, ou bien qu’on les pardonne si n’nayans jamaisiamais veu l’lombre
de la liberté, et n’nen estant point advertisaduertis ils ne s’sapercoyventapercoyuent point du Mal que
ce leur est d’destre EsclavesEsclaues. S’Sil y a quelque pays comme disent nos nouveauxnouueaux
Cosmographes, et du vieux temps le bon Homere des Cimmeriens, ou le Soleil se
monstre autrement qu’a nous, et apres les avoirauoir esclairé[sic] six moys continuels, il
les laisse sommeiller autant dans l’lobscurité, sans les revoirreuoir de l’lautre demi
annee; ceux qui naissent pendant ceste longue nuict n’nayans point ouy parler
de la clarté, ni veu de jour, s’sesbayra l’on s’sils s’accoustument aux tenebres ou
ils sont nais, sans desirer la lumiere. On ne plaint jamaisiamais ce qu’quon n’na jamaisiamais
eu, et le regret ne vient qu’apres le plaisir, et tousjourstousiours est avecauec la cognoissance
du mal le souvenirsouuenir de la joyeioye passee. La Nature de l’lhomme est bien d’destre
franc et de le vouloir estre, mais aussi sa Nature est telle que naturellement
il tient le ply que la Nature luy donne norriture luy donne, disons donque
ainsi qu’a l’lhomme toutes choses luy sont naturelles a quoy il se norrit et saccoust-
ume, mais cela seul luy est naturel a quoy sa Nature simple et non autre
l’apelle: Ainsi la premiere raison de la servitudeseruitude volontaire est la coustume,
comme des plus bravesbraues chevauxcheuaux qui au commancement mordent le frain, et puis
apres si jouentiouent, et la ou nagueres il[sic] ruoyētruoyent contre la selle ils se parent maintenant
dans le harnois et tous fiers se glorifient sous la barde; ils disent qu’quils ont 308 7
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[f. 7v]
Esté tousjourstousiours subjessubies, que leurs peres ont ainsi vescu, ils pensent qu’quils sont tenus
d’endurer le mal, et se le font accroire, par exemple, et fondent eux mesmes sur la
longueur du temps la pocession qui les tirannise; pour vray les ans ne donnent
jamaisiamais droict de mal faire ains agrandissent l’linjure: Il y a bien quelques uns
mieux nais que les autres qui sentent le poix du jougioug et ne se peuventpeuuent tenir
de le crouler, ni ne s’aprivoisentapriuoisent jamaisiamais a la subjectionsubiection, et qui tousjourstousiours comme
UlysseVlysse qui par mer et par terre cerchoit de voir la fumee de sa caze, ne se
scauroyent garder d’daviserauiser a leurs naturels privilegespriuileges, et se souvenirsouuenir des anciens
predecesseurs, et de leur premier estre, ce sont volontiersuolontiers ceux la qui ayans
l’entendement net et l’lesprit clairvoyantclairuoyant ne se contentent pas comme le gros populas
de regarder ce qui leur est devantdeuant les pieds, s’ils n’navisentauisent et derriere et a costé,
ramenant encor les choses passees pour jugeriuger du temps adveniraduenir, et pour mesurer
les presentes, ce sont ceux qui ayant d’deux mesmes la teste bien faicte l’ont encor
polie par le scavoirscauoir et l’estude: Ceux la quand la liberte seroit entierement
perdue et toute hors du Monde l’limaginent et sentent en leur esprit et la savourentsauourent
encor, et la servitudeseruitude ne leur est jamaisiamais de goust pour si bien qu’quon l’acoustre.
Le Grand Turc s’sest bien adviséaduisé que les livresliures et la doctrine donnent plus que
toute autre chose aux hommes le sens de se recognoistre et de hair la Tirannie,
j’ientens qu’quil n’a en ses terres gueres de Gens scavansscauans ni n’nen demande. Or
communement le bon Zele et affection de ceux qui ont malgré le temps gardé
la devotiondeuotion a la franchise pour si grand qu’quen soit le nombre demeure sans effect,
d’dautant que pour ne s’sentrecognoistre ils sont tous singuliers en leurs fantesies, la liberte
leur estant ostee soubs le Tiran de faire de parler et quasi de penser.
Mome le Dieu Mocqueur ne se moqua pas trop mal a propos quand il trouvatrouua
ce defaut de l’lhomme que Vulcan avoitauoit faict, de n’navoirauoir une petite fenestre
au coeur, afin que par la on peut voir ses pensees; Brutus, Cassius, et Casca
pour ce subjetsubiet lorsqu’lorsquils feirent l’lentreprise de la delivrancedeliurance de Rome ou
plustost de tout le monde, ne voulurent pas que Ciceron ce Grand Zelateur
du bien publicq s’sil en feut jamaisiamais feut de la partie, estimans son coeur trop
foible pour un faict si haut, ils se fioyent de sa volonté mais ils ne s’sasseu-
royent pas de son courage: Toutesfois qui voudra examiner les faicts du temps
passé, les annales ancienes il s’sen trouveratrouuera peu de ceux qui voyans leur pays
mal mené et en mauvaisesmauuaises mains, ayent entrepris de la franchir d’dune bonne
intention entiere et non fainte, qui n’nen soyent venus a bout, Et que la liberté
pour se faire paroistre ne se soit elle mesme faict espaule: Harmode, Aristo
gite, Trasibule, Brute le Vieux, Valere, et Dion comm’ils avoyentauoyent
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[f. 8] 74.
vertueusement pensé, l’lexecuterent heureusement: Et en tel cas jamaisiamais quasi a
bon vouloir ne defaillit la fortune: Brutus le Jeune et Cassius osterent bien
heureusement la servitudeseruitude, mais en ramenant la liberté ils moururent non pas
miserablement, car quel blaspheme seroit ce, de dire qu’quil y ait eu rien de
miserable en ces gens la, ni en leur mort ni en leur vie, mais certes au grand
dommage, perpetuel malheur, et entiere ruine de la Republique, laquelle
feut enterree auecqu’eux. Les autres entreprises qui ont esté faictes despuis
contre les Empereurs Romains n’estoyent que conjurations d’Amb d’Ambitieux
lesquels ne sont pas a plaindre des inconveniensinconueniens qui leur en sont advenusaduenus, estant
aisé a voir qu’quils ont voulu non pas oster, mais remuer la Coronne, pretendans
chasser le Tiran, et retenir la Tirannie; a ceux la jeie ne voudrois pas qu’quil
qu’quil[sic] leur eut bien succedé, et suis content qu’quils ayent monstré par leur exemple
qu’quil ne faut pas abuser du saint Nom de la liberté pour faire mauvaisemauuaise
entreprise. Mais pour revenirreuenir a nostre propos lequel j’iavoisauois quasi perdu:
La premiere raison pourquoy les hommes serventseruent volontiers, est pource qu’quils
naissent serfs et sont norris tels, de ceste cy en vient une autre quaiseement[sic]
Les gens devienentdeuienent lasches et effeminés vienent soubs les Tirans
⁁et c’cest l’leffect de la
servitudeseruitude, que la coyonnerie,
Dequoy jeie senssais tres
bon gre a Hipocrate le grand pere de la medecine qui s’sen est pris garde et l’la
ainsi dict en un de ses livresliures qu’quil institue des maladies, ce personnage avoitauoit
tout le coeur en bon lieu, et le monstra bien, lorsque le grand Roy de Perse
le voulut attirer a luy a force d’doffres et grands presens; il luy rescrivitrescriuit
franchement qu’quil fairoit conscience de guarir les barbares qui vouloyent
tuer les grecs, et de servirseruir en rien par son art a celuy qui vouloit entreprenoit
d’dasservirasseruir la Grece. Or il est certain qu’quavecqauecq la liberté tout a coup se perd
la vaillanceuaillance, les gens subjetssubiets n’nont point d’alegresse ni d’aspretté au combat,
ils vont au danger quasi comm’attachés et tous engourdis par maniere
d’acquit, et ne sentent point bouillir dans le coeur l’lardeur de la franchise
qui fait mespriser les dangers, et donne envieenuie d’acheter entre ses compagnons
l’lhonneur et la gloire par une belle mort; Entre les gens libres c’cest a l’lenvienui
a qui mieux mieux, chascun pour le bien commun, chascun pour soy, la
ou ils s’attendent d’davoirauoir tous leur part, au mal de la deffaicte, ou au bien
de la victoire: Mais les gens asservisasseruis outre ce courage guerrier ils perdent
encor en toutes autres choses la vivacitéviuacité, et ont le coeur bas et mol
incapable de toute chose grande. Les Tirans cognoissent bien cela, et
voyans qu’quils prenent ce ply, pour le mieux faire avachirauachir, encor leur
y aident ils. Xenophon escrivainescriuain gravegraue et du premier rang entre les grecs
a fait un livreliure auquel il fait parler Simonide avecquesauecques Hieron le Roy 309 8
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[f. 8v]
de Siracuse des miseres du Tiran, ce livreliure est plain de gravesgraues et bonnes
remonstrances, et qui ont aussi bonne grace a mon advisaduis qu’quil est possible, que
pleut a Dieu que tous les Tirans qui ont jamaisiamais esté l’leussent mis devantdeuant
les yeux et s’sen feussent servisseruis de miroer, jeie ne puis croire qu’quils n’neussent
recogneu leurs verrues, et eu quelque honte de leurs taches: en ce traitté il
conte la peine en laquelle sont les tirans, qui sont contrains faisans mal
a tous se craindre de tous: Et entre autres choses il dit cela que les
mauvaismauuais Roys se serventseruent des Estrangers a la guerre et les soldoyent, ne
s’sosans fier de mettre a leurs gens, ausquels il[sic] font tort, les armes au
poing; il y a bien eu aussi de bons Roys qui ont eu a leur solde des
Nations Estrangeres, comme les Francoys mesmes, et plus encor d’dautresfois
qu’aujourd’auiourdhuy, mais a une autre fin, scavoirscauoir pour garder les leurs,
n’nestimant rien le dommage de l’largent pour espargner leurs hommes:
C’Cest ce que Scipion croys jeie le Grand Africain disoit qu’quil aymeroit mieux
avoirauoir sauvésauué un citoyen que deffaict cent ennemis. Mais certes cela est
bien certain que le Tiran communement ne pense jamaisiamais sa puissance bien
asseuree, sinon quand il est venu a ce poinct qu’quil n’na soubs luy homme
qui vaille: doncques a bon droit luy apliquera on ce Reproche de Thrason
au maistre des Elephans Pour cela vousuous estes si bravebraue que vous avesaues charge
des bestes. Ceste ruse des Tirans d’abestir leurs subjetssubiets, ne se peut
cognoistre plus clairement que par le procedé de Cire enversenuers les Lydiens
apres qu’quil se feut emparé de Sardes la capitale et qu’quil eut prins a
merci Crese ce Roy tant riche et l’leut emmené quand et luy, on luy porta
nouvellesnouuelles que les Sardiens s’sestoyent revoltésreuoltés, il les eut bien tot reduits
soubs sa main, mais ne voulant pas ni mettre a sac ceste ville, ni estre
en peyne de tenir tousjourstousiours une armee pour la garder, il s’advisaaduisa de
cest espedient d’dy establir des bordels, tavernestauernes, et berlans, et par Edict
ordonna aux habitans d’den faire estat, il se trouvatrouua si bien de ceste
garnison qu’quil ne luy falut jamaisiamais plus donner de coups d’despee contre les
Lydiens qui ne s’samuserent qu’qua inventerinuenter force jeuxieux toute sorte de jeus,
si bien que les Latins en ont tiré leur mot, apellans Lude, ce que nous
passetemps, comme s’sils vouloyent dire, Lyde. Les autres Tirans bien qu’quils
ne declarent pas si expressement leur volonté, ne laissent pas pour la plus
part de pourchasser en effet, ce que celuy la ordonna formelement.
Cest le naturel du menu populaire duquel le nombre est tousjourstousiours le plus
grand dans les villes d’destre soupçonneux a l’lendroit de celuy qui l’ayme,
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[f. 9] 75.
et simple enversenuers celuy qui le trompe, ne penses pas qu’quil y est[sic] aucun oiseau
qui se prene mieux a la pipee, ni poisson aucun qui pour la friandise du ver
s’sacroche plustot au clou, que tous les peuples s’sallechent vistement a la
servitudeseruitude pour la moindre plume qu’quon leur passe par le bec, et est
chose merveilleusemerueilleuse comm’il[sic] s’sy laissent aller aussi tost mais seulement qu’quon
les chatouille. Les theatres, les jeusieus, les farces, les spectacles des
gladiateurs, des bestes estranges, des medailles, des tableaux, et telles
autres drogueries estoyent aux peuples antiens les appats de la servitudeseruitude,
le prix de leur liberte, les outils de la Tirannie: Ce moyen, ceste prattique,
ces allechemens avoyentauoyent les anciens Tirans pour endormir leurs subjetssubiets soubs
le jougioug, ainsi les peuples assotés trouvanstrouuans beaux ses[sic] passetemps, enyvrésenyurés
d’dun vain plaisir qui leur passoit devantdeuant les yeux s’sacoustumoyent aussi
a servirseruir niaisement, mais plus mal que les petits enfans qui pour voir
les luisans les images des livresliures enluminés, aprenent la lecture,. Les Tirans Romains
s’adviserentaduiserent d’dun autre poinct encores, de le festoyer souventsouuent et toutes les
dix annees publiquement, abusant ceste quenaille comm’il faloit, qui
se laisse aller plus qu’qua autre chose au plaisir de la bouche, le plus
entendu d’entreux n’neut pas quitté son escuelle de souppe pour recouvrerrecouurer
la liberté de la Republique de Platon: Ces Tirans faisoyent largesse
du quart du blé, du septier du vin, du xesterce, et lors c’cestoit pitié
d’douir crier, ViveViue l’lEmpereur, les lourdauts ne s’sadvisoyentaduisoyent pas qu’quils
ne faisoyent que recouvrerrecouurer une partie du leur, et que cela mesmes qu’quils
recouvroyentrecouuroyent, le Tiran n’neut pas peu leur donner ci devantdeuant il ne l’lavoitauoit
osté a eux mesmes: tel eut amassé aujourd’aujourdhuy le xesterce et se feut
gorgé au festin en benissant Tibere et Neron et leur belle liberalité
qui le lendemain estant contraint d’dabandonner son bien a l’lavariceauarice,
ses enfans a la luxure, son sang mesmes a la cruaulté de ses[sic]
magnifiques Empereurs n’neut dit mot non plus qu’quune pierre, ne s’sen feut
remué non plus qu’quune souche; tousjourstousiours la populace a eu cella
d’destre au plaisir qu’quelle ne peut honnestement recevoirreceuoir toute ouverteouuerte et
dissolue, et au tort et a la doleur qu’quelle ne peut honnestement souffrir
insensible. Je ne vois maintenant personne qui oyant parler de Neron
ne tremble mesmes au seul nom de ce vilain monstre, de ceste sale et horrible
peste du monde, et toutesfois de celuy la, de ce boutefeu, de ce bourreau,
de ceste beste sauvagesauuage on veut dire qu’quapres sa mort aussi villaine que
sa vie, le noble peuple Romain en receut tel desplaisir se souvenantsouuenant de 310 9
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[f. 9v]
ses jeusieus, et de ses festins qu’quil feut sur le poinct d’en porter le deuil, j’iay
pour garant l’lexcellent Corneille Tacite aussi veritable que GraveGraue. Ce
qu’quon ne trouveratrouuera pas estrange qui considerera ce que ce mesme peuple avoitauoit
faict devantdeuant a la mort de Jules Caesar qui donna congé aux loix,
et a la liberté, auquel personnage il y a ce me semble si peu rien
qui vaille, que son humanite mesmes que l’lon preschoit tant feut plus
dommageable que la plus grande cruaulté du plus barbare Tiran qui
feut jamaisiamais, parceque ceste venimeuse douceur enversenuers le peuple espendra[unclear]
la servitudeseruitude; apres sa mort ceste sotte commune qui avoitauoit encor en la
bouche ses banquets, et en l’esprit la souvenancesouuenance de ses prodigalités, pour
luy faire ses honneurs, et le mettre en cendre amonceloit a l’lenvienui les bancs
de la place, et puis lui eslevaesleua une colonne comm’au pere du Peuple,
ainsi le portoit le chapiteau, et luy feit plus d’dhonneur tout mort qu’quil
estoit, qu’quelle n’nen deuo qu’quelle n’nen devoitdeuoit faire par raison a homme du
monde, si ce n’nestoyt possible a ceux qui l’lavoyentauoyent tué,. Ils n’noubli
erent pas cela aussi les Empereurs suivanssuiuans de prendre le Tiltre de
Tribun du peuple parmi leurs autres qualités, tant pour ce que cest
office estoit tenu pour sainct et sacré, qu’aussi il estoit establi pour
la deffense et protection du peuple, et par ce moyen soubs la faveurfaueur de
l’lEstat, ils s’sasseuroyent que ce peuple abesti se fieroit plus en eux,
comme s’sils devoyentdeuoyent en croire le nom, et non pas sentir l’effect. Ainsi
aujourd’aujourdhuy ne font pas mieux ceux qui ne font gueres mal aucun, qu’quils
ne passent devantdeuant quelque joliioli joliioli propos du bien commun et soulagement
du publicq, et nous n’navonsauons que trop veu les formulaires desquels ont
usé ces remueurs de mesnage aussi finement qu’impudemment. Les Roys
d’dAssirie et apres eux ceux de Medie
⁁ pratiquoyent un autre
artifice autant effronté
que grossier mais non inutile
car ils
ne se presentoyent en publicq que
le plus tart qu’quils pouvoyentpouuoyent, pour mettre en ce doubte le populaire
s’sils estoyent en quelque chose plus qu’hommes et le laisser en ceste resverieresuerie,
ainsi tant de Nations qui feurent asses long temps soubs cest Empire
avecquesauecques ce mystere s’sacoustumoyent a servirseruir plus volontiers pour ne
scavoirscauoir quel maistre ils avoyentauoyent, ni a peine s’sils en avoyentauoyent, et craignoyent
tous a credit un, que personne n’navoitauoit veu. Les premiers Roys d’Egipte
ne se monstroyent gueres qu’quils ne portassent tantost un chat, tantost
une branche, tantot du feu sur la teste se masquoyent ainsi et faisoyent
les basteleurs, et par l’lestrangete de la chose ils donnoyent a leurs subjetssubiets
Fac-similé BVH

[f. 10] 76.
reverencereuerence et admiration, mais aux gens qui n’neussent estéeussent aux gens non trop sots ou
trop asservisasseruis apresté passetemps et risee. C’Cest pitié d’ouyr parler de
combien de choses les Tirans d’autresfois faisoyent leur proffit pour fonder
leur Tirannie, de combien de petis moyens ils se servoyentseruoyent grandement,
ayans trouvétrouué de tout temps ce populas fait a leur poste, auquel ils ne
scavoyentscauoyent si mal tendre, qu’quil ne se vint prendre, duquel ils ont tousjourstousiours
eu si bon marché de tromper, qu’quils ne s’sasubjettissoyentasubiettissoyent jamaisiamais tant que
lors qu’quils s’sen moquoyent le plus. Que diray jeie d’dun’autre belle bourde
que les peuples antiens prindrent pour argent content, ils creurent
fermement que le gros doigt d’dun pied de Pirrhus Roy des Epirotes
faisoit miracles et guarissoit les maladies de la ratte, ils enrichirent
mieux le comte encores, que ce doigt fee fee apres qu’quon eut brulé
tout le corps mort se trouvatrouua entre les cendres s’sestant sauvésauué malgré
le feu, tousjourstousiours ainsi le peuple sot fait luy mesme les mensonges
pour apres les croire, prou de gens l’lont escrit mais de facon qu’quil est
facile a voiruoir qu’quils ont amassé cela des bruits de ville et du vain discours
du populaire. Vespasian revenantreuenant d’dAssirie passant en Alexandrie
pour aller a Rome s’emparer de l’empire faisoit il pas des merveillesmerueilles, il
adressoit les boiteux, rendoit clairvoyantsclairuoyans les aveuglesaueugles et tout plein
d’dautres belles choses, ausquelles qui n’ni pouvoitpouuoit voir les faultes qu’quil y
avoitauoit, estoit a mon advisaduis plus aveugleaueugle que ceux qu’quil garissoit. Les
Tirans mesmes trouvoyenttrouuoyent bien estrange que les hommes peussent endurer
un homme leur faisant mal, ils vouloyent fort se mettre la religion
devantdeuant pour guarde corps, et s’sil estoit possible emprunter quelque
eschantillon de la DivinitéDiuinité pour le soustient de leur meschante vie;
et de ce nous faict foy le procede de Romule, Alexandre, Caligula
et tels autres brigans, ausquels nous adjouteronsadiouterons Salmonee si l’on croit a
la Sibile de Virgile en son enfer, lequel pour s’estre ainsi moqué des
gens, et avoirauoir voulu faire du Jupiter foudroyant en rend maintenant
conte, si celuy qui ne faisoit que le sot est a cest heure ainsi pelaudé
la bas, comme le decrit ce poete, jeie croy que ceux qui ont abusé de la
religion pour estre meschans s’sy trouveronttrouueront a meilleures et certaines
enseignes. Les nostresNos Princes semerent en France jeie ne scay quoy de tel, des
crapaus, des fleurs de lys, de l’ampoule, de l’loriflam, des guarisons
d’descrouelles, ce que pour moy jeie ne veux comment qu’quil en soit encores
mescroire, puisque nous et nos ancestres n’navonsauons eu aucune ocasion jusqu’iusquici 311 10
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[f. 10v]
de l’avoirauoir mescreu, ayans eu des Roys si bons en la paix, si vaillans en
la guerre que bien qu’quils naissent Roys si semble il pourtant qu’quils ont
esté non pas faits comme les autres par la Nature, mais choisis par le
tout puissant devantdeuant que naistre pour le gouvernementgouuernement et garde de ce
Royaume, Et quand cela ne seroit pas si ne voudrois jeie pas entrer en
lice pour debattre en cela la verité de nos histoires, non plus que celle des
Romains a cause de leurs Anciles, ni celle des grecs pour le pannier
Prince Ericton et l’lOliveOliue d’dEricthone si bien gardée a Athenes, ou leur OliveOliue dans la Tour de
MinerveMinerue, Je serois outrageux de vouloir dementir nos livresliures. Mais pour
revenirreuenir d’dou jeie ne scay comment j’iavoisauois destourné le fil de mon discours,
il n’a jamaisiamais esté que les Tirans n’ayent tousjourstousiours pour s’asseurer travaillétrauaillé
d’accoustumer leurs peuples enversenuers eux, non pas seulement a obeissance et
servitudeseruitude, mais encores a devotiondeuotion. Ce que j’iay dict jusquesiusques icy qui aprend
les gens a servirseruir volontiers, ne sert gueres aux Tirans que pour le menu
et gros populaire. Mais maintenant jeie viens a un poinct lequel a
mon advisaduis est le secret de la cabale, et le ressort de la domination,
le soustien et le fondement de la Tirannie. Qui pense que les halebardiers
des gardes conserventconseruēt les Tirans a mon jugementiugement se trompe fort, ils
s’sen aydent plus comme jeie croy pour l’lostentation et l’lespouvanteespouuante que pour
fiance qu’quils y ayent, pour preuvepreuue les archers gardent d’entrer dans
le palays et chambre des Roys les malhabillés qui n’nont nul moyen,
non pas les bien armés qui peuventpeuuent seuls faire quelque entreprise; des
Empereurs Romains il est aisé a conter qu’quil n’ni en a pas de tant qui
ayent eschapé quelque danger par le secours de leurs archers, que de
ceux qui ont esté tués par leurs gardes propres; Ce ne sont pas
leurs bandes de cavaleriecaualerie, ni les regimens de fanterie qui defendent
le Tiran, mais on ne le croira pas du premier coup bien que veritable,
ce sont quatre ou cinq qui maintienent le Tiran, quatre ou cinq
seulement qui luy tiennent tout le pays en servageseruage, tousjourstousiours il a esté
que cinq ou six ont eu l’loreille du Tiran et si sont aprochés d’eux
mesmes, ou bien ont esté apellés par luy pour estre les complices de
ses cruautes, les compagnons de ses pilleries, les maquereaux de ses
voluptes. Ses[sic] six adressent si bien leur chef qu’quil faut pour leur
societé qu’quil soit meschant non pas de ses meschancetés seules, mais
encore des leurs. Ses[sic] six ont six cens qui profitent soubs eux,
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[f. 11] 77.
et font a eux les six cens ce que les six font au Tiran, ils amassent de la
proye ce qui leur eschape, ses[sic] six cens ont le gouvernementgouuernement des villes
et provincesprouinces et le maniement des armes et finances afin qu’quils tienent la main a leur
avariceauarice et cruaulté, et qu’quils l’lexecutent quand il sera temps, et facent tant
de mal d’ailleurs qu’quils ne puissent durer que soubs leur ombre, ni s’exempter
que par leur moyen des loix et de la peyne; ses[sic] six cens tienent soubs eux
six mille ausquels ilz sont faict donner estas et charges importantes,
et qu’quils ont eslevéesleué en grade et dignité, grande est la suitte qui vient apres
de cela, et qui voudra s’amuser a deviderdeuider ce fil, il verra que non pas les
six mille, mais les cent mille, les millions par ceste corde se tienent au
Tiran, s’saidant d’dicelle comme Jupiter en Homere qui se vante s’sil tire la
chesne d’demmener verssoy vers soy tous les Dieux: De la est venue la creue
du Senat soubs Jules, l’lestablissement des nouveauxnouueaux estats, creation d’offices,
non pas certes a le bien prendre reformation de Justice mais nouveauxnouueaux
soustiens de la tirannie, en somme tout en vient jusquesiusques la par les faveursfaueurs, et soubs
faveursfaueurs, les gains, ou regains qu’quon a avequesaueques le Tiran, qu’quil se trouvetrouue
enfin quasi autant de gens ausquels la tirannie semble estre profitable,
comme de ceux a qui la liberté seroit agreable: Tout ainsi que les medecins
disent qu’quen nostre corps s’sil y a quelque chose de gasté, deslors qu’en un
autre endroit il s’si bouge rien il se vient aussi tost rendre vers ceste
partie vereuse, pareillement deslors qu’un Roy s’sest declaré Tiran tous
les mauvaismauuais garnemens, toute la lie du royaume Je ne dis pas un tas
de larroneaux qui ne peuventpeuuent gueres en une Republique faire mal ni
bien, mais generalement tous ceux qui sont tarés d’une ardente ambition,
et d’dune notable avariceauarice s’samassent autour de luy, et le soustienent pour
avoirauoir leur part du butin, et estre soubs le Grand Tiran tiranneaux eux
mesmes. Ainsi font les insignes voleurs, et fameux corsaires, les uns
devorentdeuorent le pays, les autres chevalentcheualent les voyageurs, les autres sont
en embusche, les autres au guet, les uns massacrent, les autres despouillent,
et encores qu’quil y ait entr’entreux des preeminences, et que les uns ne soyent que
valets les autres les chefs de l’lassemblee, si n’nen y a il a la fin pas un
qui ne s’sen sente, sinon du principal butin au moings d’dune partie. On
dit bien que les Pirates Ciliciens ne s’sassemblerent pas seulement en si grand
nombre qu’quil falut envoyerenuoyer contr’contreux Pompee, mais encore tirerent a
leur alliance plusieurs belles villes et grandes Cités aux haures desquelles 312 11
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[f. 11v]
ils se mettoyent en seureté revenansreuenans des courses, et pour recompense leur
bailloyent quelque profit du recelement de leurs pilleries. Ainsi le Tiran
asservitasseruit les subjetssubiets par le moyen des autres, et est gardé par ceux desquels
s’sils valoyent rien il se debvroitdeburoit garder, et comm’common dit pour fendre le
bois il se fait les coings du boys mesme; voila ses Archers, voyla ses
gardes, voila ses halebardes, non pas qu’queux mesmes ne soufrent bien
quelquefois de luy, mais ses[sic] perdus abandonnés de Dieu et des hommes
sont contans d’endurer du mal pour en faire, non pas a celuy qui leur
en faict, mais a ceux qui en endurent comm’eux, et qui n’nen peuventpeuuent d’dadvantageaduantage,
Et toutesfois voyans ces gens la qui n’naquettent les Tirans pour faire
leur besongne de sa[sic] tirannie et de l’lesclavageesclauage du peuple, il me prend
souventsouuent esbaissement de leur meschanceté, et quelque fois pitié de leur sottise,
Car a dire vray qu’quest ce autre chose de s’saprocher du Tiran sinon que
s’sesloigner de sa liberté, et par maniere de dire serrer a deux mains et
embrasser la servitudeseruitude. Qu’Quils mettent un peupetit a part leur ambition,
qu’quils se deschargent un peu de leur avariceauarice, et puis qu’quils se regardent
eux mesmes, qu’quils se recognoissent, et ils verront clairement que les
villageois, les paysans lesquels tant qu’quils peuventpeuuent ils foulent aux pieds
et en font pis que des forçats ou EsclavesEsclaues, ils verront dis jeie, que ceux la
ainsi malmenés sont toutesfois a leur respect fortunés et aucunement
libres; le laboureur et artisan pour tant qu’quils soyent asservisasseruis en sont
quittes en faisant ce qu’quon leur dict que le tiran veut, les autres qui sont
pres de luy coquinans et queymandans sa faveurfaueur il ne faut pas seulement
qu’quils facent ce qu’quil dit mais pour lui satisfaire qu’quils prenent et facent
ses pensees: Ce n’nest pas tout a eux de luy obeir, il luy faut complaire,
il faut qu’quils se rompent, qu’quils se tormentent, qu’quils se tuent a
travaillertrauailler en ses affaires, et puis qu’quils se plaisent de son plaisir, qu’quils
laissent leur goust pour le sien, qu’quils forcent leur complexion, qu’quils
despouillent leur nature, il faut qu’quils prenent garde a sa parole,
a sa voix, a ses signes, a ses yeux, qu’quils n’nayent ni oeil, ni pied, ni main
que tout ne soit au guet pour espier et descouvrirdescouurir ses voluntes.
Cela, est ce vivreviure heureusement? cela s’sapelle il vivreviure? Est il au
monde rien moins suportable que cela, jeie ne dis pas a un homme de
coeur, mais a un qui ayt le sens commun, ou sans plus la face d’dun
homme? Quelle condition est plus miserable que de vivreviure ainsi qu’quon
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[f. 12] 78.
n’naye rien a soy, tenant d’dautruy son aise, sa liberté, son corps, et sa vie.
Ils veulent servirseruir pour gaigner des biens, comme s’sils pouvoyentpouuoyent gaigner
rien qui feut a eux, puisqu’puisquils ne peuventpeuuent dire de soy qu’quils soyent a eux
mesmes: et comme si aucun pouvoitpouuoit avoirauoir rien de propre soubs un Tiran.
ils veulent faire que le bien soit a euxpar son moyen acquerir ldes biens soyent a eux, et ne se
souvienentsouuienent pas que ce sont eux qui luy donnent la force pour oster tout
a tous, et ne laisser rien qu’quon puisse dire estre a personne, ils voyent que
rien ne rend les hommes subjetssubiets a sa cruaulté que les biens, qu’quil n’ny a crime
tant enversenuers luy digne de mort que l’lopulence, qu’quil n’nayme que les richesses, ne
deffait que les puissans en thresors, et ils se vienent presenter comme devantdeuant
le bouscher pour si offrir ainsi plains et refaicts, et luy en faire envieenuie.
ses favoritsfauorits ne se doiventdoiuent pas tant souvenirsouuenir de ceux qui ont gaigné autour
des tirans beaucoup de biens, comme de ceux qui ayans quelque temps amassé
puis apres ont perdu et les biens et la vie, il ne leur doibt pas venir en
l’esprit combien d’dautres y ont gaigné de richesses, mais combien peu ceux
la les ont gardées. Qu’on discoure toutes les ancienes histoires, qu’quon
regarde toutes celles de nostre souvenancesouuenance, on verra tout a plain combien
est grand le nombre de ceux qui ayans gaigné par mauvaismauuais moyens
l’loreille des Princes, ayent ou employé leur malice, ou abusé de leur
simplicité a la fin par ceux la mesmes ont esté aneantis, et autant qu’quils
y avoyentauoyent trouvétrouué de facilité pour les esleveresleuer, autant puis apres y ont
ils cognu d’inconstance pour les abatre. Certainement en si grand
nombre de tant de gens qui ont esté jamaisiamais pres de tant de mauvaismauuais
Roys, il en est peu ou comme point, qui n’nayent quelquefois essayé en
eux mesmes la cruaulté du Tiran qu’quils avoyentauoyent devantdeuant attizee contre
les autres, s’sestant le plus souvantsouuant enrichis soubs ombre de sa
faveurfaueur des despouilles d’dautruy, ils l’lont enfin eux mesmes enrichi de leurs
despouilles. Les gens de bien, si par fortune il s’sen trouvetrouue quelquefois
aymés du Tiran, tant soyent ils avantauant en sa grace, tant que reluise
en eux la vertu et l’lintegrité, qui voire aux plus meschans donne quelque
reverencereuerence de soy quand on la voituoit de prés, mais les gens de bien mesmes
ne scauroyent durer et faut qu’quils se sentent du mal commun, et qu’a leurs
despens ils esprouventesprouuent la Tirannie: un Seneque, un Burre, un Thrasee, ceste
tire de gens de bien, lesquels, mesmes les deux, leur malefortune les 313 12
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[f. 12v]
aprocha d’dun Tiran, et leur mit en main le maniement de ses affaires, tous
deux estimés de luy, tous deux cheris de luy, et encores l’lun l’lavoitauoit nourri
et avoitauoit pour gage de son amitié la norriture de son enfantenfance, mais ces
trois la sont suffisans tesmoings par leur cruelle mort, combien il y a
eu peu de fiance en la faveurfaueur d’dun mauvaismauuais Maistre: Et a la verité
quelle faveurfaueur peut on esperer de celuy qui a bien le coeur si dur de
hair son Royaume qui ne faict que luy obeir, et lequel pour ne se
scavoirscauoir pas encores aymer s’sapauvritapauurit luy mesme et destruit son
Empire. Or si l’lon veut dire que ceux la pour avoirauoir bien vescu sont
tombés en ses[sic] inconveniensinconueniens, qu’quon regarde hardiment autour de celuy la
mesmes, et on verra que ceux qui vindrent en sa grace, et si maintindrent
par meschanceté ne feurent pas de plus longue duree: Qui a jamaisiamais
ouy parler d’damour si abandonnee, d’daffection si opiniastre, qui a jamaisiamais
rien veu ni leu desi obstineement acharné enversenuers femme que de celuy
la enversenuers Poppee, or feut elle apres empoisonneemeurtrie par luy mesme:
Agripine sa mere avoitauoit tué Claude son mari pour luy faire place
en l’Empire, pour l’obliger elle n’navoitauoit jamaisiamais faict difficulté de rien
faire, ni de souffrir, doncques son fils mesme, son nourriçon, son
Empereur fait de sa main apres l’lavoirauoir souventsouuent faillie luy osta la
vie, et ne feut lors personne qui ne dit qu’quelle avoitauoit trop merité ceste
punition si c’ceust esté par les mains de tout autre que de celuy a qui
la luy Elle l’avoitauoit baillee. Qui feut oncques plus aisé a manier, plus
simple, ou pour le dire mieux plus vray niays que Claude l’lEmpereur
qui fut oncques plus coefé d’amour que luy de Messaline, il la mit
enfin entre les mains du bourreau. La simplesse demeure tousjourstousiours
aux Tirans s’sils en ont a ne scavoirscauoir bien faire, mais jeie ne scay
comment a la fin pour user de cruaulté mesmes enversenuers ceux qui leur
sont prés si peu qu’quils ayent d’desprit cela mesmes s’sesveilleesueille. Asses
commun est le beau mot de cest autre qui voyant la gorge descouvertedescouuerte
de la femme qu’quil aymoit le plus, et sans laquelle il sembloit qu’quil
n’neut sceu vivreviure, il la caressa de ceste belle parole, ce beau col
sera tantot coupé si jeie le commande. Voila pourquoy la pluspart
des Tirans anciens estoyent communement tués par leurs plus
favoritsfauorits, qui ayans cogneu la nature de la Tirannie ne se pouvoyentpouuoyent
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[f. 13] 79.
tant asseurer de la volonté du Tiran, comm’commils se desfioyent de sa
puissance, ainsi feut tue Domitian par Estienneles siens et sa femme, Commode par une
De ses amies, Antonin par Macrin, Et de mesme quasi tous les autres.
C’Cest cela que certainement jamaisiamais le tiran ni n’nest aymé, ni n’nayme,
L’Lamitié est un nom sacré, c’cest une chose saincte, elle ne se met jamaisiamais
qu’quentre gens de bien, elle ne se prend que par une mutuelle estime,
Elle s’sentretient non pas tant par bienfaicts que par la bonne vie, ce
qui rend un ami asseuré de l’lautre, c’cest la cognoissance qu’quil a de son
integrité, les respondans qu’quil en a c’cest son bon naturel, sa foy, et
sa constance: Il n’ni peut avoirauoir d’damitié la ou est la cruaulté, la
desloyauté, l’linjustice, entre les meschans quand ils s’sassemblent, c’cest
un complot non pas compagnie, ils ne s’sentrayment pas mais ils s’sentre
craignent, ils ne sont pas amis mais ils sont complices. Si tout cela
n’nempeschoit point, encor seroit il malaisé de trouvertrouuer en un Tiran un
amour asseuré, poucequ’pourcequestant dessus tous et n’nayant point de
compagnons il est desjadesia au dela des bornes de l’lamitié, qui a son vray
gibier en l’legalité, qui ne veut jamaisiamais clocher, ains est tousjourstousiours
esgale; Voila pourquoy il y a bien ce dit on entre les voleurs quelque
foy au partage du butin pourcequ’pourcequils sont pairs et compagnons, Et
que s’sils ne s’sentrayment au moins ils s’sentrecraignent, et ne veulent pas
en se divisantdiuisant rendre la force moindre: Mais du Tiran ceux qui sont
ses favoritsfauorits ne peuventpeuuent jamaisiamais avoirauoir aucune asseurance, de tant
qu’quil a appris d’deux mesme qu’quil peut tout, et qu’quil n’ny a droit ni devoirdeuoir
qui l’oblige, faisans son estat de conter sa volonté pour Raison,
et n’navoirauoir compagnon aucun ains estre de tous maistre. N’Nest ce pas
grand pitié que voyant tant d’dexemples aparans, le danger si present,
personne ne se veuille faire sage aux despans d’dautruy, et que tant de
gens s’saprochent si volontiers des Tirans qu’quil n’ny ait pas un qui est[sic]
l’lavisementauisement ou l’lhardiesse de leur dire ce que dit (comme porte le conte)
le Renard au Lyon qui faisoit le malade, Je t’tirois voir de bon coeur
en ta taniere mais jeie voy asses ldes traces des bestes qui vont en
avantauant vers toy, en arriere qui revienentreuienent jeie n’nen voy pas une. ses[sic]
miserables voyent reluire les thresors des Tirans, et regardent tous 314 13
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[f. 13v]
Estonnés les rayons de sa braveriebrauerie, et allechés de ceste clarté ils
s’saprochent et ne voyent pas qu’quils se mettent dans la flame qui ne peut
faillir a les consumer: Ainsi le Satyre indiscret voyant esclairer
le feu trouvétrouué par Promethee le trouvatrouua si beau qu’quil l’ala baiser et
se brula, ainsi le papillon qui esperant jouiriouir de quelque plaisir dans
le feu pourcequ’pourcequil reluit, esprouveesprouue l’lautre vertu celle la qui brule.
Mais encor mettons que ses mignons eschapent des mains de celuy
qu’quils serventseruent, ils ne se sauventsauuent jamaisiamais du Roy qui vient apres, s’sil est
bon il faut rendre conte et recognoistre au moings une fois et lors la
raison, s’sil est mauvaismauuais et pareil a leur maistre il ne sera pas qu’quil n’nait
aussi bien ses favoritsfauorits, lesquels communement ne sont pas contens
d’avoirauoir a leur tour la place des autres s’sils n’nont encor le plus souventsouuent
et les biens et la vie. Ce[sic] peut il doncques faire qu’quil se trouvetrouue aucun
qui en si grand peril, avecauec si peu d’dasseurance veuille prendre ceste place
malheureuse, et servirseruir en si grand peine un si dangereux Maistre,
quel travailtrauail quel martire est ce d’destre nuit et jouriour pour songer
apres de complaire a un, et neantmoins se craindre de luy plus que
d’dhomme du Monde, avoirauoir tousjourstousiours l’loeil au guet, l’loreille aux escoutes
pour espier d’dou viendra le coup, pour descouvrirdescouurir les embusches, pour
sentir les menees de ses compagnons, pour aviserauiser qui le trahit, rire
a chascun, se craindre de tous, n’navoirauoir aucun ni ennemi ouvertouuert, ni
ami asseuré, avoirauoir tousjourstousiours le visage riant, et le coeur transi, ne
pouvoirpouuoir estre joyeuxioyeux, et n’oser estre triste. Mais c’est plaisir de
considerer ce qui leur revientreuient de ce grand torment, et le bien qu’quils
peuventpeuuent attendre de leur peyne, et de ceste miserable vie. Volontiers
le peuple du mal qu’quil souffre n’nen accuse pas le Tiran ains ceux qui
le gouvernentgouuernent, ceux la les peuples, les Nations tout le monde a l’lenvienui
jusquesiusques aux,[sic] paysans, jusquesiusques aux laboureurs ils scaventscauent leur nom,
ils deschirent deschifrent leur vie, ils amassent sur eux mille outrages,
mille maudissons, toutes leurs oraisons, tous leurs voeus sont contr’contreux,
tous leurs malheurs, toutes leurs pestes, toutes leurs famines, toutes
leurs guerres ils les leur reprochent, et si quelque fois ils leur font
quelque aparence d’honneur, lors mesmes ils les maugreent en leur
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[f. 14] 80.
Coeur, et les ont en horreur plus estrange que les bestes sauvagessauuages, que les
Demons. Voila durant leur vie la gloire, voila l’honneur qu’quils recoiventrecoiuent de leur serviceseruice
enversenuers les gensenversenuers ses[sic] gens la, desquels quand chascun auroit sa piece de leur corps
ils ne seroyent pas encore si semble satisfaits, ni a demi saoulés de
leur peyne,
voilauoila durant leur vie la
gloire voilauoila l’lhonneur qu’quils
recoiventrecoiuent de leurs servicesseruices
EncorEt apres qu’quils sont morts ceux qui vienent apressurviventsuruiuent ne sont
jamaisiamais si paresseux que les noms de ses[sic] mangepeuples ne soit noirci[sic] de
l’lencre de mille plumes, et la reputation deschiree dans mille livresliures, et les
os mesmes par maniere de dire traisnés par la posterité, les punissant
encor apres la mort de leur meschante vie. Aprenons doncques quelquefois
Aprenons a bien faire, levonsleuons les yeux vers le ciel, ou bien pour nostre
honneur ou pour l’lamour mesme de la vertu, ou certes a parler comm’commil faut
pour l’lamour et honneur de Dieu tout puissant et tout justeiuste qui est
asseuré tesmoing de nos faits, et jugeiuge tres Entier de nos fautes: De
ma part jeie pense bien et ne suis pas trompé puisqu’puisquil n’nest rien si contraire
a Dieu tout liberal et debonnaire que la tirannie qu’quil reservereserue la bas a
part pour les Tirans et leurs complices quelque peyne particuliere.

Passeport a un prisonnier de guerre ou un plaideur.

Camarades laisses passer
puisqu’puisquil n’ny a dequoy fricasser
ceste pauvrepauure cane eschapee
d’dentre les pates d’dun barbet
l’layant d’dune façon plumee
qu’quil ne luy reste de dumet.

Epigrame pour le mesme.

Le prodige nouveaunouueau nous trouble la cervelleceruelle
et nous privepriue importun de repas et sommeil
a perine on a veu l’leclipse d’dun soleil
par l’linterposition d’dune l’lune nouvellenouuelle.

Epigrame

Si ta fēmefemme atant Gilles au lieu de s’sesjouiresiouir
pour ton heureux retour, et de te faire feste;
ne la blasme Baron, elle devoitdeuoit fuir
te scachant en courroux, et des cornes en teste.

autre

Ne resveresue plus pourquoy melancolique Bazon
ta femme a ton retour a quitté ta maison
certes elle a fui mais pour ne te cognoistre
estonnee a l’laspet du changement nouveaunouueau
De ta forme premiere en celle la d’dun veau
qui te faict sur le front deux cornes aparoistre. 315 14

Fac-similé BVH

[f. 14v][Feuillet biffé] [...]

[Note (Alain Legros) :
adresse 1
note marginale sur deux lignes
coeur encadré de 4 fermesses
1 demi-ligne
27 lignes avec deux ajouts encadrés en marge
adresse 2
note marginale sur deux lignes
coeur encadré de 4 fermesses
1 demi-ligne
5 lignes ]
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Première publication : 22/06/2017