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ARCADIE
DE MESSIRE IAQVESJAQUES
SANNAZAR
GENTIL HOMME NA-
POLITAIN.
LES grans et spacieux arbres produictz
par nature sus les haultes montagnes,
ordinairement se rendent plus agrea-
bles a la ueueveue des regardans, que les plantes son-
gneusement entretenues en uergiersvergiers delicieux par
IardiniersJardiniers bien experimentez. AußiAussi le chant ra-
mage des oyseaux qui par les forestz se degoysent
sus branches uerdesverdes, faict autãtautant de plaisir a qui les
escoute, que le iargonjargon de ceulx qui sont nouriz es
bõnesbonnes uillesvilles, et aprins en cages mignottes. Ce qui me
faict estimer que certaines chãsonschansons rurales trassées
sus raboteuses escorces d’arbres, ne cõtententcontentent aucu-
nesfois moins les lecteurs, que plusieurs poemes la-
borieusement cõposezcomposez, & escriptz en beaux cha-
racteres sus feuilletz de liureslivres dorez. D’aduãtageadvantage
que aucũsaucuns chalumeaux de pasteurs accouplez auecavec
de la cire, rendent parmy les ualleesvallees, des armonies
(parauantureparavanture) autant aymables, que les resonances
d’aucuns instrumens ciuilzcivilz tournez de Buys tant
estimé, encores que lõl’on s’en delecte en salles et chã-
brescham-
bres põmpeusespompeuses. PareillemētPareillement une fontaine biēbien bordee A iij
L’ARCADIE
d’herbes uerdoyantesverdoyantes, et qui naturellement sort de
roche uiuevive, se presente außiaussi gaye a la ueueveue que les
artificielles diaprees de marbre de toutes cou-
leurs. Sus ceste confiance ieje pourray bien reciter
en ces desers, aux arbres escoutans, & a ce peu
de pasteurs qu’il y aura, quelques Eglogues yssues
de naturelle ueineveine, encores a present autant rudes
& mal polies, qu’elles estoyent lors que ieje les ouy
chanter soubz le fraiz umbrage des arbrisseaux,
& entre les murmures des fontaines courantes
par aucuns pasteurs d’Arcadie, ausquelz les dieux
des montagnes rauizraviz de la douceur, ne presterent
une seule fois, mais plus de mille, leurs oreilles en-
tentiuesen-
tentives, mesmes les gentilles Nymphes entrelais-
sans leurs chasses commencées, en appuyerent bien
arcz & trousses cõtrecontre les tiges des Sapins de Me-
nalo et Lyceo. A ceste cause, s’il m’estoit licite appro-
cher mes leureslevres du simple flageolet que Dametas
donna iadizjadis a Corydon, ieje m’en estimeroye au-
tant que de manier la trompe resonnante de Pallas,
auecavec laquelle Marsias l’outrecuydél’outre cuydé Satyre oza biēbien
a son grand dommage prouocquerprovocquer Apollo, d’autant
que mieux uaultvault songneusemētsongneusement cultiuercultiver une sienne
petite piece de terre, que par nõchallancenonchallance en laisser
une bien grãdegrande malheureusemētmalheureusement tumber en friche.
Dessus le mont Parthenio, qui n’est des moin- dres
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DE SANNAZAR.
dres de la pastorale Arcadie, se treuuetrevue une belle
plaine de bien petite estendue, pourautant que la si-
tuation du lieu n’en seroit autrement capable: mais
elle est si bien garnie d’herbe uerdeverde, que si les trou
peaux des bestes n’en paissoyētpaissoyent, lonl’on pourroit en tou
tes saisons y trouuertrouver de la uerdureverdure. En ce lieu (si ieje
ne m’abuze) peult auoir une douzaine d’arbres de
tant rare & exquise beaute, que qui s’amuseroit a
les contempler, pourroit dire, nature la perfaicte
ouuriereouvriere, auoiravoir prins grand plaisir,& s’estre son-
gneusement estudiée a les former: car estans aucu-
nement distans les uns des autres, & disposez d’un
ordre sans articfice, ilz enrichissent grandement sa
nayuenayve beaute. Tout premier lonl’on y treuuetreuve le Sapin
hault, droict, et sãssans neudz, formé pour endurer les
tourmentes de la mer. Apres y est le Chesne robuste
a brãchesbranches plus lõgueslongues et feuillues. puis on y ueoitveoit le
iolyjoly Fresne, et le Plane delicieux, dont les umbrages
n’occupent peu de place emmy ce beau pré. D’ad-
uantagead-
vantage y est (a rameaux plus courtz) l’arbre du-
quel Hercules se souloit courõnercouronner, en la tige duquel
furent trãsforméestransformées les dolentes filles de Clymene.
A l’un des costez sont, le nouailleux Chastaigner, le
Buys feuillu, et le hault Pin a dur fruict, et poignãtpoignant
feuillage. De l’autre part, le Hestre umbrageux,
le Tilleul incorruptible, & le fragile Tamarin, a-
A iiij
L’ARCADIE
uecvec la Palme orientale, doulx & honorable guerdõguerdon
des uictorieuxvictorieux: au meillieu desquelz ioignantjoignant une
claire fontaine, s’eslieueeslieve uersvers le ciel un Cypres en
guyse d’une haulte Borne, si plaisant a ueoirveoir, que nõnon
seulement Cyparissus, mais (s’il se peult dire sans
offense) Apollo mesme ne se desdaigneroit d’estre
en sa tige transfiguré. Et ne sont ces plantes si mal
gracieuses, que leurs umbrages empeschent totale-
ment les rayõsrayons du Soleil de penetrer en ce delicieux
pourpris, ains par diuersdivers endroitz les recoyuentrecoyvent si
gracieusemētgracieusement, que rare est l’herbette ꝗqui n’en tire au-
cune recreation. Or cõbiencombien qu’en toutes saisons il y
face merueilleusemētmerveilleusement beau frequēterfrequenter, si est ce q̄que du-
rant le printemps encores y faict il plus gay qu’en
tout le reste de l’année. En ce lieu tel q̄que ieje uousvous cõ-
ptecom-
pte, les pasteurs des montagnes circunuoisinescircunvoisines ont
apris de mener souuētsouvent paistre leurs troupeaux, &
s’entr’esprouuers’entr’esprouver a plusieurs penibles exercices, cõ-
mecom-
me a getter la barre, tirer de l’arc, saulter a plu-
sieurs saultz, et s’entr’empõgnerentr’emponger a la lutte: en quoy
le plus souuentsouvent ilz chantent & sonnētsonnent herpes ou
musettes a l’enuy, non sans pris & louēgelouenge de celuy
qui faict le mieux. Or aduintadvint une fois entre les au-
tres, que la plus grãdgrand part des pasteurs circunuoi-
sinscircunvoi-
sins s’assembla sus celle mõtagnemontagne, chascun auecavec son troupeau
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DE SANNAZAR.
troupeau. Lors en proposant diuersesdiverses manieres d’es-
batemēses-
batemens, tous sentoyent plaisir inestimable, excepté
le pourepovre Ergaste, lequel s’estoit aßisassis loing de la
troupe au pied d’un arbre, & la se tenoit sans par-
ler ny mouuoirmouvoir, cõmecomme une pierre ou quelque souche,
non recors de soy ny de ses bestes, combien que au
parauantparavant il auoitavoit tousiourstousjours esté plus gracieux &
recreatif que nul des aultres. Quoy uoyãtvoyant SeluagioSelvagio,
meu a compaßioncompassion de son miserable estat, pour luy
donner allegeance de ses tourmentz, se print ainsi
amiablement a l’araisonner chãtantchantant a haulte uoixvoix:
SELVAGIO.
Amy, pourquoy te ueoyveoy ieje en ce poinct taire,
Morne, pensif, dolent, & solitaire?
Il n’est pas bon de tes bestes laisser
A leur plaisir ces landes trauersertraverser.
VeoyVeoy celles la qui passent la riuiereriviere.
VeoyVeoy deux belliers qui courent la derriere
Les testes bas, s’ilz se mettent empoinct
Pour se chocquer tout en un mesme poinct.
Au plus uaillantvaillant les autres fauorisentfavorisent,
SuyuentSuyvent ses pas, le reuerentreverent & prisent,
Chassant d’entr’eulx & mocquant par semblant
Le desconfit de uergongnevergogne tremblant.
Ne scaiz tu pas qu’encores que les loupz
L’ARCADIE
Ne facent bruyt, leurs pillages sur nous
Sont merueilleuxmerveilleux, ueuveu que noz chiens de garde
Sont endormiz, & que n’y prenons garde?
IaJa par les boys amoureux oyselletz
S’apparians font leurs nidz nouuelletznouvelletz.
La neige fond, & coule des montagnes,
Dont semble a ueoirveoir qu’il sourde en ces cãpagnescampagnes
Fleurs a milliers, & que toute branchette
NouueauxNouveaux bourgeons & tendres feuilles gette.
IaJa les aigneaux iusquesjusques aux plus petitz
Vont pasturant l’herbette en ces pastiz:
Et Cupido reprend pour son soulas,
Fleches & arc, dont oncques ne fut las
De naurernavrer ceulx qui luy font resistence,
Et transmuer en cendre leur substance.
Progne reuientrevient de region loingtaine
AuecAvec sa seur, en querele haultaine
Se lamenter de l’ancien outrage
Que Tereus leur feit par grande rage.
Mais (a urayvray dire) ores tant peu se treuuetreuve
De pastoureaux qui chantent a l’espreuueespreuve
En l’umbre aßizassiz, qu’il semble que nous sommes
En la Scythie entre barbares hommes.
Dont puis qu’a toy nul de nous se compare
A bien chanter, & le temps s’y prepare,
Chante de grace une chanson ou deux.
Erga-
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DE SANNAZAR.
Ergasto.
Helas amy en ce lieu tant hydeux
Ieje n’y enten Progné, ny Philomele,
Mais maint hyboux qui lamente comm’elle.
Printemps pour moy ne s’est de uerdverd uestuvestu,
Et n’ont ses fleurs ny ses herbes uertuvertu
De me guarir, au moins ieje ne rencontre
Que des chardons, qui portent mal encontre.
Cest air icy ne m’est point sans brouillart:
Et quand un iourjour uousvous est pur & gaillard,
IeJe pense ueoirveoir des noires nuytz d’Autonne
Quand il pleut fort, & horriblement tonne.
Abysme donc tout le monde & ruine,
Crainte n’auray de ueoirveoir telle bruine,
Car ieje me sens en ce cruel propos
Le cueur emplir d’une umbre de repos.
Fouldres & feu soient en terre cheans
Comme en Phlegra iadisjadis sus les Geans,
Si que le ciel par force fouldroyer
Se puisse en mer auecavec terre noyer.
Quel soing ueulxveulx tu que i’j’aye d’un troupeau
Qui n’a sinon que les os & la peau?
IeJe m’attens bien qu’il s’esparpillera
Entre les loupz, ou tout se pillera.
Ayant ainsi de confort indigence,
A ma douleur ieje ne treuuetreuve allegeance
L’ARCADIE
Fors de m’asseoir (chetif & miserable)
Aupres d’un Fau, d’un Sapin, ou Erable.
Et la pensant a qui mon cueur dessire,
Glace deuiendevien: mais mieux ieje ne desire,
Car ce pendant la peine IeJe ne sens,
Qui m’amaigrit,& faict perdre le sens.
Seluagio.
En t’escoutant ainsi triste complaindre,
I’J’endurcissoys comme un roc (sans me faindre)
Mais peu a peu ieje sens qu’il me ramende
En proposant te faire une demande.
Qui est la fille ayant le cueur si fier,
Qu’elle t’a faict ainsi mortifier
Changeant uisagevisage & meurs? nomme la moy:
Secret seray, ieje te prometz ma foy.
Ergasto.
Menant un iourjour mes aigneaux en pasture
Le long d’une eau, par un cas d’aduentureadventure
VnUn clair Soleil m’apparut en ses undes,
Qui me lya de ses tresses bien blondes,
Et imprima sus mon cueur une face,
Dont le tainct fraiz, Laict & Roses efface.
Puis se plongea en mon ame de sorte
Qu’impoßibleimpossible est que iamaisjamais il en sorte.
De ce poix seul mon cueur est tant greuégrevé
Qu’esbahy suis comme il n’en est creuécrevé,
Veu que
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DE SANNAZAR.
Veu que deslors fuz mis soubz un iougjoug tel
Que i’j’ay du mal plus qu’autre homme mortel.
Dire le puis, Amy, l’experience
Me faict quasi perdre la patience.
IeJe ueyvey premier luyre l’un de ses yeux,
Puis l’autre apres, en maintien gracieux.
Bien me souuientsouvient qu’elle estoit rebrassée
Iusqu’Jusqu’aux genoux,& que teste baissée
Au chault du iourjour un linge en l’eau lauoitlavoit,
Chantant si doux, que tout rauyravy m’auoitavoit:
Mais auβiaussi tost comm’elle m’entreueitentreveit,
Elle se teut, que pas un mot ne deit,
Dont I’J’eu grand deuil: & pour plus me fascher,
Elle s’en uava a sa robe delascher
Pour s’en couurircouvrir: puis sans craindre auantureavanture,
En l’eau se mect iusquesjusques a la ceincture:
Parquoy de rage, a moins de dire ouy,
En terre cheu tout plat esuanouyesvanouy.
Lors par pitité me uoulantvoulant secourir,
Elle s’escrie, & se prend a courir
Tout droict a moy, si que ses criz trenchans
Feirent uenirvenir tous les pasteurs des champs,
Qui des moyens plus de mille tenterent
Pour me resourdre: & tant en inuenterentinventerent,
Que mon esprit de sortir appresté,
Fut (pour adonc) en mon corps arresté,
L’ARCADIE
Remediant a ma uievie doubteuse.
Cela uoyantvoyant la pucelle honteuse
Se retira, monstrant se repentir
Du bon secours que m’auoitavoit faict sentir.
Parquoy mon cueur de sa beaulté surpris,
De desir fut plus uiuementvivement espriz.
IeJe pense bien que cela feit la belle
Pour se monstrer gracieuse & rebelle.
Rebelle est bien d’user de ces facons,
Et froide plus que neiges ou glassons:
Car nuyt & iourjour a mon secours la crye,
Mais ne luy chault de ce dont ieje la prie.
Ces boys icy scauentscavent assez combien
IeJe luy desire & d’honneur & de bien,
Si font ruysseaux, montagnes, gens, & bestes,
Car sans cesser ioursjours ouurablesouvrables & festes,
En souspirant d’amour qui me prouoqueprovoque,
IeJe la supplie, & doucement inuoqueinvoque.
Tout mon bestail qui sans cesse m’escoute,
Soit qu’il rumine en l’umbre, ou au boys broute,
Scait quantesfois ieje la nomme en un iourjour
Piteusement, sans pause, ny seioursejour.
AußiAussi par fois Echo qui me conuoyeconvoye,
Me faict tourner quand elle me renuoyerenvoye
Son iolyjoly nom iusquesjusques a mes oreilles
Sonnant en l’air si doux que c’est merueillesmerveilles.
Ces ar-
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DE SANNAZAR.
Ces arbres cy d’elle tiennent propoz,
Soyent agitez du uentvent, ou de repoz:
Et monstre bien chascun en son escorce
Comm’elle y est grauéegravée a fine force,
Ce qui me faict, telle fois est, complaindre,
Et puis chanter gayement sans me faindre.
Pour son plaisir mes Toreaux & Belliers
Font bien souuentsouvent des combatz singuliers.
En escoutant la piteuse lamentation du dolent Er-
gasto, chascun de nous ne fut moins remply de pitié
que d’esbahissement: car combien que sa uoixvoix de-
bile, & ses accentz entrerõpuzentrerompuz, nous eussent desiadesja
faict plusieurs fois grieuementgrievement souspirer, si est ce
qu’en se taisant, seulement l’obgect de son uisaigevisage
defaict & mortifié, sa perruque herissée, & ses
yeux tous meurdriz a fine force de pleurer, nous
eussent peu donner occasion de nouuellenouvelle amertume.
Mais quand il eut mis fin a ses parolles, & que sem
blablement les forestz resonnãtesresonnantes se furent appai-
sées, il n’y eut aucun de la compagnie qui eust cou-
rage de l’abandonner pour retourner aux ieuxjeux en-
trepriz, ny qui se souciast d’acheuerachever les cõmencezcommencez:
ains estoit chascun si marry de son infortune, que
tous particulieremētparticulierement s’efforceoyent selon leur puis-
sance ou scauoirscavoir, le retirer de son erreur, luy ensei-
L’ARCADIE
gnant aucuns remedes plus faciles a dire qu’a met-
tre en execution. Puis uoyantvoyant que le Soleil appro-
choit de l’occident, & que les fascheux grillons ia
commenceoyent a criqueter dans les creuassescrevasse de la
terre, sentãssentans approcher les tenebres de la nuyt, nous
ne uoulansvoulans permettre que le poure desolé demou-
rast la tout seul, quasi par contraincte le leuasmeslevasmes
sus ses piedz: & incontinent le petit pas, feismes
tourner noz bestes deuersdevers leurs estables. Et pour
moins sentir le trauailtravail du chemin pierreux, plu-
sieurs en allant se prindrent a sonner de leurs mu-
settes a qui mieulx mieulx, chascun s’efforceant
produire quelque chanson nouuellenouvelle. Ce pēdantpendant l’un
appelloit ses chiens, l’autre ses bestes, par noms pro-
pres. Quelqu’un se plaignoit de sa pastourelle, &
quelque autre rustiquement se uentoitventoit de la sien-
ne. D’aduantageadvantage plusieurs bons compagnons al-
loyent en termes ruraux se mocquans & gaudis-
sans les uns des autres. Et cela dura iusquesjusques a ce
que feußionsfeussions arriuezarrivez en noz cabannes couuertescouvertes
de chaume. Or se passerent en ceste maniere main-
tes iourneesjournees. Puis un matin aduintadvint que moy (suy-
uantsuy-
vant le deuoirdevoir de bergerie) ayant faict pai-
stre mes bestes a la rosee, & me semblant que
pour la grande chaleur prochaine il estoit heure
de les mener a l’umbre en quelque lieu ou moy &
elles
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DE SANNAZAR.
elles nous peußiõspeussions rafraichir de l’aleine des petitz
uentzventz. IeJe prins mon chemin deuersdevers une umbra-
geuse ualleevallee qui estoit a moins d’un quart de lieue
de moy, conduysant lentement a tout ma houlette
mes dictes bestes: lesquelles a chascun pas uouloyētvouloyent
entrer dedans les boys. Et n’estois encores gueres
loing quand de bon encontre ieje trouuaytrouvay un pa-
steur nõménommé Montano: lequel semblablement cher-
choit d’euitereviter la chaleur ennuyeuse, et a ces fins
auoitavoit faict une couronne de rameaux feuilluz qui
le defendoient du Soleil. Ce pasteur s’en alloit tou
chant son troupeau deuãtdevant soy, sonnant si melodieu-
sement une musette, qu’il sembloit que les forestz
en feußētfeussent plus gayes que de coustume. AdõcAdonc ieje qui
fuz merueilleusementmerveilleusement curieux d’entēdreentendre telle me-
lodie, en parolles assez humaines luy dy: Amy,
d’außiaussi bon cueur que ieje prie aux gracieuses Nym-
phes qu’elles daignent de bõnebonne oreille escouter tes
chãsonschansons, et aux dieux chãpestreschampestres que les loupz ra-
uissansra-
vissans ne te puißētpuissent faire dõmagedommage de tes aigneaux,
mais que sains sauuessauves et bien guarniz de fine lay-
ne ilz te puissent rendre agreable profit, faiz moy
(s’il ne te grieuegrieve) part de la iouyßãcejouissance de ton armo
nye. Ce faisant, le chemin et la chaleur nous en sem
bleront beaucoup moindres. Et afin que tu n’esti-
mes perdre ta peine, i’j’ay une houlette de Myrte
B
L’ARCADIE
nouailleux, les extremitez de laquelle sont toutes
garnies de plomb poly. mesmes au bout d’enhault
est entaillée de la main de Caritheo bouuierbouvier nague
res uenuvenu de la fertile Espaigne, une teste de bellier
auecavec ses cornes retounées, par si grãdgrand artifice que
Toribio l’un des plus riches pasteurs de ce pays
m’en uoulutvoulut unefoys dõnerdonner un puissant mastin har-
dy et bon estrangleur de loupz: toutesfois pour re-
questes ny pour offres qu’il m’ayt sceu faire, il ne le
peut oncques obtenir de moy. Et si tu ueulxveulx chan-
ter, ieje t’en feray ung present tout a ceste heure.
Adonc Montano sans attendre autres prieres, en
cheminant ainsy plaisamment commencea:
MONTANO.
Allez a l’umbre o Brebiettes
Qui repeues et pleines estes,
Soubz ces arbres, puis qu’ainsi uava
Qu’au Midy le Soleil s’en uava:
Et la prenant le doux repoz,
Vous entendrez par mes propoz,
Louer les yeux clairs & serains,
Les cheueuxcheveux d’or bien souuerainssouverains,
Les mains a mes desirs iniques,
Et les beaultez au monde uniques.
Lors pendant que mes chalumeaux
Accorderont
10
DE SANNAZAR.
Accorderont au bruyt des eaux,
Vous pourrez aller pas a pas
Faire d’herbettes un repas.
Ie ueoyJe veoy la quelqu’nun. Si ce n’est
Souche, ou Rochier, ieje croy que c’est
Vn homme qui dort en ce ualval,
Ou las, ou qui se trouuetrouve mal.
Aux espaules, a la stature,
A la facon de sa uesturevesture,
Et a ce chien blanc tout ensemble
C’est VranioUranio, ce me semble.
C’est luy certes, qui bien manye
Et faict rendre telle armonye
A sa harpe gente & doulcette,
Qu’on le compare a ma musette.
Pasteurs (mes amys) en passant
Gardez uousvous du loup rauissantravissant
De toute meschancete plein:
Car ieje croy qu’il est en ce plain
Guettant pour faire mille maulx,
S’il trouuetrouve a lescartl’escart animaux.
Icy a deux chemins froyez:
Donc sans nous monstrer effroyez
Prenons par le meillieu du mont
Ce sentier la nous y semont.
Veillez sus le loup qui toute heure
B ij
L’ARCADIE
En ces buyssons tapy demeure.
IamaisJamais ne dort (la faulse rasse)
Mais suyt les bestes a la trasse.
Homme ne s’estonne en ce boys.
Pasteurs, suyuezsuyvez moy, ieje m’en uoysvoys,
Qui congnois le loup, et la ruse
Dont pour nous deceuoirdecevoir il use.
Mais quand ieje n’auroys qu’nqu’un rameau
De Chesne, d’Erable, ou d’Ormeau
IeJe le feray bien reculler
S’il uientvient quelque beste acculer.
O si en ceste matinee
I’J’auoys si bonne destinee,
Brebiz, que ie uousje vous peusse mettre
A sauuetésauveté, qui pourroit estre
Plus que moy ioyeuxjoyeux ou content?
Ne uousvous escartez en montant
Comme tousiourstousjours, car par expres
IeJe uousvous dy que le loup est pres.
Aumoins en sortant de noz granges
I’J’ay ouy des criz bien estranges.
Sus Melampe et Adre courez,
Ou d’abbayer nous secourez.
Chascun prenne garde a la robe
Du loup, qui nous pille et desrobe.
Ces maulx aduiennentadviennent (sus ma uievie)
Par
11
DE SANNAZAR.
Par nostre rancune, ou enuieenvie.
Les plus sages ferment de cloyes,
De paliz, ou de bonnes hayes,
Leurs parquetz, sans point se fyer
A l’abbay des chiens aspre et fier.
Ainsi par bonne garde ilz ont
Laynes et laict, dont profit font
Tout du long que les boys sont uersvers,
Ou despouillez par les yuersyvers.
On ne les peult ueoirveoir mal contens
Pour neige en Mars, ou pire temps.
Beste ne perdent, s’elle fuyt,
Ou couche emmy les champs de nuyt:
Dont semble que les dieux s’accordent
Aux riches, et a nous discordent.
A leurs aigneletz mal ne faict
Empoysonné regard infect.
IeJe ne scay si ces cas procedent
D’herbes, ou charmes qu’ilz possedent:
Mais les nostres d’une allenée
Meurent en tous temps de l’année.
Le loup traistre, larron, pipeur,
A (peut estre) des riches peur,
Et aux pourespovres c’est son usance
De leur faire toute nuysance.
Aumoins sommes nous (de par dieu)
B iij
L’ARCADIE
Sans perte arriuezarrivez iusq’jusqu’au lieu
Dont la nature me conuieconvie
A chanter d’amoureuse uievie.
Il fault commencer a un bout.
Sus doncques VranioUranio, debout.
Doys tu passer ainsi le iourjour,
Comme la nuyt propre au seioursejour?
VranioUranio.
IeJe reposoys sus ce mont la
Quand sus la mynuyt m’esueillaesveilla
Le bruyt des chiens iappansjappans au loup:
Parquoy me leuaylevay tout acoup,
Et me prins a crier, Bergiers
Soyez courageux & legiers
De le poursuyurepoursuyvre sans fremir.
Et oncques puis ne sceu dormir
IusquesJusques au iourjour, que ieje comptay
Tout mon bestail, puis me boutay
Soubz cest arbre, & me rendormy.
Tu m’y as trouuétrouvé, mon amy.
Montano.
Dirons nous point quelque chanson
A la pastorale facon?
VranioUranio.
Quoy donc? mais ieje ne respondray
Fors a ce que dire entendray.
Monta-
12
DE SANNAZAR.
Montano.
A quoy commenceray ieje doncques?
Car i’j’en scay bien un cent qui oncques
Ne fut commun (par mon serment)
Chanteray ieje Cruel tourment?
Ou celle qui commence ainsi:
Ma belle dame sans mercy?
Ou bien de la belle obstinée
Disant, O dure destinée?
VranioUranio.
Nenny, mais ieje te requier, dy
Celle qu’auantavant hier a midy
Tu chantois emmy ce bourget:
Ell’ est doulce, et de bon subiectsubject.
Montano.
En plainctz et pleurs ma chair distile,
Comme au Soleil neige subtile,
Ou comme lonl’on ueoitveoit par effect
Qu’au uentvent la nue se defaict
Et ne scay moyen d’y pourueoirpourveoir.
Pensez quel mal ieje puis auoiravoir.
VranioUranio.
Pensez quel mal ieje puis auoiravoir,
Car comme cire fond au feu
Que l’eau froyde estainct peu a peu,
IeJe me consume: on le peult ueoirveoir:
B iiij
L’ARCADIE
Et de ce las ne ueuilveuil sortir.
Tant me plaist ma peine sentir.
Montano.
Tant me plaist ma peine sentir,
Qu’au son de ma Muse ieje danse,
Tendant a mortelle cadence:
Car ieje pousuy sans diuertir
VnUn Basilir que i’j’ay cherché
Par ma fortune, ou mon peché.
VranioUranio.
Par ma fortune ou mon peché
IeJe uoysvoys tousiourstousjours cueuillant fleurettes,
Dont ieje faiz chapeaux d’amourettes,
Pleurant de me ueoirveoir empesché
A un Tigre pacifier,
Qui est trop cruel, et trop fier.
Montano.
O ma doulce amy Philis
AußiAussi blanche que le beau Liz,
Et plus uermeille que le pré
De fleurs en Auril dyapré,
Plus prompte a fuyr qu’nequ’une Biche,
Et d’amoureux guerdon plus chiche
Que Syringua qui un roseau
DeuintDevint, et tremble encor en l’eau
Pour les maux que i’j’ay endurez,
Monstre
13
DE SANNAZAR.
Monstre moy tes cheueuxcheveux dorez.
VranioUranio.
Tyrrhena dont le tainct resemble
Laict & roses meslez ensemble,
Plus legiere a fuyr qu’nun Dain,
Doux feu bruslant mon cueur soudain,
Voire plus dure a mes recors
Que celle qui feit de son corps
Le premier Laurier en Thessale,
Pour effacer ma couleur palle,
Tourne deuersdevers moy tes doux yeulx,
Ou niche Amour uainqueurvainqueur des dieux.
Montano.
Pasteurs qui estes cy autour,
Et nous oyez chanter a tour
Si feu querez, uenezvenez en prendre
En moy reduict en Salemandre
Bien heureux monstre, et miserable
Pour l’ardeur en moy perdurable
Depuis l’heure que sans esgard
IeJe fuz naurénavré du beau regard,
Auquel pensant mon cueur se glace,
Et si brusle en tout temps et place.
VranioUranio.
Pasteurs qui pour fuyr au chault
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L’ARCADIE
De rafraichissement d’eau uiuevive,
Venez a moy, que douleur priueprive
De ioyeuxjoyeux espoir, & qui rens
De mes yeux, deux amples torrens
Deslors que ieje ueyvey la main blanche
Qui lya ma uoluntevolunte franche,
Et mon cueur si bien pourchaßapourchassa,
Que tout autre amour en chaßachassa.
Montano.
La nuyt uientvient: le Ciel se faict sombre:
Les montz au plat pays font umbre:
Mais les estoilles & la Lune
Nous reconduyront en la brune.
Tout le bestail se mect ensemble
Hors des boys, ueoyantveoyant (comme il semble)
L’heure qu’il y auroit danger
Que les loupz en ueinsentveinsent menger.
Les guydes aux uillagesvillages tendent,
Puis noz compagnons nous attendent
Craignans quelque perte aduenueadvenue
Depuis que la nuyt est uenuevenue.
VranioUranio.
IeJe n’en sache point en esmoy
Pour ma demeure: & quant a moy
IaJa n’en bougera mon troupeau
Qu’il n’ayt tresbien emply sa peau.
Quand
14
DE SANNAZAR.
Quand tu me feroys compagnie,
Ma pannetiere est bien garnye,
Et außiaussi est bien ma bouteille
Pleine de bon uinvin de ma treille,
Dont tant qu’il y en aura goutte,
LonL’on ne uerraverra que ieje me boute
Au chemin pour m’en retourner,
D’eust il & plouuoirplouvoir & tonner.
IaJa se taysoient les deux pasteurs ayãsayans acheuéachevé de
chanter, quand nous leuezlevez de noz sieges laissas-
mes la VranioUranio auec deux compagnõscompagnons, et suyuismessuyvismes
nostre bestail, qui bonne piece auoitavoit s’estoit mis au
retour soubz la conduicte des chiens fideles. Et nõ-
obstantnon-
obstant que les Sureaux chargez de feuilles et de
fleurs, umbrageassent quasi toute la uoyevoye, qui tou-
tesfois estoit assez ample, la lueur de la Lune estoit
si claire que nous y ueoyionsveoyions comme en plein iourjour.
Lors en cheminant par le silēcesilence de la nuyt, propoz
se meurent du passetemps receu la iourneejournee, et fut
grandement estimée la nouuelle facon de commen-
cer de MõtanoMontano: mais beaucoup plus la promptitude
et asseurance d’VranioUranio, qui auoitavoit commencé a chan
ter n’estant a grand peine esueilléesveillé: et ne luy auoitavoit
le sommeil rien sceu diminuer de sa louenge me-
ritée. Parquoy chascun rēdoitrendoit graces aux dieux de
L’ARCADIE
ce que ainsi par cas fortuit nous auoyentavoyent cõduictzconduictz
a si grande recreation. Entre ces deuisesdevises se enten-
doit aucunesfois le murmure des Faisans qui s’esba-
toient en leurs aires, chose qui nous faisoit souuētsouvent
interrõpreinterrompre noz propoz. qui (sans point de doute)
nous sembloyētsembloyent beaucoup plus doux que s’ilz eus-
sent esté cõtinuezcontinuez sans une si plaisante interruptiõinterruption.
En ce contētementcontentement nous arriuasmesarrivasmes a noz maisons:
ou, apres auoiravoir chassé la fain a force de uiandesviandes ru-
stiques, nous allasmes (comme de coustume) dormir
sus la paille, attēdansattendans en singuliere deuotiondevotion le iourjour
ensuyuantensuyvant, auquel se deuoitdevoit solennelemētsolennelement celebrer
la ioyeusejoyeuse feste de la saincte Pales uenerablevenerable Deesse
des pasteurs. Pour la reuerēcereverence de laquelle außi aussi tost
que le Soleil apparut en Orient, et que les oysillons
ramages se meirent a chanter sus les branches des
arbres, annõceansannonceans la prochaine lumiere, chascun se
leualeva de son giste, et sa maison tapissa de rameaux
de Chesne ou Cormier, parant ll'entrée de feuillars
entremeslez de fleurs de GeneureGenevre et autres que la
saison produysoit. Puis on alla deuotementdevotement faire la
proceßion alētourprocession alentour des Estables, perfumant de sou-
phre uifvif tout le bestail, et dauãtagedavantage le purifiant par
deuotesdevotes prieres, afin que mal ou incõuenientinconvenient ne luy
peust adueniradvenir. Ce pendant lonl’on entendoit par toutes
les cabannes resonner diuersdivers instrumens champe- stres
15
DE SANNAZAR.
stres: et furētfurent les rues et carrefours des uillagesvillages ion-
chezjon-
chez de feuilles de Myrte, et autres herbes odoran-
tes. Aussi pour deuemētdeuement solennizer la saincte feste,
tous animaux iouyrentjouyrent du repoz desiré: mesmes
les Charrues, Coutres, Rasteaux, Besches et autres
outilz d’agriculture parez de fleurs de toutes sor
tes, donnerent manifeste indice d’agreable oysiuetéoysiveté.
Et ny eut aucun manouuriermanouvrier qui pour ce iourjour presu
mast faire un seul acte de labeur: ains tous ioyeuxjoyeux
et deliberez se meirent a chãterchanter amoureuses chan
sons: et faire plusieurs iolizjoliz esbatemens enuironenviron les
Beufz embouquetez et attachez aux mengeoires
plaines de fourrage. Pareillement les petitz Gar-
sonnetz pleins de merueilleuse uiuacitémerveilleuse vivacité sen alloyētalloyent
parmy les cãpagnescampagnes auecavec les simples fillettes iouãtjouant
a diuersdivers ieuxjeux pueriles en signe de commune lyesse.
Mais pour dignement presenter noz offrandes sus
les autelz fumans, et accomplir les ueuxveux faictz en
noz aduersitezadversitez passées, tous ensemble nous en al-
lasmes au temple. Auquel estant montez par un pe
tit nombre de marches, apperceumes au dessus du
portail quelques forestz et montaignes de platte
paincture, enrichies d’arbes feuilluz, et de mille
diuersitezdiversitez de fleurs. Entre lesquelles estoient quel-
ques troupeaux de bestes qui s’en alloient pasturãtpasturant
et promenant le long des prez auecavec une dixaine de
L’ARCADIE
chiens de garde, la trasse desquelz se monstroit
comme naturelle sus la terre. Aucuns des pasteurs
tiroyent les bestes: autres tõdoienttondoient les laynes: aucũsaucuns
sonnoient de Cornemuses: et d’autres s’efforcoyent
(cõmecomme il sembloit) d’accorder leurs uoixvoix au sõson d’icel
les. Mais ce que plus entētiuemētententivement me pleut a regar-
der, furētfurent certaines Nymphes nues, lesquelles estoiētestoient
demy cachees derriere une tige de Chastaignier, et
ryoiētryoient d’un moutõmouton qui s’amusoyt a rõgerronger une brã-
chebran-
che de Chesne pēdantpendant deuãtdevant ses yeux, qui luy ostoit
la souuenãcesouvenance de paistre les herbes d’autour de luy.
Et ce pēdantpendant suruenoyentsurvenoyent quatre Satyres cornuz a
tout leurs piedz de chieure, qui se couloyētcouloyent a trauerstravers
une touffe de LētisquesLentisques tout doulcemētdoulcement pour les sur
prēdresur
prendre par derriere: dont les belles s’apperceuansappercevans
tournoyēttournoyent en fuyte par le plus espois de la forest, sãssans
craindre buyssons ou autres choses qui leur peußētpeussent
nuyre. L’une d’ētrentr’elles plus agile que les autres estoit
mõtéemontée sus un Charme: et de la se defēdoit auecquesdefendoit avecques
une lõguelongue brãchebranche qu’elle tenoit en sa main. ses cõpa
gnescompa
gnes s’estoiētestoient de peur gettées en une riuiereriviere par ou
elles se sauuoiētsauvoient en nageãtnageant, dõtdont les undes estoient si
claires, qu’elles ne cachoiētcachoient que peu ou rien de leurs
charnures blãchesblanches & delicates. Puis se ueoyantveoyant es-
chappées du peril, estoiētestoient assises a l’autre riuerive trauail
léestravail
lées, et presque hors d’alene, essuyãtessuyant leurs cheueuxcheveux
mouillez
16
DE SANNAZAR.
mouillez. mais il sembloit qu’en gestes & paroles
elles se uoulußētvoulussent mocquer de ces Satyres qui ne les
auoiētavoient sceu attaindre. A l’un des costez de ceste pain
cture estoit figuré Apollo, leq̄llequel appuyé sus un bastõbaston
d’Oliuier sauuagesauvage, le long d’une riuiereriviere gardoit les
bestes d’Admetus. Et pour estre trop entētifententif a regar
der le cõbatcombat de deux puissans Toreaux qui sentre-
heurtoiētsentre-
heurtoient de leurs cornes, il ne s’auisoitavisoit du cauteleux
Mercure qui luy destournoit ses uachesvaches, estant des-
guyse en habit de pasteur portãtportant une peau de chie-
urechie-
vre soubz son esselle. Mais tout ioignãtjoignant estoit Battus
deceleur de ce larrecin, transformé en pierre, tenãttenant
encores le doy estendu cõmecomme qui enseigne quelque
chose. VnUn peu plus bas se pouoitpovoit ueoirveoir derechef ce
mesme Mercure aßisassis cõtrecontre une roche, ayãtayant les iouesjoues
enflees de sõnersonner une cheurettechevrette, mais il guygnoit du
coing de l’oeuil une Genice blãcheblanche estãtestant pres de luy
soubz la cõduicteconduicte d’Argus, qu’il s’efforcoit deceuoirdecevoir
par toutes manieres de finesse. De l’autre part gisoit
au pied d’un hestre un pasteur endormy au meillieu
de ses chieureschievres, sa pannetiere soubz sa teste, en la-
quelle un chien mettoit le museau. & pour autant
que la Lune le contemploit de bon oeuil, i’j’estimay
que c’estoit Endymion. Aupres de luy estoit Paris, qui
auecavec sa faucille auoitavoit cõmencécommencé d’escrire Oenoné sus
l’escorce d’un Orme, mais il ne l’auoitavoit encores sceu
L’ARCADIE
acheuerachever, pour la suruenuesurvenue des troys deesses, dont il
luy falut faire le iugementjugement. Et qui n’estoit moins
subtil a penser, que delectable a regarder, fut l’ap-
perceuanceap-
percevance du paintre discret, lequel ayant figuré
IunoJuno et MinerueMinerve de tant extreme beaulté qu’il eust
esté impoßibleimpossible de plus, se deffiant de pouoirpovoir pain-
dre Venus si belle comme le besoing requeroit, la
paignit le doz tourné, excusant par telle industrie
l’imperfection de son art. Plusieurs autres belles
choses (dont maintenãtmaintenant ne me souuientsouvient) estoient mi-
ses sus ce portail. Mais quand nous feusmes entrez
au temple, et peruenuzpervenuz a l’autel sus lequel repo-
soit la statue de la saincte Deesse, nous trouuasmestrouvasmes
un Prestre uestuvestu d’une Aulbe blanche, et couronné
de feuilles uerdesverdes, comme il estoit requis en tel iourjour
et si solennel sacrifice: lequel en admirable silence
nous attendoit pour faire les diuinesdivines ceremonies.
Et plus tost ne nous ueit rēgezveit rengez autour du sacrifice,
que de ses propres mains il tua une brebiette blan-
che, de laquelle il offrit deuotemētdevotement les entrailles sus
le feu sacré, auecavec de l’encens masle, de rameaux
d’OliuierOlivier, de Pin, et de Laurier, ensemble de l’herbe
Sabine. Puis agenouillé uersvers Orient, les bras esten-
duz, en rependant un uaisseauvaisseau de laict tiede, ainsi
commenca son Oraison:
O uenerablevenerable et saincte Deesse, la merueilleusemerveilleuse
puissance
17
DE SANNAZAR.
puissance de laquelle s’est plusieurs foys manifestée
en noz aduersitez paßeesadversitez passees, ieje te supply preste a ce-
ste heure tes oreilles ententiuesententives aux deuotesdevotes prieres
de ce peuple circunstant, lequel en toute humilité
requiert pardõpardon de ses offenses: ascauoir si par mes-
garde il s’estoit quelque foys aßizassiz ou auoitavoit faict
paistre ses bestes soubz aucun arbre sacré: Ou si
entrant dedans les forestz inuiolablesinviolables, son arriuéearrivée
auoitavoit troublé les passetēpspassetemps des sainctes Dryades et
dieux demy boucquins: Ou si par indigēceindigence d’herbes
il auoitavoit a coupz de coignée despouillé les boccages
sacrez de rameaux umbrageux pour subuenirsubvenir a
son bestail preßépressé de famine. Lequel semblablement
si par brutalité auoit cõtaminéavoit contaminé les herbes d’enuironenviron
les paisibles sepulcres: Ou de ses piedz fangeux
troublé les sources des claires fontaines, corrompãtcorrompant
leur purité accoustumée: Toy propice Deesse ap-
paise les deitez offensees, preseruant tousiourspreservant tousjours les
pasteurs et leurs troupeaux d’incõueniensinconveniens & ma-
ladies. Ne permetz que noz yeux indignes puissētpuissent
aucunesfoys ueoirveoir emmy les forestz les Nymphes
uindicatiuesvindicatives, ou la claire Diane toute nue se baigner
dedans les eaux froides: ou le sauuagesauvage Faunus lors
que sus le plus chault du iourjour il retourne de la chas
se, las, trauaillétravaillé, & sans aucune proye, dont par de-
spit sen ua courãt a trauerss’en va courant a travers les cãpagnescampagnes. Destourne C
L’ARCADIE
de nous & de noz bestes tous blasphemes et im-
precations de magicque. Garde noz tendres aigne-
letz de la poison des yeux pleins d’enuieenvie. SauueSauve la
troupe uigilãtevigilante des chiens, qui sont le refuge et seur
appuy des brebiettes craintiuescraintives, afin que leur nõbrenombre
ne puisse aucunemētaucunement appetisser, et qu’il ne se treuuetrauve
moindre les soirs au rentrer es estables, que les ma
tins allant en pasture. Faiz que ne puißions iamais
ueoirpuissions jamais
veoir aucuns de noz pasteurs lermoyant rapporter
au logis la peau sanglante d’une beste a grãdgrand peine
recousse de la gueulle du loup. Chasse loing de nous
la dangereuse famine, & nous procure abondance
d’herbes, feuilles, & claires eaux, tant pour nostre
usage, que pour abbreuuerabbreuver et nettoyer noz bestes:
lesquelles semblablement nous soient en toutes sai-
sons fertiles de laict & d’engeance, mesme si bien
reuestuesrevestues de layne, que nous en puißiõspuissions tirer agrea-
ble profit.
Ceste oraison dicte par quatre foys, & autant
par nous taisiblement murmurée, chascun pour
se purger se laualava les mains d’eau de fontaine uiuevive.
Puis ayant faict allumer force feux de paille,
nous saultasmes par deßusdessus les uns apres les au-
tres, afin que la fumée emportast quant et soy noz
offenses du temps paßépassé. Cela faict nous retour-
nasmes deuantdevant l’image de la saincte Deesse presen- ter
18
DE SANNAZAR.
ter noz oblations & offrandes. Puis le sacrifice
acheuéachevé saillismes du temple par une autre porte
qui nous mena en une campagne couuertecouverte de prez
merueilleusementmerveilleusemment delectables, lesquelz (a mon iu-
gementju-
gement) n’auoyentavoyent encores esté brouttez de mou-
tons ou de chieureschievres, ny foulez d’autres piedz
que de Nymphes. Et pense que les mouches a miel
n’en auoientavoient encores gousté de la saueursaveur des fleurs:
tant elles se monstroient saines & entieres. En ces
prez nous apperceusmes une troupe de bergieres
qui s’en alloient promenant le petit pas, en faisant
des chapelletz qu’elles affuloyent en mille modes
sus leurs cheuelureschevelures blondes, chascune s’effor-
ceant de surmonter par artifice ses dons de nature.
Entre lesquelles Galicio choysissant (de fortune) sa
mieux aymée, sans se faire prier aucunement, a-
pres auoir getté quelques souspirs du fons de sa
poyctrine, sonnant Eugenio de sa musette, ainsi com
mencea doucement a chanter, chascun faisant si-
lence.
GALICIO
SEVLSEUL.
Au riuagerivage d’un ruysseau
D’argentine & courante eau,
C ij
L’ARCADIE
En un boys de fleurs orné
VnUn pasteur bien atourné
De mainte feuillue branche,
Par expres d’OliueOlive blanche,
Chantoit au pied d’un grand Orme
Au poinct que l’aube se forme
Le tiers iourjour du moys qui naist
Auant AurilAvant Avril, qui tant plaist.
VneUne infinité d’oyseaux
Sus arbres & sus roseaux
Respondoyent a sa chanson
En tresarmonieux son.
Lors tourné uersvers Orient
Deit au Soleil en ryant:
IeJe te prie ouureouvre ta porte
Plus matin, & nous apporte
Vermeille aube,& temps serain,
Pasteur, de tous souuerainsouverain.
Et te metz en ton deuoirdevoir
De faire auantavant saison ueoirveoir
VnUn beau May delicieux,
Fleury, doux, & gracieux.
Monte plus hault d’un degré:
Ta seur t’en scaura bon gré,
Car elle prendra repoz
Plus grand, & plus a propoz.
Et faiz
19
DE SANNAZAR.
Et faiz que suyuentsuyvent ses pas
Les estoilles par compas:
Car außiaussi bien que nous sommes,
Bergier fuz entre les hommes.
Vallées, roches, Cypres,
Et tous arbres d’icy pres
Escoutez ce que i’j’exprime
En ceste humble & basse ryme.
Aux troupeaux doux et traictables
Plus ne soyent loupz redoutables.
Le monde plein de meschance
Tourne a sa premiere chance.
Les coupeaux des montz diuersdivers,
Soyent de roses tous couuerscouvers:
Et par les espines pendent
Raisins qui lyesse rendent.
Des chesnes saille & degoutte
Le doux miel goutte a goutte.
Fontaines inuioleesinviolees
Courent de laict aux ualleesvallees.
Naissent fleurs de grand beaulté.
Bestes qui ont cruaulté,
Totalement la uomissentvomissent,
Et d’yre plus ne fremissent.
Les petitz amours grand erre
Viennent des cieux en la terre
C iij
L’ARCADIE
Tous nudz, sans feu, ny sans traict,
Mais tous pleins de doux attraict,
Et s’entreiouententrejouent ensemble
Comme enfans quand bon leur semble.
Toute Nymphe s’estudie
De chanter en melodie.
Faunes & SyluansSylvans en renges
Vestuz de feuillars estranges,
Saillent, dansent, courent, cryent,
Fontaines & prez en ryent.
Et sus ces montz ne soyent ueuesveues,
Meshuy bruynes ou nues:
Car en pareille iournéejournée
L’humaine beaulté fut née,
Et la uertuvertu pure & munde
Regaigna place en ce monde:
Pour le moins y a esté
Recongneue chasteté,
Qui long temps en fut bannye
Par une estrange manye.
Dont tous les coupz que ie uoysje voys
Me promener dans les boys,
I’engraueJ’engrave de ma main dextre
Amarantha sus un Hestre,
Si qu’il n’y a celuy d’eux,
Qui ne monstre un coup ou deux
20
DE SANNAZAR.
Le beau nom de ma maistresse,
Qui peult finer ma destresse,
Et garder que ieje ne pleure,
Comme ieje faiz a toute heure.
Mais ce pendant qu’en ces montz
Troupeaux d’appetit semons
Yront errant ca & la,
Et que ces Pins que uoyvoy la,
Auront les feuilles poinctues,
Ou que par uoyesvoyes tortues
Courront fontaines en Mer,
Muant leurs doux en amer,
Combien qu’elle les recoyuerecoyve
Doulcement, puis les decoyuedecoyve:
Pendant außiaussi qu’amoureux
Seront gays ou langoureux,
Et auront en apparence
Desespoir ou esperance:
De ma Nymphe le beau nom
Sera tousiourstousjours en renom.
Si seront ses mains, ses yeux,
Et cheueuxcheveux d’or precieux,
Qui me font guerre bien dure,
Et qui trop longuement dure.
Mais la uievie m’est pourtant
Chere, en mon mal supportant.
C iiij
L’ARCADIE
Chanson de plaisance née
Prie aux dieux toute l’année
Que cestc’est heureux iourjour icy
Puisse estre a iamaisjamais ainsi.
La chanson de Galicio contenta merueilleusemētmerveilleusement
tous ceux de la compagnie, mais ce fut en diuersesdiverses
manieres: car les uns priserent sa uoixvoix resonante, les
autres sa bõnebonne grace, disant qu’elle estoit assez at-
tractiueat-
tractive pour induire a aimer toute pucelle, pour
rebelle qu’elle fust a l’amour. Plusieurs estimerent
sa ryme iolyejolye, & encores inusitée entre pastou-
reaux rustiques. Et aucuns s’esbahyrent plus que
d’autre chose, de son prudent aduisadvis & discretion,
quand se trouuanttrouvant forcé de nommer le moys qui est
perilleux aux pasteurs & aux bestes, il l’appella
precedent d’AurilAvril: comme s’il eust uolu euitervolu eviter le
mauuismauuaismauvais Augure en une si gaye iournéejournée. Mais moy
qui ne desiroye moins congnoistre ceste AmarãthaAmarantha,
que i’auoyej’avoye esté curieux d’escouter la chãsonchanson amou
reuse, tenoye songneusement les yeux fichez sus
les uisagesvisages de ces ieunesjeunes bergieres, & les oreilles
ententiuesententives aux paroles du pasteur amoureux, esti-
mant que ieje le pourroye bien a l’ayse congnoistre
par les gestes & contenances de celle qui se senti-
roit nõmernommer de son amy. Et a la ueriteverite ieje
ne fuz de-
ceu de
21
DE SANNAZAR
ceu de mon esperance: car en les contēplantcontemplant toutes
l’une apres l’autre, i’en aduisayj’en advisay une merueilleusemētmerveilleusement
belle & de bõnebonne grace, qui portoit sus ses blõdzblondz
cheueuxcheveux un beau coeuurechiefcoeuvrechief d’un crespe delyé,
soubz lequel deux yeux estincellans resplēdissoyētresplendissoyent
außiaussi fort que claires estoilles par nuyt quãdquand le ciel
est pur & serain. Le uisaigevisaige de ceste bergiere estoit
de forme perfaicte, un petit plus longuet que rond,
entremeslé d’une blancheur nõnon fade ou malseante,
mais moderée, & declinante sus le brun, accõpa-
gnéeaccompa-
gnée d’une gracieuse rougeur, qui rēplißoitremplissoit d’ex-
treme couuoytisecouvoytise les affections des regardans. Ses
leures estoyent plus fraiches & uermeillesvermeilles que
roses espanyes de la matinee: et chascunefois qu’elle
parloit, ou soubzryoit, se descouuroitdescouvroit une portion
de ses dentz tant blanches & polyes, qu’elles sem
bloyent Perles orientales. De la descendãtdescendant a la gor-
ge delicate, & plus finemētfinement blanche qu’alebastre,
i’j’apperceu en son sein deux tetins rons cõmecomme deux
pommettes, qui repoulsoyent sa robe en dehors: &
entre deux se manifestoit une sente assez largette,
merueilleusementmerveilleusement delectable, pour autant qu’elle
terminoit aux parties plus secrettes. qui fut cause
de me faire penser beaucoup de choses. Ceste pa-
stourelle de riche taille, & de uenerablevenerable maintien,
se promenoit du long de la prarie, & cueilloit de
L’ARCADIE
sa main blanche les fleurs qui plus satisfaisoyent
a ses yeux: & desiadesja en auoitavoit plein son giron. Mais
außiaussi tost que par le ieunejeune pasteur elle entendit
nommer Amarantha, son deuantierdevantier luy eschappa
des mains, & son esprit s’esmeut de sorte qu’el-
le perdeit presque toute contenance: dont sans le
sentir, toutes ses fleurs luy tumberent, & en fut
la terre semée d’une uingtainevingtaine de couleurs diffe-
rentes. Puis quand elle reueintreveint a soy, se blasmant
en son courage, deuint außidevint aussi rouge comme est quel-
que fois la face de la Lune enchantée, ou comme
l’aube du iourjour se monstre auantavant que le Soleil se
leueleve. Et pour couurircouvrir ceste rougeur procedant de
honte uirginalevirginale, non pour autre besoing qui a ce la
cõtraignistcontraignist, elle baissa la ueueveue en terre, & se print
a recueillir sesdictes fleurs l’une apres l’autre,
uoulantvoulant (a mon iugementjugement) donner a entendre qu’el-
le ne pensoit fors a tryer les blanches d’auecavec les
rouges, & les iaunes d’auec les uiolettesjaunes d’avec les violettes. Au
moyen de quoy, ieje qui songneusement y prenoye
garde, pensay congnoistre que c’estoit la bergiere
de qui soubz nom faint & couuert nous auionscouvert nous avions
entendu chanter. Or incontinent qu’elle eut faict
un chapelet de ses fleurs recueillies, elle se mesla
parmy ses compaignes: lesquelles ayant außiaussi de-
spouillé la prarie de sa dignite, & icelle appliquée
a leurs
22
DE SANNAZAR
a leurs usages, s’en alloyent marchant en grauitégravité
comme Naiades ou Napees, d’autant que par la di-
uersitédi-
versité de leurs coeffeures, elles auoyētavoyent oultre me-
sure augmētéaugmenté leurs grãdesgrandes beautez naturelles. Les
unes portoyent des couronnes de troesnes, entrelas-
sees de fleurs iaunesjaunes & rouges: les autres des liz
blancz & bleuz attachez a quelques brãchettesbranchettes
d’Orengier. L’une blãchissoitblanchissoit entieremētentierement de Gense-
mis, & l’autre sembloit estellée de roses: tellement
que chascune par soy et toutes en general represen
toiētrepresen
toient mieux espritz ãgelicquesangelicques, que creatures mor
telles: ce ꝗqui faisoit dire a plusieurs: O que bienheu-
reux seroit le possesseur de telles beaultez. Puis
uoyantvoyant les belles le Soleil iaja fort haulsé, & qu’il se
preparoit une bien grande chaleur, elles en se iouãtjouant
gracieusemētgracieusement ensemble dresserent leurs pas deuersdevers
une umbrageuse ualléevallée, ou elles trouuerenttrouverent des fon
taines claires comme Crystal: & la se prindrent a
rafraichir leurs beaux uisagesvisages non fardez ny re-
luysans par industrie, rebrassant pour ce faire,
leurs manches estroictes par dessus leurs coudes,
& par ce moyen nous donnant liberté de ueoirveoir
leurs bras tous nudz, l’enbonpoinct desquelz e-
stoit grand accroyssement de beaulté a leurs mains
tendres & delicates. A raison de quoy nous deue-
nuzdeve-
nuz plus desireux de les ueoirveoir de pres, incontinent
L’ARCADIE
en feismes les approches, & nous allasmes seoir
soubz un arbre dont l’umbrage estoit assez am-
ple & spacieux. Puis cõbiencombien qu’il se trouuasttrouvast en la
troupe plusieurs pasteurs singulierement bons ou-
uriersou-
vriers de sonner harpes & musettes, si pleut il
a la plus grand partie ouyr chanter Logisto &
Elpino, a l’enuyenvy l’un de l’autre. C’estoient deux ieu-
nesjeu-
nes hommes natifz d’Arcadie, autant promptz &
appareillez chascun en son endroict a commēcercommencer, cõ
mecom
me a respondre: Logisto bergier, & Elpino che-
urierche
vrier. Mais Logisto ne uoulantvoulant chanter sans gaigner
ou perdre quelque chose, soudainemētsoudainement consigna une
breby, & deux aigneaux, disant a sa partie: Tu
pourras de cecy faire sacrifice aux Nymphes si la
uictoirevictoire t’est adiugéeadjugée: mais si les dieux de leur gra
ce me l’ottroyent, tu me bailleras pour la palme cõ-
quisecon-
quise ton cerf domestique.
Quant est de mon cerf
domestique (respondit Elpino) depuis le iourjour que
ieje l’ostay a sa mere qui encores l’allaictoit, ieje l’ay
tousiourstousjours reseruéreservé pour ma Tyrrhena, & pour l’a-
mour d’elle curieusement nourry en cõtinuellescontinuelles de-
lices, le pignant souuētesfoissouventefois sus les bordz des clai
res fontaines, & attachãtattachant a ses cornes force beaux
boucquetz de roses & de fleurs. Qui plus est, ieje
l’ay si bien mignoté, qu’il s’est accoustume de men-
ger a nostre table. Et quãdquand il est peu a sõson ayse, il s’en
23
DE SANNAZAR.
uava tout le reste du iourjour errant par les forestz, puis
reuientrevient a la maison quãdquand bon luy semble: mais c’est
aucunesfois bien tard: & me trouuãttrouvant a la porte, ou
ieje l’attens de grande affection, il ne se peult souler
de me faire mille caresses, ains sautelle entour moy,
& faict infiniz autres esbatemens. Mais la chose
qui me plaist de luy sus toutes, c’est qu’il congnoist
& ayme sa maistresse, car il endure patiemment
qu’elle luy mette le cheuestrechevestre au col, & l’appla-
nye a son plaisir. DauantageDavantage de sa franche uoluntevolunte
luy tend le col pour estre attelé soubz le iougjoug, &
par fois presente son doz afin qu’elle luy mette le
bast, puis mõtemonte dessus a sõson ayse. Lors il la porte par
les chãpzchampz sans luy faire ny peur ny mal. Or ce col-
lier de coquilles marines, ou pend celle dent de San
glier qui a forme de croyßantcroyssant, que tu luy ueoysveoys
battre sus la poyctrine, sadicte maistresse luy atta-
cha, et faict porter pour l’amour de moy: parquoy ieje
ne mettray pas ce gaige: mais ieje t’en fourniray d’un
que tu iugeras nõjugeras non seulement suffisant, ains plus re-
ceuablere-
cevable que le tiētien. ce sera un grãdgrand bouc de poil bi-
garré, barbu a merueillesmerveilles, armé de quatre cor-
nes: & coustumier de uaincrevaincre les autres a heurter:
uoyrevoyre qui par faulte de pasteur cõduyroitconduyroit bien aux
champz un troupeau, quelque grãdgrand qu’il fust. Et si
ce n’est assez, ieje mettray d’auantageavantage un uaisseauvaisseau
L’ARCADIE
d’Erable tout neuf, a belles anses du boys mesme:
lequel (certes) a esté faict de la mains d’un excel-
lent ouurierouvrier: car en son millieu est taillé le rouge
Priapus embrassant une Nymphe bien serré, &
la ueultveult baiser maugré qu’elle en ayt, dont elle
enflambée de cholere, tourne le uisaigevisaige en derrie-
re, & faict tous ses effortz de s’en desuelopperdesvelopper,
luy esgratignant le nez de sa main gauche, &
de la droicte arrachant sa rude barbe. A l’en-
tour d’eux sont troys enfans nudz, pleins d’ad-
mirable uiuacitévivacité: l’un desquelz employe toute sa
force pour oster a Priapus la faucille de la main,
ouurant puerilemētouvrant puerilement ses gros doiz l’un apres l’au-
tre. Son compaignon grinsant les dentz, le mord
tant qu’il peult en la iambe ueluejambe velue, & faict signe
au troysiesme qu’il leur uiennevienne ayder. mais pour
autãtautant qu’il s’amuze a faire une petite cage de ioncjonc
& de paille pour enfermer (peult estre) des gril-
lons, il ne faict compte d’aller au secours, & ne se
bouge aucunement de sa besongne. De tout cela ce
dieu lascif faisant bien peu d’estime, restrainct de
plus en plus la belle Nymphe contre soy, totale-
ment deliberé d’executer son entreprinse. Encores
est ce mien uaisseauvaisseau par le dehors enuironnéenvironné d’un
chapeau de pimpinelle uerdeverde, entrelaßéentrelassé d’un rou-
leau contenant ces paroles:
De
24
DE SANNAZAR.
De racine telle naist
Qui de mon mal se repaist.
Et te iurejure par la diuinitédivinité des fontaines sacrées
qu’onques mes leureslevres ne le toucherēttoucherent, ains l’ay tous-
iourstous-
jours nettement conseruéconservé en ma pannetiere de-
puis le iourjour que pour une chieurechievre & deux chasie-
res de laict caillé, ieje l’achaptay d’un marinier estrā
geestran-
ge qui arriuaarriva d’auantureavanture en noz forestz.
Adonc
SeluagioSelvagio delegué iugejuge en ceste partye, ne uoulutvoulut
permettre que gaiges fussent mys, disant qu’as-
sez seroit si le uainqueurvainqueur en auoitavoit la louenge, &
le uaincuvaincu la uergongnevergogne. puis feit signe a Ophelia
qu’il sonnast sa cornemuse, commandant a Logisto
commencer, & a Elpino replicquer. A l’occasion
de quoy a peine fut le son entendu, que Logisto le
suyueitsuyveit en telles paroles:
LOGISTO.
Qui ueultveult ouyr mes souspirs (ô Bergieres)
Escriptz en uersvers de toute angoysse pleins,
Et quant de pas ou de courses legieres
En uainvain ieje faiz nuyt & iourjour en ces plains,
Lise en ces rocz, & arbres que uoyvoy la:
Tout en est plein desormais, ca, & la.
Elpino.
Pasteurs amys, en ce ualval cy n’habite
L’ARCADIE
Beste qui n’ayt ouy mon desconfort,
Et n’est cauernecaverne en luy grande ou petite
Qui n’en resonne & murmure bien fort:
Car il ne croist herbe icy a l’entour
Sus quoy cent fois ieje ne passe en un iourjour.
Logisto.
Recors ne suis de l’heure bonnement
Qu’Amour me print en ce ualval de seruageservage:
Car ieje n’allay iamaisjamais aucunement
Franc & libere au long de ce riuagerivage,
Ains ay uescuvescu en telle paßionpassion,
Que les rochiers en ont affliction.
Elpino.
IeJe uoysvoys querant par riuieresrivieres & mers,
Montaignes, boys, & campagnes außiaussi
Quelque allegeance a mes souspirs amers:
Mais ieje perdz temps, car en ce ualval icy,
Non point ailleurs, cesseront mes escriz
Qui maint pays passent en pleurs & criz.
Logisto.
O animaux qui par le monde errez,
Declairez moy (ieje uousvous prie pour dieu)
Ouystes uousvous oncques motz plus serrez
De forte angoysse en aucun autre lieu?
Veistes uousvous onc pasteur si longuement
Se lamenter de son cruel tourment?
25
DE SANNAZAR.
Elpino.
Bien mille nuytz en pleurant ay paßépassé,
Dõt i’Dont j’ay ces chãpschamps reduictz, presque en marestz,
En fin m’aßeizasseiz en ce ualval tout lassé.
Lors une uoixvoix me ueintveint de ces forestz
Disant, Elpin, le bon iourjour uientvient au prime,
Qui te fera chanter plus douce ryme.
Logisto.
O homme heureux, qui d’autre stile doys
Reconsoler tes ameres douleurs:
Et moy chetif, de iourjour en iourjour m’en uoysvoys
Tous elemens faschant de mes malheurs,
Si que ieje croy qu’herbes, fontaines, roches,
Et tous oyseaux en plaignent es uauxvaux proches.
Elpino.
S’ainsi estoit (Logisto) quel pays
Ouyt iamaisjamais tant & de si doux sons?
Danser feroys boys & rocz esbahiz,
Comme Orpheus faisoit de ses chansons,
Et par les champs orroit on Tourterelles
Se resiouyrresjouyr, & Ramiers entour elles.
Logisto.
IeJe te requiers (Elpin) que chascun iourjour
Passant par cy, ma tombe tu decores
Des fleurs qu’auras cueillyes en seioursejour,
Et que des uersvers tu me donnes encores,
D
L’ARCADIE
Disant, Esprit qui as uescuvescu de deuil,
Repose toy dessoubz ce dur cercueil.
Elpino.
Les fleuuesfleuves ont et les roches ouy
Qu’un heureux iourjour de uenirvenir s’appareille,
Pour ton las cueur faire tout esiouyesjouy,
Abolissant ta douleur non pareille,
Au moins si l’herbe en mon ualval desseurée
Ne m’a deceu quand ieje l’ay coniuréeconjurée.
Logisto.
En sec pays le poysson hantera,
Roches seront tendres, & la mer dure
Mieux que Tityre Ergasto chantera,
Et nuyt au iour fera honte & laidure
AuantAvant que rocz & Sapins de ce ualval
Oyent ma uoixvoix chanter que de mon mal.
Elpino.
Si iamaisjamais homme a uescuvescu de destresse,
Ce suis ieje (las) O champs uous l’auezvous l’avez ueuveu.
Mais esperant sortir par bonne adresse
De ce ualval cloz, & de roches pourueupourveu,
Pensant au bien qu’aura lors ma personne,
De mon flageol a plaisance ieje sonne.
Logisto.
Quand par les champs le iourjour plus ne luyra,
Et les rochiers du fons de la ualléevallée
Doutance
26
DE SANNAZAR.
Doutance auront que le uentvent leur nuyra,
Lors ne sera ma muse desolée.
IaJa par le declinemētdeclinement du Soleil toute la partie oc-
cidētaleoc-
cidentale se bigarroit de mille diuersitezdiversitez de nuées,
les unes uiolettesviolettes, les autres indes, aucunes uermeilvermeil
les, autres entre iaunejaune et noir, et de telles si luysan-
tes par la reuerberatiõreverberation des rayõsrayons, qu’elles sēbloyētsembloyent
fin or bruny. Quoy uoyantvoyant les gentilles bergieres,
d’un commun cõsentemētconsentement se leuerētleverent d’enuirõenviron la fõtai-fontai-
ne, et les deux amoureux meirent fin a leurs chan-
sons: lesquelles ainsi cõmecomme en lõgre silence auoyētavoyent esté
de tous escoutées, ainsi furent elles en grãdegrande admi-
ration, estimées de chascun egalement, & mesmes
de SeluagioSelvagio: lequel ne sachant discerner qui auoitavoit
esté plus prochain de la uictoirevictoire, les iugeajugea tous
deux dignes de souuerainesouveraine louenge. Au iugemētjugement du
quel, tous sans cõtredict acquießasmesacquiessasmes, ne les pou-
uantpou-
vant estimer plus que nous auionsavions faict. Puis estant
chascūchascun d’aduisadvis, qu’il estoit desormais tēpstemps de retour
ner a noz uillagesvillages, tout le petit pas nous meismes
en chemin deuisansdevisans du passetemps de ceste iournéejournée.
Et cõbiencombien que par l’aspreté du pays sauuagesauvage, tou-
te la uoyevoye fust plus montueuse que pleine, si nous
donna ce soir autant de recreations qu’il s’en peult
prendre en semblables endroictz par une ioyeusejoyeuse
D j
L’ARCADIE
& gaillarde cõpagniecompagnie. PremieremētPremierement chascūchascun choy-
seit un pallet a sa fantasie: puis nous tirasmes a un
certain but: dõtdont le plus pres approchãtapprochant, estoit quel-
que espace de chemin porté sus les espaules du plus
loingtain: et toute la troupe luy alloit applaudißãtapplaudissant,
& faisant merueilleusemerveilleuse feste, cõmecomme en tel cas estoit
requis. Puis laissans ce jeu, preimes les arcz & les
fondes, atout quoy nous allions de pas en pas tyrãttyrant
fleches, & deschargeant pierres pour nostre plai-
sir: combien qu’auecavec tout art & industrie chascun
s’efforceast de passer le coup de son cõpagnõcompagnon. Mais
quãdquand nous fusmes descēduzdescenduz en la plaine, ayans lais-
sé derriere nous les mõtaignesmontaignes pierreuses, d’un cõ-com-
mun accord & pareille uoluntévolunté recommenceasmes a
prendre nouueauxnouveaux esbatemens, tantost a saulter,
tantost a darder noz houlettes, & puis a courir
a qui mieux mieux, par les campagnes estendues: ou
celuy qui par agilité arriuoitarrivoit le premier a la mer-
que designée, estoit par honneur couronné de ra-
meaux de palle OliuierOlivier, au son de la cornemuse.
DauãtageDavantage (cõmecomme il aduientadvient souuentsouvent emmy les boys)
sourdãssourdans regnars de quelque endroit, & cheureulzchevreulz
saillans de l’autre, nous preniõsprenions plaisir de les pour-
suyure auecpour-
suyvre avec noz chiēschiens, les uns par cy, les autres par
la, tant que nous arriuasmesarrivasmes a noz maisõsmaisons: ou feus-
mes bien receuz des compagnons qui nous atten-
doyent
27
DE SANNAZAR.
doyent a soupper. Lequel depesché, & bõnebonne partie
de la nuyt paßéepassée en plusieurs autres recreatiõsrecreations do
mestiques, quasi lassez de plaisir, ottroyasmes le re
poz a noz corps bien exercitez. Mais incontinent
que la belle Aurore dechassa les estoilles du ciel,
& que le Coq matineux salua de son chãtchant le iourjour
qui poignoit, denonceant l’heure que les beufz ac-
couplez doyuentdoyvent retourner au labeur ordinaire,
l’un des pasteurs leuélevé plus matin que les autres, res
ueillares
veilla toute la brigade au sõson du cornet enroué. Lors
chascun laissant le lict paresseux, s’appareilla quãtquant
& l’aube a receuoirrecevoir nouueauxnouveaux passetemps. Par-
quoy tirées noz bestes hors des estables, apres elles
nous meismes en uoyevoye. Et comme elles alloyent par
les coyes forestz, resueillantresveillant du son de leurs cam-
panes les oyseaux encores endormyz, nous allions
imaginant en quel lieu lonl’on se pourroit retirer au
gré de chascun pour y estre tout le long du iourjour en
faisant paistre le bestail. Et comme nous estions en
ce doute, chascun proposant un lieu a sa fantasie,
Opico le plus ancien de la cõpagniecompagnie, merueilleuse-
mentmerveilleuse-
ment estimé entre les pasteurs, se print a dire: Si uousvous
uoulezvoulez, amys, qu’a ce matin ieje soye uostrevostre condu-
cteur, ieje uousvous meneray en un lieu assez pres d’icy,
ou ieje suis certain que ne prendrez peu de plaisir:
de ma part ieje ne me puis garder d’en auoiravoir souuesouve-
D iij
L’ARCADIE
nãcenance a toutes heures, pour autãtautant que ieje y passay heu
reusement presque toute ma ieunessejeunesse entre chãsonschansons
& armonies, tellement que les rochiers me con-
gnoissent, & sont bien appris de respõdrerespondre aux ac-
centz de ma uoixvoix. La (cõmecomme ieje pense) nous trouue-
ronstrouve-
rons encores plusieurs arbres, cõtrecontre lesquelz au tēpstemps
que i’auoyej’avoye le sang plus chault que maintenãtmaintenant, i’e-
scriuyj’e-
scrivy atout ma faucille le nom de celle que i’aimoyej’aimoye
plus que tous mes troupeaux: croy que les lettres
seront creues auec les arbres. Parquoy ieje prie aux
dieux qu’il leur plaise les cõseruerconserver a l’exaltation et
louēgelouenge eternelle de celle pour ꝗqui elles furētfurent faictes.
Tous en general trouuasmestrouvasmes si bon le cõseilconseil d’Opi-
co, que a une uoixvoix luy respõdeismesrespondeismes que nous estiõsestions
appareillez de le suyuresuyvre ou bon luy sembleroit. Et
n’eusmes pas faict gueres plus de deux mille pas de
uoyevoye, que nous arriuasmesarrivasmes a la source d’un fleuuefleuve
nomme Erymanthus, lequel par une creuassecrevasse de ro
che uiuevive se gette en la plaine, faisant un bruyt mer-
ueilleuxmer-
veilleux & espouentableespouventable par ses bouillons si uio-vio-
lentz, qu’ilz engēdrentengendrent force escume blanche: et cou
rant par icelle plaine, il fasche & presque assour-
dit de sõson murmure les forestz circūuoysinescircunvoysines, ce qui
de primeface feroit peur inestimable a qui yroit sãssans
cõpagniecompagnie se promener la au long: & nõnon certes sans
bõnebonne cause: car suyuantsuyvant la cõmunecommune opinion des pro- chains
28
DE SANNAZAR
chains habitãshabitans, lonl’on tiēttient quasi pour certain, que c’est
le repaire des Nymphes du pays, lequelleslesquelles font ce
bruyt ainsi estrange pour mettre frayeur es coura-
ges de ceux ꝗqui en uoudroiētvoudroient approcher. Or a raison
q̄que pres d’une telle tēpestetempeste nous n’eußiõseussions sceu prēdreprendre
le plaisir de chãterchanter ny deuiserdeviser, peu a peu comēceas-commenceas-
mes a monter la montaigne assez facile, laquelle e-
stoit chargée (peult estre) de mille que Pins, que Cy-
prez, si grãsgrans & spacieux, q̄que chascũchascun par soy eust qua-
si esté suffisant d’ūbragerumbrager toute une forest. Et quãdquand
nous feusmes anun coupeau, uoyãsvoyans que le Soleil estoit
un peu monté, nous nous aßeismesasseismes pesle mesle sus
l’herbe. mais noz brebiz & noz cheures qui ay-
moient mieux paistre que reposer, grimperent aux
lieux difficiles et cõmecomme inacceßiblesinaccessibles d’icelle mōtai-
gnemontai-
gne, & se preindrētpreindrent a broutter, l’une un buyßō buysson, l’au
tre un sourgeōsourgeon d’arbrisseau ne faisãtfaisant gueres q̄que sortir
de terre. quelq’une se hausoit pour prendre un bran-
che de saule, et quelque autre s’en alloit rōgeãtrongeant les
bourgeōsbourgeons des chesneteaux, et des erables: mesmes
plusieurs beuuansbeuvans dãsdans les fōtainesfontaines, se resiouyssoyent
d’y ueoirveoir leurs figures: et pense q̄que qui les eust ueuesveues
de loing, eust peu dire qu’elles estoyētestoyent pendãtespendantes, &
prestes a tumber. Mais entretant que nous contem-
plions ententiuementententivement ces choses qui faisoyent ou-
blier a dire les chansons, & tous autres passetēpspassetemps:
D iiij
L’ARCADIE
soudainement nous sembla ouyr de loing un son cō
mecom
me d’un haultboys, & de Naccaires, entremeslé
de plusieurs exclamations de pasteurs merueilleu-
sementmerveilleu-
sement penetrãtespenetrantes: parquoy sans autre demeure ti-
rasmes uersvers celle partie de la montaigne ou ce tu-
multe s’ entēdoitentendoit: & tant cheminasmes atrauersatravers la
forest, que finablemētfinablement trouuasmestrouvasmes enuironenviron dix ua-
chiersva-
chiers qui dansoyent en rōdrond a l’entour du uenera-
blevenera-
ble sepulchre du defunct Androgeo, imitans les Sa-
tyres, qui souuētesfoissouventesfois par les forestz enuirōenviron la my-
nuyt attendent les Nymphes ayméees au sortir des
fleuuesfleuves prochains. Quoy uoyātvoyant, nous meslasmes par-
my eux pour celebrer le mortuaire office. Entre ces
uachiersvachiers celuy qui estoit de la plus grãdegrande apparēceapparence,
se meit au meilleu du bal pres la haute pyramide
cõtrecontre un autel nouuellementnouvellement faict d’herbes odorife-
rentes, et la (selōselon la coustume antique) se print a re-
pendre deux uaisseauxvaisseaux de laict fraiz, deux de sãgsang
sacré, deux autres de bon uin uielvin viel rendant une fu-
mée merueilleusemētmerveilleusement agreable, & grãdegrande abõdanabondan
ce de fleurettes diuersesdiverses en couleurs, accordant en
douce & piteuse armonye au sōson du haultboys &
des Naccaires, chãtãtchantant diffusemētdiffusement les louēgeslouenges du pa-
steur la enseuelyensevely, disant, ResiouyResjouy toy Androgeo, res-
iouyres-
jouy toy noble pasteur: si apres la fin de ceste uievie
l’ouyr est cōcedéconcedé aux ames sãssans corps, escoute a cest’ heure
29
DE SANNAZAR.
heure noz paroles: et prēsprens en bōnebonne part ces louēgeslouenges
de tes bouuiersbouviers, nonobstãtnonobstant qu’elles ne soyētsoyent cōpara-
blescompara-
bles a celles que tu peulx auoiravoir au lieu ou maintenãtmaintenant tu
resides en eternelle felicité. Certes ieje croy q̄que ton ame
gracieuse ua uoletãtva voletant a ceste heure alētouralentour de ces fo
restz: & qu’elle ueoitveoit et entēdeentend de poinct en poinct
ce que par nous auiourd’huyaujourd’hui se faict en memoire
d’elle sus ceste neuueneuve sepulture. Or s’il est ainsi, com
ment se peult il faire qu’elle ne responde a tant ap-
peller? Dea, tu soulois auecavec le doux son de ta mu-
sette resiouyrresjouyr toute ceste forest, la remplissant d’ar-
monie inestimable. Es tu doncques maintenant con-
trainct de gesir en eternel silence, par estre cloz en
un petit lieu, entre des pierres froydes & dures?
Helas, par tes doulces paroles tu soulois si bien ac-
corder les controuersescontroverses des pasteurs. O comment tu
les as a ta departie laissez douteux, & mal con-
tens oultre mesure? O noble pere & patron de tou
te ceste troupe pastorale, ou trouueronstrouverons nous ton pa
reil? de qui suyuronssuyvrons nous les cōmãdemenscommandemens? Soubz
quelle discipline uiuronsvivrons nous desormais en asseu-
rance? Certainement ieje ne puis penser qui sera d’icy
en auantavant nostre fidele directeur es choses douteu-
ses qui peuuent aduenirpeuvent advenir. O pasteur sage & discret,
quand te reuerrontreverront noz forestz? Quand seront en
ces montaignes aymées la iusticejustice, la droicture, &
L’ARCADIE
la reuerencereverence des dieux? Lesquelles florissoyent si no
blement soubz tes aelles, que iamaisjamais (par auētureaventure)
le uenerablevenerable Terminus ne borna plus egalement les
champs en debat, que tu as faict en ton uiuantvivant.
Helas qui chantera desormais les Nymphes en noz
boys? Qui nous dōneradonnera en noz aduersitezadversitez salutai-
re conseil, & consolation en noz tristesses, comme
tu soulois en chantant tes rymes iolyesjolyes sus les ri-
uagesri-
vages des fleuuesfleuves courans? Helas a peine peuuentpeuvent
noz troupeaux pasturer emmy les prez sans enten
dre le son de ta musette: & durant ta uievie ilz sou-
loyent si doulcement ruminer les herbes soubz les
umbrages des chesneteaux. Helas a tōton departemētdepartement
noz dieux s’en allerent quant et toy, & delaisse-
rent ceste contrée: car du depuis, autant de foys que
nous auõsavons en noz terres semé le pur fromētfroment, a cha
scun coup nous auōsavons en sōson lieu receuilly la malheu
reuse yurayeyvraye, ou des steriles auoynesavoynes entre les sillōssillons
desolez. Mesmes en lieu qu’elles souloyent produyre
uiolettesviolettes, & autres fleurs odoriferentes: maintenãtmaintenant
elles nous apportent des ronces, chardons, & espi-
nes poignantes. Pourtant pasteurs gettez feuilles et
fleurs en terre: puis de rameaux umbrageux fai-
ctes courtines aux fraiches fōtainesfontaines: car nostre An-
drogeo requiert qu’ainsi se face en memoire de luy.
O biē heureuxbienheureux Androgeo, adieu eternellemēteternelement: adieu.
Voicy le
30
DE SANNAZAR.
Voyci le pasteur Apollo tout gaillard, qui uientvient a ton
sepulcre le decorer de ses couronnes de Laurier: &
les Faunes semblablemēt auecsemblablement auec leurs cornes embou-
quetées, chargez de rustiques presens, qui t’appor-
tent chascun ce qu’il peult, ascauoirascavoir des champs les
espiz, des uignesvignes les raysins en moyßinesmoyssines, et de tous
arbres les fruictz meurs & parez. A l’enuieenvie des-
quelz les Nymphes circunuoysinescircunvoysines, que tu as par
cy deuãtdevant tant aymées, seruiesservies et honorées, uiennentviennent
maintenant auecavec beaux paniers d’osiere blanche,
pleins de fleurs & pōmespommes odoriferētesodoriferentes, te recõpenrecompen
ser des seruicesservices que tu leur as faictz. Mais qui est
de plus grãdegrande importãceimportance, uoirevoire de telle singularité
que lonl’on ne scauroit dōnerdonner aux cendres enseueliesensevelies don
ny present plus exquis ny tāttant durable, les Muses te
donnent des uersvers, des uersvers te donnent les Muses:
& nous auecavec noz flagoletz te les chantons, &
chanterons a perpetuite, pour le moins tant que
troupeaux pourront paistre en ces boys, & que ces
Pins, Erables, & Planes qui t’enuironnentenvironnent, & en-
courtineront tant que le mõdemonde sera monde, murmu-
reront ton uenerablevenerable nom, et que les Toreaux mu-
gissans, auecavec toutes les troupes chãpestreschampestres ferõtferont re-
uerēcere-
verence a tōton umbre, te cryãtcryant a haute uoixvoix parmy les
forestz resonnantes: tellement que des cest’heure
en auantavant tu seras mis au catalogue de noz dieux,
L’ARCADIE
& te ferons sacrifices außiaussi bien cõmecomme a Bacchus,
& a la saincte Ceres, en yueryver aupres du feu, & en
esté a la fraiche umbre. Et autant sueront les Ifz
mortiferes miel doux & delicieux,& les fleurs
soefues & delicates le feront amer & de mauuai-
se saueurmauvai-
se saveur, plustost außiaussi se moyssoneront les bledz
en yuer, & en esté se cueilleront les oliues perue-
nues a deue maturité, que par ces forestz perisse ta
renommee. Ces paroles finyes ce uachiervachier se
print soudainemētsoudainement a sonner une Cornemuse, qui luy
pendoit entre les espaules: a la melodie de laquelle
Ergasto ayant quasi les lermes aux yeux, ouuritouvrit sa
bouche pour chanter ainsi:
Ergasto
sus la sepulture.
O belle ame aux dieux alliée,
Qui de ta prison deslyée,
Toute pure uolasvolas aux cieux,
Ou t’esbas auecavec ta planete,
Disant mainte gaye sornette
De noz pensers ambicieux:
Entre les plus luysans espritz
Comme un Soleil tu as le pris,
Et de tes dignes piedz tu marches
Dessus les estoilles errantes
Entre myrtes & eaux courantes
Preschant
31
DE SANNAZAR.
Preschant les pasteurs de ces marches.
Tu ueoysveoys autres montz, autres plaines,
Autres boys, & riuieresrivieres saines
Au ciel, & plus fraiches fleurettes.
Autres Faunes, autres SyluansSylvans
Par lieux iolizjoliz Nymphes suyuanssuyvans
En plus heureuses amourettes.
La entre odeurs sans nul encombre
Nostre Androgeo chante a l’umbre
Entre Melibee & Daphnis,
RauissantRavissant le ciel doucement,
Et accordant tout element
Par ses motz en douceur finiz.
Comme honneur Vigne a l’Orme faict,
Aux troupeaux Toreau bien refaict,
Et aux champs les bledz undoyans:
Ainsi (pere) tu fuz la perle
De tous pasteurs: & moy qui parle,
IeJe le tesmoigne a tous oyans.
O mort qui peulx tous cueurs estaindre,
Si ta flambe scait bien attaindre
Les plus haultz, qui t’eschappera?
Qui uerraverra jamais en ce monde
Pasteur de si gaye faconde,
Et qui loupz si bien happera?
Qui chantera si plaisans uersvers
L’ARCADIE
Tant les estez, que les yuersyvers?
Et qui semera des branchettes
Sus les fontaines argentines,
Leur faisant ioyeuses courtines
A leurs delectables couchettes?
Les Deesses plaignirent fort
Ta uiolenteviolente & dure mort,
Ce scayuentscayvent eaux, roches, & arbres:
Tous les riuagesrivages en gemirent,
Et les herbes couleur en mirent
Palle comme est celle des Marbres.
Le Soleil ne monstra ses raiz
En boccages, champs, ou maraiz
De long temps apres: & les bestes
Qui sauuagessauvages sont de nature,
Aux prez ne uindrentvindrent en pasture
Les iours ouurablesjours ouvrables, ny les festes.
Noz troupeaux außiaussi ne gousterent
Quelque liqueur, & ne broutterent
Vn brin d’herbe: tant leur greuagreva
Ce cas douloureux: & les boys
Nommoyent ton nom a pleine uoixvoix,
Dont maint cueur presque se creuacreva.
Or uerrasverras tu dorenauantdorenavant,
Face pluye, serain, ou uentvent,
Sus ta tombe ueuxveux & offrandes
De chapeau
32
DE SANNAZAR.
De chapeaux de fleurs qu’y mettront
Tes bouuiersbouviers, lesquelz en gettront
Des exclamations bien grandes.
Par ainsi en toutes saisons,
Quand pasteurs tiendront leurs raisons,
Tu uolerasvoleras de bouche en bouche,
Comme ung coulomb, & ne uerrasverras
Que le renom que tu auras,
Ayt d’oubliance aucune touche.
Non tant que serpens en buyßonsbuyssons
Seront, & en eau les poyssons,
Et ne uiurasvivras par mon seul stile,
Mais par celuy de maintz pasteurs,
De uersvers mesurez amateurs,
Dont te sera l’ouurageouvrage utile.
Chesnes feuilluz, druz & serrez,
S’aucun esprit d’amour uuosvuos poingt,
Faictes umbre aux os enterrez
En ce lieu, mais n’y faillez poinct.
Ce pendant qu’Ergasto chantoit la piteuse chan-
son, Fronimo tresingenieux ētreentre les autres l’escriuitescrivit
en une uerdeverde escorce de hestre: et apres l’auoir en-
richie d’un chapeau de triumphe, la pendit a un ar-
bre estēdantestendant ses rameaux par dessus la blanche se-
pulture. Puis uoyansvoyans que l’heure de disner estoit
L’ARCADIE
quasi paßéepassée, nous retirasmes aupres d’une claire
fontaine sourdante au pied d’un Sapin: & la estans
aßizassiz par ordre, preimes nostre refection de la
chair des animaux qui auoyentavoyent esté sacrifiez sus
le monument, faisant des entremectz de laict des-
guysé en plusieurs sortes, auecavec des chastaignes, &
autres fruictz que la saison apportoit. Et pour estan
cher la soif, nous eusmes des uins uieuxvins vieux d’une fram
boyse & odeur excellente, lesquelz remettent en
ioyejoye les cueurs marriz ou faschez. Puis quãdquand nous
eusmes appaisé la fain a force de uiandes diuersesviandes diverses,
les uns se meyrent a chanter, les autres a compter
des fables: aucuns a iouerjouer: & plusieurs surpris de
sõmeilsommeil, a dormir. FinablemētFinablement moy (a qui, pour estre
tant esloigné de mōmon pays, & autres iustesjustes accidēsaccidens,
toute resiouyssanceresjouyssance estoit occasion de douleur infi-
nye) ieje m’estoye getté au pied d’un arbre, doulou-
reu, & mal cōtentcontent oultre mesure: & lors i’apper
ceuj’apper
ceu a moins d’un gect de pierre, un pasteur uenantvenant
deuersdevers nous a grãsgrans pas, bien ieunejeune de uisaige, uestuvisaige, vestu
d’un roquet de la couleur des Grues, portant a son
costé gauche une belle paneterie d’un simple cuyr
de ueau auortéveau avorté. il auoitavoit sus sa perruque pēdantpendant sus
ses espaules plus finement blonde que le iaunejaune de
la rose, un bonnet ueluvelu, faict (comme ieje congneu de-
puis) de la peau d’un loup, & tenoit en sa main
droicte
33
DE SANNAZAR.
droicte un aiguillon merueilleusementmerveilleusement beau, dont la
poincte estoit garnye de cuyurecuyvre neuf: mais ieje ne
sceu oncques deuinerdeviner de quel boys: car s’il eust esté
de Cormier, ieje l’eusse biēbien peu cōgnoistrecongnoistre aux neux.
& s’il eust esté de Fraisne, ou de Buys, la couleur
me l’eust incontinent descouuert. Ce pasteur uenoitvenoit
en une grauitégravité si grande, que ueritablementveritablement il sem-
bloit le beau Troyen Paris, quand (au cõmencementcommencement
de bergerie) il demouroit dans les hautes forestz
auecavec sa Nymphe, courōnantcouronnant les moutōs uictorieuxmoutons victorieux.
Et lors qu’il fut approché de moy gisant pres d’une
butte ou aucuns tiroyent, il demanda aux bouuiersbouviers
s’ilz auoyentavoyent point ueuveu une sienne uachevache de poil
blanc, merquée d’une tache noyre au front, laquelle
en ses fuytes passées auoitavoit acoustumé de se mesler
entre leurs Toreaux. Adonc pour response luy fut
amyablement dict qu’il ne se uoulsistvoulsist fascher de se-
iourner auec la cōpagnye iusquesse-
journer avec la compagnye jusques a ce que le chault
du mydy seroit monté, pource qu’en celle heure les
troupeaux auoyentavoyent apris de se retirer a l’umbre
pour ruminer les herbes ceuilliescueuillies du matin: & que
si sa uache ne reuenoit quãtvache ne revenoit quant & eulx, ilz l’enuoye-
roientenvoye-
roient chercher de tous costez par un ualet nōmévalet nommé
VrsachioUrsachio, a cause qu’il estoit robuste & ueluvelu com-
me un Ours, lequel la rameneroit ou nous estions.
Alors Carino (ainsi estoit appellé celuy qui auoitavoit a-
E
L’ARCADIE
diré sa uachevache blanche) s’asseit sus un tronc de he-
stre uis a uisvis a vis de nous: & apres plusieurs propoz
s’adresse a nostre Opico, le priant bien affectueuse-
ment qu’il uoulseistvoulseist chanter quelque chanson. Le
quel demy soubzryant luy respondit en ceste ma-
niere: Mon filz mon amy, les ans, & l’aage deuo-
rantdevo-
rant, emportent auecavec soy toutes chose terriennes,
uoirevoire qui plus est, les espritz, encores qu’ilz soyent
celestes. Bien me souuientsouvient qu’en ma ieunesse i’ayjeunesse j’ay
maintesfoys chanté sans me lasser, depuis que le
Soleil se leuoitlevoit, iusquesjusques a ce qu’il se couchast: mais
maintenant quasi toutes mes chansons me sont sor-
tyes de la memoire: & qui pis est, ma uoixvoix s’en uava
tousiourstousjours en decadence, pour autant que les loupz
m’apperceurent les premiers. Et quant cela n’y fe-
roit rien, ma teste grise, & mon sang refroidy, ne
permettent que ieje m’employe es choses qui appar-
tiennent a la ieunessejeunesse. Aussi long temps y a que ma
Musette est pendue deuant le sauuagedevant le sauvage Faunus. Tou-
tesfois il se trouueratrouvera en ceste troupe plusieurs pa-
steurs qui scauront bien respōdrerespondre a tous autres qui
les uouldront prouocquervouldront provocquer a chanter. Ceulx la (mon
filz) pourrōtpourront satisfaire a ce que me demãdezdemandez, mes-
mes encores que ieje ne face mention des autres qui
sont (sans point de doute) singuliers, & de grand
scauoirscavoir. Voyla nostre Serrano, lequel si Tityre ou
Melibee
34
DE SANNAZAR.
Melibee l’entendoient, ilz ne se pourroient tenir de
luy donner souuerainesouveraine louenge. Cestuy la chantera
(s’il luy plaist) pour l’amour de uousvous, & de moy,
& nous donnera du plaisir. Adonc Serrano pour
rendre graces a Opico comme il meritoit, respon-
dit: combien (pere) que ieje soye le moindre, & le
moins eloquent de ceste compagnie, & que a bon
droict tel ieje me puisse nõmernommer: si est ce que pour ne
faire office d’hõmehomme ingrat enuersenvers celuy lequel m’a
cōtrecontre raison & deuoirdevoir reputé digne d’un si grand
hōneurhonneur, ieje m’efforceray de luy obeyr entãtentant qu’il me
sera poßiblepossible. Et pource que la uachevache adirée de Ca
rino, me faict maintenant souuenirsouvenir d’une chose qui
ne me plaist gueres, i’j’entens chanter de ce subgect.
PourtãtPourtant uousvous pere, laissant la uieillessevieillesse, & les excu
ses a part, lesquelles a mon iugementjugement sont plus su-
perflues que necessaires, s’il uousvous plaist me respon
drez. Puis ainsi commencea:
Serrano.
Combien que ia uousja vous soyez fort aagé,
Et de sens meur (pere Opico) chargé
Par les pensers qui se couuentcouvent en uousvous,
Si lamentez (helas) auecquesavecques nous:
Et prenez part de l’amere douleur
Qui m’amaigrit, & faict perdre couleur.
Au iourd’huyjourd’huy plus au monde ne se treuuetreuve
E ij
L’ARCADIE
Aucun amy quand ce uient a l’espreuuevient a l’espreuve,
Morte est la Foy, en son regne est EnuieEnvie.
MauuaisesMauvaises meurs corrompans nostre uievie,
De iour en iour se renouuellentDe jour en jour se renouvellent ores:
Meschant uouloirvouloir & trahison encores
Tiennent les rengz, pour les biens de ce monde,
Qui faire font maint acte ord & immunde,
Si que le filz tous les coupz a son pere
Machinera dommage ou uituperevitupere.
Tel de mon bien rira, qui dißimuledissimule:
Tel me plaindra, qui n’aura douleur nulle,
Ains en derriere auecavec sa lime sourde
A mon honneur fera playe bien lourde.
Opico.
L’enuieenvie (filz) qui ne uientvient a son esme,
Fond & dechet tout ainsi de soy mesme
Comme l’Agneau qu’oeuil mauuaismauvais faict mourir
Q’umbre de Pin ne le peult secourir.
Serrano.
Si le diray ieje, ainsi m’aydent les dieux,
En me uengeantvengeant du paillard odieux
Qui m’a meffaict, auantavant qu’Orges & Bledz
Par moyssonneurs soyent en gerbe assemblez.
Et pour purger mon cueur de son despit,
Que ruyner le uoyevoye sans respit
Du hault a bas d’un grand Chesne, ou d’un Orme,
Si qu’il
35
DE SANNAZAR.
Si qu’il se brise, ou du moins se difforme,
Tant que mon sens ne sache lors choysir,
S’il aura plus de pitié que plaisir.
Scauez uousScavez vous bien ce pas qui quand il pleut
Est si fangeux, que sortir on n’en peult?
La nous faisans au uillagevillage retour,
Ce malheureux se tire en un destour.
Que plaise aux dieux que telle soit sa uievie,
Qu’il la despite ayant de mort enuieenvie.
Nul n’y print garde, a cause que chantions,
Mais en ce poinct comme nous esbations
En ma maison un peu deuantdevant soupper,
VnUn pasteur uintvint a la porte frapper,
Et me cria: Serrano, ieje faiz doutes
Que tu n’as pas en tect tes cheureschevres toutes.
Dont en courant ieje tumbay en la rue:
Encor m’en deult le coulde quand ieje rue.
Las, s’il estoit homme es prochaines cours,
A qui pour droict ieje peusse auoiravoir recours.
Mais, O quel droict? dieu qui nous peult ayder,
Veuille abolyr les causes de playder.
Ce faulx larron, qui puisse auoiravoir les fieuresfievres,
Me desroba deux cheureauxchevreaux, & deux cheureschevres.
Voyla comment auariceavarice domine
Au monde caut, en faisant bonne mine.
IeJe luy diroys certes clair & ouuertouvert
E iij
L’ARCADIE
Mais cestuy la qui tout a descouuertdescouvert,
M’a faict iurerjurer que ieje n’en diray rien:
Dont fault que soys muet perdant le mien.
Considerez (pere) s’il m’en fascha.
Il s’est uantévanté que troys foys il cracha
En perpetrant ce larrecin nuysible,
Dont il deuintdevint a noz yeux inuisibleinvisible,
Acte qui fut pour luy sage & prudent:
Car s’il eust faict le cas tout euidentevident,
IamaisJamais ne feust de mes chiens departy,
Qu’il n’eust esté en cent pieces party:
Car quand ilz sont acharnez une foys,
Siffler ny sert, ou braire a pleine uoixvoix.
Sus soy portoit des herbes monstrueuses,
Pierres de pris, grandement uertueusesverteuses:
Palles liqueurs, os de mort, de la pouldre
Prinse es tumbeaux, a craindre autãtautant que fouldre:
Et qui plus est, des coniurations
Fortes assez en operations,
Qui le faisoient muer quand il uouloitvouloit,
En uentvent legier, en eau qui s’escouloit,
En buyssonnet, ou herbe en toute part.
Ainsi le monde est abusé par art.
Opico.
C’est Proteus doncques: lequel expres
Se transformoit de liege en un Cyprés,
D’aspic
36
DE SANNAZAR.
D’aspic en Tigre inhumain & felon,
De beuf en bouc, fleuuefleuve, ou roche, selon
Sa uoluntévolunté.
Serrano.
Or uoyezvoyez doncques pere,
Si le faulx monde & remply d’impropere
N’engrege pas allant de mal en pis,
Meschans haulsez, & les bons assopis.
Las uous deußiezvous deussiez (ce me semble) uouloirvouloir
Auecques moy uousAvecques moy vous en plaindre & douloir,
Pensant au temps bon de soy, que deprauedeprave
Incessamment le monde fier & brauebrave.
Opico.
Mon filz, alors que ieje touchoys a peine
Les plus prochains rameaux de terre plaine,
Et apprenois sus mon asne a porter
Mouldre le grain, pour me bien enhorter
Mon pere uieilvieil qui m’aymoit cherement,
Me souloit bien appeller doulcement
A l’umbre fraiz des lieges umbrageux,
Non pour me dire ou sornettes, ou ieuxjeux,
Ains comme on faict a ieunejeune Garsonnetz,
Qui les mentons ont de barbe encor netz,
La m’enseignoit a conduyre troupeaux,
Traire le laict, tondre laynes des peaux:
Puis ses propoz par fois s’entremesloyent
E iiij
L’ARCADIE
Du temps iadizjadiz que les bestes parloyent:
Et me disoit que le Ciel en effect
Produisoit lors plus de biens qu’il ne faict,
Veu que les dieux ne desdaignoient mener
Le bestail paistre aux champs ou ruminer,
Et qu’a chanter ainsi que nous faisons,
Leurs passetemps prenoyent toutes saisons.
Qu’on n’eust sceu ueoirveoir un homme estre en debat
Encontre un autre, ains tousiourstousjours en esbat:
Veu que les champs, prez, forestz & pastiz
N’estoyent encor limitez ny partiz:
Que lors le fer, qui (ce me semble) extermine
Le genre humain, n’estoit hors de sa myne,
Et qu’il n’estoit encores mention
De faulx rapport, & faulse inuentioninvention,
Dont guerre sourt, & dont tout mal se germe,
Qui par douleur faict pleurer mainte lerme.
Qu’on n’eust sceu ueoirveoir ces rages furieuses,
Ny a playder personnes curieuses.
Parquoy chascun malheureux se destruit,
Pensant auoiravoir son proces bien instruit.
Que les uieillarsvieillars, quand ilz n’en pouoientpovoient plus,
Et leur falloit estre au logis recluz,
Ou se donnoient la mort sans crainte auoiravoir,
Ou se faisoyent ieunesjeunes par leur scauoirscavoir,
Et par uertuvertu des herbes enchantées
Qu’ilz scauoyent
37
DE SANNAZAR.
Qu’ilz scauoyentscavoyent estre en quelque lieu plantées.
Qu’adõcadonc les ioursjours n’estoiētestoient ny froidz ny sõbressombres,
Mais temperez, serains, & sans encombres,
Et n’oyoit on chahuan ne hyboux:
Ains chant d’oyseaux armonieux & doux.
Mesmes que terre adonc ne produysoit
Noir aconite, ou herbe qui nuysoit,
Comme elle faict, dont chascun a raison
De lamenter en piteuse oraison:
Ains qu’elle adonc estoit couuertecouverte & pleine
De mainte plante & de maint’ herbe saine,
Comme sont baulme, & lermoyant encens,
Odorant myrre, & confortant le sens.
Que chascun lors a l’umbre delectable
Mengeoit du glan, ou du laict profitable,
Grains de GeneureGenevre, ou meures en leur temps,
Et en estoient les bonnes gens contens.
O saison doulce, O uievie gente & gaye.
Quand il fault (filz) qu’en la memoire i’j’aye
Leurs actions, sans plus ieje ne leur faiz
Honneur de bouche, ains comme a gens perfaictz
En mon esprit les honore & reuererevere
En m’inclinant uersvers la terre seueresevere.
Mais ou est (las) ceste antique ualeurvaleur?
Ou est leur gloire? (O filz, o grand malheur)
Ou sont ces gens dont bruyt se faict entendre?
L’ARCADIE
Helas ilz sont redigez tous en cendre.
IolizJoliz amans auecavec leurs amourettes
De pré en autre alloyent ceuillant fleurettes,
RamenteuansRamentevans le feu, l’arc & le traict
De Cupido tout plein de doux attraict.
Il n’estoit lors ny ialouxjaloux ny demy:
Parquoy dansant l’amye auecavec l’amy,
S’entrebaisoyent comme les coulombelles,
Au grand plaisir des mignons & des belles.
O pure foy, O douce usance antique.
Or ueoyveoy ieje bien le monde fantastique
Incessamment aller en empirant,
Tant plus il ua deuersva devers la fin tirant.
Parquoy mon filz quand ieje pense a ce poinct,
IeJe sens mon cueur malade & mal empoint,
M’estant aduisadvis qu’il se fend en deux pars,
Comme naurénavré d’aucuns uenimeuxvenimeux dars.
Serrano.
Helas pour dieu (pere) or uousvous en taisez
Sans mes espritz rendre plus malaysez:
Car si i’j’osoys manifester la rage
Que i’j’ay dedans mon pertroublé courage,
ieje feroys bien que montaignes & boys
En gemiroyent de douloureuses uoixvoix.
Quant est a moy, ieje me uoudroisvoudrois bien taire:
Mais le despit & la couleur austere
Qui sont
38
DE SANNAZAR.
Qui sont en moy, m’animent si tresfort,
Qu’il fault qu’a uousvous le dye en desconfort.
Congnoissez uousvous Laccinio le cault?
En le nommant, le cueur presque me faut.
C’est ce meschant qui a ueillerveiller consomme
Toutes les nuytz, & luy est premier somme
Le chant du Coc: dont Cacus il est dict,
Pource qu’il uictvict de larrecin maudict.
Opico.
Est ce Cacus? O combien il en est
De telz que luy parmy ceste forest?
Ce nonobstant les sages ueulentveulent dire
Qu’on pourroit bien detracter & mesdire
De mille bons pour un meschant paillard.
Serrano.
IeJe scay tresbien (uenerable uieillartvenerable vieillart)
Que plusieurs gens s’entretiennent & uiuentvivent
Du sang d’autruy, ou biens qui en deriuentderivent,
I’J’en faiz souuentsouvent experience aperte
A mon dommage, & merueilleusemerveilleuse perte.
Tous mes mastins perdent temps a iapperjapper,
Car iamaisjamais un ne m’en peuuentpeuvent happer.
Opico.
IeJe congnois bien par ce que i’j’en puis ueoirveoir,
Que trop de telz en doit au monde auoiravoir:
Car si long temps ieje me suis amusé
L’ARCADIE
A querir sens, que i’j’en suis tout usé:
Le doz en ay tout courbe & bossu: mais
A qui que soit, ieje n’en uendy iamaisvendy jamais.
O mon amy, combien lonl’on trouueroittrouveroit
De paysans que bons on iugeroitjugeroit
A les ueoirveoir la, qui pillent & rauissentravissent
Besches, rasateux, coutres, & n’assouuissentassouvissent:
Mesmes baisser ne daigneroient la face
Pour quelque outrage ou honte qu’on leur face.
Ces meschans la comme un Gay rauissansravissans
En ceste uievie ont leurs cueurs & leurs sens
Tous endurciz, & tirent leurs mains pleines
Des sacz d’autruy, dont uiuentvivent sans grans peines.
Estant Opico uenuvenu a la fin de sa chanson, nõnon sans
grand contentement de toute la compagnie, Carino
s’adressant amyablement a moy, me demanda qui
i’j’estoye, de quel pays, & quelle occasion me faisoit
demourer en Arcadie. Dont (apres auoiravoir gette un
grand souspir) quasi par contraincte luy respondy:
IeJe ne puis (gracieux pasteur) sans merueilleuxmerveilleux en-
nuy rememorer le temps paßépassé, lequel encores que
lonl’on puisse dire ne me auoiravoir esté gueres propice, si
est ce qu’ayant maintenant a en faire le recit, consi-
deré que ieje me treuuetreuve en plus grande moleste que
iamaisjamais, cela me sera un accroyssement de peine,
& quasi
39
DE SANNAZAR.
& quasi aygrissement de douleur a la playe mal
consolidée, laquele naturellement fuyt de se faire
toucher souuētsouvent. Mais pource que l’expreßionexpression de pa
roles, est aucunesfois aux miserables allegeance de
leurs faix, ieje uousvous diray ce qu’il en est.
Naples (comme chascun de uousvous peut auoiravoir plu-
sieurs fois entendu) est située en la plus fructueuse
& delectable partie d’Italie, sus le riuagerivage de la
mer: au moyen de quoy elle est autant fameuse &
noble en armes & en lettres, que cité (parauētureparaventure)
qui soit en ce monde. Elle fut edifiée par un peuple
uenãtvenant de Chalcide sus l’antique sepulture de la Se-
raine Parthenopé, dont elle print & retient enco-
res le uenerablevenerable nom. Ceste cité doncques est le lieu
ou ieje prins nayssance, non de sang obscur & rotu-
rier, mais (s’il ne m’est discõuenabledisconvenable de le dire) d’u-
ne tresantique & noble lignée, de quoy rendent
bon tesmoignage les armes de mes ancestres appo-
sees aux plus apparentes places d’icelle: ou ieje n’e-
stoye reputé le moindre des ieunesjeunes hõmes de mon
age: car l’ayeul de mon pere, qui estoit de la Gaule
cisalpine (combien que si lonl’on prend garde au com-
mencement, il fut extraict de l’extreme Espagne,
& en ces deux contrées fleurißentfleurissent encores au iour-
d’huyjour-
d’huy les reliques de ma famille) fut oultre la no-
blesse de ses predecesseurs, homme tresnotable par
L’ARCADIE
ses propres gestes, & en la magnanime entrepri-
se que feit le Roy Charles troysiesme d’entrer au
Royaume d’Ausonie, il merita par sa uertuvertu, estant
Capitaine d’une bōnebonne troupe de gēsgens de guerre, d’a-
uoira-
voir la seigneurie de l’antique Sinuessa, auec grand
partie des champz Falernes, & des montaignes
Maßiques,Massiques & d’aduãtageadvantage la petite uille aßiseville assise sus
le riuagerivage de l’impetueux Vulturne, pres du lieu par
ou il entre en la mer: auec außiavec aussi L’interno, encores
que ce soit une place solitaire: toutesfois elle est me-
morable, a cause des cēdres du diuincendres du divin Scipion Afri-
cain, qui y furent enterrées: sans ce qu’en la fertile
Lucanie il tenoit soubz honorable tiltre plusieurs
bourgades & chasteaux, du reuenurevenu desquelz il
eust peu uiurevivre honorablement selon qu’il apparte-
noit a son estat: mais la fortune plus liberale a don-
ner, que curieuse de conseruerconserver les prosperitez mon
daines, uoulutvoulut par succesßionsuccession de tēpstemps, apres la mort
dudict Roy Charles, & pareillement de Ladislao
son legitime successeur, que le Royaume orphelin
tumbast es mains d’une femme: laquelle incitée de
naturelle inconstance & mobilite de courage, ad-
ioustaadjousta a ses autres malefices, cestuy cy: C’est qu’elle
annichila & quasi reduict en extreme perdition
ceux qui auoyentavoyent esté en souuerainsouverain hõneurhonneurmagni-
fiez de son pere & de son frere. Oultre ce qui uouvou
droit
40
DE SANNAZAR.
droit dire quelles, & en quel nõbrenombre furent les ne-
ceßitezne-
cessitez que ledict ayeul & mon pere souffrirent,
trop seroit long a racompter. Parquoy ieje reuiensreviens a
moy, qui nasquy en ce monde enuironenviron les dernieres
années que feu de bōnebonne memoire le uictorieuxvictorieux Roy
Alphonse d’AragōAragon passa de ceste uievie mortelle a sie-
cles plus trãquillestranquilles, soubz espouentablesespoventables & mal-
heureux prodiges de Cometes, trēblementztremblementz de ter-
re, pestilēcespestilences, & sanglãtessanglantes batailles: & fuz nour-
ry en pouretépovreté, ou (comme diroyent les plus sages)
esleuéeslevé en modeste fortune: & (cōmecomme ma planete ou
destinée uoulurentvoulurent) a peine auoyavoy ieje huyt ans pas-
sez, que ieje commenceay a sentir les poinctures d’a-
mour: car estant deuenudevenu amoureux d’une petite fil-
le, plus belle & plus mignonne a mon iugementjugement,
qu’autre que i’j’eusse iamais ueue,jamais veue descendue außiaussi de
hault & noble sang, ieje tenoye mōmon desir caché plus
songneusemētsongneusement qu’il n’estoit conuenableconvenable a mes ans pue
riles. a raisōraison de quoy elle ꝗqui ne s’en apperceuoitappercevoit, em-
brazoit de iour en iourjour en jour & d’heure en heure mes
tendres ueinesveines par sō exceßiueson excessive beaute, se iouãtjouant iuue-
nilementjuve-
nilement auecquesavecques moy: en maniere que croyßantcroyssant
l’amour auecavec les ans, nous perueimesperveimes en aage plus
meur, et plus enclin aux ardētesardentes affections. mais ne
ceßãtcessant pour tout cela nostre acoustumée cõuersatiõconversation,
ains augmentãtaugmentant, a tous propoz elle m’estoit occasiōoccasion
L’ARCADIE
de plus grãd trauail & melãcholiegrand travail & melancholie: car il me sem
bloit que l’amytie, la beniuolencebenivolence, & la tresgrãdetresgrande
affectiōaffection qu’elle me portoit, ne tendoiēttendoient a la fin que
i’j’eusse bien desirée. Et cõgnoißãtcognoissant que i’auoyej’avoye quel-
que chose dans le cueur qu’il ne m’estoit besoing
monstrer exterieurement, n’ayant encores la har-
diesse de me descouurirdescouvrir a elle en aucune maniere,
pour ne perdre en un moment tout ce qu’il me sem
bloit auoiravoir acquis en plusieurs années par industri-
eux labeur, i’j’entray en une si forte douleur & ue-
hemente melãcholieve-
hemente melancholie, que i’j’en perdy repoz & re-
pas: dõtdont ieje sembloye mieux umbre de mort, que ui-
uevi-
ve creature. duquel changement elle me demanda
plusieurs fois la cause: mais pour response ieje ne luy
rendoye qu’nqu’un ardant souspir. Et combien que de-
dans le petit lict de ma chambrette ieje proposasse
en mon entendemētentendement plusieurs choses pour luy faire
entendre, neantmoins quãdquand i’j’estoye en sa presence,
incontinent ieje pallissoye, trembloye, & deuenoyedevenoye
muet, de sorte que ieje donnay (parauentureparaventure) occasion
de souspecōnersouspeconner a plusieurs qui ueoyentveoyent mes conte-
nances. Mais elle qui ne s’en apperceuoit iamaisappercevoit jamais (ou
pour sa nayuenayve bonté, ou pour estre de cueur si froid
qu’elle n’y pouoit receuoirpouvoit recevoir l’amour, ou peult estre,
& qui est le plus croyable, pour estre si sage,
que mieux que moy le scauoit dißimulerscavoit dissimuler en gestes
& paroles,
41
DE SANNAZAR.
& paroles) se monstroit merueilleusementmerveilleusement simple
en ceste pratique. Au moyen de quoy ieje ne me pou-
uoyepou-
voye distraire de l’aymer, et si ne m’estoit expediētexpedient
demourer en si miserable estat: dont pour dernier
remede ieje deliberay me priuerpriver de ceste uievie. Et pen-
sant en moymesme le moyen de ce faire, ieje pour-
gettay diuersesdiverses & estranges conditions de mort.
Et ueritablement i’veritablement j’eusse mis fin a mes tristes ioursjours
ou par corde, ou par poyson, ou par une espée tren
chante, n’eust esté que mon ame dolente surprise de
ieje ne scay quelle pusillanimité, deuint craintiuedevint craintive &
peureuse de ce qu’elle desiroit, tellement que chan-
geant ce cruel propos en plus meure deliberation
de conseil, ieje prins le party d’abandōnerabandonner Naples, &
la maison de mon pere, esperant außiaussi que ieje pour-
roye laisser l’amour, & mes paßionspassions. Mais il m’ad-
uintad-
vint (helas) bien autrement que ieje ne pensoye, pour-
tant que si ieje me reputoye infortuné lors que ieje
pouuoiepouvoie souuentesfois ueoirsouventefois veoir & parler a ma dame
tant aymée, pensant seulement que l’occasion de ma
langueur luy estoit incongneue: maintenant ieje me
puis a bon droict nommer malheureux sus tous
autres, me trouuanttrouvant par si grande distance de pays
absent de sa belle personne, & peult estre sans espe
rance de iamais la reuoirjamais la revoir, ou d’en ouyr nouuellenouvelle
qui me soit aucunement propice, mesmes consideré
F
L’ARCADIE
qu’en ceste bouillante adolescence il me souuientsouvient le
plus du tēpstemps, entre ces solitudes d’Arcadie, des plai-
sirs de mōmon delicieux pays, Certes i’j’ose bien dire (sauf
meilleur iugementjugement) qu’il seroit impoßibleimpossible, ou mer-
ueilleusemētmer-
veilleusement difficile, que ieunesjeunes hõmeshommes nourriz et
esleuezeslevez es bonnes uillesvilles, peußentpeussent icy en plaisir de-
mourer, mais qui plus est, bestes brutes & sauua-
gessauva-
ges n’y scauroient a leur gré conuerserconverser. Et quand ieje
n’auroye autre affliction que la doubte de ma pen-
sée, laquelle me tient continuellement suspendu en
diuersesdiverses imaginations pour l’ardant desir que i’j’ay
de reuoirrevoir ma mieux aymée, ueuveu que ieje ne puis iourjour
ne nuyt comprendre en mon esprit comment elle se
maintient: si me seroit ceste angoysse trop rigoreu-
se & uehementevehemente. Croyez amys, que ieje ne ueoyveoy ia-
maisja-
mais ny montaigne, ny forest, que ieje ne me persua-
de a chascun coup d’y pouoir trouuerpouvoir trouver ma dame, cō-
biencom-
bien que a le penser ce me semble une chose impos-
sible: & n’y scauroye sentir aucun mouuementmouvement de
beste, oyseau, ou branche d’arbre, que ieje ne me re-
tourne incontinent tout espouentéespoventé, pour ueoirveoir si ce
seroit point elle, qui seroit uenuevenue en ce pays afin de
ueoirveoir & congnoistre la miserable uievie que ieje meyne
pour l’amour d’elle. IeJe n’y scauroye semblablement
ueoirveoir aucune autre chose, que de primeface & en
plus grãdegrande ardeur elle ne me remette en memoire
la bonne
42
DE SANNAZAR
la bonne grace de madicte maistresse. Et me sem-
ble que les cauernes,cavernes les fontaines, les ualléesvallées, les
montaignes, & toutes les forestz l’appellent, &
que les arbrisseaux resonnent incessamment son
nom: entre lesquelz me trouuanttrouvant aucunesfois, &
contemplant les Ormes feuilluz embrassez des ui-
gnesvi-
gnes rampantes, soudainemētsoudainement me chet en la pensée
une amertume angoysseuse & insupportable, con-
siderant combien mon estat differe de celuy des ar-
bres insensibles, qui iouyssentjouyssent continuellement des
gracieux embrassementz des uignesvignes tant aymées:
& moy par tant d’espace de ciel, par si grande
longueur de terre, & par tant de distances de mer
esloigné de mon desir, ieje me consume en perpetuel-
les douleurs & lamentations. O quantesfois ay ieje
pleuré presque uaincuvaincu d’enuieenvie, uoyãtvoyant les affectueux
coulōbscoulombs baiser par les boys en doux murmures les
coulombes amyables, puis desireux de plaisir s’en
aller chercher le nid? Certes alors ieje leur disoye:
O bien heureux animaux, ausquelz sans souspecon
de ialousiejalousie est permis le ueillerveiller & le dormir les
uns auecavec les autres en seure paix & tranquillité.
longues puissent estre uozvoz amours, lõglongpuisse estre
uostrevostre plaisir, afin que seul entre les uiuansvivans ieje puis-
se demourer spectacle de grieuegrieve misere & lan-
gueur. Il m’aduientadvient außi souuentesfoisaussi souventesfois en gardant
F ij
L’ARCADIE
les bestes (a quoy ieje me suis acoustumé en cestes fo-
restz uostresvostres) que i’j’appercoy par les grasses campa
gnes quelque Toreau si maigre & descharné que
ses os debiles peuuentpeuvent a peine soustenir sa seiche
peau: ce que ueritablementveritablement ieje ne puis regarder sans
trauailtravail & douleur inestimable, pēsantpensant bien que un
mesme amour est occasion a luy & a moy de uievie
malheureuse & tormentée. D’aduantage me sou
uientsou
vient que quand par fois ieje me separe de la compa-
gnie des autres, afin de pouoirpovoir mieulx penser a mes
martyres & afflictiõsafflictions parmy les solitudes, ieje ueoyveoy
quelque genice amoureuse aller seulette mugißãtmugissant
par les hautes forestz, & cherchant le ieunejeune To-
reau: puis lasse & trauailléetravaillée se getter sus le bord
de quelque riuiereriviere, ou elle s’oublie de paistre &
de donner lieu aux tenebres de la nuyt. Laquel-
le chose combien elle est ennuyeuse a regarder a
moy qui meyne telle uievie, celuy seulement le peult
cõiecturer,conjecturer qui l’a esprouuéesprouvé, ou espreuueespreuve. Asseurez
uousvous amys qu’il me uientvient lors en la pensée une me-
lancholie & tristesse incurable, auec une grande
compaßioncompassion de moymesme, mouuantemouvante du dedans de
mes ueynesveynes: laquelle ne me laisse poil sus la person-
ne, qu’elle ne face herisser d’horreur: puis en mes
extremitez refroydies s’esmeut une sueur angois-
seuse, auecavec un battement de cueur si fort, que ueri-veri-
tablement
43
DE SANNAZAR.
tablemēttablement si ieje ne le desiroye, i’j’auroye peur que mon
ame dolente ne uoulustvoulust saillir de mon corps. Mais
pour quoy suis ieje tant lõglong a racompter ce que peult
estre manifeste a un chascun? Certainement amys ieje
ne m’entens iamaisjamais appeller Sannazar par aucun de
uousvous (nonobstant que ce soit un surnom qui a esté
fort honorable a mes predecesseurs) que cela ne
me face souspirer rememorant que ma dame par-
cydeuantpar-
cydevant me souloit nommer Syncero. Et si ne en-
tens iamaisjamais son de musette ny chant de pasteur, quel
qu’il soit, que mes pourespovres yeux ne uersentversent une infi-
nité de lermes angoysseuses, pource que me reuien-
nentrevien-
nent en la memoire les temps heureux ausquelz
chantãtchantant mes rymes ou uersvers composez, tout a l’heu-
re ieje m’entendoye par elle estimer singulierement.
Et pour n’aller de poinct en poinct racomptant tou
tes mes peines, il n’y a chose qui me plaise, il n’est
ieujeu ny esbatemētesbatement qui me puisse, ieje ne ueulxveulx pas dire
augmenter ma lyesse, mais diminuer mes miseres,
ausquelles ueuilleveuille mettre fin le dieu qui exauce les
oraisons & clameurs des douloureux, ou par pro-
chaine mort, ou par succeßiōsuccession de tēpstemps plus prospere.
AdōcAdonc Carino respõditrespondit a ma lōgue cōplainctelongue complaincte ainsi:
Syncero mon amy, tes douleurs sont merueilleuse-
ment grieuesmerveilleuse-
ment grieves, & ne peuuentpeuvent estre entendues sans
tresgrande compaßioncompassion. Mais dy moy, ieje te prie, ainsi
F iij
L’ARCADIE
te puissent mettre les dieux entre les bras de la da-
me tant desirée, quelles rymes estoient ce que ieje
t’ouy nagueres chanter en pleine nuyt? Certaine-
ment si ieje n’auoieavoie oublié les paroles, il me souuien-
droitsouvien-
droit bien de la facon. Et en recōpenserecompense ieje te dōneraydonneray
ceste musette de sureau, que i’j’ay ceuillye de mes
propres mains en des mõtaignesmontaignes bien difficiles, &
fort loingtaines de noz uillages, tellemēttellemetvillages tellement qu’il n’est
a croyre que iamaisjamais chant de Coq matineux arri-
vastarri-
vast iusquesjusques la pour luy oster sa resonãnceresonnance. AuecAvec ceste
musette i’j’espere (si les dispositions fatales ne te
sont contraires) que tu chanteras quelque fois en
plus hault stile les amours des Faunes & Nym-
phes, & que comme tu as infructueusement dißi-
pédissi-
pé les commencemens de ton adolescence entre pa-
stoureaux simples & champestres, ainsi tu passe-
ras heureusement ta jeunesse entre les trompes re-
sonantes des nobles Poetes de ton siecle, non sans
esperance d’eternelle renommée. Cela dict, il se
teut: & moy en touchant & sonnant ma harpe,
commenceay ainsi:
SYNCERO
SEVLSEUL.
Comme nocturne oyseau du Soleil ennemy
IeJe me uoysvoys promenant las & fasché parmy
Lieux tenebreux & noirs, pēdãtpendant que sus la terre
I’J’appercoy
44
DE SANNAZAR.
IJ’appercoy que le iourjour chemine & uava grand erre.
Puis quand ce uientvient au soir, le Soleil ne me donne
Repos, ainsi qu’il faict a toute autre personne,
Ainsi fault q̄que me reueillereveille, & coure par les plains
Lamentãt grieuementLamentant grievement & gettãtgettant tristes plainctz.
Mais s’il aduientadvient par fois que ieje ferme les yeux
En quelques uauxvaux obscurs, ou solitaires lieux,
Comme landes, pastiz, & desertes forestz
Que le Soleil ne peult penetrer de ses raiz,
Cruelles uisionsvisions, erreur friuolefrivole & trouble
Me tourmētent tourmentent si fort, & dōnentdonnent tant de trouble,
Que i’j’ay telle frayeur quand ce uientvient sus le soir,
Que pour ne m’endormir, n’ose a terre me seoir.
O terre gracieuse, uniuerselleuniverselle mere,
Ne pourray ieje une fois en ma douleur amere
Dedans quelque uerdverd pré si bien me disposer,
Que iusq’aujusqu’au dernier iourjour ieje puisse reposer
Sans point me reueillerreveiller tant que le Soleil uiennevienne
Aux yeux troublez mōstrermonstrer la claire lueur siēnesienne,
Faisant ressourdre alors mōmon corps et mes espritz
Du somme qu’ilz auront si treslongument pris?
Deslors que mon sommeil banny par desplaisir,
Et mon lict delaissay pour en terre gesir,
Les ioursjours beaux et seraīsserains tous troubles m’ōtont sēblésemblé
Si ont les chãpschampsfleuriz un droict chaume de blé:
Mais quãd ce uiētvientquand ce vient au poinct que le Soleil retourne
F iiij
L’ARCADIE
Des Antipodes bas, & a nous il adiourneadjourne,
Il me semble qu’il met entierement sa cure
De se monstrer a moy plus noir que nuyt obscure.
Ma dame toutesfois un soir (la mercy d’elle)
En songe m’apparut assez ioyeusejoyeuse & belle:
Dont mon cueur s’esiouytesjouyt, comme la terre faict
Du Soleil apres pluye (ainsi que chascun scait)
Et me dict, Mon amy, cesse ton triste pleur:
Puis uienvien en mon iardinjardin y cueillir une fleur,
Ces cauernescavernes laissant, ou tu ne peux ueoirveoir goutte:
Car tant que ie uiuray, ieje vivray, je seray tienne toute.
Fuyez donc desormais malencontreux ennuys,
Qui m’auez faict auoiravez faict avoir tant de mauuaisesmauvaises nuytz:
Car ieje m’en uoysvoys chercher la campagne iolyejolye,
Bannissant de mon cueur toute melancholye,
Et doux sommeil prendray sus l’herbette menue:
Car iamaisjamais il n’y eut homme dessoubz la nue,
I’J’entens qui comme moy ait esté amoureux,
Plus ayse, plus content, plus gay, ny plus heureux.
O chanson tu uerrasverras au soir en Orient
Le Soleil se leuerlever, son ordre uariantvariant,
Et moy soubz terre mis par la fiere Atropos
AuantAvant qu’en ce pays ieje puisse auoiravoir repos.
A peine estois ieje paruenuparvenu aux dernieres nottes de
ma chãson, quãdchanson, quand Carino s’escryãts’escryant me deit en ioyeu-joyeu-
se uoix,
45
DE SANNAZAR.
se uoixvoix, ResiouyResjouy toy pasteur Napolitain, & chasse
tant que tu pourras loing de toy la perturbation de
ton courage, rasseurant desormais ta face melãncho-melancho-
lique: car ueritablementveritablement tu retourneras a ton doux
pays, & a la dame que plus tu desires, au moins si
le ioyeuxjoyeux & manifeste signe q̄ que les dieux en demon
strent, ne m’abuse.Helas, cõmentcomment se pourroit il fai-
re? respondy ieje lors. La uievie me durera elle bien tant
que ieje la puisse reueoirreveoir? Certes ouy (deit il) & ne
se doit aucun iamaisjamais deffier des augures & pro-
messes des dieux, pource qu’elles sont toutes trescer
taines & infallibles. Parquoy (mon amy) conforte
toy, & pren esperance de future lyesse: car certai-
nement i’j’espere que ton esperer ne sera uainvain. Ne
ueoysveoys tu pas sus mains droicte nostre VrsachioUrsachio reue-
nirreve-
nir tout gaillard auec ma uache retrouuéevache retrouvée, res-
iouyssantres-
jouyssant les forestz circunuoysinescircunvoysines du son de sa
Musette? A ceste cause, si mes prieres sont de quel-
que efficace en ton endroict, ieje te prie & admone-
ste tãttant que ieje puis, qu’il te prēneprenne pitié de toymesme,
et que tu mettes une fin a tes lermes angoysseuses:
car (cõmecommedit le prouerbeproverbe) jamais on ne ueitveit saouler
Amour de lermes, Prez de ruysseaux, CheuresChevres de
feuilles, ny Mousches de nouuellesnouvelles fleurs. Et afin de
te donner meilleur espoir en tes afflictions, ieje te cō-
pteraycom-
pteray une histoire de moymesme, combien que si ieje
L’ARCADIE
ne suis du tout ioyeuxjoyeux, a tout le moins suis ieje en par-
tie deschargé de mes amertumes & tristesses. Cer-
tes ieje fuz en semblable et peult estre en plus dou-
loureux estat, que tu n’es a present & ne fuz onc-
ques, hors mis le uoluntairevoluntaire exil qui tant te mole-
ste: Car jamais tu ne te mis en peril de perdre ce
qu’il te sembloit parauanture auoirparavanture avoir acquis a grand
labeur: cōmecomme ieje feys, qui tout a un coup mis tout mōmon
bien, toute mon esperãceesperance, et toute ma felicité, au ha
zart de l’aueugleaveugle fortune. Et ne doubte point que
ieje n’eusse perdu le tout sans recouurerrecouvrer, si ieje me feus
se desesperé de l’abondante grace des dieux, ainsi
que toy. I’J’estoie doncques, combien que ieje le soie en-
cores, et seray tant que ieje uiurayvivray, des ma premiere
ieunessejeunesse tresardammēttresardammentespris de l’amour d’une fil-
le, laquelle, a mon aduisadvis, par son exceßiueexcessive beaulté
ne surmonte seullement les autres pastourelles d’Ar
cadie, mais les sainctes deesses. Ceste fille pour au-
tant que des son ieunejeune aage auoitavoit esté dediée au ser
uiceser
vice de la saincte Diane, et que semblablement i’a-
uoyej’a-
voye esté né & nourry dans les boys, facillement
elle auecavec moy, & moy auecavec elle nous acointasmes:
et (cōmecomme les dieux uoulurentvoulurent) tant nous trouuasmestrouvasmes
conformes de meurs & conditions, qu’une amytie
& bienueuillancebienveillance nasquit si grande entre nous,
que iamaisjamais l’une ne l’autre n’auoitn’avoit plaisir ne repoz
sinon
46
DE SANNAZAR
sinon quand nous estions ensemble. puis allions a la
chasse par les forestz, garniz d’instrumens conue-
nablesconve-
nables: & iamais ne reuenionsjamais ne revenions chargez de proye,
qu’auantavant qu’elle fust partie & diuiséedivisée entre nous,
les autelz de la saincte deesse ne fussent honora-
blement uisitezvisitez & decorez de noz offrandes, at-
tachant aux branches des Sapins quelque hure de
Sanglier, ou rameure de Cerf. Et combien
que nous prinsions merueilleusementmerveilleusement grand plaisir
a toute maniere de chasse, celle des simples oysil-
lons nous delectoit plus que toutes, pource qu’elle
se pouoitpovoit cõtinuercontinuer auecavec plus grand plaisir, et moin-
dre trauailtravail, qu’aucune des autres. Aucunesfois auãtavant
le poinct du iourjour, que les Estoilles n’estoient a grãdgrand
peine disparues pour dōnerdonner lieu au Soleil, que nous
ueoyons roußirveoyons roussir en Orient entre les nuées uermeil-
lesvermeil-
les, nous en allions en quelque ualléevallée loingtaine
de la conuersationconversation des gens, & la entre deux ar-
bres les plus haultz que nous pouuionspouvions choysir,
tendiōstendions nostre grãdegrande retz, tãttant delyée, qu’a peine la
pouoitpovoit on discerner entre les branches: pour laquel-
le cause nous la nommions Araigne. Puis apres l’a-
uoira-
voir ordonnée comme il estoit requis, accourans des
limites du boys, & faisant des mains, bastons, &
pierres, le plus espouuētableespouventable bruyt qu’il nous estoit
poßiblepossible, en battant de pas en pas les hasliers &
L’ARCADIE
buyssons, uenions deuersvenions devers le lieu ou nostre restz e-
stoit preparée. Adonc les Tourdz, Merles, & au-
tres oyseaux se prenoient a escrier, & fuyr deuantdevant
nouz, estonnez de sorte qu’a l’impourueuimpourveu s’alloient
gecter en noz aguetz, ou enueloppezenveloppez demouroiētdemouroient
penduz comme en plusieurs poches. Parquoy nous
uoyansvoyans la proye suffisante, laschions petit a petit les
boutz des maistresses cordes,& en les amenant a
terre, trouuionstrouvions plusieurs oyseaux, les uns se plai-
gnans, & les autres ademy mortz, en si grand
nombre, que souuentesfoissouventefois ennuyez d’en tant tuer,
et n’ayans lieu pour les mettre, les emportions pesle
mesle en noz logis dedans icelle retz mal ploiee.
Par fois außiaussi en la saison d’Autonne que les espois-
ses trouppes des Estourneaux uolansvolans se monstrent
aux regardãsregardans quasi cōmecomme une boulle rōderonde en l’air,
nous faisions noz effortz d’en recouurerrecouvrer deux ou
trois de leur espece, qui se pouoitpovoit faire bien aise-
mētaise-
ment: puis attachiōsattachions a la iãbejambe d’un chascun d’eulx un
peloton de ficelle engluée autant long qu’il en po-
uoitpo-
voit porter Et quãdquand la trouppe uolãte uenoitvolante venoit a s’ap-
procher de nous, adonc laißionslaissions nous aller en liber-
té les nostres, qui soudainement selon leur instinct
naturel tiroient deuersdevers leurs compagnons, & s’al-
loiētal-
loient fourrer parmy eulx, dõtdontfalloit bon gré mau-
gré qu’auecavec la ficelle engluée ilz attirassent gran-
de
47
DE SANNAZAR
de partie de la confuse multitude: & les malheu-
reux qui se sentoient precipiter, ignorãsignorans la cause du
retardement de leur uolvol, se mettoiētmettoient a crier de toute
leur puissance: en quoy faisant remplissoient l’air de
douloureux gemissemēsgemissemens: mais finablement nous les
ueoyonsveoyons de pas en pas tumber a noz piedz parmy
les campagnes, tellement que le plus souuētsouvent retour-
nions en noz maisons auecavec les sacz tous pleins de
gibier. Il me souuient außisouvient aussi que ieje me suis beaucoup
de fois mis a rire des accidentz de la Corneille, &
uousvous orrez comment. A chascun coup qu’il nous
en tumboit une entre les mains, nous en allions en
quelque grande plaine, & la par le fin bout des
aelles l’attachions sus la terre le uentreventre contremeont,
comme si elle eust uouluvoulu regarder le cours des pla-
nettes. Et si tost qu’elle se sētoitsentoit ainsi lyée, se prenoit
a cryer & demener si fort qu’elle faisoit aßēbler
enuironassembler
environ soy toutes les corneilles circunuoisinescircunvoisines. Au-
cune desquelles (paraduantureparadvanture) plus piteuse de l’in-
conuenientin-
convenient de sa cōpagnecompagne, que bien aduiseeadvisee du sien
adueniradvenir, se laissoit par fois aller tout d’un coup uersvers
la place ou estoit l’autre attachée, pour la secourir
s’il eust esté poßiblepossible. mais souuentesfoissouventesfois pour bien
faire elle en receuoit mauuaisrecevoit mauvais guerdõguerdon: car plus tost
n’y estoit abordée, qu’elle ne fust estraincte a beaux
ongles par celle qui attēdoitattendoit le secours, de sorte que
L’ARCADIE
s’il eust esté a son choix, elle s’en feust uolũtiersvoluntiers des
uelopéedes
veloppée: mais c’estoit pour neãtneant, a cause que la pri-
sonniere la serroit & tenoit si court qu’elle ne la
laissoit tant soit peu separer. Parquoy uous eußiez
ueuvous eussiez
veu sourdre un nouueaunouveau combat, l’une cherchant de
s’en fuyr, et l’autre de se remettre en liberté, chas-
cune pour sa part plus ententiueententive a son salut, que a
celuy de sa compagne. Lors nous cachez en quel-
que lieu pres dela, apres en auoiravoir longuement pris
nostre plaisir, les allions demesler: & la noise ap-
paisée, rentrions en nostre cachette, attendans que
quelque autre nous uinstvinst redoubler le passetemps.
Que uousvous diray ieje de la Grue? Sans point de doubte
il ne luy seruoitservoit de rien faire le guect toute la nuyt,
tenant une pierre en son pied: car en plain midy el-
le n’estoit bien asseurée de noz engins. AußiAussi que
profitoit au Cygne se tenir dedans les eaux pour se
garder du feu, craignãtcraignant la chute de Phaethon, si au
meillieu d’icelles il ne se pouoit sauuerpouvoit sauver de noz
mains? Et toy miserable Perdrix, a quelle cause eui-
toisevi-
tois tu les toictz des edifices, rememorant le terri-
ble accident de ton antique ruine, si en plaine terre
quand tu pensois estre en plus grãdegrande asseurance, tu
venois a tumber en noz las? Mais qui croyroit estre
poßiblepossible que l’Oye uigilantevigilante & songneuse guette
des surprises nocturnes, ne scauoitscavoit pour elle mesme
descouurir
48
DE SANNAZAR.
descouurirdescouvrir noz machinations? IeJe uousvous en dy autant
(amys) des Faisans, Coulombs, Tourterelles, Canars
de riuiereriviere, & autres oyseaux: car il n’en fut iamaisjamais
aucun doué par nature de si grande astuce, qui se
peust promettre longue liberté, & se garder de
noz finesses. Mais afin que ieje ne uoisevoise racomptant
toutes choses par le menu, l’aage de m’amye & de
moy, croissant de saison en saison, la longue & cõ-con-
tinuelle acoustumance se conuertitconvertit en un amour
si uehementvehement, que ieje n’auoieavoie iamais ioyejamais joye en mon
cueur sinon quand ieje pensoie en elle. Et n’aiant, amy
Syncero, la hardiesse de luy descouurirdescouvrir aucunement
ma pensée, cõmecomme tu as dict parcydeuãtparcydevant, ieje deuinsdevins si
piteux a ueoirveoir, que nōnon seulemētseulement les autres pasteurs
en parloient: mais elle qui ne s’en doubtoit, & me
portoit merueilleusementmerveilleusement bonne affection, en auoitavoit
pitie & douleur inestimable. dont nōnon une seule fois,
mais plus de mille a grande instance me pria que
ieje luy uoulsissevoulsisse ouurirouvrir mon cueur, luy faisant enten-
dre le nom de celle qui de ce m’estoit occasion. Ainsi
ieje qui pour n’ozer me descouurirdescouvrir, supportoie en mōmon
courage une intolerable amertume, quasi auecavec les
lermes aux yeux luy respondoie, qu’il n’estoit licite
a ma langue nommer celle que i’j’adoroie pour ma
celeste deesse, mais que ieje luy monstreroie bien son
excellent & diuindivin pourtraict, quand la commodité
L’ARCADIE
m’en seroit offerte. Or l’ayant par ces paroles plu-
sieurs ioursjours tenue en espoir, aduintadvint une fois qu’apres
auoiravoir bien giboié, elle & moy seulletz & eslon-
gnez des autres pasteurs, nous retirasmes deuersdevers
quelque ualléevallée ou sourdoit une fontaine, laquelle
pour ce iourjour n’ayãtayant esté troublée par aucune beste
ou oyseau, conseruoitconservoit en ce lieu sauuagesauvage sa clairté si
pure, qu’elle sembloit de fin Crystal: car elle manife
stoit les secretz de son fons transparēttransparent, de sorte que
c’estoit une chose singuliere a regarder. Alentour de
ceste fontaine lonl’on n’eust sceu ueoirveoir aucuns pas de
bergers ny de cheureschevres, a cause que pour la reuērencereverence
des Nymphes les tropeaux n’en osoient approcher.
Ce iourjour la n’estoit dedans tumbé ne feuille ne bran
chette des arbres d’enuironenviron: parquoy paisible sans
murmure ou reuolutionrevolution de chose indecente s’en al-
loit par le pays herbu coulant si doulcement qu’a
peine la ueoitveoit on mouuoirmouvoir. M’amye et moy nous as-
sismes a l’une de ses riuesrives: & apres nous estre un
bien peu rafraichiz, en escoutant un doulx motet
chanté, a mon iugementjugement, par plus de cent diuersesdiverses
sortes d’oyseaux, elle par nouuellesnouvelles prieres recom-
mencea me contraindre et coniurerconjurer par l’amour que
ieje luy portoie, que ie luy uoulsisseje luy voulsisse monstrer le pour-
traict promis, prenãtprenant les dieux en tesmoignage, &
faisant mille autres sermens, que si bon ne me sem-
bloit
49
DE SANNAZAR.
bloit, iamaisjamais n’en tiendroit propos a personne. AdōcAdonc
en uersantversant une infinité de larmes, nōnon en ma uoixvoix a-
coustumée, mais trēblantetremblante et casse, luy dy qu’elle la
pourroit ueoirveoir en la fontaine. quoy entēdãtentendant elle qui
desiroit cela sus toutes choses, simplement, & sans
plus y penser, baissa les yeux deuersdevers ceste eau serie:
et la dedãsdedansapperceut son uisagevisage exprimé au natu-
rel: dõtdont, si bien m’en souuiētsouvient, prõptementpromptement se troubla,
et descoulora de sorte qu’elle fut preste d’en tũbertumber
pasmée. Puis sãssans me dire un tout seul mot, en uisagevisage
eschauffé se departit d’auecq̄savecques moy. MaintenãtMaintenant chas
cun de uousvous (sans que ieje le dye) peult considerer en
quel estat ie me trouuay, me uoyantje me trouvay, me voyant en courroux a-
bandonner de celle que i’auoie peu auparavãtauparauantj’avoie peu auparauant qua-
si ueuveu pleurer de pitye qu’elle auoitavoit de mon marty-
re. Quant a moy, ieje ne scay (certes) que ie deuinsje devins en
cest instant, ne qui me reporta en ma maison: mais
bien uousvous puis ieje dire, que ieje fuz quatre ioursjours &
autant de nuytz sans reconforter mon corps de re-
pos ny de repas: & que ce pēdantpendant mes uachesvaches af-
famees, closes en l’estable, ne prindrent substance
d’herbe ny d’aucune liqueur: parquoy les pourespovres
ueauxveaux susseans les tetines taries des meres ademy
mortes de famine, et n’y trouuanstrouvans le laict acoustu-
mé, languissans aupres d’elles, remplissoiētremplissoient les pro-
chaines forestz de lamentables mugissemens: dont
G
L’ARCADIE
ne faisant gueres d’etime, m’estoye getté sus la ter-
re, & n’entendoye sors a me plaindre, tellemēttellement que
iamaisjamais homme m’ayant ueuveu au temps de ma tran-
quillité passée, ne m’eust recōgneurecongneu pour Carino. Les
bouuiersbouviers, les pasteurs de brebiz & de cheureschevres,
auecavec les paysans des prochains uillagesvillages me ue-
noient uisiterve-
noient visiter, pensans que ieje feusse sorty de mon
sens (comme sans point de doubte si estois ieje) & en
grand pitié me demandoient la cause de mon af-
fliction. Mais ieje ne leur faisoye point de response,
ains entendant seulement a gemir, en lamentable
uoixvoix disoye: Vous Arcadiens chanterez ma mort
en uozvoz montaignes. Arcadiens qui seulz de chãterchanter
estes maistres, en uozvoz montaignes ma mort uousvous
chãterezchanterez. O que mes os reposerōtreposeront doulcemēt quãddoulcement quand
uozvoz musettes compteront mes amours & mon in-
fortune a ceulx qui naistrōtnaistront apres moy. FinablemētFinablement
la cinquiesme nuyttée, estātestant oultre mesure desireux
de mourir, pour cest effect sorty de ma maison, mais
ieje ne m’adressay pas a l’odieuse fontaine, occasion
de mon malheur, ains errant parmy les boys sans
tenir uoyevoye ny sentier, et atrauersatravers des montaignes ru
des et malaisées, ainsi que les piedz & la fortu-
ne me guydoient, a bien grand peine i’arriuayj’arrivay sus
une haulte roche, pendante sus la mer, d’ou les pes-
cheurs ont acoustumé descouurirdescouvrir les poyssons na-
geans
50
DE SANNAZAR.
geans en flotte. Sus ceste roche auãtavant que le Soleil se
leuastlevast, ieje m’aßeisasseis au pied d’un chesne: ou il me sou-
uintsou-
vint que i’auoyej’avoye autresfois reposé ma teste dans le
giron de mon ennemye: comme si cest arbre eust eu
quelque proprieté pour remedier a ma fureur. Et
apres auoiravoir longuement souspiré, ainsi que faict le
Cygne pronostiqueur de sa mort, ieje me pris en uoixvoix
lente et casse a dire ainsi les lecons de mes funerail
les: O cruelle et despite fille, plus seueresevere quesque les
Ourses furieuses, plus dure q̄que le boys des
chesnes enuieillizenvieilliz, & plus sourde a mes prieres
que les flotz enragez de la mer tourmentée: tu
gaignes maintenant la bataille: car uoicyvoicy le poinct
que ieje m’en uoisvois mourir. Contente toy doncques do-
resnauãtdo-
resnavant : car iamaisjamais plus ma presence ne te fasche-
ra. Mais ueritablemēt i’veritablement j’espere que ton cueur, lequel
ma fortune prospere na sceu esmouuoiresmouvoir a pitié, s’a-
mollira par mõmon malheur: dont trop tard faicte pi-
toyable, seras, peult estre, cōtrainctecontraincte de blasmer ta
grande rigueur, & desireras pour le moins ueoirveoir
mort celuy, leq̄lequel uiuantvivant tu n’as uoulu cōfortervoulu conforter d’une
simple parole. Helas cōmentcomment se peult il faire, que la
grande amytie laquelle tu m’as si longuement por-
tée, soit maintenãtmaintenant bannie de ton cueur? Helas ne te
reuiēnentreviennent quelques fois en memoire les delectables
ieuxjeux de nostre enfance, et que nous alliōsallions ensemble
G ij
L’ARCADIE
par les forestz cueuillir les fraizes, les faynes des
hestres, et tirãttirant les chastaignes hors de leurs escor-
ces? As tu desiadesja mis en oubly les premiers lyz, &
les premieres roses, que ieje te souloie apporter des
campagnes, que i’auoyej’avoye si curieusemētcurieusement cherchées,
qu’a grand peine en auoientavoient encores les mousches a
miel gousté, quand par mon moyen et pourchas tu
alloys parée de mille nouuellesnouvelles fleurettes, dont tu
faisoys des chapeaux et boucquetz? Las cōbiencombien de
foys me iurasjuras tu lors, que quãdquand ieje ne te faisoye com-
pagnie, les fleurs ne t’estoient point odorãtesodorantes, et les
fontaines ne te rendoient leur saueursaveur acoustumée?
O ma uievie douloureuse, a qui parlay ieje maintenant?
Qui escoute mes propoz, sinōsinon Echo? laquelle croiãtcroiant
mes angoisses, cōmecomme celle qui autrefoys a faict l’es-
preuuees-
preuve de semblables, toute piteuse en murmurant
respond au son de ma uoixvoix. Toutesfoys ieje ne scay
ou elle est cachée. Que ne uientvient elle maintenãtmaintenant s’ac-
cōpagners’ac-
compagner auecavec moy? O Dieux du ciel et de la terre,
ensemble tous autres qui auezavez soing de miserables
amoureux, ie uousje vous supply prestez uozvoz piteuses o-
reilles a mes lamētationslamentations, et prenez garde aux do-
lentes uoixvoix que mon ame faict sortir de mon corps.
O Naiades habitãteshabitantes des fleuues courãsfleuves courans, O Napées
tourbe gracieuse des lieux separez, & des pures
fontaines, haulsez quelque peu hors des uaguesvagues
uoz
51
DE SANNAZAR.
uozvoz testes blondes, et receuezrecevez mes derniers criz
auantavant que ieje meure. PareillemētPareillement uousvous belles Orea-
des qui toutes nues auezavez apris d’aller chaßãtchassant par-
my les haultes riuesrives, laissez maintenãtmaintenant le domaine
des mõtaignesmontaignes, et uenezvenez a ce miserable, lequel, i’j’en
suis certain, uousvous fera pitié, encores que sa cruelle
dame prēneprenne plaisir a le ueoirveoir ainsi tourmētertourmenter. Sail-
lez hors de uozvoz logettes o piteuses Hamadryades
songneuses conseruatricesconservatrices des arbres, et prenez un
peu garde au cruel tormēttorment q̄qui mes mains prõptemētpromptement
m’appareillent. AußiAussi Dryades tresbelles damoysel-
les des haultes forestz, lesquelles noz pasteurs n’õtont
une foys seule, mais plus de mille ueu enuironveu environ les
soirs danser en rond soubz les Noyers ayant uozvoz
blondes cheuellureschevellures esparses dessus les espaules.
Faictes, ie uousje vous supply, si uousvous n’estes reuoltées auecrevoltées avec
ma fortune inconstante, que ma mort ne soit celée
entre ces umbrages, mais que tousiourstousjours elle se uoisevoise
diuulgant de iour en iourdivulgant de jour en jour par tous les siecles adue-
niradve-
nir, a ce que le temps qui deffault a ma uievie, satisfa-
ce a ma renõméerenommée. O Loupz, o Ours, et tous autres
animaux, qui uousvous cachez dans les horribles ca-
uernesca-
vernes, demeurez maintenant en seureté: car uousvous
ne uerrez iamaisverrez jamais plus ce bouuierbouvier lequel auoitavoit cou-
stume de chanter par les mõtaignesmontaignes & forestz. A-
dieu riuagesrivages, Adieu campagnes, Adieu riuieresrivieres &
G iij
L’ARCADIE
ruisseaux, et uiuezvivez longuemētlonguement sans moy. Mais pen-
dãtpen-
dant qu’en soef murmure uousvous yrez parmy les pier-
reuses ualléesvallées, courant deuersdevers la haulte mer, ayez
tousiours en souuenance uostretousjours en souvenance vostre Carino, lequel fai-
soit icy paistre ses uachesvaches: lequel y couronnoit ses
Toreaux, & qui auecavec sa Cornemuse y souloit es-
iouyres-
jouyr son bestail, sauourãtsavourant la liqueur des fontaines.
En disãtdisant ces parolles, ieje m’estoie leuélevé pour me pre-
cipiter du hault en bas de celle roche, quãdquand soudai-
nement sus main droicte uey uenirvey venir deux Coulombs
blancz, qui en ioyeux uoljoyeux vol se uindrentvindrent poser sus le
chesne soubz lequel i’j’estoie, ou en peu de tēpstemps s’en-
tredonnerent mille baisers en doux et affectueux
bruyt: dont cōmecomme de prospere augure i’j’y prins espe
rance de bien futur: parquoy auecavec plus meur cōseilconseil
cōmēceaycommenceay a me blasmer de la folle deliberatiōdeliberation que
i’j’auoieavoie uouluvoulu suyuirsuyvir, ascauoirascavoir de destruire par crue-
le mort, une reparable amytié: & n’auoien’avoie encores
gueres demouré en ce penser, quand ieje me trouuaytrouvay
(ne scay commētcomment) surpris de celle qui m’estoit occa-
sion de tout ce mal: laquelle curieuse de mon salut
auoitavoit d’un lieu ou elle s’estoit mussée, plainement
ueuveu et entendu tout ce que i’auoiej’avoie dict et faict. Par-
quoy nōnon autrement q̄que feroit une piteuse mere es in-
fortunes de son unique filz, gettant maintes larmes
amoureuses, et me recōfortãtreconfortant d’un recueuil treshon
neste
52
DE SANNAZAR.
neste, elle sceut bien faire que de desespoir et de
mort incontinent me remyt en l’estat q̄que uousvous uoiezvoiez.
Or que dirōsdirons nous maintenātmaintenant de la puissance admi-
rable des Dieux? sinon qu’a l’heure qu’ilz mōstrētmonstrent
nous menasser de plus perilleuse tempeste, c’est lors
qu’ilz nous cōduysentconduysent a plus trãquilletranquille port. A ceste
cause, Syncero mōmon amy, si tu prestes aucūeaucune foy a l’hi
stoire par moy cōptéecomptée, et si tu es hōmehomme tel que i’j’esti-
me, tu deurois desormaisdevrois desormais te recōforter cōmereconforter comme les au-
tres, et fermemētfermement esperer en tes aduersitezadversitez, que tu
pourras encores a l’ayde des Dieux retourner en
plus ioyeuxjoyeux estat: car certainement il ne peult estre
qu’entre tãttant de nuées quelque fois ne se monstre le
Soleil: et dois scauoirscavoir que tãttant plus on a de peine d’ac
querir les choses desirées, plus sont elles tenues che
res et precieuses quãdquand on uiētvient a en auoiravoir la fruitiōfruition.
Cela dict, pour autãtautant qu’il se faisoit tard, mettãtmettant fin
a son propos, nous deit Adieu, et s’en alla touchãttouchant sa
uache deuãtvache devant soy. Mais si tost qu’il fut party de la cō
pagniecom
pagnie, tous ensemble et en un mesme instãtinstant apper-
ceusmes de loing a trauerstravers les arbres uenirvenir desssus
un petit asne, un hōmehomme si herissé et tãttant douloureux
a ses gestes, q̄qu’il nous faisoit grãdemētgrandement esmerueilleresmerveiller.
mais apres qu’il se fut destourné de nous, et ētréentré en
un sentier qui tiroit a la uilleville, nous cōgneusmescongneusmes sans
point de doute q̄que c’estoit Clonico l’amoureux, pasteur
G iiij
L’ARCADIE
tresdocte entre tous autres, et biēbien expert en la Mu-
sique. A raison de quoy Eugenio q̄qui estoit de ses plus
grãsgrans amys, et scauoitscavoit toutes ses paßiōspassions amoureuses,
allant audeuantaudevant de luy, en noz presences se print a
luy dire ainsi:
EVGENIOEUGENIO.
Mais ou uasvas tu sus ton asne en ce poicnt,
Palle, transy, languissant, mal en poinct,
Le poil rebours, la barbe entremeslée,
Errant tout seul parmy ceste ualléevallée?
Certainement qui te uerroitverroit ainsi
Plein d’amertume, & comble de soulcy,
S’estonneroit, & diroit tout ensemble,
A Clonico cestuy la ne resemble.
Peult estre as tu uouloirvouloir d’abandonner
La solitude, afin de t’adonner
En quelque uilleville, ou l’amour gette au double
D’ardz furieux, batuz en forge trouble.
Mais qui fiance en feminin cueur met,
Labeure en l’eau: du grauiergravier se promet
Grain receuillir, & le uentvent cuide prendre
En un filé, qu’alencontre il uava tendre.
Clonico
Si ieje pouuoyspouvoys desnouer de mes mains
Le neu cruel, ou le lascher du moins,
Si que mon col tant ne feust enserré
Dessoubz
53
DE SANNAZAR.
Dessoubz le iougjoug ou il est enferré,
En ce pays n’auroit forestz ny champs
Ou bien souuentsouvent ne feisse ouyr mes chantz,
Si que SyluansSylvans & Dryades diroient
Que Dametas & Corydon uiuroientvivroient:
Et leur feroys delaisser leur repos
Pour escouter mes deuizdeviz & propos.
Puis en dansant feroyent souuentsouvent ouyr
Mille chansons pour maintz cueurs esiouyresjouyr,
Dont Satyreaux tous desceinctz & deschaux
Feroient sus l’herbe infinité de saultz.
Ainsi Amour & sa mere Venus
Vaincuz de deuil, & de rage tenuz,
A se blasmer pourroient bien condescendre
De n’auoir sceu me rediger en cendre.
Toutes les fois que ce penser m’aduientadvient,
En pasmoyson tumber il me conuieutconuientconvient.
Las ne uiendra iamaisviendra jamais l’heure & le iourjour
Qu’entre les francz pourray dire en seioursejour,
Graces aux dieux qui m’ont uouluvoulu renger:
Eschappé suis d’un terrible danger?
Eugenio.
AuantAvant seront le Myrte & GeneurierGenevrier
Secz en esté, comme autres en IanuierJanvier,
Durant lequel sourdront de place en place
NouuellesNouvelles fleurs soubz transparente glace,
L’ARCADIE
Que ce qu’en uainvain tu desires, aduienneadvienne,
IeJe t’en asseure (amy) & t’en souuiennesouvienne,
Si uostrevostre dieu Cupido ne ueoytveoyt rien,
Comment peut il discerner mal du bien?
Qui prend pour guyde un follet non uoyantvoyant,
MerueilleMerveille n’est s’il s’en uava foruoyantforvoyant.
Ce uiurevivre humain semble a une iournéejournée
Qui se uoyantvoyant trop tost a fin tournée,
Conceoit en soy telle uergongnevergogne & honte,
Que couleur rouge en la face luy monte.
Pareillement quand la uieillessevieillesse ploye
Les ans uollansvollans, que si mal on employe,
Dedans les cueurs n’aissentnaissent d’espitdespit & deuil,
Causans souspirs & mainte lerme d’oeuil.
O Dieu, comment peuuentpeuvent plaisir auoiravoir
PouresPovres mondains quand uiennentviennent a scauoir
Que tous noz faictz en ce ualval terrien,
Incontinent sont redigez en rien,
Et que noz biens les heures larronnesses
Furtiuement rauissentFurtivement ravissent par finesses?
Il est bien temps que ton ame enterrée,
En ord bourbier, ou elle est enserrée,
AuantAvant la mort tasche a se resentir:
Ou bien trop tard uiendrasviendras au repentir.
Mais si toymesme a raison ne te renges,
Quelle esperance en auront les estranges?
54
DE SANNAZAR.
Dea, si ton cueur ne peut d’amours iouyrjouyr,
Il est bien temps de follie fuyr.
O quantesfois de tes sottes manieres
Se sont gaudiz ces montz & ces riuieresrivieres?
Si tu me dis que ta grand paßionpassion
Les a par fois meuz a compaßioncompassion,
En as tu ueuveu les montz a toy courir
Pour a ton mal par pitié secourir?
As tu congneu l’eau son cours arrester
Pour allegeance a ta peine prester?
Clonico.
Bien heureux sont les cueurs d’amour uniz,
En uievie & mort de franc uouloirvouloir muniz,
Tel que iamais ialouxjamais jaloux, ou filz d’enuieenvie
A diuorserdivorser ne les meut ne conuieconvie.
Hyer au soir estant au boys rauyravy,
Sus un Ormeau deux tourterelles ueyvey
S’entrebaiser, puis au nid se retraire,
Et a moy seul le Ciel est tant contraire.
En ce regard, amy, ieje ne scay point
Si i’j’eu pouoirpouvoir d’aspirer en ce poinct,
Mais la douleur adonc me pressa tant,
Qu’a peine peu demourer en estant.
Diray ieje tout, ou si ieje m’en tairay?
Certes croy moy, ieje ne t’en mentiray:
IeJe choisy lors un Plane pour m’y pendre,
L’ARCADIE
Et fuz tout prest d’une retorte prendre,
Mais ce cruel meurdre alors ieje ne feiz,
Pource qu’aux yeux Amour me meit Iphis.
Eugenio.
Las a combien de friuoles ne uisentfrivoles ne visent
Sotz amoureux qui la uievie desprisent
Quand un desir de mort les prend & lye?
Tant a chascun plaist sa propre follie.
Si tost qu’ilz sont a l’amour adonnez
Certes ilz sont si fort desordonnez
Qu’auantavant leur poil aura couleur changé,
Qu’a la raison se soit leur sens rengé:
Et priseront une oeuillade ou soubzrire
Plus qu’nqu’un troupeau pour grand qu’on puisse dire.
AußiAussi par fois quand les uientvient occuper
Yre ou despit, ilz uoudroientvoudroient bien coupper
Le fil tyssu des Parques par accordz
Pour chasser l’ame & l’amour de leurs corps.
Bien leur plairoit retourner en arriere:
Mais nul n’en tourne au bout de la carriere.
IamaisJamais par feu ne sont ars ou bruslez,
Ny par froydure ou glace congelez:
Et toutesfois incessamment se plaignent
Sans mal auoiravoir (bien est urayvray qu’ilz le faignent)
Fuyr uoudroyentvoudroyent l’amour & son escolle,
Mais chascun d’eux estroictement l’accolle.
Ie ne
55
DE SANNAZAR.
IeJe ne scay pas si c’est uievie ou mort
Qu’ilz uontvont nommant liberté: mais au fort
Tant plus ilz sont en cela follians,
Plus se uontvont ilz a martyre lyans.
Clonico.
DeuantDevant mes yeux (bien que ne le demande)
Se uientvient offrir la douloureuse amande,
Et pense ueoirveoir Phyllis la pourepovre fille
Morte pendant, qui au uentvent se brandille.
Dont s’il se treuuetreuve encores sus la terre
Quelque pitié, ieje la uoudroysvoudroys requerre
Me consentir que ieje mette a deliuredelivre
Mon ame estant faschée de plus uiurevivre:
Car lonl’onl’on ne peut trouuertrouver plus doulce uievie,
Que de mourir quand il en prend enuieenvie.
O terre donc, qui contenter me peux,
Contente moy maintemant si tu ueuxveux,
Engloutissant en ton centre profond
Ce triste corps qui diminue & fond,
Si que iamaisjamais homme n’en puisse auoiravoir
Indice aucun, ny nouuelle scauoirnouvelle scavoir.
Fouldres außiaussi qui faictes tout trembler,
De toutes pars uenez uousvenez vous assembler
Dessus celuy lequel inuoqu’invoque & crye
Vostre secours, & de sa mort uousvous prie
Pource qu’il sent un mal si tres amer
L’ARCADIE
Qu’il uoudroitvoudroit bien apprendre a desaymer.
Bestes uenezvenez a moy qui uousvous desire,
Et puis chascune aux ongles me deßiredessire.
Pasteurs außiaussi lamentez pas a pas
Cil qui uousvous faict honte par son trespas:
Mais ne prenant garde a mon malefice,
VsezUsez en moy de pitoiable office.
Entre Cypres dressez ma sepulture,
Tesmoing a tous de ma triste aduentureadventure,
Sans oublier d’ardre auecquesavecques ma personne
Les uersvers piteux que maugré moy ieje sonne,
Et decorez de bouquetz & de fleurs
Le monument, en lermes & en pleurs:
Puis uousvous tournans par grand compaßioncompassion
Faictes autour une proceßionprocession,
Disans, Par trop estre a l’amour soubzmis,
O pourepovre Amant, tu es en cendre mys.
Peut estre lors me monstrerez a celle
Qui ard mon cueur d’amoureuse estincelle,
Et perdrez temps a crier sus ma lame:
Car elle est sourde außiaussi bien que ma dame.
Eugenio.
En escoutant ta triste plaincte, amy,
IeJe sens quasi comme un Lyon parmy
Tous mes espritz, ou comme un Ours grogner,
Et m’est aduisadvis que les ueoyveoy renfrongner,
56
DE SANNAZAR.
Dont si les loix de ton Roy ieje renuerserenverse,
Prens ma sentence a ta raison diuersediverse,
Ainsi ioyeux uiurasjoyeux vivras si tu le faiz,
Et te uerrasverras deschargé de ce faix.
Ayme Apollo, & Genius sacré:
Fuy ce meurdrier, lequel t’a massacremassacré:
Car il faict mal a la simple ieunessejeunesse,
Et grand uergognevergogne a la sotte uieillessevieillesse.
Lors nostre Pan de toutes graces plein,
Auec Pales augmenteront a plein
Ton troupelet, que tu yras comptant
SouuentesfoisSouventesfois en homme bien content.
Adonc porter ne te desdaigneras
La forte besche, a quoy tu gaigneras
ViureVivre & uesturevesture, en plantant Nepitelle,
Asperge, Anet, concombre, & autre telle.
Passe a cela ton temps, & t’y dispose:
Car en amy certes ieje te propose
Qu’on ne racquiert la liberté tant chere
Par lamenter, & faire triste chere,
Mesme que l’homme est autant malheureux
Qu’il se repute, ou autant ualeureuxvaleureux.
De ton rasteau les mottes casseras,
Ou hors des bledz l’yurayeyvraye poulseras,
Ainsi que moy, qui les ioursjours de loysir,
Pour en paresse infame ne moysir,
L’ARCADIE
M’en uoysvoys souuentsouvent tendre aux petiz oyseaux
Trappe ou filez entre herbes & roseaux,
Ou quelque piege au cauteleux Regnard
Qui est souuentsouvent attrapé par tel art.
Ainsi se chasse amour aspre & felon,
Et a l’enuieenvie adonc ne pense lonl’on.
Ainsi au monde & ses deceptions
Ne met on pas grandes affections.
Ainsi fault il qu’amoureuse esperance
Trop temeraire & folle en apparence
Virilement soit du penser bannye,
Que rudement elle traicte & manye.
Au demourant ueoyveoy que tes cheureschevres pleines
S’en uontvont fuyant atrauersatravers de ces plaines
Droict a tes chiens, pour l’effroy que leur faict
Le loup qui tasche en surprendre (de faict).
Aduise außiAdvise aussi comme les champs s’esmaillent
De mille fleurs, & pastoureaux qui saillent
Pres la fontaine au son du flageolet
En bondissant dessus le serpolet.
Regarde außiaussi le mouton debonnaire
Du beau Phryxus, c’est un signe ordinaire
Qu’en peu de ioursjours aurons neuueneuve saison:
Car le Soleil arriuearrive en sa maison.
Chasse pensers qui te rendent hectique,
Et font aller nuyt & iourjour fantastique
Croyant
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DE SANNAZAR.
Croyant qu’au monde il n’y a mal aucun,
Ou il n’y ait remede, fors a un.
IeJe ne te dy ces motz a l’estourdye,
Ains ieje les masche auantavant que te les dye.
LonL’on n’entendoit plus par les boys les Cigales
chãterchanter, mais les Grillons se faisoyent bien ouyr tout
le long des campagnes, & s’estoiēt iaestoient ja tous oyseaux
pour fuyr les tenebres de la nuyt, retirez en leurs
nidz accoustumez, excepté les ChauuesChauvessouriz, qui
sortoient de leurs cauernes merueilleusementcavernes merveilleusement ayses
de uollervoller en l’obscurité, quand en un mesme instant
Eugenio meit fin a son chanter, & les troupeaux
de noz bestes deuallansdevallans des montagnes, uindrentvindrent
se renger en la place ou la cornemuse sonnoit. Par-
quoy a la lueur des estoilles tous ensemble partans
du lieu ou lonl’on auoitavoit chanté, nous meismes au retour
emmenans Clonico quant & nous. Ce soir logeas-
mes en une petite ualleevallee assez prochaine, en laquel-
le quand le temps estoit beau (cōmecomme lors qu’il estoit
Esté) les uachesvaches des bouuiersbouviers du pays y faisoient
leur giste la plupart des nuytz. Mais en temps
de pluye, les eaux descendantes des montagnes cir-
cunuoysinescir-
cunvoysines s’y uiennētviennent toutes aßēblerassembler. Ceste ual-
léeval-
lée naturellement ceincte de Chesnes, Erables, Lie-
ges, Lentisques, Saules, & autres especes d’arbres
H
L’ARCADIE
sauuagessauvages, estoit si bien fermée de toutes pars, que
lonl’on n’y pouoitpovoit entrer fors par un seul endroit: &
l’umbrage causé de la confusion des brãchesbranches feuil-
lues, estoit tant espes & si fort, que non seulement
a celle heure qu’il faisoit nuyt, mais encores que le
Soleil eust esté au plus hault du ciel, a grand peine
eust on sceu ueoirveoir sa lumiere. En ce lieu nous ren-
geasmes noz brebiz & noz cheureschevres a coste des
uachesvaches, le mieux qu’il fut poßiblepossible. Et pource que de
fortune aucun de la cōpagniecompagnie n’auoitavoit quant & soy
porté son fusil, Ergasto plus ingenieux que les au-
tres, eut soudainement recours a ce que la cõmoditécommodité
luy presenta. il print deux bastons, l’un de Lyerre, et
l’autre de Laurier, & tãttant les frotta l’un cõtrecontre l’au-
tre, qu’il en feit saillir du feu, dont en plusieurs pars
allumasmes des brãdonsbrandons. Cela faict, aucuns se mei-
rent a traire les bestes, d’autres a racoustrer leurs
musettes, ou recoller les bouteilles fendues, chascun
s’appliquãtappliquant a ce q̄qui luy sembloit bon de faire, iusquesjusques
a ce que le soupper fust prest: lequel acheuéachevé en as-
sez grand contentement d’un chascun, pource que
desiadesja bonne partie de la nuyt estoit paßéepassée, toute la
bende s’en alla dormir. Mais le iour uenujour venu, que les
rayons du Soleil apparurent sus les sommitez des
montaignes, n’estant encores la rosée dessechée sus
les herbes, nous chassasmes nostre bestail hors ceste
ualléevallée
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DE SANNAZAR
ualléevallée, & le menasmes aux champs paistre, tirans
par un sentier destourné au mont Menalo prochain
de nous, deliberez de uisitervisiter le sainct tēpletemple du dieu
Pan, honoré en ce pays sus tous autres. AdõcAdonc Cloni-
co uouloitvouloit laisser la compagnie. Et quãdquand on luy de-
manda qui le mouuoitmouvoit, il respōditrespondit que son intention
estoit d’acheuerachever l’entreprise que la nuyt precedente
luy auionsavions destourbée, qui estoit querir remede a sa
lãgueurlangueur par le moyen d’une matrone estimée mer-
ueilleusementmer-
veilleusement bonne ouuriereouvriere de sortileges & en-
chantemens: car le cõmuncommun burytbruyt est (deit il) que la
deesse Dianeluy mõstramonstra en songe toutes les herbes
de Circe et Medée, par la uertuvertu desquelles, quãdquand les
nuytz sont les plus obscures, elle s’en ua uollãtva vollant en
l’air couuerte de plumes cõme une cheuechecomme une cheveche, et par
son art souuentesfoissouventesfois obfusque le ciel de nuées um-
brageuses, puis a sa uolūtevolunte le reduict en sa precedē-
tepreceden-
te clairte. aucunesfois elle faict arrester le cours des
fleuuesfleuves, & remõterremonter les eaux cõtrecontre leurs sources et
fontaines. DauantageDavantage elle est sur toutes autres mai-
stresse d’attirer du ciel les estoilles obfusquées di-
stillantes gouttes de sang, & d’imposer loy par ses
paroles au cours de la lune enchãtéeenchantée: mesmes de cõ-
uoquercon-
voquer en plein midy la tenebreuse nuyt sus la face
de la terre, faisant sortir les dieux nocturnes hors
l’infernale confusion. quelques autres fois quãdquand par
H ij
L’ARCADIE
son long et secret murmure, la dure terre s’est en-
treouuerteentre-
ouverte, elle euocqueevocque hors des desertes sepultu-
res les ames des antiques predecesseurs, et scait fai-
re plusieurs autres choses merueilleusesmerveilleuse & incre-
dibles a racõpterracompter, & ce par une mixtion composée
de la sanie fluãtefluante des iumēsjumens en amour, meslée auecavec
sang de Vipere, ceruellecervelle d’ours enragé, poil de l’ex-
tremité de la queue du loup, et plusieurs autres iusjus
de racines & herbes pleines de puissance admira-
ble. Adonc Opico luy uava dire, Certainement ieje croy
mon filz que les dieux lesquelz tu sers & adores
deuotementdevotement, te ont ce iourd’huyjourd’huy faict uenirvenir entre
nous pour estre pourueupourveu de remede a tes paßionspassions
amoureuses, de sorte que i’j’ay bonne esperance si tu
ueulxveulx prester foy a mōmon dire, que tu en seras ioyeuxjoyeux
tout le temps de ta uievie. Mais a qui te pourrois tu
mieux adresser pour auoiravoir secours en ce besoing, q̄que
au bõ hõmebon homme Enareto pasteur docte pardessus tous?
lequel apres auoiravoir abandonné ses troupeaux, s’est
maintenant dedié aux sacrifices de Pan nostre dieu
souuerainsouverain. La pluspart du secret des choses diuinesdivines
& humaines est manifeste a ce pasteur, car il con-
gnoist ciel, terre, mer, le Soleil, les cours de la Lune,
les estoilles dõtdont le zodiaque est paré, ascauoirascavoir Plia-
des, Hyades, Orion, les Ourses maieurmajeur & mineur,
& une infinité d’autres, qui seroient trop lõgueslongues a
racompter
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DE SANNAZAR.
racõpterracompter: dont par cõsequentconsequent il scait les saisons pro-
pices a labourer, semer, moyssonner, planter uignesvignes
& oliuiersoliviers, puis en receuillir les fruictz au tēpstemps de
leur maturité: dauantagedavantage quand il faict bon esbran
cher arbres, puis les reuestirrevestir de branches adopti-
uesadopti-
ves. AußiAussi comme il faut gouuernergouverner les mouches a
miel: & si elles estoient mortes, la maniere de les
resusciter par sang putrifié de ueauxveaux suffoquez.
& qui est chose merueilleusemerveilleuse a dire, mais beaucoup
plus difficile a croyre, aduintadvint une nuyt ainsi qu’il se
dormoit entre ses uachesvaches, que deux dragons luy le-
cherent les oreilles, dont il s’esueillaesveilla en sursaut, &
se trouuatrouva terriblement effroyé: mais enuironenviron l’aube
du iourjour il eut intelligēceintelligence perfaicte du iargõjargon de tous
oyseaux, tellemēttellement qu’il entēditentendit un RoßignolRossignol sus un
Cormier chantant, ou pour mieux dire, se lamentãtlamantant
de son amour, q̄qui inuoquoitinvoquoit les prochaines forestz a
son secours: mais un passereau luy respõdoitrespondoit qu’en
Leucadie se treuuetreuve une haute roche, de laquelle qui
se laisseroit tumber en la mer, incõtinentincontinenta seroit hors
de tourment. puis une Alouette l’asseuroit qu’en
une certaine contrée de Grece (dont bonnement ne
suis recors du nom) est la fontaine de Cupido, de tel-
le nature, que qui en boyt, perd tout soudain sa dou-
leur amoureuse. A ceste Alouette le pourepovre Roßi-
gnolRossi-
gnol gemissant tendrement replicquoit les eaues
H iij
L’ARCADIE
estre de nulle efficace en son endroit. Et sus ces en-
trefaictes arriuerentarriverent un Merle, un Bruyant, & une
Linotte, qui reprindrent ledict RoßignolRossignol de sa fol-
lie, d’autant qu’il ne uouloitvouloit croyre les celestes uer-
tuzver-
tuz estre infuses aux eaux sacrées. puis se meyrētmeyrent a
luy narrer les proprietez de tous les fleuuesfleuves, fon-
taines & uiuiersviviers de ce mōdemonde, desquelz iceluy Ena-
reto me sceut amplement repeter les noms, natures,
& pays ou ilz sourdētsourdent, & par ou ilz passent, sans
en oublier un tout seul: tant il les auoitavoit bien fichez
en sa memoire. Encores me feit il mention d’au-
cuns oyseaux, du sang desquelz brouillé ensemble
se concrée un merueilleuxmerveilleux serpent, de telle proprie-
té, que si quelq’un prenoit la hardiesse d’en men-
ger, il n’y auroit si estrange parler d’oyseaux, qu’il
n’entendist incontinent. AußiAussi me parla il de ieje ne
scay quel animal, et me deit que qui beuroit un peu
de son sang, puis auantavant le poinct du iourjour se trouuasttrouvast
sus une mõtaignemontaigne portãtportant plusieurs sortes d’herbes,
il les entendroit ouuertement deuiserouvertement deviser ensemble, &
manifester leurs natures, mesmes au poinct qu’elles
estans chargées de rosée s’ouurentouvrent aux premiers
rayons du Soleil leuãtlevant pour rendre graces au crea-
teur des uertuzvertuz qu’il leur a infuses, qui sont sans
point de doubte si merueilleusesmerveilleuses, et en si grãdgrand nom-
bre, que biēbien heureux seroiētseroient les pasteurs qui en au-
royent la
60
DE SANNAZAR.
royent la congnoissance. DauantageDavantage (si la memoire
ne me decoyt) il me deit qu’en un pays fort estrãgeestrange
& loing d’icy, ou les gēsgens naissētnaissent außiaussi noirs qu’Oli-
uesOli-
ves meures, & ou le Soleil court si bas que s’il n’e-
stoit chault, lonl’on le pourroit toucher du bout du doy,
se treuuetreuve une herbe de telle efficace, que qui la get
teroit en un lac ou riuiereriviere, soudainement l’eau se-
roit toute tarie, & toutes serrures que lonl’on en tou-
cheroit, seroient incontinent ouuertesouvertes. Puis en conti-
nuant propos, me parla d’une autre tant exquise,
que qui la porteroit sus soy, en quelque partie du
monde qu’il allast, iamaisjamais n’auroit necessité, &
ne sentiroit fain n’y soif, ains auroit abondance de
toutes choses conuenablesconvenables a la uievie. Mais entre au-
tres ne me cela,& aussi ne feray ieje a uousvous, la
merueileuse uertumerveilleuse vertu du Chardon a cent testes, as-
sez congneu en noz riuagesrivages: la racine duquel re-
presente aucunesfois similitude du sexe masculin,
ou feminin: combien qu’il s’en treuuetreuve peu sou-
uentsou-
vent: mais si de bonne encontre aucun trouuoittrouvoit
celle de son sexe, sans point de doubte ce seroit
pour auoir grãdavoir grand heur en amours. En apres il pour-
suyuit les proprietez de la VerueyneVerveyne, tresagrea-
ble sacrifice des antiques autelz, affermant que
toute personne s’estant frottée de son iusjus, impetre
de chascun tout ce qu’il demande, pourueupourveu qu’el-
H iiij
L’ARCADIE
le ait esté cueuillye en temps & heure. Mais pour-
quoy me uoys ie trauaillant a uousvoys je travaillant a vous racompter tou-
tes ces choses, quand nous sommes tout pres du
lieu de sa residence, & uousvous sera loysible de l’en-
tendre amplement de luy? He pere (deit adonc
Clonico) moy & tous ceux cy aymons mieux les
ouyr de uousvous tout en cheminãtcheminant, pour alleger le tra-
uailtra-
vail du chemin, afin que quãdquand il nous sera licite de
ueoirveoir ce sainct pasteur, l’ayons en plus grande re-
uerencere-
verence, & puis en noz forestz luy facions les
honneurs conuenablesconvenables ainsi quasi comme a un dieu
terrestre. Alors le bon homme Opico retournant au
propos delaißédelaissé, se print a dire qu’il auoitavoit apris de
ce mesme Enareto quelques enchantemens pour
resister aux tempestes de la mer, tonnoires, neiges,
pluyes, gresles, et impetuositez des uentzvents s’entre-
combatans. En outre tesmoingna luy auoir ueuavoir veu le
quinziesme iourjour de la Lune engloutir le cueur d’u-
ne Taulpe encores chault & remouuãtremouant, puis met-
tre sus sa lãguelangue l’oeuil d’une Tortue d’Inde: au moyēmoyen
desquelles choses il predisoit beaucoup de futurs
accidens. Apres il deit außiaussi qu’il luy auoit ueuveu une
pierre d’espece de Crystal tirée du gezier d’ũun Coq
blãcblanc, ayant telle uertuvertu, que quiconques la porteroit
sus soy aux luttes, infalliblement en gaigneroit le
pris, & uaincroitvaincroit tous ses aduersairesadversaires. Puis asseura
luy en
61
DE SANNAZAR.
luy en auoir ueuveu une autre en semblance de langue
humaine, toutesfois un petit plus grande, laquel-
le ne uientvient de la terre comme les autres, ains tum-
be du Ciel au deffault de la Lune: & mainte-
noit que celle pierre n’est de petite utilité aux am-
bassadeurs d’amourettes. Semblablement disoit luy
en auoir ueuavoir veu une pour resister au froid, une au
chault, & une cõtrecontre les nuysans regardz des yeux
empoysonnez d’enuieenvie. Et n’oublia (certes) celle qui
estãt enueloppée auecestant enveloppée avec une certaine herbe & aucu-
nes paroles de Magicque, rend inuisibleinvisible celuy qui la
porte, tellement qu’il peult, quand bon luy semble,
aller en toutes places, & faire entierement sa uo-
luntévo-
lunté sans crainte d’estre empesché d’homme qui
uiuevive. Cela dict, parla d’une dent arrachée du costé
droit d’une certaine beste Hyena nommée (si bien
m’en souuientsouvient) disant qu’elle estoit de telle efficace
que si un chasseur l’auoitavoit lyée a son bras droit, ia-
maisja-
mais ne fauldroit a frapper la beste a laquelle il
tireroit. & sans se departir de ceste Hyena, uava dire
que qui en porteroit la lãguelangue soubz son pied, iamaisjamais
ne seroit par les chiens abbaié. Pareillement qui en
porteroit les poilz du museau enueloppezenveloppez en la
peau de ses genitoires, et attachez au bras gauche,
si tost qu’il regarderoit quelq̄quelque fēmefemme lasciuemētlascivement, sou-
dain la feroit (uoulsistvoulsist elle ou non) uenirvenir apres luy
L’ARCADIE
par tout ou bon luy sembleroit. Puis laissant le pro-
pos de cest animal, me deit auoiravoir ētēduentendu diceluy mes-
me Enareto, que qui mettroit le cueur d’un Hiboux
sus la mamelle d’une femme dormante, il la feroit
en songeant parler & reuelerreveler tout son secret. Ainsi
saultãtsaultant d’une chose en autre, arriuasmesarrivasmes au pied de
la haulte montaigne, auantavant que nous feußionsfeussions ap-
perceuz auoiravoir laissé la plaine: et lors nous trouuãstrouvans
au lieu desiré, cessant Opico son propos, comme la
fortune uoulutvoulut, auisasmesavisasmes le sainct uieillartvieillart qui se
reposoit au pied d’un arbre: et außiaussi tost qu’il nous
ueitveit, se leualeva de sa place pour nous uenirvenir a l’encõtreencontre,
& donner la bienuenuebienvenue. C’estoit certainement un
homme de maiestemajeste, et digne de grande reuerencereverence, a
ueoirveoir son front ridé, sa barbe et ses cheueuxcheveux longz
a merueillesmerveilles, et plus finement blancz, que la laine
des brebiz de Tarente. De l’une de ses mains il te-
noit un baston autant beau que i’j’en eusse iamais ueujamais veu
a pasteur: car du bout d’en hault retortillé, sortoit
un loup emportãtemportant un mouton, faict de si grand ar-
tifice, qu’on luy eust bien haslé les chiens. Quand ce
uieillartvieillart eut honorablement receuilly nostre Opico,
& puis nous tous l’un apres l’autre, il inuitainvita la cõ-
pagniecom-
pagnie de reposer auecavec luy en l’ũbreumbre: et apres qu’il
eut ouuertouvert sa pannetiere faicte de la peau d’un che-
ureulche-
vreul, mouchetée de blãcblanc, il en tira auecavec autres cho
ses
62
DE SANNAZAR.
ses une bouteile de Tamarin, singulierement belle,
& bien tournée, uoulantvoulant qu’en reuerēcereverence du cõmuncommun
Dieu nous beußiõsbeussions tous auecquesavecques luy. puis la colla-
tion paßéepassée, qui ne dura gueres lõguemētlonguement, il se tour-
na deuersdevers Opico, & luy demanda que nous en tel-
le bende allions querant. Adonc Opico prenant par
la main Clonico l’amoureux, ua respõdre, Sãsva respondre, Sans point
de doubte Enareto ta uertuvertu singuliere sus tous au-
tres, & l’extreme neceßiténecessité de ce pourepovre pasteur,
nous ont faict uenirvenir en ceste forest. Cestuy cy, afin
que tu l’entendes, aymant oultre mesure, & ne sa-
chant dominer a ses affections, se ua cõsumantva consumant com-
me la cire deuantdevant le feu: a raison de quoy ne som-
mes icy uenuzvenuz pour ouyr les oracles du Dieu Pan
qui les rend par nuyt en ces montaignes, plus ueri-
tablesveri-
tables qu’en autre temple dõtdont il soit memoire: mais
querons ton ayde & secours, afin que tu le retires
de la tyrannie d’amour, & le rendes franc & li-
bere a nous, & aux forestz qui merueilleusementmerveilleusement
le desirent. ce faisant, confesserons que tu nous au-
ras rendu toutes noz ioyesjoyes perdues. Et afin que tu
saches quel homme c’est, ieje t’aduiseadvise qu’il paist en ces
montaignes pour le moins mille bestes a laine, &
iamais yuerjamais yver ny Esté ne se treuuetreuve despourueudespourveu de
laict fraiz. De son art de chãterchanter ieje ne t’en diray au-
tre chose, mais quand tu l’auras getté de la prison
L’ARCADIE
d’amour, tu le pourras ouyr a ton bel ayse, & suis
certain qu’il te plaira. Disant Opico ces paroles, le
uieilvieil prestre cõtemploitcontemploit ce pasteur barbu: & meu
de pitié de le ueoirveoir ainsi palle & extenué, s’appa-
reilloit de respõdrerespondre a ce subgect: mais en ces entre-
faictes, des prochaines forestz uint iusquesvint jusques a noz
oreilles un sõson melodieux meslé d’une uoixvoix delicate:
parquoy tournans la ueueveue celle part, apperceusmes
sus le bord d’un ruisseau un cheurierchevrier nommé Elen-
co, lequel aßisassis au pied d’un Saule, taschoit a res-
iouyrres-
jouyr ses bestes en sonnant de sa cheurettechevrette: ce qui
nous feit incontinent tirer uersvers luy: mais si tost qu’il
nous ueitveit approcher, comme s’il en eust eu despit,
cacha uistement sa cheurettevistement sa chevrette, & se tint coy. dont
nostre Ophelia fasché en son courage pour l’estrã-
getéestran-
geté de l’acte, luy qui estoit merueilleusemētmerveilleusement prōptprompt
en gaudisseries & brocars, a noz requestes fut
content l’irriter par iniuresinjures, pour le prouocquerprovocquer a
chanter: parquoy en se mocquãtmocquant de luy, par ces uersvers
picquans acompaignez d’un rire uilipendantvilipendant, le con
traignit a luy respondre.
OPHELIA.
Dy moy nouueau cheuriernouveau chevrier, & ne te fasche point,
Ce troupeau que tu as si maigre et mal empoint,
Quel sot te lal’a baillé pour mener aux chãpschamps paistre?
Elen-
63
DE SANNAZAR.
Elenco.
Mais toy uieillart bouuiervieillart bouvier, dy moy qui te feit estre
Si hardy de briser a Clonico son arc,
Semant inimitié des pastoureaux au parc?
Ophelia.
Ce fut (peult estre) lors que Sauuage en soucy
Pourchassoit sa musette, & son tabour außiaussi,
Que tu avois emblez, hõmehomme meschant & lasche.
Elenco.
Mais contre VranioUranio ne te seruitservit la Bache:
Car mauuaismauvais coup de bec tresbien naurernavrer te sceut:
QuãdQuand le cheureauchevreau robas, aux guestres t’apperceut.
Ophelia.
Moy? ieje l’auoisavois gaigné a mieux chãterchanter, mais en ce
D’Ergasto ne vouloit approuuerapprouver la sentence,
Lequel m’en couronna & de Myrte et de Lyerre.
Elenco.
Qui? toy? N’ouy ieje pas un iourjour sus une pierre
Contre Gallicio ta harpe faire office
D’un aignelet bellant, qu’on traine au sacrifice?
Ophelia.
Or chantons a l’espreuueespreuve, & laissons ce langage,
Metz ta cheurettechevrette en ieujeu, ieje ne ueuilveuil autre gage:
Montan la question uuideravuidera tout d’un traict.
Elenco.
Metz celle uachevache toy, qui souuētsouvent mugle et brait,
L’ARCADIE
IeJe te mettray ce cuir, et deux petitz cerfz masles
Nourriz d’ozeille et Thin, qui sōtsont gras cōmecomme rasles.
Ophelia.
Metz ta cheurettechevrette donc, ieje mettray ces uaisseauxvaisseaux
Ou tes cheureschevres trairas plus alaise qu’en seaux:
Car ces uachesvaches ieje paiz pour ma marastre austere.
Elenco.
Si ne scaurois tu tant d’excuses me faire,
Que ieje ne te descouuredescouvre. Eugene uientvient apoint:
Garder ne te pourras que de moy ne sois poinct.
Ophelia.
I’J’ayme mieulx Montano, qui est plus ancien.
Ce tien iugejuge n’est pas trop bon practicien,
Et ne croy que son sens puisse attaindre si hault.
Elenco.
Vien a l’umbre Montan, car le uentvent en ce chault
Parmy les feuilles bruyt, & le fleuuefleuve murmure.
Note qui de nous deux la ueineveine aura plus meure.
Ophelia.
Vien Montan ce pendant que noz bestes ruminētruminent,
Et qu’alaigres chasseurs uersvers les bois s’acheminētacheminement
Enseignant a leurs chiens les gistes et les trasses.
Montano.
Chantez a celle fin qu’entendent ces terrasses,
Comment le perdu siecle, en uousvous se renouuellerenouvelle,
Chantez iusquesjusques au soir, mais en mode nouuellenouvelle.
Ophelia.
64
DE SANNAZAR.
Ophelia.
Montano, cestuy cy qui contre moy s’espreuueespreuve,
Garde les cheureschevres d’un que fantastiqu’on treuuetreuve.
Miserable est la trouppe en telle garde estant.
Elenco.
Corbeau pernicieux, Ours aspre & molestant,
Mors ta langue qui est toute enflée de rage,
Et transporter se laisse au furieux courage.
Ophelia.
Malheureux est ce bois, que tes criz assourdissent,
Phebus & Delia s’en uontvont & se gaudissent,
Gette ta Lyre au loing: car en uainvain tu l’accordes.
Montano.
Quoy? uousvous ne chantez pas, ce sont icy discordes.
Or cessez de par Dieu, cessez uostrevostre follie:
Sus commence Elenco, & respons Ophelie.
Elenco.
La diuinedivine Pales prend a mon chant plaisir,
Et pare mes cheueuxcheveux de rameaux a loisir:
Nul ne se peult uenterventer de faueursfaveurs tant apertes.
Ophelia.
Le Dieu Pan demy bouc, lieuelieve les cornes, certes
Pour ma musette ouyr, dont court et saulte au son,
Puis s’en fuyt, mais il tourne en ioyeusejoyeuse facon.
Elenco.
QuãdQuand par fois au printēpsprintemps mes cheureschevres seul ieje tire,
L’ARCADIE
Ma cheurierechevrerie s’en rid, & se prend a me dire
Quelque petit brocard, qu’apres elle adoulcit.
Ophelia.
Tyrrhene en bonne foy de ses souspirs m’occit,
Quand semble que des yeux die plus qu’a demy,
Qui me separe (helas) de mon loyal amy?
Elenco.
Il n’y a pas long temps que i’j’apperceu nicher
Sus un antique chesne un coulomb, que i’j’ay cher:
Car ieje l’ay reseruéreservé pour ma dure ennemie.
Ophelia.
Et moy i’j’engresse au bois pour ma traictable amie
Vn ieune bouuillonUn jeune bovillon, de ses cornes tant brauebrave,
Qu’entre les grans toreaux se marche, & faict (du brauebrave.
Elenco.
Nymphe de ces forestz, tresamiables seurs,
Voz autelz pareray de roses & de fleurs,
Si par uousvous mon amour est en bien fortunée.
Ophelia.
Priape, au commencer de la nouuellenouvelle année
Offrandes te feray de laict chault & recent,
Si tu metz une fin au mal que mon cueur sent.
Elenco.
IeJe scay que celle la sans qui ieje ne puis uiurevivre,
Laquelle par ces bois amour me faict poursuiurepoursuivre,
A pitié de mon mal, combien qu’elle me fuyt.
Ophe-
65
DE SANNAZAR.
Ophelia.
La mienne en bonne foy m’incite iourjour & nuyt
De chanter a son huys, et respond a mes roolles
Angelicques propoz, & diuinesdivines paroles.
Elenco.
Ma mignonne m’appelle, & soudain se retire,
Puis quelque pomme apres d’industrie me tire,
Voulant qu’entre feuillars uoyevoye sa cotte blanche.
Ophelia.
Et la mienne m’attend de sa uoluntévolunté franche
A la riue du fleuuerive du fleuve, ou me faict tant de festes,
Que i’j’en metz en oubly ma personne et mes bestes.
Elenco.
Si mon Soleil n’estoit en ces forestz luysant,
Les feuilles des rameaux s’en yroient destruysant,
Et les undes seroient des fontaines taries.
Ophelia.
D’herbe sont desnuez ces montz, & ces praries,
Mais si mon beau Soleil y luyt, on les uerraverra
De fleurs se reuestirrevestir par pluye qui cherra.
Elenco.
Saincte uiergevierge Diane, & toy Phebus le blond,
Par les trousses pendans de uozvoz flans tout au long
Faictes moy surmonter cest estrange Cacus.
Ophelia.
O celeste MinerueMinerve, et toy plaisant Bacchus
I
L’ARCADIE
Par la uignevigne sacrée, & le digne oliuierolivier,
Que i’j’emporte en mon sac le pris de ce cheurierchevrier.
Elenco.
S’il couroit un torrent de laict emmy ces uauxvaux,
Tant qu’en l’ũbreumbre feroys des paniers, mes trauauxtravaux
Me seroient außiaussi doulx quasi comme un tresor.
Ophelia.
Si tes cornes estoient (blanc Toreau) de fin or,
Et chascun de tes poilz de precieuse soye,
Combien plus qu’a present, me ferois tu de ioyejoye?
Elenco.
O quantesfois s’en uient iolievient jolie & mignonnette
La bergiere que m’a destiné ma planette,
Auec moy deuiserAvec moy deviser parmy tous mes troupeaux?
Ophelia.
Las quelz souspirs me gette aguz cõecome couteaux
La Nymphe que i’j’adore? O uentzventz delicieux
Portez en trois ou quatre aux oreilles des dieux.
Elenco.
Eglogue, a te former i’j’employe tout mon art,
La main, l’entendement, et le stile sans fard,
Sachant que tu seras en mille liureslivre leue.
Ophelia.
Bucolique, or te prise ainsi que chose eleueeleve:
Car mille ans expirez ton renom florira
En loz perpetuel, & maint en soubzrira.
Elenco
66
DE SANNAZAR.
Elenco.
Quiconque de l’ardeur d’amour sera touché,
QuãdQuand sus arbres percreuz uerraverra ton nom couché,
O femme, dira il, que dieu te feit de grace?
Ophelia.
Toy qui renouueller uerrasrenouveller verras de race en race
Ton nom apres ta mort, & de ces boys uollervoller
Aux cieulx, tu te peulx bien tresheureuse appeller.
Elenco.
Faunus se ryd de toy sus ce hault mont icy:
Paix, Vachier: car si i’ay iugementj’ay jugement en cecy,
La cheurechevre ne peult faire au Lyon resistence.
Ophelia.
Cours Cigale en ce lac fangeux a mon instance,
Et prouocqueprovocque a chanter les Raines une a une:
Peult estre, mieulx qu’icy sera la ta fortune.
Elenco.
Quelle beste est si pres d’humain entendement,
Qu’elle adore la Lune assez deuotementdevotement,
Puis se uoulantvoulant purger entre en quelque fontaine?
Ophelia.
Mais qui est cest oyseau de nature haultaine,
Qui uictvict sans per, & puis de uiurevivre estant lasselassé,
Se brule en bois exquis par luy propre amasseamassé?
Montano.
Malfaict qui par orgueil contre le ciel estriueestrive,
I ij
L’ARCADIE
Finer fault ce proces, afin que lonl’on l’escriueescrive:
Car oultre ne s’estend le pastoral scauoirscavoir.
Or paix couple gentile, a qui ieje faiz scauoirscavoir
Que bois sacrez se sont de uozvoz chantz esiouyzesjouyz.
Mais i’j’ay grand peur que Pan les aura bien ouyz.
Voy le cy, ieje le sens aux brãchesbranches qu’il faict bruire,
Tourner en l’ūbreumbre, plein d’orgeuilorgueil, et prest a nuyre,
Et de son nez crochu soufflant mortel ueninvenin.
L’eloquent Apollo, qui uousvous est si begnin
Ait la uictoirevictoire seul. Pren tes uases bouuiervases bouvier,
Et toy pareillement ta cheurette cheurierchevrette chevrier,
Que le ciel nous accroisse en bontez et ualeurvaleur
Commme entre les sillons l’herbe par sa chaleur.
Les forestz qui auoientavoient doulcement resonné pen-
dant le chanter des deux pasteurs, s’estoient desiadesja
rapaisées, acquiescentes a la sentence de Montano,
lequel auoitavoit rendu les gages, & donné au Dieu A-
pollo l’honneur & la couronne de uictoirevictoire, comme
a celuy qui est stimulateur des bons & nobles en-
tendemens. A raison de quoy nous laissans ce riua-
geriva-
ge herbu, tous ioyeuxjoyeux commenceasmes a remonter
la coste de la montaigne, riant a chasque pas, et de-
uisantde-
visant du debat paßépassé: & n’eusmes pas faict de che
min plus de deux traictz de fonde, que petit a pe-
tit ne commenceißiõs a descouurircommenceissions a descouvrir de loing le boys
uenerablevenerable
67
DE SANNAZAR.
uenerablevenerable & sacré, au quel homme uiuantvivant n’osoit
entrer auecquesavecques coignée ou autre ferremētferrement, dõtdont en grã-
degran-
de religion, et pour la crainte des dieux uindicatifzvindicatifz
il s’estoit entre les paysans iaja plusieurs ãnéesannées cõser-
uéconser-
vé en son entier, et dict on (mais ieje ne scay s’il est a
croire) que au temps iadizjadiz quand le monde n’estoit
si plein de mauuaistiezmauvaistiez comme il est, tous les Pins y
parloient en notes entendibles, respōdantrespondant aux chan
sons des pasteurs. Nous estans dōcquezdoncquez arriuezarrivez la
soubz la conduicte du sainct prestre, par son ordon
nance lauasmeslavasmes noz mains en une petite fontaine
d’eau uiuevive, qui sourdoit a l’orée du bois, n’estant de
la religion permis entrer auecavec crimes et pechez en
lieu tant sainct. Lors aiant auant toute oeuureavant toute oeuvre adoré
le grand dieu Pan, et puis les autres incōgneuzincongneuz (s’il
y en auoitavoit quelques uns qui pour ne se monstrer
a noz yeux, se mussassent parmy les feuilles) nozus
tirasmes auantavant sus le pied droit en signe d’augure
prospere, chascun priant taisiblement en son cueur
les deitez que tousiourstousjours nous feussent propices tãttant
au present affaire, que en toutes les occurrentes ne-
ceßitezne-
cessitez futures. Puis ētrezentrez en ceste saincte Pinnie-
re, trouuasmestrouvasmes soubz le pendant d’une montaigne,
entre des roches ruinées, une grande & uieillevieille ca-
uerneca-
verne (ne scay si naturele ou artificiele) mais elle
estoit cauéecavée en la montaigne, en laquelle de la mes-
I iij
L’ARCADIE
me roche, & par les mains des rustiques pastou-
reaux fut formé un autel sus lequel estoit posee la
grande effigie du Dieu sauuagesauvage, taillée en bois, ap-
puyée sus un long baston d’oliuierolivier tout entier. En sa
teste deux cornes droictes eleuées deuerselevées devers le ciel. La
face rouge comme une fraize meure. Les iambesjambes et
les piedz ueluzveluz, & non point d’autre forme que
ceulx des cheureschevres. Son manteau faict d’une grande
peau mouchetée de taches blanches. De l’un & de
l’autre costé de cest autel pēdoientpendoient deux larges ta-
bles de hestre, escriptes en lettres pastorales, lesquel
les aiant esté conseruées succeßiuementconservées successivement de temps
en autre par les bergers precedens, contenoient les
loix antiques, & les enseignemens de la uievie pasto-
rale: & de la sont uenuesvenues toutes les doctrines qui
maintenant sont en usage par les forestz. En l’une
estoient notez tous les ioursjours de l’année, les uaria-
blesvaria-
bles changemens des saisons, les inequalitez des
ioursjours & nuytz, ensemble l’obseruationobservation des heures
(non peu necessaire aux uiuansvivans) les infaillibles pro-
gnostications des tempestes: Quand le Soleil a son
leuerlever denonce beau temps, pluye, uentvent, ou gresle:
Quelz ioursjours de la Lune sont heureux, & quelz
infortunez aux negoces des hommes: Mesmes ce
que tout homme en chascune heure doit suyuresuyvre ou
euitereviter pour n’offenser les uoluntez diuinesvoluntez divines. En l’au-
tre
68
DE SANNAZAR.
tre table se lisoit quelle deuoitdevoit estre la belle forme
du toreau & de la uachevache, les aages ydoines a en-
gendrer & ueellerveeller, puis les saisons & temps com-
modes a chastrer les ueauxveaux pour s’en pouoir seruirpovoir servir
soubz le iougjoug aux ouuragesouvrages de agriculuture. Sēbla-
blementsembla-
blement comme la ferocité des MoutõsMoutons se peult mi-
tiguer en leur perceant la corne ioignantjoignant l’oreille: et
comme en leur liant le genitoire droict, ilz engen-
drent des femelles: et en leur serrãtserrant le gauche, font
des masles. Comment les aigneaux sont produictz
tous blãczblancz, ou uariezvariez d’autres couleurs. Quel reme
de est bon pour garder que les brebiz n’aduortentadvortent
par l’espouētemētespoventement du tonnoirre. CõmentComment fault gou-
verner les cheureschevres, quelles, de quel aage & forme
elles doiuētdoivent estre, mesmes en quel quartier de pays
elles sont plus fertiles. AußiAussi comment on peult con-
gnoistre leur aage par les neux de leurs cornes. Da
uantageDa
vantage y estoiētestoient escriptes toutes les medecines con
cernantes les maladies de pasteurs, de leurs chiens,
& de leurs troupeaux. DeuantDevant ceste cauernecaverne estoit
un Pin merueilleusementmerveilleusement hault & spacieux, qui
rendoit grãdgrand umbrage. A l’une de ses branches pen
doit une musette a sept uoixvoix, egalement conioincteconjoincte
de cire blanche par dessus & par dessoubz, &
n’en fut (peult estre) iamais ueujamais veu la semblable a pa-
steur en aucune forest. Lors nous enquerans qui en I iiij
L’ARCADIE
avoit esté l’autheur (pource que la iugionsjugions faicte et
encirée de mains diuinesdivines) le prestre sage respondit,
Ceste canne, mes amys, est celle que le grand Dieu
que maintenant uous uoyezvous voyez, se trouuatrouva en ses mains
quand ayguillonné d’amour, il suyuoitsuyvoit par ces fo-
restz la belle Syringa: par la soudaine transmuta-
tion de laquelle se uoyantvoyant frustré de son desir, il
souspira souuentesfoyssouventesfoys en memoire de ses antiques
ardeurs, & les souspirs se conuertirentconvertirent en doulce
armonie. Adonc ainsi solitaire aßisassis en ceste cauer-
necaver-
ne aupres de ses cheures paißãteschevres paissantes, il se print a ioin-
drejoin-
dre de cire neufueneufve sept chalumeaux, l’ordre des
quelz uenoit succeßiuementvenoit successivement diminuant comme les
doitz de noz mains. AuecAvec ceste musette il lamen-
ta longuement ses infortunes parmy ces montai-
gnes: puis elle ueintveint (ne scay comment) es mains
d’un pasteur de Sicile, lequel auantavant tout autre eut
bien hardiesse de la sonner sus les claires undes de
la belle Arethusa, sans craindre Pan, ny autre Dieu:
& dict on que tant qu’il chantoit, les Pins d’enui-
ronenvi-
ron luy respondoient, mouuantmouvant leurs sommitez:
& les chesnes champestres, oublians leur nature
sauuagesauvage, abandonnoient leurs montaignes nature-
les pour l’entendre, & faisoient doux umbrage
aux brebiettes escoutantes. Adonc n’y auoitavoit Nym-
phe ny Faune en ces forestz qui ne meist peyne
a tresser
69
DE SANNAZAR.
a tresser chappelletz pour decorer sa perrucque
de fleurs nouuellesnouvelles. Mais ce pasteur estant surpris
de la mort enuieuseenvieuse, donna ceste musette a Tityre
Mantuan: & comme l’esprit luy deffailloit, en la
baillant se print a dire: Tu en seras desormais le se-
cond possesseur, & en pourras a ta uoluntevolunte recon-
cilier les Toreaux discordans, car tu luy feras get-
ter un son merueilleusementmerveilleusement agreable aux dieux
champestres. Ainsi Tityre bien ioyeuxjoyeux d’un si grãdgrand
honneur, s’esbatant de ceste musette feit premiere-
ment resonner aux forestz le nom de la belle Ama-
ryllis: puis l’ardeur de Corydon pour Alexis: la con-
tention de Dametas & Menalcas: & consequem-
ment la chãsonchanson de Damon & Alphesibeus. PendãtPendant
lesquelles choses souuētesfoissouventefois faisoit aux uachesvaches ou-
blier leur pasturage pour la merueillemerveille qu’elles en
auoyētavoyent, & cōtraignoitcontraignoit les bestes sauuagessauvage de s’ar-
rester entre les pasteurs: pareillement les fleuuesfleuves a
retarder leur cours acoustumé, sans auoiravoir soing de
rēdrerendre a lamerla mer son tribut ordinaire. Encores en son-
na ce Tityre la mort de Daphnis, la chanson de Si-
lenus, l’ardent amour de Gallus, & autres choses,
dont ieje pense que les forestz ont & auront souue-
nancesouve-
nance tant qu’il y aura pastoureaux en ce monde.
Mais il ayant de sa nature l’entendement disposé a
choses plus hautes, ne se pouantpovant satisfaire de tant
L’ARCADIE
simple armonye, chãgeachangea ce tuyau que uous uoyezvous voyez
plus gros et plus neuf que les autres, afin de mieux
chãterchanter les affaires d’importãceimportance, et rēdrerendre les forestz
dignes des CõsulesConsules de Rome. puis quand il eut abã-
dõnéaban-
donné les cheureschevres, il se meit a faires des enseignemēsenseignemens
d’agriculture, en espoir de sonner par apres auecavec
trompette plus resonante les armes du magnanime
Aeneas. Et cela faict, la pendit a cest arbre en reue-
rencereve-
rence de ce dieu qui luy auoitavoit presté faueurfaveur en son
chanter. Apres ce Tityre iamaisjamais ne ueintveint pasteur en
ces boys qui la peust sonner au deuoirdevoir, nonobstant
que plusieurs stimulez de uoluntairevoluntaire hardiesse, s’y
soyent maintesfois esprouuezesprouvez, & ordinairement
espreuuentespreuvent. Mais pour ne consumer toute la iournéejournée
en ces deuisesdevises, & afin de retourner a la cause pour
laquelle uousvous estes cy assemblez, ieje declaire que
ma puissance & mon scauoirscavoit ne sont moins appa-
reillez de subuenirsubvenir aux occurrēcesoccurences d’un chascun de
la compagnie, que ilz sont presentement a cestuy
seul. Toutesfois a raison que pour le decours de la
Lune le temps n’est propre ny commode, uousvous m’en-
tendrez pour cest’heurecest’ heure seulement parler du lieu
ou nous fauldra trouuertrouver, & des moyēsmoyens que deurõsdevrons
tenir. Toy doncques pasteur amoureux, a qui sin-
gulierement ce faict touche, preste maintenant tes
promptes & ententiuesententives oreilles a mes paroles.
Entre
70
DE SANNAZAR.
Entre des montaignes desertes qui ne sont gue-
res loing d’icy, se treuuetreuve une creuse ualléevallée ceincte
tout a l’entour de sauuagessauvages forestz resonantes d’u-
ne si terrible sorte, que uousvous n’ouystes oncques telle
chose: & tant est belle, estrãgeestrange & admirable, que
de primeface met frayeur aux courages de ceux
qui y suruiennentsurviennent, lesquelz au bout d’un temps ras-
seurez & remiz en uigueurvigueur, ne se peuuētpeuvent saouler
de la contempler de toutes pars. LonL’on y entre par un
seul passage merueilleusementmerveilleusement estroict & difficile:
mais tãttant plus bas lonl’on descēddescend, plus se treuuetreuve la uoyevoye
large, & la clairte diminuée, a cause que depuis le
hault iusquesjusques au plus profond, elle est quasi toute
obscure, pour les umbrages procedans des sauua-
geauxsauva-
geaux & espines qui y sont. Puis quand lonl’on est a la
plaine terre, une fosse grande & noire se presente
deuantdevant les piedz, entrant en laquelle soudainement
sont entenduz horribles rabastementz faictz par
espritz inuisiblesinvisibles, comme si mille milliers de Nac-
caires y sonnoiētsonnoient. En ceste obscurité sourt un fleuuefleuve
impetueux & terrible a merueillesmerveilles, lequel parmy
ce grand uoragevorage s’efforceant saillir en lumiere, n’a
la puissance de ce faire, ains s’abysme tout inconti-
nent, si qu’il ne luy est loysible se monstrer que bien
peu au mõdemonde: & se uava precipiter en la mer par une
uoyevoye occulte & incõgneueincongeue, parquoy lonl’on ne scait de
L’ARCADIE
luy autre nouuellenouvelle sus la terre. C’est pour certain un
lieu sacré, & digne d’estre tousiourstousjours habité des
dieux, cōmecomme sans point de doute si est il: et n’y scau-
roit on trouuertrouver chose qui ne soit uenerablevenerable & sain-
cte: tant il se presente reuerendreverend & de grande ma-
iestéma-
jesté aux yeux des regardans. La te ueuxveux ieje mener
si tost que la Lune sera plaine, pour auãt toute oeu-
ureavant toute oeu-
vre te purifier (aumoins si tu as la hardiesse d’y ue-
nirve-
nir) & apres que par neuf foys t’auray plongé de-
dãs ce fleuuede-
dans ce fleuve, ieje feray d’herbes et de terre un autel
neuf, que ieje pareray de troys ornemens de diuersesdiverses
couleurs, puis dessus brusleray de la VerueneVervene, de
l’ēcēsensens masle, et autres herbes nõnon arrachées de leurs
racines, mais fauchées a la lueur de la lune nouuel-
le.nouvel-
le Apres enroseray ce lieu d’une eau triple tirée de
trois fontaines, & te feray desceinct & dechaux
d’un pied, faire par sept fois la proceßionprocession autour de
cest autel: deuantdevant lequel de ma main gauche tien-
dray par les cornes une breby noire, & de ma
droicte un couteau bien affilé: puis a haute uoix in-
uocquerayin-
vocqueray trois cens noms de dieux incōgneuzincongneuz, &
auecquesavecques eux la uenerablevenerable nuyt accompagnée de
ses tenebres, les estoilles taciturnes consentantes des
practiques secrettes, la Lune puissante au ciel &
aux abysmes, la claire face du Soleil enuironnéeenvironnée de
rayons ardãsardans, laquelle sans cesse tournoyant a l’en-
tour
71
DE SANNAZAR.
tour du monde, ueoitveoit & cõgnoistcongnoist sans quelque em-
peschemētempe-
schement tous les negoces des mortelz. Cela faict
appelleray tous les dieux qui habitent au ciel, en
la terre, & en la mer: le grãdgrand Ocean pere & pro-
geniteur uniuerseluniversel de toutes choses, les chastes Nym
phes engendrées de sa semence, ascauoirascavoir les cent
qui ont la garde des forestz, & les autres cent qui
presidētpresident aux fleuuesfleuves, fontaines & ruisseaux. Dad-
uantage inuocquerayDa-
dvantage invocqueray les Faunes, Lares, SyluansSylvans &
Satyres, auecavec toute la bēdebende feuillue des demydieux,
l’air souuerainsouverain, la dure face de la terre, les lacz
dormans, fleuues courãsfleuves courans, & les bouillonnãtesbouillonnantes fon-
taines. Puis n’omettray les regnes obscurs des dieux
souterrains, mais inuoquantinvocquant la triple Hecate, sub-
ioindraysub-
joindray le profond Chaos, le grãdgrand Erebus, & les
infernales Eumenides habitãteshabitantes des eaux stygiales.
Et s’il est aucunes autres deitez la bas qui par di-
gne punition chastiētchastient les detestables crimes des hu-
mains, ieje les supplieray qu’elles soyent toutes pre-
sentes a mon sacrifice. Et en ce disant prendray un
uaisseau de uinvaisseau de vin excellent, lequel ieje uerserayverseray sus le
front de la breby condamnée. Puis quand luy auray
d’entre les cornes arraché une poignée de laine
noire, ieje la getteray dedans le feu pour les premie-
res arres du sacrifice, & luy coupant la gorge
du couteau a ce dedié, ieje receurayrecevray en une tasse le
L’ARCADIE
sãgsang tout chault, duquel gousteray seulemētseulement de l’ex-
tremité des leureslevres: & cela faict, le mesleray auecavec
de l’huille & du laict, que ieje repēdrayrependray en la fos-
se faicte deuantdevant l’autel, afin d’en esiouyresjouyr nostre me-
re la terre. Lors t’ayant preparé de ceste sorte, te
feray tout plat estendre sus la peau de la breby, &
oindray tes yeux & ton uisagevisage de sang de Chau-
uesourizChau-
vesouriz, a ce que les tenebres de la nuyt ne t’ob-
fusquent, mais comme en plein iourjour te manifestent
toutes choses. Et afin que les diuersesdiverses & estranges
figures des dieux cõuocquezconvocquez ne t’espouententespouventent, ieje te
garniray d’une lãguelangue d’un oeuil & de la despouil-
le d’un serpētserpent de Libye: ensemble de la part droicte
du cueur d’un Lyon, seché seulemētseulement a l’umbre de la
pleine Lune. Apres cõmanderaycommanderay aux poißonspoissons, ser-
pens, bestes sauuagessauvages, & oyseaux (desquelz i’entēsj’entens
quand il me plaist, les proprietez des choses, & les
secretz des dieux) que presentement & sans faire
aucune demeure ilz uiennentviennent a moy: puis en retien-
dray ceux qui me feront mestier, & renuoirayrenvoiray les
autres en leurs repaires. Apres ouurãtouvrant ma pãnetie-
re, i’pannetie-
re, j’en tireray certaines drogues de grãdegrande efficace
& ualeurvaleur, par lesquelles (quand bon me semble)
ieje me transforme en loup, & laissant mes habille-
mēshabille-
mens pēduzpenduz a quelque Chesne, me uoisvois fourrer auec
les autres parmy les desertes forestz, nõnon pour piller
(cõmecomme
72
DE SANNAZAR.
cõmecomme plusieurs) mais pour entendre leurs secretz,
& les finesses quilzqu’ilz s’appareillent faire aux pa-
steurs. Ces drogues pourront encores estre bien cõ-
modescom-
modes a ton besoing: car si tu ueuxveux totalemēttotalement sortir
d’amour, ieje t’enroseray tout le corps d’eau Lustrale,
et auecavec ce te perfumeray de Soulphre uiergevierge mes-
lé d’hysope et chaste rue, puis te getteray sus la te-
ste de la pouldre ou une mule ou autre sterile ani-
mal se sera ueautréveautré, & desnouant l’un apres l’au-
tre tous les neux de ton eschine, ieje te feray prendre
la cendre de l’autel sacré, & a deux mains la get-
ter par dessus tes espaules au fleuuefleuve courant, sans
tourner la ueueveue en derriere. Lors soudainement ses
undes emporteront ton amour en la haulte mer, &
la laisseront aux Daulphins & Balenes. Mais si tu
as plus grand desir de contraindre ton ennemye a
t’aymer, ieje feray uenirvenir des herbes de tous les quar-
tiers d’Arcadie, lesq̄lleslesquelles ieje destrēperaydestrenperay en iusjus d’aco-
nite, et y mesleray une louppe cauteleusemētcauteuleusement arra-
chée du frõtfront d’un poulain uenãtvenant de naistre, auãtavant que
sa mere l’ait mēgéemengée. Ce pendãtpendant (ainsi que ieje t’ensei-
gneray) tu lyeras une image de cire a trois neux a-
ueca-
vec trois cordons de trois couleurs: puis la tenãttenant en
ta main, trois foys tourneras autour de l’autel, a chas
cune fois luy picquãtpicquant le cueur auecavec la poincte d’une
daggue meurdriere, taisiblemēttaisiblement disant ces paroles:
L’ARCADIE
IeJe picque & lye sans rancueur
Celle qui est paincte en mon cueur.
Apres tu auras un lambeau de sa cotte, lequel tu
ployeras peu a peu, et l’enfouyras en la terre, disant:
I’J’encloz & serre en ce drap cy
Tout mon trauailtravail,& mon soucy.
Puis en brulãtbrulant un rameau de Laurier uerdverd subioin-
(drassubjoin-
(dras.
Ainsi puisse cracquer au feu
Celle qui mon mal prend a ieujeu.
Cela faict, ieje prendray une blanche Coulombe, a
laquelle tu arracheras toutes les plumes l’une apres
l’autre, & en les gettant dedans le feu, diras:
IeJe seme la chair & les os
De celle en qui est mon repos.
Finablement quand tu l’auras toute deplumée, en
la laissant aller seullette, ainsi feras le dernier en-
chantement:
Inique & dure en apparence,
Demeure une d’esperance.
Mais a chascune fois que tu feras ces choses, n’ou-
blie de cracher trois coupz, pource que les dieux
de magicque s’esiouyssents’esjouyssent du nombre imper. QuãtQuant
a moy ieje ne doute point que ces paroles ne soyētsoyent de
si grãdegrande efficace, que tu uerras uenirverras venir ta dame a toy
sans aucune cōtradictioncontradiction, non d’autre sorte que font
les iumensjumens furieuses aux riuagesrivages de l’extreme occi-
dent
73
DE SANNAZAR.
dent, quand elles ueulentveulent attendre les generatifz
soufflemens de Zephyrus: & ce te afferme ieje par
la diuinitédivinité de ceste forest, & la puissance de ce
dieu, lequel estant icy present, escoute ce que ieje te
compte. Cela dict, il meit fin a ses paroles: dont ne
fault demander combien de plaisir elles donnerent
a chascun de la compagnie. Finablement nous con-
siderans qu’il estoit tēpstemps de retourner a noz bestes
(cõbiencombien que le Soleil feust encores bien hault) apres
auoiravoir rendu plusieurs graces a ce sainct prestre,
preinsmes cõgécongé de luy, & descendans la mõtaignemontaigne
par un chemin plus court que le premier, non sans
grande admiration l’allions estimant en nous mes-
mes, tant que quasi deuallezdevallez en la plaine, estant la
chaleur grande, & uoyansvoyans un petit bocage deuantdevant
nous, deliberasmes uouloirvouloir ouyr chãterchanter quelq’un de
la cōpagniecompagnie, dont Opico donna charge a SeluagioSelvagio,
luy baillant pour subgect qu’il s’efforceast de ma-
gnifier le noble siecle de nostre temps, abondãmentabondamment
fourny de tãttant & de telz pasteurs, lesquelz on pou
uoitpou
voit ueiorueoirveoir & ouyr chanter entre les troupeaux, et
qui apres mille ans reuoluzrevoluz seroient souuentesfoissouventesfois
desirez par les boys. Adonc estant cestuy en poinct
de commencer, il tourna (ieje ne scay cōmentcomment) la ueueveue
deuersdevers un petit tertre qui estoit a sa dextre, & ueitveit
la haulte pyramide ou gisent en repos eternel les
K
L’ARCADIE
uenerablesvenerables ossemēsossemens de MaßiliaMassilia, qui fut mere d’Er-
gasto, laquelle en son uiuantvivant fut entre les pasteurs
estimée comme une Sibylle: par quoy se leuãtlevant sus ses
piedz uava dire: Amys, allons a ce monument: & si
apres les funerailles les ames heureuses ont cure
des choses mondaines, MaßiliaMassilia qui est au ciel, nous
scaura bon gré de nostre chanter. Helas elle souloit
en son uiuãtvivant decider par si bõnebonne grace les differens
qui sourdoient entre nous, dōnantdonnant modestemētmodestement cou-
rage aux uaincuzvaincuz, & exaulceãtexaulceant les uainqueursvainqueurs de
si merueilleusesmerveilleuses louēgeslouenges. Ceste proposition de Sel-
uagioSel-
vagio sembla grandement raisonnable a toute la
bende, parquoy legierement y tirasmes, recõfortansreconfortans
l’un apres l’autre le pourepovre Ergasto q̄qui pleuroit. QuãdQuand
nous y feusmes arriuez, trouuasmesarrivez, trouvasmes, autãt a cõtem-
plerautant a contem-
pler & repaistre noz yeux, que iamaisjamais feirent pa-
steurs en aucune forest: & uousvous orrez cõmentcomment. La
belle pyramide estoit aßiseassise en une petite plaine sus
une basse mõtaignette eleuéemontaignette elevée entre deux fontaines
d’eau claire & doulce, la poincte dreßéedressée deuersdevers le
ciel en forme d’un Cypres droict et feuillu. A chas-
cun de ses quatre flans se pouoient ueoirpouvoient veoir plusieurs
histoires de tresbelles figures, qu’elle mesme durant
sa uie auoitvie avoit faict paindre en reuerencereverence de ses prede-
cesseurs antiques, specifiant combien y auoitavoit eu en
sa race de pasteurs qui au temps iadiz auoyentjadiz avoyent esté
fameux
74
DE SANNAZAR
fameux & singuliers par les forestz, ensemble le
nombre des bestes dont ilz souloient estre posses-
seurs. A l’entour de ceste Pyramide faisoient um-
bre plusieurs arbres ieunesjeunes & fraiz qui n’estoient
encores percreuz a l’egale hauteur de la poincte,
pourautant que peu de temps auparauant y auoientauparavant y avoient
esté plantez par le bon Ergasto: en compaßioncompassion du-
quel plusieurs pasteurs auoient außi enuironnéavoient aussi environné le
lieu de hautz sieges, non de ronses ou buyßonsbuyssons,
mais de GeneuresGenevres, Rosiers, & Gensemis. puis auecavec
leurs besches formé un throsne pastoral, & de pas
en pas erigé certaines tours de myrte & romarin
tyssues d’un tresmerueilleuxtresmerveilleux artifice: cōtrecontre lesquel-
les uenoitvenoit a plein uoyle un nauirevoyle un navire faict seulement
de franc osier & de brãchettesbranchettes de lyerre, si natu-
rellement representé, que uous eußiezvous eussiez dict qu’il
uoguoitvoguoit en mer calme. Entre ses appareilz alloient
oysillons chantans & rampans, maintenant sus le
timõ, et maintenãttimon, et maintenant sus la hunne, en maniere de mat-
tellotz expertz & bien exercitez. DauantageDavantage
parmy les arbres & les hayes se ueoyentveoyent plusieurs
bestes sauuagessauvages singulierement belles & agiles,
qui sautoient allegrement, & s’esbatoient a di-
uers ieuxdi-
vers jeux, se baignans dedans les eaux des fontai-
nes, pour donner (ce croy ieje) passetemps aux Nym-
phes gardiennes de ce lieu, & aux cendre la en-
K ij
L’ARCADIE
terées. A ces beautez s’en adioignoit une nõadjoignoit une non moins
estimable qu’aucune des autres, c’est que toute la
terre estoit couuertecouverte de fleurs, non fleurs a bien di-
re, mais terrestres estoilles, dont elle estoit paincte
d’autant de couleurs qu’il s’en treuuetreuve en la queue
du glorieux Paon, ou que lõ en ueoitlonl’on en veoit en l’arc du ciel
quand il nous denõcedenonce la pluye. La estoiētestoient lyz, troes-
nes, uiolettesviolettes tainctes d’amoureuse palleur, grande
abondance de Pauot dormitif auecavec les testes encli-
nées, les espiz rouges de l’immortel passeuelouxpasseveloux,
dõtdont lonl’on faict de beaux chappeletz en la saison d’y-
uerd’y-
ver: & pour le faire court, lonl’on y pouoit ueoirpouvoit veoir fleu-
rir tous les beaux ieunesjeunes enfans & magnanimes
princes qui furent aux premiers tēpstemps deplorez par
les antiques pastoureaux, retenãsretenans encores leurs nõsnoms,
cõmecomme Adonis, Hyacinthus, AiaxAjax, Crocus, & sa belle
amoureuse, entre lesquelz estoit le temeraire Nar-
cissus, que lonl’on eust iugéjugé contempler sus les eaux la
pernicieuse beaulte qui fut occasiōoccasion de luy faire per-
dre la uievie. Lesquelles choses apres auoiravoit esté par
nous (l’une apres l’autre) fort estimées, & dili-
gemment leu le digne epitaphe engrauéengravé sus la
belle sepulture, außiaussi que nous y eusmes faict noz
offrandes de plusieurs chappeaux de fleurettes,
nous nous reposasmes auecavec Ergasto dedans des cou-
ches de Lentisques, ou plusieurs Ormes Chesnes &
Lau-
75
DE SANNAZAR.
Lauriers siffloient de leurs fueilles tremblãtestremblantes, &
se mouuoientmouvoient dessus noz testes. AuecAvec ce les murmu-
res des undes enrouées (qui couloient sus les her-
bes uerdesverdes, & s’en alloient trouuertrouver la plaine) ren-
doient un son fort plaisant a ouyr. Les Cigales du-
rant la force de la chaleur s’efforceoient de chan-
ter dessus les rameaux umbrageux. La dolētedolente Phi-
lomela se lamentoit de loing entre les espines. Mer-
les, Huppes, & Calendres chantoient. La solitaire
Tourterelle gemißoitgemissoit sus les hautes riuesrives. Les son-
gneuses mousches a miel faisant doux et soef mur-
mure, uolloientvolloient a l’entour des fontaines. Bref, tou-
tes choses sentoient l’esté. Les pommes esparses
en terre en si grande abondance qu’elle en estoit quasi
toute couuertecouverte, fleuroient si bon que merueillesmerveilles. Les
petitz arbres par dessus estoient si chargez de
fruict, que presque uaincuzvaincuz du poix de leur char-
ge, sembloit qu’ilz se uousißentvousissent esclater: dont Sel-
uagioSel-
vagio a qui touchoit de chanter sus ceste matiere,
faisant signe de l’oeuil a Fronimo qu’il luy respõdistrespondist,
finablement rompit le silence par telles paroles:
SELVAGIO.
Ces montz icy (comme d’aucuns estiment)
Ne sont muetz, n’y priuezprivez de cantiques
(O Fronimo) mais si bien les expriment,
K iij
L’ARCADIE
Que ieje quasi les compare aux antiques.
Fronimo.
Des muses plus n’oyt on parlementer,
Et ne faict on de Naccaires plus compte,
Veu que pasteurs ne sont par bien chanter
Plus couronnez: qui est une grand honte.
Chascun se touille en la bourbe des uachesvaches,
Dont tel est plus qu’yeble ou Auronne infect,
Qui sent meilleur, ce semble, que les baches,
Ny que l’Ambroise en la saison ne faict.
Parquoy ieje crains que les dieux ne s’esueillentesveillent
Du long sommeil pour aux bons enseigner
Comme il faudra qu’en uengeance trauaillentvengeance travaillent,
Pour des meschans les grans fautes signer:
Et s’une fois aduientadvient que deuil en ayent,
IamaisJamais orrage ou pluye ne fera
Que les suspectz pour le moins ne s’essayent
De retourner a ce que bon sera.
SeluagioSelvagio.
Amy, i’j’estoye entre VesuueVesuve & Baie
En la planure ou Sebetho le court
IoindreJoindre se uava par une sente gaye
A la grand mer, & doulcement y court.
Amour, lequel de mon cueur ne se part,
Vn temps me feit fleuuesfleuves estranges ueoirveoir:
Et quand mon ame y pense tost ou tard,
NouueauNouveau
76
DE SANNAZAR.
NouueauNouveau tourment luy en conuient auoirconvient avoir.
Si ieje passay ronses, buyßonsbuyssons, orties,
Mes piedz l’ont sceu, & si craintes m’ont mis
Ours furieux, nations assorties
De dures meurs, ou tout mal est permis.
Finablement les oracles me dirent,
Cherche la uilleville ou les Chalcidiens
Dessus le uieilvieil tumbeau se confondirent
NouueauxNouveaux pays & terres mendians.
IeJe n’entendois cela, mais des pasteurs
Prophetisans me le feirent entendre,
Et ueyvey depuis qu’ilz n’estoient point menteurs,
Ains pour mon bien parloient sans rien pretendre.
I’J’apprins entre eux a coniurerconjurer la Lune,
Et tout ce dont se uenterent iadizventerent jadiz
Alphesibée & Meris en commune
De la magicque entendans faictz & dictz.
Herbe ne croist sauuagesauvage ou domestique,
Qui bien ne soit congneue en leurs forestz:
Ny quelle estoille est fixe ou erratique:
Dont se prononce entre eux de beaux arrestz.
La tous les soirs quand le ciel deuientdevient sombre,
Contestent l’art de Phebus & Pallas.
Lors pour ouyr chascun se tire en l’umbre,
Mesme Faunus: lequel y prend soulas:
Mais entre tous comme un Soleil esclaire
K iiij
L’ARCADIE
Caraciol, qui pour adroit herper,
Ou sonner muse en resonance claire,
Ne trouueroittrouveroit en ArcadeArcadie son per.
IamaisJamais n’apprint a tailler la uignettevignette
Ou moyssonner, ains a guerir troupeaux
De clauelléeclavellés, & rendre leur chair nette,
En conseruantconservant les laines & les peaux.
Vn iour aduintUn jour advint pour purger son courage
Qu’ainsi chanta soubz un Fraisne ioly,
Moy des panniers faisant de gros ouurageouvrage,
Luy une cage estant d’osier poly.
Face le ciel qu’a nous icy ne uiennentviennent
Faux detracteurs, & qu’entre les moutons
La destinée & le sort me soustiennent
Contre l’assault de ces paillars gloutons.
Vaches allez en celle uerdeverde plaine,
Afin que quand les montz obscurciront,
Chascune tourne a la maison bien pleine:
Car desormais pastiz accourciront
Que de troupeaux jeusnētjeusnent bien qu’ilz ne ueuillētveuillent.
Pour ne trouuertrouver pasturage a foyson,
Feuilles de uignevigne emmy la terre cueuillent,
Et de cela uiuentvivent toute saison.
A peine (helas) de mille une en eschappe:
Car chascun a tant de neceßiténecessité,
Que maintesfois i’j’en pleure soubz ma chappe,
Estant
77
DE SANNAZAR.
Estant mon cueur de douleur incité.
Quiconque donc a des biens abondance
En ce temps cy miserable & meschant,
Poulsant chascun hors de sa residence,
Dieu remercie en hymnes & en chant.
Tous les pasteurs delaissent Hesperie,
Boys usitez, & fontaines außiaussi:
Le rude temps farcy de tromperie,
Les y contrainct, & leur faict faire ainsi.
Errans s’en uontvont par montz inhabitables,
Pour leurs troupeaux ne ueoirveoir exterminer
Par estrangers nullement charitables,
En qui raison ne scauroit dominer.
Et toutesfois a faulte de bons uiuresvivres
Paissoient le glan d’Aoust iusquesjusques en IuilletJuillet,
Non au temps d’or, ains de plaisir deliures,
Se retiroient en maint trou noir & laid.
Mais maintenant ilz uiuentvivent de pillage,
Comme faisoient ces pastoureaux premiers
En Hetrurie, alors petit uillage:
I’J’ay oublié leurs noms sus ces fumiers.
Bien me souuientsouvient que par l’augure fut
Vaincu l’un d’eux, mourant en facon uilevile:
Ha, c’est Remus, auquel ainsi mescheut
Oultrepassant la merque de leur uilleville.
En un moment ieje sue, & si frissonne,
L’ARCADIE
Dont i’j’ay grand peur d’un autre mal latent,
De sel se doit munir toute personne,
Dieu le commande, & fortune l’entend.
Ne uoyez uousvoyez vous la Lune estre eclipsée,
Et Orion armé de son couteau?
De mal en pis la saison est glißéeglissée:
Car Arcturus se plonge dedans l’eau.
IaJa le soleil qui se cache de nous,
A ses rayons estainctz, & le uentvent gronde,
Dont ne scay quand ny comment l’Esté doulx
Retournera sus ceste masse ronde.
Les nues font tresmerueilleuxtresmerveilleux orrage:
En s’espartant Tonnoirre, Esclair & feu,
Troublent tant l’air, qu’il chet en mon courage
La fin du monde estre auant qu’il soit peu.
O doulx printemps, O fleurettes nouuellesnouvelles,
O petitz uentzventz, O tendres arbrisseaux,
Fertiles champs, herbes fraiches & belles,
O montz, o uaulxvaulx, fontaines & ruisseaux.
Palmes, Lauriers, Lyerres, Myrtes, OliuesOlives,
O des forestz uenerablesvenerables espritz,
O gente Echo, Rocz & claires eaux uiuesvives,
Nymphes portans arcs & trousses de pris,
O Pans ruraux, SyluansSylvans, Faunes, Dryades,
Naiades, plus deesses qu’a demy,
Napées (las) doulces Hamadryades,
Or
78.
DE SANNAZAR
Or estes uousvous seules, & sans amy.
En tous endroitz sont les fleurs iaja passées,
Tous animaux de chasse, Oyseaux apres,
Qui deschargeoient uozvoz cueurs de grans pensées,
Vont perissant autant loing comme pres.
Le bon uieillartvieillart Silenus parlant cas,
Ne treuuetreuve plus son asne qui le porte,
Mortz sont Daphnis, Mopsus, & Menalcas,
Et avec eulx la preudhommie est morte.
Hors les iardinsjardins Priape est sans sa faulx,
GeneureGenevre n’a ny Saule qui le coeuurecoeuvre,
Vertumne plus es ioursjours d’Autonne chaux
Ne se desguyse, & ne faict aucune oeuureoeuvre.
Pomone rompt & desbrise sans faincte
Ses beaux fruittiers qu’elle espart ca & la,
Et ne permet que main sacrée ou saincte
Coupe le boys: dont il demeure la.
Et toy Pales t’indignes de l’oultrage
Qu’on ne te rend deues oblations
Es moys d’Auril & May, comme en l’autre aage
Qui te seruoitservoit sans simulations.
S’un a meffaict, & tu ne l’as dompté,
Qu’en pouoientpovoient mais de ses uoysinsvoysins les bestes,
Qui s’esbatoient au boys en fleurs monté
Soubz le flageol, iours ouurablesjours ouvrables & festes?
Quand fut ce helas que pour nous affliger
L’ARCADIE
L’aueugleaveugle erreur se meit en la pensée
De ce felon, desdaignant s’obliger
A maintenir la coustume passée?
Pan furieux, de rage en a brisé
Sa canne chere, & maintenant s’en blasme,
Priant Amour des Dieux le plus prisé,
Qu’il soit recors de Syringa sa dame.
DoresnauantDoresnavant ne faict Diane estime
De dardz aguz, de cordes ny d’arc d’If.
Qui luy ont faict maint animal uictimevictime,
En le rendant trop pesant & tardif.
Plus, en horreur elle tient la fontaine
Ou Acteon fut Cerf par ces follies,
Et laisse errer sans conduicte certaine
A trauerstravers champs ses compagnes ioliesjolies.
Ce non obstant point ne se fie au monde:
Car elle ueoitveoit estoilles trebuscher
Du hault du ciel en bourbe trop immunde,
Mais nullement ne s’en ueultveult empescher.
Marsias fol, qui sans peau n’a repos,
A tout gasté le haubois de Pallas,
Cause qu’il monstre & sa chair & ses os
Tous denuez, & qu’il en crie helas.
MinerueMinerve au loing son horrible escu lance
Par grand cholere, estant esmeu son fiel:
Apollo plus ne loge en la balance,
Ny en
79
DE SANNAZAR.
Ny en Taurus, des bons logis du ciel,
Ains tout dolent aßisassis sus une roche
Pres Amphrisus, sa houllette en son poing,
Tient soubz ses piedz, en signe de reproche,
Son beau carquoys, & n’en a plus de soing.
O IupiterJupiter, tu le ueoisveois de ta tour,
Et qu’il n’a herpe a chanter son libelle,
Dont souspirant desire l’heure & iourjour
Que soit deffaict le monde tout en tour,
Et qu’il reprenne une forme plus belle.
Bacchus, & maint yurongneyvrongne
Chancellant sans appuy,
Veoit Mars armé, qui grongne,
Venir encontre luy
De sa sanglante espée
Rendant de toutes pars
La place inoccupée,
Et les hommes espars.
O uievie langoureuse,
Nul n’y est resistant.
Fortune malheureuse,
Et ciel trop inconstant,
Voicy que mer sauuagesauvage
Se commence a troubler,
Et sont sus le riuagerivage
Dieux marins a trembler,
L’ARCADIE
Esbahiz que Neptune
Les chasse, & du Trident
Leurs iouesjoues importune,
Durement les bridant.
Libre & Virgo sont closes
Au ciel (leur appetit)
IeJe restrains de grans choses
En ce uoylevoyle petit,
Et tel presume entendre
Ce mien obscur parler,
Qui n’y peult rien comprendre,
Veu que ieje painctz en l’air.
Quand est ce que doulx somme
Hors les boys on prendra?
Quand mort, qui tout assomme,
Droict aux meschans rendra.
Les blasphemes antiques
Ne penserent iamais
Si douloureux cantiques,
Qu’on chante desormais.
Oyseaux rapteurs, & formis de la terre
Mengent noz bledz abandonnez aux champs.
De liberté priueprive la dure guerre
Les laboureurs & les pourespovres marchans.
Si que trop mieulx en la terre Scythique
ViuentVivent les gens soubz Boote a l’ouuertouvert
Combien
80
DE SANNAZAR.
Combien que soit leur uiurevivre tout rustique,
Et leur uinvin faict de sorbes aspre & uerdverd.
I’ay souuenirJ’ay souvenir qu’en la cime d’un Hestre
VneUne Corneille (helas) le predisoit,
Parquoy mon cueur dolent, ce qu’on peult estre,
En un caillou presque se reduisoit.
La crainte en moy de rechef s’imprima,
Voiant le mal s’accroistre: & n’y a doubte
Que la Sibylle en feuilles exprima
Par ses escriptz la digreßiondigression toute.
Le Tigre & l’Ourse ont faict nopces estranges.
O Parques donc, que n’allez uousvous couper
Ma toile courte au plus pres de ses franges,
Sans le mestier fatal en occuper?
Syez pasteurs le Noyer de qui l’umbre
Par sa froideur aux grains de terre nuyct,
Il en est temps, premier que uiennevienne sombre
Le sang par aage accourant iourjour & nuyt.
N’attendez point que la terre s’attourne
De mauuaismauvais plant, ne tardez iusqu’jusqu’ adonc
A l’arracher, que le taillant se tourne
Des ferremens a l’encontre du tronc.
Coupez bien tost les racines aux Lyerres:
Car si par temps prennent force & uigueurvigueur,
Ne laisseront Sapins entre les pierres
Croistre & monter par oultrage & rigueur.
L’ARCADIE
Ainsi chantoit, faisant bois retentir
De telz accentz, que ne scay s’onc en peurent
Gens en Parnase ou Menale sentir,
Mesme en Eurote, außiaussi doulx comme ilz furent.
Et s’il n’estoit que son troupeau l’amuse
En son ingrate & rude nation,
Qui maintesfois faict a sa doulce Muse
Mort desirer par indignation,
A nous uiendroitviendroit laissant l’Idolatrie,
Et fainctes meurs au siecle dissolu,
Sans charité nayuenayve a la patrie:
Car il s’y est long temps a resolu.
C’est un miroer de uertuvertu si luysant,
Que le monde est embelly de son uiurevivre,
Plus digne il est, plus exquis & duisant,
Que mon parler ne le uousvous painct & liurelivre.
Bien heureuse est la terre (o mes amys)
Qui l’a produict & formé pour escrire,
Et Bois a qui uersvers ouyr est permis,
Ausquelz le ciel ne peult la fin prescrire.
Mais bien uouldroisvouldrois les faux Astres reprendre,
Et ne me chault si mon dire les poingt:
La nuyt du ciel feirent si tost descendre,
Qu’esperant plus de ce pasteur entendre,
Les Ardans ueyvey tournoyer en ce poinct.
Il ne
81
DE SANNAZAR.
Il ne fault demander si les longues rymes de Fro-
nimo & SeluagioSelvagio donnerent uniuerselementuniverselement plai-
sir a chascun de la bende. Quant a moy, oultre le
grand contentement que i’en receu, elles me fei-
rent par force uenirvenir les larmes aux yeux, entēdantentendant
si bien parler de la delectable situatiõ de mõsituation de mon pays:
car tant que ses rymes durerent, il me sembloit fer-
mement que i’j’estoie en la belle plaine dont cestuy la
parloit, & que ieje contemploye le plaisant Sebetho
(mon Tibre Napolitain) lequel en diuersdivers canaulx
discourrant atrauersatravers la cãpaignecampaigne herbue, puis reuny
tout ensemble, passoit doulcement soubz les arches
d’un petit pont, & sans murmure s’en alloit ioindrejoindre
a la mer. AußiAussi ne me fut petite occasion d’ardans
souspirs, l’ouyr nommer Baie & VesuuioVesuvio, me reue-
nantreve-
nant en memoire les passetēpspassetemps que ieje souloye pren-
dre en ces lieux: auec lesquelz encores me tourne-
rēt en souuenãcetourne-
rent en souvenance les baings tiedes, les superbes edi-
fices, les uiuiersviviers delectables, les belles isles, les mõ-
taignesmon-
taignes sulphurées, & la cauernecaverne percée en l’heu-
reuse coste de Pausilipus, peuplée de plaisantes bour
gades, et doulcement batue des undes marines. Da-
uantageDa-
vantage la fructueuse montaigne dominante a la
uilleville, qui peu ne m’estoit agreable pour la memoire
des jardinsiardins de la belle Antiniana, Nymphe grande-
ment celebrée par mon excellent Pontano. A ceste
L
L’ARCADIE
pensée encores s’adioustaadjousta le recors de la magnificē-
cemagnificen-
ce de mon noble pays, lequel abōdantabondant en richesses,
plein de peuple opulent et prisé, oultre le grãdgrand cir-
cuit des belles murailles, contient en soy l’admira-
ble port, refuge uniuerseluniversel de toutes les nations du
monde. Et auecavec ce les haultes tours, les riches tem-
ples, les grãsgrans pallais, honorables sieges de noz gou
uerneursgou
verneurs & magistratz, les rues pleines de belles
dames, & d’agreables gentilz hommes. Que diray
ie des ieuxje des jeux, festes, tournoys, artz, estudes, & tant
d’autres louables exercices? Veritablement non une
Cite seule, mais quelcōquequelconque prouinceprovince ou grãdgrand royau-
me que ce soit, en seroit assez conuenablementconvenablement ho-
nore. Si est ce que sur toutes choses ieje prins plaisir
a l’ouyr exaulcer pour les estudes d’eloquence, &
de la diuinedivine sublimité de Poesie, mais entre autres,
des louēgeslouenges meritoiress du vertueux Caraciol, grãdgrand
ornement des muses uulgairesvulgaires: la chanson duquel si
pour son stile couuertcouvert ne fut de nous bien entendue,
si ne demeura il pourtant qu’elle ne fust de chascun
escoutée en singuliere attention. Toutesfois ieje croy
qu’Ergasto la comprint: car ce pendant qu’elle du-
ra, ieje le uey profundemētvey profundement occupé en une longue pē-
see, tenãtpen-
sée tenant tousiourstousjours sus ce monumētmonument les yeux fichez
sans les mouuoirmouvoir ne siller des paulpieres, cõmecomme une
personne transportée. Vray est qu’il en gettoit par
fois
82
DE SANNAZAR.
fois aucunes lermes, & murmuroit taisiblement
quelque chose entre ses leureslevres. Mais la chanson fi-
nye, & de plusieurs interpretée en diuersesdiverses manie-
res, pource que la nuyt approchoit, et que les estoil-
les commēceoientcommenceoient a se mōstrermonstrer au ciel, Ergasto com-
me esueilléesveillé d’un lõg sõmeillong sommeil, se dressa sur ses piedz:
& en piteux regard se tournant deuersdevers nous, se
print a dire, Mes amys, i’j’estime que la fortune ne
nous a icy amenez sans la dispositiõdisposition des dieux, con
sideré que le iourjour qui me sera perpetuelement en-
nuyeux, & que toute ma uievie honoreray de mes lar
mes, est finablement reuolurevolu: car demain s’acheueacheve
la malheureuse annee, en laquelle (a uostrevostre com-
mun regret, & douleur uniuerselleuniverselle de toute les fo
restz circunuoysinescircumvoysines) les ossemens de uostre Maßi-
liavostre Massi-
lia furent consacrez a la terre. A l’occasion de quoy
si tost que ceste nuyt sera passée, & que le Soleil
par sa lumiere aura dechassé les tenebres, außiaussi que
les bestes sortirōtsortiront des estables pour aller en pastures
nous semblablemētsemblablement (cōuoquantconvoquant les autres pasteurs)
uiendrezviendrez en ce lieu celebrer auecavec moy les pompes
funebres et ieuxjeux solemnelz en memoire d’elle, selon
que nous auonsavons de coustume: et chascun pour sa ui-
ctoirevi-
ctoire aura de moy tel dōdon que lōlonl’on peult esperer d’un
hōmehomme de ma qualité. Cela dict, Opico uouloitvouloit demou
rer auecavec luy: mais pource qu’il estoit uieilvieil et caduc,
L ij
L’ARCADIE
ne luy fut aucunement permis, ains luy furent bail-
lez quelques ieunesjeunes hommes pour le reconduire en
sa maison: & la plus grand partie de nous de-
moura toute celle nuyt a ueiller auecveiller avec Ergasto. pour
laquelle chose faire, estãtestant l’obscurité par tout espã-
dueespan-
due, nous allumasmes enuirōenviron la sepulture plusieurs
flambeaux, mesmement sus la poincte d’icelle un
plus grãdgrand qu’aucun des autres, lequel a mon iuge-
mentjuge-
ment se monstroit de loing aux regardans comme
une claire Lune entre plusieurs estoilles. Ainsi en
doulx & lamentables sons de musettes sans point
dormir se passa toute celle nuyt: en laquelle les oy-
seaux quasi desireux de nous uaincrevaincre, s’efforceoiētefforceoient
de chanter sus tous les arbres de ce pourpris, &
les bestes sauuagessauvages (delaissée leur crainte acoustu-
mée) comme si elles eussent este priuéesprivées, gisoient au
tour de la sepulture, de sorte qu’il sembloit qu’elles
prinssent merueilleuxmerveilleux plaisir a nous escouter. En
ces entrefaictes l’aulbe uermeillevermeille s’esleuanteslevant sus la
terre, aduertissoitadvertissoit les hommes de la proximité du
Soleil, quand par le son de la cornemuse nous enten
deismes de loing uenirvenir la compagnie: & quelque
espace de temps apres (uenantvenant le ciel a s’esclaircir
peu a peu) commenceasmes a la descouurirdescouvrir en la
plaine, ou tous les compagnons uenoiētvenoient en belle or-
donnance, uestuzvestuz & parez de feuillars, chascun
une
83
DE SANNAZAR.
une longue branche en sa main, tellement qu’a les
ueoirveoir de loing, ne sembloit que ce feussent hommes,
ains une uerdeverde forest se mouuant uersmouvant vers nous auecavec
tous ses arbres. finablement quand ilz furent mon-
tez sus la montaigne ou nous estions, Ergasto met-
tant sus sa teste une couronne d’oliuierolivier, auantavant toute
oeuureoeuvre adora le Soleil leuantlevant: puis tourné deuersdevers la
belle sepulture, en piteuse uoixvoix se print a dire, chas-
cun faisant silence: O cēdrescendres maternelles, & uousvous
uenerablesvenerables & chastes ossemens: Si contraire for-
tune m’a osté la puissance de uous esleuervous eslever en ce lieu
une sepulture egale a ces montaignes, & l’enuiron-
nerenviron-
ner toute de forestz umbrageuses auecavec cent autelz
alentour, sus lesquelz tous les matins cent uicti-
mesvicti-
mes uousvous feussent offertes: si ne me pourra elle gar
der que d’une pure uoluntévolunté & amour inuiolableinviolable
ieje ne uousvous presente ces petiz sacrifices, & que ieje
ne uousvous honore de faict & de pensée tant que se
pourrōtpourront mes forces estendre. En ce disant, il feit ses
offrandes, baisant religieusement la sepulture. Au
tour de laquelle les pasteurs außiaussi poserent leurs
branches, et tous appellans a haulte uoixvoix l’ame di-
uinedi-
vine, semblablement feirent deuotesdevotes oblations, l’un
d’un aigneau, l’autre de miel: l’un de laict, & l’au-
tre de uinvin. mesmes plusieurs offrirent Encens auecavec
myrre & autres herbes odoriferentes. Cela faict,
L iij
L’ARCADIE
Ergasto proposa les pris a ceulx qui uouldroientvouldroient
courir: & faisant amener un grand mouton, qui
auoitavoit la laine merueilleusementmerveilleusement blanche, & si lonl’on-
gue qu’elle luy battoit quasi iusquesjusques sus les piedz,
deit: Voycy pour celuy a qui l’agilité & fortune
ottroyeront le premier honneur de la course. Au se-
cond est appareillée une bouteille neuue cōuenableneuve convenable
au salle Bacchus. Le troisiesme sera content de ce
baston de GeneureGenevre, garny d’un si beau fer qu’il
pourra seruirservir de dard & de houlette. A ces paro-
les se meirent en auantavant Ophelia & Carino ieu-
nesjeu-
nes hommes, promptz & legers, accoustumez
d’attaindre les Cerfz a la course: & apres eulx
Logisto, Gallicio, et le filz d’Opico nommé Par-
thenopeo, auecavec Elpino, Serrano, & autres leurs
compagnons plus ieunesjeunes, & de moindre estime.
Lors chascun s’estant mis en ordre, le signe de des-
loger ne fut si tost donné, que tous en un temps se
prindrent a estendre leurs pas du long de la uerdeverde
cãpagnecampagne, auecavec telle impetuosité, que ueritablementveritablement
uousvous eussiez dict que c’estoiētestoient sayettes ou carreaux
de fouldre: & tenãs tousiourstenans tousjours les yeux fichez ou
ilz entēdoiēt arriuerentendoient arriver, chascun s’efforceoit de passer
ses cōpagnōscompagnons. Mais Carino par merueilleusemerveilleuse agilité
estoit ia deuãtja devant tous les autres: apres lequel, toutes
fois d’assez loing, suyuoitsuyvoit Logisto, & puis Ophelia,
du dos
84
DE SANNAZAR.
du dos duquel Gallicio estoit si prochain, que quasi
de sōson alleine luy eschauffoit le collet, et mettoit ses
piedz sus les mesmes marches qu’il faisoit, telle-
mēttelle-
ment que s’ilz eussent eu plus gueres loing a courir,
il l’eust sans point de doubte laissé derriere. Et iaja Ca
rino uainqueur auoitvainqueur avoit peu de chemin a faire pour
toucher a la butte designee, quand (ieje ne scay com-
ment) un pied luy faillit par un estoc, pierre, ou
autre heurt, qui en fut cause: dont sans se pouoirpovoir
retenir, il cheut tout estendu, & donna du uisagevisage
& de la poitryne en terre. Mais, ou par enuieenvie, ne
uoulantvoulant que Logisto gaignast le pris, ou de urayvray se
uoulant leuervoulant lever (ieje ne scay par quelle maniere) en se
dressant, il luy meit une iambe deuantjambe devant: & pour la
grande roydeur dont cestuy la couroit, le feit sem-
blablement cheoir aupres de luy. Logisto tumbé,
Ophelia se print de plus grand cueur a efforcer ses
pas emmy la campagne, se uoyantvoyant estre le premier.
Et lors les criz & grandes huées des pasteurs
le stimuloyent a la uictoirevictoire, si bien que finable-
ment arriuantarrivant au lieu destiné, il obtint (selon son
desir) la premiere palme: & Gallicio qui le suy-
uoitsuy-
voit de plus pres que nul des autres, eut le second
pris: puis Parthenopeo le tiers. AdōcAdonc Logisto en criz
& rumeurs haultains se print a lamenter de la
fraude dōtdont Carino auoitavoit usé en son endroit, qui met-
L iiij
L’ARCADIE
tant le pied entre ses iãbesjambes, luy auoitavoit faict perdre le
premier hōneurhonneur, lequel il requeroit a grãndegrande instãceinstance.
Mais au contraire Ophelia le maintenoit sien, saisis-
sant a deux mains par les cornes le moutōmouton gaigné:
sus quoy les uoluntezvoluntez des pasteurs inclinoient en
diuersesdiverses parties, quand Parthenopeo filz d’Opico
soubzriant se print a dire: Si uousvous donnez a Logi-
sto le premier pris, lequel auray ieje, moy qui suis
maintenant troysiesme? Auquel Ergasto en ioyeuxjoyeux
uisagevisage respondit, Les pris que uous auez iavous avez ja euz, se-
ront uostresvostres: toutesfoys il m’est loysible auoiravoir com-
paßioncom-
passion d’un amy. & cela disant, feit don a Logisto
d’une belle brebis auecavec deux aigneaux. Quoy uoiãtvoiant
Carino, se tournãt deuerstournant devers Ergasto, deit en ceste ma-
niere, Si tu as tãttant de pitié de tes amys tumbez, qui
merite plus que moy d’auoiravoir quelque gratuité? SãsSans
point de doubte i’j’eusse esté le premier, si l’accident
qui feit dommage a Logisto, ne m’eust außiaussi esté cō-
trairecon-
traire. Et disant ces paroles, monstroit sa poytrine,
son uisaigevisaige, et sa bouche, tous pleins de pouldre, de
sorte qu’il en feit rire tous les pasteurs. Ce pendant
Ergasto feit uenirvenir un beau chien blãcblanc, & en le te-
nant par les oreilles, deit, Pren ce chien nōménommé Aste-
rion, qui est de la rasse de mon uieilvieil Petulco, lequel
estant sus tous autres chiens amoureux & loyal,
merita que sa mort aduancéeadvancée fust plaincte & re-
grettée
85
DE SANNAZAR.
grettée de moy: & toutes les foys que i’j’en parle,
suis cōtrainctcontrainct souspirer profondement. Le tumulte
& deuisesdevises des pasteurs appaisez, Ergasto meit en
euidenceevidence une barre de fer, grosse, longue, & fort
pesante, & deit: Celuy qui mieux & le plus loing
tirera ceste barre, n’aura de deux ans besoing d’al-
ler a la uilleville pour acheter besches, paelles, ny cou-
tres, car elle luy sera labeur & loyer. A ces paro-
les se leuerentleverent Montano, Elenco, Eugenio, & Vrsa-
chioUrsa-
chio: lesquelz passez deuantdevant la presse, & s’estant
mis en ordre, ElēcoElenco se print a soubzpeser ceste bar-
re: & apres qu’en soymesme en eut biēbien examiné la
pesanteur, de toute sa force se meit a la tirer: tou-
tesfois il ne la sceut gueres esloigner de soy. Le coup
fut soudainement merqué par VrsachioUrsachio, leq̄llequel esti-
mant (peut estre) que la seule force deust suffire en
cest endroit, nonobstant qu’il y employast toute sa
puissance, tira de sorte qu’il en feit rire tous les pa-
steurs, a cause qu’il getta presque a ses piedz. Le
tiers tireur fut Eugenio, lequel passa de trop les deux
precedentz. Mais Montano a qui touchoit le coup
dernier, estant un peu entré en place, se baissa uersvers
la terre: & auantavant qu’il prinst ceste barre, deux ou
trois fois frotta sa main en la pouldre, puis adiou-
stantadjou-
stant quelque dexterité a la force, aduanceaadvancea tous
les autres d’autant deux fois qu’elle estoit longue.
L’ARCADIE
Adonc tous les pasteurs luy congratulerent, & en
grande admiration louerētlouerent le beau coup qu’il auoitavoit
faict. Quoy uoyantvoyant Montano, print ceste barre com-
me sienne, & s’en retourna seoir en sa place.
Ce ieujeu finy, Ergasto feit cōmencercomencer le troysiesme,
qui fut tel. Il feit en terre auecavec une de noz houlettes
une fosse si petite, qu’un pasteur y pouoitpovoit demourer
seulement sus un pied, & tenir l’autre en l’air, cō-
mecom-
me souuentesfoissouventesfois nous uoyonsvoyons faire aux Grues. Con
tre celuy qui seroit la, deuoientdevoient tous les compagnōscompagnons
uenirvenir a clochepied l’un apres l’autre, chascun fai-
sant effort de l’engecter. Mais (autãtautant d’une part que
d’autre) qui ne uouloitvouloit perdre, ne falloit pour quel-
que chose qui aduinstadvinst, toucher terre du pied leuélevé.
En ce ieujeu se ueirētveirent plusieurs beaux traictz, et pour
rire, estant mis dehors maintenant l’un, maintenant
l’autre. Finablement quand le tour de VrsachioUrsachio fut
uenuvenu, & qu’il deut garder ceste fosse, uoyantvoyant de
loing uenirvenir un pasteur contre luy, qui se sentoit en-
cores escorné de la risée de cōpagnonscompagnons, & cher-
choit d’amender la faulte qu’il auoitavoit faicte en ti-
rant la barre, il eut son recours aux finesses, &
baissant tout d’un coup la teste, en merueilleu-
semerveilleu-
se promptitude la meit entre les iambesjambes de celuy
qui s’estoit approché pour le heurter, & sans luy
laisser prendre alleyne, le getta les iambesjambes en
l’air
86
DE SANNAZAR.
l’air pardessus ses espaules, & l’estendit sus la
pouldre tout außiaussi long cōmecomme il estoit. L’esbahisse-
ment, la risée, & les criz des pasteurs furent
grans. parquoy VrsachioUrsachio prenant courage, se meit
a dire, Chascun ne peult scauoirscavoir toutes choses. Si
i’j’ay failly en un endroit, il me suffit d’auoiravoir recou-
urérecou-
vré mon honneur en l’autre. Lors Ergasto ryant
afferma qu’il disoit bien. & tirant de son coste une
faucille tresmignōnetresmignonne a un beau mãchemanche de buys, &
qui iamaisjamais n’auoitavoit esté employée en aucun ouurageouvrage,
luy en feit un present. Puis soudainement constitua
les pris a ceux qui uouldroyentvouldroyent lutter, offrant au
uainqueurvainqueur un beau uasevase d’Erable enrichy de plu-
sieurs painctures, faictes de la main d’André Man-
tegna Padouan, sur tous ouuriersouvriers ingenieux et ex-
cellent. Entre autres y auoitavoit une Nymphe nue bien
formée de tous membres, reseruéreservé les piedz, qui
estoient cōmecomme ceux des cheureschevres. Ceste Nymphe as-
size sus un oyre enflé, dōnoitdonnoit la tette a un petit Sa-
tyreau, qu’elle regardoit de si bōnebonne grace, qu’il sem
bloit qu’elle se consumast toute d’amour & d’affe-
ction. L’enfant tettoit l’une des mamelles, & te-
noit sa petite main estendue sus l’autre, la regardãtregardant
du coing de l’oeuil, comme s’il eust eu crainte qu’on
la luy uousistvousist desrober. Tout aupres d’eux se po-
uoient ueoirpo-
voient veoir deux enfans pareillement nudz, les-
L’ARCADIE
quelz s’estans acoustrez de deux masques horri-
bles, passoient leurs petites mains par les bouches
d’icelles, afin d’espouenterespoventer deux autres qui estoient
la figurez, l’un desquelz fuyant se retournoit en
derriere, & crioyt de peur, le plus fort qu’il estoit
poßiblepossible. l’autre qui estoit tumbé par terre, pleuroit
a bon escient: & ne se pouantpovant autrement secourir,
estēdoitestendoit la main pour les esgratigner. Par le dehors
de ce uasevase couroit tout autour une uignevigne chargée
de raisins meurs, a l’un des boutz de laquelle un
serpent se tortilloit de sa queue, & auecavec la bou-
che ouuerte uenantouverte venant a trouuertrouver le bort d’icelluy, for-
moit une anse merueilleusementmerveilleusement belle & estrange
pour le tenir. La singularité de ce pris incita gran-
dement les courages des circōstanscirconstans a deuoirdevoir lutter:
toutesfois ilz attendirent pour ueoirveoir que feroient
les plus grans & plus estimez. Lors uoyantvoyant Vra-
nioUra-
nio que nul ne bougeoit encores, se leualeva soudaine-
ment en piedz, & despouillant son manteau, com-
mencea de monstrer ses larges espaules. A l’encon-
tre de luy se presenta courageusement SeluagioSelvagio pa-
steur bien congneu & fort estimé par les forestz.
L’attente des aßistensassistens fut grande uoyantvoyant deux telz
compaignons entrer en champ l’un contre l’autre.
Finablement quand ilz se furent entreapprochez,
& longuement regardez depuis les piedz iusquesjusques
a la
87.
DE SANNAZAR
a la teste, d’une impetuosité furieuse se uontvont estrain-
dre a force de bras: & chascun deliberant ne ceder
a sa partie, sembloient deux Ours enragez, ou deux
puissans Toreaux qui se combatissent en ce pré: &
iaja leur couroit la sueur par tous les membres: mes-
mes les ueynesveynes des bras & des iambesjambes s’en mon-
stroient beaucoup plus grosses & plus rouges, a
cause de l’emotion du sang: tant chascun d’eux se
trauailloittravailloit pour la uictoirevictoire. mais ne se pouãspouvans ny ab-
batre, ny ebranler, & doutant VranioUranio que la lõguelongue
demeure ennuyast aux regardans, se print a dire a
son compaignon: SeluagioSelvagio puissant & courageux,
le tarder (cōmecomme tu peux ueoirveoir) ennuye a l’aßistenceassistence:
parquoy soubzleuesoubzleve moy de terre, ou ieje te soubz-
leueraysoubz-
leveray, & du reste laissons en cōuenirconvenir aux dieux.
En ce disant il le soubzleuasoubzleva: mais SeluagioSelvagio n’ayant
oublié ses finesses, luy donna un grand coup du ta-
lonl’on derriere la ioincturejoincture du genouil, de sorte que
luy faisant par force ployer le iarretjarret, le feit cheoir a
la renuerserenverse, & tumba sus luy, sans y pouoirpouvoir reme-
dier. Adonc tous les pasteurs esmerueillezesmerveillez cōmen-
cerētcommen-
cerent a faire grãdesgrandes huées. puis estãtestant le tour de Sel-
uagioSel-
vagio uenuvenu qu’il deuoit soubzleuerdevoit soubzlever son cōpaignoncompaignon,
il le print a deux bras par le faux du corps, mais
pour sa grande pesanteur, & pour le trauailtravail qu’il
auoitavoit enduré, ne le pouantpovant soustenir, nonobstãtnonobstant qu’il
L’ARCADIE
y meist toute sa puissance, fut force que tous deux
tumbassent l’un aupres de l’autre. A la fin s’estãtestant re-
leuezre-
levez, ilz se preparoient de mauuaismauvais courage a la
tierce lutte: mais Ergasto ne uoulutvoulut que ceste fureur
procedast plus auantavant, ains les appellant amyable-
mētamyable-
ment, leur deit: Voz forces ne sont a cōsumerconsumer en cest
endroit pour un si petit guerdōguerdon. La uictoirevictoire est egal-
le entre uousvous deux, außi en receurez uousaussi en recevrez vous pareil-
les recōpensesrecompenses. & en disant cela, il deliuradelivra a l’un
le beau uasevase, & a l’autre une harpe neuue ouureeneuve ouvree
de toutes pars, rendant bien doulce armonye, qu’il
tenoit fort precieuse, pour allegeance & con-
fort de ses douleurs. Les compagnons d’Ergasto
auoyentavoyent la nuyt precedente pris de fortune un loup
en leurs estables, & pour passetemps le tenoiēttenoient uifvif
attaché a l’un des arbres de ce lieu. De ce loup Er-
gastoEr-
gasto pēsapensa qu’il feroit son dernier ieujeu en ceste iour-
néejour-
née. Adonc s’adressant a Clonico (qui pour chose
ayant esté faicte ne s’estoit encores leuélevé de son sie-
ge) luy deit, Et toy, laisseras tu au iourd’huyjourd’huy ta Mas-
silia impourueueimpourveue d’honneur? ne feras tu en memoi-
re d’elle quelque preuuepreuve de ton corps? O ieunejeune hō-
me ualeureuxhom-
me valeureux, pren ta fonde, & faiz cōgnoistrecongnoistre a
l’assistēceassistence que tu me portes außiaussi bon uouloirvouloir que
piece des autres. Cela disant, a luy & a la cōpagniecompagnie
monstra ce loup ainsi lyé, & deit: Qui ueult auoirveult avoir
un iargautjargaut
88
DE SANNAZAR.
un iargautjargaut ou collet de peau de loup pour se garder
des pluyes de l’yueryver, il le peult maintenant gaigner
a coupz de fonde tirant cōtrecontre celle butte. Lors Clo
nico, Parthenopeo, MōtanoMontano(qui nagueres auoitavoit gai-
gné le pris de la barre) & Fronimo le prudent, cō-
mencerentcom-
mencerent a desceindre leurs fondes, & en singler
de toutes leurs puissances. puis getté le sort entre
eux, le premier coup aduintadvint a Montano, le second a
Fronimo, le tiers a Clonico, & le quart a Parthe-
nopeo. Montano doncques bien ayse de sa preemi-
nence, meit un caillou uifvif en la retz de sa fonde,
& de toute sa force le tournoyant autour de sa te-
ste, le laisse aller uersvers ce loup. Le caillou furieuse-
ment bruyant arriuaarriva droict ou il estoit enuoyéenvoyé. &
peult estre que MōtanoMontano outre la barre cōquiseconquise eust
emporté la secōdeseconde uictoirevictoire, mais ce loup estonné du
bruyt, se tirant en arriere, desplacea du lieu ou il
estoit, & laissa passer la pierre. Apres tira Froni-
mo: lequel cōbiencombien qu’il adressast son coup iustemētjustement
a la teste, si n’eut il l’aduentureadventure de la toucher, mais
en passant tout aupres attaignit l’arbre, dont il em-
porta une piece de l’escorce. Le loup fort estonné,
se print a demener et faire merueilleuxmerveilleux bruyt: dōtdont
a Clonico sembla qu’il deuoitdevoit attēdreattendre sa rasseurãcerasseurance.
et puis si tost cōmecomme il le ueitveit paysible, lascha la pier-
re: laquelle allãtallant droict uersvers ce loup, frappa la corde
L’ARCADIE
qui le tenoit lyé a l’arbre, & fut occasion qu’il la
rompit pour le grãdgrand effort dōtdont il usa se uoulãtvoulant de-
liurerde-
livrer. Tous les pasteurs estimãsestimans qu’il l’eust frappé,
se prindrent a escrier. Mais la faulse beste se sentãtsenant
detachée, soudainement se meit en fuytte. pour la-
quelle cause Parthenopeo qui iaja tenoit la fonde em-
poinct, le uoyant trauerservoyant traverser pour se sauuersauver en un
boys sus main gauche, inuoquantinvoquant en son ayde les
dieux des pasteurs, laissa uigoureusementvigoreusement aller la
pierre: & luy fut fortune si prospere, que le loup
(qui de toute sa force entēdoitentendoit a courir) fut attainct
en la temple soubz l’oreille senestre, tellement que
sans tirer ne pied ne pate, tumba promptemētpromptement mort
en terre. dont les compaignons esbahyz de la mer-
ueillemer-
veille, tous a une uoixvoix cryerent Parthenopeo uain-
queurvain-
queur. puis se tournans uersvers Opico (qui iaja pleu-
roit de la nouuelle ioyenouvelle joye) luy congratuloient faisant
une plaisante feste. mesmes Ergasto biēbien allegre s’en
alla deuersdevers ce Parthenopeo, qu’il embrassa, le cou-
ronnant d’un beau chappellet de feuilles de Baches:
puis luy donna un cheureulchevreul nourry entre les trou-
peaux, acoustumé de iouerjouer auecavec les chiens, & de
heurter contre les moutons, gracieux a merueillesmerveilles
& agreable a tous les pasteurs. Clonico qui auoitavoit
rompu le lyen du loup, eut le second pris, qui fut
une belle caige neufueneufve faicte en facon d’une tour, et
dedans
89
DE SANNAZAR.
dedans une Pye cacquetoire, apprise d’appeller &
saluer les pasteurs par leurs noms, de si bonne gra-
ce, que qui ne l’eust ueueveue, mais seulemētseulement ouy parler,
eust fermement pensé entendre la parole d’un hom
me. Le troysiesme pris fut a Fronimo, lequel de sa
pierre auoitavoit touché l’arbre aupres de la teste du
loup. Et fut une belle pãnetierepannetiere de fine laine, biga-
rée de diuersesdiverses couleurs. Apres eux touchoit a Mon
tano d’auoiravoir son pris, qui estoit le dernier. lors Erga-
sto ioyeusementjoyeusement & demy soubzryant luy deit: Ta
fortune Montano eust ce iourd’huyjourd’huy esté trop grãdegrande
si pareil heur te fust aduenuadvenu en la fonde comme en
la barre. & en ce disant osta de son col une belle
musette de canne faicte seulemētseulement a deux uoixvoix, mais
de singuliere armonie, et luy en feit un present: dōtdont
ledict Montano la receuantrecevant en grand plaisir, le re-
mercia de bien bon cueur. Ces pris ainsi distribuez,
entre les mains d’Ergasto demouroit un beau bastōbaston
de Poyrier sauuagesauvage, tout orné d’entailleures pleines
de cire de diuersesdiverses couleurs, & garny par le bout
d’enhault d’une corne de Buffle, tant noire & si
luysante, que ueritablement uousveritablement vous eußiezeussiez dict que
c’estoit uerreverre. De ce bastōbaston feit Ergasto present a Opi
co, disant: Vous außiaussi pere aurez souuenãcesouvenance de Mas-
silia, & pour l’amour d’elle receurezrecevrez ce petit pre-
sent, pour lequel ne uousvous sera besoing lutter, courir,
M
L’ARCADIE
ou faire autre preuue de uostrepreuve de vostre corps: car assez en
a ce iourd’huyjourd’huy faict uostrevostre Parthenopeo, lequel fut
des premiers de la course, & sans contradiction le
premier de la fonde. AdōcAdonc Opico luy rendãtrendant graces
cōdignescondignes, respondit en ceste maniere: Mon filz, les
priuileges de uieillesseprivileges de vieillesse sōtsont si grãsgrans, que ueuillōsveuillons nous
ou nōnon, il luy fault obeyr. O que tu m’eusses au iour-
d’huyjour-
d’huy bien ueuveu triūphertriumpher, si i’j’eusse esté de l’aage &
de la force que i’j’estoye quand les pris furent mis au
sepulchre du grãdgrand pasteur Panormitan, cōmecomme tu as
faict a present? IeJe t’asseure qu’il n’y eut ny paysant
ny estranger qui se peust comparer a moy: car a la
lutte ieje surmontay Chrisaldo filz de Tyrrheno, &
a saulter aduanceayadvanceay de beaucoup le renōmérenommé SiluioSilvio.
Pareillement a la course ieje laissay derriere Idalogo
& Ameto freres, lesquelz en prōptitudepromptitude et uistessevistesse
de iambesjambes passoient tous les autres pasteurs. Mais
a tirer de l’arc, ieje fuz seulement uaincuvaincu par un pa-
steur nōménommé Thyrsi, a cause qu’il auoitavoit un puissant
arc garny par les boutz de corne de cheurechevre, dōtdont il
pouoitpouvoit tirer en plus grande asseurãceasseurance que ieje ne fai-
soye du mien qui n’estoit q̄que d’If simplemētsimplement, et auoyeavoye
peur de le rōprerompre. Voyla cōmentcomment il me gaigna. mais
alors (mon filz) estoys ieje bien congneu entre les
ieunesjeunes hōmeshommes: & maintenant le temps use sus moy
de ses raisons. parquoy enfans a qui l’aage le per-
met,
90
DE SANNAZAR.
met, exercitez uousvous desormais aux espreuuesespreuves de
ieunessejeunesse: car quãdquand a moy, les ans & la nature m’as-
subgectissent a autres loix. Mais afin que ceste feste
soit de toutes pars accomplie, toy mon filz pren
ta musette, & faiz que celle qui eut plaisir de t’a-
uoira-
voir produict au monde, se resiouysseresjouysse presente-
ment de ton chanter, & du ciel ou elle est, en ioy-
eux uisagejoy-
eux visage regarde & entende son sacrificateur
celebrer sa memoire par les forestz. Ce que Opico
disoit, sembla tant raisonnable a Ergasto, que sans
luy faire autre response, il print de la main de Mō-
tanoMon-
tano la musette que peu auparauantauparavant luy auoitavoit don-
née, et l’ayātayant sonnée bōnebonne espace de tēpstemps en piteuse
maniere, uoyantvoyant que chascun l’attendoitattendoit en grãdgrand si-
lēce, nō sans aucũssi-
lence, non sans aucuns souspirs getta hors ces paroles:
ERGASTO
SEVL.
Puis qu’en ces boys il n’y a plus d’attente
Qu’en chant ioyeuxjoyeux & stile doulx on chante,
Recommencez O Muses uostrevostre deuil.
Toy mont sacré tenebreux a mon oeuil,
Creux de rochers obscurs & pleins d’esmoy,
Venez heurlant gemir auecquesavecques moy.
Hestres plaignez & uousvous Chesnes sauuagessauvage:
Mais en plaignant narrez en uozvoz langages
A ces cailloux nostre amere infortune.
M ij
L’ARCADIE
Fleuues priuezFleuves privez de doulceur opportune,
Larmoyez en ruysseletz & fontaines,
Tarissez uousvous, mettant fin a uozvoz peines.
Et toy qui uizviz aux forestz inuisibleinvisible
Echo, respons en uoix indiuisiblevoix indivisible,
A mes clameurs, puis aux arbres escry
Tout le discours de ce douloureux cry.
Gemissez en O profondes ualléesvallées,
Qui demeurez seules & desolées.
Desormais soit ta robe (o terre) paincte
De lyz obscurs, & uioletteviolette en noir taincte:
Car mort soudaine en fureur nous a pris
Celle qui doit auoir autantavoir avant de pris
Qu’Egeria ou Manto la Thebaine:
Dont a present que ieje suis en ma ueineveine
De lamenter, & que tel est mon ueuilveuil,
Recommencez O Muses uostrevostre deuil.
Riuage uerdRivage verd s’onques sans fiction
Tu escoutas humaine affection,
IeJe te supply accompagne a cest’heure
Ma triste muse au subgect qu’elle pleure.
Semblablement O herbes & fleurettes
Qui sus estangz & sus riuieresrivieres estes
Par aspre sort, uousvous qui auezavez esté
Princes & Roys de haulte maiestémajesté,
Venez prier auecavec moy dure mort
Qu’elle
91
DE SANNAZAR
Qu’elle ait pitié de mon crier si fort,
Et qu’elle fine a un coup mon tourment,
S’il se peult faire, & non point autrement.
Hyacintho redouble ta querele
En regrettant la despouille tant belle:
Et puis escry sur tes feuilles iolyesjolyes
Noz deux douleurs, noz deux melancholies.
Semblablement O riuagerivage fertile,
Et toy campagne aux laboureurs utile
A Narcissus son deuil ramenteuez,
S’oncques receu mes prieres auezavez.
Herbe ny fleur aux champz plus ne uerdoyeverdoye,
PasseuelouxPasseveloux ou Rose lonl’on n’y uoyevoye
Qui ait en soy uiuevive & gaye couleur,
Ains toute blesme en signe de douleur.
Las qui pourroit plus d’esperance auoiravoir
D’oeuureoeuvre louable entre les hommes ueoirveoir,
Puis que iusticejustice & foy sont au cerceuil?
Recommencez O Muses uostrevostre deuil.
Petis oyseaux amoureux ieje uousvous prie
Ce temps pendant que ieje souspire & crie,
Saillez dehors de uozvoz nidz tant aymez:
Et mesme toy de qui sont estimez
Les doulx accens O Philomele tendre,
Qui tous les ans te faiz au boys entendre:
AußiAussi Progne, si en changeant de forme
M iij
L’ARCADIE
Tu ne perdeis le sens qui nous informe,
Et s’il est urayvray qu’encor en lamentant
De ton erreur te uoysesvoyses repentant,
Laissez uozvoz criz, ne parlez ny pensez
Aucunement a uozvoz malheurs passez
IusquesJusques a ce qu’enroué deuiendraydeviendray
De me complaindre, ou que ieje m’en tiendray.
L’espine (helas) se seiche apres l’Esté:
Mais quand ell’a quelque temps arresté
A recouurerrecouvrer seueseve pour sa croyssance,
Au mesme lieu retourne en son essence:
Et au rebours quand le Ciel nous deffaict,
Vent ny Soleil ou pluye rien ne faict
Pour ramener la terrienne escorce
En son printemps, & naturelle force:
Car ce Soleil qui soir & matin fuyt,
Emble noz ioursjours, & noz uiesvies poursuit:
Mais quand a luy, tousiourstousjours est coustumier
De se reduire en son estat premier.
O qu’Orpheus le gentil amoureux
AuantAvant son heure extreme fut heureux
De seurement en ces lieux deuallerdevaller,
Ou chascun a tant de crainte d’aller,
Pour en tirer celle la qu’il auoitavoit
Tant regrettée, & que morte scauoitscavoit?
Il adoulcit Radamanthe, Megere,
Et le
92
DE SANNAZAR.
Et le tyrant du regne ou lonl’on s’ingere
A tous espritz faire un cruel accueil.
Recommencez O Muses uostrevostre deuil.
Donc, que ne puis ieje (helas) qui m’en destourbe
Si piteux son faire sus ce boys courbe,
Que le ioyaujoyau tant cher que i’j’ay perdu,
Me soit par grace en presence rendu?
Las si mes uers außivers aussi bien faictz ne sont
Que ceux d’Orphée, & telz accentz ne font,
Si me semble il que pitié les deust faire
Trouuer deuotzTrouver devotz en la celeste Sphere.
Mais s’elle auoitavoit comme une chose uainevaine
En tel horreur la poure uiepovre vie humaine,
Que reuenirrevenir ne daignast, ieje uouldroysvouldroys
TrouuerTrouver le pas bouché quand reuiendroisreviendrois.
O fol desir, O mon estat peu ferme
Quand ieje congnois que par herbes ny charme,
ConiurementConjurement, ou quelque autre secret,
Muable n’est des haultz dieux le decret.
Bien me pourroit un songe resiouyrresjouyr
En me faisant ses paroles ouyr
Par fantasie, ou ueoirveoir sa face a l’oeuil.
Recommencez O Muses uostrevostre deuil.
Mais restaurer ne peult ou rendre celle
Qui m’a laissé sans sa lumiere belle
TontTout esblouy, ne le ciel dessaisir
M iiij
L’ARCADIE
D’astre si noble, & de si grand plaisir.
Doncques O noble & bien fortuné fleuuefleuve
ConuocqueConvocque & faiz que promptement se treuuetreuve
En ta sacrée & nette profondeur
Chascune Nymphe yssant de ta grandeur:
Puis renouuellerenouvelle en hymnes & cantiques,
Tes sainctes loix, tes coustumes antiques.
IadizJadiz par tout ta trompe souuerainesouveraine
Feit renommer la premiere Seraine:
Et cela fut le premier accident,
Mais c’est cyicy le second incident.
Faiz, s’il te plaist, que ceste cy recoeuurerecouvre
Autre trompette, & qui tellement oeuureoeuvre,
Que le beau nom qui de par soy resonne,
TousioursTousjours s’entende, & de toute personne.
D’außiaussi bon cueur de cela te supplye,
Qu’aux dieux ieje faiz que par torrent de pluye
Ton iolyjoly cours ne regorge oultre bort.
Vueillez außiaussi prester quelque support
Au stile gros, si que pitié le rende
Plus receuablerecevable, & de grace plus grande.
IeJe ne pretens qu’on escriueescrive en des liureslivres
Ces simples uersvers, mais que francz & deliuresdelivres
Emmy es boys uiuentvivent, non autre part,
Rempliz d’amour, & priuezprivez de tout art,
A celle fin que tous les pastoureaux
Qui cy
93
DE SANNAZAR.
Qui cy uiendrontviendront sans moutons ou Toreaux,
Lisent a plein es tiges de ces Fages,
Les belles meurs, & les actes bien sages,
Puis que croyssans peu a peu d’heure en heure,
Entre ces montz la memoire en demeure
Tant que la terre herbettes produira,
Et que le Ciel estoilles conduyra.
Lors oysillons, arbrisseaux, & fontaines,
Hommes & dieux de puissances haultaines,
Exaulceront ce nom sainct & louable
En stile orné bien grauegrave & delectable.
Mais pour autant qu’il me conuientconvient haulser
Aucunement uersvers la fin, & laisser
Le pastoral, promptes & sans orgueil
Recommencez O Muses uostrevostre dueil.
Plus ne me plaist le son obscur & bas:
Au clair & beau ueuilveuil prendre mes esbas
Expressement a ce que l’ame pure
Du Ciel l’entende, & y mette sa cure.
IusquesJusques a moy ses rayons elle enuoyeenvoye:
Benignement de secours me pouruoyepourvoye,
Et ce pendant que parleray, souuentsouvent
Pour m’escouter descende comme uentvent.
Mais si son estre est tel que l’exprimer
Ma uoixvoix ne puisse, elle sans m’opprimer
A soy m’excuse, & monstre le chemin
L’ARCADIE
De l’honorer en noble parchemin.
Vn temps uiendraUn temps viendra qu’en pris seront tenues
Muses par tout, & les brouillars ou nues
Anichilez des yeux des bonnes gens
Qui se rendront a bien ueoirveoir diligens.
Lors conuiendraconviendra que chascun se descombre
De pensement terrestre obscur & sombre,
Le cueur ayant de ferme espoir muny
Pour estre aux dieux perfaictement uny.
En ce temps la i’j’estime que mes uersvers
Seront jugez mal poliz, & diuersdivers:
Mais ieje m’attens qu’en ces forestz estranges
De pastoureaux auront quelques louenges.
IeJe pense außiaussi que plusieurs bons espritz
Qui ne sont or en uoguevogue, ny en pris,
Verront leurs noms au milieu de ces prez
En belles fleurs descritz & dyaprez.
FleuuesFleuves de port, & fontaines duisantes,
VndesUndes menans comme Crystal luisantes
Parmy les uaulxvaulx murmurant s’en yront
Ce que ieje chante, & a tous le diront.
Puis ces Lauriers que ieje plante & dedie,
Leur respondront en doulce melodie,
Sifflant au uentvent, mesmes le Cheurefeuil,
Or mettez fin Muses a uostrevostre deuil.
Bien heureux sont pasteurs qui par bons zeles
A degré
94
DE SANNAZAR.
A degré tel ont adressé leurs aelles:
Car los futur les recompensera.
Mais nul ne peult dire quand ce sera.
Toy doncques ame eternelle, entre toutes
Belle sans per, qui du hault ciel m’escoutes,
En demonstrant qu’egal estre ieje doy
A ton tropeau tant singulier en soy,
Impetre un don de ces beaux lauriers uerdzverdz,
Que quand par mort seray mis a l’enuersenvers,
De leurs rameaux feuilluz & bien serrez
Veuillent couurircouvrir noz corps cy enterrez:
Et qu’au doulx bruyt des crystallines eaux
Les oysillons chantent motetz nouueauxnouveaux,
A celle fin que le lieu soit emply
De toute grace, & plaisir accomply:
Ou si tant peult se prolonger ma uievie,
Comme i’j’en ay bon desir & enuieenvie
Pour t’honorer, & que de tel uouloirvouloir
Dieu ne me priueprive, ains le laisse ualoirvaloir:
I’J’espere bien que ce dur & long somme
Qui tous humains auecavec le temps assomme,
N’aura pouoirpovoir sus ton renom tant beau
Pour t’auoiravoir close en si petit tumbeau,
A tout le moins si tant se peult promettre
D’authorité, la force de mon mettre.
L’ARCADIE
La nouuellenouvelle armonie, les doulx accens, les piteu-
ses paroles, & finablement la belle et magnanime
promesse d’Ergasto, tenoient en admiration & cō-
mecom-
me suspenduz, les courages des auditeurs, quand le
Soleil entre les sommitez des montaignes, abbais-
sant les rayons deuersdevers l’occident, nous feit congnoi-
stre l’heure tardiuetardive, et qu’il estoit temps de retour-
ner a noz bestes. A l’occasion dequoy Opico nostre
conducteur s’estant leuélevé sur piedz, & d’un bon
uisagevisage tourné deuersdevers Ergasto, luy deit: Tu as pour
ce iourd’huyjourd’huy faict assez d’honneur a ta mere. Pour
l’adueniradvenir tu mettras peine d’accomplir en ferme et
songneuse perseuerãceperseverance la promesse en quoy par af-
fectueuse uoluntévolunté t’es obligé a la fin de ta chanson.
Cela dict, baisant la sepulture, & nous inuitantinvitant a
faire le semblable, il se meit au retour. Puis tous les
pasteurs prenãsprenans congé l’un apres l’autre, se retirerētretirent
chascun chez soy, reputans MaßiliaMassilia bien heureuse
entre les femmes, pour auoir laißéavoir laissé aux forestz un
si beau gage de son corps. Mais quand la nuyt ob-
scure, aiant pitié des labeurs mondains, fut uenuevenue
pour donner repos a toutes creatures, lonl’on n’enten-
doit plus les forestz resonner, l’abbay des chiens, le
cry d’autres bestes, ny gemissemēt d’aucũsgemissant d’aucuns oyseaux.
Les feuilles außiaussi ne branloient plus sus les arbres,
& ne tiroit une seule allenée de uentvent, ains durant
ce silence
95
DE SANNAZAR.
ce silence pouoitpovoit on seullement ueoirveoir au ciel scintil-
ler ou cheoir quelques estoilles, quand me trou-
uanttrou-
vant surpris de pesant somme, ieje senty en ma fanta-
sie diuersesdiverses douleurs & paßionspassions, ne scay si elles
prouenoientprovenoient des choses ueuesveues le iourjour precedent, ou
de quelque autre occasion secrette: car il me sem-
bloit proprement que i’j’estoye banny des forestz, et
de la compagnie des pasteurs, mesmes qu’en une so-
litude ieje me trouuoyetrouvoye parmy des sepultures deser-
tes, ou ne pouoyepovoye apperceuoirappercevoir aucun homme de ma
congnoissance. Parquoy uouloyevouloye crier de peur, mais
la uoixvoix me deffailloit. Et pour chose que ieje m’effor-
ceasse de fuyr, si ne pouoyspovoys ieje faire un pas. DōtDont uain-
cuvain-
cu de foiblesse, maulgré moy me falloit demourer
entre ces monumentz. D’aduantageadvantage m’estoit aduisadvis
qu’en escoutant une Seraine, laquelle se plaignoit a-
merement sus un rocher, une grande uaguevague de mer
m’enueloppoitm’enveloppoit, & donnoit tant de peine a respirer,
que peu sens’en falloit que ieje ne mourusse. Puis me sem
bla ueoirveoir un bel Orengier cultiuécultivé par moy songneu
sement, lequel estoit tout brisé depuis la racine en
amont, ses feuilles, ses fleurs, & ses fruictz mal-
heureusement dispersez sus la terre. lors deman-
dant qui l’auoitavoit ainsi acoustré, quelques Nymphes
plorantes en ce lieu, me respondoient que les cru-
elles Parques a tout leurs coignees uiolētesviolentes l’auoientavoient
L’ARCADIE
en ce poinct detrenché. De laquelle chose me sentãtsentant
greuégrevé oultre mesure, disoye sus le tronc tant aymé,
Ou me reposeray ieje dōcquesdoncques? Soubz quel umbrage
chãteraychanteray ieje doresnauantdoresnavant mes uersvers? Et en un destour
m’estoit monstré un Cypres obscur et funebre, sans
faire autre response a mes interrogations. Par-
quoy tant d’ennuy & d’angoisse me saisirent le
cueur, que ne pouantpovant plus en supporter la uiolenceviolence,
force fut que mon somme se rompist. Et cōbiencombien qu’il
me pleust singulieremētsingulierement de ne trouuertrouver la chose ain-
si, toutesfois la peur & souspecon m’en demou-
rerēt tellemētdemou-
rent tellement enracinees en la fantasie, qu’oncques
ne me sceu rēdormirrendormir, ains pour sentir moindre pei-
ne, fuz contrainct me leuerlever, & aller errant par les
campagnes, nonobstant qu’il fust encores bien loing
du iourjour. Ainsi cheminant pas a pas, sans scauoirscavoir ou,
mais seulement cōmecomme la fortune me guidoit, i’j’ arri-
uayarri-
vay au pied d’une montagne d’ou sortoit un fleuuefleuve
impetueux, qui faisoit un murmure merueilleusemētmerveilleusement
espouentableespouventable, par especial en celle heure qu’autre
bruyt ne s’entendoit. Puis quãdquand i’j’eu esté sus son ri-
uageri-
vage assez bōnebonne espace de temps, l’aube se print a
rougir au Ciel, pour esueilleresveiller tous les mortelz uni-
uersellementuni-
versellement, & les admonester de se remettre a
leurs negoces. Elle fut par moy humblemēthumblement adorée,
et requise que son plaisir fust prosperer ma uisionvision.
mais
96
DE SANNAZAR.
mais il sembla qu’elle ne daignast escouter mes pa-
roles, & monstra n’en faire gueres d’estime. En ces
entrefaictes du fleuuefleuve prochain se ueintveint (ne scay cō-
mentcom-
ment) presenter deuãtdevant moy une ieunejeune damoiselle de
singuliere beaulté, ueritablemēt diuineveritablement divine en son port
& cōtenãcecontenance, acoustrée d’un fin drap de si beau lu-
stre, que si ieje ne l’eusse ueuveu flexible, certainemētcertainement ieje
l’estimoye de crystal. Ses cheueuxcheveux estoient tressez
d’une mode nouuellenouvelle a l’ētourentour de sa teste, & dessus
portoit un chapellet de feuilles uerdesverdes, tenãttenant en l’u-
ne de ses mains un uasevase de marbre blanc, singulier,
et de riche ouurageouvrage. Ceste damoisellle s’adressant a
moy, me deit: Suy moy, qui suis une des Nymphes de
ce fleuuefleuve. Ce cōmandementcommandement et declaration meirent
en mon cueur tãttant de crainte et de reuerēcereverence, que sans
replicquer un seul mot, ieje me prins a la suyuresuyvre, tant
estonné en moymesme, que ieje ne scauoyescavoye discerner
si ieje ueilloyeveilloye ou dormoye encores. Puis quand elle y
fut arriuéearrivée, ieje ueyvey soudainement les eaux se retirer
d’une part & d’autre, afin de luy faire uoyevoye par le
milieu: ce qui estoit certainemēt estrãge a ueoircertainement estrange a veoir, hor-
rible a pēserpenser, monstrueux, et (peult estre) incredible
a recorder. IeJe faisoye difficulté d’aller apres: mais
pour me dōnerdonner courage, gracieusemētgracieusement me print par
la main: et par sa doulceur debōnairedebonnaire me tira dedãsdedans
ce fleuuefleuve: ou la suyuantsuyvant sans mouiller mes piedz,
L’RARCADIEARCADIE
i’j’estoye tout esbahy de me ueoir enuironnéveoir environné de ces
eaux qui faisoient deux rampars a l’entour de moy,
comme eussent faict deux combes de montaignes
si i’j’eusse cheminé parmy une estroicte ualléevallée. Mais
quand nous feusmes peruenuzpervenuz a la fosse dont tou-
te ceste eau regorgeoit, & de ceste la entrez en
une autre, laquelle (a mon iugementjugement) estoient uoultéevoultée
de PōcesPonces pertuysees, parmy lesquelles pēdoientpendoient au-
cuns lambeaux de Crystal congelé, & dōtdont les mu-
railles estoient parées d’aucunes coquilles de mer,
le pauement couuertpavement couvert de mousse, & de tous costez
garny de beaux sieges, principalement enuironenviron les
colonnes de uerreverre transparent, qui soustenoient le
plancher assez bas: nous y trouuasmestrouvasmes des Nym-
phes seurs de ma guide, dont les aucunes sassoient
de l’or en des cribles delyez, & le separoient des
arenes subtiles. Puis les autres apres l’auoiravoir filé, le
mettoient en belles bobynes, & le meslant parmy
des soyes de diuersesdiverses couleurs, en ourdissoient une
tapisserie d’excellent et sumptueux ouurageouvrage. Tou-
tesfois pour l’histoire qu’elle contenoit, ieje conclu que
ce m’estoit un presage de malheur & larmes fu-
tures: car a mon arriueearrivee ieje trouuaytrouvay de fortune qu’en
leurs broderies elles estoient sus le piteux accident
d’Eurydicé l’infortunée, mesmes cōmecomme estant poin-
cte au talon par le uenimeuxvenimeux Aspic, elle fut con-
traincte
97
DE SANNAZAR.
traincte a rendre l’ame, & comment pour recou-
urer sa uierecou-
vrer sa vie, son mary langoureux descendit aux En-
fers: puis par son oubliance la reperdit la seconde
fois. O dieu, uoyantvoyant cela qui me ramenteuoitramentevoit mon
songe, quelles angoisses & tourmens senty ieje lors
en mon courage? Le cueur (certainemētcertainement) me iugeoitjugeoit
quelque chose qui n’estoit point bonne, car malgré
que i’j’en eusse, tousiours trouuoistousjours trouvois mes yeux mouillez
de larmes, qui me faisoit interpreter toutes choses
en mauuaisemauvaise part. Mais la Nymphe qui me guidoit,
ayãtayant (peult estre) pitié de moy, me feit passer oultre
en un lieu beaucoup plus spacieux, ou se pouoientpouvoient
ueoir diuersesveoir diverses fosses, lacz, et sources rēdãsrendans les eaux
d’ou procedent les fleuuesfleuves courãscourans sus la terre. O mer-
ueilleuxmer-
veilleux & inestimable artifice du dieu souuerainsouverain,
la masse que ieje estimoye solide, cōtenircontenir en son uētreventre
tãttant de concauitezconcavitez? Cela me feit perdre tout l’esbahis
sement que i’auoyej’avoye eu iusquesjusques a lors, ascauoirascavoir cōmecomme
il estoit poßiblepossible que les riuieresrivieres eußenteussent telle abōdã-
ceabondan-
ce pour maintenir leur cours a perpetuité par une
liqueur infaillible. Ainsi passant auec ma Nymphe
tout estōnéestonné et estourdy du tumulte des eaux, i’j’alloye
regardant entour moy, non sans frayeur & grande
craītecrainte: dōtdont elle s’apperceuãtappercevant me deit, Laisse laisse tes
fantasies, et chasse toute souspecon hors de toy: car
tu ne faiz maintenant ce uoyagevoyage sans la disposition
N
L’ARCADIE
des dieux. Toutesfois ce pēdantpendant il me plaist que tu
uoyesvoyes de quelles sources partent les fleuuesfleuves dont tu
as tãttant de fois ouy parler. Cestuy la qui court si loing
d’icy, est le froid Tanais. Cest autre le grãdgrand Danube.
Cestuy cy Meander le fameux: & cestuy la Peneus
l’antique. Veoy Caister, regarde Achelous, et le biē-
heureuxbien-
heureux Eurotas, auquel tant de fois fut loisible
d’ouyr les chansons d’Apollo. Et pource que ieje scay
que tu desires grandement ueoirveoir ceulx de ton pays
(lesquelz te sont parauãtureparavanture plus prochains que tu
n’estimes.) saches que celuy auquel tous les autres
font tant d’honneur, est le triũphanttriumphant Tibre, qui n’est
(comme les autres) couronné de saules ou roseaux,
mais de beaux lauriers uerdoyansverdoyans, a cause des cōti-
nuellesconti-
nuelles uictoiresvictoires de ses filz les Romains. Les autres
deux qui en sont le plus pres, se nomment Liris &
Vulturne, lesquelz heureusemētheureusement trauersēttraversent le royau-
me de tes anciēsanciens predecesseurs. Ces paroles esmeu-
rent en mōmon courage un si merueilleuxmerveilleux desir, que ne
pouãtpovant plus garder le silēcesilence, me pris a luy dire ainsi:
O ma loyale guide, ô tresnoble & uertueusevertueuse Nym
phe, Si mon petit Sebetho peult auoiravoir quelque nom
entre tant et de si grans fleuuesfleuves, ieje te supply que tu
me le ueuilles mōstrerveuilles monstrer.Tu le uerrasverras bien (deit elle)
quand tu en seras plus prochain: car a cause de sa
bassesse il ne seroit maintenant poßiblepossible. et uoulantvoulant
dire
98
DE SANNAZAR.
dire quelque autre chose, elle se reteint. Mais durãtdurant
ces propoz nous ne cessasmes oncques de cheminer,
ains continuant nostre uoyagevoyage allions atrauersatravers ce
grand creux, lequel aucunesfois se retrecissoit en
passages fort serrez, & d’autres se dilatoit en pla-
nures longues & larges, ou se trouuoienttrouvoient montai-
gnes & uallées außivallées aussi bien comme sus la terre.
Adonc ma Nymphe me redeit: Serois tu point bien
esbahy si ieje t’asseuroye maintenãtmaintenant que la mer pas-
se sus ta teste, & que l’amoureux Alpheus, sans se
mesler auecquesavecques elle, s’en uava par cy faire l’amour
a dame Arethusa la belle SiciliēneSicilienne? Disant cela, nous
cōmenceasmescommenceasmes a descouurirdescouvrir de loing, un feu grãdgrand et
espouētableespouventable, auecavec une merueilleusemerveilleuse puãteurpuanteur de sou-
phre: dōtdont elle uoyantvoyant que ieje m’estōnoyeestonnoye, me deit: La
punition des Geans qui furent fouldroyez en assail-
lant le Ciel, est occasion de cecy: car estãsestans opprimez
des montaignes intolerables, ilz respirent encores
le feu celeste dont leurs corps furent consumez, &
de la uientvient que cōmecomme aux autres regions les cauer-
nescaver-
nes sōtsont abōdãtesabondantes d’eaux liquides, tout ainsi en celles
de ce pays ardent incessamment flambes uiuesvives, &
grãsgrans orages. Parquoy, n’estoit le doute que i’j’aurois de
te ueoirveoir prendre trop d’espouentemētespouventement, ieje te mōstre-
royemonstre-
roye en passant le superbe Enceladus estēduestendu soubz
la grande Trinacrie, uomissantvomissant feu et flãbeflambe par les
N ij
L’ARCADIE
creuassescrevasse de Mongibel: ou est außiaussi la fournaise de
Vulcan, en laquelle trois Cyclopes nudz battent
sus leurs enclumes les fouldres du dieu IupiterJupiter. Puis
soubz la fameuse Enaria (que uousvous mortelz appel-
lez Ischia) te feroye ueoirveoir le furieux Typhoeus, du-
quel uozvoz baingz de Baie & les montaignes sul-
phurees tirent la chaleur. Pareillement soubz le
grand VeseuusVesevus te feroye ouyr les mugissemens
espouētablesespouventables du geant Alcyoneus. toutesfois ieje pense
que tu les entendras aßezassez quand nous serons plus
pres de ton Sebetho. Et un temps fut que tous les
circunuoysinscircunvoysins les ouyrētouyrent trop a leur exceßiueexcessive perte
et dommage: car il couuritcouvrit entierement le pays, de
cendres & flammeches, dont encores rendent tes-
moignage les rochers fonduz & brouyz. Mais
qui pourroit croire que dessoubz feussent enter-
rées quelques nations & uillesvilles bien renommées?
Ce nonobstant il est ainsi: & non seulement celles
qui furent couuertescouvertes des Ponces ardentes, & de la
ruine du mont, ains ceste cy que nous uoyonsvoyons pre-
sentement, laquelle souloit estre de grande renom-
mée en tous pays. C’est la belle Pompeia, qui fut ar-
rousée des undes du froid Sarno, & par un trem-
blement soudain fut engloutie de la terre, deffail-
lant (ce croy ieje) soubz ses piedz, le fondement sus
quoy elle estoit posée: qui fut certes une estrange et
horrible
99
DE SANNAZAR.
horrible espece de mort, consideré que tant d’ames
uiuantesvivantes se ueirentveirent en un instant oster du nombre
des uiuansvivans. Toutesfois (commētcomment qu’il en soit) il fault
uenirvenir a une fin, qui est la mort, & ne peult on pas-
ser plus oultre. Durant ces paroles nous estions tãttant
approchez de celle cité, qu’encores en pouions ueoirpouvions veoir
presque tous entiers les Pallais, les Theatres, et les
Temples. IeJe m’esmerueilloyeesmerveilloye fort cōmentcomment se pouoitpovoit
faire qu’en si petite espace de temps nous eußionseussions
peu uenirvenir d’Arcadie iusquesjusques la. Mais facilement se
pouoitpovoit congnoistre que nous estions poulsez d’une
puissance plus que naturelle. Adonc peu a peu com
mēceasmescom
menceasmes a ueoirveoir les petites undes de mōmon Sebetho.
De quoy la Nymphe uoyantvoyant que ieje me resiouissoyeresjouissoye,
getta un grãdgrand souspir, & se retournãt deuersretournant devers moy
toute piteuse me uava dire: Tu peux maintenant aller
seul. puis incōtinētincontinent disparut: dōtdont me trouuaytrouvay en celle
solitude tant triste & surpris de frayeur, que me
uoyantvoyant destitué de guide, a peine eusse ieje eu le cou-
rage de faire un pas, n’eust esté que i’apperceuoyej’appercevoye le
petit fleuue tãtfleuve tant aymé, duquel m’estant approché al-
loye (desireux a merueillesmerveilles) cherchant a l’oeil, si ieje
pourroie trouuertrouver la source d’ou ceste eau procedoit:
car il sembloit que de pas en pas sōson cours s’augmē-
tasts’augmen-
tast, & tousiourstousjours allast acquerant force et uigueurvigueur.
Ainsi suyuantsuyvant cōtremontcontremont son canal, i’j’allay tant d’une
N iij
L’ARCADIE
part & d’autre, que finablemētfinablement arriuayarrivay a une fosse
cauée dedãscavée dedans le ferme Tuf, et la trouuaytrouvay le dieu ue-
nerableve-
nerable aßisassis a terre, appuyé de son costé gauche
sur un uasevase espãchantespanchant de l’eau, qu’il faisoit beaucoup
plus ample par celle qui continuellement plouuoitplouvoit
de sōson uisagevisage, de ses cheueuxcheveux, et de sa barbe humide.
Ses uestemens sembloiētvestemens sembloient de limon uerdverd. il auoitavoit en sa
main droicte un roseau, & sus sa teste une courōnecouronne
faicte de ionczjoncz & autres herbes prouenuesprovenues de ses
mesmes eaux. Autour de luy gisoient en terre (sans
aucūaucun ordre ou dignitié) toutes ses Nymphes, qui fai-
soient en pleurant un murmure inaccoustumé, &
n’osoient seulement leuerlever leurs uisagesvisages. Voyant ce-
la pensez qu’un triste spectacle se presenta deuantdevant
mes yeux: et lors cōmēceaycommenceay a congnoistre pourquoy
ma guide m’auoitavoit abãdōnéabandonné deuant le tēpstemps. Mais me
trouuanttrouvant reduict a ceste extremité, & n’ayant au-
cune fiance de pouoirpouvoir tourner en arriere, sans pren-
dre autre cōseilconseil, dolent & plein de souspecon, auãtavant
tout oeuureoeuvre m’enclinay a baiser la terre, et puis pro-
feray ces paroles: O fleuuefleuve liquide, O roy de mon
pays, O gracieux & amyable Sebetho, qui de tes
eaux fraiches & claires enroses ma noble contrée,
dieu te ueuilleveuille exalter a iamais à jamais. Et uousvous Nymphes
(tresdignes geniture d’un tãttant louable et puissant pe-
re) dieu uousvous accroisse pareillement. IeJe uousvous supply soyez
100
DE SANNAZAR.
soyez fauorablesfavorables a ceste miēnemienne arriuéearrivée, et me rece-
uezrece-
vez benignemētbenignement en uozvoz forestz. Soit maintenant la
fortune cōtētecontente de m’auoiravoir promené par tant de diuersdivers
accidētzaccidentz, et desormais ou recōciliéereconciliée, ou assouuyeassouvye de
mes trauaulxtravaulx, laisse ses armes offensiuesoffensives.
IeJe n’auoyeavoye
encores faict cōclusionconclusion a mes paroles, quãdquand deux de
ceste troupe se leuerētleverent, et uindrētvindrent a moy toutes esplo
rées: puis me meirent au milieu d’elles: et l’une plus
asseurée que l’autre, leuantlevant sa ueueveue me print par la
main pour me cōduireconduire a la bouche de ceste cauernecaverne,
ou la petite eau se diuisedivise en deux pars, dōtdont l’une sen
court a trauerstravers les campagnes, & l’autre par une
uoyevoye secrette se tire aux cōmoditezcommoditez & decoratiōsdecorations
de la uilleville. Ceste Nymphe estant arrestée me mōstramonstra
le chemin, & feit entendre que deslors estoit l’yssue
en mōmon arbitre. D’aduãtageadvantage pour me declarer qui el-
les estoiētestoient, me deit: Ceste cy qu’il sēblesemble que tu ne re-
congnoisses, par estre maintenãtmaintenant obfusqué de uapo-
reusevapo-
reuse et noire bruyne, est celle qui baigne le nid tãttant
aymé de ta singuliere Phenix, & dont tu as tãttant de
fois par tes larmes faict eleuerelever la liqueur iusquesjusques
aux bordz. et moy q̄qui parle a toy, suis celle qui resi-
de au pēdantpendant de la mōtagnemontagne, ou elle repose: et la me
trouueras tu bien tost. La prolation de ceste derniere
parole, sa trãsmutatiōtransmutation en eau, et sa fluxion par la uoyevoye
secrette, furētfurent tout une mesme chose: dont ieje te iurejure
N iiij
L’ARCADIE
(lecteur) par la diuinitédivinité qui m’a iusquesjusques a present
ottroyé la grace d’escrire, ou iamaisjamais ne se puisse mōmon
oeuure rēdreoeuvre rendre immortel, q̄que ieje me trouuaytrouvay en ce poinct
tãttant desireux de mourir, que ieje me feusse cōtentécontenté de
toute horrible espece de mort: et deuenudevenu hayneux a
moymesme, ieje maudissoye incessãmētincessamment l’heure q̄que m’e-
stoye party d’Arcadie. Ce nōobstantnonobstant aucunesfois en-
troye en esperãceesperance que tout ce q̄qui s’offroit a ma ueueveue
& a mon ouye, n’estoit que fantosme & illusion,
mesmemētmesmement pource que ne scauoyescavoye estimer cōbiencombien de
tēpstemps i’auoyej’avoye demouré soubz la terre. Par ainsi entre
ameres pēséespensées, grieuesgrieves douleurs, et cōfusiōconfusion, lassé, de-
bile, et iaja hors de moymesme, i’arriuayj’arrivay a la fontaine
qui m’auoitavoit esté nommée: et außiaussi tost qu’elle me sētitsentit
approcher, se print a bouillōnerbouillonner et gargouiller plus
fort que de coustume: cōmecomme si elle eust uouluvoulu dire, ieje
suis celle que tu as n’agueres ueueveue. A l’occasion de
quoy me tournãttournant sus main droicte, ieje recongneu la
mōtagnemontagne grãdemētgrandement renōméerenommée pour l’excellence de la
haulte loge que lō y ueoit, portãtl’on y veoit portant le nom du grand
pasteur d’Afrique, gouuerneurgouverneur de tãttant de troupeaux,
lequel en son uiuantvivant, ainsi qu’un secōdsecond Amphion, au
son de sa gētegente musette edifia les murailles eternel-
les de la cité diuinedivine. Et uoulãtvoulant passer oultre, ieje trou-
uay d’aduenturetrou-
vay d’adventure au pied de la pontée qui n’estoit
gueres haulte, Barcinio & SūmontioSummontio, pasteurs bien
cõgneuzcongneuz
101
DE SANNAZAR.
cõgneuzcongneuz en noz forestz: lesquelz auec leurs trou-
peaux s’estoiētestoient mis au Soleil, a cause qu’il faisoit uētvent:
& par ce que ieje pouoyepouvoye cõprendrecomprendre a leurs gestes,
ilz s’appareilloient a chãterchanter. Quoy uoyantvoyant (encores
que i’j’eusse les oreilles toutes pleines des chansons
d’Arcadie) si uouluvoulu ieje bien entendre celles de mon
pays, pour iugerjuger de combien elles en approchoient:
& ne me sembla desraisonnable faire lá quelque
seioursejour, mettant ceste petite espace auecavec tant d’autre
temps par moy si tresmal employé. parquoy m’as-
siz sus l’herbe, non gueres loing d’eux. a quoy fai-
re me donna courage, la mescongnoissance que ieje
les ueoyeveoye auoiravoir de moy, pour le desguisemētdesguisement de mōmon
habit, et la douleur superflue, qui m’auoientavoient en peu
d’espace tout deffaict et trãsfigurétransfiguré. Mais a cest’heu
re que leurs chansons me reuiennentreviennent en memoire,
& pareillement les accens dōtdont ilz deplorerent les
calamitez de Meliseo, il me plaist bien de les auoiravoir
attentiuementattentivement escoutées, non que ieje les ueuilleveuille con-
ferer a celles de la Grece, ny que ieje pretēdepretende les met-
tre en ce reng, mais pour me congratuler de nostre
Horizon, qui n’a uouluvoulu du tout laisser ses forestz
uuydesvuydes & despourueuesdespourveues, ains en tous aages leur a
faict produire des pasteurs exquiz, & en attraire
des autres d’estranges contrées, par gracieux ac-
cueuil, & benignité maternelle. Qui m’induict a
L’ARCADIE
croire que les Seraines y ont ueritablementveritablement au-
tresfois habité, & par la doulceur de leur chant
detenu ceux qui passoiētpassoient en leurs marches. Toutes-
fois pour retourner a noz pasteurs, apres que Bar-
cinio eut par bonne espace de temps assez soefue-
mentsoefve-
ment sonné sa musette, ayant le uisagevisage tourné de-
uersde-
vers son compagnon, lequel aßisassis sus une pierre
semblablement se monstroit bien deliberé de luy
respondre, il se preint a dire ainsi:
BARCINIO, SVMMONTIOSUMMONTIO
ET MELISEO.
Barcinio.
Meliseo chanta de sens raßisrassis
En ce lieu propre ou tu me uoys aßisvoys assis,
Puis engrauaengrava de sa docte main dextre
Contre l’escorce & tige de ce Hestre
Ces motz, Chetif ieje ueyvey Philis au poinct
Qu’elle mouroit, & ne me tuay point:
Summontio.
C’est grand pitié. Mais quel dieu consentit
Qu’un mal si grief le pourepovre homme sentist?
Que n’estoit il auant priué de uieavant privé de vie,
Puis qu’il auoitavoit de mourir bonne enuieenvie?
Barci-
102
DE SANNAZAR.
Barcinio.
C’est le motif qui cholerer me faict
Contre le ciel trop superbe en effect,
Et que mes sens en sont enuenimezenvenimez,
Come un Dragon ou Vipere animez,
Mesme pensant a ce que tel ouurierouvrier
AuoitAvoit escrit dessus un GeneurierGenevrier
Disant, Philis en mourant tu me donnes
Cruelle mort, ueuveu que tu m’abandonnes.
O douleur grieuegrieve, & a qui de raison
Nulle ne peult auoiravoir comparaison.
Summontio.
Par ton moyen uouldroisvouldrois cest arbre ueoirveoir
Pour lamenter dessoubz a mon pouoirpovoir:
Car il pourroit (peult estre) m’inciter
A mes douleurs & peines reciter.
Barcinio.
Mille en y a que uerrasverras en la plaine
Quand te plaira, elle en est toute pleine.
Va uisitervisiter ce Nefflier en ce ualval,
Mais doulcement, que tu n’y faces mal.
Summontio lisant.
Helas Philis tu ne faiz ores plus
De ton chef d’or les cheueuxcheveux crespeluz,
Ny de ta main leles couronnes de fleurs,
Ains le destruis, le lauantlavant de mes pleurs.
L’ARCADIE
Barcinio.
Tourne tes yeux a ce couldre & regarde,
Ces motz y sont (si tu y prens bien garde)
Helas Philis deuantdevant moy ne t’en fuy,
Attens un peu, uoyantvoyant que ieje te suy,
Ou bien rauyravy mon cueur tout d’une uoyevoye:
Car seul icy ne scauroit auoiravoir ioyejoye.
Summontio.
IeJe ne scaurois te racompter combien
L’ouyr me faict de plaisir & de bien.
Or cherche doncques au long de ce russeau
S’il y a plus de pareil arbrisseau.
Ce nonobstant i’j’ay haste & grand besoing
D’un mien negoce aller faire un peu loing.
Barcinio.
Dessus ce Pin un tableau a posé
Qu’il a luy mesme escript & composé.
Si ueoir le ueulxveoir le veulx, allons pres de ces saules,
Et monte lors dessus mes deux espaules.
Mais pour a l’aise & plus tost y saillir,
Deschausse toy premier, pour n’y faillir.
Puis boute bas ta grosse pannetiere,
Manteau, houllette, & ta despouille entiere.
Lors a un sault empongne, si tu peux,
VnUn bout de branche, & grimpe amont les neux.
Summontio.
LonL’on le
103
DE SANNAZAR
LonL’on le ueoitveoit bien de ce lieu franchement,
Sans qu’arbre aucun y face empeschement.
Philis, ce Pin ieje te sacre en ce parc
Ou Diana te cede trousse & arc.
C’est l’autel sainct qu’en ton los edifie,
C’est le grand temple ou ieje te deifie:
Et le sepulchre ou par mon deuil amer
IeJe te ueuilveuil faire a iamaisjamais renommer,
Et ou souuentsouvent entre douleurs & ioyesjoyes
De fraiches fleurs te feray des montioyesmontjoyes.
Mais si le ciel (qui me semble obstiné)
T’a lieu plus noble en soy predestiné,
Ne ueuillesveuilles iaja pourtant mettre en despris
Ces petiz uersvers qu’en ta louenge escris,
Ains les uien ueoirvien veoir, laissant par fois les cieulx
Pour conuerserconverser auecavec nous en ces lieux.
Et sus ce Pin de raboteuse escorce
Tu trouuerastrouveras escrit a fine force,
ARBRE ieje suis dedié a Philis,
Encline toy pasteur qui cecy lis.
Barcinio.
Que dirois tu de ce que quand il eut
Son flageolet getté si loing qu’il peut,
Et pris le fer aigu pour s’en frapper,
Les chalumeaux se prindrent a piper
Philis, Philis, non en son triste ou cas,
L’ARCADIE
Qui a l’ouyr fut un estrange cas.
Summontio.
A ce son la fut point Philis esmue
De retourner? car tout le sang me mue
De la pitié qui penetre en mes os,
Oyant de toy si douloureux propos.
Barcinio.
Cesse un petit ce pendant que i’espreuuej’espreuve
S’il sera point possiblepoßible que ieje treuuetreuve
Ses autres uersvers, dont (certes) bonnement
Ne me souuientsouvient que du commencement.
Summontio.
Par les discours que tu as recitez,
Tous mes espritz se sont tant concitez,
Que rasseurer encores ne les scay.
Ce nonobstant pren cueur, & faiz essay:
Car aux premiers, puis que tu t’en recorde,
Facilement tout le reste s’accorde.
Barcinio recite aucuns uersvers de Meliseo.
Que feras tu pourepovre homme? quelle ruse
Te subuiendrasubviendra, puis que mort te refuse,
Et que Philis te plonge en aspre deuil,
Ne te faisant doux regard de son oeuil?
Chascun de uousvous o pasteurs me dedie
Vers plus piteux que triste tragedie.
Et qui seroit de ce faire en esmoy,
A tout
104
DE SANNAZAR
A tout le moins lamente quant & moy.
Par ces clameurs chascun m’incite a plaindre,
Communiquant son ennuy sans le faindre,
Combien qu’assez m’en semont iourjour & nuyct
Mon propre mal, qui tant me greuegreve & nuyt.
Mon malheur est si monstrueuse chose,
Et procedant de si amere cause,
Que de mes uersvers Grenadiers ay chargez,
Dont en Sorbiers se sont uisteviste changez.
Et s’il aduientadvient que ieje m’essaye ou tente
De les couper pour en cueuillir une ente,
Vn iusUn jus en sort de tant palle couleur,
Que lonl’on uoitvoit bien leur seueseve estre douleur.
Quand mon Soleil dont par si longue espace
Esloigné suis, nous priuapriva de sa face,
Le rouge tainct des Roses empira,
Et leur nayuenayve odeur en expira,
AußiAussi toute herbe & fleur pour celle année
S’en demonstra languissante & fenée.
PoyßonsPoyssons en l’eau de leur nature agiles,
Alloyent flottant malades & debiles:
Puis par les boys se trainoyent animaux
Hectiques, las, & faschez de mes maulx.
DeuersDevers moy donc VeseuoVesevo se transporte
Pour me narrer les peines qu’il supporte:
Lors ieje uerray si sa uigneverray si sa vigne lambrusque,
L’ARCADIE
Et si son fruict est deuenudevenu plus brusque.
Puis me dira comment en ses deux testes
Sourdent tousiourstousjours orages & tempestes.
Mais ieje ne scay quel cueur pourroit ozer
Mergilina gentille t’exposer
Que tes Lauriers exterminez & mors
Sont dispersez tout au long de tes bors.
Las qui te faict Antiniana haulte
Degenerer, & faire telle faulte,
Que tu produys en lieu de Myrtes gentz,
Buissons poinctuz, horreur a toutes gens?
Dy moy Niside, ainsi iamaisjamais ne sente
Ton bord herbu la mer sus toy passante,
Ny battement de cheuaux y uenircheuaux y venir,
Ne t’ay ieje ueuveu, peu de temps a, tenir
Herbes & fleurs, auecavec connilz & lieureslievres,
Vaches, brebiz, & grans troupeaux de cheureschevres?
Et maintenant ieje te uoyvoy plus deserte
Qu’autre qui soit. est ce point pour ma perte?
Las pour quoy sont tes tailliz & destours
Abandonnez? mesmes les chauldes tours
Ou Cupido ses flesches aceroit,
Froides si fort que lonl’on y glaceroit?
O Sebetho, ieje te prie combien
De peuples grans seront reduictz en rien,
AuantAvant que ueoirveoir puisses ta uerdeverde plaine
De beaux
105
DE SANNAZAR.
De beaux Poupliers & d’Ormes aßuiaussi pleine?
IadizJadiz (helas) Eridano le grand
Te reueroitreveroit: & le Tibre qui prend
De la cité de Rome son renom,
Se souloit bien encliner a ton nom.
Et maintenant a peine en toy sont seures
Nymphes qui font en tes eaux leurs demeures:
Car morte est celle, & ne peult respirer,
Qui se souloit en tes undes mirer,
Plus estimant y ueoirveoir sa belle face,
Qu’en autre exquise & reluisante glace:
Ce qui a faict ton renom penetrer
IusquesJusques aux cieulx, & de faict y entrer.
Or passeront maintz siecles & saisons,
Et les outilz des rustiques maisons
Se changeront auantavant (ieje te promectz)
Qu’un si clair uizviz se mire en toy iamaisjamais.
Malheureux donc, pourquoy ne uomizvomiz tu
Toute l’humeur dont tu es reuesturevestu,
Soudain fondant en abysme terrestre
Quand Naples n’est ce qu’elle souloit estre?
O mon pays, ne t’auoysavoys ieje predict
Cest accident malheureux & maudict,
Le iourjour qu’estant allegre comme un ange,
En mes escriz te fey tant de louenge?
Sache Vulturne, & le beau Silara
O
L’ARCADIE
Qu’au iourd’huyjourd’hui fin ma triste muse aura,
Et ne pourray iamaisjamais de bien iouyrjouyr,
Qui tant soit peu me puisse resiouyrresjouyr.
IeJe ne uerrayverray de ma uievie, ays ou roche
En aucun boys, tant soit loingtain ou proche,
Que le beau nom de Philis n’y entaille,
Et comme amour pour elle me detaille,
A celle fin que tous les pastoureaux
Qui la paistront leurs moutons & Toreaux,
Ou y feront leurs habitations,
En gettent pleurs & lamentations.
Puis s’il aduientadvient qu’aucun y besche ou marre
En quelque endroit, oyant ce que ieje narre,
Finablement en demeure estonné,
Marry, dolent, de ioyejoye abandonné.
Or conuientconvient il qu’a uousvous aye recours,
Lieux ou mon cueur a faict tant de discours,
Puis qu’autre part ne treuuetreuve ou me cacher
Pour de mes criz le monde ne fascher.
O Cume, O Baie, O baingz tiedes & bons
IamaisJamais n’orray celebrer uozvoz beaux noms,
Que mon las cueur n’en tremble, & puis tressue
Pour la douleur en cest instant conceue:
Car puis que mort qui Philis a surprise,
Veult que ma uievie a present ieje desprise,
I’J’iray faschant de mes plainctz odieux
Ciel, terre,
106
DE SANNAZAR.
Ciel, terre, mer, les hommes & les dieux,
Ainsi que faict la uachevache par les boys
Son ueauveau querant en lamentable uoixvoix.
IeJe ne uerray iamaisverray jamais Lucrin, AuerneAverne,
Ou Tritola creusée en la cauernecaverne,
Qu’en souspirant ne coure a la ualleevallee,
Qui de mon songe est encor appellée.
ParauantureParaventure y formerent leur trasse
Les piedz mignons marchans sus la terrasse,
Lors que Philis a mon cry s’arresta,
Et audience honneste me presta.
Peult estre y sont les fleurs en leur essence,
Qui feirent lors signe d’esiouyssanceesjouyssance:
DequoyDe quoy mon sens plus graue deuiendragrave deviendra
Quand du beau songe il luy resouuiendraresouviendra.
Mais dictes moy O montaignes ardantes,
Noire uapeurvapeur incessamment gardantes,
La ou Vulcan au fons d’un hydeux gouffre
Faict bouillonner la miniere de Soulphre,
Pourray ieje bien sur uousvous getter mon oeuil
Sans lermoyer, & plaindre de grand deuil?
Non, pour autant que i’j’y pense auoir ueuavoir veu,
Si ieje ne suis de bon sens despourueudespourveu,
Ma dame assise au bord de la soulphriere,
Ou s’engloutit ceste eau hydeuse & fiere
Remplissant l’air d’une odeur si mauuaisemauvaise,
O ij
L’ARCADIE
Que i’auoysj’avoys peur qu’elle y fust a malaise:
Et toutesfois il sembloit qu’en soulas
Parmy ce bruyt escoutast mes helas.
O pourepovre amant, O iours uainsjours vains & peu fermes
Muez de ioyejoye en douleurs & en lermes
Ou ieje l’aimay uiuantevivante en esperant,
Morte qu’ell’est, ieje la uoysvoys souspirant,
Et par les lieux ou ieje la ueyvey hanter,
Tourne souuentsouvent mes tristes uersvers chanter.
En mon esprit tout le iourjour la contemple,
Et puis de nuyt a gorge ouuerteouverte & ample
Crie Philis, tant (ieje l’estime ainsi)
Qu’elle reuientrevient aucunesfois icy:
Au moins en songe elle monstre le dard
Dont me nauray moymesme en son regard.
Puis m’est aduisadvis qu’elle me uava disant,
VocyVoicy le seul remede a toy duisant.
Dont ce pendant hors ma poytrine boute
Si chaultz souspirs de ma puissance toute,
Que quand un fier Aspic les entendroit,
Legerement piteux en deuiendroitdeviendroit.
Il n’y eut onc en toute Arimaspie
Gryfon tant fier, ne si cruelle Harpye
Que s’ilz uenoientvenoient son partement a ueoirveoir,
VnUn cueur d’acier ne uoulsissent auoirvoulsissent avoir.
Lors me tournant sus le coste senestre
Mon clair
107
DE SANNAZAR.
Mon clair Soleil ieje uoyvoy a la fenestre,
Auquel ne crains dire a bon escient
Ces motz sentant leur homme impatient:
Comme un Toreau de cornes desarmé
Se treuuetreuve mat parmy le boys ramé,
Ou comme un Orme effeuillé semble indigne
S’il n’est paré des feuilles de la Vigne,
Tel suis sans toy, uoirevoire plus mal empoinct
Chere Philis: mais il ne t’en chault point.
Summontio.
Se peuuentpeuvent las en un cueur engrauerengraver
Telles fureurs tant aptes a greuergrever,
Pour chose humaine? & le sens estre attainct
D’un feu duquel l’aliment est estainct?
Quel animal, quelle roche immobile
Ne fremiroit oyant la uoixvoix debile
Du pourepovre amant?
Barcinio.
O si tu entendois
Sonner sa harpe, & respondre a ses doys,
Tu iugeroisjugerois que le ciel crystallin
Se deßirastdessirast comme toile de lin,
Et de pitié fondrois soubz les accors,
Amour tirant les boyaux de ton corps:
Car ce pendant qu’elle dict & redict
Philis, ce mot, comme ieje t’ay predict,
O iij
L’ARCADIE
Resonne en l’air par si grand melodie,
Qu’il n’en est point de telle, quoy qu’on dye.
Summontio.
Or me dy donc, en ce mal qu’il supporte,
Veit il iamaisjamais ouurirouvrir la dure porte
De la prison des rigoreuses dames
Qui l’ont enclose auecavec les autres ames?
Barcinio.
O Atropos (crioyt le pourepovre amant)
O Lachesis, & Clotho, las comment
Ne faictes uousvous a ma Philis pardon?
Ottroyez moy pour un extreme don
Que mon esprit de ce corps ieje deliuredelivre
Pour auecavec elle eternellement uiurevivre.
Summontio.
Puis qu’ainsi uava que le ciel est si fier,
Qu’il ne se ueultveult en rien pacifier,
Meurent troupeaux par imprecations,
Si qu’aux forestz y ait uacationsvacations.
Feuille en rameau, ny herbe en terre außiaussi,
Ne repullule apres ce mal icy.
Barcinio.
Quand il aduient qu’auecadvient qu’avec son Allouette
Il se lamente en uoixvoix basse & flouette,
Et qu’elle rend response a son parler,
LonL’on pourroit ueoirveoir en la terre & en l’air
Autour
108
DE SANNAZAR.
Autour de luy Cygnes & Chahuans,
Les uns chanter, & les autres huans:
Puis quand ce uient deuersvient devers le poinct du iourjour,
Le pourepovre amant crie sans nul seioursejour,
Soleil ingrat, qui te faict reuenirrevenir,
Quand ta clairte ne me peult subuenirsubvenir?
Retournes tu afin que de rechef
Parmy ces prez bestail paisse en meschef?
Ou pour me faire incessamment (o roux)
Encontre toy prendre picque & courroux?
Si tu le faiz afin que ta uenuevenue
Chasse de moy l’humide & noire nue,
Saches que point ne ueuilveuil (par les tous dieux)
Que ta lueur enlumine mes yeux,
Qui sont iaja duictz a tenebres & lermes:
Ny que tes rays uagabondzvagabondz & peu fermes
Seichent le pleur qu’amour m’a concité
Pour mettre hors ma grande cecité.
En toutes pars ou la ueueveue ieje rouille,
Incontinent le ciel se charge & brouille
Par mon Soleil estant occasion
Que tousiourstousjours soye en trouble uisionvision.
Au temps paßépassé quand i’j’estois sans encombre,
IeJe resemblois au beuf rongeant a l’umbre:
Mais maintenant aller me laisse (helas)
Comme la Vigne estant sans eschalas,
O iiij
L’ARCADIE
Parfois pleurant & parlant a moymesme,
Me dict ma harpe en sa querele extreme,
Meliseo de douleur tresorier
Plus ne me fais couronner de Laurier.
Souuent auolleSouvent avolle un Bruyant ou un Merle
Au RoßignolRossignol que i’j’ay, de tous la perle,
Quand il s’escrie, O Myrtes sans esmoy
Contristez uousvous desormais auecavec moy.
Pareillement cracque sus une roche
Le Corbeau uilvil, & digne de reproche,
Dont m’est aduisadvis que deussent abysmer
Ischia, Capre, & Procide, en la mer,
Atheneus & Misenus außiaussi,
Pour n’auoiravoir plus de chagrin & soucy.
Apres se monstre a moy la Tourterelle
Qu’en ton giron nouriz, O pastourelle,
Sus un sec Aulne & de mousse couuertcouvert,
Car se poser ne uouldroitvouldroit sus un uerdverd:
Et dict, O beufz, les montaignes se pellent:
Neiges & uentz l’yuervents l’yver hideux appellent:
Soubz quel umbrage (helas) pour n’empirer
Se pourra lonl’on desormais retirer?
Mais qui pourroit escoutant ces propos
Rire, ou auoiravoir en son ame repos?
Certainement les Toreaux, ce me semble,
En mugissant me crient tous ensemble
Par tes
109
DE SANNAZAR.
Par tes souspirs tant & tant redoublez,
C’est toy qui as les elemens troublez.
Summontio.
Cause ont les gens de se mettre en deuoirdevoir
Pour Melisee homme tant rare ueoirveoir,
Puis que ces uersvers en qui pitié ne fault,
Dans les rochers nourissent amour chault.
Barcinio.
Combien de fois, O Fage qui nous coeuurescoeuvres,
T’a il semblé qu’en recitant ses oeuuresoeuvres,
Les gros souspirs qui partoient de sa gorge,
Feussent souffletz d’une fournaise ou forge?
Meliseo iourjour & nuyt ieje te sens,
Et en mon cueur s’impriment tes accens
Si bien que quand tu ne dys mot, par ire,
IeJe compren bien ce que tu uouldroisvouldrois dire.
Summontio.
Si tu me ueulxveulx (amy) faire plaisir,
Escry ces uersvers quand tu auras loisir
Dessus les troncz des arbres d’icy pres,
Afin que quand aucun par cy apres
Les y lira, en soymesme il estime
Qu’entr’eulx ilz uontvont murmurant ceste ryme,
Faiz que du uentvent le soufflement leur uaillevaille,
Faiz que les motz & nombres qu’il leur baille,
S’espandent, si que Resine & Portiques
L’RARCADIEARCADIE
SouuentesfoisSouventesfois les sonnent en cantiques.
Barcinio.
Sus son espaule un uerdverd Laurier portoit,
Quand ce propos de sa bouche sortoit,
CoeuureCoeuvre ô Laurier ce tombeau sans encombres,
Pendant que seme icy Mente & Concombres.
Le Ciel ne ueultveult Deesse en bonne foy,
Qu’encor si tost ieje me taise de toy,
Ains de mon cueur ne te laisse partir
Pour plus d’honneur te faire departir.
Dont si ieje uyvy, saches que par mes uersvers
Qui ne sont point trop rudes & diuersdivers,
Entre pasteurs aura ta sepulture
Plus de renom que par belle sculpture:
Car des Tuscans & Ligustiques montz
Viendront pasteurs de uoluntévolunté semons
C’est angle ueoirveoir, tant yueryver comme Esté,
Pource (sans plus) que tu y as esté:
Et puis liront sus la carrée lame
Cest epitaphe a toy propice ô dame,
Lequel me faict le cueur au corps trembler,
Et, peu s’en fault, par douleur estrangler.
CELLE qui fut tant dure en son uiuantvivant,
A Melisee en amours la suyuantsuyvant,
Gist desormais soubz ceste pierre froide
Humble, benigne, & morte toute royde.
Sum-
110
DE SANNAZAR.
Summontio.
Barcinio si tu ueulxveulx presumer
De trop souuentsouvent ces propoz resumer
Parmy ces boys, longuement ne tardra
Qu’un tien souspir embrasé les ardra.
Barcinio.
De mon couteau par tout ieje les engraueengrave,
Voulant que soit leur renommée brauebrave,
Mesmes expres a ces fins les espars
En tous pays loingtains, de toutes pars,
Dont ieje feray que le Tesin & Adde
Sentant d’amours Meliseo malade,
Le chanteront, & se feront ouyr,
Si que Philis s’en deura coniouyrdevra conjouyr.
AußiAussi le faiz afin qu’en ioyeuxjoyeux criz
Pasteurs de Mince honnorans ses escriz,
VnUn beau Laurier pour memoire luy plantent,
Combien qu’encor de Tityre se uententventent.
Summontio.
Meliseo deuoit tousioursdevoit tousjours durer
Auec Philis sans telz maulx endurer:
Mais qui pourroit immuer le decret
Que les dieux ont conclu en leur secret?
Barcinio.
Souuentsouvent souloit l’appeller en ces bois,
En gectant criz & lamentables uoixvoix.
L’ARCADIE
Mais maintenant le pourepovre corps mortel
Est sus ce tertre au deuantdevant d’un autel,
Ou luy faisant d’encens pur sacrifice
TousioursTousjours l’adore en un sainct edifice.
Summontio.
Helas amy gette la ton manteau
Sus l’herbe tendre aupres de ce rasteau,
Et puis t’en uava l’appeller a grand erre
Sus ceste mote en sa loge de terre,
Peult estre dieu la grace te fera,
Que de presence il nous satisfera.
IeJe t’en requier d’außiaussi parfaict courage
Qu’au ciel ieje faiz que gresle ny orage
De ta maison ne ruynent le feste,
Et ou paistras, cheoir ne puisse tempeste.
Barcinio.
S’encor tu ueulx que ieveulx que je le contreface,
Plus en diray: mais le ueoirveoir face a face
Pour escouter ses propoz & deuisdevis,
Est malaisé plus qu’il ne t’est aduisadvis.
Summontio.
Sa uiue uoixvive voix me plairoit fort entendre
Pour en mon cueur que la pitié faict fendre,
Ses actions noter de poinct en poinct.
Si ieje dy mal, ne me l’impute point.
Barcinio.
Or
111
DE SANNAZAR.
Or montons donc uersvers celle saincte tour,
Car de ce tertre & du clos tout autour
Il est le seul hermite & laboureur,
Et n’y ueultveult point auoiravoir de procureur.
Mais prie au uentvent qu’il ne te soit contraire.
Soubz ces fruytiers nous conuiendraconviendra retraire
Si nous auonsavons temps assez d’y monter,
Et lors pitié te pourra surmonter.
Summontio.
IeJe te faiz ueuveu solennel ô Fortune
Si maintenant nous ueulxveulx estre opportune,
Que tu auras de mon troupeau iolyjoly,
VnUn aigneau blanc le plus gras & poly.
Puis toy Tempeste un außiaussi noir que meure,
Mais que le Ciel en cest estat demeure.
Ciel eternel ne permetz que ieje fine
AuantAvant ouyr ceste musette fine,
Car iaja pensant son organe escouter,
Il m’est aduisadvis que ieje me sens bouter
Veines & nerfz hors la chair amortie,
Tant de pitié mon ame est assortie.
Barcinio.
Allons amy, que les dieux nous conduisent
A bon chemin, & grace nous produisent.
N’entens tu poinct de sa muse le son,
Laquelle exprime une triste lecon
L’ARCADIE
Arreste la, que les chiens ne le uoyentvoyent,
Et abbayant de l’ouyr nous desuoyentdesvoyent.
Meliseo.
Philis ieje garde en un petit cofin
Tes beaux cheueux iaunescheveux jaunes comme l’or fin.
Quand ieje les tourne, ou que ie les renuerseje les renverse,
VnUn dard poignant mon pourepovre cueur trauersetraverse.
SouuentesfoisSouventesfois ieje les lye & deslye,
Laissant mes yeux en grand melancholie
PlouuoirPlouvoir dessus: puis de souspirs ardans
IeJe les essuye, & reserre dedans.
Ceste ryme est debile basse & uainevaine,
Comme qui sort d’une rustique ueineveine:
Mais si clameurs plus ameres que fiel
Peuuent trouuerPeuvent trouver aucun merite au Ciel,
La fermeté du zele qui me mord,
Deust a pitié mouuoirmouvoir la dure mort.
Philis ieje plains ton trop soudain trespas,
Larmes gettant que ieje n’espargne pas
Pour de l’humeur reuerdirreverdir tout le monde
Hors moy, qui suis en noire chartre immunde.
O belle donc, pense au uiurevivre passé,
Et comme auonsavons nostre aage dispensé,
A tout le moins si amour ne se perd
Passant Lethes, qui tout oubly depart.
112
DE SANNAZAR.
A la Musette.
Icy finent tes entreprises ô rustique & sauuagesauvage
Musette, indigne pour ta basse resonnance d’estre
sonnée d’un pasteur plus expert, mais bien d’aucun
mieulx fortuné que moy. Tu as esté peu de temps a
ma bouche & a mes mains exercice assez agrea-
ble: et maintenãtmaintenant puis que c’est le uouloirvouloir des dieux,
tu leur imposeras auec long silence (parauantureparavanture)
un repos eternel: car mauuaisemauvaise fortune te faict se-
parer de mes leures, auantlevres, avant que par doys experi-
mentez i’j’aye deuement & en bonne mesure sceu
exprimer ton armonie, publiant ces notes (quelles
qu’elles soient) plus conuenablesconvenables a contētercontenter simples
brebiettes parmy les forestz, que peuples curieux
dedans les bonnes uillesvilles. Et fault que ieje face comme
celuy qui estãtestant offensé des pilleries faictes par nuyt
en ses iardinsjardins, cueuille par despit de dessus les bran
ches fertiles, les fruictz non encores paruenuzparvenuz a
suffisante maturité: ou comme le rude paysant, le-
quel deuantdevant le temps se haste de prendre sur les ar-
bres les oysillons sans plume auecavec les nidz ou ilz
sont escloz, de crainte qu’ilz ne luy soient rauizraviz et
ostez par les serpens ou pasteurs. A raison dequoy
ieje te prie, & tant que ieje puis admoneste, que con-
tente de ta rusticité, tu ueuillesveuilles demourer entre ces
solitudes: car il ne t’appartient d’aller chercher les
L’ARCADIE
sumptueux pallais des princes, ne les superbes pla-
ces des citez pour humer les applaudissemens, fa-
ueursfa-
veurs simulées ou gloires uenteusesventeuses qui sont uai-
nesvai-
nes amorses, faulses attractions, sottes & manisfe-
stes flatteries du populaire mal fiable. Ton debile
son ne se pourroit gueres bien entendre parmy ce-
luy des buccines espouentablesespouventables, ou royales trompet-
tes: mais te pourra suffire d’estre enflée sus ces mon
tagnes par les bouches de tous pastoureaux, ensei-
gnant les forestz retētissantesretentissantes a resonner le nom de
ta maistresse, et de plaindre amerement en toymes-
me le dur & inopine accident de sa mort trop ha-
stiueha-
stive, qui est occasion de mes larmes eterneles, &
de la douloureuse et inconsolable uievie que ieje meine:
si celuy se peult dire uiuantvivant, qui est ensepuelyensepvely dedans
le gouffre des miseres mōdainesmondaines. Lamente doncques
malheureuse: car sans point de doubte tu en as bien
grande raison. Contriste toy poure uefuepovre vefve desolée.
Pleure infortunée musette, priuéeprivée de la plus chere
chose que dieu t’eust prestée en ce monde. Ne cesse
point de larmoyer, & te complaindre de tes cruel-
les aduanturesadvantures, tant qu’il te demourra chalumeau
entier en ces forestz: & faiz sortir de toy les ac-
cens qui serōtseront plus conformes a ton miserable estat.
Puis s’il aduenoitadvenoit quelquefois qu’aucun pasteur te
uoulsistvoulsist employer en choses ioyeusesjoyeuses, faiz luy pre- mierement
113
DE SANNAZAR.
mierement entendre que tu ne scais sinon gemir &
lamenter, & apres par experience & ueritablesveritables
effectz monstre luy qu’il est ainsi, en luy rendant
continuellement un son piteux & lamentable: de
sorte que luy craignant troubler sa feste, soit con-
trainct te esloigner de sa bouche, & te laisser en
repos pendue a cest arbre, ou maintenant auecavec sou-
spirs & merueilleusemerveilleuse abondance de larmes, ieje te
consacre en memoire de celle qui iusquesjusques a present
a esté cause de mes ouuragesouvrages: par le soudain trespas
delaquelle la matiere est maintenãtmaintenant du tout faillie
a moy d’escrire, et a toy de sonner. Noz Muses sont
estainctes, noz Lauriers dessechez, nostre Parnase
est ruyné. Les forestz sont toutes muettes, les ual-
léesval-
lées & les montagnes sont par douleur deuenuesdevenues
sourdes. Il ne se treuuetreuve plus Nymphes ny Satyres
emmy les boys. Les pasteurs ont perdu le chanter.
A peine peuuentpeuvent les troupeaux pasturer dedans les
praries, & de leurs piedz fangeux troublent par
despit les claires fontaines. Mesme se uoyansvoyans tarir
le laict, ne daignent plus substanter leurs faons.
Semblablement les bestes sauuagessauvages abandonnent
leurs cauernescavernes. Les oyseaux fuyent leurs nidz. Les
arbres durs & insensibles gettent leurs fruitz par
terre auantavant qu’ilz soient meurs: et les tendres fleu-
rettes toutes desolées se flestrissētflestrissent. Les pourespovres mou-
P
L’ARCADIE
sches a miel dedans leurs ruches laissent perir le
miel imperfaict. Toute chose tumbe en ruine, toute
esperance est defaillie, toute consolation est morte.
Desormais ne te reste ô ma Muse sinon te douloir
iourjour & nuyt en perseueranceperseverance obstinée. Or te con-
triste doncques langoreuse, et te plains tant que tu
pourras de la mort auareavare, du Ciel sourd, des cruel-
les Planettes, et de tes iniques destinées. Et si d’ad-
uenturead-
venture entre ces rameaux le uentvent te faisant bran-
ler, te donnoit quelque esprit, ce pendant qu’il du-
rera ne faiz iamaisjamais autre chose que crier. Ne te sou
cie point si quelq’un (peult estre) accoustumé d’ouyr
des accors plus exquis, d’un mauuaismauvais goust despri-
soit ta bassesse, & t’appelloit lourde ou großieregrossiere:
car ueritablementveritablement (si tu y penses bien) c’est ta prin-
cipale & propre louenge, pourueupourveu que ne te bou-
ges des forestz, & des lieux qui te sont conuena-
blesconvena-
bles. Ausquelz encores suis ieje asseuré qu’il se trou-
ueratrou-
vera des personnages qui par iugementjugement subtil exa-
minant tes paroles, diront que tu n’as en quelques
endroitz bien obseruéobservé les loix de bergerie, et qu’il
n’est licite a aucun de passer oultre ses limites. A
ceulx la ieje ueuilveuil bien que (confessant liberalement
ta faulte) tu respondes qu’on ne scauroit trouuertrouver la-
boureur tant expert a faire des sillons, qu’il se puis-
se tousiourstousjours promettre de les mener tous droicte-
ment
114
DE SANNAZAR.
ment sans tordre d’une part ou d’autre. CōbienCombien que
ne te sera petite excuse d’auoiravoir esté la premiere en
ce siecle qui auras esueilléesveillé les forestz endormies, et
monstré aux pasteurs a chanter les chansons desiadesja
mises en oubliance, et de tant plus, que celuy qui te
composa de ces roseaux quand il fut en Arcadie, n’y
alla comme pastoureau champestre, ains en ieunejeune
homme bien institué, descongneu & pelerin d’A-
mour. D’aduantageadvantage au temps passé s’est trouuétrouvé des
pasteurs tãttant hardiz qu’ilz ont osé pousser leur stile
iusquesjusques aux oreilles des Consules Romains: soubz
l’umbre desquelz toy petite musette pourras bien
te couurircouvrir, & defendre ta raison. Mais si de fortu-
ne il t’en uenoitvenoit un de plus gracieuse nature, lequel
t’escoutant en pitié, gettast hors quelque larme
amoureuse, presente soudainement a Dieu pour luy
tes prieres, a ce qu’il luy plaise le conseruerconserver en sa fe-
licité, l’esloignant de noz miseres: Car a la ueritéverité
qui se sent des aduersitezadversitez d’aultruy, a souuenancesouvenance
de soymesmes. Toutesfois ieje croy que ceulx la se-
ront aussi rares, que corneilles blanches, pource que
la tourbe des detracteurs est beaucoup plus co-
pieuse. Et contre eulx ieje ne puis penser quelles ar-
mes ieje te pourroye donner, sinon te prier chere-
ment, que te rendant la plus humble qu’il te sera
poßiblepossible, te disposes a soustenir en patiēcepatience leurs uio-vio-
P ij
L’ARCADIE
lentes morsures. Nonobstant ieje pense estre aßeuréasseuré
que n’auras besoing de ce faire, si suyuantsuyvant mon con-
seil, tu te ueulxveulx tenir en ces boys secretement, &
sans aucune pompe: Car qui ne saulte, n’a peur de
tumber: & qui chet en la plaine (ce que n’aduient
gueres) se relieuerelieve sans dōmagedommage, seulement auecavec un
peu de secours de ses propres mains. Parquoy tu
peux tenir pour chose indubitable, que celuy peult
uiurevivre en plus grãdgrand repos, qui est plus loingtain &
retiré de la multitude confuse. Et entre les hommes
se peult plus ueritablementveritablement estimer bien heureux
celuy qui sans enuieenvie des grandeßesgrandesses d’aultruy, par
modestie de courage se contente de sa fortune.
FIN.