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ESSAIS DE MICHEL
DE MONTAIGNE.
Livre Premier.
Par diuersdivers moyens on arriuearrive à pareille fin.
CHAP. I.
LA plus commune façon d’amollir les coeurs
de ceux qu’on a offensez, lors qu’ayant la ven-
geance en main, ils nous tiennēttiennent à leur mercy:,
c’est de les esmouuoiresmouvoir ⁁
⁁ par summission
à commiseratiōcommiseration & à pi-
tié: tToutesfois la braueriebraverie, et la constance, & la
resolution, moyens tous contraires, ont quelquefois seruiservi à ce
mesme effect. Edouard Pprincep de Galles, celuy qui regenta si
long tēpstemps nostre Guienne,: personnage, duquel les conditions
& la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur,
ayant esté bien fort offencé par les Limosins, & prenant leur
ville par force, ne peut estre arresté par les cris du peuple, &
des femmes, & enfans abandonnez à la boucherie, luy criants
mercy, & se iettansjettans à ses pieds, iusqu’à ce que passant tousiourstousjours
outre dans la ville, il apperceut trois gentils-hommes Fran-
çois, qui d’vneune hardiesse incroyable soustenoyent seuls l’effort
de son armee victorieuse. La consideration & le respect d’vneune
si notable vertu, reboucha premierement la pointe de sa cho-
lere,: &Et commença par ces trois, à faire misericorde à tous les
autres habitāshabitans de la ville. Scanderberch, Pprincep de l’Epire, suy-
uantsuy-
vant vnun soldat des siēssiens pour le tuer,: & ce soldat ayātayant essayé par
A
ESSAIS DE M. DE MONTA.MICHEL DE
toute espeçe d’humilité & de supplication, de l’appaiser, se re-
solut à toute extremité de l’attendre l’espee au poing:. cCette
sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui
pour luy auoiravoir veu prendre vnun si honorable party, le receut en
grace. Cet exemple pourra souffrir autre interpretation de
ceux, qui n’auront leu la monstrueuseprodigieuse force & vaillance de ce
Pprincep là. L’Empereur Conrad troisiesme, ayant assiegé Guel-
phe Dducd de BauieresBavieres, ne voulut condescendre à plus dou-
ces conditions, quelques viles & laches satisfactions qu’on
luy offrit, que de permettre seulemētseulement aux gentils-femmes qui
estoyent assiegées auecavec le Duc, de sortir leur honneur sauuesauve à
pied, auecavec ce qu’elles pourroyent emporter sur elles. Elles d’vnun
coeur magnanime s’auiserētaviserent de charger sur leurs espaules leurs
maris, leurs enfans & le Duc mesme. L’Empereur print si grādgrand
plaisir à voir la gentillesse de leur courage, qu’il en pleura d’ai-
se,: &Et amortit toute cette aigreur d’inimitié mortelle & capi-
tale, qu’il auoitavoit portée contre ce Duc: &Et dés lors en auantavant le
traita humainement luy & les siens. L’vnun & l’autre de ces deux
moyens m’emporteroit aysemētaysement,. cCar ij’ay vneune merueilleusemerveilleuse las-
cheté vers la misericorde & le pardonla mansuetude : tTant y a qu’à mon ad-
uisad-
vis, ieje serois pour me rendre plus naturellement à la compas-
sion, qu’à l’estimation: sSi est la pitié, passion vitieuse aux Stoi-
ques: iIls veulent qu’on secoure les affligez,: mMais non pas qu’on
flechisse & compatisse auecavec eux. Or ces exemples me semblētsemblent
plus à propos,: dD’autātautant qu’on voit ces ames assaillies & essayées
par ces deux moyens, en soustenir l’vnun sans s’esbranler, & fle-
chircourber sous l’autre. Il se peut dire, que de se laisser allerrompre son ceur à la com-
passion & à la pitiécommiseration, c’est l’effect de la facilité, debōnairetédebonnaireté, &
mollesse: dD’où il aduientadvient que les natures plus foibles, comme
celles des femmes, des enfans, & du vulgaire y sont plus subiet-
tessubjet-
tes,: mMais ayant eu à desdaing les larmes & les pleursprieres, de se ren-
dre à la seule reuerencereverence & respect de la saincte image de la ver-
LIVRE PREMIER.MONTAIGNE LIV. I
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tu, que c’est l’effect d’vneune ame forte & imployable, ayant en
affection & en honneur vneune vertu viueviveuigeurvigeur, masle, & obstinée.
Toutesfois és ames moins genereuses, l’estonnement & l’ad-
miration, peuuētpeuvent faire naistre vnun pareil effect: tTesmoin le peu-
ple Thebain,: lequel ayant mis en iusticejustice d’accusation capitale
ses capitaines, pour auoiravoir continué leur charge outre le temps,
qui leur auoitavoit esté prescript & preordonné, absolut àlut ault de absolut a toutes
peines Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles obiectionsobjections, &
n’employoit à se garantir que requestes & supplications: &Et
au contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifique-
ment les choses par luy faites, & à les reprocher au peuple, d’v-
neu-
ne façon fiere & asseuréeet arrogante, il n’eut pas le coeur de prendre seule-
ment les balotes en main; &Et se departit l’assemblée, louant
grandement la hautesse du courage de ce personnage. ⁁
⁁ Dionisius ⁁ ⁁ le uieilvieil apres grandes
longurs et difficultez extremes aïant
pris la uilleville de Rege et en
icelle le capitene Phyton
grand home de bien qui l’auoitavoit
si obstineemant defandue uolutvolut
en tirer un tragique exemple
de uaniancevanjance. Il luy dict
premieremant comant le iourjour
auantavant il auoitavoit faict noyer son
filx & tous ceus de sa paranté.
A quoi Phyton respondit
sulemant, qu’ils en estoint d’un
iourjour plus hureus que luy Il
ordona Apres il le fit
depouiller et sesir a des
bourreaus et le trainer
par la uilleville en le fessant et
foitant tresignominieusement
et cruellement: et en outre
le chargeant de brocarsfelones
et paroles et contumelieuses. Mais
il eut le corage tousiourstousjours
constant sans se perdre: eEt
d’un uisagevisage ferme, alloit au
contrere ramanteuantramantevant a
haute uoixvoix l’honorable &
glorieuse cause de sa mort:
pour n’auoiravoir uoluvolu rendre
son païs entre les mains du
tirant: le menaçant d’une
procheine punition des Dieus
Dionisius lisant dans les yeus
de ses soldats quelque coman
cemant d’alteration et que
cet example de rare uertuvertu
flechissoit leur corage a
pitie: de maniere qu’ils luy
pourroit arracher par force
estoint a mesmela commune de son armee que
quelque au lieu de s’animer des
brauadesbravades de cet enemi ueincuveincu au
mespris de leur chef et de son
triomfe ell’aloit s’amollissātamollissant
par l’estonement d’une si rare uertuvertu
et marchandoit de se mutiner
& d’aller par forceestant a mesmes d’arracher
Python d’entre les mains de ses sergens
fit cesser ce martyre et a cachetes
l’enuoiaenvoia noyer en la mer.
Certes
c’est vnun subiectsubject merueilleusementmerveilleusement vain, diuersdivers, & ondoyant,
que l’homme: iIl est malaisé d’y fonder & establir iugementjugement
constant & vniformeuniforme. Voyla Pompeius qui pardonna à toute
la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animé, en
consideration de la vertu & magnanimité du citoyen Zenon,
qui se chargeoit seul de la faute publique, & ne requeroit au-
tre grace que d’en porter seul la peine. Et l’hoste de Sylla ayant
vséusé en la Vuville de Peruse de semblable vertu, n’y gaigna rien,
ny pour soy ny pour les autres. Et directemētdirectement contre mes pre-
miers exemples, le plus courageuxhardi des hommes qui fut onques, &
le pluset si gratieux aux vaincus, Alexandre, forçant apres beau-
coup de grandes difficultez, la Ville de Gaza, rencontra Betis
qui y commādoitcommandoit, de la valeur duquel il auoitavoit, pendant ce sie-
ge, senty des preuuespreuves merueilleusesmerveilleuses,: lors seul, abandonné des
siens, ses armes despecées, tout couuertcouvert de sang & de playes,
combatant encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui
le chamailloient de toutes parts: &Et luy dict, tout piqué d’vneune si
chere victoire: car entre autres dōmagesdommages, il y auoitavoit receu deux
A ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
fresches blessures sur sa personne: tTu ne mourras pas comme
tu as voulu, Betis: fFais estat qu’il te faut souffrir toutes les sortes
de tourmens qui se pourront inuenterinventer contre vnun captif. L’au-
tre, d’vneune mine non seulement asseuree, mais rogue & altiere,
se tint sans mot dire à ces menaces. Lors Alexandre, voyātvoyant l’obson fier et
stination à se taireobstiné et fier silence: aA-il flechy vnun genouil? luy est-il eschappé
quelque voix suppliante? Vrayment ieje vainqueray ce silence,ta taciturnité :
&Et si ieje n’en puis arracher parole, ij’en arracheray au moins du
gemissement: &Et tournant sa choleresonsa despit cholere en rage, cōmandacommanda qu’on
luy perçast les talons, & qu’on y trauersasttraversast vneune corde: & le fit
ainsi trainer tout vif, deschirer & desmembrer au cul d’vneune
charrete. Seroit-ce, que la force de couragehardiesse luy fut si naturelle
& commune, que pour ne l’admirer point, il l’estimast &la res-
pectast moins? ⁁ ouet Ou qu’il l’enuiatenviat en un autre. Ou qu’il fit besouin une trop forte
opposition pour arreter l’impetuosite de sa naturelle cholere.
⁁ Ou qu’il l’estimat si propremētproprement
siene qu’en cette hautur
il ne peut souffrir de la uoirvoir en un
autre sans le despit d’une passion
enuieuseenvieuse. Ou que l’impetuosite
naturelle de sa cholere fut incapable
d’opposition De uraivrai si ell’eut receu
la bride qu’en la prinse et desolation
de Thebes elle l’eut receue il est a croire
qu’elle qu’en la prinse et desolation de
la uilleville de Thebes elle l’eut receue a
voir cruellemant mettre au fil de
l’espee six mill’ho tant de uaillansvaillans
homes perdus & n’aiant plus moien
de desfance publique car il en fut
tue bien six mille des quels nul ne fut
veu ny fuiant ny demandant merci
au rebours cherchans qui ça qui la
par leurss rues a affronter les enemis
victorieus les prouoquantprovoquant a les
faire mourir d’une mort honorable
nul ne fut ueuveu si abatu de blessures
qui n’essaiat aen son dernier soupir de
se vanger encores. Et a tout les
armes du desespoir companserconsoler sa
mort paren la mort de quelque enemi.
Si ne trouuatrouva l’affliction de leur uertuvertu aucune pitie et ne
suffit la longur d’un iourjour a assouuirassouvir sa uaniancevanjance Dura cette
boucheriecarnage iusquesjusques a la derniere goutte de sang qui se trouuatrouva espandable
que d’espandre et iusjuset ne s’arreta ques aus persones desarmees uieillarsvieillars fames et enfans pour en tirer
enfans de quoi il s’en fit trante mille esclauesesclaves.
De la Tristesse.
CHAP. II.
IJE suis des plus exēptsexempts de cestttett passion: ⁁
⁁ Et ne l’aime ny l’estime.
Quoi que les homes monde
aÿent prins come a
pris faict de l’honorer
de faueurfaveur particuliere
Ils en habillent la sagesse
la uertuvertu la consciance.
Sot et monstrueus ornem
ment. Les Italiens ont
plus sortablement bab=
tisé de son nom la malig=
nité. Car c’est une qualitè
tousiourstousjours nuisible, tousiourstousjours
fole. Mais Et come
tousiourstousjours ⁁ ⁁ couarde et basse les Stoiciens
en defandētdefandent le sentimātsentimant a
leur sage. Mais
mais le con-
te dit, que Psammenitus Roy d’Egypte, ayant esté
deffait & pris par Cambisesz Roy de Perse, voyant
passer deuantdevant luy sa fille prisonniere habillée en ser-
uanteser-
vante, qu’on enuoyoitenvoyoit puiser de l’eau, tous ses amis pleurans
& lamentans autour de luy, se tint coy sans mot dire, les yeux
fichez en terre: &Et voyātvoyant encore tantost qu’on menoit son fils
à la mort, se maintint en cestttett mesme contenācecontenance: mMais qu’ayātayant
apperçeu vnun de ses domestiques conduit entre les captifs, il se
mit à battre sa teste, & mener vnun dueil extreme. Cecy se pour-
roit apparier à ce qu’on vid dernierement d’vnun Prince des no-
stres, qQui ayātayant ouy à Trante, où il estoit, nouuellesnouvelles de la mort
de son frere aisné, mais vnun frere en qui consistoit l’appuy &
l’honneur de toute sa maison, &Et bien tost apres d’vnun puisné, sa
LIVRE PREMIER.
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seconde esperance, &Et ayant soustenu ces deux charges d’vneune
constance exemplaire, cComme quelques ioursjours apres vnun de ses
gens vint à mourir, il se laissa emporter à ce dernier accident,
&Et quittant sa resolution, s’abandonna au dueil & aux regrets,
eEn maniere qu’aucuns en prindrent argumētargument, qu’il n’auoitavoit esté
touché au vif que de cestttett derniere secousse: mMais à la verité ce
fut, qu’estant d’ailleurs plein & comblé de tristesse, la moindre
sur-charge brisa les barrieres de la patience. Il s’en pourroit (di-
ieje) autant iugerjuger de nostre histoire, nN’estoit qu’elle adiousteadjouste,
que Cambises s’enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s’e-
stant esmeu au malheur de son fils & de sa fille, il portoit si
impatiemment celuy d’vnun de ses amis,: cC’est, respōditrespondit il, que ce
seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux pre-
miers surpassans de bien loin tout moyēmoyen de se pouuoirpouvoir expri-
mer. A l’auentureaventure reuiendroitreviendroit à ce propos l’inuentioninvention de cet
ancien peintre, lequel ayant à representer au sacrifice de Iphi-
genia, le dueil des assistans, selon les degrez de l’interest que
chacun apportoit à la mort de cestttett belle fille innocente,: ayātayant
espuisé les derniers efforts de son art,: quādquand se vint au pere de la
fille, il le peignit le visage couuertcouvert, cComme si nulle contenance
ne pouuoitpouvoit representer ce degré de dueil. Voyla pourquoy
les Ppoëtesp feignent cette miserable mere Niobé, ayant perdu
premierement sept fils, & puis de suite autātautant de filles, sur-char-
gée de pertes, auoiravoir esté en fin transmuée en rochier,
Diriguisse malis:diriguisse malis:
pPour exprimer cette morne, muette & sourde stupidité, qui
nous transit, lors que les accidens nous accablētaccablent surpassans no-
stre portée. De vray, l’effort d’ vnun desplaisir, pour estre extre-
me, doit estōnerestonner toute l’ame, & luy empescher la liberté de ses
actions: cComme il nous aduientadvient à la chaude alarme d’vneune bien
mauuaisemauvaise nouuellenouvelle, de nous sentir saisis, transis, & comme per-
clus de tous mouuemēsmouvemens, dDe façon que l’ame se relaschant apres
A iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
aux larmes & aux plaintes, semble se desprendre, se demesler &
se mettre plus au large, & à son aise,.
Et via vix tandem voci laxata dolore est. ⁁
⁁ En la guerre que le Roy
Ferdinand fit contre la
veufueveufve de IanJan Roy de
Hongrie autour de Bude
Raïsciac capiteine Alemand
voiant raporter le corps
d’un home de cheualcheval a qui
chacun auoitavoit ueusveus
excessiuementexcessivement bien faire
en la meslee cur le pleignoit
d’une pleinte commune mais
curieus aueqaveq les autres de
reconoistre qui il estoit
apres qu’on l’eut desarme
trouuatrouva que c’estoit son filx
et parmi les larmes publiques
luy sul se tint sans mot dire
espandre ny uoisvois ny pleurs
debout sur ses pieds ses yeus
immobiles le regardant
fixemētfixement iusquesjusques a ce que
l’effort de la tristesse uenātvenant
a glacer ses esprits uitausvitaus
le porta en cet estat roide
mort par terre
Chi puo dir com’ egli arde é in picciol fuoco
disent les amoureux, qui veulent representer vneune passion in-
supportable.:
misero quod omnes
Eripit sensus mihi. Nam simul te
Lesbia aspexi, nihil est super mi
Quod loquar amens.
Lingua sed torpet, tenuis sub artus
Flamma dimanat, sonitu suopte
Tinniunt aures, gemina teguntur
Lumina nocte.
De vray, ceAussi n’est ce pas en la viuevive & plus cuysante chaleur de l’ac-
cés que nous sommes propres à desployer nos plaintes & nos
persuasions: lL’ame est lors aggraueeaggravee de profondes pensees, &
le corps abbatu & languissant d’amour:. &Et de là s’engendre par
fois la defaillance fortuite, qui surprent les amoureux si hors
de saison, &Et cestttett glace qui les saisit par la force d’vneune ardeur
extreme, au girōgiron mesme de la ioüyssancejoüyssance: accident qui ne m’est
pas incogneu.A noter la rature. Villey dans l’édition municipale tout comme l’édition de la Pléiade notent que cette remarque avait été ajoutée en 1588. Il y a donc une rétractation sur cette confession après 1588. Toutes passions qui se laissent gouster & dige-
rer, ne sont que mediocres,
Curae leues loquuntur, ingentes stupent.
La surprise d’ vnun plaisir inesperé nous estonne de mesme.,
Vt me conspexit venientem, & Troïa circum
Arma amens vidit, magnis exterrita monstris,
Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit,
Labitur, & longo vix tandem tempore satur.
Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d’aise de
voir son fils reuenurevenu de la route de Cannes: Sophocles & Denis
le Tyran, qui trespasserent d’aise: &Et Talua qui mourut en Cor-
LIVRE PREMIER.
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segue, lisant les nouuellesnouvelles des honneurs que le Senat de Rome
luy auoitavoit decernez; nNous tenons en nostre siecle que le Pape
Leon dixiesme ayant esté aduertyadverty de la prinse de Milan, qu’il
auoitavoit extrememētextremement souhaitée, entra en tel excez de ioyejoye, que la
fieurefievre l’en print & en mourut. Et pour vnun plus notable tes-
moignage de l’imbecilité naturellehumaine, il a esté remarqué par les
anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut sur le chāpchamp, es-
pris d’vneune extreme passion de honte, pour en son eschole & en
public ne se pouuoitpouvoit desuelopperdesvelopper d’vnun argument qu’on luy
auoitavoit faict. IeJe suis peu en prise de ces violentes passions: IJ’ay
l’apprehension naturellement dure; &Et l’encrouste & espessis
tous les ioursjours par discours.
Nos affections s’emportent au delà de nous. CHAP. III.
CEVXCEUX qui accusent les hommes d’aller tousiourstousjours
beant apres les choses futures, &Et nous aprennent à
nous saisir des biēsbiens presens, & nous rassoir en ceux-
là, comme n’ayātayant aucune prise sur ce qui est à venir,:
voire assez moins que nous n’auonsavons sur ce qui est passé, tou-
chent la plus commune des humaines erreurs: sS’ils osent appel-
ler erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le
seruiceservice de la continuation de son ouurageouvrage. ⁁
⁁ : nous imprimant come
asses d’autres cete imagi=
nation fauce: plus ialousejalouse
de nostre profitaction que de no
nostre sciance.
Nous ne sommes
iamaisjamais chez nous, nous sommes tousiourstousjours au delà. La crainte,
le desir, l’esperance nous eslancent vers l’adueniradvenir,: & nous des-
robent le sentiment & la consideratiōconsideration de ce qui est, pour nous
amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. ⁁
⁁ Calamitosus est
animus futuri anxius.
Ce grand praecepte est souuantsouvant
allegueé paren Platon Faicts ton
faict & te conois. Chacun de
ses deus membres enuelopeenvelope
generalement tout nostre
deuoirdevoir: et semblablement
enuelopeenvelope son p compaignon
Qui aroit a faire son faict
il faudroit en premier lieu
qu’ils s’instruisit de soi et de
ses droits pour ne prendre
l’estrangier pour le sien
n’extrauaguerextravaguer en occupations
superflues et en pensees et propositions inutiles. Et qui aroit
apris a se conoitre aroit apris a saimers’aimer a se cultiuercultiver uerroitverroit que
sa premiere leçon seroitc’est conestre ce qu’il est et ce qui luy est propre.
Et qui en seroit lase conoit, ne prendroit plus lestrangierl’estrangier faict pour le sien:
saimeroits’aimeroit et se cultiueroitcultiveroit auantavant toute autre chose: refuseroit les
occupations superflues et les pensees et propositions inutiles. Vt
stultitia et si adepta est quod concupiuit nunquam se tamen
satis consecutam putat: sic sapientia semper eo contenta est
quod adest, neque eam unquam sui paenitet. Epicurus
dispense son sage de la preuoianceprevoiance ⁁ ⁁ et sollicitude de l’aueniravenir
Entre
les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant
solide, qui oblige les actiōsactions des Princes à estre examinees apres
leur mort: iIls sont compaignons, si non maistres des loix: cCe
que la IusticeJustice n’a peu sur leurs testes, c’est raison qu’elle l’ayt
sur leur reputatiōreputation, & biens de leurs successeurs,: qui sont cChoses
que souuentsouvent nous preferons à la vie. C’est vneune vsanceusance qui ap-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
porte des commoditez singulieres aux nations où elle est ob-
serueeob-
servee, & desirable à tous bons Pprincesp.⁁
⁁ qui ont à se plaindre de ce, qu’on traitte la memoire des meschants comme la leur. Nous deuonsdevons la
subiectionsubjection et lobeissancel’obeissance esgalemant a tous Roys, car elle regarde leur office: mais lestimationl’estimation non
plus que laffectionl’affection nous ne la deuonsdevons qu’a leur meriteuertuvertu. Donons a lordrel’ordre politique de les souffrir
patiammant indignes, de celer leurs uicesvices, d’aider de nostre recomandation leurs actions indifferentes
pendant que leur authorite ha besoin de nostre appui. Mais nostre commerce fini, ce n’est pas raison de
refuser a la iusticejustice & a nostre
liberté l’expression de nos uraisvrais
ressentimans. Et
nomeemant de refuser
aus bons subietssubjets la glo
gloire d’auoiravoir reuerammantreverammant
et fidelemant seruiservi un maistre
les imperfections du quel luy
leur estoint si bien conues:,
frustrant la posterite d’un
si utille exemple. Et ceus
qui par respect de quelque
obligation priueeprivee espousētespousent
iniquement la memoire
d’un prince meslouable,
font iusticejustice particuliere
aus despens de la iusticejustice
publique. Un antienTite LiueLive dict
vrai, que le langage des
homes nourris sous la
Royauté est tousiourstousjours
plein de folles ostentatiōsostentations
& ueingsveingsuainsvains tesmouignages:
chacun esleueātesleveant indiffe=
remment son roy a
extreme ligne de ualurvalur
& grandur souuereinesouvereine.
On peut reprouuerreprouver la
magnanimité de ces
deus soldats qui
respondirent a l’emperurNeron
a sa barbe: l’un enquis,
de luy pourquoi il luy
vouloit mal. IeJe t’eimois
quand tu le ualiesvalies: mais
despuis que tu es uenuvenu
parricide boutefu
batelur cochier ieje te
hai come tu merites.
L’autre, pourquoi il le
vouloit tuer: Parce que
ieje ne treuuetreuve autre remede
a ces continuelles meschan=
cetez. Mais les
publiques et uniuerselsuniversels
tesmouignages qui apres
sa mort furentont este randus
& le seront a tout iamaisjamais
de saes m tiranniques et
vilains desportemants
qui de sain entandemātentandemant
les peut reprouuerreprouver?
Il me desplait qu’en une
si saincte police que la
Lacedemoniene se soitfut misemesle
vneune si sottefeinte ceremonie. A
la mort des Roys tous les
confederez & uoisinsvoisins eto
& tous les Ilottes homes femmes
pesle mesle et des spar naturels
spartiates encore se descou=
poient lale front pour tesmouig=
nage de deuil et disaoint en
leurs cris et lamentations quel qu’il ayeeut este queque celuy la quel qu’il eut este c’estc’estoit le meillur Roy de tous les leurs: quel qu’il eut este.
qu’ils eurent onques attribuants au dernier ranc. Ce los qui se doit au
premier merite apartenoit au merite & qui apartenoit au premier merite
au postreme et dernier ranc Aristote qui tasteremue toutes choses: s’enquiert sur le mot de Solon
que nul ⁁ ⁁ auantavant sa mort ne peut estre dict hureus, si celuy la mesmes qui a uescuvescu et qui est mort selon ordre peut
estre dict hureus veu quesi sa renomee peutva mal aler si sa posterite est re miserable si ses amis haïssent sa memoire
Pandant que nous nous remuons nous nous portonts par praeoccupations ou il nous plait: mais n’estans plusestant hors de lestrel’estre
nous n’auōsavons aucune communautecommunication aueqaveq ce qui est. Et seroit meillur de dire a Solon que iamaisjamais home n’est donq
hureus s’ilpuis qu’il ne l’est que quand apres qu’il n’est plus
quisquam
Vix radicitus è vita se tollit, & eiicit:
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse,
Nec remouet satis à proiecto corpore sese, &
Vindicat.
Bertrand du Glesquin mourut au siege du chasteau de Ran-
con, pres du Puy en AuuergneAuvergne: lLes assiegez s’estant rendus
apres, furent obligez de porter les clefs de la place sur le corps
du trespassé. Barthelemy d’Aluiane, General de l’armée des
Venitiens, estant mort au seruiceservice de leurs guerres en la Bresse,
& son corps ayātayant a estre raporté à Venise par le Veronois, ter-
re ennemie: la pluspart de ceux de l’armée estoient d’aduisadvis,
qu’on demandast saufconduit pour le passage à ceux de Ve-
rone: mMais Theodore TriuolceTrivolce y cōtreditcontredit; & choisit plustost
de le passer par viuevive force, au hazard du cōbatcombat: nN’estant conue-conve-
nable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n’auoitavoit iamaisjamais eu peur
de ses ennemis, estant mort fist demonstration de les crain-
dre. De vray, en chose voisine, par les loix Grecques, celuy qui
demandoit à l’ennemy vnun corps pour l’inhumer, renonçoit à
la victoire, & ne luy estoit plus loisible d’en dresser trophee:. àA
celuy qui en estoit requis, c’estoit tiltre de gain. Ainsi perdit
Nicias l’auantageavantage qu’il auoitavoit nettement gaigné sur les Corin-
thiēsCorin-
thiens: &Et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien
doubteusemētdoubteusement acquis sur les Baeotiens. Ces traits se pourroiētpourroient
trouuertrouver estranges, s’il n’estoit receu de tout temps, non seule-
ment d’estendre le soing que nous auonsavons de nous au delà cet-
te vie,: mais encore de croire que bien souuentsouvent les faueursfaveurs ce-
lestes nous accompaignent au tombeau, & continuent à nos
reliques. Dequoy il y a tant d’exemples anciens, laissant à
part les nostres, qu’il n’est besoing que ieje m’y estende. Edouard
premier
LIVRE PREMIER. 5
premier Roy d’Angleterre, ayant essayé aux longues guerres
d’entre luy & Robert Roy d’Escosse, combiēcombien sa presence dō-
noitdon-
noit d’aduantageadvantage à ses affaires, rapportātrapportant tousiourstousjours la victoire
de ce qu’il entreprenoit en personne; mourātmourant, obligea son fils
par solennel serment, à ce qu’estant trespassé, il fist bouillir son
corps pour desprēdredesprendre sa chair d’auecavec les os, laquelle il fit enter-
rer: & quātquant aux os, qu’il les reseruastreservast pour les porter auecavec luy &
en son armée, toutes les fois qu’il luy aduiēdroitadviendroit d’auoiravoir guer-
re contre les Escossois,. cCōmeomme si la destinée auoitavoit fatalement
attaché la victoire à ses membres. IeanJean Vischa qui troubla la
Boheme pour la deffēcedeffence des erreurs de VViclefWiclef, voulut qu’on
l’escorchast apres sa mort, & de sa peau qu’on fist vnun tabourin
à porter à la guerre contre ses ennemis: eEstimātstimant que cela ayde-
roit à continuer les auantagesavantages qu’il auoitavoit eus aux guerres, qu’il
auoitavoitpar luy conduites contre eux. Certains Indiens portoiētportoient ainsin
au combat contre les Espagnols, les ossemens de l’vnun de leurs
Capitaines; en consideratiōconsideration de l’heur qu’il auoitavoit eu en viuantvivant.
Et d’autres peuples en ce mesme monde, trainēttrainent à la guerre les
corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs batailles,
pour leur seruirservir de bonne fortune & d’encouragement. Les
premiers exemples ne reseruentreservent au tombeau, que la reputatiōreputation
acquise par leurs actiōsactions passées: mMais ceux-cy y veulent encore
mesler la puissance d’agir. Le fait du Ccapitainec Bayard est de
meilleure composition, lequel se sentant blessé à mort d’vneune
harquebusade dans le corps, cōseilléconseillé de se retirer de la meslée,
respondit, qu’il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le
dos à l’ennemy: &Et ayant combatu autant qu’il eut de force, se
sentātsentant defaillir & eschapper du cheualcheval, cōmandacommanda à son maistre
d’hostel, de le coucher au pied d’vnun arbre:, mMais que ce fut en
façon qu’il mourut le visage tourné vers l’ennemy, comme il
fit. Il me faut adiousteradjouster cet autre exemple aussi remarquable
pour cestttett consideration, que nul des precedens. L’Empereur
B
ESSAIS DE M. DE MONTA.
MaximiliāMaximilian bisayeul du Roy Philippes, qui est à present, estoit
Prince garnydoué de tout plein de grādesgrandes qualitez, & entre autres
d’vneune beauté de corps singuliere: mMais parmy ces humeurs, il
auoitavoit cestte-cy bien contraire à celle des princes, qui pour des-
pecher les plus importants affaires font leur throsne de leur
chaire percée: cC’est qu’il n’eust iamaisjamais valet de chambre, si pri-
uépri-
vé, à qui il permit de le voir en sa garderobbe: iIl se desroboit
pour tomber de l’eau, aussi religieux qu’vneune fillepucelle à ne descou-
urirdescou-
vrir ny à medecin ny à qui que ce fut, les parties qu’ōon a accou-
stumé de tenir cachées. Moy, qui ay la bouche si effrontee, suis
pourtant par complexion touché de cestttett honte:. sSi ce n’est à
vneune grādegrande suasion de la necessité ou de ⁁ ⁁ la volupté, ieje ne cōmuni-
quecommuni- la
que guiere aux yeux de personne les membres & actions, que
nostre coustume ordonne estre couuertescouvertes: ijJ’y souffre plus de
cōtraintecontrainte, que ieje n’estime bien seant à vnun homme,: &Et sur tout,
à vnun homme de ma professiōprofession: mMais luy, en vint à telle supersti-
tion, qu’il ordonna par paroles expresses de son testament,
qu’on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il de-
uoitde-
voit adiousteradjouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit
eut les yeux bandez. ⁁
⁁ IJ’attribue a quelque
deuotiondevotion come d’un
Prince entre ses autres
perfections admirables
singulierement relli=
gieus: lL’ordonance que
Cyrus faict a ses enfāsenfans
que ny eus ny autre
ne uidvid son cors apres
qu’il seroit decedé ne
uoievoie et touche son cors
apres que l’ame en sera
separee. ieje l’attribue a quelque
siene deuotiondevotion. Car et son
Historien & luy entre leurs
grandes qualites ont seme
par tout le cours de leur
uievie un singulier soins & reue=
rencereve=
rence a la relligion.
Ce conte me despleut qu’vnun grand Prin-
ce me fit d’vnun mien allié,: hōmehomme assez cogneu & en paix & en
guerre. C’est que mourant bien vieil en sa court, tourmenté
de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures
dernieres auecavec vnun soing vehement, à disposer l’honneur & la
ceremonie de son enterrement, & pressasomma toute la noblesse qui
le visitoit, de luy donner parole d’assister à son conuoyconvoy. A ce
prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit vneune instan-
te supplication que sa maison fut commandee de s’y trouuertrouver,
eEmployant plusieurs exemples & raisons à prouuerprouver que c’e-
stoit chose, qui appartenoit à vnun homme de sa sorte,: &Et sem-
bla expirer content, ayant retiré cestttett promesse, & ordonné à
son gré la distribution, & ordre de sa monstre. IeJe n’ay guiere
LIVRE PREMIER. 6
veu de vanité si perseueranteperseverante. Cette autre curiosité contraire,
en laquelle ieje n’ay point aussi faute d’exēpleexemple domestique, me
semble germaine à cestttett-cy, dD’aller se soignant & passionnant
à ce dernier poinct a regler son conuoyconvoy, à quelque particulie-
re & inusitee parsimonie, à vnun seruiteurserviteur & vneune lanterne. IeJe
voy louer cett’ humeur, & l’ordonnance de Marcus AEmilius
Lepidus, qui deffendit à ses heritiers d’employer pour luy les
cerimonies qu’ōon auoitavoit accoustumé en telles choses. Est-ce en-
core temperance & frugalité, d’euitereviter la despence & la volup-
té, desquelles l’vsageusage & la cognoissance nous est inperceptible?
VuVoilauv vnun’ aisee reformation & de peu de coust.⁁
⁁ S’il estoit besouin
d’en ordoner ieje serois
d’auisavis qu’en celela
come en toutetoutes actions
de la uievie chacun en
raportat la regle
en la forme de sa
fortune. Et le philo=
sophe Lycon praescrit
sagemētsagement a ses amis
de l’enterrer ny
superfluemētsuperfluement ny
mecaniquement.
mettre son corps ou ils
auiserontaviseront pour le mieus
et quand aus fune=
railles qu’ilsde les facentire
ny superflues ny
mecaniques
IeJe lairroaisCette correction de "lairrois" en "lairrai" témoigne de la réduction de la diphtongueC’est aussi un passage du conditionnel (éventuel) au futur (décision, proche) plu-
stostpuremant la coustume ordōnerordonner de cestttett cerimonie, &Et sauf les cho-
ses requises au seruiceservice de ma religion, si c’est en lieu où il soit
besoing de l’enioindreenjoindre, m’en remettray volontiers à la discre-
tion des premiers à qui cette sollicitudeieje tomberai en partagecharge. ⁁
⁁
Totus hic locus est contem=
nendus in nobis non negli=
gendus in nostris. Et
⁁et est sainctemant dict a un
sainct: Curatio funeris conditio
sepulturae pompa exequiarum
magis sunt uiuorum solatia
quam subsidia mortuorum.
Pourtant Socrates a
Crito qui sur l’heure de sa
fin q luy demande comant
il ueutveut estre enterre. Come
uousvous uoudrezvoudrez respontd il
Mais s’il en faut dire
Si ij’auoisavois à m’en empescher plus auantavant, ieje trouueroistrouverois plus ga-
land, d’imiter ceux, qui veulententreprenent viuāsvivans & respirans, iouyrjouyr de l’or-
dre & honneur de leur sepulture, &Et qui se plaisent de voir en
marbre, leur morte cōtenancecontenance. Heureux, qui sçachētsçachent resiouyrresjouyr
& gratifier leur sens, par l’insensibilité, & viurevivre de leur mort. ⁁
⁁ Quaeris quo
iaceas post obitum
loco
Quo non nata iacent
A peu que ieje n’entre en haine irre=
conciliable contre toute domination
populere quoi qu’elle me semble la plus
naturelle et aequitable: quand il
me souuientsouvient de cette inhumaine
iniusticeinjustice du peuple Athenien, de
faire mourir sans remission &
sans les uouloirvouloir sulement ouïr
en leurs defances, ses brauesbraves
capitenes, uenansvenans de gaigner
contre les Lacedemoniens la
bataille naualenavale pres des isles
Arginuses: la plus difficibledifficible la
plus gran contestee la plus forte
bataille que les grecs aïaent
onques doné en mer de leurs
forces: parce qu’apres la uictoirevictoire
ils auointavoint plus tost suiuisuivi les
occasions que la loi de la guerre
leur presantoint, plus tost, que
de s’arreter a receuillir et
inhumer leurs morts. Et rend
cete execution plus odieuse le
faict de Diomedon. Cetuicy est lunl’un des
condamnès, home de notable uertuvertu, et
militere et politique,: lLequel se tirant
auantavant pour parler, apres auoiravoir oui l’arrest
de leur condemnation: et trouuanttrouvant sulemant
lors, lieutemps de paisible audiance: au lieu de
s’en seruirservir au bien de sa cause et a descouurirdescouvrir
l’euidanteevidante iniusticeinjustice d’une si cruelle conclusion
ne representa qu’un souin de la conseruationconservation
de ses iugesjuges: priant les dieus de tourner a leur
ce iugementjugement a leur bien: et affin qu’a faute de rendre les ueusveus
qu’ils auointavoint que luy et ses compaignons
auointavoint uouevoue aus dieus en reconnoissance d’une
si illustre fortune, ils n’attirassent lirel’ire des
dieus sur eus les aduertissantadvertissant quels ueusveus c’estoient.
Et sans dire autre chose, & sans marchander, s’achemina de ce pas courageusement au supplice. ⁁
⁁ La peine suiuitsuivitfortune quelques années apres cette inique superstition.les punit de mesme pain souppe.
Car Chabrias capitene general de l’armee de mer des Atheniens, aïant
eu le dessus du combat contre Pollis admiral de Sparte en lislel’isle de
Naxe, perdit le fruit tout net et contant de sa uictoirevictoire, tresimportant
a leurs affaires: pour n’encourir le malheur de cet example. eEt pour ne
perdre peu des corps mors ⁁ ⁁ de ses amis qui flotoint en mer, laissa se retireruoguervoguer en sauuetesauvete
un monde d’enemis uiuansvivans qui bien tostdespuis leur firent bien acheter cete importune superstitiōsuperstition
Quaeris quo iacentas post obitūobitum loco
Quo non nata iacent.
Cet autre redone le sentimant du repos a un corps sans ame:
Neque sepulchrum quo recipiat, habeat portum corporis,
Vbi, remissa humana vita, corpus requiescat a malis.
Comme l’ame descharge ses passions sur des obiectsobjects faux,
quand les vrais luy defaillent.
CHAP. IIII.
VNUN gentil-hōmehomme des nostres merueilleusementmerveilleusement sub-
iectsub-
ject à la goutte, estātestant pressé par les medecins de lais-
ser du tout l’vsageusage des viandes salées, auoitavoit accou-
stumé de respōdrerespondre fort plaisamment, que sur les ef-
forts & tourments du mal, il vouloit auoiravoir à qui s’en prendre,.
&Et que s’escriātescriant & maudissant tantost le ceruelatcervelat, tantost la lan-
gue de boeuf & le iambonjambon, il s’en sentoit d’autant allegé. Mais
en bon escient, comme le bras estant haussé pour frapper, il
B ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous deult, si le coup ne rencontre, & qu’il aille au vent: aAussi
que pour rendre vneune veuë plaisante, il ne faut pas qu’elle soit
perduë & escartée dans le vague de l’air, ains qu’elle aye bute
pour la soustenir à raisonnable distance.,
Ventus vt amittit vires, nisi robore densae
Occurrant siluae spatio diffusus inani.
De mesme il semble que l’ame esbranlée & esmeuë se perde
en soy-mesme, si on ne luy dōnedonne prinse: &Et faut tousiourstousjours luy
fournir d’obiectobject où elle s’abutte & agisse. Plutarque dit à pro-
pos de ceux, qui s’affectionnent aux guenōsguenons & petits chiens,
que la partie amoureuse, qui est en nous, à faute de prise legi-
time, plustost que de demeurer en vain, s’en forge ainsin vneune
faulce & friuolefrivole. Et nous voyons que l’ame en ses passions se
pipe plustost elle mesme, se dressant vnun faux subiectsubject & fan-
tastique, voire contre sa propre creance, que de n’agir contre
quelque chose. Ainsin emporte les bestes leur rage à s’atta-
quer à la pierre & au fer, qui les a blessees, &Et à se venger à belles
dents sur ellessoi mesmes du mal qu’elles sentent.,
Pannonis haud aliter post ictum saeuior vrsa
Cuimm iaculum parua liLybisLy amentauit habena,
Se rotat in vulnus, telúmque irata receptum
Impetit, & secum fugientem circuit hastam.
Quelles causes n’inuentonsinventons nous des malheurs, qui nous ad-
uiennentad-
viennent? àA quoy ne nous prenōsprenons nous à tort ou a droit, pour
auoiravoir ou nous escrimer? Ce ne sont pas ces tresses blōdesblondes, que
tu deschires, ny la blancheur de cestttett poictrine, que despite
tu bas si cruellement, qui ont perdu d’vnun malheureux plomb
ce frere bien aymé: pPrens t’en ailleurs. ⁁
⁁ LiuiusLivius parlant de
l’armee Romeine en
Espaigne apres la perte
des deus freres, leursses
grans capitenes: flere
omnes repente et
offensare capita: cetc’est
un usage commun.
Et le mot du ⁁ ⁁ philosofe Bion asur celuide ceMontaigne écrit d’abord : "Bion a celuy Roy", puis : "Bion sur ce Roy" et enfin : "Bion de ce Roy" Roy qui de deuil s’arrachoit les poils
ne fut pasil pas plaisant Cetuici pense il que la pelade soulage le deuil.
Qui n’a veu macher &
engloutir les cartes, se gorger d’vneune bale de dets, pour auoiravoir
ou se venger de la perte de son argent? Xerxes foita la mer,⁁ ⁁ de l’Helespont l’enforgea et luy fit dire mille uillaniesvillanies &
escriuitescrivit vnun cartel de deffi au mōtmont Athos: &Et Cyrus amusa tou-
te vneune armée plusieurs ioursjours à se venger de la riuiereriviere de Gyn-
LIVRE PREMIER 7
dus, pour la peur qu’il auoitavoit eu en la passant: &Et Caligula rui-
na vneune tresbelle maison, pour le plaisir que sa mere y auoitavoit re-
ceueu. ⁁
⁁ Le peuple disoit en ma
iunessejunesse qu’un Roy de nos
uoisinsvoisins ayanst receu de
Dieu un coup deune bastonade uergevergefoet iurajura
de s’en uangervanger: ordonant que
de dix ans on ne le prierointat
ny parleroitat on de luy, en bien
ny en mal autant qu’il estoit
en son authorite ne croire l’onqu’on ne creut
on en luy. Par ou on uouloitvouloit
peindre non tant la sottise
que la gloire naturelle a la
nation de quoi estoit le compte.
Ce sont uicesvices tousiourstousjours conioinctsconjoincts
mais telles actions tienent
a la ueriteverite un peu plus encore
de gloire que de sottise d’outre=
cuidance que de bestise.
Augustus Cesar ayant esté battu de la tampeste sur mer, se
print a deffier le Dieu Neptunus, & en la pompe des ieuxjeux Cir-
censes fit oster son image du reng, où elle estoit parmy les au-
tres dieux, pour se venger de luy. En quoy il est encore moins
excusable, que les precedens, & moins qu’il ne fut depuis, lors
qu’ayant perdu vneune bataille sous Quintilius Varus en Alle-
maigne, il alloit de colere & de desespoir, choquātchoquant sa teste cō-
trecon-
tre la muraille, en s’escriant,. Varus rens moy mes soldats: cCar
ceux la surpassent toute follie, d’autant que l’impieté y est
ioinctejoincte, qui s’en adressent à Dieu mesmes à belles iniuresinjures, ou à
la fortune, cComme si elle auoitavoit des oreilles subiectessubjectes à nostre
batterie. ⁁
⁁ A l’exemple des Thraces
qui quand il tone ou esclaire
se mettent a tirer contre
le ciel des flesches et des
traicts duned’une uaniencevanjence
corageusetytaniene, pour ranger
dieu a raison a coups
de flesche.
Or, comme dit cesttt ancien poëte chez Plutarque,
Point ne se faut courroucer aux affaires.
Il ne leur chaut de toutes nos choleres.
Mais nous ne dirons iamaisjamais assez d’iniuresinjures au desreglement
de nostre esprit.
Si le chef d’vneune place assiegée, doit sortir pour parlementer.
CHAP. V.
LVCIVSLUCIUS Marcius Legat des Romains, en la guerre
cōtrecontre Perseus Roy de Macedoine voulant gaigner
le temps, qu’il luy falloit encore a mettre en point
son armée, sema des entregets d’accord, desquels le
Roy endormi accorda trefuetrefve pour quelques ioursjours: fFournissātfFournissant
par ce moyēmoyen son ennemy d’oportunité & loisir pour s’armer:
dD’où le Roy encourut sa derniere ruine. x encourut sa derniere ruineRestitution postérieure à la tache Si est-ce, que les Se-
nat Romain, à qui le seul aduantageadvantage de la vertu sembloit
moyen iustejuste pour acquerir la victoire, trouuatrouva cette pratique
laide & deshonneste, n’ayant encores ouy sonner à ses oreil-
les cette belle sentence,
uieilsvieils du Senat memoratifs x mémoratifsRestitution postérieure à la tache des meurs de leurs peres, accusarent
cette pratique come enemie de leur stile antien: qui fut, disoint ils,
combattre de uertuvertu non de finesse: ny par surprinses et
rencontres de nuict: ny par fuites apostees, & recharges
inopinees: n’entreprenant guerre qu’apres l’auoiravoir denoncee,
et souuantsouvant apres auoiravoir assigné l’heure et lieu de la bataille.
De cette cōscianceconsciance, ils renuoiarentrenvoiarent a Pyrrus son trahistre medecin, et aus Falisques
leur meschant maistre d’escolle. C’estoint les formes uraiemantvraiemant Romeines,
non de la Grecque subtilitè et astuce Punique, ou le ueincreveincre par force est
moins glorieus que par fraude. Elle pe Le tromper peut seruirservir pour le coup
mais celuy sul se tient pour surmonté qui sçait l’auoiravoir este ny ruse par artruse ny
de sort mais depar uaillancevaillance, de trope a trope, en une loyalle et iustejuste guerre
Les gensIl appert bien par le langage de ces bones gens qu’ils n’aurint encores oui soner a leurs oreillesreceu cette belle sentance
B iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
dolus an virtus quis in hoste requirat? ⁁
⁁ Les Achaeins dict Polibe detestoint toute uoievoie de tromperie
en leurs guerres, n’estimant uictoirevictoire sinon ou les corages des enemis
sont abatus. Eam uir sanctus et sapiens sciet ueram esse uictoriam
quae salua fide et integra dignitate parabitur: dict un autre.
Vos ne uelit an me regnare hera
quidue ferat fors
Virtute experiamur.
Au Royaume de Taernate
parmi ces nations qu’ae si a
pleine bouche nous
apelons si barbares la
loycoustume porte qu’ils n’entre=
prenent guerre sans
l’auoirl’avoir premierement
denoncee y adioutanstadjoutanst
lesample declarations des
moïens qu’ils ont a y em=
ploier a cette guerre
quels combien d’homes
quelles munitions
quelles armes offansiuesoffansives
& defansiuesdefansives Mais
cela faict aussi, ils
permer si leurs
enemis ne cedent &
vienent a accort ils
se donētdonent loy par force
et au pis faire et
ne pensent pouuoirpouvoir
estre reproches de
trahison de finesse
& de tout moïen qui
sert a ueincreveincre Les
antiens Florentins
estoint si eslouignes de
vouloir prendregaigner aduā=
tageadvan=
tage sur leurs enemis
par surprinse: qu’ils les
aduertissointadvertissoint un mois
auantavant que de mettre leur
exercite aus champs par
le cōtinuelcontinuel son de leura
cloche qu’ils nomoint
Martinella
Quand à nous moings superstitieux, qui tenons celuy auoiravoir
l’honneur de la guerre, qui en a le profit, &Et qui apres Lysan-
der, disons que où la peau du Lylionli ne peut suffire, qu’il y faut
coudre vnun lopin de celle du renard, les plus ordinaires occa-
siōsocca-
sions de surprinse se tirent de cestttett praticque: &Et n’est heure, di-
sons nous, où vnun chef doiuedoive auoiravoir plus l’oeil au guet, que celle
des parlemens & traités d’accord. Et pour cette cause, c’est vneune
reigle en la bouche de tous les hommes de guerre de nostre
temps, qu’il ne faut iamaisjamais que le gouuerneurgouverneur en vneune place
assiegée sorte luy mesmes pour parlemēterparlementer. Du temps de nos
peres cela fut reproché aux Sseigneurss de MōtmordMontmord & de l’As-
signi, deffendans Mouson conter le Ccomtec de Nansaut. Mais
aussi à ce conte, celuy la seroit excusable, qui sortiroit en telle
façon, que la seureté & l’aduantageadvantage demeurast de son costé:
cComme fit en la ville de Regge, le Comte Guy de RangōRangon (s’il
en faut croire Mmonsieurm du Bellay, car Guicciardin dit que ce
fut luy mesmes) lors que le Seigneur de l’Escut s’en approcha
pour parlementer: cCar il abandonna de si peu son fort, qu’vnun
trouble s’estant esmeu pendant ce Pparlementp, non seulement
Monsieur de l’Escut & sa trouppe, qui estoit approchée auecavec
luy, se trouuatrouva la plus foible, de façon que Alexandre TriuulceTrivulce
y fut tué, mais luy mesmes fust contrainct, pour le plus seur,
de suiuresuivre le CōteConte, & se ietterjetter sur sa foy à l’abri des coups dans
la ville:. Eumenes en la Ville de Nora pressé par Antigonus
qui l’assiegeoit, de sortir parler à luy, & qui apres plusieurs
autres entremises alleguoit, que c’estoit raisōraison qu’il vint deuersdevers
luy, attēduattendu qu’il estoit le plus grādgrand & le plus fort: aApres auoiravoir
faict cette noble responce, ieje n’estimeray iamaisjamais homme plus
grand que moy, tant que ij’auray mōmon espee en ma puissance, neN’yn’y
s’y cōsentitconsentit, qu’Antigonus ne luy eust donné Ptolomaeus son
propre nepueunepveu ⁁ ⁁ en⁁ en ostage, cōmecomme il demandoit:. Si est-ce que en-
LIVRE PREMIER. 8
cores en y a il, qui se sont tresbien trouueztrouvez de sortir sur la pa-
role de l’assaillant: tTesmoing Henry de Vaux, CcheualierCchevalierc Chā-
penoisCham-
penois, lequel estant assiegé dans le Cchasteauc de Commercy
par les Anglois, & Barthelemy de Bonnes, qui cōmandoitcommandoit au
siege, ayant par dehors faict sapper la plus part du Chasteau, si
qu’il ne restoit q̄que le feu pour accabler les assiegez sous les rui-
nes, somma ledit Henry de sortir à parlemēterparlementer pour son pro-
fict,: cComme il fit luy quatriesme,: & son euidenteevidente ruyne luy
ayātayant esté monstrée à l’oeil, il s’en sentit singulieremētsingulierement obligé à
l’ennemy: àA la discretion duquel, apres qu’il se fut rendu & sa
trouppe, le feu estant mis à la mine, les estansons de bois ve-
nantus à faillir, le Chasteau fut emporté de fons en cōblecomble. IeJe me
fie ayseement à la foy d’autruy,. mMais mal-aiseement le fai-
roiy iejeroy iejey lors que ieje don⁁⁁nerois à iugerjuger, l’auoiravoir plustost faict par
desespoir & faute de coeur, que par franchise, & fiance de sa
loyauté.
L’heure des parlemens dangereuse.
CHAP. VI.
TOVTES-FOISTOUTESFOIS ieje vis dernierement en mon voisi-
nage de Mussidan, que ceux, qui en furētfurent délogez à
force par nostre armée, & autres de leur party, cri-
oient comme de trahison, de ce que pēdantpendant les en-
tremises d’accord, & le Pparlementtretép se continuant encores, on
les auoitavoit surpris & mis en pieces: cChose qui eust eu à l’auātu-
reavantu-
re apparence en vnun autre siecle,. mMais, comme ieje viens de dire,
nos façons sont entierement esloignées de ces reigles: &Et ne se
doit attēdreattendre fiance des vnsuns aux autres, que le dernier seau d’o-
bligation n’y soit passé: eEncore y a il lors assés affaire. ⁁
⁁ Et a tousiourstousjours este conseil hasardeus de fier a la licence d’un’armee
uictorieusevictorieuse l’obseruationobservation des la foi qu’on a donee a une uilleville qui uientvient de
se rendre par douce et fauorablefavorable composition, et d’en laisser sur la chaude
l’entree libre aus soldats. L. AEmyliusAemylius Regillus praetur Romein aiant
perdu son temps a essaier de prandre la uilleville de Phocaees d a force, pour
la singuliere prouësse & obstination des habitans a se bien desfandre, fit pache
aueqaveq eus marché de les receuoirrecevoir pour amis du peuple Romein, & d’y entrer
come en uilleville cōfedereeconfederee: leur ostant toute creinte d’action hostile. Mais y
aïant quand et luy introduit son armee, pour s’y faire uoirvoir en plus de pompe,
il ne fut en sa puissance, quelque effort qu’il y emploiat, de tenir la main bride
a ses gens: et uidvid dauantdavant ses yeus fourrager bone partie de la uilleville,: les
droits de l’auariceavarice et de la uangencevangence, supplantantsuppeditant ceus de son authorité & de la
discipline militaire.
Cleo-
menes disoit, que quelque mal qu’on peut faire aux ennemis
en guerre, cela estoit par dessus la iusticejustice, & non subiectsubject à icel-
le, tant enuersenvers les dieux, qu’enuersenvers les hommes,. &Et ayant faict
ESSAIS DE M. DE MONTA.
treuetreve auecavec les ArgiēsArgiens, pour sept ioursjours, la troisiesme nuict apres
il les alla charger tous endormis & les défict, aAlleguant qu’en
sa treuetreve il n’auoitavoit pas esté parlé des nuicts: mMais les dieux ven-
gerent cestte perfide subtilité. ⁁
⁁ CasilinūCasilinum inter collo=
quia, cunctationemque
petentium fidem, per
occasionem captum estfuit
Pendant le parlemaent
et qu’ils musoint a demandersur
leurs surtez la uilleville de
Casilinum fut sesie p
par surprinse.
Et cela pourtant du tempsaus siecles
et des plus iustesjustes capi=
teines, & de la plus par=
faitte milice Romeine.
Car il n’est pas dict, que
en temps et lieu, il ne
soit permis de nous pre=
valoitr de la sottise de
nos ennemis⁁, come ⁁ ⁁ nous faisons de leur
lascheté. Et certes la
guerre a naturellemātnaturellemant
beaucoup de priuilegesprivileges
contre la iusticejustice raiso=
nables au preiudiceprejudice de
l’equitè & de la raison. ⁁
⁁ Et icy faut la regle:
neminem id agere ut ex
alterius praedetur inscitia.
Mais ieje m’estone de
l’estendue que XenophōXenophon
leur done: et par les
propos de son parfaict
emperur et par diuersdivers
siens exploits de son
parfaict emperur:
autheur de merueillusmerveillus
pois en telles choses:
come grand capitene,
& philosofe des premiers
disciples de Socrates.
Et ne consens pas a la
mesure de sa dispance,
en tout et par tout.
Monsieur d’Aubigny assiegeātassiegeant
Cappoüe, & apres y auoiravoir fait vneune furieuse baterie, le Sei-
gneur Fabrice Colonne, Capitaine de la Ville, ayant commā-
cécomman-
cé a parlementer de dessus vnun bastiōbastion, & ses gens faisant plus
molle garde, les nostres s’en amparerētamparerent & mirent tout en pie-
ces. Et de plus fresche memoire à YuoyYvoy le Seigneur IullianJullian
Rommero, ayant fait ce pas de clerc de sortir pour parlemen-
ter auecavec Monsieur le CōnestableConnestable, trouuatrouva au retour sa place
saisie. Mais afin que nous ne nous en aillionsallions pas sans reuācherevanche,:
lLe Mmarquism de Pesquaire assiegeant Genes, ou le Duc OctauiāOctavian
Fregose cōmandoitcommandoit soubs nostre protectiōprotection, & l’accord entre
eux ayant esté poussé si auantavant, qu’on le tenoit pour fait, sur le
point de la conclusion, les Espagnols s’estans coullés dedans,
en vsaerentusaerent comme en vneune victoire planiere: &Et depuis en Li-
gny en Barrois, où le Comte de Brienne commandoit, l’Em-
pereur l’ayant assiegé en personne, & Bertheuille Lieutenant
dudict Comte estant sorty pour parlemanterparler, pendant le par-
lemantmarché la ville se trouuatrouva saisie.
Fu il vincer sempremai laudabil cosa.,
Vincasi o per fortuna o per ingegno,
disent ils: Mmaism le philosophe Chrisippus n’eust pas esté de
cet aduisadvis, &Et moy aussi peu: cCar il disoit que ceux, qui courent
à l’enuyenvy, doiuentdoivent bien employer toutes leurs forces à la vistes-
se,. mMais il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre
la main sur leur aduersaireadversaire pour l’arrester, ny de luy tendre la
iambejambe, pour le faire cheoir:. &EtEt plus genereusement encore ce
grand Alexandre à Polypercon, qui luy suadoit de se seruirservir de
l’auantageavantage que l’obscurité de la nuict luy donnoit pour assail-
lir Darius.: PpPointpP, fit-il, ce n’est pas à moy d’employer des vi-
ctoires
LIVRE PREMIER. 9
ctoires desrobées: mMalo me fortunae poeniteat, quāquam victoriae pudeat.
Atque idem fugientem haud est dignatus Orodem
Sternere, nec iacta caecum dare cuspide vulnus:
Obuius, aduersoque occurrit, seque viro vir
Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis.
Que l’intention iugejuge nos actions.
CHAP. VII.
LA mort, dict-on, nous acquitte de toutes nos obliga-
tiōsobliga-
tions: ijIJ’en sçay qui l’ont prins en diuersediverse façōfaçon. Henry se-
ptiesme Roy d’Angleterre fist cōpositioncomposition auecavec Dom
Philippe fils de l’Empereur Maximilian, ou pour le confron-
ter plus honnorablement, pere de l’Empereur Charles cin-
quiesme, que ledict Philippe remettoit entre ses mains le
Duc de Suffolc de la Rroser blanche, son ennemy, lequel s’en
estoit fuy & retiré au pays bas, moyennant qu’il promettoit
de n’attenter rien sur la vie dudict Duc: tToutesfois venant à
mourir, il cōmandacommanda par son testament expressemētexpressement à son fils,
de le faire mourir, soudain apres qu’il seroit decedé. Dernie-
rement en cette tragedie, q̄que le Duc d’Albe nous fit voir à Bru-
xelles és CōtesComtes de Horne & d’AiguemōdAiguemond, il y eust tout plein
de choses remarquables: &Et entre autres que ledict CōteComte d’Ai-
guemond, soubs la foy & asseurance duquel le CōteComte de Hor-
ne s’estoit venu rendre au Duc d’Albe, requit auecavec grande in-
stance, qu’on le fit mourir premier: aAffin que sa mort le ga-
rantitl’affranchit de l’obligation, qu’il auoitavoit audict Comte de Horne. Il
semble que la mort n’ait point deschargé le premier de sa foy
dōnéedonnée, &Et que le second en estoit quite, mesmes sans mourir.
Nous ne pouuonspouvons estre tenus au dela de nos forces & de nos
moyens. A cette cause, par ce que les effects & executions ne
sont aucunement en nostre puissance, & qu’il n’y a riērien en bon
C
ESSAIS DE M. DE MONTA.
escient en nostre puissance, que la volonté: en celle là se fon-
dent par necessité, & s’establissent toutes les reigles du deuoirdevoir
de l’homme. Par ainsi le Comte d’Aiguemond tenant son a-
me & volonté endebtée à sa promesse, bien que la puissance
de l’effectuer ne fut pas en ses mains, estoit sans doute absous
de son deuoirdevoir, quādquand il eust suruescusurvescu le Comte de Horne. Mais
le Roy d’Angleterre faillant à sa parolle par son intention, ne
se peut excuser pour auoiravoir retardé iusquesjusques apres sa mort l’exe-
cution de sa desloyauté:. nNon plus que le masson de Herodo-
te, lequel ayant loyallement conseruéconservé durant sa vie le secret
des thresors du Roy d’Egypte son maistre, mourant les des-
couuritdes-
couvrit à ses enfans. ⁁
⁁ IJ’ay ueuveu plusieurs
de mon temps conueincusconveincus
par leur consciance, rete=
nir de l’autrui: se dipo=
ser a y satisfaire par leur testamant,
& apres leur decez. Ils ne font rien
qui uaillevaille. Ny de prandre terme a
chose si pressante: ny de uouloirvouloir
restablir un’iniureinjure
aueqaveq si peu de leur
ressantimant et interest
Ils doiuentdoivent du plus leur.
Et d’autant qu’ils paient
plus poisammant, et
incommodeemant,:
d’autant en est leur
satisfaction plus iustejuste
& meritoire. La paeni
tence cherchedemande a se
charger. Ceus la font
encore pis qui reseruentreservent la
reuelationrevelation de quelque haineuse
volanter enuersenvers leur proche
a leur derniere uolontévolonté
montrant peu de soin de
leur honeur qu’ils abando
l’ayant cachée pendant la
leur uievie. Et montrent auoiravoir
peu de soins deu leur honur
propre honeur irritant l’offancé
a l’encontre de leur memoire:
& moins de leur consciance
ayant pour le respect de la
mort mesme sceu faire mourir
leur maltalant: et en
estendant la uievie outre la leur.
Iniques iugesjuges qui remettent a iugerjuger
le tempsalors qu’ils n’ont plus de
conoissance de cause. IeJe me
garderai si ieje puis que ma mort die chose que ma uievie n’ait premierement dict.
De l’OisiuetéOisiveté. CHAP. VIII.
COmme nous voyons des terres oysiuesoysives, si elles sont
grasses & fertilles, qu’elles ne cessent de foisonner
en cent mille sortes d’herbes sauuagessauvages & inutiles, &Et
que pour les tenir en office, il les faut assubiectirassubjectir & employer
à certaines semences, pour nostre seruiceservice. Et comme nous
voyōsvoyons, que les femmes produisent biēbien toutes seules, des amas
& pieces de chair informes, mais que pour faire vneune genera-
tion bōnebonne & naturelle, il les faut embesoigner d’vneune autre se-
mence: aAinsin est-il des espris,. sSi on ne les occupe à certain su-
iet, qui les bride & contraeignee, ils se iettentjettent desreiglez, par-cy
par la, dans le vague champ des imaginations.,
Sicut aquae tremulum labris vbiubi lumen ahenis
Sole repercussum, aut radiantis imagine Lunae
Omnia peruolitat latè loca iámque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti.
Et n’est folie ny réuerieréverie, qu’ils ne produisent en cette agitatiōagitation,
velut aegri somnia, vanae
Finguntur species.
LIVRE PREMIER. 10
L’ame qui n’a point de but estably, elle se perd: cCar cōmecomme on
dict, c’est n’estre en aucun lieu, que d’estre par tout.
Quisquis vbique habitat, Maxime; nusquam habitat.
Dernierement que ieje me retiray chez moy, deliberé autant
que ieje pourroy, de ne me mesler d’autre chose, que de passer
en repos, & à part, ce peu qui me reste de vie,: il me sembloit
ne pouuoirpouvoir faire plus grande faueurfaveur à mon esprit, que de le
laisser en pleine oysiuetéoysiveté, s’entretenir soymesmes, & s’arrester
& rasseoir en soy: cCe que ij’esperois qu’il peut meshuy faire
plus aisémētaisément, deuenudevenu auecavec le tēpstemps, plus poisant, & plus meur:
mMais ieje trouuetrouve,
variam semper dant otia mentem, - tirés en ça / c’est une fin de vers
que au rebours, faisant le cheualcheval eschappé, il se dōnedonne cētcent fois
plus d’affaire à soy mesmes, qu’il n’en prenoit pour autruy: &Et
m’enfante tant de chimeres & monstres fantasques les vnsuns sur
les autres, sans ordre, & sans propos, que pour en contempler
à mon aise l’ineptie & l’estrangeté, ij’ay commancé de les met-
tre en rolle, eEsperant auecavec le temps, luy en faire honte à luy
mesmes.
Des Menteurs.
CHAP. IX.
IL n’est homme à qui il siese si mal de se mesler de par-
ler de memoire, qu’à moy. Car ieje n’en reconnoy qua-
si trasse en moy,. &Et ne pēsepense qu’il y en aye au mōdemonde, vneune
autre si monstreuse en defaillance. IJ’ay toutes mes autres par-
ties viles & communes,. mMais en cette-là ieje pense estre singu-
lier & tres-rare, & digne de gaigner par là, nom & reputatiōreputation.
Outre l’incōuenientinconvenient naturel que ij’en souffre ⁁
⁁ car certes ueuveu sa
necessite les gre Platon a
raison de la nomer une
grande et puissante deesse
si en mōmon païs on
veut dire qu’vnun homme n’a poinct de sens, ils disent, qu’il n’a
point de memoire: &Et quand ieje me plains du defaut de la miē-
nemien-
ne, ils me reprennent & mescroient, comme si ieje m’accusois
C ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’estre insensé,. iIls ne voyent pas de chois entre memoire &
entendement. C’est bien empirer mōmon marché: mMais ils me fōtfont
tort,. cCar il se voit par experience plustost au rebours, que les
memoires excellentes se ioignentjoignent volōtiersvolontiers aux iugemensjugemens de-
biles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay riērien si biēbien faire
qu’estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma mala-
die, representent l’ingratitude. On se prend de mon affection
à ma memoire,. &Et d’vnun defaut naturel, on en faict vnun defaut
de cōsciēceconscience. Il a oublié, dict-on, cette priere ou cette promes-
se: iIl ne se souuiētsouvient point de ses amys: iIl ne s’est point souuenusouvenu
de dire, ou faire, ou taire cela, pour l’amour de moy. Certes ieje
puis aiséement oublier, mais de mettre à nōchalloirnonchalloir la charge
que mōmon amy m’a donnee ieje ne le fay pas. Qu’on se contētecontente de
ma misere, sans en faire vneune espece de malice: &Et de la malice
autant ennemye de mon humeur. IeJe me console aucunemētaucunement.
Premierement desur ce,⁁
⁁ que c’est un mal duquel
principalemant ij’ay tire la
raison de corriger un mal pire
qui se fut facilement produit
en moy: sçauoirsçavoir est l’ambition ⁁
⁁ Car c’est une desfaillance insupportable a qui s’empesche des negotiations du monde. Que come
disent plusieurs pareils exemples du progres de nature, ell’a uolontiersvolontiers fortifie d’autres facultez
en moi a mesure que cettecy s’est affoiblie: et irois facilement couchant et alanguissant mon
esprit & mon iugemētjugement sur les traces d’autruy, come faict le monde, sans esueilleresveiller et exercer leurs
propres forces, si les inuantionsinvantions et opinions estrangieres m’estoint presantes par le benefice de la memoire.
qQue mon parler en est plus court,. cCar le
magasin de la memoire, est volōtiersvolontiers plus fourny de matiere,
que n’est celuy de l’inuentiōinvention. ⁁
⁁ Si elle m’eut tenu bon
ij’eusse assourdi tous
mes amis de babil: les
subietssubjets esueillantesveillant et estan=
dant mes discours cette
telle quelle facultè que ij’ay
de les manier et emploier
la picatnt l’e Eschauffant et
attirant mes discours.
C’est pitié,. iIejJe l’essaye par la preu-
uepreu-
ve d’aucūsaucuns de mes priuezprivez amys,. àA mesure que la memoire leur
fournit la chose entiere & presente, ils reculent si arriere leur
narration, & la chargent de vaines circonstances, que si le cō-con-
te est bon, ils en estouffent la bonté,. sS’il ne l’est pas, vous
estes à maudire ou l’heur de leur memoire, ou le malheur de
leur iugementjugement. ⁁
⁁ Et c’est chose difficile de
fermesr un propos & de le
coupper despuis qu’on est arrouté.
Et n’est rien ou la force d’un
cheualcheval se conesse plus qu’a
faire un arrest ront et fermenet
non tard. Entre les pertinans
mesmes ij’en uoivoi qui se ueulentveulent
& ne se peuuentpeuvent arreter
retraire desfaire de leur
course. CependātCependant qu’ils cherchētcherchent
point de Valete et plauditeclorre le pas
ils s’en uontvont bastelantbaliuernantbalivernant & treināttreinant
comme des homes qui desfaillētdesfaillent
de foiblesse. Sur tout les
vieillars sont dangereus,
à qui la memoiresouuenancesouvenance des conteschoses passees
demeure entiere et n’ont perdu
memoiresouuenancesouvenance de leurs redictes
IJ’ay en la bou ueuveu des recits bien plesans deuenirdevenir tresennuieus en la
bouche d’un ch seignur: chacun de l’assistāceassistance en ayant esté abbreueabbreve çent fois.
AussiSecondement, qu’il me souuientsouvient moins des offences
receuës, commeainsi que disoit cet ancien:.⁁
⁁ Il me faudroit
un protocolle:
cCome Darius
pour n’oblier
l’offance qu’il
auoitavoit receu des
Atheniens
faisoit to qu’vnun
page a toutess les
foiscoups qu’il se
mettoit a table
luy uintvint rechan-
ter par trois fois
a l’oreille. Sire
souuienesouviene uousvous
des Atheniens.
&Et que les lieux & les li-
uresli-
vres que ieje reuoyrevoy me rient tousiourstousjours d’vneune fresche nouuel-nouvel-
leté. Ce n’est pas sans raison qu’on dit, que qui ne se sent point
assez ferme de memoire, ne se doit pas mesler d’estre mēteurmenteur.
IeJe sçay bien que les grammairiens font difference, entre dire
mensonge, & mentir: &Et disent, que dire mensonge, c’est dire
chose fauce, mais qu’on à pris pour vraye,. &Et que la definitiōdefinition
du mot de mentir en Latin, d’où nostre François est party,
LIVRE PREMIER. 11
porte autant, comme aller contre sa conscience,. &Et que par
consequētconsequent cela ne touche, que ceux qui disent contre ce qu’ils
sçauentsçavent, desquels ieje parle. Or ceux icy, ou ils inuententinventent marc
& tout, où ils déguisent & alterent vnun fons veritable. Lors
qu’ils déguisent & changent, à les remettre souuētsouvent en ce mes-
me conte, il est mal-aisé qu’ils ne se desferrent: pPar ce que la
chose, comme elle est, s’estant logée la premiere dans la me-
moire, & s’y estant empreincte, par la voye de la connoissan-
ce, & de la science, il est mal-aisé qu’elle ne se represente à l’i-
magination, délogeant la fauceté, qui n’y peut auoiravoir le pied si
ferme, ny si rassis: &Et que les circonstances du premier apren-
tissage, se coulant à tous coups dans l’esprit, ne facent perdre
le souuenirsouvenir des pieces raportées faulses ou abastardies. En ce
qu’ils inuententinventent tout à faict,: d’autant qu’il n’y à nulle impres-
sion contraire, qui choque leur fauceté, ils semblent auoiravoir
d’autant moins à craindre de se mesconter. Toutesfois enco-
re cecy, par ce que c’est vnun corps vain, & sans prise, eschappe
volontiers à la memoire, si elle n’est bien asseurée. Dequoy
ij’ay souuentsouvent veu l’experience,. &Et plaisammant, aux despens,
de ceux qui font profession de ne former autrement leur pa-
role, que selon qu’il sert aux affaires qu’ils negotient, &Et qu’il
plaist aux grands à qui ils parlent. Car ces circōstancescirconstances à quoy
ils veulent asseruirasservir leur foy & leur conscience, estans subiettessubjettes
à plusieurs changements, il faut que leur parole se diuersifiediversifie
quand & quand,. dD’où il aduientadvient que de mesme chose, ils di-
sent, gris tantost, tantost iaunejaune: àA tel homme d’vneune sorte, à tel
d’vneune autre: &Et si par fortune ces hommes raportent en butin
leurs instructions si contraires, que deuientdevient cette belle art?
Outre ce qu’imprudēmentimprudemment ils se desferrent eux-mesme si sou-
uentsou-
vent: cCar quelle memoire leur pourroit suffire à se souuenirsouvenir
de tant de diuersesdiverses formes, qu’ils ont forgées à vnun mesme sub-
iectsub-
ject. IJ’ay veu plusieurs de mon temps, enuierenvier la reputation de
C iij
ESSAIS DE. M. DE MONTA.
cette belle sorte de prudence,. qQui ne voyētvoyent pas, que si la repu-
tation y est, l’effect n’y peut estre. ⁁
⁁ En verité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, & ne nous tenons les vnsuns aux autres que par la
parole Si nous en conessions l’horrur et le pois nous le poursuiurionspoursuivrions a feu plus iustemantjustemant que d’autres crimes
IJe treuuetreuve qu’on s’amuse ordinerement a chastier aus enfans des errurs innocentes tres mal a propos et qu’on les
tourmante pour des actions temereres qui n’ont ny impression ny suite. La manterie sule et un peu au dessous l’opiniatreté
me semblent estre celles des quelles
on deuroitdevroit a toute instance
combattre la naissance et le
progres Elles croissent quand
& eus Et despuis qu’on a
donné ce faus trein a la
langue c’est merueillemerveille combien
il est impossible de l’en retirer.
Par ou il aduientadvient que nous
voyons des honestes homes
ailleurs, y estre subietzsubjetz et
asseruisasservis. IJ’ay un bon
garçon de tailleur a qui
ieje n’ouis iamaisjamais dire une
verite non pas quand elle
s’offre pour luy seruirservir
utilemant Si come la
verite le mansonge n’auoitavoit
qu’un visage nous serions
en meillurs termes. cCar nous
prenderions pour certein
le contrerel’oppose de ce que diroit
le mantur. mais le reuersrevers
de la ueriteverite a cent mille
figures et un champ indefini ⁁
⁁ Les Pythagoriens font
le bien certein et fini le
mal infini et incertein.
Mille routes desuoïentdesvoïent du
blanc, une y uava. Certes ieje
ne m’assure pas que ieje
peusse uenirvenir a bout de moi,
a garantir un dangier
euidenteuident et extreme par un’effrontee
& solemne mansonge.
Il est uraivrai ce que’uVnuUn
antien pere dict que
nous somes mieus en
la compaignie d’un
chien conu qu’en celle
d’un home du quel le
langage nous est inconu
Et de combien est le
langage faus moins
sociable que le silance.
Vt externus alieno
non sit hominis uice.
Et de combien est le
langage faus moins
sociable que le silance
Le Roy François premier,
se vantoit d’auoiravoir mis au rouet par ce moyen Francisque Ta-
uernaTa-
verna, ambassadeur de François Sforce Duc de Milan, hom-
me tres-fameux en science de parlerie. Cettuy-cy auoitavoit esté
depesché pour excuser son maistre enuersenvers sa Majesté, d’vnun
fait de grande consequence, qui estoit tel. Le Roy pour main-
tenir tousiourstousjours quelques intelligences en Italie, d’où il auoitavoit
esté dernierement chassé, mesme au Duché de Milan, auoitavoit
aduiséadvisé d’y tenir pres du Duc vnun gentil-homme de sa part, am-
bassadeur par effect, mais par apparence homme priuéprivé, qui
fit la mine d’y estre pour ses affaires particulieres: dD’autant
que le Duc, qui dependoit beaucoup plus de l’Empereur,
lors principalement qu’il estoit en traicté de mariage auecavec sa
niepce, fille du Roy de Dannemarc, qui est à present douai-
riere de Lorraine, ne pouuoitpouvoit descouurirdescouvrir auoiravoir aucune pra-
ticque & conference auecquesavecques nous, sans son grand interest.
A cette commission, se trouuatrouva propre vnun gentil’homme Mi-
lanois, escuyer d’escurie chez le Roy, nommé MerueilleMerveille. Cet-
tuy-cy despesché auecquesavecques lettres secrettes de creance, & in-
structions d’ambassadeur, &Et auecquesavecques d’autres lettres de re-
commandation enuersenvers le Duc, en faueurfaveur de ses affaires par
ticuliers, pour le masque & la montre,. fFut si long temps au-
pres du Duc, qu’il en vint quelque resentiment à l’Empe-
reur,. qQui donna cause à ce qui s’ensuiuitensuivit apres, comme nous
pensons: qQui fut, que soubs couleur de quelque meurtre, voi-
la le Duc qui luy faict trancher la teste de belle nuict, & son
procez faict en deux ioursjours. Messire Francisque estant venu
prest d’vneune longue deduction contrefaicte de cette histoire,:
car le Roy s’en estoit adressé, pour demander raison, à tous les
princes de Chrestienté, & au Duc mesmes,: fut ouy aux affai-
res du matin, & ayant estably pour le fondement de sa cause,
LIVRE PREMIER. 12
& dressé à cette fin, plusieurs belles apparences du faict: qQue
son maistre n’auoitavoit iamaisjamais pris nostre homme, que pour gē-
tilgen-
til-homme priuéprivé, & si en suiectsuject, qui estoit venu faire ses affai-
res à Milan, & qui n’auoitavoit iamaisjamais vescu là soubs autre visage,
dDesaduouantdDesadvouant mesme auoiravoir sceu qu’il fut en estat de la maison
du Roy, ny connu de luy, tant s’en faut qu’il le prit pour am-
bassadeur. Le Roy à son tour le pressant de diuersesdiverses obiectiōsobjections
& demandes, & le chargeant de toutes pars, l’accusal’acculal’accula en fin sur
le point de l’execution faite de nuict, & comme à la desrobée.
A quoy le pauurepauvre homme embarrassé, respondit, pour faire
l’honneste, que pour le respect de sa Majesté, le Duc eust esté
bien marry, que telle execution se fut faicte de iourjour. Chacun
peut penser, comme il fut releuérelevé, s’estant si lourdement coup-
pé, & à l’endroit d’vnun tel nez, que celuy du Roy François. Le
Pape IuleJule second ayant enuoyéenvoyé vnun ambassadeur vers le Roy
d’Angleterre, pour l’animer contre le Roy François, l’ambas-
sadeur ayant esté ouy sur sa charge, & le Roy d’Angleterre s’e-
stant arresté en sa respōceresponce aux difficultez qu’il trouuoittrouvoit, à dres-
ser les preparatifs, qu’il faudroit pour combatre vnun Roy si
puissant, & en alleguant quelques raisons,. lL’ambassadeur re-
pliqua mal à propos, qu’il les auoitavoit aussi cōsideréesconsiderées de sa part,
& les auoitavoit bien dictes au Pape. De cette parole si esloingnée
de sa propositiōproposition, qui estoit de le pousser incontinētincontinent à la guer-
re, le Roy d’Angleterre print le premier argument de ce qu’il
trouuatrouva depuis par effect, que cet ambassadeur de son intentiōintention
particuliere, pendoit du costé de France,. &Et en ayant aduertyadverty
son maistre, ses biens furent confisquez, & ne tint à guere qu’il
n’en perdit la vie.
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Du parler prompt ou tardif.
CHAP. X.
ONC ne furent à tous, toutes graces données.
Aussi voyons nous qu’au don d’eloquēceeloquence, les vnsuns ont
la facilité & la promptitude, & ce qu’on dict, le bou-
te-hors, si aisé, qu’à chaque bout de champ ils sont prests: lLes
autres plus tardifs ne parlent iamaisjamais rien qu’élabouré & pre-
medité. Comme on donne des regles aux dames de prendre
les ieuxjeux & les exercices du corps, selon l’aduātageadvantage de ce, qu’el-
les ont le plus beau,. sSi ij’auoisavois à conseiller de mesmes, en ces
deux diuersdivers aduantagesadvantages de l’eloquence, de laquelle il semble
en nostre siecle, que les prescheurs & les aduocatsadvocats facent prin-
cipale profession, le tardif seroit mieux prescheur, ce me sem-
ble, & l’autre mieux aduocatadvocat: pPar ce que la charge de celuy-là
luy donne autant qu’il luy plaist de loisir pour se preparer, &Et
puis sa carriere se passe d’vnun fil & d’vneune suite, sans interruptiōinterruption,
lLà où les commoditez de l’aduocatadvocat le pressent à toute heure
de se mettre en lice: &Et les responces improuueuesimprouveues de sa par-
tie aduerseadverse, le reiettentrejettent hors de son branle, où il luy faut sur
le champ prendre nouueaunouveau party. Si est-ce qu’à l’entreueueentreveue
du Pape Clement & du Roy François à Marseille, il aduintadvint
tout au rebours, qQue monsieur Poyet, homme toute sa vie
nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de
faire la harangue au Pape, & l’ayant de longue main pourpen-
sée, voire, à ce qu’on dict, apportée de Paris toute preste, le
iourjour mesme qu’elle deuoitdevoit estre prononcée, le Pape se crai-
gnant qu’on luy tint propos, qui peut offencer les ambassa-
deurs des autres princes, qui estoient autour de luy, manda
au Roy, l’argument, qui luy sembloit estre le plus propre au
temps & au lieu,. mMais de fortune, tout autre que celuy, sur le-
quel monsieur Poyet s’estoit trauaillétravaillé:. dDe façōfaçon que sa harāgueharangue
demeu-
LIVRE PREMIER. 13
demeuroit inutile, & luy en falloit promptement refaire vnun
autre. Mais s’en sentant incapable, il fallut que MōsieurMonsieur le Car-
dinal du Bellay en print la charge. La part de l’AduocatAdvocat est
plus difficile que celle d’vnundu Prescheur, &Et nous trouuonstrouvons pour
tāttant ce me semblem’est auisavis plus de passables AduocatsAdvocats que Prescheurs,.
aAu moins en France. Il semble que ce soit plus le rollele propre de l’es-
prit, d’auoiravoir son operatiōoperation prompte & soudaine, & plus celuyle propre
du iugementjugement, de l’auoiravoir lente & posée. Mais qui demeure du
tout muet, s’il n’a loisir de se preparer, &Et celuy aussi, à qui le
loisir ne donne aduantageadvantage de mieux dire, ils sont en pareil
degré d’estrangeté. On recite de SeuerusSeverus Cassius, qu’il disoit
mieux sans y auoiravoir pensé, qQu’il deuoitdevoit plus à la fortune, qu’à sa
diligence, qQu’il luy venoit à profit d’estre troublé en parlant:,
&Et que ses aduersairesadversaires craignoyent de le picquer, de peur que
la colere ne luy fit redoubler son eloquēceeloquence. IeJe cognois par ex-
perience, cette condition de nature, qui ne peut soustenir vneune
vehemente premeditatiōpremeditation & laborieuse: sSi elle ne va gayemētgayement
& librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d’aucuns
ouuragesouvrages qu’ils puent à l’huyle & à la lampe, pour certaine
aspreté & rudesse, que le trauailtravail imprime en ceux, où il a gran-
de part. Mais outre cela, la solicitude de bien faire, & cette cō-con-
tention de l’ame trop bandée & trop tenduë à son entreprise,
la met au rouet, la rompt, & la trouble’empeche. :, commeAinsi qu’il aduientadvient a l’eau qui par force de se pres-
ser de sa violence & abondance, ne peut trouuertrouver issuë en vnun
passagegoulet ouuertouvert. En cette condition de nature, de quoy ieje par-
le, il y à quant & quant aussi cela,. qQu’elle demande à estre
non pas esbranlée & piquée par ces passions fortes, comme la
colere de Cassius (car ce mouuemētmouvement seroit trop aspre) elle veut
estre non pas secoüée, mais solicitée: eElle veut estre eschaufée
& reueilléereveillée par les occasions estrāgeresestrangeres, presentes, & fortuites.:
SsSis elle va toute seule, elle ne fait que trainer & languir: lL’agita-
tiōagita-
tion est sa vie & sa grace. IeJe ne me tiens pas biēbien en ma possessiōpossession
D
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& dispositiōdisposition: lLe hazard y à plus de droict que moy,: lL’occasiōoccasion,
la compaignie, le brālebranle mesme de ma voix, tire plus de mon
esprit, que ieje n’y trouuetrouve lors que ieje le sonde, & employe à part
moy. Ainsi les paroles en valent mieux que les escripts,. sS’il y
peut auoiravoir chois où il n’y à point de pris. ⁁
⁁ Ceci m’auientavient aussi: qQue
ieje ne me treuuetreuve pas ou ieje
me cherche: et me treuuetreuve
plus par fortunerencontre que par
l’inquisition de mon iugementjugement.
IJ’aurai eslance une pointequelque
inuantioninvantionsubtilite en escriuantescrivant.
IJ’entans bien: Mornee pour
vnun autre affilee pour moy.
Laissons toutes ces honestetez.
Cela s’entr se dict apar chacun selon
sa force. Cette pointe la iIejJe lail’ai treuuetreuve
si bien perdue qu’ile m’en faut respondre
queije ne sçai ce que ij’ay uoluvolu dire: et l’a
l’estrangier d’esterreecouuertecouverte parfois souuantsouvantparfois
auantavant moy. Si ieje portois le
rasoir par tout ou cela
m’auientavient, ieje me desferois tout.
Le rencontre m’en offrira le
iourjour quelqu’autre fois plus
apparant que celuy du midi:
& m’estone me faira estoner
de mon hesitation.
Des Prognostications.
CHAP. XI.
QVANTQUANT aux oracles, il est certain, que bonne piece a-
uanta-
vant la venuë de IesusJesus-Christ, ils auoyentavoyent commencé
à perdre leur credit: cCar nous voyōsvoyons que Cicero se met
en peine de trouuertrouver la cause de leur defaillance:⁁
⁁ et sces mots
sont a luy.
Cur isto modo
iam oracula
Delphis non
eduntur non
modo nostra
aetate sed iam diu
ut modo nihil
possit esse
contempsius.
mMais quātquant aux
autres prognostiques, qui se tiroyent de l’anatomie des bestes
aux sacrifices ⁁
⁁ Ausquels Platon attribue en
partie la constitution des
naturelles des membres internes
d’icelles Aues quasdam rerum
augurandarum causa natas
esse putamus
, du trepignement des poulets, du vol des oy-
seaux, ⁁
⁁ Aues quasdam rerum
augurandarum causa natas
esse putamus.
des foudres, du tournoiement des riuieresrivieres, ⁁
⁁ multa certnunt aruspices
multa augures prouident
multa oraculis declarantur
multa uaticinationibus multa
somnijs multa portentis:
& autres sur
lesquels l’anciēnetéancienneté appuioit la plus part des entreprinses, tant
publiques que priuéesprivées; nostre religion les a abolies. Et enco-
re qu’il reste entre nous, quelques moyens de diuinationdivination és
astres, és esprits, és figures du corps, és songes, & ailleurs,. nNo-
table exemple de la forçenée curiosité de nostre nature, s’a-
musant à preoccuper les choses futures, comme si elle n’auoitavoit
pas assez affaire à digerer les presentes.:
cur hanc tibi rector Olympi
Sollicitis visum mortalibus addere curam,
Noscant venturas vt dira per omina clades,
Sit subitum quodcunque paras, sit caeca futuri
Mens hominum fati, liceat sperare timenti,
Ne utile quidem est scire quid futurum sit: miseram est enim nihil proficientem angi.
Ssi est-ce qu’elle est de beaucoup moindre auctorité. Voyla
pourquoy l’exemple de François Marquis de Sallusse m’a
semblé remarcable: cCar Llieutenantl du Roy François en son
armée dela les monts, infiniment fauoriséfavorisé de nostre cour,
& obligé au Roy du Marquisat mesmes, qui auoitavoit esté con-
LIVRE PREMIER. 14
fisqué de son frere: aAu reste ne se presentātpresentant occasiōoccasion de le faire,
son affection mesme y contredisant, se laissa si fort espou-
uanterespou-
vanter (comme il à esté adueréadveré) aux belles prognostications
qu’on faisoit lors courir de tous costez à l’aduantageadvantage de l’Em-
pereur Charles cinquiesme, & à nostre des-aduātageadvantage, mesmes
en Italie, ou ces folles propheties auoyentavoyent trouuétrouvé tant de pla-
ce, qu’à Rome fut baillé grande somme d’argent au change,
pour cette opinion de nostre ruine: qQu’apres s’estre souuentsouvent
condolu à ses priuezprivez, des maux qu’il voyoit ineuitablementinevitablement
preparez à la couronne de France, & aux amis qu’il y auoitavoit, se
reuoltarevolta, & changea de party: àA son grand dommage pourtātpourtant,
quelque constellation qu’il y eut. Mais il s’y conduisit en hō-hom-
me combatu de diuersesdiverses passions: cCar ayātayant & villes & forces
en sa main, l’armée ennemye soubs Antoine de LeueLeve à trois
pas de luy, & nous sans soubsçon de son faict, il estoit en luy
de faire pis qu’il ne fist.: ccCarc pour sa trahison, nous ne perdis-
mes ny homme, ny ville que Fossan: encore apres l’auoiravoir lōglong
temps contestée.
Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus,
Ridétque si mortalis ultra
Fas trepidat.
Ille potens sui
Laetúsque deget, cui licet in diem
Dixisse, vixi, cras vel atra
Nube polum pater occupato
Vel sole puro
Laetus in praesens animus, quod ultra est,
Oderit curare. ⁁
⁁
Et ceus qui croïent
Ciceroce mot au contrere
le croïent a tort.
Ista sic reci=
procantur ut
et si diuinatio sit
dij sint et si
dij sint sit diui
natio. Beaucoup
plus sagement Pacuuius
Nam istis qui linguam auium intelligunt
Plusque ex alieno iecore sapiunt quam ex suo
Magis audiendum quam auscultandum censeo.
Cette tant celebree art de diuinerdiviner des Thoscans nasquit ainsi.
VnUn laboureur perçant de son coultre profondemant la terre
en uidvid sourdre Tages ⁁ ⁁ demi dieu d’un uisagevisage enfantin mais de senile
prudance. Chacun y a accourut et furent ses paroles et
sciance receuillie et conserueeconservee a plusieurs
siecles contenant les principes & moïens de cette art:
Naissance conforme a son progres.
IJ’aymerois bien mieux regler mes affaires par le sort des dez
que par ces songes. ⁁
Cette addition est antérieure à la précédente comme l’indique l’enclave entourant "il ordone qu’ils soīt".
⁁ Et de uraivrai en toutes
republiques on a tousiourstousjours
laisse bone part d’autho-
rité au sort. Platon en
la police qu’il forge a discretion
luy attribue la decision de plusieurs
effaicts d’importance. Et ueutveut
entre autres choses que les mariages se facent par sort entre
les meill bons et done si grand pois a cette eslection
fortuite que les enfans qui en naissent soint
il ordone qu’ils soītsoint nourris au païs: ceus qui naissent des mauuesmauves en
soint mis hors: toutestois si quelcun de ces banis
uenoitvenoit par cas d’auantureavanture ena montrer en croissant
quelque bone esperance de soi qu’on le puisse rapeler
et exiler aussi celuy d’entre les retenus qui montrera
peu d’esperance de son adolescence.
IJ’en voy qui estudient & glosent leurs Al-
manachs, & nous en alleguētalleguent l’authorité aux choses qui se pas-
D ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sent. A tant dire, il faut qu’ils dient, & la verité & le menson-
ge: ⁁
⁁ Qui est
enim qui
totum diem
iaculans non
aliquando
conlineet?
ijIJe ne les estime de rien mieux, pour les voir tōbertomber en quel-
que rencontre.: CcCec seroit plus de certitude, s’il y auoitavoit regle &
verité à mentir tousiourstousjours. ⁁
⁁ IointJoint que personne ne tient registre de leur mescontes, d’autant qu’ils sont ordinaires & infinis:
et faict on ualoirvaloir leurs diuinationsdivinations de ce qu’elles sont rares & incroiables & prodigieuses Ainsi respondit
Diagoras qui fut surnome l’Athee estant en la SamothrageSamothrace A celuy qui en luy montrant ⁁ ⁁ au temple force ueusveus et tableaus
au temple de ceus qui auointavoint eschapè le naufrage luy dict Et bien uousvous qui penses que les dieus me mettent a
nonchaloir les choses humaines que dictes uousvous de tant d’homes sauuessauves depar leur grace. Il se faict aīsiainsi respondit il
Ceus la ne sont pas peints qui sont demures noyes, en bien plus grand nombre. Cicero dict que le sul Xenophanes
Colophonius entre tous les philophesphilosophes qui ont
reconuaduouevoue dles dieus a essaie de desraciner
toute sorte de diuinationdivination. DautantD’autant
est il moins de merueillemerveille si nous auonsavons
IJ’ay veu parfois à leur dōmagedommage, au-
cunes de noz ames principesques s’arrester à ces vanitez. ⁁
⁁ IeJe uoudroisvoudrois bien auoiravoir
reconu de mes yeus ces
deus merueillesmerveilles: du liurelivre
de IoachimJoachim abbe de Calabre
Calabrois qui predisoit tous
les papes futurs leurs noms
& formes: et celuy de Leon
l’Emperur qui predisoit les
Emperurs de grece leur suite
et semblablemātsemblablemant lces patri=
arches de graece. Cecy ai ieje
reconu ⁁ ⁁ de mes yeus qu’es confusions
publiques les homes estonez
de leur fortune, se uontvont
reietantrejetant come a toute supers=
stition a rechercher de
toutes parts lesau ciel les
causes et menaces
antienes de leur malhur. Et
y sont este si estrangemant
heureus de mon temps, qu’ils
m’ont persuade, qu’ainsi
que c’est un amusement
d’esperits aigus & oisifs,
ceus qui sont duits a cette
subtilité, de les replier & desnouer, seroint en
tous ⁁ ⁁ escris capables de trouuertrouver tout ce qu’ils
y chercherointdemandent. Mais sur tout leur donepreste
beau ieujeu, le parler obscur ambigu et fantastique
du iargonjargon prognostiquefetique:
auquel nuleurs autheurs
ne donent aucun certein
sens, cler affin que la posterite
y en puisse appliquer de tels
qu’elleil ueudveud luy plairra.
Le
demon de Socrates estoit à mon aduisadvisl’aduantureadvanture certaine impulsion de
volōtévolonté, qui se presentoit à luy, sans ⁁ ⁁ atandre le Ccconseilc de son discours.
En vneune ame bien espuree, cōmecomme la sienne:, & preparee par cō-con-
tinuerl exercice de sagesse & de vertu, il est vray semblable
que ces inclinations, quoy que fortuitestemeraires et indigestes, estoyent tousiourstousjours
bonnesimportantes, & dignes d’estre suyuiessuyvies. Chacun àsent en soy, quelque
image de telles agitations. IJ’en ay eu,⁁
⁁ d’une opinion
promte uehemantevehemante
et fortuite:. C’est a
moy de leur
doner quelque
authoritè qui
en done si peu a nos=
tre prudance.
Et en ai eu
⁁ de pareil=
lement foi=
bles en fon
dementraison et
uiolentesviolentes
tenir en
incitation,
persuasion: ou en
dissuasion qui
estoint plus ordineres
en Socrates
ausquelles ieje me laissay
emporter si vtilementutilement & heureusement, qu’elles pourroyent
estre iugéesjugées ⁁ ⁁ tenir auecavecauoiravoir eu quelque chose d’inspiration diuinedivine.
De la Constance. CHAP. XII.
LA Loy de la resolution & de la cōstanceconstance, ne porte pas
que nous ne nous deuionsdevions couurircouvrir, autant qu’il est en
nostre puissance, des maux & inconueniensinconveniens qui nous
menassent,: nNy par consequētconsequent d’auoiravoir peur qu’ils nous surprei-
gnent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des
maux, sont non seulement permis, mais loüables. ⁁ Et le ieujeu de
la constance se iouëjouë principalement à porter patiemment, &
de pié ferme, les inconueniensinconveniens, où il n’y à point de remede. De
maniere qu’il n’y à soupplesse de corps, n’y mouuemētmouvement aux ar-
mes de main, que nous trouuionstrouvions mauuaismauvais, s’il sert à nous ga-
rantir du coup qu’on nous ruë. ⁁
⁁ Plusieurs nations
tres belliqeuses ⁁ ⁁ se seruointservoint en
leurs faicts d’armes se
seruointservoint de la fuite
pour aduantageadvantage principal
& montroint le dos a
l’ennemi plus dangereusemētdangereusement
que leur uisagevisage: Les Turcs
en retienent encore
quelquechose. Et Socrates
en Platon se moquant de
Lachez qui auoitavoit defini
la fortitude: se tenir ferme
en son ranc et iaja contre les
tenir forterme en son ranc
contre les enemis. Quoi fit
il seroit ce donq lachete
de les battre en leur faisant
place. Et luy allegue
Homere qui louë en
Aeneas la sciance de fuir
Et par ce que Lachez se rauisantravisant auouoiteavouoite bien cet vsageusage aus Scithes et en general aus gens de cheualcheval
enfin generalemātgeneralemant aus gens de cheualcheval Il luy allegue encores lexamplel’example des gens de pied Lacedemoniens
ceus sur touts duits a combatre de pied fe nation sur toutes duite a combatre de pied ferme en son ranc
qui en la iourneejournee de Platees ne pouuantpouvant rompreouurirouvrir la phalange Macedoniene Persiene s’aduisarentadvisarent de s’escarter
& sier arriere pour par l’opinion de leur fuite faire rompre & dissoudre ce corps p cette masse pouren les
poursuiuātpousuivant p Par laou ils se donarent gaignè la uictoirevictoire. Touchant les Scithes on dict d’eus quand Darius alla pour
les subiuguersubjuguer qu’il manda a leur Roy force reproches pour les uoirvoir tousiourstousjours reculerātreculerant dauantdavant luy & gauchir dessātgauchirssant la meslee
A quoi Indathyrse car ainsi se nomoit il fit responce que ce n’estoit pour auoiravoir peur ny de luy ny d’home uiuantvivant
mais que c’estoit sla façon de marcher de sa nation n’ayant ny terre cultiueecultivee ny uilleville ny maison a defandre et a creindre
que l’ennemi en peut faire profit. mais s’il auoitavoit si grantd faim de’y taster du combatmordre qu’il aprochat pour uoirvoir, le lieu de
de leurs antienes sepultures et que la il trouuerroittrouverroit a qui parler.
Toutes-fois aux canonades,
depuis qu’on leur est planté en bute, comme les occasions de
la guerre portent souuentsouvent, il est messeant de s’esbrāleresbranler pour la
menasse du coup: dD’autant que pour sa violēceviolence & vitesse nous
le tenons ineuitableinevitable,. &Et en y à meint vnun, qui pour auoiravoir ou
haussé la main, ou baissé la teste, en à pour le moins appresté à
LIVRE PREMIER. 15
rire à ses cōpagnonscompagnons. Si est-ce qu’au voyage que l’Empereur
Charles cinquiesme fit contre nous en ProuenceProvence, le Marquis
de Guast estant allé recognoistre la Ville d’Arle, & s’estātestant iet-
téjet-
té hors du couuertcouvert d’vnun moulin à vent, à la faueurfaveur duquel il
s’estoit approché, fut apperceu par les Seigneurs de BonneualBonneval
& Seneschal d’Agenois, qui se promenoient sus le theatre aux
arenes: lLesquels l’ayant monstre au Seigneur de Villier Com-
missaire de l’artillerie, il braqua si à propos vneune colouurinecolouvrine,
que sans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu se lança à
quartier, il fut tenu qu’il en auoitavoit dans le corps. Et de mesmes
quelques années auparauantauparavant, Laurens de Medicis, Duc d’Vr-Ur-
bin, pere de la Royne, mere du Roy, assiegeant Mondolphe,
place d’Italie, aux terres qu’ōon nōmenomme du Vicariat, voyātvoyant mettre
le feu à vneune piece qui le regardoit, bien luy seruitservit de faire la
cane,. cCar autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la
teste, luy donnoit sans doute dans l’estomach. Pour en dire le
vray, ieje ne croy pas que ces mouuemēsmouvemens se fissent auecquesavecques dis-
cours: cCar quel iugementjugement pouuezpouvez vous faire de la mire haute
ou basse en chose si soudaine? &Et est biēbien plus aisé à croire, que
la fortune fauorisafavorisa leur frayeur, & que ce seroit moyen vn’-un’-
autre fois aussi biēbien pour se ietterjetter dans le coup, que pour l’eui-
terevi-
ter. IeJe ne me puis deffendre, si le bruit esclattātesclattant d’vneune harque-
busade viētvient à me frapper les oreilles à l’improuueuimprouveu, en lieu où
ieje ne le deusse pas attendre, que ieje n’en tressaille: cCe que ij’ay
veu encores adueniradvenir à d’autres qui valent mieux que moy. ⁁
⁁ Ny n’entandent les
Stoiciens que l’ame de
leur sage puisse resister
aus premieres uisionsvisions et
fantasies come a une
subiectionsubjection naturellequi luy suruienentsurvienent
ains come a une subiectionsubjection
naturelle qu’ils cedent
a un grand bruit pour
example du ciel ou d’une
ruine consentent qu’il
cede au grand bruit pour
example du ciel ou d’une
ruine ⁁ ⁁ pour example iusquesjusques a la
pallur et contraction
Ainsin aus autres passions
PourueuPourveu que son opinion demeure
sauuesauve et entiere et que l’assiete de son
discours n’en souffre atteinte ny alteration
quelconque et qu’il ne preste nul consen-
temen a son effroi et souffrance. De ceusttuy
qui nestantn’estant pas sages il en uava de
mesmes qu’aus sages en la premiere
partie. mais tout autremant en la seconde
Car l’impression des passions ne demure pas
en luy superficielle. ains uava penetrant iusquejusque
au siege de leursa raison l’infectant et la
corrompant. Ils iugentjugent selon icelles et s’y
conforment. Voyez bien plus disertement
et plainemant l’estat du sage Stoique
Mens immota manit lachrimae uoluuntur inanes.
Le sage peripateticien ne s’exempte pas des
perturbations, mais il les modere.
Ceremonie de l’entreueuëentreveuë des Roys.
CHAP. XIII.
IL n’est subiectsubject si vain, qui ne merite vnun rang en cette
rapsodie. A nos reigles communes, ce seroit vneune nota-
ble discourtoisie & à l’ēdroitendroit d’vnun pareil & plus à l’en-
droict d’vnun grand, de faillir à vous trouuertrouver chez vous, quand
D iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
il vous auroit aduertyadverty d’y deuoirdevoir venir: vVoire adioustoitadjoustoit la
Royne de NauerreNavarre Marguerite à ce propos, que c’estoit in-
ciuilitéin-
civilité à vnun Gentil-homme de partir de sa maison, cōmecomme il se
faict le plus souuentsouvent, pour aller au deuantdevant de celuy qui le viētvient
trouuertrouver, pour grand qu’il soit: &Et qu’il est plus respectueux &
ciuilcivil de l’attēdreattendre, pour le receuoirrecevoir, ne fust que de peur de fail-
lir sa route: &Et qu’il suffit de l’accompagner à son partement.
Pour moy ij’oublie souuentsouvent l’vnun & l’autre de ces vains offices:
cCōmecComme ieje retranche en ma maison toute ceremonie. Quelqu’vnun
s’en offence: qQu’y ferois-ieje? Il vaut mieux que ieje l’offence, pour
vneune fois, que à moy tous les ioursjours: cCe seroit vneune subiectiōsubjection con-
tinuelle. A quoy faire fuyt-on la seruitudeservitude des cours, si on l’en
traine iusquesjusques en sa taniere. C’est aussi vneune reigle commune
en toutes assemblées, qu’il touche aux moindres de se trou-
uertrou-
ver les premiers à l’assignation, d’autant qu’il est mieux deu
aux plus apparans de se faire attēdreattendre. Toutesfois à l’entreueuëentreveuë
qui se dressa du Pape Clement, & du Roy François à Marseil-
le, le Roy y ayant ordōnéordonné les apprets necessaires, s’esloigna de
la ville, & dōnadonna loisir au Pape de deux ou trois ioursjours pour son
entrée & refreschissement, auantavant qu’il le vint trouuertrouver. Et de
mesmes à l’ētréeentrée aussi du Pape & de l’Empereur à Bouloigne,
l’Empereur donna moyen au Pape d’y estre le premier, & y
suruintsurvint apres luy. C’est, disētdisent-ils, vneune ceriemonie ordinaire aux
abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit auantavant les
autres au lieu assigné,. vVoyre auantavant celuy chez qui se faict l’as-
semblée: &Et le prennent de ce biais, qQue c’est, affin que cette ap-
parence tesmoigne, que c’est le plus grand que les moindres
vont trouuertrouver, & le recherchent, non pas luy eux. Non
sulemant chaque païs mais chaque cité a la ciuilitécivilité particuliere:
particuliere. IJ’ai asseset chqaque uacationvacation. IJ’y ai este asses souigneusement dressé en mon enfance et ay uescuvescu en asses bone compaignie,
pour n’ignorer pas les loix de la nostre françoise po,
ent en tienderois escole. IJ’aime a les ensuiureensuivre,:
mais non pas si couardement que ma uievie en
demure contreinte. Elles ont quelques formes
seruilslesservilsles,penibles: lesquelles pourueupourveu qu’on oblie par
discretion, non par errur, on n’en a pas moins
de grace. IJ’ai ueuveu souuantsouvant des homes inciuilsincivils
par trop de ciuilitècivilitè,: et importuns a force de
courtoisie honesteté courtoisie. C’est au demurant une tresutile sciance
que la sciance de l’entregent. Elle est come la grace et la beaute conciliatrice des premiers abbors de la societe et
familiarité: & par consequent nous ouureouvre la porte a nous instruire par les examples d’autruy: & a exploiter
& produire nostre exemple, s’il a quelque chose santd’instruisant et communicable.
LIVRE PREMIER. 16
Que le goust des biens & des maux depend en bonne partie
de l’opinion, que nous en auonsavons.
CHAP. XIIII.
Le chapitre 14 devient le chapitre 40 dans l’édition de 1595 et dans les éditions suivantes. A partir de là, il y a un décalage des numéros de chapitres.
LEs hommes (dit vneune sentence Grecque ancienne) sont
tourmentez par les opiniōsopinions qu’ils ont des choses, non
par les choses mesmes. Il y auroit vnun grand poinct gai-
gné pour le soulagemētsoulagement de nostre miserable conditiōcondition humai-
ne, qui pourroit establir cette propositiōproposition vraye tout par tout.
Car si les maux n’ont entrée en nous, que par nostre iugemētjugement,
il semble qu’il soit en nostre pouuoirpouvoir de les mespriser ou con-
tourner à bien. Si les choses se rendent à nostre mercy & de-
uotionvotion, pourquoy n’en cheuironschevirons nous, ou ne les accommo-
derons nous à nostre aduantageadvantage? Si ce que nous appellons
mal & tourment, n’est ny mal ny tourment de soy, ains seu-
lement que nostre fantasie luy donne cestttett qualité, il est en
nous de la changer,: &Et en ayant le choix, si nul ne nous force,
nous sommes estrangement fols de nous bander pour le par-
ty qui nous est le plus ennuyeux: &Et de donner aux maladies,
à l’indigence & au mespris vnun aigre & mauuaismauvais goust, si nous
le leur pouuonspouvons donner bon,. &Et si la fortune fournissant sim-
plement de matiere, c’est à nous de luy donner la forme. Or
que ce que nous appellons mal, ne le soit pas de soy, ou au
moins tel qu’il soit, qu’il depende de nous de luy donner au-
tre saueursaveur, & autre visage, car tout reuientrevient à vnun, voyons s’il se
peut maintenir. Si l’estre originel de ces choses que nous crai-
gnons, auoitavoit credit de se loger en nous de son authorité, il lo-
geroit pareil & semblable en tous: cCar les hommes sont tous
d’vneune façon,espece: & sauf le plus & le moins, se trouuenttrouvent garnis de
pareils outils & instrumens pour conceuoirconcevoir & iugerjuger:. mMais la
diuersitédiversité des opinions, que nous auonsavons de ces choses là, mon-
tre clerement qu’elles n’entrent en nous que par cōpositioncomposition:
tTel à l’aduētureadventure, les loge chez soy en leur vray estre, mais mille
ESSAIS DE M. DE MONTA.
autres leur dōnētdonnent vnun estre nouueaunouveau & cōtrairecontraire chez eux. Nous
tenons la mort, la pauuretépauvreté & la douleur pour nos principales
parties. Or cette mort que les vnsuns appellent des choses horri-
bles la plus horrible, qui ne sçait que d’autres la nomment l’v-
niqueu-
nique port des tourmens de ceste vie? le souuerainsouverain bien de na-
ture? seul appuy de nostre liberté? & commune & prompte
recepte à tous maux? Et comme les vnsuns l’attendent tremblans
& effrayez, d’autres ne la reçoiuentreçoivent-ils pas de tout autre visa-
ge?la desirent & supportent plus aiseemant que la uievie. ⁁
⁁ Le premier article
de ce beau sermant que
la graece iurajura en la
guerre Medoise ce
fut que chacun postpo=
seroit sa uievie a la libertè
de son païs
Celuy-la se plaint de sa vilité & facilité.,
Mors vtinam pauidos vita subducere nolles,
Sed virtus te sola daret. ⁁
⁁ Or laissons ces glorieus
courages: et Theodorus
qui respondit a Lysimachus
menaçant de le tuer. Tu
feras un grand coup d’ar=
iuerar=
iver a la force d’une cātha=
ridecantha=
ride. Et que lLa plus part
des philosofes se treuuenttreuvent
auoiravoir ou preuenuprevenu par
dessein ou haste & secouru
leur mort
Combien voit-on de personnes populaires & cōmunescommunes, con-
duictes à la mort, & non à vneune mort simple, mais meslée de
honte & quelque fois de griefs tourmens, y apporter vneune tel-
le asseurance,, qQuiqui par opiniatreté, qui par simplesse naturelle,
qu’on n’y apperçoit riērien de changé de leur estat ordinaire,: eEsta-
blissans leurs affaires domestiques, se recommandans à leurs
amis, chantans, preschans & entretenans le peuple: vVoire y
meslans quelque-fois des mots pour rire, & beuuansbeuvans à leurs
cognoissans, aussi bien que Socrates. VnUn qu’on menoit au gi-
bet, disoit que ce ne fut pas par telle ruë, car il y auoitavoit danger
qu’vnun marchant luy fist mettre la main sur le collet, à cause
d’vnun vieux debte. VnUn autre disoit au bourreau qu’il ne le tou-
chast pas à la gorge, de peur de le faire tressaillir de rire, tant il
estoit chatoüilleux: lL’autre respondit à son confesseur, qui luy
promettoit qu’il soupperoit ce iourjour là auecavec nostre Seigneur,
allez vous y en vous, car de ma part ieje ieusnejeusne. VnUn autre ayant
demandé à boire, & le bourreau ayant beu le premier, dict ne
vouloir boire apres luy, de peur de prendre la verolle. Chacun
à ouy faire le conte du Picard, auquel estātestant à l’eschelle on pre-
senta vneune garse, & que (comme nostre iusticejustice permet quelque
fois) s’il la vouloit espouser, on luy sauueroitsauveroit la vie, lLuy, l’ayant
vnun
LIVRE PREMIER. 17
vnun peu contemplée, & apperçeu qu’elle boitoit: Attache, At-
tache, dit-il, elle cloche. Et on contedict de mesmes qu’en Dan-
nemarc vnun homme condamné à auoiravoir la teste tranchée, estātestant
sur l’eschaffaut, comme on luy presenta vneune pareille cōditioncondition,
la refusa, par ce que la fille, qu’ōon luy offrit, auoitavoit les ioüesjoües aual-aval-
lées, & le nez trop pointu. VnUn valet à Thoulouse accusé d’he-
resie, pour toute raison de sa creance ⁁ ⁁ se rapportoit à celle de
son maistre, ieunejeune escholier prisōnierprisonnier auecavec luy,. &Et ayma mieux
mourir, que se départir de ses opiniōsopinions, quelles qu’elles fussent.croire se laisser persuader que son maistre peut faillir.
Nous lisons de ceux de la ville d’Arras, lorsque le Roy Loys
vnziesmeunziesme là print, qu’il s’en trouuatrouva bōbon nombre parmy le peu-
ple qui se laisserent pendre, plustost que de dire,. ViueVive le Roy. ⁁
⁁ Au Royaume de
Narsinque encores
auiourdaujourd’huy les femes
de leurs prestres sont
uiuesvives enseueliesensevelies aueqaveq leurs
maris morts Toutes autres
femes sont brulees aueqaveq
leurs maris uiuesvives non
constammātconstammant sulemant mais
gaïement aus funerailles
de leurs maris Et quand
on brule le corps de leur
Roy trespassé toutes ses
femes et concubines ses
mignons & toute sorte
d’officiers d seruitursserviturs
qui font un peuple accourent
si allegremant a ce feu
pour s’y ietterjetter quant et leur
maistre qu’ils semblent tenir
estimer a honeur d’estre
compaignons de son trespas.
Et de ces viles ames de bouffons, il s’en est trouuétrouvé qui n’ont
voulu abandonner leur mestiergaudisserie en àMontaigne a oublié de biffer "à" après mestier, qu’il remplace par gaudisserie. la mort mesme,: tesmoing
cCeluy a qui comme le bourreau luy donnoit le branle, s’escria.
vVogue la gallée,. qQui estoit son refrain ordinaire. Et celuylautrel’autre qu’ōon
auoitavoit couché sur le point de rendre sa vie le long du foier sur
vneune paillasse, à qui le medecin demandant où le mal le tenoit,
eEntre le banc & le feu, respondit-il. EeEt le prestre, pour luy don-
ner l’extreme onction, cherchant ses pieds, qu’il auoitavoit reserrez
& contraints par la maladie,. vVous les trouuereztrouverez, dit-il, au bout
de mes iambesjambes.: AA celuyl’home qui l’exhortoit de se recommander à
Dieu, QqQui y va? demādademanda-il: &Et l’autre respondant, cCe sera tātosttantost
vous mesmes, s’il luy plait,. yY fusse-ieje bien demain au soir, re-
plica-il: rRecōmandezrRecommandez vous seulement à luy, suiuitsuivit l’autre, vous
y serez bien tost: iIl vaut donc mieux, adioustaadjousta-il, q̄que ieje luy por-
te mes recommandations moy-mesmes. Pendant nos dernie-
res guerres de Milan & tant de prises & récousses, le peuple
impatient de si diuersdivers changemens de fortune, print telle re-
solution à la mort, que ij’ay ouy dire à mon pere, qu’il y veist
tenir conte de bien vingt & cinq maistres de maison, qui s’e-
stoient deffaits eux mesmes en vneune sepmaine: aAccident appro-
E
ESSAIS DE M. DE MONTA.
chant à celuy de la ville des XantiēsXantiens,. lLesquels assiegez par Bru-
tus se precipiterent pesle mesle hommes, femmes, & enfans à
vnun si furieux appetit de mourir, qu’on ne fait rien pour fuir la
mort, que ceux-cy ne fissent pour fuir la vie: eEn maniere qu’à
peine peut Brutus en sauuersauver vnun biēbien petit nōbrenombre. ⁁
⁁ Tout’opinion est asses
forte pour se faire espou=
ser au pris de la uievie.
Le premier article de ce
beau sermant que la
Graece iurajura et maintint
en la guerre Medoise:
ce fut que chacun
changeroit plus tost
la mort a la uievie, que les
loix Persienes aus leurs.
Combien uoitvoit on de nombremonde
de peuples en la guerre
des Turcs et des Grecs,
accepter plus tost la
mort tresapre, que de
se descirconcire pour se
babtiser. Exemple de
quoi toutenulle sorte de
relligion n’est trescapable
n’est incapable. Quoties
non modo ductores nostri dict
Cicero sed uniuersi etiam
exercitus ad non dubiam
mortem concurrerunt. Les
Roys de Castille ayant bani
de leurs terres les IJuifs
le Roy IJan de Portugal
leur uanditvandit a huit escus
pour teste la retrete aus
siennes en condition que dans
certein iourjour ils aroint a les
vuider: & luy, prometoit, leur
fournir des uesseausvesseaus a les
traiectertrajecter en Afrique Le
iourjour uenuvenu le quel passe il
estoit dict que ceus qui
n’auroint obei demureroint
esclauesesclaves s’ils s’obstinoint a ne
vouloir estre Chretiens les
vaisseaus leur feurent
fournis si escharcemant
& ceus qui s’y embarquarent
rudemant & uileinementvileinement
traittez par les passagiers
qui outre plusieurs autres
indignites les amusarent
sur mer tantost auantavant
tantost arriere iusquesjusques a
ce qu’ils eussēteussent cōsommeconsomme
leurs uittoaillesvittoailles & fussentfussent
contreins d’en acheter d’eus si
cheremant & si longuement
qu’ils ne furent randus
a bort qu’apres auoiravoir
éte du tout mis en chemise. La nouuellenouvelle de cette inhumanite raportee a ceus qui estoint en
terre la plus part se resolurent a la seruitudeservitude: aucuns prind firent contenance de changer de
religion. Emanuel uenuvenu a la corone les mit premierement en liberte: et changeant d’auisavis
despuis leur dona temps de uuidervuider ses païs assignant trois ports a leur passage Il esperoit dict
l’EuesqueEvesque Osorius des p le premiermeillur historien Latin de nos siecles qui a escrit ses faicts que la faueurfaveur
de la liberte qu’il leur auoitavoit rendue ayant failli de les conuertirconvertir au christianisme lesa difficultes de se
commettre come leurs compaignons a la uolerievolerie des mariniers, d’abandoner un païs ou ils estoint habitues
aueqaveq grandes richesses pour s’aler ietterjetter en region inconueinconue et estrangiere les y rameneroit. Mais se uoiantvoiant
descheu de son esperance et eus tous deliberes au passage il s’auisaavisa de retranchera deus des ports qu’il
leur auoitavoit promis affin que la longur & incōmoditeincommodite du traiettrajet en rauisastravisast aucuns: ou pour les amonceler tous a
vnun lieu pour une plus grande commodite de lexecutionl’execution qu’il auoitavoit destinee. Ce fut qu’il ordona qu’on arrachat
d’entre les mains des peres & des meres tous les enfans au dessous de quatorse ans pour les transporter hors de leur
veue et conuersationconversation en lieu ou ils fussent instruits a nostre relligion. Ils disent que cet effaict produisist un
horrible spectacle: la naturelle affection d’entre les peres & les enfans et de plus, le zele a leur antiene creance combatant
à l’encontre de cette uiolanteviolante ordonance. Ma Il y fut ueuveu communeement des peres et meres se deffaisans eus mesmes et d’un
plus rude exemple encore, precipitants par amour et compassion leur peti iunesjunes enfans dans des puits pour fuir a la loy.
Audemeurant le terme qu’il leur auoitavoit prefix expiré, par faute de moiens, il se remirent en seruitudeservitude. Quelques vnsuns se feirent Chrestiens: de la foy desquels ⁁
L’addition continue au bas du folio 18 recto.
⁁ encores auiourd’huyaujourd’huy ieje etou de leur race encores auiourdaujourd’huy cent ans apres peu de Portugois
s’assurent quoi que la costume & la longur du temps soint bien plus forte conseillieres
que tout’autre contreinte. Quoties non modo ductores nostri dict Cicero sed uniuersi etiam
exercitus ad non dubiam mortem concurrerunt.
IJ’ay veu quel-
qu’vnun de mes intimes amis courre la mort à force, d’vneune vraye
affection, & enracinee en son cueur par diuersdivers visages de dis-
cours, q̄que ieje ne luy sceu rabatre,: &Et à la premiere qui s’offrit coif-
fee d’vnun lustre d’hōneurhonneur s’y precipiter hors de toute apparēceapparence,
d’vneune faim aspre & ardente. Nous auōsavons plusieurs exemples en
nostre tēpstemps, de ceux, iusquesjusques aux enfāsenfans, qui de crainte de quelq̄quelque
legiere incōmoditéincommodité, se sont donnez à la mort. Et à ce propos,
que ne fuyronscreīderonscreinderons nous, dict vnun ancien, si nous fuyonscreignons ce que la
couardise mesme a choisi pour sa retraite? D’enfiler icy vnun
grand rolle de ceux de tous sexes & conditions & de toutes
sectes és siecles plus heureux, qui ont ou attendu la mort
constamment, ou recherchée volontairement,: &Et recher-
chée non seulement pour fuir les maux de cette vie, mMais
aucuns pour fuir simplement la satieté de viurevivre, &Et d’au-
tres pour l’esperance d’vneune meilleure condition ailleurs, ieje
n’auroy iamaisjamais faict.:. EeEt en est le nombre si infiny, qu’à la ve-
rité ij’auroy meilleur marché de mettre en compte ceux qui
l’ont crainte. Cecy seulement.:. Pyrrho le Philosophe, se trou-
uanttrou-
vant vnun iourjour de grande tourmente dans vnun batteau, mon-
stroit à ceux, qu’il voyoit les plus effrayez autour de luy,
& les encourageoit par l’exemple d’vnun pourceau, qui y estoit,
nullement effrayé ny soucieux de cet orage. Oserons nous
donc dire que cet auantageavantage de la raison, dequoy nous faisons
tant de feste, & pour le respect duquel nous nous tenōstenons mai-
stres & empereurs du reste des creatures, ait esté mis en nous,
pour nostre tourment? A quoy faire la cognoissance des cho-
ses, si nous en perdons le repos & la tranquillité, ou nous se-
LIVRE PREMIER. 18
rions sans cela, &Et si elle nous rend de pire condition que le
pourceau de Pyrrho? L’intelligence qui nous a este donnée
pour nostre plus grand bien, l’employerōsemployerons nous à nostre rui-
ne, combatāscombatans le dessein de nature, & l’vniuerseluniversel ordre des cho-
ses, qui porte que chacun vseuse de ses vtilsutils & moyens pour sa
commodité & aduantageadvantage? Bien, me dira lonl’on, vostre regle ser-
ueser-
ve à la mort, mais que direz vous de l’indigēceindigence? qQue direz vous
encor de la douleur, que ⁁ ⁁ Aristippus Hieronimus et la pluspart des sages ont estimé le
souuerainsouveraindernier mal,: & ceux qui le nioient de parole, le confessoiētconfessoient
par effect? Possidonius estant extremement tourmenté d’vneune
maladie aiguë & douloureuse, Pompeius le fut voir, & s’ex-
cusa d’auoiravoir prins heure si importune pour l’ouyr deuiserdeviser de
la Philosophie.: IaJa à Dieu ne plaise, luy dit Possidonius, que la
douleur gaigne tāttant sur moy, qu’elle m’empesche d’en discou-
rir & d’en parler: &Et se iettajetta sur ce mesme propos du mespris
de la douleur,. mMais cependant elle ioüoitjoüoit son rolle & le pres-
soit incessamment: àA quoy il s’escrioit,. tTu as beau faire dou-
leur, si ne diray-ieje pas, que tu sois mal. Ce conte qu’ils font tāttant
valoir, que porte-il pour le mespris de la douleur? iIl ne debat
que du mot, & ce pendant si ces pointures ne l’esmeuuentesmeuvent,
pourquoy en rompt-il son propos? pPourquoy pense-il faire
beaucoup de ne l’appeller pas mal? Icy tout ne consiste pas
en l’imagination. Nous opinons du reste, c’est icy la certaine
science, qui iouëjouë son rolle: nNos sens mesme en sont iugesjuges.,
Qui nisi sunt veri, ratio quoque falsa sit omnis.
Ferons nous a croire à nostre peau, que les coups d’estriuiereestriviere
la chatoüillent? &Et à nostre goust que l’aloé soit du vin de
GgrauesGgraves. Le pourceau de Pyrrho est icy de nostre escot,. iIl est
bien sans effroy à la mort, mais si on le bat, il crie & se tour-
mente: fForcerons nous la generale habitude de nature, qui se
voit en tout ce qui est viuantvivant sous le ciel, de trembler sous la
douleur? Les arbres mesmes semblent gemir aux offences,
E ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
qu’on leur faict. La mort ne se sent que par le discours, d’autātautant
que c’est le mouuementmouvement d’vnun instant.,
Aut fuit, aut veniet, nihil est praesentis in illa,
Mórsque minus poenae, quam mora mortis habet.
Mille bestes, mille hōmeshommes sont plustost mors, que menassés.
Et à la verité ce que les Sages craignentnous disons creindre principalement en la
mort, c’est la douleur son auantavant-coureuse coustumiere. ⁁
⁁ Toutesfois il est dict par
un plus sagecome escrits’il en faut croire un sainct
pere Malam mortem
non facit nisi quod sequitursequitur
mortem. Et ieje dirois encores
plus uraisamblablemātvraisamblablemant que
ny ce qui uava deuantdevant ny ce qui
vient apres n’est des apartenācesapartenances
de la mort quand a elle. Nous
nous excusons faucemant. eEt ieje
trouuetrouve par experiance de l’ima=
gination de la mort d qui nous
rent impatians de la dolur.
Et que nous la santons dou=
blemant griefuegriefve de ce qu’elle
nous menace de mourir. Mais
la raison accusant nostre
laschete de creindre chose
si soudeine si ineuitableinevitable si
insensible nous prenons cet
autre pretexte de creindre
plus excusable. Il est bien
dict uraivrai que Mais. Or
praesupposons qu’il soit uraivrai
que nous’ils regardonsent en la
mort principalemātprincipalemant la dolur
come aussi nous regardōsregardons
principalemant la dolur
come aussi Tous les maus qui
n’ont autre dangier que du mal
nous les disons peusans dangeurier:
Celuy des dans ⁁ ⁁ ou de la goutte pour grief qu’il soit
d’autant qu’il n’est pas homicide qui
le met en conte de maladie Or bien
presupposons le, qu’en la mort nous
regardons principalemātprincipalemant la dolur
come aussi
Cō-
meCom-
me aussi la pauuretépauvreté n’a rien à craindre, que cela, qu’elle nous
iettejette entre lesses bras de la douleur, par la soif, la faim, le froid, le
chaud, les veilles, qu’elle nous fait souffrir. Ainsi n’ayons affai-
re qu’à la douleur. IeJe leur donne que ce soit le pire accident de
nostre estre, & volōtiersvolontiers.: CcCar ieje suis l’homme du monde qui
luy veux autant de mal, & qui la craintsfuis autant, pour iusquesjusques
à present n’auoiravoir pas eu, Dieu mercy, grand commerce auecavec
elle, mMais qu’il ne soit pourtantil est en nous, si non de l’aneantir,
au moins de l’amoindrir par la patience: qQu’il ne soit en nous,et
quand bien le corps s’en esmouueroitesmouveroit, de maintenir ce neant-
moins l’ame & la raison en bonne trampe,: ieje ne le croy pas. Et
s’il ne l’estoit, qui auroit mis en credit parmy nous, la vertu, la
vaillance, la force, la magnanimité & la resolution: oOù iouë-
royentjouë-
royent elles leur rolle, s’il n’y a plus de douleur à deffier.:
Aauida est periculi virtus. c’est prose
S’il ne faut coucher sur la dure,. sSoustenir armé de toutes pie-
ces la chaleur du midy,. sSe paistre d’vnun cheualcheval, & d’vnun asne,. sSe
voir detailler en pieces, & arracher vneune balle d’entre les os, sSe
souffrir recoudre, cauterizer & sonder, par ou s’acquerra l’ad-
uantagead-
vantage que nous voulons auoiravoir sur le vulgaire? C’est bien
loing de fuir le mal & la douleur, ce que disent les Sages, que
des actions égallement bonnes, celle-là est plus souhaitable à
faire, où il y a plus de peine. ⁁
⁁ Non enim hilaritate nec
lasciuia nec risu aut ioco
comite leuitatis sed saepe
etiam tristes firmitate
& constantia sunt beati.
Et à cette cause il a esté impossible
de persuader à nos peres, que les conquestes faites par viuevive
force, au hazard de la guerre, ne fussent plus aduantageusesadvantageuses,
LIVRE PREMIER. 19
que celles qu’ōon faict en toute seureté par pratiques & menées.,
Laetius est, quoties magno sibi constat honestum.
D’auantageavantage, cela nous doit consoler: qQue naturellement, si la
douleur est violente, elle est courte, si elle est longue, elle est
legiere. ⁁ ⁁ si grauis breuis, si longus leuis. Tu ne la sentiras guiere long temps, si tu la sens trop,
eElle mettra fin à soy, ou à toy: lL’vnun & l’autre reuientrevient à vnun. ⁁
⁁ Si tu ne la portes, elle
t’emportera. Memineris
maximos morte finiri: paruos
multa habere interuallaintervalla requi=
etis: mediocrium nos esse dominos
ut si tolerabiles sint feramus, sin minus
e uita quūquum ea non placeat tanquam e
theatro theatro exeamus.
Ce
qui nous fait souffrir auecavec tant d’impatience la douleur, c’est
de n’estre pas accoustumez de prendre nostre ⁁ ⁁ principal contentement
en l’ame,⁁ c’est d’auoiravoir eu trop de commerce auecavec le corps.et de nous armer d’elle contre la mollesse du corps
⁁ de ne nous atandre point
asses a elle: qui est sule et
souuereinesouvereine maistresse de nostre
condition et conduite. Le
corps n’a qu’un tr sauf le plus
et le moins qu’un trein et
qu’un pli. Elle est uariablevariable en
toute sorte de formes. Et
renge a soi et a son estat
quel qu’il soit, les sentimans
du cors, & tous autres
accidans. Pourtant la
faut il estudier et emploierenquerir
et esueilleresveiller en elle ses
ressors tout puissans. Il n’y
a raison ny praescription ny
force, qui puisse contre son
inclination et son plaisirchois
De tant de milliers de biais
qu’ell’a en sa disposition
donons luy en un propre a
nostre repos et conseruationconservation
nous uoilàvoilà non couuerscouvers
sulemant de toute offance
mais gratiffiez mesmes &
flatez, si bon luy semble
des offances & des maux
Elle faict son profit
due mansonge et de la
ueriteveritetout indifferēmantindifferemmant
lL’errur les songes luy
seruentservent utillemant comme
une loyale matiere si
elle l’entreprant a
nous mettre a garant
de toutes incommodi=
tez et mettre en
plein contantemant
si elle l’entreprant
Il est aisé a uoirvoir que
c’est la pointe de nostre
esperit qui aiguise en
nous la dolur et la uoluptévolupté
c’est la pointe de nostre esperit
doud’ou nait une si infinie
diuersitediversite de nos goutsMontaigne corrige "de nos gouts" en "de gout".
a les receuoirrecevoir Ausqui est
uniforme aus bestes nulle: com’il se uoitvoitconiectureconjecture par
la pareille application de leurs
mouuemensmouvemens: en chaque espece. Tout
corps naturellement constituè eut sceu
les receuoirrecevoir en leur naturelle mesure et
iustejuste.
Les bestes qui le tienent plus sous boucle laissent aus corps
sesleurs sentimens libres et naïfs: &Et par consequant uns a peu pres, en
chacuneque espece: cCome nous uoionsvoions par la semblable application de
leurs mouuemantsmouvemants. Si nous ne troblions pas en nos membres, la
iurisdictionjurisdiction qui leur apartient en cela: il est a crere que nous ui en
uiuserionsvivserions de bien meillure conditionmieus. eEt que nature leur a done un iustejuste goustet modere temperamant enuersenvers la uoluptevolupte &
enuersenvers la dolur. eEt ne peut faillir d’estre iustejuste puisqu’il estseroit commun seroitestant esgal et commun ⁁
⁁ C’est folie. Pour rendre un estat complet d’home il faut & qu’il se plaise du plaisir
et que la dolur luy deullesente competemment du mal et du bien
mMais puis que nous nousmais puis que nous nous
somes emancipez de ses regles, pour nous abandoner a la tyrannieuagabondevagabonde liberte de nos fantasies: au moins aidons nous
a les plier du costè le plus salutere agreable. Platon creint unnostre engagement aspre a la dolur & a la uoluptevolupte
d’autant qu’il oblige et atache par trop l’ame au corps. Moi plus tost au rebours d’autant qu’il l’en desprent et descloue.
Tout ainsi que l’ennemy se rend plus aspreaigre à nostre fuite, aus-
si s’enorgueillit la douleur, à nous voir trembler soubs elle.
Elle se rendra de bien meilleure composition, à qui luy fera
teste: iIl se faut opposer & bander contre. En nous acculant &
tirant arriere, nous appellons à nous & attirons la ruine, qui
nous menasse. ⁁
⁁ Come le corps est plus ferme a la charge en le roidissant aussi est lamel’ame
Mais venons aux exemples, qui sont propre-
ment du gibier des gens foibles de reins, comme moy: oOu
nous trouueronstrouverons qu’il va de la douleur, comme des pierres
qui prennent couleur, ou plus haute, ou plus morne, selon la
feuille ou l’on les couche, &Et qu’elle ne prendtient qu’autātautant de pla-
ce en nous, que nous luy en faisons. Tantum doluerunt, dict S.
Augustin, quantum doloribus se inseruerunt. Nous sentons plus
vnun coup de rasoir du Chirurgien, que dix coups d’espée en la
chaleur du combat. Les douleurs de l’enfantemētenfantement par les me-
decins, & par Dieu mesme estimées grādesgrandes, & que nous pas-
sons auecavec tant de ceremonies, il y à des nations entieres, qui
n’en font nul conte. IeJe laisse à part les femmes Lacedemonie-
nes: mais aux Souisses parmy nos gens de pied, quel change-
ment y trouueztrouvez vous? sSinon que trottant apres leurs maris,
vous leur voyez auiourd’huyaujourd’huy porter au col l’enfant, qu’elles
auoyentavoyent hier au ventre: &Et ces Egyptiennes contre-faictes ra-
massées d’entre nous, vōtvont elles mesmes lauerlaver ⁁ les leurs enfans, qui
viennent de naistre: & prēnentprennent leur baing en la plus prochai-
E iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ne riuiereriviere. ⁁
⁁ Outre tant de garses qui desrobētdesrobent tous les ioursjours leurs enfātsenfants en la generation
qu’en la conception: cette honeste feme de Sabinus patricien Romein pour l’interest d’autrui supporta le travail
de l’enfantement de deus iumeausjumeaus sule sans assistance, et sans uoixvoix & gemissement quelconque.
VnUn simple garçonnet de Lacedemone, ayant des-
robé vnun renard (car le larrecin y estoit action de vertu, mais
par tel si, qu’il estoit plus vilain qu’entre nous d’y estre sur-
pris)(car ils creignoint encore plus la honte de leur
sottise au larrecin que nous ne faisons de nostre meschancete) creignōscreignons sa peine)
& l’ayant mis sous sa cape, endura plustost qu’il luy eut
rongé le ventre, que de se découurirdécouvrir. Et vnun autre donnant de
l’encens à vnun sacrifice, le charbon luy estant tombé dans la
manche, se laissa brusler iusquesjusques à l’os, pour ne troubler le my-
stere. Et s’en est veu vnun grand nombre pour le seul essay de
vertu, suiuantsuivant leur institution, qui ont souffert en l’aage de
sept ans d’estre foëtez iusquesjusques à la mort, sans alterer leur visa-
ge. ⁁
⁁ Et Cicero les a ueusveus
se battre a troupes:
de poins de pieds &
de dens iusquesjusques a
s’euanouirevanouir auantavant
que d’aduoueradvouer estre
vaincus. Nunquam
naturam mos uinceret:
est enim ea semper inuic
ta: sed nos umbris delicijs
otio languore desidia
animum infecimus:
opinionibus maloque more
delinitum molliuimus.
Chacun sçait l’histoire de SceuolaScevola qui s’estant coulé
dans le camp ennemy, pour en tuer le chef, & ayant fail-
li d’attaincte, pour reprendre son effect d’vneune plus estran-
ge inuentioninvention, & descharger sa patrie, cōfessaconfessa à Porsenna, qui
estoit le Roy qu’il vouloit tuer & non seulement son desseing,
mais adioustaadjousta qu’il y auoitavoit en son camp vnun grand nombre de
Romains complices de son entreprise tels que luy. Et pour
monstrer quel il estoit, s’estant faict apporter vnun brasier, veit
& souffrit griller & rostir son bras, iusquesjusques à ce que l’ennemy
mesme en ayant horreur luy ostaecomandea oster le brasier. Quoy, celuy qui
ne daigna interrompre la lecture de son liurelivre pendant qu’on
l’incisoit? Et celuy, qui s’obstina à se mocquer & à rire à l’en-
uyen-
vy des maux, qu’on luy faisoit: dDe façon que la cruauté irritée
des bourreaux qui le tenoyent en main, & toutes les inuen-
tionsinven-
tions des tourmeustourmens redoublez les vnsuns sur les autres luy don-
nerent gaigné. Mais c’estoit vnun philosophe. Quoy? vnun gladia-
teur de Caesar, endura tousiourstousjours riant qu’on luy sondat & de-
taillat ses playes. ⁁
⁁ Quis mediocris gladiator
ingemuit: quis uultum
mutauit unquam? Quis non
modo stestitstetit uerum etiam
decubuit turpiter Quis cum
decubuisset ferrum recipere
iussus collum contraxit?
Meslons y les femmes. Qui n’a ouy parler à
Paris de celle, qui se fit escorcher pour seulement en acquerir
le teint plus frais d’vneune nouuellenouvelle peau? Il y en à qui se sont fait
arracher des dētsdents viuesvives & saines, pour en former la voix plus
molle, & plus grasse, ou pour les ranger en meilleur ordre.
LIVRE PREMIER. 20
Combien d’exemples du mespris de la douleur auōsavons nous en
ce genre? Que ne peuuentpeuvent elles? Que craignent elles? pour peu
qu’il y ait d’agencement à esperer en leur beauté.,
Vellere queis cura est albos à stirpe capillos,
Et faciem dempta pelle referre nouam.
IJ’en ay veu engloutir du sable, de la cendre, & se trauaillertravailler à
poinct nommé de ruiner leur estomac, pour acquerir les pasles
couleurs. Pour faire vnun corps biēbien espaignolé qu’elle geine ne
souffrent elles, guindées & sanglées, à tout de grosses coches
sur les costez, iusquesjusques à la chair viuevive? oOuy quelques fois à en
mourir. ⁁
⁁ Il est ordinere a
beaucoup de nations de
nostre temps de se blesser
a esciant pour doner foi a
leur parole et nostre Roy en
recite des notables exemples
de ce qu’il en a ueuveu en
Polouigne et en l’endroit de
luy mesmes Mais outre ce que
ieje sçai en auoiravoir este imite
en france par aucuns ij’ay veu
une filleLa fille dont il est question est Marie de Gournay. L’édition de 1595 donne une précision de temps et de lieu : "quand je veins de ces fameux Estats de Blois, j’avois veu peu auparavant une fille en Picardie pour tesmoigner...". Il s’agit des États généraux de Blois de 1588. pour tesmouigner
lardurl’ardur de ses promesses & deaussi
sona affectionconstance se doner deu son
poinçon qu’elle portoit en
son poil quatre ou cinq bons
coups dans le bras qui luy
faisoint craqueter la peau
et la seignoint bien en bon
esciant. Les turcs se font
des grandes escarres pour
leurs dames & affin que la
marque y demure ils la portent
soudein dansdu fu sur la plaie uneplaïe
chandelle brulante et l’y
tienent un temps incroiable
pour arreter le sang et former
la cicatrice. Gens qui l’ont
ueuveu, l’ont escrit & me lontl’ont
iuréjuré. Mais pour dix aspres
il se treuuetreuve des gens tous
les ioursjours entre eus qui se
donrronta une bien profonde
taillade dans le bras &ou dans
les cuisses.
IeJe suis biēbien ayse que les tesmoins nous sont plus à main,
ou nous en auonsavons plus affaire.: Ccar la ChrestiētéChrestienté nous en four-
nit plus qu’à suffisance. Et apres l’exēpleexemple de nostre sainct gui-
de, il y en a eu force, qui par deuotiondevotion ont voulu porter la
croix. Nous apprenons par tesmoing tres-digne de foy, que le
Roy S. Loys porta la here iusquesjusques à ce, que sur sa vieillesse, son
confesseur l’en dispensa, & que tous les Vuvendredis, il se faisoit uv
battre les espaules par son prestre, de cinq chainettes de fer,
que pour cestt effet il portoit tousiourstousjours dans vneune boite. Guil-
laume nostre dernier Duc de Guyenne, pere de cette Alie-
nor, qui transmit ce Duché aux maisons de France & d’An-
gleterre, porta les dix ou douze derniers ans de sa vie, conti-
nuellement vnun corps de cuirasse, soubs vnun habit de religieux,
par penitence. Foulques Comte d’Anjou alla iusquesjusques en Ieru-Jeru-
salem, pour là se faire foëter à deux de ses valets, la corde au
col, deuantdevant le Sepulchre de nostre Seigneur. Mais ne voit-on
encore tous les ioursjours le Vendredy S. en diuersdivers lieux vnun grand
nōbrenombre d’hommes & femmes se battre iusquesjusques à se déchirer la
chair & perçer iusquesjusques aux os? Cela ay-ieje veu souuentsouvent & sans
enchantement,: &Et disoit-on (car ils vont masquez) qu’il y en
auoitavoit, qui pour de l’argent entreprenoient en cela de garātirgarantir la
religion d’autruy,. pPar vnun mespris de la douleur, d’autant plus
ESSAIS DE M. DE MONTA.
grādgrand, que plus peuuētpeuvent les éguillōséguillons de la deuotiōdevotion, q̄que de l’auariceavarice. ⁁
⁁ Q. Maximus enterra son filx consulere M.Cato le sien Preteur designé:
Et L. Paulus ⁁ ⁁ les siens deus en peu de ioursjours d’un uisagevisage rassis et ne portant aucun tesmoignage de deuil.
ou d’affliction IeJe disois deen mes ioursjours de quelqun en gossant qu’il auoitavoit choué la diuinedivine iusticejustice
Car luy estant enuoieenvoie pour un grief coup de fleau la mort uiolanteviolante de trois grands ēfansenfans luy aiant este
enuoieeenvoiee en un iourjour pour un aspre
coup d’instruction de chastiement uergeverge
com’il est a croire: peu s’en
falut qu’il ne la print a
gratification. Et ij’en ai
perdu mais en nourrisse
deus ou trois si non sans regret
certes au moins sans facherie.
Si n’est il guere d accidant qui
touche plus au uifvif les homes. IeJe
vois asses d’autres communes occa
sions d’affliction qu’a peine sentirois
ieje si elles me uenointvenoint ⁁
⁁ et en ai mesprise quādquand
elles me sont uenuesvenues, de
celles ausquelles le monde
donne une si atroce figure,
que ieje n’oseroi m’en uantervanter
au peuple sans rougir.
Ex quo intel=
ligitur non in natura sed in opini=
one esse aegritudinem.
L’opinion est vneune puissante partie, hardie, & sans mesure. Qui
rechercha iamaisjamais de telle faim la seurté & le repos, qu’Alexan-
dre, & Caesar ont faict l’inquietude & les difficultez. Teresz
le Pere de Sitalcesz souloit dire que quand il ne faisoit point
la guerre, il luy estoit aduizadviz qu’il n’y auoitavoit point de difference
entre luy & son pallefrenier. ⁁
⁁ Caton consul pour
s’assurer d’aucunes
villes en Hespaigne,
ayant sulemātsulemant interdit
aus habitans d’icelles
de porter les armes,
grand nombre se tuarēttuarent.
eus mesmes: ferox
gens nullam uitam
rati sine armis esse.
Combien en sçauonssçavons nous qui
ont fuy la douceur d’vneune vie trāquilletranquille, en leurs maisons, parmi
leurs cognoissāscognoissans, pour suiuresuivre l’horreur des desers inhabitables,:
& qui cse sont iettezjettez à l’abiectiōabjection, vilité, & mespris du mōdemonde, &
s’y sont pleuz iusquesjusques à l’affectatiōaffectation. Le Cardinal Borromeé qui
mourut dernierement à Milan, au trauerstraversmilieu de la desbauche, à
quoy le conuioitconvioit & sa noblesse, & ses grandes richesses,
& l’air de l’Italie, & sa ieunessejeunesse, se maintint en vneune forme de
vie si austere, que la mesme robe qui luy seruoitservoit en esté, luy
seruoitservoit en hyuerhyver: nN’auoitavoit pour son coucher que de la paille: &Et
les heures qui luy restoyent des occupatiōsoccupations de sa charge, il les
passoit estudiant continuellement, plātéplanté sur ses genouz, ayātayant
vnun peu d’eau & de pain à costé de son liurelivre,: qQui estoit toute la
prouisiōprovision de ses repas, & tout le temps qu’il y employoit. IJ’en
sçay qui à leur escient ont tiré & proffit & auancemētavancement du co-
cuage, dequoy le seul nom effraye tāttant de gens. Si la veuë n’est
le plus necessaire de nos sens, il est aumoins le plus plaisant:
mMais & les plus plaisans & vtilesutiles de nos membres, semblent
estre ceux qui seruentservent à nous entr’engendrer: tToutesfois assez
de gens les ont pris en hayne mortelle,. pPour cela seulement,
qu’ils estoyent trop aymables,. &Et les ont reiettezrejettez à cause de
leur pris & valeur. AaAutant en opina des yeux, celuy qui se les
creuacreva. ⁁
⁁ La plus commune
et plus seaine part des
estime homes esti
tient a grand heur
l’abondance des
enfans, moi et quel
quelques autres, a
pareil heur le defaut. Et quand on demande a Thales pourquoi il ne se marie point: il respont qu’il n’aime point d’auoirvoir enfans.laiser lignee de soy.
Que nostre opinion done pris aus choses, il se uoitvoit par celles en grand nombre
aus quelles nous ne regardons pas sulement pour les estimer ⁁ ⁁ ains a nous et ne considerons
ny leurs qualites ny leurs utilites mais sulement nostre coust a les rerc recouurerrecouvrer:
comme si c’estoit quelque piece de leur substance. Regardons en nous leur ualurvalur
non en elles et appelons ualeurvaleur en elles non ce qu’elles aportent mais ce que nous y
apportons Sur quoi ieje m’aduiseadvise que nous somes grands mesnagiers de nostre mise.
Selon qu’elle poise elle sert de ce mesmes qu’elle poise. Nostre opinion ne la laisse
iamaisjamais courir a faus fret frait. LargentchatL’argentchat done titre au diamant et la difficulte
à la vertu et la dolur a la deuotiondevotion et laspretel’asprete a la medecine.
Tel pour arriuerarriver à la pauuretépauvreté iettajetta ses escuz en cette
mesme mer, que tant d’autres fouillent de toutes pars pour y
pescher des richesses. Epicurus dict que l’estre riche n’est pas
soulagement, mais changemētchangement d’affaires. De vray, ce n’est pas
la
LIVRE PREMIER. 21
la necessitédisette, c’est plustost l’abondance qui produict l’auariceavarice.
IeJe veux dire mōmon experience autour de ce subiectsubject. IJ’ay vescu en
trois sortes de condition, depuis estre sorty de l’enfance. Le
premier tēpstemps, qui à duré pres de vingt années, ieje le passay, n’aiātaiant
autres moyēsmoyens, que fortuites,. &Et despēdantdespendant de l’ordonnance &
secours d’autruy, sans estat certain & sans prescriptiōprescription. Ma des-
pēcedes-
pence se faisoit d’autātautant plus allegremētallegrement & auecavec moins de soing,
qu’elle estoit toute en la temerité de la fortune. IeJe ne fu iamaisjamais
mieux. Il ne m’est oncques aduenuadvenu de trouuertrouver la bourçe de
mes amis close: mM’estant eniointenjoint au delà de toute autre neces-
sité, la necessité de ne faillir au terme que ij’auoyavoy prins ⁁ ⁁ a m’acquiter,. lLequel
ils m’ont mille fois estendualongé, voyant l’effort que ieje me faisoy
pour leur satisfaire: eEn maniere que ij’en rendoy vneune loyauté
mesnagere & aucunement piperesse. IeJe sens naturellement
quelque volupté à payer,. cCōmecComme si ieje deschargeois mes espau-
les d’vnun ennuyeux poix, & de cette image de seruitudeservitude.: AaAussi
qu’il y à quelque contentement qui me chatouille à faire vneune
actiōaction iustejuste, & contenter autruy.:. IJ’excepte les payements où il
faut venir à marchander & conter, car si ieje ne trouuetrouve à qui en
commettre la charge, ieje les esloingne honteusement & iniu-
rieusemētinju-
rieusement tāttant que ieje puis,. dDe peur de cette altercatiōaltercation, à laquelle
& mōmon humeur & ma forme de parler est du tout incōpatibleincompatible.
Il n’est rien que ieje haisse comme à marchander: cC’est vnun pur
commerce de menterietrichoterie & d’impudence.: AaApres vneune heu-
re de debat & de barquignage, l’vnun & l’autre abandonne
sa parolle & ses sermens pour cinq sous d’amandement. Et
si empruntois auecavec desaduentagedesadventage.: CcCar n’ayātayant point le coeur
de requerir en presence, ij’en renuoyoisrenvoyois le hazard sur le papier,
qQui ne faict guiere d’effort & qui preste grandement la main
au refuser. IeJe me remettois de la conduitte de mon besoing
plus gayement aux astres, & plus librement, que ieje n’ay faict
depuis à ma prouidenceprovidence & à mōmon sens. La plus part des mesna-
F
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gers estimētestiment horrible de viurevivre ainsin en incertitude,. &Et ne s’ad-
uisentad-
visent pas, premierement que la plus part du monde vit ainsi.
CōbienCombien d’hōnesteshonnestes hōmeshommes ont reiettérejetté tout leur certain à l’a-
bandon, & le font tous les ioursjours, pour cercher le vent de la fa-
ueurfa-
veur des Roys & de la fortune? Caesar s’endebta d’vnun million
d’or outre son vaillant, pour deuenirdevenir Caesar. Et combien de
marchans commencent leur trafique par la vente de leur me-
tairie, qu’ils enuoyentenvoyent aux Indes
Tot per impotentia freta?
En vneune si grande siccité de deuotiondevotion, nous auōsavons mille & mille
Ccollegesc, qui la passent cōmodeementcommodeement, attendātattendant tous les ioursjours
de la liberalité du Ccielc, ce qu’il faut à euxleur disner. SecondemētSecondement,
ils ne s’aduisentadvisent pas, que cette certitude, sur laquelle ils se fon-
dētfon-
dent, n’est guiere moins incertaine & hazardeuse que le hazard
mesme. IeJe voy d’aussi pres la misere au delà de deux mille es-
cuz de rente, que si elle estoit tout contre moy. ⁁
VersCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ Fortuna uitrea est
Tunc cum splendet frangitur.
Car outre ce
que la fortunele sort à dequoy ouurirouvrir cent breches à la pauuretépauvreté au
trauerstravers de nos richesses, ⁁
⁁ saepe inter fortunāfortunam
maximam et ultimam
nihil interest
nN’y aiant souuantsouvant nul
moien entre la supreme et
infime fortune
Fortuna uitrea est tunc cum
splendet frangitur:
&Et enuoyerenvoyer cul sur pointe toutes nos
deffences & leueeslevees, ieje trouuetrouve que par diuersesdiverses causes l’indigē-indigen-
ce se voit aussi souuentsouventautant ordinerement logee chez ceux qui ont desbiensdes biens, que
chez ceux qui n’en ont point: &Et qu’à l’auantureavanture est elle aucu-
nement moins incommode, quand elle est seule, que quand
elle se rencontre en compaignie des richesses: ⁁
⁁ eElles uienentvienent plus
de lordrel’ordre que de la
recette: faber est suae
quisque fortunae. Et
& me semble
plus miserable vnun riche malaisé, necessiteux, affaireux, que ce-
luy qui est simplement pauurepauvre. ⁁
⁁ In diuitijs inopes, quod
genus egestatis grauis=
ssimum est. Les plus grādsgrands
princes et plus riches sont
par pouretépovreté et disette
contreins tous conuiezconviez tous
tousiourstousjours a user d’iniusticeinjustice.
pousses ordineremant a
l’extreme necessité Car en
est-il de pireplus extreme que d’en deuenirdevenir
tyrans et iniustesinjustes usurpaturs
des biens de leurs subiectssubjects.
Ma seconde forme, ç’à esté
d’auoiravoir des biens,largentl’argent. ausquelsou aA quoi ieje mem’estant prins, si chaudement, que ij’en
fis bien tost des reseruesreserves notables selon ma condition: nN’esti-
mant que ce fut auoiravoir, si non autant qu’on possede outre sa
despence & son vsageusage ordinaire: nN’y qu’on se puisse prendre as-
seurancefier du bien qui est encore en esperance de recepte, pour
claire qu’elle soit. Car quoy disoy-ieje, si ij’estois surpris d’vnun tel,
où d’vnun tel accident? &Et à la suite de ces vaines & vitieuses ima-
LIVRE PREMIER. 22
ginations, ij’allois faisant l’ingenieux à prouuoirprouvoir par cette su-
perflue reseruereserve à tous inconueniensinconveniens: &Et sçauoissçavois encore res-
pondre à celuy qui m’alleguoit que le nombre des inconue-inconve-
niens estoit trop infiny,: que si ce n’estoit à tous, c’estoit à au-
cuns & plusieurs. Cela ne se passoit pas sans penible sollicitu-
de. ⁁
⁁ IJ’en faisois un secret: &
moi qui ose tant dire toutes
choses de moi: ne tesmou
parlois de mon argent
qu’en mensonge,: come font
les autres: qui s’apourissentapovrissent
riches, s’enrichissent
pourespovres: et dispansent leur
consciance de iamaisjamais
tesmouigner sincerement
de ce qu’ils ont: Ridicule
et honteuse prudance.
Allois-ie-je en voyage, il ne me sembloit estre iamaisjamais suffi-
samment prouueuprouveu,. &Et plus ieje m’estois chargé,⁁ ⁁ de monoie plus aussi ij’auoisavoisieje
d’alarme:m’estois charge de creinte. tTantost de la seurté des chemins, tTātosttTantost de la fidelité
de ceux qui conduisoient mon bagage: duquel comme d’au-
tres que ieje cognoys, ieje ne m’asseurois iamaisjamais assez si ieje ne l’a-
uoisa-
vois deuantdevant mes yeux. Laissoy-ieje ma boyte chez moy, com-
bien de soubçons & pensements espineux,: & qui pis est incō-incom-
municables,et qui pis est incommunicables iIjJ’auoisavois tousiourstousjours l’esprit de ce costé. ⁁
⁁ Tout contè, il y
a plus de peine
a garder l’argent
qu’a l’acquerir.
Si ieje n’en fai-
sois du tout tant que ij’en dis, au moins il me coustoit à m’em-
pescher de le faire. De commodité, ij’en tirois peu ou rien:⁁
⁁ : pour auoiravoir plus de moien
de despance elle ne m’en
poisoit pas moins. Car
CcCar
comme disoit Bion, autātautant se fache le cheueluchevelu comme le chau-
uechau-
ve, qu’on luy arrache le poil:. &Et depuis que vous estes accou-
stumé & auezavez planté vostre fantasie sur certain monceau, il
n’est plus à vostre seruiceservice.⁁ ⁁ uousvous n’oseries l’escorner: c’est C’est vnun bastiment qui comme il
vous semble, crollera tout, si vous y touchez: iIl faut que la ne-
cessité vous prenne à la gorge pour l’entamer: &Et au parauantparavant
ij’engageois mes hardes, & vendois vnun cheualcheval, auecavec biēbien moins
de contrainte & moins enuys, que lors ieje ne faisois bresche à
cette bourçe fauoriefavorie, que ieje tenois à part. Mais le dāgerdanger estoit,
que mal ayséement peut-on establir bornes certaines à ce de-
sir:⁁
⁁ (modūmodum retinere
difficile est in eo quod
bonūbonum esse credideris)
(Elles sont difficiles
a garder es choses
qu’on croit bones.)
(elles sont difficilles
a trouuertrouver es choses
qu’on croit bones)
& arrester vnun poinct à l’espargne: oOn va tousiourstousjours grossis-
sant cet amas & l’augmentant, d’vnun nombre à autre, iusquesjusques à
se priuerpriver vilainement de la iouyssancejouyssance de ses propres biens:. &Et
l’establir toute en la garde, & à n’ēen vseruser point. ⁁
⁁ Tout home pecunieus
est auaritieusavaritieus a mon gré
De cette forme de io Selon
cette espece d’usage s ce sont
les plus riches gens du monde
qu ceus qui ont charge de
la garde des portes et murs
d’une bone uilleville Tout home pecu=
nieus est auaritieusavaritieus a mon gre. IeJe
Platon fais range ainsi les biens corporels ou
humains: la sante, la beaute, la force, la richesse
Et la richesse dict il n’est pas aueugleaveugle mais
trescler uoiantevoiante quand elle est illuminee par la
prudance.
Dionisius le fils,
eust sur ce propos bonne grace. On l’aduertitadvertit que l’vnun de ses
Syracusains auoitavoit caché dans terre vnun thresor,. iIl luy manda de
le luy apporter,. cCe qu’il fit, s’en reseruantreservant à la desrobbée quel-
F ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que partie,. aAuecaAvec laquelle il s’en alla en vneune autre ville, ou ayant
perdu cet appetit de thesaurizer, il se mit à viurevivre plus liberal-
lement. Ce qu’entendant Dionysius luy fit rendre le demeu-
rant de son thresor, dDisant que puis qu’il auoitavoit appris à en sça-
uoirsça-
voir vseruser, il le luy rendoit volontiers. IeJe fus quatre où cinqquelques an-
nees en ce point: iIejJe ne sçay qu’ellequel bonne fortunedaemon m’en iettajetta
hors tres-vtilementutilement, comme aule Siracusain, &Et m’enuoyaenvoya toute
cette conserueconserve à l’abandon,. lLe plaisir de certain voyage de grā-
degran-
de despence, ayant mis au pied cette sotte imagination:. pPar où
ieje suis retombé à vneune tierce sorte de vie (IieJje dis ce que ij’en sens) ij
certes plus plaisante beaucoup & plus reiglée,: cC’est que ieje faits
courir ma despence quand & quand ma recepte, tTantost l’vneune
deuancedevance, tantost l’autre: mMais c’est de peu qu’elles s’abandon-
nent. IeJe vis du iourjour à la iournéejournée,. &Et me cōtentecontente d’auoiravoir dequoy
suffire aux besoings presens & ordinaires.: AaAux extraordinai-
res toutes les prouisionsprovisions du monde n’y sçauroyent suffirebaster. ⁁
⁁ Et est folie de
s’atandre nous que
fortune ⁁ ⁁ elle mesmes nous arme
iamaisjamais suffisammant
contre soi. C’est de
nos armes qu’il la
faut cōbattrecombattre. les fortu
ites n’y non desLes fortuites -
nous trahiront au bon
du faict.
Si
ij’amasse, ce n’est que pour l’esperance de quelque voisine em-
ploite,: & non pour acheter des terres,⁁ ⁁ de quoi ieje n’ay que faire, mais pour acheter du
plaisir. ⁁
⁁ Non esse
cupidum
pecunia est,
non esse
emacem
uectigal est.
IeJe n’ay ny ⁁ ⁁ guere peur que bien me faille, ny ⁁ ⁁ nul desir qu’il m’aug- nul
mente,. ⁁
⁁ Diuitiarum fructus est in
copia, copiam declarat satietas.
&Et me gratifie singulierement que cette correction me
soit arriueearrivee en vnun aage naturellemētnaturellement enclin à l’auariceavarice,: & que
ieje me vois desfaict de cette maladie si cōmunecommune aux vieux,. lLa-
quelle ij’ay tousiourstousjours tenu la moins excusable, & la plus ridi-
cule de toutes les humaines folies.⁁
⁁ Feraulez qui auoitavoit passe par les deus fortunes et trouuétrouvé que l’accroit de cheuancechevance
n’estoit pas accroit d’appetit au boire manger dormir et embrasser sa fame. Et qui d’autre
part santoit poiser sur ses espaules l’importunite de loeconomiel’oeconomie, einsi qu’elle faict a moi:
delibera de contanter un iunejune home pourepovre son fidelle amy de la faim qu’il auoitavoit desabboiant apres les richesses
et luy fit presant de toutes les sienes grandes et excessiuesexcessives presantes et de celles encore
qu’il estoit en trein d’accumuler tous les ioursjours par la liberalite de Cyrus son bon maistre,
et par la guerre: moienant qu’il print lea souincharge de l’entretenir et nourrir honestemant come
son hoste et son ami. Ils uescurentvescurent einsi despuis treshureusemant et esgalemant
contans, deu la mu changemant de leur condition. Voila un tour que ij’imiterois de
grand corage. Et louë grandement la fortune d’un uieilvieil prelat que ieje uoisvois s’estre si puremant desmis de sa bourse de sa recette
& de sa mise, tantost à vnun seruiteurserviteur choisi, tantost à un autre qu’il a tantost passea coulè un long espace d’annees quasi austātaustant ignorant de cette sorte d’affaire
de son mesnage, comme vnun estranger. La fiance de la bonté d’autruy, est vnun non leger tesmoignege de la bonté propre: partant la fauorisefavorise Dieu volontiers. Et pour son regard, ieje ne voy point d’ordre de maison, ny plus dignement ny plus ⁁
suite de cette addition au bas du folio 23r⁁ constamment conduite que lae siene Et si le treuuetreuve bien plus riche de s’estre deschargé
du soin d’accumuler & dispanser ses richesses et de n’y chercher autre chosefin que le sul
usage presantHureus qui aye regle a si iustejuste mesure son besouin que ses richesses y puissent suffire sans son soin et empeschemātempeschemant et sans que leur
dispensation ou assamblage interrompe d’autres occupations qu’il suit plus doucessortables tranquilles
et selon son ceur.
L’aisance dōcdonc & l’indigēceindigence
despendent de l’opinion d’vnun chacun,. &Et non plus la richesse,
que la gloire, que la santé, n’ont qu’autātautant de beauté & de plai-
sir, que leur en preste celuy qui les possede. ⁁
⁁ Chacun est bien ou mal
selon qu’il s’en treuuetreuve. Non de qui on
le croit mais qui le croit de soi,
est contant. Et en cela sul la premiere
creance se done essance et ueritéverité
⁁ Chacun est hureus &
malhureus selon qu’il
s’en treuuetreuve. La fortune
ne nous faict ny bien
ny mal: elle nous en
donneoffre sulemātsulemant la matiere
& la semācesemance, la quelle
nostre ame plus puissātepuissante
qu’elle, app tourne &
applique com’il luy plait
seule cause & maistresse de sa cōditioncondition hureuse ou malhureuse.
Les accessions ex-
ternes prēnentprennent goustsaueursaveur & couleur de l’interne constitution,. cCō-cCom-
me les accoustremens nous eschauffent, non de leur chaleur,
mais de la nostre,. lLaquelle ils sont propres à couuercouver & nour-
rir: qQui en abrieroit vnun corps froit, il en tireroit mesme serui-servi-usa
ce pour la froideur: aAinsi se conserueconserve la neige & la glace. Cer-
LIVRE PREMIER. 23
tes tout de mesmeen la maniere qu’à vnun faineant l’estude sert de tourmēttourment,. àA
vnun yurongneyvrongne l’abstinēceabstinence du vin,. lLa frugalité est supplice au lu-
xurieux, &Et l’exercice geine à vnun hōmehomme delicat & oisif: aAinsin
est-il du reste. Les choses ne sont pas si douloreuses, ny diffici-
les d’elles mesmes: mais nostre foiblesse & lascheté les fait tel-
les. Pour iugerjuger des choses grādesgrandes & haultes, il faut vnun’ ame de
mesme, autrement nous leur attribuons le vice, qui est le no-
stre. VnUn auironaviron droit semble toutes-fois courbée dansen l’eau. Il
n’importe pas seulement qu’on voye la chose, mais commētcomment
on la voye. Or sus, pourquoy de tāttant de discours, qui nous per-
suadent ⁁ ⁁ diuersemantdiversemant les homes de mespriser la mort, & de ne nous tourmētertourmenter point
deporter la douleur, n’en empoingnonstrouuonstrouvons nous quelcun ⁁ ⁁ qui face pour nous?
Et de tāttant d’especes d’imaginatiōsimaginations, qui l’ont persuadé à autruy,
que chacūchacun n’en prend il celle qui estapli applique il a soi une le plus selōselon son humeur?
SilS’il ce n’est vneunene peut digerer la drogue forte & abstersiueabstersive, pour desraciner le
mal, au moins qu’il la preigne lenitiuelenitive, pour le soulager. ⁁
⁁ Obuersentur species
honestae animo
Opinio est quaedam
effoeminata ac leuis:
nec in dolore magis quam
eadem in uoluptate:qua
cum liquescimus fluimus
que mollitia, apias apis
aculeum sine clamore
ferre non possumus.
Totum in eo est ut tibi
imperes.
Au
demeurātdemeurant, on n’eschappe pas à la philosophie, pour faire valoir
outre mesure l’aspreté des douleurs.⁁ ⁁ et nostre l’humaine foiblesse. Car on la contraint de
nous dōnerdonner en payemētpayement cecy.se reietterrejetter a cettes inuinciblesinvincibles repliques. S’il est mauuaismauvais de viurevivre en ne-
cessité, au moins de viurevivre en necessité, il n’est aucune necessité. ⁁
Nemo nisi sua culpa diu dolet.
⁁ et ceu Nul
n’est mal longtemps
qu’a sa coulpe faute
Qui n’a le corageceur de
morir qu’il aye le
corage de uiurevivreceur de souffrir
ny la mort ni la uievie en
quoi est-il bon? qui ne
ueutveut ny resister ni fuir
a quoi est il bon? que
luy fairoit on?
On est puny pour s’opiniastrer à vneune place sans raison.
CHAP. XV.
LA vaillance à ses limites, comme les autres vertus.: les-
quels franchis & outrepassez, on se trouuetrouve dāsdans le train
du vice: eEn maniere que par chez elle on se peut rēdrerendre
à la temerité, obstination & folie, qui n’en sçait bien les bor-
nes,: malaiseez à laen verité à choisir en l’endroit desur leurs confins.
De cette consideration est née la coustume, que nous auonsavons
aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s’opiniastrent à
defendre vneune place, qui par les reigles militaires ne peut estre
soustenuë. Autrement soubs l’esperance de l’impunité il n’y
F iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
auroit pouillier, qui n’arrestast vnun’ armée. Monsieur le Con-
nestable de Mommorency au siege de PauiePavie, ayant esté com-
mis pour passer le Tesin, & se loger aux fauxbourgs S. Antoi-
ne, estant empesché d’vneune tour au bout du pont, qui s’opinia-
stra iusquesjusques à se faire battre, feist pendre tout ce qui estoit de-
dans: &Et encore depuis accompaignātaccompaignant Monsieur le Dauphin
au voyage delà les monts, ayant pris par force le chasteau de
Villane, & tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces
par la furie des soldats, hormis le Capitaine & l’enseigne, il les
fit pendre & estrangler, pour cette mesme raison: cComme fit
aussi le Capitaine Martin du Bellay lors gouuerneurgouverneur de Turin
en cestte mesme contrée, le Capitaine de S. Bony,: le reste de ses
gens ayant esté massacré à la prinse de la place. Mais d’autant
que le iugementjugement de la valeur & foiblesse du lieu, se prend par
l’estimation & contrepois des forces qui l’assaillent,: car tel
s’opiniatreroit iustementjustement cōtrecontre deux couleuurinescouleuvrines, qui feroit
l’enragé d’attendre trente canons,: ou se met encore en conte
la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect
qu’on luy doit, il y a danger qu’on presse vnun peu la balance de
ce costé là. Et en aduientadvient par ces mesmes termes, que tels ont
si grande opinion d’eux & de leurs moiens, que ne leur sem-
blant point raisonnable qu’il y ait riērien digne de leur faire teste,
passent le cousteau par tout, ou ils trouuenttrouvent resistance, au-
tant que fortune leur dure: cComm’il se voit par les formes de
sommation & deffi, que les princes d’Orient, les TāburlansTamburlans,
Mahumets, & leurs successeurs, qui sont encores, ont en vsa-
geusa-
ge, fiere, hautaine & pleine d’vnun commandement barbares-
que. ⁁
⁁ Et au quartier par
où les Portugalois
escornerent les Indes
ils trouuarenttrouvarent des
estats aueqaveq cette loy uniuerselleuniverselle & inuiolableinviolable
que tout enemi qui ueincuveincu du Roy en presance
ou de son lieutenant est hors de composition de rançon
& de merci
Ainsi sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre
les mains d’vnun IugeJuge ennemy, victorieux & armé.
LIVRE PREMIER. 24
De la punition de la couardise.
CHAP. XVI.
IOVYJ’OUY autrefois tenir à vnun Prince & tresgrand Capi-
taine, que pour lascheté de coeur vnun soldat ne pou-
uoitpou-
voit estre condamné à mort: luy estant à table fait re-
cit du procez du Seigneur de VeruinsVervins, qui fut condamné à
mort pour auoiravoir rēdurendu Boulogne. A la verité c’est raison qu’ōon
face grande difference entre les fautes qui viennent de nostre
foiblesse, & celles qui viennētviennent de nostre malice. Car en celles
icy nous nous sommes bandez à nostre escient contre les rei-
gles de la raison, que nature à empreintes en nous: &Et en celles
là, il semble que nous puissions appeller à garant cette mesme
nature, pour nous auoiravoir laissé en telle imperfectiōimperfection & deffail-
lance: dDe maniere que peuprou de gens ont pensé qu’on ne se pou-
uoitpou-
voit prendre à nous, que de ce que nous faisons contre nostre
conscience: &Et sur cette regle est en partie fondée l’opinion de
ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques
& mescreāsmescreans: &Et celle qui establit qu’vnun AaduocatAadvocat & vnun IiugeJjuge ne
puissent estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en
leur charge. Mais quātquant à la coüardise, il est certain, que la plus
commune façon est de la chastier par honte & ignominie. Et
tient on que cette regle à esté premieremētpremierement mise en vsageusage par
le legislateur CharōdasCharondas: & qu’auantavant luy les loix de Grece pu-
nissoyent de mort ceux qui s’en estoyent fuis d’vneune bataille,.
lLà où il ordonna seulement qu’ils fussent par trois ioursjours assis
emmy la place publique, vetus de robe de femme, esperātesperant en-
cores s’en pouuoirpouvoir seruirservir, leur ayātayant fait reuenirrevenir le courage par
cette honte. ⁁
⁁ Suffundere malis
hominis sanguinem quam
effundere.
Il semble aussi que les loix Romaines condam-
noient anciennement à mort, ceux qui auoientavoient fuy. Car Am-
mianus Marcellinus raconte, que l’Empereur IulienJulien cōdam-
nacondam-
na dix de ses soldats, qui auoyentavoyent tourné le dos àen vneune charge
ESSAIS DE M. DE MONTA.
contre les Parthes, à estre dégradez, & apres à souffrir mort,
suyuantsuyvant, dict-il, les loix anciennes. Toutes-fois ailleurs pour
vneune pareille faute il en condemne d’autres, seulement à se te-
nir parmy les prisonniers sous l’enseigne du bagage. ⁁
⁁ LaspreL’aspre cōdānationcondamnation
du peuple Romein
contre les soldats
eschapez de Cannes
et ēen cete mesme guerre
contre ceus qui
accompaignarent Cn.
Fuluius en sa
desfaicte ne uindrēttvindrentt
pas a la mort. Si est
il a creindre que la
honte les desespere et
les rande non inutilesfroitz
sulemātsulemant mais domageables
enemis.
Du tēpstemps
de nos Peres le Seigneur de Franget iadisjadis LieutenātLieutenant de la cō-
pagniecon-
pagnie de Monsieur le Mareschal de Chastillon, ayātayant esté mis
par Monsieur le Mareschal de Chabanes, GouuerneurGouverneur de Fō-
tarrabieFon-
tarrabie au lieu de Monsieur deu Lude, & l’ayant rēduerendue aux Es-
pagnols, fut condamné à estre degradé de noblesse, & tāttant luy
que sa posterité declaré roturier, taillable, & incapable de
porter armes: &Et fut cette rude sentence executée à Lyon. Dé-
puis souffrirent pareille punition tous les gentils-hōmeshommes qui
se trouuerenttrouverent dans Guyse, lors que le Comte de Nansau y en-
tra,: & autres encore depuis. Toutes-fois quādquand il y auroit vneune
si grossiere & apparente ou ignorance ou coüardise, qu’elle
surpassat toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre
pour suffisante preuuepreuve de meschanceté & de malice, & de la
chastier pour telle.
VnUn traict de quelques Ambassadeurs.
CHAP. XVII.
IJ’ObserueObserve en mes voyages cette practique, pour apprē-
dreappren-
dre tousiourstousjours quelque chose, par la communication
d’autruy (qui est vneune des plus belles escholes qui puisse
estre) de ramener tousiourstousjours ceux, auecavec qui ieje confere, aux pro-
pos des choses, qu’ils sçauentsçavent le mieux.
Basti al nocchiero ragionar de’ venti,
Al bifolco dei tori, & le sue piaghe
Conti’l guerrier, conti’l pastor gli armenti.
Car il aduientadvient le plus souuentsouvent au rebours, que chacun choisit
plustost à discourir du mestier d’autruyun autre que du sien,. eEstimant
que c’est autant de nouuellenouvelle reputation acquise: tTesmoing le
reproche
LIVRE PREMIER. 25
reproche qu’Archidamus feit à Periander, qu’il quittoit la
gloire de bon medecin, pour acquerir celle de mauuaismauvais poëte,:⁁
⁁ . Voies combien Cesar
se desploie plus largement
a nous faire entandre ses
inuātionsinvantions a bastir pons
et engins de batterie Et
combien au pris il uava se
serrant ou il parle des offices
de sa profession de sa uaillācevaillance
et conduite de sa milice. ⁁
⁁ Ses exploits le uerifientverifient
asses, excellant capiteine
il excellant: il se ueutveut
faire conestre excellant
in enginieur: qualité
aucunemētaucunement estrangiere
Un home de uocationvocation
iuridiquejuridique mené ces ioursjours
passes uoirvoir un’estude
fournie de toute sortes
de liureslivres de son mestier
et de tout autre mestier
sorte nyn’y trouuatrouva nulle
occasion de s’entretenir
mais il s’arrete a
gloser rudement &
magistralement une
barricade logee sur
la uisvis par ou il estoit
montede lestudel’estude que
cent capitenes &
soldats p rencontrētrencontrent
tous les ioursjours sans
remarque & sans
offance.
Le uieilvieil Dionisius estoit tres grand
chef de guerre come il
conuenoitconvenoit a sa fortune
mais il se trauailloittravailloit a
doner principale reco=
mandation de soi par
la poësie et si n’y sçauoitsçavoit
rien.
& pPar ce train, vous ne faictes iamaisjamais rien qui vaille.:
Optat ephippia bos piger, optat arare caballus.
Par ce train uousvous ne faictes iamaisjamais rien qui uaillevaille.
Par aAinsinn, il faut trauaillertravailler de reietterrejetter tousiourstousjours l’architecte, le
peintre, le cordonnier, & ainsi du reste, chacun à son gibier. Et
à ce propos, à la lecture des histoires, qui est le subietsubjet de tou-
tes gens, ij’ay accoustumé de considerer, qui en sont les escri-
uainsescri-
vains: sSi ce sont personnes, qui ne facent autre profession que
de lettres, ij’en apren principalement le stile & le langage: sSi ce
sont medecins, ieje les croy plus volontiers, en ce qu’ils nous di-
sent de la temperature de l’air, de la santé & complexion des
Princes, des blessures & maladies: sSi IurisconsultesJurisconsultes, il en faut
prendre les controuersescontroverses des droicts, les loix, l’establissement
des polices & choses pareilles: sSi Theologiens, les affaires de
l’Eglise, censures Ecclesiastiques, dispēsesdispenses & mariages: sSi cour-
tisans, les meurs & les ceriemonies: sSi gens de guerre, ce qui est
de leur charge, & principalement les deductions des exploits,
où ils se sont trouueztrouvez en personne: sSi Ambassadeurs, les me-
nées, intelligences, & practiques, & maniere de les conduire.
A cette cause ce que ij’eusse passé a vnun autre, sans m’y arrester,
ieje l’ay poisé & remarqué en l’histoire du Seigneur de Langey,
tres-entendu en telles choses. C’est qu’apres auoiravoir conté ces
belles remonstrances de l’Empereur Charles cinquiesme, fai-
ctes au consistoire à Rome, present l’EuesqueEvesque de Mascon, & le
Seigneur du Velly nos Ambassadeurs, où il auoitavoit meslé plu-
sieurs parolles outrageuses contre nous, &Et entre autres, que si
ses Capitaines, soldats, & subiectssubjects n’estoient d’autre fidelité
& suffisance en l’art militaire, que ceux du Roy, tout sur l’heu-
re il s’attacheroit la corde au col, pour luy aller demander
misericorde. Et de cecy il semble qu’il en creut quelque cho-
se, car deux ou trois fois en sa vie depuis il luy aduintadvint de redi-
G
ESSAIS DE M. DE MONTA.
re ces mesmes mots: aAussi qu’il défia le Roy de le combatre en
chemise auecavec l’espée & le poignard, dans vnun bateau. Ledit sei-
gneur de Langey suiuantsuivant son histoire, adiousteadjouste que lesdicts
Ambassadeurs faisans vneune despesche au Roy de ces choses, luy
en dissimulerent la plus grande partie, mesmes luy celerent
les deux articles precedens. Or ij’ay trouuétrouvé bien estrange, qu’il
fut en la puissance d’vnun Ambassadeur de dispenser sur les ad-
uertissemensad-
vertissemens qu’il doit faire à son maistre,: mesme de telle cō-
sequencecon-
sequence, venant de telle personne, & dites en si grand’ assem-
blée. Et m’eut semblé l’office du seruiteurserviteur estre de fidelement
representer les choses en leur entier, comme elles sont adue-
nuësadve-
nuës: affin que la liberté d’ordonner, iugerjuger, & choisir demeu-
rast au maistre. Car de luy alterer ou cacher la verité, de peur
qu’il ne la preigne autrement qu’il ne doit, & que cela ne le
pousse à quelque mauuaismauvais party,: & ce pendant le laisser igno-
rant de ses affaires,: cela m’eut semblé appartenir à celuy, qui
donne la loy, non à celuy qui la reçoit, au curateur & maistre
d’escholle, non à celuy qui se doit penser inferieur, non en au-
thorité seulemētseulement, mais aussi en prudence & bōbon conseil. Quoy
qu’il en soit, ieje ne voudroy pas estre seruyservy de cette façon, en
mon petit faict. ⁁
⁁ Nous nous soustraions
si uolantiersvolantiers du comēā=
dementcomenan=
dement sous quelque prae=
texte, et usurpons sur
la maistrise: cChacun
aspire si naturellement
à la libertè et authorité,
qu’au superieur nulle utilité
ne doit estre si chere, uenantvenant
de ceus qui le seruentservent,
come luy doit estre chere
leur naïfuenaïfve et simple
obeïssance. On corrōptcorrompt
l’office du comander quand
on y obeit par discretion non
par subiectionsubjection. Et P.
Crassus celuy que les
Romeins estimarent cinq
fois hureus, lors qu’il
estoit en Asie consul, aïātaïant
mandé a un iengeinieur
Grec de luy faire mener
le plus grand des deux
mas de nauirenavire qu’il auoitavoit ueuveu a Athenes pour quelqu’engin de batterie a qui ’il
en auoitavoituouloitvouloit affaire: cetuicy sous titre de sa sciance se dona loi de choisir autremant,
et mena le plus petit, & selon la raison de son art le plus cōmodecommode: Crassus aiant
patiammant oui ses raisons, luy fit tresbien doner le foit: estimant l’interest
de la s discipline plus que l’interest de son l’ouurageouvrage. D’autre part ⁁ ⁁ pourtant on pourroit aussi
considerer que cet’obeissāceobeissance si contreinte n’apartient qu’aus comandemans exprez
singuliersprecis et prefix. Les ambassadurs ont une charge plus libre, qui en plusieurs
parties despant souuereinemantsouvereinemant de leur disposition: ils n’executētexecutent pas simplemātsimplemant
⁁
Suite de cette addition au bas du folio 26r.
⁁ mais forment aussi et dressent par leur conseil la uolantévolanté du maistre. IJ’eu ai
ueuveu en mon temps des persones de comandemant repris d’auoiravoir plus tost obei aus
parolles des lettres du Roy qu’a l’occasion des affaires qui estoint pres deusd’eus: ⁁
⁁ Les homes d’entandemātentandemant accusent encores l’usage des Roys de pPerse ne de tailler les mourceaus si courts
a leurs agens et lieutenans qu’aus moindres choses ils eussent a recourir a leur ordonnance. Ce delai aiant aporte
souuantsouvant notable domage a leurs affaires ueuveu la grandeen une si longue estendue de leur domination aiant souuantsouvant aporte des
notables dommages à leurs affaires.
Et Crassus escriuantescrivant a un home du mestier sambloit le conuierconvier a interposer
son decret luy donant aduisadvis de l’usage au quel il destinoit ce mas et entrer en
cōferanceconferance de sa deliberation sambloit il pas entrer en conferance de sa
deliberation & le conuierconvier a y interposer son decret.
De la Peur. CHAP. XVIII.
OBstupui, steterúntque comae, & vox faucibus haesit.
IeJe ne suis pas bon naturaliste (qu’ils disent) & ne sçay
guiere par quels ressors la peur agit en nous, mais tāttant
y a que c’est vneune estrange passion: &Et disent les medecins qu’il
n’en est aucune, qui emporte plustost nostre iugemētjugement hors de
sa deuë assiette. De vray, ij’ay veu beaucoup de gens deuenusdevenus
insensez de peur, & au⁁s plus rassis, il est certain pendant que son
accés dure, qu’elle engendre de terribles esblouissemēsesblouissemens. IeJe lais-
se à part le vulgaire, à qui elle represente tantost les bisayeulx
LIVRE PREMIER. 26
sortis du tōbeautombeau enueloppezenveloppez en leur suaire, tātosttantost des Loups-
garous, des Lutins, & des chimeres. Mais parmy les guerrierssoldats
mesme, ou elle deuroitdevroit trouuertrouver moins de place, combien de
fois à elle ⁁
⁁ metu
interprete
changé vnun troupeau de brebis en esquadron de cor-
selets? des roseaux & des cannes en gēsgens-d’armes & lanciers? nos
amis en nos ennemis? & la croix blanche à la rouge? Lors que
Monsieur de Bourbon print Rome, vnun port’enseigne, qui e-
stoit à la garde du bourg sainct Pierre, printfut sesi de tel effroy à la pre-
miere alarme, que par le trou d’vneune ruine il se iettajetta, l’enseigne
au poing, hors la ville droit aux ennemis, pensant tirer vers le
dedans de la ville, &Et à peine en fin voyant la troupe de Mon-
sieur de Bourbon se renger pour le soustenir, estimant que ce
fut vneune sortie, que ceux de la ville fissent, il se recogneust, &
tournant teste r’entra par ce mesme trou, par lequel il estoit
sorty, plus de trois cens pas auantavant en la campaigne. Il n’en ad-
uintad-
vint pas du tout si heureusement à l’enseigne du Capitaine
IuilleJuille, lorsque S. Pol fut pris sur nous par le CōteConte de Bures &
Monsieur du Reu.: Ccar estant si fort esperdu de la frayeur, que
de se ietterjetter à tout son enseigne hors de la ville, par vneune canon-
niere, il fut mis en pieces: par les assaillans,. &Et au mesme siege
fut memorable la peur, qui serra, saisit, & glaça si fort le coeur
d’vnun gentil-homme, qu’il en tomba roide mort par terre à la
bresche, sans aucune blessure. Pareille ragepeur saisit par foys des
armées entierestoute une multitude:. eEn l’vneune des rencontres de Germanicus cōtrecontre
les Allemans, la frayeur s’estant mise en leur armée, deux gros-
ses trouppes prindrent d’effroy deux routes opposites, l’vneune
fuyoit d’ou l’autre partoit. Tantost elle nous donne des aisles
aux talons, cōmecomme aux deux premiers:, tTantost elle nous cloüe
les pieds & les entraueentrave, cComme on lit de l’Empereur Theo-
phile, lequel en vneune bataille, qu’il perdit contre les Agarenes,
deuintdevint si estonné & si transi, qu’il ne pouuoitpouvoit prendre party
de s’enfuyr:, adeò pauor etiam auxilia formidat,: iusquesjusques à ce que
G ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Manuel l’vnun des principaux chefs de son armée, l’ayant tirassé
& secoüé, comme pour l’esueilleresveiller d’vnun profond somme, luy
dit,. sSi vous ne me suiuezsuivez ieje vous tueray:, car il vaut mieux que
vous perdiez la vie, que si estant prisonnier vous veniez à ruy-
nerperdre l’Empire. ⁁
⁁ Lors exprime elle sa derniere force quand pour son seruiceservice elle nous
reietterejette a la uaillancevaillance qu’elle a soustrait a nostre deuoirdevoir et a nostre honeur.
En la premiere iustejuste bataille que les Romeins perdirent contre Annibal sous le
consul Sempronius une trope de bien dix mille homes de pied aiant pris l’espouuanteespouvante,
ne uoiantvoiant ailleurs par ou
faire passage a leur
fuitesa lacheté s’ala ieterjeter au
trauerstravers le gros des
ennemis le qu’elle perça
d’un merueillusmerveillus effortquel
elle perça d’un merveillus
effort etaueqaveq grand meurtre
de Carthaginois
achetant une honteuse
fuite au mesme pris
qu’elle eut eu d’une
glorieuse uictoirevictoire. C’est
ce que de quoi ij’ay le plus
de peur que la peur. Aussi
surmonte elle en aigrur tous autres
accidans.⁁
la marque d’insertion I indique qu’il faut ajouter un texte qu’on trouvait peut-être sur feuille volante et qu’il faut ici importer de l’édition de 1595.
⁁ Quelle affection peut estre plus aspre & plus iustejuste, que celle des amis de Ponpeius, qui
estoint en son nauirenavire, spectateurs de cet horrible massacre? Si est-ce que la peur des voiles
Egyptiennes, qui commençoient à les approcher, l’estouffa de maniere, qu’on a remerqué, qu’ils
ne s’amuserent qu’à haster les mariniers de diligenter, & de se sauuersauver à coups d’auironaviron; iusquesjusques à
ce qu’arriuezarrivez à Tyr, libres de crainte, ils eurent loy de tourner leur pensee à la perte qu’ils
venoient de faire, & lascher la bride aux lamentations & aux larmes, que cette autre plus forte passion auoitavoit suspendües.
Tum pauor sapientiam omnem mihi ex animo expectorat.
Ceus qui aront esté
bien frotez en quelque estour
de guerre tous blessez encores
et ensanglantez on les
rameine bien landemein a
la charge: mais ceus qui ont
conceu quelque bone peur des
ennemis uousvous ne les leur fairies
pas sulement regarder au
en face. Ceus qui sont en
pressante creinte de perdre
leur bien d’estre exilez d’estre
subiuguezsubjuguez uiuentvivent en continuelle
angoisse en perdant le boire
le manger et le repos: la ou
les pourespovres les banis les serfs
viuentvivent souuātsouvant aussi
ioyeusementjoyeusement qu’que les autres.
Et tant de gens qui de
l’impatiance des pointures de
la peur se sont pendus noyez
& precipitez nous ont bien
appris qu’elle est encores plus
importune et insupportable
que la mort et que toute
autre extremité Les
Grecs en reconnessent une
autre espece qui est outre
l’errur de nostre discours
venant disent ils sans raison
ny cause apparante et d’une
impulsion celeste. Des
peuples entiers s’en uoientvoient
souuantsouvant sesis et des armees
entieres. Telle fut cele qui
apporta a Carthage une
merueilleusemerveilleuse desolation.
On n’y oioit que cris et
voix effraiees. On uoioitvoioit
les habitans sortir de
leurs maison come a
l’alarme et se charger
blesser et entretuer
les uns les autres come
si ce fussent enemis qui uinsentvinsent a occuper leur uilleville.
Tout y estoit en continuel desordre et en tumulte:
iusquesjusques a ce que par oraisons et sacrifices ils eussent
appaisé l’ire des Dieus. Ils nomētnoment cela terrurs Paniques.
Qu’il ne faut iugerjuger de nostre heur, qu’apres la mort.
CHAP. XIX.
SCilicet ultima semper
Expectanda dies homini est, dicique beatus
Ante obitum nemo, supremáque funera debet.
Les enfans sçauentsçavent le conte du Roy Croesus à ce propos: lLe-
quel ayant esté pris par Cyrus, & condamné à la mort, sur le
point de l’execution, il s’escria O Solon, Solon: cCela rapporté
à Cyrus, & s’estant enquis que c’estoit à dire, il luy fist enten-
dre, qu’il verifioit lors à ses despens l’aduertissementadvertissement qu’autre-
fois luy auoitavoit donné Solon, qQue les hommes, quelque beau
visage que fortune leur face, quelques richesses, Royautez &
Empires qu’ils se voyent entre mains, ne se peuuentpeuvent appeller
heureux, iusquesjusques à ce qu’on leur aye veu passer le dernier iourjour
de leur vie,. pPour l’incertitude & variete des choses humai-
nes, qui d’vnun bien leger mouuementmouvement se changent d’vnun estat
en autre tout diuersdivers. Et pourtant Agesilaus, à quelqu’vnun qui
disoit heureux le Roy de Perse, de ce qu’il estoit venu fort ieu-
nejeu-
ne à vnun si puissant estat,. voireoOuy mais, dit-il, Priam en tel aage
ne fut pas malheureux. Tantost des Roys de Macedoine, suc-
cesseurs de ce grand Alexandre, il s’en faict des menuisiers &
greffiers à Rome: dDes tyrans de Sicile, des pedātespedantes à Corinthe:
dD’vnun conquerant de la moitié du monde, & Empereur de tant
d’armées, il s’en faict vnun miserable suppliant des belitres offi-
ciers d’vnun Roy d’Egypte:. tTant cousta à ce grand Pompeius l’a-
longementla prolongation de cinq ou six mois de vie. Et du tēpstemps de nos peres
LIVRE PREMIER. 27
ce LudouicLudovic Sforce dixiesme Duc de Milan, soubs qui auoitavoit
si long temps branslé toute l’Italie, on l’a veu mourir prison-
nier à Loches: mMais apres y auoiravoir vescu dix ans, qui est le pis
de son marché. ⁁
⁁ Et lLa plus belle roine
ueufueveufve du plus grand Roy
de la Chrestiente uientvient
elle pas de mourir par la
main de bourreau.
Et mille tels exemples. Car il semble que com-
me les orages & tempestes se piquent cōtrecontre l’orgueil & hau-
taineté de nos bastimens, il y ait aussi la haut des esprits en-
uieuxen-
vieux des grandeurs de ça bas.,
Vsque adeo res humanas vis abdita quaedam
Obterit, & pulchros fasces saeuásque secures
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur.
Et semble que la fortune quelquefois guette à point nommé
le dernier iourjour de nostre vie, pour monstrer sa puissance de
renuerserrenverser en vnun moment, ce qu’elle auoitavoit basty en lōgueslongues an-
nées, &Et nous fait crier apres Laberius,. Nimirum hac die vna plus
vixi, mihi quam viuendum fuit. Ainsi se peut prendre auecavec rai-
son, ce bon aduisadvis de Solon. Mais d’autātautant que c’est vnun philoso-
phe, à l’endroit desquels les faueursfaveurs & disgraces de la fortune
ne tiennent rang, ny d’heur ny de mal’heur: &Et sont les gran-
deurs, richesses & puissances, accidens de qualité à peu pres in-
differente, ieje trouuetrouve vray-semblable, qu’il aye regardé plus a-
uanta-
vant, & voulu dire que ce mesme bon-heur de nostre vie,
qui dépend de la tranquillité & contentement d’vnun esprit
bien né, & de la resolution & asseurance d’vnun’ame reglée
ne se doiuedoive iamaisjamais attribuer à l’homme qu’on ne luy aye
veu ioüerjoüer le dernier acte de sa comedie, & sans doute le plus
difficile. En tout le reste il y peut auoiravoir du masque: oOu ces
beaux discours de la Philosophie ne sont en nous que par cō-
tenancecon-
tenance,. oOu les accidens ne nous essayant pas iusquesjusques au vif,
nous dōnentdonnent loysir de maintenir tousiourstousjours nostre visage ras-
sis. Mais à ce dernier rolle de la mort & de nous, il n’y à plus
que faindre, il faut parler François, il faut monstrer ce qu’il y
à de bon & de net dans le fond du pot.,
G iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
Nam verae voces tum demum pectore ab imo
Eiiciuntur, & eripitur persona, manet res.
Voyla pourquoy se doiuentdoivent à ce dernier traict toucher & es-
prouueres-
prouver toutes les autres actions de nostre vie. C’est le mai-
stre iourjour, c’est le iourjour iugejuge de tous les autres: c’est le iourjour, dict
vnun ancien, qui doit iugerjuger de toutes mes années passées. IeJe re-
mets à la mort l’essay du fruict de mes estudes. Nous verrons
là si mes discours me partent de la bouche, ou du coeur. IJ’ay
veu plusieurs donner par leur mort reputation en bien où en
mal, à toute leur vie. Scipion beau-pere de Pompeius rabilla
en bien mourant la mauuaisemauvaise opinion qu’on auoitavoit eu de luy
iusquesjusques lors. Epaminondas interrogé lequel des trois il esti-
moit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates, ou soy-mesme. Il
nous faut voir mourir, fit-il, auātavant que d’en pouuoirpouvoir resoudre. ⁁
⁁ IamaisJamais home ne le
dict mieus a propos:
et c’est un merueilleusmerveilleus
evenemant
De vray on desroberoit beaucoup à celuy là, qui le poiseroit
sans l’honneur & grandeur de sa fin. Dieu l’a voulu comme il
luy à pleu: mais en mōmon temps trois les plus execrables person-
nes, que ieje cogneusse en toute abomination de vie, & les plus
infames, ont eu des mors reglées & en toute circonstance
composées iusquesjusques à la perfection. ⁁
⁁ Il est des mors glorieusesbrauesbraves
& fortunees Elle coupa aIeJe luy ai ueuveu
tranchaaer un de ces ioursjoursdespuis le
fil d’un progres de
merueilleusmerveilleus auancemantavancemant:
& dans la fleur de saon croit
coursecroit a quelcun: fin point
d’une fin si pompeuse
et riche qu’a mon auisavis
ses ambitieus & corageus desseins
n’auointn’avoint rien de si haut que fut leur
interruption. Il arriuaarriva sans y aller ouMontaigne commence cette phrase d’abord par : "Il arriva sans y aller mieus qu’il n’esperoit", puis la corrige en "Il arriva sans y aller au nom et a la gloire qu’il pretandoit:" pour finalement choisir : "Il arriva sans y aller ou il pretandoit:"
mieus qu’il n’esperoitau nom et a la gloire qu’il pretandoit:
plus grandement & richemant qu’il n’esperoit.glorieusement
que ne portoit son desir et esperance. Et deuançadevança
par sa chute le pouuoirpouvoir et lae gloirenom ou il aspiroit
par ses effaictssa course.
Au IugemētJugement de la vie d’au-
truy, ieje regarde tousiourstousjours comment s’en est porté le bout, &
des principaux estudes de la mienne, c’est qu’il se porte bien,
c’est à dire quietement & seurementsourdement.
Que Philosopher, c’est apprendre à mourir.
CHAP. XX.
CICERO dit que Philosopher ce n’est autre chose que
s’aprester à la mort. C’est d’autant que l’estude & la
contemplation retirent aucunemētaucunement nostre ame hors
de nous, & l’ embesongnent à part du corps, qui est quelque
aprentissage & ressemblance de la mort: oOu biēbien, c’est que tou-
te la sagesse & discours du monde se resoult en fin à ce point,
LIVRE PREMIER. 28
de nous apprendre à ne craindre ⁁ ⁁ point à mourir. De vray, ou la rai-
son se mocque, ou elle ne doit viser qu’à nostre contentemētcontentement,
& tout son trauailtravail tendre en somme à nous faire bien viurevivre,
& à nostre aise, comme dict la Saincte parolleescriture. Toutes les o-
pinions du mōdemonde en sont la,⁁ ⁁ que le plaisir est nostre but: quoy qu’elles en prennent diuersdivers
moyens, autremētautrement on les chasseroit d’arriuéearrivée.: CcCar qui escou-
teroit celuy, qui ⁁ ⁁ pranderoit pour sa fin establiroit nostre ⁁ ⁁ peine et mesaise. tourment?⁁
⁁ Les dissētionsdissentions des sectes Philosophiques en ce cas, sont verbales.
Transcurramus solertissimas nugas. Il y a plus d’opiniatretè et de picoterie qu’il n’apartient a une si seincte
profession. Mais Qquelque personage que l’home entrepraigne il iouejoue tousiourstousjours le sien parmy. Quoi qu’ils dient en la uertuvertu
mesme le dernier but de nostre uiseevisee c’est la uoluptèvoluptè. Il me plait de battre leurs oreilles de ce mot qui leur est si fort
a contreceur. Et s’il signifie quelque supreme plaisir et excessif contentemant il est mieus deu a l’assistantce de la
vertu qu’a null’autre assistance.
Cette uoluptevolupte pour
estre plus gaillarde
nerueusenerveuse robuste
virile n’en est que
plus ⁁ ⁁ serieusement uoluptueusevoluptueuse. eEt
luy deuionsdevions doner
le nom du plaisir
plustost, plus fauo=
rablefavo=
rable plus dous et
naturel: quenon celuy
de la uigurvigur duquel
nous l’auonsavons denomee.
Cett’autre uoluptévolupté
plus basse si elle
meritoit ce beau nom
ce deuoitdevoit estre en
concurrance non par
priuilegeprivilege. IeJe la treuuetreuve
moins pure d’incom=
moditez & de trauersestraverses
que n’est la uertuvertu. Outre
que son goust est plus
momentanee fluide &
caduque, ell’a ses
ueilleesveillees ses iunesjunes &
ses trauaustravaus & la sueur
et le sang. Et en outre
particulierement ses
passions tranchantes
de tant de sortes &
a son costé une satie
té si lourde qu’elle
equipolle a repenpoenitācerepenpoenitance.
Nous auonsavons grand
tort d’estimer que ces
incommoditez luy
seruentservent d’eguillon et
de condimant a sa
douceur: come en
nature le contrere se
uiuifievivifie par son contrere.
Et de dire quand
nous uenonsvenons a la
uertuvertu que pareilles
suites & difficultez
l’accablent, la rendētrendent
austere & inaccessible.
La ou beaucoup plus
propremant qu’a la
uoluptevolupte elles l’a
annoblissent esguisent
et rehaussent le
plaisir diuindivin et parfaict
qu’elle nous moiene.
Celuy la est certes bien
indigne de son acoin=
tance qui contrepoise
son coust a son fruit.
et n’en conoit ny les
graces ny l’usage.
Ceus qui nous ueulētveulent
uontvont instruisant
qu’e sa queste est
scabreuse et laborieuse
sa iouissancejouissance agreable
que nous disent ils
par la si non qu’elle
est tousiourstousjours desagre
able. Car quel moien
humain arriuaarriva iamaisjamais a sa iouissancejouissance. Les plus parfaicts se sont bien contantez d’y aspirer et de l’aprocher sans la posseder.
Mais ils se trompent: ueuveu que de tous les plaisirs que nous conessons la poursuite mesme en est plaisante. L’entreprinse et le
dessein se saentent de la qualite de la chose qu’ilelle regardent ⁁
⁁ car c’est une bone portion de leffaictl’effaict et consubstantielle.
L’heur et la beatitude qui reluit en la uertuvertu ramplit toutes
ses apartenances & auenuesavenues iusquesjusques a la premiere ⁁ ⁁ entree et extreme barriere. Or des principaus bienfaicts de la uertuvertu est le
mespris de la mort sans le quel tout’autre uoluptèvoluptè est esteinte. EtMoien qui fournit nostre uievie d’une molle tranquillité
et sul nous en done le goust pur et amiable sans qui tout’autre uoluptèvoluptè est esteinte.
Or
il est hors de moyēmoyen d’arriuerarriver à ce point, de nous former vnun so-
lide contētementcontentement, qui ne franchira lacette crainte de la mort. Voy-
la pourquoy toutes les sectes des Philosophesregles se rencontrent
& conuiennentconviennent à c’estcet article de nous instruire à la mespriser.
Et bien qu’elles nous conduisent aussi toutes d’vnun commun
accord, à mespriser la douleur, la pauuretépauvreté, & autres accidens,
à quoy la vie humaine est subiectesubjecte, ce n’est pas d’vnun pareil
soing: tTant par ce que ces accidens ne sont pas de telle necessi-
té, lLa pluspart des hommes passent leur vie sans gouster de la
pauuretépauvreté, & tels encore sans sentiment de douleur & de ma-
ladie, cComme Xenophilus le Musicien, qui vescut, cent & six
ans d’vneune entiere santé: qQu’aussi d’autātautant qu’au pis aller, la mort
peut mettre fin, quādquand il nous plaira, & coupper broche à tous
autres inconuenientsinconvenients. Mais quant à la mort, elle est ineui-
table.,
Omnes eodem cogimur, omnium
Versatur vrna, serius ocius
Sors exitura & nos in aeter-
Num exitium impositura, cymbae.
Et par consequent, si elle nous faict peur, c’est vnun subiectsubject con-
tinuel de tourment, & qui ne se peut aucunement soulager. ⁁
⁁ Il n’est lieu doud’ou
elle ne nous uieignevieigne
nous pouuonspouvons tourner
ça et la la teste sans
cesse, come en païs
suspet la teste ça & la
come en païs suspect
quae quasi saxum Tantalo
semper impendet.
Nos parlemens renuoyentrenvoyent souuentsouvent executer les criminels au
lieu ou le crime est commis: dDurant le chemin, promenez les
par toutes ldesdes belles maisons de France, faictes leur tant de
bonne chere, qu’il vous plaira.,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
non Siculae dapes
Dulcem elaborabunt saporem,
Non auium, cytharaeque cantus
Somnum reducent.,
PpPensez vous qu’ils s’en puissent resiouirresjouir, & que la finale intē-
tioninten-
tion de leur voyage leur estant ordinairemētordinairement deuantdevant les yeux,
ne leur ait alteré & affadi le goust à toutes ces commoditez?
Audit iter, numerátque dies, spacióque viarum
Metitur vitam, torquetur peste futura,.
Le but de nostre carriere c’est la mort, c’est l’obiectobject necessaire
de nostre visée: sSi elle nous effraye, comme est il possible d’al-
ler vnun pas auantavant sans fieburefiebvre? Le remede du vulgaire c’est de
n’y penser pas. Mais de quelle brutale stupidité luy peut venir
vnun si grossier aueuglementaveuglement? Il luy faut faire brider l’asne par
la queuë,
Qui capite ipse suo instituit vestigia retro.
Ce n’est pas de merueillemerveille s’il est si souuentsouvent pris au piege. On
faict peur à nos gens, seulemētseulement de nommer la mort, & la plus-
part s’en seignent comme du nom du diable. Et par-ce qu’ils
s’en faict mention aux testamens, ne vous attendez pas qu’ils
y mettent la main, que le medecin ne leur ait donné l’extreme
sentence.: EetEt Dieu sçait lors entre la douleur & la frayeur de
quel bon iugementjugement ils vous le patissent. Parce que cette sylla-
be frappoit trop rudemētrudement leurs oreilles, & que cette voix leur
sembloit malencontreuse, les Romains auoyentavoyent apris de l’a-
mollir ou de l’estendre en perifrazes.: AaAu lieu de dire il est
mort, il à cessé de viurevivre, disent-ils, il à vescu, vixerunt.: PpPourueuPpPourveu
que ce soit vie, soit elle passée, ils sont contensse consolent. Nous en auōsavons
emprunté, nostre, feu Maistre-IehanJehan. A l’aduētureadventure est-ce, que
comme on dict, le terme vaut l’argent. IeJe nasquis entre vnzeunze
heures & midi le dernier iourjour de FeburierFebvrier, mil cinq cens trētetrente
trois:, comme nous contons à cette heure, commençant ⁁ ⁁ l’an en
IanuierJanvier.
LIVRE PREMIER. 29
IanuierJanvier. Il n’y à iustementjustement que quinze ioursjours que ij’ay franchi
39. ans, il m’en faut pour le moins encore autant.: CcCependant
s’empescher du pensement de chose si esloignée, ce seroit fo-
lie. Mais quoy, les ieunesjeunes & les vieux,⁁
⁁ sortent delaissent la uievie
ende mesme condition
nemo non ita exit e
uita tanquam modo
intrauerit. Et: nNul
n’en sort autremant
que come si tout
presantemant il y
entroit. Et IointJoint
qu’il
y pēsentpensent aussi peu les vnsuns
que les autres.: Eet n’est homme si décrepite tant qu’il voit Ma-
thusalēMa-
thusalem deuantdevant, qui ne pense auoiravoir encore vnunuintvint ans dāsdans le corps.
D’auantageavantage, pauurepauvre fol que tu es, qui t’a estably les termes de
ta vie? Tu te fondes sur les contes des Medecins. Regarde plu-
stost l’effect & l’experience. Par le commun train des choses,
tu vis desiadesja pieça par faueurfaveur extraordinaire. Tu as passé les ter-
mes accoustumez de viurevivre: &Et qu’il soit ainsi, conte de tes co-
gnoissans, combien il en est mort auantavant ton aage, plus qu’il
n’en y à qui l’ayētayent atteint: &Et de ceux mesme qui ont annobli
leur vie par renommée, fais en registre, & ij’entreray en gageu-
re d’en trouuertrouver plus, qui sont morts, auantavant, qu’apres trētetrente cinq
ans. Il est plein de raison, & de pieté, de prendre exemple de
l’humanité mesme de IesusJesus-Christ,. or il finit sa vie à trente &
trois ans. Le plus grand homme, simplement homme, Alexā-
dreAlexan-
dre, mourut aussi à ce terme. Combien a la mort de façons
de surprise?
Quid quisque, vitet, nunquam homini satis
Cautum est in horas.
IeJe laisse à part les fieburesfiebvres & les pleuresies. Qui eut iamaisjamais pēsépensé
qu’vnun Duc de Bretaigne deut estre estouffé de la presse, com-
me fut celuy là à l’entrée du Pape Clement mōmon voisin, à LyōLyon?
N’as tu pas veu tuer vnun de nos roys en se iouantjouant: &Et vnun de ses
ancestres mourut il pas choqué par vnun pourceau. AEschilus
menassé de la cheute d’vneune maison, à beau se tenir à l’airrte, le
voyla assommé d’vnun toict de tortue, qui eschappa des pates
d’vnun’Aigle en l’air: lL’autre mourut d’vnun grein de raisin: vVnuUn
Empereur de l’esgrafigneure d’vnun peigne en se testōnanttestonnant: AE-
milius Lepidus pour auoiravoir hurté du pied cōtrecontre le seuil de son
H
ESSAIS DE M. DE MONTA.
huis: &Et Aufidius pour auoiravoir choqué en entrant cōtrecontre la porte
de la chambre du conseil. Et entre les cuisses des femmes Cor-
nelius Gallus preteur, Tigillinus Capitaine du guet à Rome,
LudouicLudovic fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe. Et
d’vnun encore pire exemple, Speusippus Philosophe PlatoniciēPlatonicien,
& l’vnun de nos Papes. lLe pauurepauvre Bebius, IiugeJjuge, cependant
qu’il donne delay de huictaine à vneune partie, le voyla saisi, le
sien de viurevivre estant expiré: &Et Caius IuliusJulius medecin gressant
les yeux d’vnun patient, voyla la mort qui clost les siens. Et s’il
m’y faut mesler: vnun mien frere le Capitaine S. Martin, aagé de
vint & trois ans, qui auoitavoit desiadesja faict assez bonne preuuepreuve de
sa valeur, iouantjouant à la paume receut vnun coup d’esteuf qui l’asse-
na vnun peu au dessus de l’oreille droite, sans aucune apparence
de cōtusiōcontusion, ny de blessure: iIl ne s’en assit, ny reposa:, mais cinq
ou six heures apres il mourut d’vneune Apoplexie que ce coup
luy causa. Ces exēplesexemples si frequens & si ordinaires nous passant
deuantdevant les yeux, comme est-il possible qu’on se puisse deffaire
du pensemētpensement de la mort, & qu’à chaque instātinstant il ne nous sem-
ble qu’elle nous tient au collet? Qu’import’il, me direz vous,
cōmētcomment que ce soit, pourueupourveu qu’on ne s’en dōnedonne point de pei-
ne? IeJe suis de cet aduisadvis, & en quelque maniere qu’on se puisse
mettre à l’abri des coups fut ce soubs la peau d’vnun veau, ieje ne
suis pas home qui y reculasse: cCar il me suffit de passer à mōmon
aise,: & le meilleur ieujeu que ieje me puisse donner ieje le prens, si
peu glorieux au reste & exemplaire que vous voudrez.,
praetulerim delirus inérsque videri,
Dum mea delectent mala me, vel denique fallant,
Quam sapere & ringi.
Mais c’est folie d’y penser arriuerarriver par là. Ils vont, ils vien-
nent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouuellesnouvelles. Tout
cela est beau: mMais aussi quand elle arriuearrive, ou à eux, ou à
leurs femmes, enfāsenfans & amis, les surprenant à l’improueuimproveuen dessoude & au
LIVRE PREMIER. 30
decouuertdecouvert, quels tourmens?, quels cris?, quelle rage?, & quel de-
sespoir les acable? Vites vous iamaisjamais rien si rabaissé, si chāgéchangé, si
confus? Il y faut prouuoirprouvoir de meilleur heure: &Et cette nōcha-
lancenoncha-
lance bestiale, quādquand elle pourroit loger en la teste d’vnun hōmehomme
d’entendement, ce que ieje trouuetrouve entieremētentierement impossible, nous
vēdvend trop cher ses dēréesdenrées. Si c’estoit ennemy qui se peut euitereviter,
ieje conseillerois d’emprunter les armes de la coüardise: mMais
puis qu’il ne se peut, puis qu’il vous attrape fuyant & poltron
aussi bien qu’honeste homme.,
Nempe & fugacem persequitur virum,
Nec parcit imbellis iuuentae
Poplitibus, timidóque tergo,
Et que nulle trampe de cuirasse vous couurecouvre.,
Ille licet ferro cautus se condat aere,
Mors tamen inclusum protrahet inde caput.,
Aaprenons à le soutenir de pied ferme, & à le cōbattrecombattre:. &Et pour
cōmencercommencer à luy oster son plus grand aduantageadvantage contre nous,
prenōsprenons voye toute contraire à la cōmunecommune., Oostons luy l’estrā-
getéestran-
geté, pratiquons le, accoustumons le, nN’ayons riērien si souuētsouvent en
la teste que la mort: àA tous instāsinstans representons là à nostre ima-
ginatiōima-
gination & en tous visages: aAu brōcherbroncher d’vnun cheualcheval, à la cheute
d’vneune tuille, à la moindre piqueure d’espleingue, remaçhonsremachons
soudain,. &Et bien quādquand ce seroit la mort mesme? & là dessus, roi
dissons nous, & efforçōsefforçons nous. Parmy les festes & la ioyejoye, ayōsayons
tousiourstousjours ce refrein de la souuenācesouvenance de nostre cōditioncondition, & ne
nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que par fois il ne
nous repasse en la memoire, en cōbiencombien de sortes cette nostre
allegresse, est en bute à la mort, & de cōbiencombien de prinses elle la
menasse. Ainsi faisoyent les Egyptiens, qui au milieu de leurs
festins, & parmy leur meilleure chere, faisoient aporter l’Ana-
tomie seche d’vnun corps d’homme mort, pour seruirservir d’aduer-
tissementadver-
tissement aux conuiezconviez.
H ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Omnem crede diem tibi diluxisse supremum.
Grata superueniet, quae non sperabitur hora.
Il est incertain ou la mort nous attende, attendōsattendons là par tout.
La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté.
Qui a apris à mourir, il à desapris à seruirservir. Le sçauoirsçavoir mourir,
nous afranchit de toute subiectionsubjection & contrainte. ⁁
⁁ Il n’y a rien de mal en
la uievie pour celuy qui a
bien comprins que la priuationprivation
de la uievie n’est pas mal.
Paulus AE-
milius respōditrespondit à celuy, que ce miserable Roy de Macedoine
son prisonnier luy enuoyoitenvoyoit, pour le prier de ne le mener pas
en son triōphetriomphe,. qQu’il en face la requeste à soy mesme. A la ve-
rité en toutes choses si nature ne preste vnun peu, il est mal-aisé
que l’art & l’industrie aillent guiere auātavant. IeJe suis de moy-mes-
me non melācholiquemelancholique, mais songecreux: iIl n’est rien dequoy
ieje me soye des tousiourstousjours plus entretenu que des imaginatiōsimaginations
de la mort,. vVoire en la saison la plus licentieuse de mon aage.,
Iucundum cum aetas florida ver ageret.,
PpParmy les dames & les ieuxjeux, tel me pēsoitpensoit empesché à digerer
à par moy quelque ialousiejalousie, ou l’incertitude de quelque espe-
rance, cepēdantcependant que ieje m’entretenois de ieje ne sçay qui surpris
les ioursjours precedēsprecedens d’vneune fieurefievre chaude & de la mortsa fin, au partir
d’vneune feste pareille, & la teste pleine d’oisiuetéoisiveté, d’amour & de
bon temps, cōmecomme moy, & qu’autant m’en pendoit à l’oreille.:
Iam fuerit, nec post vnquam reuocare licebit.
IeJe ne ridois non plus le front de ce pensement là, que d’vnun au-
tre. Il est impossible que d’arriuéearrivée nous ne sentiōssentions des piqueu-
res de telles imaginations: mMais en les maniant & pratiquantrepassant,
au long aller, on les apriuoiseaprivoise sans doubte: aAutrement de ma
part ieje fusse en continuelle frayeur & frenesie: cCar iamaisjamais hō-
hom-
me ne se défia tāttant de sa vie, iamaisjamais hōmehomme ne feit moins d’estat
de sa durée. Ny la santé, que ij’ay iouyjouy iusquesjusques à present tresui-
goureusetresvi-
goureuse & peu souuētsouvent interrōpueinterrompue, ne m’en alōgealonge l’esperāceesperance,
ny les maladies ne me l’acourcissent. A chaque minute il me
semble que ieje m’eschape. ⁁
⁁ Et me rechante
tousiourstousjourssans cesse: tTout ce
qui peut estre faict
vneune autre foisiourjour le peut estre auiourd’huiaujourd’hui.
De vray les hazards & dāgiersdangiers nous
LIVRE PREMIER. 31
approchētapprochent peu ou riērien de nostre fin: &Et si nous pensons, cōbiencombien
il ⁁ ⁁ en reste, sans cet accident qui semble nous menasser le plus,
de millions d’autres sur nos testes, nous trouueronstrouverons que gail-
lars, & fieureusfievreus, en la mer & en nos maisons, en la battaille &
en repos, elle nous est égallement pres. ⁁
⁁ Nemo altero
fragilior est: nemo
in crastinum sui
certior.
Ce que ij’ay affaire auātavant
mourir, pour l’acheuerachever tout loisir me semble court, fut ce
d’vnun’heure. QuelcūQuelcun feuilletant l’autre iourjour mes tablettes, trou-
uatrou-
va vnun memoire de quelque chose, que ieje vouloy estre faite a-
pres ma mort: iIejJe luy dy, comme il estoit vray, que n’estātestant qu’à
vneune lieuë de ma maison & sain & gaillard, ie m’estoy hasté de
l’escrire là, pour ne m’asseurer point d’arriuer iusques chez
moy. ⁁
⁁ Come celluy qui continu=
ellemant me couuecouve de mes
pensees et les couche en moy
IeJe ne suis a tout’heure
preparé enuironenviron ce que ieje
le puis estre. Et ne
m’aduertieraadvertiera de rien de
nouueaunouveau s la suruenancesurvenance
de la mort.
Il faut estre tousiours boté & prest à partir, en tāttant qu’en
nous est,: &Et sur tout se garder qu’on n’aye lors affaire qu’a soy.:
Quid breui fortes iaculamur aeuo
Multa?
Car nous y aurons assez de besongne, sans autre surcroist. L’vnun
se pleint plus que de la mort, dequoy elle luy rompt le train
d’vneune belle victoire,: lL’autre qu’il luy faut desloger auantavant qu’a-
uoira-
voir marié sa fille, ou contrerolé l’institution de ses enfans:
lL’vnun pleint la compagnie de sa femme, l’autre de son fils, com-
me commoditez principales de son estre.: ⁁
⁁ IeJe suis pour cette
heure dieu merci en tel estat
dieu mercy que ieje puis desloger quand
il luy plairra sans regret
de chose quelconque: si ce n’est
de la uievie, si sa perte uientvient à
me poiser. IeJe me suis
desnoué partout: mes
adieus sont ⁁ ⁁ a demi prins de
tout le mondechacun, sauf de moy
IamaisJamais home ne se prepara à
quitter le monde plus
purement et pleinement
et ne s’en desprint plus
uniuersellementuniversellement que ieje
ij’esperem’atāsatans de faire.
miser ô miser aiunt, omnia ademit
Vna dies infesta mihi tot proemia vitae.
&Et le bastisseur,
manent (dict-il) opera interrupta, minaeque plus en ça
Murorum ingentes.
ieje m’estoy hasté de
l’escrire là, pour ne m’asseurer point d’arriuerarriver iusquesjusques chez
moy. Il faut estre tousiourstousjours boté & pre
Il ne faut rien desseigner de si longue haleine, ou au moins a-
ueca-
vec telle intention de se passionner pour ⁁ ⁁ n’en voir la fin. Nous
sommes nés pour agir: & ieje suis d’aduisadvis que non seulemētseulement vnun
Empereur, comme disoit Vespasien, mais que tout gallant
homme doit mourir debout.,
Cum moriar, medium soluar & inter opus.
H iij
ESSAIS DE. M. DE MONTA.
IeJe veux qu’on agisse ⁁
⁁ et qu’on alonge les
offices de la uievie tant
qu’on peut: et
sans cesse, que la mort me treuuetreuve plantant
mes chous,: mais nonchalant d’elle, & encore plus de mōmon iar-
dinjar-
din imparfait. IJ’en vis mourir vnun, qui estant à l’extremité, se
pleignoit incessamment, de quoy sa destinée coupoit le fil de
l’histoire qu’il auoitavoit en main, sur le quinziesme ou seiziesme
de nos Roys.
Illud in his rebus non addunt, nec tibi carum
Iam desiderium rerum super insidet vnauna.
Il faut se descharger de ces humeurs vulgaires & nuisibles.
Tout ainsi qu’on à planté nos cimetieres ioignantjoignant les Eglises,
& aux lieux les plus frequentez de la ville, pour accoustumer,
disoit Lycurgus, le bas populaire, les femmes & les enfans à
ne s’effaroucher point de voir vnun hōmehomme mort: &Et affin que ce
continuel spectacle d’ossemens, de tombeaus, & de conuoisconvois
nous aduertisseadvertisse de nostre condition.:
Quin etiam exhilarare viris conuiuia caede
Mos olim, & miscere epulis spectacula dira
CertaātumCertaantum ferro, saepe & super ipsa cadentum
Pocula respersis non parco, sanguine mensis. ⁁
⁁ Et comes les AEgiptiens
apres leurs festins faisoint
presanter aus assistans une
grand’image de la mort par
vnun qui leur crioit Boy et
t’esiouyesjouy car mort tu seras tel.
Aussi ay-ieje pris en coustume, d’auoiravoir non seulement en l’ima-
gination, mais continuellement la mort en la bouche.: EeEt n’est
rien dequoy ieje m’informe si volontiers, que de la mort des
hommes,: quelle parole, quel visage, quelle contenance ils y
ont eu: ny endroit des histoires, que ieje remarque si attantifue-
mentattantifve-
ment. ⁁
⁁ Il y paret a la
farcissure de mes
examples,: queet que ij’ay en
particuliere affection
cette mattiere. Et sSi
ij’estoi faisur de liureslivres
ieje fairoi un registre
commanté, des belles
mors diuersesdiverses. Qui
appranderoit les homes
à mourir leur apran=
deroit a uiurevivre.
Dicaearchus en fit un
pareil tiltre mais d’e
differanteautre & moins utile
fin.
On me dira, que l’effect surmonte de si loing l’imagina-
tion, qu’il n’y a si belle escrime, qui ne s’yse perde, quand on en
vient là: lLaissez les dire, le premediter donne sans doubte grādgrand
auantageavantage: &Et puis n’est-ce rien, d’aller au moins iusquesjusques là sans
alteration & sans fiéurefiévre. Il y a plus.: IeJe reconnoy par experien-
ce, que nNature mesme nous preste la main, & nous donne cou-
rage. Si c’est vneune mort courte & violente, nous n’auonsavons pas
loisir de la craindre: sSi elle est autre, ieje m’apperçois qu’à mesu-
LIVRE PREMIER. 32
re que ieje m’engage dans ses auennuesavennues, & dans la maladie, ij’entre
naturellement & de moy mesme en quelque desdein de la vie.
IeJe trouuetrouve que ij’ay bien plus affaire à digerer cette resolution
de mourir, quand ieje suis en vigueur & en pleine santé, que ieje
n’ay, quand ieje suis maladeen fieurefievre: dD’autant que ieje ne tiens plus si fort
aux commoditez de la vie, à raison que ieje commācecommance à en per-
dre l’vsageusage & le plaisir, ij’en voy la mort d’vneune veuë beaucoup
moins effrayée. Cela me fait esperer, que plus ieje m’eslongne-
ray de celle-là, & approcheray de cette-cy plus aisément ij’en-
treray en composition de leur eschange. Tout ainsi que ij’ay
essayé en plusieurs autres occurrences, ce que dit Cesar, que
les choses nous paroissent souuentsouvent plus grandes de loing que
de pres, ij’ay trouuétrouvé que sain ij’auoisavois eu les maladies beaucoup
plus en horreur, que lors que ieje les ay senties: lL’alegresse ou ieje
suis, le plaisir & la force, me font paroistre l’autre estat si dis-
proportionné à celuy-là, que par imagination ieje grossis ces
incommoditez de la moitié, & les conçoy plus poisantes, que
ieje ne les trouuetrouve, quand ieje les ay sur les espaules: iIjJ’espere qu’il
m’en aduiendraadviendra ainsi de la mort. Voyons à ces mutations &
declinaisons ordinaires que nous souffrons, comme nature
nous desrobbe le goust de nostre perte & empirement. Que
reste-il à vnun vieillard de la vigueur de sa ieunessejeunesse, & de la vie
passée,
Heu senibus vitae portio quanta manet. ⁁
⁁ Cesar a un soldat
de sa garde uieusvieusrecreu et
casse qui uintvint en la rue
luy demandātanter conge de se
faire mourir: regardant sa
decrepite co son maintien
decrepite luy respondit
plesammant. Tu penses
donq estre en uievie.
Qui y tomberoit tout à vnun coup, ieje ne crois pas que nous fus-
sions capables de porter vnun tel changement: mMais conduicts
par sa main, d’vneune douce pente & cōmecomme insensible, peu à peu,
de degré en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, &
nous y appriuoiseapprivoise,. sSi que nous ne sentons en nous aucune
secousse:, quand la ieunessejeunesse meurt ⁁ ⁁ en nous,: qui est en essence & en
verité, vneune mort plus fortedure:, que n’est la mort entiere d’vneune
vie languissante, & que n’est la mort de la vieillesse: dD’autant
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que le sault n’est pas si lourd du mal estre au nōnon estre, comme
il est d’vnun estre doux & fleurissant, à vnun estre penible & dou-
loureux. Le corps courbe & plié, a moins de force à soustenir
vnun fais, aussi a nostre ame.: Iil la faut dresser & esleuereslever contre
l’effort de cet aduersaireadversaire. Car comme il est impossible, qu’elle
se mette en repos & à son aise, pendant qu’elle ⁁ ⁁ le craint: si elle s’en
asseure aussi, elle se peut venter, qui est chose comme surpas-
sant l’humaine condition, qu’il est impossible que l’inquietu-
de, le tourment, & la peur, non le moindre desplaisir loge chezen
elle.,
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster
Dux inquieti turbidus Adriae,
Nec fulminantis magna Iouis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions & concupiscences,:
maistresse de l’indigence, de la hōtehonte, de la pauuretépauvreté, & de tou-
tes autres iniuresinjures de fortune. Gaignons cet aduantageadvantage qui
pourra: cC’est icy la vraye & souuerainesouveraine liberté, qui nous don-
ne dequoy faire la figue à la force, & à l’iniusticeinjustice, & nous mo-
quer des prisons & des fers.,
in manicis, &
Compedibus, saeuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet: opinor,
Hoc sentit, moriar mors vltima linea rerum est.
Nostre religion n’a point eu de plus asseuré fondement hu-
main, que le mespris de la viemort uievie. Non seulement le discours de la
raison nous y appelle, cCar pourquoy craindrions nous de per-
dre vneune chose laquelle perduë ne peut estre regrettée: &Et puis
que nous sommes menassez de tant de façons de mort, ne’y a il pas
voyōsvoyons nous pas, qu’il y a plus de mal à les craindre toutes, qu’à
en soustenir vneune? ⁁
⁁ Que chaut il qu’elle ellequand ce soit
puis qu’elle est ineuitableinevitable: A celuy
qui disoit a Socrates les trante
tyrans t’ont condamne a la
mort: Luy soudeine et nature
a eus respondit il.
qQuelle sottise de
nous peiner sur le
point de lexemp=
ption de toute peine:
du passage a l’examption de toute peine. Peut ce estre incommodite que la mort,
puis qu’elle ne touche rien, qui soit. Que peut offancer la mort, elle ne
touche rien, qui soit. C’est
come nostre naissance nous aporta la naissance de toutes choses aussi faira la mort de toutes choses nostre
mort. Parquoi c’est toute pareille folie de pleurer de ce que d’icy a cent ans nous
ne uiuronsvivrons pas que de pleurer de ce que nous ne uiuionsvivions pas il y a cent ans. L’un temps
n’est non plus nostre que l’autre.ut initium omnium rerum nobis
rerum omnium artus noster affert sic exitum mors. La mort est naissanceorigine de ’un’autre uievie. Einsi plurames
pleuramesnous: einsi nous couta il d’entrer en cetecy: einsin y despoui nous despouillames
nous de nostre uoilevoile entien uoilevoile, en y entrant. Rien ne peut estre grief qui n’est qu’une
fois. Est ce raison de creindecreindre si longtemps chose de brief temps si brief temps. Le longtemps uiurevivre
& le peu de temps uiurevivre est randu tout un par la mort. Le mal et le bienCar le long et le court n’apartientn’est point aus choses
qui ne sont plus. Aristote dict qu’il y a des ⁁ ⁁ petites bestes sur la riuiereriviere de Hypanis qui ne uiuentvivent qu’un iourjour Cele qui meurt a
huit heures ⁁ ⁁ du matin elle meurt en iunessejunesse celle qui meurt a cinq heures du soir meurt en sa descrepitude Nous nous moquons de
leur uoirvoir met Qui de nous ne se moque de uoirvoir mettre en cōsiderationconsideration d’heur ou de malheur ce moment de duree: la nostre le plus et
le moins en la nostre, si nous le comparons a leternitel’eternite, ou encores a la duree des mōtaignesmontaignes des riuieresrivieres des estoiles et des
arbres, & mesmes d’aucuns animaux, n’est pas moins ridicule.
mMais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de
ce monde, comme vous y estes entrez. Le mesme passage que
vous
LIVRE PREMIER. 33
vous fites de la mort à la vie, sans passion & sans frayeur, refai-
tes le de la vie à la mort. Vostre mort est vneune des pieces de
l’ordre de l’vniuersunivers, cC’est vneune piece de la vie du monde.,
inter se mortales mutua viuunt
Et quasi cursores vitai lampada tradunt.
Changeray-ieje pas pour vous cette belle contexture des cho-
ses? c’C’est la condition de vostre creation, c’est vneune partie de
vous que la mort: vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vo-
stre estre, que vous ioüyssezjoüyssez, est également party à la mort &
à la vie. Le premier iourjour de vostre naissance vous achemine à
mourir comme à viurevivre.,
Prima, quae vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet. ⁁
⁁ Tout ce que nous uiuonsesvivonses, nuousnvous
le desrobonses a la uievie ⁁ ⁁ c’est a ses despans. Le
continuel ouurageouvrage de uostrevostre uievie
c’est bastir la mort. Vous
estes en la mort pendant
que uousvous estes en uievie. car
uousvous estes apres la mort quand
uousvous n’estes plus en uievie. Apres
la uievie uousvous estes mort mais
uousvous estes mourant pendantdurant la
uievie. Ou si uousvous l’Ou si uousvous aimes mieus ainsi
Vous estes mort apres la uievie mais
pandant la uievie uousvous estes mourant
et la mort toucheagit bien mieus surenuersenvers
le mourant que ⁁ ⁁ enuersenvers le morttouche bien plus rudement
contre le mourant que cōtrecontre le mort &
plus uiuementvivement et essentiellement.
Si vous auezavez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu,
allez vous en satisfaict.,
Cur non vt plenus vitae conuiua recedis?
Si vous n’en auezavez sçeu vseruser, si elle vous estoit inutile, que vous
chault-il de l’auoiravoir perduë, à quoy faire la voulez vous encores?
cur amplius addere quaeris
Rursum quod pereat male, & ingratum occidat omne? ⁁
⁁ La uievie n’est de soi ny bien
ny mal: c’est la place du bien
et du mal selon que uousvous la
leur faictes.
Et si vous auezavez vescu vnun iourjour, vous auezavez tout veu: vVnuUn iourjour est
égal à tousiourstousjours. Il n’y a point d’autre lumiere, ny d’autre
nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles, cette dispositiōdisposition, c’est
celle mesme, que vos ayeuls ont iouyejouye, & qui entretiendra vos
arriere-nepueuxnepveux: ⁁
⁁ Non alium uiderevidere
patres: aliumue nepotes
Aspicient.
&Et au pis aller la distributiōdistribution & varieté de tous
les actes de ma comedie, se parfournit en vnun an. Si vous auezavez
pris garde au beau branle de mes quatre saisons, elles embras-
sent, l’enfance, l’adolescence, la virilité, & la vieillesse du mō-
demon-
de. Il a ioüéjoüé son rolleieujeu: iIl n’y sçait autre finesse, que de reco-
mencer, cCe sera tousiourstousjours cela mesme.,
versamur ibidem, atque insumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.
I
ESSAIS DE M. DE MONTA.
IeJe ne suis pas deliberée de vous forger autres nouueauxnouveaux passe-
temps.,
Nam tibi praeterea quod machiner, inueniámque
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.
Faites place aux autres, comme d’autres vous l’ont faite. ⁁
⁁ L’equalite est la première
piece de lequitél’equité: Qui se
peut pleindre d’estre
comprins ou tous sont cōprinscomprins.
Aussi
auezavez vous beau viurevivre, vous n’en rebattrez rien du temps, que
vous auezavez à estre mort: cC’est pour neant,: aAussi long temps se-
rez vous en cet estat là, que vous craignez, cōmecomme si vous estiez
mort en nourrisse.,
licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors aeterna tamen, nihilominus illa manebit.
Et si vous metteray en tel estat, duquelestatpoinct poinct, auquel vous n’aurez aucūaucun mes-
contentement.,
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stánsque iacentem.
Ny ne desirerez la vie que vous plaingnez tant.,
Nec sibi enim quisquam tum se vitámque requirit
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.
La mort est moins à craindre que rien, s’il y auoitavoit quelque
chose de moins, que rien.,
multo mortem minus ad nos esse putandum
Si minus esse potest quam quod nihil esse videmus. ⁁
⁁ Pourquoi la creignes
vous, elle n’est iamaisjamais
là ou uousvous estes. Elle
ne uousvous concerne ny mort
ny uifvif. Vif par ce que uousvous
estes: mort parce que uousvous
n’estes plus.
D’auantageavantage nNul ne meurt auantavant son heure,. cCe que vous laissez
de temps, n’estoit non plus vostre, que celuy qui s’est passé a-
uanta-
vant vostre naissance: & ne vous touche non plus.,
Respice enim quam nil ad nos ante acta vetustas
Temporis aeterni fuerit.
Où que vostre vie finisse, elle y est toute. ⁁
⁁ LutilitèL’utilitè du uiurevivre
n’est pas en l’espace, ell’
est en l’usage: tel a
vescu long temps qui a
peu uescuvescu: attandez uousvous
y pandant que uousvous y estes.
Il gist en uostrevostre uolontevolonte
nons au nombre des ans,
que uousvous aies asses uescuvescu.
Pensiez vous iamaisjamais
n’arriuerarriver là, ou vous alliez sans cesse.⁁ ⁁ : encore n’y a il chemin qui n’aye son issue. Et si la compagnie vous
peut soulager: le mōdemonde ne va-il pas mesme train q̄que vous allez?
omnia te vita perfuncta sequentur.
LIVRE PREMIER. 34
Tout ne branle-il pas vostre branle? y a-il rienchose qui ne vieillisse
quant & vous? mille hommes, mille animaux & mille autres
creatures meurent en cette mesme heureinstant, que vous mourez.:
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quae non audierit mistos vagitibus aegris
Ploratus mortis comites & funeris atri. ⁁
⁁ A quoi faire uousvousy
reculez uousvous si uousvous
ne pouuespouves tirer
arriere. Vous en auezavez
asses ueuveu qui se
sont bien trouueztrouvez
de mourir escheuāteschevant
par la des grandes
miseres. Mais
quelcun qui s’en soit
mal trouuètrouvè en auezavez
uousvous ueuveu? Si est ce
grand simplesse de
condamner chose
que uousvous n’auesaves
esprouueeesprouvee ny par
uousvous ny par autre.
Pourquoi te pleins
tu de moi: te fais ieje
tort et de la destinée
te fesons nous tort.
Est ce a toi de nous
gouuernergouverner ou nous a toy?
Encore que ton eage
ne soit pas achetaueachetave ta uievie
l’est. Come uVnuUn petit
home est home par ētierentier
come un grand: aussi est la
uievie Que ieje te done
une uievie perdurable
elle te sera bien moins
supportable que n’est
la mort ueuveu ta condition
Et la uievie pour estre plus
longue n’en uautvaut pas mieus
non plus qu’une pantoufle
ny les homes ny leurs uiesvies
ne se mesurent a launel’aune. Chiron
refusa l’immortalitè informé des la conditions d’icelle par le Dieu mesmes du temps et
de la duree,: Saturne son pere. Imagines de la condition que uousvouscombien
estes combien uousvousde uraivrai combien a l’home seroit une uievie perdurable moins supportable ⁁ ⁁ a l’home & plus penible que n’est
la mortuievie que ieje luy ai donee Si uousvous n’e l’auiesavies pas la mort uousvous me maudiries sans cesse de uousvous en auoiravoir priuèprivé.
IJ’y ay a esciant meslè quelque peu d’amertume pour uousvous empescher uoiantvoiant la cōmoditécommodité
de son usage de l’embrasser trop auidemantavidemant et indiscretemant. Pour uousvous loger en cette
moderation ny de fuir la uievie ny de refuir a la mort que ieje demande de uousvous ij’ay tempere
l’une et lautrel’autre entre la douceur et l’aigrur ⁁
⁁ Thales IJ’aprins a Thales le premier de uoussvouss sages que le uiurevivre et le mourir estoit indifferant a l’home par
ou a celuy qui luy demanda pourquoi donq il ne mouroit il respondit tressagement: par ce qu’il est indifferant.
LeauL’eau la terre lairl’air le feu & autres mābresmambres
de ce mien bastimātbastimant ne sont non plus instrumāsinstrumans de ta uievie qu’instrumāsinstrumans
de ta mort. Pourquoi creins tu ton dernier iourjour il ne confere non plus a
ta mort que l’un chacun des autres. Le dernier pas ne faict pas la lassitude
il la declare. Tous ples ioursjours uontvont a la mort le dernier y arriuearrive.
Voila les bons aduertissemensadvertissemens de nostre mere nature. Or ij’ay
pēsépensé souuentsouvent d’où venoit cela, qu’aux guerres le visage de la
mort, soit que nous la voyōsvoyons en nous ou en autruy, nous sem-
ble sans cōparaisoncomparaison moins effroyable qu’ēen nos maisons: autre
ment ce seroit vnun’armée de medecins & de pleurars: &Et elle e-
stāte-
stant tousiourstousjours vneune, qu’il y ait toutes-fois beaucoup plus d’as-
seurance parmy les gens de village & de basse condition qu’és
autres. IeJe croy à la verité que ce sont ces mines & appareils ef-
froyables, dequoy nous l’entournons, qui nous font plus de
peur qu’elle: vVneuUne toute nouuellenouvelle forme de viurevivre: les cris des
meres, des femmes, & des enfans: la visitation de personnes e-
stonnees, & transies: l’assistance d’vnun nōbrenombre de valets pasles &
éplorés: vneune chambre sans iourjour: des cierges allumez: nostre
cheuetchevet assiegé de medecins & de prescheurs: somme tout hor-
reur & tout effroy autour de nous. Nous voyla des-iaja enseue-
lis & enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mesmes quādquand
ils les voyent masquez, aussi auōsavons nous. Il faut oster le masque
aussi biēbien des choses, que des personnes.: OoOsté qu’il sera, nous ne
trouuerōstrouverons au dessoubs, que cette mesme mort, qu’vnun valet ou
simple chambriere passerent dernieremētdernierement sans peur. Heureu-
se la mort & heureuse trois fois, qui oste le loisir aux apprests
de tel equipage.
I ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
De la force de l’imagination. CHAP. XXI.
FOrtis imaginatio generat casum, disent les clercs.
disent les clercs. IeJe suis de ceux, qui sentent tres-grādgrand
effort de l’imagination,. cChacun en est feruhurtè, mais au-
cuns en sont trāsformeztransformezrenuersezrenversez. ⁁
⁁ Son impression me perse.
Et mon art est de luy eschaper
non pas de lauy combattreresister. IeJe
viuroisvivrois et guerirois dede la sule
assistance de persones saines
et gayes. Les a La ueueveue des
angoisses d’autruy m’engoissent
et a souuantsouvantmateriellemētmateriellement et a mon sentimātsentimant a
souuantsouvant usurpe les maus du
sentimātsentimant d’autruyun tiers un tousseur
continuel me pinse leirrite mon poulmon et mon gosier
IeJe uisitevisite plus mal uolontiersvolontiers
les malades ausquels le deuoirdevoir
m’interesse que ceus aus quels
ieje m’attans moins et que ie cōsidereconsidere moins
IeJe sesis le mal en l’estudiant que
ij’estudie & le couche suren moy
IeJe ne treuuetreuve pas estrange
qu’elle done et les fieuresfievres &
la mort a ceus qui la laissent
faire et qui luy applaudissētapplaudissent
SimōSimon Thomas estoit un grand
medecin de monson temps Il me
souuientsouvient que me rencōtrantrencontrant
un iourjour ches un riche uieillartvieillard
pulmonique et traictant aueqaveq
luy des moiens de sa guerison
il luy dict que c’en estoit lunl’un
de me doner occasion de me plaire
en sa cōpaigniecompaignie & que fichant ses
yeus sur la freschur de mon
visage et sa pensee etsur cette
gaye allegresse & uigeurvigeur qui
regorgeoit de mon adolescence et remplis=
sant tous ses sens de cet estat
flurissant en quoi ij’estois son
habitude s’en pourroit amander
Mais il oblioit a dire que la
miene s’en pourroit empirer aussi
Gallus Vibius bādabanda si bien son ame,
& la tendy, à comprendre & imaginer l’essence & les mouue-
mensmouve-
mens de la folie, qu’il emporta son iugementjugement mesme hors de
son siege, si qu’onques puis il ne ⁁ ⁁ l’y peut remettre: &Et se pou-
uoitpou-
voit vanter d’estre deuenudevenu fol par discourssagesse. Il y en a, qui de
frayeur anticipent la main du bourreau,. &Et celuy qu’on debā-
doitdeban-
doit pour luy lire sa grace, se trouuatrouva roide mort sur l’eschafaut
du seul coup de son imagination. Nous tressuons, nous trem-
blons, nous pallissons, & rougissons aux secousses de nos ima-
ginations, &Et renuersezrenversez dans la plume sentons nostre corps
agité à leur bransle, quelques-fois iusquesjusques à la morten expirer. Et la ieu-
nessejeu-
nesse bouillante s’eschauffe si auantavant en son harnois tout’en-
dormie, qu’elle assouuitassouvit en songe ses amoureux desirs.,
Vt quasi transactis saepe omnibus rebus profundant
Fluminis ingentes fluctus, vestémque cruentent.
Et encore qu’il ne soit pas nouueaunouveau de voir croistre la nuict
des cornes à tel, qui ne les auoitavoit pas en se couchant: toutesfois
l’euenementevenement de Cyppus Roy d’Italie est memorable,. lLequel
pour auoiravoir assisté le iourjour auecavec grande affectiōaffection au combat des
taureaux, & auoiravoir eu en songe toute la nuict des cornes en la
teste, les produisit en son frōtfront par la force de l’imaginatiōimagination. La
passiōpassion dōnadonna au fils de Croesus la voix, que nature luy auoitavoit re-
fusée. Et Antigonusochus print la fieurefievre de la beauté de Stratonicé
trop viuemētvivement empreinte en son ame. Pline dict auoiravoir veu Lu-
cius Cossitius, de femme chāgéchangé en hōmehomme le iourjour de ses nopces.
Pontanus & d’autres, racontent pareilles metamorphoses ad-
uenuësad-
venuës en Italie ces siecles passez: & par vehement desir de luy
& de sa mere.,
LIVRE PREMIER. 35
Vota puer soluit, quae foemina vouerat Iphis.
Passant à Victry le Françoys, ieje peuz voir vnun homme que l’E-
uesqueE-
vesque de Soissons auoitavoit nommé Germain, en confirmation,
lequel tous les habitans de là ont cogneu, & veu fille, iusquesjusques
à l’aage de vingt deux ans, nommée Marie. Il estestoit à cett’heure la
fort barbu, & vieil, & ne s’est point marié. Faisant, dict-
il, quelque effort en sautant, ses membres virils se produi-
sirent,: & est encore en vsageusage entre les filles de là, vneune
chanson, par laquelle elles s’entraduertissent de ne faire
point de grandes eniambeesenjambees, de peur de deuenirdevenir garçons, cō-
mecom-
me Marie Germain. Ce n’est pas tant de merueillesmerveilles, sique cette
sorte d’accident se rencontre frequent: cCar si l’imagination
peut en telles choses, elle est si continuellement & si vigou-
reusement exercée enatachee a ce subiectsubject, que pour n’auoiravoir si souuentsouvent
à rechoir en mesme pensée & aspreté de desir, elle a meilleur
compte d’attacher & incorporer, vneune fois pour toutes, cette
virile partie aux filles. Les vnsuns attribuent à la force de l’imagi-
nation, les cicatrices du Roy Dagobert & de Sainct François.
On dict que les corps s’en-enleuentenlevent telle fois de leur place. Et
Celsus recite d’vnun Prebstre, qui rauissoitravissoit son ame en telle ex-
tase, que le corps en demeuroit longue espace sans respiratiōrespiration
& sans sentiment. ⁁
⁁ Sainct Augustin en nome
un autre a qui il ne faloit
que faire ouir des cris lamen=
tables & pleintifs soudein il
defailloit et s’emportoit si
uifuementvifvement hors de soi qu’on
auoitavoit le tempester et le
hurler beau le tempester
et hurler et le pincer et le
griller iusquesjusques a ce qu’il fut
resuscitè: lors il disoit auoiravoir
ouï des uoixvoix, mais come uenantvenant
de louin: et s’aperceuoitapercevoit de ses
eschaudures & murtrissures.
Et que ce ne fut une
obstination apostee
contre son sentimant, cela le
montroit qu’il n’auoitavoit
cepandant ny pous ny haleine.
Il est vray semblable, que le principal cre-
dit des miracles, des visions, des enchantemens, & de tels ef-
fects extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination,
agissant principalement contre les ames du vulgaire, ou il y
a moins de resistanceplus mollesCette addition interligne est antérieure à l’addition marginale comme l’indique l’enclave tracée par Montaigne..: OoOn leur a si fort saisi la creance, qu’ils
pensent voir ce qu’ils ne voyent pas. IeJe suis encore de cette o-
piniōo-
pinion, que ces plaisantes liaisons des mariages, dequoy lenostre mō-
demon-
de se voit si pleinentrauéentravé, qu’il ne se parle d’autre chose, ce sont ⁁ ⁁ uolontiersvolontiers des
impressions de l’apprehension & de la crainte. Car ieje sçay par
experience, que tel de qui ieje puis respondre, comme de moy
mesme, en qui il ne pouuoitpouvoit eschoir soupçon ⁁ ⁁ aucune de foiblesse,
I iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& aussi peu d’enchantement, ayant ouy faire vnunle conte à vnun siēsien
compagnon, d’vneune defaillācedefaillance extraordinaire, en quoy il estoit
tombé sur le point, qu’il en auoitavoit le moins de besoin, se trou-
uanttrou-
vant en pareille occasion,: l’horreur de ce conte luy uintvint ⁁ ⁁ a coup si ru-
dement frapper l’imagination, qu’il en encourut vneune fortune
pareille.⁁
⁁ : eEt de la en hors
fut subietsubjet a y
rechoir,: ce uilainvilain
souuenirsouvenir tirannisant
son ame de son
inconueniantinconveniant le
gourmandant et
transissant tiran=
nisant. Il trouuatrouva
quelque remede a cette
resuerieresverie par un’autre
resuerieresverie,. c’C’est que
aduouantadvouant luymesmes
et preschant auantavant la
main cette siene sub=
iectionsub=
jection, la contantion
de son ame se solageoit
sur ce qu’aportant ce
mal come atandu son
obligation en amoin=
drissoit et luy en poi=
soit moins. Quand il
a eu loi, a son chois,
sa pensee desbrouillee
et desbandee, son cors
se trouuanttrouvant en son deu,
de le faire lors pre=
mierement ⁁ ⁁ tenter sesir et
surprendre a la
cognoissance d’autruy:
il s’est pour iamaisjamais
gueri tout nettout net a
l’endroit de ce subietsubjet.
A qui on a este une
fois capable on n’est
plus incapable come on
ne deuientdevient guere capable
enuersenvers qui on a este premi=
eremant incapable.si non que par
iustejuste foiblesse
CelaCe malheur n’est à craindre qu’aux entreprinses, où nostre
ame se trouuetrouve outre mesure tandue de desir & de respect, &
notamment ounomeement si notemment si les commoditez se rencontrent improueues
& pressantes.: A qui a assez de loisir pourOn n’a pas moien de se rauoirravoir & remettredesrober
de ce trouble,. mon cōseilconseil est qu’il diuertissedivertisse ailleurs son pen-
semētpen-
sement, s’il peut, carmais il est difficile, & qu’il se desrobe de cette ar-
deur & cōtentioncontention de son imaginatiōimagination. IJ’en sçay, à qui il à seruyservy
d’y apporter le corps mesme,⁁ ⁁ comancè a ressasier amolly & affoibly d’ailleurs.⁁
⁁ , et a demi ressasié, pour endormir ⁁ ⁁ un peu lardurl’ardur de cette
fureur imaginaire: et en qui l’affoyblissemant de l’eage a
utillememant ouuréouvré despuis.et qui par leagel’eage se treuuetreuve moins impuissant de ce qu’il est
moins puissant.
Et tel autre
à celuy qui sera en alarme des liaisons, qu’on luy persuade
hors de là, qu’on luy fournira des contre-enchantemēsenchantemens d’vnun
effect merueilleuxmerveilleux & certain
tel a qui il a seruiservi aussi que unquelqu’amy l’aye assure d’estre fourni d’une
contrebaterie d’enchantemens certeins a le preseruerpreserver. Il uautvaut mieus que
ieje die comant ce fut. ⁁
Cette addition continue sur le folio 36, d’abord dans la marge du bas, puis dans la marge du haut.
⁁ Un compte de bonUn compte de fort bontresbon
lieu de qui ij’estois
fort priuéprivé se mariant aueqaveq une belle dame qui auoitavoit este poursuiuiepoursuivie de tel qui assistoit a la feste mettoit en grand peine ses amis et nomeement
une uieillevieille dame sa parante qui presidoit a ces nopces maistresse de la maison ou ell et les faisoit ches elle creintifuecreintifve de ces sorcelleries: Ce
qu’elle fme fit entandre. EtIeJe la priai s’en reposer sur moi. IJ’auoisavois de fortune en mes coffres certeine petite piece d’or plate ou estoint graueesgravees quelques
figures celestes pour endormir la pointe du soleil et chassercontre et pour le coup du soleil et oster la dolur de teste: la logeant propremant sur la coupure,a point sur la cousture du test: et pour l’y tenir, elle estoit cousue a un
ruban propre a ratacher sous le manton. ResuerieResverie germeine a celle de quoi nous parlons. IaquesJaques Peletier m’auoitavoit faict ce presant singulier: IJ’aduisaiadvisai d’en
tirer quelque usage. Et dicts au courrecompte qu’il pourroit courre fortune come les autres: ety auoitavoitaiant la des homes pour luy en uouloirvouloir prester d’une. Mais que
hardimant il s’allat coucher. Que ieje luy fairois un tour d’ami: et n’espargnerois a son besouin un miracle qui estoit en ma puissance, pour veu que sur son
honeur il me promit de le tenir tresfidelemant secret. Sulemant, come sur la nuit on iroit luy porter le resueillonresveillon ⁁ ⁁ il me fit un signe s’il luy estoit mal allé il me fit un tel
signe. Il auoitavoit eu l’ame et les oreilles si battues, qu’il se trouuatrouva entrauèentravélié du trouble de son imagination ⁁ ⁁ et me fit son signe. IeJe luy dis ⁁ ⁁ lors qu’il se leuatlevat sous colur de nous chasser et
print en se iouantjouant la robe de nuit que iauoisj’avois sur moiy: nous estions de taille fort uoisinevoisine: et s’en uestitvestit: tant qu’il aroit executé mon ordonance. Qui fut sulement
Quand nous serions sortis qu’il se retirat a tūbertumber de leaul’eau Se mit en deuotiondevotion. Dict trois fois telles oraisons et fit tels signesmouuemensmouvemens. Qu’a chacune de ces trois fois
il ceignit le ruban que ieje luy mettois en mein et couchat bien souigneusemant la medale qui y estoit atachee sur ses rouignons: la figure en telle posture.
Cela faict, ayant biēbien estreint ce ruban pour qu’il ne se peut ny desnouer ny mouuoirmouvoir de sa place que en toute assurance il s’en retournat a son pris faict &
n’obliat de reieterrejeter ma robe sur son lict en maniere qu’elle les abriat tous deus. Ces singeries sont le principal de l’effaict. Nostre pansee ne se pouuantpouvant
demesler que mouuemantmouvemantmoyens si estranges ne uienentvienent de quelqu’abstruse sciance. Leur inanite leur done pois & autho reuerancereverance. Somme, il fut certein
que mes caracteres se trouuarēttrouvarent plus Veneriens que Soleres: plus en action qu’en defance prohibition. Ce fut un humeur prompte et
curieuse qui me conuiaconvia a tel effaict treseslouigne de ma naturelle condition. IeJe suis enemi des actions subtiles & couuertescouvertes trompeusesfeintes
et hay la finesse en mes mains non seulement recreatiuerecreative mais aussi profitable. Si l’action
n’est vicieuse, la routte l’est. ⁁
⁁ Amasis Roy d’AEgypte espousa Laodice tresbelle fille Grecque: & luy, qui se
fmontroit gentil compaignon par tout ailleurs se trouuatrouva court a prendre sa
compaignie iouirjouir d’elle et menaça de la tuer estimant que ce fut quellque sorcerie.
Come es accidans qui co choses qui consistent en fantasie elle le reietarejeta a la
deuotiondevotion et aïant faict ses ueusveus et promesses a Venus il se trouuatrouva diuinementdivinement remis
des la premiere nuit d’empres ses oblations et sacrifices.
Mais il faut aussi que celles, à
qui legitimement on le peut demander, ostent ces façons ce-
remonieuses & affectées de rigueur & de refus, & qu’elles se
contraignētcontraignent vnun peu, pour s’accōmoderaccommoder à la necessité de ce sie-
cle malheureux:Or elles ont tort de nous
receuillir de ces contenances mineuses quereleuses et fuiardes, qui
nous esteignent en nous alumant. La bru de Pythagoras disoit que
la fame qui se couche aueqaveq un home deuoitdevoitdoit aueqaveq leurla cotilloncote laisser aussi la honte:
et la reprandre aueqaveq le cotillon. car lL’ame de l’assaillātassaillant troublée de plusieurs di
uersesdi-
verses allarmes, elle se perd aisemētaisement: &Et ce n’est pas tout, car ce-
luy à qui l’imaginatiōimagination à faict vneune fois souffrir cette hōtehonte (& elle
ne l’ale fait guiere souffrir qu’aux premieres accointances, d’au-
tant qu’elles sont plus ardantesbouillantes & aspres,: & aussi qu’en cette
premiere connoissance qu’on donne de soy, on craint beau-
coup plus de faillir) ayant mal commencé, il entre en si gran-
de fieurefievre & despit de cet accident, que cette frayeur s’en aug-
mētemente &qui luy redoubledure à toutes lesaus occasions suiuantessuivantes: & sans
quelque contre-mine on n’en viētvient pas aisément à bout. ⁁
⁁ Les mariez ont
meillur ieujeu, le temps
estant tout leur, et
ne doiuentdoivent ny presser
ny taster leur ētreprin-
seentreprin-
se s’ils ne sont pretz:
Et uautvaut mieus faillir
indecemmant a ⁁ ⁁ estrener la la couche nuptiale pleine d’agitation et de fieurefievre:
attādantattandant une et un’autre commodite plus priueeprivee et moins allarmee,
que de tumber en une perpetuelle misere, pour s’estre estoné et desesperé
irremediablement condamnè du premier refus. AuantAvant la possession
prinse il se fautle patiant se doit a saillies & diuersdivers tamps legieremant essaïer et offrir,
sans se piquer & opiniatrer a se conueincreconveincre definitiuemātdefinitivemant en soimesmes.
Ceus qui sçauentsçavent leurs membres de nature dociles, qu’ils se souignent
sulement de contrepiper leur fantasie. On a raison de remarquer l’indocile liberté de ce membre
s’offrants’ingerant si importuneemant lors que nous n’en auonsavons que faire et deffaillant si importuneement lors que nous en auonsavons
le plus affaire: et contestant de l’authoritè, si imperieusement aueqaveq nostre uolontevolonte ⁁ ⁁ refusant aueqaveq tant de fierte et d’obstination nos sollicitations et mentales et manueles Si toutesfois en ce que si on gourmande sa
rebellion, & qu’on en tire preuuepreuve de sa condemnation, il m’auoitavoit payé pour plaider sa cause: à l’aduantureadvanture mettrois ieje en supçon nos autres membres ⁁
Cette addition continue sur le folio 36, d’abord dans la marge droite, puis dans la gauche.
⁁ ses compaignons de luy estre alle dresser par belle enuieenvie de limportancel’importance et douceur de son usage cette querelle apostee et auoiravoir par
complot arme le monde a l’encontre de luy: le chargeant malignement sul de leur faute commune. Car ieje uousvous done a penser, s’il y a une
sule des parties de nostre corps qui ne refuse a nostre uolontévolonté souuantsouvant son operation et qui souuantsouvant ne ls’exerce contre nostre uolantévolanté: Elles ont chacune
des passions propres, qui les esueillentesveillent et endorment sans nostre congé. A quant de fois tesmouignent les mouuemensmouvemens forcez de nostre uisagevisage les pensees que
nous tenions secretes, et nous trahissent aus assistans. Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi, sans nostre sceu le ceur, le poulmon, et le pous,
la ueueveue d’un obiectobject agreable respoandant inperceptiblement en nous la flamme d’un’emotion fieureusefievreuse. N’y a il que ces muscles et ces ueinesveines qui s’eleuentelevent
et se couchent sans l’adueuadveu nousnon sulement de nostre uolontèvolonté mais aussi de nostre pensee. Nous ne comandons pas a nos cheueuscheveus de se herisser, et a
nostre peau de fremir de desir ou de creinte. La main se porte souuantsouvant ou nous ne l’enuoionsenvoions pas. La langue se transit et la uoixvoix se fige a son heure.
Lors mesme que n’ayant de quoi frire nous le luy defanderions uolantiersvolantiers la faim ne laisse pas l’appetit de manger et de boire ne laisse pas
desmouuoird’esmouvoir les parties qui luy sont subiectessubjectes, ny plus ny moins que cet autre appetit: et nous abandone de mesmes, hors de propos quand bon luy semble. Les utils
qui seruentservent a descharger le uentreventre ont leurs propres dilatations et restrinctionscompressions outre et contre nostre auisavis, come ceus cy destinez a descharger nos rouignons. Et
ce que pour authoriser la toute puissance de nostre uolontévolonté Sainct Augustin allegue auoiravoir ueuveu quelcun qui comandoit a son derriere autant de petz qu’il en vouloit
et que ViuesVives son glosatur encherit d’un autre example de son temps de petz organisez suiuanssuivans le ton des uersvers qu’on luyleur prononçoit, ne suppose non plus pure
l’obeissance de ces membres: car en est il ordineremant de plus indiscret et tumultuere. IouintJouint que ij’en sçai un si tub turbulant et reuescherevesche qu’il y a quarante ans
qu’il tient son maistre à peter d’vneune haleine & d’vneune obligation constante & irremittente en despit qu’il en aye.pettera iusquesjusques a la mort et le meine ainsin a la mort. ⁁
⁁ Mais nostre uolontevolonte pour les droits de qui nous mettons en auantavant ce reproche, combien plus uraisemblablementvraisemblablement la pouuonspouvons nous marquer
de rebellion et sedition par son desreglement et desobeissance. Veut elle tousiourstousjours ce que nous uoudrionsvoudrions qu’elle uousitvousit. Ne ueutveut elle
pas souuantsouvant ce que nous luy prohibons de uouloirvouloir: et a nostre euidantevidant domage. Se laisse elle non plus mener aus conclusions de nostre raison.
En fin les aduocatsadvocats et les iugesjuges ont beau sens’en quereler et sentencier: nature cepandant tire son trein ieje dirois pour monsieur ma partie
que plaise a considerer qu’en ce faict sa cause estant inseparablement coniouinteconjouinte a un consort et indistinctement on ne s’adresse pourtant
qu’a luy, et par des ⁁ ⁁ argumans et charges telles ueuveu la naturecondition des parties qu’elles ne peuuentpeuvent aucunemant apartenir ny concerner son dict consort.
Partant se uoitvoit l’animosité et illegalite ⁁ ⁁ manifeste des accusateurs. Quoi qu’il en soit, protestātprotestant que les aduocatsadvocats et iugesjuges ont beau quereler et
sentancier, nature tirera cependant son trein: qui n’aroit faict que raison quand ell’aroit doué ce membre de quelque particulier
priuiliegepriviliege ueuveu son diuindivin office d’une immortelle propagationautheur du sul ouurageouvrage immortel des mortels Pourtant est a Socrates action diuinedivine que la generation et
amour desir d’immortalité. et Daemon immortel luy mesmes
Tel à-
l’aduentureadventure par cet effect de l’imagination, laisse icy les es-
cruelles, que son compagnon raporte en Espaigne. Voyla
pourquoy en telles choses, l’on à accoustumé de demander
LIVRE PREMIER. 36
vneune ame preparée. Pourquoy praticquent les medecins auātavant
main, la creance de leur patient, auecavec tant de fauces promesses
de sa guerison: si ce n’est afin que l’effect de l’imagination sup-
plisse l’imposture de leur aposeme? Ils sçauentsçavent qu’vnun des mai-
stres de ce mestier leur à laissé par escrit, qu’il s’est trouuétrouvé des
hommes à qui la seule veüe de la Medecine faisoit l’operatiōoperation:
&Et tout ce capriçe"capriçe" venant de l’italien "capriccio" m’est tombé presentement en main, sur le
conte que me faisoit vnun domestique apotiquaire de feu mon
pere, homme simple & Souysse, nation peu vaine & mēson-
gieremenson-
giere: dD’auoiravoir cogneu long temps vnun marchand à Toulouse
maladif & subiectsubject à la pierre, qui auoitavoit souuentsouvent besoing de
clisteres & se les faisoit diuersementdiversement ordonner aux medecins,
selon l’occurrence de son mal: aApportez qu’ils estoyent, il n’y
auoitavoit rien obmis des formes accoustumées: sSouuentsSouvent il tastoit
s’ils estoyent trop chauds: lLe voyla couché, renuersérenversé & toutes
les approches faictes, sauf qu’il ne s’y faisoit nulleaucune iniectioninjection.
L’apotiquaire retiré apres cette ceremonie, le patient accom-
modé, comme s’il auoitavoit veritablement pris le clystere, il en
sentoit pareil effect à ceux qui les prennent. Et si le medecin
n’en trouuoittrouvoit l’operation suffisante, il luy en redonnoit deux
ou trois autres, de mesme forme. Mon tesmoin iurejure, que pour
espargner la despence (car il les payoit, comme s’il les eut re-
ceus) la femme de ce malade ayant quelquefois essayé d’y fai-
re seulement mettre de l’eau tiede, l’effect en descouuritdescouvrit la
fourbe, & pour auoiravoir trouuétrouvé ceux là inutiles, qu’il fausit reve-
nir à la premiere façon. Ces ioursjours passez vVneuUne femme pensant
auoiravoir aualéavalé vnun’ esplingue auecavec son pain, crioit & se tourmen-
toit comme ayant vneune douleur insupportable au gosier, ou
elle pensoit la sentir arrestée: mais, par ce qu’il n’y auoitavoit ny en-
fleure ny alteration par le dehors, vnun habil’homme ayant iu-
géju-
gé que ce n’estoit que fantasie & opinion, prise de quelque
morceau de pain qui l’auoitavoit piquée en passant, la fit vomir &
ESSAIS DE M. DE MONTA.
iettajetta à la desrobée dans ce qu’elle rēditrendit, vneune esplingue tortue.
Cette femme cuidant l’auoitavoit rēduerendue, se sentit soudain deschar-
gée de sa douleur. IeJe sçay qu’vnun gentil’homme ayant traicté
chez luy vneune bōnebonne compagnie, se vanta trois ou quatre ioursjours
apres par maniere de ieujeu (car il n’en estoit rien) de leur auoiravoir
faict menger vnun chat en paste: dequoy vneune damoyselle de la
troupe print telle horreur, qu’en estant tombée en vnun grand
déuoyementdévoyement d’estomac & fieurefievre, il fut impossible de la sau-
uersau-
ver. Les bestes mesmes, se voyent comme nous, subiectessubjectes à la
force de l’imaginatiōimagination: tTesmoing, les chiēschiens, qui se laissent mou-
rir de dueil de la perte de leurs maistres: nNous les voyons aussi
iapperjapper & tremousser en songe, hannir les cheuauxchevaux & se deba-
tre: mMais tout cecy se peut raporter à l’estroite cousture de l’es-
prit & du corps s’entre-communiquātscommuniquants leurs fortunes. Mais
cC’est bien autre chose,. qQue l’imagination agisse quelque fois,
non contre son corps seulement, mais contre le corps d’au-
truy: &Et tout ainsi qu’vnun corps reietterejette son mal à son voisin,
comme il se voit en la peste, en la verolle, & au mal des yeux
qui se chargent de l’vnun à l’autre:
Dum spectant oculi laesos, laeduntur & ipsi:
Multáque corporibus transitione nocent.
Pareillement l’imagination esbranlée auecquesavecques vehemence,
eslāceeslance des traits, qui puissent offencer l’obiectobject estrāgierestrangier. L’an-
cienneté a tenu de certaines femmes en Scythie, que ’animées
& courroussées contre quelqu’vnun, elles le tuoient du seul re-
gard. Les tortues, & les autruches couuentcouvent leurs oeufs de la
seule veuë,: signe qu’ils y ont quelque vertu ejaculatrice. Et
quant aux sorciers on les dit auoiravoir des yeux offensifs &
nuisans.,
Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.
Mais cCe sont pour moy mauuaismauvais respondans que magiciens.
Tant y a que nous voyōsvoyons par experience, les femmes enuoyerenvoyer
aux
LIVRE PREMIER. 37
aux corps des enfans, qu’elles portent au ventre, des marques
de leurs fantasies, tTesmoing celle qui engendra le more. Et il
fut presenté à Charles Roy de Boheme & Empereur vneune fil-
le d’aupres de Pise toute velue & herissée, que sa mere disoit
auoiravoir esté ainsi conceüe, à cause d’vnun’ image de Sainct IeāIean Ba-
ptiste pēduependue en son lit. Des animaux il en est de mesmes,. tTes-
moing les brebis de IacobJacob, & les perdris & les lieureslievres, que la
neige blanchit aux montaignes. On vit dernierement chez
moy vnun chat guestant vnun oyseau au haut d’vnun arbre, & s’estāsestans
fichez la veuë ferme l’vnun cōtrecontre l’autre quelque espace de tēpstemps,
l’oyseau s’estre laissé choir comme mort entre les pates du
chat, ou ennyuréennyvré par sa propre imagination, ou attiré par
quelque force atractiueatractive du chat. Ceux qui ayment la volerie
ont ouy faire le conte du fauconnier, qui arrestant obstiné-
ment sa veüe contre vnun milan, qui estoit amont, en lairl’air, gageoit de
la seule force de sa veüe le ramener cōtrecontre bas: & le faisoit, à ce
qu’on dit. Car les Histoires que ieje reciteij’emprunte, ieje les renuoyerenvoye sur la
conscience de ceux, de qui ieje les tiēstiensprens:. lLes discours sont à moy,
& se tienent par la preuuepreuve de la raison, non de l’experiēceexperience,: cCha-
cun y peut ioindrejoindre ses exēplesexemples,: &Et qui n’en à point qu’il ne lais-
se pas de croire qu’il en est assez, veu le nombre & varieté des
accidens humains. ⁁ Si ieje ne come bien, qu’un autre come pour moi: ce n’est
pas mal parler que mal comer. ⁁
⁁ DauantageDavantageAussi en l’estude de
quoie ieje me mesle le plustraicte, de
nos meurs et mouuementsmouvements: les
tesmouignages fabuleus
pourueupourveu qu’ils soītsoint possibles
y seruentservent comme les uraisvrais.
AduenuAdvenu ou non aduenuadvenu a
Paris ou a Rome para IanJan
ou para Pierre c’est tousiourstousjours
un tour de l’humeine capacité
du quel ieje suis utillement
aduiséadvisé par ce recit. IeJe le
uoisvois et le iugejugeen fois mon profit esgalement
en ombre que en corps. Nous
supposons des comes, quand
nous n’en auonsavons pas. Et aus
diuersesdiverses leçons qu’ont souuantsouvant
les histoires ieje prens a me
seruirservir de celle qui est la plus
rare et memorable. quoi que son
tesmouignage ne soit si ferme a
l’auantureavanture du tout si cler. Il y a
des autheurs des quels la fin c’est
dire les euenemantsevenemants. La miene si
ije’y sçauoissçavois arriuerarriveraueniravenir seroit dire sur ce qui
peut aueniravenir. Il est iustemantjustemant
permis aus escoles de supposer des
comessimilitudes quand ils n’en ont point
IeJe nenn’en fois pas ainsi pourtant
et surpasse de ce costé la en
relligion superstitieuse toute
foi historialle. en mes propresaus
narations qui sont mienes
en ce liurelivre. En ceusAus Aus exemples que ieje
tire ceans de ce que ij’ay oui
faict ou dict ieje me suis
deffendu d’oser alterer
iusquesjusques au plus legierets et
inutiles circonstances. ⁁ Sur
⁁ Ma cōscianceconsciance
ne falsifie pas un
ïota, ma sciance
ieje ne sçai Sur ce
propos, quandij’entre par fois ij’yen pensee de pres ij’entre en doubte qu’il puisse assez bien conuenierrconvenierr a un Thelogien a un philoso=
fe et telles gens d’exquise et exacte consciance d’escrire l’Histoire et prudance d’escrire l’histoire. Comant peuuentpeuvent ils
engager leur foi sur une foi populere: comant respondre des pensees de persones inconues et doner pour argent contant leurs
coniecturesconjectures:. ueuveu que dDes actions a diuersdivers membres qui se passent en leur presance ils refuseroint d’en rendre tesmouignage
assermentez par un iugejuge: eEt n’ont home si familier, des intantions du quel ils entreprenent de pleinemant respondre. IeJe
tiens moins hasardeus d’escrire les choses passees que presantes: d’autant que l’escriueinescrivein n’a a rendre conte que d’une ueriteverite empruntee.
Aucuns me conuientconvient d’escrire les affaires de mon temps, estimant que ieje les uoisvois d’une ueueveue moins blessee de passion qu’un autre,
et de plus pres, pour l’accez que fortune m’a done aus chefs de diuersdivers partis. Mais ils ne disent pas que pour la gloire de Salluste ieje n’en
pranderois pas la peine: enemi iurejure d’obligation d’assiduitè de constance. Qu’il n’est rien si enemi decontrere a mon stile qu’une narration
estendue. IeJe me recoupe si souuantsouvant a faute de haleine. IeJe n’ay ny composition ny explication qui uaillevaille: iIgnorant au dela d’un enfant des
frases et uocablesvocables qui seruentservent aus choses plus communes. Pourtant ai ieje pris a dire ce que ieje sçai dire: accommodātaccommodant la matiere a ma force.
Si ij’en prenois qui me guidast: ma mesure pourroit faillir a la siene. Que ma libertè estant si libre ij’eusse publié des iugemensjugemens a mon gré mesme
et selon raison illegitimes et punissables. Plutarque nous diroit uolantiersvolantiers de ce qu’il en a faict, que c’est l’ouurageouvrage d’autruy que ses examples
soient en tout & par tout veritables: qu’ils soient vtilesutiles à la posterité, & presentez d’vnun lustre, qui nous esclaire a la vertu, que c’est son ouurageouvrage.
Il n’est pas dangereux, comme en vneune drogue medicinale, en vnun compte ancien, qu’il soit ainsin ou ainsi.
Le profit de l’vnun est dommage de l’autre.
CHAP. XXII.
DEMADES Athenien condānacondamna vnun hōmehomme de sa ville, qui
faisoit mestier de vendre les choses necessaires aux en-
terremens, soubs tiltre de ce qu’il en demādoitdemandoit trop de
profit, & que ce profit ne luy pouuoitpouvoit venir sans la mort de
beaucoup de gens. Ce iugementjugement semble estre mal pris, d’au-
tātau-
tant qu’il ne se fait nulaucun profit qu’au dommage d’autruy, & qu’à
ce conte il faudroit condamner toute sorte de guein. Le mar-
chand ne se fait bien ses affaires, qu’à la débauche de la ieunesjeunes-
K
ESSAIS DE M. DE MONTA.
se: le laboureur à la cherté des bleds: l’architecte à la ruine des
maisons: les officiers de la iusticejustice aux procez & querelles des
hommes: l’honneur mesme & pratique des ministres de la
religion se tire de nostre mort & de nos vices. Nul medecin
ne prent plaisir à la santé de ses amis mesmes, dit l’ancien Co-
mique Grec, ny soldat à la paix de sa ville: ainsi du reste. Et qui
pis est, que chacun se sonde au dedāsdedans, il trouueratrouvera que nos sou-
haits interieurs pour la plus part naissent & se nourrissent aux
despens d’autruy. Ce que considerant, il m’est venu en fanta-
sie, comme nature ne se dement point en cela de sa generale
police: cCar les Physiciens tiennent, que la naissance, nourris-
sement, & angmentationaugmentation de chaque chose, est l’alteration &
corruption d’vnun’ autre.,
Nam quodcunque suis mutatum finibus exit,
Continuo hoc mors est illius, quod fuit ante.
De la coustume & de ne changer aisement vneune loy receüe.
CHAP.
XIIIXXIII.
CELVYCELUY me semble auoiravoir tres-bien conceu la force de
la coustume, qui premier forgea ce cōteconte, qu’vneune fem-
me de village ayātayant apris de caresser & porter entre ses
bras vnun veau des l’heure de sa naissance, & continuātcontinuant tousiourstousjours
à ce faire, gaigna cela par l’accoustumāceaccoustumance, que tout grādgrand beuf
qu’il estoit, elle le portoit encore. Car c’est à la verité vneune vio-
lente & traistresse maistresse d’escole, que la coustume. Elle
establit en nous, peu à peu, à la desrobée, le pied de sōson autho-
rité: mais par ce doux & humble commencement, l’ayātayant ras-
sis & planté auecavec l’ayde du temps, elle nous descouuredescouvre tātosttantost
vnun furieux & tyrannique visage contre lequel nous n’auonsavons
plus la liberté de hausser seulement les yeux. Nous luy voyōsvoyons
forcer tous les coups les reigles de nature: ⁁
⁁ Vsus efficacissimus
rerum omnium
magister. IJ’en croi
l’antre de Platon en sa
republique et
ij’en croy les mede-
cins, qui quitent si souuentsouvent à son authorité les raisons de leur
art: &Et ce Roy qui par son moyēmoyen rēgearengea son estomac à se nour-
LIVRE PREMIER. 38
rir de poison: &Et la fille qu’Albert recite s’estre accoustumée à
viurevivre d’araignées: &Et en ce mōdemonde des Indes nouuellesnouvelles on trou-
uatrou-
va des grādsgrands peuples, & en fort diuersdivers climats, qui en viuoiētvivoient,
en faisoient prouisionprovision, & les apastoient: comme aussi des sau-
terelles, formiz, laizards, chauuessourizchauvessouriz, & fut vnun crapault vē-
duven-
du six escus en vneune necessité de viuresvivres: ils les cuisent & appre-
stent à diuersesdiverses sauces. Il en fut trouuétrouvé d’autres ausquels noz
chairs & noz viandes estoyent mortelles & venimeuses. ⁁
⁁ Consuetudinis magna
uis est. Pernoctant
uenatores in niue: in
montibus uri se patiuntur:
Pugiles caestibus contusi
ne ingemiscunt quidem.
Ces exemples estrangiers ne
sont pas estranges et asi nous considerons
ce que nous essaions ordine=
rement quecombien l’acostumance
hebete nos sens. iIl ne nous faut
pas aller chercher ce qu’on dit
des AEgiptiens uoisinsvoisins des
cataractes du Nile et ce que
les philosophes estimētestiment de la
musique celeste que les corps
de ces cercles estant solides et
uenansvenans a se lecher & froter
lunl’un eta lautrel’autre en roulant ne
peuuentpeuvent faillir de produire
une merueilleusemerveilleuse harmonie
aux coupures et muances de la
quelle se manient etles contours et
changements des caroles des
astres: mais qu’uniuerselementuniverselement
les ouïes des creatures endor=
mies comes celles des AEgiptiens
par la continuation de ce son
ne le peuuentpeuvent aperceuoirapercevoir pour
grand qu’il soit. Les marechaux
musniers armuriers ne sauroient
durer au bruit qui les frape
s’ils s’en estonoint come nous ⁁
Cette addition est restituée à cet emplacement grâce à l’édition de 1595.
⁁ Mon colet de fleur sert a mon nez pour trois ioursjours
mais apres que ieje m’en suis uestuvestu trois ioursjours de suite
il ne sert que’aus nez assistans
Cecy est plus estrange que non=
obstant des longs interuallesintervalles et
intermissions l’acostumance
puisse iouindrejouindre et establir
l’effaict de son impression sur
nos oreillessens : come essaient les
uoisinsvoisins des clochiers. IeJe loge
ches moi en une tour ou a la
diane et a la retrete une fort
glrosse cloche sonne tous les ioursjours
l’aueave maria. Ce tintamarre
effraie ma tour mesmes: et aux
premiers ioursjours me semblant insup=
portable surtout au matin, heure
de mon meillur sommeil, en peu de
temps m’appriuoiseapprivoise de maniere que ieje
l’ois sans offance et souuātsouvant sāssans m’en
esueilleresveiller. ⁁
⁁ Mais aussi
au matin heure de mon meillur
et mMon collet de fleur et mes gans sert
aus nez estrangiers assistans mais au mien
apres trois ou quatre ioursjours que ieje m’en
de suide suite que ieje m’en suis seruiservi de suiteuestuvestu il
ne sert plus.
⁁ Platon tansa un enfant
qui iouoitjouoit aux nois Il luy repondit Tu me
tanses de peu de chose: L’acostumance
replica Platon n’est pas chose de peu ⁁
⁁ IeJe treuuetreuve que nos plus gradnds uicesvices prenent leur pli ende nostre plus
tendre enfance et que nostre principal gouuernementgouvernement est entre les mains
des nourrisses. C’est passetemps aus meres de uoirvoir un enfant et tordre le col a un
poulet et battre un chien s’esbattre a battre & blesser un chien et un chat et tel pere
est si sott de prendre a bon augure d’un’ame martialle quand il uoitvoit son fis gourmer
iniurieusementinjurieusement un paisan ou un laquai qui ne se defant pouint et a iantillessejantillesse quādquand
il le uoitvoit affiner son compaignon par quelque malitieuse desloiaute et tromperie. Ce sont pourtant
les uraiesvraies semances et racines de la cruaute de la tirannie de la trahison: elles se
germent la ⁁ et s’esleuenteslevent apres gaillardement et profitent a force entre les mains de la costume. Et est une tres dangereuse institution dexcuserd’excuser ces uileinesvileines inclinations
par la foiblesse de leagel’eage et legierete du subietsubjet Premierement c’est nature qui parle
de qui la uoixvois est lors plus poisantepure & plus pureforte qu’ell’est plus gresle. Secondement la
laidur de la piperie ne despent pas de la difference des escus aus esplingues. elle despent de
soy. IeJe trouuuetrouve bien plus iustejuste de conclurre ainsi: Pourquoy ne tromperoit il aus escus puis qu’il trompe aus esplingues que come ils
font; Ce n’est qu’aux espingles: il n’auroit garde de le faire aux escutz. Il faut apprendre soigneusemētsoigneusement aux enfans de haïr les ⁁
Cette addition se poursuit au bas de la marge du folio 37v.
⁁ uicesvices de leur propre contexture, & leur faut aprandre la naturelle & difformitè a ce
Il faut qu’ils les fuïent non en leur action sulement mais sur tout en leur ceur: que la pensee
mesme leur en soit odieuse quelque masque qu’ils portētportent IeJe sçai bien que pour m’estre duit
en ma puerilite de marcher tousiourstousjours mon grand et plein chemin & auoiravoir eu a cōtrecontre ceur
de mesler ny trichoterie ny finesse a mes ieusjeus enfantins come de uraivrai il faut noter que
les ieusjeus des enfans ne sont pas ieusjeus et les faut iugerjuger en eus come leurs plus serieuses actions
il n’est passe temps si legier ou ieje n’aporte du dedans & d’une propansion naturelle & sans
aucun soinestude un’extreme contradiction a tromper. IeJe manie les cartes & l pour les doubles, & tiens
conte, come pour les doubles ducats:doublons: lors que le gaigner et le perdre est du du toutcontre ma fame et ma fille m’est indifferant,
come lors qu’il est du plus grand poisy uava de bon. En tout et par tout il y a asses de mes yeus a me tenir en
office: il n’y en a point qui me ueillentveillent plusde si pres, ny que ieje respecte plus.
IeJe
viens de voir chez moy vnun petit homme natif de Nantes, né
sans bras, qui à si bien façonné ses pieds, au seruiceservice que luy
deuoyētdevoyent les mains, qu’ils en ont à la verité à demy oublié leur
office naturel. Au demourant il les nomme ses mains, il tren-
che, il charge vnun pistolet & le láche, il énfille son eguille, il
coud, il escrit, il tire le bonnet, il se peigne, il iouëjouë aux cartes
& aux dez, & les remue auecavec autant de dexterité que sçauroit
faire quelqu’autre: l’argent que ieje luy ay donné (car il gaigne
sa vie à se faire voir) il l’a emporté en son pied, comme nous
faisons en nostre main. IJ’en vy vnun autre estātestant enfant, qui ma-
nioit vnun’espée à deux mains, & vnun’hallebarde, du pli du col, à
faute de mains, les iettoitjettoit en l’air & les reprenoit, lançoit vneune
dague, & faisoit craqueter vnun foët aussi biēbien que charretier de
France. Mais on decouuredecouvre bien mieux ses effets aux estrāgesestranges
impressions, qu’elle fait en nos ames, où elle ne trouuetrouve pas
tant de resistance. Que ne peut elle en nos iugemensjugemens & en
nos creances? y à il opinion si fantasquebizzarre (ieje laisse à part la
grossiere imposture des religions, dequoy tant de grandes
natiōsnations, & tant de suffisans personnages se sont veuxveus enyurezenyvrez:
car cette partie estātestant hors de nos raisons humaines, il est plus
excusable de s’y perdre, à qui n’y est extraordinairement es-
clairé par vneune faueurfaveur diuinedivine) mais d’autres opinions y en à il
de si estrāgesestranges, qu’elle n’aye planté & estably par loix és regiōsregions
que bon luy à semblé. ⁁
⁁ Et est tresiustejuste cette
antiene exclamation.
Non pudet physicum
idestid est speculatorem uenatoremque
naturae ab animis consuetudine
imbutis quaerere testimonium ueritatis.
IJ’estime qu’il ne tōbetombe en l’imagination
K ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
humaine aucune fantasie si forcenée qui ne rencōtrerencontre l’exem-
ple de quelque vsageusage public, & par consequent que nostre rai-
sondiscours n’estaie & ne fonde. Il est des peuples ou on tourne le doz
à celuy qu’on salue, & ne regarde l’on iamaisjamais celuy qu’on veut
honorer. Il en est ou quādquand le Roy crache, la plus fauoriefavorie des da
mes de sa Cour tend la main: & en autre natiōnation les plus appa-
rētsappa-
rents qui sont autour de luy se baissent à terre, pour amasser en
du linge son ordure: ⁁
⁁ Desrobons icy la place
d’un conte. VnUn gentil=
home frances de bone
maison se mouchoit
tousiourstousjours de sa main:
sans mouchoir chose
tres enemie de nostre
usage. Defendant la
dessus son faict: et
estoit fameus en bons
rencontres: il me demanda
quel priuiliegepriviliege auoitavoit ce
salle excremant que nous
allassions luy aprestant
vnun beau linge delicat a
le receuoirrecevoir et puis quei plus est a
l’empaqueter & serrer souig=
neusemant sur nous. qQue
cela deuoitdevoit faire plus de
horrur & de mal au ceur
que de le uoirvoir uerserverser
ou que ce fut: come nous
faisons tous autres excre=
mans. IeJe trouuaitrouvai qu’il ne
parloit pas du tout sans
raison: et m’auoitavoit la
coustume oste l’aperceuanceapercevance
de cette estrangeté: laquelle
pourtātpourtant nous trouuonstrouvons si
hideuse quand ell’est
recitee dund’un pais autre païs
Je m’en retourne. Les
miracles sont selon nostre
ignorancelignorancel’ignorance en quoi
nous somes de la nature non
selon ⁁ ⁁ l’estre de la nature. L’assuefaction
endort la ueueveue de nostre
iugemantjugemant. Les barbares ne
nous sont de rien plus estrangesmerueilleusmerveilleus
que nous somes a eus. ny aueqaveq
plus de rais d’occasion: come
chascun aduouëroitadvouëroit, si chacun
sçauoitsçavoit apres s’estre promene
par sces nouueausnouveaus examples, se
coucher sur ses les propres, et
les conferer sainemant. La
raison est humaine est une
teinture infuse enuironenviron de
pareil pois a toutes nos
opinions et meurs de quelque
forme qu’elles soint: infinie
en matiere infinie en diuer=
sitediver=
site. IeJe m’en retourne. Il est des peuples
ou sauf sa femme & ses enfans aucun ne
parle au Roy que par sarbatanesarbacane. En vneune mesme nation & les
Vierges monstrent à descouuertdescouvert leurs parties hōteuseshonteuses, & les
mariées les couurentcouvrent & cachent soigneusemētsoigneusement: à quoy cette
autre coustume qui est ailleurs, à quelque relation: la chasteté
n’y est en pris que pour le seruiceservice du mariage: car les filles se
peuuentpeuvent abandonner à leur poste, & engreoissees se faire auor-
teravor-
ter par medicamens propres, au veu d’vnun chacun. Et ailleurs,
si c’est vnun marchant qui se marie, tous les marchans conuiezconviez
à la nopce, couchent auecavec l’espousee auantavant luy: & plus il y en à
plus à elle d’honneur & de recommandation de fermeté &
de capacité: si vnun officier se marie, il en va de mesme, de mes-
me si c’est vnun noble, & ainsi des autres, sauf si c’est vnun la-
boureur ou quelqu’vnun du bas peuple: car lors c’est au Sei-
gneur à faire: & si on ne laisse pas d’y recōmāderrecommander estroitemētestroitement
la loyauté, pendant le mariage. Il en est, où il se void des bor-
deaux publicz de masles, voire & des mariages: ou les femmes
vont à la guerre quand & leurs maris, & ont rang, non au cō-
batcom-
bat seulement, mais aussi au cōmandementcommandement. Où nōnon seulement
les bagues se portent au nez, aux leureslevres, auyaux iouesjoues, & aux or-
teils des pieds: mais des verges d’or bien poisantes au trauerstravers
des tetins & des fesses. Ou en mangeātmangeant on s’essuye les doigts
aux cuisses & à la bourse des genitoires & à la plāteplante des pieds.
Où les enfans ne sont pas heritiers, ce sont les freres & ne-
pueux: & ailleurs les nepueuxnepveux seulemētseulement, sauf en la successiōsuccession du
LIVRE PREMIER. 239
PrīcePrince. Où pour reigler la cōmunautécommunauté des biēsbiens, qui s’y obserueobserve,
certains Magistrats souuerainssouverains ont charge vniuerselleuniverselle de la
culture des terres, & de la distributiōdistribution des fruits, selōselon le besoing
d’vnun chacun. Où l’on pleure la mort des enfans, & festoye l’ōon
celle des vieillarts. Où ils couchent en des licts dix ou douze
ensemble auecavec leurs femmes. Où les femmes qui perdētperdent leurs
maris, par mort violēteviolente, se peuuētpeuvent remarier, les autres non. Où
l’on estime si mal de la condition des femmes, qu’on y tuë
les femelles qui y naissent, & achepte l’on des voisins, des fem-
mes pour le besoing. Où les maris peuuentpeuvent repudier sans alle-
guer aucune cause, les femmes non pour cause quelconque.
Où les maris ont loy de les vendre, si elles sont steriles. Où ils
font cuire le corps du trespassé, & puis piler, iusquesjusques à ce qu’il
se forme comme en bouillie, laquelle ils meslent à leur vin &
la boiuentboivent. Où la plus desirable sepulture est d’estre māgémangé des
chiens, ailleurs des oiseaux. Où l’on croit que les ames heureu-
ses viuentvivent en toute liberté, en des champs plaisans, fournis de
toutes cōmoditezcommoditez: & que ce sont elles qui font cet echo que
nous oyons. Où ils combatent en l’eau, & tirent seurement de
leurs arcs en nageant. Où pour signe de subiectiōsubjection il faut haus-
ser les espaules, & baisser la teste: & deschausser ses souliers
quand on entre au logis du Roy. Où les Eunuques qui ont les
femmes religieuses en garde, ont encore le nez & leureslevres à dire,
pour ne pouuoirpouvoir estre aymez: & les prestres se creuētcrevent les yeux
pour accointer leurs demons:, & prendre les oracles. Où cha-
cun faict vnun Dieu de ce qui luy plaist, le chasseur d’vnun lyon où
d’vnun renard, le pescheur de certain poisson: & des Idoles de
chaque action ou passion humaine: le soleil, la lune, & la terre,
sont les dieux principaux,: la forme de iurerjurer c’est toucher la
terre regardant le soleil: & y mange l’on la chair & le poisson
crud. ⁁
⁁ Ou le grand sermant
c’est iurerjurer le nom de
quelque home trespasse
qui a este en bone reputation
au païs: touchant de la main
sa tumbe. Ou le peuple
adore cet certeins Dieus mais Bacchus
Diane Le Roy un dieu particulier
pour soi Mercure. ou les etrenes
annuelles que le Roy enuoïeenvoïe aus princes ses uassausvassaus
c’est du feu LambassadurL’ambassadur qui l’apporte arriuantarrivant lesteintl’esteint
l’antien feu est esteint tout par tout en la maison Et de
ce feu nouueaunouveau le peuple despendant de ce prince en doit
uenirvenir prendre chacun pour soi sur peine de crime de leze
maiestemajeste Ou quand le Roy pour s’adoner du tout
a la deuotiondevotion (com’ils font souuentsouvent) se retire de sa charge son premier successur est oblige d’en faire
autant et passe le droit du Royaume au troisiesme successur ou ilslonl’on diuersifientdiversifient la forme de la police selōlon
que les affaires le requierent On depose le Roy quādquand il semble bon & substitue lonl’on des antiens a prendre ce gouuer=
nementgouver=
nement de l’estat: et le laisse l’on par fois aussi és mains de la cōmunecommune. Ou homes et femes sont circoncis &
pareillemētpareillement baptisés. Où le soldat, qui en vnun ou diuersdivers cōbatscombats, est arriuéarrivé a presenter a son Roy sept testes d’ennemis, est faict noble.
Où l’on vit soubs cette opinion desnaturéesi rare et inciuileincivile de la morta-
lité des ames. Où les femmes s’accouchent sans plaincte &
K iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
sans effroy. ⁁
⁁ Ou les femmes en l’une
& lautrel’autre iambejambe portent des
greuesgreves de cuiurecuivre: et si un pouil
les mort sont tenues par deuoirdevoir
de magnanimite de le remordre
& n’osent espouser qu’elles ne se
soint’ayent offertes a leur Roy s’il
veut de leur pucelage.
Où l’on saluë mettant le doigt à terre:, & puis le
haussant vers le ciel. Où les hommes portent les charges sur la
teste, les femmes sur les espaules: elles pissent debout, les hom-
mes croupisaccroupis. Où ils enuoientenvoient de leur sang en signe d’amitié, &
encensent comme les Dieux, les hommes qu’ils veulent hon-
norer. Où non seulement iusquesjusques au quatriesme degré, mais
en aucun plus esloingné, la parenté n’est soufferte aux maria-
ges. Où les enfans sont quatre ans en nourrisse, & souuētsouvent dou-
ze: & la mesme, il est estimé mortel de donner à l’enfant à tet-
ter tout le premier iourjour. Où les peres ont charge du chasti-
ment des masles, & les meres à part, des femelles: & est le cha-
stiement de les fumer pendus par les pieds. Où on faict cir-
concire les femmes. Où l’on mange toute sorte d’herbes, sans
autre discretion, que de refuser celles qui leur semblent auoiravoir
mauuaisemauvaise senteur. Où tout est ouuertouvert, & les maisōsmaisons pour bel-
les & riches qu’elles soyent, sans porte, sans fenestre, sans coffre
qui ferme: & sont les larrons doublement punis qu’ailleurs.
Où ils tuent les pouils auecavec les dents comme les Magots, &
trouuēttrouvent horrible de les voir escacher soubs les ongles. Où l’on
ne couppe en toute la vie ny poils ny ongles: ailleurs où
l’on ne couppe que les ongles de la droicte, celles de la
gauche se nourrissent par gentillesse. ⁁
⁁ Ou ils nourrissent tout
le poil du corps du coste
droit tant qu’il peut
croitre et coupent l’autre
tienent ras le poil de lautrel’autre
costé Et en uoisinesvoisines
prouincesprovinces l’unecell’ icy nourrit
le poil de dauantdavant l’autre
ceuscelle la
le poil de derrierent et
rasent lautrel’autre l’opposite.
Où les peres prestent
leurs enfans, les maris leurs femmes, à iouyrjouyr aux hostes, en
payant. Où on peut honnestement faire des enfans à sa me-
re, les peres se mesler à leurs filles, & à leurs fils. ⁁
⁁ Ou aus
assamblees
des festins
ils s’entreprestent
les enfans les
uns aus autres
Icy on vit de
chair humaine: la c’est office de pieté de tuer son pere en cer-
tain aage: ailleurs les peres ordonnent des enfans encore au
ventre des meres, ceux qu’ils veulent estre nourris & conser-
uezconser-
vez, & ceux qu’ils veulent estre abandonnez & tuez: ailleurs
les vieux maris prestent leurs femmes à la ieunessejeunesse pour s’en
seruirservir: & ailleurs elles sont communes sans peché: voire en tel
pays portent pour merque d’hōneurhonneur autant de belles houpes
LIVRE PREMIER. 40
frangées au bord de leurs robes, qu’elles ont accointé de ma-
sles. N’a pas faict la coustume encore vneune chose publique de
femmes à part? leur a elle pas mis les armes à la main? faict
dresser des armées, & liurerlivrer des batailles? Et ce que toute la
philosophie ne peut planter en la teste des plus sages, ne l’ap-
prend elle pas de sa seule ordonnance au plus grossier vulgai-
re? car nous sçauonssçavons des nations entieres, où non seulement
l’horreur de la mort estoit mesprisée,:, mais l’heure de sa venuë
à l’endroict des plus cheres personnes qu’on eut,mais festoyée: auecavec
grande allegresse:. &Et quant à la douleur, nous en sçauonssçavons d’au-
tres, ou les enfans de sept ans souffroyent pour l’essay de leur
constance, à estre foëttez iusquesjusques à la mort, sans changer de
démarche ny de visage: & où la richesse estoit en tel mespris,
que le plus chetif citoyen de la ville, n’eust daigné baisser le
bras pour releuerreleveramasser vneune bource d’escus. Et sçauonssçavons des regions
tres-fertiles en toutes façons de viuresvivres, où toutesfois les plus
ordinaires méz & les plus sauoureuxsavoureux, c’estoyent du pain du
nasitort & de l’eau. Fit elle pas encore ce miracle en Cio, qu’il
s’y passa sept cens ans, sans memoire que femme ny fille y ayteut
faict faute à son honneur? Et somme, à ma fantasie, il n’est riērien
qu’elle ne face, ou qu’elle ne puisse: & auecavec raison l’appelle
Pindarus, à ce qu’on m’a dict, la Royne & Emperiere du mō-
demon-
de. ⁁
⁁ Celuy que recite en Aristote
qu’on rencontra batant
son pere respondit que
c’estoit la costume de sa
meson que son pere auoitavoit ainsi
batu son aïelul son aïeul
son bisaieul: & montrant
son fils Et et cetuici me
battera quand il sera uenuvenu
au son adolescence terme
de leagel’eage ou ieje suis Et
le pere que le filx tirassoit
et sabouloit emmi la ruë
luy comanda de s’arreter
a certein huis car luy
n’auoitavoit tirassetraine son pere que
iusquesjusques la: que c’estoit
la borne des iniurieusinjurieus
tretemans herediteres
que les enfans auointavoint en
usage faire aus peres en
leur famille Par costume dit
Aristote cer ⁁ ⁁ aussi souuantsouvant que par maladie des femmes s’arrachētarrachent le poil rongent leurs ongles
mangent des charbons et de la terre. & par costume souuantsouvantque moitie par costume
plus souuantsouvant quemoitie autant par costume que par nature les masles se meslent aus masles.
Les loix de la consciance ⁁ ⁁ que nous disons naistre de nature, ne naissent que de la costume: chacun
aïant en uenerationveneration interne les opinions et meurs approueesapprovees &
receuses autour de luy, ne ls’en pouuantpouvantpeut desprendre sans remors, ny s’y
appliquer sans applaudissement.
Quand ceux de Crete vouloyent au temps passé maudire
quelqu’vnun, ils prioyētprioyent les dieux de l’engager en quelque mau-
uaisemau-
vaise coustume. Mais le principal effect de sa puissance, c’est
de nous saisir & empieter de telle sorte, qu’a peine soit-il en
nous, de nous r’auoiravoir de sa prinse, & de r’entrer en nous, pour
discourir & raisonner de ses ordonnances. De vray, parce que
nous les humons auecavec le laict de nostre naissance, & que le vi-
sage du monde se presente en cet estat à nostre premiere veuë,
il semble que nous soyons nais à la condition de suyuresuyvre ce
train. Et les communes imaginations, que nous trouuonstrouvons en
ESSAIS DE M. DE MONTA.
credit autour de nous, & infuses en nostre ame par la semen-
ce de nos peres, il semble que ce soyent les generalles & natu-
relles. ⁁
⁁ Par ou il n’est pas aduientadvient, que ce qui est hors les gonds de la coustume, on le croid
hors des gons de la raison: Dieu sçait combien desraisonablement, le plus souuantsouvant: Si
comme nous qui nous estudions, auonsavons apris de faire, chacun qui oit une iustejuste sentance,
regardoit incontinant par ou elle luy apartient en son propre, chacun trouuerroittrouverroit que cettecy
n’est pas tant un bon mot qu’onun bon coup de foit a la sottisebestise ordinere de son iugementjugement. Mais on reçoit
les aduisadvis de la ueriteverite et ses preceptes
comme adressez au peuple, non iamaisjamais a soi:
& au lieu de les coucher sur ses meurs, chacun les couche en
sa memoire, tres sotement et
tres inutilement. ReuenōsRevenons a l’empire de la costume.
Les peuples nourris a la
liberte et a se comander
eux mesmes estiment toute
autre forme ⁁ ⁁ de police monstrueuse
& contre nature. Ceus qui
sont duits a la monarchie
en font de mesme. Et quelque
facilite que leur preste
fortune au changement
lors mesmes qu’ils se sont
aueqaveq grandes difficultez
desfaicts l de l’importunite
d’vnun maistre ils courent a
en replanter un nouueaunouveau
aueqaveq pareilles difficultez
auantavant que pour ne se
pouuoirpouvoir resoudre de
prandre en haine la
maistrise.
Darius demandoit à quelques Grecs, pour combien ils
voudroient prendre la coustume des Indes, de manger leurs
peres trespassez (car c’estoit leur forme, estimans ne leur pou-
uoirpou-
voir donner plus fauorablefavorable sepulture, que dans eux-mesmes)
ils luy respondirētrespondirent que pour chose du monde ils ne le feroiētferoient:
mais s’estātestant aussi essayé de persuader aux Indiens de laisser leur
façon & prendre celle de Grece, qui estoit de brusler les corps
de leurs peres, il leur fit encore plus d’horreur. Chacun en fait
ainsi, d’autant que l’vsageusage nous desrobbe le vray visage des
choses.,
Nil adeo magnum, nec tam mirabile quicquam
Principio, quod non minuant mirarier omnes
Paulatim.
Autrefois ayant à faire valoir quelqu’vneune de nos obseruatiōsobservations,
& receüe auecavec resolue authorité bien loing autour de nous:, &
ne voulant point, comme il se faict, l’establir seulement par la
force des loix & des exemples, mais qu’estant tousiourstousjours ius-
quesjus-
ques à son origine, ij’y trouuaytrouvay le fondement si chetif & si foi-
ble, qu’à peine que ieje ne m’en dégoutasse moy, qui auoisavois à la
confirmer en autruy. ⁁
⁁ C’est cette recepte de
quoi Platon entreprant
de chasser les amours
uitieusesvitieusesdesnaturees de son temps
qu’il estime souuereinesouvereine
a sçauoirsçavoir et suleet principale A sçauoirsçavoir
que l’opinion publique les
condamne que les poëtes
que chacun en face des
mauuesmauves contes. Recette
qui a gaigne quepar le moien de la quelle les plus
belles filles n’attirent plus
poinct l’amour des peres ny
les plus b freres plus excel=
lens en beaute l’amour
des seurs. Les fables demesme de
Thyestes d’OEdippus de
Macareus aus aiant aueqaveq
le plaisir de leur chant infus
cette utile creance en la
tendre ceruellecervelle des enfans.
De uraivrai la pudicite est
vneune belle uertuvertu & de la
quelle l’utilite est asses
connue: mais de la traicter
& faire ualoirvaloir selon nature il est bien plusautant malaise
com’il est aise de la faire ualoirvaloir selon lusagel’usage les loix et
les preceptes et exemples Les premieres et uniuersellesuniverselles raisons
sont de difficille perscrutation Et les passent nous nos
maitres en escumant ou ne les osant pas sulement taster se
iettentjettent d’abordee dans la franchise de la costume ou ils s’enflent & triomphēttriomphent a bon conte.
Ceus qui ne se ueulentveulent laisser tirertirer hors de cette originelle source faillētfaillent encore plus et s’obligētobligent a des
opinions sauuagessauvages come Chrysippus qui sema en tant de lieus de ses escris le peu de conte en quoi il tenoit
les conionctionsconjonctions incestueuses quelles qu’elles fussent.
Et qQui se voudra essayer de mesme, & se
desfaire de ce violent preiudiceprejudice de la coustume, il trouueratrouvera
plusieurs choses receues d’vneune resolution indubitable, qui
n’ont appuy qu’en la barbe chenue & rides de l’vsageusage, qui les
accompaigne: mais ce masque arraché, rapportant les choses à
la verité & à la raison, il sentira son iugementjugement, cōmecomme tout bou-
leuersébou-
leversé, & remis pourtātpourtant en bien plus seur estat. Pour exēpleexemple,
ieje luy demanderay lors, quelle chose peut estre de plus estran-
ge, que de voir vnun peuple obligé à suiuresuivre des loix, qu’il n’en-
tendit onques: attaché en tous ses affaires domestiques, ma-
riages, donations, testamens, ventes, & achapts, à des regles,
qu’il
LIVRE PREMIER. 41
qu’il ne peut sçauoirsçavoir, n’estātestant escrites ny publiées en sa langue,
& desquelles par necessité il luy faille acheter l’interpretation
& l’vsageusage. ⁁
⁁ Non selon lingenieusel’ingenieuse
opinion d’Isocrates qui
conseille a son Roy de laisserrendre les
trafiques & negotiations de ses
subietssubjets libres et franches et
lucratifueslucratifves maiset leurs debats
et querelles onereuses sesles chargeant
de poisans subsides Mais selon
un’opinion monstrueuse de
mettre en trafique la raison
mesme & doner aus loix cours de
marchandise.
IeJe sçay bon gré à la fortune, dequoy, comme disent
nos historiens, ce fut vnun Gentil-homme Gascon & de mon
pays, qui le premier s’opposa à Charlemaigne, nous voulant
donner les loix Latines & Imperiales. Qu’est-il plus farouche
que de voir vneune nation, ou par legitime coustume la charge
de iugerjuger se vende, & les iugemensjugemens soyent payez a purs deniers
contans, & où legitimemētlegitimement la iusticejustice soit refusée à qui n’a de-
quoy la payer, & aye cesttte marchandise si grand credit, qu’il se
face en vneune police vnun quatriesme estat, de gens maniants les
procés, pour le ioindrejoindre aux trois anciens, de l’Eglise, de la No-
blesse, & du Peuple. Lequel estat ayātayant la charge des loix & sou-
uerainesou-
veraine authorité des biens & des vies, face vnun corps à part de
celuy de la noblesse: d’ou il auienneavienne qu’il y ayt doubles loix,
celles de l’honneur, & celles de la iusticejustice, en plusieurs choses
fort contraires: aussi rigoureusement condamnent celles-là
vnun démanti souffert, comme celles icy vnun démanti reuanchérevanché:
par le deuoirdevoir des armes, celuy-là soit degradé d’honneur & de
noblesse, qui souffre vnun’iniureinjure, & par le deuoirdevoir ciuilcivil, celuy qui
s’en venge, encoure vneune peine capitale?. qui s’adresse aux loix
pour auoiravoir raison d’vneune offence faite à son honneur, il se des-
honnore:, & qui ne s’y adresse, il en est puny & chastié par les
loix:. &Et de ces deux pieces si diuersesdiverses, se raportant toutesfois à
vnun seul chef, ceux-là ayent la paix, ceux-cy la guerre en char-
ge: ceux-là ayent le gaing, ceux-cy l’honneur: ceux-là le sça-
uoirsça-
voir, ceux-cy la vertu: ceux-là la parole, ceux-cy l’action: ceux
là la iusticejustice, ceux-cy la vaillance,: ceux-là la raison, ceux-cy la
force,: ceux-là la robbe longue, ceux-cy là courte en partaige.
Quant aux choses indifferentes, cōmecomme vestemens, qui les vou-
dra ramener à leur vraye fin, qui est le seruiceservice & commodité
du corps, d’où depēddepend leur grace & biēbien seance originelle:, pour
L
ESSAIS DE M. DE MONTA.
les plus mōstrueuxmonstrueux à mon gré qui se puissent imaginer, ieje luy
donray entre autres, nos bonnets carrez: cette longue queuë
de veloux plissé, qui pend aux testes de nos femmes, auecavec son
attirail bigarré: & ce vain modelle & inutile, d’vnun mēbremembre, que
nous ne pouuonspouvons seulement honnestement nommer, duquel
toutesfois nous faisons montre & parade en public. Ces cō-
siderationscon-
siderations ne destournent pourtant pas vnun homme d’enten-
dement de suiuresuivre le stille commun: ains au rebours il me sem-
ble, que toutes façons escartées & particulieres partent plu-
stost de folie ou d’affectation ambitieuse, que de vraye raison:
& que le sage doit au dedans retirer son ame de la presse, & la
tenir en liberté & puissance de iugerjuger libremētlibrement des choses: mais
quant au dehors qu’il doit suiuresuivre entierement les façons &
formes receues. La societé publique n’a que faire de nos pen-
sées: mais le demeurant, comme nos actiōsactions, nostre trauailtravail, nos
fortunes & nostre vie propre, il la faut préter & abādonnerabandonner à
son seruiceservice, & aux opinions communes. Comme ce bon &
grand Socrates refusa de sauuersauver sa vie, par la desobeissance du
magistrat, voire d’vnun magistrat tres-iniusteinjuste & tres-inique.
Car c’est la regle des regles, & generale loy des loix, que cha-
cun obserueobserve celles du lieu où il est.,
νόμοιϛ ἕπεσθαι τοῖσιν εγχώροιϛἐγχώροιϛ κάλον.
Ici commence la deuxième partie du chapitre, sans doute indépendante à l’origine et intitulée "De ne changer aisément une loi reçue" (seconde partie du titre actuel, au prix d’une maladresse syntaxique).
En voicy d’vnun autre cuuéecuvée. Il y a grand doute, s’il se peut trou-
uertrou-
ver si euidētevident profit au changemētchangement d’vneune loy receue, telle qu’el-
le soit, qu’il y à de mal à la remuer: d’autant qu’vneune police,
c’est comme vnun bastiment de diuersesdiverses pieces iointesjointes ensem-
ble, d’vneune telle liaison, qu’il est impossible d’en esbranler la
moindreune, que tout le corps ne s’en sente. Le legislateur des
Thuriens ordonna, que quiconque voudroit ou abolir vneune
des vieilles loix, ou en establir vneune nouuellenouvelle, se presenteroit au
peuple la corde au col: afin que ⁁ ⁁ si la nouuelleténouvelleté n’estoit approu-
uéeapprou-
vée d’vnun chacun, si il fut incontinētincontinent estranglé. Et celuy de La-
LIVRE PREMIER. 42
cedemone employa sa vie pour tirer de ses citoyens vneune pro-
messe asseurée, de n’enfraindre aucune de ses ordonnances.
L’ephore qui coupa si rudement les deux cordes que Phrinys
auoitavoit adioustéadjousté à la musique, ne s’esmaie pas, si elle en vaut mieux,
ou si les accords en sont mieux remplis: il luy suffit pour les
condamner, que ce soit vneune alteration de la vieille façōfaçon. C’est
ce q̄que signifioit cette vieille espée roüillée de la iusticejustice de Mar-
seille. IeJe suis desgousté de la nouuelleténouvelleté quelque visage qu’elle
porte,: & ay raison, car ij’en ay veu des effets tres-dōmageablesdommageables.
Celle qui nous presse depuis vingt cinq ou trente anstant d’ans, elle n’a
pas tout exploicté, mais on peut dire auecavec apparence, que par
accident, elle a tout produict & engendré,: voire & les maux
& ruines, qui se font depuis sans elle, & contre elle: c’est à elle
à s’en prendre au nez,
Heu patior telis vulnera facta meis.⁁ ⁁ L
Les premiersCeus qui dōnentdonnent le branle à vnun estat, sont volontiers
les premiers absorbezabsorbez en sa ruyne.⁁
⁁ . l’esfaictfruit du trouble
ne demure guiere a
celluy qui l’a esmeu, il
bat et brouille l’eau, pour
und’autres pescheurs.
La liaison & contexture de
cette monarchie & ce grand bastiment, ayant esté desmis &
dissout, notamment sur ses vieux ans, par elle, donne tāttant qu’on
veut d’ouuertureouverture, & d’entrée à pareilles iniuresinjures. ⁁
⁁
: regum enim maiestas
difficilius ab summo
fastigio ad medium
detrahitur, quam a
medijs ad ima praecipitatur
La maiestemajeste Royalle
dict un antien s’aualeavale
plus difficilemant du
sommet au milieu qu’elle
ne se precipite du milieu à
fons. Mais si les inuantursinvanturs sont
plus domageables les imitaturs
sont ⁁ ⁁ plus uitieusvitieus de se ietterjetter en des
examples desquels ils ont senti
et reconupuny l’horrur et le mal. Et s’il y
a quelque degrè d’honur mesmes au
malfaire ceuscy doiuentdoivent aus autres
la gloire de l’inuantioninvantion et le corage du
premier effort.
Toutes sortes
de nouuellenouvelle desbauche puisent ⁁ ⁁ hureusemant en cette premiere & foeconde
source, les images & patrons à troubler nostre police. On lict
en nos loix mesmes, faites pour le remede de ce premier mal,
l’aprentissage & l’excuse de toutes sortes de mauuaisesmauvaises entre-
prises: &Et nous aduientadvient, ce que Thucidides dict des guerres ci-
uilesci-
viles de son tēpstemps, qu’en faueurfaveur des vices publiques, on les bat-
tisoit de mots nouueauxnouveaux plus doux, pour leur excuse, abastar-
dissant & amolissant leurs vrais titres. C’est pourtant, pour re-
former nos consciences & nos creances,. hHonesta oratio est. Mais
le meilleur tiltrepraetexte de nouuelleténouvelleté est tres-dangereux.⁁
⁁ : adeo nihil motum
ex antiquo probabile
est.
Si me sem-
ble-il, a le dire franchement, qu’il y a grand amour de soy &
presomption, d’estimer ses opinions iusquejusque-là, que pour les
L ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
establir, il faille renuerserrenverser vneune paix publique, & introduire
tant de maux ineuitablesinevitables, & vneune si horrible corruption de
meurs que les guerres ciuilesciviles apportent, & les mutations
d’estat, en chose de tel poixs: & les introduire en son pays
propre. ⁁
Montaigne a écrit le premier mot "Est" et dicté à Marie de Gournay la suite jusqu’à "cognoissance?"
⁁ Est ce pas mal
mesnagé d’aduenceradvencer
tant de uicesvices certains
et cognus, pour
combatre des erreurs
contestees et debatables.
Est il quelque pire
espece de uicesvices, que
ceux qui choquent
la propre consciance,
et naturelle cognoissance?
sance? Le senat osa
doner en paiemant
cette desfaicte sur le
differant d’entre luy et
le peuple, touchantpour le
ministere de leur religion
que cela touchoit les
dieus plus qu’eus, qui
aroint asses leuill’euil que
leur seruiceservice ne fut pollu.
Ad deos id magis quam
ad se pertinere: ipsos
uisuros ne sacra sua pollu
antur
Ad Deos id magis quam ad se pertinere
ipsos uisuros ne sacra sua polluantur
conformeement a ce que respondit loraclel’oracle
à ceus de delphes en la guere Medoise
creignans l’inuasioninvasion des Perses ils
demandarent au Dieu ce qu’ils auointavoint
à faire des thresors sacrez de son te
temple ou les cacher ou les emporter.
Il leur respondit qu’ils ne bougeassent rien
qu’ils se souignassent d’eus: qu’il estoit suffisātsuffisant
pour pouruoirpourvoir a ce qui luy estoit propre.
La religion Chrestienne à toutes les marques d’ex-
treme iusticejustice & vtilitéutilité: mais nulle siplus apparente, que l’exa-
cte recommandation de l’obeissance du Magistrat, & ma-
nutention des polices. Quel merueilleuxmerveilleux exemple nous en
à laissé la sapience diuinedivine, qui pour establir le salut du gen-
re humain, & conduire cette sienne glorieuse victoire con-
tre la mort & le peché, ne l’a voulu faire qu’à la mercy de
nostre ordre politique: & a soubmis son progrez, & la con-
duicte d’vnun si haut effect & si salutaire, à l’aueuglementaveuglement
& iniusticeinjustice de nos obseruationsobservations & vsancesusances: y laissant cou-
rir le sang mesme innocent, de tant d’esleuz ses fauorizfavoriz, &
souffrant vneune longue perte d’anneees à meurir ce fruict in-
estimable. Il y à grand à dire, entre la cause de celuy qui
suyt les formes & les loix de son pays, & celuy qui entre-
prend de les regenter & changer. Celuy là allegue pour
son excuse la simplicité l’obeissance & l’exemple: quoy qu’il
face, ce ne peut estre malice, c’est pour le plus malheur. ⁁
⁁ Quis est
enim quem
non moueat
clarissimis
monumentis
testata con
signataque
antiquitas.
Outre ce que
dict Isocrates
que la defec=
tuosite a plus
de part a la
moderation
que n’a lexcesl’exces.
L’autre est en bien plus rude party. ⁁
R.A. Sayce et V. Maskell dans A Descriptive Bibliography of Montaigne’s Essais p.29 en 1983 et avant eux A. Salles dans son article "Dans la librairie de Montaigne", BSAM 1939 signalent que cette addition n’apparait pas dans un certain nombre d’exemplaires de 1595, dont celui actuellement en ligne sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes.
Le compositeur a dans un premier temps omis ces lignes. Pour réparer cette erreur, les pages 63 et 64 ont été recomposées en cours de tirage dans une typographie très serrée en y intégrant les vingt-quatre lignes omises.
⁁ Car qui se mesle de
choisir et de changer
usurpe l’authorite de
iugerjuger et se doit faire
fort ou il est un fol de
voir la faute et le uicevice
de ce qu’il chasse et le
bien de ce qu’il introduit
Cette si clere et naturelleuulguerevulguere
consideration m’a fermi
en mon siege: et tenu ma
ieunessejeunesse mesme plus teme=
rere, en bride: de ne me
charger lmes espaules d’un
si lourd poisfais que de me
rendre respondant
d’une si haute sciance
de telle hautur et impor=
tance et oser en cetecy
ce qu’en sein iugemantjugemant ieje
ne pourrois oser en la plus
facile de celles aus quelles
on m’auoitavoit instruit et aus quesslles la temerite de iugerjuger est de nul preiudiceprejudice. Me semblant tresinique
de uouloirvouloir sousmettre les constitutions et obseruancesobservances publiques & immobiles a l’instabilité d’une priueeprivee
fantasie. La raison priueeprivee n’a qu’une iurisdictionjurisdiction priueeprivee. Et entreprandre sur les loix diuinesdivines ce que nulle
iusticejustice ne supporteroit aus ciuilesciviles Ausquelles encore que n l’humaine raison aye beaucoup plus de commerce si
sont elles souuereinemantsouvereinemant iugesjuges de leurs iugesjuges et l’extreme suffisance s’estantsert a expliquer et estandre
l’usag lusagel’usage qui en est receu non a le destourner et corrompreinnouerinnover. Si quelque fois la prouidanceprovidance diuinedivine
a passe par dessus les regles aus quelles elle nous a necesseremant astreint ce n’est pas pour nous en dispanser
Ce sont coups de sa main diuinedivine qu’il nous faut non pas imiter mais admirer: et examples marquez d’un
extraordineres marquez d’un exprez et particulier adueuadveu. Du genre des miracles: qu’elle nous offre pour
tesmouignage de sa toute puissance au dessus de nos ordres & de nos forces: qu’il est folie & temeri impiete
d’essaier a represanter et que nous ne deuonsdevons pas suiuresuivre mais contempler aueqaveq estonemant. OuuragesOuvragesActes
de son personage non pas du nostre. Cotta proteste bien opportunement. Quum de religione agitur
T. Coruncanium P. Scipionem P. Scaeuolam pontifices maximos, non Zenonem aut Cleanthem aut Chrysippum sequor.
: on ne peut changer
qu’on ne iugejuge du mal qu’on laisse, & du bien qu’on prend.
Et Dieu le sçache, en nostre presente querelle, où il y a cent
articles à oster & remettre, grands & profonds articles, com-
bien ils sont, qui se puissent vanter d’auoiravoir exactement reco-
gneu les raisons & fondements de l’vnun & l’autre party. C’est
vnun nombre, si c’est nombre, qui n’auroit pas grand moyen de
nous troubler. Mais toute cette autre presse ou va elle? soubs
quel tiltrequell’enseigne se iettejette elle à quartier? Il aduientadvient de la leur, comme
des autres medecines foibles & mal appliquées: les humeurs
qu’elle vouloit purger en nous, elle les a eschaufées, exasperées
LIVRE PREMIER. 43
& aigries par le conflict, & si nous est demeuree dāsdans le corps.
Elle n’a sçeu nous purger par sa foiblesse, & nous à cependātcependant
affoiblis, en maniere que nous ne la pouuōspouvons vuider non plus,
& ne receuonsrecevons de son operation que des douleurs longues &
intestines. Si est-ce que la fortune reseruantreservant tousiourstousjours son au –
thorité au dessus de nos discours, nous presente aucunefois la
necessité si vrgenteurgente, qu’il est besoing que les loix luy facent
quelqueplace: commeeEt quand on resiste à l’accroissance d’vneune innoua-
tion qui vient par violence à s’introduire:, car de se tenir en
tout & par tout, en bride & en reigle, contre ceux qui ont la
clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peut auā-
ceravan-
cer leur dessein, qui n’ont ny loy ny ordre, que de suyuresuyvre leur
aduātageadvantage, c’est vneune dangereuse obligatiōobligation & inequalité: ⁁
⁁ Aditum nocendi
perfido praestat fides.
D’autant
d’au-
tant que la discipline ordinaire d’vnun Estat qui est en sa santé,
ne pouruoitpourvoit pas à ces accidens extraordinaires: elle presuppo-
se vnun corps qui se tient en ses principaux membres & offices,
& vnun commun consentement à son obseruationobservation & obeïssan-
ce. ⁁
⁁ L’aler legitime
est un aller froid
contreint limitepoisant et contreint. Et
n’est pas pour tenir
bon a un aller
licentieus et effrené.
On sçait qu’il est encore reproché à ces deux grands per-
sonnages OctauiusOctavius & Caton, aux guerres ciuilesciviles l’vnun de Syl-
la, l’autre de Cesar, d’auoiravoir plustost laissé encourir toutes ex-
tremitez à leur patrie, que de la secourir aux despēsdespens de ses loix,
& que de rien remuer. Car à la verité en ces dernieres necessi-
tez, où il n’y à plus que tenir, il seroit à l’auantureavanture plus sage-
ment fait, de baisser la teste, & prester vnun peu au coup, que s’a
hurtant outre la possibilité à ne rien relascher, donner occasiōoccasion
à la violance de fouler tout aux pieds: & vaudroit mieux faire
vouloir aux loix ce qu’elles peuuentpeuvent, puis qu’elles ne peuuentpeuvent
ce qu’elles veulent. Ainsi feit celuy qui ordonna qu’elles dor-
missent vint & quatre heures: &Et celuy qui remua pour
cette fois vnun iourjour du calendrier.: EeEt cet autre qui du mois de
IuinJuin fit le second May. Les Lacedemoniens mesmes, tant
religieux obseruateursobservateurs des ordonnances de leur païs, estans
L iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pressez de leur loy, qui defendoit d’eslire par deux fois Admi-
ral, vnun mesme personnage, & de l’autre part leurs affaires re-
querans de toute necessité, que Lysander print de rechef cette
charge, ils firent biēbien vnun Aracus Admiral, mais Lysander surin-
tendant de la marine. Et de mesme subtilité, vnun de leurs am-
bassadeurs, estant enuoyéenvoyé vers les Atheniens, pour obtenir le
changement de quelqu’ordonnance, & Pericles luy alleguātalleguant
qu’il estoit defendu d’oster le tableau, où vneune loy estoit vneune
fois posée, luy conseilla de le tourner seulement, d’autārautant que
cela n’estoit pas defendu. C’est ce dequoy Plutarque loüe
PhilopaemēPhilopaemenPhilopoemen, qu’estant né pour commander, il sçauoitsçavoit nōnon seu-
lement commander selon les loix, mais aux loix mesme, quādquand
la necessité publique le requeroit.
DiuersDivers euenemensevenemens de mesme Conseil.
CHAP. XXIIII.
IAQVESJAQUES Amiot, grand Aumosnier de France, me re-
cita vnun iourjour cette Histoire à l’hōneurhonneur d’vnun Prince des
nostres (& nostre estoit-il à tres-bonnes enseignes, en-
core que son origine fut estrangere) que durant nos premiers
troubles au siege de Roüan, ce Prince ayant esté aduertiadverti par
la Royne mere du Roy d’vneune entreprinse, qu’on faisoit sur sa
vie, & instruit particulierement par ses lettres de celuy qui la
deuoitdevoit conduire à chef, qui estoit vnun gētilgentil’homme AngeuinAngevin
ou Manceau, frequentant lors ordinairemētordinairement pour cet effect
la maison de ce Prince: il ne cōmuniquacommuniqua à personne cet ad-
uertissementad-
vertissement: mais se promenant l’endemain au mont saincte
Catherine, d’où se faisoit nostre baterie à Roüan (car c’estoit
au temps que nous la tenions assiegée) ayant à ses costez ledit
Seigneur grand Aumosnier & vnun autre EuesqueEvesque, il aperçeut
ce gentil’homme, qui luy auoitavoit esté remarqué, & le fit appel-
ler. Comme il fut en sa presence, il luy dict ainsi, le voiātvoiant desiadesja
LIVRE PREMIER. 44
pallir & fremir des alarmes de sa conscience: Monsieur de tel
lieu, vous vous doutez bien de ce que ieje vous veux, & vostre
visage le montre, vous n’auezavez rien à me cacher, car ieje suis in-
struict de vostre affaire si auantavant, que vous ne feriez qu’empi-
rer vostre marché d’essayer à le couurircouvrir. Vous sçauezsçavez bien tel-
le chose & telle (qui estoyent les tenāstenans & aboutissans des plus
secretes pieces de cette menée) ne faillez sur vostre vie à me
confesser la verité de tout ce dessein. Quand ce pauurepauvre hōmehomme
se trouuatrouva pris & conuaincuconvaincu (car le tout auoitavoit esté descouuertdescouvert
à la Royne par l’vnun des complisses) il n’eust qu’à ioindrejoindre les
mains & requerir la grace & misericorde de ce Prince, aux
pieds duquel il se voulut ietterjetter, mais il l’en garda, suyuantsuyvant ain-
si son propos: Venez ça, vous ay-ieje autres-fois fait desplaisir?
ay-ieje offencé quelqu’vnun des vostres par haine particuliere? Il
n’y à pas trois semaines que ieje vous congnois, qu’elle raison
vous à peu mouuoirmouvoir à entreprēdreentreprendre ma mort? Le gentil’hom-
me respondit à cela d’vneune voix tremblante, que ce n’estoit au-
cune occasion particuliere qu’il en eust, mais l’interest de la
cause generale de son party: & qu’aucūsaucuns luy auoyentavoyent persua-
dé que ce seroit vneune execution pleine de pieté, d’extirper en
quelque maniere que ce fut, vnun si puissant ennemy de leur re-
ligion. Or suyuitsuyvit ce Prince, ieje vous veux montrer, combiēcombien la
religion que ieje tiēstiens est plus douce, que celle dequoy vous fai-
ctes profession. La vostre vous à conseillé de me tuer sans
m’ouir, n’ayant receu de moy aucune offence, & la miēnemienne me
commande, que ieje vous pardonne, tout conuaincuconvaincu que vous
estes de m’auoiravoir voulu homicider sans raison, Allez vous en,
retirez vous, que ieje ne vous voye plus icy, & si vous estes sage,
prenez doresnauantdoresnavant en voz entreprinses des conseillers plus
gens de bien que ceux la. L’Empereur Auguste estant en la
Gaule reçeut certain aduertissementadvertissement d’vneune coniurationconjuration que
luy brassoit Lucius Cinna,: il delibera de s’en venger, & mādamanda
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pour c’estcet effect au lendemain le Conseil de ses amis: mais la
nuict d’entredeux il la passa auecavec grande inquietude, conside-
rant qu’il auoitavoit à faire mourir vnun ieunejeune homme de bōnebonne mai-
son, & nepueunepveu du grand Pompeius: & produisoit en se plei-
gnant plusieurs diuersdivers discours. Quoy donq, faisoit-il, sera il
dict que ieje demeureray en crainte & en alarme, & que ieje lair-
ray mon meurtrier se promener cepēdantcependant à son ayse? S’en ira
il quitte ayant assailly ma teste, que ij’ay sauuéesauvée de tāttant de guer-
res ciuilesciviles, de tant de batailles, par mer & par terre? & apres
auoiravoir estably la paix vniuerselleuniverselle du monde, sera il absouz ayātayant
deliberé non de me meurtrir seulement, mais de me sacrifier?
Car la coniurationconjuration estoit faicte de le tuer, cōmecomme il feroit quel-
que sacrifice. Apres cela s’estant tenu coy quelque espace de
temps, il recommençoit d’vneune vois plus forte, & s’en prenoit
à soy-mesme. Pourquoy vis tu, s’il importe à tāttant de gēsgens que tu
meures? n’y aura-il point de fin à tes vengeācesvengeances & à tes cruau-
tez? Ta vie vaut elle que tant de dommage se face pour la cō-
seruercon-
server? LiuiaLivia sa femme le sentant en ces angoisses: & les cōseilsconseils
des femmes y seront ils receuz, luy fit elle? fais ce que font les
medecins, quand les receptes accoustumées ne peuuētpeuvent seruirservir,
ils en essayent de contraires. Par seueritéseverité tu n’as iusquesjusques à cet-
te heure riērien profité: Lepidus à suiuysuivy Saluidienus, Murena Le-
pidus, Caepio Murena, Egnatius Caepio.: Ccommence à expe-
rimenter comment te succederont la douceur & la clemēceclemence.:
Cinna est conuaincuconvaincu, pardonne leyuy,: de te nuire mes-huydesormais il ne
pourra, & profitera à ta gloire. Auguste fut bien ayse d’auoiravoir
trouuétrouvé vnun AduocatAdvocat de son humeur, & ayant remercié sa fem-
me & contremandé ses amis, qu’il auoitavoit assignez au Conseil,
commādacommanda qu’on fit venir à luy Cinna tout seul: & ayant fait
sortir tout le monde de sa chambre & fait donner vnun siege à
Cinna, il luy parla en cette maniere. En premier lieu ieje te de-
mande Cinna, paisible audience. N’interrons pas mon parler,
ieje te
LIVRE PREMIER. 45
ieje te doneray temps & loisir d’y respondre. Tu sçais Cinna que
t’ayant pris au camp de mes ennemis, non seulement t’estant
faict mon ennemy, mais estātestant né tel, ieje te sauuaysauvay, ieje te mis en-
tre mains tous tes biens, & t’ay en fin rendu si accommodé
& si aisé, que les victorieux sont enuieuxenvieux de la condition du
vaincu: l’office du sacerdoce que tu me demandas, ieje te l’ot-
troiay, l’ayant refusé à d’autres, desquels les peres auoyētavoyent tous-
iourstous-
jours combatu auecavec moy: t’ayant si fort obligé tu as entrepris
de me tuer. A quoy Cinna s’estant escrié, qu’il estoit biēbien esloi-
gné d’vneune si meschante pensée. Tu ne me tiens pas Cinna ce
que tu m’auoisavois promis, suyuitsuyvit Auguste, tu m’auoisavois asseuré
que ieje ne serois pas interrompu: ouy tu as entrepris de me
tuer, en tel lieu, tel iourjour, en telle compagnie, & de telle façon:
& le voyant transi de ces nouuellesnouvelles, & en silence, nōnon plus pour
tenir le marché de se taire, mais de la presse de sa conscience:
Pourquoy adioutaadjouta il, le fais tu? Est-ce pour estre Empereur?
Vrayement il va bien mal à la chose publique, s’il n’y à que
moy, qui t’empesche d’arriuerarriver à l’Empire. Tu ne peus pas seu-
lement deffendre ta maison, & perdis dernieremētdernierement vnun procez
par la faueurfaveur d’vnun simple libertin. Quoy, n’as tu moyēmoyen ny pou-
uoirpou-
voir en autre chose que ’à entreprendre Caesar? IeJe le quitte, s’il
n’y à que moy qui empesche tes esperācesesperances. PēsesPenses tu, que Pau-
lus, que Fabius, que les Cosse⁁⁁ens, & SeruiliēsServiliens te souffrent? & vneune
si grande trouppe de nobles, non seulement nobles de nom,
mais qui par leur vertu honorēthonorent leur noblesse? Apres plusieurs
autres propos (car il parla à luy plus de deux heures entieres)
or va, luy dit-il, ieje te donne, Cinna, la vie, à traistre & à parri-
cide, que ieje te donnay autres-fois à ennemy: que l’amitié cō-
mencecom-
mence de ce iourdjourd’huy entre nous: essayons qui de nous deux
de meilleure foy, moy t’aye donné ta vie, ou tu l’ayes receüe.
Et se despartit d’auecavec luy en cette maniere. Quelque tēpstemps apres
M
ESSAIS DE M. DE MONTA.
il luy donna le consulat, se pleignant dequoy il ne le luy auoitavoit
osé demander. Il l’eut depuis pour fort amy, & fut seul faict
par luy heritier de ses biens. Or depuis cet accidātaccidant, qui aduintadvint
à Auguste au quarantiesme an de son aage, il n’y eut iamaisjamais
de coniurationconjuration ny d’entreprinse contre luy, & receut vneune iu-
steju-
ste recompense de cette sienne clemence. Mais il n’en aduintadvint
pas de mesmes au nostre: car sa douceur ne le sceut garentir,
qu’il ne cheut depuis aux lacs de pareille trahison. Tant cetc’est
chose vaine & friuolefrivole que l’humaine prudence: & au trauerstravers
de tous nos proiectsprojects, de nos conseils & precautiōsprecautions, la fortune
maintient tousiourstousjours la possession des euenemensevenemens. Nous ap-
pellouns les medecins heureux, quand ils arriuentarrivent à quelque
bonne fin: comme s’il n’y auoitavoit que leur art, qui ne se peut
maintenir d’elle mesme, & qui eust les fondemens trop frai-
les, pour s’appuyer de sa propre force: & comme s’il n’y auoitavoit
qu’elle, qui aye besoin que le hazart & la fortune preste la
main à ses operations. IeJe croy d’elle tout le pis ou le mieux
qu’on voudra. Car nous n’auonsavons, Dieu mercy, nul cōmercecommerce
ensemble: ieje suis au rebours des autres, car ieje la mesprise bien
tousiourstousjours, mais quand ieje suis malade, au lieu d’entrer en cōpo-
sitioncompo-
sition, ieje commence encore à la haïr & à la craindre: & respōsrespons
à ceux, qui me pressent de prendre medecine, qu’ils attendent
au moins que ieje sois rendu à mes forces & à ma santé, pour a-
uoira-
voir plus de moyen de soustenir l’effort & le hazart de leur
breuuagebreuvage. IeJe laisse faire nature, & presuppose qu’elle se soit
garniepourueuepourveue de dents & de griffes, pour se deffendre des assaux qui
luy viennent, & pour maintenir cette contexture, dequoy el-
le fuit la dissolutiōdissolution: ieje crain au lieu de l’aller secourir ainsi cō-
com-
me elle est aux prises bien estroites & bien iointesjointes auecavec la ma-
ladie, qu’on secoure son aduersaireadversaire au lieu d’elle, & qu’on la
recharge de nouueauxnouveaux affaires. Or ieje dy que nōnon en la medeci-
ne, seulemētseulement: mais en plusieurs arts plus certaines la fortune y
LIVRE PREMIER. 46
à bōnebonne part. Les saillies poëtiques, qui emportētemportent leur autheur
& le rauissentravissent hors de soy, pourquoy ne les attribuerons
nous à son bon heur? puis qu’il confesse luy mesme qu’elles
surpassent sa suffisance & ses forces, & les recōnoitreconnoit venir d’ail-
leurs que de soy, & ne les auoiravoir aucunement en sa puissance:
nōnon plus que les orateurs ne disent auoiravoir en la leur ces mouue-
mensmouve-
mens & agitatiōsagitations extraordinaires, qui les poussent au delà de
leur dessein. Il en est de mesmes en la peinture, qu’il eschappe
par fois des traits de la main du peintre surpassans sa cōceptiōconception
& sa science, qui le tirent luy mesmes en admiratiōadmiration, & qui l’e-
stonnent. Mais la fortune montre biēbien encores plus euidem-
mentevidem-
ment, la part qu’elle à en tous ces ouuragesouvrages, par les graces &
beautez qui s’y treuuenttreuvent, non seulement sans l’inutentiōinvtention, mais
sans la cognoissance mesme de l’ouurierouvrier. VnUn suffisant lecteur
descouuredescouvre souuantsouvant és escrits d’autruy des perfections autres,
que celles que l’autheur y à mises & apperceües, & y preste
des sens & des visages plus riches. Quant aux entreprinses mi-
litaires, chacun void cōmentcomment la fortune y a bōnebonne part: en nos
conseils mesmes & en nos deliberations, il faut certes qu’il y
ait du sort & du bonheur meslé parmy: car tout ce que nostre
sagesse peut, ce n’est pas grādgrand chose: plus elle est aigue & viuevive,
plus elle trouuetrouve en soy de foiblesse, & se deffie d’autant plus
d’elle mesme. IeJe suis de l’aduisadvis de Sylla: & quand ieje me prens
garde de prez aux plus glorieux exploicts de la guerre, ieje voi,
ce me semble, que ceux qui les conduisent n’y employent la
deliberatiōdeliberation & le conseil, que par acquit, & que la plusmeillurepart de
l’entreprinse ils l’abandonnent à la fortune, & sur la fiance
qu’ils ont à son secours, passent a tous les coups au delà des
bornes de tout discours: il suruientsurvient des allegresses fortui-
tes & des fureurs estrangeres parmy leurs deliberations, qui
les poussent le plus souuentsouvent à prendre le party le moins fon-
dé en apparence, & qui grossissent leur courage au dessus de
M ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la raison. D’où il est aduenuadvenu à plusieurs grands Capitaines an-
ciens, pour donner credit à ces conseils temeraires, d’aleguer à
leurs gens, qu’ils y estoyent conuiezconviez par quelque inspiration,
par quelque signe & prognostique. Voyla pourquoy en cet-
te incertitude & perplexité, que nous aporte l’impuissance de
voir & choisir ce qui est le plus cōmodecommode, pour les difficultez
que les diuersdivers accidēsaccidens & circōstancescirconstances de chaque chose tirent
quātquant & elle, le plus seur, quādquand autre cōsiderationconsideration ne nous y cō-
uieroitcon-
vieroit, est à mōmon aduisadvis de se reietterrejetter au parti, où il y à plus d’hōhon
nesteté & de iusticejustice: & puis qu’on est en doute du plus court
chemin, tenir tousiourstousjours le droit. CōmeComme en ces deux exemples,
que ieje vien de proposer, il n’y à point de doubte, qu’il ne fut
plus beau & plus genereux à celuy qui auoitavoit receu l’offēceoffence de
la pardōnerpardonner, que s’il eust fait autremētautrement. S’il en est mes-aduenuadvenu
au premier, il ne s’en faut pas prēdreprendre à ce sien bōbon dessein, & ne
sçait on, quand il eust pris le party cōtrairecontraire, s’il eust eschapé la
fin, à laquelle son destin l’appeloit, & si eust perdu la gloire
d’vneune si notable bonté. Il se void dans les histoires, force gens
en cette crainte, d’où la plus part ont suiuisuivi le chemin de courir
au deuantdevant des cōiurationsconjurations, qu’on faisoit cōtrcontr’eux, par vengeā-
cevengean-
ce & par supplices: mais ij’en voy fort peu ausquels ce remede
ait seruyservy, tesmoing tant d’Empereurs Romains. Celuy, qui se
trouuetrouve en ce dangier, ne doibt pas beaucoup esperer ny de sa
force, ny de sa vigilance. Car combien est-il mal aisé de se ga-
rentir d’vnun ennemy, qui est couuertcouvert du visage du plus offi-
cieux amy que nous ayons? & de cōnoistreconnoistre les volōtezvolontez & pen-
semēspen-
semens interieurs de ceux, qui nous assistētassistent? Il à beau employer
des natiōsnations estrangieres pour sa garde, & estre tousiourstousjours ceint
d’vneune haye d’hōmeshommes armez: quiconque aura sa vie à mespris,
se rendra tousiourstousjours maistre de celle d’autruy. Et puis ce con-
tinuel soupçon, cette deffiance, qui met le Prince en doute
de tout le monde, luy doit seruirservir d’vnun merueilleuxmerveilleux tourmēttourment.
LIVRE PREMIER. 47
Pourtant Dion estant aduertyadverty que Callipus espioit les moyēsmoyens
de le faire mourir, n’eust iamaisjamais le coeur d’en informer, disant
qu’il aymoit mieux mourir que viurevivre en cette misere, d’auoiravoir
à se garder non de ses ennemys seulement, mais aussi de ses
amis. Ce qu’Alexandre representa bien plus viuementvivement par ef-
fect, & plus courageusementroiddement, quand ayant eu aduisadvis par vneune
lettre de Parmenion, que Philippus son plus cher medecin
estoit corrompu par l’argent de Darius pour l’empoisonner,
en mesme temps qu’il donnoit a lire sa lettre à Philippus, il
aualaavala le bruuagebruvage qu’il luy auoitavoit presenté. Fut ce pas exprimer
cesttte resolution, que si ses amys le vouloi⁁⁁nt tuer, il consentoit
qu’ils le peussent faire? La vaillance n’est pas seulement à la
guerre:. cCe prince est le souuerainsouverain patrōpatron des actes hazardeux:
mais ieje ne sçay s’il y a traict en sa vie, qui ayt plus de fermeté
q̄que cestuy-cy, ny vneune beauté illustre par tāttant de visages. Ceux qui
preschētpreschent aux princes le soubçōsoubçon & la deffiācedeffiance si attētiueattentive, soubs
couleur de leur prescher leur seurté, leur preschent leur ruyne
& leur honte. Rien de noble ne se faict sans hazard. IeJeIJ’en sçay vnun
grandde corage tres martial de sa complexion, et hasardeusentreprenant, de qui tous les ioursjours on corrompt la bōnebonne fortune par
telles persuasions,: qQu’il se resserre entre les siens, qu’il n’entēdeentende
à aucune reconciliation de ses anciens ennemys, se tienne à
part, & ne se commette entre mains plus fortes, quelque pro-
messe qu’on luy face, quelque vtilitéutilité qu’il y voye. ⁁
Les trois premiers mots sont de la main de Montaigne et la suite de Marie de Gournay écrivant sous sa dictée.
⁁ IJ’en sçai un autre grand, qui a inesperément
aduencéadvencé sa fortune, pour auoiravoir une fois et
deux, pris conseil tout contraire. La hardiesse,
dequoy ilz cherchent si auidementavidement la gloire,
se represante quant il est besoin, aussy
magnifiquement en pourpoinct qu’en armes,
en un cabinet qu’en un camp, le bras
pendant que le bras leuélevé.
La pruden-
ce si tendre & circonspecte, est mortelle ennemye de hautes
executions. ⁁
⁁ Annibal fut mort rauagentantravagentant l’italie
si Scipion n’eut sceut pour pratiquer la uolantévolanté
de Syphax, quitant son armee, et abandonātabandonant l’hespaigne
doubteuse encores sous la nouuellenouvelle conqueste, passer en
Aphrique dans deus simples uesseausvesseaus pour se commettre en
terre enemie, ena la puissance d’un Roy barbare, a une foi inconue,
sans obligation, sans hostage, sous la sule surete de la grandur
de son propre corage, & de son bonheur, et de la promesse de ses
hautes esperances: habita fides ipsam plerumque fidem obligat.
A vneune vie royalleambitieuse & fameuse, il faut au rebours,
prester peu, & porter la bride courte aux soubçons: la crainte
& la deffiance attirent l’offence & la conuientconvient. Le plus def-
fiant de nos Roys, establit ses affaires, principallement pour
auoiravoir volontairement abandonné & commis sa vie, & sa li-
berté, entre les mains de ses ennemis, monstrant auoiravoir entiere
fiance d’eux, affin qu’ils la prinsent de luy. A ses legions muti-
nées & armées contre luy, Caesar opposoit seulemētseulement l’autho-
M iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
rité de son visage, & ⁁ ⁁ la fierté de ses paroles,: & se fioit tant à soy & à sa
fortune, qu’il ne craingnoit point de l’abandonner & cōmet-
trecommet-
tre à vneune armée seditieuse & rebelle.⁁
⁁ Stetit aggere fulti
Cespitis, intrepidus uultu, meruitque timeri
Nil metuens.
Mais il est bien vray, que
cette forte asseurance, ne se peut representer bien entiere, &
naifuenaifve, que par ceux ausquels l’imagination de la mort, & du
pis qui peut adueniradvenir apres tout, ne donne point d’effroy: car
de la presenter tremblante, encore doubteuse & incertaine,
pour le seruiceservice d’vneune importante reconciliation, ce n’est rien
faire qui vaille:. cC’est vnun excellent moyen de gaigner le coeur
& volonté d’autruy, de s’y aller soubsmettre & fier, pourueupourveu
que ce soit libremētlibrement, & sans contrainte d’aucune necessité, &
que ce soit en conditiōcondition, qu’ōon y porte vneune fiācefiance pure & nette, le
frōtfront aumoins deschargé de tout scrupule. IeJe vis en mōmon enfan-
ce, vnun Gentil-homme commandant à vneune grande prouinceprovinceuilleville,
empressé à l’esmotion d’vnun peuple furieux: pPour esteindre ce
commencement de trouble, il print party de sortir d’vnun lieu
tres-asseuré où il estoit:, & se rēdrerendre à cette tourbe mutine: d’où
mal luy print, & y fut miserablement tué:. mMais il ne me sem-
ble pas que sa faute fut tant, d’estre sorty, ainsi qu’ordinaire-
ment on le reproche à sa memoire, comme ce fut, d’auoiravoir pris
vneune voye de douceur, d’humilitésummission, & de mollesse: & d’auoiravoir vou
lu endormir cette rage, plustost en flatantsuiuantsuivant que commandanten guidant,
& en requerant plustost qu’en remonstrant,: & estime que ⁁ la
⁁ vneune gratieuse seue=
ritèseve=
ritè, aueqaveq un coman=
demant militere
plein d’e une gaye
securité etde confiance,
fermetéseueritéseverité, l’authorité, & vneune contenance deet parole ⁁ ⁁ comanderesse, conuenableconvenable
à son rang, & à la dignité de sa charge, luy eust mieux succedé,
aumoins auecavec plus d’honneur, & de bien-seance. Il n’est rien
moins esperable de ce monstre ainsin agité, que l’humanité &
la douceur, il receurarecevra bien plustost la reuerencereverence, & la craincte.
IeJe luy reprocherois aussi, qu’ayant pris vneune si hazardeuse &
belle resolutiōresolution,⁁
⁁ plus ⁁ ⁁ tost brauebrave a mon
gre, que temerere,
de se ietterjetter foible & en pourpoint, emmy cet-
te mer tempestueuse d’hommes insensez, il la deuoitdevoit aualleravaller
entieretoute, & n’abandonner sa constancece personage: lLa où il luy aduintadvint apres
LIVRE PREMIER. 48
auoiravoir recogneu le danger de pres, de ⁁
⁁ seigner du nez: et d’alterer encore depuis cette contenance démise & flatteuse
qu’il auoitavoit entreprinse, en une contenance effraïee: chargeant sa uoixvoix et ses yeus
destonemantd’estonemant et de paenitance:. cCherchant a coniller et se desrober, il les
enflamma & appela sur soi.
se rēplirremplir l’ame & le front
de repentance ⁁ ⁁ et d’effrai, n’ayant plus autre soing que de sa conserua-
tionconserva-
tion: si qu’abandonnant son premier rolleoffice de regler & guider,
& cedant plustost que s’opposant, il attiraapela cet orage sur soy,
employant ⁁ ⁁ inconsidereement tous moyens de le fuyr & eschaper. On deliberoit
de faire vneune montre generalle de diuersesdiverses trouppes en armes,
(c’est le lieu des vengeances secretes, & n’en est point ou, en
plus grande seurté on les puisse exercer) Il y auoitavoit publiques
et notoires apparēcesapparences, qu’il n’y faisoit pas fort bōbon pour aucuns,
ausquels touchoit la principalle & necessaire charge de les re-
cognoistre. Il s’y proposa plusieurs & diuersdivers conseils, comme
en chose difficile, & qui auoitavoit beaucoup de poids & de suyte:
le mien fut, qu’on euitastevitast sur tout de donner aucun tesmoi-
gnage de ce doubte, & qu’on s’y trouuasttrouvast & meslast parmy les
files, la teste droicte, & le visage ouuertouvert, & qu’au lieu d’en re-
trācherre-
trancher aucune chose (à quoy les autres opiniōsopinions visoyētvisoyent le plus)
qu’au cōtrairecontraire, on sollicitast les capitaines d’aduertiradvertir les soldats
de faire leurs salues belles & gaillardes en l’honneur des assi-
stans, & n’espargner leur poudre. Cela seruitservit de gratification
enuersenvers ces troupes suspectes, & nous engendra dés lors en
auātavant vneune mutuelle & vtileutile cōfidenceconfidence. La voye qu’y tint IuliusJulius
Caesar, ieje trouuetrouve q̄que c’est la plus belle, qu’on y puisse prēdreprendre. Pre-
mierement il essaya par clemence & douceur, à se faire aymer
de ses ennemis mesmes, se contentant aux coniurationsconjurations, qui
luy estoient descouuertesdescouvertes, de declarer simplement qu’il en e-
stoit aduertyadverty: cela faict, il print vneune tres-noble resolutiōresolution, d’at-
tendre sans effroy & sans solicitude, ce qui luy en pourroit ad-
uenirad-
venir, s’abandonnātabandonnant & se remettātremettant à la garde des dieux & de la
fortune.: Ccar certainement c’est l’estat où il estoit quand il fut
tué. VnUn estrāgerestranger ayātayant dict & publié par tout, qu’il pourroit in-
struire Dionysius Tyran de Syracuse, d’vnun moyen de sentir &
descouurirdescouvrir en toute certitude, les parties que ses subietssubjets ma-
ESSAIS DE M. DE MONT.
chineroyent contre luy, s’il luy vouloit donner vneune bōnebonne pie-
ce d’argent, Dionysius en estant aduertyadverty, le fit appeller à soy,
pour l’esclarcir d’vnun art si necessaire à sa conseruationconservation: cet
estrangier, luy dict, qu’il n’y auoitavoit pas d’autre art, sinon qu’il
luy fit deliurerdelivrer vnun talent, & se ventast d’auoiravoir apris de luy vnun
singulier secret. Dionysius trouuatrouva cette inuentioninvention bonne, &
luy fit compter six cens escus. Il n’estoit pas vray-sembla-
ble, qu’il eust donné si grande somme à vnun homme incogneu,
qu’en recompense d’vnun tres-vtileutile aprentissage, & seruoitservoit cette
reputation à tenir ses ennemis en crainte. Pourtant les Prin-
ces sagement publient les aduisadvis qu’ils reçoiuentreçoivent des menées
qu’on dresse contre leur vie, pour faire croire qu’ils sont bien
aduertisadvertis, & qu’il ne se peut rien entreprendre dequoy ils ne
sentent le vent. ⁁
⁁ Le duc d’Athenes fit
plusieurs sottises en la
l’establissement de sa
fresche tirannie sur
Florence: mais cete ci la
plus notable qu’estant
ayant receu le premier
aduisadvis des monopoles que
ce peuple dressoit contre
luy par Matteo di Morozo
complice d’icelles il le fit
mourir pour supprimer cet
aduertissementadvertissement et ne faire
sentir qu’aucun ⁁ en la uilleville se peut
enuïer de son iustejuste
gouuernementgouvernement.
Il me souuientsouvient d’auoiravoir leu autrefois l’histoire
de quelque Romain, personnage de dignité, lequel fuyant la
tyrannie du Triumuirat, auoitavoit eschappé mille fois les mains
de ceux, qui le poursuiuoyētpoursuivoyent, par la subtilité de ses inuētionsinventions:
Il aduintadvint vnun iourjour, qu’vneune troupe de gens de cheualcheval, qui auoitavoit
charge de le prendre, passa tout ioignantjoignant vnun halier, où il s’e-
stoit tapy, & faillit de le descouurirdescouvrir: mais luy sur ce point là,
considerant la peine & les difficultez, ausquelles il auoitavoit desiadesja
si long temps duré, pour se sauuersauver des continuelles & curieu-
ses recherches, qu’on faisoit de luy par tout, le peu de plaisir
qu’il pouuoitpouvoit esperer d’vneune telle vie, & combien il luy valoit
mieux de passer vneune fois le pas, que de demeurer tousiourstousjours en
cestte transe, luy mesme les r’apella & leur trahit sa cachete, s’a-
bandonnant volontairement à leur cruauté, pour oster eux
& luy d’vneune plus longue peine. D’appeller les mains enne-
mies, c’est vnun cōseilconseil vnun peu gaillard & hardy:, si croy-ieje, qu’en-
core vaudroit-il mieux le prendre, que de demeurer en la fie-
urefie-
vre continuelle d’vnun accident, qui n’a point de remede:. mMais
puisque les prouisionsprovisions qu’on y peut aporter sont pleines d’in-
quie-
LIVRE PREMIER. 49
quietude, de tourment & d’incertitude, il vaut mieux d’vneune
belle asseurance se preparer à tout ce qui en pourra adueniradvenir, &
tirer quelque consolation de ce qu’on n’est pas asseuré qu’il
aduienneadvienne.
Du pedantisme. CHAP. XXV.
IEJE me suis souuentsouvent despité en mon enfance, de voir és
comedies Italiennes, tousiourstousjours vnun pedātepedante pour badin,
&Et le surnom de magister, n’auoitavoit guiere plus honora-
ble signification parmy nous. Car leur estant donné en gou-
uernemētgou-
vernement & en garde, que pouuoispouvois-ieje moins faire que d’estre
ialousjalous de leur reputatiōreputation? IeJe cherchois biēbien de les excuser par la
discōuenancedisconvenance naturelle qu’il y a entre le vulgaire, & les persō-
nesperson-
nes rares & excellentes en iugementjugement, & en sçauoirsçavoir: dD’autant
qu’ils vont vnun train entierement contraire les vnsuns des autres.
Mais en cecy perdois ieje mon latin, que les plus galans hom-
mes c’estoient ceux qui les auoyētavoyent le plus à mespris, tesmoing
nostre bon du Bellay.
Mais ieje hay par sur tout vnun sçauoirsçavoir pedantesque.
Et est cette coustume ancienne: cCar Plutarque dit que Grec &
escholier, estoient mots de reproche entre les Romains, & de
mespris. Depuis auecavec l’eage ij’ay trouuétrouvé qu’on auoitavoit vneune gran-
dissime raison, & que magis magnos clericos, nōnon sunt magis magnos
sapientes. Mais d’où il puisse adueniradvenir qu’vneune ame garnieriche de la
cōnoissanceconnoissance de tant de choses, n’en deuiennedevienne pas plus viuevive, &
plus esueilléeesveillée, &Et qu’vnun esprit grossier & vulgaire puisse loger
en soy, sans s’amender, les discours & les iugemensjugemens des plus
excellens esprits, que le monde ait porté, ij’en suis encore en
doute. A receuoirrecevoir tant de ceruellescervelles estrangeres, & si fortes, &
si grandes, il est necessaire (me disoit vneune fille, la premiere de
nos Princesses, parlant de quelqu’vnun) que la sienne se foule, se
contraingne & rapetisse, pour faire place aux autres. IeJe dirois
N
ESSAIS DE M. DE MONTA.
volontiers, que comme les plantes s’estouffent de trop d’hu-
meur,⁁ ⁁ et les lampes de trop d’huile aussi l’action de l’esprit par trop d’estude, & que l’ameet de matiere. Lequel
saisie & embarassée de tant de’une grande diuersitédiversité de choses, perde le
moyen de se desmesler,. &Et que cette grande charge lae tienne
comme courbe & croupie. ⁁
⁁ Tout ainsi que les lampes
qui ne peuuentpeuvent esclarer
estoufees de trop de huile.
Ne plus ne moins que nous
uoionsvoions les lampes ne nous
pouuoirpouvoir esl esclarer suffo=
quees de trop de huile.
Mais il en va autrement, car nostre
ame s’eslargit d’autant plus qu’elle se remplit, &Et aux exemples
des vieux temps, il se voit tout au rebours, que les plusdes suffi-
sans hommes aux maniemens des choses publiques, les plusdes
grands capitaines, & les meilleursgrands conseillers aux affaires d’e-
stat, ontauoiravoir esté ensemble les plustres sçauanssçavans. Et quant aux philoso-
phes retirez de toute occupation publique, ils ont esté aussi
quelque fois à la verité mesprisez, par la liberté Comique de
leur temps: ⁁
⁁ leurs opinions & façons les rendans ridicules.
ce quecome la chamberiere reprochoit a Thales qu’il ignoroit ce qui estoit a ses pieds. Les uoulesvoules uousvous faire iugesjuges des droits d’un
proces des actions d’un home. Ils en sont bien pretz. Ils cherchētcherchent encores s’il y a uievie s’il y a mouuementmouvement si l’home est autre chose qu’un
boeuf que c’est qu’agir et souffrir. Quelles gensbestes se sont que loix & iusticejustice. Parlent ils du magistrat ou parlent ils a luy c’est
d’une liberte insupportableirreuerenteirreverente et inciuilleinciville OitOyētOyent ils louer leur prince ou un roy c’est un pastre pour luyeus oisif come un pastre: etoccupe a pressurātanter et
come un pastre sauf qu’un peutondātantre ses bestes: mais bien plus rudement qu’un pastre ses bestesqu’un pastrequ’un pastre. En estimes uousvous quelqun plus grand pour posseder deus mille
arpans de terre ils estimētestimenteus present cela riens’en moquent,
accostumez d’embrasser tout le
monde come leur possession.
uousvous uantesvantes uousvous de uostrevostre
noblesse pour cōterconter sept ayeuls
riches: ils uousvous estiment en rien de
sot et ne rienpeu: ne conceuantconcevant de grand
regardant pas a limagel’image uniuer=
selleuniver=
selle de nature: et combien chacūchacun
de nous a eu de predecessurs
riches pourespovres roys ualetsvalets grecs
et barbares. Et quand uousvous
series ni cinquātiemecinquantieme
descendant de Hercules ils uousvous
trouuēttrouvent uainvain de faire ualoirvaloir
ce presant de la fortune.
Ainsi les desdeignoit le
vulguere come ignorans desles
premieres choses et communes
& come presomptueus et
insolens. come Mais cette
peinture Platonique est bien
eslouignee de celle qu’il faut
à nos gens. On enuioitenvioit ceus la
comme estant libres et oisifs
mais au rebours des nostres: car on enuioitenvioit ceux-
là, comme estans au dessus de la commune façon, cōmecomme mes-
prisans les actions publiques, comme ayāsayans dressé vneune vie par-
ticuliere & inimitable, reglée à certains discours hautains &
hors d’vsageusage: cCeux-cy on les desdeigne,⁁ ⁁ come serfs trescome homes uenausvenaus et affaireus comme estans au des-
soubs de la commune façon, comme incapables des charges
publiques, comme trainans vneune vie & des meurs basses & vi-
les apres le vulgaire. ⁁
VersCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ Odi homines ignaua
opera, philosofa sententia.
Quant à ces philosophes, dis-ieje, comme
ils estoient grands en science, ils estoient encore plus grādsgrands en
tout’autre perfection & excellanceaction. Et tout ainsi qu’on dit de
ce Geometrien de Siracuse, lequel ayant esté destourné de sa
contemplation, pour en mettre quelque chose en practique, à
la deffence de sa patrieson païs, qu’il mit soudain en train des engins
espouuantablesespouvantables, & des effets surpassans toute creance humai-
ne: desdaignant toutefois luy mesme toute cestte siēnesienne manu-
facture,: & pensant en cela, auoiravoir corrompu & gasté la dignité
de son art, de laquelle ses ouuragesouvrages n’estoient que l’aprentissa-
ge & le iouetjouet. Aussi eux, si quelquefois on les a mis à la preuuepreuve
de l’action, on les à veu voler d’vneune aisle si haute, qu’il pa-
roissoit bien leur coeur, & leur ame, s’estre merueilleusementmerveilleusement
LIVRE PREMIER. 50
grossie & enrichie par l’intelligence des choses. Mais ⁁
⁁ aucuns uoïantvoïant les se la
place du gouuernemētgouvernement
politique sesie par homes
incapables s’en sont reculés
et celuy qui demanda
a Crates combie iusquesjusques a
quant il faudroit philosopher
en receut cette responce:
iusquesjusques a teant que ce ne
soint plus des asniers qui
conduisent nos armees.
d’autres aïant et Hera=
clitusHeraclytus resigna la royaute à
son frere: eEt aus Ephesiens qui
luy reprochoint dea quoi il
passoit son temps a iouerjouer
aueqaveq les enfans deuātdevant le
temple: Vaut il pas mieux
faire ceciy que gouuernergouverner les
affaires en uostrevostre cōpaigniecompaignie
D’autres aïant
leurs
imaginations logées au dessus de la fortune & du mōdemonde, leur
faisoient trouuertrouvertrouuerenttrouverent les sieges de la iusticejustice, & les thrones mesmes
des Roys, bas & viles. ⁁
⁁ et refusa
Empedocles
la Royaute que
les Agrigentins
luy offrirent.
VnUn d’entr’eux, Thales, accusant quelque
fois le soing du mesnage & de s’enrichir, on luy reprocha que
c’estoit à la mode du renard, pour n’y pouuoirpouvoir adueniradvenir. Il luy
print enuieenvie par passetemps d’en montrer l’experience, & ayātayant
pour ce coup raualéravalé son sçauoirsçavoir au seruiceservice du proffit & du
gain, dressa vneune trafique, qui dans vnun an rapporta telles riches-
ses, qu’à peine en toute leur vie, les plus experimētezexperimentez de ce me-
stier là, en pouuoientpouvoient faire de pareilles. ⁁
⁁ Ce qu’Aristote ⁁ recite d’aucuns qui apelleoītapelleoint et et
celuy la et Anaxagoras et
leurs semblables sages plu et
non prudans pour n’auoiravoir
asses de soin des leur profitchoses plus utiles
outre ce que ieje ne digére pas
bien cette differance de mots
cela ne sert point d’excuse à
mes gens: et a uoirvoir la basse
et necessiteuse fortune de
quoi ils se païent, nous
arions plustost occasion de
dire quilsqu’ils ne sont ny sagesprononcer
tous les deus, qu’ilils sont & non saiges &
non prudans.
Par ainsi ieje quitte cetteIeJe quitte cette premiere
raison, & croy qu’il vaut mieux dire, que cela viēnevienne à nos mai-
stres d’escoleque ce mal leur uieneviene de leur mauuaisemauvaise façon de se prendre aux scien-
ces: &Et qu’à la mode dequoy nous sommes instruicts, il n’est
pas merueillemerveille, si ny les escholiers, ny les maistres n’en deuien-
nentdevien-
nent pas plus habiles, quoy qu’ils s’y facent plus sçauanssçavansdoctes. De
vray le soing & la despence de nos peres, ne vise qu’a nous gar-
nirmeubler la teste de science: du iugementjugement & de la vertu, nullespeu de nou-
uellesnou-
velles. ⁁
⁁ Qui criera dauantdavantCriez d’un passant
⁁ ⁁ a nostre peuple. O le
sçauantsçavant home. Et d’un
autre. O le bon homme.
Il ne faudra pas a des=
tourner les yeus et
son respet uersvers le
premier. Il y
faudroit un tiers
crieur. O les folles gens
lourdes testes.
Nous nous enquerons volontiers, sçait-il du Grec ou
du Latin? escrit-il en vers ou en prose? mais s’il est deuenudevenu meil-
leur ou plus aduiséadvisé, c’estoit le principal, & c’est ce qui demeu-
re derriere. Il falloit s’enquerir qui est mieux sçauantsçavant, non qui
est plus sçauantsçavant. Nous ne trauaillonstravaillons qu’à remplir la memoi-
re, & laissons l’entendemētentendement ⁁ ⁁ et la consciance vuide. Tout ainsi que les oyseaux
vont quelquefois à la queste du grein, & le portētportent au bec sans
le taster, pour en faire bechée à leurs petits: ainsi nos pedantes
vont pillotant la science dans les liureslivres, & ne la logent qu’au
bout de leurs léureslévres, pour la dégorger seulement, & mettre au
vētvent. ⁁
⁁ Non est loquendum
sed gubernandum.
C’est merueillemerveille combien
proprement la sottise se
loge sur mon exemple Est
ce pas faire de mesmes, ce
que ieje fois en la plus part
de cette composition IeJe
m’en uoisvois escorniflant par cy par la
des autheursliureslivres, les sentances qui me plaisent
non pour les garder, car ieje n’ay point de gardoire
mais pour les transporter en cetuicy, ou a uraivrai
dire, elles ne sont non plus mienes qu’en leur
premiere place. Nous ne somes ce crois ieje sçauantssçavants
que de la sciance presante: non de la passee: &
aussi peu ⁁ ⁁ que de la future
Mais qui pis est, leurs escholiers & leurs petits, ne s’ēen nour-
rissent & alimētentalimentent non plus,: ains elle passe de main en main,
pour cette seule fin, d’en faire parade, d’ēen entretenir autruy, &
d’en faire des contes,: cōmecomme vneune vaine monnoye inutile à tout
N ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
autre vsageusage & emploite, qu’a compter & ietterjetter. ⁁
⁁ Apud alios loqui
didicerunt, non
ipsi secum. Non
est loquendūloquendum sed
gubernandūgubernandum. Nature
pour montrer qu’il n’y a
rien de sauuagesauvage en ce qui
est conduit par elle, faict
naistre es nations moins
cultiueescultivees par art, des
productionproductions despritd’esprit souuantsouvant
qui luitent les plus artistes
productions. Come sur mon
propos le prouerbeproverbe Gascon
est il delicat: Bouha prou
bouha, mas a remuda lous
ditz qu’em. Souffler prou
souffler: mais nous en somes
à remuer les doits. tirè d’une
chalemie
Nous sçauōssçavons
dire, Cicero dit ainsi, voila l’opiniōopinionles meurs de PlatōPlaton, ce sont les mots
mesmes d’Aristote: mais nous que disons nous nous mesmes?
qu’opinons nous? que iugeonsjugeons nous?⁁ ⁁ que faisons nous? Autant en feroitdiroit bien vnun
perroquet. Cette façon me fait iustemētjustement souuenirsouvenir de ce riche
Romain, qui auoitavoit esté soigneux à fort grande despēcedespence de re-
couurerre-
couvrer des hommes suffisans en tout genre de sciences, qu’il
tenoit continuellemētcontinuellement autour de luy, affin que quādquand il escher-
roit entre ses amis quelque occasion de parler d’vneune chose ou
d’autre, ils supplissent sa place, & fussent tous prets à luy four-
nir, qui d’vnun discours, qui d’vnun vers d’Homere, chacun selon
son gibier: & pensoit ce sçauoirsçavoir estre sien, par ce qu’il estoit
en la teste de ses gēsgens: & comme font aussi ceux, desquels la suf-
fisance loge en leurs somptueuses librairies. ⁁
⁁ IJ’en conois a qui quand ieje
demande ce qu’il sçait il me
demande un liurelivre pour me le
montrer: et n’oseroit me dire
qu’il a le derriere galus s’il
ne uava sur le champ estudier en
son lexicon que c’est que galus &
derriere que c’est que derriere
Nous de mesmes,
nous prenons en garde les opinions & le sçauoirsçavoir d’autruy, &
puis c’est tout: iIl les faut faire nostres. Nous semblons propre-
ment celuy, qui ayant besoing de feu, en iroit querir chez son
voisin, & y en ayant trouuétrouvé vnun beau & grand, s’arresteroit là à
se chauffer, sans plus se souuenirsouvenir d’en raporter chez soy. Que
nous sert-il d’auoiravoir la panse pleine de viande, si elle ne se dige-
re, si elle ne se trans-forme en nous? si elle ne nous augmēteaugmente &
fortifie? Pensons nous que Lucullus, que les lettres rendirent
& formairent si grand capitaine & si aduiséadvisé, sans l’essay & sans
l’experience, les eut prises à nostre mode? Nous nous laissons
si fort aller sur les bras d’autruy, que nous aneātissonsaneantissons nos for-
ces. Me veus-ieje armer cōtrecontre la crainte de la mort: c’est aux des-
pens de Seneca. Veus-ieje tirer de la consolation pour moy, ou
pour vnun autre, ieje l’emprūteemprunte de Cicero: ijJe l’eusse prise en moy-
mesme, si on m’y eust exercé. IeJe n’ayme point cette suffisance
relatiuerelative & mendiée. Quand bien nous pourrions estre sçauāssçavans
du sçauoirsçavoir d’autruy, au moins sages ne pouuonspouvons nous estre
que de nostre propre sagesse.,
LIVRE PREMIER. 51
μισῶ σοφιστὴν, ὅστιϛ ὀυχοὐχ ἁυτῷ σόφοϛσοφόϛ.,
IJije haï, dict-il, le Sage qui n’est pas sage pour soy mesmesEx quo Ennius Nequicquam sibi sapere sapientem qui ipse sibi prodesse non quiret.,
si cupidus, si en ça cete fin de uersvers
Vanus, & Euganea quamtumuis vilior agna. ⁁
⁁ Non enim paranda nobis
solum sed fruenda sapientia
est: dict Cicero.
Dionisius se moquoit des grammai=
riens qui auointavointōtont soin de
ls’enquerir des maus d’Ulysse
et ignoroiētentnt les propres: et des
musiciens qui accordent leurs
flutes & n’accordētaccordent pas leurs
meurs: des oraturs qui estudient
a dire non a faire iusticejustice non
a la faire.
Si nostre ame n’en va vnun meilleur bransle, si nous n’en auonsavons
le iugementjugement plus sain, ij’aymeroy aussi cher que mon escolier
eut passé le temps à ioüerjoüer à la paume, au moins le corps en se-
roit plus allegre. Voyez le reuenirrevenir de la, apres quinze ou seze
ans employez, il n’est riērien si mal propre à mettre en besongne,
tTout ce que vous y recognoissez d’auantageavantage, c’est que son La-
tin & son Grec l’ont rendu plus fier & plus outrecuidé, qu’il
n’estoit party de la maison. ⁁
⁁ Il en deuoitdevoit raporter
l’ame pleine, il ne l’en
raporte que bouffie. &
enflee au lieu de la
grossir, l’al’a sulemant enflee au
lieu de la grossir.
Ces maistres iciy come Platon
dict des Sophistes ⁁ ⁁ leurs germains sont de
tous les homes ceus qui promettētpromettent
destred’estre les plus utilles aus hommes
et suls entre tous les autreshomes
qui non sulement n’amandent
point ce qu’on leur commet
come fait ou un cordonier un
charpentier & un masson
mais l’empirent & se font
païer pourde l’auoiravoir empirè
Si la loi que Protagoras propo=
soit a ses disciples estoit suiuiesuivie
ou qu’ils le paiassent selon son
mot ou qu’ils iurassentjurassent au temple
a combien ils estimoint le
profit qu’ils auointavoint receu de ses
disciplines et selon iceluy
satisfissent sa peine ieje iureroisjurerois
selon le sermant que ieje
fairois mes paedagogues
se trouuerrointtrouverroint chouez s
se fioints’estant remis au sermant de mon
experiance.
Mon vulgaire Perigordin les ap-
pelle fort plaisamment Lettreferits:⁁ ces sçauanteaussçavanteaus comme si vous disiez let-
tre-ferus, ⁁ ⁁ ceus ausquels les lettres ont donné vnun coup de marteau,
comme on dict. De vray le plus souuentsouvent ils semblent estre ra-
ualezra-
valez, mesmes du sens commun. Car le paisant & le cordon-
nier vous leur voiez aller simplemētsimplement & naïfuemētnaïfvement leur train,
parlant de ce qu’ils sçauentsçavent: ceux cy pour se vouloir esleuereslever &
iagendarmerjagendarmer de ce sçauoirsçavoir, qui nage en la superficie de leur cer-
uellecer-
velle, vont s’ambarrassant, & enpestrant sans cesse. Il leur es-
chappe de belles parolles, mais qu’vnun autre les accommode:
iIls cognoissent bien Galien, mais nullemētnullement le malade: iIls vous
ont des-ja rempli la teste de loix, & si n’ont encore conçeu le
neud de la cause: iIls sçauētsçavent la theorique de toutes choses, cher-
chez qui là mette en practique. IJ’ay veu chez moy vnun mien
amy, par maniere de passetemps, ayant affaire à vnun de ceux cy,
contrefaire vnun iargonjargon ⁁ ⁁ de galimathias, qui sont de propos sans suite, & tissu de toutes
pieces rapportées, sauf qu’il estoit souuētsouvent entrelardé de mots
propres à leur dispute, amuser ainsi tout vnun iourjour ce sot à de-
battre, pensant tousiourstousjours respondre aux obiectionsobjections, qu’on luy
faisoit, &Et si estoit homme de lettres & de reputation, & qui
N iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
auoitavoit vneune belle robe.:
Vos ô patritius sanguis quos viuere par est
Occipiti caeco, posticae occurrite sannae.
Qui regardera de bien pres à ce genre de gens, qui s’estand
bien loing, il trouueratrouvera cōmecomme moy, que le plus souuentsouvent ils ne
s’entendent, ny autruy, & qu’ils ont la souuenancesouvenance assez plei-
ne, mais le iugementjugement entierement creux: sinon que leur natu-
re d’elle mesme le leur ait autremētautrement façonné. Comme ij’ay veu
Adrianus Turnebus, qui n’ayant faict autre profession que
des lettres, en laquelle c’estoit à mon opinion, le plus grand
homme, qui fut il y à mil’ans, n’auoitavoit toutesfois riērien de pedā-
tesquepedan-
tesque que le port de sa robe, & quelque façon externe, qui
pouuoitpouvoit n’estre pas ciuiliséecivilisée à la courtisane: qui sont choses
de neant,: &Et hai nos gens qui supportent plus mal-aysement
vneune robe qu’vnun ame de trauerstravers, & regardent à sa reuerencereverence à
son maintien & à ses bottes, quel homme il est. Car au dedāsdedans
c’estoit l’ame la plus polie du monde. IeJe l’ay souuentsouvent à mon
esciant iettéjetté en propos eslongnez de son gibier & de son vsa-
geusa-
ge,: il y voyoit si cler, d’vneune aprehension si prompte, d’vnun iu-
gementju-
gement si sain, qu’il sembloit, qu’il n’eut iamaisjamais faict autre
mestier que la guerre, & affaires d’Estat. Ce sont natures bel-
les & fortes.,
queis arte benigna
Et meliore luto finxit praecordia Titan.:
qui se maintiennent au trauerstravers d’vneune mauuaisemauvaise institution.
Or ce n’est pas assez que nostre institution ne nous gaste pas,
il faut qu’elle nous change en mieux,. & qu’elle nous amende,
ou elle est vaine & inutile. Il y à aucuns de nos ParlemēsParlemens, quādquand
ils ont à receuoirrecevoir des officiers, qui les examinent seulemētseulement sur
la science: les autres y adioutentadjoutent encores l’essay du sens, en leur
presentant le iugementjugement de quelque cause. Ceux cy me sem-
blētsem-
blent auoiravoir vnun beaucoup meilleur stile: &Et encore que ces deux
LIVRE PREMIER. 52
pieces soyent necessaires, & qu’il faille qu’elles s’y trouuenttrouvent
toutes deux: si est ce qu’à la verité celle du sçauoirsçavoir est moins
prisable, que celle du iugemētjugement,. cCette icy se peut passer de l’au-
tre, & non l’autre de cette icy. Car comme dict ce vers Grec,
ὡϛ ὀυδένοὐδὲν ἡ μάθησιϛ ἤν μὴ νὸυϛνοῦϛ παρῇ.
A quoy faire la science, si l’entendement n’y est? Pleut à Dieu
que pour le bien de nostre iusticejustice, ces compagnies là se trou-
uassenttrou-
vassent aussi bien fournies d’entendement & de conscience,
comme elles sont encore de sciēcescience. ⁁
⁁ Non uitae sed
scholae discimus.
Or il ne faut pas attacher
le sçauoirsçavoir à l’ame, il l’y faut incorporer,: il ne l’en faut pas ar-
rouser, il l’en faut teindre,: & s’il ne la change, & amendemeliore son
premier estat imparfaict, certainement il vaut beaucoup
mieux le laisser là,. cC’est vnun dangereux glaiueglaive, & qui empesche
& offence son maistre mesme, s’il est en main foible, & qui
n’en sçache l’vsageusage.⁁ ⁁ ut fuerit melius non didicisse. A l’aduentureadventure est ce la cause, que & nous,
& la Theologie ne requerons pas beaucoup de sciēcescience aux fae-
mes,: &Et que FrāçoisFrançois Duc de Bretaigne filz de Iean cinquiesme,
cōmecomme on luy parla de son mariage auecavec Isabeau fille d’Escos-
se, & qu’on luy adioustaadjousta qu’elle auoitavoit esté nourrie simplemētsimplement
& sans aucune instruction de lettres,: respondit, qu’il l’en ay-
moit mieux,: & qu’vneune fame estoit assez sçauantesçavante, quand elle
sçauoitsçavoit mettre difference entre la chemise & le pourpoint de
son mary. Aussi, ce n’est pas si grande merueillemerveille, comme on
crie, que nos ancestres n’ayētayent pas faict grand estat des lettres,:
& qu’encores auiourdaujourd’huy elles ne se trouuenttrouvent que par rencō-
trerencon-
tre aux principaux conseils de nos Roys: &Et si cette fin de s’en
enrichir, qui seule nous est auiourdaujourd’huy en buteproposee, par le moyēmoyen
de la IurisprudenceJurisprudence, de la Medecine, du pedantisme, & de la
Theologie encore, ne les tenoit en credit, vous les verriez sans
doubte aussi marmiteuses qu’elles furent onques. Quel dom-
mage, puis qu’sielles ne nous aprenent ny à bien penser, ny à
bien faire? ⁁
⁁ Postquam docti
prodierūtprodierunt, boni
desunt. Toute autre
sciance est domageable a celuy qui
n’a la sciance de la bontè Mais la
raison que ieje cherchois tantost seroit elle pas aussi de la: que nostre estude en france n’ayant ⁁ ⁁ quasi autre but que le profit, moins
peu de ceus que nature a faict naistre a plus genereus offices que lucratifs sa ne s’adonans pas aus lettres ou si courtemant: retirez
auantavant que d’en auoiravoir sauourèsavourèprins le gout a des une profession qui n’a rien de commun aueqaveq les liureslivres il ne reste quasi a notre malhurplus ordinerement
pour s’engager tout a faict a l’estude ⁁ ⁁ plus communeement que les gens de plus basse fortune qui y cherchent de quoi uiurevivrequestent des moïens a uiurevivre.
Et de ces gens la les ames estant et par nature et par domestique institution du plus bas alloi et example du plus bas
aloiy raportent faucemant le fruit de la sciance. Car elle n’est pas pour doner iourjour a l’ame qui n’en a pouint: ce seroitny pour
faire uoirvoir un aueugleaveugle: son mestier est non de luy fournir de ueueveue mais de la luy dresser : de luy regler ses allures pourueupourveu
qu’ell’estaye de soi les pieds et les iambesjambes droites & capables. C’est une bone drogue que la sciance: mais nulle drogue n’est asses
forte pour le preseruerpreserver sans alteration et corruption selon le uicevice du uesseauvesseau uasevase qui l’estuïe. Tel a la ueueveue clere
qui ne l’a pas droite: et par consequant uoitvoit le bien et ne le suit pas: et uoitvoit la sciance et ne s’en sert pas. La
principale ordonāceordonance de Platon en sa republique c’est doner aus ames de ses citoïens selon leur naturelle
leur charge. Nature peut tout, & fait tout. Les boiteux sont in mal propres aus exercices du corps
& aux exercices de l’esprit les ames boiteuses. ⁁
Cette addition se poursuit au bas du folio précédent (51v.)
⁁ Quand nous uoïonsvoïons un home mal chausse nous disonts et ieje ne s que ce n’est par merueillemerveille, car s’il
est chaussetier De mesme d’un medecin s’il est malade d’un theologien uiceieusviceieusuicieusvicieus d’un il semble
que l’experiance nous offre ⁁ ⁁ souuantsouvant un medecin plus mal medeciné qu’un autre un theologien moinsplu reforme
vnun sçauantsçavant moins suffisant que tout autre. Aristo Chius auoitavoit antienemant raison de dire que les
philosofes nuisoint aus auditurs d’autātautant que la plus part des naturesames ne se treuuenttreuvent propres a faire leur
profit de leurtelle instruction: qui si elle ne se met a bien se met a mal. asotos ex Aristippi acerbus ex Zeznonis schola
exire.
En cette belle institution que Xenophon preste
ESSAIS DE M. DE MONTA.
aux Perses, nous trouuonstrouvons qu’ils apprenoient la vertu à leurs
enfans, comme les autres nations font les lettres. ⁁
⁁ Platon dit que le fils aisné en leur succession royale, estoit ainsi nourry. Apres sa naissance, on
le donoit non a des fames mais a des Eunuches de la premiere authorite autour des leurs Roys a cause de leur
uertuvertu. Ceus ci prenoint charge de luy randre le corps beau & sain et apres sept ans le duisoint a monter
à cheualcheval et aller a la chasse Quand il estoit arriuearrive au quatorzieme ceus ciils le deposoint entre les mains de quatre
le plus sage le plus iustejuste le plus temperant le plus uaillātvaillant de la nation. Le premier luy aprenoit la
relligion Le secont a estre touiourstoujours
veritable. Le tiers a se rendre
maistre des cupiditez. Le
quart a ne rien creindre.
⁁ Et si ij’ay bonequelque memoire
de ce que me demuradu lieu de la
leçon des loix en Platon ou
il traicte de l’institution de
la iunessejunesse de sa uilleville il done
peu de part ou nulle part a la
sciance des lettres De la ⁁ ⁁ danse de la
course escrime sauterie cheuaucheriechevaucherie luitte
de la musique de la chasse
il donefaict infinis preceptes et
ueutveut que l’ame s’exerce et
profite en ces corporels exer=
cices. Ses gymnases dict il
et toutes instructions militeres
ne sēblesemble ne doner ranc qu’il
donelaisse a lestudel’estude de la poisie
semble le faire pour le seruiceservice
principalemētprincipalement deu la musiquechanter.
C’est cho
Et m’a sem-
bléC’est chose digne de tres-grande consideratiōconsideration, que en cette ex-
cellente police de Licurgus, & à la verité monstrueuse par sa
perfection, si songneuse pourtātpourtant de la nourriture des enfans,
comme de sa principale charge, & au gitste mesmes des Mu-
ses, il s’y face si peu de mention de l’apprentissage des lettresla doctrine:
cōmecomme si cette genereuse ieunessejeunesse desdaignant tout autre iougjoug
que de la vertu, on luy aye deu fournir, au lieu de nos mai-
stres de science, seulement des maistres de vaillance, pru-
dence, & iusticejustice. ⁁ ⁁ exemple que Platon semble a suiuisuivi. La façon de leur discipline, c’estoit leur faire
des questions sur le iugementjugement des hommes, & de leurs actiōsactions:
& s’ils condamnoient & loüoient, ou ce personnage, ou ce
faict, il failloit raisonner leur dire, & par ce moyen ils aigui-
soient ensemble leur entendement, & apprenoient la iusticejusticele droit.
Astiages en Xenophon, demande à Cyrus conte de sa dernie-
re leçon,: c’est dict-il , qu’en nostre escole vnun grādgrand garçon ayātayant
vnun petit saye, le donna à vnun de ses compaignons de plus petite
taille, & luy osta son saye, qui estoit plus grand: nostre pre-
cepteur m’ayant faict iugejuge de ce different, ieje iugeayjugeay qu’il fal-
loit laisser les choses en cet estat, & que l’vnun & l’autre sem-
bloit estre mieux accommodé en ce point: sur quoy il me
remontra que ij’auoisavois mal fait, car ieje m’estois arresté à con-
siderer la bien seance, & il falloit premierement auoiravoir proueuproveu
à la iusticejustice, qui vouloit que nul ne fust forcé en ce qui luy ap-
partenoit. Et dict qu’il en fut foité, tout ainsi que nous som-
mes en nos vilages, pour auoiravoir oublié le premier Aoriste de
τύπτω. Mon regent me feroit vneune belle harengue in genere De-
monstratiuo, auantavant qu’il me persuadat que son escole vaut cet-
te là. Ils ont voulu couper chemin: & puis qu’il est ainsi que
les sciences, lors mesmes qu’on les prent de droit fil, ne peu-
uentpeu-
vent que nous apprendreenseigner la prudence, la prud’hommie & la
reso-
LIVRE PREMIER. 53
resolution, ils ont voulu d’arriuéearrivée mettre leurs enfans au pro-
pre des effects, & les instruire non par ouïr dire, mais par l’es-
say mesmes de l’action, en les formant & moulant vifuemētvifvement,
non seulement de preceptes & parolles, mais principalement
d’exemples & d’oeuuresoeuvres: afin que ce ne fut pas vneune science en
leur ame, mais sa complexion & habitude: que ce ne fut pas
vnun acquest, mais vneune naturelle possession. A ce propos, on de-
mandoit à Agesilaus ce qu’il seroit d’aduisadvis, que les enfans ap-
prinsent: ce qu’ils doiuentdoivent faire encore estants hommes, res-
pondit-il. Ce n’est pas merueillemerveille, si vneune telle institution à pro-
duit des effects si admirables. On alloit, dict-on, aux autres
Villes de Grece chercher des Rhetoriciens, des peintres, & des
Musiciens: mais en Lacedemone des legislateurs, des magi-
strats, & empereurs d’armée: à Athenes on aprenoit à bien
dire, & icy à bien faire: la à se desmeler d’vnun argument sophi-
stique, & à rabattre l’imposture des mots captieusement en-
trelassez, icy à se desmeler des appats de la volupté, & à raba-
tre d’vnun grand courage inuincibleinvincible les menasses de la fortune & de la
mort: ceux là s’embesongnoient apres les parolles, ceux cy a-
pres les choses: là c’estoit vneune continuelle exercitation de la
langue, icy vneune continuelle exercitation de l’ame. Parquoy il
n’est pas estrange, si Antipater leur demandant cinquante en-
fans pour ostages, ils respondirent, tout au rebours de ce que
nous ferions, qu’ils aymoient mieux donner deux fois au-
tant d’hommes faicts, tant ils estimoient la perte de l’educa-
tion de leur païs. Quand Agesilaus conuieconvie Xenophon d’en-
uoyeren-
voyer nourrir ses enfans à Sparte, ce n’est pas pour y appren-
dre la Rhetorique, ou Dialectique: mais pour apprendre (ce
dict-il) la plus belle science qui soit,: asçauoirasçavoir la science d’o-
beïr & de commander. Il est tresplaisant en Platon Socrates
de uoirvoir Socrates, a sa mode, se moquant de Hippias qui luy
recite comant il a gaigne en tels et tels destrois nomeemātnomeemant de
la Sicillesspecialement en certenes petites uilettesvilettes de la Sicille bone somme
d’argent a regenter. Et qu’a Sparte il n’a gaigné pas un soul. Que
ce sont gens idiots qui ne sçauentsçavent ny mesurer ny conter ne font estat ny
de grammere ny de rithme Sulemant S’amusans sulement a sçauoirsçavoir la
suite des Roys establissemans et decadances des estats et tels fatras de contes.
d’histoires Et au bout S de cela Socrates luy fesant aduouëradvouër par le menu
l’excellance de leur forme de gouuernementgouvernement publique l’heur et uertuvertu de leur uievie
luy laisse deuinerdeviner la conclusion de l’inutilitè de ses ars. Les examples nous
aprenent et en cette martiale police et en toutes ses semblables que lestudel’estude des
sciances amollit et effoemine les corages plus qu’il ne les fermit & aguerrit
Le plus fort estat qui paroisse pour le presant au monde est celuy des
Turcs: peuples esgalement duits a lestimationl’estimation des armes et mespris des
lettres. IeJe treuuetreuve Rome plus uaillantevaillante auantavant qu’elle fut sçauantesçavante. ⁁
⁁ Les plus belliqueuses nations en nos ioursjours sont les plus grossieres et ignorantes. Les Scithes les
Parthes Tamburlan nous seruentservent a cette preuuepreuve. Quand les Gots rauagerentravagerent la Grece, ce qui
sauuasauva toutes les libreries destred’estre passees au fu ce fut un d’entre eus qui sema cette opinion qu’il
faloit laisser ce meuble entier aus enemis, propre a les destourner de lexecicel’exercice militere & amuser
a des occupations ueinesveinessedenteres et oisifuesoisifves Quand nostre Roy charles ⁁ ⁁ huictieme sans tirer lespeel’espee du fourreau se
uitvit maistre du Royaume de Naples & d’une bone partie de la Thoscane Les seignurs de sa suite
attribuarent cette inesperee facilite de conqueste a ce que les princes & la noblesse d’italie
samusoints’amusoint plus a se rendre ingenieus & sçauanssçavans que uigoreusvigoreus et guerriers
O
ESSAIS DE M. DE MONTA.
De l’institution des enfans, à Madame Diane de Foix
Contesse de Gurson. CHAP. XXVI.
IEJE ne vis iamaisjamais pere, pour bossé ou boiteuxborgne teigneux ou boiteusbossè que fut
son fils, qui laissaist de l’auoüeravoüer: nNon pourtant, s’il n’est
du tout enyuréenyvré de cet affection, qu’il ne s’aperçoiueaperçoive de
sa defaillance: mais tant y à qu’il est sien. Aussi moy, ieje voy
mieux que tout autre, que ce ne sont icy que resueriesresveries d’hō-
mehom-
me, qui n’a gousté des sciences que la crouste premiere en son
enfance, & n’en à retenu qu’vnun general & informe visage: vnun
peu de chaque chose & rien du tout, à la Françoise. Car en
somme, ieje sçay qu’il y à vneune Medecine, vneune IurisprudēceJurisprudence, qua-
tre parties en la Mathematique, & en grosgrossierement ce à quoy elles vi-
sent: ⁁
⁁ Et a lauāturel’avanture encore sçai
ieje la pretantion que ldes sciances
et en general au seruiceservice de
nostre uievie
mais de ’y enfoncer plus auātavant, de m’estre rongé les ongles
à l’estude de PlatōPlaton, ou d’Aristote,⁁ ⁁ sul monarche de la scia doctrine moderne. ou opiniatré apres quelque
science solide, ieje ne l’ay iamaisjamais faict: ce n’est pas mon occupa-
tion.⁁Ce signe d’insertion de la forme d’un I renvoyait initialement à l’addition située dans la marge gauche.
Montaigne l’a, dans un second temps, supprimé avec la fin de phrase qui le précédait puis a commencé une nouvelle addition en interligne qu’il a continué dans la marge droite.
A la fin de cette addition un nouveau signe d’appel sous la forme d’un I augmenté d’un trait horizontal en son milieu renvoi à l’ajout marginal de la marge gauche dont il a modifié le signe de renvoi afin qu’il n’y ait pas de confusion possible.
ny n’est art de quoi ieje sceusse peindre sulement les
premiers lineamāslineamans
Et n’est enfant
des classes moienes
qui ne se puisse
dire plus sçauantsçavant
que moy. Qui n’ay
sulement pas de
quoi l’examiner
sur sa premiere
leçon: au moins
selon icelle. Et si
lonl’on m’y force: ieje
suis contreint,
asses ineptement,
d’en tirer quelque
matiere de propos
uniuerselsuniversels sur quoi
ij’examine leurson
iugementjugement naturel.
Leçon qui leur est
autant inconueinconue
come la leur a moi,
la leur ⁁
⁁ IeJe n’ay dressè commerce
aueqaveq aucun liurelivre solide
materiel que par
secousses, sinon tantost a
Plutarque tantost et
a Seneque paruenuesparvenues,:
reiterees. Car ce que ieje
ne lis qu’une fois ieje le lis
pour neanten faueurfaveur de ma maudite
memoire. Et y ou ieje puise come les
Danaidesdes remplissant et
versant sans cesse. IJ’en
attache quelque chose a ce
mien liurelivre papier. Aa moi, si peu
que rien.
L’Histoire c’est ⁁ ⁁ plus mon gibier en matiere de liureslivres, ou la
poësie, que ij’ayme d’vneune particuliere inclination: cCar, com-
me disoit Cleantes, tout ainsi que la voix contrainte dans l’é-
troit canal d’vneune trompette sort plus aigue & plus forte, ainsi
me semble il que la sentence pressée aux pieds nombreux de
la poësie s’eslance bien plus brusquement, & me fiert d’vneune
plus viuevive secousse. Quant aux facultez naturelles qui sont en
moy, dequoy c’est icy l’essay, ieje les sens flechir sous la charge:
mMes conceptions & mon iugementjugement ne marche qu’à tastons,
chancelant, bronchant & chopant: &Et quand ieje suis allé le
plus auantavant que ieje puis, si ne me suis-ieje aucunement satisfaict:
IeJe voy encore du païs au delà: mais d’vneune veuë trouble, & en
nuage, que ieje ne puis desmeler: &Et puis entreprenant de parler
indifferemment de tout ce qui se presente à ma fantasie, &
n’y employant que mes propres & naturels moyēsmoyens, s’il m’ad-
uientad-
vient, comme il faict à tous coupssouuantsouvant, de rencontrer de fortune
LIVRE PREMIER. 54
dans les bons autheurs ces mesmes lieux, que ij’ay entrepris
de traiter, comme ieje vien de faire chez Plutarque tout pre-
sentement, son discours de la force de l’imagination.: Aa me
reconnoistre au prix de ces gens là, si foible & si chetif, si poi-
sant & si endormy, ieje me fay pitié, ou desdain à moy mes-
mes. Si me gratifie-ieje de cecy, que mes opinions ont cet hon-
neur de rencontrer ⁁ ⁁ souuantsouvant aux leurs, & dequoyque ⁁
⁁ ⁁ ⁁ que ieje uoisvois ⁁ ⁁ au moins de loin apres
disant que uoirevoire. Aussi
ai ieje cela que ij’ay
aussi ij’ay au moins
cela, qu’vnun chacun n’a pas, de connoistre l’extreme differen-
ce d’entre eux & moy: &Et laisse ce neant-moins courir mes
inuentionsinventions ainsi foibles & basses, comme ieje les ay produites,
sans en replastrer & recoudre les defaux que cette comparai-
son m’y à descouuertdescouvert: car autrement ij’engendrerois des mō-
stresmon-
stres: comme font lesIl faut auoiravoir les reins bien fermes pour entreprandre de marcher
front a front aueqaveq ces gens la. Les escriuainsescrivains indiscrets de nostre siecle,
qui parmy leurs ouuragesouvrages de neant, vont semant des lieux en-
tiers des anciens autheurs, pour se faire honneur de ce larre-
cin:, & c’est aufont le contraire,: cCar cett’infinie dissemblance de lu-
stres rend vnun visage si pasle, si terni, & si laid à ce qui est leur,
qu’ils y perdent beaucoup plus qu’ils n’y gaignent. ⁁
⁁ C’estoit une estrangedeus contreres
fantasies. duLe philosofe
Chrysippus dequi mesleroit a ses
liureslivres non les passages
sulemant mais des ouuragesouvrages
entiers d’autres autheurs
et en un, d’iceus la Medee
d’Euripides: entiere etet disoit
Apollodorus uoulantvoulant
uerifierverifier que Epicurus
auoitavoit escrit plus que luy
Chrysippus se sert de cet
argument que qui en retran
cheraoit de ceus de Chrysippusles liureslivres
ce qu’il y a insereauoitavoit destrangierd’estrangier
son papier demurerademureroit en blanc.
La ou en tous les trois cens
Cylindres d’Epicurus il
n’y auoitavoit pas une sule
allegationau rebours esen trois cens
liureslivresuolumesvolumes qu’il laissa nauoitn’avoit pas seme
une sule allegation estrāgiereestrangiereLe mot "estrangiere" n’existe pas dans l’édition de 1595. Montaigne utilisant souvent cette graphie, c’est celle-ci que nous avons choisi de restituer.
Il m’ad-
uintad-
vint l’autre iourjour de tomber sur vnun tel passage: iIjJ’auoisavois trainé
languissant apres des parolles Françoises, si exangues, si des-
charnées, & si vuides de matiere & de sens, que ce n’estoient
voirement que paroles Françoises: au bout d’vnun long & en-
nuyeux chemin, ieje vins à rencontrer vneune piece haute, riche
& esleuéeeslevée iusquesjusques aux nuës: sSi ij’eusse trouuétrouvé la pente douce
& la montée vnun peu alongée, cela eust esté excusable: cC’e-
stoit vnun precipice si droit & si coupé que des six premieres
paroles ieje conneuz que ieje m’enuoloisenvolois en l’autre monde: dDe
la ieje descouurisdescouvris la fondriere d’où ieje venois, si basse & si pro-
fonde, que ieje n’eus onques plus le coeur de m’y raualerravaler. Si ieje
fardoisSi ij’estoffois l’vnun de mes discours de ces riches peinturesdespouilles, il esclai-
reroit par trop la bestise des autres. ⁁
⁁ Reprendre en autrui mes propres uicesvicesfautes ne me semble
nousnon plus incompatible que de reprendre ceuscome d’autruyieje fois souuantsouvant celles d’autruy
en moi Il les faut chargeraccuser par tout et leur oster tout
lieu de franchise. Si sçai ieje bien combien fierement etaucune fois et
temererement ij’entreprans souuantsouvantmoimesmes de m’esgaler a mes larrecins de mesleret presanter indistinctemant mes traicts aus
de les soutenir et ⁁ m’y iouindrejouindre ⁁ce signe indiquait un déplacement du mot mesconoissablement au niveau du précédent signe mesconoissablement et de
mes inuantionsinvantions aus traictz et inuantionsinvantions traicts antieness audacieusement ij’entreprans moi mesmes a tous coups de m’esgaler
a mes larrecins d’aller pair a pair qu quand et eus
non sans une temerere esperance si que ieje puisse
tromper les yeus des iugesjuges a les discerner.Voici quelles seraient les variantes de ce passage sans prétention chronologique, faute d’analyse des encres :
1. Si scai ie bien combien fierement et temererement i’entreprans souuant de m’esgaler a mes larrecins de les soutenir et m’y iouindre mesconoissablement et de tromper les iuges a les discerner.
2. Si scai ie bien combien fierement aucune fois et temererement i’entreprans moimesme de m’esgaler a mes larrecins de les soutenir et mesconoissablement m’y iouindre si que ie puisse tromper les iuges a les discerner.
3. Si scai ie bien combien fierement aucune fois et temererement i’entreprans moimesme de m’esgaler a mes larrecins de mesler mes inuantions aus traictz [et] inuantions antienes si que ie puisse tromper les iuges a les discerner.
4. Si scai ie bien combien fierement aucune fois et temererement i’entreprans moimesme de m’esgaler a mes larrecins et presenter indistinctemant mes traicts a[us] traictz antiens si que ie puisse tromper les iuges a les discerner.
Mais c’est autant
ou plus par le benefice de mon application que par la vigur de ma
force.le benefice de mon inuantioninvantion et de ma force. Et puis ieje ne luite paspoint en gros ces uieusvieus champions la: et corps a corps:
c’est par reprinses, menues et legieres atteintes. IeJe ne m’y
ahurte pas ieje ne fois que les taster: et m’y presenter IeJe ne uoisvois pas iejepoint, iejetant, come ieje
marchande d’aller. Si ieje leur pouuoispouvois tenir palot ieje serois honeste home car ieje ne les appellentreprens
a ma compaignie que par la ou ils sont les plus roiddes. De faire ce que ij’ay descouuertdescouvert d’aucuns Se couurircouvrir des
armes d’autruy, iusquesjusques à ne montrer pas seulement le bout des doits leursses doits conduire son dessein com’il est aise aus sçauanssçavans en une
matiere commune sous les inuentionsinventions anciennes, rappiecees par cy par là : a ceux
qui les veulent cacher & faire propres, c’est premierement iniusticeinjustice & lascheté,
que n’ayans rien en leur vaillant, par où se produire, ils cherchent à se presenter par ⁁
Cette addition se poursuit sur le folio précédent (53v.)
⁁ une ualurvalur estrangiere: et puis grande sottise se contantant par piperie d’acquerir pour so de s’acquerir l’ignorante approbation du uulguerevulguere
et se descrianter enuersenvers les gens d’entandemētentandement ⁁ qui hochent du nez uostrevostre incrustation empruntee des quels suls la loange a du pois. De ma part il n’est rien que ieje ueuilleveuille moins faire.
IeJe ne dis les autres, sinon pour d’autant plus me dire IeJe ne parleCecy ne touche pas des centons qui se publient pour centons: et ij’en ai ueuveu
de tres-ingenieux en mon temps: entre-autres vnun, sous le nom de Capilupus: outre les anciēsanciens. Ce sont des esprits qui se font uoirvoir.
& par ailleurs, & par là, comme Lipsius en ce docte & laborieux tissu de ses Politiques.
Quoy qu’il en soit, veux-
O ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ieje dire, & qu’elles que soyent ces inepties, ieje n’ay pas delibe-
ré de les cacher, non plus qu’vnun mien pourtraict chauuechauve &
grisonnant, ou le peintre auroit mis non vnun visage parfaict,
mais le mien. Car aussi ce sont icy mes humeurs & opinions:
iIejJe les donne, pour ce qui est en ma creance, non pource qui
est à croire: iIejJe ne vise icy qu’à découurirdécouvrir moy mesmes, qui se-
ray par aduentureadventure autre demain, si nouueaunouveau apprētissageapprentissage me
change. IeJe n’ay point l’authorité d’estre creu, ny ne le desire,
me sentant trop mal instruit pour instruire autruy. Quelcun
donq’ ayant veu l’article precedant, me disoit chez moy l’au-
tre iourjour, que ieje me deuoydevoy estre vnun peu estendu sur le discours
de l’institution des enfans. Or Madame, si ij’auoyavoy quelque
suffisance en ce subiectsubject, ieje ne pourroi la mieux employer
que d’en faire vnun present à ce petit homme, qui vous menasse
de faire tantost vneune belle sortie de chez vous (vous estes trop
genereuse Madame pour commencer autrement que par vnun
masle) Car ayant eu tant de part à la conduite de vostre ma-
riage, ij’ay quelque droit & interest à la grandeur & prosperi-
té de tout ce qui en viendra: oOutre ce que l’ancienne possessiōpossession
que vous auezavez de tout temps sur ma seruitudeservitude, m’obligent as-
sez à desirer honneur, bien & aduantageadvantage à tout ce qui vous
touche: mMais à la verité ieje n’y entens sinon cela, que la plus
grande difficulté & importante de l’humaine science semble
estre en cet endroit, ou il se traite de la nourriture & institu-
tion des enfans. ⁁
⁁ Tout ainsi qu’en l’agricul=
ture les façons qui uontvont auātavant
le planter sont certeines et
aysees et le planter mesmes.
Mais despuis que ce qui est
plante uientvient a prandre uievie:
à l’esleuereslever il y a une grādegrande
variete de façons et difficulte
et Pareillemant aus homes
il y a peu de façon’industrie a les
planter mais despuis qu’ils
sont nais on entre a un souin
a plusieurs uisagesvisages on se
charge d’un soin a plusieurs
uisagesvisagesdiuersdivers plein d’enbesouig=
nement et de creinte a les
dresser et nourrir.
La montre de leurs inclinations est si tendre
en ce bas aage & si obscure,: les promesses si incertaines &
fauces, qu’il est mal-aisé d’y establir aucun solide iugementjugement.
Voyez CimōCimon voyez Themistocles & mille autres, cōbiencombien ils
se sont discōuenuzdisconvenuz à eux mesme. Les petits des ours, des chiēschiens,
monstrent leur inclination naturelle, mais les hōmeshommes se iettāsjettans
incontinētincontinent en des accoustumācesaccoustumances, en des opiniōsopinions, en des loix,
se chāgentchangent ou se deguisent & masquent facilemētfacilement. Si est-il dif-
LIVRE PREMIER. 55
ficile de forcer les propēsionspropensions naturelles: dD’où il aduiētadvient que par
faute d’auoiravoir bien choisi leur route, pour neant se trauailletravaille on
souuētsouvent & employe l’on beaucoup d’aage, à dresser des enfans
aux choses, ausquelles ils ne peuuentpeuvent prendre goustpied. Toutes-
fois en cette difficulté, mon opiniōopinion est, de les acheminer tou-
siourstou-
sjours aux meilleures choses & plus profitables, & qu’on nese
doit s’peu appliquer aucunement à ces legieres diuinatiōsdivinations, & pro-
gnostiques, que nous prenons des mouuemensmouvemens de leur enfan-
ce. ⁁
⁁ Et Platon ⁁ ⁁ mesmes en sa repu=
blique me semble leur doner
de beaucoup trop de pris
d’authorite.
Madame c’est vnun grand ornement que la science, & vnun vtilutil
de merueilleuxmerveilleux seruiceservice, & notamment aux personnes éleuéesélevées
en tel degré de fortune, comme vous estes. A la verité elle n’a
point son vray vsageusage en mains viles & basses. Elle est bien plus
fiere, de préter ses moyens à conduire vneune guerre,: à comman-
der vnun peuple,: à pratiquer l’amitié d’vnun prince, où d’vneune natiōnation
estrangiere, qu’à dresser vnun argument dialectique,: ou à plaider
vnun appel,: ou ordonner vneune masse de pillules. Ainsi Madame,
par ce que ieje croy que vous n’oublierez pas cette partie en l’in
stitution des vostres, vous qui en auezavez sauourésavouré la douceur, &
qui estes d’vneune race lettrée: cCar nous auonsavons encore en main les
escrits de ces anciens Comtes de Foix, d’où monsieur le Com-
te vostre mary & vous, estes descendus: &Et François monsieur
de Candale, vostre oncle en faict naistre tous les ioursjours d’au-
tres, qui estendront la connoissance de cette qualité de vostre
famille, à plusieurs siecles: iIejJe vous veux dire là dessus vneune seule
fantasie, que ij’ay contraire au commūcommun vsageusage: cC’est tout ce que
ieje puis conferer à vostre seruiceservice en cela. La charge du gouuer-
neurgouver-
neur, que vous luy donrez, du chois duquel depend tout l’ef-
fect de son institution, ell’à plusieurs autres grandes parties,
mais ieje n’y touche point, pour n’y sçauoirsçavoir rien apporter qui
vaille: & de cet article, sur lequel ieje me mesle de luy donner
aduisadvis, il m’en croira autant qu’il y verra d’apparence. A vnun en-
fant de maison, qui recherche les lettres & la discipline, non
O iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pour le gaing (car vneune fin si abiecteabjecte, est indigne de la gra-
ce & faueurfaveur des Muses, & puis elle regarde & depend d’au-
truy) ny tant pour les commoditez externes, que pour les sie-
nes propres, & pour s’en enrichir & parer au dedans, ayant
plustost enuieenvie d’en tirer vnun habil’homme, qu’vnun homme sça-
uantsça-
vant, ieje voudrois aussi qu’on fut soigneux de luy choisir vnun
conducteur, qui eust plustost la teste bien faicte, que biēbien plei-
ne, & qu’on y requit tous les deux, mais plus les meurs & l’en-
tendement que la science. Et qu’il se conduisist en sa charge
d’vneune nouuellenouvelle maniere. On ne cesse de criailler à nos oreilles,
comme qui verseroit dans vnun antonnoir, & nostre charge ce
n’est que redire ce qu’on nous à dict. IeJe voudrois qu’il corri-
geast vnun peu cette partie,: & q̄que de belle arriuéearrivée, selon la portée
de l’ame, qu’il a en main, il commençast à la mettre sur le trot-
toërla montre, luy faisant gouster les choses, les choisir, & discerner d’el-
le mesme. Quelquefois luy monstrantouurantouvrant chemin, quelquefois
le luy laissant prendre le deuantdevantouurirouvrir. IeJe ne veux pas qu’il inuenteinvente, &
parle seul, ieje veux qu’il escoute son disciple parler à son tour,⁁
⁁ Socrates et quoidespuis Archesilas
imita faisoitnt premieremētpremierement
parler leurs disciples et puis
ils parloint a eus. Obest
plerumque ijs qui discere
uolunt authoritas eorum
qui se docereētent profitentur
desinunt enim suum iudiciūiudicium
adhibere: id habent ratum
quod ab eo quem probant iudica=
tum uidentIl est bon qu’il le
face troter dauantdavant luy pour
iugerjuger de son trein et iugerjuger
iusquesjusques a quel point il se doit
raualerravaler pour s’accommoder a sa
force A faute de cette proportion
nous gastonts tout et de la sçauoirsçavoir
choisir et s’y conduire bien mesureement
c’est l’une des plus ardues besouignes ⁁
⁁ que ieje sache: et est selon
moi leffaictl’effaict d’une haute ame
& bien forte, sçauoirsçavoir condes=
cendre a ses allures pueriles
et les guider IeJe marche plus seur
& plus ferme a mont qu’a ualval Ceus
qui come porte nostre
costumeusage, entreprenent
vneune mesme leçon, et
pareille mesure de conduite,
regenter plusieurs esprits
de si diuersesdiverses mesures ,et ⁁ formes
ce n’est pas merueillemerveille si
en tout un peuple d’enfans, ils en rencontrent a peine deus ou trois
qui raportent unquelque iustejuste fruit de leur discipline.
qQu’il ne luy demande pas seulemētseulement compte des mots de sa le-
çon, mais du sens & de la substācesubstance, & qu’il iugejuge du profit qu’il
aura fait, non par le tesmoignage de sa memoire, mais de son
iugementjugementsa uievie. Que ce qu’il viendra d’apprendre il le luy face met-
tre en cent visages, & accommoder à autant de diuersdivers subietssubjets,
pour voir s’il l’a encore bien pris & bien faict sien. ⁁
⁁ Prenant l’instruction
de son progrez des
paedagogismes de Platon.
C’est tes-
moignage de crudité & indigestion que de regorger la vian-
de comme on l’a aualléeavallée: lL’estomac n’a pas faict son operatiōoperation,
s’il n’a faict changer la façon & la forme, à ce qu’on luy auoitavoit
donné à cuire. On ne cherche reputation que de sciēcescience. QuādQuand
ils disent c’est vnun homme sçauantsçavant, il leur semble tout dire: lLeurNostre
ame ne branle qu’à credit,: liée & contrainte au seruiceservicel’appetit des fan-
tasies d’autruy, basseserueserve & croupiecaptiueecaptivee soubs l’authorité de leur le-
çon. On lesnous à tant assubiectisassubjectis aux cordes, qu’ils n’ontque nous n’auonsavons plus de
LIVRE PREMIER. 56
franches allures: lLeurNoNostre vigueur & liberté est esteinte. ⁁
⁁ Nunquam
tutelae suae fiunt.
IeJe vy pri-
uéementpri-
véement à Pise vnun honneste homme, mais si Aristotelicien,
que le plus general de ses dogmes est, que la touche & reigle
de toutes imaginations solides, & de toute verité, c’est la cō-
formitécon-
formité à la doctrine d’Aristote, que hors de là, ce ne sont que
chimeres & inanité: qu’il a tout veu & tout dict. Cette sienne
proposition, pour auoiravoir esté vnun peu trop largement & iniu-
rieusementinju-
rieusementiniquement interpretée, le mit autrefois & tint long temps en
grand accessoire ⁁ ⁁ a l’inquisition à Rome. Qu’il luy face tout passer par l’esta-
mine, & ne loge rien en sa teste par ⁁ ⁁ simple authorité, & à credit. Les
principes d’Aristote, ne luy soyent principes, non plus que
ceux des Stoiciens ou Epicuriens: qQu’on luy propose cette di-
uersitédi-
versité de iugemensjugemens: il choisira s’il peut,: sinon il en demeurera
en doubte., Il n’y a que les fols certeins et resolus. Cette addition a été biffée d’un trait encore visible, en partie effacée par grattage. Bien qu’apparemment rétablie, elle ne figure pas dans l’édition de 1595.
Che non men che saper dubbiar m’aggrada.
Car s’il embrasse les opinions de Xenophon & de Platon, par
son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les
siennes. ⁁
⁁ Qui suit un autre
il ne suit rien. Il ne
treuuetreuve rien, uoirevoire il
ne cherche rien. Non
suntsumus sub rege, sibi
quisque se uindicet.
Qu’il sache qu’il
sçait, au moins.
Il faut qu’il emboiueemboive leurs humeurs, non qu’il aprēneaprenne
leurs preceptes: &Et qu’il oublie hardiment s’il veut, d’où il les tiēttient
mais qu’il se les sçache approprier. La verité & la raison sont
communes à vnun chacun, & ne sont non plus à qui les à dites
premierement, qu’à qui les dict apres. ⁁
⁁ Ce n’est non plus
selon Platon que selon
moi pb puis que luy et
moi l’entendons & uoïonsvoïons
de mesmes.
Les abeilles pillotētpillotent de-
çà delà les fleurs, mais elles en font apres le miel, qui est tout
leur, ce n’est plus thin, ny mariolaine: aAinsi les pieces emprun-
tées d’autruy, il les transformera & confondera, pour en faire
vnun ouurageouvrage tout sien: à sçauoirsçavoir son iugementjugement: sSon institutiōinstitution,
son trauailtravail & estude ne vise qu’à le former. ⁁
⁁ Qu’il cachecele tout ce
de quoi il a este secoru
et ne produise que ce
qu’il en a faict. Les
pilleurs les emprunteurs
mettent en parade
leurs bastimans leurs
acquetzachatz non pas ce
qu’ils tienēttienenttirent d’autruy.
Vous ne uoïesvoïes pas les
espices et apres disneeset les contreditz
escritures d’un home de parlement uousvous uoiesvoies les
alliances qu’il a acheteesa acq gaignées & honurs a ses
enfans. Null Nul ne met en compte
publique sa recette: chacūchacun y met son
emploite acquest. Le guein de nostre estude
c’est en estre deuenudevenu d meillur & plus sage
C’est disoit Epi-
charmus l’entendement qui voyt & qui oyt, c’est l’entende-
ment qui approfite tout, qui dispose tout, qui agit, qui domi-
ne & qui regne: toutes autres choses sont aueuglesaveugles, sourdes &
sans ame. Certes nous le rendons seruileservile & coüard, pour ne
luy laisser la liberté de rien faire de soy. Qui demanda iamaisjamais à
ESSAIS DE M. DE MONT.
son disciple ce qu’il luy semble de la Rethorique & de la Grā-
maireGram-
maire, de telle ou telle sentence de Ciceron? On nous les plac-
que en la memoire toutes empennées, comme des oracles, ou
les lettres & les syllabes sont de la substācesubstance de la chose. ⁁
⁁ SçauoirSçavoir par ceur
n’est pas sçauoirsçavoir: c’est
tenir ce qu’on a doné
en garde a sa memoire.
Ce qu’on sçait droite=
ment, on en dispose, sāssans
regarder au patron, sans
tourner les yeus uersvers
son liurelivre. Facheuse
suffisance a mon gre
qu’une suffisance pure
liuresquelivresque Elle doit
seruirservir d’ornemant non
de fondement. IeJe
m’atans qu’elle serueserve
d’ornemant non de
fondemant. SuiuantSuivant
l’aduisl’advis de Platon: qui
dict la fermete la foi
la sincerité estre la urayevraye
philosofie Les autres
sciances & qui uisentvisent aill
ailleurs n’estre introduites
que pour la parade fard
IeJe vou-
drois que le Paluël ou PōpéePompée ces beaux danseurs de mon tēpstemps,
apprinsent des caprioles à les voir seulement faire, sans nous
bouger de nos places, comme ceux-cy veulētveulent instruire nostre
entendemētentendement, sans l’esbrāleresbranler & mettre en besongne. ⁁
⁁ ou qu’on nous aprins a manier un cheualcheval ou une pique
ou un lut ou la uoixvoix, par musique sans nous y exercer come ceus icy
nous ueulentveulent a prandre a bien iugerjuger et a bien parler sans
nous exercer ny a parler ny a iugerjuger.
Or à cet ap-
prentissage tout ce qui se presente à nos yeux sert de liurelivre suffi-
sant: lLa malice d’vnun page, la sottise d’vnun valet, vnun propos de ta-
ble, ce sōtsont autātautant de nouuellesnouvelles matieres. A cette cause le cōmer-
cecommer-
ce des hommes y est merueilleusementmerveilleusement propre, & la visite des
pays estrangers,. nNon pour en rapporter seulement, à la mode
de nostre noblesse Françoise, combien de pas à Santa rotonda,
ou la richesse des calessons de la Signora LiuiaLivia, ou comme
d’autres, combien le visage de Neron, de quelque vieille ruy-
ne de là, est plus long ou plus large, que celuy de quelque pa-
reille medaille. Mais pour en raporter principalement les hu-
meurs de ces nations & leurs façons, & pour frotter & limer
nostre ceruellecervelle contre celle d’autruy. IeJe voudrois qu’on com-
mençast à le promener des sa tendre enfance: &Et premieremētpremierement
pour faire d’vneune pierre deux coups, par les natiōsnations voisines, où
le langage est plus esloigné du nostre, & auquel si vous ne la
formez de bon’heure la lāguelangue ne se peut façonnerplier. Aussi bien
est-ce vneune opinion receuë d’vnun chacun, que ce n’est pas raison
de nourrir vnun enfant au giron de ses parents: cCette amour na-
turelle les attendrist trop, & relasche, voire les plus sages: iIls ne
sont capables ny de chastier ses fautes, ny de le voir nourry
grossierement comme il faut, & sans delicatessehasardeusement: iIls ne le sçau-
roient souffrir reuenirrevenir suant & poudreux de son exercice, nyboire chaut boire froit,
ny le voir hazarder tantost sur vnun cheualcheval farouche, tantost vnunrebours: ny contre un rude tireur
le floret au poing, tantost vnun’ny la premiere harquebouse. Car il n’y à remede,
qui
LIVRE PREMIER. 57
qui en veut faire vnun homme de bien, sans doubte il ⁁ ne le faut ha-
zarderespargner vnun peu en cestte ieunessejeunesse,: & souuentsouvent choquer les regles
de la medecine.,
vitàmque sub dio & trepidis agat
iIn rebus. ⁁
⁁ Ce n’est pas assez de luy roidir l’ame, il luy faut aussi roidir les muscles, elle est
trop pressee si elle n’est secondee et a trop a faire, de soutenir sule fournir deus offices.
IeJe sçai combien la miene ahane la miene en compaignie d’un cors si tendre si sensible
qui se laisse si fort aller sur elle. Et aperçois souuantsouvant en ma leçon qu’en leurs escris mes
maistres font ualoirvaloir pour magnanimitè et force de corage des examples qui tienent
uolontiersvolontiers plus de stupidite et fermete de membres lespessissurel’espessissure de la peau et durtè
des os. IJ’ay ueuveu des homes des fames &
des enfans einsi nais
qu’une bastonade leur
est moins qu’a moi une
chiquenaude: qui ne
remuent ny langue ny
sourci aus coups qu’on
leur done. Quand les
Athletes contrefont einsi
les philosophes en pati=
ance c’est plus tost
uigeurvigeur de nef nerfs que
de ceur. Or l’acostu=
mance a porter le trauailtravail
est acostumance a porter
la dolur ⁁ ⁁ labor callum obducit dolori. Il le faut
rompre a la peine et
aspreté des exercices
pour le dresser a la peine
et aspretè des la desloueureL’édition de 95 donne "dislocation" à la place de "desloueure"
de la cholique deu l’insi=
sion cautere et de la geole
prison & de lade la de la torture
Car de celesces dernieres icy encore
peut il estre en buteprinse: qui
regardētregardent les bons selon
le temps come les meschants.
Nous en somes a l’espreuueespreuve.
QuicōqueQuiconque comb combat
les loix menace les plus
gens de bien d’escorgees
et de la corde.
Et puis, l’authorité du gouuerneurgouverneur, qui doit estre souuerainesouveraine
sur luy, s’interrompt & s’empesche par la presence des parens.
IointJoint que ce respect que la famille luy porte, la connoissance
des moyens & grandeurs de sa maison, ce ne sont à mon opi-
nion pas legieres incommoditez en cet aage. En cette escho-
le du commerce des hommes, ij’ay souuentsouvent remarqué ce vice,
qQu’au lieu de prendre connoissance d’autruy, nous ne trauail-
lonstravail-
lons qu’à la donner de nous: & sommes plus en peine d’em-
ploiter nostre marchandise, que d’en acquerir de nouuellenouvelle. Le
silence & la modestie, sont qualitez tres-commodes à la con-
uersationcon-
versation des hommes. On dressera cet enfant à estre espar-
gnātespar-
gnant & mesnagier de sa suffisance, quādquand il l’araaura acquise: àA ne se
formalizer point des sottises & fables qui se diront en sa pre-
sēcepre-
sence,. cCar c’est vneune inciuileincivile importunité de choquer tout ce qui
n’est pas de nostre goustappetit. ⁁
⁁ Qu’il se cōtantecontante de
se corriger soimesmes
eEt ne semble pas
reprocher a autruy ⁁ ⁁ tout
ce qu’il n’eime pasrefuse
a faire ny contraster
aus meurs publiques
Licet sapere sine pompa
sine inuidia ⁁
⁁ Fuye ces images regenteuses
et inciuillesincivilles: et cette puerile
ambition de uoloirvoloir paroitre
plus fin pour estre autre et
tirer nom par reprehantions et
nouueleteznouveletez
Qu’il
luy inculque souuantsouvant
qu’il n’y a que les
fols bien certeins
et bien resolusCome il
naffiertn’affiert qu’aus grands poetes
d’user des licences de l’art aussi n’est
il supportable qu’aus grandes ames et
illustres de se priuilegierprivilegier audessus de la costume. Si quid
Socrates et Aristippus contra
co morem et consuetudinem
fecerint idem sibi ne arbi
tretur licere: magnis enim
illi et diuinis bonis hanc
licentiam assequebantur.
On luy apprēdraapprendra de n’entrer en dis-
cours & contestatiōcontestation, que où il verra vnun champion digne de sa
luite: &Et là mesmes à n’emploier pas tous les tours qui luy peu-
uentpeu-
vent seruirservir, mais ceux-là seulement qui luy peuuētpeuvent le plus ser-
uirser-
vir. Qu’on le rende delicat au chois & triage de ses raisons, &
aymant la pertinence, & par consequent la briefuetébriefveté. Qu’on
l’instruise sur tout à se rendre, & à quitter les armes à la verité,
tout aussi tost qu’il l’apperceuraappercevra: sSoit qu’elle naisse és mains de
son aduersaireadversaire, soit qu’elle naisse en luy-mesmes par quelque ra-
uisemētra-
visement. Car il ne sera pas mis en chaise pour dire vnun rolle pres-
cript,: iIl n’est engagé à aucune cause, q̄que par ce qu’il l’appreuueappreuve,.
nNy ne sera du mestier, ou se vent à purs deniers cōtanscontans, la liberté
de se pouuoirpouvoir rauiserraviserrepentir & reconnoistre. ⁁
⁁ nNeque ut omnia quae
praescripta et imperata
sint defendat necessitate
ulla cogitur. Si son gouuerneurgouverneur
tient de mon humeur il leuy dres formera la uolontevolonte a estre
tresloïal seruiturservitur de son prince maiset legitime seruiturservitur mais non
que legitime et tresuolonterevolontereaffectione & trescorageus mais il luy
refroidira l’enuieenvie de s’y teniratacher autrement que par un deuoirdevoir publique.
Outre plusieurs autres inconueniansinconvenians qui blessent un home librenostre franchise
ferme par ces obligations particulieres le iugementjugement d’un home gage et
acheté ou il est moins entier et moins libre ou il est tache d’ingratitudeet d’imprudence
et d’ingratitude. VnUn courtisan ne peut auoiravoir ny loi ni uolontevolonte de dire &
penser que fauorablementfavorablement d’un maistre qui parmi tant de milliers d’autres
subiectzsubjectz l’a choisi pour le nourrir et esleuereslever de sa main Cette faueurfaveur & utilite
esbl corrompent non sans quelque raison sa franchise et l’esblouissent Pourtant
uoitvoit on costumierement le langage de ces gens la diuersdivers a tout le reste autre
langage d’un estat et de peu de foi en telle matiere.
Que sa conscience & sa
P
ESSAIS DE M. DE MONTA.
vertu, reluisent iusquesjusques àen son parler.⁁ ⁁ et n’aïent que la raison pour guide. Qu’on luy face entēdreentendre q̄que
de confesser la faute qu’il descouuriradescouvrira en son propre discours,
encore qu’elle ne soit aperceuë que par luy, c’est vnun effet de iu-
gementju-
gement & de sincerité, qui sont les principales qualitezparties qu’il
cherche. ⁁
⁁ Que l’opiniatrer & contester
sont qualites communes &
plus apparantes aus plus
basses ames: que se rauiserraviser
& se corriger: aAbandoner
vnun mauuesmauves parti sur le cours
de son ardur, ce sont qualitez
rares fortes et philosofiques.
On l’aduiseraertiraadviseraertira, estātestant en cōpaigniecompaignie, d’auoiravoir les yeux par
tout: cCar ieje trouuetrouve que les premiers sieges fsont communémētcommunément
saisis par les hommes moins capables, & que les grandeurs de
fortune ne se trouuenttrouvent guieres meslées à la suffisance. IJ’ay veu
cependant qu’on s’entretenoit au haut bout d’vneune table, de la
beauté d’vneune tapisserie, ou du goust de la maluoisie, se perdre
beaucoup de beaux traicts à l’autre bout. Il sondera la portée
d’vnun chacūchacun,: vnun bouuierbouvier, vnun masson, vnun passātpassant,: il faut tout met-
tre en besongne, & emprunter chacūchacun selon sa marchādisemarchandise: car
tout sert en mesnage: lLa sottise mesmes, & foiblesse d’autruy
luy sera instruction. A contreroller les graces & façons d’vnun
chacun, il s’engendrera enuieenvie des bonnes, & mespris des mau-
uaisesmau-
vaises. Qu’on luy mette en fantasie vneune honeste curiosité de
s’enquerir de toutes choses: tTout ce qu’il y aura de singulier
autour de luy, il le verra: vVnuUn bastimētbastiment, vneune fontaine, vnun hom-
me, le lieu d’vneune bataille ancienne, le passage de Caesar ou de
Charlemaigne.,
Quae tellus sit lenta gelu, quae putris ab aestu,
Ventus in Italiam quis bene vela ferat,.
Il s’enquerra des meurs, des moyens & des alliances de ce Prin-
ce, & de celuy-là. Ce sont choses tres-plaisantes à apprēdreapprendre, &
tres-vtilesutiles à sçauoirsçavoir. En cette practique des hommes, ij’entends
y comprendre & principalement, ceux qui ne viuentvivent qu’en la
memoire des liureslivres. Il practiquera par le moyen des histoires,
ces grandes ames des meilleurs siecles. C’est vnun vain estude qui
veut: mais qui veut aussi c’est vnun estude de fruit inestimable. ⁁
⁁ Et le sul estude come
dict Platon que les
Lacedemoniens eussent
reseruèreservè a leur part.
Quel profit ne fera-il en cestte part là, à la lecture des vies de
nostre Plutarque? Mais que mon guide se souuienesouviene ou vise sa
LIVRE PREMIER. 58
charge,. &Et qu’il n’imprime pas tant à son disciple,⁁
⁁ la datte de la ruine
de Carthage que les
meurs de Hannibal et
Scipion: ny tant
ou mourut
Marcellus, que pourquoy il fut indigne de son deuoirdevoir, qu’il
mourut là: qQu’il ne luy apprēneapprenne pas tāttant les histoires, qu’à en iu-
gerju-
ger. ⁁
⁁ C’est a mon grè entre
toutes, la matiere a
laquelle l’nos esprits s’appliquent
de plus diuersediverse mesure
IeJe lis en Tite ce q
plusieurs choses. IeJe’ay
lisleu en Tite LiueLive
cent choses que tel
n’y a pas leu Plutarque
en a a leu deus fois
autantcent outre ce que
ij’y ai sceu lire: & a lauen=
turel’aven=
ture outre ce que lautheurl’autheur
y auoitavoit mis. CestC’est aus uns
unA d’aucuns
c’est un peur estude
grammerien: a d’autres
l’anatomie de la phiso
philosofie ouen laquelle les plus
abstruses parties de nostre
nature se penetrent.
Il y a dans cet autheurPlutarque beaucoup de discours estādusestandus, tres-
dignes d’estre sceus, car à mon gré c’est le maistre ouurierouvrier de
telle besongne: mMais il y en à mille qu’il n’a que touché sim-
plement: iIl guigne seulement du doigt par ou nous irons, s’il
nous plaist,: & se cōtentecontente quelquefois de ne donner qu’vneune at-
tainte dans le plus vif d’vnun propos. Il les faut arracher de là, &
mettre en place marchande. Comme ce sien mot, que les ha-
bitans d’Asie, seruoientservoient à vnun seul, pour ne sçauoirsçavoir pronon-
cer vneune seule sillabe, qui est, non, donna peut estre, la matie-
re, & l’occasiōoccasion à ⁁ ⁁ Estiene de la Boitie, de sa seruitudeservitude volontaire. Cela mes-
me de ⁁ luy voir Plutarque, tirertrier vneune legiere action en la vie d’vnun
homme, ou vnun mot, qui semble ne porter pas,: cela, c’est vnun
discours,. c’C’est dommage que les gens d’entendement, ay-
ment tant la briefuetébriefveté: sSans doute leur reputation en vaut
mieux, mais nous en valons moins: Plutarque aime mieux
que nous le vantions de son iugementjugement que de son sçauoirsçavoir,:
il ayme mieux nous laisser desir de soy que satieté. Il sçauoitsçavoit
qu’és choses bonnes mesmes on peut trop dire,: & que Ale-
xandridas reprocha iustementjustement, à celuy qui tenoit aux Epho-
res des bons propos, mais trop longs: O estrangier, tu dis
ce qu’il faut, autrement qu’il ne faut. ⁁
⁁ Ceus qui ont le corps gresle
le grossissent d’embourrures:
ceus qui ont la matiere exile,
l’enflent de paroles.
Il se tire vneune merueil-
leusemerveil-
leuse clarté pour le iugemētjugement humain,⁁ de ⁁ la frequentation du monde. ce cōmercecommerce des hom-
mes. Nous sommes tous cōtraintscontraints & amōcellezamoncellez en nous mes-
mes, & auōsavons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez. On
demandoit à Socrates d’où il estoit, il ne respōditrespondit pas d’Athe-
nes, mais du mōdemonde. Luy qui auoitavoit sōson imaginatiōimagination plus plaine &
plus estāduëestanduë, embrassoit l’vniuersunivers, cōmecomme sa ville,: iettoitjettoit ses cō-
noissancescon-
noissances, sa societé & ses affectiōsaffections à tout le gēregenre humain: nNōnNon
pas cōmecomme nous, qui ne regardōsregardons qu’à nos piedsque sous nous. Quand les vi-
P ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gnes gelent en mon village, mōmon prebstre en argumente l’ire de
Dieu sur la race humaine, & iugejuge que la pepie en tienne des-iaja
les Cannibales. A voir nos guerres ciuilesciviles, qui ne crie que cet-
te machine se bouleuersebouleverse, & que le iourjour du iugemētjugement nous tiēttientprent
au collet: sSans s’auiseraviser que plusieurs pires choses se sont veuës,
& que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le
bon temps cependant. Moy, selon leur licēcelicence & impunité, ad-
mire de les voir si douces & molles. A qui il gresle sur la teste,
tout l’hemisphere semble estre en tempeste & orage: &Et disoit
le SauoïartSavoïart, que si ce sot de Roy de France, eut sceu bien con-
duire sa fortune, il estoit homme pour deuenirdevenir maistre d’ho-
stel de son Duc. Son imagination ne conceuoitconcevoit autre plus es-
leuéees-
levée grandeur, que celle de son maistre. ⁁
⁁ Nous somes insensi=
blement tous en cette
errur, errur de grand’estendue
et de grand pois suite
et importance. praeiudicepraejudice.
Mais qui se presente
comme dans vnun tableau, cette grādegrande image de nostre mere na-
ture en son entiere magesté: qui lit en son visage, vneune si gene-
rale & constante varieté,: qui se remarque la dedans, & nōnon soy,
mais tout vnun royaume, comme vnun traict d’vneune pointe tres-de-
licate,: celuy-là seul estime les choses selon leur iustejuste grādeurgrandeur.
Ce grand monde, que les vnsuns multiplient encore comme es-
peces soubs vnun gēregenre, c’est le miroüer, où il nous faut regarder,
pour nous cōnoistreconnoistre de bon biais. Somme ieje veux que ce soit
le liurelivre de mon escholier. Tant d’humeurs, de sectes, de iuge-
mensjuge-
mens, d’opinions, de loix & de coustumes nous apprennent à
iugerjuger sainement des nostres,: & apprenent nostre iugementjugement à
reconnoistre son imperfection & sa naturelle foiblesse: qui
n’est pas vnun legier apprentissage. Tant de remuements d’estat,
& changements de fortune ⁁ ⁁ publique, nous instruisent à ne faire pas
grande receptemiracle de la nostre. Tant de noms, tāttant de victoires &
conquestes enseueliesensevelies soubs l’oubliance, rendent ridicule l’es-
perance d’eterniser nostre nom par la prise de dix argolets, &
d’vnun pouillier, qui n’est conneu que de sa cheute. L’orgueil
& la fiereté de tant de pompes estrangieres, la magesté si
LIVRE PREMIER. 59
enflée de tant de cours & de grandeurs, nous fermit & asseure
la veüe, à soustenir l’esclat des nostres, sans siller les yeux. TātTant
de milliasses d’hommes enterrez auantavant nous, nous encou-
ragent à ne craindre d’aller trouuertrouver si bonne compagnie en
l’autre monde: aAinsi du reste. ⁁
⁁ La uiesvies des homesNostre uievie disoit
Pythagoras retire a la
grande & populeuse assābleeassamblee
des ieusjeus Olimpiques. Les uns
s’y exercent le corps pour en
acquerir la gloire des ieusjeus
d’autres y portent des marchan=
dises a uandrevandre pour le guein.
Il en est et qui ne sont pas les
pires quilesquels n’ye cherchent autre
fruit que de regarder ce qui
s’y faict comant et pourquoi
chaque chose se faict et estre
spectaturs de la uievie des autres homes
pour regler la leur en iugerjuger
et regler la leur.
Aux exemples, se pourront pro-
premētpro-
prement assortir tous les plus profitables discours de la philo-
sophie,: à laquelle se doiuentdoivent toucher les actions humaines,
comme à leur reigle. On luy dira.,
quid fas optare, quid asper plus en ça
Vtile nummus habet patriae charisque propinquis
Quantum elargiri deceat, quem te Deus esse
Iussit, & humana qua parte locaueritlocatus es in re,
Quid sumus, aut quidnam victuri gignimur:
QqQue c’est que sçauoirsçavoir & ignorer, qui doit estre le but de l’e-
stude,: qQue c’est que vaillance, temperance, & iusticejustice: cCe qu’il y
à a dire entre l’ambition & l’auariceavarice, la seruitudeservitude & la subie-
ction, la licence & la liberté: àA quelles marques on connoit le
vray & solide contentement: iIusquesjJusques ou il faut craindre la
mort, la douleur & la honte.:
Et quo quemque modo fugiátque ferátque laborem.:
QqQuels ressors nous meuuentmeuvent, & le moyen de tant diuersdivers brā-
lesbran-
les en nous. Car il me semble que les premiers discours, de-
quoy on luy doit abreuuerabreuver l’entendement, ce doiuentdoivent estre
ceux, qui reglent ses meurs & son sens,. qQui luy apprendront à
se connoistre, & à sçauoirsçavoir bien mourir & bien viurevivre. ⁁
⁁ Entre les ars
liberaus comançons
par lartl’art qui nous faict
libres. Elles seruentservent toutes
uoirementvoirement en quelque maniereaucunement
a l’instruction de nostre uievie
et a son usage: come toutes
autres choses ⁁ ⁁ y seruentservent aucunement. Mais choisissons
celle qui y sert directemant
et coniouintementconjouintement et
professoirement. Si nous
sçauionssçavions restreindre les apartenances de
nostre uievie a leurs iustesjustes et naturels
limites nous trouuerrionstrouverrions que la meilleure
part des sciances qui sont en usage nous est
de nul usage est hors de nostre usage.
Et en celles mesmes qui le sont qu’il y a
des estendues et enfonceures tresinutilles
que nous fairions mieus de laisser la Et
suiuantsuivant l’institution de Socrates borner le
cours de nostre estude en icelles:, ou faut
l’utilite.
sapere aude,
Incipe, Vuiuendi qui rectè prorogat horam,
Rusticus expectat dum defluat amnis, at ille
Labitur, & labetur in omne volubilis aeuum:.
C’est vneune grande simplesse d’apprendre à nos enfans.,
Quid moueant pisces, animosáque signa leonis,
Lotus & Hesperia quid capricoruus aqua.,
P iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Lla science des astres & le mouuementmouvement de la huitiesme sphe-
re, auantavant que les leurs propres.,
τί πλειάδεσσι κἀμοί.
τί δ’αστράσιδ’ἀστράσι βοώτεωβοωτέω ⁁
⁁ Anaximenes escriuantescrivant à Pythagoras: De quel sens
puis ieje m’amuser aus secrets dudes ciel estoiles aïant la mort
ou la seruitudeservitude tousiourstousjours presante aus yeus (car lors les
Roys de Perse preparoint la guerre contre son païs) ChacūChacun
doit dire aisinainsin AEstant battu d’ambition d’auariceavarice de
temerite de supersitition
et aïant au dedans tels
autres enemis
de la uievie irai
ieje songer au branle
du monde.
Apres qu’on luy aura aprisdict ce qui sert à le faire plus sage &
meilleur, on l’entretiendra que c’est que Logique, Musiquephisique,
Geometrie, Rhetorique: &Et la science qu’il choisira ayant des-
ja le goust & iugementjugement formé, il en viēdraviendra bien tost à bout.
Sa leçon se fera tantost par deuisdevis, tantost par liurelivre: tantost
son gouuerneurgouverneur luy fournira de l’auteur mesme propre à cet-
te fin de son institution: tantost il luy en donnera la moelle,
& la substance toute maschée. Et si de soy mesme il n’est as-
sez familier des liureslivres, pour y trouuertrouver tant de beaux discours
qui y sont, pour l’effect de son dessein, on luy pourra ioindrejoindre
quelque homme de lettres, de qui à chaque besoing il retirefournisse
les munitions qu’il luy faudra, pour apres à sa mode les distri-
buer & dispenser à son nourrisson. Et que cette leçon ne
soit plus aisée, & naturelle que celle de Gaza, qui y peut
faire doute? Ce sont la preceptes espineux & mal plaisans,
& des mots vains & descharnez, ou il n’y à point de pri-
se, rien qui vous esueilleesveille l’esprit, rien qui vous chatouille: eEn
cette cy l’ame trouuetrouve ou mordre, et ou se paistre,. & ou se gen-
darmer: Ce fruict est plus grand sans comparaison, & si sera
plustost meury. C’est grand cas que les choses en soyent là en
nostre siecle, que la philosophie ce soit iusquesjusques aux gens d’en-
tendemēten-
tendement, vnun nom vain & fantastique,⁁ qui se treuuetreuve de nul vsageusage, & de nul
pris.⁁ ⁁ et par opinion et par effaict. IeJe croy que ces ergotismes en sont cause, qui ont saisi ses
auenuesavenues. On à grand tort de la peindre inaccessible aux en-
fans, & d’vnun visage rēfroignérenfroigné, sourcilleux & horribleterrible: qQui me
l’a masquée de ce faux visage pasle & hideux? Il n’est riērien plus
gay, plus gaillard, plus eniouéenjoué, & à peu que ieje ne die follastre.
Elle ne presche que feste & bon tēpstemps: vVneuUne mine triste & tran-
LIVRE PREMIER. 5060
sie, montre, que ce n’est pas la son giste. Demetrius le Gram-
mairien rencontrant dans le temple de Delphes vneune troupe
de philosophes assis ensemble, il leur dit,. oOu ieje me trompe,
ou à vous voir la contenance si paisible & si gaye, vous n’e-
stes pas en grand discours entre vous. A quoy l’vnun d’eux He-
racleon le Megarien respondit: cC’est à faire à ceux qui cher-
chent si le futur du verbe βάλλω à double λ, ou qui cherchent
la deriuationderivation des comparatifs χεῖρον & βέλτιον, & des superlatifs
χεῖριστονχείριστον & βέλτιστον, qu’il faut rider le front s’entretenant de leur
science: mMais quant aux discours de la philosophie, ils ont ac-
coustumé d’esgayer & resiouïrresjouïr ceux qui les traictent, non
les renfroigner & contrister.:
Deprendas animi tormenta latentis in aegro
Corpore, deprendas & gaudia, sumit vtrumque
Inde habitum facies.
L’ame qui loge la philosophie, doit par sa santé rendre sain
encores le corps: eElle doit faire luire iusquesjusques au dehors son
contentement, son repos, & son aise: dDoit former à son moule
le port exterieur, & le garnir’armer par consequent d’vneune gratieuse
fierté, d’vnun maintien actif, & allegre, & d’vneune contenance ras-
sisecontente & debonnaire. ⁁
⁁ La plus expresse
marque de la sagesse
c’est une eiouissanceejouissance
constante: son estat
est come des choses
au dessus de la Lune
tousiourstousjours serein.
C’est Barroco & Baralipton, qui rendent
leurs supposts ainsi marmiteuxcrotez & enfumés, cCe n’est pas elle,
ils ne la connoissent que par ouïr dire?. Comment? elle faict
estat de serainer les tempestes de la fortunel’ame, & d’aprendre la
fain & les fieburesfiebvres à rire:. nNon par quelques Epicycles ima-
ginaires, mais par raisons grossieresnaturelles, maniables & palpables. ⁁
⁁ Ell’a pour son but la
uertuvertu qui n’est pas
come dict lescolel’escole plantée
a la teste d’un mont
cope raboteus & inacces
sible. Ceus qui l’ont
aprochee, au rebours
l’ont ueuveula tienent logee au reb
reboursau rebours logee dans une belle
pleine fertile & fleuris=
sente, doud’ou elle uoitvoit
bien sous soi toutes
choses, mais si f peut on y arriuerarriver qui
en sçait l’adresse par des routes unies
ombrageuses gasonees & dous fleurantes, & ombragees
plesammant et d’une pente insansible
imperceptible.routes facile et polie come est celle des uoutesvoutes celestes. Pour n’auoiravoir hanté cette uertuvertu belle et triomfante supreme belle
triomfante amoureuse, delicieuse pareillement et corageuse, enemie professe et
irreconciliable d’aigrur de desplaisir de creinte et de contreinte aiant pour guide nature
fortune et uoluptevolupte pour compaignes: ils sont alles selon leur foiblesse feindre cette
sotte image triste quereleuse despite menaceuse mineuse et la placer sur un
rochier a l’escart emmi des ronces: fantosme a estoner les gens. Mon gouuernurgouvernur
qui conoit deuoirdevoir ramplir la uolontevolonte de son disciple autant ou plus d’affection que de reuerancereverance enuersenvers
la vertu, lui sçaura dire, que les poëtes suiuentsuivent les humeurs communes: & lui faire toucher au doigt,
que les dieux ont mis plustost la sueur aux aduenuesadvenues des cabinetz de Venus que de Pallas.
Et quant il commencera de se sentir, luy presentant Bradamant ou ⁁
Cette addition se poursuit sur le folio précédent (f.59v.) où est se trouve serrée en marge gauche et dans la longueur, peut-être recopiée à partir d’un brouillon?
⁁ Angelique, pour maistresse à ioüirjoüir: & d’vneune beauté naïuenaïve, actiueactive, genereuse, non hommasse, mais virile, au prix d’vneune beauté molle, affettée, delicate, artificielle;
l’vneune trauestietravestie en garçon coiffee d’un morrion luysant: lautrel’autre uestuevestue en garce coiffee d’un attiffet en enperlé: il iugerajugera masle son amour mesme, s’il choisit
tout diuersemantdiversemant a cet effemine pastur de Phrygie. Il luy faira cette nouuellenouvelle leçon que le pris et hautur de la uraïevraïe uertuvertu est en la facilitè
vtilitéutilité et uoluptévoluptéplaisir de son exercice, si eslouigné de difficulté que les enfans y peuuentpeuvent come les homes, les simples come les subtils. Le g reglemant c’est
son vtilutil non pas la force. Socrates son premier mignon quitte, a esciant sa force pour glisser en la naïfuetenaïfvete et aisance de son progrez. C’est la maire nourrisse des
plaisirs humains. En les rendant iustesjustes, elle les rant surs et purs. Les moderant, elle les tient en haleine et en goust. Retranchant ceus qu’elle refuse elle nous
aiguise enuersenvers ceus qu’elle nous laisse Et nous laisse abondammant tous ceus que ueutveut nature et iusquesjusques a la satiete maternellemātmaternellemant sinon iusquesjusques
la lassete. Si d’auantureavanture nous ne uolonsvolons dire que le regime qui arrete le beuueurbeuveur auantavant l’iuresseivresse, le mangeur auantavant la crudité le paillart auantavant la pelade, soit
ennemi de nos plaisirs. Si la fortune commune luy faut ou elle luy eschape ou elle s’en passe et s’en forge un’autre toute siene non plus flottante & roulante.
Elle sçait estre riche et puissante et sçauantesçavante: et coucher dans des matelas musquez Elle aime la uievie elle aime la ⁁ beaute et la gloire et la sante. Mais son office propre et
particulier c’est sçauoirsçavoir user de ces biens la regleemant et les sçauoirsçavoir perdre constammant. Office bien plus noble qu’aspre. Sans le quel tout cours de uievie est
desnaturè turbulant et difforme: et y peut on iustemantjustemant atacher ces esceuils ces haliers et ces monstres. Si ce disciple se rencontre de si diuersediverse condition qu’il
aime mieus ouir le babil d’une famefable que la narration d’un beau uoïagevoïage ou un sage propos quand il l’entandera Qui au son du tabourin qui arme la iunejune
ardur de ses compaignons se destourne a un autre qui l’apelle au ieujeu des batelurs Qui ypar souhet ne treuuetreuve plus plesant et plus dous reuenirrevenir poudreus et
victorieus d’un combat, que de la paume ou du bal aueqaveq le pris de cet exercice: ieje n’y treuuetreuve autre remede sinon que de bone heure son gouuernurgouvernur l’estrangle s’il
est sans tesmoins ou qu’on le mette pattissier dans quelque bone uilleville fut il filx d’un duc suiuantsuivant le precepte de Platon quilqu’il faut colloquer les enfans non selon les
facultez de leur pere mais selon les
facultez de leur ame.
Puis que ⁁ ⁁ la philosophie c’est celle qui nous instruict à viurevivre, & que l’enfance
y à sa leçon, comme les autres aages, pourquoy ne la luy cō-
muniquecon-
munique l’on?
Vdum & molle lutum est, nunc nunc proper andus, & acri
Fingendus sine fine rota.
On nous aprent à viurevivre, quand la vie est passée. CētCent escoliers
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ont pris la verolle auantavant que d’estre arriuezarrivez à leur leçon d’A-
ristote de la temperance. ⁁
⁁ Cicero disoit que quand
il uiuroitvivroit la uievie de
deus homes il ne
pranderoit pas le loisir
d’estudier les poëtes
Lyriques: eEt ieje treuuetreuve
ces ergotistmes plus
tristement encores
inutilles. Nostre enfātenfant
est bien plus pressé: il
ne doit a lestudel’estude toute
sorte d’estudelescolagel’escolage
au paedagisme que les
premiers quinse ou sese
ans de sa uievie: le demu=
rant est deu a lactionl’action:
Emploions un temps si
court aus instructions
necesseres.
Ce sont abus, ostez toutes ces subti-
litez espineuses de la Dialectique, dequoy nostre vie ne se
peut amender, prenez les simples discours de la philosophie,
sçachez les choisir & traitter à point, ils sont plus aisez à con-
ceuoircon-
cevoir qu’vnun conte de Boccace. VnUn enfant en est capable au
partir de la nourrisse, beaucoup mieux que d’aprendre à lire
ou escrire. La philosophie à des discours pour la naissance des
hommes, comme pour la decrepitude. IeJe suis de l’aduisadvis de
Plutarque, qu’Aristote n’amusa pas tant son grand disciple à
l’artifice de composer syllogismes, ou aux Principes de Geo-
metrie, comme à l’instruire des bons preceptes, touchant la
vaillance, proüesse, la magnanimité & temperance, & l’asseu-
rance de ne rien craindre: &Et auecavec cette munition, il l’enuoyaenvoya
encores enfant subiuguersubjuguer l’Empire du monde auecaveca tout seulemētseulement
30000. hommes de pied, 4000. cheuauxchevaux, & quarante deux
mille escuz. Les autres arts & sciences, dict-il, Alexandre les
honoroit bien, & loüoit leur excellence & gentillesse, mais
pour plaisir qu’il y prit, il n’estoit pas facile à se laisser surpren-
dre à l’affection de les vouloir exercer.
petite hinc iuuenésque senesque
Finem animo certum, miserísque, viatica canis. ⁁
⁁ C’est ce que dict
Epicurus au comācemētcomancement
de sa lettre a Meniceus:
Ny le plus iunejune refuie
à philosofer ny le
plus uieilvieil s’y lasse.
Qui faict autremant
il semble dire ou qu’il
n’est pas encore seson
d’hureusement uiurevivre
ou qu’il n’en est plus
saison.
Pour tout cecy, ieje ne veu pas qu’on emprisonne cet enfant
dans vnun college,ce garçon,: iIejJe ne veux pas qu’on l’abandonne à la colere
& ’humeur melancholique d’vnun furieux maistre d’escole: iIejJe
ne veux pas corrompre son esprit, à le tenir à la gehene & au
trauailtravail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par
iourjour, comme vnun portefaiz: ⁁
⁁ Ny ne trouuueroistrouvuerois bon quādquand
on le trouueroittrouveroit par quelque
complexion solitere et
melancholique ⁁ ⁁ on le uerroitverroit adone d’une
application trop indiscrete
a lestudel’estude des liureslivres qu’on
la luy nourrit Cela les
rend ineptes a la conuersationconversation ciuilleciville et de les destourne de
meilleures occupations et combien ai ieje ueuveu de mon temps
d’homes abestis par temerere auiditeavidite de sciance
Carneades s’en trouuatrouva si affole qu’il ne trouuoittrouvoitn’eut plus le loisir de
se faire le poil et les ongles.
nNy ne veux gaster ses meurs gene-
reuses par l’inciuilitéincivilité & barbarie d’autruy. La sagesse Françoi-
se à esté anciennement en prouerbeproverbe, pour vneune sagesse qui pre-
noit de bōbon’heure & n’auoitavoit guieres de tenue. A la verité nous
voyons encores qu’il n’est rien si gentil que les petits enfans
en
LIVRE PREMIER. 4861
en France: mais ordinairement ils trompent l’esperāceesperance qu’on
en à conceuë,: & hōmeshommes faicts, on n’y voit aucune excellence.
IJ’ay ouy tenir à gens d’entendement, que ces colleges ou on
les enuoieenvoie, dequoy ils ont foisonabondancefoison, les abrutissent ainsin. Au no-
stre, vnun cabinet, vnun iardrinjardin, la table, & le lit, la solitude, la com-
paignie, le matin & le vespre, toutes heures luy seront vnesunes:
toutes places luy seront estude: cCar la philosophie, qui, cōmecomme
formatrice des iugementsjugements & des meurs, sera sa principale le-
çon, à ce priuilegeprivilege, de se mesler par tout. Isocrates l’orateur
estant prié en vnun festin de parler de son art, chacun trouuetrouve
qu’il eut raison de respondre: iIl n’est pas maintenant temps
de ce que ieje sçay faire, & ce dequoy il est maintenant temps,
ieje ne le sçay pas faire: cCar de presenter des harangues ou des
disputes de rhetorique à vneune compaignie, assemblée pour ri-
re & faire bonne chere, ce seroit vnun meslange de trop mauuaismauvais
accord. Et autant en pourroit-on quasi dire de toutes les au-
tres sciences: mMais quant à la philosophie, en la partie, ou elle
traicte de l’homme & de ses deuoirsdevoirs & offices, ç’à esté le iuge-
mentjuge-
ment commun de tous les sages, que pour la douceur de sa
cōuersationconversation, elle ne deuoitdevoit estre refusée, ny aux festins, ny aux
ieuxjeux: &Et Platon l’ayant conuiéeconviéeinuiteeinvitee à son conuiueconvive, nous voyons
comme elle entretient l’assistence d’vneune façon molle, & accō-
modéeaccom-
modée au temps & au lieu, quoy que ce soit de ses plus hauts
discours & plus salutaires.
Aeque pauperibus prodest, locupletibus aeque,
Et neglecta aeque pueris senibúsque nocebit.
Ainsi sans doubte il chomera moins, que les autres: mMais com-
me les pas que nous employons à nous promener dans vneune
galerie, quoy qu’il y en ait trois fois autātautant, ne nous lassent pas,
comme ceux que nous mettons à quelque chemin desseigné:
aussi nostre leçon se passant comme par rencontre, sans obli-
gation de temps & de lieu, & se meslant à toutes nos actiōsactions, se
Q
ESSAIS DE M. DE MONT.
coulera sans se faire sentir. Les ieuxjeux mesmes, & les exercices se-
ront vneune ⁁ ⁁ bone partie de l’estude: lLa course, la luite, ⁁ ⁁ la musique la danse, la chas-
se, le maniemētmaniement des cheuauxchevaux & des armes. IeJe veux que la bien-
seance exterieure, & l’entre-gent ⁁ ⁁ et la disposition dude corsla persone, se façonne quant & quant
l’ame. Ce n’est pas vneune ame, ce n’est pas vnun pas corps, qu’on dresse,
c’est vnun homme, il n’en faut pas faire à deux. Et comme dict
Platon, il ne faut pas les exercerdresser l’vnun sans l’autre, mais les con-
duire également, comme vneune couple de cheuauxchevaux attelez à
mesme timon. ⁁ ⁁ Et a louirl’ouir semble il pas qu’il prester et plus de temps et plus de sollicitude aus exercices du cors
est et estimer
que l’esprit s’en
exerce quand
et quant, et non
au rebours.
Chronologiquement, Montaigne a écrit :
1-Qu’on evite cete indiscrete...
2-Qu’on evite de les induire a cete indiscrete...
3-Qu’on evite de l’induire a cete indiscrete...
Qu’on euiteevite de les’
induire a
cete indiscrete
auiditeavidite destuded’estude
des liureslivres qui
leur oste toute
grace en la
conuersationconversation
ciuilecivile et les
destourne de
tout’autreautres
meillures occu
pations Carneades
en deuintdevint si
affolé qu’il ne
trouuatrouva plus loisir
a se faire les
ongles & le poil.
Combien d’homes
ai ieje ueuveu de mon
temps abestis par
lestudel’estude
Au demeurant, toute cette institution se doit
cōduireconduire par vneune seueresevere douceur, non comme aux colleges, ouil se faict:
aAu lieu de cōuierconvier les enfans aux lettres, & leur en dōnerdonner goust,
on ne leur presente à la veriréverité, que horreur & cruauté: oOstez
moy la violence & la force, il n’est rien à mon aduisadvis qui aba-
stardisse & estourdisse si fort vneune nature bien née,: sSi vous auezavez
enuieenvie qu’il craigne la honte & le chastiemētchastiement ne l’y endurcissez
pas: eEndurcissez le à la sueur & au froid, au vent, au soleil & aux
hazards qu’il luy faut mespriser: oOstez luy toute mollesse &
delicatesse au vestir & coucher, au manger & au boire: accou-
stumez le à tout: qQue ce ne soit pas vnun beau garçōgarçon & dameret,
mais vnun garçon vert & vigoureux. ⁁
⁁ Enfant, home, uieilvieil, ij’ay tousiourstousjours creu et iugéjugé de mesme,. a peu pres. Mais entre autresMais entre autres choses, cette
police de la plus part de nos collieges m’a tousiourstousjours despleu. On eut failli a l’auantureavanture moins domageablement
s’inclinant uersvers l’indulgence. C’est une urayevraye geole de iunessejunesse captiuecaptive. On la rent desbauchee l’en punissātpunissant
auantavant qu’elle le soit. ArriuezArrivez y sur le poinct de leur office uousvous n’oyes que cris et d’enfans suppliciez
et de maistres enyurezenyvrez en leur cholere. Quelle maniere d’pour esueilleresveiller l’appetit enuersenvers leur leçon, dea ces tendres
ames et creintiuescreintives, de les y guider d’une trouigne effroiable, les mains armees de fouetz. Inique et
pernicieuse forme. IointJoint ce que’un antienQuintilien en a tresbien remarqué que cette imperïeuse authorité tire des
suites perilleuses: et nomeemant a nostre façon de chatiemant. Combien leurs classes seroint plus decemment
et ingenieusement ioncheesjonchees de rosesfleurs et de feuillee que de tronçons d’osier sanglans. IJ’y fairois portraire
lela ieujeu la gaietéioyejoie l’alegresse et flora et les graces ⁁ ⁁ come fit en son escole le philofephilosofe Speusippus: Ou est leur profit que ce fut aussi leur esbat. On doit ensucrer les uiandesviandes
salubres a l’enfant et enfieler celes qui luy sont nuisibles. C’est merueillemerveille combien Platon se montre souigneus et ses loix de la gayete ⁁ ⁁ et passe temps de la iunessejunesse des enfans
de sa cite et combien il s’arrete po a leurs exercicesexe courses, ieusjeus chançons etsaus et danses, et courses des quelles il dict que lantiquitel’antiquité a done la conduite et le partronage aus
dieus mesmes: Apollo et les Muses et Bacchus. Leset MinerueMinerve pour ceus de plus bastout eage Bacchus pour l’eage plusbien auancéavancé. Il s’estant a mille praeceptes pour ses gymnases:
pour les sciances lettrees il s’y amuse fort peu & sēblesemble ne recomander particulierement la poisie que pour la musique
Toute estrangeté & parti-
cularité en nos meurs & conditions est euitableevitable, comme en-
nemie de communication & de societé:. ⁁
⁁ et come
mōstrueusemonstrueuse
tesmouin
Qui ne s’esto=
neroit de la
cōplexioncomplexion de
Demophon
maistre d’hostel
d’Alexandre
qui suoit a
lombrel’ombre &
trābloittrambloit au
soleil.
iIjJ’en ay veu fuir la sen-
teur des pōmespommes, plus que les harquebusades,: d’autres s’effrayer
pour vneune souris,: d’autres rendre la gorge à voir de la cresme:
d’autres à voir branslersser /brasser/ vnun lict de plume: comme Germanicus
ne pouuoitpouvoit souffrir ny la veue ny le chant des coqs. Il y peut
auoiravoir à l’auantureavanture à cela quelque proprieté occulte, mais on
l’esteindroit à mon aduisadvis, qui s’y prēdroitprendroit de bon’heure. L’in-
stitution à gaigné cela sur moy, il est vray que ce n’a point esté
sans quelque soing, que sauf la biere, mōmon goustappetit est accommo-
dable ⁁ ⁁ indifferammant a toutes choses, dequoy on se pait. Le corps encore sou-
ple, on le doit a cette cause, plier a toutes façons & coustumes:
LIVRE PREMIER. 62
&Et pourueupourveu qu’on puisse tenir l’appetit & la volōtévolonté soubs bou-
cle, qu’on rende hardimēthardiment vnun ieunejeune homme commode a tou-
tes nations & compaignies,. vVoire au desreglemētdesreglement & aus exces,
si besoing est:⁁
⁁ . Son exercitation
doit en fin suiuesuivent
lusagel’usage.
Qu’il puisse faire toutes choses, & n’ayme a faire
que les bonnes. Les philosophes mesmes ne trouuēttrouvent pas loua-
ble en Calisthenes, d’auoiravoir perdu la bonne grace du grand A-
lexandre son maistre, pour n’auoiravoir voulu boire d’autātautant a luy.
Il rira, il follastrera, il se desbauchera auecavec son prince: iIejJe veux
qu’en la desbauche mesme, il surpasse en vigueur & en ferme-
té ses compagnons,: &Et qu’il ne laisse a faire le mal, ny a faute de
force ny de science, mais a faute de volonté. ⁁
⁁ Multum interest
utrum peccare ali
quis nolit aut nesciat.
IeJe pēsoispensois faire hō-
neurhon-
neur à vnun seigneur aussi eslongné de ces débordemens, qu’il
en soit en France, de m’enquerir à luy en bonne compaignie,
combien de fois en sa vie il s’estoit enyuréenyvré, pour la necessité
des affaires du Roy en Allemagne: iIl le print de cette mesme
façon, & me respondit que c’estoit trois fois, lesquelles il reci-
ta. IJ’en sçay, qui à faute de cette faculté, se sont mis en grand
peine ayans à pratiquer cette nation. IJ’ay souuentsouvent remarqué
auecavec grand’admiration cettela merueilleusemerveilleuse nature d’Alcibia-
des, de se transformer si aisément à façons si diuersesdiverses, sans in-
terest de sa santé,. sSurpassant tantost la somptuosité & pompe
Persienne, tantost l’austerité & frugalité Lacedemoniene,: au-
tant reformé en Sparte, comme voluptueux en Ionië.,
Omnis Aristippum decuit color, & status, & res.
Tel voudrois-ieje former mon disciple,
quem duplici panno patientia velat
Mirabor, vitae via si conuersa decebit,
Personámque feret non incocinnnusinconcinnus vtrámque.
Voicy mes leçons,⁁
⁁ : qQui les faict a mieux
profite que de luyCelluy la y a mieus profite
qui les faict que qui
les sçait. Si uousvous le
uoiesvoies uousvous l’oïes: si uousvous
l’oïes uousvous le uoiesvoies. IaJa à
dieu ne plaise dict quelcunquelc’un
en Platon que philosofer
ce soit aprandre plusieurs
choses et traicter les ars. Hanc
amplissimam omnium artium bene
uiuendi disciplinam uita magis quam
literis persequuti sunt. Leon prince des
Phliasiens s’enquerant a Heraclides Ponticus
de quelle sciance de quelle art il faisoit
profession IeJe ne sçai dict il ny art ny
sciance mais ieje suis philosophe SuiuātSuivant
le dogme d’Antisthenes maintenant que la
uertuvertu n’auoitavoit besouin ny des disciplines ny
des paroles ny des effaicts, qu’elle suffisoit a soiOn reprochoit
a Diogenes comant estant ignorant il se mesloit de la philosofie
IeJe sm’en mesle dict il d’autant mieus a propos
Hegesias le prioit Diogenes de luy lire quelque liurelivre Vous estes
plaisant, luy respondit-il: vous choisisses les figues uraiesvraies et non
et naturelles, non peintes: que ne choisissez vous aussi les exercitations naturelles vrayes, et non escrites?
ou le faire va auecavec le dire. Car à quoy sert
il qu’on presche l’esprit, si les effects ne vont quant & quant?
On verra à ses entreprinses, s’il y à de la prudence, s’il y à de la
bōtébonté en ses actiōsactionsIl ne dira pas tant sa leçon come il la faira Il la
repetera en ses actions. On uerraverra s’il y a de la prudance en ses entreprinses s’il y a de
la bonte et de la iusticejustice en ses desportemans s’il y a du d’ iugementjugement & de la grace en son parler
de la uigeurvigeur en ses maladies de la modestie en ses ieusjeus de la temperance en ses uoluptezvoluptez, de l’indifferēceindifference en son goust, soit chair, pois-
Q ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
son, vin, ou eau. ⁁
⁁ de lordrel’ordre en son oeconomie:
Qui discliplinam suam
non ostentationem
scientiae qui obtemperet
ipse sibi et decretis
pareat sed legem uitae
putet quique obtemperet
ipse sibi et decretis pareat.
Le uraivrai miroir de nos
discours, est le cours de
nos uiesvies.
Il ne faut pas seulement qu’il die sa leçōleçon, mais
qu’il la face. Zeuxidamus respōditrespondit à vnun, qui luy demādademanda pour-
quoy les Lacedemoniens ne redigeoient par escrit les ordon-
nances de la prouesse, & ne les donnoient à lire à leurs ieunesjeunes
gens,: que c’estoit par ce qu’ils les vouloient accoustumer aux
faits, nōnon pas aux escrituresparolles. CōparezComparez au bout de 15. ou 16. ans, à
cettuy cy, vnun de ces latineurs de college, qui aura mis autātautant de
temps à n’aprendre simplement qu’à parler. Le monde n’est
que babil, & ne vis iamaisjamais hōmehomme, qui ne die plustost plus, que
moins qu’il ne doit: toutesfois la moictié de nostre aage s’en
va la. On nous tiēttient quatre ou cinq ans à entēdreentendre les mots & les
coudre en clauses,. eEncores autant à en proportionner vnun grādgrand
corps estendu en quatre ou cinq parties,. &Et autres cinq pour
le moins à les sçauoirsçavoir brefuemētbrefvement mesler & entrelasser de quel-
que subtile façon. Laissons celale à ceux, qui en font profession
expresse. Allant vnun iourjour à Orleans, ieje trouuaytrouvay dāsdans cette plaine
au deça de Clery, deux regens qui venoyent à Bourdeaux, en-
uironen-
viron à cinquante pas l’vnun de l’autre: pPlus loing derriere eux, ieje
descouurisdescouvris vneune trouppe & vnun maistre en teste, qui estoit feu
Monsieur le Comte de la Rochefoucaut: vVnuUn de mes gēsgens s’en-
quit au premier de ces regents, qui estoit ce gētilgentil’homme qui
venoit apres luy, lLuy qui n’auoitavoit pas veu ce trein, qui le suy-
uoitsuy-
voit, & qui pensoit qu’on luy parlast de son compagnon, res-
pondit plaisamment,. iIl n’est pas gentil’hōmehomme, c’est vnun grāmai-
riengrammai-
rien, & ieje suis logicien. Or nous qui cerchons icy au rebours,
de former non vnun grammairiēgrammairien ou logiciēlogicien, mais vnun gentil hō-
mehom-
me, laissons les abuser de leur loisir: nous auonsavons affaire ail-
leurs. Mais que nostre disciple soit bien garnypourueupourveu de choses,
les parolles ne suiurontsuivront que trop: il les trainera, si elles ne
veulent suiuresuivre. IJ’en oy qui s’excusent de ne se pouuoirpouvoir expri-
mer, & font contenance d’auoiravoir la teste pleine de plusieurs
belles choses, mais à faute d’eloquence, ne les pouuoirpouvoir met-
tre en euidenceevidence: c’C’est vneune baye. SçauezSçavez vous a mon aduisadvis
LIVRE PREMIER. 5063
que c’est que cela? cCe sont des ombrages, qui leur viennent de
quelques conceptions informes, qu’ils ne peuuentpeuvent desmeler
& esclarcir au dedans, ny par consequant produire au dehors:
IiIls ne s’entendent pas encore eux mesmes: &Et voyez les vnun peu
begayer sur le point de l’enfanter, vous iugezjugez que leur trauailtravail
n’est ⁁ ⁁ point à l’acouchement, mais ⁁ ⁁ a la conception, et qu’ils ne font que lecher encores
cette matiere imparfaicte. De ma part, ieje tiens ⁁ ⁁ et Socrates aussi l’ordone que qui à en
l’esprit vneune viuevive imagination & claire, il la produira, soit en
Bergamasque, soit par mines, s’il est muet.,
Verbáque praeuisam rem non inuita sequentur.
Et comme disoit cet autreceluy la, aussi poëtiquement en sa prose,
cum res animum occupauere, verba ambiunt. ⁁
⁁ Et cet autre: ipsae
res uerba rapiunt
Il ne sçait pas ablatif,
cōiunctifconjunctif, substantif, ny la grāmairegrammaire,: ne faict pas son laquais,
ou vneune harangiere du petit pont, & si vous entretiendront
tout vostre soul, si vous en auezavez enuieenvie, & se desferreront aussi
peu à l’aduentureadventure aux regles de leur langage, que le meilleur
maistre és arts de FrāceFrance. Il ne sçait pas la rhetorique, ny pour
auantavant-ieujeu capter la beniuolencebenivolence du candide lecteur, ny ne luy
chaut de le sçauoirsçavoir. De vray toute cette belle peincture s’effa-
ce aisément par le lustre d’vneune verité simple & naifuenaifve: cCes gē-
tillessesgen-
tillesses ne seruentservent que pour amuser le vulgaire, incapable de
gousterprendre la viande plus massiuemassive & plus ferme,: comme Afer
monstre bien clairement chez Tacitus. Les Ambassadeurs de
Samos estoyent venus à Cleomenes Roy de Sparte, preparez
d’vneune belle & longue oraison, pour l’esmouuoiresmouvoir à la guerre
contre le tyran Policrates: aApres qu’il les eust bien laissez dire,
il leur respondit: qQuant à vostre commencement, & exorde,
il ne m’en souuientsouvient plus, ny par consequent du milieu, & quātquant
à vostre conclusion ieje n’en vieux rien faire. Voyla vneune belle
responce, ce me semble, & des harangueurs bien cameus. Et
quoy cet autre? Les Atheniens estoyent à choisir de deux ar-
chitectes, à conduire vneune grande fabrique,: lLe premier plus
Q iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
affeté, se presenta auecavec vnun beau discours premedité sur le sub-
iectsub-
ject de cette besongne, & tiroit le iugementjugement du peuple à sa fa-
ueurfa-
veur: mMais l’autre en trois mots: sSeigneurs Atheniens ce que
cetuy à dict, ieje le feray. Au fort de l’eloquence de Cicero, plu-
sieurs en estoyent tirezentroint en admiratiōadmiration, mais Caton n’en faisant
que rire: nous auonsavons, disoit-il, vnun plaisant consul. Aille deuantdevant
ou apres: vnun vif argumentun’utile sentance, vnun beau traict, est tousiourstousjours de sai-
son. ⁁
⁁ s’il n’est pas bien
à ce qui uava deuantdevant, ny
à ce qui uientvient apres:
il est bien en soi.
IeJe ne suis pas de ceux qui pensent la bōnebonne rithme faire le
bon poeme: laissez luy allonger vneune courte syllabe s’il veut,
pour cela non force: si les inuentionsinventions y rient, si l’esprit & le iu-
gementju-
gement y ont bien iouéjouéfaict leur rolleoffice, voyla vnun bon poete, diray-
ieje, mais vnun mauuaismauvais versificateur,
Emunctae naris, durus componere versus,.
Qu’on face dict Horace, perdre à son ouurageouvrage toutes ses cou-
stures & mesures,
Tempora certa modosque, & quod prius ordine verbum est
Posterius facias, praeponens vltima primis,
Inuenias etiam disiecti membra poetae,
il ne se démentira point pour cela: les pieces mesmes en serōtseront
belles. CestC’est ce que respondit Menander, comme on le tensat,
approchant le iourjour, auquel il auoitavoit promis vneune comedie, de-
quoy il n’y auoitavoit encore mis la main: eElle est composée & pre-
ste, il ne reste qu’à y adiousteradjouster les vers. Ayant les choses & la
matiere en l’ame disposée & rangéeen l’ame, il mettoit en peu de cō-
ptecon-
pte les mots, les pieds, & les cesures, qui sont à la verité de fort
peu, au pris du reste. Et qu’il soit ainsidemurant,. dDepuis que Ronsard &
du Bellay ont mis en honneurdoné credit a nostre poesie Françoise, ieje ne
vois si petit apprentis, qui n’enfle des mots, qui ne renge les
cadences, à peu pres, comme eux. mesmes.⁁
⁁ : pPlus sonat
quam ualet.
Pour le vulgaire, il
ne fut iamaisjamais tant de poëtes: mMais comme il leur à esté bien ai-
sé de representer leurs rithmes, ils demeurent biēbien aussi court,
à imiter les riches descriptions de l’vnun, & les delicates inueninven-
LIVRE PREMIER. 64
tions de l’autre. Voire mais, que fera-il, si on le presse de la sub-
tilité sophistique de quelque syllogisme? Le iambonjambon fait boi-
re, le boire desaltere, parquoy le iambonjambon desaltere.⁁
⁁ : qQu’il s’en moque. Il est
plus subtil de s’en moquer
que d’y respondre. Voici
ce qu’il en semble a Platon
en l’Euthydeme: et par=
tout la guerre iureejuree de
Socrates a l’encontre des
Sophistes Qu’il emprunte
d’Aristippus cette plaisante
contrefinesse
responcedesfaicte Pourquoi le des=
nouerailierai ieje cet argumētargument
& le deslierai puis que tout
lie il nous done de l’affaire
m’empesche asses. Quelqu’vnun
proposoit ⁁ ⁁ contre Cleanthes des finesses dialectiques
a Cleanthes a qui Chrysippus dit
iouëjouë toi de ces batelages aueqaveq les
enfans et ne destourne a cela, les
pensees serieuses d’un home d’eage.
Si ces sot-
tes finiesses ⁁ arguties contorta et aculeata sophismata, luy doiuentdoivent persuader vneune mensonge, cela est dan-
gereux: mais si elles demeurent sans effect, & ne l’esmeuuentesmeuvent
qu’à rire, ieje ne voy pas pourquoy il s’en doiuedoive dōnerdonner garde. Il
en est de si sots, qui se destournent de leur voye vnun quart de
lieuë, pour courir apres vnun beau mot ⁁ Ce signe, à l’origine sous forme de I renvoyait à l’addition latine barrée en marge droite. Dans un second temps, Montaigne l’a modifié afin qu’il renvoi à l’addition marginale verticale qui remplaçait la première biffée.
⁁ aut qui res extrinsecus
arcessunt, quibus
uerba cōueniantconueniant
⁁ , aut qui non uerba rebus aptant, sed res extrinsecus arcessunt, quibus
uerba conueniant Et l’autre. Sunt qui alicuius uerbi decore placentis uocentur ad id
quod non proposuerant scribere. Au JeJe tors bien plus uolontiersvolontiers une bone sentance
pour la couchercoudre sur moi que ieje ne tors mon fil pour l’aler querir. Au
: au rebours, c’est aux pa-
roles à seruirservir & à suyuresuyvre, & que le Gascon y arriuearrive, si le Fran-
çois n’y peut aller. IeJe veux que les choses surmōtentsurmontent, & qu’el-
les remplissent, de façon l’imagination de celuy qui escoute,
qu’il n’aye aucune souuenancesouvenance des mots. Le parler que ij’ay-
me, c’est vnun parler simple & naif, tel sur le papier qu’à la bou-
che: vVnuUn parler succulent & nerueuxnerveux, court & serré, ⁁
⁁ non tant delicat
et peignè, come
uehementvehement et brusque
Haec demum sapiet
dictio, quae feriet.
pPlustost
difficile que ’ennuieux,. eEsloingné d’affectation,: & d’artifice,
dDesreglé, descousu, & hardy: cChaque lopin y face son corps:
nNon pedantésque, non fratesque, non pleideresque, mais plu-
stost soldatesque, comme Suetone appelle celuy de IuliusJulius
Caesar.⁁
⁁ : et si ne sens pas bien
pourquoi il l’en apelle.
IJ’ay volontiers imité cette desbauche qui se voit en
nostre ieunessejeunesse, au port de leurs vestemens,. de laisser pendre
son reistreuVUn manteau pendātpendant
en escharpe, de porter sa cape en escharpeune sa cape sur une espaule, & vnun bas mal tendu,
qui represente vneune fierté desdaigneuse de ces paremens estrā-
gersestran-
gers, & nonchallante de l’art: mMmais ieje la trouuetrouve encore mieus
employée en la forme du parler. ⁁
⁁ a Non est ornamen=
tum uirile concinnitas
Toute affectation
nomeemant en la
gaiete et liberte fran=
çoise est mesaduenantemesadvenante
au courtisan. eEt en une
monarchie tout genti=
lhome doit estre dressé
poura la façon d’un cortisan : pParquoy
nous faisons bien de gau=
chir un peus sur le naïf &
mesprisant.
IeJe n’ayme point de tissure,
ou les liaisons & les coutures paroisseunt: tTout ainsi qu’en
vnun ⁁ ⁁ beaus corps, il ne faut qu’on y puisse compter les os & les vei-
nes. ⁁
⁁ Quae ueritati
operam dat oratio
incomposita sit
et simplex. Quis
accurate loquitur
nisi qui uult
putide loqui?
LeloquanceL’eloquence faict
iniureinjure aus choses, qui
nous destourne a soy.
Come aus acoustremants c’est pusillanimité de se uouloirvouloir re marquer
par quelque façon particuliere et inusitee. De mesmes au
langage la recherche des frases nouuellesnouvelles & des mots npeu conuz
estuientvient d’un’ambition puerile et pedantesque. car Peusse ieje ne me
seruirservir que de ceus qui seruentservent aus hales a Paris. ⁁
⁁ Aristophanes les grammerien
n’y entandoit rien, de reprendre
en Epicurus la simplicite de ses mots:
et la fin de son art oratoire
qui estoit perspicuite de langage
sulement.
LimitationL’imitation
du parler par sa facilite suit incontinant tout un peuple.
L’imitation du iugerjuger de l’inuanterinvanter ne uava pas si uisteviste.
La plus part des lecturs pour auoiravoir trouuètrouvè une pareille
robe pansent tresfaucemant tenir un pareil corps. La
force et les nerfs ne s’empruntent point, les ornementatours et lale
robemanteau s’empruntent. La plus part qui me h de ceus qui me hantent
parlent come les essais de mesmes les essais mais ieje ne sçay s’ils
pensent de mesmes.
Les Atheniens (dict Platon) ont pour leur part, le soing
de l’abondance & elegance du parler, les Lacedemoniens de
la briefuetébriefveté, & ceux de Crete, de la fecundité des cōceptionsconceptions,
plus que du langage: cCeux-cy sont les miensmeilleurs. Zenon disoit
qu’il auoitavoit deux sortes de disciples: les vnsuns qu’il nommoit
φιλολόγουϛ, curieux d’apprendre les choses, qui estoyent ses mi-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gnons: les autres λογοφίλoυϛ qui n’auoyentavoyent soing que du lāgagelangage.
Ce n’est pas à dire que ce ne soit vneune belle & bonne chose que
le bien dire: mais non pas si bonne qu’on la faict, & suis despit
dequoy nostre vie s’embesongne toute à cela. IeJe voudrois
premierement bien sçauoirsçavoir ma langue, & celle de mes voi-
sins, ou ij’ay plus ordinaire commerce: cC’est vnun bel & grand a-
gencement sans doubte, que le Grec & Latin, mais on l’ache-
pte trop cher. IeJe diray icy vneune façon d’en auoiravoir meilleur mar-
ché q̄que de coustume, qui à esté essayée en moymesmes,. sS’en ser-
uiraser-
vira qui voudra. Feu mon pere, ayātayant fait toutes les recherches
qu’homme peut faire, parmy les gēsgens sçauanssçavans & d’entēdemententendement,
d’vneune forme d’institution exquise, fut aduiséadvisé de cet inconue-
nientinconve-
nient, qui estoit en vsageusage: &Et luy disoit-on que cette longueur
que nous mettions à apprendre les langues,⁁ ⁁ qui ne leur coustoint rien estoit la seule cau-
se, pourquoy nous ne pouuiōspouvions arriuerarriver à la perfectiōperfection, de sciēcescience,grandur d’ame et de conoissance
des anciens Grecs & Romains, d’autant que le lāgagelangage ne leur
coutoit rien: iIejJe ne les en croy pas, que ce en soit la seule cause.
Tant y a, que l’expedient que mon pere y trouuatrouva, ce fut que
en nourrice, & auantavant le premier desnouement de ma langue,
il me donna en charge à vnun Alleman, qui dépuis est mort fa-
meux medecin en FrāceFrance, du tout ignorant de nostre lāguelangue, &
tresbien versé en la Latine. Cettuy-cy, qu’il auoitavoit faict venir ex-
pres, & qui estoit biēbien cheremētcherement gagé, m’auoitavoit continuellemētcontinuellement
entre les bras. Il en eust aussi auecavec luy deux autres moindres en
sçauoirsçavoir, pour m’accōpagneraccompagner & seruirservirme suiuresuivre, & soulager le premier:
cCeux-cy ne m’entretenoient d’autre langue que Latine. QuātQuant
au reste de sa maison, c’estoit vneune reigle inuiolableinviolable, que ny luy
mesme, ny ma mere, ny valet, ny chambriere, ne parloyent en
ma cōpaigniecompaignie, qu’autant de mots de Latin, que chacun auoitavoit
apris pour iargonnerjargonner auecavec moy. C’est merueillemerveille du fruict que
chacun y fit: mMon pere & ma mere y apprindrent assez de La-
tin pour l’entendre,: & en acquirent à suffisance, pour s’en
seruirservir
LIVRE PREMIER. 65
seruirservir à la necessité, cComme firētfirent aussi les autres domestiques,
qui estoient plus attachez à mon seruiceservice. Somme, nous nous
Latinizames tant, qu’il en regorgea iusquesjusques à nos villages tout
autour,: où il y a encores, & ont pris pied par l’vsageusage, plusieurs
appellations Latines d’artisans & d’vtilsutils. Quant à moy, ij’auoisavois
plus de six ans, auantavant que ij’entendisse non plus de François ou
de Perigordin, que d’Arabesque: &Et sans art, sans liurelivre, sans
grammaire ou precepte, sans fouet, & sans contraintelarmes, ij’auoisavois
appris du Latin, tout aussi pur que mon maistre d’eschole le
sçauoitsçavoit: cCar ieje ne le pouuoispouvois auoiravoir meslé ny alteré. Si par essay
on me vouloit dōnerdonner vnun theme, à la mode des colleges, on le
donne aux autres en François,: mais à moy il me le falloit don-
ner en mauuaismauvais Latin, pour le tourner en bon. Et Nicolas
Groucchi, qui a escrit de comitiis Romanorum, Guillaume Gue-
rente, qui à commenté Aristote, George Bucanan, ce grand
poëte Escossois, Marc Antoine Muret,⁁ ⁁ que la france et l’italie reconoit pour le meillur oratur du tēpstemps qui m’ont esté prece-
mes precepteurs domestiques, m’ont dict souuentsouvent, que ij’auoisavois ce langa-
ge en mon enfance, si prest & si à main, qu’ils craingnoiētcraingnoient eux
mesmes à m’accoster. Bucanan que ieje vis depuis à la suite de
feu monsieur le Mareschal de Brissac, me dit, qu’il estoit apres
à escrire de l’institution des enfans: & qu’il prenoit le patron’examplaire
de la mienne: cCar il auoitavoit lors en charge ce Comte de Brissac,
que nous auonsavons veu depuis si valeureux & si brauebrave. Quant au
Grec, duquel ieje n’ay quasi du tout point d’intelligence, mon
pere desseignoaita me le faire apprendre par art, mMais d’vneune voie
nouuellenouvelle, par forme d’ébat & d’exercice: nNous pelotions nos
declinaisons:, à la maniere de ceux, qui par certains ieuxjeux de ta-
blier apprennent l’Arithmetique & la Geometrie. Car entre
autres choses, il auoitavoit esté cōseilléconseillé sur tout, de me faire gouster
la science & le deuoirdevoir, par vneune volonté non forcee, & de mon
propre desir, & d’esleuereslever mon ame en toute douceur & liber-
té, sans rigueur & contrainte,: iIejJe dis iusquesjusques à telle superstitiōsuperstition,
R
ESSAIS DE M. DE MONT.
que par ce que aucuns tiennent, que cela trouble la ceruellecervelle
taendre des enfans, de les esueilleresveiller le matin en effroy & en sur-
saut, & de les arracher du sōmeilsommeil (auquel ils sont plōgezplongez beau-
coup plus que nous ne sommes) tout à coup, & par violence,
il me faisoit esueilleresveiller par le son de quelque instrument, & ne
fus iamaisjamais, sans hōmehomme qui m’en seruitservit. Cet exēpleexemple suffira pour
en iugerjuger le reste, & pour recommander aussi & le iugementjugementla prudance &
l’affectiōaffection d’vnun si bon pere. Auquel il ne se faut nullemētnullement pren-
dre, s’il n’a recueilly aucuns fruits respondans à vneune si exquise
culture. Deux choses en furent cause, lLe champ sterile & incō-
modeincom-
mode: cCar quoy que ij’eusse la santé ferme & entiere, & quant
& quātquant vnun naturel doux & traitable, ij’estois parmy cela si poi-
sant, mol & endormi, qu’on ne me pouuoitpouvoit arracher de l’oisi-
uetéoisi-
veté, non pas, mesme pour me menerfaire iouerjouer. Ce que ieje voyois,
ieje le voyois d’vnun iugementjugementd’un iugementjugement bien, seur & ouuertouvert,seur et ouuertouvert, &Et soubs cette
cōplexioncomplexion endormielourde, nourrissois des imaginatiōsimaginations biēbien hardies,
& des opinions esleuéeseslevées au dessus de mon aage. L’esprit ieje l’a-
uoisa-
vois mousséelent, & qui n’alloit qu’autātautant qu’on le guidoitmenoit: lL’appre-
hension tardiuetardive: lL’inuentioninvention stupidelache: &Et apres tout vnun incroia-
ble defaut de memoire. De tout cela il n’est pas merueillemerveille, s’il
ne sceut rien tirer qui vaille. Secondement,: comme ceux que
presse vnun furieux desir de guerison, se laissent aller à toute sor-
te de conseil, le bon homme, ayant extreme peur de faillir en
chose, qu’il auoitavoit tant à coeur, se laissa en fin emporter à l’opi-
nion commune, qui suit tousiourstousjours ceux, qui vont deuantdevant, cō-
mecom-
me les gruës,: & se rengea à l’vsageusage & à la coustume, n’ayātayant plus
autour de luy ceux, qui luy auoientavoient donné ces premieres in-
stitutions, qu’il auoitavoit aportées d’Italie: &Et m’enuoyaenvoya enuironenviron
mes six ans au college de Guienne, tres-florissant pour lors, &
le meilleur de France. Et là, il n’est possible de rien adiousteradjouster
au soing qu’il eut, & à me choisir des precepteurs ⁁ ⁁ de chambre suffisans, &
à toutes les autres circonstances de ma nourriture,: en laquelle
LIVRE PREMIER. 66
il reseruareserva plusieurs façons particulieres, contre l’vsageusage des col-
leges: mMais tant y a, que c’estoit tousiourstousjours college. Mon Latin
s’abastardit incontinent,: duquel depuis par desacoustuman-
ce ij’ay perdu tout l’vsageusage, &Et ne me seruitservit cette mienne nou-
uellenou-
velle institution, que de me faire eniamberenjamber d’arriuéearrivée aux pre-
mieres chlasses: cCar à treize ans, que ieje sortis du college, ij’auoyavoy classes/
acheuéachevé mōmon cours (qu’ils appellētappellent) & à la verité sans aucūaucun fruit,
que ieje peusse à present mettre en cōptecompte. Le premier goust que
ij’euzs aux liureslivres, il me vint du plaisir des fables de la Metamor-
phose d’OuideOvide.: CcCar enuironenviron l’aage de sept ou huict ans, ieje me
desrobois de tout autre plaisir, pour les lire: d’autātautant que cette
langue estoit la mienne maternelle, & que c’estoit le plus aisé
liurelivre, que ieje cogneusse, & le plus accommodé à la foiblesse de
mon aage, à cause de la matiere: cCar des Lancelots du Lac, des
Amadis, des HuōsHuons de Bordeaus, & tels fatras de liureslivres, à quoy
la ieunessejeunesse’enfance s’amuse, ieje n’en connoissois pas seulement le nom,
ny ⁁ ⁁ ne fais encore le corps: tant exacte estoit le soing qu’on auoitavoit
à mon institution.ma discipline. IeJe m’en rēdoisrendois plus láchenonchalant à l’estude de mes
autres leçons contraintesprescriptes. Là, il me vint singulierement à pro-
pos, d’auoiravoir affaire à vnun homme d’entendemētentendement de precepteur,
qui sçeut dextrement conniuerconniver à cette mienne desbauche, &
autres pareilles. Car par là, ij’enfilay tout d’vnun train Vergile en
l’AEneideAeneide, & puis Terence, & puis Plaute, & des comedies Ita-
lienes, lurré tousiourstousjours par la douceur du subiectsubject. S’il eut esté si
fol de rompre ce train, ij’estime que ieje n’eusse raporté du col-
lege que la haine des liureslivres, comme fait quasi toute nostre no-
blesse. Il s’y porta bien dextrementgouuernagouverna ingenieusement,. fFaisant semblant de n’en
voir rien, il aiguisoit ma faim, ne me laissant que à la desrobée
gourmander ces liureslivres, & me tenant doucemētdoucement en office pour
les autres estudes plus necessaires.de la regle. Car les principales parties
que mōmon pere cherchoit à ceux à qui il dōnoitdonnoit charge de moy
c’estoit la debōnairetédebonnaireté & facilité de complexion: aAussi n’auoitavoit
R ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la mienne autre vice, que la pesanteurlangur & paresse. Le danger
n’estoit pas que ieje fisse mal, mais que ieje ne fisse rien. Nul ne
prognostiquoit que ieje deusse deuenirdevenir mauuaismauvais, mais inutile:
oOn y preuoyoitprevoyoit de la stupiditéfaineantise, non pas de la malice. ⁁
⁁ IeJe sens qu’il en est aduenuadvenu de mesmes.
Les pleintes qui me cornent aus oreilles
sont come cela: Ois Oisif: nonchalātnonchalant
des siens froit a ses amis:
auareavare a ses paransfraint froit
aus offices d’amitie et de parante
et aus offices publiques: nonchalātnonchalant
de ce qui se passe:du faict d’autrui: trop particulier.
Les plus iniurieusinjurieus ne disētdisent pas
pourquoi a il prins, pourquoi n’a il
païe, mais pourquoi ⁁ ne quitte il ne done il.
IeJe prenderoisreceueroisreceverois a faueurfaveur
qu’on mene desirat deen moi ⁁
⁁ que tels effaicts de super=
erogation. Mais ils sont
iniustesinjustes de les exiger et de
m’obliger a ce a quoi nul
d’eus n’aspire. d’exiger ce qu’ae la rigur ieje ne dois
pas plus rigoreusement beaucoup qu’ils
n’exigent deus ce qu’ils doiuentdoivent. En m’y con=
demnant ils ostētostenteffacent la grati
fication de l’action & la grati=
tude qui m’en seroit due. Et La ou
le bien faire actif deuroitdevroit plus
ferepoiser ende moima qui n’en ai nul
passif d’autantmain en consideration
de ce que ieje n’en aiy de
nul passif nul qui soit. IJe’ paye puis
d’autant plus librement a disposer
de ma fortune qu’elle est plus quemiene.
Toutesfois si ij’estois grand enlumi=
neur de mes bienfaictsactions alauāturea l’avanture
rembarrerois ieje bien ces reproches.
& leura quelques uns apranderois qu’ils ne sont
pas si offancez que ieje ne face pas assesasses
que de quoi ieje puisse faire asses
plus que ieje ne fois
MōMon ame
ne laissoit pourtant en mesme temps d’auoiravoir à part soy des re-
muemens fermes,⁁
Cette addition est antérieure à la précedente qui l’encadre dans la marge gauche. Montaigne a décliné le premier signe d’insertion I correspondant à l’addition postérieure en y ajoutant un barre horizontale afin qu’il n’y ait pas de confusion possible
⁁ et des iugemansjugemans
seurs & ouuersouvers autour
des obietsobjets qu’elle
conessoit,: et les
qu’elle digeroit seule, & sans aucune com-
munication. Et entre autres,⁁ ⁁ choses ieje croy à la verité qu’elle eust esté
du tout incapable de se rendre à la force & à la violence. Met-
tray-ieje en compte cette faculté de mon enfance,: vVneuUne asseuran-
ce de visage, & soupplesse de voix & de geste, à m’appliquer
aux rolles que ij’entreprenois. Car auantavant l’aage,
Alter ab vndecimo tum me vix coeperat annus,
IJ’ay soustenu les premiers personnages, és tragedies latines de
Bucanan, de PGuerente, & de Muret, qui se representairent, en
nostre college de Guienne auecavec dignité.: En quoyeEn cela Andreas
Goueanus nostre principal, comme en toutes autres parties
de sa charge, fut sans comparaison le plus grand, & plus
nobledign principal de France,: &Et m’en tenoit-on maistre ou-
urierou-
vrier. C’est vnun exercice, que ieje ne meslouë poinct aux
ieunesjeunes enfans de maison,: &Et ay veu nos Princes, s’y adon-
ner depuis en personne, à l’exemple d’aucuns des anciens,
honnestement & louablement. ⁁
Montaigne a d’abord écrit : "Il estoit loisible mesme d’en faire mestier". Plus tard il a réécrit cette phrase en dessous avant d’en biffer une partie et d’utiliser le reste comme complément à la première addition. Puis il l’a entièrement barrée d’un trait en diagonale avant de revenir sur sa décision et d’inscrire un "Bon" juste au dessus.
Bon
⁁ Il estoit loisible
mesme d’en faire
mestier
Il estoit excuseloisible aus gens d’honur
mesme d’en faire mestierd’honur, en grece:
Aristoni tragico actori
rem aperit: huic et et genus
& fortuna honesta erant, nec
ars, quia nihil tale apud
Graecos pudori est, ea defor=
mabat.
Car ij’ay tousiourstousjours accusé
d’impertinence, ceux qui condemnent ces esbattemens,: &Et
d’iniusticeinjustice, ceux qui refusent l’entrée de nos bonnes villes aux
comediens qui le valent,: & enuientenvient au peuple ces plaisirs
publiques. Les bonnes polices, prennent soing d’assembler
les citoyens, & les r’allier, comme aux offices serieux de la
deuotiondevotion, aussi aux exercices & ieuxjeux: lLa societé & amitié
s’en augmente,: &Et puis on ne leur sçauroit condonnerconceder des
passetemps plus reglez, que ceux qui se font en presence d’vnun
chacun, & à la veuë mesmes du magistrat,: &Et trouueroistrouverois iustejusteraisonable
que le magistrat, & le prince à ses despēsdespens en gratifiast quelque-
LIVRE PREMIER. 67
fois la commune, d’vneune affection & bonté cōmecomme paternelle. ⁁
⁁ eEt qu’aus grandes uillesvilles
et populeuses il y eut des
lieus destinez et disposez
pour ces spectacles:
quelque diuertissementdivertissement
des pires actions & occultes.
Pour reuenirrevenir à mōmon propos, iIl n’y à tel, que d’allecher l’appetit
& l’affection, autremētautrement on ne faict que des asnes chargez de
liureslivres: oOn leur donne à coups de foüet en garde leur pochette
pleine de science,: laquelle pour bien faire, il ne faut pas seu-
lement loger chez soy, il la faut espouser.
C’est folie de rapporter le vray & le faux à nostre suffisance.
CHAP. XXVII.
CE n’est pas à l’aduentureadventure sans raison, que nous attri-
buons à simplesse & ignorance, la facilité de croire
& de se laisser persuader: cCar il me semble auoiravoir apris
autrefois, que la creācecreance, c’estoit comme vnun’impression, qui se
faisoit en nostre ame,: & à mesure qu’elle se trouuoittrouvoit plus
molle & de moindre resistāceresistance, il estoit plus aysé à y emprein-
dre quelque chose. ⁁
⁁ VtUt necesse est lancem
in libra ponderibus
impositis deprimi sic
animum perspicuis cedere.
DautantD’autant que l’ame etest plus
nue uuidevuide et sans contrepoids
elle se baisse plus facilement
sous la charge de la premiere
persuasion.
Voyla pourquoy les enfans, le vulgaire,
les femmes & les malades estoyentsont plus subiectssubjects à estre me-
nez par les oreilles. Mais aussi de l’autre part, c’est vneune sotte
presumption d’aller desdaignant & condamnant pour faux,
ce qui ne nous semble pas vray-semblable: qQui est vnun vice or-
dinaire de ceux, qui pensent auoiravoir quelque suffisance, outre la
commune. IJ’en faisoy ainsin autrefois, & si ij’oyois parler ou
des esprits qui reuiennentreviennent, ou du prognostique des chose fu-
tures, des enchantemens, des sorceleries, ou faire quelque au-
tre compte, ou ieje ne peusse pas mordre,
Somnia, terrores magicos, miracula, sagas,
Nocturnos lemures portentáque Thessala,
Iil me venoit compassion du pauurepauvre peuple abusé de ces fo-
lies. Et à present ieje treuuetreuve, que ij’estoy pour le moins autant à
plaindre moy mesme: nNon que l’experience m’aye dépuis riērien.
fait voir, au dessus de mes premieres creances, & si n’a pas tenu
à ma curiosité: mMais la raison m’a instruit, que de condamner
R iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ainsi resoluement vneune chose pour fauce, & impossible, c’est
se donner l’aduantageadvantage d’auoiravoir dans la teste, les bornes & limi-
tes de la volonté de Dieu, & de la puissance de nostre mere
nature: &Et qu’il n’y à point de plus notable folie au monde,
que de les ramener à la mesure de nostre capacité & suffisan-
ce. Si nous appellons monstres ou miracles, ce ou nostre rai-
son ne peut aller, combien s’en presente il continuellement à
nostre veuë? Considerons au trauerstravers de combien dequels nuages,
& commant à tastons, on nous meine à la connoissance de la
pluspart des choses qui nous sont entre mains: certes nous
trouueronstrouverons que c’est plustost accoustumance, que science
qui nous en oste l’estrangeté.,
iam nemo fessus satiate videndi,
Suspicere in caeli dignatur lucida templa.
Et que ces choses là, si elles nous estoyētestoyent presentées de nou-
ueaunou-
veau, nous les trouuerionstrouverions autant ou plus incroyables que
aucunes autres.,
si nunc primum mortalibus adsint,
Ex improuiso, ceu sint obiecta repente,
Nil magis his rebus poterat mirabile dici,
Aut minus ante quod auderent fore credere gentes.
Celuy qui n’auoitavoit iamaisjamais veu de riuiereriviere, à la premiere qu’il rē-
contraren-
contra, il pensa que ce fut l’Ocean,. &Et les choses qui sont à no
stre connoissance les plus grandes, nous les iugeonsjugeons estre les
extremes que nature face en ce genre.,
Scilicet & fluuius qui non est maximus, eij est
Qui non ante aliquem maiorem vidit, & ingens
Arbor homóque videtur, & omnia de genere omni,
Maxima quae vidit quisque, haec ingentia fingit.⁁
⁁ Consuetudine oculorum
assuescunt animi neque
admitantur neque requirūtrequirunt
rationes earum rerum quas
semper uidētuident proinde quas
nouitas nos magis quam
magnitudo rerum debeat ad
exquirendas causas excitare.
La nouueletenouvelete des choses nous incite plus que leur grandur a en rechercher les causes.
Il faut iugerjuger des choses auecavec plus de reuerencereverence de cette infinie
puissance de Dieunature, & plus de reconnoissance de nostre igno-
LIVRE PREMIER. 68
rance & foiblesse. Combien y à il de choses peu vray-sembla-
bles, tesmoignées par gens dignes de foy, desquelles si nous
ne pouuonspouvons estre persuadez, au moins les faut-il laisser en sus-
pens: cCar de les condamner impossibles, c’est se faire fort, par
vneune temeraire presumption, de sçauoirsçavoir iusquesjusques ou va la possi-
bilité. ⁁
⁁ Si lonl’on entandoit bien, a
un antien, la differance
qu’il y a entre l’impossible
et l’inusite: et entre ce
qui est contre l’ordre du
cours de nature, et contre
la commune opinion des
homes, en ac ne croyant
pas temererement, ny
aussi ne descroyant pas
facilement, on obserueroitobserveroit
la regle de: rien trop:
comandee par Chilon.
Quant on trouuetrouve dans Froissard, que le conte de Foix
sçeut en Bearn la defaite du Roy Iean de Castille à IuberothJuberoth,
le lendemain qu’elle fut aduenueadvenue, & les moyens qu’il en alle-
gue, on s’en peut moquer: &Et de ce mesme que nos annales di-
sent, que le Pape Honorius le propre iourjour que le Roy Philip-
pe Auguste mourut à MāteMante, fit faire ses funerailles publiques,
& les manda faire par toute l’Italie. Car l’authorité de ces tes-
moins n’a pas à l’aduentureadventure assez de rang pour nous tenir en
bride. Mais quoy? si Plutarque outre plusieurs exemples, qu’il
allegue de l’antiquité, dict sçauoirsçavoir de certaine science que du
temps de Domitian, la nouuellenouvelle de la bataille perdue par An-
tonius en Allemaigne à plusieurs iournéesjournées de la, fut publiée
à Rome, & semée par tout le monde le mesme iourjour qu’elle a-
uoita-
voit esté perdue: &Et si Caesar tient, qu’il est souuentsouvent aduenuadvenu
que la nouuellenouvellerenomee à deuancédevancé l’accident: dDirons nous pas que ces
simples gens la, se sont laissez piper apres le vulgaire, pour n’e-
stre pas clair-uoyansvoyans comme nous? Est-il riērien plus delicat, plus
net, & plus vif, que le iugementjugement de Pline, quādquand il luy plaist de
le mettre en ieujeu,: rien plus esloingné de vanité,: ieje laisse à part
l’excellence de son sçauoirsçavoir, duquel ieje fay moins de conte: en
quelle partie de ces deux là le surpassons nous,. tToutesfois il
n’est si petit escolier, qui ne le conuainqueconvainque de mensonge, &
qui ne luy face saueuilleveuille faire leçon sur le progrez des ouuragesouvrages de nature.
Quand nous lisons deans Bouchet les miracles des reliques de
Sainct Hilaire: pPasse: son credit n’est pas assez grādgrand pour nous
oster la licence d’y contredire: mMais de condamner d’vnun train
toutes pareilles histoires, me semble singuliere imprudence.
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Ce grand Sainct Augustin, tesmoigne auoiravoir veu sur les reli-
ques Sainct GeruaisGervais & Protaise à Milan, vnun enfant aueugleaveugle
recouurerrecouvrer la veüe: vVneuUne femme à Carthage estre guerie d’vnun
cancer par le signe de croix, qu’vneune femme nouuellementnouvellement ba-
ptisée luy fit:. Hesperius vnun sien familier auoiravoir chassé les es-
prits qui infestoient sa maison, auecavec vnun peu de terre du Se-
pulchre de nostre Seigneur: & cette terre dépuis transportée
à l’Eglise, vnun paralitique y estant apporté,en auoiravoir esté soudain
gueri: vVneuUne femme en vneune procession ayant touché à la chasse
Sainct EstiēneEstienne, d’vnun bouquet, & de ce bouquet s’estant frot-
tée les yeux, auoiravoir recouurérecouvré la veuë, qu’elle auoitavoit pieça perdue:
&Et plusieurs autres miracles, ou il dict luy mesmes auoiravoir assi-
sté. Dequoy accuserons nous & luy & deux Sainct EuesquesEvesques
Aurelius & Maximinus, qu’il appelle pour ses recors: sSera ce
d’ignorance, simplesse, facilité, ou de malice & imposture?
Est-il homme en nostre siecle si impudent, qui pēsepense leur estre
comparable, soit en vertu & pieté, soit en sçauoirsçavoir, iugementjugement
& suffisance? ⁁
⁁ Qui ut rationem nullam
afferrent ipsa authoritate
me frangerent.
C’est vneune hardiesse dangereuse & de consequē-
ceconsequen-
ce, outre l’absurde temerité qu’elle traine quātquant & soy, de mes-
priser ce que nous n’entēdonsentendonsne conceuonsconcevons pas. Car apres que selon vostre
bel entendement, vous auezavez estably les limites de la verité &
de la mēsongemensonge, & qu’il se treuuetreuve que vous auezavez necessairemētnecessairement
à croire des choses ou il y à encores plus d’etrangeté qu’en ce
que vous niez, vous vous estez des-ja obligé de les abandon-
ner. Or ce qui me semble aporter autant de desordre en nos
consciences en ces troubles, ou nous sommes, de la religion,
c’est cette dispensation que les Catholiques font de leur creā-
cecrean-
ce: iIl leur semble qu’ils fontfaire bien les moderez & les entenduz,
quand ils quittent & cedent aux aduersairesadversaires aucuns articles
de ceux, qui sont en debat. Mais outre ce, qu’ils ne voyent pas
quel auantageavantage c’est à celuy qui vous charge, de commancer à
luy ceder & vous tirer arriere, & combiēcombien cela l’anime à pour-
sui-
LIVRE PREMIER. 69
suiuresuivre sa victoirepoincte: ces articles la qu’ils choisissent pour les plus
legiers, sont aucunefois tres-importans. Ou il faut se submet-
tre du tout à l’authorité de nostre police ecclesiastique, ou du
tout s’en dispēserdispenser: cCe n’est pas à nous à establir la part que nous
luy deuonsdevons d’obeïssance. Et d’auantageavantage ieje le puis dire pour
l’auoiravoir essayé, ayant autrefois vséusé de cette liberté de mōmon chois
& triage particulier, mettant à nonchaloir certains points
de l’obseruanceobservance de nostre Eglise, qui semblent auoiravoir vnun visa-
ge ou plus vain, ou plus estrange, venant à en communiquer
aux hommes sçauanssçavans & bien fondez, ij’ay trouuétrouvé que ces cho-
ses là, ont vnun fondement massif & tressolide,: & que ce n’est
que bestise & ignorāceignorance, qui nous fait les receuoirrecevoir auecavec moin-
dre reuerencereverence que le reste. Que ne nous souuientsouvient il combien
nous sentons de contradiction en nostre iugementjugement mesmes:
combiēcombien de choses nous seruoyentservoyent hier d’articles de foy, qui
nous sont ⁁ ⁁ fables auiourdaujourd’huy vaines mensonges? La gloire & la cu-
riosité, sont les deux fleaux de nostre ame. Cette cy, nous
conduit à mettre le nez par tout, & celle là nous defant de riērien
laisser irresolu & indecis.
De l’Amitié. CHAP. XXVIII.
CONSIDERANT la conduite de la besongne d’vnun
peintre, que ij’ay, il m’a pris enuieenvie de l’ēsuiureensuivre. Il choi-
sit le plus noblebel endroit & milieu de chaque paroy,
pour y loger vnun tableau élabouré de toute sa suffisance,: &Et le
vuide tout au tour, il le remplit de crotesques, qui sont pein-
tures fantasques, n’ayant grace qu’en la varieté & estrangeté.
Que sont-ce icy aussi à la verité que crotesques & corps
monstrueux, rappiecez de diuersdivers membres, sans certai-
ne figure, n’ayants ordre, suite, ny proportion que for-
tuitéfor-
tuite?
Desinit in piscem mulier formosa superne.
S
ESSAIS DE M. DE MONTA.
IeJe vay bien iusquesjusques à ce second point, auecavec mon peintre: mais
ieje demeure court en l’autre, & meilleure partie: cCar ma suffi-
sance ne va pas si auantavant, que d’oser entreprendre vnun tableau
riche, poly & formé selon l’art. IeJe me suis aduiséadvisé d’en emprun-
ter vnun d’Estienne de la Boitie, qui honorera tout le reste de
cette besongne. C’est vnun discours auquel il donna nom. La
SeruitudeServitude volontaire: mMais ceux qui l’ont ignoré, l’ont biēbien pro-
prement dépuis rebaptisé, le contre vnunen autre lettre. Il l’escriuitescrivit par manie-
re d’essay, en sa premiere ieunessejeunesse, n’ayant pas attaint le dixhui-
tiesme an de son aage, à l’honneur de la liberté contre les ty-
rans. Il court pieça és mains des gens d’entendement, nōnon sans
bien grande & meritée recommandation: car il est gentil, &
plein ce qu’il est possible. Si y à il bien à dire, que ce ne
soit le mieux qu’il peut faire: & si en l’aage que ieje l’ay conneu
plus auancéavancé, il eut pris vnun tel desseing que le mien, de mettre
par escrit ses fantasies, nous verrions plusieurs choses rares, &
qui nous approcheroient bien pres de l’honneur de l’antiqui-
té: cCar notammentnomeementnotemmentnotemment en cette partie des dons de nature, ieje n’en
connois point qui luy soit comparable. Mais il n’est demeuré
de luy que ce discours, encore par rencontre, & croy qu’il ne
le veit onques depuis qu’il luy eschapa: & quelques memoires
sur cet edict de IanuierJanvier fameus par nos guerres ciuilesciviles, qui
trouueronttrouveront encores ailleurs ⁁ ⁁ peut estre leur place. C’est tout ce que ij’ay
peu recouurerrecouvrer de ses reliques,⁁
⁁ Moi, qu’il laissa d’une
si amoureuse recoman=
dation ⁁ ⁁ la mort entre le dents par en son testament
heretier de sa bibliotheque
& de ses esc papiers:
outre le liuretlivret de ses oeuuresoeuvres que
ij’ay fait mettre en lumiere: ⁁ &Et si suis obligé particulierement à
cette piece, d’autant qu’elle à seruyservy de moyen à nostre pre-
miere accointance. Car elle me fut montrée ⁁ ⁁ longue piece auantavant que ieje
l’eusse veu, & me donna la premiere connoissance de son nōnon,
acheminant ainsi cette amitié, que nous auonsavons nourrie, tant
que Dieu à voulu, entre nous, si entiere & si parfaite, que cer-
tainemētcer-
tainement il ne s’en lit guiere de pareilles, & entre nos hōmeshommes il
ne s’en voit aucune trace en vsageusage. Il faut que tant de choses se
LIVRE PREMIER. 70
rencontrents poura la bastir, que c’est beaucoup si la fortune y
arriuearrive vneune fois en trois siecles. Il n’est riērien à quoy il semble que
nature nous aye plus acheminé qu’à la societé ⁁
⁁ : et dict Aristote que les
bons legislaturs ont eu plus de
soin qu de nostre accort et
conuenanceconvenancel’amitie entre nous
que de la iusticejustice
: or le dernier
point de sa perfection c’est cetuy-cy. ⁁
⁁ Car celles que les loix que le
uoisinagevoisinage le sang ou leen general toutes celles que
la uoluptevolupte ou le profit: le besoin
et utilite publique ou priueeprivee
forcge :et nourrit: en sont d’autant moins
libresbelles et genereuses ⁁ ⁁ et d’autant moins amitie qu’elles
meslent en autre cause et but
autre but et autre fruit en
l’amitié qu’elle mesme. Ny
ces quatre especes antiennes
: naturelle, sociale, hospita=
liere, uenerieneveneriene, particu=
lierement ny conuienentconvienent
ny a l’auāturel’avanture a coioinctementcojoinctement.
Car dDes enfans aux pe-
res, c’est plustost respect. qu’amitié: lL’amitié se nourrit de com-
municatiōcom-
munication, qui ne peut se trouuertrouver entre eux, pour la trop
grande disparité, & offenceroit à l’aduētureadventure les deuoirsdevoirs de na-
ture: cCar ny toutes les secrettes pensées des peres ne se peuuētpeuvent
communiquer aux enfans, pour n’y engendrer vneune messeante
priuautéprivauté: ny les aduertissemensadvertissemens & corrections, qui est vnun des
premiers offices d’amitié, ne se pourroyent exercer des enfans
aux peres. Il s’est trouuétrouvé des nations, ou par vsageusage les enfans
tuoyent leurs peres,: & d’autres, où les peres tuoyent leurs en-
fans, pour euitereviter l’empeschement qu’ils se peuuentpeuvent quelque-
fois entreporter, & naturellement l’vnun depend de la ruine de
l’autre: lL’amitié n’en vient iamaisjamais là. Il s’est trouuétrouvé iusquesjusques à
des philosophes desdaignans cette cousture naturelle,: tes-
moing celuy quiAristippus,: quand on le pressoit de l’affectatiōaffectation qu’il de-
uoitde-
voit à ses enfans pour estre sortis de luy, il se mit à cracher.: EtetEtdisant
que cela, dict-il, en estestoit aussi bien sorty:: que nous engendrions aussi biēbien
des pouz & des vers. Et cet autre que Plutarque vouloit in-
duire à s’accorder auecavec son frere: iIejJe n’en fais pas, dict-il, plus
grand estat, pour estre sorty de mesme trou. C’est à la verité
vnun beau nom, & plein de dilection que le nom de frere, & à
cette cause en fismes nous luy & moy nostre alliance: mMais ce
meslange de biens, ces partages, & que la richesse de l’vnun soit
la pauuretépauvreté de l’autre, cela detrampe merueilleusementmerveilleusement & re-
lasche cette soudure fraternelle: lLes freres ayants à conduire le
progrez de leur auācementavancement, en mesme sentier & mesme train,
il est force qu’ils se hurtent & choquent souuentsouvent. D’auantageavantage,
la correspondance & relation qui engendre ces vrayes & par-
faictes amitiez, pourquoy se trouueratrouvera elle en ceux cy? Le
S ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pere & le fils peuuentpeuvent estre de complexion entierement eslō-
gnéeeslon-
gnée, & les freres aussi: cC’est mon fils, c’est mon parent: mais
c’est vnun homme farouche, vnun meschant, ou vnun sot. Et puis, à
mesure que ce sont amitiez que la loy & l’obligation naturel-
le nous commande, il y à d’autant moins de nostre chois &
liberté volontaire: &Et nostre liberté volontaire n’a point de
production qui soit plus proprement sienne, que celle de l’af-
fectiōaf-
fection & amitié. Ce n’est pas que ieje n’aye essayé de ce costé la,
tout ce qui en peut estre, aAyant eu le meilleur pere qui fut on-
ques, & le plus indulgent, iusquesjusques à son extreme vieillesse, &
estant d’vneune famille fameuse de pere en fils, & exemplaire en
cette partie de la concorde fraternelle.,
& ipse
Notus in fratres animi paterni.
D’y cōparercomparer l’affection enuersenvers les femmes, quoy qu’elle nais-
se à la verité de nostre choix, on ne peut, ny la loger en ce rol-
le. Son feu, ieje le confesse,
Nneque enim est dea nescia nostri
Quae dulcem curis miscet amaritiem,
est plus actif, plus cuisant, & plus aspre. Mais c’est vnun feu te-
meraire & volage, ondoyant & diuersdivers, feu de fieburefiebvre, sub-
iectsub-
ject à accez & remises, & qui ne nous tient qu’à vnun coing. En
l’amitié, c’est vneune chaleur generale & vniuerselleuniverselle, temperée
au demeurant & égale, vneune chaleur constante & rassize, toute
douceur & pollissure, qui n’a rien d’aspre & de poignātpoignant. Qui
plus est en l’amour ce n’est qu’vnun desir forcené apres ce qui
nous fuit,
Come segue la lepre il cacciatore
Al freddo, al caldo, alla montagna, al lito,
Ne piu l’estima poi, che presa vede
Et sol dietro a chi fugge affretta il piede.
Aussi tost qu’il entre aux termes de l’amitié, c’est à dire en la
conuenanceconvenance des volontez, il s’esuanouistesvanouist & s’alanguist: lLa
LIVRE PREMIER. 71
iouyssancejouyssance le perd, comme ayant la fin corporelle & suiectesujecte
la sacieté. L’amitié au rebours, est iouyejouye à mesure qu’elle est
desirée, ne s’esleueesleve, se nourrit, ny ne prend accroissance qu’en
la iouyssancejouyssance, comme estant spirituelle, & l’ame s’affinant par
l’vsageusage. Sous cette parfaicte amitié, ces affections volages ont
autrefois trouuétrouvé place chez moy, affin que ieje ne parle de luy,
qui n’en confesse que trop par ces vers. Ainsi ces deux passiōspassions
sont entrées chez moy en connoissance l’vneune de l’autre, mais
en comparaison iamaisjamais: lLa premiere maintenant sa route d’vnun
vol hautain & superbe, & regardant desdaigneusement cette
cy: passer ses pointes bien loing au dessoubs d’elle. Quant aux
mariages, outre ce que c’est vnun marché qui n’a que l’entrée li-
bre, sa durée estant cōtraintecontrainte & forcée, dependant d’ailleurs q̄que
de nostre vouloir,: &Et marché, qui ordinairemētordinairement se fait à autres
fins,: il y suruiētsurvient mille fusées estrāgeresestrangeres à desmeler parmy, suffi-
santes à rompre le fil & troubler le cours d’vneune viuevive affectiōaffection: lLà
où en l’amitié, il n’y a affaire ny cōmercecommerce q̄que d’elle mesme. IointJoint
qu’à dire le vray la suffisance ordinaire des femmes, n’est pas
pour respondre à cette conference & communication, nour-
risse de cette saincte couture: nNy leur ame ne semble assez
ferme pour soustenir l’estreinte d’vnun neud si pressé, & si dura-
ble. Et certes sans cela, s’il se pouuoitpouvoit dresser vneune telle accoin-
tance libre & volontaire, ou non seulement les ames eussent
cette entiere iouyssancejouyssance, mais encores ou les corps eussēteussent part
à l’alliance, il est vray-semblableou l’home fut engage tout entier: il est certein que l’amitié en seroit plus
pleine & plus comble: mMais ce sexe par nul exemple n’y est
encore peu arriuerarriver,⁁
⁁ en aiant est et
et par les escholes
de la philosophie
en a este reiettérejetté
et par le commun
consantemātconsantemant des
escholes de la
philosophieantienes en
est reiettèrejettè.
&Et cet’autre licence Grecque est iustementjustement
abhorrée par nos meurs. ⁁
⁁ La quelle pourtant
pour auoiravoir selon leur
usage une par trop neces=
sereet une necessere si neces=
sere disparité d’eages &
differance d’offices entre les
amans ne respontrespondoit non plus
asses exactemantasses a la parf
parfaicte union et conue=
nanceconve=
nance qu’icy nous demandons.
Cette tendrur d’eageans et cette
si iunejunefleur de beauté tant recherchee
montre par effaict en la
description mesme de
l’Academie quoi qu’elle s’en
defande que le corps que le corps y
tenoit une part bienbien principale et
que le dangier y estoit grādgrand de
uariationvariation et d’inconstance.
Quis est enim iste amor
amicitiae? cur neque
deformem adolescentem quis=
quam amat, neque formosum
senem?
Car la peinture mesmes qu’en faict l’Academie ne me desaduoueradesadvouera pas come ieje pense de dire ainsi
de sa part. Que cette premiere furur inspiree par le filx de Venus au ceur de l’amant
sur l’obei l’obietobjet de la flur d’une tendre iunessejunesse a laquelle ils permettent tous les insolens
insolens et passionez effors que peut produire un’ardur immoderee: estoit simplemant fondee
en une beautè externe: fauce image de la generation corporelle. Car en l’esperit elle ne
pouuoitpouvoit. Duquel la montre estoit encores cachee: qui n’estoit qu’en sa naissance et auantavant leagel’eage de germer. Que quandsi
cette furrur sesissoit un bas corage: les moiens de sa poursuite c’estoint richesses, presans, faueurfaveur a l’auancemantavancemant des
dignites, et telle autre basse marchandise. Quand elle tumboit c qu’ils reprouuentreprouvent. QuandSi elle tumboit en un corage
plus generus: les entremises estoint generuses de mesme. Instructions philosophiques Enseignemens a reuererreverer la religion
obeir aus loix mourir pour le bien de son païs Examples de uaillancevaillance prudance iusticejustice. S’estudiant l’amant de
ses rendre acceptable par la bone grace et beaute de son ame: celle de son corps estant pieç’a fanie Et
esperant par cette conuenanceconvenance spirituellesociete mentale rendre sonestablir un marche plus ferme & durable. Quand cette
poursuite arriuoitarrivoit a sonl’effaict, en sa saison: car ce qu’ils ne requierent point en l’amant qu’il aportat loisir
& discretion en son entreprise; ils le requierent exactemant en l’aimé: d’autant qu’il luy faloit iugerjuger ⁁
Cette addition se poursuit sur le folio précédent (f. 70v.)
⁁ d’une beauté interne: de difficile conoissance et abstruse descouuertedescouverte. Lors naissoit en l’aymé le desir d’une
conception spirituelle par l’entremise d’une spirituelle beaute. Cettecy estoit icy principale: la corporelle accidentale
& seconde Tout le rebours de l’amant. A cette cause preferent ils laimel’aime: et uerifientverifient que les dieus aussi le
preferent. Et tansent grandemant le poëte AEschilus d’auoiravoir en l’amour d’Achilles et de Patrocleus doné la part de
l’amant a Achilles: qui estoit en la premiere et imberbe uerdurverdur de son adolescence: et le plus beau des Grecs. Apres
cette mixtioncommunaute generale: la maistresse et plus digne partie d’icelle exerçant ses offices & predominant: ils disent
qu’il en prouenoitprovenoit des fruits tresutilles au priuéprivé et au publiq. Que c’estoit la force des païs qui en receuointrecevoint l’usage:
& la principale defance de lequitél’equité et de la liberté. Tesmoin les saluteres amours de Hermodius et d’Aristogiton.
Pourtant la noment ils sacree et diuinedivine. Et n’est a leur conte que la uiolanceviolance des tirans & lacheté des peuples
qui luy soit aduersereadversere. En fin tout ce qu’on peut doner a la faueurfaveur de l’Academie c’est de dire que c’estoit un
amour se terminant en amitie. IeJe reuiensreviens a ma description: qui est de toute autre façon et plus pure & plusesgale et conforme
a la raison si l’amour eut este plus decemment a de façon plus equitable plus equable Chose qui ne se raporte pas trop
mal a la definition Stoiques de l’amour Amorem conatum esse amicitiae faciendae ex pulchritudinis specie. IeJe
reuienrevien à ma descriptiōdescription, de façōfaçon plus equitable & plus equable. Omnino enim amicitiae corroboratis iam
confirmatisque ingenijs & aetatibus, iudicādaeiudicandae sunt.
Au demeurant, ce que nous appellōsappellons
ordinairement amis & amitiez, ce ne sont qu’accoinctances
& familiaritez nouées par quelque occasion ou commodité,
par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. En l’ami-
tié, dequoy ieje parle, elles se meslent & confondent l’vneune en
S iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
l’autre, d’vnun melange si vniuerseluniversel, qu’elles effacēteffacent, & ne retrour-
uentretrour-
vent plus la couture qui les à iointesjointes. Si on me presse de dire
pourquoy ieje l’aymois, ieje sens que cela ne se peut exprimer,:⁁
⁁ qu’en respon
disantdant: par
ce que c’estoit
luy. par ce que
c’estoit moy."par ce que c’estoit luy." (premier jet, avec point final) / "parce que c’estoit moy." (addition postérieure dans une encre plus pâle)
iIl y
à ce semble au delà de tout mōmon discours, & de ce que ij’en puis
dire,⁁ ⁁ particulierement, ne sçay qu’elle force diuinedivineinexplicable & fatale mediatrice de cette
vnionunion. ⁁
⁁ Nous nous cherchions auantavant que de nous estre veus, & par des rapports que nous oyïons l’vnun de l’autre:
qui faisoint en nostre affection plus d’effort que ne porte la raison des rappors: ieje croi par l’influance de quelque ordonance
de constellationdu ciel: nous nous enbrassions par nos noms. eEt a nostre premiere rencontre qui fut par hasard en no une grande
grand feste & compaignie de uilevile nous nous trouuamestrouvames si sesisprins si conus si obligez entre nous que rien des lors ne nous
fut si proche que l’un a l’autre. Il escriuitescrivit une Satyre Latine excellante qui est publiee par la quell’il excuse et explique
la praecipitation de nostre intellijance si promptemant paruenueparvenue a sa perfection. Aiant si peu a durer: et aïant si
tard comance: estant homescar nous estions tous deus homes faicts
& luy plus que moia lauanturel’avanture de quelqu’annee:
elle n’auoitavoit point a perdere temps
Et n’auoitavoit a se regler au
patron des amoursities molles &
regulieres ausquelles il faut
tant de praecautions de longue
& prealable cōuersationconversation.
Cetteci n’a point d’autre idee
que d’elle mesme et ne se peut
rapporter qu’a soi.
Ce n’est pas vneune particulierespeciale consideration, ny deux,
ny trois, ny quatre, ny mille: c’est ieje ne sçay quelle quinte es-
sence de tout ce meslange, qui ayant saisi toute ma volonté,
l’amena se plonger & se perdre dans la sienne. ⁁
⁁ qui aiant sesi ⁁ ⁁ toute sa
volante l’amena se
plonger et se perdre en
la miene: d’une faim
d’vneune concurrance pareille.
IeJe dis perdre à
la verité, ne luynous reseruantreservant rien qui luynous fut propre, ny qui fut ou sien
sienou mien. Quand Laelius en presence des CōsulsConsuls Romains, lesquels
apres la condemnation de Tiberius Gracchus, poursuiuoyētpoursuivoyent
tous ceux, qui auoyentavoyent esté de son intelligēceintelligence, vint à s’enque-
rir de Caius Blosius (qui estoit le principal de ses amis) cōbiencombien
il eut voulu faire pour luy,: & qu’il eut respondu, toutes cho-
ses. Comment toutes choses, suiuitsuivit-il, & quoy s’il t’eut com-
mandé de mettre le feu en nos temples? Il ne me l’eut iamaisjamais
commandé, replica Blosius: mMais s’il l’eut fait? adioutaadjouta Laelius:
iIjJ’y eusse obey, respondit-il. S’il estoit si parfaictement amy de
Gracchus, comme disent les histoires, ⁁ ⁁ ou pour mieus dire come est ma peinture il n’auoitavoit que faire d’of-
fenser les consuls par cette derniere & hardie confession:, &Et
ne se deuoitdevoit départir de l’asseurance qu’il auoitavoit de la volonté
de Gracchus,. de laquelle il se pouuoitpouvoit respondre, cōmecomme de la
sienne. Mais toutefois ceux, qui accusent cette responce com-
me seditieuse, n’entendent pas bien ce mystere:, &Et ne presup-
posent pas, comme il est, qu’il tenoit la volonté de Gracchus
en sa manche, & par puissance & par connoissance:,⁁
⁁ C’est un’ame en deus corps dict
singulierement bien Aristote
Ils estoint plus amis que
citoiens: plus amis entre eus
qu’amis et qu’enemis de leur païs:
qu’amis d’ambition et de
trouble. S’estant parfaictement
cōmiscommis l’un a lautrel’autre ils
tenoint parfaictement les renes
de la uolantevolantel’inclination l’un de lautrel’autre.
& faictes guider cet harnois
de la uertuvertu et conduite de
la raison come aussi est il du
tout impossible de l’atteler
autrem sans cela la responce
de Blosius est telle qu’elle deuoitdevoit estre Au demurant elle
Si leurs actions se desmancharent ils n’estoint ny amis selon nostrema mesure l’un
de lautrel’autre, ny amis a eus mesmes Au demureant elle cette responce
&Et qu’ainsi
sa respōceresponce ne sonne nōnon plus que feroit la miēnemienne, à qui s’ēquer-
roitenquer-
roit à moy de cette façon: sSi vostre volonté vous commādoitcommandoit
de tuer vostre fille, la tueriez vous? & que ieje l’accordasse:, cCar
cela ne porte aucūaucun tesmoignage de consentemētconsentement à ce faire, par
ce que ieje ne suis point en doute de ma volōtévolonté, & tout aussi peu
LIVRE PREMIER. 72
de celle d’vnun tel amy. Il n’est pas en la puissance de tous les dis-
cours du monde, de me desloger de la certitude, que ij’ay des
intentions & iugemensjugemens du mien: aAucune de ses actions ne me
sçauroit estre presentée, quelque visage qu’elle eut, que ieje n’en
trouuassetrouvasse incontinent le vray ressort. Nos ames ont charrié si
long tempsuniement ensemble, elles se sont considerées d’vneune si ardan-
te affection, & de pareille affection descouuertesdescouvertes iusquesjusques au
fin fond des entrailles l’vneune à l’autre: que non seulement ieje cō-
noissoycon-
noissoy la sienne comme la mienne, mais ieje me fusse certai-
ne ment plus volontiers fié à luy de moy, qu’à moy-mesme.
Qu’on ne me mette pas en ce reng, ces autres amitiez cōmu-
nescommu-
nes: car ij’en ay autant de connoissance qu’vnun autre, & des plus
parfaictes de leur genre:, mais ieje ne conseille pas qu’on con-
fonde leurs regles,: on s’y tromperoit: iIl faut marcher en ces
autres amitiez, la bride à la main, auecavec prudence & precautiōprecaution:
lLa liaison n’est pas nouée en maniere, qu’on n’ait aucunemētaucunement
à s’en deffier. Aymeés le (disoit Chilon) comme ayant quelque
iourjour à le haïr,: haïssez le, cōmecomme ayant à l’aymer. Ce precepte ⁁ ⁁ qui est
si abominable en cette souuerainesouveraine & maistresse amitié, il est
salubre en l’vsageusage ⁁ ⁁ des amities ordinaires. ⁁
⁁ et costumieres: A
lendroitl’endroit des quelles il
faut emploïer le mot
qu’Aristote auoitavoit
tresfamilier. O mes amys,
il n’y a nul ami.
En ce noble commerce, les offices
& les bienfaits nourrissiers des autres amitiez, ne meritent pas
seulement d’estre mis en compte: cCette confusion si pleine
de nos volontez en est cause:, cCar tout ainsi que l’amitié, que ieje
me porte, ne reçoit point augmentation, pour le secours que
ieje me donne au besoin, quoy que dient les Stoiciens, & com-
me ieje ne me sçay aucūaucun gré du seruiceservice que ieje me fay: aussi l’vniōunion
de tels amis estant veritablement parfaicte, elle leur faict per-
dre le sentiment de tels deuoirsdevoirs, &Et haïr & chasser d’entre eux,
ces mots de diuisiondivision & de difference,: comme, bien faict, obli-
gation, reconnoissance, priere, remerciement, & leurs pareils.
Tout estant par effect commun entre eux, volontez, pense-
mens, iugemensjugemens, biens, femmes, enfans, honneur & vie,⁁
⁁ et leur conuenanceconvenance,
n’estant qu’un’ame en deux
cors selon la trespropre definition
d’Aristote
ils ne
ESSAIS DE M. DE MONTA.
se peuuentpeuvent ny prester, ny donner rien. Voila pourquoy les
faiseurs de loix, pour honorer le mariage de quelque imagi-
naire ressemblance de cette diuinedivine liaison, defendent les dona-
tions entre le mary & la femme,. vVoulant inferer par là, que
tout doit estre à chacun d’eux, & qu’ils n’ont rien à diuiserdiviser &
partir ensemble. Si en l’amitié, dequoy ieje parle, l’vnun pouuoitpouvoit
donner à l’autre, ce seroit celuy qui receuroitrecevroit le bien-fait, qui
obligeroit son compagnon. Car cherchant l’vnun & l’autre, plus
que toute autre chose de s’entre-bienfaire, celuy qui en preste
la matiere & l’occasion, est celuy-là qui faict l’honneste & le
courtoisliberal, donnant ce contentement à son amy, d’effectuer en
son endroit ce qu’il desire le plus. ⁁
⁁ Quand le philosofe
Diogenes auoitavoit faute
d’argent il disoit qu’il
le redemandoit a ses
amis non qu’il le demandoit
qu’ils le luy deuointdevoint par
droit d’amitie.
Et pour monstrer commētcomment
cela se practique par effect, ij’en reciteray vnun ancien exemple,
qui y est singulierement propre. Eudamidas CorinthiēCorinthien, auoitavoit
deux amis, Charixeneus SycioniēSycionien, & Aretheus Corinthien: vVe-
nant à mourir estant pauurepauvre, & ses deux amis riches, il fit ainsi
son testamēttestament: IeJe legue à Aretheus de nourrir ma mere, & l’en-
tretenir en sa vieillesse: à Charixenus de marier ma fille, & luy
donner le doüaire le plus grand qu’il pourra.: Eet au cas que l’vnun
d’eux viēnevienne à defaillir, ieje substitue en sa part celuy, qui surui-
urasurvi-
vra. Ceux qui premiers virētvirent ce testamēttestament s’en moquerētmoquerent:, mais
ses heritiers en ayātayant esté aduertisadvertis l’accepterētaccepterent, auecavec vnun singulier
cōtentemētcontentement. Et l’vnun d’entr’eux, CharixēusCharixenus, estātestant trespassé cinq
ioursjours apres, la substitutiōsubstitution estātestant ouuerteouverte en faueurfaveur d’Aretheus,
il nourrit curieusemētcurieusement cette mere, & de cinq talens qu’il auoitavoit
en ses biens, il en donna les deux & demy mariage à vneune
sienne fille vniqueunique, & deux & demy pour le mariage de la fille
d’Eudamidas, desquelles il fit les nopces en mesme iourjour. Cet
exemple est bien plein, si vneune condition en estoit à dire, qui
est la multitude d’amis: cCar cette parfaicte amitié, dequoy ieje
parle, est indiuisibleindivisible: cChacun se donne si entier à son amy, qu’il
ne luy reste rien à departir ailleurs: aAu rebours, il est marry
qu’il
LIVRE PREMIER. 73
qu’il ne soit double, triple, ou quadruple, & qu’il n’ait plu-
sieurs ames & plusieurs volontez, pour les conferer toutes à
ce subietsubjet. Les amitiez communes, on les peut départir, oOn peut
aymer en cesttuy-cy la beauté, en cet autre la facilité de ses
meurs, en l’autre la liberalité, en celuy-là la paternité, en cet au-
tre la fraternité, ainsi du reste: mMais cette amitié, qui possede
l’ame & la regente en toute souuerainetésouveraineté, il est impossible
qu’elle soit double. ⁁
⁁ Si deux en mesme tēpstemps demādoiētdemandoient à estre secourus, auquel
courries uousvous? S’ils requeroint de uousvous chosesdes offices contreres quel ordre y
trouuerriestrouverries uousvous? Si l’un commetoit a uostrevostre silance chose qui fut utille
a lautrel’autre de sçauoirsçavoir, comant uousvous en desmesleries uousvous? L’unique et
principale amitie descout toutes autres obligations. Le secret que ij’ay iurejure ne
deceler a unnul autre ieje le puis sans pariureparjure communiquer a unceluy quil n’est pas autre, c’est
moy. C’est un asses grand miracle de
se doubler et n’en conessent pas la
hauteur ceus qui parlent de se tripler.
Rien n’est extreme qui a son pareil.
Et qu’il entanderapresupposera que de deus ij’en aime
autant l’un que lautrel’autre et qu’ils s’en=
traiment et m’aiment come ieje les aime
autant que ieje les aime il multiplie en
confrerie la chose la plus une et unie : et de
quoi une et sule est encore la plus rare
a trouuertrouver au monde. L’encheineure
amouruse de ces trois philosofes
Polemon Crates Crantor, iugeantjugeans
de mesmes uiuansvivans & mourans ensemble.
Le demeurant de cette histoire conuientconvient
tres-bien à ce que ieje disois: cCar Eudamidas donne pour grace
& pour faueurfaveur à ses amis de les employer à son besoin: iIl les
laisse heritiers de cette siēnesienne liberalité, qui consiste à leur met-
tre en main les moyēsmoyens de luy bien-faire. Et sans doubte, la for-
ce de l’amitié se monstre bien plus richemētrichement en son fait, qu’en
celuy d’Aretheus. Somme, ce sont effects inimaginables, à qui
n’en a gousté: ⁁
⁁ Et qui me font honorer
a merueillesmerveilles la responce
de ce ieunejeune soldat a Cyrus
s’enquerant a luy pour
cōbiencombien il uoudroitvoudroit donner
un cheualcheval par le moien
du quel il uenoitvenoit de
gaigner le pris de la
course: et s’il le uoudroitvoudroit
eschanger a un Royaume:
Non certes Sire mais
bien ⁁ ⁁ le lairrois ieje uolontiersvolontiers pour en acquerir
un ami si ieje trouuoistrouvois
home de uertuvertu digne de
telle alliance. Et Il
ne disoit pas mal s’il sij’en
trouuoitstrouvoits: car on treuuetreuve
facilemant des homes propres
a une conuersationconversationconionctionconjonction superfi=
cielle ⁁ ⁁ acointance mais en ceteci en la
quelle on negotie du fin fond
de son corage qui emploie tout
qui ne faict rien de reste
certes il est besoin que tous
les ressors soint netz et
surs parfaictemant. Ici
Aus speciales alliancesconfederations qui ne
se tienent que par un bout on n’a
a pouruoirspourvoirs qu’aus imperfections
qui particulierement les interessentinteressent ce bout là.
Il ne peut chaloir de quelle
relligion soit mon medecin et
mon aduocatadvocat, cette consideration
n’a rien de commun aueqaveq les offices
de l’amitie qu’ils me doiuentdoivent IeJeEt en l’acouintance domestique d’ que
dressent aueqaveq moi ceus qui me seruentservent ij’en fois de mesmes. Et
m’enquiers peu d’un laquai s’il est chaste IeJe cherche s’il est diligent.
Et ne creins pas tant un muletier ioueurjoueur que foibleimbecille. ny un secreterecuisinier
iureurjureur qu’ignorant. IeJe ne dis pas que ieje fois bien mais ieje dis que ieje fois
ainsi ⁁ D’autres diront sur ce premier article. ⁁ Mihi sic usus est, tibi ut opus est facto face ⁁
⁁ IeJe ne me mesle pas de prescherdire ce qu’il faut faire au monde ⁁ ⁁ d’autres asses s’en meslent mais ce que
ij’y fois. Mihi sic usus est, tibi ut opus est facto face.
A la familiarite de la table
ij’associe le plesant plus tost quenon le prudant. aAu lict la beaute auantavant
la bonté. En lacointance societe du discours qu’il soit preud’home s’il ueutveut mais
qu’il soit saduiséadvisé la suffisance auantavantuoirevoire sans la preud’homie. Pareillement ailleurs.
Tout
& tout ainsi que celuycil qui fut rencontré à che-
uauchonsche-
vauchons sur vnun baton, se iouātjouant auecavec ses enfans, pria celuyl’home qui
l’y surprint, de n’en rien dire, iusquesjusques à ce qu’il fut pere luy-
mesme,: estimant que la passion qui luy naistroit lors en l’ame,
le rendroit iugejuge equitable d’vneune telle action: iIejJe souhaiterois
aussi parler à des gens qui eussent essayé ce que ieje dis. Mais sça-
chant combien c’est chose eslongnée du commūcommun vsageusage, qu’v-
neu-
ne telle amitié, & combien elle est rare, ieje ne m’attens pas d’en
trouuertrouver nulaucun bon iugejuge. Car les discours mesmes que l’antiquité
nous à laissé sur ce subiectsubject, me semblētsemblent láches au pris du goustsentiment
que ij’en ay: &Et en ce seul poinct, les effects surpassent les prece-
ptes mesmes de la philosophie.
Nil ego contulerim iucundo sanus amico.
L’ancien Menander disoit celuy-là heureux, qui auoitavoit peu rē-
contrerren-
contrer seulement l’ombre d’vnun amy: iIl auoitavoit certes raison de
le dire, mesmes s’il en auoitavoit tasté: cCar à la verité si ieje cōparecompare tout
le reste de ma vie, quoy que par’aueqaveq la grace de Dieu ieje l’aye passée
douce, aisée, & sauf la perte d’vnun tel amy, exempte d’affliction
T
ESSAIS DE M. DE MONTA.
poisante, pleine de contentement & de tranquillité d’esprit,
aAyant prins en payemētpayement mes commoditez naturelles & origi-
nelles sans en rechercher d’autres: sSi ieje la compare, dis-ieje, tou-
te, aux quatre ou cinq années, qu’il m’a esté donné de iouyrjouyr de
la douce compagnie & societé de ce personnage, ce n’est que
fumée, ce n’est qu’vneune nuit obscure & ennuyeuse. Depuis le
iourjour que ieje le perdy,
quem semper acerbum, plus en ça
Semper honoratum (sic Dij voluistis) habebo,
ieje ne fay que trainer lāguissantlanguissant,: &Et les plaisirs mesmes qui s’of-
frent à moy, au lieu de me consoler me redoublent le regret
de sa perte. Nous estions à moitié de tout: il me semble que ieje
luy desrobe sa part,
Nec fas esse vlla me voluptate hic frui
Decreui, tantisper dum ille abest meus particeps.
IJ’estois desiadesja si fait & accoustumé à estre deuxiesme par tout,
qu’il me semble n’estre plus qu’a demy.
Illam meae si partem animae tulit
Maturior vis, quid moror altera,
Nec charus aequè nec superstes
Integer? Ille dies vtramque
Duxit ruinam.
Il n’est action ou imagination, ou ieje ne le trouuetrouve à dire,: com-
me si eut-il bien faict à moy: cCar de mesme qu’il me surpassoit
d’vneune distance infinie en toute autre suffisance & vertu, aussi
faisoit il au deuoirdevoir de l’amitié.
Quis desiderio sit pudor aut modus
Tam chari capitis?
O misero frater adempte mihi! plus en ça
Omnia tecum vnauna perierunt gaudia nostra,
Quae tuus in vita dulcis alebat amor.
Tu mea, tu moriens fregisti commoda frater
LIVRE PREMIER. 74
Tecum vna tota est nostra sepulta anima,
Cuius ego interitu tota de mente fugaui
Haec studia, atque omnes delicias animi.
Alloquar? audiero nunquam tua verba loquentem?
Nunquam ego te vita frater amabilior
Aspiciam posthac? at certè semper amabo.
Mais oyons vnun peu parler ce garson de dixhuictsese ans.
Le changement de paragraphe pour "Parce que j’ay trouvé..." est rarissime dans les Essais. La rupture était encore plus marquée dans les éditions de 1580 (3 astérisques) et de 1582 (5 astérisques), comme une cicatrice.
Parce que ij’ay trouuétrouvé que cet ouurageouvrage à esté depuis mis en lu-
miere & à mauuaisemauvaise fin, par ceux qui cherchent à troubler &
changer l’estat de nostre police, sans se soucier s’ils l’amende-
ront, qu’ils ont meslé à d’autres escris de leur farine, ieje me suis
dédit de le loger icy. Et affin que la memoire de l’auteur n’en
soit interessée en l’endroit de ceux, qui n’ont peu connoistre
de pres ses opinions & ses actions: iIejJe les aduiseadvise que ce subiectsubject
fut traicté par luy en son enfance, par maniere d’exercitation
seulement, cōmecomme subietsubjet vulgaire & tracassé en mille endroits
des liureslivres. IeJe ne fay nul doubte qu’il ne creust ce qu’il escriuoitescrivoit:,
car il estoit assez cōscientieuxconscientieux, pour ne mentir pas mesmes en
se iouātjouant,: &Et sçay d’auātageavantage que s’il eut eu à choisir, il eut mieux
aimé estre nay à Venise qu’à Sarlac,: & auoitavoitaueqaveq raison: mMais il a-
uoita-
voit vnun’ autre maxime souuerainemētsouverainement empreinte en son ame,
d’obeyr & de se soubmettre tres-religieusement aux loix, sous
lesquelles il estoit nay. Il ne fut iamaisjamais vnun meilleur citoyen, ny
plus affectionné au repos de sa patrieson païs, ny plus ennemy des re-
muements & nouuelleteznouvelletez de son temps: iIl eut bien plustost
employé sa suffisācesuffisance à les esteindre, que à leur fournir dequoy
les émouuoirémouvoir d’auantageavantage: iIl auoitavoit son esprit moulé au patron
d’autres siecles que ceux-cy. Or en eschange de cest ouurageouvrage
serieux ij’en substitueray vnun autre, produit en cestte mesme sai-
son de son aage, plus gaillard & plus eniouéenjoué. Ce sont 29. son-
nets que le sieur de Poiferré homme d’affaires, & d’entende-
ment, qui le connoissoit long temps auantavant moy, à retrouuéretrouvé
T ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
par fortune chez luy, parmy quelques autres papiers, & me les
viētvient d’enuoyerenvoyer: dequoy ieje luy suis tres-obligé, & souhaiterois
que d’autres qui detiennent plusieurs lopins de ses escris, par-
cy, par-là, en fissent de mesmes.
Vingt & neuf sonnets d’Estienne de la Boetie, à Madame de GrāmontGrammont
Comtesse de Guissen. CHAP. XXVIII.
MADAME ieje ne vous offre rien du mien, ou par ce qu’il
est desiadesja vostre, ou pour ce q̄que ieje n’y trouuetrouve riērien digne de
vous. Mais ij’ay voulu que ces vers en quelque lieu qu’ils se vis-
sent, portassent vostre nōnom en teste, pour l’honneur que ce leur
sera d’auoiravoir pour guide cette grādegrande Corisande d’Andoins. Ce
present m’a semblé vous estre propre, d’autant qu’il est peu de
dames en France, qui iugentjugent mieux, & se seruentservent plus à propos
que vous, de la poësie: & puis qu’il n’en est point qui la puis-
sent rendre viuevive & animée, comme vous faites par ces beaux
& riches accords, dequoy parmy vnun million d’autres beautez,
nature vous à estrenée. Madame ces vers meritent que vous
les cherissez: car vous serez de mon aduisadvis, qu’il n’en est point
sorty de Gascoigne, qui eussent plus d’inuentioninvention & de gentil-
lesse, & qui tesmoignent estre sortis d’vneune plus riche main. Et
n’entrez pas en ialousiejalousie, dequoy vous n’auezavez que le reste de ce
que pieç’a ij’en ay faict imprimer sous le nom de monsieur de
Foix, vostre bon parētparent: car certes ceux-cy ont ieje ne sçay quoy
de plus vif & de plus bouillant: comme il les fit en sa plus ver-
te ieunessejeunesse, & eschaufé d’vneune belle & noble ardeur que ieje vous
diray, Madame, vnun iourjour à l’oreille. Les autres furētfurent faits depuis
comme il estoit à la poursuite de son mariage, en faueurfaveur de sa
femme, & sentent desiadesja ieje ne sçay quelle froideur maritale. Et
moy ieje suis de ceux, qui tiennent que la poësie ne rid point
ailleurs, comme elle faict en vnun subiectsubject folatre & desreglé.
Ces uersvers se uoientvoient ailleurs
SONNET.
75
Dans les éditions de 1580 et 1582 les feuillets où figurent les sonnets ne sont pas numérotés.
Montaigne supprime d’un long trait de plume en diagonale chacune des pages consacrées aux sonnets.
I.
PARDON AMOVRAMOUR, pardon, ô Seigneur ieje te voüe
Le reste de mes ans, ma voix & mes escris,
Mes sanglots, mes souspirs, mes larmes & mes cris:
Rien, rien tenir d’aucun, que de toy ieje n’aduoueadvoue.
Helas comment de moy, ma fortune se iouejoue.
De toy n’a pas long temps, amour, ieje me suis ris.
IJ’ay failly, ieje le voy, ieje me rends, ieje suis pris.
IJ’ay trop gardé mon coeur, or ieje le desaduoüe.
Si ij’ay pour le garder retardé ta victoire,
Ne l’en traitte plus mal, plus grande en est ta gloire.
Et si du premier coup tu ne m’as abbatu,
Pense qu’vnun bon vainqueur & nay pour estre grand,
Son nouueaunouveau prisonnier, quand vnun coup il se rend,
Il prise & l’ayme mieux, s’il à bien combatu.
II.
C’est amour, c’est amour, c’est luy seul, ieje le sens:
Mais le plus vif amour, la poison la plus forte,
A qui onq pauurepauvre coeur ait ouuerteouverte la porte.
Ce cruel n’a pas mis vnun de ses tratiztraitz perçans,
Mais arc, traits & carquois, & luy tout dans mes sens.
Encor vnun mois n’a pas, que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines ieje porte,
Et des-ja ij’ay perdu, & le coeur & le sens.
Et quoy? si cest amour à mesure croissoit,
Qui en si grand tourment dedans moy se conçoit?
O croistz, si tu peuz, croistre, & amende en croissant.
Tu te nourris de pleurs, des pleurs ieje te prometz,
Et pour te refreschir, des souspirs pour iamaisjamais.
Mais que le plus grand mal soit au moings en naissant.
T iij
III.
C’est faict mon coeur, quitons la liberté.
Dequoy meshuy seruiroitserviroit la deffence,
Que d’agrandir & la peine & l’offence?
Plus ne suis fort, ainsi que ij’ay esté.
La raison fust vnun temps de mon costé,
Or reuoltéerevoltée elle veut que ieje pense
Qu’il faut seruirservir, & prendre en recompence
Qu’oncq d’vnun tel neud nul ne fust arresté.
S’il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n’a plus deuersdevers soy la raison.
IeJe voy qu’amour, sans que ieje le deseruedeserve,
Sans aucun droict, se vient saisir de moy?
Et voy qu’encor il faut à ce grand Roy
Quand il à tort, que la raison luy serueserve.
IIII.
C’estoit alors, quand les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuuescuves va foulant,
Le raisin gras dessoubz le pied coulant,
Que mes douleurs furent encommencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caueauxcaveaux ses bouillans muis roulant,
Et des fruitiers son automne croulant
Se vange lors des peines aduancéesadvancées.
Seroit ce point vnun presage donné
Que mon espoir est des-ja moissonné?
Non certes, non. Mais pour certain ieje pense,
IJ’auray, si bien à deuinerdeviner ij’entends,
Si l’on peut rien prognostiquer du temps,
Quelque grand fruict de ma longue esperance.
V.
IJ’ay veu ses yeux perçans, ij’ay veu sa face claire:
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(Nul iamaisjamais sans son dam ne regarde les dieux)
Froit, sans coeur me laissa son oeil victorieux,
Tout estourdy du coup de sa forte lumiere.
Comme vnun surpris de nuit aux champs quand il esclaire
Estonné, se pallist si la fleche des cieux
Sifflant luy passe contre, & luy serre les yeux,
Il tremble, & veoit, transi, IupiterJupiter en colere.
Dy moy Madame, au vray, dy moy si tes yeux vertz
Ne sont pas ceux qu’on dit que l’amour tient couuertzcouvertz?
Tu les auoisavois, ieje croy, la fois que ieje t’ay veüe,
Au moins il me souuientsouvient, qu’il me fust lors aduisadvis
Qu’amour, tout à vnun coup, quand premier ieje te vis,
Desbanda dessus moy, & son arc, & sa veüe.
VI.
Ce dit maint vnun de moy, dequoy se plaint il tant,
Perdant ses ans meilleurs en chose si legiere?
Qu’à il tant à crier, si encore il espere?
Et s’il n’espere rien, pourquoy n’est il content?
Quand ij’estois libre & sain ij’en disois bien autant.
Mais certes celuy la n’a la raison entiere,
Ains à le coeur gasté de quelque rigueur fiere,
S’il se plaint de ma plainte, & mon mal il n’entend.
Amour tout à vnun coup de cent douleurs me point,
Et puis l’on m’aduertitadvertit que ieje ne crie point.
Si vain ieje ne suis pas que mon mal ij’agrandisse
A force de parler: son m’en peut exempter,
IeJe quitte les sonnetz, ieje quitte le chanter.
Qui me deffend le deuil, celuy la me guerisse.
VII.
Quant à chanter ton los, par fois ieje m’aduentureadventure,
Sans oser ton grand nom, dans mes vers exprimer,
Sondant le moins profond de cette large mer,
IeJe tremble de m’y perdre, & aux riuesrives m’asseure.
IeJe crains en loüant mal, que ieje te face iniureinjure.
Mais le peuple estonné d’ouir tant t’estimer,
Ardant de te connoistre, essaie à te nommer,
Et cherchant ton sainct nom ainsi à l’aduentureadventure,
Esbloui n’attaint pas à veoir chose si claire,
Et ne te trouuetrouve point ce grossier populaire,
Qui n’ayant qu’vnun moyen, ne voit pas celuy là:
C’est que s’il peut trier, la comparaison faicte
Des parfaictes du monde, vneune la plus parfaicte,
L’ors, s’il à voix, qu’il crie hardimant la voyla.
VIII.
Quand viendra ce iourjour la, que ton nom au vray passe
Par France, dans mes vers? combien & quantesfois
S’en empresse mon coeur, s’en demangent mes doits?
SouuentSouvent dans mes escrits de soy mesme il prend place.
Maugré moy ieje t’escris, maugré moy ieje t’efface.
Quand astrée viendroit & la foy & le droit,
Alors ioyeuxjoyeux ton nom au monde se rendroit.
Ores c’est à ce temps, que cacher il te face,
C’est à ce temps maling vneune grande vergogne
Donc Madame tandis tu seras ma Dourdouigne.
Toutesfois laisse moy, laisse moy ton nom mettre,
Ayez pitié du temps, si au iourjour ieje te metz,
Si le temps ce cognoist, lors ieje te le prometz,
Lors il sera doré, s’il le doit iamaisjamais estre.
IX.
O entre tes beautez, que ta constance est belle.
CestC’est ce coeur asseuré, ce courage constant,
C’est parmy tes vertus, ce que l’on prise tant:
Aussi qu’est il plus beau, qu’vneune amitié fidelle?
Or ne charge donc rien de ta soeur infidele,
De
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De Vesere ta soeur: elle va s’escartant
TousioursTousjours flotant mal seure en son cours inconstant.
Voy tu comme à leur gré les vens se ioüentjoüent d’elle?
Et ne te repens point pour droict de ton aisnage
D’auoiravoir des-iaja choisi la constance en partage.
Mesme race porta l’amitie souuerainesouveraine
Des bons iumeauxjumeaux, desquels l’vnun à l’autre despart
Du ciel & de l’enfer la moitié de sa part,
Et l’amour diffamé de la trop belle Heleine.
X.
IeJe voy bien, ma Dourdouigne encor humble tu vas:
De te monstrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si à il bien esté quelquefois aussi bas.
Voys tu le petit Loir comme il haste le pas?
Comme des-iaja parmy les plus grands il se conte?
Comme il marche hautain d’vneune course plus prompte
Tout à costé du Mince, & il ne s’en plaint pas?
VnUn seul OliuierOlivier d’Arne enté au bord de Loire,
Le faict courir plus brauebrave & luy donne sa gloire.
Laisse, laisse moy faire, Et vnun iourjour ma Dourdouigne,
Si ieje deuinedevine bien, on te cognoistra mieux:
Et Garonne, & le Rhone, & ces autres grands Dieux
En auront quelque enuieenvie, & possible vergoigne.
XI.
Toy qui oys mes souspirs, ne me sois rigoureux
Si mes larmes apart toutes miennes ieje verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diuersediverse
Du Florentin transi les regrets languoreux,
Ny de Catulle aussi, le folastre amoureux,
Qui le coeur de sa dame en chatouillant luy perce,
Ny le sçauantsçavant amour du migregeois Properce,
V
Ils n’ayment pas pour moy, ieje n’ayme pas pour eux.
Qui pourra sur autruy ses douleurs limiter,
Celuy pourra d’autruy les plaintes imiter:
Chacun sent son tourment, & sçait ce qu’il endure
Chacun parla d’amour ainsi qu’il l’entendit.
IeJe dis ce que mon coeur, ce que mon mal me dict.
Que celuy ayme peu, qui ayme à la mesure.
XII.
Quoy? qu’est-ce? ô vens, ô nues, ô l’orage!
A point nommé, quand d’elle m’aprochant
Les bois, les monts, les baisses vois tranchant
Sur moy d’aguest vous poussez vostre rage.
Ores mon coeur s’embrase d’auantageavantage.
Allez allez faire peur au marchant,
Qui dans la mer les thresors va cherchant:
Ce n’est ainsi, qu’on mabbat le courage.
Quand ij’oy les vents, leur tempeste, & leur cris,
De leur malice, en mon coeur ieje me ris.
Me pensent ils pour cela faire rendre?
Face le ciel du pire, & l’air aussi:
IeJe veux, ieje veux, & le declaire ainsi
S’il faut mourir, mourir comme Leandre.
XIII.
Vous qui aimer encore ne sçauezsçavez,
Ores m’oyant parler de mon Leandre,
Ou iamaisjamais non, vous y debuez aprendre,
Si rien de bon dans le coeur vous auezavez.
Il oza bien branlant ses bras lauezlavez,
Armé d’amour, contre l’eau se deffendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frere, & le mouton sauuezsauvez.
VnUn soir vaincu par les flos rigoureux,
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Voyant des-iaja, ce vaillant amoureux,
Que l’eau maistresse à son plaisir le tourne:
Parlant aux flos, leur iectajecta cette voix:
Pardonnez moy maintenant que ij’y veois,
Et gardez moy la mort, quand ieje retourne.
XIIII.
O coeur leger, ô courage mal seur,
Penses-tu plus que souffrir ieje te puisse?
O bonté creuze, ô couuertecouverte malice,
Traitre beauté, venimeuse douceur.
Tu estois donc tousiourstousjours soeur de ta soeur?
Et moy trop simple il failloit que ij’en fisse
Lessay sur moy? & que tard ij’entendisse
Ton parler double & tes chants de chasseur?
Depuis le iourjour que ij’ay prins à t’aimer,
IJ’eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu’est-ce meshuy que ieje pourrois attendre?
Comment de toy pourrois ij’estre content?
Qui apprendra ton coeur d’estre constant,
Puis que le mien ne le luy peut aprendre?
XV.
Ce n’est pas moy que l’on abuse ainsi:
Qu’a quelque enfant ses ruses on employe,
Qui n’a nul goust, qui n’entend rien qu’il oye:
IeJe sçay aymer, ieje sçay hayr aussi.
Contente toy de m’auoiravoir iusqujusqu’icy
Fermé les yeux, il est temps que ij’y voye:
Et que mes-huy, las & honteux ieje soye
D’auoiravoir mal mis mon temps & mon soucy,
Oserois tu m’ayant ainsi traicté
Parler à moy iamaisjamais de fermeté?
Tu prens plaisir à ma douleur extreme:
V ij
Tu me deffends de sentir mon tourment:
Et si veux bien que ieje meure en t’aimant.
Si ieje ne sens, comment veux tu que ij’ayme?
XVI.
O l’ay ieje dict? helas l’ay ieje songé?
Ou si pour vray ij’ay dict blaspheme telle?
S’a fauce langue, il faut que l’honneur d’elle
De moy, par moy, desus moy, soit vangé.
Mon coeur chez toy, ó madame, est logé:
Lá donne luy quelque geéne nouuellenouvelle:
Fais luy souffrir quelque peine cruelle:
Fais, fais luy tout, fors luy donner congé.
Or seras tu (ieje le sçay) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine.
Mais vnun tel faict, faut il qu’il se pardonne?
A tout le moins haut ieje me desdiray
De mes sonnets, & me desmentiray,
Pour ces deux faux, cinq cens vrais ieje t’en donne.
XVII.
Si ma raison en moy s’est peu remettre,
Si recouurerrecouvrer astheure ieje me puis,
Si ij’ay du sens, si plus homme ieje suis,
IeJe t’en mercie, ô bien heureuse lettre.
Qui m’eust (helas) qui m’eust sçeu recognoistre
Lors qu’enrage vaincu de mes ennuys,
En blasphemant madame ieje poursuis?
De loing, honteux, ieje te vis lors paroistre
O sainct papier, alors ieje me reuinsrevins,
Et deuersdevers toy deuotementdevotement ieje vins.
IeJe te donrois vnun autel pour ce faict,
Qu’on vist les traicts de cette main diuinedivine.
Mais de les voir aucun homme n’est digne,
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Ny moy aussi, s’elle ne m’en eust faict.
XVIII.
IJ’estois prest d’encourir pour iamaisjamais quelque blasme.
De colere eschauffé mon courage brusloit,
Ma fole voix au gré de ma fureur branloit,
IeJe despitois les dieux, & encore ma dame.
Lors qu’elle de loing iettejette vnun breuetbrevet dans ma flamme
IeJe le sentis soudain comme il me rabilloit,
Qu’aussi tost deuantdevant luy ma fureur s’en alloit,
Qu’il me rendoit, vainqueur, en sa place mon ame.
Entre vous, qui de moy, ces merueillesmerveilles oyez,
Que me dites vous d’elle? & ieje vous prie voyez,
S’ainsi comme ieje fais, adorer ieje la dois?
Quels miracles en moy, pensez vous qu’elle fasse
De son oeil tout puissant, ou d’vnun ray de sa face.
puis qu’en moy firent tant les traces de ses doigts.
XIX.
IeJe tremblois deuantdevant elle, & attendois, transi,
Pour venger mon forfaict quelque iustejuste sentence,
A moy mesme consent du poids de mon offence,
Lors qu’elle me dict, va, ieje te prens à mercy.
Que mon loz desormais par tout soit esclarcy:
Employe là tes ans: & sans plus, mes-huy pense
D’enrichir de mon nom par tes vers nostre France,
CouureCouvre de vers ta faute, & paye moy ainsi.
Sus donc ma plume, il faut, pour iouyrjouyr de ma peine
Courir par sa grandeur, d’vneune plus large veine.
Mais regarde à son oeil, qu’il ne nous abandonne.
Sans ses yeux, nos esprits se mourroient languissants.
Ils nous donnent le coeur, ils nous donnent le sens.
Pour se payer de moy, il faut qu’elle me donne.
V iij
XX.
O vous maudits sonnets, vous qui printes l’audace
De toucher à madame: ô malings & peruerspervers,
Des Muses le reproche, & honte de mes vers:
Si ieje vous feis iamaisjamais, s’il faut que ieje me fasse
Ce tort de confesser vous tenir de ma race,
Lors pour vous, les ruisseaux ne furent pas ouuertsouverts
D’Appollon le doré, des muses aux yeux verts,
Mais vous receut naissants Tisiphoné en leur place
Si iayj’ay oncq quelque part à la posterité
IeJe veux que l’vnun & l’autre en soit desherité.
Et si au feu vangeur des or ieje ne vous donne,
C’est pour vous diffamer, viuezvivez chetifs, viuezvivez,
ViuezVivez aux yeux de tous, de tout honneur priuezprivez:
Car c’est pour vous punir, qu’ores ieje vous pardonne.
XXI.
N’ayez plus mes amis, n’ayez plus cette enuieenvie
Que ieje cesse d’aimer, laissez moy obstiné,
ViureVivre & mourir ainsi, puis qu’il est ordonné,
Mon amour c’est le fil, auquel se tient ma vie.
Ainsi me dict la fée, ainsi en AEagrie
Elle feit Meleagre à l’amour destiné,
Et alluma sa souche à l’heure qu’il fust né,
Et dict, toy, & ce feu, tenez vous compaignie.
Elle le dict ainsi, & la fin ordonnée
SuyuitSuyvit apres le fil de cette destinée.
La souche (ce dict lonl’on) au feu fut consommée,
Et deslors (grand miracle) en vnun mesme moment
On veid tout à vnun coup, du miserable amant
La vie & le tison, s’en aller en fumée.
XXII.
Quand tes yeux conquerans estonné ieje regarde,
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IJ’y veoy dedans à clair tout mon espoir escript,
IJ’y veoy dedans amour, luy mesme qui me rit,
Et m’y monstre mignard le bon heur qu’il me garde.
Mais quand de te parler par fois ieje me hazarde,
C’est lors que mon espoir desseiché se tarit.
Et d’aduoueradvouer iamaisjamais ton oeil, qui me nourrit,
D’vnun seul mot de faueurfaveur, cruelle tu n’as garde.
Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que ieje dis,
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui ieje me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toy mesme se dresse,
Si ta bouche & tes yeux se veulent desmentir.
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les departir,
Et que ieje prenne au mot de tes yeux la promesse.
XXIII.
Ce sont tes yeux tranchans qui me font le courage.
IeJe veoy saulter dedans la gaye liberté,
Et mon petit archer, qui mene à son costé
La belle gaillardise & plaisir le volage.
Mais apres, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton coeur la fiere honnesteté.
Et condamné ieje veoy la dure chasteté,
Là grauementgravement assise & la vertu sauuagesauvage,
Ainsi mon temps diuersdivers par ces vagues se passe.
Ores son oeil m’appelle, or sa bouche me chasse.
Helas, en c’est estrif, combien ay ij’enduré.
Et puis qu’on pense auoiravoir d’amour quelque asseurance,
Sans cesse nuict & iourjour à la seruirservir ieje pense,
Ny encor de mon mal, ne puis estre asseuré.
XXIIII.
Or dis-ieje bien, mon esperance est morte.
Or est-ce faict de mon aise & mon bien.
Mon mal est clair: maintenant ieje veoy bien,
IJ’ay espousé la douleur que ieje porte.
Tout me court sus, rien ne me reconforte,
Tout m’abandonne & d’elle ieje n’ay rien,
Sinon tousiourstousjours quelque nouueaunouveau soustien,
Qui rend ma peine & ma douleur plus forte.
Ce que ij’attends, c’est vnun iourjour d’obtenir
Quelques souspirs des gens de l’adueniradvenir:
Quelqu’vnun dira dessus moy par pitié:
Sa dame & luy nasquirent destinez,
Egalement de mourir obstinez,
L’vnun en rigueur, & l’autre en amitié.
XXV.
IJ’ay tant vescu, chetif, en ma langueur,
Qu’or ij’ay veu rompre, & suis encor en vie,
Mon esperance auantavant mes yeux rauieravie,
Contre l’escueil de sa fiere rigueur.
Que m’a seruyservy de tant d’ans la longueur?
Elle n’est pas de ma peine assouuieassouvie:
Elle s’en rit, & n’a point d’autre enuieenvie,
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
Donques ij’auray, mal’heureux en aimant
TousioursTousjours vnun coeur, tousiourstousjours nouueaunouveau tourment.
IeJe me sens bien que ij’en suis hors d’halaine,
Prest à laisser la vie soubs le faix:
Qu’y feroit-on sinon ce que ieje fais?
Piqué du mal, ieje m’obstine en ma peine.
XXVI.
Puis qu’ainsi sont mes dures destinées,
IJ’en saouleray, si ieje puis, mon soucy.
Si ij’ay du mal, elle le veut aussi.
IJ’accompliray mes peines ordonnées
Nymphes des bois qui auezavez estonnées,
De
81
De mes douleurs, ieje croy quelque mercy,
Qu’en pensez vous? puis-ieje durer ainsi,
Si à mes maux trefuestrefves ne sont donnees?
Or si quelqu’vneune à m’escouter s’encline,
Oyez pour Dieu ce qu’ores ieje deuinedevine.
Le iourjour est pres que mes forces iaja vainésvaines
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C’est mon espoir, si ieje meurs en aymant,
A donc, ieje croy, failliray-ieje à mes peines.
XXVII.
Lors que lasse est, de me lasser ma peine,
Amour d’vnun bien mon mal refreschissant,
Flate au coeur mort ma playe languissant,
Nourrit mon mal, & luy faict prendre alaine.
Lors ieje conçoy quelque esperance vaine:
Mais aussi tost, ce dur tyran, s’il sent
Que mon espoir se renforce en croissant,
Pour l’estoufer, cent tourmens il m’ameine
Encor tous frez: lors ieje me veois blasmant
D’auoiravoir esté rebelle à mon tourmant.
ViueVive le mal, ô dieux, qui me deuoredevore,
ViueVive à son gré mon tourmant rigoureux.
O bien-heureux, & bien-heureux encore
Qui sans relasche est tousiourstousjours mal’heureux.
XXVIII.
Si contre amour ieje n’ay autre deffence
IeJe m’en plaindray, mes vers le maudiront,
Et apres moy les roches rediront
Le tort qu’il faict à ma dure constance.
Puis que de luy ij’endure cette offence.
Au moings tout haut, mes rithmes le diront,
Et nos neueusneveus, alors qu’ils me liront,
X
En l’outrageant, m’en feront la vengeance.
Ayant perdu tout l’aise que ij’auoisavois,
Ce sera peu que de perdre ma voix.
S’on sçait l’aigreur de mon triste soucy,
Et fut celuy qui m’a faict cette playe,
Il en aura, pour si dur coeur qu’il aye,
Quelque pitié, mais non pas de mercy.
XXIX.
IaJa reluisoit la benoiste iournéejournée
Que la nature au monde te deuoitdevoit,
Quand des thresors qu’elle te reseruoitreservoit
Sa grande clef, te fust abandonnée.
Tu prins la grace à toy seule ordonnée,
Tu pillas tant de beautez qu’elle auoitavoit:
Tant qu’elle, fiere, alors qu’elle te veoit
En est par fois, elle mesme estonnée.
Ta main de prendre en fin se contenta:
Mais la nature encor te presenta,
Pour t’enrichir cette terre ou nous sommes.
Tu n’en prins rien: mais en toy tu t’en ris,
Te sentant bien en auoiravoir assez pris
Pour estre icy royne du coeur des hommes.
De la moderation. CHAP. XXX.
COMME si nous auionsavions l’attouchement infect, nous
corrompons par nostre maniemētmaniement les choses, qui d’el-
les mesmes sont belles & bōnesbonnes. Nous pouuonspouvons saisir
la vertu, de façon qu’elle en deuiendradeviendra vicieuse: comme il ad-
uientvient quandsi nous l’embrassons d’vnun desir trop aspre & trop
violant. Ceux qui disent qu’il n’y à iamaisjamais d’exces en la vertu,
d’autant que ce n’est plus vertu, si l’exces y est, ils se iouentjouent de
la subtilité des parolles.:
LIVRE PREMIER. 82
Insani sapiens nomen ferat, aequus iniqui,
Vltra quam satis est, virtutem si petat ipsam.
C’est vneune subtile consideration de la philosophie. On peut &
trop aimer la vertu, & se porter immoderémētimmoderémentexcessiuementexcessivement en vneune action
iustejuste & vertueuse. A ce biaiz se peut ’accommoder la parolleuoixvoix
diuinedivine,: ne soyez pas plus sages qu’il ne faut, mais soyez sobre-
ment sages. ⁁
⁁ I’ayJ’ay ueuveu tel ⁁ ⁁ grand, blesser
la reputation de sa
religion pour se
montrer relligieus
outre tout example
des homes de sa
sorte. IJ’aime des natures
temperees et moïenes.
L’immoderation uersvers
le bien mesme si elle
ne m’offance elle m’estone
et me met en peine de
la babtiser. Ny la mere
de Br Pausanias qui
dona la premiere l’instruc=
tion et porta la premiere
pierre pour à la mort de
son filx: ny le dictatur
Postumius qui fit
mourir le sien que lardeurl’ardeur
de iunessejunesse auoitavoit pousse
sur les enemispousse hureusement
sur les enemis, un peu
auantavant son ranc: ne me
semble si purement
iustejuste come estrange.
Et n’aime ny a prescherconseiller ny
a suiuresuivre une uertuvertu si
sauuagesauvage et si chere. LarcherL’archer
qui outrepasse le blanc faut comme
celluy qui n’y arriuearrive pas. ⁁
⁁ Calliclez en Platon dit, l’extremité de la philosophie estre dommageable: & conseille de ne s’y
enfoncer outre les bornes dedu l’utiliteprofit: Que prinse auequesaveques moderation, elle est plaisante & commode: mais qu’en fin elle
rant un home sauuagesauvage et uitieusvitieus: desdeigneus des religions et loix communes: enemi de la conuersationconversation ciuilecivile: enemi des
uoluptesvoluptes humaines: incapables de tout’administration politique et de tout commerce et de secourir autruy et de se secourir
a soi mesmes: capable d’propre a estre foulè aus pieds sans se pleindre impuneemant souffletè: Il dict uraivrai: qu’car en son excez
elle gourmande et esclaueesclave nostre naturelle franchise: et nous desuoiedesvoie par un’inportune subtilitè du beau et plein
chemin que nature nous a tracé.
Et les
yeus me troublent a monter a coup
uersvers une grande lumiere egalemētegalement come a deualerdevaler a l’ombre.
L’amitié que nous portons à nos femmes, elle est
tres-legitime: la theologie ne laisse pas de la brider pourtātpourtant, &
de la restraindre. Il me semble auoiravoir leu autresfois chez sainct
Thomas, en vnun endroit où il condānecondamne les mariages des paran-s
tes és degrez deffandus, cestte raison parmy les autres: qQu’il y a
dāgerdanger que l’amitié qu’on porte à vneune telle femme soit immo-
derée: cCar si l’affection maritalle s’y trouuetrouve entiere & perfaite
comme elle doit, & qu’on la surcharge encore de celle qu’on
doit à la parantelle, il n’y a point de doubte, que ce surcroist
n’ēporteemporte vnun tel mary hors les barrieres de la raison,. soit en l’a-
mitié, soit aux effects de la iouïssancejouïssance. Les sciences qui reglent
les meurs des hommes, comme la religiontheologie & la philosophie,
elles se meslent de tout. Il n’est action si priuéeprivée & secrette, qui
se desrobe de leur cognoissance & iurisdictionjurisdiction. ⁁
⁁ Vrais ueausveaus et bBien aprantis sont ceus qui syndiquent leur liberte. Ce sont les femmes
qui communiquent tant qu’on ueutveut leurs pieces a m garsoner: a medeciner la
honte le defant.
IeJe veux donc
de leur part apprendre encore cecy aux maris (car il y a grand
dangier qu’ils ne se perdent en ce débordement)s’il s’en treuuetreuve
encores qui y soint trop acharnez: c’est que les
plaisirs mesmes qu’ils ont à l’acointance de leurs femmes, ils
sont merueilleusementmerveilleusement reprouuezreprouvez, si la moderatiōmoderation n’y est ob-
seruéeob-
servée: &Et qu’il y à dequoy faillir en licence & desbordemētdesbordement en
ce subietsubjet là, comme en vnun subietsubjet estranger & illegitime.
⁁ Ces encherimans
deshontez que la
chalur premiere nous
fourn suggere en ce
ieujeu, sont non indecem=
mant sulemant mais
domageablement
emploiez enuersenvers nos
fames. Qu’elles apren=
nent l’impudance
au moins d’un’autre
main. Elles sont
tousioustousjoustousjours asses esueil=
leesesveil=
lees pour nostre besoing.
IeJe ne m’y suis seruyservy
que de l’instruction naturelle
et simple.
C’est
vneune religieuse liaison & deuotedevote que le mariage,: vVoila pour-
quoy le plaisir qu’on en tire, ce doit estre vnun plaisir retenu, se-
rieux & meslé à quelque peu de seueritéseverité: cCe doit estre vneune vo-
lupté ⁁ ⁁ aucunemant prudente & conscientieuse. Et parce que sa principale
fin c’est la generation, il y en à qui mettent en doubte, si lors
que nous sommes sans l’esperance de cet vsageusage fruit, comme lors
X ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que les femmesquand elles sont hors d’aage, ou enceinteenceintes, il est permis d’ēen
rechercher cette accointance:l’embrassemant. cela tiens ieje pour certain qu’il
est beaucoup plus sainct de s’en abstenir.C’est un homicide a la mode de Platon. Certaines natiōsnations ⁁ ⁁ et entre autre la Mahumetane abo-
mineēent la conionctionconjonction auecavec les femmes enceintes, comme elle
faictplusieurs aussi auecavec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia ne rece-
uoitrece-
voit son mary que pour vneune charge, & cela fait elle le laissoit
courir tout le tēpstemps de sa cōceptionconception, luy dōnantdonnant lors seulemētseulement,
loy de recommencer: noblebrauebrave & genereux exemple de mariage. ⁁
⁁ C’est de quelque poëte disett
diseteus & affamè de ce
deduit de que Platon enprunta
cette narration que IuppiterJuppiter
fit a sa fame une si chalureuse
charge un iourjour que ne pouuātpouvant
auoiravoir patiance qu’ell’eut gaigné
son lict il la uersaversa sur le
planchier et par la uehemancevehemance
du plaisir oblia les resolutions
grandes et importantes qu’il
venoit de prandre aueqaveq les
autres dieus en sa court celeste:
se vantant quilqu’il l’auoitavoit trouuètrouvè
aussi bon ce coup la que lorsque
premieremant il la depucela
a cachettes de leurs parans.
Les Roys de Perse appelloient leurs femmes à la compaignie
de leurs festins, mais quand le vin venoit à les eschaufer en bōbon
escient, & qu’il falloit tout à fait, lascher la bride à la desbau-
cheuoluptévolupté, ils les r’enuoioiētenvoioient en leur priuéprivé, pour ne les faire participā-
tesparticipan-
tes des excez de leurs appetits desreglez & immoderez, & fai-
soient venir en leur lieu, des femmes, ausquelles ils n’eussent
point cette obligatiōobligation & cede respect. Tous plaisirs & toutes gra-
tifications ne sont pas bien emploiées àlogees en toutes gens: Epami-
nondas auoitavoit fait emprisonner vnun garson desbauché, Pelopi-
das le pria de le mettre en liberté en sa faueurfaveur,: il l’en refusa, &
l’accorda à vneune sienne garse, qui aussi l’en pria: disant que c’e-
stoit vneune gratification deuë à vneune amie, non à vnun capitaine. ⁁
⁁ Sophocles estant compaignon
en la Praeture aueqaveq Pericles
voyant de cas de fortune passer
vnun beau garçon. O le beau
garçon que uoilavoila fit il a
Pericles Cela seroit bon a un
autre qu’a un Praetur luy
dit Pericles qui doit auoiravoir
non les mains sulemant
mais aussi les yeus chastes
AEliusAelius Verus, l’Empereur, respondit à sa fēmefemme sur ce propos,
comme elle se plaignoit, dequoy il se laissoit aller à l’amitiéour
d’autres fēmesfemmes, qu’il le faisoit par occasion conscientieuse,
d’autant que le mariage estoit vnun nom d’honneur & dignité,
non de folastre & lasciuelascive voluptéconcupiscence. ⁁
⁁ Et nos ātiensantiens autheurs ecclesiastiques
font aueqaveq honur mantion d’une
femme qui repudia son mari pour
ne vouloir seconder ses trop
lasciueslascives et immoderees amours.
Il n’est en somme aucune
si iustejuste volupté, en laquelle l’excez & l’intemperance ne nous
soit reprochable. Mais à parler en bon esciētescient:, est-ce pas vnun mi-
serable animal que l’homme? àA peine est-il en son pouuoirpouvoir par
sa condition naturelle, de gouter vnun seul plaisir entier & pur,
encore se met-il en peine de le retrancher par discours: il n’est
pas assez chetif, si par art & par estude il n’augmente sa misere,
Fortunae miseras auximus arte vias. ⁁
⁁ La sagesse fa humeine
faict bien sottemant
l’ingenieuse de s’exercer
à rabattre le nombre &
la douceur des uoluptezvoluptez
qui nous apartienent: come elle faict fauorablemātfavorablemant & industrieusemātindustrieusemant
d’emploier d’emploier ses arf artifices a nous peigner et cacherfarder les maus &
en alleger le sentimant. Si ij’eusse esté chef de part, ij’eusse pris autre route uoyevoye
plus naturelle: qui est a dire uraïeesvraïees commode & saincte: et me fusse peut
estre randu asses fort pour la borner.
Quoy que nos medecins spirituels & corporels, comme par
LIVRE PREMIER. 583
cōplotcomplot fait entre eux, ne trouuenttrouvent aucune voye à la guerison,
ny remede aux maladies du corps & de l’ame, que par le tour-
ment, la douleur & la peine. Les veilles, les ieusnesjeusnes, les haires,
les exils lointains & solitaires, les prisons perpetuelles, les ver-
ges & autres afflictions ont esté introduites pour cela: mMais
en telle condition, que ce soyent veritablement afflictions, &
qu’il y ait de l’aigreur poignante:. &Et qu’il n’en aduienneadvienne point
comme à vnun Gallio, lequel ayant esté enuoyéenvoyé en exil en l’isle
de Lesbos, on fut aduertyadverty à Romme qu’il s’y donnoit du bon
temps, & que ce que l’’on luy auoitavoit eniointenjoint pour peine, luy
tournoit à commodité: parquoy ils se rauiserētraviserent, de le rappeler
pres de sa femme, & en sa maison, & luy ordonnerent de s’y
tenir, pour accommoder leur chastiementpunition à son ressentimētressentiment.
Car à qui le ieusnejeusne aiguiseroit la santé & l’alegresse, à qui le
poisson seroit plus appetissant que la chair, ce ne seroit plus
recepte salutaire: non plus qu’en l’autre medecine, les drogues
n’ont point d’effect à l’endroit de celuy, qui les prend auecavec
goustappetit & plaisir. L’amertume & la difficulté sont circonstācescirconstances
seruantsservants à leur operation. Le naturel qui accepteroit la rubar-
be comme familiere, en corromproit l’vsageusage: iIl faut que ce
soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir: &Et& icy
faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs
contraires, car le mal y guerit le mal. Cette impression se ra-
porte aucunement à cette autre si ancienne, de pēserpenser gratifier
au Ciel & à la nature par nostre massacre & homicide, qui
fut vniuersellementuniversellement embrassee en toutes religions.
⁁
Encore du temps de
nos peres Amurat en la
prinse de l’Istme
immola six cens iunesjunes
homes grecs a l’ombreame
de son pere affin que
ce sang luy seruitservit de
propitiation d a
lexpiationl’expiation des pechez
du trespassé. Et
Car en ces
nouuellesnouvelles terres descouuertesdescouvertes en nostre aage pures encore &
vierges au pris des nostres, l’vsageusage en est aucunemētaucunement receu par
tout: toutes leurs Idoles s’abreuuentabreuvent de sang humain, non
sans diuersdivers exemples d’horrible cruauté. On les brule vifs, &
demy rotis on les retire du brasier, pour leur arracher le coeur
& les entrailles. A d’autres voire aux femmes, on les escorche
X iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
vifuesvifves, & de leur peau ainsi sanglante en reuestrevest on & masque
d’autres. Et non moins d’exemples de constance & resolutiōresolution.
CerCar ces pauurespauvres gens sacrifiables, vieillars, femmes, enfans, vōtvont
quelques ioursjours auātavant, qu’estant eux mesme les aumosnes pour
l’offrande de leur sacrifice, & se presentent à la boucherie
chantans & dançans auecavec les assistans. Les ambassadeurs du
Roy de Merxico, faisant entendre à Fernaund Cortez la gran-
deur de leur maistre, apres luy auoiravoir dict qu’il auoitavoit trente vas-
saux, desquels chacun pouuoitpouvoit assembler cent mille comba-
tāscomba-
tans, & qu’il se tenoit en la plus belle & forte ville qui fut soubs
le ciel,: luy adiousterentadjousterent, qu’il auoitavoit à sacrifier aux Dieux cin-
quātecin-
quante mille hommes par an. De vray, ils disent qu’il nourris-
soit la guerre auecavec certains grands peuples voisins, non seule-
ment pour l’exercice de la ieunessejeunesse du païs, mais principalle-
ment pour auoiravoir dequoy fournir à ses sacrifices, par des pri-
sonniers de guerre. Ailleurs, en certain bourg, pour la biēbien ve-
nue dudit Cortez, ils sacrifierent cinquante hommes tout à la
fois. IeJe diray encore ce compte. Aucuns de ces peuples ayants
esté batuz par luy, enuoyerentenvoyerent le recognoistre & rechercher
d’amitié: les messagers luy presenterētpresenterent trois sortes de presens,
en cette maniere. Seigneur voyla cinq esclauesesclaves: si tu és vnun
Dieu fier, qui te paisses de chair & de sang, mange les, & nous
t’en amerrons d’auantageavantage: si tu és vnun Dieu debonnaire, voyla
de l’encens & des plumes: si tu es homme, prens les oiseaux &
les fruicts que voicy.
Des Cannibales. CHAP. XXXI.
QVANDQUAND le Roy Pyrrhus passa en Italie, apres qu’il eut
reconneu l’ordonnance de l’armée que les Romains
luy enuoyoientenvoyoient au deuantdevant, ieje ne sçay, dit-il, quels bar-
bares sont ceux-ci (car les Grecs appelloyent ⁁ ainsi toutes les natiōsnations
estrangieres barbares) mais la disposition de cette armée, que
LIVRE PREMIER. 84
ieje voy, n’est aucunement barbare. Autant en dirent les Grecs
de celle que Flaminius fit passer en leur païs. ⁁
⁁
Et Philippus uoïantvoïant
d’un tertre la disposition
lordrel’ordre et distribution
du camp Romein en son
royaume sous Publius
Sulpicius Galba.
Voyla comment
il se faut garder de s’atacher aux opinions vulgaires, & ⁁ les faut
iugerjuger les choses par la voyevoie de la raison, non depar la voix com-
mune. IJ’ay eu long temps auecavec moy vnun homme qui auoitavoit de-
meuré dix ou douze ans en c’est autre monde, qui à esté des-
couuertdes-
couvert en nostre siecle, en l’endroit ou Vilegaignon print
terre, qu’il surnomma la France Antartique. Cette descou-
uertedescou-
verte d’vnun païs infini de terre ferme, semble de grandeestre de consi-
deration. IeJe ne sçay si ieje me puis respondre, que il ne s’en face
à l’adueniradvenir quelqu’autre, tant de grands personnages ⁁ plus grands que nous ayans
esté trompez en cette-cy. IJ’ay peur que nous auonsavons les yeux
plus grands que le ventre, comme on dict, & le dit on de
ceux, ausquels l’appetit & la faim font plus desirer de viande,
qu’ils n’en peuuentpeuvent empocher: IeJe crains aussi que nous auonsavons
beaucoupet plus de curiosité, que nous n’auonsavons de capacité:
nNous embrassons tout, mais ieje crains que nous n’étreignons
rien que du vent. Platon introduit Solon racontant auoiravoir a-
pris des Prestres de la ville de Saïs en AEgypteAegypte, que iadisjadis & auātavant
le deluge, il y auoitavoit vneune grādegrande Isle nommée AthlātideAthlantide, droict
à la bouche du destroit de Gibaltar, qui tenoit plus de païs
que l’Afrique & l’Asie toutes deux ensemble: & que les Roys
de cette contrée la, qui ne possedoient pas seulement cette is-
le, mais s’estoyent estendus dans la terre ferme si auantavant, qu’ils
tenoyent de la largeur d’Afrique, iusquesjusques en AEgypteAegypte, & de la
longueur de l’Europe, iusquesjusques en la Toscane, entreprindrent
d’eniamberenjamber iusquesjusques sur l’Asie, & subiuguersubjuguer toutes les natiōsnations
qui bordent la mer Mediterranée, iusquesjusques au golfe de la mer
MaiourMajour: & pour cet effect, trauerserenttraverserent les Espaignes, la Gau-
le, l’Italie iusquesjusques en la Grece, ou les Atheniens les soustin-
drent: mais que quelque temps apres, & les Atheniens & eux
& leur isle furent engloutis par le deluge. Il est biēbien vray-sem-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
blable, que cet extreme rauageravage d’eaux ait faict des changemēschangemens
estranges aux habitations de la terre: comme on tient que la
mer à retranché la Sycile d’auecavec l’Italie:,
Haec loca vi quondam, & vasta conuulsa ruina
Dissiluisse ferunt, cùm protinus vtráque tellus
Vna foret.,
Chipre d’auecavec la Surie, l’Isle de NegrepōtNegrepont de la terre ferme de
la Beoeoce: & iointjoint ailleurs les terres qui estoyent diuiseesdivisees, cō-
blantcom-
blant de limon & de sable les fossezs d’entre-deux.,
sterilisque diu palus aptáque remis
Vicinas vrbes alit, & graue sentit aratum.
Mais il n’y à pas grande apparence, que cette Isle soit ce mon-
de nouueaunouveau, que nous venōsvenons de descouurirdescouvrir: car elle touchoit
quasi l’Espaigne, & ce seroit vnun effect incroyable d’inunda-
tion, de l’en auoiravoir reculée comme elle est, de plus de douze
cens lieuës: outre ce que les nauigationsnavigations des modernes ont
des-ja presque descouuertdescouvert, que ce n’est point vneune isle, ains ter-
re ferme, & continente auecavec l’Inde oriētaleorientale d’vnun costé, & auecavec
les terres, qui sont soubs les deux poles d’autre part: ou si elle
en est separée, que c’est d’vnun si petit destroit & interualleintervalle, qu’el
le ne merite pas d’estre nommée isle, pour cela. Il semble qu’il
y aye des mouuemēsmouvemens ⁁ naturels les uns, les autres maladifs & fieureuxfievreux en ces grādsgrands corps,
comme aux nostres. Quand ieje considere l’impression que ma
riuiereriviere de Dordoigne faict de mon temps, vers la riuerive droicte
de sa descente, & qu’en vingt ans elle à tant gaigné,: &Et desrobé
le fondement à plusieurs bastimens,: ieje vois biēbien que c’est vneune
agitatiōagitation extraordinaire: car si elle fut tousiourstousjours allee ce train,
ou d’eut aller à l’adueniradvenir, la figure du monde seroit renuerseerenversee:
mais il leur prend des changements: tantost elles s’espendent
d’vnun costé, tantost d’vnun autre, tantost elles se contiēnentcontiennent. IeJe
ne parle pas des soudaines inondations de quoy nous maniōsmanions
les causes: En Medoc, le long de la mer, mon frere Sieur d’Ar-
sac,
LIVRE PREMIER. 85
sac, voit vneune siene terre, enseuelieensevelie soubs les sables, que la mer
vomit deuantdevant elle: le feste d’aucuns bastimens paroist encore:
ses rentes & domaines, se sont eschangez en pasquages bien
maigres. Les habitāshabitans disent, que depuis quelque temps, la mer
se pousse si fort vers eux, qu’ils ont perdu quatre lieuës de ter-
re, & marche ainsi: cCes sables sont ses fourriers.⁁
⁁ : et uoionsvoions des grandes
monioiesmonjoies d’arene ⁁ ⁁ mouuantesmouvantes qui
marchent dauantdavant elle
d’une demi lieue dauantdavant
elle et gaignent païs.
L’autre tesmoi
gnage de l’antiquité, auquel on veut raporter cette descou-
uertedescou-
verte, est dāsdans Aristote, au moins si ce petit liuretlivret des merueil-
lesmerveil-
les inouies est à luy. Il raconte là, que certains Carthaginois
s’estant iettezjettez au trauerstravers de la mer AthlātiqueAthlantique, hors le destroit
de Gibaltar, & nauiguénavigué long temps, auoientavoient descouuertdescouvert en
fin vneune grande isle fertile, toute reuestuërevestuë de bois, & arrousée
de grandes & profondes riuieresrivieres, fort esloignée de toutes ter-
res fermes: & qu’eux, & autres dépuis, attirez par la bonté &
fertilité du terroir, s’y en allerent auecavec leurs femmes & enfans,
& commencerent à s’y habituer. Les Seigneurs de Carthage,
voyans que leur pays se dépeuploit peu à peu, firent deffence
expresse sur peine de mort que nul n’eut plus à aller là, & en
chasserent ces nouueauxnouveaux habitans, craignātscraignants, à ce que l’on dit,
que par succession de temps ils ne vinsent à multiplier telle-
ment qu’ils les supplantassent eux mesmes, & ruinassent leur
estat. Cette narration d’Aristote n’a non plus d’accord auecavec
nos terres neufuesneufves. Cet homme que ij’auoyavoy, estoit homme
simple & grossier, qui est vneune condition propre à rendre ve-
ritable tesmoignage: car les fines gens, remarquent bien plus
curieusement, & plus de choses, mais ils les glosent: & pour
faire valoir leur interpretation & la persuader, ils ne se peuuētpeuvent
garder d’alterer vnun peu l’Histoire: Iils ne vous represen-
tent iamaisjamais les choses pures, ils les inclinent & masquent selōselon
le visage qu’ils leur ont veu: & pour donner credit à leur
iugemētjugement & vous y attirer, prestētprestent volontiers de ce costé la, à la
matiere, l’alongent & l’amplifient. Où il faut vnun homme
Y
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tres-fidelle, ou si simple, qu’il n’ait pas dequoy bastir & dōnerdonner
de la vray-semblance à des inuentionsinventions fauces, & qui n’ait riērien
espousé. Le mien estoit tel: & outre cela, il m’a faict voir à di-
uersesdi-
verses fois plusieurs matelots & marchans, qu’il auoitavoit co-
gneuz en ce voyage. Ainsi ieje me contente de cette informa-
tion, sans m’enquerir de ce que les cosmographes en disent. Il
nous faudroit des topographes, qui nous fissent narration,
particuliere, des endroits où ils ont esté. Mais pour auoiravoir cet
auantageavantage sur nous, d’auoiravoir veu la Palestine, ils veulent auoiravoiriouirjouir de
ce priuilegeprivilege, de nous conter nouuellesnouvelles de tout le demeurātdemeurant du
monde. IeJe voudroy que chacun escriuitescrivit ce qu’il sçait, & au-
tant qu’il en sçait: non en cela seulement, mais en tous autres
subiectssubjects: car tel peut auoiravoir quelque particuliere science ou
experience de la nature d’vneune riuiereriviere, ou d’vneune fontaine, qui
ne sçait au reste, que ce que chacun sçait: Il entreprendra tou-
tes-fois, pour faire courir ce petit lopin, d’escrire toute la phy-
sique. De ce vice sourdent plusieurs grandes incommoditez.
Or ieje trouuetrouve, pour reuenirrevenir à mon propos, qu’il n’y à rien de
barbare & de sauuagesauvage en cette nation, à ce qu’on m’en à rap-
porté: sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de
son vsageusage. Comme de vray il semble, que nous n’auonsavons autre
touchemire de la verité, & de la raison, que l’exemple & idée des
opiniōsopinions & vsancesusances du païs où nous sommes. La est tousiourstousjours
la parfaicte religion, la parfaicte police, perfect & accomply
vsageusage de toutes choses. Ils sont sauuagessauvages de mesmes que nous
appellons sauuagessauvages les fruicts, que nature de soy & de son
progrez ordinaire à produicts: là où à la verité ce sont ceux
que nous auonsavons alterez par nostre artifice, & detournez de
l’ordre commun, que nous deurionsdevrions appeller plutost sauua-
gessauva-
ges. En ceux là sont viuesvives & vigoureuses, les vrayes, & plus v-
tilesu-
tiles & naturelles, vertus & proprietez, lesquelles nous auonsavons
abastardies en ceux-cy, & les auonsavons seulemētseulement accommodées
LIVRE PREMIER. 86
au plaisir de nostre goust corrompu. ⁁
⁁ : et la faEt si pourtant la faueurfaveur
mesme et delicatesse
se treuuetreuve sans art &
sans culture, se treuuetreuvea nostre goust
excellante a l’enuienvi
des nostres, en pl diuersdivers
fruits des ces contrees
la, sans culture.
Ce n’est pas raison que
l’art gaigne le point d’honneur sur nostre grande & puissan-
te mere nature. Nous auōsavons tant rechargé la beauté & riches-
se de ses ouuragesouvrages par nos inuentionsinventions, que nous l’auonsavons du
tout estouffée. Si est-ce que par tout où sa pureté reluit, elle
fait vneune merueilleusemerveilleuse honte à nos vaines & friuolesfrivoles entre-
prinses.,
&Et veniunt ederae sponte sua melius,
Surgit & in solis formosior arbutus antris,
Et volucres nulla dulcius arte canunt.
Tous nos efforts ne peuuentpeuvent seulement arriuerarriver à representer
le nid du moindre oyselet, sa contexture, sa beauté, & l’vtilitéutilité
de son vsageusage: non pas la tissure de la chetiuechetive & vile araignée. ⁁
⁁ Toutes choses selon Platonselon ditdict Platon
sont produites par la nature
par la fortune ou par lartl’art. Les plus
grandes et plus belles choses
sont produictes par l’une ou
lautrel’autre des deus premieres causes
les moindres et moins imparfaictes
par lartl’art la derniere.
Ces nations me semblent donq ainsi barbares, pour auoiravoir re-
ceu fort peu de façon, de l’esprit humain, & estre encore fort
voisines de leur naifueténaifveté originelle. Les loix naturelles leur
commandent encores, fort peu abastardies par les nostres:
mais c’est en telle pureté, qu’il me prend quelque fois desplai-
sir, dequoy la cognoissance n’en soit venuë plutost, du temps
qu’il y auoitavoit des hōmeshommes qui en eussent sçeu mieux iugerjuger que
nous. Il me desplait que Licurgus & Platon ne l’ayētayent eüe: car
il me semble que ce que nous voyons par experiēceexperience en ces na-
tions la, surpasse non seulement toutes les peintures dequoy
la poësie à embelly l’age doré, & toutes ses inuentionsinventions à fein-
dre vneune heureuse condition d’hommes: mais encore la cōce-
ptionconce-
ption & le desir mesme de la philosophie. Ils n’ont peu ima-
giner vneune nayfueténayfveté si pure & simple, comme nous la voyons
par experience: n’y n’ont peu croire que nostre societé se peut
maintenir auecavec si peu d’artifice, & de soudeure humaine. C’est
vneune natiōnation, diroy ieje à Platon, en laquelle il n’y à aucune espece
de trafique, nulle cognoissance de lettres, nulle science de
nombres, nul nom de magistrat, ny de superiorité politique,
Y ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nul goustusage de seruiceservice, de richesse, ou de pauuretépauvreté, nuls cōtratscontrats,
nulles successions, nuls partages, nulles occupations qu’oysi-
uesoysi-
ves, nul respect de parenté que cōmuncommun, nuls vestemens, nul-
le agriculture, nul metal, nul vsageusage de vin ou de bled. Les pa-
roles mesmes, qui signifient la mensonge, la trahison, la dis-
simulation, l’auariceavarice, l’enuieenvie, la detraction, le pardōpardon, inouies.
Combien trouueroittrouveroit il la republique qu’il à imaginée esloi-
gnée de cette perfection.: uiri a dijs recentes.
Hos natura modos primum dedit.
Au demeurant, ils viuentvivent en vneune contrée de païs tres-plaisan-
te, & bien temperée: de façon qu’à ce que m’ont dit mes
tesmoings, il est rare d’y voir vnun homme malade: & m’ont as-
seuré n’en y auoiravoir veu aucūaucun tremblant, chassieux, edenté, ou
courbé de vieillesse. Ils sont assis le long de la mer, & fermez
du costé de la terre de grandes & hautes montaignes, ayant
entre-deux, cent lieuës ou enuirōenviron d’estendue en large. Ils ont
grande abōdanceabondance de poisson & de chairs, qui n’ont aucune
ressemblance aux nostres, & les mangent sans autre arti-
fice, que de les cuire. Le premier qui y mena vnun cheualcheval, quiquoi qu’il les
auoitavoiteut pratiquez à plusieurs autres voyages, il leur fit tant
d’horreur en cette assiete, qu’ils le tuerent à coups de traict,
auantavant que le pouuoirpouvoir recognoistre. Leurs bastimens sont fort
longs, & capables de deux ou trois cents ames, estoffez d’es-
corse de grands arbres, tenāstenans à terre par vnun bout, & se souste-
nans & appuyans l’vnun cōtrecontre l’autre par le feste, à la mode d’au-
cunes de noz granges, desquelles la couuerturecouverture pend iusquesjusques
à terre, & sert de flanq & de paroy. Ils ont du bois si dur &
si ferme, qu’ils en coupent & en font leurs espées, & des
grils à cuyuire leur viande. Leurs lits sont d’vnun tissu de co-
ton, suspenduz contre le toict, comme ceux de nos naui-
resnavi-
res, à chacun le sien: car les femmes couchent à part des
maris. Ils se leuentlevent auecavec le soleil, & mangent soudain apres
LIVRE PREMIER. 87
s’estre leuezlevez, pour toute la iournéejournée, car ils ne font autre re-
pas que celuy là. Ils ne boyuentboyvent pas lors, comme Suidas dict,
de quelques autres peuples d’Orient, qui beuuoientbeuvoient hors du
manger: ils boiuentboivent à plusieurs fois sur iourjour, & d’autant.
Leur breuuagebreuvage est faict de quelque racine, & est de la couleur
de nos vins clairets. Ils ne le boyuentboyvent pas que tiede: ce
breuuagebreuvage ne se conserueconserve que deux ou trois ioursjours: il a le
goust vnun peu piquātpiquant, nullemētnullement fumeux, salutaire à l’estomac,
& laxatif à ceux qui ne l’ōtont guiere accoustumé: c’est vneune bois-
son tres-agreable à ceux qui y sontest duits. Au lieu du pain, ils
māgentmangentusent d’vneune certaine matiere blācheblanche, cōmecomme du coriandre cō-
fitcon-
fit.: IJ’ēen ay tasté, il a le goust ⁁ en est doux & vnun peu fade. Toute la iour-
néejour-
née se passe à dācerdancer. Les plus ieunesjeunes vont à la chasse des bestes,
à tout des arcs. VneUne partie des femmes s’amusent cependant à
chauffer leur breuuagebreuvage, qui est leleur principal office qu’ils reçoi-
uentvent d’elles. Il y a quelqu’vnun des vieillars, qui le matin auantavant
qu’ils se mettent à manger, presche en commun toute la
grangée, en se promenant d’vnun bout à autre, & redisant vneune
mesme clause à plusieurs fois, iusquesjusques à ce qu’il ayt acheuéachevé le
tour (car ce sont bastimens qui ont bien cent pas de lōgueurlongueur)
il ne leur recommande que deux choses, la vaillance cōtrecontre les
ennemis, & l’amitié à leurs femmes. Et ne faillent iamaisjamais de
remerquer cette obligatiōobligation, pour leur refrein, que ce sont elles
qui leur maintiennent leur boisson tiede & assaisonnée. Il se
void en plusieurs lieux, & entre autres chez moy, la forme de
leurs lits, de leurs cordons, de leurs espées, & brasselets de bois,
dequoy ils couurentcouvrent leurs poignets aux combats, & des grā-
desgran-
des cannes ouuertesouvertes par vnun bout, par le son desquelles ils sou-
stiennētsou-
stiennent la cadācecadance en leur dācerdancer. Ils sont ras par tout, & se font
le poil beaucoup plus nettement q̄que nous, sans autre rasouër q̄que
de bois, ou de pierre. Ils croyent les ames eternelles, & celles
qui ont biēbien merité des dieux, estre logées à l’ēdroitendroit du ciel où
Y iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
le soleil se leueleve: les maudites, du costé de l’Occident. Ils ont ieje
ne sçay quels prestres & prophetes, qui se presentent bien ra-
rement au peuple, ayant leur demeure aux montaignes. A
leur arriuéearrivée, il se faict vneune grande feste & assemblée solennel-
le de plusieurs vilages, (chaque grange comme ieje l’ay descrite,
faict vnun vilage, & sont enuironenviron à vneune lieuë Françoise l’vneune de
l’autre.) Ce prophete parle à eux en public, les exhortant à la
vertu & à leur deuoirdevoir: mais toute leur science ethique ne con-
tient que ces deux articles, de la resolution à la guerre, & affe-
ction à leurs femmes. Cettuy-cy leur prognostique les choses
à venir, & les euenemensevenemens qu’ils doiuentdoivent esperer de leurs entre-
prinses: les achemine ou destourne de la guerre: mais c’est apar
telle conditionsi, que s’ou il faut à bien deuinerdeviner, & s’il leur aduientadvient
autrement qu’il ne leur à predit, il est haché en mille pieces,
s’ils l’attrapent, & condamné pour faux prophete. A cette cau-
se, celuy, qui s’est vneune fois mesconté, on ne le void plus.
⁁ C’est don de dieu que
la diuinationdivination: uoilavoila
pourquoi ce deuroitdevroit estre
vneune imposture punissable
d’en abuser. Entre les
Scythes ce quand les diuinsdivinsdevins
auointavoint failli de rencontre
on les couchointt enforgez
de pieds et de mains sur des
charriotes pleines de bruiere
tirees par des beufs en quoi
on mestoit le feu les
faisoit bruler. Ceus qui
manient les choses subiectessubjectes
à la conduite de lhumainel’humaine
suffisance sont excusables
d’y faire ce qu’ils peuuentpeuvent
Mais ces autres qui nous
vienent pipant des promesses
& assurances d’une faculte
extraordinere qui est hors
de nostre conoissance faut
il pas les punir s’de ce qu’ils ne
maintienent l’effaict de
leur promesse et de la
temerite de leur imposture.
Ils ont
leurs guerres cōtrecontre les natiōsnations, qui sont au delà de leurs mōtai-
gnesmontai-
gnes, plus auātavant en la terre ferme, ausquelles ils vōtvont tous nuds,
n’ayātayant autres armes que des ares ou des espées de bois, apoin-
tées par vnun bout, à la mode des langues de nos espieuz. C’est
chose esmerueillableesmerveillable que de la fermeté de leurs combats, qui
ne finissent iamaisjamais que par meurtre & effusion de sang, car de
routes & d’effroy, ils ne sçauentsçavent que c’est. Chacun raporte
pour son trophée la teste de l’ennemy qu’il à tué, & l’attache
à l’entrée de son logis. Apres auoiravoir long temps biēbien traité leurs
prisonniers, & de toutes les commoditez, dont ils se peuuentpeuvent
auiseraviser, celuy qui en est le maistre, faict vneune grande assemblée
de ses cognoissans.: Iil attache vneune corde à l’vnun des bras du pri-
sonnier,⁁
⁁ , par le bout de la
quelle il le tient
eslouigné de quelques
pas, de peur d’en estre
offancé,
& donne au plus fidellecher de ses amis, l’autre bras à tenir
de mesme,: & eux deux en presence de toute l’assemblée l’as-
somment à coups d’espée. Apres celaCela faict ils le rostissent, & en mā-
gentman-
gent en cōmuncommun, & en enuoientenvoient des lopins à ceux de leurs amis,
LIVRE PREMIER. 88
qui sont absens. Ce n’est pas comme on pense pour s’en nour-
rir, ainsi que faisoient anciennement les Scythes,: c’est pour
representer vneune extreme vengeance:. &Et qu’il soit ainsi, ayātayant ap-
perceu que les Portuguois, qui s’estoient r’alliez à leurs aduer-
sairesadver-
saires, vsoientusoient d’vneune autre sorte de mort contre eux, quand ils
les prenoient, qui estoit de les enterrer iusquesjusques à la ceinture, &
tirer au demeurant du corps force coups de traict, & les pen-
dre apres: ils penserent que ces gens icy de l’autre mōdemonde, com-
me ceux qui auoyentavoyent semé la connoissance de beaucoup de
vices parmy leur voisinage, & qui estoient beaucoup plus
grands maistres qu’eux en toute sorte de malice, ne prenoient
pas sans occasion cette sorte de vengeance, & qu’elle deuoitdevoit
estre plus aigre que la leur, commencerent de quitter leur fa-
çon ancienne, pour suiuresuivre cette-cy. IeJe ne suis pas marry, que
nous remerquons l’horreur barbaresque, qu’il y a en vneune telle
action, mais ouy bien dequoy iugeāsjugeans biēbien de leurs fautes nous
soyons si aueuglezaveuglez aux nostres. IeJe pense qu’il y a plus de bar-
barie à manger vnun homme viuantvivant, qu’à le manger mort, à des-
chirer par tourmens & par geénes, vnun corps encore plein de
sentiment, le faire rostir par le menu, le faire mordre & meur-
trir aux chiens, & aux pourceaux: comme nous l’auonsavons, non
seulement leu, mais veu de fresche memoire, non entre des
ennemis anciens, mais entre des voisins & concitoyens, & qui
pis est, sous pretexte de pieté & de religion, que de le rostir &
manger apres qu’il est trespassé. Chrysippus & Zenon chefs
de la secte Stoicque, ont bien pensé qu’il n’y auoitavoit aucun
mal de se seruirservir de nostre charoigne à quoy que ce fut, pour
nostre besoin, & d’en tirer de la nourriture: comme nos ance-
stres estans assiegez par Caesar en la ville de Alexia, se resolu-
rent de soustenir la faim de ce siege par les corps des vieillars,
des femmes, & toutes autres personnes inutiles au combat:
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Vascones fama est, alimentis talibus vsi
Produxere animas.
Et les medecins ne craignent pas de s’en seruirservir à toute sorte
d’vsageusage, pour nostre santé, soit pour l’appliquer au dedans, ou
au dehors: mais il ne s’yse trouuatrouva iamaisjamais aucune opinion si des-
reglée, qui excusat la trahison, la desloyauté, la tyrannie, la
cruauté, qui sont nos fautes ordinaires. Nous les pouuōspouvons dōqdonq
biēbien appeller barbares, eu esgard aux regles de la raison, mais nōnon
pas eu esgard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barba-
rie. Leur guerre est toute noble & genereuse, & à autātautant d’excu
se & de beauté q̄que cette maladie humaine en peut receuoirrecevoir: el-
le n’a autre fondement parmy eux, que la seule ialousiejalousie de la
vertu. Ils ne sont pas en debat de la conqueste de nouuellesnouvelles
terres: car ils iouyssentjouyssent encore de cette vbertéuberté naturelle, qui les
fournit sans trauailtravail & sans peine, de toutes choses necessaires:,
en telle abondance, qu’ils n’ont que faire d’agrandir leurs li-
mites. Ils sont encore en cet heureux point, de ne desirer qu’au
tant que leurs necessitez naturelles leur ordonnent: tout ce
qui est au delà, est superflu pour eux. Ils s’entr’appellent gene-
ralement, ceux de mesme aage freres: enfans, ceux qui sont au
dessoubs,: & les vieillards, sont peres à tous les autres. Ceux-
cy laissent à leurs heritiers en commun, cette pleine posses-
sion de biens par indiuisindivis, sans autre titre, que celuy tout
pur, que nature donne à ses creatures les produisant au mon-
de. Si leurs voisins passent les mōtaignesmontaignes pour les venir assail-
lir, & qu’ils emportent la victoire sur eux, l’acquest du victo-
rieux, c’est la gloire, & l’auantageavantage d’estre demeuré maistre en
valeur & en vertu: car autrement ils n’ont que faire des biens
des vaincus, & s’en retournent à leur pays, où ils n’ont faute
de nulleaucune chose necessaire, ny faute encore de cestte grande par-
tie, de sçauoirsçavoir heureusement iouyrjouyr de leur condition, & s’en
contenter. Autant en font ceux-cy à leur tour. Ils ne deman-
dent
LIVRE PREMIER. 89
dent à leurs prisonniers, autre rançon que la confession, & re-
cognoissance d’estre vaincus: mais il ne s’en trouuetrouve pas vnun en
tout vnun siecle, qui n’ayme mieux la mort, que de relascher, ny
par contenance, ny de parole, vnun seul point d’vneune grandeur de
courage inuincibleinvincible.: Iil ne s’en void aucun, qui n’ayme mieux
estre tué & mangé, que de requerir seulemētseulement de ne l’estre pas.
Ils les traictent en toute liberté, & leur fournissent de toutes
les commoditez, dequoy ils se peuuētpeuvent aduiseradviser, affin que la vie
leur soit d’autant plus chere: & les entretiennent communé-
ment des menasses de leur mort future, des tourmens qu’ils y
auront à souffrir, des apprests qu’on dresse pour cet effect, du
detranchement de leurs mēbresmembres, & du festin qui se fera à leurs
despens. Tout cela se faict pour cette seule fin, d’arracher de
leur bouche quelque parole molle ou rabaissée, ou de leur dō-
nerdon-
ner enuieenvie de s’en fuyr, pour gaigner cet auantageavantage de les auoiravoir
espouuantezespouvantez, & d’auoiravoir faict force à leur vertu & leur constā-
ceconstan-
ce. Car aussi à le bien prendre, c’est en ce seul point que cōsisteconsiste
la vraye & solide victoire: ⁁
⁁ uictoria nulla est
Quam quae confessos
animo quoque sub=
iugat hostes.
Les Hongres tresbelliqueux
combatans ne poursuiuoītpoursuivoint
iamaisjamaisiadisjadis leur pointe outre
auoiravoir rendu l’enemi a
sa merci leur merci.
sans meurtre sans rançon
Car en aiant tirearrache cette
confession ils le laissentoint
aller sans offance sans
rançon sauf pour le plus
d’en tirer parole ne de
ne s’armer deslors en auantavant
contre eus. Tous
tous les autres Asses d’auantagesavantages que nous
gaignons ⁁ ⁁ nous sur nos ennemis, cequi sont auantagesavantages emprūtezempruntez, ils ne
sontnon pas nostres: cC’est la qualité d’vnun portefaix non de la ver-
tu, d’auoiravoir les bras & les iambesjambes plus roides: c’est vneune qualité
morte & corporelle que la disposition: c’est vnun coup de la for-
tune, de faire broncher nostre ennemy, & de luy faire silleresblouir les
yeux par la lumiere du Soleil: c’est vnun tour d’art & de sciēcescience, &
qui peut tomber en vneune personne láche & de neātneant, d’estre suf-
fisant à l’escrime. L’estimation & le pris d’vnun homme, consiste
au coeur & en la volonté: c’est là ou gist son vray honneur: la
vaillance c’est la fermeté, non pas des iambesjambes & des bras, mais
du courage & de l’ame: elle ne consiste pas en la valeur de no-
stre cheualcheval, ny de nos armes, mais en la nostre. Celuy qui tōbetombe
obstiné en son courage,⁁
⁁ si succiderit, de
genu pugnat.
qQui pour quelque dangier de la mort
voisine, ne relasche aucun point de sa cōstanceconstance &son asseurance,
Z
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui regarde encores en rendant l’ame, son ennemy d’vneune veuё
ferme & desdaigneuse, il est battu, non pas de nous, mais de la
fortune, il est vaincu par effect, & non pas par raison: c’est son
mal’heur qu’on peut accuser, non sa láchetétue tue non pas uaincuvaincu: les plus vaillans
sont par fois les plus infortunez. ⁁
⁁ Aussi y a il des pertes
triomphantes a l’enuienvi
des uictoiresvictoires. Ny ces
quatre uictoiresvictoires seurs
les plus belles ques le
soleil aye onques ueuveu
de ses yeus de Salamine
de Plattees de Mycale de
Sicille osarent onques
opposer toute leur gloire
ensemble a la gloire de
la desconfiture et
perte du Roy Leonidas
& des ses compaignonssiens
au pas des Thermopyles.
Qui courut iamaisjamais d’une plus
glorieuse enuieenvie et plus ambi=
tieuse au guein d’un combat
que le capiteine Ischolas a
la perte. Qui plus ingenieusemātingenieusemant
& curieusemant s’est assuré de
son salut que luy de sa ruine:
Il estoit commis a defandre
certein passage du Peloponesse
contre les Arcadiens. Pourquoi
faire se trouuanttrouvant du tout
incapable ueuveu la nature
du lieu et inegalite des
forces: et se resoluantresolvant que
tout ce qui se presanteroit aus
ennemis aroit de necessite a y
demurer. D’autre part estimant
indigne et de sa propre uertuvertu et
magnanimite, & deu la nom
Lacedemonien de faillir a sa
charge: il print entre ces
deus extremitez un moien
parti, de telle sorte. Les plus
ieunesjeunes et dispos de sa trope il
les conseruaconserva a la tuition et
seruiceservice de leur païs: & les y
renuoiarenvoia: et aueqaveq ceus desquels
le defaut estointt moindre, il
delibera de soutenir ce pas: &
par leur mort en faire acheter
aus enemis l’entree la
plus chere qu’il luy
seroit possible. Come il
aduintadvint: cCar estant tantost
enuironeenvirone de toutes pars par les
Arcadiens: apres en auoiravoir
faict une grande boucherie:
luy et les siens furent tous
mis au fil de l’espee. Etst il
quelque trophee assigne pour
les ueincursveincurs qui ne soit mieus
deu a ces ueincusveincus. Le uraivrai
veincre ha pour son rolle cle combattrelestourl’estour non pas l’eschaperle salut et ne consiste pas l’honur de la uertuvertu a combattre non a battre.
Pour reuenirrevenir à nostre histoi-
re, il s’en faut tant que ces prisonniers se rendent, pour tout ce
qu’on leur fait, qu’au rebours pendant ces deux ou trois mois
qu’on les garde, ils portent vneune contenance gaye, ils pressent
leurs maistres de se haster de les mettre en cette espreuueespreuve, ils
les deffient, les iniurientinjurient, leur reprochent leur lácheté, & le nō-
brenom-
bre des batailles perduёs contre les leurs. IJ’ay vneune chanson fai-
cte par vnun prisonnier, où il y à ce traict: qu’ils viennent hardi-
ment trétous & s’assemblent pour disner de luy, car ils man-
geront quant & quātquant leurs peres & leurs ayeux, qui ont seruyservy
d’aliment & de nourriture à son corps: ces muscles, dit-il, cet-
te cher & ces veines, ce sont les vostres, pauurespauvres fols que vous
estes: vous ne recognoissez pas que la substance des mem-
bres de vos ancestres s’y tient encore: sauourezsavourez les bien, vous
y trouuereztrouverez le goust de vostre propre chair: inuentioninvention, qui
ne sent aucunement la barbarie. Ceux qui les peignent mou-
rans, & qui representent cette action quand on les assomme,
ils peignent le prisonnier, crachant au visage de ceux qui le
tuent, & leur faisant la mouё. De vray ils ne cessent iusquesjusques au
dernier souspir, de les brauerbraver & deffier de parole & de conte-
nance. Sans mentir, au pris de nous, voila des hōmeshommes bien sau-
uagessau-
vages: car où il faut qu’ils le soyent bien à bon escient, ou que
nous le soyons: il y a vneune merueilleusemerveilleuse distance entre leur cōcon-
stācestanceforme & la nostre. Les hōmeshommes y ont plusieurs femmes, & en ont
d’autant plus grand nombre, qu’ils sont en meilleure reputa-
tion de vaillance: c’est vneune beauté remerquable en leurs maria-
ges, que la mesme ialousiejalousie que nos femmes ont pour nous
empescher de l’amitié & bien-veuillance d’autres femmes, les
LIVRE PREMIER. 90
leurs l’ont toute pareille pour la leur acquerir. Estans plus soi-
gneuses de l’honneur de leurs maris, que de toute autre chose,
elles cherchent & mettētmettent leur solicitude à auoiravoir le plus de cō-
paignescon-
paignes qu’elles peuuentpeuvent, d’autant que c’est vnun tesmoignage de
la vertu du mary. ⁁
⁁ Ce n’est nullementLes nostres crieront au miracle
ce me diront les nostresne l’est pas: c’est
une uertuvertu proprement matri=
moniale: mais du plus haut
estage. Et en la Bible Lia
Rachel Sara et les fames
de IacopJacop fournirent leurs
belles seruantesservantes a leurs maris et
LiuiaLivia seconda les appetits
d’Auguste, iusquesjusques a son
interest: et la fame du Roy
DeiotarusDejotarus Stratonique presta
non sulemant a l’usage de
son mari une fort belle
iunejune fille de chambre qui
la seruoitservoit mais les n en
nourrist souigneusement les
enfans & leur fit espaule
a succeder aaus lestats de leur
pere.
Et afin qu’on ne pense point que tout cecy
se face par vneune simple & seruileservile obligatiōobligation à leur vsanceusance, & par
l’impression de l’authorité de leur ancienne coustume, sans
discours & sans iugementjugement, & pour auoiravoir l’ame si stupide, que
de ne pouuoirpouvoir prendre autre party, il faut alleguer quelques
traits de leur suffisance. Outre celuy que ieje vien de reciter de
l’vneune de leurs chāsonschansons guerrieres, ij’en ay vnun’autre amoureuse,
qui commence en ce sens: CcouleuureCcouleuvre arreste toy, arreste toy
couleuurecouleuvre, afin que ma soeur tire sur le patron de ta peinture,
la façon & l’ouurageouvrage d’vnun riche cordon, que ieje puisse dōnerdonner à
m’amie: ainsi soit en tout tēpstemps ta beauté & ta dispositiōdisposition prefe-
rée à tous les autres serpens: ce premier couplet c’est le refrein
de la chanson.: or ij’ay assez de commerce auecavec la poёsie pour
iugerjuger cecy, que non seulement il n’y à rien de barbarie en cet-
te imaginatiōimagination, mais qu’elle est tout à fait Anacreontique. Leur
langage au demeurant, c’est le plusun doux langage du monde,
& qui à le son le plustres aggreable à l’oreille, il retireātantretirant fortretirant aux ter-
minaisons Grecques. Trois d’entre eux, ignorans cōbiencombien cou-
tera vnun iourjour à leur repos, & à leur bon heur, la cōnoissanceconnoissance des
corruptions de deçà, & que de ce commerce naistra leur ruy-
ne, comme ieje presuppose qu’elle soit desiadesja auancéeavancée, bien mise-
rables de s’estre laissez piper au desir de la nouuelleténouvelleté, & auoiravoir
quitté la douceur de leur ciel, pour venir voir le nostre, furent
à RoüāRoüan, du temps que le feu Roy Charles neufiesme y estoit:
le Roy parla à eux long temps, on leur fit voir nostre façon,
nostre pompe, la forme d’vneune belle ville: apres cela, quelqu’vnun
en demanda leur aduisadvis, & voulut sçauoirsçavoir d’eux, ce qu’ils y
auoientavoient trouuétrouvé de plus admirable: ils respondirent trois cho-
Z ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ses, d’où ij’ay perdu la troisiesme, & en suis bien marry, mais
ij’en ay encore deux en memoire. Ils dirent qu’ils trouuoiēttrouvoient en
premier lieu fort estrange, que tant de grands hommes por-
tans barbe, forts & armez, qui estoient autour du Roy (il est
vray-semblable que ils parloient des Suisses de sa garde) se
soubs-missent à obeyr à vnun enfant, & qu’on ne choisissoit plus
tost quelqu’vnun d’entr’eux pour commander: Ssecondement
(ils ont vneune façon de leur langage, telle, qu’ils nomment les
hōmeshommes, moitié les vnsuns des autres) qu’ils auoyentavoyent aperçeu qu’il
y auoitavoit parmy nous des hommes pleins & gorgez, de toutes
sortes de cōmoditezcommoditez, & bien souls, & q̄que leurs moitiez estoient
mendians à leurs portes, décharnez de faim & de pauuretépauvreté, &
trouuoienttrouvoient estrāgeestrange comme ces moitiez icy necessiteuses pou-
uoientpou-
voient souffrir vneune telle iniusticeinjustice, qu’ils ne prinsent les autres
à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons. IeJe parlay à l’vnun
d’eux fort long temps, mais ij’auoisavois vnun truchement qui me
suyuoitsuyvoit si mal, & qui estoit si empesché à receuoirrecevoir mes ima-
ginations par sa bestise, que ieje n’en peus tirer guiere de plaisir.
Sur ce que ieje luy demādaydemanday quel fruit il receuoitrecevoit de la superio-
rité qu’il auoitavoit parmy les siens (car c’estoit vnun Capitaine, &
nos matelots le nommoient Roy) il me dict, que c’estoit mar-
cher le premier à la guerre: de combiēcombien d’hommes il estoit suy-
uysuy-
vy, il me montra vneune espace de lieu, pour signifier que c’estoit
autant qu’il en pourroit en vneune telle espace, ce pouuoitpouvoit estre
quatre ou cinq mille hommes: si hors la guerre toute son au-
thorité estoit expirée, il dict qu’il luy en restoit cela, que quādquand
il visitoit les vilages qui dépendoient de luy, on luy dressoit
des sentiers au trauerstravers des hayes de leurs bois, par où il peut
passer bien à l’aise. Tout cela ne va pas trop mal: mais quoy, ils
ne portent point de haut de chausses.
LIVRE PREMIER. 91
Qu’il faut sobrement se mesler de iugerjuger des ordonnances
diuinesdivines. CHAP. XXXII.
LE vray champ & subiectsubject de l’imposture, sont les cho-
ses inconnuës,. dD’autant qu’en premier lieu l’estrāge-
téestrange-
té mesme donne credit,: & puis n’estant point subie-
ctes à nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de
les combatre,⁁
⁁ Et . A cette cause dict
Platon est il bien plus
aise de satisfaire parlant
de la nature des dieus
que de la nature des hommes
d’autantpar cause ce que l’ignorance
ouureouvre une belle et facile
carriere des auditeurs preste
une belle et large carriere
et toute liberte au maniement
d’une matiere inconueinconue cachee.
Il aduientadvient de la
d’où il aduiētadvient qu’il n’est rien creu si fermemētfermement,
que ce qu’on sçait le moins,: ny gens si asseurez, que ceux qui
nous content des fables,: comme Alchimistes, Prognosti-
queurs, IudiciairesJudiciaires, Chiromantiens, Medecins, id genus omne.
Ausquels ieje ioindroisjoindrois volontiers, si ij’osois, vnun tas de gens, in-
terpretes & contrerolleurs ordinaires des dessains de Dieu,
faisans estat de trouuertrouver les causes de chaque accident, & de
veoir dans les secrets de la volonté diuinedivine, les motifs incom-
prehensibles de ses operationsoeuuresoeuvres, & quoy que la varieté & dis-
cordance continuelle des euenemensevenemens les reietterejette de coin en
coin, & d’orient en occident, ils ne laissent de suiuresuivre pourtant
leur esteuf, & de mesme creon peindre le blanc & le noir. En
vneune nation IndiēneIndienne, il y à cette loüable obseruanceobservance, quand il
leur mes-aduientadvient en quelque rencontre ou bataille, ils en de-
mandent publiquement pardon au Soleil, qui est leur Dieu:
comme d’vneune action iniusteinjuste, raportant leur heur ou malheur
à la raison diuinedivine, & luy submettātsubmettant leur IugemētJugement & discours.
Suffit à vnun Chrestien croire toutes choses venir de Dieu, les
receuoirrecevoir auecavec reconnoissance de sa diuinedivine & inscrutable sa-
pience, pourtant les prendre en bonne part, en quelque visa-
ge qu’elles luy soient enuoyeesenvoyees. Mais ieje trouuetrouve mauuaismauvais
ce que ieje voy en vsageusage, de chercher à fermir & appuyer
nostre religion par le bon-heur & prosperité de nos entrepri-
ses. Nostre creance à assez d’autres fondemens, sans l’authori-
ser par les euenemensevenemens: car le peuple accoustumé à ces argu-
Z iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mens plausibles & proprement de son goust, il est dangier,
quand les euenemensevenemens viennent à leur tour contraires & des-
auantageuxdes-
avantageux, qu’il en esbranle sa foy:. cComme aux guerres ou
nous sommes pour la religion, ceux qui eurēteurent l’aduantageadvantage au
rencontre de la Rochelabeille, faisans grand feste de cet acci-
dent, & se seruansservans de cette fortune, pour certaine approbatiōapprobation
de leur party:, quand ils viennent apres à excuser leurs defor-
tunes de Mont-contour & de IarnacJarnac, surce que ce sont ver-
ges & chastiemens paternels, s’ils n’ont vnun peuple du tout à
leur mercy, ils luy font assez aisément sentir que c’est prendre
d’vnun sac deux mouldures, & de mesme bouche souffler le
chaud & le froid. Il vaudroit mieux l’ētretenirentretenir des vrays fon-
demens de la verité. C’est vneune belle bataille naualenavale qui s’est
gaignée ces mois passez contre les Turcs, soubs la cōduiteconduite de
don IoanJoan d’Austria, mais il à bien pleu à Dieu en faire autres-
fois voir d’autres telles à nos despens. Somme, il est mal-aysé
de ramener les choses diuinesdivines à nostre balācebalance, qu’elles n’y souf-
frent du deschet. Et qui voudroit rendre raison de ce que Ar-
rius & Leon son Pape, chefs principaux de cette heresie, mou-
rurent en diuersdivers temps de mors si pareilles & si estranges (car
retirez de la dispute par douleur de vētreventre à la garderobe, tous
deux y rendirent subitement l’ame) & exagerer cette vengeā-
cevengean-
ce diuinedivine par la circonstance du lieu, y pourroit bien encore
adiousteradjouster la mort de Heliogabalus, qui fut aussi tué en vnun re-
traict. Mais quoy? Irenée se trouuetrouve engagé en mesme fortu-
ne. ⁁
⁁ Dieu nous uoulantvoulant
apprandre que les bons
ont autre chose a
esperer & les mauuesmauves
autre chose a creindre
que les fortunes et ou
infortunes de ce monde
il les manie et appli=
que selon sa raisondisposition
occulte et impenetrablenous oste le moïen
d’en faire sottement nostre profit.
Et se moquent ceus qui sen ueulentveulent preualoirprevaloir
selon l’humaine raison Ils n’en donent iamaisjamais
vneune touche a leur aduersereadversere qu’ils n’en reçoiuentreçoivent deus
non celuy qui a plus de raison mais celuy qui a plus
de memoire y gaigne sa cause. S. Augustin en faict
sentir une belle preuuepreuve asur ses aduerseresadverseres. C’est un conflict
qui se decide par les armes de la memoire plus que par
celles de la raison.
Il se faut contenter de la lumiere qu’il plait au Soleil nous
communiquer par ses rayōsrayons, & qui esleueraeslevera ses yeux pour en
prendre vneune plus grande dans son corps mesme, qu’il ne trou-
uetrou-
ve pas estrange, si pour la peine de son outrecuidance il y perd
la veüe. ⁁
⁁ Quis hominum potest scire consilium dei: aut quis poterit cogitare quid
uelit dominus? Ou la ueueveue de son entandemant pour come il auītavint a Anaxagoras pour trop
hautemant uouloirvouloir penetrer les choses celestes
LIVRE PREMIER. 92
De fuir les voluptez au pris de la vie.
CHAP. XXXIII.
IJ’AVOIS bien veu conuenirconvenir en cecy la pluspart des an-
ciennes opinions: qu’il est heure de mourir lors qu’il y
à plus de mal que de bien à viurevivre, & que de conseruerconserver
nostre vie à nostre tourment & incommodité, c’est choquer
les reiglesloix mesmes de nature, comme disent ces vieilles
regles,
ἤἢ ζήνζῆν αλύπωϛἀλύπωϛ, ἤἢ θανεῖν ἐυδαιμόνωϛεὐδαιμόνωϛ
ΚαλόνΚαλὸν θνήσκεινθνῄσκειν ὁιϛοἱϛ ῦβρινὕβριν τὸ ζῆν φὲρειφέρει
Κρεῖσσον τὸ μημὴ ζῆν ε῀στὶνἐστὶν ἦἢ ζηνζῆν αθλίωϛἀθλίωϛ
mais de pousser le mespris de la mort iusquesjusques à tel degré, que
de l’employer pour se distraire des honneurs, richesses, gran-
deurs, & autres faueursfaveurs & biens que nous appellons de la for-
tune, cōmecomme si la raison n’auoitavoit pas assez affaire à nous persua-
der de les abandonner, sans y adiouteradjouter cette nouuellenouvelle rechar-
ge, ieje ne l’auoisavois veu ny commander, ny pratiquer, iusquesjusques lors
que ce passage de Seneca me tomba entre mains, auquel con-
seillant à Lucilius personnage puissant & de grande authori-
té autour de l’Empereur, de changer cette vie voluptueuse &
tumultuairepompeuse, & de se retirer de cette presseambition du monde, à quel-
que vie solitaire, tranquille & philosophique: surquoy Luci-
lius alleguoit quelques difficultez: IeJe suis d’aduizadviz (dict-il) que
tu quites cette vie la, où la vie tout à faict: bien te conseille-ieje
de suiuresuivre la plus douce voye, & de destacher plustost que de
rōprerompre ce que tu as mal noüé, pourueupourveu que s’il ne se peut autre-
ment destacher, tu le rompes. Il n’y à homme si coüard qui
n’ayme mieux tomber vneune fois, que de demeurer tousiourstousjours
en branle. IJ’eusse trouuétrouvé ce conseil sortable à la rudesse Stoï-
que: mais il est plus estrange qu’il soit emprunté d’Epicurus,
qui escrit à ce propos, choses toutes pareilles à Idomeneus. Si
ESSAIS DE M. DE MONTA.
est-ce que ieje pense auoiravoir remarqué quelque traict semblable
parmy nos gens, mais auecavec la moderation Chrestienne. S.Hi-
laire EuesqueEvesque de Poitiers, ce fameux ennemy de l’heresie Ar-
riene, estant en Syrie fut aduertiadverti, qu’Abra sa fille vniqueunique, qu’il
auoitavoit laissée pardeça auecquesavecques sa mere, estoit poursuyuiepoursuyvie en
mariage par les plus apparens Seigneurs du païs, comme fille
tres-bien nourrie, belle, riche, & en la fleur de son aage: il luy
escriuitescrivit (comme nous voyons) qu’elle ostat son affection de
tous ces plaisirs & aduantagesadvantages, qu’on luy presentoit: qu’il luy
auoitavoit trouuétrouvé en son voyage vnun party bien plus grand & plus
digne, d’vnun mary de bien autre pouuoirpouvoir & magnificence, qui
luy feroit presens de robes & de ioyauxjoyaux de pris inestimable:.
sSon dessein estoit de luy faire perdre le goust’appetit & l’vsageusage des
plaisirs mōdainsmondains, pour la ioindrejoindre toute à Dieu: mais à cela, le
plus court & plus certain moyen luy semblant estre la mort
de sa fille, il ne cessa par veux, prieres, & oraisons, de faire re-
queste à Dieu de l’oster de ce monde, & de l’appeller à soy:
comme il aduintadvint: car bien-tost apres son retour, elle luy mou-
rut, dequoy il monstra vneune singuliere allegresseioyejoye. Cettuy-cy
semble encherir sur les autres, de ce qu’il s’adresse à ce moyen
de prime face, lequel ils ne prēnentprennent que subsidieremētsubsidierement: & puis
que c’est à l’endroit de sa fille vniqueunique. Mais ieje ne veux obmet-
tre le bout de cette histoire, encore qu’il ne soit pas de mon
propos. La femme de Sainct Hilaire ayant entendu par luy,
comme la mort de leur fille s’estoit conduite par son dessein
& volonté, & combien elle auoitavoit plus d’heur d’estre deslogée
de ce monde, que d’y estre, print vneune si viuevive apprehension de
la beatitude eternelle & celeste, qu’elle solicita son mary auecavec
extreme instance, d’en faire autant pour elle. Et Dieu à leurs
prieres communes, l’ayant retirée à soy biēbien tost apres, il nece fut
iamaisjamaisune mort embrassée auecavec si grandsingulier contentement., commun.
La
LIVRE PREMIER. 93
La fortune se rencontre souuentsouvent au train de la raison.
CHAP. XXXIIII.
L’INCONSTANCE du brāslebransle diuersdivers de la fortune, fait
qu’elle nous doiuedoive presenter toute espece de visages,:
y à il action de iusticejustice plus expresse que celle icy? Le
Duc de Valentinois ayant resolu d’empoisonner Adrian Car-
dinal de Cornete, chez qui le Pape Alexandre sixiesme son
pere, & luy alloyent souper au Vatican, enuoyaenvoya deuantdevant, quel-
que bouteille de vin empoisonné, & commanda au somme-
lier qu’il la gardast bien soigneusement: le Pape y estant arri-
uéarri-
vé auantavant le fils, & ayant demandé à boire, ce sommelier, qui
pensoit ce vin ne luy auoiravoir esté recommandé que pour sa bō-
tébon-
té, en seruitservit au Pape,: & le Duc mesme y arriuantarrivant sur le point
de la collation, & se fiant qu’on n’auroit pas touché à sa bou-
teille, en prit à son tour,: en maniere que le pere en mourut
soudain, & le fils apres auoiravoir esté longuement tourmenté de
maladie, fut reseruéreservé à vnun’autre pire fortune. Quelquefois il
semble à point nommé qu’elle se ioüejoüe à nous: le Seigneur
d’Estrée, lors guidōguidon de MōsieurMonsieur de Vandome, & le Seigneur
de Liques Lieutenant de la compagnie du Duc d’Ascot, estāsestans
tous deux seruiteursserviteurs de la soeur du Sieur de Foungueselles,
quoy que de diuersdivers partis (comme il aduientadvient aux voisins de la
frontiere) le Sieur de Licques l’emporta: mais le mesme iourjour
des nopces, & qui pis est, auantavant le coucher, le marié ayant en-
uieen-
vie de rompre vnun bois en faueurfaveur de sa nouuellenouvelle espouse, sortit
à l’escarmouche pres de Sainct Omer, où le sieur d’Estrée se
trouuāttrouvant le plus fort, le feit son prisonnier,: & pour faire valoir
son aduantageadvantage, encore fausit il que la Damoiselle,
Coniugis ante coacta noui dimittere collum,
Quam veniens vna atque altera rursus hyems
Noctibus in longis auidum saturasset amorem,
Aa
ESSAIS DE M. DE MONTA.
luy fit elle mesme requeste par courtoisie de luy rendre son
prisonnier: comme il fist, la noblesse Françoise, ne refusant ia-
maisja-
mais rien aux Dames. ⁁
⁁ Semble il pas que
ce soit un sort
artiste. Constantin
filx de Heleine fonda
l’Empire de Constanti=
nople et tant de siecles
apres constantin filx
d’Heleine le finit.
Quelque fois il luy plait enuierenvier sur nos
miracles: nous tenons que le Roy Clouis assiegeant Angou-
lesme, les murailles cheurent d’elles mesmes par faueurfaveur diui-
nedivi-
ne: &Et Bouchet emprunte de quelqu’autheur, que le Roy Ro-
bert assiegeant vneune ville, & s’estant desrobé du siege, pour al-
ler à Orleans solemnizer la feste Sainct Aignan, comme il e-
stoit en deuotiondevotion, sur certain point de la messe, les murailles
de la ville assiegée, s’en allerent sans aucun effort en ruine. Elle
fit tout à contrepoil en nos guerres de Milan: car le Capitai-
ne Rense assiegeant pour nous la ville d’Eronne, & ayant fait
mettre la mine soubs vnun grand pan de mur, & le mur en estātestant
brusquement enleuéenlevé hors de terre, recheut toutes-fois tout
empanné, si droit dans son fondement, que les assiegez n’en
vausirent pas moins. Quelquefois elle faict la medecine. Ia-
sonJa-
son Phereus estant abandonné des medecins, pour vneune apo-
stume, qu’il auoitavoit dans la poitrine, ayant enuieenvie de s’en défaire,
au moins par la mort, se iettajetta en vneune bataille à corps perdu
dans la presse des ennemis, où il fut blessé à trauerstravers le corps, si
à point, que son apostume en creuacreva, & guerit. Surpassa elle pas
le peintre Protogenes en la science de son art? Cettuy-cy estoit peintre,
& ayant parfaict l’image d’vnun chien las, & recreu, à son cōten-
tementconten-
tement en toutes les autres parties, mais ne pouuantpouvant represen-
ter à son gré l’escume & la bauebave, despité contre sa beson-
gne, prit son esponge, & comme elle estoit abreuuéeabreuvée de
diuersesdiverses peintures, la iettajetta contre, pour tout effacer: la
fortune porta tout à pointpropos le coup à l’endroit de la bouche
du chien, & y parfournit ce à quoy l’art n’auoitavoit peu attaindre.
N’adresse elle pas quelquefois nos conseils & les corrige? Isa-
bel Royne d’Angleterre ayant à repasser de Zelande en son
Royaume, auecavec vneune armée en faueurfaveur de son fils contre son
LIVRE PREMIER. 94
mary, estoit perdue, si elle fut arriuéearrivée au port qu’elle auoitavoit
proietéprojeté, y estant attendue par ses ennemis: mais la fortune la
iettajetta contre son vouloir ailleurs, où elle print terre en toute
seurté. Et cet ancien qui ruant la pierre à vnun chien en assena
& tua sa marastre, eust il pas raison de prononcer ce vers,
ΤαυτόματονΤαὐτόματον ἡμῶν καλλίω βουλέυεταιβουλεύεται.,
Lla fortune à meilleur aduisadvis que nous. ⁁
⁁ Icetes auoitavoit prattiqué deux soldats, pour tuer Timoleon,
seiournantsejournant a Adrane en la Sicille. Ils prindrent heure sur le
point qu’il fairoit quelque sacrifice: et se meslans parmi la
multitude, come ils se guignoint lunl’un lautrel’autre que loccasionl’occasion estoit
propre a leur besouigne: uoicyvoicy un tiers qui d’un grand coup despeed’espee
en assene lunl’un par la teste et le rue mort par terre: &
s’en fuit. Le compaignon se
tenant pour decouuertdecouvert &
perdu, recourut a lautell’autel
requerant franchise, aueqaveq
promesse de dire toute la
ueriteverite. Ainsi qu’il faisoit
le conte de la coniurationconjuration
uoicyvoicy le tiers qui auoitavoit esté
atrapé, lequel come murtrier
le peuple poss pousse et saboule
au trauerstravers de la presse uersvers
Timoleon et les plus apparents
de lassambleel’assamblee. La il crie
merci: et dict auoiravoir iuste=
mentjuste=
ment tue le murtrier’assassin de son
pere: uerifiantverifiant sur le champ
par des tesmoins que son
bon sort luy fournit tout
a propos, qu’en la uilleville des
Leontins son pere de urayvray
auoitavoit este tue par celuy
sur lequel il s’estoit uangévangé.
On luy ordona dix mines
Attiques pour auoiravoir eu
cet heur prenant raison
de la mort de sōson pere
d’auoiravoir retire de mort le
pere commun des Siciliens.
cette fortune surpasse
en reglement les regles de
l’humaine prudance.
Pour la fin. En ce faict
icy, se descouuredescouvre il pas vneune bien expresse application de sa fa-
ueurfa-
veur, de bonté & pieté singuliere.: Ignatius Pere & fils, pros-
cripts par les Triumuirs à Romme, se resolurētresolurent à ce genereux
office, de rendre leurs vies, entre les mains l’vnun de l’autre, & en
frustrer la cruauté des Tyrans,: ils se coururent sus, l’espee au
poing: elle en dressa les pointes, & en fit deux coups esgalle-
ment mortels:, & donna à l’hōneurhonneur d’vneune si belle amitié, qu’ils
eussent iustementjustement la force de retirer encore des playes, leurs
bras sanglants & armés, pour s’entrembrasser en cet estat,: d’v-
neu-
ne si forte estrainte, que les bourreaux coupaerent ensemble
leurs deux testes, laissant les corps tousiourstousjours pris en ce noble
neud, & les playes iointesjointes, humant amoureusement, le sang &
les restes de la vie, l’vneune de l’autre.
D’vnun defaut de nos polices.
CHAP. XXXV.
FEVFEU mon pere, homme pour n’estre aydé que de l’ex-
perience & du naturel, d’vnun iugementjugement bien net, m’a
dict autrefois, qu’es commandemens qui luy estoyētestoyent
tombez en main, il auoitavoit desiré de mettre en train, qu’il y eust
es uillesvilles certain lieu designé, auquel ceux qui eussentaroint besoin de quel-
que chose, se peussent rendre, & faire enregistrer leur affaire, à
vnun officier estably pour cet effect: comme,: ⁁
⁁ ieje cherche a
uandrevandre
des perles, ieje cherche
des perles a
uendrevendre:
tel chercheueutveut com-
pagnie pour aller à Paris, tel cherche s’enquiert d’vnun seruiteurserviteur de telle qua-
lité, tel cherche d’vnun maistre, tel demande vnun ouurierouvrier,: qui cecy,
Aa ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui cela, chacun selon son besoing. Et semble que ce moyen
de nous entr’aduertiradvertir, apporteroit non legiere commodité au
commerce publique: car à tous coups, il y à des conditiōsconditions,
qui s’entrecherchent: & pour ne se pouuoirpouvoir rencontrers’entr’entendre, lais-
sent les hommes en extreme necessite. IJ’entens, auecavec vneune grā-
degran-
de hōtehonte de nostre siecle, qu’à nostre veüe, deux tres-excellens
personnages en sçauoirsçavoir, sont morts en estat de n’auoiravoir pas
leur soul à manger: Eilius Gregorius Giraldus en Italie, &
Sebastianus Castalio en Allemagne: & croy qu’il y à mil’hō-
meshom-
mes qui les eussent appellez auecavec tres-aduantageusesadvantageuses condi-
tions,⁁ ⁁ ou secourus ouou leurils estoint s’ils l’eussent sçeu. Le monde n’est pas si generalement
corrompu, que ieje ne sçache tel homme, qui souhaiteroit de
bien grande affection, que les moyens que les siēssiens luy ont mis
en main, se peussent employer tant qu’il plaira à la fortune,
qu’il en ioüissejoüisse, à mettre à l’abry de la necessité, les personna-
ges rares & remarquables en quelque forteespece de valeur, que le
mal’heur combat quelquefois iusquesjusques à l’extremité: & qui
les mettroiītmettroiint pour le moins en tel estat, qu’il ne tiendroit qu’à
faute de bon discours, s’ils n’estoyent contens. ⁁
⁁ En la police oeco=
nomique ilmon pere auoitavoit
cet ordre que ieje sçai
louer mais nullemant
ensuiureensuivre. C’est qu’outre
le registre des negoces
du mesnage ou se logent
les menus contes paiemāspaiemans
marchez qui ne requi=
erent la main du notere
celuy de ses gens qui
seruoitservoit a escrire le
quel registre un
ReceueurReceveur a en charge
il ordonoit a celuy de
ses gens qui luy seruoitservoit
à escrire un papier
iournaljournal a inserer toutes
les suruenancessurvenances de
quelque remarque iourjour
& iourjour par iourjour les me=
moires de l’histoire de sa
maison: tresplesante a
veoir quand le temps comançoitce
à en effacer la souuenancesouvenance et tresapropos
tresutille apour nous oster souuantsouvant
de peine. Quant fut comanceeentamee
telle besouigne quand acheueeachevee.
quels treins y ont passe.
combien arreste. Nos
voiages nos absances.
Mariages. Mors. La
reception des hureuses
ou malancōtreusesmalancontreuses
nouuellesnouvelles. Changemant
des seruitursserviturs principaus.
telles matieres.
VsageUsage antien que ieje
treuuetreuve bon dea refreschir
chacun en sa chacuniere
& me treuuetreuve un sot d’y
auoiravoir failli.
De l’vsageusage de se vestir.
CHAP. XXXVI.
OVOU que ieje vueille donner, il me faut forcer quelque
barriere de la coustume, tant ell’a soigneusemētsoigneusement bri-
dé toutes nos auenuesavenues. IeJe deuisoydevisoy en cette saison fri-
leuse, si la façon d’aller tout nud de ces nations derniere-
ment trouuéestrouvées, est vneune façon forcée par la chaude tempera-
ture de l’air, comme nous disons des Indiens, & des Mores,
ou si c’est l’originele des hōmeshommes. Les gens d’entendement, d’au-
tant que tout ce qui est soubs le ciel, comme dit la saincte
parole, est subiectsubject à mesmes loix, ont accoustumé en pa-
reilles considerations à celles icy, où il faut distinguer les loix
LIVRE PREMIER. 95
naturelles des cōtrouuéescontrouvées, de recourir à la generalle police du
monde, où il n’y peut auoiravoir rien de contrefaict. Or tout estātestant
exactement fourny ailleurs de filet & d’éguille, pour mainte-
nir son estre, il est à la verité mécreable, que nous soyons seuls
produits en estat deffectueux & indigent, & en estat qui ne se
puisse maintenir sans secours estrangier. Ainsi ieje tiens que cō-
mecom-
me les plantes, arbres, animaux & tout ce qui vit, se treuuetreuve na-
turellement equippé de suffisante couuerturecouverture, pour se deffen-
dre de l’iniureinjure du temps,
Proptereáque ferè res omnes, aut corio sunt,
Aut seta, aut conchis, aut callo, aut cortice tectae,
aussi estions nous: mais comme ceux, qui esteignent par arti-
ficielle lumiere celle du iourjour, nous auonsavons esteint & estouffé
nos propres moyens, par les moyens empruntez & estrāgiersestrangiers.
Et est aisé à voir que c’est la coustume qui nous faict impossi-
ble ce qui ne l’est pas: car de ces nations, qui n’ont aucune cō-
noissancecon-
noissance de vestemens, il s’en trouuetrouve d’assises enuironenviron soubs
mesme ciel, que le nostre: & puis la plus delicate partie de
nous est celle, qui se tient tousiourstousjours descouuertedescouverte.
⁁
: les yeus la bouche
le nez les oreilles:
aA nos contadins comme
a nos ayeuls la partie
pectoralle et le uentreventre.
Si nous fus-
sions nez auecavec condition de cotillons & de greguesques, il ne
faut faire doubte, que nature n’eust armé d’vneune peau plus es-
poisse ce qu’elle eust abandonné à la baterie des saisons, com-
me elle à garnyfaict le bout des doigts & plante des pieds. ⁁
⁁ Pour tantquoi semble il
difficile a croire. Et tr Entre
ma façon d’estre uestuvestu et
celle d’un paisan de mon païs
ieje treuuetreuve bien plus de differance
distance qu’il n’y a de sa façon
a un home mal qui n’est uestuvestu que
de sa peau. Combien d’homes
et en Turquie surtout uontvont
nuds par deuotiondevotion
IeJe ne
sçay qui, demandoit à vnun de nos gueux, qu’il voyoit en che-
mise en plain hyuerhyver, aussi scarrebillat que tel qui se tiēttient aemmi-
toné dans les martes iusquesjusques aux oreilles, comme il pouuoitpouvoit
auoiravoir patience. Et vous monsieur, respōditrespondit-il, vous auezavez bien
la face descouuertedescouverte, or moy ieje suis tout face. Les Italiens con-
tent du fol du Duc de Florence, ce me semble, que son mai-
stre s’enquerant comment ainsi mal vestu, il pouuoitpouvoit porter le
froid, à quoy il estoit bien empesché luy-mesme: suiuezsuivez dict-
il, ma recepte de charger sur vous tous vos accoustremens,
Aa iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
comme ieje fay les miens, vous n’en souffrirez non plus que
moy. Le Roy Massinissa iusquesjusques à l’extreme vieillesse, ne peut
estre induit à aller la teste couuertecouverte par froid, orage, & pluye
qu’il fit,⁁
⁁ ce qu’on dict aussi de
l’Emperur SeuerusSeverus, Aus
batailles donees entre les
AEgiptiens et les Perses Herodote
dit auoiravoir este m remarque et
par d’autres & par luy mesme que
de ceus qui y demuroint mors le
test des testes estoit sans comparaison
plus fo dur aus AEgiptiens quausqu’aus
Persieness et que laà raison estoitque ceus icy
que les PersiensPerses portent leur testes
tousiourstousjours couuertescouvertes de beguins & puis
de turbans les AEgiptiensceus la rases des
l’enfance & descouuertesdescouvertes.
& le Roy Agesilaus obseruaobserva iusquesjusques à sa decrepitude,
de porter pareille vesture en hyuerhyver qu’en esté. Caesar, dict Sue-
tone, marchoit tousiourstousjours deuantdevant sa troupe, & le plus souuentsouvent
à pied, la teste descouuertedescouverte, soit qu’il fit Soleil, ou qu’il pleut,
& autant en dict on de Hannibal.,
tum vertice nudo
Excipere insanos imbres, caelique ruinam. ⁁
⁁ Un uenitienvenitien qui s’y est tenu
longtemps & qui ne faict
que d’en uenirvenir escrit
qu’au Royaume du
Pegu les autres parties
du cors uestuesvestues les
homes et les fames uōtvont
marchētmarchent tousiourstousjours les
pieds nuds et les portētportent
de mesme dans les estriefs
à cheualcheval. Et Platon
conseille merueilleusemātmerveilleusemant
pour la sātesante de tout le corps
de ne doner aus pieds
& à la teste autre couuerturecouverture
que celle que naturanature y yy a
uoluvolu mise
Celuy que les Polonnois ont choisi pour leur Roy, apres le
nostre, qui est à la verité vnun des plus grands Princes de nostre
siecle, ne porte iamaisjamais gans, ny ne chāgechange pour hyuerhyver & temps
qu’il face, le mesme bonnet qu’il porte au couuertcouvert. Comme ieje
ne puis souffrir d’aller desboutōnédesboutonné & destaché, les laboureurs
de mon voisinage, se sentiroient entrauezentravez de l’estre. Varro
dicttient, que quand on ordonna que nous tinsions la teste des-
couuertedes-
couverte, en presence des Dieux, ou du Magistrat, on le fit
plus pour nostre santé, & nous fermir contre les iniuresinjures du
temps, que pour compte de la reuerencereverence. Et puis que nous
sommes sur le froid, & François accoustumez à nous biguar-
rer, (non pas moy, car ieje ne m’habille guiere, que de noir ou
de blanc, à l’imitation de mon pere,) adioustonsadjoustons d’vneune autre
piece: que le Capitaine Martin du Bellay dict, au voyage de
Luxembourg, auoiravoir veu les gelées si aspres, que le vin de la
munition se coupoit à coups de hache & de coignée, se debi-
toit aux soldats par poix, & qu’ils l’emportoient dans des pa-
niers: & OuideOvide à deux doigts prez.,
Nudáque consistunt formam seruantia testae
Vina, nec hausta meri, sed data frusta bibunt.
Les gelées sont si aspres en l’emboucheure des Palus Maeotides,
qu’en la mesme place ou le Lieutenant de Mithridates auoitavoit
LIVRE PREMIER. 96
liurélivré bataille aux ennemis à pied sec, & les y auoitavoit desfaicts,:
l’esté venu, il y gaigna contre eux encore vneune bataille naualenavale. ⁁
⁁ Les Romains souffrirent grand desaduantagedesadvantage au
combat qu’ils eurent contre les Carthaginois pres de
Plaisance, de ce qu’ils alarent a la charge le sang figé
et les membres contreins de froit: la ou Annibal
auoitavoit faict espandre du feu par tout ⁁ son ost pour eschauffer
lesses siens,soldats et distribuer de l’huile par les bandes
affin qu’e en s’ou s’ouignant ils randissent leurs nerfs
plus soupples et desgourdis et encroustassent les
pores contre les coups de l’air et du uentvent gelè qui
tiroit lors. ⁁
⁁ La retraitte des Grecs, de Babylone en leurs païs, est fameuse des difficultez
et mesaises qu’ils eurent à supporter surmonter cettecy en fut qu’accueillis aus montaignes
d’Armenie d’un horrible rauageravage de neges ils en perdirent la conoissance qu du païs et des chemīschemins
routes et en estant assiegez tout court furent un iourjour et une nuit sans boire et sans manger
la plus part de leurs bestes mortes dD’entre eus plusieurs morts plusieurs aueuglesaveugles du coup du
uentventgresil et lueur de la nege. plusieurs stropiez par les extremitez plusieurs roides transis et immobiles
de froit aïant encore le sens entier
Alexandre uidvid une nation en laquelle
on enterre les arbres
fruitiers en hiuerhiver
pour les defandre
de la gelee.
Sur le subiectsubject de vestir, le Roy de la Mexique changeoit qua-
tre fois par iourjour d’accoustremens, iamaisjamais ne les reiteroit, em-
ployant sa desferre à ses cōtinuellescontinuelles liberalitez & recompen-
ses: comme aussi iamaisjamais ny pot, ny plat, ny vtensileutensile de sa cuisi-
ne, & de sa table ne luy estoient seruisservis à deux fois.
Du ieunejeune Caton. CHAP. XXXVII.
IEJE n’ay point cette erreur cōmunecommune, de iugerjuger d’autruyun autre
selon moy,que ieje suis & de rapporter la condition des autres
hōmeshommes à la mienneEt ne louer qu’autant que ieje sçai imiter: iejeIJ’en croy aysément d’autruy beau-
coup dedes choses, ou mes forces ne peuuentpeuvent attaindre:diuersesdiverses a moy. ⁁
⁁ :. pPour me uoirvoirsentir
engagé a une forme
ieje nyn’y oblige pas le
monde, come chacun
faict: eEt crois et
conçois mille contrai=
res figuresfaçons de uievie: en
nous: eEt aus rebours
du commūcommun, reçois plus
aiseemātaiseemantfacilement la differance
que la ressamblance
en nos estresen nous: iIejJe
descharge aiseemātaiseemanttant quōqu’on ueutveut
un autre estre de mes
conditions & principes
et lale considere puremant en elle mesme
sanssimplemātsimplemant en luy mesme: sans relation: a mon
modelle et l’estoffant sur son propre
modelle. pPour n’estre continant ieje
ne laisse d’aduoueradvouer sinceremant la
continance des Feuillens et des
Capuchins: et de bien treuuertreuver lairl’air
de leur trein: iIejJe m’insinue par
imagination fort bien en leur place:
Et en outresi les aime et les honore
d’autātautant plus qu’ils sont autres que moi
IeJe desire singulierement qu’on nous iugejuge
chascun à part soy: & qu’on ne me tire en consequence
des communs exemples.
lLaMa foi-
blesse que ieje sens en moy, n’altere aucunement les opinions
que ieje dois auoiravoir de la vertuforce & valeuruigeurvigeur de ceux qui le meritent. ⁁
⁁ ⁁ Sunt qui nihil laudent nisi quod se imitari posse confidunt.
⁁ Sunt qui nihil
laudent nisi quod
se imitari posse
confidunt
Rampant au limōlimon de la terre, ieje ne laisse pas de remerquer ius-
quesjus-
ques dans les nuës la hauteur ⁁ inimitable d’aucunes ames heroïques ⁁
⁁
et par quel moien
elles s’y sont montees
quel tour elles se
donent pour s’esleuereslever
come ieje n’admire
aucune action ou
pansee pour sa basses=
se, ije’ay et reconois en
mon ame, les semācessemances
de tous ces mouuemāsmouvemans &
progrez.
: cC’est
beaucoup pour moy d’auoiravoir le iugementjugement reglé, si les effects
ne le peuuētpeuvent estre,: & maintenir, au moins cette maistresse par-
tie, exempte de la corruption & débauche: cC’est quelque cho-
se d’auoiravoir la volonté bonne, quand les iambesjambes me faillent. Ce
siecle, auquel nous viuonsvivons, au moins pour nostre climat, est si
plōbéplombé, que ⁁ ⁁ ieje ne dis pas l’execution mais l’imagination mesme le goust mesme de la vertu en est à dire, &Et semble
que ce ne soit autre chose qu’vnun iargonjargon de colliege. ⁁ Virtutem
verba putant, vt lucum ligna:
⁁ uirtutem uerba putant, ut
Lucum ligna:.
quam uereri deberent etiam si percipere non possent. C’est un affiquet
a pendre en un cabinet, ou au bout de la langue come au bout de
l’oreille pour parement.
iIl ne se recognoit plus d’action pu-
rement vertueuse: cCelles qui en portētportent le visage, elles n’en ont
pas pourtant l’essence: cCar le ptofitprofit, la gloire, la crainte, l’accou-
tumance, & autres telles causes estrangeres nous acheminent
à les produire. La iusticejustice, la vaillance, la debonnaireté, que
nous exerçons lors, elles peuuentpeuvent estre dictes tellesainsi nomees, pour la
consideration d’autruy, & du visage qu’elles portent en pu-
blic, mais chez l’ouurierouvrier ce n’est aucunement vertu: iIl y a vneune
ESSAIS DE M. DE MONT.
autre fin proposée: elleautre cause mouuantemouvante. Or la uertuvertu n’aduoueadvoue rien, que ce qui se faict en sa
considerationpar elle, & pour elle seule. ⁁
⁁ En cete grande co bataille de Potidee, que les Grecs sous Pausanias
gaignarent contre Mardonius et les Perses les uictorieusvictorieus suiuantsuivant leur
costume uenansvenans a iugerjuger partir entre eus la gloire de lexploitl’exploit attribuarent ausa la nation
LacedemoniensSpartiate la praecellance de uertuvertu ualurvalur en ce combat les Spartiates excellans iugesjuges
de la uertuvertu quand ils uindrentvindrent a trier parmdecider a quel particulier deuoitdevoit demurer l’honur de auoiravoir
le mieus faict en cette iourneejournee treuuarenttreuvarent qu’Aristodeme s’estoit le plus corageusement hasardé mais pourtant ils
ne luy en donarent point le prinss d’autantparce que
sa uertuvertu auoitavoit este incitee du desir de se purger
du reproche qu’il auoitavoit encoru au co
faict des Thermopiles et d’un appetit
de mourir corageusement pour
garantir sa honte passee.
Qui plus est, nNos iugemensjugemens
sont encores malades, & suyuentsuyvent la corruptiondeprauationdepravation de nos meurs:.
iIejJe voy la pluspart des esprits de mon temps, faire les ingenieux
à obscurcir la gloire des belles & genereuses actions anciēnesanciennes,
leur donnant quelque interpretation vile, & leur cōtrouuantcontrouvant
des occasions & des causes vaines: gGrande subtilité:! qQqu’on me
donne l’action la plus exellente & pure, ieje m’en vois y four-
nir vraysemblablement cinquante vitieuses intentions. Dieu
sçait, à qui les veut estēdreestendre, qu’elle diuersitédiversité d’images ne souf-
fre nostre interne volonté: ⁁
⁁ Ils ne font ⁁ ⁁ pas tant malitieusemētmalitieusement que bien lourdement et
grossierement les ingenieus a
tout leur mesdisance.
La mesme peine qu’ilson prenentt
à detracter des ces grands
noms et la mesme licence
ieje la pranderois uolantiersvolantiers
à leur prester quelque tour
d’espaule a les hausser. Ces
rares figures et triees pour
l’example du monde par le
consantemant des sages ieje
ne me feinderois pas de les
rescharger d’honur autātautant
que mon inuantioninvantion pourroit
en interpretation et fauo=
rablefavo=
rable circonstance. Mais
il faut croire que les
effors de nostre conceptiōconception
sont loin au dessous deus
leur merite. C’est l’office
des gens de bien de peindre
la uertuvertu la plus belle qu’ils se
trouuenttrouventpuisse et ne leurnous messi=
eroit pas quant la passion
les emnous transporteroit uersversa la faueurfaveur
cette d’affectionde si uersvers cesenuersenvers
formes ces sainctes formes. Montaigne a écrit successivement : 1- la passion les emporteroit uers [cet]te 2- la passion nous transporteroit a la faueur d’affection uers ces [for]mes 3- la passion nous transporteroit a la faueur d’affection enuers ces sainctes formes 4- la passion nous transporteroit a la faueur d’affection de si sainctes formes
Ce que ceus ci font au contrere
iIlsLa syntaxe exige pourtant "ils" comme dans l’édition de 95. Montaigne a sans doute omis de rétablir le pronom. le font soitou par malice, ou par
ce vice de ramener leur creācecreance à leur portée, dequoy ieje viēsviens de
parler: soitou, cōmecomme ieje pēsepense plustost, pour n’auoiravoir pas la veuë as-
sez forte & assez nette, pour imaginer & conceuoirconcevoir: la splen-
deur de la vertu en sa pureté naifuenaifve ⁁ ⁁ ny dressee a cela.: cComme Plutarque dict,
que de son temps, il y en auoitavoit quiaucuns attribuoient la cause de la
mort du ieunejeune Caton, à la crainte qu’il auoitavoit eu de Caesar: dDe-
quoy il se picque auecquesavecques raison: &Et peut on iugerjuger par là, cō-
biencom-
bien il se fut encore plus offencé de ceux qui l’ont attribuée à
l’ambition. ⁁
⁁ Sottes gens. Il
eut bien faict une
belle action aueqaveq
la honte plus tost
que pour la gloire.
genereuse et iustejuste
plus tost aueqaveq igno=
minie que pour la
gloire.
Ce personnage là, fut veritablement vnun patron,
que nature choisit, pour monstrer iusquesjusques ou l’humaine ⁁ ⁁ uertuvertu et fer-
meté, & constance pouuoitpouvoit atteindre: mMais ieje ne suis pas icy à
mesmes pour traicter ce riche argument: iIejJe veux seulement
faire luiter ensemble, les traits de cinq poëtes Latins, sur la
louange de Caton,.
⁁ Et pour l’interest de
Caton et par incidant pour
le leur aussi. Or deuradevra l’enfant
bien nourri trouuertrouver les
au pris des autres les deus
premiers treinans. Le troisieme
plus uerstverst: mais qui s’est
abatu par l’extrauaganceextravagance de sa
de sa forceforce pointe. Estimer que
là il y aroit place, poura un ou
deus ou trois inuinv degrez
d’inuantioninvantion a les atacher.encores pour arriuerarriver
Auau quatriesme ⁁ ⁁ Sur ce point du quel il iouinderajouindera
ses mains par admiration.
Au dernier, premier de si
longuequelque espace, mais laquelle espace il iurerajurera ne pouuoirpouvoir estre remplie
par nul esperit humain, il s’estonera il se transira. Voicy merueillemerveille: Nous auonsavons bien plus de poëtes
que de iugesjuges et interpretes de poesie Il est plus aise de la faire que de la conoistre. A certeine mesure basse on la peut
iugerjuger par les praeceptes et par art. Mais la bone l’excessiueexcessive la diuinedivine est au dessus des regles & de la raison. Quiconque
en discerne la beaute d’une ueueveue ferme et rassise il ne la uoitvoit pas: non plus que la splandur d’un esclair. Elle ne pratique paspoint
nostre iugementjugement: elle le rauistravist et rauageravage. La furur et la rage qui espoinçone celuy qui la sçait penetrer, fiert encores un
tiers a la luy ouir tret traicter & reciter. Come l’aimant non sulement attire un’eguille mais infont encores en icelle sa
faculte dend’en attirer d’autres. Et il se uoitvoit plus cleremant aus theatres / que l’inspiration uiolanteviolantesacree des muses aiant premieremētpremierement
transportèagité le poëte a la cholere au deuil a la heine et hors de soi ou elles ueulentveulent frape encores ⁁ ⁁ par le poete: lacturl’actur et par lacturl’actur
l’interpreteconsecutiuementconsecutivement tout un peuple. Et se faict ainsiC’est l’enfilure de plusieursnos eguilles pendantessuspendues l’une de l’autre. Des ma premiere
enfance la poesie a eu cela de me transpercer et transporter Mais ce ressentiment bien uifvif qui est naturellement en moi a este
diuersementdiversement manie par diuersitediversite de formes. nNon tant plus hautes et plus basses car c’estoint tousiourstousjours des plus hautes en chq chaque
espace: come differantes en colur. Premierement une fluidite gaye et ingenieuse qui me flatoit Despuis une subtilite
aiguë et relleueerellevee qui me picast eEnfin une force meure et constante solide LexampleL’example le dira mieus. OuideOvide. Lucain. Vergile
Mais voyla nos gens sur la carriere.
Sit Cato dum viuit sane vel Caesare maior,
dict l’vnun,.
& inuictum deuicta morte Catonem
dict l’autre:. &Et l’autre, parlant des guerres ciuilesciviles d’entre Caesar
& Pompeius,
Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.
Et le quatriesme, sur les louanges de Caesar.,
Et
LIVRE PREMIER. 97
Et cuncta terrarum subacta
Praeter atrocem animum Catonis.
Et le maistre du choeur, apres auoiravoir étalé les nōsnoms des plus grands
Romains en sa peinture, finit en cette maniere:,
his dantem iura Catonem.
Comme nous pleurons & rions d’vneune mesme chose.
CHAP. XXXVIII.
QVANDQUAND nous rencontrons dans les histoires qu’Anti-
gonus sceut tres mauuaismauvais gré à son fils de luy auoiravoir
presenté la teste du Roy Pyrrhus son ennemy, qui ve-
noit sur l’heure mesme d’estre tué cōbatantcombatant contre luy: & que
l’ayant veuë il se print bien fort à pleurer: & que le Duc René
de Lorraine, pleurapleinsit aussi la mort du Duc Charles de Bourgoi-
gne, qu’il venoit de deffaire, & en porta le deuil en son enter-
rement: & que en la bataille d’Auroy, que le Comte de Mōt-
fortMont-
fort gaigna cōtrecontre Charles de Blois, sa partie pour le Duché de
Bretaigne, le victorieux rencontrant le corps de son ennemy
trespassé, en mena grand deuil, il ne faut pas s’escrier soudain,
Et co si auen che l’animo ciascuna
Sua passion sotto el contrario manto
Ricopre, con la vista hor’ chiara hor bruna.
Quand on presenta à Caesar la teste de Pompeius, les histoires
disent qu’il en destourna sa veuë, comme d’vnun vilain & mal
plaisant spectacle. Il y auoitavoit eu entr’eux vneune si longue intelli-
gence, & societé au maniement des affaires publiques, tant de
communauté de fortunes, tant d’offices reciproques & d’al-
liance, qu’il ne faut pas croire que cette contenance fut toute
fauce & contrefaicte, comme estime cet autre,
Ttutúmque putauit t / tires en ça
Iam bonus esse socer, lachrimas non sponte cadentes
Effudit, gemitúsque expressit pectore laeto.
Car bien que à la verité la pluspart de nos actions ne soiētsoient que
masque & fard, & qu’il puisse quelquefois estre vray,
B b
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Haeredis fletus sub persona risus est.
Si est-ce qu’au iugementjugement de ces accidens, il faut considerer,
comme nos ames se trouuenttrouvent souuentsouvent agitées de diuersesdiverses pas-
siōspas-
sions. Et tout ainsi qu’en nos corps ils disent qu’il y à vneune assem-
blée de diuersesdiverses humeurs, desquelles celle là est maistresse, qui
commande le plus ordinairement en nous, selon nos com-
plexions: aussi en nos ames, bien qu’il y ait diuersdivers mouuemēsmouvemens,
qui l’agitent, si faut-il qu’il y en ait vnun à qui le champ demeu-
re. Mais ce n’est pas auecavec si entier auantageavantage, que pour la volu-
bilité & soupplesse de nostre ame, les plus foibles, par occasiōoccasion
ne regaignent encor la place, & ne facent vneune courte charge à
leur tour. D’où nous voyons non seulement auxles enfans, qui
vont tout naifuementnaifvement apres la nature, pleurer & rire souuentsouvent
de mesme chose: mais nul d’entre nous ne se peut vanter, quel-
que voyage qu’il face à son souhait, que encore au départir de
sa famille, & de ses amis, il ne se sente frissonner le courage: &
si les larmes ne luy en eschappent tout à faict, au moins met-il
le pied à l’estrieué d’vnun visage morne & contristé. Et quelque
gentille flamme qui eschaufe le coeur des filles bien nées, en-
core les desprend on à force, du col de leurs meres, pour les ren-
dre à leur espous: quoy que die ce bon compaignon,
Est ne nouis nuptis odio venus, anne parentum
Frustrantur falsis gaudia lachrimulis,
Vbertim thalami quas intra limina fundunt?
Non, ita me diui, vera gemunt, iuuerint.
Ainsin il n’est pas estrāgeestrange de plaindre celuy-là mort, qu’on ne
voudroit aucunement estre en vie. Quand ieje tance auecavec mon
valet, ieje tance du meilleur courage que ij’aye,: ce sont vrayes &
non feintes imprecatiōsimprecations,: mais cette fumée passée, qu’il ayt be-
soing de moy, ieje luy biēbien feray volontiers,: ieje tourne à l’instant
le fueillet. ⁁
⁁ Quand ieje l’appele un
badin un sotueauveau ieje
n’entreprans pas de luy
coudre a iamaisjamais ces
tiltres. Ny ne pense me desdire pour le iugerjuger nomer
tantost honeste home. Nulle qualitè nous enbrasse
puremant et uniuersellemantuniversellemant Si ce n’estoit la contenance
d’un fol de parler sul et a part soi il n’est iourjour au quel on
ne m’ouit criergronder aen moi mesmes O le baditn O le sotet contre moy. Bran du fat.
Et si n’entans pas que ce soit ma definition.
Qui pour me voir vneune mine tantost froide, tantost
amoureuse enuersenvers ma femme, estime que l’vneune ou l’autre soit
LIVRE PREMIER. 8998
feinte, il est vnun sot. Neron prenant congé de sa mere, qu’il en-
uoyoiten-
voyoit noyer, sentit toutesfois l’émotion de cet adieu mater-
nel: & en eust horreur & pitié. On dict que la lumiere du So-
leil, n’est pas d’vneune piece cōtinuëcontinuë: mais qu’il nous élance si dru
sans cesse nouueauxnouveaux rayōsrayons les vnsuns sur les autres, que nous n’en
pouuonspouvons apperceuoirappercevoir l’entre deux.,
Largus enim liquidi fons luminis aetherius sol
Inrigat assidue caelum candore recenti,
Suppeditátque nouo confestim lumine lumen,:
ainsin eslance nostre ame ses pointes diuersementdiversement & imper-
ceptiblement. ⁁
⁁ Artabanus surprisītsurprisint Xerxes son
neueuneveu et le reprinttança de la soudeine
mutation de sa contenance. Il
estoit a considerer la grandur
desmesuree de ses forces au
passage de l’Helespont pour
l’entreprinse de la Graece. Il
luy print premieremētpremierement un
tressaillemant de ceur et de
d’aise dea uoirvoir tant de milliers
d’homes a son seruiceservice et le
tesmouigna par l’alegresse
et feste de son uisagevisage: et tout
soudein en mesme instant sa
pensee luy suggerant come
tant de uiesvies auointavoint a defaillir
au plus louin dans un siecle
il refrouigna son front et
s’attrista iusqujusqu’aus larmes.
Nous auonsavons poursuiuypoursuivy auecavec resoluë volonté
la vengeance d’vneune iniureinjure, & resenty vnun singulier contente-
ment de la victoire,: nous en pleurons pourtant: ce n’est pas
de cela que nous pleurons: il n’y à rien de changé, mais nostre
ame regarde la chose d’vnun autre oeil, & se la represente par vnun
autre visage: car chaque chose à plusieurs biais & plusieurs lu-
stres. La parenté, les anciennes accointances & amitiez, saisis-
sent sonnostre imagination, & la passionnent pour l’heure, selon
leur condition, mais le contour en est si brusque, qu’il nous
eschappe.,
Nil adeo fieri celeri ratione videtur
Quam si mens fieri proponit & inchoat ipsa.
Ocius ergo animus quam res se perciet vlla,
Ante oculos quarum in promptu natura videtur.
Et à cette cause, voulāsvoulans de toute cette suite cōtinuercontinuer vnun corps,
nous nous trompons. Quand Timoleon pleure le meurtre
qu’il auoitavoit commis d’vneune si meure & genereuse deliberation,
il ne pleure pas la liberté rendue à sa patrie, il ne pleure pas le
Tyran, mais il pleure son frere. L’vneune partie de son deuoirdevoir est
iouéejouée, laissons luy en iouerjouer l’autre.
Bb ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
De la solitude. CHAP. XXXIX.
LAISSONS à part cestte longue comparaison de la vie
solitaire à l’actiueactive: &Et quant à ce beau mot, dequoy se
couurecouvre l’ambition & l’auariceavarice, que nous ne sommes
pas nez pour nostre particulier, ains pour le publicq,:, rappor-
tons nous en hardiment à ceux qui sont en la danse, & qu’ils se
battent sur la cōscienceconscience, si au rebours, les estats, les charges, &
cette tracasserie du monde, ne se recherche plutost, pour tirer
du publicq son profit particulier. Les mauuaismauvais moyēsmoyens par où
on s’y pousse en nostre siecle, monstrent bien que la fin n’en
vaut gueres. RespōdonsRespondons à l’ambition que c’est elle mesme qui
nous donne goust de la solitude, cCar que fuit elle tant que la
societé, que cherche elle tant que ses coudées frāchesfranches? Il y à de-
quoy bien & mal faire par tout: toutefois si le mot de Biais est
vray, que la pire part c’est la plus grande, ou ce que dit l’Ec-
clesiastique, que de mille il n’en est pas vnun bon,
Rari quippe boni numero vix sunt totidem, quot
Thebarum portae, vel diuitis ostia Nili.,
la contagion est tres-dangereuse en la presse.: Il faut ou imiter
les vitieux, ou les haïr: tTous les deux sont dāgereuxdangereux, & de leur
ressembler, par ce qu’ils fsontsonts beaucoup, & d’en hair beaucoup
parce qu’ils sont dissemblables:
⁁ Et les marchans qui
se mettentuontvont en mer ont
raison de regarder
que ceus qui se mettētmettent
en mesme uesseauvesseau ne
soint irreligieus
dissolus, blasphematurs
meschans: estimans
telle societe infortunee.
Par quoi Bias ⁁ ⁁ plaisammant a ceus qui passoint
aueqaveq luy en le dangier d’une grādegrande
tourmante et apeloint le secours des
Dieus. Taises uousvous fit il qu’ils ne
sentessentent point que uousvous soïes icy aueqaveq moi. ⁁
Suite de l’addition en bas de page.
⁁ Et d’un presplus pressant exemple Albuquerque uiceroyviceroy en l’inde pour le Roy
Emanuel de Portugal en un extreme peril de tormantefortune de mer print sur ses espaules un ieunejeune
garçon pour cette sule fin qu’en la societe de leur fortune son innocence luy seruitservit
de garant & de recomādationrecomandation enuersenvers la faueurfaveur diuinedivine pour le mettre a sauuetesauvete
cCe n’est pas que le sage ne puis-
se par tout viurevivre content, voire & seul en la foule d’vnun palais:
mais s’il est à choisir, il en fuira, dit-il, mesmes la veue: iIl por-
tera s’il est besoing cela, mais s’il est en luy, il eslira cecy. Il ne
luy semble point suffisammētsuffisamment s’estre desfait des vices, s’il faut
encores qu’il conteste auecavec ceux d’autruy. CharōdasCharondas chastioit
de griefuesgriefves punitiōspunitionspour mauuaismauvais ceux qui estoiētestoient cōuaincusconvaincus de hāterhanter mau
uaisemau-
vaise cōpaigniecompaignie.
⁁ Sainct Augustin dict
tresbien: qu’iIl n’est
rien si dissociable par
un uicevice que l’home: rien si sociable par sa nature.
Et sociable que l’home: l’un par son uicevice, l’autre par sa nature.
Et Antisthenes ne me semble auoiravoir suffisammant satisfaict a celuy qui luy
reprochoit sa conuersationconversation aueqaveq les meschans en disant que les medecins uiuentvivent bien
hantoint bienentre les malades car s’ils seruētservent a la sante des malades
ils deteriorent la leur par la cōtagioncontagion du mauuesmauves air & de la ueueveue mesme
continuelle et grauememētgravemementpratique des maladies
Or la fin, ce crois-ieje, en est tout’vneune, d’en viurevivre
plus à loisir & à son aise. Mais on n’en cherche pas tousiourstousjours
LIVRE PREMIER. 99
bien le chemin: sSouuētsSouvent on pense auoiravoir quitté les affaires, on
ne les à que changez: iIl n’y à guiere moins de tourment au
gouuernementgouvernement d’vneune famille qu’ēen vnunque d’un estat entier: oOu que l’a-
me soit empeschée, elle y est toute: &Et pour estre les occupa-
tions domestiques moins importantes, elles n’en sont pas
moins importunes. D’auantageavantage, pour nous estre deffaits de la
Cour & du marché, nous ne sommes pas deffaits des princi-
paux tourmens de nostre vie.,
ratio & prudentia curas,
Non locus effusi latè maris arbiter aufert.
L’ambition, l’auariceavarice, l’irresolution, la peur & les concupiscē-
cesconcupiscen-
ces, ne nous abandonnent point pour changer de contrée.,
Et post equidtem sedet atra cura.
Elles nous suiuentsuivent souuentsouvent iusquesjusques dans les cloistres, & dans
les escoles de philosophie. Ny les desers, ny les rochers creu-
sez, ny la here, ny les ieunesjeunes, ne nous en démeslent.,
haaeret lateri laeetalis arundo.
On disoit à Socrates, que quelqu’vnun ne s’estoit aucunemētaucunement a-
mendé en son voyage: iIejJe croy bien, dit-il, il s’estoit emporté
auecquesavecques soy.,:
Quid terras alio calentes
Sole mutamus? patria quis exul
Se quoque fugit?
Si on ne se descharge premierement ⁁ ⁁ soy & son ame, du fais qui la
presse, le remuement la fera fouler dauantagedavantage, cComme en vnun
nauirenavire les charges empeschent moins, quand elles sont rassi-
ses: vVous faictes plus de mal que de bien au malade de luy
faire changer de place,: vVous ensachez le mal en le remuant:
cComme les pals s’enfoncent plus auātavant, & s’affermissent en les
branlant & secouant. Parquoy ce n’est pas assez de s’estre es-
carté du peuple, ce n’est pas assez de changer de place, il se
faut escarter des conditions populaires, qui sont en nous: il se
B b iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
faut sequestrer & r’auoiravoir de soy.
rupi iam vincula, dicas
Nam luctata canis nodum arripit, attamen illi
Cum fugit, à collo trahitur pars longa catenae.
NnNous emportons nos fers quand & nous: cCe n’est pas vneune en-
tiere liberté, nous tournons encore la veuë vers ce que nous
auonsavons laissé, nous en auonsavons la fantasie plaine.
nisi purgatum est pectus, quae praelia nobis
Atque pericula tunc ingratis insinuandum:
Quantae conscindunt hominem cuppedinis acres
Sollicitum curae, quantique perinde timores,
Quidue superbia, spurcitia, ac petulantia, quantas
Efficiunt clades, quid luxus desidiésque.
Nostre mal nous tient en l’ame: or elle ne se peut échaper à
elle mesme,
In culpa est animus, qui se non effugit vnquam.
Ainsin il la faut ramener & retirer en soy: cC’est la vraie solitude,
& qui se peut ioüirjoüir au milieu des villes & des cours des Roys,
mais elle se iouytjouyt plus cōmodémentcommodément à part. Or puis que nous
entreprenons de viurevivre seuls, & de nous passer de compagnie,
faisons que nostre contentement despende de nous: dDespre-
nons nous de toutes les liaisons qui nous attachent à autruy:
gGaignons sur nous, de pouuoirpouvoir à bon escient viurevivre seuls & y
viurevivre à nostr’aise. Stilpon estant eschappé de l’embrasement
de sa ville, où il auoitavoit perdu femme, enfans, & cheuancechevance, Dé-
metrius Poliorcetes, le voyant en vneune si grande ruine de sa pa-
trie, le visage non effrayé, luy demanda, s’il n’auoitavoit pas eu du
dommage, iIl respondit que non, & qu’il n’y auoitavoit Dieu mer-
cy rien perdu ⁁ ⁁ de sien. ⁁
⁁ C’est ce que le philosofe
Antisthenes disoit
plaisammant que l’home
se deuoitdevoit pouruoirpourvoir de
munitions qui flotassent sur
l’eau et peussent a nage eschaper
aueqaveq luy du naufrage. a
nage
Certes l’homme d’entendemētentendement n’a riērien per-
du, s’il à soy mesme. Quand la ville de Nole fut ruinée par les
Barbares, Paulinus qui en estoit EuésqueEvésque, y ayant tout perdu,
& leur prisonnier, prioit ainsi Dieu, Seigneur garde moy de
LIVRE PREMIER. 100
sentir cette perte, car tu sçais qu’ils n’ont encore rien touché
de ce qui est à moy. Les richesses qui le faisoyent riche, & les
biens qui le faisoient bon, estoyētestoyent encore en leur entier. Voy-
la que c’est de biēbien choisir les thresors qui se puissent garātirgarantiraffranchir de
l’iniureinjure: & de les cacher en lieu, ou personne n’aille, & lequel
ne puisse estre trahi que par nous mesmes. Il faut auoiravoir fem-
mes, enfans, biens & sur tout de la santé, qui peut, mais nōnon pas
s’y attacher en maniere que tout nostre heur en despende. Il
se faut reseruerreserver vneune arriereboutique, toute nostre, toute fran-
che, en laquelle nous establissons nostre vraye liberté & prin-
cipale retraicte & solitude. En cette-cy faut-il prendre nostre
ordinaire entretien, de nous à nous mesmes, & si priuéprivé, que
nulle acointance ou communication estrangiere n’y trouuetrouve
place: dDiscourir & y rire, comme sans femme, sans enfans, &
sans biens, sans train, & sans valetz: afin que quand l’occasion
aduiendraadviendra de leur perte, il ne nous soit pas nouueaunouveau de nous
en passer. Nous auonsavons vneune ame contournable en soy mesme,
elle se peut faire compagnie, elle à dequoy assaillir & dequoy
defendre, dequoy receuoirrecevoir, & dequoy donner: ne craignons
pas en cette solitude nous croupir d’oisiuetéoisiveté ennuyeuse,
in solis sis tibi turba locis. en ça
⁁ La uertuvertu dict Antis=
thenes se contante de
soi: sans disciplines
sans paroles sans effaicts.
En nos actions accoustumées, de mille, il n’en est pas vneune qui
nous regarde. Celuy que tu vois grimpant contremont les
ruines de ce mur, furieux & hors de soy, en bute de tāttant de har-
quebuzades: & cet autre tout cicatricé, trāsitransi & pasle de faim,
de liberé de creuercrever plutost que de luy ouurirouvrir la porte, pense
tu qu’ils y soyent pour eux? pPour tel à l’aduentureadventure qu’ils ne
virent onques, & qui ne se donne aucune peine de leur faict,
plongé cepēdantcependant en l’oysiuetéoysiveté & aux delices. Cettuy-cy tout
pituiteux, chassieux & crasseux, que tu vois sortir apres mi-
nuit d’vnun estude, penses tu qu’il cherche parmy les liureslivres, cō-
mecom-
me il se rendra plus homme de bien, plus contētcontent & plus sage?
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nNulles nouuellesnouvelles. Il y mourra, ou il apprendra à la posterité la
mesure des vers de Plaute, & la vraye orthographie d’vnun mot
Latin. Qui ne contre-change volontiers la santé, le repos, &
la vie, à la reputation & à la gloire, la plus inutile, vaine &
fauce monnoye, qui soit en nostre vsageusage:. nNostre mort ne
nous faisoit pas assez de peur, chargeons nous encores de cel-
le de nos femmes, de nos enfans, & de nos gens. Nos affaires
ne nous donnoyent pas assez de peine, prenons encores à
nous tourmenter, & rompre la teste de ceux de nos voi-
sins & amis.,
Vah quemquamne hominem in animum instituere, aut
Parare, quod sit charius, quam ipse est sibi? ⁁
⁁ La solitude me semble
auoiravoir plus d’apparance et
de raison a ceus qui ont
donne au monde leur eage
plus actif & flerissantfleurissant
suiuantsuivant l’exemple de Thales
Or cC’est assez vescu pour autruy, viuonsvivons pour nous au moins
ce bout de vie: rRamenons à nous, & à nostre vray profitaise nos
cogitationspensees & nos intentions. Ce n’est pas vneune legiere partie
que de faire seurement sa retraicte, elle nous empesche assez
sans y mesler d’autres entreprinses. Puis que Dieu nous dōnedonne
loisir de disposer de nostre deslogement, preparons nous y,
plions bagage, prenons de bon’heure congé de la cōpaigniecompaignie,
despetrons nous de ces violentes prinses, qui nous engagent
ailleurs, & esloignent de nous. Il faut desnoüer ces obligatiōsobligations
si fortes:, & meshuy aymer ce-cy & cela:, mais n’espouser rien
que soy. C’est à dire, le reste soit à nous: mais non pas iointjoint &
colé en façon qu’on ne le puisse desprendre sans nous escor-
cher, & arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus
grande chose du monde, c’est de sçauoirsçavoir estre à soy. ⁁
⁁ Il est temps de nous
desnouer de la societé
puisque nous n’y pouuonspouvons
rien apporter Et qui ne
peut prester qu’il se
deffende d’emprunter.
Nos forces nous faillent
retirons les et resserrons
en nous. Qui peut renuerserrenverser
& cōfondreconfondre en soi les
offices de l’amitie et de
la compaignie qu’il le face.
Qu’il se En cete chute
qui le rant inutile ⁁ poisant et importun aus autres qu’il se garde d’estre importun a soi mesmes et poisant et inutile.
Qu’il se flate se chatouilleet caresse et surtout qu’il se regente: et instruisequ’il respecteātrespecteant et creigneant
sa raison et sa cōscianceconsciance et n’os Si qu’il n’ose clocher en saleur presance Rarum est ut
satis se quisque uereatur. ne puisse sans honte broncher en leur presence. Rarum est enim
ut satis se quisque uereatur. Socrates dict ques les iunesjunes se doiuentdoivent faire instruire Homes Les homes
s’exercer a bien faire VieusLes uieilsvieils se retirer de tout’occupation ciuilecivile et militere uiuansvivans a leur discretion
sans obligation a nul certein office
Il y à des
complexiōscomplexions plus propres à ces preceptes ⁁ ⁁ de la retrete les vnesunes que les autres.
Celles qui ont l’apprehension molle & láche, & vnun’affection
& volonté difficiledelicate, & qui ne se prends’asseruistasservist ny s’employe pas aysément, desquels
ieje suis, & par naturelle cōditioncondition & par discours, ils se plieront
plus aisémētaisémentmieus à ce conseil,: que les ames actiuesactives & tenduesoccupees, qui
embrassent tout, & s’engagent par tout, qui se passionnent de
tou-
LIVRE PREMIER. 101
toutes choses: qui s’offrent, qui se presentent, & qui se dōnentdonnent
à toutes occasions. Il se faut seruirservir de ces commoditez accidē-
talesacciden-
tales & hors de nous, en tant qu’elles nous sont plaisantes,
mMais sans en faire nostre principal fondement: cCe ne l’est pas,
ny la raison, ny la nature ne le veulent: pPourquoy contre ses
loix asseruironsasservirons nous nostre contentement à la puissance
d’autruy? D’anticiper aussi les accidens de fortune, se priuerpriver
des commoditez qui nous sont en main, cōmecomme plusieurs ont
faict par deuotiondevotion, & quelques philosophes par discours, se
seruirservir soy-mesmes, coucher sur la dure, se creuercrever les yeux, iet-
terjet-
ter ses richesses emmy la riuiereriviere, rechercher la douleur: cCeux
là pour par le tourment de cette vie, en acquerir la beatitude
d’vnunune autre: ceux-cy pour s’estant logez en la plus basse mar-
che, se mettre en seurté de nouuellenouvelle cheute, c’est l’action d’vneune
vertu excessiueexcessive. Les natures plus roides & plus fortes facent
leur cachete mesmes, glorieuse & exemplaire.
tuta & paruula laudo,
Cum res deficiunt, satis inter vilia fortis:
Verùm vbi quid melius contingit & vnctius, idem
Hos sapere, & solos aio benè viuere, quorum
Conspicitur nitidis fundata fundata pecunia villis.
Il y à pour moy assez affaire sans aller si auantavant, iIl me suffit sous
la faueurfaveur de la fortune me preparer à sa défaueurdéfaveur, & me repre-
senter estant à mon aise, le mal adueniradvenir, autant que l’imagina-
tion y peut attaindre: tTout ainsi que nous nous accoustumōsaccoustumons
aux ioutesjoutes & tournois, & contrefaisons la guerre en pleine
paix. ⁁
⁁ IeJe n’estime point la uievie
d’Arcesilaus le philosophe moins
reformes pour luyle sçauoirsçavoir auoiravoir user
des uasesvasesutansiles dord’or d & dargentd’argent selon
que la condition de sa fortune
le luy permetoit et lestimel’estime mieux
que s’il s’en fut desmis de ce
qu’il en usoit modereement
et liberalement
IeJe voy iusquesjusques à quels limites va la necessité naturelle:
& considerant le pauurepauvre mendiant à ma porte, souuentsouvent plus
eniouéenjoué & plus sain que moy, ieje me plante en sa place: ij’essaye
de chausser mon ame à son biaiz. Et courant ainsi par les au-
tres exemples, quoy que ieje pense la mort, la pauuretépauvreté, le mes-
pris, & la maladie à mes talons, ieje me resous aisément de n’en-
C c
ESSAIS DE M. DE MONTA.
trer en effroy, de ce qu’vnun moindre que moy prend auecavec telle
patience: &Et ne puis croire que la bassesse de l’entendement,
puisse plus que la vigueur,: oOu que les effects du discours, ne
puissent arriuerarriver aux effects de l’accoustumance. Et connois-
sant combien ces commoditez accessoires tiennent à peu, ieje
ne laisse pas en pleine iouyssancejouyssance, de supplier Dieu pour ma
souuerainesouveraine requeste, qu’il me rende content de moy-mesme,
& des biens qui naissent de moy. IeJe voy des ieunesjeunes hommes
gaillards, qui ne laissent pas de porter dans leurs coffres vneune
masse de pillules, pour s’en seruirservir quādquand le rheume les pressera,
lequel ils craignent d’autant moins, qu’ils en pensent auoiravoir le
remede en main. Ainsi faut il faire: &Et encore si on se sent sub-
iectsub-
ject à quelque maladie plus forte, se garnir de ces medicamēsmedicamens
qui assopissent & endorment la partie. L’occupatiōoccupation qu’il faut
choisir à vneune telle vie, ce doit estre vneune occupation non peni-
ble ny ennuyeuse, autrement pour neant ferions nous estat
d’y estre venuz chercher le seioursejour. Cela depend du goust par-
ticulier d’vnun chacun: lLe mien ne s’accōmodeaccommode aucunement au
ménage. Ceux qui l’aiment, ils s’y doiuentdoivent adonner auecavec mo-
deration,
Conentur sibi res, non se submittere rebus.
C’est autrement vnun office seruileservile que la mesnagerie, comme
le nomme Saluste: eEll’a des parties plus nobles & excusables,
comme le soing des iardinagesjardinages que XenophōXenophon attribue à Cy-
rus: &Et se peut trouuertrouver vnun moyen, entre ce bas & vile soing, tā-
dutan-
du & plein de solicitude, qu’on voit aux hommes qui s’y plō-
gentplon-
gent du tout,: & cette profonde & extreme nonchalance lais-
sant tout aller à l’abandon, qu’on voit en d’autres.,
Democriti pecus edit agellos
Cultáque, dum peregre est animus sine corpore velox.
Mais oyons le conseil que donne le ieunejeune Pline à Cornelius
Rufus son amy, sur ce propos de la solitude. IeJe te conseille en
LIVRE PREMIER. 102
cette pleine & grasse retraicte, où tu es, de quiter à tes gens ce
bas & abiectabject soing du mesnage, & t’adonner à l’estude des let-
tres, pour en tirer quelque chose qui soit toute tienne: iIl entēdentend
la reputation: dD’vneune pareille humeur à celle de Cicero, qui
dict vouloir employer sa solitude & seioursejour des affaires publi-
ques, à s’en acquerir par ses escris vneune vie immortelle.:
vsque adeo ne
Scire tuūtuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter? ⁁
Passage sans doute recopié.
⁁ Il semble, que ce soit raison, puis qu’on parle de se retirer du monde, qu’on regarde hors de luy. Ceus-ci ne le font qu’a demi. Ils
dressent bien leur partie pour quand ils n’y seront plus: mais le fruit de leur dessein, ils pretandent le tirer encore lors du monde
absans, par une ridicule contradiction. L’imagination de ceus qui par deuotiondevotion recherchent la solitude, remplissans leur
corage de la certitude des promesses diuinesdivines en lautrel’autre uievie, est bien plus seinemant assortie. Ils se proposent dieu, obiectobject
infini et en bonte et en puissance: lL’ame a de quoi y ressasier ses desirs en toute liberté. Les afflictions les dolurs leur uiennentviennent
a profit, emploiees a l’acquet d’une santé et reiouissancerejouissance eternelle: lLa mort a souhet, passage a un si parfaict estat. L’aspreté
de leurs regles est incontinant applanie par l’acostumance: et les appetis charnels rebutez et endormis par leur refus, car
rien ne les entretient que l’usage et exercice. Cette sule fin d’une uievie autre uievie heureusement immortele, merite loialement
que nous abandonons les commoditez et douceurs de cette uievie nostre. Et qui peut embraser son ame de lardurl’ardur de cette
uiuevive foi et esperance, reelemant et constammant, il se bastit en la solitude une uievie uoluptueusevoluptueuse et delicate au dela de
tout’autre forme de uievie.
Ny la fin ⁁ ⁁ donq ny le moyen de ce cōseilconseil ⁁ ⁁ de Pline ne me cōtentecontente.: Nnous retō-
bonsretom-
bons tous-ioursjours de la fieurefievre en chaud mal. Premierement,
cCette occupation des liureslivres, est aussi penible que toute autre,
& autātautant ennemie de la santé, qui doit estre principalemētprincipalement cō-
sideréecon-
siderée. Et ne se faut point laisser endormir au plaisir, qu’on y
prend: cC’est ce mesme plaisir qui perd le mesnagier, l’auari-
cieuxavari-
cieux, le voluptueux, & l’ambitieux. Les sages nous appren-
nent assez, à nous garder de la trahison de nos appetits, & à
discerner les vrays plaisirs & entiers, des plaisirs meslez & bi-
garrez de plus de peine. Car la pluspart des plaisirs, disent ils,
nous chatouillent & embrassent pour nous estrangler, com-
me faisoyent les larrons que les AEgyptiensAegyptiens appelloient Phi-
listas: &Et si la douleur de teste nous venoit auātavant l’yuresseyvresse, nous
nous garderions de trop boire,. mMais la volupté, pour nous
tromper, marche deuantdevant & nous cache sa suite. Les liureslivres sont
plaisans: mais si de leur frequentation nous en perdons en fin
la gayeté & la santé nos meilleurs pieces, quittons les: iIejJe suis
de ceux qui pensent que leur fruict ne sçauroitpouuoirpouvoir contrepoiser
cette perte. Comme les hommes qui se sentētsentent de long temps
affoiblis par quelque indisposition, se rengent à la fin à la
mercy de la medecine, & se font desseigner par art certaines
regles de viurevivre, pour ne les plus outrepasser: aussi celuy qui se
retire ennuié & dégousté de la vie cōmunecommune, doit former cet-
te-cy aux regles de la raison, l’ordonner & renger par preme-
Cc ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ditation & discours. Il doit auoiravoir prins congé de toute espe-
ce de tourmenttrauailtravail, quelque visage qu’il porte,. &Et fuïr en general
les passions, qui empeschent la tranquillité du corps & de l’a-
me, & choisir la route qui est plus selon son humeur.,
Vnusquisque sua nouerit ire via.
Au menage, à l’estude, à la chasse, & tout autre exercice, il faut
donner iusquesjusques aux derniers limites du plaisir, & garder de
s’engager plus auantavant, ou la peine commence à se mesler par-
my. Il faut reseruerreserver d’embesoignement & d’occupation, au-
tant seulement qu’il en est besoing, pour nous tenir en halei-
ne, & pour nous garantir des incommoditez que tire apres
soy l’autre extremité d’vneune mollelache oysiuetéoysiveté & assopie. Il y à des
sciences steriles & épineuses, & la plus part forgées pour le
seruiceservice de la presse: il les faut laisser à ceux qui sont au seruiceservice
du monde. IeJe n’ayme pour moy, que des liureslivres ou plaisans &
faciles, qui me chatouilleutchatouillent,: ou ceux qui me consolent, & cō-
seillentcon-
seillent à regler ma vie & ma mort.
tacitum syluas inter reptare salubres
Curantem quidquid dignum sapiente bonóque est.
Les gens plus sages, peuuentpeuvent se forger vnun repos tout spirituel,
ayant l’ame forte & vigoureuse: mMoy qui l’ay molle & cōmu-
necommu-
ne, il faut que ij’ayde à me soutenir par les commoditez cor-
porelles: &Et l’aage m’ayant tantost desrobé celles qui estoyent
plus selon mon gousta ma fantasie, ij’instruis & aiguise mon appetit à cel-
les qui restent plus sortables à cette autre saison. Il faut rete-
nir à tout nos dents & nos griffes l’vsageusage des plaisirs de la vie,
que nos ans nous arrachent des poingts, les vnsuns apres les au-
tres:
carpamus dulcia, nostrum est
Quod viuis, cinis & manes & fabula fies.
Or quant à la fin que Pline & Cicero nous proposent, de la
LIVRE PREMIER. 103
gloire, c’est bien loing de mon compte: lLa plus contraire hu-
meur à la retraicte c’est l’ambition: lLa gloire & le repos sont
choses, qui ne peuuentpeuvent loger en mesme giste: àA ce que ieje voy,
ceux-cy n’ont que les bras & les iambesjambes hors de la presse, leur
ame, leur intention y demeure engagée plus que iamaisjamais.
Tun’ vetule auriculis alienis colligis escas?
Ils se sont seulement reculez pour mieux sauter, & pour d’vnun
plus fort mouuementmouvement faire vneune plus viuevive faucée dāsdans la troup-
pe. Vous plaist-il voir comme ils tirent court d’vnun grain: mMet-
tons au contrepois, l’aduisadvis de deux philosophes, & de deux se-
ctes tres-differentes, escriuansescrivans l’vnun à Idomeneus, l’autre à Lu-
cilius leurs amis, pour du maniement des affaires & des gran-
deurs les retirer à la solitude. Vous auezavez (disent-ils) vescu na-
geant & flotant iusquesjusques à present, venez vous en mourir au
port: vVous auezavez donné le reste de vostre vie à la lumiere, don-
nez cecy à l’ombre: iIl est impossible de quitter les occupatiōsoccupations,
si vous n’en quittez le fruit, à cette cause défaites vous de tout
soing de nom & de gloire: iIl est dangier que la lueur de vos
actiōsactions passées, ne vous esclaire que trop, & vous suiuesuive iusquesjusques
dans vostre taniere: qQuitez auecqavecq les autres voluptez, celle qui
vient de l’approbation d’autruy: &Et quant à vostre science &
suffisance, ne vous chaille, elle ne perdra pas son effect, si vous
en valez mieux vous mesme: sSouuiennesSouvienne vous de celuy, à qui
comme on demandast, à quoy faire il se pénoit si fort en vnun
art, qui ne pouuoitpouvoit venir à la cognoissance de guiere de gens:
iIjJ’en ay assez de peu, respondit-il, ij’en ay assez d’vnun, ij’en ay assez
de pas vnun: iIl disoit vray: vous & vnun compagnon estes assez suf-
fisant theatre l’vnun à l’autre, ou vous à vous-mesmes. Que le
peuple vous soit vnun, & vnun vous soit tout le peuple: cC’est vneune
lasche ambition de vouloir tirer gloire de son oysiuetéoysiveté, & de
son repossa cachette: iIl faut faire comme les animaux, qui effacent la tra-
ce, à la porte de leur taniere: cCe n’est plus ce qu’il vous faut
Cc iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
chercher, que le monde parle de vous, mais comme il faut que
vous parliez à vous mesmes: rRetirez vous en vous, mais prepa-
rez vous premierement de vous y receuoirrecevoir: cCe seroit folie de
vous fier à vous mesmes, si vous ne vous sçauezsçavez gouuernergouverner: iIl
y a moyen de faillir en la solitude, comme en la compagnie:
iIusquesjJusques à ce que vous vous soiez rendu tel, deuantdevant qui vous
n’osiez clocher,
⁁ rarum est enim
ut satis se quisque
uereatur,
& iusquesjusques à ce que vous ayez honte & respect
de vous mesmes,⁁ ⁁ obuersentur species honestae animo presentez vous tousiourstousjours en l’imagination
Caton, Phocion, & Aristides, en la presence desquels les fols
mesme cacheroient leurs fautes, & establissez les contrerol-
leurs de toutes vos intentions: sSi elles se detraquent, leur reve-
rence les remettra en train: iIl vous contiendront en cette voie,
de vous contenter de vous mesmes, de n’emprunter rien que
de vous, d’arrester & fermir vostre ame en certaines & limi-
tées cogitations, où elle se puisse plaire: &Et ayant entendu les
vrays biens, desquels on iouitjouit à mesure qu’on les entend, s’en
contenter, sans desir de prolongement de vie ny de nom.
Voyla le conseil de la vraye & naifuenaifve philosophie, non d’vneune
philosophie ostentatrice & parliere, comme est celle des deux
premiers.
Consideration sur Ciceron. CHAP. XL.
ENCOR’vnun traict à la comparaison de ces couples: iIl
se tire des escris de Cicero, & de ce Pline (nullementpeu
retirant à mon aduisadvis aux humeurs de son oncle) infi-
nis tesmoignages de nature outre mesure ambitieuse: eEntre
autres qu’ils sollicitent au sceu de tout le mōdemonde, les historiens
de leur temps, de ne les oublier en leurs registres: &Et la fortune
comme par despit, à faict durer iusquesjusques à nous la vanité de ces
requestes, & pieça faict perdre ces histoires: mMais cecy surpas-
se toute bassesse de coeur, en personnes de tel rang, d’auoiravoir
voulu tirer quelque principale gloire du caquet, & de la par-
LIVRE PREMIER. 104
lerie, iusquesjusques à y employer les lettres priuéesprivées écriptes à leurs
amis: eEn maniere, que aucunes ayant failly leur saison pour
estre enuoyéesenvoyées, ils les font ce neantmoins publier auecavec cette
digne excuse, qu’ils n’ont pas voulu perdre leur trauailtravail & veil-
lées. Sied-il pas bien à deux consuls Romains, souuerainssouverains ma-
gistrats de la chose publique emperiere du mōdemonde, d’employer
leur loisir, à ordonner & fagoter gentiment vneune belle missiuemissive,
pour en tirer la reputatiōreputation, de bien entendre le langage de leur
nourrisse? Que feroit pis vnun simple maistre d’école qui en gai-
gnat sa vie? Si les gestes de Xenophon & de Caesar, n’eussent
de bien loing surpassé leur eloquence, ieje ne croy pas qu’ils les
eussent iamaisjamais escris: iIls ont cherché à recommander nōnon leur
dire, mais leur faire,. &Et si la perfection du bien parler pouuoitpouvoit
apporter quelque gloire sortable à vnun grand personnage, cer-
tainement Scipion & Laelius, n’eussent pas resigné l’honneur
de leurs comedies, & toutes les mignardises & delices du lan-
gage Latin, à vnun serf Afriquain: cCar que cet ouurageouvrage soit leur,
sa beauté & son excellence le maintient assez, & Terence l’ad-
uoüead-
voüe luy mesme,. & oOn me feroit desplaisir de me desloger de
cette creance. C’est vneune espece de mocquerie & d’iniureinjure de
vouloir faire valoir vnun homme, par des qualitez mes-aduenā-
tesadvenan-
tes à son rang, quoy qu’elles soient autrement loüables,. &Et par
les qualitez aussi qui ne doiuentdoivent pas estre les siennes principa-
les: cComme qui loüeroit vnun Roy d’estre bon peintre, ou bon
architecte, ou encore bon arquebouzier, ou bon coureur de
bague: cCes loüanges ne font honneur, si elles ne sont presen-
tées en foule, & à la suite de celles qui luy sont propres: àA sça-
uoirsça-
voir de la iusticejustice, & de la science de conduire son peuple en
paix & en guerre: dDe cette façon faict honneur à Cyrus l’agri-
culture, & à Charlemaigne l’éloquence, & connoissance des
bonne lettres. ⁁
⁁ IJ’ay ueuveu de mon
temps ⁁ ⁁ en plus fors termes des personages
qui tiroint d’escrire et
leurs titres et leurs riches=
ses ⁁ ⁁ et leur uocationvocation desaduouerdesadvouer leur
sciance come uilevile et populereaprantissage et corrōprecorrompre
leur plume et affecter lignorancel’ignorance
de qualite si uulguerevulguere & peu recoman=
dable pour et que nostre peuple
tient sur ceet que nostre peuple tient
cette qualite ne se rēcontrerrencontrer guere
en mains sçauantessçavantes: cho cse recomandants
par meillures qualitez
Les compaignōscompaignons de Demosthenes en l’ambas-
sade vers Philippus, loüoient ce Prince d’estre beau, eloquent,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& bon beuueurbeuveur: Demosthenes disoit que c’estoient louanges
qui appartenoient mieux à vneune femme, à vnun aduocatadvocat, à vneune
esponge, qu’à vnun Roy.
Imperet bellante prior, iacentem
Lenis in hostem.
Ce n’est pas sa profession de sçauoirsçavoir, ou bien chasser, ou bien
dancer,
Orabunt causas alij, caelique meatus
Describent radio, & fulgentia sidera dicent,
Hic regere imperio populos sciat.
Plutarque dict d’auantageavantage, que de paroistre si excellent en ces
parties moins necessaires, c’est produire contre soy le tesmoi-
gnage d’auoiravoir mal dispencé son loisir, & l’estude, qui deuoitdevoit
estre employé à choses plus necessaires & vtilesutiles. De façon que
Philippus Roy de Macedoine, ayant ouy ce grand Alexandre
son fils, chanter en vnun festin à l’enuyenvy des meilleurs musiciens,
nN’as tu pas honte, luy dict-il, de chanter si bien? Et à ce mesme
Philippus, vnun musicien contre lequel il debatoit de son art, iIajJa
à Dieu ne plaise Sire, dit-il, qu’il t’aduienneadvienne iamaisjamais tant de
mal que tu entendes ces choses là, mieux que moy. VnUn Roy
doit pouuoirpouvoir respondre, comme Iphicrates respondit à l’ora-
teur qui le pressoit en son inuectiueinvective de cette maniere: &Et bien
qu’es-tu pour faire tant le brauebrave, es-tu homme d’armes, es-tu
archier, es-tu piquier? IeJe ne suis rien de tout cela, mais ieje suis
celuy qui sçait commander à tous ceux-là. Et Antisthenes
print pour argument de peu de valeur en Ismenias, dequoy
on le vantoit d’estre excellent ioüeurjoüeur de flutes: ⁁
⁁ IeJe sçai bien, quand
ij’oi quelcūquelcun qui s’arrete au
langadge des essais, que
ij’aimerois mieus qu’il
s’en teust. Ce n’est pas
tant esleueresleverdeprimer esleuereslever les mots
comme c’est abbattredeprimer. LaLe
matiere sens: dautantd’autant
plus piquammant que plus
subtilement plus subti
lement
plus courtoisement et couuert
ementcouvert
ement obliquement Si suis ieje trompé
si guere d’autres donētdonent
plus a mordreprendre en la matiere. Et comant que ce soit mal ou bien a tort ou a droit si nul escriueinescrivein
l’a semee ny guere plus materielle ⁁ ⁁ ny au moins ny plus drue ⁁ ⁁ au moins en son papier. Pour en ranger dauantagedavantage
ieje n’en assambleentasse que les testes. Non est ornamentum uirile concinnitas qQue ij’y atache leur suite ieje multiplierai
ou tripleraiplusieurs fois ce uolumevolume ⁁
⁁ Et combien y ai ieje espendu d’histoires qui ne disent mot, les quelles qui uoudravoudra esplucher un peu ingenieusement
en produira infinis essais. Ny elles ny mes allegations ne seruentservent pas tousiourstousjours simplement d’exemple ny d’authorite ou
d’ornement. IeJe ne les regarde pas sulement par l’usage que ij’en tire. Ce Elles portent souuantsouvant hors de mon propos
la semance d’une matiere plus riche et plus hardie: et sonent a gauche un ton plus delicat, et pour moi qui n’en ueusveus
exprimer dauantagedavantage, et pour ceus qui rencontreront mon air. ReuenantRevenant a la uertuvertu parliere.,
Non est ornamentum uirile concinnitas. IeJe ne treuuetreuve pas grand chois entre
ne sçauoirsçavoir dire que mal, ou ne sçauoirsçavoir rien que bien dire. Non est ornamentum uirile concinnitas.
Et disent lLes sa-
ges,⁁ ⁁ disent, que pour le regard du sçauoirsçavoir, il n’est que la philosophie,
& pour le regard des effets, que la vertu, qui generalemētgeneralement soit
propre à tous degrez, & à tous ordres. Il y a quelque chose de
pareil en ces autres deux philosophes: cCar ils promettent aussi
eternité aux lettres qu’ils escriuētescrivent à leurs amis,. mMais c’est d’au-
tre
LIVRE PREMIER. 105
tre façon, & s’accommodant pour vneune bonne fin, à la vanité
d’autruy: cCar ils leur mandent, que si le soing de se faire cōnoi-
streconnoi-
stre aux siecles adueniradvenir, & de la renommée, les arreste encore
au maniement des affaires, & leur fait craindre la solitude &
la retraicte, où ils les veulent appeller,: qu’ils ne s’en donnent
plus de peine: car d’autant qu’ils ont assez de credit auecavec la posterité pour
leur respondre, que ne fut que par les lettres qu’ils leur escri-
uentescri-
vent, ils rendront leur nom aussi conneu & fameus que pour-
roient faire leurs actions publiques. Et outre cette difference,:
encore ne sont ce pas lettres vuides & descharnées, qui ne se
soutiennent que par vnun delicat chois de mots, entassez & ran-
gez à vneune iustejuste cadence,: ains farcies & pleines de beaux dis-
cours de sapience,: par lesquelles on se rend non plus eloquēteloquent,
mais plus sage, & qui nous aprennent non à bien dire:, mais à
bien faire. Fy de l’eloquence qui nous laisse enuieenvie de soy, non
des choses: sSi ce n’est qu’on die que celle de Cicero, estant en
si extreme perfection, se donne corps elle mesme. IJ’adiouste-
rayadjouste-
ray encore vnun conte que nous lisons de luy à ce propos, pour
nous faire toucher au doigt son naturel. Il auoitavoit à orer en pu-
blic, & estoit vnun peu pressé du temps, pour se preparer à son
aise: Eros l’vnun de ses serfs le vint aduertiradvertir, que l’audience estoit
remise au lēdemainlendemain: iIl en fut si aise, qu’il luy dōnadonna liberté pour
cette bonne nouuellenouvelle. Sur ce subiectsubject de lettres, ieje veux dire ce
mot, qūque c’est vnun ouurageouvrage, auquel mes amys tiēnenttiennent, que ieje puis
quelqūquelque chose: ⁁
⁁ Et eusse prins plus uolon=
tiersvolon=
tiers cette forme a publier
mes ueruesverves que celle que ii’ai
prinse si ij’eusse eu a qui
parler. Il me faloit come ieje
l’ai eu autresfois un certein
commerce ⁁ ⁁ qui fut et sortable et
ueritableveritable: qui m’attirastqui m’attirast qui
me soustint qui me souslevatet
sousleuatsouslevat. Car de negotier
au uentvent come d’autres ieje ne
saurois que de songes ny
forger des uaeinsvaeins noms a
entretenir, en chose serieuse
enemi iurejure de toute falsification.
IJ’eusse este plus attantif et
plus seur aïant un’adresse
forte et amie que ieje ne suis
regardant les diuersdivers uisagesvisages
d’un peuple. Et suis deceu s’il ne m’eut
mieus succede. IJ’ay
ij’ay naturellemētnaturellement vnun stile comique & priuéprivé:, mMais
c’est d’vneune forme mienne, inepte aux negotiations publiques,
comme en toutes façons est mon langage: tTrop serré, desor-
donné, couppé, & difficileparticulier: &Et ne m’entens pas en lettres cerie-
monieuses, qui n’ont autre substance, que d’vneune belle enfileu-
re de paroles courtoises: iIejJe n’ay ny la faculté, ny le goust de ces
longues offres d’affection & de seruiceservice: iIejJe n’en crois pas tant,
Dd
ESSAIS DE M. DE MONT.
& me desplaist d’en dire guiere, outre ce que ij’en crois: cC’est
bien loing de l’vsageusage present: car il ne fut iamaisjamais si abiecteabjecte &
seruileservile prostitution de presentations: lLa vie, l’ame, deuotiondevotion,
adoration, serf, esclaueesclave, tous ces mots y courētcourent si vulgairemētvulgairement,
que quand ils veulent faire sentir vneune plus expresse volonté &
plus respectueuseserieuse respectueuse, ils n’ont plus de maniere pour l’exprimer.
IeJe hay à mort de sentir au flateur, qQui faict, que ieje me iettejette na-
turellement à vnun parler sec, &rond et crud, ⁁
⁁ rond et crud,
qui tire, à qui ne me cognoit
d’ailleurs, vnun peu vers le dedaigneux: ⁁
⁁ IJ’honore le plus
ceus que ij’honore
le moins: et ou
mon ame marche
d’une grande
allegresse ij’oblie
les pas de la
contenance
cCeux que ij’ayme me met-
tent en peine, s’il faut que ieje le leur die,: &Et m’offre maigrement
& fierementet fierement, à ceux à qui ieje suis: ⁁
⁁ Et me
presante moins
a qui ieje me
suis le plus done
iIl me semble qu’ils le doiuentdoivent
lire en mon coeur, & que l’expression de mes paroles, fait tort
à ma conception. ⁁
⁁ A bienueignerbienveigner, a
prandre congé, a
remercier, a saluer,
à presanter mon
seruiceservice, ieje ne conoisse
persone si sottemant
sterile de langage
que moi. et tels
complimens uerbeusverbeus
des nostre ciuciv loix
ceremonieuses de
nostre ciuilitecivilite, ieje ne
conois persone si
sottement sterile
de langage que moi.
Et n’ai iamaisjamais este
emploie a faire des
lettres de fauurfavur et
recomandatiōrecomandation pour
un autre quilqu’il ne lesque celuy
pour qui c’estoit n’
aye trouueestrouvees seches et
steriles laches.
Ce sont grands imprimeurs de lettres, que
les ItaliēsItaliens: iIjJ’en ay ce crois-ieje, cētcent diuersdivers volumes: cCelles de HaAn-
nibale Caro, me semblent les meilleures. Si tout le papier que
ij’ay autres fois barbouillé pour les dames, estoit en nature, lors
que ma main estoit veritablement emportée par ma passion,
il s’en trouueroittrouveroit à l’aduentureadventure quelque page digne d’estre cō-
muniquéecon-
muniquée à la ieunessejeunesse oysiueoysive, embabouinée de cette fureur.
IJ’escris mes lettres tousiourstousjours en poste, & si precipiteusement,
que quoy que ieje peigne insupportablemētinsupportablement mal, ij’ayme mieux
escrire de ma main, que d’y en employer vnun’autre, cCar ieje n’en
trouuetrouve poinct qui me puisse suyuresuyvre, & ne les transcris iamaisjamais:
ijIJ’ay accoustumé les grands, qui me connoissent, à y supporter
des litures & des trasseures, & vnun papier sans plieure & sans
marge:. cCelles qui me coustent le plus, sont celles qui valent le
moins.: DdDepuis que ieje les traine, c’est signe que ieje n’y suis pas.
IeJe commence volontiers sans proiectproject, le premier traict pro-
duict le second. Les lettres de ce temps, sont plus en bordures
& prefaces, qu’en matiere:. cComme ij’ayme mieux composer
deux lettres, que d’en clorre & plier vneune, & resigne tousiourstousjours
LIVRE PREMIER. 89106
cette chargecommission à quelque autre: de mesme quand la matiere est
acheuée, ieje donrois volontiers à quelqu’vnun la charge d’y ad-
iousterad-
jouster ces longues harengues, offres, & prieres, que nous lo-
geons sur la fin, & desire que quelque nouuelnouvel vsageusage nous en
descharge:. cComme aussi de les inscrire d’vneune legende de qua-
litez & tiltres, pour ausquels ne broncher, ij’ay maintesfois
laissé d’escrire & notamment à gens de iusticejustice & de finance:.
TtantTātTant d’innouationsinnovations d’offices, vneune si difficile dispensation &
ordonnance de diuersdivers noms d’honneur, lesquels estant si
cherement acheptez, ne peuuentpeuvent estre eschangez, ou oubliez
sans offence. IeJe trouuetrouve pareillement de mauuaisemauvaise grace, d’en
charger le front & inscription des liureslivres, que nous faisons im-
primer.
De ne communiquer sa gloire.
CHAP. XLI.
DE toutes les resueriesresveries du monde, la plus receuë & plus
vniuerselleuniverselle, est le soing de la reputation & de la gloire,
qQue nous espousons iusquesjusques à quitter les richesses, le repos, la
vie & la santé, qui sont bien effectuels & substantiaux, pour
fuyurefuyvre cette vaine image, & cette simple voix, qui n’a ny
corps ny prise:
La fama ch’inuaghisce a vnun dolce suono inuaghisce
Gli superbi mortali, & par si bella,
E vnun echo, vnun sogno, anzi d’vnun sogno vnun ombra
Ch’adogni vento si dilegua & sgombra.
Et des humeurs des-raisonnables des hommes, il semble que
les philosophes mesmes se défacent plus tard & plus enuis de
ceste-cy, que de nulle autre: cC’est la plus revesche & opiniastre, ⁁
⁁ Quia etiam benebene
proficientes animos
tentare non cessat.
iIl n’en est guiere de laquelle la raison accuse si clairement la
vanité:, mais elle à ses racines si vifuesvifves en nous, que ieje ne sçay si
iamaisjamais aucun s’en est peu nettement deffairedescharger. Apres que vous
Dd ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
auezavez tout dict, & tout creu pour la desaduouerdesadvouer, elle produict
contre vostre discours vneune inclination si intestine, que vous
auezavez peu que tenir à l’encontre: car comme dit Cicero, ceux
mesmes qui la combatent, encores veulent-ils, que les liureslivres,
qu’ils en escriuentescrivent, portent au front leur nom, & se veulent
rendre glorieux de ce qu’ils ont mesprisé la gloire. Toutes au-
tres choses tombent en commerce: nous prestons nos biens
& nos vies au besoin de nos amis: mais de communiquer son
honneur & d’estrener autruy de sa gloire, il ne se voit guieres.
Catulus Luctatius en la guerre contre les Cymbres, ayātayant faict
tous ses efforts d’arrester ses soldats qui fuyoient deuātdevant les en-
nemis, se mit luy-mesmes entre les fuyards, & contrefit le
coüard, affin qu’ils semblassent plustost suiuresuivre leur capitaine,
que fuyr l’ennemy: c’estoit abandonner sa reputation, pour
couurircouvrir la hōtehonte d’autruy. QuādQuand l’Empereur Charles cinquies-
me passa en ProuenceProvence, l’an mil cinq cens trente sept, on tient
que Anthoine de LeueLeve voyant son maistre resolu de ce voia-
ge, & l’estimant luy estre merueilleusementmerveilleusement glorieux, opinoit
toutefois le contraire, & le desconseilloit, à cette fin que tou-
te la gloire & honneur de ce conseil, en fut attribué à son mai-
stre, & qu’il fut dict, son bon aduisadvis & sa preuoianceprevoiance auoiravoir esté
telle, que contre l’opinion de tous, il eust mis à fin vneune si bel-
le entreprinse: qui estoit l’honnorer à ses despens. Les Ambas-
sadeurs Thraciens, consolans Archileonide mere de Brasidas,
de la mort de son fils, & le haut-louans, iusquesjusques à dire, qu’il
n’auoitavoit paspoint laissé son pareil: elle refusa cette louange pri-
uéepri-
vée & particuliere, pour la rendre au public: ne me dites
pas cela, fit-elle, ieje sçay que la ville de Sparte à plusieurs ci-
toyens plus grands & plus vaillans qu’il n’estoit. En la ba-
taille de Crecy, le Prince de Gales, encores fort ieunejeune a-
uoita-
voit l’auantavant-garde à conduire: le principal effort du rencon-
tre, fust en cestt endroit: les seigneurs qui l’accompagnoient se
LIVRE PREMIER. 107
trouuanstrouvans en dur party d’armes, mandarent au Roy Edoüard
de s’approcher, pour les secourir: il s’enquit de l’estat de son
fils, & luy ayant esté respondu, qu’il estoit viuantvivant & à cheualcheval:
IeJe luy ferois, dit-il, tort de luy aller maintenant desrober l’hō-
neurhon-
neur de la victoire de ce combat, qu’il à si long temps sou-
stenu: quelque hazard qu’il y ait, elle sera toute sienne: & n’y
voulut aller ny enuoierenvoier: sçachātsçachant s’il y fust allé, qu’on eust dict
que tout estoit perdu sans son secours, & qu’on luy eut attri-
bué l’aduantageadvantage de tout cet exploit.⁁
⁁ : semper enim quod
postremum adiectum
est, id rem totam
uidetur traxisse.
Plusieurs estimoyent à
Romme, & se disoit communément, que les principaux
beaux-faits de Scipion estoyētestoyent ⁁ ⁁ en partie deus à Laelius, qui toutesfois
alla tousiourstousjours promouueantpromouveant & secondant la grandeur & gloi-
re de Scipion, sans aucun soing de la sienne. Et Theopompus
Roy de Spartes, à celuy qui luy disoit que la chose publique
demeuroit sur ses pieds, pour autant qu’il sçauoitsçavoit bien com-
mander: c’est plustost, dict-il, parce que le peuple sçait bien
obeyr. ⁁
⁁ Come les fames qui succedoint aus pairies auointavoint ⁁ ⁁ nonobstant leur sexe droit d’assister et opiner aus causes
qui apartienent a la iurisdictionjurisdiction des pairs: aussi les pairs ecclesiastiques nonobstant
leur profession pacifique et uerbaleverbale estoint tenus d’assister nos roys en leurs guerres, non sulemant
de leurs amis et seruitursserviturs mais de leur persone aussi. L’euesqueL’evesque de BeauuaisBeauvais se trouuanttrouvant aueqaveq
Philippes Auguste en la bataille de BouuinesBouvines, participoit bien fort corageusemant a leffaictl’effaict, mais
il luy sembloit ne deuoirdevoir toucher au fruit et gloire de cet exercice, senglant et uiolantviolant. Il mena de
sa main plusieurs des enemis a raison ce iourjour la, et les donoit au premier gentillhome qu’il trouuoittrouvoit
pres de luy a esgosiller ou prendre prisoniers: come si luy en resignant toute l’exploitsecution: et le
fit einsin de guillaume conte de Salsbery a messire IanJan de Nesle: d’une pareille subtilité de
consciance a cett’autre: il uouloitvouloit bien assomer, mais non pas blesser,: et pourtant ne combatoit que
de masse. Quelcun en mes ioursjours estant re reprochè par le Roy d’auoiravoir mis les mains sur un prestre
le nioit fort & ferme: c’estoit qu’il l’auoitavoit battu & foulé aux pieds.
De l’inequalité qui est entre nous.
CHAP. XLII.
PLVTARQVEPLVTARQUE dit en quelque lieu, qu’il ne trouuetrouve
point si grande distance de beste à beste, comme il
trouuetrouve d’homme à homme. Il parle de la suffisance
de l’ame & qualitez internes. A la verité ieje trouuetrouve si loing
d’Epaminundas, comme ieje l’imagine, iusquesjusques à tel que ieje cō-
noiscon-
nois, ieje dy capable de sens commun, que ij’encherirois volon-
tiers sur Plutarque: & pensedirois qu’il y à plus de distance de tel à
tel homme, qu’il n’y a de tel homme à telle beste:⁁
fin de uersversCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ . hem uir uiro
quid praestat.
Et qu’il y a autant de
degrez despritsd’esprits qu’il y en a
d’icy aussi ciel ⁁ ⁁ de brasses et autant
innumerables.
c’est à dire,
que le plus excellētexcellent animal, est plus approchant de l’homme,
de la plus basse marche, que n’est cet homme, d’vnun autre hō-
mehom-
me grand & excellent. Mais à propos de l’estimation des hō-
meshom-
mes, c’est merueillemerveille, que sauf nous, aucune chose ne s’estime que
Dd iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
par ses propres qualitez. Nous loüons vnun cheualcheval de ce qu’il est
vigoureux & adroit,
volucrem ---- en çaLe tiret allongé signifie "tirés"
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Feruet, & exultat rauco victoria circo,
non de son harnois: vnun leurierlevrier de sa vitesse, non de son colier:
vnun oyseau de son aile, nōnon de ses longes & sonettes. Pourquoy
de mesmes n’estimons nous vnun homme par ce qui est sien? Il
à vnun grand train, vnun beau palais, tant de credit, tant de rente:
tout cela est autour de luy, non en luy. Vous n’achetez pas vnun
chat en poche: sSi vous marchandez vnun cheualcheval, vous luy ostez
ses bardes, vous le voyez nud & à descouuertdescouvert: oOu s’il est cou-
uertcou-
vert, comme on les presentoit anciennement aux Princes à
vandre, c’est par les parties moins necessaires, afin que vous ne
vous amusez pas à la beauté de son poil, ou largeur de sa crou
pe, & que vous vous arrestez principalement à considerer les
iambesjambes, les yeux, & le pied, qui sont les membres les plus no-
bles, & les plus vtilesutiles,
Regibus hic mos est, vbi equos mercantur, opertos
Inspiciunt, ne si facies vt saepe decora
Molli fulta pede est, emptorem inducat hiantem,
Quod pulchrae clunes, breue quod caput, ardua ceruix.
Pourquoy estimant vnun homme l’estimez vous tout enuelop-
péenvelop-
pé & empacqueté? Il ne nous faict mōstremonstre que des parties, qui
ne sont aucunement siēnessiennes:, & nous cache celles, par lesquelles
seules on peut vrayement iugerjuger de son estimation. C’est le
pris de l’espée que vous cherchez, non de la guaine: vVous n’en
donnerez à l’aduentureadventure pas vnun quatrain, si vous l’auezavez des-
pouillé: iIl le faut iugerjuger par luy mesme, non par ses atours. Et
comme dit tres-plaisamment vnun ancien:, sSçauezsSçavez vous pour-
quoy vous l’estimez grand, vous y comptez la hauteur de ses
patins: lLa base n’est pas de la statue. Mesurez le sans ses escha-
LIVRE PREMIER. 108
ces: qQu’il mette à part ses richesses & honneurs, qu’il se presen-
te en chemise: AaA il le corps propre à ses functions, sain & alle-
gréalle-
gre? qQu’elle ame à il? Eest elle belle, capable, & heureusement
garniepourueuepourveue de toutes ses pieces? Est elle riche du sien, ou de l’au-
truy? Lla fortune n’y à elle que voir? Si les yeux ouuertsouverts elle at-
tend les espées traites: s’il ne luy chaut par ou luy sorte la vie,
par la bouche, ou par le gosier: si elle est rassise, equable & cō-
tentecon-
tente: c’est ce qu’il faut veoir, & iugerjuger par la les extremes diffe-
rences qui sont entre nous. Est-il.
sapiens, sibique imperiosus,
Quem neque pauperies, neque mors, neque vincula terrent,
Responsare cupidinibus, contemnere honores
Fortis, & in seipso totus teres atque rotundus,
Externi ne quid valeat per laeue morari,
In quem manca ruit semper fortuna.:
VunUun tel homme est cinq cens brasses au dessus des Royaumes
& des duchez: il est luy mesmes à soy, son empire. ⁁
uersversCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ Sapiens pol ipse
fingit fortunam sibi
Que luy reste il a
desirer?
& ses ri-
chesses: il vit satis-fait, content & allegre. Et à qui à cela, que
reste-il?
Nnon ne videmus tir en ça
Nil aliud sibi naturam latrare, nisi vt quoi
Corpore seiunctus dolor absit, mente fruatur,
Iucundo sensu cura semotus metúque?
Comparez à celuy là, la tourbe de nos hommes, ignorāteignorante, stu-
pide & endormie, basse, seruileservile, pleine de fieburefiebvre & de fraieur,
instable, & continuellement flotante en l’orage des passions
diuersesdiverses, qui la poussent & tempestentrepoussent,: pendant toute d’au-
truy: il y à plus d’esloignement que du Ciel à la terre: & tou-
tefois l’aueuglementaveuglement de nostre vsageusage est tel, que nous en fai-
sons peu ou point d’estat. Là où, si nous considerons vnun pai-
san & vnun Roy ⁁
⁁ un noble et un uillainvillain,
un magistrat et un home
priueprive un riche et pun
pourepovre
, il se presente soudain à nos yeux vnun’extreme
disparité,: qui ne sont differētsdifferents par maniere de dire qu’en leurs
ESSAIS DE M. DE MONTA.
chausses. ⁁
⁁ Bracteata ista
faelicitas est.
⁁ En Thrace le Roy est estoit distingué de son peuple d’vneune plaisante maniere,
et bien rencherie il auoitavoit une religion a part un dieu tout as a luy
qu’il n’apartenoit a ses subietssubjets d’adorer c’estoit Mercure et luy desdeignoit
les leurs Mars Bacchus Diane: Ce ne sont pourtātpourtant que peintures qui ne font
aucune distinctiondissemblance essentielle.
Car comme les ioueursjoueurs de comedie, vous les voyez
sur l’eschaffaut faire vneune mine de Duc & d’Empereur, mais
tantost apres, les voyla deuenuzdevenuz valets & crocheteurs misera-
bles, qui est leur nayfuenayfve & originelle condition: aussi l’Empe-
reur, duquel la pompe vous esblouit en public,
ScilietScilicet & grandes viridi cum luce smaragdi
Auro includuntur, teritúrque Thalassima vestis
Assiduè, & Veneris sudorem exercita potat,
voyez le derriere le rideau, ce n’est rien qu’vnun homme com-
mun, & à l’aduentureadventure plus vil que le moindre de ses subiectssubjects. ⁁
⁁ Bracteata ista
faelicitas est. Ille
beatus introrsum
est. Bracteata ista
faelicitas est. Istius
bracteata faelicitas
est
La coüardise, l’irresolution, l’ambition, le despit & l’enuieenvie l’a-
gitent comme vnun autre:
Non enim gazae, neque consularis
Summouet lictor, miseros tumultus
Mentis & curas laqueata circum
Tecta volantes:
&Et le soing & la crainte le tiennent à la gorge au milieu de ses
armées.,
Re veráque metus hominum, curaeque sequaces,
Nec metuunt sonitus armorum, nec fera tela,
Audactérque inter reges, rerúmque potentes
Versantur, neque fulgorem reuerentur ab auro.
La fieburefiebvre, la migcraine & la goutte l’espargnent elles nōnon plus
que nous? Quand la vieillesse luy sera sur les espaules, les ar-
chiers de sa garde l’en deschargeront ils? qQuand la frayeur de
la mort le transira, se r’asseurera il par l’assistance des gentils-
hommes de sa chambre? Quand il sera en ialousiejalousie & caprice,
nos bonnettades le remettrōtremettront elles? Ce ciel de lict de velours
tout enflé d’or & de perles, n’a aucune vertu à rappaiser les trā-
chéestran-
chées d’vneune verte colique.:
Nec calidae citius decedunt corpore febres,
Textilibus si in picturis ostróque rubētirubenti
Iacteris
LIVRE PREMIER. 109
Iacteris, quam si plebeia in veste cubandum est.
Les flateurs du grand Alexandre, luy faisoyent à croire qu’il
estoit fils de IupiterJupiter: vnun iourjour estant blessé, regardant escouler
le sang de sa plaie,: &Et bien qu’en dites vous? fit-il, est-ce pas icy
vnun sang vermeil, & purement humain? il n’est pas de la façontrampe
de celuy que Homere fait escouler de la playe des dieux. Her-
modorus le poëte, auoitavoit fait des vers en l’honneur d’Antigo-
nus, ou il l’appelloit fils du Soleil: & luy au contraire, celuy,
dit-il, qui vuide ma chaize percée, sçait bien qu’il n’en est riērien.
C’est vnun homme pour tous potages: & si de soy-mesmes c’est
vnun hōmehomme mal né, l’empire de l’vniuersunivers ne le sçauroit rabiller.:
puellae
Hunc rapiant, quicquid calcauerit hic, rosa fiat.,
Qquoy pour cela, si c’est vneune ame grossiere & stupide? la volu-
pté mesme & le bon heur, ne s’ase perçoiuētperçoivent point sans vigueur
& suffisance:sans esprit:
haec perinde sunt, vt illius animus qui ea possidet,
Qui vti scit, ei bona, illi qui non vtitur rectè, mala.
Les biens de la fortune tous tels qu’ils sont, encores faut il a-
uoira-
voir du goustsentimant pour les sauourersavourer: c’C’est le iouïrjouïr, non le posseder,
qui nous rend heureux.:
Non domus & fundus, non aeris aceruus & auri,
Aegroto domini deduxit corpore febres,
Non animo curas, valeat possessor oportet,
Qui comportatis rebus benè cogitat vti.
Qui cupit, aut metuit, iuuat illum sic domus aut res,
Vt lippum pictae tabulae, fomenta podagram.
Sincerum est nisi vas, quodcumque infundis acessitacescit.
Il est vnun sot, son goust est mousse & hebeté,: il n’en iouitjouit non
plus qu’vnun morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu’vnun
cheualcheval de la richesse du harnois, duquel on l’a paré.
⁁ Tout ainsi come Platon
dict que la sante la
beaute la force les riches=
ses et esc tout ce qui
s’apele bien est egalemant
mal a l’iniusteinjuste come bien au
iustejuste et dule mal au rebours
Et puis, ou
le corps & l’esprit sont en mauuaismauvais estat, à quoy faire ces com-
E e
ESSAIS DE M. DE MONTA.
moditez externes? veu que la moindre picqueure d’espingle,
veu que la moindreet passion de l’ame, est suffisante à nous oster
le plaisir de la monarchie du monde: AaA la moindrepremiere strette
que luy donne la goutte, il à beau estre Sire & Majesté,
Totus & argento conflatus, totus & auro.,
perd il pas le souuenirsouvenir de ses palais & de ses grandeurs? S’il est
en colere, sa principauté le garde elle de rougir, de paslir, de
grincer les dents, comme vnun fol? Or si ç’est vnun habile homme
& bien né, la royauté n’adiouteadjoute rienpeu à son bon’heur:
Si ventri bene, si lateri est pedibúsque tuis, nil
Diuitiae poterūtpoterunt regales addere maius,
il voit que ce n’est que biffe & piperie,: voireoOui à l’aduentureadventure il
sera de l’aduisadvis du Roy Seleucus, que qui sçauroit le poix d’vnun
sceptre, ne daigneroit l’amasser quand il le trouueroittrouveroit à terre:
il le disoit pour les grandes & penibles charges, qui touchent
vnun bon Roy. Certes ce n’est pas peu de chose que d’auoiravoir à re-
gler autruy, puis qu’à regler nous mesmes il se presente tāttant de
difficultez. Quant au commander, qui semble estre si doux,:
considerant l’imbecillité du iugementjugement humain, & la difficul-
té du chois es choses nouuellesnouvelles & doubteuses, ieje suis fort de
cet aduisadvis, qu’il est bien plus aisé & plus plaisant de suiuresuivre, que
de guider,: & que c’est vnun grand seioursejour d’esprit de n’auoiravoir à te-
nir qu’vneune voye tracée, & à respondre que de soy:
Vt satiùs multo iam fit, parere quietūquietum,
Quam regere imperio res velle:.
IointJoint que Cyrus disoit, qu’il n’appartenoit de commander à
homme, qui ne vaille mieux que ceux à qui il commande.
Mais le Roy Hieron en Xenophon dict dauantagedavantage,: qu’àen la
iouyssancejouyssance des voluptez mesmes, ils sont de pire condition
que les priuezprivez:, d’autant que l’aysance & la facilité, leur oste
l’aigre-douce pointe que nous y trouuonstrouvons,.
Pinguis amor nimiúmque potens, in toediataedia nobis
LIVRE PREMIER. 110
Vertitur, & stomacho dulcis vt esca nocet.
Pensons nous que les enfans de coeur prennent grand plaisir
à la musique? Lla sacieté la leur rend plustost ennuyeuse. Les
festins, les danses, les masquarades, les tournois reiouyssentrejouyssent
ceux qui ne les voyent pas souuētsouvent, & qui ont desiré de les voir:
mais à qui en faict ordinaire, le goust en deuientdevient fade & mal
plaisant: ny les dames ne chatouillētchatouillent celuy qui en ioytjoytjouyt à coeur
saoul. Qui ne se donne loisir d’auoiravoir soif, ne sçauroit prendre
plaisir à boire. Les farces des bateleurs nous res-iouissentjouissent, mais
aux iouëursjouëurs elles seruentservent de coruéecorvée. Et qu’il soit ainsi, ce sont
delices aux Princes, & c’est leur feste, de se pouuoirpouvoir quelque
fois trauestirtravestir, & démettre à la façon de viurevivre basse & po-
pulaire.,
Plerúmque gratae principibus vices
Mundaeque paruo sub lare pauperum
CaenaeCoenae, sine aulaeis & ostro,
Solicitam explicuere frontem. ⁁
⁁ Il n’est rien si empes=
chant si desgouté que
l’abondance. Quel appetit
ne se rebuteroit a uoirvoir trois
cens femmes a sa merci
come les ha le grand seigneur
en son serrail Et quel
appetit et uisagevisage de chasse
s’estoit reseruéreservé celuy de ses ancestres qui
n’aloit iamaisjamais aus champs
a moīsmoins de sept mille faucon=
niers.
Et outre cela, ieje croy à dire la verité, que ce lustre de grādeurgrandeur,
apporte non legieres incommoditez à la iouyssancejouyssance des prin-
cipales voluptezplaisirs plus dous: ils sont trop esclairez & trop en butte. Et ieje
ne sçay comment, on requiert plus d’eux de cacher & couurircouvrir
leur faute:. Ccar ce qui est à nous indiscretion, à eux le peuple
iugejuge que ce soit tyrannie, mespris, & desdain des loix: & ou-
tre l’inclination au vice, il semble qu’ils y adioustentadjoustent, encore
le plaisir de gourmander, & sousmettre à leur pieds les obser-
uancesobser-
vances publiques. ⁁
⁁ De uraivrai Platon en son
Gorgias definit tyran
celuy a qui tou celuy qui
a licence en une cite de
faire tout ce qui luy plait.
Et souuentsouvent à cette cause, la montre & pu-
blication de leur vieuicevice, blesse plus, que le vice mesme. Chacun
craint à estre espié & contrerollé: ils le sont iusquesjusques à leur cō-
tenancescon-
tenances & à leurs pensees,: tout le peuple estimātestimant auoiravoir droict
& interest d’en Iiuger,iuger. Outre ce que les taches s’agrādissentagrandissent se-
lon l’eminence & clarté du lieu, où elles sont assises:, & qu’vnun
seing & vneune verrue au visagefront, paroissent plus que ne faict ail-
E e ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
leurs vneune balafre. Voyla pourquoy, les poëtes feignent les a-
mours de IupiterJupiter conduites soubs autre visage que le sien,: &
de tant de practiques amoureuses qu’ils luy attribuent, il n’en
est qu’vneune seule, ce me semble, ou il se trouuetrouve en sa grandeur
& Majesté. Mais reuenonsrevenons à Hyeron: il recite aussi com-
bien il sent d’incommoditez en sa royauté, pour ne pouuoirpouvoir
aller & voyager en liberté, estant comme prisonnier dans les
limites de son païs: & qu’en toutes ses actions il se trouuetrouve en-
ueloppéen-
veloppé d’vneune facheuse presse. De vray, à voir les nostres tous
seuls à table, assiegez de tant de parleurs & regardans incon-
nuz, ij’en ay eu souuentsouvent plus de pitié que d’enuieenvie. Le Roy Al-
phonse disoit que les asnes estoyent en cela de meilleure con-
dition que les Roys: leurs maistres les laissent paistre à leur
aise, là où les Roys ne peuuentpeuvent pas obtenir cela de leurs ser-
uiteursser-
viteurs. Et ne m’est iamaisjamais tombé en fantasie, que ce fut quel-
que notable commodité à la vie d’vnun homme d’entendemētentendement,
d’auoiravoir vneune vingtaine de contrerolleurs à sa chaise percée: ny
que les seruicesservices d’vnun homme qui à dix mille liureslivres de rente,
ou qui à pris Casal, ou defendu Siene, luy soyent plus com-
modes & acceptables, que d’vnun bon valet & bien experimen-
té. Les auantagesavantages principesques sont quasi auantagesavantages imagi-
naires: cChaque degré de fortune à quelque image de princi-
pauté. CęsarCaesar appelle Roytelets, tous les Seigneurs ayātayant iusticejustice
en France de son temps. De vray, sauf le nom de Sire, on va
biēbien auātavant, auecavec nos Roys. Et voyez aux ProuincesProvinces esloingnées
de la Cour, nommons Bretaigne pour exemple, le train, les
subiectssubjects, les officiers, les occupations, le seruiceservice & cerimonie
d’vnun Seigneur retiré & casanier, nourry entre ses valets,: &
voyes aussi le vol de son imagination, il n’est rien plus Royal:
il oyt parler de son maistre vneune fois l’an, comme du Roy de
Perse,: & ne le recognoit, que par quelque vieux cousinage,
LIVRE PREMIER. 111
que son secretaire tient en registre. A la verité nos loix sont
libres assez, & le pois de la souuerainetésouveraineté ne touche vnun gentil-
hōmegentil-
homme François, à peine deux fois en sa vie:. lLa subiectiōsubjection essen-
tielle & effectuelle, ne regarde d’entre nous, que ceux qui s’y
conuientconvient, & qui ayment à s’honnorer & enrichir par tel serui-
ceservi-
ce: car qui se veut tapir en son foyer, & sçait conduire sa mai-
son sans querelle, & sans procés, il est aussi libre que le Duc
de Venise.⁁
⁁ : paucos
seruitus,
plures ser=
uitutem
tenent.
Mais sur tout Hieron faict cas, dequoy il se voit
priuéprivé de toute amitié & societé mutuelle: en laquelle consi-
ste le plus parfait & doux fruict de la vie humaine. Car quel
tesmoignage d’affection & de bonne volonté, puis-ieje tirer de
celuy, qui me doit, veuille-il ou non, tout ce qu’il peut? Puis-ieje
faire estat de son humble parler & courtoise reuerencereverence, veu
qu’il n’est pas en luy de me la refuser? L’honneur que nous re-
ceuonsre-
cevons de ceux qui nous craignent, ce n’est pas honneur: ces
respects se doiuentdoivent à la royauté non à moy.:
maximum hoc regni bonum est
Quod facta domini cogitur populus sui
Quam ferre tam laudare.
Vois-ieje pas que le meschant, le bon Roy, celuy qu’on haït, ce-
luy qu’on ayme, autant en à l’vnun que l’autre: de mesmes appa-
rences, de mesme cerimonie, estoit seruyservy mon predecesseur,
& le sera mon successeur:. sSi mes subiectssubjects ne m’offencent pas,
ce n’est tesmoignage d’aucune bonne affection: pPourquoy
le prendray-ieje en cette part-là, puis qu’ils ne pourroiētpourroient quand
ils voudroiētvoudroient? Nul ne me suit pour l’amitié, qui soit entre luy
& moy:, car il ne s’y sçauroit coudre amitié, où il y a si peu de
relation & de correspondance. Ma hauteur m’a mis hors du
commerce des hommes: il y a trop de disparité & de dispro-
portion:. Ils me suiuentsuivent par contenance & par coustume, ou
pour en tirer leurs aggrandissemens & commoditez particu-
lieres,:plus tost que moy, ma fortune, pour en accroistre la leur:
tTout ce qu’ils me dient, tout ce qu’ils meet font, ce n’est
Ee iij
ESSAIS DE M. MONTA.
que fard & piperie,: lLeur liberté estātestant toute bridée ⁁ ⁁ de toutes pars, par la gran-
de puissance que ij’ay sur eux:, ieje ne voy riērien autour de moy, que
couuertcouvert & masqué. Ses courtisans loüoient vnun iourjour IulienJulien
l’Empereur de faire bonne iusticejustice: ieje m’en orgueilliroisenorgueillirois volō-
tiersvolon-
tiers, dict-il, de ces loüanges, si elles venoiētvenoient de personnes, qui
ozassent accuser ou mesloüer mes actions contraires, quand
elles y seroiētseroient. Toutes les vraies commoditez qu’ont les Prin-
ces, leurs sont communes auecavec les hommes de moyenne for-
tune: c’est à faire aux Dieux de monter des cheuauxchevaux aislez, &
se paistre d’Ambrosie: ils n’ont point d’autre sommeil & d’au-
tre appetit que le nostre: leur acier n’est pas de meilleure trem-
pe, que celuy dequoy nous nous armons, leur couronne ne les
couurecouvre, ny du soleil, ny de la pluie. Diocletian qui en portoit
vneune si reueréereverée & si fortunée, la resigna pour se retirer au plaisir
d’vneune vie priuéeprivée: & quelque temps apres, la necessité des affai-
res publiques, requerant qu’il reuintrevint en prendre la charge, il
respondit à ceux qui l’en prioient: vous n’entreprendriez pas
de me persuader cela, si vous auiezaviez veu le bel ordre des arbres,
que ij’ay moymesme planté chez moy, & les beaux melōsmelons que
ij’y ay semez. A l’aduisadvis d’Anacharsis, le plus heureux estat d’vneune
police, seroit, ou toutes autres choses estant esgales, la prece-
dence se mesureroit à la vertu, & le rebut au vice. Quand le
Roy Pyrrhus entreprenoit de passer en Italie, Cyneas son sage
conseiller luy voulant faire sentir la vanité de son ambition:
& bien Sire, luy demanda-il, à quelle fin dressez vous cette
grande entreprinse? Pour me faire maistre de l’Italie, respōditrespondit-
il soudain: & puis suyuitsuyvit Cyneas, cela faict? IeJe passeray dict
l’autre, en Gaule & en Espaigne: & apres? ieje m’en iray subiu-
guersubju-
guer l’Afrique, & en fin, quand ij’auray mis le monde en ma
subiectionsubjection, ieje me reposeray & viurayvivray content & à mon aise.
Pour Dieu, Sire, fitrechargea lors Cyneas, dictes moy, à quoy il tient
que vous ne soyez dés à present, si vous voulez en cest estat?
LIVRE PREMIER. 103112
Ppourquoy ne vous logez vous des cette heure, ou vous dictes
aspirer, & vous espargnez tāttant de trauailtravail & de hazard, que vous
iettezjettez entre deux?
Nimirum quia non bene norat quae esset habendi
Finis, & omnino quoad crescat vera voluptas.
IeJe m’en vais clorre ce pas par vnun verset ancien, que ieje trouuetrouve
singulierement beau à ce propos.,
Mores cuique sui fingunt fortunam.
Des loix somptuaires. CHAP.
XXXIXXLIII.
LA façon dequoy nos loix essayent à regler les foles &
vaines despences des tables, & vestemens, semble estre
contraire à sa fin. Le vray moyen, ce seroit d’engendrer
aux hommes le mespris de l’or & de la soye, comme de choses
vaines & inutiles: & nous leur augmentons l’honneur & le
prix, qui est vneune bien inepte façōfaçon pour en dégouster les hom-
mes: car dire ainsi, qu’il n’y aura que les Princes ⁁ qui mangent du turbot et qui puissent
porter du velours & de la tresse d’or, & l’interdire au peuple,
qu’est-ce autre chose que mettre en credit ces vanitezchoses là, &
faire croistre l’enuieenvie à chacun d’en vseruser? Que les Roys quittētquittent
hardiment ces marques de grandeur, ils en ont assez d’autres,
tels excez sont plus excusables à tout autre qu’à vnun prince. Par
l’exemple de plusieurs natiōsnations, nous pouuonspouvons apprendre assez
de meilleures façons de nous distinguer exterieurement, &
nos degrez (ce que ij’estime à la verité, estre bien requis en vnun
estat) sans nourrir pour cet effect, cette corruption & incom-
modité si apparente: cC’est merueillemerveille comme la coustume en
ces choses indifferentes plante aisément & soudain le pied de
son authorité. A peine fusmes nous vnun an, pour le dueil du
roy Henry secōdsecond à porter du drap à la cour, il est certain que
desiadesja à l’opinion d’vnun chacun, les soyes estoient venuës à telle
vilité, que si vous en voyez quelqu’vnun vestu, vous en faisiez
ESSAIS DE M. DE MONTA.
soudain argumētargument, q̄que c’estoitincontinant quelque hōmehomme de peu,uilleville. eElles estoiētestoient
demeurées en partage aux medecins & aux chirurgiens: &
quoy qu’vnun chacun fust à peu pres vestu de mesme, si y auoitavoit-
il d’ailleurs assez de distinctions apparentes, des qualitez
des hommes. Combien soudainement viennent en hon-
neur parmy nos armées, les pourpoins crasseux de chamois
& de toile, & la pollisseure & richesse des vestements à repro-
che & à mespris. Que les Rois & les Princes commencent à
quitter ces despences, ce sera faict en vnun moins, sans edict, &
sans ordonnance,: nous irons trestous apres. La Loy deuroitdevroit
dire tout au rebours, que le cramoisy & l’orfeuerieorfeverie est defen-
duë à toute espece de gens, sauf aux basteleurs & aux courtisa-
nes. De pareille inuentioninvention corrigea Zeleucus, les meurs cor-
rompuës des Locriens: ses ordonnances estoient telles: que la
femme de condition libre, ne puisse mener apres elle plus d’v-
neu-
ne chambriere, sinon lors qu’elle sera yureyvre: ny ne puisse sortir
hors de la ville de nuict, ny porter ioyauxjoyaux d’or à l’entour de sa
personne, ny robbe enrichie de broderie, si elle n’est publique
& putain: que sauf les ruffiēsruffiens, à l’homme ne loise porter en son
doigt anneau d’or, ny robbe delicate, comme sont celles des
draps tissus en la ville de Milet. Et ainsi par ces exceptiōsexceptions hon-
teuses, il diuertissoitdivertissoit ingenieusement les personnesses citoiens, des super-
fluitez & delices pernicieuses. C’estoit vneune tres-vtileutile maniere
d’attirer par honneur & ambition, les hommes à l’obeissance.
Nos Roys peuuentpeuvent tout en telles reformations externes: leur
inclination y sert de loy,⁁
⁁ , quidquid ⁁ ⁁ principes faciūtfaciunt
praecipere uidentur:
car come dict un
antien tout ce
que le prince faict
il semble a uoirvoir qu’il
le comande. Quidquid
principes faciunt praecipere
uidentur.
car lLe reste de la France prend pour
patron, ce qui se faict àregle la regle de la court: ces façons vitieuses naissent
pres d’eux:. qQu’ils se desplaisent de cette vilaine chaussure, qui
montre si à descouuertdescouvert nos membres plus honteuxoccultes,: ce mon-
strueuxlourd grossissement de pourpoins, qui nous faict tous au-
tres que nous ne sommes, si incommode à ceux qui ont à s’ar-
mer: ces longues tresses de poil effeminées: cet vsageusage de baiser
ce
LIVRE PREMIER. 113
ce que nous presentons à nos compaignons, & nos mains en
les saluant, ceremonie deuë autresfois aux seuls Princes: &
qu’vnun gentil-homme se trouuetrouve en lieu de respect, sans espée à
son costé, tout esbraillé, & destaché, comme s’il venoit de la
garderobbe: & que contre la forme de nos peres, & la parti-
culiere liberté de la noblesse de ce Royaume, nous nous tenōstenons
descouuertsdescouverts bien loing autour d’eux, en quelque lieu qu’ils
soient: & cōmecomme autour d’eux, autour de cent autres, tant nous
auonsavons de tiercelets & quartelets de Roys: & ainsi d’autres pa-
reilles introductions nouuellesnouvelles & vitieuses:, elles se verront in-
continent esuanouyesesvanouyes & descriées. Ce sont erreurs superfi-
cielles, mais pourtant de mauuaismauvais prognostique, & sommes
aduertisadvertis que le massif se desment, quand nous voyons fendil-
ler l’enduict, & la crouste de nos parois. ⁁
⁁ Platon en ses loix n’estime
peste du monde plus domagea=
ble a la cite que de doner licence
a la iunessejunesse laisser prendre
liberte a la iunessejunesse de
changer en acoustrements en
gestes en danses ⁁ ⁁ en exercices et en chançons
d’une forme a autre: remuant
son iugementjugement d’une en autretantost en cete assiete
tantost en celela courant apres les nouueleteznouveletez et
honorant leurs inuantursinvanturs: par ou les meurs se
corrompent et toutes antienes
institutions uienentvienent a desdein &
a mespris. En toutes choses sauf
simplement aus mauuesesmauveses
la mutation est a creindre.
La mutation des saisons des
uensvens des uiuresvivres des humeurs
et nulles loix ne sont en ⁁ ⁁ leur urayvray credit
que celles aus quellequelles dieu a doné
quelqu’antiene duree de mode
que nulpersone ne sache qu’elles aïent
iamaisjamais este autres leur naissance
etny qu’elles ayent iamaisjamais esté
autres.
Du dormir. CHAP. XLIIII.
LA raison nous ordonne bien d’aller tousiourstousjours mesme
chemin, mais non toutesfois mesme train: & ores que
le sage ne doiuedoive donner aux passions humaines, de
se fouruoierfourvoier de la droicte carriere, il peut bien sans interest de
son deuoirdevoir, leur quitter, aussi, d’en haster ou retarder son pas, &
ne se planter comme vnun Colosse immobile & impassible.
QuādQuand la vertu mesme seroit incarnée, ieje croy que le poux luy
battroit plus fort allant à l’assaut, qu’allant disner: voire il est
necessaire qu’elle s’eschauffe & s’esmeuueesmeuve. A cette cause ij’ay re-
marqué pour chose rare, de voir quelquefois les grands per-
sonnages, aux plus hautes entreprinses & importans affaires,
se tenir si entiers en leur assiette, que de n’en accourcir pas seu-
lement leur sommeil. Alexandre le grādgrand, le iourjour assigné à cet-
te furieuse bataille contre Darius, dormit si profondement, &
si haute matinée, que Parmenion fut contraint d’entrer en sa
chambre, & approchātapprochant de son lit, l’appeller deux ou trois fois
Ff
ESSAIS DE M. DE MONTA.
par son nom, pour l’esueilleresveiller, le temps d’aller au cōbatcombat le pres-
sant. l’Empereur Othon ayant resolu de se tuer, cette mesme
nuit, apres auoitavoit mis ordre à ses affaires domestiques, partagé
son argent à ses seruiteursserviteurs, & affilé le tranchant d’vneune espée
dequoy il se vouloit donner, n’attendant plus qu’à sçauoirsçavoir si
chacūchacun de ses amis s’estoit retiré en seureté, se print si profōde-
mentprofonde-
ment à dormir, que ses valets de chābrechambre l’entendoient ronfler.
La mort de cet Empereur à beaucoup de choses pareilles à cel
le du grand Caton, & mesmes cecy: car Caton estant prest à se
deffaire, cependant qu’il attendoit qu’on luy rapportast nou-
uellesnou-
velles si les senateurs qu’il faisoit retirer, s’estoient eslargis du
port d’VtiqueUtique, se mit si fort à dormir, qu’on l’oyoit souffler de
la chambre voisine: & celuy qu’il auoitavoit enuoyéenvoyé vers le port,
l’ayant esueilléesveillé, pour luy dire que la tourmente empeschoit
les senateurs de faire voile à leur aise, il y en rēuoyarenvoya encore vnun
autre, & se r’enfonçātenfonçant dans le lict, se remit encore à sommeil-
ler, iusquesjusques à ce que ce dernier l’asseura de leur partement. En-
core auonsavons nous dequoy le comparer au faict d’AlexādreAlexandre, en
ce grand & dangereux orage, qui le menassoit, par la sedition
du Tribun Metellus, voulant publier le decret du rappel de
Pompeius dans la ville auecquesavecques son armée, lors de l’émotion
de Catilina: auquel decret Caton seul insistoit, & en auoiētavoient eu
Metellus & luy, de grosses paroles & grādsgrands menasses au Senat:
mais c’estoit au lēdemainlendemain en la place, qu’il failloit venir à l’ex-
ecution, ou Metellus, outre la faueurfaveur du peuple & de Caesar
conspirātconspirant lors aux aduātagesadvantages de Pompeius, se deuoitdevoit trouuertrouver,
accompagné de force esclauesesclaves estrangiers, & escrimeurs à ou-
trāceou-
trance, & CatōCaton fortifié de sa seule cōstanceconstance: de sorte que ses pa-
rēspa-
rens, ses domestiques, & beaucoup de gēsgens de biēbien, en estoyētestoyent en
grand soucy: & en y eut qui passerent la nuict ensemble, sans
vouloir reposer, ny boire, ny manger, pour le dāgierdangier qu’ils luy
voioyent preparé: mesme sa femme, & ses soeurs ne faisoyent
LIVRE PREMIER. 114
que pleurer & se tourmenter en sa maison: là où luy au con-
traire, reconfortoit tout le monde: & apres auoiravoir souppé cō-
mecom-
me de coustume, s’en alla coucher & dormir de fort profond
sommeil, iusquesjusques au matin, que l’vnun de ses cōpagnonscompagnons au Tri-
bunat, le vint esueilleresveiller pour aller à l’escarmouche. La cōnois-
sanceconnois-
sance, que nous auonsavons de la grandeur de courage, de ces troist
hommes, par le reste de leursa vie, nous peut faire iugerjuger en tou-
te seureté, que cecy leurlui partoit d’vneune ame si loing ensleuéeenslevée
au dessus de tels accidents, qu’ils n’en daignoient entrer en ⁁ ⁁ ceruellecervelle ceruellecervelle,
émotionalteration, non plus que d’accidēsaccidens ordinaires. En la bataille na-
ualena-
vale que Augustus gaigna contre Sextus Pompeius en Sicile,
sur le point d’aller au cōbatcombat, il se trouuatrouva pressé d’vnun si profond
sommeil, qu’il fausit que ses amis l’esueillassentesveillassent, pour donner
le signe de la bataille. Cela donna occasion à M. Antonius de
luy reprocher depuis, qu’il n’auoitavoit pas eu le coeur, seulemētseulement de
regarder les yeux ouuertsouverts, l’ordonnāceordonnance de son armée, & de n’a-
uoira-
voir osé se presenter aux soldats, iusquesjusques à ce qu’Agrippa luy
vint annoncer la nouuellenouvelle de la victoire, qu’il auoitavoit eu sur ses
ennemis. Mais quant au ieunejeune Marius, qui fit encore pis, car le
iourjour de sa derniere iournéejournée contre Sylla, apres auoiravoir ordonné
son armée, & donné le mot & signe de la bataille, il se coucha
dessoubs vnun arbre à l’ombre, pour se reposer, & s’endormit si
serré, qu’à peine se peut-il esueilleresveiller de la route & fuitte de ses
gens, n’ayant rien veu du combat, ils disent que ce fut pour
estre si extrememētextremement aggrauéaggravé de trauailtravail, & de faute de dormir,
que nature n’en pouuoitpouvoit plus. Et à ce propos les medecins, ad-
uiserontad-
viseront si le dormir est si necessaire, que nostre vie en dépēdedépende,
car nous trouuonstrouvons bien, qu’on fit mourir le Roy Perseus de
Macedoine prisonnier à Rome, luy empeschant le sommeil,
mais Pline en allegue, qui ont vescu long temps sans dormir. ⁁
⁁ Ches Herodote il y a des nations aus quelles les homes
dorment et ueillentveillent par demi annees. Et ceus qui escriuentescrivent
la uievie du philosophesage Epimenides disent qu’il dormit cinquante
sept ans de suite
Ff ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
De la bataille de Dreux. CHAP. XLV.
IL y eut tout plein de rares accidēsaccidens en nostre bataille de
Dreux: mais ceux qui ne fauorisentfavorisent pas fort la repu-
tation de monsieur de Guise, mettent volontiers en a-
uanta-
vant, qu’il ne se peut excuser d’auoiravoir faict alte, & temporisé a-
ueca-
vec les forces qu’il commandoit, cependant qu’on enfonçoit
monsieur le Connestable chef de l’armée, auecquesavecques l’artille-
rie: & qu’il valoit mieux se hazarder, prenātprenant l’ennemy par flācflanc,
qu’attendant l’aduantageadvantage de le voir en queuë, souffrir vneune si
lourde perte: mais outre ce, que l’issuë en tesmoigna, qui en
debattra sans passion, me confessera aisément, à mon aduisadvis,
que le but & la visée, non seulement d’vnun capitaine, mais
de chasque soldat, doit regarder la victoire en gros, & que
nulles occurrences particulieres, quelque interest qu’il y ayt,
ne le doiuentdoivent diuertirdivertir de ce point là. Philopoemen en vneune ren-
contre contre Machanidas, ayant enuoyéenvoyé deuantdevant pour atta-
quer l’escarmouche, bonne trouppe d’archers & gēsgens de traict:
& l’ennemy apres les auoiravoir renuersezrenversez, s’amusant à les poursui-
urepoursui-
vre à toute bride, & coulant apres sa victoire le long de la ba-
taille où estoit PhilopoemēPhilopoemen, quoy que ses soldats s’en émeus-
sent, il ne fut d’aduisadvis de bouger de sa place, ny de se presenter
à l’ennemy, pour secourir ses gens: ains les ayant laissé chasser
& mettre en pieces à sa veue, commença la charge sur les en-
nemis au bataillon de leurs gens de pied, lors qu’il les vit tout
à fait abandonnez de leurs gens de cheualcheval: & bien que ce fus-
sent Lacedemoniens, d’autant qu’il les prit à heure, que pour
tenir tout gaigné, ils cōmençoientcommençoient à se desordonner, il en vint
aisément à bout, & cela fait se mit à poursuiurepoursuivre Machanidas.
Ce faictcas est germain à celuy de MōsieurMonsieur de Guise. En cette as-
pre bataille d’Agesilaus contre les Boeotiens, que Xenophon
qui y estoit, dict estre la plus rude qu’il eust onques veu, Age-
silaus refusa l’auātageavantage q̄que fortune luy presentoit, de laisser passer
LIVRE PREMIER. 115
le bataillon des BoeotiēsBoeotiens & les charger en queue, quelque cer-
taine victoire qu’il en preuistprevist, estimant qu’il y auoitavoit plus d’art
que de vaillance,: & pour monstrer sa proësse d’vneune merueil-
leusemerveil-
leuse ardeur de courage, choisit plustost de leur donner en te-
ste: mais aussi y fut-il bien battu & blessé, & contraint en fin
de se demesler, & prendre le party qu’il auoitavoit refusé au com-
mencement, faisant ouurirouvrir ses gens, pour donner passage à ce
torrent de Boeotiens: puis quādquand ils furent passez, prenant gar-
de qu’ils marcheoyent en desordre, comme ceux qui cui-
doient bien estre hors de tout dangier, il les fit suiuresuivre, & char-
ger, par les flancs: mais pour cela ne les peut-il tourner en fui-
te à val de route, ains se retirarent le petit pas, monstrant
tousiourstousjours les dens, iusquesjusques à ce qu’ils se furent rendus à sau-
uetésau-
veté.
Des noms. CHAP. XLVI.
QVELQVEQUELQUE diuersitédiversité d’herbes qu’il y ait, tout s’enue-
loppeenve-
loppe sous le nom de salade. De mesme, sous la con-
sideration des noms, ieje m’en voy faire icy vneune gali-
mafrée de diuersdivers articles. Chaque natiōnation a quelques noms qui
se prennent, ieje ne sçay comment, en mauuaisemauvaise part: & à nous
IehanJehan, Guillaume, Benoit. Item, il semble y auoiravoir en la genea-
logie des Princes, certains noms fatalement affectez: comme
des Ptolomées à ceux d’AEgypte, de Henris en Angleterre,
Charles en France, Baudoins en Flandres, & en nostre anciē-
neancien-
ne Aquitaine des Guillaumes, d’où l’on dict que le nom de
Guienne est venu: par vnun froid rencontre, s’il n’en y auoitavoit
d’aussi cruds dāsdans Platon mesme. Item, c’est vneune chose legiere,
mais toutefois digne de memoire pour son estrangeté, & es-
cripte par tesmoing oculaire, que Henry Duc ce NormādieNormandie,
fils de Henry second Roy d’Angleterre, faisant vnun festin en
France, l’assemblée de la noblesse y fut si grādegrande, que pour pas-
Ff iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
se-temps, s’estant diuiséedivisée en bandes par la ressemblance des
nōsnoms: en la premiere troupe qui fut des Guillaumes, il se trou-
uatrou-
va cent dix CheualiersChevaliers assis à table portans ce nom, sans met-
tre en conte les simples gentils-hommes & seruiteursserviteurs. Il est
autant plaisant de distribuer les tables par les noms des assi-
stans, comme il estoit à l’Empereur Geta, de faire distribuer
le seruiceservice de ses mets, par la consideration des premieres let-
tres du nom des viandes: on seruoytservoyt celles qui se commē-
çoientcommen-
çoient par, m: mouton, marcassin, merlus, marsoin, ainsi des
autres. Item, il se dit qu’il faict bon auoiravoir bon nom, c’est à di-
re credit & reputation: mais encore à la verité est-il commo-
de, d’auoiravoir vnun nom beau & qui aisément se puisse comprēdrecomprendreprononcer,
& mettre en memoireretenir: car les Roys & les grands, nous en
connoissent plus aisément, & oublient plus mal volontiers,:
& de ceux mesmes qui nous seruentservent, nous comman-
dons plus ordinairement & employons ceux, desquels
les noms se presentent le plus facilement ena la bouchelangue. IJ’ay
veu le Roy Henry secōdsecond, ne pouuoirpouvoir iamaisjamais nommer à droit,
vnun gētilgentil-homme de ce quartier de Gascouigne, & à vneune fille
de la Royne, il fut luy mesme d’aduisadvis de donner le nom gene-
ral de la race, parce que celuy de la maison paternelle luy sem-
bla trop direuersdirevers. ⁁
⁁ Et Socrates estime digne
du soin paternel de
doner un beau nom
aus enfans
Item, on dit que la fondation de nostre Da-
me la grand à Poitiers, prit origine de ce que vnun ieunejeune hōmehomme
débauché, logé en cet endroit, ayant recouurérecouvré vneune garce, &
luy ayant d’arriuéearrivée demandé son nom, qui estoit Marie, se
sentit si viuementvivement espris de religion & de respect, de ce nom
Sacrosainct de la Vierge mere de nostre SauueurSauveur, que nōnon seu-
lement il la chassa soudain, mais en amanda tout le reste de sa
vie: & qu’en consideration de ce miracle, il fut basti en la pla-
ce, où estoit la maison de ce ieunejeune homme, vneune chapelle au
nom de nostre Dame, & depuis l’Eglise que nous y voyons. ⁁
⁁ Cette correction
uoïellevoïelle et auriculere,
relligieuse,deuotieusedevotieuse, donatira
droit a lamel’ame: cett’autre de mesme genre, s’insinura par les sens corporels: Pythagoras
estant en compaignie de iunesjunes homes, lesquels il sentit comploter, eschauffez de la
feste, d’aller uiolervioler une maison pudique, comanda a la menestriere, de changer
de ton, et par une musique poisante seueresevere et spondaique, enchanta tout
doucemant leur ardur et l’endormit.
Item, dira pas la posterité, que nostre reformation d’auiouraujour-
LIVRE PREMIER. 116
d’huy ait esté delicate & exacte, de n’auoiravoir pas seulement cō-
batucom-
batu les erreurs, & les vices, & rempli le monde de deuotiondevotion,
d’humilité, d’obeïssance, de paix, & de toute espece de vertu,
mais d’auoiravoir passé iusquejusque à combatre ces anciēsanciens noms de nos
baptesmes, Charles, Loys, François, pour peupler le monde
de Mathusalem, Ezechiel, Malachie, beaucoup mieux sentāssentans
de la foy? VnUn gentil’homme mien voisin, estimant les cōmo-
ditezcommo-
ditez du vieux temps au pris du nostre, n’oublioit pas de met-
tre en conte, la fierté & magnifiencéemagnificence des noms de la noblesse
de ce temps, Don Grumedan, Quedragan, Agesilan, & qu’à
les ouïr seulement sonner, il se sentoit qu’ils auoyentavoyent esté biēbien
autres gens, que Pierre, Guillot, & Michel. Item, ieje sçay bon
gré à IacquesJacques Amiot d’auoiravoir laissé dans le cours d’vnun oraison
Françoise, les noms Latins tous entiers, sans les bigarrer &
changer, pour leur donner vneune cadence Françoise. Cela sem-
bloit vnun peu rude au commencement: mais des-iaja l’vsageusage par
le credit de son Plutarque, nous en a osté toute l’estrangeté:.
iIjJ’ay souhaité souuentsouvent, que ceux qui escriuentescrivent les histoires en
Latin, nous laissassent nos noms tous tels qu’ils sont: car en
faisant de Vaudemont, Vallemontanus, & les Metamorpho-
sant, pour les garber à la Grecque ou à la Romaine, nous ne
sçauonssçavons où nous en sommes, & en perdons la connoissance.
Pour clorre nostre conte, c’est vnun vilain vsageusage & de tresmau-
uaisetresmau-
vaise consequence en nostre France, d’appeler chacun par le
nom de sa terre & Seigneurie, & la chose du monde, qui faict
plus mesler & mesconnoistre les races. VnUn cabdet de bonne
maison, ayātayant eu pour son appanage vneune terre, sous le nom de
laquelle il à esté connu & honoré, ne peut honnestement l’a-
bandonner: dix ans apres sa mort, la terre s’en va à vnun estran-
gier, qui en faict de mesmes: deuinezdevinez où nous sommes, de la
connoissance de ces hommes. Il ne faut pas aller querir d’au-
tres exemples, que de nostre maison Royalle, ou autant de
ESSAIS DE M. DE MONTA.
partages, autant de surnoms: cependant l’originel de la tige
nous est eschappé. Il y à tant de liberté en ces mutations, que
de mōmon temps ieje n’ay veu personne esleuéeslevé par la fortune à quel
que grandeur extraordinaire, à qui on n’ait attaché inconti-
nent des titres genealogiques, nouueauxnouveaux & ignorez à son pe-
re, & qu’on n’ait anté en quelque illustre tige: &Et de bōnebonne for-
tune les plus obscures familles, sont plus idoynes à falsifica-
tion. Combien auonsavons nous de gentils-hommes en FrāceFrance, qui
sont de Royalle race selon leurs comptes: plus ce croys-ieje
que d’autres. Fut-il pas dict de bonne grace par vnun de mes
amys: ils estoyent plusieurs assemblez pour la querelle d’vnun
Seigneur, contre vnun autre, lequel autre, auoitavoit à la verité quel-
que prerogatiueprerogative de titres & d’alliances, esleuéeseslevées au dessus de la
commune noblesse. Sur le propos de cette prerogatiueprerogative, cha-
cun cherchant à s’esgaler à luy, alleguoit, qui vnun’origine, qui
vnun’autre, qui la ressemblance du nom, qui des armes, qui vneune
vieille pancarte domestique: & le moindre se trouuoittrouvoit arriere
fils de quelque Roy d’outremer. Comme ce fut à disner, cet-
tuy cy, au lieu de prendre sa place, se recula en profondes re-
uerencesre-
verences, suppliant l’assistance de l’excuser, de ce que par te-
merité il auoitavoit iusquesjusques lors vescu auecavec eux en compaignon:
mais qu’ayant esté nouuellementnouvellement informé de leurs vieilles
qualitez, il commençoit à les honnorer selon leurs degrez
& qu’il ne luy appartenoit pas de se soir parmy tant de Prin-
ces. Apres sa farce, il leur dict mille iniuresinjures: contentez vous
de par Dieu, de ce ⁁ de quoi nos peres se sont contantez: et de ce que nous sommes, nous sommes assez si nous
le sçauonssçavons bien maintenir: ne desaduouonsdesadvouons pas la fortune &
condition de nos peresayeuls, & ostons ces sotes imaginations, qui
ne peuuentpeuvent faillir à quiconque à l’impudence de les alleguer.
Les armoiries n’ont de seurté, non plus que les surnoms. IlIeJe
porte d’azur semé de trefles d’or, à vneune pate de LyōLyon de mesme,
armée de gueules, mise en face. Quel priuilegeprivilege à cette figure
pour
LIVRE PREMIER. 117
pour demeurer particulierement en vneunema maison: vnun gendre
la transportera en vneune autre famille,: quelque chetif acheteur
en fera ses premieres armes: il n’est chose où il se rencontre
plus de mutation & de confusion. Mais cette consideration
me tire par force à vnun autre chāpchamp. Sondons vnun peu de pres, &
pour Dieu regardons, à quel fondement nous attachōsattachons cette
gloire & reputation, pour laquelle se bouleuersebouleverse le mōdemonde: ou
asseōsasseons nous cette renommée que nous allons questant auecavec si
grādgrand peine? ⁁Ce signe d’insertion biffé a été déplacé à la ligne suivante après "touche." C’est en somme Pierre ou Guillaume, qui la por-
te, prend en garde, & à qui elle touche. ⁁
⁁ O la courageuse faculté
que lesperanel’esperance qui en un
subietsubjet mortel et en un
moment uava usurpant
l’infinite l’immansité
laeternitél’aeternité: nature nous ha
la donè un plaisant iouëtjouët.
Et ce Pierre ou Guil-
laume qu’est ce qu’vneune voix pour tous potages? ou trois ou
quatre traicts de plume, premierement si aisez à varier, que ieje
demanderois volontiers à qui touche l’honneur de tant de
victoires, à Guesquin, à Glesquin, ou ⁁ ⁁ a Gueaquin? Il y auroit
bien plus d’apparence icy, qu’en Lucien que Σ. mit T. en
procez, car
non leuia aut ludicra petuntur
Praemia,
Iil y va de bon, il est questiōquestion laquelle de ces lettres doit estre
payée de tant de sieges, batailles, blessures, prisons & seruicesservices
faits à la couronne de France, par ce sien fameux connestable.
Nicolas Denisot n’a eu soing que des lettres de son nom, &
en à changé toute la cōtexturecontexture, pour en bastir le Conte d’Al-
sinois, qu’il à estrené de la gloire de sa poësie & peinture. Et
l’Historien Suetone n’a aymé que le sens du sien, & en ayant
priuéprivé Lénis, qui estoit le surnom de son pere, à laissé Tran-
quillus successeur de la reputatiōreputation de ses escrits. Qui croroitcroiroit que
le Capitaine Bayard n’eut honneur, que celuy qu’il à emprū-
téemprun-
té des faicts de Pierre Terrail? & qu’Antoine Escalin se laisse
voler à sa veuë tant de nauigationsnavigations & charges par mer & par
terre au Capitaine Poulin, & au Baron de la Garde? Secon-
dement ce sont traicts de plume communs à mill’hommes.
Gg
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Combien y à il en toutes les races, de personnes de mesme nōnon
& surnom? ⁁
⁁ Et en diuersesdiverses races ⁁ ⁁ siecles & païs combien?
L’histoire a conu trois Socrates, cinq Platons, huict Aristotes, sept Xenophons uintvint Demetrius uintvint Theodores
six AnaximandresCrates, quatre
Anaxagores, sept Xenophons,
uintvint Theodores: et diuinesdivines
combien elle n’en a pas conu
Et puis qQui empesche mon palefrenier de s’ap-
peller PompeéPompée le grand? Mais apres tout, quels moyens, quels
ressors y à il qui attachent à mon palefrenier trespassé, ou à
cet autre homme qui eut la teste tranchée en AEgypte, &
qui ioignentjoignent à eux, cette voix glorifiée, & ces traicts de plu-
me, ainsin honorez, pouraffin qu’ils s’en aduentagentadventagent.,
Id cinerem & manes credis curare sepultos? ⁁
⁁ Quel ressentimant ont
les premiers homes qui
furent onquesdeus compaignons en principale
valur entre les homes. Epaminondas,
de ce gol glorieus & magnifique
vers qui court pour t luy en nos
bouches
Consilijs nostris laus est attonsa Laconum
& Aphricanus de cet autre
A sole exoriente supra Maeotis paludes
Nemo est qui factis me aequiparare queat.
Les suruiuanssurvivans se chatouillent de
la douceur de ces uoixvoix pour les
trespasses a qui elles ne uienētvienent
plus et sont par icelles sollicites
de ialousiejalousie et desir transmetāanēent
par fantasie inconsidereement
par fantasie aus tres passez cettuy
leur propre ressentiment et sed’une pipantpipeuse
de l’par esperance se donent a croire
d’en estre capables a leur tour.
Dieu le sçait. Toutesfois
Toutesfois.
ad haec se
Romanus Graiúsque & Barbarus Induperator
Erexit, causas discriminis atque laboris
Inde habuit, tanto maior famae sitis est, quam
Virtutis.
De l’incertitude de nostre iugementjugement.
CHAP. XLVII.
C’EST bien ce que dict ce vers,
ΕπέωνἘπέων δὲ πολὺϛ νόμοϛ ἔνθα καὶ ἔνθα
Dans le vers d’Homère cité, l’accent (grave) du mot nomos est sur le second o, signifiant "champ". En le plaçant sur le premier o (accent aigu), Montaigne lui donne le sens de "possibilité".
il y à prou loy de parler par tout, & pour, & contre.
Pour exemple
Vinse Hannibal & non seppe vsar’ poi
Ben la vittoriosa sua ventura,
Qqui voudra estre de ce party, & faire valoir auecquesavecques nos gēsgens,
la faute de n’auoiravoir dernierement poursuiuypoursuivy nostre pointe à
Montcontour, ou qui voudra accuser le Roy d’Espagne, de
n’auoiravoir sçeu se seruirservir de l’aduantageadvantage qu’il eut contre nous à
Sainct Quentin, il pourra dire cette faute partir d’vneune ame
enyuréeenyvrée de sa bonne fortune, & d’vnun courage, lequel plein &
gorgé de ce commencement de bon heur, perd le goust de
l’accroistre, des-iaja par trop empesché à digerer ce qu’il en à: il
en à sa brassée toute cōblecomble, il n’en peut saisir dauantagedavantage, indi-
gne que la fortune luy aye mis vnun tel bien entre mains: car
LIVRE PREMIER. 118
quel profit en sent-il, si neantmoins il donne à son ennemy
moyen de se remettre sus? Qqu’ell’esperanceQquell’esperance peut on auoiravoir
qu’il ose vnun’autrefois attaquer ceux-cy ralliez & remis, & de
nouueaunouveau armez de despit & de vengeance, qui ne les à osé ou
sçeu poursuiurepoursuivre tous rompus & effrayez?
Dum fortuna calet, dum conficit omnia terror.
Mais en fin, que peut il attendre de mieux, que ce qu’il vient
de perdre? Ce n’est pas comme à l’escrime ou le nombre des
touches donne gain: tant que l’ennemy est en pieds, c’est à
recommencer de plus belle: ce n’est pas victoire, si elle ne
met fin à la guerre. En cette escarmouche ou Caesar eut du
pire pres la Ville d’Oricum, il reprochoit aux soldats de Pō-
peiusPom-
peius, qu’il eust esté perdu, si leur Capitaine eust sçeu vaincre:,
& luy chaussa bien autrement les esperons, quand ce fut à son
tour. Mais pourquoy ne dira l’on aussi au contraire?, que c’est
l’effect d’vnun esprit precipiteux & insatiable, de ne sçauoirsçavoir
mettre fin à sa cōuoitiseconvoitise: que c’est abuser des faueursfaveurs de Dieu,
de leur vouloir faire perdre la mesure qu’il leur à prescripte:
& que de se reietterrejetter au dangier apres la victoire, c’est la re-
mettre encore vnun coup à la mercy de la fortune: que l’vneune des
plus grandes sagesses en l’art militaire c’est de ne pousser
son ennemy au desespoir. Sylla & Marius en la guerre socia-
le ayant défaict les Marses, en voyant encore vneune trouppe de
reste, qui par desespoir se reuenoiētrevenoient ietterjetter à eux, cōmecomme bestes
furieuses, ne furent pas d’aduisadvis de les attendre. Si l’ardeur de
Monsieur de Foix ne l’eut emporté à poursuiurepoursuivre trop aspre-
ment les restes de la victoire de RauenneRavenne, il ne l’eut pas souil-
lée de sa mort. Toutesfois encore seruitservit la recente memoire
de son exemple, à conseruerconserver Monsieur d’Anguien de pareil
inconuenientinconvenient, à Serisoles. Il faict dangereux assaillir vnun
homme, à qui vous auezavez osté tout autre moyen d’escha-
per que par les armes: car c’est vneune violente maistresse d’es-
Gg ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
cole que la necessité., grauissimi sunt morsus irritata necessitatis:
Vincitur haud gratis iugulo qui prouocat hostem. ⁁
⁁ Voyla pourquoy Pharax empescha le Roy de Lacedemone, qui venoit de gaigner
la iourneejournee contre les MantineēsMantineens de n’aller affronter mille Argiens qui estoint
eschapez entiers de la desconfiture ains les laisser couler en liberte pour
ne uenirvenir a essaier la uertuvertu piquee & despitee par le malheur.
Clodomitre Roy d’Aquitaine, apres sa victoire poursuyuantpoursuyvant
Gondemar Roy de Bourgogne vaincu & fuiant, le força de
tourner test, mais son opiniatreté luy osta le fruict de sa vi-
ctoire, car il y mourut.
Dès 1580, ce chapitre est le seul des Essais à être entièrement paragraphé.
PareillemētPareillement qui auroit à choisir ou de tenir ses soldats riche-
mētriche-
ment & somptueusemētsomptueusement armez, ou armez seulemētseulement pour la ne-
cessité: il se presenteroit en faueurfaveur du premier party, duquel e-
stoit Sertorius, PhilopoemēPhilopoemen, Brutus, Caesar & autres, que c’est
tousiourstousjours vnun éguillon d’honneur & de gloire au soldat de se
voir paré, & vnun’occasion de se rendre plus obstiné au cōbatcombat,
ayātayant à sauuersauver ses armes, comme ses biens & heritages. ⁁
⁁ Raison dict Xenophon
pourquoi les Asiatiques
menoint en leurleurs
guerres fames concu
bines aueqaveq leurs ioyeausjoyeaus
& richesses plus cheres
Mais il
s’offriroit aussi de l’autre part, qu’ōon doit plustost oster au sol-
dat le soing de se cōseruerconserver, que de le luy accroistre: qu’il crain-
dra par ce moyēmoyen doublemētdoublement à se hazarder: iointjoint que c’est aug-
mēteraug-
menter à l’ennemy l’ēuieenvie de la victoire, par ces riches despouil-
les: & à l’on remarqué que d’autres fois cela encouragea mer-
ueilleusementmer-
veilleusement les Romains à l’encōtreencontre des Samnites. Car An-
tiochus montrant à HānibalHannibal l’armée qu’il preparoit cōtrcontr’eux
pōpeusepompeuse & magnifique en toute sorte d’equipage, & luy de-
mandātde-
mandant ainsi.: Lles Romains se contenterōtcontenteront ils de cette armée?
Ss’ils s’en contenteront respōditrespondit-il, vrayement c’est mon, pour
auaresavares qu’ils soyent. Licurgus deffendoit aux siens, non seule-
ment la sumptuosité en leur equipage, mais encore de des-
pouiller leurs ennemis vaincus, voulant, disoit-il, que la pau-
uretépau-
vreté & frugalité reluisit auecavec le reste de la bataille.
Aux sieges & ailleurs, où l’occasion nous approche de l’en-
nemy, nous donnons volontiers licence aux soldats de le
brauerbraver, desdaigner, & iniurierinjurier de toutes façons de repro-
ches: & non sans apparence de raison.: Ccar ce n’est pas faire
peu, de leur oster toute esperance de grace & de compo-
LIVRE PREMIER. 119
sition, en leur representant qu’il n’y à plus ordre de l’attendre
de celuy, qu’ils ont si fort outragé, & qu’il ne reste remede que
de la victoire. Si est-ce qu’il en mesprit à Vitellius, car ayant
affaire à Othon, plus foible en valeur de soldats, des-accoustu-
mez de longue main du faict de la guerre, & amollis par les
delices de la ville, il les agassa tant en fin, par ses paroles picquā-
tespicquan-
tes, leur reprochant leur pusillanimité, & le regret des Dames
& festes, qu’ils venoient de laisser à Rome, qu’il leur remit par
ce moyen le coeur au ventre, ce que nuls enhortemēsenhortemens n’auoiētavoient
sceu faire:, & les attira luy mesme sur ses bras, ou l’on ne les pou
uoitpou
voit pousser: & de vray, quand ce sont iniuresinjures qui touchent au
vif, elles peuuentpeuvent faire ayséement, que celuy qui alloit láche-
ment à la besongne pour la querelle de son Roy, y aille d’un
autre affection pour la sienne propre.
A considerer de combien d’importance est la conseruationconservation
d’vnun chef en vnun’armée, & que la visée de l’ennemy regarde
principalement cette teste, à laquelle tiennēttiennent toutes les autres
& en dependent: il semble qu’on ne puisse mettre en doubte
ce conseil, que nous voions auoiravoir esté pris par plusieurs grādsgrands
chefs, de se trauestirtravestir & desguiser sur le point de la meslée: tou-
tefois l’inconuenientinconvenient qu’on encourt par ce moyen, n’est pas
moindre, que celuy qu’on pense fuir: car le capitaine venant à
estre mesconu des siens, le courage qu’ils prennent de son ex-
emple & de sa presence, vient aussi quant & quant à leur fail-
lir, & perdant la veuë de ses marques & enseignes accoustu-
mées, ils le iugētjugent où mort, ou s’estre desrobé desesperātdesesperant de l’af-
faire. Et quātquant à l’experiēceexperience nous luy voyōsvoyons fauoriserfavoriser tātosttantost l’vnun,
tātosttantost l’autre party:. lL’accidētaccident de Pyrrhus en la bataille qu’il eut
contre le consul LeuinusLevinus en Italie, nous sert à l’vnun & à l’autre
visage: car pour s’estre voulu cacher sous les armes de Demo-
gacles, & luy auoiravoir donné les siennes, il sauuasauva bien sans doute
sa vie, mais aussi il en cuida encourir l’autre inconuenientinconvenient, de
Gg iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
perdre la bataille.iourneejournee. ⁁
⁁ Alexandre, Caesar, Lucullus, eimointaimoint a se marquer au combat
par des acostremans & armes ⁁ ⁁ riches de colur reluisante & particuliere:
Agis Agesilaus et ce
grand Gilippus au rebours
alloint a la guerre
sulemantobscurement couuerscouvers
et au dessous du
commun soldat.et sans
attour imperial.
A la bataille de Pharsale entre autres reproches qu’on don-
ne à Pompeius, c’est d’auoiravoir arresté son armée pied coy atten-
dant l’ennemy: pour autant que cela (ieje des-roberay icy les
mots mesmes de Plutarque, qui valētvalent mieux que les miēsmiens) af-
foiblit la violence, que le courir donne aux premiers coups,
& quant & quant oste l’eslancement des combatans, les vnsuns
contre les autres, qui a accoustumé de les remplir d’impe-
tuosité, & de fureur, plus que autre chose, quand ils viennent
à s’entrechoquer de roideur, leur augmentant le courage par
le cry & la course:, & rend la chaleur des soldats en maniere de
dire refroidie & figée. Voila ce qu’il dict pour ce rolle: mais si
Caesar eut perdu, qui n’eust peu aussi bien dire, qu’au contrai-
re, la plus forte & roide assiette, est celle en laquelle on se tient
planté sans bouger, & que qui est en sa démarche arresté, res-
serrant & espargnant pour le besoing, sa force en soymesmes,
à grand auantageavantage contre celuy qui est esbranlé, & qui a desiadesja
employéconsommé à la course la moitié de son haleine: outre ce que
l’armée estant vnun corps de tant de diuersesdiverses pieces, il est impos-
sible qu’elle s’esmeuueesmeuve en cette furie, d’vnun mouuementmouvement si iu-
steju-
ste, qu’elle n’en altere ou rompe son ordōnanceordonnance:, & que le plus
dispost ne soit aux prises, auātavant que son compagnon le secou-
re.
⁁ En cette uileinevileine et
malancontreuse
bataille des deus freres
Perses, Clearchus
Lacedemonien qui
commandoit les grecs du
parti de Cirus les mena
tout le pasbellemant a la charge
sans soi haster mais a
cinquante pas pres il les
mit a la course esperant
par la briefuetebriefvete de
l’espace mesnager et leur
ordre & leur haleine leur
donnant cepandant
l’auantagel’avantage de l’impetuosité
pour leurs persones et
pour leurs armes a trait.
D’autres ont reglé ce doubte en leur armée de cette manie-
re: si les ennemis vous courent sus, attēdezattendez les de pied coy:, s’ils
vous attendent de pied coy, courez leur sus.
Au passage que l’Empereur Charles cinquiesme fit en Pro-
uencePro-
vence, le Roy François fust au propre d’eslire, ou de luy aller
au deuantdevant en Italie, ou de l’attendre en ses terres: & bien qu’il
considerast combien c’est d’auantageavantage, de conseruerconserver sa maison
pure & nette de troubles de la guerre, afin qu’ētiereentiere en ses for-
ces, elle puisse continuellement fournir deniers, & secours au
besoing: que la necessité des guerres porte à tous les coups, de
LIVRE PREMIER. 120
faire le gast, ce qui ne se peut faire bonnement en nos biens
propres, & si le païsant ne porte pas si doucement ce rauageravage
de ceux de son party, que de l’ennemy, en maniere qu’il s’en
peut aysément allumer des seditions, & des troubles parmy
nous: que la licence de desrober & de piller, qui ne peut estre
permise en son pays, est vnun grand support aux ennuis de la
guerre:, & qui n’a autre esperance de gaing que sa solde, il est
mal aisé qu’il soit tenu en office, estant à deux pas de sa femme
& de sa retraicte.: que celuy qui met la nappe tombe tousiourstousjours
des despens: qu’il y a plus d’allegresse à assaillir qu’à deffendre:
& que la secousse de la perte d’vneune bataille dans nos entrailles
est si violente, qu’il est malaisé qu’elle ne crolle tout le corps,
attendu qu’il n’est passion contagieuse, cōmecomme celle de la peur,
ny qui se preigne si ayséement à credit, & qui s’espande plus
brusquement: & que les villes qui auront ouy l’esclat de cette
tempeste à leurs portes, qui auront recueilly leurs Capitaines
& soldats tremblans encore, & hors d’haleine, il est dangereux
sur la chaude, qu’ils ne se iettentjettent à quelque mauuaismauvais party. Si
est-ce qu’il choisit de r’appeler les forces qu’il auoitavoit delà les
monts, & de voir venir l’ennemy.: Ccar il peut imaginer au cō-
trairecon-
traire, qu’estant chez luy & entre ses amis, il ne pouuoitpouvoit faillir
d’auoiravoir planté de toutes commoditez, les riuieresrivieres, les pas-
sages à sa deuotiondevotion, luy conduiroient, & viuresvivres, & deniers,
en toute seureté & sans besoing d’escorte: qu’il auroit ses su-
biectssu-
bjects d’autant plus affectionnez, qu’ils auroient le dangier
plus pres: qu’ayant tant de villes & de barrieres pour sa seure-
té, ce seroit à luy de donner loy au combat, selon son oppor-
tunité & aduantageadvantage: & s’il luy plaisoit de temporiser, qu’à l’a-
bry & à son aise, il pourroit voir morfondre son ennemy, &
se défaire soy mesmes, par les difficultez qui le combatroyent
engagé en vneune terre estrangierecontrere, où il n’auroit deuantdevant, ny der-
riere luy, ny à costé, rien qui ne luy fit guerre: nul moyen de
ESSAIS DE M. DE MONTA.
refréchir ou eslargir son armée, si les maladies s’y mettoient,
ny de loger à couuertcouvert ses blessez, nuls deniers, nuls viuresvivres, qu’à
pointe de lance, nul loisir de se reposer & prēdreprendre haleine, nul-
le science de lieux, & duny de pays, qui le sçeut deffendre d’embus-
ches & surprises: & s’il venoit à la perte d’vneune bataille, aucun
moyen d’en sauuersauver les reliques. Et n’auoitavoit pas faute d’exēplesexemples
pour l’vnun & pour l’autre party. Scipion trouuatrouva bien meilleur
d’aller assaillir les terres de son ennemy en Afrique, que de de-
fendre les siennes, & le combatre en Italie: où il estoit, d’où
bien luy en print: mMais au cōtrairecontrairerebours, Hannibal en cette mesme
guerre, se ruina, d’auoiravoir abandonné la conqueste d’vnun pays e-
stranger, pour aller deffendre le sien. Les Atheniens ayātayant laissé
l’ennemy en leurs terres, pour passer en la Sicile, eurent la for-
tune contraire: mais Agathocles Roy de Siracuse l’eust fauo-
rablefavo-
rable, ayātayant passé en Afrique, & laissé la guerre chez soy. Ainsin
nous auōsavons bien accoustumé de dire auecavec raison, que les eue-
nemēseue-
nemens & issuës dependētdependent, notāmentnotamment en la guerre, pour la plus-
part, de la fortune:, laquelle ne se veut pas renger & assuiectirassujectir
à nostre discours & prudence, comme disent ces vers,
Et male consultis pretium est, prudentia fallax,
Nec fortuna probat causas sequitúrque merentes:
Sed vaga per cunctos nullo discrimine fertur.
Scilicet est aliud quod nos cogátque regátque
Maius, & in proprias ducat mortalia leges.
Mais à le bien prendre, il semble que nos conseils & delibera-
tions, en dépendent bien autant, & que la fortune n’est pas
plus incertaine & temeraire queengage en son troble
et incertitude, aussi nos discours. ⁁ Nous raisonons
hasardeusement et inconsidereement dict Timaeus en Platon
parce que come nous nos discours ont grande participation au hasard.
Des
LIVRE PREMIER. 121
Des destries. CHAP. XLVIII.
ME voicy deuenudevenu Grammairien, moy qui n’apprins
iamaisjamais langue, que par routine, & qui ne sçay encore
que c’est d’adiectifadjectif, coniunctifconjunctif, & d’ablatif: il me sem-
ble auoiravoir ouy dire que les Romains auoiētavoient des cheuauxchevaux qu’ils
appelloient funales, où dextrarios, qui se menoient à dextre où
à relais, pour les prendre tous frez au besoin: & de là viētvient que
nous appellons destriers les cheuauxchevaux de seruiceservice. Et nos Ro-
mans disent ordinairement, adestrer, pour accompaigner. Ils
appelloyent aussi desultorios equos, des cheuauxchevaux qui estoyent
dressez de façon, que courans de toute leur roideur, accou-
plez costé à costé l’vnun de l’autre, sans bride, sans selle, les gen-
tils-hōmeshommes Romains, voire tous armez, au milieu de la course
se iettoientjettoient & reiettoientrejettoient de l’vnun à l’autre. ⁁
⁁ Les Numides gendarmes
menoint en main un
secont cheualcheval pour
charger au plus chaud
de la meslee: quibus
desultorūdesultorum in modum
binos trahentibus
equos inter acerrimam
saepe pugnam in recentem
equum ex fesso armatis
transsultare mos erat:
tanta uelocritas ipsis tamquam
docile equorum genus. Il
se treuuetreuve plusiurs cheuauschevaus
dressez a secourir leur
maistre, courir sus s’ils a qui
leur presante un’espee nue
se ietterjetter des pieds & des dants
sur ceus qui les ataquent et
affrontent: mais il leur
auientavient plus souuātsouvant de nuire
aus amis qu’aus enemis.
IointJoint que uousvous ne les
desprenez pas a uostrevostre poste
quand ils sōtsont une fois
harpez: et demuse demurez
a la misericorde leur de
leur combat. Artibie Il
mesprit lourdemant a
Artibie general de l’armee
de Perse combatātcombatant de persone
a persone contre Onesile
Roy de Salamis de persone
a persone, d’estre monte sur
un tel cheualcheval ⁁ ⁁ façone en cette escole qui fut
car il fut cause de sa mort: le
cousteillier d’oOnesile l’aïant
acceuilli d’une fauls entre
les deus espaules come il
s’estoit cabré sur son maistre. Et
ce que les Italiens disent qu’en
la bataille de Fornuoue le cheualcheval du Roy
le deschargea a ruades et coups de pied
des enemis qui le pressoint et qu’il
estoit perdu sans cela: c’est un fut un grand
coup de hasard, s’il est uraivrai Les
Mammelus se uantentvantent dauoird’avoir les plus adroits cheuauschevaus de gendarmes
du monde Et dict on que et par nature et par costume ils sont faicts par
certeins signes & uoixvoix a ramasser aueqaveq les dans les lances et les darts et a
les offrir au maistre en pleine meslee et a conoistre leset enemis discerner
l’ennemy sur qui il faut qu’ils se ruent de dents et de pieds,
On dict de CęsarCaesar, &
aussi du grādgrand PōpeiusPompeius, que parmy leurs autres excellētesexcellentes qua-
litez, ils estoiētestoient fort bōsbons hōmeshommes de cheualcheval: & de Caesar, qu’ēen sa
ieunessejeunesse monté à dos sur vnun cheualcheval, & sans bride, il luy faisoit
prēdreprendre carriere les mains tournées derriere le dos. Comme na-
ture à voulu faire de ce personnage, & d’Alexandre deux mi-
racles en l’art militaire, vous diriez qu’elle s’est aussi efforcée à
les armer extraordinairement: car chacun sçait, du cheualcheval d’A-
lexādreA-
lexandre Bucefal, qu’il auoitavoit la teste retirātretirant à celle d’vnun toreau,
qu’il ne se souffroit mōtermonter à personne qu’à son maistre, ne peut
estre dressé q̄que par luy mesme, fut honoré apres sa mort, & vneune
ville bastie en son nōnon. Caesar en auoitavoit aussi vnun autre qui auoitavoit
les pieds de deuantdevant comme vnun homme, ayant l’ongle coupée
en forme de doigts, lequel ne peut estre monté ny dressé que
par Caesar, qui dédia son image apres sa mort à la déesse Ve-
nus. IeJe ne démonte pas volontiers quand ieje suis à cheualcheval: car
c’est l’assiette, en laquelle ieje me trouuetrouve le mieux & sain & ma-
lade: ⁁ ⁁ Platon la recommande pour la sante aussi dict Pline qu’elle est tres-salutaire à l’estomach &
Hh
ESSAIS DE M. DE MONT.
aux iointuresjointures: poursuiuōspoursuivons donc, puis que nous y sommes. On
lict en Xenophon la loy de Cyrus, deffendant de voyager à
pied, à homme qui eust cheualcheval. Trogus & IustinusJustinus disent que
les Parthes auoientavoient accoustumé de faire à cheualcheval, non seule-
ment la guerre, mais aussi tous leurs affaires publiques & pri-
uezpri-
vez, marchander, parlementer, s’entretenir, & se promener: &
que la plus notable difference des libres, & des serfs parmy
eux, c’est que les vnsuns vōtvont à cheualcheval, & les autres à pié.⁁ ⁁ institution nee du Roy Cyrus. Il y a plu-
sieurs exemples en l’histoire Romaine (& Suetone le remar-
que plus particulierement de Caesar) des Capitaines qui com-
mandoient à leurs gens de cheualcheval de mettre pied à terre, quādquand
ils se trouuoienttrouvoient pressez de l’occasion, pour oster aux soldats
toute esperance de fuite: ⁁
⁁ et pour l’auantageavantage
qu’ils esperoint en
cette sorte de combat
Quo haud dubie
superat Romanus
dict Tite LiueLive: qui
estoit plus propre et
aduantageusadvantageus aus
Romeins come dict
Tite LiueLive
Quo haud dubie
superat Romanus
dict Tite LiueLive. Si est il que
la premiere premiere
prouisionprovision de quoi lesils Romeins
se seruointservoint a brider la
rebellion des peuples de
nouuellenouvelle conqueste, c’estoit
leur oster armes et cheuauschevaus.
Pourtant uoïonsvoïons nous si
souuentsouvent en Cesar: arma
proferri, iumenta produci,
obsides dari iubet. Le grand
Seignur ne permet auiour=
d’huiaujour=
d’hui ny a Chrestien ny a
IuifJuif d’auoiravoir cheualcheval a soi, a
ceus qui sont sous son empire.
mMais nNos ancestres & notammātnotammant du
temps de la guerre des Anglois, en tous les combats solennels
& iournéesjournées assignées, se mettoient ⁁ ⁁ la plupart du temps tous à pié, pour ne se fier
à autre chose, qu’à leur force propre, & vigueur de leur
courage, & de leurs membres, de chose si chere que l’honneur
& la vie. Vous engagez ⁁ ⁁ quoi que die Chrysantez en Xenophon vostre valeur & vostre fortune, à cel-
le de vostre cheualcheval,: ses playes & sa mort tirent la vostre en cō-
sequencecon-
sequence,: son effray où sa fureurfougue vous rendent ou temeraire
où láche,: s’il à faute de bouche ou d’esperon, c’est à vostre hō-
neurhon-
neur à en respondre: àA cette cause ieje ne trouuetrouve pas estrāgeestrange, que
ces combats là fussent plus fermes, & plus furieux que ceux
qui se font à cheualcheval.,
cedebant pariter, paritérque ruebant
Victores victique, neque his fuga nota neque illis. ⁁
⁁ Leurs batailles se
uoientvoient bien mieus
contestees, ce ne
sont asture que routes.
Primus clamort
atque impetus rem
decernit.
Et chose que nous appellons à la societé d’vnun si grādgrand hazard,
doit estre en nostre puissance le plus qu’il se peut:. cComme ieje
conseilleroy de choisir les armes les plus courtes, & celles de-
quoy nous nous pouuonspouvons le mieux respondre. Il est bien plus
apparent de s’asseurer d’vneune espée que nous tenons au poing,
que du boulet qui eschappe de nostre pistole, en laquelle il y a
LIVRE PREMIER. 122
plusieurs pieces, la poudre, la pierre, le rouët, desquelles la
moindre qui viendra à faillir, vous fera faillir vostre fortune.
On asseurne peu seurement le coup, que l’air vous conduict,
Et quo ferre velint permittere vulnera ventis,:
Ensis habet vires, & gens quaecunque virorum est
Bella gerit gladiis.
Mais quant à cett’arme là, ij’en parleray plus largementamplement, où ieje
feray comparaison des armes anciennes aux nostres: & sauf
l’estonnement des oreilles, à quoy meshuydesormais chacun est appri-
uoiséappri-
voisé, ieje croy que c’est vnun’arme de fort peu d’effect, & espere
que nous en quitterons bien tostun iourjour l’vsageusage. ⁁
⁁ Celle de quoi les RomeinsItaliens se seruointservoint de ietjet et a feu, estoit plus effroiable. Ils
nomoint phalarica une certeine espece de iauelinejaveline armee par le bout d’un fer de trois
pieds, affin qu’il peut percer de partoutre en partoutre un home armé: et se lançoit tantost de la m
main en la cāpaignecampaigne, tantost a tout des engins pour defandre les lieus assiegez: la
hante reuestuerevestue d’estoupe empoixee et huilee s’enflammoit de sa course: et s’atachant au corps
ou au bouclier ostoit tout usage d’armes et de membres. Toutesfois il me samble que pour
uenirvenir au iouindrejouindre, elle portat aussi empeschemant a l’assaillant, et que le champ ionchéjonché de
ces tronçons bruslans produisit en la meslee une commune incommodité,
magnum stridens contorta phalarica uenit
Fulminis acta modo. ⁁
⁁
Ils auointavoint d’autres moïens a quoi l’usage les adressoit & qui nous semblent incroïables
par inexperiance: par ou ils suppleoint au defaut de nostre poudre & de nos bouletz. Ils
dardoint leurs pilles de te piles de telle roidur que souuātsouvant ils en enfiloint deus boucliers & deus
homes ⁁ ⁁ armez et les cousoint. Les coups de leurs fondes n’estoint pas moins certeins & louinteins: saxis
globosis funda mare apertum incessentes: coronas modici circuli magno ex interualle loci,
assueti traijcere: non capita modo hostium uulnerabant, sed quem locum destinassentsaxis
globosis funda mare apertum incessentes: coronas modoci circuli magno ex interualle loci
assueti traijcere: non capita modo hostium uulnerabant sed quem locum destinassent. Leurs
pieces de batterie represantoint come l’effaict aussi le tintamarre des nostres: ad ictus moenium
cūcum terribili sonitu editos pauor et trepidatio cepit.ad ictus moenium
cum terribili sonitu editos pauor et trepidatio cepit. Les gaulois nos cousins en Asie haïssoint ces
armes trahistresses et uolantesvolantes: duits a combatre main a main aueqaveq plus de corage. QuemadmodūQuemadmodum
comminus ubi inuicem pati ac inferre uulnera licet, accendit ira animos: ita ubi ex occulto uulnerantur
quo ruant caeco impetu non habent. Cette autre raison est plus hardie. Non tam patentibus plagis
mouentur: ubi latior quam altior plaga est, etiam gloriosius se pugnare putant: idem cum aculeus
sagittae aut glandis abditae introrsus tenui uulnere in speciem urit, tum in rabiem et pudorem
tam paruae perimentis pestis uersi prosternunt corpora humi. Peinture bien expresseuoisinevoisine
d’une arquebusade Les dix mile greqs en leur longue et fameuse retraicte rencontrerētrencontrerent
vneune nation, qui les endommagea merueilleusementmerveilleusement à coups de grands arcs & forts ⁁
⁁ de quoi ils les et des sagettes si longues qu’a les reprandre a la main on les pouuoitpouvoit reieterrejeter
à la mode d’un dart et perçoint de part en part le bouclier & un home armé. Les engins que
Dionisius inuantainvanta a Siracuse a tirer gros traict massifs & des pierres d’horrible grandur d’une si
longue uoleevolee et si horrible impetuosité represantoint de pi bien pres nostre effaict inuantions.
Encore ne faut-il pas
oublier la plaisante assiette qu’auoitavoit à cheualchevalsur sa mule vnun maistre Pier-
re Pol Docteur en Theologie, que MōstreletMonstrelet recite auoiravoir ac-
coustumé se promener par la ville de Paris, & ailleurs, assis de
costé, comme les femmes. Il dit aussi ailleurs, que les Gascons
auoientavoient des cheuauxchevaux terribles, accoustumez de virer en cou-
rant, dequoy les François, Piccards, Flamens, & Brabançons,
faisoient grand miracle, pour n’auoiravoir accoustumé de le voir:
ce sont cesses mots. IeJe ne sçay quel maniement ce pouuoitpouvoit estre,
si ce n’est celuy de nos passades. Caesar parlant de ceux de Sue-
de: aAux rencontres qui se font à cheualcheval, dict-il, ils se iettentjettent
souuentsouvent à terrēterren pour combattre à pié, ayant accoustumé leurs
cheuauxchevaux de ne bouger ce pendant de la place, ausquels ils re-
courent promptement, s’il en est besoing: & selon leur cou-
stume, il n’est riērien si vilain & si láche que d’vseruser de selles & bar-
delles, & mesprisētmesprisent ceux qui en vsentusent:, de maniere que fort peu
en nombre, ils ne craignent pas d’en assaillir plusieurs. Ce que
ij’ay admiré autresfois de voir vnun cheualcheval dressé, à se manier à
toutes mains, auecavec vneune baguette, la bride aualléeavallée sur ses oreil-
les, estoit ordinaire aux Massiliens, qui se seruoientservoient de leurs
cheuauxchevaux sans selle & sans bride.,
Hh ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Et gens quae nudo residens Massilia derso
Ora leui flectit frenorum nescia, virga. ⁁
⁁ generosissimarum
gentium equites
frenatos et infrenatos.
⁁ Et des Numidiens:Et Numidae infraeni terrentcingunt: equi sine
fraenis, deformis ipse cursus, rigida
ceruice et extento capite currentium.
Le Roy Alphonce, celuy qui dressa en Espaigne, l’ordre des
cheuallierschevalliers de la Bande, ou de L’escharpe, leur donna entre au-
tres regles, de ne mōtermonter ny mule ny mulet, sur peine d’vnun marc
d’argent d’amende: comme ieje viens d’apprendre dans les let-
tres de GueuaraGuevara, desquelles ceux qui les ont appellées dorées,
faisoient iugementjugement bien autre que celuy que ij’en fay. ⁁
⁁ Le cortisan dict
qu’auantavant son temps
c’estoit reproche a un
gentillhome d’en les
cheuaucherchevaucher. ⁁
⁁ Les Abyssins a mesure
qu’ils sont plus grands &
plus auancesavances pres le
PreteianPretejan leur maistre
affectent au rebours des
mules a monter par honeur.
Xenofon
dictMontaigne a effacé "dict" avant d’ajouter le complément à cette addition qui se situe au dessus de la rédaction primitive. Il oublie sans doute ensuite de le rétablir. L’édition de 95 donne : "Xenophon recite". que les Assyriens
tenoint leurs cheuauschevaus
tousiourstousjours entrauezentravez au
logis tant ils estoint
facheus & farouches &
qu’il faloit tant de temps
à les destacher et
harnacher que pour
que cette longur a la
guerre ne leur aportat
domage s’ils uenointvenoint
à estre en dessoude
surpris par les enemis
ils ne logeoint iamaisjamais
en camp qui ne fut
fossoie & remparé Son
Cyrus si grand maistre au
enfaict de cheualeriechevalerie mettoit
les cheuauschevaus de son escot:
& ne leur faisoit bailler
à manger qu’ils ne
l’eussent gaigné par la
sueur de quelque exercice.
Les Scy-
thes, ou la necessité les pressoit en la guerre, tiroiēttiroient du sang de
leurs cheuauxchevaux, & s’en abreuuoientabreuvoient & nourrissoient,
Venit & epoto Sarmatusa pastus equo.
Ceux de Crotte assiegéz par Metellus, se trouuerenttrouverent en telle
disette de tout autre breuuagebreuvage, qu’ils eurent à se seruirservir de l’v-
rineu-
rine de leurs cheuauxchevaux. ⁁
⁁ Pour uerifierverifier combien les armees Turquesques se conduisētconduisent et maintienent a meillure raison que les nostres ils disent
qu’outre ce que les soldats ne boiuentboivent que de leaul’eau et ne mangent que ris et de la cher salee p mise en poudre de quoi chacun
porte aiseement sur soi prouisionprovision pour un mois: ils sçauentsçavent aussi uiurevivre du sang de leurs cheuauschevaus come les Tartares & MoscouitesMoscovites &
le salent.
Ces nouueauxnouveaux peuples des Indes, quādquand
les Espagnols y arriuerentarriverent, estimerent tant des hommes que
des cheuauxchevaux, que ce fussētfussent, ou Dieux ou animaux, en noblesse
au dessus de leur nature: aAucuns apres auoiravoir esté vaincus, ve-
nant demander paix & pardon aux hommes, & leur apporter
de l’or & des viandes, ne faillirent d’en aller autant offrir aux
cheuauxchevaux, auecavec vneune toute pareille harengue à celle des hōmeshommes,
prenant leur hannissement, pour langage de composition &
de trefuetrefve. Aux Indes de deçà, c’estoit anciēnemētanciennement le principal
& royal honneur de cheuaucherchevaucher vnun elephant, le second d’aller
en coche, trainé à quatre cheuauxchevaux, le tiers de monter vnun cha-
meau, le dernier & plus vile degré, d’estre porté où charrié par
vnun cheualcheval seul. ⁁
⁁ Quelcun de nostre
tamps escrit auoiravoir
veu en ce climat la,
des païs, ou lonl’on che=
uaucheche=
vauche les beufs,
aueqaveq bones bastines
estriez et brides, et
s’estre bien trouuétrouvé de
leur porture. Quintus
Fabius Maximus
Rutilianus contre
les Samnites uoiātvoiant
que ses gens de
cheualcheval a trois q ou quatre charges auointavoint failli d’enfoncer le bataillon des
ennemis print cet estrange conseil qu’ils debridassent leurs cheuauschevaus et
brechassent a toute force des esperons, si que rien ne les pouuantpouvant arreter
au trauerstravers des armes et des homes renuersezrenversez ouurirentouvrirent le pas a leurs
gens de pied qui parfirētparfirent une tressanglante desfaicte. Autant en comādacomanda
QuitQuintus FuluiusFulvius Flaccus pr contre les Celtiberiens quod saepe Romanos equites id cum
maiore ui equorum facietis si effrenatos in co hostes equos immittitis quod saepe
Romanos equites cum laude fecisse sua maemoriae proditum est
id cum maiore ui equorum facietis si effrenatos in hostes equos immittitis quod saepe Romanos equites cum
laude fecisse sua maemoriae proditum est Detractisque frenis
bis ultrò citròque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt.
Le Duc de MoscouieMoscovie deuoitdevoit anciennemētanciennement cet-
te reuerencereverence aux Tartares, quand ils enuoioyentenvoioyent vers luy des
Ambassadeurs, qu’il leur alloit au deuantdevant à pié, & leur luy presen-
toit vnun gobeau de lait de iumentjument (breuuagebreuvage qui leur est en de-
lices) & si en beuuantbeuvant quelque goutte en tōboittomboit sur le crin de
leurs cheuauxchevaux, il estoit tenu de la lecher auecavec la langue. En
Russie, l’armée que l’Empereur BaiazetBajazet y auoitavoit enuoyéenvoyé, fut
accablée d’vnun si horrible rauageravage de neiges, que pour s’en
LIVRE PREMIER. 123
mettre à couuertcouvert, & garentirsauuersauver du froid, plusieurs s’aduiserentadviserent
de tuer & euentrereventrer leurs cheuauxchevaux, pour se getter dedans, &
iouyrjouyr de cette chaleur vitale. ⁁
⁁ PaiazetBajazet apres cet aspre estour ou il fut rompu par Tamburlan se sauuoitsauvoit bell’erre sur une iumantjumant Arabesque s’il
n’eut este contreins de la laisser boire son soul au passage d’un ruisseau: ce qui la rendit si flacque et refroidie
qu’il fut bien aiseemant apres aconsuiuiaconsuivi par ceus qui le poursuiuointpoursuivoint. On dict bien qu’on les lache les laissant
pisser mais le boire ij’eusse plus tost estime qu’il l’eut refrechie et r’enforcee. Croesus passant le long de la uilleville
de Sardis y trouuatrouva des pastitz ou il y auoitavoit grande quantite de serpans des quels les cheuauschevaus de son armee mangeoint de grādgrandbon appetit,
a force doud’ou il printqui fut un mauuesmauves prodige a ses affaires dict Herodote.
Nous appellons vnun cheualcheval en-
tier qui à crin & oreille, & ne passent les autres à la montre:
les Lacedemoniens ayant desfait les Atheniens, en la Sicile,
retournans de la victoire en pompe en la ville de Siracuse,
entre autres brauadesbravades, firent tondre les cheuauxchevaux vaincus, &
les menaerent ainsin en triomphe. Alexandre combatit vneune
nation Dahas,: ils alloyent deux à deux armez à cheualcheval à la
guerre, mais en la meslée l’vnun descendoit à terre, & comba-
toiētcomba-
toient astureore à pied, astureore à cheualcheval, l’vnun apres l’autre. ⁁
⁁ IeJe n’estime point, qu’en suffisance, & en grace à cheualcheval, nulle nation nous emporte. Bon homme de
cheualcheval a l’usage de nostre parler samble plus regarder au corage qu’a l’adresse. Le plus sçauantsçavant le plus seur et mieux
aduenantadvenant a mener un cheualcheval a raison que ij’aye conu fut a mon grè le sieur de CarneualetCarnevalet qui en seruoitservoit nostre Roy
Henry secont. IJ’ay ueuveu home doner carriere a deus pieds sur sa selle Demonter sa selle & au retour la relleuerrellever reacommoder
& s’y rassoir fuiant touiourstoujours a bride aualleeavallee. Aiant passe par dessus un bonet y tirer par derriere des bons coups de son arc.
Amasser ce qu’il uouloitvouloit a terre se iettantjettant d’un pied a terre tenāttenant lautrel’autre en lestriel’estrie: et autres pareilles singeries de quoi il uiuoitvivoit.
On à veu
de mon temps à Constantinople, deux hommes sur vnun che-
ualche-
val, lesquels en sa plus roide course, se reiettoyentrejettoyent à tours, à
terre, & puis sur la selle:. &Et vnun, qui seulement des dents, bri-
doit & harnachoit son cheualcheval. VnUn autre, qui entre deux che-
uauxche-
vaux, vnun pied sur vneune selle, l’autre sur l’autre, portant vnun se-
cōdse-
cond sur ses bras, couroit à toute bride: ce secōdsecond tout debout, sur luy,
tirant en la course, des coups bien certains de son arc. Plu-
sieurs, qui les iambesjambes contre-mont, couroyent la teste plan-
tee sur leurs selles, entre les pointes des simeterres attachez au
harnois. En mon enfance le Prince de Sulmone à Naples,
maniant vnun rude cheualcheval, de toute sorte de maniemens, te-
noit soubs ses genouz & soubs ses orteils des reales:m pour comme
si elles y eussent esté clouees.: pmontrer pour montrer la
fermetè de son assiete.
Des coustumes anciennes. CHAP. XLVIIII.
IJ’EXCVSEROISEXCUSEROIS volontiers en nostre peuple, de n’a-
uoira-
voir autre patron & regle de perfection, que ses pro-
pres meurs & vsancesusances: car c’est vnun commun vice, non
du vulgaire seulement, mais quasi de tous hommes, d’auoiravoir
leur visée & leur arrest, sur le train, auquel ils sont nais. IeJe suis
content, quand il verra Fabritius ou ScipiōScipionLaelius, qu’il leur trouuetrouve
Hh iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la contenance & le port barbare, puis qu’ils ne sont ny vestus
ny façonnez à nostre mode. Mais ieje me plains de sa particu-
liere indiscretion, de se laisser si fort piper & aueugleraveugler à l’au-
thorité de l’vsageusage present, qu’il soit capable de changer d’o-
piniōo-
pinion & d’aduisadvis tous les mois, s’il plait à la coustume: & qu’il
iugejuge si diuersementdiversement de soy mesmes. Quand il portoit le busc
de son pourpoin entre les mamelles, il maintenoit par viuesvives
raisons qu’il estoit tresbienen son uraivrai lieu: quelques années apres le voyla
aualéavalé iusquesjusques entre les cuisses, il se moque de son autre vsageusage,
le trouuetrouve inepte & insupportable. La façon de se vestir pre-
sente, luy faict incontinent condamner & mespriser l’ancien-
ne, d’vneune resolution si grande, & d’vnun consentement si vni-
uerseluni-
versel, que vous diriez que c’est vneune vrayeespece de manie, qui luy rou-
letourneboule ainsi l’entendement. Par ce que nostre changement est
si subit & si prompt en cela, que l’inuentioninvention de tous les tail-
leurs du monde ne sçauroit fournir assez de nouuelleteznouvelletez, il
est force que bien souuentsouvent les formes mesprisées reuiennentreviennent
en credit, & celles là mesmes tombent en mespris tantost a-
pres, & qu’vnun mesme iugementjugement preigne en l’espace de quinze
ou vingt ans, deux ou trois, non diuersesdiverses seulement, mais cō-
trairescon-
traires opinions, d’vneune inconstance & legereté incroyable. ⁁
⁁ Il n’y a si fin d’entre
nous qui ne se laisse
embabouiner de cette
contradiction & esblouir
tant les yeus internes
que les externes insen
siblement.
IeJe
veux icy entasser aucunes coustumesfaçons anciennes, que ij’ay en
memoire: les vnesunes de mesme les nostres, les autres differen-
tes: afin qu’ayant en l’imagination cette continuelle variatiōvariation
des choses humaines, nous en ayons le iugementjugement plus esclair-
cy & plus ferme. Ce que nous disons de cōbatrecombatre, à l’espée &
la cape, il s’vsoitusoit encores entre les Romains, ce dict Caesar,
sinistris sagos inuoluunt, gladiósque distringunt. Et remerque des
lors, en nostre nation ce vice, qui y est encore, d’arrester les pas-
sans que nous rencōtronsrencontrons en chemin, & de les forcer de nous
dire qui ils sont, & de prendrereveuoirrecevoir à iniureinjure & occasion de querel-
le, s’ils refusent de nous respondre. Aux bains que les anciens
LIVRE PREMIER. 124
prenoyent tous les ioursjours auantavant le repas, & les prenoyent aus-
si ordinairement que nous faisons de l’eau à lauerlaver les mains,
ils ne se lauoyentlavoyent du commencement que les bras & les iam-
besjam-
bes, mais dépuis, & d’vneune coustume qui à duré plusieurs sie-
cles & en la plus part des nations du monde, ils se lauoyentlavoyent
tous nudz, d’eau mixtionnée & parfumée: de maniere, qu’ils
prenoyentemploioint pour tesmoignage de grande simplicité, de se la-
uerla-
ver d’eau simple. Les plus affetez & delicatz, se parfumoyent,
⁁ ⁁ tout le corps bien trois ou quatrefois par iourjour tout le corps. Ils se faisoyent
souuentsouvent pinceter ⁁ tout le poil par tout, comme les femmes Fran-
çoises ont pris en vsageusage, depuis quelque tēpstemps de faire leur frōtfront,
Quod pectus, quod crura tibi, quod brachia vellis.
Quoy qu’ils eussent des oignemens, qui seruoyentservoyentpropres à cela,. de
faire tomber le poil,
Psilotro nitet, aut arida latet abdita creta.
Ils aymoient à se coucher mollemētmollement, & alleguent pour preu-
uepreu-
ve de patience, de coucher sur le matelas. Ils mangeoyent
couchez sur des lits, à peu prez en mesme assiete que les Turcs
de nostre temps.,
Inde thoro pater Aeneas sic orsus ab alto.
Et dit on du ieunejeune CatōCaton qui depuis la bataille de Pharsale, estātestant
entré en deuil du mauuaismauvais estat des affaires publiques, il man-
gea tousiourstousjours assis, prenant vnun train de vie plus austere. Ils bai-
soyent les mains aux grands pour les honnorer & caresser. Et
entre les amis, ils s’entrebaisoyent en se saluant, comme font
les Venitiens.,
Gratatúsque darem cum dulcibus oscula verbis. ⁁
⁁ Et touchoīttouchoint aus
genous pour requerir
ou saluer un grand
Et Pasicles le philosofe
frere de Crates au lieu
de porter la main au
genou la porta aus
genitoires Celui a
qui il s’adressoit l’aiant
rudemētrudement repousse
Comant dit il cecy n’est il pas uostrevostre
aussi bien que les genous.
Ils mangeoyent comme nous, le fruict à l’yssue de table. Ils se
torchoyent le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine super-
stition des parolles) auecavec vneune esponge: voyla pour quoy spon-
gia est vnun mot obscoene en Latin: & estoit cette esponge at-
tachée au bout d’vnun bastōbaston: comme tesmoigne l’histoire de
ESSAIS DE M. DE MONTA.
celuy qu’on menoit pour estre presenté aux bestes, deuantdevant le
peuple, qui demanda congé d’aller à ses affaires, & n’ayant
autre moyen de se tuer, il se fourra ce baston & esponge dans
le gosier, & s’en estouffa. Ils s’essuyoient le catze de laine per-
fumée, quand ils en auoyentavoyent faict,
At tibi nil faciam, sed lota mentula lana.
Il y auoitavoit aux carrefours à Rome, des vaisseaux & demy-cu-
uescu-
ves, pour y apprester à pisser aux passans.,
Pusi saepe lacum propter, se ac dolia curta
Somno deuincti credunt extollere vestem.
Ils faisoyent collation entre les repas. Et y auoitavoit en esté, des
vendeurs de nege pour refrechir le vin: & en y auoiravoir qui se
seruoyentservoyent de nege en hyuerhyver, ne trouuanstrouvans pas le vin encore
lors assez froid. Les grands auoyentavoyent leurs eschançons & trē-
chanstren-
chans, & leurs fols, pour leur donner du plaisir. On leur ser-
uoitser-
voit en hyuerhyver la viande sur des fouyers qui se portoient sur la
table: & auoyentavoyent des cuisines portatiuesportatives,⁁ ⁁ come ij’en ai ueuveu dans lesquelles tout
leur seruiceservice se trainoit apres eux,
Has vobis epulas habete lauti,
Nos offendimur ambulante coena.
Et en esté ils faisoyent souuentsouvent en leurs sales basses, couler de
l’eau fresche & claire, dans des canaus au dessous d’eux, où il y
auoitavoit force poisson en vie, que les assistans choisissoyent &
prenoyētprenoyent en la main, pour le faire aprester, chacūchacun à son goustsa poste:
car lLe poisson à tousiourstousjours eu ce priuilegeprivilege, comme il à enco-
res, que les grans se meslent de le sçauoirsçavoir aprester: aussi en est
le goust beaucoup plus exquis, que de la chair, aumoins pour
moy. Mais en toute sorte de magnificence, de desbauche, &
d’inuentiōsinventions voluptueuses, de mollesse & de sumptuosité, nous
faisons à la verité ce que nous pouuōspouvons pour les égaler, car no-
stre volonté est bien aussi gastée que la leur, mais nostre suffi-
sance n’y peut arriuerarriver: nos forces ne sont non plus capables
de
LIVRE PREMIER. 125
de les ioindrejoindre, en ces parties la vitieuses, qu’aux vertueuses: car
les vnesunes & les autres partent d’vneune vigueur d’esprit, qui estoit
sans comparaison plus grande en eux qu’en nous: & les ames
à mesure qu’elles sont moins fortes, elles ont d’autant moins
de moyen de faire ny fort biēbien, ny fort mal. Le haut bout d’en-
tre eux c’estoit le milieu. Le deuantdevant & derriere n’auoyentavoyent en
escriuantescrivant & parlant aucune signification de grandeur, com-
me il se voit euidemmentevidemment par leurs escris: ils diront Oppius
& Caesar, aussi volontiers, que Caesar & Oppius: & diront
moy & toy indifferemmētindifferemment comme toy & moy. Voyla pour-
quoy ij’ay autrefois remarqué en la vie de Flaminius de Plu-
tarque François, vnun endroit, où il semble que l’autheur parlātparlant
de la ialousiejalousie de gloire, qui estoit entre les AEtoliēsAEtoliens & les Ro-
mains, pour le gain d’vneune bataille qu’ils auoyentavoyent obtenu en
commun, face quelque pois de ce qu’aux chāsonschansons Grecques,
on nommoit les AEtholiens auantavant les Romains, s’il n’y à de
l’Amphibologie aux mots François. Les Dames estant aux e-
stuuese-
stuves, y receuoyentrecevoyent quant & quant des hommes, & se ser-
uoyentser-
voyent la mesme, de leurs valets à les frotter & oindre.,
Inguina succinctus nigra tibi seruus aluta
Stat, quoties calidis nuda foueris aquis.
Elles se saupoudroyent de quelque poudre, pour reprimer les
sueurs. Les anciens Gaulois, dict Sidonius Apollinaris, por-
toyent le poil long par le deuantdevant, & le derriere de la teste tō-
duton-
du, qui est cette façon qui viētvient à estre renouuelléerenouvellée par l’vsageusage
effeminé & láche de ce siecle. Les Romains payoient ce qui
estoit deu aux bateliers, pour leur voiturenolleage, des l’entrée du ba-
teau, ce que nous faisons apres estre rendus à port.,
dum as exigitur, dum mula ligatur, en ça
tTota abit hora.
Les femmes couchoyent au lict du costé de la ruelle: voyla
pourquoy on appelloit Caesar, spondam Regis Nicomedis. Ils pre-
Ii
ESSAIS DE M. DE MONTA.
noyent aleine en beuuantbeuvant. Ils baptisoient le vin,
quis puer ocius
Restinguet ardentis falerni
Pocula praetereunte lympha?
Et ces champisses contenances de nos laquais y estoyētestoyent aussi.,
O Iane à tergo quem nulla ciconia pinsit,
Nec manus auriculas imitata est mobilis albas,
Nec linguae quantum sitiet canis Apula tantum.
Les Dames Argienes & Romaines, portoyent le deuil blanc,
comme les nostres auoiētavoient accoustumé, & deuoyētdevoyent continuer
de faire, si ij’en estois creu. Mais il y à des liureslivres entiers faits sur
cet argument.
De Democritus & Heraclitus
CHAP. L.
LE iugementjugement est vnun vtilutil à tous subiectssubjects, & se mesle par
tout. A cette cause aux essais, q̄que ij’ēen fay icy, ij’y employe
toute sorte d’occasion. Si c’est vnun subiectsubject que ieje n’en-
tende point, à cela mesme ieje l’essaye, sondant le gué de bien
loing, &Et puis le trouuanttrouvant trop profond pour ma taille, ieje me
tiens à la riuerive,: &Et cette recōnoissancereconnoissance de ne pouuoirpouvoir passer ou-
tre, c’est vnun traict de son effect, voire de ceux, dequoy il se vā-
tevan-
te le plus. Tantost à vnun subiectsubject vain & de neant, ij’essaye voir
s’il trouueratrouvera dequoy luy donner corps, & dequoy l’appuyer
& estançonner. Tantost ieje le promene à vnun subiectsubject noble &
fort tracassé, auquel il n’a rien à trouuertrouver de soy-mesme, le che-
min en estant si frayé & si batu, qu’il ne peut marcher que sur
la piste d’autruy. Là il fait son ieujeu à eslire la route quy luy sem
ble la meilleure:, & de mille sentiers, il dict que cettuy-cy,
ou celuy là, à esté le mieux choisi. Au demeurant ieje lais-
seIeJe prens de la fortune me fournir les subiectssubjectsle premier argument,: d’autant qu’iIls me
sont également bons: &Et si n’entreprens pasne desseigne iamaisjamais de les traicterproduire enti en-
LIVRE PREMIER. 126
tiers & à fons de cuuecuvetiers et a fons de cuuecuve:⁁
⁁ . Car ieje ne voy le tout de rien: Ne font pas, ceux
qui promettent de le uoirvoir et traicternous le faire uoirvoir. De millecent membres et uisagesvisages qu’ilsa chaque
ontchose ij’en prans quelque brin a escorcher et pinseret lecher par foisun tantost a lescher sulemant, tantost a efflorer Et, par fois a pinser iusqujusqu’à
l’os au sang Si non le plus largement que ieje sçai au moins le plus profondemant et
interieuremantIJ’y done une poincte non pas le plus largement, mais le plus profondemant que ieje sçay.
Et aime plus souuantsouvant a a les sesir par quelque poinctlustre inusité.
plus souuantsouvant.
de mille visages qu’ils ont chacūchacun, ij’en
prens celuy qu’il me plait ⁁
⁁, et n’en dis qu’e
autant qu’il me plait
: ieje les saisis voleontiers par quelque
lustre extraordinaire: ijIJen trieroy biēbien de plusIeJe me hasarderois par fois a des matieres riches & pleinset grauesgraves,
si ij’auoyavoy quelque autre fin proposée, ⁁Ce signe d’insertion renvoyait initialement à l’addition située verticalement en marge gauche. que celle que ij’ay. Tou-
te action est propre à nous faire cōnoistreconnoistre:Tout mouuementmouvement
nous descouuuredescouvre IeJe me hasarderois de traicter a fons quelque
matiere ⁁
⁁ et si ieje me conessois moins. Si ij’y tumbe c’est accessoiremant. En sSemant icy un
mot icy un autre Eschantillons des hors de leur theme Eeschantillons despris
de leur piece: escartez. Sans corps, sans proposition: ieje n’en suis pas tenu
dessein et sanssans promesse. Partantieje ne suis ieje pas tenu d’en faire bon. Ny de m’y tenir
moismesme sans uariervarier quand il me plait. Et me randre au doubte et incertitude
& a ma maistresse forme, qui est l’ignorance. Tout mouuemantmouvemant nous descouuredescouvre.
cCette mesme ame
de Caesar, qui se faict voir à ordonner & dresser la bataille de
Pharsale, elle se faict aussi voir à dresser des parties oysiuesoysives &
amoureuses:. ⁁
⁁ et n’est non plus
ouuerteouverte et entiere
a faire les aproches
d’un siege qu’a un
ieujeu d’eschez ou
autre pareil ieujeu
de son usage:
oOn iugejuge vnun cheualcheval, non seulement à le voir ma-
nier sur vneune carriere, mais encore à luy voir aller le pas, voire
& à le voir en repos à l’estable. ⁁
⁁. Entre les functions
de l’ame il en est de
basses: qui ne la uoidvoid
encores par la, n’acheueacheve
pas de la conoistre. Et
a lauanturel’avanture la remarque
lonl’on mieus ou elle uava son pas
simple. Les uansvans des passions la
prenent plus en ces hautes
assietes. IointJoint qu’elle se couche
entiere sur chaque matiere: et
s’y exerce entiere et n’en trete iamaisjamais plus d’une à
la fois. Etl la traicte
non selon elle, mais
selon soy. Les choses à
par elles ont peut estre
leurs pois et mesures et
conditions, mais au
dedans en nous, elle les
leur taille come elle
l’entant. La mort est
effroiable a Ciceron,
desirable a Caton,
indifferante a Socrates.
La sante la consciance
lauthoritel’authorite la sciance
la richesse la beaute
et leurs contreres se
despouillent a l’entree
et reçoiuentreçoivent de lamel’ame
nouuellenouvelle uesturevesture et de
la teinture qu’il luy
brune uerteverte clere
obscure aigre douce
profonde superficielle plait: brune uerteverte clere obscure aigre douce profonde superfi=
cielle: et qu’il plait a chacune d’elles: car elles n’ont pas uerifieverifie en commun leurs stilles
regles et formes: chacune est roine en son estat. Parquoi ne prenons plus excuse des exter=
nes qualitez des choses: c’est a nous a nous en rendre conte. Nostre bien et nostre mal ne tient
qu’a nous. Offrons y nos offrandes et nos ueusveus, non pas a la fortune: elle ne peut rien sur nos
meurs: au rebours, elles l’entreinent a leur suite, et la moulent a leur forme. Pourquoi ne
iugeraijugerai ieje d’Alexandere a table deuisantdevisant et beuuantbeuvant d’autant: ou s’il maniantoit des eschetz.
Quelle corde de son esperit ne touche et n’emploie ce niais et puerille ieujeu. IeJe le hai et fuis, de
ce qu’il n’est pas asses ieujeu, et qu’il nous esbat trop serieusemant, ayant honte d’y fournir
l’attantion qui suffiroit a quelque bone chose. Il ne fut pas plus enbesouigné a dresser ⁁
Suite de cette addition au bas de la marge du folio 125v.
⁁ son glorieus passage aus Indes: ny cet autre, a desnouer un passage du quel
despant le salut du genre humain. Voies combien nostre ame grossit et espessit cet
amusemant ridicule: si tous ses nerfs ne bandent. Combien amplemant elle done a chacun loi
en cela, de se conoistre, et de iugerjuger droictemant de soi. IeJe ne me uoisvois et retaste plus
uniuersellemantuniversellemant en null’autre posture. Quelle passion noe nous y exerce: la cholere
le despit la heine l’impatiance, et une uehemantevehemante ambition de ueve surmonterueincreveincre, en chose
en laquelle il seroit plus excusable d’estre ābitieusambitieus de perdred’estre ueincuveincu. Car la praecellance
rare et audessus du commun messiet a un home d’honur en chose friuolefrivole. Ce que ieje
dis en cet example se peut dire en tous autres: chaque parcelle chaque occupation
de l’homme, l’accuse,et le montre esgallemant qu’un’autre. Omnia omnium rerum
Democritus & Heraclytus,
ont esté deux philosophes, desquels le premier trouuanttrouvant vai-
ne & ridicule l’humaine condition, ne sortoit en public,
qu’auecavec vnun visage moqueur & riant: Heraclitus, ayant pi-
tié & compassion de cette mesme conditiōcondition nostre, en por-
toit le visage continuellement atristé, & les yeux chargez de
larmes.,
alter
Ridebat quoties à limine mouerat vnum
Protulerátque pedem, flebat contrarius alter.
IJ’ayme mieux la premiere humeur, nōnon par ce qu’il est plus plai-
sant de rire que de pleurer: mais par ce qu’elle est plus desdai-
gneuse, & qu’elle nous accusecondamne plus que l’autre: & il me sem-
ble, que nous ne pouuonspouvons iamaisjamais estre assez mesprisez selon
nostre merite. La plainte & la commiseration sont meslées à
quelque estimation de la chose qu’on plaint: les choses de-
quoy on se moque, on les estime vaines & sans pris. IeJe ne pē-
sepen-
se point qu’il y ait tant de malheur en nous, comme il y à de
vanité, ny tant de malice comme de sotise: nous ne sommes
pas tāttantsi pleins de mal, comme d’inanité : nous ne sommes pas
tantsi miserables, comme nous sommes viles. Ainsi Diogenes,
qui baguenaudoit apart soy, roulant son tōneautonneau, & hochant
du nez le grand Alexandre, nous estimant trestous des mou-
Ii ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ches, ou des vessies pleines de vent, estoit bien iugejuge plus aigre
& plus piquantpouignant, & par consequent, plus iustejuste à mon humeur
que TimōTimon, celuy qui fut snurnomme le haisseur des hommes.
Car ce qu’on hait on le prend à coeur. Cettuy-cy nous sou-
haitoit du mal, estoit passiōnépassionné du desir de nostre ruine, fuioit
nostre conuersationconversation comme dangereuse, de meschans, & de
nature deprauéedepravée: l’autre nous estimoit si peu, que nous ne
pourrions, ny le troubler, ny l’alterer par nostre contagion,
nous laissoit de compagnie, non pour la crainte, mais pour
le desdain de nostre commerce: il ne nous estimoit capables,
ny de bien, ny de mal faire. De mesme marque fut la respon-
ce de Statilius, auquel Brutus parla pour le ioindrejoindre à la cons-
piration contre Caesar: il trouuatrouva l’entreprinse iustejuste, mais il ne
trouuatrouva pas les hommes dignes, pour lesquels on se mit aucu-
nement en peine. ⁁
⁁ Conformeement a la
discipline de Hegesias
qui disoit le sage ne deuoirdevoir
rien faire que pour soy:
d’autant qu’ile n’y a que
soy qui merite qu’on face
pour luysul, il est digne pour qui on face.
Et a celle de Theodorus que c’est
iniusticeinjustice que le sage se hasarde se pour
le bien de son païs et qu’il mette en
peril la sagesse pour des fols.
Nostre propre et peculiere condition,
est autant ridicule que risible.
De la vanité des paroles.
CHAP. LI.
VNUN Rhetoricien du temps passé, disoit que son mestier
estoit, de choses petites les faire paroistre & trouuertrouver
grandes.: Cc’est vnun cordonnier qui sçait faire de grands
souliers à vnun petit pied. On luy eut faict donner le fouët en
Sparte, de faire profession d’vnun’art piperesse & mensongere:
& croy que Archidamus qui en estoit Roy, n’ouit pas sans e-
stōnemente-
stonnement la respōceresponce de Thucididez, auquel il s’ēqueroitenqueroit, qui
estoit plus fort à la luicte, ou Pericles ou luy: cela, fit-il, seroit
mal-aysé à verifier, car quādquand ieje l’ay porté par terre en luictātluictant,
il persuade à ceux qui l’ōtont veu, qu’il n’est pas tōbtomb,éé, & le gaigne.
Ceux qui masquētmasquent & fardent les femmes, font moins de mal,
car c’est chose de peu de perte de ne les voir pas en leur natu-
rel: là où ceux-cy font estat de trōpertromper, nōnon pas nos yeux, mais
LIVRE PREMIER. 127
nostre iugemētjugement, & d’abastardir & corrōprecorrompre l’essēceessence des choses.
Les republiques qui se sont maintenuës en vnun estat reglé &
bien policé, comme la Cretense ou Lacedemonienne, elles
n’ont pas faict grand compte d’orateurs,: ⁁
⁁ Ariston definit sagemātsagemant la rhetorique sciance a persuader le peuple: Socrates
Platon Celsus Athenaeus art de tromper et de flater: et ceus qui le nient
en la generale description le uerifientverifient par tout en leurs preceptes.
Socrates disoit sa fin n’estre qu’adulation Les Mahumetans en defandent l’instruction
a leurs enfans pour son inutilite come Postel escrit Et les Atheniens s’aperceuensapercevens combien son usage qui auoitavoit
tout credit en leur uilleville estoit pernicieus ordonarent que sala principale partie qui est emouuoiremouvoir les affections en fut ostee ensamble les exordes et perorations.
cC’est vnun vtilutil inuentéinventé
pour manier & agiter vneune tourbe, & vneune commune desrei-
glée: ⁁ & est vtilutil qui ne s’ēployeemploye qu’aux estats malades, cōmecomme la me-
decine: eEn ceux ou le peupleuulguerevulguere, ou les ignorans, ou tous ont tout
peu, comme celuy d’Athenes, de Rhodes, & de Rome, & où
les choses ont esté en perpetuelle tempeste, là ont foisonnéafflué
les orateurs. Et à la verité, il se void peu de personnages en ces
republiques là, qui se soient poussez en grand credit sans le se-
cours de l’eloquēceeloquence: Pompeius, Caesar, Crassus, Lucullus, Len-
tulus, Metellus, ont pris de la, leur grand appuy à se monter à
cette grandeur d’authorité, où ils sont en fin arriuezarrivez: & s’en
sont aydez plus que des armes. ⁁
⁁
cContre l’opinion des
meilleurs temps:. La
sciance et le bien dire
on l’assignoit aus iugesjuges
& praeturs: aus consuls
la uertuvertu & le bien faireCar
L. Volumius consul
parlant en publiq en
faueurfaveur de l’election
au cōsulatconsulat faicte des
persones de Q. Fabius
& P. Decius. Esse praeter
praeterea uiros natos
militiae, factis magnos
ad uerborūverborum linguaeque
certamina rudes: ea
ingenia consularia
esse: callidos soler=
tesque, iuris atque
eloquentiae consultos
urbi ac foro praesides
habendos, praetoresque
ad reddenda iura
creandos esse. Ce sont
gens nais a la guerre
propresgrans aus effaicts
au combat du babil
rudes: esperits uraiementvraiement
consuleres: lLes
subtils eloquans et
sçauanssçavans sont bons
pour la uilleville, praeturs
a faire iusticejustice., dict il.
On remarque aussi que l’art
dL’eloquēceeloquence à fleury le plus,⁁ ⁁ a Rome lors que les affaires ont esté en plus
mauuaismauvais estat, & que l’orage des guerres ciuilesciviles les à agitezagitoit:
cōmecomme vnun chāpchamp libre & indōptéindompté, porte les herbes plus gaillar-
des. Il semble par là que les estatspolices, qui dépendent d’vnun monar-
que en ont moins de besoin que les autres: car la bestise & fa-
cilité, qui se trouuetrouve en la commune, & qui la rend subiectesubjecte à
estre maniée & cōtournéecontournée par les oreilles, au doux son de cet-
te harmonie, sans venir à poiser & cōnoistreconnoistre la verité des cho-
ses par la force de la raison,: cette facillité ⁁ ⁁ dis ieje ne se trouuetrouve pas si
aisément en vnun seul, & est plus aisé de le garentir par ⁁ ⁁ bone institution et bon con-
seil de l’impression de cette poison. On n’a pas veu sortir de
Macedoine ny de Perse, aucun orateur de renōrenom. IJ’en ay dict ce
mot, sur le subiectsubject d’vnun Italien, que ieje vien d’entretenir, qui à
seruyservy le feu Cardinal Caraffe de maistre d’hostel iusquesjusques à sa
mort. IeJe luy faisoy cōptercompter de sa charge: il m’a fait vnun discours
de cette sciēcescience de gueule, auecavec vneune grauitégravité & contenance ma-
gistrale, comme s’il m’eust parlé de quelque grand poinct de
Ii iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Theologie. Il m’a dechifré vneune difference de gousts’appetis: celuy
qu’on a à ieunjeun, qu’on a apres le second & tiers seruiceservice: les
moyens tantost de luy plaire simplement, tantost de l’eueil-
lereveil-
ler & picquer: la police de ses sauces,: premieremētpremierement en general,
& puis particularisant les qualitez des ingrediens, & leurs ef-
fects: les differences des salades selon leur saison, celle qui doit
estre reschaufée, celle qui veut estre seruieservie froide, la façon de
les orner & embellir, pour les rendre encores plaisantes à la
veuë. Apres cela il est entré sur l’ordre du seruiceservice, plein de bel-
les & importantes considerations.,
nec minimo sane discrimine refert
Quo gestu lepores, & quo gallina secetur.
Et tout cela enflé de riches & magnifiques parolles, & celles
mesmes qu’on employe à traiter du gouuernementgouvernement d’vnun Em-
pire. Il m’est souuenusouvenu de mon homme
Holc salsum est, hoc adustum est, hoc lautum est parum,
Illud rectè, iterum sic memento, sedulo
Moneo quae possum pro mea sapientia.
Postremo tanquam in speculum, in patinas, Demea,
Inspicere iubeo, & moneo quid facto vsus sit.
Si est-ce que les Grecs mesmes loüerent grandement l’or-
dre & la disposition que Paulus AEmilius, obseruaobserva au fe-
stin, qu’il leur fit au retour de Macedoine: mais ieje ne parle
point icy des effects, ieje parle des mots. IeJe ne sçay s’il en aduientadvient
aux autres comme à moy, mais ieje ne me puis garder quādquand ij’oy
nos architectes, s’enfler de ces gros mots de pilastres, architra-
uesarchitra-
ves, corniches, d’ouurageouvrage CorinthiēCorinthien, & Dorique, & semblables
de leur iargonjargon, que mon imagination ne se saisisse incontinētincontinent
du palais d’Apolidon, & par effect ieje trouuetrouve que ce sont les
chetiueschetives pieces de la porte de ma cuisine. Oyez dire metono-
mie, metaphore, allegorie, & autres tels noms de la grammai-
re, semble-il pas qu’on signifie quelque forme de langage ra-
LIVRE PREMIER. 128
re & pellegrin,: ce sōtsont titres qui touchēttouchent le babil de vostre chā-
brierechan-
briere. C’est vneune piperie voisine à cettecy, d’appeller les offices
de nostre estat, par les titres superbes des Romains, encore
qu’ils n’ayētayent aucune ressemblāceressemblance de charge, & encores moins
d’authorité & de puissance. Et cette-cy aussi, qui seruiraservira à mon
aduisadvis vnun iourjour de tesmoignage d’vneune singuliere vanitéineptie de no-
stre siecle, d’employer vainement & sans considerationindignement à
qui bon nous semble, les surnoms les plus glorieux, dequoy
l’ancienneté ait honoré vnun ou deux personnages en plusieurs
siecles. Platon à emporté ce surnom de diuindivin, par vnun con-
sentemētcon-
sentement vniuerseluniversel, que aucun n’a essayé luy enuierenvier: & les Ita-
liens qui se vantent, & auecquesavecques raison, d’auoiravoir cōmunémentcommunément
l’esprit plus esueilléesveillé, & le discours plus sain que les autres na-
tions de leur temps, en viennent d’estrener l’Aretin: auquel
sauf vneune façon de parler bouffie & bouillonnée de pointes, in-
genieuses à la verité, mais recherchées de loing, & fantasques,
& outre l’eloquence en fin, telle qu’elle puisse estre, ieje ne voy
pas qu’il y ait rien au dessus des communs autheurs de son sie-
cle, tant s’en faut qu’il approche de cestte diuinitédivinité ancienne. Et
le surnom de grand, nous l’attachons à des Princes, qui n’ont
eu rien au dessus de la grandeur communepopulere.
De la parsimonie des anciens.
CHAP. LII.
ATTILIVS Regulus, general de l’armée Romaine en
Afrique, au milieu de sa gloire & de ses victoires con-
tre les Carthaginois, escriuitescrivit à la chose publique qu’vnun
valet de labourage, qu’il auoitavoit laissé seul au gouuernementgouvernement de
son bien, qui estoit en tout sept arpents de terre, s’en estoit en-
fuy, ayant desrobé ses vtilsutils de labourage, & demandoit congé
pour s’en retourner & y pouruoirpourvoir, de peur que sa femme, &
ses enfans n’en eussent à souffrir: le Senat pourueutpourveut à com-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mettre vnun autre à la conduite de ses biens, & luy fist restablir,
ce qui luy auoitavoit esté desrobé, & ordonna que sa femme & en-
fans seroient nourris aux despens du public. Le vieux Caton
reuenantrevenant d’Espaigne Consul, vēditvendit son cheualcheval de seruiceservice pour
espargner l’argent qu’il eut couté à le ramener par mer en Ita-
lie: & estant au gouuernementgouvernement de Sardaigne, faisoit ses vi-
sitations à pied, n’ayant auecavec luy autre suite que d’’vnun offi-
cier de la chose publique, qui luy portoit sa robbe, & vnun
vase à faire des sacrifices: & le plus souuentsouvent il pourtoit sa male
luy mesme: iIl se vantoit de n’auoiravoir iamaisjamais eu robbe qui
eust cousté plus de dix escus, ny auoiravoir enuoyéenvoyé au marché plus
de dix sols pour vnun iourjour: & de ses maisons aux champs, qu’il
n’en auoitavoit aucune qui fut crepie & enduite par dehors, ScipiōScipion
AEmilianus apres deux triomphes & deux Consulats, alla en
legation auecavec sept seruiteursserviteurs seulemētseulement. [Il ne fut taxé que cinq
sols & demy, pour iourjour, à Tyberius Gracchus, allant en com-
mission pour la chose publique, estant lors le premier hom-
me des Romains.]
mettez cette clause
enfermee, a la
fin du chapitre
On tient qu’Homere n’ēen eust iamaisjamais qu’vnun,
Platon trois, Zenon le chef de la secte Stoique pas vnun.
D’vnun mot de Caesar. CHAP. LIII.
SI nous nous amusions par fois à nous considerer, &
le temps que nous mettons à contreroller autruy, & à
connoistre les choses qui sont hors de nous, que nous
l’emploissions à nous sonder nous mesmes, nous sentirions
aisément combien toute cette nostre contexture est bastie de
pieces foibles & defaillantes. N’est-ce pas vnun singulier tesmoi-
gnage d’imperfection, de ne pouuoirpouvoir r’assoir nostre contente-
mētcontente-
ment en aucune chose, & que par desir mesme & imaginatiōimagination il
soit hors de nostre puissance de choisir ce qu’il nous faut? De-
quoy porte bon tesmoignage cette grande & noble dispute,
qui
LIVRE PREMIER. 129
qui à tousiourstousjours esté entre les Philosophes, pour trouuertrouver le
souuerainsouverain biēbien de l’homme, & qui dure encores & durera eter-
nellement, sans resolution & sans accord.:
dum abest quod auemus, id exuperare videtur
Caetera, post aliud cùm contigit illud auemus
Et sitis aequa tenet.
Quoy que ce soit qui tombe en nostre connoissance & iouïs-
sancejouïs-
sance, nous sentons qu’il ne nous satisfaict pas, & allōsallons beant
apres les choses adueniradvenir & inconnuës, d’autant que les presen-
tes ne nous soulent point: nōnon pas à mon aduisadvis qu’elles n’ayent
assez dequoy nous souler, mais c’est que nous les saisissōssaisissons d’v-
neu-
ne prise malade & desreglée.,
Nam cùm vidit hic ad vsum quae flagitat vsus,
Omnia iam ferme mortalibus esse parata,
Diuitiis homines & honore & laude potentes
Affluere, atque bona natorum excellere fama,
Nec minus esse domi, cuiquam tamen anxia corda,
Atque animum infestis cogi seruire querelis:
Intellexit ibi vitium vas facere ipsum,
Omniáque illius vitio corrumpier intus
Quae collata foris & commoda quaeque venirent.
Nostre goustappetit est irresolu & incertain: il ne sçait rien tenir, ny
rien iouyrjouyr de bonne façon. L’homme estimant que ce soit le
vice de ces choses, se remplit & se paist d’autres choses qu’il
ne sçait point, & qu’il ne cognoit point, où il applique ses de-
sirs & ses esperances, les prend en honneur & reuerencereverence: com-
me dict Caesar, Communi fit vitio naturae, vt inuisis, latitantibus
atque incognitis rebus magis confidamus, vehementiúsque exterreamur.
Il se fait par vnun vice ordinaire de nature, que nous ayōsayons & plus
de fiance, & plus de crainte des choses, que nous n’auonsavons pas
veu, & qui sont cachées & inconnues.
Kk
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Des vaines subtilitez. CHAP. LIIII.
IL est de ces subtlitez friuolesfrivoles & vaines, par le moyen
desquelles, les hommes cherchent quelques fois de la
recommandation: comme les poëtes, qui font des ou-
uragesou-
vrages entiers, de vers, cōmençāscommençans par vneune mesme lettre: nous
voyons des oeufs, des boules, des aisles, des haches façonnées
anciennement par les Grecs, auecavec la mesure de leurs vers, en les
alongeant ou accoursissant, en maniere qu’ils viennētviennent à repre-
senter telle, ou telle figure. Telle estoit la sciēcescience de celuy, qui
s’amusa à conter en combien de sortes se pouuoientpouvoient renger les
lettres de l’alphabet, & y en trouuatrouva ce nombre incroiable, qui
se void dans Plutarque. IeJe trouuetrouve bonne l’opinion de celuy, à
qui on presenta vnun homme, apris à ietterjetter de la main vnun grain
de mil, auecavec telle industrie, que sāssans faillir, il le passoit tousiourstousjours
dans le trou d’vneune esguille, & luy demanda lonl’on apres quelque
present pour loyer d’vneune si rare suffisance: surquoy il ordonna
bien plaisamment, & iustemētjustement à mon aduisadvis, qu’on fit donner
à cet ouurierouvrier deux ou trois minots de mil, affin qu’vnun si bel art
ne demeurast sans exercice. C’est vnun tesmoignage ⁁ merueilleusmerveilleus de la foi-
blesse de nostre iugementjugement, dequ’il recommander les choses par la
rareté ou nouuelleténouvelleté, ou encore par la difficulté, si la bonté &
vtilitéutilité n’y sont ioinctesjoinctes. Nous venons presentement de nous
iouërjouër chez moy, à qui pourroit trouuertrouver plus de choses qui se
tiennent par les deux bouts extremes: comme, Sire, c’est vnun
tiltre qui se donne à la plus esleuéeeslevée personne de nostre estat,
qui est le Roy, & se donne aussi au vulgaire, comme aux mar-
chans, & ne touche point ceux d’entre deux. Les femmes de
qualité, on les nomme Dames, les moyennes, Damoiselles, &
Dames encore celles de la plus basse marche. Les dez qu’on e-
stend sur les tables, ne sont permis qu’aux maisons des princes
& aux tauernestavernes. Democritus disoit, que les dieux & les bestes
LIVRE PREMIER. 122130
auoientavoient les sentimens plus aiguz que les hommes, qui sont au
moyen estage. Les Romains portoient mesme accoutrement
les ioursjours de deuil & les ioursjours de feste. Il est certain que la peur
extreme, & l’extreme ardeur de courage troublent égalemētégalement
le ventre & le laschētlaschent. ⁁
⁁ Le saubli saubriquet
de tremblant, du quel
le 12 Roy de NauarreNavarre
Sancho fut surnome
nous aprant que la hardies=
se aussi bien que la peur
font frissoner et tresmousser
nos membres Et celuy a
qui ses iansjans qui larmointl’armoint
uoïantvoïant frissoner lela peaupeau
corps s’essaioint de le
rassurer etn apetissant ⁁
⁁ le hasard au quel il
s’aloit presanter luyleur
dict Vous me conessez
mal. Si ma cher sçauoitsçavoit
ou mon corage la
portera tantost elle
s’en trāsiroittransiroit tout a faict
plat.
La foiblesse qui nous vient de froideur,
& desgoutement aux exercices de Venus, elle nous vient aussi
d’vnun appetit trop vehement, & d’vneune chaleur desreglée. L’ex-
treme froideur & l’extreme chaleur cuisent & rotissent. Ari-
stote dict que les cueus de plomb se fondent, & coulent de
froid, & de la rigueur de l’hyuerhyver, comme d’vneune chaleur vehe-
mente. ⁁
⁁ LaLe soifdesir et la satieté
remplissent de dolur
les sieges au dessus et
au dessous de la uoluptévolupté.
La bestise & la sagesse se rencontrent en mesme point
de goustsentimant & de resolution à la souffrance des accidēsaccidens humains:
les Sages gourmandent & commandent le mal, & les autres
l’ignorent: ceux-cy sont, par maniere de dire, au deçà des acci-
dens, les autres au delà: lesquels apres en auoiravoir bien poi-
sé & consideré les qualitez, les auoiravoir mesurez & iugezjugez tels
qu’ils sont, s’eslancent au dessus, par la force d’vnun vigoureux
courage: Iils les desdaignent & foulent aux pieds, ayant
vneune ame forte & solide, contre laquelle les traicts de la fortu-
ne venant à donner, il est force qu’ils reialissentrejalissent & s’émous-
sent, trouuanttrouvant vnun corps dans lequel ils ne peuuētpeuvent faire impres-
sion: l’ordinaire & moyenne conditiōcondition des hommes, loge en-
tre ces deux extremitez:, qui est de ceux qui apperçoiuentapperçoivent les
maux, les goustentsentent, & ne les peuuentpeuvent supporter. L’enfance &
la decrepitude se rencontrent en imbecillité de cerueaucerveau. L’a-
uaricea-
varice & la profusion en pareil desir d’attirer & d’acquerir. Il
se peut dire auecavec apparēceapparence,⁁
⁁ que l’infime
estage est le
giste de lil y a une ignorance
le secont deabecedere qui precede la
sciance. Le supreme
de lignorancel’ignorance
encores.un’autre
doctorale et
Socratique Et se
peut dire aussi
qui suit la sciance.
qu’il y a ignorance
abecedere qui
uava deuancetdevancet la sciance
un’autre doctorale
et Socratique qui suitqui uientvient apres la sciance:
ignorance que la sciance ce faict et dicte et engendre
tout aīsiainsi come elle desfaict ⁁ ⁁ et destruit la premiere.
que dDes esprits simples, moins cu-
rieux & moins sçauanssçavansinstruits, il s’en faict de bons Chrestiens, qui
par reuerencereverence & obeissance, croient ⁁ simplement & se maintiennent soubs
les loix. En la moyenne vigueur des esprits, & moyēnemoyenne scien-
cedoctrine capacite, s’engendre l’erreur des opiniōsopinions: ils suyuentsuyvent l’apparence du
premier sens: & ont quelque tiltre d’interpreter à simplicité
& ignorāceignorancebestise, de nous voir arrester en l’ancien train, regardant
Kk ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à nous, qui n’y sommes pas instruicts par estude. Les grands
esprits plus rassis & clairuoians, font vnun autre genre de bien
croyans: lesquels par longue & religieuse inuestigationinvestigation, pe-
netrent vneune plus profonde & abstruse lumiere, és escriptures,
& sentent le misterieux & diuindivin secret, de nostre police Ec-
clesiastique. Pourtant en voyons nous aucuns estre arriuezarrivez à
ce dernier estage, par le second, auecavec merueilleuxmerveilleux fruict, &
confirmation: comme à l’extreme limite de la Chrestienne
intelligence: & iouyrjouyr de leur victoire auecavec consolation, a-
ction de graces, reformatiōreformation de meurs, & grande modestie. Et
en ce rang n’entens-ieje pas loger, ces autres, qui pour se purger
du soubçon de leur erreur passé, & pour nous asseurer d’eux,
se rendent extremes, indiscrets, & iniustesinjustes, à la conduicte de
nostre cause, & là taschent, d’infinis reproches de violence. ⁁
⁁ tous ceus ⁁ ⁁ enfin qui uiuentvivent sans lettres
Les paisans ⁁ simples, sont honestes
gens et honestes gens les
philosophes ou selon nostre
temps des natures fortes
et cleres enrichies d’une
large instruction de sciances
vtillesutilles. Les mestis qui ont
perdu la pr desdeigné le
premier siege ⁁ ⁁ d’ignorance de lettres, et n’ont peu
iouindrejouindre lautrel’autre: le cul
entre deus selles: des quels
ieje suis, et tant d’autres,
sont dangereus ineptes
importuns: ceus icy troblēttroblent
le monde. Pourtant de ma
part ieje me recule tant que ieje
puis dans le premier & naturel
siegle siege, doud’ou ieje me suis pour
neant parti essaie de partir.
La poësie populere et purement
naturellea des naïfueteznaïfvetez et graces
par ou elle se compare a la
principale beaute de la
poësie parfaicte selon lartl’art:
comme il se uoitvoit es uillanellesvillanelles
de gascouigne, et aus
chançons qu’on nous raporte
des nations qui n’ont conois=
sance de nulle’aucune sciance ny
mesmes d’escriture. La
poësie mediocre qui s’arrete
entre deus est mesprisee desdesdeignee, des
maistres sans honur et sans pris.
Mais parce que apres que le pas à esté ouuertouvert à l’esprit, ij’ay
trouuétrouvé, comme il aduientadvient ordinairement, que nous auionsavions
pris pour vnun exercice malaisé & d’vnun rare subiectsubject, ce qui ne
l’est aucunement: & qu’apres que nostre inuentioninvention à esté es-
chaufée, elle descouuredescouvre vnun nōbrenombre infiny de pareils exemples,
ieje n’en adiousterayadjousteray que cettuy-cy: que si ces essays estoyent
dignes, qu’on en iugeatjugeat, il en pourroit adueniradvenir à mon aduisadvis,
qu’ils ne plairoient guiere aux esprits communs & vulgaires,
ny guiere aux singuliers & excellens: ceux-là n’y entendroiētentendroient
pas assez, ceux-cy y entendroient trop: ils pourroient viuotervivoter
en la moyenne region.
Des Senteurs. CHAP. LV.
IL se dict d’aucuns, comme d’Alexandre le grand, que
leur sueur espandoit vnun,’ odeur souefuesouefve par quelque ra-
re & extraordinaire cōplexioncomplexion: dequoy Plutarque &
autres recherchent la cause. Mais la cōmunecommune façon des corps
LIVRE PREMIER. 131
est au contraire: & la meilleure conditiōcondition qui soit en celaqu’ils aïent, c’est
de ne sentir rien de mauuaismauvais. Etd’estre exemps de sentur lLa douceur mesmes des ha-
laines les plus pures, elle n’a rien de plus excellent, que d’estre
simple & sans aucune odeur, qui nous offence: comme
sont celles des enfans biens sains. Voyla pourquoy dict
Plaute.,
Mulier tum benè olet, vbi nihil olet.
La plus parfaicte senteur d’vneune femme, c’est ne sentir à rien,
comme on dict que la meilleure odeur de ses actions, c’est
qu’elles soyent insensibles & sourdes. Et les bonnes senteurs
estrangieres, on à raison de les tenir pour suspectes, à ceux qui
s’en seruentservent, & d’estimer qu’elles soyent employees pour cou-
urircou-
vrir quelque defaut naturel de ce costé-la. D’où naissent ces
rencontres des Poëtes anciens,: Cc’est puïr, que de santir
bon.,
Rides nos Coracine nil olentes.
Malo quam bene olere nil olere. Et ailleurs.
Posthume non benè olet, qui benè semper olet.
IJ’ayme pourtant bien fort à estre entretenu de bonnes sen-
teurs, & hay outre mesure les mauuaisesmauvaises, que ieje tire de plus
loing que tout autre.,
Namque sagacius vnus odoror,
Polypus, an grauis hirsutis cubet hircus in alis,
Quam canis acer vbi lateat sus. ⁁
⁁ Les senturs plus simples et
naturelles me semblent plus
agreables. Et touche ce soing
principalement les dames. En
la plus espaisse barbarie les
fames Scithes apres s’estre
laueeslavees se saupoudrent et
encroustent tout le cors et
le uisagevisage de certeine drogue
qui nait en leur terroir
odoriferante Et pour aprocher
les homes aiant oste ce fart
elles s’en treuuenttreuvent et polies
et parfumees.
Quelque odeur que ce soit, c’est merueillemerveille combiēcombien elle s’atta-
che à moy, & combiēcombien ij’ay la peau propre à s’en abreuuerabreuver. Ce-
luy qui se plaint de nature dequoy elle à laissé l’homme sans
instrument à porter les senteurs au nez, à tort:, car elles se por-
tent elles mesmes. Mais à moy particulierement, les mousta-
ches que ij’ay pleines, m’en seruentservent: sSi ij’en approche mes gans
ou mon mouchoir, la senteurodeur y tiendra tout vnun iourjour: eElles res-
pondent duaccusent le lieu d’où ieje viēsviens. Les estroits baisers de la ieunessejeunesse,
Kk iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sauoureuxsavoureux & gourmansgloutons et gluans, s’y colloyent autresfois, & s’y te-
noient plusieurs heures apres. Et si pourtātpourtant ieje me trouuetrouve peu
subiectsubject aux maladies populaires, qui se chargent par la con-
uersationcon-
versation, & qui naissent de la contagion de l’air,: & me suis
garantysauuésauvé de celles de mon temps, dequoy il y en à eu plusieurs
sortes, en nos villes, & en noz armées. ⁁
⁁ On lictt ce me semble de
Socrates que n’estant iamaisjamais
parti d’Athenes pandant
plusieurs rechutes de pestes
qui la tourmantarent tant
de fois luy sul ne s’en trouuatrouva
iamaisjamais plus mal.
Les medecins pourroiētpourroient
croi-ieje tirer des odeurs, plus d’vsagesusages qu’ils ne font: car ij’ay
souuentsouvent aperçeu qu’elles me changent, & agissent en mes es-
pris, selon qu’elles sont: qQui me faict approuuerapprouver ce qu’on dict,
que l’inuentioninvention des encens & parfuns aux Eglises, qui est si
ancienne & espandue en toutes nations & religions, regarde
à cela, de nous resiouirresjouir esueilleresveiller & purifier le sens, pour nous
rendre plus propres à la contemplation. ⁁
⁁
IeJe uodroivodroi bien pour en
iugerjuger, auoiravoir eu ma part
de l’apprestart de ces cuisiniers
qui sçauentsçavent assaisoner des
les odurs estrangieres aueqaveq
la saueursaveur des uiandesviandes.
Comme singulierement on
remerqua au seruiceservice de ce
Roy de Thunes qui de nostre
aage print terre a Naples
pour s’aboucher aueqaveq
l’Empereur Charles. On
farcissoit ses uiandesviandes de drogues
odoriferantes de telle sumptuositè
qu’un Paon & deus faisans se treuuarēttreuvarent reuenointrevenoint
auoiravoir costea cent ducats apour les aprester
a sa mode selon leur maniere
Et quādquand on les despeçoit
remplissoint non sulemant
la sale mais toutes les chābreschambres
de son palais & iusquesjusques aus
maisonmaisons du uoisinagevoisinage d’une
tressouefuesouefve uapurvapur qui ne se
perdoit pas si tost.
Le principal soing
que ij’aye à me loger, c’est àde fuir l’air puant & poisant. Ces
belles villes, Venise & Paris, alterent la faueurfaveur que ieje leur por-
te, par l’aigre senteur, l’vneune de son marets, l’autre de sa boue.
Des prieres. CHAP. LVI.
Voir l’édition d’Alain Legros de ce chapitre : Montaigne, Essais, I, 56, "Des prières", Édition annotée des sept premiers états du texte avec étude de genèse et commentaires, TLF n°558, Genève, Droz, 2003.
IEJE propose icy des fantasies informes & irresolues,
comme font ceux qui publient des questions doub-
teuses, à debattre aux escoles: nNon pour establir la ve-
rité, mais pour la chercher: &Et les soubmets au iugementjugement de
ceux, à qui il touche de regler non seulement mes actions &
mes escris, mais encore mes pensées. Esgalement m’en sera ac-
ceptable & vtileutile la condemnation, comme l’approbation.
⁁
tenant serieusement
pour execrable s’il se
treuuetreuve chose dicte
par monpar moy ignorament
ou inaduertamētinadvertament contrere
aules sainctes prescriptions
de leglisel’eglise en la quelle
ieje meurs et en laquelle
ieje suis nai catholique
apostolique et Romeine
en laquelle ieje meurs et
en laquelle ieje suis nai
Et
pourtant me remettant tousiourstousjours à l’authorité de leur censu-
re, qui peut tout sur moy, ieje me mesle ainsin temerairement à
toute sorte de propos: cComme icy. IeJe ne sçay si ieje me trompe:,
mMais puis puis que par vneune faueurfaveur particuliere de la bonté di-
uinedi-
vine, certaine façon de priere nous à esté prescripte & dictée
mot à mot par la bouche de Dieu, il m’a tousiourstousjours semblé
que nous en deuionsdevions auoiravoir l’vsageusage plus ordinaire, que nous
LIVRE PREMIER. 132
n’auonsavons: &Et si ij’en estoy creu, à l’entrée & à l’issue de nos tables,
à nostre leuerlever & coucher, & à toutes actiōsactions particulieres, aus-
quelles on à accoustumé de mesler des prieres, ieje voudroy q̄que
ce fut le seul patenostre que les Chrestiens y employassent.⁁ ⁁ et en use ainsi ⁁
⁁ Si non sulement au moins
tousiourstousjours.
L’Eglise peut estēdreestendre & diuersifierdiversifier les prieres selon le besoing
de nostre instructiōinstruction: car ieje sçay bien, que c’est tousiourstousjours mes-
me substance, & mesme chose: mMais on deuoitdevoit donner à celle
là ce priuilegeprivilege, que le peuple l’eust cōtinuellementcontinuellement en la bou-
che: cCar il est certain qu’elle dit tout ce qui nous sertqu’il faut, & qu’el-
le est trespropre à toutes occasions. ⁁
⁁ C’est l’unique priere de
quoi ieje me sers partout:
et la repete p au lieu d’en
changer. DouD’ou il aduientadvient
que ieje n’en ai aussi bien
en memoire que cellela.
IJ’auoyavoy presentement en
la pensée, d’où nous venoit cett’erreur, de recourir à Dieu en
tous nos desseins & entreprinses, & l’appeler à toute sorte de
besoing, & en quelque lieu que nostre foiblesse requiertueutveut de
l’aide,. sSans considerer si l’occasion est iustejuste ou iniusteinjuste,. &Et des-
escrierd’es-
escrier son nom, & sa puissance, en quelque estat, & action que
nous soyons, pour vitieuse qu’elle soit. Il est bien nostre seul
& vniqueunique protecteur ⁁ ⁁ et peut toutes choses a nous aider,: mais encore qu’il daigne nous hono-
rer de cette douce aliance paternelle, il est pourtant autant
iustejuste, comme il est bon ⁁
⁁ et come il est
puissant. Mais
il use bien plus
souuantsouvant de sa
iusticejustice que de
son pouuoirpouvoir
,: & nous fauorisefavorise selon la raison de sa
iusticejusticed’icelle, non selon nos inclinations & volontezdemandes. ⁁
⁁ Platon en ses loix faict trois
sortes d’iniurieuseinjurieuse creance des
Dieus Qu’il n’y en aïe pouint qu’ils
ne se meslent pas de nos affaires
Qu’ils ne refusent rien a nos
ueusveus offrandes et sacrifices.
La premiere errur selon son
auisavis ne dura iamaisjamais en home
non es immuable en home despuis
son enfance iusquesjusques a sa uieillessevieillesse
Les deus suiuantessuivantes oui peuuētpeuvent
souffrir de la constance
Sa iusticejustice &
sa puissance sont inseparables: pPour neant implorons nous sa
force en vneune mauuaisemauvaise cause: iIl faut auoiravoir l’ame nette, au
moins en ce temps làmoment, auquel nous le prions, & deschargée
de passions vitieuses: autrement nous luy presentons, nous
mesmes les verges, dequoy nous chastier. Au lieu de rabiller
nostre faute, nous la redoublons,. pPresentāspPresentans à celuy, à qui nous
auonsavons à demander pardon, vneune affection pleine d’irreuerenceirreverence
& de haine. Voyla pourquoy ieje ne loüe pas volontiers ceux
que ieje voy prier Dieu plus souuentsouvent & plus ordinairement, si
les actions voisines de la priere, ne me tesmoignent quelque
amendement & reformation.,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
si nocturnus adulter
Tempora sSanctonico velas adoperta cucullo. ⁁
⁁ Et lassietel’assiette d’un home meslātmeslant
meschant a une uievie execrable la
deuotiondevotion semble estre aucunement
plus condamnable que celle d’un home
conforme a soi et dissolu partout. p
Pourtant refuse
nostre esglise
tous les ioursjours la
faueurfaveur de son
entree et societe
aus meurs
obstinees a
quelque insigne
malice.
Nous prions par vsageusage & par coustume: oOu pour mieux dire,
nous lisons ou prononçons nos prieres: cCe n’est en fin, que
contenancemine: &Et me desplait de voir faire trois signes de croix
au benedicite, autant à graces (& d’autant plus m’en desplaist
il, que ce sont façons que ij’honore & imite souuentsouvent)de ce que c’est un signe que ij’ay en reuerancereverance et continuel usage, mesmemant au bailler) & ce pē-
dantpen-
dant toutes les autres heures du iourjour, les voir occupees à vsuusu-
res, veniagencesvenjagences & paillardisesla haine l’auariceavarice l’iniusticeinjustice: aAux vices leur heure, son heure
à Dieu:, comme par compensation & composition. C’est mi-
racle, de voir continuer des actions si diuersesdiverses d’vneune si pareil-
le teneur, qu’il ne s’y sente point d’interruption & d’alteratiōalteration
aux confins mesme, & passage de l’vneune à l’autre. ⁁
⁁ Quelle prodigieuse cōscienceconscience se peut donner repos, nourrissant en mesme giste, d’vneune societé si
accordante & si paisible le crime et le iugejuge. Un home de qui la paillardise ou la mensonge uaniancevanjancesans cesse regente
la teste et qui lesla tientiugejuge tresodieuses a la ueueveue diuinedivine que dict il a dieu quand il luy en parle. Il se rameine:
mais soudein il rechoit. Si l’obiectobject de la diuinedivine iusticejustice et sa presance frapoint com’il dict et chastioint son ame
pour courte qu’en fut la poenitance la creinte mesme reieteroirejeteroi y reieteroitrejeteroit si souuantsouvant sa pensee qu’incontinātincontinant
il se uerroitverroit maistre de ces uicesvices qui sont habituez et acharnez en luy. Mais quoy ceus qui couchent une uievie
entiere sur le fruit et esmolument dedu leur
peché qu’ils tienent m sçaitsçauentsçavent mortel Montaigne a écrit : 1- qu’ils tienent m 2- qu’il sçait mortel 3- qu’ils (s rétabli) sçavent mortel
marchans: uolursvolurs: acheturs et uendursvendurs de benefices:
usuriers: etc. Tout le monde en fin.
combienscombien auonsavons nous de mestiers et uacationsvacations receues de quoi lessancel’essance
est uitieusevitieuse Et celuy
quei se confessant a moi me recitoit
auoiravoir tout un eage faict profession
& les effaicts d’une religion
damnable pourselon luy & contradic=
toire a celle de son ame quilqu’il auoitavoit
en son ceur: pour ne perdre son
credit mondein & l’honur de
ses charges: comant pastissoit il
ce discours en son corage:. dDe quiquel
langage entretienent ils sur ce
subiectsubject la iusticejustice diuinedivine. Leur
repentance consistant en uisiblesvisibles
& maniables reparation ils perdētperdent
& enuersenvers dieu et enuersenvers nous le
moyen de l’alleguer. Sont ils si
hardis de demander pardon
sans ⁁ satisfaction et sans repantance. IeJe tiens que de
cetteces premieres repantance qu’il
en uava come de cette cyceus icy a peu pres
mais p mais l’obstination n’y
est pas si descouuertedescouverte aisee a
conueincreconveincre. Cette contrarité
& uolubilitevolubilite d’opinion si sou=
daine si uiolanteviolante ha pour moy
quelqu’image de miracle. IeJe
pense auoiravoir dresse mon trein
aueqaveq un peu plus de conformitésent qu’ils
nous feignent au sent pour
moy au miracle.
Ils nous represantent l’estat
d’un’indigestible agonie. ne
faisant qu’aller et uenirvenir come
pois en pot. Que l’imagination
me sembloit fantastique de ceus
qui ces annees passees auointavoint
en usage de reprocher aus esperits
un peu clairs faisa tout chacun
en qui il reluisoit quelque clarté
d’esperit professant la relligion
Catholique que c’estoit a feinte
& tenoint mesmes pour luy faire
honeur quoi qu’il dict par apparance
qu’il ne pouuoitpouvoit faillir au dedans
d’auoiravoir sa creance reformee a
leur pied. Facheuse maladie
de se croire si fort qu’on se
persuade qu’il ne se puisse croire
au contrere. Et plus facheuse
encore qu’on se persuade d’un tel
esperit qu’il prefere ieje ne sçai
quelle disparite de fortune
presante aus esperances et
menaces de la uievie eternelle
Ils m’en peuuentpeuvent croire. Si ij’eusse
rien eut deu tenter ma iunessejunesse
l’ambition du hasard et difficultez
qui suiuointsuivoint cette recente entre=
prinse y eut eu bone part.
Ce n’est pas
sans grādegrande raison, ce me semble, que l’Eglise Catholique de-
fend l’vsageusage promiscue, temeraire & indiscret des sainctes &
diuinesdivines chansons, que le Sainct Esprit à dicté en DauidDavid. Il ne
faut mesler Dieu en nos actions qu’auecqueavecque reuerencereverence & at-
tention pleine d’honneur & de respect. Cette voisx est trop
diuinedivine, pour n’auoiravoir autre vsageusage que d’exercer les poulmons,
& plaire à nos oreilles.: CcC’est de la consciēceconscience qu’elle doit estre
produite, & non pas de la langue. Ce n’est pas raison qu’on
permette qu’vnun garçon de boutique parmy cesses vains & fri-
uolesfri-
voles pensemens, s’en entretienne & s’en iouëjouë. N’y n’est cer-
tes raison de voir tracasser entre les mains de toutes person-
nes, par vneune sale, & par vneune cuysine, le Sainct liurelivre des sacrez
mysteres de nostre creance. ⁁ ⁁ C’estoint autresfois mysteres ce sont a presant desduitz et esbatz. Ce n’est pas en passant, & tumul-
tuairement, qu’il faut manier vnun estude si serieuz & venera-
ble. Ce doibt estre vneune action destinée, & rassise, à laquelle
on doibt tousiourstousjours adiousteradjouster cette preface de nostre office,
sursum corda, & y apporter le corps mesme disposé en conte-
nance, qui tesmoigne vneune particuliere attention & reuerēcereverence. ⁁
⁁ Ce n’est pas lestudel’estude de tout
le monde c’est lestudel’estude des persones
qui y sont uoueesvouees que dieu y apele.
Les meschans les ignorans s’y
empirent. Ce n’est pas une histoire a
reciter c’est conter c’est une histoire
à reuerereverer creīdrecreindre et adorer PlesātesPlesantes
gens qui pensent l’auoiravoir rendue
⁁ que cette loi de la quelle
Platon faict la premiere
des sienes qui defant aus iunesjunes gens de mettre
en question et maniable au peuple pour l’auoiravoir mise en langage populere Ne tient il qu’aus mots
qu’ils n’entandent tout ce qu’ils treuuenttreuvent par escrit Dirai ieje plus. Pour l’en aprocher side ce peu ils l’en reculētreculent
L’ignorance pure et remise toute en autruy estoit bien plus salutere et plus sçauantesçavante que n’est cete sciance uerbaleverbale
et ueineveine nourrisse de presomption et de temerite.
EtIeJe croi d’auantageavantageaussi, ⁁ que la liberté à chacun de le traduire &
dissi-
LIVRE PREMIER. 133
dissiper vneune parole si religieuse & importante à tant de sortes
d’idiomes, à beaucoup plus de dāgerdanger que d’vtilitéutilité. Les IuifsJuifs,
les Mahometants, & quasi tous autres, ont espousé, & reve-
rent, le langage, auquel originellement leurs mysteres auoyētavoyent
esté conceuz, & en est defendue l’alteration & changement,:
nNon sans apparance. SçauonsSçavons nous bien qu’en Basque, & en
Bretaigne, il y ayt des IugesJuges assez, pour establir cette traductiōtraduction
faicte en leur langue: lL’Eglise vniuerselleuniverselle n’a point de Iuge-
mentJuge-
ment plus ardu à faire, & plus solēnesolenne: eEn preschant & parlātparlant,
l’interpretatiōinterpretation est vague, libre, muable, & d’vneune parcelle: ainsi
ce n’est pas de mesme. ⁁
⁁ L’vnun de noz historiens Grecs accuse iustementjustement son siecle, de ce que les secrets de la religion Chrestienne, estoient espandus emmy la place, és mains des moindres artisans: que chacun en pouuoitpouvoit debattre et dire selon son sens. Et que ce nous deuoitdevoit estre grande honte qui par la
grace de Dieu iouissonsjouissons des purs mysteres de la ueritéverité piete de les laisser profaner en la bouche des persones ignorantes et populeres ueuveu que les
Gentils interdisoint a Socrates a Platon et aus plus sages de parler et s’enquerir des choses commises aus prestres de Delphes. Dict aussi que
les factions des Princes sur le subiectsubject de la Theologie sont armees non de zelle mais de cholere. Que le zelle tient de la diuinedivine raison et
iusticejustice se conduisant ordoneement et modereement. Mais qu’il se change en haine et enuieenvie & produit au lieu du froment et du
raisin de l’yuraïeyvraïe et des horties quand il est conduit d’une passion humaine. Et iustemantjustemant aussi cet autre conseillant l’Empereur
Theodose disoit les disputes n’endormir pas tant les scismes de leEglisel’eEglise que les esueilleresveiller, et animer les Haeresies. Que pourtant il
faloit fuir toutes contantions et argumentations dialectiques et se raporter nuemant aus praescriptions et formules de la foi
establies par les antiens. Et l’Emperur AndrodicusAndronicus aïant rencontre en son palais deus grands homes aus prises de parole contre LopadiusLapodius
s’en courrou sur un de nos points de grande importance les tança iusquesjusques a menacer de les ietterjetter en la riuiereriviere s’ils continuoint. Les
enfans et les femmes en nos ioursjours regentent les plus uieusvieus et experimantez sur les poins de la religionlesglisel’esglise et en tienent escoleLoix ecclesiastiques la ou la premiere
loyde celles de Platon leur defant de s’enquerir sulement de la raisons des Loix receues en sa policeciuillescivilles et defant aus uieillarsvieillars de sulemant en
parler en leur presance des iunesjunes gens les receuoirrecevoir come ordonances diuinesdivines sans s’amuser a en iugerjugerqui doiuentdoivent tenir lieu d’ordonances diuinesdivines non et permetant aus uieusvieus
d’en communiquesr entre eus & aueqaveq le magistrat il adiouteadjoute pourueupourveu que ce ne soit pas en presances des iunesjunes genset persones profanes. ⁁
⁁
Un euesqueevesque a laisse par escrit que en lautrel’autre bout du monde
il y a unune Isle que les antiens nomoint Dioscoride: commode en
tou fertilite de toutes sortes d’arbres & fruits et salubrite d’air:
de la quelle le peuple est Chrestien: aïant des esglises et des autels
qui ne sont parez que de croix sans autres images: grand obseruaturobservatur
de iusnesjusnes & de festes, exacte païeur de dismes aus prestres et si
chaste que nul d’eus ne peut conestre qu’une feme en sa uievie. Au
demurant si contant de sa fortune qu’au milieu de la mer il
ignore lusagel’usage des nauiresnavires et si simple que de la relligion qu’il
obserueobserve si souigneusement il n’en entant un sul mot. Chose incroïable
a qui ne sauroit les païens ⁁ ⁁ si deuotsdevots idolatres ne conoistre de leurs dieus que simplement le nom & la statue. L’antien
commencement de Menalippe, tragedie d’Euripides, portoit ainsi.
O IuppiterJuppiter, car de toy rien sinon
IeJe ne cognois seulement que le nom.
IJ’ay veu aussi de mōmon temps, faire plain-
te d’aucuns escris, de ce qu’ils sont purement humains & phi-
losophiques, sans meslāgemeslange de Theologie. Qui diroit au con-
traire, ce ne seroit pourtant sans quelque raison. Que la do-
ctrine diuinedivine tient mieux son rang à part, comme Royne &
dominatrice. Qu’elle doibt estre principale par tout, poinct
suffragante & subsidiaire. QueEt qu’a ll’auantureavanture se tireroint les exemples à la grammaire,
Rhetorique, Logique, se tirent plus sortablement d’ailleurs
que d’vneune si sainte matiere,. cComme aussi les arguments des
Theatres, ieuzjeuz & spectacles publiques?. Que les raisōsraisons diuinesdivines
se considerent plus venerablemētvenerablement & reuerāmentreveramment seules, & en
leur stile, qu’appariées aux discours humains. Qu’il se voit plus
souuentsouvent cette faute, que les Theologiens escriuentescrivent trop hu-
mainement,: que cett’autre, que les humanistes escriuentescrivent trop
peu theologalemēttheologalement: lLa Philosophie, dict Saint Chrysostome,
est pieça banie de l’escole sainte, comme seruanteservante inutile, &
estimee indigne de voir seulement en passant de l’entree, le sa-
craire des saints Thresors de la doctrine celeste. Que le dire
humain a ses formes plus basses,: & ne se doibt seruitservit de la di-
gnité, majesté, regēceregence, du parler diuindivin. IeJe luy laisse pour moy,
dire,⁁ ⁁ uerbis indisciplinatis fortune, d’estinéedestinée, accidētaccident, heur, & malheur, & les Dieux,
& autres frases, selōselon sa mode vulgaire. ⁁
⁁ IeJe propose les fantasies
humaines et les mienes,
de simplemant come humaines
fantasies: et separeemant considerees:
nNon come arretees et reglees par lordonancel’ordonance
celeste incapable de doubte et d’altercation.
Matiere d’opinion non matiere de foi. Ce
que ieje croisdiscours selon moi, non ce que ieje
crois selon dieu. Et cCome les enfans
proposent leurs essais, instruisables non
instruisans. D’une maniere non clericale
mais laïque non clericale: mais
tres religieuse tousiourstousjours.
Et ne diroit on pas aussi
L l
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sans apparence, que l’ordonnance de ne s’entremettre que biēbien
reserueementreserveement d’escrire de la Religion, à tous autres qu’à ceux
qui en font expresse profession, n’auroit pas faute de quelque
image d’vtilitéutilité & de iusticejustice,: & à moy mesmeaueqaveq à l’auantureavanture de
m’en taire. On m’a dict que ceux mesmes, qui ne sont pas des
nostres aduisadvis, defendent pourtant entre eux l’vsageusage du nom
de Dieu, en leurs propos communs: iIls ne veulent pas qu’on
s’en serueserve par vneune maniere d’interiectioninterjection, ou d’exclamation,
ny pour tesmoignage, ny pour cōparaisoncomparaison: eEn quoy ieje trou-
uetrou-
ve qu’ils ont raison. Et en quelque maniere que ce soit, que
nous appellons Dieu à nostre commerce & societé, il faut
que ce soit serieusement, & religieusement. Il y à, ce me sem-
ble, en Xenophon vnun tel discours, où il montre que nous de-
uonsde-
vons plus rarement prier Dieu: d’autant qu’il n’est pas aisé,
que nous puissions si souuentsouvent remettre nostre ame, en cette
assiete reglée, reformée, & deuotieusedevotieuse, où il faut qu’elle soit
pour ce faire:, autrement nos prieres ne sont pas seulemētseulement vai-
nes & inutiles, mais vitieuses. Pardonne nous, disons nous,
comme nous pardōnonspardonnons à ceux qui nous ont offencez. Que
disons nous par là, sinon que nous luy offrons nostre ame
exempte de vengeance & de rācunerancune? Toutesfois ieje voy qu’ēen
nos vices mesmes, nous appellons Dieu à nostreet son ayde & au
complot de nos fautes, et le conuionsconvions a l’iniusticeinjustice.
Quae nisi seductis nequeas committere diuis.
L’auaricieuxavaricieux le prie pour la conseruationconservation vaine & superflue
de ses thresors: l’ambitieux pour ses victoires, & conduite de
sa fortunepassion: le voleur l’employe à son ayde, pour franchir le ha-
zart & les difficultez, qui s’opposent à l’executiōexecution de ses mes-
chantes entreprinses:, ou le remercie de l’aisance qu’il à trou-
uétrou-
vé à desgosiller vnun passant. ⁁
⁁ Au pied de la maison qu’ils
vont escheller ou petarder
ils font leurs prieres l’intātionintantion
pleine de cruaute de luxure
d’auariced’avarice et lesperancel’esperanceet l’esperance pleine
de cruaute de luxure d’auariceavarice.
Hoc ipsum quo tu Iouis aurem impellere tentas,
Dic agedum, Staio, pro Iuppiter, ô bone clamet,
LIVRE PREMIER. 134
Iuppiter, at sese non clamet Iuppiter ipse.
La Royne de NauarreNavarre Marguerite recite d’vnun ieunejeune prince, &
encore qu’elle ne le nomme pas, sa grandeur l’a rendu assez
connoissable, qu’allant à vneune assignation amoureuse, & cou-
cher auecavec la femme d’vnun AduocatAdvocat de Paris, son chemin s’adō-
nātadon-
nant au trauerstravers d’vneune Eglise, il ne passoit iamaisjamais en ce lieu saint
alātalant ou retournātretournant de son entreprinse, qu’il ne fit ses prieres &
oraisons. IeJe vous laisse à iugerjuger, l’ame pleine de ce beau pense-
ment, à quoy il employoit la faueurfaveur diuinedivine: tToutesfois elle
allegue cela pour vnun tesmoignage de singuliere deuotiondevotion.
Mais ce n’est pas par cette preuuepreuve seulement qu’on pourroit
verifier que les femmes ne sont guieres propres à traiter les
mysteresmatieres de la Theologie. VneUne vraye priere, & vneune religieuse
reconciliation de nous à Dieu, elle ne peut tomber en vneune a-
me impure & soubmise lors mesmes, à la dominatiōdomination de SatāSatan.
Celuy qui appelle Dieu à son assistance, pendant qu’il est dāsdans
le train du vice, il fait comme le coupeur de bourse, qui appel-
leroit la iusticejustice à son ayde, ou comme ceux qui produisent le
nom de Dieu en tesmoignage de mensonge.:
tacito mala nuota susurro,
Concipimus.
Il est peu d’hōmeshommes qui ozassent mettre en euidanceevidance & presen-
ter en public les requestes, & prieres secretes qu’ils fōtfont à Dieu.,
Haud cuiuis promptum est murmurque humilesque susurros,
Tollere de templis, & aperto viuere voto.
Voyla pourquoy les Pythagoriens vouloyent que les prieres
qu’on faisoit à Dieu,’elles fussent publiques & ouyes d’vnun chacun,
afin qu’on ne le requit pas de chose indecēteindecente & iniusteinjuste, com-
me faisoit celuy là.,
clare cum dixit Apollo,
Labra mouet metuens audiri: pulchra Lauerna
Da mihi fallere, da iustum sanctúmque videri.
L l ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Noctem peccatis, & fraudibus obiice nubem. ⁁
⁁ Les dieus punirent griefuemantgriefvemant les iniques uoeusvoeus d’OEdippus en
les luy ottroiant. Il les auoitavoit pries de faire que ces enfans uuidassentvuidassent
par armes entre eus la succession de son estat Il fut si miserable d’estre de se uoirvoir
prins au mot. Il ne faut pas demander que toutes choses suiuentsuivent nostre uolontévolonté
opinion mais qu’elle suiuesuive la prudance.
Il semble à la verité, que nous nous seruonsservons de nos prieres,
⁁ ⁁ come d’un iargonjargon, et comme ceux qui employent les paroles sainctes & diuinesdivines à
des sorcelleries & effects magiciens, &Et que nous faciōsfacions nostre
conte que ce soit de la contexture, ou son, ou suite des motz,
ou de nostre contenance, que depende leur effect. Car ayant
l’ame pleine de concupiscence, non touchée de repentance,
ny d’aucune nouuellenouvelle reconciliation enuersenvers Dieu, nous luy
alons presenter ces parolles que la memoire preste à nostre
langue: & esperons en tirer vneune expiatiōexpiation generale de nos fau-
tes. Il n’est rien si aisé, si doux, & si fauorablefavorable que la loy diui-
nedivi-
ne: elle nous appelle à soy, ainsi fautiers & detestables com-
me nous sommes: elle nous tēdtend les bras & nous reçoit en son
giron, pour vilains, ords, & bourbeux, que nous soyōssoyons, & que
nous ayons à estre à l’adueniradvenir. Mais encore en recompense là
faut il regarder de bon oeuil: eEncore faut-il receuoirrecevoir ce pardōpardon
auecavec action de graces: &Et au moins pour cest instant que nous
nous addressons à elle, auoiravoir l’ame desplaisante de ses fautes
& ennemie des concupiscencespassions, qui nous ont poussez à l’of-
fencer: Ny les dieus ny les gens de bien dict Platon n’acceptent le presant d’un meschātmeschant.
Immunis aram si tetigit manus,
Non sumptuosa blandior hostia
Molliuit auersos penates,
Farre pio & saliente mica.
De l’aage. CHAP. LVII.
IEJE ne puis receuoirrecevoir la façon, dequoy nous establissons
la durée de nostre vie. IeJe voy que les sages l’acoursis-
sent bien fort au pris de la commune opinion. Com-
ment, dict le ieunejeune Caton, à ceux qui le vouloyent empescher
de se tuer: suis ieje a cette heure en aage, ou l’ōon me puisse repro-
cher d’abādōnerabandonner trop tost la vie? Si n’auoitavoit il que quarante &
huict ans. Il estimoit cet aage la bien meur & biēbien auācéavancé, cōsiconsi-
LIVRE PREMIER. 135
derant combien peu d’hommes y arriuentarrivent: & ceux qui se cōcon-
solent ens’entretienent de ce, que ieje ne sçay quel cours qu’ils nomment natu-
rel, promet quelques années au delà: ils le pourroient faire,
s’ils auoientavoient priuilegeprivilege qui les exemptast d’vnun si grand nombre
d’accidents, ausquels chacun de nous est en bute par vneune na-
turelle subiectionsubjection, qui peuuentpeuvent interrompre ce cours qu’ils se
promettētpromettent. Quelle resuerieresverie est-ce de s’attendre de mourir d’v-
neu-
ne defaillance de forces, que l’extreme vieillesse apporte, &
de se proposer ce but à nostre durée: veu que c’est la façonl’espece de
mort la plus rare de toutes, & la moins en vsageusage? Nous l’apel-
lons seule naturelle, comme si c’estoit contre nature, de voir
vnun homme se rompre le col d’vneune cheute, s’estoufer d’vnun nau-
frage, se laisser surprendre à la peste où à vneune pleuresie, & cō-
mecom-
me si nostre condition ordinaire ne nous presentoit poinct à
tous ces inconuenientsinconvenients. Ne nous flatons pas de ces beaux
mots: on doit à l’auentureaventure appeller plustost naturel, ce qui est
general, commun, & vniuerseluniversel. Mourir de vieillesse, c’est vneune
mort rare, singuliere & extraordinaire, & d’autant moins na-
turelle que les autres: c’est la derniere & extreme sorte de mou
rir: plus elle est esloignée de nous, d’autant est elle moins es-
perable: c’est bien la borne, au delà de laquelle nous n’irōsirons pas,
& que la loy de nature à prescript, pour n’estre poinct outre-
passée: mais c’est vnun sien rare priuilegeprivilege de nous faire durer ius-
quesjus-
ques là. C’est vneune exemption qu’elle donne par faueurfaveur parti-
culiere, à vnun seul, en l’espace de deux ou trois siecles, le deschar-
geant des trauersestraverses & difficultez qu’elle à iettéjetté entre deux, en
cette longue carriere. Par ainsi mon opinion est, de regarder
que l’aage auquel nous sommes arriuezarrivez, c’est vnun aage auquel
peu de gens arriuentarrivent. Puis que d’vnun train ordinaire les hōmeshommes
ne viennent pas iusquesjusques là, c’est signe que nous sommes bien
auantavant,. &Et puis que nous auonsavons passé les limites accoustumez,
qui est la vraye mesure de nostre vie, nous ne deuonsdevons esperer
Ll iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’aller guiere outre: ayant eschappé tāttant d’occasiōsoccasions de mourir,
ou nous voyōsvoyons trebucher le mōdemonde, nous deuonsdevons reconnoistre
qu’vneune fortune extraordinaire cōmecomme celle-là qui nous main-
tiētmain-
tient, & hors de l’vsageusage cōmuncommun, ne nous doit guiere durer. C’est
vnun vice des loix mesmes d’auoiravoir cette fauce imagination: elles
ne veulent pas qu’vnun hōmehomme soit capable du maniement de ses
biēsbiens, qu’il n’ait vingt & cinq ans, & à peine cōserueraconservera-il iusquesjusques
lors le maniement de sa vie. Auguste retrancha cinq ans des an-
ciennes ordōnancesordonnances Romaines, & declara qu’il suffisoit à ceux
qui prenoient charge de iudicaturejudicature d’auoiravoir trente ans. SeruiusServius
Tullius, dispensa les cheualierschevaliers qui auoientavoient passé quarante
sept ans des couruéescourvées de la guerre: Auguste les remit à quaran-
te & cinq. De renuoyerrenvoyer les hōmeshommes au seioursejour auantavant cinquante
cinq ou soixante ans, il me semble n’y auoiravoir pas grande appa-
rence. IeJe serois d’aduisadvis qu’on estandit nostre vacation & oc-
cupation autant qu’on pourroit, pour la commodité publi-
que: mais ieje trouuetrouve la faute en l’autre costé, de ne nous y em-
besongner pas assez tost. Cettuy-cy auoitavoit esté iugejuge vniuerseluniversel
du mōdemonde à dix & neuf ans, & veut q̄que pour iugerjuger de la place d’v-
neu-
ne goutiere on en ait trente. Quant à moy ij’estime que nos a-
mes sont denoüées à vingt ans, ce qu’elles doiuentdoivent estre, &
qu’elles peuuentpeuventpromettent tout ce qu’elles pourront. IamaisJamais ame qui
n’ait donné en cet aage, là, preuuepreuvearre bien euidenteevidente & certaine de
sa force, ne lan’en donna depuis.⁁ ⁁ la preuuepreuve. Les qualitez & vertus naturelles
produisentenseignent dans ce terme là, ou iamaisjamais, ce qu’elles ont de vi-
goureux & de beau.:
Si l’espine nou pique quand nai
A pene que pique iamaijamai, disent-ils en Dauphiné,.
De toutes les belles actions humaines, qui sont venuës à ma
connoissance, de quelque sorte qu’elles soient, ieje penserois en
auoiravoir plus grande part, à nombrer celles qui ont esté produi-
tes & aux siecles anciens & au nostre, auantavant l’aage de trente
LIVRE PREMIER. 136
ans, que celles qui l’ont esté apres. ⁁
"vie" a été réécrit au-dessus par Montaigne à cause d’une tache à ce qu’il semble.
⁁ Ouï, en la uievieuievie de
mesmes homes souuantsouvant.
Ne le puis ieje pas dire
en toute surtè, de celles
de Hannibal & de
Scipion son gn grand
aduersereadversere.? La belle
moitie de leur eageuievie ils
la uiuentviventuescurentvescurent de la gloire
acquise en leur ieunessejeunesse
grans homes tousiourstousjoursdespuis
au pris de tous autres, mais
nullemant au pris d’eus mesmes.
Quant à moy ieje tien pour
certain que depuis cet aage, & mon esprit, & mon corps ont
plus diminué, qu’augmenté, & plus reculé que auancéavancé: iIl est
possible qu’à ceux qui emploient bien le temps, la science, &
l’experience croissent auecavec la vie: mais la viuacitévivacité, la prompti-
tude, la fermeté, & autres parties biēbien plus nostres, plus impor-
tantes & essentielles, se fanissent & s’alanguissent.
vbi iam validis quassatum est viribus aeui
Corpus, & obtusis ceciderunt viribus artus
Claudicat ingenium, delirat linguáque ménsque.
Tantost c’est le corps qui se rend le premier à la vieillesse: par
fois aussi c’est l’ame: & en ay assez veu, qui ont eu la ceruellecervelle
affoiblie, auantavant l’estomac & les iambesjambes: & d’autātautant que c’est vnun
mal peu sensible à qui le souffre, & d’vneune obscure montre,
d’autant est-il plus dangereux. Pour ce coup, ieje me plains des
loix, non pas dequoy elles nous laissent trop long tempstard à la
besongne, mais dequoy elles nous ⁁ y employent trop tard. Il me
semble que considerant la foiblesse de nostre vie, & à cōbiencombien
d’escueils ordinaires & naturels elle est opexposée, on n’en de-
uroitde-
vroit pas faire si grande part à la naissance, à l’oisiuetéoisiveté, & à
l’apprentissage.
FIN DVDU PREMIER LIVRE.
de la Bibliothéque Centrale de Bordeaux
departement de la gironde
M
137
ESSAIS DE MICHEL
DE MONTAIGNE.
Livre Second.
De l’inconstance de nos actions.
CHAP. I.
CEVXCEUX qui s’exerçētexerçent à cōtrerollercontreroller les actiōsactions hu-
maines, ne se trouuēttrouvent en aucune partie si em-
peschez, qu’à les r’appiesser & mettre à mesme
lustre: car elles se contredisent cōmunémentcommunément
de si estrange façon, qu’il semble impossible
qu’elles soient parties de mesme boutique. Le ieunejeune Marius se
trouuetrouve tantost fils de Mars, tantost fils de Venus. Le Pape Bo-
niface huictiesme, entra, dit-on, en sa charge cōmecomme vnun renard,
s’y porta comme vnun lion, & mourut comme vnun chien. Et qui
croiroit que ce fust de Neron, cette vraie image de la cruauté,
comme on luy presentast à signer, suyuantsuyvant le stile, la sentence
d’vnun criminel condamné, qui eust respondu: pPleust à Dieu
que ieje n’eusse iamaisjamais sceu escrire, tant le coeur luy serroit de
condamner vnun homme à mort. Tout est si plein de tels exem-
ples,: voire chacun en peut tant fournir à soy-mesme, que ieje
trouuetrouve estrange, de voir quelquefois des gens d’entendemētentendement,
se mettre en peine d’assortir ces pieces: veu que l’irresolution
me semble le plus commun & apparent vice de nostre natu-
re, tesmoing ce fameux verset de Publius le farseur,
Mm
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Malum consilium est, quod mutari non potest.
Il y à quelque apparence de faire iugementjugement d’vnun homme, par
les plus communs traicts de sa vie,: mais veu la naturelle insta-
bilité de nos meurs & opinions, il m’a semblé souuentsouvent que les
bons autheurs mesmes, ont tort de s’opiniastrer à former de
nous vneune constante, & solide contexture. Ils choisissent vnun air
vniuerseluniversel, & suyuantsuyvant cette image, vont rengeant & interpre-
tant toutes les actions d’vnun personnage, & s’ils ne les peuuentpeuvent
assez tordre, les vont renuoyantrenvoyant à la dissimulation. Auguste
leur est eschappé: car il se trouuetrouve en cet homme, vneune varieté
d’actions si apparente, soudaine, & continuelle, tout le cours
de sa vie, qu’il s’est faict lácher entier & indeçis, aux plus har-
dis iugesjuges. IeJe croy des hommes plus mal aiséement la constan-
ce, que toute autre chose, & rien plus volontiersaiseement que l’in-
stabilitéconstance. Qui en iugeroitjugeroit àen des tail,⁁ ⁁ et tr distinctement piece a piece, rencontreroit à mon
aduisadvis, plus souuentsouvent à dire vray. En toute l’ancienneté il est
malaisé de choisir vneune douzaine d’hommes, qui ayent dressé
leur vie à vnun certain & asseuré train, qui est le principal but de
la sagesse: cCar pour la comprendre tout’en vnun mot, dict vnun an-
cien, & pour embrasser en vneune toutes les reigles de nostre vie,
c’est vouloir, & ne vouloir pas tousiourstousjours mesme chose: iIejJe ne
daignerois, dit-il, adiousteradjouster, pourueupourveu que la volonté soit iustejuste,
car si elle n’est iustejuste, il est impossible qu’elle soit tousiourstousjours vneune.
De vray, ij’ay autrefois apris que le vice, ce n’est que des-regle-
ment & faute de mesure, & par consequent, il est impossible
d’y attacher la constance. C’est vnun mot de Demosthenes, dit-
on, que le commencement de toute vertu, c’est consultation
& deliberation,: &et la fin & perfection, constance. Si par dis-
cours nous entreprenions certaine voie, nous la prendrions la
plus belle, mais nul n’y à pensé,
Quod petiit, spernit, repetit quod nuper omisit,
AEstuat, & vitae disconuenit ordine toto:
LIVRE PREMIERSECOND. 138
Nostre façon ordinaire c’est d’aller apres les inclinatiōsinclinations de no-
stre apetit, à gauche, à dextre, contre-mont, contre-bas, selon
que le vent des occasions nous emporte: nNous ne pensons ce
que nous voulons, qu’à l’instant que nous le voulōsvoulons, & chan-
geons comme cet animal, qui prend la couleur du lieu, où
on le couche. Ce que nous auonsavons à cett’heure proposé nous le
changeons tantost, & tantost encore retournons sur nos pas,
ce n’est que branle & inconstance,
Ducimur vt neruis alienis mobile lignum.
Nous n’allons pas, on nous emporte, comme les choses qui
flottent, ores doucement, ores auecquesavecques violence, selon que
l’eau est ireuse où bonasse.,
nonne videmus
Quid sibi quísque velit nescire, & quaerere semper,
Commutare locum quasi onus deponere possit.
cCháque iourjour nouuellenouvelle fantasie, & se meuuentmeuvent nos humeurs a-
uecquesa-
vecques les mouuemensmouvemens du temps.,
Tales sunt hominum mentes, quali pater ipse
Iuppiter auctifero lustrauit lumine terras.⁁
⁁ Nous flotons entre diuersdivers
aduisadvis: nous ne uooulonsvooulons rien
librement, rien
absoluement, rien
constammant.
A qui auroit prescript & estably certaines loix & certaine po-
lice en sa teste, nous verrions tout par tout en sa vie reluire vneune
equalité de meurs, vnun ordre, & vneune relatiōrelation infallible des vnesunes
choses aux autres. ⁁
⁁ Nous n’y uerrionsverrions cette
difformite que Empe=
docles remerquoit ⁁ ⁁ cette difformite aus
Agrigentins qu’ils disoit
uiurevivre s’abandoneroītoint aus
delices come s’ils auoitntavoitnt
landemein a mourir et
bastirssoītssoint comecome si iamaisjamais
ils ne deuointdevoint mourir.
Le discours en seroit bien aisé à faire, com-
me il se voit du ieunejeune CatōCaton: qui en à touché vneune marche à tout
touché: c’est vneune harmonie de sons tres-accordans, qui ne se
peut démētirdémentir: àA nous au rebours, autātautant d’actiōsactions autātautant faut-il de
iugemensjugemens particuliers: lLe plus seur à mon opinion seroit de les
rapporter aux circonstances voisines, sans entrer en plus lon-
gue recherche, & sans en conclurre autre consequence. Pen-
dant les débauches de nostre pauurepauvre estat, on me rapporta,
qu’vneune fille bien pres de là où ij’estoy, s’estoit precipitée du
haut d’vneune fenestre, pour éuiteréviter la force d’vnun belitre de soldat
Mm ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
son hoste: elle ne s’estoit pas tuée à la cheute, & pour redou-
bler son entreprise, s’estoit voulu donner d’vnun cousteau par la
gorge, mais on l’en auoitavoit empeschée, toutefois apres s’y estre
bien fort blessée: eElle mesme confessoit que le soldat ne l’a-
uoita-
voit encore pressée que de requestes, sollicitations, & presens,
mais qu’elle auoitavoit eu peur, qu’en fin il en vint à la contrainte:
&Et là dessus les parolles, la contenance, & ce sang tesmoing de
sa vertu à la vraye façon d’vneune autre Lucrece. Or ij’ay sçeu à la
verité, qu’auantavant & depuis ell’auoitavoit esté garse de non si diffici-
le composition. Comme dict le conte, tout beau & honneste
que vous estezs, quādquand vous aurez failly vostre pointe, n’en cō-
cluezcon-
cluez pas incontinent vneune chasteté inuiolableinviolable en vostre mai-
stresse, ce n’est pas à dire que le muletier n’y trouuetrouve son heure.
Antigonus ayant pris en affection vnun de ses soldars, pour sa
vertu & vaillance, commanda à ses medecins de le penser d’v-
neu-
ne maladie longue & interieure, qui l’auoitavoit tourmenté long
temps: & s’apperçeuātapperçevant apres sa guerison, qu’il alloit beaucoup
plus láchementfroidement aux affaires, luy demādademanda qui l’auoitavoit ainsi chā-
géchan-
gé & encoüardy: vVous mesmes, Sire, luy respondit-il, m’ayātayant
deschargé des maux, pour lesquels ieje ne tenois compte de ma
vie. Le soldat de Lucullus ayant esté déualisédévalisé par les ennemis,
fist sur eux pour se reuencherrevencher vneune belle entreprise: quand il se
fut r’emplumé de sa perte, Lucullus l’ayant pris en bonne opi-
nion l’emploioit à quelque exploict hazardeux, par toutes
les plus belles remonstrances, dequoy il se pouuoitpouvoit adui-
seradvi-
ser.,
Verbis quae timido quoque possent addere mentem:.
Employez y, respondit-il, quelque miserable soldat déualisédévalisé:,
quantumuis rusticus ibit,
Ibit eo, quo vis, qui zonam perdidit, inquit.
& refusa resoluëment d’y aller. ⁁
⁁ Quand nous lisons
que mechmet aiant
outrageusement
rudoie chasan chef
de ses genisseres de
ce qu’il uoioitvoioit sa trope
enfoncee par les Hongres et luy se porter lachemant au combat
Chasan s’alera pour toute responce se ruer fusrieusement sul en lestatl’estat
qu’il estoit les armes au pouin ruer dans le premier corps des
ennemis qui se presanta, ou il fut soubdein englouti: ce n’est a
l’auantureavanture pas tant iustificationjustification que rauisemantravisemant, ny tant sona nat prouesse
naturelle corage qu’un nouueaunouveau despit.
Celuy que vous vistes hier si
auantureuzavantureuz, ne trouueztrouvez pas estrange de le voir aussi poltron le
LIVRE PREMIERSECOND. 139
lendemain: où la cholere, ou la necessité, ou la compagnie,
ou le vin, ou le son d’vneune trompette luy auoitavoit mis le coeur au
ventre,: ce n’est vnun coeur ainsi formé par discours: ces circon-
stances dle luy ont fermy, ce n’est pas merueillemerveille, si le voyla de-
uenude-
venu lácheautre par autres circonstācescirconstances contraires. ⁁
⁁ Cette uariationvariation et
contradiction qui se
uoitvoit en nous si soupple
et a faict et a que
aucuns nous feignent
deus ames d’autres
songent deus ames
d’autres deus puis=
sances qui nous
accompaignent et
agitent chacune a
sa mode uersvers le bien
l’une lautrel’autre uersvers ou le
mal. CetteUne si brusque
diuersitédiversité ne se
pouuantpouvant bien assortir
a un subietsubjet simple.
Non seulemētseulement
le vent des accidens me remue selon son inclination, mais en
outre, ieje me remue & trouble moy mesme par l’instabilité de
ma posture,: & qui y regarde primement, ne se trouuetrouve guere
deux fois en mesme estat. IeJe donne à mon ame, tantost vnun vi-
sage, tantost vnun autre, selon le costé où ieje la couche. Si ieje parle
diuersementdiversement de moy, c’est que ieje me regarde diuersementdiversement.
Toutes les contrarietez s’y trouuenttrouvent, selon quelque tour, &
en quelque façōfaçon. Honteux insolent, ⁁ ⁁ chaste luxurieus bauardbavard taciturne, labo-
rieux delicat, ingenieux hebeté, chagrin debonaire, menteur
veritable, ⁁ ⁁ sçauantsçavant ignorant et liberal et auareavare et prodigue tout cela, ieje le vois en moy aucunement, selon que
ieje me vire: & quiconque s’estudie bien attentifuementattentifvement, trou-
uetrou-
ve en soy, voire & en son iugementjugement mesme, cette volubilité,
& discordance. IeJe n’ay rien à dire de moy, entieremētentierement, simple-
ment, & solidement, sans confusion & sans meslange, ny en
vnun mot. Distingo, est le plus vniuerseluniversel membre de ma Logique.
Encore que ieje sois tousiourstousjours d’aduisadvis de dire du bien le bien, &
d’interpreter plustost en bonne part les choses qui le peuuentpeuvent
estre, si est-ce que l’estrangeté de nostre condition, porte que
nous soyons souuentsouvent par le vice mesmes poussez à bien faire,
si le bien faire ne se iugeoitjugeoit par la seule intention. Parquoy vnun
fait courageux ne doit pas conclurre vnun homme vaillant: ce-
luy qui le seroit bien à point, il le seroit tousiourstousjours, & à toutes
occasions:. sSi c’estoit vneune habitude de vertu, & non vneune saillie,
elle rendroit vnun homme pareillement resolu à tous accidens,
tel seul, qu’en compaignie: tel en camp clos, qu’en vneune batail-
le: car quoy qu’on die, il n’y à pas autre vaillance sur le pauépavé &
autre en la guerreau camp. Aussi courageusement porteroit il vneune ma-
Mm iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ladie en son lict, qu’vneune blessure au camp, & ne craindroit nōnon
plus la mort en sa maison qu’en vnun assaut. Nous ne verrions
pas vnun mesme homme, donner dans la bresche d’vneune brauebrave as-
seurance, & se tourmētertourmenter apres, comme vneune femme, de la per-
te d’vnun procez ou d’vnun fils. ⁁
⁁ Quand ⁁ ⁁estant lache a
l’infamie il est
ferme a la pouretèpovretè
l’action est louable
l’home non. Quand
estant hartimol entrecontre les rasoirs
mains des enemisbarbiers il se
treuuetreuve malhardy molroidde econtre les espees
mainsrasoirs des barbiers enemisaduerseresadverseres
l’action est louable non
pas l’home. Plusieurs grecs
dict Cicero ne peuuentpeuvent uoirvoir les
ennemis et se treuuaenttreuvaent constans
aus maladies. Les cimbres et
Celtiberiens tout le rebours.
Nihil enim potest esse aequabile
quod non a certa ratione proficis=
catur.
Il n’est point de vaillance plus ex-
treme en son espece, que celle d’AlexādreAlexandre: mais elle n’est qu’en
espece,: ny assez pleine par tout, & vniuerselleuniverselle: ⁁
⁁ Cette uaillancevaillance diuinedivine etToute incomparable quell’est si a elle
encores a elle ses taches. Qui
qui faict que
nous le voyons se troubler si esperduement aux plus legieres
soubçons qu’il prent des machinatiōsmachinations des siens contre sa vie,
& se porter en cette recherche d’vneune si vehemente, & indis-
crete iniusticeinjustice, & d’vneune crainte qui subuertitsubvertit sa raison natu-
relle: lLa superstition aussi dequoy il estoit si fort attaint, por-
te quelque image de pusillanimité. ⁁
⁁ eEt l’excez de la
paenitance qu’il
fit deu meurtre
de clytus est aussi
tesmouignage de
l’ineguagalitè de son
corage.
Nostre faict ce ne sont
que pieces rapportées,⁁ ⁁ uoluptatem contemnunt in dolore sunt molliores gloriam negligunt franguntur infamia & voulons acquerir vnun hōneurhonneur à fau-
ces enseignes. La vertu ne veut estre suyuiesuyvie que pour elle mes-
me, & si on emprunte par fois son masque pour autre occa-
sion, elle nous l’arrache aussi tost des poingtsdu uisagevisage. C’est vneune viuevive
& forte teinture, quand l’ame en est vneune fois abbreuéeabbrevée, & qui
ne s’en va qu’elle n’emporte la piece. Voyla pourquoy pour
iugerjuger d’vnun homme, il faut suiuresuivre longuement & curieusemētcurieusement
sa trace: sSi la constance ne s’y maintient de son seul fondemētfondement, ⁁ ⁁ cui uiuendi uia considerata atque prouisa est
si la varieté des occurrences luy faict changer de pas, (ieje dy de
voye, car le pas s’en peut ou haster, ou appesātirappesantir) laissez le cou-
re,: celuy la s’en va auauavau le vent, comme dict la deuisedevise de no-
stre Talebot. Ce n’est pas merueillemerveille, dict vnun ancien, que le ha-
zard puisse tant sur nous, puis que nous viuonsvivons par hazard. A
qui n’a dressé en gros sa vie à vneune certaine fin, il est impossible
de disposer les actions particulieres. Il est impossible de ren-
ger les pieces, à qui n’a vneune forme du touttotal en sa teste. A quoy
faire la prouisiōprovision des couleurs, à qui ne sçait ce qu’il a à pein-
dre. AucūAucun ne fait certain dessain de sa vie, & n’ēen deliberōsdeliberons qu’à
parcelles. L’archier doit premierement sçauoirsçavoir où il vise, &
LIVRE PREMIERSECOND. 140
puis y accommoder la main, l’arc, la corde, la flesche, & les
mouuemēsmouvemens. Nos conseils fouruoyentfourvoyent, par ce qu’ils n’ont pas
d’adresse & de but. Nul vent fait pour celuy qui n’a point
de port destiné. IeJe ne suis pas d’aduisadvis de ce iugementjugement qu’on fit
pour Sophocles, de l’auoiravoir argumenté suffisant au maniemētmaniement
des choses domestiques, contre l’accusation de son fils, pour
auoiravoir veu l’vneune de ses tragoedies. ⁁
⁁ Ny n’appreuueappreuve ne treuuetreuve la
uraisamblancevraisamblance coniectureconjecture des
Pariens enuoiesenvoies pour reformer
les Milesiens suffisante a en tirer la
consequance qu’ils en tirarent.
Visitans l’eur Isle ils remercoint
les terres mieus cultiueescultivees et maisons
champestres mieus gouuerneesgouvernees et
aïant enregistre le nom des maistres
d’icelles com’ils eurent faict l’assābléeassamblée
des citoiens en la uilleville ils nomarent
ces maistres la pour nouueausnouveaus gou=
uernursgou=
vernurs et magistrats: iugeansjugeans que
souigneus de leurs affaires priuéesprivées
ils le seroint des publiques.
Nous sommes tous de lopins,
& d’vneune contexture si mōstreusemonstreuseinforme & diuersediverse, que chaque pie-
ce, chaque momant, feitfaict son ieujeu. Et se trouuetrouve autant de diffe-
rence de nous à nous mesmes, que de nous à autruy. ⁁
⁁ Magnam rem
puta unum
hominem agere
Puis que
l’ambition peut apprendre aux hommes, & la vaillance, & la
temperance, & la liberalité, voire & la iusticejustice: puis que l’aua-
riceava-
rice peut planter au courage d’vnun garçon de boutique, nour-
ri à l’ombre & à l’oysiuetéoysiveté, l’asseurance de se ietterjetter si loing du
foyer domestique, à la mercy des vagues & de Neptune cour-
roucé dans vnun fraile bateau, & qu’elle apprend encore la dis-
cretion & la prudence: & que Venus mesme fournit de re-
solution & de hardiesse la ieunessejeunesse encore soubs la discipline
& la verge, & gendarme le tendre coeur des pucelles au gi-
ron de leurs meres:
Hac duce custodes furtim transgressa iacentes
Ad Iuuenem tenebris sola puella venit,
ce n’est pas tour de rassis entendement de nous iugerjuger simple-
ment par nos actions de dehors, il faut sonder iusqujusqu’au de-
dans, & voir par quels ressors se donne le bransle: mais d’au-
tātau-
tant que c’est vneune hazardeuse & haute entreprinse, ieje voudrois
que moins de gens s’en meslassent.
ESSAIS DE M. DE MONTA.
De l’yurongnerieyvrongnerie, CHAP. II.
LE monde n’est que varieté & dissemblance. Les vices
sont tous pareils en ce qu’ils sont tous vices, & de cette
façon l’entendent à l’aduentureadventure les Stoiciens: mMais en-
core qu’ils soient également vices, ils ne sont pas égaux vices:
&Et que celuy qui à franchi de cent pas les limites,
Quos vltra citráque nequit consistere rectum,
ne soit de pire condition, que celuy qui n’en est qu’à dix pas,
il n’est pas croyable: &Et que le sacrilege ne soit pire que le larre-
cin d’vnun chou de nostre iardinjardin:
Nec vincet ratio, tantumdem vt peccet, idèmque,
Qui teneros caules alieni fregerit horti,
Et qui nocturnus diuum sacra legerit.
Il y à autant en cela de diuersitédiversité qu’en aucune autre chose. La
confusion de l’ordre & mesure des pechez, est dangereuse: lLes
meurtriers, les traistres, les tyrāstyrans, y ont trop d’acquest: cCe n’est
pas raison que leur conscience se soulage, sur ce, que tel autre
ou est oisif, ou est lascif, ou moins assidu à la deuotiondevotion: cChacūcChacun
poise sur le peché de son compagnon, & esleueesleve le sien. Les in-
structeurs mesme les rangent souuentsouvent mal à mon gré. ⁁
⁁ Come Socrates disoit que le
principal office de la
sagesse estoit distinguer
les biens et les maus: Nous
autres a qui le meillur,
est tousiourstousjours en uicevice, deuōsdevons
dire de mesme, de la
sciance de distinguer les
vices: sans laquele bien
exacte le uertueusvertueus et le
meschant demurent
meslez et inconus.
Or l’y-
urōgneriey-
vrongnerie entre les autres, me semble vnun vice grossier & bru-
tal. L’esprit à plus de part ailleurs: & il y à des vices, qui ont ieje
ne sçay quoy de genereux, s’il le faut ainsi dire. Il y en à ou la
science se mesle, la diligence, la vaillance, la prudence, l’adres-
se & la finesse: cettuy-cy est tout corporel & terrestre. Aussi la
plus grossiere nation de celles qui sont auiouraujour d’huy, c’est celle
la seule qui le tient en credit. Les autres vices alterent l’enten-
dement,: cettuy-cy le renuerserenverse,: & estonne le corps.:
cùm vini vis penetrauit
Consequitur grauitas membrorum, praepediuntur
Crura vacillanti, tardescit lingua, madet mens
Nant
LIVRE PREMIERSECOND. 141
Nant oculi, clamor, singultus, iurgia gliscunt:. ⁁
⁁ Le pire estat de l’homme
c’est quand il pert la
conoissance et gouuernementgouvernement
de soi
Et en dict on entre autres choses, que comme le moust bouil-
lant dans vnun vaisseau, pousse à mont tout ce qu’il y à dans le
fonds,: aussi le vin faict desbonder les plus intimes secrets,
à ceux qui en ont pris outre mesure.,
tu sapientium
Curas, & arcanum iocoso
Consilium retegis Liaeo.
IosepheJosephe conte qu’il tira le ver du nez à vnun certain ambassa-
deur que les ennemis luy auoyentavoyent enuoyéenvoyé, l’ayant fait boire
d’autant. Toutefois Auguste s’estant fié à Lucius Piso, qui cō-
quitcon-
quit la Trace, des plus priuezprivez affaires qu’il eut, ne s’en trouuatrouva
iamaisjamais mesconté: ny Tyberius de Cossus, à qui il se deschar-
geoit de tous ses conseils: quoy que nous les sçachons auoiravoir
esté si fort subiectssubjects au vin, qu’il en à fallu rapporter souuantsouvant
du senat, & l’vnun & l’autre yureyvre,
Externo inflatum venas de more Lyaeo. ⁁
⁁ Et commit on aussi fidelemātfidelemant qu’a
cassius beuueurbeuveur deaud’eau, a Cimber le
dessein de tuer caesar: quoi qu’il
fut s’eniuratenivrat souuātsouvant. DouD’ou il respōditrespondit
plesammātplesammant. Que ieje
portasse quelcūquelcun,un tiran, moi
qui ne puis porter le uinvin!
Nous voyons nos Allemans noyez dāsdans le vin, se souuenirsouvenir de
leur quartier, du mot, & de leur rang.,
nec facilis victoria de madidis, &
Blaesis, atque mero titubantibus. ⁁
⁁ IeJe n’eusse pas creu d’yuresseyvresse
si profonde estouffee et enseuelieensevelie
si ieje n’eusse leu ceci dans les
histoires. qQu’Attalus aiant conuiéconvié
a souper pour luy faire une
notable indignité, ce Pausanias
qui sur ce mesme subietsubjet tua despuis
Philippus Roy de macedoine: Roy
portant par ces belles qualitez
tesmouignage de la nourriture
qu’il auoitavoit prinse en la maison et
compaignie d’Epaminondas: il le
fit tant boire qu’il peut
abandoner sa beaute insensi=
blemant come le corps d’une
putein buissoniere & abandoneeperdue
aus muletiers palefreniers et
nombre d’autres abiectsabjects seruiteursserviteurs
de sa maison. Et ce que m’aprint
une dame que ij’honore et
prise singulieremant que
pres de bourdeaus vers Castres
ou est sa maison une feme de
uillagevillage uefuevefve, bien de bone chaste
reputation sentant les premiers ōbragesombrages
de’une feme enceinte grossesse disoit a ses
uoisinesvoisines qu’elle panseroit estre enceinte si
ell’auoitavoit un mari mais du iourjour a la iourneejournee
croissant loccasionl’occasion de ce supçon et
en fin iusquesjusques a leuidancel’evidance, ell’en uintvint la
de faire declarer au prosne de son eglise
que qui seroit consant de ce faict en le
declarantaduouantadvouant elle luy promettoit de le luy
pardoner & s’il le trouuoittrouvoit bon, de lespouserl’espouser.
VnUn sien iunejune ualetvalet de laborage enhardi de cette q procla=
mation declara l’auoiravoir trouueetrouvee un iourjour de feste apres auoiravoir
aïant bien largement prins son uinvin si profondemētprofondement endormie pres de
son foïer et si indecemment qu’il s’en estestoit peu seruirservir sans l’esueilleresveiller.
Ils sōtsont encore mariesui Au dessus de "maries" Montaigne a écrit puis effacé "ui", sans doute le commencemeent du mot "vivant" ensēbleensemble Ils uiuētvivent ēcoreencore maries ēsēbleensemble
Il est certain que l’antiquité n’a pas fort descrié ce vice: lLes
escris mesmes de plusieurs Philosophes en parlent bien mol-
lement: &Et iusquesjusques aux Stoyciens, il y en à qui conseillent de
se dispenser quelque fois à boire d’autātautant, & de s’enyurerenyvrer pour
relácher l’ame.:
Hoc quoque virtutum quondam certamine, magnum
Socratem palmam promeruisse ferunt.
La vraye image de la vertu StoïqueCe censur et correctur des autres Caton, à esté reproché
de tropbien boire.,
Narratur & prisci Catonis
Saepe mero caluisse virtus.
Nn
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Cyrus ce Roy tant renommé, allegue entre ses autres loüā-
gesloüan-
ges, pour se preferer à son frere Artaxerxes, qu’il sçauoitsçavoit
beaucoup mieux boire que luy. Et és nations les mieux rei-
glées, & policées, cet essay de boire d’autātautant, estoit fort en vsa-
geusa-
ge. IJ’ay ouy dire à SiluiusSilvius excellātexcellant medecin de Paris, que pour
garder que les forces de nostre estomac ne s’apparessent, il est
bon vneune fois le mois les esueilleresveiller par cet excez, & les picquer
pour les garder de s’ēgourdirengourdir. PlatōPlaton luy attribue ce mesme ef-
fect au seruiceservice de l’esprit: &Et escrit-on que les Perses apres le
vin consultoient de leurs principaux affaires. Mon goust &
ma cōplexioncomplexion est plus ennemie de ce vice, que mon discours:
cCar outre ce que ieje captiuecaptive aysément mes creances soubs l’au-
thorité des opinions anciennes,: ieje le trouuetrouve bien vnun vice lá-
che & stupide, mais moins malicieux & dommageable que
les autres,: qui choquent quasi tous de plus droit fil la societé
publique. Et si nous ne nous pouuonspouvons donner du plaisir, qu’il
ne nous couste quelque chose, comme ils tiennent, ieje trouuetrouve
que ce vice coute moins à nostre conscience que les autres:
oOutre ce qu’il n’est point de difficile questeapprest, & qu’il est aisémalaisé à
trouuertrouver,: consideration qui n’est pas à mesprisernon mesprisable. ⁁
⁁ Un honeste home et auanceavancehome auancèavancè en dignitè et en
aage entre trois principales commo=
ditez qu’il disoit me disoit luy rester
en la uievie, contoit cettecy. Mais il la
prenoit mal. La delicatesse y est a
fuyr et le souigneus triage du uinvin. Si
vous fondez uostrevostre uoluptévolupté a le boire
agreable uousvous uousvous obligez a la dolur de
le boire par fois desagreable. Il faut
auoiravoir le goust plus lache et plus libre.
Pour estre bon beuueurbeuveur il ne faut le
palais si tendre. Les Alemans boiuentboivent
quasi esgalemant de tout uinvin aueqaveq
plaisir. Leur fin c’est l’aualeravaler non pas
choisirplus que le
gouter. Ils en ont bien meillur
marche. Leur uoluptévolupté est bien plus
plantureuse et plus en main. Secon=
demant boire a la francese a deus
repas et modereemant en creinte de
sa sante c’est trop restreindre les
faueursfaveurs de ce Dieu. Il y faut plus
de temps et de constance Les antiens
franchissoint des nuits entieres a
cet exercice et y atachoint souuantsouvant
les ioursjours. Et si faut dresser son ordinere
plus large et plus ferme. IJ’ay ueuveu un
grand seignur de mon temps perso=
nages de hautes entreprinses et f
fameus succez qui sans effort et
au trein de ses repas communs ⁁
⁁ ne beuuoitbeuvoit guere moins de
cinq lotz de uinvin. Et ne se montroit
au partir de la que trop sage et
aduisèadvisè aus despans de nos
affaires. Le plaisir, du quel
nous uoulonsvoulons tenir conte au
cours de nostre uievie doit en
emploier plus d’espace. Il
faudroit come des garçons
de boutique come leset gens de trauailtravail ne refuser null’occasion de boire n’auoiravoir ce desir tousiourstousjours en teste.
Il semble que tous les ioursjours nous racourcissons l’usage de cettuicy. Et qu’en nos maisons come ij’ai ueuveu en mon
enfance ⁁ ⁁ les deiunersdejuners les ressiners et les collations fussētfussent bien plus frequantes et ordineres et a toutes heuresqu’a presant. Seroit ce qu’en quelque chose
nous alissions uersvers l’amandemant. Vramant non. IJ’estime Mais c’est que nous nous somes beaucoup plus ietezjetez a
la paillardise que n’esto nos peres C’est so Ce sont deus occupations qui s’entrempeschētentrempeschent en leur uigurvigur: Ell’a a affoibli
nostre estomac d’une part, et d’autre part la sobrietè sert a nous rendre plus coins plus damerets, pour l’aco
l’exercice de l’amour. C’est merueillemerveille des contes que ij’ay oui faire a mon pere de la chasteté de son siecle. C’estoit a luy d’en dire:
estant tresauenanttresavenant et par art et par nature a l’usage des dames Il parloit bienpeu et bien: et si mesloit son langage de quelque
ornemant des liureslivres uulgueresvulgueres: de son temps Italiens Espaignols François mais surtout Espaignolssurtout Espaignols et entre les Espaignols luy estoit le plus ordinere celuy qu’ils noment Marc Aurelle. SōSonsa conte estoitLa contenance il l’auoitavoit
d’une grauitegravite douce heumbletresheumble et tresmodeste. Singulier soins de l’honesteté et decence de sa persone et de ses habits soit a pied soit
a cheualcheval. Monstrueuse foi en ses parolles: et une consciance ent relligion en general panchant plus tost uersvers la superstition que uersvers
l’autre bout. Pour un home de petite taille, plein de uigeurvigeur, de disposition et de parfaicte proportion de mambreset d’une stature droite et bien proportionee. D’un uisagevisage
agreable tirant sur le brun. Adroit et exquis en tous lesnobles exercices d’un gentilhome. IJ’ay ueuveu encore des cannes farcies de plomb des quelles
de quoi on dict qu’il exerçoit lsess’exerçoit les bras bras pour se preparer a ruer la barre ou la pierre ou a l’exscrime: et des souliers aus semelles plombees
pour s’alleger au courir & sa a sauter. Du primsaut il a laisse en memoire des petits miracles. IeJe l’ai ueuveu apar dela soixante dix ans
se moquer de noz alaigresses: se ietterjetter auecavec sa robe fourree sur un cheualcheval: faire le tour de la table sur son pouce: ne ⁁
⁁ mōtermonter guere en sa chābrechambre sans s’eslancer de trois ou quatre degrez a la fois. Sur mōmon
propos, il disoit qu’en toute une prouinceprovince a peine y auoitavoit il une fame de qualité ⁁ ⁁ qui fut mal nomee. Recitoit
des estranges priuautesprivautes ⁁ ⁁ nomeemant sienes aueqaveq des honestes fames sans supçon quelconque. Et de soi, iuroitjuroit
sainctemant estre uenuvenu uiergevierge a son mariage. sEt si auoitavoit eu fort longue part aus guerres dela les
mons que monsieur de Lautrec y conduisit: des quoielles mesme il anous a laisse des petits diurnalsmemoires de sa main un papier iournaljournal
suiuantsuivant iourjour par iourjourpoint par point ce qui s’y passa, et pour le publiq’ et pour son priuéprivé. ReuenonsRevenons aus boteilles bouteilles.
Aussi se maria il l’an 1528 son trante troisieme. Reuenonsvenonstournons a nos bouteille. bien auantavant en eage l’an 1528 qui
estoit son trentettroisieme retournonsant a nos bouteillesretournant d’Italie. ReuenonsRevenons a nos bouteilles
Les incom-
moditez de la vieillesse, qui ont besoing de quelque appuy &
refrechissement, pourroyent me ’engendrer auecqavecq raison de-
sir de cette faculté: cCar c’est quasi le dernier plaisir que le
cours des ans nous dérobe. La chaleur naturelle, disent les bōsbons
compaignons, se prent premierement aux pieds: celle la
touche l’enfance. De-la elle monte à la moyenne region, où
elle se plante long temps, & y produit, selōselon moy, les seuls vrais
plaisirs de la vie corporelle.⁁
Cet ajout est antérieur à celui qui l’encadre. Montaigne avait d’abord utilisé une marque d’insertion en forme de I avant de l’augmenter d’une barre horizontale supplémentaire lors de l’ajout de la seconde addition afin de ne pas la confondre avec cette dernière.
⁁ : sLes autres uoluptezvoluptez
dorment au pris.
Sur la fin, à la mode d’vneune vapeur
qui va montant & s’exhalant, ell’arriuearrive au gosier, où elle faict
sa derniere pose. IeJe ne puis pourtant entendre comment on
vienne à allonger le plaisir de boire outre la soif, & se forger
en l’imagination vnun appetit artificiel, & contre nature. Mon
LIVRE SECOND. 142
estomac n’yroit pas iusquesjusques là,: il est assez empesché à venir a-
bout de ce qu’il prend pour son besoing,⁁
⁁ Ma constitution est
de prandretirer trouuertrouver encore plus
de plaisirsaueursaveur a manger et
ne faire cas du boire
que pour la suite du
manger : et d’estre bien plus
tost gourmant qu’iurouigneivrouigne
ne faire cas du
boire que pour la suitte
du manger et bois a cette cause le
dernier coup quasi tousiourtousjour le plus
grant. L’édition de 1595 ajoute ici : "Et par ce qu’en la vieillesse, nous
apportons le palais encrassé de reume, ou alteré par quelque autre mauuaisemauvaise
constitution, le vin nous semble meilleur, à mesme que nous auonsavons
ouuertouvert & lauélavé noz pores.
Aumoins il ne m’aduientadvient guere, que pour la premiere
fois ij’en prenne biēbien le goust.Et par ce qu’en la vieillesse, nous
apportons le palais encrassé de reume, ou alteré par quelque autre mau-
uaisemau-
vaise constitution, le vin nous semble meilleur, à mesme que nous auonsavons
ouuertouvert & lauélavé noz pores. Aumoins il ne m’aduientadvient guere, que pour la pre-
miere fois ij’en prenne biēbien le goust. On me peut dire Anacharsis
s’estonoit que les grecs beussent sur la fin du repas en plus grans uerresverres que au
comācementcomancement C’estoit come ieje pense pour
la mesme raison que les Alemans le font qui comancent lors le combat a boire dautantd’autant.
Platon en ses lois defend
aus ēfansenfans de boire uinvin
auantavant dishuict ans et
auantavant quarante de s’eniurerenivrer
mais a ceus qui ont
passe les quarante il
ordone de s’y plaire et
mesler largement ⁁ ⁁ en leurs conuiuesconvives l’influance
de Dionisius ce bon dieu en leurs
conuiuesconvives Ce bon dieu quiqui a redone
aus homes le uinvin pour esiouiresjouir
et raiunirrajunir la uieillessevieillesse destendre
les affections de son ame & les
amollir come le fer par le feuuieusvieus la gayetè et la
iunessejunesse re aus uieillarsvieillars. qui
adoucit et amollit les passions
de lamel’ame come fai le feu fer
s’amollit par le feu Et en ses
loix treuuetreuve cets usatelles assābleesassamblees
a boire pourueupourveu qu’elles ne
soint du tout sans a boire pour=
ueupour=
veu qu’il y aie un chef de bande a les
contenir et regler utilles: le
l’iuresseivresse estant une bone
espreuueespreuve et certeine de la
nature d’un chacun. Et d
quand et quand propre a doner
aus persones d’eage le courage de
s’esbaudir en danses et en la
musiques choses utiles et qu’ils n’osent
entreprendre en sens rassis. Que le
uinvin est capable de donerfournir a lamel’ame de la
temperance au cors de la santé
Toutesfois ces restrictions en partie
enpruntees des Catrthaginois luy plaisent
Qu’on ne boiueboive point de uinvins’en espargne en expedition
de guerre Que tout magistrat et tout
iugejuge s’en abstiene sur le point d’executer
sa charge et de consulter des affaires
publiques Qu’on s’en abstiene aussiEtQu’on ny emploie le iourjour
aus heures temps deu a d’autres occupations
EtNy lacelle nuit les homes et les fames qui’on se
ueulenttveulentt emploierdestine a faire des enfans. Ils
disent que ⁁ ⁁ le philosofe Stilpo aggraueaggrave de uieillessevieillesse hasta sa fin a esciant
par le breuuagebreuvage de uinvin pur. Pareille cause mais non du
propre dessein
suffoca aussi les
forces abatues depar
leagel’eage du philosofe
Arcesilaus.
Mais c’est vneune vieil-
le & plaisante question, si l’ame du sage seroit pour se rendre
à la force du vin.,
Si munitae adhibet vim sapientiae.
A combien de vanité nous pousse cette bonne opinion, que
nous auonsavons de nous: lLa plus reiglée ame du monde, & la plus
parfaicte, n’a que trop affaire à se tenir en pieds, & à se garder
de ne s’emporter par terre de sa propre foiblesse. De mille il
n’en est pas vneune qui soit droite & rassise vnun instant de sa vie:
&Et se pourroit mettre en doubte, si selon sa naturelle condi-
tion elle y peut iamaisjamais estre. Mais d’y ioindrejoindre la cōstanceconstance, c’est
sa derniere perfection: iIejJe dis quand rien ne la choqueroit, ce
que mille accidens peuuentpeuvent faire. Lucrece, ce grand poëte à
beau Philosopher & se bander, le voyla rendu insensé par vnun
breuuagebreuvage amoureux. Pensent ils qu’vneune Apoplexie n’estour-
disse aussi bien Socrates, qu’vnun portefaix. Les vnsuns ont oublié
leur nom mesme par la force d’vneune maladie, & vneune legiere
blessure à renuersérenversé le iugementjugement à d’autres. TātTant sage qu’il vou-
dra, mais en fin c’est vnun homme: qu’est il plus caduque, plus
miserable, & plus de neant? lLa sagesse ne force pas nos condi-
tions naturelles.:
Sudores itaque & pallorem existere toto
Corpore, & infringi linguam, vocémque aboriri,
Caligare oculos, sonere aures, succidere artus,
Denique concidere ex animi terrore videmus.
Il faut qu’il sille les yeux au coup qui le menasse: il faut qu’il
fremisse planté au bord d’vnun precipice:⁁
⁁ come un enfant: nNature
aiant uoluvolu se reseruerreserver
ces legieres marques de
son authoritè inexpug=
nables a nostre raison et
a la uertuvertu Stoïque. Pour
luy aprandre sa morta=
lité et nostre fadese:
nihilite fadese.
iIl pallit à la peur, il
rougit à la honte,: il ⁁ ⁁ se pleint a l’estrette d’une uerteverte gemit à la ⁁ colique, sinon d’vneune voix vain-
cue du mal,⁁ ⁁ desperee et esclatante au moins ⁁ ⁁ d’une uoixvoix casse et enrouee. comme estant en vneune aspre meslée.,
Humani à se nihil alienum putaet.
Les poëtes ⁁ ⁁ qui feignent tout a leur poste, n’osent pas descharger, seulement des larmes, leurs
heros.,
N n ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Sic fatur lachrymans, classíque immittit habenas.
Luy suffise de brider & moderer ses inclinations, car de les
emporter, il n’est pas en luy. Cetuy mesme nostre Plutarque,
si parfaict & excellent iugejuge des actions humaines, à voir Bru-
tus & Torquatus tuer leurs enfans, est entré en doubte si la
vertu pouuoitpouvoit donner iusquesjusques là: & si ces personnages n’a-
uoyenta-
voyent pas esté plustost agitez par quelque autre passion. ⁁
Toutes actions hors les bornes ordinaires sont subiectessubjectes à
sinistre interpretation, d’autant que nostre goust n’aduientadvient
nōnon plus à ce qui est au dessus de luy, qu’à ce qui est au dessous. ⁁
⁁ Laissons cette autre secte
faisant expresse profession de
fierte. Mais quand en la secte
mesmes estimee la plus molle
nous oïons ces uantancesvantances de
Metrodorus. Occupaui te fortu=
na atque cepi: omnes seque aditus
tuos interclusi, ut ad me aspi=
rare non posses. Et qQuand
Anaxarchus par lordonancel’ordonance
de Nicocreont tyran de Cypre
couche dans ⁁ ⁁ un uesseauvesseau de pierre
et assome a coups de mail de
fer ne cesse de dire
frapez rompez: ce nestn’est pas
Anaxarchus, c’est son estui
que uousvous pilez.
Quand nous oyons nos martyrs, crier au Tyran au milieu de
la flamme, cC’est assez rosti de ce costé la, hache le, mange le, il
est cuit, recommance de l’autre. QuātQuant nous oyons en IosepheJosephe
cet enfant tout deschiré des tenailles mordantes, & persé des
aleines d’Antiochus, le deffier encore, criant d’vneune voix ferme
& asseurée: Ttyran tu pers temps, me voicy tousiourstousjours à mōmon ai-
se: oOu est cette douleur, où sont ces tourmens, dequoy tu me
menassois? nN’y sçais tu que cecy? mMa coustanceconstance te dōnedonne plus de
peine, que ieje n’en sens de ta cruauté: oO láche belistre tu te rēsrens,
& ieje me renforce: fFay moy pleindre, fay moy flechir, fay moy
rendre si tu peux: dDonne courage à tes satellites, & à tes bour-
reaux: lLes voyla defaillis de coeur, ils n’en peuuentpeuvent plus,: arme
les, acharne les. Certes il faut confesser qu’en ces ames là, il y à
quelque alteration, & quelque fureur, tant sainte soit elle.
Quand nous arriuonsarrivons à ces saillies Stoïques, ij’ayme mieux e-
stre furieux que voluptueux.disoitmot d’Antisthenes
proseΜανειεῖνΜανείην μᾶλλον ἡἢ ἡθέιεινἡσθείην
Quand Sextius nous dit, qu’il ayme mieux estre enferré de la
douleur que de la volupté: Quand Epicurus entreprend de se
faire chatouillermignarder à la goute, & desdaignātdesdaignantrefusant le repos & la santé,
que de gayeté de coeur il deffie les maux,. &Et mesprisant les dou-
leurs moins aspres, dedaignātdedaignant de les luiter, & les cōbatrecombatre, qu’il
LIVRE PREMIERSECOND. 143
en appelle & desire des fortes, poignantes, & dignes de luy.,
Spumantémque dari pecora inter inertia votis
Optat aprum, aut fuluum descendere monte leonem,
qQui ne iugejuge que ce sont boutées d’vnun courage eslancé hors de
son giste. Nostre ame ne sçauroit de son siege atteindre si
haut: iIl faut qu’elle le quitte & s’esleueesleve, & prenant le frein aux
dētsdents, qu’elle emporte, & rauisseravisse son homme, si loing, qu’apres
il s’estonne luy-mesme de son faict. Comme aux exploicts de
la guerre, la chaleur du combat pousse les hommessoldats genereux
souuentsouvent à franchir des pas si hazardeux, qu’estant reuenuzrevenuz à
eux, ils en transissent d’estonnemētestonnement les premiers. Comme aus-
si les poëtes sont espris souuētsouvent d’admiration de leurs propres
ouuragesouvrages, & ne reconnoissoiētreconnoissoient plus la trace, par où ils ont pas-
sé vneune si belle carriere: cC’est ce qu’on appelle aussi en eux ar-
deur & manie: &Et comme Platon dict, que pour neant hurte
à la porte de la poësie, vnun homme rassis: aussi dit Aristote que
aucune ame excellente, n’est exēpteexempte de quelque meslange de
folie: &Et à quelque raison d’appeller fureurfolie tout eslancement
tant loüable soit-il, qui surpasse nostre propre iugementjugement &
discours: dD’autant que la sagesse c’est vnun maniment reglé de
nostre ame, & qu’elle conduit auecavec mesure & proportion, &
s’en respond. ⁁
⁁ Platon argumante
ainsi que la faculté
de diuinerdiviner estprofetiser est au dessus
de nous: qu’il nous faut
estre hors de nous quand
nous la traictons: il faut
que nostre prudance
soit offusquee ou par le
sommeil ou par quelque
maladie ou enleueeenlevee de sa
place par un rauissementravissement
celeste.
Coustume de l’Isle de Cea. CHAP. III.
SI philosopher c’est douter, comme ils disent, à plus
forte raison niaiser & fantastiquer, comme ieje fais, doit
estre doubter: cCar c’est aux apprentifs à enquerir &
à debatre, & au cathedrant de resoudre. Mon cathedrant, c’est
l’authorité de la Sacro-sainte volonté diuinedivine, qui nous reigle
sans contredit, & qui à son rang au dessus de ces humaines &
vaines contestations. Philippus estant entré à main armée au
Peloponese, quelcun disoit à Damidas, que les LacedemoniēsLacedemoniens
N n iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
auroient beaucoup à souffrir, s’ils ne se remettoient en sa gra-
ce: &Et poltron, respondit-il, que peuuentpeuvent souffrir ceux qui ne
craignent point la mort? On demandoit aussi à Agis, commeant
vnun homme pourroit viurevivre vrayement libre,. mMesprisant, dict-
il, le mourir. Ces propositions & mille pareilles qui se rencō-
trentrencon-
trent à ce propos, sonnētsonnent euidemmentevidemment vneunequelque chose au dela d’at-
tendre patiemment la mort, quand elle nous vient: cCar il y a en
la vie plusieurs chosesaccidens pires à souffrir que la mort mesme:. tTes-
moing cet enfant Lacedemonien, pris par Antigonus & ven-
du pour serf, lequel pressé par son maistre àde s’employer à quel-
que seruiceservice abiectabject,: TtTu verras, dit-il, qui tu as acheté,: cCe me se-
roit honte de servir ayant la liberté si à main: &Et ce disant se
precipita du haut de la maison. Antipater menassant aspre-
ment les Lacedemoniens, pour les renger à certaine sienne de-
mande: SsSi tu nous menasses de pis que la mort, respondirent-
ils, nous mourrons plus volontiers. ⁁
⁁ Et a Philippus leur
ayant escrit qu’il
empescheroit toutes leurs
entreprinses Quoi nous
empescheras tu aussi de
mourir. respondirent ils.
C’est ce qu’on dit, que le
sage vit tant qu’il doit, nōnon pas tant qu’il peut,: &Et que le present
que nature nous ait fait le plus fauorablefavorable, & qui nous oste
tout moyen de nous pleindre de nostre condition, c’est de
nous auoiravoir laissé la clef des champs. Elle n’a ordonné qu’vneune
entrée à la vie, & cent mille yssuës. Nous pouuonspouvons auoiravoir fau-
te de terre pour y viurevivre, mais de terre pour y mourir nous n’en
pouuonspouvons auoiravoir faute, comme respondit Boiocatus aux Ro-
mains. Pourquoy te plains tu de ce monde? il ne tient pas:
sSi tu vis en peine, lta lácheté en est cause: àA mourir il ne reste
que le vouloir.:
Vbique mors est: optime hoc cauit Deus,
Eripere vitam nemo non homini potest:
At nemo mortem: mille ad hanc aditus patent.
Et ce n’est pas la recepte à vneune seule maladie, la mort est la re-
cepte à tous maux:. c’C’est vnun port tres-asseuré, qui n’est iamaisjamais
à craindre, & souuentsouvent à rechercher:. tTout reuientrevient à vnun, que
LIVRE SECOND. 144
l’homme se donne sa fin, ou qu’il la souffre,: qQu’il coure au de-
uantde-
vant de son iourjour, ou qu’il l’attende: dD’où qu’il viēnevienne c’est tou-
siourstou-
sjours le siēsien: eEn quelque lieu que le filet se rompe, il y est tout,
c’est le bout de la fusée. La plus volontaire mort c’est la plus
belle,: lLa vie despend de la volonté d’autruy, la mort de la no-
stre. En aucune chose nous ne deuonsdevons tant nous accommo-
der à nos humeurs, qu’en celle-là. La reputation ne touche pas
vneune telle entreprise, c’est folie d’en auoiravoir respect. Le viurevivre c’est
seruirservir, si la liberté de mourir en est à dire. Le commun train de
la guerison se conduit aux despens de la vie: oOn nous incise,
on nous cauterise, on nous detranche les membres, on nous
soustrait l’alimētaliment, & le sang: vnun pas plus outre, nous voila gue-
ris tout à fait: pPourquoy n’est la vaine du gosier autant à no-
stre commandement que la mediane? aAux plus fortes mala-
dies les plus forts remedes. SeruiusServius le Grammairien ayant la
goutte, n’y trouuatrouva meilleur remedeconseil, que de s’appliquer du
poison auxet de tuer ses iābesjambes:. & vescut depuis ayant cette partie du corps
morteQu’elles fussent podagriques a leur poste pourueupourveu
que ce fut sans sentiment. Dieu nous donne assez de congé, quand il nous met
en tel estat, que le viurevivre nous est pire que le mourir. ⁁
⁁ C’est foiblesse de
ceder aus maus, mais
c’est folie de les nourrir.
Or Les Stoiciens disent
que c’est uiurevivre conuena=
blementconvena=
blement a nature de se depar=
tir de la uievie pour le sage
de se despartir de la uievie
encore qu’il soit en plein heur
s’il le faict opportuneement
et au fol de maintenir sa
uievie encore qu’il soit miserable
pourueupourveu qu’il soit en la plus
grande part des choses qu’ils
disent estre selon nature.
Come ieje n’offance pas les loix duqui sont contre
le larrecin quand ieje me coupe ma bourse
ny ne suis tenu pour saccageur de maison
pour uidervider la miene et emporter aussi
pour emporter ma uievie ie me suis tenu aux
loix des meurtres et homicides
Come ieje n’offance les loix
qui sont faictes contre les
larrons quand ij’emporte le
mien et que ieje me coupe
ma bourse ny des boutefus
quand ieje brusle mon bois
aussi ne suis ieje tenu aus
loix faictes contre les
meurtriers pour m’auoiravoir oste ma uievie
Or pourtant Hegesias disoit que
come la uievie aussi la mort deuoitdevoit formercondition
de la uievie aussi la condition de la mort
deuoitdevoit despendre de nostre eslection
Et Diogenes rencontrant le philosofe
Speusippus nepueunepveu de Platon afflige de
longue l’hydropisie qui se faisant porter ēen
lettiere qui luy escria: Le bon salut
Diogenes: A toi point de salut respondit
il qui souffres & alonges le uiurevivre, estant
en tel estat. De uraivrai quelque temps apres
Speusippus se fit mourir ennuie d’une si
penible cōditioncondition de uievie.
Mais cecy
ne s’en va pas sans contraste: cCar outre l’authorité, qui en de-
fendant l’homicide y enueloppeenveloppe l’homicide de soy-mesmes:
d’autres philosophesplusieurs tiennent, que nous ne pouuonspouvons aban-
donner cette garnison du monde, sans le commandemētcommandement ex-
pres de celuy, qui nous y à mis,: &Et que c’est à Dieu qui nous à
icy enuoyezenvoyez, non pour nous seulement, ains pour sa gloire &
seruiceservice d’autruy, de nous donner congé, quand il luy plaira,
non à nous de le prendre: ⁁
⁁ Que nous somes a nostre
païs autant qu’a nous Il
nous redemande a nous et
auonsavons a luy en rēdrerendre conte
⁁ Que nous ne
somes pas nez
pour nous ains
aussi pour nos
paisans pour
nostre païs les
loix nous redemandent
conte de nous pour
leur interest et ont
action de ’homicide
contre nous
aAutrement comme deserteurs de
nostre charge nous sommes punis ⁁ ⁁ et en celuicy et en l’autre monde,
Proxima deinde tenent moesti loca, qui sibi laetum
Insontes peperere manu, lucémque perosi
Proiecere animas.
Il y à bien plus de constance à vseruser la chaine qui nous tient,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’à la rompre: &Et plus ⁁ d’espreuueespreuve de fermeté en Regulus qu’en Caton.
C’est l’indiscretion & l’impatience, qui nous haste le pas. Nuls
accidens ne font tourner le dos à la viuevive vertu: elle cherche les
maux & la douleur, comme son aliment. Les menasses des ty-
rans, les gehenes, & les bourreaux, l’animent & la viuifientvivifient.,
Duris vt ilex tonsa bipennibus
Nigrae feraci frondis in Algido
Per damna, per caedes, ab ipso
Ducit opes animúmque ferro.
Et comme dict l’autre:
Non est vt putas virtus, pater,
Timere vitam, sed malis ingentibus
Obstare, nec se vertere ac retro dare.
Rebus in aduersis facile est contemnere mortem.
Fortius ille facit, qui miser esse potest.
C’est le rolle de la couardise, non de la vertu, de s’aller tapir dāsdans
vnun creux, soubs vneune tombe massiuemassive, pour euitereviter les coups de
la fortune. Elle ne rompt son chemin & son train, pour orage
qu’il face.,
Si fractus illabatur orbis.,
Inpauidam ferient ruinae.
Le plus communement, la fuitte d’autres inconueniensinconveniens, nous
pousse à cettuy- cy: Voire quelquefois la fuite de la mort, fait
que nous y courons,⁁
⁁ Hic, rogo, non furor
est, ne moriare mori?
cComme ceux qui de peur du precipice s’y
lancent eux mesmes.:
multos in summa pericula misit
Venturi timor ipse mali: fortissimus ille est,
Qui promptus metuenda pati, si cominus instent,
Et differre potest.
vsque adeo mortis formidine, vitae
Percipit humanos odium, lucisque videndae,
Vt sibi consciscant maerenti pectore lethum,
Obliti
LIVRE SECOND. 145
Obliti fontem curarum hunc esse timorem. ⁁
⁁ Platon en ces loix ordone sepulture
ignominieuse a ceusluy qui s’est tue et
a tuè a tuéa priueprive son plus plus proche a& plus amy
sçauoirsçavoir est soimesmes de la uievie & du
cours des destinees non ⁁ ⁁ contreint par iugementiugement
publique ny par quelque triste et ineui=
tableinevi=
table accidant de la fortune ny
par quelqueune honte insupportable
mais par lachete et foiblesse
d’un’ame creintiuecreintive
Et l’opiniōopinion qui desdaigne nostre vie, elle est ridicule en nous:
cCar en fin c’est nostre estre, c’est nostre tout. Les choses qui
ont vnun estre plus noble & plus riche, peuuentpeuvent accuser le no-
stre: mMais c’est contre nature, que nous nous mesprisons &
mettons nous mesmes à nōchaloirnonchaloir,: cC’est vneune maladie particu-
liere, & qui ne se voit en aucune autre creature, de se hayr &
desdeigner. C’est de pareille vanité, que nous desirons estre
autre chose, que ce que nous sommes.: LlLe fruict d’vnun tel desir
ne nous touche pas,: d’autant qu’il se contredict & s’empesche
en soy: cCeluy qui desire d’estre fait d’vnun homme ange, il ne fait
rien pour luy: ⁁
⁁ il n’en uaudroitvaudroit
de rien mieus.
car n’estant plus, il n’aura plus dequoyqui se res-
siouyrares-
sjouyra & ressentira de cet amendement, pour luy.
Debet enim miserè cui forte aegréque futurum est,
Ipse quoque esse in eo tum tempore, cum male possit
Accidere.
La securité, l’indolence, l’impassibilité, la priuationprivation des maux
de cette vie, que nous achetons au pris de la mort, ne nous
apporte aucune commodité.: PpPour neātneant euiteevite la guerre, celuy
qui ne peut iouyrjouyr de la paix, & pour neant fuit la peine, qui n’a
dequoy sauourersavourer le repos. Entre ceux du premier aduisadvis, il y à
eu grand doute sur ce, quelles occasions sont assez iustesjustes, pour
faire entrer vnun homme en ce party de se tuer: iIls appellent cela
prose - ἐύλογονεὔλογον ἐξαγωγὴ.
Car quoy qu’ils dient, qu’il faut souuentsouvent mourir pour causes
legieres, puis que celles qui nous tiennent en vie, ne sont guie-
re fortes, si y faut-il quelque mesure. Il y a des humeurs fanta-
stiques & sans discours, qui ont poussé, non des hommes par-
ticuliers seulement, mais des peuples à se deffaire. IJ’en ay alle-
gué par cy deuantdevant des exemples: &Et nous lisons en outre, des
vierges Milesienes, que par vneune conspiration furieuse, elles se
pendoient les vnesunes apres les autres, iusquesjusques à ce que le magi-
Oo
ESSAIS DE M. DE MONTA.
strat y pourueustpourveust, ordonnant que celles qui se trouueroyenttrouveroyent
ainsi pendues fussent trainées du mesme licol toutes nuës
par la ville. Quand Threicion presche Cleomenes de se tuer,
pour le mauuaismauvais estat de ses affaires, & ayant fuy la mort plus
honorable en la bataille qu’il venoit de perdre, d’accepter cet-
te autre, qui luy est seconde en honneur, & ne donner poinct
loisir au victorieux de luy faire souffrir, ou vneune mort, ou vneune
vie honteuse. Cleomenes d’vnun courage Lacedemonien &
Stoique, refuse ce conseil comme láche & effeminé: cC’est vneune
recepte, dit-il, qui ne me peut iamaisjamais manquer, & de laquelle
il ne se faut seruirservir tant qu’il y à vnun doigt d’esperance de reste:
qQue le viurevivre est quelquefois constance & vaillance: qQu’il veut
que sa mort mesme serueserve à son pays, & en veut faire vnun acte
d’honneur & de vertu. Threicion se creut dés lors & se tua.
Cleomenes en fit aussi autant depuis,. mMais ce fut apres auoiravoir
essayé le dernier point de la fortune. ⁁ Tous les inconuenientsinconvenients
ne valētvalent pas qu’ōon veuille mourir pour les euitereviter. Et puis, y ayātayant
tant de soudains changemens aux choses humaines, il est mal-
aisé à iugerjuger, à quel point nous sommes iustementjustement au bout de
nostre esperance.
Sperat & in saeua victus gladiator arena
Sit licet infesto pollice turba minax.
Toutes choses, disoit vnun mot ancien, sont esperables à vnun ho-
me pendant qu’il vit. Ouy mais, respond Seneca, pourquoy
auray ieje plustost en la teste cela, que la fortune peut toutes
choses pour celuy qui est viuātvivant, que cecy, que fortune ne peut
rien sur celuy qui sçait mourir. On voit IosepheJosephe engagé en
vnun si apparent danger & si prochain, tout vnun peuple s’estant
esleuéeslevé cōtrecontre luy, que par discours il n’y pouuoitpouvoit auoiravoir aucune
resource: tToutefois estant, comme il dit, conseillé sur ce point
par vnun de ses amis, de se deffaire, bien luy seruitservit de s’opiniatrer
encore en l’esperance: cCar la fortune contourna outre toute
LIVRE SECOND. 146
raison humaine, cet accident, de tel biais,si qu’il s’en veid deliurédelivré
sans aucun inconuenientinconvenient. Et Cassius & Brutus, au contraire,
acheuerentacheverent de perdre les reliques de la Romaine liberté, de la-
quelle ils estoient protecteurs, par la precipitation & temeri-
té, dequoy ils se tuerent auantavant le temps & l’occasion. ⁁
⁁ IJ’ay ueuveu cent lieureslievres se
sauuersauver sous les dents des leurierslevriers
aliquis carnifici suo superstes fuit.
Multa dies variúsque labor mutabilis aeui
Rettulit in melius, multos alterna reuisens
Lusit, & in solido rursus fortuna locauit.
Pline dit qu’il n’y a que trois sortes de maladie, pour lesquel-
les euitereviter on aye accoustumédroit de se tuer: lLa plus aspre de toutes
c’est la pierre à la vessie, quand l’vrineurine en est retenuë:. la secon-
de la douleur d’estomach: la tierce, la douleur de teste. ⁁
⁁ Seneque celes sule=
ment qui esbranlent
pour longtemps les
offices de l’ame.
Pour
euitereviter vneune pire mort, il y en a qui sont d’aduisadvis de la prendre à
leur poste. ⁁
⁁ Damocritus, chef des
AEtoliens mene prisonier
a Rome trouuatrouva moien de
nuit d’eschaper: mMais suiuysuivy
par ses gardes auantavant que
se laisser reprādrereprandre il se donna
de l’espee au trauerstravers le corps
Antinous et Theodotus leur
uilleville d’Epire reduite a
lextremitèl’extremitè par les Romains
furent d’aduisadvis au peuprle de
se tuer tous. Mais le
conseil de se rendre plus
tost, ayant gaigné : ils
allarent chercher la mort
se ruans sur les ennemis en
intantion de fraper, non
de se couurircouvrir. L’isle de
Goze forcee par les Turcs
il y a quelques annees:
un Sicilien qui auoitavoit de
belles filles prestes a marier
les tua de sa main et leur
mere apres qui accourut
a leur mort. Cela faict
sortant en rue aueqaveq une
arbaleste et une harquebu=
se: de deus coups il en tua
les deus premiers Turcs qui
s’aprocharent de sa porte
et puis mettant lespeel’espee au
pouin s’ala mesler furieu=
semātfurieu=
semant ou il fut soudein
enuelopéenvelopé et mis en pieces
se sauuantsauvant ainsi du seruageservage
apres en auoiravoir deliurèdelivrè les
siens.
Les femmes IuifuesJuifves apres auoiravoir fait circōcirecirconcire leurs
enfans, s’alloiētalloient precipiter quātquant & eux, fuyātfuyant la cruauté d’An-
tiochus. On m’a conté qu’vnun prisonnier de qualité, estant en
nos conciergeries, ses parens aduertisadvertis qu’il seroit certainemētcertainement
condamné, pPour éuiteréviter la honte de telle mort, aposterent vnun
prestre pour luy dire, que le souuerainsouverain remede de sa deliuran-
cedelivran-
ce, estoit qu’il se recommandast à tel sainct, auecavec tel & tel veu,
& qu’il fut huit ioursjours sans prendre aucun alimētaliment, quelque de-
faillance & foiblesse qu’il sentit en soy. Il l’en creut, & par ce
moyen se deffit sans y penser de sa vie & du dangier. Scribonia
conseillant Libo son nepueunepveu de se tuer, plustost que d’atten-
dre la main de la iusticejustice, luy disoit, que c’estoit propremētproprement fai-
re l’affaire d’autruy, q̄que de cōseruerconserver sa vie, pour la remettre entre
les mains de ceux qui la viendroient chercher trois ou quatre
ioursjours apres,: & que c’estoit seruirservir ses ennemis, de garder son
sang pour leur en faire curée. Il se lict dans la Bible, que Nica-
nor persecuteur de la Loy de Dieu, ayant enuoyéenvoyé ses sattel-
lites pour saisir le bon vieillard Rasias, surnōmésurnommé pour l’hon-
neur de sa vertu, le pere aux IuifsJuifs, comme ce bon homme
O o ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
n’y veit plus d’ordre, sa porte bruslée, ses ennemis prests à le
saisir, choisissant de mourir genereusement plustost, que de
venir entre les mains des meschans, & de se laisser mastiner
contre l’honneur de son rang, qu’il se frappa de son espée:
mMais le coup pour la haste, n’ayant pas esté bien assené, il
courut se precipiter du haut d’vnun mur, au trauerstravers de la
trouppe, laquelle s’escartant & luy faisant place, il cheut
droictement sur la teste. Ce neantmoins se sentant enco-
re quelque reste de vie, il r’alluma son courage, & s’esle-
uantesle-
vant en pieds, tout ensanglanté & chargé de coups, & fau-
çant la presse donna iusquesjusques à certain rocher coupé & pre-
cipiteux, où n’en pouuantpouvant plus, il print ⁁
⁁ par l’une de ses
plaies
à deux mains ses
entrailles, les deschirant & froissant, & les iettajetta à trauerstravers les
poursuiuanspoursuivans, appellant ⁁ ⁁ sur eus & attestant la vengeance diuinedivine.
Des violences qui se font à la conscience, la plus à euitereviter
à mon aduisadvis, c’est celle qui se faict à la chasteté des fem-
mes, d’autant qu’il y à quelque plaisir corporel, natu-
rellement meslé parmy: &Et à cette cause, le dissentement
n’y peut estre assez entier, & semble que la force soit me-
slée à quelque volonté. Pelagia & Sophronia toutes deux
canonisées, celle-là se precipita dans la riuiereriviere auecavec sa me-
re & ses soeurs, pour euitereviter la force de quelques soldats: &
cette-cy se tua aussi pour euitereviter la force de Maxentius
l’Empereur. ⁁
⁁ L’histoire ecclesiastique
a en reuerencereverence plusieurs
tels exemples de persones
deuotesdevotes qui apelarent la
mort a garant contre les
uiolancesviolancesoutrages que les tirans
preparoint a leur consciance.
Il nous sera à l’aduentureadventure honnorable aux sie-
cles adueniradvenir, qu’vnun bien sçauantsçavant autheur de ce temps, & no-
tamment Parisien, se met en peine de persuader aux Da-
mes de nostre siecle, de prendre plustost tout autre par-
ty, que d’entrer en l’horrible conseil d’vnun tel des-espoir.
IeJe suis marry qu’il n’a sceu, pour mesler à ses comptes, le
bon mot que ij’apprins à Toulouse d’vneune femme, passée par les
mains de quelques soldats: Dieu soit loüé, disoit-elle, qu’au
LIVRE SECOND. 147
moins vneune fois en ma vie, ieje m’en suis soulée sans peché. A la
verité ces cruautez ne sont pas dignes de la douceur Françoi-
se.: Aaussi Dieu mercy nostre air s’en voit infiniment purgé dé-
puis ce bon aduertissementadvertissement.: Ssuffit qu’elles dient nenny, en le
faisant, suyuantsuyvant la reigle du bon Marot. L’Histoire est toute
pleine de ceux qui en mille façons ont changé à la mort vneune
vie peneuse. Lucius Aruntius se tua, pour, disoit il, fuir & l’ad-
uenirad-
venir & le passé. ⁁
⁁ Granius SiluanusSilvanus et Statius Proximus apres estre pardonez
par Neron se tuarent, oOu pour ne uiurevivre de la grace d’un si
meschant home, ou pour n’estre en peine un autre fois
d’un secont pardon ueuveu sa facilite aus supçonts et accusations
a l’encontre des gens de bien. Spargapises filx de la roine Tomiris prisonier de guerre de Cyrus
emploia a se tuer la premiere faueurfaveur que Cyrus luy fit de le faire destacher n’ayātayant pretandu autre fruit de
sa liberté que de uangervanger sur soy la honte de sa prinse. ⁁
⁁ Bogez gouuerneurgouverneur en Eione de la part du Roy Xerxes, assiegé par l’armée des
Atheniens comandes sous la conduite de Cimon refusa la composition de sortir bagues sauuessauves
et s’en retourner surement en Asie a tout sa cheuancechevance po impatiant de suruiuresurvivre a la perte de
son honur ce que son maistre luy auoitavoit done en garde: et apres s’y estreauoiravoir defandu iusques a
lextremitel’extremite sa uilleville, ny aïrestant plus que manger: iettajetta premierement en la riuiereriviere Strymon tout
lorl’or et tout ce de quoi il luy sembla que lenemil’enemi pouuoitrpouvoitr faire plus de butin. Et puis aiant faictordonè
alumer un grand buchier et desgosiller fame enfans concubines et seruitursserviturs les ieje Montaigne a commencé à écrire "ie", sans doute pour "jetta" avant de le biffer et de le remplacer par le verbe "mettre" mit dans le feu
et puis soimesmes. ⁁
⁁ Ninachetuen seignur Indienois aïant senti le premier uentvent de la deliberation
du uiceroyviceroy Portuguais de le deposseder sans aucune cause apparante de la charge qu’il auoitavoit
en Malaca pour la doner au Roy de Campar print a par soi cette resolution Il fit dresser un eschafaut
plus long que large appuie sur des colonnes royallement tapisse et orne de fleurs & de parfuns en
abondance. Et puis s’estant uestuvestu d’une robe de drap dord’or chargee de quantite de pierreries de haut prix
sortit en rue et par des degrez mōtamonta sur leschafautl’eschafaut en un coin du quel il y auoitavoit un buchier de bois aromatique
alume siLe monde accourut uoirvoir a quelle fin Montaigne a écrit par distraction "fit" pour "fin", ce que corrige l’édition de 1595 ces preparatifs inacostumez Ninachetuen remōtraremontra d’un uisagevisage hardi
et malcontant l’obligation que la nation Portugaloise luy auoitavoit combien fidelement il auoitavoit uerseverse en sa charge
qu’aiant si souuantsouvant tesmouigne pour autruy les armes en main que l’honur luy estoit bde beaucoup plus cher
que la uievie il n’estoit pas pour en abandoner le souin pour soimesme. que sa fortune luy refusant tout moyen
de s’opposer a l’iniureinjure qu’on luy uoloitvoloit faire son corage au moins luy ordonoit de s’en oster le sentimētsentiment & de seruirservir
de fable au peuple & de triompehe a des persones qui ualointvaloint moins que luy Ce disātdisant il se iettajetta dans
le fu.
Sextilia femme de Scaurus, & Paxea femme
de Labeo, pour encourager leurs maris à euitereviter les dangiers,
qui les pressoyent, ausquels elles n’auoyentavoyent part, que par l’in-
terest de l’affection coniugaleconjugal, engagerent volontairement la
vie pour leur seruirservir en cette extreme necessité, d’exemple &
de compaignie. Ce quelles firent pour leurs maris, Cocceius
NeruaNerva le fit pour sa patrie, moins vtillementutillement, mais de pareil
amour. Ce grand IurisconsulteJurisconsulte, fleurissant en santé, en riches-
ses, en reputation, en credit, pres de l’Empereur, n’eust autre
cause de se tuer, que la compassion du miserable estat de la
chose publique Romaine. Il ne se peut rien adiousteradjouster à la de-
licatesse de la mort de la femme de FuluiusFulvius, familier d’Augu-
ste. Auguste ayant descouuertdescouvert, qu’il auoitavoit esuentéesventé vnun secret
important qu’il luy auoitavoit fié: vVnuUn matin qu’il le vint voir, luy
en fit vneune maigre mine: iIl s’en retournea au logis plain de deses-
poir,: &Et dict tout piteusement à sa femme, qu’estant tombé en
ce malheur, il estoit resolu de se tuer. Elle tout franchement.
Tu ne feras que raison, veu qu’ayant assez souuētsouvent experimētéexperimenté
l’incōtināceincontinancel’inconsttinance de ma langue, tu ne t’en es point donné de gar-
de. Mais laisse, que ieje me tue la premiere: &Et sans autrement
marchander, se donna d’vneune espée dans le corps. ⁁
⁁ Vibius Virius desesperé du salut de sa ville assiegée par les Romains, & de leur misericorde, en la derniere deliberation
de leur senat apres plusieurs remontrances emploiees a cette fin conclut que le plus beau estoit d’eschaper a la fortune
par leurs propres mains : Les enemis les en auroint en honur et Annibal sentiroit combien fidelles amis il aroit abandonez.
cConuiantcConviant ceus qui approuuerointapprouveroint son auisavis d’aller prandre un bon souper qu’on auoitavoit dressé ches luy, ou apres auoiravoir
faict bone chere ils boiroint ensamble de ce qu’on luy presanteroit: breuuagebreuvage qui deliureradelivrera nos cors des tourmans, nos
ames des iniuresinjures, nos yeus et nos oreilles du sentimant de tant de uileinsvileins maus que les ueincusveincus ont a souffrir des ueincursveincurs
trescruels et offancez de tant de maus quepar nous leur auontsavonts faicts en tant de sortes. IaiJ’ai disoit il mis ordre qu’il y ara persones
propres a nous ietterjetter dans un bucher du au dauantdavant de mon huis quand nous serons expirez. Ausses approuuarentapprouvarent cete haute
resolution, peu l’imitarent. Vint et sept senaturs le suiuirentsuivirent, et apres auoiravoir essaïè d’estouffer dans le uinvin cete facheuse pensee,
finirent leur repas par ce mortel metz. eEt s’entrenbrassants apres auoiravoir en commun le malheur de leur païs dep deploré le
malheur de leur païs: les uns se retirarent en leurs maisons: les autres s’arretarent pour estre enterrez dans le
fu de Vibius aueqaveq luy: eEt eurent tous la mort si longue, la uapeurvapeur du uinvin aiant occupe les ueinesveines uenesvenes
et retardant l’effaict du poison qu’aucuns furent a une heure pres de uoirvoir les enemis dans Capoue et d’encourir les
maus qu’ils auointavoint si cheremant euitezevitez. Taurea IubelliusJubellius un autre citoien de la, le Consul FuluiusFulvius ⁁ qui
fut emportee le lendemein, et d’encourir les miseres qu’ils auoītavoint si cheremant fuy: Taurea IubelliusJubellius un autre citoien de la, le Consul FuluiusFulvius ⁁
⁁ retournant de cette honteuse boucherie qu’il auoitavoit faicte de
deux cents vingt cinq Senateurs, le rappella fierement par son nom, & l’ayant
arresté: Commande, fit-il, qu’on me massacre aussi
apres tant d’autres, affin que tu te puisses uantervanter d’auoiravoir tue un beaucoup plus uaillantvaillant
home que toi. FuluiusFulvius le desdeignant come insansé,: aussi que sur l’heure, il uenoitvenoit de
receuoirrecevoir lettres due senatRome, contreres a l’inhumanitè de semblableson executions, qui lui
lioint les mains: IubelliusJubellius continuant: pPuis que mon païs prins, mes amis mors, & aiant
de ma main occins ma fame et mes enfans pour les soustraire a la desolation de cete ruine,
il m’est interdit de mourir de la mort de mes concitoiens, empruntōsempruntons de la uertuvertu la uangencevangence
de cette uievie odieuse: eEt tirant un gleuegleve qu’il auoitavoit cache s’en dona au trauerstravers la poitrine,
tumbant renuersèrenversè en mourant aus pieds du Consul.
Alexandre
assiegeoit vneune ville aux Indes: ceux de dedans se trouuanstrouvans
pressez, se resolurent vigoureusement à le priuerpriver du plaisir de
cette victoire,: & s’embraisarent vniuersellementuniversellement tous, quand
& leur ville, en despit de son humanité. NouuelleNouvelle guerre, les
O o iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ennemis combattoient pour les sauuersauver, eux pour se perdre,
&Et faisoient pour garentir leur mort, toutes les choses qu’on
faict pour garentir sa vie. ⁁
⁁ Astapa ville d’Espaigne se trouuanttrouvant foible de murs & de deffenses, pour soustenir les Romains,
les habitans firent un amas de leurs richesses et meubles en la place, et aiant range
au-dessus de ce monceau les fames & les enfans, et l’aiant entournè de bois et matiere propre
a prandere feu soudeinemant, et laissé cinquante ieunesjeunes homes d’entre eus pour l’execution de
leur resolution, firent une sortie, ou suiuantsuivant leur ueuveu a faute de pouuoirpouvoir ueincreveincre ils se firētfirent tous tuer:
Les cinquante apres auoiravoir massacre toute aame uiuantevivante esparse par leur uilleville et mis le feu en ce
monceau s’y lancearent aussi,
finissant leur genereuse liberte en un estat insensible plus tost que doleureus et honteus: ⁁
⁁ et montrant aus enemis que si fortune l’eut uoluvolu ils eussent eus aussi bien le
corage de leur oster la uictorevictoire come ils auointavoint eu de la leur rendre et
frustratoire et hideuse: uoïrevoïre et mortelle a ceus qui amorcez par la lueur de lorl’or
coulant dans cete flamme s’en estātestant aprochez en bon nōbrenombre, y furent suffoquez et bruslez
Le reculer leur estant interdict par la foule qui les suiuoitsuivoit. ⁁
⁁ Les Abideens pressez par Philippus se resolurent de mesmes: mMais
estants prins de trop court, le Roy aïant horrur de uoirvoir la precipitation
et rage temerere de cete execution (les thresors & les meubles qu’ils
auointavoint diuersemantdiversemant condamnez au feu & au naufrage sesis) retirant ses
soldats: leur conceda trois ioursjours a se tuer a laisel’aise: lLesquels ils remplirent
de sang et de meurtre au dela de toute hostile cruauté, et ne s’en sauuasauva
une sule persone qui eut pouuoirpouvoir sur soi. Il y a infinis exāplesexamples
de pareilles conclusions populeres, qui semblent plus aspres d’autātautant que
l’effaict en est plus uniuerseluniversel. Elles le sont moins que separees. Ce que
le discours ne feroit en chacūchacun il le faict en tous: l’ardur des La
societè rauissantravissant et les iugerjuger particuliers et le sentir. iugementsjugements.
Les condamnez qui attendoyētattendoyent l’e-
xecutiōe-
xecution, du temps de Tibere perdoient leurs biens & estoiētestoient
priuezprivez de sepulture: ceux qui l’anticipoyent en se tuant eux
mesme, estoyent enterrez & pouuoyentpouvoyent faire testamēttestament. Mais
on desire aussi quelque fois la mort pour l’esperāceesperance d’vnun plus
grand bien. IeJe desire, dict Sainct Paul, estre dissoult, pour e-
stre auecavec IesusJesus-Christ: & qui me desprendra de ces liens? Cle-
ombrotus Ambraciota ayant leu le Phaedon de Platon, entra
en si grand appetit de la vie adueniradvenir, que sans autre occasion
il s’alla precipiter en la mer. ⁁
⁁ Par ou il appert combien impropremant nous appelons desespoir cette dissolution uolonterevolontere: a la quelle la chalur de l’espoir
nous porte souuantsouvant et souuantsouvant une tranquille et rassise inclination de iugementjugement.
IacquesJacques du Chastel EuesqueEvesque de
Soissons, au voyage d’outremer que fist S. Loys, voyātvoyant le Roy
& toute l’armée en train de reuenirrevenir en FrāceFrance, laissant les affai-
res de la religion imparfaites, print resolutiōresolution de s’en aller plus
tost en paradis,. &Et ayant dict à Dieu à ses amis donna seul à la
veuë d’vnun chacun, dans l’armée des ennemis, où il fut mis en
pieces.⁁
⁁ . En certein Royaume de ces nouuellesnouvelles terres, au iourjour d’une solemne procession, au quel l’idole qu’ils adorent
est promenee en publiq, sur un char de merueilleusemerveilleuse grandur,: outre ce, qu’il se uoitvoit plusieurs, se destaillans les
mourceaus de leur chair uiuevive, a luy offir,: il s’en uoitvoit nombre d’autres, se prosternans emmy la place, qui se
font mouldre et escraseret briser sous les rouës, pour en acquerir apres leur mort, uenerationveneration de saincteté, qui leur
est rendue. Il y a La mort de cet euesqueevesque les armes au pouin a beaucoup de la generosité et moins de
sentiment plus: et moins de sentimant: l’ardur du combat en amusant une partie. Antinous et Theodorus
leur uilleville en Epire reduite a lextremitel’extremite, donarent aduisadvis au peuple de se tuer par ensamble: mais le conseil de
se rendre estant suiuisuivi, ils alarent tous deus chercher la mort se ruans sur le premier cors de garde des Romeins
regardans d’assenerpour fraper sulemant non pas depour se couurircouvrir. Il y a des
Il y à eu desIl y a des polices qui se sont meslées de reigler ⁁ ⁁ la iusticejustice et opportunite des mors uolonteresvolonteres. ce
doubte. En nostre Marseille il se gardoit au temps passé du
venin preparé à tout de la cigue, aux despens publics, pour
ceux qui voudroyent haster leurs ioursjours, ayant premierement
approuuéapprouvé aux six cens, qui estoit leur senat, les raisons de
leur entreprise: & n’estoit loisible autrement que par congé
du magistrat, & par occasiōsoccasions legitimes, de mettre la main sur
soy. Cette loy estoit encor’ailleurs. Sextus Pompeius allant
en Asie, passa par l’Isle de Cea de Negrepont, il aduintadvint de for-
tune pendant qu’il y estoit, comme nous l’apprend l’vnun de
ceux de sa compaignie, qu’vneune femme de grande authorité,
ayant rendu conte à ses citoyens, pourquoy elle estoit reso-
lue de finir sa vie, pria Pompeius d’assister à sa mort, pour la
rendre plus honnorable: ce qu’il fit, & ayant long temps essaié
pour neant, à force d’eloquence, qui luy estoit merueilleusemerveilleuse-
LIVRE SECOND. 148
ment à main, & de persuasion, de la destourner de ce dessein,
souffrit en fin qu’elle se contentast. Elle auoitavoit passé quatre
vingts ⁁ ⁁ et dix ans, entresen tres-heureux estat d’esprit & de corps, mais
lors couchée sur son lit, mieux paré que de coustume, & ap-
puiée sur le coude: les dieux dit elle, ô Sextus Pompeius, &
plustost ceux que ieje laisse, que ceux que ieje vay trouuertrouver, te sça-
chent gré dequoy tu n’as desdaigné d’estre & cōseillerconseiller de ma
vie, & tesmoing de ma mort. De ma part ayant tousiourstousjours es-
sayé le fauorablefavorable visage de fortune, de peur que l’ēuieenvie de trop
viurevivre ne m’en face voir vnun contraire, ieje m’en vay d’vneune heu-
reuse fin donner congé aux restes de mōmon ame, laissant de moy
deux filles & vneune legion de nepueuxnepveux:. cCela faict ayant presché
& enhorté les siens à l’vnionunion & à la paix, leur ayant départy
ses biens, & recommandé les dieux domestiques à sa fille ais-
née, elle print d’vneune main asseurée la coupe, ou estoit le venin,:
& ayant faict ses veux à Mercure & les prieres de la conduire
en quelque heureux siege en l’autre mōdemonde, aualaavala brusquemētbrusquement
ce mortel breuuagebreuvage. Or entretint elle la compagnie, du pro-
grez de son operation: & comme les parties de son corps se
sētoyētsentoyent saisies de froid l’vneune apres l’autre: iusquesjusques à ce qu’ayātayant
dit en fin qu’il arriuoitarrivoit au coeur & aux entrailles, elle appella
ses filles pour luy faire le dernier office & luy clorre les yeux.
Pline recite de certaine nation hyperborée, qu’en icelle pour
la douce temperature de l’air, les vies ne se finissent commu-
nément que par la propre volōtévolonté des habitans, mais qu’estans
las & sous de viurevivre, ils ont en coustume, au bout d’vnun long aa-
ge, apres auoiravoir fait bonne chere, se precipiter en la mer, du
haut d’vnun certain rocher, destiné à ce seruiceservice. La douleur ⁁ ⁁ insupportable, &
vneune pire mort, me semblent les plus excusables incitations.
ESSAIS DE M. DE MONTA.
A demain les affaires.
CHAP. IIII.
IEJE donne auecavec grande raison, ce me semble, la palme à
IacquesJacques Amiot, sur tous nos escriuainsescrivains François,. nNon
seulement pour la naïfueténaïfveté & pureté du langage, en
quoy il surpasse tous autres, ny pour la constance d’vnun si long
trauailtravail, ny pour la profondeur de son sçauoirsçavoir, ayant peu dé-
uelopperdé-
velopper si heureusement vnun autheur si espineux & ferré (car
on m’en dira ce qu’on voudra: ieje n’entens rien au Grec, mais
ieje voy vnun sens si beau, si bien iointjoint & entretenu par tout en sa
traduction, que où il à certainement entendu l’imagination
vraye de l’autheur, ou ayant par longue conuersationconversation, planté
viuementvivement dans son ame vneune generale Idée de celle de Plutar-
que, il ne luy à aumoins rien presté qui le desmente ou qui le
desdie) mais sur tout, ieje luy sçay bon gré d’auoiravoir sçeu trier &
choisir vnun liurelivre si digne & si à propos pour en faire present à
son pays. Nous autres ignorans, estions perdus, si ce liurelivre ne
nous eust releuezrelevez du bourbier: sa mercy nous osons à cett’heu-
re & parler & escrire: les dames en regentent les maistres d’es-
cole: c’est nostre breuiairebreviaire. Si ce bon homme vit, ieje luy resi-
gne Xenophon pour en faire autant: c’est vnun’occupatiōoccupation plus
aisée, & d’autant plus propre à sa vieillesse: & puis ieje ne sçay
comment il me semble, quoy qu’il se desmele bien brusque-
ment & nettement d’vnun mauuaismauvais pas, que toutefois son stile
est plus chez soy, quand il n’est pas pressé, & qu’il roulle à son
aise. IJ’estois à cett’heure sur ce passage, ou Plutarque dict de
soy-mesmes, que Rusticus assistant à vneune sienne declamation
à Rome, y receut vnun paquet de la part de l’Empereur, & tem-
porisa de l’ouurirouvrir, iusquesjusques à ce que tout fut faict: en quoy (dit-
il) toute l’assistance loua singulierement la grauitégravité de ce per-
sonnage. De vray estātestant sur le propos de la curiosité, & de cette
pas-
LIVRE SECOND. 149
passion auideavide & gourmande de nouuellesnouvelles, qui nous fait auecavec
tāttant d’indiscretiōindiscretion & d’impatiēceimpatience abandōnerabandonner toutes choses, pour
entretenir vnun nouueaunouveau venu, & perdre tout respect & conte-
nance, pour crocheter soudain, ou que nous soyons, les let-
tres qu’on nous apporte: il à eu raison de louër la gratuitégratvité de
Rusticus: & pouuoitpouvoit encor y ioindrejoindre la louange de sa ciuilitécivilité
& courtoisie, de n’auoiravoir voulu interrompre le cours de sa de-
clamation. Mais ieje fay doute qu’on le peut louër de pruden-
ce: car receuantrecevant à l’improueu lettres & notamment d’vnun Em-
pereur, il pouuoitpouvoit bien adueniradvenir que le differer à les lire eust
esté d’vnun grand preiudiceprejudice. Le vice contraire à la curiosité
c’est la nonchalance: vers laquelle ieje penche euidemmentevidemment
de ma complexion, & en laquelle ij’ay veu plusieurs hommes
si extremes, que trois ou quatre ioursjours apres, on retrouuoitretrouvoit en-
cores en leur pochette les lettres toutes closes, qu’on leur a-
uoita-
voit enuoyéesenvoyées. IeJe n’en ouurisouvris iamaisjamais, non seulement de celles,
qu’on m’eut commises: mais de celles mesme que la fortune
m’eut fait passer ⁁ ⁁ par les mains. Et faits conscience si mes yeux des-
robent par mesgarde, quelque cognoissance des lettres d’im-
portance qu’il lit, quand ieje suis à costé d’vnun grand. IamaisJamais hō-
mehom-
me ne s’ēquistenquist moins, & ne fureta moins és affaires d’autruy.
Du temps de nos peres Monsieur de Boutieres cuida perdre
Turin, pour, estant en bonne compaignie à souper, auoiravoir re-
mis à lire vnun aduertissementadvertissement qu’on luy donnoit, des trahisons
qui se dressoient contre cette ville, où il commandoit: & ce
mesme Plutarque m’a appris que IuliusJulius Caesar se fut sauuésauvé, si
allant au senat, le iourjour qu’il y fut tué par les coniurezconjurez, il eust
leu vnun memoire qu’on luy presenta,. contenant le faict de l’en-
treprise. Et fait aussi luy mesmes le conte d’Archias Tyran de
Thebes, que le soir auantavant l’execution de l’entreprise que Pe-
lopidas auoitavoit faicte de le tuer, pour remettre son païs en li-
berté, il luy fut escrit par vnun autre Archias Athenien de point
P p
ESSAIS DE M. DE MONT.
en point, ce qu’on luy preparoit: & que ce pacquet luy ayant
esté rendu pendant son souper, il remit à l’ouurirouvrir, disant ce
mot, qui dépuis passa en prouerbeproverbe en Grece: A demain les af-
faires. VnUn sage homme peut à mon opinion pour l’interest
d’autruy, comme pour ne rompre indecemment compaïignie,
ainsi que Rusticus, ou pour ne discontinuer vnun autre affaire
d’importance, remettre à entendre ce qu’on luy apporte de
nouueaunouveau: mais pour son interest ou plaisir particulier, mes-
mes s’il est homme ayant charge publique, pour ne rompre
son disner, voyre ny son sommeil, il est inexcusable de le fai-
re. Et anciennement estoit à Rome la place consulaire, qu’ils
appelloyent, la plus honnorable à table, pour estre plus à de-
liurede-
livre, & plus accessible à ceux qui suruiendroyentsurviendroyent, ou pour
porter nouuellesnouvellesentretenir à celuy qui y seroit assis,. ou pour luy dōnerdonner
quelque aduertissementadvertissement à l’oreille. Tesmoignage, que pour e-
stre à table, ils ne se departoyent pas de l’entremise d’autres
affaires & suruenancessurvenances. Mais quand tout est dit, il est mal-aisé
és actions humaines de donner reigle si iustejuste par discours de
raison, que la fortune n’y maintienne son droict.
De la conscience. CHAP. V.
VOyageant vnun iourjour, mōmon frere sieur de la Brousse &
moy, durātdurant nos guerres ciuilesciviles, nous rancōtramesrancontrames vnun
honneste gentil’hōmehomme & de bonne façon: il estoit du
party contraire au nostre, mais ieje n’en sçauoissçavois rien, car il se cō-
trefaisoitcon-
trefaisoit autre: & le pis de ces guerres, c’est que les cartes sont
si meslées, vostre ennemy, n’estant distingué d’auecavec vous de
aucune marque apparente, ny de lāgagelangage, ny de port, ny de fa-
çon, nourry en mesmes loix, meurs & mesme foyerair, qu’il est
mal-aisé d’y euitereviter confusion & desordre. Cela me faisoit
craindre à moy mesme de r’encōtrerr’encontrer nos trouppes, en lieu où
ieje ne fusse conneu, pour n’estre en peine de dire mon nom,
LIVRE SECOND. 150
& de pis à l’aduentureadventure. Comme il m’estoit, autrefois aduenuadvenu:
car en vnun tel mescompte, ieje perdis & hommes & cheuauxchevaux, &
m’y tua lonl’on miserablement, entre autres, vnun page gentil-hom-
me Italien, que ieje nourrissois soigneusement, & fut esteincte
en luy vneune tresbelle enfance, & plaine de grande esperance.
Mais cettuy-cy en auoitavoit vneune frayeur si esperduë, & ieje le voiois
si mort à chasque rencōtrerencontre d’hōmeshommes à cheualcheval, & passage de vil-
les, qui tenoiēttenoient pour le Roy, que ieje deuinaydevinay en fin que c’estoiētestoient
alarmes que sa conscience luy donnoit. Il sembloit à ce pau-
urepau-
vre homme qu’au trauerstravers de son masque & des croix de sa ca-
zaque on iroit lire iusquesjusques dans son coeur, ses secrettes inten-
tions. Tant est merueilleuxmerveilleux l’effort de la conscience: elle nous
faict trahir, accuser, & combattre nous mesme, & à faute de
tesmoing estrangier, elle nous produit, contre nous.:
Occultum quatiens animo tortore flagellum.
Ce conte est en la bouche des enfans. Bessus Poeonien repro-
ché d’auoiravoir de gayeté de coeur abbatu vnun nid de moineaux, &
les auoiravoir tuez: disoit auoiravoir eu raison, par ce que ces oysillons
ne cessoient de l’accuser faucement du meurtre de son pere.
Ce parricide iusquesjusques lors auoitavoit esté occulte & inconnu: mais
les furies vengeresses, de la conscience, le firent mettre hors à
celuy mesmes qui en deuoitdevoit porter la penitence. Hesiode cor-
rige le dire de Platon, que la peine suit de bien pres le peché:
car il dit qu’elle naist en l’instant & quant & quant le peché.
Quiconque attent la peine, il la souffre, & quiconque l’à me-
ritée l’attend. La meschanceté, fabrique des tourmens con-
tre soy.,
Malum consilium consultori pessimum,
comme la mouche guespe, picque & offence autruy, mais
plus soy-mesme, car elle y perd son éguillon & sa force pour
iamaisjamais.,
P p ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Vitásque in vulnere ponunt
Les Cantarides ont en elles quelque partie qui sert cōtrecontre leur
poison de contrepoison, par vneune contrarieté de nature. Aussi
à mesme qu’on prend le plaisir au vice, il s’engendre vnun des-
plaisir contraire en la conscience, qui nous tourmētetourmente de plu-
sieurs imaginations penibles, veillans & dormans,
Quippe vbi se multi per somnia saepe loquentes
Aut morbo delirantes procraxe ferantur
Et celata diu in medium peccata dedisse.
Apollodorus songeoit qu’il se voyoit escorcher par les Scy-
thes, & puis bouillir dedans vneune marmite, & que son coeur
murmuroit en disātdisant, ieje te suis cause de tous ces maux. Aucune
cachette ne sert aux meschāsmeschans, disoit Epicurus, par ce qu’ils ne
se peuuentpeuvent asseurer d’estre cachez, la conscience les descou-
urantdescou-
vrant à eux mesmes,
prima est haec vltio quod se
Iudice nemo nocens absoluitur.
Comme elle nous remplit de crainte, aussi fait elle d’asseurā-
ceasseuran-
ce & de confience. Et ieje puis dire, auoiravoir marché en plusieurs
hazards, d’vnun pas biēbien plus ferme, en consideratiōconsideration de la secrete
science, que ij’auoisavois de ma volōtévolonté, & innocēceinnocence de mes desseins.
Conscia mens vt cuique sua est, ita concipit intra
Pectora pro facto, spemque metúmque suo.
Il y en à mille exemples: il suffira d’en alleguer trois de mesme
personnage. Scipion estant vnun iourjour accusé deuantdevant le peuple
Romain d’vneune accusation importante, au lieu de s’excuser ou
de flater ses iugesjuges: Il vous siera bien leur dit-il, de vouloir en-
treprendre de iugerjuger de la teste: de celuy, par le moyen duquel
vous auezavez l’authorité de iugerjuger de tout le monde. Et vnun’autre-
fois, pour toute responce aux imputations que luy mettoit
sus vnun Tribun du peuple, au lieu de plaider sa cause: Allons,
dit-il mes citoyens, allons rendre graces aux Dieux de la vi-
LIVRE SECOND. 151
ctoire qu’ils me donnarent contre les Carthaginois en pareil
iourjour, que cettuy-cy: & se mettant à marcher deuantdevant vers le tē-
pletem-
ple, voy la toute l’assemblé, & son accusateur mesmes à sa sui-
te. Et Petilius ayant esté suscité par Caton pour luy demāderdemander
conte de l’argent manié en la prouinceprovince d’Antioche, Scipion
estātestant venu au Senat pour cet effect, produisit le liurelivre des rai-
sons qu’il auoitavoit dessoubs sa robbe, & dit que ce liurelivre en con-
tenoit au vray la recepte & la mise: mais comme on le luy de-
manda pour le mettre au greffe, il le refusa, disant ne se vou-
loir pas faire cette honte à soy mesme: & de ses mains en la
presence du senat le deschira & mit en pieces. IeJe ne croy pas
qu’vneune ame cauterizée sçeut contrefaire vneune telle asseurance.⁁
⁁ : maior animus et
natura erat ac maiori
fortunae assuetus quam
ut reus esse sciret et
summittere se in humili=
tatem causam dicentium
: il auoitavoit le ceur trop gros
de nature & acostume a
trop haute fortune dict
Tite LiueLive pour qu’il sceut
estre criminel & se
desmettre a la bassesse
de deffandre saon cause.
innocence.
C’est vneune dangereuse inuentioninvention que celle des gehenes, & sem-
ble que ce soit plustost vnun essay de patiēcepatience que de verité. ⁁
⁁ Et celuy
qui les peut
souffrir cache
la ueriteverite et
celuy qui ne
les peut souffrir.
Car
pourquoy la douleur me fera elle plustost confesser ce qui en
est, qu’elle ne me forcera de dire ce qui n’est pas? Et au rebours,
si celuy qui n’a pas fait ce, dequoy on l’accuse, est assez patiētpatient
pour supporter ces tourments, pourquoy ne le sera celuy qui
l’a fait, vnun si beau guerdon que de la vie luy estant proposé? IeJe
pense que le fondement de cette inuentioninvention, vient deest appuié sur la consi-
deration de l’effort de la conscience. Car au coulpable il sem-
ble qu’elle aide à la torture pour luy faire confesser sa faute,
& qu’elle l’affoiblisse: & de l’autre part, qu’elle fortifie l’inno-
cent contre la torture. Pour dire vray, c’est vnun moyen plein
d’incertitude & de danger. Que ne diroit on, que ne feroit on,
pour fuyr à si griefuesgriefves douleurs. ⁁
⁁ Etiam innocentes
cogit mentiri dolor.
DouD’ou il auientavient que celluy que
le iugejuge a faict geineré pour
ne le faire mourir innocent
il le face mourir et innocent
et geiné.
Mille & mille en ont chargé
leur teste de fauces accusationsconfessions,: eEntre lesquels, ieje compteloge Phi-
lotas, considerant les circonstances du procez qu’Alexandre
luy fit, & le progrez de sa geine. Mais tāttant y à, que c’est ⁁ ⁁ dicton le moins
mal que l’humaine foiblesse aye peu inuenterinventer. Bien inhumainement
pourtant et bien inutilement a mon auisavis. Plusieurs nations bien moins
barbares en cela que la grecque & la romaine qui les en apellent estiment
horrible et cruel de tourmanter et desrompre un home de la faute du
quel uousvous estes encores en doubte Et que pour ne le tuer sans raison onuousvous luy faceies
pis que le tuer. Information plus penible que le supplice Que peut il mais de
uostrevostre ignorance pour estre ainsi traicté? Estes uousvous pas iustesjustesiniustesinjustes qui pour ne le tuer
sans raisonoccasion luy faictes pis que le tuer. Qu’il soit ainsy: UoiesVoies cōbiencombien de fois il aime mieus
mourir sans raison que de passer par cete information plus penible que le supplice: et qui
souuantsouvant par son aspretè deuancedevance le supplice et la condemnation l’execute. IeJe ne sçai doud’ou ieje tiens
ce conte mais il rapporte exactement la consciance de nostre iusticejustice VneUne feme de uillagevillage accusoit deuantdevant un general
d’armee grand iusticierjusticier un soldat pour auoiravoir arrache a ses petits enfans ce peu de la bouillie qui luy restoit a les sustātersustanter cette armee
aïant rauageravage tous les uillagesvillages a lenuironl’environ. De preuuepreuve il n’y en auoitavoit point Le iugejugegeneral apres auoiravoir somme la feme de regarder
bien a ce qu’elle disoit d’autant qu’elle seroit coupable de sōson accusation si elle mātoitmantoit et elle persistātpersistant il fit ouurirouvrir le uētreventre
au soldat pour s’esclarcir de la ueriteverite du faict Et la feme se trouuatrouva auoiravoir raison Condemnation instructiueinstructive.
P p iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
De l’exercitation. CHAP. VI.
IL est malaisé que le discours & l’instruction, encore
que nostre creance s’y applique volontiers, soient assez
puissantes pour nous acheminer iusquesjusques à l’action, si
outre cela nous n’exerçōsexerçons & formōsformons nostre ame par experien-
ce & vsageusage, au train, auquel nous la voulons renger: autrement
quand elle sera au propre des effets, elle s’y trouueratrouvera sans dou-
te empeschée,. quelque bonne volonté qu’elle ait. Voyla
pourquoy parmy les philosophes, ceux qui ont voulu attein-
dre à quelque plus grande excellence, ne se sont pas contentez
d’attendre à couuertcouvert & en repos les rigueurs de la fortune, de
peur qu’elle ne les surprint inexperimentez & nouueauxnouveaux au
combat: ains ils luy sont allez au deuantdevant, & se sont iettezjettez à
escient à la preuuepreuve des difficultez. Les vnsuns en ont abandonné
les richesses, pour s’exercer à vneune pauuretépauvreté volontaire: les au-
tres ont recherché le labeur, & vneune austerité de vie penible
pour se durcir au mal & au trauailtravail: d’autres se sont priuezprivez des
parties du corps, les plus cheres:, cōmecomme de la veue & des mem-
bres propres à la generatiōgeneration, de peur que leur seruiceservice trop plai-
sant & trop mol, ne relaschast & n’attēdristattendrist la fermeté de leur
ame. Mais à mourir, qui est la plus grande besoigne que nous
ayons à faire, l’exercitation ne nous y peut de rien ayder. On
se peut par vsageusage & par experience fortifier cōtrecontre les douleurs,
la honte, l’indigence, & tels autres accidents, mais quant à la
mort nous ne la pouuonspouvons essayer qu’vneune fois, nous y sommes
tous apprentifs, quand nous y venons. Il s’est trouuétrouvé ancien-
nement des hommes si excellens mesnagers du temps, quiqu’ils ont
essayé en la mort mesme, de la gouster & sauourersavourer:, & ont ten-
du & bandé leur esprit pour voir que c’estoit de ce passage:,
mais ils ne sont pas reuenusrevenus nous en dire les nouuellesnouvelles.:
Nnemo expergitus extat
LIVRE SECOND. 152
Frigida quem semel est vitai pausa sequuta.
Canius Iulius noble homme Romain, de vertu & fermeté sin-
guliere, ayant esté condamné à la mort par ce monstremaraut de Ca-
ligula: outre plusieurs merueilleusesmerveilleuses preuuespreuves qu’il donna de sa
resolution, comme il estoit sur le point de souffrir la main du
bourreau, vnun philosophe son amy luy demanda: & bien Ca-
nius, en quelle démarche est à cette heure vostre ame, que fait
elle, en quels pensemens estes vous? IeJe pensois, luy respondit-
il, à me tenir prest & bandé de toute ma force, pour voir, si en
cet instant de la mort, si court & si brief, ieje pourray apperce-
uoirapperce-
voir quelque deslogemētdeslogement de l’ame, & si elle aura quelque res-
sentiment de son yssuë, pour, si ij’en aprens quelque chose, en
reuenirrevenir donner apres, si ieje puis, aduertissementadvertissement à mes amis.
Cettuy-cy philosophe non seulement iusqujusqu’à la mort, mais
en la mort mesme. Quelle asseurance estoit-ce, & quelle fierté
de courage, de vouloir que sa mort luy seruitservit de leçōleçon, & auoiravoir
loisir de penser ailleurs en vnun si grand affaire.:
ius hoc animi morientis habebat.
Il me semble toutefois qu’il y à quelque façon de nous appri-
uoiserappri-
voiser à elle, & de l’essayer aucunement. Nous en pouuonspouvons a-
uoira-
voir experiēceexperience, sinon entiere & parfaicte, au moins telle, qu’el-
le ne soit pas inutile, & qui nous rende plus fortifiez & asseu-
rez. Si nous ne la pouuonspouvons ioindrejoindre, nous la pouuonspouvons appro-
cher, nous la pouuonspouvons reconnoistre: & si nous ne donnons
iusquesjusques à son fort, aumoins verrons nous & en prattiquerons
les aduenuësadvenuës. Ce n’est pas sans raison qu’on nous fait regarder
à nostre sommeil mesme, pour la ressemblance qu’il à de la
mort.: ⁁
⁁ combien facilemant
nous passons du ueillerveiller
au dormir, aueqaveq
combien peu d’interest
nous perdons la conois=
sance de la lumiere
et de nostre estre nous:
A lauāturel’avanture pourroit
sembler inutile et cōtrecontre
nature la faculte du sommeil qui nous priueprive
de toute action et de tout sentimant n’estoit
que par iceluy nature nous instruit qu’elle nous a
pareillemētpareillement faict pour mourir que pour uiurevivre
et des la uievie nous presante leternell’eternel estat qu’elle
nous garde apres icelle pour nous y acostumer
et nous en oster la creinte.
Mais ceux qui sont tombez par quelque violent acci-
dent en defaillance de coeur, & qui y ont perdu tous sentimēssentimens,
ceux là à mon aduisadvis ont esté bien pres de voir son vray & na-
turel visage: car quant à l’instant & au point du passage, il n’est
pas à craindre, qu’il porte auecavec soy aucūaucun trauailtravail ou desplaisir:,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’autant que nous ne pouuonspouvons auoiravoir ny goust, nynul senti-
ment, sans loisir. Nos actionssouffrances ont besoing de temps, qui
est si court & si precipité en la mort, qu’il faut necessairement
qu’elle soit insensible. Ce sont les approches que nous auonsavons
à craindre: & celles-là peuuentpeuvent tomber en experience. Plu-
sieurs choses nous semblent plus grandes par imagination,
que par effect. IJ’ay passé vneune bonne partie de mon aage en
vneune parfaite & entiere santé: ieje dy non seulement entiere, mais
encore allegre & bouillante. Cet estat plein de verdeur & de
feste, me faisoit trouuertrouver si horrible la consideration des mala-
dies, q̄que quand ieje suis venu à les essayerexperimenter, ij’ay trouuétrouvé leurs poin-
tures molles & láches au pris de ma crainte. Voicy que ij’essaieespreuueespreuve
tous les ioursjours: suis-ieje à couuertcouvert chaudement dans vneune bonne
sale, pendant qu’il se passe vneune nuict orageuse & tempesteu-
se: ieje m’estōneestonne & m’afflige pour ceux qui sont lors en la cam-
paigne: y suis-ieje moymesme, ieje ne desire pas seulement d’estre
ailleurs. Cela, seul, d’estre tousiourstousjours enfermé dans vneune cham-
bre me sembloit insupportable.: IieJje fus incontinent dressé à y
estre vneune semaine, & vnun mois, plein d’émotion, d’alteration &
de foiblesse: & ay trouuétrouvé que lors de ma santé, ieje plaignois les
malades beaucoup plus, que ieje ne me trouuetrouve à plaindre moy-
mesme, quand ij’en suis, & que la force de mon apprehention
encherissoit pres de moitié l’essence & verité de la chose. IJ’es-
pere qu’il m’en aduiendraadviendra de mesme de la mort: & qu’elle ne
vaut pas la peine, que ieje prens à tant d’apprests que ieje dresse,
& tant de secours que ij’appelle & assemble pour en soustenir
l’effort.: Mmais à toutes aduāturesadvantures nous ne pouuonspouvons nous don-
ner trop d’auantageavantage. Pendant nos troisiesmes troubles, ou
deuxiesmes (il ne me souuiētsouvient pas bien de cela) m’estant allé vnun
iourjour promener à vneune lieue de chez moy, qui suis assis dans le
moiau de tout le trouble des guerres ciuilesciviles de France, esti-
mant estre en toute seureté, & si voisin de ma retraicte, que ieje
n’auoyavoy
LIVRE SECOND. 153
n’auoyavoy point besoin de meilleur equipage, ij’auoyavoy pris vnun che-
ualche-
val bien aisé, mais non guiere ferme. A mon retour vneune occa-
sion soudaine s’estant presentée, de m’aider de ce cheualcheval à vnun
seruiceservice, qui n’estoit pas bien de son vsageusage, vnun de mes gens grādgrand
& fort, monté sur vnun puissant roussin, qui auoitavoit vneune bouche
desesperée, frais au demeurant & vigoureux, pour faire le har-
dy & deuancerdevancer ses compaignons, vint à le pousser à toute bri-
de droict dans ma route, & fondre comme vnun colosse sur le
petit homme & petit cheualcheval, & le foudroier de sa roideur &
de sa pesanteur, nous enuoyantenvoyant l’vnun & l’autre les pieds contre-
mont: si que voila le cheualcheval abbatu & couché tout estourdy,
moy dix ou douze pas au delà, mort estendu à la renuerserenverse, le
visage tout meurtry & tout escorché, mon espée que ij’auoyavoy à
la main, à plus de dix pas au delà, ma ceinture en pieces, n’ayātayant
ny mouuementmouvement, ny sentiment, non plus qu’vneune souche. C’est
le seul esuanouissementesvanouissement que ij’aye senty, iusquesjusques à cette heure.
Ceux qui estoient auecavec moy, apres auoiravoir essayé par tous les
moyēsmoyens qu’ils peurētpeurent de me faire reuenirrevenir, me tenāstenans pour mort,
me prindrent entre leurs bras, & m’emportoient auecavec beau-
coup de difficulté en ma maison, qui estoit loing de là, enui-
ron vneune demy lieuë Françoise. Sur le chemin, & apres auoiravoir
esté plus de deux grosses heures tenu pour trespassé, ieje com-
mençay à me mouuoirmouvoir & respirer: car il estoit tombé si gran-
de abondance de sang dans mon estomac, que pour l’en des-
charger nature eust besoin de resusciter ses forces. On me mitdressa
sur mes pieds, où ieje rendy vnun plein seau de bouillons de sang
pur:, & plusieurs fois par le chemin, il m’en falut faire de mes-
me. Par là, ieje commençay à reprendre vnun peu de vie, mais ce
fut par les menus, & par vnun si long traict de temps, que mes
premiers sentimens estoient beaucoup plus approchans de la
mort que de la vie.,
Perche dubbiosa anchor del suo ritorno
Q q
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Non s’assecura attonita la mente.
Cette recordation que ij’en ay fort empreinte en mon ame,
me representātrepresentant son visage & son idée si pres du naturel, me cō-
ciliecon-
cilie aucunement à elle. Quand ieje commençay à y voir, ce fut
d’vneune veue si trouble, si foible, & si morte, que ieje ne discernois
encores rien que la lumiere,
--come quel ch’or apre or chiude
Gli occhi, mezzo tra’l sonno è l’esser desto.
Quand aux functions de l’ame, elles naissoient auecavec mes-
me progrez, que celles du corps. IeJe me vy tout sanglant:
car mon pourpoinct estoit taché par tout du sang que ij’auoyavoy
rendu. La premiere pensée qui me vint, ce fut que ij’auoyavoy vneune
harquebusade en la teste: de vray en mesme temps, il s’en
tiroit plusieurs autour de nous. Il me sembloit que ma vie ne
me tenoit plus qu’au bout des léureslévres: ieje fermois les yeux pour
ayder ce me sembloit à la pousser hors, & prenois plaisir à m’a-
languir & à me laisser aller. C’estoit vneune imagination qui ne
faisoit que nager superficiellement en mon ame, aussi tendre
& aussi foible que tout le reste: mais à la verité non seulement
exempte de desplaisir, ains meslée à cette douceur, que sen-
tent ceux qui se laissent emporterglisser au sommeil. IeJe croy que
c’est ce mesme estat, où se trouuenttrouvent ceux qu’on void dé-
faillans de foiblesse, en l’agonie de la mort: & croytiens que nous
les plaignōsplaignons sans cause, estimans qu’ils soient agitez de griéuesgriéves
douleurs, ou auoiravoir l’ame pressée de cogitations penibles. C’a
esté tousiourstousjours mon aduisadvis, contre l’opiniōopinion de plusieurs, & mes-
me d’Estienne de la Boetie, que ceux que nous voyons ainsi ren-
uersezren-
versez & assopis aux approches de leur fin, ou accablez de la lō-
gueurlon-
gueur du mal, ou par l’accidētaccident d’vneune apoplexie, ou mal caduc,
vi morbi saepe coactus
Ante oculos aliquis nostros vt fulminis ictu
Concidit, & spumas agit, ingemit, & fremit artus,
LIVRE SECOND. 154
Desipit, extentat neruos, torquetur, anhelat,
Inconstanter & in iactando membra fatigat,
ou blessez en la teste, que nous oyons rommeller, & rēdrerendre par
fois des souspirs trenchans, quoy que nous en tirons aucuns
signes, par où il semble qu’il leur reste encore de la cognois-
sance, & quelques mouuemensmouvemens que nous leur voyōsvoyons faire du
corps: ij’ay tousiourstousjours pensé, dis-ieje, qu’ils auoientavoient & l’ame, & le
corps enseuelienseveli, & endormy.
Viuit & est vitae nescius ipse suae:.
&Et ne pouuoispouvois croire que à vnun si grand estonnement de mem-
bres, & si grande défaillance des sens, l’ame peut maintenir au-
cune force au dedans pour se recōnoistrereconnoistre: & que par ainsin ils
n’auoientavoient aucūaucun discours qui les tourmentast, & qui leur peut
faire iugerjuger & sentir la misere de leur condition, & que par cō-
sequentcon-
sequent, ils n’estoient pas fort à plaindre. IeJe n’imagine aucun
estat pour moy si insupportable & horrible, que d’auoiravoir l’ame
vifuevifve, & affligée sans moyen de se declarer:. cComme ieje dirois,
de ceux qu’on enuoyeenvoye au supplice, leur ayant couppé la lan-
gue:, si ce n’estoit qu’en cette sorte de mort, la plus muette me
semble la mieux seante, si elle est accompaignée d’vnun ferme
visage & grauegrave: & cōmecomme ces miserables prisonniers qui tom-
bent és mains des vilains bourreaux soldats de ce temps, des-
quels ils sont tourmentez de toute espece de cruel traicte-
ment, pour les contraindre à quelque rançon excessiueexcessive & im-
possible: tenus cependant en condition & en lieu, où ils n’ont
moyen quelconque d’expression, & signification de leurs pē-
séepen-
sée & de leur misere. Les Poetes ont feint quelques dieux
fauorablesfavorables, à la deliurancedelivrance de ceux qui trainoient ainsin vneune
mort languissante.,
hunc ego Diti
Sacrum iussa fero, téque isto corpore soluo.
Et les voix & responses courtes & descousues, qu’on leur ar-
Q q ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
rache quelque fois à force de crier autour de leurs oreilles, &
de les tempester, ou des mouuemensmouvemens qui semblētsemblent auoiravoir quel-
que consentement à ce qu’on leur demande, ce n’est pas tes-
moignage qu’ils viuentvivent pourtant, au moins vneune vie entiere.
Il nous aduientadvient ainsi sur le beguayement du sommeil, auantavant
qu’il nous ait du tout saisis, de sentir comme en songe, ce qui
se faict autour de nous, & suyuresuyvre les voix, d’vneune ouye trouble
& incertaine, qui semble ne donner qu’aux bords de l’ame: &
faisons des responses à la suitte des dernieres paroles, qu’on
nous à dites, qui ont plus de fortune que de sens. Or à present
que ieje l’ay essayé par effect, ieje ne fay nul doubte que ieje n’ēen aye
bien iugejuge iusquesjusques à cette heure. Car premieremētpremierement estant tout
esuanouyesvanouy, ieje me trauailloistravaillois d’entr’ouurirouvrir mon pourpoinct à
belles ongles (car ij’estoy desarmé) & si sçay que ieje ne saentoy
en l’imagination rien qui me blessat: car il y a plusieurs mou-
uemensmou-
vemens en nous, qui ne partent pas de nostre discoursordonance,
Semianimésque micant digiti ferrúmque retractant.
Ceux qui tōbenttombent, eslancēteslancent ainsi les bras au deuātdevant de leur cheu-
te, par vneune naturelle impulsiōimpulsion, qui fait que nos mēbresmembres se pre-
stent des offices, & ont des agitatiōsagitations à part de nostre discours:
Falciferos memorant currus abscindere membra,
Vt tremere in terra videatur ab artubus, id quod
Decidit abscissum, cùm mens tamen atque hominis vis
Mobilitate mali non quit sentire dolorem.
IJ’auoyavoy mōmon estomac pressé de ce sang caillé, mes mains y cou-
roient d’elles mesmes, comme elles font souuentsouvent, où il nous
demange, contre l’ordonnanceaduis de nostre volonté. Il y à plu-
sieurs animaux & des hommes mesmes, apres qu’ils sont tres-
passez, ausquels on voit resserrer & remuer des muscles. Cha-
cun sçait par experience, qu’il à des parties qui se branslent, &
esmeuuentesmeuventdressent et couchent souuentsouvent sans son cōgécongé. Or ces passions qui ne nous
touchent que par l’escorse, ne se peuuentpeuvent dire nostres: pPour les
LIVRE SECOND. 3155
faire nostres, il faut que l’homme y soit engagé tout entier:
& les douleurs que le pied ou la main sentent pendant que
nous dormons, ne sont pas à nous. Comme ij’approchay de
chez moy, où l’alarme de ma cheute auoitavoit des-iaja couru, &
que ceux de ma famille m’eurent rencontré, auecavec les cris ac-
coustumez en telles choses, non seulement ieje respōdoisrespondois quel-
que mot à ce qu’on me demādoitdemandoit, mais encore ils disent que
ieje m’aduisayadvisay de commander qu’on donnast vnun cheualcheval à ma
femme, que ieje voyoy s’empestrer & se tracasser dans le che-
min, qui est montueux & mal-aisé. Il semble que cette consi-
deration deut partir d’vneune ame esueilléeesveillée, si est ce que ieje n’y
estois aucunement: c’estoyent des pensemens vains en nuë,
qui estoyent esmeuz par les sens des yeux & des oreilles: ils
ne venoyent pas de chez moy. IeJe ne sçauoysçavoy pourtant ny d’où
ieje venoy, ny ou ij’aloy, ny ne pouuoispouvois poiser & considerer ce
que on me demandoit: ce sont des legiers effects, que les sens
produisoyent d’eux mesmes, comme d’vnun vsageusage: ce que l’a-
me y prestoit, c’estoit en songe, touchée bien legierement, &
comme lechée seulement & arrosee par la molle impression
des sens. Cependant mon assiete estoit à la verité tres-dou-
ce & paisible: ieje n’auoyavoy affliction ny pour autruy ny pour
moy: c’estoit vneune langueur & vneune extreme foiblesse, sans au-
cune douleur. IeJe vy ma maison sans la recognoistre. Quand
on m’eust couché, ieje senty vneune infinie douceur à ce repos, car
ij’auoyavoy esté vilainement tirassé par ces pauurespauvres gēsgens, qui auoyētavoyent
pris la peine de me porter sur leurs bras, par vnun long & tres-
mauuaistres-
mauvais chemin, & s’y estoient lassez deux ou trois fois les
vnsuns apres les autres. On me presenta force remedes, dequoy
ieje n’en receuz aucun, tenant pour certain, que ij’estoy blessé à
mort par la teste. C’eust esté sans mentir vneune mort bien heu-
reuse: car la foiblesse de mon discours me gardoit d’en rien
iugerjuger, & la foiblessecelle du corps d’en riērien sentir. IeJe me laissoy cou-
Q q iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ler si doucement & d’vneune façon si molledouce & si aisée, que ieje ne
sens guiere autre action si plaisantemoins poisante, que celle-la estoit. QuādQuand
ieje vins à reuiurerevivre & à reprendre mes forces,
Vt tandem sensus conualuere mei,
qui fut deux ou trois heures apres, ieje me sētysenty tout d’vnun train
r’engager aux douleurs, ayant les membres tous moulus &
froissez de ma cheute, & en fus si mal deux ou trois nuits a-
pres, que ij’en cuiday remourir encore vnun coup, mais d’vneune
mort plus vifuevifve, & me sēssens encore de la secousse de cette frois-
sure. IeJe ne veux pas oublier cecy, que la derniere chose en
quoy ieje me peus remettre, ce fut la souuenancesouvenance de cet acci-
dent, & me fis redire plusieurs fois, ou ij’aloy, d’où ieje venoy,
à quelle heure cela m’estoit aduenuadvenu, auantavant que de le pouuoirpouvoir
conceuoirconcevoir. Quant à la façon de ma cheute on me la cachoit,
en faueurfaveur de celuy, qui en auoitavoit esté cause, & m’en forgeoit
on d’autres. Mais long temps apres, & le lendemain, quādquand ma
memoire vint à s’entr’ouurirouvrir, & me representer l’estat, où ieje
m’estoy trouuétrouvé en l’instant, que ij’auoyavoy aperçeu ce cheualcheval
fondant sur moy (car ieje l’auoyavoy veu à mes talons, & me tins
pour mort:, mais ce pensement auoitavoit esté si soudain, que la
peur n’eut pas loisir de s’y engēdrerengendrer) il me sembla que c’estoit
vnun esclair qui me frapoit l’ame de secousse, & que ieje reuenoyrevenoy
de l’autre monde. Ce conte d’vnun éuenementévenement si legier, est assez
vain, n’estoit l’instruction que ij’en ay tirée pour moy: car à la
verité pour s’apriuoiseraprivoiser à la mort, ieje trouuetrouve qu’il n’y à que de
s’en auoisineravoisiner. Or, comme dict Pline, chacūchacun est à soy-mesmes
vneune tres-bonne discipline, pourueupourveu qu’il ait la suffisance de
s’espier de pres. Ce n’est pas icy ma doctrine, c’est mon estu-
de, & n’est pas la leçon d’autruy, c’est la mienne. Et ne me doit on
sçauoirsçavoir mauuesmauves gre pourtant si ieje la communique. Ce qui me sert peut aussi par accident
seruirservir a un autre. Au demurant ieje ne gaste rien: ieje n’use que du mien. Et si ieje fois le fol c’est
a mes despans et sans l’interest de persone. Car c’est en folie qui meurt en moi, qui n’a point
de suite. Nous n’auonsavons nouuellesnouvelles que de deus ou trois antiens qui aient battu ce chemin: et
si ne pouuonspouvons dire si c’est du tout en pareille maniere a cettecy n’en conoissant que les noms
Nul despuis ne s’est iettejette sur leur trace. C’est un’espineuse entreprinse, et plus qu’il ne semble: de suiuresuivre
un’allure si uagabondevagabonde que celle de nostre esprit. dDe penetrer les profondeurs opaques de ses
replis internes. De choisir et arreter tant de menus airs de ses agitations Et est un’amusemant
nouueaunouveau et extraordinere qui nous retire des occupations communes du monde: oui, et des
plus recomandees. Il y a plusieurs annees que ieje n’ay que moi pour uiseevisee a mes pensees: que ieje ne
controrolle et estudie que moy: eEt si iestudiej’estudie autre chose c’est pour soudein le coucher sur moi
ou en moy, pour mieus dire Et ne me semble pouint faillir si come il se faict des autres sciances
sans comparaison moins utilles ieje fois part au monde de ce que iayj’ay apris en cetecy: quoi que ieje ne
me contante guere du progrez que iyj’y ai faict. Il n’est description pareille en difficulté
a la description de soi mesmes, ny certes en utilité. Encore se faut il testoner encore se faut il
ordoner et ranger pour sortir en place. IeJe sorsOr, ieje me pare sans cesse, car ieje me descris sans cesse.
La costume a faict le parler de soi, glorieus et uitieusvitieus, et le prohibe obstineement en haine de la
uantancevantance qui semble tousiourstousjours estre atachee aus propres tesmouignages. Au lieu qu’on doit
moucher l’enfant cela s’apelle l’enaser. In uitium ducit culpae fuga. IeJe treuuetreuve plus de mal que
de bien a ce remede. Mais quand il seroit uraivrai que ce fut necesseremant presomption d’entretenir
le peuple de soi ieje ne dois pas suiuantsuivant mon general dessein refuser un’action qui publie cette maladiuemaladive
qualite puis qu’elle est en moy. et ne dois cacher cette faute que iayj’ay non sulement en usage mais en
profession. Toutesfois a dire ce que ij’en crois cette costume a tort de condamner le uinvin parce
que plusieurs s’y eniurentenivrent. On ne peut abuser que des bones choses qui sont bones. Et croi de cette
regle qu’elle ne regarde que la populere desfaillance. Ce sont brides a ueausveaus: des quelles
ny les Saincts que nous oïons si hautemant parler d’eus ny les philosofes ny les theologiens ne
se brident. Ne fois ieje moy quoi que ieje suois aussi peu l’un que l’autre. S’ils n’en escriuentescrivent a poītpoint nome:
au moins, quand l’occasion les y porte ne feignent ils pas de si ietterjetter bien auantavant sur le trotoir.
Dequoy traitte Socrates plus largemētlargement que de soy? A quoy achemine il plus souuētsouvent les propos
de ses disciples, qu’à parler d’eux, nōnon pas de la leçōleçon de leur liurelivre, mais de l’estre & brālebranle de leur ame? ⁁
⁁ Nous nous disons religieusemētreligieusement à Dieu, & à nostre cōfesseurconfesseur, cōmecomme noz voisins à tout le peuple. Mais nous n’en disons, me respondra-t-on, que les
accusations Nous disons donq tout: car nostre uertuvertu mesme est fautiere & repentable: mon mestier & mon art, c’est viurevivre. Qui me defend d’en parler selon mon sens,
experiance et usage, qu’il ordone a larchitectel’architecte de parler des bastimans non selon soi mais selon son uoisinvoisin: selon la sciance d’un’autre non selon la siene. Si c’est gloire de soimesmes
publier ses ualursvalurs que ne met Cicero en auantavant leloquancel’eloquance de Hortance Hortance celle de Cicero. A lauanturel’avanture entandent ils que ieje tesmouigne de moi par ouuragesouvrages est effaicts non nuement
par des paroles. IeJe peins principalemant mes cogitations subiectsubject informe qui ne peut tumber en production ouuragiereouvragiere. A toute peine le puis ieje coucher en ce cors aeree de la uoixvoix. Des plus
sages homes et des plus deuotsdevots ont uescuvescu fuiant tous apparans effaicts. Les effaicts diroint plus de la fortune que de moy. Ils tesmouignent leur roolle: non pas le mien si ce n’est coniecturalementconjecturalement
& incerteinemant. Eschantillons d’une montre particuliere. IeJe m’estale entier en C’est un skeletos ou d’une ueueveue les ueinesveines les muscles les tendons paroissent chaque piece en
son siege. LeffaictL’effaict de la tous en produisoit une partie l’effaict de la pallur ou battemant de ceur un’autre et doubteusement. Ce ne sont mes gestes que ij’escris c’est moi c’est
mon essance. IeJe tiens qu’il faut estre prudent a estimer de soi et pareillement consciantieus a en tesmouigner soit bas soit haut indifferammant. Si ieje me semblois bon et sage ou pres de la ieje l’entonerois
pleine teste. De dire moins de soi qu’il n’y en a c’est sottise non modestie ⁁
⁁ Se paier de moins qu’on ne uautvaut la c’est lachete & pusillanimite selon Aristote.
Nulle uertuvertu ne s’aide de la faucete: et la ueriteverite n’est iamaisjamais matiere d’errur. De dire de soi plus qu’il n’en y a ce n’est pas tousiourstousjours
presomption c’est encore souuantsouvant sottise. Se complere outre mesure de ce qu’on est: en tumber en amour de soi indiscrete est a mon auisavis la substance de ce uicevice. Le supreme remede a le guerir c’est faire
tout le rebours qu’ilse disent ceus cy ordonent qui en defendant le parler de soi defandent par consequant encore plus de penser a soi. LorgueilL’orgueil gist en la pensee La langue n’y peut auoiravoir qu’une bien
legere part. De s’amuser a soi il leur semble que c’est se plaire en soi de se hanter et pratiquer que c’est se trop cherir. Il peut estre. Mais cet excez nait sulement en ceus qui ne se tastent et conessent
superficiellement Qui se uoientvoient apres leurs affaires. Qui apellent resuerieresverie et oisifuetéoisifveté s’entretenir de soi. Et s’estoffer et bastir faire des chasteaus en Hespaigne: s’estimans chose tierce et estrangiere
a eus mesmes ⁁
⁁ Si quelcun s’enyureenyvre de sa sciēcescience, regardant souz soy: qu’il tourne les yeux au dessus
uersvers les siecles passez il baissera les cornes y trouuanttrouvant tant de milliers despritsd’esprits qui le
foulent aus pieds s’il entre en quelque flateuse presūptionpresumption de sa uaillācevaillance qu’il se ramantoiueramantoive
les uiesvies des deus Scipions de tant d’armees de tant de peuples, qui le laissent si loin derriere eus.
Nulle particuliere qualite n’enorgeuillira celluy qui mettera quand et quand en conte tant de
imparfaictes & foibles qualitez
autres, qui sont etLe "t" de "et" est sans doute un lapsus pour "n". L’édition de 1595 donne : "qui sont en luy" luy: et
au bout la
nihilite de
l’humaine cōditiōcondition.
Parce que Socrates auoitavoit sul mordu a certes au precepte de son Dieu de se conoistre et par cet estude estoit arriuaéarrivaé a se mespriser il fut estime sul digne du surnom de sage.
Qui se conestera ainsi qu’il se done hardimant a conoistre par sa bouche.
LIVRE SECOND. 3156
Des recompenses d’honneur.
CHAP. VII.
CEVXCEUX qui escriuentescrivent la vie d’Auguste Caesar, ils remar-
quent cecy en sa discipline militaire, que des presens
& dōsdons, il estoit merueilleusementmerveilleusement liberal enuersenvers ceux,
qui le meritoient: mais que des pures recompenses d’hōneurhonneur
il en estoit bien autant espargnātespargnant. Si est-ce qu’il auoitavoit esté luy
mesme gratifié par son oncle, de toutes les recompenses mili-
taires, auantavant qu’il eust iamaisjamais esté à la guerre. C’à esté vneune bel-
le inuentioninvention, & receüe en la plus part des polices du monde,
d’establir certaines merques vaines & sans pris, pour en hon-
norer & recompenser la vertu: comme sont les couronnes de
l’aurierlaurier, de chesne, de meurte, la forme de certain vestement,
le priuilegeprivilege d’aller en coche par ville, ou de nuit auecquesavecques flā-
beauflan-
beau, quelque assiete particuliere aux assemblées publiques,
la prerogatiueprerogative d’aucuns surnoms & titres, certaines marques
aux armoiries, & choses semblables, dequoy l’vsageusage à esté di-
uersementdi-
versement receu selon l’opinion des nations, & dure encores.
iusquesjusques à nous. Nous auonsavons pour nostre part, & plusieurs de
nos voisins, les ordres de cheualeriechevalerie, qui ne sont establis qu’à
cette fin. C’est à la verité vneune bien bonne & profitable cou-
stume, de trouuertrouver moyen de recognoistre la valeur des hom-
mes rares & excellens, ⁁ ⁁ sans despance, & de les contenter & satis-faire par des
recompensespaïemans, qui ne chargent aucunement le publiq, & qui
ne coustent rien au Prince. Et ce qui à esté tousiourstousjours cōneuconneu
par experience ancienne, & que nous auōsavons autrefois aussi peu
voir entre nous, que les gens d’honneurde qualité, auoyentavoyent plus de ia-
maisja-
lousie de telles recompenses, que de celles, où il y auoitavoit du
guein & du profit, cela n’est pas sans raison & grande apparē-
ceapparen-
ce. Si au pris qui doit estre simplement d’honneur, on y mesle
d’autres commoditez, & de la richesse: ce meslange, au lieu
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’augmenter l’estimation, il la raualeravale & en retranche. L’ordre
Sainct Michel qui à esté si long temps en honneurcredit parmy
nous, n’auoitavoit point de plus grande commodité que celle-la,
de n’auoiravoir communication de ’aucune autre cōmoditécommodité. Cela
faisoit, que ’autre-fois, il n’y auoitavoit ney charge ny estat, quelqu’il
fut, auquel la noblesse pretendit auecavec tant de desir & d’affe-
ction qu’elle faisoit à l’ordre, ny qualité qui apportast
plus de respect & de grandeur: la vertu embrassant & aspirātaspirant
plus volontiers à vneune recompense purement sienne: plustost
glorieuse qu’vtileutile. Car à la verité les autres dons & presens,
n’ont pas leur vsageusage si nobledigne, d’autant qu’on les employe à
toute autre sorte d’occasions: c’est vneune monnoye à toute es-
pece de marchandise. Par des richesses, on payesatisfaict le seruiceservice d’vnun
valet, la diligence d’vnun courrier, le dācerdancer, le voltiger, le parler,
& les plus viles offices qu’on reçoiuereçoive: voire & le vice mesme
s’en paye, la flaterie, le maquerelage, la trahisōtrahison,. & sēblablesemblables que
nous employons à nostre vsageusage par l’entremise d’autruy: ce
n’est pas merueillemerveille si la vertu reçoit & desire moins volōtiersvolontiers
cette sorte de monnoye ⁁ ⁁ commune, que celle qui luy est propre & parti-
culiere, toute noble & genereuse. Auguste auoitavoit raison
d’estre beaucoup plus mesnagier & espargnant de cette-cy,
que de l’autre, d’autant que l’honneur, c’est vnun priuilegeprivilege qui
tire sa principale essence de la rareté,: & la vertu mesme.:
Cui malus est nemo, quis bonus esse potest?
On ne remerque pas pour la recōmandationrecommandation d’vnun homme,
qu’il ait soing de la nourriture àde ses enfans, d’autant que c’est
vneune action commune, quelque iustejuste qu’elle soit.⁁
⁁ non plus qu’un grand
arbre ou la forest est
toute de mesmes.
IeJe ne pense
pas que aucun citoyen de Sparte se glorifiat de sa vaillācevaillance, car
c’estoit vneune vertu populaire & vulgaire en leur nation: & aus-
si peu de la fidelité & mespris des richesses. Il n’eschoit pas de
recompense à vneune vertu, pour grande qu’elle soit, qui est pas-
sée en coustume: & ne sçay auecavec, si nous l’appellerions iaja-
mais
LIVRE SECOND. 3157
iamaisjamais grande estant cōmunecommune. Puis donc que ces loyers d’hō-
neurhon-
neur n’ont autre pris & estimation que cette là, que peu de
gens en iouyssentjouyssent, il n’est pour les aneantir que d’en faire lar-
gesse. Quand il se trouueroittrouveroit plus de gens’homes qu’au temps passé,
qui meritassent nostre ordre, il n’en faloit pas pourtant cor-
rompre l’estimation. Et peut aysément adueniradvenir que plus de
gens le meritētmeritent, car il n’est aucune des vertuz qui s’espende si
aysement que la vaillance militaire. Il y en à vneune autre vraye,
perfecte & philosophique, dequoy ieje ne parle point, & me
sers de ce mot, selon nostre vsageusage, bien plus grande que cette
cy & plus pleine,: qui est vneune force & asseurance de l’ame, mes-
prisant également toute sorte d’accidens ⁁ enemis: equable, vniformeuniforme
& constante, de laquelle la nostre n’est qu’vnun bien petit rayōrayon.
L’vsageusage, l’institution, l’exemple & la coustume, peuuentpeuvent tout
ce qu’elles veulent en l’establissement de celle, dequoy ieje par-
le, & la rendent ayseement vulgaire, commune, & populaire:uulguerevulguere:
comme il est tresaysé à voir par l’experience que nous en dō-
nentdon-
nent nos guerres ciuilesciviles. Et qui nous pourroit ioindrejoindre à cet-
te heure, & acharner à vneune entreprise commune ⁁ tout nostre peuple, nous feriōsferions
refleurir nostre ⁁ ancien nom ancienmilitere. Il est bien certain que la recom-
pense de l’ordre ne touchoit pas au temps passé seulemētseulement cet-
te cōsideratiōconsideration, elle regardoit plus loing. Ce n’a iamaisjamais esté le
payemētpayement d’vnun valeureux soldat, mais d’vnun capitaine fameux.
& noble. La science d’obeir ne meritoit pas vnun loyer si honora-
ble: on y requeroit anciēnemētanciennement vneune suffisance militaireexpertice guerriere bellique plus
vniuerselleuniverselle, & qui embrassat la plus part & plus grandes par-
ties d’vnun hōmehomme de guerremilitere,⁁
⁁ : neque enim eaedem
militares et imperato=
riae artes sunt:
qui fut encore, outre cela de condi-
tion accōmodableaccommodable à vneune telle dignité. Mais ieje dy, quand plus
de gēsgens en seroyētseroyent dignes qu’il ne s’en trouuoittrouvoit autresfois, qu’il
ne falloit pas pourtātpourtant s’ēen rēdrerendre plus liberal: & eut mieux vallu
faillir à n’en estrener pas tous ceux, à qui il estoit deu, q̄que de per-
dre pour iamaisjamais, cōmecomme nous venōsvenons de faire, l’vsageusage d’vneune inuētiōinvention
R r
ESSAIS DE M. DE MONT.
si propre & si vtileutile. AucūAucun hōmehomme de coeur ne daigne s’auātageravantager
de ce qu’il a de commūcommun auecavec plusieurs: & ceux d’auiourdaujourd’huy
qui ont moins merité cette recompense, font plus de conte-
nance de la desdaigner, pour se loger par la, au reng de ceux à
qui on faict tort d’espandre indignement & auiliravilir cete hon-
neurmarque qui leur estoit particulierement deue. Or de s’atendre en
effaçant & abolissant cette-cy, de pouuoirpouvoir soudain remettre
en credit, & renouuellerrenouveller vneune sēblablesemblable coustume, ce n’est pas
entreprinse propre à vneune saison si licencieuse & malade qu’est
celle, ou nous nous trouuōstrouvons à present: & en aduiēdraadviendra que la der-
niere encourra des sa naissance les incommoditez, qui vien-
nent de ruiner l’autre. Les regles de la dispensation de ce nou-
uelnou-
vel ordre, auroyent besoing d’estre extremement tendues &
contraintes, pour luy dōnerdonner authorité: & cette saison tumul-
tuere n’est pas capable d’vneune bride courte & reglée: outre ce
qu’auantavant qu’on luy puisse donner credit, il est besoing qu’on
ayt perdu la memoire du premier, & du mespris auquel il est
cheu. Ce lieu pourroit receuoirrecevoir quelque discours sur la con-
sideration de la prou vaillance, & de la differēcedifference de cette vertu aux
autres: mais Plutarque estant souuātsouvant retombé sur ce propos,
& nous estant si familier par l’air François qu’on luy à dōnédonné si
perfect & si plaisant, ieje me meslerois pour neātneant de raporter icy
ce qu’il en dict. Mais cecyil est digne d’estre remerquéconsidere, que no-
stre nation donne à la vaillance le premier degré des vertus,
comme son nom mesme monstre, qui vient de valeur,: & que
à nostre vsageusage, quand nous disons vnun homme qui vaut beau-
coup, ou vnun hōmehomme de bien, au stile de nostre court, & de no-
stre noblesse, ce n’est à dire autre chose qu’vnun vaillant hōmehomme:
d’vneune façon pareille à la Romaine. Car la generale appellatiōappellation
de vertu prend chez eux etymologie de la force. La forme
propre, & seule, & essencielle, de la noblesse en FrāceFrance, c’est la
vacatiōvacation militaire. Il est vray semblable que la premiere vertu
LIVRE SECOND. 3158
qui se soit fait paroistre entre les hommes, & qui à dōnédonné ad-
uantagead-
vantage aux vnsuns sur les autres, çàç’à esté cette cy: par laquelle les
plus forts & courageux se sont rendus maistres des plus foi-
bles, & ont aquis reng & reputation particuliere: d’où luy est
demeuré cet honneur & dignité de langage: ou bien que ces
nations estant tres-belliqueuses ont donné le pris à celle des
vertus, qui leur estoit la plus familiere, & le plus digne tiltre.
Tout ainsi que nostre passiōpassion, & cette fieureusefievreuse solicitude que
nous auonsavons de la chasteté des femmes, fait aussi qu’vneune bōnebonne
femme, vneune femme de biēbien, & femme d’honneur & de vertu,
ce ne soit à la veritéen effaict à dire autre chose pour nous, qu’vneune fem-
me chaste: comme si pour les obliger à ce deuoirdevoir, nous met-
tions à nonchaloir tous les autres, & leur láchions la bride à
toute autre faute, pour entrer en composition de leur faire
quitter cette-cy.
DE L’AFFECTION DES PERES AVX
ENFANS.
CHAP. VIII.
A Madame d’Estissac.
MAdame si l’estrangeté ne me sauuesauve, & la nouuelleténouvelleté,
qui ont accoustumé de donner pris aux choses, ieje ne
sors iamaisjamais à mōmon honneur de cette sotte entreprise:
mais elle est si fantastique, & à vnun visage si esloigné de l’vsageusage
commun, que cela luy pourra donner passage. C’est vneune hu-
meur melācoliquemelancolique, & vneune humeur par consequent tres enne-
mie de ma cōplexioncomplexion naturelle, produite par le chagrin de la
solitude, en la quelle il y à quelques années que ieje m’estoy iet-
téjet-
té, qui m’a mis premieremētpremierement en teste cette resuerieresverie de me mes-
ler d’escrire. Et puis me trouanttrouuanttrouvant entierement desgarnypourueupourveu & vui-
de de toute autre matiere, ieje me suis presenté moy-mesmes à
moy, pour argument & pour subiectsubject. C’est ⁁ ⁁ le seul liurelivre au monde de son espece, d’vnun dessein farou-
Rr ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
che & monstrueuxextrauaguantextravagant. Il n’y à riērien aussi en cette besoingne digne
d’estre remerqué q̄que cette bizarrerie: car à vnun subiectsubject si vain &
si vile, le meilleur ouurierouvrier du mōdemonde n’eust sçeu donner forme
& façon qui merite qu’on en face conte. Or madame, ayant à
m’y pourtraire au vif, ij’en eusse oublié vnun traict d’importāceimportance,
si ieje n’y eusse representé l’honneur & reuerēcereverence singuliere, que
ij’ay tousiourstousjours rēdurendu à vos merites & à vos vertuz. Et l’ay vou-
lu dire notāmentnotammentsignammant à la teste de ce chapitre, d’autant que parmy
vos autres grandesbones qualitez, celle de l’amitié que vous auezavez
monstrée à vos enfans tient l’vnun des premiers rēgsrengs. Qui sçau-
ra l’aage auquel MōsieurMonsieur d’Estissac ⁁ ⁁ uostrevostre mari vous laissa veufueveufve,: les grādsgrands
& honorables partis, qui vous ont esté offerts autātautant qu’à Da-
me de France de vostre cōditioncondition,: la constance & fermeté de-
quoy vous auezavez soustenu tant d’années & au trauerstravers de tant
d’espineuses difficultez, la charge & conduite de leurs affaires,
qui vous ont agitée par tous les coins de France, & vous tiē-
nenttien-
nent encores assiegée,: l’heureux acheminement que vous y
auezavez dōnédonné par vostre seule prudence ou bōnebonne fortune: il dira
aisémētaisément auecavec moy que nous n’auonsavons point d’exēpleexemple d’affectiōaffection
maternelle en nostre temps plus exprez que le vostre. IeJe louë
Dieu, Madame, qu’elle estayeaye esté si bien employée: car les bonnes
esperances que donne de soy Monsieur d’Estissac ⁁ ⁁ uostrevostre filx, asseu-
rent assez que quand il sera en aage, vous en retirerez l’obeïs-
sance & reconoissance d’vnun tres-bon fils. Mais d’autant qu’à
cause de son enfance, il n’a peu remerquer les extremes offi-
ces qu’il à receu de vous en si grand nōbrenombre, ieje veus, si ces escrits
viennent vnun iourjour à luy tomber en main, lors que ieje n’auray
plus ny bouche ny parole qui le puisse dire, qu’il reçoiuereçoive de
moy ce tesmoignage en toute verité,: qui luy sera encore
plus vifuementvifvement tesmoigné par les bons effects, dequoy si
Dieu plaist il se ressentira,: qu’il n’est gentil-homme en France,
qui doiuedoive plus à sa mere qu’il faict: & qu’il ne peut donner à
LIVRE SECOND. 159
l’adueniradvenir plus certaine preuuepreuve de sa valeurbonté, & de sa vertu, qu’en
vous reconnoissant pour telle.
S’il y à quelque loy vrayement naturelle, c’est à dire quel-
que instinct, qui se voye vniuersellementuniversellement & perpetuellement
empreinct aux bestes & en nous (ce qui n’est pas sans contro-
uersecontro-
verse) ieje puis dire à mon aduisadvis, qu’apres le soing que chasque
animal a de sa conseruationconservation, & de fuir ce qui nuit, l’affection
que l’engendrant porte à son engeance, tient le second lieu en
ce rang. Et parce que nature semble nous l’auoiravoir recomman-
dée, regardant à estandre & faire aller auantavant les pieces successi-
uessuccessi-
ves de cette sienne machine: ce n’est pas de merueillemerveille, si à recu-
lons, des enfans aux peres, elle n’est pas si grande. ⁁
⁁ IointJoint cette autre consi=
deration qui er Aristote=
lique: que celuy qui bien faict
a quelcun l’aime mieus tousiourstousjours
qu’il n’en est aime: et celuy a qui
il est deu que celuy qui doit aime
mieus que celuy qui doit. Et tout
ouurierouvrier aime mieus son ouurageouvrage
qu’il n’en seroit aime si’l ⁁ ⁁ louuragel’ouvrage auoitavoit du
sentiment. DautantD’autant que nous
auonsavons cher, estre, et estre
consiste emn mouuementmouvement et action
Parquoi chacun, est, aucunement
en son ouurageouvrage. Qui bien faict
exerce un’action belle et honeste
qui reçoit l’exerce utile sulement
or l’utile est de beaucoup moins
aimable que l’honeste. L’honeste
est stable et permanant fournis=
sant a celuy qui l’a faict une gratifi=
cation constante. LutileL’utile se pert
et eschape facilement, et n’en
est la memoire ny si freche ny
si douce. les choses nous sont plus
cheres qui nous ont plus couste: et
il est plus difficile de doner
que de prendre.
Puis qu’il à
pleu à Dieu nous estrenerdouer de quelque capacité de discours,
affin que cōmecomme les bestes nous ne fussiōsfussions pas seruilementservilement assu-
iectisassu-
jectis aux loix communes, ains que nous nous y appliquassiōsappliquassions
par iugementjugement & liberté volontaire: nous deuonsdevons bien prester
vnun peu à la simple authorité de nature: mais non pas nous lais-
ser tyranniquement emporter à elle: la seule raison doit auoiravoir
la conduite de nos inclinations. IJ’ay de ma part le goust estrā-
gementestran-
gement mousse à ces propensions, qui sont produites en nous
sans l’ordonnance & entremise de nostre iugementjugement. Comme
sur ce subiectsubject, dequoy ieje parle, ieje ne puis gousterreceuoirrecevoir cette passiōpassion,
dequoy on embrasse les enfans à peine encore nez, n’ayant ny
mouuementmouvement en l’ame, ny forme reconnoissable au corps, par
où ils se puissent rendre aimables. ⁁
⁁ Et ne les ay pas
souffert uolontiersvolontiers
nourris pres de moy.
VneUne vraye affection & bien
reglée, deuroitdevroit naistre, & s’augmenter auecavec la connoissance
qu’ils nous donnent d’eux, & lors, s’ils le valent, l’inclinationla propention
naturelle marchant quant & quant la raison, les cherir d’vneune
amitié vrayement paternelle, & en iugerjuger de mesme s’ils sont
autres, nous rendans tousiourstousjours à la raison, nonobstant la for-
ce naturelle. Il en va fort souuentsouvent au rebours, & le plus com-
munement nous nous sentons plus esmeus des trepignemens
Rr iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ieuxjeux & mignardisesniaiseries pueriles de nos enfans, que nous ne fai-
sons apres, de leurs actions toutes formées: comme si nous les
auionsavions aymez pour le plaisir que nous en receuionsrecevions, nōnon pour
eux mesmes.nostre passetemps, come des guenons, non come des homes.
Et tel fournit bien liberalement de iouetsjouets à leur
enfance, qui se trouuetrouve resserré à la moindre despence qu’il leur
faut estant hommesen aage. Voire il semble que la ialousiejalousie que nous
auonsavons de les voir paroistre & iouyrjouyr du monde, quand nous
sommes à mesme de le quitter, nous rende plus espargnans &
rétrains enuersenvers eux: Il nous semblefache qu’ils nous marchent sur
les talons, ⁁ ⁁ come pour nous solliciter de sortir. &Et si nous auionsavions à craindre cela, puis que l’ordre
natureldes choses porte qu’ils ne peuuentpeuvent, à dire verité, estre, ny viurevivre
qu’aux despens de nostre substanceestre et de nostre uievie, nous ne deuionsdevions pas ⁁ nous mesler d’estre
peres. Quant à moy ieje treuuetreuve que c’est cruauté & iniusticeinjustice de
ne les receuoirrecevoir au partage & societé de nos biens, & compai-
gnons en l’intelligence de nos affaires domestiques, quand ils
en sont en aagecapables, & de ne retrancher & reserrer nos commoditez
pour pouruoirpourvoir aux leurs, puis que nous les auonsavons engendrez à
cet effect. C’est iniusticeinjustice de voir qu’vnun pere vieil, cassé, &
demi-mort, iouyssejouysse seul à vnun coin du foyer, des biēsbiens qui suffi-
roient à l’auancementavancement & entretien de plusieurs enfans, & qu’il
les laisse cependant par faute de moyen, perdre leurs meilleu-
res années, sans se pousser au seruiceservice public, & connoissance
des hommes. On les iettejette au desespoir de chercher par quel-
que voie, pour iniusteinjuste qu’elle soit, à pouruoirpourvoir à leur besoing.
Comme ij’ay veu de mon temps, plusieurs ieunesjeunes hommes de
bonne maison, si adonnez au larcin, que nulle institutioncorrection
les en pouuoitpouvoit détourner. IJ’en connois vnun bien apparenté, à
qui par la priere d’vnun sien frere, tres-honneste & brauebrave gentil-
homme, ieje parlay vneune fois pour cet effect. Il me respondit &
confessa tout rondement, qu’il auoitavoit esté acheminé à cest’cett’ or-
dure par la rigueur & auariceavarice de son pere, mais qu’à present il
y estoit si accoustumé, qu’il ne s’en pouuoitpouvoit garder. Et lors il
LIVRE SECOND. 160
venoit d’estre surpris en larrecin des bagues d’vneune dame, au le-
uerle-
ver de laquelle il s’estoit trouuétrouvé auecavec beaucoup d’autres. Il me
fit souuenirsouvenir du conte que ij’auoisavois ouy faire d’vnun autre gentil-
homme, si fait & façōnéfaçonné à ce beau mestier du temps de sa ieu-
nessejeu-
nesse, que venant apres a estre maistre de ses biens, deliberé
d’abandonner cette trafique, il ne se pouuoitpouvoit garder pourtant,
s’il passoit pres d’vneune boutique, où il y eust chose, dequoy il
eust besoin, de la desrober en peine de l’enuoyerenvoyer payer apres.
Et en ay veu plusieurs si accoustumezdressez & rompusduitz à cela, que
parmy leurs compaignons mesmes, ils desroboient ordinaire-
ment des choses qu’ils vouloient rendre:. iIejJe suis Gascon, & si
n’est vice auquel ieje m’entēdeentende moins.: IeJe le hay vnun peu plus par
complexion, que ieje ne l’accuse par discours: sSeulement par
desir, ieje ne soustrais rien à personne. Ce quartier en est à la ve-
rité vnun peu plus descrié que les autres de la Françoise nation.: Ssi
est-ce que nous auonsavons veu de nostre temps à diuersesdiverses fois, en-
tre les mains de la iusticejustice, des hōmeshommes de maisōmaison, d’autres cōtréescontrées
conuaincusconvaincus de plusieurs horribles voleries. IeJe crains que de
cette débauche il s’en faille aucunement prendre à ce vice des
peres. Et si on me respond ce que fit vnun iourjour vnun Seigneur de
bon entendement, qu’il faisoit espargner des richesses, non
pour en tirer autre fruict & vsageusage, que pour se faire honnorer
& rechercher aux siens, & que l’aage luy ayant osté toutes au-
tres forces, c’estoit le seul remede qui luy restoit pour se main-
tenir en authorité en sa famille, & pour euitereviter qu’il ne vint à
mespris & desdain à tout le monde. ⁁
⁁ De uraivrai non la uieil=
lessevieil=
lesse sulement mais toute
imbecillité selon Aristote
est promotrice de lauaricel’avarice
Cela est quelque chose:
mais c’est la medecine à vnun mal, duquel on deuoitdevoit euitereviter la
naissance. VnUn pere est bien miserable qui ne tient l’affection
de ses enfans, que par le besoin qu’ils ont de son secours, si cela
se doit nommer affection: iIl faut se rendre respectable par sa
vertu, & par sa suffisance, & aymable par sa bonté & douceur
de ses meurs. Les cendres mesmes d’vneune riche matiere, elles
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ont leur pris: & les os & reliques des personnes d’hōneurhonneur, nous
auonsavons accoustumé de les auoiravoirtenir en respect & reuerencereverence. Nulle
vieillesse peut estre si caducque & si rance, à vnun personnage
qui à passé en honneur son aage, qu’elle ne soit venerable, &
notamment à ses enfans, desquels il faut auoiravoir reglé l’ame à
leur deuoirdevoir par raison, non par necessité & par le besoin, ny
par rudesse & par force.,
& errat longè mea quidem sententia,
Qui imperium credat esse grauius aut stabilius
Vi quod fit, quam illud quod amicitia adiungitur.
IJ’accuse toute violence en l’education d’vneune ame tēdretendre, qu’on
dresse pour l’honneur & la liberté. Il y a ieje ne sçay quoy de
seruileservile en la rigueur, & en la contraincte: & tiens que ce qui ne
se peut faire par la raison, & par prudēceprudence, & adresse, ne se faict
iamaisjamais par la force. On m’a ainsin esleuéeslevé: iIls disent qu’en tout
mon premier aage, ieje n’ay tasté ⁁ des uergesverges qu’a deux coups, le fouët, &
bien mollement. IJ’ay deu la pareille aux enfans que ij’ay eu: ils
me meurent tous en nourrisse: mais ⁁ ⁁ Leonor vneune seule fille qui est es-
chappée à cette infortune à attaint six ans & plus, sans qu’on
ait emploié à sa conduicte, & pour le chastiement de ses fau-
tes pueriles, l’indulgence de sa mere s’y appliquant ayséement,
autre chose que parolles & bien douces: &Et quand mōmon desir y
seroit frustré, il est assez d’autres causes ausquelles nous pren-
dre, sans entrer en reproche auecavec ma discipline, que ieje sçay estre
iustejuste & naturelle. IJ’eusse esté beaucoup plus religieux enco-
res en cela enuersenvers des masles, moins nais à seruirservir, & de condi-
tion plus libre: ij’eusse aymé à leur grossir le coeur d’ingenuité
& de frāchisefranchise: iIejJe n’ay veu autre effect aux verges, sinōsinon de rēdrerendre
les ames plus láches, où plus malitieusemētmalitieusement opiniastres. Vou-
lons nous estre aimez de nos enfans, leur voulons nous oster
l’occasion de souhaiter nostre mort (combien qu’àe la veri-
té nulle occasion d’vnun si horrible souhait, peut estre ny iustejuste
ny
LIVRE SECOND. 3161
ny excusable ⁁ ⁁ nullūnullum scelus rationem habet) accommodons leur vie raisonnablement, de ce
qui est en nostre puissance. Pour cela, il ne nous faudroit pas
marier si ieunesjeunes que nostre aage vienne quasi à se confondre
auecavec le leur: cCar cet inconuenientinconvenient nous iettejette à plusieurs gran-
des difficultez,: iIejJe dy specialement à la noblesse, qui est d’vneune
condition oisifueoisifve, & qui ne vit, comme on dit, que de ses ren-
tes: cCar ailleurs, ou la vie est questuere, la pluralité & compai-
gnie des enfans, c’est vnun agencement de mesnage, ce sont au-
tant de nouueauxnouveaux vtilsutils & instrumēsinstrumens à s’enrichir. IeJe me mariay
à trente trois ans, & louë l’opinion de trente cinq qu’on dit e-
stre d’Aristote. ⁁
⁁ Platon ne ueutveut pas
qu’on se marie auantavant les
trante mais il a raison
d’accuser ēcoreencore plus ceus
qui y sontde se moquer de ceus qui font
les euureseuvres de mariage apres cinquante
cinq et estimecondamne leur engence
indigne de nourriture.
d’alimant et de uievie. Thales
y dona les plus uraïesvraïes bornes
qui iunejune respondit a sa mere
qui le pressoiāant de se marier
qu’il n’estoit pas temps &
deuenudevenu sur leagel’eage qu’il
n’estoit plus temps. Il faut
refuser l’opportunite a toute action
importune.
Les anciens Gaulois estimoient à extreme re-
proche d’auoiravoir eu accointance de femme, auātavant l’aage de vingt
ans: & recommandoient singulierement aux hommes, qui se
vouloient dresser pour le seruiceservice de la guerre, de conseruerconserver
bien auantavant en l’aage leur pucellage, d’autant que les courages
et les s’en amolissent & diuertissentdivertissent: par l’accouplage des femmes.
Ma hor congiunto à giouinetta sposa
Lieto homai de’ figli era inuilito
Ne gli affetti di padre & di marito. ⁁
⁁ L’histoire grecque
remarque de Iecus Tarentin
de Chryso d’Astylus de
Diopompus et d’autres que
pour maintenir leurs corps
fermes au seruiceservice de
la course des ieusjeus Olympiensques
de la palestrine et autres
exercices ils se priuarentprivarent
autant que leur dura ce
soin, de toute sorte d’acte
venerien. Mulesasses Roy
de Thunes celuy que
l’emperur Charles. 5.
remit en son estat
reprochoit la memoire
de son pere pour auoiravoir
cson hantise aueqaveq ses
femmes & l’apeloit
brode effemine faisur
d’enfans.
En certaine contrée des Indes Espaignolles, on ne permettoit
aux hommes de se marier, qu’apres quarante ans, & si le per-
mettoit-on aux filles à dix ans. VnUn gentil-homme qui à tren-
te cinq ans, il n’est pas temps qu’il face place à son fils qui en a
vingt: il est luy-mesme au train de paroistre & aux voyages
des guerres & en la court de son Prince: il à besoin de ses pie-
ces, & en doit certainement faire part, mais telle part, qu’il
ne s’oublie pas pour autruy. Et à celuy-là peut seruirservir iustemētjustement
cette responce que les peres ont ordinairement en la bouche:
ieje ne me veux pas despouiller deuantdevant que de m’aller coucher.
Mais vnun pere aterré d’années & de maux, priuéprivé par sa foibles-
se & faute de santé, de la commune societé des hommes, il se
faict tort & aux siens, de couuercouver inutilement vnun grand tas de
richesses. Il est assez en estat, s’il est sage, pour auoiravoir desir de se
Ss
ESSAIS DE M. DE MONTA.
despouiller pour se coucher,: non pas iusquesjusques à la chemise,
mais iusquesjusques à vneune robbe de nuict bien chaude: le reste des
pompes, dequoy il n’a plus que faire, il doibt en estrener
volontiers ceux à qui par ordonnance naturelle cela doit
appartenir. C’est raison qu’il leur en laisse l’vsageusage, puis que
nature l’en priueprive: autrement sans doubte il y à de la malice &
de l’enuieenvie. La plus belle des actions de l’Empereur Charles
cinquiesme fut celle-là, ⁁
⁁ a l’imitation d’aucuns
antiens de son calibre
d’auoiravoir sçeu reconnoistre que la rai-
son nous commande assez de nous dépouiller, quand nos ro-
bes nous chargent & empeschent, & de nous coucher quand
les iambesjambes nous faillent. Il resigna ses moyens, grandeur &
puissance à son fils, lors qu’il sentit defaillir en soy la fermeté
& la force pour cōduireconduire les affaires, auecavec la gloire qu’il y auoitavoit
acquise.
Solue senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum ridendus, & ilia ducat.
Cette faute de ne se sçauoirsçavoir reconnoistre de bōnebonne heure, & ne
sentir l’impuissance & extreme alteration que l’aage apporte
naturellement, & au corps & à l’ame, qui à mon opinion est
esgale (si l’ame n’en à plus de la moitié) à perdu la reputation
de la plus part des grands hommes du monde. IJ’ay veu de mōmon
temps & connu familierement, des personnages de grādegrande au-
thorité, qu’il estoit bien aisé à voir, estre merueilleusemētmerveilleusement des-
cheus de cette ancienne suffisance, que ieje connoissois par la re-
putation qu’ils en auoientavoient acquise en leurs meilleurs ans. IeJe les
eusse pour leur honneur, volontiers souhaitez retirez en leur
maison à leur aise, & deschargez des occupations publiques &
guerrieres, qui n’estoient plus pour leurs espaules. IJ’ay autre-
fois esté priuéprivé en la maison d’vnun gentil-homme veuf & fort
vieil, d’vneune vieillesse toutefois assez verte. Cettuy-cy auoitavoit
plusieurs filles à marier, & vnun fils desiadesja en aage de paroistre,
cela luy chargeoit sa maison de plusieurs despences & visites
LIVRE SECOND. 154162
estrangieres, a quoy il prenoit peu de goustplaisir, non seulement
pour le soin de l’espargne, mais encore plus, pour auoiravoir, à cau-
se de l’aage, pris vneune forme de vie fort esloignée de la nostre. IeJe
luy dy vnun iourjour vnun peu hardimēthardiment, cōmecomme ij’ay accoustumé, de pro
duire libremētlibrement ce qui me vient en la bouche, qu’il luy sieroit
mieux de nous faire place, & de laisser à son fils sa maison prin
cipale, (car il n’auoitavoit que celle-là de bien logée & accommo-
dée) & se retirer en vneune siēnesienne terre, qu’il auoitavoit fort voisine, ou
personne n’apporteroit incōmoditéincommodité à son repos, puis qu’il ne
pouuoitpouvoit autremētautrement euitereviter nostre importunité, veu la cōditioncondition
de ses enfans. Il m’en creut depuis, & s’en trouuatrouva fort bien. Ce
n’est pas à dire qu’on leur donne, par telle voye d’obligation,
de laquelle on ne se puisse plus desdire: iIejJe leur lairrois, moy qui
suis à mesme de iouerjouer ce rolle, la iouyssancejouyssance de ma maison &
de mes biens, mais auecavec liberté de m’en repētirrepentir, s’ils m’en don-
noiētdon-
noient occasion: iIejJe leur en lairrois l’vsageusage, par ce qu’il ne me se-
roit plus commode: &Et de l’authorité des affaires en gros, ieje
m’en reserueroisreserverois autant qu’il me plairoit: aAyant tousiourstousjours iugéjugé
que ce doit estre vnun grand contentement à vnun pere vieuxil, de
mettre luy-mesme ses enfans en train du gouuernemētgouvernement de ses
affaires, & de pouuoirpouvoir pendant sa vie contreroller leurs de-
portemens: leur fournissant d’instruction & d’aduisadvis suyuantsuyvant
l’experience qu’il en a, & d’acheminer luy mesme l’ancien hō-
neurhon-
neur & ordre de sa maison en la main de ses enfanssuccessurs, & se res-
pondre par là, des esperances qu’il peut prendre de laleur condui-
te à venir. Et pour cet effect ieje ne voudrois pas fuir leur com-
paignie, ieje voudroy les esclairer de pres, & iouyrjouyr moy-mesme
selon le goustla condition de mon aage, de leur allegresse, & de leurs festes.
Si ieje ne viuoyvivoy parmy eux (comme ieje ne pourroy sans offencer
leur assemblée par le chagrin de mon aage, & l’importunitéla subiectionsubjection
de mes maladies, & sans contraindre aussi & forcer les reigles
& façons de viurevivre que ij’auroy lors) ieje voudroy au moins vi-
Ss ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
urevre pres d’eux àen vnun quartier de ma maison, non pas le plus en
parade, mais biēbien commodele plus en commodite. Non comme ieje vy il y a quelques
années, vnun Doyen de S. Hilaire de Poictiers, rendu à vneune telle
solitude par l’incōmoditéincommodité de sa melācholiemelancholie, que lors que ij’en-
tray en sa chābrechambre, il y auoitavoit vingt & deux ans, qu’il n’en estoit
sorty vnun seul pas, & si auoitavoit toutes ses actions libres & aysées,
sauf vnun reume qui luy tomboit sur l’estomac. A peine vneune fois
la sepmaine, vouloit-il permettre que aucun entrast pour le
voir: il se tenoit tousiourstousjours enfermé par le dedans de sa cham-
bre seul, sauf qu’vnun valet luy apportoit vneune fois le iourjour à man-
ger, qui ne faisoit qu’entrer & sortir. Son occupation estoit se
promener & lire quelque liurelivre (car il connoissoit aucunemētaucunement
les lettres) obstiné au demeurant de mourir en cette démar-
che, comme il fit bien tost apres. IJ’essayeroy par vneune douce
conuersatiōconversation de nourrir en mes enfans vneune viuevive amitié & bien-
ueillancebien-
veillance non feinte en mon endroict. Ce qu’on gaigne aisée-
ment en vneune nature bien née: car si ce sont bestes furieuses, ⁁ ⁁ come nostre siecle en produit a foison il
les faut éuiteréviterhayr & fuyr pour telles. IeJe hayueusveus mal a cette coustume, ⁁
⁁ d’interdire aus enfans
l’apellation paternelle, et
leur en eniouindreenjouindre une
estrangiere, come plus
reuerentialereverentiale: come si
nature n’auoitvoitïant uolontiersvolontiers pas
suffisammant pourueupourveu a
nostre authorité: nous
appelons dieu tout puissant
pere et desdeignons que
nos enfans nous en apelētapelent
cette e C’est aussi iniusticeinjustice
& folie
de
priuerpriver les enfans qui sont en aage, du cōmercecommerce & intelligēceintelligence
priuéeprivée, & familierede la familiarite des peres, & de vouloir maintenir en leur
endroict vneune morgue seueresevere & estrangiere pleine de rancu-
ne & desdain,austere et desdeigneuse, esperant par là, les tenir en crainte & obeis-
sance:. cCar c’est vneune farce tres-inutile, qui rēdrend les peres ennuieux
aux enfans, & qui pis est, ridicules: iIls ont la ieunessejeunesse & les for-
ces en la main, & par consequent le vent & la faueurfaveur du mon-
de,: & reçoiuentreçoivent auecquesavecques mocquerie, ces mines fieres & co-
leres,re imperieuses tyranniquesle "re" biffé était probablement le début du mot "revêche" d’vnun homme qui n’a plus de sang, ny au coeur, ny aux vei-
nes.: ⁁ uraisvrais espouuantailsespouvantails de cheneuierecheneviere. Quand ieje pourroy me faire craindre, ij’aymeroy encore
mieux me faire aymer. Ce sont vrays espouuantailsespouvantails de che-
neuiereche-
neviere. Il y à tant de sortes de deffauts en la vieillesse, tant
d’impuissance, elle est si propre au mespris, que le meil-
leur acquest qu’elle puisse faire, c’est l’affection & amour
LIVRE SECOND. 3163
des siens: le commandement & la crainte ce ne sont plus
ses armes. IJ’en ay veu quelqu’vnun, duquel la ieunessejeunesse auoitavoit esté
tres-imperieuse, quand c’est venu sur l’aage, quoy qu’il le pas-
se sainement ce qui se peut, il frappe, il mord, il iurejure, ⁁ ⁁ le plus tempestatif maistre de france: il se ronge
de soing & de vigilācevigilance, tout cela n’est qu’vnun bastelage, auquel
la famille mesme complotteconspire: du grenier, du celier, voire & de
sa bource, d’autres ont la meilleure part de l’vsageusage, cependant
qu’il en à les clefs en sa gibessiere, plus cheremētcherement que ses yeux.
Cependant qu’il se contente de l’espargne & chicheté de sa
table, tout est en desbauche en diuersdivers reduicts de sa maison, en
ieujeu, & en despence, & en l’entretiēentretien des cōptescomptes de sa veine cho-
lere & pouruoyancepourvoyance. Chacun est en sentinelle contre ce pau-
urevre homme.luy. Si par fortune quelque chetif seruiteurserviteur s’y adon-
ne, soudain il luy est mis en soupçon: qualité à laquelle la
vieillesse mord si volontiers de soy-mesme. QuātQuant de fois s’est
il vanté à moy, de la bride qu’il donnoit aux siens, & exacte
obeïssance & reuerencereverence qu’il en receuoitrecevoit, combien il voyoyt
cler en ses affaires.,
Ille solus ne scit omnia.
IeJe ne voissache homme qui sçeutpeut aporter plus de parties & natu-
relles & acquises, propres à conseruerconserver la maistrise, qu’il faict,
& si, en est descheu comme vnun enfant. Partant l’ay-ieje choisi
parmy plusieurs telles conditions que ieje cognois, cōmecomme plus
exemplaire. ⁁
⁁ Ce seroit matiere à vneune question scholastique, s’il est ainsi mieux, ou autrement. En presence, toutes choses luy cedent. Et
laisse on ce ueinvein cours a son authorité qu’on ne luy resiste iamaisjamais: On le croit on le creint on le respecte tout son soul. Done il conge a
un ualetvalet: il plie son paquet le uoilavoila parti: mais hors de deuantdevant luy sulemant. Les pas de la uieillessevieillesse sont si lens les sens si troubles
qu’il uiuravivra et faira son office en mesme maison un an sans estre aperceu. Et quand la seson en est on faict uenirvenir des lettres lointaines
piteuses suppliantes pleines de promesse de mieus faire par ou on le remet en grace. Monsieur faict il quelque marche ou
quelque despesche qui desplese on la supprime: forgeant tantost apres asses de causes pour excuser la faute d’execution ou de response.
Nulles lettres estrangieres ne luy estant premieremant apportees il ne uoitvoit que celles qui semblent commodes a sa sciance. Si par cas
d’auantureavanture il les sesit aiant en
communestume de se reposer sur certaine
persone de les luy lire on y
treuuetreuve sur le champ ce qu’on ueutveut
et faict on a tous coups que tel
luy demande pardon qui l’iniurieinjurie
par mesme lettre. Il ne uoitvoit en
fin ses affaires
que par un’image
disposee et desseignée
et satisfactoire le plus qu’on
peut pour n’esueilleresveiller son chagrin
et son courrous. IJ’ay ueuveu sous
des figures differantes assez
d’oeconomies longues constantes
de tout pareil effaict.
Il est tousiourstousjours procliueproclive aux femmes de discon-
uenirdiscon-
venir à leurs maris,⁁ sur tout hargneux & vieils: mais quādquand c’est
en faueurfaveur des enfans, elles empoignētempoignent ce titre,⁁
⁁ , et en seruentservent leur
naturelle passion
uitieusevitieuse
auecavec gloire. S’ils
sont
⁁ : elles sesissent a
deus mains toute
occasion excusable
de les gouspiller:
come
⁁ Elles sesissent a
deus mains, toutes
couuerturescouvertures de lesur
gourmander et
pillercontraster: la premiere
excuse & diminution de leur
faute leur suffit, et sert de planiere iustificationjustification. IJ’en ai ueuveu, qui desroboit gros
a son mari, pour, disoit elle a son confessur, faire ses aulmosnes plus grasses. Fiesz
uousvous a cette relligieuse dispensation. Nul maniemant leur semble auoiravoir asses de
dignité, s’il uientvient de la concession du mari: iIl faut qu’elles l’usurpent ou finemātfinemant
ou fieremant, et tousiourstousjours iniurieusemantinjurieusemant, pour luy donentr de la grace et de l’author=
rite. Come en mon propos, quand c’est contre un pourepovre uieillartvieillart, et pour des
enfans, lors empouignent elles ce titre, et en seruentservent leur passion, aueqaveq triomfe
et gloire: Elles sont a tort etou a droit, en tout desaccort aueqaveq leur pere, tousiourstousjours
pour eus: et au demurant s’ilscome en un commun seruageservage complotentmonopolent facilemant contre sa domination
& gouuernemētgouvernement. Si ce sont masles,
grands & fleurissans, ils subornent ⁁ ⁁ aussi incontinātincontinant ou par au-
thorité ou par faueurfaveurforce ou par faueurfaveur, & maistre d’Hostel & receueurreceveur, & tout
le reste. Ceux qui n’ont ny femme ny enfansfilx, tombent en ce
malheur, plus difficilement, mais plus cruellement aussi & in-
dignement. ⁁
⁁ Le uieusvieus Caton disoit en son temps qu’autant de
ualetsvalets autant d’enemis. & de larrons Voies si selon
la distance de la purete de son siecle au nostre il
ne nous a pas uoluvolu auertiravertir que fame filx & ualetvalet
autant d’enemis a nous.
BiēBien sert à la decrepitude de nous fournir le doux
benefice d’inaperceuanceinapercevance & d’ignorāceignorance, & facilité à nous lais-
S s iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ser pipertromper. Si nous y voyonsmordions, que seroit ce de nous,: mesme en
ce temps, ou les IugesJuges qui ont à decider nos cōtrouersescontroverses, sont
communément partisans de l’enfance & interessez. ⁁
⁁ Au cas que cette pipperie m’eschappe à voir, au moins ne m’eschappe-il pas, à voir
que ieje suis trespipable. Hureus trois et quatre fois qui peut fier en main amie
sa pitoiable uieillessevieillesse. Et aura lonl’on iamesjames asses dict de quel pris est un amy
et de combien autre chose que ces liaisons ciuilescivilles. L’image mesme que ij’en uoisvois
aus bestes si pure, aueqaveq
quelle relligion ieje la
respecte. En uausvaus ieje
mieus d’en auoiravoir le
goust, ou si ij’en uausvaus
moins. IJ’en uausvaus
certes bien mieus. Son
regret me console et
m’honore Est ce pas
un pl pieus et plesant
office de ma uievie d’en
faire a tout iamaisjamais
les obseques. Est il
iouissancejouissance qui uaillevaille
cette priuationprivation. IeJe
me lairrois facilemētfacilement
endormir au seioursejour
d’une si flateuse
imagination. Si les
autres me pipent au moins
ne m’est me pipe ieje pas
moi mesmes a mestimerm’estimer
capable de m’en garder:
ny a me ronger la ceruellecervelle
pour m’en rendre. IeJe me
sauuesauve de telles trahisons en
mon propre giron non par
une lab inquitete et tem=
pesteusetumultuere curiosite mais par
diuersiondiversion plus tost et fermeteresolution.
Quand ij’oi reciter l’estat de
quelcun ieje ne m’amuse pas a
luy: ieje tourne incontinant
les yeus uersvers mo a moi, uoirvoir
comant ij’en suis. Tout ce qui
le touche me regarde. Son
accidant m’aduertitadvertit et
m’esueilleesveille de ce costé la. Tous
les ioursjours et a toutes heures
nous disons d’un autre
ce que nous dirions plus
propremant de nous si nous
sçauionssçavions replier aussi bien
qu’estandre nostre consi=
deration. Et plusieurs
autheurs blessent ainsien cette matiere la
protection de leur cause
courant temereremant en
auantavant a l’encontre de celle
qu’ils ataquent et lançant
a leurs enemis des trets
traicts propres a leur estre
reietezrejetez tr relancez
Feu Mō-
sieurMon-
sieur le Mareschal de MoulucMonluc, ayātayant perdu celuy de ses enfansson filx,
qui mourut en l’Isle de Maderes, brauebrave gentil’homme à la ve-
rité & de grande esperance, me faisoit fort valoir entre ses au-
tres regrets, le desplaisir & creuecreve-coeur qu’il sentoit de ne s’e-
stre iamaisjamais cōmuniquécommuniqué à luy: & sur cette humeur d’vneune gra-
uitégra-
vité & grimace paternelle, auoiravoir perdu la cōmoditécommodité de gou-
ster & bien connoistre son fils, & aussi de luy declarer l’extre-
me amitié qu’il luy portoit, & le digne iugementjugement qu’il faisoit
de sa vertu. Et ce pauurepauvre garçon, disoit-il, n’a rien veu de moy
qu’vneune contenance refroignée & pleine de mespris, & à em-
porté cette creance, que ieje n’ay sçeu ny l’aimer ny l’estimer
selon son merite. A qui gardoy-ieje, à découurirdécouvrir cette singulie-
re affection que ieje luy portoy dāsdans mon ame? estoit ce pas luy
qui en deuoitdevoit auoiravoir tout le plaisir & toute l’obligation? IeJe me
suis contraint & geiné pour maintenir ce vain masque: & y
ay perdu le plaisir de sa conuersationconversation, & sa volonté quant &
quant, qu’il ne me peut auoiravoir portée autre que bien froide,
n’ayant iamaisjamais reçeu de moy que rudesse, ny senti qu’vneune fa-
çon tyrannique. IeJe trouuetrouve que cette plainte estoit bien prise
& raisonnable: car comme ieje sçay par vneune trop certaine expe-
rience, il n’est aucune si douce consolation en la perte de nos
amis, que celle que nous aporte la science de n’auoiravoir rien
oublié à leur dire, & d’auoiravoir eu auecavec eux vneune parfaite & entie-
re communication. IeJe m’ouureouvre aux miens tant que ieje puis, &
leur signifie tres-volontiers l’estat de ma volonté, & de mon
iugementjugement enuersenvers eux, comme enuersenvers vnun chacun: car ieje me haste
de me produire, & de me presenter: car ieje ne veux pas qu’on
s’y mesconte, à quelque part que ce soit. Entre autres coustu-
mes particulieres qu’auoyētavoyent nos anciens Gaulois, à ce que dit
LIVRE SECOND. 356164
Caesar, cettecy en estoit: que les enfans ne se presentoyētpresentoyent aus
peres, ny s’osoient trouuertrouver en public en leur compaignie, que
lors qu’ils commençoyent à porter les armes, cōmecomme s’ils vou-
loyent dire que lors il estoit aussi tempssaison que les peres les re-
ceussent en leur familiarité & accointāceaccointance. IJ’ay veu encore vneune
autre sorte d’indiscretion en aucuns peres de mon temps: qui
ne se contentent pas d’auoiravoir priuéprivé pendant leur longue vie,
leurs enfans de la part, qu’ils deuoyentdevoyent auoiravoir naturellement
en leurs fortunes, mais laissent encore apres eux, à leurs fem-
mes cette mesme authorité sur tous leurs biens, & loy d’en
disposer à leur fantasie. Et ay cōnuconnu tel Seigneur des premiers
officiers de nostre couronne, ayant par esperance de droit à
venir, plus de cinquante mille escus de rente, qui est mort ne-
cessiteux & accablé de debtes, aagé de plus de cinquante ans,
sa mere en son extreme decrepitude, iouyssantjouyssant encore de tous
ses biens par l’ordonnance du pere, qui auoitavoit de sa part vécu
pres de quatre vingt ans. Cela ne me semble aucunement rai-
sonnable. Pourtant trouuetrouve ieje peu d’aduancementadvancement à vnun hom-
me de qui les affaires se portent biēbien, d’aller cercher vneune femme
qui le charge d’vnun grand dot, il n’est point de debte estrāgierestrangier
qui aporte plus de ruyne aux maisons,: mes predecesseurs ont
cōmuneemētcommuneement suyuysuyvy ce cōseilconseil biēbien à propos, & moy aussi. ⁁
⁁ Mais ceus qui nous
desconseillent les fames
riches, de peur qu’elles
soint moins tretables
& reconoissantes: se
trompent, de faire perdre
quelque reele com=
modite, pour une si
friuolefrivole coniectureconjecture. A
une fame desraisona=
ble, il ne coste non plus
de passer par dessus
une raison que par dessus
un’autre. Elles s’aiment
le mieus ou elles ont
plus de tort. L’iniusticeinjustice
les alleche. Come les
bones, l’honur de leurs
actions uertueusesvertueuses:
et en sont debonaires
d’autātautant plus qu’elles sont plus
riches: come plus uolontiersvolontiers et
glorieusemant chastes, de ce
qu’elles sont belles.
C’est
raison de laisser l’administration des affaires aux meres, pen-
dant que les enfans ne sont pas en l’eage selon les loix pour en
manier la charge: mais le pere les à biēbien mal nourris, s’il ne peut
esperer qu’en cet aage là, ils auront plus de sagesse & de suffi-
sance que sa femme, veu l’ordinaire foiblesse du sexe. Bien se-
roit-il toutesfois à la verité plus contre nature, de faire dépen-
dre les meres de la discretion de leurs enfans. On leur doit
donner largement, dequoy maintenir leur estat selon la con-
dition de leur maison & de leur aage, d’autant que la necessité
& l’indigence, est beaucoup plus mal seante & mal-aisée à
ESSAIS DE M. DE MONTA.
supporter à elles qu’aux masles: il faut plustost en charger les
enfans que la mere. ⁁
⁁ En general, la plus saine distribution de noz biens en mourant, me semble estre, les laisser distribuer à
l’usage du païs. Les loix y ont mieus panse que nous et uautvaut mieus les laisser faillir
en leur eslection que de nous hasarder temereremant de faillir en la nostre. Ils
ne sont pas propremant nostres puis que d’une praescription ciuilecivile et sans nous ils sont
destinez a certeins successurs. Et encore que nous aions quelque liberte au dela ieje
tiens qu’il faut une grande
cause et bien apparante
pour nous faire oster a
vnun, ce que la fortune
luy auoitavoit acquis et a
quoi la iusticejustice cōmunecommune
l’appeloit. Et que c’est
abuser contre raison
de cette liberte: d’en
seruirservir nos fantasies
friuolesfrivoles et priueesprivees. ⁁
⁁ Mon sort m’a faict grace: de ne m’auoiravoir presante des occasions qui me peussent tenter, et diuertirdivertir mon
affection de la cōmunecommune et legitime ordonance.
Nomeemant de nous
arreter a la folie de
nos coniecturesconjectures et
diuinationsdivinations de faire
des triages extraor
dineres sur la foi de
ces diuinationsdivinations: aus
quelles nous somes si
souuantsouvant mescontez.
Remetons au ciel la
conduite de ses mutations
futures, sans y faire
praeiudicepraejudice IJ’en uoivoi qui
IJ’en uoisvois enuersenvers qui c’est temps perdu
d’emploier un long souin de bons offices
VnUn mot receu de mauuesmauves biais efface
le merite de dix ans. Hureus qui se
treuuetreuve a point pour leur ouindre la
volonte sur ce pouint dernier passage.
La uoisinevoisine action l’emporte. Ils
non pas les meillurs et plus
souuantsouvant frequans offices mais
les recens font l’operation
plus recens & presans font loperationl’operation
Ce sont gens qui
se iouentjouent de leur t
leurs testamans come
de pomes ou de uergesverges
a gratifier ou chastier
a chaque bout de chāpchamp
chaque action de ceus
qui y pretandent inte=
rest. C’est chose de
trop longue suite, et
de trop de pois, pour
estre einsi promenee
a chaque instant:
et en la quelle les
sages se plantent une
fois pour toutes: d’ir
regardant aus formesla raison
et obseruationobservations com=
munes publiques.
Nous prenons un peu trop a
coeur ces substitutions mascu=
lines. Et proposons une eterni=
te ridicule a nos noms. Nous
poisons aussi trop les ueinesveines
coniecturesconjectures de l’aueniravenir, que
nous donent les esprits pueriles.
A l’auantureavanture eut on faict
iniusticeinjustice de me desplacer de
mon ranc pour auoiravoir este le
plus lourd et plombé le plus
long et desgoute deen ma leçon
non sulement que tous mes
freres mais que tous les enfans
de ma prouinceprovince: soit leçon
d’exercice d’esprit soit leçon
d’exercice du corps. C’est folie
de faire des triages extra
ordineres sur la foi de ces diuinationsdivinations aus quelles nous somes si souuantsouvant mescontez trompez
Remetons au ciel la conduite des ces mutations futures sans y faire preiudiceprejudice.
On excusera la propansion que ij’ay a la beaute si ieje dis que sSi on peut blessetr cette regle
et corriger les destinees ⁁ ⁁ aus chois qu’elles ont faict de nos heretiers on le peut aueqaveq plus d’apparance en consideration de quelque remercable et enorme
difformite corporelle. uicevice constant incorrigibleinamandab inamandable & selon nous autres grands estimatursqui grands estimaturs de la beaute
de grand preiudiceprejudiceno d’important preiudiceprejudice. Lae plesante prosopopaeedialogue du legislatur ⁁ ⁁ de Platon aueqaveq entretenant lses maladecitoiens
en Platon faira honur a ce passage ⁁
⁁ Comment donc, disent ils sentans leur fin prochene nNe pourraiōsons iejenous point disposer de ce qui est a moinous?nous a qui il nous plaira? O dieus quelle cruaute Qu’il
ne nous soit loisible, selon que les nostres nous auront seruyservy en noz maladies, en nostre vieillesse, en nos affaires nde leur pouuoirpouvoir
donner plus & moins selon noz fantasies! A quoy le legislateur respond en cette maniere:
Mes amis qui auesaves sans doubte bientost a mourir il est malaisé et que uousvous uousvous conessies
et que uousvous conessies ce qui est a uousvous, suiuantsuivant l’inscription Delphique. Moi qui fois les loix tiens que ny uousvous n’estes a uousvous ny n’est
à uousvous ce que uousvous iouissesjouisses. Et uosvos biens et uousvous, estes a uostrevostre famille, tant passee que future. Mais encore plus sont au publiq et uostrevostre
famille et uosvos biens. Parquoy si quelque flatur en uostrevostre uieillessevieillesse ou en uostrevostre maladie ou quelque passion uousvous sollicite de mal a propos
de faire testamant de uostrevostre testeiniusteinjuste ieje uousvous en garderai. Mais aiant respet et au bie p l’interest uniuerseluniversel de la citè & a celuy de uostrevostre famille
ij’establirai des loix et ferai santir come de raison que la commodite particuliere doit ceder a la commune. Alles uousvous en doucement
et de bone uogliévoglié ou l’humaine necessite uousvous appelle. CestC’est a moi qui ne regarde pas l’une chose plus que lautrel’autre qui autātautant
que ieje puis me souigne du general d’auoiravoir souin de ce que uousvous laisses.
Mais au demeurantReuenantRevenant a mon propos, il me semble, ieje ne
sçay comment, qu’en toutes façons la maistrise n’est aucune-
ment deuë aux femmes sur des hommes, sauf la maternelle &
naturelle: si ce n’est pour le chátiment de ceux, qui par quel-
que humeur fieureusefievreuse, se sont volontairement soubmis à el-
les: mais cela ne touche point les vieilles, dequoy nous par-
lons icy. C’est l’apparence de cette consideration, qui nous à
fait forger & donner pied si volontiers à cette loy, que nul ne
veit onques, qui priueprive les femmes de la successiōsuccession de cette cou-
ronne: & n’est guiere Seigneurie au monde, ou elle ne s’alle-
gue, comme icy, par vneune vray-semblance de raison qui l’au-
thorise: mais la fortune luy à dōnédonné plus de credit en certains
lieux qu’aux autres. Il est aussi dangereux de laisser à leur iu-
gementju-
gement la dispensation & distribution de nostre succession,
selōselon le chois qu’elles ferōtferont des enfans, qui est à tous ⁁ ⁁ les coups les
inique & fantastique. Car cet appetit desreglé & goust ma-
lade, qu’elles ont au temps de leurs groisses, elles l’ōtont en l’ame,
en tout temps. Communement on les void s’adōneradonner aux plus
foibles & malotrus, ou à ceux, si elles en ont, qui leur pen-
dent encores au col. Car n’ayant point assez de force de dis-
cours, pour choisir & embrasser ce qui le vaut, elles se laissent
plus volontiers aller, ou les impressions de nature sont plus
seules & plus apparentes: comme les animaux qui n’ont co-
gnoissance de leurs petits, ny goust de la parenté, que pendātpendant
qu’ils leur pendenttienent à laleur mamelle. Et siAu demeurant il est aisé à voir par ex-
perience, que cette affection naturelle, à qui nous donnons
tant d’authorité, a les racines bien foibles. Pour vnun fort legier
profit nous arrachons tous les ioursjours leurs propres enfans d’en-
tre les bras des meres, & leur faisons prendre les nostres en
charge: nous leur faisons abandonner les leurs à quelque che-
tiueche-
tive nourrisse à qui nous ne voulons pas commettre les no-
stres,
LIVRE SECOND. 3165
stres, ou à quelque cheurechevre,: leur defandant non seulement de
les alaiter, quelque dangier qu’ils en puissent encourir: mais
encore d’en auoiravoir aucun soin, pour s’employer du tout au
seruiceservice des nostres. Et voit on en la plus part d’entre elles, s’ē-
gendreren-
gendrer bien tost par accoustumance vnun’affection bastarde,
plus vehemente que la naturelle, & plus grande sollicitude
de la conseruationconservation des enfans empruntez, q̄que des leurs propres.
Et ce que ij’ay parlé des cheureschevres, c’est d’autātautant qu’il est ordinaire
autour de chez moy de voir les femmes de vilage, lors qu’el-
les ne peuuentpeuvent nourrir les enfans de leurs mamelles, appeller
des cheureschevres à leurs secours: &Et ij’ay à cette heure deux laquays,
qui ne tetterent iamaisjamais que huict ioursjours laict de femme. Ces
cheureschevres sont incontinant duites à venir alaitter ces petits en-
fans, reconoissent leur voix quand ils crient, & y accourent: sSi
on leur en presente vnun autre que leur nourrisson, elles le refu-
sent, & l’enfant en faict de mesmes d’vneune autre cheurechevre. IJ’en
vis vnun l’autre iourjour, à qui on osta la sienne, parce que son pere
ne l’auoitavoit qu’empruntée d’vnun sien voisin, il ne peut iamaisjamais s’a-
donner à l’autre qu’on luy presenta, & mourut sans doute, de
faim. Les bestes alterent & abastardissent aussi aiséement que
nous, l’affection naturelle. ⁁
⁁ IeJe croi qu’en ce que recite
Herodote de certein destroit
de la Lybie, qu’on s’y mesele aus
femes indifferemment: mais
que l’enfant aïant force de
marcher choisit treuuetreuve son
pere celuy uersvers le quel en la
presse la naturelle inclination
le porte ses premiers pas, il y
a plus souuantsouvant errur etdu mesconte
Or à considerer cette simple
occasion d’aymer nos enfans, pour les auoiravoir engendrez, pour
laquelle nous les appellons chair de nostre chair, & os de nos
osautres nous mesmes: il semble qu’il y ait bien vneune autre production venant de
nous, qui ne soit pas de moindre recommandatiōrecommandation. Car ce que
nous engendrons par l’ame, les enfantemens de nostre esprit
& de nostrenostre corage et suffisance, sont produicts par vneune plus noble par-
tie que la corporelle, & sont plus nostres: nous sommes pere
& mere ensemble en cette generatiōgeneration: ceux cy nous coustent
bien plus cher, & nous apportētapportent plus d’honeur, s’ils ont quel-
que chose de bon. Car la valeur de nos autres enfans, est beau-
coup plus leur, q̄que nostre: la part que nous y auonsavons est bien le-
Tt
ESSAIS DE M. DE MONT.
giere: mais de ceux cy, toute la beauté, toute la grace & ex-
cellēcecellencepris est nostre. Par ainsin ils nous representent & nous rap-
portētrap-
portent biēbien plus viuementvivement que les autres. ⁁
⁁ Platon adiouteadjoute que ce sont icy
des enfans immortels qui
immortalisent leurs peres
voire et les deifient come a
Lycurgus comea Solon & a Minos:
Or les Histoires estātestant
pleines d’exemples de cette amitié cōmunecommune des peres enuersenvers
les enfans, il ne m’a pas semblé hors de propos d’en trier aussi
quelcun de cette cy. ⁁
⁁ Heliodorus ce bon
EuesqueEvesque de Tricea
aima mieus perdre
la dignitè le profit
la relligiondeuotiondevotion d’une
chargeprelature si uenerablevenerable
que de perdre sa fille
Fille ⁁ ⁁ qui dure encore bien iantillejantille.
Mais a lauanturel’avanture un
peu attiffee pour une
fille ecclesiastique
pourtant un peu trop
curieusemant etet mollement
attiffeegoderonee pour une fille
ecclesiastique et
d’apparance trop
amoureuseacerdotale
et de trop amoureuse
complexion.façon.
Il y eut vnun Labienus à Rome, personna-
ge de grande valeur & authorité, & entre autres qualitez, ex-
cellent en toute sorte de literature, qui estoit, ce croy-ieje, fils
de ce grādgrand Labienus, le premier des capitaines qui furētfurent soubs
Caesar en la guerre des Gaules, & qui depuis s’estant iettéjetté au
party du grand Pompeius, s’y maintint si valeureusement ius-
quesjus-
ques à ce que Caesar le deffit en Espaigne. Ce Labienus dequoy
ieje parle, eust plusieurs enuieuxenvieux de sa vertu, & cōmecomme il est vray
semblable, les courtisans & fauorisfavoris des Empereurs de son tēpstemps
pour ennemis de sa frāchisefranchise & des humeurs paternelles qu’il
retenoit encore contre la tyrannie, desquelles il est croyable
qu’il auoitavoit teint ses escrits & ses liureslivres. Ses aduersairesadversaires pour-
suiuirentpour-
suivirent deuantdevant le magistrat à Rome, & obtindrent de faire
condānercondamner plusieurs siēssiens ouuragesouvrages qu’il auoitavoit mis en lumiere,
à estre brusleés. Ce fut par luy que commença ce nouuelnouvel exē-
pleexem-
ple de peine, qui dépuis fut continué à Rome à plusieurs au-
tres, de punir de mort les escrits mesmes, & les estudes. Il n’y
auoitavoit point assez de moyen & matiere de cruauté, si nous n’y
meslions des choses mesmes que nature à exemptées de tout
sentiment & de toute souffrance, comme la reputation & les
inuentiōsinventions de nostre esprit: & si nous n’alions cōmuniquercommuniquer les
maux corporels aux disciplines & monumens des Muses. Or
Labienus ne peut souffrir cette perte, ny de suruiuresurvivre à cette
siēnesienne si chere geniture, il se fit porter & enfermer tout vif dāsdans
le monumētmonument de ses ancestres, là où il pourueutpourveut tout d’vnun train
à se tuer & à s’enterrer ensemble. Il est malaisé de mōtrermontrer aucu-
ne autre plus vehemētevehemente affectiōaffection paternelle que celle là. Cassius
LIVRE SECOND. 3166
SeuerusSeverus, homme tres-eloquent & son familier, voyātvoyant brusler
ses liureslivres crioit que par mesme sentence on le deuoitdevoit quant &
quant condamner à estre bruslé tout vif, car il portoit & cō-
seruoitcon-
servoit en sa memoire tout le contenu en iceuxce qu’ils contenoint. Pareil acci-
dent aduintadvint à Greuntius Cordus accusé d’auoiravoir en ses liureslivres
loué Brutus & Cassius. Ce senat vilain, seruileservile, & corrompu,
& digne d’vnun pire maistre que Tibere, condamna ses escripts
au feu: il fut content de faire compaignie à leur mort, & se
tua par abstinence de manger. Le bon Lucanus estant iugéjugé
à mort par ce vilaincoquin de NerōNeron, sur les derniers traits de sa vie,
comme la pluspart du sang fut desiadesja escoulé par les veines des
bras, qu’il s’estoit faictes tailler à son medecin pour mourir, &
que la froideur eut saisi les extremitez de ses mēbresmembres, & com-
mençat à approcher des parties vitales, la derniere chose qu’il
eut en sa memoire, ce furent aucūsaucuns des vers de son liurelivre de la
guerre de Pharsale, qu’il recitoit, & mourut ayātayant cette dernie-
re voix en la bouche. Cela qu’estoit ce qu’vnun tendre & pater-
nel congé qu’il prenoit de ses enfans, representant les a-dieux
& les estroits embrassemens que nous donnons aux nostres
en mourant, & vnun effet de cette naturelle inclinatiōinclination qui r’ap-
pelle en nostre souuenancesouvenance en cette extremité, les choses, que
nous auonsavons eu les plus cheres pendant nostre vie. Pensons
nous qu’Epicurus qui en mourant tourmenté, comme il dit,
des extremes douleurs de la colique, auoitavoit toute sa consolatiōconsolation
en la beauté de sa doctrine qu’il laissoit au monde, eut reçeu
autant de contentement d’vnun nombre d’enfans bien nais &
biēbien esleuezeslevez, s’il en eust eu, comme il faisoit de la productiōproduction de
ses riches escrits? & que s’il eust esté au chois de laisser apres
luy vnun enfant cōtrefaictcontrefaict & mal nay, ou vnun liurelivre sot & inepte,
qu’il ne choisit plustost, & non luy seulement, mais tout hō-
mehon-
me de pareille suffisance, d’encourir le premier mal’heur que
l’autre? Ce seroit à l’aduentureadventure impieté en Sainct Augustin
T t ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
(pour exemple) si d’vnun costé on luy proposoit d’enterrer ses
escrits, dequoy nostre religion reçoit vnun si grand fruit, ou d’ē-
terreren-
terrer ses enfans au cas qu’il en eut, s’il n’aimoit mieux enter-
rer ses enfans. Et ieje ne sçay si ieje n’aimerois pas mieux ⁁ ⁁ beaucoup en auoiravoir
produict vngung parfaictement bien formé, de l’acointance des
muses, que de l’acointance de ma femme. ⁁
⁁ A cetuiciy tel qu’il est ce
que ieje done ieje le done
purement et irreuocablementirrevocablement
come ieon done aus enfans
corporels: ce peu de bien que
ieje luy ai faict il n’est plus
a moy en ma disposition: il
peut sçauoirsçavoir asses de choses
que ieje ne sçai plus, et que ieje n’ai
pouint retenu tenir de moi chosece
que ieje n’ay pouint retenu. et
qu’il faudroit que tout ainsi
qu’un estrangier ieje luyieje ij’em=
pruntasse si ij’en auoisavois fautede luy si
besouin m’en uenoitvenoit. Il est
plus riche que moy: si ieje
suis plus sage que luy
Il est peu d’hōmeshommes
amoureux de laadonez a la poësie, qui ne se gratifiassent, plus, d’estre pe-
res de l’Eneide que du plus beau garçon de FranceRome: & qui ne
souffrissent plus aiséement l’vneune perte que l’autre. ⁁
⁁ Car selon
Aristote de
tous les
ouuriersouvriers le
poëte est lenomeement est le
plus amoureus
de son ouurageouvrage
Il est mal-
aisé à croire qu’Epaminondas qui se vantoit de laisser pour
toute posterité des filles qui feroyent vnun iourjour honneur à leur
pere (c’estoyent les deux nobles victoires qu’il auoitavoit gaigné
sur les Lacedemoniens) eust volontiers consenty à échanger
celles la, aux mieux nées & mieux coifféesplus plus gorgiases de toute la Grece:
ou que Alexandre & Caesar ayent iamaisjamais souhaité d’estre pri-
uezpri-
vez de la grandeur de leurs glorieux faicts de guerre, pour la
commodité d’auoiravoir des enfans & heritiers, quelques parfaits
& accompliz qu’ils peussent estre: voire ieje fay grand doubte
que Phidias ou autre excellent statuere, aymat autant la con-
seruationcon-
servation & la durée de ses enfans naturels, comme il feroit
d’vneune image excellēteexcellente, qu’auecavec long trauailtravail & estude il auroit
parfaite selon l’art. Et quant à ces passions vitieuses & furieu-
ses, qui ont eschauffé quelque fois les peres à l’amour de leurs
filles, ou les meres enuersenvers leurs fils, encore s’en trouuetrouve il de pa-
reilles en cette autre sorte de parētéparenté: tesmoing ce que les Poë-
teslonl’on recitent de Pygmalion, qu’i ayant basty vneune statue de fem-
me de beauté singuliere, ilil deuintdevint si éperduement espris de l’a-
mour forcené de ce sien ouurageouvrage, qu’il falut, qu’en faueurfaveur de
sa rage les dieux là luy viuifiassentvivifiassent.,
Tentatum mollescit ebur positóque rigore
Jubsedit digitis.
LIVRE SECOND. 3167
Des armes des Parthes.
CHAP. IX.
C’EST vneune façōfaçon vitieuse de la noblesse de nostre tēpstemps,
& pleine de mollesse, de ne prendre les armes que sur
le point d’vneune extreme necessité, & s’en descharger
aussi tost qu’il y à tant soit peu d’apparence, que le dāgerdanger soit
esloigné:⁁
⁁ : VnUn antien(Tite-LiueLive parlant
des nousnostres: intolerantissima
laboris corpora uix arma
humeris gerebant:)
d’D’où il suruientsurvient plusieurs desordres: cCar chacun criātcriant
& courant à ses armes, sur le point de la charge, les vnsuns sont à
lasser encore leur cuirasse, que leurs compaignons sont desiadesja
rompus. Nos peres donnoient leur salade, leur lance, & leurs
gantelets à porter, & n’abandonnoient le reste de leur equip-
page, tant que la couruéecourvée duroit. Nos trouppes sont à cette
heure toutes troublées & difformees par la confusion du ba-
gage & des valets, qui ne peuuentpeuvent esloigner leurs maistres, à
cause de leurs armes. ⁁
⁁: Tite-Liue parlant des
nostres Intolerantissima
laboris corpora uix
arma humeris gerebant
Plusieurs nations vont encore & alloiētalloient
anciennemētanciennement à la guerre sans se couurircouvrir,: dD’autresou se couuroiētcouvroient
de vaines armes.,’inutiles defances.
Tegmina quaeis capitum raptus de subere cortex.
AlexādreAlexandre le plus hazardeux capitaine qui fut iamaisjamais, s’armoit
fort rarement, &Et ceux d’entre nous qui les mesprisent n’em-
pirent pour cela de guiere leur marché. S’il se voit quelqu’vnun
tué par le defaut d’vnun harnois, il n’en est guiere moindre nom-
bre, que l’empeschement des armes, à fait perdre, engagés sous
leur pesanteur, où froissez & rompus, où par vnun cōtrecontre-coup,
où autrement. Car il semble, à la verité, à voir la chargele pois des
nostres & leur espesseur, que nous ne cherchons qu’à nous
deffendre & mettre à couuertcouvert.en somes plus chargez que couuerscouvers. Nous auonsavons assez à faire à en
soustenir le fais, sans nous empescher à autre chose, entrauezentravez
& contraints sans mouuementmouvement & sans disposition, comme si
nous n’auiōsavions à combattre que du choq de la pesanteur de nos
armes: &Et comme si nous n’auiōsavions pareille obligation à ⁁ ⁁ les deffen-
Tt iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
dre nos armes, commeque elles ont à nous. deffendre.⁁
⁁ honerati magis his
quam tecti.
Tacitus
peint plaisamment certaine sorte des gens de guerre de nos an-
ciens Gaulois, ainsin armez & couuertscouverts, pour se maintenir
seulement, n’ayans moyen ny d’offencer, ny d’estre offencez,
ny de se releuerrelever abbatus. Lucullus ayant recogneuuoiantvoiant certains
hommes d’armes Medois, qui faisoient front en l’armée de
Tigranes, poisamment & malaiséement armez, comme dans
vneune prison de fer, print de là opinion de les deffaire aiséement,
& par eux commença sa charge & sa victoire. Et à present que
nos mosquetaires sont en credit, ieje croy que l’ōon trouueratrouvera quel-
que inuentioninvention de nosnous emmurer pour nous en garētirgarentir, & nous
faire trainer à la guerre enfermez dans des bastions, comme
ceux que les Romainsantiens faisoient porter à leurs elephans. Cette
humeur est bien esloignée de celle deu ⁁ ⁁ iunejune Scipion surnommé AE-
milianus, lequel accusa aigrement ses soldats, de ce qu’ils a-
uoienta-
voient semé des chausse-trapes soubs l’eau à l’ēdroitendroit du fossé,
par où ceux d’vneune ville qu’il assiegeoit, pouuoientpouvoient faire des
sorties sur luy: disant que ceux qui assailloient, deuoientdevoient pen-
ser à entreprendre non pas à craindre.: ⁁ ⁁ et creignant aueqaveq raison que cette prouisionprovision endormit leur uigilācevigilance a se garder Il dict aussi à vnun ieunejeune
homme, qui luy faisoit montre de son beau bouclier, il est
vrayement beau, mon fils, mais vnun soldat Romain doit auoiravoir
plus de fiance en sa main dextre, qu’en la gauche. Or il n’est
que la coustume, qui nous rende insupportable la charge de
nos armes.
L’husbergo in dosso haueano, & l’elmo in testa,
Dui di quelli guerrier de i quali io canto.
Ne notte o di doppo qu’entraro in questa
Stanza, gli haueanò mai mesi da canto,
Che facile à portar comme la vesta
Era lor, perche in vso l’auean tanto. ⁁
⁁ LemperurL’emperur Carca
Caracalla aloit par
païs a pied arme de
toutes pieces cōdui=
santcondui=
sant son armee.
Les gens de piedpietons Romains, portoient non seulement le mor-
rion, l’espée, & l’escu: car quātquant aux armes, dit Cicero, ils estoiētestoient
si accoustumez à les porterauoiravoir sur le dos, qu’elles ne les empeschoient non
LIVRE SECOND. 3168
plus que leurs membres: ⁁
⁁ armea enim membra
militis esse dicunt.
mais quant & quant encore, ce qu’il
leur falloit de viuresvivres, pour quinze ioursjours, & certaine quan-
tité de paux pour faire leurs rempars, iusquesjusques à soixante liureslivres
de poix. Et les soldats de Marius ainsi chargez, marchant en
bataille, estoient duits à faire cinq lieues en cinq heures, & six
s’il y auoitavoit haste. ⁁ Leur discipline militaire estoit beaucoup
plus rude & plus austere que la nostre: aussi produisoit elle de
bien autres effects. Ce traict est merueilleuxmerveilleux à ce propos, qu’il
fut reproché à vnun soldat Lacedemonien, qu’estant à l’expedi-
tion d’vneune guerre, on l’auoitavoit veu soubs le couuertcouvert d’vneune mai-
son: iIls estoient si durcis à la peine, que c’estoit honte d’estre
veu soubs vnun autre toict que celuy du ciel, quelque tēpstemps qu’il
fit. ⁁
⁁ Le ieunejeune Scipion
reformant son
armee en Hespaigne
ordona a ses soldats
de ne manger que
debout et rien quide
futde cuit.
Nous ne menerions guiere loing nos gens à ce pris là. Au
demeurant Marcellinus, homme nourry aux guerres Romai-
nes, remerque curieusement la façon que les Parthes auoyentavoyent
de s’armer, & la remerque d’autant qu’elle estoit esloignée de
la Romaine. Or par ce qu’elle me semble bien fort approchā-
teapprochan-
te de la nostre, ij’ay voulu retirer ce passage de son autheur,
ayant pris autresfois la peine de dire bien amplement, ce que
ieje sçauoissçavois sur la comparaison de nos armes, aux armes Romai-
nes: mais ce lopin de mes brouillars m’ayant esté desrobé a-
ueca-
vec plusieurs autres, par vnun homme qui me seruoitservoit, ieje ne le
priueraypriveray point du profit, qu’il en espere faire: aussi me seroit-
il bien malaisé de remascher deux fois vneune mesme viande. Ils
auoientavoient, dit-il, des armes tissuës en maniere de petites plumes,
qui n’empeschoient pas le mouuementmouvement de leur corps: & si e-
stoient si fortes que nos dards reialissoientrejalissoient venant à les hur-
ter (ce sont les escailles, dequoy nos ancestres auoientavoient fort ac-
coustumé de se seruirservir) &Et en vnun autre lieu. Ils auoientavoient, dict-il,
leurs cheuauxchevaux forts & roydes, couuertscouverts de gros cuir, & eux e-
stoient armez de cap à pied, de grosses lames de fer, rengées de
tel artifice, qu’à l’endroit des iointuresjointures des membres elles pre-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
stoient au mouuementmouvement. On eust dict que c’estoient des hom-
mes de fer: car ils auoientavoient des accoustremēsaccoustremens de teste si propre-
ment assis, & representans au naturel la forme & parties du vi-
sage, qu’il n’y auoitavoit moyen de les assener que par des petits
trous ronds, qui respondoient à leurs yeux, leur donnant vnun
peu de lumiere, & par des fentes, qui estoient à l’endroict des
naseaux, par où ils prenoient assez malaisément halaine,
Flexilis inductis animatur lamina membris,
Horribilis visu, credas simulachra moueri
Ferrea, cognatóque viros spirare metallo.
Par vestitus equis, ferrata fronte minantur,
Ferratósque mouent securi vulneris armos.
Voila vneune description, qui retire bien fort à l’equippage d’vnun
homme d’armes François, à tout ses bardes. IeJe veus dire enco-
re ce mot pour la fin: Plutarque dit que Demetrius fit faire
pour luy, & pour Alcinus, le premier homme de guerre qui
fut aupres de luy, à chacun vnun harnois complet du poids de
six vingts liureslivres, là où les communs harnois n’en pesoient que
soixante.
Des LiuresLivres. CHAP. X.
IEJE ne fay point de doute, qu’il ne m’aduienneadvienne souuentsouvent
de parler de choses, qui sont ailleurs plus richementmieus
traictées, chez les maistres du mestier, & plus verita-
blement. C’est icy purement l’essay de mes facultez naturel-
les, & nullement des acquises: & qui me surprēdrasurprendra d’ignoran-
ce, il ne fera rien contre moy: car à peine respondroy-ieje à au-
truy de mes discours, qui ne m’en responds point à moy-:mes-
me, ny n’en suis satisfaict. Qui sera en cherche de science, si la
cherchepesche où elle se loge: il n’est rien dequoy ieje face moins de
profession. Ce sont icy mes fantaisies, par lesquelles ieje ne tas-
che point à donner à connoistre les choses, mais moy: elles
me
LIVRE SECOND. 5169
me seront à l’aduentureadventure connuez vnun iourjour, ou l’ont autresfois
esté, selon que la fortune m’a peu porter, sur les lieux, où elles
estoient esclaircies. Mais ij’ay vneune memoire, qui n’a point de-
quoy conseruerconserver trois ioursjours la munition, que ieje luy auray don-
né en garde.il ne m’en souuientsouvient plus.
Et si ieje suis home de quelque leçon ieje suis home de nulle retention. Ainsi ieje ne pleuuypleuvy aucune certitude, si ce n’est de
faire connoistre ce que ieje pense.,
Excutienda damus praecordia.
& iusquesjusques à quel poinct monte pour cette heure, la connois-
sance, que ij’ay de ce, dequoy ieje traitteij’en ay.. Qu’on ne s’attēdeattende pointpas
aux choses, dequoy ieje parlematieres, mais à mala façon d’en parilerque de les manier ij’y done. & à la
ma creance que ij’en ay.mes fantasies ⁁
⁁
La part principale
que ieje pretans icy c’est
raisoner et iugerjugerdeuiserdeviser, plaider: Et
faire uoirvoirQu’on uoïevoïe en ce que
ij’emprunte si ij’ai sceu
choisir chosede quioi
rehausser et releuerrelever
mon propos. Car ieje fois
dire aus autres ce
que ieje ne puis si bien
dire: tTantost par
foiblesse de mon
langage tantost par
foiblesse de mon sens. et
faire uoirvoir si ij’ay sceu
choisir chose qui
ioignitjoignit bien iustementjustement
a mon propos. IeJe ne
conte pas mes emprunts
ieje les poise. Et si ieje les
eusse uoluvolu faire ualoirvaloir
par nombre ieje m’en
fusse chargé deus fois
autant: Ils sont tous
ou fontfort peu s’en faut
de noms si fameus &
antiens, qu’ils me
semblent se nomer
asses sans moi. Es
raisons et inuantionsinvantions
estrangieres quie ieje
transporlāante en maon sol
languesolage et confons aus
mienes ij’ai curieu=
sement euiteevite a esciant
ommis souuantsouvantparfois d’en
merquer lautheurl’autheur
pour une fin utilletelle
Qui C’est tenir en
bride la temerite
de ces sentances hastiueshastives squi se iettentjettent sur toute sorte d’escris: notemment
iunesjunes escris d’homes encore uiuansvivans: et en uulguerevulguere: qui reçoit tout le monde a
en parler et qui semble accuserconueincreconveincre la conception et le dessein, uulguerevulguere de mesmes.
IeJe ueusveus qu’ils donent une nasarde a PlutonarquePluton pour Platon ? sur mon nez: et qu’ils s’eschaudent
a iniurierinjurier Ciceron ou AristoteSeneque en moi. Il faut musser ma foiblesse sous ces grands
credits. En treuuetreuve ieje ⁁ ⁁ un iourjour IaymeraiJ’aymerai quelcun qui me sache trier et desplumer. IeJe dis par clarté
de iugementjugement de la beau etet par la sule distinction de la force et beauté des propos: Car moi
qui a faute de memoire demure court tous les coups a les distinguertrier par conoissance
de nation, sçai tresbien sentir a rec mesurer le trein de mes alluresma portee que mon terroir
n’est aucunemātaucunemant capable de tel fruit: et uois des traicttz sque ieje ne saurois païer de
tout mon uaillantvaillant semez ches moi. IeJe ne sçai pas doud’ou ils uienentvienent mais
d’aucunes flurs trop riches semees que ij’y
trouuetrouve semées, & que tous les fruicts de mon creu ne les sçauroient payer.
Ce q̄que ieje desrobe d’autruy, ce n’est pas pour
le faire mien, ieje ne pretēspretens icy nulle part, que celle de raisonner
& de iugerjuger: le demeurant n’est pas de mon rolle. IeJe n’y deman-
de rien, sinōsinon qu’on voie si ij’ay sceu choisir ce, qui ioignoitjoignoit iu-
stementju-
stement à mon propos. Et ce que ieje cache par fois le nom de
l’autheur à escient és choses que ij’emprūteemprunte, c’est pour tenir en
bride la legereté de ceux, qui s’entremettent de iugerjuger de tout
ce qui se presente, & n’ayans pas le nez capable, de gouster les
choses par elles mesmes, s’arrestent au nom de l’ouurierouvrier & à
son credit. IeJe veux qu’ils s’eschaudent à condamner CicerōCiceron ou
Aristote en moy. De cecy suis-ieje tenu de respōdrerespondre, si ieje m’em-
pesche moymesme, s’il y à de la vanité & vice en mes discours,
que ieje ne sente poinct, ou que ieje ne soye capable de sentir en
me le representātrepresentant. Car il eschape souuētsouvent des fautes à nos yeux,
mais la maladie du iugemētjugement consiste à ne les pouuoirpouvoir aperce-
uoiraperce-
voir, lorsqu’on les offre à sa veuëun autre nous les descouuredescouvre. La sciēcescience & la verité, peuuētpeuvent
loger chez nous sans iugemētjugement, & le iugemētjugement y peut aussi estre
sans elles: voire la recōnoissancereconnoissance de l’ignorāceignorance est, l’vnun des plus
beaux & plus seurs tesmoignages de iugementjugement que ieje trouuetrouve.
IeJe n’ay point d’autre sergent de bande, à rāgerranger mes pieces, que
la fortune. A mesme que mes resueriesresveries se presentent, ieje les en-
tasse: tantost elles se pressent en foule, tantost elles se trainent
Vu
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à la file. IeJe veux qu’on voye mon pas naturel & ordinaire
ainsin detraqué qu’il est. IeJe me laisse aller comme ieje me trou-
uetrou-
ve. Aussi ne sont ce pas icy matieres, qu’il ne soit pas permis
d’ignorer, & d’en parler casuellement & temerairement. IeJe
souhaiterois bien auoiravoir plus parfaicte intelligence des cho-
ses, mais ieje ne la veux pas achepter si cher qu’elle couste. Mon
dessein est de passer doucement, & non laborieusemētlaborieusement ce qui
me reste de vie. Il n’est rien pourquoy ieje me vueille rompre la
teste, non pas pour la sciencee mesme, de quelque grand pris
qu’elle soit. IeJe ne cherche aux liureslivres qu’a my donner du plaisir
par vnun honneste amusement: où si ij’estudie, ieje n’y cherche que
la science, qui traicte de la connoissance de moy mesmes, &
qui m’instruise à bien mourir & à bien viurevivre.,
Has meus ad metas sudet oportet equus.
Les difficultez, si ij’en rencontre en lisant, ieje n’en ronge pas mes
ongles: iIejJe les laisse là: apres leur auoiravoir fait vneune charge ou deux.
Si ieje m’y plantois, ieje m’y perdrois, & le temps: car ij’ay vnun esprit
primsautier: cCe que ieje ne voy de la premiere charge, ieje le voy
moins en m’y obstinant. IeJe ne fay rien sans gayeté: &Et la con-
tinuation ⁁ et la cōtantioncontantion trop ferme esbloüit mon iugementjugement, l’attriste, & le lasse: ⁁
⁁ Ma ueueveue s’y esparpilleconfont
et s’y dissipe. Mon
esprit pressé se iettejette
au rouet.
iIl faut
que ieje le retire, & que ieje l’y remette à secousses: tTout ainsi que
pour iugerjuger du lustre de l’escarlatte, on nous ordonne de pas-
ser les yeux pardessus, en courantla parcourant à diuersesdiverses veuës, soudaines
reprinses, & reiterées. Si ce liurelivre me fasche, ij’en prens vnun autre,:
& ne m’y addonne qu’aux heures, ou l’ennuy de rien faire cō-
mencecon-
mence à me saisir. IeJe ne me prens guiere aux nouueauxnouveaux, pour
ce que les anciens me semblent plus tenduspleins & plus roides: ny
aux Grecs, par ce que mon iugementjugement ne se satisfaict passçait pas faire ses besouignes d’vneune
moyennepuerile et aprantisse intelligence. Entre les liureslivres simplement plaisans,
ieje trouuetrouve des modernes, le DecamerōDecameron de Boccace, Rabelays,
& les baisers de Iean second, s’il les faut loger sous ce tiltre: &
des siecles vnun peu au dessus du nostre, l’histoire AEthiopique
LIVRE SECOND. 3170
dignes qu’ōon s’y amuse. Quant aux Amadis & telles sortes d’es-
crits, ils n’ont pas eu le credit d’arrester seulement mon enfan-
ce. IeJe diray encore cecy, ou hardiment, ou temerairemēttemerairement, que
cette vieille ame poisante, ne se laisse plus chatouiller, non seu-
lement à l’Arioste, mais encores au bon OuideOvide: sa facilité, &
ses inuentionsinventions, qui m’ont rauyravy autresfois, à peine m’entretien-
nent elles à cette heure. IeJe dy librement mon aduisadvis de toutes
choses, voire & de celles qui surpassent à l’aduentureadventure ma suffi-
sance, & que ieje ne tiens aucunemētaucunement estre de ma iurisdictiōjurisdiction. Ce
que ij’en opine, ce n’’est pas aussi pour establirdeclarer la grandeur &mesure de ma ueueveue, non la
mesure des choses,. mais pour faire connoistre la mesure &
force de ma veuë. Quand ieje me trouuetrouve dégousté de l’Axio-
che de Platon, comme d’vnun ouurageouvrage sans nerfs, & sans force,
eu esgard à vnun tel autheur, mon iugementjugement ne s’en croit pas: il
n’est pas si vainsot, de s’opposer à l’authorité de tant d’autres
meilleurs iugemensjugemens, ny ne se donne temerairement la loy de
les pouuoirpouvoir accuserfameus iugementsjugements antiens: qu’il tient ses regens & ses maistres: et aueqaveq lesquels il est
plus tost content de faillir: iIl s’en prend à soy:-mesmes, & se condam-
ne, où de s’arrester à l’escorce, ne pouuantpouvant penetrer iusquesjusques au
fons,: ou de regarder la chose par quelque faux lustre: iJIl se cō-
tentecon-
tente de se garentir seulement du trouble & du desreiglemētdesreiglement.:
Quantquant à sa foiblesse il la reconnoit, & aduoüeadvoüe volontiers. Il
pense donner iustejuste interpretation aux apparences, que son
apprehensionsa conception luy presente,: mais elles sont imbecilles & im-
parfaictes. La plus part des fables d’Esope, ont plusieurs sens
& intelligences: ceux qui les mythologisent en choisissent
quelque visage, qui quadre bien à la fable, mais pour la plus-
part, ce n’est q̄que le premier visage & superficiel: il y en a d’autres
plus vifs, plus essentiels & internes, ausquels ils n’ōtont sçeu pene-
trer: voyla cōmecomme ij’ēen fay. Mais pour suyuresuyvre ma route, il m’a tou
siourstou
sjours semblé, qu’en la poësie, Vergile, Lucrece, Catulle, &
Horace, tiennent de bien loing le premier rang: & notam-
mentsignemmant Vergile en ses Georgiques, que ij’estime le plus plein &
Vu ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
accomply ouurageouvrage de la Poësie: àA la comparaison duquel on
peut reconnoistre aysément qu’il y à des endroicts de l’AEnei-
de, ausquels l’autheur eut donné encore quelque tour de pi-
gne, s’il en eut eu loisir: & le cinquiesme liurelivre en l’AEneide me
semble le plus parfaict. IJ’ayme aussi Lucain, & le practique
volontiers,: non tant pour son stile, que pour sa valeur pro-
pre, & verité de ses opinions & iugemensjugemens. Quant au bon Te-
rence, la mignardise, & les graces du langage Latin, ieje le trou-
uetrou-
ve admirable à representer au vif, les mouuemensmouvemens de l’ame, &
la condition de nos meurs: ⁁
⁁ a toute heure nos
actions me reiettentrejettent
a luy.
iIejJe ne le puis lire si souuentsouvent que ieje n’y
trouuetrouve quelque beauté & grace nouuellenouvelle. Ceux des tēpstemps voi-
sins à Vergile se plaignoient, dequoy aucuns luy comparoiētcomparoient
Lucrece. IeJe suis d’opinion, que c’est à la verité vneune comparai-
son inegale,: mais ij’ay bien à faire à me r’asseurer en cette creā-
cecrean-
ce, quand ieje me treuuetreuve attaché à quelque beau lieu de ceux
de Lucrece. S’ils se piquoient de cette cōparaisoncomparaison, que diroiētdiroient
ils de la bestise & stupidité barbaresque, de ceux qui luy cōpa-
rētcompa-
rent à cette heure Arioste? & qu’en diroit Arioste luy-mesme.
O seclum insipiens & infacetum.
IJ’estime que les anciens, auoientavoient encore plus à se plaindre de
ceux qui comparoientapparioint Plaute à Terence (cettuy cy sent bien
plus aumieus son Gentil-homme) que de la comparaison de Lucrece à
Vergile. ⁁ Pour l’estimation ⁁ ⁁ et preferance de Terence, ⁁
⁁ faict beaucoup, que
le pere de leloquancel’eloquance
romeine l’a si souuantsouvant
en la bouche au pet plus au dessus
de que tout autre de
son ranc. Il quasiet le sul
de son ranc Et prouuantprouvant
l’opinion la sentance duqu’e en done
le premier iugejuge des poëtes
romeins done de son
compaignon. Il
il m’est souuentsouvent tom-
bé en fantasie, comme en nostre temps, ceux qui se me-
slent de faire des comedies (commeainsi que les Italiens, qui y sont
assez heureux) employent trois ou quatre argumens de celles
de Terence, ou de Plaute, pour en faire vneune des leurs. Ils entas-
sent en vneune seule Comedie, cinq ou six contes de Boccace. Ce
qui les faict ainsi se charger de matiere, c’est la deffiance, qu’ils
ont de se pouuoirpouvoir soustenir de leurs propres graces, il faut
qu’ils trouuenttrouvent vnun corps, ou s’appuyer, & n’ayant pas du leur
assez dequoy nous arrester, ils veulent que le cōteconte nous amuse.
LIVRE SECOND. 3171
Il en va de mon autheur tout au contraire: les perfections
& beautez de sa façon de dire nous font perdre le goust’appetit de
son subiectsubject.: Ssa gentillesse & sa mignardise nous arrestentretienent par
tout.: Iil est par tout si plaisant,
liquidus puróque stimillimus amni,
& nous remplit tant l’ame de ses graces, que nous fuyons la
finen oblions celles de son Histoiresa fable/sa fable/. Cette mesme consideration me tire plus
auantavant. IeJe voy que les bons & anciens Poëtes ont euitéevité l’affe-
ctatiōaffe-
ctation & la recherche, non seulement des fantastiques eleua-
tionseleva-
tions Espagnoles & Petrarchistes, mais des pointes mesmes
plus douces & plus retenues, qui sont l’ornement de tous les
ouuragesouvrages Poëtiques des siecles suyuanssuyvans. Si n’y à il bon iugejuge
qui les trouuetrouve à dire en ces anciens, & qui n’admire plus sans
comparaison, l’egale polissure & cette perpetuelle douceur &
beauté fleurissancte des Epigrammes de Catulle, que tous les
esguillons, dequoy Martial esguise la queuë des siens. C’est
cette mesme raison q̄que ieje disoy tātosttantost, cōmecomme dit Martial de soy,
minus illi ingenio laborandum fuit, in cuius locūlocum materia successerat.
Ces premiers la, sans s’esmouuoiresmouvoir & sans se picquer, se font as-
sez sentir: ils ont dequoy rire par tout, il ne faut pas qu’ils se
chatouillent: ceux-cy ont besoing de secours estrangier: à
mesure qu’ils ont moins d’esprit, il leur faut plus de corps: ils
montent à cheualcheval par ce qu’ils ne peuuentpeuvent aller à pied.sont asses forts sur leur pie iambesjambes. Tout
ainsi qu’en la danse & en nos bals, ij’ay remerqué, que ces
hommes de vile condition, qui en tiennent escole, pour ne
pouuoirpouvoir representer le port & la decence de nostre noblesse,
en recompense de cette grace, qu’ils ne peuuentpeuvent imiter, cher-
chent à se recōmanderrecommander par des sauts perilleux & autres mou-
uemensmou-
vemens estranges & báteleresques. Et les Dames ont meilleur
marché de leur grace & contenācecontenance, aux danses, où il y à diuer-
sesdiver-
ses descoupeures & agitation de corps, qu’en certains autres ⁁ ⁁ sulement danses
V u iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
bals de parade, où elles n’ont simplement qu’à marcher vnun
pas naturel, & representer vnun port naïf & ⁁ ⁁ leur grace ordinaire. Et cCōmecComme
ij’ay veu aussi les badins excellēsexcellens ioüantjoüant leur rolle, vestus à leur
ordinaire & d’vneune contenance commune, nous donner tout
le plaisir qui se peut tirer de gens de leur metierart: les apprētifsapprentifs
& qui ne sont de si haute leçon, il faut qu’ilsauoiravoir besoin de s’enfarinentr le
visage, il leur faut trouuertrouver des vestemens ridicules,de se trauestirtravestir en et se ⁁ ⁁ contrefaire en des mou-
uemensmou-
vemens & des grimaces ⁁ ⁁ sauuagessauvages, pour nous aprester à rire. Cette miē-
mien-
ne conception se reconnoit mieux qu’en toute autre lieu, en
la comparaison de l’AEneide & du Furieux. Celuy-là on le
voit aller à tire d’aisle, d’vnun vol haut & ferme, suyuātsuyvant tousiourstousjours
sa pointe: cettuy-cy voleter & sauteler de conte en conte, cō-
mecom-
me de branche en branche ne se fiātfiant à ses aisles, que pour vneune
bien courte trauersetraverse, & prēdreprendre pied à chasque bout de chāpchamp,
de peur que l’haleine & la force luy faille,
Excursúsque breues tentat.
Voyla donc quant à cette sorte de subiectssubjects, les autheurs qui
me plaisent le plus. Quant à mon autre leçōleçon, qui mesle vnun peu
plus de fruit au plaisir, par où ij’apprēsapprens à renger mes humeurs
& mes conditions, les liureslivres qui m’y seruentservent plus ordinaire-
ment, c’est Plutarque, dépuis qu’il est François, & Seneque.
Ils ont tous deux cette notable commodité pour mon hu-
meur, que la science que ij’y cherche, elle y est traictée à pieces
décousues, qui ne demandent pas l’obligation d’vnun long tra-
uailtra-
vail, dequoy ieje suis incapable, cōmecomme sont les Opusculules de
Plutarque & les Epistres de Seneque, qui est la plus belle par-
tie de ses escrits & la plus profitable. Il ne faut pas grande en-
treprinse pour m’y mettre, & les quitte ou il me plait. Car el-
les n’ont point de suite des vnesunes aux autres. IJ’ayme en gene-
ral les liureslivres qui vsentusent des sciences, non ceux qui les dressent.
Ces autheurs ont beaucoup de similitude d’opinions,se rencontrent en la plus part des opinions utilles et uraïesvraïes: com-
me aussi, leur fortune les fit naistre enuironenviron mesme siecle, tous
LIVRE SECOND. 3172
deux precepteurs de deux Empereurs Romains, tous deux
venus de païs estrangier, tous deux riches & puissans. Leurs
creances sont des meilleuresinstruction est de la cresme de toute la philosophie, & trai-
ctéespresantee d’vneune simple façon & pertinente. Plutarque est plus v-
niformeu-
niforme & constant, Seneque plus ondoyant & diuersdivers. Cet-
tuy-cy se peine, se roidit & se tend pour armer la vertu contre
la foiblesse, la crainte, & les vitieux appetis: l’autre semble n’e-
stimer pas tant leur effort, & d’esdaigner d’en haster son pas
& se mettre sur sa targue. Plutarque à les opiniōsopinions Platoniq̄sPlatoniques,
douces, & accōmodablesaccommodables à la societé ciuilecivile: l’autre les à Stoï-
ques & Epicurienes, plus esloignées de l’vsageusage commun, mais
selon moy, plus commodes ⁁ ⁁ en particulier, & plus fermes. Il paroit en Sene-
que qu’il preste vnun peu à la tyrannie des Empereurs de son
temps,: car ieje tiens pour certain, que c’est d’vnun iugementjugement for-
cé qu’il condamne la cause de ces genereux meurtriers de Cae-
sar,: Plutarque est libre par tout. Seneque est plein de pointes
& saillies, Plutarque de choses. Celuy là vous eschauffe plus, &
vous esmeut,: cettuy-cy vous contente dauantagedavantage, & vous
paye mieux,: il nous guide, l’autre nous pousse. Quant à Cice-
ro, les ouuragesouvrages, qui me peuuentpeuvent seruirservir chez luy à mon des-
seing, ce sont ceux qui traitent des meurs & regles de nostre
vie.la philosophie signammant morale. Mais à confesser hardiment la verite (car puis qu’on à frā-
chifran-
chi les barrieres de l’impudence, il n’y à plus de bride) sa façōfaçon
d’escrire me semble lasche & ennuyeuse, & toute autre pareil-
le façon. Car ses prefaces, digressions, definitions, partitions,
etymologies, consument la plus part de son ouurageouvrage. Ce qu’il
y à de vif & de mouelle, est estouffé par lases longueurries de ses ’ap-
prets. Si ij’ay employé vneune heure à le lire, qui est beaucoup
pour moy, & que ieje r’amentoiuer’amentoive ce que ij’en ay tiré de suc &
de substance, la plus part du temps ieje n’y treuuetreuve que du vent:
car il n’est pas encor venu aux argumens, qui seruentservent à son
propos, & aux raisons qui touchent proprement le neud que
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ieje cherche. Pour moy, qui ne demande que ’à deuenirdevenir plus sa-
ge, non plus sçauantsçavant,⁁ ⁁ ou eloquant, ces ordonnances logiciennes & Aristo-
teliques ne sont pas à propos. IJije veux qu’on vienne soudain
aucomance par le dernier point: ij’entens assez que c’est que mort, & volupté, qu’on
ne s’amuse pas à les anatomizer. IJije cherche des raisons bōnesbonnes
& fermes d’arriuéearrivée, qui m’instruisent à en soustenir l’effort.
Ny les subtilitez grammairiennes, ny l’ingenieuse contextu-
re de parolles & d’argumentations n’y seruētservent: ieje veux des dis-
cours qui donnent la premiere charge dans le plus fort du
doubte: les siens languissent autour du pot. Ils sont bōsbons pour
l’escole, pour le barreau, & pour le sermon, ou nous auōsavons loi-
sir de sommeiller:, & sommes encores vnun quart d’heure apres,
assez à temps pour rencontrer le fil du propos. Il est besoin
de parler ainsin aux iugesjuges, qu’ōon veut gaigner à tort ou à droit,
aux enfans, & au vulgaire. a qui il faut tout dire: uoirvoir ce qui portera. IeJe ne veux pas qu’on s’employe le
temps à me rendre attantif, & qu’on me crie cinquante fois,
Or oyez, à la mode de nos Heraux. Les Romains disoyent en
leur Religion, Hoc age: ⁁
⁁ que nous disons en
la nostre, sursum
corda:
ce sont autātautant de parolles perdues pour
moy. IJ’y viens tout preparé des ledu logis: il ne me faut point
d’alechement, ny de sause: ieje menge bien la viande toute crue
& au lieu de m’eguiser l’apetit par ces preparatoires & auantavant-
ieuxjeux, on me le lasse & affadit. ⁁
⁁ La licence du temps m’excusera
elle de cette sacrilege audace
d’estimer ennuyeus etaussi treinans
les dialogismes de Platon
mesmes: et estouffans par trop
sa matiere. Mon ignorance
m’excusera mieus ne uoyantvoyant
rien en la beauté de son langage
Et de pleindre le temps qu’ile
met a ces longues interlocu=
tions uainesvaines et preparatoïres
vnun home qui auoitavoit tant de
meillures choses a dire.
Mon ignorance m’excusera
mieus: sur ce que ieje ne uoisvois
rien en la beaute de son langage.
IeJe demande en general
les liureslivres qui usent des
sciances, non ceus qui
les dressent.
Les deux premiers & Pline, &
leurs semblables, ils n’ont point de, hoc age, ils veulent auoiravoir à
faire à gens qui s’en soyētsoyent aduertisadvertis eux mesmes: où s’ils en ont,
c’est vnun, hoc age, substātielsubstantiel, & qui à son corps à part. IeJe voy aus-
si volontiers sesles Epitres & notamment celles ad Atticum,: non
seulement par ce qu’elles contiennent vneune tresample instru-
ction de l’Histoire & affaires de son temps:, mais beaucoup
plus pour y descouurirdescouvrir ses humeurs priuéesprivées. Car ij’ay vneune sin-
guliere curiosité, comme ij’ay dit ailleurs, de connoistre l’ame
& les internesnaïfs iugemensjugemens de mes autheurs. Il faut bien iugerjuger
leur suffisance, mais non pas leurs meurs, ny leurs opinionseus
nayfuesnayfves
LIVRE SECOND. 3173
nayfuesnayfves, par cette montre de leurs escris, qu’ils étalētétalent au thea-
tre du monde. IJ’ay mille fois regretté, que nous ayons perdu
le liurelivre, que Brutus auoitavoit escrit de la vertu:, car il faict beau
apprendre la Ttheorique de ceux, qui sçauentsçavent bien la practi-
que. Mais d’autātautant que c’est autre chose le presche, que le pres-
cheur,: ij’ayme bien autant voir Brutus chez Plutarque, que
chez luy mesme. IeJe choisiroy plutost de sçauoirsçavoir au vray les
deuisdevis, que Brutus’il tenoit en sa tente à quelqu’vnun de ses priuezprivez
amis la veille d’vneune bataille, que les propos qu’il tint le lende-
main à son armée: & ce qu’il faisoit en son cabinet & en sa
chambre, que ce qu’il faisoit emmy la place & au Senat. QuātQuant
à Cicero, ieje suis du iugementjugement commun, que hors la science, il
n’y auoitavoit pas beaucoup d’excellence en luyson ame: il estoit bon cy-
toyen, d’vneune nature debonnaire, comme sont volontiers les
hommes gras, & gosseurs, tels qu’il estoit, mais de láchetémollesse &
de vanité ⁁ ambitieuse, il en auoitavoit sans mentir beaucoup. Et si ne sçay
comment l’excuser d’auoiravoir estimé sa poësie digne d’estre mi-
se en lumiere: cCe n’est pas grande imperfection que de mal
faire des vers, mais c’est à luy faute de iugementjugement, de n’auoiravoir pas
senty combien ils estoyent indignes de la gloire de son nom.
Quant à son eloquence, elle est du tout hors de comparaison,
ieje croy que iamaisjamais homme ne l’egalera. Si est-ce qu’il n’a pas
en cela franchi si net son aduantageadvantage, comme Vergile à faict en
la poësie: car biēbien tost apres luy, il s’en est trouuétrouvé plusieurs qui
l’ont pēsépensé égaler & surmonter, quoy que ce fust à bien fauces
enseignes: mais à Vergile nul encore dépuis luy n’a osé se cō-
parercon-
parer, & à ce propos ij’en veux icy adiouteradjouter vneune histoire. Le
ieunejeune Cicero, qui n’a ressemblé son pere que de nom, cōman-
dantcomman-
dant en Asie, il se trouuatrouva vnun iourjour en sa table plusieurs estran-
gers, & entre autres Caestius assis au bas bout, cōmecomme on se four
re souuētsouvent aux tables ouuertesouvertes des grādsgrands: Cicero s’informa qui
il estoit à l’vnun de ses gens, qui luy dit son nom: mais comme
X x
ESSAIS DE M. DE MONTA.
celuy qui songeoit ailleurs, & qui oublioit ce qu’on luy res-
pondoit, il le luy redemēdaredemenda encore dépuis deux ou trois fois:
le seruiteurserviteur pour n’estre plus en peine de luy redire si souuentsouvent
mesme chose, & pour le luy faire connoistre par quelque cir-
constance, c’est, dict-il, ce Caestius de qui on vous à dit, qu’il
ne faict pas grand estat de l’eloquence de vostre pere au pris
de la sienne: Cicero s’estant soudain picqué de cela commen-
da qu’on empoignast ce pauurepauvre Caestius, & le fit tres-biēbien foë-
ter en sa presence: voyla vnun mal courtois hoste. Entre ceux
mesmes, qui ont estimé toutes choses contées cette sienne e-
loquence incomparable, il y en à eu, qui n’ont pas laissé d’y re-
marquer des fautes: comme ce grand Brutus son amy, disoit
que c’estoit vneune eloquēceeloquence cassée & esrenée, Ffractam & elumbēelumbem.
Les orateurs voisins de son siecle, reprenoyent aussi en luy ce
curieux soing de certaine longue cadācecadance, au bout de ses clau-
ses, & remerquoyentnotoint ces mots, esse videatur, qu’il y employe si
souuentsouvent. Pour moy ij’ayme mieux vneune cadācecadance qui tombe plus
court, coupée en yambes. Si mesle il par fois bien rudement
ses nombres, mais bien rarement. IJ’en ay remerqué ce lieu à
mes aureilles. Ego verò me minus diu senem esse mallem, quam esse
senem, antequam essem. Les Historiens sont le vray gibier de mōmon
estude, carma droite bale: ils sont plaisans & aysez: & quant & quant la con-
sideration des natures & conditions de diuersdivers hommes, les
coustumes des nations differentes, c’est le vray suiectsuject de la
science morale.l’home en general,
l’home de qui ieje cherche la conoissance y paret plus uifvif & plus
entier qu’en nul autre lieu: la diuersitediversite et ueriteverite de ses conditions internes
en gros et en destail: la uarietevariete des moïens de son assamblage et des accidans qui le menacent. Or ceux qui escriuentescrivent les vies, d’autant qu’ils
s’amusent plus aux conseils qu’aux euenemensevenemens:, plus à ce, qui
part du dedans, qu’à ce qui arriuearrive au dehors:, ceux là me sont
plus propres. Voyla pourquoy en toutes sortes, c’est mon hō-
mehom-
me que Plutarque. IeJe recherche bien curieusement non seule-
ment les opinions & les raisons diuersesdiverses des philosophes an-
ciens sur le suiectsuject de mon entreprinse, & de toutes sectes, mais
aussi leurs meurs, leurs fortunes, & leur vie. IeJe suis bien marrysuis bien marri que nous n’ayons une douzaine de
Laertius: ou qu’il ne soit ou plus estandu ou plus entandu car ieje ne considere pas moīsmoins
curieusement la fortune et la uievie de ces grands praecepturs du monde que la diuersitediversite
de leurs dogmes & fantasies
LIVRE SECOND. 3174
que nous n’ayons vneune douzaine de Laertius, ou qu’il ne se
soit plus estandu ⁁ ou entandu. En ce genre d’estude des Histoires, il faut
feuilleter sans distinction toutes sortes d’autheurs & vieils &
nouueauxnouveaux, & barragouins & François, pour y apprendre les
choses, dequoy diuersementdiversement ils traictent. Mais Caesar seulsingulierement me
semble meriter qu’on l’estudie, non pour la science de l’Hi-
stoire seulement, mais pour luy mesme, tant il à de perfectiōperfection
& d’excellence par dessus tous les autres,: quoy que Saluste
soit du nombre. Certes ieje lis cet autheur auecavec vnun peu plus de
reuerencereverence & de respect, qu’on ne list les humains ouuragesouvrages:
tTantost le considerant luy mesme par ses actions, & le mira-
cle de sa grandeur:. tTantost la pureté & inimitable polissure de
son langage,: qui à surpassé non seulement tous les Historiens,
comme dit Cicero, mais à mon aduisadvisladuanturel’advanture Cicero mesme,. & tou-
te la parlerie qui fust onques: aAuecaAvec tant de syncerité en ses iu-
gemensju-
gemens, parlant de ses ennemis mesmes, & tant de verité, que
sauf les fauces couleurs, dequoy il veut couurircouvrir sa mauuaisemauvaise
cause, & l’ordure de sa pestilente ambition, ieje pense qu’en ce-
la seul on y puisse trouuertrouver à redire, qu’il à esté trop espargnātespargnant
à parler de soy: cCar tant de grandes choses ne peuuentpeuvent pas
auoiravoir esté executées par luy, qu’il n’y soit alé beaucoup plus
du sien, qu’il n’y en met. IJ’ayme les HistoriēsHistoriens, ou fort simples,
ou excellens: lLes simples qui n’ont point dequoy y mesler
quelque chose du leur, & qui n’y apportent que le soin, & la
diligence de r’amasser tout ce qui vient à leur notice, & d’en-
registrer à la bōnebonne foy toutes choses sans chois & sans triage,
nous laissent le iugementjugement tout entier, pour la cognoissance de
la verité. Tel est entre autres pour exemple, le bon Froissard,
qui à marché en son entreprise d’vneune si franche naïfueténaïfveté,
qu’ayant faict vneune faute, il ne creint aucunemētaucunement de la recon-
noistre & corriger, en l’endroit, où il en à esté aduertyadverty: &Et qui
nous represente la diuersitédiversité mesme des bruits, qui couroyent
Xx ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
& les differens rapports qu’on luy faisoit. C’est la matiere de
l’Histoire nue & informe: chacun en peut faire son profit au-
tant qu’il à d’entendement. Les bien excellens ont la suffisan-
ce de choisir ce qui est digne d’estre sçeu, sçauentsçaventpeuuentpeuvent trier de deux
raports celuy qui est plus vray-semblable: de la conditiōcondition des
Princes & de leurs humeurs, ils en deuinentdevinentconcluent les conseils &
leur attribuent les paroles de mesmeconuenablesconvenables: ils ont raison de pren-
dre l’authorité de regler nostre creance à la leur: mais certes
cela n’appartient à guieres de gens. Ceux d’entre-deux (qui
est la plus commune façon) ceux là nous gastent tout: ils veu-
lent nous mascher les morceaux, ils se donnent loy de iugerjuger
& par consequent d’incliner l’Histoire à leur fantasie,: car dé-
puis que le iugementjugement pend d’vnun costé, on ne se peut gar-
der de contourner & de tordre la narration à ce biais. Ils
entreprenētentreprenent de choisir les choses dignes d’estre sçeuës, & nous
cachent souuentsouvent telle parole, telle action priuéeprivée, qui nous in-
struiroit autant que le restemieus: obmetent pour choses incroya-
bles celles qu’ils n’entendent pas: & à l’auantureavanturepeut estre encore telle
chose pour ne la sçauoirsçavoir dire en bon Latin ou FrāçoisFrançois. Qu’ils
estalent hardiment leur eloquence & leurs discours,: qu’ils iu-
gentju-
gent à leur poste,: mais qu’ils nous laissent aussi dequoy iugerjuger
apres eux: & qu’ils n’alterent ny dispensent par leurs racour-
cimens & par leurs chois, rien sur le corps de la matiere,: ains
qu’ils nous la r’enuoyentr’envoyent pure & entiere en toutes ses dimen-
tions. Ceux là sont aussi, bien plus recommandables histo-
riens, qui connoissent les choses, dequoy ils escriuētescrivent, ou pour
auoiravoir esté de la partie à les faire, ou priuezprivez auecavec ceux qui les
ont conduites. Car lLe plus souuentsouvent on trie pour cette char-
ge, & notamment en ces siecles icy, des personnes d’en-
tre le vulgaire, pour cette seule consideration de sçauoirsçavoir
bien parler: comme si nous cherchions d’y apprendre la
LIVRE SECOND. 3175
grammaire: & eux ont raison n’ayans esté gagez que pour ce-
la, & n’ayans mis en vente que le babil, de ne se soucier aussi
principalemētprincipalement que de cette partie. Ainsin à force beaux mots
ils nous vont patissant vneune belle contexture des bruits, qu’ils
ramassent és carrefours des villes. Voyla pourquoy lLes seules
certainesbones histoires sont celles, qui ont esté escrites par ceux
mesmes, qui commandoient aux affaires, ou qui estoient par-
ticipans à les cōduireconduire, ⁁⁁ ⁁ ou a enqui en conduire d’autres pareils,
⁁ ou ⁁ ⁁ au moins qui ont eu la fortune
d’en conduire d’autres de mesme
sorte. Telles
comme sont quasi toutes les Grecques
& Romaines. Car plusieurs tesmoings oculaires ayant escrit
de mesme subiectsubject (comme il aduenoitadvenoit en ce temps là, que la
grandeur de la fortune estoit tousiourstousjours accompagnée du sça-
uoirvoiret le sçauoirsçavoir se remontroint communeement) s’il y à de la faute, elle doit estre merueilleusementmerveilleusement legie-
re, & sur vnun accident fort doubteux. S’ils n’escriuoientescrivoient de ce
qu’ils auoientavoient veu, ils auoientavoient aumoins cela, que l’experience
au maniement de pareils affaires, leur rendoit le iugemētjugement plus
sain. Car qQue peut-on esperer d’vnun medecin escriuantescrivanttraictant de la
guerre, ou d’vnun escholier traictant les desseins des Princes? Si
nous voulons remerquer la religion, que les Romains auoiētavoient
en cela, il n’en faut que cet exemple: Asinius Pollio trouuoittrouvoit
és histoires mesme de Caesar quelque mesconte, en quoy il e-
stoit tombé, pour n’auoiravoir peu ietterjetter les yeux en tous les en-
droits de son armée, & en auoiravoir creu les particuliers, qui luy
rapportoient souuentsouvent des choses non assez verifiées,: ou bien
pour n’auoiravoir esté assez curieusement aduertyadverty, par ses Lieute-
nans, des choses, qu’ils auoientavoient conduites en son absence. On
peut voir par cet exemple, si cette recherche de la verité est
delicate, qu’on ne se puisse pas fier d’vnun combat à la science de
celuy, qui y a commandé, ny aux soldats, de ce qui s’est passé
pres d’eux, si à la mode d’vneune information iudiciairejudiciaire, on ne cō-
frontecon-
fronte les tesmoins, & reçoit les obiectsobjects sur la preuuepreuve des pō-
tillespon-
tilles, de chaque accident. Vrayement la connoissance que
nous auonsavons de nos affaires est bien plus láche. Mais cecy a esté
Xx iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
suffisamment traicté par Bodin, & selon ma conceptiōconception. Pour
subuenirsubvenir vnun peu à la trahison de ma memoire, & à son defaut,
si extreme, qu’il m’est aduenuadvenu plus d’vneune fois, de reprendre en
main des liureslivres, comme nouueauxnouveaux du toutrecens, & à moy incon-
nus, que ij’auoyavoy leu curieusementsouigneusement quelques années au parauātparavant
& barbouillé de mes notes: ij’ay pris en coustume dépuis quel-
que temps, d’adiousteradjouster au bout de chasque liurelivre (ieje dis de ceux
desquels ieje ne me veux seruirservir qu’vneune fois) le temps auquel ij’ay
acheuéachevé de le lire, & le iugementjugement que ij’en ay retiré en gros: afin
que cela me represente au moins l’air & Idée generale que ij’a-
uoisa-
vois conceu de l’autheur en le lisant. IeJe veux icy transcrire au-
cunes de ces annotations. Voicy ce que ieje mis il y a enuironenviron
dix ans en mōmon Guicciardin (car quelque lāguelangue que parlētparlent mes
liureslivres, ieje leur parle en la mienne.) Il est historiographe diligētdiligent,
& duquel à mon aduisadvis, autant exactemētexactement que de nul autre on
peut apprendre la verité des affaires de son temps: aussi en la
pluspart en a-il esté acteur luy mesme, & en rang honnorable.
Il n’y à aucune apparence que par haine, faueurfaveur, ou vanité il
ayt déguisé les choses,: dequoy font foy les libres iugementsjugements
qu’il donne des grands, & notamment de ceux par lesquels il
auoitavoit esté auancéavancé, & employé aux charges, comme du Pape
ClemētClement septiesme. Quant à la partie dequoy il semble se vou-
loir preualoirprevaloir le plus, qui sont ses digressions & discours, il y
en a de bōsbons & enrichis de beaux traits,: mais il s’y est trop pleu:
Car pour ne vouloir rien laisser à dire, ayant vnun suiectsuject si plain
& ample, & à peu pres infiny, il en deuientdevient lasche, ennuyeux,
& sentant vnun peu au caquet scholastique. IJ’ay aussi remerqué
cecy, que de tant d’ames & effects qu’il iugejuge, de tant de mou-
uemensmou-
vemens & conseils, il n’en rapporte iamaisjamais vnun seul à la vertu,
religion, & conscience, comme si ces parties là estoyent du
tout esteintes au monde: & de toutes les actions, pour belles
par apparence qu’elles soient d’elles mesmes, il en reiecterejecte la
LIVRE SECOND. 3176
cause à quelque occasion vitieuse, où à quelque profit. Il est
impossible d’imaginer, que parmy cet infiny nombre d’a-
ctions, dequoy il iugejuge, il n’y en ait eu quelqu’vneune produite par
la voye de la raison. Nulle corruption peut auoiravoir saisi les hō-
meshom-
mes si vniuersellementuniversellement, que quelqu’vnun n’eschappe de la con-
tagion: cela me faict craindre qu’il y aye vnun peu du vice de
son goust, & que cela soitpeut estre aduenuadvenu, de ce qu’il ait estimé d’au-
truy selon soy. ⁁
⁁ : trescommune et
tresdangereuse
corruption du
iugemantjugemant humain
En mon Philippe de Comines, il y a cecy: vVous
y trouuereztrouverez le langage doux & aggreable, d’vneune naifuenaifve sim-
plicité, la narration pure, & en laquelle la bonne foy de l’au-
theur reluit euidemmentevidemment, exempte de vanité parlātparlant de soy, &
d’affection & d’enuieenvie parlant d’autruy: ses discours & enhor-
temens, accompaignez, plus de bon zele & de verité, que d’au-
cune exquise suffisance, & tout par tout de l’authorite & gra-
uitégra-
vité, representātrepresentant son hōmehomme de bon lieu, & éleuéélevé aux grans af-
faires. Sur les memoires de mōsieurmonsieur du Bellay. C’est tousiourstousjours
plaisir, de voir les choses escrites par ceux, qui ont essayé com-
me il les faut conduire: mais il ne se peut nier qu’il ne se décou
uredécou
vre euidemmentevidemment en ces deux seigneurs icy, vnun grand dechet
de la franchise & liberté d’escrire, qui reluit és anciens de leur
sorte: comme au Sire de IouinuileJouinvile domestique de S. Loys,
Eginard Chancelier de Charlemaigne, & de plus fresche me-
moire en Philippe de CōminesCommines. C’est icy plustost vnun plaidoier
pour le Roy François, cōtrecontre l’Empereur Charles cinquiesme,
qu’vneune histoire. IeJe ne veux pas croire, qu’ils ayētayent rien changé,
quant au gros du faict, mais de contourner le iugementjugement des
euenemensevenemens souuentsouvent contre raison, à nostre auantageavantage, & d’ob-
mettre tout ce qu’il y à de chatouilleux en la vie de leur mai-
stre, ils en font mestier: tesmoing les reculemens de messieurs
de MontmorēcyMontmorency & de Brion, qui y sont oubliez, voire le seul
nom de Madame d’Estampes, ne s’y trouuetrouve point. On peut
couurircouvrir les actions secrettes, mais de taire ce que tout le mon-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de sçait, & les choses qui ont tiré des effects publiques, & de
telle cōsequēceconsequence, c’est vnun defaut inexcusable. SōmeSomme pour auoiravoir
l’entiere connoissance du Roy François, & des choses adue-
nuesadve-
nues de son temps, qu’on s’adresse ailleurs, si on m’en croit: ce
qu’on peut faire icy de profit, c’est par la deduction particu-
liere des batailles & exploits de guerre, ou ces gentils-hōmeshommes
se sont trouueztrouvez, quelques paroles & actions priuéesprivées d’aucuns
princes de leur temps, & les pratiques & negociations condui-
tes par le Seigneur de Langeay, où il y à tout plein de choses
dignes d’estre sceues, & des discours non vulgaires.
De la cruauté. CHAP. XI.
IL me semble que la vertu est chose autre, & plus no-
ble, que les inclinatiōsinclinations à la bonté, qui naissent en nous.
Les ames reglées d’elles mesmes & bien nées, elles suy-
uentsuy-
vent mesme train, & representent en leurs actions mesme vi-
sage que les vertueuses: mMais la vertu, sonne, ieje ne sçay quoy,
de plus grand & de plus actif, que de se laisser par vneune heureu-
se complexion, doucement & paisiblement conduire à la sui-
te de la raison: cCeluy qui d’vneune douceur & facilité naturelle,
mespriseroit les offences receues, feroit sans doubte chose
tresbelle & digne de louange: mMais celuy qui picqué & outré,
iusquesjusques au vif, d’vneune offence, s’armeroit des armes de la raison
contre ce furieux appetit de vengeance,: & apres vnun grand cō-
flictcon-
flict s’en rendroit en fin maistre, feroit sans doubte beaucoup
plus: Celuy-là feroit bien, & cettuy-cy vertueusement: lL’vneune
action se pourroit dire bonté, l’autre vertu: cCar il semble que
le nom de la vertu presuppose de la difficulté au combat & du
contraste, & qu’elle ne peut estres’exercer sans partie. C’est à l’auentureaventure
pourquoy nous nommons Dieu bon, fort, & liberal, & iustejuste,
mais nous ne le nommons pas vertueux: sSes operations sont
toutes naifuesnaifves & sans effort. Des Philosophes non seulement
Stoi-
LIVRE SECOND. 169177
Stoiciens, mais encore Epicuriens (& cette enchere, ieje l’em-
prunte de l’opinion commune, qui est fauce:⁁
⁁ : quoi que die ce subtil
rencontre d’Arcesilaus, a
celuy qui luy reprochoit que
beaucoup de gens passoint
de son eschole en l’Epicuriene
mais iamaisjamais au rebours. IeJe
croi bien Des coqs il se faict
bien des chapons asses, mais iamaisjamais
au rebours des chapons il ne s’en
faict iamaisjamais des coqs.
car à la verité en
fermeté & rigueur d’opinions & de preceptes, la secte Epicu-
rienne, ne cede aucunement à la Stoique,. &Et vnun Stoicien re-
connoissant meilleure foy, que ces disputateurs, qui pour cō-
batrecon-
batre Epicurus, & se donner beau ieujeu, luy font dire, ce à quoy
il ne pensa iamaisjamais,: cōtournanscontournans ses paroles à gauche,: argumen-
tans par la loy grammairienne, autre sens de sa façōfaçon de parler,
& autre creance, que celle qu’ils sçauentsçavent qu’il auoitavoit en l’ame, ⁁
⁁ et en ses meurs,:
dit qu’il à laissé d’estre Epicurien, pour cette cōsiderationconsideration en-
tre autres, qu’il trouuetrouve leur route trop hautaine & inaccessi-
ble)⁁
Addition marginale de la main de Montaigne
⁁ et ij qui φιλήδονοι uocantur
sunt φιλόκαλοι et φιλοδί=
καιοι omnesque uirtutes
et colunt et retinent)
Or des philosophes Stoiciens & EpicuriēsEpicuriens, dis-ieje, il y en a
plusieurs qui ont iugéjugé, que ce n’estoit pas assez d’auoiravoir l’ame
en bonne assiette, bien reglée & bien disposée à la vertu: cCe
n’estoit pas assez d’auoiravoir nos resolutions & nos discours, au
dessus de tous les efforts de fortune: mMais qu’il falloit encore
rechercher les occasions d’en venir à la preuuepreuve: iIls veulētveulent que-
ster de la douleur, de la necessité, & du mespris, pour les com-
batre,: & pour tenir leur ame en haleine:⁁
⁁ : multūmultum sibi d adijcit
uirtus lacessita.
cC’est l’vneune des raisons,
pourquoy Epaminondas, qui estoit encore d’vneune tierce secte,
refuse des richesses que la fortune luy met en main, par vneune
voie tres legitime: pPour auoiravoir, dict-il, à s’escrimer, & à s’exer-
cer contre la pauuretépauvreté, en laquelle extreme il se maintint tou-
siourstou-
sjours. Socrates s’essayoit, ce me semble, encor plus rudement,
conseruantconservant pour son exercice, la malignité de sa femme,: qui
est vnun essay à fer esmoulu. Metellus ayant seul de tous les Se-
nateurs Romains entrepris par l’effort de sa vertu, de souste-
nir la violence de Saturninus Tribun du peuple à Rome, qui
vouloit à toute force faire passer vneune loy iniusteinjuste, en faueurfaveur de
la commune: & ayant encouru par là, les peines capitales que
Saturninus auoitavoit establies contre les refusans,: entretenoit
ceux, qui en cette extremité, le conduisoient en la place,
Yy
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de tels propos,. qQue c’estoit chose trop facile & trop láche
que de mal faire, & que de faire bien, où il n’y eust point de
dangier, c’estoit chose communeuulguerevulguere: mMais de faire bien, où il y
eust dangier, c’estoit le propre office d’vnun homme de bien, &
de vertu. Ces paroles de Metellus nous representent bien clai-
rement ce que ieje vouloy verifier,: que la vertu refuse la facili-
té pour compaigne,. &Et que cette aisée, douce, & panchante
voie, par où se conduisent les pas reglez d’vneune bonne inclina-
tion de nature, n’est pas propre àcelle de la vraye vertu. Elle demande
vnun chemin aspre & espineux,: elle veut auoiravoir ou des difficultez
estrangeres à luicter, comme celle de Metellus, par le moyen
desquelles fortune se plaist à luy rompre la roideur de sa cour-
se: où des difficultez internes, que luy apportent les appetits
desordonnez ⁁ ⁁ et imperfections de nostre condition. IeJe suis venu iusquesjusques icy biēbien
à mon aise: mMais au bout de ce discours, il me tombe en fanta-
sie que l’ame de Socrates, qui est la plus parfaicte qui soit ve-
nuë à ma connoissance, seroit à mon compte vneune ame de peu
de recōmandationrecommandation: cCar ieje ne puis conceuoirconcevoir en ce personnage
là, nulaucun effort de vitieuse concupiscēceconcupiscence. Au train de sa vertu, ieje
n’y puis imaginer aucune difficulté & aucune contrainte: iIejJe
connoy sa raison si puissante & si maistresse chez luy, qu’elle
n’eust iamaisjamais donné moyen à vnun appetit vitieux, seulement
de naistre. A vneune vertu si esleuéeeslevée que la sienne, ieje ne puis rien
mettre en teste: iJIl me semble la voir marcher d’vnun victorieux
pas & triomphant, en pompe & à son aise, sans empeschemētempeschement,
ne destourbier. Si la vertu ne peut luire que par le combat des
appetits contraires,: dirōsdirons nous donq qu’elle ne se puisse passer
de l’assistance du vice, & qu’elle luy doiuedoive cela, d’en estre mise
en credit & en honneur? qQue deuiendroitdeviendroit aussi cette brauebrave &
genereuse volupté Epicurienne,: qui fait estat de nourrir mol-
lement en son giron, & y faire follatrer la vertu,: luy donnant
pour ses iouetsjouets la honte, les fieuresfievres, la pauuretépauvreté, la mort, & les
LIVRE SECOND. 1708
geénes? Si ieje presuppose que la vertu parfaite, se cōnoitconnoit à com-
batre & porter patiemment la douleur, à soustenir les efforts
de la goute, sans s’esbranler de son assiette: si ieje luy donne pour
son obiectobject necessaire l’aspreté & la difficulté,: que deuiendradeviendra la
vertu qui sera montée à tel excezpoint, que de non seulement mes-
priser la douleur, mais de s’en esioüyresjoüyr,: & de se faire chatouiller
aux pointes d’vneune forte colique, comme est celle, que les Epi-
curiens ont establie,: & de laquelle plusieurs d’entre eux nous
ont laissé par leurs actions, des preuuespreuves trescertaines? Comme
ont bien d’autres, que ieje trouuetrouve auoiravoir surpassé par effect les
regles mesmes de leur discipline: tTesmoing le ieunejeune Caton:
qQuand ieje le voy mourir & se deschirer les entrailles, ieje ne me
puis contenter de croire simplement, qu’il eust lors son ame
exempte ⁁ ⁁ totalement de tout trouble & de ’tout effroy de la mort: ieje ne
puis croire qu’il se maintint seulemētseulement en cette démarche, que
les regles de la secte Stoique luy ordōnoientordonnoient, rassise, sans émo-
tion & impassible: il y auoitavoit, ce me semble, en la vertu de cet
homme trop de gaillardise & de verdeur, pour s’en arrester là.
IeJe croy sans doubte qu’il sentit du plaisir & de la volupté,
en vneune si noble action,: & qu’il s’y aggrea plus qu’en autre
de celles de sa vie. ⁁
⁁ sic abijt e uita ut
causam moriendi nactum
se esse gauderet.
IeJe le croy si auantavant, que ij’entre en doubte s’il
eust voulu que l’occasion d’vnun si bel exploit luy fust ostée: &Et
si la bonté qui luy faisoit embrasser les commoditez d’autruypubliques
plus que les siennes, ne me tenoit en bride, ieje tomberois aisé-
ment en cette opinion, qu’il sçauoitsçavoit bon gré à la fortune d’a-
uoira-
voir mis sa vertu à vneune si belle espreuueespreuve,: & d’auoiravoir fauoriséfavorisé ce
brigand à fouler aux pieds l’ancienne liberté de sa patrie. Il me
semble lire en cette actiōaction, ieje ne sçay quelle esiouissanceesjouissance de son
ame, & vneune émotion de plaisir extraordinaire, & d’vneune volu-
pté virile, lors qu’elle consideroit la noblesse & hauteur de son
entreprise. Deliberata morte ferocior. - uersvers
Non pas esguisée par quelque esperance de gloire, comme les
Y y ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
iugemensjugemens populaires, vains, & effeminez, d’aucuns hommes
ont iugéjugé: car cette consideration est trop basse, & trop foi-
ble, pour toucher vnun coeur si genereux, si hautain & si roi-
de,: mais pour la beauté de la chose mesme en soy: laquelle
il voyoit bien plus à clair, & en sa perfection, luy qui en ma-
nioit les ressorts, que nous ne pouuonspouvons faire. ⁁
⁁ La philosophie m’a faict
plaisir de iugerjuger qu’ilune si
aparte belle action eut
este indecemmant logee en
toute autre uievie qu’en celle
de Caton et qu’a la siene sule
il appartenoit de finir ainsi
Pourtant ordōnaordonna il selon raison
& a son filx & aus senaturs
qui l’acompaignoint de se
sauuersauver prouuoirprouvoir autremant a
leur faict propterea quod lenior
eorum uita et mores mores
fuerant faciliores. Catoni cum
incredibilem natura tribuisset
grauitatem eamque ipse perpetua
constantia roborauisset semperque
in proposito consilio permansisset
moriendum potius quam tyranni
uultus aspiciendus erat. ⁁
⁁ Toute mort doit estre
de mesmes sa uievie. Nous ne
deuenonsdevenons pas autres, pour
mourir. IJ’interprete
tousiourstousjours la mort par
la uievie. Et si on me la
recite une mort d’apparā=
ceapparan=
ce forte attachee a une
foible uievie ieje tiens qu’elle
est produite par
une foi d’une cause
foible et sortable a sa
uievie.
L’aisance dōcdonc de
cette mort, & cette facilité qu’il auoitavoit acquise par la force de
son ame, dirons nous qu’elle doiuedoive rabattre quelque chose du
lustre de sa vertu? Et qui de ceux qui ont la ceruellecervelle tant soit
peu touchéeteinte de la vraye philosophie, peut se contenter d’ima-
giner Socrates seulemētseulement franc de crainte & de passion, en l’ac-
cidētac-
cident de sa prisōprison, de ses fers, & de sa condēnationcondemnation. Et qui ne re-
connoit en luy non seulement de la fermeté & de la constan-
ce (c’estoit son assiette ordinaire que celle-là) mais encore ieje ne
sçay quel contentemētcontentement nouueaunouveau, & vneune allegresse eniouëe en
ses propos & façons dernieres? ⁁
⁁ A ce tressaillir, du plaisir
qu’il sent a gratter sa iambejambe
apres que les fers en furent
ostezhors, accuse il pas une
pareille douceur et festeioyejoye
en son ame, pour estre
desenforgee des incommoditez
passees, et a mesmes d’entrer
en conoissance des choses a
uenirvenir.
Caton me pardonnera, s’il luy
plaist, sa mort est plus tragique, & plus tendue,: mais cette cy
est encore, ieje ne sçay comment, plus belle. ⁁
⁁ Aristippus a ceus qui la
pleignoītpleignoint une telle mort
en un tel home Plaise aus
dieus Les dieus m’en enuoiētenvoient
une telle, fit il.
On voit aux ames
de ces deux personnages, & de leurs imitateurs (car de sembla-
bles, ieje fay grand doubte qu’il y en ait eu) vneune si parfaicte ha-
bitude à la vertu, qu’elle leur est passée en complexion: cCe n’est
plus vertu penible, ny des ordonnances de la raison, pour les-
quelles maintenir il faille que leur ame se roidisse: c’est l’essen-
ce mesme de leur ame, c’est son train naturel & ordinaire: iIls
l’ont renduë telle par vnun lōglong exercice des preceptes de la phi-
losophie, ayans rencontré vneune belle & riche nature: lLes pas-
sions vitieuses, qui naissent en nous, ne trouuenttrouvent plus par
où faire entrée en leurs ameseus: lLa force & roideur de leur ame,
estouffe & esteint les passions corporellesconcupiscences, aussi tost qu’el-
les commencent à s’esbranler pour naistre. Or qu’il ne soit
plus beau, par vneune haute & diuinedivine resolution, d’empescher
la naissance mesme des tentations,: & de s’estre formé à la
LIVRE SECOND. 1719
vertu, de maniere que les semences mesmes des vices en
soyent desracinées: que d’empescher à viuevive force leur pro-
grez,: & s’estant laissé surprendre aux émotions premieres des
passions, s’armer & se bander pour arrester leur course & les
vaincre: & que ce second effect ne soit encore plus beau, que
d’estre simplement garny d’vneune nature facile & debonnaire,
& dégoustée par soy mesme de la débauche & du vice, ieje ne
pense point qu’il y ait doubte. Car cette tierce & derniere fa-
çon, il semble bien qu’elle rende vnun homme innocent, mais
non pas vertueux: exempt de mal faire, mais non assez apte à
bien faire. IointJoint que cette condition est si voisine à l’imperfe-
ction & à la foiblesse, que ieje ne sçay pas bien comment en
démeler les confins & les distinguer. Les noms mesmes de
bonté & d’innocence sont à cette cause aucunement noms
de mespris. IeJe voy que plusieurs vertus, comme la chasteté,
sobrieté, & temperance, peuuētpeuvent arriuerarriver à nous, par defaillan-
ce corporelle. La fermeté aux dangiers (si fermeté il la faut ap-
peller) le mespris de la mort, la patience aux infortunes, peut
venir & se treuuetreuve souuentsouvent aux hommes, par faute de bien iu-
gerju-
ger de tels accidens, & ne les conceuoirconcevoir tels qu’ils sont. La fau-
te d’apprehension & la bétise, contrefont ainsi par fois les ef-
fects vertueux,: cCōmecComme ij’ay veu souuentsouvent adueniradvenir qu’ōon à loué des
hommes de ce, dequoy ils meritoyent du blasme. VnUn Sei-
gneur ItaliēItalien tenoit vneune fois ce propos en ma presence, au des-
auantagedes-
avantage de sa nation,: qQue la subtilité des Italiens & la viua-
citéviva-
cité de leurs conceptions estoit si grande, qu’ils preuoyoyentprevoyoyent
les dangiers & accidens qui leur pouuoyētpouvoyent adueniradvenir, de si loin,
qu’il ne falloit pas trouuertrouver estrange, si on les voyoit souuentsouvent à
la guerre prouuoirprouvoir à leur seurté, voire auantavant que d’auoiravoir recō-
neurecon-
neu le peril: q̄Que nous & les Espaignols, qui n’estions pas si fins,
alliōsallions plus outre,: & qu’il nous falloit faire voir à l’oeil & tou-
cher à la main, le dāgierdangier, auantavant que de nous en effrayer,: & que
Y y iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
lors aussi nous n’auionsavions plus de tenue: mMais que les AllemāsAllemans
& les Souysses, plus grossiers & plus lourds, n’auoyentavoyent le
sens de se rauiserraviser, à peine lors mesmes qu’ils estoyētestoyent accablez
soubs les coups. Ce n’estoit à l’aduentureadventure que pour rire: sSi est
il bien vray qu’au mestier de la guerre, les apprentis se iettentjettent
bien souuentsouvent aux dangiers, d’autre inconsideration qu’ils ne
font apres y auoiravoir esté échaudez.:
haud ignarus, quantum noua gloria in armis
Et praedulce decus primo certamine possit.
Voyla pourquoy quand on iugejuge d’vneune action particuliere, il
faut considerer plusieurs circonstances, & l’homme tout en-
tier qui l’a produicte, auantavant la baptizer. Pour dire vnun mot de
moy-mesme. IJ’ay veu quelque fois mes amis appeller prudē-
cepruden-
ce en moy, ce qui estoit fortune,: & estimer aduantageadvantage de cou-
rage & de patience, ce qui estoit aduantageadvantage de IugementJugement & o-
pinion,: & m’attribuer vnun titre pour autre,: tantost à mon pro-
fictguain, tantost à mon dommagema perte. Au demeurant, il s’en faut tant
que ieje sois arriuéarrivé à ce premier & plus parfaict degré d’excel-
lence, où de la vertu il se faict vneune habitude, que du second
mesme, ieje n’en ay faict guiere de preuuepreuve: iIejJe ne me suis mis en
grand effort, pour brider les desirs dequoy ieje me suis trouuétrouvé
pressé. Ma vertu c’est vneune vertu, ou innocence, pour mieux
dire, accidentale & fortuite: sSi ieje fusse nay d’vneune complexion
plus déreglée, ieje crains qu’il fut allé piteusement de mōmon faict:
cCar ieje n’ay essayé guiere de fermeté en mon ame, pour souste-
nir des passions, si elles eussent esté tant soit peu vehementes:
iIejJe ne sçay point nourrir des querelles & du debat chez moy.
Ainsi ieje ne me puis dire nul granmercy, dequoy ieje me trouuetrouve
exempt de plusieurs vices.:
si viitisvitiis mediocribus, & mea paucis
Mendosa est natura, alioqui recta, velut si
Egregio inspersos reprehendas corpore naeuos,
LIVRE SECOND. 172180
IiIeJjJe le doy plus à ma fortune qu’à ma raison:. eElle m’a faict nai-
stre d’vneune race fameuse en preud’homie & d’vnun tres-bon pe-
re: ieje ne sçay s’il à escoulé en moy partie de ses humeurs, ou
bien si les exemples domestiques, & la bonne institution de
mon enfance, y ont insensiblement aydé,: ou si ieje suis autre-
ment ainsi nay.,
Seu libra, seu me scorpius aspicit
Formidolosus, pars violentior
Natalis horae, seu tyrannus
Hesperiae Capricornus vndae.
Mais tant y à, que la pluspart des vices ieje les ay de moy mes-
mes en horreur,: ⁁
⁁ La responce d’Antisthenes
a celui qui luy demandoit
le meillur aprantissage:
desaprandre le mal,: semble
s’arrester a cett’image: IeJe les
ay dis ieje en horreur
d’vneune opinion si naturelle & si mienne, que
ce mesme instinct & impression, que ij’en ay apporté de la
nourrice, ieje l’ay conseruéconservé, sans que aucunes occasiōsoccasions me l’ayētayent
sçeu faire alterer: vVoire nōnon pas mes discours propres, qui pour
s’estre débandez en aucunes choses de la route commune, me
licentieroient aisément à des actions, que cette naturelle in-
clination me fait haïr. IeJe ne sçay si ieje diray vnun monstre: mais
ieje le diray pourtant, ieje trouuetrouve ⁁
⁁ par la, ēen plusieurs
choses
plus d’arrest, & de reigle en mes
meurs qu’en mon IugementJugementopinion,: & ma concupiscence aucune-
ment moins desbauchée que ma raison. ⁁
⁁ Seroit il uraivrai que pour
estre bon a faict, il nous
le faille estre par occulte
proprieté sans loy sans
raison csans exemple
d’une in come d’une
ineffable quinte
inexplicable quinte
essance de nostre estre
naturel estre. Aristippus
establit des opinions si
hardies en faueurfaveur de la
uoluptevolupte & des richesses
qu’il mit en rumur toute la
philosofie a l’encontre de
luy. Mais quand a ses meurs
le tiran Dionisius luy
aïant presante trois belles
garses pour qu’il en fit
le chois: il respondit qu’il
les choisissoint toutes trois
et qu’il auoitavoit mal pris a
Paris d’en preferer une a
ses compaignes. Mais les
aïant conduites a son logis
il les renuoiarenvoia sans en taster. Son ualetvalet se trouuanttrouvant
surcharge en chemin de largentl’argent qu’il portoit apres luy
IetteJette et uerseverse la dict il tout ce qui t’en fache il luy
ordona qu’il en iettatjettat & uersatversat la, ce qui luy fachoit
Seroit il uraivrai que pour estre bon a faict, il nous le faille estre par
occulte naturele & uniuerseleuniversele propriete sans loy sans raison
sans exemple Et Epicurus du quel les dogmes sont irreligieus
et delicats se porta en sa uievie tresdeuotieusementtresdevotieusement & laborieusement
il escrit a un sien ami qu’il ne uitvit que de pain bis et d’eau qu’il luy enuoieenvoie un peu de fromage pour quand
il uoudravoudra faire quelque sumptueus repas. Seroit il uraivrai que pour estre bon a faict, il nous le faille estre
par occulte naturelle & uniuerselleuniverselle proprieté sans loy sans
discoursraison sans exemple
Les desbordemens,
ausquels ieje me suis trouuétrouvé engagé ne sont pas Dieu mercy
des pires. IeJe les ay bien condamnez chez moy, selon que la rai-
son les condamne:qu’ils le ualentvalent
ualentvalent qu’ils poisent : car mon iugementjugement ne s’est pas trouuétrouvé corrō-
pucorrom-
puinfecté par le déreglement de mes meurs:eus: ains aAu rebours, il iugejuge
plus exactemētexactement &les accuse plus rigoureusement deen moy, que de touten un
autre: mes débauches quant à cette partie la, m’ont dépleu
comme elles deuoyentdevoyent, mMais ça estéc’est tout:, car au demourant
ij’y apporte trop peu de resistance,: & me laisse trop aiésmentseement
pancher à l’autre part de la balance,: si nonsSauf pour les regler, &
empescher du meslange d’autres vices,: lLesquels s’entretiennētentretiennent
& s’entrenchainent pour la plus part les vnsuns aux autres, qui
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ne s’en prend garde. Les miens, ieje les ay retranchez & cōtrainscontrains
les plus seuls, & les plus simples que ij’ay peu.,
nec vltra
Errorem foueo.
Car quant à l’opinion des Stoïciens, qui disent, quand le sa-
ge oeuureoeuvrer, qu’quand il oeuureoeuvre, par toutes les vertus ensemble, quoy
qu’il y en ait vneune plus apparente selon la nature de l’action:
&Et à cela leur pourroit seruirservir aucunement la similitude du
corps humain,: car l’action de la colere, ne se peut exercer que
toutes les humeurs ne nous y aydent, quoy que la colere pre-
domine: si de là, ils veulent tirer pareille consequence, que
quand le fautier faut, il faut par tous les vices ensemble, ieje ne
les en croy pas ainsi simplement,: ou ieje ne les entens pas: car
ieje sens par effect le contraire. ⁁
⁁ Ce sont subtilitès
aigues insubstanti=
elles ausquelles
la philosophie
s’arrete par fois.
Transeamus istas
solertissimas nugas
IJ’aim IeJe suis quelques
uicesvices mais ij’en fuis
d’autres autant qu’un
sainct sauroit faire.
Aussi desaduouentdesadvouent les
Peripateticiens cette
connexite & cousture
indissoluble. et tient
Aristote qu’un home
prudent et iustejuste peut
estre et intemperant
& incontinent.
Socrates aduoüoitadvoüoit à ceux qui
reconnoissoient en sa physionomie quelque inclination au
vice, que c’estoit à la verité sa propension naturelle, mais qu’il
auoitavoit corrigée par la philosophiediscipline. ⁁
⁁ Et les
familiers du
philosophe
Stilpo disoint
qu’estant ne
subietsubjet au uinvin
et aus fames
il s’estoit randu
par estude
tres abstinant
de lunl’un & de lautrel’autre
Ce que ij’ay de bien, ieje l’ay au
rebours, par le sort de ma naissance: iIejJe ne le tiens ny de loy ny
de precepte ou autre aprentissage. L’innocēceinnocence qui est en moy,
est vneune innocence niaise,: peu de vigueur, & point d’art. IeJe
hay entre autres vices cruellement la cruauté, & par nature
& par iugemētjugement, comme l’extreme de tous les vices. Mais c’est
iusquesjusques à telle mollesse que ieje ne voy pas égorger vnun poulet
sans desplaisir, & ois impatiemment geèmir vnun lieurelievre sous les
dens des mes chiens: qQuoy que ce soit vnun plaisir violētviolent que la chas-
se. Ceux qui ont à combatre la volupté vsentusent volontiers de
cet argument, pour mōstrermonstrer qu’elle est toute vitieuse & des-
raisonnable,: qQue lors qu’elle est en son plus grand effort, elle
nous maistrise de façon, que la raison n’y peut auoiravoir accez,.
&Et nous aleguent l’experience que nous en sentōssentons en l’accoin-
tance des femmes,
Ccùm iam praesagit gaudia corpus - en ça
Atque
LIVRE SECOND. 173181
Atque in eo est venus, vt muliebria conserat arua,:
ou il leur semble que le plaisir nous transporte si fort hors
de nous, que nostre discours ne sçauroit lors iouërjouërfaire son rolleoffice,
tout perclus & rauiravi en la volupté. IeJe sçay qu’il en peut aller
autremētautrement,: & qu’on arriueraarrivera par fois, si on veut, à embesouigner reieterrejeter
l’ame sur ce mesme instant à autres pensemens,. mMais il la faut
tendre & roidir d’aguet. IeJe sçay qu’on peut aisément gourmā-
dergourman-
der l’effort de ce plaisir, & encore que ieje luy donne plus de
credit sur moy, que ieje ne deuroisdevrois, si est-ce que iejem’y conois bien,. eEt si n’ay point trouuétrouvé Venus si
imperieuse Deesse que plusieurs et plus chastes que moi la tesmouignent. IeJe ne prens
pas du tout pour miracle, comme faict la Royne de NauarreNavarre
Marguerite, en l’vnun des contes de son Heptameron (qui est
vnun gentil liurelivre pour son estoffe) ny pour chose d’extreme dif-
ficulté, de passer des nuicts entieres, en toute commodité
& liberté, auecavec vneune maistresse de long temps desirée,: mainte-
nant la foy qu’on luy aura engagéee de se contētercontenter des bai-
sers & simples attouchemens. IeJe croy que la comparaison du
plaisir’example de la chasse y seroit plus propre: auqueloOu il semble qu’il y
ait plus de rauissemētravissement: non pas à mon aduisadvis que le plaisir soit
si grand de soypareil, mais parce qu’il ne nous donne pas tant de
loisir de nous bander & preparer au contraire,: & qu’il nous
surprendCome il y a moins
de plaisir, il y a plus de rauissementravissement et de surprinse par ou nostre raison
estonee pert le loisir de se preparer et bander a l’encontre
de sa charge,: lors qu’apres vneune longue queste, la beste viētvient à l’im-
prouisteprovisteen sursaut à se presenter, auen lieu ou à l’aduētureadventure, nous l’esperiōsesperions
le moins. Cette secousse, de plaisiret lardurl’ardur de ces cris huees nous frappe:, si furieusemētfurieusement,
qu’il seroit ⁁ ⁁ de uraivrai malaisé veritablement, à ceux qui ayment ⁁ ⁁ cette sorte de la chas-
se, de retirer en cet instant l’ame &sur ce point la pensée de ce rauissemētravissementailleurs.
L’amour faict place au plaisir de la chasse, disent les Poëtes:
vVoyla pourquoy ilsEt les poetes font Diane victorieuse du brandon &
des fleches de Cupidon.:
Quis non malarum quas amor curas habet
Haec inter obliuiscitur? en ça
C’est-icy vnun fagotage de pieces descousues: ieje me suis detour-
né de ma voye, pour dire ce mot de la chasse. Mais pPour reuereve-
Z z
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nir à mon propos, ieje me compassionne fort tendrement des
afflictions d’autruy, & pleurerois aiseement par compaignie, si
pour occasion que ce soit, ieje sçauoissçavois pleurer. ⁁
⁁ Il n’est rien qui
tente mes larmes que
les larmes. Non uraiesvraies
sulement mais comant
que ce soit ou feintes
ou peintes.
Les morts ieje ne
les plains guiere,: & les enuieroisenvierois plutost,: mais ieje plains bien
fort les mourans. Les sauuagessauvages ne m’offensent pas tant, de ro-
stir & manger les corps des trespassez, que ceux qui les tour-
mentent & persecutent viuansvivans. Les executions mesme de la
iusticejustice pour raisonnables qu’elles soyent, ieje ne les puis voir
d’vneune veuë ferme. Quelcun ayant à tesmoigner la clemence
de IuliusJulius Caesar,: Il estoit, dit-il, doux en ses vengeances: ayant
forcé les Pyrates de se rendre à luy qu’ils auoyentavoyent auparauantauparavant
pris prisonnier & mis à rançon, d’autant qu’il les auoitavoit me-
nassez de les faire mettre en croix, il les y condemna, mais ce
fut apres les auoiravoir faict estrangler: Philomon son secretaire
qui l’auoitavoit voulu empoisonner, il ne le punit pas plus aigre-
ment que d’vneune mort simple. Sans dire qui est cest autheur
Latin, qui ose alleguer pour tesmoignage de clemence, de seu-
lement tuer ceux, desquels on à esté offencé, il est aisé à deui-
nerdevi-
ner qu’il n’estoit pas du temps de la bonne Rome, & qu’il iuju-
ge selon lesest frape des vilains & horribles exemples de cruauté, que les
tyrans Romains mirent depuis en vsageusage. Quant à moy, en la
iusticejustice mesme tout ce qui est au dela de la mort simple, me
semble pure cruauté: &Et notamment à nous: qui deurionsdevrions a-
uoira-
voir respect d’en enuoyerenvoyer les ames en bon estat,. cCe qui ne se
peut, les ayant agitées & desesperées par tourmens insuppor-
tables. ⁁
⁁ LesCes ioursjours passes un soldat prisonier aiant aperceu d’une tour ou il estoit, qu’en la place on comançoit ades charpantiers cōançointcomançoint a
dresser des nouueausnouveaus apprest de boisleurs ouuragesouvrages et le peuple a s’y assambler tint que c’estoit pour luy et entre en desespoir
n’ayant autre chose a se tuer se saisit d’un ⁁ uieusvieus clou de charrete ⁁ rouille que la fortune luy presanta et s’en dona deus grands coups
autour de la gorge: et uoiantvoiant qu’il n’en auoitavoit peu esbranler sa uievie s’en dona un autre tantost apres dans le uātrevantre
de quoi il tumba en euanouissementevanouissement Et en cet estat le trouuatrouva le premier de ses gardes qui entra pour le uoirvoir On le
fit reuenirrevenir et pour ēploieremploier le temps auātavant qu’il trespassatdefaillit on luy fit sur l’heure lire sa sātācesantance qui estoit d’auoiravoir sa
teste tranchee: de laquelle il se trouuatrouva infiniement resiouiresjoui et accepta a prādreprandre du uinvin qu’il auoitavoit refuse
et remerciant les iugesjuges de la douceur inesperee de leur cōdānationcondamnation dict que cete deliberation de se tuer luy
estoit uenuevenue par l’horrur de quelque plus cruel supplice duquel luy auointavoint augmenté la creinte les apprets
pour en fuir une plus insupportable. Les deux tiers de la dernière ligne ont été rognés et l’édition de 1595 donne une rédaction quelque peu différente, en particulier après :
"remerciant les iugesjuges de la douceur inesperee de leur cōdānationcondamnation".
La version de 1595 est alors la suivante : Qu’il auoitavoit prins party, d’appeller la mort,
pour la crainte d’vneune mort plus aspre & insupportable:
ayant conceu opinion par les apprests qu’il auoitavoit veu faire en la place,
qu’on le vousist tourmenter de quelque horrible supplice: & sembla estre deliurédelivré de la mort,
pour l’auoiravoir changée.
IeJe conseillerois que ces exēplesexemples de rigueur, par le moyēmoyen
desquels on veut tenir le peuple en office, s’exerçassent cōtrecontre
les corps des criminels: cCar de les voir priuerpriver de sepulture, de
les voir bouillir & mettre à quartiers, cela toucheroit quasi
autant le vulgaire, que les peines, qu’on fait souffrir aux viuāsvivans,
qQuoy que par effect ce soit peu, ou rien. ⁁
⁁ Come dieu dict
Qui corpus occidūtoccidunt et postea
non habent quod faciant
Et les poëtes font singu=
lierement ualoirvaloir l’horrur de cette peinture et audessus de la mort.
Heu relliquias semiassi regis denudatis ossibus
Per terram sania sanie delibutas foede diuexarier.
IeJe me rencontray
vnun iourjour à Rome sur le point qu’on défaisoit Catena, vnun vo-
LIVRE SECOND. 174182
leur fameux,insigne: on l’estrangla sans aucune émotion de l’assistā-
ceassistan-
ce,: mais quand on vint à le mettre à quartiers, le bourreau ne
donnoit coup, que le peuple ne suiuitsuivit d’vneune vois pleintiuepleintive, &
d’vneune exclamation, comme si chácun eut presté son sentimētsentiment
à cette charongne. Il faut exercer ces inhumains excez contre
l’escorce, non contre le vif. Ainsin amollit, en cas aucunement
pareil, ArtoxersesArtaxerses, l’aspreté des loix anciennes de Perse,: or-
donnant que les Seigneurs qui auoyentavoyent failly en leur estat, au
lieu qu’on les souloit foïter, fussent despouilleés, & leurs veste-
ments foitez pour eux,: & au lieu qu’on leur souloit arracher
les cheueuxcheveux, qu’on leur ostat leur haut chappeau seulement. ⁁
⁁ Les AEgiptiens si deuotieuxdevotieux
estimoint bien satisfaire
a la iusticejustice diuinedivine luy sacri=
fiant des pourceaus peintsen figure et
represantez: inuantioninvantion hardie
de uouloirvouloir paier en peinture
et en ombrage Dieu, substance
si essantielle.
IeJe vy en vneune saison en laquelle nous foisonnons en exemples
incroyables de ce vice, pourpar la licence de nos guerres ciuilesciviles:
&Et ne voit on rien aux histoires anciennes, de plus extreme,
que ce que nous en essayons tous les ioursjours. Mais cela ne m’y à
nullement apriuoiséaprivoisé. A peine me pouuoypouvoy-ieje persuader, auantavant
que ieje l’eusse veu, qu’il se fut trouuétrouvé des ames si monstrueu-
ses, qui pour le seul plaisir du meurtre le voulussent commet-
tre,: hacher & détrencher les membres d’autruy,: esguiser leur
esprit à inuenterinventer des tourmens inusitez, & des morts nou-
uellesnou-
velles,: sans inimitié, sans profit,: & pour cette seule fin, de
iouïrjouïr du plaisant spectacle des gestes, & mouuemensmouvemens pitoya-
bles, des gemissemens, & voix lamentables, d’vnun hōmehomme mou-
rātmou-
rant en tormātstormantsengoisse. Car voyla l’extreme point, ou la cruauté puisse
atteindre. ⁁
⁁ Vt homo hominem
non iratus non
timens, tantum
spectaturus occidat
De moy ieje n’ay pas sçeu voir seulemētseulement sans desplai-
sir, poursuiurepoursuivre & tuer vneune beste innocēteinnocente, qui est sans deffen-
ce, & de qui nous ne receuonsrecevons aucune offence. Et cōmecomme il ad-
uientad-
vient communement que le cerf se sentātsentant hors d’alaine & de
force, n’ayant plus autre remede, se reietterejette & rend à nous
mesmes qui le poursuiuōspoursuivons, nous demādātdemandant mercy par ses larmes.,
quaestuque cruentus
Atque imploranti similis,
⁁ ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce m’a tousiourstousjours semblé vnun spectacle tres-deplaisant. IeJe ne
prens guiere beste en vie à qui ieje ne redonne les champs. Py-
thagoras les achetoit des pescheurs & des oyseleurs, pour en
faire autant:.
primóque à caede ferarum
Incalauisse puto maculatum sanguine ferrum.
Les naturels sanguinaires à l’endroit des bestes, tesmoignent
vneune propēsiōpropension naturelle à la cruauté. Apres qu’on se fut appri-
uoiséappri-
voisé à Romme aux spectacles des meurtres des animaux, on
vint aux hommes & aux gladiateurs. Nature, à ce creins-ieje, el-
le mesme attache à l’hōmehomme quelque instinct à l’inhumanité.
Nul ne prent goustson esbat à voir des bestes s’entreiouerentrejouer & caresser,:
& nul ne faut de s’esiouyresjouyrle prendre, à les voir s’entredeschirer & desmā-
brerdesman-
brer. Et afin qu’on ne se moque de cette sympathie & amitié,
que ieje cōfesseconfesse auoiravoirij’ay auecquesavecques elles, & qu’on ne l’outrage trop
rudement:, la Theologie mesme nous ordonne quelque fa-
ueurfa-
veur en leur endroit: & considerant que vnun mesme maistre
nous à logez en ce palais pour son seruiceservice, & qu’elles sont, cō-
mecom-
me nous, de sa famille, elle à raison de nous ordōnerordonnerenioindreenjoindre quelque
respect & affection enuersenvers elles. Pythagoras emprūtaemprunta la Me-
tempsichose des AEgyptiens, mais despuis elle à esté receuë
par plusieurs nations, & notamment par nos Druides.,
Morte carent animae, sempérque priore relicta
Sede, nouis domibus viuūtvivunt, habitánteque receptae.
La Religion de nos anciens Gaulois, portoit que les ames e-
stant eternelles ne cessoyent de se remuer & changer de place
d’vnun corps à vnun autre: mMeslant en outre à cette fantasie, quel-
que consideration de la iusticejustice diuinedivine: car selon les déporte-
mens de l’ame, pendant qu’elle auoitavoit esté chez Alexandre, ils
disoyent que Dieu luy ordonnoit vnun autre corps à habiter,
plus ou moins vilepenible, & raportant à sa condition.:
muta ferarum
Cogit vincla pati, trucūlentostrucunlentos ingerit vrsis,
LIVRE SECOND. 175183
Praedonésque lupis, fallaces vulpibus addit,
Atque vbi per varios annos per mille figuras
Egit, lethaeo purgatos flumine tandem
Rursus ad humanae reuocat primordia formae.
Si elle auoitavoit esté vaillante, la logeoient au corps d’vnun Lyon,: si
voluptueuse, en celuy d’vnun pourceau,: si láche, en celuy d’vnun
cerf ou d’vnun liéureliévre,: si malitieuse, en celuy d’vnun renard,: ainsi du
reste,: iusquesjusques à ce que purifiée par ce chastiemētchastiement elle reprenoit
le corps de quelque autre homme.,.
Ipse ego, nam memini, Troiani tempore belli
Panthoides Euphorbus eram.
Quant à ce cousinage là d’entre nous & les bestes, ieje n’en fay
pas grand recepte: nNy de ce aussi que plusieurs nations & no-
tamment des plus anciennes & plus nobles, ont non seulemētseulement
receu des bestes, à leur societé & cōpaigniecompaignie, mais leur ont don-
né vnun rang bien loing au dessus d’eux, les estimant tantost fa-
milieres, & fauoriesfavories de leurs dieux,: & les ayant en respect &
reuerencereverence plus qu’humaine,. &Et d’autres ne reconnoissant autre
Dieu, ny autre diuinitédivinité qu’elles.: Belluae a barbaris propter beneficium consecratae.
crocodilon adorat
Pars haec, illa pauet saturam serpentibus Ibin,
Effigies sacri hic nitet aurea cercopitheci
hic piscem fluminis, illic
Oppida tota canem venerantur.
Et l’interpretation mesme que Plutarque donne à cet erreur,
qui est tresbien prise, leur est encores honorable: cCar il dit que
ce n’estoit le chat, ou le boeuf (pour exemple) que les EgyptiēsEgyptiens
adoroient, mais qu’ils adoroient en ces bestes là, quelque ima-
ge des operationsfacultez diuinesdivines: eEn cette-cy la patience,⁁ ⁁ et l’utilite en cet autre, ⁁
l’in en celle-cycette-la la viuacitévivacité, où ⁁
⁁ l’amour de la liberte
et l’impatiance de se souffrir
uoirvoir en seruiceservice et pourtātpourtant
les Alemans et Montaigne a conservé ce "et" alors qu’il n’a pas effacé le "ou" du texte de 1588. La version de 1595 conserve le "ou" à la place du "et". Bourguignons
qui auointavoint la liberté
come nos uoisinsvoisins les
Bourguignons et sont auecavec
toute l’Alemaigne l’impatiāceimpatiance
de se uoirvoir enfermee par ou
ils se represantoint la liberte
la quelle ils aimoint et adoroint
audela de toute autre faculte diuinedivine
quelque autre effect, & ainsi des autres. Mais
quand ieje rencontre parmy les opinions plus moderées, les dis-
cours qui essayent à montrer la prochaine ressemblance de
Zz iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous aux animaux:, & cōbiencombien ils ont de part à nos plus grands
priuilegesprivileges,: & auecavec combien de vray semblance on nous les ap-
parie,: certes ij’en rabats beaucoup de nostre presomption:, &
me demets volontiers de cette royauté vaine & imaginaire,
qu’on nous dōnedonne sur les autres creatures. QuādQuand tout cela en
seroit à dire, si y a-il vnun certain respect, qui nous attache, & vnun
general deuoirdevoir d’humanité, nōnon aux bestes seulemētseulement, qui ont
vie & sentimētsentiment, mais aux arbres mesmes & aux plātesplantes. Nous
deuonsdevons la iusticejustice aux hommes, & la grace & la benignité aux
autres creatures, qui en peuuentpeuvent estre capables. Il y à quelque
commerce entre elles & nous, & quelque obligation mu-
tuelle. ⁁
⁁ IeJe ne creins point a dire la
facilitetendresse de ma nature,
si abatuepuerille, que ieje ne puis pas
bien refuser a mon chien et
a mon chat lesla caressesfeste qu’il
m’offre, mesmes hors de
saison: ou qu’il me demādedemande de moi.
Les Turcs ont des aumosnes & des hospitaux pour les
bestes: lLes Romains auoientavoient vnun soing public de la nourriture
des oyes, par la vigilance desquelles leur Capitole auoitavoit esté
sauuésauvé: lLes Atheniens ordonnerent que les mules & mulets:
qui auoientavoient seruyservy au bastiment du temple appellé Hecatom-
pedon fussent libres,: & qu’on les laissast paistre par tout sans
empeschement. ⁁
⁁ Les Agrigentins auointavoint
en usage commun d’enter=
rer serieusement les bestes
qu’ils auointavoint eu cheres
comme dles cheuauschevaus de quelque
rare merite dles chiens
& dles oiseaus utiles: ou
mesme qui auointavoint seruiservi
de passetemps a leurs
enfans. eEt la magnificence
qui leur estoit ordinere
en toutes autres choses,
paressoit aussi singulie=
remant a la sumptoisite
des monumans et nombre
des monuments esleuesesleves
a cette fin: qui ont duré
en parade a plusieurs
siecles despuis. Les AEgiptiēsAEgiptiens
enterroint les loups les ours les
crocodiles les chiens et les chats
en lieus sacrez et d’enbasmoint
leurs corps & portoint le deuil a
leur trespas
Cimon fit vneune sepulture honorable aux iu-
mentsju-
ments, auecavec lesquelles il auoitavoit gaigné par trois fois le pris de la
course aux ieuxjeux Olympiques.: LlL’ancien Xantippus fit enterrer
son chien sur vnun chef, en la coste de la mer, qui en à depuis re-
tenu le nom.: EetEt Plutarque faisoit, dit-il, conscience de vēdrevendre
& enuoierenvoier à la boucherie, pour vnun legier profit, vnun boeuf qui
l’auoitavoit long temps seruyservy.
Apologie de Raimond Sebond.
CHAP. XII.
C’EST à la verité vneune tres-vtileutile & grande partie que
la science:, ceux qui la mesprisent tesmoignent assez
leur bestise: mais ieje n’estime pas pourtant sa valeur
iusquesjusques à cette mesure extreme qu’aucuns luy at-
tribuent: comme Herillus le philosophe, qui logeoit en elle le
LIVRE SECOND. 176184
souuerainsouverain bien, & tenoit qu’il fut en elle de nous rendre sages
& contens: ce que ieje ne croy pas: ny ce que d’autres ont dict,
que la sciēcescience est mere de toute vertu, & que tout vice est pro-
duit par l’ignorance. Si cela est vray, il est subiectsubject à vneune lōguelongue
interpretation. Ma maison à esté de long temps ouuerteouverte aux
gens de sçauoirsçavoir, & en est fort conneuë, car mon pere qui l’a
commandée cinquante ans & plus, eschauffé de cette ardeur
nouuellenouvelle, dequoy le Roy François premier embrassa les lettres
& les mit en credit, rechercha auecavec grand soing & despence
l’accointance des hommes doctes, les receuantrecevant chez luy, com-
me personnes sainctes, & ayans quelque particuliere inspira-
tion de sagesse diuinedivine, recueillant leurs sentences, & leurs dis-
cours comme des oracles, & auecavec d’autant plus de reuerencereverence,
& de religiōreligion, qu’il auoitavoit moins de loy d’en iugerjuger,: car il n’auoitavoit
aucune connoissance des lettres, non plus que ses predeces-
seurs. Moy ieje les ayme bien, mais ieje ne les adore pas. Entre au-
tres, Pierre Bunel, homme de grande reputation de sçauoirsçavoir
en son temps, ayant arresté quelques ioursjours ⁁
⁁ a Montaigne
en la compaignie
de mon pere, auecavec d’autres hommes de sa sorte, luy fit present
au départirdesloger, d’vnun liurelivre qui s’intitule la THEOLOGIE NA-
TVRELLE DE RAIMOND SEBONDTheologia naturalis siue liber creaturarum
magistri Raymondi de Sabonde. Et par ce que la
langue Italienne & Espaignolle estoient familieres à mon pe-
re, & que ce liurelivre est basty d’vnun Espagnol barragoiné en ter-
minaisons Latines, il esperoit qu’auecavec vnun bien peu d’aide, il en
pourroit faire son profit, & le luy recommanda, comme li-
ureli-
vre tres-vtileutile & propre à la saison, en laquelle il le luy dōnadonna: ce
fut lors que les nouuelleteznouvelletez de Luther commençoient d’ētrerentrer
en credit, & esbransler en beaucoup de lieux nostre ancienne
creance. En quoy il auoitavoit vnun tresbon aduisadvis, preuoyantprevoyant bien
par discours de raison, que ce commencement de maladie, de-
clineroit aysément en vnun execrable atheisme: car le vulgaire
(& tout le monde est quasi de ce genre) n’ayant pas dequoyla faculte de
ESSAIS DE M. DE MONT.
iugerjuger des choses par elles mesmes & par la raison, se laissant
emporter à la fortune & aux apparences, apres qu’on luy à
mis en main la hardiesse de mespriser & contreroller les opi-
nions, qu’il auoitavoit euës en extreme reuerencereverence, comme sont cel-
les où il va de son salut, & qu’on à mis lesaucuns articles de sa religiōreligion
en doubte & à la balance, il iettejette tantost apres aisémētaisément en pa-
reille incertitude toutes les autres pieces de sa creance, qui n’a-
uoienta-
voient pas chez luy plus d’authorité ny de fondemētfondement, que cel-
les qu’on luy à esbranlées: & secoue comme vnun iougjoug tyranni-
que toutes les impressions, qu’il auoitavoit receues par l’authorité
des loix, ou reuerencereverence de l’ancien vsageusage,
Nam cupide conculcatur nimis ante metutum.:
entreprenant deslors en auantavant, de ne receuoirrecevoir rien, à quoy il
n’ait interposé son decret & presté ⁁ ⁁ particulier consentement. Or quel-
ques ioursjours auantavant sa mort, mon pere ayant de fortune rencon-
tré ce liurelivre soubs vnun tas d’autres papiers abandōnezabandonnez, me com-
manda de le luy mettre en François. Il faict bon traduire les
autheurs, comme celuy-là, où il n’y à guiere que la matiere à
representer: mais ceux qui ont donné beaucoup à la grace, &
à l’elegance du langage, ils sont malaisezdangereus à entreprendre.⁁
⁁ : nomeemant
pour les raporter
a un ’ idiome
plus foible.
C’e-
stoit vneune occupation bien estrange & nouuellenouvelle pour moy:
mais estant de fortune pour lors de loisir, & ne pouuantpouvant rien
refuser au commandement du meilleur pere qui fut onques,
ij’en vins à bout, comme ieje peus: à quoy il print vnun singulier
plaisir, & donna charge qu’on le fit imprimer: ce qui fut exe-
cuté apres sa mort. auecavec la nonchalance qu’on void, par l’infi-
ny nombre des fautes, que l’imprimeur y laissa, qui en eust la
conduite luy seul. IeJe trouuaytrouvay belles les imaginations de cet
autheur, la contexture de son ouurageouvrage bien tissuesuiuiesuivie, & son des-
sein plein de pieté. Par ce que beaucoup de gens s’amusent à le
lire, & notamment les dames, à qui nous deuonsdevons plus de ser-
uiceser-
vice, ieje me suis trouuétrouvé souuentsouvent à mesme de les secourir, pour
des-
LIVRE SECOND. 177185
descharger leur liurelivre de deux principales obiectiōsobjections qu’on luy
faict. Sa fin est hardie & courageuse, car il entreprend par rai-
sons humaines & naturelles, establir & verifier cōtrecontre les athei-
stes tous les articles de la religion Chrestienne. Enquoy, à di-
re la verité, ieje le trouuetrouve si ferme & si heureux, que ieje ne pense
point qu’il soit possible de mieux faire en cet argument là, &
croy que nul ne l’a esgalé: cet ouurageouvrage me semblant trop ri-
che & trop beau, pour vnun autheur, duquel le nom soit si peu
conneu, & duquel tout ce que nous sçauonssçavons, c’est qu’il estoit
Espaignol, faisant profession de medecine à Thoulouse, il y a
enuironenviron deux cens ans,: ieje m’enquis autrefois à Adrien Tour-
nebeuf, qui sçauoitsçavoit toutes choses, que ce pouuoitpouvoit estre de ce
liurelivre: il me respondit, qu’il pensoit que ce fut quelque quinte
essence tirée de S. Thomas d’Aquin: car de vray cet esprit là,
plein d’vneune eruditiōerudition infinie & d’vneune subtilité admirable, estoit
seul capable de telles imaginations. Tant y à que quiconque
en soit l’autheur & inuēteurinventeur (& ce n’est pas raison d’oster sans
plus grande occasion à Sebond ce tiltre) c’estoit vnun tres-suffi-
sant homme, & ayant plusieurs belles parties. La premiere re-
prehension qu’on fait de son ouurageouvrage, c’est que les ChrestiēsChrestiens
se font tort de vouloir appuyer leur creance, par des raisons
humaines, qui ne se conçoit que par foy, & par vneune inspiratiōinspiration
particuliere de la grace diuinedivine. En cette obiectionobjection, il semble
qu’il y ait quelque zele de pieté:, & à cette cause nous faut-il a-
ueca-
vec autant plus de douceur & de respect essayer de satisfaire à
ceux qui la mettent en auantavant. Ce seroit mieux la charge d’vnun
homme versé en la Theologie que de moy, qui n’y sçay rien.
Toutefois ieje iugejuge ainsi, qu’à vneune chose si diuinedivine & si hautaine,
& surpassant de si loing l’humaine intelligence, comme est
cette verité, de laquelle il à pleu à la sacrosaincte bonté de
Dieu nous illumineresclerer, il est bien besoin qu’il nous preste enco-
re son secours, d’vneune faueurfaveur extraordinaire & priuilegéeprivilegée, pour
AAa
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la pouuoirpouvoir conceuoirconcevoir & loger en nous: & ne croy pas que les
moyens purement humains en soyent aucunement capables.
Et s’ils l’estoient, tant d’ames rares & excellentes, & si abon-
damment garnies de forces naturelles és siecles anciens, n’eus-
sent pas failly par leur discours, d’arriuerarriver à cette connoissance.
C’est la foy seule qui embrasse viuementvivement & certainement les
hauts mysteres de nostre Religion: mMais ce n’est pas à dire, que
ce ne soit vneune tresbelle & tresloüable entreprinse, d’accom-
moder encore au seruiceservice de nostre foy, les vtilsutils naturels & hu-
mains, que Dieu nous à dōnezdonnez. Il ne faut pas douter que ce ne
soit l’vsageusage le plus honorable, q̄que nous leur sçaurions dōnerdonner: &
qu’il n’est occupatiōoccupation ny dessein plus digne d’vnun homme Chre-
stien, que de viser par tous ses estudes & pensemens à embel-
lir, estandre & amplifier la verité de sa creance. Nous ne nous
contentons point de seruirservir Dieu d’esprit & d’ame: nous luy
deuonsdevons encore, & rendons vneune reuerencereverence corporelle: nous ap-
pliquons nos membres mesmes, & nos mouuementsmouvements & les
choses externes à l’honorer. Il en faut faire de mesme, & accō-
paigneraccon-
paigner nostre foy de toute la raison qui est en nous: mais
tousiourstousjours auecavec cette reseruationreservation, de n’estimer pas que ce soit
de nous qu’elle dépende, ny que nos efforts & argumēsargumens puis-
sent parfaireatteindre a vneune si supernaturelle & diuinedivine science. Si elle
n’entre chez nous par vneune infusion extraordinaire: si elle y en-
tre non seulement par discours, mais encore par moyens hu-
mains, elle n’y est pas en sa dignité ny en sa splendeur. Et cer-
tes ieje crain pourtant que nous ne la iouyssionsjouyssions que par cette
voye. Si nous tenions à Dieu par l’entremise d’vneune foy viuevive: si
nous tenions à Dieu par luy, non par nous: si nous auionsavions vnun
pied & vnun fondement diuindivin, les occasions humaines n’au-
roient pas le pouuoirpouvoir de nous esbranler, comme elles ont: no-
stre sort ne seroit pas pour se rendre à vneune si foible batterie:
l’amour de la nouuelleténouvelleté, la contraincte des Princes, la bonne
LIVRE SECOND. 178186
fortune d’vnun party, le changement temeraire & fortuite de
nos opinions, n’auroient pas la force de secouër, & alterer no-
stre croiance: nous ne la lairrions pas troubler à la mercy d’vnun
nouuelnouvel argument, & à la persuasion, non pas de toute la Rhe-
torique qui fust onques: nous soutienderions ces flots d’vneune
fermeté inflexible & immobile.,
Illisos fluctus rupes vt vasta refundit
Et varias circum latrantes dissipat vndas
Mole sua.
Si ce rayon de la diuinitédivinité nous touchoit aucunement, il y pa-
roistroit par tout: non seulement nos parolles, mais encore
nos operations en porteroiētporteroient la lueur & le lustre. Tout ce qui
partiroit de nous on le verroit illuminé de cette noble clarté:
nNous deurionsdevrions auoiravoir honte de ce, qu’és sectes humaines il ne
fust iamaisjamais partisan, quelque difficulté & estrangeté q̄que main-
tint sa doctrine, qui n’y conformast aucunement ses deporte-
mens & sa vie: & toutesfois vneune si diuinedivine & celeste institution
ne marque les Chrestiens que par la langue. Voulez vous voir
cela, comparez nos meurs à vnun Mahometan, à vnun Payen, vous
demeurez tousiourstousjours au dessoubs: lLà où au regard de l’auanta-
geavanta-
ge de nostre religion, nous deurionsdevrions luire en excellence, d’vneune
extreme & incomparable distance: & deuroitdevroit on dire, sont ils
si iustesjustes, si charitables, si bons, ils sont donq Chrestiens. ⁁
⁁ Toutes autres marquesapparācesapparances
sont communes a toutes
relligions: esperance
confiance, euenemāsevenemans
ceremonies poenitance
martyres. La marque
peculiere de nostre
ueriteverite deuroitdevroit estre
nostre bonteuertuvertu come elle
est aussi la plus digne
et celeste difficille et
conforme plus difficillerare et
la plus conforme a la ueriteverite
la plusceleste
marque et la plus
difficille difficile et que c’est
qu la plus digne production
de la ueriteverite. Voici une hypothèse de reconsitution des différentes variantes :
1- la plus digne et celeste.
2- la plus digne difficille et conforme (rédaction inachevée)
3- la plus digne plus difficille et la plus conforme a la verite.
4- la plus celeste difficille rare et la plus conforme a la verite.
5- la plus celeste marque et la plus difficile et que c’est la plus digne production de la verite
Pour-
tant eust raison nostre bon S.Loys, quādquand ce Roy Tartare, qui
s’estoit faict Chrestien, desseignoit de venir à Lyon, baiser les
pieds au Pape, & y reconnoistre la sanctimonie qu’il esperoit
trouuertrouver en nos meurs, de l’en destourner instamment, de peur
qu’au contraire, nostre desbordée façon de viurevivre ne le dégou-
tast d’vneune si saincte creance. CōbienCombien que depuis il aduintadvint tout
diuersementdiversement, à cet autre, lequel estātestant allé à Romme pour mes-
me effect, y voyant la dissolution des prelats, & peuple de ce
temps là, s’establit d’autant plus fort en nostre religion, consi-
AAa ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
derant combien elle deuoitdevoit auoiravoir de force & de diuinitédivinité, à
maintenir sa dignité & sa splēdeursplendeur, parmy tant de corruptiōcorruption,
& en mains si vicieuses. Si nous auionsavions vneune seule goute de foy,
nous remuerions les montaignes de leur place, dict la saincte
parole, nos actions qui seroient guidées & accompaignées de
la diuinitédivinité, ne seroient pas simplemētsimplement humaines, elles auroiētauroient
quelque chose de miraculeux, cōmecomme nostre croyance:⁁
⁁ Breuis est insti=
tutio uitae honestae
beataeque, si credas.
Les uns font accroire
au monde qu’ils croïent ce
qu’ils ne croient pas. Les autres
en plus grand nombre se le
font accroire a eus mesmes
ne sachans pas penetrer que
c’est que croire. Et nous
& nNous
trouuonstrouvons estrāgeestrange si aux guerres, qui pressent à cette heure no-
stre estat, nous voyons flotter les euenemētsevenements & diuersifierdiversifier d’v-
neu-
ne maniere commune & ordinaire: c’C’est que nous n’y appor-
tons rien que le nostre. La iusticejustice, qui est en l’vnun des partis, elle
n’y est que pour ornement & couuerturecouverture: eElle y est bien alle-
guée, mais elle n’y est ny receuë, ny logée, ny espousée: eElle y
est comme en la bouche de l’aduocatadvocat, non comme dans le
coeur & affection de la partie. Dieu doibt son secours extra-
ordinaire à la foy & à la religion, non pas aux hōmeshommes.nos passions. Les hō-
meshom-
mes y sont cōducteursconducteurs, & s’y seruentservent de la religion: ce deuroitdevroit
estre tout le contraire. ⁁
⁁ Sentez si ce n’est par nos
mains que nous la menons: a
tirer come de cire tant de
diuersesdiverses figures contreres,
d’une regle si droite et si ferme.
Quand c’est il ueuveu mieus qu’en
France en nos ioursjours. Ceus qui
l’ont prinse a gauche, ceus qui
l’ont prinse a droite: ceus qui
en disent le noir, ceus qui en
disent le blanc l’emploient si
pareillement a leurs uiolantesviolantes et
ambitieuses entreprinses s’y
conduisent d’un progrez si
conforme en desbordement et
iniusticeinjustice qu’ils rendent doub=
teuse et malaisee a croire la
diuersitediversite qu’ils pretandent de
leurs opinions en chose de la
quelle despant la conduite et loi
de nostre uievie. Peut on uoirvoir partir
de mesme escole et disp discipline
des meurs plus unies plus unes.
Voïes l’horrible impudance
de quoi nous pelotons les raisons
diuinesdivines et combien irreli=
gieusement nous les auonsavons
& reietteesrejettees & preprinses selon
selon que la fortune nous a
changé de place en sces orages
publiques Cete proposition
si solemne S’il est permis au
subietsubjet de se rebeller & armer
contre son prince pour la defance
de la relligion SouuieigneSouvieigne
uousvous en quelles bouches cette
annee bpassee c’estoit larcboutantl’arcboutant
d’un parti l’affirmatiueaffirmative d’icelle
estoit larcboutantl’arcboutant d’un parti, la
negatiuenegative de quel autre parti
c’estoit larcboutantl’arcboutant et oïes a
presant de quel cartier
vient la uoixvoix et instruction ⁁
⁁ de l’une et de lautrel’autre si et si les armes bruient moins pour cette cause que pour cettela Et nous
bruslons les gens qui disent qu’il faut faire souffrir a la ueriteverite le iougjoug de nostre besouin: et de
combien faict la france pis que de le dire.
D’auantageavantage, cConfessons la verité, qui
trieroit des ⁁ ⁁ l’armee mesmes legitime et moiene, nos armées ceux qui y marchētmarchent par le seul zele d’v-
neu-
ne affection religieuse, & encore ceux qui regardent seulemētseulement
la protection des loix de leur pays, ou seruiceservice du Prince, il n’en
sçauroit bastir vneune compaignie de gensdarmes cōpletecomplete. D’ou
vient cela, qu’il s’en trouuetrouve si peu, qui ayent maintenu mesme
volonté & mesme progrez en nos mouuemensmouvemens publiques, &
que nous les voyons tantost n’aller que le pas, tantost y courir
à bride aualéeavalée? & mesmes hommes tantost gaster nos affaires
par leur violence & aspreté, tantost par leur froideur, mollesse
& pesanteur, si ce n’est qu’ils y sont poussez par des conside-
tions particulieres ⁁ et casuelles, selon la diuersitédiversité desquelles ils se remuent? ⁁
⁁ IeJe uoisvois cela euidammantevidammant, que nous ne prestons uolantiersvolantiers a la deuotiondevotion, que
les offices qui flatent nos passions. Il n’est point d’hostilite excellante come la
chrestiene. Nostre zele faict merueillesmerveilles quand il uava secondātsecondant nostre pante uersvers la haine
la cruaute l’ambition l’auariceavarice la detraction la seditionrebellion. A contrepoil, uersvers la
bonte la benignite la temperance, si par come par miracle quelque rare complexion
ne l’y porte il ne uava ny de pied ny d’aile. Nostre relligion est faicte pour extirper les
uicesvices elle les couurecouvre et les nourrit les incite.
Il ne faut point faire barbe de foarre à Dieu, (comme on dict)
Si nous le croyons, ieje ne dy pas par foy, mais d’vneune simple
croyance: voire (& ieje le dis à nostre grande confusion) si nous
LIVRE SECOND. 179187
le croyons & cognoissiōscognoissions comme vneune autre histoire, comme
l’vnun de nos compaignons, nous l’aimerions au dessus de tou-
tes autres choses, pour l’infinie bonté & beauté qui reluit en
luy: au moins marcheroit il en mesme reng de nostre affe-
ction, que les richesses, les plaisirs, la gloire & nos amis. ⁁
⁁ Le meilleur de nous ne craind point de l’outrager, comme il craind d’outrager son voisin, son parent, son maistre.
Est il si simple entandemant, le quel aiant d’un cote l’obiectobject d’un de nos uicieusvicieus plaisirs, et d’e lautrel’autre en pareille
conoissance et persuasion, l’estat d’une gloire immortelle, entrat en troque de l’un pour lautrel’autre? Et si nous y
renonçons souuantsouvant de peur mespris, car quel gout nous attire au blasphemer, sinon a lauanturel’avanture le gout
mesme de l’offance. Le philosofe Antisthenes come on l’initioit es aus mysteres d’Orpheus le prestre luy disant
que ceus qui entrointse uouointvouoint ena cette colliege de relligion auointavoint a receuoirrecevoir apres leur mort des biens aeternels et parfaicts
Pourquoi ne meurs tu donq toi mesmesmesmesmes, luy fit il. Diogenes plus brusquement selon sa mode, et hors de nostre propos: au
prestre qui le preschoit de mesme de se faire de son ordre pour paruenirparvenir aus chams biens de lautrel’autre monde. Veus tu pas que ieje croïe
qu’Agesilaus et Epaminondas si grands homes seront miserables & que toi qui n’es qu’un ueauveau seras bien hureus par ce que tu es prestre
Ces
grandes promesses de la beatitude eternelle si nous les rece-
uionsrece-
vions de pareille authorité qu’vnun discours philosophique,
nous n’aurions pas la mort en telle horreur que nous auonsavons.
Non iam se moriens dissolui conquereretur
Sed magis ire foras, vestémque relinquere vt anguis
Gauderet, praelonga senex aut cornua ceruus.
IeJe veuil estre dissout, diriōsdirions nous, & estre auequesaveques IesusJesus-Christ.
La force du discours de Platon de l’immortalité de l’ame,
poussa bien aucuns de ses disciples à la mort, pour ioïrjoïr plus
promptement des esperances qu’il leur donnoit. Tout cela
c’est vnun signe tres-euidentevident que nous ne receuonsrecevons nostre reli-
gion qu’a nostre façon & par nos mains, & non autrement
que comme les autres religions se reçoyuētreçoyvent. Nous nous som-
mes rencontrez au païs, où elle estoit en vsageusage: où nous regar-
dons son anciennete, où l’authorité des hommes qui l’ont
maintenue, ou creignons les menaces qu’ell’attache aux mes-
creans, ou suyuonssuyvons ses promesses. Ces considerations la, doi-
uētdoi-
vent estre employées à nostre creance, mais comme subsidiai-
res: ce sont liaisons humaines. VneUne autre region, d’autres tes-
moings, paraeilles promesses & menasses, nous pourroyētpourroyent im-
primer par mesme voye vneune croyance contraire. Nous som-
mes Chrestiens à mesme titre que nous sommes ou Perigor-
dins ou Alemans. Et ce que dit Plato, qu’il est peu d’hommes
si fermes en l’atheisme, qu’vnun dangier pressant, vneune extreme
douleur, ou voisinage de la mort, ne ramenent par force à la
recognoissance de la diuinedivine puissance: ce rolle ne touche
point vnun vray Chrestien: c’C’est à faire aux religions mortelles
AAa iij
ESSAIS DE M. MONTA.
& humaines, d’estre receuës par vneune humaine cōduiteconduite. Qu’el-
le foy doit ce estre, que la lácheté & la foiblesse de coeur plan-
tent en nous & establissent? ⁁
⁁ C’est une plaisante relligiondeuotiondevotionfoiPlaisante foi
qui ne croit ce qu’elle croit que
pour n’auoiravoir le corage de le
descroire.
VneUne vitieuse passion, comme cel-
le de l’incōstanceinconstance & de l’estōnementestonnement, peut elle faire en nostre
ame aucune production reglée? ⁁
⁁ Ils establissent dict il par
la raison de leur iugemantjugemant et
deque ce qui se recite des enfers
& des peines & recompanses
futures ce sont fables poetiques
et le tienent ainsiest feint. Mais
la creintel’occasion de l’experimanter les
uenantvenant sesirsoffrants’offrant lors que la
vieillesse ou les maladies les
approchētapprochent de leur finmort la terrur
d’icelle leurs rāplitramplit la teste
d’une nouuellenouvelle superstition &creance par
l’horrur de leur condition a uenirvenir.
Et par ce que telles impressions
rendent les corages creintifs il
deffant en cses loix toute ins=
truction de telles menaces: et
la persuasion que des Dieus il
puisse uenirvenir aus l’home aucun mal.
Sinon pour son plus grand bien,
quand il y eschoit, et par un
medecinal effaict. Ils
recitent de Bion qu’infaict
des atheismes de Theodorus
il auoitavoit este longtemps se
moquant des homes relligieus
mais la mort le surprenātsurprenant
qu’il se rendit aus plus
extremes superstitions: come
si les dieus s’ostoint & se
remetoint selon lea besouin de
Bion l’affaire de Bion Platon
& ces exemples ueulētveulent conclurre
que nous somes ramenez a la
creance de Dieu ou par amour
ou par force. L’Atheisme estātestant
une proposition come desnaturee et
monstrueuse difficile aussi et
malaisee d’establir en lespritl’esprit
humain pour insolent & desregle
qu’il puisse estre. Il s’est ueuveu asses
s’en est ueuveu asses par uanitevanite et
par fierte de conceuoirconcevoir des opini=
ons non uulgueresvulgueres & reformatrices
du monde en affecter la profession
par contenance qui s’ils sont
asses fols ne sont pas asses forts
pour l’auoiravoir plantee en leur
consciance pourtant. Ils ne
lairront de iouindrejouindre les mains
vers le ciel si uousvous leur atachez
vnun bon coup despeed’espeee en la poitrine.
Et quand la creinte ou la
maladie aura abatu cette
licentieuse ferueurferveur d’humeur
volage ils ne lairront de se
reuenir & se laisser tout discre
tement manier aus creances
& exemples publiques. Autre chose est un dogme serieusement digere
autre chose ces impressions superficielles de la d lesquelles nees
de la desbauche d’un esprit desmanche uontvont nageant temereremēttemererement
et incertainement en la fantasie. Homes bien miserables et esceruelezescervelez
qui tachent d’estre pires qu’ils ne peuuentpeuvent.
L’erreur du paganisme, & l’i-
gnorance de nostre sainte verité, laissa tomber cette grande a-
me de Platon:, mais grande d’humaine grandeur seulement, encores en
cet autre voisin abus,: que les enfans & les vieillars se trouuenttrouvent
plus susceptibles de religion, comme si elle naissoit & tiroit
son credit de nostre imbecillité. Le neud qui deuroitdevroit attacher
nostre iugementjugement & nostre volonté, qui deuroitdevroit estreindre
nostre ame & ioindrejoindre à nostre createur, ce deuroitdevroit estre vnun
neud prenant ses repliz & ses forces, non pas de noz consi-
derations, de noz raisons & passions, mais d’vneune estreinte di-
uinedi-
vine & supernaturelle, n’ayant qu’vneune forme, vnun visage, & vnun
lustre, qui est l’authorité de Dieu & sa grace. Or nostre coeur
& nostre ame estant regie & commandée par la foy, c’est rai-
son qu’elle tire au seruiceservice de son dessain toutes noz autres pie-
ces selōselon leur portée. Aussi n’est-il pas croyable que toute cet-
te machine n’ait quelques marques empreintes de la main de
ce grand architecte, & qu’il n’y ait quelque image és choses
du monde raportant aucunement à l’ouurierouvrier, qui les à basties
& formées. Il à laissé en ces hauts ouuragesouvrages le caractere de sa
diuinitédivinité, & ne tient qu’à nostre imbecillité, que nous ne le
puissions descouurirdescouvrir. C’est ce qu’il nous dit luy mesme, que
ses operations inuisiblesinvisibles, il nous les manifeste par les visibles.
Sebond s’est trauaillétravaillé à ce digne estude, & nous monstre cō-
mentcom-
ment il n’est piece du monde, qui desmante son facteur. Ce
seroit faire tort à la bonté diuinedivine, si l’vniuersunivers ne consentoit à
nostre creance. Le ciel, la terre, les elemāselemans, nostre corps & no-
stre ame, toutes choses y conspirent: il n’est que de trouuertrouver le
moyen de s’en seruirservir: elles nous instruisent, si nous sommes
LIVRE SECOND. 180188
capables d’entendre. Car ce monde est vnun temple tressainct,
dedans lequel l’homme est introduict, pour y cōtemplercontempler des
statues, non ouureesouvrees de mortelle main, mais celles que la di-
uinedi-
vine pensee à faict sensibles.: Lle Soleil, les estoilles, les eaux &
la terre, pour nous representer les intelligibles. Les choses in-
uisiblesin-
visibles de Dieu, dit Saint Paul, apparoissent par la creatiōcreation du
monde, considerant sa sapience eternelle, & sa diuinitédivinité par ses
oeuuresoeuvres.
Atque adeo faciem coeli non inuidet orbi
Ipse Deus, vultúsque suos corpúsque recludit
Semper voluendo: seque ipsum inculcat & offert.
Vt bene cognosci possit, doceátque videndo
Qualis eat, doceátque suas attendere leges.
Si mōmon imprimeur estoit si amoureux de ces prefaces questées
& empruntées, dequoy par l’humeur de ce siecle il n’est pas
liurelivre de bonne maison, s’il n’en à le front garny, il se deuoitdevoit
seruirservir de tels vers, que ceux cy, qui sont de meilleure & plus
ancienne race, que ceux qu’il y est allé planter. Or nos raisons
& nos discours humains c’est cōmecomme la matiere lourde & steri-
le: la grace de Dieu en est la forme: c’est elle qui y dōnedonne la fa-
çon & le pris. Tout ainsi que les actions vertueuses de So-
crates & de Caton demeurent vaines & inutiles pour n’auoiravoir
eu leur fin, & n’auoiravoir regardé l’amour & obeïssance du
vray createur de toutes choses, & pour auoiravoir ignoré Dieu.
Ainsin est-il de nos imaginations & discours: ils ont quelque
corps, mais c’est vneune masse informe sans façon & sans iourjour, si
la foy & grace de Dieu n’y sont ioinctesjoinctes. La foy venant à tein-
dre & illustrer les argumens de Sebon, elle les rend’fermesrend fermes &
solides: ils sont capables de seruirservir d’acheminement, & de pre-
miere guyde à vnun aprentis, pour le mettre à la voye de cette
connoissance: ils le façonnent aucunement & rendent capa-
ble de la grace de Dieu, par le moyen de laquelle se parfour-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nit & se perfet apres nostre creance. IeJe sçay vnun homme d’au-
thorité nourry aux lettres, qui m’a confessé auoiravoir esté rame-
né des erreurs de la mescreance par l’entremise des argumens
de Sebond. Et quand on les despouillera de cet ornement, &
du secours & approbation de la foy, & qu’on les prēdraprendra pour
fantasies pures humaines, pour en combatre ceux qui sont
precipitez aux espouuantablesespouvantables & horribles tenebres de l’irre-
ligion, ils se trouueronttrouveront encores lors, aussi solides & autātautant fer-
mes, que nuls autres de mesme condition qu’on leur puisse
opposer. De façon que nous serōsserons sur les termes de dire à noz
parties,
Si melius quid habes accerse, vel imperium fer.:
Qqu’ils souffrent la force de noz preuuespreuves, ou qu’ils nous en fa-
cent voir ailleurs, & sur quelque autre suiectsuject, de mieux tissues,
& mieux estofées. IeJe me suis sans y penser à demy desiadesja enga-
gé dans la seconde obiectionobjection, à laquelle ij’auoisavois proposé de
respondre pour Sebond. Aucuns disent que ses argumēsargumens sont
foibles & ineptes à verifier ce qu’il veut, & entreprennent de
les choquer aysément. Il faut secouer ceux cy vnun peu plus ru-
dement, car ils sont plus dangereux & plus malitieux que les
premiers. Celuy qui est d’ailleurs imbu d’vneune creance, reçoit
bien plus aysément les discours qui luy seruentservent, que ne faict
celuy, qui est abreuuéabreuvé d’vneune opinion contraire, comme sont
ces gens icy. CetteOn couche uolontiersvolontiers le sens des escris d’autrui a la faueurfaveur des opinions qu’on a
preiugeesprejugees en soi: et un atheiste se flatera ramener tous autheurs a l’atheisme: infectant de
son propre ueninvenin la matiere estrangiere innocente.
Ceus cy Ils ont quelque preoccupation de iugementjugement qui leur rend le
goust fade aux raisons de Sebond. Au demeurant il leur sēblesemble
qu’on leur donne beau ieujeu, de les mettre en liberté de com-
batre nostre religion par les armes pures humaines, laquelle
ils n’oseroyent ataquer en sa majesté pleine d’authorité & de
commandement. Le moyen que ieje prens pour rabatre cette
frenaisie, & qui me semble le plus propre, c’est de froisser &
fouler aux pieds l’orgueil, & humaine fierté, leur faire sentir
l’inanité, la vanité, & deneantise de l’homme: leur arracher
des
LIVRE SECOND. 181189
des points, les chetiueschetives armes de leur raison: leur faire baisser
la teste & mordre la terre, soubs l’authorité & reuerancereverance de la
majesté diuinedivine. C’est à elle seule qu’apartient la science & la
sapience, elle seule qui peut estimer de soy quelque chose, &
à qui nous desrobons ce que nous nous contons, & ce que
nous nous prisons.
Οὐ γὰρ ἐᾶἐᾷ φρονέινφρονέειν ὁ θεὸϛ μέγα ἄλλον ἤἢ ἐωυτονἐωυτόν ⁁
⁁ Abatons ce cuider
premier fondemant de
la tirannie du diable
sur nous malin esperit
Deus superbis resistit
humilibus autem dat
gratiam. Sain L’intelligence
est en tous les dieus dict
Platon et en fort peu d’hommes
Or c’est cependant beaucoup de consolation à l’hōmehomme Chre-
stien, de voir nos vtilsutils mortels & caduques si proprement as-
sortis à nostre foy saincte & diuinedivine: que lors qu’ōon les emploie
aux suiectssujects de leur nature mortels & caduques, ils n’y soyent
pas appropriez plus vniementuniement ny auecavec plus de force. Voyons
donq si l’homme à en sa puissance d’autres raisons plus fortes
q̄que celles de Sebond: voire s’il est en luy d’arriuerarriver à aucune cer-
titude par argument & par discours. ⁁
⁁ Car Sainct Augustin
pleidant contre ces gens
icy a raisonoccasion de reprocher
leur iniusticeinjustice de tenir lesen ce qu’ils tienēttienent les
chosesparties de nostre creance
fauces sique nostre raison faut
a les establir Et pour
mōtrermontrer qu’asses de choses
peuuentpeuvent estre et auoiravoir este
desquelles nostre discours
ne peut establirsçauroit fonder de la nature
et dles causes il leur met en
auantavant cet certeines experi=
ances conues & indubitables
aus quelles l’home cōfesseconfesse
ne uoirvoir rien ne uoirvoir. eEt
cela come toutes autres choses
d’une curieuse et ingenieuse
recherche. Il faut plus
faire : et leur faire apr
aprandre que pour
conueincreconveincre la foiblesse
de leur raison, il n’est
besouin d’aler triant des
rares et difficiles examples
et qu’elle est si manque
et si aueugleaveugle, qu’il n’y a
nulle si clere facilite qui
luy soit asses clere: que
laisé et le malaisé luy
estsont un: que tous subietssubjets
esgalemant & la nature
en general desaduouedesadvoue
sa iurisdictionjurisdiction et entremise.
Que nous presche la ve-
rité, quand elle nous presche de fuir la mōdainemondaine philosophie,
quand elle nous inculque si souuantsouvant, que nostre sagesse n’est
que folie deuantdevant Dieu: que de toutes les vanitez la plus vaine
c’est l’homme: que l’homme qui presume de son sçauoirsçavoir, ne
sçait pas encore que c’est que sçauoirsçavoir: & que l’homme, qui
n’est rien, s’il pense estre quelque chose, se seduit soy mesmes
& se trompe? Ces sentences du sainct esprit, exprimētexpriment si clai-
rement & si viuemantvivemant ce que ieje veux maintenir, qu’il ne me
faudroit aucune autre preuuepreuve, cōtrecontre des gens qui se rendroiētrendroient
auecavec toute submission & obeïssance à son authorité. Mais
ceux cy veulent estre foitez à leurs propres despēsdespens, & ne veu-
lent souffrir qu’on cōbattecombatte leur raison q̄que par elle mesme. Con-
siderōsCon-
siderons donq pour cette heure l’homme seul, sans secours e-
stranger, armé seulemētseulement de ses armes, & desgarnypourueupourveu de la grace
& cognoissance diuinedivine, qui est tout son honneur, sa force, &
le fondement de son estre. Voyons combien il à de tenue en
ce bel equipage. Qu’il me face entendre par l’effort de son
BBb
ESSAIS DE M. DE MONTA.
discours, sur quels fondemens il à basty ces grands auātagesavantages,
qu’il pense auoiravoir sur les autres creatures. Qui luy à persuadé
que ce branle admirable de la voute celeste, la lumiere eter-
nelle de ces flambeaux roulans si fierement sur sa teste, les
mouuemensmouvemens espouuantablesespouvantables de cette mer infinie, soyent esta-
blis & se continuent tant de siecles pour sa cōmoditécommodité & pour
son seruiceservice? Est-il possible de riērien imaginer si ridicule, que cet-
te miserable & chetiuechetive creature, qui n’est pas seulement mai-
stresse de soy, exposée aux offēcesoffences de toutes choses, se die mai-
stresse & emperiere de l’vniuersunivers? duquel il n’est pas en sa puis-
sance de cognoistre la moindre partie, tant s’en faut de la cō-
mandercom-
mander. Et ce priuilegeprivilege qu’il s’atribue d’estre seul en ce grādgrand
bastimant, qui ayt la suffisance d’en recognoistre la beauté &
les pieces, seul qui en puisse rendre graces à l’architecte, & te-
nir conte de la recepte & mise du monde, qui luy à seelé ce
priuilegeprivilege? qu’il nous monstre lettres de cette belle & grande
charge. ⁁
⁁ Ont elles este ottroïees
en faueurfaveur des sages sulemētsulement
elles ne touchent guiere de
gens. Les fols et les meschans
meschans sont ils dignes
de faueurfaveur si extraordinere:
& estant la pire piece du
monde de comander au reste
d’estre praeferes a tout le
reste. En croirons nous cetuila.
Quorum igitur causa quis dixerit
effectum esse mundum? Eorum
scilicet animantiūanimantium quae ratione
utuntur. Hi sunt dij et homines,
quibus profecto nihil est melius.
Nous n’arons iamaisjamais asses
baffouè l’impudance de cet
accouplage.
Mais pauuretpauvret qu’à il en soy digne d’vnun tel auantageavantage? A
considerer cette vie incorruptible des corps celestes, leur
beauté, leur grandeur, leur agitation continuée d’vneune si iustejuste
regle:
Ccum suspicimus magni caelestia mundi
Templa super, stellisque micantibus Aethera fixum,
Et venit in mentem. Lunae solisque viarum:
A considerer la domination & puissance que ces corps là
ont, non seulement sur nos vies & conditions de nostre for-
tune,
Facta etenim & vitas hominum suspendit ab astris:.
Mais sur nos inclinations mesmes, nos discours, nos volōtezvolontez:
qu’ils regissent, poussent & agitent à la mercy de leurs influā-
cesinfluan-
ces, selon que nostre raison nous l’apprend & le trouuetrouve,
speculatáque longè
Deprendit tacitis dominantia legibus astra,
LIVRE SECOND. 182190
Et totum alterna mundum ratione moueri,
Fatorúmque vices certis discernere signis.
A voir que non vnun homme seul, non vnun Roy, mais les mo-
narchies, les empires, & tout ce bas monde se meut au branle
des moindres mouuemensmouvemens celestes:
Quantáque quam parui faciant discrimina motus:
Tantum est hoc regnum quod regibus imperat ipsis:.
Si nostre vertu, nos vices, nostre suffisance & science, & ce
mesme discours que nous faisons de la force des astres, & cet-
te comparaison d’eux à nous, elle vient, comme iugejuge nostre
raison, par leur moyen & de leur faueurfaveur:
furit alter amore,
Et pontum tranare potest & vertere Troiam,
Alterius sors est scribendis legibus apta,
Ecce patrem nati perimunt, natósque parentes,
Mutuáque armati coeunt in vulnera fratres,
Non nostrum hoc bellum est, coguntur tanta mouere,
Inque suas ferri poenas, lacerandáque membra,
Hoc quoque fatale est sic ipsum expendere fatūfatum.
Si nous tenons de la distribution du ciel cette part de raison
que nous auonsavons, comment nous pourra elle esgaler à luy? cō-
mantcom-
mant soub-mettre à nostre science son essence & ses condi-
tiōscondi-
tions? Tout ce que nous voyons en ces corps là, nous estōneestonne ⁁
⁁ : quae molitio, quae
ferramenta, quaei uectes
quae machinae, qui ministri
tanti operis fuerunt?
&
nous transit, pourquoy les priuōsprivons nous & d’ame, & de vie, &
de discours? y auōsavons nous recogneu quelque stupidité immo-
bile & insensible, nous qui n’auōsavons aucune cōmercecommerce auecquesavecques
eux q̄que d’obeïssance? ⁁
⁁ Dirons nous que
nous n’auonsavons ueuveu
qu’en nulle autre
creature qu’en l’home
l’usage d’un’ame
raisonable? Et
quoi auonsavons nous
ueuveu quelque chose sem=
blable au soleil
a la lune & aus
cinq planetes?
Laissent ils d’estre
parce que nous
n’auōsavons rien ueuveu
de semblable?
et ses mouuemensmouvemens destred’estre, par ce qu’il n’en est point de
pareils. Si ce que nous n’auōsavons pas ueuveu n’est pas, nostre
sciance est merueilleusemātmerveilleusemant racourcie. Quae sunt
tantae animi angustiae.
Sont ce pas des songes de l’humaine vani-
té, de faire de la Lune vneune terre celeste ⁁ ⁁ y songer des montaignes des ualleesvallees come Anaxagoras? y planter des habita-
tions & demeures humaines, & y dresser des colonies pour
nostre commodité, comme faict Platon & Plutarque? & de
nostre terre en faire vnun astre esclairant & lumineux? ⁁
⁁ Inter caetera mortalitatis
incommoda et hoc est: calligo
mentium: nec tantum
necessitas errandi sed
errorum amor. Et l’autre
Corruptibile corpus deprimit animam
aggrauat animam: et deprimit
terrena inhabitatio sensum multa
cogitantem.
La pre-
somption est nostre maladie naturelle & originelle. La plus
BBb ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
calamiteuse & foiblefraile de toutes les creatures c’est l’homme,
& quant & quant, dict Pline, la plus orgueilleuse. Elle se sent
& se void logée icy parmy la bourbe & le fient du monde,
attachée & clouée à la pire, plus morte & croupie partie de
l’vniuersunivers, au dernier estage du logis, & le plus esloigné de la
voute celeste, auecavec les animaux de la pire condition des trois:
& se va plantant par imagination au dessus du cercle de la
Lune, & ramenant le ciel soubs ses pieds. C’est par la vanité
de cette mesme imagination qu’il s’egale à Dieu, qu’il s’attri-
bue les conditions diuinesdivines, qu’il se trie soy mesme & separe de
la presse des autres creatures, taille les parts aux animaux ses
confreres & compaignons, & leur distribue telle portion de
facultez & de forces, que bon luy semble. Comment cognoit
il par l’effort de son intelligence, les branles internes & secrets
des animaux? par quelle comparaison d’eux à nous conclud il
la bestise qu’il leur attribue? ⁁
⁁ Quand ieje flateme iouejoue a ma
chate qui sçait si elle
se iouëjouë & passe desdeig=
neusement sa son temps
de mesoi singeries, plus que
ieje ne foi desdelled’elle sienes Platon
en sa peinture de leagel’eage
dore sous Saturne conte
entre les principaus aduan=
tagesadvan=
tages des l’homes de lors
la communication qu’ils
auavointt aueqaveq les bestes des
quelles s’enquerrant et
inferants’instruisant ils sçauointtsçavointt les
vraïes qualites & diffe
rances par ou ils acqueroītacqueroint
pour eus une tresparfaicte
intelligence & prudance
de chacune d’icelles par ou
ils acquerointt en eus une
tresparfaicte intellijance et
prudance: et en conduisoit
de bien loin plus hureusemēthureusement
leursa uievie que nous ne sçaurions
faire. Nous faut il meillure
preuuepreuve a iugerjuger l’impudāceimpudance
humaine sur le faict des
bestes. Le grand autheur
a opine qu’en la plus part de
la forme inte corpo=
relle que nature leur a done
ell’a regarde ⁁ ⁁ sulement lusagel’usage des
prognostications qu’il qu’on
en tiroit den son temps.
Ce mesme defaut qui empesche
la communication d’entre euxelles & nous, pourquoy n’est il
aussi bien à nous qu’à euxelles? C’est à deuinerdeviner à qui est la faute de
ne nous entendre point, car nous ne les entendons non plus
qu’euxelles nous. Par cette mesme raison, ilselles nous peuuentpeuvent esti-
mer bestes, comme nous les en estimons. Ce n’est pas grand
merueillemerveille, si nous ne les entendons pas, aussi ne faisons nous
les Basques & les Troglodites. Toutesfois aucuns se sont vā-
tezvan-
tez de les entendre, comme Apollonius, Thyaneus, MelāpusMelampus,
Tyresias, Thales & autres. Et puis qu’il est ainsi, comme di-
sent les cosmographes qu’il y à des nations qui reçoyuentreçoyvent vnun
chien pour leur Roy, il faut bien qu’ils donnent certaine in-
terpretatiōin-
terpretation à sa voix & mouuemētsmouvements. Il nous faut remarquer la
parité qui est entre nous: nNous auōsavons q̄lquequelque moyēnemoyenne intelligēceintelligence
de leurs mouuemāsmouvemans & de leur sens, aussi ont les bestes desu no-
stres, enuirōenviron à mesme mesure. Elles nous flatētflatent, nous menassētmenassent,
& nous requierētrequierent:, & nous à elles. Au demeurant nous decou-
LIVRE SECOND. 183191
urōsvrons bien euidēmentevidemment que entre elles, il y à vneune pleine & entiere
communication, & qu’elles s’entr’entendent, non seulement
celles de mesme espece, mais aussi d’especes diuersesdiverses.
Et mutae pecudes & denique secla ferarum
Dissimiles suerunt voces variásque cluere
Cum metus aut dolor est aut cum iam gaudia gliscunt.
En certain abbayer du chien le cheualcheval cognoist qu’il y a de
la menasse & de la colere: de certaine autre sienne voix, il ne
s’en effraye point. LesAus bestes mesmes qui n’ont pointpas de voix,
par la societé d’offices, que nous voyons entre elles, nous ar-
gumentons aisément, qu’elles ont quelque autre moyen de
communication,: leurs mouuemensmouvemens discourent & traictent:
Non alia longè ratione atque ipsa videtur
Protrahere ad gestum pueros infantia linguae,.
Pourquoy non, tout aussi bien que nos muets disputent, ar-
gumentent, & narrētnarrentcontent des histoires par leurs gestessignes? IJ’en ay veu
de si soupples & formez à cela, qu’à la verité, il ne leur māquoitmanquoit
rien à la perfection de se sçauoirsçavoir faire entendre: les amoureux
se courroussent, se reconcilient, se prient, se remercient, s’assi-
gnent, & disent en fin toutes choses des yeux.
E’l silentio ancor suole
Hauer prieghi & parole. ⁁
⁁ Quoi des mains?
nous requerons, nous
prometons, apelons,
congedions, menaçons,
prions supplions, adorons, nions,
refusons, interrogeons, admirons,
nombrons, confessons,
repentons, attristons,
iuronsjurons resiouissonsresjouissons, doubtōs,doubtons,
repantons,compleignons,
despitons, deffions, flatons,
desconfortons creignons,
uergouignonsvergouignons, et quoi
non? De la teste:
nous approuuonsapprouvons,
reprouuonsreprouvons, chassōschassons,
attirons, humillions,
brauonsbravons, desdeignōsdesdeignons,
honorons, enquerons,
festoions, courrouçons,
Quoi des sourcils?
quoi des espaules?
et est il en fin
mouuemantmouvemant de nos
membres qui n’aye
son langage qui ne
parle sans la bouche
c’est le commun
langage de l’hu=
maine nature iuronsjurons,
doubtons, instruisons, comandons, incitons, enco=
rageons, iuronsjurons, tesmouignons, accusons, condamnons,
absoluonsabsolvons, iniurionsinjurions, mesprisons, deffions, despitons, flatons, applaudissons, benissons,
humilions, moqueonsmoquons, reconcilions, recomandons, exaltons, festoions, reiouissonsrejouissons, compleignōscompleignons,
attristons, desconfortons, desesperons, estonons, escrions, taisons: et quoi non? d’une uariationvariation
et multiplication a l’enuienvi de la langue. De la teste, nous conuionsconvions, nous renuoionsrenvoions, desadu
aduouonsadvouons, desaduouonsdesadvouons, desmantons, bienueignonsbienveignons, honorons, ueneronsvenerons, desdeignons, demādonsdemandons,
esconduisons, esgaïons, p lamantons, caressons, tansons, summetons, brauonsbravons, enhortons, menaçons,
assurons, enquerons. Quoi des sourcils, quoi des espaules? il n’est mouuemantmouvemant qui ne parle et un
langage intelligible sans discipline, etet un langage publique,: qQui faict, uoiantvoiant la uarietevariete et usage distingué
des autres, que cetuici doit plus tost estre iugéjugé le propre de l’humeine nature. IeJe laisse a part
ce que particulierement la necessite en aprant soubdein a ceceus qui en ont besouin, et les alphabets
des doits et arts grammaires en gestes: et les sciances qui ne s’exercent et exprimētexpriment que par iceus. Et
les nations que Pline dit n’auoiravoir point d’autre lāguelangue.
VnUn Ambassadeur de la ville d’Abdere, apres auoiravoir longuemētlonguement
parlé au Roy Agis de Sparte, luy demanda, & bien, Sire, quel-
le responce veux-tu que ieje rapporte à nos citoyens: que ieje t’ay
laissé dire tout ce que tu as voulu, & tant que tu as voulu, sans
iamaisjamais dire mot: voila pas vnun taire parlier & bien intelligible.
Au reste qu’elle sorte de nostre suffisance, ne reconnoissons
nous aux operatiōsoperations des animaux? est-il police, reglée auecavec plus
d’ordre, diuersifiéediversifiée à plus de charges & d’offices, & plus con-
stamment entretenuë, que celle des mouches à miel? Cette
disposition d’actions & de vacations si ordonnée, la pouuōspouvons
BBb iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
nous imaginer se conduire sans discours & sans prouidenceprovidence?
His quidam signis atque haec exempla sequuti,
Esse apibus partem diuinae mentis, & haustus
AEthereos dixere.
Les arondelles que nous voyons au retour du printemps fu-
reter tous les coins de nos maisons, cherchent elles sans iuge-
mentjuge-
ment, & choisissent elles sans discretion, de mille places, celle
qui leur est la plus commode à se loger? Et en cette belle &
admirable contexture de leurs bastimens, les oiseaux peuuētpeuvent
ils se seruirservir plustost d’vneune figure quarrée, que de la ronde, d’vnun
angle obtus, que d’vnun angle droit, sans en sçauoirsçavoir les conditiōsconditions
& les effects? Prennent-ils tantost de l’eau, tantost de l’argile,
sans iugerjuger que la dureté s’amollit en l’humectant? planchent-
ils de mousse leur palais, où de duuetduvet, sans preuoirprevoir que les mē-
bresmem-
bres tendres de leurs petits y seront plus mollement & plus à
l’aise? Se couurentcouvrent-ils du vent pluuieuxpluvieux, & plantent leur loge
à l’Orient, sans connoistre les conditions differentes de ces
vents, & considerer que l’vnun leur est plus salutaire que l’autre?
Pourquoy espessit l’araignée sa toile en vnun endroit, & relasche
en vnun autre? se sert à cette heure de cette sorte de neud, tantost
de celle-là, si elle n’a & deliberation, & pensement, & conclu-
sion? Nous reconnoissons assez en la pluspart de leurs ouura-
gesouvra-
ges, combien les animaux ont d’excellence au dessus de nous,
& combien nostre art est foible à les imiter. Nous voyōsvoyons tou-
tesfois aux nostres plus grossiers, les facultez que nous y em-
ployons, & que nostre ame s’y sert de toutes ses forces: pour-
quoy n’en estimons nous autant d’eux? Pourquoy attribuōsattribuons
nous a ieje ne sçay quelle inclination naturelle & seruileservile, les ou-
uragesou-
vrages qui surpassent tout ce que nous pouuonspouvons par nature &
par art? En quoy sans y penser nous leur donnons vnun tres-grādgrand
auantageavantage sur nous, de faire que nature par vneune douceur ma-
ternelle les accompaigne & guide, comme par la main à tou-
LIVRE SECOND. 184192
tes les actions & cōmoditezcommoditez de leur vie, & qu’à nous elle nous
abandonne au hazard & à la fortune, & à quester par art, &
par industrie, les choses necessaires à nostre à nostre conseruationconservation,: &
nous refuse quātquant & quātquant les moyēsmoyens de pouuoirpouvoir arriuerarriver par au-
cune institution & contention d’esprit, à la suffisance’industrie natu-
relle des bestes: de maniere que leur stupidité brutale, surpasse
en toutes commoditez, tout ce que peut nostre inuentioninvention &
nos artsdiuinedivine intelligence. Vrayement à ce compte nous aurions bien raison de
l’appeller vneune tres-iniusteinjuste maratre: mMais il n’en est rien,: nostre
police n’est pas si difforme & si monstrueusedesreglee. Nature à em-
brassé vniuersellementuniversellement toutes ses creatures, & n’en est aucune,
qu’elle n’ait bien plainement fourny de tous moyens neces-
saires à la conseruationconservation de son estre: car ces plaintes vulgaires,
que ij’oy faire aux hommes (cōmecomme la licence de leurs opinions
les esleueesleve tantost au dessus des nuës, & puis les raualeravale aux anti-
podes) que nous sommes le seul animal abandonné, nud sur
la terre nuë, lié, garotté, n’ayātayant de quoy s’armer & couurircouvrir que
de la despouille d’autruy: là où toutes les autres creatures, na-
ture les à garniesreuestuesrevestues de coquilles, de gousses, d’escorse, de poil, de
laine, de pointes, de cuir, de bourre, de plume, d’escaille, de toi-
son, & de soye, selōselon le besoin de leur estre: les à armées de grif-
fes, de dents, de cornes pour assaillir & pour defendre,: & les à
elle mesmes instruites à ce qui leur est propre, à nager, à cou-
rir, à voler, à chanter: la ou l’homme ne sçait ny cheminer, ny
parler, ny manger, ny rien que pleurer sans apprentissage.:
Tum porro puer vt saeuis proiectus ab vndis
Nauita, nudus humi iacet infans, indigus omni
Vitali auxilio, cum primum in luminis oras
Nixibus ex aluo matris natura profudit:
Vagitúque locum lugubri complet, vt aequum est
Cui tantum in vita restet transire malorum:
At variae crescnntcrescunt pecudes, armenta, feraeque,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Nec crepitacula eis opus est, nec cuiquam adhibenda est
Almae nutricis blanda atque infracta loquella:
Nec varias quaerunt vestes pro tempore caeli:
Denique non armis opus est, non moenibus altis
Queis sua tutentur, quando omnibus omnia largè
Tellus ipsa parit naturáque daedala rerum.
Ces plaintes là sont fauces:, il y à en la police du monde, vneune
esgalité plus grande, & vneune relation plus vniformeuniforme: la foibles-
se de nostre naissance se trouuetrouve à peu pres, en la naissance
des autres creatures. Nostre peau est garniepourueuepourveue aussi suffisam-
ment que la leur, de fermeté pourcontre les iniuresinjures du temps,: tes-
moing plusieurstant de nations, qui n’ont encores gousté aucun
vsageusage de vestemens. Nos anciens Gaulois n’estoient guieres
vestus, ne sont pas les Irlandois nos voisins, soubs vnun ciel si
froid: mMais nous le iugeonsjugeons mieux par nous mésmes: car tous
les endroits de la personne, qu’il nous plaist descouurirdescouvrir au
vent & à l’air, se trouuenttrouvent propres à le souffrir: le visage, les
pieds, les mains, les iambesjambes, les espaules, la teste, selon que l’v-
sageu-
sage nous y cōuieconvie: cCar s’il y à partie en nous foible, & qui sem-
ble deuoirdevoir craindre la froidure, ce deuroitdevroit estre l’estomac, ou
se fait la digestion: nos peres le portoient descouuertdescouvert, & nos
Dames, ainsi molles & delicates qu’elles sont, elles s’en vont
tantost entr’ouuertesentr’ouvertes iusquesjusques au nombril. Les liaisons & em-
maillotemens des enfans ne sont non plus necessaires: tes-
moinget les meres Lacedemoniennes, qui esleuoienteslevoient les leurs en
toute liberté de mouuementsmouvements de membres, sans les attacher
ne plier. Nostre pleurer est commun à la plus part des autres
animaux,: & n’en est guiere qu’on ne voye se plaindre & ge-
mir long temps apres leur naissance: d’autant que c’est vneune
contenance bien sortable à la foiblesse, enquoy ils se sentent.
Quant à l’vsageusage du manger, il est en nous, comme en eux na-
turel & sans instruction.,
Sen-
LIVRE SECOND. 185193
Sentit enim vim quisque suam quam possit abuti.
Qui fait doute qu’vnun enfant arriuéarrivé à la force de se nourrir, ne
sçeut quester sa nourriture? & la terre en produit, & luy en of-
fre assez pour sa necessité, sans autre culture & artifice.: Eet sinōsinon
en tout temps, aussi ne fait elle pas aux bestes: tesmoing les
prouisionsprovisions, que nous voyons faire aux fourmis & autres, pour
les saisons steriles de l’année. Ces nations, que nous venōsvenons de
descouurirdescouvrir si abondamment garniesfournies de viande & de breuua-
gebreuva-
ge naturel, sans soing & sans façon, nous viennent d’appren-
dre que le pain n’est pas nostre seule nourriture: & que sans la-
bourage, sans aucune nostre industrie, nostre mere nature
nous auoitavoit fournismunis à planté de tout ce qu’il nous falloit: voire,
comme il est vray-semblable, plus plainement & plus riche-
ment qu’elle ne fait à present, que nous y auonsavons meslé nostre
artifice.,
Et tellus nitidas fruges, vinetáque laeta
Sponte sua primum mortalibus ipsa creauit,
Ipsa dedit dulces foetus, & pabula laeta,
Quae nunc vix nostro grandescunt aucta labore,
Conterimúsque boues & vires agricolarum.,
le débordement & desreglemētdesreglement de nostre appetit deuançantdevançant
toutes les inuentionsinventions, que nous cherchons de l’assouuirassouvir. QuātQuant
aux armes, nous en auōsavons plus de naturelles que la plus part des
autres animaux, plus de diuersdivers mouuemensmouvemens de membres, &
en tirons plus de seruiceservice, naturellement & sans leçon: ceux qui
sont duicts à combatre nuds, on les void se ietterjetter aux hazards
pareils aux nostres. Si quelques bestes nous surpassent en cet
auantageavantage, nous en surpassons plusieurs autres:. &Et l’industrie de
fortifier le corps & le couurircouvrir par moyens estrangiersacquis, nous
l’auonsavons par vnun instinct & precepte naturel. Qu’il soit ainsi, l’e-
lephant esguise & esmoult ses dents, desquelles il se sert à la
guerre (car il en a de particulieres pour cet vsageusage, qu’il espargne
CCc
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& ne les employe aucunement à ses autres seruicesservices) Quand les
taureaux vont au combat, ils respandent & iettentjettent la pous-
siere à l’entour d’eux: les sangliers affinent leurs deffences: &
l’ichneaumon, quand il doit venir aux prises auecavec le crocodi-
le, munit son corps, l’enduit & le crouste tout à l’entour, de li-
mon bien serré & bien pestry, cōmecomme d’vneune cuirasse. Pourquoy
ne dirons nous qu’il est aussi naturel de nous armer de bois &
de fer? Quand au parler, il est certain, que s’il n’est pas naturel, il
n’est pas necessaire. Toutefois ieje croy qu’vnun enfant, qu’on au-
roit nourry en pleine solitude, esloigné de tout cōmercecommerce (qui
seroit vnun essay mal aisé à faire) auroit quelque sorteespece de parolle
pour exprimer ses conceptions: & n’est pas croyable, que na-
ture nous ait refusé ce moyen qu’elle à dōnédonné à plusieurs autres
animaux: car qu’est-ce autre chose que parler, cette suffisancefaculté,
que nous leur voyons de se plaindre, de se resiouyrresjouyr, de s’entr’-
appeller au secours, se conuierconvier à l’amour, comme ils font par
l’vsageusage de leur voix: comment ne parleroient elles entr’elles,
elles parlent bien à nous, & nous à elles: en combien de sortes
parlons nous à nos chiens, & ils nous respondent: d’autre lan-
gage, d’autres appellations, diuisonsdivisons nous auecavec eux, qu’auecavec
les oyseaux, auecavec les pourceaux, les beufs, les cheuauxchevaux:, & chā-
geonschan-
geons d’idiome selon l’espece.:
Cosi per entro loro schiera bruna
S’ammusa l’vnauna con l’altra formica
Forse à spiar lor via, & lor fortuna.
Il me semble que Lactance attribuë aux bestes, non le parler
seulement, mais le rire encore. Et la difference de langage, qui
se voit entre nous, selon la difference des cōtréescontrées, elle se treuuetreuve
aussi aux animaux de mesme espece. Aristote allegue à ce pro-
pos le chant diuersdivers des perdris, selon la situation des lieux.,
variaeque volucres
Longè alias alio iaciunt in tempore voces,
Et partim mutant cum tempestatibus vna
LIVRE SECOND. 186194
Raucisonos cantus.
Mais cela est à sçauoirsçavoir quel langage parleroit cet enfant: & ce
qui s’en dict par diuinationdivination, n’a pas beaucoup d’apparence. Si
on m’allegue contre cette opinion, que les sourds naturels ne
parlent point: ieje respons que ce n’est pas seulement pour n’a-
uoira-
voir peu receuoirrecevoir l’instruction de la parolle par les oreilles,
mais plustost pource que le sens de l’ouye, duquel ils sont pri-
uezpri-
vez, se rapporte à celuy du parler, & se tiennent ensemble d’v-
neu-
ne cousture naturelle: en façon, que ce que nous parlons, il
faut que nous le parlons premierement à nous, & que nous le
facions sonner au dedans à nos oreilles auantavant que de l’ēuoyerenvoyer
aux estrāgeresestrangeres. IJ’ay dit tout cecy pour maintenir cette ressem-
blance, qu’il y à aux choses humaines, & pour nous ramener &
ioindrejoindre au nombre. Nous ne sommes, ny au dessus, ny au des-
soubs du reste: tout ce qui est sous le Ciel, dit le sage, court vneune
loy & fortune pareille,
Indupedita suis fatalibus omnia vinclis.
Il y à quelque difference, il y à des ordres & des degrez: mais
c’est soubs le visage d’vneune mesme nature:
res quaeque suo ritu procedit, & omnes
Foedere naturae certo discrimina seruant.
Il faut contraindre l’homme, & le renger dans les barrieres de
cette police. Le miserable n’a garde d’eniamberenjamber par effect au
delà: il est entrauéentravé & engagé, il est assubiectyassubjecty de pareille obli-
gation que les autres creatures de son ordre, & d’vneune conditiōcondition
fort moyenne, sans aucune prerogatiueprerogative praeexcellence vraye
& essentielle. Celle qu’il se donne par opinion, & par fantasie,
n’a ny corps, ny goust: & s’il est ainsi, que luy seul de tous les a-
nimaux ait cette liberté de l’imagination, & ce desreglement
de pensées, luy representēātrepresentenant ce qui est, ce qui n’est pas, & ce qu’il
veut, le faux & le veritable,: c’est vnun aduantageadvantage qui luy est bien
cher vendu, & dequoyuquel il à bien peu à se glorifier: car de là naist
CCc ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la source principale des maux qui le pressent, vicespeche, maladies,
irresolution, trouble, & desespoir. IeJe dy donc, pour reuenirrevenir à
mōmon propos, qu’il n’y à point d’apparēceapparence d’estimer, que les be-
stes facent par inclination naturelle & forcée, les mesmes ope-
rationschoses que nous faisons par nostre choix & industrie. Nous
deuonsdevons conclurre de pareils effects pareilles facultez, & con-
fesser par consequent, que ce mesme discours, cette mesme
voye, que nous tenons à ouurerouvrer, c’est aussi celle des animaux.
Pourquoy imaginons nous en eux cette contrainte naturel-
le, nous qui n’en esprouuōsesprouvons aucūaucun pareil effect? IoinctJoinct qu’il est
plus honorable d’estre acheminé & obligé à regléement agir
par naturelle & inéuitableinévitable condition, & plus approchant de
la diuinitédivinité, que de ’agir reglément par liberté temeraire & for-
tuite,: & plus seur de laisser à nature, qu’à nous, les resnes de no-
stre conduicte. La vanité de nostre presomption faict, que
nous aymons mieux deuoirdevoir à nos forces, qu’à sa liberalité, no-
stre suffisance: & enrichissons les autres animaux des biens na-
turels, & les leur renonçons, pour nous honorer & ennoblir
des biens acquis: par vneune humeur bien simple, ce me semble,
car ieje priseroy bien autant des graces toutes miennes & nai-
fuesnai-
fves, que celles que ij’aurois esté mendier & quester de l’ap-
prentissage. Il n’est pas en nostre puissance d’acquerir vneune
plus belle recommendation que d’estre fauoriséfavorisé de Dieu &
de nature. Par ainsi le renard, dequoy se seruentservent les habi-
tans de la Thrace, quand ils veulent entreprendre de pas-
ser par dessus la glace quelque riuiereriviere gelée, & le láchent
deuantdevant eux pour cet effect, quand nous le verrions au bord
de l’eau approcher son oreille bien pres de la glace, pour
sentir s’il orra d’vneune longue où d’vneune voisine distance, bruy-
re l’eau courant au dessoubs, & selon qu’il trouuetrouve par là,
qu’il y a plus ou moins d’espesseur en la glace, se reculer,
où s’auanceravancer, n’aurions nous pas raison de iugerjuger qu’il luy passe
par la teste ce mesme discours, qu’il feroit en la nostre: & que
LIVRE SECOND. 187195
c’est vneune ratiocination & consequence tirée du sens naturel:
Ce qui fait bruit se remue, ce qui se remue, n’est pas gelé, ce
qui n’est pas gelé est liquide, & ce qui est liquide plie soubs
le faix. Car d’attribuer cela seulement à vneune viuacitévivacité du sens
de l’ouye, sans discours & sans consequence, c’est vneune chi-
mere, & ne peut entrer en nostre imaginatiōimagination. De mesme faut
il estimer de tant de sortes de ruses & d’inuentionsinventions, dequoy
les bestes se couurentcouvrent des entreprinses, que nous faisons sur
elles. Et si nous voulons prendre quelque aduantageadvantage de cela
mesme, qu’il est en nous de les saisir, de nous en seruirservir, & d’en
vseruser à nostre volonté, ce n’est que ce mesme aduantageadvantage, que
nous auonsavons les vnsuns sur les autres. Nous auonsavons à cette conditiōcondition
nos esclauesesclaves, & les Climacides estoyent ce pas des femmes en
Syrie qui seruoyentservoyent couchées à quatre pattes, de marchepied
& d’eschelle aux dames à monter en coche? Et la plus part des
personnes libres abandonnent pour bien legieres commodi-
tez, leur vie, & leur estre à la puissance d’autruy. ⁁
⁁ Les femmes & cōcubinesconcubines
des Thraces pleident a
qui sera choisie pour estre
tuee au tūbeautumbeau de son mari
Les tyrāstyrans ont
ils iamaisjamais failly de trouuertrouver assez d’hommes vouez à leur de-
uotionde-
votion: aucuns d’eux adioutansadjoutans dauantagedavantage cette necessité de
les accompaigner à la mort, comme en la vie. Des armées en-
tieres se sont ainsin obligées à leurs capitaines. La formule de
ceux qui s’obligeoyentdu sermant en cette rude escole des escrimeurs à
outrance, portoit ces promesses. Nous iuronsjurons de nous laisser
enchainer, bruler, batre, & tuer de glaiueglaive, & souffrir tout ce
que les gladiateurs legitimes souffrent de leur maistre, enga-
geant tresreligieusement & le corps & l’ame à son seruiceservice,
Vre meum si vis flamma caput, & pete ferro
Corpus, & intorto verbere terga seca.
C’estoit vneune obligatiōobligation veritable, & si il s’en trouuoittrouvoit dix mil-
le telle année, qui y entroyent & s’y perdoyent. ⁁
⁁ Quand les Scythes enterrententerroint
leur Roy ils estranglentoint sur
son corps la plus fauoriefavorie de ses
concubines son eschançon son
cuisinier escuier descuiried’escuirie
chambellan huissier de chambre
et cuisinier. Et lanl’an reuolurevolu en
son anniuersereanniversere ils enpalenttuentoint tuoint
cinquante cheuauschevaus et logent au dessusmontez
de cinquante pages qu’ils auointavoint enpalētentez
par lespinel’espine du dos iusquesjusques au
gosier et les laissentoint aīsiainsi plantez
en parade autour de la tūbetumbe.
CeuxLes homes qui
nous seruentservent, ils le font à meilleur marché, & pour vnun traite-
mēttraite-
ment moins curieux beaucoup, & moins fauorablefavorable, que celuy
CCc iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que nous faisons aux oyseaux, aux cheuauxchevaux, & aux chiens,. ⁁
⁁ A quel soinucisouci ne nous
desmettons nous pour
leur commoditè. Il ne
me semble point que
les plus abiectsabjects ser=
uiteursser=
viteurs facent uolontiervolontier
pour leurs maistres ce
que les princes et
gentilshomes s’honorēthonorent
de faire pour les ces
bestes. qui les seruentservent.
Diogenes uoïantvoïant ses parāsparans
en peine de le racheter de
seruitudeservitude Ils sont fols
disoit il C’est celuy qui
me traite & nourrit qui
me sert et ceus qui entretienent
les bestes les seruentservent plus qu’elles
a eus se doiuentdoivent dire plus
tost les seruirservir qu’en estre seruisservis
pour le seruiceservice, que nous en tirons. Et si les besteselles ont cela de
plus genereux, que iamaisjamais Lyon ne s’asseruitasservit à vnun autre Lyon,
ny vnun cheualcheval à vnun autre cheualcheval par faute de coeur. CōmeComme nous
alons à la chasse des bestes, ainsi vont les Tigres & les Lyons à
la chasse des hommes: & ont vnun pareil exercice les vnesunes sur les
autres: les chiens sur les lieureslievres, les brochets sur les tanches, les
arondeles sur les cigales, les esperuiersesperviers sur les merles & sur les
alouettes:
serpente ciconia pullos
Nutrit, & inuenta per deuia rura lacerta,
Et leporem aut capream famulae Iouis, & generosae
In saltu venantur aues.
Nous partons le fruict de nostre chasse auecavec nos chiēschiens & oy-
seaux, comme la peine & l’industrie. Et au dessus d’Amphi-
polis en Thrace, les chasseurs & les faucons sauuagessauvages, partent
iustementjustement le butin par moitié: cōmecomme le long des palus Moeo-
tides, si le pescheur ne laisse aux loups de bonne foy, vneune part
esgale de sa prise, ils vont incontinent deschirer ses rets. Et cō-
mecom-
me nous auonsavons vneune chasse, qui se conduict plus par subtilité,
que par force, comme celle ⁁ des colliers de nos lignes & de l’hameçon, il
s’en void aussi de pareilles entre les bestes. Aristote dit, que la
seche iettejette de son col vnun boyeau long cōmecomme vneune ligne, qu’el-
le estand au loing en le láchant, & le retire à soy quand elle
veut: à mesure qu’elle aperçoit quelque petit poisson s’apro-
cher, elle luy laisse mordre le bout de ce boyeau, estant ca-
chée dans le sable, ou dans la vase, & petit à petit le retire
iusquesjusques à ce que ce petit poisson soit si prez d’elle, que d’vnun
saut elle le puisse l’atraper. Quant à la force, il n’est animal au
monde en bute de tant d’offences, que l’homme: il ne nous
faut point vneune balaine, vnun elephant, & vnun crocodile, ny tels
autres animaux, desquels vnun seul est capable de deffaire vnun
LIVRE SECOND. 188196
grand nombre d’hommes: les pous sont suffisans pour faire
vacquer la dictature de Sylla: c’est le desieunerdesjeuner d’vnun petit ver,
que le coeur & la vie d’vnun grand & triumphant Empereur.
Pourquoy disons nous, que c’est à l’homme science & con-
noissance, bastie partpar art & par discours, de discerner les cho-
ses vtilesutiles à son viurevivre, & au secours de ses maladies, de celles
qui ne le sont pas, de connoistre la force de la rubarbe & du
polipode, & quand nous voyons les cheureschevres de Candie, si
elles ont receu vnun coup de traict, aller entre vnun million d’her-
bes choisir le dictame pour leur guerison, & la tortue quand
elle à mangé de la vipere, chercher incontinent de l’origanum
pour se purger, le dragon fourbir & esclairer ses yeux auecq̄savecques
du fenouil, les cigouignes se dōnerdonner elles mesmes des clysteres à
tout de l’eau de marine, les elephans arracher non seulement
de leurs corps & de leurs compaignons, mais des corps aussi de
leurs maistres, tesmoing celuy du Roy Porus qu’Alexandre
deffit, les iauelotsjavelots & les dardz qu’on leur à iettezjettez au combat,
& les arracher si dextremētdextrement, que nous ne le sçauriōssçaurions faire auecavec
si peu de douleur: pourquoy ne disons nous de mesmes, q̄que c’est
sciēcescience & prudēceprudence? Car d’alleguer pour les deprimer, q̄que c’est par
la seule instruction & maistrise de nature, qu’elles le sçauentsçavent,
ce n’est pas leur oster le tiltre de science & de prudence: voire
c’est la leur attribuer à plus forte raison que à nous, pour l’hō-
neurhon-
neur d’vneune si certaine maistresse d’escolle. Chrysippus, bien
que en toutes autres choses, autant desdaigneux iugejuge de la
condition des animaux, que nul autre philosophe, conside-
rant les mouuementsmouvements du chien, qui se rencontrant en vnun car-
refour à trois chemins, estant à la suyte de son maistre (lequel
il à esgaré pour s’estre endormy, & ne l’auoitavoit veu partir du lo-
gis) ou à la questeou a la queste de son maistre
qu’il a esgaré, ou a la poursuite de quelque proye, qui fuit deuantdevant luy, va
essayant l’vnun chemin apres l’autre, & apres s’estre asseuré des
deux, & n’y auoiravoir trouuétrouvé la trace de ce qu’il cherche, s’e-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
slance dans le troisiesme sans marchander: il est contraint de
cōfesserconfesser, qn’qu’en ce chiēchien là, vnun tel discours se passe. IJ’ay suiuysuivy ius-
quesjus-
ques à ce carre-four mōmon maistre à la trace, il faut necessairemētnecessairement
qu’il passe par l’vnun de ces trois chemins: ce n’est ny par cettuy-
cy, ny par celuy-là, il faut donc infalliblement, qu’il passe
par cet autre: & que s’asseurant par cette conclusion & dis-
cours, il ne se sert plus de son sentimētsentiment au troisiesme chemin,
ny ne le sonde plus, ains s’y laisse emporter par la force de la
raison. Ce traict purement dialecticien, & cet vsageusage de pro-
positions diuiséesdivisées & conioinctesconjoinctes, & de la suffisante enumera-
tion des parties, vaut il pas autant que le chien l’aye aprisle sache de
naturesoi que de Trapezonce? Si ne sont pas les bestes incapa-
bles d’estre encore instruites à nostre mode. Les merles, les
corbeaux, les pies, les parroquets, nous leur aprenons à par-
ler: & cette facilité, que nous reconnoissons à nous fournir
leur voix & haleine si souple & si maniable, pour la former
& l’estreindre à certain nombre de lettres & de syllabes, tes-
moigne, qu’ils ont vnun discours au dedans, qui les rend ainsi
disciplinables & volontaires à aprendre. Chacun est soul, ce
croy-ieje, de voir tant de sortes de cingeries que les báteleurs
aprennent à leurs chiens: les dances, ou ils ne faillent vneune seu-
le cadence du son qu’ils oyent, plusieurs diuersdivers mouue-
mensmouve-
mens & sauts qu’ils leur font faire par le commandement de
leur parolle: mais ieje remerque auecavec plus d’admiration cet ef-
fect, qui est toutes-fois assez vulgaire, des chiens, dequoy se
seruentservent les aueuglesaveugles, & aux champs & aux villes: ieje me suis
pris garde comme ils s’arrestent à certaines portes, d’où ils ont
accoustumé de tirer l’aumosne, comme ils euitētevitent le choc des
coches & des charretes, lors mesme que pour leur regard, ils
ont assez de place & de commodité pour leur passage: ij’en ay
veu le long d’vnun fossé de ville, laisser vnun sentier plain & vniuni, &
en prēdreprendre vnun autre plus incommodepire, pour esloigner son mai-
stre
LIVRE SECOND. 189197
stre du fossé. Commant pouuoitpouvoit on auoiravoir faict conceuoirconcevoir à
ce chien, que c’estoit sa charge de regarder seulemētseulement à la seur-
té de son maistre, & mespriser ses propres commoditez pour
le seruirservir: & comment auoitavoit il la cognoissance que tel chemin
luy estoit bien assez large, qui ne le seroit pas pour vnun aueu-
gleaveu-
gle? Tout cela se peut il comprendre sans ratiocinatiōratiocination & sans
discours? Il ne faut pas oublier ce que Plutarque dit auoiravoir veu
à Rome d’vnun chien, auecavec l’Empereur Vespasian le pere au
Theatre de Marcellus. Ce chien seruoitservoit à vnun báteleur qui
iouoitjouoit vneune fiction à plusieurs mines & à plusieurs personna-
ges, & y auoitavoit son rolle,: il falloit entre autres choses qu’il con-
trefit pour vnun temps le mort pour auoiravoir mangé de certaine
drogue: apres auoiravoir aualéavalé le pain qu’on feignoit estre cette
drogue, il commença tantost à trembler & branler, comme
s’il eut esté estourdi: finalement s’estandant & se roidissant,
comme s’il eut esté mort, il se laissa tirer & traisner d’vnun lieu à
autre, ainsi que portoit le subiectsubject du ieujeu, & puis quand il cō-
gneutcon-
gneut qu’il estoit temps, il commença premierement à se re-
muer tout bellement, commeainsi que s’il se fut reuenurevenu d’vnun profond
sommeil, & leuantlevant la teste regarda ça & là d’vneune façon qui e-
stonnoit tous les assistans. Les boeufs qui seruoyentservoyent aux iar-
dinsjar-
dins Royaux de Suse, pour les arrouser & tourner certaines
grandes roues à puiser de l’eau, ausquelles il y à des baquets
attachez (comme il s’en voit plusieurs en LāguedocLanguedoc) on leur
auoitavoit ordonné d’en tirer par iourjour iusquesjusques à cent tours chacūchacun,
ils estoient si accoustumez à ce nombre, qu’il estoit impossi-
ble par aucune force de leur en faire tirer vnun tour dauantagedavantage,
& ayātayant faict leur táche ils s’arrestoient tout court: nous som-
mes en l’adolescence auantavant que nous sçachiōssçachions conter iusquesjusques
à cent, & venons de descouurirdescouvrir des nations qui n’ont aucu-
ne connoissance des nombres. Il y à encore plus de discours
à instruire autruy qu’à estre instruit: or laissant à part ce que
DDd
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Democritus iugeoitjugeoit & prouuoitprouvoit, que la plus part des arts, les
bestes nous les ont aprises: comme l’araignée à tistre & à cou-
dre, l’arondelle à bastir, le cigne & le rossignol la musique, &
plusieurs animaux par leur imitation à faire la medecine: Ari-
stote tient que les rossignols aprennentinstruisent leurs petits à chanter
& y employent du temps & du soing: d’où il aduientadvient que
ceux que nous nourrissons en cage, qui n’ont point eu loisir
d’aller à l’escolle soubs leurs parens, perdent beaucoup de la
grace de leur chant. Nous pouuonspouvons iugerjuger par la que leur chātchant’il
reçoit de l’amendement par discipline & par estude: &Et entre
les libres mesme, il n’est pas vngung & pareil, chacun en à pris se-
lon sa capacité, & sur la ialousiejalousie de leur apprentissage, ils se
debattent à l’enuyenvy, d’vneune contention si courageuse, que par
fois le vaincu y demeure mort, l’aleine luy faillant plustost,
que la voix. Les plus ieunesjeunes ruminent pensifs, & prenent à
imiter certains couplets de chanson: le disciple escoute la le-
çon de son precepteur, & en rend compte auecavec grand soing:
ils se taisent l’vnun tantost, tantost l’autre: on oyt corriger les
fautes, & sent on aucunes reprehensions du precepteur. IJ’ay
veu (dict Arrius) autresfois vnun elephant ayant à chacune cuis-
se vnun cymbale pendu, & vnun autre attaché à sa trompe, au son
desquels tous les autres dançoyent en rond, s’esleuanseslevans & s’in-
clinans à certaines cadences selon que l’instrumētinstrument les guidoit,
& y auoitavoit plaisir à ouyr cette harmonie. Aux spectacles de
Rome, il se voyoit ordinairement des Elephans dressez à se
mouuoirmouvoir & dancer au son de la voix, des dācesdances à plusieurs en-
trelasseures, coupeures & diuersesdiverses cadances tres-difficiles à
aprendre. Il s’en est veu, qui en leur priuéprivé rememoroient leur
leçon & s’exerçoyent par soing & par estude pour n’estre tā-
ceztan-
cez & batuz de leurs maistres. Mais cett’autre histoire de la
pie, de laquelle nous auonsavons Plutarque mesme pour respon-
dant, est estrange: eElle estoit en la boutique d’vnun barbier à
LIVRE SECOND. 190198
Rome, & faisoit merueillesmerveilles de contre-faire auecavec la voix tout
ce qu’elle oyoit,: vnun iourjour il aduintadvint que certaines trompetes
s’arrestarent à sonner long temps deuantdevant cette boutique: dé-
puis cela & tout le lēdemainlendemain voyla cette pie pēsiuepensive, muete &
melancholique, dequoy tout le monde estoit esmerueilléesmerveillé, &
pēsoitpensoit on que le son des trompetes l’eut ainsin estourdie & e-
stonnée,: & qu’auecavec l’ouye, la voix se fut quātquant & quant estein-
te: mais on trouuatrouva en fin que c’estoit vneune estude profonde &
vneune retraicte en soy-mesmes, son esprit s’exercitant & prepa-
rant sa voix à representer le son de ces trompetes: de maniere
que sa premiere voisx ce fut celle la, de exprimer perfecte-
ment leurs reprinses, leurs poses & leurs muances,: ayant qui-
cté par ce nouuelnouvel aprentissage & pris à desdain tout ce qu’el-
le sçauoitsçavoit dire auparauantauparavant. IeJe ne veux pas obmettre à alleguer
aussi cet autre exemple d’vnun chien, que ce mesme Plutarque
dit auoiravoir veu (car quand à l’ordre, ieje sens bien que ieje le trou-
ble, mais ieje n’en obserueobserve non plus à rēgerrenger ces exemples, qu’au
reste de toute ma besongne) luy estant dans vnun nauirenavire, ce chiēchien
estant en peine pour d’auoiravoir l’huyle qui estoit dans le fons d’v-
neu-
ne cruche, & n’y pouuantpouvantou il ne pouuoitpouvoit arriuerarriver de la langue, pour l’estroite
emboucheure du vaisseau, il vid qu’il alla querir des caillous
qui estoyent dans la nauirenavire & en mit dans cette cruche ius-
quesjus-
ques à ce qu’il eut fait hausser l’huile plus pres du bord, ou il
lea peut attaindre. Cela, qu’est-ce, si ce n’est l’effect d’vnun esprit
bien subtil? oOn dit que les corbeaux de barbarie en font de
mesme, quand l’eau qu’ils veulent boire est trop basse. Cette
action est aucunement voisine de ce que recitoit des ElephāsElephans
vnun Roy de leur nation IubaJuba, que quand par la finesse de ceux
qui les chassent, l’vnun d’entre eux se trouuetrouve pris dans certaines
fosses profondes (qu’on leur prepare, & les recouurerecouvre l’on de
menues brossailles pour les tromper,) ses compaignons y
apportent en diligence force pierres, & pieces de bois, afin
DDd ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que cela l’ayde à s’en mettre hors. Mais cet animal raporte
en tant d’autres effects à l’humaine suffisance, que si ieje vou-
loy suiuresuivre par le menu ce que l’experience en à apris, ieje gai-
gnerois aysément ce que ieje maintiens ordinairement, qu’il se
trouuetrouve plus de difference de tel homme à tel homme, que de
tel animal à tel homme. Le gouuerneurgouverneur d’vnun elephant en vneune
maison priuéeprivée de Syrie, desroboit à tous les repas, la moitié de
la pension qu’on luy auoitavoit ordōnéeordonnée: vnun iourjour le maistre vou-
lut luy mesme le penser, versa dans sa manjoire la iustejuste me-
sure d’orge, qu’il luy auoitavoit prescrite, pour sa nourriture: l’ele-
phant regardant de mauuaismauvais oeuil ce gouuerneurgouverneur, separa auecavec
la trompe & en mit à part la moitié, declarant par la le tort
qu’on luy faisoit. Et vnun autre, ayant vnun gouuerneurgouverneur qui mes-
loit dans sa mangeaille des pierres pour en croistre la mesure,
s’aprocha du pot où il faisoit cuyre sa chair pour son disner,
& le luy remplit de cendre. Cela ce sont des effaicts particu-
liers: mais ce que tout le monde à veu, & que tout le monde
sçait, qu’en toutes les armées qui se conduisoyent du pays de
leuantlevant, l’vneune des plus grandes forces consistoit aux elephans
qu’on y mesloit, desquels on tiroit des effects sans compa-
raison plus grādsgrands q̄que nous ne faisons à present de nostre artille-
rie, qui tient à peu pres leur place en vneune bataille ordōnéeordonnée (ce-
la est aisé à iugerjuger à ceux qui cōnoissentconnoissent les histoires anciēnesanciennes.)
siquidem Tirio seruire solebant
Annibali, & nostris ducibus, regique Molosso
Horum maiores, & dorso ferre cohortes
Partem aliquam belli & euntem in praelia turmam.
Il falloit bien qu’on se respondit à bon escient de la creance
de ces bestes & de leur discours, de leur abandonnerant la teste
d’vneune bataille, là ou le moindre arrest qu’elles eussent sçeu fai-
re, pour la grandeur & pesanteur de leur corps, le moindre
effroy qui leur eut fait tourner la teste sur leurs gēsgens, estoit suf-
LIVRE SECOND. 191199
fisant pour tout perdre. Et s’est veu peumoins d’exemples, ou cela
soit aduenuadvenu qu’ils se reiettassentrejettassent sur leurs trouppes, ce qui ad-
uientad-
vient ordinairement à nous mesmesque de ceus, ou
nous mesme nous reietonsrejetons les uns sur les autres, & nous rompons. On leur donnoit char-
ge non d’vnun mouuementmouvement simple, mais de plusieurs diuersesdiverses
parties au combat: comme faisoient aux chiēschiens les Espaignols
à la nouuellenouvelle cōquesteconqueste des Indes, ausquels ils payoiētpayoient solde &
faisoiētfaisoient partage au butin, & montroiētmontroient ces animaux, autātautant d’a-
dresse & de iugementjugement, à poursuiurepoursuivre & arrester leur victoire, à
donnercharger ou à reculer, selon les occasions, à distinguer les amis
des ennemis, comme ils faisoient d’ardeur & d’aspreté. Nous
admirons & poisons mieux les choses estrangeres que les or-
dinaires: & sans cela ieje ne me fusse pas amusé à ce lōglong registre:
car selon mon opinion, qui contrerollera de pres ce que nous
voyons ordinairement des animaux, qui viuentvivent parmy nous,
il y à dequoy y remarquertrouuertrouver des operationseffaicts autant admirables,
que cellesceus qu’on va recueillant és pays ⁁ ⁁ et siecles estrāgersestrangers. Nous viuōsvivons,
& eux & nous, sous mesme tect & humons vnun mesme air: il y
a, sauf le plus & le moins, entre nous vneune perpetuelle ressem-
blance
C’est une mesme nature qui roule son cours. Qui en aroit suffisemment
iugejuge le present estat, en pourroit seurement conclurre et tout l’adueniradvenir et tout le passe. IJ’ay veu autresfois parmy nous, des hommes amenez
par mer de lointain pays, desquels par ce que nous n’enten-
dions aucunement le langage, & que leur façon au demeurant
& leur contenance, & leurs vestemens estoient du tout esloi-
gnez des nostres, qui de nous ne les estimoit & sauuagessauvages &
brutes? qui n’atribuoit à stupidité & à bestise, de les voir
muets, ignorans la lāguelangue Françoise, ignorans nos baisemains,
& nos inclinations serpentées, nostre port & nostre maintiēmaintien,
sur lequel sans faillir, doit prendre son patrōpatron la nature humai-
ne. Tout ce qui nous semble estrange, nous le condamnons,
& ce que nous n’entendons pas,: comme il nous aduientadvient au
iugementjugement que nous faisons des bestes: eElles ont plusieurs con-
ditions, qui se rapportent aux nostres: de celles là par compa-
raison nous pouuonspouvons tirer quelque coniectureconjecture: mais de ce qui’elles
DDd iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
est en ellesont particulier, ⁁ que sçauonssçavons nous n’en sçauonssçavons rienque c’est. Les cheuauxchevaux,
les chiens, les boeufs, les brebis, les oyseaux, & la pluspart des
animaux, qui viuentvivent auecavec nous, reconnoissent nostre voix, &
se laissent conduire par elle: si faisoit bien encore la murene
de Crassus, & venoit à luy quand il l’appelloit: & le font aussi
les anguilles, qui se trouuenttrouvent en la fontaine d’Arethuse &
ij’ay veu des gardoirs assez, où les poissons accourent, pour
manger, à certain cry de ceux qui les traitent.,
nomen habent, & ad magistri
Venit quisque sui vocem citatus.
Nous pouuonspouvons iugerjuger de cela: nNous pouuonspouvons aussi dire, que les
elephans ont quelque participation de religion, d’autātautant qu’a-
pres plusieurs ablutions & purifications, on les void haussant
leur trompe comme des bras, & tenant les yeux fichez vers le
Soleil leuantlevant, se planter long temps en meditation & cōtem-
plationcontem-
plation, à certaines heures du iourjour, de leur propre inclination,
sans instruction & sans precepte. Mais pour ne voir aucune
telle apparence és autres animaux, nous ne pouuonspouvons pourtātpourtant
establir qu’ils soient sans religion, & ne pouuonspouvons prendre en
aucune part ce qui nous est caché. Comme nous voyōsvoyons quel-
que chose en cette action que le philosophe CleāthesCleanthes remer-
qua, par ce qu’elle retire aux nostres: iIl vid, dit-il, des fourmis
partir de leur fourmiliere portans le corps d’vnun fourmis mort
vers vneune autre fourmiliere, de laquelle plusieurs autres four-
mis leur vindrētvindrent au deuantdevant, comme pour parler à eux, & apres
auoiravoir esté ensemble quelque piece, ceux-cy s’en retournerent,
pour consulter, pensez, auecavec leurs concitoiens, & firent ainsi
deux ou trois voyages pour la difficulté de la capitulation: en
fin ces derniers venus, apporterētapporterent aux premiers vnun ver de leur
taniere, comme pour la rançon du mort, lequel ver les pre-
miers chargerent sur leur dos & emporterent chez eux, lais-
sant aux autres le corps du trespassé. Voila l’interpretatiōinterpretation que
LIVRE SECOND. 192200
Cleanthes y donna: tTesmoignant par là (encore qu’à son iuge-
mentjuge-
ment les bestes soiētsoient incapables de raison) que celles qui n’ont
point de voix, ne laissent pas d’auoiravoir pratique & cōmunicatiōcommunication
mutuelle, de laquelle c’est nostre fautedefaut que nous ne soyōssoyons par-
ticipans,: & ne pouuonspouvonsnous entremettons à cette cause iugerjuger de leurs operationsactions operations.sottemētsottement d’en opiner. Lorsqu’il a refait cette phrase, Montaigne a oublié de biffer "ne pouvons".
Or elles en produisent encores d’autres⁁ effaicts, qui surpassent de bien
loin nostre capacité.:, Aausquelles il s’en faut tant que nous puis-
sions arriuerarriver par imitation, que par imagination mesme nous
ne les pouuonspouvons conceuoirconcevoir. Plusieurs tiennent qu’en cette grā-
degran-
de & derniere battaille naualenavale qu’Antonius perdit cōtrecontre Au-
guste, sa galere capitainesse fut arrestée au milieu de sa course,
par ce petit poisson, que les Latins nomment remora, à cause
de cette sienne proprieté d’arrester toute sorte de vaisseaux,
ausquels il s’attache. Et l’Empereur Calligula vogant auecavec vneune
grande flotte en la coste de la Romanie, sa seule galere fut ar-
restée tout court, par ce mesme poisson,: lequel il fist prendre
attaché comme il estoit au bas de son vaisseau, tout despit de-
quoy vnun si petit animal pouuoitpouvoit forcer & la mer & les vents,
& la violence de tous ses auironsavirons, pour estre seulement attaché
par le bec à sa galere (car c’est vnun poisson à coquille) & s’eston-
na encore, non sans grande raison, de ce que luy estant appor-
té dans le bateau, il n’auoitavoit plus cette force, qu’il auoitavoit au de-
hors. VnUn citoyen de Cyzique, acquist iadisjadis vneune reputation de
bon mathematicien, pour auoiravoir appris de la conditiōcondition de l’he-
risson, qu’il à sa taniere ouuerteouverte à diuersdivers endroicts & à diuersdivers
vents, & preuoyantprevoyant le vent adueniradvenir, il va boucher le trou du
costé de ce vent-là, ce que remerquant ce citoien venoit tou-
siourssjours apporteroit en sa ville certaines predictions du vent, qui
auoitavoit à tirer. Le cameleon prend la couleur du lieu, où il est as-
sis: mais le poulpe se donne luy-mesme la couleur qu’il luy
plaist, selon les occasions, pour se cacher de ce qu’il craint, &
attraper ce qu’il cerche: au cameleon c’est changemētchangement de pas-
ESSAIS DE M. DE MONT.
sion, mais au poulpe c’est changement d’action. Nous auonsavons
quelques mutations de couleur à la fraieur, la cholere, la hon-
te, & autres passions, qui alterētalterent le teint de nostre visage, mais
c’est par l’effect de la souffrance, comme au cameleon: il est
bien en la iaunissejaunisse de nous faire iaunirjaunir, mais il n’est pas en la
disposition de nostre volonté. Or ces effets que nous recon-
noissons aux autres animaux, plus grands que les nostres, tes-
moignent en eux quelque faculté plus excellente, qui nous
est occulte, comme il est vray-semblable que sont plusieurs
autres de leurs conditions & puissances.⁁ ⁁ des quelles nulles apparances ne uienentvienent iusquesjusques a nous. De toutes les predi-
ctions du temps passé, les plus anciennes & plus certaines e-
stoient celles, qui se tiroient du vol des oiseaux: qu’auōsavons nNous
en nousn’auonsavons rien de pareil & de si admirable? cCette regle, cet ordre du
bransler de leur aile, par lequel on tire des consequences des
choses à venir, il faut bien qu’il soit conduict par quelque ex-
cellent moyen à vneune si noble operation, car c’est prester à la
lettre, d’aller attribuant ce grand effect à quelque ordonnan-
ce naturelle sans l’intelligence consentement & discours, de
qui le produit: & est vneune opinion euidemmentevidemment faulse. Et qQu’il
soit ainsi: lLa torpille, à cette condition, non seulemētseulement d’endor-
mir les membres, qui la touchent, mais au trauerstravers des filets, &
de la scene, elle transmet vneune pesanteur endormie aux mains
de ceux qui la remuent & manient: voire dit-on d’auantageavantage
que si on verse de l’eau dessus, on sent cette passion qui gaigne
contremont iusquesjusques à la main, & endort l’atouchement au
trauerstravers de l’eau: cette force est merueilleusemerveilleuse: mais elle n’est pas
inutile à la torpille: elle la sent & s’en sert, de maniere que pour
attraper la proye qu’elle queste, on la void se tapir soubs le li-
mon, afin que les autres poissons se coulans par dessus, frap-
pez & endormis de cette sienne froideur, tombent en sa puis-
sance. Les gruës, les arondeles, & autres oiseaux passagers, chā-
geanschan-
geans de demeure selon les saisons de l’an, monstrent assez la
cognois-
LIVRE SECOND. 193201
cogoissance qu’elles ont de leur faculté diuinatricedivinatrice, & la
mettent en vsageusage. Les chasseurs nous asseurētasseurent, que pour choi-
sir d’vnun nōbrenombre de petits chiens, celuy qu’on à adoit conseruerconserver pour
le meilleur, il ne faut que mettre la mere au propre de le choi-
sir elle mesme, comme si on les emporte hors de leur giste, le
premier qu’elle y rapportera, sera tousiourstousjours le meilleur: ou biēbien
si on faict semblant d’entourner de feu leur giste, de toutes
parts, celuy des petits, au secours duquel elle courra premie-
rement. Par où il appert qu’elles ont vnun vsageusage de prognosti-
que que nous n’auonsavons pas: ou qu’elles ont quelque vertu à iu-
gerju-
ger de leurs petits, autre & plus viuevive que la nostre. Car à nos
enfans il est certain que bien auantavant en l’aage, nous n’y décou-
uronsdécou-
vrons rien sauf la forme corporelle, par où nous en puissions
faire triage. La maniere de naistre, d’engendrer, nourrir, agir,
mouuoirmouvoir, viurevivre & mourir des bestes, estant si voisine de la no-
stre, tout ce que nous retranchons de leurs causes motrices, &
que nous adioustonsadjoustons à nostre condition au dessus de la leur,
cela ne peut aucunement partir du discours de nostre raison.
Pour reglemētreglement de nostre santé, les medecins nous proposent
l’exemple du viurevivre des bestes & leur façon: car ce mot est de
tout temps en la bouche du peuple.,
Tenez chauts les pieds & la teste,
Au demeurant viuezvivez en beste.
La generation est la principale des actions naturelles: nous a-
uonsa-
vons quelque disposition de membres, qui nous est plus pro-
pre à cela: toutesfois ils nous ordonnent de nous ranger à l’as-
siete & disposition brutale, comme plus effectuelle, & plus
naturelle.,
more ferarum.,
Quadrupedúmque magis ritu, plerúmque putantur
Concipere vxores: quia sic loca sumere possunt
Pectoribus positis sublatis semina lumbis.
EEe
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Et reiettentrejettent comme nuisibles ces mouuementsmouvements indiscrets, &
insolents, que les femmes y ont meslé de leur creu, les rame-
nant à l’exemple & vsageusage des bestes de leur sexe, plus modeste
& rassis.:
Nam mulier prohibet se concipere atque repugnat,
Clunibus ipsa viri venerem si laeta retractet,
Atque exossato ciet omni pectore fluctus.
Eiicit enim sulci recta regione viáque
Vomerem, atque locis auertit seminis ictum.
Si c’est iusticejustice de rendre à chacun ce qui luy est deu, les bestes
qui seruentservent, ayment & defendent leurs bien-faicteurs, & qui
poursuyuentpoursuyvent & outragent les estrangers & ceux qui les offen-
cent, elles representent en cela quelque air de nostre iusticejustice:
comme aussi en conseruantconservant vneune equalité tres-equitable en la
dispensation de leurs biens à leurs petits. Quant à l’amitié elles
l’ont sans comparaison plus viuevive & plus constante, que n’ont
pas les hommes. Hircanus le chien du Roy Lisimachus, son
maistre mort, demeura obstiné sus son lict, sans vouloir boi-
re ne māgermanger: & le iourjour qu’on en brusla le corps, il print sa cour-
se, & se iettajetta dans le feu, où il fut bruslé. Comme fist aussi le
chien d’vnun nommé Pyrrhus, car il ne bougea de dessus le lict
de son maistre, dépuis qu’il fust mort: & quand on l’emporta,
il se laissa enleuerenlever quant & luy, & finalement se lança dans le
buscher où on brusloit le corps de son maistre. Il y à certaines
inclinations d’affectiōaffection, qui naissent quelquefois en nous, sans
le conseil de la raison, qui viennētviennent d’vneune temerité fortuite, que
d’autres nommētnomment sympathie: les bestes en sont capables com-
me nous: nNous voyons les cheuauxchevaux prendre certaine accoin-
tance des vnsuns aux autres, iusquesjusques à nous mettre en peine pour
les faire viurevivre ou voyager separément: oOn les void appliquer
leur affection à certain poil de leurs compaignons, comme à
certain visage: & où ils le rencontrent s’y ioindrejoindre incontinent
LIVRE SECOND. 194202
auecavec feste & demonstration de bienveuillācebienveuillance, & prēdreprendre quel-
que autre forme à contrecoeur & en haine. Les animaux ont
choix cōmecomme nous, en leurs amours, & font quelque triage de
leurs femelles. Ils ne sont pas exempts de nos ialousiesjalousies & d’en-
uiesen-
vies extremes & irreconciliables. Les cupiditez sont ou natu-
relles & necessaires, comme le boire & le manger,: ou naturel-
les & non necessaires, comme l’accointance des femelles,: où
elles ne sont ny naturelles ny necessaires: de cestte derniere sor-
te sont quasi toutes celles des hōmeshommes: elles sont toutes super-
fluës & artificielles: cCar c’est merueillemerveille combien peu il faut à
nature pour se cōtentercontenter, cōbiencombien peu elle nous à laissé à desirer:
lLes apprests à nos cuisines, ne touchent pas son ordonnance:
lLes Stoiciens disent qu’vnun homme auroit dequoy se substan-
ter d’vneune oliueolive par iourjour. La delicatesse de nos vins n’est pas de
sa leçōleçon, ny la recharge que nous adioustōsadjoustons aus appetits amou-
reux., neque illa
Magno prognatum deposcit consule cunnum.
Ces cupiditez estrangeres, que l’ignorance du bien, & vneune fau-
ce opinion ont coulées en nous, sont en si grand nōbrenombre, qu’el-
les chassētchassent presque toutes les naturelles: ny plus ny moins que
si en vneune cité, il y auoitavoit si grand nombre d’estrangers, qu’ils en
missent hors les naturels habitans, où esteignissent leur autho-
rité & puissance ancienne, l’vsurpantusurpant entierement & s’en sai-
sissant. Les animaux sont à la verité beaucoup plus reglez que
nous ne sommes, & se contiennent auecavec plus detoute plus de moderation
soubs les limites que nature nous à prescripts: mMais non pas si
exactement, qu’ils n’ayent encore quelque conuenanceconvenance à no-
stre desbauche. Et tout ainsi comme il s’est trouuétrouvé des desirs
furieux, qui ont poussé les hommes à l’amour des bestes, elles
se trouuenttrouvent aussi par fois esprises de nostre amour, & reçoi-
uentreçoi-
vent des affections mōstrueusesmonstrueuses d’vneune espece à autre: tesmoin
l’elephant corriualcorrival d’Aristophanes le grammairiēgrammairien, en l’amour
EEe iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’vneune ieunejeune bouquetiere en la ville d’Alexandrie, qui ne luy
cedoit en rien aux offices d’vnun poursuyuantpoursuyvant bien passionné:
car se promenant par le marché, où lonl’on vendoit des fruicts, il
en prenoit auecavec sa trompe & les luy portoit: il ne la perdoit
de veuë, que le moins qu’il luy estoit possible, & luy mettoit
quelquefois la trompe dans le sein par dessoubs son collet, &
luy tastoit les tetins. Ils recitent aussi d’vnun dragon amoureux
d’vneune fille, & d’vneune oye esprise de l’amour d’vnun enfant, en la
ville d’Asope, & d’vnun belier seruiteurserviteur de la menestriere Glau-
cia: & il se void tous les ioursjours des magots furieusement espris
de l’amour des fēmesfemmes. On void aussi certains animaux, s’adō-
neradon-
ner à l’amour des masles de leur sexe: Oppianus & autres reci-
tent quelques exemples, pour monstrer la reuerencereverence que les
bestes en leurs mariages portent à la parenté, mais l’experiēceexperience
nous faict bien souuentsouvent voir le contraire,
nec habetur turpe iuuencae
Ferre patrem tergo: fit equo sua filia coniux:
Quásque creauit init pecudes caper: ipsáque cuius
Semine concepta est, ex illo concipit ales.
De subtilité malitieuse, en est-il vneune plus expresse que celle du
mulet du philosophe Thales? lequel passant au trauerstravers d’vneune
riuiereriviere chargé de sel, & de fortune y estant bronché, si que les
sacs qu’il portoit en furent tous mouillez, s’estant apperçeu
que le sel fondu par ce moyen, luy auoitavoit rendu sa char-
ge plus legere, ne failloit iamaisjamais aussi tost qu’il rencontroit
quelque ruisseau, de se plonger dedans auecavec sa charge, iusquesjusques
à ce que son maistre descouurantdescouvrant sa malice, ordonna qu’on le
chargeast de laine, à quoy se trouuanttrouvant mescōtémesconté, il cessa de plus
vseruser de cette finesse. Il y en à plusieurs qui representētrepresentent naifue-
mētnaifve-
ment le visage de nostre auariceavarice, car on leur void vnun soin extre-
me de surprēdresurprendre tout ce qu’elles peuuētpeuvent & de le curieusement
cacher, quoy qu’elles n’ēen tirēttirent point ⁁ ⁁ d’vsageusage. QuātQuant à la mesnage-
LIVRE SECOND. 195203
rie, elles nous surpassent non seulement en cette preuoyanceprevoyance
d’amasser & espargner pour le tēpstemps à venir, mais elles ont en-
core beaucoup de parties de la science, qui y est necessaire. Les
fourmis estandent au dehors de l’aire leurs grains & semēcessemences
pour les esuenteresventer, refreschir & secher, quand ils voyent qu’ils
commencent à se moisir & à sentir le rance, de peur qu’ils ne
se corrompent & pourrissent. Mais la caution & preuentionprevention,
dont ils vsentusent à ronger le grain de froment, surpasse toute i-
magination de prudence humaine: pParce que le froment ne
demeure pas tousiourstousjours sec ny sain, ains s’amolit, se resout &
destrempe comme en laict, s’acheminātacheminant à germer & produi-
re: parquoy de peur qu’il ne deuiennedevienne semance, & perde sa na-
ture & proprieté de magasin pour leur nourriture, ils ron-
gent le bout, par où le germe à accoustumé de sortir. Quant
à la guerre, qui est la plus grādegrande & pompeuse des actions hu-
maines, ieje sçaurois volontiers, si nous nous en voulons seruirservir
pour argument de quelque prerogatiueprerogative, ou au rebours pour
tesmoignage de nostre imbecillité & imperfection: (comme
de vray la science de nous entre-deffaire & entretuer, de rui-
ner & perdre nostre propre espece, il semble qu’elle n’a pas
beaucoup dequoy se faire desirer aux bestes qui ne l’ont pas.:)
quando leoni
Fortior eripuit vitam Leo, quo nemore vnquam
Expirauit aper maioris dentibus apri.
Mais elles n’en sont pas vniuersellementuniversellement exemptes ⁁ ⁁ pourtant: tesmoin
les furieuses rencōtresrencontres des mouches à miel, & les entreprinses
des princes des deux armées, contre ellescontraires.,
saepe duobus
Regibus incessit magno discordia motu.
Continuóque animos vulgi & trepidantia bello
Corda licet longè praesciscere.
IeJe ne voy iamaisjamais cette diuinedivine description, qu’il ne m’y semble
EEe iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
lire peinte l’ineptie & vanité humaine. Car ces mouuemensmouvemens
guerriers, qui nous rauissentravissent de leur horreur & espouuente-
mentespouvente-
ment, cette tempeste de sons & de cris,
Fulgur vbi ad caelum se tollit, totáque circum
Aere renīdescitrenindescit tellus, subtérque virum vi
Excitur pedibus sonitus, clamoréque montes
Icti reiectant voces ad sidera mundi.:
Ccette effroyable ordonnance de tant de milliers d’hommes
armez, tant de fureur, d’ardeur, & de courage, il est plaisant à
considerer, par combien vaines occasions elle est agitée, &
par combien legieres occasions esteinte.
Paridis propter narratur amorem
Graecia Barbariae diro collisa duello.:
Ttoute l’Asie se perdit & se cōsommaconsomma en guerres pour le ma-
querelage de Paris. L’enuieenvie d’vnun seul homme, vnun despit, vnun
plaisir, vneune ialousiejalousie domestique, causes qui ne deuroiētdevroient pas
esmouuoiresmouvoir deux harangeres à s’esgratigner, c’est l’ame & le
mouuementmouvement de tout ce grand trouble. VoulōsVoulons nous en croi-
re ceux mesme, qui en sont les principaux autheurs & motifs?
oyons le plus grand, le plus victorieux Empereur & le plus
puissant, qui fust onques, se iouantjouant & mettant en risée tres-
plaisamment & tres-ingenieusement, plusieurs batailles ha-
zardées & par mer & par terre, le sang & la vie de cinq cens
mille hommes qui suiuirentsuivirent sa fortune, & les forces & riches-
ses des deux parties du monde espuisées pour le seruiceservice de ses
entreprinses,
Quod futuit Glaphyran Antonius, hanc mihi poenam
Fuluia constituit, se quoque vti futuam.
Fuluiam ego vt futuam? quid si me Manius oret
Paedicem, faciam? non puto, si sapiam.
Aut futue, aut pugnemus ait. quid si mihi vita
Charior est ipsa mentula? signa canant.
LIVRE SECOND. 196204
(IJ’euse en liberté de conscience de mon Latin auecqavecq le congé,
que vous m’en auezavez donné.) Or ce grand corps a tant de vi-
sages & de mouuemansmouvemans, qui semble menasser le ciel & la
terre.:
Quam multi Lybico voluuntur marmore fluctus
Saeuus vbi Orion hybernis conditur vndis
Vel cum sole nouo densae torrentur aristae,
Aut Hermi campo aut Lyciae flauentibus aruis,
Scuta sonant, pulsuque pedum tremit excita tellus.
Ce furieux monstre a tāttant de bras & a tant de testes, c’est tous-
iourstous-
jours l’hōmehomme foyble, calamiteux, & miserable. Ce n’est qu’v-
neu-
ne formilliere esmeuë & eschaufée,
It nigrum campis agmen.
VnUn souffle de vent contraire, le croassement d’vnun vol de cor-
beaux, le faux pas d’vnun cheualcheval, le passage fortuite d’vnun aigle,
vnun songe, vneune voix, vnun signe, vneune brouée matiniere, suffisent à
le renuerserrenverser & porter par terre. Donnez luy seulement d’vnun
rayon de Soleil par le visage, le voyla fondu & esuanouyesvanouy: qu’ōon
luy esuanteesvante seulement vnun peu de poussiere aux yeux, comme
aux mouches à miel de nostre poëte, voyla toutes nos ensei-
gnes, nos legions, & le grand Pompeius mesmes à leur teste,
rompu & fracassé, car ce fut luy ce me semble, que Sertorius
batit en Espaigne atout ces belles armes, qui ont aussi seruiservi à
d’autres, comme à Eumenes contre Antigonus à Surena con-
tre Crassus:
Hi motus animorum, atque haec certamina tanta
Pulueris exigui iactu compressa quiescent. ⁁
⁁ Qu’on descouple
mesmes, de nos mouches
apres, elles auront et la
force et le corage de
les dissiper. De fresche
memoire les Portuguais
pressans la uilleville de
Tamly au territoire de
Xiatime les habitans
d’icelle portarent sur la
muraille grand quantite
d’exaimpsde ruches de quoi ils sont riches Et a tout du feu chassarent les abeilles si uiuementvivement
sur leurs enemis qu’ils les mirent en route ne pouuantpouvant soutenir leurs assaus & leurs
pointure Ainsi demura la uictorevictorevictoire & liberte de leur uilleville a ce nouueaunouveau secours aueqaveq
telle fortune qu’au retour du combat il ne s’en trouuatrouva une sule a dire.
Les ames des Empereurs & des sauatierssavatiers sont iettéesjettées à mesme
moule. Considerant l’importance des actions des princes &
leur pois, nous nous persuadons qu’elles soyētsoyent produites, par
quelques causes aussi poisantes & importantes.: Nnous nous
trompons: ils sont poussezmenez & retirezramenez en leurs mouuemēsmouvemens, par
ESSAIS DE M. DE MONTA.
les mesmes ressors, que nous sommes aux nostres. La mesme
raison qui nous fait tāsertanser auecavec vnun voisin, dresse entre les Prin-
ces vneune guerre: la mesme raison, qui nous faict foïter vnun lac-
quais, tombant en vnun Roy, luy fait ruiner vneune nation entiereprouinceprovince.
Ils veulent aussi legierement que nous, mais ils peuuentpeuvent plus.
Pareils appetits agitent vnun ciron & vnun elephant. Quant à la
fidelité, il n’est animal au moindre traistre au pris de l’hom-
me: nos histoires racontent la ⁁ uiuevive poursuite que certains chiens
ont faict de la mort de leurs maistres. Le Roy Pyrrhus ayant
rencontré vnun chien qui gardoit vnun homme mort, & ayant
entendu qu’il y auoitavoit trois ioursjours qu’il faisoit cet office, com-
manda qu’on enterrast ce corps, & mena ce chiēchien quant & luy:
vVnuUn iourjour qu’il assistoit aux montres generales de son armée,
ce chien apperceuantappercevant les meurtriers de son maistre, leur cou-
rut sus, auecavec grans aboys & aspreté de courroux, & par ce pre-
mier indice achemina la vengeance de ce meurtre, qui en fut
faicte bien tost apres par la voye de la iusticejustice. Autant en fist le
chien du sage Hesiode ayant conuaincuconvaincu les enfans de Gani-
stor Naupactien, du meurtre commis en la personne de son
maistre. VnUn autre chien estant à la garde d’vnun temple à Athe-
nes, ayant aperçeu vnun larron sacrilege qui en emportoit les
plus beaux ioyauxjoyaux, se mit à abayer contre luy tant qu’il peut:
mais les marguilliers ne s’estant point esueillezesveillez pour cela, il se
mist à le suyuresuyvre, & le iourjour estātestant venu se tint vnun peu plus esloi-
gné de luy, sans le perdre iamaisjamais de veuë: s’il luy offroit à mā-
german-
ger il n’en vouloit pas, & aux autres passans qu’il rencontroit
en son chemin, il leur faisoit feste de la queuë, & prenoit de
leurs mains ce qu’ils luy donnoyent à manger: si son larron
s’arrestoit pour dormir, il s’arrestoit quant & quant au lieu
mesmes. La nouuellenouvelle de ce chien estant venuë aux marguil-
liers de cette Eglise, ils se mirent à le suiuresuivre à la trace, s’enque-
rans des nouuellesnouvelles du poil de ce chien, & en fin le rencontre-
rent
LIVRE SECOND. 197205
rent en la ville de Cromyon, & le larron aussi, qu’ils ramene-
rent en la ville d’Athenes, où il fut puny. Et les iugesjuges en recō-
noissancerecon-
noissance de ce bon office, ordonnarent du publicq certaine
mesure de bled pour nourrir le chien, & aux prestres d’en a-
uoira-
voir soing. Plutarque tesmoigne cette histoire, comme cho-
se tres-aueréeaverée & aduenueadvenue en son siecle. Quant à la gratitude
(car il me semble que nous auonsavons besoing de mettre ce mot
en credit) ce seul exemple y suffira, que Apion recite comme
en ayant esté luy mesme spectateur. VnUn iourjour, dit-il, qu’on dō-
noitdon-
noit à Rome au peuple le plaisir du combat de plusieurs be-
stes estranges, & principalement de Lyons de grandeur inusi-
tée, il y en auoitavoit vnun entre autres qui par son port furieux, par
la force & grosseur de ses membres, & vnun rugissement hau-
tain & espouuantableespouvantable, attiroit à soy la veuë de toute l’assistan-
ce. Entre les autres esclauesesclaves, qui furent presentez au peuple en
ce combat des bestes, fut vnun Androdus de Dace, qui estoit à
vnun Seigneur Romain, de qualité consulaire. Ce lyon l’ayant
apperçeu de loing, s’arresta premierement tout court, com-
me estant entré en admiration, & puis s’aprocha tout douce-
ment d’vneune façon molle & paisible, comme pour entrer en
reconnoissance auecavec luy. Cela faict & s’estant asseuré de ce
qu’il cherchoit, il commença à battre de la queuë à la mode
des chiens qui flatent leur maistre, & à baiser, & lescher les
mains & les cuisses de ce pauurepauvre miserable, tout trāsitransi d’effroy,
& hors de soy. Androdus ayant repris ses esprits par la cour-
toisiebenignité de ce lyon, & r’asseuré sa veue pour le considerer & re-
connoistre: c’estoit vnun singulier plaisir de voir les caresses, &
les festes qu’ils s’entrefaisoyent l’vnun à l’autre. Dequoy le peu-
ple ayant esleuéeslevé des cris de ioyejoye, l’Empereur fit appeller cet
esclaueesclave, pour entendre de luy le moyen d’vnun si estrange eue-
nementeve-
nement: il luy recita vneune histoire nouuellenouvelle & admirable. MōMon
maistre, dict-il, estant proconsul en Aphrique, ieje fus contraint
FFf
ESSAIS DE M. DE MONTA.
par la cruauté & rigueur qu’il me tenoit, me faisant iournelle-
mentjournelle-
ment battre, me desrober de luy, & m’en fuïr. Et pour me ca-
cher seurement d’vnun personnage ayant si grande authorité en
la prouinceprovince, ieje trouuaytrouvay mōmon plus court de gaigner les solitudes
& les contrées sablonneuses & inhabitables de ce pays la, re-
solu, si le moyen de me nourrir venoit à me faillir, de trouuertrouver
quelque façon de me tuer moy-mesme. Le soleil estant ex-
tremement aspre sur le midy, & les chaleurs insupportables,
ayant rencontrém’estant enbatu ens sur vneune cauernecaverne cachée & inaccessible ieje me iet-
tayjet-
tay dedans. Bien tost apres y suruintsurvint ce lyon, ayant vneune patte
sanglante & blessée, tout plaintif & gemissant des douleurs
qu’il y souffroit: a son arriuéearrivée ij’eu beaucoup de frayeur,
mais luy me voyant mussé dans vnun coing de sa loge, s’appro-
cha tout doucemētdoucement de moy, me presentant sa patte offencée,
& me la monstrant comme pour demander secours,: ieje luy o-
stay lors vnun grand escot qu’il y auoitavoit, & m’estant vnun peu apri-
uoiséapri-
voisé à luy, pressant sa playe en fis sortir l’ordure qui s’y amas-
soit, l’essuyay, & nettoyay le plus proprement que ieje peux:
Lluy se sentant alegé de son mal, & soulagé de cette douleur,
se prit à reposer, & à dormir, ayātayant tousiourstousjours sa patte entre mes
mains. Delà en hors luy & moy vesquismes ensemble en cet-
te cauernecaverne trois ans entiers de mesmes viandes: car des bestes
qu’il tuoit à sa chasse, il m’en aportoit les meilleurs endroits,
que ieje faisois cuire au soleil à faute de feu, & m’en nourrissois.
A la longue, m’estant ennuyé de cette vie brutale & sauuagesauvage,
ce Lyon s’en estant allé vnun iourjour à sa queste accoustumée, ieje
partis de là, & à ma troisiesme iournéejournée fus surpris par les sol-
dats, qui me menerent d’Affrique en cette ville à mōmon maistre,
lequel soudain me cōdamnacondamna à mort, & à estre abādonnéabandonné aux
bestes. Or à ce que ieje voy ce Lyon fut aussi pris biēbien tost apres,
qui m’a à cette heure voulu recompenser du bien-fait & gue-
rison qu’il auoitavoit reçeu de moy. Voyla l’histoire qu’Androdus
LIVRE SECOND. 198206
recita à l’Empereur, la q̄llequelle il fit aussi entendre de main à main
au peuple. Parquoy à la requeste de tous il fut mis en liberté, &
absoubs de cette condamnation, & par ordonnance du peu-
ple luy fut faict present de ce Lyon. Nous voyons dépuis, dit
Apion, Androdus conduisant ce Lyon à tout vneune petite lais-
se, se promenant par les tauernestavernes à Rome, receuoirrecevoir l’argent
qu’on luy donnoit: le Lyon se laisser couurircouvrir des fleurs qu’on
luy iettoitjettoit, & chacun dire en les rencontrant. Voyla le Lyon
hoste de l’homme, voyla l’homme medecin du Lyon. Nous
pleurons souuantsouvant la perte des bestes que nous aymons, aussi
font elles la nostre.,
Post bellator equus positis insignibus Aethon
It lachrymans, guttisque humectat grandibus ora.
Comme aucunes de nos nations ont les femmes en commūcommun,
aucunes à chacun la sienne: cela ne se voit il pas aussi entre les
bestes, & des mariages mieux gardez que les nostres. Quant à
la societé & confederation que les bestes’elles dressent entre elles
pour se liguer ensemble, & s’ētresecourirentresecourir, il se voit des boeufs,
des porceaux, & autres animaux, qu’au cry de celuy que vous
offencez, toute la troupe accourt à son aide, & se ralie pour sa
deffence. L’escare, quand il à aualéavalé l’ameçon du pescheur, ses
cōpagnonscompagnons s’assemblent en foule autour de luy, & rōgentrongent la
ligne: & si d’auātureavanture, il y en à vnun, qui ayt dōnédonné dedans la nasse,
les autres luy baillent la queuë par dehors, & luy la serre tant
qu’il peut à belles dents, ils le tirent ainsin au dehors & l’en-
trainent:. Les barbiers, quand l’vnun de leurs cōpagnonscompagnons est en-
gagé, mettent la ligne contre leur dos, dressant vnun’espine
qu’ils ont dentelée comme vneune scie, à tout laquelle ils la
scient & coupent. Quant aux particuliers offices, que nous
tirons l’vnun de l’autre pour le seruiceservice de la vie, il s’en void
plusieurs pareils exemples parmy elles. Ils tiennent, que
la baleine ne marche iamaisjamais qu’elle n’ait au deuantdevant d’elle
FFf ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
vnun petit poisson semblable au gaoyongoujon de mer, qui s’ap-
pelle pour cela la guide: la balaine le suit, se laissant mener &
tourner aussi facilement, que le timon faict retourner la naui-
renavi-
re: & en recompense aussi, au lieu que toute autre chose, soit
beste ou vaisseau, qui entre dans l’horrible chaos de la bouche
de ce mōstremonstre, est incontinātincontinant perdu & englouti, ce petit pois-
son s’y retire en toute seurté, & y dort, & pendant son som-
meil la baleine ne bouge: mais aussi tost qu’il sort, elle se met
à le suiuresuivre sans cesse: & si de fortune elle l’escarte, elle va errāterrant
ça & là, & souuantsouvant se froissant contre les rochers, comme vnun
vaisseau qui n’a point de gouuernailgouvernail: ce que Plutarque tes-
moigne auoiravoir veu en l’isle d’Anticyre. Il y à vnun pareil mariageune pareille societe
entre le petit oyseau qu’on nomme le roytelet, & le crocodi-
le: le roytelet sert de sentinelle à ce grādgrand animal: & si l’ichneau-
mon son ennemy aproche pour le combatre, ce petit oyseau,
de peur qu’il ne le surprenne endormy, va de son chant & à
coup de bec l’esueillantesveillant, & l’aduertissantadvertissant de son danger: il vit
des demeurans de ce mōstremonstre, qui le reçoit familieremētfamilierement en sa
bouche, & luy permet de becqueter dans ses machoueres, &
entre ses dents, & y recueillir les morceaux de cher qui y sont
demeurez: & s’il veut fermer la bouche, il l’aduertitadvertit premiere-
ment d’en sortir en la serrātserrant peu à peu sans l’estreindre & l’of-
fencer. Cette coquille qu’on nomme la nacre, vit aussi ainsin
auecavec le pinnothere, qui est vnun petit animal de la sorte d’vnun cā-
crecan-
cre, luy seruantservant d’huissier & de portier assis à l’ouuertureouverture de
cette coquille, qu’il tient continuellement entrebaillée & ou-
uerteou-
verte, iusquesjusques à ce qu’il y voye entrer quelque petit poisson
propre à leur prise: car lors il entre dans la nacre, & luy va
pinsant la chair viuevive & la contraint de fermer sa coquille:
lors eux deux ensemble mangent la proye enfermée dans
leur fort. En la maniere de viurevivre des tuns on y remerque vneune
singuliere science de trois parties de la Mathematique.
LIVRE SECOND. 199207
Quant à l’Astrologie ils l’enseignent à l’homme: car ils s’arre-
stent au lieu où le solstice d’hyuerhyver les surprend, & n’en bougētbougent
iusquesjusques à l’equinoxe ensuyuantensuyvant: voyla pourquoy Aristote
mesme leur concede volontiers cette science. Quant à la Geo-
metrie & Arithmetique, ils font tousiourstousjours leur bande de figu-
re cubique, carrée en tout sens, & en dressent vnun corps de ba-
taillon, solide, clos, & enuirōnéenvironné tout à l’entour, à six faces tou-
tes égales: puis nagent en cette ordonnance carrée, autant
large derriere que deuantdevant, de façon que qui en void & conte
vnun visagerang, il peut aisémētaisément nōbrernombrer toute la trouppe, d’autant q̄que
le nombre de la profondeur est égal à la largeur, & la largeur,
à la longueur. Quant à la magnanimité, il est malaisé de luy
donner vnun visage plus apparent, que en ce faict du grand
chien, qui fut enuoyéenvoyé des Indes au Roy AlexādreAlexandre: on luy pre-
senta premierement vnun cerf pour le combattre, & puis vnun san-
glier, & puis vnun ours, il n’en fit compte, & ne daigna se remuer
de sa place: mais quand il veid vnun lyon, au deuantdevant de luy, il se
dressa incontinent sur ses pieds, montrant manifestement
qu’il declaroit celuy-là seul digne d’entrer en combat auec-
quesavec-
ques luy. Touchant la repentance & recognoissance des fau-
tes, on recite d’vnun elephant, lequel ayant tué son gouuerneurgouverneur
par impetuosité de cholere, en print vnun deuil si extreme, qu’il
ne voulut onques puis manger, & se laissa mourir. Quant à la
clemēceclemence, on recite d’vnun tygre, la plus inhumaine beste de tou-
tes, que luy ayātayant esté baillé vnun cheureauchevreau, il souffrit deux ioursjours
la faim auantavant que de le vouloir offencer, & le troisieme il bri-
sa la cage où il estoit enfermé, pour aller chercher autre pastu-
re, ne se voulant prendre au cheureauchevreau, son familier & compa-
gnonson hoste. Et quant aux droicts de la familiarité & conuenanceconvenance,
qui se dresse par la conuersationconversation, il nous aduientadvient ordinaire-
ment d’appriuoiserapprivoiser des chats, des chiens, & des liéuresliévres ensem-
ble: mais ce que l’experience apprend à ceux, qui voyagētvoyagent par
FFf iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mer, & notamment en la mer de Sicile, de la condition des
halcyons, surpasse toute humaine cogitation. De quelle espe-
ce d’animaux à iamaisjamais nature tant honoré les couches, la nais-
sance, & l’enfantement? car les Poëtes disent bien qu’vneune seule
isle de Delos, estant au parauantparavant vagante fut affermie pour le
seruiceservice de l’enfantement de Latone: mais Dieu à voulu que
toute la mer fut arrestée, affermie & applanie sans vagues, sans
vents & sans pluye, cependant que l’alcyon faict ses petits: qui
est iustementjustement enuironenviron le solstice, le plus court iourjour de l’an: &
par son priuilegeprivilege nous auonsavons sept ioursjours & sept nuicts, au fin
coeur de l’hyuerhyver, que nous pouuonspouvons nauiguernaviguer sans danger.
Leurs femelles ne reconnoissent autre masle que le leur propre:
l’assistent toute leur vie sans iamaisjamais l’abandonner: s’il vient à
estre debile & cassé, elles le chargētchargent sur leurs espaules, le portētportent
par tout, & le seruētservent iusquesjusques à la mort. Mais aucune suffisance
n’a encores peu attaindre à la connoissance de cette merueil-
leusemerveil-
leuse fabrique, dequoy l’alcyōalcyon cōposecompose le nid pour ses petits, &ny a
en deuinerdeviner la matiere. Plutarque, qui en à veu & manié plu-
sieurs, pense que ce soit des arestes de quelque poisson qu’elle
conioinctconjoinct & lie ensemble, les entrelassant les vnesunes de long, les
autres de trauerstravers, & adioustantadjoustant des courbes & des arrondisse-
mens, tellement qu’en fin elle en forme vnun vaisseau rond prest
à voguer: puis quand elle à paracheuéparachevé de le construire, elle le
porte au batement du flot marin, là où la mer le battant tout
doucement luy enseigne à radouber ce qui n’est pas bien lié,
& à mieux fortifier aux endroits où elle void que sa structure
se desment, & se láche pour les coups de mer: & au contraire
ce qui est bien ioinctjoinct, le batement de la mer le vous estreinct,
& vous le serre de sorte, qu’il ne se peut ny rompre ny dissou-
dre, ou endommager à coups de pierre, ny de fer, si ce n’est à
toute peine. Et ce qui plus est à admirer, c’est la proportion &
figure de la concauitéconcavité du dedans: car elle est composée & pro-
LIVRE SECOND. 200208
portionnée de maniere, qu’elle ne peut receuoirrecevoir ny admettre
autre chose, q̄que l’oiseau qui l’a bastie: car à toute autre chose, el-
le est impenetrable, close, & fermée, tellemēttellement qu’il n’y peut riērien
entrer, non pas l’eau de la mer seulement. Voila vneune descri-
ption bien claire de ce bastiment & empruntée de bon lieu:
toutesfois il me semble qu’elle ne nous esclaircit pas encor
suffisamment la difficulté de cette architecture. Or de quelle
vanité nous peut-il partir de loger au dessoubs de nous, &
d’interpreter desdaigneusement, les effects, que nous ne pou-
uonspou-
vons imiter ny comprendre? Pour suiuresuivre encore vnun peu plus
loing cette equalité & correspondance de nous aux bestes, le
priuilegeprivilege dequoy nostre ame se glorifie, de ramener à sa con-
dition, tout ce qu’elle cōçoitconçoit, de despouiller de qualitez mor-
telles & corporelles, tout ce qui vient à elle, de renger les cho-
ses qu’elle estime dignes de son accointance, à desuestirdesvestir & des-
pouiller leurs conditions corruptibles, & leur faire laisser à
part, comme vestemens superflus & viles, l’espesseur, la lon-
gueur, la profondeur, le poids, la couleur, l’odeur, l’aspreté, la
pollisseure, la dureté, la mollesse, & tous accidents sensibles,
pour les accommoder à sa condition immortelle & spirituel-
le: de maniere que Rome & Paris, que ij’ay en l’ame, Paris que
ij’imagine, ieje l’imagine & le comprens, sans grandeur & sans
lieu, sans pierre, sans plastre, & sans bois: ce mesme priuilegeprivilege,
dis-ieje, semble estre bien euidammentevidamment aux bestes: car vnun che-
ualche-
val accoustumé aux trompettes, aux harquebusades, & aux
combats, que nous voyons tremousser & fremir en dormant,
estendu sur sa litiere, comme s’il estoit en la meslée, il est cer-
tain qu’il conçoit en son ame vnun son de tabourin sans bruict,
vneune armée sans armes & sans corps.:
Quippe videbis equos fortes, cum membra iacebunt.
In somnis, sudare tamen, spiraréque saepe,
Et quasi de palma summas contendere vires.
ESSAIS DE M. DE MONT.
Ce lieurelievre qu’vnun leurierlevrier imagine en songe, apres lequel nous le
voyons haleter en dormant, alonger la queuë, secouer les iar-
retsjar-
rets, & representer parfaictement les mouuemensmouvemens de sa cour-
se: c’est vnun lieurelievre sans poil & sans os.,
Venantúmque canes in molli saepe quiete,
Iactant crura tamen subito, vocesque repente
Mittunt, & crebras reducunt naribus auras,
Vt vestigia si teneant inuenta ferarum.
Experge factique, sequuntur inania saepe
Ceruorum simulachra, fugae quasi dedita cernant:
Donec discussis redeant erroribus ad se.
Les chiens de garde, que nous voyons souuentsouvent grōdergronder en son-
geant, & puis iapperjapper tout à faict & s’esueilleresveiller en sursaut, com-
me s’ils apperceuoientappercevoient quelque estranger arriuerarriver, cet estran-
ger que leur ame void, cestc’est vnun homme spirituel & imperce-
ptible, sans dimension, sans couleur, & sans estre:
Cconsueta domi catulorum blanda propago
Degere, saepe leuem ex oculis volucrémque soporem
Discutere, & corpus de terra corripere instant,
Proinde quasi ignotas facies atque ora tueantur.
Quant à la beauté du corps, auantavant passer outre, il me faudroit
sçauoirsçavoir si nous sommes d’accord de sa description: iIl est vray
semblable que nous ne sçauonssçavons guiere, que c’est que beauté
en nature & en general, puisque à l’humaine & nostre beauté
nous donnons tant de formes diuersesdiverses., ⁁
⁁ Et de cetecide la quelle s’il
y en auoitavoit quelque
prescription naturel=
le nous la reconesterions
en commun come la
chalur du fu. Nous
en fantasions les
formes a nostre poste.
Turpis Romano Belgicus ore color.
Les Indes la peignent noire & basannée, aux leureslevres grosses &
enflées, au nez plat & large: & chargent de gros anneaux d’or
le cartilage d’entre les nazeaux, pour le faire pendre iusquesjusques à
la bouche, comme aussi la balieurebalievre, de gros cercles enri-
chis de pierreries, si qu’elle leur tombe sur le menton, & est
leur grace, de montrer leurs dents à descouuertdescouvertiusquesjusques au dessous des racines. Au Peru les
plus
LIVRE SECOND. 201209
plus grandes oreilles sont les plus belles, & les estendētestendent autant
qu’ils peuuentpeuvent par artifice.⁁
⁁ : et un home d’au=
iourduiau=
jourdui dict auoiravoir
ueuveu en une nation
orientale ce souin de
les agrandir en tel
credit et de les char=
ger de poisans ioieauxjoieaux
qu’a tous coups il passoit
son bras uestuvestu, au
trauerstravers d’un trou
d’oreille.
Il est ailleurs des nations, qui noir-
cissent les dents auecavec grand soing, & ont à mespris de les voir
blanches: ailleurs ils les teignētteignent de couleur rouge. ⁁
⁁ Non sulemant en
Basque les faments se
treuuēttreuvent plus belles la
testae rase: mais assez
ailleurs: et qui plus est
en certenes cōtreescontrees
glaciales come dict Pline
Les femmes
Mexicanes content entre les beautez la petitesse du front, &
où elles se font le poil par tout le reste du corps, elles le nour-
rissent au front, & peuplent par art: & ont en si grande recom-
mendation la grandeur des tetins, qu’elles affectent de pou-
uoirpou-
voir donner la mammelle à leurs enfans par dessus l’espaule.:
Nnous formerions ainsi la laideur:. lLes Italiens la façonnent
grosse & massiuemassive: les Espagnols vuidée & estrillée: & entre
nous, l’vnun la fait blanche, l’autre brune: l’vnun molle & delicate,
l’autre forte & vigoureuse: qui y demande de la mignardise,
& de la douceur, qui de la fierté & magesté. ⁁
⁁ Tout ainsi que
la praeferance
en beaute que
Platon attribue
a la figure
sphaerique les
Epicuriens la
donētdonent a la
pyramidale plus
tost ou carree
ou et ne peuuentpeuvent
aualeravaler un dieu
rond come une boule
en fomeforme de boule
Mais quoy qu’il
en soit, nature ne nous à non plus priuilegezprivilegez en cela que au
demeurant, sur ses loix communes. Et si nous nous iugeonsjugeons
bien, nous trouueronstrouverons que s’il est quelques animaux moins
fauorisezfavorisez en cela que nous, il y en a d’autres & en grand nom-
bre, qui le sont plus:⁁
⁁ . A multis animalibus
decore uincimur.
: uoirevoire des terrestres
nos compatriotes: car
quand aus marins
laissant la figure qui
ne peut tumber en
proportion tant elle
est autre,: en colur nette=
te polissure disposition
nous leur cedons asses: &
certes non moins en toutes
qualitez aus aërees. Et
caret cette prerogatiueprerogative que les Poëtes font
valoir de nostre stature droicte, regardant vers le ciel son ori-
gine,
Pronáque cum spectent animalia caetera terram,
Os homini sublime dedit, caelúmque videre
Iussit, & erectos ad sydera tollere vultus,
elle est vrayement poëtique: car il y à plusieurs bestioles, qui
ont la veue renuerséerenversée tout à faict vers le ciel: & l’ancoleure des
chameaux, & des austruches, ieje la trouuetrouve encore plus releuéerelevée
& droite que la nostre. ⁁
⁁ Quels animaus
n’ont la face au haut
et ne l’ont dauantd’avant, et
ne regardent uisvis a
uisvis come nous: et ne
uovo descouurentdescouvrent en
leur iustejuste posture
autant du ciel et de
la terre que l’home?
Et quelles qualites de nostre
corporelle constitution en
Platon ⁁ ⁁ et en Cicero ne peuuentpeuvent seruirservir a
mille sortes de bestes.
Les bestesCelles qui nous retirent le plus, ce
sont les plus laides, & les plus vilesabiectesabjectes de toute la bande: car pour
l’apparence exterieure & forme du visage, ce sont les magots: ⁁
⁁ Simia quam similis
turpissima bestia nobis
& les singes: pour le dedans & parties vitales & plus nobles,
c’est, à ce que disent les medecins, le pourceau. Certes quand
GGg
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ij’imagine l’homme tout nud,: & notammentoui en ce sexe qui
semble auoiravoir plus de part à la beauté, ses tares, & ses defauts, sa
subiectionsubjection naturelle & ses imperfections, ieje trouuetrouve que nous
auonsavons eu plus de raison que nul autre animal, de nous cacher
& de nous couurircouvrir,: nNous auonsavons esté excusables de despouilleremploier emprunter
ceux que nature auoitavoit fauoriséfavorisé en cela plus qu’à nous, pour
nous parer de leur beauté.: Et puis que l’homme n’auoitavoit pas
dequoy se presenter nud à la veue du monde, il à eu raison de
seet nous cacher soubs laleur despouille, d’autruy, & se vestir de laine, de
plume, de poil, de soye,. & autres commoditez empruntées.
Remerquons au demeurant, que nous sommes le seul animal,
duquel le defaut & les imperfections, offencent nos propres
compaignons, & seuls qui auonsavons à nous desrober en nos actiōsactions
naturelles, de nostre espece. Vrayement c’est aussi vnun effect
bien digne de consideration, que les maistres du mestier or-
donnētor-
donnent pour remede aux passions amoureuses, l’entiere veue
& libre connoissance du corps qu’on recherche: que pour re-
froidir l’amitié, il ne faille que voir librement ce qu’on ayme.,
Ille quod obscoenas in aperto corpore partes
Viderat, in cursu qui fuit, haesit amor.
Et encore que cette recepte puisse à l’auentureaventure partir d’vneune
humeur vnun peu delicate & dégoutéerefroidie:, si est-ce vnun merueilleuxmerveilleux
signe de nostre defaillance, que l’vsageusage & la iouyssancejouyssanceconoissance nous
dégoute les vnsuns des autres. Ce n’est pas tant pudeur, qu’art &
prudence, qui rend nos dames si circōspectescirconspectes, à nous refuser
l’entrée de leurs cabinets, auantavant qu’elles soiētsoient peintes & parées
pour la montre publique.,
Nec veneres nostras hoc fallit, quo magis ipsae
Omnia summopere hos vitae post scenia celant
Quos retinere volunt adstrictóque esse in amore.
La où en plusieurs animaux il n’est rien d’eux que nous n’ai-
mons, & qui ne plaise à nos sens: de façon que de leurs excre-
LIVRE SECOND. 202210
mens mesmes & de leur descharge, nous tirons non seulemētseulement
de la friandise au manger, mais nos plus riches ornements &
parfums. Ce discours ne touche que nostre commun ordre, &
n’est pas si temerairesacrilege d’y vouloir comprendre ces diuinesdivines, su-
pernaturelles & extraordinaires beautez, qu’on voit par fois
reluire entre nous, comme des astres soubs vnun voile corporel
& terrestre. Au demeurātdemeurant la part mesme que nous faisons aux
animaux, des faueursfaveurs de nature, par nostre confession, elle leur
est bien auantageuseavantageuse. Nous nous attribuons des biens imagi-
naires & fantastiques, des biens futurs & à venirabsens, desquels l’hu-
maine capacité ne se peut d’elle mesme respondre,: ou des biēsbiens
que nous nous attribuons faucement, par la licence de nostre
opinion, comme la raison, la science & l’hōneurhonneur,: & à eux, nous
leur laissons en partage des biens essentiels, maniables & pal-
pables, la paix, le repos, la securité, l’innocence, & la santé,: la
santé, dis-ieje, le plus beau & le plus riche present, que nature
nous sache faire. De façon que la Philosophie, voire la Stoi-
que, ose biēbien dire que Heraclitus & Pherecides, s’ils eussent peu
eschanger leur sagesse, auecquesavecques la santé, & se deliurerdelivrer par ce
marché, l’vnun de l’hydropoisie, l’autre de la maladie pediculaire
qui le pressoit, qu’ils eussent bien faict. Par où ils donnent en-
core plus grand pris à la sagesse, la comparātcomparant & contrepoisant
à la santé, qu’ils ne font en cette autre proposition, qui est aus-
si des leurs. Ils disent que si Circé eust presenté à VlyssesUlysses deux
breuuagesbreuvages, l’vnun pour faire deuenirdevenir vnun homme de fol sage, l’au-
tre de sage fol, qu’VlyssesUlysses eust deu plustost accepter celuy de
la folie, que de consentir que Circé eust changé sa figure hu-
maine en celle d’vneune beste: &Et disent que la sagesse mesme eust
parlé à luy en cete maniere,: quitte moy, laisse moy là, plutost q̄que
de me loger sous la figure & corps d’vnun asne. CōmeētCommeent? cette grā-
degran-
de & diuinedivine sagessesapience, les Philosophes la quittent donc, pour ce
masqueuoilevoile corporel & terrestre? Ce n’est donc plus par la raison,
GGg ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
par le discours, & par l’ame, q̄que nous excellōsexcellons sur les bestes,: c’est
par nostre beauté, nostre beau teint, & nostre belle dispositiōdisposition
de mēbresmembres, pour la q̄llequelle il nous faut mettre nostre intelligēceintelligence,
nostre prudence, & tout le reste à l’abandōabandon. Or ij’accepte cette
naïfuenaïfve & franche confessiōconfession: cCertes ils ont cogneu que ces par-
ties là, dequoy nous faisons tant de feste, ce n’est que vaine
fantasie. Quand les bestes auroient donc toute la vertu, la
science, la sagesse & suffisance Stoique⁁ ⁁ ce seroint tousiourstousjours dedes bestes: ny, elles ne seroyent pas
pourtant comparables à vnun homme miserable, meschant, &
insensé. C’est donc toute nostre perfection que d’estre hom-
me: &Enfin tout ce qui n’est pas come nous somes, n’est rien qui uaillevaille. Et Dieu mesme pour
se faire ualoirvaloir, il faut qu’il y retire: come nous dirons tantost. Par ou il appert que ce n’est par vray discours, mais par vneune fierté vainefolle &
opiniatreté, que nous nous preferons aux autres animaux,
& nous sequestrons de leur condition & societé. Mais pour
reuenirrevenir à mon propos, nous auonsavons pour nostre part, l’incon-
stance, l’irresolution, l’incertitude, le deuil, la superstition,
la solicitude des choses à venir, voire apres nostre vie, l’am-
bition, l’auariceavarice, la ialousiejalousie, l’enuieenvie, les appetits desreglez for-
cenez & indomptables, la guerre, la mensonge, la desloyauté,
la detraction, & la curiosité. Certes nous auonsavons estrangement
surpaié ce beau discours, dequoy nous nous glorifions, & cet-
te capacité de iugerjuger & cōnoistreconnoistre, si nous l’auōsavons achetee au pris,
de ce nombre infiny des passions, ausquelles nous sommes in-
cessamment en butteprise. S’il ne nous plaist de faire encore valoir,
comme faict ⁁ ⁁ bien Socrates la philosophie, cette notable prerogatiueprerogative sur les
bestesautres animaus, que où nature leur à prescript certaines saisons &
limites à la volupté Venerienne, elle nous en à lasché la
bride à toutes heures & occasions. ⁁
⁁ Vt uinum aegrotis quia
prodet raro, nocet saepis=
sime, melius est non adhibere
omnino, quam spe dubiae
salutis in apertam perniciem
incurrere: sic haud scio an
melius fuerit humano generi
motum istum celerem cogita
tionis acumen solertiam
quam rationem uocamus
quoniam pestifera sinit multis
admodum paucis salutaria
non dari omnino quam tam
munifice et tam large dari.
Au demeurant dDe quel
fruit pouuōspouvons nous estimer auoiravoir esté à Varro & Aristote, cette
intelligence de tant de choses? Les à elle exemptez des incom-
moditez humaines? ont-ils esté deschargez des accidents qui
pressent vnun crocheteur? ont-ils tiré de la Logique quelque
LIVRE SECOND. 203211
consolatiōconsolation à la goute? pour auoiravoir sçeu comme cette humeur
se loge aux iointuresjointures, l’en ont ils moins sentie? sont ils entrez
en composition de la mort, pour sçauoirsçavoir qu’aucunes nations
s’en resiouissentresjouissent, & du cocuage pour sçauoirsçavoir les femmes estre
communes en quelques republiquesregion? Au rebours, ayant tenu
le premier reng en sçauoirsçavoir selon la reputation, l’vnun entre les
Romains, l’autre entre les Grecs, & en la saison où la science
fleurissoit le plus en leurs païs, nous n’auonsavons pas pourtātpourtant apris
qu’ils ayent eu aucune particuliere excellēceexcellence en leur vie: voi-
re le Grec à assez affaire à se descharger d’aucunes tasches no-
tables en la siene. A l’on trouuétrouvé que la volupté & la santé soiētsoient
plus sauoureusessavoureuses à celuy qui sçait l’Astrologie, & la Gram-
maire,
Illiterati non minus nerui rigent?
& la honte & pauuretépauvreté moins importunes?
Scilicet & morbis & debilitate carebis,
Et luctum & curam effugies, & tempora vitae
Longa tibi post haec fato meliore dabuntur.
IJ’ay veu en mon temps cent artisans, cent laboureurs, plus sa-
ges & plus heureux que des recteurs de l’vniuersitéuniversité, & lesquels
ij’aimerois mieux ressēblerressembler. La doctrine ⁁ ⁁ ce semble m’est auisavis tient rang entre les choses est ⁁ encores moins ne-
cessaires au seruiceservice dea la vie, que n’estcome la gloire, la noblesse, la
dignité,⁁ ⁁ ou pour le plus come la beaute la richesse & telles autres qualitez qui y seruentservent voyremētvoyrement, mais
de loin, & un peu plus par fantasie que par nature. ⁁
⁁ A l’home le uraivrai
pris de chaque
chose se deuroitdevroit
prandre selon ce
qu’elle sert a sa uievie
plus propremant a sa uievie
Il ne nous faut guiere non plus
d’offices de regles et de loix de
uiurevivre en nostre communaute
qu’il en faut aus grues et aus
fourmis en la leur. Et ce neant=
moins nous uoïonsvoïons qu’elles s’y
conduisent tresordoneement
sans erudition. Si l’home
estoit sage il pranderoit le
uraivrai pris de chaque chose
selon qu’elle seroit la plus utile
et propre a sa uievie.
Qui nous contera les
hommes par leursnos actions & deportemens, il s’en trouueratrouvera
plus grand nombre d’excellens entre les ignorans, qu’entre
les sçauanssçavans: ieje dy en toute sorte de vertu. La vieille Rome me
semble en auoiravoir bien porté de plus grande valeur, &
pour la paix, & pour la guerre, que cette Rome sçauantesçavante,
qui se ruyna soy-mesme. Quand le demeurant seroit tout
pareil, aumoins la preud’homie & l’innocence demeureroiētdemeureroient
du costé de l’ancienne, car elle loge singulierement bien auecavec
GGg iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la simplicité. Mais ieje laisse ce discours, qui me tireroit plus
loin, que ieje ne voudrois suiuresuivre. IJ’en diray seulement encore
cela, que c’est la seule ⁁
⁁ humilité et submission
obeïssance, qui peut effectuer vnun hom-
me de bien. Il ne faut pas laisser au iugementjugement de chacun la co-
gnoissance de son deuoirdevoir, il le luy faut prescrire, non pas le
laisser choisir à son discours: autrement selon l’imbecillité &
varieté infinie de nos raisons & opinions, nous nous forge-
rions en fin des deuoirsdevoirs, qui nous mettroient à nous manger
les vnsuns les autres, comme dit Epicurus. La premiere loy, que
Dieu donna iamaisjamais à l’homme, ce fust vneune loy de pure obeïs-
sance, ce fust vnun commandement,⁁ ⁁ nud et simple, ou l’homme n’eust rien à
connoistre & à raisonnercauser ⁁
⁁ d’autātautant que l’obeïr est le
principal office d’un’ame
raisonable reconessant un
celeste superiur et bienfactur.
du quelDe l’obeir et ceder naist tout’autre uertuvertu
comme deu la superbecuider tout peché
. Et au rebours, la premiere tentatiōtentation
qui vint à l’humaine nature de la part du diable, sa premiere
poison, s’insinua en nous par les promesses qu’il nous fit de
science & de cognoissance, eritis sicut dij scientes bonum & malūmalum. ⁁
⁁ Et les Sirenes pour piper
Ulisse en Homere et l’attirer
en leurs laq dangereus et
ruineus laqs luy offrent en
don la sciance.
La peste de l’homme c’est l’opinion de sciencesçauoirsçavoir. Voyla pour-
quoy la simplicité & l’ignorance nous sontest tant recomman-
dées par nostre religion, comme piecespiece propres & conuena-
blesconvena-
bles à la subiectionsubjection, à la creācecreance & à l’obeïssance. ⁁
⁁ Cauete ne quis uos
decipiat per philosophiam
et inanes seductiones
secundum elementa mundi.
En cecy pour
le moins y à il vneune generalle conuenanceconvenance entre tous les philo-
sophes de toutes sectes, que le souuerainsouverain bien consiste en la
tranquillité de l’ame & du corps: mMais où la trouuonstrouvons nous?
Ad summum sapiens vno minor est Ioue, diues,
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum:
Praecipue sanus, nisi cum pituita molesta est.
Il semble à la verité, que nature, pour la consolatiōconsolation de nostre
estat miserable & chetif, ne nous ait donné en partage que la
presumption & le cuider. C’est ce que dit Epictete, que l’hō-
mehom-
me n’a rien proprement sien, que l’vsageusage de ses opiniōsopinions: nNous
n’auonsavons que du vent & de la fumee en partage. Les dieux ont
la santé en essence dict la philosophie, & la maladie en intelli-
LIVRE SECOND. 204212
gence: l’homme au rebours, possede ses biens par fantasie, les
maux en essence. Nous auōsavons enu raison de faire valoir les forces
de nostre imaginatiōimagination: car tous nos biēsbiens ne sont qu’en songe.
Oyez brauerbraver ce pauurepauvre & calamiteux animal: il n’est riērien, dict
Cicero, si doux que l’occupation des lettres: de ces lettres, dis-
ieje, par le moyen desquelles l’infinité des choses, l’immense
grandeur de nature, les cieux en ce monde mesme, & les ter-
res, & les mers nous sont descouuertesdescouvertes,: ce sont elles qui nous
ont appris la religion, la moderation, la grandeur de courage,:
& qui ont arraché nostre ame des tenebres, pour luy faire
voir toutes choses hautes, basses, premieres, dernieres, &
moyennes: ce sont elles qui nous fournissent dequoy biēbien &
heureusement viurevivre, & nous guident à passer nostre aage sans
desplaisir & sans offence. Cettuy-cy ne semble il pas parler
de la condition de Dieu tout-viuantvivant & tout-puissant? Et
quant à l’effect, mille femmelettes ont vescu au village vneune
vie plus equable, plus douce, & plus constante, que ne fust
la sienne.
Deus ille fuit Deus, inclute Memmi,
Qui princeps vitae rationem inuenit eam quae
Nunc appellatur sapientia, quique per artem
Fluctibus è tantis vitam tantisque tenebris,
In tam tranquillo & tam clara luce locauit.
Voyla des paroles tresmagnifiques & belles: mais vnun bien le-
gier accidant mist l’entendemant de cettuy-cy en pire estat,
que celuy du moindre bergier, nonobstant ce Dieu praecep-
teur & cette diuinedivine sapience. De mesme impudence est ⁁
⁁ cette promesse du liurelivre
de Democritus IeJe m’en
uoisvois parler de toutes choses
Et ce sot tiltre qu’Aristote
nous preste: de Dieus
mortels. Et
ce iu-
gementju-
gement de Chrisippus, que Dion estoit aussi vertueux que
Dieu. Et ce que mon Seneca, recognoit, dit-il, que Dieu luy à donné
le viurevivre: mais qu’il à de soy & aquis par ses estudes le bien vi-
urevi-
vre. ⁁
⁁ Que le sage ha la
force de dieu mais
⁁ conformeemētconformeement a cet autre. In
uirtute uere gloriamur quod non
contingeret si id donum a deo non a
nobis haberemus Ceci est aussi de
Seneque Que le sage a la fortitude
pareille a dieu: mais
en l’humeine foiblesse
par ou il le surmōtesurmonte
Il n’est rien si ordinaire que de rencontrer des traicts de
pareille façōfaçontemerité: & toutesfois ieje recōnoyreconnoy qu’iIl n’y à aucūaucun de nous
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui s’offence tant de se voir apparier à Dieu, comme il faict de
se voir deprimer au reng des autres animaux: tant nous som-
mes plus ialouxjaloux de nostre interest, q̄que de celuy de nostre crea-
teur. Mais il faut mettre aux pieds cette sote vanité, & secouer
viuementvivement & hardiment les fondemens ridicules, sur quoy ces
fausses opinions se bastissent. Tant qu’il pensera auoiravoir quel-
que moyen & quelque force de soy, iamaisjamais l’homme ne re-
cognoistra ce qu’il doit à son maistre: il fera tousiourstousjours de ses
oeufs poules, comme on dit, il le faut mettre du tout en che-
mise. VoyōsVoyons quelque notable exemple de l’effet de sa sagessephilosofie.
Possidonius le philosophe estant pressé d’vneune si douloreuse
maladie, qu’elle luy faisoit tordre les bras & grincer les dents,
pensoit bien faire la figue à la douleur pour s’escrier contre
elle: tu as beau faire, si ne diray-ieje pas que tu sois mal. Il sent
les mesmes passions que mon laquays, mais il se gendarmebrauebrave sur
ce qu’il contient aumoins sa langue sous les loix de sa secte.
Ce n’est que vent & paroles.Re succūberesuccumbere
non oportebat uerbis gloriantem. ⁁
⁁ Archesilas estantoit malade
de la goutte Carneades
l’estant uenuvenu uisitervisiter & s’en
retournant tout fache
il le rapela et luy montrātmontrant
ses pieds & sa poitrine: il
n’est rien uenuvenu de la icy luy
L’autre dict il. Cetuicy a un peu
meillure grace. Car il sent
auoiravoir du mal et uoudroitvoudroit
en estre depestre. Mais de
ce mal pourtant son ceur n’en
est pas abatu & affoibli
l’autre se tient en sa roidur
stoique plus ce creins ieje
verbale qu’effectuelleessētielleessentielleessentielle. Et
Dionisius Heracleotes
afflige d’une cuison
vehemante des yeus fut
tournerange a quiter ces resolu
tions Stoiques
Mais quand la science feroit par
effect ce qu’ils disent, d’émousser & rabatre quelque chose
des pointes de la douleur & de l’aigreur des infortunes qui
nous suyuentsuyvent, que fait elle, que ce que fait beaucoup plus pu-
rement l’ignorance & plus euidemmentevidemment? Le philosophe Pyr-
rho courant en mer le hazart d’vneune grande tourmente, ne pre-
sentoit à ceux qui estoyent auecavec luy à imiter que la resolutiōresolution
& securité d’vnun porceau, qui voyageoit auecquesavecques eux, regar-
dātregar-
dant cette tempeste sans effroy & sans allarme. La philosophie
au bout de ses preceptes nous renuoyerenvoye aux exemples d’vnun a-
thlete & d’vnun muletier, ausquels on void ordinairemētordinairement beau-
coup moins de ressentiment de mort, de douleurs & d’autres
accidensinconueniensinconveniens, & plus de fermeté, que la science n’en fournit onq̄onques
à aucūaucun qui n’y fust nay & preparé de soy mesmes par habitu-
de naturelle. La cognoissance nous esguise plustost au res-
sentiment des maux qu’elle ne les allege. Qui faict qu’on
inci-
LIVRE SECOND. 205213
incise & taille les tendres membres d’vnun enfant plus aisémētaisément
que les nostres, si ce n’est l’ignorance ⁁ ⁁ Eet ceus d’un cheualcheval ? Combien en à rendu de
malades la seule force de l’imagination? Nous en voyons or-
dinairemētor-
dinairement se faire seigner, purger, & medeciner, pour guerir
des maux qu’ils ne sentent qu’en leur discours. Lors que les
vrais maux nous faillent, la science nous preste les siens: cCet-
te couleur & ce teint vous presagent quelque defluxion ca-
tarreuse: cette saison chaude vous menasse d’vneune émotion fie-
ureusefie-
vreuse: cette coupeure de la ligne vitale de vostre main gau-
che vous aduertitadvertit de quelque notable & voisine indisposi-
tion: &Et en fin elle s’en adresse tout detroussément à la santé
mesme: cCette allegresse & vigueur de ieunessejeunesse, ne peut arrester
en vneune assiete, il luy faut desrober du sang & de la force, de
peur qu’elle ne se tourne contre vous mesmes. Compareés la
vie d’vnun homme asseruyasservy à telles imaginations, à celle d’vnun la-
boureur, se laissant aller apres son appetit naturel, mesurātmesurant les
choses au seul goustsentiment present, sans science & sans progno-
stique, qui n’a du mal que lors qu’il l’a: où l’autre à souuentsouvent
la pierre en l’ame auantavant qu’il l’ait aux reins: comme s’il n’estoit
point assez à temps pour souffrir le mal lors qu’il y sera, il l’an-
ticipe par imaginationfantasie, & luy court au deuantdevant. Ce que ieje dy
de la medecine, se peut tirer par exemple generalement à
toute science: dDe la est venue cette ancienne opinion des phi-
losophes, qui logeoient le souuerainsouverain bien à la recognoissance
de la foiblesse de nostre iugementjugement. Mon ignorance me preste
autant d’occasion d’esperance que de crainte, & n’ayant au-
tre regle au discours de ma santé, que celle des exemples d’au-
truy, & des euenemēsevenemens que ieje vois ailleurs en pareille occasiōoccasion,
ij’en trouuetrouve de toutes sortes, & m’arreste aux cōparaisonscomparaisons, qui
me sont plus fauorablesfavorables. IeJe reçois la santé les bras ouuertsouverts,
libre, plaine, & entiere: & esguise mon goustappetit à la iouirjouir, d’autātautant
plus, qu’elle m’est à present moins ordinaire & plus rare: tant
HHh
ESSAIS DE M. DE MONTA.
s’en faut que ieje trouble son repos & sa douceur, par l’amertu-
me d’vneune nouuellenouvelle & contrainte forme de viurevivre. Les bestes
nous montrent assez cōbiencombien l’agitatiōagitation de nostre esprit nous
apporte de maladies & de foiblesse. ⁁
⁁ Ce qu’on nous dict
des antiens incolesceus du
Bresil qu’ils ne meurētmeurentmouroint
que de uieillessessevieillessessevieillesse et
qu’on attribue a la
serenite & tranquillite
de leur air ieje l’attribue
plus tost a la tranquillite
et serenite de leur ame
deschargee de toute
passion et pensee et
occupation tendue ou
desplaisante Car n’ayanscome
c’estoint gens qui la passoītpassoint
leur uievie en une admirable
simplicite et ignorance
sans lettres sans loy sans
Roy sans relligion quelconque.
Et d’où vient ce qu’on
trouuetrouveuoitvoit par experience, que les plus grossiers & plus lours, se
trouuēttrouventsont plus fermes & plus desirables aux executions amou-
reuses, & que l’amour d’vnun muletier se rend souuentsouvent plus ac-
ceptable, que celle d’vnun galant homme: sinon que en cetuy cy
l’agitation de l’ame trouble sa force corporelle, la rompt, &
lasse: cComme elle lasse aussi & trouble ordinairemētordinairement soymes-
mes. Qui la desment, qui la iettejette plus coustumierement à la
manie que sa promptitude, sa pointe, son agilité, & en fin sa
force propre? Dequoy se faict la plus subtile folie que de la
plus subtile sagesse. Comme des grandes amitiez naissent des
grādesgrandes inimitiez, des santez vigoreuses les mortelles maladies:
ainsi des rares & vifuesvifves agitations de nos ames, les plus excel-
lentes manies, & plus detraquees: il n’y à qu’vnun demy tour de
cheuillecheville à passer de l’vnun à l’autre. Aux actions des hommes
insansez, nous voyons combien proprement s’auientavient la folie,
auecqavecq les plus vigoureuses operations de nostre ame. Outre
cela qQui ne sçait combien est imperceptible le voisinage d’en-
tre la folie auecqavecq les gaillardes eleuationselevations d’vneune ameun esprit libre, &
les effects d’vneune vertu supreme & extraordinaire? Platon dict
les melancholiques plus disciplinables & excellans: aussi n’en
est-il point qui ayent tant de propencion à la folie. Infinis es-
pris se treuuenttreuvent ruinez par leur propre force & soupplesse.
Quel saut vient de prendre de sa propre agitation & allegres-
se ⁁ ⁁ l’un des/lunl’un des/, plus iudicieuxjudicieux, l’vnun des ingenieux & plus formés à l’air de cet-
te antique, & pure poisiepoësie, qu’autre poëte Italien aye de long
temps esté? N’a il pas dequoy sçauoirsçavoir gré à cette sienne vi-
uacitévi-
vacité meurtriere? à cette clarté qui l’a aueugléaveuglé? à cette exacte,
& tendue apprehensiōapprehension de la raison, qu’il qui, l’à mis sans raison? à la
LIVRE SECOND. 206214
curieuse & laborieuse queste des sciences, qui la conduit à la
bestise? à cette rare aptitude aux exercices de l’ame, qui lal’a rēdurendu
sans exercice & sans ame? IJ’eus plus de d’espit encore que de
compassion, de le voir à Ferrare en si piteux estat, suruiuantsurvivant à
soy-mesmes, mesconnoissant & soy & ses ouuragesouvrages, lesquels
sans son sçeu, & toutesfois à sa veuë on à mis en lumiere in-
corrigez & informes. Voulez vous vnun homme sain, le voulez
vous reglé & en ferme & seure posture, affublez le de tenebres
d’oisiuetéoisiveté & de pesanteur. ⁁
⁁ Il nous faut abestir
pour nous assagir: et
nous esblouir pour nous
guider.
Et si on me dit que la commodité
d’auoiravoir le goust froid & mousse aux douleurs & aux maux, ti-
re apres soy cette incommodité, de nous rendre aussi par cō-
sequentcon-
sequent moins aiguz & frians, à la iouissancejouissance des biens, & des
plaisirs, cela est vray: mais la misere de nostre condition por-
te, que nous n’auonsavons pas tant à desireriouirjouir qu’a craindrefuir, & que
l’extreme volupté ne nous touche pas cōmecomme vneune legiere dou-
leur:⁁
⁁
. Segnius homines
bona quam mala
sentiunt:
nous ne sentons point l’entiere santé, cōmecomme la moindre
des maladies.,
pungit
In cute vix summa violatum plagula corpus,
Quando valere nihil quemquam mouet. Hoc iuuat vnum,
Quod me non torquet latus aut pes: caetera quisquam
Vix queat aut sanum sese, aut sentire valentem.
Nostre bien estre, ce n’est que la priuationprivation d’estre mal. Voy-
la pourquoy la secte de philosophie, qui à le plus faict valoir
la volupté, & l’a montée à son plus haut pris, encore l’a elle
rengée à la seule indolence. Le n’auoiravoir point de mal, c’est le
plus heureux bien estreauoiravoir de bien, que l’homme puisse esperer.⁁
⁁ come disoit Ennius
Nimium boni est, cui
nihil est mali.
uersvers
Car ce
mesme chatouillement & esguisement, qui se rencontre en
certains plaisirs, & semble nous enleuerenlever au dessus de la santé
simple, & de l’indolence, cette volupté actiueactive, mouuantemouvante, & ieje
ne sçay comment cuisante & mordante, celle la mesme, ne vi-
se qu’à l’indolence, comme à son but. L’appetit qui nous rauitravit
HHh ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à l’accointance des femmes, il ne cherche qu’a fuyrchasser la pei-
ne que nous apporte le desir ardent & furieux, & ne de-
mande qu’a l’assouuirassouvir & se loger en repos, & en l’exemption
de cette fieurefievre. Ainsi des autres. IeJe dy donq, que si la simplesse
nous achemine à point n’auoiravoir de mal, elle nous achemine à
vnun tres-heureux estat selon nostre condition. ⁁
⁁ Aus sSi ne la faut il point
imaginer si plombee
qu’elle soit du tout sans
goust. Car Crantor auoitavoit
bien raison de combatre
l’indolance d’Epicurus si on
la bastissoit si profonde que
l’abort mesme deet la nais=
sance des maus en fut a dire.
IeJe ne louë disoit il point
cette indolance qui n’est ny
possible ny desirable IeJe
suis contant de n’estre pas
malade ieje u mais si ieje le
suis ieje ueusveus sçauoirsçavoir sique ieje le
suis & si on me cauterise ou
incise ieje le ueusveus sentir. De
vrai qui desracineroit la
conoissance du mal il extir=
peroit quand et quand la ⁁ conoissāceconoissance
de la volupte et en fin aneantiroit
l’home. Istud nihil dolere
non sine magna mercede
contingit immanitatis in
animo stuporis in corpore ⁁
⁁ Le mal est a l’home
bien a son tour. Ny la
dolur ne luy est tousiourstousjours
a fuir, ny la uoluptevolupte
tousiourstousjours a suiuresuivre.
C’est vnun tres-
grand auantageavantage pour l’honneur de l’ignorance, que la science
mesme nous reietterejette entre ses bras, quādquand elle se trouuetrouve empes-
chée à nous tendre & roidir contre la pesanteur des maux: el-
le est contrainte de venir à cette composition, de nous lácher
la bride & donner congé de nous sauuersauver en son girōgiron, & nous
mettre soubs sa faueurfaveur à labril’abri des coups & iniuresinjures de la for-
tune. Car que veut elle dire autre chose, quand elle nous pres-
che ⁁ de ⁁ ⁁ retirer nostre pensee des maus qui nous tienent, et l’entretenir des uoluptesvoluptes perdues & de nous seruirservir pour consolation des maux presens, de la
souuenancesouvenance des biens passez, & d’apeller à nostre secours vnun
contentement esuanouyesvanouy & perdu, pour l’opposer à ce qui
nous presse & offence ⁁
⁁ Leuationes aegritudinūaegritudinum
in auocatione a cogitanda
molestia et reuocatione ad
ad contemplandas uoluptates
ponit
? si ce n’est que ou la force luy manque,
elle veut vseruser de ruse, & donner vnun tour de souplesse & de iā-
bejam-
be, où la vigueur du corps & des bras viētvient à luy faillir. Car nōnon
seulement à vnun philosophe, mais simplemētsimplement à vnun hōmehomme rassis,
quand il sent par effect l’alteratiōalteration cuisante d’vneune fieurefievre chau-
de, q̄quelle mōnoyemonnoye est-ce, de le payer de la souuenācesouvenance de la dou-
ceur du vin Grec. Ce seroit plutost luy empirer son marché,
Che ricordarsi il ben doppia la noia.
De mesme condition est cest autre cōseilconseil, que la philosophie
donne, de maintenir en la memoire seulement le bon-heur
passé, & d’en effacer les desplaisirs que nous auonsavons soufferts,
comme si nous auionsavions en nostre puissancepouuoirpouvoir la science de l’ou-
bly. ⁁
⁁ Et conseil duquel nous
valons moins encore un coup.
Suauis est laborum
praeteritorūpraeteritorum moemoria.
uersvers
Comment, la philosophie qui me doit mettre les armes
à la main, pour combatre la fortune, qui me doit roidir le
courage pour fouler aux pieds toutes les aduersitezadversitez hu-
maines, vient elle à cette mollesse de me faire conniller
LIVRE SECOND. 207215
par ces destours vainscouars & ridicules? Car la memoire nous re-
presente, nōnon pas ce que nous choisissōschoisissons, mais ce qui luy plaist,
vVoire il n’est rien qui imprime si viuementvivement quelque chose en
nostre souuenancesouvenance, que le desir de l’oublier: c’C’est vneune bonne
maniere de donner en garde, & d’empreindre en nostre ame
quelque chose, que de la solliciter de la perdre. ⁁
⁁ Quoi que die ce dogmeEt cela est faus.
Est situm in nobis ut et
aduersa quasi perpetua
obliuione obruamus, et
secunda iucunde et suauiter
meminerimus. Cet autre
dictEt cecy est uraivrai. Memini etiam
quae nolo: obliuisci non
possum quae uolo.
Et de qui est
ce conseil pourtant? de celuy, qui se unus sapientem profiteri sit ausus
Qui genus humanum ingenio superauitsuperavit, & omnes
Praestrinxit stellas, exortus vtiuti aetherius sol.
De vuyder & desgarnirmunir la memoire, est-ce pas le vray & pro-
pre chemin à l’ignorance? ⁁
⁁ Iners malorum
remedium ignoran=
tia est.
Nous voyons plusieurs pareils pre-
ceptes, par lesquels on nous permet d’emprunter du vulgaire
des apparēcesapparences friuolesfrivoles, où la raison viuevive & forte ne peut assez:
pourueupourveu qu’elles nous seruentservent de contentement & de conso-
lation. Où ils ne peuuentpeuvent guerir la playe, ils sont contents de
l’endormir & plastrerpallier. IeJe croy qu’ils ne me nieront pas cecy,
que s’ils pouuoientpouvoient adiousteradjouster de l’ordre, & de la constance en
vnun estat de vie, qui se maintint en plaisir & en tranquillité par
quelq̄quelque foiblesse & maladie de iugemētjugement, qu’ils ne l’acceptassētacceptassent:
potare, & spargere flores
Incipiam, patiárque vel inconsultus haberi.
Il se trouueroittrouveroit plusieurs philosophes de l’aduisadvis de Lycas: cet-
tuy-cy ayant au demeurant ses meurs bien reglées, viuātvivant dou-
cement & paisiblement en sa famille, ne manquant à nul offi-
ce de son deuoirdevoir enuersenvers les siens & estrangiers, se conseruantconservant
tresbien des choses nuisibles, s’estoit par quelque alteration
de sens imprimé en la fantasie vneune resuerieresverie: c’est qu’il pensoit
estre perpetuellement aux theatres à y voir des passetēpspassetemps, des
spectacles, & des plus belles comedies du monde. Guery qu’il
fust par les medecins, de cette humeur peccante, à peine qu’il
ne les mit en proces pour le restablir en la douceur de ces vai-
nes imaginations.,
HHh iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pol me occidistis amici,
Non seruastis ait, cui sic extorta voluptas,
Et demptus per vim mentis gratissimus error.
D’vneune pareille resuerieresverie à celle de Thrasilaus, fils de Pythodo-
rus, qui se faisoit à croire que tous les nauiresnavires qui relaschoient
du port de Pyrée & y abordoient, ne trauailloienttravailloient que pour
son seruiceservice: se resiouyssantresjouyssant de la bonne fortune de leur naui-
gationnavi-
gation, les recueillant auecavec feste & contentementioyejoye. Son frere
Crito l’ayant faict remettre en son meilleur sens, il regrettoit
cette sorte de conditiōcondition, en laquelle il auoitavoit vescu plein de lies-
se, & deschargé de toute sorte de desplaisir. C’est ce que dit ce
vers ancien Grec, qu’il y à beaucoup de commodité à n’estre
pas si aduiséadvisé,
ΕνἘν τῶτῷ φρονεῖν γὰρ μηδὲν ἥδιστοϛ βίοϛ:
Et l’Ecclesiaste,: en beaucoup de sagesse beaucoup de desplai-
sir: & qui acquiert science s’aquiert du trauailtravail & tourmēttourment. Ce-
la mesme, à quoy touteen general la philosophie consent, cette derniere
recepte qu’elle ordonne à toutes sortes de necessitez ⁁, qui est
de mettre fin à la vie, que nous ne pouuonspouvons supporter, ⁁
⁁ Placet,? pare: non
placet? quacunque
uis exi. Pungit dolor,
uel fodiat sane: si nudus
es, da iugulum: sin tectus
armis, resiste Vulcaniis, id est
fortitudine, resiste. Et
cet autrece mot des commessa Grecs
conuiuesconvives qu’ils y appliquent:
Aut bibat aut abeat. Qui
duict a nous autres GascōsGascons
sonne plus pa sortablemētsortablement ēen
la langue d’un Gascon
qui le. b. ce change uolōtiersvolontiers
en. uv. le. b. qu’en celle de"Aut bibat aut abeat" devient ainsi "Aut vivat aut abeat": en d’autres termes, "Ou tu bois ou tu t’en vas" devient "Ou tu vis ou tu t’en vas"
Cicero.
Viuere si rectè nescis, decede peritis.
Lusisti satis, edisti satis, atque bibisti:
Tempus abire tibi est, ne potum largius aequo
Rideat, & pulset lasciua decentius aetas,
qu’est-ce autre chose qu’vneune confession de son impuissance,
& vnun renuoyrenvoy non seulement à l’ignorance, pour y estre à cou-
uertcou-
vert, mais à la stupidité mesme, au non sentir, & au non estre?
Democritum postquam matura vetustas
Admonuit memorem, motus languescere mentis:
Sponte sua laeeto caput obuius obtulit ipse.
C’est ce que disoit Antisthenes, qu’il falloit faire prouisionprovision
ou de sens pour entendre, ou de licol pour se pendre: & ce que
Chrysippus alleguoit sur ce propos du poëte Tyrtaeus,
LIVRE SECOND. 208216
De la vertu, ou de mort approcher. ⁁
⁁ Et Crates disoit que
l’Amour se guerissoit
par la faim, si non par
le temps, et a qui ces
deus moïens ne plairroint
par la hart.
Celuy Sextius duquel Senecque & Plutarque parlent auecavec si
grande recommandatiōrecommandation, s’estant iettéjetté toutes choses laissées, à
l’estude de la philosophie, delibera de se precipiter en la mer,
voyant le progrez de ses estudes trop tardif & trop long. Il
couroit à la mort, au deffaut de la science. Voicy les mots de la
loy sur ce subiectsubject. Si d’auentureaventure il suruientsurvient quelque grand in-
conuenientin-
convenient qui ne se puisse remedier, le port est prochain: &
se peut on sauuersauver à nage, hors du corps, comme hors d’vnun es-
quif qui faict eau: car c’est la crainte de mourir, non pas le de-
sir de viurevivre, qui tient le fol attaché au corps. Comme la vie se
rend par la simplicité, plus plaisante, elle s’en rēdrend aussi plus in-
nocente & meilleure, comme ieje commençois tantost à dire.
Les simples, dit S.Paul, & les ignorans s’esleuenteslevent & se saisissent
du ciel, & nous, à tout nostre sçauoirsçavoir, nous plongeōsplongeons aux abis-
mes infernaux. IeJe ne m’arreste ny à Valentian, ennemy decla-
ré de la science & des lettres, ny à Licinius, tous deux Empe-
reurs Romains, qui les nommoiētnommoient le venin & la peste de tout
estat politique, ny à Mahumet, qui ⁁ ⁁ come ij’ay entendu à interdict la science a ses
hommes: mais l’exemple de ce grand Lycurgus & son autho-
rité doit certes auoiravoir quelquegrand poids, & la reuerencereverence de cette
diuinedivine police Lacedemonienne, si grande, si admirable, & si
long temps fleurissante en vertu & en bon heur, sans aucune
institution ny exercice de lettres. Ceux qui reuiennentreviennent de ce
monde nouueanunouveanu qui à esté descouuertdescouvert du temps de nos peres, ⁁ ⁁ par les Espaignols
nous peuuentpeuvent tesmoigner combien ces natiōsnations, sans magistrat,
& sans loy, viuentvivent plus legitimement & plus regléement que
les nostres, où il y à plus d’officiers & de loix, qu’il n’y à d’au-
tres hommes, & qu’il n’y à d’actions.,
Di cittatorie piene & di libelli,
D’esamine & di carte, di procure
Hanno le máni & il seno, & gran fastelli
Di chiose, di consigli & di letture,
ESSAIS DE M. DE MONT.
Per cui le faculta de pouerelli
Non sono mai ne le citta sicure,
Hanno dietro & dinanzi & d’ambi ilati
Notai procuratori & aduocati.
C’estoit ce que disoit vnun senateur Romain des derniers siecles,
que leurs predecesseurs auoientavoient l’aleine puante à l’ail, & l’esto-
mac musqué de bonne conscience: & qu’au rebours, ceux de
son tēpstemps ne sentoient au dehors que le parfum, puans au dedāsdedans
a à toute sorte de vices: c’est à dire, cōmecomme ieje pense, qu’ils auoientavoient
beaucoup de sçauoirsçavoir & de suffisance, & grand faute de preu-
d’hommie. L’inciuilitéincivilité, l’ignorance, la simplesse, la rudesse s’ac-
compaignent volontiers de l’innocence: la curiosité, la sub-
tilité, le sçauoirsçavoir, trainent la malice à leur suite: l’humilité,
la crainte, l’obeissance, la debonnaireté (qui sont les pie-
ces principales pour la conseruationconservation de la societé humaine)
demandent vneune ame vuide, docile & ne presumant riērienpeu de soy.
Les Chrestiens ont vneune particuliere cognoissance, combien la
curiosité est vnun mal naturel & originel en l’homme. Le soing
de s’augmenter en sagesse & en science, ce fut la premiere rui-
ne du genre humain, c’est la voye, par où il s’est precipité à la
damnation eternelle. L’orgueil est sa perte & sa corruption:
c’est l’orgueil qui iettejette l’homme à quartier des voyes com-
munes, qui luy fait embrasser les nouuelleteznouvelletez, & aimer mieux
estre chef d’vneune trouppe errāteerrante, & desuoyéedesvoyée au sentier de per-
dition, aymer mieux estre regent & precepteur d’erreur & de
mensonge, que d’estre disciple en l’eschole de verité, se laissant
mener & conduire par la main d’autruy, à la voye batuë &
droicturiere. C’est à l’auantureavanture ce que dict ce mot Grec an-
cien, que la superstition suit l’orgueil, & luy obeit comme à
son pere: ἡ δεισιδαιμονία κατάπερκαθάπερ πατρὶ τῷ τυφῷ πείτεταιπείθεται. ⁁
⁁ O cuider combien
tu coustes a l’home
Le Dieu de sagessenous empesches. Apres
que Socrates fut auertiaverti
que le Dieu de sagesse luy
auoitavoit attribué le surnom de
sage il ⁁ ⁁ en fut estonè. & se
recherchant & secouant par
tout se comparant c n’y trouuoittrouvoit nulaucun fondemant a cett’e opiniondiuinedivine sentance.
Il en sçauoitsçavoit de iustesjustes temperans uaillansvaillans sçauanssçavans come luy
et plus eloquans et plus beaus & plus utilles au païs En fin il se
resolut que toute sa sagesse n’estoit que de ne se trouuertrouver point sage
qu’il n’estoit differ praeferédistingue ausdes autres et n’estoit sage que par ce
qu’il ne s’en co reconessoittenoit pas. Et que son dieu estimoit de bestise
et ignorance singuliere a l’home l’opinion de sciance et de sagesse.
et le dernier pouint du sçauoirsçavoir: ignorer estre ignorer. et que sa
meillure doctrine estoit la doctrine de son l’ignorance et sa meillure
sagesse la simplicite
La saincte parole declare miserables ceux d’entre nous, qui
s’estiment: Bourbe & cendre, leur dit-elle, qu’as tu à te glori-
fier? & ailleurs, Dieu à faict l’homme semblable à l’ombre, de
laquel-
LIVRE SECOND. 209217
laquelle qui iugerajugera, quand par l’esloignemētesloignement de la lumiere el-
le sera esuanouyeesvanouye? Ce n’est rien à la verité que de nous: iIl s’en
faut tant que nos forces conçoiuētconçoivent la hauteur diuinedivine, que des
ouuragesouvrages de nostre createur ceux-là portētportent mieux sa marque,
& sont mieux siens, que nous entendons le moins: c’C’est aux
Chrestiens vneune occasion de croire, que de rencōtrerrencontrer vneune cho-
se incroiable: eElle est d’autant plus selon raison, qu’elle est cō-
trecon-
tre l’humaine raison. Si elle estoit selōselon raison, ce ne seroit plus
miracle,: & si elle estoit selon quelque exēpleexemple, ce ne seroit plus
chose singuliere. ⁁
⁁ Melius scitur deus
nesciendo: dict s.eint
Augustin. Et Tacitus
Sanctius est ac reueren=
tius de actis deorum
credere quam scire.
Et Platon estime qu’il y ait
quelque uicevice d’impiete a trop
curieusemātcurieusemant s’enquerir et de
Dieu: et du monde total: et
des causes premieres des choses.
Atque illum quidem parentem
huius uniuersitatis inuenire
difficile: et quum iam inueneris
indicare in uulgus, nefas. dict
Cicero.
Nous disons bien puissance, verité, iusticejustice:
ce sont paroles qui signifient quelque chose de grand: mais
cette chose là nous ne la voyons aucunement, ny ne la conce-
uonsconce-
vons. Nous disons que Dieu craint, que Dieu se courrouce,
que Dieu ayme., neque gratia neque ira teneri potest quod quae
talia essent imbecilla essent omnia
immortalia mortali sermone notantes.:
Cce sont toutes agitations & émotions, qui ne peuuentpeuvent loger
en Dieu selon nostre forme,: ny nous, l’imaginer selon la sien-
ne: c’C’est à Dieu seul ⁁ ⁁ de se cognoistre et d’interpreter ses ouuragesouvrages & de se cognoi-
stre. ⁁
⁁ Et le faict en nostre
langue impropremant
pour s’aualeravaler & descendre
a nous qui somes a terre
couchez La prudance comment
luy peut elle conuenirconvenir qui
est leslitel’eslite entre le bien et le
mal ueuveu que nul mal ne le
touche. Quoi la raison et
l’intellijance des quelles nous
nous seruonsservons pour par les
choses obscures arriuerarriver aus
apparentes ueuveu qu’il n’y a
rien d’obscur a dieu. La
iusticejustice qui distribue a chacun
ce qui luy apartient engen=
dree pour la societe & com=
munaute des homes comant
est elle en dieu. La tempe=
rance comant? qui est la
moderation des uoluptesvoluptes
corporelles, qui n’ont nulle
place en la diuinitedivinite. La
fortitude a porter la dolur
lae labeur les dangiers luy
apartient aussi peu, ces trois
choses n’aïant nul acces aupres
de luy: Parquoi Aristote
le tient esgalement exempt
de uertuvertu et de uicevice neque
gratia neque ira teneri
potest, quod quae talia essent
imbecilla essent omnia.
La participation que nous auonsavons à la connoissance de la
verité, quelle qu’elle soit, ce n’est pas par nos propres forces
que nous l’auonsavons acquise. Dieu nous à assez apris cela, par les
tesmoins, qu’il à choisi du vulgaire, simples & ignorans, pour
nous instruire de ses admirables secrets: nostre foy ce n’est pas
nostre acquest, c’est vnun pur present de la liberalité d’autruy. Ce
n’est pas par discours ou par nostre entendement que nous a-
uonsa-
vons receu nostre religion, c’est par authorité & par commā-
dementcomman-
dement estranger. La foiblesse de nostre iugementjugement nous y ay-
de plus que la force, & nostre aueuglementaveuglement plus que nostre
cler-voyance. C’est par l’entremise de nostre ignorance plus
que de nostre science, que nous sommes sçauanssçavans de ce diuindivin sça-
uoirsça-
voir. Ce n’est pas merueillemerveille, si nos moyens naturels & terre-
stres ne peuuentpeuvent conceuoirconcevoir cette connoissance supernaturelle
IIi
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& celeste: apportons y seulement du nostre, l’obeissance & la
subiectionsubjection: car, comme il est escrit, IeJe destruiray la sapiēcesapience des
sages, & abbatray la prudence des prudens. Où est le sage? où
est l’escriuainescrivain? où est le disputateur de ce siecle? Dieu n’a-il pas
abesty la sapience de ce monde? Car puis que le monde n’a
poinct cogneu Dieu par sapience, il luy à pleu par la vanité de
la predication sauuersauver les croyans. Si me faut-il voir en fin, s’il
est en la puissance de l’homme de trouuertrouver ce qu’il cherche: &
si cette queste, qu’il y à employé depuis tant de siecles, l’à en-
richy de quelque nouuellenouvelle force & de quelque verité solide. IeJe
croy qu’il me confessera, s’il parle en conscience, que tout l’ac-
quest qu’il à retiré d’vneune si longue poursuite, c’est d’auoiravoir ap-
pris à reconnoistre sa vilité & sa foiblesse. L’ignorance qui e-
stoit naturellemētnaturellement en nous, nous l’auōsavons par longue estude cō-
firméecon-
firmée & aueréeaverée. Il est aduenuadvenu aux gens veritablemētveritablement sçauāssçavans,
ce qui aduientadvient aux espics de bled: ils vont s’esleuanteslevant & se haus-
sant la teste droite & fiere tant qu’ils sont vuides, mais quand
ils sont pleins & grossis de grain en leur maturité, ils cōmen-
centcommen-
cent à s’humilier & à baisser les cornes. Pareillement les hom-
mes ayant tout essayé & tout sondé, n’ayant trouuétrouvé en tout
cet amas de science & prouisionprovision de tant de choses diuersesdiverses,
rien de massif & de ferme, & rien que vanité, ils ont renoncé à
leur presomption, & reconneu leur condition naturelle. ⁁
⁁ C’est ce que Velleius
reproche a Cotta & a
Cicero qu’ils ont aprins de
Philo n’auoiravoir rien aprins.
Pherecides l’un des sept
sages escriuantescrivant a Thales sur
com’il expiroit IJ’ay dict il
ordone aus miens apres qu’ils
m’aront enterre de t’aporter
mes escris: s’ils contantent et
toi & les autres sages publie les
sinon supprime les Ils ne contienent
nulle certitude de quoi iejequi me
satisface a moimesmes. Aussi ne fois
ieje pas profession de sçauoirsçavoir la ueriteverite &
d’y atteindre. IJ’ouureouvre les choses plus
que ieje ne les descouuredescouvre.
Le
plus sage homme qui fut onques (& qui n’eust autre plus iu-
steju-
ste occasion, d’estre appellé sage, que cette sienne sentence)
quand on luy demanda ce qu’il sçauoitsçavoit, respōditrespondit, qu’il sçauoitsçavoit
cela, qu’il ne sçauoitsçavoit rien. Il verifioit ce qu’on dit, que la plus
grand part de ce que nous sçauōssçavons, est de la moindre de celles que
nous ignorons: c’est à dire, que ce mesme que nous pensons
sçauoirsçavoir, c’est vneune piece, & bien petite, de nostre ignorance. ⁁
⁁ Nous sçauonssçavons les choses
en csonge dict Platon, et
les ignorons en ueriteverite.
Omnes pene ueteres nihil
cognosci nihil percipi nihil
sciri posse dixerunt angustos
sensus imbecillos animos breuia curricula uitae.
Cicero mesme, qui deuoitdevoit au sçauoirsçavoir tout son vaillant, Va-
lerius dict, que sur sa vieillesse il commença à desestimer les
LIVRE SECOND. 210218
lettres. ⁁
⁁ Et pandant qu’il les
traictoit c’estoit sans
obligations d’aucun party
suiuantsuivant les chosesce qui luy
semblointt probables tantost
en l’une secte tantost en
l’autre: se tenant tousiourstousjours
sous la dubitatiōdubitation de l’Academie
Dicendum est sed ita ut nihil
affirmem quaeram omnia
dubitans plerumque et mihi
diffidens.
IJ’auroy trop beau ieujeu, si ieje vouloy considerer l’homme
en sa commune façon & en gros: & le pourroy faire pourtant
par sa regle propre, qui iugejuge la verité nōnon par le poids des voix,
mais par le nombre. Laissons là le peuple,
Qui vigilans stertit,
Mortua cui vita est, prope iam viuo atque videnti,
qui ne se sent point, qui ne se iugejuge point, qui laisse làla plus part
de ses facultez naturelles oisiuesoisives. IeJe veux prendre l’homme en
sa plus haute assiete. Considerons le en ce petit nōbrenombre d’hom-
mes excellens & triez, qui ayant esté douez d’vneune belle & par-
ticuliere force naturelle, l’ont encore roidie & esguisée par
soin, par estude & par art, & l’ont montée au plus haut point, ⁁ ⁁ de sagesse
où elle puisse atteindre. Ils ont manié leur ame à tout sens, & à
tout biais, l’ont appuyée & estançonnée de tout le secours e-
stranger, qui luy à esté propre, & enrichie & ornée de tout ce
qu’ils ont peu emprunter pour sa commodité, du dedans &
dehors du monde: c’est en eux que loge la hauteur extreme de
l’humaine nature. Ils ont reglé le monde de polices & de loix.:
Iils l’ont instruict par arts & sciences,: & instruict encore par
l’exemple de leurs meurs admirables en reglement & en droi-
ture. IeJe ne mettray en compte que ces gēsgens-là, leur tesmoigna-
ge, & leur experience. Voyons iusquesjusques où ils sont allez, & à
quoy ils se sont resolustenus. Les maladies & les defauts que nous
trouueronstrouverons en ce college là, le monde les pourra hardimēthardiment biēbien
auouëravouër pour siens. Quiconque cherche quelque chose, il en
vient à ce poinct, ou qu’il dict, qu’il la trouuéetrouvée, ou qu’elle ne
se peut trouuertrouver, ou qu’il en est encore en queste. Toute la phi-
losophie est départie en ces trois genres. Son dessein est de
chercher la verité, la science, & la certitude. AristotelesLes PeripateticiesPeripateticiens, Epi-
curusiens, les Stoiciens, & autres ont pensé l’auoiravoir trouuéetrouvée. Ceux-
cy ont estably les arts & les sciences, que nous auonsavons, & les ont
traittées, comme notices certaines. Clitomachus, Carneades,
IIi ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& les Academiciens ont desesperé de leur queste, & iugéjugé, que
la verité ne se pouuoitpouvoit conceuoirconcevoir par nos moyens. La fin de
ceux-cy, c’est la foiblesse & humaine ignorance,: cCe party à eu
la plus grande suyte, & les sectateurs, les plus nobles. Pyrrho
& autres Sckeptiques ou Epechistes, ⁁
⁁ desquels les dogmes plusieurs
antiens ont tenu tires de
Homere des sept sages et d’Archi=
lochus d’Euripides et y atachent
Zeno Democritus Xenophanes
disent, qu’ils sont encore
en cherche de la verité: cCeux-cy iugentjugent que ceux qui pensent
l’auoiravoir trouuéetrouvée, se trompent infiniement,: & qu’il y à enco-
re de la vanité trop hardie en ce second degré, qui asseure
que les forces humaines ne sont pas capables d’y atteindre.
Car cela, d’establir la mesure de nostre puissance, de con-
noistre & iugerjuger la difficulté des choses, c’est vneune grande &
extreme science, de laquelle ils doubtent que l’homme soit
capable.
Nil sciri quisquis putat, id quoque nescit,
An sciri possit, quo se nil scire fatetur.
L’ignorance qui se sçait, qui se iugejuge & qui se cōdamnecondamne, ce n’est
pas vneune entiere ignorance: pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore
soy-mesme. De façon que la profession des Pyrrhoniens est
de branler, douter, & enquerir, ne s’asseurer de rien, ⁁ de rien ne se res-
pondre de rien. Des trois actions de l’ame, l’imaginatiueimaginative, l’ap-
petitiueap-
petitive, & la consentante, ils en reçoiuentreçoivent les deux premieres:
la derniere ils la soustiennent & la maintiennent ambigue,
sans inclination, ny approbation d’vneune part ou d’autre, tant
soit-elle legere. ⁁
⁁ Zenon peignoit de geste
son imagination sur cette
partition des facultez de
l’ame. La main espendue et
ouuerteouverte il la comparoit ac’estoit
apparance. La main a demi
serree & les doits un peu croches
contreins: consentement: Le
poin tout closfermé: comprehantion.
Quand de la main gauche
il uenoitvenoit encores a clorre
ce poin plus estroit: sciance.
Or cette assiette de leur iugementjugement, droicte, &
inflexible, receuantrecevant tous obiectsobjects sans application & consen-
tement, les achemine à leur Ataraxie, qui est vneune condition
de vie paisible, rassise, exempte des agitations que nous rece-
uonsrece-
vons par l’impression de l’opinion, & science que nous pēsonspensons
auoiravoir des choses. D’où naissent la crainte, l’auariceavarice, l’enuieenvie, les
desirs immoderez, l’ambition, l’orgueil, la superstition, l’a-
mour de nouuelleténouvelleté, la rebellion, la desobeissance, l’opiniatre-
té, & la pluspart des maux corporels: vVoire ils s’exemptent
LIVRE SECOND. 211219
par là de la ialousiejalousie de leur discipline. Car ils debattent d’vneune
bien molle façon.: Ils ne craignent point la reuēcherevenche à leur dis-
pute. Quand ils disent que le poisant va contre bas, ils seroiētseroient
bien marris qu’on les en creut, & cerchent qu’on les contre-
die, pour engendrer la dubitation & surceance de iugemētjugement,
qui est leur fin. Ils ne mettent en auantavant leurs propositiōspropositions, que
pour combatre celles qu’ils pensent, que nous ayons en no-
stre creance. Si vous prenez la leur, ils prendront aussi volon-
tiers la contraire à soustenir: tout leur est vnun: ils n’y ont nulaucun
chois. Si vous establissez que la nege soit noire, ils argumen-
tent au rebours, qu’elle est blanche. Si vous dites qu’elle n’est
ny l’vnun, ny l’autre, c’est à eux à maintenir qu’elle est tous les
deux. Si par certain iugementjugement vous establisseztenez, que vous n’en
sçauezsçavez rien, ils vous maintiendront que vous le sçauezsçavez. VoireOui,
& si par vnun axiome affirmatif vous asseurez que vous en dou-
tez, ils vous iront debattātdebattant que vous n’en doutez pas,: ou que
vous ne pouuezpouvez iugerjuger & establir que vous en doutez. Et par
cette extremité de doubte, qui se secoue soy-mesme, ils se se-
parent & se diuisentdivisent de plusieurs opinions, de celles mesmes,
qui ont maintenu en plusieurs façons, le doubte & l’ignoran-
ce. Pourquoy ne leur sera il permis, disent ils, comme il est
entre les dogmatistes, à l’vnun dire vert à l’autre iaunejaune, à eux aus-
si de doubter,: est il chose qu’on vous puisse proposer pour
l’aduoueradvouer ou refuser, laquelle il ne soit pas loisible de con-
siderer comme ambigue. Et où les autres sont portez, ou par
la coustume de leur païs, ou par l’institutiōinstitution des parens, ou par
rencontre, comme par vneune tempeste, sans iugementjugement & sans
chois, voire le plus souuantsouvant auantavant l’aage de discretion, à telle
ou telle opinion, à la secte ou Stoïque ou Epicurienne, à la-
quelle ils se treuuenttreuvent hippothequez asseruizasserviz & collez, com-
me à vneune prise qu’ils ne peuuētpeuvent desmordre: ⁁
⁁ ad quamcunque
disciplinam uelut
tempestate delati ad
eam tanquam ad saxum
adhaerescunt.
pourquoy à ceux
icy ne sera il pareillement concedé de maintenir leur liberté,
IIi iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& considerer les choses sans obligation & seruitudeservitude? ⁁
⁁ Hoc liberiores & solutiores
quod integra illis est iudicandi
potestas. N’est ce pas quelque
choseaduantageadvantage de se trouuertrouver desengagè
de la necessite de croire qui
bride les autres
Vaut il
pas mieux demeurer en suspens, que de s’infrasquer en tant
d’erreurs que l’humaine fantasie à produictes? Vaut-il pas
mieux suspendre sa persuasion, que de se mesler à ces diuisiōsdivisions
seditieuses & quereleuses? ⁁
⁁ Ita finitima sunt
falsa ueris ut in
praecipitem locum non
habeat se sapiens com=
mittere.
⁁ Qu’irai ieje
choisir? Ce
qu’il uousvous plair=
ra pourueupourveu
que uousvous
choisissez.
Voila une sotte
responce. A la
quelle pourtant
il semble que tout le dogma
tisme arriuearrive.
Par qui il ne
nous est pas
permis dignorerd’ignorer
ce que nous
ignorons
Car pPrenez le plus fameux party
qu’il vous plairra, il ne sera iamaisjamais tel & si seur, qu’il ne vous
faille pour le deffendre attaquer & combatre cent & cent cō-
trairescon-
traires aduerseresadverseres partis. Vaut il pas mieux se tenir hors de cette meslee.
Il vous est permis d’espouser comme vostre honneur & vo-
stre vie, la creance d’Aristote sur l’Eternité de l’ame, & desdire
& desmentir PlatōPlaton là dessus, & à eux il sera interdit d’en dou-
ter? ⁁
⁁ S’il est loisible a Panae=
tius de soutenir son iugemētjugement
autour des aruspices songes
oracles uaticinationsvaticinations des
quelles choses tous ceus de sa secte
Stoique generalemētgeneralement tienēttienent
les plus certeines choses
les Stoiciens ne doubtent
aucunement & qu les assurētassurent
la plus pour quoi un sage
n’osera il en toutes choses ce
que cetuicy ose en celles qu’il
a aprinses de ses maistres & ⁁ ⁁ establies
du commun consantement de
ceus de son parti lescholel’eschole de
laquelle il est sectatur et
professur.
Si c’est vnun enfant qui iugejuge, il ne sçait que c’est: si c’est vnun
sçaueantsçaveant il est praeoccupé. Ils se sont reseruezreservez vnun merueilleuxmerveilleux
aduantageadvantage au combat, s’estant deschargez du soing de se cou-
urircou-
vrir & de se deffendre. Il ne leur importe qu’ōon les frape, pour-
ueupour-
veu qu’ils frappētfrappent, & font leurs besongnes de tout: sS’ils vain-
quent, vostre proposition cloche, si vous, la leur: sS’ils fail-
lent, ils verifient l’ignorance, si vous faillez, vous la verifiez:
sS’ils proeuuentproeuvent que rien ne se sçache, il va bien, s’ils ne le sça-
uentsça-
vent pas prouuierprouvier, il est bon de mesmes ⁁
⁁ Ut quūquum in eadem re
paria contrarijs in partibus
momenta inueniuntur
facilius ad utraque parte
assertio sustineatur. Et
font estat de trouuertrouver
bien plus facilemant
pour quoi une chose est
soit fauce que non pas qu’elle
soit uraïevraïe et ce qui n’est
pas que ce qui est et ce qu’ils
ne croient pas que ce qu’ils
croïent
:. lLeurs façōsfaçons de parler
sont, IieJje n’establis rien: Iil n’est non plus ainsi qu’ainsin, ou q̄que ny
l’vnun ny l’autre: IieJje ne le cōprenscomprens point.: Lles apparēcesapparences sont éga-
les par tout: la loy de parler, ⁁ & pour & contre, est pareille. ⁁ ⁁ Rien ne semble uraivrai qui ne puisse sembler faus. Leur
mot sacramental, c’est ἐπέχω, c’est à dire ieje soutiens, ieje ne bou-
ge. ⁁ ⁁ Rien ne semble uraivrai qui ne puisse sembler faus. Voyla leurs refreins, & autres de pareille substance. ⁁ ⁁ Rien ne semble uraivrai qui ne puisse sembler faus Leur
effect, c’est vneune pure, entiere, & tres-parfaicte surceance ⁁ ⁁ et suspention de iu-
gementju-
gement. Ils se seruētservent de leur raison pour enquerir & pour de-
batre: mais non pas pour rien arrester & choisir. Quiconque
imaginera vneune perpetuelle confession d’ignorance, vnun iuge-
mentjuge-
ment sans pente, & sans inclination, à quelque occasion que
ce puisse estre, il conçoit le Pyrronisme: iIjJ’exprime cette fan-
tasie autant que ieje puis, par ce que plusieurs la trouuenttrouvent diffi-
LIVRE SECOND. 212220
cile à conceuoirconcevoir, & les autheurs mesmes, la representent vnun
peu obscurement & diuersementdiversement. Quant aux actions de la
vie, ils sont en cela de la commune façon. Ils se prestent & ac-
commodent aux inclinations naturelles, à l’impulsion & cō-
traintecon-
trainte des passions, aux constitutions des loix & des coustu-
mes, & à la tradition des arts. ⁁
⁁ Non enim menos
Deus ista scire
sed tantummodo
uti uoluit.
Ils laissent guider à ces choses la,
leurs actions communes, sans aucune opinatiōopination ou iugemētjugement. ⁁
Qui fait que ieje ne puis pas bien assortir à ce discours, ce que
Laërtius dict, de la vie de Pyrro, & à quoy Lucianus, Aulus
Gellius, & autres semblent s’incliner: caron dict de Pyrrho. iIls le peignent stu-
pide & immobile, prenant vnun train de vie farouche & inasso-
ciable, attendant le hurt des charretes, se presentant aux pre-
cipices, refusant de s’accommoder aux loix. Cela est enche-
rir sur sa discipline. Il n’a pas voulu se faire pierre ou souche: il
à voulu se faire homme viuantvivant, discourant, & raisonnant,
iouïssantjouïssant de tous plaisirs & cōmoditezcommoditez naturelles, embesoi-
gnant & se seruantservant de toutes ses pieces corporelles & spiri-
tuelles.⁁ ⁁ en regle et droiture. Les priuilegesprivileges fantastiques, imaginaires, & faux, que
l’homme s’est vsurpéusurpé, de iugerjugerregenter, de cōnoistreconnoistre, de sçauoirsçavoir, d’or-
donner, d’establir ⁁ ⁁ la ueritéverité, il les à de bonne foy renoncez & quittez. ⁁
⁁ Si n’est il point de secte qui
ne soit contreinte de
permettre a son sage de
suiuresuivre asses de choses
non comprises non aperceues
ny perceuses ny consanties
s’il ueutveut uiurevivre. Et quand
il monte en mer il suit
ce dessein, ignorant s’il
luy sera utile: et se plie à
ce que le uesseauvesseau est bon
le pilote experimāteexperimante la
seson commode circonstances
probables sulement. Apres
les quelles il uava est tenu
d’aler, & se laisser remuer
aus apparances quipourueupourveu qu’elles n’aient
point d’expresse contrarieté.
Il a un cors il a un ame
les sens le poussent lespritl’esprit
l’agite. Encores qu’il ne
treuuetreuve point en soi cette propre et
singuliere marque de iugerjuger
il ne laisse et qu’il s’aperçoi=
ueaperçoi=
ve qu’il ne doit engager
son consentemētconsentement, atandu
qu’il peut estre quelque
faus pareil a ce uraivrai, il
ne laisse de cōduireconduire les
offices de sa uievie pleinement
et commodeement. CōbienCombien
y a il d’ars qui font profession
de consister en la coniectureconjecture
plus qu’en la sciance: qui
ne decident pas du urayvray &
du faus & suiuentsuivent sulement
ce qui semble. Il y a disent ils
et uraivrai et faus et y a en
nous de quoi le chercher
mais non pas de quoi le
toucher e l’arreter a
la touche. Nous en ualonsvalons
bien mieus de nous laisser
manier sans inquisition
a lordrel’ordre du monde. Une
ame garantie de preiugéprejugé
ha un merueilleusmerveilleus auan=
cementavan=
cement uersvers la tranquillité
CeusGensGens qui iugentjugent et contre=
rollent les loix leurs iugesjuges
ne s’y soubmettent iamaisjamais
duemant. Combien et
aus loix de la relligion
et aus loix politiques se trouuenttrouvent plus
dociles et aisez a mener les esprits simples
et incurieus que ces esprits surueillanssurveillans et
paedagogues des causes diuinesdivines & humaines
Il n’est rien en l’humaine inuentioninvention, où il y ait tant de verisi-
militude & d’apparenceutilitè. Cette-cy presente l’homme nud &
vuide, recognoissant sa foiblesse naturelle, propre à receuoirrecevoir
d’en haut quelque force estrangere, desgarni d’humaine sciē-
cescien-
ce, & d’autant plus apte à loger chezen soy la diuinedivine instructiōinstruction
& creance: aneantissant son iugemētjugement, pour faire plus de place
à la foy: ⁁ ⁁ ny mescreant ny n’establissant aucun dogme contre les loix & obser-
uancesobser-
vances communes,: humble, obeïssant, dociledisciplinable, ⁁ ⁁ studieus: ennemi iuréjuré
de ’haeresie, & s’exemptant par consequant des vaines & irre-
ligieuses opinions introduites par les autresfauces sectes. C’est vneune
carte blanche preparée à prendre du doigt de Dieu telles for-
mes qu’il luy plaira y grauergraver. Plus nous nous renuoyonsrenvoyons &
ESSAIS DE M. DE MONTA.
commettons à Dieu, & renonçons à nous, mieux nous en va-
lons. Accepte, dit l’Ecclesiaste, en bōnebonne part les choses au vi-
sage & au goust, qu’elles se presentent à toy, du iourjour à la iour-
néejour-
née: le demeurant est hors de ta connoissance. ⁁
⁁ Dominus nouit
cogitationes hominūhominum
quoniam uanae sunt.
Voyla com-
ment des trois generales sectes de Philosophie, les deux font
expresse profession de dubitation & d’ignorance: & en celle
des dogmatistes, qui est troisiéme, il est aysé à descouurirdescouvrir, que
la plus part n’ont pris le visage de l’asseurance que par conte-
nancepour auoiravoir meillure mine. Ils n’ont pas tant pensé nous establir quelque certitu-
de, que nous monstrer iusquesjusques où ils estoyent allez en cette
chasse de la verité.⁁
⁁ : quam docti
fingunt magis quam
norunt. Timaeus aïant
à instruire Socrates de ce
qu’il sçait des dieus du monde
& des homes propose d’en parler
come un home a un home et
qu’il suffit si ces raisons sont
probables come d’autresles les raisons
en ce subietsubjet d’un autre etcar les
exactes raisons n’estre en sa
puissance main ny en la
main humaine mortelle
main. Somnia non docentis
sed optantis come disoit
Ce que l’un de ses sectaturs a
dict ainsi imite: Vnt potero
explicabo: nec tamen ut Pythius
Apollo certa ut sint et fixa
quae dixero, sed ut homunculus
probabilia coniectura sequens.
Et cela sur le discours du
mespris de la mort: discours
naturel et populere.
Ailleurs il la traduit sur le
propos mesme de Platon. Si
forte de deorum natura ortuque
mundi disserentes minus id
quod erit mirum. AEquum
est enim meminisse et me
qui disseram hominem esse et
uos qui iudicetis ut si probabilia
dicentur nihil ultra requiratis.
Aristote nous entasse ordinairement vnun
grand nombre d’autres opinions, & d’autres creances, pour y
comparer la sienne, & nous faire voir de combien il est allé
plus outre, & combien il à approché de plus pres la verisimi-
litude.: Ccar la verité ne se iugejuge point par authorité & tesmoi-
gnage d’autruy. ⁁ ⁁ Et pourtant euitaevita relligieusement Epicurus d’en alleguer en ses escris. Cettuy-cyla est le prince des dogmatistes, & si
nous aprenons de luy, que le beaucoup sçauoirsçavoir aporte l’occa-
sion de plus doubter. On le void à escient (comme pour exē-
pleexem-
ple sur le propos de l’immortalité de l’ame) se couurircouvrir souuātsouvant
d’obscurité si espesse & inextricable, qu’on n’y peut rien choi-
sir de son opinionaduisadvis. C’est par effect vnun Pyrrhonisme qu’il re-
presente soubs laune forme de parler qu’il à entrepriseresolutiueresolutive. ⁁
⁁ Oyes la protestation de Cicero qui nous explique la fantasie d’autruy
par la siene. Qui requirunt quid de quaque re ipsi sentiamus curiosius id faciunt
quam necesse est. non enim tam authoritatis in disputando quam rationis
momenta quaerenda sunt. Haec in philosophia ratio contra omnia disserendi nullamque
rem aperte iudicandi profecta a Socrate repetita ab Arcesila confirmata a Carneade
usque ad nostram uiget aetatem. Hi sumus qui omnibus ueris falsa quaedam esse adiuncta esse
dicamus tanta similitudine ut in ijs nulla insit certe iudicandi et assentiendi nota.
Pourquoi
non cettuy-cyAristote seulement, mais la plus part des philosophes,
ont affecté la difficulté, poura en voiler leurs opinions, si ce
n’est pour faire valoir la vanité du subiectsubject, & amuser la curio-
sité de nostre Esprit, luy donnant ou se paistre, à ronger, cet
os vaincreus & descharné? ⁁
voici une hypothèse de reconstitution des différentes leçons :
1- Clitomachus affermoit n’avoir jamais sceu penetrer aus escris de Carneades jusques a son opinion.
2- Clitomachus affermoit n’avoir jamais sceu voir les opinions & resolutions de Carneades.
3- Clitomachus affermoit n’avoir jamais sceu bien entandre de quelle opinion estoit Carneades.
4- Clitomachus affermoit n’avoir jamais sceu par les escris de Carneades entandre de quell’opinion il estoit.
⁁ Clitomachus affermoit
n’auoiravoir iamaisjamais sceu par
les penetrer aus escris
de Carneades iusquesjusques
a son opinion. uoirvoir a
uoirvoir les opinions & resolu=
tions de Carneades.bien entandre de
quelle opinion estoit escris de
Carneades entandre de
quell’opinion il estoit.
Pourquoy à craincteuiteevite aus siens Epicurus qu’on
l’entenditla facilite, & Heraclytus en à esté surnommé σκοτεινὸϛσκοτεινόϛ? La diffi-
culté est, vneune monoye ⁁ ⁁ que les sçauanssçavans emploient come les ioueursjoueurs de passe passe pour ne descouurirdescouvrir la uanitevanite de leur art: et dequoy laquelle l’humaine bestise se paye ay-
séement.: & honore que les sçauanssçavans emploient com
Clarus ob obscuram linguam, magis inter inanes,
Omnia enim stolidi magis admirantur amantque,
Inuersis
LIVRE SECOND. 213221
Inuersis quae sub verbis latitantia cernunt. ⁁
⁁ Cicero reprant aucuns de ses amis
d’auoiravoir acostume de mettre sa lastrologiel’astrologie au
droit a la dialectique et a la geometrie plus
de temps que ne meritoint ces ars: et que cela
les diuertissoitdivertissoit des leurs meillurs deuoirsdevoirs de
la uievie plus utilles & honestes. Les phylosophes
Cyrenaiques mesprisoint esgalemātesgalemant la physique et
la dialectique Zenon tout au comancement des liureslivres de
sa republique declaroit inutiles toutes
les ars liberales disciplines.
Chrysippus disoit, que ce que Platon & Aristote auoyentavoyent es-
crit de la Logique, ils l’auoientavoient escrit par ieujeu & par exercice:
& ne pouuoitpouvoit croire qu’ils eussent parlé à certes d’vneune si vai-
ne matiere.: Ce que Chrysippus disoit de la Logique,Plutarque le dict de la metaphysique Epicu-
rus l’eust encores dit de la Rhetorique, & ce croi-ieje, de la Grā-
maireGram-
maire ⁁ ⁁ poësie mathematiques et hors la physique des toutes les sciances: & Socrates, de toutes les autres sciences, saufhors celles hors sulement celle qui
Et Socrates de toutes aussi sauf celle sulement qui traite des meurs & de la vie. ⁁
⁁ De quelque chose qu’on
s’enquit a luy il ramenoit en
premier lieu tousiourstousjours l’enquerant
a rendre conte des conditions
de sa uievie presante et
passee: les quelles il exami=
noit et iugeoitjugeoit: estimant tout
autre aprantissage subsecutif
a celuy la et supernumerere.
⁁: Parum mihi
placeant eae literae
quae ad uirtutem
doctoribus nihil
profuerunt. La
Car la plus part des arts ont esté
ainsi mesprisées par le sçauoirsçavoir mesmes,: & par la philosophie:
mMais ils n’ont pas pēsépensé qu’il fut hors de propos d’exercer ⁁ ⁁ et esbattre leur
esprit és choses mesmes, où il n’y auoitavoit nulleaucune solidité profita-
ble. Au demeurant, ⁁ ⁁ Clitomaches disoit qu’il n’auoitavoit iamaisjamais sceu entandre Carneades et, les vnsuns ont estimé Plato dogmatiste, les
autres dubitateur & ne rien establissant, les autres en certai-
nes choses l’vnun, & en certaines choses l’autre. ⁁
⁁ Le conductur de ses
dialogismes Socrates uava
tousiourstousjours demandant et
esmouuantesmouvant la dispute:
iamaisjamais l’arretant &iamaisjamais satisfaisant
et dict n’auoiravoir autre sciance
que la sciance
⁁ Homere le pere de
toutes’opposer. sciance & de
sagesse hu ha tout
apparammant establiHomere haleur autheur
auteur plante esgalement toute
preceptur ha planté esgalement
les fondemans aus
toutes lestoutes les sectes de
philosofie tant a
l’une qu’a lautrel’autrepareillement: pour
montrer combiēcombien il
estoit indifferant par
ou on allat nous
allassions. Et certes
Platon n’a iamaisjamais guide
persone que par fantasieDe Platon
nasquirent dix sectes diuersesdiverses
dict on par comandement
EtAussi a mon gré iamaisjamais allure
de philosofieinstruction ne fut titubante
titubante etet rien asseue=
renteasseve=
rente si la sienecelle dela siene Platon ne l’est.
Son maistre dictSocrates disoit que les
sages fames en prenant ce
mestier ⁁ ⁁ de faire engendrer les autres quitent le mestier
d’engendrer ⁁ ⁁ elles. qQue luy par
le tiltre de sage home que
les dieus luy ont desferé
s’est aussi desfaict de en
son amour masleuirilevirile et mentale
de la faculté d’engendrerenfenter
et se contante d’aider et
fauorirfavorir de son secours les
engendrans: oOuuriroOuvrir leur
nature gresser leurs cōduitsconduits
faciliter l’issue de leur
enfantemant d iugerjuger
d’iceluy ⁁ ⁁ le babtiser le nourrir le mallfortifier
le mailloter et circonscrire. eExerçant
et maniant son engin aus perils et
fortunes d’autruy.
Il est ainsi de la
plus part des autheurs de ce tiers genre, comme les anciens
ont remarqué des escripts d’Anaxagoras, Democritus, Par-
menides, Zenophanes, & autres. Ils ont vneune forme d’escrire
douteuse & irresolueen substance, & vnun stiledessein enquerātenquerant, plustost qu’instrui-
sant: encore qu’ils entresement souuentsouvent des traits de la formeleur stille de cadances
dogmatistes. Chez qui se peut voir cela plus clairement, que
chez nostreSeneque chez Cela se uoitvoit il pas aussi bien et en Seneque
et en Plutarque? combien diuersementdiversement discourt il de
mesme chose? combien de fois nous presente il deux ou trois
causes contraires de mesme subiectsubject, & diuersesdiverses raisons, sans
choisir celle que nous auonsavons à suiuresuivre.Combien que ne disent ils a
tous uisagesvisages? tantost d’un uisagevisage tantost d’un autre pour
ceus qui y regardent de pres. Et les reconciliaturs des iurisconsultesjurisconsultes deurointdevroint
premierement les concilier chacun a soy et a eus aussi entre eus. ⁁
⁁ Platon me
semble auoiravoir aime
cette forme de
philosofer par
dialogues a esciātesciant
pour loger plus
decemment en diuersesdiverses
bouches la diuersitediversite
et uariationvariation de ses
propres fantasies.
DiuersementDiversement
traicter les
matieres est aussi
bien les traicter
que conformeement,
et mieus,: a sçauoirsçavoir
plus copieusement
et utillement
Selo Prenons exemple de nous. Les arrets font le pouint extreme du
parler dogmatiste et resolutif. Si est ce que ceus que nos parlemens
presantent au peuple les plus exempleres, propres a nourrir en luy la
reuerancereverance qu’il doit a cette dignite, principalement par la suffisance
des persones qui l’exercent, prenent leur beaute non de la conclusion, tant
qui est a eus quotidiene, & qui est cōmunecommune au tout iugejuge, pedaneetant come de la disceptation et
agitation des diuersesdiverses et contreres ratiocinations que la matiere du droit souffre.
Et le plus large champ desaus reprehantions des uns philosophes a lencontrel’encontre des autres
se tire des contradictions & diuersitesdiversites en quoi chacun ddeusd’eus se treuuetreuve empestrè
ou a esciant pour montrer la uacillationvacillation de lespritl’esprit humain autour de toute matiere
ou force ignorammant par la uolubilitevolubilite et incomprehansibilite de latoute matiere
Que signifie ce sien re-
frein: eEn vnun lieu glissant & coulant suspendons nostre crean-
ce: car, comme dit Euripides,
Les oeuuresoeuvres de Dieu en diuersesdiverses
Façons nous donnent des trauersestraverses,
sSemblable à celuy qu’Empedocles semoit souuētsouvent en ses liureslivres,
comme agité d’vneune diuinedivine fureur & forcé de la verité. Car au
bout de ses discours, il venoit à s’escrier,: nNon non, nous ne sen-
tons rien, nous ne voyōsvoyons rien, toutes choses nous sont occul-
KKk
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tes, il n’en est aucune de laquelle nous puissions establir qu’el-
lequel-
le elle est. ⁁
⁁ SemblableReuenantRevenant a ce mot ded’undiuindivin
sainct doctur Cogitationes
mortalium timidae et
incertae adinuentiones nostrae
& prouidentiae.
Il ne faut pas trouuertrouver estrāgeestrange, si gens desesperez de la
prise n’ont pas laisse de prēdreprendreauoiravoir plaisir à la chasse,: l’estude estātestant
de soy vneune occupation plaisante & agreable,: &Et si plaisante, q̄que
parmy les voluptez, les Stoïciens defendent aussi celle qui se
prenduientvient de l’exercitation de l’esprit, & y veulent de la modera-
tion.bride ⁁
⁁ et treuuenttreuvent
qu’il y a de l’intem=
perance a trop sçauoirsçavoir.
Democritus ayant mangé à sa table des figues, qui sen-
toient aule miel, commença soudain à chercher en son esprit,
d’où leur venoit cette douceur inusitée, & pour s’en esclaircir
s’aloit leuerlever de table, pour voir l’assiete du lieu où ces figues a-
uoyenta-
voyent esté cueillies: sa chambriere, ayant entendu de luy làla
cause de ce remuemētremuement, luy dit en riant, qu’il ne se penast plus
pour cela, car c’estoit qu’elle les auoitavoit mises en vnun vaisseau, où
il y auoitavoit eu du miel. Il se despita & se mit en cholere, dequoy
elle luy auoitavoit osté l’occasion de cette recherche, & desrobé
matiere à sa curiosité. ⁁ Va, luy dit-il, tu m’as fait desplaisir, ieje ne
lairray pas pourtātpourtant d’en chercher la cause, comme si elle estoit
naturelle. ⁁
⁁ eEt n’eut pasuolontiersvolontiers n’eut faillit
de treuuertreuver quelque
raison et cause uraievraie
a un effaict faus &
supposé.
Cette histoire d’vnun fameux & grand Philosophe,
nous represente bien clairemētclairement cette passiōpassion studieuse, qui nous
amuse à la poursuite des choses, de l’acquet desquelles nous sō-
messom-
mes desesperez. Plutarque recite vnun pareil exemple de quel-
qu’vnun, qui ne vouloit pas estre esclaircy de ce, dequoy il estoit
en doute, pour ne perdre le plaisir de le chercher: cōmecomme l’autre
qui ne vouloit pas que son medecin luy ostat l’alteratiōalteration de la
fieurefievre, pour ne perdre le plaisir de l’assouuirassouvir en beuuantbeuvant. ⁁
⁁ Satius est superuacua
discere quam nihil.
Tout ainsi qu’en toute alimātalimantpasture
il y a le plaisir et l’utilitè
souuantsouvant sul et qu tout ce
que nous beuuonsbeuvons ou mangeonsprenons
qui est plaisant n’est pas
tousiourstousjours sain pour tant.nutritif ou sain.
Pareillement l’alimant ce que
nostre esprit tire de la sciance
ne laisse pas d’estre uoluptueusvoluptueus
encores qu’il ne soit guerepas
utille ny alimentant ny
amandant. guer salutere
Voy-
lacy comme ils disent: lLa consideration de la nature est vneune pa-
sture propre à nos espris, elle nous esleueesleve & enfle, nous fait des-
daigner les choses basses & terriēnesterriennes, par la cōparaisoncomparaison des su-
perieures & celestes: la recherche mesme des choses occultes
& grādesgrandes, est tresplaisante, voire à celuy qui n’en acquiert que
la reuerencereverence, & crainte d’en IugerJugerjuger. Ce sont des mots de leur
profession. La vaine image de cette maladiuemaladive curiosité, se voit
LIVRE SECOND. 214222
plus expressement encores, en cet autre exēpleexemple qu’ils ont par
honneur si souuātsouvant en la bouche. Eudoxus souhetoit & prioit
les Dieux qu’il peut vneune fois voir le soleil de pres, cōprendrecomprendre
sa forme, sa grādeurgrandeur, & sa beauté, à peine d’en estre brulé sou-
dainement, cōmecomme fut Phaëton. Il veut au pris de sa vie, acque-
rir vneune science, de laquelle l’vsageusage & possession luy soit quand
& quand ostee, &Et pour cette soudaine & momentaneeuolagevolage co-
gnoissance, perdre toutes autres cognoissances qu’il à, & qu’il
peut acquerir par apres. IeJe ne me persuade pas aysemētaysement, qu’E-
picurus, Platon, & Pythagoras nous ayent donné pour argētargent
contant leurs Atomes, leurs Idées, & leurs NōbresNombres. Ils estoiētestoient
trop cler-voyanssages, pour establir leurs articles de foy, de chose
si incertaine, & si debatable: mMais en cette obscurité & igno-
rance du monde, chacun de ces grands personnages s’est tra-
uaillétra-
vaillé d’apporter vneune telle quelle image de lumiere: & ont es-
batupromené leur ame à trouuertrouver des inuentionsinventions, qui eussent au moins
vneune plaisante & subtile apparence.⁁
⁁: etpourueupourveu quei toute fauce ⁁ ⁁ elle
se peut meintenir contre
les oppositions contreres
unicuique ista pro
ingenio finguntur, non
ex scientiae ui.
VnUn anciēancien, à qui on repro-
choit, qu’il faisoit professiōprofession de la Philosophie, de laquelle pour-
tant en son iugementjugement, il ne tenoit pas grādgrand compte, respondit
que cela, c’estoit vraymant philosopher. Ils ont voulu consi-
derer tout, balancer tout, & ont trouuétrouvé cette occupatiōoccupation pro-
pre à la naturelle curiosité qui est en nous: aAucunes choses, ils
les ont escrites pour l’vtilitéutilitéle besouin de la societe publique, comme lesleurs religions:
car il n’est pas deffendu de faire nostre profit de la mensonge
mesme, s’il est besoing: & à esté raisonnable pour cette con-
sideration, que plusieursles communes opinions, qui estoyent sans appa-
rence, ils n’ayent voulu les espelucher au vif, pouraus fins de n’engen-
drer du trouble en l’obeïssance des loix & coustumes de leur
pays. ⁁
⁁ Platon traicte ce mystere
dund’un ieusjeus asses descouuertdescouvert
Car ou il escrit selon soy
il ne prescrit rien a certes
Quand il faict le legislatur
il prentenprunte un stille regentant
et asseuerantasseverant et si y mesle
hardimant dles plus
fantastiques de ses inuantionsinvantions autant
utilles a son effaict s’assurant asses
de l’indiscretion populere a receuoirrecevoir
toutes impressions specialement farouches
et enormes persuader a la commune
que ridicules a persuader a soi mesme
sachant bien combien nous somes
propres a receuoirrecevoir destoutes impressions
et sur toutes les plus farouches et enormes
C’est Et pourtant en ses loix il or a grādgrand
souin qu’on ne chante en publiq que des poësies desquelles
les fabuleuses inuantionsinvantionsfeintes tendent a quelque utile fin.
et estant si facile d’imprimer tous fantosmes en lespritl’esprit
humain que c’est iniusticeinjustice de ne le paistre plus tost
de mansonges profitables que de mansonges ou inutiles
ou dommageables. ⁁
⁁ Il dict tout destrousseement en sa
republique que pour le profit des
homes il est souuantsouvant besoin de les piper.
Il est aise a distinguer les unes sectes
auoiravoir plus suiuysuivy la verité, les autres l’vtilitéutilité, par où celles cy
ont gaigné credit. C’est la misere de nostre condition, que souuentsouvent ce qui se
presente à nostre imaginatiōimagination pour le plus vray, ne s’y presente pas pour le plus
vtileutile à nostre vie. Les plus hardies sectes, Epicurienne, Pyrrhonienne, nouuellenouvelle
Academique, encore sont elles contrainctes de se plier à la loy ciuilecivile, au bout du cōptecompte.
Il y à d’autres subiectssubjects qu’ils ont belutez, qui à gauche,
qui à dextre, chacun se trauaillanttravaillant à y dōnerdonner quelque visage,
à tort ou à droit. Car n’ayans rien trouuétrouvé de si occultecache, de-
quoy ils n’ayent voulu parler, il leur est souuentsouvent force de
KKk ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
forger des coniecturesconjectures vaines & foibles ⁁ ⁁ et folles: non qu’ils les prin-
sent eux mesmes pour fondement, ne pour establir quel-
que verité, mais pour l’exercice de leur estude. ⁁
⁁ Non tam id sensisse
quod dicerent, quam
exercere ingenia
materiae difficultate
uidentur uoluisse. Ou
come en iugeoitjugeoit un autre
plus rudement Somnia sunt
non docentis sed optantis
Et si on ne
le prenoit ainsi, comme couuririonscouvririons nous vneune si grande in-
constance, varieté, & vanité d’opinions, que nous voyons a-
uoira-
voir esté produites par ces ames excellētesexcellentes & admirables? Car
pour exemple, qu’est-il plus vain, que de vouloir reglerdeuinerdeviner Dieu ⁁
⁁ par nos ⁁ ⁁ analogies et coniecturesconjectures,: le regler
& le monde, à nostre capacité & à nos loix? & nous seruirservir aux
despens de la diuinitédivinité, de ce petit eschantillon de suffisance
qu’il luy à pleu despartir à nostre naturelle condition? &Et par
ce que nous ne pouuonspouvons estendre nostre veuë iusquesjusques en son
glorieux siege, l’auoiravoir ramené ça bas à nostre corruption & à
nos miseres? ⁁
⁁ InuenerūtInuenerunt artem qua
facerent deosIls ont trouuétrouvé l’art de faire
des Dieus dict ce
tres antien aegiptien du meillur sens
qu’il aye.
De toutes les opinions humaines & anciennes
touchant la religion, celle la me semble auoiravoir eu plus de
vray-semblance & plus d’excuse, qui reconnoissoit Dieu cō-
mecom-
me vneune puissance incomprehensible, origine & conseruatri-
ceconservatri-
ce de toutes choses, toute bonté, toute perfection, receuantrecevant
& prenant en bonne part l’honneur & la reuerencereverence, que les
humains luy rendoient soubs quelque visage, sous quelque nom & en quelque
maniere que ce fut. ⁁
⁁ Celuy qui s’enquestoit a l’oracle
Delphique comant il faloit seruirservir
Dieu: n’en eut autre responce que cetecy
selon la mode et loy du païs.
Iuppiter omnipotens rerum regis
regumque deûmque
progenitor genitrixque
Ce zelle uniuersellemātuniversellemant
a esté ueuveu du ciel de
bon euil. Toutes polices
ont tire fruit de leur
relligion deuotiondevotion: les
homes les actions impies
ont eu par tout les euene=
mansevene=
mans sortables. Les
histoires paienes reco=
noissent de la dignité
ordre iusticejustice & des
prodiges & oracles em=
ploies a leur profit et
instruction en leurs
religions fabuleuses:
Dieu par sa misericorde
deignant a lauanturel’avanture
fomenter par ces bene=
fices temporels les tendres
principes d’une telle quelle
brute conoissance que la
raison naturelle nous a
donè de luy, autrauersautravers
des fauces images de nos
songes. Non sulement fauces mais impies aussi et iniurieusesinjurieuses sont toutes celles que l’home a forge de son inuantioninvantion au pris du uraivrai.
Car lLes deitez, ausquelles l’homme de sason
propre inuentioninvention à voulu donner vneune forme, elles sont iniu-
rieusesinju-
rieuses, et pleines d’erreur & d’impieté. Voyla pourquoiEt de tou-
tes les religions, que Saint Paul trouuatrouva en credit à Athenes,
celle qu’ils auoyentavoyent desdiée à vneune diuinitédivinité cachée & incōnueinconnue,
luy sembla la plus excusable. ⁁
⁁ Pythagoras adombra la ueritéverité de plus pres, iugeantjugeant que la conoissance de
cette cause premiere, et estre des estres, deuoitdevoit estre indefinie, sans prescription,
sans declaration: qQue ce n’estoit autre chose que l’extreme effort de nostre
imagination uersvers la perfection, chacun en amplifiant l’idee selon sa capacité.
Mais si Numa entreprint de conformer aa ce proietprojet la deuotiondevotion de son peuple, l’atacher
a une religion ⁁ ⁁ puremant mentale, sans obietobjet prefix, et sans meslange materiel, il entreprit chose de
nul usage: L’esperit humein ne se sauroit meintenir uagantvagant en cet infini de pensees informes:
il les luy faut compiler en certeine image a son modelle. La maiestémajesté diuinedivine ⁁ ⁁ s’est ainsi pour nostrenous conception
et edification s’est aucunemant laissee circonscrire aus limites corporels: sSes sacremans
supernaturels & celestes, ont des signes de nostre terrestre condition: Son adoration s’exprime
par offices & paroles sensibles: car c’est l’homme, qui croid & qui prie. IeJe laisse à
part les autres arguments qui s’employent à ce subiectsubject. Mais à peine me feroit
on accroire, que la veuë de noz crucifix, & peinture de ce piteux supplice, que
les ornements & mouuementsmouvements ceremonieux de noz Eglises, que les voix accommodées
à la deuotiondevotion de nostre pensée, & ceste esmotion des sens n’eschauffent
l’ame des peuples, d’vneune passion religieuse, de tres-vtileutile effect.
De celles ausquelles on à donné
q̄lquequelque corps, comme la necessité l’a requis, pour la conceptiōconception
du peuple, parmy cette cecité vniuerselleuniverselle, ieje me fusse, ce me
semble, plus volōtiersvolontiers attaché à ceux qui adoroient le Soleil,
Lla lumiere commune,
LoeilL’oeil du monde: & si Dieu au chef porte des yeux,
Les rayons du Soleil sont ses yeux radieux:
Qui donnent vie à tous, nous maintienent & gardent,
LIVRE SECOND. 215223
Et les faicts des humains en ce monde regardent:
Ce beau ce grand soleil, qui nous faict les saisons,
Selon qu’il entre ou sort de ses douze maisons.
Qui remplit l’vniuersunivers de ses vertus connues:
Qui d’vnun traict de ses yeux nous dissipe les nues:
L’esprit, l’ame du monde, ardant & flamboyant,
En la course d’vnun iourjour tout le Ciel tournoyant,
Plein d’immense grandeur, rond, vagabond & ferme:
Lequel tient dessoubs luy tout le monde pour terme:
En repos sans repos, oysif, & sans seioursejour,
Fils aisné de nature, & le pere du iourjour.
D’autant qu’outre cette sienne grādeurgrandeur & beauté, c’est la pie-
ce de cette machine, que nous descouurōsdescouvrons la plus esloignée de
nous, & par ce moyen si peu connuë, qu’ils estoient excusa-
blespardonables, d’en entrer en admiration & espouuantementespouvantementreuerancereverance. ⁁
⁁ Cleanthes Solem
dominari et rerum
potiri putat attribua
au Soleil la souuereinesouvereine
authorite Thales qui le
premier s’enquesta de telles
chosesmatiere estima dieu un
esperit qui fit d’eau toutes
choses. Anaximander
que les dieus estoint
mourants et naissans a
diuersesdiverses saisons et estre
plusieurs que c’estoint
des mondes infinis en
nombre Anaximenes
que lairl’air estoit dieu qu’il
estoit produit et immense
tousiourstousjours mouuantmouvant. Anaxa=
goras le premier, a tenu la
description et maniere de
toutes choses estre conduite
par la force & raison d’un
esprit infini. Alcmaeon
a done la diuinitedivinite au
soleil a la lune aus astres
& a lamel’ame. Pythagoras
a faict Dieu un esprit
s’espandantu par la nature
de toutes choses: doud’ou nos
ames sont desprinses.
Xenophanes lespritl’esprit
adioustéadjousté a toutes les
choses estre dieu infini
au demurant estre dieu
infini. Parmenides un
cercle entournant le ciel
et maintenant le monde
par lardurl’ardur de la lumiere.
Empedocles disoit estre des
dieus, les quatre natures des
quelles toutes choses sont faictes.
Protagoras disoit n’auoiravoir que dire s’ils sont
ou non ou quels ils sont. Democritus tantost que Dieu
les images et leurs circuitions sont dieus: tantost cette
nature qui eslance ces images: et puis nostre sciance et intelligence. Platon
dissipe sa creance a diuersdivers uisagesvisages. Il dict au Timaee le pere du monde ne se pouuoirpouvoir
nomer Aus loix qu’il ne se faut enquerir de son estre. Et ailleurs en ces mesmes liureslivres
il faict le monde le ciel les astres la terre et nos ames Dieus et reçoit en outre ceus qui ont este receus par lantienel’antiene institution
en chaque republique. Xenophon raporte un pareil trouble de la discipline de Socrates: Tantost qu’il ne se faut enquerir de la forme
de Dieu et puis il luy faict establir que le Soleil est dieu & l’ame dieu Qu’il n’y en a qu’un et puis qu’il y en a plusieurs.
AntisthenesSpeusippus nepueunepveu de Platon faict Dieu certeine force gouuernantgouvernant les choses et qu’elle est animale. Aristote tan asture que c’est lespritl’esprit, asture le
monde, asture il done un ⁁ ⁁ autre maistre a ce monde et asture faict Dieu lardurl’ardur du ciel: Zenocrate en faict huit Les cinq nomes
entre les planetes le sixieme compose de toutes les estoiles fixes come de ses membres le septieme & huictieme le soleil et la lune.
Heraclides Ponticus ne faict que uaguervaguer entre les aduinsadvinsadvis et en fin priueprive dieu de sentimant et le faict remuant de forme a autre ⁁ ⁁ et puis dict que c’est le ciel et la terre.
Threophraste se promeine de pareille irresolution entre toutes ses fantasies. ⁁
⁁ attribuant l’intendance du mōdemonde tantost à l’entendemētentendement, tantost au ciel, tātosttantost aux estoilles.
Strato que c’est nature aiant la force d’engendrer
augmenter & diminuer, sans forme & sentimētsentiment. Zeno, la loy naturelle, commandant le biēbien & prohibātprohibant le mal ⁁ ⁁ la quelle loi est un animant et oste les dieus acostumez,
IupiterJupiter, IunoJuno, Vesta. Diogenes Apolloniates, que c’est l’aage. Xenophanes faict Dieu rōdrond, voyātvoyant, oyātoyant, non respirant, n’ayant riērien de cōmuncommun auecavec l’humaine nature. ⁁
⁁ Ariston estime la forme de Dieu incomprenable le priueprive de sens et ignore s’il est animant ou autre chose.
Cleanthes tantost la raison tantost le monde tantost lamel’ame de nature ⁁ ⁁ tantost la chalur supreme entournant et enuelopantenvelopant tout. Perseus auditur de Zeno a tenu
qu’on a surnome Dieus ceus qui auointavoint aporte quelque notable utilite a l’humaine uievie et les choses mesmes
utiles profitables. Chrysippus faisoit un amas confus de toutes les precedantes sentances ⁁ et contoit entre mille formes de dieus qu’il faict les homes aussi qui sōtsont immortalisez. Diagoras
et Theodorus nioint tout sec qu’il y eut des dieus. Epicurus deos inducit perlucides et perflabiles
et habitantes tanquam inter duos lucos sic inter duos mundos eosque habere eadem membra quae nos sed
non ut:faict les dieus luisans transparans p soufflables perflablesperflabes
loges come entre deus fors entre deus mondes a couuertcouvert des coups: reuestusrevestus d’une humaine figure et de nos membres
lesquels membres leur sont de nul usage:
Ego deûm genus esse semper duxi et dicam caelitum
Sed eos non curare opinor quid agat humanum genus.
Fiez uousvous a uostrevostre philosophie: uantezvantez uousvous d’auoiravoir trouuétrouvé la feuefeve au gasteau a uoirvoir ce tintamarre de tant
de ceruellescervelles philosophiques. Le troble des formes mondeines a gaigne sur moi que les diuersesdiverses meurs et fantasies aus mienes ne m’offancente desplesent
pas tant come elles m’instruisent: ne m’enorgeuillissent pas tant come elles me humilient en les conferant: et tout autre chois que celui
qui uientvient de la main expresse de Dieu me semble chois de peu de prerogatiueprerogative. IeJe laisse a part les treins de uievie monstrueus et contre nature. Les
polices du monde ne sont pas moins diuersesdiversescontreres en ce subietsubjet que les
escoles: par ou nous pouuonspouvons aprandre que la fortune ⁁ ⁁ mesme n’est pas plus
inconstantediuersediverse et uariablevariable que nostre raison ny plus inepteaueugleaveugle et inconsiderée.
Les cho-
ses les plus ignorées sont plus propres à estre deifiées: car d’a-
dorer celles de nostre sorte, maladifuesmaladifves, corruptibles & mor-
tellesParquoi
de faire de nous des Dieus, cōmecomme faisoit toute l’anciēnetéancienneté, et des hōmeshommes qu’elle auoitavoit
veu viurevivre & mourir, & agiter de toutes nos passiōspassions, cela surpas-
se l’extreme foiblesse de discours. IJ’eusse encore plustost suiuysuivy
ceux, qui adoroient le serpent, le chien & le boeuf: d’autātautant que
leur nature & leur estre nous est moins connu, & auonsavons plus
de loy d’imaginer ce qu’il nous plaist de ces bestes-là, & leur
attribuer des facultez extraordinaires. Mais d’auoiravoir faict des
dieux de nostre condition, de laquelle nous deuonsdevons connoi-
stre la foiblesse & l’imperfection, leur auoiravoir attribué le desir,
la cholere, les vengeances, les mariages, les generations, & les
parentelles, l’amour, & la ialousiejalousie, nos membres & nos os, nos
fieuresfievres & nos plaisirs ⁁ ⁁ nos morts nos sepultures, il faut que cela soit party d’vneune merueil-
leusemerveil-
leuse yuresseyvresse de l’entendement humain.,
Quae procul vsque adeo diuino ab numine distant,
Inque Deum numero quae sint indigna videri. ⁁
⁁ Formae aetates uestitus noti sunt ornatus noti sunt: genera
coniugia cognationes omniaque traducta ad similitudinem
imbecillitatis humanae: nam et perturbatis animis inducuntur.
accipimus enim deorum cupiditates aegritudines iracundias.
KKk iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Comme d’auoiravoir attribué la diuinitédivinité ⁁
⁁ non sulemant à la foy, à la vertu, à l’hōneurhonneur, cōcordeconcorde, liberté, victoire, pieté: mais aussi à la volupté, fraude,
mort enuieenvie uieillessevieillesse misere
à la peur, à la fieurefievre, & à la
male fortune, & autres accidensiniuresinjures de nostre vie fresle & caduque.:
Quid iuuat hoc, templis nostros inducere mores?
O curuae in terris animae & coelestium inanes. ⁁
⁁ Les AEgiptiens d’une
impudante prudance
defandoint sur peine
de la hart que S nul eut
à dire que Serapis et Isis
leurs dieus eussent autr
autresfois esté homes: et
nul n’ignoroit qu’ils ne
l’eussent este. eEt leur
effigie represantee le
doit contresur la bouche
close signifioit dict Varro
cette prohibition ordonance defance
de taire leur origine:
condamnant elle mesme
l’ineptie de leur deification
leur nom sul presupposātpresupposantordonance
mysterieuse a leusleurs prestres
de taire leur origine mortelle
comme par raison necessere
anullātanullant toute leur uenerationveneration.
Que n’en faisoint les Romeins
autātautant de Hercules Pollux
et Castor AEsculape & tant
d’autres
Puis que l’homme desiroit tant de s’apparier à Dieu, il eust
mieux faict, dict Cicero, de ramener à soy les conditions di-
uinesdi-
vines, & les attirer çà bas, que d’enuoyerenvoyer là haut sa corruption
& sa misere: mais à le bien prendre, il à faict en plusieurs fa-
çons, & l’vnun, & l’autre, de pareille vanité d’opinion. Quand les
Philosophes espeluchent la hierarchie de leurs dieux, & font
les empressez à distinguer leurs alliances, leurs charges, & leur
puissance, ieje ne puis pas croire qu’ils parlent à certes. Quand
Platon nous deschiffre le vergier de Pluton, & les commodi-
tez ou peines corporelles, qui nous attendent encore apres la
ruine & aneantissement de nos corps, & les accommode au
sens & ressentiment, que nous auonsavons en cette vie:,
Secreti caeelant colles, & myrtea circum
Sylua tegit, curae non ipsa in morte relinquunt,.
Quand Mahumet promet aux siens vnun paradis tapissé, pa-
ré, d’or & de pierrerie, garnypeuplé de garses d’excellente beau-
té, de vins, & de viuresvivres singuliers, ieje voy bien que ce sont des
moqueurs qui s’accommodent à nostre goust, &se plient à nostre be-
stise, pour nous emmieler & attirer par ces opinions & espe-
rances, qui sont selonestant de nostre portée, & selonconuenablesconvenables a nostre sens cor-
porel & terrestre.pmortel appetit. ⁁
⁁ Si sont aucuns des
nostres tumbes en
pareille errur se
prometāsprometans apres la
resurrectiōresurrection une uievie
terrestre et tem=
porelle accōpaig=
gnéeaccompaig=
gnée de toutes sortes
de plaisirs &
commodites mondeines.
Croyons nous que Platon, luy qui a eu ses
conceptions si celestes & hautaines, & si grande accointance
à la diuinitédivinité, que le surnom luy en est tres-iustementjustement demeu-
ré, ait estimé que l’homme, cette vilepourepovre creature, eut rien en luy
accommodable & applicable, à cette incomprehensible puis-
sance & qu’il ait creu que nos prises foibles & lácheslanguissantes fussent
capables, ny la force de nostre goustappetit sens assez fermerobuste, pour partici-
per à la beatitude, ou peine eternelle? Il faudroit luy dire de la
LIVRE SECOND. 216224
part de la raison humaine: sSi les plaisirs que tu nous promets
en l’autre vie, sont du goust de ceux que ij’ay senti çà bas, cela
n’a rien de commun auecavec l’infinité: qQuand tous mes cinq sens
de nature seroient combles de liesse, & cette ame saisie de tout
le contentement qu’elle peut desirer & esperer, nous sçauonssçavons
ce qu’elle peut,: nous sçauonssçavons la foiblesse & incapacité de ses
forces, cela, ce ne seroit encores rien: sS’il y à quelque chose du
mien, il n’y à rien de diuindivin: sSi cela n’est tout autre, que ce que
ieje sens, & ce qui peut appartenir à cette nostre condition pre-
sente, il ne peut estre mis en compte. ⁁ ⁁ Tout contentement des mortels est mortel. La reconnoissance de
nos parens, de nos enfans & de nos amis, si elle nous peut tou-
cher & chatouiller en l’autre monde, si nous sommes capa-
bles d’tenons encores a vneune telle sorte de plaisir, nous sommes encore dans les
commoditez mortellesterrestres & finies. Nous ne pouuonspouvons dignemētdignement
conceuoirconcevoir la grandeur de ces hautes & diuinesdivines promesses, si
nous les pouuonspouvons ⁁ ⁁ aucunement conceuoirconcevoir: pour dignement les imaginer, il
les faut imaginer inimaginables, indicibles & incomprehen-
sibles.⁁
⁁ et par cōseconse=
quantet parfaictement autres
que celles de
nostre experiāceexperiance
miserable experiance
Oeuil ne sçauroit voir, dict Sainct Paul: & ne peut
monter en coeur d’homme l’heur que Dieu à preparé aux siēssiens.
Et si pour nous en rendre capables, on reforme & rechange
nostre estre (comme tu dis Platon par tes purificatiōspurifications) ce doit
estre d’vnun si extreme changemētchangement & si vniuerseluniversel, que par la do-
ctrine physique, ce ne sera plus nous.,
Hector erat tunc cum bello certabat, at ille
Tractus ab AEmonio non erat Hector equo.
Ce sera quelque autre chose qui receurarecevra ces recompenses.,
quod mutatur dissoluitur, interit ergo,
Traiiciuntur enim partes atque ordine migrant.
Car en la Metempsicose de Pythagoras, & changement d’ha-
bitation qu’il imaginoit aux ames, pensons nous que le lyon,
dans lequel est l’ame de Caesar, espouse les passions, qui tou-
choient Caesar, & qu’il souffre pour luy?⁁
⁁ ny que ce soit luy. S’il
Si c’estoit encores luy ceus la
auroint raison qui
combatans cett’opinion la
en Platon contre Platon
qui a suiuisuivi et authorisé et ceus de sa secte cette la
transmigration des ames luy reprochētreprochent que le fils
se pourroit trouuertrouver a cheuaucherchevaucher sa mere inuestieinvestie
reuestuerevestue d’un corps de mule et semblables absurditez.
Et pensons nous
& qu’és mutatiōsmutations qui
ESSAIS DE M. DE MONT.
se font des corps des animaux en autres de mesme espece, les
nouueauxnouveaux venus ne soient autres que leurs predecesseurs? Des
cendres d’vnun phoenix, s’engendre, dit-on, vnun ver, & puis vnun au-
tre phoenix: ce secōdsecond Phoenix, qui peut imaginer, qu’il ne soit
autre que le premier? lLes vers qui font nostre soye, on les void
comme mourir & assecher, & de ce mesme corps se produire
vnun papillon, & de là vnun autre ver, qu’il seroit ridicule estimer
estre encores le premier. Ce qui à cessé vneune fois d’estre, n’est
plus.,
Nec si materiam nostram collegerit aetas
Post obitum, rursúmque redegerit, vt sita nunc est
Atque iterum nobis fuerint data lumina vitae,
Pertineat quidquam tamen ad nos id quoque factum,
Interrupta semel cum sit repetentia nostra.
Et quand tu dis ailleurs Platon, que ce sera la partie spirituelle
de l’homme, à qui il touchera de iouyrjouyr des recompenses de
l’autre vie, tu nous dis chose qui à encore d’aussi peu d’appa-
rence.,
Scilicet auolsis radicibus vt nequit vllam
Dispicere ipse oculus rem seorsum corpore toto.
Car à ce compte ce ne sera plus l’homme, ny nous par conse-
quent à qui touchera cette iouyssancejouyssance: car nous sommes ba-
stis de deux pieces principales essentielles, desquelles la sepa-
ration, c’est la mort & ruyne de l’nostre estre de l’homme.,
Inter enim iacta est vitai pausa, vagéque
Deerrarunt passim motus ab sensibus omnes.
Nous ne disons pas que l’homme souffre, quand les vers luy
rongent ses membres, dequoy il viuoitvivoit, & que la terre les
consomme.,
Et nihil hoc ad nos, qui coitu coniugióque
Corporis atque animae consistimus vniter apti.
D’auantageavantage sur quel fondement de leur iusticejustice peuuentpeuvent les
dieux
LIVRE SECOND. 217225
dieux recōnoistrereconnoistre & recōpēserrecompenser à l’hōmehomme apres sa mort ses ope-
ratiōsrationsactions bōnesbonnes & vertueuses: puis q̄que ce sont eux mesmes, qui les
ont acheminées & produites en luy? Et pour quoy s’offencent
ils & vengētvengent sur nousluy les actiōsactions vitieuses, puis qu’ils nous l’ont
eux-mesmes produicts en cette conditiōcondition fautiere, & que d’vnun
seul clin de leur volōtévolonté, ils nousle peuuentpeuvent empescher de faillir.
Epicurus opposeroit-il pas cela à Platon, auecavec grādgrand apparēceapparence
de l’humaine raison? ⁁
⁁ Si a tous les reproches
qu’on luiy puisse faire
S’il ne se couuroitcouvroit souuantsouvant
par cete sentance que il
la n est impossible a la
nature mortelle de parler
destablird’establir quelque chose
de certein de l’immortelle
nature par la mortelle
Elle ne fait que fouruoyerfourvoyer par tout, mais
specialemētspecialement quand elle se mesle des choses diuinesdivines. Qui le sent
plus euidammentevidamment que nous? Car encores que nous luy ayons
donné des principes certains & infaillibles, encore que nous
esclairions ses pas par la saincte lampe de la verité, qu’il à pleu
à Dieu nous communiquer: nous voyons pourtant iournel-
lementjournel-
lement, pour peu qu’elle se démente du sentier ordinaire, &
qu’elle se destourne ou escarte de la voye tracée & battuë par
l’Eglise, comme tout aussi tost elle se perd, s’embarrasse & s’ē-
traueen-
trave, tournoyant & flotant dans cette mer vaste, trouble, &
ondoyante des opinions humaines, sans bride & sans arrestbut.
Aussi tost qu’elle pert ce grand & commun chemin, elle va se
diuisantdivisant & se dissipant en mille routes diuersesdiverses. L’homme ne
peut estre que ce qu’il est, ny imaginer que selōselon sa portée: cC’est
plus grande presomption, dict Plutarque, à ceux qui ne sont
qu’hommes, d’entreprendre de parler & discourir des dieux,
& des demy-dieux, que ce n’est a vnun homme ignorātignorant de musi-
que, vouloir iugerjuger de ceux qui chantētchantent,:, où à vnun hōmehomme qui ne
fut iamaisjamais au camp, vouloir disputer des armes & de la guer-
re,: en presumant comprendre par quelque legere coniectu-
reconjectu-
re, les effects d’vnun art qui est hors de nostresa cognoissance.
L’ancienneté pensa, ce croy-ieje, faire quelque chose pour la
grandeur diuinedivine, de l’apparier à l’homme, la vestir de ses facul-
tez, & estrener de ses belles humeurs,⁁ ⁁ et de ses plus honteuses necessitez: luy offrant de nos vian-
des à manger, ⁁
⁁ de nos danses mōmeriesmommeries
et farces a la reiouirrejouir,
de nos vestemens à se couurircouvrir, & maisons à lo-
LLl
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ger, la flatantcaressant par l’odeur des encens & sons de la musique, fe-
stons & bouquets:⁁
⁁: eEt pour l’accommoder a nos uitieusesvitieuses passions, flatātflatant
sa iusticejustice d’une sanguinereinhumaine uangencevangence: l’esiouissantesjouissant de la ruine et dissipation
des choses par elle creees et conserueesconservees: cCome Tib. Sempronius qui fit brusler
pour sacrifice a Vulcan les riches despouilles et armes qu’il auoitavoit gaigne sur les
ennemis en la Sardaigne: et
remplissant ses autels
d’une bu boucherie
non de bestes inno=
centes sulemant, mais
des homes aussi:
Paul’emille
celles de Macedoine
a Mars & a MinerueMinerve: et Alexandre arriuèarrivè a l’ocean Indique ietajeta en en mer en faueurfaveur de Thetis plusieurs grāsgrans uasesvases d’or:
Remplissant en outre ses
autels non de bestes
innocentes sulemant
mais des homes aussi
d’une boucherie non
de bestes innocentes
sulemant mais des’
hommes aussi,
&, flatant par le plaisir d’vneune sanguinaire vengean-
ce, tesmoin cette opinion si receuë des sacrifices: & que Dieu
eust plaisirprist son esbat au meurtre, & au tourmēttourment des choses par luy faites,
cōseruéesconservées & creées, & qu’il se peut réioüirréjoüir par leressasiast du sang des ames
innocentes: non seulemētseulement des animaux qui n’en peuuētpeuvent mezmais,
ains des hommes, ainsi que plusieurs nations, & entre autres
la nostre, auoientavoient en vsageusage ordinaire: &Et croy qu’il n’en est au-
cune exempte d’en ⁁ ⁁ auoiravoir faict quelque essay.,
Sulmone creatos
Quattuor hic iuuenes, totidem, quos educat Vsens,
Viuentes rapit, inferias quos immolet vmbris. ⁁
⁁ Les Gettes se tienent immortels
et leur mourir n’est que s’acheminer
vers leur Dieu Zamolxis. De
cinq en cinq ans ils despechent
vers luy quelcun dentred’entre eus pour
le requerir des choses necesseres.
Ce depute est choisi au sort. Et
la forme de le despescher apres
l’auoiravoir de bouche informe de sa
charge est que de ceus qui
l’assistent trois tienent debout
autant de iauelinesjavelines sur les
quelles les autres le lancent a
force de bras. S’il uientvient a
s’enferrer en lieu mortel & qu’il
trespasse soudein ce leur est
certein argumant de faueurfaveur
diuinedivine: s’il en eschape ils
l’estiment meschant et
execrable et en deputent
encores un autre de mesmes.
Amestris mere de Xerxes
deuenuedevenue uieillevieille fit pour une
fois enseuelirensevelir tous uifsvifs
quatorze iouuanceausjouvanceaus
des meillures maisons
de Perse suiuantsuivant la religion
du païs pour gratifier a
quelque Dieu sousterrein.
Encores auiourd’huiaujourd’hui
Ce passage a d’abord été inséré par Montaigne à la suite des deux derniers vers en latin de cette page. Il a ensuite été intégré à la rédaction de cette addition avant d’être biffé.
⁁ Come Amestris mere de Xexe
Xerxes qui fit a la mode
des Perses enterrer tous uifsvifs
quatorse iouuanceausjouvanceaus des plus
nobles maisons du païs pour gratifier
a quelque dieu sousterrein et
come
les idolles de
Themistitan qui se
cimantent du sang des
petits enfans et n’aiment
sacrifice que de ces pueriles
et innocentespures ames: iusticejustice
affamee du sang de
l’innocence: Tantum
relligio potuit suadere
malorum.
Les Carthaginois immoloiētimmoloient leurs propres enfans à Saturne,
& qui n’en auoitavoit point en achetoit, estant cependant le pere &
la mere tenus d’assister à ce sacrificecet office, auecavec contenance gaye &
contente. C’estoit vneune estrange fantasie de vouloir contenterprier
& plaire à la iusticejusticebontè diuinedivine, parde nostre tourment & nostre pei-
ne,affliction. cComme les LacedemoniēsLacedemoniens qui caressoientmignardoint leur Diane, par
le tourmentbourrelement des enfansiunesjunes garçons, qu’ils faisoient foiter deuantdevant son au-
telen sa faueurfaveur, souuentsouvent iusquesjusques à la mort. C’estoit vneune humeur farouche
de vouloir gratifier l’ouurierouvrier par la ruyne de son ouurageouvrage, &
l’architecte de la subuersionsubversion de son bastiment: &Et de vouloir
garentir la peine deue aux coulpables, par la punition des in-
nocēsnocens,non coulpables: &Et que la pourepovre Iphigenia au port d’Aulide, par sa mort
& par son sacrificeimmolation, deschargeast enuersenvers Dieu l’armée Grecquedes Grecs
des offences qu’elle auoitavoitils auointavoint commises:
Et casta inceste nubendi tempore in ipso
Hostia concideret mactatu moesta parentis. ⁁
Et que Decius pour acquerir la bonne grace des dieux, enuersenvers
les affaires Romaines, se bruslast tout vif en holocauste à Sa-
turne, entre les deux armées.Et ces deus belles et genereuses ames des deus. Decius pere
et filx pour propitier la faueurfaveur des Dieus enuersenvers les affaires Romeines s’allassent
ietterjetter a corps perdu a trauerstravers le plus espais des enemis ⁁
⁁ Quae fuit tanta deorum iniquitas ut placari populo Romano
non possent nisi tales uiri occidissent
IointJoint que ce n’est pas au criminel
de se faire foiter à sa mesure, & à son heure: c’est au iugejuge, qui
LIVRE SECOND. 218226
ne met en compte de chastiemētchastiement, que la peine qu’il ordonne.⁁
⁁ : et ne peut attribuer
attribuer a peinepunition
ce qui uientvient a gré
plaisir a celuy qui
le souffre. La uangen=
cevangen=
ce diuinedivine praesuppose
nostre dissentement
entier, pour sa iusticejustice
et pour nostre peine.
Et fut ridicule l’humeur de Policrates tyran de Samos, lequel
pour interrompre le cours de son continuel bon heur, & le
compenser, alla ietterjetter en mer le plus cher & precieux ioyeaujoyeau
qu’il eust, estimant que par ce malheur aposté, il satisfaisoit à
la reuolutiōrevolution & vicissitude de la fortune. ⁁
⁁ et elle pour se
moquer de son
ineptie fit ce que ce
mesme ioieaujoieau
reuintrevint encore
en ses mains trouuetrouve
au uentreventre d’un
poisson.
Et puis ⁁ ⁁ a quel usage leurs ⁁
⁁ à quel vsageusage, les deschirements & desmembrements des Corybantes, des Menades, & en
nos temps, des Mahumetans qui se balafrent les uisagesvisages le lam l’estomac les membres pour
gratifier leur prophete: ueuveu que
l’offence con-
siste en la volonté, non ⁁ ⁁ en la poitrine aus yeux aus genitoires en l’enbonpouint aux espaules & au gosier.⁁
⁁ : tantus est per=
turbatae mentis et
sedibus suis pulsae
furor, ut sic dij pla=
centur quemadmodum
ne homines quidem
saeuiunt. Cette contex=
ture naturelle regarde
par son usage non seu=
lemant nous, mais aussi
le seruiceservice de dieu et des
autres homes: c’est iniusticeinjustice
de l’affoler a nostre
esciant, come de nous
tuer pour quelque praetex=
te que ce soit. Ce semble
estre grande lachete
et trahison de mastiner
et corrompre les
functions du cors
stupides et seruesserves
pour espargner a l’ame
la sollicitude de les
conduire selon raison.
Vbi iratos deos timent qui
sic propitios habere merentur.
In regiae libidinis ministerium
castrati sunt quidam uolup=
tatem castrati sunt qui
quidam sed nemo sibi ne
uir esset iubente domino
manus intulit.
Ainsi rem-
plissoient ils leur religion de plusieurs mauuaismauvais effects.,
saepius olim
Relligio peperit scelerosa atque impia facta.
Or rien du nostre ne se peut apparierassortir ou raporter en quelque
façon que ce fssoit à la nature diuinedivine, qui ne la tache & marque
d’autant d’imperfectiōimperfection. Cette infinie beauté, puissance, & bō-
tébon-
té, comment peut elle souffrir quelque correspondance & si-
militude à vneune si vile chose & si abiecteabjecte que nous sommes, sans
vnun extreme interest & dechet de sa diuinedivine grandeur? ⁁
⁁ Infirmum dei
fortius est hominibus
et stultum dei
sapientius est homi=
nibus. Stilpon le
philosofe interrogé
si die les dieus
s’esiouïssentesjouïssent de nos
honeurs & sacrifices.
Vous estes indis=
cret respōditrespondit il:
retirons nous a
part si uousvous uolesvoles
parler de cela.
Toutes-
fois nous luy prescriuonsprescrivons des bornes, nous tenons sa puissan-
ce assiegée par nos raisons (ij’appelle raison nos resueriesresveries & nos
songes, auecavec la dispēsedispense de la philosophie, qui dit le fol mesme
& le meschant forcener par raison, mais q̄que c’est vneune raison de
particuliere forme) nous le voulōsvoulons asseruirasservir aux apparēcesapparences vaines
& foibles de nostre entendemētentendement, à luy, qui à fait & nous & no-
stre cognoissance. Par ce que rien ne se fait de riērien, Dieu n’aura
sçeu bastir le mōdemonde sans matiere. Quoy, Dieu nous à-il mis en
main les clefs & les derniers ressorts de sa puissance? S’s’est-il o-
bligé à n’outrepasser les bornes de nostre science? Mets le cas
ô homme, que tu ayes peu remarquer icy icy quelques traces de
ses effets,: penses-tu qu’il y ait employé tout ce qu’il à peu, &
qu’il ait employémis toutes ses formes & toutes ses idées, en cet
ouurageouvrage. Tu ne vois que l’ordre & la police de ce petit caueaucaveau
ou tu es logé, au moins si tu la vois: sa diuinitédivinité à vneune iurisdi-
ctionjurisdi-
ction infinie au delà: cette piece n’est rien au pris du tout:
LLl ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
omnia cum caelo terráque marique,
Nil sunt ad summam summaï totius omnem.:
c’est vneune loy municipalle que tu allegues, tu ne sçays pas
qu’ellequelle est l’vniuerselleuniverselle. Attache toy a ce a quoy tu es subietsubjet,
mais non pas luy: il n’est pas ton confraire, ou concitoyen, où
compaignon: s’il s’est aucunement cōmuniquécommuniqué à toy, ce n’est
pas pour se raualerravaler à ta petitesse, ny pour te donner le contre-
rolle de sōson pouuoirpouvoir. Le corps humain ne peut voler aux nues,
c’est pour toy: le Soleil bransle sans seioursejour sa course ordinai-
re: les bornes des mers & de la terre ne se peuuentpeuvent confondre:
l’eau est instable & sans fermeté: vnun mur est, sans froissure, im-
penetrable à vnun corps solide: l’homme ne peut conseruerconserver sa
vie dans les flammes: il ne peut estre & au ciel & en la terre, &
en mille lieux ensemble corporellement:. C’est pour toy qu’il
à faict ces regles: c’est toy qu’elles attachent. Il a tesmoigné
aux Chrestiens qu’il les à toutes franchies quand il luy à pleu.
De vray pourquoy tout puissant, cōmecomme il est, auroit il restreint
ses forces à certaine mesure? en faueurfaveur de qui auroit il renon-
cé son priuilegeprivilege? Ta raison n’a en aucune autre chose plus de
verisimilitude & de fondement, qu’en ce qu’elle te persuade
la pluralité des mondes,
Terrámque & solem lunam mare caetera quae sunt
Non esse vnica sed numero magis innumerali.
Les plus fameux & nobles esprits du temps passé l’ont creue,
& aucuns des nostres mesmes, forcez par l’apparence de la rai-
son humaine. D’autant qu’en ce bastiment, que nous voyons,
il n’y à rien seul & vnun.,
cum in summa res nulla sit vna,
Vnica quae gignatur, & vnica soláque crescat.,
& que toutes les especes sont multipliées en quelque nōbrenombre:
par où il semble n’estre pas vray-semblable que Dieu ait faict
ce seul ouurageouvrage sans compaignon: & que la matiere de cette
LIVRE SECOND. 219227
forme ait esté toute employéeespuisee en ce seul indiuiduindividu.:
Quare etiam atque etiam tales fateare necesse est
Esse alios alibi congressus materiaï,
Qualis hic est auido complexu quem tenet aether.
Nnotamment si c’est vnun animant: comme ses mouuemensmouvemens &
actions le rendent plussi croyable.⁁
⁁ que ⁁ ⁁ Platon l’assure et plusieurs des nostres
le confirment ou ne l’osent
infirmer. nNon plus que cette
antiene opinion: que les ciel
les estoiles ⁁ ⁁ et autres membres du monde sōtsont creatures cōposéescomposées
de cors & ame: morteles en
cōsiderationconsideration de leur cōpositioncomposition
mais immortelles par la
determination du creatur.
Or s’il y à plusieurs mondes,
comme PlatonDemocritus, Epicurus & presque toute la philosophie à
pensé, que sçauonssçavons nous si les principes & les regles de cettuy
cy touchent ⁁ ⁁ pareillemant les autres? Ils ont à l’auantureavanture⁁ ⁁ en quelque façon autre visage & au-
tre police. ⁁ ⁁ Epicurus les imagine ou semblables ou dissemblables. Nous voyons en ce monde vneune infinie dissemblādissemblam-
difference & varieté, pour la seule distance des lieux. Ny le bled ny
le vin ⁁ ⁁ se uoitvoit, ny aucun de nos animaux ⁁ ⁁ n’estoītestoint entierement conus en plusieurs parties du monde non plus qu’asture n’est cogneu en ces nouueauellesnouveauelles
coin du mondeterres, que nos peres ont descouuertdescouvert: tout y est au-
trediuersdivers. ⁁
⁁ Et aus temps passe uoyezvoyez
en combien de parties deu la terre
habitable momonde on n’auoitavoit
conoissance n’yny de Bacchus ny
de Ceres
Et qQui en voudra croire Pline et Herodote, il y à des especes d’hom-
mes en certains endroits de la terre, qui ont fort peu de res-
semblance à la nostre. Et y à des formes mestisses & ambigues
entre l’humaine nature & la brutale. Il y à des contrées ou les
hommes naissent sans teste, portant les yeux & la bouche en
la poitrine: où ils sont tous androgynes: où ils marchent de
quattre pates: où ils n’ont qu’vnun oeil au front, & la teste plus
semblable à celle d’vnun chiēchien qu’a la nostre: où ils sont moi-
tié poisson par embas, & viuentvivent en l’eau: où les femmes s’ac-
couchent à cinq ans, & n’en viuentvivent que huict: où ils ont la te-
ste si dure & la peau du front, que le fer ny peut mordre, & re-
bouche contre: où les hommes sont sans barbe.⁁
⁁ : des nations sans
usage et conoissance
de feu. dautresd’autres qui
randent le sperme de
colur noire.
Quoy ceux
qui naturellement se changent en loups & ⁁ ⁁ en iumensjumens puis encore en
hommes? Et s’il est ainsi comme dict Plutarque, que en quel-
que endroit des Indes il y aye des hommes sans bouche, se
nourrissans de la senteur de certaines odeurs, combien y à il
de nos descriptions fauces? il n’est plus risible, ny à l’auan-
tureavan-
ture capable de raison & de societé: lL’ordonnance & la
cause de nostre bastiment interne seroyent pour la plus part,
LLl iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
hors de propos. DauantageDavantage, combien y à il de choses en no-
stre cognoissance, qui combatent ces belles regles que nous
auonsavons taillées & prescrites à nature? Eet nous entreprendrons
d’y attacher Dieu mesme? Combien de choses appellōsappellons nous
miraculeuses, & contre nature? ⁁
⁁ Cela se faict par ⁁ ⁁ chaque home et par chaque chacūchacun
nation selon la mesure de son
ignorance
cCombien trouuonstrouvons nous de
proprietez ocultes & de quint’essences? car à ce que ieje puis
comprendre, aller selon nature pour nous, ce n’est autre chose
qu’aller selon nostre intelligence, autant qu’elle peut suyuresuyvre
& autant que nous y voyōsvoyons: ce qui est audela est mōstrueuxmonstrueux
& desordonné. Or à ce conte, aux plus auisezavisez & aux plus ha-
billes, tout sera donc monstrueux: car à ceux là, la raison ’hu-
maine ⁁ ⁁ raison à persuadé, qu’elle n’auoitavoit ny force, ny cognoissance,
ny pied, ny fondement quelconque: non pas seulement pour
asseurer ⁁
⁁ si la nege est blanche: et
Anaxagoras la disoit estre
noire: et Metrodorus Chius
s’il y a quelque chose ou s’il n’y
a nulle chose: s’il y a sciance
ou ignorance, ce que Metrodorus
Chius disoit que nous ignorōsignorons
ne saurions dire: ounioit l’home
le pouuoirpouvoir dire: oOu
si nous viuōsvivons,: tesmoincome Euripides, qui dit estre en dou-
te, si la vie que nous viuonsvivons est vie, ou si c’est ce que nous ap-
pellons mort, qui soit vie.,
τὶϛ δ’οἴδεν ειεἱ ζῆν τõυθτοῦθ᾿ ὁὃ κίκληταικέκληται θανεῖν.
τὸ ζῆν δὲ θνέσκεινθνῄσκειν ἔστιἐστί.
Et non sans apparence.: Ccar pourquoy prenons nous titre d’e-
stre, de cet instant, qui n’est qu’vneune eloise dans le cours infini
d’vneune nuict eternelle: & vneune interruption momētaneemomentaneesi briefuebriefve de no-
stre perpetuelle & naturelle condition?⁁
⁁: la mort en occupant
infiniemant tout le
dauantdavant & leet tout le derriere
de ce point & de ce mom
moment de nostre
estre iusquesjusques au ce
moment et ce point
imperceptiblede ce moment et une
bone partie encores
de ce moment.
D’autres iurentjurent qu’il
n’y à point de mouuementmouvement, que rien ne bouge: ⁁
⁁ Come les suiuanssuivans de Melissus et Parmenides
disent que toutes choses ne sont qu’un VnUn quicar s’il n’y a qu’un
il consiste en soi: n’aiant aucun lieu ou se remuer. se mouuentmouvent il demeureUne autre lecture possible à la place de "demeure" pourrait-être "devient"
ny cle mouuemantmouvemant sphaerique ne luy peut seruirservir
ny le mouuemantmouvemant de lieu a autre come Platon preuuepreuve.
d’autres qQu’il
n’y à ny generation ny corruptiōcorruption en nature. ⁁
⁁ Protagoras dict
qu’il n’y a rien en
nature que le doubte
Que de toutes choses
on peut egalemant
disputer. Et de cela
mesme, si on peut
esgalemant disputer
de toutes choses:
NausiphanezMansiphanez que
des choses qui semblētsemblent,
il n’est pas plus einsi qu’autremant
rien n’est non plus que non est. Qu’il n’y a rien deautre certein que l’incertitude.
Parmenides que de ce qu’il semble, il n’est rienaucune chose en general. Qu’il n’est qu’un.
Et Zenon qu’un mesme n’est pas. Et qu’il n’y a rien. Selon ces dogmes: la
nature des choses n’est qu’unune ombre ou fauce ou ueineveine. Si un estoit il seroit ou
en un autre ou en soi mesmes S’il est en un’autre ce sont deus S’il est en soimesme ce sont encore deus
le comprenant et le comprins. Selon ces dogmes la,dogmes, la nature des choses n’est unune qu’unune ombre
ou fauce ou ueineveine.
IeJe ne sçay si la do-
ctrine Ecclesiastique en iugejuge autrement, & me soubs-mets en
tout & par tout à son ordōnanceordonnance, mais iIl m’a tousiourstousjours sem-
blé qu’a vnun homme Chrestien cette sorte de parler est pleine
d’indiscretion & d’irreueranceirreverance.: Dieu ne peut mourir, Dieu ne
se peut desdire, Dieu ne peut faire cecy, ou cela. IeJe ne trouuetrouve
pas bon d’enfermer ainsi la puissance diuinedivine soubs les loix de
nostre parolle. Et l’apparance qui s’offre à nous en ces propo-
sitions, il la faudroit representer plus reuerammentreveramment & plus re-
LIVRE SECOND. 220228
ligieusement. Nostre parler à ses foiblesses & ses defauts, cō-
mecom-
me tout le reste. La plus part des occasions des troubles du
monde sont GrammairiēnesGrammairiennes. Nos procez ne naissent que du
debat de l’interpretation des loix,: & la plus part des guerres,
de cette impuissāceimpuissance de n’auoiravoir sçeu clairemētclairement exprimer les cō-
uentionscon-
ventions & traictez d’accord des princes. Combien de que-
relles & combien importantes à produit au monde le doub-
te du sens de cette syllabe. Hoc. Prenons la clause que la logi-
que mesmes nous presentera pour la plus claire. Si vous di-
ctes, il faict beau temps, & que vous dictesdissies verité, il fait donc
beau temps. Voyla pas vneune forme de parler certaine? Encore
nous trompera elle: qQu’il soit ainsi, suyuonssuyvons l’exemple: sSi vous
dictes, ieje ments, & que vous dictesdissies vray, vous mentez donc.
L’art, la raison, la force de la conclusion de cette cy, sont pa-
reilles à l’autre, toutes fois nous voyla embourbez. IeJe voy les
philosophes Pyrrhoniens qui ne peuuentpeuvent exprimer leur ge-
nerale conception en nulleaucune maniere de parler: car il leur fau-
droit vnun nouueaunouveau langage. Le nostre est tout formé de pro-
positions affirmatiuesaffirmatives, qui leur sont du tout ennemies.: Dde fa-
çon que quand ils disent, ieje doubte, on les tient incontinent à
la gorge, pour leur faire auouëravouër qu’aumoins ⁁ ⁁ assurent et sçauentsçavent ils cela,
qu’ils doubtent. Ainsin on les à cōtraintscontraints de se sauuersauver dāsdans cet-
te comparaison de la medecine, sans laquelle leur humeur se-
roit inexplicable: que quand ils prononcent, ij’ignore, ou ieje
doubte, ils disent que cette proposition s’emporte elle mes-
me quant & quant le reste: ny plus ne moins que la rubarbe
qui pousse hors les mauuaisesmauvaises humeurs & s’emporte hors
quant & quant elle mesmes. Cette fantasie est plus seurement
conceuë par interrogation. Que sçay-ieje? Voyla comme ieje la
porte à la deuisedevise d’vneune balance. Voyez comment on se pre-
uautpre-
vaut de cette sorte de parler pleine d’irreuerenceirreverence. Aux dispu-
tes qui sont à present en nostre religion, si vous pressez trop
ESSAIS DE M. DE MONTA.
les aduersairesadversaires, ils vous diront tout destrousséemētdestrousséement, qu’il n’est
pas en la puissance de Dieu de faire que son corps soit en pa-
radis & en la terre, & en plusieurs lieux ensemble. Et ce mo-
queur de Plineantien comment il en fait son profit. Au moins dit-
il, est ce vneune non legiere consolation à l’homme, de ce qu’il
voit Dieu ne pouuoirpouvoir pas toutes choses: car il ne se peut
tuer quand il le voudroit, qui est la plus grande faueurfaveur que
nous ayons en nostre cōditioncondition: il ne peut faire les mortels im-
mortels, ny reuiurerevivre les trespassez, ny que celuy qui à vescu
n’ait point vescu, celuy qui à eu des honneurs ne les ait point
eus, n’ayant autre droit sur le passé que de l’oubliance. Et afin
que cette societé de l’homme à Dieu s’acouple encore par des
exemples plaisans, il ne peut faire que deux fois dix ne soyent
vingt. Voyla ce qu’il dict, & qu’il me semble qu’vnun Chrestien
deuroitdevroit euitereviter de passer par sa bouche. Là où au rebours il sē-
blesem-
ble que les hōmeshommes recerchent cette fole fierté de langage pour
ramener Dieu à leur mesure.,
cras vel atra
Nube polum pater occupato,
Vel sole puro, non tamen irritum
Quodcumque retro est efficiet, neque
Diffinget infectúmque reddet
Quod fugiens semel hora vexit.
Quand nous disons que l’infinité des siecles tant passez qu’a-
uenira-
venir n’est à Dieu qu’vnun instant: que sa bonté, sapience, puis-
sance sont mesme chose auecquesavecques son essence, nostre parole
le dict, mais nostre intelligence ne l’apprehēdeapprehende point. Et tou-
tesfois nostre outrecuidance veut faire passer la diuinitédivinité par
nostre estamine:. &Et de la s’engendrent toutes les resueriesresveries &
erreurs, desquelles le monde se trouuetrouve saisi, ramenant & poi-
sant à sa balance chose si esloignée de sa suffisanceson poix. ⁁
⁁ Mirum quo
procedat improbitas
cordis humani
paruulo aliquo
inuitata successu.
Combien insolammant galopentrebrouent Epicurus les Stoiciens
sur ce qu’il tient l’estre ueritablemantveritablement bon et
hureus n’apartenir qu’a dieu et l’home n’en sage n’en
auoiravoir que quelque’un ombrage et similitude.
Combien temereremant
Les Stoï-
ciens par là ont ils attaché Dieu à la destinée (à la mienne volōtévolonté
qu’au-
LIVRE SECOND. 221229
qu’aucuns du surnom de Chrestiens ne le facent pas encore)
& Thales, Platon, & Pythagoras, l’ont asseruyasservy à la necessité.
Cette fierté de vouloir descouurirdescouvrir Dieu par nos yeux, & me-
surer à nostre mesure, à faict qu’vnun grand personnage des no-
stres, à attribuédoné à la diuinitédivinité vneune forme corporelle,. &Et est cause
de ce qui nous aduientadvient tous les ioursjours, d’attribuer à Dieu, les e-
uenementse-
venements d’importance, d’vneune particuliere assignation: pPar-
ce qu’ils nous poisent, il nous semble qu’ils luy poisent aussi,
& qu’il y regarde plus entier ⁁ ⁁ et plus attantif, qu’aux euenemēsevenemens qui nous sont
legiers, ou d’vneune suite ordinaire. ⁁
⁁ Magna dij curant parua
negligunt Escoutez son exem=
ple il uousvous esclercira de sa
raison Nec in regnis quidem
reges omnia minima curant.
Magna dij curātcurant parua negligunt
⁁ cCome si ce luy estoit
plus et moins, de remuer
un empire ou la feuille
d’un arbre, et si sa proui=
danceprovi=
dance s’exerçoit autrement
inclinant l’euenementevenement
d’une bataille que le
saut d’une puce. La main
de son gouuernemantgouvernemant se
preste a toutes choses de
pareille teneur, mesme
force, et mesme ordre:
nostre interest n’y faict
rien apporte rien: nos
mouuemansmouvemans & nos
mesures ne le touchēttouchent pas.
NostreL’humeine arrogance infecte
nostre esperit d’infinis
blasphemes. Deus ita
artifex magnus in magnis, ut
minor non sit in paruis. Nostre
arrogance nous met en teste cette
bs blasfemeuse appariation
remet tousiourstousjours en auantavant cette
blasphemeuse appariation. ⁁
⁁ Par ce que nos occupations nous chargent Strato
a estrene les dieus de toute immunite d’offices ⁁ ⁁ come sont leurs prestres. Il faict
produire & maintenir toutes choses a nature et de
ses pois et mouuemensmouvemens construit toutes les parties du monde.
deschargeant l’humaine nature de la creinte des iugemansjugemans diuinsdivins.
Quod beatum aeternumque sit id nec habere negotij quicquam nec
exhibere alteris. Nature ueutveut qu’en choses pareilles il y aïe
relation pareille. Le nombre donq infini des mortels conclut
un pareil nombre d’immortels. S’il y aLes choses infinises qui tuent & nuisent
il y en aen presupposent autant qui conseruētconservent & profitent. Come les ames des dieus
sans langue sans yeus sans langue oreilles sentent ⁁ ⁁ entre eus chacun ce que l’autre ce que chacun sent et iugentjugent
mesmes nos pensees: ainsi les ames des homes quand elles sont libres et desprises du
corps, par le sommeil, ou par quelque rauissementravissement diuinentdivinent prognostiquent et
voyent choses, qu’elles ne sçauroyent veoir meslées aux corps.
Les hōmeshommes, dict Sainct Paul,
sont deuenusdevenus fols cuidans estre sages, & ont mué la gloire de
Dieu incorruptible, en l’image de l’homme corruptible.
Voyez vnun peu ce bastelage des deifications anciennes. Apres
la grande & noblesuperbe pompe de l’enterrement, comme le feu
venoit à prendre au haut de la pyramide, & saisir le lict du
trespassé, ils laissoyent en mesme temps eschaper vnun aigle,
lequel s’en volant à mont, signifioit que l’ame s’en alloit en
paradis. Nous auonsavons mille medailles, & notamment de cette
honneste femme de Faustine, ou cet aigle est representé, em-
portant à la cheuremortechevremorte vers le ciel ces ames deifiees. C’est
pitié que nous nous pipons de nos propres singeries &
inuentionsinventions.,
Quod finxere timent,:
comme les enfans qui s’effrayent de ce mesme visage qu’ils
ont barbouillé & noircy à leur compaignon. ⁁
⁁ Quasi quicquam infelicius
sit homine cui sua figmenta
dominantur C’est bien loin
d’honorer celuy qui nous a faicts
que d’honorer celuy que nous
auonsavons faict.
Auguste eust
plus de temples que IuppiterJuppiter, seruisservis auecavec autant de religion,
& creance de miracles. Les Thasiens en recompense des biēs-
faictsbiens-
faicts qu’ils auoyētavoyent receuz d’Agesilaus, luy vindrent dire qu’ils
l’auoyentavoyent canonisé.: VuVostre nation, fitleur dict-il, à elle ce pouuoirpouvoir de
faire Dieu qui bon luy semble? fFaictes en pour voir l’vnun d’en-
tre vous, & puis ⁁ ⁁ quand ij’arai ueuveu come il s’en sera trouuetrouve, ieje vous diray grandmercy de vostre offre. ⁁
⁁ L’home est bien
insensè Inl ne sauroit
forger un ciron et
forge des Dieus a douseines.
Oyes tricsmegiste louant nostre suffisance
faict latin en s Augustin Omnium mirabiliūmirabilium uicit admirationem
quod homo diuinam potuit inuenire
naturam eamque efficere. De toutes les
choses admirables a surmonté l’admiration que
l’home aye peu trouuertrouver la diuinedivine nature et la
parfaire.
Voicy des arguments de l’escole mesme de la philosophie.
MMm
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Nosse cui Diuos, & caeli numina soli,
Aut soli nescire datum.
Si Dieu est, il est animal, s’il est animal, il à sens, & s’il à sens, il
est subiectsubject à corruption. S’il est sans corps, il est sans ame, &
par consequant sans action: & s’il à corps il est perissable.
Voyla pas triomfé? ⁁
⁁ Nous somes incapables d’auoiravoir faict le monde: il y a donc quelque nature plus
parfaicte excellante qui y a mis la main. Ce seroit une sotte arrogance de nous estimer la
plus parfaicte chose de cet uniuersunivers il y a donq quelque chose de meilleur cela c’est dieu Quand uousvous uoiesvoies
une riche et pompeuse demure encore que uousvous ne saches qui en est le maistre si ne dires uousvous pas qu’elle soit
faicte pour des rats Et cete diuinedivine structure que nous uoïonsvoïons du palais celeste n’auonsavons nous pas a croire que ce
soit le logis de quelque maistre plus grand que nous ne somes Le plus haut est il pas tousiourstousjours le plus digne et nous
somes places au plus bas Rien sans ame
& sans raison ne peut produire un animant
capable de raison Le monde nous produit
il a donq ame et raison Chaque part de
nous est moins que nous Nous somes part
du monde Le monde est donq fourni de
sagesse et de raison et plus abondammant
que nous ne somes C’est belle
chose d’auoiravoir un grand gouuer=
nementgouver=
nement Le gouuernementgouvernement du
monde apartient donq a quelque
heureuse nature. Que po Nous ne
pouuonspouvons ri Les astres ne nous font pas
de nuisance ils sont donq pleins de bonte
Nous auonsavons besoing de nourriture, aussi
ont donc les Dieux, & se paissent des vapeurs de ça bas.: ⁁
⁁ Les biens mondeins
ne sont pas biens touchent pas la dieu.
diuinitédivinité ce ne sont
donq pas biens offa tousnous.
L’offancer et l’estre
offancé sont esgalemātesgalemant
tesmoignages d’imbe=
cillité, c’est donq
folie de creindre dieu.
Nous Dieu est bon
par sa nature: l’home
par son industrie,
qui uautvaut mieusplus est plus. La
sagesse diuinedivine et
l’humeine sagesse
n’ont autre distinc=
tion: si non que celela
est aeternelle. Or la
duree n’est aucune
accession a la sagesse
parquoi nous uoila
compaignons. Nous
Nous
auonsavons vie, mouuementmouvement, raison & liberté, & cognoissonsestimons la
bonté, la charité, & la iusticejustice, ces qualitez sont donc en Dieu.luy.
Somme que le bastiment, & le desbastiment ⁁ ⁁ les conditions de la diuinitédivinité, se
forgeētforgeent par l’hōmehomme, selon la relation à soy. Quel patron & quel
modele! EstirōsendonsEstironsendonsEstirons, esleuōseslevons, & grossissons les qualitez humaines
tant qu’il nous plaira,: eEnfle toy pauurepauvre hōmehomme, & encore, & en-
core, & encore, non si te ruperis, inquit,. ⁁ uersvers
⁁ Profecto non Deum quem cogitare non possunt sed semet ipsos pro illo
cogitantes non illum sed se ipsos non illi sed sibi comparant. Infirmum dei
fortius est hominibus et stultum dei sapientius est hominibus.
Es choses naturelles les effects ne raportent qu’a demy leurs
causes.: Qquoy cette-cy? elle est au dessus de l’ordre de nature,: sa
conditiōcondition est trop hautaine, trop esloignée, & trop maistresse,
pour ⁁ ⁁ souffrir que noz conclusions l’atachent & la garrotent. Ce n’est
pas par nous qu’on y arriuearrive, cette route est trop basse & trop
vile. Nous ne sommes nōnon plus pres du ciel sur le mont Senis,
qu’au fons de la mer: cōsultezconsultez en pour voir auecavec vostre astro-
labe. Ils ramenent Dieu iusquesjusques à l’accointāceaccointance charnelle des
femmes, à cōbiencombien de fois, à combien de generations.? Paulina
femme de Saturninus matrone de grande reputatiōreputation à RōmeRomme,
pensant coucher auecavec le Dieu Serapis, se trouuatrouva entre les bras
d’vnun sien amoureux, par le maquerelage des prestres de ce tē-
pleten-
ple. ⁁
⁁ Varro le plus subtil et le
plus sçauantsçavant autheur Latin:
en ses liureslivres de la Theologie
escrit que le secretain de Hercules
iectantjectant au sort d’une main pour
soy de lautrel’autre pour Hercules iouajoua
contre luy un souper et une garce
s’il gaignoit aus despans des
offrandes s’il perdoit aus siens.
Il perdit so paia son souper et
sa garce. Son nom fut Laurentine
qui uidvid de nuit ce dieu entre ses
bras luy disant au surplus que
le lendemin le premier qu’elle
rencontreroit la paieroit celes=
temant de son salaire. Ce fut
Taruntius iunejune home riche qui
la mena ches luy et aueqaveq le temps
la laissa heretiere. Elle a son tour
esperant faire chose agreable
a ce dieu laissa heretier le peuple
romain. Pourquoi on luy attribua
des honurs diuinsdivins. Come s’il
ne suffisoit pas que par double
sortestoc Platon fut originelemētoriginelement ⁁
⁁ descendu des Dieus & auoiravoir pour autheur de sa race & paternelle et
maternelle le Dieucommūcommun commun et de par son pere et de par sa mere de sa race, Neptune: il estoit tenu pour certein a Athenes que
Ariston so aïant espouse Perictione tresbelle uoluvolu iouirjouir de la
tresbelle Perictione n’auoitavoit sceu: etEt fut auertiaverti en songe par le dieu Apollo
de la laisser impollue iusquesjusques a ce qu’il luy en donrroit congèet intacte iusquejusques a ce qu’elle fut
acouchee. C’estoint le pere & mere de Platon. Combien y a il es
histoires de pareils cocuages procurez par les Dieus contre les pourespovres homeshumains et
des maris outragez en faueurfaveur des enfans iniurieusementinjurieusement outragezdescriez
en faueurfaveur des enfans. En la relligion de Mahumet il se treuuetreuve asses disent ceus qui en escriuentescriventpar la creācecreance de ce peuple asses
de Merlins: a sçauoirsçavoir enfans sans pere, spirituels, nais diuinementdivinement au uantrevantre des pucelles: et en portent un nom
qui le signifie en leur langue
Il nous faut noter, qu’a chaque chose, il n’est riērien plus cher,
& plus nobleestimable, que son estre:⁁
⁁ et que le
lion laiglel’aigle
le dauphin ne
n’estimentprisent rien
au dessus de
leur espece:
& que chacune raporte les quali-
tez de toutes autres choses à ses propres qualitez: lLesquelles
nous pouuonspouvons bien estendre & racourcir, mais c’est tout,: car
hors de ce raport, & de ce principe, nostre imaginatiōimagination ne peut
aller,: ne peut rien diuinerdiviner autre, & est impossible ⁁
⁁ qu’elle sorte de la,
et qu’elle passe
qu’elle s’estēesten-
LIVRE SECOND. 222230
de au dela. ⁁
⁁ DouD’ou naissent ces bellesantiennes
conclusions. De toutes les
formes la plus belle est
celle de l’home dieu donq
est de cette forme. Nul ne
peut estre hureus sans uertuvertu
ny la uertuvertu estre sans raison
et nulle raison loger ailleurs
qu’en la fi l’humaine figure
dieu en est donq reuesturevestu de
cettel’humaine figure. Et cette figure
n’est pas corps mais come un
corps ny n’a point de sang mais
come du sang. Ita est anti=
cipatum informatum anti=
cipatum mentibus nostris
homini cum de deo cogitet
forma occurrat humana.
Pourtant disoit plaisamment Xenophanes, que si
les animaux se forgent des dieux, comme il est vray-sembla-
ble qu’ils facent, ils les forgent certainement de mesme eux,
& se glorifient, comme nous. Car pourquoy ne dira vnun oison
ainsi. Toutes les pieces de l’vniuersunivers me regardent, la terre me
sert à marcher, le Soleil à m’esclairer, les estoilles à m’inspirer
leurs influācesinfluances: ij’ay telle commodité des vents, telle des eaux:
Il n’est rien que cette voute regarde si fauorablementfavorablement q̄que moy:
IeJe suis le mignon de nature,: est-ce pas l’homme qui me trai-
te, qui me loge, qui me sert? C’est pour moy qu’il faict & se-
mer & mouldre: sS’il me mange, aussi faict il bien l’homme
son compaignon, & si fay-ieje moy les vers qui le tuent, &
qui le mangent. Autant en diroit vneune grue, & plus magnifi-
quement encore pour la liberté de son vol, & la possession de
cette belle & noblehaute region. ⁁
⁁ Tam blanda conciliatrix
et tam sui est lena ipsa
natura.
Or donc par ce mesme trein, pour
nous sont les destinees, pour nous le monde, il luit, il tonne
pour nous, & le createur, & les creatures, tout est pour nous.
C’est le but & le point ou vise l’vniuersitéuniversité des choses. Regar-
deés le registre que la philosophie à tenu deux mille ans &
plus, des affaires celestes: les dieux n’ont agi, n’ont parlé, que
pour l’homme: elle n’ne leur attribue autre consultatiōconsultation, & autre va-
cation aux Dieux: Les voyla contre nous en guerre.,
domitósque Herculea manu
Telluris iuuenes, vnde periculum
Fulgens contremuit domus
Saturni veteris.
Les voicy partisans de noz troubles, pour nous rendre la pareille
de ce que tant de fois nous somes partisans des leurs.
Neptunus muros magnóque emota tridenti
Fundamenta quatit, totámque à sedibus vrbem
Eruit, hic Iuno Scaeas saeuissima portas
Prima tenet. ⁁
⁁ Combien de fois le somes nous des leurs pPour nous randre la pareille de ce que tant de fois nous somes ⁁ ⁁ partisans des leurs
Les Cauniens pour la ialousiejalousie de la domination de leurs Dieus a l’encontre des
Dieus estrangierspropres prenent armes en dos le iourjour de leur deuotiondevotion &
uontvont courātcourant toute leur banlieue frapant lairl’air par cy par la a tout leurs gleuesgleves pourchassant ainsin a outrance
deschassant ainsin & banissant a les dieus estrangiers de leur territoire. Montaigne a écrit un "a" en interligne, sans doute le début d’une modification inaboutie. Il a omis de le biffer par la suite.
MMm ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Leurs puissances sont retranchees selon nostre necessité. Qui
guerit les cheuauxchevaux, qui les hommes ⁁ ⁁ qui la peste, qui la teigne, qui la tous, ⁁
⁁ qui une sorte de gale qui un’autre
adeo minimis
etiam rebus praua
relligio inserit deos:
qui faict naistre les raisins, qui les aulx, qui à la charge de la
paillardise, qui de la marchandise, ⁁ ⁁ a chaque race d’artisans un dieu: qui à sa prouinceprovince en oriant
& son credit, qui en ponant,
hic illius arma
Hic currus fuit. ⁁
uersversCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ O sancte Apollo qui umbilicum
certum terrarum obtines.
Pallada Cecropidae, Minoïa Creta Dianam
Vulcanum tellus Hypsipilea colit
Iunonem Sparte Pelopeïadesque Mycenae
Pinigerum Fauni Maenalis ora caput.
Mars Latio uenerandus.
Qui n’a qu’vnun bourg, ou vneune famille en sa possession. ⁁ ⁁ Qui loge sul: qui en compaignie ou uolonterevolontere ou necessere ⁁
⁁ Iuncta que sunt magno templa nepotis auo.
Il en est
de si chetifs & populaires, (car le nombre s’en monte ius-
quesjus-
ques à trante six mille,) qu’il en faut entasser bien cinq ou six
à produire vnun espic de bled, & en prennent leurs noms diuersdivers
& leurs titres. ⁁
⁁ Trois a une porte. Celuy
de laisl’ais celuy du goun
celuy du seuil. Quatre ūuna un
enfant protecturs de son
maillolmaillot de son boire de son
manger de son teter. Aucuns
certeins aucuns incerteins &
doubteus Aucuns qui n’entrent
pas encores en Paradis
Quos quoniam caeli nondum
dignamur honore
Quas dedimus certe terras
habitare sinamus.
Il en est de phisiciens de poëtiques
de ciuilscivils. Aucuns moyens entre la
diuinedivine et l’humaine nature mediaturs
entremeturs de nous a dieu. Adorez
par certein second ordre d’adoration
et diminutif. Infinis en titres et
offices. Les uns bons les autres mauuesmauves.
Il en est de vieux & cassez, il en est de ieunesjeunes
& fleurissans, & en est de mortels. Car Chrysippus estimoit
qu’en la derniere conflagration du monde tous les dieux
auroyent à finir, sauf IuppiterJuppiter. ⁁
⁁ L’home forge mille plesantes societez entre dieu et luy. Est il pas
Le uoicyvoicy son compatriote. Iouis incunabula Creten. Voici l’excuse que
nous donent S Augustin allegue sur la consideration de ce subietsubjet la defaite de SceuolaScevola grant Pontife
et de Varro grand theologien en leur temps. Qu’il est besouin que le peuple ignore
beaucoup de choses urayesvrayes et en croie beaucoup de fauces. Cum libertas ueritatem A quoi S. Augustin
Cum ueritatem qua liberetur inquirat, credatur ei expedire, quod fallitur.
Les yeux humains ne peuuentpeuvent
aperceuoirapercevoir les choses, que par les formes de leur cognoissan-
ce. ⁁
⁁ eEt ne nous souuientsouvient
pas quel saut prit le
miserable Phaeton pour
auoiravoir ētreprisentrepris de uoluvolu
manier les renes des
cheuauschevaus de son pere
pard’une main mortelle
Nostre esperit retūberetumbe
en pareille profondeur
se dissipe et se froisse
de mesme, par sa temerite
temerite: si. Si
Si vous demandez à la philosophie de quelle matiere
est le ⁁ ⁁ ciel et le Soleil,: que vous respondra elle, sinon de fer, ⁁ ⁁ ou aueqaveq Anaxagoras & de pier-
re, ou autreet telle estoffe de sonnostre visageuisage. ⁁
⁁ SenquiertS’enquiert on a Zenon que c’est que nature. VnUn feu dict il artiste propre a engendrer procedant regleement.
Archimedes maistre de cet-
te science qui s’attribue la presseance sur toutes les autres en
verité & certitude: le Soleil, dict il, est vnun Dieu de fer enflam-
mé. Voyla pas vneune belle imagination, produicte de ⁁ ⁁ la beaute et l’ineuita-
bleinevita-
ble necessité des demonstrations geometriques. Non pour-
tant si ineuitableinevitable ⁁ ⁁ et utile, que ⁁ ⁁ Socrates n’aye estime qu’il suffisoit en sçauoirsçavoir iusquesjusques a pouuoirpouvoir arpanter la terre qu’on donoit et receuoitrecevoit & que Poliaenus qui en auoitavoit esté fameux &
illustre docteur, ne les ayt prises à mespris, comme plaines de
fauceté, & de vanité apparente, apres qu’il eust gousté les
doux fruicts des iardinsjardins poltronesques d’Epicurus. ⁁
⁁ Socrates en Xenophon sur
ce propos d’Anaxagoras
estimé par lantiquitel’antiquite
entandu audessus destous
autres es choses celestes &
diuinesdivines dict qu’il se trobla
du cerueauscerveaus come font tous
homes qui perscrutent immo=
dereemātreemant les conoissances
qui ne sont de leur apartenance
sur ce qu’il faisoit cele
Soleinl une p une pierre
ardante il ne s’auisoitavisoit pas qu’une pierre ne luit pasoint au feu & qui pis est qu’elle s’y consome
En ce qu’il faisoit un du Soleil et du feu que le feu ne noircist pas ceus qu’il regarde: que
nous regardons fixemant le feu: que le feu tue les plantes et les herbes. C’est a l’aduis
de Socrates et au mien aussi le plus sagemant iugèjugè du ciel que n’en iugerjuger point. Platon aïant a parler
des Daemons au Timaee: c’est entreprinse dict il qui surpasse nostre portee Il en faut croire ces antiens qui
se sont dicts engendrez d’eus C’est contre raison de refuser a croire lesfoy aus enfans des dieus encore que leur
dire ne soit establi par raisons necesseres ny uraisamblablesvraisamblables puis qu’ils nous respondent de parler
de choses domestiques et familieres
VoyōsVoyons
si nous auonsavons quelque peu plus de clarté en la cognoissan-
ce des choses humaines & naturelles. N’est-ce pas vneune ri-
dicule entreprinse, à celles ausquelles par nostre propre cō-
fessioncon-
fession nostre science ne peut atteindre, leur aller forgeant
LIVRE SECOND. 223231
vnun autre corps, & prestant vneune forme fauce de nostre inuen-
tioninven-
tion: comme il se void au mouuementmouvement des planettes, auquel
d’autātautant que nostre esprit ne peut atteindrearriuerarriver, ny imaginer sa na-
turelle conduite, nous leur prestons du nostre, des ressors ma-
teriels, lourds, & corporels:
temo aureus, aurea summae
Curuatura rotae, radiorum argenteus ordo.
Vous diriez que nous auonsavons eu des cochers & des charpen-
tiers ⁁ ⁁ et des peintres, qui sont allez dresser là haut des engins à diuersdivers mouue-
mensmouve-
mens., pouret ranger les rouages colurs et entrelassemans des cors celestes bigarrez en
colur autour du fuseau de la necessite selon Platon.
Mundus domus est maxima rerum,
Quam quinque altitonae fragmine zonae
Cingunt, perquam limbus pictus bis sex signis,
Stellimicantibus, altus in obliquo aethere, lunae
Bigas acceptat.
Ce sont tous songes ⁁ ⁁ et fanatiques folies. Que ne plaist-il vnun iourjour à nature nous
ouurirouvrir son sein, & nous faire voir au propre, les ressortsmoiens & la
conduicte de si grandsses mouuementsmouvements ⁁ ⁁ et y preparer nos yeus: O Dieu quels abus,
quels mescontes, nous trouuerionstrouverions en nostre pauurepauvre science.⁁
⁁: ieje suis trompe si
elle tient une sule
chose droitement en
son pouinct: et m’en
partirai d’icy plus
ignorant toute autre
chose que mon ignoran=
ce. Ai ieje pas ueuveu en
Platon ce diuindivin mot
que nature n’est autre
choserien qu’une poësie
aenigmatique. Comme
peut estre, qui diroit: une peinture
uoileevoilee et tenebreuse
entreluisant d’une infinie
uarietevariete de faus ioursjours a
paistreexercer nos coniecturesconjectures.
Latent ista omnia crassis
occultata et circumfusa
tenebris ut nulla acies
humani ingenij tanta sit
quae penetrare in caelum
terram intrare possit
Nous ueutveut on defandre
dignorerd’ignorer ce que nous
ignoronsEt certes la philosophie
qun’est ce si ce n’est qu’une
poësie sophistiquee
VoiesDouD’ou tirent sces authoriteseurs deantiens toutes leurs
philosophie antiene tous leurs
ouuragesouvrages sont estoilez et emperles de
poisie queauthoritez que des poetes
et les premiers furent poëtes eus mesmes et la traictarent
en leur art Platon n’est qu’une poësiete desmembree descousu. Montaigne en substituant Poëte à poësie a omis d’effacer le "e" de "une"
Timon l’apelle par iniureinjure grand forgeur de miracles.
Tout ainsi que les femmes employent des dents d’yuoireyvoire, ou
les leurs naturelles leur manquent, & au lieu de leur vray teint
en forgent vnun de quelque matiere estrangere: comme elles
font des cuisses de drap & de feutre, & de l’embonpoinct de
coton:, & au veu & sçeu d’vnun chacūchacun s’embellissent d’vneune beau-
té fauce & empruntée: ainsi faict la science. (Eet nostre droict
mesme à, dict-on, des fictions legitimes, sur lesquelles il fonde
la verité de sa iusticejustice.) Eelle nous donne en payement & en pre-
supposition, les choses qu’elle mesmes nous aprend estre in-
uentéesin-
ventées: car ces epicycles, excentriques, cōcentriquesconcentriques, dequoy
l’Astrologie s’aide à conduire le bransle de ses estoilles, elle
nous les donne, pour le mieux qu’elle ait sçeu inuenterinventer en ce
suietsujet: comme aussi en la pluspart duau reste, la philosophie nous
MMm iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
presente, non pas ce qui est, ou ce qu’elle croit, mais ce qu’elle
forge ayant plus d’apparence & de lustreiantillessejantillesse. ⁁
⁁ Platon sur le discours de
l’estat de nostre corps & de
celuy des bestes. Que ce que
nous auonsavons dict futsoit uraivrai nous
en assurerions, si nous auionsavions
la dessussur ce la confirmation d’un
oracle. Pour cet heureSulement nous
assurons que c’est le plus
vraisemblablemētvraisemblablement que nous
aïons peu di sceu dire.
Ce n’est pas au ciel
seulement qu’elle enuoyeenvoye ses cordages, ses engins & ses rouës:
considerons vnun peu ce qu’elle dit de nous mesmes & de nostre
contexture. Il n’y à pas plus de retrogradation, trepidation, ac-
cession, reculement, rauissementravissement, aux astres & corps celestes,
qu’ils en ont forgé en ce pauurepauvre petit corps humain. Vraye-
ment ils ont eu par là, raison de l’appeller le petit monde, tant
ils ont employé de pieces, & de visages à le maçōnermaçonner & bastir.
Pour accommoder les mouuemensmouvemens qu’ils voyent en l’hom-
me, les diuersesdiverses operationsfunctions & facultez que nous sentons en
nous, en combiēcombien de parties ont-ils diuisédivisé nostre ame? en com-
bien de sieges logée? à combien d’ordres & estages ont-ils
départy ce pauurepauvre homme, outre les naturels & perceptibles?
& à combien d’offices & de vacations? Ils en font vneune chose
publique imaginaire. C’est vnun subiectsubject qu’ils tiennent & qu’ils
manient: on leur laisse toute puissance de le descoudre, rēgerrenger,
rassembler, & estoffer, chacun à sa fantasie, & si ne le possedētpossedent
pas encore. Non seulement en verité, mais en songe mesmes,
ils ne le peuuentpeuvent regler, qu’il ne s’y trouuetrouve quelque cadēcecadence, ou
quelque son, qui eschappe à leur architecture, toute mon-
strueuseenorme qu’elle est, & rapieçée de mille lopins faux & fanta-
stiques. ⁁
⁁ Et ce n’est pas raison de
les excuser. Car aus peintres
quand ils pl peignent le ciel
la terre les mers les mons
les isles escartees s’i nous
leur condonons qu’ils nous en
raportent sulement quelque
marque legiere: et come de
choses ignorees nous contē=
tonsconten=
tons d’un tel quel ombrage
& feinte. Mais quand ils
nous tirent apres le naturel
en un su un subietsubjet qui nous
est familier et conu nous
exigeons deusd’eus une parfaicte
et exacte representation des
lineamans & des colurs &
les mesprisons s’ils y faillent.
IeJe sçay bon gré à la garse Milesienne, qui voyātvoyant le phi-
losophe Thales s’amuser continuellement à la cōtemplationcontemplation
de la voute celeste, & tenir tousiourstousjours les yeux esleuezeslevez contre-
mont, luy mit en son passage quelque chose à le faire bron-
cher, pour l’aduertiradvertir qu’il seroit temps d’amuser son pensemētpensement
aux choses qui estoiētestoient dans les nues, quand il auroit prouueuprouveu
à celles qui estoient à ses pieds. Elle luy conseilloit certes bien,
de regarder plustost à soy qu’au ciel: ⁁
⁁ Car come dict
Democritus enpar la bouche de Cicero.
Quod est ante pedes nemo spectat, caeli scrutantur plagas. uersvers
mMais nostre condition
porte, que la cognoissance de ce que nous auōsavons entre mains,
est aussi esloignée de nous, & aussi bien au dessus des nues, que
LIVRE SECOND. 224232
celle des astres. ⁁
⁁ Come dict Socrates en
Platon qu’a quiconque
se mesle de la philosofie on peut
faire le reproche que faict
cete fame a Thales qu’il
ne uoitvoit rien de ce qui est
deuantdevant luy. Car tout
philosofe ignore ce que
faict son uoisinvoisin oui et ce
qu’il faict luy mesme et que
sontignore ce qu’ils sont tous deus
ou bestes ou homes.
Ces gens icy, qui trouuenttrouvent les raisons de SebōdSebond
trop foibles, qui n’ignorent rien, qui gouuernentgouvernent le monde,
qui sçauentsçavent tout.,
Quae mare compescant causae, quid temperet annum,
Stellae sponte sua, iussaeue vagentur & errent:
Quid premat obscurum Lunae, quid proferat orbem,
Quid velit & possit rerum concordia discors,:
n’ont ils pas quelquesfois sondé parmy leurs liureslivres, les diffi-
cultez qui se presentent, à cognoistre leurelevre estre propre? Nous
voyons biēbien que le doigt se meut, & que le pied se meut, qu’au-
cunes parties se branslent d’elles mesmes sans nostre congé, &
que d’autres nous les agirons par nostre ordonnance, que cer-
taine apprehension engendre la rougeur, certaine autre la pal-
leur, telle imagination agit en la rate seulement, telle autre au
cerueaucerveau, l’vneune nous cause le rire, l’autre le pleurer, telle autre
transit & estonne tous nos sens, & arreste le mouuementmouvement
de nos membres.⁁
⁁ , a tel obiectobject
lestomacl’estomac se sousleuesousleve
a tel autre, quelque
partie un peu plus
basse.
Mais comme vneune impression spirituelle, fa-
ce vneune telle faucée dans vnun subiectsubject massif, & solide, & la na-
ture de la liaison & cousture de ces admirables ressorts, iamaisjamais
homme ne l’à sçeu,. comme dict Salomon. ⁁
⁁ Omnia incerta
ratione et in naturae
maiestate abdita.
Modus quo corporibus
adhaerent spiritus omino
omnino mirus est dict Pline
et S. Augustin. modus quo
corporibus adhaerent
spiritus et anim omnino
mirus est nec cōprehendicomprehendi
ab homine potest: et hoc
ipse homo est.
Et si ne le met on
pas pourtant en doute,: car la plus part dles opinions des hom-
mes, sont receues à la suitte des creances anciennes, par autho-
rité & à credit, comme si c’estoit religion & loy. On reçoit
comme vnun iargonjargon, ce qui en est communement tenu: on re-
çoit cette verité, auecavec tout son bastiment & attelage d’argu-
mens & de preuuespreuves, comme vnun corps ferme & solide, qu’on
n’esbranle plus, qu’on ne iugejuge plus. Au contraire, chacun à qui
mieux mieux, va plastrant & confortant cette creance receue,
de tout ce que peut sa raison, qui est vnun vtilutil soupple contour-
nable, & accommodable à toute figure. Ainsi se remplit le
monde & se cōfitconfit en fadessefadese & en mensonge. Ce qui fait qu’on
ne doute de guere de choses, c’est que les communes opiniōsopinionsimpressions
ESSAIS DE M. DE MONT.
on ne les essaye iamaisjamais,: on n’en sonde point le pied, ou gist la
faute & la foiblesse: on ne se debat que sur les branches: on ne
demande pas si cela est vray, mais s’il à esté ainsin où ainsin
entendu. On ne demande pas si Galen à rien dit qui vaille:,
mais s’il à dit ainsin ou autrement. Vrayement c’estoit bien
raison que cette bride & contrainte de la liberté de nos iuge-
mentsjuge-
ments, & cette tyrānietyrannie de nos creances, s’estandit iusquesjusques aux
escholes & aux arts. Le Dieu de la science scholastique c’est A-
ristote: c’est religion de debatre de ses ordonnances, comme
de celles de Lycurgus à Sparte. Sa doctrine nous sert de loy
magistrale:, qui est à l’auantureavanture autant vainefauce qu’vneune autre. IeJe
ne sçay pas pourquoy ieje n’acceptasse autant volontiers, où les
idées de Platon, ou les atomes d’Epicurus, où le plain & le vui-
de de Leucippus & Democritus, ou l’eau de Thales, où l’infi-
nité de nature d’Anaximander, où l’air de Diogenes, ou les
nombres & symmetrie de Pythagoras, ou l’infiny de Parme-
nides, ou l’vnun de Musaeus, ou l’eau & le feu d’Apollodorus, ou
les parties similaires d’Anaxagoras, ou la discorde & amitié
d’Empedocles, ou le feu de Heraclitus, ou toute autre opiniōopinion
de cette confusion infinie d’aduisadvis & de sentēcessentences, que produit
cette belle raison humaine par sa certitude & clair-voyance,
en tout ce dequoy elle se mesle, commeque ieje feroy l’opiniōopinion d’A-
ristote, sur ce subiectsubject des principes des choses naturelles:. lLes-
quels principes il bastit de trois pieces, matiere, forme, & pri-
uationpri-
vation. CarEt qu’est-il plus vain que de faire la vanité & ’inanité
mesme, cause de la production des choses? La priuationprivation c’est
vneune negatiuenegative: de quelle humeur en a-il peu faire la cause & o-
rigine des choses qui sont. Cela toutesfois ne s’auseroit esbrā-
leresbran-
ler aux escholes, que pour l’exercice de la Logique. On n’y de-
bat rien pour le mettre en doute, mais pour defendre Aristotelauteurl’auteur de lescholel’eschole,
des obiectionsobjections estrangeres: son authorité c’est le but, au delà
duquel il n’est pas permis de s’enquerir. Il est bien aisé sur des
fon-
LIVRE SECOND. 225233
fondemens auouezavouez, de bastir ce qu’on veut,: car selon la loy &
ordonnance de ce commencement, le reste des pieces du ba-
stiment se conduit ayséemētayséement, sans se démentir. Par cette voye
nous trouuonstrouvons nostre raison bien fondée, & discourōsdiscourons à bou-
le veue: car nos maistres praeoccupētpraeoccupent & gaignent auantavant main,
autant de lieu en nostre creance, qu’il leur en faut pour con-
clurre apres ce qu’ils veulent, à la mode des Geometriens par
leurs demandes auouéesavouées: le consentement & approbatiōapprobation que
nous leur prestons, leur donnant dequoy nous trainer à gau-
che & à dextre, & nous pyroueter à leur volonté. Quiconque
est creu de ses presuppositions, il est nostre maistre & nostre
Dieu: il prendra le plant de ses fondemens si ample & si aisé,
que par iceux il nous pourra mōtermonter, s’il veut, iusquesjusques aux nuës.
En cette pratique & negotiation de science, nous auonsavons pris
pour argent cōtentcontent le mot de Pythagoras, que chaque expert
doit estre creu en son art. Le dialecticien se rapporte au gram-
mairien de la signification des mots: le rhetoricien emprunte
du dialecticien les lieux des arguments: le poete du musicien
les mesures: le geometrien de l’arithmeticien les proportions:
les metaphysiciens prennent pour fondement les coniectu-
resconjectu-
res de la physique. Car chasque science a ses principes presup-
posez, par ou le iugementjugement humain est bridé de toutes parts. Si
vous venez à choquer cette barriere, en laquelle gist la princi-
pale foiblesse & faucetéerrur, ils ont incontinent cette sentence en
la bouche, qu’il ne faut pas debattre contre ceux qui nient les
principes. Or n’y peut-il auoiravoir des principes aux hommes, si
la diuinitédivinité ne les leur à reuelezrevelez: de tout le demeurant, & le
commencement, & le milieu, & la fin, ce n’est que songe &
fumée. A ceux qui combatent par presupposition, il leur faut
presupposer au cōtrairecontraire, le mesme axiome, dequoy on debat.
Car toute presupposition humaine & toute enunciation à
autant d’authorité que l’autre, si la raison n’en faict la diffe-
NNn
ESSAIS DE M. DE MONTA.
rence. Ainsin il les faut toutes mettre à la balance: & premie-
rement les generalles, & celles qui nous tyrannisent. ⁁
⁁ L’impression de la
certitude est un
inexpugnablecertein tes=
moignage de folie et
d’incertitude extreme.
Et n’est pouint de plus
folles gens ny moins philoso
phes que les philodoxes des
Platon.
Il faut
sçauoirsçavoir si le feu est chaut, si la neige est blanche, s’il y à rien de
dur où de mol en nostre cognoissance. Et quand à ces respon-
ces, dequoy il se faict des contes anciens: comme à celuy qui
mettoit en doubte la chaleur, a qui on dict qu’il se iettastjettast
dans le feu: à celuy qui nioit la froideur de la glace, qu’il s’en
mit dans le sein: elles sont tres-indignes de la profession phi-
losophique. S’ils nous eussent laissé en nostre estat naturel, re-
ceuansre-
cevans les apparences estrangeres selon qu’elles se presentētpresentent à
nous par nos sens, & nous eussent laissé aller apres nos appetits
simples, & reglez par la condition de nostre naissance, ils au-
roient raison de parler ainsi: mais c’est d’eux que nous auonsavons
appris de nous rēdrerendre iugesjuges du monde: c’est d’eux que nous te-
nōste-
nons cette creācecreancefantasie, que la raison humaine est contrerolleuse ge-
neralle de tout ce qui est au dehors & au dedāsdedans de la voute ce-
leste, qui embrasse tout, qui peut tout: sanspar le moien de laquelle rien netout se
sçait, riērien ne seet cōnoitconnoit,: riērien ne se void. Cette respōseresponse seroit bōnebonne
parmy les Cannibales, qui goustentiouissentjouissent l’heur d’vneune longue vie,
tranquille & paisible sans les preceptes d’Aristote, & sans la
connoissance du nom de la physique. Cette respōseresponse vaudroit
mieux à l’aduentureadventure, & auroit plus de fermeté, que toutes cel-
les qu’ils emprunteront de leur raison & de leur inuentiōinvention. De
cette-cy seroient capables auecavec nous, tous les animaux, & tout
ce, où le commandement est encor pur & simple de la loy na-
turelle: mais eux, ils y ont renoncé. Il ne faut pas qu’ils me diētdient,
il est vray, car vous le voyez & sentez ainsin: il faut qu’ils me
dient, si ce que ieje pense sentir, ieje le sens pourtant en effect: & si
ieje le sens, qu’ils me dient apres, pourquoy ieje le sens, & cōmentcomment,
& quoy: qu’ils me dient le nom, l’origine, les tenans, & abou-
tissans de la chaleur, du froid, les qualitez de celuy qui agit, &
de celuy qui souffre: ou qu’ils me quittent leur profession, qui
LIVRE SECOND. 226234
est de ne receuoirrecevoir ny approuuerapprouver rien, que par la voye de la rai-
son: c’est leur touche à toutes sortes d’essais: mais certes c’est v-
neu-
ne touche pleine de fauceté, d’erreur, de foiblesse, & defaillan-
ce. Par où la voulons nous premierementmieus esprouueresprouver? sera-ce
pasque par elle mesme? sS’il ne la faut croire parlant de soy, à peine
sera-elle propre à iugerjuger des choses estrangeres: si elle connoit
quelque chose, aumoins sera ce son estre & son domicile. El-
le est en l’ame, & partie, où effect d’icelle: car la vraye raison &
essentielle, de qui nous desrobons le nom à fauces enseignes,
elle loge dāsdans le sein de Dieu, c’est la son giste & sa retraite, c’est
de là où elle part, quādquand il plaist à Dieu nous en faire voir quel-
que rayon: comme Pallas saillit de la teste de son pere, pour
se communiquer au monde. Or voyons ce que l’humaine rai-
son nous à appris de soy & de l’ame. ⁁
⁁ Non de l’ame en general
de la quelle quasi toute
la philosophie rend les corps
celestes et les premiers corps
participans: ny de celle que
Thales attribuoit aus
choses mesmemesmes qu’on tient
inanimees conuieconvie par la
consideration de laimantl’aimant
non de celles qui sont ailleurs
mais de celle qui est en nous
apartient que nous deuōsdevons
mieus conestre.
Ignoratur enim quae sit natura animaï,
Nata sit an contra nascentibus insinuetur,
Et simul intereat nobiscum morte dirempta,
An tenebras orci visat vastásque lacunas,
An pecudes alias diuinitus insinuet se.
A Crates & Dicaearchus, qu’il n’y en auoitavoit du tout point, mais
que le corps s’esbranloit ainsi d’vnun mouuementmouvement naturel,: à
Platon que c’estoit vneune substance se mouuantmouvant de soy-mes-
me,: à Thales vneune nature sans repos,: à Asclepiades vneune exer-
citation des sens,: à Hesiodus & Anaximander, chose compo-
sée de terre & d’eau,: à Parmenides, de terre & de feu,: à Empe-
docles de sang.
Sanguineam vomit ille animam.:
à Possidonius, Cleantes & Galen, vneune chaleur ou complexion
chaleureuse,
Igneus est ollis vigor & coelestis origo,:
à Hypocrates vnun esprit espandu par le corps,: à Varro vnun air re-
ceu par la bouche, eschauffé au poulmon, attrempé au coeur,
NNn ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& espandu par tout le corps,: à Zeno la quint’-essence des qua-
tre elemens,: à Heraclides Ponticus la lumiere,: à Xenocrates,
& aux AEgyptiens vnun nombre mobile,: aux Chaldées, vneune ver-
tu sans forme determinée.,
habitum quendam vitalem corporis esse
Harmoniam Graeci quam dicunt.
N’oublions pas Aristote, ce qui naturellement fait mouuoirmouvoir
le corps, qu’il nomme entelechie: dD’vneune autant froide inuen-
tioninven-
tion que nulle autre, car il ne parle ny de l’essence, ny de l’ori-
gine, ny de la nature de l’ame, mais en remerque seulemētseulement l’ef-
fect. Plusieurs autres plus sages parmyLactance Seneque et la meillure part entre les dogmatistes, cōmecomme
Cicero, Seneca, Lactance, ont cōfesséconfessé que c’estoit chose qu’ils
n’entendoient pas. ⁁
⁁ Et apres tout ce denom=
brement d’opinions. Harum
sententiarum quae uera sit
deus aliquis uiderit / dict
Cicero. A quoii souscriuētsouscrivent
Seneca & LactāceLactance & d’autres
a quoi souscriusouscriv
IeJe connoy par moy, dict S. Bernard, com-
bien Dieu est incomprehensible, puis que les pieces de mon
estre propre ieje ne les puis comprendre. ⁁
⁁ Heraclytus
qui tenoit tout
estre plein d’ames
et de daemons
maintenoit
pourtant qu’on
ne pouuoitpouvoit
aller tant de
cheminauātavant uersvers la
conoissāceconoissance de
l’ame qu’on lay
peut penetrerarriuerarriver, si
tant profonde
estre son essance.
Il n’y à pas moins de
dissention, ny de debat à la loger. Hipocrates & Hierophilus
la mettent au ventricule du cerueaucerveau: Democritus & Aristote,
par tout le corps.,
Vt bona saepe valetudo cum dicitur esse
Corporis, & non est tamen haec pars vlla valentis.
Epicurus en l’estomac:,
Hic exultat enim pauor ac metus, haec loca circum
Laetitiae mulcent.
Les Stoiciens autour & dedans le coeur: Erasistratus, ioignantjoignant
la membrane de l’epicrane: Empedocles au sang: comme aussi
Moyse, qui fut la cause pourquoy il defendit de māgermanger le sang
des bestes, auquel leur ame est iointejointe: Galen à pensé q̄que chaque
partie du corps ait sōson ame: Strato l’a logée entre les deux sour-
cils: ⁁
⁁ Cicero en dict ais ainsi:
Car on faict tortieje laisse a cet home
de luy changer ses motsuolontiersvolontiers ses mots propres.
Qua facie quidem sit, animus,
aut ubi habitet ne
quaerendum quidem est,
dict Cicero.
Mentem credo equidem in
capite. IeJe laisse uolontiersvolontiers
a cet home ses mots propres:
irois ieje alterer a leloquācel’eloquance
son parler. IointJoint qu’il y a
peu d’acquest a desrober la matiere de ses inuantionsinvantions.
Elles sont et rares et basses et trop conues puis, trop conues peu frequantes
et peu roiddes et trop conues peu inconues ignorees.
mMais la raison pourquoy Chrysippus l’argumente autour
du coeur comme les autres de sa secte, n’est pas pour estre ou-
bliée: c’C’est par ce, dit-il, que quand nous voulōsvoulons asseurer quelq̄quelque
chose, nous mettons la main sur l’estomac: & quādquand nous vou-
lons prononcer, ἔγωἐγώ qui signifie en Grec, moy, nous baissons
LIVRE SECOND. 227235
vers l’estomac la machouere d’embas. Ce lieu ne se doit
pas passer sans remerquer la vanité d’vnun si grand personnage:
cCar outre ce que ces considerations sont d’elles mesmes infi-
nimant legieres, la derniere ne preuuepreuve que aux Grecs:, qu’ils
ayent l’ame en cet endroit là. Il n’est iugementjugement humain, si
tendu, qui ne sommeille par fois. ⁁
⁁ Que creignons nous
a dire? Voila les Stoiciens
peres de l’humeine prudence
qui treuuenttreuvent que l’ame
d’un home accablé sous une
ruine treine & ahane
longtemps a sortir ne se
pouuantpouvant demesler de la
charge come une souris
prinse a la trapelle. D’aAucuns
tienent que le monde fut faict
pour doner corps par poenitancepunition
aus esperits descheus par leur
faute de la purete en quoi ils
auointavoint estree crees: la premiere
creation n’ayant este incorporelle
et spirituellequ’incor=
porelle. eEt que selon qu’ils
se sont plus ou moins eslouignez
de leur spiritualité, on les
incorpore plus et moins dignementalegrement
etou lourdement. De la uientvient la
uarietevariete de tant de matiere
creee Mais l’esprit qui fut pour sa
inuestiinvestipeine inuestiinvesti du corps du soleil
deuoitdevoit auoiravoir une mesure
d’alteration bien rare et
particuliere. Les extremitez
de nostre perquisition tūbenttumbent
toutes en esblouissement.
Come dict Plutarque de la
teste des histoires qu’a la
mode des cartes l’oree des
terres conues est sesie de
maretz foretz profondes,
desers et lieus inhabitables.
Voila pourquoi les plus grossieres
et pueriles rauasseriesravasseries se
treuuenttreuvent plus en ceus qui tretent
les choses plus hautes et plus
profondementauantavant: s’abismans en
leur curiosite et presomption.
La fin et le comancemant ⁁ ⁁ de sciance se
tienent en pareille bestise.
Voyes prendre ⁁ ⁁ amont l’essor a Platon
en ses nuages amont en ses
nuages poetiques.en ses nuages poetiques: uoïesvoïes chez
luy le iargonjargon des Dieus. Mais a
quoi songeoit il quand il
Voyla Platon qui definit
l’homme, vnun animal à deux pieds, sans plume: fournissant à
ceux qui auoientavoient enuieenvie de se moquer de luy vneune plaisante oc-
casion de ce faire: car ayans plumé vnun chapon vif, ils l’aloiētaloient
nommant l’homme de Platon. Et quoy les Epicuriens, de
qu’elle simplicité estoyent ils allez premierement imaginer
que leurs atomes, qu’ils disoyent estre des corps ayants quel-
que pesanteur, & vnun mouuementmouvement naturel contre bas, eussent
basti le monde: iusquesjusques à ce qu’ils fussent auisezavisez par leurs ad-
uersairesad-
versaires, que par cette description, il n’estoit pas possible
qu’elles se ioignissentjoignissent & se prinsent l’vneune à l’autre, leur cheute
estant ainsi droite & perpendiculaire, & engendrant par tout
des lignes parallelles? Parquoy pour couurircouvrir cette faute, il fut
force qu’ils y adioutassentadjoutassent depuis vnun mouuementmouvement de costé,
fortuite: & qu’ils fournissent encore à leurs atomes, des for-
mesqeues queues courbes & crochues pour les rendre aptes à s’atacher &
se coudre. ⁁
⁁ Et lors mesmes ceus qui les poursuiuētpoursuivent de cette autre
consideration les mettent ils pas en peine Si les atomes ont par
sort une formé tant de sortes de figures pour quoi ne se sont elles rencon
ils iamaisjamais rencontres a faire une maison un soulier Pourquoi de mesmes
ne croientt ilson qu’un nombre infini de lettres grecques uerseesversees emmi la place
seroint pour arriuerarriver a la contexture de l’Iliade Ce qui est capable de raison dict ZeloZeno est meillur que ce qui
n’en n’est pouint capable il n’est rien meillur que le monde il en est donq capable de raison Cotta par cete mesme
argumantation faict le monde mathematicien Et le faict musicien et organiste par cett’autre argumētationargumentation aussi
de Zeno Le tout est plus que la partie Nous somes raisonables scapables de forcesagesse & parties du mōdemonde il est donq sage
Il se void plusieursinfinis pareils exemples, non d’argu-
mens faux seulement, mais ineptes, ne se tenans point, & ac-
cusans leurs autheurs non tant d’ignorance que d’impruden-
ce, és reproches que les philosophes se font les vnsuns aux au-
tres sur les dissentions de leurs opinions, & de leurs sectes,.
comme il s’en voit infinis chez Plutarque, contre les Epicu-
riens & Stoïciens: & en Seneque contre les Peripateticiens.
Qui fagoteroit suffisemmant un amas des asneries de l’humaine
prudance il diroit merueillesmerveilles. IJ’en assamble uolantiersvolantiers: come une montre: par
quelque biaiz non moins utille a considerer que les opinions saines et moderees.
IugeonsJugeons par la ce que nous auonsavons à estimer de l’homme, de
son sens & de sa raison, puis qu’en ces grands personnages, &
qui ont porté si haut l’humaine suffisācesuffisance, il s’y trouuetrouve des def-
fauts si apparēsapparens & si grossiers. Moy ij’ayme mieux croire qu’ils
NNn iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ont traité la sciēcescience ⁁ ⁁ casuellement ainsi qu’vnun iouetjouet à toutes mains, &Et se sont
esbatus de la raison, comme d’vnun instrument vain & friuolefrivole,
mettant en auantavant toutes sortes d’inuentionsinventions & de fantasies
tantost plus tendues, tantost plus láches. CombiēCombien de fois leur
voyons nous dire des choses diuersesdiverses & cōtrairescontraires? Car cCe mes-
me Platon, qui definit l’homme comme vneune poule, il dit ail-
leurs apres Socrates, qu’il ne sçait à la verité que c’est que
l’homme, & que c’est l’vneune des pieces du monde d’autant dif-
ficile conoissance. Par cette varieté & instabilité d’opinions,
ils nous menētmenent comme par la main tacitement à cette resolu-
tion de leur irresolution. Ils font profession de ne presenter
pas tousiourstousjours leur auisavis en visage descouuertdescouvert & apparent: ils
l’ont caché tantost soubs des vmbragesumbrages fabuleux de la Poë-
sie, tantost soubs quelque autre masque: car nostre imperfe-
ction porte encores cela, que la viande crue n’est pas tous-
iourstous-
jours propre à nostre estomac: il la faut assecher, alterer
& abastardircorrompre: ils font de mesmes: ils obscurcissētobscurcissent par fois leurs
naïfuesnaïfves opinions & iugemensjugemens ⁁ ⁁ et les falsifient pour s’accommoder à l’vsageusage
publique. Ils ne veulent pas faire profession expresse d’igno-
rance, & de l’imbecillité de la raison humaine:⁁ ⁁ pour ne faire peur aus enfans. mMais ils nous
la descouurentdescouvrent assez soubs l’apparence d’vneune science trouble
& inconstante. IeJe conseillois en Italie à quelqu’vnun qui estoit
en peine de parler Italien, que pourueupourveu qu’il ne cerchast qu’a
se faire entendre, sans y vouloir autrement exceller, qu’il em-
ployast seulement les premiers mots qui luy viendroyent à la
bouche, Latins François Espaignols ou Gascons, & qu’en y
adioustantadjoustant la cadence & terminaison Italienne, il ne faudroit
iamaisjamais à rencontrer quelque idiome du pays, ou Thoscan ou
Romain ou Venetien ou Piemontois ou Napolitain, & de
se ioindrejoindre à quelqu’vneune de tant de formes. IeJe dis de mes-
me de la Philosophie,: elle à tant de visages & de varie-
té,⁁ ⁁et a tant dict que tous nos songes & resueriesresveries s’y trouuenttrouvent,: lL’humaine
LIVRE SECOND. 228236
phantasie ne peut rien conceuoirconcevoir en bien & en mal qui n’y
soit: ⁁
⁁ nomeemant en la
bizzarrerie qui est
un desreglemant aigu
et hardi. Et Nihil
Nihil tam absurde
dici potest quod non
dicatur ab aliquo
philosophorum. Et
&etEt ij’en laisse plus librement aller mes caprices en public,
d’autant que bien qu’ils soyent ⁁ ⁁ la plus part nez chez moy, & sans exem-
plepatron, ieje sçay qu’ils trouueronttrouveront leur conformitérelation & relation à q̄l-
quequel-
que humeur ancienne, & ne faudra quelqu’vnun de dire, voyla
d’où il le print. ⁁
⁁ Mes meurs et opinions
sont naturelles: ieje n’ay point
apele a les bastir le secours
d’aucune discipline. Mais
toutes imbecilles qu’elles
sont, quand l’enuieenvie m’a prins
de les reciter: & que pour
les faire fortir en publiq
un peu plus decemment,
ieje me suis mis en deuoirdevoir de
les assister & de discours &
d’examples: c’est merueillemerveille
a combien d’examples et
de discours philosofiques
ieje ieje les ai trouueestrouvees con=
formes ieje me suis moimesme
esmerueilléesmerveilléce a este
merueillemerveille a moimesmes de les rencontrer
par cas d’auantureavanture conformes
a tant d’exemples & discours
philosofiques. NouuelleNouvelle et
inouie figure: Un philosofe
impremedite & fortuite
De quel regimant estoit ma
uievie ieje ne l’ay apris qu’apres
qu’ell’est exploitee et emploiée.
NouuelleNouvelle figure. Un philosofe
impremedite et fortuite.
Pour reuenirrevenir à nostre ame (car ij’ay choisi ce
seul exemple pour le plus commode à tesmoigner nostre foi-
blesse & vanité) ce que Platon à mis la raison au cerueaucerveau, l’ire
au coeur, & la cupidité au foye, il est vray-semblable que ça e-
sté plustost vneune interpretation des mouuemēsmouvemens de l’ame, qu’v-
neu-
ne diuisiondivision, & separatiōseparation qu’il en ayt voulu faire, comme d’vnun
corps en plusieurs mēbresmembres. Et la plus vray-semblable de leurs
opinions est, que c’est tousiourstousjours vneune ame, qui par sa faculté ra-
tiocine, se souuientsouvient, comprend, iugejuge, desire & exerce toutes
ses autres operations, par diuersdivers instrumens du corps,: comme
le nocher gouuernegouverne son nauirenavire selon l’experience qu’il en à,
ores tendant ou láchant vneune corde, ores haussant l’antenne,
ou remuant l’auironaviron, par vneune seule puissance conduisant di-
uersdi-
vers effets. Et qu’elle loge au cerueaucerveau: ce qui apert de ce que
les blessures & accidens qui touchent cette partie, offencent
incontinent les facultez de l’ame: de là, il n’est pas inconue-
nientinconve-
nient qu’elle s’escoule par le reste du corps,⁁
⁁ : medium non
deserit unquam
Caeli Phoebus iter,
radijs tamen omnia
lustrat:
comme le soleil
espand du ciel en hors sa lumiere & ses puissances, & en rem-
plit le monde.:
Caetera pars animae per totum dissita corpus
Paret, & ad numen mentis momenque mouetur.
Aucuns ont dit, qu’il y auoitavoit vneune ame generale, comme vnun
grand corps, duquel toutes les ames particulieres estoyētestoyent ex-
traictes & s’y en retournoyent, se remeslant tousiourstousjours à cette
matiere vniuerselleuniverselle.,
Deum namque ire per omnes
Terrásque tractúsque maris coelumque profundum,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum,
Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas,
Scilicet huc reddi deinde, ac resoluta referri
Omnia: nec morti esse locum:
D’autres, qu’elles ne faisoyent que s’y resioindreresjoindre & r’atacher:
d’autres qu’elles estoyent produites de la substance diuinedivine:
d’autres par les anges de feu & d’air. Aucuns de toute anciēne-
téancienne-
té: aucuns sur l’heure mesme du besoing. Aucuns les font des-
cendre du rond de la Lune & y retourner. Le commun des
anciens, qu’elles sont engendrées de pere en fils, d’vneune pa-
reille maniere & production que toutes autres choses na-
turelles, argumentans cela par la ressemblance des enfans aux
peres,
Instillata patris virtus tibi:
Fortes creantur fortibus & bonis,
& qu’on void escouler des peres aux enfans, non seulemētseulement les
marques du corps, mais encores vneune ressemblāceressemblance d’humeurs,
de complexions, & inclinations de l’ame.,
Denique cur acris violentia triste leonum
Seminium sequitur, dolus vulpibus, & fuga ceruis
A patribus datur, & patrius pauor incitat artus,
Si non certa suo quia semine seminióque,
Vis animi pariter crescit cum corpore toto:
Qque sur ce fondemētfondement s’establitla dessus se fonde la iusticejustice diuinedivine, punissant aux
enfans la faute des peres: d’autant que la contagion des vices
paternels est aucunement empreinte en l’ame des enfans, &
que le desreglement de leur volonté les touche. DauantageDavantage
que si les ames venoyent d’ailleurs, que d’vneune suite naturelle,
& qu’elles eussent esté quelque autre chose hors du corps, el-
les auroyent quelque recordation de leur estre premier, attē-
duatten-
du les naturelles facultez, qui luy sont propres, de discourir,
raisonner & se souuenirsouvenir:
Si in
LIVRE SECOND. 229237
si in corpus nascentibus insinuatur,
Cur superante actam aetatem meminisse nequimus,
Nec vestigia gestarum rerum vlla tenemus?
Car pour faire valoir la condition de nos ames, comme nous
voulons, il les faut presupposer toutes sçauantessçavantes & pleines de
suffisance, lors qu’elles sont en leur simplicité & pureté natu-
relle. Par ainsin elles eussent esté telles, estātestant exemptes de la
prison corporelle, aussi bien auantavant que d’y entrer, comme nous
esperons qu’elles seront apres qu’elles en seront sorties. Et de
ce sçauoirsçavoir, de cette prudence & sapience, il faudroit qu’elles se
ressouuinssentressouvinssent encore estant au corps,: comme disoit Platon,
que ce que nous aprenions, ce n’estoit qu’vnun ressouuenirressouvenir de
ce que nostre ame sçauoitsçavoit auparauantauparavant.:nous auionsavions sceu: Cechose que chacun par ex-
perience peut maintenir estre fauxce. En premier lieu d’autant
qu’il ne nous ressouuientressouvient iustementjustement que de ce qu’on nous
apprend: & que si la memoire iouoitjouoit son rolle simplefaisoit purement son office, au-
moins nous fourniroitsuggereroit elle quelque traict outre l’aprentissa-
ge. Secondement ce qu’elle sçauoitsçavoit estātestant en sa pureté, c’estoit
vneune vraye science, connoissant les choses comme elles sont
par sa diuinedivine intelligēceintelligence: là où icy on luy faict receuoirrecevoir la mē-
songemen-
songe, la fauceté, & le vice, si on l’en instruit! enquoy elle ne
peut employer sa reminiscence, cette image & conception
n’ayant iamaisjamais logé en elle. De dire que la prison corpo-
relle estouffe de maniere ses facultez naifuesnaifves, qu’elles y sont
toutes esteintes: cela est premierement contraire à cette au-
tre creance philosophique, de reconnoistre ses forces si gran-
des, & les operations que les hommes en sentent en cette vie
si admirables, que d’en auoiravoir conclud cette diuinitédivinité & aeter-
nité passée, & l’immortalité a-venir,:
Nam si tantopere est animi mutata potestas
Omnis vt actarum exciderit retinentia rerum,
Non vt opinor ea ab leto iam longior errat,.
OOo
ESSAIS DE M. DE MONTA.
DauantageDavantageEn outre, c’est icy chez nous, & non ailleurs, que doiuentdoivent
estre considerées les forces & les effects de l’ame: tout le reste
de ses perfectiōsperfections, luy est vain & inutile: c’est de l’estat present,
que doit estre payée & reconnue toute son immortalité, &
de la vie de l’homme, qu’elle est contable seulement:. cCe seroit
iniusticeinjustice de luy auoiravoir retranché ses moyens & ses puissances,
de l’auoiravoir desarmée, pour du temps de sa captiuitécaptivité & de sa pri-
son, de sa foiblesse & maladie, du temps ou elle auroit esté
forcée & contrainte, tirer le iugementjugement & ⁁ ⁁ une condemnation d’vu-
nede durée infinie & perpetuelle: & de s’arrester à la considera-
tion d’vnun temps si court, qui est à l’auantureavanture d’vneune ou de deux
heures, ou au pis aller, de cent ans’un siecle, qui n’onta non plus de pro-
portion à l’infinité qu’vnun instātinstant: pour de ce moment d’inter-
ualleinter-
valle, ordonner & establir definitiuementdefinitivement de tout son estre.
Ce seroit vneune disproportion inique, de tirer vneune recompense
eternelle en consequēceconsequence d’vneune si courte vie. ⁁
⁁ Platonr
De la quelle pour se sauuersauver
Platonde cet inconueniātinconveniant ueutveut que les paines
et recōpansesrecompanses soint depaïemens
futurs se limitent a la
duree de cent ans relatiuemētrelativement
selon a la duree de l’humaine
duree et des nostres asses
ont done limites temporels
leur ont done bornes temporeles.
Par ainsin ils iu-
geoyentju-
geoyent que sa generation suyuoitsuyvoit la commune condition
des choses humaines: comme aussi sa vie & sa durée par l’opi-
nion d’Epicurus & de Democritus, qui à esté la plus receuë
aux siecles anciens, suyuantsuyvant ces belles apparences. Qu’on la
voyoit naistre, à mesme que le corps en estoit capable,: on
voyoit esleuereslever ses forces comme les corporelles,: on y recon-
noissoit la foiblesse de son enfance, & auecavec le temps sa vigeur
& sa maturité: & puis sa declination & sa vieillesse, & en fin sa
decrepitude.,
gigni pariter cum corpore, & vna
Crescere sentimus, paritérque senescere mentem.
Ils l’aperceuoyētapercevoyent capable de diuersesdiverses passiōspassions, & agitée de plu-
sieurs mouuemensmouvemens penibles, d’où elle tomboit en lassitude &
en douleur, capable d’alteration & de changement, d’alegres-
se, d’assopissement, & de langueur, subiectesubjecte à ses maladies &
aux offences, comme l’estomac ou le pied.,
LIVRE SECOND. 230238
mentem sanari, corpus vt aegrum
Cernimus, & flecti medicina posse videmus,
esblouye & troublée par la force du vin: desmue de son assie-
te, par les vapeurs d’vneune fieurefievre chaude: endormie par l’applica-
tion d’aucuns medicamens, & reueilléereveillée par d’autres.:
corpoream naturam animi esse necesse est
Corporeis quoniam telis ictuque laborat.
On luy voyoit estonner & renuerserrenverser toutes ses facultez par la
seule morsure d’vnun chien malade, & n’y auoiravoir nulle si grande
fermeté de discours, nulle suffisance, nulle vertu, nulle resolu-
tion philosophique, nulle contentiōcontention de ses forces, qui la peut
exempter de la subiectiōsubjection de ces accidens: la saliuesalive d’vnun chetif
mastin versée sur la main de Socrates, secouër toute sa sagesse
& toutes ses grādesgrandes & si reglées imaginations, les aneantir de
maniere qu’il ne restat aucune trace de sa cōnoissāceconnoissance premiere.,
vis animaï
Conturbatur ⁁
separez ces
deus bouts de
uersvers & diuisa seorsum
Disiectatur eodem illo distracta veneno.
Et ce venin ne trouuertrouver non plus de resistāceresistance en cette ame, qu’ēen
celle d’vnun enfant de quatre ans: venin capable de faire deue-
nir toute la philosophie, si elle estoit incarnée, furieuse & in-
sensée.: Ssi que Caton, qui tordoit le col à la mort mesme & à
la fortune, ne peut souffrir la veuë d’vnun miroir, ou de l’eau, ac-
cablé d’espouuātementespouvantement & d’effroy, quand il seroit tōbétombé par la
contagion d’vnun chien enragé, en la maladie que les medecins
nomment Hydroforbie.:
vis morbi distracta per artus
Turbat agens animam, spumantes aequore salso
Ventorum vt validis feruescunt viribus vndae.
Or quant à ce point, la philosophie à bien armé l’hōmehomme pour
la souffrance de tous autres accidens, ou de patience, ou si elle
couste trop à trouuertrouver, d’vneune deffaite infallible, en se desrobātdesrobant
OOo ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tout à fait de la viedu sentiment: mais ce sont moyēsmoyens, qui seruentservent à vneune ame
estātestant à soy, & en ses forces, capable de discours & de delibera-
tion: non pas à cet accidentinconueniantinconveniant, ou chez vnun philosophe vneune ame
deuientdevient l’ame d’vnun fol, troublée, renuerséerenversée, & perdue. Ce que
plusieurs occasions produisent: comme vneune agitatiōagitation trop ve-
hemente, que par quelque forte passion l’ame peut engēdrerengendrer
en soy mesme: ou vneune blessure en certain endroit de la per-
sone: ou vneune exhalation de l’estomac, nous iectantjectant à vnun es-
blouissement & tournoyement de teste.,
morbis in corporis, auius errat
Saepe animus, dementit enim, deliraque fatur,
Interdúmque graui Lethargo fertur in altum
AEternumque soporem, oculis nutuque cadenti.
Les philosophes n’ont, ce me semble, guiere touché cette cor-
de. ⁁
⁁ Non plus qu’un’autre de
pareille importance. Ils ont
ce dilemme tousiourstousjours en
la bouche pour consoler
nostre mortelle condition:
Ou l’ame est mortelle ou
immortelle. Car tous tent
qu’ils sont n’en parlent que
doubteusemant Si mortele
nouselle seronsa sens peine: si
immortelle ell’ira en
amandant. Ils ne touchent
iamaisjamais lautrel’autre branche.
Quoi si elle uava en empirant
et laissent aus poëtes les
menaces des peines futures.
Mais par la ils se donent un
beau ieujeu. Ce sont deus omissions
qui s’offrent a moi souuantsouvant en
leurs discours. IeJe reuiensreviens
a la premiere.
Cette ame pert le goust du souuerainsouverain bien Stoïque, si con-
stant & si ferme. Il faut que nostre belle sagesse se rēderende en cet
endroit & quitte les armes. Au demeurant, ils consideroient
aussi par la vanité de l’humaine raison, que le meslange & so-
cieté de deux pieces si diuersesdiverses, comme est le mortel & l’im-
mortel, est inimaginable:
Quippe etenim mortale aeterno iungere, & vna
Consentire putare, & fungi mutua posse,
Desipere est. Quid enim diuersius esse putandum est,
Aut magis inter se disiunctum discrepitánsque,
Quam mortale quod est, immortali atque perenni
Iunctum in concilio saeuas tolerare procellas?
DauantageDavantage ils sentoyent l’ame s’engager en la mort, comme
le corps., Ssimul aeuo fessa fatiscit. ⁁ uersvers a part
⁁ ce que selon Zelno l’image
du sommeil nous montre
asses car il estime que
c’est une defaillance et
chute de l’ame aussi bien
que du corps Contrahi
animum et quasi labi
putat atque concidere.
Et ce qu’on aperceuoitapercevoit en aucuns, sa force & sa vigueur se
maintenir en la fin de la vie, ils le raportoyētraportoyent à la diuersitédiversité des
maladies, cōmecomme on void les hōmeshommes en cette extremité, main-
tenir, qui vnun sens, qui vnun autre, qui l’ouir, qui le fleurer, sans al-
LIVRE SECOND. 231239
teration: & ne se voit point d’affoiblissemētaffoiblissement si vniuerseluniversel, qu’il
n’y reste quelques parties entieres & vigoureuses.:
Non alio pacto quam si pes cum dolet aegri
In nullo caput interea sit forte dolore.
La veuë de nostre iugementjugement se rapporte à la verité, cōmecomme faict
l’oeil du chat-huant, à la splendeur du Soleil: ainsi que dit A-
ristote: pPar où le sçaurions nous mieux conuaincreconvaincre que par si
grossiers aueuglemensaveuglemens en vneune si apparente lumiere. Quant à
Car l’opinion contraire, de l’immortalité de l’ame, ⁁
⁁ rem gratissimam
promittentium magis
quam probantium:,
La quelle Cicero dict pourdict est
auoiravoir este premieremētpremierement dict
au moinsintroduicte au ce tesmouignage qu’on en a
de tesmouignage par les
liureslivresintroduicte au moins du tesmouignage
des liureslivres par Pherecides
Syrus du temps du Roy
Tullus DautresD’autres en attribuent
l’inuantioninvantion a Thales et autres
a d’autres.
c’est la partie de
l’humaine science traictée auecavec plus de reseruationreservation & de dou-
te. Les dogmatistes les plus fermes, sont contraints en cet en-
droict ⁁ ⁁ principalement de se reietterrejetter à l’abry des ombrages de l’Academie. Nul
ne sçait ce qu’Aristote ⁁ ⁁ non plus que les autres iugemensjugemens à estably de ce subiectsubject: ⁁
⁁ non plus que
tous les antiens
en general qui le
manient ce
subietsubjet d’une
opinion uacillantevacillante
creance: rem
gratissimam
promittentium
magis quam
probantiaum.
il s’est caché
soubs le nuage des paroles & sens difficiles, & nōnon intelligibles,
& à laissé a ses sectateurs, autant à disputer & à debattre sur
son iugementjugement que sur la chose mesmematiere. Deux choses leur ren-
doient cette opinion plausible: lL’vneune, que sans l’immortalité
des ames, il n’y auroit plus dequoy asseoir les vaines esperan-
ces de la gloire & de la reputation, qui est vneune consideration
de merueilleuxmerveilleux credit au monde: lL’autre, que c’est vneune tres-vti-
leuti-
le impression ⁁ ⁁ come dict Platon, que les vices, quand ils se des-roberōtroberont dea la veue
& connoissanceobscure et incerteine de l’humaine iusticejustice, demeurent tousiourstousjours en
butte à la diuinedivine, qui les poursuiurapoursuivra, voire apres la mort des
coupables ⁁
⁁ . VnUn soin extreme
tient l’home d’al=
longer son estre:
il y a pourueupourveu par
toutes ses pieces,.
malcontant de leur
naturelle duree:
PourEt pour la conseruationconservation
du cors sont nees
tant de sortes deles
sepultures: et tant
d’opinions sur ce
subiectsubject: pour la
conseruationconservation du
nom, cette fantasie
si receue de la reputationla gloire. Il a
emploie toute son opinion a se
rebastir: impatiant de sa fortune: et a s’estançoner par
ses inuantionsinvantions. L’ame par son troble et sa foiblesse ne pouuantpouvant
tenir sur son pied uava questant de toutes pars des consolations
esperances et fondemens en des circonstances estrangieres ou elle
s’atache et se plante. Et pour legiers et fantastiques que son
inuantioninvantion les luy forge s’y repose plus surement qu’en soy et plus
uolontiersvolontiers. Mais les plus ahurtez a cette si iustejuste et clere
persuasion de l’immortalité de nos esprits
Mais les plus ahurtez à cette persuasion, c’est mer-
ueillemer-
veille comme ils se sont trouueztrouvez courts & impuissans, à l’esta-
blir par leurs humaines forces. ⁁
⁁ Somnia sunt
non docentis sed
optantis: disoit
un antien.
L’homme peut reconnoistre
par ce tesmoignage, qu’il doit à la fortune & au recontre, la
verité qu’il descouuredescouvre luy seul, puis que lors mesme, qu’elle
luy est tombée en main, il n’a pas dequoy la saisir & la mainte-
nir, & que sa raison n’a pas la force de s’en preualoirprevaloir. Toutes
choses produites par nostre propre discours & suffisance, au-
tant vrayes que fauces, sont subiectessubjectes à agitationincertitude & debat.
OOo iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
C’est pour le chastiement de nostre fierté, & instruction de
nostre misere & incapacité, que Dieu produisit le trouble, &
la confusion de l’ancienne tour de Babel. Tout ce que nous
entreprenons sans son assistance, tout ce que nous voyōsvoyons sans
la lampe de sa grace, ce n’est que vanité & folie: lL’essence mes-
me de la verité, qui est vniformeuniforme & constante, quand la fortu-
ne nous en donne la possession, nous la corrompōscorrompons & abastar-
dissons par nostre foiblesse. Quelque train que l’homme prei-
gne de soy, Dieu permet qu’il arriuearrive tousiourstousjours à cette mesme
confusion, dequoy la quelle il nous represente si viuemētvivement l’image, par
le iustejuste chastiemētchastiement, dequoy il bastit l’outrecuidance de Nem- batit
brot, & aneantit les vaines entreprinses du bastiment de sa
Pyramide. ⁁
⁁ Perdam sapientiam
sapientium et prudentiam
prudentium reprobabo.
La diuersitédiversité d’ydiomes & de langues, dequoy il
troubla cet ouurageouvrage, qu’est-ce autre chose, que cette infinie &
perpetuelle altercation & discordance d’opinions & de rai-
sons, qui accōpaigneaccompaigne & embrouille le vain bastiment de l’hu-
maine science? ⁁
⁁ Et l’embrouille utillement.
Qui nous tienderoit si nous
auionsavions un grain de conoissance.
Ce sainct mam’a faict grand
plaisir. Ipsa utilitatis occul=
tatio aut humilitatis
exercitation est aut elationis
attritio. IusquesJusques a quel point
de presumption et d’insolence
ne portons nous nostre
aueuglementaveuglement et nostre bestise.
Mais pour reuenirrevenir àreprendre mon propos: c’C’estoit vray-
ment bien raison, que nous fussions tenus à Dieu seul, & au
benefice de sa grace, de la verité d’vneune si noble creance, puis
que de sa seule liberalité nous receuonsrecevons le fruit de l’immorta-
lité, lequel consiste en la iouyssancejouyssance de la beatitude eternelle. ⁁
⁁ Confessons ingenuement que Dieu nous l’a no sul nous l’a dict et la foi:
car leçon n’est ce pas de nature et nostre raison. Et qui retentera son
estre et ses forces et dedans dedet dehors sans ce priuilegeprivilege diuindivin: qui uerraverra
l’home sans le flater: il n’y uerraverra ny efficace ny faculte qui sente autre
chose que la mort et la terre. Plus nous donsdonons et deuonsdevons et rendons
a Dieu nous en faisons d’autant plus Chrestienement. Ce que ce philosophe
Stoicien dict tenir du fortuite consentemant de la uoixvoix populere ualoitvaloit il pas mieus qu’il le tint de Dieu.
Cum de animarum aeternitate disserimus non leue ⁁ ⁁ momentum apud nos habet consensus hominum aut
timentium inferos aut colentium. Vtor hac publica persuasione.
Or la foiblesse des argumens humains sur ce subiectsubject, elle se
connoit euidemmentevidemmentsingulierement par les fabuleuses circonstances, qu’ils
ont adioustéesadjoustées à la suite de cette opiniōopinion, pour trouuertrouver de quel-
le condition estoit cette nostre immortalité. ⁁
⁁ Laissons les Stoiciens
Vsuram nobis largiuntur
tanquam cornicibus diu
mansuros aïunt animos
semper negant qui donētdonent
aus ames a une uievie audela
de ceteci mais finie.
La plus vniuer-
selleuniver-
selle & plus receuë opinion, ⁁ ⁁ nomeement en cette oration & qui dure iusquesjusques à nous ⁁ ⁁ en diuersdivers lieus, çàç’à esté
celle, de laquelle on fait autheur Pythagoras, non qu’il en fust
le premier inuenteurinventeur, mais d’autant quelle receut beaucoup
de poix, & de credit par l’authorité de son approbation. C’est
que les ames au partir des corpsce monde nous, ne faisoiētfaisoient que rouler de l’vnun
corps à vnun autre, d’vnun lyon à vnun cheualcheval, d’vnun cheualcheval à vnun Roy,
se promenants ainsi sans cesse, de maison en maison. ⁁
⁁ come aucuns adioutentadjoutent
Rremontants au ciel par
fois par fois et apres certein
temps en deualantdevalant encores.
Et luy disoit se souuenirsouvenir auoiravoir
este AEthadiAEthalides, despuis
Euphorbus, en apres Hermotimus
en fin de Pyrrus estre passe
en Pythagoras: AdioutointAdjoutoint
aucuns qu’elles remontent
au ciel parfois et apres
aïant selon memoire de soi
de deus cens six ans
AdioutointAdjoutoint aucuns que les
ames remontent au ciel parfois et apres en deualentdevalent encores.
O pater anne aliquas ad caelum hinc ire putandum est
Caelestes animas Sublimes animas iterumque ad tarda reuerti
Corpora? quae lucis miseris tam dira cupido?
Opinion approuueeapprouvee par Origene quiles faict nos ames aller & uenirvenir ⁁ ⁁ eternelement du bon au mauuesmauves estat par certeins
interuallesintervalles de temps eternellemāteternellemant &L’opinion que Varro recite est qu’en 440 ans les mes de reuolutiōrevolution les mesmes ameselles se reiouignētrejouignent
reiouignentrejouignent aus mesmesa leur premier corps. Chrysippus que cela doit aueniravenir apres certeiness espaces de temps non limite: Platon qui
dict tenir cette creance de Pindare et de l’antiene poesie ⁁ ⁁ cette creance des ces infinies uicissitudesvicissitudes de mutation
ausquelles l’ame est subiectesubjectepreparee n’ayant ny les peines ny les recompanses en l’autre monde que temporelles ⁁ ⁁ come sa uievie en cetuicy n’est que tēporelletemporelle
conclut en elles une singuliere conoissancesciance de toutes choses par lesa conoissances tirees a plusieurs
uoiagesvoiages des affaires du ciel de l’enfer & du monded’icy ou ell’a passe & repasse et seiournésejourné a plusieurs uoiagesvoiages,
matiere a sa reminiscence. Voici son progres aillurs. Qui a bien uescuvescu il se reiouintrejouint a lastrel’astre auquel il est assigne: qui mal
il passe en fame et si lors mesme il ne se corrige point onil lse changerechange en beste co de condition conuenableconvenable a ses meurs uitieusesvitieuses
& ne verra fin à ses punitions, qu’il ne soit reuenurevenu à sa naïfuenaïfve constitution s’estant par la fa force de la ra raison desfaict des
qualitez grossieres, stupides, & elementaires, qui estoyent en luy.
Socrates,
LIVRE SECOND. 232240
Platon, & quasi tous ceux qui ont voulu croire l’immortalité
des ames, se sont laissez emporter à cette inuentioninvention ⁁ ⁁ de renaissance et transmigration de domicile, & plu-
sieurs nations, comme entre autres la nostre. Mais ieje ne veux
oublier l’obiectionobjection qu’y fontque font a cette trasmigrationtransmigration de corps a un’autre les Epicuriens,. car eElle est
plaisante: iIls demandent quel ordre il y auroit, si la pres-
se des mourans venoit à estre plus grande que des naissans,
cCar il aduiendroitadviendroit que les ames deslogées de leur giste seroient
à se presserfouler à qui prendroit place la premiere dans ce nouueaulnouveaul
corpsestuy,. &Et demandent aussi à quoy elles passeroient leur temps,
ce pendant qu’elles attendroient qu’vnun logis leur fut apresté:
oOù au rebours s’il naissoit plus d’animaux, qu’il n’ēen mourroit,
ils disent que les corps seroient en mauuaismauvais party, attendant
l’infusion de leur ame, & en aduiendroitadviendroit qu’aucuns corpsd’iceus se
mourroient auantavant que d’auoiravoir esté viuansvivans.:
Denique connubia ad veneris, partúsque ferarum,
Esse animas praesto deridiculum esse videtur.
Et spectare immortales mortalia membra
Innumero numero, certaréque praeproperanter
Inter se, quae prima potissimáque insinuetur. ⁁
⁁ Platon selon Pindare
dict il et l’antiene poesie
D’autres ont arresté l’ame aux corps des trespassez, pour en
animer les serpents, les vers, & autres bestes, qu’on dit s’engen-
drer de la corruption de nos membres, voire & de nos cēdrescendres:
dD’autres la diuisentdivisent en vneune partie mortelle, & l’autre immor-
telle: aAutres la font corporelle, & ce neantmoins immor-
telle,: aAucuns la font immortelle, sans science & sans cognois-
sance. Il y en à aussi, qui ont estimé, que des ames des cōdam-
nezcondam-
nez, il s’en faisoit des diables:⁁ ⁁ et aucuns des nostres l’ont ainsi pensé iugéjugé: comme Plutarque pense, qu’il se
face des dieux de celles qui sont sauuéessauvées: cCar il est peu de cho-
ses que cet autheur là establisse d’vneune façōfaçon de parler si resolue,
qu’il faict cette-cy, maintenant par tout ailleurs vneune maniere
dubitatrice & ambigue. Il faut estimer (dit-il) & croire ferme-
ment, que les ames des hommes vertueux selon nature & se-
lon iusticejustice diuinedivine, deuiennentdeviennent d’hommes saincts, & de saincts
ESSAIS DE M. DE MONT.
demy-dieux, & de demy-dieux, apres qu’ils sont parfaitemētparfaitement,
cōmecomme és sacrifices de purgatiōpurgation, nettoyez & purifiez, estans de-
liurezde-
livrez de toute passibilité & de toute mortalité, ils deuiennētdeviennent,
nōnon par aucune ordōnanceordonnance ciuilecivile, mais à la verité, & selōselon raison
vray-semblable, dieux entiers & parfaits, en receuantrecevant vneune fin
tres-heureuse & tres-glorieuse. Mais qui le voudra voir, cet au-
theur,luy qui est des plus retenus pourtant & moderez de la ban-
de, s’escarmoucher auecavec plus de hardiesse, & nous conter ses
miracles sur ce propos, ieje le rēuoyerenvoye à son discours de la Lune,
& du Daemon de Socrates, là où aussi euidemmentevidemment qu’en nul
autre lieu, il se peut aduereradverer, les mysteres de la philosophie a-
uoira-
voir beaucoup d’estrāgetezestrangetez communes auecavec celles de la poe-
sie: l’entendement humain se troublāttroublant & se mettant au rouet,perdant
poura vouloir sonder & contreroller toutes choses:, iusquesjusques au
bout: tout ainsi cōmecomme, lassez & trauailleztravaillez de la longue course
de nostre vie, nous retōbonsretombons en enfantillage. Voyla les belles
& certaines instructions, que nous tirons de la sciēcescience humai-
ne sur le subiectsubject de nostre ame. Il n’y à point moins de teme-
rité en ce qu’elle nous apprend des parties corporelles. Choi-
sissons en vnun, ou deux exemples,: car autrement nous nous
perdrions dans cette mer trouble & vaste des erreurs medeci-
nales. Sçachons, si on s’accorde au moins en cecy, de quelle
matiere les hommes se produisent les vnsuns des autres. ⁁
⁁ Car quand a leur premiere
production ce n’est pas
merueillemerveille si en chose si
haute ⁁ ⁁ & et antiene l’entendement humain
se trouble et dissipe. Archelaus
le physicien apres leduquel
immediatement uintvint en credit
la nouuellenouvelle forme de philosofer
introduite par Socrates fut
s’arretant plus a la partie
minerale qu’on n’auoavo de la
quelle iusquesjusques a luy on
n’auoitvoit faict nul conte
le disciple et le mignon selon
Aristoxenus le disciple et le
mignon suiuantsuivant le tesmouignage
d’Aristoxenus le mignon
disoit et les homes et les
animaus auoiravoir este faicts
de la chalur de la terre
animant d’un limon come du
laicteus exprime par la
chalur de la terre.
Pithago-
ras dict nostre semence estre l’escume de nostre meilleur sang:
Platon l’escoulement de la moelle de l’espine du dos, ce qu’il
argumente de ce, que cet endroit se sent le premier, de la lasse-
te de la besongne: Alcmeon, partie de la substācesubstance du cerueaucerveau,
& qu’il soit ainsi, dit-il, les yeux troublēttroublent à ceux qui se trauail-
lenttravail-
lent outre mesure à cette occupationexercice: Democritus, vneune sub-
stance extraite de toute la masse corporelle. Epicurus extrai-
cte de l’ame & du corps: Aristote, vnun excremētexcrement tiré de l’alimētaliment
du sang le dernier qui s’espand en nos membres: Autres du
sang,
LIVRE SECOND. 233241
sang cuit & digeré par la chaleur des genitoires: ce qu’ils iugētjugent
de ce qu’aus extremes efforts, on rēdrend des gouttes de pur sang.:
Eenquoy il semble qu’il y ayt plus d’apparence, si on peut tirer
quelque apparence d’vneune confusion si infinie. Or pour mener
à effect cette semence, combien en font-ils d’opinions cōtrai-
rescontrai-
res? Aristote & Democritus tiennent que les femmes n’ont
point de sperme, & que ce n’est qu’vneune sueur qu’elles eslancēteslancent
par la chaleur du plaisir & du mouuementmouvement, qui ne sert de rien
à la generation. Galen au contraire & ses suyuanssuyvans, que sans la
rencontre des semences, la generation ne se peut faire. Voyla
les medecins, les philosophes, les iurisconsultesjurisconsultes, & les theolo-
giens, aux prises pesle mesle auecquesavecques nos femmes, sur la dis-
pute, à quels termes les femmes portent leur fruict. Et moy ieje
secours par l’exemple de moy-mesme, ceux d’entre eux, qui
maintiennent la grossesse d’onze moys. Le monde est basty
de cette experience, il n’est si simple femmelette qui ne puisse
dire son aduisadvis sur toutes ces contestations, & si nous n’ēen sçau-
rions estre d’accord. En voyla assez pour verifier que l’hom-
me n’est non plus instruit de la connoissance de soy, en la par-
tie corporelle, qu’en la spirituelle. Nous l’auonsavons proposé luy
mesmes à soy, & sa raison à sa raison, pour voir ce qu’elle nous
en diroit. Il me semble assez auoiravoir montré combien peu elle
s’entēdentend en elle mesme. ⁁
⁁ Et qui ne s’entant en
soi en quoi se peut il
entandre? quasi uero
mensuram ullius rei
possit agere qui sui
nesciat. Vramant
Protagoras nous en
contoit de belles faisant
l’home la mesure de toutes
choses qui ne sceut iamaisjamais
sulemētsulement sa mesure la siene.
Si ce n’est non l’homeluy sa dignité
ne permettera pas qu’autre
creature aye cet aduantageadvantage
Or nous laissant auoiravoir la
contrariete de nos iugemāsjugemans
se subuertissāssubvertissans les uns les
autres luy estant en soi si
contrere & l’un iugementjugement en
subuertissantsubvertissant lautrel’autre sans cesse
il nou cette fauorablefavorable
proposition n’estoit qu’une risee qui
nous menoit a l’aneantissemētaneantissement du compas
et du compassur conclurrea conclurre par necessité
a l’aneantissemātaneantissemantla neantise du compas et du cōpassurcompassur
Quand Thales estime la conoissance de l’home
tres difficile a l’home il luy aprant la conoissāceconoissance
de toute autre chose luy estre impossible.
Vous, pour qui ij’ay pris la peine d’estē-
dreesten-
dre vnun si long corps contre ma coustume, ne refuyrez poinct
de maintenir vostre Sebond, par la forme ordinaire d’argu-
menter, dequoy vous estes tous les ioursjours instruite, & exerce-
rez en cela vostre esprit & vostre estude: car ce dernier tour
d’escrime, icy, il ne le faut employer que comme vnun extreme
remede. C’est vnun coup desesperé, auquel il faut abandonner
vos armes, pour faire perdre à vostre aduersaireadversaire les siennes.,
C’estet vnun tour secret, duquel il se faut seruirservir rarement & reser-
uéementreser-
véement: cC’est vneune grande temerité, que de vous vouloir
PPp
ESSAIS DE M. DE MONTA.
perdre vous mesmes pour perdre quant & quant autruyun autre. Il
ne faut pas vouloir mourir pour se venger, comme fit Go-
brias: car estant aux prises bien estroictes auecavec vnun seigneur
de Perse, Darius y suruenantsurvenant l’espée au poing, qui craingnoit
de frapper, de peur d’assener Gobrias, il luy cria qu’il don-
nast hardiment, quand il deuroitdevroit donner au trauerstravers tous
les deux. ⁁
L’édition de 1595 donne une leçon différente de ce passage :
"J’ay veu reprouver pour injustes, des armes & conditions de combat singulier desesperées, & ausquelles
celuy qui les offroit, mettoit luy & son compaignon en termes d’une fin à tous deux inevitables.
Les Portugais prindrent en la mer des Indes certains Turcs prisonniers: lesquels impatiens de leur captivité, se resolurent,
& leur succeda, frottant des clous de navire l’un à l’autre, & faisans tomber une estincelle de feu dans les caques de poudre
(qu’il y avoit en l’endroit où ils estoyent gardez) d’embraser & mettre en cendre eux, leurs maistres & le vaisseau."
⁁ Et des armes et conditions
de combat si desesperees
qu’il est hors desperāncesperancecreance
que lunl’un ny lautrel’autre se
puisse sauuersauver ieje les ai
veu refusercondamner aïant este
offertes Les Portuguais
aïant prins deprindrētprindrent 14 Turcs
en la mer sur uersvers ldes Indes
les quels impatians de leur
captiuitecaptivite se resolurētresolurent
& leur succeda a mettre et eus & leurs
maistre & le uesseauvesseau en
cendre frotant des
clous de nauirenavire l’un
contre lautrel’autre tant
qu’une estincelle de feu
tōbattombat sur les barrils
de poudre a canon qu’ils
y auoitavoit
Nous secouons icy les limites & dernieres clotures
des sciences, ausquelles l’extremité est vitieuse, comme en la
vertu. Tenez vous dāsdans la route commune, il ne faict mie bon
estre si subtil & si fin. SouuienneSouvienne vous de ce que dit le prouer-
beprover-
be Thoscan.,
Chi troppo s’assottiglia si scauezzascavezza. - prose
IeJe vous conseille en vos opinions & en vos discours, autant
qu’en vos moeurs, & en toute autre chose, la moderation &
l’attrempance, & la fuite de la nouuelleténouvelleté & de l’estrangeté.
Toutes les voyes extrauagantesextravagantes me fachētfachent. Vous qui par l’au-
thorité que vostre grandeur vous apporte, & encores plus par
les auantagesavantages que vous donnētdonnent les qualitez plus vostres, pou-
uezpou-
vez d’vnun clin d’oeil cōmandercommander à qui il vous plaist, deuiezdeviez don-
ner cette charge à quelqu’vnun, qui fist profession des lettres,
qui vous eust bien autrement appuyé & enrichy cette fanta-
sie,. & qui se fut seruyservy à faire son amas, d’autres que de nostre
Plutarque. Toutesfois en voicy assez, pour ce que vous en a-
ueza-
vez à faire. Epicurus disoit des loix, que les pires nous estoient
si necessaires, que sans elles les hommes s’entremangeroient
les vnsuns les autres. ⁁
⁁ Et Platon a deus doits
pres ques sans loix nous
viuerionsviverions come bestes brutes
essaie a le uerifierverifier.
Nostre esprit est vnun vtilutil desregléuagabondvagabond, dangereux
& temeraire: il est malaisé d’y ioindrejoindre l’ordre & la mesure: &Et
de mon temps tous les espritsceus, qui ont quelque rare excellen-
ce au dessus des autres, & quelq̄quelque viuacitévivacité extraordinaire, nous
les voyons quasi tous, desreglez, & desbordez en licence d’o-
pinions, & de meurs: cC’est miracle s’il s’en rencontre vnun rassis &
sociable. On à raison de donner à l’esprit humain les barrieres
LIVRE SECOND. 234242
les plus contraintes qu’on peut. En l’estude, comme au reste, il
luy faut compter & regler ses passes marches: il luy faut tailler par indu-
strie & par art les limites de sa chasse. On le bride & garrote de
religions, de loix, de coustumes, de science, de preceptes, de
peines, & recompēsesrecompenses mortelles & immortelles: encores voit-
on que par sa volubilité & sa desbauchedissolution, il eschappe à toutes
ces liaisons. C’est vnun corps vain, qui n’a pas où estre saisi & as-
sené: vnun corps monstrueux, diuersdivers & difforme, auquel on ne
peut assoir neud ny prise. Certes il est peu d’ames si reiglées, si
fortes & bien nées, à qui on se puisse fier de leur propre con-
duicte: & qui puissent auecavec moderation & sans temerité vo-
guer en la liberté de leurs iugementsjugements, au delà des opinions cō-
munescon-
munes. Il est plus expedient de les mettre en tutelle. C’est vnun
dangereux glaiueglaive, àoutrageus glaiueglaive que lespritl’esprit, a son possessur mesmes, pour qui ne sçait s’en armer ordonnéement &
discrettement. ⁁
⁁ Et n’y a point de beste
a qui plus iustementjustement il
faille doner des orbieres
pour tenir sa ueueveue
subietesubjete et contreinte
dauantd’avant ses pas et la
garder d’extrauaguerextravaguer
ny ça ny la hors les
ornieres que lexamplel’example
l’usage et les loix luy
taillent tracent.
Parquoy il vous siera mieux de vous resserrer
dans le train accoustumé, quel qu’il soit, que de ietterjetter vostre
iugementjugementuolvol à cette liberté desregléelicence effrenee. Mais si quelqu’vnun de ces
nouueauxnouveaux docteurs, entreprend de faire l’ingenieux en vostre
presence, aux despēsdespens de son salut & du vostre: pour vous def-
faire de cette dangereuse peste, qui se respand tous les ioursjours en
vos cours, ce preseruatifpreservatif à l’extreme necessité, empeschera que
la contagion de ce venin n’offencera, ny vous, ny vostre assi-
stance. La liberté donq & viuacitévivacitégaillardise de ces esprits anciens, pro-
duisoit en la philosophie & sciēcessciences humaines, plusieurs sectes
& pars d’opinions differentes, chacun entreprenant de iugerjuger &
de choisir pour prendre party. Mais à present, ⁁
⁁ que les homes
uontvont tous un trein
qui certis quibusdam
destinatisque senten=
tijs addicti et
consecrati sunt ut
etiam quae non
probant cogantur
defendere: Et
que nous rece-
uonsrece-
vons les arts par ⁁ ⁁ pre ciuilecivile authorité & ordonnance,⁁
⁁ , et que par usage
et par la prescription
des loix les escoles
n’ont qu’une route a
tenir, ut omnia quae
praescripta et imputata
sunt defendamus
necessitate cogimur
si que les escoles n’ont
qu’un patron et pareille
magistrat institution
et discipline circumscripte
circumscrite
& que nostre insti-
tution est prescripte & bridéebornee, on ne regarde plus ce que les
monnoyes poisent & valent, mais chacūchacun à son tour, les reçoit
selon le pris, que l’approbation commune & le cours leur dō-
nedon-
ne: oOn ne plaide pas de l’alloy, mais de l’vsageusage: ainsi se mettent
égallement toutes choses. On reçoit la medecine, comme la
PPp ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Geometrie, & les batelages. les enchantemens, les liaisons, le
commerce des esprits ⁁ ⁁ des trespassez, les prognostications, les do-
mifications, & iusquesjusques à cette ridicule poursuitte de la pierre
philosophale, tout se met sans contredict. Il ne faut que sça-
uoirsça-
voir, que le lieu de Mars loge au milieu du triangle de la main,
celuy de Venus au pouce, & de Mercure au petit doigt: &
que quand la mensale coupe le tubercle de l’enseigneur, c’est
signe de cruauté: quand elle faut soubs le mitoyen, & que la
moyenne naturelle fait vnun angle auecavec la vitale soubs mesme
endroit, que c’est signe d’vneune mort miserable: qQue si à vneune fem
me, la naturelle est ouuerteouverte, & ne ferme point l’angle auecavec la
vitale, cela denote qu’elle sera mal chaste. IeJe vous appelle vous
mesme à tesmoin, si auecavec cette science vnun hōmehomme ne peut pas-
ser auecavec reputation & faueurfaveur parmy toutes cōpaigniescompaignies. Theo-
phrastus disoit, que l’humaine cognoissācecognoissance, acheminée par les
sens, pouuoitpouvoit iugerjuger des causes des choses iusquesjusques à certaine me
sure, mais qu’estant arriuéearrivée aux causes extremes & premieres,
il falloit qu’elle s’arrestat, & qu’elle rebouchat: à cause ou de sa
foiblesse, ou de la difficulté des choses. C’est vneune opiniōopinion moy-
enne & douce, que nostre suffisance nous peut conduire ius-
quesjus-
ques à la cognoissance d’aucunes choses, & qu’elle à certaines
mesures de puissance, outre lesquelles c’est temerité de l’em-
ployer. Cette opinion est plausible, & introduicte par gens
de composition: mais il est malaisé de donner bornes à nostre
esprit: il est curieux & auideavide, & n’a point occasion de s’arrester
plus tost à mille pas qu’a cinquante. Ayant essayé par experiē-
ceexperien-
ce, que ce, à quoy l’vnun s’estoit failly, l’autre y est arriuéarrivé: & que
ce qui estoit incogneu à vnun siecle, le siecle suyuantsuyvant là esclaircy:
& que les sciences & les arts ne se iettentjettent pas en moule, ains se
forment & figurent peu à peu, en les maniant & pollissant à
plusieurs fois, comme les ours façonnent leurs petits en les le
LIVRE SECOND. 235243
chant à loisir: ce que ma force ne peut descouurirdescouvrir, ieje ne laisse
pas de le sonder & essayer: & en retastant & pétrissant cette
nouuellenouvelle matiere, la remuant & l’eschaufant, ij’ouureouvre à celuy
qui me suit, quelque facilité pour en iouirjouir plus à son ayse, &
la luy rends plus soupple, & plus maniable.,
vt hymettia sole
Cera remollescit, tractatáque pollice, multas
Vertitur in facies, ipsoque fit vtilis vsu.
Autant en fera le second au tiers: qui faictest cause que la difficulté ne
me doit pas desesperer, ny aussi peu mon impuissance, car ce
n’est que la mienne. L’homme est capable de toutes choses
comme d’aucunes: & s’il aduoüeadvoüe, comme dit Theophrastus,
l’ignorance des causes premieres & des principes, qu’il me
quitte hardiment tout le reste de sa science: si le fondement
luy faut, son discours est par terre: le disputer & l’enquerir n’a
autre but & arrest que les principes: si cette fin n’arreste son
cours, il se iettejette à vneune irresolution infinie. ⁁
⁁ Non potest aliud
alio magis minusue
comprehendi quoniam
omnium rerum una est
definitio comprehendi.
Or il est vray-sem-
blable que si l’ame sçauoitsçavoit quelque chose, elle se sçauroit pre-
mierement elle mesme, & si elle sçauoitsçavoit quelque chose hors
d’elle, ce seroit son corps & son estuy, auantavant toute autre cho-
se. Si on void iusquesjusques auiourdaujourd’huy les dieux de la medecine
se debatre de nostre anatomie,
Mulciber in Troiam, pro Troia stabat Apollo:
quand attendons nous qu’ils en soyent d’accord, s’ils ne le
sont meshuy apres tant de siecles? Nous nous sommes plus
voisins, que ne nous est la blancheur de la nege, ou la pesan-
teur de la pierre. Si l’homme ne se connoit, comment cōnoitconnoit
il ses operationsfunctions & ses forces? Il n’est pas a l’auantureavanture que quel-
que notice veritable ne loge chez nous, mais c’est par hazard.
Et d’autant que par mesme voye, mesme façon & conduite,
les erreurs se reçoiuentreçoivent en nostre ame, elle n’a pas dequoy les
distinguer, ny dequoy choisir la verité deu la mensonge. Les
PPp iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Academiciens receuoyentrecevoyent quelque inclination de iugementjugement,
& trouuoyenttrouvoyent trop crud, de dire qu’il n’estoit pas plus vray-
semblable que la nege fust blanche, que noire, & que nous ne
fussions non plus asseurez du mouuementmouvement d’vneune pierre, qui
part de nostre main, que de celuy de la huictiesme sphere. Et
pour éuiteréviter cette difficulté & estrangeté, qui ne peut à la ve-
rité loger en nostre imagination, que malaiséement, quoy
qu’ils establissent q̄que nous n’estiōsestions aucunemētaucunement capables de sça-
uoirsça-
voir, & q̄que la verité est engoufrée dāsdans des profonds abysmes,
ou la veuë humaine ne peut penetrer: si aduouointadvouoint ils les vnesunes
choses plus vray-semblables, q̄que les autres, & receuoyētrecevoyent en leur
iugementjugement cette faculté, de se pouuoirpouvoir incliner plustost à vneune
apparence, qu’a vnun’autre: ils luy permettoyent cette propen-
sion, luy defandant toute resolution. L’aduisadvis des PyrrhoniēsPyrrhoniens
est plus hardy, & quant & quant beaucoup plus veritable, &
plus fermeuraisemblablevraisemblable: cCar cette inclination Academique, & cette pro-
pension à vneune proposition plustost qu’a vneune autre, qu’est-ce
autre chose que la recognoissance de quelque plus apparente
verité en cette cy qu’en celle la? Si nostre entendement est ca-
pable de la forme, des lineamens, du port, & du visage, de la
verité, il la verroit entiere, aussi bien que demie, naissante, &
imperfecte. Cette apparence de verisimilitude, qui les faict
pendre plustost à gauche qu’a droite, multipliez la, augmen-
tez la,: cette once de verisimilitude, qui incline la balance, aug-
mentezmultipliez la de cent, de mille onces, il en aduiendraadviendra en fin que la
balance prēdraprendra party tout à faict, & arrestera vnun chois & vneune
verité entiere. Mais commētcomment se laissent ils plier à la vray-sem-
blance, s’ils ne cognoissent point le vray? Comment cognois-
sent ils la semblance de ce, dequoy ils ne connoissent pas le
corps & l’essence? Ou nous pouuōspouvons iugerjuger tout à faict, ou tout
à faict nous ne le pouuonspouvons pas. Si noz facultez intellectuelles
& sensibles sont sans fondement & sans pied, si elles ne font
LIVRE SECOND. 236244
que floter & vanter, pour neant laissons nous emporter
nostre iugementjugement à aucune partie de leur operation, quel-
que apparence qu’elle semble nous presenter, & la plus seure
assiete de nostre entēdemententendement & la plus heureuse, ce seroit cel-
le là, où il se maintiēdroitmaintiendroit rassis, droit, inflexible, sans brāslebransle &
sans agitatiōagitation. ⁁
⁁ Inter uisa uera aut
falsa ad animi assensum
nihil interest.
Que les choses ne logent pas chez nous en leur
forme & en leur essence, & n’y facent leur entrée de leur for-
ce propre & authorité, nous le voyons assez. Par ce que s’il e-
stoit ainsi, nous les receurions de mesme façon: le goust du
vin seroit tel en la bouche du malade qu’ēen la bouche du sain.
Celuy qui à des creuassescrevasses aux doits, ou qui les à gourdes, trou-
ueroittrou-
veroit vneune pareille durté au bois ou au fer, qu’il manie, que
fait vnun autre. Les subietssubjets estrangers se rendent donc à nostre
mercy, ils logētlogent chez nous, comme il nous plaist. Or si de no-
stre part nous receuionsrecevions quelque chose sans alteration, si les
prises humaines estoient assez capables & fermes, pour saisir
la verité par noz propres moyens, ces moyens estans com-
muns à tous les autres hommes, cette verité se reiecteroitrejecteroit de
main en main de l’vnun à l’autre,. car la verité n’est iamaisjamais qu’vneune.
Et au moins se trouueroittrouveroit il vneune chose au monde, de tāttant qu’il
y en à, qui se croiroit par les hommes d’vnun consentemētconsentement vni-
uerseluni-
versel. Mais ce, qu’il ne se void aucune propositiōproposition, qui ne soit
debatue & controuersecontroverse entre nous, ou qui ne le puisse estre,
montre bien que nostre iugementjugement naturel ne saisit pas bien
clairement ce qu’il saisit: car mon iugementjugement ne le peut fai-
re receuoirrecevoir au iugementjugement de mon compaignon: qui est signe
que ieje l’ay saisi par quelque autre moyen que par vneune naturel-
le puissance, qui soit en moy & en tous les hommes. Laissons
à part cette infinie confusion d’opinions, qui se void entre les
philosophes mesme, & ce debat perpetuel & vniuerseluniversel en la
connoissance des choses. Car cela est presuposé tres-veritable-
ment, que de aucune chose les hōmeshommes, ieje dy les sçauanssçavans, les
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mieux nais, les plus suffisans, ne sont d’accord: non pas que le
ciel soit sur nostre teste: car ceux qui.doutent de tout, doutētdoutent
aussi de cela: & ceux qui nient q̄que nous puissions aucune chose
cōprendrecomprendre, disent que nous n’auonsavons pas cōpriscompris que le ciel soit
sur nostre teste: & ces deux opiniōsopinions sont en nombre, sans cō-
paraisoncon-
paraison les plus fortes. Outre cette diuersitédiversité & diuisiondivision in-
finie, par le trouble que nostre iugementjugement nous donne à nous
mesmes, & l’incertitude, que chacun sent en soy, il est aysé à
voir qu’il à son assiete bien mal assurée. Combien diuersemētdiversement
iugeonsjugeons nous des choses? combien de fois changeons nous
nos fantasies? Ce que ieje tiens auiourdaujourd’huy & ce que ieje croy, ieje
le tiens & le croy de toute ma croyance, tous mes vtilsutils & tous
mes ressorts saisissentempouignent cette opinion, & m’en respondent, sur
tout ce qu’ils peuuentpeuvent, ieje ne sçaurois ambrasser aucune ve-
rité ny conseruerconserver auecavec plus de force, que ieje fay cette cy.
IJ’y suis tout entier, ij’y suis voyrement: mais ne m’est il pas ad-
uenuad-
venu non vneune fois, mais cētcent, mais mille, & tous les ioursjours, d’a-
uoira-
voir ambrassé quelq̄autrequelqueautre chose à tout ces mesmes instrumēsinstrumens,
en cette mesme cōditiōcondition, que depuis ij’aye iugéejugée fauce? Au moins
faut il deuenirdevenir sage à ses propres despans. Si ieje me suis trouuétrouvé
souuētsouvent trahy sous cette mesme couleur, si ma touche se trou-
uetrou-
ve ordinairemētordinairement fauce, & ma balance inegale & iniusteinjuste, qu’el-
le asseurance en puis-ieje prendre à cette fois, plus qu’aux au-
tres? N’est ce pas sottise de me laisser tant de fois piper à vnun
mesme guide? Toutesfois, que la fortune nous remue cinq
cens fois de place, qu’elle ne face que vuyder & remplir sans
cesse, comme dans vnun vaisseau, dans nostre croyance, autres &
autres opinions, tousiourstousjours la presente & la derniere c’est la
certaine, & l’infallible. Pour cette cy il faut abandonner les
biens, honneur, la vie, & le salut, & tout,
posterior res illa reperta,
Perdit, & immutat sensus ad pristina quaeque.
Quoy
LIVRE SECOND. 237245
Quoy qu’on nous presche, quoy que nous aprenons, il fautdroit
tousiourstousjours se souuenirsouvenir que c’est l’homme qui donne, & l’hom-
me qui reçoit, c’est vneune mortelle main qui nous le presente,
c’est vneune mortelle main qui l’accepte. Les choses qui nous viē-
nentvien-
nent du ciel, ont seules droict & auctorité de persuasiōpersuasion, seules
marque de verité.: Aussi celle là,la quelle aussi ne la voyons nous pas de nos
yeux, ny ne la receuonsrecevons par nos moyens.: Ccette sainte & gran-
de image ne pourroit pas en vnun si chetif domicile, si Dieu
pour cet vsageusage ne le prepare, si Dieu ne le reforme & fortifie
par sa grace & faueurfaveur particuliere & supernaturelle. Aumoins
deuroitdevroit nostre condition fautiere nous faire porter plus mo-
derément & retenuement en noz changemēschangemens. Il nous deuroitdevroit
souuenirsouvenir, quoy que nous receussions en l’entendement, que
nous ⁁ ⁁ y receuonsrecevons souuentsouvent des choses fauces, & que c’est par ces
mesmes vtilsutils qui se démentent & qui se trompent souuentsouvent.
Or n’est il pas merueillemerveille, s’ils se démentent, estant si aysez à
incliner & à tordre par bien legeres occurrences. Il est certain
que nostre apprehension, nostre iugementjugement & les facultez de
nostre ame en general, souffrent selon les mouuemensmouvemens & al-
terations du corps: lesquelles alterations sont continuelles.
N’auonsavons nous pas l’esprit plus esueilléesveillé, la memoire plus prōp-
tepromp-
te, le discours plus vif en santé qu’en maladie? La ioyejoye &
la gayeté ne nous font elles pas receuoirrecevoir les subietssubjets qui se pre-
sentent à nostre ame, d’vnun tout autre visage, que le chagrin &
la melācholiemelancholie? Pensez vous que les vers de Catulle ou de Sa-
pho, riētrient à vnun vieillart auaritieuxavaritieux & rechigné, cōmecomme à vnun ieu-
nejeu-
ne homme vigoreux & ardent? Cleomenes fils d’Anaxandri-
das estant malade, ses amys luy reprochoient qu’il auoitavoit des
humeurs & fantasies nouuellesnouvelles, & non accoustumées: ieje croy
bien, fit-il, aussi ne suis-ieje pas celuy que ieje suis estant sain: estātestant
autre, aussi sont autres mes opinions & fantasies. En la chica-
ne de nos palais ce mot est en vsageusage, qui se dit des criminels
QQq
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui rencontrent les iugesjuges en quelque bonne trampe, douce &
debonnaire, gaudeat de bona fortuna, qu’il iouissejouisse de ce bōbon heur:
car il est certain que les iugemensjugemens se rencontrent par fois plus
tendus à la condamnation, plus espineux & aspres, tantost
plus faciles, aysez, & enclins à l’excuse. Tel qui raporte de sa
maison la douleur de la goute, la ialousiejalousie, ou le larrecin de seson
valets, ayant toute l’ame teinte & abreuuéeabreuvée de colere, il ne
faut pas douter que son iugemētjugement ne s’en altere vers cette part
la. Ce venerable senat d’Areopage iugeoitjugeoit de nuict, de peur
q̄que la veue des poursuiuāspoursuivans corrompit sa iusticejustice. L’air mesme &
la serenité du ciel, nous apporte quelque mutatiōmutation, comme dit
ce vers Grec en Cicero,
Tales sunt hominum mentes, quali pater ipse
Iuppiter, auctifera lustrauit lampade terras.
Ce ne sont pas seulement les fieuresfievres, les breuuagesbreuvages, & les grādsgrands
accidens, qui renuersentrenversent nostre iugementjugement: les moindres cho-
ses du monde le tourneuirenttournevirent. Et ne faut pas douter, enco-
res que nous ne le sentions pas, que si la fieurefievre continue peut
renuerserrenverseratterrer nostre ame, que la tierce n’y apporte quelque alte-
ration, selon sa mesure & proportion. Si l’apoplexie assoupit
& esteint tout à fait la veuë de nostre intelligence, il ne faut
pas doubter que le morfondement ne l’esblouisse. Et par cō-
sequentcon-
sequent, à peine se peut il rencontrer vneune seule heure en la vie,
ou nostre iugementjugement se trouuetrouve en sa deuë assiete, nostre corps
estant subiectsubject à tant de continuelles alterationsmutations, & estofé de
tant de sortes de ressorts, que (ij’en croy les medecins) cōbiencombien
il est malaisé, qu’il n’y en ayt tousiourstousjours quelqu’vnun qui ⁁ ⁁ tire de trauerstravers cloche.
Au demeurant, cette maladie ne se descouuredescouvre pas si aisément,
si elle n’est du tout extreme & irremediable: d’autant que la
raison va tousiourstousjours: & torte, & boiteuse, & deshanchée.: Elle
va & de tort & de trauerstravers, & auecavec le mensonge comme auecavec
la verité. Par ainsin il est malaisé de descouurirdescouvrir son mescōtemesconte,
LIVRE SECOND. 238246
& desreglement. IJ’appelle tousiourstousjours raison, cette apparence
de discours que chacun forge en soy: cette raison, de la con-
dition de laquelle, il y en peut auoiravoir cent contraires autour
d’vnun mesme subiectsubject: c’est vnun instrument de plomb, & de cire,
alongeable, ployable, & accommodable à tout biais & à tou-
tes mesures: il ne reste que la suffisance de le sçauoirsçavoir con-
tourner. Quelque bon dessein qu’ait vnun iugejuge, s’il ne s’escoute
de prez, à quoy peu de gens s’amusent, l’inclination à l’ami-
tié, à la parenté, à la beauté, & à la vengeance, & non pas seu-
lement choses si poisantes, mais cet instint fortuite, qui nous
faict fauoriserfavoriser vneune chose plus qu’vneune autre, & qui nous don-
ne sans le congé de la raison, le chois en deux pareils subiectssubjects,
ou quelque vmbrageumbrage de pareille vanité, peuuentpeuvent insinuer in-
sensiblement en son iugementjugement, la recommandation ou deffa-
ueurdeffa-
veur d’vneune cause, & donner pente à la balance. Moy qui m’es-
pie de plus prez, qui ay les yeux incessammētincessamment tēdustendus sur moy,
comme celuy qui n’ay pas fort a-faire ailleurs,
quis sub arcto
Rex gelidae metuatur orae
Quid Tyridatem terreat, vnice
Securus,
Aa peine oseroy-ieje dire la vanité & la foiblesse que ieje trouuetrouve
chez moy. IJ’ay le pied si instable & si mal assis, ieje le trouuetrouve si
aysé à croler, & si prest au mouuementmouvement & au branle, & ma
veuë si desreglée, que à iunjun ieje me trouuetrouvesens autre, qu’apres le re-
pas: si ma santé me rid, & la clarté d’vnun beau iourjour, me voyla
hōnestehonneste homme: si ij’ay vnun cor qui me presse l’orteil, me voy-
la renfroigné, mal plaisant & inaccessible. VnUn mesme pas de
cheualcheval me semble tantost rude, tātosttantost aysé, & mesme chemin
à cette heure plus court, vneune autrefois plus long: & vuneune mes-
me forme tantostores plus tantostores moins agreable.: TātostTantostmeintenant ieje suis
à tout faire, tantostmeintenant à rien faire: ce qui m’est plaisir à cette
QQq ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
heure, me sera tantostquelquefois peine. Il se faict mille agitations ⁁ ⁁ indiscretes & casusellescasueles chez
moy,. sans le congé du iugementjugement: oOu l’humeur melancholi-
que me tiēttient, ou la cholerique, & de son authorité priuéeprivée, a cet’
heure le chagrin predomine en moy, a cet’ heure l’alegresse.
Quand ieje prēsprens des liureslivres, ij’auray apperceu en tel passage des
graces excellentes, & qui auront feru mon ame, qu’vnun autre
fois ij’y retombe, ij’ay beau le tourner & virer en cent visages,
ij’ay beau le plier & le manier, c’est vneune masse inconnue & in-
forme pour moy. En mes escris mesmes, ieje ne retrouueretrouve pas
tousiourstousjours l’air de ma premiere imagination: ieje ne sçay ce que
ij’ay voulu dire: & m’eschaude souuentsouvent à corriger, & y mettre
vnun nouueaunouveau sens, pour auoiravoir perdu le premier qui valloit
mieux. IeJe ne fay qu’aller & venir: mon iugementjugement ne vatire pas
tousiourstousjours en mieuxauantavant, il va flotante & roulante, il uaguevague,
velut minuta magno
Deprensa nauis in mari vesaniente vento.
Maintes-fois (comme il m’aduientadvient de faire volontiers) ayant
pris pour exercice & pour esbat, à maintenir vneune contraire o-
piniōo-
pinion à la mienne, mon esprit s’applicant & tournāttournant de ce co-
sté la, m’y attache si bien, que ieje ne trouuetrouve plus la raison, de
mon premier iugementjugementaduisadvis, & m’en despars. IeJe m’entraine quasi
ou ieje penche, comment que ce soit: & m’emporte de mōmon pro-
pre pois. Chacun à peu pres en diroit autant de soy, s’il se re-
gardoit biēbiencome moy. Les prescheurs sçauētsçavent, q̄que l’emotion qui leur vient
en parlātparlant, les anime vers la creācecreance: & qu’en cholere nous nous
adōnonsadonnons plus à la deffence de nostre proposition, l’imprimōsimprimons
en nous, & l’embrassons auecavec plus de vehemēcevehemence & d’approba-
tiōapproba-
tion, que nous ne faisons estant en nostre sens froid & reposé. Vous
recitez simplement vneune cause à l’aduocatadvocat, il vous y respond
chancellant & doubteux: vous sentez qu’il luy est indifferent
de prendre à soustenir l’vnun ou l’autre party: l’auezavez vous biēbien
payé pour y mordre, & pour s’en formaliser, commence
LIVRE SECOND. 239247
il d’en estre interessé, y a-il eschauffé sa volonté: sa raison & sa
science s’y eschauffent quant & quant: voila vneune apparente &
indubitable verité, qui se presente à son entendement: il y
descouuredescouvre vneune toute nouuellenouvelle lumiere, & le croit a bon es-
ciētes-
cient, & se le persuade ainsi. Voire ieje ne sçay si l’ardeur qui naist
du despit, & de l’obstination, à l’encontre de l’impression &
violence du magistrat, & du danger, n’a maintesfoisou l’interest de la reputation, n’ont enuoyéenvoyé
tel homme soustenir iusquesjusques au feu, l’opinion pour laquelle
entre ses amys, & en liberté, il n’eust pas voulu s’eschauder le
bout du doigt. Les secousses & esbranlemens que nostre ame
reçoit par les passions corporelles peuuentpeuvent beaucoup en elle:,
mais encore plus les siennes propres: ausquelles elle est si fort
en buteprinse, qu’il est à l’aduantureadvanture soustenable, qu’elle n’a aucune
autre alleure & mouuementmouvement, que du souffle de ses vents, &
que sans leur agitation elle resteroit sans action, comme vnun
nauirenavire en pleine mer, que les vents abandonnent de leur se-
cours. Et qui maintiendroit cela, ⁁
⁁ suiuantsuivant le parti des
Peripateticiens
ne nous feroit pas beaucoup
de tort, puis qu’il est auouéavoué par la philosophieconu, que la pluspart
des plus regléesbelles actions de l’ame, & plus nobles, procedent &
ont besoin de cette impulsion des passions. La vaillance, di-
sent-ils, ne se peut parfaire sans l’assistance de la cholere,: ⁁
uersversCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ Semper Aiax fortis fortissi=
mus tamens in furore.
ny ne court on sus aus
meschans et aus enemis
asses uigoreusementvigoreusement si on
n’est courroucé: et ueutveutueulentveulent
on que l’aduocatadvocat inspire
le courrous aus iugesjuges pour
en tirer iusticejustice. Les cupi=
ditez esmeurētesmeurent Themistocles
esmeurent Demosthenes et
ont pousse les filosophes
aus trauaustravaus ueilleesveillees et
peregrinations. pour
chercher quelque chose
a aprandre s’instruireLa cupidité
nous meinētmeinent a l’honur a la doc
doctrine a la sante fins utiles.
Et cette lachete d’ame
a receuoirrecevoirsouffrir l’ennuy et
la facherie sert a
nourrir en la cōscianceconsciance
la paenitance et la repan=
tance: et a sentir les
fleaus de dieu pour
nostre chatiement, et les
fleaus de la correction
politique.
la cō-
passioncom-
passion, sert d’aiguillon à la clemence,: & la prudence de nous
cōseruerconserver ⁁ ⁁ estt gouuernergouverner, est esueilléeesveillée par nostre crainte & lácheté,: & combiēcombien
de belles actions par l’ambition? combien par la presomptiōpresomption?
aAucune eminente & gaillarde vertu en fin, n’est sans quelque
agitation desreglée. Seroit ce pas l’vneune des raisons qui auroit
meu les Epicuriens, à descharger Dieu de tout soin & sollici-
tude de nos affaires: ⁁
⁁ neque ira neque
gratia teneri
quod quae talia
essent imbecilla
essent omnia:
d’autant que les effects mesmes de sa bon-
té ne se pouuoientpouvoient exercer enuersenvers nous, sans esbranler son re-
pos & sa tranquillité, par le moyen des passions, qui sont com
me des piqueures & sollicitations, qui achemineant l’ame aux
operationsactions vertueuses? ⁁
⁁ et qui la desbauchent de sa tranquillité Ou bien ont ils creecreu autremant
et les ont ils pas prinses come tempestes qui desbauchent
honteusement lamel’ame de sa tranquillite. Vt maris tranquillitas intelligitur
nulla ne minima quidem aura fluctus commouente, sic animi quietus et placatus
status cernitur quum perturbatio nulla est qua moueri queat.
Au moins cecy ne sçauonssçavons nous que
QQq iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
trop, ⁁ ⁁ par experiance, que les passions produisent infinies & perpetuelles mu-
tations en nostre ame, & la tyrannisent merueilleusementmerveilleusement. Le
iugementjugement d’vnun hōmehomme courroucé, ou de celuy qui est en crain-
te, est-ce le iugementjugement qu’il aura tantost, quand il sera rassis? qu’il sera?
Quelles differences de sens & de raison, quelle contrarieté d’i-
maginations nous presente la diuersitédiversité de nos passions? Quel-
le asseurance pouuonspouvons nous donq prendre de chose si insta-
ble & si mobile, subiectesubjecte par sa conditiōcondition à la maistrise du des-
reglement & de la cecité?trouble, n’alant iamaisjamais qu’un pas force & emprunte? Si nostre iugementjugement est en main à la
faucetémaladie mesmes, & à l’erreurla perturbation, si c’est de la folie & de la men-
songetemeritè, qu’il est tenu de receuoirrecevoir l’impression des choses, qu’el-
le seurté pouuonspouvons nous attendre de luy? ⁁
⁁ N’y a il point de l’’impudancede la hardiesse
a la philosophie d’estimer
des homes qu’ils produisent
leurs plus grans effaicts &
plus aprochans de la diuinitedivinite
quand ils sont hors d’eus &
furieus et fols et insensez
Est ce leur faire honeur
de ce qu’ils uaillentvaillent mieus
estre desmis de leur gouuer=
nemantgouver=
nemant et rauisravis et emportes
par une uiolanceviolance temerere et
fortuite. Lors sont ils capables
de uaticinationvaticination Et lors aussi
que par un le sommeil ils ont
leurs forces assopiesabatues et esteintes.
Les songes selon Platon ualētvalent
mieus que nos discours Nous
nous amandons par lesa touffe=
mentpriuationprivation de nostre raison et son
assopissement. Contrahi
enim animum Zeno et quasi
labi putat atque concidere
et ipsum esse dormire. Les deus
formesvoyes naturelles de diuinerdiviner
sont par rauissementravissement et par songe
preuoirprevoir les choses futures
et d’pour entrer au cabinets des
dieus pouret y preuoirprevoir le cours
des destinees sont lea rauisravis=
furur et le sommeil. Ceci
est plaisant a considerer.
Par la tempeste et disloca=
tion que les passions apor=
tent a nostre raison nous
deuenonsdevenons uertueusvertueus. Par
son extirpation nous deuenonsdevenons
diuinsdivins que la fureur ou
l’image de la mort aporte
nous deuenonsdevenons ⁁ ⁁ profetes et diuinsdivins.
IamaisJamais plus uolontiersvolontiers ieje
ne l’en creus. C’est un pur
enthousiasme que la
saincte ueriteverite a inspire
en lespritl’esprit philosophique
qui luy a arrache contre
sa proposition: que lestatl’estat
tranquille de nostre ame
l’estat rassis lestatl’estat plus sain
Le meillur estat que la
philosophie luy puisse
acquerir n’est unpas son meillur estat
miserable et chetif que nNostre ueilleeveillee est plus someillante endormie
que le sommeildormir & nostre sagesse plus follemoins sage que la pure folie. Nos songes ualentvalent mieus que nos discours.
Some en destred’estre ches nous c’est la place la plus inutilepire place que nous puissions
prendre c’est d’estre en nous Mais pense elle pas que nous aïons
l’aduisementadvisement de remarquer que la uoixvoix qui faict la nature
de lespritl’esprit quand il est despris de l’home si cleruoiatclervoiatclervoiant si grand
si parfaict & pandant qu’il est partie deen l’home si terrestre ignorant
et tenebreus c’est une uoixvoix partant de l’esprit qui est partie de l’home terrestre
ignorant et tenebreus Et partant dea cette cause uoixvoix infiable et incroiable.
IeJe n’ay point grande
experience de ces agitations vehementes, estant d’vneune com-
plexion molle & poisante, desquelles la pluspart surprennent
subitement nostre ame, sans luy donner loisir de se cōnoistreconnoistre.
Mais cette passion, qu’on dict estre produite par l’oisiuetéoisiveté, au
coeur des ieunesjeunes hommes, quoy qu’elle s’achemine auecavec loisir
& d’vnun progrés mesuré, elle represente bien euidemmentevidemment, à
ceux qui ont quelque fois essayé de s’opposer à son effort, la
force de cette conuersionconversion & alteration, que nostre iugementjugement
souffre. IJ’ay autrefois entrepris de me tenir bandé pour la sou-
stenir & rabatre: car il s’en faut tant que ieje sois de ceux, qui
conuientconvient les vices, que ieje ne les suis pas seulemētseulement, s’ils ne m’en-
trainent: ieje la sentois naistre, croistre, & s’augmenter en despit
de ma resistance: & en fin tout voyant & viuantvivant, me saisir &
posseder, de façon que comme d’vneune yuresseyvresse, l’image des cho-
ses me commençoit à paroistre autre que de coustume: ieje
voyois euidemmentevidemment grossir & croistre les auantagesavantages du subietsubjet
que ij’allois desirant, & agrandir & enfler par le vent de mon
imagination: les difficultez de mōmon entreprinse, s’aiser & se pla-
nir, mon discours & ma conscience se tirer arriere: mais ce feu
estant euaporéevaporé, tout à vnun instant, comme de la clarté d’vnun
LIVRE SECOND. 240248
esclair, mon ame reprēdrereprendre vneune autre sorte de veuë, autre estat,
& autre iugementjugement: les difficultez de la retraite, me sembler
grandes & inuinciblesinvincibles, & les mesmes choses de bien autre
goust & visage, que la chaleur du desir ne me les auoitavoit presen-
tées. Lequel plus veritablement, Pyrrho n’en sçait rien. Nous
ne sommes iamaisjamais sans maladie. Les fiéuresfiévres ont leur chaud &
leur froid: des effects d’vneune passion ardente, nous retombons
aux effects d’vneune passion frilleuse. Autant que ieje m’estois rou-
léiettéjetté en auantavant, ieje me rebouterelance d’autant en arriere.:
Qualis vbi alterno procurrens gurgite pontus,
Nunc ruit ad terras, scopulisque superiacit vndam,
Spumeus, extremámque sinu perfundit arenam:
Nunc rapidus retro atque aestu reuoluta resorbens
Saxa fugit, littúsque vado labente relinquit.
Or de la cognoissance de cette mienne volubilité & imperfe-
ction, ij’ay par accident engendré en moy quelque constance
& fermeté d’opinions: & n’ay guiere alteré les miennes pre-
mieres & naturelles: cCar quelque apparence qu’il y ayt en la
nouuelleténouvelleté, ieje ne change pas aisément, de peur que ij’ay de per-
dre au change: &Et puis que ieje ne suis pas capable de choisir, ieje
pren le chois d’autruy, & me tien en l’assiette ou Dieu m’a mis.
Autrement ieje ne me sçauroy pas garder de rouler sans cesse.
Ainsi me suis-ieje, par la grace de Dieu, conseruéconservé pur & entier,
sans agitation & trouble de conscience, aux anciennes crean-
ces de nostre religion, au trauerstravers de tant de sectes & de diui-
sionsdivi-
sions, que nostre siecle à produittes. Les escrits des anciens, ieje
dis les bons escrits, pleins & solides, me tentent, & me remuētremuent
quasi où ils veulent: celuy que ij’oy, me semble tousiourstousjours le
plus roide: ieje les trouuetrouve auoiravoir raison chacun à son tour, quoy
qu’ils se contrarient. Cette aisance que les bons esprits ont, de
rendre ce qu’ils veulent vray-semblable, & qu’il n’est rien si
estrange, à quoy ils n’entreprennent de donner assez de cou-
ESSAIS DE M. DE MONT.
leur, pour tromper vneune simplicité pareille à la mienne, cela
montre euidemmentevidemment la foiblesse de leur preuuepreuve. Le ciel & les
estoilles ont branlé trois mille ans, tout le monde l’auoitavoit ainsi
creu, iusquesjusques à ce qu’il y à enuironenviron 18. cens ans, que quelqu’vnunCleanthes le Samien ou
selon Theophraste Nicetas Siracusien
s’auisaavisa de maintenir que c’estoit la terre qui se mouuoitmouvoit. ⁁
⁁ par le cercle oblique du Zodiaque
tournant a l’entour de son aixieu.
Et de
nostre tēpstemps Copernicus à si biēbien fondé cette doctrine, qu’il s’ēen
sert tres-regléemētregléement à toutes les consequences AstrologiēnesnomiquesAstrologiennesnomiques.
Que prendrons nous de là, sinon qu’il n’y à guiere d’asseuran-
ce, ny en l’vnun, ny en l’autrene nous doit chaloir
le quel ce soit des deus: &Et qui sçait qu’vneune tierce opinion
d’icy à mille ans, ne renuerserenverse les deux precedentes.:
Sic voluenda aetas commutat tempora rerum,
Quod fuit in pretio, fit nullo denique honore,
Porro aliud succedit, & è contemptibus exit,
Inque dies magis appetitur, florétque repertum
Laudibus, & miro est mortales inter honore.
Ainsi quand il se presente à nous quelque doctrine nouuellenouvelle,
nous auonsavons grande occasion de nous en deffier, & de conside-
rer qu’auantavant qu’elle fut produite, sa contraire estoit en credituoguevogue
& authorité, & comme elle à esté renuerséerenversée par cette-cy, il
pourra ⁁ ⁁ naistre à l’adueniradvenir naistre vneune tierce inuentioninvention, qui choquera
de mesme la seconde. AuantAvant que les principes qu’Aristote à
introduicts de matiere, forme, & priuationprivation, fussent en credit,
d’autres principes contentoient la raison humaine, comme
ceux-cy nous contentent à cette heure. Quelles lettres ont
ceux-cy, quel priuilegeprivilege particulier, que le cours de nostre in-
uentionin-
vention s’arreste à eux, & qu’à eux appartient pour tout le
temps adueniradvenir la possession de nostre creance? ils ne sont non
plus exempts du boute-hors, qu’estoient leurs deuanciersdevanciers.
Quand on me presse d’vnun nouuelnouvel argument, c’est à moy à esti-
mer, que ce, à quoy ieje ne puis satis-faire, vnun autre y satisfera:
car de croire toutes les apparences, desquelles nous ne pou-
uonspou-
vons nous deffaire, c’est vneune grande simplesse: il en aduiēdroitadviendroit
par
LIVRE SECOND. 241249
par là q̄que tout le vulgaire & les hōmeshommes du cōmuncommun, auroiētauroient leurnous somes tous du uulguerevulguere, auroit sa
creācecreance cōtournablecontournable, cōmecomme vneune girouette: car leur ame estant
molle & sans resistāceresistance, seroit forcée de receuoirrecevoir sans cesse, au-
tres & autres impressions, la derniere effaçant tousiourstousjours la tra-
ce de la precedente. Celuy qui se trouuetrouve foible, il doit respon-
dre suyuantsuyvant la pratique, qu’il en parlera a son conseil, ou s’en
raporter aux plus sages, desquels il à receu son apprentissage.
Combien y a-il que la medecine est au monde? On dit qu’vnun
nouueaunouveau venu, qu’on nomme Paracelse, change & renuerserenverse
tout l’ordre des regles anciennes, & maintient que iusquesjusques à
cette heure, elle n’a seruyservy qu’à faire mourir les hōmeshommes. IeJe croy
qu’il verifiera aiséement cela: mais de mettre ma vie à la mer-
cypreuuepreuve de sa nouuellenouvelle experiēceexperience, ieje trouuetrouve que ce ne seroit pas grādgrand
sagesse. Il ne faut pas croire à chacun, dict le precepte, par ce
que chacun peut dire toutes choses. VnUn homme de cette pro-
fession de nouuelleteznouvelletez, & de reformations ⁁ ⁁ physiques, me disoit il n’y a
pas long temps, que tous les anciens s’estoient euidemmentevidemment
mescontez en la nature & mouuemensmouvemens des vents, ce qu’il me
feroit tres-euidemmentevidemment toucher à la main, si ieje voulois l’enten-
dre son discours. Apres que ij’eus eu vnun peu de patience à ouyr
ses arguments, qui auoientavoient tout plein de verisimilitude: com-
ment donc, luy fis-ieje, ceux qui nauigeoientnavigeoient soubs les loix de
Theophraste, alloient ils en occident, quand ils tiroient en le-
uantle-
vant? alloient-ils à costé, ou à reculōsreculons? C’est la fortune, me res-
pondit-il: tant y a, qu’ils se mescontoiētmescontoient. IeJe luy repliquay lors,
que ij’aymois mieux suyuresuyvre les effets, que la raison. Or ce sont
choses, qui se choquent souuentsouvent: & m’a l’on dit qu’en la Geo-
metrie (qui pense auoiravoir gaigné le haut point de certitude par-
my les sciences) il se trouuetrouve des demonstrations ineuitablesinevitables,
subuertissanssubvertissans la verité de l’experience: comme IaquesJaques Peletier
me disoit chez moy, qu’il auoitavoit trouuétrouvé deux lignes s’achemi-
nans l’vneune vers l’autre pour se ioindrejoindre, qu’il verifioit toutefois
RRr
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ne pouuoirpouvoir iamaisjamais iusquesjusques à l’infinité, arriuerarriver à se toucher: &
les PyrrhoniēsPyrrhoniens ne se seruētservent de leurs argumēsargumens & de leur raison,
que pour combatre & ruiner l’apparence de l’experience: &
est merueillemerveille iusquesjusques ou la soupplesse de nostre raison, les à
suiuissuivis à ce dessein de cōbatrecombatre l’euidenceevidence des effects: car ils veri-
fient que nous ne nous mouuōsmouvons pas, que nous ne parlons pas,
qu’il n’y à point de poisant ou de chaut, auecquesavecques vneune pareille
force & subtilité d’argumentatiōsargumentations, que nous verifiōsverifions les cho-
ses les plus vray-semblables. Ptolemeus, qui à esté vnun grand
personnage, auoitavoit estably les bornes de nostre monde: tous
les philosophes anciens ont pēsépensé en tenir la mesure, sauf quel-
ques Isles escartées, qui pouuoiētpouvoient eschapper à leur cognoissan-
ce: c’eust esté Pyrrhoniser, il y à mille ans, que de mettre en
doute la science de la Cosmographie, & les opinions qui en
estoient receuës d’vnun chacun: c’estoit heresie d’auoueravouer des
Antipodes: voila de nostre siecle vneune grandeur infinie de ter-
re ferme, nōnon pas vneune isle, ou vneune contrée particuliere, mais vneune
partie esgale à peu pres en grandeur, à celle que nous cognois-
sions, qui vient d’estre descouuertedescouverte. Les Geographes de ce
temps ne faillent pas d’asseurer que meshuy tout est trouuétrouvé
& que tout est veu,
Nam quod adest praesto, placet, & pollere videtur.
SçauoirSçavoir mon si Ptolomée s’y est trompé autrefois sur les fon-
demens de sa raison, si ce ne seroit pas sottise de me fier main-
tenant à ce que ceux-cy en disent.⁁
⁁: et s’il n’est pas
plus uraisamblablevraisamblable
que ce grand cors
que nous apelons
le monde est chose
bien autre que ce
que nous enne iugeōsjugeons.
Platon tient qu’il
change de uisagevisage a
tout sens: que le ciel
les estoiles & le soleil
renuersentrenversent par fois le
mouuemātmouvemant que nous
y f uoionsvoions changeātchangeant
l’oriant en occidant
Aristote qu’ou est la mer ce ont este des champs
fertiles et qu’elle sera un iourjour ou nous somes
Quelcun des nostres dict que le monde est mortel et renaissant a plusieurs uicissitudesvicissitudesQue la mer sera terre un iourjour et l’a este autresfois.
Que nos opinions ne font qu’aler et uenirvenir
les influances et causes celestes retūbātretumbant en leur
apres
leur reuolutionrevolution en pa au pouint ou elles sōtsont a presant
Les AEg prestres AEgiptiens dirent a Herodote que despuis leur premier Roy de quoi il y auoitavoit onse mille tant d’ans et de tous leurs Roys ils
luy firent uoirvoir les effigies en statues tirees apres le uifvif le Soleil auoitavoit change quatre fois de route Que la mer et la terre se changent alternatiuementalternativement
lunl’un en lautrel’autre Que la uievienaissance du monde est infinie.indeterminee. Aristote Cicero
de mesmes Et quelcūquelcun d’entre nous qu’il est ⁁ ⁁ de toute eternite mortel et renaissant a diuersesdiverses uivi infiniesplusieurs uicissitudesvicissitudes
apelant a tesmoin l’EcclesiasteSalomon et Esaïe ⁁
⁁ pour euitereviter ces oppositions, que Dieu a esté quelquefois creatur sans creature: qu’il a este oisif:
qu’il s’est desdict de son oisiuetéoisiveté, mettant la main à cet ouurageouvrage: & qu’il est par consequātconsequant subietsubjet a mutation. ⁁
La suite de cette addition se trouve au bas de la marge de la page suivante.⁁ En la plus fameuse des Grecques escoles le monde est tenu un dieu faict par un’autre dieu plus grand: et est
et compose d’un cors et d’un’ame qui loge en son centre s’espandātespandant a ses circonferances son influancepar nombres de musique a sa circonferance
diuinedivine treshureuses tresgrādetresgrande tressage aeternelle. En luy sont d’autres dieus la terre la mer les astres
qui s’entretienent d’une harmonieuse & perpetuele agitation ⁁ ⁁ et danse diuinedivine tantost se rencontrans tantost s’eslouignans se
cachans se montrans changeans de ranc ores dauantdavant et ores derriere. Heraclytus establissoit
le monde estre compose par feu & par lordrel’ordre des destinees se deuoitrdevoitr enflammer & et resoudre en fu
quelque iourjour & quelque iourjour encore renaistre.
Et des homes dict Apuleie Sigillatim mortales, cunctim perpetui.
Alexandre escriuitescrivit a sa mere la narration dund’un prestre AEgiptien tiree de leurs monumeants tesmouignāttesmouignant lantienetel’antienete
de cette nation infinie et comprenātcomprenant la naissācenaissance et progrez ad des autres païs au uraivrai. Cicero et Diodorus
disent de leur temps que les Chaldees tenoint de registre de quatre cens mille tant d’ans. Aristote Pla Pline estet
d’autres que Zoroastre uiuoitvivoit six mille ans auātavant leagel’eage de Platon. Platon dict que ceus de la uilleville de Sais
ont des memoires par escrit de huit mill’ans et que la uilleville d’Athenes fut bastie mille ans auātavant la dicte uilleville de Sais
Aristote dict qQue toutes les
opinions humaines, ont esté par le passé, & seront à l’adueniradvenir,
infinies autresfois: Platon, qu’elles ont à renouuellerrenouveller & reve-
nir en estre, apres trente six mille ans. Epicurus qu’en mesme
temps qu’elles sont icyque les choses sont icy come nous les uoionsvoions, elles sont toutes pareilles, & en mesme
façon, en plusieurs autres mondes. Ce qu’il eust dit plus assu-
réement, s’il eust veu les similitudes, & conuenācesconvenances de ce nou-
ueaunou-
veau mōdemonde des Indesdes Indes occidentales, auecavec le nostre, presant & passé, en si estrāestran-
LIVRE SECOND. 242250
ges exemples:. ⁁
⁁ EtEn ueritéverité cōsiderantconsiderant ce
qui est uenuvenu a nostre
sciance du cours de
cete police terrestre
en ueriteverite ieje me suis souuētsouvent
esmerueilléesmerveillé de uoirvoir es
peuples en une sitres grande
distance et de lieus &
de temps cesle rencontres
d’un grand nombre
d’opinions populeres en
ce monstrueuses et ete=
roclites des meurs et crean=
ces sauuagessauvages et qui par
aucun biaiz ne tienentsemblent tenir a
nostre naturel discours
C’est un grand ouurierouvrier de
miracles que lespritl’esprit
humain mais
cette relation ha
ieje ne sçai quoi encore de
plus miraculeus heteroclite
elle se treuuetreuve aussi en
noms et en plusieurs
accidans et en mille autres
choses.
cCar on y trouuatrouva des nations, n’ayans cōmecomme l’on
estime, iamaisjamaisque nous sachons ouy nouuellesnouvelles de nous, où la circoncisiōcirconcision estoit
en credit: où il y auoitavoit des estats & grandes polices mainte-
nuës par des femmes, sans hommes: où nos ieusnesjeusnes & nostre
caresme estoit representé, y adioustantadjoustant l’abstinence des fem-
mes: où nos croix estoient en diuersesdiverses façons en credit, icy on
en honoroit les sepultures, on les appliquoit là, & mesmesnomeemant
celle de S. André, à se deffendre des visions nocturnes, & à les
mettre sur les couches des enfans contre les enchantements:
ailleurs ils en rencontrerētrencontrerent vneune de bois de grādegrande hauteur ado-
rée pour Dieu de la pluye, & celle là bien fort auātavant dāsdans la terre
ferme: on y trouuatrouva vneune bien expresse image de nos peniten-
tiers: l’vsageusage des mitres, le coelibat des prestres, l’art de diuinerdiviner
par les entrailles des animaux sacrifiez: ⁁
⁁ l’abstinance de
toute sorte de chair
et poisson a leur
uiurevivre:
la façon aux prestres
d’vseruser en officiant de langue particuliere & non vulgaire: &
cette fantasie, que le premier dieu fut chassé par vnun second son
frere puisné,: qu’ils furētfurent creés auecavec toutes cōmoditezcommoditez, lesquel-
les on leur a depuis retranchées pour leur pecheéz, changé leur
territoire, & empiré leur condition naturelle: qu’autresfois
ils ont esté submergez par l’innondatiōinnondation des eaux celestes, qu’il
ne s’en sauuasauva que peu de familles, qui se ietterētjetterent dans les hauts
creux des montaignes, lesquels creux ils boucherent, si que
l’eau n’y entra poinct, ayant enfermé la dedans, plusieurs sor-
tes d’animaux,: que quand ils sentirent la pluye cesser, ils mirētmirent
hors des chiens, lesquels estans reuenusrevenus nets & mouillez, ils
iugerentjugerent l’eau n’estre encore guiere abaissee,: depuis en ayant
fait sortir d’autres, & les voyans reuenirrevenir bourbeux, ils sortirētsortirent
repeupler le monde, qu’ils trouuerenttrouverent plain seulement de ser-
pens. On rencontra en quelque endroit la persuasion du iourjour
du iugementjugement, si qu’ils s’offençoient merueilleusementmerveilleusement contre
les Espaignols qui espendoiētespendoient les os des trespassez, en fouillātfouillant
les richesses des sepultures, disant q̄que ces os escartez ne se pour-
RRr ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
roiētroient rassembler audit ce iourjourfacilemētfacilement reioindrerejoindre: la trafique par eschange & nōnon au-
tre:, foires & marchez pour cet effect: des neins & personnes
monstrueusesdifformes, pour l’ornement des tables des princes: l’vsageusage
de la fauconnerie selon la nature de leurs oiseaux,: subsides ty-
rāniquesty-
ranniques,: delicatesses de iardinagesjardinages,: dācesdances, sauts bateleresques,:
musique d’instrumēsinstrumens,: armoiries,: ieuxjeux de paume, ieuxjeux de dez &
de sort, auquel ils s’eschauffent souuētsouvent, iusquesjusques à s’y iouerjouer eux
mesmes, & leur liberté: medecine nōnon autre que de charmes: la
forme d’escrire par figures: creācecreance d’vnun seul premier hōmehomme, pere
de tous les peuples: adoration d’vnun dieu qui vesquit autrefois
homme en parfaire virginité, ieusnejeusne, & poenitēcepoenitence, preschātpreschant la
loy de nature, & des cerimonies de la religion, & qui disparut
du monde sans mort naturelle: l’opinion des geants: l’vsageusage
de s’enyurerenyvrer de leurs breuuagesbreuvages, & de boire d’autant: ornemēsornemens
religieux peints d’ossements & testes de morts, surplys, eau-
beniste, aspergez,: fēmesfemmes & seruiteursserviteurs, qui se presentent à l’enuyenvy
à se brusler & enterrer, auecavec le mary ou maistre trespassé: loy
que les aisnez succedent à tout le bien, & n’est reseruéreservé aucune
part au puisné, que d’obeissance: coustume à la promotion
de certain office de grādegrande authorité, que celuy qui est promeu
prend vnun nouueaunouveau nōnon & quitte le sien: de verser de la chaux,
sur le genou de l’enfant freschement nay, en luy disant, tu es
venu de poudre & retourneras en poudre: l’art des augures.
Ces vains ombrages de nostre religion, qui se voyent en cesaucuns
de ceces exemples, icy, en tesmoignent la noblessedignité & la diuinitédivinité,: car
nNōnNon seulemētseulement elle s’est aucunement insinuée en toutes les natiōsnations
infideles de deça, par quelque imitatiōimitation, mais à ces barbares aus-
si, cōmecomme par vneune cōmunecommune & supernaturelle inspiratiōinspiration:. cCar on
y trouuatrouva aussi la creācecreance du purgatoire, mais à d’vneune forme nou-
uellenou-
velle,: ce q̄que nous donnōsdonnons au feu, ils le donnētdonnent au froid, & imagi-
nētimagi-
nent les ames, & purgées, & punies, par la rigueur d’vneune extreme
froidure. Et m’aduertitadvertit cet exēpleexemple d’vneune autre plaisāteplaisante diuersitédiversité,
LIVRE SECOND. 243251
car comme il s’y trouuatrouva des peuples qui aymoyent à deffu-
bler le bout de leur membre, & ⁁ ⁁ en retranchoiētretranchoient la peau à la Ma-
humetane & à la IuifueJuifve, il s’y en trouuatrouva d’autres, qui faisoient
si grande conscience de le deffubler qu’a tout des petits cor-
dons, ils portoient leur peau bien soigneusement estiree &
attachee au dessus, de peur que ce bout ne vit l’air. Et de cette
diuersitédiversité aussi, que comme nous honorons les Roys & les fe-
stes, en nous parant des plus honnestes vestements que nous
ayons,: en aucunes regions, pour montrer toute disparité &
submission à leur Roy, les subiectssubjects se presentoyent à luy en
leurs plus viles habillements, & entrant au palais prenoyent
quelque vieille robe deschiree sur la leur bonne, à ce que tout
le lustre, & l’ornement futsoit au maistre. Mais suyuonssuyvons. Si natu-
re enserre dans les termes de son progrez ordinaire, comme
toutes autres choses, aussi les creances, les iugemensjugemens, & opi-
nionset opinions des hommes, si ellessi elles s’ils ont leur reuolutionrevolution, leur saison,
leur naissance, leur mort, comme les chous: si le ciel les agite,
& les roule à sa poste, quelle magistrale authorité & perma-
nante, leur allons nous attribuātattribuant? Si par experience nous tou-
chons à la main, que la forme de nostre estre despend de l’air,
du climat, & du terroir, ou nous naissons: non seulement le
tainct, la taille, la complexion, & les contenances: mais encore
les facultez de l’ame ⁁
⁁ : et plaga caeli
non solum ad robur
corporum sed etiam
animorum facit:
dict Vegece. Et que la
deesse fondatrice de sla
uilleville d’Athenes choisit
a la ba situer une tempe=
rature de païs qui fit les
homes prudans come les
prestres d’AEgipte aprindrent
a Solon, Et Cyrus aprint
aus Perses que les terres
grasses et molles font les
homes mols et les fertiles
les esprits infertilles Athenis
tenue caelum ex quo etiam
acutiores putantur Attici
crassum Thebis, itaque
pingues Thebani et ualentes
: en maniere que commeainsi que les fruicts nais-
sent diuersdivers, & les animaux,: les hommes naissent aussi plus &
moins belliqueux, iustesjustes, tēperanstemperans & dociles: icy subiectssubjects au
vin, ailleurs au larecin ou à la paillardise,: icy enclins à super-
stition, ailleurs à la mescreance: ⁁ ⁁ icy a la liberté, icy a la seruitudeservitude: capables d’vneune science ou
d’vnun art, grossiers ou ingenieux, obeïssans ou rebelles, bons
ou mauuaismauvais, selon que porte l’inclination du lieu où ils sont
assis, & prennent nouuellenouvelle complexion, si on les change de
place, comme les arbres,: qui fut la raison, pour laquelle Cy-
rus ne voulut accorder aux Perses de changerabandoner leur païs aspre
RRr iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& bossu, pour se trāsportertransporter en vnun autre doux & plain. ⁁
⁁ disant que les terres
grasses et molles font les
homes mols les rudes e et
les fertiles les esprits infertiles
les païs aspres &
Si nous
voyons tantost fleurir vnun art, vneune opinion, tantost vneune autre,
par quelque influance celeste: tel siecle produire telles natu-
res, & incliner l’humain genre à tel ou tel ply: les espris des hō-
meshom-
mes tantost fertilesgaillars, tantost infertilesmaigres, comme nos chams: que
deuiēnentdeviennent toutes ces belles prerogatifuesprerogatifves dequoy nous nous
allons flatant. Puis qu’vnun hōmehomme sage se peut mesconter, & cētcent
hommes, & plusieurs nations: voire & l’humaine nature selon comme
nous, se mesconte plusieurs siecles, en cecy ou en cela: qu’elle
seureté auonsavons nous que par fois elle cesse de se mesconter.⁁
⁁ et qu’en ce siecle elle
ne soit en mesconte.
Il
me semble entre autres tesmoignages de nostre imbecillité,
q̄que celui-cy ne merite pas d’estre oublié, que par desir mesmes,
l’hōmehomme ne sçache trouuertrouver ce qu’il luy faut: que non par iouys-
sancejouys-
sance, mais par imagination & par souhait, nous ne puissions
estre d’accord de ce dequoy nous auonsavons besoing pour nous
cōtentercontenter. Laissons à nostre pensée tailler & coudre à sa posteson plaisir,
elle ne pourra pas seulemētseulement desirer ce qui luy est propre., et se satisfaire:
quid enim ratione timemus
Aut cupimus? quid tam dextro pede concipis, vt te
Conatus non poeniteat votique peracti.
C’est pourquoy ⁁
⁁ Socrates ne requeroit
les dieus sinon de
luy doner ce qu’ils
sçauointsçavoint luy estre bon:
diuindivinsalutere Et la priere des
Lacedemoniens publique
et priueeprivee ne portoit sinon
autre chose que de leur
ottroiersimplement les choses bones
et belles leur estre
ottroiees. Remetant
a la bontediscretion diuinedivine le
triage et chois d’icelles.
le Chrestien plus humble, & plus sage, &
mieux recognoissant que c’est q̄que de luy, se raporte à son crea-
teur de choisir & ordonner ce qu’il luy faut.:
Coniugium petimus partumque vxoris, at illi
Notum qui pueri, qualisque futura sit vxor.
Il ne leEt le Chrestien supplie d’autre chose, sinonDieu sulemant, que sa volonté soit faite:
autrement il luy aduiendroitadviendroit à l’auantureavanture cepour ne tumber en l’inconueniantinconveniant que les poëtes
feignent du Roy Midas. Il requist les dieux, que tout ce qu’il
toucheroit se conuertitconvertit en or: sSa priere fut exaucée, son vin
fut or, son pain or, & la plume de sa couche, & d’or sa chemi-
se & son vestement: de façon qu’il se trouuatrouva accablé soubs la
iouissancejouissance de son desir, & estrené d’vneune commodité insupor-
LIVRE SECOND. 244252Cette correction n’est pas de la main de montaigne.
table: iIl luy falut desprier ses prieres.,
Attonitus nouitate mali, diuesque miserque,
Effugere optat opes, & quae modo vouerat, odit.
DisōsDisons de moy-mesme. IeJe requerois dedemandois a la fortune autātautant qu’au-
tre chose, l’ordre Sainct Michel, estant ieunejeune,: car c’estoit lors
l’extreme marque d’honneur de la noblesse Françoise & tres-
rare. Elle me l’a plaisamment accordé,. aAu lieu de me monter
& hausser de ma place, pour y auaindreavaindre,: elle m’a bien plus gra-
tieusement traité, elle l’a raualléravallé & rabaissé iusquesjusques à mes es-
paules & au dessoubs. ⁁
⁁ Cleobis et Biton Tropho=
nius et Agamedes aïant
requis ceus la leur deesse
ceus cy leur dieu d’une
recompanse digne de leur
piete eurent la mort pour
presant tant les opinions
de dieucelestes sur ce qu’il nous
faut sont diuersesdiverses aus
nostres.
Dieu pourroit nous ottroyer les riches-
ses, les honneurs, la vie & la santé mesme, quelquefois à no-
stre dommage: car tout ce qui nous est plaisant, ne nous est
pas tousiourstousjours salutaire: si au lieu de la guerison, il nous enuoyeenvoye
la mort, ou l’empirement de nos maux, Virga tua & baculus
tuus ipsa me consolata sunt, il le fait par les raisons de sa prouidē-
ceproviden-
ce, qui regarde bien plus certainemētcertainement ce qui nous est deu, que
nous ne pouuonspouvons faire: & le deuonsdevons prendre en bonne part,
comme d’vneune main tres-sage & tres-amie.:
si consilium vis,
Permittes ipsis expendere numinibus, quid
Conueniat nobis, rebúsque sit vtile nostris:
Charior est illis homo quam sibi.
Car de les requerir des honneurs, des charges, c’est les re-
querir, qu’ils vous iettentjettent à vneune batailles, ou au ieujeu de dez, ou
telle autre chose, de laquelle l’issue vous est incognue, & le
fruict doubteux. Il n’est point de combat si violent entre les
philosophes, & si aspre, que celuy qui se dresse sur la question
du souuerainsouverain bien de l’homme.: du quel par le calcul de Varro nasquirent 288 sectes
Qui autem de sumno bone dissentit de tota philosophiae ratione dissentit.
Tres mihi conuiuae prope dissentire videntur,
Poscentes vario multum diuersa palato:
Quid dem? quid non dem? renuis tu quod iubet alter,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Quod petis, id sanè est inuisum acidúmque duobus.
Nature deuroitdevroit ainsi respondre à leurs contestatiōscontestations, & à leurs
debats. Les vnsuns disent nostre biēbien estre, loger en la vertu: d’au-
tres en la volupté: d’autres au consentir à nature: qui en la
science ⁁ ⁁ : qui a n’auoiravoir point de dolur : qui à ne se laisser emporter aux apparences: & à
cette fantasie semble retirer cet’autre, de l’antien Pytha-
goras.,
Nil admirari prope res est vna, Numaci,
Soláque quae possit facere & seruare beatum,
qui est la fin de la secte Pyrrhoniene. ⁁
⁁ Aristote attribuae a
magnanimite rien n’admirer.
Et disoit Archesilas, les
soustenemens & l’estat droit & inflexible du iugementjugement, estre
les biens: mais les consentements & applications estre les vi-
ces & les maux. Il est vray qu’en ce qu’il l’establissoit par axio-
me certain, il se départoit du Pyrronisme. Les Pyrrhoniens,
quand ils disent que le souuerainsouverain bien c’est l’Ataraxie, qui est
l’immobilité du iugementjugement, ils ne l’entendent pas dire d’vneune
façon affirmatiueaffirmative, mais le mesme bransle de leur ame, qui leur
faict fuir les precipices, & se mettre à couuertcouvert du serein, celuy
la mesme, leur presente cette fantasie & leur en faict refuser
vneune autre. Combien ieje desire, que pēdantpendant que ieje vis, ou quelq̄quelque
autre, ou IustusJustus Lipsius, le plus sçauantsçavant homme qui nous re-
ste, d’vnun esprit trespoly & iudicieuxjudicieux, vrayement germain à mōmon
Turnebus, eust & la volonté, & la santé, & assez de repos, pour
ramasser en vnun registre, selon leurs diuisionsdivisions & leurs classes,
sincerement & curieusement, autātautant que nous y pouuōspouvons voir,
les opinions de l’anciēneancienne philosophie sur le subiectsubject de nostre
estre, & de noz meurs, leurs controuersescontroverses, le credit & suitte
des pars, l’application de la vie des autheurs & sectateurs, à
leurs preceptes, és accidens memorables & exemplaires: lLe bel
ouurageouvrage & vtileutile que ce seroit. Au demeurant, si c’est de nous
que nous tirons le reglement de nos meurs, à quelle confusiōconfusion
nous reiettonsrejettons nous? Car ce que nostre raison nous y cōseilleconseille
de plus
LIVRE SECOND. 245253
de plus vray-semblable, c’est generalement à chácun d’obeir
aux loix de son pays, comme l’oracleest laduisl’advis de Socrates luy auoitavoit
aprisinspire dict il d’un conseil diuindivin,. que exactement faire deuoirdevoir de pieté, n’est autre chose
que seruirservir Dieu selon l’vsageusage de sa nation. Et par la que veut
elle dire, sinon que nostre deuoirdevoir n’a autre regle que fortuite?
La verité doit auoiravoir vnun visage pareil & vniuerseluniversel. La droiture
& la iusticejustice, si l’homme en connoissoit, qui eust corps & ve-
ritable essence, il ne l’atacheroit pas à la conditiōcondition des coustu-
mes de cette contrée, ou de celle la: ce ne seroit pas de la fan-
tasie des Perses ou des Indes que la vertu prendroit sa forme.
Il n’est rien subiectsubject à plus continuelle agitation que les loix.
Dépuis que ieje suis nay, ij’ay veu trois & quatre fois rechanger
celles des Anglois noz voisins, non seulement en subiectsubject po-
litique, qui est celuy qu’on veut dispenser de constance, mais
au plus important subiectsubject qui puisse estre, à sçauoirsçavoir de la reli-
gion. Dequoy ij’ay honte & despit, d’autant plus que c’est vneune
nation, à laquelle ceux de mon quartier ont eu autrefois vneune
si priuéeprivée accointance, qu’il reste encore en ma maison aucu-
nes traces de nostre ancien cousinage. ⁁
⁁ Et ches nous icy,
ij’ai ueuveu telle chose
qui nous estreoit capitale
deuenirdevenir legitime: et
nous qui en tenons
d’autres, somes a
mesmes selon l’in=
certitude de la
fortune guerriere
de deu d’estre
un iourjour criminels
de lese maiestemajeste:
lesla loixiusticejustice tumbant en
la possession de
pire parti l’iniusteinjuste
partihumaine et diuinedivine nostre iusticejustice
tumbant ena la merci
possession de l’iniustinjustei=
parti ce: et en
lespacel’espace de peu
d’annees de
possession, prenant
une essance contrere.
Comant pouuoitpouvoit ce Dieu antien plus cleremātcleremant
accuser en l’humaine conoissance l’ignorance de l’estre diuindivin et aprandre aus homes que la religion n’estoit
qu’une piece de leur inuantioninvantion, propre a lier leur societe qu’en declerant com’il fit a ceus qui en recherchoint
l’instruction de son oracletrepie que le uraivrai culte a chacun estoit celuy qu’il trouuoittrouvoit obserueobserve par l’usage du lieu
ou il estoit O dieu qu’ell’obligation n’auonsavons nous a la benignite de nostre souuereinsouverein creatur pour nous
auoiravoir desniaise nostre creance de ces uagabondesvagabondes et arbitreres deuotionsdevotions et l’auoiravoir logee ausur
giron de la saincte ueriteverite et l’aeternelle ueriteverite base de sa saincte parolle.
Que nous dira donc
en cette necessité la philosophie? que nous suyuonssuyvons les loix
de nostre pays? c’est à dire cette mer flotante des opinions
d’vnun peuple, ou d’vnun Prince, qui me peindront la iusticejustice d’au-
tant de couleurs, & la reformeront en autant de visages, qu’il
y aura en eux de changemens d’humeursde passion: iIejJe ne puis pas auoiravoir
le iugemētjugement si flexible. Quelle bonté est-ce, & quelle droiture,
que ieje voyois hyer en credit, qui en l’espace d’vnun iourjour à peu
receuoirrecevoir vnun si estrange changemētchangement, d’estre deuenudevenu vice. ⁁
⁁ Quelle droiture, que le traiettrajet
d’une riuiereriviere faict crime?
et demain plus: et que
le traiettrajet d’une riuiereriviere faict crime? ⁁
⁁ quelle
ueriteverite que deusces
montaignes
bornent qui est
deuientdevient mensonge
au monde qui se
tient au dela?
Mais
ils sont plaisans, quand pour donner quelque certitude aux
loix, ils disent qu’il y en à aucunes fermes, perpetuelles & im-
muables, qu’ils nomment naturelles, qui sont empreintes en
l’humain genre par la condition de leur propre essence: &Et de
celles là, qui en fait le nombre de trois, qui de quatre, qui
SSs
ESSAIS DE M. DE MONTA.
plus, qui moins, signe que c’est vneune marque aussi douteuse
que le reste. Or ils sont si defortunez (car commētcomment puis ieje au-
trement nommer cela, que deffortune?, que d’vnun nombre de
loix si infiny, il ne s’en rencontre au moins vneune, que la ⁁ ⁁ fortune et temerité
du sort fortu-
ne ait permis estre vniuersellementuniversellement receuë par le consente-
ment de toutes les nations) ils sont, dis-ieje, si mal’heureuxmiserables, que
de ces trois ou quatre loix choisies, il n’en y à vneune seule, qui
ne soit contredite & desaduoëe, non par vneune natiōnation, mais par
plusieurs. Or c’est la seule enseigne vray semblable, par la-
quelle ils puissent argumenter aucunes loix naturelles, que
l’vniuersitéuniversité de l’approbation: cCar ce que nature nous auroit
veritablement ordonné, nous l’ensuiurionsensuivrions sans doubte d’vnun
commun consentement, &Et non seulement toute nation,
mais tout homme particulier, ressentiroit la force & la vio-
lence, que luy feroit celuy qui le voudroit pousser au cōtrai-
recontrai-
re de cette loy. Qu’ils m’en monstrent pour voir, vneune de cet-
te condition. Protagoras & Ariston ne donnoyent autre es-
sence à la iusticejustice des loix, que l’authorité & opinion du legis-
lateur: & que cela mis à part, le bon & l’honneste perdoyent
leurs qualitez, & demeuroyent des noms vains, de choses in-
differentes. Thrasimacus en Platon estime qu’il n’y à point
d’autre droit que la commodité du superieur. Il n’est chose,
en quoy le monde soit si diuersdivers qu’en coustumes & loix. Tel-
le chose est icy abominable, qui apporte recommandation
ailleurs: comme en Lacedemone la subtilité de desrober. Les
mariages entre les proches sont capitalement defendus entre
nous, ils sont ailleurs en honneur,
gentes esse feruntur,
In quibus & nato genitrix, & nata parenti
Iungitur, & pietas geminato crescit amore.
Le meurtre des enfans, meurtre des peres, communication de
femmes, trafique de voleries, licence à toutes sortes de vo-
LIVRE SECOND. 246254
luptez: il n’est rien en somme si extreme, qui ne se trouuetrouve re-
ceu par l’vsageusage de quelque nation. Il est croyable qu’il y à q̄l-
quesquel-
ques
des loix naturelles: comme il se voit és autres creatures: mais
en nous elles sont perdues, cette belle raison humaine s’inge-
rant par tout de maistriser & commander, brouillātbrouillant & con-
fondant le visage des choses, selon sa vanité & inconstance. ⁁
⁁ Nihil itaque amplius
nostrum est: quod nostrum
dico, artis est.
Tout ce qui est au monde, tous lLes subietssubjets, ont diuersdivers lu-
stres & diuersesdiverses considerations: c’est de la que s’engēdreengendre prin-
cipalement cettela diuersitédiversité d’opinions. VneUne nation regarde
vnun subiectsubject par vnun visage, & s’arreste à celuy la: l’autre par vnun
autre. Il n’est rien si horrible à imaginer, que de manger son
pere. Les peuples qui auoyentavoyent anciennemētanciennement cette coustume,
la prenoyent toutesfois pour tesmoignage de pieté & de bō-
nebon-
ne affection, cerchant par la à donner à leurs progeniteurs la
plus digne & honorable sepulture: logeant en eux mesmes &
comme en leurs moelles, les corps de leurs peres & leurs reli-
ques, les viuifiantvivifiant aucunement & regenerant par la transmu-
tation en leur chair viuevive, par leau moyen de la digestion & du
nourrissement. Il est aysé à considerer quelle cruauté & abo-
mination c’eust esté à des hommes abreuuezabreuvez & imbus de cet-
te superstition, de ietterjetter la despouille des parens à la corrup-
tion de la terre, & nourriture des bestes & des vers. Licurgus
considera au larrecin, la viuacitévivacité, diligence, hardiesse, & adres-
se, qu’il y à a surprēdresurprendre quelque chose de son voisin,: & l’vtili-
téutili-
té qui reuientrevient au public, que chacun en regarde plus curieu-
sement à la conseruationconservation de ce qui est sien: & estima que de
cette double institution, à assaillir & à defandre, il s’en tiroit
du fruit à la discipline militaire (qui estoit la principale sciēcescience
& vertu, à quoy il vouloit duire cette nation) de plus grande
consideration, que n’estoit le desordre & l’iniusticeinjustice de se pre-
ualoirpre-
valoir de la chose d’autruy. Dionysius le tyran offrit à Platon
vneune robe à la mode de Perse, longue, damasquinée, & parfu-
SSs ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mée: Platon la refusa, disant, qu’estant nay homme, il ne se ve-
stiroit pas volōtiersvolontiers de robe de femme: mais Aristippus l’ac-
cepta, auecavec cette responce, que nul accoutremētaccoutrement ne pouuoitpouvoit
corrompre vnun chaste courage. ⁁
⁁ Ses amis le tansoint sa lachete
de prendre si peu a ceur
que Dionisius luy eut craché
au uisagevisage. Les pescheurs dict
il souffrent bien d’estre
baignes des ondes de la mer
despuis la teste iusqujusqu’aus
pieds pour atraper un goiongojon.
Diogenes lauoitlavoit ses chous et le uoiantvoiant passer
si tu sçauiessçavies uiurevivre de chous tu ne
feries pas la court a un tiran
A quoi Aristippus. Si tu sçauiessçavies
viurevivre entre les homes tu ne
lauerieslaveries pas des chous.
Voyla commeant ils auoyentavoyent
tous deux raison dela raisont
fournit d’apparance a diuersdivers effects,: c’est vnun pot à deux ances,
qu’on peut saisir à gauche & à dextre.:
bellum ô terra hospita portas,
Bello armantur equi, bellum haec armenta minantur,
Sed tamen ijdem olim curru succedere sueti
Quadrupedes, & frena iugo concordia ferre:
Spes est pacis.
Il aduientadvient de cette diuersitédiversitéuarietevariete de visages, que les iugemensjugemens s’ap-
pliquent diuersementdiversement au chois des choses.On prechoit Solon de ne n’espandre pour la mort de son fis des larmes impuissantes et inutilles: et
c’est pour cela dict il que plus iustemantjustemant ieje les espans qu’elles sont inutiles et impuissantes ⁁
⁁ La femme ⁁ ⁁ de Socrates rengregeoit
son deuil par telles circons=
tance sur le O qu’iniustementinjustement
le font mourir ces meschans
iugesjuges: Aimerois tu donq
mieus que ce fut iustementjustement
luy replica il.
Nous portons les
oreilles percées, les Grecs tenoient cela pour vneune marque de
seruitudeservitude. Nous nous cachons pour iouirjouir de nos femmes, les
Indiens le font en public. Les SchytesScythes immoloyētimmoloyent les estran-
gers en leurs temples, ailleurs les temples seruentservent de frāchisefranchise.
Inde furor vulgi, quod numina vicinorum
Odit quisque locus, cum solos credat habendos
Esse Deos quos ipse colit.
IJ’ay ouy parler d’vnun iugejuge, lequel où il rencontroit quelqueun
aspre conflit entre Bartolus & Baldus, & quelque matiere
agitée de plusieurs contrarietez, mettoit au marge de son li-
ureli-
vre (question pour l’amy) c’est à dire que la verité estoit si em-
brouillée & debatue, qu’en pareille cause, il pourroit fauoriserfavoriser
à celle des parties, que bon luy sembleroit. Il ne tenoit qu’a
faute d’esprit & de suffisance, qu’il ne peut mettre quasi par
tout, question pour l’amy. Les aduocatsadvocats & les iugesjuges corrom-
pus de nostre temps, trouuenttrouvent à toutes causes assez de biais
pour les accommoder ou bon leur semble. A vneune science si
infinie, dépandant de l’authorité de tant d’opinions, & d’vnun
subiectsubject si arbitraire, il ne peut estre, qu’il n’en naisse vneune
LIVRE SECOND. 247255
confusion extreme de iugemensjugemens. Aussi n’est-il guiere si cler
procés, auquel les aduisadvis ne se trouuenttrouvent diuersdivers: cCe qu’vneune com-
paignie à iugéjugé, l’autre le iugejuge au contraire, & elle mesmes à
l’aduentureadventure encores au contraire vneune autre fois. Dequoy nous
voyons des exemples ordinaires, par cette licence, qui tasche
merueilleusementmerveilleusement la cerimonieuse authorité & lustre de no-
stre iusticejustice, de ne s’arrester aux arrests, & courir des vnsuns aux
autres iugesjuges, pour decider d’vneune mesme cause. Quant à la li-
berté des opinions philosophiques touchant le vice & la ver-
tu, c’est chose où il n’est besoing de s’estendre, & où il se trou-
uetrou-
ve plusieurs discoursaduisadvis, qui valent mieux teus que publiez ⁁ ⁁ aus foibles esprits. ⁁ Ar-
cesilaus disoit n’estre considerable en la paillardise, de quel
costé ⁁ ⁁ et par ou on le fut: ⁁
⁁ Et obscaenas uoluptates si natura
requirit non genere aut loco aut
ordine sed forma aetate figura
metiendas Epicurus putat.
Oiez ce uersvers en Theophraste
philosofe si delicat et si fin
Vitam regit fortuna
non sapientia.
traduit par Cicero
⁁ opinion suiuiesuivie
par usage receu
en l’isle de Lesbos
Et est une question
de la secte Stoique
IusquesJusques a quel eage
les garçons sont
bons a estre aimez
ToutOyes Caton Ne amores quidem
sanctos a sapiente alienos
esse arbitrantur. ToutOïes Seneque
Quaeramus ad quam
usque aetatem inuenes
amandi sint. Tout
Cela est Stoique. Tout
mesmes Stoique Tout
Ces deus ⁁ ⁁ derniers lieus tirez de la
secte Stoiques montrent
combien ailleurs tout estet sur ce propos
le reproche de Dicaear=
chus a Platon mesmemesme
montrent combien tout
la plus saine philosophie
souffre de licences
eslouignees de lusagel’usage
commun et excessiuesexcessives.
tout est plein de tels excez. Les loix prennent
leur authorité de la possession & de l’vsageusage: il est dangereux de
les ramener à leur naissance: elles grossissent & s’ennoblissent
en roulant, comme nos rivieres: suyuezsuyvez les contremont ius-
quesjus-
ques à leur source, ce n’est qu’vnun petit surion d’eau à peine re-
connoissable, qui s’enorgueillit ainsin, & se fortifie, en vieillis-
sant. Voyez les anciennes considerations, qui ont donné le
premier branle à ce fameux torrent, plein de dignité, d’hor-
reur & de reuerencereverence: vous les trouuereztrouverez si legeres & si delica-
tes, que ces gens icy qui poisent tout, & le ramenētramenent à la raison,
& qui ne reçoiuentreçoivent rien par authorité & à credit, il n’est pas
merueillemerveille s’ils ont leurs iugementsjugements souuentsouvent tres-esloignez des
iugémensjugémens publiques. Gens qui prennent pour patron l’image
premiere de nature, il n’est pas merueillemerveille, si en la pluspart de
leurs opinions, ils gauchissent à la voye commune & ordinai-
re. Comme pour exemple, peu d’entre eux eussent approuuéapprouvé
les conditions & formescontreintes de nos mariages.⁁
⁁ et la plus part ont
uoluvolu les fames communes
et sans obligation
Ils refusoiētrefusoient & des-
daignoient la pluspart de nos ceremonies: ⁁ cChacun à ouy par-
ler de la des-hontéedeshontee façon de viurevivre des philosophes Cynic-
ques. Chrysippus disoit, qu’vnun philosophe fera vneune douzaine
SSs iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de culebutes en public, voire sans haut de chausses, pour vneune
douzaine d’oliuesolives. ⁁
⁁ Et n’eut pas estè de sonA poine eut il done aduisadvis
queà Clisthenes eutde refueser
la belle Agariste A sa fille
Agariste sa fille a Hippoclides
pour luy auoiravoir ueuveu faire larbrel’arbre
fourché sur une table Metro
Metroclez aïant faictlacha un peu
indiscretemētindiscretement
un pet et en disputant en
presance de son escole et
se tenoit en sa maison
cache de honte iusquesjusques
a ce que Crates le fut
visiter et adioutantadjoutant a
sases cōsolationsconsolations et raisons que les
choses naturelles ne
doiuentdoivent estre honteuses,
les l’exemples de sa liberte,
se pe metant a peter
à l’enuienvi aueqaveq luy etil
luy osta ce scrupule: & de plus
le retira a sa secte ⁁ ⁁ stoique plus
franche, de la secte
peripatetique plus
ciuilecivile & respectueuse
la quelle iusquesjusques lors il
auoitavoit suiuisuivi
Et cette honnesteté & reuerencereverence, que nous
appellons, de couurircouvrir & cacher aucunes de nos actions natu-
relles & legitimes, de n’oser nommer les choses par leur nom,
de craindre à dire ce qu’il nous est permis de faire, n’eussent-ils
pas peu dire auecavec raison, que c’est plustostestimer estre vneune affetterie &
mollessedelicatesse, inuentéeinventée aux cabinets mesmes de Venus, pour don-
ner pris & poincte à ses ieuxjeux? N’est-ce pas vnun alechement, une
amorce, & vnun aiguillon à la volupté? cCar l’vsageusage nous fait sen-
tir euidemmentevidemment que la cerimonie, la vergougne, & la difficul-
té, ce sont esguisemēsesguisemens & allumettes à ces fieuresfievres là: c’est ce que
Ce que nous apelons honestete de n’oser faire a descouuertdescouvert
ce qui nous est honeste de faire a couuertcouvert, ils l’apeloint sotise: et de faire le fin
a nous taire et desaduouerdesadvouer ce que nature costume et nostre plaisir publie desir
publient et proclament de nos actions, ils lestimointl’estimoint uicevice. Et leur sembloit que c’estoit
affoler les mysteres de Venus que de les oster du secret sacraire de son templeretire
retire sacraire de son temple pour les exposer a la ueueveue du peuple et que tirer ses ieusjeus
hors du rideau, que c’estoit les auiliravilir. C’est un’espece de pois que la honte. La recelation
reseruationreservation circonscription parties de laestimationl’aestimation. Que la uoluptevolupte tresingenieusement
faisoit instance sous le masque de la uertuvertu de n’estre prostituee au milieu des carrefous
pour estre foulee des pieds & des yeus de la commune et destred’estre remise se trouuanttrouvant a dire la dignite &
commodite de ses cabinetz acostumez. De la disent aucuns, que d’oster les bordels publiques, c’est non seu-
lement espandre par tout la paillardise, qui estoit assignée à ce
lieu là, mais encore esguillonner les hommes vagabonds &
oisifs a ce vice, par la malaisance.:
Moechus es Ausidiae qui vir Coruine fuisti,
Riualis fuerat qui tuus, ille vir est.
Cur aliena placet tibi, quae tua non placet vxor?
Nunquid securus non potes arrigere.
Cette experience se diuersifiediversifie en mille exemples.:
Nullus in vrbe fuit tota, qui tangere vellet
Vxorem gratis Caeciliane tuam,
Dum licuit: sed nunc positis custodibus, ingens
Turba sututorum est. Ingeniosus homo es.
On demandaoit à vnun philosophe qu’on surprit à mesme, ce qu’il
faisoit, il respondit tout froidement, ieje plante vnun homme: ne
rougissant non plus d’estre rencontré en cette actioncela, que si
on l’eust trouuétrouvé plantant des chouxaulx. ⁁
⁁ C’est come ij’estime d’une
opinion trop scrupuleusetendre et respectueuse
qu’ ⁁ ⁁ un grant et relligieus auteur aucuns tienentt cette action
si necesserement obligee a
l’occultation et a la
vergouigne qu’en la
licence des embrassemens cyniques de
d’enbrasser les fames en
plein marche ils ne se
peuuenttpeuventt persuader que
la besouigne en uintvint a
sa fin serieuse: eins qu’elle
s’arretoit a representer des
mouuemensmouvemens lascifs sulement, pour maintenir l’impudance de la profession de leur escole.
et que pour eslancer ce que la honte auoitavoit contreint et retiré ils auointavoint bleur estoit encore apres
besouin de chercher l’ombre. ⁁
La suite de cette addition, réécriture du passage qui suit, se trouve sur la page suivante.
⁁ Il n’auoitavoit pas ueuveu asses auantavant en leur desbauche. Car Diogenes exerçant en publiq sa masturbation
faisoit souhet en presance du peuple assistant qu’il peut aīsiainsi saouler son uentreventre en le frotant. A
ceus qui luy demandoint pourquoi il ne cherchoit lieu plus commode a manger qu’en pleine rue
c’est respondoit il que ij’ay faim en pleine rue. Les femes philosofes qui se mesloint a leur secte
se mesloint paussi a leur persone pareillement en tout lieu sans discretion: et Hiparchia ne fut receue en la
societe de Crates qu’en condition de suiuresuivre en toutes choses les us et costumes de sa regle. Les cyniquesCes philosophes icy
donoint extreme poispris a la uertuvertu, & refusoint toutes autres disciplines que la morale: si est ce qu’en toutes
actioness ils donointattribuoint la souuereinesouvereine authorite dea l’election dede leur sage & au dessus des loix: et ne ’ordonoint
dono aus uoluptezvoluptez autre bride
On demandoit a Diogenes pourquoi il disnoit au marche en la place
parce que ij’ay faim au marcheen la place disoit il: desfaicte qui luy seruoitservoit a toutes ses autres licences: de
maniere qu’en l’exercice d’une deshontee masturbation il preschoit le peuple
assistant combien il seroit a desirer qu’on peut ainsi saouler son uentreventre
en le frotant. Par ou il app Par ou il appert que la secte qui a le plus honoré
la uertuvertu n’a point trouuetrouve autre bride aus actions du sage que & a ⁁ ⁁ lusagel’usage de toutes uoluptesvoluptes Les femes
mesmes imbues de cette image de uievie Stoiquecynique entreprenoint leursiouissointjouissoint de mesme leurs priuiliegesprivilieges et Hipparchia contre la
uolantevolante de ses parans d esprise de l’amour de Crates entreprint de le suiuresuivre aus conditions des deshōteedeshonteeses loix
deshontees de sa secte s’accouplant a luy en publiq. RamenātRamenant toutes choses aus pre formes uniuersellesuniverselles
que toutes les autres sectes sisi ne donoint ils ne donoītdonoint
meurs toutes autres
Solon fut à ce qu’on dict
le premier qui donna par ses loix liberté aux femmes, de
faire profit publique de leurs corps. ⁁ ⁁ toutesfois si ieje ne me trompe Herodote recite auantavant luy cet usage receu en asses de polices. Et celle de toutes les se-
ctes de philosophie, qui à le plus honoré la vertu, elle n’a en
somme posé autre bride à l’vsageusage des voluptez, de toutes sor-
LIVRE SECOND. 248256
tes, que la moderation, & la conseruationconservation de la liberté d’au-
truy. Et plusieurs ses sectateurs se sont licenciez d’en escrire &
publier des liureslivres hardis outre mesure. ⁁
⁁
Solon dona par ses loix
permissiont aus femes de
faire profit p de leurs
corps: VsageUsage que Herodote
dict auātavant luy auoiravoir este
receu ēen plusieurs polices
Heraclitus & Prota-
goras, de ce que le vin semble amer au malade, & gracieux au
sain, l’auironaviron tortu dans l’eau, & droit à ceux qui le voiētvoient hors
de la, & de pareilles apparences contraires qui se trouuenttrouvent aux
subiectssubjects, argumenterent que tous subiectssubjects auoientavoient en eux les
causes de ces apparences: & qu’il y auoitavoit au vin quelque amer-
tume, qui se rapportoit au goust du malade, l’auironaviron certaine
qualité courbe, se rapportātrapportant à celuy qui le regarde dans l’eau.
Et ainsi de tout le reste. Qui est dire, que tout est en toutes
choses, & par consequētconsequent rien en aucune: car rien n’est, ou tout
est. Cette opiniōopinion me ramentoit l’experience que nous auonsavons,
qu’il n’est aucūaucun sens ny visage, ou droict, ou amer, ou doux, ou
courbe, que l’esprit humain ne trouuetrouve aux escrits, qu’il entre-
prend de fouiller. En la parole la plus nette, pure, & parfaicte,
qui puisse estre, combien de fauceté & de mensonge à lonl’on fait
naistre? quelle heresie n’y à trouuétrouvé des fondemētsfondements assez, & tes-
moignages, pour entreprēdreentreprendre, & pour se maintenir? c’C’est pour
cela que les autheurs de telles erreurs, ne se veulent iamaisjamais de-
partir de cette preuuepreuve, du tesmoignage de l’interpretation des
mots. VnUn personnage de grande dignité, me voulant approu-
uerapprou-
ver par authorité, cette queste de la pierre philosophale, où il
est tout plongé, m’allegua dernierement cinq ou six passages
de la Bible, sur lesquels il disoit, s’estre premierement fondé
pour la descharge de sa conscience. (car il est de profession
ecclesiastique) & à la verité l’inuentioninvention n’en estoit pas seule-
ment plaisante, mais encore bien proprement accommodée
à la deffence de cette belle science. Par cette voye se gaigne le
credit des fables diuinatricesdivinatrices,. d’autātautant que nous proposant par
finesse, vnun stile ambigu & difficile, iIl n’est prognostiqueur, s’il
à cette authorité qu’on le daigne feuilleter, & rechercher cu-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
rieusement tous les plis & lustres de ses paroles, à qui on ne fa-
ce dire tout ce qu’on voudra, comme aux Sybilles: car il y à
tant de moyens d’interpretatiōinterpretation, qu’il est malaisé que de biais,
ou de droit fil, vnun esprit ingenieux ne rencontre en tout suietsujet,
quelque air, qui luy serueserve à ce qu’il voudrason poinct. ⁁
⁁ Pourtant se treuuetreuve un stile
nubileus et doubteus en si
frequant et antien usage.
Que l’autheur puisse gaigner
cela: d’attirer et enbesouigner
a soy la posterite. Ce que non
sulement la suffisance mais
autant ou plus la fauueurfauveurfaveur
fortuite de la matiere peut
gaigner. Qu’au demurant il
se presente par bestise ou par
finesse un peu osbcuremant
& diuersemantdiversemant. Il ne luy
chaille. DiuersDiversNombre d’esprits le
belutant et secouant en
exprimeront quantité de
formes ou selon ou a coste
ou au contrere de la siene
qui luy fairont toutes honur.
Il se uerra enrichi des
moyens de ses disciples come
les regens du Landy.
C’est ce qui à faict
valoir plusieurs choses de neant, qui a ennobly & mis en cre-
dit plusieurs escrits, & enrichyhono charge de toute sorte de matiere qu’ōon
à voulu: vneune mesme chose receuantrecevant mille & mille, & autant
qu’il nous plaist ⁁ ⁁ dimagesd’images airs et considerations d’interpretations diuersesdiverses. Homere est aussi
grand qu’on voudra, mais il n’est pas possible, qu’il ait pensé à
representer tant de formes, qu’on luy donne. Les legislateurs
y ont diuinédiviné des instructions infinies, pour leur faict: autant
les gens de guerre: & autant ceux qui ont traité des artsautant les theologiensEst il possible que Homere aye uoluvolu
dire tout ce qu’on luy faict dire. Et qu’il se soit preste a tant & si diuersesdiverses figures que les theologiens
legislaturs capitenes philosophes toute sorte de gens qui tretent sciances pour differemment et
contrerement qu’ils les traictent s’appuient de luy s’en raportent a luy. Maistre general
a touts offices ouuragesouvrages et artisans General conseillier a toutes entreprinses: qQui-
conque a eu besoin d’oracles & de predictions, en y a trou-
uétrou-
vé pour son seruiceservicefaict:. vVnuUn personnage sçauantsçavant & de mes amis,
c’est merueillemerveille quels rencontres & combien admirables il y
trouuetrouveen faict naitre, en faueurfaveur de nostre religion: & ne se peut aysément
departir de cette opinion, que ce ne soit le dessein d’Homere,
(si luy est cet autheur aussi familier qu’a hōmehomme de nostre sie-
cle) D’autres religiōsreligions y ont trouuétrouvé aussi autresfois leur appuy.Et ce qu’il dict trouuetrouve en faueurfaveur de la nostre plusieurs antienemētantienement en auoītavoint trouuetrouvel’auointavoint trouuetrouve en fauurfavur desdes laleurs ⁁
⁁ Voyes demener et agiter Platon. Chacun s’honorant de
l’appliquer a soi, le couche du coste qu’il le ueutveut. On le promeine
et l’insere a toutes les nouuellesnouvelles opinions que le monde reçoit:
et le differente lonl’on a soimesmes, selon le differant cours des choses.
oOn faict desaduouerdesadvouer a son sens les meurs licites en son temps siecle
d’autant qu’elles sont illicites au nostre. Tout cela uifuementvifvement
et puisseamment autant qu’est puissant et uifvif lespritl’esprit de l’interprete.
Sur ce mesme fondement qu’auoitavoit Heraclitus, & cette sienne
sentence, que toutes choses auoiētavoient en elles les visages qu’on y
trouuoittrouvoit, Democritus en tiroit vneune toute cōtrairecontraire conclusiōconclusion,
c’est que les subiectssubjects n’auoiētavoient du tout rien de ce que nous y trou-
uionstrou-
vions: &Et de ce que le miel estoit doux, à l’vnun, & amer à l’autre,
il argumentoit, qu’il n’estoit ny doux, ny amer. Les Pyrrho-
niēsPyrrho-
niens diroiētdiroient qu’ils ne sçauētsçavent s’il est doux ou amer, ou ny l’vnun ny
l’autre, ou tous les deux: car ceux-cy gaignētgaignent tousiourstousjours le haut
point de la dubitation. ⁁
⁁ Les Cirenaeiens tenoint
que rien n’estoit percep=
tible par le dehors et
que cela estoit sulement
perceptible qui nous
touchoit par l’interne
atouchemant come la dolur
et la uoluptèvoluptè. Ne reco=
noitressāsssans de quelny ton ny
de quele colur mais certenes affections sulement
qui nous en uenointvenoint. Et que l’home n’auoitavoit autre siege de son iugementjugement.
Protagoras estimoit estre uraivrai quece a chacun pensoit estre uraivrai ce quei s a chacūchacun
semble a chacun. Les epicuriens logent aus sens tout iugementjugement et en la
notice des choses et en la uoluptèvoluptè. Platon a uoluvolu le iugementjugement de la ueriteverite
et la ueriteverite mesmes estre de la cogitation & de l tireeretiree des l’opinions & des sens
apartenir a lespritl’esprit & a la cogitation. Zeno
Ce propos m’a porté sur la considera-
tion des sens, ausquels gist le plus grand fondement & preu-
uepreu-
ve de nostre ignorance. Tout ce qui se connoist, il se connoist
sans doubte par la faculté du cognoissant: car puis que le iuju-
ge-
LIVRE SECOND. 249257
gement vient de l’operation de celuy qui iugejuge, c’est raison
que cette operation il la parface par ses moiens & volōtévolonté, non
par la contrainte d’autruy, comme il aduiendroitadviendroit, si nous cō-
noissionscon-
noissions les choses par la force & selon la loy de leur essence.
Or toute cognoissance s’achemine en nous par les sens, ce
sont nos maistres.,
via qua munita fidei
Proxima fert humanum in pectus templáque mentis.
La science commence par eux & se resout en eux. Apres tout,
nous ne sçaurions non plus qu’vneune pierre, si nous ne sçauionssçavions,
qu’il y à son, odeur, lumiere, saueursaveur, mesure, pois, mollesse, du-
rté, aspreté, couleur, polisseure, largeur, profondeur. Voyla le
plant & les principes de tout le bastiment de nostre science. ⁁
⁁
Voila pourquoiEt selōselon aucuns
sciance n’est autre chose que
sentimant
Quiconque me peut pousser à contredire les sens, il me tient à
la gorge, il ne me sçauroit faire reculer plus arriere. Les sens
sont le commencement & la fin de l’humaine cognoissance.:
Inuenies primis ab sensibus esse creatam
Notitiam veri, neque sensus posse refelli.
Quid maiore fide porro quam sensus haberi
Debet? ⁁
⁁ Par ou Protagoras
concluoit que l’home
estoit la mesure de toutes
choses
Qu’on leur attribue le moins, qu’on pourra, tousiourstousjours faudra
il leur donner cela, que par leur voye & entremise s’achemine
toute nostre instruction. Cicero dict que Chrisippus ayātayant es-
sayé de rabattre de la force des sens & de leur vertu, se repre-
senta à soy mesmes des argumens au contraire, & des opposi-
tions si vehementes, qu’il n’y peut satisfaire. Surquoy Carnea-
des, qui maintenoit le contraire party, se vantoit de se seruirservir
des armes mesmes & paroles de Chrysippus, pour le cōbattrecombattre,
& s’escrioit à cette cause cōtrecontre luy,: ô miserable, ta force t’a per-
du. Il n’est aucun absurde selon nous plus extreme, que de main-
tenir que le feu n’eschaufe point, q̄que la lumiere n’esclaire point,
qu’il n’y à point de pesāteurpesanteur au fer ny de fermeté, qui sont no-
TTt
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tices que nous apportent les sens,: ny creance, ou science
en l’homme, qui se puisse comparer à celle-là en certitude. La
premiere consideratiōconsideration que ij’ay sur le subiectsubject des sens, c’est que
ieje mets en doubte, que l’homme soit prouueuprouveu de tous sens na-
turels. IeJe voy plusieurs animaux, qui viuentvivent vneune vie entiere &
parfaicte, les vnsuns sans la veuë, autres sans l’ouye: qui sçait si en
nous aussi il ne manque pas encore vnun, deux, trois, & plusieurs
autres sens, car s’il en manque quelqu’vnun, nostre discours n’en
peut découurirdécouvrir le defaut. C’est le priuilegeprivilege des sens, d’estre l’ex-
treme borne de nostre scienceaperceuanceapercevance: il n’y à rien au delà d’eux, qui
nous puisse seruirservir à les descouurirdescouvrir, voire ny l’vnun sens n’en peut
descouurirdescouvrir l’autre.,
An poterunt oculos aures reprehendere, an aures
Tactus, an hunc porro tactum sapor arguet oris,
An confutabunt nares oculiue reuincent?
Ils font trestous, la ligne extreme de nostre faculté.,
seorsum cuίque potestas
Diuisa est, sua vis cuique est.
Il est impossible de faire conceuoirconcevoir à vnun hōmehomme naturellement
aueugleaveugle, qu’il n’y void pas,: impossible de luy faire desirer la
veue & regretter son defaut. Parquoy nous ne deuonsdevons pren-
dre aucune asseurance de ce, que nostre ame est contente &
satisfaicte de ceux que nous auōsavons: veu qu’elle n’a pas dequoy
sentir en cela sa maladie & son imperfection, si elle y est. Il est
impossible de dire chose à cet aueugleaveugle, par discours, argumētargument,
ny similitude, qui loge en son imagination aucune apprehē-
siōapprehen-
sion, de lumiere, de couleur, & de veue. Il n’y à rien plus arriere,
qui puisse pousser le sens en euidēceevidence. Les aueuglesaveugles nais, qu’on
void desirer à y voir, ce n’est pas pour entēdreentendre ce qu’ils demā-
dentdeman-
dent: ils ont appris de nous, qu’ils ont à dire quelque chose,
qu’ils ont quelque chose à desirer, qui est en nous:⁁
⁁: lLa quelle ils noment
bien, et ses effaicts
et consequances,
mais ils ne
sçauentsçavent pourtant pas que c’est, ny ne l’aprehendent, ny pres ny
LIVRE SECOND. 250258
loin. IJ’ay veu vnun gentil-hōmehomme de bonne maison, aueugleaveugle na-
turelnay, au moins aueugleaveugle de tel aage, qu’il ne sçait que c’est que
de veuë: il entend si peu ce qui luy manque, qu’il vseuse & se sert
comme nous des paroles propres au voir, & les applique d’v-
neu-
ne mode toute siēnesienne & particuliere. On luy presentoit vnun en-
fant duquel il estoit parrain, l’ayant pris entre ses bras, mon
Dieu, dict-il, le bel enfant, qu’il le faict beau voir, qu’il à le vi-
sage guay: il dira cōmecomme l’vnun d’entre nous, cette sale à vneune belle
veue, il faict beau voir cecy ou cela.clair, il faict beau soleil. Il faity a plus, car par ce que
ce sont nos exercices que la chasse, la paume, la bute, & qu’il
l’a ouy dire, il s’y affectionne & s’y embesoigne: & croid sans
doute y auoiravoir la mesme part, que nous y auonsavons: il s’y picque &
s’y plaist, & ne les goutereçoit pourtant que par les oreilles. On luy
crie, que voyla vnun liéureliévre, quand on voitest en quelque belle splana-
de, où il puisse picquer: & puis on luy dict encore, que voyla
vnun lieurelievre pris: le voyla aussi fier de sa prise, cōmecomme il oit dire aux
autres, qu’ils le sont. L’esteuf il le prend à la main gauche, & le
pousse à tout sa raquette: de la harquebouse, il en tire à l’aduē-
tureadven-
ture, & se paye de ce q̄que ses gēsgens luy disent, qu’il est ou haut, ou
costié. Que sçait-on si le genre humain faict quelqueune sottise
pareille, à faute de quelque sens, & que par ce defaut, la plus
part du visage des choses nous soit caché? Que sçait-on, si les
difficultez que nous trouuonstrouvons en plusieurs ouuragesouvrages de natu-
re, viennent de là? & si plusieurs effets des animaux qui excedētexcedent
nostre capacité, sont produits par la faculté de quelque sens,
que nous ayons à dire? & si aucuns d’entre eux ont vneune vie plus
pleine par ce moyēmoyen, & entiere que la nostre? Nous saisissons la
pomme quasi par tous nos sens: nous y trouuōstrouvons de la rougeur,
de la polisseure, de l’odeur & de la douceur: outre cela, elle
peut auoiravoir d’autres vertus, cōmecomme d’asseicher où restreindre, aus-
quelles nous n’auonsavons point de sens qui se puisse rapporter. Les
proprietez q̄que nous apellōsapellons occultes en plusieurs choses, cōmecomme
TTt ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à l’aimant d’attirer le fer, n’est-il pas vray-semblable qu’il y a
des facultez sensitiuessensitives en nature, propres à les iugerjuger & à les ap-
perceuoirap-
percevoir,: & que le defaut de telles facultez nous apporte l’i-
gnorance de la vraye essence de telles choses. C’est à l’auantu-
reavantu-
re quelque sens particulier, qui descouuredescouvre aux coqs l’heure du
matin & de minuict, & les esmeut à chanter, ⁁
⁁ qui aprant aus poules
auantavant tout usage
et experiance de
creindre un esparuieresparvier
et non un’oye etny un
paon plus grandes
bestes: qQui auertitavertit
les pouletz de la
qualite hostile qui
est au chat contre
eus et a ne se desfier
du chien: s’armer
contre le mionement
voix aucunement
flateuse non contre
l’abbaïer uoixvoix aspre et
se batant quereleuse.
Aus frelons aus formis & aus
rats de choisir tousiourstousjours le meillur
fromage et la meillure poire auātavant
que d’y auoiravoir tasté
& qui achemine
le cerf où le chienl’elefant le serpant à la cognoissance de certaine herbe propre
à leur guerison. Il n’y à sens, qui n’ait vneune grande domination,
& qui n’apporte par son moyen vnun nombre infiny de cōnois-
sancesconnois-
sances. Si nous auionsavions à dire l’intelligēceintelligence des sons, de l’harmo-
nie, & de la voix, cela apporteroit vneune confusion inimagina-
ble à tout le reste de nostre science. Car outre ce, qui est atta-
ché au propre effect de chasque sens, cōbiencombien d’argumēsargumens, de cō-
sequencescon-
sequences, & de conclusions, tirōstirons nous aux autres choses par
la comparaison de l’vnun sens à l’autre? Qu’vnun homme sçauantsçavantentandu
imagine l’humaine nature produicte originellement sans la
veue, & discoure combien d’ignorance & de trouble luy ap-
porteroit vnun tel defaut, combien de tenebres & d’aueu-
glementaveu-
glement en nostre ame: on verra par là combien nous im-
porte, à la cognoissance de la verité, la priuationprivation d’vnun autre tel
sens, ou de deux, ou de trois, si elle est en nous. Nous auōsavons for-
mé vneune verité par la consultation & concurrence de nos cinq
sens: mais à l’aduantureadvanture falloit-il l’accord de huict, où de dix
sens, & leur contribution pour l’apperceuoirappercevoir certainement &
en son essence. Les sectes qui combatent la science de l’hom-
me, elles la cōbatentcombatent principalement par l’incertitude & foi-
blesse de nos sens: car puis que toute cognoissance vient en
nous par leur entremise & moyen, s’ils faillent au raport qu’ils
nous font, s’ils corrompent où alterent ce, qu’ils nous char-
rient du dehors, si la lumiere qui par eux s’écoule en nostre
ame est obscurcie au passage, nous n’auonsavons plus que tenir.
De cette extreme difficulté sont nées toutes ces fantasies:
LIVRE SECOND. 251259
que chaque subietsubjet à en soy tout ce que nous y trouuonstrouvons: qu’il
n’a rien de ce que nous y pensons trouuertrouver: & celle des Epicu-
riens, que le Soleil n’est non plus grādgrand que ce que nostre veuë
le iugejuge.,
Quicquid id est, nihilo fertur maiore figura
Quam nostris oculis quam cernimus esse videtur.
Que les apparences, qui representent vnun corps grand, à celuy
qui en est voisin, & plus petit, à celuy qui en est esloigné, sont
toutes deux vrayes.,
Nec tamen hic oculis falli concedimus hilum
Proinde animi vitium hoc oculis adfingere noli,
& resoluemētresoluement qu’il n’y à aucune tromperie aux sens, qu’il faut
passer à leur mercy, & cercher ailleurs des raisons pour excu-
ser la difference & contradiction que nous y trouuonstrouvons. Voy-
re inuenterinventer toute autre mensonge & resuerieresverie (ils en vien-
nent iusquesjusques là) plustost que d’accuser les sens. ⁁
⁁ Timagoras iuroitjuroit
que pour presser ou
biaizer son euil il
n’auoitavoit iamaisjamais aperceu
doubler la lumiere de
la chandelle. Et que
celate sēbloitācesembloitance uenoitvenoit du uicevice de
l’opinion nōnon de l’instrument.
Car dDe tou-
tes les absurditez la plus absurde ⁁ ⁁ aus Epicuriens, c’est disent-ils, de les des-
auoüerdes-
avoüer. la force & effaict des sens.
Proinde quod in quoque est his visum tempore, verum est.
Et si non potuit ratio dissoluere causam,
Cur ea quae fuerint iuxtim quadrata, procul sint
Visa rotunda: tamen praestat rationis egentem
Reddere mendosè causas vtriúsque figurae,
Quam manibus manifesta suis emittere quoquam,
Et violare fidem primam, & conuellere tota
Fundamenta, quibus nixatur vita salúsque.
Non modo enim ratio ruat omnis, vita quoque ipsa
Concidat extemplo, nisi credere sensibus ausis,
Praecipitésque locos vitare, & caetera quae sint
In genere hoc fugienda. ⁁
⁁ Ce conseil desesperè et si
peu philosophique ne
represante autre chose
si non que l’humaine
sciance ne se peut mein=
tenir que par raison
desraisonable mais fole et forcenee:
mais qu’encore uautvaut il mieus que l’home pour
se faire ualoirvaloir s’en serueserve et de tout autre
remede pourtant fantastique qu’il soit il que
d’auoueravouer sa necessere bestise: ueriteverite si
desauātageusedesavantageuse. Il ne peut fuir que les sens
ne soint les souuereinssouvereins maistres de sa conoissance
mais ils sont incertains & falsibliables a toutes
circonstances. c’C’est la ou il se faut battre a outrāceoutrance
et si les forces iustesjustes nous faillent come elles font,
y emploier lopiniatretel’opiniatrete la temerite l’impudance
Au cas, q̄que ce que disent les Epicuriens soit vray, asçauoirasçavoir, que
nous n’auōsavons pas de sciēcescience si les apparēcesapparences des sens sont fauces:
TTt iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& ce que disent les Stoïciens, s’il est aussi vray, q̄que les apparen-
ces des sens sont si fauces qu’elles ne nous peuuentpeuvent produire
aucune science: nous conclurrons aux despens de ces deux
grandes sectes dogmatistes, qu’il n’y à point de science. QuātQuant
à l’erreur & incertitude de l’operation des sens, chacun s’en
peut fournir autant d’exemples qu’il luy plaira: car latant les fautes &
trōperietromperies, qu’ils nous font, elle est quasisont ordinaires. Au retātirretantir
d’vnun valon le son d’vneune trompete semble venir deuantdevant nous,
qui vient d’vneune lieue derriere.:
Extantesque procul medio de gurgite montes
Iidem apparent longè diuersi licet
Et fugere ad puppim colles campique videntur
Quos agimus propter nauim
vbi in medio nobis equus acer obhaesit
Flumine, equi corpus transuersum ferre videtur
Vis, & in aduersum flumen contrudere raptim.
A manier vneune balle d’arquebouse soubs le second doigt, ce-
luy du milieu estant entrelassé par dessus, il faut extremement
se cōtraindrecontraindre, pour aduoüeradvoüer, qu’il n’y en ait qu’vneune, tant le sens
nous en represente deux. Car que les sens soyent maintesfois
maistres du discours, & le contraignent de receuoirrecevoir des im-
pressions qu’il sçait & iugejuge estre fauces, il se void à tous
coups. IeJe laisse à part celuy de l’atouchement, qui à ses opera-
tions plus voisines, plus viuesvives & substantielles, qui rēuerserenverse tāttant
de fois par l’effet de la douleur qu’il apporte au corps, toutes
ces belles resolutions Stoïques, & contraint de crier au vētreventre,
celuy qui à estably en son ame ce dogme auecavec toute resolu-
tion, que la colique, comme toute autre maladie & douleur
est chose indifferente, n’ayant la force de rien rabatre du sou-
uerainsou-
verain bonheur & felicité, en laquelle le sage est logé par sa
vertu. Il n’est coeur si mol, que le son de nos tabourins & de
nos trompetes n’eschaufe, ny si dur que la douceur de la mu-
LIVRE SECOND. 252260
sique n’esueilleesveille & ne chatouille: ny ame si revesche, qui ne se
sente touchée de quelque religieuse reuerencereverence, à considerer
cette vastité sombre de nos Eglises, la diuersitédiversité d’ornemens,
& ordre de nos ceremonies, & ouyr le son deuotieuxdevotieux de nos
orgues, & la harmonie si douce, posée, & religieuse de nos
voix. ⁁ Ceux mesme qui y entrent auecavec mespris, ils sentent q̄l-
quequel-
que frisson dans le coeur, & quelque horreur, qui les met en
deffiance de leur opiniōopinion. ⁁
⁁ Pythagoras tenoit
que a ceus qui s’engagent
aus saincts lieus
transforment leur
esperit en un autre
esperit plus pur est
infuse un’ame estrāgiereestrangiere
pure et nette.
Quant à moy, ieje ne m’estime point
assez fort, pour ouyr en sens rassis, des vers d’Horace, & de Ca-
tulle, chātezchantez d’vneune voix suffisante, par vneune belle & ieunejeune bou-
che. ⁁
⁁ Et zenon auoitavoit raison
de dire que la uoixvoix
estoit la fleur de la
beaute. On m’a uoluvolu faire
accroire que ne un home que
tous nous autres françois
conessons m’auoitavoit imposé en
me recitant des uersvers qu’il
auoitavoit faicts: qu’ils n’estoint
pas tels sur le papier qu’en
lairl’air & que mes yeus en fairoint
contrere iugementjugement a mes
oreilles: tant la pronontiation
a de credit a doner pris et
façon aus ouuragesouvrages qui
passent a sa merci. Sur
quoi cet antien greqPhiloxenus ne
fut pas facheus come dict
quile quel oiant un autre doner
mauuesmauves ton & desauantageusdesavantageus
a quelque en lisant a quelque
sien escrit: se print et a luy
casser sesles tuiles de la brique en disant:
au mauuesmauves pronuntiatur
de sa maison: en disant:
ieje romps ce qui est a toi,
come tu corromps ce qui
est a moya quelque siene composition
se mitprit a fouler aus pieds
et casser de la brique qui estoit
a luy: disant: ieje romps
ce qui est a toi come tu
corromps ce qui est a moy.
A quoy faire, ceux mesmes qui se sont donnez la mort
d’vneune certaine resolution, destournoyent ils le visagela face, ou cou-
uroyentcou-
vroyent leurs yeux, pour ne voir le coup qu’ils se faisoyent
donner? & ceux qui pour leur santé desirent & commandent
qu’on les incise & cauterise, se cachent leur visage, & ne peuuētpeuvent
soustenir la veuë des aprets, vtilsutils, & operation du chirurgien,
attēduattendu que la veuë ne doit auoiravoir aucune participation à cette
douleur? Cela ne sont ce pas propres exemples à verifier l’au-
thorité que les sens ont sur le discours? Nous auonsavons beau
sçauoirsçavoir que ces tresses sont empruntées d’vnun page ou d’vnun la-
quais: que cette rougeur est venue d’Espaigne, & cette blan-
cheur & polisseure, de la mer Oceane: encore faut il que la
veuë nous force d’en trouuertrouver le subiectsubject plus aimable &
plus agreable, contre toute raison. Car en cela il n’y à rien
du sien.,
Auferimur cultu, gemmis, auróque teguntur
Crimina, pars minima est ipsa puella sui.
Saepe vbi sit quod ames inter tam multa requiras:
Decipit hac oculos Aegide, diues amor.
Combien dōnentdonnent à la force des sens, les poëtes, qui font Nar-
cisse esperdu de l’amour de son ombre.,
Cunctáque miratur, quibus est mirabilis ipse,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Se cupit imprudens, & qui probat, ipse probatur.:
Dumque petit, petitur: paritérque accendit & ardet.
& l’entendement de Pygmalion si trouble par l’impression
de la veuë de sa statue d’iuoirejuoire, qu’il l’aime & la serueserve pour
viuevive.,
Oscula dat reddique putat, sequiturque tenetque,
Et credit tactis digitos insidere membris,
Et metuit pressos veniat ne liuor in artus.
Qu’on loge vnun philosophe dans vneune cage de menus filets de
fer fort cler-semez, qui soit suspendue au haut des tours no-
stre Dame de Paris, il verra par raison euidāteevidante, qu’il est impos-
sible qu’il en tombe, & si ne se sçauroit garder (s’il n’a accou-
stumé le mestier des recouureursrecouvreurs) que la veuë de cette hauteur
extreme ne l’espouuanteespouvante & ne le transisse. Car nous auonsavons as-
sez affaire de nous asseurer aux galeries, qui sont aux cimes deen
nos clochiers, si elles sont façonnées à iourjour, encores qu’elles
soyent de pierre. Il y en a qui n’en peuuentpeuvent pas seulemētseulement por-
ter la pensée. Qu’on iettejette vneune poutre entre ces deux tours, d’v-
neu-
ne grosseur telle qu’il nous la faut à nous promener dessus, il
n’y à sagesse philosophique de si grande fermeté, qui puisse
nous donner courage d’y marcher, comme nous ferions si el-
le estoit à terre. IJ’ay souuentsouvent eéssayé cela en noz montaignes
de deça, & si suis de ceux qui ⁁ ⁁ ne s’effrayēteffrayent aussi peuque mediocremant de telles cho-
ses, que ieje ne pouuoypouvoy soufrir la veuë de cette profondeur in-
finie, sans horreur & tramblement de iarretsjarrets & de cuisses, en-
cores qu’il s’en fallut bien ma lōgueurlongueur, que ieje ne fusse porté du tout
au bort, & n’eusse sçeu choir, si ieje ne me fusse porté à escient
au dangier. IJ’y remerquay aussi, quelque hauteur qu’il y eust
pourueupourveu qu’en cette pente il s’y presentast vnun arbre, ou
bosse de rochier, pour soustenir vnun peu la veuë & la di-
uiserdi-
viser, que cela nous amuseallege & donne asseurance, comme si
c’estoit chose dequoy à la cheute nous peussions receuoirrecevoir
quelque
LIVRE SECOND. 253261
quelque secours: mais que les precipices coupez & vnizuniz, nous
ne les pouuonspouvons pas seulement regarder sans tournoyement
de teste: ⁁
⁁ ut despici sine
uertigine simul
oculorum animique
non possit:
qui est vneune euidēteevidente piperie & imposture de la veuë.
Ce fut pourquoy ce beau philosophe se creuacreva les yeux, pour
descharger l’ame de la desbauche & impression qu’elle en re-
ceuoitre-
cevoit, & pouuoirpouvoir philosopher plus en liberté. Mais à ce cōteconte
il se deuoyentdevoyentdeuoitdevoit aussi faire estouper les oreilles, que Theophra-
stus dict estre le plus dangereux instrument que nous ayons
pour receuoirrecevoir des impressions violentes, à nous troubler &
changer,: & se ⁁ ⁁ deuoitdevoit priuerpriver en fin de tous les autres sens,: c’est à dire
de son estre & de sa vie. Car ils ont tous cette puissance de cō-
mandercon-
mander nostre discours & nostre ame. ⁁
⁁ Fit etiam saepe specie
quadam saepe uocum
grauitate et cantibus
ut pellantur animi uehe=
mentius saepe etiam cura
et timore.
Les medecins tiennēttiennent,
qu’il y à certaines complexions, qui s’agitent par aucuns sons
& instrumens iusquesjusques à la fureur. IJ’en ay veu, qui ne pouuoiētpouvoient
ouyr ronger vnun os soubs leur table, sans perdre patience: &
n’est guiere homme, qui ne se trouble à ce bruit aigre & poi-
gnant, que font les limes en raclant le fer: comme à ouyr
mascher prez de nous, ou ouyr parler quelqu’vnun, qui ait le
passage du gosier ou du nez empesché, plusieurs s’en esmeu-
uentesmeu-
vent, iusquesjusques à la colere & la haine. Ce fleuteur protocole de
Gracchus, qui amolissoit, roidissoit, & contournoit la vois
de son maistre, lors qu’il haranguoit à Rome, à quoy seruoitservoit
il, si le mouuementmouvement & qualité du son, n’auoitavoit quelque force à
esmouuoiresmouvoir & alterer le iugementjugement des auditeurs? Vrayement
il y à bien dequoy faire si grande feste de la fermeté de cette
belle piece, qui se laisse manier & changer au branle & acci-
dens d’vnun si leger vent. Cette mesme piperie, que les sens ap-
portent à nostre entendement, ils la reçoiuētreçoivent à leur tour. No-
stre ame par fois s’en reuencherevenche de mesme.⁁
⁁ , ils mentent et se
trompēttrompent a l’enuienvi.
Ce que nous voyōsvoyons
& oyons agitez de colere, nous ne l’oyons pas, tel qu’il est.,
Et solem geminum, & duplices se ostendere Thebas.
V V u
ESSAIS DE M. DE MONTA.
L’obietobjet que nous aymons, nous semble plus beau qu’il n’est.,
Multimodis igitur prauas turpésque videmus
Esse in delitiis, summóque in honore vigere.,
Eet plus laid celuy que nous auonsavons à contre coeur. A vnun hom-
me ennuyé & affligé, la clarté du iourjour sēblesemble obscurcie & tene-
breuse. Nos sens sont non seulement alterez, mais souuētsouvent he-
betez du tout, par les passions de l’ame. Combien de choses
voyons nous, que nous n’apperceuonsappercevons pas, si nous auonsavons no-
stre esprit empesché ailleurs?
in rebus quoque apertis noscere possis,
Si non aduertas animum, proinde esse, quasi omni
Tempore semotae fuerint, longéque remotae.
Il semble que l’ame retire au dedans, & amuse les operationspuissances
des sens. Par ainsin & le dedāsdedans & le dehors de l’hōmehomme est plein
de fauceté, de foiblesse & de mensonge. Ceux qui ont apparié
nostre vie à vnun songe, ont eu de la raison, à l’auātureavanture plus qu’ils
ne pensoyent: qQuand nous songeons, nostre ame vit, agit,
exerce toutes ses facultez, ne plus ne moins que quand elle
veille,: mMais si plus mollement & obscurement, non de tant
certes, que la differance y soit, comme de la nuit à vneune clarté
vifuevifve: oOuy, comme de la nuit à l’ombre: lLà elle dort, icy elle
sommeille,: pPlus & moins,. cCe sont tousiourstousjours tenebres, & tene-
bres Cymmerienes. ⁁
⁁ Nous ueillonsveillons en
dormants et en
veillants dormons.
IeJe ne uoisvois pas si cler
dans le sommeil:
mais quantd au
veiller ieje ne le
treuuetreuve iamaisjamais asses
pur et sans nuage.
Encores le sommeil
ens sa profondur
endort parfois les
songes. Mais
nostre ueillerveiller n’est
iamaisjamais si esueillèesveillè
qu’il purge et
dissipe bien a point
les resueriesresveries: qui sont les songes des ueillansveillans: & pires que songes.
Nostre raison et nostre ame receuantrecevant les fantasies & opinions qui luy naissent en
dormant et les authorisant come les actions quede nousnos faisons en songes de pareille approbation qu’elle faict celles du iourjour.
pourquoi ne mettons nous en doubte si nostre penser ⁁ ⁁ si nostre agir n’est pas un’autre songer et le nostre
veiller quelque espece de dormir.
Si les sens sont noz premiers iugesjuges, ce ne
sont pas les nostres qu’il faut seuls appeler au conseil, car en
cette faculté, les animaux ont autant ou plus de droit que
nous. Il est certain qu’aucuns ont l’ouye plus aigue que l’hō-
mehom-
me, d’autres la veue, d’autres le sentiment, d’autres l’atouche-
ment ou le goust. Democritus disoit que les Dieux & les be-
stes auoyentavoyent les facultez sensitiuessensitives beaucoup plus parfaictes
que l’hōmehomme. Or entre les effects de leurs sens, & les nostres, la
difference est extreme. Nostre saliuesalive nettoye & asseche nos
playes, elle tue le serpent.:
LIVRE SECOND. 254262
Tantáque in his rebus distantia differitásque est,
Vt quod alis cibus est, aliis fuat acre venenum.
Saepe etenim serpens hominis contacta saliua
Disperit, ac sese mandendo conficit ipsa.
Quelle qualité donerōsdonerons nous à la saliuesalive, ou selon nous, ou se-
lon le serpent? Par quel des deux sens verifierons nous sa ve-
ritable essence, que nous cerchons. Pline dit qu’il y à aux In-
des certains lieureslievres marins, qui nous sont poison, & nous à
eux: de maniere que du seul attouchement nous les tuōstuons: qui
sera veritablement poison, ou l’homme ou le poisson? à qui
en croirons nous, ou au poisson de l’homme, ou à l’homme
du poisson. Quelque qualité d’air, infecte l’homme, qui ne
nuict point au boeuf, q̄lquequelque autre le boeuf, qui ne nuict point
à l’homme, laquelle des deux sera en verité & en nature pe-
stilente qualité. Ceux qui ont la iaunissejaunisse, ils voyent toutes
choses iaunatresjaunatres & plus pasles que nous.:
Lurida praeterea fiunt quaecunque tuentur
Arquati.
Ceux qui ont cette maladie que les medecins nomment Hy-
posphragma, qui est vneune suffusion de sang sous la peau, voiētvoient
toutes choses rouges & sanglantes. Ces humeurs, qui chan-
gent ainsi les operations de nostre veuë, que sçauonssçavons nous
si elles predominent aux bestes & leur sont ordinaires? Car
nous en voyons les vnesunes, qui ont les yeux iaunesjaunes, comme noz
malades de iaunissejaunisse, d’autres qui les ont sanglans de rougeur:
à celles la, il est vray-semblable, q̄que la couleur des obiectsobjects pa-
roit autre qu’a nous: quel iugemētjugement des deux sera le vray? Car il
n’est pas dict, que l’essence des choses, se raporte à l’homme
seul. La durté, la blancheur, la profondeur, & l’aigreur, tou-
chent le seruiceservice & science des animaux, comme la nostre: na-
ture leur en à donné l’vsageusage comme à nous. QuādQuand nous pres-
sons l’oeil, les corps que nous regardons, nous les aperceuonsapercevons
VVu ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
plus longs & estendus: plusieurs bestes ont l’oeil ainsi pressé:
cette longueur est donc à l’auantureavanture la veritable forme de ce
corps, non pas celle que noz yeux luy donnent en leur assiete
ordinaire. Si nous serrons l’oeil par dessoubs, les choses nous
semblent doubles.,
Bina lucernarum florentia lumina flammis,
Et duplices hominum facies & corpora bina.
Si nous auonsavons les oreilles empeschées de quelque choses, ou le
passage de l’ouye resserré, nous receuōsrecevons le son, autre que nous
ne faisons ordinairement: les animaux qui ont les oreilles
velues, ou qui n’ont qu’vnun bien petit trou au lieu de l’oreille,
ils n’oyent par consequent pas ce que nous oyons, & reçoi-
uentreçoi-
vent le son autre. Nous voyons aux festes & aux theatres,
que opposant à la lumiere des flambeaux, vneune vitre teinte de
quelque couleur, tout ce qui est en ce lieu, nous appert ou
vert, ou iaunejaune, ou violet.,
Et vulgo faciunt id lutea russaque vela
Et furruginea, cum magnis intenta theatris
Per malos volgata trabesque trementia pendent:
Namque ibi concessum caueai subter, & omnem
Scenai speciem patrum matrumque deorumque
Inficiunt, coguntque suo volitare colore.,
Iil est vray-semblable que les yeux des animaux, que nous
voyons estre de diuersediverse couleur, leur produisent les apparen-
ces des corps de mesmes leurs yeux. Pour le iugementjugement de l’o-
perationl’action des sens, il faudroit donc que nous en fussions pre-
mierement d’accord auecavec les bestes, secondement entre
nous mesmes. Ce que nous ne sommes aucunement: & en-
trons en debat tous les coups de ce que l’vnun oit, void, ou gou-
te, quelque chose autrement qu’vnun autre: & debatons au-
tant que de ’autre chose, de la diuersitédiversité des images que
les sens nous raportent. Autrement oit, & voit par la regle
LIVRE SECOND. 255263
ordinaire de nature, & autrement gouste, vnun enfant qu’vnun hō-
mehom-
me de trente ans: & cettuy-cy autrement qu’vnun sexagenaire.
Les sens sont aux vnsuns plus obscurs & plus sombres, aux autres
plus ouuertsouverts & plus aigus. Les malades prestent de l’amertu-
me aux choses douces ⁁
⁁ , les sains de affames
de la douceur aus ameres
: par où il nous appert, que nNous ne re-
ceuonscevons ceuonscevons pas les choses comme elles sont, mais autres & autres
selon que nous sommes, & qu’il nous semble. Or nostre sem-
bler estant si incertain & controuersécontroversé, ce n’est plus miracle, si
on nous dict, que nous pouuōspouvons auouëravouër que la neige nous ap-
paroit blanche, mais que d’establir si de son essence elle est
telle, & à la verité, nous ne nous en sçaurions respondre: & ce
commencement esbranlé, toute la science du monde s’en va
necessairemētnecessairement à vau-l’eau. Quoy que nos sens mesmes s’entr’-
empeschent l’vnun l’autre: vneune peinture semble esleuéeeslevée à la
veue, au maniement elle semble plate: dirōsdirons nous que le muse
soit aggreable où non, qui resiouitresjouit nostre sentiment & offen-
ce nostre goust? Il y à des herbes & des vnguensunguens propres à vneune
partie du corps, qui en offencētoffencentblessent vneune autre: le miel est plaisant
au goust, mal plaisant à la veue. Ces bagues qui sont entaillées
en forme de plumes, qu’on appelle en deuisedevise, pēnespennes sans fin, il
n’y à oeil qui en puisse discerner la largeur, & qui se sceut def-
fendre de cette piperie, que d’vnun costé elles n’ailleētailleent en eslargis-
sant, & s’apointant & estressissant par l’autre, mesmes quādquand on
laes roule autour du doigt: toutesfois au maniement elles vous
sembleētsembleent equables en largeur & par tout pareilles. Ces personnes
qui pour aider leur volupté, se seruoientservoient anciennemētanciennement de mi-
roirs, propres à grossir & aggrandir l’obiectobject qu’ils representētrepresentent,
affin que les membres qu’ils auoiētavoient à embesoigner, leur pleus-
sent d’auātageavantage par cette accroissance oculaire: auquel des deux
sens, donnoient-ils gaigné, ou à la veue qui leur representoit
ces membres gros & grands à souhait, où à l’attouchement
qui les leur presentoit petits & desdaignables. Sont-ce nos
VVu iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sens qui prestent au subiectsubject ces diuersesdiverses conditions, & que les
subietssubjets n’en ayent pourtant qu’vneune? comme nous voyons du
pain que nous mangeons, ce n’est que pain, mais nostre vsa-
geusa-
ge en faict des os, du sang, de la chair, des poils, & des on-
gles.:
Vt cibus in membra atque artus cum diditur omnes
Disperit, atque aliam naturam sufficit ex se.
LhumeurL’humeur que succe la racine d’vnun arbre, elle se faict tronc, feuil-
le & fruit: & l’air n’estant qu’vnun, il se faict par l’appliquation à
vneune trompette, diuersdivers en mille sortes de sons: sont ce, dis-ieje,
nos sens qui façonnent de mesme, de diuersesdiverses qualitez ces su-
iectssu-
jects, où s’ils les ont telles? Et sur ce doubte, que pouuonspouvons nous
resoudre de leur veritable essence? D’auantageavantage puis que les ac-
cidens des maladies, de la resuerieresverie, ou du sommeil, nous font
paroistre les choses autres, qu’elles ne paroissent aux sains, aux
sages, & à ceux qui veillent: puis que cet estat là, à force de dō-
nerdon-
ner aux choses vnun autre estre, que celuy qu’elles ont: puis qu’v-
neu-
ne humeur iaunátrejaunátre, nous change toutes choses en iaunejaune,
n’est-il pas vraysemblable que nostre assiette ordinairedroitte, & nos
humeurs naturelles, sont aussi capables dede quoi dōnerdonner vnun estre aux
choses, se rapportant à leur condition, & de les accommoder
à soy, comme font les humeurs desreglées: & nostre santé
aussi capable de leur donner quelquefournir son visage, cōmecomme nostrela ma-
ladie? ⁁
⁁ Pourquoi n’a le temperé
quelque forme des obiectsobjects
relatiuerelative a soi, come l’in=
temperé, et ne leur
imprimera il pareillemētpareillement
son caractere? Le
desgoutè charge la
fadeur au uinvin, le
sain la saueursaveur, lalterél’alteré
la friandise.
Or nostre estat accommodant les choses à soy, & les
transformant selon soy, nous ne sçauonssçavons plus quelles sont les
choses en verité, ny quelle est leur nature: car rien ne vient
à nous que falsifié & alteré par nos sens. Ou le compas,
l’esquarre, & la regle sont gauches, toutes les proportions
qui s’en tirent, tous les bastimens qui se dressent à leur mesu-
re, sont aussi necessairement manques & defaillans. L’in-
certitude de nos sens rend incertain, tout ce qu’ils produi-
sent.:
LIVRE SECOND. 256264
Denique vt in fabrica, si praua est regula prima,
Normaque si fallax rectis regionibus exit,
Et libella aliqua si ex parte claudicat hilum,
Omnia mendosè fieri, atque obstipa necessum est,
Praua, cubantia, prona, supina, atque absona tecta,
Iam ruere vt quaedam videantur velle ruántque
Prodita iudiciis fallacibus omnia primis.
Hic igitur ratio tibi rerum praua necesse est,
Falsaque sit falsis quaecumque à sensibus orta est.
Au demeurant qui sera propre à iugerjuger de ces differences? Cō-
meCom-
me nous disons aux debats de la religion, qu’il nous faut vnun
iugejuge nōnon attaché à l’vnun ny à l’autre party, exēptexempt de chois & d’af-
fection, ce qui ne se peut parmy les Chrestiens: il aduientadvient de
mesme en cecy: car s’il est vieil, il ne peut iugerjuger du sentiment
de la vieillesse, estant luy mesme partie en ce debat: s’il est ieu-
nejeu-
ne, de mesme: sain de mesme, de mesme malade, dormant, &
veillant: il nous faudroit quelqu’vnun exempt de toutes ces qua-
litez, afin que sans praeoccupation de iugementjugement, & sans incli-
nation, ou chois, il iugeastjugeast de ces propositions, comme à luy
indifferentes: & à ce conte il nous faudroit vnun iugejuge qui ne fut
pas. Pour iugerjuger des apparences que nous receuonsrecevons des subietssubjets,
il nous faudroit vnun instrument iudicatoirejudicatoire: pour verifier c’estcet
instrument, il nous y faut de la demonstration: pour verifier
la demonstration, vnun instrumētinstrument, nous voila au rouet. Puisque
les sens ne peuuentpeuvent arrester nostre dispute, estans pleins eux-
mesmes d’incertitude, il faut que ce soit la raison: aucune rai-
son ne s’establira sans vneune autre raison, nous voyla à reculons
iusquesjusques à l’infiny. Nostre fantasie ne s’applique pas aux choses
estrangeres, ains elle est conceue par l’entremise des sens, &
les sens ne comprennent pas le subiectsubject estranger, ains seule-
ment leurs propres passions: & par ainsi la fantasie & apparē-
ceapparen-
ce n’est pas du subiectsubject, ains seulement de la passion & souffrāsouffran-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce du sens, laquelle passion, & subiectsubject, sont choses diuersesdiverses:
pParquoy qui iugejuge par les apparences, iugejuge par chose autre que
le subiectsubject. Et de dire que les passions des sens, rapportent à l’a-
me la qualité des subiectssubjects estrangers par ressemblance, com-
ment se peut l’ame & l’entendement asseurer de cette ressem-
blance, n’ayant de soy nul commerce, auecavec les subiectssubjects estran-
gers? Tout ainsi comme, qui ne cognoit pas Socrates, voyant
son pourtraict, ne peut dire qu’il luy ressemble. Or qui vou-
droit toutesfois iugerjuger par les apparences: sSi c’est par toutes il
est impossible, car elles s’entre’empeschent par leurs contrarie-
tez & discrepances, comme nous voyons par experience: sSera
ce qu’aucunes apparences choisies reglent les autres, iIl faudra
verifier cette choisie par vneune autre chosiechoisie, la secōdeseconde par la tier-
ce: & par ainsi ce ne sera iamaisjamais faict. Finalement, il n’y à aucu-
ne constancte, existence, ny de nostre estre, ny de celuy
des obiectsobjects: &Et nous, & nostre iugementjugement, & toutes choses
mortelles, vont coulant & roulant sans cesse: aAinsin il ne
se peut establir rien de certain de l’vnun à l’autre, & le iugeantjugeant, &
le iugéjugé, estans en continuelle mutatiōmutation & branle. Nous n’auōsavons
aucune communication à l’estre, par ce que toute humaine
nature est tousiourstousjours au milieu, entre le naistre & le mourir, ne
baillant de soy qu’vneune obscure apparence & ombre, & vneune in-
certaine & debile opinion. Et si de fortune vous fichez vostre
pensée à vouloir prendre son estre, ce sera ne plus ne moins
que qui voudroit empoigner l’eau: cCar tant plus il serrera &
pressera ce qui de sa nature coule par tout, tant plus il perdra
ce qu’il vouloit tenir & empoigner. Ainsin estātestant toutes choses
subiectessubjectes à passer d’vnun changement en autre, la raison y cher-
chant vneune reelle subsistance, se trouuetrouve deceue, ne pouuātpouvant rien
apprehender de subsistant & permanant: pPar ce que tout où
vient en estre, & n’est pas encore du tout, ou cōmencecommence à mou-
rir auantavant qu’il soit nay. Platon disoit que les corps n’auoientavoient
iamaisjamais
LIVRE SECOND. 257265
iamaisjamais existence, ouy bien naissance: ⁁
⁁ Estimant que pour
cette cause Homere eut
faict l’ocean pere des
Dieus et Thetis la mere
pour nous mōtrermontrer que
toutes choses sont en fluxion
muance et uariationvariation
perpetuelle. Opinion
commune a touts les
Philosofes auantavant lesōson temps
de Platon come il dict:
sauf dele sul Parmenides, qui
refusoit mouuemātmouvemant aux
choses: de la force du quel
il faict grand contecas.
Pythagoras que toute
matiere est⁁oit ⁁ fluide ⁁ coulante et labile: lLes Stoiciens, qu’il n’y auoitavoit point de
temps present, & que ce que nous appellions present, n’estoit
que la iointurejointure & assemblage du futur & du passé: Heraclitus
que iamaisjamais homme n’estoit deux fois entré en mesme riuiereriviere:
Epicharmus, que celuy qui à pieça emprunté de l’argent ne le
doit pas maintenant,: &Et que celuy qui cette nuict à esté con-
uiécon-
vié à venir ce matin disner, vient auiourdaujourd’huy non conuiéconvié,
aAttēduaAttendu que ce ne sont plus eux, ils sont deuenusdevenus autres: &Et qu’il
ne se pouuoitpouvoit trouuertrouver vneune substance mortelle deux fois en
mesme estat: cCar par soudaineté & legereté de changement,
tantost elle dissipe, tantost elle rassemble, elle vient & puis s’en
va,. dDe façon que ce qui commence à naistre ne paruientparvient ia-
maisja-
mais iusquesjusques à perfection d’estre,. pPourautant que ce naistre
n’acheueacheve iamaisjamais, & iamaisjamais n’arreste, comme estātestant à bout., aAins
depuis la semence va tousiourstousjours se changeant & muant d’vnun à
autre,. cComme de semence humaine se fait premieremētpremierement dans
le ventre de la mere vnun fruict sans forme,: puis vnun enfant for-
mé,: puis estant hors du ventre, vnun enfant de mammelle,: apres
il deuientdevient garson,: puis consequemment vnun iouuenceaujouvenceau,: apres
vnun homme faict,: puis vnun hōmehomme d’aage,: à la fin decrepité vieil-
lard. De maniere que l’aage & generation subsequētesubsequente va tou-
siourstou-
sjours desfaisant & gastant la precedente.:
Mutat enim mundi naturam totius aetas,
Ex alióque alius status excipere omnia debet,
Nec manet vlla sui similis res, omnia migrant,
Omnia commutat natura & vertere cogit.
Et puis nous autres sottement craignons vneune sorteespece de mort, là
où nous en auonsavons desiadesja passé & en passons tant d’autres. Car
non seulement, comme disoit Heraclitus, la mort du feu est
generation de l’air, & la mort de l’air generation de l’eau: mMais
encor plus manifestemētmanifestement le pouuonspouvons nous voir en nous mes-
XXx
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mes. La fleur d’aage se meurt & passe quand la vieillesse sur-
uientsur-
vient: & la ieunessejeunesse se termine en fleur d’aage d’homme faict:
l’enfance en la ieunessejeunesse: & le premier aage meurt en l’en-
fance: & le iourdjourd’huy hier meurt en celuy du iourdjourd’huy,
& le iourdjourd’huy mourra en celuy de demain: & n’y à riērien qui de-
meure, ne qui soit tousiourstousjours vnun. Car qu’il soit ainsi, si nous de-
meurons tousiourstousjours mesmes & vnsuns, comment est-ce que nous
nous esiouissonsesjouissons maintenant d’une chose & maintenant d’v-
neu-
ne autre? cComment est-ce que nous aymons choses contraires
où les haissons, nous les louons ou nous les blasmons? cCōmentcComment
auonsavons nous differentes affections, ne retenant plus le mesme
sentiment en la mesme pensée? Car il n’est pas vray-semblable
que sans mutation nous prenions autres passions: &Et ce qui
souffre mutation ne demeure pas vnun mesme: &Et s’il n’est pas vnun
mesme, il n’est donc pas aussi: aAins quant & l’estre tout vnun, chā-
gechan-
ge aussi l’estre simplement, deuenantdevenant tousiourstousjours autre d’vnun au-
tre: &Et par consequent se trompent & mentent les sens de na-
ture prenans ce qui apparoit, pour ce qui est, à faute de biēbien sça-
uoirsça-
voir que c’est qui est. Mais qu’est-ce donc qui est veritable-
ment? cCe qui est eternel: cC’est à dire qui n’a iamaisjamais eu de naissan-
ce, n’y n’aura iamaisjamais fin, à qui le temps n’apporte iamaisjamais aucu-
ne mutation. Car c’est chose mobile que le temps, & qui ap-
paroit comme en ombre, auecavec la matiere coulante & fluante
tousiourstousjours, sans iamaisjamais demeurer stable ny permanente: àA qui
appartiennent ces mots, deuantdevant & apres, & à esté, ou sera. Les-
quels tout de prime face montrent euidemmentevidemment, que ce n’est
pas chose qui soit: cCar ce seroit grande sottise & fauceté toute
apparēteapparente de dire que cela soit, qui n’est pas encore en estre, où
qui desiadesja à cessé d’estre:. Et quant à ces mots present, instant,
maintenant, par lesquels il semble que principalement nous
soustenions & fondons l’intelligence du tēpstemps,: la raison le des-
couurātdes-
couvrant le destruit tout sur le chāpchamp: car elle le fend incontinētincontinent
LIVRE SECOND. 258266
& le part en futur & en passé: comme le voulant voir necessai-
rement desparty en deux. Autant en aduientadvient-il à la nature, qui
est mesurée, cōmecomme au temps qui la mesure: cCar il n’y à non plus
en elle rien qui demeure, ne qui soit subsistātsubsistant, ains y sont tou-
tes choses ou nées, ou naissantes, ou mourantes. Au moyen
dequoy ce seroit peché de dire de Dieu, qui est le seul qui est,
que’ il fut, où il sera: cCar ces termes là sont declinaisons, passa-
ges, où vicissitudes de ce, qui ne peut durer, ny demeurer en e-
stre. Parquoy il faut conclurre que Dieu seul est, non poinct
selon aucune mesure du temps, mais selon vneune eternité im-
muable & immobile, non mesurée par temps, ny subiectesubjecte a
aucune declinaison: deuantdevant lequel rien n’est, ny ne sera apres,
ny plus nouueaunouveau ou plus recent, ains vnun realement estant, qui
par vnun seul maintenant emplit le tousiourstousjours, & n’y à rien, qui
veritablement soit, que luy seul: sans qu’on puisse dire, il à esté,
où il sera, sans commencement & sans fin. A cette conclusion
si religieuse d’vnun homme payen, ieje veux ioindrejoindre seulement ce
mot d’vnun tesmoing de mesme condition, pour la fin de ce lōglong
& ennuyeux discours, qui me fourniroit de matiere sans fin.
O la vile chose, dict-il, & abiecteabjecte, que l’homme, s’il ne s’esleueesleve
au dessus de l’humanité. Il n’est mot en toute sa secte Stoique
plus veritable, que celuy-là: mMaisVoila un bon mot et un ut utile desir
mais pareillement absurde. Car de faire la poignée plus gran-
de que le poing, la brassée plus grande que le bras, & d’esperer
eniamberenjamber plus que de l’estāduëestanduë de nos iambesjambes, cela est impos-
sible & monstrueux: nNy que l’homme se monte au dessus de
soy & de l’humanité: car il ne peut voir que de ses yeux, ny
saisir que de ses prises. Il s’esleueraeslevera, si Dieu luy preste ⁁ ⁁ extrordinerement la main: iIl
s’esleueraeslevera abandonnant & renonçant à ses propres moyens, &
se laissant hausser & soubsleuersoubslever par la grace diuinedivine,: mais non
autrement.les moyens celestes purement celestes. par la force de la foi non de sa sagesse et point
autrement C’est a la secte chrestiene non a sa secte Stoique
de luy aprandre cette diuinedivine & miraculuse metamorphose.
C’est a lanostre foi Chrestiene non a lasa sagesseuertuvertu Stoique de pretandre
a cette diuinedivine et miraculeuse metamorfose.
XXx ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
De iugerjuger de la mort d’autruy.
CHAP. XIII.
QVANDQUAND nous iugeonsjugeons de l’asseurance d’autruy en la
mort, qui est sans doubte la plus remerquable action
de la vie humaine, il se faut prendre garde d’vneune cho-
se, que mal aisément on croit estre arriuéarrivé à ce point. Peu de
gens meurent resolus, que ce soit leur heure derniere: & n’est
endroit ou la piperie de l’esperance nous amuse plus. Elle ne
cesse de corner aux oreilles: d’autres ont bien esté plus mala-
des sans mourir,: l’affaire n’est pas si desesperé qu’on pense: & au
pis aller, Dieu à bien fait d’autres miracles. Et aduientadvient cela (à
mon aduisadvis) de ce que ayant raporté tout ànous faison trop de cas de nous,: iIl semble que
l’vniuersitéuniversité des choses souffre aucunement interest àde nostre a-
neantissement,: & qu’elle soit compassionnée à nostre estat.
D’autant que nostre veuë alterée se represente les choses de
mesmes, & il nous est aduisadvis qu’elles luy faillent à mesure qu’elle
leur faut: cComme ceux qui voyagent en mer,: ausquels il sem-
ble quea qui les montaignes, les campaignes, les villes, le ciel, & la
terre ailleuontvont mesme branle, & quant & quant eux.,
Prouehimur portu terraeque vrbésque recedunt,.
Qui veit iamaisjamais vieillesse qui ne louast le temps passé, & ne
blasmast le present,: chargeant le monde & les meurs des hō-
meshom-
mes, de sa misere & de son chagrin.:
Iamque caput quassans grandis suspirat arator,
Et cum tempora temporibus praesentia confert,
Praeteritis, laudat fortunas saepe parentis
Et crepat antiquum genus vt pietate repletum.
Nous entrainons tout auecavec nous: d’où il s’ensuit que nous
estimons grande chose nostre mort, & qui ne passe pas si
aisément, ny sans solenne consultation des astres:⁁
⁁ , tot circa unum
caput tumultuantes
deos. Et
& le pēsonspensons
d’autant plus, que plus nous auonsavons les esprits enleuéesenlevées,nous prisons. ⁁
⁁ Comant? tant de sciance se perderoit elle au monde aueqaveq tant d’e interest domage
sans particulier soinsouci des destinees: un’ame si rare si pleine et examplere
ne coute elle non plus a tuer qu’un ame populere & inutile: cette uievie qui
en couurecouvre tant d’autres de qui tant d’autres uiesvies despandent se iugejuge elle
sans respet de son importance? speciale? qui occupe tāttant de monde par
son usage remplit tant de places se desplace elle come celle qui
tient a son simple neud. Nul de nous ne pense ⁁ ⁁ asses n’estre qu’un.
&
LIVRE SECOND. 259267
courages hautains. De la viennent ces mots de Caesar à son
pilote, plus enflez, que la mer qui le menassoit,
Italiam si coelo authore recusas,
Me pete: sola tibi causa haec est iusta timoris,
Vectorem non nosse tuum, perrumpe procellas
Tutela secure mei:
Et ceux cy,
credit iam digna pericula Caesar
Fatis esse suis: tantúsque euertere dixit
Me superis labor est, parua quem puppe sedentem,
Tam magno petiere mari.
Et cette resuerieresverie publique, que le Soleil porta en son front
tout le long d’vnun an le deuil de sa mort.,
Ille etiam extincto miseratus Caesare Romam
Cum caput obscura nitidum ferrugine texit,:
&Et mille semblables, dequoy le monde se laisse si ayséement
piper, estimant que le pois de nos interests altereētaltereent aussi le Ciel,
& qu’vnun grand Roy ⁁
⁁ un sçauantsçavant
home un bon
capiteine,
luy coustepoise plus à tuer qu’vneune puce.et que son infinité se formalise de nos menues distinctions. ⁁
⁁ Non tanta caelo
societas nobiscum est
ut nostro fato morta=
lis sit ille quoque
siderum fulgor
Or
de iugerjuger la resolution & la constance en celuy, qui ne croit
pas encore certainement estre au danger, quoy qu’il y soit,
ce n’est pas raison: & ne suffit pas qu’il soit mort en cette des-
marche, s’il ne s’y estoit mis iustementjustement pour cet effect. Il ad-
uientad-
vient à la pluspart, de roidir leur contenance & leurs parol-
les, pour en acquerir reputation, qu’ils esperent encore iouirjouir
viuansvivans. ⁁
⁁ De ceus que ij’aiD’autant que ij’en ai ueuveu
mourir, la fortune a
plus dispose les contenances
quenon leur dessein.
Et de ceux mesmes qui se sont anciennement donnez
la mort, il y à biēbien à choisir, si c’est vneune mort soudaine, ou mort
qui ait du temps. Ce cruel Empereur Romain disoit de ses
prisonniers, qu’il leur vouloit faire sentir la mort, & si quelcūquelcun
se deffaisoit en prison, celuy la m’est eschapé (disoit-il.) Il vou-
loit estendre la mort, & la faire goustersentir par les tourmens.:
Vidimus & toto quamuis in corpore caeso
Nil animae laeetale datum, moremque nefandae
XXx iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Durum saeuitiae, pereuntis parcere morti.
De vray ce n’est pas si grādegrande chose, d’establir tout sain & tout
rassis, de se tuer,: il est biēbien aisé de faire le mauuaismauvais auantavant que de
venir aux prises: dDe maniere que le plus effeminé homme du
monde Heliogabalus, parmy ses plus láches voluptez, dessei-
gnoit biēbien de se faire mourir ⁁ ⁁ delicatemant, ou l’occasiōoccasion l’en forceroit: &Et afin
que sa mort ne dementist point le reste de sa vie, auoitavoit fait ba-
stir expres vneune tour somptueuse, le bas & le deuantdevant de laquel-
le estoit planché d’ais enrichis d’or & de pierrerie pour se pre-
cipiter: & aussi fait faire des cordes d’or & de soye cramoisie
pour s’estrangler: & battre vneune espée d’or pour s’enferrer: &
gardoit du venin dans des vaisseaux d’emeraude & de topaze,
pour s’enpoisonner, selon que l’enuieenvie luy prēdroitprendroit de choisir
de toutes ces façons de mourir.,
impiger & fortis virtute coacta.
Toutesfois quant à cettuy-cy la mollesse de ses aprets rend
plus vray-semblable que le nez luy eut seigné, qui l’en eut mis
au propre. Mais de ceux mesmes, qui plus vigoureux se sont
resolus à l’execution, il faut voir (dis-ieje) si ça esté d’vnun coup,
qui ostat le loisir d’en sentir l’effect: cCar c’est à deuinerdeviner à voir
escouler la vie peu à peu, le sentiment du corps se meslant à
celuy de l’ame, s’offrant le moyen de se repentir, si la constan-
ce s’y fut trouuéetrouvée & l’obstination en vneune si dangereuse volō-
tévolon-
té. Aux guerres ciuilesciviles de Caesar, Lucius Domitius pris en la
Prusse, s’estant empoisonné s’en repantit apres. Il est aduenuadvenu
de nostre temps que tel resolu de mourir, & de son premier
essay n’ayant donné assez auantavant, la demangeson de la chair
luy repoussant le bras, se reblessa bien fort à deux ou trois fois
apres, mais ne peut iamaisjamais gaigner sur luy d’enfoncer le coup. ⁁
⁁ Pandant qu’on
faisoit le proces a
Plautius SiluanusSilvanus
VrgulaniaUrgulania sa mere
grant luy enuoiaenvoia
vnun pouignard du
quel n’aïant peu
venir a bout de se
tuer, il se fit couper
les ueinesveines a ses iansjans gens.
Albucilla du temps de Tibere, s’estant pour se tuer frappee
trop mollement, donna encores à ses parties moyen de l’em-
prisonner & faire mourir à leur mode. Autant en fit le Capi-
LIVRE SECOND. 260268
taine Demosthenes apres sa route en la Sicile. ⁁
⁁ Et C. Fimbria s’estant
frape trop foiblemant
impetra de son ualetvalet
de l’acheuerachever. Au rebours
Ostorius, le quel ne
se pouuātpouvant seruirservir de
son bras y emploia
celuy de son desdeigna
d’emploier celuy de son
seruiturservitur a autre chose
qu’a tenir le pouignard
droit et ferme, et se
donātdonant le branle
porta luy mesme sa
gorge a l’encontre et
la trāsperçatransperça.
C’est vneune vian-
de à la verité qu’il faut aualleravallerengloutir sans tastermacher, qui n’a le gosier fer-
ré à glace: & pourtant l’Empereur Adrianus feit que son me-
decin merquat & circonscript en son tetin, iustemētjustement l’endroit
mortel, ou celuy eut à viser, à qui il donna la charge de le tuer.
Voyla pourquoy Caesar, quand on luy demandoit quelle
mort il trouuoittrouvoit la plus souhaitable, la moins premeditée,
respondit-il, & la plus courte. Si Caesar là osé dire ce ne m’est
plus lacheté de le croire. VneUne mort courte, dit Pline, est le
souuerainsouverain heur de la vie humaine. Il leur fache de la recōnoi-
strereconnoi-
stre. Nul ne se peut dire estre resolu à la mort, qui craint à la
marchander, qui ne peut la soustenir les yeux ouuersouvers. Ceux
qu’ōon voit aux supplices courir à leur fin, & haster l’execution,
& la presser, ils ne le font pas de vraye resolution, ils se veulētveulent
oster le temps de la considerer: lL’estre mort ne les fache pas,
mais ouy bien le mourir,
Emori nolo, sed me esse mortuum nihili aestimo.
C’est vnun degré de fermeté, auquel ij’ay experimenté que ieje
pourrois arriuerarriver, commeainsi que ceux qui se iettentjettent dans les dāgersdangers,
comme dans la mer à yeux clos. ⁁
⁁ Il n’y a rien
selon moi plus
illustre en la uievie
de Socrates que
d’auoiravoir eu trante
ioursjours entiers a
ruminer le decret
de sa mort: de l’auoiravoir
digeree tout ce temps
la d’une trescerteine
esperance sans esmoi
sans alteration: et
d’un trein d’actions et
de parl paroles
raualeravale plus tost et
anonchali que tendu
et releuereleve par le pois
d’une telle cogitation.
Ce Pomponius Atticus, à qui
Cicero escrit, estant malade, fit appeller Agrippa son gendre,
& deux ou trois autres de ses amys, & leur dit, qu’ayātayant essayé
qu’il ne gaignoit rien à se vouloir guerir, & que tout ce qu’il
faisoit pour alonger sa vie, allongeoit aussi & augmentoit sa
douleur: il estoit deliberé de mettre fin à l’vnun & à l’autre, les
priant de trouuertrouver bonne sa deliberation, & au pis aller de ne
perdre point leur peine à l’en détourner. Or ayant choisi de
se tuer par abstinence, voyla sa maladie guerie par accidant: ce
remede qu’il auoitavoit employé pour se deffaire le remet en san-
té. Les medecins & ses amis faisans feste, d’vnun si heureux eue-
nementeve-
nement, & s’en resiouyssansresjouyssans auecavec luy, se trouuerenttrouverent biēbien trom-
pez: car il ne leur fut possible pour cela de luy faire changer
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’opinion, disant qu’ainsi comme ainsi luy failloit il vnun iourjour
franchir ce pas, & qu’en estant si auantavant, il se vouloit oster la
peine de recommancer vnun’autre fois. Cettuy-cy ayant recon-
nu la mort tout à loisir, non seulement ne se descourage pas
au ioindrejoindre, mais il s’y acharne: car estant satis-fait en ce
pourquoy il estoit entré en combat, il se picque par braueriebraverie
d’en voir la fin. C’est bien loing au dela de ne craindre point
la mort, que de la vouloir goustertaster & sauourersavourer. ⁁
⁁ L’histoire de la mort
du philosofe Cleanthes
est pareille fort pareille.
Les gengiuesgengives luy estoint
enflees & pourries. Les
medecins lui cōseillarentconseillarent
d’vseruser d’une grande absti=
nence. Aiant iunejune deus ioursjours
il est fut si bien amande que’ils
les medecins luy declarētdeclarent
sa guerison & luy permetētpermetent
de retourner au son trein de
viurevivre acostume. Luy au
rebours goustant desiadesja
quelque douceur en cette
defaillance de forces et
voisin de la mort entreprātentreprant
de ne se retirer plus arriere et
franchirt le pas qu’il auoitavoit
si fort auanceavance.
Tullius Mar-
cellinus ieunejeune homme Romain, voulant anticiper l’heure de
sa destinée pour se deffaire d’vneune maladie, qui le gourman-
doit, plus qu’il ne vouloit souffrir: quoy que les medecins
luy en promissent guerison certaine, sinon si soudaine, appel-
la ses amis pour en deliberer: les vnsuns, dit Seneca, luy donnoyētdonnoyent
le conseil que par lácheté ils eussent prins pour eux mesmes,
les autres par flaterie, celuy qu’ils pensoyent luy deuoirdevoir estre
plus agreable: mais vnun Stoïcien luy dit ainsi:. Ne te trauailletravaille
pas Marcellinus, comme si tu deliberois de chose d’impor-
tance: ce n’est pas grand chose que viurevivre, tes valets & les be-
stes viuentvivent: mais c’est grand chose de mourir honestement,
sagement, & constamment: Songe combien il y à que tu fais
mesme chose, manger, boire, dormir: boire, dormir, & man-
ger. Nous roüons sans cesse en ce cercle: non seulement les
mauuaismauvais accidans & insupportables, mais la satieté mesme de
viurevivre donne enuieenvie de la mort. Marcellinus n’auoitavoit besoing
d’homme qui le conseillat, mais d’homme qui le secourut: les
seruiteursserviteurs craignoyent de s’en mesler: mais ce Stoïcienphilosofe leur
fit entendre que les domestiques sont soupçonnez, lors seu-
lement qu’il est en doubte, si la mort du maistre à esté volon-
taire: autrement qu’il seroit d’aussi mauuaismauvais exemple de l’em-
pescher, que de le tuer, d’autant que
Inuitum qui seruat, idem facit occidenti.
Apres il aduertitadvertit Marcellinus qu’il ne seroit pas messeant, cōcom-
me
LIVRE SECOND. 261269
me le dessert des tables se donne aux assistans, nos repas faicts,
aussi la vie finie, de distribuer quelque chose à ceux qui en
ont esté les ministres. Or estoit Marcellinus de courage franc
& liberal: il fit départir quelque somme à ses seruiteursserviteurs, & les
consola. Au reste il n’y eust besoing de fer, ny de sang: il en-
treprit de s’en aller de cette vie, nōnon de s’en fuir, non d’eschap-
per à la mort, mais de l’essayer. Et pour se donner loisir de la
marchander, ayant quitté toute nourriture, le troisiesme iourjour
apres, s’estant faict arroser d’eau tiede, il defaillit peu à peu, &
non sans quelque volupté à ce qu’il disoit. De vray, ceux qui
ont essayéeu ces defaillances de coeur, qui prennent par foibles-
se, disent n’y sentir aucune douleur, voire plustost quelque
plaisir comme d’vnun passage au sommeil & au repos. Voyla
des morts estudiées & digerées. Mais afin que le seul Caton
peut fournir dea tout exemple de vertu, il semble que son bon
destin luy fit auoiravoir mal en la main, dequoy il se dōnadonna le coup:
pour qu’il eust loisir d’affronter la mort & de la coleter, rēfor-
ceantrenfor-
ceant le courage au dangier, au lieu de l’amollir. Et si ç’eust
esté à moy, à le representer en sa plus superbe assiete, c’eust
esté deschirant tout ensanglanté ses entrailles, plustost que
l’espée au poing, comme firent les statueres de son temps.
Car ce second meurtre fut bien plus furieux, que le pre-
mier.
Comme nostre esprit s’empesche soy-mesmes.
CHAP. XIIII.
C’EST vneune plaisante imagination, de conceuoirconcevoir vnun es-
prit balancé iustementjustement entre-deux pareilles enuyesenvyes.
Car il est indubitable qu’il ne prendra iamaisjamais party,
d’autant que l’inclinationapplication & le chois porte inequalité de pris:
& qui nous logeroit entre la bouteille & le iambonjambon, auecavec pa-
reille enuieenvieegual appetit de boire & de menger, il n’y auroit sans doute re-
YYy
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mede, que de mourir de soif & de fain. Pour pouruoirpourvoir à cet
inconuenientinconvenient, les Stoïciens, quand on leur demande d’où
vient en nostre ame le choisl’eslection de deux choses indifferentes, &
qui faict que d’vnun grand nombre d’escus nous en prenions
plustost l’vnun que l’autre, estans tous pareil, & n’y ayanst aucu-
ne raison qui nous pousse au chois,incline a la preferance: respondent que ce mou-
uementmou-
vement de l’ame est extraordinaire & déreglé, venant en nous
d’vneune impulsion estrangiere, accidentale, & fortuite. Il se
pourroit dire, ce me semble, plustost, que aucune chose ne se
presente à nous, ou il n’y ait quelque difference, pour legiere
qu’elle soit,: & que ou à la veuë, ou à l’atouchemētatouchement, il y à tous-
iourstous-
jours quelque choisplus, qui nous touche & attire, quoy que ce
soit imperceptiblement. Pareillement qui presupposera vneune
fisselle egalement forte par tout, il est impossible de toute im-
possibilité qu’elle rompe, car par ou voulez vous, que la fau-
cée commence: & de rompre par tout ensemble, il n’est pas
en nature. Qui ioindroitjoindroit encore à cecy les propositiōspropositions Geo-
metriques, qui concluent par la certitude de leurs demōstra-
tionsdemonstra-
tions, le contenu plus grand que le contenant, le centre aussi
grand que sa circonference, & qui trouuenttrouvent deux lignes s’ap-
proçhants’ap-
prochant sans cesse l’vneune de l’autre & ne se pouuantpouvant iamaisjamais
ioindrejoindre, & la pierre philosophale, & quadrature du cercle, ou
la raison & l’effect sont si opposites, en tireroit à l’aduentureadventure
quelque argument pour secourir ce mot hardy de Plinede Pline, solūsolum
certum nihil esse certi, & homine nihil miserius aut superbius,. qu’il
n’est rien certain que l’incertitude, & rien plus miserable &
plus fier que l’homme.
LIVRE SECOND. 262270
Que nostre desir s’accroit par la malaisance.
CHAP. XV.
IL n’y à raison qui n’en aye vneune contraire, dict le
plus sage party des philosophes. IeJe remachois tan-
tost ce tresbeau mot & tres-veritable, qu’vnun ancien al-
legue pour le mespris de la vie: nul bien nous peut appor-
ter plaisir, si ce n’est celuy, à la perte duquel nous sommes pre-
parez: ⁁
⁁ In aequo est dolor
amissae rei et timor
amittendae.
voulant gaigner par la, que la fruitiōfruition de la vie ne nous
peut estre vrayement plaisante si nous sommes en crainte de
la perdre. Il se pourroit toutes-fois dire au rebours, que nous
serrons & embrassons ce bien, d’autant plus fermeestroit, & auec-
quesavec-
ques plus d’affection, que nous le voyons nous estre moins
seur, & que nous le craignons ⁁ ⁁ qu’ilt nous estresoit osté. Car il se sent e-
uidemmente-
videmment, comme le feu se picque à l’assistance du froid,
que nostre volonté s’esguise aussi par le contraste.:
Si nunquam Danaen habuisset ahenea turris
Non esset Danae de Ioue facta parens,:
& qu’il n’est rien naturellement si contraire à nostre goust,
que la satieté, qui vient de l’aisance, ny rien qui l’éguise tant
que la rareté & difficulté. Omnium rerum voluptas ipso quo debet
fugare periculo crescit.:
Galla nega, satiatur amor, nisi gaudia torquent.
Pour tenir l’amour en haleine Licurgue ordonna que les ma-
riez de Lacedemone ne se pourroient prattiquer qu’a la des-
robée, & que ce seroit pareille honte de les rencontrer cou-
chés ensemble, qu’auecquesavecques d’autres. La difficulté des assigna-
tions, le dangier des surprises, la honte du lendemain,
& languor, & silentium,
Et latere petitus imo spiritus,
YYy ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
c’est ce qui donne pointe à la sauce. ⁁
⁁ Combien de ieusjeus
treslasciuementtreslascivement plaisants
naissent de l’honeste
& uergouigneusevergouigneuse
maniere de parler des
ouuragesouvrages de l’amour
La volupté mesme cer-
che à s’irriter par la douleur. Elle est bien plus sucrée, quand
elle cuit, & quand elle escorche. La Courtisane Flora disoit
n’auoiravoir iamaisjamais couché auecquesavecques Pompeius, qu’elle ne luy fiteut faict
porter les merques de ses morsures.:
Quod petiere premunt arctè, faciúntque dolorem
Corporis, & dentes inlidunt saepe labellis:
Et stimuli subsunt, qui instigant laedere idipsum
Quodcunque est, rabies vnde illae germina surgunt.
Il en va ainsi par tout, la difficulté dōnedonne pris aux choses. Ceux
de la marque d’Ancone font plus volōtiersvolontiers leurs veuz à Saint
IaquesJaques, & ceux de Galice à nostre Dame de Lorete: on faict
au Liege grādegrande feste des bains de Luques, & en la Toscane de
ceux d’Aspa: il ne se voit guiere de Romain en l’escole de l’es-
crime à RōmeRomme, qui est plaine de François. Ce grand Caton se
trouuatrouva aussi bien que nous, desgousté de sa femme tāttant qu’el-
le fut siene, & la desira quand elle fut à vnun autre. ⁁
⁁ IJ’ay chasse au haras un
vieus cheualcheval du quel a la
sentur des iumansjumans on ne
pouuoitpouvoit uenirvenir a bout. La
facilite lal’a incontinant
saoule enuersenvers les sienes
mais enuersenvers les estrangieres
& la premiere qui passe le
long de son pastis il reuientrevient
a ses importuns hanissemens
& a ses chalurs furieuses come
deuantdevant.
Nostre appe-
tit mesprise & outrepasse ce qui luy est en main, pour cou-
rir apres ce qu’il n’a pas.:
Transuolat in medio posita, & fugientia captat.
Nous defendre quelque chose c’est nous en donner enuieenvie.:
Nisi tu seruare puellam
Incipis, incipiet desinere esse mea,.
Nous l’abandonner tout à faict, c’est nous en engendrer mes-
pris:. lLa faute & l’abondance retombent en mesme incon-
uenientincon-
venient:,
Tibi quod superest, mihi quod defit, dolet:
Lle desir & la iouyssancejouyssance nous mettent ⁁ ⁁ pareillement en peine pareille. La ri-
gueur des maistresses est ennuyeuse, mais l’aisance & la faci-
lité l’est, à dire verité, encores plus: d’autant que le mescon-
tentement & la cholere naissent de l’estimation, en quoy nous
auonsavons la chose desirée, éguisent l’amour, le picquent & le
LIVRE SECOND. 263271
reschauffent: mais la satieté engēdreengendre le dégoust: c’est vneune pas-
sion mousse, hebetée, lasse, & endormie.
Si qua volet regnare diu contemnat amantem,:
contemnite amantes,
Sic hodie veniet si qua negauit heri. ⁁
⁁ Pourquoi inuantainvanta
Poppaea de masquer
les beautez beautez
se son uisagevisage que
pour les rencherir
a ses amans?
Pourquoy à l’on voilé iusquesjusques au dessoubs des talōstalons, ces beau-
tez, que chacune desire monstrer, que chacūchacun desire voir? Pour-
quoy couurentcouvrent elles de tant d’empeschemens, les vnsuns sur les
autres, les parties, ou loge principallement nostre desir & le
leur? Et à quoy seruentservent ces gros bastions, dequoy les nostres
viennent d’armer leurs flancs, qu’a lurrer nostre appetit par la
difficulté, & nous attirer à elles en nous esloignant.:
Et fugit ad salices, & se cupit ante videri,
Interdum tunica duxit operta moram. en ça
A quoy sert l’art de cette honte virginalle? cette froideur ras-
sise? cette contenance pleine de seueritéeseveritéeseueresevere?, cette profession d’i-
gnorance des choses, qu’elles sçauentsçavent mille fois mieux, que
nous qui les en instruisons, qu’à nous accroistre le desir de
vaincre, gourmander, & fouler à nostre appetit, toute cette
ceremonie, & tous ces respectsobstacles? Car il y à non seulement du
plaisir, mais de la gloire encore, d’affolir & desbaucher cette
molle douceur, & cette pudeur enfantine, & de ranger à la
mercy de nostre ardeur, vneune seueritéseveritégrauitegravite fiere & magistrale:. cC’est
gloire (disent-ils) de triompher de la rigueur, de la modestie,
de la chasteté, & de la temperance: & qui desconseille aux Da-
mes, ces parties là, il les trahit & soy mesmes. Il faut croire que
le coeur leur fremit d’effroy, que le son de nos mots blesse la
pureté de leurs oreilles, qu’elles nous en haissent mortellemētmortellement,
& s’accordent à nostre importunité d’vneune force forcée. La
beauté, toute puissante qu’elle est, n’a pas dequoy se faire sa-
uourersa-
vourer & gouster, sans cette entremise. Voyez en Italie, où il
y a plus de beauté à vendre, & de la plus parfaitefine qu’en aucune
YYy iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
autre nation, comment il faut qu’elle cherche d’autres moyēsmoyens
estrangers, & d’autres arts pour se rendre aggreable: & si à la
verité, quoy qu’elle face, estātestant venale & publique, elle demeu-
re foible & languissante. Tout ainsi que mesme en la vertu, de
deux effets pareils, nous tenōstenons ce neantmoins celuy-là, le plus
beau & plus digne, auquel il y à plus d’empeschement & de
hazard proposé. C’est vnun effect de la prouidēceprovidence diuinedivine de per-
mettre sa saincte Eglise estre agitée, comme nous la voyons
de tant de troubles & d’orages, pour esueilleresveiller par ce contraste
les ames pies, & les r’auoirr’avoir de l’oisiuetéoisiveté & du sommeil, ou les
auoitavoit plōgezplongez vneune si longue tranquillité. Si nous cōtrepoisonscontrepoisons
la perte que nous auonsavons faicte, par le nōbrenombre de ceux qui se sont
desuoyezdesvoyez, au gain qui nous viētvient pour nous estre remis en ha-
leine, resuscité nostre zele & nos forces, à l’occasiōoccasion de ce com-
bat, ieje ne sçay si l’vtilitéutilité ne surmōtesurmonte point le dommage. Nous
auonsavons pēsépensé attacher plus ferme le neud de nos mariages, pour
auoiravoir osté tout moyen de les dissoudre, mais d’autant s’est dé-
pris & reláché le neud de la volonté & de l’affectiōaffection, que celuy
de la contrainte s’est estroicy. Et au rebours, ce qui tint les ma-
riages à Rome, si lōglong tēpstemps en hōneurhonneur & en seurté, fut la liber-
té de les rompre, qui voudroit. Ils aymoient mieux leurs fem-
mes, d’autant qu’ils les pouuoientpouvoient perdre: & en pleine licen-
ce de diuorcesdivorces, il se passa cinq cens ans & plus, auantavant que nul
s’en seruitservit.
Quod licet, ingratum est, quod non licet, acrius vrit.
A ce propos se pourroit ioindrejoindre l’opinion d’vnun ancien, que les
supplices aiguisent les vices, plustost qu’ils ne les amortissent:
qu’ils n’engendrent point le soing de bien faire, c’est l’ouura-
geouvra-
ge de la raison, & de la discipline: mais plustostsulemant vnun soing de
n’estre surpris en faisant mal.
Latius excisae pestis contagia serpunt.
IeJe ne sçay pas qu’elle soit vraye, mais cecy sçay-ieje par experiēexperien-
LIVRE SECOND. 264272
ce, que iamaisjamais police ne se trouuatrouva reformée par là. L’ordre &
le reglement des meurs, dépend de quelque autre moyen. ⁁
⁁ Les histoires grecques font mantion des Argippees uoisinsvoisins de la Scythie qui uiuentvivent sans uergeverge et sans baton a
se deffandreoffancer que non sulemant nul n’entreprant d’aller attaquer mais quiconque s’y peut sauuersauver il est en
franchise a cause de leur uertuvertu et sainctete de uievie et n’est aucun si osé dyd’y toucher On recourt a eus
pour apointer les differans qui naissent ailleurs entre les homes d’ailleurs.
Il y
à nation, ou la closture des iardinsjardins & des champs, qu’on veut
conseruerconserver, se faict d’vnun filet de coton, & se trouuetrouve bien plus
seure & plus ferme que nos fossez & nos hayes. ⁁
⁁ Furem signata
sollicitant. Aperta
effractarius praeterit.
⁁ Furem signata sollicitant. Aperta effractarius praeterit. A l’aduentureadventure sert entre autres
moiens, laisancel’aisance, a couurircouvrir ma maison de la uiolanceviolance de nos guerres ciuillescivilles. La defance
attire l’entreprinse, et la desfiance l’offance. IJ’ay affoibli le dessein des soldats ostant a leur
exploit le hasard, et toute matiere de gloire militere: qui a acostume de leur seruirservir de tiltre
et d’excuse. Ce qui est faict courageusemant est tousiourstousjours faict honorablemant, en temps ou la
iusticejustice est morte. IeJe leur rans la conqueste
de ma maison lache et trahistresse. Elle
n’est close a persone qui
y hurte. Il n’y a pour toute
prouisionprovision qu’un portier
d’antien usage & ceremonie
qui ne sert pas tant a defandre
ma porte, qu’a l’offrir plus
decemmant et gratieusement.
IeJe n’ay ny garde ny sentinelle que
celle que les astres font pour moy.
Un gentillhome a tort de
faire montre de sed’estre garderen defance
s’il ne le faictl’est parfaictement.
qQui est ouuertouvert d’un costé
l’est partout. Nos peres ne
pansarent pas a bastir
des places frontieres. Les
moiens d’assaillir ⁁ ⁁ et de surprandre ieje dis
sans baterie & sans armee
et de surprandre nos maisons
croissent tous les ioursjours
au dessus des moiens de se
coui garder Les esperits
s’eguisent generalemant de
ce coste la. LinuasionL’invasion
touche tous. La defance
non que les riches. La
miene estoit forte selon
le temps qu’elle fut faicte.
iIejJe n’y ai rien adiouteadjoute
de ce costè la: eEt crein=
derois que lsa force se
tournat contre moimesme.
iIouintjJouint qu’un temps
paisible requerra qu’on
les desfortifie. Il est
dangereus de se mettre
en estat de ne les pouuoirpouvoir
regaigner, estātestant faciles
a perdreEt est difficile de
s’en assurer. Car en matiere
de guerres intestines, uovo
uostrevostre ualetvalet peut estre
du parti que uousvous creig
creignez. eEt ou la religion
sert de pretexte les para
parantez mesme deuienētdevienent
infiables, aueqaveq couuerturecouverture
de iusticejustice. Les finances
publiques n’entretien=
deront pas nos garnisons
domestiques: eElles s’y
espuiseroint: uovo nNous
n’auonsavons pas de quoi le
faire sans nostre ruine:
ou plus incommodemātincommodemant
et iniurieusemantinjurieusement sans
celle du peuple. LestatL’estat
de ma perte n’estne seroit de
guiere pire. Au demurant
uousvous y perdes uousvous? uosvos
uosvos amis mesme s’amusent, plus qu’a uousvous pleindre, a accuser uostrevostre inuigilanceinvigilance & improuidanceimprovidance
et lignorancel’ignorance ou nonchalance aus offices de uostrevostre profession. Ce que tant de maisons gardees
se sont perdues ou cettecy a dure: non defandue: me faict supçoner qu’elles se sont perdues de
ce, mesme qu’elles estoint gardees: cCela done et l’enuieenvie et la raison a l’assaillant. Toute
garde porte uisagevisage de guerre. ElleQui se ietterajettera si elle ueutveut ches m dieu ueutveut ches moi, mais
tant y a que ieje ne l’y apelerai pas. C’est la retrete a me reposer des guerres. IJ’essaie de
soubstrere ce coin a la tempeste publique, come ⁁ ⁁ ieje fois un autre coin en mon ame. Nostre guerre a
beau changer de formes ⁁ ⁁ se multiplier et diuersifierdiversifier en nouueausnouveaus partis: pour moi ieje la miene ne bouge. Entre tant de maisons armees, moi sul que
ieje sache ai fiè puremant au ciel la pro en france de ma condition ai fie puremant au ciel
lea protection de la miene. eEt n’en ai iamaisjamais osté tantost tout un siecle, ny ceuillier d’argent
ny titre. iIejJe ne ueusveus ny me creindre ny me sauuersauver a demi. Si une pleine reconoissance
acquiert la faueurfaveur diuinedivine, elle me durera iusqujusqu’au bout: si non, ij’araiay tousiourstousjours asses durè
pour rendre ma durée remerquable et miraculeuse et enregistrable. ComātComant? il y a bien ⁁ ⁁ tantost trante ans.
De la gloire. CHAP. XVI.
IL y à le nom & la chose: le nom c’est vneune voix qui re-
merque & signifie la chose, le nom ce n’est pas vneune
partie de la chose:, ny de sa substance,: c’est vneune piece
estrangere ioinctejoincte à la chose, & hors d’elle. Dieu qui est en soy
toute plenitude, & le comble de toute perfection, il ne peut
s’augmenter & accroistre au dedans,: mais son nōnon se peut au-
gmenter & accroistre, par la benediction & louange, que
nous donnōsdonnons à ses ouuragesouvrages exterieurs. Laquelle louāgelouange, puis
que nous ne la pouuonspouvons incorporer en luy, d’autant qu’il n’y
peut auoiravoir accession de bien, nous l’attribuons à son nom, qui
est la piece hors de luy, la plus voisine. Voila comment c’est à
Dieu seul, à qui gloire & honneur appartient: & il n’est rien si
vain, ne si esloigné de raison, que de nous en mettre en queste
pour nous: car estans indigens & necessiteux au dedāsdedans, nostre
essence estant imparfaicte, & ayant continuellement besoing
d’amelioration, c’est là, à quoy nous nous deuonsdevons trauaillertravailler.
Nous sommes tous creux & vuides: ce n’est pas de vent & de
voix que nous auonsavons à nous remplir: il nous faut de la substā-
cesubstan-
ce plus solide à nous reparer: vVnuUn homme affamé seroit biēbien sim-
ple de chercher à se garnirpouruoirpourvoir plustost d’vnun beau vestement, que
d’vnun bōbon repas: il faut courir au plus pressé. Comme disent nos
ordinaires prieres, Gloria in excelsis Deo, & in terra pax hominibus.
Nous sommes en disette de beauté, santé, sagesse, vertu, & tel-
les parties essentieles: les ornemens externes se chercheront
apres que nous aurons proueuproveu aux choses plus necessaires. La
Theologie traicte plus amplement & plus pertinemment ce
ESSAIS DE M. DE MONTA.
subiectsubject, mais ieje n’y suis guiere versé. Chrysippus & Diogenes
ont esté les premiers autheurs & les plus fermes du mespris de
la gloire: & entre toutes les voluptez, ils disoient qu’il n’y en
auoitavoit point de plus dangereuse, ny plus à fuir que celle qui
nous vient de l’approbation d’autruy. De vray l’experience
nous en faict sentir plusieurs trahisons bien dommageables.
Il n’est chose qui empoisonne tant les Princes que la flatterie,
ny rien par où les meschans gaignent plus aiséemētaiséement credit au-
tour d’eux: ny maquerelage si propre & si ordinaire à corrom-
pre la chasteté des femmes, que de les paistre & entretenir de
leurs louanges. Le premier enchantement que les Sirenes em-
ployent à piper VlissesUlisses, est de cette nature.,
Deça vers nous deça, ô treslouable VlisseUlisse,
Et le plus grand honneur dont la Grece fleurisse.
Ces philosophes là, disoient, que toute la gloire du monde ne
meritoit pas qu’vnun homme d’entendement estandit seulemētseulement
le doigt pour l’acquerir.:
Gloria quanta libet quid erit si gloria tantum est?
ieje dis pour elle seule,. cCar elle tire souuentsouvent à sa suite plusieurs
commoditez, pour lesquelles elle se peut rendre desirable?. eElle
nous acquiert de la bienueillancebienveillance: elle nous rend moins en bu-
teexposez aux iniuresinjures & offences d’autruy, & choses semblables. C’e-
stoit aussi des principaux dogmes d’Epicurus: car ce precepte
de sa secte, CACHE TA VIE, qui deffend aux hommes de
s’empescher des charges & negotiatiōsnegotiations publiques, presuppo-
se aussi necessairement qu’on mesprise la gloire: qui est vneune
approbation que le monde fait des actions que nous met-
tons en euidenceevidence. Celuy qui nous ordonne de nous cacher, &
de n’auoiravoir soing que de nous, & qui ne veut pas que nous soy-
ons connus d’autruy, il veut encores moins que nous en soiōssoions
honorez & glorifiez. Aussi conseille il luy mesmes à Idome-
neus de ne regler aucunement ses actions, par l’opinion ou re-
puta-
LIVRE SECOND. 265273
putation commune, si ce n’est pour éuiteréviter les autres incom-
moditez accidentales, que le mespris des hommes luy pour-
roit apporter. Ces discours là sont infiniment vrais à mon
aduisadvis, & raisonnables: mMais nous sommes, ieje ne sçay com-
ment, doubles en nous mesmes, qui faict que ce que nous
croyons, nous ne le croyons pas: & ne nous pouuonspouvons def-
faire de ce que nous condamnons. Voyons les dernieres pa-
roles d’Epicurus, & qu’il dict en mourant: elles sont grandes
& dignes d’vnun tel philosophe, mais si ont elles quelque goustmanque
de la recommendation de son nom, & de cette humeur qu’il
auoitavoit décriée par ses preceptes. Voicy vneune lettre qu’il dicta vnun
peu auantavant son dernier souspir.
EPICVRVS A HERMACHVS SALVT.
Ce pendant que ieje passois, l’heureux, & celuy-là mesmes le
dernier iourjour de ma vie, ij’escriuoisescrivois cecy, accompaigné toute-
fois de telle douleur en la vessie & aux intestins, qu’il ne peut
rien estre adioustéadjousté à sa grandeur. Mais elle estoit compensée
par le plaisir qu’apportoit à mon ame la souuenancesouvenance, de mes
inuentionsinventions & de mes discours. Or toy comme requiert l’affe-
ction que tu as eu des ton enfance enuersenvers moy, & la philoso-
phie, embrasse la protection des enfans de Metrodorus: voi-
la sa lettre. Et ce qui me faict interpreter que ce plaisir qu’il
dit sentir en son ame, de ses inuentionsinventions, regarde aucunement
la reputation qu’il en esperoit acquerir apres sa mort, c’est l’or-
donnance de son testament, par lequel il veut que Aminoma-
chus & Thimocrates ses heritiers, fournissent pour la celebra-
tion de son iourjour natal tous les mois de IanuierJanvier, les frais que
Hermachus ordonneroit, & aussi pour la despence qui se fe-
roit le vingtiesme iourjour de chasque lune, au traitemēttraitement des phi-
losophes ses familiers, qui s’assembleroient à l’honneur de la
memoire de luy & de Metrodorus. Carneades à esté chef de
l’opinion contraire, & à maintenu que la gloire estoit pour
ZZz
ESSAIS DE M. DE MONTA.
elle mesme desirable, tout ainsi que nous ambrassons nos
posthumes pour eux mesmes, n’en ayans aucune connoissan-
ce ny iouissancejouissance:. cCette opinion n’a pas failly d’estre plus com-
munement suyuiesuyvie, comme sont volōtiersvolontiers les pires, &celles qui s’ac-
commodent le plus à nos vitieuses inclinations. ⁁
⁁ Aristote luy
done le premier
ranc entre les
biens externes
EuiteEvite come deus
extremes uitieusvitieus
l’immoderation aet a
la rechercher et a
la fuir.
IeJe croy que si
nous auionsavions les liureslivres que Cicero auoitavoit escrit de la gloiresur ce subietsubjet, il
nous en conteroit de belles: car cet homme là fut si pipé &
forcené de cette passion, que s’il eust osé, il fut, ce crois-ieje, vo-
lontiers tombé en l’exces où tombarent d’autres, que la vertu
mesme n’estoit desirable, que pour l’hōneurhonneur qui se tenoit tou-
siourstou-
sjours à sa suitte.,
Paulum sepultae distat inertiae
Celata virtus:.
Qui est vnun’opinion si fauce & si vaine, que ieje suis dépit qu’el-
le ait iamaisjamais peu entrer en l’entendement d’homme, qui eust
cet honneur de porter le nom de philosophe. Si cela estoit
vray, il ne faudroit estre vertueux qu’en public: & les opera-
tions de l’ame, où est le vray siege de la vertu, nous n’aurions
que faire de les tenir en regle & en ordre, sinon autant qu’elles
deburoientdebvroient venir à la connoissance d’autruy: ⁁
⁁ N’y va il donc que de faillir finement & subtilemētsubtilement? Si tu sçais, dit Carneades,
un ser serpant cache en ce lieu auquel sans y penser, se va soir ton e celuy de la mort
du quel tu dois esperes profit tu faicts meschammant si tu ne l’en auertisavertis
Et d’autant plus que ton action ne doit estre conue que de toy Si nous ne prenons de nous mesmes
la loy de bien faire. Si limpunitel’impunite nous est iusticejustice: a combien de sortes de meschancetes auonsavons nous
tous les ioursjours a nous abandoner. sans tesmouins Ce que S. Peduceus fist de randre fidelemātfidelemant ce que C. Plotius
auoitavoit fiecommis a sa sule sciance
de ses richesses et ce que ij’en
ay faict souuantsouvant de mesmes
ieje ne le treuuetreuve pas tant
louable come ieje trouuer=
oytrouver=
oy execrable qu’il y eut
failli Et treuuetreuve bon et
utile a ramanteuoirramantevoir en
nos ioursjours l’exemple de P.
Sextilius Rufus que Cicero
accuse pour auoiravoir receuilli
vneune heredite contre sa
consciance non sulement
non contre les loix mais
aueqaveq par les loix mesmes.
Et M. Crassus et Q. Horten=
sius les quels a cause de
leur authorite et puissācepuissance
ayant este pour certeines
quothites apeles par un
estrangier a la succession
d’vnun testamant faus affin
que par ce moïen il y y
establit en lsa meillure
part se contantarent de
n’estre participāsparticipans de la
faucete et ne refusarent
d’en tirer quelque fruit
Meminerit deum se habere
testem id est (ut ego arbitror)
mentem suam asses couuerscouvers
s’ils se tenoint a labril’abri des
accusaturs et des tesmoins &
des loix Meminerint Deum
se habere testem idest (ut
ego arbitror) mentem suam.
la vertu est cho-
se bien vaine & friuolefrivole, si elle tire sa recommendation de la
gloire. Pour neant entreprendrions nous de luy faire tenir son
rang à part, & la déioindrions de la fortune: car qu’est-il plus
fortuite que la reputation? ⁁
⁁ Profecto fortuna in omni re dominatur: ea,
res cunctas ex libidine magis quam ex uero
celebrat obscuratque.
De faire que les actions soiētsoient con-
nuës & veuës, c’est le pur ouurageouvrage de la fortune. ⁁
⁁ C’etst ellele sort qui nous
applique la gloire
selon sa temerite.
IeJe l’ai ueueveue fort
souuātsouvant marcher
auātavant le merite come
l’ombre est par fois
dauātdavant nousson cors. eEt
souuantsouvant outrepasser
le merite d’une lon=
gue mesure: cela
faict aussi par fois
l’ombre Celuy qui
premier s’auisaavisa
de la ressāblanceressamblance de lōbrel’ombre a la gloire fit mieus qu’il ne uouloitvouloit
ce sōtsont choses excellāmantexcellammant ueinesveines. Elle uava aussi quelque fois dauātdavant
son cors: et l’outrepas quelque fois l’excede de beaucoup en longur.
Ceux qui ap-
prennent à nos gens de guerre d’auoiravoir l’hōneurhonneur pour leur butla noblesse,
& deMontaigne biffe par erreur le "de" au lieu de "&" ne chercher en la vaillance que la reputation ⁁ ⁁ que l’honeur ⁁ quasi non sit honestum quod nobilitatūnobilitatum non sit, que gai-
gnent ils par là, que de les instruire de ne se hazarder iamaisjamais,
qu’ils ne soient à la veue de leurs compaignonssi on ne les uoidvoid, & de prendre
bien garde, s’il y a des tesmoins auecavec eux, qui puissent rappor-
ter nouuellesnouvelles de leur vaillanceualeurvaleur? là où il se presente mille occa-
sions de bien faire, sans qu’on en puisse estre remarqué. Com-
LIVRE SECOND. 266274
bien de belles actions particulieres s’enseuelissentensevelissent dans la fou-
le d’vneune bataille? Quiconque s’amuse à contreroller autruy
pendant vneune telle meslée, il n’y est guiere embesoigné: & pro-
duit contre soy mesmes le tesmoignage qu’il rend des depor-
temens de ses compaignons. ⁁
⁁ Vera et sapiens
animi magnitudo
honestum illud quod
maxime naturam
sequitur in factis
positum non in gloria
iudicat. Toute la gloire
que ieje pretans de ma uievie
c’est de l’auoiravoir uescuevescue
tranquille. Tranquille non
selon Metrodorus ou
Arcesilas ou Aristippus,
mais selon moi Puis que
la philosofie n’a sceu
trouuertrouver aucune uoievoie pour
la tranquillite qui fut
bone en commun: que
chacun la cherche en
son particulier.
A qui doiuentdoivent Caesar & Alexan-
dre cette grandeur infinie de leur renommée qu’à la fortune?
Combien d’hommes à elle esteint, sur le commencement de
leur progrés, desquels nous n’auonsavons aucune connoissance, qui
y apportoiētapportoient mesme courage que le leur, si le malheur de leur
sort ne les eut arrestez tout court, sur la naissance mesme de
leurs entreprinses? Au trauerstravers de tant & si extremes dangers il
ne me souuientsouvient point auoiravoir leu que Caesar ait esté iamaisjamais bles-
sé: mais d’Hannibal ieje sçay bien qu’on le dit, & de ScāderbercScanderberc:On lit de Scanderberc qu’il ne le fut iamaisjamais et d’asses d’autres.
mMille & mille sont morts de moindres perils, que ⁁ ⁁ le moindre de ceux qu’ils
franchirēttfranchirentt. Infinies belles actiōsactions se doiuētdoivent perdre sans tesmoi-
gnage, auātavant qu’il en viēnevienne vneune à profit. On n’est pas tousiourstousjours
sur le haut d’vneune bresche, où à la teste d’vneune armée, à la veuë de
son general, comme sur vnun eschaffaut. On est surpris entre la
haye & le fossé: il faut tenter fortune contre vnun poullaillier,: il
faut dénicher quatre chetifs harquebousiers d’vneune grange: il
faut seul s’escarter de la trouppe & entreprendre seul, selon la
necessité qui s’offre. Et si on prend garde, on trouueratrouvera à mon
aduisadvis, qu’il aduientadvient par experience, que les moins esclattantes
occasions sont les plus dangereuses,: & qu’aux guerres, qui se
sont passées de nostre temps, il s’est perdu plus de gens de bien
aux occasions legeres & peu importantes, & à la contestation
de quelque bicoque, qu’és lieux dignes & honnorables. ⁁
⁁ Qui tient sa mort pour
mal emploiee si ce n’est
en occasion seignalee:
au lieu d’illustrer sa
mort il obscurcit uolontiersvolontiers
sa uievie: laissant eschaper
cepandant plusieurs
iustesjustes occasions de se
hasarder. Et toutes les
iustesjustes sont illustres
asses. nostre cōsciconsci sSa
consciance les luy
trompetant suffisammant
a chacun. Gloria nostra
est testimonium conscientia
nostrae.
Qui
n’est homme de bien que par ce qu’on le sçaura, & par ce qu’ōon
l’en estimera mieux, apres l’auoiravoir sceu: qui ne veut bien faire
qu’en condition que sa vertu vienne à la connoissance des
hommes, celuy-là n’est pas hōmehomme de qui on puisse tirer beau-
coup de seruiceservice.
ZZz ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Credo ch’el resto di quel verno, cose
Facesse degne di tenerne conto,
Ma fur fin’a quel tempo si nascose
Che non è colpa mia s’hor’ non le conto,
Perche Orlando a far’ opre virtuose
Piu ch’a narrarle poi sempre era pronto,
Ne mai fu alcun’ de li suoi fatti espresso
Senon quando hebbe i testimonij apresso.
Il faut aller à la guerre pour son deuoirdevoir, & en attēdreattendre cette re-
compense, qui ne peut faillir à toutes belles actions, pour oc-
cultes qu’elles soient, non pas mesmes aux vertueuses pen-
sées, c’est le contentement qu’vneune conscience bien reglée
reçoit en soy, de bien faire. Il faut estre vaillant pour soy-
mesmes, & pour l’auantageavantage que c’est, d’auoiravoir son courage
logé en vneune assiette ferme & asseurée, contre les assauts de la
fortune.:
Virtus repulsae nescia sordidae,
Intaminatis fulget honoribus:
Nec sumit aut ponit secures
Arbitrio popularis aurae.
Ce n’est pas pour la montre, que nostre ame doit iouerjouer son
rolle, c’est chez nous au dedans, ⁁ ⁁ non emolumento aliquo, sed ipsius honestatis decore ou nuls yeux ne donnent que
les nostres: là elle nous couurecouvre de la crainte de la mort, des
douleurs & de la honte mesme: elle nous asseure là, de la perte
de nos enfans, & de nos amis, & de nos fortunes: & quand l’op-
portunité s’y presente, elle nous cōduitconduit aussi aux hazards de la
guerre. ⁁
⁁ Gloria nostra est
testimonium consci=
entiae nostrae.
Non emolumento
aliquos sed ipsius
honestatis decore.
Ce profit est bien plus grādgrand, & bien plus digne d’estre
souhaité & esperé, q̄que l’hōneurhonneur & la gloire, qui n’est autre chose
qu’vnun fauorablefavorable iugementjugement que les autres font’on faict de nous. Il
nous faut tirertrier de toute vneune nation, vneune douzaine d’hommes,
pour iugerjuger d’vnun arpent de terre,: & le iugementjugement de nos
inclinations, & de nos actions, la plus difficile matiere,
& la plus importante qui soit, nous la remettons à la voix
LIVRE SECOND. 267275
du peuplede la commune & de la tourbe, mere d’ignorance, d’iniusticeinjustice, &
d’inconstance. ⁁
⁁ Quid turpius
squam sapienti
Est ce pas folie
iniusticeinjustice deraison faire
dependre la uievie
d’un sage du iuge=
mentjuge=
ment des fols. An
quidquam
stultius quam
quos singulos
contemnas eos
aliquid putare
esse uniuersos?
Quiconque vise à luyeur plaire, il n’a iamaisjamais faict,
c’est vneune bute qui n’a ny forme ny prise. ⁁
⁁ Nihil tam incertum
et inaestimabile est quam
animi multitudinis.: ce
que uousvous luy donez de la
droite il le prant de la
gauche: ce que uousvous
luy donez pour l’appaiser
l’aigrit. Demetrius
disoit plesammant de
la uoixvoix du peuple qu’il
ne faisoit non plus de
conterecette de celle qui luy
sortoit par en haut que
de celle qui luy sortoit
par en bas. Celuila dict
encore plus. Ego hoc iudico
si quando turpe non sit tamen
non esse non turpe, quum id
a multitudine laudetur.
Null’art nulle soup-
plesse d’esprit pourroit conduire nos pas à la suitte d’vnun gui-
de si desuoyédesvoyé & si desreiglé. En cette confusion venteuse de
bruits de raports & opinions publiquesuulgueresvulgueres qui nous poussent,
il ne se peut establir aucune route qui vaille. Ne nous propo-
sons point vneune fin si flotante & volageuagabondevagabonde,: allons constammant
apres la raison,: que l’approbation publique nous suyuesuyve par
la si elle veut: & comme elle despēddespend toute de la fortune, nous
n’auonsavons point loy de l’esperer plustost par autre voye que par
celle la. Quand pour sa droiture ieje ne suyueroissuyverois le droit che-
min, ieje le suyuroissuyvrois pour auoiravoir trouuétrouvé par experience, qu’au
bout du conte, c’est communement le plus heureux, & le
plus vtileutile. ⁁
⁁ Dedit hoc proui=
dentia munus, ut
honesta magis iuuarētiuuarent
hominibus munus,
ut honesta magis
iuuarent.
Le marinier antien disoit ainsin à Neptune, en vneune
grādegrande tēpestetempeste: O Dieu, tu me sauuerassauveras si tu veux, tu me perde-
ras si tu veux:, mais si tienderai ieje tousiourstousjours droit mōmon timon.
IJ’ay veu de mon temps mill’hommes, soupples, mestis, ambi-
gus, & que nul ne doubtoit plus prudans mōdainsmondains que moy,
se perdre ou ieje me suis sauuésauvé:
Risi successu posse carere dolos. ⁁
⁁ Paul’aemile allant en sa glorieuse
expedition de Macedoine auertitavertit sur tout le peuple de a Rome de
contenir leur langue de ses actions, pandant son absance: que la
licence des iugementsjugements est un grādgrand destourbier aus grans affaires:
d’autātautant que chacun n’a pas la fermete de Fabius a l’encontre des
uoixvoix cōmunescommunes, contreres & iniurieusesinjurieuses: qui eima mieus laisser desmembrer
son authorite aus ueinesveines fantasies des homes, que faire moins bien sa
charge aueqaveq fauorablefavorable reputation & populere consentemant.
Il y à ieje ne sçay qu’elle douceur naturelle à se sentir louer,
mais nous luy prestons trop de beaucoup,.
Laudari haud metuam, neque enim mihi cornea fibra est,
Sed recti finemque extremumque esse recuso
Euge tuum & belle.
IeJe ne me soucie pas tāttant, quel ieje sois chez autruy, comme ieje me
soucie quel ieje sois en moy mesme. IeJe veux estre riche de mes
propres richesses, non des richesses empruntéespar moi non par emprunt. Les estran-
gers ne voyent que les euenemensevenemens & apparences externes:
chacun peut faire bonne mine par le dehors, plein au dedans
de fieburefiebvre & d’effroy. Ils ne voyent pas mōmon coeur, ils ne voyētvoyent
ZZz iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que mes contenances. On à raison de descrier l’hipocrisie, qui
se trouuetrouve en la guerre: car qu’est il plus aisé à vnun homme vnun
peu pratic, que de sçauoirsçavoir gauchir aux dangers, & de contre-
faire le mauuaismauvais, ayant le coeur plein de mollesse? Il y à tant de
moyens déuiterd’éviter les occasions de se hazarder ⁁ ⁁ en particulier, que nous aurōsaurons
trompé mille fois le monde, auantavant que de nous engager à vnun
dangereux pas: & lors mesme, nous y trouuanttrouvant empétrez, nous
sçaurons bien pour ce coup, couurircouvrir nostre ieujeu d’vnun bon visa-
ge, & d’vneune parolle asseurée, quoy que l’ame nous tremble au
dedans: ⁁
⁁ Et qui auroit lusagel’usage
de l’anneau Platonique
rendant inuisibleinvisible celuy
qui le portoit au doit quandsi on
luy donoit le tours uersvers le dedansplat
de la main nous uerrionsverrionsasses des
gens souuātsouvant se cacheroint ou il ou il
se faut le plus presanter le plus et
se repantirrepentiroint d’estre placez en
lieu si honorable et esclatātesclatantau quel
ou la necessite les rend
assurez.
Falsus honor iuuat, & mendax infamia terret
Quem nisi mendo sum & mendacem?
Voyla comment tous ces iugemensjugemens qui se font des apparen-
ces externes, sont merueilleusementmerveilleusement incertains & douteux: &
n’est nulaucun si asseure tesmoing, quecome chacun à soy-mesme. En cel-
les la combien auonsavons nous de gouiats, compaignons de no-
stre gloire? cCeluy qui se tient ferme dāsdans vneune tranchée descou-
uertedescou-
verte, que faict il en cela, que ne facent deuantdevant luy cinquante
pauurespauvres pioniers, qui luy ouurentouvrent le pas, & le couurētcouvrent de leurs
corps, pour cinq sous de païe par iourjour.
non quicquid turbida Roma
Eleuet accedas, examenque improbum in illa
Castigest trutina, nec te quaesiueris extra.
Nous appellons agrandir nostre nom, l’estandre & semer en
plusieurs bouches: nous voulons qu’il y soit receu en bonne
part, & que cette sienne accroissance luy vienne à profit: voy-
la ce qu’il y peut auoiravoir de plus excusable en ce dessein: mais
l’exces de cette maladie en va iusquesjusques là, que plusieurs cer-
chent de faire parler d’eux en quelque façon que ce soit. Tro-
gus Pompeius dict de Herostratus, & Titus LiuiusLivius de Man-
lius Capitolinus, qu’ils estoyent plus desireux de grande, que
de bonne reputation. Ce vice est fort ordinaire. Nous nous
LIVRE SECOND. 268276
soignons plus qu’on parle de nous, que comment on en par-
le, & nous est assez que nostre nom coure par la bouche des
hommes, deen quelque goustcondition qu’il y soit reçeucoure. Il semble que
l’estre conneu, ce soit aucunement auoiravoir sa vie & sa durée en
la garde d’autruy. Moy ieje sçay bientiens que ieje ne suis que chez
moy, & de cette autre mienne vie qui loge en la connoissance
de mes amis, ⁁
⁁ a la considerer nue
et simplemant en soy
ieje sçay biēbien que ieje n’en sens fruict ny iouyssancejouyssance,
que par la vanité d’vneune opinion fantastique. Et quand ieje se-
ray mort ieje m’en resentiray encores beaucoup moins: ⁁
⁁ et si perderai tout net
l’usage des uraiesvraies uti=
litez qui accidētale=
mentaccidentale=
ment la suiuentsuivent par
fois:
ieje n’au-
ray plus de prise par où saisir la reputation:, ieje ne vois paset ny par
ou elle puisse me toucher ny arriuerarriver à moy. EtCar de m’attendre
que mon nom la reçoiuereçoive,. pPremierement ieje n’ay point de nōnom
qui soit assez mien: car de deux que ij’en ay, l’vnun est commun
à toute ma race, voire encore à d’autres. Il y à vneune famille à Pa-
ris & à Montpelier, qui se surnomme Montaigne: vneune autre
en Bretaigne, & en Xaintonge, de la Montaigne. Le remue-
ment d’vneune seule syllabe, meslera nos fusées, de façōfaçon que ij’au-
ray part à leur gloire, & eux à l’aduentureadventure à ma honte: &Et si les
miens se sont autres-fois surnommez Eyquem, surnom qui
touche encore vneune maison cogneuë en Angleterre. Quant à
mon autre nom, il est, à quiconque aura enuieenvie de le prendre
Ainsi ij’honoreray peut estre vnun crocheteur en ma place. Et
puis, quand ij’aurois vneune marque particuliere pour moy, que
peut elle marquer quādquand ieje n’y suis plus, peut elle designer ⁁
⁁ et fauorirfavorir
l’in-
anité:? qQuel proufit m’en reuientrevient il?
nunc leuíor cyppus non imprimit ossa?
Laudat posteritas, nunc non è manibus illis
Nunc non è tumulo fortunatáque fauilla
Nascuntur violae?
Mais de cecy ij’en ay parlé ailleurs. Au demeurātdemeurant en toute vneune
bataille ou dix mill’hommes sont estropiez ou tuez, il n’en
est pas quinze dequoy on parle. Il faut que ce soit quelque
ESSAIS DE M. DE MONTA.
grandeur bien eminente, ou quelque consequence d’impor-
tance, que la fortune y ait iointejointe, qui face valoir vnun’actiōaction pri-
uéepri-
vée, non d’vnun harquebousier seulement, mais d’vnun Capitai-
ne: cCar de tuer vnun homme, ou deux, ou dix, de se presenter
courageusemētcourageusement à la mort, c’est à la verité q̄lquequelque chose à chacūchacun
de nous, car il y va de tout: mais pour le monde, ce sont choses
si ordinaires, il s’en voit tant tous les ioursjours, & en faut tant de
pareilles pour produire vnun effect notable, que nous n’en pou-
uonspou-
vons attendre aucune particuliere recommandation.,
casus multis hic cognitus, ac iam
Tritus, & è medio fortunae ductus aceruo.
De tant de miliasses de vaillans hommes qui sont morts dé-
puis quinze cens ans en France, les armes en la main, il n’y en à
pas cent, qui soyētsoyent venus à nostre cognoissance. La memoi-
re non des chefs seulement, mais des batailles & victoires est
enseuelieensevelie. ⁁
⁁ Les fortunes de plus
de la moitie du
monde a faute
de registre ne
bougent de leur
place et s’euanou=
issents’evanou=
issent sans duree.
Si ij’auoisavois en ma pos=
sessions les euenementsevenements
inconus ij’en penserois
tres facilement sup=
planter les conus en
toute espece d’exemples.
Quoy que, des Romains mesmes, & des Grecs, par-
my tant d’escriuainsescrivains & de tesmoins, & tant de rares & nobles
exploits, il en est venu si peu iusquesjusques à nous?
Ad nos vix tenuis famae perlabitur aura.
Ce sera beaucoup si d’yci à cent ans on se souuiētsouvient en gros, que
de nostre temps, il y à eu des guerres ciuilesciviles en France. Les
Lacedemoniens sacrifioiētsacrifioient aux muses entrant en bataille, afin
que leurs gestes fussent bien & dignement escris, estimātestimant que
ce fut vneune faueurfaveur diuinedivine, & non commune, que les belles a-
ctions trouuassenttrouvassent des tesmoings qui leur sçeussent dōnerdonner vie
& memoire. Pensons nous qu’a chaque harquebousade qui
nous touche, & à chaque hazard que nous courons, il y ayt
quant & quantsoudein vnun greffier qui l’enrolle: & cent greffiers outre
cela le pourront escrire, desquels les registrescommenteres ne durerōtdureront que
trois ioursjours, & ne viendront à la cognoissanceueueveue de personne.
Nous n’auonsavons pas la millieme partie des escrits anciens,: c’est
la fortune qui leur donne vie, ou plus courte, ou plus lōguelongue,
selon
LIVRE SECOND. 269277
selon sa faueurfaveur.⁁
⁁ : Les histoires
romeines sont toutes
perdues: et ce que nous
en auōsavons il nous est
loisible de doubter si
c’est le pire, n’aïant pas
ueuveu le demurant.
On ne faict pas des histoires de choses de si
peu: il faut auoiravoir esté chef à cōquerirconquerir vnun Empire ou vnun Roy-
aume, il faut avoir gaigné cinquante deux batailles assignées,
tousiourstousjours plus foible en nombre d’hommes, comme Caesar.
Dix mille bons hommescompaignons, & plusieurs grands capitaines, mou-
rurent à sa suite, vaillamment & courageusemētcourageusement, desquels les
noms n’ont duré qu’autant que leurs femmes & leurs enfans
vesquirent.,
quos fama obscura recondit.
De ceux mesme que nous voyons bien faire, trois mois ou
trois ans apres qu’ils y sont demeurez, il ne s’en parle nōnon plus
que s’ils n’eussent iamaisjamais esté. Quiconque considerera auecavec
iustejuste mesure & proportion, de quelles gens & de quels faits,
la gloire se maintient en la memoire des hommesliureslivres, il trouueratrouvera
qu’il y à de nostre siecle, fort peu d’actions, & fort peu de per-
sonnes, qui y puissent pretendre partnul droit. Combien auonsavons
nous veu d’hommes vertueux suruiuresurvivre à leur propre reputa-
tion,: qui ont veu & souffert esteindre en leur presence, l’hon-
neur & la gloire tres-iustementjustement acquise en leurs ieunesjeunes ans? Et
pour trois ans de cette vie fantastique & imaginere, allons
nous perdant nostre vraye vie & essentielle, & nous engager
à vneune mort perpetuelle? Les sages se proposent vneune plus belle
& plus iustejuste fin, à vneune si importante entreprise. ⁁
⁁ Recte facti, fecisse
merces est. Officij fructus
ipsum officium est.
Il seroit à l’ad-
uanturead-
vanture excusable à vnun peintre ou autre artisan, ou encores à
vnun Rhetoricien ou Grammairien, de se trauaillertravailler pour acque-
rir nom, par ses ouuragesouvrages: mais les actiōsactions de la vertu, elles sont
trop nobles d’elles mesmes, pour rechercher autre loyer
ou recompense, que de leur propre valeur: & notāmentnotamment pour
la chercher en la vanité des iugemensjugemens humains. Si toute-fois
cette fauce opinion sert au public à contenir les hommes en
leur deuoirdevoir: si le peuple en est esueilléesveillé à la vertu: si les Princes
sont touchez, de voir le monde benir la memoire de Traian
AAAa
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& abominer celle de Neron: si céla les esmeut, de voir le nom
de ce grand voleurpendart, autresfois si effroyable & si redoubté,
maudit & outragé si librement par le premier escolier qui
l’entreprend: qu’elle accroisse hardiment, & qu’on la nour-
risse entre nous le plus qu’on pourra. ⁁
⁁ Et Platon emploiant
toutes choses a randre ses
citoïens uertueusvertueus leur
cōseilleconseille aussi de ne mespriser
la bone reputatiōreputation et estima=
tion des peuples. Et dict
que par quelque diuinedivine
inspiration il aduientadvient que
les meschans mesmes sçauētsçavent
souuantsouvant iustemātjustemant distinguer
les bons des mauuesmauves tant de
parole que d’opinion iustementjustement
distinguer les bons des mauuesmauves.
Ce personage et son paeda=
gogue sont merueilleusmerveilleus &
hardis ouuriersouvriers a ⁁ ⁁ faire iouindrejouindre
les operations et reuelationsrevelations
diuinesdivines ou faut l’humaine
force tout par tout ou
faut l’humaine force.
Vt tragici poetae confugiunt
ad deum cum explicare
argumenti exitum non possunt.
Pourtant a lauāturel’avanture l’apeloit Timon
en l’iniuriantinjuriant le grādgrand forgeur de miracles.
Puis que les hōmeshommes par
leur insuffisance ne se peuuentpeuvent assez payer d’vneune bonne mon-
noye, qu’on y employe encore la fauce. Ce moyen à esté pra-
ctiqué par tous les Legislateurs: & n’est police, où il n’y ait
quelque meslange, ou de vanité ceremonieuse, ou d’opinion
mēsongeremensongere, qui serueserve de bride à tenir le peuple en office. C’est
pour cela que la pluspart ont leurs origines & commence-
mens fabuleux, & enrichis de mysteres supernaturels. C’est
cela qui à donné credit aux religions bastardes, & les à fai-
tes fauorirfavorir aux gens d’entendement: & pour cela, que Numa
& Sertorius pour rendre leurs hommes de meilleure crean-
ce, les paissoyent de cette sottise, l’vnun que la nymphe Egeria,
l’autre que sa biche blanche luy apportoit de la part des dieux
tous les conseils qu’il prenoit. ⁁
⁁ Et lauthoritel’authorite que Numa
dona a ses loix sous titre du
patronage de cete deesse
Zoroastre legislaturs des
Bactriens et des Perses la dona aus sienes
sous lauthoritel’authoritele nom du dieu Horomasis
Trismegiste des AEgiptiens de
Mercure Zamolsis des Scythes
de Vesta Charondas des
Chalcides de Saturne Minos
des Candiots de IuppiterJuppiter
Lycurgus des Lacedemoniens
d’Apollo Dracon et Solon des
Atheniens de MinerueMinerve. Et
toute police a un dieu a sa
teste: faucemētfaucement les autres,
veritablement celle que Moise
dressa au peuple de IudeeJudee sorti
d’AEgipte.
La religion des Bedoins,
cōmecomme dit le sire de IouinuilleJouinuille, portoit entre autres choses, que
l’ame de celuy d’entre eux qui mouroit pour son prince, s’en
alloit en vnun autre corps plus heureux, plus beau & plus fort que
le premier: au moyen dequoy ils en hazardoient beaucoup
plus volontiers leur vie,
In ferrum mens prona viris, animaeque capaces
Mortis, & ignauum est rediturae parcere vitae.
Voyla vneune creance tressalutaire, toute vaine qu’elle soitpuisse estre. Cha-
que nation à plusieurs tels exemples chez soy: mais ce subietsubjet
meriteroit vnun discours à part. Pour dire encore vnun mot sur
mon premier propos: ieje ne cōseilleconseille non plus aux Dames, d’ap-
peller honneur, leur deuoirdevoir, ⁁
⁁ Vt enim consuetudo
loquitur id solum dicitur
honestum quod est populari
fama gloriosum: leur deuoirdevoir
est bien louin au dela. Ny
ne leur conseille le marc leur honeur n’est que l’escorce. Ny ne leur conseille
ny de nous donner cette excuse en
payement de leur refus: car ieje presuppose, que leurs intentiōsintentions,
leur desir, & leur volonté, qui sont pieces ou l’hōneurhonneur n’a que
LIVRE SECOND. 270278
voir, d’autant qu’il n’en paroit rien au dehors, soyent encore
plus reglées que les effects.
Quae, quia non liceat, non facit, illa facit.
L’offence & enuersenvers Dieu, & en la conscience, seroit aussi grā-
degran-
de de le desirer que de l’effectuer. Et puis ce sont actions d’el-
les mesmes cachées & occultes, il seroit bien-aysé qu’elles en
desrobassent quelcune à la connoissance d’autruy, d’où l’hō-
neurhon-
neur depend, si elles n’auoyentavoyent autre respect à leur deuoirdevoir, &
à l’affection qu’elles portent à la chasteté, pour elle mesme. Toute persone d’honeur
choisit de perdre plustost son honeur, que de perdre sa consciance.
De la praesumption. CHAP. XVII.
IL y à vneune autre sorte de gloire, qui est vneune trop bōnebonne
opinion, que nous conceuonsconcevons de nostre valeur. C’est
vnun’affection inconsiderée, dequoy nous nous cheris-
sons, qui nous represente à nous mesmes, autres que nous ne
sommes. Comme la passion amoureuse preste des beautez,
& des graces au subietsubjet qu’elle embrasse, & fait que ceux qui
en sont espris, trouuenttrouvent d’vnun iugementjugement trouble & alteré, ce
qu’ils aymētayment, autre & plus parfaict qu’il n’est. IeJe ne veux pas,
que de peur de faillir de ce costé la, vnun homme se mescōnois-
semesconnois-
se pourtant, ny qu’il pense estre moins que ce qu’il est: lLe iu-
gementju-
gement doit tout par tout maintenir son auantageavantagedroit: cC’est rai-
son qu’il voye en ce subiectsubject comme ailleurs, ce que la verité
luy presente: sSi c’est Caesar, qu’il se treuuetreuve hardiment le plus
grand Capitaine du monde. Nous ne sommes que ceremo-
nie, la ceremonie nous emporte, & laissons la substance des
choses: nous nous tenons aux branches & abandonnons le
tronc & le corps. Nous auōsavons apris aux Dames de rougir oyātoyant
seulement nommer, ce qu’elles ne craignent aucunemētaucunement à fai-
re: nous n’osons appeller à droict nos propres parties & nos
membres, & ne craignons pas de les employer à toute sorte
de desbauche. La ceremonie nous defend d’exprimer par pa-
AAAa ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
rolles les choses licites & naturelles, & nous l’en croyons: la
raison nous defend de n’en faire point d’illicites & illegi-
timesmauuesesmauveses, & personne ne l’en croit. IeJe me trouuetrouve icy empestré
és loix de la ceremonie: car elle ne permet, ny qu’on parle
bien de soy, ny qu’on en parle mal. Nous la lairrons là pour
ce coup. Ceux que la fortune (bonne ou mauuaisemauvaise qu’on la
doiuedoive appeller) à faict passer la vie en quelque eminent de-
gré, ils peuuentpeuvent par leurs actiōsactions publiques tesmoigner quels
ils sont: mMais ceux qu’elle n’a employez qu’en foule ⁁
⁁ et de qui persone
ne parlera si eus mesme
n’en parlent
, ils sont
excusables, s’ils prennent la hardiesse de parler d’eux, mesmes
àenuersenvers ceux qui ont interest de les connoistre, à l’exemple de Lu-
cilius.:
Ille velut fidis arcana sodalibus olim
Credebat libris, neque si malè cesserat, vsquam
Decurrens alio, neque si benè: quo fit, vt omnis
Votiua pateat veluti de scripta tabella
Vita senis.
Celuy la commettoit à sesson papiers ses actions & ses pensées,
par escrit, & s’y peignoit tel qu’il se sentoit estre. ⁁
⁁ Nec id Rutilio et
Scauro citra fidem
aut obtrectationi
fuit.
Il me souuiētsouvient
donc, que des ma plus tendre enfance, on remerquoit en moy
ieje ne sçay quel port de corps, & des gestes tesmoignātstesmoignants quel-
que vaine & sotte fierté. IJ’en veux dire premierement cecy,
qu’il n’est pas inconueniētinconvenient d’auoiravoir des conditions & des pro-
pensions, si propres & si incorporées en nous, que nous
n’ayons pas moyen de les sentir & reconnoistre. Et de telles
inclinations naturelles, le corps en retient volontiers quelque
pli, sans nostre sçeu & consentement. C’estoit vneune certaine ⁁ ⁁ affetterie
mollesse affetéemignardise contante de sa beaute, qui faisoit vnun peu pancher la teste d’Alexan-
dre sur vnun costé, & qui rendoit le parler d’Alcibiades mol &
gras: eEstans douez d’vneune extreme beauté, ils s’y aidoyent vnun
peu sans y penser, par mignardise. IuliusJulius Caesar se gratoit la
teste d’vnun doigt, qui est la contenance d’vnun homme remply
LIVRE SECOND. 171279
de pensemens penibles: & Cicero, ce me semble, auoitavoit accou-
stumé de rincer le nez, qui signifie vnun naturel moqueur. Tels
mouuemensmouvemens peuuentpeuvent arriuerarriver imperceptiblement en nous. Il
y en a d’autres artificiels, dequoy ieje ne parle point,: cComme les
bonettadessalutations, & reuerencesreverences, par où on acquiert le plus souuentsouvent
à tort, l’honneur d’estre bien humble & courtois.: ⁁ ⁁ on peut estre humble de gloire. IeJe suis assez
prodigue de bonnettades, notamment en esté,: & n’en reçoys
iamaisjamais sans reuencherevenche, de quelque qualité d’hōmehomme que ce soit,
s’il n’est à mes gages. IeJe desirasse d’aucuns Princes que ieje con-
nois, qu’ils en fussent plus espargnans & iustesjustes dispensateurs,
cCar ainsin indiscrettement espanduës, elles ne portent plus de
coup: sSi elles sont sans reesgard, elles sont sans effect. Entre les
contenances desreglées, n’oublions pas la morgue de Cōstan-
tiusConstan-
tius l’Empereur, qui en publicq tenoit tousiourstousjours la teste droi-
te, sans la contourner ou flechir, ny çà ny là,: non pas seulemētseulement
pour regarder ceux qui le saluoient à costé,: ayant le corps plā-
téplan-
té & immobile, sans se laisser aller au branle de son coche, sans
oser, ny cracher, ny se moucher, ny essuyer le visage deuantdevant les
gens. IeJe ne sçay si ces gestes qu’on remerquoit en moy, estoiētestoient
de cette premiere condition, & si à la verité ij’auoyavoy quelque
occulte propension à ce vice,: comme il peut bien estre: & ne
puis pas respondre des bransles du corps,. mMais quant aux brā-
slesbran-
sles de l’ame, ieje veux icy confesser ce que ij’en sens. Il y a ce me
semble deux parties en cette gloire: sSçauoirçavoir est, de s’estimer
trop, & n’estimer pas assez autruy. Quant au premierl’une ⁁ ⁁
⁁ Il me semble premierement
que cetteces considerations
deuoirdevoir estre mises en compte
que ieje me sens pressé
d’un’errur d’ame qui
me desplait & come
inique et encore plus comme
importune. IessaieJ’essaie a la
corriger mais l’arracher
ieje ne puis. C’est que ieje
diminue du iustejuste pris les
choses que ieje possede de
ce que ieje les possede: et
hausse le pris aus choses
d’autant qu’elles sont
estrangieres absantes &
non mienes. Cette humeur
s’espant bien louin. Comme
la prerogatiueprerogative de l’autho=
rite faict que les maris
regardent les femes propres
d’un uitieusvitieus desdein et
plusieurs peres leurs enfants.
Ainsi fois ieje. contre moi:
et entre deus pareils ouuragesouvrages
poiserois tousiourstousjours contre le mien
Non tant que la ialousiejalousie de mon auancemantavancemant et amandemant trouble mon iugementjugement,
et m’enpeche de me satisfaire: come que d’elle mesmes la maistrise engendre quelque mespris de ce qu’on tient et regente. Les polices
les meurs louintenes me flatent: et ieje sens que le langageles langues et m’aperçois que le latin me pipe a sa faueurfaveur par sa dignite:,
au dela de ce qui luy apartient, come aus enfans et au uulguerevulguere. L’OEconomie la maison le cheualcheval de
mon uoisinvoisin en esgales ualurvalur au miens uautvaut mieus que le mien de ce qu’il est hors de ma mainn’est pas mien. DauantageDavantage que
ieje suis tresincerteinignorant & doubteus deet doubteus en mon faict. IJ’admire l’assurance et promesse que chacun a de soi
etla ou il n’est quasi rien que ⁁ ⁁ ieje sache sçauoirsçavoir ny que ij’ose me respondre pouuoirpouvoir faire. IeJe n’ay point mes forcesmoyens en proposition ⁁ ⁁ et par estat et n’en suis
instruit qu’apres l’effaict. Autant incerteindoubteus de moi que de toute autre chose. DouD’ou il aduientadvient si ieje
rencontre hureuse. Louablement en quelqueune besouigne que ieje le done plus a ma fortune qu’a
ma force: dautantd’autant que ieje les desseigne toutes aueqaveqau desfiance et irresolutionhasard et en creinte. Pareillement
, ij’ay en
general cett’humeurcecy, que de toutes les opinions que l’ancien-
neté à eües de l’homme, en gros, celles que ij’embrasse plus volontiers,
& ausquelles ieje m’attache le plus, ce sont celles qui nous mes-
prisent, auilissentavilissent, & aneantissent le plus. La philosophie ne me
semble iamaisjamais auoiravoir si beau ieujeu, que quand elle combat nostre
presomption & vanité,: quand elle reconnoit de bōnebonne foy son
irresolution, sa foiblesse, & son ignorance. Il me semble que
AAAa iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la mere nourrisse des plus fauces opinions que nous ayonsopinions, &
publiques & particulieres, c’est la trop bonne opinion que
nous auonsavons de nousl’home a de soy. Ces gens, qui se logentperchent à cheuauchōschevauchons sur
l’epicycle de Mercure, il me semble qu’qui uoïentvoïent si auantavant dans le ciel ils m’arrachent les dēsdens:
cCar en l’estude que ieje fay, duquel le subiectsubject c’est l’hōmehomme, trou-
uanttrou-
vant vneune si extreme varieté de iugemensjugemens, vnun si profond laby-
rinthe de difficultez les vnesunes sur les autres, tant de diuersitédiversité &
incertitude, en l’eschole mesme de sa sapience: vous pouuezpouvez
penser, puis que ces gens là n’ont peu se resoudre de la cōnois-
sanceconnois-
sance d’eux mesmes & de leur propre condition, qui est con-
tinuellement presente à leurs yeux, qui est dāsdans eux,: puis qu’ils
ne sçauentsçavent comment branle ce qu’eux mesmes font branler,
ny comment nous peindre & deschiffrer les ressorts qu’ils tiē-
nenttien-
nent & manient eux mesmes, cōmentcomment ieje les croirois de la cau-
se du mouuementmouvement de la huictiesme sphere, & du flux & reflux
de la riuiereriviere du Nile. La curiosité de connoistre les choses, à e-
sté donnée aux hommes pour fleau, dit la sacrosaincte paro-
le. Mais pour venir à mon particulier, il est bien difficile, ce me
semble, que aucun autre s’estime moins, voire que aucūaucun autre
m’estime moins, que ce que ieje m’estime. ⁁
⁁ IeJe me tiens ⁁ ⁁ hors de la
basse et commune
mesure: et ne me
prise au dessus que de
ce que ieje sçay mon pris
de ce sulemētsulement que
ieje m’en tiens:sorte sauf en ce que
ieje m’en tiens: coulpable des
deffectuositez plus basses et populeres
sauf en ce mais non
desaduoueesdesadvouees non excusees. et ne
me prise particuli=
erementsulemant que de ce
que ieje sçai mon pris.
S’il y a de la gloire, et en
y a, ell’est naturellement
infuse en moy superficiel=
lement par la trahison de ma
complexion: et n’a pouint de
corps qui comparoisse a la
veue de mon iugementjugement: ij’en
suis arrosè mais non pas teint.
Car à la verité, quand
aux effects de l’esprit, en quelque façon que ce soit, il n’est ia-
maisja-
mais party de moy chose qui me contentastremplist: &Et l’approbation
d’autruy ne ⁁ ⁁ me paye m’a pas payé. IJ’ay le goust tēdretendre & difficile, & no-
tamment en mon endroit: iIejJe me ⁁ ⁁ desaduouedesadvoue sans cesse: et me sens partout sens flotter & fleschir de foi-
blesse. IeJe me connoy tant, que s’il estoit party de moy chose
qui me pleut, ieje le deuroydevroy sans doubte à la fortune: iIejJe n’ay rien
du mien, dequoy contentersatisfaire mon iugementjugement: iIjJ’ay la veue assez
claire & reglée, mais à l’ouurerouvrer elle se trouble: cComme ij’essaye
plus euidemmentevidemment en la poesie. IeJe l’ayme infiniment,: ij’y voyieje me conois
assez cler aux ouuragesouvrages d’autruy: mais ieje fay à la verité l’enfant
quand ij’y veux mettre la main,: ieje ne me puis souffrir. On peut
faire le sot par tout ailleurs, mais non en la Poesie.,
LIVRE SECOND. 264280
mediocribus esse poetis
Non dij, non homines, non concessere columnae.
Pleust à Dieu, que cette sentence se trouuattrouvat au front des bou-
tiques de tous nos Imprimeurs, pour en deffendre l’entrée à
tant de versificateurs.,
verum
Nil securius malo Poeta,. ⁁
⁁ Que n’auonsavons nous de tels peuples? Dionysius
le pere n’estimoit rien tant de soi que sa poesie. A la saison des
ieusjeus Olympiques as aueqaveq des charriots surpassants tous
autres en magnificence il enuoiaenvoia aussi des poetes et
musiciens pour presanter ses poemesuersvers aueqaveq des tantes &
pauillonspavillons dorez et tapisses Royalemant. Quand
on uintvint a mettre ses poemesuersvers en auantavant la
faueurfaveur et excellance de
la pronontiation attira
sur le comancemant la
faueurfaveurl’attention du peuple: mais
quand par apres il uintvint
a poiser l’ineptie de
louuragel’ouvrage il entra
premierement en mespris
maiset continuant d’aigrir
son iugemantjugemant il se iettajetta
tantost en furie et allaet courut
abattre et deschirāterdeschiranter par despit tous
ses pauillonspavillons. Et ce que
ses charriotz ne firent
non plus rien qui uaillevaille
etn la course: & que la
nauirenavire qui raportoit ses
iansjansgens faillit la Sicile, et
fut par la tempeste em=
portee poussee et
fracassee contre la
coste de Tarente, il tint
pour certein que c’estoit
lirel’ire des Dieus irritez
come luy contre ce
mauuesmauves poesme. Et les
mariniers mesme eschappez
du naufrage alloint
secondant l’opinion de ce
peuple. A la quelle il
semb loraclel’oracle qui predit sa
mort sembla la aussi aucune=
mant souscrire. Il portoit
que Dionisius seroit lors pres
de sa fin quand il aroit
uaincuvaincu ceus qui uaudroyentvaudroyent
mieus que luy. Ce que il
interpreta des Carthaginois
qui le surpassoint etn pui=
sance. eEt aiant affaire a
eus gauchissoit souuantsouvant
la uictoirevictoire et la
temperoit pour
n’encourir le sens
de cete prediction. Mais il
l’entandoit mal: car le dieu
merquoit le temps de lauātagel’avantage
que par faueurfaveur et iniusticeinjustice
il gaigna a Athenes sur les
poëtes tragiques meillurs que
luy aïant fait iouerjouer a l’enuienvi la
siene intitulee les Leneïens.
Soudein apres la quelle uictoirevictoire il
trespassa Et en partie pour l’excessiueexcessive
ioyejoye qu’il en conceut.
Ce que ieje treuuetreuve passableexcusable du mien, ce n’est pas de soy, & à la
verité: mais c’est à la comparaison d’autres choses pires, aus-
quelles ieje voy qu’on donne credit. IeJe suis enuieuxenvieux du bōbon heur
de ceux, qui se sçauentsçavent resiouirresjouir & gratifier en leurs ouuragesouvrages,besouigne.
cCar c’est vnun moyen aisé de se dōnerdonner du plaisir, puis qu’on le ti-
re de soymesmes: ⁁
⁁ Specialement s’il y a un peu de fermetè en leur opiniatrise. IeJe sçai un poete a qui
fors foibles en foule et en chambre: et le ciel et la terre q crient qu’il n’y entant guere.
Il n’en rabat pour tout cela rien de la mesure a quoi il s’est taillé. TousioursTousjours recomance
tousiourstousjours reconsulte: et tousiourstousjours persiste: d’autant plus ferme qu’il est sul: At sibi plaudit.
fort en son auisavis et plus constantroidde qu’il touche a luy sul de le maintenir
lLes miensMes ouuragesouvrages il s’en faut, tant, qu’ils me plaisentrient,
qu’autant de fois que ieje les retaste, autant de fois ij’en reçois
vnun nouueaunouveau mescontentementieje m’en despite.,
Cum relego, scripsisse pudet, quia plurima cerno,
Me quoque qui feci, iudice, digna lini.
IJ’ay tousiourstousjours vneune idée en l’ame,⁁ ⁁ et certeine image trouble qui me presente ⁁ ⁁ come en songe vneune meil-
leure forme, que celle que ij’ay mis en besongne, mais ieje ne la
puis ⁁ ⁁ sesir et exploiter. Et en mon imagination mesmes, ieje ne conçoy
pas les choses en leur plus grande perfection:cette idee mesme n’est que du moyen estage. cCe que ieje cōnoyconnoyij’argumante
par là, que ce que ieje voy produit parles productions de ces riches & grādesgrandes ames
du temps passé, ieje le treuuetreuvesont bien loing sont au delà de l’extreme e-
stendue de mon imagination ⁁ ⁁ et souhet. Leurs ouuragesouvragesescris ne me satisfont
pas seulement & me remplissent, mais ils m’estonnētestonnent & tran-
sissent d’admiratiōadmiration: iIejJe iugejuge tresbien leur beauté, ieje la voy, ⁁
⁁ si non iusquesjusques
au bout au moins
si auantavant qu’
mais
il m’est impossible de la representer.d’y aspirer. ⁁
⁁ IeJe ne fois de moy
nul estat certeinresolu de
moy. Et ne sçai chosene uoisvois nestn’est guere rien que ij’osasse
me respondre pouuoirpouvoir faire ⁁ ⁁IJ’admire l’assurance bien
a point. Autant doubteus de la
mesuremesure et portee de mes forces
que de toute autre chosedu reste d’autre choses. Et
quand ell’est faicte IeJe la done plus
a l’auantureavanture qu’a mon engin.
Quandet promesse chacuun a de soi. Car ieje ne me treuuetreuve
plus doubteus et incertein de nulle mesure que de la
mesure de mes forces.
A cette cause quand ie suis uenuvenu a bout de quelque
besouigne ieje le done plus a l’auantureavanture
qu’a mon engin. DautantD’autant que ieje le proposedesseigne a
toutes aueqaveq desfiance, et au l’hasard.
Quoy que ij’entreprenne,
ieje doy vnun sacrifice aux graces, cōmecomme dict Plutarque de quel-
qu’vnun, pour pratiquer leur faueurfaveur.,
si quid enim placet,
Si quid dulce hominum sensibus influit,
Debentur lepidis omnia gratiis.
ESSAIS DE M. DE MONT.
Or eElles m’abandonnent par tout: tTout est grossier chez moy,:
il y à faute de garbe & de polissurede iantillessejantillesse et de beaute:. iIejJe ne sçay faire valoir les
choses pour le plus q̄que ce qu’elles valētvalent: mMa façon n’ayde de rien
à la matiere. Voila pourquoy il me la faut forte, qui aye beau-
coup de prise, & qui luise d’elle mesme. ⁁
⁁ Quand ij’en prenssesis
des populeres & plus
gayes c’est pour me
suiuresuivre a moy qui
n’aime pouītpouint une
sagesse ceremonieuse
et triste come faict
le monde: non pas pour
suiuresuivre ma eEt pour
m’esgayer non pour
esgayer mon stile
qui les ueutveut plus tost
grauesgraves & seueresseveres:
au moins si ieje pui dois
nomer stile un parler
informe et sans regle.
VnUn iargonjargon populere ⁁ ⁁ . Et un proceder sans
definition sans partitiōpartition sans
conclusion trouble: a la guise de celluy
d’Amafanius & de Rabirius.
IeJe ne sçay ny plaire, ny
reiouyrrejouyr, ny chatouiller: lLe meilleur conte du monde se seche
entre mes mains, & se ternit. IeJe ne sçay parler qu’en bōbon escient,
&Et suis du tout abandonnédenué de cette facilité, que ieje voy en plu-
sieurs de mes compaignons, d’entretenir les premiers ve-
nus, & tenir en haleine toute vneune trouppe, ou amuser sans se
lasser, l’oreille d’vnun prince, de toute sorte de propos,. lLa ma-
tiere ne leur faillant iamaisjamais, pour cette grace qu’ils ont de sça-
uoirsça-
voir employer la premiere qui leur tombe en mainuenuevenue, & l’accō-
moderaccom-
moder à l’humeur & portée de ceux à qui ils ont affaire. Les
princes n’ayment guere les discours fermes, ny moy à faire
des contes. Ce que ij’ay à dire, ieje le dis tousiourstousjours de toute ma
forcec’est quasi: lLes raisons premieres & plus aisées, qui sont communé-
ment les mieux receuesprinses, ieje ne sçay pas les employer. ⁁
⁁ Tresinepte a
prescher peuple &
regenter enfans.MauuesMauves
prescheur de
commune De toute
matiere ieje dicts uolon=
tiersvolon=
tiers toutes les dernieres
choses que ij’en sçai: plus
pour la conclusion que
l’exorde Cicero estime que
és traictez de la
philosofie le plus difficile
membre ce soit lexordel’exorde
Voila pourquoi ie m’atache
a la conclusion et moy
ieje lestimel’estime le plus uainvain.
Si cestc’est ainsi ieje me prens a la
conclusion
Si faut-il
sçauoirsçavoir relácherconduire la corde à toute sorte de tons: & le plus aigu
c’est celuy qui vient le moins souuentsouvent en vsageusageieujeu. Il y à pour le
moins autant de perfection à releuerrelever vneune chose vuide, qu’a en
soustenir vneune poisante. Tantost il faut superficiellement ma-
nier les choses, tantost les profonder. IeJe sçay bien que la plus-
part des hommes se tiennent en ce bas estage, pour ne conce-
uoirconce-
voir les choses que par cette premiere escorse: mMais si est-ceieje sçai aussi,
que les plus grands maistres, & sur toutXenophon et Platon, on less void
souuentsouvent, ou l’occasion se presente, se relascher à cette molle &
basse façon, & populaire, de dire & traiter les choses,: lLa souste-
nanst des graces qui ne leurluyleur manquent iamaisjamais. Au demeurant
mon langage n’a rien de facile & fluidepoli: il est aspre,⁁ ⁁ et desdeigneus: aAyant ses
dispositions libres & desreglées: &Et me plaist ainsi: ⁁
⁁ Si non par mon
iugementjugement, par mon
l’impression de ma
complexion forme naturelleinclination.
mMais ieje sens
bien que par fois ieje m’y laisse trop aller,: & qu’à force de vou-
loir
LIVRE SECOND. 273281
loir euitereviter l’art & l’affectation, ij’y retombe d’vneune autre part,:
breuis esse laboro,
Obscurus fio. ⁁
⁁ Plato dict que le
long ou le court ne
sont proprietez qui
ostent ny donent pris
au langage
Quand ije voudroy’entreprendroy de suyuresuyvre cet autre stile aequable, vnyuny & or-
donné, ieje n’y sçaurois adueniradvenir:. &Et encore que les coupures &
cadences de Saluste, reuiennentreviennent plus à mon humeur, si est-ce
que ieje treuuetreuve Caesar & plus admirablegrand, & moins aisé à imiterrepresanter:
&Et si mon inclination me porte plus à l’imitation du parler de
Seneque, ieje ne laisse pas d’estimer autant pour le moins,dauantagedavantage celuy
de Plutarque. IeJe suy la forme de dire, qui est née auecquesavecques
moy, simple & naifuenaifve autant que ieje puis
Come a faire, a dire aussi ieje suissuy tout simplement
ma forme naturelle: dD’où c’est à l’aduen-
tureadven-
ture que ij’ayieje puis plus d’auantageavantagede grace à parler qu’à escrire: mMais ce peut
aussi estre, que lLe mouuementmouvement & action, animent les parolles,:
notāmentnotamment à ceux qui se remuent brusquement, cōmecomme ieje fay,
& qui s’eschauffent. Le port, le visage, la voix, la robbe, l’assiet-
te, peuuentpeuvent donner quelque pris aux choses, qui d’elles mes-
mes n’en ont guere, comme le babil. Messala se pleint en Ta-
citus de quelques accoustrements estroits de son temps, & de
la façon des bancs où les orateurs auoientavoient à parler, qui affoi-
blissoient leur eloquence. Mon langage françois est alteré, &
en la prononciation & ailleurs, par la barbarie de mon creu:
cCar ijIJe ne vis iamaisjamais homme des contrées de deçà, qui ne sentit
bien euidemmentevidemment son ramage, & qui ne blessast les oreilles
qui sont pures françoises. Si n’est-ce pas pour estre fort entē-
duenten-
du en mon Perigordin: car ieje n’en ay non plus d’vsageusage que de
l’Alemand,. &Et ne m’ēen chaut guere. ⁁
⁁ C’est un langage come sont
autour de moi d’une bande
et d’autre le PoiteuinPoitevin Xeintongeois
Angoumoisin Limosin AuuergnatAuvergnat
brode treinant esfoiré.
Il y a biēbien au dessus de nous,
vers les montaignes, vnun Gascon pur, que ieje treuuetreuve singuliere-
ment beau,. & desirerois le sçauoirsçavoir: car c’est vnun langageSec bref, si-
gnifiant & pressé, & à la verité vnun langage masle & militaire,
plus que ’aucun autre, uulguerevulguere que ij’entende. ⁁
⁁ Autant nerueusnerveus et puissant
et poisant pertinant q comme
le François est gratieus
delicat et nat fertile abondant
Quant au Latin, qui m’a
esté donné pour maternel, ij’ay perdu par des-accoustuman-
ce la promptitude de m’en pouuoirpouvoir seruirservir à parler.⁁
⁁ : oOui, et a escrire
en quoi autrefois ieje
me faisois appeler maistre
iIanjJan:
Voyla
BBBb
ESSAIS DE M. DE MONTA.
combien peu ieje vaux de ce costé là. La beauté, est vneune piece
de grande recommandation au commerce des hommes: cC’est
le premier moyen de conciliation des vnsuns aux autres,: & n’est
homme si barbare & si rechigné, qui ne se sente aucunement
frappé de sa douceur. ⁁ Pour moi ieje m’y rends. Le corps a vneune grand’part à nostre estre,
il y tient vnun grand rang: ainsin sa structure & composition
sont de bien iustejuste consideratiōconsideration. Ceux qui veulent desprendre
nos deux pieces principales, & les sequestrer l’vneune de l’autre, ils
ont tort: aAu rebours il les faut ⁁ ⁁ r’accoupler et reioindrerejoindre & ratacher: iIl faut
ordonner à l’ame, non de se tirer à quartier, de s’entretenir à
part, de mespriser & abandonner le corps (aussi ne le sçauroit
elle faire que par quelque singerie cōtrefaictecontrefaicte) mais de se r’al-
lier à luy, de l’embrasser, le cherir, luy assister, le contreroller, le
conseiller, le redresser, & ramener quand il se fouruoyefourvoye,. lL’es-
pouser en somme, & luy seruirservir de vray mary: à ce que leurs ef-
fects ne paroissent pas diuersdivers & contraires, ains accordans &
vniformesuniformes. Les Chrestiens ont vneune particuliere instruction de
cette liaison, cCar ils sçauentsçavent, que la iusticejustice diuinedivine embrasse cet-
te societé & iointurejointure du corps & de l’ame, iusquesjusques à rendre le
corps capable des recompenses eternelles: &Et que Dieu regar-
de agir tout l’homme, & veut que l’homme ’entier, il reçoiuereçoive le
chastiement, ou le loyer, selon ses demerites. ⁁
⁁ Lesa secte Peripatetique
de toutes les sectes la plus
ciuiliseecivilisee attribue a la
sagesse se sou ce sul soin
de pouruoirpourvoir et procurer en
commun le bien de ces deus
parties associees. Et montre
les autres sectes pour ne
s’estre asses attacheses a
la cōsiderationconsideration de ce meslange
s’estre partialisees cetecy pour
le corps cette autre pour l’ame
imprudammant et cōtrecontre raisōraison
d’une pareille errur: et auoiravoir
escarte leur subietsubjet qui est l’home
et leur guide qu’ils protestent
estre naturele qu’ils aduouentadvouent
en general estre nature.
La premiere di-
stinction, qui aye esté entre les hommes, & la premiere
consideration, qui donna les praeeminences aux vnsuns sur les
autres, il est vray-semblable que ce fut l’aduantageadvantage de la
beauté.:
agros diuisere atque dedere
Pro facie cuiúsque & viribus ingenióque:
Nam facies multum valuit virésque vigebant.
Or ieje suis d’vneune taille vnun peu au dessoubs de la moyenne: cCe
defaut n’a pas seulement de la laideur, mais encore de l’incom-
modité,. àA ceux mesmement, qui ont des commandements &
LIVRE SECOND. 274282
des charges: cCar l’authorité que donne vneune belle presence &
maiestémajesté corporelle, en est à dire. ⁁
⁁ C. Marius ne
receuoitrecevoit pas uolon=
tiersvolon=
tiers des soldats de
moins dequi
n’eussent six pieds
de hautur. Le courtisan
a bien raison de uouloirvouloir
pour ce gentillhome qu’il
dresse, une taille cōmunecommune
que tout’autre: & refuser
et de refuser pour luy commune
plus tost que tout’autre: eEt de
refuser pour luy toute estrangete
qui le face montrer au droitdoit. Mais
de choisir pour luy s’il doit faire
a ce points’il faut a cette
mediocritè, qu’il soit plus
tost au deça qu’au dela
de la mediocreitèd’icelle, ieje ne
le ferois pas, a un homme
militere. ⁁
⁁ Les petits homes dict
Aristote sont bien iolisjolis
mais non pas beaus: et se
conoit en la grandur la
grand’ame come la beauté
en un grand corps & haut.
Les AEthiopes & les Indiens,
dit Aristoteil, elisants leurs Roys & magistrats, auoientavoient esgard
à la beauté & procerité des personnes. Ils auoientavoient raison: cCar il
y à du respect pour ceux qui le suyuentsuyvent, & pour l’ennemy de
l’effroy, de voir à la teste d’vneune trouppe, marcher vnun chef de
belle & riche taille:
Ipse inter primos praestanti corpore Turnus
Vertitur, arma tenens, & toto vertice supra est.
Nostre grand Roy diuindivin & celeste, duquel toutes les circon-
stances doiuentdoivent estre remarquées auecavec soing & religion & re-
uerēcere-
verence, n’a pas refusé la recommandation corporelle, speciosus
forma prae filiis hominūhominum. ⁁
⁁ Et PlatōPlaton aueqaveq la
temperance et la fortitude
desire la beaute aus conser=
uatursconser=
vaturs de sa republique.
C’est vnun grādgrand despit qu’ōon s’adresse à vous
parmy vos gēsgens, pour vous demāderdemander où est mōsieurmonsieur: & q̄que vous
n’ayez q̄que le reste de la bōnetadebonnetade, qu’on fait à vostre barbier ou
a uostrevostre secretaire. CōmeComme il aduintadvint au pauurepauvre PhilopoemēPhilopoemen: eEstāteEstant arriuéarrivé
le premier de sa troupe en vnun logis, ou on l’attendoit, son ho-
stesse, qui ne le connoissoit pas & le voyoit d’assez mauuaisemauvaise
mine, l’employa d’aller vnun peu aider à ses femmes à puiser de
l’eau, ou attiser du feu, pour le seruiceservice de Philopoemen: lLes gē-
tilsgen-
tils-hommes de sa suitte estāsestans arriuezarrivez, & l’ayant surpris embe-
songné à cette belle vacation, car il n’auoitavoit pas failly d’obeyr
au commandemētcommandement qu’on luy auoitavoit faict, luy demanderent ce
qu’il faisoit-là: IeJe paie, leur respondit-il, la penitencepeine de ma
laideur. Les autres beautez sont pour les femmes: la beauté de
la taille, est la seule beauté des hommes. ⁁ ⁁ qui sont au dessus de l’adolescence. Ou est la petitesse,
ny la largeur & rondeur du front, ny la blancheur & dou-
ceur des yeux, ny la mediocre forme du nez, ny la petitesse
de l’oreille, & de la bouche, ny l’ordre & blancheur des dents,
ny l’épesseur bien vnieunie d’vneune barbe brune à escorce de chatai-
gne, ny le poil releuérelevé, ny la iustejuste proportionrondur de teste, ny
BBBb ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ny la frécheur du teint, ny l’air du visage agreable, ny vnun corps
sans senteur, ou legitimeny la proportion legitime des membres, peuuentpeuvent
rendre vnunfaire un bel homme auenantavenant. IJ’ay au demeurant la taille forte
& ramassée,: le visage, non pas gras, mais plein,: la comple-
xion entre le iouialjovial & le melancholique, moiennement san-
guine & chaude,
Vnde rigent setis mihi crura & pectora villis,:
Pilis intra narium antra fruticantibus quotidiana succisio.
lLa santé forte & allegre, iusquesjusques bien auantavant en mon aage,
rarement troublée par les maladies. IJ’estois tel, car ieje ne me
considere pas à cette heure, que ieje suis engagé dāsdans les auenuësavenuës
de la vieillesse, ayant pieça franchy les quarante ans.:
minutatim vires & robur adultum
Frangit, & in partem peiorem liquitur aetas.
Ce que ieje seray doresenauātdoresenavant ce ne sera plus qu’vnun demy estre:
ce ne sera plus moy, iIejJe m’eschape tous les ioursjours, & me desrobe
à moymesme.,
Singula de nobis anni praedantur euntes,.
D’adresse & de disposition ieje n’en ay point eu,. &Et si suis fils d’vnun
pere le plustres dispost qui se vid de son temps, & d’vneune allegresse
qui luy dura iusquesjusques à son extreme vieillesse. Il ne trouuatrouva gue-
re homme de sa condition, qui s’egalast à luy en tout exercice
de corps: cōmecomme ieje n’ēen ay trouuétrouvé guiere aucūaucun, qui ne me surmō-
tatsurmon-
tat,: sSauf qu’au courir, en quoy ij’estoy des mediocres. De la mu-
sique, ny pour la voix que ij’y ay tresinepte, ny pour les instru-
mens, on ne m’y à iamaisjamais sceu rien apprendre. A la danse, à la
paume, à la luite, ieje n’y ay peu acquerir qu’vneune biēbien fort legere
& vulgaire suffisance: à nager, à escrimer, à voltiger, & à sau-
ter nulle du tout. Les mains ieje les ay si gourdes, que ieje ne
sçay pas escrire seulement pour moy,. dDe façon que ce que
ij’ay barbouillé, ij’ayme mieux le refaire que de me donner
la peine de le démesler & relire. ⁁
⁁ Et ne lis guere mieus.
IeJe me sens poiser aus
escoutans. Autremant
bon clerc.
IeJe ne sçay pas clorre à
LIVRE SECOND. 275283
droit vneune lettre, ny ne sçeuz iamaisjamais tailler de plume, ny tran-
cher à table, qui vaille.⁁
⁁ ny equiper un cheualcheval
de son harnois ny porter
a point un oiseau et le
lacher ny parler a mouaus
chiens aus oiseaus aus
cheuauschevaus.
Mes conditions corporelles sont en
somme tresbien accordantes à celles de l’ame, iIl n’y à rien d’al-
legre & de soupple: il y à seulement vneune vigueur pleine, et fer-
me & rassise. IeJe dure bien à la peine, mais ij’y dure, si ieje m’y
porte moy-mesme, & autant que mon desir m’y conduit,
Molliter austerum studio fallente laborem:
aAutrement, si ieje n’y suis alleché par quelque plaisir, & si ij’ay
autre guide que ma pure & libre volonté, ieje n’y vaux riērien:. cCar
ij’en suis là, que sauf la santé & la vie, il n’est chose ⁁ ⁁ pourquoi ieje ueuilleveuille ronger mes ongles: et que ieje veuil-
le acheter au pris du tourment d’esprit, & de la contrainte,
tanti mihi non sit opaci
Omnis arena Tagi, quodque in mare voluitur aurum. ⁁
⁁ Extremement oisif
extremement libre
et par nature et par
art. Il n’est rien si
cher pour moi On a
meillur marche de
ma bourse IeJe n’e
treuuetreuve rien si cheremant
achetè que ce qui
me couste du souing.
IeJe presterois aussi uolon=
tiersvolon=
tiers mon sang que mon soing.
IJ’ay vneune ame libre & toute sienne, accoustumée à se conduire
à sa poste,mode. & n’aynN’ayant eu iusquesjusques à cett’heure ny commandant ny
maistre forcé: ij’ay marché aussi auantavant, & le pas qu’il m’a pleu.
Cela m’a amolli & rendu inutile au seruiceservice d’autruy: & ne m’a
faict bon qu’a moy: estant d’ailleurs d’vnunEt pour moi il n’a este besoin de forcer ce naturel poisant, pa-
resseux & fay neant: cCar m’estant trouuétrouvé en tel degré de for-
tune des ma naissance, que ij’ay eu occasion de m’y arrester,⁁ ⁁ et en tel degre de sens que ij’ay senti en auoiravoir occasion, ieje
n’ay rien cerché, & n’ay aussi rien pris:
Non agimur tumidis ventis Aquilone secundo.
Non tamen aduersis aetatem ducimus austris:
Viribus, ingenio, specie, virtute, loco, re,
Extremi primorum, extremis vsque priores.
Estant né tel, qu’il ne m’a fallu mettre en queste d’autres com-
moditez,. iIejJe n’ay eu besoin que de la suffisance de me conten-
ter,⁁
⁁ : qQui est pourtant ⁁ ⁁ un reglement d’ame a le
bien prendre esgalement
difficille en toute sorte
de condition. Et que par
usage nous uoïonsvoïons se
treuuertreuver plus facilement
encores en la necessite
qu’en l’abondance: soit
que selon le cours de nos
dD’autant a l’auātureavanture
que selon le cours de nos
autres passions la faim
des richesses est plus esguisee par
leur usage que par leur disette: et
la uertuvertu de la moderationtemperance moderation plus rare
que celle de la patiance. Et n’ay eu
besouin que de m’arrester ett ce que
ij’auoisavois: et
& sçauoirsçavoir iouirjouir doucement des biens que Dieu par sa li-
beralité m’auoitavoit mis entre mains:. iIejJe n’ay gousté aucune sorte
de trauailtravail: & suis tresmal instruit à me sçauoirsçavoir contraindre:
incommode à toutes sorte d’affaires & negotiations peni-
bles: n’ayant iamaisjamais guieres eu en maniement que moyles miens:
de trauailtravail ennuyeus. IeJe n’ay eu guere en maniemant que mes affaires: oOu si
ij’en ai eu ce a este en condition de les manier a mon heure et a
ma sortefaçon: commis par gens qui s’en fioint a moi: et qui
ne me pressoint pas, et me reconessoint. Car
encore tirent les expers quelque seruiceservice d’un cheualcheval
restif & poussif.
BBBb iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
esleuéeslevé en mon enfanceMon enfance mesme a este conduite d’vneune façon molle & libre, & lors
mesme exempte de subiectionsubjection rigoureuse,. iIejJe suis deuenudevenu par
laTout cela m’a formé une
complexion delicate et, incapable de sollicitude,. iIusquesjJusques la, que ij’ayme qu’ōon me ca-
che mes pertes, & les desordres qui me touchent: aAu chapi-
tre de mes mises, ieje loge ce que ⁁ ⁁ ma nonchalance me couste à nourrir & entre-
tenir ma nonchalance.,
haec nempe supersunt,
Quae dominum fallant, quae pro sint furibus.
IJ’ayme à ne sçauoirsçavoir pas le conte de ce que ij’ay, pour sentir
moins exactemētexactement ma perte. IeJe prie ceux qui viuētvivent auecavec moy,
ou l’affection leur manque & les bons effects, de me piper &
payer de bonnes apparences. A faute d’auoiravoir assez de ferme-
té, pour souffrir l’importunité des accidens contraires, ausquels
nous sommes subiectssubjects, & pour ne me pouuoirpouvoir tenir tendu, à
regler & ordonner les affaires, ieje nourris autant que ieje puis en
moy cett’opinion: mM’abādōnantabandonnant du tout à la fortune, de prē-
drepren-
dre toutes choses au pis,. &Et ce pis la, me resoudre à le porter
doucement & patiemmeutpatiemment. C’est à cela seul que ieje trauailletravaille,
& le but auquel ij’achemine tous mes discours. A vnun danger,
ieje ne songe pas tant comment ij’en eschaperay, que combien
peu il importe que ij’en eschappe: qQuand ij’y demeurerois que
seroit ce? Ne pouuantpouvant reigler les euenemēsevenemens, ieje me reigle moy-
mesme:, & m’applique à eux, s’ils ne s’appliquent à moy. IeJe
n’ay guiere d’art pour sçauoirsçavoir gauchir la fortune, & luy es-
chapper, ou la forcer,: & pour dresser & conduire par prudēceprudence
les choses à mon poinct. IJ’ay encore moins de patiencetolerance, pour
supporter le soing aspre & penible qu’il faut à cela. Et la plus
penible assiete pour moy, c’est estre suspēssuspens és choses qui pres-
sent,: & agité entre la crainte & l’esperance. Le deliberer, voire
és choses plus legieres, m’importune,: &Et saens mon esprit plus
empesché à souffrir le brālebranle, & les secousses diuersesdiverses du dou-
te, & de la consultation, qu’a se rassoir & resoudre à quelque
LIVRE SECOND. 276284
party que ce soit, apres que la chance est liureelivree. Peu de passiōspassions
m’ont troublé le sommeil,: mais des deliberations, la moindre
me le trouble. Tout ainsi q̄que des chemins, ij’ēen euiteevite volōtiersvolontiers les
costez pandants & glissans,: & me iettejette dans le battu, le plus
boueux, & enfōdrātenfondrant, d’où ieje ne puisse aller plus bas, & y cher-
che seurté: aAussi ij’ayme les malheurs tous purs, qui ne m’exer-
cent & tracassent plus, apres l’incertitude de leur rabillage, &
qui du premier saut me iettentjettentpoussent droictement en la souffrance.: ⁁
fin de uersversCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ : dubia plus
torquent mala.
Aux euenemensevenemens ieje me porte virilement, en la cōduicteconduicte pue-
rillement. L’horreur de la cheute me donne plus de fieburefiebvre
que le coup. Le ieujeu ne vaut pas la chādellechandelle. L’auaritieuxavaritieux à plus
mauuaismauvais conte de sa passion, que n’a le pauurepauvre,: & le ialouxjaloux q̄que
le cocu. Et y à moins de mal souuantsouvant à perdre sa vigne, qu’a la
plaider. La plus basse marche est la plus ferme: cC’est le siege de
la cōstanceconstance: vVous n’y auezavez besoing que de vous: eElle se fonde
la, & appuye toute en soy. Cet exemple d’vnun gentil’homme
que plusieurs ont cogneu, à il pas quelque air philosophique.
Il se marya bien auantavant en l’aage, ayant passé en bon compai-
gnon sa ieunessejeunesse,: grand diseur, grand gaudisseur. Se souuenātsouvenant
combien la matiere de cornardise luy auoitavoit donné dequoy
parler & se moquer des autres,: pour se mettre à couuertcouvert, il es-
pousa vneune femme, qu’il print au lieu, ou chacun en trouuetrouve
pour son argent, & dressa auecavec elle ses alliances: bon iourjour pu-
tain, bon iourjour cocu: & n’est chose dequoy plus souuētsouvent & ou-
uertementou-
vertement, il entretint chez luy les suruenanssurvenans, que de ce sien
dessein: par où il bridoit les occultes caquets des moqueurs,
& esmoussoit la pouinte de ce reproche. Quant à l’ambition,
qui est voisine de la presumption, ou fille plustost, il eut fallu
pour m’aduanceradvancer que la fortune me fut venu querir par le
poing: cCar de me mettre en peine pour vnun’esperance incer-
taine, & me soubmettre à toutes les difficultez, qui accom-
paignent ceux qui cerchent à se pousser en credit, sur le com-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mencement de leur progrez, ieje ne l’eusse sçeu faire.,
spem pretio non emo.
IeJe m’atache à ce que ieje voy, & que ieje tiens, & ne m’eslongne
guiere du port.,
Alter remus aquas, alter tibi radat arenas.
Et puis, on n’arriuearrive guierepeu à ces auancementsavancements qu’en hazardant
premierement le sien: &EEt ieje suis d’aduisadvis, que si ce qu’on à, suffit
à maintenir la condition en laquelle on est nay, & dressé, c’est
folie d’en lácher la prise, sur l’incertitude de l’augmenter. Ce-
luy à qui la fortune refuse dequoy planter son pied, & esta-
blir vnun estre tranquille & reposé, il est pardonnable s’il iettejette
au hazard ce qu’il à, puis qu’ainsi, comme ainsi, la necessité
l’enuoyeenvoye à la queste. ⁁
VersCe commentaire de Montaigne concerne l’addition latine qui suit.
⁁ come dict en
diuersdivers subiectsubject mais
de pareille raison
Lucius Martius a
ses soldats: in rebus
asperis & tenuibus
fortissima quaeque
concilia tutissima
sunt: cete sentance
militaire a un air
de pareille raison.
Capienda rebus in
malis praeceps uia est.
Et ij’excuse plustost vnun cabdet de mettre
sa legitime au vent, que celuy à qui l’honneur de la maison est
en charge, qu’on ne peut voir necessiteux qu’a sa faute. IJ’ay
bien trouuétrouvé le chemin plus court & plus aisé, auecavec le conseil
de mes bons amis du temps passé, de me défaire de ce desir &
de me tenir coy,
Cui sit conditio dulcis, sine puluere palmae:.
IugeantJugeant aussi, bien sainement de mes forces, qu’elles n’estoiētestoient
pas capables de grandes choses: &Et me souenantsovenant de ce mot
du feu Chancelier OliuierOlivier, que les François sembloient
des guenons, qui vont grimpant contremont vnun arbre,
de branche en branche, & ne cessent d’aller, iusquesjusques à ce
qu’elles sont arriuéesarrivées à la plus haute branche, & y monstrent
le cul, quand elles y sont.
Turpe est quod neque as capiti committere pondus
Et pressum inflexo mox dare terga genu.
Les qualitez mesmes qui sont en moy non reprochables, ieje
les trouuoistrouvois inutiles en ce siecle. La facilité de mes meurs, on
l’eut nommée lácheté & foiblesse: la foy & la conscience, s’y
feussent trouuéestrouvées scrupuleuses & superstitieuses: la franchise
& la
LIVRE SECOND. 277285
& la liberté, importune, inconsiderée & temeraire. A quelque
chose sert le mal’heur. Il fait bon naistre en vnun siecle fort de-
prauéde-
pravé: car par comparaison d’autruy, vous estezs estimé ver-
tueux à bon marché. Qui n’est que parricide en mon tempssièclenos ioursjours
& sacrilege, il est homme de bien & d’honneur:
Nunc si depositum non inficiatur amicus,
Si reddat veterem cum tota aerugine follem
Prodigiosa fides & Tuscis digna libellis,
Quaeque coronata lustrari debeat agna.
Et ne fut iamaisjamais temps & lieu, où il y eust pour les princes
loyer plus certain & plus grand, proposé à la bonté, & à la
iusticejustice. Le premier qui s’auiseraavisera de se pousser en faueurfaveur, & en
credit par cette voye la, ieje suis bien deçeu si à bon conte, il ne
deuançedevançe ses compaignons. La force, la violance, peuuentpeuvent quel-
que chose:, mais non pas tousiourstousjours tout. ⁁
⁁ Les cordonniersmarchans
les iugesjuges de
uillagevillage les noteresartisans
nous les uoïonsvoïons
aller a pair de
uaillancevaillance et
sciance militere
aueqaveq la noblesse:
Ils randent des
combats hono=
rables & publiques
et priuezprivez en ces
ils battent ils
defandent uillesvilles
en nos guerres.
VnUn prince estouffe
sa recommandation
emmi cette presse.
Qu’il reluise
d’humanite de
ueriteverite de loyauté
de temperance et
surtout de iusticejustice
marques rares
inconues et exi=
lees. C’est lela sule
corageuolontevolonte des
peuples de quoi
il peut faire ses
affaires: et
nulles autres
qualitez ne
peuuentpeuvent tant flater
leurs coragesuolontevolonte come
celles la: leur
estant bien plus
utilles que les
autres. Nihil
est tam populare
quam bonitas.
Par cette proportiōproportion, ⁁
⁁ ieje me fusse treuuetreuve
grandhome et rare:
come ieje me treuuetreuve pygmée
et populere a la proportiōproportion
d’aucuness sesons des siecles
passez: aAusquelless il
estoit uulguerevulguere si d’autres
plus fortes qualitez n’y
concurroint de uoirvoir un
home
ij’eusse esté moderé en messes vengeācesvengeances, mol au ressentimētressentiment des
offences, tresconstāttresconstant & religieux en l’obseruāceobservance de masa parol-
le: ny double ny soupple, ny accommodant masa foy à la vo-
lonté d’autruy & aux occasions: ijIJ’eusse pPlustost laissélairrois ieje rompre
le col aux affaires, que de pliertordre ma foy & ma conscience àpour leur
seruiceservice. Car quant à cette nouuellenouvelle vertu de faintise & de dis-
simulation, qui est à cefst heure si fort en credit, ieje la hay capi-
tallemētcapi-
tallement: &Et de tous les vices, ieje n’en trouuetrouve aucūaucun qui tesmoi-
gne tant de lácheté & bassesse de coeur. C’est vnun’humeur
couarde & seruileservile de s’aller desguiser & cacher sous vnun mas-
que,et de n’oser se faire veoir tel qu’on est,. & de n’oser montrer
en publicq son visage. C’est pPar la que nos hommes se dressent
à la perfidie,: eEstants duicts à produire des parolles fauces, ils
ne font pas conscience d’y manquer. VnUn coeur genereux
& noble, ne doit point desmētirdesmentir ses pēséespensées: il se veut faire voir
iusquesjusques au dedans: tel qu’il est, car il n’y à rien qui ne soit digne
d’estre veu.Ou tout y est bon, ou au moins tout y est humein ⁁
⁁ Aristote estime office de
magnanimite haïr & aimer
a descouuertdescouvert: iugerjuger parler aueqaveq
toute franchise: et au pris de
la ueriteverite, ne faire cas de l’approbation ou
reprobration d’autruy.
Apollonius disoit que c’estoit aux serfs de mātirmantir,
CCCc
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& aux libres de dire verité. ⁁
⁁ C’est la premiere & fondamātalefondamantale
partie de la uertuvertu Il la
faut aimer pour elle mesme
celuy qui dict uraivrai par ce qu’il
y est d’ailleurs oblige & par ce
qu’il sert et qui ne creint point
a dire mansonge quand il
n’importe a persone n’est aucunemātaucunemantpas bi
veritable suffisamment. Mon
ame de sa complexion refuit la
menterie et la hait mesmes a
la penser. IJ’ay un’interne
vergouigne & un remors,
piquant, si par fois elle
m’eschape: come par
fois elle m’eschape: les
occasions me surprenātsurprenant
et agitant impremediteemātimpremediteemant.
Il ne faut pas tousiourstousjours dire tout,
car ce seroit sottise: mMais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’ōon
le pense, autrement, c’est meschanceté. IeJe ne sçay quelle com-
modité ils attendent de se faindre & contrefaire sans cesse:, si
ce n’est, de n’en estre pas creus, lors mesme qu’ils disent ve-
rité,: cCela peut tromper vneune fois, ou deux les hommes:, mais de
faire profession de se tenir couuertcouvert, & se vanter, comme ont
faict aucuns de nos princes, qu’ils ietteroientjetteroient leur chemise au
feu, si elle estoit participante de leurs vrayes intentions, qui
est vnun mot de l’ancien Metellus Macedonicus, & que qui ne
sçait se faindre, ne sçait pas regner: c’est tenir aduertisadvertis ceux
qui ont à les praticquer, que ce n’est que piperie & mensonge
qu’ils disent. ⁁
⁁ Quo quis uersutior et
callidior est, hoc inuisior
et suspectior detracta opi=
nione probitatis.
Ce seroit vneune grande simplesse à qui se lairroit
amuser ny au visage ny aux parolles de celuy, qui faict estat
d’estre tousiourstousjours autre au dehors, qu’il n’est au dedans:, cōmecomme
faisoit Tibere,. &Et ne sçay quelle part telles gens peuuentpeuvent auoiravoir
au cōmercecommerce des hōmeshommes, ne produisans riērien qui soit reçeu pour
argent contant. Qui est desloyal enuersenvers la verité l’est aussi en-
uersen-
vers le mensonge. ⁁
⁁ Ceus qui conseillent aus
princes d’auoiravoir tousiourstousjours
leur profit pour uiseevisee et
n’auoiravoir autrede nostre temps ont consideré
en l’establissement du deuoirdevoir d’un prince
le bien de ses affaires sulement et
l’ont prefere au souin de leursa
foi et consciance qu’autant
qu’elles seruentservent a l’utilite:
diroint quelque chose, a un
prince de qui la fortune
auroit range a tel point les
affaires que pour tout iamaisjamais
il les peut establir par un sul
manquement & faute a sa
parole. Mais il n’en uava
pas ainsi. On rechoit souuātsouvant
en mesmepareil marchè. On faict
plus d’une paix pour plus d’un
traité en sa uievie. Le guein
qui se presante a nous les
conuieconvie a la premiere desloiau
te et quasi tousiourstousjours il s’en
presante &come a toutes autres
meschancetez. Les sacrileges
les meurtres les rebellions
les trahisons s’entreprenent
pour quelque espece de fruit.
Mais ce petitpremier guein la
premier, aporte infinis domages suiuanssuivans:
ietantjetant ce prince hors de tout commerce et de tout
moien de negotiation par lexamplel’example de cete infidelitè.
Soliman de la race des Ottomans race peu souigneuse
de lobseruancel’observance des promesses et paches lors que de mon
enfance il fit descendre son armee a Ottrente aïant sceu
que Mercurin de Gratinare & les habitans de Castro auointavoint
estoint detenus prisoniers apres auoiravoir rendu la place contre ce qui
auoitavoit este capitule aueqaveq eus manda qu’on les relaschat: & qu’aïant
en mains d’autres grandes entreprinses en cette contree la cette
desloiaute quoi qu’ell’eut quelque apparance d’utilite presante
luy aporteroit pour l’aueniravenir un descri et une desfiance d’infini preiudiceprejudice.
Or de ma partmoy, ij’ayme mieux estre impor-
tūimpor-
tun & indiscret, que flateur & dissimulé. IJ’aduoueadvoue qu’il se peut
mesler quelque pointe de fierté, & d’opiniastreté, à se tenir
ainsin entier & ouuertouvertdescouuertdescouvert, sans consideratiōconsideration d’autruy,: &Et me sem-
ble que ieje deuiensdeviens vnun peu plus libre, ou il le faudroit moins
estre, & que ieje m’eschaufe par l’opposition du respect. Il peut
estre aussi, que ieje me laisse aller apres ma nature, à faute d’art.
Presentant aux grands cette mesme licence de langue, & de
contenance que ij’apporte de ma maison, ieje sens combien elle
decline vers l’indiscretiōindiscretion & inciuilitéincivilité: mMais outre ce que ieje suis
ainsi faict,: ieje n’ay pas l’esprit assez souple pour gauchir à vneune
prompte demande, & pour en eschaper par quelque destour,:
n’y pour feindre vneune verité,: ny assez de memoire pour la rete-
nir ainsi feinte,: ny certes assez d’asseurance pour la maintenir,:
LIVRE SECOND. 278286
& fois le brauebrave par foiblesse. Parquoy ieje m’abandonne à la
nayfueténayfveté, & à tousiourstousjours dire ce que ieje pēsepense, & par complexiōcomplexion,
& par discours, laissant à la fortune d’en conduire l’euenemētevenement. ⁁
⁁ Aristippus disoit le
principal fruit qu’il eut
tire de la philosofie
estre qu’il parloit
libremētlibrement et ouuertementouvertement
a chacun.
C’est vnun outil de merueilleuxmerveilleux seruiceservice, que la memoire, &
sans lequel le iugementjugement, faict bien à peine, son office: elle me
manque du tout. Ce qu’on me voudroitueutveut proposer, il faudroitt
que ce fustsoit à parcelles,. cCar de respondre à vnun propos, où il y
eut plusieurs diuersdivers chefs, il n’est pas en ma puissance. IeJe ne
sçaurois receuoirrecevoir vneune charge sans tablettes:. &Et quand ij’ay vnun
propos de consequence à tenir, s’il est de longue haleine, ieje
suis reduit à cette vile ⁁ ⁁ et miserable necessité, d’apprendre par coeur ⁁ ⁁ mot a mot ce que
ij’ay à dire: autrement ieje n’auroy ny façon, ny asseurance, estātestant
en crainte que ma memoire vint à me faire vnun mauuaismauvais tour. ⁁
⁁ Mais ce moïen m’est
non moins difficille.
Pour aprandre trois uersvers
il me faut trois heures:
puis en un mien ouurageouvrage
la liberte & authorite
de remuer lordrel’ordre, de chan=
ger un mot, uariantvariant sans
cesse la matiere, la rend
plus malaisee a cōceuoirconcevoir
Or plus ieje m’en defie, plus elle se trouble: elle me sert mieux
par rencontre,: il faut que ieje la solicite nonchalamment: car
si ieje la presse, elle s’estonne,: & depuis qu’ell’a commēcécommencé à chā-
celerchan-
celer, plus ieje la pressesonde plus elle s’empestre & embarrasse: elle
me sert à son heure, non pas à la mienne. CeCecy que ieje sens en la
memoire, ieje le sens en plusieurs autres parties. IeJe fuis le com-
mandement, l’obligation, & la contrainte. Ce que ieje fais ay-
séement & naturellement, si ieje m’ordonne de le faire par vneune
expresse & prescrite ordonnance, ieje ne le sçay plus faire. Au
corps mesme, les membres qui ont quelque liberté & iurisdi-
ctionjurisdi-
ction plus particuliere sur eux, me refusent ⁁ ⁁ par fois leur obeyssance,
quand ieje les destine & attache à certain point & heure de ser-
uiceser-
vice necessaire. Cette preordonnance contrainte & tyranni-
que les rebute: ils se croupissent d’effroy ou de despit, & se trā-
sissenttran-
sissent. ⁁
⁁ , a ma grande
uergongnevergongne.
Autresfois estant en lieu, ou c’est discourtoisie barba-
resque de ne respondre à ceux qui vous cōuientconvient à boire, quoi
qu’on m’y traitast auecavec toute liberté, ij’essaiay de faire le bon
cōpaignoncompaignon, en faueurfaveur des dames qui estoyētestoyent de la partie, selon
l’vsageusage du pays. Mais il y eust du plaisir: car cette menasse &
CCCc ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
preparation, d’auoiravoir à m’efforcer outre ma coustume, & mon
naturel, m’estoupa de maniere le gosier, que ieje ne sçeuz aualleravaller
vneune seule goute, & fus priuéprivé de boire, pour le besoing mesme
de mon repas. IeJe me trouuaytrouvay saoul & desalteré, par tāttant de bre-
uagebre-
vage que mon imagination auoitavoit preoccupé:. cCet effaict est
plus apparent en ceux qui ont l’imagination plus vehemente
& puissante: mais il est pourtātpourtant naturel, & n’est nulaucun qui ne s’en
ressante aucunement. On offroit à vnun excellant archer con-
damné à la mort, de luy sauuersauver la vie, s’il vouloit faire voir q̄l-
quequel-
que notable preuuepreuve de son art: il refusa de s’en essayer, craignātcraignant
que la trop grande contention de sa volōtévolonté, luy fit fouruoierfourvoier
la main, & qu’au lieu de sauver sa vie, il perdit encore la repu-
tatiōrepu-
tation qu’il auoitavoit acquise au tirer de l’arc. VnUn hōmehomme qui pēsepense ail-
leurs, ne faudra point, à vnun pousse pres, de refaire tousiourstousjours vnun
mesme nōbrenombre & mesure de pas, au lieu ou il se promene: mais
s’il y est auecavec attention de les mesurer & conter, il trouueratrouvera
que ce qu’il faisoit par nature & par hazard, il ne le faira pas si
exactemētexactement par dessein. Ma librerie, qui est des belles entre les
libreries de village, est assise a vnun coin de ma maison: s’il me
tōbetombe en fantasie chose que ij’y veuille aller cercher ou escrire,
de peur qu’elle ne m’eschappe en trauersanttraversant seulement ma
court, il faut que ieje la dōnedonne en garde a quelqu’autre. Si ieje m’ē-
hardisen
hardis en parlant, a me destourner tant soit peu, de mon fil, ieje
ne faux iamaisjamais de le perdre,: qui faict que ieje me tiens en mes
discours, contraint, sec, & resserré. Les gens, qui me seruentservent, il
faut que ieje les appelle par le nom de leurs charges, ou de leur
pays: car il m’est tres-malaisé de retenir des nōsnoms. IeJe diray bien
qu’il a trois syllabes, que le son en est rude, qu’il commēcecommence ou
termine par telle lettre: &Et si ieje durois a viurevivre long tēpstemps, ieje ne
croy pas q̄que ieje n’oubliasse mon nōnom propre, cōmecomme ont faict d’au-
tres. Messala CoruinusCorvinus, fut deux ans n’ayātayant trace aucune de me-
moire, ⁁
⁁ Ce qu’on dict aussi
de George Trapesunce
iusquejusque a auoiravoir oblie leurs noms.
&Et pour mōmon interest, ieje rumine souuētsouvent quelle vie c’estoit
LIVRE SECOND. 279287
q̄que la siēnesienne,leur: & si sans cette piece, il me restera assez pour me sou-
stenir auecavec quelque aisance:. &Et y regardātregardant de pres, ieje crains q̄que ce
defaut s’il est parfaict, perde quasi toutes les functiōsfunctions de l’ame. ⁁
⁁ Memoria certe non modo
philosophiam sed omnis
uitae usum omnesque artes
una maxime continet.
Plenus rimarum sum, hac atque illac effluo.
Il m’est aduenuadvenu plus d’vneune fois, d’oublier le mot ⁁ ⁁ du guet que ij’auoisavois⁁
⁁ trois heures
auparauantauparavant
donné ou receu d’vnun autre ⁁
⁁ : et d’oublier ou ij’auoiavoi caché ma bourse,
quoi qu’en die Cicero. IeJe m’aide a perdre
ce que ieje cache et que ieje serreparticulierement et exquisement ieje serre particulierment
: cC’est le receptacle & l’estuy de la
science que la memoire: lL’ayant si deffaillante ieje n’ay pas fort
à me plaindre, si ieje ne sçay guere. IeJe sçay en general le nom des
arts, & ce dequoy elles traictent, mais rien au delà. IeJe feuillet-
te les liureslivres, ieje ne les estudie pas: cCe qui m’en demeure, c’est
chose que ieje ⁁ ⁁ ne reconnois plus estre d’autruy,: cC’est cela seulemētseulement,
dequoy mon iugementjugement à faict son profict.: LLes discours & les
imaginations, dequoy il s’est imbu,: lL’autheur, le lieu, les mots,
& autres circonstances, ieje les oublie incontinent: &Et suis si ex-
cellent en l’oubliāceoubliance, que mes escrits mesmes & compositiōscompositions,
ieje ne les oublie pas moins que le reste. On m’allegue tous les
coups à moy-mesme, sans que ieje le sente: qQui voudroit sçauoirsçavoir
d’où sont les vers & exemples lieu, que ij’ay icy entassez, me met-
troit en peine de le luy dire, &Et si ne les ay mendiez qu’és por-
tes noblesconues & fameuses, nNe me contentant pas qu’ils fussent ri-
ches, s’ils ne venoient encore de main riche & honorable: lL’au-
thorité y concurre quant & la raison. ⁁
⁁ Ce n’est pas grand
merueillemerveille si mon liurelivre
suit la fortune des
autres liureslivres et si ma memoire
desempare ce que ij’escris
come ce que ieje lis: et ce que
ieje done come ce que ieje reçois.
Outre le deffaut de la
memoire, ij’en ay d’autres, qui aydent beaucoup à mon igno-
rance: ijIJ’ay l’esprit tardif, & mousse, lLe moindre nuage luy arre-
ste sa pointe,. eEn façon que (pour exemple) ieje ne luy proposay
iamaisjamais enigme si aisé, qu’il sçeut desuelopperdesvelopper. Il n’est si vaine
subtilité qui ne m’empesche,. aAux ieuxjeux, où l’esprit à sa part, des
échets, des cartes, des dames, & autres, ieje n’y comprens que les
plus grossiers traicts. L’apprehēsionapprehension ieje l’ay lente & embrouil-
lée: mMais ce qu’elle tient vneune fois, elle le tient bien, & l’embras-
se bien vniuersellementuniversellement, estroitement & profondement, pour
le temps qu’elle le tient. IJ’ay la veuë longue, saine & entiere,
CCCc iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
mais qui se lasse aiséement au trauailtravail, & se charge: àA cette occa-
sion ieje ne puis auoiravoir ⁁ ⁁ long cōmercecommerce auecavec les liureslivres, que par le moyen
du seruiceservice d’autruy. Le ieunejeune Pline instruira ceux qui ne l’ont
essayé, combien ce retardement est important à ceux qui s’a-
donnent à cette occupation. Il n’est point ame si chetifuechetifve &
brutale, en laquelle on ne voye reluire quelque faculté parti-
culiere: il n’y en à point de si enseuelieensevelie, qui ne face vneune saillie
par quelque coinbout. Et comment celail aduienneadvienne qu’vneune ame a-
ueuglea-
veugle & endormie à toutes autres choses, se trouuetrouve vifuevifve,
claire, & excellente, à certain particulier effect, il s’en faut en-
querir aux maistres: mMais les belles ames, ce sont les ames vni-
uersellesuni-
verselles,: ouuertesouvertes, & prestes à tout: ⁁ ⁁ si non instruites au moins instruisables. cCe que ieje dy pour accuser
la mienne: cCar soit par foiblesse ou non chalance ( & de mettre
à nonchaloir ce qui est à nos pieds, ce que nous auonsavons entre-
mains, ce qui regarde de plus pres le seruiceservice’usage de nostrela vie, c’est
à mōmon aduisadvis vneune biēbien lourde fautechose bien esloignee de mon dogme) il n’en est point vneune si inepte
& si ignorante que la mienne, de plusieurs telles choses vul-
gaires, & qui ne se peuuentpeuvent sans honte ignorer. Il faut que ij’en
conte quelques exemples: iIejJe suis né & nourry aux champs, &
parmy le labourage: ij’ay des affaires, & du mesnage en main,
depuis que ceux qui me deuançoientdevançoient en la possession des biēsbiens
que ieje iouysjouys, m’ont quitté leur place. Or ieje ne sçay conter
ny à get, ny à plume: lLa pluspart de nos mōnoyesmonnoyes ieje ne les con-
noy pas,. nNy ne sçay la difference de l’vnun grain à l’autre, ny en la
terre, ny au grenier, si elle n’est par trop apparente: ny à peine
celle d’entre les choux & les laictues de mon iardinjardin. IeJe n’entēsentens
pas seulement les nōsnoms des premiers outils du mesnage, ny les
plus grossiers principes de l’agriculture, & que les enfans sça-
uentsça-
vent,: mMoins aux arts mechaniques, en la trafique & en la con-
noissance des estoffesmarchandises, diuersitédiversité & nature des fruicts, de vins,
de viandes, nNy à dresser vnun oiseau, ny à medeciner vnun cheualcheval,
ou vnun chien. Et puis qu’il me faut faire la honte toute entiere,
LIVRE SECOND. 280288
il n’y à pas vnun mois qu’on me surprint ignorant dequoy le le-
uainle-
vain seruoitservoit à faire du pain.⁁
⁁: et que c’estoit
que faire cuuercuver
du uinvin.
On coniecturaconjectura anciennement à
Athenes vneune inclinatiōinclinationaptitude à la mathematique, en celuy à qui on
voioit ingenieusemētingenieusement agencer & fagotter vneune charge de bros-
sailles. Vrayement on tireroit de moy vneune bien contraire cō-
clusioncon-
clusion: cCar qu’on me donne tout l’apprest d’vneune cuisine, me
voila à la faim. Par ces traits de ma confessiōconfession, on en peut ima-
giner d’autres à mes despens: mMais quelque ieje me face cōnoi-
streconnoi-
stre, pourueupourveu que ieje me face connoistre tel que ieje suis, ieje fay
mon effect. Et si ne m’excuse pas, d’oser mettre par escrit des
propos si ineptesbas & friuolesfrivoles que ceux-cy. La bassesse du suietsujet,
qui est moy, n’en peut souffrir de plus pleins & solides: &
au demeurant c’est vneune humeur nouuellenouvelle & fantastique qui
me presse, il la faut laisser courir.m’y contreint. Qu’on accuse si on
ueutveut mon proietprojet non mais non pas mon progrez non. Tant y à que sans l’aduertis-
sementadvertis-
sement d’autruy, ieje voy assez ce peu que tout cecy vaut &
poise, & la hardiesse & temeritéfolie de mon dessein. C’est as-
sezprou
prou que mon iugementjugement ne se defferre poinct, duquel ce sont
icy les essais.,
Nasutus sis vsque licet, sis denique nasus,
Quantum noluerit ferre rogatus Athlas.
Et possis ipsum tu deridere Latinum,
Non potes in nugas dicere plura meas,
Ipse ego quam dixi: quid dentem dente iuuabit
Rodere? carne opus est, si satur esse velis.
Ne perdas operam, qui se mirantur, in illos
Virus habe, nos haec nouimus esse nihil.
IeJe ne me suis pas obligé à ne dire point de sottises, prouueuprouveupourueupourveu
que ieje ne me trompe pas à les mesconnoistre:. &Et de faillir à
mon escient, cela m’est si ordinaire, que ieje ne faux guere d’au-
tre façon, ieje ne faux guereiamaisjamais fortuitement. C’est peu de chose de
prester à la temerité de mes humeurs les actions ineptes, puis
que ieje ne me puis pas deffendre d’y prester ordinairement les
ESSAIS DE M. DE MONTA.
vitieuses. IeJe vis vnun iourjour à Barleduc, qu’on presentoit au Roy
François second, pour la recommandation de la memoire de
René Roy de Sicile, vnun pourtraict qu’il auoitavoit luy-mesmes fait
de soy. Pourquoy n’est-il loisible de mesme, à vnun chacun de se
peindre de la plume, comme il se peignoit d’vnun creon? Eet ne
puis ieje representer ce que ieje trouuetrouve de moy, quel qu’il soit? IeJe
ne veux donc pas oublier encor cette cicatrice, bien mal pro-
pre à produire en public.: CcC’est l’irresolution,: qui est vnun vicedefaut
tres-incommode à la negociation des affaires du monde: iIejJe ne
sçay pas prendre party és entreprinses doubteuses.,
Ne si, ne no, nel cor mi suona intero.
IeJe sçay bien soustenir vneune opinion, mais non pas la choisir,:.
pPar ce que és choses humaines, à quelque bande qu’on pāchepanche,
il se presente force apparences, qui nous y confirmētconfirment: ⁁
⁁ Et le philosophe Chrysippus
disoit qu’il ne uouloitvouloit
apprandre de zenon et
Cleanthes ses maistres
que les dogmes simplement:
car quant aus preuuespreuves &
raisons qu’il en fourniroit
asses de luy mesmes: de
dDe quel-
que costé que ieje me tourne, ieje me fournis tousiourstousjours assez de
raisonscause, & de vray-semblance pour m’y maintenir: aAinsi ij’arres-
ste chez moy le doubte, & la liberté de choisir, iusquesjusques à ce
que l’occasion me presse: &Et lors, à confesser la verité, ieje iettejette le
plus souuentsouvent la plume au vent, comme on dict:, cC’est à dire, iejeet
m’abandonne à la mercy de la fortune: vVneuUne bien legere incli-
nation & circonstance m’emporte.,
Dum in dubio est animus paulo momento huc atque illuc impellitur.
L’incertitude de mon iugementjugement, est si également balancée en
la pluspart des occurrences, que ieje compromettrois volōtiersvolontiers
a la decision du sort & des dets. Et remarque auecavec vneune grande
consideration de nostre foiblesse humaine, les exemples que
l’histoire diuinedivine mesme nous a laissez de cet vsageusage, de remet-
tre a la fortune & au hazard, la determination des élections és
choses doubteuses.:
Sors cecidit super Mathiam. ⁁ - prose
⁁ La raison humaine
est un gleuegleve double
et dangereus Et en
la main mesmes de
Socrates son plus intime et
plus familier amy: uoyesvoyes
a quant de bouts c’est un baston.
Ainsi ieje ne suis propre qu’a suyuresuyvre, & me laisse aysément em-
porter a la foule: ieje ne me fie pas assez en mes forces pour en-
trepren-
LIVRE SECOND. 281289
treprendre de commander, ny guider, ny mesme conseiller: ieje
suis bien aise de trouuertrouver mes pas trassez par autruyles autres. S’il faut
courre le hazard d’vnun chois incertain, ij’ayme mieux que ce
soit soubs vnun autretel, qui s’asseure plus de ses opinions, & les es-
pouse plus que ieje ne fay les miēnesmiennes, ausquelles ieje trouuetrouve le fon-
dement & le plant glissant: &Et si suis difficilene suis pas trop facile au change, d’au-
tant que ij’apperçois aux opinions contraires vneune pareille foi-
blesse. ⁁
⁁ Ipsa consuetudo assen=
tiendi periculosa esse
uidetur et lubrica.
Notamment aux affaires politiques, il me semble qu’il
y a vnun beau champ ouuertouvert au bransle & à la contestation.,
Iusta pari premitur veluti cum pondere libra,
Prona nec hac plus parte sedet, nec surgit ab illa.
Les discours de MachiauelMachiavel, pour exemple, estoient assez soli-
des pour le subiectsubject, si y a-il eu grand aisance à les combattre:
& ceux qui les ’ont combatusfaict, n’ont pas laissé moins de facilli-
té à combatre les leurs. Il s’y trouueroittrouveroit tousiourstousjours à vnun tel ar-
gument, dequoy y fournir responses, dupliques, repliques,
tripliques, quadrupliques, & cette infinie contexture de de-
bats, que nostre chicane à alongé tant qu’elle à peu en faueurfaveur
des procez,
Caedimur, & totidem plagis consumimus hostem,
les raisons n’y ayant guere autre fondement que l’experiēceexperience,:
& la diuersitédiversité des euenementsevenements humains, nous fournissantpresentant in-
finis exemples à toute sorte de visagesformes. ⁁
⁁ Le philosophe Chrysippus
VnUn sçauantsçavant personna-
ge de nostre temps, dit qu’ēen nos almanacs, où ils disent chaud,
qui voudra dire froid, & au lieu de sec, humide, & mettre tou-
siourstou-
sjours le rebours de ce qu’ils pronostiquent, s’il deuoitdevoit entrer
en gageure de l’euenementevenement de l’vnun ou l’autre, qu’il ne se sou-
cieroit pas quel party il print, sauf és choses où il n’y peut es-
choir incertitude, comme de promettre à Noel des chaleurs
extremes, & à la sainct Iean, des rigueurs de l’hiuerhiver. IJ’en pense
de mesmes de ces discours politiques: à quelque rolle qu’on
vous mette, vous auezavez aussi beau ieujeu q̄que vostre cōpagnoncompagnon, pour-
DDDd
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ueuveu que vous ne venez à choquer les principes trop grossiers
& apparens. Et pourtant selon mon humeur, és affaires publi-
ques, il n’est aucun si mauuaismauvais train, pourueupourveu qu’il aye de l’aa-
ge & de la constance, qui ne vaille mieux que le changement
& le remuement. Nos meurs sont extremement corrompuës,
& panchent d’vneune merueilleusemerveilleuse inclination vers l’empiremētempirement:
de nos loix & vsancesusances, il y en a plusieurs barbares & mon-
strueuses: toutesfois pour la difficulté de nous mettre en meil-
leur estat, & le danger de ce crollement, si ieje pouuoypouvoy mettreplanter
vneune cheuillecheville à nostre rouë, & l’arrester en ce point, ieje le ferois
de bon coeur.:
nunquam adeo foedis adeóque pudendis
Vtimur exemplis, vt non peiora supersint.
Le pis que ieje trouuetrouve en nostre estat, c’est l’instabilité, & que
nos loix, non plus que nos vestemēsvestemens, ne peuuentpeuvent prendre au-
cune forme arrestée. Il est biēbien aisé d’accuser d’imperfection v-
neu-
ne police: car toutes choses mortelles en sont pleines: il est biēbien
aisé d’engendrer à vnun peuple le mespris de ses anciēnesanciennes obser-
uancesobser-
vances: iamaisjamais homme n’entreprint ce rollecela, qui n’en vint à
bout: mais d’y restablir vnun meilleur estat en la place de celuy
qu’on à ruiné, à celacecy plusieurs se sont morfondus, de ceux qui
l’auoientavoient entreprins. ⁁
⁁ IeJe fois peu de ma part a
ma prudance de ma
conduite ieje me laisse
volontiers roulermener a lordrel’ordre
publique du monde Hureus
peuple qui faict ce qu’on
comande mieus que ceus qui
comandent sans se tourmātertourmanter
des causes qui se laisse
mollemant rouler apres le
roulement celeste LobeissanceL’obeissance
n’est pure ny tranquille en
celui qui raisone & qui pleide.
Somme pour reuenirrevenir à moy, ce seul, par
où ieje m’estime quelque chose, c’est ce, en quoy iamaisjamais hōmehomme
ne s’estima deffaillant: ma recommēdationrecommendation est vulgaire, com-
mune, & populaire: car qui à iamaisjamais cuidé auoiravoir faute de iuge-
mentjuge-
mentsens? Ce seroit vneune proposition qui impliqueroit en soy de
la contradiction:⁁
⁁ : c’est une maladie
qui n’est iamaisjamais ou
elle se santuoitvoit: eEll’est
bien tenace et forte,
mais la quelle pour=
tant le premier
rayon de la ueueveue
du patiant perce et
dissipe, come le
regard du soleinl
vnun brouillas opaque.
S’accuser seroit s’excuser en ce subietsubjet la,:
s’accuser en ce subiectsubject là, ce seroit se iustifierjustifier,
& se condamner ce seroit s’absoudre. Il ne fut iamaisjamais croche-
teur ny femmelette, qui ne pensast auoiravoir assez de sens pour sa
prouisionprovision. Nous reconnoissons ayséement és autres l’aduāta-
geadvanta-
ge du courage, de la force ⁁ corporelle, de l’experience, de la disposition,
de la beauté, & de la noblesse: mais l’aduantageadvantage du iugementjugement
LIVRE SECOND. 282290
nous ne le cedons à personne: & les raisons qui partētpartent du sim-
ple discours naturel en autruy, il nous semble qu’ ⁁ ⁁ il n’a tenu qu’a regarder de ce coste la que nous ne les ayons trouueestrouvees elles sont
nostres. La science, le stile, & telles autres parties, que nous
voyons és ouuragesouvrages estrangers, nous sentonstouchons bien aiséement
si elles surpassent nos forcesles nostres: mais les simples productions du
discours & de l’entendement, chacun pense qu’il estoit en luy
de les trouuertrouverrencontrer toutes pareilles, & en apperçoit malaisement le
poids & la difficulté.⁁ ⁁ si ce n’est et a peine en une extreme et incomparable distance. Ainsi, c’est vneune sorte d’exercitation, de la-
quelle onieje doits esperer fort peu de recōmandationrecommandation & de louā-
gelouan-
ge, & vneune naturemaniere de cōpositiōcomposition, de peu de creditnom. ⁁
⁁ Et puis, pour qui escriuesescrives uousvous? Les sçauanssçavans à qui touche la iurisdictionjurisdiction liuresquelivresque,
ne conoissent autre prixs que de la doctrine, et n’aduouētadvouent autre proceder en nos esperits, que
celluy de l’erudition et de l’art: sSi uousvous auesaves pris l’un des Scipions pour l’autre, que uousvous
reste il a dire qui uaillevaille? qQui ignore Aristote selon eusx, s’ignore quand et quand soimesme.
Les ames cōmunescommunes et populeres, ne uoientvoient pas la grace et le pois d’un discours hauteain et
deslié. Or ces deusx especes occupent le monde. La tierce, a qui uousvous tombez en partage,
des ames reglees et fortes d’elles memes, est si rare, que iustemantjustemant elle n’a ny nom ny
rang entre nous: c’est a demy, temps perdu, d’aspirer et de s’efforcer a luy plaire. On
Le plus sot hō-
mehom-
me du mōdemonde pēsepense auoiravoir autātautant d’entendement q̄que le plus habile.
Voila pourquoy ⁁ oOn dit cōmunémētcommunément, q̄que le plus iustejuste partage q̄que
nature nous aye fait de ses graces, c’est celuy du iugemētjugementsens: car il
n’est aucūaucun qui ne se cōtentecontente de ce qu’elle luy en a distribué.⁁
⁁ : n’est ce pas raison? qui uerroitverroit audela il uerroitverroit audela de sa ueuëveuë.
IeJe
pēsepense auoiravoir les opiniōsopinions bōnesbonnes & saines, mais qui n’en croit au-
tant des siēnessiennes? L’vneune des meilleures preuuespreuves que ij’en aye, c’est
le peu d’estime que ieje fay de moy: car si elles n’eussent esté biēbien
asseurées, elles se fussent aisément laissées pipper à l’affection
que ieje me porte singuliere, comme celuy qui la ramene quasi
toute à moy, & qui ne l’espands gueres hors de là. Tout ce que
les autres en distribuent à vneune infinie multitude d’amis, & de
connoissans, à leur gloire, à leur grandeur, ieje le rapporte tout
à ma santé, au repos de mon esprit & à moy. Ce qui m’en es-
chappe ailleurs, ce n’est pas proprement de l’ordonnance de
mon discours.,
mihi nempe valere & viuere doctus.
Or mes opinions, ieje les trouuetrouve infiniement hardies & cōstan-
tesconstan-
tes à condamner mon insuffisance. De vray c’est aussi vnun sub-
iectsub-
ject, auquel ij’exerce mon iugementjugement autant qu’a aucunnul autre.
Le monde regarde tousiourstousjours vis à vis, moy ieje renuerserenversereplie ma
veue au dedans, ieje la plāteplante, ieje l’amuse là. Chacun regarde deuātdevant
soy, moy ieje regarde dedans moy: ieje n’ay affaire qu’à moy, ieje
DDDd ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
me considere sans cesse, ieje me contrerolle, ieje me gouste. Les
autres vont tousiourstousjours ailleurs, s’ils y pensent bien: ils vōtvont tou-
siourstou-
sjours auantavant,
nemo in sese tentat descendere,
moy ieje me roulle en moy mesme. Cette capacité de trier le
vray, quelle qu’elle soit en moy, & cett’humeur libre de n’as-
subiectiras-
subjectir aisément ma creance, ieje la dois principalement à
moy: car les plus fermes imaginations que ij’aye, & gene-
ralles, sont celles qui par maniere de dire, nasquirent auecavec
moy, elles sont naturelles & toutes miennes. IeJe les pro-
duisis crues & simples, d’vneune productiōproduction hardie & genereuseet forte,
mais vnun peu trouble & imparfaicte: depuis ieje les ay establies
& fortifiées par l’authorité d’autruy, & par les sains discours
des anciens, ausquels ieje me suis rencontré conforme en iuge-
mentjuge-
ment: ceux-là me les ont mises en main,m’en ont assurè la prinse, & m’en ont donné
la iouyssancejouyssance & possession ⁁ plus entiere. La recommandation que
chacun cherche, de viuacitévivacité & promptitude d’esprit, ieje la pre-
tensdrois du reglement: dD’vneune action esclatante & signalée, où
de quelque particuliere suffisance, ieje la pretensdrois de l’ordre
correspondance & tranquillité du iugementjugement’opinions & des meurs. ⁁
⁁ Omnino si quidquam est
decorum nihil est profecto
magis quam aequabilitas
uniuersa uitae tum singu=
larum actionum: quam
conseruare non possis si
aliorum naturam imitans
omittas tuam.
Voyla donq iusquesjusques où ieje me sens coulpable de cette premie-
re partie, que ieje disois estre au vice de la presomption. Pour la
seconde, qui consiste à n’estimer poinct assez autruy, ieje ne
sçay si ieje m’en puis si bien excuser: car quoy qu’il me couste, ieje
delibere de dire ce qui en est. A l’aduentureadventure que le commerce
continuel que ij’ay auecavec les humeurs anciennes, & l’Idée de ces
riches ames du tēpstemps passé me dégouste, & d’autruy, & de moy
mesme: ou bien que à la verité nous viuonsvivons en vnun siecle qui
ne produict les choses que bien médiocres: tant y à que ieje
ne connoy rien digne de grande admiration: aussi ne con-
noy-ieje guiere d’hommes auecavec telle priuautéprivauté qu’il faut pour
en pouuoirpouvoir iugerjuger,: & ceux ausquels ma condition me mesle
LIVRE SECOND. 283291
plus ordinairement, sont pour la pluspart, gens qui ont peu
de soing de la culture de l’ame, & ausquels on ne propose
pour toute beatitude que l’honneur, & pour toute perfectiōperfection,
que la vaillance. Ce que ieje voy de beau en autruy, ieje le loüe &
l’estime tres-volontiers: vVoire ij’encheris souuentsouvent sur ce que
ij’en pense, & me permets de mentir iusquesjusques là, cCar ieje n’aymene sçai
point à inuenterinventer vnun subiectsubject faux. IeJe tesmoigne volontiers de
mes amis, par ce que ij’y trouuetrouve de loüable, &Et d’vnun pied de va-
leur, ij’en fay volontiers vnun pied & demy: mMais de leur prester
les qualitez qui n’y sont pazs, ieje ne puis, ny les defendre ouuer-
tementouver-
tement des imperfections qu’ils ont. Voyre à mes ennemis, ieje
rens nettement ce que ieje dois de tesmoignage d’honneur,⁁
⁁ . Mon affection se
changeant n’altere mon
iugementjugement non. Et
&
ne confons point ma querelle auecavec autres circonstances qui
n’en sont pas, &Et suis tant ialouxjaloux de la liberté de mōmon iugemētjugement,
que mal ayséement la puis-ieje quitter pour passiōpassion que ce soit. ⁁
⁁ : i IJe me fois plus
d’iniureinjure en men=
tant que ieje n’en
fais a celluy de
qui ieje mens. On
remarque cette
louäble et genereuse
costume de la nation
Persiene qu’ils
parlent de leurs
mortels enemis & à
qui ils font guerre
a outrance honora=
blemēthonora=
blement et equitablement
autant que porte le
merite de leur uertuvertu
IeJe connoy des hommes assez, qui ont diuersesdiverses parties belles:
qui l’esprit, qui le coeur, qui l’adresse, qui la conscience, qui le
langage, qui vneune science, qui vnun’autre: mais de grand homme
en general, non pas parfaict, mais encoreet ayant tant de belles
pieces ensemble, ou vneune en tel degré d’excellence, qu’on s’en
doiuedoive estonner, ou le comparer à ceux que nous honorōshonorons du
tēpstemps passé, ma fortune ne m’en à fait voir nul. Et le plus grand
que ij’aye conneu ⁁ ⁁ au uifvif, ieje di des parties naturelles de l’ame, & le
mieux né, c’estoit Estienne de la Boitiée: c’estoit vrayement vnun’
ame pleine, & qui montroit vnun beau visage à tout sens: ⁁
⁁ ieje lisois sous sa
robe longue, une
uigurvigur soldatesque
vnun’ame à la vieille marque, & qui eut produit de grands
effects, si sa fortune l’eust voulu: ayant beaucoup adiou-
stéadjou-
sté à ce riche naturel par science & estude. Mais ieje ne
sçay comment il aduientadvient, ce me sembleet si aduientadvient sans doubte, qu’il se trouuetrouve
autant de vanité & de foiblesse d’entendement, en ceux qui
font profession d’auoiravoir plus de suffisance, qui se meslent de
vacations lettrées, & de charges qui despendent des liureslivres, &
DDDd iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de la science, qu’en nulle autre sorte de gens: oOu biēbien, par ce que
on requiert & attend plus d’eux, que des ignorans, & qu’on ne
peut excuser en eux, les fautes communes: ou bien, que l’opi-
nion du sçauoirsçavoir leur donne plus de hardiesse de se produire,
& de se descouurirdescouvrir trop auantavant, par où ils se gastentperdent, & se tra-
hissent. Comme vnun artisan, tesmoigne bien mieux sa bestise,
en vneune riche matiere qu’il ait entre mains, s’il l’accommode &
mesle sottemētsottement, & contre les regles de son ouurageouvrage, qu’en vneune
matiere vile, & s’offence l’on plus du defaut en vneune statue d’or,
qu’en celle qui est de plastre. Ceux cy en font autant, lors
qu’ils mettent en auantavant des choses qui d’elles mesmes &
en leur lieu seroyent bonnes: car ils s’en seruentservent hors de pro-
pos, sans discretion, & sans suite, faisans honneur à leur me-
moire, aux despens de leur entendement.: Iils font honneur à
Cicero, à Galien, à VlpianUlpian, & à saint Hierosme, & eux se ren-
dent ridicules. IeJe retombe volontiers sur ce discours de l’ine-
ptie de nostre institution: elle à eu pour sa fin, de nous faire,
non bons & sages, mais sçauanssçavans: elle y est arriuéearrivée. Elle ne nous
à pas apris de suyuresuyvre & embrasser la vertu & la prudence:,
mais elle nous en à imprimé la deriuationderivation & l’etymologie.:
Nnous sçauonssçavons decliner vertu, si nous ne sçauonssçavons l’aymer.: sSi
nous ne sçauonssçavons, que c’est que prudence par effect & par ex-
perience, nous le sçauonssçavons par iargonjargon & par coeur. De nos voi-
sins, nous ne nous contentons pas d’en sçauoirsçavoir la race, les pa-
rentelles, & les alliances, nous les voulons auoiravoir pour amis, &
dresser auecavec eux quelque conuersationconversation & intelligence: elle
nous à apris les deffinitions, les diuisionsdivisions, & particions de la
vertu, comme des surnoms & branches d’vneune genealogie,
sans auoiravoir autre soing de dresser entre nous & elle, q̄lquequelque pra-
tique de familiarité & de priuéeprivée acointance. Elle nous à choi-
si pour nostre aprentissage, non les liureslivres qui ont les opiniōsopinions
plus saines & plus vrayes, mais ceux qui parlent le meilleur
LIVRE SECOND. 284292
Grec & Latin: & parmy ses beaux mots, nous à fait couler en
la fantasie les plus vaines humeurs de l’antiquité. VneUne bonne
institution, elle change le iugementjugement & les meurs: comme il
aduintadvint à Polemon, ce ieunejeune homme Grec debauché, qui estātestant
allé ouïr par rencontre, vneune leçon de philosophieXenocrates, ne remer-
qua pas seulement l’eloquence & la suffisance du lecteur, &
n’en rapporta pas seulement en la maison la science de quel-
que beau discours,belle matiere: mais vnun fruit plus apparent & plus solide,
qui fut, le soudain changement & amendement de sa pre-
miere vie. Qui à iamaisjamais senti vnun tel effect de nostre disci-
pline?
faciasne quod olim
Mutatus Polemon, ponas insignia morbi
Fasciolas, cubital, focalia potus vt ille
Dicitur ex collo furtim carpsisse coronas,
Postquam est impransi correptus voce magistri. ⁁
⁁ La moins desdeignable
condition de gens me
semble estre celle qui
enpar simplesse tient le
dernier rang et nous
offrir un commerce plus
regle. Les meurs et les
propos des paisans
ieje les treuuetreuve plus
communeemant plus
ordonez selon la
prescription de la uraievraie
philosofie que ne sont
ceus de nos philosofes.
Plus sapit uulgus
quia tantum quantum
opus est sapit.
Les plus raresnotables hommes que ij’aye iugéjugé par les apparences ex-
ternes (car pour les iugerjuger à ma mode, il les faudroit esclerer
de plus pres) ce ont esté, pour le faict de la guerre & suffisance
militaire, le Duc de Guyse, qui mourut à Orleans, & le feu
Mareschal Strozzi. Pour gens suffisans, & de vertu non com-
mune, OliuierOlivier, & l’Hospital Chanceliers de FrāceFrance. Il me sem-
ble aussi de la Poësie qu’elle à eu sa vogue en nostre siecle.
Nous auonsavons foison de bons artisans de ce mestier-la, Au-
rat, Beze, Buchanan, l’Hospital, Mont-doré, Turnebus. QuātQuant
aux François, ieje pense qu’ils l’ont montée au plus haut degré
où elle sera iamaisjamais: & aux parties, en quoy Ronsart & du Bel-
lay excellent, ieje ne les treuuetreuve guieres esloignez de la perfectiōperfection
ancienne. Adrianus Turnebus sçauoitsçavoit plus, & sçauoitsçavoit mieux
ce qu’il sçauoitsçavoit, que homme qui fut de son siecle, ny loing
au delà. Les vies du Duc d’Albe dernier mort, & de nostre cō-
nestablecon-
nestable de Mommorancy, ont esté des vies nobles, & qui
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ont eu plusieurs rares ressemblances de fortune. Mais la beau-
té, & la gloire de la mort de cettuy-cy, à la veuë de Paris, & de
son Roy, pour sonleur seruiceservice, contre ses plus proches, à la teste
d’vneune armée victorieuse par sa conduitte, & d’vnun coup de
main, en si extreme vieillesse, me semble meriter qu’on la lo-
ge entre les remercables euenemēsevenemens de mon temps.⁁
Bon repentir : Montaigne réhabilite ce passage biffé par un "bon".
⁁ :. cCome aussi la constante bonte et douceur dese meurs et facilité consciantieuse
deue monmonsieur de la Nouë, en une telle iniusticeinjustice de pars, armees,
et en la uacationvacation militaire, si corrompue entre nous, uraievraie
eschole de trahison d’inhumanitè & de brigandage, en la ou
quelletousiourstousjours il s’est nourri, des le berceau, bongrand home de guerre
et tresexperimantè. ⁁
Selon toute vraissemblance cette addition avait été écrite par Montaigne sur un brevet inséré à cette page et signalé comme ajout par une croix en marge. Nous restituons ici le texte de l’édition de 1595.
⁁ IJ’ay pris plaisir à publier en plusieurs
lieux, l’esperance que ij’ay de Marie de Gournay le IarsJars ma fille d’alliance: &
certes aymée de moy beaucoup plus que paternellemētpaternellement, & enueloppéeenveloppée en ma
retraitte & solitude, comme l’vneune des meilleures parties de mōmon propre estre. IeJe
ne regarde plus qu’elle au monde. Si l’adolescence peut donner presage, cette
ame sera quelque iourjour capable des plus belles choses, & entre autres de la perfe-
ction de cette tressaincte amitié, où nous ne lisons point que son sexe ait peu
monter encores: la sincerité & la solidité de ses moeurs, y sont desiadesja bastantes,
son affection vers moy plus que sur-abondante: & telle en somme qu’il n’y a
rien a souhaiter, sinon que l’apprehension qu’elle a de ma fin, par les cinquan-
te & cinq ans ausquels elle m’a rencontré, la trauaillasttravaillast moins cruellement. Le
iugementjugement qu’elle fit des premiers Essays, & femme, & en ce siecle, & si ieunejeune,
& seule en son quartier, & la vehemēcevehemence fameuse dont elle m’ayma & me desira
long temps sur la seule estime qu’elle en print de moy, auantavant m’auoiravoir veu, c’est
vnun accidētaccident de tres-digne cōsiderationconsideration.
Les autres
vertus ont eu peu, ou point de mise en ⁁ ⁁ cet eage ce temps: mais la vail-
lance, elle est deuenuedevenue populaire par noz guerres ciuilesciviles: & en
cette partie, il se trouuetrouve parmy nous, des ames fermes, iusquesjusques
à la perfection & en grand nōbrenombre, si que le triage en est im-
possible à faire. Voyla tout ce que ij’ay connu, iusquesjusques à cette
heure, d’extraordinaire grandeur & non commune.
Du démentir. CHAP. XVIII.
VOIRE mais on me dira, que ce dessein de se seruirservir de
soy-mesmes pour subiectsubject à escrire, seroit excusable à
des hommes rares & fameux, qui par leur reputation
auroyent dōnédonné quelque desir de leur cognoissance. Il est cer-
tain,: ieje l’aduoüeadvoüe,: & sçay bien que pour voir vnun homme de la
commune façon, à peine qu’vnun artisan leueleve les yeux de sa be-
songne: là où pour voir vnun personnage grand & signalé, arri-
uerarri-
ver en vneune ville, les ouuroirsouvroirs & les boutiques s’abandonnent.
Il méssiet à tout autre de se faire cognoistre, qu’a celuy qui à
dequoy se faire imiter,: & duquel la vie & les opinions peuuētpeuvent
seruirservir d’exemple & de patron. Caesar & XenophōXenophon ont eu de-
quoy fonder & fermir leur narration, en la grandeur de leurs
gestesfaicts, cōmecomme en vneune baze massiuemassiveiustejuste & solide. Ainsi sont à sou-
haiter les papiers iournauxjournaux du grand Alexandre,: les commen-
taires qu’Auguste, ⁁ ⁁ Caton Sylla, Brutus, & autres auoyentavoyent laissé de
leurs gestes. De telles gens, on ayme & estudie les figures, en
cuyurecuyvre mesmes & en pierre. Cette remōstranceremonstrance est tres-vraie,
mais elle ne me touche que bien peu.
Non
LIVRE SECOND. 285293
Non recito cuiquam, nisi amicis, idque rogatus.
Non vbiuis, corámue quibuslibet. In medio qui
Scripta foro recitent sunt multi, quique lauantes.
IeJe ne dresse pas icy vneune statue à planter au carrefour d’vneune vil-
le , ou dans vneune Eglise, ou place publique.
Non equidem hoc studeo bullatis vt mihi nugis
Pagina turgescat, dare pondus idonea fumo
Secreti loquimur.
C’est pour la cacher aule coin d’vneune librairie, & ⁁
⁁ come il paroit par
l’inutile argumant
que ij’ai pris, sulemant
pour en amu-
ser quelqu’vnun, qui ait particulier interest à ma connoissance:
vnun voisin, vnun parent, vnun amy, qui prendraaura plaisir à me racoin-
ter & repratiquer en cett’image. Les autres ont pris coeur de
parler d’eux, pour y auoiravoir trouuétrouvé le subiectsubject digne & riche,:
moy au rebours, pour l’auoiravoir trouuétrouvé si vainsterile & si maigre, qu’il
n’y peut eschoir nul soupçon d’ostentation:. ⁁
⁁ IeJe iugejuge uolontiersvolontiers
des actions d’autrui
des mienes ieje ne done peu
rien a iugerjuger para cause de leur
nihilite.
ieje ne trouuetrouve pas
tant de bien en moy, que ieje ne le puisse dire sans rougir. Quel
contentement me seroit ce d’ouir ainsi quelqu’vnun, qui me re-
citast les meurs, la formele uisagevisage, les conditiōsconditionsla contenance les paroles communes, & les fortunes de mes
ancestres,: combien ij’y serois attentif. Vrayement cela parti-
roit d’vneune mauuaisemauvaise nature, d’auoiravoir à mespris les portraits
mesmes de nos amis & predecesseurs, & de les desdaigner. VnUn
poignardacoutremant, vnun harnois, vneune espéela forme de leurs uestemansvestemans & de leurs armes.
IJ’en conserueconserve l’escriture le seing des heures et un’espee peculiere, qui leur à seruiservi, ieje les conser-
ueconser-
ve pour l’amour d’eux, autant que ieje puis, de l’iniureinjure du tēpstemps. ⁁
⁁
: et en monn’ai pouint chassé de mon cabinet
des longues gaules
que mon pere portoit
uolantiersvolantiersordineremant en la main.
Paterna uestis et annulus
tanto charior est posteris
quanto erga parenta maior
affectus.
Si toutes-fois ma posterité est d’autre goustappetit, ij’auray bien de-
quoy me reuencherrevencher: car ils ne sçauroient faire moins de conte
de moy, que ij’en feray d’eux en ce temps là. Tout le commer-
ce que ij’ay en cecy auecavec le publicq, c’est que ij’ay esté cōtraintcontraint
d’ij’emprūteremprunter les vtilsutils de son escripture, pour estre plus soudai-
ne & plus aisée: il m’a fallu ietterjetter en moule cette image, pour
m’exēpterexempter la peine d’en faire faire plusieurs extraits à la main.
En recompense de cette commodité, que ij’en ay emprunté,
ij’espere luy faire ce seruiceservice, d’empescherij’empescherai peut estre., que quelque coin
de burre ne se fonde au marchè
EEEe
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Ne toga cordyllis ne penula desit oliuis,
Et laxas scombris saepe dabo tunicas. ⁁
⁁ Et quand personne ne me lira, ay-ieje perdu mon temps, de m’estre entretenu tant
d’heures oisifuesoisifves a pensemens si utilles et agreables. Moulant sur moi cete figure,
il m’a falu si souuentsouvent dresser et composer pour m’extraire, que le patron s’en est fermiy,
et aucunement figuréformé soimesmes. Me peignant pour autrui, ieje me suis peint en moi,
un peu autre et de colurs plus nettes que n’estoint les mienes premieres. ⁁ ⁁ IeJe n’ay pas plus faict mon liurelivre que mon liurelivre m’a faict. ⁁
⁁ LiureLivre consubstantiel a son autheur. D’un’occupation propre. et essentielle.
Membre de ma uievie. Non d’un’occupation & fin, tierce et estrangiere come
tous autres liureslivres.
Ai ieje perdu mon
temps, de m’estre rendu compte de moi si continuellement, si curieusement. Car ceus qui se
repassent par fantasie sulemētsulement
& par langue ⁁ ⁁ quelque heure ne s’examinent
pas si primement, ny ne se
penetrent come celui qui en
faict son estude et son ouurageouvrage
son so et son mestier:
qui s’engage a un
registre de duree, de
toute sa foi, de toute
sa force. Les plus
delicieus plaisirs desi
la uievie se digerent ils au
dedans: fuyent a laisser
trace de soi, & ⁁ ⁁ fuyent la ueueveue
non sulemant du peuple
mais d’un sul tiersautre. CōbienCombien
de fois m’a cette besouigne
diuertidiverti de cogitations
ennuïeuses: et doiuentdoivent estre
contees pour ennuïeuses toutes
les friuolesfrivoles. Nature nous a
estrenes d’une large faculte
à nous entretenir a part: et
nous y apele souuantsouvant, pour nous
apprandre que nous nous
deuonsdevons en partie a la societé
mais en la meillure partie
à nous. Aus fins de ranger
nostrema fantasie a resuer
mesmes par quelque ordre
& proietprojet, et la garder de se
perdre com’elle faict et
extrauaguerextravaguer au uentvent, il
n’est que de doner corps, et
mettre en registre tant de
menues pensees qui se
presentent a elle ⁁
⁁ IJ’escoute a mes resueriesresveries par ce que ij’ay a les enrooller.
Quant de
fois aiant este piquèestant marri de
quelque desplesante action
que la ciuilitècivilitè et la raison
me prohiboint d’e accuser enreprandre
t a descouuertdescouvert, m’en suis
ieje icy uangevangedesgorge non sans dessein
d’de utilite publique instruction.
Et si ces nasardesuergesverges poetiques ⁁
Zon sur le neznez zon sur le
grouin du sagouin
⁁ Zon dessus leuil, zon sur
le groin
Zon sur le dos du Sagoin,
assenents’impriment
encore mieus en papier qu’en
la chair uifuevifve. De combien
preste ieje mieusQuoi si ieje ieje preste un peu
plus attantiuemantattantivemant l’oreille aus
liureslivres pandantdespuis que ieje guette
si ij’y surprandroyij’en pourrai friponer quelque chose de
quoi esmailler ou estaier le mien ⁁
⁁ IeJe n’ay pointaucunement estudie pour
faire un liurelivre mais pource
que ieje l’auoisavois faict ij’ay estudié
et en ai faict un peu la mine.
I’aymais ij’ay aucunement estudie pour ce que ieje
l’auoisl’avois faict: si c’est lesaucunemētaucunement
estudier que les fleuretereffleurer
et escumerpinser par la teste ou par les pieds tantost un
autheur tantost un autre: nullement pour former ⁁ ⁁ mes meurs ny mes opinions. Oui, pour les assister & acompaigner
par la teste astheure astheure par les pieds seconder et seruirservir pieça formees suivre pieç’a formees seconder et seruirservir.
Voici une hypothèse de restitution des différentes leçon concernant la fin de cette addition :
1-tantost un autheur tantost un autre: par la teste astheure astheure par les pieds.
2-tantost un autheur tantost un autre: nullement pour former mes opinions. Oui, pour les assister & acompaigner pieça formees.
3-tantost un autheur tantost un autre: nullement pour former mes meurs ny mes opinions. Oui, pour les assister seconder et servir pieça formees.
4-tantost un autheur tantost un autre: nullement pour former mes opinions. Oui, pour les assister pieç’a formees seconder et servir.
Mais à dire vray, à qui croyrions nous parlant de soy, en vneune
saison si gastée? veu qu’il en est fort peu, ou point, à qui nous
puissions croire parlants d’autruy, où il y à moins d’interest à
mentir. Le premier traict de la corruption des moeurs, c’est le
bannissement de la verité, car comme disoit Pindare, l’e-
stre veritable est le commencement d’vneune grande vertu ⁁
⁁ Et le premier
article que Platon
demande au
gouuernurgouvernur de sa
republique
. No-
stre verité de maintenant, ce n’est pas ce qui est, mais ce qui se
persuade à autruy: comme nous appellons monnoye, non
celle qui est loyalle seulement, mais la fauce aussi, qui à mise.
Nostre nation est de long temps reprochée de ce vice: car
Saluianus Massiliensis, qui estoit du temps de Valentinian
l’Empereur, dict qu’aux François le mentir & se pariurerparjurer ne’
leur est pas vice, mais vneune façon de parler. Qui voudroit en-
cherir sur ce tesmoignage, il pourroit dire que ce leur est à
present vertu. On s’y forme, on s’y façonne, cōmecomme à vnun exer-
cice d’honneur: car la dissimulatiōdissimulation est des plus notables qua-
litez de ce siecle. Ainsi ij’ay souuentsouvent consideré d’où pouuoitpouvoit
naistre cette coustume, que nous obseruonsobservons si religieusemētreligieusement,
de nous sentir plus aigrement offencez du reproche de ce vi-
ce, qui nous est si ordinaire, que de nul autre: & que ce soit l’ex-
treme iniureinjure qu’on nous puisse faire de parolle, que de nous
reprocher la mensonge. Sur cela, ieje treuuetreuve qu’il est naturel, de
se defendre, le plus des vicesdefaus, dequoy nous sommes le plus en-
tachez. Il semble qu’en nous ressentans de l’accusatiōaccusation, & nous
en esmouuantsesmouvants, nous nous deschargeons aucunement de la
coulpe: si nous l’auonsavons par effect, aumoins nous la condam-
nons par apparence. Seroit ce pas aussi, que ce reproche sem-
ble enueloperenveloper la couardise & lácheté de coeur? En est-il de plus
expresse, que sele desdire de sa parolle? quoy se desdire de sa pro-
pre science.? C’est vnun vilein vice, que le mentir, & qu’vnun anciēancien
LIVRE SECOND. 286294
peint bien honteusement, quand il dict, que c’est donner
tesmoignage de mespriser Dieu, & quand & quand de crain-
dre les hommes. Il n’est pas possible d’en representer plus ri-
chement l’horreur, la vilité, & le desreglement: cCar que peut
on imaginer plus monstrueuxuilainvilain, que d’estre couart à l’endroit
des hommes, & brauebrave à l’endroit de Dieu? Nostre intelligen-
ce se conduisant par la seule voye de la parolle, celuy qui la
fauce, trahit la societé publique. C’est le seul vtilutil, par le moiēmoien
duquel se communiquent nos volontez & nos pensées: c’est
le truchement de nostre ame: s’il nous faut, nous ne nous te-
nons plus, nous ne nous entre connoissons plus. S’il nous trō-
petrom-
pe, il rompt tout nostre commerce, & dissoult toutes les liai-
sons de nostre police. Certaines nations des nouuellesnouvelles Indes
(on n’a que faire d’en remarquer les noms, ils ne sont plus, car
iusquesjusques à l’entier abolissement des noms, & anciēneancienne cognois-
sance des lieux, s’est estandue la desolatiōdesolation de cette conqueste,
d’vnun merueilleuxmerveilleux exemple, & inouy) offroyent à leurs Dieux
du sang humain, mais non autre, que tiré de leur langue, & o-
reilles, pour expiation du peché de la mensonge, tāttant ouye que
prononcée. Ce bon compaignon de Grece disoit, que les en-
fans s’amusent par les osselets, & les hommes par les parolles.
Quant aux diuersdivers vsagesusages de nos démentirs, & les loix de no-
stre honneur en cela, & les changemens qu’elles ont reçeu, ieje
remets à vneune autre-fois d’en dire ce que ij’en pensesçai,: & appren-
dray cependant si ieje puis en quel temps print commencemētcommencement
cette coustume, de si exactement poiser & mesurer les parol-
les, & d’y attacher nostre honneur: cCar il est aisé à iugerjuger qu’el-
le n’estoit pas anciennement entre les Romains & les Grecs:
&Et m’a semblé souuentsouvent nouueaunouveau & estrange, de les voir se dé-
mentir & s’iniurerinjurer, sans entrer pourtant en querelle. Les loix
de leur deuoirdevoir, prenoient quelque autre treinuoyevoye que les nostres.
On appelle Caesar, tantost voleur, tantost yurōgneyvrongne à sa barbe.
EEEEEEe ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Nous voyons la liberté des inuectiuesinvectives, qu’ils font les vnsuns cō-
trecon-
tre les autres, ieje dy les plus grands chefs de guerre, de l’vneune &
l’autre nation, ou les parolles se reuenchentrevenchent seulement par les
parolles, & ne se tirent à autre consequence.
De la liberté de conscience.
CHAP. XIX.
IL est ordinaire, de voir les bonnes intentions, si elles
sont conduites sans moderatiōmoderation, pousser les hommes
à des effects tres-vitieux. En ce debat par leq̄llequel la Fran-
ce est à present agitée de guerres ciuilesciviles, le meilleur & le plus
sain party, est sans doubte celuy, qui maintient & la religion
& la police ancienne du pays. Entre les gens de bien toutes-
fois, qui le suyuentsuyvent (car ieje ne parle point de ceux, qui ne s’en
seruentservent que de pretexte, pour, ou exercer leurs vengences par-
ticulieres, ou fournir à leur auariceavarice, ou suyuresuyvre la faueurfaveur des
Princes: mais de ceux qui le font par vray zele enuersenvers leur re-
ligion.: & sainte affection, à maintenir la paix & l’estat de leur
patrie) de ceux-cy, dis-ieje, il s’en voit plusieurs, que la passion
pousse hors les bornes de la raison, & leur faict par fois pren-
dre des conseils iniustesinjustes, violents, & encore temeraires. Il est
certain, qu’en ces premiers temps, que nostre religion com-
mença à fleurir & àde gaigner authorité & puissance auecavec les
loix, le zele en arma plusieurs cōtrecontre toute sorte de liureslivres paiēspaiens,
dequoy les gens de lettre souffrent vneune merueilleusemerveilleuse perte.
IJ’estime que ce desordre, ait plus porté de nuysance aux let-
tres, que tous les feux des barbares. Cornelius Tacitus en est
un bon tesmoing, car quoy que l’Empereur Tacitus son pa-
rent, en eut peuplé par ordonnances expresses toutes les libre-
ries du monde: toutes-fois vnun seul exemplaire entier n’a peu
eschapper la curieuse recherche de ceux qui desiroyent l’a-
bolir, pour cinq ou six vaines clauses, qu’il escrit contreres a
LIVRE SECOND. 278295
nostre creance. Ils ont aussi eu cecy, aumoins aucuns, de pre-
ster aisément des louanges fauces à tous les Empereurs, qui
faisoient pour nous, & condamner vniuersellementuniversellement toutes les
actions de ceux, qui nous estoient contrairesaduersairesadversaires,: comme il est ai-
sé à voir en l’Empereur IulianJulian, surnommé l’Apostat. C’estoit
à la verité vnun tres-grand homme & rare, comme celuy, qui a-
uoita-
voit son ame viuementvivement tainte des discours de la philosophie,
ausquels il faisoit profession de regler & toucher toutes ses a-
ctions: & de vray il n’est aucune sorte de vertu, dequoy il n’ait
laissé de tres-notables exemples. En chasteté (de laquelle le
cours de sa vie donne bien cler tesmoignage) on lit de luy vnun
pareil trait à celuy d’Alexandre & de Scipion, que de plusieurs
tresbelles captiuescaptives, il n’en voulut pas seulement voir vneune, estātestant
en la fleur de son aage: car il fut tué par les Parthes aagé de trē-
tetren-
te vnun an seulement. Quant à la iusticejustice, il prenoit luy-mesme la
peine d’ouyr les parties: & encore que par curiosité il s’infor-
mast à ceux qui se presentoient à luy, de quelle religion ils e-
stoient: toutesfois l’inimitié qu’il portoit à la nostre, ne don-
noit aucun contrepoix à la balance. Il fit luy mesme plusieurs
bonnes loix, & retrācharetrancha vneune grande partie des subsides & im-
positions que leuoientlevoient ses predecesseurs. Nous auonsavons deux
bons historiens tesmoings oculaires de ses actions: l’vnun des-
quels, Marcellinus, reprend aigrement en diuersdivers lieux de son
histoire, cette sienne ordonnāceordonnance, par laquelle, il deffendit l’es-
cole & interdit l’enseigner à tous les Rhetoriciens & Gram-
mairiens ChrestiēsChrestiens, & dit, qu’il souhaiteroit cette sienne actiōaction
estre enseuelieensevelie soubs le silence. Il est vray-semblable, s’il eust
fait quelque chose de plus aigre contre nous, qu’il ne l’eut pas
oublié, estant bien affectionné à nostre party. Il nous estoit
aspre à la verité, mais non pourtant cruel ennemy: car nos gēsgens
mesmes recitent de luy cette histoire, que se promenant vnun
iourjour autour de la ville de Chalcedoine, Maris EuesqueEvesque du
EEEe ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
lieu, osa bien l’appeller meschant traistre à Christ, & qu’il n’en
fit autre chose, sauf luy respondre: va miserable, pleure la per-
te de tes yeux: a quoy l’EuesqueEvesque encore repliqua: ieje rens gra-
ces à IesusJesus Christ, de m’auoiravoir osté la veuë, pour ne voir ton vi-
sage impudent: affectant, disent-ils, en cela, vneune patience phi-
losophique. Tant y a, que ce faict là, ne se peut pas bien rap-
porter aux cruautez qu’ōon le dit auoiravoir exercées cōtrecontre nous. Il e-
stoit (dit Eutropius mon autre tesmoing) ennemy de la Chre-
stienté, mais sans toucher au sang. Et pour reuenirrevenir à sa iusticejustice,
il n’est rien qu’on y puisse accuser, que les rigueurs, dequoy il
vsausa au commencement de son empire, contre ceux qui auoiētavoient
suiuysuivy le party de Constantius son predecesseur. Quant à sa so-
brieté, il viuoitvivoit tousiourstousjours vnun viurevivre soldatesque: & se nourris-
soit en pleine paix, comme celuy qui se preparoit & accou-
stumoit tousiourstousjours à l’austerité de la guerre. La vigilance estoit
telle en luy, qu’il departoit la nuict a trois ou a quatre piecesparties,
dont la moindre estoit celle qu’il donnoit au sommeil: le re-
ste, il l’employoit a visiter luy mesme en personne, l’estat de
son armée & ses gardes, ou a estudier: car entre autres siennes
rares qualitez, il estoit tres-excellētexcellent en toute sorte de literatu-
re. On dict d’Alexandre le grand, qu’estant couché, de peur
que le sommeil ne le débauchat de ses pensemens, & de ses e-
studes, il faisoit mettre vnun bassin ioingnantjoingnant son lict, & tenoit
l’vneune de ses mains au dehors, auecavec vneune boulette de cuiurecuivre: affin
que le sommeildormir le surprenant, & relaschant les prises de ses
doigts, cette boulette par le bruit de sa cheute dans le bassin, le
reueillatreveillat. Cettuy-cy auoitavoit l’ame si tendue a ce qu’il vouloit, &
si peu empeschée de fumées, par sa singuliere abstinence, qu’il
se passoit bien de cet artifice. Quant a la suffisance militaire, il
fut admirable en toutes les parties d’vnun grand capitaine: aussi
fut-il quasi toute sa vie en continuel exercice de guerre: & la
pluspart auecavec nous en France contre les Allemans & FrāçconsFrançcons.
LIVRE SECOND. 288296
Nous n’auonsavons guere memoire d’homme, qui ait veu plus de
hazards, ny qui ait plus souuentsouvent faict preuuepreuve de sa personne.
Sa mort a quelque chose de pareil à celle d’Epaminondas: car
il fut frappé d’vnun traict, & essaya de l’arracher, & l’eut fait, sans
ce que le traict estant tranchant, il se couppa & affoiblit la
main. Il demandoit incessamment qu’on le rapportat en ce
mesme estat, en la meslée, pour y encourager ses soldats,: les-
quels contesterent cette bataille sans luy, trescourageusemēttrescourageusement,
iusquesjusques à ce que la nuict separa les armées. Il deuoitdevoit à la philo-
sophie vnun singulier mespris, en quoy il auoitavoit sa vie, & les cho-
ses humaines. Il auoitavoit ferme creance de l’eternité des ames. En
matiere de religion, il estoit vicieux par tout,: on l’a surnom-
mé apostat, pour auoiravoir abandonné la nostre: toutesfois cet-
te opinion me semble plus vraysemblable, qu’il ne l’auoitavoit ia-
maisja-
mais euë au coeur, mais que pour l’obeissāceobeissance des loix il s’estoit
feint, iusquesjusques à ce qu’il tint l’Empire en sa main. Il fut si super-
stitieux en la sienne, que ceux mesmes qui en estoient de son
temps, s’en mocquoient: & disoit-on, s’il eut gaigné la victoire
contre les Parthes, qu’il eut fait tarir la race des beufs au mon-
de, pour satis-faire à ses sacrifices: il estoit aussi embabouyné
de la science diuinatricedivinatrice, & donnoit authorité à toute façon
de prognostiques. Il dit entre autres choses en mourant, qu’il
sçauoitsçavoit bon gré aux dieux & les remercioit, dequoy ils ne l’a-
uoyenta-
voyent pas voulu tuer par surprise, l’ayant de long tēpstemps aduer-
tyadver-
ty du lieu & heure de sa fin,: ny d’vneune mort molle ou láche,
mieux conuenableconvenable aux personnes oysiuesoysives & delicates,: ny lan-
guissante, longue & douloureuse: & qu’ils l’auoientavoient trouuétrouvé di-
gne de mourir de cette noble façon, sur le cours de ses victoi-
res, & en la fleur de sa gloire. De vray iIl auoitavoit eu vneune pareille vi-
sion à celle de Marcus Brutus, qui premieremētpremierement le menassa en
Gaule, & depuis se representa à luy en Perse sur le poinct de sa
mort.⁁
⁁ . Ces parolleslangage qu’on luy faict diretenir quand il fut blesse se
santit frapé: a mort Tu as ueincuveincu Nasareen: ou come
dautresd’autres, Contante toi Nasareen, n’eussentt este obliees s’il
elles eussētteussentt este creues par mes tesmoins: qui pourtātpourtant estant
et chrestiens & presans a sa mortpresans en l’armee ont remarquè iusquesjusques
aus moindres mouuemātsmouvemants et langageparolles de sa fin: non plus
que certeins autres miracles qu’on y atache.
Et pour venir au propos de mon theme: il couuoitcouvoit, dit
ESSAIS DE M. DE MONT.
Marcellinus, de long temps en son coeur, le paganisme, mais
par ce que toute son armée estoit de Chrestiens, il ne l’osoit
descouurirdescouvrir. En fin quand il se vit assez fort pour oser publier
sa volōtévolonté, il fit ouurirouvrir les temples des dieux, & s’essaya par tous
moyens de mettre sus l’idolatrie. Pour paruenirparvenir à son effect,
ayant rencontré en Constantinople le peuple descousu auecavec
les prelats de l’Eglise Chrestienne diuisezdivisez, les ayant faict venir
à luy au palais, les amonnesta instamment d’assoupir ces dis-
sentions ciuilesciviles, & que chacūchacun sans empeschemētempeschement & sans crain-
te seruitservit à lsa religion. Ce qu’il sollicitoit auecavec grādgrand soing, pour
l’esperance que cette licence augmenteroit les parts & les bri-
gues de la diuisiondivision, & empescheroit le peuple de se reunir, &
de se fortifier par consequētconsequent, contre luy, par leur concorde, &
vnanimeunanime intelligēceintelligence: ayant essayé par la cruauté d’aucūsaucuns Chre-
stiens, qu’il n’y à point de beste au monde tant à craindre à
l’homme, que l’homme. Voyla ses mots à peu pres: en quoy
cela est digne de consideration, que l’Empereur IulianJulian se sert
pour attiser le trouble de la dissention ciuilecivile, de cette mesme
recepte de liberté de conscience, que nos Roys viennētviennent d’em-
ployer pour l’estaindre. On peut dire d’vnun costé, que de lácher
la bride aux pars d’entretenir leur opinion, c’est espandre &
semer la diuisiondivision,: c’est préter quasi la main à l’augmenter, n’y
ayant aucune barriere ny coerction des loix, qui bride & em-
pesche sa course. Mais d’autre costé on diroit aussi, que de las-
cher la bride aux pars d’entretenir leur opinion, c’est les amo-
lir & relácher par la facilité & par l’aisance, & que c’est émous-
ser l’éguillon qui s’affine par la rarieté, la nouuelleténouvelleté & la diffi-
culté. Et si croy mieux, pour l’honneur de la deuotiondevotion de nos
rois, c’est, que n’ayans peu ce qu’ils vouloient, ils ont fait sem-
blant de vouloir ce qu’ils pouuoientpouvoient.
Nous
LIVRE SECOND. 289297
Nous ne goustons rien de pur.
CHAP. XX.
LA foiblesse de nostre condition, fait que les choses en
leur simplicité & pureté naturelle ne puissent pas tō-
berton-
ber en nostre vsageusage. Les elemens que nous iouyssonsjouyssons,
sont alterez, & les metaux de mesme,. &Et l’or, il le faut empirer
par quelque autre matiere plus vile, pour l’accommoder à no-
stre seruiceservice. ⁁
⁁ Ny la uertuvertu ainsi simple,
qu’Ariston et Pyrrho &
encore les Stoiciens
faisoint fin de la fin de
la ueueveueuievie ny a peu seruirservir
sans composition ny la
uoluptevolupte Cyrenaique et
d’Aristippique
Des voluptez, plaisirs, & biens que nous auonsavons, il
n’en est aucun exempt de quelque meslange de mal & d’in-
commodité.,
medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat.
Nostre extreme volupté a quelque imageair de gemissement, &
de plainte,. dDiriez vous pas qu’elle se meurt d’angoisse: vVoire
quand nous en forgeons l’image en son excellēceexcellence, nous la far-
dons d’epithetes & qualitez maladifuesmaladifves, & douloureuses: lLan-
gueur, mollesse, foiblesse, deffaillance, morbidezza,. gGrand tes-
moignage de leur consanguinité, & consubstantialité. ⁁
⁁ La profonde
ioyejoye a plus de
seueritèseveritè que de
gayete. LextremeL’extreme
et plein contantemētcontantement
plus de rassis que d’en=
iouéen=
joué. Ipsa foelicitas se
nisi temperat, premit.
L’aise nous mache.
C’est
ce que dit vnun verset Grec ancien, de tel sens, lLes dieux nous vē-
dentven-
dent tous les biens qu’ils nous donnent: cC’est à dire, ils ne nous
en donnent aucun pur & parfaict, & que nous n’achetons au
pris de quelque mal.⁁
⁁ . Labor uoluptasque
dissimillima natura,
societate quadam
naturali inter se sunt
iuncta. Le trauailtravail et lae
uoluptevolupteplaisir tres dissemblable
de nature s’associent
pourtant de ieje ne sçai
quelle iouinturejouinture natu=
relle. Socrates dict que quelque
dieu essaia de mettre en masse
et confondre la dolur et la
uoluptevolupte mais que n’en pouuantpouvant
sortir il s’auisaavisa de les
accoupler au moins par lesa
bouts. queue.
Metrodorus pareillement disoit qu’en la
tristesse, il y à quelque alliage de plaisir: iIejJe ne sçay s’il vouloit
dire autre chose,: mais moy, ij’imagine bien, qu’il y à du dessein,
du consentement:, & de la complaisance, à se nourrir en la tri-
stessemelancholie: iIejJe dis outre l’ambition, qui s’y peut encore mesler: iIl y a
quelque airombre de mignardisefriandise & delicatesse, qui nous oint &qui nous rit et qui
nous flatte, au giron mesme de la melancholie.: yY a-il pas des
complexions qui en font leur aliment,?
est quaedam flere voluptas:. ⁁
⁁ Et dict un Attalus
en Seneque que la
memoire de nos amis
perdus nous agree
come l’amertume au
uinvin trop uieusvieus
Minister uetuliveteris puer falerniL’édition de 1595 donne "veteris" à la place de "uetuli"
Ingere mi calices amariores:
et come il y a des pomes doucement
aigres. Etiam retinentibus
animūanimum leuant lachrimae profusae
Nature nous descouuredescouvre cette confusion: lLes peintres tiennent
FFFf
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que les mouuemensmouvemens & plis du visage, qui seruentservent au pleurer,
seruentservent aussi au rire: dDe vray, auantavant que l’vnun ou l’autre soyent
acheuezachevez d’exprimer, regardez à la conduicte de la peinture,
vous estes en doubte, vers lequel c’est qu’on va, &. Et l’extremité
du rire se mesle aux larmes. ⁁
⁁ Nullum sine
auctoramento
malum est. Quand
ij’imagine l’home assiegè
de commoditez desirables
mettons le cas que toutess
ses actions luy soint aussi
plaisantes questqu’estses membres fussent sesis
pour tousiourstousjours d’un plaisir pareil a celleuy de
la generation en son poinct
plus excessif: ieje le sens
fondre sous la charge due
plaisirson aise. Et le uoisvois ce me
semble biendu tout incapable
de porter une si forte si
pure si constante uoluptévolupté
& si uniuerselleuniverselle. Il fuit
De uraivrai il fuit quand il y est:
& se haste naturellemētnaturellement
d’en eschaper come d’un
pas ou il ne se peut fermir,
où il creint de s’enfondrer.
Quand ieje me confesse à moy reli-
gieusement, ieje trouuetrouve que la meilleure bōtébonté que ij’aye, à quel-
quede la teinture vicieuse,. &Et crains que PlatōPlaton en sa plus netteuerteverte ver-
tu (moy qui en suis autant sincere & loyal estimateur, & des
vertus de semblable marque, qu’autre puisse estre) s’il y eust
escouté de pres, ⁁ ⁁ et il y escoutoit de pres il y eust senty quelque tōton gauche, de mixtion
humaine: mais ton obscur, & sensible seulemētseulement à soy. L’hom-
me en tout & par tout, n’est que rapiessemētrapiessement & bigarrure. Les
loix mesmes de la iusticejustice, ne peuuentpeuvent subsister sans quelque
meslange d’iniusticeinjustice: &Et dit Platon que ceux-là entreprennent
de couper la teste de Hydra, qui pretendētpretendent oster des loix tou-
tes incommoditez & inconueniensinconveniens. Omne magnum exemplūexemplun ha-
bet aliquid ex iniquo, quod contra singulos vtilitate publica repēditurrependitur,
dict Tacitus. Il est pareillemētpareillement vray, que pour l’vsageusage de la vie
& seruiceservice du commerce public, il y peut auoiravoir de l’excez en la
pureté & perspicacité de nos esprits: cCette clarté penetrante, à
trop de subtilité & de curiosité: iIl les faut appesantir & emous-
ser, pour les rendre plus obeissans à l’exemple & à la pratique,
& les espessir & obscurcir, pour les proportionner à cette vie
tenebreuse & terrestre. Pourtant se trouuenttrouvent les esprits com-
muns & moins tendus, plus propres & plus heureux à cōdui-
recondui-
re affaires: &Et les opinions de la philosophie esleuéeseslevées & exqui-
ses, se trouuēttrouvent ineptes à l’exercice. Cette pointue viuacitévivacité d’a-
me, & cette volubilité soupple & inquiete, trouble nos nego-
tiations: iIl faut manier les entreprises humaines, plus grossie-
rement & superficiellement, & en laisser bonne & grādegrande part,
pour les droicts de la fortune. Il n’est pas besoin d’esclairer les
affaires si profondement & si subtilemētsubtilement: oOn s’y perd, à la con-
LIVRE SECOND. 290298
sideratiōsideration de tant de lustres ⁁ ⁁ contreres & formes diuersesdiverses.⁁
⁁ . volutantibus res inter se pugnantes, obtorpuerātobtorpuerant animi.
C’est ce que les antiens disent de Simonides: par ce que son imagination luy
presantoit sur la demande que luy auoitavoit faict le Roy Hiero pour a la quelle
satisfaire il auoitavoit eu plusieurs ioursjours de pensement diuersesdiverses considerations aigues et
subtiles doubtant laquelle estoit la plus uraisamblablevraisamblable il desespera du tout de la ueriteverite.
Qui en recher-
che, & embrasse toutes les circōstancescirconstances, & cōsequencesconsequences, il em-
pesche son election:. vVnuUn engin moyen, conduit esgallemētesgallement, &
suffit aux executions, de grand & de petit pois. Regardez que
les meilleurs mesnagers, sont ceux qui nous sçauētsçavent moins di-
re comment ils le sont,: & que ces suffisans conteurs n’y font le
plus souuentsouvent rien qui vaille. IeJe sçay vnun grand diseur & tresex-
cellent peintre de toute sorte de mesnage, qui a laissé bien pi-
teusement couler par ses mains, cent mille liureslivres de rente. IJ’en
sçay vnun autre, qui dict, quiqu’ilqui consulte, mieux qu’homme de son
conseil, & n’est point au monde vneune plus belle montre d’ame,
& de suffisance,: toutesfois aux effects, ses seruiteursserviteurs trouuenttrouvent,
qu’il est tout autre,: ieje dy sans mettre le malheur en compte.
Contre la faineantise.
CHAP. XXI.
L’EMPEREVR Vespasien estant malade de la mala-
die, dequoy il mourut, ne laissoit pas de vouloir en-
tendre l’estat de l’empire: & dans son lict mesme, des-
peschoit sans cesse plusieurs affaires de consequence: & com-
me son medecin l’en tençaāttençaant, comme de chose nuisible à sa san-
té: il faut, disoit-il, qu’vnun Empereur meure debout. Voyla vnun
beau mot, à mōmon gré, & digne d’vnun grand prince. Adrian l’Em-
pereur s’en seruitservit depuis à ce mesme propos,: & le deburoitdebvroit on
souuentsouvent ramenteuoirramentevoir aux princesRoys, pour leur faire sentir, que
cette grande charge, qu’on leur donne du commandemētcommandement de
tant d’hommes, n’est pas vneune charge oisiueoisive,: & qu’il n’est rien
qui puisse si iustementjustement dégouster vnun subiectsubject, de se mettre en
peine & en hazard pour le seruiceservice de son prince, que de le voir
apoltronny, ce pendant luy mesme, a des occupations lasches
& vaines: & d’auoiravoir soing de sa conseruationconservation, le voyant si non-
chalant de la nostre. ⁁
⁁ Quand quelcun uouvou
uoudravoudra maintenir qu’il
uautvaut mieus que le prince
conduise ses guerres par
autre que par soi: la fortune
luy fournira desasses d’exemples
asses, de ceus a qui leurs lieu=
tenans ont mis a chef des
grandes entreprinses: et de
ceus encore des quels la
presance y eut este plus nuisible qu’utille.
Mais nul prince uertueusvertueus et corageus pourra souffrir qu’on l’entretiene de si honteuses instructions. Soubs colur de
conseruerconserver sa teste come la statue d’un sainct a la bone fortune de son estat ils le degradent iustemantjustemant de son office qui est
tout en action ⁁ ⁁ militere et l’en declarent incapable. IJ’en sçai un qui aimeroit bien mieus estre batus que de dormir pandant qu’on se
batteroit pour luy.⁁ ⁁ qui ne uidvid iamaisjamais sans ialousiejalousie ses gens mesme faire quelque chose de grand en son absance. Et Selim premier disoit aueqaveq grande raison ce me semble que les uictoiresvictoires qui se gaignent sans le maistre
ne sont pas completes. De tant plus uolontiersvolontiers eut il dict que ce maistre deuroitdevroit rougir de honte d’y pretandre part pour
son nom nyn’y aïant enbesouigne que sa uoixvoix et sa pensee: ny cela mesme: ueusveus qu’en telle besouigne les aduisadvis et comandemens
qui aportent de l’honur sont ceus la sulement qui se donētdonent sur la place, et au millieule champ, & au propreL’édition de 1595 donne "le champ, & au propre" au lieu de "la place, et au millieu" de l’affaire. Nul pilote n’exerce son office
de pied ferme. Les princes de la race Hottomane, la premiere race du monde en fortune guerriere, ont chaudement enbrassé
cett’opinion. Et BaiazetBajazet secont etaueqaveq son filx qui s’en despartirent, s’amusans aus sciances, et autres occupations casanieres,
donarent aussi de bien grans souffletz a leur empiret: et celuy qui regne a presant Amurat troisieme a leur exemple
comance asses bien de s’en trouuertrouver de mesme. Fut ce pas le Roy d’Angleterre Edoart troisieme qui dict de nostre Roy
Charles sixiemecinquieme ce mot. Il n’y eut onques Roy qui moins s’armast, et si n y eut onques Roy qui tant me donast a faire.
Il auoitavoit raison de le trouuertrouver estrange, come un effaict du sort plus que de la raison. Et cherchent autre adherant
que moy, ceux qui veulent nombrer entre les belliqueux & magnanimes conquerants, les Roys de Castille & de Portugal de ce qu’a
douze cents lieuës de leur oisiueoisive demeure, par l’escorte de leurs facteurs,
ils se sont rendus maistres des Indes d’vneune & d’autre part: desquelles c’est à sça-
uoirsça-
voir, s’ils auroyent seulement le courage d’aller ij’ouyrjouyr en presence.
L’empereur IulianJulian disoit encore plus,
FFFf ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’vnun philosophe & vnun galant homme, ne deuoientdevoient pas seu-
lement respirer: c’est à dire ne donner aux necessitez corporel-
les, que ce qu’on ne leur peut refuser,: tenant tousiourstousjours l’ame
& le corps embesoignez à choses belles, grādesgrandes & vertueuses:
iIl auoitavoit honte si en public on le voioit cracher ou suer (ce qu’ōon
dict aussi de la ieunessejeunesse Lacedemonienne, & Xenophon de la
Persienne) par ce qu’ils estimoient que l’exercice, le trauailtravail
continuel, & la sobrieté, deuoientdevoient auoiravoir cuit, & asseché toutes
ces superfluitez. Ce que dit Seneque ne ioindrajoindra pas mal en cet
endroict, que les anciens Romains maintenoient leur ieunes-
sejeunes-
se droite: ils n’apprenoient, dit-il, riērien à leurs enfans, qu’ils deus-
sent apprendre assis. ⁁
⁁ C’est une genereuse enuyeenvye, de uouloirvouloir mourir mesmes, utilement et uirilementvirilement, mais l’effect n’en git pas
tant en nostre bonne resolution qu’en nostre bonne fortune. Mille ont proposé de uaincrevaincre ou de
mourir en combattant, qui ont failli a l’un et a l’autre: les blesseures les prisons, leur trauer=
santtraver=
sant ce dessein et leur prestant une uievie forcee. Il y a des malladies qui atterrent iusquesiusques a nos
desirs et nostre cognoissance. ⁁
Ce signe d’insertion renvoie à une addition écrite par Montaigne lui-même sur une feuille volante disparue aujourd’hui. Nous restituons ici le texte de l’édition de 1595.
⁁ Fortune ne deuoitdevoit pas seconder
la vanité des legions Romaines, qui s’obligerent par serment, de mourir ou de
vaincre. Victor, Maree Fabi, reuertar ex acie: Si fallo, Iouem patrem Gradiuúmque
Martem aliósque iratos inuoco Deos. Les Portugais disent, qu’en certain endroit
de leur conqueste des Indes ils rencontrerent des soldats, qui s’estoyent con-
damnez auecavec horribles execrations, de n’entrer en aucune composition, que
de se faire tuer, ou demeurer victorieux: & pour marque de ce voeu, portoyent
la teste & la barbe rase. Nous auonsavons beau nous hazarder & obstiner. Il semble
que les coups fuyent ceux, qui s’y presentent trop alaigrement: & n’arriuentarrivent
volontiers à qui s’y presente trop volontiers, & corrompt leur fin. Tel ne pou-
uantpou-
vant obtenir de perdre sa vie, par les forces aduersairesadversaires, apres auoiravoir tout essayé,
a esté contraint, pour fournir à sa resolution, d’en r’apporter l’honneur, ou de
n’en rapporter pas la vie: se donner soy mesme la mort, en la chaleur propre du
combat. Il en est d’autres exēplesexemples: Mais en voicy vnun. Philistus, chef de l’armée
de Mer du ieunejeune Dionysius contre les Syracusains, leur presenta la battaille, qui
fut aspremētasprement contestée, les forces estants pareilles. En icelle il eut du meilleur
au commencement, par sa prouësse. Mais les Syracusains se rengeans autour de
sa galere, pour l’inuestirinvestir, ayant faict grands faicts d’armes de sa personne, pour
se desuelopperdesvelopper, n’y esperātesperant plus de ressource, s’osta de sa main la vie, qu’il auoitavoit
si liberalement abandonnée, & frustratoirement, aux mains ennemies.
Moleï molluc Roy de Fez, qui uientvient de gagner contre Sebastien Roy
de Portugal cette iournéejournée, fameuse par la mort de trois Roys et par la transmission de ceste
grande couronne a celle de Castille, se trouuanttrouvant griefuementgriefvement mallade dez lors que les Portugaiz entre=
rent a main armée en son estat, et alla tousiourstousjours despuis en empirant uerzverz la mort et la preuoiantprevoiant. IamaisJamais hom=
me ne se seruitservit de soy plus uigoreusementvigoreusement et plus glorieusement. Il se trouuatrouva faible pour soutenir la pompe ceremonieuse
de l’entrée de son camp, qui est selon leur mode plaine de magnificence et chargée de tout plain d’action, et
resigna cet hōneurhonneur à son frere: Mais ce fut aussi le seul office de Capitaine qu’il resigna: tous les autres ⁁
⁁ necessaires et utiles il les fit tres laborieusementglorieusementL’édition de 1595 donne "glorieusement" à la place de "laborieusement" et exactement: tenant son corps couche mais son
entendement et son courage debout et ferme, iusquesjusques au dernier soupir, et aucunement au dela.
Il pouuoitpouvoit miner ses ennemys, indiscrettement aduancezadvancez en ses terres:,Les deux occurrences du ":" suivi d’une "," symbolisent le signe particulier d’une virgule sous un deux-points utilisé par Marie de Gournay pour ponctuer ce passage. et luy poisa merueil=
lesementmerveil=
lesement qu’a faulte d’un peu de uievie, et pour n’auoiravoir qui substituer a la conduicte
de cette guerre, et affaires d’un estat troublé:, il eust a chercher la uictoirevictoire sanglante
et hasardeuse, en ayant une autre pure et nette, entre ses mains. Toutefois il mesnagea
miraculeusement la durée de sa malladie, a faire consommer son ennemy, et l’attirer loing
de l’armée de mer et des places maritimes qu’il auoitavoit en la coste d’Affrique:, iusquesjusques
au dernier iourjour de sa uievie, lequel par dessein, il employa et reseruareserva a cette grande iourneejournee.
Il dressa sa bataille en rond, assiegeant de toute partz l’ost des Portugaiz: lequel rond
venant a se courber et serrer les empescha non seulement au conflict qui fut tresaspre par la
valeur de ce ieunejeune Roy assaillant veu qu’ils auoientavoient a montrer uisagevisage a tous sens: mais
aussi les empescha à la fuitte apres leur routte. Et trouuantstrouvants toutes les issues saisies, & ⁁
La suite de cette addition se trouve sur la page suivante.
⁁ trouuanttrouvant closes furent contrainctz de se reietterrejetter a eus mesmes, coaceruanturque non solūsolum caede sed etiāetiam fuga
mesmes et s’amonceler les uns sur les autres, fournissant aus uain=
cursvain=
curs une tresmeurtriere uictoirevictoire et tres entiere. Mourant, il se fit porter tr et tracasser ou le besouin
l’apeloit: et coulant le long des files, enhortoit ses capiteines et soldats les uns apres les autres: Mais
un couin de sa bataille se laissant enfoncer, on ne le peut tenir qu’il ne montat a cheualcheval lespeel’espee au poing.
iIl s’efforçoit pour s’aller mesler: ses gens l’arretans, qui par la bride qui par sa robe et par ses estries.
Cet effort acheuaacheva d’accabler ce peu de uievie qui luiy restoit. On le recoucha: luy se resuscitaātresuscitaant come
en sursaut de cette pasmoison, tout’autre faculté luy desfaillātdesfaillant, pour auertiravertir qu’on teut sa mort,
qui estoit le plus necessere comādemātcommandemant qu’il eut lors a faire, pour n’engendrer quelque desespoir aus
siens par cette nouuellenouvelle, expira, tenant le doit cōtrecontre sa bouche close, signe ordinere de faire silance. IamaisJamais
home ne uescutvescutQui uescutvescut onques si longtamps et si auātavant en la mort: qui mourut onques si debout? LextremeL’extreme degre
de traiter corageusement la mort et le plus naturel c’est la uoirvoir non sulement sans estonement mais sans soin
continuant libre le trein de la uievie iusquejusque dans elle. Come Caton qui s’amusoit a dormir et a estudier l’ai en aiant une
uiolanteviolante et sanglante presante en sa teste et en son ceur et la tenant en sa main.
Des Postes. CHAP. XXII.
IEJE n’ay pas esté des plus foibles en cet exercice, qui est
propre a gens de ma taille, ferme & courte: mais ij’en
quitte le mestier: il nous essaye trop pour y durer long
temps. IeJe lisois à cette heure, que le Roy Cyrus, pour receuoirrecevoir
plus facilemētfacilement nouuellesnouvelles de tous les costez de son Empire, qui
estoit d’vneune fort grande estandue, fit regarder combiēcombien vnun che-
ualche-
val pouuoitpouvoit faire de chemin en vnun iourjour, tout d’vneune traite, & à
cette distance il establit des hommes, qui auoientavoient charge de
tenir des cheuauxchevaux prets, pour en fournir à ceux qui viendroiētviendroient
vers luy. ⁁
⁁ Et disent aucuns que cette uistessevistesse d’aler
uientvient a la mesure deu uolvol des grues.
Caesar dit que Lucius Vibulus Rufus ayant haste de
porter vnun aduertissemētadvertissement à Pompeius, s’achemina vers luy iourjour
& nuict, changeant de cheuauxchevaux, pour faire diligence. Et luy
mesme, à ce que dit Suetone, faisoit cent mille par iourjour, sur vnun
coche de louage: mMais c’estoit vnun furieux courrier: car là où
les riuieresrivieres luy tranchoient son chemin, il les franchissoit à na-
ge. ⁁ ⁁ et ne se destournoit de son du droit pour aller querir un pont ou un gue. Tiberius Nero allant voir son frere Drusus, malade en
Allemaigne, fit deux cens mille, en vingt-quatre heures, ay-
ant trois coches. ⁁
⁁ En la guerre des Romains contre le Roy Antiochus, T. Sempronius
Gracchus dict Tite LiueLive per dispositos equos prope incredibili celeritate ab
Amphissa tertio die Pellam peruenit: et appert a uoirvoir le lieu que c’estoint
postes assises d’ordinere non ordonees frechemātfrechemant pour cette course.
L’inuentioninvention de Cecinna a renuoyerrenvoyer des
LIVRE SECOND. 291299
nouuellesnouvelles à ceux de sa maison, auoitavoit bien plus de promptitu-
tude: il emporta quand & soy, des arondeles, & les relaschoit
vers leurs nids, quand il vouloit r’enuoyerr’envoyer de ses nouuellesnouvelles,
en les teignant de marque de couleur propre à signifier ce
qu’il vouloit, selon qu’il auoitavoit cōcertéconcerté auecavec les siens. Au thea-
tre à Romme, les maistres de famille, auoientavoient des pigeons dāsdans
leur saein, ausquels ils attacheoyent des lettres, quand ils vou-
loient mander quelque chose à leurs gens au logis: & estoiētestoient
dressez lesdits pigeons à en raporter responce. D. Brutus en
vsausa assiegé à Mutine, & autres ailleurs. Au Peru, ils couroyētcouroyent
sur les hommes, qui les chargeoient sur les espaules à tout des
portoires, par telle agilité, que tout en courant les premiers
porteurs reiettoyentrejettoyent aux seconds leur charge sans arrester
vnun pas. ⁁
⁁ IentansJ’entans que les ⁁ ⁁ Valachi courriers
du grand so seignur font des
extremes diligences d’autant
qu’ils ont loy de desmonter le
premier passant qu’ils treuuenttreuvent
en leur chemin en luy donnātdonnant
leur cheualcheval recreu et que pour
se garder de lasser ils se
serrent a trauerstravers le corps bien
estroitement d’une bande
large.comme font assez d’autres. IeJe n’ay trouuétrouvé nul seioursejour à cet vsageusage.Nous trouvons un ajout supplémentaire dans l’édition de 1595 : "comme font assez d’autres. IeJe n’ay trouuétrouvé nul seioursejour à cet vsageusage."
Des mauuaismauvais moyens employez à bonne fin.
CHAP. XXIII.
IL se trouuetrouve vneune merueilleusemerveilleuse relation & correspon-
dance, en cette vniuerselleuniverselle police des ouuragesouvrages de na-
ture: qui monstre bien qu’elle n’est ny fortuite ny cō-
duytecon-
duyte par diuersdivers maistres. Les maladies & conditions de nos
corps, se voyent aussi aux estats & polices: les royaumes, les re-
publiques naissent, fleurissent & fanissent de vieillesse, com-
me nous. Nous sommes subiectssubjects à vneune repletion d’humeurs
inutile & nuysible, soit de bonnes humeurs, (car cela mesme
les medecins le craignent: & par ce qu’il n’y à rien de stable
chez nous, ils disent que la perfection de santé trop allegre &
vigoreuse, il nous la faut essimer & rabatre par art, de peur
que nostre nature ne se pouuantpouvant rassoir en nulle certaine pla-
ce, & n’ayant plus ou monter pour s’ameliorer, ne se recule en
arriere en desordre & trop à coup: ils ordōnentordonnent pour cela aux
Athletes les purgations & les saignées, pour leur soustraire
FFFf iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
cette superabondance de santé) soit repletion de mauuaisesmauvaises
humeurs, qui est l’ordinaire cause des maladies. De semblable
repletion se voyent les estats souuentsouvent malades: & à l’on ac-
coustume d’vseruser de diuersesdiverses sortes de purgation. Tantost on
donne congé à vneune grande multitude de familles, pour en dé-
charger le païs, lesquelles vōtvont cercher ailleurs ou s’accōmo-
deraccommo-
der aux despens d’autruy:. dDe cette façōfaçon nos anciens Francons
partis du fons de l’Alemaigne, vindrētvindrent se saisir de la Gaule, &
en deschasser les premiers habitans: ainsi se forgea cette infi-
nie marée d’hommes, qui s’écoula en Italie soubs Brennus &
autres: ainsi les Gots & Vuandales: comme aussi les peuples
qui possedent à present la Grece, abandonnerent leur naturel
païs pour s’aller loger ailleurs plus au large: & à peine est il
deux ou trois coins au monde, qui n’ayent senty l’effect d’vnun
tel remuement. Les Romains bátissoient par ce moyen leurs
colonies: car sentans leur ville se grossir outre mesure, ils la
deschargeoyent du peuple moins necessaire, & l’enuoyoientenvoyoient
habiter & cultiuercultiver les terres par eux conquises. Par fois aussi
ils ont à escient nourry des guerres auecavec aucuns leurs enne-
mis, non seulement pour tenir leurs hommes en haleine, de
peur que l’oysiuetéoysiveté mere de corruption ne leur apportast q̄l-
quequel-
que pire inconuenientinconvenient.,
Et patimur longae pacis mala, saeuior armis
Luxuria incumbit.
Mais aussi pour seruirservir de saignée à leur Republique, & esuan-
teresvan-
ter vnun peu la chaleur trop vehemente de leur ieunessejeunesse, estaus-
serestimer escourter & esclaircir le branchage de ce tige foisonnant en trop de
gaillardise: a cet effet se sont ils autrefois seruisservis de la guerre
contre les Cartaginois. Au traité de Bretigny, Edouard troi-
siesme Roy d’Angleterre, ne voulut comprēdrecomprendre en cette paix
generalle, qu’il fit auecavec nostre Roy, le different du Duché de
Bretaigne, affin qu’il eust, ou se descharger, de ses hommes de
LIVRE SECOND. 292300
guerre, & que cette foulle d’Anglois, dequoy il s’estoit seruyservy
en ses guerresaus affaires de deça, ne se reiettastrejettast en Angleterre. Ce fust l’v-
neu-
ne des raisons, pourquoy nostre Roy Philippe consentit d’en-
uoyeren-
voyer Iean son fils à la guerre d’outremer: afin d’en amener
quand & luy vnun grand nombre de ieunessejeunesse bouillante, qui
estoit en sa gendarmerie. Il y en à plusieurs en ce temps, qui
discourent de pareille façon, souhaitans que cette emotion
chaleureuse, qui est parmy nous, se peut deriuerderiver à quelque
guerre voisine, de peur que ces humeurs peccantes, qui do-
minent pour cette heure nostre corps, si on ne les escoulle ail-
leurs, maintiennent nostre fieburefiebvre tousiourstousjours en force, & ap-
portent en fin nostre entiere ruine:. &Et de vray vneune guerre e-
strangiere est vnun mal bien plus doux que la ciuilecivile: mais ieje ne
croy pas q̄que Dieu fauorisatfavorisat vneune si iniusteinjuste entreprise, d’offencer
& quereler autruy pour nostre commodité:
Nil mihi tam valde placeat Rhamnusia virgo,
Quod temere inuitis suscipiatur heris.
Toutesfois la foiblesse de nostre condition, nous pousse sou-
uentsou-
vent à cette necessité, de nous seruirservir de mauuaismauvais moyens pour
vneune bonne fin. Licurgus le plus vertueux & parfaict legisla-
teur qui fust onques, inuentainventa cette tres-iniusteinjuste & tres-inique
façon, pour instruire son peuple à la temperance,: de faire en-
yureren-
yvrer par force les Elotes, qui estoyent leurs serfs: afin qu’en
les voyant ainsi perdus & enseuelisensevelis dans le vin, les Spartiates
prinsent en horreur le débordemētdébordement de ce vice. Ceux la auoiētavoient
encore plus de tort, qui permettoyent anciennement que les
criminels, à quelque sorte de mort qu’ils fussent condamnez,
fussent déchirez tous vifs par les medecins, pour y voir au na-
turel nos parties interieures, & en establir plus de certitude
en leur art: car s’il se faut débaucher, on est plus excusable le
faisant pour le seruiceservice de la santé de l’ame. que pour celle du
corps: comme les Romains dressoient le peuple à la vaillācevaillance
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& au mespris des dangiers, & de la mort, par ces furieux spe-
ctacles de gladiateurs & escrimeurs à outrance, qui se comba-
toient, détailloient, & entretuoyent en leur presence.,
Quid vesani aliud sibi vult ars impia ludi,
Quid mortes iuuenum, quid sanguine pasta voluptas?
&Et dura cet vsageusage iusquesjusques à Théodosius l’Empereur.:
Arripe dilatam tua dux in tempora famam,
Quodque patris superest successor laudis habeto,
Nullus in vrbe cadat cuius sit poena voluptas,
Iam solis contenta feris infamis arena
Nulla cruentat is homicidia ludat in armis.
C’estoit à la verité vnun merueilleuxmerveilleux exemple, & de tres-grand
fruict, pour l’institution du peuple, de voir tous les ioursjours en
sa presence, cent, deux cens, et mille couples d’hommes armez
les vnsuns contre les autres, se hacher en pieces, auecquesavecques vneune si
extreme fermeté de courage, qu’on ne leur vist iamaisjamais chan-
ger de visage, lácher vneune parolle de foiblesse ou commisera-
tion, iamaisjamais tourner le dos, ny faire seulement vnun mouue-
mentmouve-
ment láche, pour gauchir au coup de leur aduersaireadversaire: ains
tendre le col à son espée & se presenter au coup. Il est ad-
uenuad-
venu à plusieurs d’entre eux, estans blessez à mort de force
playes, d’enuoyerenvoyer demander au peuple, s’il estoit content de
leur deuoirdevoir, auantavant que se coucher pour rendre l’esprit sur la
place. Il ne falloit pas seulemement qu’ils combattisent &
mourussent constamment, mais encore allegrement: en ma-
niere qu’on les hurloit & maudissoit, si on les voyoit estriuerestriver
à receuoirrecevoir la mort. Les filles mesmes les imitoient.incitoient:
consurgit ad ictus
Et quoties victor ferrum iugulo inserit, illa
Delitias ait esse suas, pectúsque iacentis
Virgo modesta iubet conuerso pollice rumpi.
Les premiers Romains employoient à cet’exemple les cri-
minels
LIVRE SECOND. 293301
minels.: Mmais dépuis on y employa des serfs innocens, & des
libres mesmes, qui se vendoyent pour cet effect.: IiusquesJjusques à des
Senateurs & CheualiersChevaliers Romains, & encore des femmes.:
Nunc caput in mortem vendunt, & funus arenae,
Atque hostem sibi quisque parat cumbella quiescunt.
Hos inter fremitus nouósque lusus,
Stat sexus rudis insciúsque ferri,
Et pugnas capit improbus viriles.
Ce que ieje trouueroistrouverois fort estrange & incroyable, si nous n’e-
stions accoustumez de voir tous les ioursjours en nos guerres, plu-
sieurs miliasses d’hommes estrangiers, engageant pour de l’ar-
gent leur sang & leur vie, à des querelles, où ils n’ont aucun
interest.
De la grandeur Romaine.
CHAP. XXIIII.
IEJE ne veus dire qu’vnun mot de cet argument infiny,
pour montrer la simplesse de ceux, qui apparient à
celle la, les chetiueschetives grandeurs de ce temps. Au septies-
me liurelivre des epitres familieres de Cicero (& que les grāmai-
riensgrammai-
riens en ostent ce surnom, de familieres, s’ils veulent, car à la
verité il n’y est pas fort à propos: & ceux qui au lieu de fami-
lieres y ont substitué ad familiares, peuuentpeuvent tirer quelque ar-
gument pour eux, de ce que dit Suetone en la vie de Caesar,
qu’il y auoitavoit vnun volume des lettres dudit Caesarde luy ad familiares)
il y en à vneune, qui s’adresse à Caesar estant lors en la Gaule, en la-
quelle Cicero redit ces mots, qui estoyent sur la fin d’vnun’au-
tre lettre, que Caesar luy auoitavoit escrit: quant à Marcus Furius,
que tu m’as recommandé, ieje le feray Roy de Gaule, & si tu
veux, que ij’aduāceadvance quelque autre de tes amis, enuoyeenvoye le moy.
Il n’estoit pas nouueaunouveau à vnun simple cytoien Romain, comme
estoit lors Caesar, de disposer des Royaumes, car il osta biēbien au
GGGg
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Roy DeiotarusDejotarus le sien, pour le donner à vnun gentil’homme
de la ville de Pergame nommé Mithridates. Et ceux qui
escriuentescrivent sa vie, enregistrent plusieurs autres Royaumes par
luy vendus: & Suetone dict qu’il tira pour vnun coup du Roy
Ptolomaeus, trois millions six cens mill’escus, qui fut biēbien pres
de luy vendre le sien.:
Tot Galatae tot Pontus eat tot Lydia nummis.
Marcus Antonius disoit que la grandeur du peuple Romain
ne se monstroit pas tant, par ce qu’il prenoit, que par ce qu’il
donnoit. ⁁
⁁ Si en auoitavoit il quelque
siecle auantavant Antonius
oste un entre autres
d’authorite si merueil=
leusemerveil=
leuse que en toute son
histoire ieje ne sache
marque qui porte plus
haut le nom de son credit.
Antiochus possedoit
toute l’aegipte et estoit
apres a conquerir cypre
& autres demurants de
cet empire: Sur le progres
progrez de ses uictoiresvictoires C.
Popilius arriuaarriva a luy
de la part du senat: et d’abordee refusa
de luy toucher a la main qu’il n’eut
premieremātpremieremant leu les lettres qu’il luy
apportoit. Le roy les aiant leues et respondict
qu’il en delibereroit. pour luy faire responce
Popip Popilius l’aiant
circonscrit decirconscrit la place ou il estoit
a toutauecavec lsa
baguete qu’il auoitavoit
tenoit, en la mainen luy disant
Rends moi responce
que ieje puisse raporter
au senat auantavant que
tu partes de ce cercle.
Antiochus estoné
de la rudesse d’un si
pressant comandemātcomandemant,
apres y auoiravoir un peu
songé: iIejJe ferai dict
il ce que le senat me
comande. Lors le
salua Popilius come
ami du peuple Romein.
AuoirAvoir renoncè a une
si grande monarchie, et cours
d’une si fortunee prosperité, par l’impression de troits tretz d’escriture.
Il eut uramantvramant raison, com’il fit, d’enuoierenvoier despuis dire au senat par ses
ābassadursambassadurs, qu’il auoitavoit receu leur ordonance de mesme respet que si elle
fut uenuevenue des dieus immortels
Tous les Royaumes qu’Auguste gaigna par droict
de guerre, il les rendit à ceux qui les auoyentavoyent perdus, où en fit
present à des estrangiers. Et sur ce propos Tacitus parlant du
Roy d’Angleterre Cogidunus, nous faict sentir par vnun mer-
ueilleuxmer-
veilleux traict cette infinie puissance: les Romains, dit-il, a-
uoyenta-
voyent accoustumé de toute ancienneté, de laisser les Roys,
qu’ils auoyentavoyent surmontez, en la possessiōpossession de leurs Royaumes,
soubs leur authorité: à ce qu’ils eussent des Roys mesmes, vtilsutils
de la seruitudeservitude, Vt haberet instrumenta seruitutis & reges. ⁁
⁁ Il est uraisemblablevraisemblable que Soliman a qui nous auonsavons ueuveu faire liberalite du Royaume
de Hongrie et autre estats, regardoit plus a cette consideration, qu’a celle qu’il auoitavoit acostumè
d’alleguer, qu’il estoit saoul et chargé, de tant de monarchies & de puissancedomination, que sa vertu, ou celle de ses ancestres, luy auoyent acquisÀ la place de "puissance", l’édition de 1595 donne : "domination, que sa vertu, ou celle de ses ancestres, luy auoyent acquis"".
De ne contrefaire le malade.
CHAP. XXV.
IL y à vnun epigramme en Martial qui est des bons, car
il y en à chez luy de toutes sortes, ou il recite plaisā-
mētplaisam-
ment l’histoire de Caelius, qui pour fuir à faire la court
à quelques grans à Romme, se trouuertrouver à leur leuerlever, les assister
& les suiuresuivre, fit la mine d’auoiravoir la goute: & pour rēdrerendre son ex-
cuse plus vray-semblable, se faisoit oindre les iambesjambes, les auoitavoit
enuelopéesenvelopées, & contre-faisoit entierement le port & la conte-
nance d’vnun homme gouteux.: Een fin la fortune luy fit ce plai-
sir de l’enlel’en rendre tel tout à faict.,
Tantum cura potest & ars doloris,
Desiit fingere Caelius podagram.
LIVRE SECOND. 294302
IJ’ay veu en quelque lieu d’Appian, autrefoisce me semble vneune pareille hi-
stoire: d’vnun qui voulant eschapper aux proscriptions des triū-
uirstrium-
virs de Rome, pour se dérober de la connoissance de ceux qui
le poursuyuoientpoursuyvoient, se tenant caché & trauestitravesti, y adioustaadjousta enco-
re cette inuentioninvention, de contre-faire le borgne: quand il vint à
recouurerrecouvrer vnun peu plus de liberté, & qu’il voulut deffaire l’em-
platre qu’il auoitavoit long temps porté sur son oeil, il trouuatrouva que
sa veuë estoit effectuellement perdue soubs ce masque. Il est
possible que l’action de la veuë s’estoit hebetée, pour auoiravoir
esté si long temps sans exercice, & que la force visiuevisive s’estoit
toute reietéerejetée en l’autre oeil: cCar nous sentons euidemmētevidemment, que
l’oeil que nous tenons couuertcouvert, r’enuoyer’envoye à son compaignon
quelque partie de son effect, en maniere que celuy qui reste,
s’en grossit & s’en enfle: cCōmecComme aussi l’oisiuetéoisiveté, auecavec la chaleur
des liaisons & des medicamens, auoitavoit biēbien peu attirer quelque
humeur prodagrique au gouteux de Martial. Lisant chez
Froissard le veu d’vneune troupe de ieunesjeunes gentils-hommes An-
glois, de porter l’oeil gauche bandé, iusquesjusques à ce qu’ils eussent
passé en France, & exploité quelque faict d’armes sur nous, ieje
me suis souuentsouvent chatouillé de ce pensemētpensement, qu’il leur eut pris,
comme à ces autres, & qu’ils se fussent trouueztrouvez tous éborgnez
au reuoirrevoir des maistresses, pour lesquelles ils auoyētavoyent faict l’en-
tre prise. Les meres ont raison de tancer leurs enfans, quādquand ils
contrefont les borgnes, les boiteux & les bicles, & tels autres
defauts de la personne: car outre ce que le corps ainsi tendre
en peut receuoirrecevoir vnun mauuaismauvais ply, ieje ne sçay comment il sem-
ble que la fortune se ioüejoüe à nous prendre au mot: & ij’ay ouy
reciter plusieurs exemples, de gens deuenusdevenus malades ayant en-
trepris de le contrefaires’en feindre. ⁁
⁁ De tout temps ij’ay aprins
de charger ma main et a
cheualcheval et a pied d’une
baguette, et d ou d’un
baston: iusquesjusques a y
chercher de l’elegance: &
apris souuantsouvant de m’en
seiournersejourner, d’une contenance
affettee. Plusieurs m’ont
menancé que fortune
tourneroit un iourjour cette
mignardise en necessitè. IeJe
me fonde sur ce que ieje serois
tout le premier goutteus de ma
race.
Mais alongeons ce chapitre & le bi-
garrons d’vneune autre piece, à propos de la ce cité. Pline contedict
d’vnun, qui songeant estre aueugleaveugle en dormant, s’en trouuatrouva l’en-
demain sans aucune maladie precedente. La force de l’imagi-
GGGg ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nation peut bien ayder à cela, comme ij’ay dit ailleurs, & sem-
ble que Pline soit de cet aduisadvis: mais il est plus vray-sembla-
ble que les mouuemensmouvemens que le corps sentoit au dedans, desq̄lsdesquels
les medecins trouueronttrouveront, s’ils veulent, la cause, qui luy estoiētestoient
la veuë, furent occasion du songe. AdioutonsAdjoutons encore vnun’hi-
stoire voisine de ce propos, que Seneque recite en l’vneune de ses
lettres. Tu sçais, dit-il, escriuantescrivant à Lucilius, que Harpaste la
folle de ma femme, est demeurée chez moy pour charge he-
reditaire, car de mon goust ieje suis ennemy de ces monstres, &
si ij’ay enuieenvie de rire d’vnun fol, il ne me le faut chercher guiere
loing, ieje me ris de moy-mesme. Cette folle à subitement per-
du la veuë. IeJe te recite chose estrange, mais veritable: elle ne
sent point qu’elle soit aueugleaveugle, & presse incessamment son
gouuerneurgouverneur de l’en emmener, par ce qu’elle dit que ma mai-
son est obscure. Ce que nous rions en elle, ieje te prie croire
qu’il aduientadvient à chacun de nous: nul ne connoit estre auareavare, nul
conuoiteuxconvoiteux. Encore les aueuglesaveugles demandent vnun guide, nous
nous fouruoionsfourvoions de nous mesmes. IeJe ne suis pas ambitieux,
disons nous, mais à Rome on ne peut viurevivre autrement: ieje ne
suis pas sumptueux, mais la ville requiert vneune grande despen-
ce: ce n’est pas ma faute, si ieje suis colere, si ieje n’ay encore esta-
bli aucun train asseuré de vie, c’est la faute de la ieunessejeunesse. Ne
cerchons pas hors de nous nostre mal, il est chez nous: il est
planté en nos entrailles. Et cela mesme que nous ne sentons
pas estre malades, nous rend la guerison plus mal-aisée. Si
nous ne recommençons de bonne heure à nous penser, quādquand
aurons nous pourueupourveu à tant de playes & à tant de maus? Si
auonsavons nous vneune tres-douce medecine que la philosophie: car
des autres, on n’en sent le plaisir, qu’apres la guerison, cette cy
plait & guerit ensemble. Voyla ce que dit Seneque, qui m’a
emporté hors de mon propos, mais il y à du profit au change.
LIVRE SECOND. 295303
Des pouces. CHAP. XXVI.
TACITVS recite que parmy certains Roys barbares,
pour faire vneune obligatiōobligation asseurée, leur maniere estoit
de ioindrejoindre estroictement leurs mains droites l’vneune à
l’autre, & s’entrelasser les pouces: & quand à force de les pres-
ser le sang en estoit monté au bout, il les blessoiētblessoient de quelque
legere pointe, & puis se les entresucçoiētentresucçoient. Les medecins disent,
que les pouces sont les maistres doigts de la main, & que leur
etymologie Latine vient de pollere, qui signifie exceller sur les
autres. Les Grecs l’appellent ἀντίχειρ, comme qui diroit vneune au-
tre main. Et il semble que par fois les Latins les prennent aussi
en ce sens, de main entiere.,
Sed nec vocibus excitata blandis
Molli pollice nec rogata surgit.
C’estoit à Rome vneune signification de faueurfaveur, de comprimer
& baisser les pouces.,
Fautor vtróque tuum laudabit pollice ludum:
& de desfaueurdesfaveur de les hausser & contourner au dehors,
conuerso pollice vulgi
Quemlibet occidunt populariter.
Les Romains dispensoient de la guerre, ceux qui estoiētestoient bles-
sez au pouce, comme s’ils n’auoientavoient plus la prise des armes as-
sez ferme. Auguste cōfisquaconfisqua les biens à vnun cheualierchevalier Romain,
qui auoitavoit par malice, & pour faire fraude à la loy, couppé les
pouces à deux siens ieunesjeunes enfans, pour les dispenser des guer-
res:excuser d’aler aus armees. & auantavant luy, le Senat du temps de la guerre Italique, auoitavoit
condamné Caius Vatienus à prison perpetuelle, & luy auoitavoit
confisqué tous ses biens, pour s’estre à escient couppé le pouce
de la main gauche, pour s’exempter de cette guerreuoiagevoiage. Quelcun,
de qui il ne me souuientsouvient point, ayant gaigné vneune bataille na-
ualena-
vale, fit coupper les pouces à ses ennemis vaincus, pour leur
GGGg iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
oster le moyen de combatre & de tirer la rame. ⁁
⁁ Les Atheniens les firent
coupper aus AEginetes
pour leur oster la praeferācepraeferance
en lartl’art de marine.
En Lacede-
mone le maistre chatioit les enfans en leur mordant le pouce.
Couardise mere de la cruauté.
CHAP. XXVII.
IJ’AY souuentsouvent ouy dire, que la couardise est mere de
cruauté: &Et ay par experience apperçeu, que cette ai-
greur, & aspreté de courage malitieux & inhumain,
s’accompaigne coustumierement de mollesse feminine: iIjJ’en
ay veu des plus cruels, subietssubjets à pleurer aiséement, & pour des
causes friuolesfrivoles. Alexandre tyran de Pheres ne pouuoitpouvoit souffrir
d’ouyr au theatre le ieujeu des tragedies, de peur que ses citoyens
ne le vissent gemir aus malheurs de Hecuba, & d’Androma-
che,: luy qui sans pitié, faisoit cruellement meurtrir tant de
gens tous les ioursjours. Seroit-ce foiblesse d’ame qui les rēditrendit ain-
si ployables à toutes extremitez. La vaillance (de qui c’est l’ef-
fect, de s’exercer seulement contre la resistence,
Nec nisi bellantis gaudet ceruice inuenci)
s’arreste à voir l’ennemy à sa mercy: mMais la laschetépusillanimitè, pour dire
qu’elle est aussi de la feste, n’ayant peu se mesler à ce premier
rolle, prend pour sa part le second, du massacre & du sang. Les
meurtres des victoires, se font’exercent ordinairement par le peuple, &
par les officiers du bagage: &Et ce qui fait voir tant de cruautez,
inouies, aux guerres populaires, c’est que cette canaille de vul-
gaire, s’aguerrit, & se gendarme, à s’ensanglanter, iusquesjusques aux
coudes, & a deschiqueter vnun corps à ses pieds, n’ayant resenti-
ment d’autre vaillance.:
Et lupus & turpies instant morientibus vrsi,
Et quaecunque minor nobilitate fera est:
CcComme les chiens coüards, qui deschirent en la maison, &
mordent les peaux des bestes sauuagessauvages, qu’ils n’ont osé atta-
LIVRE SECOND. 296304
quer aux champs. Qu’est-ce qui faict en ce temps nos querel-
les toutes mortelles? & que la où nos peres auoientavoient quelque
degré de vengeance, nous commençons à cette heure par le
dernier: & ne se parle d’arriuéearrivée que de tuer: qQu’est-ce, si ce n’est
couardise? Chacun sent bien, qu’il y a plus de braueriebraverie, & des-
dain, à battre son ennemy, qu’à le tuer,’acheuerachever, & de le faire bouquer &
rounger son frein, que de l’acheueracheverque de le faire mourir. D’auantageavantage que l’appetit de
vengeance s’en assouuitassouvit & contētecontente mieux: car elle ne vise qu’a
donner ressentiment de soy. Voila pourquoy nous n’attaquōsattaquons
pas vneune beste, ou vneune pierre, quand elle nous blesse, d’autant
qu’elles sont incapables de goustersentir nostre reuēcherevenche: &Et de tuer
vnun homme, c’est le mettre à l’abry de nostre offence. Et tout
ainsi comme Bias crioit à vnun meschant homme,. iIejJe sçay que
tost ou tard tu en seras puny, mais ieje crains que ieje ne le voye
pas: &Et plaignoit les Orchomeniens, de ce que la penitēcepenitence que
Lyciscus eut de la trahison, contre eux commise, venoit en
saison, qu’il n’y auoitavoit personne de reste, de ceux qui en auoiētavoient
esté interessez, & ausquels deuoitdevoit toucher le plaisir de cette
penitence. Tout ainsin n’est à plaindre la vengeance, quand ce-
luy enuersenvers lequel elle s’employe, pert le moyen de la sentir: cCar
comme le vengeur y veut voir, pour en tirer du plaisir,: il faut
que celuy sur lequel il se venge, y voye aussi, pour en souffrir
du desplaisir & de la repentence. Il s’en repentira disons nous,.
&Et pour luy auoiravoir donné d’vneune pistolade en la teste, estimons
nous qu’il s’en repente? Au rebours, si nous nous en prenons
garde, nous trouueronstrouverons qu’il nous faict la mouë en tombant:
iIl ne nous en sçait pas seulement mauuaismauvais gré, c’est bien loing
de s’en repentir.⁁
⁁ :. eEt luy prestons le
plus fauorablefavorable de
tous les offices de
cette la uievie, qui est
de le faire mourir
promptement et
inssansiblement.
Nous sommes à coniller, à trotter, & à fuir les
officiers de la iusticejustice, qui nous suiuentsuivent, & luy est en repos. Le
tuer est bon pour éuiteréviter l’offence à venir, non pour venger
celle qui est faicte.⁁
⁁ : c’C’est un’action
plus de creinte que
de braueriebraverie, et de
precaution que
de corage de defanse
que d’entreprinse.
Il est apparent, que nous quittons par là,
& la vraye fin de la vengeance, & le soing de nostre reputatiōreputation:
ESSAIS DE M. DE MONT.
nNous craignons, s’il demeure en vie qu’il nous recharge d’v-
neu-
ne pareille. ⁁
⁁ cCe n’est pas contre
luy, c’est pour nous que
nous nous en desfaisons.
toy, que tu t’en desfais. ⁁
⁁ Au Royaume de Narsingue cet expedient nous demoureroit inutile: Là, non seulement les gents de
guerre mais aussi les artisans demeslent leurs querelles a coups despeed’espee Le Roy ne refuse point le campcamp a qui se ueutveut
bastre et assiste quand ce sont persones de qualite: estrenant le uictorieusvictorieus d’une cheine dord’or, Mais pour la quelle conquerir
le premier a qui il en prant enuieenvie peut uenirvenir aus armes aueqaveq celuy qui la porte. Et pour s’estre desfaict d’un combat il en
a souuantsouvant acquisa plusieurs asur demesler. les bras
Si nous pēsionspensions par vertu estre tousiourstousjours maistres
de luynostre enemi, & le gourmander à nostre poste, nous serions biēbien mar-
ris qu’il nous eschappast, comme il faict en mourant: nNous
voulons vaincre, mais ⁁
⁁ plus seuremant que
honorablemant,. eEt cher=
chons plus la fin que la
gloire, en nostre querele,.
Asinius Pollio pour un
honneste home represantoita
une errur pareille. Qui aiant
escrit des inuectiuesinvectives contre
Plancus atandoit qu’il fut
mort pour les publier. C’estoit
faire la figue a un
aueugleaveugle et dire des pouilles
à un sourd et offancer un
hōmehomme sans sentimant plus tost
que d’auoiravoir le ceur de soutenir
son ressentimant d’ēcourirencourir
le hasard de soutenir son
ressentimant. Aussi disoit
on pour luy: que ce n’estoit
qu’aus lutins de luiter les
morts. Celuy qui atant a uoirvoir
trespasser lautheurl’autheur duquel il
veut combattre les escris que
dit il si non qu’il est couardfoible
& noisif ⁁
⁁ On disoit a Aristote que
quelcun auoitavoit mesdit de luy
Qu’il face plus dict il, qu’il me
fouëtte, pourueupourveu que ieje n’y sois pas.
láchement, sans combat, & sans hazard.
Nos peres se contentoient de reuencherrevencher vneune iniureinjure par vnun dé-
menti, vnun démenti par vnun coup de baton, & ainsi par ordre: iIls
estoient assez valeureux pour ne craindre pas leur ennemy, vi-
uantvi-
vant, & outragé: nNous ne nous tremblons de frayeur, tant que nous le
voyons en pieds. Et qu’il soit ainsi, nostre belle pratique d’au-
iourdau-
jourd’huy, porte elle pas, de poursuyurepoursuyvre à mort, aussi bien ce-
luy que nous mesmes auonsavons offencé, que celuy qui nous a of-
fencez. C’est aussi vneune image de lácheté, qui a introduit en nos
combats singuliers, cet vsageusage, de nous accompaigner de se-
conds, & tiers, & quarts. C’estoit anciennement des duels, ce
sont à cette heure, rencontres, & batailles. La solitude faisoit
peur aux premiers qui l’inuenterentinventerent: ⁁
⁁ cum in se cuique
minimūminimum fidutiae esset:
cCar naturellement quel-
que compaignie que ce soit, apporte confort, & soulagement
en la crainteau dangier. On se seruoitservoit anciennement de personnes tier-
ces, pour garder qu’il ne s’y fit desordre & desloyauté:⁁
⁁ , et pour tesmouig
ner de la fortune
du combat:
mMais de-
puis qu’on à pris ce train, qu’ils s’s’y engagent eux mesmes,: au cō-
batcon-
bat: quiconque y est conuiéconvié, ne peut honnestement s’y tenir
comme spectateur, de peur qu’on ne luy attribue, que ce soit
faute ou d’affectiōaffection, ou de coeurage. Outre l’iniusticeinjustice d’vneune tel-
le action, & vilaenie, d’engager à la protection de vostre hon-
neur, autre valeur & force que la vostre,: ieje trouuetrouve du desad-
uantagedesad-
vantage à vnun hōmehomme de bien, & qui pleinemētpleinement se fie de soy, d’al-
ler mesler sa fortune, a celle d’vnun second. Chacun court assez
de hazard pour soy, sans le courir encore pour vnun autre: & a
assez à faire à s’asseurer en sa propre vertu, pour la deffence de
sa vie, sans commettre chose si chere en mains tierces. Car s’il
n’a esté expressement marchādémarchandé au contraire, des quatre, c’est
vneune
LIVRE SECOND. 297305
vneune partie liée. Si vostre second est à terre, vous en auezavez deux
sur les bras, auecavec raisōraison:. &Et de dire que c’est supercherie,: elle l’est
voirement:, comme de charger bien armé, vnun homme qui n’a
qu’vnun tronçon d’espée,: ou tout sain, vnun homme qui est desiadesja
fort blessé: mMais si ce sont auantagesavantages, que vous ayez gaigné en
combatant, vous vous en pouuezpouvez seruirservir sans reproche:. lLa dis-
parité & inegalité, ne se poise & considere, que de l’estat en
quoy se commence la meslée,: du reste prenez vous en à la for-
tune: &Et quand vous en aurez tout seul, trois sur vous, vos deux
cōpaignonscompaignons s’estātestant laissez tuer, on ne vous fait nōnon plus de tort,
que ieje ferois à la guerre, de dōnerdonner vnun coup d’espée à l’ennemy,
que ieje verrois attaché à l’vnun des nostres, de pareil auantageavantage. La
nature de la societé porte, où il y à trouppe contre trouppe,
comme ou nostre Duc d’Orleans, deffia le Roy d’Angleterre
Henry, cent cōtrecontre cent,⁁
⁁ trois contre trois
come les Horatiens
: trois cens cōtrecontre autant
come les Argiens
contre les Lacedemoniens
Lacedemoniens,: trois
contre t a trois comme
les Horatiens contre les
Curiatiens,
que la multitude de chaque part, n’est
cōsideréeconsiderée que pour vnun hōmehomme seul: pPar tout où il y a cōpaigniecompaignie,
le hazard y est confus & meslé. IJ’ay interest domestique à ce
discours,. cCar mon frere sieur de Matecolom, fut conuiéconvié à Ro-
me, à seconder vnun gentil-homme qu’il ne cognoissoit guere,
lequel estoit deffendeur, & appellé par vnun autre: eEn ce cōbatcombat
il se trouuatrouva de fortune, auoiravoir en teste, vnun qui luy estoit plus
voisin, & plus cogneu (ieje voudrois qu’on me fit raison de ces
loix d’honneur, qui vont si souuentsouvent choquant & troublant
celles de la raison) Aapres s’estre desfaict de son homme, voyātvoyant
les deux maistres-de la querelle, en pieds encores, & entiers, il
alla descharger son compaignon. Que pouuoitpouvoit il moins?
deuoitdevoit-il se tenir coy, & regarder deffaire, si le sort l’eust ainsi
voulu, celuy pour la deffence duquel, il estoit là venu: cCe qu’il
auoitavoit faict iusquesjusques alors, ne seruoitservoit de rien à la besoingne: la
querelle estoit indecise. La courtoisie ̄que vous pouuezpouvez, & cer-
tes deués faire à vostre ennemy, quand vous l’auezavez reduict en
mauuaismauvais termes, & à quelque grand desaduantage, ieje ne vois
HHHh
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pas comment vous la puissiez faire , quand il va de l’interest
d’autruy, ou vous n’estes que suyiuantsuyivant, ou la dispute n’est pas
vostre: iIl ne pouuoitpouvoit estre ny iustejuste, ny courtois, au hazard de
celuy auquel il s’estoit presté:. aAussi fut-il deliurédelivré des prisons
d’Italie, par vneune biēbien soudaine & solēnesolenne recōmandationrecommandation de no-
stre Roy. Indiscrette nation,. nNous ne nous contentons pas de
faire sçauoirsçavoir nos vices, & folies, au mōdemonde, par reputatiōreputation,: nous
allons aux nations estrangeres, pour les leur faire voir en pre-
sence. Mettez trois françois aux deserts de Lybie, ils ne seront
pas vnun mois ensemble, sans se harceler & esgratigner: vous
diriez que cette peregrination, est vneune partie dressée, pour dō-
nerdon-
ner aux estrangers le plaisir de nos tragedies: & le plus souuētsouvent
à tels, qui s’esiouyssentesjouyssent de nos maux, & qui s’en moquētmoquent. Nous
allons apprendre en Italie à escrimer:⁁
⁁ , et en l’exerçons
l’art aus despens
de nos uiesvies, auantavant que
de le sçauoirsçavoir:.
sSi faudroit-il suyuātsuyvant l’or-
dre de la discipline, mettre la theorique auantavant la practique:
nNous trahissons nostre apprentissage:
Primitiae iuuenum miserae, bellique futuri
Dura rudimenta.
IeJe sçay bien que c’est vnun art,⁁
⁁ vtileutile a sa fin (au
duel des deus princes
cousins germeins en
Hespaigne: maior usu
armorum et astu facile
stolidas uires minoris
superauit) et en presance
de Scipion le plus uieusvieus
dict Tite LiueLive par
l’adresse des armes &
par ruse surmonta faci=
lemant les forces
estourdies du plus iunejune)
& come ij’ay conu par
experiance,
duquel la cognoissance à grossi le
coeur à aucuns, outre leur mesure naturelle: mMais ce n’est pas
proprement vertu, puis qu’elle tire son appuy de la science, &
de l’addresse,: & qu’elle prend autre fondement que de soy-
mesme. L’honneur des cōbatscombats cōsisteconsiste en la ialousiejalousie du coura-
ge, non de l’artla sciance:. &Et pourtant ay-ieje veu quelqu’vnun de mes amis,
renommé pour grand maistre en cet exercice, choisir en ses
querelles, des armes, qui luy ostassent le moyen de cet aduan-
tageadvan-
tage: & lesquelles dépendoient entierement de la fortune, &
de l’asseurance: affin qu’on n’attribuast sa victoire plustost à
son escrime, qu’à sa valeur: &Et en mon enfance, ij’ay veu la no-
blesse fuirfuioit la reputation de bon escrimeur, comme iniurieuseinjurieuse,
& se desroberoit pour l’apprēdreapprendre, comme vnun artmestier de subtilité, des-
rogeant à la vraye & naifuenaifve vertu,
LIVRE SECOND. 298306
Non schiuarschivar, non parat, non ritirarsi,
Voglion costor, ne qui destrezza ha parte,
Non danno i colpi finti hor pieni hor scarsi,.
Toglie l’ira e il furor l’uso de l’arte,
Odi le spade horribilmente vrtarsiurtarsi
A mezzo, il ferro, il pie d’orma non parte,
Sempre è il pie fermo, è la man sempre in moto,
Ne scende taglio in van ne punta à voto.
Les butes, les tournois, les barrieres, l’image des cōbatscombats guer-
riers & publics, estoient l’exercice de nos peres: cCet autre exer-
cice, est d’autant moins noble, qu’il ne regarde qu’vneune fin pri-
uéepri-
vée: qQui nous apprend à nous entreruynerentrervyner, contre les loix & la
iusticejustice, & qui en toute façon, produict tousiourstousjours des effects
dommageables. Il est biēbien plus digne & mieux seant, de s’exer-
cer en choses qui asseurent, non qui offencent nostre police,:
qui regardent la publique seurté, & la gloire commune. Pu-
blius Rutilius ⁁ ⁁ confus fut le premier, qui instruistinstruisit le soldat, à manier
ses armes par adresse & science,: qui conioingnistconjoingnist l’art à la ver-
tu: non pour l’vsageusage de querelle priuéeprivée, ce fut pour la guerre &
querelles du peuple Romain. ⁁
Escrime populere et ciuilleciville.
⁁ Et outre lexamplel’example de
Cesar qui ordona aus
siens de uiservisertirer principa=
lemant au uisagevisage des
gendarmes de Pompeius
en la bataille de Pharsale
mill’autres chefs de
guerre se sont ainsin
auisesavises d’inuanterinvanter nou-
uellenou-
velle forme d’armes nou-
uellenou-
velle forme de fraper &
de se couurircouvrir selon le
besouin de l’affaire present.
Mais commetout ainsi que Philopoemen con-
damna la luicte, en quoy il excelloit, d’autant que les prepara-
tifs qu’on employoit a cet exercice, estoient diuersdivers à ceux, qui
appartiennent à la discipline militaire, à laquelle seule il esti-
moit les gens d’honneur, se deuoirdevoir amuser: il me semble aussi,
que les mouuemensmouvemens & formes, à quoy on dresseque cette adresse a quoi on façone ses membres ces destours et mouuemensmouvemens a quoi on exerce la ieunessejeunesse en
que cette adresse a quoi on façone ses membres
cette nouuellenouvelle eschole, sont non seulement inutiles, mais con-
traires plustost, & dommageables à l’vsageusage des armes & du
combat militaire: ⁁
⁁ Aussi y emploient nos gents
communeemant des armes
particulieres et peculierement
⁁ Et Lachez en Platon
meintient qu’on n’a
iamaisjamais ueuveu nul maistre
de cette eschole deuenirdevenir un
bon home de guerre.destinees a cet usage.
Et ij’ay ueuveu qu’ōon ne trouuoittrouvoit guere
bon qu’un gentillhome conuieconvie a lespeel’espee
et au poignard s’offrit en equipage de gendarme.
iIl est digne de consideration
que Lachez en Platon
parlant d’un aprantissage
de manier les armes uoisinvoisinconforme
dau nostre dict n’auoiravoir
iamaisjamais de cette éschole ueuveu
sortir nul grant home de
guerre et nomeemant des
instructeurs.maistres d’icelle. Quand aux
instructeursa
ceus la nostre usage
dict experiance en dict de mesmes a
peu presbien
autant Du reste au moins pouuōspouvons
nous dire que ce sont suffisances aumoins
de nulle relation et correspondance.
Et en linstitutionl’institution des enfans de sa police Platon interdit
les ars de mener les pouins introduictes par Amycus et Epeius
et de luiter, par Anteus et Cercyo, par ce qu’elles neont
seruentservent de rien aus guerres autre but que de
rendre la iunessejunesse plus apte au seruiceservice des
guerresbellique et n’y conferent point.
mMais ieje m’en vois vnun peu bien à gauche de
mon theme. L’Empereur Maurice estant aduertyadverty par songes,
& plusieurs prognostiques, qu’vnun Phocas, soldat pour lors in-
connu, le deuoitdevoit tuer,: demandoit à son gendre Philippe, qui
estoit ce Phocas, sa nature, ses conditiōsconditions & ses meurs: & com-
me entre autres choses Philippe luy dit, qu’il estoit láche &
HHHh ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
craintif, l’Empereur conclud incontinent par là, qu’il estoit
donq meurtrier & cruel. Qui rend les Tyrans si sanguinaires? c’est le
soing de leur seurté, & que leur láche coeur, ne leur fournit
d’autres moyens de s’asseurer, qu’en exterminant ceux qui les
peuuentpeuvent offencer, iusquesjusques aux femmes, de peur d’vneune esgra-
tigneure,
Cuncta ferit dum cuncta timet. ⁁
⁁ Les premieres cruautez s’exercent pour elles mesmes: de là s’engēndreengendre la crainte d’vneune iustejuste
reuancherevanche, qui produit apres une enfilure de nouuellesnouvelles cruautez pour les estouffer les unes par les autres.
Philippus Roy de Macedoine celuy qui eut tant de fusees a demesler aueqaveq le peuple Romein, agité de
l’horrur des tant de meurtres commis par son ordonance: ne se pouuantpouvant resoudre contre tant de familles
en diuersdivers temps offancees: print
parti de se sesir de tous les
enfans de ceus qu’il
auoitavoit faict tuer:
pour de iourjour en iourjour
les perdre, l’un apres l’autre,
& einsin establir son repos.
Les belles matieres tienēttienent
tousiourstousjours bien leur rancsiesent bien
en quelque place qu’on les
seme. Moi qui ai plus
de souin du pois et
utilite des discours, que de
leur ordre et suite, ne dois
pas creindre de loger
icy un peu a lescartl’escart, une
tres belle histoire. Quand elles sont si riches de leur propres beauté, & se peuuentpeuvent seules trop soustenir, ieje me contente du bout d’vnun poil, pour les ioindrejoindre à mon propos.Entre "histoire" et "Entre", l’édition de 1595 ajoute : "Quand elles sont si riches de leur propres beauté, & se peuuentpeuvent seules trop soustenir, ieje me contente du bout d’vnun poil, pour les ioindrejoindre à mon propos." Entre
les autres condamnez par
Philippus, auoitavoit este un
Herodicus prince des
Thessaliens. Apres luy
il auoitavoit encore despuis
faict mourir ses deus
gendres, laissants chacun
un filx bien petit. Theoxena
& Archo estoint les deus
vefuesvefves. Theoxena ne
peut estre induite a se
remarier, en estant fort
poursuiuiepoursuivie: Archo espousa
Poris le premier home
d’entre les AEniens: et en
eut nombre d’enfans,
qu’elle laissa tous en
bas eage. Theoxena
espouinçonee d’une
charite maternelle
enuersenvers ses nepueusnepveus, pour
les auoiravoir en sa conduite
& protection, espousa Poris
Voici uenirvenir la proclama=
tion de ledictl’edict du Roy.
cette courageuse mere, se
desfiant et de la cru=
aute de Philippus, et de la
licence de ses satellites
enuersenvers cette belle et
tendre iunessejunesse: osa dire
qu’elle les tueroit plus tost
de ses mains que de les
rendre. Poris effraïe
de cette protestation, luy promet de les desrober et emporter a Athenes, en la garde d’aucuns siens hostes
fidelles. Ils prenent occasion d’une feste annuelle qui se celebroit a AEnie a l’honur d’AEneas, et s’y en uontvont.
Aiant assiste le iourjour aus ceremonies et banquet publique: la nuit ils s’escoulent dans un uesseauvesseau preparé,
pour gaigner païs par mer. Le uentvent leur fut contrere, et se trouuanstrouvans lendemein a la ueueveue de la terre doud’ou ils
auointavoint relachédesmaré, furent suiuissuivis par les gardes des pors. Au iouindrejouindre, Poris s’enbesouignant a hater les
mariniers, pour la fuite: Theoxena forcenee d’amour & de uaniancevanjance, se reietantrejetant a sa premiere proposition:, faict apprest
d’armes & de poison, et les presantant a leur ueueveue: Or sus mes enfans, la mort est meshui le sul moien
de uostrevostre defance et liberte, et sera matiere aus dieus de leur seinte iusticejustice: ces espees tretes, ces coupes pleines
vous en ouurentouvrent l’entree: cCourage,: et toi mon fils qui est plus grand, empouigne ce fer, pour mourir d’une
mort plus forte de la mort la plus forte. Aiant d’un coste cete uigoreusevigoreuse conseilliere, les enemis de
l’autre a leur gorge, ils coururent de furie a chacun a ce qui luy fut le plus a main: & demi morsurants furent
ietezjetez en la mer. Theoxena fiere d’auoiravoir si glorieusemant pourueu a la surete de tous ses enfans,
accolant chaudemant son mari: suiuonssuivons ces garçons mon ami, & iouissōsjouissons de mesme sepulture
aueqaveq eus: eEt se tenans einsin ābrassesambrasses, se praecipitarent: de maniere que le uesseauvesseau fut ramené
à bort uuidevuide de ses maistres. Les tyrans
&Et pour faire tous les deux ensemble, & tuer, & faire sentir leur
colere, ils ont employé toute leur suffisance, à trouuertrouver moyen
d’alonger la mort. Ils veulent que leurs ennemis s’en aillent,
mais non pas si viste, qu’ils n’ayent loisir de ressentirsauourersavourer leur ven-
geance. Là dessus ils sont en grand peine: car si les tourments
sont violents, ils sont cours: s’ils sont longs, ils ne sont pas assez
douloureux à leur gré: les voyla à dispenser leurs engins:. nNous
en voyons mille exemples en l’antiquité, & ieje ne sçay si sans y
penser, nous ne retenons pas quelque trace de cestte barbarie.
Tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure
cruauté: nNostre iusticejustice ne peut esperer, que celuy que la crain-
te de mourir & d’estre decapité, ou pendu, ne gardera de fail-
lir, en soit empesché, par l’imaginatiōimagination d’vnun feu languissant, ou
des tenailles, où de la roue. Et ieje ne sçay cependant, si nous les
iettonsjettons au desespoir: cCar en quel estat peut estre l’ame d’vnun
homme, attendant vingt-quatre heures la mort, brisé sur vneune
rouë, ou à la vieille façon cloué à vneune croix? cCar IosepheJosephe re-
cite, que pendant les guerres des Romains en IudéeJudée, passant
ou l’on auoitavoit crucifié quelques IuifsJuifs, il y ⁁ auoitavoit trois ioursjours, reconneut trois
de ses amis, & obtint de les oster de là,: les deux moururētmoururent, dit-
il, l’autre vescut encore depuis. ⁁
⁁ Chalcondyle home de foy, aus memoires qu’il a laisse des choses aduenuesadvenues de son temps et pres de luy
recite pour extreme supplice celuy que l’emperur mMechmet pratiquoit souuantsouvant: de faire trāchertrancher les homes par la moite
en deus parts par le faux du corps, a l’endroit du diaphragme, et dict d’un sul coup de
cimeterre: doud’ou il arriuoitarrivoit qu’ils mourussent, come de deus morts a la fois: et uoiotetvoiotet on
dict il l’une et l’autre part pleine de uievie se demener longtemps apres, pressee de tormant.
IeJe n’estime pas qu’il y eut grand mouuemantmouvemantsentimantsouffrance en ce sentimantmouuementmouvement. Les supplices plus
hideus a uoirvoir ne sont pas tousiourstousjours les plus forts a souffrir. Et treuuetreuve plus atroce ce
que d’autres historiens en recitent contre des seignurs Epirotes qu’il les fit escorcher par le menu d’une
dispensation si malitieusement ordonee que leur uievie dura quinse ioursjours a cette tourmant engoisse. ⁁
⁁ Et cecyss quedeus autres Cresus aïant faict prendre un gentillhome fauorifavori de Pantaleon son frere le mena
en la boutique d’un foulon ou il le fit mour tant grater et pe carder a tout coups de cardes et peignes de
ce cardurmestier, iusquesjusques à ce qu’il en mourut George Sechel chef de ces paisans de Polouigne qui sous titre de la croisade firent tant de maus desfaict
en battaille par le UaiuodeVaivode de transsiluanietranssilvanie et prins: fut trois ioursjours atache nu sur un cheualetchevalet expose a toutes les manieres de tourmans
que chacun pouuoitpouvoit apporter contre luy pendant le quel temps on ne dona ny a manger ny a boire aus autres prisoniers. Enfin luy uiuātvivant
& voyant, on abbreuuaabbreuva de son sang Lucat son cher frere, & pour le salut duquel il prioit tirant sur soi toute l’enuieenvie de leurs mesfaicts et fit lonl’on paistre
vingt de ses plus fauorisfavoris Capitaines, deschirans à belles dents sa chair & en engloutissants les morceaux. Le reste du corps & parties du dedans luy
expiré, furent mises bouillir, qu’on fit manger à d’autres de sa suitte.
LIVRE SECOND. 299307
Toutes choses ont leur saison.
CHAP. XXVIII.
CEvxCEux qui apparient Caton le censeur, au ieunejeune Caton
meurtrier de soy-mesme, ⁁
⁁ apparient deus belles
natures et de formes uoisinesvoisines.
Le premier exploita la siene a plus
de uisagesvisages et praecelle en exploits
militeres et en utilite de ses uacationsvacations
publiques. Mais la uertuvertu du ieunejeune,
outre ce que c’est blaspheme de luy en
apparier null’autre en uigurvigur, fut bien
plus nette. Car qui
deschargeroit d’enuie
et d’ambition celle du
censur d’auoiravoiraiant osé
choquer l’honur de
Scipion en bontè et en
toutes parties d’excellence,
de bien louin plus grand
et que luy & que tout homme
de son siecle. Ce
font à mon opinion grand
honneur au premier: car ieje les trouuetrouve eslongnez d’v-
neu-
ne extreme distance: & ce qu’on dit entre autres choses du cē-
seurcen-
seurde
luy, qu’en son extreme vieillesse, il se mit à apprendre la lan-
gue Grecque, d’vnun ardant appetit, comme pour assouuirassouvir vneune
longue soif, ne me semble pas luy estre fort hōnorablehonnorable. C’est
proprement ce que nous disons, retomber en enfantillage.
Toutes choses ont leur saison,. lLes bonnes & tout: &Et ieje puis
dire mon patenostre hors de propos., ⁁
⁁ Come on desfera T.
Quintius Flaminius de
sur ce qu’estant general
d’armee on l’auoitavoit ueuveu
a cartier sur l’heure du
conflit s’amusant a prier
dieu en une bataille,
qu’il gaigna.
Imponit sinem sapiens & rebus honestis.
Eudemonidas voyant Xenocrates fort vieil s’amuser à l’exer-
ciceempresser aus
leçons de son escole,. qQuand sçaura cettuy-cy, dit-il, s’il apprend
encore. Et Philopoemen, à ceux qui hault-louoient le Roy
Ptolomaeus de ce qu’il durcissoit sa personne tous les ioursjours à
l’exercice des armes: cCe n’est dict-il pas chose loüable à vnun
Roy de son aage, de s’y exercer, il les deuoitdevoit hormais reaellemētreaellement
employer. Le ieunejeune doit faire ses apprets, le vieil en iouïrjouïr, di-
sent les sages: &Et le plus grand vice qu’ils remerquētremerquent en nostre
nature, c’est que noz desseinsdesirs raieunissentjeunissent sans cesse: nNous re-
commençons tousiourstousjours à viurevivre: nNostre estude & nostre desirenuieenvie
deuroyentdevroyent quelque fois sentir la vieillesse: nNous auonsavons le pied
à la fosse,: & nos appetits, & nos esperancespoursuites ne font que
naistre.,
Tu secanda marmora
Locas sub ipsum funus, & sepulchri
Immemor, struis domos. ⁁
⁁ Le plus long de mes desseins
n’a pas un’ annee d’estendue: ieje ne panse desormais
qu’a finir: me desfois de toutes nouuellesnouvelles esperances et
entreprinses: et prans mon dernier congé de tous les
lieus que ieje laisse: et me despossede tous les ioursjours par iugemantjugemant,
de ce que ij’ay. Olim iam nec perit quicquam mihi nec acquiritur.
Plus superest uiatici quam uiae.
Vixi, et quem dederat cursum fortuna peregi.
C’est en fin tout le soulagement que ieje treuuetreuve en lama uieillessevieillesse c’est qu’ell’amortist en nousmoy plusieurs desirs et souins de quoi la uievie est
inquietée. Le soing du cours du monde, le soing des richesses, de la grandeur, de la science, de la santé, de moy.
Cettuy-cy apprend à parler, lors qu’il ⁁ ⁁ luy faut apprendre à mou-
rir.se taire pour iamaisjamais. IlOn fautpeut continuer a tout temps l’estude, non
pas l’escolage: La sote chose qu’un uieillartvieillart abecedere.
HHHh iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Diuersos diuersa iuuant, non omnibus annis
Omnia conueniunt.
S’il faut estudier, estudions vnun estude sortable à nostre condi-
tion: a fin que nous puissions respondre, comme celuy, à qui
quand on demanda à quoy faire ces estudes en sa decrepitu-
de: à m’en partir meilleur, & plus à mon aise, respondit il.
Tel estude fut celuy du ieunejeune Caton sentant sa fin prochaine,
qui se rencontra au discours de Platon, de l’eternité de l’ame:
nNon, à dire ce que ij’en pensecome iejeil faut croire, qu’il ne fut de long temps garny
de toute sorte de munition pour vnun tel deslogement: dD’asseu-
rance, & de volonté ferme, ⁁ ⁁ et d’instruction a luy faire mespriser la mort il en auoitavoit plus que Platon n’en à
peu representer paren ses escrits: sSa sciēcescience & son courage estoiētestoient
pour ce regard, au dessus de la philosophie: iIl print cette occu-
pation, non pour le seruiceservice de sa mort, mais comme celuy qui
n’interrompit pas seulement son sommeil, en l’importan-
ce d’vneune telle deliberation, il continua aussi sans chois & sans
changement, ses estudes, auecavec les autres actions accoustumées
de sa vie. La nuict qu’il futuintvint d’estre refuse de la Praeture il la passa a
iouerjouer. Celle en la quelle il deuoitdevoit mourir il la passa a lire. Il mit
a mesme pris lLa perte ou de la uievie etou de l’office, tout luy fut un.
De la vertu. CHAP. XXIX.
IEJE trouuetrouve par experience, qu’il y à bien à dire entre les
boutées & saillies de l’ame, ou vneune resolue & constan-
te habitude: & voy bien qu’il n’est rien que nous ne
puissiōspuissions, voire iusquesjusques à surpasser la diuinitédivinité mesme, dit quel-
qu’vnun, d’autant que c’est plus, de se rendre impassible de soy,
que d’estre tel, de sa conditiōcondition originelle: & iusquesjusques à pouuoirpouvoir
ioindrejoindre à l’imbecillité de l’homme, vneune resolution & asseurā-
ceasseuran-
ce de Dieu. Mais c’est par secousse. Et és vies de ces heros du
temps passé, il y à quelque fois des traits miraculeux, & qui
semblent de bien loing surpasser nos forces naturelles: mais
ce sont traits à la verité: & est dur à croire, que de ces condi-
tions ainsin esleuéeseslevées, on en puisse teindre & abreuuerabreuver l’ame,
LIVRE SECOND. 300308
en maniere, qu’elles luy deuiennentdeviennent ordinaires, & comme na-
turelles. Il nous aduientadvienteschoit à nous mesmes, qui ne sommes qu’a-
uortonsa-
vortons d’hommes, d’eslancer par fois nostre ame, esueilléeesveillée
par les discours, ou exemples d’autruy, bien loing au dela de
son ordinaire: mais c’est vneune espece de passion, qui la pousse &
agite, & qui la rauitravit aucunement hors de soy: car ce tourbil-
lon franchi, nous voyons que sans y penser elle se débande &
reláche d’elle mesme, sinon iusquesjusques à la derniere touche, au
moins iusquesjusques à n’estre plus celle-la: de façon que lors, à tou-
te occasiōoccasion, pour vnun oyseau perdu, ou vnun verre cassé, nous nous
sentonslaissons esmouuoiresmouvoir à pluspeu pres comme l’vnun du vulgaire. ⁁
⁁ Sauf lordrel’ordre la
moderation et la
constance iestimej’estime
que toutes choses soient
faisables par un
home bien manque
et desfaillant en gros.
A
Et à
cette cause disent les sages, queil faut pour iugerjuger bien à point d’vnun
homme, il faut principalement contreroller ses actions pri-
uéespri-
véescommunes, & le surprendre en son à tous les ioursjours. Pyrrho celuy qui
bastit de l’ignorance vneune si plaisante science, essaya,comme
tous les autres vrayement philosophes, de faire respondre sa
vie à sa doctrine. Et par ce qu’il maintenoit la foiblesse du iu-
gementju-
gement humain, estre si extreme, que de ne pouuoitpouvoit prendre
party ou inclination: & le vouloit suspendre perpetuellemētperpetuellement
balancé, regardant & accueillant toutes choses, comme indif-
ferentes, on conte qu’il se maintenoit tousiourstousjours de mesme fa-
çon, & visage: s’ il auoitavoit commencé vnun propos, il ne laissoit
pas de l’acheuerachever, quand celuy à qui il parloit s’en fut allé: s’il
alloit, il ne rompoit son chemin pour empeschement, qui se
presentat, conseruéconservé des precipices, du hurt des charretes, &
autres accidens par ses amis. Car de craindre ou esuiter quel-
que chose, c’eust esté choquer ses propositions, qui ostoient
au sens mesmes, tout chois & connoissance’eslection et certitude. Quelque fois il
souffrit d’estre incisé & cauterisé, d’vneune telle constance, qu’on
ne luy en veit pas seulemētseulement siller les yeux. C’est quelque cho-
se de ramener l’ame à ces imaginations, c’est plus d’y ioindrejoindre
les effects, toutefois il n’est pas impossible: mais de les ioindrejoindre
ESSAIS DE M. DE MONTA.
auecavec telle perseueranceperseverance & constance, que d’en establir son
train ordinaire, certes en ces entreprinses si esloignées de l’v-
sageu-
sage commun, il est quasi incroyable.⁁ qu’on le puisse. Voyla pourquoy ce
mesme Philosopheluy,, estant quelque fois rencontré en sa mai-
son tansant bien asprement auecquesavecques sa seur, & estant repro-
ché de faillir en cella à son indifferance: commētcomment, dit-il, faut-
il qu’encore cette fammelette serueserve de tesmoignage à mes re-
gles? VnUn’autre fois qu’on le veit se deffendre d’vnun chien: Il est,
dit-il, tres-difficile de despouiller entierement l’homme: & se
faut mettre en deuoirdevoir, & efforcer, de combattre les choses,
premierement par les effects, mais au pis aller par la raison &
par les discours. Il y à enuironenviron sept ou huict ans, qu’a deux
lieuës d’icy, vnun homme de village, qui est encore viuantvivant, ayant
la teste de long temps rompue par la ialousiejalousie de la femme, re-
uenantre-
venant vnun iourjour de la besoigne, & elle le bien-ueignantveignant de ses
criailleries accoustumées, entra en telle furie, que sur le champ
à tout la serpe qu’il tenoit encore en ses mains, s’estant mois-
sonné tout net les pieces qui la mettoyent en fieurefievre, les luy
iettajetta au visagenez. Et il se dit, qu’vnun ieunejeune gentil’homme des no-
stres, amoureux & gaillard, ayant par sa perseueranceperseverance amolli
en fin le coeur d’vneune belle maistresse, desesperé, de ce que sur
le point de la charge, il s’estoit trouuétrouvé mol luy mesmes & def-
failly, & que
non viriliter
Iners senil penis extulerat caput,
s’en priuapriva soudain reuenurevenu au logis, & l’enuoyaenvoya cruelle & san-
glante victime, pour la purgation de son offence. Si c’eust esté
par discours & religion, comme les prestres de Cibele, que
ne dirions nous d’vneune si hautaine entreprise? Dépuis peu de
ioursjours à Bragerac à cinq lieues de ma maison, contremont la ri-
uiereri-
viere de Dordoigne, vneune femme ayant esté tourmentée &
batue le soir auantavant, de son mary chagrain & fácheux de sa cōcom-
plexion,
LIVRE SECOND. 301309
sa complexion, delibera d’eschapper à sa rudesse au pris de sa
vie, & s’estātestant à sōson leuerlever accointée de ses voisines cōmecomme de cou-
stume, leur laissant eschappercouler quelque mot de recommenda-
tion de ses affaires, prenant vneune siēnesienne soeur par la main, la me-
na auecquesavecques elle sur le pont, & apres auoiravoir prins congé d’elle,
comme par maniere de ieujeu, sans montrer autre changement
ou alteration, se precipita du haut en bas, dans la riuiereriviere, ou el-
le se perdit. Ce qu’il y à de plus, en cecy, c’est que ce conseil
meurist vneune nuict entiere dans sa teste. C’est bien autre chose,
des femmes Indiennes: car estant leur coustume aux maris
d’auoiravoir plusieurs femmes, & à la plus chere d’elles, de se
tuer apres son mary, chacune par le dessein de toute sa vie,
vise à gaigner ce point, & cet aduantageadvantage sur ses compaignes:
& les bons offices qu’elles rendent à leur mary, ne regardent
autre recompance que d’estre preferées à la compaignie de sa
mort.,
vbi mortifero iacta est fax vltima lecto,
Vxorum fusis stat pia turba comis:
Et certamen habent lethi, quae viua sequatur
Coniugium, pudor est non licuisse mori:
Ardent victrices, & flammae pectora praebent,
Imponuntque suis ora perusta viris. ⁁
⁁ VnUn homme escrit encore en noz ioursjours, auoiravoir veu en ces nations Orientales, cette coustume en credit, que non seulement les femmes s’enterrētenterrent
apres leurs maris, mais aussi les esclauesesclaves, desquelles il a eu iouissancejouissance. Ce qui se faict en cette maniere. Le mari estant trespassé la uefuevefve peut si
elle ueulenttveulentt, mais peu le ueulentveulent, demander deus ou trois mois d’espace a disposer de ses affaires. Le iourjour uenuvenu, elle monte a cheualcheval paree come a nopces:
et d’une contenance gaye com’alant dict elle dormir aueqaveq son espous, tenant en sa main gauche un miroir, une fleche en l’autre. S’estant einsi promenee en
pompe accompaignee de ses amis et parans et de grand peuple en feste elle est tantost randue au lieu publique destiné a tels spectacles. CestC’est une grande
place au milieu de laquelle il y a une fosse pleine de bois et iouignantjouignant icelle un lieu releuèrelevè de quatre ou cinq marches, sur le quel ell’est conduitte,
et seruieservie d’un magnifique repas. Apres le quel elle se met a baller et chanter et ordone quand bon luy semble qu’on allume le feu. Cella faict elle descent,
et prenant par la main le plus proche des parans de son mari, ils uontvont ensamble a la riuiereriviere uoisinevoisine ou elle se despouille toute nue, et distribue ses
ioyeausjoyeaus et uestemansvestemans a ses amis, et se uava plongeant dans leaul’eau come pour y lauerlaver ses pechez: sortant de la elle s’enuelopeenvelope d’un linge iaunejaune de quatorse brasses
de long, et donant de rechef la main a ce parent de son mari s’en reuontrevont sur la mote ou elle parle au peuple et recomāderecomande ses enfans si ell’en a. Entre la fosse
et la mote on tire uolantiersvolantiers un rideau pour leur oster la ueueveue de cette fornaise ardante, ce qu’aucunes defandent pour tesmouigner plus de corage. Finy qu’ell’a
de dire, une famme luy presante un uasevase plein d’huile a soindres’oindre la teste & tout le cors, lequel elle iettejette dans le fu quand ell’en a faict, et en mesme l’instant s’y lance
elle mesmes. Sur l’heure le peuple renuerserenverse sur elle quantitè de buches pour l’empecher de languir, et se change toute leur ioyejoye en deuil et tristesse. Si ce sont personnes ⁁
⁁ de moindre estoffe, le corps du mort est porté au lieu où on le veut enterrer, & là mis en
son seant, la vefuevefve à genoux deuantdevant luy, l’embrassant
estroitemant,: et se tient en ce point, pandant qu’on bastit autour d’elle d’eus un
mur, qui uenantvenant a se hausser iusquesjusques a l’endroit des espaules d’une f de la femme
femme quelcūquelcun des siens par le derriere prenant sa teste luy tort le col: et
rendu qu’ell’a l’esperit le mur est soudein monté et clos ou ils demurent enseuelisensevelis.
En ce mesme pays, il y auoitavoit quelque chose de pareil en
leurs GypnosophistesGymnosophistes: car non par la contrainte d’autruy, nōnon
par l’impetuosité d’vnun’humeur soudaine:, mais par expresse
profession de leur regle, leur façon estoit, à mesure qu’ils a-
uoyenta-
voyent attaint certain aage, ou qu’ils se voyoient menassez
par quelque maladie, de se faire dresser vnun buchier, & au des-
sus, vnun lit bien paré, & apres auoiravoir festoyé ioyeusementjoyeusement leurs
amis & connoissans, s’aler planter dans ce lict, en telle resolu-
tion, que le feu y estant mis, on ne les vid mouuoirmouvoir, ny pieds
ny mains: & ainsi mourut l’vnun d’eux, Calanus, en presence de
IIIi
ESSAIS DE M. DE MONTA.
toute l’armée d’Alexandre le Grand: & n’estoit estimé entre
eux, ny saint ny biēbien heureux, qui ne s’estoit ainsi tué: enuoyātenvoyant
son ame purgée & purifiée par le feu, apres auoiravoir cōsuméconsumé tout
ce qu’il y auoitavoit de mortel & terrestre. Cette constante pre-
meditation de toute la vie, c’est ce qui faict le miracle. Parmy
nos autres disputes, celle du Fatum, s’y est meslée: & pour atta-
cher les choses adueniradvenir & nostre volonté mesmes, à certaine
& ineuitableinevitable necessité, on est encore sur cet argument, du
temps passé. Puis q̄que Dieu preuoitprevoit toutes choses deuoirdevoir ainsin
adueniradvenir, cōmecomme il fait, sans doubte: il faut dōcdonc qu’elles aduien-
nentadvien-
nent ainsi. A quoy nos maistres respondent, que le voir que
quelque chose aduiēneadvienne, comme nous faisons, & Dieu de mes-
me (car tout luy estant present, il voit plutost qu’il ne pre-
uoitpre-
voit) ce n’est pas la forcer d’adueniradvenir: voire nous voyons, à cau-
se que les choses aduiennentadviennent,: & les choses n’aduiennentadviennent pas à
cause que nous voyons. L’aduenementadvenement faict la science, non la
science l’aduenementadvenement. Ce que nous voyons adueniradvenir, aduientadvient:
mais il pouuoitpouvoit autrement adueniradvenir:. &Et Dieu, au rolleregistre des cau-
ses des aduenementsadvenements qu’il à en sa prescience, y a aussi celles
qu’on appelle fortuites, & les volontaires, qui despendent de
la liberté qu’il à donné à nostre arbitrage,: & sçait que nous
faudrons, par ce que nous aurons voulu faillir. Or ij’ay veu as-
sez de gens encourager leurs troupes de cette necessité fatale:.
cCar si nostre heure est attachée à certain point, ny les harque-
bousades ennemies, ny nostre hardiesse, ny nostre fuite &
couardise, ne la peuuentpeuvent auanceravancer ou reculer. Cela est beau à
dire,: mais cherchez qui l’effectuera:. &Et s’il est ainsi, qu’vneune for-
te & viuevive creance, tire apres soy les actions de mesme,: certes
cette foy, dequoy nous remplissons tant la bouche, est mer-
ueilleusementmer-
veilleusement legiere en nos siecles:. sSinōsSinon, que le mespris qu’el-
le des oeuuresoeuvres, luy face desdaigner leur compaignie. Tant y
a, qu’a ce mesme propos, le sire de IoinuilleJoinuille tesmoing croya-
LIVRE SECOND. 302310
ble autant que nultout autre, nous raconte des, Bedoins, nation
meslée aux Sarrasins, ausquels le Roy sainct Louys eut affaire
en la terre sainte,: qu’ils croyoient si fermement en leur reli-
gion les ioursjours d’vnun chacun estre de toute eternité prefix &
contez, d’vneune preordonnance ineuitableinevitable,: qu’ils alloyent à la
guerre nudz, sauf vnun glaiueglaive à la turquesque, & le corps seule-
ment couuertcouvert d’vnun linge blanc:. &Et pour leur plus extreme
maudisson, quand ils se courroussoient aux leurs, ils auoyentavoyent
tousiourstousjours en la bouche: maudit sois tu, comme celuy, qui s’ar-
me de peur de la mort. Voyla bien autre preuuepreuve de creance,
& de foy, que la nostre. Et de ce reng est aussi, celle que don-
naerent ces deux religieux de Florence, du temps de nos peres:.
eEstans en quelque controuersecontroverse de disputesciance, ils s’accordae-
rētaccordae-
rent, d’entrer tous deux dans le feu, en presence de tout le peu-
ple, & en la place publique, pour la verificatiōverification chacun de son
party:. &Et en estoyent des-iaja les aprets tous faicts, & la chose
iustementjustement sur le point de l’execution, quand elle fut interrō-
pueinterron-
pue par vnun accident improuueuimprouveu. ⁁
⁁ VnUn ieunejeune seignur Turc
aiant faict un seignalé
faict d’armes a la ueueveue
de sa persone a la ueuëveuë
des deus batailles d’Am
d’Amurat & de l’Huniade
prestes a se choquer.doner. En
Enquis par Amurat qui
luyl’auoitavoit en si grande
iunessejunesse et ex inexperiance
car c’estoit la premiere
guerre qu’il eut ueuveu
rempli d’une si genereuse
uigurvigur de corage. Respondit,
qu’il auoitavoit eu pour
souuereinsouverein preceptur de
uaillancevaillance un lieurelievrelieurelievre
par un tel accidant.
Quelque ioursjours estant a la
chasse dict il ieje descou=
urisdescou=
vris un lieurelievre en forme &
encore que ieussej’eusse deus
excellans leurierslevriers a mon
costè si me sembla il pour
ne le faillir point qu’il
ualoitvaloit mieus y emploier
encores mon arc: car il
me faisoit fort beau ieujeu.
IeJe comançai a descocher
mes flesches & iusquesjusques à
quarante qu’il y en auoitavoit
su en maon carquoistrousse non
sans l’assener sulement
mais sans lesueillerl’esveiller. Apres tout ieje
descouplay laschai mes leurierslevriers apres: qui le
faillirent aussi bien que moy ny peurent
non plus. IJ’aprins par la qu’il auoitavoit miraculeu=
sement este couuertcouvert par sa destinee et que moy
non plus ny les traits ny les gleuesgleves ne pourroint
nuire qu’a l’heure prefixe par le cielportent
que par le conge de nostre fatalité la quelle
il n’est en moynous ny de reculer ny d’auanceravancer. Ce conte
nous doit seruirservir parmi tant d’examples que nous’en en offre l’experiance tous
les ioursjoursdoit seruirservir a nous faire uoirvoir en passant combien nostre raison est flexible a toute sorte d’images combien
friuolesfrivoles resueriesresveries manient nos ames aus plus grandes choses toutes meins plus pareillement aus
grandes choses qu’aus petites et ueinesveines. ⁁
⁁ VnUn personage grand d’eageans de nom de dignitè et
de doctrine me recita autrefois auoiravoirse uantoitvantoit a moy d’auoiravoir este portè
a certeine biaiz de deuotiondevotion particuliere ou il
estoit bien auantavant plongémutation bie tresimportante de sa foy par un’incitation ⁁ ⁁ estrangiere:, aussi
bizzarre. et ⁁ ⁁ au reste si mal concluante que ieje la
trouuoistrouvois plus forte au reuersrevers: luy l’apeloit
miracle et moy aussi a diuersdivers sens.
Leurs Historiens disent que
cettela persuasion estant populerement semee entre les Turcs de la fatale et
imployable prescription de leurs ioursjours, ayde apparemment à les asseurer
aux dangers. Et ieje cognois vnun grand Prince, qui en fait ⁁
L’édition de 1595 nous donne une leçon différente de la fin de cette addition : "qui en fait heureusement son proffit : soit qu’il la croye, soit qu’il la prenne pour escuse, à se hazarder extraordinairement: pourueupourveuque fortune ne se lasse trop tost, de luy faire espaule."
⁁ honorablemēthonorablementheureusement son profit
si fortune continue a: soit qu’il la croye, soit qu’il la prenne pour excuse, à se hazarder extraordinairement: pourveu que fortune ne se lasse trop tost, de luy
faire espaule.
Il n’est point aduenuadvenu de no-
stre memoire, vnun plus admirable effect de resolution, que de
ces deux qui conspirerent la mort du prince d’Orenge. C’est
merueillemerveille comment on peut eschauffer le second, qui l’execu-
ta, à vneune entreprise, en laquelle, il estoit si mal aduenuadvenu à son
compaignon, y ayant apporté tout ce qu’il pouuoitpouvoit. Et sur
cette trace, & de mesmes armes, aller entreprendre, vnun sei-
gneur, armé d’vneune si fresche instruction de deffiance, puissant
de suitte d’amis, & de force corporelle, en sa sale, parmy
ses gardes, en vneune ville toute à sa deuotiōdevotion. Certes il y employa
vneune main bien certainedeterminee, & vnun courage esmeu d’vneune vigoreu-
se passion. VnUn poignard est plus seur, pour assener, mais d’au
tant qu’il à besoing de plus de mouuementmouvement, & de vigueur de
bras, que n’a vnun pistolet, son coup est plus subiectsubject à estre gau-
chy, ou troublé. Que celuy là, ne courut à vneune mort certaine,
IIIi ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ieje ny fay pas grand doubte: car les esperances, de quoy on
le pouuoitpouvoit amuser, ne pouuoientpouvoient loger en entendemētentendement rassis:
& la conduite de son exploit, montre, qu’il n’en auoitavoit pas
faute, non plus que de courage. Les motifs d’vneune si puissante
persuasion, peuuētpeuvent estre diuersdivers, car nostre fantasie faict de soy
& de nous, ce qu’il luy plaict. L’execution qui fut faicte pres
d’Orleans, n’eust rien de pareil, il y eust plus de hazard que de
vigueur: le coup n’estoit pas mortel, si la fortune ne l’enen
eust rendu ⁁ ⁁ tel : & l’entreprise de tirer à cheualcheval, & de loing, &
à vnun qui se mouuoitmouvoit au branle de son cheualcheval, fut l’entreprise
d’vnun homme, qui aymoit mieux faillir son effect, que faillir à
se sauuersauver. Ce qui suyuitsuyvit apres le montra. Car il s’estonnase transit luy
mesme, & s’enyuraenyvra de la pensée de si haute execution, si qu’il
perdit & troubla entierement son sens, & à conduire sa fuite,
& à conduire sa lāguelangue en ses responces. Que luy falloit il, que
recourir à ses amys au trauerstravers d’vneune riuiereriviere: c’est vnun moyen,
ou ieje me suis iettéjetté à moindres dangers, & que ij’estime de peu
de hazard, quelque largeur qu’ait le passage, pourueupourveu que vo-
stre cheualcheval trouuetrouve l’entree doucefacille, & que vous preuoyezprevoyez au
delà, vnun bord aysé selon le cours de l’eau. L’autre, quādquand on luy
pronōçaprononça son horrible sentence, ij’ij’y estois preparé, dict-il, ieje vous
estonneray nde ma patiance. ⁁
A partir de "Ils tiennent", l’édition de 1595 nous donne une leçon différente : "Ils tiennent, que le plus court chemin à gaigner Paradis, c’est de tuer quelqu’vnun de religion contraire. Parquoy, on l’a veu souuentsouvent entreprendre, à vnun ou deux, en pourpoinct, contre des ennemis puissans, au prix d’vneune mort certaine, & sans aucun soing de leur propre danger. Ainsi fut assassiné (ce mot est emprunté de leur nom) nostre Comte Raimond de Tripoli, au milieu de sa ville: pendant noz entreprinses de la guerre saincte. Et pareillement Conrad Marquis de Mont-ferrat, les meurtriers conduits au supplice, tous enflez & fiers d’vnun si beau chef d’oeuureoeuvre.
⁁ Les Assassins, nation
dependante de la
Phenicie, sont estimes
entre les Mahumetans,
d’une souuereinesouvereine deuotiondevotion
& pureté de meurs. Ils
tienent, que le plus
certein moïen de meri=
tercourt chemin à gaigner Paradis, c’est tuer
quelqūquelq’un de relligion
contrere. Par quoi,
mesprisant tous les
dangiers propres, pour
une si utile execution:
un ou deus, se sont
veus souuantsouvanton l’a veu souuentsouvent entreprendre, à vnun ou deux,
en pourpoinct, contre des ennemis puissans, au pris
d’une certeine mortmort certaine
se presanter a assassiner
(nous auonsavons emprunte
ce mot de leur nom) unleur enemi au milieu de ses forces.
Ainsi fut tue nostre conte Raymond de Tripoli, au millieu deen sa uilleville., &
sans aucun soing de leur propre danger. Ainsi fut assassiné (ce mot est emprun-
té de leur nom) nostre Comte Raimond de Tripoli, au milieu de sa ville: pen-
dant noz entreprinses de la guerre saincte. Et pareillement Conrad Marquis
de Mont-ferrat, les meurtriers conduits au supplice, tous enflez & fiers d’vnun si
beau chef d’oeuure.
D’vnun enfant monstrueux. CHAP. XXX.
CE cōteconte s’en ira tout simple: car ieje laisse aux medecins
d’en discourir. IeJe vis auantavant hier vnun enfant que deux
hommes & vneune nourrisse, qui se disoient estre le pe-
re, l’oncle, & la tante, conduisoyent, pour tirer quelque sou
de le montrer, à cause de son estrangeté. Il estoit en tout le
reste d’vneune forme commune, & se soustenoit sur ses pieds,
marchoit & gasouilloit, à pluspeu pres comme les autres de
mesme aage: il n’auoitavoit encore voulu prendre autre nourritu-
re, que du tetin de sa nourrisse: & ce qu’on essaya en ma
LIVRE SECOND. 303311
presence de luy mettre en la bouche, il le maschoit vnun peu, &
le rendoit sans aualleravaller: ses cris sembloient bien auoiravoir quelque
chose de particulier: il estoit aagé de quatorze mois iustemētjustement.
Au dessoubs de ses tetins, il estoit pris & collé à vnun autre en-
fant, sans teste, & qui auoitavoit le conduict du dos estoupé, le reste
entier: car il auoitavoit bien l’vnun bras plus court, mais il luy auoitavoit e-
sté rompu par accident, à leur naissance: ils estoient iointsjoints
face à face, & comme si vnun plus petit enfant en vouloit
accoler vnun plus grandelet. La iointurejointure & l’espace par où ils
se tenoient n’estoit que de quatre doigts, ou enuironenviron, en
maniere que si vous retroussiez cet enfant imparfait, vous
voyez au dessoubs le nombril de l’autre: ainsi la cousture se
faisoit entre les tetins & son nombril. Le nombril de l’impar-
faict ne se pouuoitpouvoit voir, mais ouy bien tout le reste de son vē-
treven-
tre. Voyla comme ce qui n’estoit pas attaché, cōmecomme bras, fes-
sier, cuisses & iambesjambes, de cet imparfaict, demouroiētdemouroient pendants
& branlans sur l’autre, & luy pouuoitpouvoit aller sa lōgueurlongueur iusquesjusques
à my iābejambe. La nourrice nous adioustoitadjoustoit qu’il vrinoit par tous
les deux endroicts: aussi estoient les membres de cet autre,
nourris, & viuansvivans, & en mesme point que les siens, sauf qu’ils
estoient plus petits & menus. Ce double corps, & ces mem-
bres diuersdivers se rapportāsrapportans à vneune seule teste, pourroient biēbien four-
nir de fauorablefavorable prognostique au Roy, de maintenir sous l’v-
nionu-
nion de ses loix, ces pars & pieces diuersesdiverses de nostre estat: mMais
de peur que l’euenementevenement ne le démente, il vaut mieux le lais-
ser passer deuantdevant: car il n’est que de deuinerdeviner en choses faictes.: ⁁
⁁ Ut quum facta sunt,
tum ad coniecturam
aliqua interpretatione
reuocantur.
Ccomme on dict d’Epimenides qu’il deuinoitdevinoit à reculons:. iIejJe
vien de voir vnun pastre en Medoc, de trente ans ou enuirōenviron, qui
n’a aucune montre des parties genitales, il a trois trous par
où il rend son eau incessammētincessamment, il est barbu, a desir, & recher-
che l’attouchement des femmes. Ce que nous apelons monstres
ne le sont pas a dieu qui uoitvoit en l’immansité de son ouurageouvrage
l’infinite des formes qu’il y a comprinses et est a croire que
cette figure ⁁ ⁁ qui nous estone se raporte et tient a quelqu’autre figure de mesme
genre inconu a l’home De sa toute bontèsagesse il ne part rien que
bon et utillebon et commun & reglè mais nous n’en uoïonsvoïons pas l’assortimant et la relation.
Quod crebro uidet non miratur etiam si cur fiat nescit quod ante non
uidit id si euenerit ostentum esse censet. Nous apelons contre nature ce qui auientavient
contre la costume. Rien n’est que selon elle quel qu’il soit. Que cette raison uniuerselleuniverselle et naturelle
chasse de nous lerrurl’errur et lestonementl’estonement que la nouuelletenouvellete nous apporte
IIIi iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
De la colere. CHAP. XXXI.
PLVTARQVEPLUTARQUE est admirable par tout: mais principa-
lement, où il iugejuge des actions humaines. On peut voir
les belles choses, qu’il dit en la comparaison de Lycur-
gus, & de Numa, sur le propos de la grande simplesse que ce
nous est, d’abandonner les enfans au gouuernementgouvernement & à la
charge de leurs peres. ⁁
⁁ La plus part de nos
polices come dict Aris=
tote laissent a chacun
en maniere des Cyclopes
la co conduite de leurs
femmes & de leurs enfans
selon leur fole & indiscrete
fantasie Et quasi les sules
Lacedemoniene & Cretense
ont commis aus loix la
charge de leducationl’education et
discipline de l’enfance
Qui ne voit qu’en vnun estat tout dépend de son
de l’leur education & nourriture: des enfans? & cependant sans au-
cune discretiōdiscretion, on lesla laisse à la mercy des leurs parens, tant fols
& meschans qu’ils soient. Entre autres choses, cōbiencombien de fois
m’a-il prins enuieenvie, passant par nos ruës, de dresser vneune farce,Quelques exemplaires de l’édition de 1580 portent la variante "force" et non "farce".
pour venger des enfansgarçonetz, que ieje voyoy escorcher, assommer, &
meurtrir à quelque pere ou mere furieux, & forcenez de co-
lere. Vous leur voyez sortir le feu & la rage des yeux,
rabie iecur incendente feruntur
Praecipites, vt saxa iugis abrupta, quibus mons,
Subtrahitur, cliuóque latus pendente recedit.:,
(& selon Hippocrates les plus dangereuses maladies sont cel-
les qui desfigurent le visage) à tout vneune voix tranchante & es-
clatante, souuentsouvent contre des garsonets,tels qui ne fontfaict que sortir
de nourrisse. Et puis les voyla stropiaets, esborgnez, & eslourdis
de coups: & nostre iusticejustice qui n’en fait compte, comme si ces
esboitemens & eslochements n’estoient pas des membres de
nostre chose publique.:
Gratum est quod patriae ciuem populóque dedisti,
Si facis vt patriae sit idoneus, vtilis agris,
Vtilis & bellorum & pacis rebus agendis.
Il n’est passion qui esbranle tant la sincerité des iugemensjugemens, que
la colere. Aucun ne feroit doubte de punir de mort, le iugejuge,
qui par colere auroit condamné son criminel: pourquoy est-
il non plus permis aux peres, & aux pedantes, de fouetter les
LIVRE SECOND. 304312
enfans, & les chastier estans en colere. Ce n’est plus iusticejusticecorrection, c’est
vengeance: lLe chatiement tient lieu de medecine aux enfans,:
& souffririons nous vnun medecin, qui fut animé & courroucé
contre son patient? Nous mesmes, pour bien faire, ne deuriōsdevrions
iamaisjamais mettre la main sur nos seruiteursserviteurs, tandis que la colere
nous dure: pPendant que le pouls nous bat, & que nous sentōssentons
de l’émotion, remettons la partie: les choses nous semblerōtsembleront
à la verité autres, quand nous serons r’acoisez & refroidis,: cC’est
la colerepassion qui commande lors, c’est la colerepassion qui parle, ce n’est
pas nous. Au trauerstravers d’elle, les fautes nous apparoissent plus
grandes, comme les corps au trauerstravers d’vnun brouillarts:. cCeluy
qui a faim vseuse de viande, mais celuy qui veut vseruser de chastie-
mētchastie-
ment, n’en doibt auoiravoir faim ny soif. Et puis, les chastiemēschastiemens, qui
se font auecavec poix & discretiōdiscretion, se reçoiuētreçoivent bien mieux, & auecavec
plus de fruit, de celuy qui les souffre. AutremētAutrement, il ne pense pas
auoiravoir esté iustementjustement condamné, par vnun homme agité de pas-
sion’ire & de furie: & allegue pour sa iustificationjustification, les mouuementsmouvements
extraordinaires de son maistre, l’inflammation de son visage,
les seremens inusitez, & cette sienne inquietude, & precipita-
tion temeraire.,
Ora tument ira, nigrescunt sanguine venae,
Lumina Gorgoneo saeuius igne micant.
Suetone recite, que Lucius Saturninus, ayant esté condamné
par Caesar: ce qui luy seruitservit le plus enuersenvers le peuple (auquel il
appella) pour luy faire gaigner sa cause, ce fut l’animosité &
l’aspreté que Caesar auoitavoit apporté en ce iugementjugement. Le dire est
autre chose que le faire,: il faut considerer le presche à part, &
le prescheur à part:. cCeux là se sont donnez beau ieujeu en nostre
temps, qui ont essayé de choquer la verité de nostre creanceesglise,
par les vices des nos gens d’Eglise:ministres d’icelle: elle tire ses tesmoignages
d’ailleurs. C’est vneune sotte façon d’argumenter, & qui reiette-
roitrejette-
roit toutes choses en confusion. VnUn homme de bōnesbonnes meurs,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
peut auoiravoir des opinions fauces, & vnun meschant peut prescher
verité, voire celuy mesme qui ne la croit pas. C’est sans dou-
te vneune belle harmonie, quand le faire, & le dire vont ensem-
ble: & ieje ne veux pas nier, que le dire, lors que les actions suy-
uentsuy-
vent, ne soit de plus d’authorité & efficace:. cComme disoit Eu-
damidas, oyant vnun philosophe discourir de la guerre,: cCes pro-
pos sont beaux, mais celuy qui les dict, n’en est pas croyable,
car il n’a pas les oreilles accoustumées au son de la trompette.
Et Cleomenes oyant vnun Rhetoricien harenguer de la vaillan-
ce, s’en print fort à rire: & l’autre s’en scandalizant, il luy dict,
ij’en ferois de mesmes, si c’estoit vneune arondelle qui en parlast:
mais si c’estoit vnun aigle, ieje l’orrois volontiers. IJ’apperçois ce
me semble és escrits des anciens, que celuy qui dit ce qu’il pē-
sepen-
se, l’assene bien plus viuementvivement, & presse bien autrement, que
celuy qui se contrefait. Oyez Cicero parler de l’amour de la li-
berté: oyez en parler Brutus, les escrits mesmes vous sonnent
que cettuy-cy estoit homme pour l’acheter au pris de la vie.
Que Cicero pere d’eloquēceeloquence, traite du mespris de la mort, que
Seneque en traite aussi, celuy la traine languissant, & vous sen-
tez qu’il vous veut resoudre de chose, dequoy il n’est pas reso-
lu: luy mesmes,. iIl ne vous donne point de coeur, car luy-mes-
mes n’en a point: l’autre vous anime & enflamme. IeJe ne voy
iamaisjamais autheur, mesme⁁⁁ments de ceux qui traictent de la vertu &
des actionsoffices, que ieje ne recherche curieusement de sçauoirsçavoir quel
il à esté. Car les Ephores à Sparte voyant vnun homme dissolu
proposer au peuple vnun aduisadvis vtileutile, luy commanderent de se
taire, & prierent vnun homme d’honneurde bien, de s’en attribuer l’in-
uentionin-
vention & le proposer. Les escrits de Plutarque, à les bien sa-
uourersa-
vourer, nous le descouurentdescouvrent assez, & ieje pense le cōnoistreconnoistre ius-
quesjus-
ques dans l’ame: si voudrois-ieje que nous eussions quelques
memoires de sa vie: &Et me suis iettéjetté en ce discours à quartier, à
propos du bon gré que ieje sens à Aul. Gellius de nous auoiravoir
laissé
LIVRE SECOND. 305313
laissé par escrit ce cōteconte de ses meurs, qui reuiētrevient à mōmon subietsubjet de
la cholere. VnUn sien esclaueesclave mauuaismauvais hōmehomme & vicieux, mais qui
auoitavoit les oreilles aucunement abreuuéesabreuvées des liureslivres & disputesleçons
de philosophie, ayant esté pour quelque siēnesienne faute dépouil-
lé par le cōmandementcommandement de Plutarque,: pendant qu’ont le fouet-
toit, grondoit au commencement, que c’estoit sans raison, &
qu’il n’auoitavoit rien fait: mais en fin se mettant à crier & a iniurierinjurier
bien à bon escient son maistre, luy reprochoit qu’il n’estoit
pas philosophe, comme il s’en vantoit: qu’il luy auoitavoit sou-
uentsou-
vent ouy dire, qu’il estoit laid de se courroucer, voire qu’il en
auoitavoit fait vnun liurelivre: & ce que lors tout plongé en la colere, il le
faisoit si cruellement battre, démentoit entieremētentierement ses escris.
A cela Plutarque, tout froidement & tout rassis,. cComment,
dit-il, rustre, à quoy iugesjuges tu que ieje sois à cette heure courrou-
cé? mōmon visage, ma voix, ma couleur, ma parole, te dōnedonne elle q̄l-
q̄quel-
que tesmoignage q̄que ieje sois en colereesmeu? IeJe ne pēsepense auoiravoir ny les yeux
effarouchez, ny le visage troublé, ny vnun cry effroyable: rou-
gis-ieje? Escume-ieje? m’eschappe-il de dire chose, dequoy ij’aye à
me repentir? tressaux-ieje? fremis-ieje de courroux? car pour te di-
re, ce sont la les vrais signes de la colere. Et puis se destournātdestournant à
celuy qui fouettoit: cContinuez, luy dit-il, tousiourstousjours vostre be-
soigne, cependant que cettuy-cy & moy disputons: vVoyla son
conte. Architas Tarentinus reuenantrevenant d’vneune guerre, où il auoitavoit
esté capitaine general, trouuatrouva tout plein de mauuaismauvais mesnage
en sa maison, & ses terres en frische, par le mauuaismauvais gouuerne-
mētgouverne-
ment de son receueurreceveur: & l’ayātayant fait appeler: va luy, dict-il que si
ieje n’estois en cholere, ieje t’estrillerois comme tu meritesbien. PlatōPlaton
de mesme, s’estant eschauffé contre l’vnun de ses esclauesesclaves, dōnadonna à
Speusippus charge de le chastier, s’excusant d’y mettre la main
luy-mesme, sur ce qu’il estoit courroucé. Charillus Lacede-
monien, à vnun Elote qui se portoit trop insolemment & auda-
cieusement enuersenvers luy: par les Dieux, dit il, si ieje n’estois cour-
KKKk
ESSAIS DE M. DE MONTA.
roucé, ieje te ferois tout à cet heure mourir. C’est vneune passion
qui se plaist en soy & qui se flatte. Combien de fois nous e-
stans esbranlez soubs vneune fauce cause, si on vient à nous pre-
senter quelque bonne defence ou excuse, nous despitōsdespitons nous
contre la verité mesme & l’innocence? IJ’ay retenu à ce propos
vnun merueilleuxmerveilleux exemple de l’antiquité:. Piso personnage par
tout ailleurs de notable vertu, s’estant esmeu contre vnun sien
soldat, dequoy reuenantrevenant seul du fourrage, il ne luy sçauoitsçavoit
rendre compte où il auoitavoit laissé vnun sien compaignon, tint
pour aueréaveré qu’il l’auoitavoit tué, & le cōdamnacondamna soudain à la mort.
Ainsi qu’il estoit au gibet, voicy arriuerarriver ce compaignon esga-
ré: toute l’armée en fit grand feste, & apres force caresses & ac-
colades des deux cōpaignōscompaignons, le bourreau meine l’vnun & l’autre,
en la presence de Piso, s’attendant bien toute l’assistance que
celuy seroit à luy mesmes vnun grand plaisir: mais ce fut au re-
bours, car par honte & despit, son ardeur qui estoit encore en
son effort, se redoubla: & par d’vneune subtilité que sa passion luy
fournit soudain, il en fit trois coulpables, par ce qu’il en auoitavoit
trouuétrouvé vnun innocent: & les fist depescher tous trois: lLe premier
soldat, par ce qu’il y auoitavoit arrest contre luy: le secōdsecond qui auoitavoit
esté esgarés’estoit escarté, par ce qu’il estoit cause de la mort de son compai-
gnon,: & le bourreau pour n’auoiravoir obey au commandement
qu’ōon luy auoitavoit fait. Ceux qui ont à faire ànegotier aueqaveq des femmes testuéses,
peuuentpeuvent auoiravoir essaié à quelle rage on les iettejette, quand on oppo-
se à leur agitation, le silence & la froideur, & qu’on desdaigne
de nourrir leur courroux. L’orateur Celius estoit merueilleuse-
mentmerveilleuse-
ment cholere de sa nature: àA vnun qui souppoit en sa compai-
gnie, homme de molle & douce conuersationconversation, & qui pour ne
l’esmouuoiresmouvoir, prenoit party d’approuuerapprouver tout ce qu’il disoit, &
d’y consentir: luy ne pouuantpouvant souffrir son chagrin, se passer
ainsi sans aliment: nie moy quelque chose, de par les Dieux,
fit-il, affin que nous soyons deux. Elles de mesmes, ne se cour-
LIVRE SECOND. 306314
roucent, qu’affin qu’ōon se contre-courrouce, à l’imitation des
loix de l’amour. Phocion cōtrecontrea vnun homme qui luy troubloit
son propos, en l’iniuriantinjuriant asprement, n’y fit autre chose, que se
taire, & luy donner tout loisir d’espuiser sa cholere: cela faict,
sans aucune mention de ce trouble, il recommença son pro-
pos, en l’endroict où il l’auoitavoit laissé. Il n’est replique si piquā-
tepiquan-
te comme est vnun tel mespris. Du plus cholere homme de Frā-
ceFran-
ce (& c’est tousiourstousjours imperfection, mais plus excusable à vnun
homme militaire: car en cet artexercice il y a certes des parties, qui ne
s’en peuuentpeuvent passer) ieje dy souuentsouvent, que c’est le plus patient hō-
mehom-
me que ieje cognoisse à brider sa cholere: elle l’agite de telle vio-
lence & fureur,
magno veluti cum flamma sonore
Virgea suggeritur costis vndantis aheni,
Exultántque aestu latices, furit intus aquaï
Fumidus atque alte spumis exuberat amnis,
Nec iam se capit vnda, volat vapor ater ad auras,
qu’il faut qu’il se contraingne cruellement, pour la moderer:
&Et pour moy, ieje ne sçaiche passion, pour laquelle couurircouvrir &
soustenir, ieje scpeusse faire vnun tel effort. IeJe ne voudrois mettre
la sagesse à si haut pris:. iIejJe ne regarde pas tant ce qu’il faict, que
combien il luy couste à ne faire pis. VnUn autre, se vātoitvantoit à moy,
du reiglemētreiglement & douceur de ses meurs, qui est, a la verité singu-
liere: ieje luy disois, que c’estoit bien quelque chose, notāmentnotamment
à ceux, comme luy, d’eminente qualité, sur lesquels chacun à
les yeux, de se presenter au monde tousiourstousjours bien temperez:
mais que le principal estoit, de prouuoirprouvoir au dedans, & à soy-
mesme: & que ce n’estoit pas à mon gré, bien mesnager ses af-
faires, que de se ronger interneieurement: ce que ieje craingnois qu’il
fit, pour maintenir ce masque, & cette reiglée apparence par
le dehors. On incorpore la cholere en la cachātcachant: comme Dio-
genes dict à Demosthenes, lequel de peur d’estre apperceu en
KKKk ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
vneune tauernetaverne, se reculoit au dedans: tant plus tu te recules arrie-
re, tant plus tu y entres. IeJe cōseilleconseille qu’on dōnedonne plustost vneune na-
zarde àbuffe a la
iouejoue de son valet, àun peu hors de saison, que de geiner sa fātasiefantasie,
pour representer cette sage contenance: &Et aymerois mieux
produire mes passions, que de les couuercouver à mes despens: eElles
s’alanguissent en s’esuantantesvantant, & en s’exprimant: iIl vaut mieux
que leur poincte agisse au dehors, q̄que de la tournerploier plier cōtrecontre nous. ⁁
⁁ Omnia uitia in aperto
leuiora sunt: et tunc
perniciosissima cum
simulata sanitate subsidunt.
IJ’aduertisadvertis ceux, qui ont loy de se pouuoirpouvoir courroucer en ma
famille: premierement qu’ils mesnagent leur cholere, & ne
l’espandent pas à tout pris: car cela en empesche l’effect & le
poidsx. La criaillerie temeraire & ordinaire, passe en vsageusage, &
faict que chacun la mesprise: celle que vous employez con-
tre vnun seruiteurserviteur pour son larcin, ne se sent point, d’autant que
c’est celle mesme qu’il vous à veu employer cent fois contre
luy, pour auoiravoir mal rinsé vnun verre, ou mal assis vneune escabelle.
Secondement, qu’ils ne se courroussent point en l’air, & regar-
dent que leur reprehensiōreprehension arriuearrive a celuy de qui ils se plaignētplaignent:
car ordinairement ils crient, auantavant qu’il soit en leur presence,
& durent à crier vnun siecle apres qu’il est party,
& secum petulans amentia certat:.
Ils s’en prennent à leur ombre, & poussent cette tempeste, en
lieu, où personne n’en est ny chastié ny interessé,: que du tinta-
marre de leur voix, tel qui n’en peut mezais. IJ’accuse pareillemētpareillement
aux querelles, ceux qui brauentbravent & se mutinent sans partie: il
faut garder ces Rodomontades, où elles portent,
Mugitus veluti cum prima in proelia taurus
Terrificos ciet, atque irasci in cornua tentat,
Arboris obnixus trunco, ventósque lacessit
Ictibus, & sparsa ad pugnam proludit arena.
Quand ieje me courrouce, c’est le plus vifuementvifvement, mais aussi
le plus briefuementbriefvement, & secretemētsecretement que ieje puis: ieje me pers biēbien
en vistesse, & en violēceviolence, mais non pas en trouble: si que ij’aille
LIVRE SECOND. 307315
iettantjettant à l’abandon, & sans chois, toute sorte de parolles iniu-
rieusesinju-
rieuses, & que ieje ne regarde d’asseneroir pertinemmētpertinemment mes poin-
tes, ou ij’estime qu’elles blessent le plus: car ieje n’y employe cō-
munementcom-
munement, que la langue. Mes valets en ont meilleur mar-
ché, aux grandes occasions qu’aux petites: lLes petites me sur-
prennent,: & le mal’heur veut, que dépuis que vous estes dans
le precipice, il n’importe, qui vous ayt donné le branle, vous
allez tousiourstousjours iusquesjusques au fons: la cheute se presse, s’esmeut,
& se haste d’elle mesme. Aux grandes occasiōsoccasions, cela me paye,
qu’elles sont si iustesjustes, que chacun s’attēdattend d’en voir naistre vneune
iustejusteraisonable cholere: ieje me glorifie à tromper leur attente,: ieje me bā-
deban-
de & prepare contre celles cy, elles me mettent en ceruellecervelle,
& menassent de m’emporter bien loing, si ieje les suiuoysuivoy. Bien
ayAiséement ieje me garde d’y entrer, & suis assez fort si ieje l’atēsatens,
pour repousser l’arriuéearrivéeimpulsion de cette passion, quelque violente
cause qu’elle aye: mais si elle me preoccupe, & saisit vneune fois,
elle m’emporte, quelque vaine cause qu’elle ayt. IeJe marchan-
de ainsin auecavec ceux qui peuuentpeuvent contester auecavec moy: qQuand
vous me sentirez esmeu le premier, laissez moy aller, à tort ou
a droict,: ij’en feray de mesme ⁁ ⁁ a mon tour. La tempeste ne s’engendre que
de la concurrence des choleres, qui se produisent volontiers
l’vneune de l’autre, & ne naissent en vnun point. Donnons à chacu-
ne sa course, nous voyla tousiourstousjours en paix. VtileUtile ordonnance,
mais de tres-difficile execution. Par fois m’aduientadvient il aussi, de
representer le courroussé, pour le reiglement de ma maison,
sans aucune vraye emotion. A mesure que l’aage me rend les
humeurs plus aigres, ij’estudie à m’y opposer, & feray si ieje
puis, que ieje seray dores en aduantadvant d’autant moins chagrin &
difficile, q̄que ij’auray plus d’excuse & d’inclination à l’estre: quoy
que parcy deuātdevant, ieje laye esté, entre ceux qui le sont le moins.
Encore vnun mot pour clorre ce pas: Aristote dit, que la colere
sert par fois d’arme à la vertu & à la vaillance. Cela est vray-
KKKk iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
semblable: toutes-fois ceux qui y contredisent, respondent
plaisamment, que c’est vnun’arme de nouuelnouvel vsageusage: car nous re-
muons les autres armes, cette cy nous remue: nostre main ne
la guide pas, c’est elle qui guide nostre main,: elle nous posse-
de, non pas nous elle.tient nous ne la tenons pas.
Defence de Seneque & de Plutarque.
CHAP. XXXII.
LA familiarité que ij’ay auecavec ces personnages icy,⁁ ⁁ suls de toute l’antiquitè conus de moi, a qui ij’aye acointance,: &
l’assistance qu’ils font à ma vieillesse, ⁁
⁁ et a mon liurelivre, qu
qu’ils ont massoné
purement de leurs
despouilles,:
m’oblige à es-
pouser leur honneur. Quant à Seneque, par-my vneune
miliasse de petits liuretslivrets, que ceux de la Religion pretendue
reformée font courir pour la deffence de leur cause, qui par-
tent par fois de bonne main & qu’il est grand dommage n’e-
stre embesoignée à meilleur subiectsubject, ij’en ay veu autres fois
vnun, qui pour alonger & remplir la similitude qu’il veut trou-
uertrou-
ver, du gouuernemētgouvernement de nostre pauurepauvre feu Roy Charles neu-
fiesme, auecavec celuy de Neron, apparie feu Monsieur le Cardi-
nal de Lorraine auecavec Seneque: leurs fortunes, d’auoiravoir esté
tous deux les premiers au gouuernementgouvernement de leurs princes, &
quant & quant leurs meurs, leurs conditions, & leurs depor-
temens. Enquoy à mon opinion il faict bien de l’honneur
audict Seigneur Cardinal: car encore que ieje soys de ceux qui
estiment autant sa viuacitévivacitéson esprit, son eloquence, son zele enuersenvers sa
religion & seruiceservice de son Roy, & sa bōnebonne fortune, d’estre nay
en vnun siecle, où il fut si nouueaunouveau, & si rare, & quant & quant si
necessaire pour le bien public, d’auoiravoir vnun personnage Eccle-
siastique de telle noblesse & dignité, suffisant & capable de sa
charge: si est-ce qu’a confesser la verité, ieje n’estime sa capacité
de beaucoup pres, telle, ny sa vertu si nette & entiere, ny si
ferme, q̄que celle de Seneque. Or ce liurelivre, de quoy ieje parle, pour
venir à son but, faict vneune description de Seneque tres-iniuinju-
LIVRE SECOND. 308316
rieuse, ayant emprunté ces reproches de Dion l’historien, du-
quel ieje ne crois nullementaucunement le tesmoignage. Car outre ce qu’il
est inconstant, qui apres auoiravoir appellé Seneque tres-sage tan-
tost, & tantost ennemy mortel des vices de Neron, le fait ail-
leurs, auaritieuxavaritieux, vsurierusurier, ambitieux, láche, voluptueux, & cō-
trefaisantcon-
trefaisant le philosophe à fauces enseignes: sa vertu paroist si
viuevive & vigoureuse en ses escrits, & la defence y est si claire à
aucunes de ces imputations, comme de sa richesse & despen-
ce excessiueexcessive, que ieje n’en croiroy aucūaucun tesmoignage au cōtrai-
recontrai-
re. Et d’auantageavantage il est bien plus raisonnable, de croire en tel-
les choses les historiens Romains, que les Grecs & estrāgersestrangers.
Or Tacitus & les autres, parlent tres-honorablement, & de sa
vie & de sa mort: & nous le peignent en toutes choses person-
nage tres-excellent & tres-vertueux. Et ieje ne veux alleguer
autre reproche contre le iugementjugement de Dion, que cetuy-cy,
qui est ineuitableinevitable: c’est qu’il à le goustsantiment si malade aux affaires
Romaines, qu’il ose soustenir la cause de IuliusJulius Caesar contre
Pompeius, & d’Antonius contre Cicero. VenōsVenons à Plutarque,
Iean Bodin est vnun bon autheur de nostre temps, & accompa-
gné de beaucoup plus de iugementjugement que la tourbe des escri-
uailleursescri-
vailleurs de son siecle, & merite qu’on le iugejuge & cōsidereconsidere. IeJe le
trouuetrouve vnun peu hardy en ce passage de sa Methode de l’histoi-
re, ou il accuse Plutarque non seulement d’ignorāceignorance (sur quoy
ieje ne me fusse pas mis en peine de le defendreieje l’eusse laissé dire, car cela n’est
pas de mōmon gibier) mais aussi en ce que cest autheur escrit sou-
uentsou-
vent des choses incroyables & entierement fabuleuses (ce
sont ses mots.) S’il eust dit simplement, les choses autrement
qu’elles ne sont, ce n’estoit pas grande reprehensiōreprehension: car ce que
nous n’auonsavons pas veu, nous le prenons des mains d’autruy &
à credit, & ieje voy que à escient il recite par fois diuersementdiversement
mesme histoire: comme le iugementjugement des trois meilleurs ca-
pitaines qui eussent onques esté, faict par Hannibal, il est au-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
trement recité en la vie de Flaminius, autrement en celle de
Pyrrhus. Mais de le charger d’auoiravoir pris pour argent content,
des choses incroyables & impossibles, c’est accuser de faute
de iugementjugement, le plus iudicieuxjudicieux autheur du monde. Et voicy
son exemple: comme, ce dit-il, quand il recite qu’vnun enfant de
Lacedemone se laissa deschirer tout le ventre à vnun renardeau,
qu’il auoitavoit desrobé, & le tenoit caché soubs sa robe, iusquesjusques à
mourir plustost que de descouurirdescouvrir son larecin. IeJe trouuetrouve en
premier lieu cet exemple mal choisi: d’autant qu’il est bien
mal-aisé de borner les efforts des facultez de l’ame, là où des
forces corporelles, nous auonsavons plus de loy de les limiter & co-
gnoistre: &Et à cette cause si c’eust esté à moy à faire, ij’eusse plu-
stost choisi vnun exemple de cette seconde sorte: & il y en à de
moins croyables,. cCōmecComme entre autres, ce qu’il recite de Pyrrhus,
que tout blessé qu’il estoit, il donna si grand coup d’espée à
vnun sien ennemy armé de toutes pieces, qu’il le fendit du haut
de la teste insquesiusquesjusques au bas, si q̄que le corps se partit en deux parts.
En son exemple ieje n’y trouuetrouve pas grand miracle, ny ne reçois
l’excuse de quoy il couurecouvre Plutarque, d’auoiravoir adioustéadjousté ce mot
(comme on dit) pour nous aduertiradvertir, & tenir en bride nostre
creance. Car si ce n’est aux choses reçeuës par authorité & re-
uerencere-
verence d’ancienneté ou de religion, il n’eust voulu ny rece-
uoirrece-
voir luy mesme, ny nous proposer à croire, choses de soy in-
croyables: & que ce mot (comme on dit) il ne l’employe pas
en ce lieu pour cet effect, il est aysé à iugerjugeruoirvoir par ce que luy mes-
me nous raconte ailleurs sur ce subiectsubject de la patience des en-
fans LacedemoniēsLacedemoniens, des exemples aduenuzadvenuz de son temps plus
mal-aisez à persuader: cComme celuy que Cicero à tesmoigné
aussi, auātavant luy, pour auoiravoir, à ce qu’il dict, esté sur les lieux mes-
mes: qQue iusquesjusques à leur temps, il se trouuoittrouvoit des enfans en cet-
te preuuepreuve de patience, à quoy on les essayoit deuantdevant l’autel de
Diane, qui soufroyētsoufroyent d’y estre foytez iusquesjusques à ce que le sang
leur
LIVRE SECOND. 309317
leur couloit par tout,: non seulement sans s’escrier, mais enco-
res sans gemir, & aucuns iusquesjusques a y laisser volontairement la
vie. Et ce que Plutarque aussi recite, auecavec cētcent autres tesmoins,
que au sacrifice vnun charbon ardant s’estant escoulé dans la
manche d’vnun enfant Lacedemonien, ainsi qu’il encensoit, il se
laissa brusler tout le bras, iusquesjusques à ce que la senteur de la chair
cuyte en vint aux assistans. Il n’estoit rien selon leur coustu-
me, ou il leur alast plus de la reputation, ny dequoy ils eus-
sent à souffrir plus de blasme & de honte, que d’estre surpris
en larecin. IeJe suis si imbu de la grandeur de ces hommes la,
que non seulement il ne me semble, comme à Bodin, que son
conte soit incroyable, que ieje ne le trouuetrouve pas seulement rare
& estrange.⁁
⁁ : lL’histoire Spar=
teine est pleine de
mille plus aspres
examples & plus rares:
ell’est a ce pris toute
miracle.
Marcellinus recite àsur ce propos deu larecin, que de
son tēpstemps il ne s’estoit encores peu trouuertrouver aucune sorte de gei-
ne & de tourment, si aspre, qui peut forcer les Egyptiens sur-
pris en larecin, à quoy ils estoyētestoyent fort accoustumez & endur-
cis, àce mesfaict qu’ils qui estoit fort en usage entre
eus de dire seulement leur nōsnoms. VnUn paisan Espagnol estant mis
à la geine sur les complices de l’homicide du praeteur Lutius
Piso, crioit au millieu des tormens, que ses amys ne bougeas-
sent, & l’assistassent en toute seureté, & qu’il n’estoit pas en la
douleur, de luy arracher vnun mot de confession, & n’en eust on
autre chose, pour le premier iourjour: lLe lendemain ainsi qu’on le
ramenoit pour recommencer son tourment, s’esbranlant vi-
goureusement entre les mains de ses gardes, il alla froisser sa
teste contre vnun paroy, & s’y tua. ⁁
⁁ Epicharis aïant
lasse la cruaute
soulè et lasse la
cruaute des satelli=
tes de Neron et leur
soutenu leur fu, leurs
bastures, leurs engins
sans aurcune uoixvoix de
reuelationrevelation de sa
coniurationconjuration tout un
iourjour: raportee a la
geine landemein, les
membres tous brisez
passa un lasset de sa
robe dans l’un bras de sa
chese, a tout un nud courātcourant:
& y aiant fourreātfourreant sa teste,
s’estrangla pressant du pois
de son cors. Aïant le corage
d’einsi mourir et se desrober aus premiers
aus premiers tourmans, samble elle pas a esciātesciant
auoiravoir preste sa uievie a cete espreuueespreuve de sa patiance
pour se moquer de ce tiran, et encorager
d’autres a semblable entreprinse contre luy.
Et qui s’enquerra à nos ar-
golets, des experiences qu’ils ont euës en ces guerres ciuilesciviles, il
se trouueratrouvera des effets de patience, d’obstination & d’opinia-
treté, par my nos miserables siecles, & en cette tourbe molle
& effeminée, encore plus que l’Egyptienne, dignes d’estre cō-
parezcon-
parez à ceux que nous venons de reciter de la vertu Spartai-
ne. IeJe sçay qu’il s’est trouuétrouvé des simples paysans, s’estre laissez
griller la plante des pieds, ecrazer le bout des doits à tout le
LLLl
ESSAIS DE M. DE MONTA.
chien d’vneune pistole, pousser les yeux sanglants hors de la teste,
à force d’auoiravoir le front serré & geiné d’vneune grosse corde, auātavant
que de s’estre seulement voulu mettre à rançon. IJ’en ay veu
vnun, laissé pour mort tout nud dans vnun fossé, ayant le col tout
meurtry & enflé d’vnun licol qui y pendoit encore, auecavec lequel
on l’auoitavoit tirassé toute la nuict, à la queuë d’vnun cheualcheval, le corps
percé en cent lieux, à coups de dague, qu’on luy auoitavoit donné,
non pas pour le tuer, mais pour luy faire de la douleur & de
la crainte: qui auoitavoit souffert tout cela, & iusq̄sjusques a y auoiravoir perdu
parolle & sentiment, resolu à ce qu’il me dict, de mourir plu-
tost de mille morts (comme de vray, quand à sa souffrance, il
en auoitavoit passé vneune toute entiere) auātavant que rien promettre: & si
estoit vnun des plus riches laboureurs de toute la contrée. Cō-
bienCon-
bien en à l’on veu se laisser patiemment brusler & rotir, pour
des opinions empruntées d’autruy, ignorées & inconnues.
IJ’ay cogneu cent & cent femmes, car ils disent que les testes
de GascōgneGascongne ont quelque prerogatiueprerogative en cela, que vous eus-
siez plustost faict mordre dans le fer chaut, que de leur faire
desmordre vneune opinion qu’elles eussent conçeue en cholere.
Elles s’exasperent à l’encontre des coups & de la contrainte.
Et celuy qui forgea le conte, de la femme, qui pour aucune
correctiōcorrection de menaces, & bastonades, ne cessoit d’appeller son
mary pouilleux, & qui precipitee dans l’eau, haussoit encores
en s’estouffant, les mains, & faisoit au dessus de sa teste, signe
de tuer des poux: forgea vnun conte, duquel en verité tous les
ioursjours, on voit l’image expresse en l’opiniastreté des femmes.
Et est l’opiniastreté soeur de la constāceconstance, au moins en vigueur
& fermeté. Il ne faut pas iugerjuger ce qui est possible, & ce qui ne
l’est pas, selon ce qui est croyable & incroyable à nostre por-
téesens, comme ij’ay dit ailleurs. C’: et est aussi vneune grande faute, & en
laquelle toute-fois la plus part des hommes tombēttombent, ⁁ ⁁ ce que ieje ne dis pas pour Bodin, de faire
difficulté de croire d’autruy, ce que nous’eus ne sçaurionsoint faire.
L’édition de 1595 donne une leçon différente de cette addition : "Il semble à chascun que la maistresse forme de l’humaine nature est en luy: selon elle, il faut regler tous les autres. Les allures qui ne se rapportent aux siennes, & fauces. Luy propose lonl’on quelque chose des actions ou facultez d’vnun autre? la premiere chose qu’il appelle à la cōsultationconsultation de son iugementjugement, c’est son exemple: selon qu’il en va chez luy, selon cela va l’ordre du monde. O l’asnerie dāgereusedangereuse & insupportable!
ou ne uoudrointvoudroint. Il semble a chacun que la maistresse
forme de nature est en luy: touteche et raporte a celela
toutes les autres formesselon elle, il faut regler tous les autres. Stupidement, & bestialement Les
allures qui ne se reglentrapportent aus sienes sont feintes & artificiellesfau-
ces. Luy propose lonl’on quelque chose des actions ou facultez d’vnun autre? la pre-
miere chose qu’il appelle à la cōsultationconsultation de son iugementjugement, c’est son exemple:
selon qu’il en va chez luy, selon cela va l’ordre du monde.
Quelle bestiale stupidité.O l’asnerie dāgereusedangereuse & insupportable!
LIVRE SECOND. 310318
Moy ieje considere aucuness de ces ames anciennes, esleuéeseslevées ius-
quesjus-
ques au ciel au pris de la mienne:homes entre les anciens fort
loin au dessus de moy: nomeement entre les antiens: & encores que ieje reconnois-
se clairement mon impuissance à les suyuresuyvre,⁁ ⁁ de mes pas, ieje ne laisse pas de
les suiuresuivre a ueueveue, et
iugerjuger les ressorts qui les haussent ainsin ⁁
⁁ : desquels ieje treuuetreuveaperçoy
aucunemant en moy
les semances: come ieje
fois aussi de l’extreme
bassesse des esprits,
qui ne m’estonent, et
que ieje ne mescrois
non plus. IeJe uoisvois bien
le tour que celles la
se donent pour se
monter, et
& esleuenteslevent. IJ’admire
leur grandeur: & ces eslancemens que ieje trouuetrouve tres-beaux, ieje
les embrasse: & si mes forces n’y vont, au moins mon iugemētjugement
s’y applique tres-volontiers. L’autre exemple qu’il allegue des
choses incroyables, & entierement fabuleuses, dites par Plu-
tarque: c’est qu’Agesilaus, fut mulcté par les Ephores pour a-
uoira-
voir attiré à soy seul, le coeur & volonté de ses citoyens. IeJe ne
sçay quelle marque de fauceté il y treuuetreuve: mais tant y à, que
Plutarque parle là de choses qui luy deuoyētdevoyent estre beaucoup
mieux connues qu’a nous: & n’estoit pas nouueaunouveau en Grece,
de voir les hommes punis & exilez, pour cela seul, d’agreer
trop à leurs citoyens: tesmoin l’Ostracisme & le Petalisme.
Il y a encore en ce mesme lieu, vnun’autre accusation qui me pi-
que pour Plutarque, où il dict qu’il à bien assorty de bonne
foy, les Romains, aux Romains, & les Grecz entre eux, mais
non les Romains aux Grecz, tesmoin, dit-il, Demostenes &
Cicero, Caton & Aristides, Sylla & Lisander, Marcellus &
Pelopidas, Pompeius & Agesilaus, estimant qu’il à fauoriséfavorisé
les Grecz, de leur auoiravoir donné des compaignons si dispareils.
C’est iustementjustement attaquer ce que Plutarque à de plus excel-
lent & louable. Car sen esses comparaisons (qui est la piece plus
admirable de ses oeuuresoeuvres, & en laquelle à mon aduisadvis il s’est au-
tant pleu) la fidelité & syncerité de ses iugemensjugemens, égale leur
profondeur & leur pois. C’est vnun philosophe, qui nous ap-
prend la vertu. Voyons si nous le pourrons garentir de ce re-
proche de malicepreuaricationprevarication & fauceté. Ce que ieje puis panser auoiravoir don-
né occasiōoccasion à ce iugementjugement, c’est ce grand & esclatant lustre des
noms Romains, que nous auonsavons en la teste: il ne nous sem-
ble point, que Demosthenes puisse égaler la gloire d’vnun con-
LLLl ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sul, proconsul, & questeur de cette grande republique. Mais
qui considerera la verité de la chose, & les hommes en eux
mesmes, à quoy Plutarque à plus visé, & à balancer leurs
meurs, leurs naturels, leur suffisance, que leur fortune: ieje pen-
se au rebours de Bodin, que Ciceron & le vieux Caton, en
doiuentdoivent de reste à leurs compaignons. Pour son dessein, ij’eus-
se plustost choisi l’exemple du ieunejeune Caton comparé à Pho-
cion car en ce païrpair, il se trouueroittrouveroit vneune plus vray-semblable
disparité à l’aduantageadvantage du Romain. Quant à Marcellus, Syl-
la, & Pompeius, ieje voy bien que leurs exploits de guerre sont
plus enflez, glorieux, & pompeus, que ceux des Grecs, que
Plutarque leur apparie: mais les actions les plus belles & ver-
tueuses, nōnon plus en la guerre qu’ailleurs, ne sont pas tousiourstousjours
les plus fameuses. IeJe voy souuentsouvent des noms de capitaines, e-
stouffez soubs la splendeur d’autres nōsnons, de moins de merite:
tesmoin Labienus, Ventidius, Telesinus & plusieurs autres.
Et à le prendre par la, si ij’auoisavois à me plaindre pour les Grecs,
pourrois ieje pas dire, que beaucoup moins est Camillus com-
parable à Themistocles, les Gracches à Agis & Cleomenes,
Numa à Licurgus, & Scipion encore à Epaminundas, qui e-
stoyent aussi de son rolle. Mais c’est folie de vouloir iugerjuger
d’vnun traict, les choses à tant de visages. Quand Plutarque les
compare, il ne les égale pas pourtant. Qui plus disertemētdisertement &
conscientieusement, pourroit remarquer leurs disparités &
differences? Vient il à parangonner les victoires, les exploits
d’armes, la puissance des armées conduites par Pompeius, &
ses triumphes, auecavec ceux d’Agesilaus? IeJe ne croy pas, dit-
il, que Xenophon mesme, s’il estoit viuantvivant, encore qu’on
luy ait concedé d’écrire tout ce qu’il à voulu à l’aduanta-
geadvanta-
ge d’Agesilaus, osast le mettre en comparaison. Parle-il de
comparerconferer Lisander à Sylla: il n’y a, dit-il, point de com-
paraison, ny en nombre de victoires, ny en hazard de ba-
LIVRE SECOND. 311319
tailles: car Lisander ne gaigna seulement que deux batailles
naualesnavales, &c. Cela, ce n’est rien desrober aux Romains: pour
les auoiravoir simplemētsimplement presentez aux Grecs, il ne leur peut auoiravoir
fait iniureinjure, quelque disparité qui y puisse estre: & Plutarque
ne les contrepoise pas entiers: il n’y à en gros aucune preferē-
cepreferen-
ce: il apparie les pieces & les circonstances, l’vneune apres l’autre,
& les iugejuge separément. Parquoy, si on le vouloit conuaincreconvaincre
de faueurfaveur, il falloit en esplucher quelque iugementjugement particu-
lier, ou dire en general qu’il auroit failly d’assortir tel Grec à
tel Romain: d’autant qu’il y en auroit d’autres plus correspō-
danscorrespon-
dans pour les apparier, & se rapportans mieux.
L’histoire de Spurina. CHAP. XXXIII.
LA philosophie ne pense pas auoiravoir mal employé ses
moyens, quand elle à rendu à la raison, la souuerainesouveraine
maistrise de nostre ame, & l’authorité de tenir en bri-
de nos appetits. Entre lesquels ceux qui iugentjugent qu’il n’en y à
point de plus violens, que ceux que l’amour engendre, ont
cela pour leur opinion, qu’ils tiennent au corps & à l’ame, &
que tout l’hōmehomme en est possedé: en maniere que la santé mes-
mes en depend, & est la medecine par fois contrainte de leur
seruirservir de maquerellage. Mais au cōtrairecontraire, on pourroit aussi di-
re, que le meslange du corps y apporte du rabais, & de l’affoi-
blissement: car tels desirs sont subiectssubjects à satieté, & capables de
remedes materiels. Plusieurs ayans voulu deliurerdelivrer leurs ames
des alarmes continuelles que leur donnoit cet appetit, se sont
seruisservis d’incision & destranchement des parties esmeuës & al-
terées. D’autres en ont du tout abatu la force, & l’ardeur par
frequente application de choses froides, comme de neige, &
de vinaigre. Les haires de nos aieuls, estoient de cet vsageusage: c’est
vneune matiere tissue de poil de cheualcheval, dequoy les vnsuns d’entr’eux
faisoient des chemises, & d’autres des ceintures à geéner leurs
LLLl iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
reins. VnUn prince me disoit, il n’y à pas long temps, que pen-
dant sa ieunessejeunesse, vnun iourjour de feste solemne, en la court du Roy
François premier, où tout le monde estoit paré, il luy print
enuieenvie de se vestir de la haire, qui est encore chez luy, de mon-
sieur son pere: mais quelque deuotiondevotion qu’il eust, qu’il ne sceut
auoiravoir la patience d’attendre la nuict pour se despouiller, & en
fut long temps malade, adioustantadjoustant qu’il ne pensoit pas qu’il y
eust chaleur de ieunessejeunesse si aspre, que l’vsageusage de cette recepte ne
peut amortir: toutesfois à l’aduantureadvanture ne les a-il pas essayées
les plus cuisantes: car l’experience nous faict voir, qu’vneune telle
esmotion, se maintient bien souuentsouvent soubs des habits rudes &
marmiteux: & que les haires, ne rendent pas tousiourstousjours heres
ceux qui les portent. Xenocrates y proceda plus rigoureuse-
ment: car ses disciples pour essayer sa continence, luy ayant
fourré dāsdans son lict, Laïs, cette belle & fameuse courtisane tou-
te nuë, sauf les armes de sa beauté & de ses mignardisesphiltres, & fo-
lastres apasts, ⁁ ⁁ ses philtres: sentant qu’en despit de ses discours, & de ses re-
gles, le corps revesche & mutin, commençoit à se rendremutiner, il se
fit brusler les membres, qui auoientavoient presté l’oreille à cette re-
bellion. Là où les passions qui sont toutes en l’ame, comme
l’ambition, l’auariceavarice, & autres, donnent bien plus à faire à la
raison: car elle n’y peut estre secourue, que de ses propres
moyēsmoyens, ny ne sont ces appetits-là, capables de satieté: voire ils
s’esguisent & augmentent par la iouyssancejouyssance. Le seul exemple
de IuliusJulius Caesar, peut suffire à nous montrer la disparité de
sesces appetits: car iamaisjamais homme ne fut plus adonné aux plai-
sirs amoureux. Le soin curieux qu’il auoitavoit de sa personne, en
est vnun tesmoignage, iusquesjusques à se seruirservir à cela, des moyens les
plus lascifs qui fussent lors en vsageusage: comme de se faire pince-
ter tout le corps, & farder de parfums d’vneune extreme curiosi-
té: de soy il estoit beau personnage, blanc, de belle & alle-
gre taille, le visage plein, les yeux bruns & vifs, s’il en faut croi-
LIVRE SECOND. 312320
re Suetone, car les statues, qui se voyent de luy à Rome ne ra-
portent pas bien, par tout, à cette peinture. Outre ses femmes,
qu’il changea à quatre fois, sans conter les amours de son en-
fance, auecavec le Roy de Bithynie Nicomedes, il eust le pucelage
de cette tāttant renommée Royne d’AEgipte, Cleopatra: tesmoin
le petit Caesarion, qui en nasquit. Il fit aussi l’amour à Eunoé
Royne de Mauritanie, & à Romme, à Posthumia, femme de
SeruiusServius Sulpitius, à Lollia de Gabinius, à Tertula de Crassus,
& à Mutia, mesme, femme du grādgrand Pompeius., Qqui fut la cau-
se, disent les historiens Romains, pourquoy son mary la repu-
dia, ce que Plutarque confesse auoiravoir ignoré.: Eet les CuriōsCurions pe-
re & fils reprocherent depuis à Pompeius, quand il espousa la
fille de Caesar, qu’il se faisoit gendre d’vnun homme qui l’auoitavoit
fait coqu, & que luy-mesme auoitavoit accoustumé appeller AEgi-
sthus. Il entretint outre tout ce nombre, SeruiliaServilia soeur de Ca-
ton, & mere de Marcus Brutus, dont chacun tient que proce-
da cette grande affection qu’il portoit à Brutus: par ce qu’il e-
stoit nay en temps, auquel il y auoitavoit apparence qu’il fust nay
de luy. Ainsi ij’ay raison ce me semble de le prendre pour hō-
mehom-
me, extremement adonné à cette desbauche, & de complexiōcomplexion
tres-amoureuse. Mais l’autre passion de l’ambition, dequoy il
estoit aussi infiniment blessé, venant à combattre celle là, elle
luy fit incontinent perdre place. ⁁
⁁ Me resouuenantresouvenant sur
ce propos de Mechmet
celuy qui subiugasubjuga
constantinople et aporta
la finale extermination
du nom Grec ieje ne sache
point ou ces deus
passions se treuuenttreuvent plus
esgalemant balancees.
pareillement indefati=
gable ruffien et soldat.
Mais quand en sa uievie
elles se presantent en
concurrance l’une de
lautrel’autre lardurl’ardur quere=
leuse gourmantde tous=
iourstous=
jours l’amoureuse ardur.
Et cetecy encore que ce
fut hors sa naturelle
seson ne regaigne plei=
nemant l’authorite
souuereinesouvereine que quand
il se trouuatrouva en grande
uieillessevieillesse incapable de
plus soustenir le fais
des guerres. Ce qu’on recite pour un example contrere de Ladislaus Roy de Naples est
remercable que bon capitene courageus et ambitieus il se proposoit pour fin principale de son
ambition lexecutionl’execution de sa uoluptevolupte et iouissancejouissance de quelque rare beauté Sa finmort fut de mesmes
Aiant rangè par un siege bien poursuiuipoursuivi la uilleville de Florance si a destroit que les habitans estoiētestoient
apres a composer de sa uictoirevictoire Il la leur quita pour⁁⁁ueuveu qu’ils luy liurassētlivrassent une fille de leur uilleville
de quoi il auoitavoit oui parler de beaute excellante Force fut de la luy accorder et garantir la
publique ruine par une pr iniureinjure priueeprivee Elle estoit fille d’un medecin fameus de son temps le
quel se trouuanttrouvant engage en une si uileinevileine necessite se resolut a une haute entreprinse Come chacun
paroit sa fille et l’atournoit d’ornemants et ioyeausjoyeaus qui la peussent rendre agreable a ce nouuelnouvel
amant luy aussi luy dona un mouchoir exquis en sentur et en ouurageouvrage du quel ell’eut a se
seruirservir en leurs premieres aproches meuble qu’elles n’y oblient guere en ces cartiers la Ce mouchoir
empoisoné selon la capacite de son art uenantvenant a se froter a ces chers esmeues et pores ouuersouvers
inspira son ueninvenin si promptemant qu’aiant soudein changé leur sueur chaude en froide
ils expirerent entre les bras l’un de lautrel’autre. IeJe m’en reuoisrevois a Cesar.
Ses plaisirs ne luy firētfirent iamaisjamais
desrober vneune seule minute d’heure, ny destourner vnun pas des
occasions qui se presentoient pour son agrandissement: cet-
te passion regenta en luy si souuerainementsouverainement toutes les autres,
& posseda son ame d’vneune authorité si pleine, qu’elle l’emporta
où elle voulut. Certes ij’en suis despit, quand ieje considere au
demeurant la grandeur de ce personnage, & les merueilleusesmerveilleuses
parties qui estoient en luy, tant de suffisance en toute sorte de
sçauoirsçavoir, qu’il n’y à quasi science en quoy il n’ait escrit. Il estoit
tel orateur, que plusieurs ont preferé son eloquence à celle de
ESSAIS DE M. DE MONT.
Cicero: & luy-mesmes, à mōmon aduisadvis, n’estimoit luy deuoirdevoir gue-
re en cette partie.: Caret ses deux Anticatons, nous sçauonssçavons que
la principale occasion qu’il eust de lesfurent principalement escrires, ce fut pour con-
tre-balancer l’eloquence & perfection du parler,pour contrebalancer le bien dire que Cicero
auoitavoit employé au liurelivre de la louange deen son Caton. Au demeurātdemeurant
fut-il iamaisjamais ame si vigilante, si actiueactive, & si patiente de labeur
que la sienne? Et sans doubte encore estoit elle embellie de
plusieurs rares semences de vertu, ieje dy viuesvives, naturelles, & nōnon
contrefaictes. Il estoit singulierement sobre, & si peu delicat
en son manger, qu’Oppius recite, qu’vnun iourjour luy ayant esté
presenté à table, en quelque sauce de l’huyle medeciné, au lieu
d’huyle simple, il en mangea largement, pour ne faire honte à
son hoste. VneUne autrefois il fit fouetter son bolenger, pour luy
auoiravoir seruyservy d’autre pain que celuy du commun. Caton mes-
me auoitavoit accoustumé de dire de luy, que c’estoit le premier
homme sobre qui se fut acheminé à la ruyne de son pays. Et
quant à ce que ce mesme Caton l’appella vnun iourjour yurongneyvrongne,
cela aduintadvint en cette façon. Estans tous deux au Senat, ou ils
se parloient du fait de la coniurationconjuration de Catilina, de laquelle
Caesar estoit soupçonné, on luy apporta de dehors, vnun breuetbrevet
à cachetes: Caton estimant que ce fut quelque chose, dequoy
les conspiurez= conjurez l’aduertissentadvertissent, le somma de le luy donner: ce que
Caesar fut contraint de faire, pour euitereviter vnun plus grādgrand soupçōsoupçon.
C’estoit de fortune vneune lettre amoureuse, que SeruiliaServilia soeur
de Caton luy escriuoitescrivoit: Caton l’ayātayant leuë, la luy reiettarejetta, en luy
disant, tien yurongneyvrongne. Cela dis-ieje, fut plustost vnun mot de des-
dain & de colere, qu’vnun expres reproche de ce vice, comme
souuentsouvent nous iniurionsinjurions ceux qui nous faschētfaschent, des premieres
iniuresinjures qui nous viennent à la bouche, quoy qu’elles ne soient
nullement deues à ceux à qui nous les attachons. IoinctJoinct que
ce vice que Caton luy reproche, est merueilleusementmerveilleusement voisin
de celuy, auquel il auoitavoit surpris Caesar: car Venus & Bacchus se
con-
LIVRE SECOND. 313321
conuiennentconviennent volontiers, à ce que dict le prouerbeproverbe: mais chez
moy Venus est bien plus allegre, accompaignée de la sobrie-
té. Les exemples de sa douceur, & de sa clemence, enuersenvers ceux
qui l’auoientavoient offencé sont infinis: ieje dis outre ceux qu’il dōnadonna,
pendātpendant le temps que la guerre ciuilecivile estoit encore en son pro-
grés, desquels il fait luy-mesmes assez sentir par ses escris, qu’il
se seruoitservoit pour amolliramadouer ses ennemis, enuersenvers luy, & leur faire
moins craindre sa future dominatiōdomination & sa victoire. Mais si faut
il dire que ces exemples là, s’ils ne sont suffisans à nous tesmoi-
gner sa naïue douceur, ils nous montrent au moins vneune mer-
ueilleusemer-
veilleuse confiance & grādeurgrandeur de courage, en ce personnage.
Il luy est aduenuadvenu souuentsouvent, de renuoyerrenvoyer des armées toutes en-
tieres à son ennemy, apres les auoiravoir vaincues, sans daigner seu-
lement les obliger par seremētserement, sinon de le fauoriserfavoriser, aumoins
de se contenir sans luy faire guerre: il à prins a trois & à quatre
fois tels capitaines de Pompeius, & autant de fois remis en li-
berté. Pompeius declaroit ses ennemis, tous ceux qui ne l’ac-
compaignoient à la guerre: & luy, fit proclamer qu’il tenoit
pour amis tous ceux qui ne bougeoient, & qui ne s’armoyent
effectuellemēteffectuellement contre luy. A ceux de ses capitaines, qui se des-
roboient de luy pour aller prendre autre condition, il r’en-
uoioitr’en-
voioit encore les armes, cheuauxchevaux, & equipage. Les villes qu’il
auoitavoit prinses par force, il les laissoit en liberté de suyuresuyvre tel
party qu’il leur plairoit, ne leur donnātdonnant autre garnison, que la
memoire de sa douceur & clemence. Il deffendit le iourjour de sa
grande bataille de Pharsale, qu’on ne mit qu à toute extremi-
té, la main sur les citoyēscitoyens Romains. Voyla des traits bien ha-
zardeux selon mon iugementjugement: & n’est pas merueillesmerveilles si aux
guerres ciuilesciviles, que nous sentons, ceux qui combattent, com-
me luy, l’estat ancien de leur pays, n’en imitent l’exemple: ce
sont moyens extraordinaires, & qu’il n’appartient qu’à la for-
tune de Caesar, & à son admirable pouruoyancepourvoyance de heureuse-
MMMm
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ment conduire. Quand ieje considere la grandeur incompara-
ble de cette ame, ij’excuse la victoire, de ne s’estre peu depestrer
de luy, voire en cette tres-iniusteinjuste & tres-inique cause. Pour re-
uenirre-
venir à sa clemence, nous en auōsavons plusieurs naifs exemples, au
temps de sa domination, lors que toutes choses estant redui-
tes en sa main, il n’auoitavoit plus à se feindre. Caius MēmiusMemmius, auoitavoit
escrit contre luy des oraisons tres-poignantes, ausquelles il a-
uoita-
voit bien aigrement respondu: si ne laissa-il bien tost apres de
aider à le faire Consul. Caius CaluusCaluvs qui auoitavoit faict plusieurs
epigrammes iniurieuxinjurieux contre luy, ayant employé de ses amis
pour le reconcilier, Caesar se conuiaconvia luy mesme à luy escrire le
premier. Et nostre bon Catulle, qui l’auoitavoit testonné si rude-
ment sous le nom de Mamurra, s’en estant venu excuser à luy,
il le fit ce iourjour mesme soupper à sa table. Ayant esté aduertyadverty
d’aucuns qui parloient mal de luy, il n’en fit autre chose, que
de declarer en vneune sienne harāgueharangue publique, qu’il en estoit ad-
uertyad-
verty. Il craignoit encore moins ses ennemis, qu’il ne les hais-
soit. Aucunes coniurationsconjurations & assemblées, qu’on faisoit cōtrecontre
luysa uievie, luy ayant esté descouuertesdescouvertes, il se contenta de publier par
edit qu’elles luy estoient cōnuesconnues, sans autremētautrement enpoursuyureenpoursuyvre
les autheurs. QuātQuant au respect qu’il auoitavoit à ses amis,: Caius Op-
pius voyageant auecavec luy, & se trouuanttrouvant mal, il luy quitta vnun
seul logis qu’il y auoitavoit, & coucha toute la nuict sur la dure &
au descouuertdescouvert. Quant à sa iusticejustice, il fit mourir vnun siēsien seruiteurserviteur,
qu’il aimoit singulierement, pour auoiravoir couché auecquesavecques la
femme d’vnun cheualierchevalier Romain, quoy que personne ne s’ēen plai-
gnit. IamaisJamais homme n’apporta, ny plus de moderation en sa
victoire, ny plus de resolution en la fortune contraire. Mais
toutes ces belles inclinations furent alterées & estouffées, par
cette furieuse passion ambitieuse: à laquelle il se laissa si fort
emporter, qu’on peut aisément maintenir, qu’elle tenoit le ti-
mon & le gouuernailgouvernail de toutes ses actiōsactions. D’vnun homme libe-
LIVRE SECOND. 314322
ral, elle en rendit vnun voleur publique, pour fournir à cette
profusion & à sa largesse, & luy fit dire ce vilain & tres-iniu-
steinju-
ste mot, que si les plus meschans & perdus hommes du mon-
de, luy auoientavoient esté fidelles, au seruiceservice de son agrandisse-
ment, qu’il les cheriroit & auanceroitavanceroit de son pouuoirpouvoir, aussi
bien que les plus gens de bien: l’enyuraenyvra d’vneune vanité si extre-
me, qu’il osoit se vanter en presence de ses concitoyens, d’a-
uoira-
voir rendu cette grande Republique Romaine, vnun nom sans
forme & sans corps: & dire, que ses responces deuoientdevoient mes-
huy seruirservir de loix: & receuoirrecevoir assis, le corps du Senat venant
vers luy: & souffrir qu’on l’adorat, & qu’on luy fit en sa presen-
ce des hōneurshonneurs diuinsdivins. SōmeSomme, ce seul vice à mon aduisadvis perdit en
luy le plus beau, & le plus riche naturel qui fut onques: & a rē-
duren-
du sa memoire abominable à tous les gens de biēbien, pour auoiravoir
voulu chercher sa gloire de la ruyne de son pays, & subuersiōsubversion
de la plus puissante, & fleurissante chose publique q̄que le mōdemonde
verra iamaisjamais. Il se pourroit bien au cōtrairecontraire, trouuertrouver plusieurs
exemples, de grands personnages, ausquels la volupté à faict
oublier la conduicte de leurs affaires, comme Marcus Anto-
nius & autres: mais ou l’amour & l’ambition seroient en éga-
le balance, & viendroient à se chocquer de forces pareilles, ieje
ne fay aucun doubte, que cette-cy ne gaignast le pris de la
maistrise. Or pour me remettre sur mes brisées, c’est beau-
coup de pouuoirpouvoir brider nos appetits, par le discours de la
raison, ou de forcer nos membres, par violence, à se tenir en
leur deuoirdevoir: mais de nous foitter pour l’interest de nos voi-
sins, de non seulement nous deffaire de cette douce passion,
qui nous chatouille, du plaisir que nous sentons de nous
voir aggreables à autruy, & aymez & recherchez d’vnun chas-
cun, mais encore de prendre en haine, & à contre-coeur nos
graces, qui en sont cause, & de condamner nostre beauté,
par ce que quelqu’autre s’en eschauffe, ieje n’en ay veu guere
MMMm ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’exemples: cettuy-cy en est. Spurina ieunejeune homme de la
Toscane,
Qualis gemma micat fuluum quae diuidit aurum,
Aut collo decus aut capiti, vel quale per artem
Inclusum buxo aut Oricia teberintho
Lucet ebur,
estant doué d’vneune singuliere beauté, & si excessiueexcessive, que les
yeux plus continents, ne pouuoientpouvoient en souffrir l’esclat sans a-
larmecontinemment,: ne se contentātcontentant point de laisser sans secours tant de fié-
urefié-
vre & de feu, qu’il alloit attisant par tout, entra en furieux des-
pit contre soy-mesmes & contre ces riches presens, que natu-
re luy auoitavoit faits, cōmecomme si on se deuoitdevoit prendre à ceux de la fau-
te d’autruy,: & détailla, & troubla à force de playes, qu’il se fit à
escient, & de cicatrices, la parfaicte proportion & ordonnan-
ce, que nature auoitavoit si curieusement obseruéeobservée en son visage. ⁁
⁁
Pour en dire mon aduisadvis, iadmirej’admire telles actions plus que ieje ne les honore: cCes excez sont enemis de mes regles. Le dessein en fut beau et consciantieus, mais
a mon aduisadvis un peu manque de prudance. Quoi, si sa laideur seruitservit despuis a en ietterjetter d’autres au peché de mespris et de haine: oOu de gloire, d’enuieenvie, pour la gloire
d’une si rare recomandation: oOu de calomnie, interpretant cette humeur a une forcenee desir d’ambition. y a il quelque forme, de la quelle le uicevice ne tire s’il
ueutveut occasion a s’exercer en quelque maniere. Il estoit plus iustejuste, et aussi plus glorieus, qu’il fit de ces dons de dieu un subiectsubject de uertuvertu examplere et de reglemētreglement.
Ceusx qui se desrobent aus offices communs, et a ce nombre infini de regles espineuses, a tant de uisagesvisages, qui lient un home d’exacte preudhomie, en la uievie ciuilecivile
font a mon gré une belle espargne, quelque pouinte d’aspreté peculiere qu’ils s’eniouignentenjouignent. C’est aucunement, mourir, pour fuir la peine de bien uiurevivre. Ils
peuuentpeuvent auoiravoir autre prix, mais le prix de la difficulté il ne m’a iamaisjamais samblé qu’ils l’eussent: nNy qu’en malaisance il y aie rien au dela, de se tenir droit, emmy les flots
de la presse du monde, respondant et satisfaisant loloyallement a tous les membres de sa charge. Il est a l’auantureavanture plus facille, de se passer nettemant de tout
le sexe, que de se meintenir duemant de tout pouint, en la compaignie de sa fame: eEt a lonl’on de quoy couler plus incurieusemant en la pouretépovreté, qu’en l’abondance
iustemantjustemant dispaensee.: lLusage, conduit selon raison, a plus d’aspreté, que n’a l’abstinance: lLa moderation ⁁ ⁁ est uertuvertu bien plus affaireuse que n’est la souffrance: Le
bien uiurevivre du ieunejeune Scipion a mille façons, le bien uiurevivre de Diogenes n’en a quasi qu’une. Cettecy surpasse d’autant en innocence les uiesvies ordineres
come les exquises et acomplies la surpassent en utilite et en force.
ObseruationsObservations sur les moyens de faire la guerre, de IuliusJulius Caesar.
CHAP. XXXIIII.
ON recite de plusieurs chefs de guerre, qu’ils ont eu
certains liureslivres en particuliere recommandation, cō-
mecom-
me le grand Alexandre, Homere: ⁁ ⁁ Scipion l’Aphricain, Xenophon: Marcus Brutus, Po-
lybius: Charles cinquiesme, Philippe de Comines. Et dit-on
de ce temps, que MachiauelMachiavel est encores ailleurs en credit: mais
le feu Mareschal Strossy, qui auoitavoit pris Caesar pour sa part, a-
uoita-
voit sans doubte bien mieux choisi: car à la verité ce deuroitdevroit
estre le breuiairebreviaire de tout homme de guerre, cōmecomme estātestant le vray
& souuerainsouverain patron de l’art militaire. Et Dieu sçait encore
de quelle grace, & de quelle beauté il à fardé cette riche ma-
tiere: d’vneune façon de dire si pure, si delicate, & si parfaicte,
que à mon goust, il n’y à aucuns escrits au monde, qui puis-
sent estre comparables aux siens, en cette partie. IeJe veux icy
enregistrer certains traicts particuliers & rares, sur le faict
LIVRE SECOND. 315323
de ses guerres, qui me sont demeurez en memoire. Son armée
estant en quelque effroy, pour le bruit qui couvoit des gran-
des forces, que menoit contre luy le Roy IubaJuba, au lieu de ra-
battre l’opinion que ses soldats en auoyentavoyent prise, & appetisser
les moyens de son ennemy, les ayant faict assembler pour les
r’asseurer & leur donner courage, il print vneune voye toute cō-
trairecon-
traire à celle que nous auonsavons accoustumé: car il leur dit qu’ils
ne se missent plus en peine de s’enquerir des forces que me-
noit le Roy IubaJubal’enemi, & qu’il en auoitavoit eu, vnun biēbien certain aduertis-
semētadvertis-
sement: & lors il leur en fit le nombre surpassant de beaucoup,
& la verité, & la renommée, qui en couroit en son armée, suy-
uantsuy-
vant ce que conseille Cyrus en Xenophon: dD’autant que la
tromperie n’est pas si grande de trouuertrouver les ennemis par effet
plus foybles, qu’on n’auoitavoit esperé: que les ayant iugezjugez foybles
par reputation, les trouuertrouver apres, à la verité biēbien forts. Il accou-
stumoit sur tout ses soldats à obeyr simplement, sans se me-
sler de cōtrerollercontreroller ou parler des desseins de leur capitaine, les-
quels il ne leur communiquoit que sur le point de l’executiōexecution:
& prenoit plaisir s’ils en auoyentavoyent descouuertdescouvert quelque chose,
de changer sur le champ d’aduisadvis, pour les tromper: & souuētsouvent
pour cest effect, ayant assigné vnun logis en quelque lieu, il pas-
soit outre & alongeoit la iournéejournée, & notamment s’il faisoit
mauuaismauvais temps & pluuieuxpluvieux. Les Souisses, au commencement
de ses guerres de Gaule, ayans enuoyéenvoyé vers luy pour leur don-
ner passage au trauerstravers des terres des Romains, estant deliberé
de les empescher par force, il leur contrefit toutes-fois vnun bōbon
visage, & print quelques ioursjours de delay à leur faire responce,
pour se seruirservir de ce loisir, à assembler son armée. Ces pauurespauvres
gens ne sçauoyentsçavoyent pas combien ce personnageil estoit excel-
lent mesnager du temps: car il redit maintes-fois que c’est la
plus souuerainesouveraine partie d’vnun capitaine, que la science de pren-
dre au point les occasions, & la diligēcediligence, qui est en ses exploits
MMMm iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à la verité inouye & incroyable. S’il n’estoit guiere conscien-
tieux en cela, de prendre aduantageadvantage sur son ennemy, sous cou-
leur d’vnun traité d’accord: il l’estoit aussi peu, en ce qu’il ne re-
queroit en ses soldats autre vertu que la vaillance, ny ne pu-
nissoit guiere autres vices, que la mutination, & la desobeïs-
sance. SouuētSouvent apres ses victoires, il leur láchoit la bride à tou-
te licence, les dispensant pour quelque temps des regles de la
discipline militaire, adioutantadjoutant à cela, qu’il auoitavoit des soldats si
bien creez, que tous perfumez & musquez, ils ne laissoiētlaissoient pas
d’aller furieusement au combat. De vray il aymoit qu’ils fus-
sent richement armez, & leur faisoit porter des harnois
grauezgravez, dorez & argentez: afin que le soing de la conseruatiōconservation
de leurs armes, les rendit plus aspres à se defendre. Parlant à
eux, il les appelloit du nom de compaignons, que nous vsonsusons
encore: ce qu’Auguste son successeur reforma, estimant qu’il
l’auoitavoit fait pour la necessité de ses affaires, & pour flater le
coeur de ceux, qui ne le suyuoyentsuyvoyent que volontairement,
Rheni mihi Caesar in vndis
Dux erat, hic socius, facinus quos inquinat aequat.
mais que cette façōfaçon estoit trop molle, & trop rabaissée, pour
la dignité d’vnun Empereur & general d’armée, & remit en train
de les appeller seulement, soldats. A cette courtoisie, caesar
mesloit toutes-fois vneune grande seueritéseverité, & asseurance à les re-
primer. La neufiesme legion s’estant mutinée au pres de Plai-
sance, il la cassa auecavec ignominie, quoy que Pompeius fut lors
encore en pieds, & ne la reçeut en grace qu’auecavec plusieurs sup-
plicatiōssup-
plications. Il les rapaisoit plus par authorité & par audace, que
par douceur. Là où il parle de sōson passage de la riuiereriviere du Rhin,
vers l’Alemaigne, il dit qu’estimant indigne de l’honneur du
peuple Romain, qu’il passast son armée à nauiresnavires, il fit dresser
vnun pont, afin qu’il passat à pied ferme. Ce fut la qu’il bátist ce
pont admirable, dequoy il dechifre particulieremētparticulierement la fabri-
LIVRE SECOND. 316324
que: car il ne s’arreste si volontiers en nul endroit de ses faits,
qu’a nous representer la subtilité de ses inuentionsinventions, en telle
sorte d’ouuragesouvrages de main. IJ’y ay aussi remarqué cela, qu’il fait
grand cas de ses exhortations aux soldats auantavant le combat:
car où il veut monstrer auoiravoir esté surpris, ou pressé, il alle-
gue tousiourstousjours cela, qu’il n’eust pas seulement loysir de haran-
guer son armée. AuantAvant cette grande bataille contre ceux de
Tournay, Caesar, dict-il, ayātayant ordonné du reste, courut sou-
dainement, où la fortune le porta, pour enhorter ses gens, &
rencontrant la dixiesme legion, il n’eust loisir de leur dire, si-
non, qu’ils eussent souuenancesouvenance de leur vertu accoustumée,
qu’ils ne s’estonnassent point, & soustinsent hardiment l’ef-
fort des aduersairesadversaires: & par ce que l’ennemy estoit des-iaja ap-
proché à vnun iet de trait, il donna le signe de la bataille: & de la
estant passé soudainement ailleurs pour en encourager d’au-
tres, il trouuatrouva qu’ils estoyent des-iaja aux prises: voyla ce qu’il
en dict en ce lieu la. De vray sa langue luy à fait en plusieurs
lieux de bien notables seruicesservices, & estoit de son temps mes-
me, son eloquence militaire en telle recommendation, que
plusieurs en son armée recueilloyent ses harangues: & par ce
moyen, il en fut assemblé des volumes, qui ont duré long
temps apres luy. Son parler auoitavoit des graces particulieres, si
que ses familiers, & entre autres Auguste, oyant reciter ce qui
en auoitavoit esté recueilli, reconnoissoit iusquesjusques aux phrases, &
aux mots ce qui n’estoit pas du sien. C’estoit le plus laborieux
chef de guerre, & le plus diligent qui fut onques. La premiere
fois qu’il sortit de Rome, auecavec charge publiq̄publique, il arriuaarriva en huit
ioursjours à la riuiereriviere du Rhone, ayant dans sa coche deuantdevant luy,
vnun secretaire ou deux qui escriuoyentescrivoyent sans cesse, & derriere
luy, celuy qui portoit son espée. Et certes quand on ne feroit
qu’aler, à peine pourroit on atteindre à cette promptitude,
dequoy tousiourstousjours victorieux ayant laissé la Gaule, & suyuantsuyvant
ESSAIS DE M. DE MONTA.
PōpeiusPompeius à Brindes, il subiugasubjuga l’Italie en dixhuict ioursjours, reuintrevint
de Brindes à Rome, de Rome il s’en alla au fin fōdsfonds de l’Espai-
gne, où il passa des difficultez extremes, en la guerre cōtrecontre Af-
franius & Petreius, & au lōglong siege de Marseille., Dded là il s’en re-
tourna en la Macedoine, battit l’armée Romaine à Pharsale,
passa de la, suyuantsuyvant Pompeius, en AEgypte, laquelle il subiu-
gasubju-
ga, d’AEgypte il vint en Syrie, & au pays du Pont, ou il com-
batit Pharnaces, de la en Afrique, ou il deffit Scipion & IubaJuba,
& rebroussa encore par l’Italie en Espaigne, où il deffit les en-
fans de Pompeius.,
Ocior & caeli flammis & tigride foeta.
Ac veluti montis saxum de vertice praeceps
Cum ruit auulsum vento, seu turbidus imber
Proluit, aut annis soluit sublapsa vetustas,
Fertur in abruptum magno mons improbus actu,
Exultatque solo, siluas, armenta, virósque,
Inuoluens secum.
Parlant du siege d’AuaricumAvaricum, il dit, que c’estoit sa coustume,
de se tenir nuict & iourjour pres des ouuriersouvriers, qu’il auoitavoit en be-
soigne. En toutes entreprises de consequence, il faisoit tous-
iourstous-
jours la descouuertedescouverte luy mesme, & ne passa iamaisjamais son armée
en lieu, qu’il n’eut premierement reconnu. Et si nous croyons
Suetone, quand il fit l’entreprise de traietter en Angleterre, il
fut le premier à sonder le gué. Il auoitavoit accoustumé de dire,
qu’il aimoit mieux la victoire qui se conduisoit par conseil
que par force. Et en la guerre contre Petreius & Afranius, la
fortune luy presentant vneune bien apparante occasion d’aduan-
tageadvan-
tage, il la refusa, dit-il, esperant auecavec vnun peu plus de longueur,
mais moins de hazard, venir à bout de ses ennemis. Il fit aussi
là vnun merueilleuxmerveilleux traict, de commander à tout son ost, de
passer à nage la riuiereriviere sans aucune necessité,
rapuitque ruens in proelia miles,
Quod
LIVRE SECOND. 317325
Quod fugièns timuisset iter, mox vda receptis
Membra fouent armis, gelidósque à gurgite,cursu
Restituunt artus.
IeJe le trouuetrouve vnun peu plus retenu & consideré en ses entreprin-
ses, qu’Alexandre: car cettuy-cy semble rechercher & courir à
force les dangiers, comme vnun impetueux torrent, qui cho-
que & attaque sans discretion & sans chois, tout ce qu’il ren-
contre.,
Sic tauri-formis voluitur Aufidus,
Qui Regna Dauni perfluit Appuli
Dum saeuit, horrendámque cultis
Diluuiam meditatur agris.
Aussi estoit-il embesoigné en la fleur & premiere chaleur de
son aage, là où Caesar, s’y print estant des-iaja meur & bien auā-
céavan-
cé. Outre ce qu’Alexandre estoit d’vneune temperature plus san-
guine, colere, & ardente: & si esmouuoitesmouvoit encore cette humeur
par le vin, duquel Caesar estoit tres-abstinent: mais ou les oc-
casions de la necessité se presentoyent, & ou la chose le reque-
roit, il ne fut iamaisjamais hōmehomme faisant meilleur marché de sa per-
sonne. Quant à moy, il me semble lire en plusieurs de ses ex-
ploits, vneune certaine resolution de se perdre, pour fuyr la hon-
te d’estre vaincu. En cette grande bataille qu’il eut cōtrecontre ceux
de Tournay, il courut se presenter à la teste des ennemis, sans
bouclier, comme il se trouuatrouva, voyant la pointe de son armée
s’esbranler: ce qui luy est aduenuadvenu plusieurs autres-fois. OyātOyant
dire que ses gens estoyent assiegez, il passa desguisé au trauerstravers
l’armée ennemie, pour les aller fortifier de sa presence. Ayant
trauersétraversétraiectètrajectè à Dirrachium, auecavec bien petites forces, & voyant que
le reste de son armée qu’il auoitavoit laissée à cōduireconduire à Antonius,
tardoit à le suiuresuivre, il entreprit luy seul de repasser la mer au
trauerstravers d’parvneune tres-grande tormente: & se desroba pour aller
reprēdrereprendre luy mesme le reste de ses forces,: les ports de dela, &
NNNn
ESSAIS DE M. DE MONTA.
toute la mer estant saisie par Pompeius. Et quant aux entre-
prises, qu’il à faites à main armée, il y en à plusieurs, qui sur-
passent en hazard tout discours de raison militaire: car auecavec
combien foibles moyēsmoyens, entreprint-il de subiugersubjuger le Royau-
me d’AEgypte: depuis, d’aller attaquer les forces de Scipion
& de IubaJuba, de dix parts plus grandes que les siennes? Ces gens
là, ont eu ieje ne sçay qu’elle plus qu’humaine & extraordinai-
re confiance de leur fortune: & disoit il, qu’il failloit execu-
ter non pas consulter les hautes entreprises. Apres la bataille
de Pharsale, ayant enuoyéenvoyé son armée deuātdevant en Asie, & passant
auecavec vnun seul vaisseau, le destroit de l’Helespont, il rencontra
en mer Lucius Cassius, auecavec dix gros nauiresnavires de guerre: il eut
le courage non seulement de l’attendre, mais de tirer droit
vers luy, & le sommer de se rendre: & en vint à bout. Ayant
entrepris ce furieux siege d’Alexia, où il y auoitavoit quatre vints
mille hommes de deffence, toute la Gaule s’estant esleuéeeslevée
pour luy courre sus, & leuerlever le siege, & dressé vnun armée de cētcent
neuf mille cheuauxchevaux, & de deux cens quarante mille hommes
de pied, quelle hardiesse & maniacle confiance fut ce, de n’en
vouloir abandonner son entreprise, & se resoudre à deux si
grādesgrandes difficultez ensemble? Lesquelles toutesfois il soustint:
& apres auoiravoir gaigné cette grande bataille contre ceux de de-
hors, rengea bien tost à sa mercy ceux qu’il tenoit enfermez.
Il en aduintadvint autant à Lucullus, au siege de Tigranocerta cō-
trecon-
tre le Roy Tigranes, mais d’vneune condition dispareille, veu la
mollesse des ennemis, à qui Lucullus auoitavoit affaire. IeJe veux icy
remarquer deux rares euenemensevenemens & extraordinaires, sur le
fait de ce siege d’Alexia, l’vnun, que les Gaulois s’assemblāsassemblans pour
venir trouuertrouver là Caesar, ayans faict denombrement de toutes
leurs forces, resolurent en leur conseil, de retrancher vneune bon-
ne partie de cette grande multitude, de peur qu’ils n’en tom-
LIVRE SECOND. 318326
bassent en confusion. Cet exemple est rare & nouueaunouveau, de
craindre à estre trop: mais à le bien prendre, il est vray-sem-
blable, que le corps d’vneune armée doit auoiravoir vneune grandeur mo-
derée, & reglée à certaines bornes, soit pour la difficulté de la
nourrir, soit pour la difficulté de la cōduireconduire & tenir en ordre.
Aumoins seroit il bien aisé à verifier par exemple, que ces ar-
mées monstrueuses en nombre, n’ont iamaisjamaisguiere rien fait qui
vaille. ⁁
⁁ Et come dictSuiuantSuivant le dire de
Cyrus en Xenophon
que ce n’est pas le
nombre des
homes c’esteins le
nombre des bons
homes qui faict
laduantagel’advantage Le
demurant seruantservant
plus de destourbier
aus bons que de
secours. Et PaiazetPajazet
print le principal fonde=
ment a sa resolution
de liurerlivrer iourneejournee a
Tamburlan contre
l’auisavis de tous ses
capiteines sur ce que
le nombre innombra=
ble des homes de son
armeeenemi luy donoit
certeine esperance
de confusion. Scander=
berc bon iugejuge &
tresexpert, auoitavoit acostu=
mè de dire que dix ou
douse mille combatans
fidelles deuointdevoint baster
suffire a un suffisant
chef de guerre pour
garantir sa reputation
en toute sorte de
besouin. militere.
L’autre point, qui semble estre contraire, & à l’vsageusage, &
à la raison de la guerre, c’est que VercingētorixVercingentorix, qui estoit nō-
ménom-
mé chef & general de toutes les parties des Gaules, reuoltéesrevoltées
cōtrecontre Caesar, print party de s’aller enfermer dans Alexia. Car
celuy qui cōmandecommande à tout vnun pays, ne se doit iamaisjamais engager
qu’au cas de cette extremité, qu’il y alat de sa derniere place, &
qu’il n’y eut riērien plus à esperer qu’en la deffence d’icelle.: Aautre-
mētAautre-
ment il se doit tenir libre, pour auoiravoir moyēmoyen de pouruoirpourvoir en ge-
neral à toutes les parties de son gouuernemētgouvernement. Pour reuenirrevenir à
Caesar, il deuintdevint auecavec le tēpstemps vnun peu plus tardif & plus cōsideréconsideré
comme tesmoigne son familier Oppius: estimant, dict Sue-
tone, qu’il ne deuoitdevoit aysement hazarder l’honneur de tant de
victoires, lequel, vneune seule defortune luy pourroit faire per-
dre. C’est ce que disent les Italiens de ce temps, quand ils veu-
lent reprocher cette hardiesse temeraire, qui se void en laaus
ieunessejeunesse gens, , les nommant necessiteux d’honneur, bisognosi
d’honore: & qu’estant encore en cette grande faim & disete de
reputation, ils ont raison de la chercher à quelque pris que
ce soit: ce que ne doiuentdoivent pas faire ceux qui en ont desiadesja ac-
quis à suffisance: il y peut auoiravoir quelque iustejuste moderation
en ce desir de gloire, & quelque sacieté en cet appetit, com-
me aux autres: assez de gens le practiquent ainsi. Il estoit biēbien
esloigné de cette religion des anciens Romains, qui ne se
vouloyent preualoirprevaloir en leurs guerres, que de la vertu simple
NNNn ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& nayfuenayfve: mais encore y aportoit il plus de conscience que
nous ne ferions à cette heure, & n’approuuoitapprouvoit pas toutes sor-
tes de moyens, pour acquerir la victoire. En la guerre contre
Ariouistus, estant à parlementer auecavec luy, il y suruintsurvint quelque
remuement entre les deux armées, qui commença par la fau-
te des gens de cheualcheval d’Ariouistus: sur ce tumulte, Caesar se
trouuatrouva auoiravoir fort grand aduantageadvantage sur ses ennemis, toutes-
fois il ne s’en voulut point preualoirprevaloir, de peur qu’on luy peut
reprocher d’y auoiravoir procedé de mauuaisemauvaise foy. Il auoitavoit accou-
stumé de porter vnun accoustrement riche au combat, & de
couleur esclatante, pour se faire remarquer. Il tenoit la bride
plus estroite à ses soldats, & les tenoit plus de court estant
pres des ennemis. Quand les anciens Grecs vouloyent accu-
ser quelqu’vnun d’extreme insuffisance, ils disoyent en commūcommun
prouerbeproverbe, qu’il ne sçauoitsçavoit ny lire ny nager: il auoitavoit cette mes-
me opinion, que la science de nager estoit tres-vtileutile à l’v-
sageu-
sage de la guerre, & en tira plusieurs commoditez: s’il a-
uoita-
voit à faire diligence, il franchissoit ordinairement à nage
les riuieresrivieres qu’il rencontroit: car il aymoit à voyager à pied,
comme le grand Alexandre. En AEgypte ayātayant esté forcé pour
se sauuersauver, de se ietterjettermettre dans vnun petit bateau, & tant de gens s’y
estant lancez quant & luy, qu’il estoit en dāgerdanger d’aller à fons,
il ayma mieux se ietterjetter en la mer, & gaigna sa flote à nage,
qui estoit, plus de deux cents pas de la, tenant en sa main
gauche ses tablettes hors de l’eau, & trainant à belles
dents sa cotte d’armes, a fin que l’ennemy n’en iouytjouyt, estant
des-iaja bien auancéavancé sur l’eage. IamaisJamais chef de guerre n’eust
tant de creance sur ses soldats: au commancement de ses
guerres ciuilesciviles, les centeniers luy offrirent de soudoyer
chacun sur sa bourse vnun homme d’armes, & les gens de
pied, de le seruirservir à leurs despens: ceux qui estoyent plus
aysez, entreprenants encore à deffrayer les plus necessiteux.
LIVRE SECOND. 319327
Le feu Feu monsieur l’Admiral de Chatillon, nous fit veoir dernierement
vnun pareil traictcascas en nos guerres ciuilesciviles: car les François de
son armée, fournissoient de leurs bourses au payement des
estrangers, qui l’accompaignoient.: Iil ne se trouueroittrouveroit guiere
d’exemples d’affection, si ardente & si preste, parmy ceux qui
marchent dans le vieux train, soubs l’ancienne police des loix.⁁
⁁ :. lLa passion nous
comande bien plus
uifuementvifvement que la
raison. Il est pourtant
auenuavenu en la guerre contre
Aannibal qu’a l’example
de la liberalité du peuple
Romein en la uilleville, les
gendarmes & capiteines
refusarētrefusarent leur païe et
apelointt on au camp
mercenaires aueqaveq reproche
ceus qui l’auointavoint prinse au
camp de Marcellus merceneres
ceus qui en prenoint.
Ayant eu du pire aupres de Dirrachium, ses soldats se vindrētvindrent
d’eux mesmes offrir à estre chastiez & punis, de façōfaçon qu’il eust
plus à les consoler qu’à les tencer. VneUne sienne seule cohorte, ius-
quesjus-
ques à ce qu’elle fut quasi toute deffaicte à coups de trait, & se
trouuatrouva dans la trenchée, cent trente mille flesches. VnUn soldat
nommé ScaeuaScaeva, qui commandoit à vneune des entrées, s’y main-
tint inuincibleinvincible ayant vnun oeuil creuécrevé, vneune espaule & vneune cuisse
percées, & son escu faucé en deux cens trente lieux. Il est ad-
uenuad-
venu à plusieurs de ses soldats pris prisonniers, d’accepter plu-
stost la mort, que de vouloir promettre de prendre autre par-
ty. Granius Petronius, ayant esté pris par Scipion en Affrique,
Scipion ayant faict mourir ses compaignons, luy manda qu’il
luy donnoit la vie, car il estoit homme de reng & questeur:
Petronius respondit que les soldats de Caesar auoientavoient accou-
stumé de donner la vie à autruyaus autres, non la receuoirrecevoir, & se tua tout
soudain de sa main propre. Il y à infinis exemples de leur fide-
lité: il ne faut pas oublier le traict de ceux qui furent assiegez à
Salone, ville partizane pour Caesar cōtrecontre Pompeius, pour vnun
rare accident qui y aduintadvint, & extraordinaire. Marcus Octa-
uiusOcta-
vius les tenoit assiegez, ceux de dedans estans reduits en extre-
me necessité de toutes choses, en maniere que pour supplier
au deffaut qu’ils auoientavoient d’hommes, la plus part d’entre eux y
estans morts & blessez, ils auoientavoient mis en liberté tous leurs es-
claueses-
claves, & pour le seruiceservice de leurs engins auoiētavoient esté contraints
de coupper les cheueuxcheveux de toutes les femmes, pour en faire
NNNn iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
des cordes, outre vneune merueilleusemerveilleuse disette de viuresvivres, & ce neātneant
moins resolus de iamaisjamais ne se rendre: apres auoiravoir trainé ce sie-
ge en grande longueur, d’où OctauiusOctavius estoit deuenudevenu plus nō-
chalantnon-
chalant, & moins attentif à son entreprinse, ils choisirent vnun
iourjour sur le midy, ayant rangé les femmes & les enfans sur
leurs murailles, pour faire bōnebonne mine, sortirent en telle furie,
sur les assiegeans, qu’ayant enfoncé le premier, le secōdsecond, & tiers
corps de garde, & le quatriesme, & puis le reste, & ayant fait du
tout abandonner les tranchées, les chasserent iusquesjusques dans les
nauiresnavires: & OctauiusOctavius mesmes se sauuasauva à DyrrachiūDyrrachiun, où estoit
PōpeiusPompeius:. iIejJe n’ay point memoire pour cett’heure, d’auoiravoir veu
aucun autre exemple, ou les assiegez battent en gros les assie-
geans, & gaignent la maistrise de la campaigne,: n’y qu’vneune
sortie ait tiré en consequence, vneune pure & entiere victoire de
bataille.
De trois bonnes femmes.
CHAP. XXXV.
IL n’en est pas à douzaines, comme chacun sçait,: & no-
tamment aux deuoirsdevoirs de mariage: cCar c’est vnun marché
plein de tant d’espineuses circonstances, qu’il est mal-
aisé que la volonté d’vneune femme s’y maintienne entiere long
temps. Les hommes quoy qu’ils y soyent auecavec vnun peu meil-
leure condition, y ont prou affaire. La touche d’vnun bon maria-
ge, & sa vraye preuuepreuve, regarde le temps que la societé dure,: si
elle à esté constamment douce, loyalle, & commode. En no-
stre siecle, elles reseruentreservent plus communéement à estaller leurs
bons offices, & la vehemence de leur affection, enuersenvers leurs
maris perdus. ⁁
⁁ CherchētCherchent au moins
lors a doner tesmouig=
nage de leur bone
volonté:. tTardif
tesmouignage et hors
de seson. Elles preuuētpreuvent
plus tost par la qu’elles
ne les eiment que mors.
La vie est plaine de combustion, le trespas d’a-
mour, & de courtoisie. Comme les peres cachent l’affection
enuersenvers leurs enfans, elles volontiers de mesmes, cachētcachent la leur
LIVRE SECOND. 320328
enuersenvers le mary, pour maintenir vnun honneste respect. Ce mi-
stere n’est pas de mon goust: eElles ont beau s’escheuelerescheveler & es-
gratigner,: ieje m’en vois à l’oreille d’vneune femme de chambre, &
d’vnun secretaire: commeant estoient-ils, commeant ont-ils vescu en-
semble,: il me souuientsouvient tousiourstousjours de ce bon mot, iactantius mae-
rent, quae minus dolent. Leur rechigner est odieux aux viuansvivans, &
vain aux morts: nNous dispenserons volontiers qu’on rie apres,
pourueupourveu qu’on nous rie pendant la vie. ⁁
⁁ Est ce pas de quoi resusciter
de despit: elles luy aront crache
au nes durant qu’il le sentoit et
uoioitvoioit et luy grat chatouillent et
ouignent les pieds asture qu’il s’en uava
qui no m’aura crache au nes
pendant que iestoisj’estois me uieneviene
froter les pieds quand ieje comance
a n’estrene suis plus
S’il y à quelque hon-
neur à pleurer les maris, il n’appartient qu’à celles qui leur ont
ry: celles qui ont pleuré en la vie, qu’elles rient en la mort, au
dehors comme au dedans. Aussi ne regardez pas à ces yeux
moites, & à cette piteuse voix: regardez ce port, ce teinct, &
l’embonpoinct de ces iouësjouës, soubs ces grands voiles: c’est par-
là qu’elle parle françois. Il en est peu, de qui la santé n’aille en
amendant, qualité qui ne sçait pas mētirmentir:: cCette ceremonieuse
contenance, ne regarde pas tant derriere soy, que deuantdevant,: c’est
acquest, plus que payement. En mon enfance vneune honneste
& tresbelle dame, qui vit encores, vefuevefve d’vnun prince, auoitavoit ieje
ne sçay quoy plus en sa parure, qu’il n’est permis par les loix
de nostre vefuage: à ceux qui le luy reprochoient: c’est, disoit
elle, que ieje ne practique plus de nouuellesnouvelles amitiez, & suis hors
de volonté de me remarier. Pour ne discōuenirdisconvenir du tout à no-
stre vsageusage, ij’ay icy choisy trois femmes, qui ont aussi employé
l’effort de leur bonté, & affectiōaffection, autour la mort de leurs ma-
ris: cCe sont pourtātpourtant exemples vnun peu autres,: & si pressans, qu’ils
tirent hardiment la vie en consequence. Pline le ieunejeune auoitavoit
pres d’vneune sienne maison en Italie, vnun voisin merueilleusemētmerveilleusement
tourmenté de quelques vlceresulceres, qui luy estoient suruenuësssurvenuëss és
parties honteuses. Sa femme le voyant si longuement languir
le pria de permettre, qu’elle veit à loisir & de pres l’estat de son
mal, & qu’elle luy diroit plus franchement que aucun autre ce
qu’il auoitavoit a en esperer. Apres auoiravoir obtenu cela de luy, & l’a-
ESSAIS DE M. DE MONT.
uoirvoir curieusement consideré, elle trouuatrouva qu’il estoit impossi-
ble, qu’il en peut guerir, & que tout ce qu’il auoitavoit à attandre,
c’estoit de trainer fort long temps vneune vie doloureuse & lan-
guissante: si luy conseilla pour le plus seur & souuerainsouverain reme-
de, de se tuer: & le trouuāttrouvant vnun peu mol, à vneune si rude entrepri-
se: nNe pense point, luy dit-elle, mon amy, que les douleurs que
ieje te voy souffrir, ne me touchent autant qu’a toy, & que pour
m’ēen deliurerdelivrer, ieje ne me vueille seruirservir moy-mesme, de cette me-
decine que ieje t’ordonne. IeJe te veux accompaigner à la gueri-
son, comme ij’ay fait à la maladie: oste cette crainte, & pense
que nous n’aurons que plaisir en ce passage, qui nous doit
deliurerdelivrer de tels tourmens: nous nous en irons heureusement
ensemble. Cela dit, & ayant rechauffé le courage de son mary,
elle resolut qu’ils se precipiteroient en la mer, par vneune fenestre
de leur logis, qui y respondoit. Et pour maintenir iusquesjusques à sa
fin, cette loyale & vehemente affection, dequoy elle l’auoitavoit
embrassé pendant sa vie, elle voulut encore, qu’il mourust en-
tre ses bras,: mais de peur qu’ils ne luy faillissent, & que les e-
straintes de ses enlassemens, ne vinssent à se relascher par la
cheute & la crainte, elle se fit lier & attacher bien estroittemētestroittement
auecavec luy, par le faux du corps, & abandonna ainsi sa vie, pour
le repos de celle de son mary. Celle-là estoit de bas lieu, &
parmy telle condition de gens, il n’est pas si nouueaunouveau d’y voir
quelque traict de rare bonté,
extrema per illos
Iustitia excedens terris vestigia fecit.
Les autres deux sont nobles & de grand lieuriches, ou les exemples
de vertu se logent rarement. Arria femme de Cecinna Paetus,
personnage consulaire, fut mere d’vnun ’autre Arria femme de
Thrasea Paetus, celuy duquel la vertu fut tant renommée du
temps de Neron, & par le moyen de ce gendre mere-grand de
Fannia,: car la ressemblance des noms de ces hommes & fem-
mes,
LIVRE SECOND. 321329
mes & de leurs fortunes, en a fait mesconter plusieurs. Cette
premiere Arria, Cecinna Paetus, son mary, ayant esté prins pri-
sonnier par les gens de l’Empereur Claudius, apres la deffaicte
de Scribonianus, duquel il auoitavoit suiuysuivy le party: supplia ceux
qui l’en amenoient prisonnier à Rome, de la receuoirrecevoir dāsdans leur
nauirenavire, où elle leur seroit de beaucoup moins de despence &
d’incommodité, qu’vnun nombre de personnes, qu’il leur fau-
droit, pour le seruiceservice de son mary: & qu’elle seule fourniroit à
sa chambre, à sa cuisine, & à tous autres offices. Ils l’en refuse-
rent: & elle s’estant iettéejettée dans vnun bateau de pécheur, qu’elle
loua sur le champ, le suyuitsuyvit en cette sorte depuis la SclauonieSclavonie.
Comme ils furētfurent à Rome, vnun iourjour en presence de l’Empereur,
IuniaJunia vefuevefve de Scribonianus, s’estant accostée d’elle familie-
rement, pour la societé de leurs fortunes, elle la repoussa ru-
dement auecavec ces paroles: mMoy, dit-elle, que ieje parle à toy, ny
que ieje t’escoute, à toy, au giron de laquelle Scribonianus fut
tué, & tu vis encores? Ces paroles, auecavec plusieurs autres signes,
firent sentir à ses parents, qu’elle estoit pour se deffaire elle
mesme, impatiente de supporter la fortune de son mary. Et
Thrasea son gendre, la suppliātsuppliant sur ce propos de ne se vouloir
perdre & luy disant ainsi, quoy? si ieje courois pareille fortune à
celle de Caecinna, voudriez vous que ma femme vostre fille
en fit de mesme? Comment donq? si ieje le voudrois, respondit-
elle: ouy ⁁ ⁁ ouy ieje le voudrois, si elle auoitavoit vescu aussi long temps, &
d’aussi bon accord auecqavecq toy, que ij’ay faict auecavec mon mary.
Ces responces augmentoient le soing, qu’on auoitavoit d’elle, &
faisoient qu’on regardoit de plus pres à ses deportemens. VnUn
iourjour apres auoiravoir dict à ceux qui la gardoient, vous auezavez beau
faire, vous me pouuezpouvez bien faire plus mal mourir, mais de me
garder de mourir, vous ne sçauriez: s’eslancant furieusement
d’vneune chaire, où elle estoit assise, s’alla de toute sa force choc-
quer la teste cōtrecontre la paroy voisine: duquel coup, estātestant cheute
OOOo
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de son long esuanouyeesvanouye & fort blessée, apres qu’on l’eut à tou-
te peine faite reuenirrevenir: ieje vous disois bien, dit-elle, que si vous
me refusiez quelque façon aisée de me tuer, ij’en choisirois
quelque autre pour mal-aisée qu’elle fut. La fin d’vneune si admi-
rable vertu fut telle: sSon mary Paetus, n’ayant pas le coeur assez
ferme de soy-mesme pour se donner la mort, à laquelle la
cruauté de l’Empereur le rengeoit, vnun iourjour entre autres, apres
auoitavoit premierement emploié les discours & enhorte-
ments, propres au conseil, qu’elle luy donnoit à ce fai-
re, elle print le poignart, que son mary portoit: & le tenāttenant trait
en sa main, pour la conclusion de son exhortation, fais ainsi
Paetus, luy dit-elle. Cela dit,Et en mesme instant, s’en estant donné vnun coup mortel
dans l’estomach, & puis l’arrachant de sa playe, elle le luy pre-
senta, finissant quant & quātquant sa vie: auecavec cette noble, genereu-
se, & immortelle parole, Paete non dolet. Elle n’eust loisir que de
dire ces trois paroles d’vneune si belle substance,: tien Paetus, il ne
m’a point faict mal.
Casta suo gladium cum traderet Arria Paeto,
Quem de visceribus traxerat ipsa suis:
Si qua fides, vulnus quod feci, non dolet, inquit,
Sed quod tu facies, id mihi Paete dolet.
Il est bien plus vif en son naturel, & d’vnun sens plus riche: car &
la playe, & la mort de son mary, & les siennes, tant s’en faut
qu’elles luy poisassent, qu’elle en auoitavoit esté la cōseillereconseillere & pro-
motrice: mais ayant fait cette haute & courageuse entreprin-
se pour la seule commodité de son mary, elle ⁁ ne regarde encoreque
à luy, ⁁ encores au dernier trait de sa vie, & à luy oster la crainte, en quoy
il estoit de suyuresuyvre son conseil.de la suiuresuivre
en mourant. Paetus se frappa tout soudain, de
ce mesme glaiueglaive,: honteux à mōmon aduisadvis, d’auoiravoir eu besoin d’vnun
si cher & pretieux enseignement. Pompeia Paulina, ieunejeune &
tres-noble Dame Romaine, auoitavoit espousé Seneque en son ex-
treme vieillesse. Neron, son beau disciple, ayant enuoyéenvoyé ses sa-
LIVRE SECOND. 322330
tellites vers luy, pour luy denoncer l’ordonnance de sa mort,
ce qui se faisoit en cette maniere. Quand les Empereurs Ro-
mains de ce temps, auoientavoient condamné quelque homme de
qualité, ils luy mandoient par leurs officiers de choisir quel-
que mort à sa poste, & de la prendre dāsdans tel, ou tel delay, qu’ils
luy faisoient prescrire selon la trempe de leur cholere, tantost
plus pressé, tantost plus long, luy donnant terme pour dispo-
ser pendant ce temps là, de ses affaires, & quelque fois luy o-
stant le moyen de ce faire, par la briefuetébriefveté du temps: & si le
condamné estriuoitestrivoit à leur ordonnance, ils menoient des gens
propres à l’executer, ou luy coupant les veines des bras, & des
iambesjambes, ou luy faisant aualleravaller du poison par force. Mais les
personnes d’honneur n’attendoient pas cette necessité, & se
seruoientservoient de leurs propres medecins & chirurgiens à cet effet.
Seneque ouit leur charge, d’vnun visage paisible & asseuré, & a-
pres, demanda du papier pour faire son testament: ce que luy
ayant esté refusé, par le capitaine, se tournāttournant vers ses amis: puis
que ieje ne puis (leur dit-il) vous laisser autre chose en recōnois-
sancereconnois-
sance de ce que ieje vous doy, ieje vous laisse au moins ce que ij’ay
de plus beau, à sçauoirsçavoir l’image de mes meurs & de ma vie, la-
quelle ieje vous prie conseruerconserver en vostre memoire: affin qu’en
ce faisant, vous acqueriez la gloire, de sinceres & veritables a-
mis: & quant & quant appaisant tantost l’aigreur de la dou-
leur, qu’il leur voyoit souffrir, par douces paroles, tantost roi-
dissant sa voix, pour les en tancer. Ou sont, disoit-il, ces beaux
preceptes de la philosophie? que sont deuenuësdevenuës les prouisiōsprovisions,
que par tant d’années nous auonsavons faictes, contre les accidents
de la fortune? la cruauté de Neron nous estoit elle incon-
nue? que pouuionspouvions nous attendre de celuy, qui auoitavoit tué sa
mere & son frere, sinōsinon qu’il fit encor mourir son gouuerneurgouverneur,
qui l’a nourry & esleuéeslevé? Apres auoiravoir dit ces paroles en com-
mun, il se destourna à sa femme, & l’embrassant estroittemētestroittement,
OOOo ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
comme par la pesanteur de la douleur elle deffailloit de coeur
& de forces, la pria, de porter vnun peu plus patiemment cet
accident pour l’amour de luy, & que l’heure estoit venue,:, où
il auoitavoit à montrer non plus par discours & par disputes,
mais par effect, le fruict qu’il auoitavoit tiré de ses estudes: & que
sans doubte il embrassoit la mort, non seulement sans dou-
leur, mais auecquesavecques allegresse. Parquoy m’amie, disoit-il,
ne la des-honore pas par tes larmes, affin qu’il ne semble
que tu t’aimes plus que ma reputation: appaise ta douleur,
& te console en la connoissance, que tu as eu de moy, &
de mes actions, conduisant le reste de ta vie, par les honnestes
occupations, ausquelles tu es adonnée. A quoy Paulina ayant
vnun peu repris ses esprits, & reschauffé la magnanimité de son
courage, par vneune tres-noble affection: nNon Seneca, respondit-
elle, ieje ne suis pas pour vous laisser sans ma compaignie en tel-
le necessité: ieje ne veux pas que vous pensiez, que les vertueux
exēplesexemples de vostre vie ne m’ayent encore appris à sçauoirsçavoir bien
mourir: & quand le pourroy-ieje ny mieux, ny plus honneste-
ment, ny plus à mon gré qu’auecquesavecques vous? ainsi faictes estat
que ieje m’en vay quant & vous. Lors SenequecaSeneque, prenant en bō-
nebon-
ne part vneune si belle & glorieuse deliberation de sa femme, &
pour se deliurerdelivrer aussi de la crainte de la laisser apres sa mort, à
la mercy & cruauté de ses ennemys,: iIejJe t’auoyavoy, Paulina, dit-il,
conseillé ce qui seruoitservoit à conduire plus heureusement ta vie:
tu aymes donc mieux l’honneur de la mort, vrayement ieje ne
te l’enuierayenvieray poinct: la constance & la resolution, soyent
pareilles à nostre commune fin, mais la noblessebeautebeauté & la gloi-
re soit plus grande de ta part. Cela fait on leur couppa en
mesme temps les veines des bras: mais par ce que celles
de Seneque reserrées tant par la vieillesse, que par son absti-
nence, donnoient au sang le cours trop long & trop láche,
il commanda qu’on luy couppat encore les veines des cuisses:
LIVRE SECOND. 323331
& de peur que le tourment qu’il en souffroit, n’attendrit le
coeur de sa femme, & pour se deliurerdelivrer aussi soy-mesme de
l’affliction, qu’il souffroitportoit de la veoir en si piteux estat: apres
auoiravoir tres-amoureusement pris congé d’elle, il là pria de per-
mettre qu’on l’emportat en la chambre voisine, comme on
feist: mMais toutes ces incisions estātestant encore insuffisantes pour
le faire mourir, il commande à Statius Anneus son medecin,
de luy donner vnun breuuagebreuvage de poison,: qui n’eust guiere non
plus d’effect: car pour la foiblesse & froideur des membres,
elle ne peut arriuerarriver iusquesjusques au coeur. Par ainsin on luy fit ou-
tre-cela aprester vnun baing fort chaud: & lors sentātsentant sa fin pro-
chaine, autant qu’il eust d’haleine, il cōtinuacontinua des discours tres-
excellans sur le suiectsuject de l’estat où il se trouuoittrouvoit, que ses se-
cretaires recueillirent tant qu’ils peurent ouyr sa voix, & de-
meurerent ses parolles dernieres long temps despuis en cre-
dit & honneur, és mains des hommes (ce nous est vneune bien
facheuse perte, qu’elles ne soyent venues iusquesjusques à nous). Cō-
meCom-
me il sentit les derniers traicts de la mort, prenant de l’eau du
being toute sanglante, il en arrousa sa teste, en disant, ieje vouë
cette eau à IuppiterJuppiter le liberateur. Neron aduertyadverty de tout ce-
cy, craignant que la mort de Paulina, qui estoit des mieux
apparentées dames Romaines, & enuersenvers laquelle il n’auoitavoit
nulles particulieres inimitiez, luy vint à reproche, enuoyaenvoya
en toute diligence luy faire r’atacher ses playes: ce que ses gēsgens
d’elle firent sans son sçeu, elle estant des-iaja à demy morte, &
sans aucun sentiment. Et ce que contre son dessein elle ves-
quit dépuis, ce fut tres-honorablement, & comme il appar-
tenoit à sa vertu, montrant par la couleur blesme de son visa-
ge, combien elle auoitavoit escoulé de vie par ses blessures. Voyla
mes trois conte tres-veritables, que ieje trouuetrouve aussi plaisans
& tragiques que ceux que nous forgeons à nostre poste,
pour donner plaisir au commun: & m’estonne que ceux qui
OOOo iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
s’adonnent à cela, ne s’amuuisentamuvisents’auisentavisent de choisir plutost dix mille
tres-belles histoires, qui se rencontrent dans les liureslivres, où ils
auroient moins de peine, & apporteroient plus de plaisir &
profit à autruy. Et qui en voudroit bastir vnun corps entier &
s’entretenātentretenant, il ne faudroit qu’il fournit du sien que la liaison,
comme la soudure d’vnun autre metal: & pourroit entasser par
ce moyen force veritables euenemēsevenemens de toutes sortes, les dis-
posant & diuersifiantdiversifiant, selon que la beauté de l’ouurageouvrage le re-
querroit, à peu pres, comme OuideOvide à cousu & r’apiecé sa Me-
tamorphose, ou comme Arioste à rengé en vneune suittte,de ce grādgrand
nombre de fables diuersesdiverses. En ce dernier couple, cela est en-
core digne d’estre consideré, que Paulina offre volontiers à
quiter la vie pour l’amour de son mary, & que son mary a-
uoita-
voit autre-fois quitté aussi la mort pour ⁁ l’amour d’elle. Il n’y à pas pour
nous grand contre-pois en cet eschange: mais selon son hu-
meur Stoïque, ieje croy qu’il pensoit auoiravoir autant faict pour
elle, d’alonger sa vie en sa faueurfaveur, comme s’il fut mort pour
elle. En l’vneune des lettres, qu’il escrit à Lucilius, apres qu’il luy
à fait entēdreentendre, comme la fieburefiebvre l’ayant pris à Rome, il mon-
ta soudain en coche, pour s’en aller à vneune sienne maison aux
champs, contre l’opinion de sa femme Paulina, qui le vouloit
arrester, & qu’il luy auoitavoit respondu, que la fieburefiebvre qu’il auoitavoit⁁,
ce n’estoit pas fieburefiebvre du corps⁁, mais du lieu: il suit ainsi⁁n: elle
me laissa aller me recommandant fort ma santé. Or moy qui
sçay que ieje loge sa vie en la mienne, ieje commence de pour-
uoirpour-
voir à moy, pour pouruoirpourvoir à elle: le priuilegeprivilege que ma vielles-
se m’auoitavoit donné me rendant plus ferme & plus resolu à plu-
sieurs choses, ieje le pers, quand il me souuiētsouvient qu’en ce vieillard,
il y en a vneune ieunejeune à qui ieje profite. Puis que ieje ne la puis ranger
à m’aymer plus courageusement, elle me renge à m’aymer
moymesme plus curieusement: car il faut prester quelque
chose aux honnestes affections: & par fois, encore que les oc-
LIVRE SECOND. 324332
casions nous pressent au contraire, il faut r’appeller la vie, voi-
re auecqueavecque tourment: il faut arrester l’ame entre les dents,
puis que la loy de viurevivre aux gens de bien, ce n’est pas autant
qu’il leur plait, mais autant qu’ils doiuentdoivent. Celuy qui n’estime
pas tant sa femme ou vnun sien amy, que d’en allonger sa vie,
& qui s’opiniastre à mourir, il est trop delicat & trop mol: il
faut que l’ame se commande cela, quand l’vtilitéutilité des nostres
le requiert: il faut par fois nous prester à nos amis: & quand
nous voudrions mourir pour nous, interrompre nostre des-
sein pour autruyeus. C’est tesmoignage de grandeur de courage,
de retourner en la vie pour la consideration d’autruy, com-
me plusieurs excellens personnages ont faict: & est vnun traict
de bonté singuliere de conseruerconserver la vieillesse, (de laquelle la
commodité la plus grande, c’est la nonchalance de sa durée,
& vnun plus courageux & desdaigneux vsageusage de la vie,) si on
sent que cet office soit doux, agreable, & profitable, à quel-
qu’vnun bien affectionné,:. &Et en reçoit on vneune tres-plaisante re-
compense: car qu’est-il plus doux, que d’estre si cher à sa fem-
me, qu’en sa consideration on en deuiennedevienne plus cher à soy-
mesme. Ainsi ma Pauline m’a chargé, non seulement sa crain-
te, mais encore la mienne. Ce ne m’a pas esté assez de conside-
rer, combien resoluement ieje pourrois mourir, mais ij’ay
aussi consideré, combien irresoluement elle le pourroit souf-
frir. IeJe me suis contrainct à viurevivre, & c’est quelquefois vaillan-
cemagnanimitè que viurevivre. Voyla ses mots., excellans come est son usage.
Des plus excellens hommes.
CHAP. XXXVI.
SI on me demandoit le chois, de tous les hommes qui
sont venus à ma cōnoissanceconnoissance, il me semble en trouuertrouver
trois excellēsexcellens au dessus de tous les autres. L’vnun Home-
re,. nNon pas qu’Aristote ou Varro (pour exemple) ne fussent à
ESSAIS DE M. DE MONTA.
l’aduentureadventure aussi sçauanssçavans que luy,. nNy possible encore qu’en
son art mesme, Vergile ne luy soit comparable: iIejJe le laisse à
iugerjuger à ceux, qui les connoissent tous deux. Moy qui n’en cō-
noycon-
noy que l’vnun, ieje n’en puis dire que cela ⁁ sulement selon ma portée,: que ieje
ne croy pas que les Muses mesmes puissent allerallassent au dela du
Romain.,
Tale facit carmen docta testudine, quale
Cynthius impositis temperat articulis.
Toutesfois, en ce iugementjugement encore ne faudroit il pas oublier,
que c’est principalement d’Homere mesme, de quie Vergile
tient sa suffisance,: que c’est son guide, & maistre d’escole,: &
qu’vnun seul traict de l’Iliade à fourny de corps & de matiere à
cette grande & diuinedivine Eneide. Ce n’est pas ainsi que ieje conte:
ij’y mesle plusieurs autres circonstances, qui me rendētrendent ce per-
sonnage admirable, quasi au dessus de l’humaine condition.
Et à la verité ieje m’estonne souuentsouvent, que luy qui à produit, &
mis en credit au monde plusieurs deitez, par son auctorité, n’a
gaigné reng de Dieu luy mesme. Estant aueugleaveugle, indigent, e-
stant auantavant que les ars & les sciences efussent esté redigées en
regle, & obseruationsobservations certaines, il les à tant connues, que tous
ceux qui se sont meslez depuis d’establir des polices, de con-
duire guerres, & d’escrire, ou de la religion, ou de la philoso-
phie, ⁁ ⁁ en quelque secte que ce soit, ou des ars, se sont seruisservis de luy, comme d’vnun patronmaistre tres-
parfaict en la connoissance de toutes choses,: &Et de ses liureslivres,
comme d’vneune pepiniere de toute sorteespece de suffisance.,
Qui quid sit pulchrum, quid turpe, quid vtile, quid non,
Plenius ac melius Chrysippo ac Crantore dicit.
Et comme dit l’autre,
A quo ceu fonte perenni
Vatum Pyeriis labra rigantur aquis,.
&Et l’autre.,
Adde Heliconiadum comites, quorum vnus Homerus
Astra
LIVRE SECOND. 325333
Astra potitus,:.
&Et l’autre,
cuiúsque ex ore profuso,
Omnis posteritas latices in carmina duxit,
Amnémque in tenues ausa est deducere riuos,
Vnius foecunda bonis.
C’est contre l’ordre de nature, qu’il à faict la plus nobleexcellante pro-
duction qui puisse estre: cCar la naissance ordinaire des choses,
elle est foible & imparfaicte: elles s’augmentent, se fortifient
par l’accroissance: l’enfance de la poësie, & de plusieurs au-
tres sciences, il l’a rendue meure, parfaicte, & accomplie. A
cette cause le peut on nommer le premier & dernier des poë-
tes,: suyuantsuyvant ce beau tesmoignage que l’antiquité nous à laissé
de luy, que n’ayant eu nul qu’il peut imiter auantavant luy, il n’a eu
nul apres luy, qui le peut imiter. Ses parolles, selon Aristote,
sont les seules parolles, qui ayent mouuementmouvement & action: ce
sont les seuls mots substantiels & massifs. Alexandre le grand,
ayant rencontré parmy les despouilles de Darius, vnun riche
coffret, ordonna, que on le luy reseruatreservat pour y loger son Ho-
mere,: disant, que c’estoit le meilleur & plus fidelle conseiller
qu’il eut en ses affaires militaires. Pour cette mesme raison di-
soit Cleomenes fils d’AnaxādridasAnaxandridas, que c’estoit le Poëte des
Lacedemoniens,: par ce qu’il estoit tres-bon maistre de la dis-
cipline militaireguerriere. Cette louange singuliere & particuliere, luy
est aussi demeurée au iugementjugement de Plutarque,: que c’est le seul
autheur du monde, qui n’a iamaisjamais soulé ne dégousté les hom-
mes,: se montrant aux lecteurs tousiourstousjours tout autre, & fleu-
rissant tousiourstousjours en nouuellenouvelle grace. Ce folastre d’Alcibiades,
ayant demandé a vnun, qui faisoit profession des lettres, vnun li-
ureli-
vre d’Homere, luy donna vnun soufflet, par ce qu’il n’en auoitavoit
point: cōmecomme qui trouueroittrouveroit vnun de nos prestres sans breuiairebreviaire.
Xenophanes se pleignoit vnun iourjour à HierōHieron, tyran de Syracuse,
PPPp
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de ce qu’il estoit si pauurepauvre, qu’il n’auoitavoit dequoy nourrir deux
seruiteursserviteurs: & quoy, luy respondit-il, Homere qui estoit beau-
coup plus pauurepauvre que toy, en nourrit bien plus de dix mille,
tout mort qu’il est. ⁁
⁁ Que n’estoit ce dire a
Panaetius quand il nomoit
Platon l’hHomere des philo=
sophes.
Outre cela, qu’elle gloire se peut compa-
rer à la siēnesienne? Il n’est rien qui viuevive en la bouche des hommes,
comme son nom & ses ouuragesouvrages: il n’est rien si cogneu, & si
reçeu que Troye, Helene, & ses guerres, qui ne furent à l’ad-
uanturead-
vanture iamaisjamais. Nos enfans s’appellent encore des noms qu’il
forgea, il y à plus de trois mille ans. Qui ne cognoit Hector
& Achilles? Non seulement aucunes races particulieres, mais
la plus part des nations, cherchent origine en ses inuentionsinventions.
Mahumet second de ce nom, Empereur des Turcs, escriuātescrivant à
nostre Pape Pie second: ieje m’estonne, dit-il, comment les Ita-
liens se bandent contre moy, attendu que nous auonsavons nostre
origine commune des Troyens: & que ij’ay comme eux inte-
rest de venger le sang d’Hector sur les Grecs, lesquels ils vont
fauorisantfavorisant contre moy. N’est-ce pas vneune noble farce, de laq̄llelaquelle
les Roys, les choses publiques, & les Empereurs vont iouantjouant
leur personnage tant de siecles, & à laquelle tout ce grand v-
niuersu-
nivers sert de theatre? Sept villes Grecques entrarent en debat
du lieu de sa naissance, tant son obscurité mesmes luy appor-
ta d’honneur.:
Smyrna, Rhodos, Colophon, Salamis, Chios, Argos, Athenae.
L’autre Alexandre le grand. Car qui considerera l’aage, au-
qu’el il cōmençacommença ses entreprises: lLe peu de moyen auecavec lequel
il fit vnun si glorieux dessein: lL’authorité qu’il gaigna en cette
sienne enfance, parmy les plus grands & experimentez capi-
taines du monde, desquels il estoit suyuisuyvi: lLa faueurfaveur extra-
ordinaire, dequoy la fortune embrassa & fauorisafavorisa tant de
siens exploits hazardeux, & à peu que ieje ne die temeraires:
impellens quicquid sibi summa petenti
Obstaret, gaudensque viam fecisse ruina:
LIVRE SECOND. 326334
cCette grandeur, d’auoiravoir à l’aage de trente trois ans, passé victo-
rieux toute la terre habitable,: & en vneune demye vie auoiravoir at-
teint tout l’effort de l’humaine nature,: si que vous ne pouuezpouvez
imaginer sa durée legitime, & la continuation de son accrois-
sance, en vertu & en fortune, iusquesjusques à vnun iustejuste terme d’aage,
que vous n’imaginez quelque chose au dessus de l’homme:
dD’auoiravoir faict naitre de ses soldats tant de branches royales
laissant apres sa mort le monde en partage à quatre succes-
seurs, simples capitaines de son armée,: desquels les descēdansdescendans
ont dépuis si long tēpstemps duré, maintenātmaintenant cette grādegrande possessiōpossession:
tTāttTant d’excellētesexcellentes vertus qui estoyent en luy, iusticejustice, temperācetemperance,
liberalité, foy en ses parolles, amour enuersenvers les siēssiens, humanité
enuersenvers les vaincus:. cCar ses moeurs semblent à la verité n’auoiravoir
aucun iustejuste reproche., Oouy bien aucunes de ses actions parti-
culieres, rares, & extraordinaires. Mais il est impossible de cō-
duirecon-
duire si grands mouuemensmouvemens, auecavec les reigles de la iusticejustice.:. Ttel-
lesTelles gens veulent estre iugezjugez en gros, par la maistresse fin de
leurs actions. ⁁ : et a este ingenieusement dict de luy qu’il auoitavoit de nature ses uertusvertus, ses defaus de la fortune La ruyne de Thebes, le meurtre de Menander,
& du Medecin d’Ephestion, de tant de prisonniers Persiens à
vnun coup, d’vneune troupe de soldats Indiens contrenon sans interest de sa parolle,
des Cosseïens iusquesjusques aux petits enfans, fsont saillies vnun peu
mal excusables. Car quant à Clytus, la faute en fut amendée
outre son pois,. &Et tesmoigne cette action, autant que toute
autre, la debonnaireté de sa complexiōcomplexion,: & que c’estoit de soy, une complexion
vneune nature excellemment formée à la bonté. ⁁ Et a este ingenieusement dict de luy, qu’il auoitavoit de la nature ses uertusvertus, de la fortune ses uicesvices. Quant à ce, qu’il
estoit vnun peu vanteur, vnun peu trop impatient d’ouyr mesdire
de soy,: & quant à ses mangeoires, armes, & mors, qu’il fit se-
mer aux Indes: toutes ces choses me semblent pouuoirpouvoir estre
condonnées à son aage, & à la’estrange prosperité de sa fortune. Qui
considerera quand & quand, tant de vertus militaires, diligen-
ce, pouruoyancepourvoyance, patience, discipline, subtilité, magnanimité,
resolution, bon-heur, en quoy, quand l’authorité d’Hanni-
PPPp ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
bal ne nous l’auroit apris, il à esté le premier des hommes: lLes
rares beautez & conditions de sa personne, iusquesjusques au mira-
cle: ce port, & ce venerable maintien, soubs vnun visage si ieu-
nejeu-
ne, vermeil, & flamboyant,
Qualis vbi Occani perfusus lucifer vnda,
Quem Venus ante alios astrorum diligit ignes,
Extulit os sacrum caelo, tenebrásque resoluit:
lL’excellence de son sçauoirsçavoir & capacité: lLa durée & grandeur
de sa gloire, pure, nette, exempte de tache & d’enuieenvie: & qu’en-
core long temps apres sa mort, ce fut vneune religieuse croyācecroyance,
d’estimer que ses medailles apportassent bon-heur à ceux qui
les auoyentavoyent sur eux,. &Et que plus de Roys, & Princes ont escrit
ses gestes, qu’autres Historiens, n’ont escrit les gestes d’autres
Roy ou Prince que ce soit: ⁁
⁁ Et qu’encores a presant
les Mahumetants qui
mesprisent toutes autres
histoires reçoiuentreçoivent et
honorent la siene sule par
special priuiliegepriviliege.
il confessera, tout cela mis ensem-
ble, que ij’ay eu raison de le preferer à Caesar mesme:. cCar luyqui
seul m’a peu mettre en doubte du chois: &Et il ne se peut nier
qu’il n’y aye plus du sien, en ses exploits,: plus de la fortune, en
ceux d’Alexandre. Ils ont eu plusieurs choses esgales, & Cae-
sar à l’aduentureadventure aucunes plus grandes. Ce furent deux feux,
ou deux torrens, à rauagerravager le monde par diuersdivers endroits.,
Et velut immissi diuersis partibus ignes
Arentem in siluam, & virgulta sonantia lauro,
Aut vbi decursu rapido de montibus altis
Dant sonitum spumosi amnes, & in aequora currunt
Quisque suum populatus iter.
Mais quand l’ambition de Caesar auroit de soy plus de mo-
deration, elle à tant de mal’heur, ayant rencontré ce vilain
subiectsubject de la ruyne de son pays, & de l’empirement vniuerseluniversel
du mōdemonde, que toutes pieces ramassées & mises en la balācebalance, ieje
ne puis q̄que ieje ne panche du costé d’AlexādreAlexandre. Le tiers, & le plus
excellent, à mon gré, c’est Epaminondas. De gloire, il n’en
LIVRE SECOND. 327335
à pas à beaucoup pres tant que d’autres (aussi n’est-ce pas vneune
piece de la substance de la chose,) de resolution & de vaillan-
ce, non pas de celle qui est esguisée par l’ambition, mais de cel-
le que la sapience & la raison, peuuētpeuvent planter en vneune ame bien
reglée, il en auoitavoit tout ce qui s’en peut imaginer. De preuuepreuve de
cette sienne vertu, il en à fait autātautant à mon aduisadvis, qu’Alexandre
mesme, & que Caesar: cCar encore que ses exploits de guerre, ne
soient ny si frequens, ny si enflez, ils ne laissent pas pourtant, à
les bien considerer & toutes leurs circonstances, d’estre aussi
poisants & roides,: & portant autant de ha tesmoignage ⁁ ⁁ de hardiesse et de suffi-
sance en l’art militaire. Les Grecs luy ont faict cet hōneurhonneur, sans
contredit, de le nommer le premier homme d’entre eux: mais
estre le premier de la Grece, c’est ⁁ ⁁ facilement estre le prime du monde.
Quant à son sçauoirsçavoir & suffisance, ce iugementjugement ancien nous en
est resté, que iamaisjamais homme ne sceut tant, & parlà si peu que
luy.⁁
⁁ car il estoit philosophe Pytharique de secte. Et ce qu’il parla nul ne parla iamaisjamais mieus. Excellant oratur et trespersuasif.
Mais quant à ses meurs & conscience, il à de bien loing
surpassé tous ceux, qui se sont iamaisjamais meslé de manier affai-
res: cCar en cette partie, qui est de la vertu, & qui doit estre prin
cipalement considerée,⁁
⁁ , qui seule, marque
ueritablementveritablement quels
nous somes, et laquelle
ieje contrepoise seule à
toutes les autres
ensamble,
il ne cede à aucun philosophe, non pas
à Socrates mesme. En cettuy-cy l’innocence, est vneune qualité,
propre, maistresse, constante, vniformeuniforme, incorruptible,: aAu pa-
rangon de laquelle, elle paroist en Alexandre subalterne, in-
certaine, bigarrée, molle, & fortuite. ⁁
⁁ L’antieneté iugeajugea qu’a
esplucher par le menu touts
les autres grands capiteines,
il se treuuetreuve en chacun
quelque speciale qualité
qui le rend illustre. En
cetuici sul c’est une uertuvertu
et suffisance pleine par
tout et par tout pareille
qui en tous les offices de la
uievie humaine ne laisse
rien a desirer de soi. Soit
en occupation ou publique
ou priueeprivee: soit a uiurevivre,
soit a mourir parfaictement
bien ou paisible ou
guerriere: soit a uiurevivre
soit a mourir parfaictementgrandement
bien et glorieusement.
IeJe ne conois nulle nyA cet endroit se distinguent deux séquences, la seconde en interligne de la première. Au sein de ces séquences plusieurs variantes apparaissent. En voici une reconstitution :
I- Je ne conois nulle ny image ny fortune d’home a qui
1- j’aimasse tant je desirasse tant ressambler.
2- par fin souhet je desirasse tant ressambler sauf que je le treuve un peu trop bien scrupuleusement obstine a la povrete.
3- par fin souhet je desirasse tant ressambler. Cela sul qu’il me semble un peu scrupuleusement obstine a la povrete je me treuve plus capable de l’honorer et admirer que de l’imiter.
4- par fin souhet je desirasse tant ressambler. Cela sul qu’il montre un peu scrupuleusement s’obstiner a la povrete je me treuve plus capable de l’honorer et admirer que de l’imiter.
II- Je ne conois nulle ny forme ny fortune d’home que en general je regarde aveq tant d’honeur et d’amour.
1- Son obstination a la povrete je la treuve un peu scrupuleuse come elle est peinte par ses meillurs amis Et cette sule action bien haute pourtant et tresdigne d’admiration et de louange je la sens un peu aigrette et pointue pour par souhet mesme m’en souheter l’imitation.
2- Il est vrai que son obstination a la povrete a la verite je la treuve un peu scrupuleuse come elle est peinte par ses meillurs amis Et cette sule action bien haute pourtant et tresdigne d’admiration et de louange je la sens un peu aigrette pour par souhet mesme m’en desirer l’imitation.
imageforme ny fortune d’home a qui
ij’aimasse tant ieje desirasse tant
ressambler par fin souhet ieje
desirasse tant ressambler sauf
que ieje le treuuetreuve un peu trop bien
scrupuleusemētscrupuleusement obstine a la
pouretepovrete Cela sul qu’il me semblemontre
un peu scrupuleusement s’obstiner
a la pouretepovrete ieje me treuuetreuve plus
capable de l’honorer et admirer
que de l’imiter
que en general ieje regarde
aueqaveq tant d’honur et d’amour.
Il est urai que Sson obstination a la pouretepovrete A la
ueriteverite ieje la treuuetreuve un peu
scrupuleuse come elle est peinte
par ses meillurs amis Et cette
sule action haute pourtant et tres digne
d’admiration et de louange ieje la sens un
peu aigrette et pointue pour par souhet
mesme m’en souheter l’imitation desirer
l’imitation.
forme ny fortune d’home que ieje regarde aueqaveq tant d’honur et d’amour.
Il est bien uraivrai que son obstination a la pouretèpovretè ieje la treuuetreuve un peuaucunemant
scrupuleuse: come elle est peinte par ses meillurs amis. Et cette sule
action haute pourtant et tresdigne d’admiration ieje la sens un peu
aigrette pour par souhet mesme m’en desirer l’imitation. Le sul Scipion AEmilien qui
luy donrroit une fin aussi fiere et illustremagnifique et la conoissance des sciances autant profonde et
uniuerselleuniverselle me pourroit mettre en doubte du choisà l’encontre à l’autre plat de la balance. O quel desplesir le temps m’a faict
d’oster de nos yeus a point nome des premieres la couple de uiesvies uivi la plus noble iustementjustement
iustemantjustemantla plus noble qui fut en Plutarque de ces deus ad personages par le commun cōsantemantconsantemant
du monde l’un le premier des Grecs l’autre des Romeins. Quelle matiere quel ouurierouvrier!
Pour un home non sainct ny philosophe, mais galant home qu’ils noment: de meurs ciuilesciviles et communes:
d’une hautur moderee: la plus riche uievie que ieje sache poura estre uescuevescue entre les uiuansvivans
com’on dict: et estoffee de plus de riches parties & desirables c’est tout consideré celle
d’Alcibiades a mon gre. Mais quand a Epaminondas, pour
Et pPour exemple d’vneune
excessiueexcessive bonté, ieje veux adiousteradjouster icy aucunes de ses opiniōsopinions.
Le plus doux contentement qu’il eust en toute sa vie, il asseu-
roittesmouigna que c’estoit le plaisir qu’il auoitavoit donné à son pere, & à sa
mere, de sa victoire de Leuctres: iIl couche de beaucoup, pre-
ferant leur plaisir, au sien si iustejuste, & si plein, d’vneune tant vtileutile &
glorieuse action. Il ne pensoit pas qu’il fut loisible pour re-
couurerre-
couvrer mesmes la liberté de son pays, de tuer vnun hōmehomme sans
connoissance de cause: vVoyla pourquoy il fut si froid à l’en-
treprise de Pelopidas son compaignon, pour la deliurancedelivrance de
PPPp iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Thebes. Il tenoit aussi, qu’en vneune bataille il falloit fuyr le ren-
contre d’vnun amy, qui fut au party contraire, & l’espargner. ⁁
⁁ Et son humanite a
enuersenversl’ēdroitendroit ldes enemis mesmes,
l’ayant mis en supçon des
enuersenvers lesenuersenvers les Baiotiens de ce
qu’aupr aiant force lesapres auoiravoir miraculeusemant forcé
les Lacedemoniens de luy ouurirouvrir le pas qu’ils auointavoint entreprins de garder a
l’entree de la Moree pres de
Corinthe il s’estoit contante de leur
auoiravoir passes sur le uantrevantre sans les
poursuiurepoursuivre a toute outrāceoutrance: il fut depose
de lestatl’estat de capiteine general. tTres honorablemāthonorablemant
tresglorieusemāttresglorieusemant pour une si honorable telle
cause: et pour la honte que ce leur fut
d’auoiravoir par necessite a le rap remonter
tantost apres en saōsaon chargedegre et reconoitre combien
que de luy sul depandoit leur
gloire et leur salut. lLa uictoirevictoire
le suiuantsuivant come son ombre
par tout ou il allat guidast.
La prosperite de son païs
estant nee et morte aueqaveq lui.
mourut aussi come elle estoit
nee aueqaveq luy
De la ressemblance des enfans aux peres.
CHAP. XXXVI.
CE fagotage de tant de diuersesdiverses pieces, se faict en cette
condition, que ieje n’y mets la main, que lors qu’vneune
trop lasche oisiuetéoisiveté me presse,: & nōnon ailleurs que chez
moy. Ainsin il s’est basty à diuersesdiverses poses & interuallesintervalles, cōmecomme
les occasions me detiennent ailleurs par fois plusieurs moys.
Au demeurant ieje ne corrige point mes premieres imagina-
tions par les secondes: ⁁
⁁ oui quelque a lauātl’avant
a lauanturel’avanture quelque
mot: mais pour diuersifierdiversifier
non pour oster.
iIejJe veux representer le progrez de mes
humeurs, & qu’on voye cháque piece en sa naissance. IeJe vou-
drois prenderois
plaisir d’auoiravoir commencé plustost, & prendrois plaisir à recon-
noistre le trein de mes mutations. VnUn valet qui me seruoitservoit à
les escrire soubs moy, pensa faire vnun grand butin de m’en des-
rober plusieurs pieces choisies à sa poste. Cela me console,
qu’il ny fera pas plus de gain, que ij’y ay fait de perte. IeJe me suis
enuieillyenvieilly de sept ou huict ans, depuis que ieje cōmençaycommençay: cCe n’a
pas esté sans quelque nouuelnouvel acquest: ij’IJ’y ay pratiqué la coli-
que, par la liberalité des ans: lLeur commerce & longue cōuer-
sationconver-
sation, ne se passe aisément sans quelque tel fruit. IeJe voudroy
bien de plusieurs autres presens, qu’ils ont à faire, à ceux qui
les hantent long temps, qu’ils en eussent choisi quelqu’vnun qui
m’eust esté plus acceptable: cCar ils ne m’en eussent sçeu faire
que ij’eusse en plus grande horreur, des mon enfance: cC’estoit
à point nommé, de tous les accidents de la vieillesse, celuy que
ieje craignois le plus. IJ’auoyavoy pensé mainte-fois à part moy, que
ij’alloy trop auātavant,: & qu’à faire vnun si long chemin, ieje ne faudroy
pas de m’engager en fin, en quelque malplaisant rencontre: iIejJe
sentois & protestois assez, qu’il estoit heure de partir, & qu’il
LIVRE SECOND. 328336
falloit trencher la vie dans le vif, & dans le sein, suyuantsuyvant la re-
gle des chirurgiens, quand ils ont à coupper quelque mem-
bre. ⁁
⁁ Qu’a celuy qui ne la rendoit en sa iustejuste seson a temps
nature auoitavoit acostume de bien rudes usures
faire païer de bien rudes usures
Mmais c’estoient vaines propositions: iIl s’en faloit tant que
ij’en fusse prest lors, que en dix-huict mois ou enuironenviron qu’il y
à q̄que ieje suis en ce malplaisant estat, ij’ay des-iaja appris à m’y accō-
moderaccon-
moder. IJ’entre des-ià en composition de ce viurevivre coliqueux:
iIjJ’y trouuetrouve dequoy me consoler, & dequoy esperer: tTant les hō-
meshom-
mes sont acoquinez à leur estre miserable, qu’il n’est si rude
condition qu’ils n’acceptent pour s’y conseruerconserver. ⁁
⁁ Oïes Maecenas.
Debilem facito manu
Debilem pede, coxa,
Lubricos quate dentes
Vita dum superest, bene est.
Et couuroitcouvroit Tamburlan
d’une sotte humanitè la
cruauté qu’il ex fantastique
qu’il exerçoit contre les
ladres: en faisant mettre a
mort autant qu’il en uenoitvenoit
a sa conoissance: pour disoit
il ⁁ ⁁ les deliurerdelivrer de la uievie qu’ils
uiuointvivoint si penible. Car il
n’y auoitavoit nul d’eus qui n’eust
mieus aimè estre ladre
trois fois ladre que de
n’estre pas. Et Antisthenes
le Sto Stoicien estant fort
malade & s’escriant en
presance de Diogenes qui
l’estoit uenuvenu uisitervisiter: qui me
deliureradelivrera de ces maus:
Diogenes luy montrant un
couteau Cettuicy si tu ueusveus
presantemant qui l’estoit
uenuvenu uoirvoir luy presentant
un costeau Cetuy ci si tu
ueusveus bientost. IeJe ne dis
pas de la uievie replica il
ieje dis des maus
Les souffran-
ces qui nous touchent simplement par l’ame, m’affligētaffligent beau-
coup moins qu’elles ne sont la pluspart des autres hommes:
pPartie par iugementjugement,: car le mōdemonde estime plusieurs choses hor-
ribles, ou euitablesevitables au pris de la vie, qui me sont à peu pres in-
differentes: pPartie par vneune complexion stupide & insensible,
que ij’ay aux accidents qui ne donnent à moy de droit fil,. lLa-
quelle complexion ij’estime l’vneune des meilleures pieces de ma
naturelle condition: mMais les souffrances vrayement essentiel-
les & corporelles, ieje les gouste bien vifuementvifvement. Si est-ce pour
tant que les preuoyantprevoyant autresfois d’vneune veuë foible, delicate,
& amollie par la iouyssancejouyssance de cette longue & heureuse santé
& repos, que Dieu m’a presté, la meilleure part de mon aage:
ieje les auoyavoy conceuës par imagination si insupportables, qu’à
la verité ij’en auoisavois plus de peur, que ieje n’y ay trouuétrouvé de mal:
pPar où ij’augmente tousiourstousjours cette creance, que la pluspart des
facultez, de nostre ame, ⁁ ⁁ come nous les emploïons troublent plus le repos de nostrela vie,
qu’elles ne nous ’y seruentservent. IeJe suis aus prises auecavec la pire de tou-
tes les maladies, la plus soudaine, la plus douloureuse, la plus
mortelle, & la plus irremediable. IJ’en ay desiadesja essayé cinq ou
six bien longs accez & penibles: toutes-fois ou ieje me flatte, ou
encores y a-il en cet estat, dequoy se soustenir, à qui a l’ame
deschargée de la crainte de la mort, & deschargée des menas-
ses, conclusions & consequences, dequoy la medecine nous
ESSAIS DE M. DE MONT.
enteste. Mais l’effet mesme de la douleur, n’a pas cette aigreur
si aspre & si poignante, qu’vnun homme rassis, en doiuedoive entrer
en rage & en desespoir. IJ’ay aumoins ce profit de la cholique,
que ce q̄que ieje n’auoyavoy encore peu sur moy, pour me concilier du
tout, & m’accointer à la mort, elle le parfera: car d’autant plus
elle me pressera, & importunera, d’autant moins me sera la
mort à craindre. IJ’auoyavoy desiadesja gaigné cela, de ne tenir à la vie,
que par la vie seulement: elle desnouera encore cette intelli-
gence: &Et Dieu veuille qu’en fin, si son aspreté vient à surmon-
ter mes forces, elle ne me reietterejette à l’autre extremité nōnon moins
vitieuse, d’aymer & desirer à mourir.,
Summum nec metuas diem, nec optes.:
CcCe sont deux passions à craindre, ⁁ ⁁ fuir la uievie et refuir a la mort,: mais l’vneune a son remede bien
plus prest que l’autre. Au demourant ij’ay tousiourstousjours trouuétrouvé ce
precepte ceremonieux & ineptesuperflu, qui ordonne ⁁ ⁁ si rigoreusement et exactemant de tenir bonne
contenance & vnun maintien grauegravedesdeigneus, & posé, à la souffrancetollerance des
maux. Pourquoy la philosophie, qui ne regarde que le vif,
que la substance, & les effects, se va elle amusant à ces apparē-
cesapparen-
ces vaines & externes? comme si elle dressoit les hommes
aux actes d’vneune comedie,: ou comme s’il estoit en sa iurisdi-
ctionjurisdi-
ction, d’empescher les mouuemensmouvemens & alterations que nous
sommes naturellement contraints de receuoirrecevoir: qu’elle em-
pesche donq Socrates de rougir d’affection, ou de honte, de
cligner les yeux à la menasse d’vnun coup, de trembler & de suer
aux secousses de la fiéurefiévre: la peinture de la Poesie, qui est li-
bre & volontaire, n’ose priuerpriver des larmes mesmes, les person-
nes qu’elle veut representer accomplies & parfaictes,
& se n’aflige tanto,
Che si morde le man, morde le labbia,
Sparge le guancie di continuo pianto,:.
eElle deuroitdevroit laisser cette charge à ⁁
⁁ aus farceurs & aus
rhetoriciens qui
font tant d’estat
de nos gestes
ceux, qui font profession de
regler nostre maintiēmaintien & nos mines:. qu’elle Et
Qu’elle laisse ce soin aus farceurs et maistres
de Rhetorique qui font tant d’estat de nos gestes. Quelle condone hardimant
au mal cete lacheté uoyellevoyelle si elle n’est ny cordiale ny stomacalle. Et
preste ces pleintes uolonteresvolonteres au genre des souspirs sanglots palpitations
pallissemans que nature a mis hors de nostre puissance. PourueuPourveu que le
corage soit sans euf effroi, les parolles sans desespoir, qu’elle se contante.
Qu’importe que nous tordons nos bras pourueupourveu que nous ne tordons nos pensees.
Elle nous dresse pour nous non pour autrui: pour estre non pour sembler.
Qu’elle
s’arreste a gouuergouver-
ner
LIVRE SECOND. 329337
ner nostre entendement, qu’elle à pris à instruire: qu’elle luy
ordonne ses pas & le tienne en bride & en office: qQu’aux ef-
forts de la cholique, elle maintienne nostre l’ame capable de se
reconnoistre,: de suyuresuyvre son train accoustumé,: combatant la
douleur & la soustenant, non se prosternant honteusement à
ses pieds,: esmeuë & eschauffée du combat, non abatue pour-
tant & renuerséerenversée. Voyla sa charge: du dehors, il importe peu:Capable de commerce capable d’entretien iusquesjusques a certeine mesure.
& eEn accidents si extremes, c’est cruauté de requerir de nous
vneune démarche si reglée.composee. PourueuPourveu queSi nous ayuonsayvons beau ieujeu,
c’est tout vnunpeu que nous ayons mauuaisemauvaise mine. C’est biēbien assez q̄que
nous soyons tels, que nous auōsavons nous accoustumé en nos pēséespensées &
actions principales: quant auSi le corps, s’il se soulage, en se plai-
gnant, qu’il le face: sSi l’agitation luy plaist, qu’il se tremoussetourneboule &
tracasse à sa fantasie: sS’il luy semble que le mal s’euaporeevapore aucu-
nement (comme aucuns medecins disent que cela aide à la de-
liurancede-
livrance des femmes enceintes) pour pousser hors la voix auecavec
plus grande violence,: ou s’il pense que cela amuse son tour-
ment, qu’il crie tout à faict. ⁁
⁁ Ne comandons point
cette uoixvoix qu’elle aille
mais permetons le luy.
Nisi forte ut se intendat
ad firmitatem ut in
Stadio cursores exclamant
quam maxime possunt.
Epicurus ne permetpardonne pas
sulement a son sage de crier
aus tormans mais il le luy
conseille.
Pugiles etiam cum feriunt
in iactandis coestibus inge=
miscunt quia profundenda
uoce omne corpus intenditur
uenitque plaga uehementior.
Nous auonsavons assez de trauailtravail du
mal, sans y ioindrejoindre vnun nouueaunouveau trauailtravail par discours.nous trauaillertravailler a ces regles superflues. Ce que ieje
dis pour excuser ceux, qu’on voit ordinairement se ’escrier &
se tempester, aux secousses de la douleuret assaus de cette maladie: car
pour moy, ieje l’ay passée iusquesjusques à cette heure auecavec vnun peu meil
leure contenācecontenance: nNon pourtātpourtant que ieje me mette en peine, pour
maintenir cette decence exterieure,: car ieje fay peu de compte
d’vnun tel aduantageadvantage: iIejJe preste en cela au mal autant qu’il veut:
mais ou mes douleurs ne sont pas si excessiuesexcessives, ou ij’y apporte
plus de fermeté que le commun. IeJe me plains, ieje me despite,
quand les aigres pointures me pressent,: mais ieje n’en viēsviens point
au desespoir & à la ragea me perdre: Come celuy la: ⁁
⁁ Eiulatu, questu, gemitu
fremilibusfremitibus
Resonando multum flebiles
uoces refert. ⁁
⁁ IeJe me taste au milieuplus espaiz du mal et ai tousiourstousjours trouuètrouvè que
ij’estois capable de dire de penser de respondre aussi sainement
qu’en unune autre heure: mais non g si constammant: ny guere longtemps
la dolur me troublant et destournant. Quand on me tient le plus
atterre et que les assistans m’espargnent iessaïej’essaïe souuantsouvant mes forces et
leur comanceentame moimesmes des propos communs les plus eslouignez de mon
estat. IeJe puis tout par un soudein effort, mais ostez en la duree.
O que n’ay ieje la faculté
de ce songeur qui est den
Cicero qui songeant
ambrasser une garse
trouuatrouva qu’il s’estoit
descharge de sa pierre emmi ses
draps. Les mienes me desgarsent
estrangement. Aus
&Et aux interuallesintervalles de cette douleur
excessiueexcessive,⁁ ⁁ et pointue que mes ureteres languissent sans me poindre si fort ieje me remets soudain en ma forme ordinaire: iIejJe de-
uisede-
vise, ieje rissousris, ij’estudie, sans esmotion & alteration,: d’autant que
mon ame ne prend autre alarme, que la sensible & corporelle:
QQQq
ESSAIS DE M. DE MONTA.
cCe que ieje doy certainement au soing que ij’ay eu a me prepa-
rer par estude & par discours à tels accidens.,
laborum
Nulla mihi noua nunc facies inopináque surgit,
Omnia praecepi atque animo mecum ante peregi.
IeJe suis essayé pourtant vnun peu bien rudemētrudement pour vnun apprētisapprentis,
& d’vnun changement bien soudain & biēbien rude: estātestant cheu tout
à coup d’vneune tres-douce conditiōcondition de vie, & tres-heureuse, à la
plus doloreuse, & penible, qui se puisse imaginer: car outre ce
q̄que c’est vneune maladie biēbien fort à craindre d’elle mesme, elle fait en
moy ses commencemens beaucoup plus aspres & difficiles
qu’elle n’a accoustumé. Les accés me reprennent si souuentsouvent,
que ieje ne sens quasi plus d’entiere santé, & pure de douleurs: ieje
maintien toutesfois, iusquesjusques à cette heure mon esprit en telle
assiette, que pourueupourveu que ij’y puisse apporter de la constance,
ieje me treuuetreuve en assez meilleure conditiōcondition de vie, que mille au-
tres, qui n’ont ny fiéurefiévre, ny mal, que celuy qu’ils se dōnentdonnent eux
mesmes, par la faute de leur discours. Il est certaine façōfaçon d’hu-
milité subtile, qui naist de la presomption, comme cette-cy,:
que nous reconnoissons nostre ignorance, en plusieurs cho-
ses, & sommes si courtois, d’auoueravouer, qu’il y à és ouuragesouvrages de na-
ture, aucunes qualitez & conditions, qui nous sont imperce-
ptibles, & desquelles nostre suffisance ne peut descouurirdescouvrir les
moyens & les causes: pPar cette honneste & conscientieuse de-
claration, nous esperons gaigner, qu’on nous croira aussi de
celles, que nous dirons, entēdreentendre. Nous n’auonsavons que faire d’al-
ler tirertrier des miracles & des difficultez estrangeres.: Ilil me sem-
ble que parmy les choses que nous voyons ordinairement, il
y à des estrangetez si incomprehensibles, qu’elles surpassent
toute la difficulté des miracles. Quel monstre est-ce, que cet-
te goute de semence, dequoy nous sommes produits, porte
en soy les impressions, non de la forme corporelle seulement,
LIVRE SECOND. 330338
mais des pensemens & des inclinations de nos peres. Cette
goute d’eau, ou loge elle ce nombre infiny de formes: & cō-
mecom-
me portent elles ces ressemblances, d’vnun progrez si temeraire
& si desreglé, que l’arriere fils respondra à son bisayeul, le ne-
ueune-
veu à l’oncle. En la famille de Lepidus à Romme, il y en à eu
trois, non de suitte, mais par interuallesintervalles, qui nasquirētnasquirent vnun mes-
me oeuil couuertcouvert de cartilage. A Thebes il y auoitavoit vneune race
qui portoit des le ventre de la mere, la forme d’vnun fer de lance,
& qui ne le portoit, estoit tenu illegitime. Aristote dict qu’en
certaine nation, où les femmes estoient communes, on assi-
gnoit les enfans à leurs peres, par la ressemblance. Il est vray-
semblablea croire que ieje tiēstiens dedois a mon pere cette qualité pierreuse: car
il mourut merueilleusementmerveilleusement affligé d’vneune grosse pierre, qu’il
auoitavoit en la vessie: il ne s’apperceut de son mal, que le soixante-
septiesme an de son aage: & auantavant cela il n’en auoitavoit eu aucune
menasse ou ressentiment, aux reins, aux costez, ny ailleurs: &
auoitavoit vescu iusquesjusques lors, en vneune bien heureuse santé, & bien
peu subiettesubjette à maladies,: & dura encores sept ans en ce mal,
trainant vneune fin de vie bien douloureuse. IJ’estoy nay vingt
cinq ans & plus, auantavant sa maladie, & durant le tempscours de son
meilleur estat, le troisiesme de ses enfans en rang de naissance:
oOù se couuoitcouvoit tant de tēpstemps la propension à ce maldefaut? &Et lors qu’il
estoit si loing de s’en sentirdu mal, cette legere piece de sa substance,
dequoy il me bastit, comment en portoit elle pour sa part, v-
neu-
ne si grande impression? &Et comment encore si couuertecouverte, que
quarante cinq ans apres, ij’aye commencé à m’en ressentir? seul
iusquesjusques à cette heure, entre tant de freres, & de soeurs, & tous
d’vneune mere:. qQui m’esclaircira de tout ce progrez, ieje le croiray
d’autant d’autres miracles qu’il voudra: pourueupourveu que, comme
ils font, ils ne me donnētdonnent pas en payement, vneune doctrine beau-
coup plus difficile & fantastique, que n’est la chose mesme.
QQQq ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Que les medecins excusent vnun peu ma liberté,: car par cette
mesme infusion & insinuation fatale, ij’ay receu la haine & le
mespris de leur doctrine. Cette antipathie, que ij’ay a leur art,
m’est hereditaire. MōMon pere à vescu soixante & quatorze ans,
mōmon ayeul soixante & neuf, mōmon bisayeul pres de quatre vingts,
sans auoiravoir gousté aucune sorte de medecine: Et entre nouseus,
tout ce qui n’estoit de l’vsageusage ordinaire, tenoit lieu de drogue.
lLa medecine se forme par exēplesexemples & experience: aussi fait mon
opinion. Voyla pas vneune bien expresse experience, & bien ad-
uantageusead-
vantageuse? IeJe ne sçay s’ils m’en trouueronttrouveront trois en leurs re-
gistres, nais, nourris, & trespassez, en mesme maison,fouier, mesme toict, ayans au-
tant vescu soubs leurs regles. Il faut qu’ils m’aduouentadvouent en ce-
la, que si ce n’est la raison, aumoins que la fortune est de mon
party: oOr chez les medecins, fortune vaut beaucoupbien mieux
que la raison,. qQu’ils ne me prennent point à cette heure à leur
aduantageadvantage, qu’il ne me menassent point, atterré cōmecomme ieje suis:
ce seroit supercherie. Aussi a dire la verité, ij’ay assez gaigné sur
eux par mes exemples domestiques, encore qu’ils s’arrestent
là. Les choses humaines n’ont pas tant de constance: il y a deux
cens ans, il ne s’en faut que dix-huict, que cet essay nous dure,
car le premier nasquit l’an mil quatre cens deux. C’est vraye-
ment bien raison, que cette experience commēcecommence à nous fail-
lir: qQu’ils ne me reprochent point les maux, qui me tiennent ⁁ asteure à
la gorge: d’auoiravoir vescu ⁁ ⁁ sain quarante sixsept ans pour ma part, n’est-ce
pas assez? Qquand ce sera le bout de ma carriere, elle est des plus
longues. Mes ancestres auoientavoient la medecine à contre-coeur
par quelque inclination occulte & naturelle: car la veuë mes-
me des drogues faisoit horreur à mon pere. Le seigneur de Ga-
uiacGa-
ujac ⁁ ⁁ mon oncle paternel, homme d’Eglise, maladif dés sa naissance,
& qui fit toutefois durer cette vie debile, iusquesjusques à 67. ans, e-
stant tōbétombé autrefois en vneune grosse & vehemētevehemente fiéurefiévre cōtinuecontinue,
LIVRE SECOND. 331339
il fut ordonné par les medecins, qu’on luy declaireroit, s’il ne
se vouloit aider (ils appellent secours ce qui le plus souuentsouvent
est rengregement de malempeschement) qu’il estoit infalliblement mort. Ce
bon homme, tout effrayé comme il fut de cette horrible sen-
tence, si respondit-il, ieje suis donq mort,: mais Dieu rendit tan-
tost apres vain ce prognostique. Le dernier des freres, ils e-
stoyent quatre, Sieur de Bussaguet, & de bien loing le dernier,
se soubmit seul, à cet art, pour le commerce, ce croy-ieje, qu’il
auoitavoit auecavec les autres arts, car il estoit conseiller en la court de
parlement: luy succeda si mal, qu’estant par apparence, de
plus forte complexion, il mourut pourtant long temps auātavant
les autres, sauf vnun, le sieur de Sainct Michel. Il est possible que
ij’ay receu d’eux, cette dispathie naturelle à la medecine: mais
s’il n’y eut eu que cette consideration, ij’eusse essayé de la for-
cer. Car toutes ces conditions, qui naissent en nous sans rai-
son, elles sont vitieuses, c’est vneune espece de maladie, qu’il faut
combatre: il peut estre, que ij’y auoisavois cette propension, mais
ieje l’ay appuyée & fortifiée par les discours, qui m’en ont esta-
bly l’opinion que ij’en ay. Car ieje hay aussi cette consideration,
de refuser la medecine pour l’aigreur de son goust: ⁁ ce ne se-
roit aisement mon humeur, qui trouuetrouve la santé digne d’estre
r’achetée, par tous les cauteres & incisiōsincisions les plus penibles qui
se facent. ⁁
⁁ CarEt suiuantsuivant Epicurus
et les uoluptesvoluptes me
semblent a euitereviter si elles
tirent a leur suite des
dolurs plus grandes Et
les dolurs a rechercher
qui tirent a leur suite des
uoluptezvoluptez plus grandes.
C’est vneune pretieuse chose, que la santé, & la seule qui
merite à la verité qu’on y employe, non le temps seulement,
la sueur, la peine, les biens, mais encore la vie à sa poursuite:
d’autant que sans elle, la vie ne peut auoiravoir ny grace, ny saueursaveurnous uientvient a estre penible et iniurieuseinjurieuse.
La volupté, la sagesse, la science & la vertu, sans elle se ternis-
sent & esuanouissentesvanouissent: &Et aux plus fermes & tendus discours,
que la philosophie nous veuille imprimer au contraire, nous
n’auonsavons qu’a opposer l’image de Platon, estātestant frappé du haut
mal, ou d’vneune apoplexie: & en cette presupposition le deffier
de s’ayder de ces nobles & riches facultez de son ame. Toute
QQQq iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
voye qui nous meneroit à la santé, ne se peut dire pour moy
ny aspre, ny espineusechere. Mais ij’ay quelques autres apparences,
qui me font estrangement deffier de toute cette marchandi-
se. IeJe ne dy pas qu’il n’y en puisse auoiravoir quelque art: qu’il n’y
ait parmy tant d’ouuragesouvrages de nature, des choses propres à la
conseruationconservation de nostre santé, cela est vraysemblablecertein: iIjJ’entēsentens
bien, qu’il y à quelque simple qui humecte, quelque autre
qui asseche, ieje sçay par experience, & q̄que les refforts produisent
des vents, & que les feuilles du sené láchent le ventre: ieje sçay
plusieurs telles experiences, comme ieje sçay que le moutōmouton me
nourrit, & que le vin m’eschauffe: & disoit Solon, que le mē-
germen-
ger estoit, comme les autres drogues, vneune medecine contre la
maladie de la faim. IeJe ne desaduouë pas l’vsageusage, que nous tirōstirons
du monde,: ny ne doubte de la puissance, & vbertéuberté de nature,
& de son application à nostre besoing: iIejJe vois bien que les
brochets, & les arondes se trouuenttrouvent bien d’elle: iIejJe me deffie
des inuentionsinventions de nostre esprit,: de nostre science & art,: en fa-
ueurfa-
veur duquel nous l’auonsavons abandonnée, & ses regles,: & auquel
nous ne sçauonssçavons tenir moderation, &ny limite. ⁁
⁁ Come nous apelons
iusticejustice le pastissage
des premieres loix qui
nous tumbent en main
& leur dispensation
& pratique souuantsouvant
tresinepte et tresinique
Et come ceus qui s’en
moquent & qui l’accu=
sent n’entandent pas
pourtant iniurierinjurier
cette noble uertuvertu: eins
condamner sulement
l’abus & profanation
de ce sacrè tiltre.
De mesmes en la
medecine ij’honore
bien ce glorieus nom
sa proposition sa
promesse si utille
au genre humein.
mais ce qu’il designe
entre nous ieje ne
l’honore ny l’estime.
En premier lieu
l’experience me le fait craindre,: car de ce que ij’ay de connois-
sance, ieje ne voy nulle race de gēsgens si tost malade & si tard gue-
rie, que celle qui est sous la iurisdictionjurisdiction de la medecine. Leur
santé mesme est alterée & corrompue, par la contrainte des
regimes. Les medecins ne se contentent point d’auoiravoir la ma-
ladie en gouuernementgouvernement, ils rendent la santé malade, pour gar-
der qu’on ne puisse en aucune saison eschapper leur authori-
té. D’vneune santé constante & entiere, n’en tirent ils pas l’argu-
ment d’vneune grande maladie future? IJ’ay esté assez souuētsouvent ma-
lade, ij’ay trouuétrouvé sans leurs secours, mes maladies aussi douces
à supporter (& en ay essayé quasi de toutes les sortes) & aussi
courtes, qu’a nul’autre: & si n’y ay point meslé l’amertume de
leurs drogues.ordonances. La santé ieje l’ay libre & entiere, sans regle, & sans
LIVRE SECOND. 332340
autre discipline, que de ma coustume & de mon plaisir. Tout
lieu m’est bon à m’arrester, car il me faut autres commo-
ditez estant malade, que celles qu’il me faut estant sain. IeJe ne
me passionne point d’estre sans medecin, sans apotiquaire, &
sans secours: dequoy ij’en voy la plus part plus affligez que du
mal mesme. Quoy, eux mesmes nous font ils voir de l’heur &
de la durée en leur vie, qui nous puisse tesmoigner quelque
apparent effet de leur science? Il n’est natiōnation qui n’ait esté plu-
sieurs siecles sans la medecine: & les premiers siecles, c’est à
dire les meilleurs & les plus heureux,: & du monde la dixies-
me partie ne s’en sert pas encores à cette heure: infinies
nations ne la cognoissent pas, où l’on vit & plus saine-
ment, & plus longuement, qu’on ne fait icy, & parmy nous,
la plus part dule commun peuple s’en passe heureusement. Les Romains
auoyentavoyent esté six cens ans, auantavant que de la receuoirrecevoir, mais apres
l’auoiravoir essayée, ils la chasserent de leur ville, par l’entremise de
Caton le Censeur, qui montra combien aysémētaysément il s’en pou-
uoitpou-
voit passer, ayant vescu quatre vingts & cinq ans, & fait vi-
urevi-
vre sa femme iusqujusqu’a l’extreme vieillesse, non pas sans mede-
cine, mais ouy bien sans medecin, car toute chose qui se trou-
uetrou-
ve salubre à nostre vie se peut nommer medecine. Il en-
tretenoit, ce dict Plutarque, sa famille en santé, par l’vsageusage (ce
me semble) du lieurelievre: cComme les Arcades, dict Pline, gueris-
sent toutes maladies auecavec du laict de vache, ⁁
⁁ Et les Lybiens dict
Herodote iouissentjouissent
populerement d’une rare
sante par cette costume
qu’ils ont apres que leurs
enfans ont atteint quatre
ans de leur cauteriser &
brusler les ueinesveines du chef
et des temples par ou ils
coupent chemin pour la uievie
a t leur uievie a toute defluxion
de reume.
& les gens de vil-
lage de ce païs, à tous accidens, n’employent que du vin le plus
fort qu’ils peuuentpeuvent, meslé à force safran & espice: tout cela
auecavec vneune fortune pareille. Et à dire vray, de toute cette diuer-
sitédiver-
sité & confusion d’ordonnances, qu’elle autre fin & effect a-
pres tout y à il, que de vuider le ventre? ce que mille simples
domestiques peuuentpeuvent faire: & si ne sçay si c’est si vtillementutillement
qu’ils disent, & si nostre nature n’a point besoing de la residē-
ceresiden-
ce de ses excremens, iusquesjusques à certaine mesure, comme le vin
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à de sa lie pour sa conseruationconservation. Vous voyez souuentsouvent des hō-
meshom-
mes tressains, tomber en vomissemens, ou flux de ventre par
accident estranger, & faire vnun grand vuidange d’excremens
sans besoin aucun precedent, & sans aucune vtilitéutilité suiuantesuivante,
voire auecavec empirement & dommage. ⁁
⁁ C’est du grand Platon que
ij’ay apris entrenaguieres que de trois
sortes de mouuemētsmouvements qui nous
appartienent le dernier et le
pire est celuy des purgations:
que nul home s’il n’est fol
ne doit entreprendre qu’a lextremel’extreme
necessite: oOn uava troublant
& esueillantesveillant le mal par
drogueriesoppositions contreres. iIl faut
que ce soit la forme de uiurevivre
qui doucement et pru l’alan=
guisse et menereconduise a sa fin. Les
combatant et chocant de
uiuevive force nous laigrissonsl’aigrissons
a nos despans et
violantes harpades de
la drogue et du mal
sont tousiourstousjours
à nostre perte: puis que la
querelle se demesle ches
nous. eEt que la drogue est
un secours infiable,: et de sa
nature enemi a nostre santé:
& qui n’a accez en nostre
estat que par le trouble.
Laissons un peu faire:
l’ordre qui pouruoitpourvoit aus
puces et aus tamp taupes
pouruoitpourvoit aussi aus homes
qui ont la patiance pareil=
le, a se laisser gouuernergouverner
que les puces & les taupes.
Nous auonsavons beau crier
bihore: c’est bien pour
nous enrouër: mais non
pour l’auanceravancer. C’est un
ordre superbe et
impiteus: nostre creinte
nostre desespoir le
desgoute et retarde de
nostre aide au lieu
de l’y conuierconvier. Il
doit au mal son cours
comme a la sante: de se
laisser corrumpre en
faueurfaveur de l’un, au
preiudiceprejudice des droits
de lautrel’autre il ne le faira pas:
il tumberoit en desordre.
L’aposeme sera bien
mieus emploie a la
fieurefievre de nostre fan=
tasie. SuiuonsSuivons de par
Dieu, suiuonssuivons. Il meine
ceus qui suiuentsuivent: ceus
qui ne le suiuentsuivent pas il
les entreine:, et leur rage
& leur medecine ensamble. Faictes ordonesr une purgation a uostrevostre ceruellecervelle
Ell’y sera mieus emploiee que’a uostrevostre estomac.
On demandoit à vnun
Lacedemonien, qui l’auoitavoit fait viurevivre sain si long temps: l’i-
gnorance de la medecine, respondit il. Et Adrian l’Empereur,
crioit sans cesse en mourātmourant, que la presse des medecins, l’auoitavoit
tué. VnUn mauuaismauvais luicteur se fit medecin, courage luy dit Dio-
genes, tu as raison, tu mettras à cette heure en terre ceux qui
t’y ont mis autresfois. Mais ils ont cet heur, selon Nicocles
que le soleil esclaire leur succez, & la terre cache leur faute: &
outre-cela, ils ont vneune façon bien auantageuseavantageuse de se seruirservir de
toutes sortes d’euenemensevenemens, car ce que la fortune, ce que la
nature, ou quelque autre cause estrangere (desquelles le nō-
brenom-
bre est infini) produit en nous de bon & de salutaire, c’est le
priuilegeprivilege de la medecine de se l’attribuer. Tous les heureux
succez qui arriuentarrivent au patient, qui est soubs son regime, c’est
d’elle qu’il les tient. Les occasions qui m’ont guery à moy, &
qui guerissent mille autres, qui n’appellētappellent point les medecins
à leurs secours, ils les vsurpentusurpent en leurs subiectssubjects:. &Et quant aux
mauuaismauvais accidents, ou ils les desauouentdesavouent tout à fait, en attri-
buant la coulpe au patient par des raisons si vaines, qu’ils n’ōtont
garde de faillir d’en trouuertrouver tousiourstousjours assez bon nombre de
telles: ⁁ ⁁ il à descouuertdescouvert son bras, il à ouy le bruit d’vnun coche
rhedarum transitus arcto
Vicorum inflexu,
Ooù on luy à entrouuertentrouvert sa fenestre, où il s’est couché sur le co-
sté gauche, ou passé par sa teste quelque pensement penible.
Somme, vneune parolle, vnun songe, vneune oeuillade, leur semble suf-
fisante excuse pour se descharger de faute:. oOù s’il leur plait, ils
se
LIVRE SECOND. 333341
se seruentservent encore de cet empirement, & en font leurs affaires,
par cet autre moyēmoyen qui ne leur peut iamaisjamais faillir, c’est de nous
payer, lors que la maladie se trouuetrouve rechaufee par leurs appli-
cations, de l’asseurance qu’ils nous donnent, qu’elle seroit biēbien
autrement empirée sans leurs remedes. Celuy qu’ils ont iettéjetté
d’vnun morfondement en vneune fieurefievre quotidienne, il eust eu
sans eux, la continue. Ils n’ont garde de faire mal leurs be-
soignes, puis que le dommage leur reuientrevient à profit. Vraye-
ment ils ont raison de requerir du malade, vneune applicatiōapplication de
creance fauorablefavorable: il faut qu’elle le soit à la verité en bon es-
cient, & bien soupple, pour s’appliquer à des imaginations si
mal aisées à croire. Platon disoit bien à propos, qu’il n’aparte-
noit qu’aux medecins de mentir en toute liberté, puis que
nostre salut despend de la vanité, & fauceté de leurs promes-
ses. AEsope autheur de tres-rare excellence, & duquel peu de
gens descouurentdescouvrent toutes les graces, est plaisant à nous repre-
senter cette authorité tyrannique, qu’ils vsurpentusurpent sur ces pau-
urespau-
vres ames affoiblies & abatues par le mal, & la crainte: car il
conte, qu’vnun malade estant interrogé par son medecin, qu’elle
operation, il sentoit des medicamens, qu’il luy auoitavoit donnez,
ij’ay fort sué respondit-il: cela est bon dit le medecin: à vneune
autre fois il luy demanda encore, comme il s’estoit porté dé-
puis, ij’ay eu vnun froid extreme, fit-il, & ay fort tremblé: cela est
bon, suyuitsuyvit le medecin: à la troisiesme fois il luy demanda de
rechef, comment il se portoit, ieje me sens dit-il enfler & bouf-
fir comme d’ydropisie: voyla qui va bien, adioustaadjousta le mede-
cin: lL’vnun de ses domestiques venant apres à s’enquerir à luy de
son estat, certes mon amy, respond-il, à force de bien estre, ieje
me meurs. Il y auoitavoit en Aegypte vneune loy plus iustejuste, par laquel-
le le medecin prenoit son patient en charge les trois premiers
ioursjours, aux perils & fortunes du patiētpatient: mais les trois ioursjours pas-
sez, c’estoit aux siens propres. Car quelle raison y a il qu’Aes-
RRRr
ESSAIS DE M. DE MONTA.
culapius leur patron, ait esté frappé du foudre, pour auoiravoir r’a-
mené Heleine de mort à vie,
Nam pater omnipotens aliquem indignatus ab vmbris
Mortalem infernis, ad lumina surgere vitae,
Ipse repertorem medicinae talis, & artis
Fulmine Phoebigenam stygias detrusit ad vndas:
& ses suyuanssuyvans soyent absous, qui enuoyentenvoyent tant d’ames de
la vie à la mort. VnUn medecin vantoit à Nicocles, son art estre
de grande auctorité: vrayment c’est mon, dict Nicocles, qui
peut impunement tuer tant de gens. Au demeurant si ij’eusse
esté de leur conseil, ij’eusse rendu ma discipline plus sacrée &
mysterieuse: ils auoyentavoyent assez bien commencé, mais ils n’ont
pas acheuéachevé de mesme. C’estoit vnun bon commencement d’a-
uoira-
voir fait des dieux & des demons autheurs de leur sciēcescience, d’a-
uoira-
voir pris vnun langage à part, vneune escriture à part: ⁁
⁁ Quoi qu’en sente la philo=
sophie, que c’est follie de
conseiller un home pour son
profit, par maniere non
intelligible. Vt si quis
medicus imperet ut sumat:
Terrigenam, herbigradam,
domiportam, sanguine cassam.
uersvers
c’estoit vneune
bōnebonne regle en leur art, & qui accompaigne toutes les arts fan-
tastiques, vaines, & supernaturelles, qu’il faut que la foy du
patient, preoccupe par bonne esperance & asseurance, leur ef-
fect & operation. Laquelle reigle ils tiennent iusquesjusques là, que
le plus ignorant & grossier medecin, ils le trouuenttrouvent plus pro-
pre à celuy, qui à fiance en luy, que le plus experimenté.⁁ inconu. Le
chois mesmes de la pluspart de leurs drogues est aucunement
mysterieux & diuindivin. La pied gauche d’vneune tortue, l’vrineurine d’vnun
lezart, la fiante d’vnun Elephant, le foye d’vneune taupe, du sang ti-
ré soubs l’aile droite d’vnun pigeon blanc: & pour nous autres
coliqueux (tant ils abusent desdaigneusement de nostre mi-
sere) des crotes de rat pulueriséespulverisées, & telles autres singeries, qui
ont plus le visage d’vnun enchantement magicien, que de scien-
ce solide. IeJe laisse à part le nombre imper de leurs pillules: la
destination de certains ioursjours & festes de l’année: la distinctiōdistinction
des heures, à cuillir les herbes de leurs ingrediens: & cette gri-
mace rebarbatiuerebarbative & ceremonieuseprudante, de leur port & cōtenācecontenance,
LIVRE SECOND. 334342
dequoy Pline mesme se moque. Mais ils ont failly, ce veux
ieje dire, de ce qu’a ce beau cōmancementcommancement, ils n’ont adioustéadjousté ce-
cy, de rendre leurs assemblées & consultations plus religieu-
ses & secretes: aucūaucun homme profane n’y deuoitdevoit auoiravoir accez,
non plus qu’aux secretes ceremonies d’AEsculape. Car il ad-
uientad-
vient de cette faute, que leur irresolution, la foiblesse de leurs
argumens, diuinationsdivinations & fondements, l’ápreté de leurs cōte-
stationsconte-
stations, pleines de haine, de jalousie, & de consideration par-
ticuliere, venant à estre descouuertsdescouverts à vnun chacun, il faut estre
merueilleusementmerveilleusement aueugléaveuglée, si on ne se sent bien hazardé en-
tre leurs mains. Qui veid iamaisjamais medecin se seruirservir de la recep-
te de son compaignon, sans en retrācherretrancher ou y adiousteradjouster quel-
que chose. Ils trahissent assez par la leur art: & nous font voir
qu’ils y considerent plus leur reputation, & par consequent
leur profit, que l’interest de leurs patiens. Celuy la de leurs do-
cteurs est plus sage, qui leur à anciennement prescript, céte
regle, qu’vnun seul se mesle de traiter vnun malade: car s’il ne fait
rien qui vaille, le reproche à l’art de la medecine, n’en sera pas
fort grand pour la faute d’vnun homme seul: & au rebours, la
gloire en sera grande, s’il vient à bien r’encontrer: là où quand
ils sont beaucoup, ils descrient tous les coups le mestier: d’au-
tant qu’il leur aduientadvient de faire plus souuentsouvent mal que bien. Ils
se deuoyentdevoyent contenter, du perpetuel desaccord, qui se trouuetrouve
és opinions des principaux maistres & autheurs anciens de
cette science, lequel n’est conneu que des hommes versez aux
liureslivres, sans faire voir encore au peuple, les controuersescontroverses & in-
constances de iugementjugement, qu’ils nourrissent & continuent en-
tre eux. Voulons nous veoir vnun exemple de l’ancien debat de
la medecine. Hierophilus loge la cause originelle des mala-
dies aux humeurs: Erasistratus, au sang des arteres: Asclepia-
des, aux atomes inuisiblesinvisibles s’escoulātsescoulants en noz pores: AlcmaeōAlcmaeon,
en l’exuperance ou defaut des forces corporelles: Diocles, en
RRRr ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
l’inequalité des elemens du corps, & en la qualité de l’air, que
nous respirons: Strato, en l’abondance, crudité, & corruption
de l’alimant que nous prenons: Hippocrates, la loge aux es-
prits. Il y à l’vnun de leurs amis, qu’ils connoissent mieux que
moy, qui s’escrie à ce propos là, que la science la plus impor-
tance soit en nostre vsageusage, comme celle qui à charge de
nostre conseruationconservation & santé, c’est de mal’heur, la plus incer-
taine, la plus trouble, & agitée de plus de changemens. Il n’y à
pas grand danger de nous m’esconter à la hauteur du soleil,
ou en la fraction de quelque supputatiōsupputation astronomique: mais
icy, ou il va de tout nostre estre, ce n’est pas sagesse, de nous a-
bandonner à la mercy de l’agitation de tant de vents contrai-
res. AuantAvant la guerre Peloponesiaque, il n’y auoitavoit pas grands
nouuellesnouvelles de cette sciēcescience: Hippocrates la mit en credit: tout
ce que cettuy-cy auoitavoit estably, Chrysippus le renuersarenversa. Dé-
puis Erasistratus petit fils d’Aristote, tout ce que Chrysippus
en auoitavoit escrit: Apres ceux-cy, suruindrētsurvindrent les Empiriques, qui
prindrent vneune voye toute diuersediverse des anciens, au maniement
de cet art. Quand le credit de ces derniers commença à s’en-
uieilliren-
vieillir, Herophilus mit en vsageusage vneune autre sorte de medecine,
que Asclepiades vint à combattre & aneantir à son tour. A
leur reng vindrent aussi en authorité les opiniōsopinions de Thremi-
son, & dépuis de Musa, & encore apres celles de Vexius ValēsValens,
medecin fameux par l’intelligence qu’il auoitavoit auecquesavecques Mes-
salina femme de Claudius Caesar. L’Empire de la medecine
tōbatomba du temps de Neron, à Tessalus, qui abolit & condamna
tout ce qui en auoitavoit esté tenu iusq̄sjusques à luy. La doctrine de cet-
tuy-cy, fut abatue par Crinas de Marseille, qui apporta de nou
ueaunou
veau, de regler toutes les operatiōsoperations medecinales, aux epheme-
rides & mouuemēsmouvemens des astres, māgermanger, dormir, & boire à l’heu-
re qu’il plairoit à la Lune & à Mercure. Son auctorité, feut
bien tost apres supplantée, par Charinus, medecin de cette
LIVRE SECOND. 335343
mesme ville de Marseille. Cettuy-cy combattoit non seule-
ment la medecine ancienne, mais encore le publique, & tant
de siecles auparauantauparavant accoustumé, vsageusage des bains chauds. Il
faisoit baigner les hōmeshommes dans l’eau froide, en hyuerhyver mesme,
& plongeoit les malades dans l’eau naturelle des ruisseaux.
IusquesJusques au temps de Pline aucun Romain n’auoitavoit encore dai-
gné exercer la medecine: elle se faisoit par des estrangers, &
Grecs: comme elle se fait entre nous FrāçoisFrançois, par les Latineurs:
car comme dict vnun tresgrand medecin, nous ne goustonsreceuonsrecevons pas
aiséement la medecine que nous entendons, non plus que
nous ne sçaurions dōnerdonner pris auxde la de la la drogues que nous cognois-
sons:ceuillons. de nos mains. si elle ne nous est inconnue, si elle ne vient d’outre mer, &
ne nous est apportée de quelque lointaine region, elle n’a
point de force. Si les nations, desquelles nous retirōsretirons le gayac,
la salseperille, & le bois desquine, ont des medecins, combien
pensons nous par cette mesme industrie, de donner prix aux
drogues parrecomandation de l’estrangeté, la rareté, & la cherté, qu’ils facent fe-
ste de nos choux, & de nostre persil: car qui oseroit mespriser
& estimer vaines, les choses recherchées de si loing, au hazard
d’vneune si longue peregrination & si perilleuse. Depuis ces an-
ciennes mutations de la medecine, il y en a eu infinies autres
iusquesjusques à nous, & le plus souuentsouvent mutations entieres & vni-
uersellesuni-
verselles,: comme sont celles que fontproduisent de nostre temps, Para-
celse, FiorauantiFioravanti & Argenterius: car ils ne changent pas seule-
ment vneune drogue, où vneune recepte, mais, à ce qu’on me dict,
toute la contexture & police du corps de la medecine, accu-
sant d’ignorance & de piperie, tous ceux qui en ont faict pro-
fession iusquesjusques à eux. IeJe vous laisse à penser ou en est le pauurepauvre
patient:. sSi encor nous estions asseurez, quand ils se mescōtentmescontent,
qu’il ne nous nuisist pas, s’il ne nous profite, ce seroit vneune bien
raisonnable composition, de se hazarder d’acquerir du bien,
sans nousse mettre en aucun danger de perte. AEsope faict ce
RRRr iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
conte, qu’vnun qui auoitavoit achepté vnun More esclaueesclave, estimant
que cette couleur luy fust venue par accident, & mauuaismauvais trai-
ctement de son premier maistre, le fit medeciner de plusieurs
bains & breuuagesbreuvages, auecavec grand soing: il aduintadvint que le More
n’en amenda aucunemētaucunement sa couleur basanee, mais qu’il en per-
dit entierement sa premiere santé. Combien de fois nous ad-
uientad-
vient-il, de voir les medecins imputans les vnsuns aux autres la
mort de leurs patiens. Il me souuientsouvient d’vneune maladie populai-
re, qui fut aux villes de mon voisinage, il y à quelques années,
mortelle & tres-dangereuse: cet orage estant passé, qui auoitavoit
emporté vnun nombre infiny d’hommes, l’vnun des plus fameux
medecins de toute la contrée, vint à publier vnun liuretlivret, touchāttouchant
cette matiere, par lequel il se rauiseravise, de ce qu’ils auoientavoient vséusé de
la seignée au secours de cette maladie, & cōfesseconfesse que c’est l’vneune
des causes principales du dōmagedommage, qui en estoit aduenuadvenu. Da-
uātageDa-
vantage leurs autheurs tiennēttiennent, qu’il nyn’y à aucune medecine, qui
n’ait quelque partie nuisible, & si celles mesmes qui nous ser-
uentser-
vent, nous offencent aucunement, que doiuentdoivent faire celles
qu’on nous à appliquées du tout hors de propos? De moy,
quand il n’y auroit autre chose, ij’estime qu’à ceux qui hays-
sent le goust de la medecine, ce soit vnun dangereux effort, & de
preiudiceprejudice, de l’aller aualleravaller à vneune heure si incommode, auecavec
tant de contre-coeur: & croy que cela essaye merueilleusemētmerveilleusement
le malade en vneune saison, où il à tant de besoin de repos. Outre
ce que à considerer les occasions, surquoy ils fondētfondent ordinai-
rement la cause de nos maladies, elles sont si legeres & si deli-
cates, que ij’argumente par là, qu’vneune bien petite erreur en la
dispensation de leurs drogues, peut estre cause de nous appor-
ter beaucoup de nuisance. Or si le mesconte du medecin est
dangereux, il nous va bien mal: car il est bien mal aisé qu’il n’y
retombe souuentsouvent: il a besoing de trop de pieces, considera-
tions, & circonstances, pour affuter iustementjustement son dessein: il
LIVRE SECOND. 336344
faut qu’il connoisse la complexion du malade, sa temperatu-
re, ses humeurs, ses inclinations, ses actions, ses pensements
mesmes, & ses imaginations: il faut qu’il se responde des cir-
constances externes, de la nature du lieu, condition de l’air &
du temps, assiette des planettes, & leurs influances: qu’il sçache
en la maladie les causes, les signes, les affections, les ioursjours criti-
ques: en la drogue, le poix, la force, le pays, la figure, l’aage, la
dispensatiōdispensation: & faut que toutes ces pieces, il les sçache propor-
tionner & raporter l’vneune à l’autre, pour en engendrer vneune par-
faicte symmetrie. A quoy s’il faut tant soit peu, si de tant de
ressorts, il y en à vnun tout seul, qui tire à gauche, en voyla assez
pour nous perdre. Dieu sçait de quelle difficulté est la con-
noissance de la pluspart de ces parties: car pour exemple, com-
ment trouueratrouvera-il le signe propre de la maladie, chacune
estant capable d’vnun infiny nombre de signes? Combien ont
ils de debats entr’eux & de doubtes, sur l’interpretation des
vrinesurines? Autrement d’où viendroit cette altercation cōtinuel-
lecontinuel-
le que nous voyons entr’eux sur la connoissance du mal? Cō-
mentCom-
ment excuserions nous cette faute, où ils tombent si souuētsouvent,
de prendre martre pour renard? Aux maux, que ij’ay eu, pour
peu qu’il y eut de difficulté, ieje n’en ay iamaisjamais trouuétrouvé trois d’ac-
cord. IeJe remarque plus volontiers les exemples qui me tou-
chent. Dernierement à Paris vnun gentil-homme fust taillé par
l’ordonnance des medecins, auquel on ne trouuatrouva de pierre nōnon
plus à la vessie, qu’à la main,: & la mesmes vnun EuesqueEvesque qui m’e-
stoit fort amy, auoitavoit esté instamment sollicité par la pluspart
des medecins, qu’il appelloit à son conseil, de se faire tailler:
ij’aydoy moy mesme soubs la foy d’autruy à le luy persuader:
quand il fust trespassé, & qu’il fust ouuertouvert, on trouuatrouva qu’il n’a-
uoita-
voit mal qu’aux reins. Ils sont moins excusables en cette ma-
ladie, d’autant qu’elle est aucunemētaucunement palpable. C’est par là que
la chirurgie me semble beaucoup plus certaine, par ce qu’elle
ESSAIS DE M. DE MONTA.
voit & manie ce qu’elle fait, il y à peumoins a coniecturerconjecturer & a deui-
nerdevi-
ner, la où les medecins n’ōtont point de speculum matricis, qui leur
découuredécouvre nostre cerueaucerveau, nostre poulmon, & nostre foye. Les
promesses mesmes de la medecine sont incroiables: car ayant
à prouuoirprouvoir à diuersdivers accidents & contraires, qui nous pressent
souuentsouvent ensemble, & qui ont vneune relation quasi necessaire,
comme la chaleur du foye, & froideur de l’estomach, ils nous
vont persuadant que de leurs ingrediens, cettuy-cy eschaufe-
ra l’estomach, cet autre refreschira le foye: l’vnun à sa charge
d’aller droit aux reins, voire iusquesjusques à la vessie, sans estaler ail-
leurs ses operations, & conseruantconservant ses forces & sa vertu, en ce
long chemin & plein de destourbiers, iusquesjusques au lieu, au serui-
ceservi-
ce duquel il est destiné, par sa proprieté occulte: l’autre asseche
ra le cerueaucerveau: celuy la humectera le poulmon. De tout cet a-
mas, ayant fait vneune mixtion de breuuagebreuvage, n’est ce pas quelque
espece de resuerieresverie, d’esperer que ces vertus s’aillent diuisantdivisant,
& triant de cette confusion & meslange, pour courir à char-
ges si diuersesdiverses? IeJe craindrois infiniement qu’elles perdissent,
ou eschangeassent leurs ethiquetes, & troublassent leurs quar-
tiers,. &Et qui pourroit imaginer, que en cette confusion liqui-
de, ces facultez ne se corrompent, confondent, & alterent l’v-
neu-
ne l’autre. Quoy, que l’executiōexecution de cette ordonnance dépend
d’vnun autre officier, à la foy & mercy duquel nous abandonnōsabandonnons
encore vnun coup nostre vie? ⁁
⁁ Come nous auonsavons des
chapoliers des cordoaniers
des prepouintiers des chaus=
setiers pour nous uestirvestir et
en somes d’autant mieus
seruisservis que chaquen artisan
ne se mesle que de son subietsubjet
& a sa sciance plus restreinte
& plus courte que n’a un
tailleur qui enbrasse tout
le corps. eEt come a nous
nourrir les grands pour
plus de cōmoditecommodite ont
des offices d’istinguezdistinguez de
potagiers et de rostisseurs de
poissonniers ade quoi un cuisinier
qui prant la charge du
toutuniuerselleuniverselle ne peut si curieusemātcurieusemant
pretandreexquisement
venir a bout. dDe mesme a
nous guerir, les AEgiptiens
auointavoint raison de reietterrejetter
ce general mestier de
medecin et descouper cette profession a chaque ouurierouvrier son particulier ouurageouvrage sa partpartie du corps maladie a chaque partie du corps
son ouurierouvrier: car cette partie elle en estoit bien plus propremant et moins confuseement traictee de
quand ce qu’on regne regardoit qu’a elle specialemant. lLes nostres ne s’aduisētadvisent pas que qui pouruoitpourvoit a tout ne
pouruoitpourvoit a rien. que la totale police de ce petit monde leur est indigestible. CepandātCepandant qu’ils creignētcreignent
d’arreter le cours d’un dysanterique pour ne luy causer la fieurefievre ils me tuarent un amy qui ualoitvaloit
mieus que touttous tant qu’ils sont. Ils mettētmettent leurs diuinationsdivinations au pois a l’encontre des maus presāspresans
& pour ne guerir le cerueaucerveau au preiudiceprejudice de lestomacl’estomac nous ramplissent de ces drogues tumultueres
qui ruinētruinent uolontiersvolontiers & l’un et l’autre offancent lestomacl’estomac et empirent le cerueaucerveau par ces re drogues
tumultueres et quereleuses dissentieuses.
Quant à la varieté & foiblesse des
raisons de cet art, elle est plus apparēteapparente qu’en aucun autre art.
Les choses aperitiuesaperitives sont vtilesutiles à vnun homme coliqueus, d’au-
tant qu’ouurantouvrant les passages & les dilatant, elles acheminent
cette matiere gluātegluante, de laquelle se bastit la grauegrave, & la pierre,
& conduisent contre-bas, ce qui se commence à durcir & a-
masser aux reins. Les choses aperitiuesaperitives sont dangereuses à vnun
homme coliqueus, d’autant qu’ouurantouvrant les passages & les di-
latant, elles acheminent vers les reins, la matiere propre à ba-
stir
LIVRE SECOND. 337345
stir la grauegrave, lesquels s’en saisissant volontiers pour ceste pro-
pension, qu’ils y ont, il est malaisé qu’ils n’en arrestent beau-
coup de ce qu’on y aura charrié. D’auantageavantage, si de fortune
il s’y rencontre q̄lquequelque corps, vnun peu plus grosset qu’il ne faut
pour passer tous ces destroicts, qui restent à franchir pour
l’expeller au dehors, ce corps estant esbranlé par ces choses a-
peritiuesa-
peritives, & iettéjetté dans ces canaus estroits, venant à les bou-
cher, acheminera vneune certaine mort & tres-doloreuse. Ils ont
vneune pareille fermeté aux conseils qu’ils nous donnent de no-
stre regime de viurevivre: il est bon de tomber souuentsouvent de l’eau, car
nous voyons par experiēceexperience, qu’en la laissant croupir, nous luy
donnons loisir de se descharger de ses excremens, & de sa lye,
qui seruiraservira de matiere à bastir la pierre en la vessie: il est bōbon de
ne tomber point souuentsouvent de l’eau, car les poisans excrements
qu’elle traine quant & elle, ne s’emporteront poinct, s’il n’y a
de la violence, comme on void par experience, qu’vnun torrent
qui roule auecquesavecques roideur, baloye bien plus nettemētnettement le lieu
où il passe, que ne faict le cours d’vnun ruisseau mol & láche. Pa-
reillement il est bon d’auoiravoir souuentsouvent l’accointance desaffaire aus fēmesfemmes,
car cela ouureouvre les passages, & achemine la grauegrave & le sable: il
est bien aussi mauuaismauvais pour cette autre raison, quecar cela eschau-
fe les reins, les lasse & affoiblit. Il est bōbon de se baigner aux eaux
chaudes, d’autant que cela reláche & amollit les lieux, ou se
croupit le sable & la pierre: mauuaismauvais aussi est-il, d’autant que
cette application de chaleur externe, aide les reins à cuire, dur-
cir, & petrifier, la matiere qui y est disposée. A ceux qui sont
aux bains, il est plus salubre de manger peu le soir, affin que le
breuuagebreuvage des eaux qu’ils ont à prendre lendemain matin, face
plus d’operation, rencontrant l’estomac vuide, & non empes-
ché: au rebours, il est meilleur de manger peu au disner, pour
ne troubler l’operation de l’eau, qui n’est pas encore parfaite,
& ne charger l’estomac si soudain, apres cet autre trauailtravail, &
SSSs
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pour laisser l’office de digerer, à la nuict, qui le sçait mieux fai-
re que ne faict le iourjour, ou le corps & l’esprit, sont en perpetuel
mouuementmouvement & action. Voila comment ils vont bastelant, &
baguenaudant ⁁ a nos despens en tous leurs discours, & ne me sçauroiētsçauroient four-
nir proposition, à laquelle ieje n’en rebatisse vneune cōtrairecontraire, de pa-
reille vray-semblanceforce. Qu’on ne crie dōqdonq plus, apres ceux qui
en ce trouble, se laissent doucement conduire à leur appetit, &
au conseil de nature, & se remettent à la fortune commune.
IJ’ay veu par occasion de mes voyages, quasi tous les bains fa-
meux de Chrestienté, & depuis quelques années ay commen-
cé à m’en seruirservir: car en general ij’estime le baigner salubre, &
croy que nous encourons non legeres incommoditez, en no-
stre santé, pour auoiravoir perdu cette coustume, qui estoit gene-
ralement obseruéeobservée au temps passé, quasi en toutes les natiōsnations,
& est encores en plusieurs, de se lauerlaver le corps tous les ioursjours: &
ne puis pas imaginer que nous ne vaillions beaucoup moins
de tenir ainsi nos membres encroutez, & nos pores estouppés
de crasse. Et quant à leur boisson, la fortune à faict premiere-
ment, qu’elle ne soit aucunement ennemie de mon goust: se-
condement elle est naturelle & simple, qui aumoins n’est pas
dangereuse, si elle est vaine. Dequoy ieje pren pour respondant
cette infinité de peuples de toutes sortes & complexions, qui
s’y assemble. Et encores que ieje n’y aye apperceu aucun effect
extraordinaire & miraculeux: ains que m’en informātinformant vnun peu
plus curieusement qu’il ne se faict, ij’aye trouuétrouvé mal fondez, &
faux tous les bruits de telles operations, qui se sement en ces
lieux là & qui s’y croient (comme le monde va se pipant aisée-
ment de ce qu’il desire.:) Ttoutesfois aussi n’ay-ieje veu guere de
personnes que ces eaux ayent empiré, & ne leur peut-on sans
malice refuser cela, qu’elles n’esueillentesveillent l’appetit, facilitent la
digestion, & nous prestent quelque nouuellenouvelle allegresse, si on
n’y va ⁁ ⁁ par trop abbatu de forces, ce que ieje nde sconseille de faire. El-
LIVRE SECOND. 338346
les ne sont pas pour releuerrelever vneune poisante ruyne: elles peuuentpeuvent
appuyer vneune inclination legere, ou prouuoirprouvoir a la menace de
quelque alteration. Qui n’y apporte assez d’allegresse, pour
pouuoirpouvoir gousteriouirjouir le plaisir des compagnies qui s’y trouuenttrouvent:
iouyrjouyret des promenades & exercices, à quoy nous conuieconvie la
beauté des lieux, ou sont communémētcommunément assises ces eaux, il pertd
sans doubte la meilleure piece & plus asseurée de leur effect.
A cette cause ij’ay choisi iusquesjusques à cette heure, à m’arrester & à
me seruirservir, de celles ou il y auoitavoit plus d’amenité de lieu, com-
modité de logis, de viuresvivres & de compaignies, comme sont en
France, les bains de Banieres: en la frontiere d’Allemaigne, &
de Lorraine, ceux de PlōbieresPlombieres: en Souysse, ceux de Bade: en la
Toscane, ceux de Lucques: & notāmentnotamment ceux della Villa, des-
quels ij’ay vseéuseé plus souuentsouvent & à diuersesdiverses saisons. Chaque na-
tion à des opinions particulieres, touchant leur vsageusage, & des
loix & formes de s’en seruirservir, toutes diuersesdiverses: & selon mon ex-
perience l’effect quasi pareil. Le boire n’est aucunement receu
en Allemaigne,: pour toutes maladies, ils se baignētbaignent, & sont à
grenouiller dans l’eau, quasi d’vnun soleil à l’autre. En Italie quādquand
ils boiuentboivent neuf ioursjours, ils s’en beignent pour le moins trente,
& communement boiuentboivent l’eau mixtiōnéemixtionnée d’autres drogues,
pour secourir son operation. On nous ordonne icy de nous
promener pour la digerer: là on les arreste au lict, ou ils l’ont
prise, iusquesjusques à ce qu’ils l’ayent vuidée, leur eschauffant conti-
nuellement l’estomach, & les pieds:. cComme les Allemans ont
de particulier, de se faire generallement tous corneter & van-
touser, auecavec scarification dans le bain: ainsin ont les Italiens
leur doccie, qui sont certaines gouttieres de cette eau chaude,
qu’ils conduisent par des cannes, & vont baignant vneune heure
le matin, & autant l’apresdinée, par l’espace d’vnun mois, ou la
teste, ou l’estomac, ou autre partie du corps, à laquelle ils ont
affaire. Il y à infinies autres differences de coustumes, en chas-
SSSs ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que contrée: ou pour mieux dire, il n’y à quasi aucune ressem-
blance des vnesunes aux autres. Voila commētcomment cette partie de me-
decine, à laquelle seule ieje me suis laissé aller, quoy qu’elle soit
la moins artificielle, si a elle sa bōnebonne part de la confusion & in-
certitude, qui se voit par tout ailleurs en cet art. Les poëtes, di-
sent tout ce qu’ils veulētveulent, auecavec plus d’emphase & de grace, tes-
moing ces deux epigrammes.
Alcon hesterno signum Iouis attigit. Ille
Quamuis marmoreus, vim patitur medici.
Ecce hodie iussus transferri ex aede vetusta,
Effertur, quamuis sit Deus atque lapis.
Et l’autre,
Lotus nobiscum est hilaris, coenauit & idem,
Inuentus mane est mortuus Andragoras,
Tam subitae mortis causam Faustine requiris,
In somnis medicum viderat Hermocratem.
Sur quoy ieje veux faire deux contes: le Baron de Caupene en
Chalosse, & moy, auonsavons en commun le droict de patronage
d’vnun benefice, qui est de grande estenduë, au pied de nos mō-
taignesmon-
taignes, qui se nomme Lahontan,: il est des habitāshabitans de ce coin,
ce qu’on dit de ceux de la valée d’Angrougne,: ils auoientavoient vneune
vie à part, les façons, les vestemens, & les meurs à part: regis &
gouuernezgouvernez par certaines polices & coustumes particulieres,
receuës de pere en fils,: ausquelles ils s’obligeoient sans autre
contrainte, que de la reuerēcereverence de leur vsageusage. Ce petit estat, s’e-
stoit continué de toute ancienneté en vneune conditiōcondition si heureu-
se, que aucun iugejuge voisin, n’auoitavoit esté en peine de s’informer
de leur affaire,: aucun aduocatadvocat, employé à leur donner aduisadvis,:
ny estranger appellé pour esteindre leurs querelles, & n’auoitavoit
on iamaisjamais veu aucun de ce destroict là à l’aumosne. Ils fuy-
oient les alliances & le commerce de l’autre monde, pour
n’alterer la pureté de leur police: iusquesjusques à ce, comme ils reci-
tent, que l’vnun d’entre eux de la memoire de leurs peres,
LIVRE SECOND. 339347
ayant l’ame espoinçonnée d’vneune noble ambitiōambition, s’alla aduiseradviser
pour mettre son nom en credit & reputation, de faire l’vnun de
ses enfans maistre Iean, ou maistre Pierre: & l’ayant faict in-
struire à escrire en quelque ville voisine, en rendit en fin vnun
beau notaire de village. Cettuy-cy deuenudevenu monsieurgrand, com-
mença à desdaigner leurs anciennes coustumes, & à leur met-
tre en teste la pompe des regions de deça. Le premier de ses
comperes, à qui on escorna vneune cheurechevre, il luy conseilla d’en
demander raison aux iugesjuges Royaux d’autour de la, & de ce-
luy làcettuicy à vnun autre, iusquesjusques à ce qu’il eust tout abastardy. A la
suite de cette corruption, ils disent qu’il y en suruintsurvint inconti-
nent vnun’autre, de pire consequence, par le moyen d’vnun mede-
cin, à qui il print enuieenvie d’espouser vneune de leurs filles, & de s’ha-
bituer parmy eux. Cettuy-cy, commença à leur apprendre
premieremētpremierement le nom des fieburesfiebvres, des reumes, & des apostu-
mes, la situation du coeur, du foye, & des intestins, qui estoit
vneune science iusquesjusques lors tres-esloignée de leur connoissance:
& au lieu de l’ail, dequoy ils auoyētavoyent apris à chasser toutes sor-
tes de maux, pour aspres & extremes qu’ils fussent, il les ac-
coustuma pour vneune tous, ou pour vnun morfondement, à pren-
dre les mixtions estrangeres, & commença à faire trafique,
non de leur santé seulement, mais aussi de leur mort. Ils iurentjurent
que dépuis lors seulement, ils ont aperçeu que le serain leur
appesātissoitappesantissoit la teste, que le boyre ayātayant chaut apportoit nuis-
sance, & que les vents de l’automne estoyent plus griefs que
ceux du printemps: que dépuis l’vsageusage de cette medecine, ils
se trouuenttrouvent accablez d’vneune legion de maladies inaccoustu-
mées, & qu’ils apperçoiuentapperçoivent vnun general deschet, en leur an-
cienne vigueur, & leurs vies de moitié racourcies. Voyla le
premier de mes contes. L’autre est, qu’auantavant ma subiectionsubjection
graueleusegraveleuse, oyant faire cas du sang de bouc à plusieurs, com-
me d’vneune manne celeste enuoyéeenvoyée en ces derniers siecles, pour
SSSs iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
la tutelle & conseruationconservation de la vie humaine, & en oyant par-
ler à des gens d’entendement comme d’vneune drogue admira-
ble, & d’vneune operation infallible: moy qui ay tousiourstousjours pen-
sé estre en bute à tous les accidens, qui peuuentpeuvent toucher tout
autre homme, prins plaisir en pleine santé à me garnir de ce
miracle, & commādaycommanday chez moy qu’on me nourrit vnun bouc
selon la recepte: car il faut que ce soit aux mois les plus cha-
leureux de l’esté, qu’on le retire: & qu’on ne luy donne à man-
ger que des herbes aperitiuesaperitives, & à boire que du vin blanc. IeJe
me rendis de fortune chez moy le iourjour qu’il deuoitdevoit estre tué:
on me vint dire que mon cuysinier trouuoittrouvoit dans la panse
deux ou trois grosses boules, qui se choquoient l’vneune l’autre
parmy sa mengeaille: ieje fus curieux de faire apporter toute
cette tripaille en ma presence, & fis ouurirouvrir cette grosse & lar-
ge peau: il en sortit trois gros corps, legiers comme des espō-
gesespon-
ges, de façon qu’il semble qu’ils soyent creuz, durs au demeu-
rant par le dessus & fermes, bigarrez de plusieurs couleurs
mortes: l’vnun perfect en rōdeurrondeur, à la mesure d’vneune courte bou-
le: les autres deux, vnun peu moindres, ausquels l’arrondissemētarrondissement
est imperfect, & semble qu’il s’y acheminat. IJ’ay trouuétrouvé m’en
estant fait enquerir à ceux, qui ont accoustumé d’ouurirouvrir de
ces animaux, que c’est vnun accident rare & inusité. Il est vray-
semblable que ce sont des pierres cousines des nostres: & s’il
est ainsi, c’est vneune esperance bien vaine aux graueleuxgraveleux, de tirer
leur guerison du sang d’vneune beste, qui s’en aloit elle mesme
mourir d’vnun pareil mal. Car de dire que le sang ne se sent pas
de cette contagion, & n’en altere sa vertu accoustumée,
il est plustost à croire qu’il ne s’engendre rien en vnun corps
que par la conspiration & communication de toutes les
parties: la masse agit tout’entiere, quoy que ll’vneune piece
y contribue plus que l’autre, selon la diuersitédiversité des ope-
rations. Parquoy il y à grande apparence qu’en toutes les par-
LIVRE SECOND. 340348
ties de ce bouc, il y auoitavoit quelque qualité petrifiātepetrifiante. Et si cet-
te beste est subiettesubjette à cette maladie, ieje trouuetrouve qu’elle à esté mal
choisie pour nous y seruirservir de medicament. Ce n’estoit pas tāttant
pour ⁁ la creinte de l’adueniradvenir, et pour moy, mon vsageusage, que ij’estoy curieux de cette experiēceexperience: maiscome c’estoit
qu’il aduiētadvient chez moy, comme ainsi qu’en plusieurs maisons, que les fem-
mes y fōtfont amas de telles menues drogueries, pour en secourir
le peuple: vsantusant de mesme recepte à cinquante maladies, & de
telle recepte, qu’elles ne prennent pas pour elles, & si triom-
phent en bons euenemensevenemens. Au demeurant ij’honore les mede-
cins, non pas suyuantsuyvant le precepte, pour la necessité: car à ce
passage on en oppose vnun autre du prophete, reprenant le Roy
Asa d’auoiravoir eu recours au medecin, mais pour l’amour d’eux
mesmes, en ayant veu beaucoup d’honnestes hommes & di-
gnes d’estre aimez. Ce n’est pas à eux que ij’en veux, c’est à leur
art, & ne leur donne pas grand blasme de faire leur profit de
nostre sotise, car la plus part du monde faict ainsi. Plusieurs
vacations & moindres & plus dignes que la leur, n’ont fonde-
ment, & appuy qu’aux abuz publiques. IeJe les appelle en ma
compaignie, quand ieje suis malade, s’ils se r’encontrent à pro-
pos, & demande à en estre entretenu, & les paye comme les
autres. Au demeurant iIejJe leur donne loy de me commander
de me coucher sur le costé droit, si ij’ayme autant y estre, que
sur le gauche:m’abrier chaudement si ieje l’ayme mieus ainsi, que d’un’autre sorte: ils peuuentpeuvent choisir d’entre les porreaux & les
laictues, dequoy il leur plaira que mon bouillon se face, &
m’ordōnerordonner le blanc ou le clairet: & ainsi de toutes autres cho-
ses qui sont indifferentes à mon goustappetit & vsageusage. IJ’entans bien
que ce n’est rien faire pour eux, d’autant que l’aigreur & l’e-
strangeté sont accidans de l’essance propre de la medecine. Li-
curgus ordonnoit le vin aux Spartiates malades: Ppourquoy?
par ce qu’ils en haissoyent l’vsageusage, sains: tout ainsi qu’vnun gen-
til’homme mon voisin s’en sert pour drogue tressalutaire à
ses fieburesfiebvres, parce que de sa nature il en hait mortellement le
ESSAIS DE M. DE MONTA.
goust. Combien en voyons nous d’entr’eux, estre de mōmon hu-
meur? desdaigner la medecine pour leur seruiceservice, & prēdreprendre vneune
forme de vie libre, & toute contraire à celle qu’ils ordonnent
à autruy? Quest-ce cela, si ce n’est abuser tout destroussément
de nostre simplicité? Car ils n’ont pas leur vie & leur santé
moins chere que nous, & accommoderoyent leurs effets à
leur doctrine, s’ils n’en cognoissoyent eux mesmes la fauceté.
C’est la crainte de la mort & de la douleur, l’impatience du
mal, vneune furieuse & indiscrete faimsoif de la guerison, qui nous
aueugleaveugle ainsi: c’est pure lácheté qui nous rend nostre croyan-
ce si molle & si maniable. ⁁
⁁ La plus part pourtant ne
croient pas tant come par
lachete ils souffrent: Car ilsieje
se pleignentles ois se pleindre et en parlentr
comme nous. Mais ils se resoluētresolvent
en fin. Que fairois ieje donq? Quel
autre remede? Come si
l’impatiance estoit de soi
quelque meillur remede que
la patiance.
Y à il aucūaucun de ceux qui se sont lais-
sez aller à cette miserable subiectionsubjection, qui ne se rende esgale-
ment à toute sorte d’impostures? qui ne se mette à la mercy
de quiconque à cette impudence, de luy donner promesse de
sa guerison? ⁁
⁁ Les Babiloniens portoint
leurs malades en la place: Le
medecin c’estoit le peuple:
chacun des passans aiant par
humanité et ciuilitécivilité a
s’enquerir de leur estat & selon
son experiance leur doner
quelque aduisadvis salutere.
Nous n’en faisons guere
autremant.
Ouy, il n’est pas vneune simple femmelette, de qui
nous n’employons les barbotages & les breuetsbrevets: & selon mōmon
humeur, si ij’auoyavoy à en accepter quelqu’vneune, ij’accepterois plus
volontiers cette medecine que null’’aucune autre: d’autātautant qu’aumoins
il n’y à nul dommage à craindre. ⁁
⁁ Ce que Homere et Platon
disoint des AEgiptiens qu’ils
estoint tous medecins il
se doit dire de tous peuples:
Il n’est persone qui ne
se vātevante de quelque recette
& qui ne la hasarde
sur son uoisinvoisin s’il l’en
veut croire.
IJ’estoy l’autre iourjour en vneune
compagnie, ou ieje ne sçay qui, de ma confrairie, aporta la nou-
uellenou-
velle d’vneune sorte de pillules cōpiléescompilées de cent, & tant d’ingre-
diens de conte fait: il s’en esmeut vneune feste & vneune consolatiōconsolation
singuliere: car quel rocher soustiendroit l’effort d’vneune si nōnon
breuse baterie: ij’entens toutesfois par ceux qui l’essayerētessayerent, que
la moindre petite grauegrave ne daigna s’en esmouuoiresmouvoir. IeJe ne me
puis desprendre de ce papier, que ieje n’en die encore ce mot,
sur ce qu’ils nous donnent pour respondant de la certitude
de leurs drogues, l’experience qu’ils ont faite. La plus part, &
ce croy-ieje, plus des deux tiers des vertus medecinales, consi-
stent en la quinte essence, ou proprieté occulte des simples, de
laquelle nous ne pouuonspouvons auoiravoir autre instruction que l’vsa-
geusa-
ge. Car quinte essence, n’est autre chose qu’vneune qualité, de la-
quelle
LIVRE SECOND. 341349
quelle par nostre raison nous ne pouuonspouvons conceuoirconcevoirsçauonssçavons trouuertrouver la cause.
En telles preuuespreuves, celles qu’ils disent auoiravoir acquises par l’in-
spiration de quelque Daemon, ieje suis content de les receuoirrecevoir,
(car quant aux miracles, ieje n’y touche iamaisjamais) ou bien encore
les preuuespreuves qui se tirent des choses, qui pour autre considera-
tion tombent souuentsouvent en nostre vsageusage: comme si en la laine,
dequoy nous auonsavons accoustumé de nous vestir, il s’est trouuétrouvé
par accident, quelque occulte proprieté desiccatiuedesiccative, qui gue-
risse les mules au talon, & si au reffort, que nous mangeons
pour le goustla nourriture, il s’y est rencontré auecavec l’vsageusage quelque opera-
tion apperitiueapperitive:. tout ainsi comme Galen recite (à ce qu’on
m’a dict) qu’il aduintadvint à vnun ladre de receuoirrecevoir guerison par le
moyen du vin qu’il beut, d’autant que de fortune vneune vipere
s’estoit coulee dans le vaisseau. Car nNous trouuonstrouvons en cest ex-
emple le moyen & vneune conduite vray-semblable à cette ex-
perience: cComme aussi en celles, ausquelles les medecins di-
sent, auoiravoir esté acheminez par l’exēpleexemple d’aucunes bestes. Mais
en la plus part des autres experiences, à quoy ils disent auoiravoir
esté conduis par la fortune, & n’auoiravoir eu autre guide que le
hazard, ieje trouuetrouve le progrez de cette informatiōinformation incroyable.
IJ’imagine l’homme, regardant au tour de luy le nombre infi-
ny des choses, plantes, animaux, metaux. IeJe ne sçay par ou, luy
faire commencer son essay: & quand sa premiere fantasie se
ietterajettera sur la corne d’vnun elan, à quoy il faut prester vneune creācecreance
bien molle & aisée: il se trouuetrouve encore autant empesché en sa
seconde operation. Il luy est proposé tant de maladies, & tant
de circonstances, qu’auantavant qu’il soit venu à la certitude de ce
point, ou doit ioindrejoindre la perfection de son experience, le sens
humain y perd son latin: & auantavant qu’il ait trouuétrouvé parmy cet-
te infinité de choses, que c’est cette corne: parmy cette infini-
té de maladies, l’epilepsie: tant de complexions, au melancoli-
que: tant de saisons, en hyuerhyver: tant de nations, au François:
TTTt
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tant d’aages, en la vieillesse: tant de mutations celestes, en la
conionctionconjonction de Venus & de Saturne: tant de parties du corps,
au doigt. A tout cela n’estant guidé ny d’argument, ny de
coniectureconjecture, ny d’exemple, ny d’inspiration diuinedivine, ains du
seul mouuementmouvement de la fortune, il faudroit que ce fut par vneune
fortune, parfectement artificielle, reglée & methodique. Et
puis quand la guerison fut faicte, comment se peut il asseu-
rer, que ce ne fut, que le mal fut arriuéarrivé à sa periode, ou vnun ef-
fect de la fortunedu hasard, ou l’operatiōoperation de quelque autre chose, qu’il
eust ou mangé, ou beu, ou touché ce iourjour la, ou le merite des
prieres de sa mere grand. DauantageDavantage quand cette preuuepreuve au-
roit esté parfaicte, combien de fois fut elle reiterée? & cette
longue cordée de fortunes & de r’encontres r’enfilée, pour en
conclurre vneune regle. Quand elle sera conclue par qui est-ce?
de tant de millions, il n’y à que trois hommes qui se meslent
d’enregistrer leurs experiences. Le hazardsort aura il r’encontré à
point nommé l’vnun de ceux cy. Quoy si vnun autre, & si cent au-
tres, ont faict des experiences contraires. A l’auantureavanture verriōsverrions
nous quelque lumiere, si tous les iugementsjugements, & raisonnemētsraisonnements
des hommes nous estoyētestoyent cogneuz. Mais que trois tesmoins
& trois docteurs regentētregentent l’humain genre, ce n’est pas la rai-
son: il faudroit q̄que l’humaine nature les eust deputez & choi-
sis, & qu’ils fussent ⁁ declares nos syndics. par expresse procuration.
A MADAME DE DVRASDURAS.
Madame, vous me trouuatestrouvates sur ce pas dernierement, que
vous me vintes voir. Par ce qu’il pourra estre que ces inepties
se verrontrencontreront quelque fois entre vos mains: ieje veux aussi qu’elles
portent tesmoignage, que l’autheur se sent bien fort honoré
de la faueurfaveur que vous leur ferez. Vous y recōnoistrezreconnoistrez ce mes-
me port, & ce mesme air que vous auezavez veu en sa conuersa-
tionconversa-
tion. Quand ij’eusse peu prendre quelque autre façon que la
LIVRE SECOND. 342350
mienne ordinaire, & quelque autre forme plus honorable &
meilleure, ieje ne l’eusse pas faict: car ieje ne veux tirer de ces es-
crits, autre effait, sinōsinon qu’ils me representent à vostre memoi-
re, au naturel. Ces mesmes conditions & facultez, que vous a-
ueza-
vez pratiquées & receuillies, Madame, auecavec beaucoup plus
d’honneur & de courtoisie qu’elles ne meritent, ieje les veux lo-
ger (mais sans alteration & changement) en vnun corps solide,
qui puisse durer q̄lequesquelques années, ou quelques ioursjours apres moy,
ou vous les retrouuerezretrouverez, quādquand il vous plaira vous en refres-
chir la memoire, sans prendre autrement la peine de vous en
souuenirsouvenir: aussi ne le valent elles pas. IeJe desire que vous conti-
nuez en moy la faueurfaveur de vostre amitié, par ces mesmes qua-
litez, par le moyen desquelles, elle à esté produite. IeJe ne cher-
che aucunement qu’on m’ayme & estime mieux, mort, que
viuantvivant. L’humeur de Tibere est ridicule, & commune pour-
tant., Ilqui auoitavoit, dict Tacitus, plus de soin d’estendre sa renōméerenommée
à l’adueniradvenir, qu’il n’auoitavoit de se rendre estimable & agreable aux
hommes de son temps. ⁁
⁁ Si iestoisj’estois de ceus a
qui le monde peut
deuoirdevoir loange a
l’adueniradvenir l’enieje l’en quiteroy
la moitie & qu’il me
la païat d’aduanceadvance.
Qu’elle se hastat et
amoncelat toute
autour de moi plus
espendueespoisse qu’alongee
plus pleine que
durable. Et qu’elle
s’euanouitevanouit hardiment
quand et ma conois=
sance et que ce dous son
ne touchera plus mes oreilles.
Ce seroit vneune sotte humeur, d’aller à
cette heure, que ieje suis prest d’abandonner le commerce des
hommes, me produire à eux, par vneune nouuellenouvelle recommanda-
tiōrecommanda-
tion. IeJe ne fay nulle recepte des biens que ieje n’ay peu employer
à l’vsageusage de ma vie. Quel que ieje soye, ieje le veux estre ailleurs
qu’en papier. Mon art & mon industrie, ont esté employez à
me faire valoir moy-mesme. Mes estudes, à m’apprendre à fai-
re, non pas à escrire. IJ’ay mis tous mes efforts à former ma vie.
Voyla mon mestier & mon ouurageouvrage. IeJe suis moins faiseur de
liureslivres, que de nulle autre besoigne. IJ’ay desiré de la suffisance
& de la valeur, pour le seruiceservice de mes commoditez presentes
& essentielles, non pour en faire magasin, & reseruereserve à mes he-
ritiers. ⁁
⁁ Qui a de la ualeurvaleur, lesi le
face parestre en ses meurs en
ses propos ordineres a traiter
lamourl’amour ou des querelles
au ieujeu au lict a la table
a la conduite de ses affaires
et oeconomie de sa maison.
Ceus que ieje suoisvoi faire des
bons liureslivres sous des
mechantes chausses eussent premie=
rement faict leurs chausses s’ils m’en
eussent creu Demandes a un Spartiate s’il
aime mieus estre bon physicienRhetoricien que bon soldat.
non pas moi que bon cuisinier si ieje n’auoisavois qui
m’en seruitservit.
Mon Dieu, Madame, que ieje haïrois vneune telle recom-
mandation, d’estre habile homme par escrit, & auoiravoir estéestre vnun
TTTt ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
hōmehomme de neant, & vnun sot, ailleurs. IJ’ayme mieux encore estre
vnun sot, & icy, & là, que d’auoiravoir si mal choisi, ou employer ma
valeur. Aussi il s’en faut tant que ij’attende à me faire quelque
nouuelnouvel honneur par ces sotises, que ieje feray beaucoup, si ieje
n’y en pers point, de ce peu que ij’en auoisavois aquis. Car, outre ce
que cette peinture morte, & muete, desrobera à mon estre na-
turel, elle ne se raporte pas à mon meilleur estat, mais beau-
coup descheu de ma premiere vigueur & allegresse, tirant sur
le flestry & le rance. IeJe suis sur le fond du vaisseau, qui sent tā-
tosttan-
tost aule bas, & à la lye. Au demeurant, Madame, ieje n’eusse pas
osé remuer si hardiment les misteres de la medecine, attendu
le credit que vous & tant d’autres luy donnez, si ieje n’y eusse
esté acheminé par ses autheurs mesme. IeJe croy qu’ils n’en ont
que deux anciens Latins, Pline & Celsus. Si vous les voyez
quelque iourjour, vous trouuereztrouverez qu’ils parlētparlent bien plus rudemētrudement
à leur art, que ieje ne fay: ieje ne fay que la pincer, ils l’esgorgent.
Pline se mocque entre autres choses, dequoy, quand ils sont
au bout de leur latincorde, ils ont inuentéinventé cette belle deffaite, de
r’enuoyerenvoyer les malades qu’ils ont agitez & tormēteztormentez pour neātneant
de leurs drogues & regimes, les vnsuns, au secours des voeuz, &
miracles, les autres aux eaux chaudes. (Ne vous courroussez
pas, Madame, il ne parle pas de celles de deça, qui sont soubs
la protection de vostre maison, & qui sont toutes Gramon-
toises.) Nos medecins sont encore plus hardis: car iIls ont vneune
tierce sorte de deffaite, pour nous chasser d’aupres d’eux, & se
descharger des reproches, que nous leur pouuōspouvons faire du peu
d’amendement, que nous trouuonstrouvons à noz maux, qu’ils ont eu
si long temps en leur gouuernementgouvernement, qu’il ne leur reste plus
aucune inuentiōinvention à nous amuser: c’est de nous enuoierenvoier cercher
la bonté de l’air de quelque autre contrée. Madame en voyla
assez: vous me donnez bien congé de reprendre le fil de mōmon
propos, duquel ieje m’estoy destourné, pour vous entretenir.
LIVRE SECOND. 343351
Ce fut ce me semble, Pericles, lequel estant enquis, comme
il se portoit, vous le pouuezpouvez, fit-il, iugerjuger par là, en montrātmontrant des
breuetsbrevets, qu’il auoitavoit attachez au col & au bras. Il vouloit infe-
rer, qu’il estoit bien malade, puis qu’il en estoit venu iusquesjusques-
là, d’auoiravoir recours à choses si vaines, & de s’estre laissé equip-
per en cette façon. IeJe ne dy pas que ieje ne puisse me laisserestre em-
porteré vnun iourjour à cette opinion ridicule, de remettre ma vie, &
ma santé à la mercy & gouuernementgouvernement des medecins: ieje pour-
ray tomber en cette resuerieresverie: ieje ne me puis respondre de ma
fermeté future: mais lors aussi si quelqu’vnun s’enquiert à moy,
comment ieje me porte, ieje luyieje luy pourray dire, comme Pericles,
vous le pouuezpouvez iugerjuger par là, en luy montrant ma main char-
gée de six dragmes d’opiate: ce sera vnun bien euidētevident signe d’vneune
maladie violente,: & qui aura troublé l’assiette de mon enten-
demētenten-
dement, & de ma raison. IJij’auray mon iugementjugement merueilleuse-
mentmerveilleuse-
ment disloquédesmanché: si l’impatience & la frayeur gaignent cela sur
moy, on en pourra conclurre vneune bien aspre & forte fiéurefiévre en
mon ame. IJ’ay pris la peine de plaider cette cause, que ij’entens
assez mal, pour appuyer vnun peu & conforter cettela propension
naturelle, contre les drogues, & pratique de nostre medecine,
qui s’est deriuéederivée en moy, par mes ancestres, a fin que ce ne fust
pas seulement vneune inclination stupide & temeraire, & qu’elle
eust vnun peu plus de forme: & aussi que ceux qui me voyent si
ferme contre les enhortemēsenhortemens & menaces, qu’on me fait, quādquand
mes maladies me pressent, ne pensent pas que ce soit simple
opiniastreté, ou qu’il y ait quelqu’vnun si fácheux, qui iugejuge en-
core que ce soit quelque esguillon de gloire: qui seroit vnun de-
sir bien assené, de vouloir tirer honneur d’vneune action, qui m’est
commune, auecavec mon iardinierjardinier & mōmon muletier. Certes ieje n’ay
point le coeur si enflé, ne si venteux, qu’vnun plaisir solide, char-
nu, & moëleus, comme la santé, ieje l’alasse eschanger, pour vnun
plaisir imaginaire, spirituel, & aërée. La gloire, voire celle des
TTTt iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
quatre fils Aymon, est trop cher achetée à vnun homme de mon
humeur, si elle luy couste trois bons accez de cholique: lLa san-
té de par Dieu! Au demeurant cCeux qui ayment nostre mede-
cine, peuuentpeuvent auoiravoir aussi leurs consideratiōsconsiderations bōnesbonnes, grādesgrandes, &
fortes: ieje ne hay point les fantasies contraires à laaus miennes. Il
s’en faut tāttant que ieje m’effarouche, de voir de la discordance de
mes iugemensjugemens à ceux d’autruy, & que ieje me rende incompati-
ble à la societé des hōmeshommes, pour estre d’autre sens ⁁ ⁁ et parti que le mien,:
qu’au rebours, comme c’est la plus generale formefaçon que natu-
re aitaye suiuysuivy que la varieté, ⁁
⁁ qui n’est pas
moindreset plus aus esprits
qu’aus cors:, d’autātautant
qu’ils sont de substance
plus soupple,: ieje IeJe et
plus susceptible de plus de formes
diuersesdiverses: ieje
ieje trouuetrouve bien plus nouueaunouveau, & plus
rare, de voir conuenirconvenir nos humeurs, & nos fantasiesdesseins. Et à l’ad-
uanturead-
vanture ne fut il iamaisjamais au monde, deux opinions entieremētentierement
pareilles, non plus que deux ⁁ ⁁ poils ou deus grains visages. Leur plus propreuniuerselleuniverselle qualité,
c’est la diuersitédiversité, & la discordance.
FIN DVDU SECOND LIVRE.
de la Bibliothéque Centrale de Bordeaux
Departement de la gironde M
344352
ESSAIS DE MICHEL
DE MONTAIGNE.
LIVRE TROISIESME.
De l’vtileutile & de l’honneste.
CHAP. I.
PERSONNE n’est exempt de dire des fadaises:.
lLe malheur est, de les dire curieusement:.
Nae iste magno conatu magnas nugas dixerit.
Cela ne me touche pas,. lLes miennes m’eschap-
pent aussi nonchallammētnonchallamment qu’elles le valent:.
dD’où bien leur prend:. iIejJe les quitterois soudain,
à peu de coust qu’il y eust,. &Et ne les achette, & neny les vens, que
ce qu’elles poisent: iIejJe parle au papier, comme ieje parle au pre-
mier que ieje rencontre: qQu’il soit vray, voicy dequoy. A qui ne
doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si
grand interest. On luy manda d’Allemaigne, que s’il le trou-
uoittrou-
voit bōbon, on le defferoit d’Ariminius par poison: cC’estoit le plus
puissant ennemy que les Romains eussent, qui les auoitavoit si vi-
lainement traictez soubs Varus, & qui seul empeschoit l’ac-
croissement de sa domination en ces contrées là. Il fit respon-
ce, que le peuple Romain, auoitavoit accoustumé de se venger de
ses ennemis par voye ouuerteouverte, les armes en main, nōnon par frau-
de & en cachette: iIl quitta l’vtileutile pour l’honneste. C’estoit (me
direz vous) vnun affronteur. IeJe le croy: cCe n’est pas grand miracle,
ESSAIS DE M. DE MONT.
à gens de sa profession. Mais la confession de la vertu, ne por-
te pas moins en la bouche de celuy qui la hayt: dD’autātautant, que la
verité la luy arrache par force,: & que s’il ne la veut receuoirrecevoir en
soy,: aumoins il s’en couurecouvre, pour s’en parer. Nostre bastiment
& public & priuéprivé, est plain d’imperfection: mMais il n’y à rien
d’inutile en nature,: nNon pas l’inutilité mesmes,: rRien ne s’est in-
geré en cet vniuersunivers, qui n’y tienne place opportune. Nostre e-
stre est simenté de qualitez maladiuesmaladives: lL’ambition, la ialousiejalousie,
l’enuieenvie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en
nous, d’vneune si naturelle possessiōpossession, que l’image s’en reconnoist
aussi aux bestes: vVoire & la cruauté, vice si desnaturé: cCar au mi-
lieu de la compassion, nous sentons au dedans, ieje ne sçay quel-
le aigre-douce poincte de volupté maligne, à voir souffrir au-
truy: &Et les enfans le sentent.,
Suaue mari magno turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem.
Desquelles qualitez qui osteroit les semences en l’homme, de-
struiroit les fondamentalles conditions de nostre vie:. dDe mes-
me, en toute police, il y à des offices necessaires, non seulement
abiectsabjects, mais encore vitieux: lLes vices y trouuenttrouvent leur rang, &
s’employent à la cousture de nostre liaison: comme les venins
à la conseruationconservation de nostre santé. S’ils deuiennentdeviennent excusables,
d’autant qu’ils nous font besoing,: & que la necessité commu-
ne efface leur vraye qualité,: il faut laisser iouerjouer cette partie,
aux citoyens plus vigoureux, & moins craintifs,: qui sacrifiētsacrifient
leur honneur & leur conscience, comme ces autres antiens sa-
crifierent leur vie, pour le salut de leur pays: nNous autres plus
foibles, prenons des rolles & plus aisez & moins hazardeux: lLe
bien public requiert qu’on trahisse, & qu’on mente, ⁁
La différence des encres montre bien une correction de la virgule en deux-points après "massacre".
⁁ et qu’on
massacre,:
resignōsresignons
cette commission à gens plus obeissans & plus soupples. Cer-
tes ij’ay eu souuentsouvent despit, de voir des iugesjuges attirer par fraude &
fauces esperances, de faueurfaveur ou pardōpardon, le criminel à descouurirdescouvrir
son
LIVRE TROISIESME.345353
son fait,: & y employer la piperie & l’impudēceimpudence: iIl seruiroitserviroit biēbien
à la iusticejustice,: & à Platon mesmes, qui fauorisefavorise cet vsageusage, de me
fournir d’autres moyens plus selon moy. C’est vneune iusticejustice ma-
litieuse,: &Et ne l’estime pas moins blessee par soy-mesme, que
par autruy. IeJe respondy, n’y a pas long temps, qu’a peine tra-
hirois-ieje le Prince pour vnun particulier, qui serois tre-marry de
trahir aucun particulier, pour le Prince: &Et ne hay pas seulemētseulement
à piper, mais ieje hay aussi qu’on se pipe en moy: iIejJe n’y veux pas
seulement fournir de matiere & d’occasion. En ce peu que
ij’ay eu à negotier entre nos Princes, en ces diuisionsdivisions, & subdi-
uisionssubdi-
visions, qui nous deschirent auiourdaujourd’huy,: ij’ay curieusement
euitéevité qu’ils se mesprinssent en moy, & s’enferrassent en mon
masque. Les gens du mestier se tiennent les plus couuertscouverts, &
se presentent & contrefont les plus moyēsmoyens, & les plus voisins
qu’ils peuuentpeuvent: mMoy, ieje m’offre par mes opiniōsopinions les plus viuesvives,
& par la forme plus mienne: tTendre negotiateur & nouicenovice,: qui
ayme mieux faillir à l’affaire, qu’à moy. C’a esté pourtant ius-
q̄sjus-
ques à cette heure, auecavec tel heur: (car certes lala fortune y a laHésitation entre "fortune" et "la fortune", mais Montaigne enlève tout de même le "la" devant "part", ce qui démontre une recherche d’équilibre stylistique. prin-
cipalle part.) que peu ont passé de main à autre, auecavec moins
de soubçon, plus de faueurfaveur & de priuautéprivauté. IJ’ay vneune fa-
çon ouuerteouverte, aisée à s’insinuer, & à se donner credit aux pre-
mieres accointances. La naifueténaifveté & la verité pure, en quelque
siecle que ce soit, trouuenttrouvent encore leur opportunité & leur
mise. Et puis,: de ceux-là est la liberté peu suspecte, & peu o-
dieuse, qui besoingent sans aucun leur interest: &Et qui peuuentpeuvent
veritablement employer la respōceresponce de Hipperides aux Athe-
niens, lesquels se plaingnoientans de l’aspreté de son parler: mMes-
sieurs, ne considerez pas si ieje suis libre, mais si ieje ⁁ ⁁ le suis sans rien
prendre, & sans amender par là mes affaires,. mMa liberté m’a
aussi aiséemētaiséement deschargé du soubçōsoubçon de faintise par sa vigueur:
n’espargnant rien à dire pour poisant & cuisant qu’il fut, ieje
n’eusse peu dire pis absent: EeEte qu’elle à vneune mōtremontre apparēteapparente, de
VVVv
ESSAIS DE M. DE MONTA.
simplesse & de nonchalance: iIejJe ne pretens autre fruict en agis-
sant, que d’agir, & n’y attache longues suittes & propositiōspropositions:
cChasque action fait particulierement son ieujeu: porte s’il peut.
Au demeurant, ieje ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou a-
moureuse enuersenvers les grands: ny n’ay ma volōtévolonté garrotée d’of-
fence, ou obligation particuliere. ⁁
⁁ IeJe regarde nos Roys d’une
affection simplement legitime
& publique ciuilecivile: ny desmeue ny esmeue
ny destourneemeue par interest priuèprivè.
dequoi ieje me sçai bon gré.
La cause generale & legiti-
meiustejuste, ne m’attache non plus, que moderéement & sans fiéurefiévre,: iIejJe
ne suis pas subietsubjet à ces hypotheques & engagemens penetrans
& intimes: lLa colere & la hayne, sont au delà du deuoirdevoir de la
iusticejustice: &Et sont passions seruansservans seulement, à ceux, qui ne tien-
nent pas assez à leur deuoirdevoir, par la raison simple: tToutes inten-
tions legitimesequitables legitimes et equitables, sont d’elles mesmes ⁁ equables et temperées,: sinōsinon, elles s’al-
terent en seditieuses & illegitimes. C’est ce qui me faict mar-
cher par tout, la teste haute, le visage & le coeur ouuertouvert. A la
verité, & ne crains point de l’aduoueradvouer, ieje porterois facilement
au besoing, vneune chandelle à S. Michel, l’autre à son serpent, sui-
uantsui-
vant le dessein de la vieille: iIejJe suiuraysuivray le bon party iusquesjusques au
feu,: mais exclusiuementexclusivement si ieje puis: qQue Montaigne s’engouffre
quant & la ruyne publique, si besoin est: mMais s’il n’est pas be-
soin, & s’il ne sert, ieje sçauray bon gré à la fortune qu’il se sau-
uesau-
ve: &Et autant que mon deuoirdevoir me donne de corde, ieje l’ēployeemploye
à sa conseruationconservation. ⁁
⁁ Suos quisque periculo in
commune consultum non uult.
Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au iustejuste
party, & au party qui perdit, se sauuasauva par sa moderation, en cet
vniuerseluniversel naufrage du monde,: parmy tant de mutations & di-
uersitezdi-
versitez? Mais aAux hōmeshommes, cōmecomme luy, priuezprivez, il est plus aisé: careEt
en telle sorte de besongne, ieje trouuetrouve qu’on peut iustemētjustement n’e-
stre pas ambitieux à s’ingerer & cōuierconvier soymesmes: dDe se tenir
chancelātchancelant & mestis,: de tenir son affectiōaffection immobile, & sans in-
clinatiōin-
clination aus troubles de son pays, & en vneune diuisiondivision publique,
ieje ne le trouuetrouve ny beau, ny hōnestehonneste:⁁
⁁ : eEa non media sed
nulla uia est, uelut
euentum expectantium
quo fortuna consilia
sua applicent. Il Cela
peut estre permis enuersenvers
les affaires des uoisinsvoisins et Gelon Roytiran de Siracuse suspandit ainsi son inclination
en la guerre des Barbares contre les grecs enuoiantenvoianttenant un’ambasseambassade a Delphes a tout
des presans pour estre laen eschoguette a uoirvoir du quel coste tūberoittumberoit la fortune
et prandre partil’occasion a point pour le cōcilierconcilier au uictoriusvictorius. Mais aus propres affaires & domestiques il
Ce seroit une espece de trahison de le faire aus propres & domestiques affaires: aus quels necesseremant il
il faut prendre party, ⁁ ⁁ par application de dessein mMais
de ne s’embesongner point,: à hōmehomme, qui n’a ny charge, ny cō-
mādemētcom-
mandement expreés qui le presse, ieje le trouuetrouve plus excusable (& si
LIVRE TROISIESME.346354
ne me serspratique pour moy de cette excuse) qu’aux guerres estrange-
res,: dDesquelles pourtātpourtant selon nos loix, ne s’ēpescheempesche qui ne veut.
Toutesfois ceux encore qui s’y engagent tout à faict, le peu-
uentpeu-
vent, auecavec tel ordre & attrēpanceattrempance, que l’orage deuradevra couler par
dessus leur teste sans offence. N’auionsavions nous pas raison de l’es-
perer ainsi du feu EuesqueEvesque d’Orleans, sieur de Moruilliers? Et
ij’en cognois entre ceux qui y ouurentouvrent valeureusement, à cette
heure,: de meurs ou si equables, ou si douces, qu’ils serōtseront, pour
demeurer debout, quelque iniurieuseinjurieuse mutatiōmutation, & cheute. que
le ciel nous appreste. IeJe tiens que c’est aus Roys propremētproprement, de
s’animer contre les Roys: &Et me moque de ces esprits, qui de
gayeté de coeur, se presentent à querelles si disproportiōnéesdisproportionnées:
cCar on ne prend pas querelle particuliere auecavec vnun prince, pour
marcher contre luy ouuertementouvertement & courageusement, pour
son honneur, & selon son deuoirdevoir: sS’il n’aime vnun tel personna-
ge,: il fait mieux, il l’estime. Et notāmentnotamment la cause des loix, & de-
fence de l’ancien estat, à tousiourstousjours cela,: que ceux mesmes, qui
pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les pro-
tecteurs,deffanceurs: s’ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller de-
uoirde-
voir,: comme nous faisons tous les ioursjours,: vneune aigreur & aspre-
té intestine, qui naist de l’interest & passion priuéeprivée,: nNy coura-
ge, vneune conduitte traistresse & malitieuse. Ils nomment zele,
leur propension vers la malignité, & violence: cCe n’est pas la
cause, qui les embesongneeschauffe, c’est leur interest: iIls attirsēent la guer-
re,: non par ce qu’elle est iustejuste, mais par ce que c’est guerre. RiēRien
n’empéche qu’ōon ne se puisse cōportercomporter cōmodémentcommodément entre des
hōmeshommes, qui se sont ennemis, & loyalemētloyalement: cCōduisezcConduisez vous y d’v-
neu-
ne, sinōsinon par tout esgale affectiōaffection (car elle peut souffrir differētesdifferentes
mesures) mais au moins tēperéetemperée,: &Et qui ne vous engage tant à
l’vnun, qu’il puisse tout requerir de vous: &Et vous contentez aussi
d’vneune moienne mesure de leur grace,. &Et de couler en eau trou-
ble, sans y vouloir pescher. L’autre maniere, de s’offrir de toute
VVVu ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sa force, aux l’vnsuns & aux l’autres, aceus la et a ceus cy tient encore moins de la prudēceprudence que
de la conscience. Celuy enuersenvers qui vous en trahissez vnun, duquel
vous estes pareillemētpareillement bien venu, sçait-il pas, que de soy vous
en faites autātautant à son tour? Il vous tiēttient pour vnun meschātmeschant hōmehomme:
cCe pendant il vous oit, & tire de vous, & fait ses affaires de vo-
stre desloyauté: cCar les hōmeshommes doubles sont vtilesutiles, en ce qu’ils
apportent,: mMais il se faut garder, qu’ils n’ēportētemportent que le moins
qu’on peut. IeJe ne dis rien à l’vnun, que ieje ne puisse dire à l’autre, à
son heure, l’accent seulement vnun peu changé: &Et ne rapporte
que les choses ou indifferentes, ou cogneuës, ou qui seruētservent en
commun. Il n’y a point d’vtilitéutilité, pour laquelle ieje me permette
de leur mentir. Ce qui à esté fié à mōmon silēcesilence, ieje le cele religieu-
sement: mMais ieje prens à celer le moins que ieje puis: cC’est vneune im-
portune garde, du secret des princes, à qui n’en a q̄que faire. IeJe pre-
sente volōtiersvolontiers ce marché,: qQu’ils me fient peu, mais qu’ils se fiētfient
hardimēthardiment, de ce que iIejJe leur apporte: ij’en ay tousiourstousjours plus sçeu
que ieje n’ay voulu: ⁁
⁁ VnUn parler ouuertouvert
ouureouvre un autre parler,
& le tire hors come faict
le uinvin et l’amour.
car Philippides respondit sagement à mon
gré, au Roy Lyzimachus,: qui luy disoit,: qQue veux-tu que ieje te
communique de mes biens: cCe que tu voudras, pourueupourveu que
ce ne soit de tes secrets. IeJe vois que chacun se mutine, si on luy
cache le fons des affaires ausquels on l’emploie,: &Et si on luy en
a desrobé quelque arriere sens: pPour moy,: ieje suis cōtantcontant, qu’on
ne m’en die non plus, qu’on veut que ij’en mette en besoigne:
&Et ne desire pas, que ma science outrepasse & contraigne ma
parole. Si ieje dois seruirservir d’instrument de tromperie,: que ce soit
aumoins sauuesauve ma conscience. IeJe ne veus estre tenu seruiteurserviteur,
ny si affectionné, ny si loyal, qu’on me treuuetreuve bōbon à trahir per-
sonne. Qui est infidelle à soymesme, l’est excusablemētexcusablement à son
maistre. Mais ce soint Princes,: qui n’acceptent pas les hom-
mes à moytié, & mesprisent les seruicesservices limitez & condi-
tionnez. Il n’y à remede,: iIejJe leur dis franchement mes bornes:
cCar esclaueesclave, ieje ne le doibts estre que de la raison, encore ne
puis ieje bien en venir à bout. ⁁
⁁ Et eus aussi ont tort, d’exiger d’un home libre, telle
subiectionsubjection a leur seruiceservice, et telle obligation, que de
celuy qu’ils ont faict, et acheté: ou du quel la
fortune tient particulieremant ex et expressemant a la leur.
Les loix m’ont osté de grand
LIVRE TROISIESME.347355
peine,: eElles m’ont choisy party, & donné vnun maistre ⁁ ⁁ commun: tTou-
te autre superiorité & obligation, doibt estre relatiuerelative à
celle là, & retrenchée. Si n’est pas à dire, quand mon affection
me porteroit autrement, qu’incontinent, ij’y portasse la main:
lLa volonté & les desirs se font loy eux mesmes,: lLes actions, ont
à la receuoirrecevoir de l’ordonnance publique. Tout ce mien pro-
ceder, est vnun peu bien dissonant à nos formes: cCe ne seroit pas
pour produire grands effets, ny pour y durer: lL’innocēceinnocence mes-
me, ne sçauroit, ny negotier ⁁ ⁁ entre nous sans dissimulation,: nNy marchan-
der sans manterie. Aussi ne sont aucunement de mon gibier,
les occupations publiques: cCe que ma profession en requiert,
ieje l’y fournis, en la forme que ieje puis la plus priuéeprivée. Enfant, on
m’y plongea iusquesjusques aux oreilles,: &Et il succedoit,: sSi m’en des-
prins ieje de belle heure. IJ’ay souuantsouvant dépuis euitéevité de m’en me-
sler,: rarement accepté,: iamaisjamais requis: tTenant le dos tourné à
l’ambition: mMais sinon cōmecomme les tireurs d’auironaviron, qui s’auācētavancent
ainsin à reculons: tTellemēttTellement toutesfois, q̄que de ne m’y estre poinct
embarqué, ij’en suis moings obligé à ma resolution, qu’a ma
bonne fortune: cCar il y à des voyes moings ennemyes de mōmon
goust, & plus conformes à ma portée, par lesquelles si elle
m’eut appellé autrefois, au seruiceservice public, & à mon auance-
mentavance-
ment vers le credit du monde, ieje sçay, q̄que ij’eusse passé par dessus
la raison de mes discours, pour la suyuresuyvre. Ceux qui disent cō-
munémentcom-
munément contre ma profession, que ce que ij’appelle fran-
chise, simplesse, & nayfueténayfveté, en mes moeurs,: c’est art & fines-
se,: &Et plustost prudence, que bonté,: iIndustrie, que nature,: bBōbBon
sens, q̄que bon heur,: me font plus d’honneur qu’ils ne m’en ostētostent.
Mais certes ils font ma finesse trop fine: &Et qui m’aura suyuisuyvi &
espié de pres, ieje luy donray gaigné, s’il ne confesse, qu’il n’y a
point de reigle en leur escolle, qui sçeut r’aporter ce naturel
mouuementmouvement,: &Et maintenir vneune apparence de liberté, & de li-
cence si pareille, & inflexible, parmy des routes si tortues, &
VVVu iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
diuersesdiverses: &Et que toute leur attention & engin, ne les y sçauroit
conduire. La voye de la verité est vneune, & simple,: cCelle du pro-
fit particuliere, & de la cōmoditécommodité des affaires, qu’on à en char-
ge, double, inegalle, & fortuite. IJ’ay veu souuantsouvant en vsageusage, ces
libertez contrefaites, & artificielles,: mMais le plus souuantsouvant, sans
succez. Elles sentent volontiers à l’asne d’Esope: lLequel par
emulation du chien, vint à se ietterjetter tout gayement, à deux
pieds, sur les espaules de son maistre: mMais autant que le chien
receuoitrecevoit de caresses, de pareille feste, le pauurepauvre asne, en reçeut
deux fois autant de bastonnades. ⁁
⁁ Id maxime quenque decet
quod est cuiusque suum
maxime.
IeJe ne veux pas priuerpriver la trō-
perietrom-
perie de son rang,: cCe seroit mal entendre le monde: iIejJe sçay
qu’elle à seruyservy souuantsouvant bien vtilementutilement,proffitablement: &Et qu’elle maintient
& nourrit, la plus part des vacations des hommes. Il y a des
vices legitimes,: comme plusieurs actions, ou bonnes, ou ex-
cusables, illegitimes. La iusticejustice en soy, naturelle & vniuerselleuniverselle,
est autrement reiglée, & plus noblement, que n’est cette au-
tre iusticejustice, ⁁ ⁁ speciale, nationale, locale, contrainte au besoing de nos polices: ⁁
⁁ Veri iuris germanaeque
iustitiae solidam et
expressam effigiem
nullam tenemus: umbra
et imaginibus utimur.
sSi que le sa-
ge Dandamys, oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras,
Diogenes, les IugeaJugea grands personnages en toute autre chose,
mais trop asseruisasservis à la reuerencereverence des loix: pPour lesquelles au-
ctoriser, & seconder, la vraye vertu & Philosophique, à beau-
coup à se desmettre de sa vigueur originelle,: &Et non seulemētseulement
par leur permission, plusieurs actions vitieuses ont lieu,: mMais
encores à leur suasion. ⁁
⁁ Ex senatusconsultis plebis
plebisque scitis scelera exercentur.
IeJe suy le langage commun,: qui faict
difference, entre les choses vtilesutiles, & les honnestes: sSi que d’au-
cunes actions naturelles, non seulement vtilesutiles, mais necessai-
res, il les nomme deshonnestes & sales. Mais continuons no-
stre exemple de la trahison. Deux pretendans au Royaume
de Thrace, estoyent tombez en debat de leurs droicts,: l’Em-
pereur les empesçha de venir aux armes, mMais l’vnun d’eux, sous
couleur de conduire vnun accord amiable, par leur entreueüeentreveüe,
ayant assigné son compagnon, pour le festoyer en sa maison,
le fit emprisonner & tuer. La iusticejustice requeroit, que les Ro-
LIVRE TROISIESME.348356
mains eussent raison de ce forfaict,. lLa difficulté en empéchoit
les voyes ordinaires: cCe qu’ils ne peurent legitimement, sans
guerre, & sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahi-
son: cCe qu’ils ne peurent honnestement, ils le firent vtilemētutilement.
A quoy se trouuatrouva propre vnun Pomponius Flaccus: cCettuy-cy,
soubs feintes parolles, & asseurances, ayant attiré c’est hom-
me, dans ses rets, au lieu de l’honneur & faueurfaveur qu’il luy pro-
mettoit, l’enuoyaenvoya pieds & poincts liez, à Romme. VnUn traistre
y trahit l’autre, contre l’vsageusage commun: cCar ils sont pleins de
deffiance,: &Et est mal-aysé de les surprendre par leur art: tTes-
moing lea poisante experience, que nous venons d’en sentir.
Sera Pomponius Flaccus qui voudra,: &Et en est assez qui le
voudront: qQuant à moy, & ma parolle, ⁁ ⁁ et ma foy, sont comme
le demeurant, pieces de ce commun corps: lLeur meilleur ef-
fect, c’est le seruiceservice public: iIejJe tiens cela pour presupposé. Mais
comme si on me commandoit, que ieje prinse la charge du Pa-
lais, & des plaids,: ieje responderoy,: iIejJe n’y entens rien: oOu la char-
ge de conducteur de pioniers, ieje diroy, iIejJe suis appellé à vnun rol-
le plus digne: dDe mesmes, qui me voudroit employer, à men-
tir, à trahir, & à me pariurerparjurer, pour quelque seruiceservice notable,
non que d’assassiner, ou empoisonner,: ieje diroy,: sSi ij’ay volé ou
desrobé quelqu’vnun, enuoyezenvoyez moy plustost en gallere. Car il
est loisible à vnun homme d’honneur, de parler ainsi que firent,
les Lacedemoniens, ayans esté deffaicts par Antipater, sur le
poinct de leurs accords: vVous nous pouuezpouvez commander des
charges poisantes & dommageables, autant qu’il vous plair-
raplaira
,: mMais de honteuses, & deshonnestes, vous perdrez vostre
temps de nous en commander. Chacun doit auoiravoir iuréjuré à soy-
mesme, ce que les Roys d’AEgypte faisoyent solemnellement
iurerjurer à leurs iugesjuges, qQu’ils ne se desuoyeroyentdesvoyeroyent de leur consciē-
ceconscien-
ce, pour quelque commandement qu’eux mesmes leur en fis-
sent. A telles commissions, il y a notte euidenteevidente d’ignominie.
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& de condemnation,: &Et qui vous la donne, vous accuse, &
vous la donne, si vous l’entendez bien, en charge & en peine:
aAutant que les affaires publiques s’amēdentamendent de vostre exploit,
autant s’en empirent les vostres: vVous y faictes d’autātautant pis, que
mieux vous y faites. Et ne sera pas nouueaunouveau,: ny à l’auantureavanture
sans quelque air de IusticeJustice, que celuy mesmes vous ruine,en chastie, qui
vous aura mis en besoigne. ⁁⁁ ⁁ La perfidie n’est en nul cas si excusable
⁁ La perfidie peut estreSi la trahison doit estre en
quelque cas excusable: lors
seulement elle l’est, qu’elle
s’emploict a punirchastier & trahir
la perfidietrahison.
Il se trouuetrouve assez de trahisons, non
seulement refusees, mais chastiéespunies, par ceux en faueurfaveur desq̄lsdesquels
elles auoyentavoyent esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fla-
miniusFabritius, à l’encontre du Medecin de Pyrrhus? Mais cecy enco-
re se trouuetrouve,: qQue tel, lal’a commandée, qui lal’a vengée rigoureuse-
ment, sur celuy qu’il y auoitavoit employé,: rRefusant vnun credit &
pouuoirpouvoir si effrené, & desaduouantdesadvouant ⁁ ⁁ un seruageservage et vneune obeïssance si abandōabandon-
néeabandonabandon-
née, & si láche. IaropelcJaropelc Duc de Russie, practiqua vnun gentil-
homme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Bo-
leslaus, en le faisant mourir,: ou donnant aux Russiens moyen
de luy faire quelque notable dommage. Cettuy cy s’y porta
en galand hōmehomme,: s’S’adonna plus q̄que deuātdevant au seruiceservice de ce Roy,:
oObtint d’estre de son conseil, & de ses plus feaux: aAuecaAvec ces ad-
uantagesad-
vantages, & choisissant à point l’opportunité de l’absence de
son maistre,: il trahit aux Russiens Visilicie, grande & riche ci-
té,: qui fut entierement saccagée, & arse par eux,: auecavec occisiōoccision
totale,: non seulement des habitans d’icelle, de tout sexe & aa-
ge,: mais de grand nombre de noblesse, de la autour, qu’il y a-
uoita-
voit assemblé à ces fins. IaropelcJaropelc assouuyassouvy de sa vengeance, &
de son courroux,: qui pourtant n’estoit pars sans titre,. (car Bo-
leslaus l’auoitavoit fort offencé, & en pareille conduitte) & saoul
du fruict de cette trahison,: venant à en considerer la laideur
nue & seule,: & la regarder, d’vneune veuë saine, & non plus trou-
blée par sa passion,: la print à vnun tel remors, & contre-cueur,
qu’il en fit creuercrever les yeux, & couper la langue, & les parties
honteuses à son executeur. Antigonus persuada les soldats
Argy-
LIVRE TROISIESME.349357
Argyraspides, de luy trahir Eumenes, leur capitaine general,
son aduersaireadversaire: mMais l’eust-il faict tuer,. aApres qu’ils le luy eurēteurent
liurélivré, il desira estre luymesme cōmissairecommissaire de la IusticeJustice diuinedivine,
pour le chastiement d’vnun forfaict si detestable: &Et les cōsignaconsigna
entre les mains du gouuerneurgouverneur de la ProuinceProvince,: luy donnant
tres-expres cōmandementcommandement, de les perdre & mettre à malefin,
en quelque maniere que ce fut: tTellement, que de ce grādgrand nō-
brenom-
bre qu’ils estoyent, aucūaucun ne vit onques puis, l’air de Macedoi-
ne. Mieux il en auoitavoit esté seruyservy, d’autant le iugeajugea il auoiravoir esté
plus meschāmentmeschamment & punissablement.⁁
⁁ . LesclaueL’esclave qui trahit
la cachete de P. Sulpicius
son maistre, fut mis en
liberté, suiuantsuivant la promesse
de la proscription de Sylla:
mMais suiuantsuivant la promesse
de la raison publique, tout
libre, il fut come trahistre
tout de suite praecipite du
roc Tarpeien: iIls dles font
pendre aueqaveq la bourse de
leur païemant au col: aAiant
satisfaict a leur seconde
foi et particulierespeciale, ils satis=
font a la generale & premiere.
Mahumet second se uoulantvoulant
desfaire de son frere sui pour
la ialousiejalousie de la domination
suiuantsuivant le stile de leur race,
y emploia l’un de ses offi=
ciers qui le suffoca: l’engorgeant
de quantité d’eau prinse
trop a coup. Cela faict, il liuralivra
pour l’expiation de ce meurtre
le meurtrier entre les mains de
la mere du trespasse: car ils
n’estoint freres que de pere: elle
en sa presance luy ouuritouvritouuritouvrit a ce traistre murtrier
lestomacl’estomac: et tout chaudement
de ses mains foillant et
arrachant son ceur le iettajetta
a manger aus chiens. Et nostre
Roy ClouisClovis fit pendre les trois
seruitursserviturs de Canacre apres qu’ils
luy eurent trahi leur maistre a
quoi il les auoitavoit pratiquez
Et à ceux mesme qui ne
valent rien, il est si doux, ayant tiré l’vsageusage d’vneune actiōaction vicieu-
se, y pouuoirpouvoir hormais coudre en toute seurté, quelque traict
de bonté, & de iusticejustice, cōmecomme par compensation, & correctiōcorrection
conscientieuse.⁁
⁁ . IointJoint que’, grauiorum scelerum ministri quasi exprobrantes
aspiciuntur. ils regardent les ministres de tels horribles
malefices come gens qui les leur reprochent:. eEt cherchent par leur mort
d’en estouffer la conoissance et tesmouignage de telles menees.
Or si par fortune on vous en recōpencerecompence, pour
ne frustrer la necessité publique, de cet extreme & desesperé
remede: celuy qui le faict, ne laisse pas de vous tenir, s’il ne l’est
luy-mesme, pour vnun hōmehomme, maudit & execrable: &Et vous tient
plus traistre, que ne faict celuy, contre qui vous l’estes,. cCar il
touche la malignité de vostre courage, par voz mains,. sSans
desadueudesadveu, sans obiectobject. Mais il vous y employe, tout ainsi qu’ōon
faict les hommes perdus, aux executions de la haute iusticejustice,
cCharge autant vtileutile, comme elle est peu honeste. Outre la vi-
lité de telles cōmissionscommissions, il y a de la prostitution de consciēceconscience.
La fille à Seyanus, ne pouuantpouvant estre punie à mort, en certaine
forme de IugementJugement à RōmeRomme, d’autant qu’elle estoit Vierge,
fut, pour donner passage aux loix, forcée par le bourreau, auātavant
qu’il l’estranglat: nNon sa main seulemētseulement, mais son ame, est es-
clauees-
clave à la commodité publique. ⁁
⁁ Quand ⁁ ⁁ le premier Amurat
pour aigrir la punition
contre ses subietssubjets qui
auointavoint doné support a
la parricide rebellion
de son filx contre luy
ordona que leurs plus
proches parans pres=
teroint la main a cette
execution ieje treuuetreuve
treshoneste a aucuns d’auoiravoir
mieus eimechoisi plus tost d’estre iniquemant
tenus coupables du parricide d’un autre que
de seruirservir la iusticejustice de leur propre parricide.
Et ous aus en quelques bicoques forcees de mon
temps ij’ay ueuveu des coquins pour garantir leur uievie
accepter de pendre leurs amis et consors ieje ne les
ay trouuertrouver tenus de pire condition que les
pendus. On dict, que Vuitolde prince des
Lituaniens ordonafit autresfois que les crimi cette q loy, que les criminels
condamnes, eussent a se tuer eus mesmesexecuter eus mesmes de leurs mains la sentance
capitale contre eus donee trouuāttrouvant estrange qu’un tiers innocent de la
faute fut emploïe et charge d’un homicide
Le Prince mesme, quand vneune
vrgenteurgente circonstance, & quelque impetueux & inopiné acci-
dētacci-
dent, du besoing de son estat, luy faict gauchir sa parolle & sa
foy, (uideat ne quaera ou autrement le iettejette hors de son deuoirdevoir ordinaire, doibt
attribuer cette necessité, à vnun coup de la verge diuinedivine: vVice
XXXx
ESSAIS DE M. DE MONTA.
n’est-ce pas, cCar il à quitté sa raison, à vneune plus vniuerselleuniverselle &
puissante raison, mMais certes c’est mal’heur. De maniere, qu’a
quelqu’vnun qui me demandoit, qQuel remede? nNul remede fis ieje,:
sS’il fut veritablement geiné entre ces deux extremes,⁁
⁁ (sed uideat
ne quaeratur
latebra periurio)
il le fal-
loit faire: mMais s’il le fit, sans regret, s’il ne luy greuagreva de le faire,
c’est signe que sa conscience est en mauuaismauvais termes. ⁁
⁁ Quand il s’en trouueroittrouveroit quelqu’un de si tendre cōscienceconscience, à qui nulle guarison ne sēblastsemblast digne d’un si poisant remede, ieje ne l’en
estimerois pas moins. Il ne se sauroit perdre plus excusablemant et decemmant. Nous ne pouuōspouvons pas tout. Ainsi comme ainsi nous faut
il souuantsouvant com’a la derniere ancre remettre la protection de nostre uesseauvesseau a la pure conduite du ciel. A quelle plus iustejuste necessite se
reseruereserve il a le faire qu’en cetecy n’ayant a se racheterQue luy est il moins possible a faire que ce qu’il ne peut faire qu’aus despans de sa foi et de son honeur choses qui come ieje pensea lauanturel’avanture luy doiuentdoivent estre
plus cheres que son propre salut. oui, et que le salut de son peuple. Quand les bras croisez il appelera dieu simplemant a son aide n’aura
il pas a esperer que la diuinedivine bonte n’est pas pour refuser la faueurfaveur de sa main extraordinere a une main pure et iustejuste
Ce sont
dangereux exemples, rares, & maladifuesmaladifves exceptiōsexceptions, à nos rei-
gles naturelles: iIl y faut ceder, mMais auecavec grande moderation
& circonspection: aAucune vtilitéutilité priuéeprivée, n’est digne, pour laquel-
le nous façions cest effort à nostre conscience: lLa publique
bien, lors qu’elle est, & tres-apparente, & tres-importante. ⁁
⁁ uideat ne quaeratur latebra periurio.
Timoleon se garantist a propos
de lestrangetel’estrangete de son exploit
par les larmes qu’il randit se
souuenantsouvenant que c’estoit d’une main
fraternelle qu’il auoitavoit tué le tiran
Et cela pinça iustemantjustemant sa cons=
cience qu’il eut esté necessité
d’acheter l’utilitè publique a tel
pris de l’honestete de ses meurs.
Le senat mesme deliurèdelivrè de serui=
tudeservi=
tude par son moien n’orsa rondemātrondemant
decider d’un si haut faict et
deschirè en deus si poisants et
contreres uisagesvisages. Mais les Sira=
cusains aiant tout a point a
l’heure mesmes enuoieenvoie requerir
les Corinthiens de leur protection
& d’un chef digne de restablir
leur uilleville en sa premiere dignité
et nettoier la Sicille de plusieurs
tyranneaus qui l’oppressoint il
y deputa Timoleon aueqaveq cette
nouuellenouvelle desfaicte et declaration
Que selon ce qu’il se porteroit bien
ou mal en cettesa charge leur arrest
prenderoit party e a la faueurfaveur du
liberatur de son païs ou a la des=
faueurdes=
faveur du meurtrier de son frere.
Cette fantastique conclusion ha
pourtant quelque excuse due l’obscurite
de la cause La uievie uniuerselleuniverselle du
criminel y estoit considerable dusur le
dangier de l’example et importance
d’un faict si diuersdivers. Et firent bien
d’en descharger leur iugemantjugemant ou
de l’appuier ailleurs et en des
considerations tierces. M Or les
deportemans de Timoleon en ce
voiage randirent bien tost sa
sell cause plus clere tant il s’y
porta dignemant & uertueusemātvertueusemant
en toutes façons Et le bon heur
qui l’acompaigna aus aspretez
qu’il eut a uaincrevaincre en cette noble
besouigne sambla luy estre enuoieenvoie
par les dieus conspirans et
fauorablesfavorables a sa iustificationjustification.
La fin de cetuicy est excusa=
ble si aucune le pouuoitpouvoit estre
Mais l’utilitele profit de laugmentationl’augmentation
du reuenurevenu de leur finepublique qui
causa seruitservit de pretexte au
Senat ⁁ ⁁ Romain a cete orde et uileinevileine
conclusion que ieje menm’en uoisvois
reciter n’aest pas asses forte
pour mettre a garant une
telle iniusticeinjustice Certeines
cites sestoints’estoint rachetees
à pris dargentd’argent & remises
en liberte aueqaveq lordonancel’ordonance
& permission du Senat par
l’entremise des mains de L. Sylla La chose estant tumbee en
nouueaunouveau iugementjugement sLe senat ordo les condamne a estre
taillables come auparauantauparavant et que largentl’argent qu’elles ont auointavoint
emploie pour se racheter demureraoit perdu pour elles Les guerres ciuillescivilles produisent souuantsouvant ces
vileins examples que nous punissons les priuesprives de lobeissancel’obeissance qu’ils ont fidelement preste et
qu’ils se sont appliquez a nous lors que nous estions autres et se prent impudammant le magistrat
a eus de sa propre temerite et uariationvariation.ce qu’ils nous ont creu quand nous estions autres
et un mesme magistrat faict porter la peine de son changement a qui n’en peut mais Le maistre foite son
disciple de sa docilite et la guide son aueugleaveugle Horrible image de iusticejustice. Il y a des regles en la philosophie
et fauces et molles. LexampleL’example qu’on nous propose pour faire praeualoirpraevaloir lutilitel’utilite priueeprivee a la foi donee ne reçoit pas
asses de pois par la circonstance qu’ils y meslent Des uolursvolurs uousvous ont prins ils uousvous ont remis en liberte aïant tire
de uousvous sermant du païement de certeine somme. On aEll’a On a tort de dire qu’un home de bien sera quitte de sa foi
sans païer, estant hors de leurs mains Il n’en est rien Ce que la creinte m’a ordone defaict une fois uouloirvouloir ieje suis tenu
de le uouloirvouloir encore sans creinte. Et quand elle n’aura force que ma langue sans la uolontevolonte encore y suis ieje tenu
de faire la maille bone de ma parolle ⁁
⁁ Pour moy, quand par fois ell’a
inconsidereement deuancèdevancè ma pensee,
ij’ay faict cōscianceconsciance de la desaduouerdesadvouer pourtant.
Autrement de degre en degre nous uienderonsvienderons a rēuerserrenverser tout le droit
qu’un tiers prend de noz promesses & sermens. Quasi uero forti uiro uis possit adhiberi. En cecy sulement a loy
l’interest priuéprivé, de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous auonsavons promis chose meschante de soi et damnableinique de soi car
le droit de la vertu doibt preualoirprevaloir le droit de nostre obligation.
IJ’ay
autrefois logé Epaminondas au premier rang des hōmeshommes ex-
cellens, &Et ne m’en desdy pas: iIusquesjJusques ou montoit il, la cōside-
rationconside-
ration de son particulier deuoirdevoir: qQui ne tua iamaisjamais homme,
qu’il eust vaincu: qQui pour ce bien inestimable, de rendre la
liberté à son pays, faisoit conscience, de tuer vnun TyrāTyran, ⁁ ⁁ ou ses complices sans les
formes de la IusticeJustice: &Et qui iugeoitjugeoit meschant homme, quelque
bōbon Citoyen qu’il fut, celuy, qui entre les ennemys, & en la ba-
taille, n’espargnoit son amy & son hoste. Voyla vneune ame de
riche cōpositioncomposition,: iIl marioit aux plus rudes & violentes actiōsactions
humaines, la bonté & l’humanité,. vVoire la plus delicate, qui
se treuuetreuve en l’escole de la Philosophie. Ce courage si gros, en-
flé, & obstiné, contre la douleur, la mort, la pauuretépauvreté, estoit ce
nature, ou art, qui l’eust attendry, iusquesjusques au poinct d’vneune si
extreme douceur, & debonnaireté de complexion? Horrible
de fer & de sang, il va fracassant & rompant, vneune natiōnation inuin-
cibleinvin-
cible contre tout autre, que contre luy seul, & gauchit au mi-
lieu d’vneune telle meslée, au rencontre de son hoste & de son
amy. Vrayement celuy la proprement, commādoitcommandoit ⁁ ⁁ bien à la guer-
re, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le poinct
de sa plus forte chaleur, aAinsin enflammée qu’elle estoit, & es-
cumeuse de fureur & de meurtre. C’est miracle, de pouuoirpouvoir
LIVRE TROISIESME.350358
mesler à telles actions quelque image de iusticejustice, mMais il n’ap-
partient qu’a la vigueurroiddeur d’Epaminondas, d’y pouuoirpouvoir mesler
la douceur, & la facilité des meurs les plus molles.⁁
⁁ et la pure innocence.
Et ou l’vnun
dict aux Mammertins, que les statuts n’auoyentavoyent point de mi-
se, enuersenvers les hommes armez: lL’autre, au Tribun du peuple, q̄que
le temps de la iusticejustice, & de la guerre estoyētestoyent deux: lLe tiers, que
le bruit des armes, l’empeschoit d’entendre la voix des loix:
cCettuy-cy, n’estoit pas seulement empesché d’entendre celles
de la ciuilitécivilité, & pure courtoisie. AuoitAvoit il pas emprunté de ses
ennemis, l’vsageusage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour
destremper par leur douceur & gayeté, cette furie & aspreté
martiale. Ne craignons point apres vnun si grand precepteur,
d’estimer,⁁
⁁ aliquod etiam in hostes nefas esse. Et
qu’il y a quelque chose illicite contre les enemis mesmes:
aliquid etiam in hostes nefas esse
que l’interest commun ne doibt pas tout requerir
de tous, contre l’interest priuéprivé: manente memoria etiam etiam
in dissidio publicorum foederum, priuati iuris,
eEet nulla potentia vires
Praestandi, ne quid peccet amicus, habet:
&Et que toutes choses, ne sont pas loisibles à vnun hōmehomme de bien,
pour le seruiceservice ⁁
⁁ du princede son Roy, ny de
la cause generale et
des loix. Non enim patria
praestat omnibus
officijs et ipsi conducit
pios habere ciues in parentes.
de la cause generalle & des loix. C’est vneune in-
struction propre au temps: nNous n’auonsavons que faire de durcir
nos courages par ces lames de fer, c’est assez que nos espau-
les le soyent: cC’est assez de tramper nos plumes en ancre, sans
les tramper en sang. Si c’est grandeur de courage, & l’effect
d’vneune vertu rare & singuliere, de mespriser l’amitié, les obliga-
tiōsobliga-
tions priuéesprivées, sa parolle, & la parenté, pour le bien commun, &
obeïssance du magistrat: cC’est assez vrayement, pour nous en
excuser, que c’est vneune grandeur, qui ne peut loger ⁁ ⁁ en la grandur du au courage
d’Epaminondas. IJ’abomine les enhortemens enragez, de cet-
te autre ame des-reiglée,
dum tela micant, non vos pietatis imago
Vlla, nec aduersa conspecti fronte parentes
Commoueant, vultus gladio turbate verendos.
Ostons aux meschants naturels, & sanguinaires, & traistres,
XXXx ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce pretexte de raison: lLaissons la cette iusticejustice enorme, & hors
de soy,. &Et nous tenons aus plus humaines imitations. CōbienCombien
peut le temps & l’exemple? En vneune rencontre de la guerre Ci-
uileCi-
vile contre Cynna, vnun soldat de Pompeius, ayant tué sans y
penser, son frere, qui estoit au parti contraire, se tua sur le chāpchamp
soymesme, de honte & de regret: &Et quelques années apres, en
vneune autre guerre ciuilecivile de ce mesme peuple, vnun soldat, pour
auoiravoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines. On
argumente mal l’honneuresteté & la beauté d’vneune action, par son
vtilitéutilité,: &Et cōcludconclud on mal, d’estimer que chacun y soit obligé, ⁁
⁁ et qu’elle soit honeste a chacun,
si elle est vtileutile. ⁁
⁁ Omnia non pariter
rerum sunt omnibus
apta.
Choisissons la plus necessaire, & plus vtileutile de
l’humaine societé, cCe sera le mariage: sSi est-ce, que le cōseilconseil des
saincts, trouuetrouve le cōtrairecontraire party plus dignehoneste, & en exclut la plus
venerable vacation des hommes,: cComme nous assignons au
haras, les bestes qui sont de moindre estime.
Du repentir. CHAP. II.
LEs autres forment l’homme, iIejJe le recite, & en repre-
sente vnun particulier, bien mal formé, &Et lequel si ij’a-
uoya-
voy à façōnerfaçonner de nouueaunouveau, ieje ferois, vrayemētvrayement biēbien au-
tre qu’il n’est: mMes-huy c’est fait. Or les traits de ma peinture,
ne se foruoyentforvoyent point, quoy qu’ils se chāgentchangent & diuersifientdiversifient.
Le monde n’est qu’vneune branloire perenne: tToutes choses y
branlent sans cesse,: lLa terre, les rochers du Caucase, les pyrami-
des d’AEgypte: &Et du branle public, & du leur. La constance
mesme, n’est autre chose qu’vnun branle plus languissant. IeJe ne
puis asseurer mon obiectobject: iIl va trouble & chancelant, d’vneune
yuresseyvresse naturelle. IeJe le prens en ce point, comme il est, en l’in-
stant que ieje m’amuse à luy. ⁁
Et au pis aller emmi tant de
formes uariablesvariables prens celle
qui a uarièvariè le moins
IeJe ne peints pas l’estre,. iIejJe peints le
passage: nNon vnun passage d’aage en autre, ou comme dict
le peuple, de sept en sept ans,: mais de iourjour en iourjour, de
minute en minute. Il faut accommoder, mon histoire à
LIVRE TROISIESME.351359
l’heure presante.: IIeJJe pourray tantost changer, non de fortune seulemētseulement,
mais aussi d’intention: c’C’est vnun contrerolle de diuersdivers & mua-
bles accidens, & d’imaginations irresoluës,. &Et quand il y es-
chet, contraires: sSoit que ieje sois autre moymesme,: sSoit que ieje
saisisse les subiectssubjects, par autres circonstances, & consideratiōsconsiderations.
Tant y a, que ieje me contredits bien à l’aduentureadventure, mMais la veri-
té, comme disoit Demades, ieje ne la contredy point. Si mon a-
me pouuoitpouvoit prendre pied & forme, ieje ne m’essaierois pas, ieje
me resoudrois: eElle est tousiourstousjours en apprētissageapprentissage, & en espreu-
ueespreu-
ve. IeJe propose vneune vie basse, & sans lustre: c’C’est tout vnun,. oOn at-
tache aussi bien toute la philosophie morale, à vneune vie popu-
laire & priuéeprivée, que à vneune vie de plus riche estoffe: cChaque hō-
mehom-
me porte la forme entiere, de l’humaine condition.⁁
⁁ . Les autheurs se
communiquent au
peuple par quelque
marque particulierespeciale
architectes, medecins,
legistes,. mMoiet estrangiere: moi le premier
par mon estre simplementuniuerseluniversel
come montaigne, non
come grammerien ou
poëte michel de
montaigne: non comme
grammerien ou
poete ou iurisconsultejurisconsulteou iurisconsultejurisconsulte.
Si le monde se pleint de quoy
ieje parle trop de moy: si fai
ieje moie pleins de quoi il ne pense
sulement pas a soi.
Mais est-
ce raison, que si particulier en vsageusage, ieje pretende me rendre
public en cognoissance? Est-il aussi raison, que ieje produise au
monde, où la façon & l’art, ont tant de credit & de comman-
dement, des effects de nature crus & simples, & d’vneune nature
encore bien foiblette? Est-ce pas faire vneune muraille sans pier-
re, ou chose semblable, que de bastir des liureslivres sans sciēcescience ⁁ ⁁ et de philosofer sans Aristote ⁁ et sans art? Les
fantasies de la musique, sont conduictes par art, les miennes
par la fortunesort. Au moins ij’ay cecy selōselon la discipline, que iamaisjamais
homme ne traicta subiectsubject, qu’il entendit ne cogneust mieux,
que ieje fay celuy que ij’ay entrepris: &Et qu’en celuy-là, ieje suis le
plus sçauantsçavant homme qui viuevive. SecondemētSecondement, que iamaisjamais aucun ⁁
⁁ ne penetra en
sa matiere plus
auantavant, ny en
esplucha plus par=
ticulieremantdistinctement les
mambres et suittes
eEt
n’arriuaarriva plus exactement & plus plainement, à la fin qu’il s’e-
stoit proposé à sa besoingne: pPour la parfaire, ieje n’ay besoing
nd’y apporter que de la fidelité: cCelle-là y est, la plus sincere &
pure qui se trouuetrouve. IeJe dy vray, non pas tout mon saoul: mais
autant que ieje l’ose dire: &Et l’ose vnun peu plus en vieillissant: cCar il
semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté de
bauasserbavasser, & d’indiscretion à parler de soy. Il ne peut adueniradvenir i-
cy, ce que ieje voy adueniradvenir souuentsouvent, que l’artizan & sa besoigne
XXXx iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
se contrarient: vVnuUn homme de si honneste conuersationconversation, a-il
faict vnun si sot escrit? Oou, des escrits si sçauanssçavans, sont-ils partis
d’vnun homme de si foible conuersationconversation? ⁁
La place primitive de cette addition se trouvait à l’emplacement du signe d’insertion biffé après "touche l’autre."
⁁ Quand un home parleQui ha un entretien
communeemātcommuneemant et ses escrits
d’une façon rares C’est a dire
que sa suffisancesa capacite est en lieu doud’ou
il la uava querir au besoinl’emprunte:
& non en luy. VnUn homepersonage
sçauantsçavant n’est pas sçauātsçavant par
tout: mais le suffisant est
partout suffisant: signammātsignammantet
à ignorer mesme.
Icy, nous allons con-
formément, & tout d’vnun trein, mon liurelivre & moy. Ailleurs, on
peut recommander & accuser l’ouurageouvrage, à part de l’ouurierouvrier,. iI-
cy non,: qui touche l’vnun, touche l’autre. ⁁ Celuy qui en iugerajugera
sans le connoistre, se fera plus de tort qu’à moy: cCeluy qui l’au-
ra conneu, m’a du tout satisfaict. Heureux outre mon merite,
si ij’ay seulemētseulement cette part à l’approbation publique, que ieje fa-
ce sentir aux gens d’entendement, que ij’estoy capable de faire
mon profit de la science, si ij’en eusse eu,: &Et que ieje meritoy que
la memoire me secourut mieux. Excusons, icy, ce que ieje dy, sou-
uentsou-
vent, que ieje me repens rarement. ⁁
⁁ et que ma consciance
se contante de soi: non
comme de la consciance
d’un ange : mais come
de la consciance d’un
home ou d’un cheualcheval:
mais come de la consciance
d’un home. ordinere
AdioustantAdjoustant tousiourstousjours ce re-
frein,. nNōnNon pas vnun refrein de ceremonie,: mais de naifuenaifve & essen-
tielle submission, qQue ieje parle enquerant & ignorant,: mMe rap-
portant de la resolution, purement & simplement, aux crean-
ces communes & legitimes. IeJe n’enseigne poinct, ieje narreraconte. Il
n’est vice veritablement vice, qui n’offence, & qu’vnun iugemētjugement
entier n’accuse: cCar il a de la laideur & incommodité si appa-
rente, qu’à l’aduantureadvanture ceux-là ont raison, qui disent, qu’il est
principalement produict par bestise & ignorance: tTant est-il
malaisé, d’imaginer qu’on le cognoisse sans le haïr. ⁁
⁁ La malice hume
la plus grand part de
pois sa propre poison.
sa poison propre ueninvenin
& s’en empoisone.
Le vice lais-
se comme vnun vlcereulcere en la chair, vneune repentance en l’ame, qui
tousiourstousjours s’esgratigne, & s’ensanglante elle mesme. Car la rai-
son efface les autres tristesses & douleurs, mais elle engendre
celle de la repentance: qQui est plus griefuegriefve, d’autātautant qu’elle naist
au dedans,. cComme le froid & le chaut des fiéuresfiévres, est plus poi-
gnant, que celuy qui vient du dehors. IeJe tiens pour vices (mais
chacun selon sa mesure) non seulement ceux que la raison &
la nature condamnent,: mMais ceux aussi, que l’opiniōopinion des hom-
mes à forgé,: vVoire fauce & erronée, si les loix & l’vsageusage l’au-
ctorise. Il n’est pareillement bonté, qui ne resiouysseresjouysse vneune na-
LIVRE TROISIESME.352360
ture bien née. Il y à certes, ieje ne sçay quelle congratulation, de
bien faire, qui nous resiouitresjouit en nous mesmes, &Et vneune fierté ge-
nereuse, qui accompaigne la bonne conscience. VneUne ame cou
rageusement vitieuse, se peut à l’aduentureadventure garnir de securité,.
mMais de cette complaisance & satis-factiōfaction, elle n’enne s’en peut four-
nir. Ce n’est pas vnun leger plaisir, de se sentir preseruépreservé de la con-
tagion d’vnun siecle si gasté,. &Et de dire en soy: qQui me verroit ius-
quesjus-
ques dans l’ame, encore ne me trouueroittrouveroit-il coulpable, nNy de
l’affliction & ruyne de personne,. nNy de vengence ou d’enuieenvie,:
nNy d’offēceoffence publique des loix,: nNy de nouuelleténouvelleté & de trouble,:
nNy de faute à ma parole: &Et quoy que la licence du temps per-
mit ⁁ ⁁ et aprint à chacun, si n’ay-ieje mis la main, ny és biens, ny en la bour-
se d’hōmehomme François,: &Et n’ay vescu que sur la mienne, nōnon plus en
guerre qu’en paix,: nNy ne me suis seruyservy du trauailtravail de personne,
sans loyer. Ces tesmoignages de la consciēceconscience, plaisent,: & nous
est grand benefice que cette esiouyssanceesjouyssance naturelle,. &Et le seul
payement qui iamaisjamais ne nous fautmanque. De fonder la recompence
des actions vertueuses, sur l’approbation d’autruy, c’est pren-
dre vnun trop incertain & trouble fondemētfondement:⁁
⁁ . NomeemantSignemment en un
siecle corrompu et
ignorant come cestuicy
la bone estime du peuple
est iniurieuseinjurieuse: Aa qui
uousvous fiez uousvous d’estimer
ce qui est louable de
uoirvoir ce qui est louable?
dDieu me gard d’estre
home de bien a sa modeselon la
description: Quae
fuerant uitia mores sunt
que ieje uoisvois faire tous les
ioursjours par honur, a chacun de
soi. Quae fuerant uitia
mores sunt. Quelquefois il
est auenuavenu a mes amis honestes
gens, ou a ma requisition, car il
n’est fruit en la societe, ⁁
⁁ comparable a celui la, ny en
utilite, ny en douceur, a un’ame
bien faicte: ou par saillie de
leur propre mouuementmouvement, d’entre=
prendreens de me chapitrer et
mercurialiser en priueprive, a ceur ouuertouvert, ieje meure
s’il n’auenoitavenoit qu’imbus de ces fauces opinions du
temps, que ij’eusse peuils m’offroint a destourner a honur leurs
reprimandes, et leurs approbations a reprobation
Ce n’estoit pas a moi pourtant de le leur faire sentir
eins de les en remercier et sçauoirsçavoir gre, pour ne trobler
la faueurfaveur d’un si bon office.
⁁ Tels des mes amis ont par fois entrepris de me chapitrer et
mercurialiser a ceur ouuertouvert, ou de leur propre mouuementmouvement,
ou pressessemons par moi, come d’un office, qui, a un’ame bien faicte,
non en utilite sulement mais en douceur aussi, surpasse
tous les offices de l’amitie. IeJe l’ay tousiourstousjours acceuilli des bras
de la courtoisie & reconoissance les plus ouuersouvers. Mais a en
iugerjuger a ma mode ils me batoint d’accusation que ieje pouuoipouvoi
prendre pour excusation a peu pres: et me consoloint d’approbation
qui sonoit a reprobation plus tost parler asture en consciāceconsciance
iejeij’ay souuentsouvent trouuoisetrouvoise en leurs reproches et louanges tant de fauce mesure que ieje n’eusse
guere failli, de faillir plus tost que de bien faire a leur mode.
Nous autres prin-
cipalement, qui viuonsvivons vneune vie priuéeprivée, qui n’est en mōtremontre qu’à
nous, deuonsdevons auoiravoir estably vnun patron au dedans, auquel tou-
cher nos actions: &Et selon iceluy, nous caresser tantost, tantost
nous chastier. IJ’ay mes loix & ma court, pour iugerjuger de moy, &
m’y adresse plus qu’ailleurs. IeJe restrains bien selon autruy mes
actions,: mais ieje ne les estends que selon moy. Il n’y a que vous
qui sçache si vous estes láche & cruel, ou loyal & deuotieuxdevotieux,.
lLes autres ne vous voyent poinct, ils vous deuinentdevinent, par con-
iecturescon-
jectures incertaines,: iIls voyent, non tant vostre naturel, que
vostre art. Par ainsi ne vous tenez pas à leur sentence,: tTenez
vous à celle dela vostre. conscience. ⁁ ⁁ Tuo tibi iudicio est utendum. ⁁
⁁ Virtutis et uitiorum
graue ipsius conscientiae
pondus est: qua sublata,
iacent omnia.
Mais ce qu’on dit, que la re-
pentance suit de pres le peché,: ne semble pas regarder le peché
qui est en son haut appareil,: qQui loge en nous comme en son
propre domicile. On peut desauouërdesavouër & desdire les vices, qui
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous surprennent, & vers lesquels les passions nous emportētemportent:
mMais ceux qui par longue habitude, sont enracinées ⁁ ⁁ et ancrés en vneune
volonté forte & vigoureuse, ne sont subiectssubjects à cōtradictioncontradiction.
Le repentir n’est qu’vneune desditte de nostre volonté, & oppo-
sition de nos fantasies, qQui nous pourmene à tout sens. Il
faict desaduouërdesadvouër à celuy-là, sa vertu passée & sa continence.,
Quae mens est hodie, cur eadem non puero fuit,
Vel cur his animis incolumes non redeunt genae?
C’est vneune vie exquise, celle qui se maintient en ordre iusquesjusques
en son priuéprivé. Chacun peut auoiravoir part au battelage, & repre-
senter vnun honneste rollepersonage en l’eschaffaut,. mMais au dedans, & en
sa poictrine, ou tout nous est loisible, ou tout est caché, d’y e-
stre reglé, c’est le poinct,: lLe voisin degré:, c’est de l’estre, en sa
maison, en ses actions ordinaires, & priuéesprivées, desquelles nous
n’auonsavons à rendre compteraison à personne: oOù il n’y à point d’estu-
de, point d’artifice. Et pourtant Bias, ayant à peindrepeignant vnun excel-
lent estat de famille,: dDe laquelle, dit-il, le maistre soit tel au de-
dans, par luy-mesme, comme il est au dehors, par la crainte de
la loy, & du dire des hommes. Et fut vneune digne parole de Iu-
liusJu-
lius Drusus, aux ouuriersouvriers qui luy offroient pour trois mille
escus mettre sa maison en tel poinct, que ses voisins n’y au-
roient plus la veuë qu’ils y auoientavoient: iIejJe vous en dōneraydonneray, dit-il,
six mille, & faictes que chacun y voye de toutes parts. On re-
marque auecavec honneur l’vsageusage d’Agesilaus, de faireprendre en voya-
geant son logis dāsdans les Eglises, affin que le peuple, & les dieux
mesmes, vissent dans ses actions domestiques & priuéesprivées. Tel à
esté miraculeux au monde, auquel sa femme & son valet, n’ōtont
rien veu seulement de louableremercable. Peu d’hommes ont esté admi-
rez par leurs domestiques,. ⁁
⁁ Nemo propheta in patriaNul a este profete ⁁ ⁁ non sulement ēen sa maison, mais en son païs
dict l’experiance des
histoires. De mesmes au
choses de neant: Et en ce
bas example se uoitvoit tresbien
l’image des grands. En mon
climat de gascouigne on
tient pour drolerie de me
veoir imprimè. Les honestes
homes et lettrez de quoi il
yqui y sont a foisondu païs y passent les yeus
come sur un Almanach ou matiere plus uilevileinutile si l’impression en souffre Ailleurs ieje suis mieus
receu specialemētspecialement au plus louinD’autātautant que la conoissance qu’on prent de moi s’eslouigne
de mon giste, mieus ij’en uausvaus d’autant mieus. ⁁
Le signe d’insertion en forme de croix renvoi à la dernière phrase de la page. Puis le sens de la lecture reprend à cet endroit par "Sur cet accidant".
⁁ IJ’achete les imprimurs en Guiene: en Franceailleurs ils m’achetent.
Sur cet accidant se fondētfondent ceus qui se cachent uiuansvivans ⁁ ⁁ et presens pour
se mettre en credit enuersenvers la posteritetrespassez et absans. IJe suis bien au rebours’aime mieus en auoiravoir moins. Et ne me iettejette au monde que pour la
part que ij’en tire. Au partir de la ieje l’en quitte.
lLe peuple reconuoyereconvoye celuy-là, d’vnun
acte public, auecavec estonnement iusqujusqu’à sa porte: il laisse auecavec sa
robbe ce rolle:, iIl en retombe d’autant plus bas, qu’il s’estoit
plus haut monté. AaAu dedans, chez luy, tout est tumultuaire &
vile.
LIVRE TROISIESME.353361
vile. Quand le reiglement s’y trouueroittrouveroit, il faut vnun iugementjugement
vif & bien trié, pour l’apperceuoirappercevoir en ces actions basses & pri-
uéespri-
vées. IointJoint que l’ordre est vneune vertu morne & sombre: gGaigner
vneune bresche, conduire vneune ambassade, regir vnun peuple, ce sont
actions esclatantes: tTancer, rire, vendre, payer, aymer, hayr, &
conuerserconverser auecavec les siens, & auecavec soymesme, doucement & iu-
stementju-
stement,: ne relácher point, ne se desmentir poinct,: c’est chose
plus rare plus difficile, & moins remerquable. Les vies retirées
& priuéesprivées, soustiennent par là, quoy qu’on die, des deuoirsdevoirs au-
tant ou plus aspres & tendus, que ne font les autres vies. ⁁
⁁ Et les priuezprivez dict Aris=
tote seruentservent la uertuvertu
de rien moins ains de
beaucoup plusplus difficilement et hautement que ne font
que ceus qui sont en magistrat.
Nous
nous preparons aux occasions eminentes, plus par gloire que
par conscience. ⁁
⁁ Praeclare Socrates
hanc uiam ad gloriam
proximam et quasi compen=
diariam dicebat esse, si
quis id ageret ut qualis
haberi uellet, talis esset.
La plus courte façon darriuerd’arriver
a la gloire ce seroit faire
par consciance ce que nous
faisons pour la gloire
Et la vertu d’Alexandre me semble represen-
ter assez moins de vigueur en son theatre, que ne fait cel-
le de Socrates, en cette exercitation basse & obscure. IeJe con-
çois aisément Socrates, en la place d’Alexandre,. Alexandre, au
rolleen celle de Socrates, ieje ne puis: qQui demandera à celuy-là ce qu’il
sçait faire, il respōdrarespondra, subiuguersubjuguer ⁁ ⁁ comander le monde: qQui le demandera
à cettuy-cy, il dira, qu’il sçait conduiremener l’humaine vie confor-
mément à sa naturelle condition: ⁁
⁁ faire auau monde ce
pour quoi il est au monde
sScience bien plus generale,
plus poisante, & plus legitime. Le pris de l’ame ne consiste pas
à aller haut, mais ordonnéement:⁁
⁁ . LSa grandur de ne
l’ame n’ests’exerce pas, en la
grandur tant comec’est en
la mediocritè. ComeAinsi que
ceus qui nous iugentjugent et
touchent au dedans ne
font pas grand recette de
la lueur de nos actions
publiques. eEt uoientvoient que ce
ne sount que filetz & pouintes
d’eau fine reialiesrejalies d’un fond
au demurant limoneus et
poisant. En pareil cas, ceus qui
nous uoientvoientiugentjugent par cette brauebrave
apparance concul concluent
de mesmes de nostre constitution
interne: eEt ne peuuentpeuvent
accoupler des facultes
populeres & pareilles aus
leurs, a ces autres facultez
qui les estonent si loin de
leur porteeuiseevisee. Ainsi donons
nous aus daemons des formes
sauuagessauvages: eEt qui non, a
Tamburlan des sourcils esleuezeslevez des
naseaus ouuersouvers des gros yeus farouchesun uisagevisage affreus
et une taille desmesuree come est la
taille de l’imagination qu’il en a conceue
de ses faicts grands et rudes.par ledu bruit de par son histoir nom. Qui m’eust
l’eut faict uoirvoir ⁁ Erasme autresfois, il eut este
malaisé que ieje n’eusse pris pour adages
et apohtegmesapophtegmes tout ce qu’Erasmeil eut dict a
son valet & a son hostesse. Nous imaginons
bien plus sortablemant un artisan sur sa garde robe
ou sur sa fame qu’un grand presidant uenerablevenerable en par
son maintien saes uertuvertumeurs et suffisance Il nous semble que de
ces haus throsnes ils ne s’abaissent pas iusquesjusques à
viurevivre.
cComme les ames vicieuses,
sont incitées souuentsouvent à bien faire, par quelque impulsion e-
strangere, aussi sont les vertueuses à faire mal. Il les faut doncq
iugerjuger par leur estat rassis, quand elles sont chez elles, si quel-
que fois elles y sont: oOu aumoins quand elles sont plus voisi-
nes du repos, & ende leur naifuenaifve assiette. Les inclinations natu-
relles, s’aident & fortifient par institution,. mMais elles ne se
changent guiere & surmontent. Mille natures, de mōmon temps,
ont eschappé vers la vertu, ou vers le vice, au trauerstravers d’vneune di-
scipline contraire.:
Sic vbi desuetae siluis in carcere clausae
Mansueuere ferae, & vultus posuere minaces,.
YYYy
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Atque hominem didicere pati, si torrida paruus,
Venit in ora cruor, redeunt rabiésque furórque,
Admonitaeque tument gustato sanguine fauces,
Feruet, & à trepido vix abstinet ira magistro.
On n’extirpe pas ces qualitez originelles, on les couurecouvre, on les
cache:. lLe langage latin m’est, comme naturel: ieje l’entens mieux
que le François: mMais il y à quarante ans, que ieje ne m’en suis du
tout poinct seruyservy à parler, ny guere à escrire,: sSi est-ce que à des
extremes & soudaines esmotions, ou ieje suis tombé, deux ou
trois fois en ma vie: & l’vneune, voyētvoyent mon pere tout sain, se ren-
uerserren-
verser sur moy, pasmé, ij’ay tousiourstousjours eslancé du fond des en-
trailles les premieres paroles Latines: ⁁
⁁ nNature se sourdant
& s’exir s’exprimant
contre lartl’art & lusagel’usage.
Et au trauerstravers de lartl’art
et de l’force contre un si
long usage. Et a
force, a l’encontre d’un
si long usage. Et
& cet exemple, se dict
d’assez d’autres. Ceux qui ont essaié de r’auiseraviser les meurs du
monde, de mon temps, par nouuellesnouvelles opinions,: reforment les
vices de l’apparence, ceux de l’essence ils les laissent là, s’ils ne
les augmentent: &Et l’augmentation y est à craindre: oOn se se-
iournese-
journe volontiers de tout autre bien faire, sur ces reformatiōsreformations
externes, arbitreres, de moindre coust, & de plus grand merite,: &Et satis-
fait-on ⁁ ⁁ a bon marché, par là, les autres vices naturels & internes:consubstantiels et intestins. rRegardez vnun
peu comment s’en porte nostre experience. Il n’est personne,
s’il s’escoute, qui ne descouuredescouvre en soy vneune forme sienne, vneune
forme maistresse, qui luicte contre l’art & l’institution, & con-
tre la tempeste des passions, qui luy sont cōtrairescontraires. De moy ieje
ne me sens guere agiter par secousse,. iIejJe me trouuetrouve quasi tou-
siourstou-
sjours en ma place, comme font les corps lourds & poisans. Si
ieje ne suis chez moy, ij’en suis tousiourstousjours bien pres: mMes desbau-
ches ne m’emportent pas fort loing: iIl n’y à rien d’extreme &
d’estrange: &Et si ay des rauisemensravisemens sains & vigoureux. La vraie
condamnation, & qui touche la commune façōfaçon de nos hom-
mes, c’est, que leur retraicte mesme, est pleine de corruption,
& d’ordure,: l’idée de leur amendement chafourrée,: leur peni-
LIVRE TROISIESME.354362
tence malade, & en coulpe, autant à peu pres que leur peché.
Aucuns, ou pour estre colléz au vice, d’vneune attache naturelle,
ou par la longue accoustumance, n’en trouuenttrouvent plus la lai-
deur. A d’autres (duquel regiment ieje suis) le vice poise, mais ils
le contrebalancent auecavec le plaisir, ou autre occasiōoccasion: &Et le souf-
frent & s’y prestent à certain prix,: vVitieusement pourtant, &
iniustementinjustementlachement. Si ce pourroit-il à l’aduantureadvanture imaginer, si esloi-
gnée disproportion de mesure, ou auecavec iusticejustice, le plaisir excu-
seroit le peché, comme nous disons de l’vtilitéutilité: notammentnNon sulement
s’il estoit accidētalaccidental, & hors du peché, comme au larrecin, mais
en l’exercice mesme d’iceluy, comme en l’accointāceaccointance des fem-
mes, ou l’incitation est violente, & dit-on, par fois inuincibleinvincible.
En la terre d’vnun mien parētparent, l’autre iourjour que ij’estois en Armai-
gnac, ieje vy vnun paisan, que chacun surnomme le larron. Il fai-
soit ainsi le conte de sa vie: qQu’estant né mendiant, & trou-
uanttrou-
vant, que à gaigner son pain au trauailtravail de ses mains, il n’arri-
ueroitarri-
veroit iamaisjamais à se fortifier assez contre l’indigence, il s’aduisaadvisa
de se faire larron: &Et auoitavoit employé à ce mestier toute sa ieu-
nessejeu-
nesse, en seureté, par le moyen de sa force corporelle:, cCar il
moissonnoit & vendangeoit des terres d’autruy:, mais c’estoit
au loing, & à si gros monceaux, qu’il estoit inimaginable
qu’vnun homme en eust tant rapporté en vneune nuict sur ses es-
paules,. &Et auoitavoit soing outre cela, d’egaler, & disperser le dom-
mage qu’il faisoit, si que la foule estoit moins importable à
chaque particulier. Il se trouuetrouve à cette heure en sa vieillesse, ri-
che pour vnun homme de sa fortunecondition, mercy à cette trafique,: dDe-
quoy il se confesse ouuertementouvertement, & pour s’accommoder a-
ueca-
vec Dieu, de ses acquests, il dict estre tous les ioursjours apres
à satisfaire par bien-faicts, aux successeurs de ceux qu’il a des-
robez,. &Et s’il n’acheueacheve,: car d’y pouruoirpourvoir tout à la fois il ne
peut,: qu’il en chargera ses heritiers, à la raison de la science
qu’il à luy seul, du mal qu’il à faict à chacun. Par cestttett descri-
YYYy ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ption, soit vraye ou fauce, cettuy-cy regarde le larrecin, com-
me action des-honneste, & le hayt, mais moins que l’indigen-
ce: sS’en repent bien simplement, mais en tant qu’elle estoit
ainsi contrebalancée & compencée, il ne s’en repent pas. Cela,
ce n’est pas cette habitude, qui nous incorpore au vice, & y cō-
formecon-
forme nostre entendemētentendement mesme: ny n’est ce vent impetueux
qui va troublant & aueuglantaveuglant à secousses, nostre ame, & nous
precipite pour l’heure, iugementjugement & tout, en la puissance du
vice. IeJe fay coustumierement entier ce que ieje fay, & marche
tout d’vneune piece: iIejJe n’ay guere de mouuementmouvement, qui se cache
& desrobe à ma raison, & qui ne se conduise à peu pres, par le
consentement de touts mes parties,. sSans diuisiondivision, sans sedi-
tion intestine: mMon iugementjugement en a la coulpe, ou la louange
entiere: &Et la coulpe qu’il a vneune fois, il l’a tousiourstousjours: cCar quasi
dés sa naissance il est vnun,: mesme inclination, mesme route,
mesme force. Et en matiere d’opinions vniuersellesuniverselles, dés l’en-
fance, ieje me logeay au poinct ou ij’auoisavois à me tenir. Il y à des
pechez impetueux, prompts & subits, laissons les à part: mMais
en ces autres pechez, à tant de fois reprins, deliberez, & con-
sultez, ou pechez de complexion, ⁁
⁁ uoirevoireou pechez de
profession et de
vacation:
ieje ne puis pas facilement
conceuoirconcevoir, qu’ils soient plantez si long temps en vnun mesme
courage, sans que la raison & la conscience de celuy qui les
possede, le veuille constamment, & l’entende ainsi: &Et le repen-
tir qu’il se vante, luy en venir à certain instant prescript, m’est
vnun peu dur à imaginer & former. ⁁
⁁ IeJe ne suis pas de
la secte de Pytha=
goras que les homes
ne les prenent une
ame nouuellenouvelle quand
ils aprochent cles
simulachres des dieus
pour receuillir leurs
oracles. Si non qu’il
voulut dire cela
mesme,. qQu’il faut
bien qu’elle soit
estrangiere si elle
s’y treuuetreuve purifieenouuellenouvelle
et prestee pour le
temps: la: la leur montrant si peu
de signe de purification et nettete
condigne a cet office
Ils font tout à l’opposite
des preceptes Stoiques, qui nous ordonnent bien, de corri-
ger les imperfections, & vices que nous reconnoissons en
nous, mais nous deffendent d’en estre marris & desplaisants:
cCeux-cy nous font à croire, qu’ils en ont grand regret & re-
mors au dedans,: mMais d’amendement & correctiōcorrection, ⁁ ⁁ puri ny d’interruption: ils ne nous
en font rien apparoir. Si n’est ce pas guerison si on ne se des-
charge du mal: sSi la repentācerepentance pesoit sur le plat de la balācebalance, elle
LIVRE TROISIESME.355363
en-porteroit le peché. IeJe ne trouuetrouve aucune qualité si aysée à
contrefaire que la deuotiondevotion,: si on n’y conforme les meurs &
la vie: sSon essence est abstruse & occulte,: les apparences faci-
les & pōpeusespompeuses. Quant à moy, ieje puis desirer en general estre
autre: ieje puis condamner & me desplaire de ma forme vni-
uerselleuni-
verselle,: & supplier Dieu pour mon entiere reformation,: &
pour l’excuse de ma foiblesse naturelle: mMais cela,: ieje ne le doits
nommer repentir ce me semble,: non plus que le desplaisir de
n’estre, ny Ange ny Caton. Mes operationsactions sont reglées, &
conformes à ce que ieje suis, & à ma condition. IeJe ne puis faire
mieux,: &Et le repentir, ne touche pas propremētproprement les choses qui
ne sont pas en nostre force, ouy bien le regeretreter. IJ’imagine in-
finies natures plus hautes & plus reglées que la mienne: iIejJe n’a-
mande pourtant mes facultez: cComme ny mon bras, ny mon
esprit, ne deuiēnentdeviennent plus vigoreux, pour en conceuoirconcevoir vnun au-
tre qui le soit. Si d’imaginer & desirer vnun agir plus noble que
le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à
nous repentir de nos operations plus innocentes: dD’autātautant que
nous iugeonsjugeons bien qu’en la nature plus excellente, telles ope-
rations auroyent esté conduites d’vneune plus grande perfectiōperfection
& dignité,: & voudriōsvoudrions faire de mesme. Lors que ieje consulte,
des deportemens de ma ieunessejeunesse auecavec ma vieillesse, ieje trouuetrouve
que ieje les ay communement conduits auecavec ordre, selon moy:
cC’est tout ce que peut ma resistance. IeJe ne me flatte pas: àA cir-
constances pareilles, ieje seroy tousiourstousjours tel. Ce n’est pas tachemacheure,
c’est plustost vneune teinture vniuerselleuniverselle qui me noircisttache. IeJe ne
cognoy pas de repentance superficielle, moyenne, & de cere-
monie,: iIl faut qu’elle me touche de toutes pars, auantavant que ieje la
nomme ainsin, & qu’elle pinse mes entrailles, & les afflige au-
tant profondement, que Dieu me voit,: & autant vniuerselle-
mentuniverselle-
ment. Quant aux negoces, il m’est eschappé plusieurs bonnes
auanturesavantures, à faute d’heureureuse conduitte: mMes conseils ont
YYYy iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pourtant bien choisi, selon les occurrences qu’on leur presen-
toit: lLeur façon est de prendre tousiourstousjours le plus facile & seur
party. IeJe trouuetrouve qu’en mes deliberations passées, ij’ay selon ma
regle, sagement procedé, pour l’estat du subiectsubject qu’on me
proposoit,. &Et en ferois autant d’icy à mille ans, en pareilles oc-
casiōsoc-
casions. IeJe ne regarde pas, quel il est à cette heure, mais quel
il estoit, quand ij’en consultois. ⁁
⁁ La force de tout conseil
gist au temps: Les occasions
& les matieres roulent
& changent sans cesse.
IJ’ay faict fresencouru quelques
lourdes fauteserrurs en ma uievie
& importantes: po non par
faute de bon aduisadvis, mais
par faute de bonheur. Il
y a des parties secretes aus
obiectsobjects qu’on manie et indiui
nablesindivi
nables: signammant en la
nature des homes: des conditions
muettes, sans montre, inconues
par fois du possessur mesme:
qui se produisētproduisent et esueillētesveillent
par des occasions suruenantessurvenantes.
Si ma prudance ne les a peu
penetrer & profetiser, ieje ne luy
en sçai nul mauuesmauves gré: sa
charge se contient en ses limites.
Si l’euenementevenement me bat: & s’il
a
Si l’euenementevenement à fauoriséfavorisé le
party que ij’ay refusé: iIl n’y a remede: iIejJe ne m’en prēsprens pas à moy
de ne l’auoiravoir sçeu preuoirprevoir,: iIjJ’accuse ma fortune, non pas mon
operationouurageouvrage,: cCela ne s’appelle pas repentir. Phocion auoitavoit don-
né aux Atheniens certain aduisadvis, qui ne fut pas suyuisuyvi: l’affaire
pourtant se passant contre son opinion auecavec prosperité, quel-
qu’vnun luy dict,. &Et bien Phocion, és tu content que la chose
aille si bien? Bien suis-ieje content, fit-il, qu’il soit aduenuadvenu cecy,.
mais ieje ne me repens point d’auoiravoir conseillé cela. Quand mes
amis s’adressent à moy, pour estre conseillez, ieje le fay libre-
ment & clairement,. sSans m’arrester comme faict quasi tout
le monde, à ce que la chose estant hazardeuse, il peut adueniradvenir
au rebours de mon sens, par où ils ayent à me faire reproche
de mon conseil: dDequoy il ne me chaut. Car ils auront tort,: &Et
cependant ieje n’ay peudeu leur refuser cest office. ⁁
⁁ IeJe n’ay guere a me prendre
de mes fautes ou infortunes
à autre que’a sur moi. Car en
ieje me guide moi sul. Et meeffaict ieje me
sers rarement des aduisadvis
d’autrui si ce n’est par honeur
de ceremonie: sauf en ce ou
Les deux versions de ce passage donnent :
1- sauf en ce ou il est requis estre instruit de la sciance du faict plus que du raisonement et discours il eschoit de la sciance ou de la conoissance du faict.
2- sauf ou j’ay besouin d’instruction de sciance ou de la cognoissance du faict.
il est requis estre instruit due fai
la sciance du faict plus que
du raisonement et discours
il eschoitij’ay besouin d’instruction de la sciance ou de la
cognoissance du faict. Mais
és choses ou ieje n’ay a
emploier que le iugementjugement
et le discours, les raisons
estrangesres peuuentpeuvent seruirservir
à m’appuier mais nullementpeu
à me destourner. iIejJe les escoute
fauorablementfavorablement & decemment
mais ieje n’en croi que les mienes.toutes.
Mais qu’il m’en souuienesouviene
ieje n’en ai crueu iusqujusqu’asture
que les mienes. Selon moy
ce ne sont que mouches et atomes
qui promeinent ma uolontévolonté IeJe
prise peu mes opinions mais ieje
prise aussi peu celles des autres. ⁁
⁁ Fortune me païe dignement Si ieje done peune reçoi pas
ausde conseils d’a des autres les autres donent
encore moins aux miens Si quelcunOn s’en enquiert
c’est par acquit: et cela tresrarement
peu: et les reçoituētreçoitvent on encore moins du tout point ij’en done encores moinsaussi peu IJ’en suis fort peu enquis
mais ij’en suis encore moins creu: et ne sache nulle entreprinse ⁁
⁁ d’autrui, publique ny priueeprivee que mon aduisadvis
aie redressee et ramenee
. Ceus mesme
que la fortune y auoitavoit commis a ma conduiteaucunement atache se
sont laisses ⁁ plus uolontiersvolontiers manier plus tost para toute autre ceruellecervelle
que par la miene. Come celuy qui suis bien plus autātautant
ialousjalous des droits de mon repos que des droicts de mon
authoritè ieje l’aime bien mieus ainsi: pour estre deschargé
du gariement des succez: de leurs entreprinses. Quand
oniointjoint qu’en me laisseātlaisseant la, on faict selon ma profession, qui est de
Me laissant la
on faict selon ma profession, qui est de m’establir et
contenir tout en moy. Ce m’est plaisir d’estre desinteresse des affaires
d’autrui & desgage de leur gariement.
En tous affaires
quand ils sont passés, comment que ce soit, ij’y ay peu de re-
gret: cCar cette imagination me met hors de peine, qu’ils de-
uoyentde-
voyent ainsi passer: lLes voyla dans le grand cours de l’vniuersunivers,
& dans l’encheineure des causes Stoïques,. vVostre fantasie n’en
peut, par souhait & imagination, remuer vnun point, que tout
l’ordre des choses ne renuerserenverse, & le passé & l’adueniradvenir. Au de-
meurant,: ieje hay cest accidental repentir que l’aage apporte.
Celuy qui disoit anciennement estre obligé aux années, de-
quoy elles l’auoyentavoyent deffaict de la volupté, auoitavoit autre opi-
nion que la mienne: iIejJe ne sçauray iamaisjamais bon gré à l’impuis-
sance, de bien qu’elle me face. ⁁
⁁ Nec tam auersa
unquam uidebitur
ab opere suo prouidentia, ut
debilitas inter optima inuenta sit.
Nos appetits sont rares en la
LIVRE TROISIESME.356364
vieillesse,: vneune profonde satieté nous saisit apres: eEn cela ieje ne
voy rien de conscience: lLe chagrin, & la foiblesse, nous impri-
ment vneune vertu lache, & catarreuse. Il ne nous faut pas laisser
emporter si entiers, aux alterations naturelles, que d’en aba-
stardir nostre iugemētjugement. La ieunessejeunesse & le plaisir, n’ont pas faict
autrefois que ij’aie m’escogneu le visage du vice, en la volupté:
nNy ne faict à cette heure, le degoust que les ans m’apportent,
que ieje mescognoisse celuy de la volupté, au vice. Ores, que ieje
n’y suis plus, ij’en iugejuge comme si ij’y estoy: ⁁
⁁ Moi qui la secoue uifue=
mentvifve=
ment et attantifuementattantifvement
treuuetreuve que ma
mMa raison est celle
mesme que ij’auoyavoy en l’aage plus licencieux,: sSinon à l’auantu-
reavantu-
re, d’autant qu’elle s’est affoiblie & empirée, en viellissant.⁁
⁁ : de s’enfourner a ce plaisiet treuuetreuve que ce qu’elle
refuse de s’m’enfourner a ce
plaisir en consideration de
l’interest de sma sante corpo=
relle elle ne le fairoit non
plus qu’autre fois pour la
santé spirituelle.
Pour la voir hors de combat, ieje ne l’estime pas plus valeu-
reuse. Mes tentations sont si cassées & mortifiées, qu’elles ne
valent pas qu’elle s’y oppose: tTandant seulement les mains
au deuantdevant, ieje les esconiureesconjure. Qu’on luy remette en testepresence, cette an-
cienne concupiscence,: ieje crains qu’elle auroit moins de force
à la soustenir, qu’elle n’auoitavoit autrefois. IeJe ne luy voy rien iu-
gerju-
ger a par soy, que lors elle ne iugeastjugeast,: il n’y any aucune nouuellenouvelle
clarté. Parquoy s’il y a conualescenceconvalescence, c’est vneune conualescenceconvalescence
maladifuemaladifvefieureusefievreusemaleficiee. ⁁
⁁ Miserable sorte
de remede, daeuoirdaevoir
sa santé a sa la
maladie sa santé.
Et Platon dict: mais
come en nous le reprochātreprochant
que les maus et le uoisinagevoisinage
de la mort nous seruentservent
d’instruction. Ce n’est pas à
au malheur nostre malheur
de faire cet office: c’est au bon
heur de nostre iugemantjugemant. On ne me
faict rien faire par les offanses
et afflictions que de les maudire. C’est aux
faire a gens qui ne s’eueillenteveillent
qu’a coups de foit. Ma raison
a bien la ueuveu son cours plus
deliuredelivre en la prosperite. Elle
est bien plus empresseedistrette aet occupee
a digerer les maus que les plaisirs.
IeJe uoisvois bien plus cler en temps
serein. La sante m’aduertitadvertit
etcome plus allegremant &aussi plus
utillemant que la maladie.
IeJe me suis auancéavancé le plus
que ij’ay peu uersvers ma reparation
et reglemant lors que ij’auoisavois a
en iouirjouir. IeJe serois honteus &
enuieusenvieus que la misere et desfortune de ma decrepitudevieillesse eut a se preferer a mes
bones annees seines esueilléesesveillées uigoreusesvigoreuses. eEt qu’on eut a m’estimer non par ou ij’ay este
pmais par ou ij’ay cessé d’estre. ⁁
⁁ Ce n’est pas IJ’estime queA mon aduisadvis c’est le
uiurevivre hureusement non come disoit
Antisthenes le mourir hureusement
qui faict l’humaine felicite.
IeJe ne me suis pas atandu d’atacher monstrueusemant
la queue d’un philosophe a la teste et au corps d’un home perdu. Ny que ce chetif bout
eut a desaduouërdesadvouër et desmantir la plus belle entiere et longue partie de ma uievie. IeJe
me ueusveus presanter et faire uoirvoir par tout uniformeemant. ⁁
⁁ Si ij’auoisavois a reuiurerevivre ieje reuiuroisrevivrois
come ij’ay uescuvescu: ny ieje ne pleins le
passe, ny ieje ne creins l’adueniradvenir.
Et si ieje ne me deçois il
est alle du dedans enuironenviron come du dehors: C’est une des principales obligations
que ij’aye a ma fortune que le cours de ma uievieon ⁁ ⁁ estat corporel aye este conduit chaque chose en sa
seson. IJ’en ai ueuveu l’herbe et les fru fleurs et le fruit. et en uoisvois la secheresse. HureusemātHureusemant
puis que c’est naturellemant. IeJe porte bien plus doucemātdoucemant les maus que ij’ay, d’autant
qu’ils sont en leur point. Et qu’ils me font aussi plus fauorablemantfavorablemant souuenirsouvenir de la longue
felicité de ma uievie passee. IeJe resigne donq ces reformations casuelles et
doleureuses. MaPareillement ma sagesse peut bien estre de mesme taille en lunl’un et en lautrel’autre temps.
Mais ell’estoit bien de plus d’exploit et de meillure grace uerteverte gaye naïfuenaïfve
Qu’elle n’est a presant: croupiecassee grondeuse laborieuse. IeJe renonce donq a
ces reformations casuelles & douloureuses.
Il faut que Dieu nous touche le courage,: iIl faut
que nostre conscience s’amende d’elle mesme, par r’enforce-
ment de nostre raison, non par la defaillance’affoiblissement de nos forcesappetits. La
volupté n’en est en soy, n’y pasle ny descolorée, pour estre a-
perceuë par des yeux chassieux & troubles. On doibt aymer
la temperance par elle mesme, & pour le respect de Dieu qui
nous l’a ordōnéeordonnée, & la chasteté: cCelle que les catarres nous pre-
stent, & que ieje doibts au benefice de ma cholique, ce n’est ny
chasteté, ny temperance. On ne peut se vanter de mespriser &
combatre la volupté, si on ne la voit, si on l’ignore, & ses gra-
ces, & ses forces, & sa beauté, plus attrayante. IeJe cognoy l’vneune
& l’autre, c’est à moy à le dire: mMais il me semble, qu’ēen la vieil-
lesse, nos ames sont subiectessubjectes à des maladies & imperfections
ESSAIS DE M. DE MONTA.
plus importunes qu’en la ieunessejeunesse: iIejJe le disois estant ieunejeune,: lors
on me donnoit de mon menton par le nez: iIejJe le dis encores à
cette heure, que mon poil ⁁ gris m’en donne le credit: nNous appel-
lons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des cho-
ses presentes: mMais à la verité nous ne quittons pas tant les vi-
ces, comme nous les changeons,: & à mon opiniōopinion, en pis. Ou-
tre vneune sotte & caduque fierté, vnun babil ennuyeux, ces hu-
meurs espineuses & inassociables, & la superstitiōsuperstition, & vnun soin
ridicule des richesses, lors que l’vsageusage en est perdu, ij’y trouuetrouve
plus d’enuieenvie, d’iniusticeinjustice & de malignité. Elle nous attache plus
de rides en l’esprit qu’au visage: &Et ne se void point d’ames, ou
fort rares, qui en vieillissant, ne sentent à l’aigre & au moisi.
L’homme marche entier, vers son croist & vers son décroist. ⁁
⁁ A uoirvoir la sagesse de
Socrates et plusieurs circons=
tances de sa condamnation
ij’oserois croire qu’il s’y presta ⁁ aucunemētaucunement
luy mesmes par discours se
Voici une hypothèse de reconstitution des trois versions de ce passage :
1- par discours se sentant prevoiant entrer en decadance des forces de son discours et l’esblouissement de l’acostume clarte de son ame/esprit de quoi sa vieillesse l’estoit menaceant.
2- par prevarication prevoiant l’affoiblissement des allures acostumees de son discours eage de soixante et dix ans.
3- par prevarication et dessein: ayant de si pres, eage de soixante dix ans a souffrir l’engourdissement...
sentant preuoiantprevoiant entrer
en decadance des forces de son
discours et l’esblouis=
semant de l’acostumee clarte
de son ameesprit de quoi sa uieillessevieillesse
l’estoit menaceantpreuaricationprevarication
a dessein: ayant de si pres,
l’affoiblissement des allures
acostumees eage de soixātesoixante
& dix ans
a souffrir l’engour
dissement des ces riches allures
de son esprit & lesblouissementl’esblouissement
de sa clartè acostumee de quoi
le menaçoit sapar
le droit de la uieillessevieillesse eagè
de septante ans.
Qu’ellesQuelles Metamorphoses luy voy-ieje faire tous les ioursjours, en
plusieurs de mes cognoissans? c’C’est vneune violentepuissante maladie, &
qui se coule naturellement & imperceptiblement,: iIl y faut
grande prouisionprovision d’estude, & grande precaution, pour eui-
terevi-
ter les imperfections qu’elle nous charge: ou aumoins affoi-
blir leur progrets. IeJe sens que nonobstant tous mes retran-
chemens, elle gaigne pied à pied sur moy: iIejJe soustien tant que
ieje puis,: mMais ieje ne sçay en fin, ou elle me menera moy-mesme:
àA toutes auanturesavantures, ieje suis content qu’on sçache d’où ieje seray
tombé.
De trois commerces. CHAP. III.
IL ne faut pas se clouër si fort à ses humeurs & cōple-
xionscomple-
xions. Nostre principalle suffisance, c’est, sçauoirsçavoir s’ap-
pliquer à diuersdivers vsagesusages. C’est estre, mais ce n’est pas
viurevivre que se tenir attaché, & obligé par necessité à vnun seul
train. Les plus belles ames sont celles, qui ont plus de varieté
& de soupplesse. ⁁
⁁ Voila un honorable
tesmouignage du uieusvieus
Caton: huic uersatile
ingenium sic pariter ad
omnia fuit, ut natūnatum ad id unum diceres quodcūquequodcumque ageret.
Si c’estoit à moy à me dresser à ma postemode, il
n’est aucune si bonne façon, ou ieje vouleusse estre plantéfiché, pour
ne
LIVRE TROISIESME.357365
ne m’en sçauoirsçavoir destournerdesprendre. La vie est vnun mouuementmouvement inegal,
irregulier, & multiforme. Ce n’est pas estre amy de soy, &
moins encore maistre, c’est en estre esclaueesclave, de se suiuresuivre inces-
samment, &Et estre si pris à ses inclinations, qu’on n’en puisse
fouruoyerfourvoyer, qu’on ne les puisse tordre. IeJe le dy à cette heure,
pour ne me pouuoirpouvoir facilement despestrer de l’importunité
de mon ame, en ce, qu’elle ne sçait communément s’amuser,
sinon ou elle s’empeche, ny s’employer, que ⁁ ⁁ bandee et entiere. Pour le-
ger subiectsubject qu’on luy donne, elle le grossit volontiers, & l’es-
tire, iusquesjusques au poinct ou elle ait à s’y embesongner de toute
sa force. Son oysifuetéoysifveté m’est à cette cause vneune penible occu-
pation, & qui offence ma santé. La plus part des esprits, ont
besoing de matiere estrangere, pour se desgourdir & exercer:
le mien en à besoing, pour se rassoir plustost & seiournersejourner,
vitia otij negotio discutienda sunt: cCar son plus laborieux & prin-
cipal estude, c’est, s’estudier à soy. ⁁
⁁ Les liureslivres sont pour
moiluy du genre des
occupations qui me
distrayentle
desbauchent de monson
estude et sans perte.
mais qui m’en distra
distrayent sans perte.
Aux premieres pēséespenséescogitations pensees qui
luy viēnentviennent, il s’agite, & faict preuuepreuve de sa vigueur à tout sens:
eExerce son maniement tantost vers la force, tantost vers l’or-
dre & la grace ⁁ ⁁ se range se modere et fortifie par son propre discours.. Il à dequoy esueilleresveiller ses facultez par luy mes-
me: nNature luy à donné comme à tous, assez de matiere sien-
ne, pour son vtilitéutilité,. &Et de subiectssubjects propressiens assez, ou inuenterinventer
& iugerjuger. ⁁
⁁ Mon ame se sonde
se contrerolle: range
modere et fortifie ses
mouuemansmouvemans par ses discours
tout par tout ou ell’a loiy
d’entretenir ses pensees
propres: tout par tout
ou ell’a loi d’entretenir
ses pensees. Le mediter est
un puissant estude et plein, a
qui sçait se taster et emploier
uigoreusementvigoreusement. IJ’aime mieux
faireforger mon ame que la meubler
et la grossir que la farcir Il
n’est point d’occupation ny
plus foible ny plus forte que
selon le subiectsubject que celle
d’entretenir ses pansees
selon lamel’ame que c’est. Les
plus grandes en font faict
autresfois leur uacationvacation
quibus uiuere est cogitare
Aussi ll’a nature fauoriseefavorisee de ce priuilegeprivilege
qu’il n’y a rien que nous puissions faire si
longtemps: ny action a laquelle nous nous
adonons plus ordinerement et facillement.
C’est la sbesouigne des Dieus dict Aristote
doud’ouque la cōtemplationcontemplation de la quelle nait et leur beatitude et la nostre
La lecture me sert specialement a esueilleresveiller par
diuersdivers obiectsobjects ma meditation.mon discours, et mettre mes estudespensees
a en mbesouigner non a remplircombler ma la memoiremon iugementjugement non
ma memoire.
Au pris de ce fruict & amendement essentiel, auquel
ilelle vise, ilelle faict peu de compte de l’estude qu’on employe à
charger & meubler sa memoire de la suffisance d’autruy. Peu
d’entretiens doncq m’arretent sans vigueur & sans effort:
iIl est vray que la gentillesse & la beauté, me remplissent & oc-
cupent, autant ou plus, que le pois & la profondeur. Et d’au-
tant que ieje sommeille en toute autre communication, & que
ieje n’y preste que l’escorce de mon attention,: il m’aduientadvient
souuentsouvent, en telle sorte de propos, rompusabatus & láches, sans pois
& sans grace, propos de contenance, de dire & respondre des
songes, & bestises, indignes d’vnun enfant, & ridicules,: oOu de me
ZZZz
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tenir obstiné en silence,: plus ineptement encore & inciuile-
mentincivile-
ment. IJ’ay vneune façon resueuseresveuse par fois, qui me retire à moy,
&Et d’autre part vneune lourde ignorance & puerile, de plusieurs
choses communes: pPar ces deux qualitez, ij’ay gaigné, qu’on
puisse faire au vray, cinq ou six contes de moy, aussi niais que
d’autre quel qu’il soit. Or suyuantsuyvant mōmon propos,. cCette comple-
xion difficile, me rend delicat à la pratique des hommes,. iIl
me les faut trier sur le volet,. &Et me rend incommode aux
actions communes. Nous viuonsvivons, & negotions auecavec le peu-
ple,: si sa conuersationconversation nous importune, si nous desdaignons
à nous appliquer aux ames basses & vulgaires,: & les basses &
vulguaires sont souuentsouvent aussi sagesreglees que les plus desliées,: ⁁
⁁ , plus sapit interdum
uulgus quia tantum
quantum opus est sapit,
& toute sapiance incommodeinsipide
qui ne s’accommode a l’insipiance
commune.
il ne
nous faut plus entremettre n’y de nos propres affaires ny de
ceux d’autruy: &Et les publiques & les priuezprivez se demeslent a-
ueca-
vec ces gens la. Les moins tandues & plus naturelles alleures
de nostre ame, sont les plus belles: lLes meilleures occupations,
les moins efforcées. Mon Dieu, que la sagesse faict vnun bon of-
fice à ceux, de qui elle reglerange les desirs à leur puissance: iIl n’est
point de plus vtileutile sciēcescience. Selon qu’on peut,: c’estoit le refrein
& le mot fauoryfavory de Socrates: mMot de grande substance: iIl faut
addresser & arrester nos desirs, aux choses les plus aysées &
voisines. Ne m’est-ce pas vneune sotte humeur, de disconuenirdisconvenir
auecavec vnun milier à qui ma fortune me iointjoint, de qui ieje ne me
puis passer, pour me tenir à vnun ou deux qui sont hors de mon
commerce: oOu plustost à vnun desir fantastique de chose, que
ieje ne puis recouurerrecouvrer? Mes meurs molles, ennemies de toute
aigreur & aspreté, peuuentpeuvent aysément m’auoiravoir deschargé d’en-
uiesen-
vies & d’inimitiez: dD’estre aimé, ieje ne dy, mais de n’estre point
hay, iamaisjamais homme n’en donna plus d’occasiōoccasion: mMais la froi-
deur de ma conuersatiōconversation, m’a desrobé auecavec raison, la bien-veil-
lance de plusieurs, qui sont excusables de l’interpreter à autre,
& pire sens. ⁁
⁁ Et certes meshui n’oserois
me pleindre d’estre aimè
si peu, en aimant si peu: et n’ayant par ci deuantdevant iamaisjamais failli d’estre aimé ou iamaisjamais en bon esciant
sans reuancherevanche.
IeJe suis tres-capable d’acquerir & maintenir des
LIVRE TROISIESME.358366
amitiez rares & exquises, dD’autant que ieje me harpe auecavec si
grande faim aux accointances qui reuiennentreviennent à mōmon goust,: ieje
m’y produis, ieje m’y iettejette si auidementavidement, que ieje ne faux pas ay-
sément de m’y attacher, & de faire impression ou ieje donne:
iIjJ’en ay faict souuantsouvant heureuse preuuepreuve. Aux amitiez commu-
nes, ieje suis aucunement sterile & mol,froit. cCar mon aller n’est pas
naturel, s’il n’est à pleine voile. Outre ce, que ma fortune
m’ayant duit, & acoquinéaffriandy des ieunessejeunesse, à vneune amitié seule &
parfaicte, m’a à la verité aucunement desgouté des autres: &Et
trop imprimé en la fantasie, qu’elle est beste de compaignie,
non pas de troupe, comme disoit cet antien. Aussi, que ij’ay
naturellemētnaturellement peine à me communiquer à demy,. &Et auecavec mo-
dification,: &Et cette seruileservile prudence & soupçonneuse, qu’on
nous ordonne, en la conuersationconversation de ces amitiés nombreuses,
& imparfaictes.: eEet nous l’ordonne l’on principalement en ce
temps, qu’il ne se peut parler du monde, que dangereusemētdangereusement,
ou faucement. Si voy-ieje bien pourtant, que qui à comme
moy, pour sa fin, les commoditez de sa vie (ieje dy les commo-
ditez essentielles) doibt fuyr comme la peste, ces difficultez &
delicatesse d’humeur. IeJe louerois vnun’ame à diuersdivers estages,. qQui
sçache & se tendre & se desmonter,. qQui soit bien par tout ou
sa fortune la porte,. qQui puisse deuiserdeviser auecavec son voisin, de son
bastiment, de sa chasse & de sa querelle,. eEntretenir auecavec plai-
sir, vnun charpētiercharpentier & vnun iardinierjardinier: iIjJ’enuieenvie ceux, qui sçauentsçavent s’a-
priuoisera-
privoiser au moindre de leur suitte, & dresser de l’entretien en
leur propre train. ⁁
⁁ Et le conseil de Platon
ne me plait pas de parler
tousiourstousjours d’un parler
maistrisantlangage
maestral a ses seruitursserviturs
sanssans ieujeu sans familiarite sans
priuauteprivaute soit enuersenvers les
masles soit enuersenvers les femelles.
Car outre ma raison il est
inhumain et iniusticeeinjusticee ⁁ ⁁ de faire tāttant ualoirvaloir cette
telle quelle prerogatiueprerogative de la
fortune: eEt les polices ou il se
souffre moins de disparite entre
les ualetsvalets & les maistres, me
sēblentsemblent les plus aequitables.
Les autres s’estudient à eslancer & guinder
leur esprit,. mMoy a le rabaisser & coucher,. iIl n’est vicieux qu’en
extantion.:
Narras & genus Aeaci,
Et pugnata sacro bella sub Ilio,
Quo Chium pretio cadum
Mercemur, quis aquam temperet ignibus,
ZZZz ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Quo praebente domum, & quota
Pelignis caream frigoribus, taces.
Ainsi comme la vaillance Lacedemonienne, auoitavoit besoing
de moderation, & du son doux & gratieux du ieujeu des flutes
pour la flatter en la guerre, depeur qu’elle ne se iettatjettat à la te-
merité, & à la furie: lLà ou toutes autres nations, ordinairemētordinairement
employent des sons & des voix aigues & fortes, qui esmou-
uentesmou-
vent & qui eschauffent à outrance le courage des soldats: iIl
me semble de mesme, contre la forme ordinaire,: qQu’en l’vsa-
geusa-
ge de nostre esprit, nous auonsavons pour la plus part, plus besoing
de plomb, que d’ailes, de froideur & de repos, que d’ardeur
& d’agitation. Sur tout, c’est à mon gré bien faire le sot, que
de faire l’entendu, entre ceux qui ne le sont pas,. pParler tous-
iourstous-
jours bandé, fauellarfavellar in punta di forchetta: iIl faut se desmettre au
train de ceux auecavec qui vous estes, & par fois affecter l’ignorā-
ceignoran-
ce: mMettez à part la force & la subtilité: eEn l’vsageusage commun,
c’est assez d’y reseruerreserver l’ordre: tTrainez vous au demeurant à
terre, s’ils veulent. Les sçauanssçavans chopent volōtiersvolontiers à cette pier-
re: iIls font tousiourstousjours parade de leur magistere, & sement leurs
liureslivres par tout: iIls en ont en ce temps, entonné si fort les ca-
binets & oreilles des dames, que si elles n’en ont retenu la sub-
stance, aumoins elles en ont la mine: àA toute sorte de propos,
& matiere, pour basse & populaire qu’elle soit, elles se ser-
uentser-
vent d’vneune façon de parler & d’escrire, nouuellenouvelle & sça-
uantesça-
vante.,
Hoc sermone pauent, hoc iram, gaudia, curas,
Hoc cuncta effundunt animi secreta, quid vltra?
Concumbunt doctè,
EeEt alleguent Platon & Sainct Thomas, aux choses ausquel-
les le premier rencontré, seruiroitserviroit aussi bien de tesmoing: lLa
doctrine qui ne leur à peu arriuerarriver en l’ame, leur est demeurée
LIVRE TROISIESME.359367
en la langue. Si les bien-nées me croient, elles se contenteront
de faire valoir leurs propres & naturelles richesses: eElles cachētcachent
& couurentcouvrent leurs beautez, soubs des beautez estrangeres: cC’est
grande simplesse, d’estouffer sa clarté pour luire d’vneune lumie-
re empruntée: eElles sont enterrées & enseueliesensevelies soubs l’art. dDe capsula totae. Montaigne avait d’abord écrit : "soubs l’art de capsula totae" puis : "soubs l’art. De capsula Totae"
C’est qu’elles ne se cognoissent point assez: lLe monde n’a rien
de plus beau: cC’est à elles d’honnorer les arts, & de farder le
fard. Que leur faut-il, que viurevivre aymées & honnorées? Elles
n’ont, & ne sçauentsçavent que trop, pour cela. Il ne faut qu’esueilleresveiller
vnun peu, & rechauffer les facultez qui sont en elles. Quand ieje
les voy attachées à la rhetorique, à la iudiciairejudiciaire, à la logique,
& semblables drogueries, si vaines & inutiles à leur besoing,
ij’entre en crainte, que les hommes qui le leur conseillent, le fa-
cētfa-
cent pour auoiravoir loy de les regēterregenter soubs ce tiltre.: CcCar q̄llequelle autre
excuse leur trouueroistrouverois-ieje? bBaste, qu’elles peuuentpeuvent sans nous,
renger la grace de leurs yeux, à la gaieté, à la seueritéseverité, & à la
douceur: assaisonner vnun nenny de rudesse, de doubte, & de fa-
ueurfa-
veur, & qu’elles ne cherchent point d’interprete aux discours
qu’on faict pour leur seruiceservice. AuecAvec cette science, elles peuuentpeuvent
commanderētcommanderent à baguette, & regenterētregenterent les regens & l’eschole. Si
toutesfois il leur fache de nous ceder en quoy que ce soit, &
veulētveulent par curiosité, auoiravoir part aux liureslivres, lLa poësie est vnun amu-
sement propre à leur besoin: cC’est vnun art follastre, & subtil, des-
guisé, parlier, tout en plaisir, tout en montre, comme elles. El-
les tireront aussi diuersesdiverses commoditez de l’histoire: eEn la phi-
losophie, de la part qui sert à la vie, elles prendront les discours
qui les dressent, à iugerjuger de nos humeurs & conditions, àA se def-
fendre de nos trahisons, àA regler la temerité de leurs propres
desirs, àA ménager leur liberté, aAlonger les plaisirs de la vie, &Et à
porter humainement l’inconstance d’vnun seruiteurserviteur, la rudesse
d’vnun mary, & l’importunité des ans, & des rides,: & choses sem-
blables. Voila pour le plus, la part que ieje leur assignerois aux
ZZZz iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sciences. Il y à des naturels particuliers, retirez & internes: mMa
forme essentielle est propre à la communication, & à la pro-
duction: iIejJe suis tout au dehors & en euidenceevidence, nNay à la societé
& a l’amitié: lLa solitude que ij’ayme & que ieje presche,: ce n’est
principallement, que ramener a moy mes affections, & mes
pensées,: rRestreindre & resserrer, nōnon mes pas, maisains mes desirs &
mon soingsouci,: rResignant la solicitude estrangere, &Et fuyant mor-
tellement la seruitudeservitude, & l’obligation.⁁
⁁ : eEt plus la pressenon tant la foule
des homes, que la
pressefoule des affaires.
La solitude locale, a di-
re verité, m’estantd plustost, & m’eslargit au dehors: iIejJe me iettejette
aux affaires d’estat, & a l’vniuersunivers, plus volontiers quand ieje suis
seul. Au LouureLouvre & en la pressefoule, ieje me resserre & contraincts en
ma peau.: LlLa foule me repousse a moy,: &Et ne m’entretiens ia-
maisja-
mais si folemētfolement, si licentieusement & particulieremētparticulierement, qu’aux
lieux de respect, & de prudence ceremonieuse,: nNos folies ne
me font pas rire, ce sont nos sagessespiances. De ma complexion, ieje
ne suis pas ennemy de l’agitation des cours, iIjJ’y ay passé partie
de la vie,. &Et suis faict à me porter allegrement aux grandes cō-
paigniescom-
paignies, pPourueupPourveu que ce soit par interuallesintervalles, & a mon poinct.
Mais cette mollesse de iugementjugement, dequoy ieje parle, m’attache
par force a la solitude,. vVoire chez moy, au milieu d’vneune famil-
le peuplée, & maison des plus frequētéesfrequentées,: iIjJ’y voy des gēsgens assez,
mais rarement ceux, auecqavecq qui ij’ayme a cōmuniquercommuniquer: &Et ieje re-
seruere-
serve la, & pour moy & pour les autres, vneune liberté inusitée: iIl
s’y faict trefuetrefve de ceremonie, d’assistance, & conuoiemensconvoiemens, &
telles autres reglesordonences penibles de nostre courtoisie (ô la seruileservile &
importune vsanceusance) chacun s’y gouuernegouverne a sa mode, y entretiētentretient
qui veut ses pēséespensées: iIejJe m’y tiens muet, resueurresveur, & enfermé, sans
offence de mes hostes. Les hōmeshommes, de la societé & familiarité
desquels ieje suis en queste, sont ceux qu’on appelle honnestes
& habiles hommes: lL’image de ceux icy me degouste des au-
tres. C’est a le bien prendre, de nos formes, la plus rare: &Et for-
me qui se doit principallement a la nature. La fin de ce com-
LIVRE TROISIESME.360368
merce, c’est simplement la priuautéprivauté, frequentation, & confe-
rence: lL’exercice des ames, sans autre fruit. En nos propos, tous
subietssubjets me sont égaux: iIl ne me chaut qu’il y ait, ny poix, ny
profondeur,: lLa grace & la pertinence, y sont tousiourstousjours, tTout y
est teinct d’vnun iugementjugement meur & constant, &Et meslé de bonté,
de franchise, de gayeté & d’amitié. Ce n’est pas au subiectsubject des
substitutions seulement, que nostre esprit montre sa beauté
& sa force, & aux affaires des Roys:. iIl la mōstremonstre autātautant aux con-
fabulations priuéesprivées. IeJe connois mes gens au silence mesme, &
à leur soubsrire, &Et les descouuredescouvre mieux à l’aduantureadvanture à table,
qu’au conseil. Hyppomachus disoit bien, qu’il connoissoit les
bons luicteurs, à les voir simplement marcher par vneune ruë.
S’il plaist à la doctrine de se mesler a nos deuisdevis, elle n’en sera
point refusée,: nNon magistrale, imperieuse, & importune com-
me de coustume, mais suffragante & docile elle mesme. Nous
n’y cherchons qu’a passer le temps: aA l’heure d’estre instruicts
& preschez, nous l’irons trouuertrouver en son throsne, qQu’elle se de-
mette à nous pour ce coup s’il luy plaist: cCar toute belleutille & de-
sirable qu’elle est, ieje presuppose, qu’encore au besoing, nous
en pourrions nous bien du tout passer, & faire nostre effect
sans elle. VneUne ame bien née, & exercée à la practique des hom-
mes, se rend plaeinement aggreable d’elle mesme. L’art n’est au-
tre chose que le contrerolle, & le registre des productions de
telles ames. C’est aussi pour moy, vnun doux commerce, que ce-
luy des honnestesbelles et honestes femmes & bien nées:Nam nos quoque oculos eruditos habemus. sSi l’ame n’y a pas tant à
iouyrjouyr qu’au premier, les sens corporels qui participent aussi
plus à cettuy-cy, le ramenent à vneune proportiōproportion voisine de l’au-
tre, qQuoy que selon moy non pas esgalle. Mais c’est vnun com-
merce où il se faut tenir vnun peu sur ses gardes, &Et notamment
ceux en qui le corps peut beaucoup, comme en moy. IeJe m’y
eschauday en mon enfance, & y souffris ⁁ ⁁ quasi toutes les rages, que
les poëtes disent adueniradvenir à ceux, qui s’y laissent aller sans ordre
ESSAIS DE M. DE MONT.
& sans iugementjugement. Il est vray que ce coup de fouet, m’a seruyservy
depuis d’instruction,
Quicunque Argolica de classe Capharea fugit,
Semper ab Euboicis vela retorquet aquis.
C’est folie d’y attacher toutes ses pensées, & s’y engager d’vneune
affection furieuse & indiscrette: mMais d’autre part, de s’y mesler
sans amour, & sans obligation de volonté, en forme de come-
diens, pour iouerjouer vnun rolle commun, de l’aage & de la coustu-
me, & n’y mettre du sien que les parolles,: cC’est de vray pour-
uoyerpour-
voyer à sa seureté, mais bien láchement, cComme celuy qui a-
bandonneroit son honneur où son proffit, ou son plaisir, de
peur du dāgerdanger: cCar il est certain, que d’vneune telle pratique, ceux
qui la dressent n’en peuuentpeuvent esperer aucun fruict, qui touche
ou satisface vneune belle ame. Il faut auoiravoir en bon escient desiré,
ce qu’on veut prendre en bon escient plaisir de iouyrjouyr: iIejJe dy
quand iniustementinjustement fortune fauoriseroitfavoriseroit leur masque: cCe qui
aduientadvient souuentsouvent, à cause de ce qu’il n’y à aucune d’elles, pour
malotruë qu’elle soit, qui ne pense estre bien aymable, ⁁
⁁ qui ne se recomande
par sa taille son eage,
ou par son rispoil, ou par
son mouuemātmouvemant, ou par
son trou: car d’exactemātexactemant
laides, et uniuerselemātuniverselemant,
il n’en est non plus, que
de belles: : et les filles
Brachmanes qui ont
faute d’autre reco=
mandation sont as
le peuple assamblé a
cri publiq pour cet effet
vont aēen la place faisant
montre de leurs parties
nobles,matrimoniales: uoirvoir si par la
au moins, elles ne ualētvalent
pas d’acquerir un mari.
Et
& qui
pPar consequent ⁁ ⁁ il n’en est pas qui une qui ne se laisse trop facilement persuader au pre-
mier serment, qu’on luy faict de la seruirservir. Or de cette trahison
commune & ordinaire des hommes d’auiourdaujourd’huy, il faut
qu’il aduiēneadvienne, ce que desiadesja nous mōtremontre l’experiēceexperience, cC’est, qu’el-
les se r’alient & reiettentrejettent a elles mesmes, ou entre elles, pour
nous fuyr: oOu bien qu’elles se rengent aussi de leur costé, a cet
exemple que nous leur donnons, qQu’elles iouentjouent leur part de
la farce, & se prestent a cette negotiation, sans passion, sans
soing & sans amour.⁁
⁁ : nNeque affectui
suo aut alieno
obnoxiae. EstimātEstimant
suiuātsuivant la persuasion
de la raison de Lysias
en Platon qu’elles se peuuentpeuvent
adoner d’autātautant plus
utilemant a nous
d’autant que moins
moins
nous les aimons n’en
somes pas amoureus et
commodeement a
nous, d’autant que moins nous les aimons.
Il en ira comme des comedies,: le peuple
y aura autant ou plus de plaisir que les comediens. De moy, ieje
ne connois non plus Venus sans Cupidon, qu’vneune maternité
sans engence: cCe sont choses qui s’entreprestent & s’entredoi-
uententredoi-
vent leur essence. Ainsi cette pipperie reiallitrejallit sur celuy qui la
faict: iIl ne luy couste guiere, mais il n’acquiert aussi rien qui
vaille.
LIVRE TROISIESME.361369
vaille. Ceux qui ont faict Venus Deesse, ont regardé que sa
principale beauté estoit incorporelle & spirituelle, mMais celle
que ces gens cy cerchent, n’est pas seulement humaine,. nNy
mesme brutale: lLes bestes ne la veulent si lourde & si terrestre.
Nous voyons que l’imagination & le desir les eschauffe sou-
uentsou-
vent, & solicite auantavant le corps: nNous voyons en l’vnun & l’autre
sexe, qu’en la presse, elles ont du chois & du triage en leurs af-
fections, &Et qu’elles ont entre-elles des accointances de lōguelongue
bienueuillancebienveuillance. Celles mesmes à qui la vieillesse refuse la for-
ce corporelle, fremissent encores, hānissenthannissent & tressaillent d’a-
mour. Nous les voyons auantavant le faict, plaeines d’esperance &
d’ardeur: &Et quand le corps à iouéjoué son ieujeu, se chatouiller encor
de la douceur de cette souuenancesouvenance: &Et en voyons qui s’enflent
de fierté au partir de là, & qui en produisent des chants de fe-
ste & de triomphe,: lasses & saoules:. qQui n’a qu’a descharger
le corps d’vneune necessité naturelle, n’a que faire d’y embeson-
gner autruy, à tout des apprests si curieux,: cCe n’est pas viande à
vneune grosse & lourde faim. CōmeComme celuy qui ne demande point
qu’on me tienne pour meilleur que ieje suis, ieje diray cecy des er-
reurs de ma ieunessejeunesse: nNon seulement pour le danger qu’il y a, ⁁
⁁ de la santè, (si n’ai-ieje
sceu si bien faire, que ieje
n’en aie eus deus atteintes
mais legieres et pream=
bulaires:) toutesfois, et
preambulaires)
mais encores par mespris, ieje ne me suis guere adonné aux ac-
cointances venales & publiques, iIjJ’ay voulu esguiser ce plaisir
par la difficulté, par le desir & par quelque gloire: &Et aymois la
façon de l’Empereur Tibere, qui se prenoit en ses amours, au-
tant par la modestie & noblesse, que par autre qualité: &Et l’hu-
meur de la courtisane Flora, qui ne se prestoit à moins q̄que d’vnun
dictateur, ou consul, ou censeur, & prenoit son déduit, en la
dignité de ses amoureux: cCertes les veloursperles & le brocadel, y
conferent quelque chose, &Et les tiltres & le trein. Au demeu-
rant, ieje faisois grand conte de l’esprit, mais pourueupourveu que le
corps n’en fut pas à dire: cCar à respondre en conscience, si l’vneune
ou l’autre des deux beautez deuoitdevoit necessairement y faillir,
AAAAa
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ij’eusse choisi de quitter plustost la spirituelle: eElle à son vsageusage
en meilleures choses: mMais au subiectsubject de l’amour, subiectsubject qui
principallement se rapporte à la veue & à l’atouchement,: on
faict quelque chose sans les graces de l’esprit, rien sans les gra-
ces corporelles. C’est le vray auātageavantage des dames que ⁁
⁁ la beaute. La nostre
elle est si leur, que la
nostre quoi qu’elle desire
des traicts un peu autres,
n’est en sa fleur,son poinct, que
confuse aueqaveq la leur ⁁ puerile et
imberbe. On dict que ches
le grand seignur ceus qui
le seruentservent sous tiltre de
beaute qui sont en nombre
infini ont leur conge exacte=
mentau plus loin a uintvint et deus ans.
le corps:
lLes discours, la prudēceprudence, & les offices d’amitié, se trouuēttrouvent mieux
chez les hommes: pPourtant gouuernentgouvernent-ils les affaires du mō-
demon-
de. Ces deux commerces sont fortuites, & despendans d’au-
truy: lL’vnun est ennuyeux par sa rareté, lL’autre se flestrit auecavec l’aa-
ge: aAinsin ils n’eussent pas assez prouueuprouveu au besoing de ma vie.
Celuy des liureslivres, qui est le troisiesme, est bien plus seur & plus
à nous. Il cede aux premiers les autres auantagesavantages, mMais il a pour
sa part la constance & facilité de son seruiceservice: cCettuy-cy costoie
tout mon cours, & m’assiste par tout: iIl me console en la vieil-
lesse & en la solitude: iIl me descharge du pois d’vneune oisiuetéoisiveté
ennuyeuse: &Et me deffaict à toute heure, des compaignies, qui
me faschētfaschent: iIl emousse les pointures de la douleur, si elle n’est
du tout extreme & maistresse: pPour me distraire d’vneune imagi-
nation importune, il n’est que de recourir aux liureslivres, iIls me de-
stournent facilement à eux, & me la desrobent: &Et si ne se mu-
tinētmu-
tinent point, pour voir que ieje ne les recherche, qu’au deffaut de
ces autres commoditez, plus reelles, viuesvives & naturelles: iIls me
reçoiuētreçoivent tousiourstousjours de mesme visage. Il a beau aller à pied, dit-
on, qui meine son cheualcheval par la bride: &Et nostre IacquesJacques Roy
de Naples, & de Sicile, qui beau, ieunejeune, & sain, se faisoit porter
par pays en ciuiereciviere, couché sur vnun meschant or⁁⁁eiller de plume,
vestu d’vneune robe de drap gris, & vnun bonnet de mesme,: suyuysuyvy
ce pendant d’vneune grande pompe royalle, lictieres, cheuauxchevaux à
main, de toutes sortes, gentils-hommes, & officiers,: represen-
toit vneune austerité tendre encores & chancellante: lLe malade
n’est pas à plaindre, qui à la guarison en sa manche. En l’expe-
LIVRE TROISIESME.362370
rience & vsageusage de cette sentence, qui est tres-veritable, consi-
ste tout le fruict que ieje tire des liureslivres. IeJe ne m’en sers en effect,
quasi non plus que ceux qui ne les cognoissent poinct: iIjJ’en
iouysjouys comme les auaritieuxavaritieux des tresors, pour sçauoirsçavoir que ij’en
iouyrayjouyray quand il me plaira: mMon ame se rassasie & contente
de ce droict de possession. IeJe ne voyage sans liureslivres, ny en paix,
ny en guerre. Toutesfois il se passera plusieurs ioursjours, & des
mois, sans q̄que ieje les employe: cCe sera tantost, fais-ieje, ou demain,
ou quand il me plaira: lLe temps court & s’en va ce pendant,
sans me blesser. Car il ne se peut dire combien ieje me repose,
& seiournesejourne, en cette consideration, qu’ils sont à mon costé
pour me donner du plaisir à mon heure: &Et à reconnoistre,
combien ils portent de secours à ma vie: cC’est la meilleure
munition que ij’aye trouuétrouvé à cet humain voyage, &Et plains
extremement les hommes d’entendement, qui l’ont à dire.
IJ’accepte plustost toute autre sorte d’amusement, pour leger
qu’il soit, dD’autant que cettuy-cy ne me peut eschapperfaillir. Chez
moy, ieje me destourne vnun peu plus souuentsouvent à ma librairie, d’où
tout d’vneune main, ieje commande à mon mesnage:. iIejJe suis sur
l’entrée, & vois soubs moy, mon iardinjardin, ma basse court, ma
court, & dans la pluspart des membres de ma maison. Là, ieje
feuillette à cette heure vnun liurelivre, à cette heure vnun autre, sans
ordre & sans dessein, à pieces descousues: tTantost ieje resueresve,
tantost ij’enregistre & dicte, en me promenant, mes songes,
que voicy. ⁁
⁁ Elle est au troisiesme estage d’vneune tour. Le premier, c’est ma chapelle, le second vneune chambre & sa suitte, où ieje me
couche souuentsouvent, pour estre seul. Au dessus, elle a vneune grande garderobe. C’estoit au temps passé, le lieu plus inutile de ma
maison. IeJe passe la et la plus part des ioursjours de ma uievie et la plus part des hures du iourjour. IeJe n’y suis iamaisjamais la nuit. A sa
suite est un cabinet asses poli, capable a receuoirrecevoir du fu pour l’hiuerhiver, tresplaisammant percé. Et si ieje ne creignois non
plus qui le soin que la despance: le soin qui me chasse de toute besouigne: ij’ye pouuoispouvois facilemant coudre a chaque
coste une galerie de cent pas de long et uintvintdouse de large, a pleinplain pied, aïant trouuetrouve tous les murs montez a la
pour autre usage, a la hauteur qu’il me faut. Tout lieu retirè requiert un promenoir. Mes pensees dorment si
ieje les assis. Mon esperit ne uava si les iambesjambes ne l’agitent. Ceus qui estudient sans liurelivre en sont tous la. La
figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut a ma table et a mon siege. et uientvient m’offrant en se
courbant, d’une ueueveue, tous mes liureslivres, rengez a cinq degrez tout a l’enuironenviron. Ell’a trois ueuesveues de riche et
libre prospet, et sese pas de uuidevuide en diamettre. En hiuerhiver ij’y suis moins continuellemant: car ma maison
est iucheejuchee sur un tertre, come dict son nom: et n’a point de piece plus esuanteeesvantee que cetecy: qui me plait
d’estre un peu penible et a l’escart: tant pour le fruit de l’exercice: que pour reculer de moi la presse. C’est
là mon siege. IessaieJ’essaie a m’en rendre la domination pure. et a dist soustraire ce sul coin a la communaute et
coniugaleconjugale et filiale et ciuilecivile. Partout ailleurs ieje n’ai qu’une authorité uerbaleverbale: en essance, confuse. ⁁
⁁ Miserable a mon gre, qui n’a ches soi ou estre a soiy: ou se faire
particulieremātparticulieremant la court: a soi mesmes, ou se cacher. L’ambition
païe bien ses gens, de les tenir tousiourstousjours en montre, come la statue d’un
marche:marchè. Magna seruitus est magna fortuna. iIls n’ont pas sulemant leur retret pour retrete. IeJe n’ai rien
iugèjugè de si rude en lausteritèl’austeritè de uievie que nos religieus affectent,
que ce que ieje uoisvois en quelcune de leurs compaignies aAuoiraAvoir pour regle,
une perpetuelle societè de lieu: et assistance uniuerseuniverse nombreuse,
des uns aus autresentre eus, en quelque action que ce soit. Et treuuetreuve
aucunemant plus supportable d’estre tousiourstousjours sul, que ne le
pouuoirpouvoir iamaisjamais estre.
Si quelqu’vnun me dict, que c’est auilliravillir les muses de
s’en seruirservir seulement de iouetjouet, & de passetemps, il ne sçait pas
comme moy, combien vaut le plaisir: ⁁ ⁁ le ieujeu et le passetemps. àA peine que ieje ne die
toute autre fin estre ridicule. IeJe vis du iourjour à la iournéejournée, &Et par-
lant en reuerencereverence, ne vis que pour moy: mMes desseins se ter-
minent là. IJ’estudiay ieunejeune, pour l’ostentation,: dDepuis, vnun peu,
pour m’assagir,: àA cette heure, pour m’esbatre,: iIamaisjJamais, pour le
AAAAa ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gain:.quest. vVneuUne humeur vaine & despensiere que ij’auoisavois, apres cette
sorte de meuble ⁁ non pour en pouruoirpourvoir sulement mon besouin: mais de trois pars au dela, pour m’en tapisser & parer, ⁁
⁁ pour en assambler de
toutes manieres au
seruiceservice commun, sans respect quilsqu’ils
ne fussent a moi de nul’aucun
usage peussent estre a
moi d’aucun usageinutiles au mien
particulier des quatre
pars les trois
ieje l’ay pieça abā-
donnéeaban-
donnée. Les liureslivres ont beaucoup de qualitez aggreables, à
ceux qui les sçauentsçavent choisir: mMais aucun bien sans peine: cC’est
vnun plaisir qui n’est pas net & pur, non plus que les autres: iIl a
ses incommoditez, & bien poisantes: lL’ame s’y exerce, mMais le
corps, duquel ieje n’ay non plus oublié le soing, demeure ce
pendant sans action, s’atterre & s’attriste. IeJe ne sçache excez
plus dommageable pour moy, ny plus à euitereviter, en cette decli-
naison d’aage. Voila mes trois occupations fauoriesfavories & parti-
culieres: iIejJe ne parle point de celles que ieje doibs au monde par
obligation ciuilecivile.
De la diuersiondiversion. CHAP. IIII.
IJ’AY autresfois esté emploié à cōsolerconsoler vneune dame vraie-
mētvraie-
ment affligée: cCar la plus part de leurs deuils sont artifi-
ciels & ceremonieux.:
Vberibus semper lachrimis sempérque paratis,
In statione sua, atque expectantibus illam
Quo iubeat manare modo.
On y procede mal, quand on s’oppose à cette passiōpassion: cCar l’op-
position les pique & les engage plus auantavant à la tristesse: oOn ex-
aspere le mal par la ialousiejalousie du debat: nNous voyons, des pro-
pos communs, que ce que ij’auray dict sans soing, si on vient à
me le contester, ieje m’en formalise, ieje l’espouse: bBeaucoup plus
ce à quoy ij’aurois interest. Et puis en ce faisant, vous vous
presentés à vostre operation d’vneune entrée rude: lLa où les
premiers accueils du medecin enuersenvers son patient, doiuentdoivent
estre gracieux, gays, & aggreables: &Et iamaisjamais medecin laid, &
rechigné n’y fit oeuureoeuvre. Au contraire doncq, il faut ayder
d’arriuéearrivée & fauoriserfavoriser leur plaincte, & en tesmoigner quelque
approbatiōapprobation & excuse. Par cette intelligēceintelligence, vous gaignez credit
LIVRE TROISIESME.363371
à passer outre, &Et d’vneune facile & insensible inclination, vous
vous coulez aus discours plus fermes & propres à leur gueri-
son. Moy, qui ne desirois principalement que de piper l’assi-
stance, qui auoitavoit les yeux sur moy, m’aduisayadvisay de plastrer
le mal. Aussi me trouuetrouve-ieje par experiēceexperience auoiravoir mauuaisemauvaise main
& infructueuse à persuader,. quand il y a resistance. Où ieje pre-
sente mes raisons trop pointues & trop seiches: oOu trop brus-
quement, oOu trop nonchalamment. Apres que ieje me fus ap-
pliqué bonne pieceun temps à son tourment, ieje n’essayai pas de le gua-
rir par fortes & viuesvives raisons, pPar ce que ij’en ay faute, ou que
ieje pensois autrement faire mieux mon effect: ⁁
⁁ Ny n’alai choisissant
les diuersesdiverses manieres que
la philosofie prescrit a
consoler. Que ce qu’on p
pleint n’est pas mal, come
Cleanthes. Que c’est un
legier mal, comes les Peripa=
teticiens. Que ce pleindre
n’est pas un’action ny iustejuste ny
louable., come Chrisippus. Ny cetteci d’Epi=
curus plus uoisinevoisine dea mon
stile de transferer la pensee
des choses facheuses aux
plaisantes Ny faire une
charge de tout cet amas
le dispensant par occasion
come Cicero.
mMais declinant
tout mollement noz propos, & les gauchissant peu à peu aus
subiectssubjects plus voisins,: & puis vnun peu plus esloingnez, selon
qu’elle se prestoit plus à moy, ieje luy desrobay imperceptible-
ment cette pensée doulereuse, & la tins en bonne contenance
& du tout r’apaisée autātautant que ij’y fus. IJ’vsayusay de diuersiondiversion. Ceux
qui me suyuirentsuyvirent à ce mesme seruiceservice, n’y trouuerenttrouverent aucun
amendement, car ieje n’auoisavois pas porté la coignée aux racines. ⁁
⁁
⁁ A l’auantureavanture ai
ieje touchè ailleurs
quelque espece de
diuersionsdiversions publiques.
Et lusagel’usage des militai=
res de quoi se seruitservit
Pericles en la guerre
Peloponessiaque et
Scipion contre Han=
nibal et mille autres
ailleurs pour reuoquerrevoquer
de leur païs les forces
contreres est trop
frequant aus histoires.
Ce fut vnun ingenieux destour, dequoy le Sieur de Himber-
court sauuasauva & soy & d’autres, en la ville du Liege: oOu le Duc
de Bourgoigne, qui la tenoit assiegée, l’auoitavoit fait entrer, pour
executer les conuenancesconvenances de leur reddition accordée. Ce peu-
ple assemblé de nuict pour y pouruoirpourvoir, print à se mutiner cō-
trecon-
tre ces accords passez: & se delibererent plusieurs, de courre
sus aux negotiateurs qu’ils tenoyent en leur puissance. Luy,
sentant le vent de la premiere ondée de ces gens, qui venoyētvenoyent
se ruer en son logis, lácha soudain vers eux, deux des habitans
de la ville, (car il y en auoitavoit aucuns auecavec luy) chargez de plus
douces & nouuellesnouvelles offres, à proposer en leur conseil,: qu’il a-
uoita-
voit forgées sur le champ, pour son besoing. Ces deux arreste-
rent la premiere tempeste, ramenant cette tourbe esmeüe en
la maison de ville, pour ouyr leur charge & y deliberer. La
AAAAa iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
deliberation fut courte: vVoicy desbonder vnun second orage,
autātautant animé que l’autre: &Et luy à leur despecher en teste, quat-
tre nouueauxnouveaux & semblables intercesseurs, protestans auoiravoir à
leur declarer à ce coup, des presentatiōspresentations plus grasses, du tout à
leur contētementcontentement & satisfactiōsatisfaction: pPar ou ce peuple fut derechef
repoussé dans le conclaueconclave. Somme, que par telle dispensation
d’amusemens, diuertissantdivertissant leur furie, & la dissipant en vaines
consultations, il l’endormit en fin, & gaigna le iourjour, qui estoit
son principal affaire. Cet autre compte est aussi de ce predi-
cament. Atalante fille de beauté excellente, & de merueilleu-
semerveilleu-
se disposition, pour se deffaire de la presse de mille poursui-
uantspoursui-
vants, qui la demandoient en mariage, leur donna cette loy,
qQu’elle accepteroit celuy qui l’egualeroit à la course, pour-
ueupour-
veu que ceux qui y faudroient, en perdissent la vie: iIl s’en trou-
uatrou-
va assez, qui estimerent ce pris digne d’vnun tel hazard, & qui
encoururētencoururent la peine de ce cruel marché. Hyppomenes ayant à
faire son essay apres les autres, s’adressa à la deesse tutrisse de
cette amoureuse ardeur, l’appellant à son secours, qQui exauçātexauçant
sa priere le fournit de trois pommes d’or, & de leur vsageusage. Le
champ de la course ouuertouvert, à mesure que Hippomenes sent
sa maistresse luy presser les talōstalons, ⁁ ⁁ il l’aisse eschapper, comme par
inaduertāceinadvertance, l’vneune de ces pommes,: lLa fille amusée de sa beauté,
ne faut point de se destourner pour l’amasser,
Obstupuit virgo, nitidique cupidine pomi
Declinat cursus, aurumque volubile tollit.
Autant en fit-il à son poinct, & de la seconde & de la tierce,
iIusquesjJusques à ce que par ce fouruoyementfourvoyement & diuertissementdivertissement, l’ad-
uantagead-
vantage de la course luy demeura. Quand les medecins ne
peuuentpeuvent purger le catarre, ils le diuertissentdivertissent, & le desuoyentdesvoyent
à vneune autre partie moins dangereuse. IeJe m’apperçoy que c’est
aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l’ame. ⁁
⁁ Abducendus etiam
non̄unquamnonnunquam animus est
ad alia studia solicitu=
dines curas negotia.
Loci denique mutatione
tanquam aegroti non conualescentes saepe curandus est.
On luy
faict peu choquer les maux de droit fil: oOn ne luy en faict ny
LIVRE TROISIESME.364372
soustenir ny rabatre l’ateinte: oOn la luy faict decliner & gau-
chir. Cette autre leçon est trop haute & trop difficile. C’est à
faire à ceux de la premiere classe, de s’arrester purement à la
chose, la considerer, la iugerjuger. Il apartient à vnun seul Socrates,
d’accointer la mort d’vnun visage ordinaire, s’en apriuoiseraprivoiser &
s’en iouerjouer: iIl ne cherche point de consolation hors de la cho-
se: lLe mourir luy semble accident naturel & indifferent: iIl fi-
che la iustementjustement sa veüe, & s’y resoult, sans regarder ailleurs.
Les disciples de Hegesias, qui se font mourir de faim, eschauf-
fez des beaux discours de son oraison:ses leçons ⁁
⁁ et si dru que le Roy
Ptolemaee luy fit
desfandre d’entretenir
plus son escole de ces
mortels homicides
discours.
cCeux la ne considerent
point la mort en soy, ils ne la iugentjugent point: cCe n’est pas là ou
ils arrestent leur pensée,: ils courent, ils visent à vnun estre nou-
ueaunou-
veau. Ces pauurespauvres gens, qu’on void sur vnun eschafaut, remplis
d’vneune ardente deuotiondevotion, y occupant tous leurs sens, autant
qu’ils peuuentpeuvent,: les aureilles aux instructions qu’on leur
donne,: les yeux & les mains tendues au ciel,: la voix à des
prieres hautes, auecavec vneune esmotion aspre & continuelle, font
certes chose louable & conuenableconvenable à vneune telle necessité.
On les doibt louer de religion: mais non proprement de cō-
stancecon-
stance. Ils fuyent la luicte: iIls destournent de la mort leur cō-
siderationcon-
sideration, cComme on amuse les enfans pendant qu’on leur
veut donner le coup de lancette. IJ’en ay veu, si par fois leur
veuë se raualoitravaloit à ces horribles aprests de la mort, qui sont au-
tour d’eux, s’en transir & reietterrejetter auecavec furie ailleurs leur pen-
sée. A ceux qui passent vneune profondeur effroyable, on ordon-
ne de clorre ou destourner leurs yeux.⁁
⁁ . Subrius FlauiusFlavius
aiant par le
comandemant de
Neron a estre
desfaict et par
les mains de Niger
tous deus chefs de
guerre: quand on
le mena au champ
ou il deuoitdevoit e de
lexecutionl’executionou l’execution deuoitdevoit estre
faicte, uoiantvoiant
le trou que Niger
auoitavoit faict cauercaver
pour le mettre, inegal
et mal formé: ny cela
mesme dict il se
tournant aus soldats
qui y assistoint, n’est
selon la discipline
militere. Et a Niger
qui l’exhortoit de
tenir la teste ferme
frapasses tu sulemant
aussi ferme. luy dict
il Et diuinadivina bien
car lae mainbras tremblant
a Niger il la luy coupa
a diuersdivers coups. Cetuy-cy
semble bien auoiravoir eu sa pensee droi=
temant en la matiere et fixement
en la matiere au subiectsubject.
Celuy qui meurt en la
meslée, les armes à la main, il n’estudie pas lors la mort, il ne la
sent, ny ne la considere: l’ardeur du combat l’emporte. VnUn
honneste homme de ma cognoissance, estātestant tombé en com-
batant en estacade,: & se sentant daguer à terre par son enne-
my, de neuf ou dix coups, chacun des assistans luy criant qu’il
estoit mort, & qu’il pensat à sa conscience, me dict depuis,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’encore que ces voix luy vinsent aux oreilles, elles ne l’a-
uoienta-
voient aucunement touché, & qu’il ne pensa iamaisjamais qu’a se
descharger & à se venger: iIl tua son homme en ce mesme
combat. ⁁
⁁ Celuy Beaucoup fit pour L. Syllanus, celuy qui luy apporta sa condamnation: de ce qu’
aiant ouï sa responce: qu’il estoit bien prepare a mourir, mais non pas de mains murtrieresscelerees, se ruant
sur luy aueqaveq ses soldats pour le forcer, et luy tout desarme se desfandant obstineemant de pouīgspouings
& de pieds, le tua en cettefit mourir en ce debat: dissipant en prompte cholere et tumultuere, le
sentimant d’une penible d’une mort longue et preparee, a quoi il estoit destiné.
Nous pensons tousiourstousjours ailleurs: lL’esperance d’vneune
meilleure vie nous arreste & appuye:, oOù l’esperance de la va-
leur de nos enfans, oOu la gloire future de nostre nom, oOu la
fuite des maux de cette vie, oOu la vengeance qui menasse ceux
qui nous causent la mort,
Spero equidem mediis, si quid pia numina possunt,
Supplicia hausurum scopulis, & nomine Dido
Saepe vocaturum.:
Audiam, & haec manes veniet mihi fama sub imos. ⁁
⁁ Xenophon sacrifioit
coronè quand on luy
uintvint anoncer la mort
de son filx Gryllus en
la bataille de
Mantinee Au
premier sentimātsentimant
de cette nouuellenouvelle
il iettajetta a terre
sa corone
mais par
la suite
du propos entā=
dantentan=
dant la forme
d’une mort
tresualureuseretresvalureuseretresvalureuse
il l’amassa sa
corone et remit
sur sa teste.
Epicurus mesme se console en sa fin, sur l’eternité & vtilitéutilité de
ses escrits: ⁁
⁁ Omnes clari et nobilitati
labores fiunt tolerabiles.
Et la mesme plaïe le mesme
trauailtravail ne poise pas dict
Xenophon a un general d’ar=
mee qu’a ⁁ ⁁ come a un soldat. Epa
minondas print sa mort
bien plus alegremant
ayant este informe que la
victoire estoit demuree
de son coste. Haec sunt
solatia haec fomenta
summorum dolorum
Et telles autres circōs=
tancescircons=
tances nous amusent
diuertissentdivertissent & destournent de
la consideration
de la chose en soi.
Voire les argumants de
la philosofie uontvont a tous coups
costoiant et gauchissant
la matiere : et a peine
essuiant sa croute. Le
premier home de la
premiere escole philo
sophique et surintendante
des autres: ce grand
Cette addition était à l’origine insérée après les deux lignes imprimées biffées : "Et telles autres...de la chose en soy."
⁁ Les argumants de
lescolel’escole uontvont a tous
coups costoiant la
matiere et n’y donent
pas: A peine uisentvisent
ils a la croute. Zenon
contre la mort. Nul
mal n’est honorable,
la mort l’est: elle
n’est donq pas mal.
Contre l’iurouigne=
rieivrouigne=
rie. Nul ne fie son
secret a l’iurouigneivrouigne,
chacun le fie au
sage, le sage ne sera
donq pas iurouigneivrouigne.
Cela est ce uiserviser
donner au blanc Mais
de ceus icy sones disciples
aont certes raison de
se moquer. IJ’eime a
uoirvoir ces grandes
ames et excellantes
nigauder a leur tour:
etprincipalles ne se pouuoirpouvoir
entieremant desprendre
de nostre consorce.
Tant parfaicts homes
qu’ils soient ce sont
tousiourstousjours bien lourde
mant des homes.
&Et telles autres circonstances nous amusent, diuer-
tissentdiver-
tissent & destournent, de la consideration de la chose en soy. ⁁
C’est vneune douce passion que la vengeance, de grande impres-
sion & naturelle: iIejJe le voy bien, encore que ieje n’en aye aucune
experience: pPour en distraire dernierement vnun ieunejeune prince,
ieje ne luy allois pas disant, qQu’il falloit prester la iouёjouё à celuy
qui vous auoitavoit frappé l’autre, pour le deuoirdevoir de charité: nNy ne
luy allois representer les tragiques euenemētsevenements que la poёsie
attribue à cette passion. IeJe la laissay la,: & m’amusay à luy faire
gouster la beauté d’vneune image contraire: l’honneur, la faueurfaveur,
la bien-veillance qu’il acquerroit par clemence & bonté: iIejJe le
destournay à l’ambition. Voyla commeētcommeent on en faict. Si vostre
affection en l’amour est trop puissante, dissipez la, disent ils,
&Et disent vray, car ieje l’ay souuantsouvant essayé auecavec vtilitéutilité: rRompez la
à diuersdivers desirs,. dDesquels il y en ayt vnun regent & vnun maistre, si
vous voulez, mMais depeur qu’il ne vous gourmande & tyrā-
nisetyran-
nise, affoiblissez le, seiournezsejournez le, en le diuisantdivisant & diuertis-
santdivertis-
sant.,
Cum
LIVRE TROISIESME.365373
Cum morosa vago singultiet inguine vena,
Coniicito humorem collectum in corpora quaeque.
Et pouruoyezpourvoyez y de bonne heure, de peur que vous n’en soyez
en peine, s’il vous à vneune fois saisi,
Si non prima nouis conturbes vulnera plagis,
Volgiuagaque vagus venere ante recentia cures.
IeJe fus autrefois touché d’vnun puissant desplaisir, selon ma com-
plexion,: &Et encores plus iustejuste que puissant: iIejJe m’y fusse perdu
à l’auantureavanture, si ieje m’en fusse simplement fié à mes forces. AyātAyant
besoing d’vneune vehemente diuersiondiversion pour m’en distraire, ieje me
fis par art amoureux, & par estude, à quoy l’aage m’aidoit lL’a-
mour me soulagea & retira du mal, qui m’estoit causé par l’a-
mitié. Par tout ailleurs de mesme: vVneuUne aigre imagination me
tient, ieje trouuetrouve plus court, que de la dompter, la changer: iIejJe
luy en substitue, si ieje ne puis vneune contraire, au moins vnun’autre:
tTousiourstTousjours la variation soulage, dissout & dissipe: sSi ieje ne puis
la combatre, ieje luy eschape: &Et en la fuyant, ieje fouruoyefourvoye, ieje
ruse: mMuant de lieu, d’occupation, de compaignie, ieje me sau-
uesau-
ve dans la presse d’autres amusemens & pensées, ou elle perd
ma trace, & m’esgare. Nature procede ainsi, par le benefice de
l’inconstance: cCar le temps, qu’elle nous à dōnédonné pour souue-
rainsouve-
rain medecin de nos passiōspassions, gaigne son effaict principalemētprincipalement
par la, q̄que fournissant autres & autres affaires à nostre imagina-
tion, il demesle & corrompt cette premiere apprehension,
pour forte qu’elle soit:. vVnuUn sage ne voit guiere moins, son amy
mourant, au bout de vint & cinq ans, qu’au premier an, ⁁
⁁ et suiuantsuivant Epicurus
de rien moins. Car il
iugeoitiugeoit que ny la praemedi=
tation n’allegeoit le mal
ny la uieillessevieillesse quicar il
n’attribuoit aucun
leniment des facheries
ny a la preuoianceprevoiance ny
a la uieillessevieillessel’antiquité d’icelles.
mMais
tant d’autres cogitatiōscogitations trauersenttraversent cette-cy, qu’elle s’alanguit,
& se lasse en fin. Pour destourner l’inclination des bruits cō-
munscom-
muns, Alcibiades coupa les oreilles & la queue à son beau
chien, & le chassa en la place: aAfin que donnant ⁁ ce subiectsubject pour
babiller au peuple, il laissat en repospaix ses autres actions. IJ’ay veu
aussi, pour cet effect de diuertirdivertir les opinions & coniecturesconjectures
BBBBb
ESSAIS DE M. DE MONTA.
du peuple, & desuoyerdesvoyer les parleurs, des femmes couurircouvrir leurs
vrayes affections par des affections contrefaictes. Mais ij’en ay
veu telle qui en se contrefaisant s’est laissée prendre à bon es-
cient, &Et à quitté la vraye & originelle affection pour la fein-
te: &Et aprins par elle, que ceux, qui se trouuenttrouvent bien logez, sont
des sots de consentir à ce masque. Les acueilss acceuils & entretiēsentretiens pu-
bliques estans reseruezreservez à ce seruiteurserviteur aposté, croyez qu’il n’est
guere habile, s’il ne se met en fin en vostre place, & vous chas-
seenuoieenvoie en la sienne. ⁁
⁁ Cela c’est proprement tailler
& coudre un soulier pour
qu’un autre le chausse.
Peu de chose nous diuertitdivertit & destourne: car
peu de chose nous tient. Nous ne regardons gueres les sub-
iectssub-
jects en gros & seuls: cCe sont des circonstances ou des images
menues & superficieles qui nous frapent, &Et des vaines escor-
ces qui reialissentrejalissent des subiectssubjects,
Folliculos vt nunc teretes aestate cicadae
Linquunt,.
Plutarque mesme, regrette sa fille par des singeries de son en-
fance. Le souuenirsouvenir d’vnun adieu, d’vneune action, d’vneune grace parti-
culiere, d’vneune recommandation derniere, nous afflige. La
robe de Caesar troubla toute Romme, ce que sa mort n’auoitavoit
pas faict. Le son mesme des noms, qui nous tintoüine aux o-
reilles: mMon pauurepauvre maistre, ou mon grand amy, hHelas mon
cher pere, ou ma bonne fille: qQuand ces redites me pinsent,
& que ij’y regarde de pres, ieje trouuetrouve que c’est vneune plainte grā-
mairienegram-
mairiene, & que ce sont les mots qui me blessentuoyellevoyelle. Le mot et le ton me blessent,: cComme les
exclamations des prescheurs esmouuentesmouvent leur auditoire sou-
uantsou-
vant, plus que ne font leurs raisons: &Et comme nous frappe la
voix piteuse d’vneune beste qu’on tue pour nostre seruiceservice: sSans
que ieje poise ou penetre cependātcependant, la vraye essence & massiuemassive
de mon subiectsubject,:
his se stimulis dolor ipse lacessit.:
CcCe sont les fondemens de nostre deuil.⁁
⁁ . L’opiniastreté de mes
pierres, nota specialement
en la uergeverge, m’a parfois iettèjettè
en longues suppressions
d’urine, de trois de q
quattre ioursjours: eEt si auantavant
en la mort, que c’eut estè
follie d’esperer l’euitereviter,
voire desirer,: ueuveu les
cruels et endiablez
effors que cet estat apporte. ⁁
⁁ O que ce bon emperur qui fesoit lier la uergeverge a ses criminels pour les faire mourir a faute
de pisser, estoit grand maistre en la science de bourrellerie.
Me trouuanttrouvant la, ieje consideroi par combien tendreslegieres causes
l’ima et obietzobjetz, l’imagination nourrissoit en moi le regret de la uievie: de quels atomes se
bastissoit en mon ame, le pois et la difficultè de ce deslogemant: a combien friuollesfrivolles pansees
nous donions place en un si grand affaire:. VnUn chien, un uerreverrecheualcheval, un liurelivre ⁁ ⁁ un uerreverre et quoi non? tenoint
comte en ma perte. Aus autres leurs ambitieuses esperances, leur bourse, leur sciance,
en riennon moins sottement a mon grè. IeJe uoioivoioi nonchalammant la mort quand ieje la uoyoisvoyois
uniuersellemātuniversellemant, come fin de la uievie: ieje la gormande en gros: en destaibloc, par le menu, elle
me rongepille. Les larmes d’un laquais, la dispensation de ma desferre, l’atouchemātatouchemant d’une
main conue, une consolation commune, me descoragensole & m’attandrit.
Ainsi nous troublent
l’ame, les plaintes des fables: &Et les regrets de Didon, & d’A-
LIVRE TROISIESME.366374
riadné passionnent ceux mesmes qui ne les croyent point en
Virgile & en Catulle: ⁁
⁁ c’est un exemple de nature
obstinee & dure n’en sentir
aucune emotion: come on
recite ⁁ ⁁ pour miracle de Polemon: mais aussi
ne pallit il pas sulement a la
morsure d’un chien enrage qui
luy emporta le gras de la iambejambe.
&Et nulle sagesse ne va si auantavant, de conce-
uoirconce-
voir la cause d’vneune tristesse, si viuevive & entiere, par iugementjugement,
qu’elle ne souffre accession par la presence, quand les yeux &
les oreilles y ont leur part: pParties qui ne peuuentpeuvent estre agitées
que par vains & friuolesfrivoles accidens. Est-ce raison que les arts
mesmes se seruentservent & facent leur proufit de nostre imbecilité
& bestise naturelle? L’Orateur, dict la rethoriquerhetorique, en cette
farce de son plaidoier, s’esmouueraesmouvera par le son de sa voix, & par
ses agitations feintes, & se lairra piper à la passion qu’il repre-
sente: iIl s’imprimera vnun vray deuil & essentiel, par le moyēmoyen de
ce battelage qu’il ioüejoüe, pour le transmettre aux iugesjuges, à qui il
touche encore moins:. cComme font ces personnes qu’ōon louё
aus mortuaires, pour ayder à la ceremonie du deuil, qui ven-
dent leurs larmes à pois & à mesure, & leur tristesse.: CcCar en-
core qu’ils s’esbranlent en forme empruntée,: toutesfois en
habituant & rengeant la contenance, il est certain qu’ils s’em-
portent souuantsouvant tous entiers, & reçoiuentreçoivent en eux vneune vraye
melancholie. IeJe fus entre plusieurs autres de ses amis, condui-
re à Soissons le corps de monsieur de Gramont, du siege de la
Fere, ou il fut tué: iIejJe consideray que par tout ou nous passiōspassions,
nous remplissonsremplissions de lamentation & de pleurs, le peuple que
nous rencontrions, par la seule montre de l’appareil de no-
stre conuoyconvoy: cCar seulement le nom du trepassé n’y estoit pas
cogneu ⁁
⁁ Quintilian dict
auoiravoir ueuveu des come=
dians si fort engai
engagez en un rolle
de deuil qu’ils uenointvenoint
de represanter qu’ils
en raporte pleuroint
encores au logis: et de
soimesmes pour y
conuierconvier ses disciples
qu’aiant pris a esmou=
uoiresmou=
voir quelque passion
en autrui, il l’auoitavoit
si bien espousee iusques
a se trouuertrouver surpris
de larmes non sulement
de larmes, mais d’une
pallur de uisagevisage et pport
teint d’home uraiemātvraiemant atteint
accablè sesi de dolur.
En vneune contrée pres de nos montaignes, les femmes
font le prestre martin: cCar comme elles agrandissent le regret
du mary perdu par la souuenancesouvenance des bonnes & agreables
conditions qu’il auoitavoit, elles font tout d’vnun trein aussi recueil
& publient ses imperfections: cComme pour entrer d’elles
mesmes en quelque cōpensationcompensation,: & se diuertirdivertir de la pitié au
desdain. ⁁
⁁ De bien meillure grace encore, que nous, qui
a la perte du premier conu, nous piquons a luy
prester des louanges ⁁ nouuellesnouvelles et fauces: & a le faire tout autre
quand nous l’auonsavons perdu de ueueveue queilque’il ne nous ne lesembloit
trouuionstrouvionsestre quand nous le uoïonsvoïons: come si le regret
estoit une partie instructiueinstructive: ou que les larmes en lauantlavant
nostre entendement, lesclercissentl’esclercissent. IeJe renonce des a present
aus fauorablesfavorables tesmouignages qu’on me uoudravoudra doner
non par ce que ij’en serai digne mais par ce que ieje serai mort.
Qui demandera à celuy là, quel interest auezavez vous à
ce siege: lL’interest de l’exemple, dira il, & de l’obeyssance com-
BBBBb ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mune du prince: iIejJe n’y pretens proffit quelcōquequelconque,: &Et de gloire,
ieje sçay la petite part qui en peut toucher vnun particulier cōmecomme
moy: iIejJe n’ay icy ny passion ny querelle. Voyez le pourtant le
lendemain, tout changé, tout bouillant & rougissant de cho-
lere en son rācranc de bataille pour l’assaut: cC’est la lueur de tāttant d’a-
cier, & le feu & tintamarre de nos canons & de nos tambours,
qui luy ont iettéjetté cette nouuellenouvelle rigueur & hayne dans les vei-
nes. FriuoleFrivole cause,: me direz vous: cComment cause? iIl n’en faut
point, pour agiter nostre ame: vVneuUne resuerieresverie sāssans corps & sāssans su-
iectsu-
ject la regēteregente & l’agite. Que ieje me metteiettejette à faire des chasteaux
en Espaigne,: mon imagination m’y forge des commoditez
& des plaisirs,: desquels mon ame est reellement chatouillée
& resiouyeresjouye: cCōbiencCombien de fois embrouillōsembrouillons nous nostre esprit de
cholere ou de tristesse, par telles ombres, & nous inserōsinserons en des
passions fantastiques, qui nous alterētalterent & l’ame & le corps? ⁁
⁁ Quelles grimaces tristes
choleresestonees riardes confuses
excite la resuerieresverie en nos
visages Quelles saillies
& agitations de membres
& de uoixvoix Semble il pas de
cet home sul qu’il aye des
visions fauces d’une presse
d’autres homes aueqaveq qui il
negotie ou quelque daemon
interne qui le persecute.
eEn-
querez vous à vous, ou est l’obiectobject de cette mutation. Est il riērien
sauf nous, en nature, que l’inanité sustante, sur quoy elle puis-
se? Cambises pour auoiravoir songé en dormant que son frere de-
uoitde-
voit deuenirdevenir Roy de Perse, le fit mourir,: vVnuUn frere qu’il aimoit,
& duquel il s’estoit tousiourstousjours fié. Aristodemus Roy des Mes-
seniens se tua, pour vneune fantasie qu’il print de mauuaismauvais augu-
re, de ieje ne sçay quel hurlement de ses chiēschiens. Et le Roy Midas
en fit autant, troublé & faché de quelque mal plaisant songe
qu’il auoitavoit songé: cC’est priser sa vie iustemētjustement ce qu’elle est, de
l’abandōnerabandonner pour vnun songe. Oyez ⁁ ⁁ pourtant nostre ame, triompher de
la misere du corps, de sa foiblesse, de ce qu’il est en butte à
toutes offences & alterations: vVrayement elle à raison d’en
parler.:
O prima infoelix fingenti terra Prometheo,
Ille parum cauti pectoris egit opus.
Corpora disponens, mentem non vidit in arte,
Recta animi primum debuit esse via.
LIVRE TROISIESME.367375
Sur des vers de Virgile.
CHAP. V.
A Mesure que les pensemens vtilesutiles sont plus plains, plus
grauesgraves & solides, ils sont aussi plus empeschāsempeschans, & plus
onereux. Le vice, la mort, la pauuretépauvreté, les maladies,
sont subietssubjets peniblesgrauesgraves, & qui lassentgreuentgrevent. Il faut auoiravoir l’ame instrui-
te des moyens de soustenir & combatre les maux, & instruite
des reigles de bien viurevivre, & de bien croire, & souuentsouvent l’esueil-
leresveil-
ler & exercer en cette belle estude: mMais à vneune ame de commu-
ne sorte, il faut que ce soit auecavec reláche & moderation: eElle
s’affole d’estre trop continuellement bandée. IJ’auoyavoy besoing
en ieunessejeunesse, de m’aduertiradvertir & solliciter pour me tenir en office:
lL’alegresse & la santé ne conuiennentconviennent pas tant bien, ⁁ ⁁ dict on auecavec ces
discours serieux & sages: iIejJe suis à present en vnun autre estat:. lLes
conditions de la vieillesse ne m’aduertissentadvertissent que trop, m’assa-
gissent & me preschent: dDe l’excez de la gayeté, ieje suis tombé
en celuy de la seueritéseverité,: plus fácheus. Parquoy ieje me laisse à cet-
te heure aller vnun peu à la desbauche, par dessein: &Et emploie parquelque
fois, l’ame à des pensemens folsfolastres & ieunesjeunes, ou elle se seiournesejourne,: iIejJe
ne suis meshuy que trop rassis, trop poisant, & trop meur:. lLes
ans me font leçon tous les ioursjours, de froideur, & de temperan-
ce: cCe corps fuyt le desreiglement & le craint: iIl est à son tour
de guider l’esprit vers la reformation: iIl regente à son tour,: &
plus rudement & imperieusement: iIl ne me laisse pas vneune heu-
re, ny dormātdormant ny veillant, chaumer d’instruction, de mort, de
patience, & de poenitence:. iIejJe me deffens de la temperance, cō-
mecom-
me ij’ay faict autresfois de la volupté,: eElle me tire trop arriere,
& iusquesjusques à la stupidité: oOr ieje veus estre maistre de moy, à tout
sens. La sagesse à ses excés,: & n’a pas moins de besoin de mode-
ration que la folie: aAinsi de peur que ieje ne seche, tarisse, &
BBBBb iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
moysissem’aggraueaggrave de prudence, aus interuallesintervalles que mes maux me don-
nent,
Mens intenta suis ne siet vsque malis,
IieJje gauchis tout doucement, & desrobe ma veuë de ce ciel o-
rageux & nubileux que ij’ay deuantdevant moy: lLequel, Dieu mercy,
ieje considere bien sans effroy, mais non pas sans contention, &
sans estude: &Et me vois amusant en la recordation des foliesieunessesjeunesses
passées.,
animus quod perdidit optat,
Atque in praeterita se totus imagine versat.
Que l’enfance regarde deuantdevant elle, la vieillesse derriere: eEstoit-
ce pas ce que signifioit le double visage de IanusJanus? Les ans m’ē-
trainenten-
trainent s’ils veulent, mais à reculons: aAutātaAutant que mes yeux peu-
uētpeu-
vent encor recōnoistrereconnoistre cette belle saison passéeexpiree, ieje les y destour-
ne à secousses. Si elle eschappe de mon sang & de mes veines,
au moins n’en veus-ieje desraciner l’image de la memoire,
hoc est,
Viuere bis, vita posse priore frui. ⁁
⁁ Et Platon ordone aus
uieillarsvieillars d’assister aus
exercices danses et ieusjeus
de la iunessejunesse pour se reiouirrejouir
en autrui de l’alegresse et
soupplesse et beaute du
corsps qui n’est plus en eus:
& rapeler en leur souuenācesouvenance
la grace et faueurfaveur de cet
aage fleurissantverdissant. Et ueutveut
qu’en ces exercices ils donētdonent
la uictvict esbats ils attribuent
l’honeur de la uictoirevictoire a au
celuy des iunesjunes gens qui les
aura le plus esbaudis home
l’honeur de la uictoirevictoire au
ieunejeune home qui ara le plus
esbaudi et reiouirejoui et plus
grand nombre d’entre eus.
IeJe merquois autresfois les ioursjours poisans & tenebreux, comme
extraordinaires: ceux-là sont tantost les miens ordinaires: lLes
extraordinaires, sont les beaux & serains. IeJe m’en vay au train
de tressaillir, comme d’vneune nouuellenouvelle faueurfaveur, quand aucune
chose ne me deust. Que ieje me chatouille, ieje ne puis tātosttantost plus
arracher vnun pauurepauvre rire, de ce meschant corps. IeJe ne m’esgaye
qu’en fantasie & en songe:, pour destourner par ruse, le cha-
grin de la vieillesse: mMais certes il y faudroit autre remede, qu’ēen
songe: fFoible luicte, de l’art contre la nature. C’est grand sim-
plesse d’alonger & anticiper, comme chacun faict, les incom-
moditez humaines: iIjJ’ayme mieux estre moins long tēpstemps vieil,
que d’estre vieil, auātavant que de l’estre. IusquesJusques aux moindres oc-
casions de plaisir que ieje puis rencontrer, ieje les empoigne:. iIejJe
connois bien par ouyir dire, certainesplusieurs especes de voluptez prudentes, for-
LIVRE TROISIESME.359376
tes & glorieuses: mais l’opiniōopinion ne peut pas assez sur moy pour
m’en mettre en appetit.⁁
⁁ IJ . iIejJe ne les ueusveus
pas tant, magnani=
mes magnifiques et
fastueuses, come ieje les
ueusveus, doucereuses
faciles et prestes. A
natura discedimus
populo nos damus
nullius rei bono auctori.
Ma philosophie est en action, &en vsa-
geusa-
ge naturel,⁁ ⁁ et present: peu en fantasie:. pPrinsse-ieje plaisir à iouerjouer aux noiset-
tes & à la toupie.:.
Non ponebat enim rumores ante salutem.
La volupté est qualité peu ambitieuse,. eElle s’estime assez riche
de soy, sans y mesler le pris de la reputation: & s’ayme mieux à
l’ombre. Il faudroit donner le fouët à vnun ieunejeune homme, qui
s’amuseroit à choisir le goust du vin, & des sauces.: IiIl n’est rien
que ij’aye moins sceu, & moins prisé,. aA cette heure ieje l’apprens:
iIjJ’en ay grand honte, mais qu’y feroy-ieje? IJ’ay encor plus de hō-
hon-
te & de despit, des occasions qui m’y poussent. C’est à nous à
resuerresver & baguenauder, & à la ieunessejeunesse àde se tenir sur la reputa-
tion & sur le bon bout: eElle va vers le monde, vers le credit:,
nous en venons: ⁁
⁁ Sibi arma sibi equos
sibi hastas sibi clauam
sibi pilam sibi natationes
et cursus habeant: nobis
senibus ex lusionibus
multis talos relinquant
et tesseras.
lLes loix mesme nous enuoyentenvoyent au logis. IeJe ne
puis moins en faueurfaveur de cette chetiuechetive condition, ou mōmon aage
me pousse, que de luy fournir de iouetsjouets & d’amusoires, com-
me à l’enfance: aussi y retombons nous. Et la sagesse & la folie,
auront prou à faire, à m’estayer & secourir par offices alterna-
tifs, en cette calamité d’aage.:
Misce stultitiam consiliis breuem:.
IeJe fuis de mesme, les plus legeres pointures,. &Et celles qui ne
m’eussent pas autres-fois esgratigné, me transperçent à cette
heure: mMon habitude commence de s’appliquer si volon-
tiers au mal., in fragili corpore odiosa omnis offensio est.
Ménsque pati durum sustinet aegra nihil.
IJ’ay esté tousiourstousjours chatouilleux & delicat aux offences,: iIejJe suis
plus tendre à cette heure, & ouuertouvert par tout.,
Et minimae vires frangere quassa valent.
Mon iugementjugement m’empesche bien de regimber & grōdergronder con-
tre les inconuenientsinconvenients que nature m’ordonne à souffrir, mais
non pas de les sentir. IeJe courrois d’vnun bout du mōdemonde à l’autre,
ESSAIS DE M. DE MONT.
chercher vnun bon an, de tranquillité plaisante & eniouéeenjouée,: moy
qui n’ay autre fin que viurevivre & me resiouyrresjouyr: lLa trāquillitétranquillité som-
bre & stupide, se trouuetrouve assez pour moy, mais elle m’endort
& enteste: ieje ne m’en contente pas. S’il y à quelque personne
d’honneur, quelque bonne compagnie, aux champs, en la vil-
le, en France, ou ailleurs, resseante, ou voyagere, a qui mes hu-
meurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes, il
n’est que de siffler en paume,: ieje leur iray fournir des essays, en
cher & en os. Puisque c’est le priuilegeprivilege de l’esprit, de se r’auoiravoir
de la vieillesse, ieje luy conseille autant que ieje puis, de le faire:
qQu’il verdisse, qu’il fleurisse ce pēdantpendant, s’il peut, comme le guy
sur vnun arbre mort: iIejJe crains q̄que c’est vnun traistre,. iIl s’est si estroit-
tement affreré au corps, qu’il m’abandōneabandonne à tous coups, pour
le suyuresuyvre en sa necessité: iIejJe le flatte à part,: ieje le practique pour
neant,. iIjJ’ay beau essayer de le destourner de cette colligeance,: &
luy presenter & Seneque & Catulle, & les dames & les dances
royales,. sSi son compagnon à la cholique, il semble qu’il l’ait
aussi. Les operations mesmes qui luy sont particuliers & pro-
pres, ne se peuuentpeuvent lors sousleuersouslever:, elles sentent euidemmentevidemment
au morfondu: iIl n’y à poinct d’allegresse en ses productions,
s’il n’en y à quand & quand au corps,. ⁁
⁁ Nos maistres ont tort quede
quoi cherchant les causes des
eslancemans extraordineres de
nostre esprit et daemoniacles outre
ce qu’ils en attribuent ⁁ ⁁ au rauissementravissement diuindivin a lamourl’amour
a Bacchus a mars aus muses
au uinvin a laspretél’aspreté guerriere a la poisie au uinvin
ils n’en ont done sa part a la sante
Une sante iunejunebouillante uigoreusevigoreuse
pleine oisifueoisifve telle qu’autresfois
la verdur des ans et la securite
me la fournissoītfournissoint par uenuesvenues: quelCe
feu quelle uievie quelle fureur
d’enthousiasme n’engendroit elle
pas en mon ame ieje ne pouuoispouvois pas
estre moy: quellecette maniacle gaiete etpointe et
qualite d’imagination portoit loin
de ma disposition ordinerede gaiete suscitante en mon
l’esprit des eloises uifuesvifves et cleres
outre nostre portee naturelle et
entre les enthousiasmes
les plus gaillars si non les plus
esperdus. Or bien
ce n’est pas merueillemerveille si un contrere
estat affesse mon esprit et le clouë,
& faict un effaict contrere.
Ad nullum consurgit opus cum corpore languet,.
Et veut encores que ieje luy sois tenu, dequoy il preste, comme
il dict, beaucoup moins à ce consentement, que ne porte l’v-
sageu-
sage ordinaire des hommes. Aumoins pendant que nous auōsavons
trefuestrefves, chassons les maux & difficultez de nostre commerce,
Dum licet obducta soluatur fronte senectus:
tetrica sunt amaenanda iocularibus. IJ’ayme vneune sagesse gaye & ci-
uileci-
vile,: & fuis l’aspreté des meurs, & l’austerité: ayant pour suspe-
cte toute mine rebarbatiuerebarbative.:,
Tristemque uultus tetrici arrogantiam:
& habet tristis quoque turba cynaedos. ⁁ ⁁
⁁ IeJe crois Platon de bon ceur
qui dict les humurs douces
faciles ou difficilles estre
un grand preiudiceprejudice a la
bonte ou mauuestiemauvestie de l’ame.
Socrates eut un uisagevisage constant mais serein
en serenite et gayeteet riant, Non constant come le
vieil Crassus qu’on ne uistvist iamaisjamais rire.
La vertu est qualité plaisante & voluptueusegaye. ⁁
⁁ IeJe sçai bien que fort peu de gens rechigneront a la
licence de mes escris, qui n’aient plus a rechigner a
la licence de leur cōscianceconsciancepensee: leur courage n’en est
pouint frape ce sont leurs yeus. Est ce pas fpure follie.Non pudeat dicere quod
non pudeat sentire ieje me
conforme bien a leur courage, mais ij’offance leurs yeus. C’est une humeur
Non pudeat dicere id quod non pudeat sentire bien ordonee de pinser les escris
de Platon, et couler ses negotiations ⁁ ⁁ pretandues aueqaveq Phaedon Dion Stella Archeanassa. Non pudeat
dicere quod non pudeat sentire.
IeJe hay vnun esprit
dan-
LIVRE TROISIESME.369377
hargneux & triste, qui glisse par dessus les plaisirs de sa vie, &
s’empoigne & paist aux malheurs: cComme les mouches, qui
ne peuuentpeuvent tenir contre vnun corps bien poly, & bien lissé, &
s’attachētattachent & reposent aux lieux scabreux & raboteux: &Et com-
me les vantouses, qui ne hument & appetent que le mauuaismauvais
sang. Au reste, ieje me suis ordonné d’oser dire tout ce que ij’ose
faire: &Et me desplais des pensées mesmes impubliables. La pi-
re de mes actions & conditions, ne me semble pas si laide, cō-
mecom-
me ieje trouuetrouve laid & láche de ne l’oser auoueravouer. Chacun est dis-
cret en la confession, on le deuoitdevoit estre en l’action: lLa hardies-
se de faillir est aucunement compensée & bridée, par la har-
diesse de le confesser.⁁
⁁ : qQui s’obligeroit a
tout dire, s’obligeroit
a ne rien faire, de ce
qu’on est contreint de
taire. Dieu ueuilleveuille
que cet excez de ma
licence attire au
moins lesnos homes ⁁ ⁁ iusquesjusques a la
liberté, et leur face
passer par dessus ces
uertusvertus couardes et
mineuses nees de nos
imperfections ⁁
⁁ : qu’aus despans de mon immoderation ieje les attire
iusquesjusques au point de la raison.
Il faut
uoirvoir son uicevice et l’estudier
pour le redire: cCeus qui
le celent a autruy le
celent ordineremant a
eus mesmes. et l’ignorētignorent
IeJe eEt ne le tienēttienent
pas pour asses
couuertcouvert s’ils le uoïentvoïent
iIls le soustreent et
desguisent a leur propre
consciance. par le
monopole du
iugemantjugemant. Quare
uitia sua nemo
confitetur, quia
etiam nunc in
illis est. somniūsomnium
narrare, uigilantis
est. Les maus du
cors s’esclercissent
en augmentant.
Nous trouuonstrouvons que
c’est goutte que nous nomions
reume ou foulure. Les maus de lamel’ame
s’obscurcissent en leur force : le
plus malade les sent le moins. Voila ⁁
pourquoi il les faut souuantsouvant remanier d’une main rude les arracher du
creus et pousser en place marchāmarchan creus et pousser en place marchādemarchande.
⁁ pourquoi il les faut souuantsouvant remanier
au iourjour, d’une main impiteuse, les ouurirouvrir et arracher du creus de nostre poitrine:.
Comme en matiere de bien faicts, de
mesme en matiere de mesfaicts c’est par
fois satisfaction que la confession sule
confession. Est il quelque laidur aus mesfaictsfaillir qui nous
dispanse de nous en deuoirdevoir confesser.
IeJe souffre peine à me feindre,. sSi que ij’eui-
teevi-
te de prendre les secrets d’autruy en garde,: n’ayant pas bien le
coeur de desaduouerdesadvouer ma science: iIejJe puis la taire, mais la nyer, ieje
ne puis sans effort, & desplaisir: pPour estre bien secret, il le faut
estre par nature, non par obligation: c’C’est peu, au seruiceservice des
princes, d’estre secret, si on n’est menteur encore. Celuy qui
s’enquestoit à Thales Milesius, s’il deuoitdevoit solemnellemētsolemnellement nier
d’auoiravoir paillardé, s’il se fut addressé à moy, ieje luy eusse respon-
du qu’il ne le deuoitdevoit pas faire, cCar le mentir me semble encore
pire que la paillardise:. Thales cōseillaconseilla tout autrement,: & qu’il
iurastjurast, pour garentir le plus, par le moins: tToutesfois ce con-
seil, n’estoit pas tant election de vice, que multiplication. Sur
quoy, disons ce mot en passant, qQu’on faict bon marché à vnun
homme de conscience, quand on luy propose quelque diffi-
culté au contrepois du vice, mMais quand on l’enferme entre
deux vices, on le met à vnun rude chois: cComme on fit Origene:
ou qu’il idolatrast, ou qu’il se souffrit iouyrjouyr charnellement à
vnun grand vilain AEthiopien qu’on luy presenta: iIl subit la pre-
miere condition,. &Et vitieusement dict on. Pourtant ne seroiētseroient
pas sans goust, selon leur erreur, celles qui nous protestent en
ce temps, qu’elles aymeroient mieux charger leur conscience
CCCCc
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de dix hommes, que d’vneune assistance de deuotiōdevotion à nostre for-
me.messe. Si c’est indiscretion de publier ainsi ses erreurs, il n’y à pas
grand danger qu’elle passe en exemple & vsageusage: cCar Ariston
disoit que les vens que les hommes craignētcraignent le plus, sont ceux
qui les descouurentdescouvrent: iIl faut rebrasser ce sot haillon qui couurecouvre
nos meurs: iIls enuoyentenvoyent leur conscience au bordel, & tiennent
leur contenance en regle: iIusquesjJusques aux traistres & assassins, ils
espousent les loix de la ceremonie, & attachētattachent là leur deuoirdevoir: sSi
n’est ce, pasny à l’iniusticeinjustice de se plaindre de l’inciuilitéincivilité.⁁
⁁ ny a la malice de
l’indiscretion. C’est
domage qu’un meschātmeschant
home ne soit encores
un sot. et que la decence
pallie son uicevice. Ces
incrustations n’apartie=
nent qu’a une bone et
saine matiere paroi: qui
merite d’estre conserueeconservee ou
blanchie.
En faueurfaveur
des Huguenots qui accusent nostre confession priuéeprivée & auri-
culaire, ieje me confesse en publiq, religieusement & puremētpurement.
S. Augustin, Origene, & Hippocrates, ont publié les erreurs
de leurs opinions, moy encore, de mes meurs. IeJe suis affamé de me fai-
re connoistre: &Et ne me chaut à combien, pourueupourveu que ce soit
veritablement: oOu pour dire mieux,: ieje n’ay faim de rien,: mais
ieje fuiscreins mortellement, d’estre pris en eschange, par ceux à qui il
arriuearrive de cōnoistreconnoistre mōmon nom. ⁁
⁁ Plesante fantasie.
Plesante fantasie.
Plusieurs choses
ce que ieje ne uoudroisvoudrois
dire a persone ieje le dis
au peuple. Et sur mes
plus secretes sciances
et pensees renuoierenvoie
a mon liurelivre mes plus
priuezprivez amis.
Celuy qui faict tout pour l’hon-
neur & pour la gloire, que pense-il gaigner, en se produisant
au monde en masque,: desrobant son vray estre à la connois-
sance du peuple? Louez vnun bossu de sa belle taille, il le doit re-
ceuoirre-
cevoir à iniureinjure: sSi vous estes couard, & qu’on vous honnore
pour vnun honnesteuaillantvaillant hōmehomme, est-ce de vous qu’on parle? oOn vous
prend pour vnun autre: iIjJ’aymeroy aussi cher que celuy-là se gra-
tifiast des bonnetades qu’on luy faict, pensant qu’il soit mai-
stre de la trouppe,: luy qui est des moindres de la suitte. Arche-
laus Roy de Macedoine, passant par la ruë, quelqu’vnun versa de
l’eau sur luy: lLes assistans disoient qu’il deuoitdevoit le chastierpunir: voi-
reoOuy mais, fitdict-il, ilil n’a pas versé l’eau sur moy, mais sur celuy qu’il
pensoit que ieje fusse. ⁁
⁁ Pareillement Socrates a
celuy qui l’auertissoitavertissoit
qu’on mesdisoit de luy. Point
dit il: il n’y a rien en moi de
ce qu’ils en disent
Pour moy,: qui me louëroit d’estre bon
pilote, d’estre bien modeste, ou d’estre bien chaste, ieje ne luy
en deuroisdevrois nul grammercy: &Et pareillement, qui m’appelleroit
traistre, voleur ou yurongneyvrongne, ieje me tiendroy aussi peu offen-
LIVRE TROISIESME.370378
cé. Ceux qui se mescognoissent, se peuuentpeuvent paistre de fauces
approbations: nNon pas moy, qui me voy, & qui me recherche
iusquesjusques aux entrailles,: qui sçay bien ce qui m’appartient. Il me
plaist d’estre moins loué, pourueupourveu que ieje soy mieux conneu. ⁁
⁁ On me pourroit
tenir pour sage en
telle condition de
sagesse que ieje tien
pour sottise.
IeJe m’ennuie, que mes essais seruentservent les dames de meuble com-
mun seulement, & de meuble de sale: cCe chapitre me fera du
cabinet: iIjJ’ayme leur commerce vnun peu priuéprivé,. lLe publique est
sans faueurfaveur & saueursaveur. Aux adieus, nous eschauffons outre l’or-
dinaire, l’affection, enuersenvers les choses que nous abandonnons:
iIejJe prens l’extreme congé des ieuxjeux du monde: vVoicy nos der-
nieres caressesaccolades: mMais venons à mon theme. Qu’à faict l’action
genitale aux hōmeshommes, si naturelle, si necessaire, & si iustejuste, pour
n’en oser parler sans vergongne, & pour l’exclurre des propos
serieux & reglez? nNous prononçons hardimēthardiment, tuer, desrober,
trahir: & cela, nous n’oserions qu’entre les dents. Est-ce à dire,
que moins nous en exhalons en parole, d’autant nous auonsavons
loy d’en grossir la pensée? ⁁
⁁ Car il est bon, que les
mots qui sont le moins
en usage, moins escrits
et plusmieus teus, sont les
mieus sceus & plus
generalemant conus: nNul
eage, nulles meurs l’ig
l’ignorent, non plus que le
pain. iIls s’impriment, en en
chacuchascun sans estre exprimez
et sans uoixvoix et sans figure. Il
est bon aussi, que c’est un’action que
nous auonsavons mis en la franchise du
silence: doud’ou c’est crime de l’arracher
non pas mesme pour l’accuser et iugerjuger. Ny
n’osons la foiter qu’en perifrase
et peinture. Grand faueurfaveur
a un criminel d’estre si
execrable que chacun
creinsit a le toucher & a
le uoirvoir la iusticejustice estime
iniusteinjuste de le toucher et
de le uoirvoir: libre et sauuesauve
par l’exasperati l’as le benefice
de laigrurl’aigrur de sa condamnation.
N’en uava il pas come en
matiere de liureslivres qui se
rendent dautantd’autant plus
publiques communsuenausvenaus et
publiques de ce qu’ils sont
supprimez. IeJe m’en uoivoi
pour moi prendre au mot
lauisl’avis d’Aristote qui dict lestrel’estre
honteus seruirservir d’ornemant a la
iunessejunesse et a la uieillessevieillessemais de
reproche a la uieilleissevieilleissevieillesse
Ces vers se preschent en l’escole an-
cienne,: escole à laquelle ieje me tiens bien plus qu’à la mo-
derne, d’autant que lesleursses uertusvertus de lors me semblent plus
grandes, et lses uicesvices moindres.
Ceux qui par trop fuyant Venus estriuentestrivent,
Faillent autant que ceux qui trop la suiuentsuivent.
Tu Dea tu rerum naturam sola gubernas,
Nec sine te quicquam dias in luminis oras
Exoritur, neque sit laetum nec amabile quicquam.
IeJe ne sçay qui à peu mal mesler Pallas & les Muses, auecavec Ve-
nus, & les refroidir enuersenvers l’amour: mMais ieje ne voy aucunes
deitez qui s’auiennentaviennent mieux, ny qui s’entredoiuententredoivent plus. Qui
ostera aux muses les imaginations amoureuses, leur desrobe-
ra le plus bel entretien qu’elles ayent, & la plus noble matiere
de leur ouurageouvrage: &Et qui fera perdre à l’amour la communica-
tiōcommunica-
tion & seruiceservice de la poësie, l’affoiblira de ses meilleures armes:
pPar ainsin on charge le Dieu d’accointāceaccointance, & de bien vueillāvueillan-
CCCCc ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ce,: & les deesses protectrices d’humanité & de iusticejustice, du vice
d’ingratitude & de mesconnoissance. IeJe ne suis pas de si long
temps cassé de l’estat & suitte de ce Dieu, que ieje n’aye la me-
moire informée de ses forces & valeurs.,
agnosco veteris vestigia flammae.
Il y a encore quelque demeurant d’emotion & chaleur apres
la fiéurefiévre,
Nec mihi deficiat calor hic, hiemantibus annis.
Tout asseché que ieje suis, & appesanty, ieje sens encore quelques
tiedes restes de cette ardeur passée,
Qual l’alto AEgeo per che Aquilone o Noto,.
Cessi, che tutto prima il vuolse & scosse,
Non s’accheta ei pero, ma’l sono e’l moto,
Ritien de l’onde anco agitate è grosse.
Mais de ce que ieje m’y entends,: les forces & valeur de ce Dieu,
se trouuēttrouvent plus viuesvives & plus animées en la peinture de la poe-
sie, qu’en leur propre essence,
&Et versus digitos habet: - comācemātcomancemant de uersvers
eElle represente ieje ne sçay quel air, plus amoureux que l’amour
mesme:. Venus n’est pas si belle toute nue, & viuevive, & haletan-
te, comme elle est icy chez Virgile.
Dixerat, & niueis hinc atque hinc diua lacertis
Cunctantem amplexu molli fouet: Ille repente
Accepit solitam flammam, notusque medullas
Intrauit calor, & labefacta per ossa cucurrit.
Non secus atque olim tonitru cum rupta corusco
Ignea rima micans percurrit lumine nimbos:
ea verba loquutus,
Optatos dedit amplexus, placidumque petiuit
Coniugis infusus gremio per membra soporem.
Ce que ij’y trouuetrouve à considerer, c’est qu’il la peinct vnun peu bien
esmeue pour vneune Venus maritale. En ce sage marché, les appe-
tits ne se trouuenttrouvent pas si aigusfollastres: ils sont sombres & plus mous-
ses. L’amour hait qu’on se tienne par ailleurs que par luy, & se
LIVRE TROISIESME.371379
mesle láchement aux accointances qui sont dressées & entre-
tenues soubs autre titre, comme est le mariage: lL’aliance, les
moyens, y poisent par raison, autant ou plus, que les graces &
la beauté: oOn ne se marie pas pour soy, quoi qu’ōon die,: ou se ma-
rie autātautant ou plus, pour sa posterité, pour sa famille: lL’vsageusage & in-
terest du mariage, touche nostre race, biēbien loing pardelà nous:
pPourtant me plait cette façon, qu’on le conduise plustost par
mains tierces, que par les propres, & par le sens d’autruy, que
par le sien: tTout cecy combien à l’opposite des conuentionsconventions
amoureuses? Aussi estce vneune espece d’inceste, d’aller employer
à ce parentage venerable & sacré, les efforts & les extrauagā-
cesextravagan-
ces de la licēcelicence amoureuse, comme il ⁁ ⁁ me semble que ij’ayauoiravoir dict ail-
leurs: iIl faut (dict Aristote) toucher sa femme prudemment
& seuerementseverement, depeur qu’en la chatouillant trop lasciuemētlascivement
le plaisir ne la face sortir hors des gons de raison. Ce qu’il dict,
pour la consciēceconscience, les medecins le disent pour la santé: qQu’vnun
plaisir excessiuementexcessivement chaut, voluptueux, & assidu, altere la se-
mence, & empesche la conception: dDisent d’autrepart, qu’a
vneune congression languissante, comme celle la est de sa natu-
re,: pour la remplir d’vneune iustejuste & fertile chaleur, il s’y faut pre-
senter rarement, & à notables interuallesintervalles,
Quo rapiat sitiens venerem interiúsque recondat.
IeJe ne vois point de mariages qui faillent plustost, & se trou-
blent, que ceux qui s’acheminētacheminent par la beauté & desirs amou-
reux: iIl y faut des fondemens plus solides, & plus constans,: &
y marcher d’aguet: cette bouillante allegresse n’y vaut rien.
Ceux qui pensent faire honneur au mariage, pour y ioindrejoindre
l’amour, font, ce me semble, de mesme ceux, qui pour faire
faueurfaveur à la vertu, tiennēttiennent, que la noblesse n’est autre chose que
vertu. Ce sont choses qui ont quelque cousinage: mais il y a
beaucoup de diuersitédiversité: oOn n’a que faire de meslertroubler leurs noms
& leurs titres: oOn faict tort à l’vneune ou à l’autre de les confon-
CCCCc iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
dre. La noblesse est vneune belle qualité, & introduite auecavec rai-
son, mMais d’autant que c’est vneune qualité dependātdependant d’autruy, &
qui peut tomber en vnun homme vicieux & de neant, elle est
en estimation bien loing au dessoubs de la vertu. C’est vneune
vertu, si ce l’est, artificiele & visible,: dependant du temps &
de la fortune,: diuersediverse en forme selon les contrées,: viuantevivante &
mortelle,: sans naissance non plus que la riuiereriviere du Nil,: genea-
logique & commune,: de suite & de similitude,: tirée par con-
sequence, & consequence bien foible. La science, la force, la
bonté, la beauté, la richesse, toutes autres qualitez, tombent
en communication & en commerce,: cCette-cy se consomme
en soi, de nulle en-ploite au seruiceservice d’autruy. On proposoit à
l’vnun de nos Roys, le chois de deux competiteurs, en vneune mes-
me charge, desquels l’vnun estoit gentil’homme, l’autre ne l’e-
stoit point: iIl ordonna que sans respect de cette qualité, on
choisit celuy qui auroit le plus de merite: mMais ou la valeur se-
roit entierement pareille, qu’en ce cas on eust respect à la no-
blesse: c’estoit iustementjustement luy donner son rang. Antigonus à
vnun ieunejeune homme incogneu, qui luy demandoit la charge de
son pere, homme de valeur qui venoit de mourir: mMon amy,
fit il, en mestels bien faicts, ieje ne regarde pas tant la noblesse de
mes soldats, comme ieje fais leur prouësse. ⁁
⁁ De uraivrai il n’en doit pas
aller come des officiers
des Roys de Sparte trompettes
menestriers cuisiniers a qui
en leur charge succedoint les
enfans pour ignorans qu’ils
soientfussētfussent auantavant les mieus
experimantez du mestier.
Ceus de Calecut font des
nobles un’espece par dessus
l’humaine. Nul eage
nulle faueurfaveur de prince
nulsnulle ualeurvaleur ou charge ou
richesse peut faire arriuerarriver
a cette qualite ceus qui ne
l’ont point. Le mariage leur
est interdict et toute
autre uacationvacation que
bellique De concubines
ils en peuuentpeuvent auoiravoir leur
com’il leur plaitsaoul et les
femes autant de ruffiens
qui les iouissentjouissent sans
ialousiejalousie les uns des
autres. mais ce leur c’est horribleun crime et capital crime de mortcapital & irremissible de se mesler accoupler
a persone dautred’autre condition que la leur. eEt se tienent pollus silss’ils en sont sulement touches en
passant. Ils ne faillent de tuer tout roiturier qui ce se aproche deusd’eus de trop pres et come
leur noblesse en estant merueilleusementmerveilleusement iniurieeinjuriee et interessee tuent ceus d’autre condition qui sulemētsulement
les ont approche un peu trop pres deusd’eus De maniere que pour euitereviter ce dangier les ignobles sont tenus
de crier par les ruesen marchant: come les gondoliers de Venise au contour des rues pour ne s’entre hurter:
et les nobles leur comandent qu’ilsde se iettentrjettentr au cartier qu’ils ueulētveulent. Les uns e Ceus cy euitētevitent par la
cete ignominie qu’ils estiment si grandeperpetuelle ceus la une certeine mort certaine. Nulle eage⁁duree de temps nulle faueurfaveur
de prince nul office ou uertuvertu ou richesse peut faire qu’un roiturier deuienedeviene noble A quoi aide cete costume
que les mariages sont defandus de lunl’un mestier a lautrel’autre & nNe peut une de race courdoniere espouser un charpantier
et sont les parans obliges de dresser les enfans a la uacationvacation des peres precisement, et non a autre uacationvacation par ou cse maintient la
distinction et cōstanceconstance d’unede mesmeleur fortune
VngUng bon mariage,
s’il en est, refuse la compaignie & conditions de l’amour,. iIl ta-
che à representer celles de l’amitié. C’est vneune douce societé de
vie, pleine de constance, de fiance, & d’vngung nōbrenombre infiny d’v-
tilesu-
tiles & solides offices, & obligatiōsobligations mutuelles:. aAucune femme
qui en sauouresavoure le goust,
optato quam iunxit lumine taeda,
ne voudroit tenir lieu de maistresse & d’amye à son mary. Si
elle est logee en son affection comme femme, elle y est bien
plus honorablement & seurement logee. Quand il faira l’es-
meu ailleurs, & l’empressé, qu’on luy demande pourtant lors,
LIVRE TROISIESME.372380
à qui il aymeroit mieux arriuerarriver vneune honte, ou à sa femme ou
à sa maistresse, de qui la desfortune l’affligeroit le plus, à qui il
desire plus de grandeur: ces demandes n’ont aucun doubte
en vnun mariage sain. Ce qu’il s’en voit si peu de bons, est signe
de son pris & de sa valeur. A le bien façonner & à le bien prē-
drepren-
dre, il n’est paspoint de plus belle piece en nostre societé. Nous ne
nous en pouuonspouvons passer, & l’allons auilissantavilissant. Il en aduientadvient ce
qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont hors desesperent
d’y entrer, & d’vnun pareil soing en sortir, ceux qui sont au de-
dans. ⁁
⁁ Socrates enquis par lequelqui
estoit plus cōmodecommode de prendre
ou ne prendre point de femme
Qu Lequel des deus on face
dict il, on s’en repentira.
C’est vneune conuentionconvention à laquelle se raporte bien à point
ce qu’on dict, homo homini ou Deus ou lupus. Il faut le rencon-
tre de beaucoup de qualitez à le bastir. Il se trouuetrouve en ce tēpstemps
plus commode aux ames simples & populaires, ou les deli-
ces, la curiosité, & l’oysiuetéoysiveté, ne le troublent pas tant. Les hu-
meurs desbauchées, comme est la mienne, qui hay toute sor-
te de liaison & d’obligation, n’y sont pas si propres,
Et mihi dulce magis resoluto viuere collo.
De mon dessein, ij’eusse fuy d’espouser la sagesse mesme, si elle
m’eust voulu:. mMais nous auonsavons beau dire,: la coustume & l’ex-
empleusage de la vie commune nous emporte. La plus part de mes
actions se conduitisent par exemple, non par chois. Toutesfois ieje
ne m’y conuiayconviay pas proprement,. oOn m’y mena, & y fus porté
par des occasions estrangeres. Car non seulement les choses
incommodes, mais il n’en est aucune si laide & vitieuse & e-
uitablee-
vitable, qui ne puisse deuenirdevenir acceptable par quelque condi-
tion & accidētaccident,: tTant l’humaine posture est vaine. Et y fus por-
té certes plus mal preparé lors & plus rebours, que ieje ne suis à
present apres l’auoiravoir essayé. Et tout licencieux qu’on me tiēttient,
ij’ay en verité plus seueremētseverement obseruéobservé les loix de mariage, que
ieje n’auoisavois ny promis ny esperé. Il n’est plus temps de regim-
ber quand on s’est laissé entrauerentraver,: iIl faut prudemment mesna-
ger sa liberté, mMais dépuis qu’on s’est submis à l’obligation, il
ESSAIS DE M. DE MONTA.
s’y faut tenir soubs les loix du debuoirdebvoir commun,: aumoins
s’en efforcer. Ceux qui entreprēnententreprennent ce marché pour s’y por-
ter auecavec haine & mespris, font iniustementinjustement & incommodée-
ment: &Et cette belle reigle que ieje voy passer de main en main
entre elles, comme vnun sainct oracle,
Sers ton mary comme ton maistre,
Et t’en guarde comme d’vnun traistre,:
qQui est à dire,. pPorte toy enuersenvers luy d’vneune reuerencereverence contrain-
te, ennemie, & deffiante,: cry de guerre & de deffi, est pareille-
ment iniurieuseinjurieuse & difficille: iIejJe suis trop mol pour desseins si
espineux. A dire vray,: ieje ne suis pas encore arriuéarrivé à cette per-
fection d’habileté & gentillessegalantise d’esprit, que de confondre la
raison auecavec l’iniusticeinjustice, & mettre en risée tout ordre & reigle
qui n’accorde à mon appetit:. pPour hayr la superstition, ieje ne
me iettejette pas incontinent à l’irreligion. Si on ne fait tousiourstousjours
son debuoirdebvoir, aumoins le faut il tousiourstousjours aymer & recognoi-
stre. ⁁ ⁁ CestC’est trahison de se marier sans s’espouser. Passons outre. Nostre poëte represente vnun mariage plein
d’accord & de bonne conuenanceconvenance, auquel pourtant il n’y a
pas beaucoup de loyauté: àA il voulu dire, qu’il ne soit pas im-
possible de se rendre aux efforts de l’amour, & ce neantmoins
reseruerreserver quelque deuoirdevoir enuersenvers le mariage,. &Et qu’on le peut
blesser, sans le rompre tout à faict. ⁁
⁁ Tel ualetvalet ferre la
mule au maistre qu’il
ne hait pas pourtant.
La beauté, l’oportunité, la
destinée (car la destinée y met aussi la main)
fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit: nam si tibi sidera cessent
Nil faciet longi mensura incognita nerui,
l’ont attachée à vnun estranger: nōnon pas si entiere peut estre, qu’il
ne luy puisse rester, quelque liaison par ou elle tient encore à
son mary. Ce sont deux desseins, qui ont des routes distin-
guées, & non confondues: vVneuUne femme se peut rendre, à tel
personnage, que nullement elle ne voudroit auoiravoir espousé?:
iIejJe ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour
celles
LIVRE TROISIESME.373381
celles mesmes de la personne. Peu de gens ont espousé des a-
mesamies qui ne s’en soyētsoyent repētisrepentis. ⁁
⁁ Et iusquesjusques en paradislautrel’autre monde
uoïesvoïes quel mauuesmauves mesnage
a faict IuppiterJuppiter aueqaveq sa
fame qu’il auoitavoit ⁁ ⁁ premierement pratiquee
et iouiejouie par amourettes et a la
desrobee C’est ce qu’on dit
chier dans le panier
et puis s’en affeublerpour apres le mettre sur sa
teste.
IJ’ay veu de mon temps en quel-
que bon lieu, guerir honteusement & deshonnestement, l’a-
mour, par le mariage: lLes considerations sont trop autres:
nNous aimons, sans nonnous empescher, deux choses diuersesdiverses, &
qui se contrarient. Isocrates disoit, que la ville d’Athenes
plaisoit à la mode que font les dames qu’on sert par amour,
cChacun aimoit à s’y venir promener, & y passer son temps,
nul ne l’aymoit pour l’espouser, c’C’est à dire, pour s’y habituer
& domicilier. IJ’ay auecavec despit veu des maris hayr leurs fēmesfemmes,
de ce seulement, qu’ils leur font tort: aAumoins ne les faut il
pas moins aymer, de nostre faute: pPar repētancerepentance & cōpassioncompassion aumoins,
elles nous en deuoyētdevoyent aumoins estre plus cheres. Ce sont fins
differentes,: & pourtant cōpatiblescompatibles, dict il, en quelque façon.
Le mariage, à pour sa part l’vtilitéutilité, la iusticejustice, l’honneur, & la
constance: vVnuUn plaisir plat, mais plus vniuerseluniversel. L’amour se
fonde au seul plaisir,. &Et l’a de vray plus chatouillant, plus vif,
& plus aigu: vVnuUn plaisir attizé par la difficulté: iIl y faut de la pi-
queure & de la cuison: cCe n’est plus amour, s’il est sans fleches
& sans feu. La liberalité des dames est trop profuse au maria-
ge, & esmousse la poincte de l’affection & du desir. ⁁
⁁ Pour fuir a cet inconue=
niantinconve=
niant uoiesvoies quell la peine
qu’y prenent en leurs loix
Licurgus & Platon.
Les fem-
mes n’ont pas tort du tout, quand elles refusent les reigles
de vie, qui sont introduites au monde, dD’autant que ce
sont les hommes qui les ont faictes sans elles. Il y à naturelle-
ment de la brigue & riotte entre elles & nous: lLe plus estroit
consentement que nous ayons auecavec elles, encores est-il tu-
multuaire & tempesteux. A l’aduisadvis de nostre autheur, nous les
traictons inconsideréement en cecy: aApres que nous auonsavons
cogneu qu’elles sont sans comparaison plus capables & ar-
dentes aux effects de l’amour que nous, & que ce prestre an-
cien l’a ainsi tesmoigné, qui auoitavoit esté tantost homme tantost
femme,
DDDDd
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Venus huic erat vtraque nota:.
Et en outre que nous auonsavons apris de leur propre bouche, la
preuuepreuve qu’en firent autrefois, en diuersdivers siecles, vnun Empereur
& vneune Emperiere de Romme, maistres ouuriersouvriers & fameux
en cette besongne: lLuy despucela bien en vneune nuict dix vier-
ges Sarmates ses captiuescaptives,. mMais elle fournit reelemētreelement en vneune
nuit, à vint & cinq entreprinses, chāgeantchangeant de compaignie se-
lon son besoing & son goust,.
adhuc ardens rigidae tentigine vuluae:,
Et lassata viris, nondum satiata recessit.
Et que sur le different aduenuadvenu à Cateloigne, entre vneune fem-
me, se plaignātplaignant des efforts trop assiduelz de son mary: nNon tāttant
à mon aduisadvis qu’elle en fut incommodée (car ieje ne crois les
miracles qu’en foy) comme pour retrancher soubs ce pretex-
te, & brider en cela mesme, qui est l’action fondamentale du
mariage, l’authorité des maris enuersenvers leurs femmes, &Et pour
monstrer que leurs hergnes & leur malignité, passe outre la
couche nuptiale, & foule aus pieds les graces & douceurs mes-
mes de Venus: àA laquelle plainte, le mary respondoit, hom-
me vrayement brutal & desnaturé, qu’aux ioursjours mesme de
ieunejeune il ne s’en sçauroit passer à moins de, dix par iourjour,. iInter-
uintiInter-
vint ce notable arrest de la Royne d’Aragon, par lequel, apres
meure deliberation de conseil, cette bonne Royne, pour dō-
nerdon-
ner reigle & exemple à tout temps, de la moderation & mo-
destie requise en vnun iustejuste mariage, ordonna pour bornes le-
gitimes & necessaires, le nombre de six par iourjour: rReláchant &
condonnantquitant beaucoup du besoing & desir de son sexe, pour
establir, disoit elle, vneune forme aysée, & par consequent con-
stantepermanante & immuable. En quoy s’escriētescrient les docteurs, quel doit
estre l’appetit & la concupiscence feminine, puisque leur rai-
son, leur reformation, & leur vertu, se taille à ce pris? ⁁ ⁁
⁁ Ce reglement est
merueilleusementmerveilleusement
authorise par la
rigoreuse execution
de IaneJane roine de
Naples qui fit estrangler Andreosse son premier mari sur ce qu’il ne respondoit
pas suffisamment aus courueescourvees matrimoniales il ne respondoit pas aus
grilles de sa fenestre a tout un li laz dord’or et de soie tissu de sa propre main
sur ce qu’aus corueescorvees matrimoniales elle ne le trouuoittrouvoit pas asses exactement respondātrespondant a son
esperance & a la montre de sa iunessejunesse beaute et disposition par ou il ell’auoitavoit este prinse et pipee abusee.
⁁ Nous somes bienConsiderans le diuersdivers au iugemētjugement de nos appetits ⁁ ⁁ et que Car Solon ⁁ ⁁ chefpatron de lescholel’eschole iuridiquejuridique ne taxe que trois fois par mois
pour ne faillir point cette hantise coniugaleconjugale
Apres
auoiravoir creu & presché cela, nous sommes allez, leur donner
LIVRE TROISIESME.374382
la continence peculierement en partage,. &Et sur peines dernie-
res & extremes. Il n’est passion plus pressante, que cette cy,
à la quelle nous voulons qu’elles resistent seules: nNon simple-
ment, comme à vnun vice de sa mesure, mMais comme à l’abomi-
nation & execration, pPlus qu’a l’irreligion & au parricide, &Et
nous nous y rendons cependant sans coulpe & reproche.
Ceux mesme d’entre nous, qui ont essayé d’en venir à bout,
ont assez auouéavoué, qu’elle difficulté, ou plustost impossibilité, il
y auoitavoit, vsantusant de remedes materiels, à macerertter affoiblir & re-
froidir le corps. Nous au contraire,: les voulons saines, vigo-
reuses, en bon point, bien nourries, & chastes ensemble,: c’est
à dire, & chaudes & froides. Car le mariage, que nous disons
auoiravoir charge de les empescher de bruler, leur apporte peu de
rafrechissemētrafrechissement, selon nos meurs. Si elles en prennent vnun, à qui
la vigueur de l’aage boulst encores, il faira gloire de l’espan-
dre ailleurs:
Sit tandem pudor, aut eamus in ius,
Multis mentula millibus redempta,
Non est haec tua, Basse, vendidisti. ⁁
⁁ Le philosophe Polemon fut
iustemantjustemant apele en iusticejustice
par sa fame de ce qu’il aloit
semant en un champ sterile
le fruit qui est deu au champ
genital.
Si c’est de ces autres cassez, les voyla en plain mariage, de pire
condition que vierges & vefuesvefves. Nous les tenons pour bien
fournies, parce que elles ont vnun homme aupres,. cComme les
Romains tindrent pour violée Clodia Laeta vestale, que Cal-
ligula auoitavoit approchée, encores qu’il fut aueréaveré, qu’il ne l’auoitavoit
qu’aprochée: mMais au rebours, on recharge par la, leur neces-
sité, dD’autant que l’atouchemētatouchement & la compaignie de quelque
masle que ce soit, esueilleesveille leur chaleur, qui demeureroit plus
paisiblequiete en la solitude. Et à cette fin, comme il est vray-sem-
blable, de rēdrerendre par cette circonstance & consideration, leur
chasteté plus meritoire, Boleslaus & Kinge sa femme, Roys
de Poulongne, la vouërent d’vnun commun accord, couchez
ensemble, le iourjour mesme de leurs nopces, & la maintindrent
DDDDd ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à la barbe des commoditez maritales. Nous les dressons des
l’enfance, aus entremises de l’amour: lLeur grace, leur atiffeure,
leur science, leur parole, toute leur instructiōinstruction, ne regarde qu’a
ce but. Leurs gouuernantesgouvernantes ne leur impriment autre chose q̄que
le visage de l’amour,. nNe fut qu’en le leur representant conti-
nuellement pour les en desgouster. Ma fille (c’est tout ce que
ij’ay d’enfans) est en l’aage auquel les loix excusent les plus es-
chauffées de se marier: eElle est d’vneune cōplexioncomplexion tardiuetardive mince
& molle, & à esté par sa mere esleuéeeslevée de mesme, d’vneune forme
retirée & particuliere: si qu’elle ne commence encore qu’a se
desniaiser de la nayfueténayfveté de l’enfance. Elle lisoit vnun liurelivre fran-
çois deuantdevant moy, le mot de, fouteau, s’y rencontra, nom d’vnun
arbre cogneu, lLa femme qu’ell’a pour sa conduitte, l’arresta
tout court, vnun peu rudemētrudement, & la fit passer par dessus ce mau-
uaismau-
vais pas: iIejJe la laissay faire, pour ne troubler leurs reigles:, cCar ieje
ne m’empesche aucunement de ce gouuernementgouvernement: lLa police
feminine à vnun trein mysterieux, il faut le leur quitter: mMais si
ieje ne me trompe, le commerce de vingt laquays, n’eust sçeu
imprimer en sa fantasie, de six moys, l’intelligence & vsageusage, &
toutes les consequences, du son de ces syllabes scelerées, com-
me fit cette bonne vieille par sa reprimande & interdiction.
Motus doceri gaudet Ionicos
Matura virgo, & frangitur artubus
Iam nunc, & incestos amores
De tenero meditatur vngui.
Qu’elles se dispensent vnun peu de la ceremonie,: qu’elles entrētentrent
en liberté de discours, nous ne sommes qu’enfans au pris d’el-
les, en cette science. Oyez leur representer nos poursuittes &
nos entretiens, elles vous font bien cognoistre q̄que nous ne leur
apportons rien, qu’elles n’ayent sçeu & digeré sans nous. ⁁
-
⁁ Seroit ce ce que dict Platon
qu’elles aïent este garçons
autresfois desbauchesz
autresfois car lea son aduisadvis
est que le premier degre
de punition apres cette uievie
c’est a un home c’est deuenirdevenir fame et de la s’il y faict encores mal beste le contigu beste.
MōMon
oreille se rencontra vnun iourjour en lieu, ou elle pouuoitpouvoit desrober
aucun des discours faicts entre elles sans soubçon: qQue ne
LIVRE TROISIESME.375383
puis-ieje le dire? Nostredame (fis-ieje,) allons à cette heure estu-
dier des frases d’Amadis & des registres de Boccace & de l’A-
retin, pour faire les habiles, nous employons vrayement bien
nostre temps: iIl n’est ny parole, ny exemple, ny démarche,
qu’elles ne sçachent mieux que nos liureslivres: c’C’est vneune discipli-
ne qui naist dans leurs veines,
Et mentem Venus ipsa dedit,
qQue ces bons maistres d’escole, nature, ieunessejeunesse, & santé, leur
soufflent continuellement dans l’ame: eElles n’ont que faire de
l’apprendre, elles l’engendrent.
Nec tantum niueo gauisa est vlla columbo,
Compar, vel si quid dicitur improbius
Oscula mordenti semper decerpere rostro:
Quantum praecipuè multiuola est mulier.
Qui n’eut tenu vnun peu en bride cette naturelle violēceviolence de leur
desir, par la crainte & honneur dequoy on les à pourueuespourveues,
nous estions affolezdiffamez. Tout le mouuementmouvement du mōdemonde se resoult
& rend à cet accoupplage: c’C’est vneune matiere infuse par tout,:
c’C’est vnun centre ou toutes choses regardent. On void encore
des ordonnances de la vieille & sage Romme, faictes pour le
seruiceservice de l’amour, & les preceptes de Socrates, à instruire les
courtisanes.,
Nec non libelli Stoici inter sericos,
Iacere puluillos amant.
Zenon parmy ses loix, regloit aussi les escarquillemens, & les
secousses du depucelage. ⁁
Voici une proposition de restitution des différentes versions rédigées par Montaigne :
1- En Platon se voit exactemant peinte la conduite des amours plus licentieuses de son temps.
2- Jusques ou se voit en Platon la conduite des amours plus licentieus de son temps.
3- De quoi le divin Platon traictoit la conduite des amours plus licentieus de son temps.
4- De quoi traictoit le livre de Theophrastus intitule l’amoureus et l’autre de l’amour. De quoi traictoit le livre d’Aristippus: intitule antienes delices. Jusques a quel point se voit e Platon estendue et descrite la conduite des amours plus licentieus de son temps.
⁁ En PlatonIusquesJusques ou se uoitvoit enDe quoi le diuindivin
exactemātexactemant peintePlaton la
conduite des amours plus
licentieuses de son temps
⁁ De quoi traictoit le liurelivre de
Theophrastus intitule l’amou=
reus et l’autre de l’amour. De quoi le
liurelivre des
traictoit le liurelivre
d’Aristippus: intitule
antienes delices.
IusquesJusques a quel point se uoitvoit en
Platon estendue et descrite la
conduite des amours plus
licentieus de son temps.
⁁ De quel sens estoit le liurelivre du philosophe Strato de la coniunctiōconjunction
charnelle Et de quoi traictoit Theophraste en celuyceus qu’il intitula l’un
l’amoureus & lautrel’autre de l’amour. De quoi Aristippus au siēssiens des antienes delices
Que ueulentveulent pretandre les descriptions si estendues et uiuesvives en Platon des amours de son
temps plus hardies. Et le liurelivre de l’amoureus de Demetrius Phalereus: & Clinias
ou l’amoureus forcé de Heraclides Ponticus. Et d’Antisthenes celuy de faire les enfans ou des nopces
et celuylautrel’autre du maistre ou de l’amant. Et d’Aristo celuy des exercitationsces amoureuses
De cleanthes, un de l’amour, lautrel’autre de lartl’art d’aimer. Les dialogues amoureus de Sphaerus.
Et la fable de IuppiterJuppiter & IunoJuno de Chrysippus escrite eshontee au dela de toute example souffrācesouffrance & ses cinquante epistres si lasciueslascives
Car il faut laisser a part ⁁ ⁁ les escris des autheurs de ces sectes protectrices de la uoluptevoluptephilosofes qui ōtont suiuisuivi la secte Epicuriene.
Cinquante deitez estoient au temps
passé asseruiesasservies à cet office: &Et s’est trouuétrouvé nation, ou pour en-
dormir la concupiscence de ceux qui venoient à la deuotiondevotion,
on tenoit aux Eglises, des garses, & des garsons à iouyrjouyr, & e-
stoit acte de ceremonie de s’en seruirservir auantavant venir à l’office.⁁
⁁ . S’ils n’y entr
entroint chastes
par consciance
c’estoit au moins
par satieté
Nimirum propter continentiam
incontinentia necessaria est:
incendium ignibus extinguitur.
En
la plus part du monde, cette partie de nostre corps estoit dei-
fiée. En mesme prouinceprovince, les vnsuns se l’escorchoient pour en of-
DDDDd iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
frir & consacrer vnun lopin, lLes autres offroient & consacroient
leur semence. En vneune autre, les ieunesjeunes hommes se le perçoient
publiquement, & ouuroiētouvroient en diuersdivers lieux entre chair & cuir,
& trauersoienttraversoient par ces ouuerturesouvertures, des brochettes, les plus lō-
gueslon-
gues & grosses qu’ils pouuoientpouvoient souffrir,. &Et de ces brochettes
faisoient apres du feu, pour offrande à leurs Dieux, eEstimez
peu vigoureux & peu chastes, s’ils venoient à s’estonner par la
force de cete cruelle douleur. Ailleurs,: le plus sacré magistrat,
estoit reueréreveré & reconneu par ces parties là: &Et en plusieurs ce-
remonies l’effigie en estoit portée en pompe, à l’honneur de
diuersesdiverses diuinitezdivinitez. Les dames Egyptiennes en la feste des Bac-
chanales en portoient au col vnun de bois, exquisement formé,
grand & pesant, chacune selon sa force: oOutre ce que la statue
de leur Dieu, en representoit, qui surpassoit en mesure le reste
du corps. Les femmes mariées icy pres, en forgētforgent de leur cou-
urechefcou-
vrechef vneune figure sur leur front, pour se glorifier de la iouys-
sancejouys-
sance qu’elles en ont: &Et venant à estre vefuesvefves, le couchent en
arriere, & enseuelissentensevelissent soubs leur coiffure. Les plus sages ma-
trones à Romme, estoient honnorées d’offrir des fleurs & des
couronnes, au Dieu Priapus, &Et sur ses parties moins hōnesteshonnestes,
faisoit on soir les vierges, au temps de leurs nopces. Encore ne
sçay-ieje si ij’ay veu en mes ioursjours quelque air de pareille deuo-
tiondevo-
tion. Que vouloit dire cette ridicule piece de la chaussure de
nos peres, qui se voit encore en nos Souysses: àA quoy faire, la
monstre que nous faisons à cette heure de nos pieces en for-
me, soubs nos gregues: &Et souuentsouvent, qui pis est, outre leur gran-
deur naturelle, par fauceté & imposture? ⁁
⁁ Il me prent enuieenvie de
croire que cette sorte de
vestement fut inuanteeinvantee
aus meillurs & plus
consciantieus siecles
pour ne piper personele monde
pour randre enque chacun rendist en publiq
egalemātegalemant conte de son
faict. Et qu’il soit ainsi
Les nations plus simples
l’ont encores plus aprochātaprochantaucunemant
raportant au natureluraivrai
Lors on instruisoit la sciance de louurierl’ouvrier com’il se faict
de la mesure du bras ou du pied.
Ce bon homme qui
en ma ieunessejeunesse, chastra tant de belles & antiques statues en sa
grande ville, pour ne corrompre la veue ⁁
⁁ des dames:
suiuantsuivant laduisl’advis
de cet autre
antien bon home.
Flagitij prin
cipium est nu=
dare inter ciues
corpora
uersvers
des dames du paysde la iunessejunesse, se
deuoitdevoit aduiseradviser, comme aux misteres de la bonne Deesse, toute
apparence masculine en estoit forclose, que ce n’estoit rien a-
uancera-
vancer, s’il ne faisoit encore chastrer, & cheuauxchevaux, & asnes, &
LIVRE TROISIESME.376384
nature en fin.
Omne adeo genus in terris, hominúmque ferarúmque,
Et genus aequoreum, pecudes pictaeque volucres,
In furias ignémque ruunt. ⁁
⁁ Les Dieux, dit Platon, nous ont fourni d’vnun membre inobedient & tyrannique:
qui, comme vnun animal furieux, entreprend par la violence de son appetit, sousmettre tout
a soi. De mesme aus fames, un animal glouton et auideavide au quel si on refuse alimans
en sa saison il forcene impatiant de demencelai et soufflant sa rage en leurs corps empesche
les conduits arrete la respiration causant mille sortes de maus iusquesjusques a ce que qu’aïant
humè le fruit de s la soif commune il en aïe largement arrose et ensaemance le fond
de leur matrice.
EtOr se deuoitdevoit aduiseradviser aussi ⁁ ⁁ mon legislatur, qu’à l’auantureavanture est-ce vnun plus chaste
& fructueux vsageusage, de leur faire de bonne heure connoistre le
vif, q̄que de le leur laisser deuinerdeviner, selōselon la liberté, & chaleur de leur
fantasie: aAu lieu des parties vrayes, elles en substituent par de-
sir & par esperance, d’autres extrauagantesextravagantes au triple. ⁁
⁁ Et tel de ma conoissance
s’est perdu pour auoiravoir faict la
descouuertedescouverte des sienes auantavant
que d’estre a mesmesen lieu où
il n’estoit encore au propre de les
mettre en possession de leur plus
serieus usage.
Quel dō-
magedom-
mage ne font ces enormes pourtraicts, que les enfans vont
semant aux passages & escalliers des maisons Royalles? De là
leur vient vnun cruel mespris de nostre portée naturelle. ⁁
⁁ Que sçait on si Platon ⁁ ⁁ ordonant apres
quelques d’autres republiques bien
instituees que les homes & femmes
uieusvieus ieunesjeunes se presantent nuds
a la ueueveue les uns des autres en ses
gymnastiques n’a ⁁ ⁁ pas regarde a cela?
Les In-
diennes qui voyent les hommes à crud, ont aumoins refroidy
le sens de la veue. ⁁
⁁ Et quoi que dient les
fames de ce grand royaume
du Pegu quiy au dessous de
la ceinture n’ont a se
couurircouvrir qu’un drap &
fort si e fandu par le
dauantdavant & si estroit que
quelque ceremonieuse
decence qu’elles y cherchent
qu’a chaque pas on les
uoitvoit toutes, que c’est une
inuātioninvantion trouueetrouvee aus fins
d’attirer les homes a elles
et les retirer des masles
a quoi antienemātantienemant cette
nation estoit du tout
abandonee: il se pourroit
dire qu’elles y perdent
plus qu’elles n’aduancentadvancent
et qu’une faim entiere
est plus aspre que celle
qu’on a ressasiee au moins
par les yeus.
Aussi disoit LiuiaLivia, qu’à vneune femme de bien,
vnun homme nud, n’est nōnon plus qu’vneune image. ⁁
⁁ Les fames Lacedemonienes plus uiergesvierges fames que ne sont nos filles
estoint surnomees de ce qu’en marchant elles montroint leurs cuisses
et uoiointvoioint tous les ioursjours sans tentation les iunesjunes homes de leur
uilleville despouillez en leurs exercices et montroint en marchant leurs
cuisses a nud peu exactes elles mesmes a couurircouvrir leurs cuisses en marchant ⁁ ⁁ s’estimans come dict Platon asses couuertescouvertes de leur uertuvertu sans uertugadevertugade. Mais ceus la
desquels tesmouigne S. Augustin ont donointe un merueilleusmerveilleus effort de tentation a la nudite qui mettointont mis en doute resusciteroint si les fames
au iugemantjugemant uniuerseluniversel resusciteront en leur sexe ent non plus tost au nostre de peurpour dene nous incitertenter encores en ce sainct estat a luxure par leur presance.
Si c’estoit a elles de dogmatiser en telles choses diroint elles pas que pour cette raison il uaudroitvaudroit mieus que ce fut a nous de changer en elles.
On les leurre en
somme, & acharne, par tous moyens: nNous eschauffons & in-
citons leur imagination sans cesse, & puis nous crions au ven-
tre. Confessons le vray, il n’en est guere d’entre nous, qui ne
craingne plus la honte, qui luy vient des vices de sa femme,
que des siens,: qQui ne se soigne plus (charité esmerueillableesmerveillable) de
la conscience de sa bōnebonne espouse, que de la sienne propre,: qQui
n’aymast mieux estre voleur & sacrilege, & que sa femme fust
meurtriere & heretique, que si elle n’estoit plus chaste que son
mary. Et elles offriront volontiers d’aller au palais querir du
gain,: & à la guerre de la reputation, plustost que d’auoiravoir au
milieu de l’oisiuetéoisiveté, & des delices, à faire vneune si difficile garde.
Voyent-elles pas, qu’il n’est ny marchant, ny procureur, ny
soldat, qui ne quitte sa besoigne pour courre à cette autre: &Et
le crocheteur, & le sauetiersavetier, tous harassez & hallebrenez qu’ils
sont de trauailtravail & de faim.
Num tu quae tenuit diues Achoemenes,
Aut pinguis Phrygiae Mygdonias opes,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Permutare velis crine Licinniae,
Plenas aut Arabum domos,
Dum fragrantia detorquet ad oscula
Ceruicem, aut facili saeuitia negat,
Quae poscente magis gaudeat eripi,
Interdum rapere occupet. ⁁
⁁ Inique estimation de
uicesvices: Nature a faict et
nous & elles somes capables de
mille corruptions pires plus
dommageables et desnaturees
que n’est la lasciuetèlascivetè. Mais
nous faisons & poisons les
uicesvices non selon nature
mais selon nostre interest.
Par ou ils prenent tant de
formes inegales. L’asprete
de nos decretz exalterend
l’application des femmes a
ce uicevice plus ⁁ ⁁ aspre et uicieusevicieuse que ne porte
en soi lSa condition de et
l’engage a des suites
pires que n’est leur cause.
IeJe ne sçay si les exploicts de Caesar & d’Alexandre, surpassent
en aspretérudesse, la resolution d’vneune belle ieunejeune femme, nourrie à
nostre façon, à la lumiere & commerce du monde, battue de
tant d’exemples contraires, se maintenant entiere, au milieu
de mille continuelles & fortes poursuittes. Il n’y à poinct de
faire, plus espineux, qu’est ce non faire, ny plus actif. IeJe treuuetreuve
plus aisé, de porter vneune cuirasse toute sa vie, qu’vnun pucelage.
Et est le voeu de la virginité, le plus noble de tous les voeus, cō-
mecom-
me estant le plus aspre. ⁁
Voici une restitution des versions de rédaction successives:
1- Diaboli virtus in lumbis est.
2- : car le throsne du diable est aus rouignons,
3- car la force du diable est aus rouignons:
4- car selon S. Jerosme la vertu du diable siege aus rouignons.
5- Diaboli virtus in lumbis est dict S. Jerosme.
⁁ Diaboli uirtus in
lumbis est: car le
throsnecar la force du diable
est aus rouignons,: car
selon S. IerosmeJerosme la
uertuvertu du diable
siege aus rouignons.
Diaboli uirtus in
lumbis est dict S.
IerosmeJerosme
Certes le plus ardu & le plus vigoureus
des humains deuoirsdevoirs, nous l’auōsavons resigné aux dames, & leur en
quittōsquittons la gloire. Cela leur doit seruirservir d’vnun singulier esguillon
à s’y opiniastrer: cC’est vneune belle matiere à nous brauerbraver, & à fou-
ler aux pieds, cette vaine praeeminence de valeur & de vertu,
que nous pretendons sur elles. Elles trouueronttrouveront si elles s’en
prennent garde, qu’elles en seront non seulement tres-esti-
mées: mais aussi plus aymées: vVnuUn galant homme n’abandon-
ne point sa poursuitte, pour estre refusé, pourueupourveu que ce soit
vnun refus de chasteté, non de chois. Nous auonsavons beau iurerjurer &
menasser, & nous plaindre,: nous mentons,: nous les en aymons
mieux: iIl n’est point de pareil leurre, que la sagesse, non rude,
& renfroignée. C’est stupidité & lácheté, de s’opiniatrer, con-
tre la hayne & le mespris,: mMais contre vneune resolution vertueu-
se & constante, meslée d’vneune volonté recognoissante, c’est
l’exercice d’vneune ame noble & genereuse. Elles peuuentpeuvent recon-
noistre nos seruicesservices, iusquesjusques à certaine mesure, & nous faire
sentir honnestement qu’elles ne nous desdaignent pas. ⁁
⁁ Car cette loy qui leur comande
de nous abominer par ce
que nous les adorons: et nous
haïr de ce que nous les
aymons elle est certes cruelle ne fut que de sa difficultè.
Pourquoi n’orront elles nos offres et nos demandes autant qu’elles se
contienent sous le deuoirdevoir de la modestie: qu’a lonl’on affaire d’esplucher si
ce cas d’auantureavanture qQue uava lonl’on diuinantdivinant qu’elles sonent au dedens quelque
sens plus libre. VneUne Roine de nostre temps disoit ingenieusemant que de
refuser ces abbors c’estoit tesmouignage de foiblesse et de desfianceaccusation de sa propre
facilité Et qu’une dame non tentee ne se pouuoitpouvoit uantervanter de sa chastete.
Les li-
mites
LIVRE TROISIESME.377385
mites de l’honneur ne sont pas retranchez du tout si court,:
iIl à dequoy se relácher, il peut se dispenser aucunement
sans s’affolerse forfaire. Au bout de sa frontiere, il y à quelque esten-
due, libre, indifferente, & neutre: qQui l’a peu chasser & acculer
à force, iusquesjusques dans son coin & son fort, c’est vnun mal habile
homme s’il n’est satisfaict de sa fortune. Le pris de la victoire,
se considere par la difficulté. Voulez vous sçauoirsçavoir quelle im-
pression à faict en son coeur vostre seruitudeservitude & vostre merite,
mesurez le à ses meurs. Telle peut donner plus, qui ne donne
pas tant. L’obligation du bien-faict se rapporte entierement
à la volonté de celuy qui donne,. lLes autres circonstances qui
tombēttombent au bien faire, sont muettes, mortes & fortuitescasuelles: cCe peu
luy couste plus à donner, qu’a sa compaigne son tout. Si en
quelque chose la rareté sert d’estimation, ce doit estre en cecy:
nNe regardez pas combien peu c’est, mais combien peu l’ont.
La valeur de la monnoye se change selon le coin & la merque
du lieu. Quoy que le despit & indiscretion d’aucuns, leur puis-
se faire dire, sur l’excez de leur mescontentement, tousiourstousjours la
vertu & la verité regaigne son auantageavantage. IJ’en ay veu, desquel-
les la reputation à esté long temps interessée par iniureinjure, s’estre
remises en l’approbation vniuerselleuniverselle des hommes, par leur
seule constance, sans soing & sans artifice: cChacun se repent
& se desment de ce qu’il en a creu: dDe filles vnun peu suspectes,
elles tiennent le premier rang entre les dames de bien & d’hō-
neurhon-
neur. Quelqu’vnun disoit à Platon, tout le monde mesdit de
vous,. lLaissez les dire, fit-il, ieje viurayvivray de façon que ieje leur
feray changer de langage. Outre la crainte de Dieu, & le
pris d’vneune gloire si rare, qui les doibt inciter à se conser-
uerconser-
ver, la corruption de ce siecle les y force: &Et si ij’estois en
leur place, il n’est rien que ieje ne fisse plustost, que de com-
mettre ma reputation en mains si dangereuses. De mon
EEEEe
ESSAIS DE M. DE MONTA.
temps le plaisir d’en compter (plaisir qui ne doit guere en
douceur à celuy mesme de l’effect) n’estoit permis qu’a
ceux qui auoientavoient quelque amy fidelle & vniqueunique: àA present
les entretiens ordinaires des assemblées & des tables, ce
sont les vanteries des faueursfaveurs receuës, & liberalité secrette
des dames. Vrayement c’est trop d’abiectionabjection, & de basses-
se de coeur, de laisser ainsi fierement persecuter, pestrir, &
fourrager ces diuinesdivinestendres graces, à des personnes ingrates, in-
discrettes, & si volages. Cette nostre exasperation immo-
derée, & illegitime, contre ce vice, naist de la plus vaine
& tempesteuse maladie qui afflige les ames humaines,: qui
est la ialousiejalousie.:
Quis vetat apposito lumen de lumine sumi?
Dent licet assiduè nil tamen inde perit.
Celle-là, & l’enuieenvie sa soeur, me semblent des plus ineptes de
la trouppe. De cetre-cycette-cy ieje n’en puis guere parler: cCette pas-
sion qu’on peinct si forte & si puissante, n’a de sa grace au-
cune addresse en moy. Quand à l’autre, ieje la cognois, au-
moins de veue. Les bestes en ont ressentiment: lLe pasteur
Cratis estant tombé en l’amour d’vneune cheurechevre, son bouc,
ainsi qu’il dormoit, luy vint par ialousiejalousie choquer la teste,
de la sienne, & la luy escraza. Nous auonsavons monté l’excez de
cette fiéurefiévre a l’exemple d’aucunes nations barbares: lLes mieux
disciplinées en ont esté touchées,: c’est raison,: mais non pas
transportées:
Ense maritali nemo confossus adulter,
Purpureuso stygias sanguine tinxit aquas.
Lucullus, Caesar, Pompeius, Antonius, Caton, & d’autres bra-
uesbra-
ves hommes furent cocus, & le sceurent, sans en exciter tu-
multe. Il n’y eust en ce temps là, qu’vnun sot de Lepidus, qui en
mourut d’angoisse.
LIVRE TROISIESME.378386
Ah tum te miserum malíque fati,
Quem attractis pedibus patente porta,
Percurrent mugilésque raphaníque.:
EeEt le Dieu de nostre poëte, quand il surprint auecavec sa femme
l’vnun de ses compaignons se contenta de leur en faire hon-
te,
atque aliquis de Diis non tristibus optat,
Sic fieri turpis,:
&Et ne laisse pourtant ⁁ ⁁ pas de s’eschauffer des douces caresses, qu’elle
luy offre, se plaignant qu’elle soit pour cela entrée en deffian-
ce de son affection.:
Quid causas petis ex alto?, fiducia cessit
Quo tibi diua mei.?
Voire elle luy faict requeste pour vnun sien bastard,
Arma rogo genitrix nato:
qui luy est liberalement accordée,: &Et parle Vulcan d’AEneas
auecavec honneur,
Arma acri facienda viro.
D’vneune humanité à la verité plus qu’humaine. Et cet excez de
bonté, ieje consens qu’on le quitte aux Dieux:
nec diuis homines componier aequum est.
Quand à la confusion des enfans, ⁁
⁁ outre ce ques les plus
grauesgraves legislaturs
l’ordonent et l’affectent
en touteleurs republiques,
elle ne touche pas les fem-
mes, ou cette passion est ieje ne sçay comment encore mieux
en son siege.
Saepe etiam Iuno maxima caelicolum
Coniugis in culpa flagrauit quotidiana.
Lors q̄que la ialousiejalousie saisit ces pauurespauvres ames, foibles, & sans resi-
stance, c’est pitié cōmecomme elle les tirasse & tyrannise cruellemētcruellement:
eElle s’y insinue sous tiltre d’amitié, mais depuis qu’elle les pos-
sede, les mesmes causes qui seruoiētservoient de fōdemētfondement à la biēvueil-
lācebienvueil-
lance, seruentservent de fondemētfondement de hayne capitale: ⁁
⁁ C’est lades maladiemaladies
despritd’esprit celle a qui plus de
choses seruentservent d’alimant
et moins de choses de remede
lLa vertu, la santé,
EEEEe ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
le merite, la reputation du mary, sont les boutefeus de leur
maltalent & de leur rage.
Nullae sunt inimicitiae nisi amoris acerbae.
Cette fiéurefiévre laidit & corrompt, tout ce qu’elles ont de bel &
de bon d’ailleurs: &Et d’vneune femme ialousejalouse, quelque chaste
qu’elle soit, & mesnagere, il n’est action qui ne sente à l’ai-
gre & à l’importun. C’est vneune monstrueuse agitation,⁁ enragee, qui les
reiecterejecte à vneune extremité du tout contraire à sa cause. Il fut bon
d’vnun OctauiusOctavius à Romme: aAyant couché auecavec Pontia Po-
sthumia, il augmenta son affection par la iouyssancejouyssance, &
poursuyuitpoursuyvit à toute instance de l’espouser: nNe la pouuantpouvant
persuader, cet amour extreme le precipita aux effects de
la plus cruelle & mortelle inimitié,: il la tua. Pareillement
les symptomes ordinaires de cette autre maladie amoureu-
se, ce sont haynes intestines, monopoles, coniurationsconjurations,
notúmque furens, quid foemina possit,
&Et vneune rage, qui se ronge d’autant plus, qu’elle est contrain-
cte de s’excuser du pretexte de bien-vueillance. Or le de-
uoirde-
voir de chasteté à vneune grande estendue. Est-ce la volonté
que nous voulons qu’elles brident? C’est vneune piece bien
soupple & actiueactive, eElle à beaucoup de promptitude pour
la pouuoirpouvoir arrester. Comment, si les songes les engagent
par fois si auantavant, qu’elles ne s’en puissent desdire? Il n’est
pas en elles ny à l’aduantureadvanture en la temperancechastete mesme, puis
qu’elle est femelle, de se deffendre des concupiscences &
du desirer. Si leur volonté seule, nous interesse, ou en
sommes nous? Imaginez la grand presse, à qui auroit ce
priuilegeprivilege, d’estre porté tout empenné, sans yeux, & sans
langue, sur le poinct de chacune qui l’accepteroit. ⁁
⁁ Les femmes Scythes creuointcrevoint
les yeus a tous leurs esclauesesclaves
prisoniers de guerre pour
s’en seruirservir plus librement &
couuertementcouvertement.
O le
furieux aduantageadvantage que l’opportunité. Qui me demande-
roit la premiere partie en l’amour: iIejJe responderois que
LIVRE TROISIESME.379387
c’est sçauoirsçavoir prendre le temps: la seconde de mesme: & en-
core la tierce. C’est vnun poinct qui peut tout. IJ’ay eu faute
de fortune souuantsouvant, mais par fois aussi d’entreprise: Dieu
gard de mal qui àpeut encores à s’en moquer. Il y faut en ce siecle,
plus de temerité,: laquelle nos ieunesjeunes hommesgens excusent sous
pretexte de chaleur, mMais si elles y regardoyent de pres, elles
trouueroyēttrouveroyent que ’elle vient plustost de mespris. IeJe craignois
superstitieusement d’offenser,: & respecte volontiers, ce que
ij’ayme. Outre ce qu’en cette marchandise qui en oste la re-
uerencere-
verence, en efface le lustre. IJ’ayme qu’on y face vnun peu l’en-
fant, le craintif & le seruiteurserviteur. Si ce n’est du tout en cecy, ij’ay
d’ailleurs quelques airs de la sotte honte dequoy parle Plu-
tarque, &Et en a esté le cours de ma vie blessé & taché diuerse-
mentdiverse-
ment: qQualité bien mal-auenanteavenante à ma forme vniuerselleuniverselle:
qQu’est-il de nous aussi, que sedition & discrepance? IJ’ay les
yeux tendres à soustenir vnun refus, comme à refuser: &Et me poi-
se tant de poiser ⁁ ⁁ a autruy, que és occasions ou le deuoirdevoir me for-
ce d’essayer la volonté de quelqu’vnun, en chose doubteuse &
qui luy couste, ieje le fois maigrement & enuisenvis: ⁁ & pour moy,Mais si c’est pour mon particulier
ij’y commets volontiers à vnun tiers, de rougir en ma place.qui rougisse pour moi en ma place.
⁁ Mais si c’est pour mon
particuliere quoi que
die ueritablemantveritablemant Homere
qu’a un indigent c’est une
sotte uertuvertu que la honte
ij’y commetz uolontiervolontier une
ordinerement un tiers qui
rougisse pour moi en ma
place.
&Et escō-
duisescon-
duis ceux qui m’emploient de pareille difficulté, sSi qu’il m’est
aduenuadvenu par fois, d’auoiravoir la volonté de nier, que ieje n’en auoisavois
pas la force. C’est donc folie d’essayer à brider aux femmes vnun
desir qui leur est si ⁁ ⁁ cuisant et si naturel. Et quand ieje les oy se vanter d’a-
uoira-
voir leur volonté si vierge & si froide, ieje me moque d’elles,:
eElles se reculent trop arriere. Si c’est vneune vieille esdentee & de-
crepite, ou vneune ieunejeune seche & pulmonique, s’il n’est du tout
croyable, aumoins elles ont apparence de le dire. Mais celles
qui se meuuentmeuvent & qui respirent encores, elles en empirētempirent leur
marché,. dD’autant que les excuses inconsiderées, seruentservent d’ac-
cusation. Comme vnun gentil’homme de mes voisins, qu’on
soubçonnoit d’impuissance,
EEEEe iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Languidior tenera cui pendens sicula beta
Nunquam se mediam sustulit ad tunicam,
trois ou quatre ioursjours apres ses nopces, alla iurerjurer tout hardi-
ment pour se iustifierjustifier, qu’il auoitavoit faict vingt postes la nuict
precedente: dDequoy on s’est seruyservy depuis à le conuaincreconvaincre de
pure ignorance, & à le desmarier. Outre, que ce n’est rien dire
qui vaille: cCar il n’y a ny continence ny vertu, s’il ny a de l’ef-
fort au contraire. Il est vray, faut il dire, mais ieje ne suis pas pre-
ste à me rendre. Les saincts mesme parlent ainsi. S’entant, de
celles qui se vantent en bon escient, de leur froideur & insen-
sibilité, & qui veulent en estre creües:⁁ ⁁ d’un uisagevisage serieus: cCar quand c’est d’vnun vi-
sage affeté, ou les yeux dementent leurs parolles, & du iargonjargon
de leur profession, qui porte coup à contrepoil, ieje le trouuetrouve
bon. IeJe suis fort seruiteurserviteur de la nayfueténayfveté & de la liberté, mMais
il nyn’y a remede,. sSi elle n’est du tout niaise ou enfantine, elle est
inepte aus dames, & messeante en ce commerce,. eElle gauchit
incontinent sur l’impudence. Leurs desguisements & leurs fi-
gures ne trompent que les sots,. lLe mentir y est en siege d’hon-
neur: cC’est vnun destour qui nous conduit à la verité par vneune fau-
ce porte. Si nous ne pouuonspouvons contenir leur imagination, que
voulons nous d’elles? lLes effects? iIl en est assez qui eschappēteschappent
à toute communication estrangere, par lesquels la chasteté
peut estre corrompue,
Illud saepe facit, quod sine teste facit.
Et ceux que nous craignons le moins, sont à l’auantureavanture les plus
à craindre: lLeurs pechez muets sont les pires.:
Offendor moecha simpliciore minus. ⁁
⁁ Il en estest des effaicts qui offancētoffancent mesme
non sciammātsciammant la pudicitépureté
corporelle.
Il est des effaicts qui
peuuentpeuvent perdre non sans
impudiquemantcitè laleur
pudicitè corporelle et
mesme qui plus est
sans leur sçeu. Obstetrix
uirginis cuiusdam integri=
tatem manu uelut explorans
siue maleuolentia siue
inscitia siue casu dum
inspicit perdidit. Telle a
n’eut perdua d esdiré sa uirginitevirginite si
elle ne l’eutpour l’auoiravoir cherchèe.
telle s’en la chatouillant l’a
tueeiouantjouant esbatant lal’a tuee.
Nous ne sçaurions leur circonscrire precisement les actions
que nous leur deffendons. Il faut conceuoirconcevoir nostre loy, soubs
parolles generalles & incertaines. L’idee mesme que nous for-
geons à leur chasteté est ridicule: cCar entre les extremes patrōspatrons
que ij’en aye, c’est Fatua femme de Faunus, qui ne se laissa voir
LIVRE TROISIESME.380388
oncques puis ses nopces à masle quelconque: &Et la femme de
Hieron qui ne sentoit pas son mary punais, estimant que ce
fut vneune commune qualité à tous hommes. Il faut qu’elles de-
uiennentde-
viennent insensibles & inuisiblesinvisibles pour nous satisfaire. Or cō-
fessonscon-
fessons, que le neud du iugemētjugement de ce deuoirdevoir gist principalle-
ment en la volonté. Il y a eu des maris qui ont souffert cet
accident, non seulement sans reproche & offence enuersenvers leurs
femmes, mais auecavec singuliere obligation & recommandatiōrecommandation
de leur vertu. Telle, qui aymoit mieux son honneur que sa
vie, l’a prostitué à l’appetit forcené d’vnun mortel ennemy, pour
sauuersauver la vie à son mary: &Et à faict pour luy ce qu’elle n’eust
aucunement faict pour soy. Ce n’est pas icy le lieu d’estendre
ces exemples, iIls sont trop hauts & trop riches, pour estre re-
presentez en ce lustre: gGardons les à vnun plus noble siege. ⁁
⁁ Mais pour des exēplesexemples
de lustre plus uulguerevulguere
est il pas tous les ioursjours des
femes qui pour la sule
utilite de leurs maris se
prestent & par leur expresse
ordonance et ētreprinmiseentreprinmise.
Et ātienemētantienement Phaulius
l’Argien offrit la siene
au Roy Philippus par ābi=
tionambi=
tion Tout ainsi que par
ciuilitecivilite ce Galba qui
auoitavoit done a souper a
Mecaenas uoiantvoiant que sa
feme et luy comançoint a
comploter par euillades &
signes se laissant couler
sur son coussin represantant
un home aggraueaggrave de som=
meil pour faire espaule a
leur intellijance Et laduoual’advoua
d’asses bone grace Car sur ce
point un ualetvalet aïant pris
la hardiesse de porter la
main sur les uasesvases qui estoient
sur la table, il lui cria. Vois
tu pas coquin que ieje ne dors
que pour Mecenas.
Telle
à les meurs desbordées, qui à la volonté plus reformée que
n’a cet’autre, qui se cōduitconduit soubs vneune apparence reiglée. Con-
meCom-
me nous en voyōsvoyons qui se plaignent d’auoiravoir esté vouées à cha-
steté auantavant l’aage de cognoissance, ij’en ay veu aussi se plaindre
veritablement, d’auoiravoir esté vouées à la desbauche, auantavant l’aage
de cognoissance: lLe vice des parens, en peut estre cause, ou la
force du besoing, qui est vnun rude conseillier. Aus Indes orien-
tales, la chasteté y estant en singuliere recommandation, l’v-
sageu-
sage pourtant souffroit qu’vneune femme mariée se peut aban-
donner à qui luy presentoit vnun elephant: &Et cela, auecavec quel-
que gloire d’auoiravoir esté estimée à si haut pris. ⁁
⁁ Phaedon le philosofe
home de maison, apres la
prinse de son païs d’Elide
fit mestier de prostituer
autant qu’elle dura, la
beaute de sa iunessejunesse a qui
uolutvolut, a pris d’argent ⁁ ⁁ pour en uiurevivre. Et
Solon fut le premier en la
graece dict on qui par ses loix
dona liberte aus fames aus
despans de leur cors pudicite
de pouruoirpourvoir au besouin de leur
uievie: Her costume que Herodote
dict auoiravoir este receue auantavant
luy en plusieurs polices
Et puis, quel fruit
de cette penible solicitude? Car quelque iusticejustice, qu’il y ait en
cette passiōpassion, encores faudroit il voier si elle nous charrie vti-
lementuti-
lement. Est-il quelqu’vnun qui les pense boucler par son in-
dustrie.?
Pone seram, cohibe, sed quis custodiet ipsos
Custodes? cauta est & ab illis incipit vxor.
Quelle commodité ne leur est suffisante, en vnun siecle si sçauātsçavant?
ESSAIS DE M. DE MONTA.
La curiosité est vicieuse partout: mais elle est pernicieuse icy.
C’est folie de vouloir s’esclaircir d’vnun mal, auq̄lauquel il n’y a point
de medecine, qui ne l’empire & le rengrege: dDuquel la honte
s’augmente & se publie principalement par la ialousiejalousie: dDu-
quel la vaniancevanjance blesse plus sesnos enfans, qu’elle ne lenous guerit à
luy? Vous assechez & mourez à la queste d’vneune si obscure ve-
rification. Combien piteusement y sont arriuezarrivez ceux de mon
temps, qui en sont venus à bout. Si l’aduertisseuradvertisseur n’y presente
quand & quand le remede & son secours, c’est vnun aduertisse-
mentadvertisse-
ment iniurieuxinjurieux, & qui merite mieux vnun coup de poignard, q̄que
ne faict vnun demētirdementir. On ne se moque pas moins de celuy qui
est en peine d’y pouruoirpourvoir, que de celuy qui l’ignore. Le cara-
ctere de la coürnardise est indelebile: àA qui il est vneune fois attaché
il l’est tousiourstousjours: lLe chastiement l’exprime plus, que la faute. Il
faict beau voir,: arracher de l’ombre & du doubte, nos mal-
heurs priuésprivés, pour les trompeter en eschaffaux tragiques: &Et
mal’heurs, qui ne pinsent, que par le raport: cCar bonne femme
& bon mariage, se dict, nōnon de qui l’est, mais duquel on se taist.
Il faut estre ingenieux à euitereviter cette ennuyeuse & inutile co-
gnoissance. Et auoyentavoyent les Romains en coustume, reuenansrevenans
de voyage, d’enuoyerenvoyer au deuātdevant en la maison, faire sçauoirsçavoir leur
arriuéearrivée aus femmes, pour ne les snurprendre. Et pourtant, à in-
troduit certaine nation, que le prestre ouureouvre le pas à l’espou-
sée, le iourjour des nopces, pPour oster au marié le doubte & la cu-
riosité, de cercher en ce premier essay, si elle vient à luy vierge,
ou blessée d’vnun’amour estrangere. Mais le monde en parle.
IeJe sçay çantcent honestes hommes coqus, honnestement, & peu
indecemment:. vVnuUn galant homme en est pleint, non pas dese-
stimé. Faites que vostre vertu estouffe vostre mal’heur: qQue
les gens de bien en maudissent l’occasiōoccasion: qQue celuy qui vous
offence, tremble seulement à le penser. Et puis, de qui ne par-
le on en ce sens, depuis le petit iusquesjusques au plus grand?
LIVRE TROISIESME.381389
tot qui legionibus imperitauit,
Et melior quàm tu multis fuit improbe rebus.
Voys tu qu’on engage en ce reproche tant d’honnestes hom-
mes en ta presence,. pPense qu’on ne t’espargne non plus ail-
leurs. Mais iusquesjusques aux dames elles s’en moquerōtmoqueront: &Et dequoy
se moquent elles en ce temps, plus volontiers, que d’vnun ma-
riage paisible & bien composé? ⁁
⁁ Chacun de nousuousvous
ha faict quelcun
coqu: or nature est
toute en ⁁ ⁁ pareilles en compensation
et uicissitudevicissitude.
La frequence de cet accident
en doibt meshuy auoiravoir moderé l’aigreur: lLe voyla tantost pas-
sé en coustume. Miserable passion, qui à cecy encore, d’estre
incommunicable,
Fors etiam nostris inuidit questibus aures.
Car à quel amy osez vous fairefier vos doleances, qui, s’il ne s’en
rit, ne s’en serueserve d’acheminement & d’instruction pour pren-
dre luy-mesme sa part à la curee? ⁁
⁁ . Les aigrurs comme
les douceurs du
mariage se tienēttienent
secretes par les
sages. Et parmi les autres
importunes conditions quequi se
treuueēttreuveent au mariageen iceluy ceteci a
un home langagier come ieje suis
n’e est des principales qu’il soit
in que la costume rende indecent
et nuisible qu’on communique a
persone ⁁ ⁁ tout ce qu’on en sçait et ce
qu’on en sent.
De leur donner mesme con-
seil à elles, pour les desgouster de la ialousiejalousie, ce seroit temps
perdu: lLeur essence est si confite en soubçon, en vanité & en
curiosité, que de les guarir par voye legitime, il ne faut pas
l’esperer. Elles s’amendent souuantsouvant de cet inconuenientinconvenient, par
vneune forme de santé, beaucoup plus à craindre, que n’est la ma-
ladie mesme. Car comme il y a des enchantemens, qui ne sça-
uentsça-
vent pas oster le mal, qu’en le rechargeant à vnun autre,: elles re-
iettentre-
jettent ainsi volontiers cette fieurefievre à leurs maris, quādquand elles la
perdent. Toutesfois à dire vray, ieje ne sçay si on peut souffrir
d’elles, pis que la ialousiejalousie: cC’est la plus dangereuse de leurs con-
ditions, comme de leurs membres la teste. Pittacus disoit,
que chacun auoitavoit son defaut: qQue le sien estoit la mauuaisemauvaise te-
ste de sa femme,: sans laquellehors cela, il s’estimeroit de tout poinct
heureux. C’est vnun bien poisant inconuenientinconvenient, duquel vnun per-
sonnage si iustejuste, si sage, si vaillant, sentoit tout l’estat de sa vie
alteré: que deuonsdevons nous faire nosnous autres hommenetsz? ⁁
⁁ . Le senat de Marseil=
le eut raison d’accor=
der la requeste a celuy
d qui demandoit
permission de se tuer
pour s’exampter de la
tempeste de sa fame: cCar
c’est un mal qui ne s’emporte
iamaisjamais qu’en emportant la piece:
et qui n’a autre composition qui
uaillevaille, que la fuite ou la souffrance
quoi que toutes les duesdeus tres difficilles.
Celuy
la s’y entendoit, ce me semble, qui dict qu’vnun bon mariage se
dressoit d’vneune femme aueugleaveugle, auecavec vnun mary sourd. RegardōsRegardons
FFFFf
ESSAIS DE M. DE MONTA.
aussi que cette grande & violente aspreté d’obligation, que
nous leur enioignonsenjoignons, ne produise deux effects contraires à
nostre fin: aAsçauoiraAsçavoir, qu’elle esguise les poursuyuantspoursuyvants, & face
les femmes plus faciles à se rēdrerendre. Car quādquand au premier point,
montant le pris de la place, nous montons le pris & le desir de
la conqueste. Seroit-ce pas Venus mesme qui eut ainsi fine-
ment haussé le cheuetchevet à sa marchandise, par le maquerelage
des loix:, cognoissant combien c’est vnun sot desduit, qui ne le
feroit valoir par fātasiefantasie & par cherté: eEn fin c’est tout chair de
porc que la sauce diuersifiediversifie, comme disoit l’hoste de Flami-
nius. Cupidon est vnun Dieu ⁁
Montaigne en redoublant sa correction a oublié de biffer l’un des deux "felon"
⁁ felon, mutin:
ambitieux:arrogant felon: il faict son ieujeu, à luit-
ter la deuotiōdevotion & la iusticejustice: cC’est sa gloire, que sa puissance cho-
que tout’autre puissance, & que toutes autres regles cedent
aux siennes,
Materiam culpae prosequiturque suae.
Et quant au second poinct, serions nous pas moins coqus, si
nous craigniōscraignions moins de l’estre:, sSuyuantsSuyvant la cōplexioncomplexion des fem-
mes, car la deffence les incite & conuieconvie,
Vbi velis nolunt, vbi nolis volunt vltro:
Concessa pudet ire via.
Quelle meilleure interpretation trouuerionstrouverions nous au faict de
Messalina: eElle fit au commencement son mary coqu à ca-
chetes, comme il se faict: mMais conduisant ses parties trop ay-
séement, par la stupidité qui estoit en luy, elle desdaigna sou-
dain cet vsageusage: lLa voyla, à faire l’amour à la descouuertedescouverte, ad-
uoüerad-
voüer des seruiteursserviteurs, les entretenir & les fauoriserfavoriser à la veüe
d’vnun chacun. Elle vouloit qu’il s’en ressentit. Cet animal ne se
pouuantpouvant esueilleresveiller pour tout cela, & luy rendant ses plaisirs
mols & fades, par cette trop láche facilité, par laquelle il sem-
bloit qu’il les aduouatadvouatauthorisat & legitimat: qQue fit elle? fFemme d’vnun
Empereur sain & viuantvivant, & à Romme, au theatre du monde,
en plein midy, en feste & ceremonie publique, & auecavec Si-
LIVRE TROISIESME.382390
lius, duquel elle iouyssoitjouyssoit long temps deuantdevant, elle se marie vnun
iourjour que son mary estoit hors de la ville. Semble il pas qu’elle
s’acheminast à deuenirdevenir chaste, par la nonchallance de son ma-
ry? oOu qu’elle ne cerchast vnun autre mary qui luy esguisast
l’appetit par sa ialousiejalousie?⁁
-
⁁ et qui en luy insistant
l’incitat.
Mais la premiere difficulté qu’elle rē-
contraren-
contra, fut aussi la derniere. Cette beste s’esueillaesveilla en sursaut.
On à souuentsouvent pire marché de ces sourdaus endormis. IJ’ay
veu par experience que cette extreme souffrance, quand elle
vient à se desnouër, produit des vengeances plus aspres: cCar
prenant feu tout à coup, la cholere & la fureur s’emmouncelātemmouncelant
en vnun, esclate tous ses efforts à la premiere charge,
irarúmque omnes effundit habenas.
Il la fit mourir,: & grand nombre de ceux de son intelligence:,
iIusquesjJusques à tel qui n’en pouuoitpouvoit mais, & qu’elle auoitavoit conuiéconvié à
son lict, à coups d’escorgée. Ce que Virgile dict de Venus &
de Vulcan, Lucrece l’auoitavoit dict plus sortablement d’vneune iouis-
sancejouis-
sance desrobée, d’elle & de Mars.:
belli fera moenera Mauors
Armipotens regit, in gremium qui saepe tuum se
Reiicit, aeterno deuinctus vulnere amoris:
Pascit amore auidos inhians in te Dea visus,
Eque tuo pendet resupini spiritus ore:
Hunc tu diua tuo recubantem corpore sancto
Circunfusa super, suaueis ex ore loquelas
Funde:.
Quand ieje rumine ce, reiicit, pascit, inhians, molli, fouet, medullas,
labefacta, pendet, percurrit, & cette noble, circunfusa, mere du
gentil, infusus, ij’ay desdain de ces menues pointes & allusions
verballes, qui nasquirent depuis. A ces bonnes gens, il ne fal-
loit pas d’aigue & subtile rencontre: lLeur langage est tout
plein, & gros d’vneune vigueur naturelle & constante: iIls sont
FFFFf ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tout epigramme,: non la queuë seulement, mais la teste, l’esto-
mac, & les pieds. Il n’y a rien d’efforcé, rien de treinant: tout y
marche d’vneune pareille teneur. ⁁
-
⁁ Contextus totus
uirilis est: non sunt
circa flosculos occupati.
Ce n’est pas vneune eloquēceeloquence mol-
le, & seulement sans offence: eElle est nerueusenerveuse & solide, qui
ne plaict pas tant, comme elle remplit & rauitravit: &Et rauitravit, le plus,
les plus forts espris. ⁁
⁁ Qui signifie plus
qu’elle ne dict.
Quand ieje voy ces brauesbraves formes de s’ex-
pliquer, si vifuesvifves, si profondes, ieje ne dicts pas que c’est bien di-
re, ieje dicts que c’est bien penser. C’est la gaillardise de l’imagi-
nation, qui esleueesleve & enfle les parolles. ⁁
-
⁁ Pectus est quod
disertum facit.
Nos gens appellent iu-
gementju-
gement langage,. &Et beaux mots les plaines conceptions.
Cette peinture est conduitte, nōnon tant par dexterité de la main,
comme pour auoiravoir l’obiectobject plus vifuementvifvement empreint en l’a-
me. Gallus parle simplemētsimplement, par ce qu’il conçoit simplemētsimplement:.
Horace ne se contente point d’vneune superficielle expression,
eElle le trahiroit: iIl voit plus cler & plus outre dans la chose:
sSon esprit crochette & furette tout le magasin des mots &
des figures, pour se representer: &Et les luy faut outre l’ordinai-
re, comme sa conception est outre l’ordinaire. Plutarque dit,
qu’il veid le langage latin par les choses,: iIcy de mesme,: le sens
esclaire & produict les parolles: nNōnNon plus de vent, ains de chair
& d’os. ⁁
-
⁁ Elles signifient
plus qu’elles ne disent.
Les imbecilles sentent encores quelque image de ce-
cy. Car en Italie ieje disois ce qu’il me plaisoit en deuisdevis cōmunscommuns,
mais aus propos roides ieje n’eusse osé me fier à vnun Idiome, que
ieje ne pouuoispouvois plier ny contourner, outre son alleure cōmu-
necommu-
ne. IJ’y veux pouuoirpouvoir quelque chose du mien. Le maniement
& emploite des beaux espris donne pris à la langue: nNon pas
l’innouantinnovant, tāttant, comme la remplissant de plus vigoreux & di-
uersdi-
vers seruicesservices, l’estirant & ployant,: iIls n’y aportent point des
mots, mais ils enrichissent les leurs, appesantissent & enfon-
cent leur signification & leur vsageusage: lLuy aprenent des mou-
uemētsmou-
vements inaccoustumés, mais prudēmentprudemment & ingenieusemētingenieusement.
LIVRE TROISIESME.383391
Et combien peu cela soit donné à tous, il se voit par tant d’es-
criuainses-
crivains frāçoisfrançois de ce siecle. Ils sont assez hardis & dédaigneux,
pour ne suyuresuyvre la route commune, mais faute d’inuentioninvention &
de discretion les pert. Il ne s’y voit qu’vneune miserable affectatiōaffectation
d’estrangeté: dDes déguisements froids & absurdes, qui au lieu
d’esleuereslever, abbattent la matiere. PourueuPourveu qu’ils se gorgiasent en
la nouuelleténouvelleté, il ne leur chaut de l’efficace: pPour saisir vnun nou-
ueaunou-
veau mot, ils quittent l’ordinaire, souuētsouvent plus fort & plus ner-
ueuxner-
veux. En nostre langage ieje trouuetrouve assez d’estoffe, mais vnun peu,
faute de façon. Car il n’est rien, qu’on ne fit du iargonjargon de nos
chasses, & de nostre guerre, qui est vnun genereux terrein à em-
prunter. Et les formes de parler, cōmecomme les herbes, s’amendētamendent &
fortifient en les transplantant. IeJe le trouuetrouve suffisamment a-
bondant, mais non pas ⁁ ⁁ soupplemaniant et vigoureux suffisamment: iIl succombe
ordinairement à vneune puissante conception. Si vous allez ten-
du, vous sentez souuentsouvent qu’il languit soubs vous & fleschit, &Et
qu’à son deffaut le Latin se presente au secours, &Et le Grec à
d’autres. D’aucuns de ces mots que ieje viens de trier, nous en a-
perceuonsa-
percevons plus malaisément l’energie, d’autant que l’vsageusage &
la frequence, nous en ont aucunement auilyavily & rendu vulgai-
re la grace. Comme en nostre commun, il s’y rencōtrerencontre des fra-
ses excellentes, & des metaphores, desquelles la beauté flestrit
de vieillesse, & la couleur se ternits’est ternie par maniement trop ordi-
naire. Mais cela n’oste rien du goust, à ceux qui ont bon nez
nNy ne desroge à la gloire de ces anciens autheurs, qui comme
il est vray semblable, mirent premierement ces mots en ce lu-
stre. Les sciences traictent les choses trop finemētfinement, d’vneune mo-
de trop artificielle, & differente à la commune & naturelle.
Mon page faict l’amour & l’entend: lLisez luy Leon Hebreu, &
Ficin,: on parle de luy, de ses pensées, & de ses actions, &Et si il
n’y entend rien. IeJe ne recognois pas chez Aristote la plus part
de mes mouuemensmouvemens ordinaires: oOn les à couuertscouverts & reuestusrevestus
FFFFf iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’vneune autre robbe, pour l’vsageusage de l’eschole. Dieu leur doint
biēbien faire: sSi ij’estois du mestier: ieje traiteroy l’art le plus naturel-
lemētnaturel-
lement que ieje pourrois.naturaliserois lartl’art, autant come ils
artialisent la nature. Laissons la Bembo & Equicola. QuādQuand
ij’escris, ieje me passe bien de la compaignie, & souuenancesouvenance des
liureslivres: de peur qu’ils n’interrompent ma forme. Aussi que à la
verité, les bons autheurs m’abattent par trop, & rompent le
courage. IeJe fais volontiers le tour de ce peintre, lequel ayant
miserablement representé des coqs, deffendoit à ses garçons,
qu’ils ne laissassent venir en sa boutique aucun coq naturel. ⁁
⁁ Et arois plus tost
besouin pour me doner
un peu de lustre de
l’inuantioninvantion du musicien
Antigonides qui quantd
il faisoitauoitavoit a faire la musique
faisoit passer deuantdevant ou
apres luy mettoit ordre
que dauantdavant ou apres luy
passat quelque mauuesmauves
chantre son auditoire fut
abreuuéabreuvé de quelques mauuesmauvesautres
chantre mauuesmauves chantres.
Mais ieje me puis plus malaiséemētmalaiséement deffaire de Plutarque,. iIl est
si vniuerseluniversel & si plain, qu’a toutes occasions, & quelque suiectsuject
extrauagantextravagant que vous ayez pris, il s’ingere à vostre besongne,
& vous tend vneune main liberale & inespuisable de richesses, &
d’embellissemens. Il m’en faict despit, d’estre si fort exposé au
pillage de ceux qui le hantent. ⁁ ⁁ IeJe ne le puis si peu r’acouinter, que ieje n’en tire cuisse ou aisle. Pour ce mien dessein il me viētvient
aussi à propos, d’escrire chez moy, en pays sauuagesauvage, ou person-
ne ne m’ayde, ny me releuereleve,: oOu ieje ne hante communéement
homme, qui entende le latin de son patenostre, & de frāçoisfrançois
vnun peu moins. IeJe l’eusse faict meilleur ailleurs, mais l’ouurageouvrage
eust esté moins mien: &Et sa fin principale & perfection, c’est
d’estre exactement mien. IeJe corrigerois volontiersbien vneune erreur
accidentale, dequoy ieje suis plain, ainsi que ieje cours inaduer-
temmentinaduer-
temment, mMais les imperfections qui sont en moy ordinaires
& constantes, ce seroit trahison de les oster. Quand on m’a dit,
ou que moy-mesme me suis dict,. tTu es trop espais en figures,:
vVoila vnun mot du creu de Gascoingne,. vVoila vneune frase dangereu-
se, (ieje n’ēen refuis aucune de celles qui s’vsentusent emmy les rues frā-
çoisesfran-
çoises,: ceux qui veulent combatre l’vsageusage par la grammaire se
moquent) vVoila vnun discours ignorant,: vVoila vnun discours pa-
radoxe, en voila vnun trop fol: ⁁
⁁ tu te iouësjouës souuantsouvant,
on estimera que tu
dies a droit, ce que tu
dis a feinte. Oui
ouy fais-ieje, mais ieje corrige les fau-
tes d’inaduertenceinadvertence, non celles de coustume. Est-ce pas ainsi
que ieje parle par tout? mMe represente-ieje pas viuementvivement? sSuffit.
LIVRE TROISIESME.384392
IJ’ay faict ce que ij’ay voulu,. tTout le monde me reconnoit en
mon liurelivre, & mon liurelivre en moy. Or ij’ay vneune condition singe-
resse & imitatrice: qQuand ieje me meslois de faire des vers, & n’ēen
fis iamaisjamais que des Latins, ils accusoient euidemmentevidemment le poete
que ieje venois dernierement de lire: &Et de mes premiers essays,
aucuns puent vnun peu ⁁ ⁁ a l’estranger. ⁁
-
⁁ A Paris ieje
parle un langage
aucunement autre
qu’a Montaigne.
Qui que ieje regarde auecavec at-
tention, m’imprime facilemētfacilement quelque chose du sien. Ce que
ieje considere, ieje l’vsurpeusurpe: vVneuUne sotte contenance, vneune desplaisan-
te grimace, vneune forme de parler ridicule. Les vices plus: dD’au-
tant qu’ils me poingnent, ils s’acrochent à moy, & ne s’en vōtvont
pas sans secouer. On m’a veu plus souuētsouvent iurerjurer par similitude,
que par complexion. ⁁
Montaigne a donné deux versions de ce passage avant de le biffer entièrement :
1- Tantost je ne cesse de jurer, je cesse tantost une longue seson, selon la compaignie ou je me suis tenu et ne jure que, dieu, qui est le plus formè et juste de tous les sermans.
2- Tantost je ne cesse de jurer, je cesse tantost une longue seson, selon la compaignie ou je me suis tenu mais selon ma forme, qui est, pour dieu, le plus excusable et droit de tous les sermans.
⁁ . tTantost ieje ne
cesse de iurerjurer, ieje
cesse tantost une
longue seson, selon
la cōpaigniecompaignie ou
ieje me suis tenu
et ne iurejure que,mais selon ma forme, qui est, par
dieu, qui est le
plus formè et
iustejusteexcusable et
droit de tous les
sermans. Cette
nuisible imitation me
remet en memoire cette
autre imitation murtriere
des serpentssinges horribles que le
Roy Alexandre rancontra en
certein destroit des Indes
desquels autremant on ne
pourroit uenirvenir a bout. Mais
ils ont aprins aus homes du
païs qu’ils aiment a contrefaire
ce qu’ils leur uoïentvoïent faire. Les
chasseurs oignent leurs yeus
de miel et laissent de la glus
en la place font semblant de
se mirer tout contre la terre
et y atachētatachent des lacs courans
et chaussent a la ueueveue de ces
singes leurs souliers a tout
des liens Par ou ces pourespovres
bestes ainsi duites a cōtrefairecontrefaire
sur ce qu’elles uoientvoient
se prenent elles mesmes et se
perdent. Imitation
meurtriere comme celle des
singes horribles en grandur
et en force que le Roy Alexandre
rencontra en certene cōtreecontree des
Indes. Des quels autremant
il eut este difficille de uenirvenir
a bout. Mais ils en prestarent
le moien par cette leur inclina=
tion a contrefaire tout ce qu’ils
uoiointvoioint faire. Car par la les chasseurs
aprindrent de faire semblātsemblant de
se chausser des souliers a leur ueuëveuë
a tout force neuds de liens: de
s’affubler d’acoutremans de teste
a tout des lacs courans: & ouindre
les yeus de quelque autre drogue
et au lieu de celela y mettre de la
glus.par semblant leurs yeus de glus. Ainsi les metoit imprudam=
mant a mal leur complexion singeresse
ces pourespovres bestes leur complexion
singeresse Ils s’engluoint et
s’enlassoint par imitations’encheue=
troints’encheve=
troint et garrotoint d’elles mesmes.
Cett’autre faculte de represanter ingenieusemētingenieusement les gestes et
parolles d’un autre par dessein, qui apporte souuantsouvant plaisir &
admiration, n’est nullemētnullementaucunement en moy non plus qu’en une souche. ⁁
⁁ Quand ieje iurejure selon moi c’est plus uolontiersvolontierssulement, par dieu,
qui est le plus droit de tous les sermens Ils disent
que Socrates iuroitjuroit le chien, Zenon les capres,
Pythagoras leaul’eau & lairl’air,cette mesme interiectioninterjection qui sert asture aus
Italiens, Cappari: Pythagoras, l’eau & lairl’air.
IeJe suis ⁁ ⁁ si aisé à receuoirrecevoir ⁁ ⁁ sans y penser ces impressions su-
perficielles,: sSi ij’ayqu’ayant eu en la bouche, Sire ou altesse, trois ioursjours
de suite, huict ioursjours apres ils m’eschappent, pour excellence,
ou pour seigneurie. Et ce que ij’auray pris à dire en battellant
& en me moquant, ieje le diray lendemain serieusement. Par-
quoy, à escrire, ij’accepte plus enuisenvis les arguments battus, de
peur que ieje les traicte aux despens d’autruy. Tout argument
m’est egallement fertille. IeJe les prens sur vneune mouche,: &Et Dieu
veuille que celuy que ij’ay icy en main, n’ait pas esté pris par le
cōmandemētcommandement d’vneune volōtévolonté autātautant volage. Que ieje cōmēcecommence par
celle qu’il me plaira, car les matieres se tiennent toutes enches-
nées les vnesunes aux autres. Mais mōmon ame me desplait, de ce qu’el-
le produict ordinairement ses plus profondes resueriesresveries, plus
folles & qui me plaisent le mieux, à l’improuueuimprouveu, & lors
que ieje les cerche moins: lLesquelles s’esuanouissentesvanouissent soudain,
n’ayant sur le champ où les attacher: àA cheualcheval, à la table, au lit,:
mais plus à cheualcheval, où sont mes plus larges entretiens. IJ’ay le
parler vnun peu delicatement ialouxjaloux d’attention & de silence, si
ieje parle de force.: QqQui m’interrōptinterrompt, m’arreste. En voiage, la ne-
cessité mesme des chemins couppe les propos: oOutre ce que
ieje voyage plus souuentsouvent sans compaignie, propre à ces entre-
ESSAIS DE M. DE MONT.
tiens de suite, par ou ieje prens tout loisir de m’entretenir moy-
mesme. Il m’en aduientadvient comme de mes songes: eEn songeant,
ieje les recommande à ma memoire, (car ieje songe volōtiersvolontiers que
ieje songe) mais le lendemain, ieje me represente biēbien leur couleur,
comme elle estoit, ou gaye, ou triste, ou estrange, mais quels
ils estoient au reste, plus ij’ahane à le trouuertrouver, plus ieje l’enfonce
en l’oubliance. Aussi de ces discours fortuites qui me tombēttombent
en fantasie, il ne m’en reste en memoire qu’vneune vaine image:
aAutant seulemētseulement qu’il m’en faut pour me faire ronger, & des-
piter, apres leur queste, inutilement. Or donc laissant les liureslivres
à part, parlant plus materiellement & simplement: iIejJe trouuetrouve
apres tout, que l’amour n’est autre chose, que la faimsoif de cette
iouyssancejouyssance. ⁁ ⁁ en un beau subiectsubject. ⁁
⁁ en un subiectsubject desiré.
Ny Venus autre chose
que lae plaisir a u deschar
descharger ses roignonsuasesvases:
qui deuientdevient uicieusvicieus ou
par immoderation ou
par indiscretion. Pour
Socrates l’amour est
appetit de generation
par l’entremise de la beautè.
Et considerant maintesfois, la ridicule titillation
de ce plaisir, par où il nous tient, les absurdes mouuemensmouvemens es-
ceruelezes-
cervelez & estourdis, dequoy il agite Zenon & Cratippus,: cCé-
te rage indiscrette, ce visage enflammé de fureur & de cruau-
té, au plus doux effect de l’amour, &Et puis cette morgue grauegrave,
seueresevere, & ecstatique, en vneune actiōaction si fole, ⁁
⁁ Et qu’on aye logé
pesle mesle nos delices
& nos ordures ensemble.
&Et que la supreme vo-
lupté, aye du transy & du plaintif, cōmecomme la douleur, ieje crois qu’il
on se iouejoue de nous,est uraivrai comece que dict Platon que l’home est le iouetjouet des Dieus
quaaenam ista iocandi
Saeuitia?
&Et que c’est par industriemoquerie, que nature nous à laissé la plus trou-
ble de nos actiōsactions, la plus commune,: pour nous esgaller par là,
& apparier les fols & les sages,: & nous & les bestes. Le plus cō-
templatifcon-
templatif, & prudent, homme, quand ieje l’imagine, en cette
assiette, ieje le tiens pour vnun affronteur, de faire le prudent, & le
contemplatif: cCe sont les pieds du paon, qui abbatent son or-
gueuil,.
Rridentem dicere verum, r fin de uersvers / en ça
Quid vetat? ⁁
⁁ Ceus qui parmi les
ieusjeus refusent les opinions
serieuses font ⁁ ⁁ dict quelcun come
celuy qui creint
d’adorer la statue d’un sainct
si ell’est sans dauantieredavantiere
Nous mangeons bien & beuuonsbeuvons comme les bestes, mais ce
ne
LIVRE TROISIESME.385393
ne sont pas actions, qui empeschent les operations de nostre
ame. En celles-là, nous gardons nostre auantageavantage sur elles: cCet-
te-cy met toute autre pensée soubs le iougjoug, aAbrutit & abestit
par son imperieuse authorité, toute la theologie & philoso-
phie qui est en PlatōPlaton,. &Et si il ne s’en plaint pas. Par tout ailleurs,
vous pouuezpouvez garder quelque decence,. tToutes autres operatiōsoperations
souffrent des reigles d’honnesteté,. cCette-cy ne se peut pas seu-
lement imaginer, que vitieuse ou ridicule: tTrouueztTrouvez y pour-
uoirpour-
voir vnun proceder sage & discret. Alexandre disoit qu’il se cō-
noissoitcon-
noissoit principallemētprincipallement mortel, par cette action, & par le dor-
mir: lLe sommeil suffoque & supprime les facultez de nostre a-
me,. lLa besongne les absorbe & dissipe de mesme. Certes c’est
vneune marque non seulement de nostre corruption originelle:,
mMais aussi de nostre vanité & deformité. D’vnun costé nature
nous y pousse, ayant attaché à ce desir, la plus noble, vtileutile, &
plaisante de toutes ses operatiōsoperations,: &Et là nous laisse d’autre part,
accuser & fuyr, comme insolente & deshonneste, eEn rougir &
recommander l’abstinence. ⁁
⁁ Somes nous pas
bien brutes d’ap de
nomer brutale l’ope=
ration qui nous faict?
Les peuples, és religions, se sont
rencontrez en plusieurs conuenancesconvenances, comme sacrifices, lumi-
naires, encensements, ieunesjeunes, offrandes, & entre autres, en la
condemnation de cette action. Toutes les opinions y vien-
nent, outre l’vsageusage si estendu des circoncisions.⁁ ⁁ du tronçonement du prepuce ⁁ qui en est une punition. Nous auonsavons à
l’auantureavanture raison, de nous blasmer, de faire vneune si sotte produ-
ction que l’homme, d’appeller l’action honteuse, & hōteuseshonteuses
les parties qui y seruentservent. ⁁
⁁ (asteure sont les
mienes proprement
honteuseset) bien et
peneuses).peneuses) Mais lLes
Esseniens come dict ⁁
Pline ont ils pas reson de
chasser toutefuient les fames d’entre
eus et fuir d’engendrer des
homes: nation qui aōtont dure
pourtant plus de mille ans
parde l’abbort d’autres homes
de leur humeur qui
continuelemātcontinuelemant se uontvont ran
ranger a eus des
estrangiers: sans bastir
un sul nouuelnouvel home de quoi parle
Pline me plaisoint se meintenant
plusieurs siecles de l’abbort des estrangiers qui
suiuanssuivans cette belle humur se rangeoint cōtinuellemātcontinuellemant a eus
plusieurs siecles fuians tout
ēbrassemantembrassemant feminin sans nourrisse
sans maillol sans forger un sul home
nouueaunouveau.
⁁ de quoi parle Pline me plaisoint se meintenantoint
sans nourrisse sans maillol
plusieurs siecles de l’abbort des
estrangiers qui continuelemētcontinuelement
suiuanssuivans cette belle humeur se rangeoint
continuellemātcontinuellemant a eus
Aiant toute une nation
hasardé de se perdres’exterminer plus tost que
de s’engager a un embrassement
feminin. Et de perdre la suite
des homes plus tost que d’en forger
un. Ils disent que Zenon ne tasta den’eut affaire a fame
qu’une fois en sa vie: Et que ce fut par ciuilitécivilité, pour ne sembler dedaigner trop obstinement le sexe.
Chacun desdaignefuit à le voir naistre,
chacun courtsuit à le voir mourir & enseuelirensevelir⁁
⁁ Pour le perdredestruire on cherche un champ plein grandspatieus en pleine
lumiere: pour le construire on se musse dans q un creus tenebreus
et contreint
. C’est le deuoirdevoir, de
se cacher et rougir pour le faire, & c’est gloire, & naissent plusieurs ver-
tus, de le sçauoirsçavoir deffaire. L’vnun est iniureinjure, l’autre est faueurfaveur:grace. cCar
Aristote dict, que bonifier quelqu’vnun, c’est le tuer, en certaine
frase de son pays. ⁁
⁁ Les Atheniens pour apparier la desfaueurdesfaveur de
ces duesdeus actions aiant a mundifier lisde lisle de
Delos et se iustifierjustifier enuersenvers Apollo defandirent au
pourpris d’icelle tout enterrement et tout enfantement
pareillement.ensamble.
Nostri nosmet poenitet. Nous accusons en mil-
le choses, les conditions de nostre estre.nous uolonsvolons mal
Nous estimons a uicevice nostre estre. Il y a des nations qui
se couurentcouvrent en mangeant. IeJe sçay vneune dame, & des plus gran-
GGGGg
ESSAIS DE M. DE MONTA.
des en toute sorte de grandeur, qui a cette mesme opinion, que
cest vneune contenance desagreable, de macher, qui rabat beau-
coup de leur grace, & de leur beauté: &Et ne se presente pas vo-
lōtiersvo-
lontiers en public auecavec appetit. Et sçay vnun homme, qui ne peut
souffrir de voir manger, ny qu’on le voye, & fuyt toute assi-
stance, plus quand il s’emplit, que s’il se vuide. ⁁
⁁ En lempirel’empire du Turc il se uoitvoit
grand nombre d’homes qui pour
exceller sur les autres ne se laissētlaissent
iamaisjamais uoirvoir quand ils fōtfont leurs
repas n’en font qu’un qui n’en
font qu’un la sepmeine qui
se dechiquetent & decoupent
la face & les mēbresmembres qui ne
parlent iamaisjamais a persone
Toutes gens qui pensent honorer
leur nature en se desnaturant
qui se prisent de leur mespris &
s’amandent de leur empirement.
Quel ⁁ ⁁ monstrueus animal
desnaturé, qui se fait horreur à soymesme.⁁ ⁁ a qui ses plaisirs poisent: qui se tient a malheur. Il y en a qui cachētcachent
leur vie,
Exilióque domos & dulcia limina mutant,
& la desrobent de la veuë des autres hommes: qQui euitentevitent la
santé & l’allegresse, cōmecomme, qualitez ennemies & dommagea-
bles. Non seulement plusieurs sectes, mais plusieurs peuples,
maudissent leur naissance & benissētbenissent leur mort. ⁁
⁁ Il en est ou le soleil
est abominé: les tenebres
adorees.
Nous ne som-
mes ingenieux qu’a nous mal mener: cC’est le vray gibbier de
la force de nostre esprit: dangereus util en desreglement.
O miseri quorum gaudia crimen habent.
Hé pauurepauvre homme, tu as assez d’incommoditez naturellesnecesseres,
sans les augmenter par ton inuentioninvention: &Et éses assez miserable de
conditiōcondition, sans l’estre par art: tTu as des laideurs reelles & essen-
tielles à suffisance, sans en forger d’imaginaires. ⁁
⁁ TrouuesTrouves tu que tu sois
trop a ton aise si tu ne prens
a desplaisir ton aise ton aise
ne te uientvient a desplaisir
TrouuesTrouves tu
que tu ayes remply tous les offices necessaires, à quoy nature
t’engage, & qu’elle soit ⁁ manque et oisiueoisive chez toy, si tu ne t’obliges à nou-
ueauxnou-
veaux offices? Tu ne crains point d’offencer ses loix vniuer-
sellesuniver-
selles & indubitables, & te piques aux tiennes partisanes &
fantastiques: &Et d’autātautant plus qu’elles sont particulieres ⁁ ⁁ incerteines & plus
contredictes, d’autant, plus, tu fais là ton effort: ⁁ ⁁ Les regles positiuespositives de ton inuantioninvantion t’occupent et atachent et les regles de ta parroisse: Celles de Dieu et du monde ne te touchēttouchent pouītpouint. cCourts vnun peu
par les exemples de cette consideration,: ta vie en est toute. Les
vers de ces deux poëtes, traitant ainsi reseruéementreservéement & discret-
tement de la lasciuetélasciveté, comme ils font, me semblētsemblent la descou-
urirdescou-
vrir & esclairer de plus pres. Les dames couurētcouvrent leur sein d’vnun
reseu, les prestres plusieurs choses sacrées, les peintres ombra-
gent leur ouurageouvrage, pour luy donner plus de lustre,: &Et dict-on
LIVRE TROISIESME.386394
que le coup du Soleil & du vent, est plus poisant, par reflexiōreflexion
qu’à droit fil. L’AEgyptien respondit sagement à celuy qui luy
demandoit, que portes tu là, caché soubs ton manteau? Il est
caché soubs mon manteau, affin que tu ne sçaches pas que
c’est: mMais il y à certaines autres choses qu’on cache, pour les
montrer. Oyez cet autretuila plus ouuertouvert,
Et nudam pressi corpus adúsque meum.:
IiIl me semble qu’il me chapone. Que Martial retrousse Venus
à sa poste, il n’arriuearrive pas à la faire paroistre si entiere. Celuy qui
dict tout, il nous saoule & nous desgouste. Celuy qui craint à
s’exprimer, nous achemine à en penser plus qu’il n’en y a. Il y
a de la trahison en cette sorte de modestie,: &Et notamment
nous entr’ouurantouvrant, comme font ceux cy, vneune si belle route à
l’imagination: &Et l’action & la peinture doiuentdoivent sentir aule
larrecin. L’amour des Espagnols, & des Italiens, plus respe-
ctueuse & craintifuecraintifve, plus mineuse & couuertecouverte me plaist. IeJe
ne sçay qui, anciennement, desiroit le gosier allongé comme
le col d’vneune gruë, pour gouster plus long temps ce qu’il aual-
loitaval-
loit. Ce souhait est mieux à propos en cette volupté, viste &
precipiteuse: mMesmes à telles natures comme est la mienne,
qui suis vitieux en soudaineté. Pour arrester sa fuitte, & l’e-
stendre en preambules, entre eux tout sert de faueurfaveur & de re-
compense,: vneune oeillade, vneune inclination, vneune parolle, vnun si-
gne. Qui se pourroit disner de la fumée du rost, feroit-il pas
vneune belle espargne? C’est vneune passion qui mesle à bien peu
d’essence solide, beaucoup plus de vanité & resuerieresverie fieureusefievreuse:
iIl la faut payer & seruirservir de mesme. Apprenons aux dames à
se faire valoir, à s’estimer, à nous amuser, & a nous piper. Nous
faisons nostre charge extreme la premiere: iIl y a tousiourstousjours de
l’impetuosité françoise. Faisant filer leurs faueursfaveurs, & les estal-
lant en detail, chacun iusquesjusques à la vieillesse miserable, y trou-
uetrou-
ve quelque bout de lisiere, selon son vaillant & son merite.
GGGGg ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Qui n’a iouyssancejouyssance, qu’en la iouyssancejouyssance, qui ne gaigne que du
haut poinct, qui n’aime la chasse qu’en la prinse, il ne luy ap-
partient pas de se mesler à nostre escole. Plus il y à de marches
& degrez, plus il y a de hauteur & d’honneur au dernier sie-
ge. Nous nous deurionsdevrions plaire d’y estre conduicts, comme il
se faict aux palais magnifiques, par diuersdivers portiques, & passa-
ges, longues & plaisantes galleries, & plusieurs destours. Cette
dispensation reuiendroitreviendroit à nostre commodité: nNous y arreste-
rions, & nous y aymerions plus long temps: sSans esperance, &
sans desir, nous n’allons plus qui vaille: nNostre maistrise &
entiere possession, leur est infiniemētinfiniement à craindre: dDepuis qu’el-
les sont du tout rendues à la mercy de nostre foy, & constan-
ce, elles sont ⁁ mal:un peu bien hasardees. cCe sont vertus rares & difficiles: sSoudain
qu’elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles.:
postquam cupidae mentis satiata libido est,
Verba nihil metuere, nihil periura curant. ⁁
⁁ un peu bien hasar=
dees: Et Thrasominidez
au temps passeEt Thrasonidez iunejune home
grec fut si amoureus de son
amour qu’il refusa aiant
gaigne lale ceur d’une fame
qu’il aimoit fort refusade sa maistresse
dend’en iouirjouir l’aiantla tenant en sa
puissance, pour n’amortir
cette ardur uiuevive de son
amitie enuersenvers elle,
ressasier et affoiblir
allanguir par la
satiete & iouissancejouissance cette
ardur uiuevive de son amitie
enuersenvers elleinquiete de la quelle il se
glorifioit & paissoit
La cherté donne goust à la viande. Voyez combien la forme
des salutations, qui est particuliere à nostre nation, abastardit
par sa facilité, la grace des baisers, lesquels Socrates dit estre si
puissans & dangereux à voler nos cueurs. C’est vneune desplai-
sātedesplai-
sante coustume, & iniurieuseinjurieuse aux dames, d’auoiravoir à prester leurs
léureslévres, à quiconque à trois valets à sa suitte, pour mal plaisant
qu’il soit,
Cuius liuida naribus caninis,
Dependet glacies rigétque barba:
Centum occurrere malo culilingis.
Et nous mesme n’y gaignons guere: cCar comme le monde
se voit party, pour trois belles, il nous en faut baiser cinquante
laides: &Et à vneune estomac tendre, comme sont ceux de mōmon aage,
vnun mauuaismauvais baiser en surpaie vnun bon. Ils font les poursuyuanspoursuyvans
en Italie, & les transis, de celles mesmes qui sont à vendre,: &
LIVRE TROISIESME.387395
se defendent ainsi: qQu’il y a des degrez en la iouyssancejouyssance, & que
par seruicesservices ils veulent obtenir pour eux, celle qui est la plus
entiere. Elles ne vendent que le corps, la volonté ne peut estre
mise en vente, elle est trop libre & trop sienne: aAinsi ceux cy
disent, que c’est la volonté qu’ils entreprēnententreprennent,: & ont raison.
C’est la volonté qu’il faut seruirservir & practiquer. IJ’ay horreur
d’imaginer mien, vnun corps priuéprivé d’affectiōaffection. Et me semble que
cette rageforcenerie, est voisine à celle de ce garçon, qui alla sallir par a-
mour, la belle image de Venus que Praxiteles auoitavoit faicte:
oOu de ce furieux AEgyptien eschauffé apres la charongne d’v-
neu-
ne morte qu’il embaumoit & ensueroit: lLequel donna occa-
sion à la loy, qui fut faicte dépuis en AEgypte, que les corps
des belles & ieunesjeunes femmes, & de celles de bonne maison, se-
royent gardez trois ioursjours, auantavant qu’on les mit entre les mains
de ceux qui auoyentavoyent charge de prouuoirprouvoir à leur enterrement.
Periander fit plus monstrueusement, qui estendist l’affection
coniugaleconjugale (plus reiglée & legitime) à la iouyssancejouyssance de Melissa
sa femme trespassée. ⁁
⁁ Ne semble ce pas estre
un’humeur lunatique
de la Lune ne pouuantpouvant
autrement iouirjouir de
Endymion son mignōmignon
l’aler endormir pour
plusieurs mois come n
rat et se paistre de la
iouissancejouissance d’un garçon
qui ne se remuoit qu’en
songe.
IeJe dis pareillement, qu’on ayme vnun corps
sans ame ⁁ ⁁ ou senssans sentiment, quand on ayme vnun corps sans son consentement, &
sans son desir. Toutes iouyssancesjouyssances ne sont pas vnesunes: iIl y a des
iouyssancesjouyssances ethiques & languissantes: mMille autres causes que
la bien-veuillance, nous peuuentpeuvent acquerir cet octroy des da-
mes: cCe n’est suffisant tesmoignage d’affectiōaffection: iIl y peut eschoir
de la trahison, comme ailleurs: eElles n’y vont par fois que d’v-
neu-
ne fesse,
tanquam thura merumque parent:
absentem marmoreamue putes.
IJ’en sçay qui ayment mieux prester cela, que leur coche,. &Et qui
ne se communiquent, que par la: iIl faut regarder si vostre cō-
paigniecom-
paignie leur plaist pour quelque autre fin encores,: ou pour
celle la seulement, comme d’vnun gros garson d’estable: eEn quel
rang & à quel pris vous y estes logé,
GGGGg iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tibi si datur vni
Quo lapide illa diem candidiore notet.
Quoy, si elle mange vostre pain, à la sauce d’vneune plus agreable
imagination?
Te tenet, absentes alios suspirat amores.
Comment? auōsavons nous pas veu quelqu’vnun en nos ioursjours, s’estre
seruyservy de cette action, à l’vsageusage d’vneune horrible vengence, pour
tuer par la, & empoisonner, comme il fit, vneune honneste fem-
me. Ceux qui cognoissent l’Italie, ne trouueronttrouveront iamaisjamais estrā-
geestran-
ge, si pour ce subiectsubject, ieje ne cerche ailleurs des exemples. Car
cette nation se peut dire regente du reste du monde en cela.
Ils ont plus communement des belles femmes, & moins de
laydes que nous: mMais des rares & excellentes beautez, ij’esti-
me que nous allons à pair. Et en iugejuge autātautant des espris: dDe ceux
de la commune façon, ils en ont beaucoup plus, & euidem-
mentevidem-
ment la brutalité y est sans comparaison plus rare: dD’ames sin-
gulieres & du plus haut estage, nous ne leur en deuonsdevons
guererien. Si ij’auoisavois à estendre cette similitude,: il me sembleroit
pouuoirpouvoir dire de la vaillance, qu’au rebours, elle est au pris
d’eux, populaire chez nous, & naturelle: mMais on la voit par
fois, en leurs mains, si plaine & si vigoreuse, qu’elle surpasse tous
les plus roides exemples que nous en ayons. Les mariages de
ce pays la, clochent en cecy: lLeur coustume donne commu-
nement la loy si rude aus femmes & si serueserve, que la plus esloi-
gnée accointance auecavec l’estranger, leur est autant capitale que
la plus voisine. Cette loy faict, que toutes les approches se rē-
dentren-
dent necessairement substantieles,: &Et puis que tout leur re-
uientre-
vient à mesme compte, elles ont le chois bien aysé. ⁁
⁁ Et ont elles brisé
ces cloisons, croïes
qu’elles font feu:
Luxuria ipsis uinculis
sicut fera bestia
irritata, deinde emissa.
Il leur faut
vnun peu lácher les resnes.,
Vidi ego nuper equum contra sua frena tenacem
Ore reluctanti fulminis ire modo.
On alanguit le desir de la compaignie, en luy donnant quel-
LIVRE TROISIESME.388396
que course & quelque liberté. Ayant tant de pieces à mettre
en communication, on les achemine à y employer tousiourstousjours
la derniere, puisque c’est tout d’vnun pris. Nous courons à peu
pres mesme fortune. Ils sont trop extremes en contrainte,
nous en licence. C’est vnun bel vsageusage de nostre nation, que aux
bonnes maisons, nos enfans soyent receuz, pour y estre nour-
ris & esleuezeslevez ⁁ ⁁ pages, cōmecomme en vneune escole de noblesse. Et est discour-
toisie, dict-on, & iniureinjure, d’en refuser vnun gentil’homme. IJ’ay
aperçeu, car autant de maisons autant de diuersdivers stiles & for-
mes, que les dames qui ont voulu donner aux filles de leur
suite, les reigles plus austeres, n’y ont pas eu meilleure fortune.aduantureadvanture.
Il y faut de la moderation: iIl faut laisser bonne partye de leur
conduite, à leur propre discretion: cCar ainsi comme ainsi, n’y
a il discipline qui les sçeut brider de toutes parts. Mais il est
bien vray, que celle qui est eschappée bagues sauuessauves, d’vnun es-
colage libre, aporte bien plus de fiance ⁁ de soy., que celle qui sort sai-
ne, d’vneune escole seueresevere & prisonniere. Nos peres dressoyent la
cōtenancecontenance de leurs filles à la hōtehonte & à la crainte (les courages &
les desirs estoyētestoyent pareils) nous à l’asseurāceasseurance,: nous n’y enten-
dons rien. ⁁
⁁ C’est aus Sauromates
qui n’ont loi de coucher
aueqaveq home que de leurs mains
elles n’en aient tue un autre
en guerre.
A moy qui n’y ay droit que par les oreilles, c’est as-
sezsuffit si elles me retiennent pour le conseil, suyuantsuyvant le priuilegeprivilege
de mon aage. IeJe leur conseille donc ⁁ ⁁ come a nous l’abstinence, mais si ce
siecle en est trop ennemy, aumoins la discretion & la mode-
stie: ⁁
⁁ Car come dict le conte
d’Aristippus parlant a des
iunesjunes gens qui rougissoient
de le uoirvoir entrer ches une
courtisane: Le uicevice est de
n’en pouuoitpouvoit pas sortir non
pas d’y entrer.
qQui ne veut exempter sa conscience, qu’elle exempte son
nom: sSi le fons n’en vaut guiere, que l’apparence tienne bon.
IeJe louë la gradation & la longueur en la dispensation de leurs
faueursfaveurs. ⁁
⁁ En la dispance graeque
desAus endroits de la graece
ou estoint licites les amours des garçons et
Platon dict qu’ile les flateries
les poursuites les seruicesservices en
estoitent b estoint bien ueusveus
et fauorisezfavorisez la hastiuetéhastiveté a
se randre estoit ce neantmoins
descriee et condamnee: come
dict Platon: Platon dict que
es contrees de la graece ou a
quelque condition estimée
utile l’amour des garçons
estoit licite et ou les poursuites
les flateries les ueilleesveillees les seruicesservices
les passions estoint ueuesveues en pl publiq
de bon euil et fauorablefavorable: si la hastiuitehastivite
de cōplerecomplere et de se rendre estoit pourtātpourtantce neantmoins tresreprouueetresreprouvee
aus tenans et condamnee. Platon montre
qu’en toute espece d’amour le facilité
et promptitude est interdicte aus
tenans.
C’est vnun traict de gourmandise & de faim, laquelle il
faut qu’elles couurentcouvrent de toute leur art, de se rendre ainsi te-
merairement en gros, & tumultuairement. ⁁ ⁁ et sans cse doner loisir de nous reconoitre et iugerjuger. Se conduisant en
leur dispensatiōdispensation, ordonéement & mesuréement, elles pipent
bien mieux nostre desir, & cachent le leur. Qu’elles fuyent
tousiourstousjours deuantdevant nous,. iIejJe dis celles mesmes qui ont à se lais-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ser atraper. Elles nous battent mieux en fuyant, comme les
Scythes. De vray, selon la loy que nature leur donne, ce n’est
pas proprement à elles de vouloir & desirer: lLeur rolle est
souffrir, obeir, consentir: cC’est pourquoy nature leur à donné
vneune perpetuelle capacité,: à nous, rare & incertaine: eElles ont
tousiourstousjours leur heure, afin qu’elles soyent tousiourstousjours prestes à la
nostre. ⁁
-
⁁ pPati natae.
Et ou elle à voulu, que nos appetis eussent montre &
declaration prominante, ell’à faict que les leurs, fussent oc-
cultes & intestins, ⁁
⁁
&Et les à garniesfournies de pieces impropres a l’ostentation et simplement pour la defensi-
uedefensi-
ve. ⁁
⁁ Il faut laisser a la licence
Amazoniene pareils traicts
à cetuicy. Alexandre passant
par l’Hircanie Thalestris roine
des Amazones le uintvint trouuertrouver
aueqaveq trois cens gendarmes de son sexe:
bien montés et bien armez:
ayant laisse le demurant d’une
grosse armee qui la suiuoitsuivoit sur
au dela des uoisinesvoisines montaignes
Et luy dict ⁁ ⁁ tout haut et en publiq que le bruit de ses
histoires et de sa ualurvalur l’auoītavoint
menee la pour le uoirvoir, luy offrir
ses moiens et sa puissance au
secours de ses entreprinses. Et
que le treuuanttreuvant si beau iunejune
& uigorusvigorus, elle qui estoit
parfaicte en toutes ses qualites,
luy cōseilloitconseilloit qu’ils couchassētcouchassent
ensamble: affin qu’il nasquit
de la plus uaillantevaillante fame
du monde, et du plus uaillantvaillant
home qui fut lors uiuantvivant,
quelque chose de grand et de
rare apour laduenirl’advenir. Alexandre
la remercia du reste: mais
pour doner temps a l’acom=
plissemant de sa derniere
demande, il arreta trese ioursjours
en ce lieu qu’lesquels il festoia le plus
alegremant qu’il futpeut en
faueurfaveur d’une si corageuse
princesse.
Nous sommes quasi en tout iniques iugesjuges de leurs actiōsactions,
cōmecomme elles sont des nostres. IJ’aduoüeadvoüe la verité lors qu’elle me
nuict, de mesme que si elle me sert. C’est vnun vilain desreigle-
ment, qui les pousse si souuantsouvant au change, & les empesche de
fermir leur affection en quelque subiectsubject que ce soit: cComme
on voit de cette Deesse, à qui l’on donne tant de changemens
& d’amis. Mais si est-il vray, que c’est contre la nature de l’a-
mour, s’il n’est violātviolant, & contre la nature de la violance, s’il est
constant. Et ceux qui s’en estonnent, s’en escrient, & cerchent
les causes de cette maladie en elles, comme desnaturée &: mō-
strueusemon-
strueuseincroïable, que ne voyent ils, combien souuentsouvent ils la reçoyuentreçoyvent
en eux, sans espouuantementespouvantement & sans miracle. Il seroit à l’ad-
uenturead-
venture plus estrāgeestrange d’y voierveoir de l’arrest.: CcCe n’est pas vneune pas-
sion simplement corporelle.: SsSi on ne trouuetrouve point de bout
en l’auariceavarice, & en l’ambition, il n’y en à non plus en la paillar-
dise. Elle vit encore apres la satieté, &Et ne luy peut on prescrire
ny satisfaction cōstanteconstante ny fin, eElle va tousiourstousjours outre sa pos-
session.: EeEt si, l’inconstance leur est à l’aduentureadventure aucunement
plus pardonnable qu’a nous. Elles peuuentpeuvent alleguer comme
nous, l’inclination qui nous est commune à la varieté & à la
nouuelleténouvelleté: &Et alleguer secondement sans nous, qu’onelles acheteētacheteent
chat en poche,: ⁁
⁁ IaneJane Roine de Naples
feit estrangler Andreosse
son premier mari aus
grilles de sa fenestre a
tout un laz d’or & de soie
tissu de sa main propre: sur ce qu’aus corueescorvees matrimonialles elle ne luy trouuoittrouvoit ny les parties
ny les effors asses respondans a lesperancel’esperance qu’ell’en auoitavoit conceu a uoirvoir sa taille sa beaute
sa iunessejunesse et disposition par ou ell’auoitavoit estreesté prinse et abusee.
qQue l’actiōaction à plus d’effort que n’a la souffrance:
aAinsi, que de leur part, tousiourstousjours aumoins il est pourueupourveu à la
neces-
LIVRE TROISIESME.389397
necessité: dDe nostre part il peut aueniravenir autrement: ⁁
⁁ Platon ⁁ ⁁ a cette cause establit sagement
par ses loix que pour decider
de l’opportunite des mariages
les iugesjuges uoientvoient les garçons
qui y pretandētpretandent entieremētentierementtous fins
nuds et les filles nues iusquesjusques
a laau bas ceinture du uentreventre. a
la ceinture sulement.
eEn nous es-
sayant, elles ne nous trouuenttrouvent à l’aduentureadventure pas dignes de leur
chois.,
experta latus madidoque simillima loro
Inguina, nec lassa stare coacta manu,
Deserit imbelles thalamos.
Ce n’est pas tout que la volonté charrie droict. La foiblesse &
l’incapacité, rompent legitimement vnun mariage:
Et quaerendum aliunde foret neruosius illud,
Quod posset zonam soluere virgineam,
pPourquoy non, & selon sa mesure, vneune intelligēceintelligence amoureuse,
plus licentieuse & plus actiueactive?
si blando nequeat superesse labori.
Mais n’est-ce pas grādegrande impudence, d’apporter nos imperfe-
ctions & foiblesses, en lieu ou nous desirons plaire, & y laisser
bonne estime de nous & recōmandationrecommandation? Pour ce peu qu’il
m’en faut à cette heure,
ad vnum,
Mollis opus,
ieje ne voudrois importuner vneune personne d’honneur, que ij’ay
à reuererreverer & craindre.:
fuge suspicari,
Cuius heu denumundenum heu denumheu denum trepidauit aetas
Claudere lustrum.
Nature se deuoitdevoit contenter d’auoiravoir rendu cet aage misera-
ble, sans le rendre encore ridicule. IeJe hay, de le voir, pour vnun
pouce de chetiuechetive vigueur, qui l’eschaufe trois fois la semaine,
s’empresser & se gendarmer, de pareille aspreté, comme s’il a-
uoita-
voit quelque grande & legitime iournéejournée dans le ventre: vVnuUn
vray feu d’estoupe.⁁
⁁ : et admirae sa
cuisson si uiuevive et
fretillante:, si promp=
teen un
momant etsi lourdement
morte.congelee et esteinte. Cet
appetit ne deuroitdevroit
appartenir qu’a la
fleur d’une belle ieunjeun
ieunessejeunesse.
Fiez vous y, pour voir, à seconder cett’ar-
deur indefatigable, pleine, constante, & magnanime, qui est
en vous, il vous la lairra vrayement en beau chemin. RēuoiezRenvoiez
HHHHh
ESSAIS DE M. DE MONTA.
le hardiment plustost vers quelque enfance molle, estonnée,
& ignorāteignorante, qui tremble encore soubs la verge, & en rougisse.,
Indum sanguineo veluti violauerit ostro
Si quis ebur, vel mista rubent vbi lilia, multa
Alba rosa.
Qui peut attendre le lendemain, sans mourir de honte, le des-
dain de ces beaux yeux, consens de sa lácheté & imperti-
nence,
Et taciti fecere tamen conuitia vultus,
il n’a iamaisjamais senty le contētementcontentement & la fierté, de les leur auoiravoir
battus & ternis, par le vigoreux exercice d’vneune nuict officieu-
se & actiueactive. Quand ij’en ay veu quelqu’vneune s’ennuyer de moy,
ieje n’en ay point incontinent accusé sa legereté: ij’ay mis en
doubte si ieje n’auoisavois pas raison de m’en prendre à nature plu-
stost. Certes elle m’a traitté illegitimement & inciuilementincivilement.,
Si non longa, satis si non benè mentula crassa:
Nimirum sapiunt vidéntque paruam
Matronae quoque mentulam illibenter. ⁁
⁁ Chacune de mes pieces
me faict esgallement moi
que toute autre piece. Et me
fait mon portraict par par
touttout esgalemant, pour homeau publiq.
Et d’une lesion enormissime.
Chacune de mes pieces
me faict esgalemant moi
que toute autre. Et nulle
autre ne me faict plus
propremant home que cetecy.
IeJe dois au publiq uniuersellemantuniversellemant
mon portraict Et Platon ordone bienCe passage biffé sur Platon a été reporté ultérieuremet par montaigne au folio 397r.
ordone que les homes qui se ueulentveulent marier se
presantent aus iugesjuges tous nuds et les fames
iusquesjusques au dessous de la ceinture
La sagesse de ma leçon
est en ueritéverité en liberté
en essance, toute. Desdeig=
nant au rolle de ses uraisvrais
deuoirsdevoirs ces petites regles
feintes usuelles nationalesprouincialesprovinciales.
toute naturelle et locales, toute
uniuerselle.universelle. prouincialles.
Naturelle toute,
constante uniuerselleuniverselle.
De la quelle sont filles
mais bastardes la ciuilitécivilité
la ceremonie. Nous
aurons bien les uicesvices de
la contenancel’apparance quand
nous arons eu ceus de la
substancel’essance. Quand nous
aurons faict a ceus icy
nous courrons apres ceus la
sus aus autres si nous trou=
uonstrou=
vons qu’il y faille courir.
Car il y a dangier que
nous fantasions des
offices nouueausnouveaus pour
excuser nostre negli=
gence enuersenvers les natu=
rels offices ⁁
Suite de l’addition quelques lignes plus loin en marge basse.
⁁ et le pour les confondre. Qu’il soit einsin il se uoitvoit ⁁ ⁁ qu’es lieus ou les fautes sont malefices les malefices ne sont que fautes: eEt quesqu’es nations ou les loix de la bienseance sont plus
rares et laches les loix primitiuesprimitives et communes sont mieus obserueesobservees. L’innumerable multitude
de tant de deuoirsdevoirs suffoquant nostre soin l’alanguissant et dissipant. L’application
aus menueslegeres choses nous retire des pressantes. O que ces homes superficiels prenent une route facile
et plausible au pris de nous la nostre.
cCe s Ce sont ombrages superficiels de quoi nous
nous plastrons et entrepaïons. Mais nous n’en paions pas einçois en
rechargeons nostre debte enuersenvers ce grand iugejuge qui trousse nos paneaus et haillons
d’autour de nos parties honteuses et ne se feint point a nous uoirvoir par
tout iusquesjusques ⁁ ⁁ a nos intimes et plus secretes ordures. aen la moele. VtileUtile honte si elle luy pouuoitpouvoit defendre cette descouuertedescouvertela decence de nostre uirginalevirginale
nostre pudeur honteuse si elle luy pouuoitpouvoit interdire cette descouuertedescouverte. ⁁
Suite de cette addition tout en bas de la marge.
⁁ En fin, qui desniaiseroit l’home de cette’une si scrupuleuse superstition uerbaleverbale n’aporteroit
pas grande perte au monde. Nostre vie est partie en folie, partie en ⁁
Cette addition se poursuit sur le folio 398r, d’abord dans la marge basse, puis dans la marge haute.
⁁ sagesseprudance: qui n’en escrit que reueremmentreveremment et regulierement il en laisse en arriere plus de
la moitie ⁁
⁁ IeJe ne m’excuse pas enuersenvers moy: & si ieje le faisoy, ce seroit plustost de
mes excuses que ieje m’excuserois que de null’autre partie de ce traicté. IeJe m’excuse a certeines humeurs que ieje tiens plus
fortes en nombre que celles qui sont de mon costè. En leur consideration si dirai encores cecy: car ieje desire ⁁ ⁁ de contanter chacun (chose pourtant
tres difficile) de m’accommoder a chacun: esse unum hominem accommodatum ad tantam morum ac sermonum et uoluntatum
uarietatem: qu’ils n’ont a se prandre propremant a moi de ce que ieje fois dire aus authoritez receues et approuueesapprouvees de plusieurs siecles
Et que ce n’est pas raison qu’a faute de rime ils me refusent la dispance que mesmes des homes ecclesiastiques des nostres et
plus cretez iouissentjouissent en ce siecle.
En uoicivoici deus
Rimula dispeream ni mono=
gramma tua est
VnUn uitvit d’ami la contante et
bien traicte
Quoi tant d’autres? approuesapproves
SuiuonsSuivons. Pareillement Et si
cestc’est nature ceIJ’ayme la
modestie: et n’est par
iugementjugement que ij’ai choisi
cette sotrte de parler licentieusdesuergondedesvergonde
scandaleus c’est nature qui lal’a choisi
pour moy: ieje ne le loue
pas non plus que toutes
formes contreres a lusagel’usage
receu: mais ieje lexcusel’excuse &
par particulieres ⁁ ⁁ et generalles circons=
tances en allege l’accusation.
SuiuonsSuivons. Pareillement
SuiuonsSuivons Ma preface liminere montre que ieje n’esperois pas tant oser. Les plus sages et sains escris des antiens m’ont
enhardi. Et le receuil qu’on a faict a mon premier proietprojetdespuis enhardi Si que ieje me suis pique a rompre la glace et montrer a nos
aussi ste receuil qu’ont faict a ma proposition Et les praeceptes de nos maistres et leurs exemples portent que tout esprit dort qui par
fois ne se sent agite de quelque allegresse foliante
Aussi d’où peut venir cette vsurpationusurpation d’authorité souuerai-
nesouverai-
ne, que vous prenez sur celles, qui vous fauorisentfavorisent à leurs
despens?
Si furtiua dedit nigra munuscula nocte,
qQue vous en inuestissesinvestisses incontinent l’interest, la froideur, &
vneune auctorité maritale? cC’est vneune conuentionconvention libre, qQue ne
vous y prenez vous comme vous les y voulez tenir? ⁁ ⁁ Il n’y a point de prescription sur les choses uolonteresvolonteres. C’est cō-
trecon-
tre la forme, mMais il est vray pourtant, que ij’ay en mon temps
conduict ce marché, selon que sa nature peut souffrir, aussi
conscientieusement qu’autre marché, & auecavec quelque air de
iusticejustice: &Et que ieje ne leur ay tesmoigné de mon affection, que
ce que ij’en sentois, &Et leur en ay representé naïfuementnaïfvement, la
decadence, la vigueur, & la naïssance, les accez & les remises:
oOn n’y va pas tousiourstousjours vnun train. IJ’ay esté si espargnant à pro-
LIVRE TROISIESME.390398
mettre, que ieje pense auoiravoir plus tenu que promis, ny deu. El-
les y ont trouuétrouvé de la fidelité, iusquesjusques au seruiceservice de leur incō-
stanceincon-
stance: iIejJe dis inconstance aduouéeadvouée, & par foys multipliée. IeJe
n’ay iamaisjamais rompu auecavec elles, tant que ij’y tenois, ne fut que
par le bout d’vnun filet: &Et quelques occasions qu’elles m’en
ayent donné, n’ay iamaisjamais rompu iusquesjusques au mespris & à la
haine. Car telles priuautezprivautez, lors mesme qu’on les acquiert
par les plus vileshonteuses conuentionsconventions, encores m’obligent elles, à
quelque bien-veuillance. De cholere & d’impatience vnun peu
indiscrete, sur le poinct de leur ruses & desfuites, & de nos
contestations, ieje leur en ay faict voir par fois: cCar ieje suis de ma
complexion subiectsubject à des emotions brusques, qui nuisent
souuentsouvent à mes marchez, quoy qu’elles soyent legieres &
courtes. Si elles ont voulu essayer la liberté de mon iugemētjugement,
ieje ne me suis pas feint à leur donner des aduisadvis paternels &
mordāsmordans, & à les pinser où il leur cuysoit. Si ieje leur ay laissé à se
plaindre de moy, c’est plustost d’y auoiravoir trouuétrouvé vnun amour,
selonau pris de l’vsageusage moderne, sottement consciencieux. IJ’ay obser-
uéobser-
vé ma parolle, és choses dequoy on m’eut ayséement dispen-
sé: eElles se rendoyent lors par fois auecavec reputation, & soubs
des capitulations ceremonieuses, qu’elles souffroyent aysée-
ment estre faucées par le vaincueur. IJ’ay faict caler soubs l’in-
terest de leur honneur, le plaisir, en son plus grand effort, plus
d’vneune fois: &Et où la raison me pressoit, les ay armées contre
moy, sSi qu’elles se conduisoyent plus seurement & seueremētseverement,
par mes reigles, quand elles s’y estoyent franchement remises,
qu’elles n’eussent faict par les leurs propres. ⁁
⁁ IayJ’ay autant que
ij’ay peu chargé
sur moi sul le
hasard & de nos
assignations, pour
les en descharger
eEt ai dresse nos
parties tousiourstousjours
par le plus aspre
et inopiné et inesperé: pour estre
plus hors demoins en supçon,
et en outre par mon auisavis plus accessible. Ils sont ounuersounvers
principalemant par les endroits qu’ils tienent de soi couuerscouvers:
lLes choses moins creintes sont moins defandues & obserueesobservees:
oOn peut oser plus aiseemant ce que persone ne panse que
uousvous oserez, qui deuientdevient facile par sa difficulte.
IamaisJamais homme
n’eust ses approches plus impertinemment genitales. ⁁
⁁ Le dessein
d’engendrer doit
estre puremant
legitime.
Cette
voye d’aymer est plus selon la discipline, mMais combien elle
est ridicule ⁁
⁁ a nos gens
& peu effectuelle, qui le sçait mieux que moy? sSi
ne m’en viendra point le repentir: iIejJe n’y ay plus que per-
dre,
HHHHh ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
me tabula sacer
Votiua paries, indicat vuida,
Suspendisse potenti,
Vestimenta maris Deo.
Il est à cette heure temps d’en parler ouuertementouvertement. Mais tout
ainsi comme à vnun autre, ieje dirois à l’auantureavanture, mMōmMon amy tu res-
uesres-
ves, l’amour de ton temps à peu de commerce auecavec la foy &
la preud’hommie,
haec si tu postules
Ratione certa facere, nihilo plus agas,
Quam si des operam, vt cum ratione insanias:
aAussi au rebours, si c’estoit à moy à recommencer, ce seroit
certes le mesme train, & par mesme progrez, pour infru-
ctueux qu’il me peut estre. ⁁
-
⁁ L’insuffisance et la sottise
est louable en une action
meslouable.
Autant que ieje m’esloingne de
leur humeur en cela, ieje m’approche de la mienne. Au de-
meurant, en ce marché, ieje ne me laissois pas tout aller: iIejJe
m’y plaisois, mais ieje ne m’y oubliois pas: iIejJe reseruoisreservois en
son entier, ce peu de sens & de discretion, que nature m’a
donné, pour leur seruiceservice & pour le mien: vVnuUn peu d’esmo-
tion, mais point de resuerieresverie. Ma conscience s’y engageoit
aussi, iusquesjusques à la desbauche & dissolution, mMais iusquesjusques à l’in-
gratitude, trahison, malignité, & cruauté, non. IeJe n’achetois
pas le plaisir de ce vice à tout pris: &Et me contentois de son
propre & simple coust. ⁁
-
⁁ Nullum intra se
uitium est.
IeJe hay quasi à pareille mesure vneune oy-
siuetéoy-
siveté croupie & endormie, comme vnun embesongnement
espineux & penible. L’vnun me pince, l’autre m’assopit: iIjJ’ay-
me autant les blesseures, comme les meurtrisseures, & les
coups trenchans, comme les coups orbes. IJ’ay trouuétrouvé en
ce marché, quand ij’y estois plus propre, vneune iustejuste modera-
tion entre ces deux extremitez. L’amour est vneune agitation
esueilléeesveillée, viuevive, & gaye: iIejJe n’en estois ny troublé, ny affligé,
LIVRE TROISIESME.391399
mMais ij’en estois eschauffé & encores alteré: iIl s’en faut arrester
là: eElle n’est nuisible qu’aux fols. VnUn ieunejeune homme, demādoitdemandoit
au philosophe Panetius, s’il sieroit bien au sage d’estre amou-
reux: lLaissons là le sage, respondit-il, mais toy & moy qui ne le
sommes pas, ne nous engageons en chose si esmeuë & violen-
te, qui nous esclaueesclave à autruy, & nous rende contemptibles à
nous. Il disoit vray,. qQu’il ne faut pas fier chose de soy si preci-
piteuse, à vneune ame qui n’aie dequoy en soustenir les venues,. &Et
dequoy rabatre par effect la parole d’Agesilaus, que la prudē-
cepruden-
ce & l’amour ne peuuentpeuvent ensemble. C’est vneune vaine occupa-
tion,. iIl est vray, messeante, honteuse, & vitieuseillegitime: mMais à la con-
duire en cette façōfaçon, ieje l’estime salubre,: propre à desgourdir vnun
esprit, & vnun corps poisant: &Et cōmecomme medecin, l’ordonnerois a
vnun hōmehomme de ma forme & condition, autant volontiers qu’au-
cune autre recepte, pour l’esueilleresveiller & tenir en vigueurforce bien a-
uanta-
vant dans les ans, & le retarder des prises de la vieillesse. Pen-
dant que nous n’en sommes qu’aux fauxbourgs, que le pouls
bat encores,
Dum noua canities, dum prima & recta senectus,
Dum superest Lachesi quod torqueat, & pedibus me
Porto meis, nullo dextram subeunte bacillo,
nons auōsavons besoing d’estre sollicitez & chatouillez, par quel-
que agitation mordicante, comme est cette-cy. Voyez com-
bien elle à rendu de ieunessejeunesse, de vigueur, & de gaieté, au bon
hommesage Anacreon. Et Socrates plus vieil que ieje ne suis, par-
lant d’vnun subiectsubjectobiectobject amoureux: mM’estant, dict il, appuyé contre
son espaule de la mienne, & approché ma teste à la sienne, ain-
si q̄que nous regardiōsregardions ensemble dans vnun liurelivre, ieje senty sans mētirmentir,
soudain vneune piqueure dāsdans l’espaule, comme de quelque mor-
sure de beste, &Et fus plus de cinq ioursjours depuis, qu’elle me four-
milloit,. &Et m’escoula dans le coeur vneune demangeaison conti-
HHHHh iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
nuelle. VnUn attouchement, & fortuite, & par vneune espaule, aller
eschauffer, & alterer vneune ame refroidie, & esneruéeesnervée par l’aage,
&Et la premiere de toutes les humaines, en regle, & en reforma-
tion. ⁁
⁁ Pourquoi non dea:
Socrates estoit home:
& ne uouloitvouloit ny estre
ny sembler autre chose.
La philosophie n’estriueestrive guerespoint contre les voluptez na-
turelles, pourueupourveu que la reglemesure y soit ioinctejoincte: ⁁ ⁁ et en presche la temperance non l’abstinance.moderation non la disettefuite lL’effort de sa resi-
stance, s’employe contre les estrangeres & bastardes. Elle dict
que les appetits du corps, ne doiuentdoivent pas estre augmentez par
l’esprit,. &Et nous aduertitadvertit ingenieusement, ⁁
⁁ de ne uouloirvouloir point
esueilleresveiller nostre faim
par la saturitè: dDe
ne uouloirvouloir quepas sulementque que farcir
au lieu de remplir le
ventre. dD’euitereviter toute
subietsubjet de iouissācejouissance
qui nous mete en
disette. eEt
d’euitereviter toute vian-
de & boisson, qui nous altere, & qui nous affame: c’est à dire
qui nous face desirer nouuellenouvelle faim. Comme au seruiceservice de l’a-
mour, ⁁ ⁁ elle nous ordone de prendre vnun obiectobject qui satisface simplement au be-
soing du corps, qQui n’esmeuueesmeuve point l’ame,: lLaquelle n’en doit
pas faire son faict, maisains suyuresuyvre nuement & assister le corps.
Mais ay-ieje pas raison d’estimer q̄que ces preceptes, qui ont pour-
tant d’ailleurs, selōselon moy, vnun peu de rigueur, & d’inhumanité,
regardent vnun corps qui face son office,: &Et qu’à vnun corps abattu
comme vnun estomac prosterné, il est excusable de le rechauffer
& soustenir par art:. &Et par l’entremise de la fantasie, luy faire
reuenirrevenir l’appetit & l’allegresse, puis que de soy il l’a perdue.
PouuonsPouvons nous pas dire, qu’il n’y à rien en nous, pendant cette
prison terrestre, purement, ny corporel, ny spirituel,: &Et que
iniurieusementinjurieusement nous ⁁ ⁁ dessirons desmembronspieçonsdeschirons vnun homme tout vif: &Et
qu’il semble y auoiravoir raison, que nous nous portions enuersenvers
l’vsageusage du plaisir, autantaussi fauorablementfavorablement, aumoins, que nous
faisons enuersenvers la douleur. Elle estoit (pour exemple) vehemē-
tevehemen-
te, iusquesjusques à la perfection, en l’ame des saincts par la poeniten-
ce,: lLe corps y auoitavoit naturellement part, par le droict de leur
colligance,: &Et si pouuoitpouvoit auoiravoir peu de part à la cause: sSi ne se
sont ils pas contentez qu’il suyuitsuyvit nuement, & assistat l’ame
affligée,: iIls l’ont affligé luy mesme, de peines atroces & propres,.
aAffin qu’à l’enuyenvy l’vnun de l’autre, l’ame & le corps, plongeassent
l’homme dans la douleur, d’autant plus salutaire, que plus as-
LIVRE TROISIESME.392400
pre. ⁁
Cette addition commençait primitivement au niveau du signe d’insertion biffé (addition située dans la marge droite). Elle a été augmentée dans un second temps dans la marge haute.
⁁ En pareil cas, aux plaisirs corporels, est-ce pas iniusticeinjustice d’en refroidir l’ame, & dire, qu’il l’y
faille entreiner com’a quelque obligation et necessite contreinte et seruileservile. C’est a elle plus tost de
les couuercouver et fomenter: de s’y presanter et conuierconvier: la charge de regir luy apartenant. Come c’est
aussi a mon auisavis a elle de aus plaisirs qui luy sont propres d’en inspirer ent infondre t au corps tout le
ressentiment que porte leur condition et de s’estudier qu’ils luy s luy soint dous et saluteres. Car
tout einsi come ⁁ C’c’est bien raison come
ils disent que le corps ne
suiuesuive point ses appetits au
domage due corpsl’esperit mais
pourquoi n’est ce pas aussi
raison que l’esperit ne suiuesuive
s’exerce pointpas les siens au domage
du corps.
IeJe n’ay point autre passion qui m’exerceme tiene en halaine. Ce que l’auariceavarice,
l’ambition, les querelles, les procés, font à l’endroit des autres,
qui comme moy, n’ont point de vacation assignée, l’amour
le feroit plus commodéement: iIl me rendroit la vigilance, la
sobrieté, ⁁ ⁁ la grace le soing de ma personne: rR’asseureroit ma contenan-
ce, à ce que les grimaces de la vieillesse,: ces grimaces diffor-
mes & pitoiables, ne vinssent à la corrompre: ⁁
⁁ Me remetteroit aus estudes
sains et sages par ou ieje me
peusse randre plus estimé
et plus aime: ostant a mon
esperit le desespoir de soi &
de son usage et le r’acouintātr’acouintant
a soy luy et clarifiant soy
mMe diuertiroitdivertiroit
de mille pensées ennuyeuses, ⁁ ⁁ de mille chagreins melancholiques que l’oisiuetéoisiveté nous charge en tel
aage: ⁁ ⁁ et le pi mauuesmauves estat de nostre sante. rReschauferoit, aumoins en songe, ce sang que nature a-
bandonne: sSoustiendroit le menton, & allongeroit vnun peu l’a-
laineles nerfs et la uigeurvigeur de l’ame et son allegresse de l’ame, à ce pauurepauvre homme, qui s’en va le grand train vers sa rui-
ne. Mais ij’entens bien, que c’est vneune commodité bien malai-
sée à recouurerrecouvrer: pPar foiblesse, & longue experience, nostre
goust est deuenudevenu plus tendre & plus exquis: nNous demandōsdemandons
plus, lors que nous aportons moins,: nNous voulōsvoulons le plus choi-
sir, lors que nous meritons le moins d’estre acceptez: nNous co-
gnoissans tels, nous sommes moins hardis, & plus deffiāsdeffians: rRien
ne nous peut asseurer d’estre aymez, sçachants nostre condi-
tion & la leur. IJ’ay honte de me trouuertrouver parmy cette verte &
bouillante ieunessejeunesse,
Cuius in indomito constantior inguine neruus,
Quam noua collibus arbor inhaeret:.
Qu’iriōsirions nous presenter nostre misere parmy cette allegresse?
Possint vt iuuenes visere feruidi
Multo non sine risu,
Dilapsam in cineres facem.
Ils ont la force & la raison pour eux, fFaisons leur place, nous
n’auonsavons plus que tenir. ⁁
⁁ Et cete fleur germe de beauté
naissante et affetee ne se
laisse manier a mains si
gourdes & pratiquer a
moiens purs materiels.
Car come respōditrespondit ce
philosofe antien a celuy
qui se moquoit de quoy
il n’auoitavoit sceu gaigner
la bone grace d’un tendron
qu’il pourchassoit. Mon
amy le hameçon ne mord
pas a du caillé fromage si
fraiz
Or c’est vnun commerce qui a besoin de
relation & de correspondance: lLes autres plaisirs que nous re-
ceuonsre-
cevons, se peuuentpeuvent recognoistre par recompenses de nature
diuersediverse: mMais cettuy-cy, ne se paye que de mesme espece de
monnoye. ⁁
⁁ En ueritèveritè en
ce desduit le
plaisir que ieje fois chatouille plus
doucement mon imagination que
celuy que ieje sens
Or celuycil n’a rien de genereux, qui ne peut receuoirrecevoir
ESSAIS DE M. DE MONTA.
plaisir où il n’en donne point: cC’est vneune vile ame, qui veut tout
deuoirdevoir, &Et qui se plaist de nourrir de la cōferenceconference, auecavec les per-
sonnes ausqueles il est en charge. Il n’y à beauté, ny grace, ny
priuautéprivauté si exquise, qu’vnun galātgalant homme deut desirer à ce prix.
Si elles ne nous peuuentpeuvent faire du bien q̄que par pitié, ij’ayme bien
plus cher ne viurevivre point, que de viurevivre d’aumosne. IeJe voudrois
auoiravoir droit de le leur demander, au stile auquel ij’ay veu que-
ster en Italie. Fate ben per voi. ⁁
-
⁁ Ou a la modeguise que
Cyrus enhortoit ses
soldats. Qui s’aimera
si me suiuesuive.
Raliez vous me dira l’ōon,
à celles de vostre condition, que la compaignie de mesme fortune vous ren-
dra plus aisées. O le sot pasle meslangela sotte composition & insipide!
nolo
Barbam vellere mortuo leoni,. ⁁
⁁ Xenophon se seruoitservoitēploieemploie pour
d’obiectionobjection & accusation
a l’encontre de Menon
qu’ilen emploiat son amour
enuersenversil enbesouignat des obiectsobjects qui
passointant fleur. IeJe
treuuetreuve plus de
uoluptevolupte a sulemētsulement
uoirvoir le iustejuste et dous
meslange de deus
iunesjunes beaultes ou a le
sulement considerer par
fantasie qu’a faire
moimesmes le secont
d’un meslange triste
et informe.
IeJe resigne cet appetit fantastique, à l’Empereur Galba, qui ne
s’adonnoit qu’aux chairs dures & vieilles,: &Et à ce pauurepauvre mi-
serable,
O ego di’ faciant talem te cernere possim,
Charáque mutatis oscula ferre comis,
Amplectique meis corpus non pingue lacertis. ⁁
⁁ MaisEt entre les premieres
laidurs ieje conte les beautes
artificieles & forcees Une
e Emones iunejune homeEmonez iunejune gars de Chio pensant
par des beaus atours acquerir
la beaute que nature luy ostoit
einsi se presantant au
philosophe Arcesilaus: et luy
demanda si un phi sage se pourroit
veoir amoureus. Oui dea, respondit
l’autre, pourueupourveu que ce ne soit pas
d’une beaute paree et sophistiquee come
la tiene. VneUne laidur & une uieillessevieillesse
aduoueeadvouee me sembleest moins uieillevieille et
moins laide a mon gre qu’un’autre
peinte et lissee.
Le diray-ieje, pourueupourveu qu’on ne m’en prēneprenne à la gorge:. lL’amour
ne me semble proprement & naturellemētnaturellement en sa saison, qu’en
l’aage voisin de l’enfance,: non plus que la beautè ⁁
Quem si puellarum insereres choro,
Mille sagaces falleret hospites,
Discrimen obscurum, solutis
Crinibus, ambiguóque vultu. ⁁
⁁ EtEt la beaute non plus. Car
ce que Homere
l’estend iusquesjusques a cet
eage au quel le menton acomance a
ombrager de son premier
frison il a este remarquè par
Platon mesme come rare l’a
remarquè pour rare flur Et
Xenophon se seruoitservoit de reproche
contre Menon d’userqu’il usast en l’ses amours
de subietssubjects auancesavances en eage
qui passoint fleur. Et est
notoire la cause pour la
quelle si plaisammant
le sophiste Dion apeloit
les poils folets de l’Adolescence
Aristogitons et Armodiens.
En la virilité, ieje le trouuetrouve desiadesja aucunement hors de son siege,.
nNon qu’en la vieillesse.,
Importunus enim transuolat aridas,
Quercus. ⁁
⁁ Et Marguerite Roine de
NauarreNavarre alonge, en fame,
bien louin le priuiliegepriviliege’auantageavantage
des fames, ordonant qu’il
est saison a trante ans
qu’elles changent le titre
de belles en bones.
Plus courte possessiōpossession nous luy donnōsdonnons sur nostre aageuievie, mieux
nous en valons. Voyez son port,. cC’est vnun mentōmenton puerile: qQui ne
sçait en son eschole, combien on procede au rebours de tout
ordre:
LIVRE TROISIESME.393401
ordre: lL’estude, l’exercitation, l’vsageusage, sont voies à l’insuffisance:
les nouicesnovices y regentent ⁁
-
⁁ , amor ordinem
nescit.
: cCertes sa conduicte a plus de garbe,
quand elle est meslée d’inaduertanceinadvertance, & de trouble: lLes fautes,
les succez contraires, y donnent poincte & grace: pPourueupPourveu
qu’elle soit aspre & affamée, il chaut peu qu’elle soit prudente.
Voyez comme il va chancelātchancelant, chopant, & aueugleaveuglefolastrant: oOn le met
aux ceps quand on le guide par art, & par sagesseprudence sagesse: &Et contraint
on sa diuinedivine liberté, quand on le submet à ces mains barbues
& rassiseset calleuses. Au demeurant, ieje leur oy souuentsouvent peindre cette in-
telligence toute spirituelle, & desdaigner de mettre en consi-
deration l’interest que les sens y ont. Tout y sert,: mMais ieje puis
dire, auoiravoir veu souuentsouvent, que nous auonsavons excusé la foiblesse de
leurs esprits, en faueurfaveur de leurs beautez corporelles,: mais que
ieje n’ay point encore veu, qu’en faueurfaveur de la beauté de l’esprit,
tant prudent, & meur soit-il, elles vueillent prester la main à
vnun corps, qui tombe tant soit peu en decadence. Que ne prēdprend
il enuieenvie à quelqu’vneune, d’entrer ende cette noble troqueharde ⁁ ⁁ Socratique du corps
à l’esprit,⁁
⁁ : achetant au pris de ses
cuisses un’intelligence et ⁁ ⁁ generation
philosofique ⁁ ⁁ et spirituelle le plus haut
iustejuste pris ou elle les puisse
monter. Platon ordone en ses
loix que celuy qui aura faict
quelque seignalé et utile exploit
en la guerre ne puisse estre refusé
durant l’expedition d’icelle sans
respet de sa laidur ou de son eage
de baiser ou autre plus estroite
faueurfaveur amoureuse de quiconque
il la ueuilleveuille. Ce qu’il treuuetreuve si
iustejuste en recomandation de la
ualurvalur militere ne le peut il pas
estre aussi en recomandation de
quelqu’autre ualeurvaleur. Et neque
ne prend il enuieenvie a quelcune
&Et de praeoccuper sur ses compaignes la gloire de cet
amour chaste: cChaste dis-ieje bien,
nam si quando ad praelia ventum est,
Vt quondam ⁁ ⁁ in stipulis magnus sine viribus ignis
Incassum furit.
Les vices qui s’estoussffent en la pensée, ne sont ⁁ ⁁ pas des pires. Pour
finir ce notable commentaire, qui m’est eschappé d’vnun flux de
caquet, fFlux impetueux par fois & nuisible,
Vt missum sponsi furtiuo munere malum,
Procurrit casto virginis è gremio:
Quod miserae oblitae molli sub veste locatum,
Dum aduentu matris prosilit, excutitur,
Atque illud prono praeceps agitur decursu
Huic manat tristi conscius ore rubor.,
IiIeJjJe dis, que les masles & femelles, sont iettezjettez en mesme moule:
IIIIi
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sSauf l’institution & l’vsageusage, la difference n’y est pas grādegrande: ⁁
⁁ Platon les apelle ⁁ ⁁ les femes a toute
societe destudesd’estudes d’exercices
et uacationsvacations aueqaveq les masles
mesmes indifferemmant
les uns et les autres a la societe
de tous estudes exercices charges
& vacations en sa chose publique
guerrieres et paisibles en
republique. Et Antisthenez
disoit nostre uertuvertu & la leur
estre mesme chose
le philosophe Antisthenez ostoit
toute distinction entre
leur uertuvertu et la nostre.
iIl est
bien plus aisé d’accuser l’vnun sexe, que d’excuser l’autre. C’est ce
qu’on dict,. lLe fourgon se moque de la poele.
Des Coches. CHAP. VI.
Il est biēbien aisé à verifier, que les grādsgrands autheurs, escriuātescrivant
des causes, ne se seruētservent pas seulemētseulement de celles qu’ils esti-
mētesti-
ment estre vraies, mais de celles encores qu’ils ne croient
pas, pourueupourveu qu’elles ayent quelque rencontreinuantioninvantion ou quelqueet
beauté. Ils disent assez veritablement & vtilementutilement, s’ils disent
ingenieusement. Nous ne pouuonspouvons nous asseurer de la mai-
stresse cause, nous en entassons plusieurs, voir si par rencontre
elle se trouueratrouvera en ce nombre,
namque vnam dicere causam,
Non satis est, verum plures vnde vna tamen sit.
Me demādezdemandez vous d’où vient cette coustume, de benire ceux
qui estrenuent. Nous produisons trois sortes de vētvent,. cCeluy qui
sort par embas est trop sale,. cCeluy qui sort par la bouche porte
quelque reproche de gourmādisegourmandise, lLe troisiesme est l’estrenue-
ment: &Et parce qu’il viētvient de la teste, & est sans blasme, nous luy
faisons cet honneste recueil: nNe vous moquez pas de cette su-
btilité, elle est (dict-on) d’Aristote. Il me semble auoiravoir veu en
Plutarque (qui est de tous les autheurs que ieje cognoisse, celuy
qui à mieux meslé l’art à la nature, & le iugementjugement à la science)
rendant la cause du sousleuementsouslevement d’estomac, qui aduientadvient à
ceux qui voyagent en mer, que cela leur arriuearrive de crainte:
aAyant trouuétrouvé quelque raison, par laquelle il prouueprouve, que la
crainte peut produire vnun tel effect. Moy, qui y suis fort subietsubjet,
sçay bien, que cette cause ne me touche pas, &Et le sçay non par
argument, mais par necessaire experiēceexperience. Sans alleguer ce qu’ōon
m’a dict, qu’il en arriuearrive de mesme, souuentsouvent aux bestes, & no-
tamment aux pourceaux, sanshors de toute apprehension de danger: &Et ce
LIVRE TROISIESME.394402
qu’vnun mien cōnoissantconnoissant m’a tesmoigné de soy, qu’y estātestant fort
subietsubjet, l’enuieenvie de vomir luy estoit passée, deux ou trois fois, se
trouuanttrouvant pressé de fraieur en grande tourmente:⁁
-
⁁ : come a cet antien
peius uexabar quam
ut periculum mihi
succurreret:
iIejJe n’eus ia-
maisja-
mais peur sur l’eau: cComme ieje n’ay aussi ailleurs (& (s’en est as-
sez souuentsouvent offert de iustesjustes, si la mort l’est) qui m’ait ⁁ ⁁ aumoins troublé
ou esblouy. Elle naist par fois de faute de iugementjugement, comme
de faute de coeur. Tous les dangers que ij’ay veu, ç’a esté les
yeux ouuertsouverts, la veuë libre, saine, & entiere: eEncore faut-il du
courage à craindre. Il me seruitservit autrefois au pris d’autres, pour
conduire & tenir en ordre, ma fuite, qu’elle fut ⁁
-
⁁ sinon sans creinte
toutesfois
sans effroy, &
sans estonnement. Elle estoit esmeue,: mais non pas estour-
die &ny esperdue. Les grandes ames vont bien plus outre, & re-
presentētre-
presentent des fuites, nōnon rassises seulemētseulement, & saines, mais fieres.
Disons celle qu’Alcibiades recite de Socrates, son cōpagnoncompagnon
d’armes: iIejJe le trouuaytrouvay (faictdict-il) apres la route de nostre armée,
luy & Lachez, des derniers entre les fuyans, &Et le cōsiderayconsideray tout
à mon aise, & en seureté, car ij’estois sur vnun bon cheualcheval, & luy à
pied, & auionsavions ainsi cōbatucombatu. IeJe remerquay premierement, cō-
com-
bien il montroit d’auisementavisement & de resolution, au pris de La-
chez, &Et puis la braueriebraverie de son marcher, nullemētnullement differētdifferent du
sien ordinaire: sSa veue ferme & reglée. considerant & iugeātjugeant ce
qui se passoit autour de luy, regardant tantost les vnsuns, tantost
les autres, amis & ennemis, d’vneune façon, qui encourageoit les
vnsuns, & signifioit aux autres, qu’il estoit pour vendre bien cher
son sang & sa vie, à qui essayeroit de la luy oster, &Et se sauuerētsauverent
ainsi: cCar volontiers on n’ataque pas ceux-cy, on court apres
les effraiez. Voila le tesmoignage de ce grand capitaine,. qQui
nous apprend ce que nous essayons tous les ioursjours, qu’il n’est
rien qui nous iettejette tant aux dangers, qu’vneune faim inconside-
rée de nous en mettre hors. ⁁
-
⁁ Quo timoris minus
est, eo minus fermè
periculi est.
Nostre peuple à tort, de dire: que
celuy-là craint la mort,: quand il veut exprimer, qu’il y songe,
& qu’il la preuoitprevoit. La preuoyanceprevoyance conuientconvient egallement à ce
IIIIi ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui nous touche en bien, & en mal. Considerer & iugerjuger le dā-
gerdan-
ger, est aucunement le rebours de s’en estonner. IeJe ne me sens
pas assez fort pour soustenir le coup, & l’impetuosité de cette
passion de la peur,: ny d’autre vehemente. Si ij’en estois vnun
coup vaincu, & atterré, ieje ne m’ēen releueroisreleverois iamaisjamais biēbien entier.
Qui auroit fait perdre pied à mōmon ame, ne la remettroit iamaisjamais
droicte en sa place. Elle se retaste & recherche trop vifuemētvifvement
& profondement,. &Et pourtant, ne lairroit iamaisjamais ⁁ ⁁ ressouder et consolider la
plaie qui l’auroit percée: iIl m’a bien pris qu’aucune maladie ne
me l’ayt encore desmise. A chaque charge qui me vient, ieje me
presente & oppose, en mon haut appareil.:. AaAinsi la premiere
qui m’emporteroit, me mettroit sans resource. IeJe n’en faicts
poinct à deux.: |p|PpPar quelque endroict que le rauageravage fauçast
ma leuéelevée, me voyla ouuertouvert, & noyé sans remede. ⁁
⁁ Epicurus dict que le
sage ne peut iamaisjamais
passer a un estat contrere
IJ’ay quelqu’opinion de
l’enuersenvers de cete sentance
que iamaisjamais fol ne deuintdevint
sage qui aura este une
fois bien fol ne sera pourueupourveu
nulle autre fois bien sage.
Dieu donne
le froid selon la robe, & me donne les passions selon le moien
que ij’ay de les soustenir. Nature m’ayātayant descouuertdescouvert d’vnun costé,
m’a couuertcouvert de l’autre: mM’ayant peu garnydesarmé de force, m’a gar-
nyarmè d’insensibilité,. &Et d’vneune apprehension reiglée, ou mousse.
Or ieje ne puis souffrir long temps (& les souffrois plus diffici-
cilementdifficilement en ieunessejeunesse) ny coche, ny littiere, ny bateau, &Et hay
toute autre voiture que de cheualcheval, & en la ville, & aux chāpschamps:
mMais ieje puis souffrir la lictiere, moins qu’vnun coche: &Et par mes-
me raison, plus aiséement vneune agitation rude sur l’eau, d’où
se produict la peur, que le mouuementmouvement qui se sent en temps
calme. Par cette legere secousse, que les auironsavirons donnent:,
desrobant le vaisseau soubs nous, ieje me sens brouiller, ieje
ne sçay comment la teste & l’estomac: cComme ieje ne puis
souffrir soubs moy vnun siege tremblant. Quand la voile, ou
le cours de l’eau, nous emporte esgalement, ou qu’on nous
|touë|tousë, cette agitation vnieunie ne me blesse aucunement. C’est
vnun remuement interrompu, qui m’offence, & plus, quand il
est languissant. IeJe ne sçaurois autrement peindre sa forme:
LIVRE TROISIESME.395403
Les medecins m’ont ordonné de me presser & sangler d’vneune
seruietteserviette le bas du ventre, pour pouruoierpourvoierremedier à cet accident,: ce
que ieje n’ay point essayé, ayant accoustumé de luicter les def-
fauts qui sont en moy, & les dompter par moymesme. ⁁
⁁ Si ij’en auoyavoy la memoire suffisamment
informee ieje ne pleinderois mon temps
a dire icy l’infinie uarietevariete que les
histoires nous presantent des coches
armez pour la lusagel’usage des coches au
seruiceservice de la guerre selon les nations
selon les siecles diuersdivers
selon les nations selon
les siecles de grand
effaict ce me semble
et necessite. Si que
c’est merueillemerveille que nous
en aions perdu toute
conoissance IJ’en diray
sulement cecy que tout
frechemant du temps
de nos peres Les Hongres
les mirent tres utillement
en besouigne contre les
Turcs: en checun y aiant
un rondelier & un
mosquetere a tout une
bone quantiteet nombre de harque=
bouses rengees prestes &
chargees: le tout couuertcouvert
d’une pauesadepavesade a la
mode d’une galiotte
Ils fesoiītfesoiint front a saleur bataille
de trois mille tels coches
et apres que le canon
auoitavoit iouëjouë les faisoītfaisoint
tirer auantavant & aualeravaler
aus enemis cette saluesalve
auantavant que de taster le
reste: qui n’estoit pas
un legier auancemantavancemant
Ou les descochoit dans
lesleurs escadrons des enemis
pour les rompre & y
faire iourjour Outre le
secours qu’ils en pouuoientpouvoient
tirer pour flanquer en
lieu chatouilleus les
tropes marchant en la
campaigne ou a
couurircouvrir le un camplogis
a la haste & le fortifier.
De mon temps un
gentillhome en l’une
de nos frontieres impost
de sa persone et ne
trouuanttrouvant cheualcheval capable
de son pois aïant une
querelle marchoit par
païs en coche en de
mesmes cete peinture et
s’en trouuoittrouvoit tresbien.
Mais laissons ces
coches guerriers. pour
un’autre fois Les Roys
de nostre premiere race
marchoint en païs sur
un charriot traine par quatre beufs.
Marc
Antoine fut le premier, qui se fit trainermener à Romme & vneune
garse menestriere quand & luy, par des lyons attelez à vnun co-
che. Heliogabalus en fit dépuis autant, se disant Cibelé la me-
re des dieux: & aussi par des tigres, contrefaisant le Dieu Bac-
chus: il attela aussi par fois deux cerfs à son coche, & vnunune autre-
fois quattres chiens, & encore quattre garses nues, se faisant
trainer par elles en pompe tout nud. L’Empereur Firmus, ⁁ fit mener at-
tela à son coche ⁁ ⁁ a des autruches de merueilleusemerveilleuse grandeur, de
maniere qu’il sembloit plus voler que rouler. L’estrangeté de
ces inuentionsinventions me met en teste cett’autre fantasie,. qQue c’est
vneune espece de pusillanimité aux monarques, & vnun tesmoi-
gnage de ne sentir point assez, ce qu’ils sont, de trauaillertravailler à se
faire valloir & paroistre par despences excessiuesexcessives. Ce seroit
chose excusable en pays estranger: mais parmy ses subiectssubjects,
où il peut tout, il tire de sa dignité, le plus extreme degré d’hō-
neurhon-
neur, où il puisse arriuerarriver. Comme à vnun gentil’homme, il me
semble, qu’il est superflu de se vestir curieusement en son pri-
uépri-
vé: sa maison, son trein, sa cuysine respōdentrespondent assez de luy. ⁁
⁁ Le conseil qu’isocrates done a son Roy ne me semble sans raison Qu’il soit splendide en meubles et
utansiles dautantd’autant que c’est une despanse de duree qui passe iusquesjusques a ses successurs Et qu’il fuie
toutes magnificences qui sescoulents’escoulent incontinant et de lusagel’usage et de la memoire.
IJ’ay-
mois à me parer quand ij’estoy cabdet, à faute d’autre parure,
& me fioit bien: il en est sur qui les belles robes pleurētpleurent. Nous
auonsavons des comptes merueilleuxmerveilleux de la frugalité de nos Roys
au tour de leur personne, & en leurs dons: grands Roys en
credit, en valeur, & en fortune. Demostenes combat à ou-
trance, la loy de sa ville qui assignoit les deniers publics aux
pompes, des ieuxjeux & de leurs festes: il veut que leur grandeur se
monstre, en quantité de vaisseaux bien equipez, & bonnes ar-
mées biēbien fournies. ⁁
⁁ Et a lonl’on
raison d’accu=
ser Theophrastus
d’auoiravoir tenuestabli en
son liurelivre des
richesses un auisavis contrere et telle maintenu telle
nature de despence estre le uraivrai fruit
de l’opulence. Ce sont plaisirs dict Aristote qui ne
touchent que la plus basse commune et des quelsqui s’euanouissentevanouissent de la
memoire se pert aussi tost qu’on en est ressasie
et des quels nul home iudicieusjudicieus et grauegrave ne peut faire
estime. Illae impensae meliores muri naualia portus
aquarum ductus L’emploimte me sembleroit bien plus iustejuste et Royalle come
plus utille iustejuste et durable en ports en haureshavres fortifications et murs en bastimens
sumptueus d’en eglises et ded’hospitaus collieges et reformation des rues ⁁ ⁁ et chemins en quoi le pape
gregoire tresieme a laisse sa memoire recomandable de mon temps Et en quoi nostre Roine Katherine
tesmouigneroit a longues annees sa liberalite naturelle & munificence si ses moiens suffisoint a son affection. La fortune
m’a faict grand desplesir d’interrompre la belle structure du beaunostre pont neuf de nostre grande uilleville IeJe desireroiset m’oster lespoirl’espoir
auantavant de mourir d’en uoirvoir en trein l’usage
Outre ce, qu’il semble aus subiectssubjects specta-
teurs de ces triomphes, qu’on leur faict monstre de leurs pro-
IIIIi iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pres richesses, & qu’on les festoye à leurs despens. Car les peu-
ples presument volontiers des Roys, comme nous faisons de
nos valets, qu’ils doiuentdoivent prendre soing de nous aprester en a-
bondance tout ce qu’il nous faut, mais qu’ils n’y doyuentdoyvent au-
cunement toucher de leur part. Et pourtant l’Empereur Gal-
ba, ayātayant pris plaisir à vnun musicien pendant son souper, se fit a-
porter sa boëte, & luy donna en sa main vneune poignée d’escus,
qu’il y pescha, auecavec ces paroles,: ce n’est pas du public, c’est du
mien. Tant y a, qu’il aduientadvient le plus souuantsouvant, que le peuple à
raison, & qu’on repaist ses yeux, de ce dequoy il auoitavoit à paistre
son ventre. La liberalité mesme, n’est pas bien en son lustre en
mains souuerainessouveraines, les priuezprivez y ont plus de droict. Car à le
prendre exactement, vnun Roy n’a rien proprement sien, il se
doibt soy-mesmes à autruy. ⁁
⁁ La iurisdictionjurisdiction ne se
done point en faueurfaveur du
iuridiciantjuridiciant c’est en faueurfaveur
du iuridiciejuridicie. On faict un
Roysuperiur non iamaisjamais pour son
profit ains pour le profit
de ses subietssubjetsl’inferieur comeet un
medecin non pour soi mais
pour le malade non pour soi.
Toute magistrat etmagistrature come toute art
iettejette sa fin hors de soy d’elle.
Nulla ars in se uersatur.
Parquoy les gouuerneursgouverneurs de l’ē-
fanceen-
fance des princes qui se piquent à leur imprimer cette vertu
de largesse, & les preschent de ne sçauoirsçavoir rien refuser, & n’esti-
mer rien si bien employé, que ce qu’ils don⁁⁁neront (instruction
que ij’ay veu en mon temps fort en vsageusagecredit) où ils regardētregardent plus
à leur proufit, qu’a celuy de leur maistre, où ils entendent mal
à qui ils parlent. Il est trop aysé d’imprimer la liberalité, en
celuy, qui à dequoy y fournir autant qu’il veut, aus despens
d’autruy. ⁁
⁁ Et son estimation se regleātregleant
non a la mesure du presant
mais a la mesure des moiens
de ce queluy qui l’exerce elle uientvient
a estre uainevaine en mains si
puissantes. Ils se treuuenttreuvent
prodigues auantavant qu’ils soint
liberaus.
Pourtant est elle de peu de recommandatiōrecommandation, au pris
d’autres vertus royalles. Et la seule, comme disoit le tyrātyran Dio-
nysius, qui se comporte bien, auecavec la tyrannie mesme. IeJe leurluy
apprendroy plustost ce verset du laboureur ancien,
Τῇ χειρὶ δεῖ σπείρειν ἀλλὰ μὴ ὁλῳ τῶ θυλακῶὃλῳ τῷ θυλάκῳ.,
Qqu’il faut à qui en veut retirer fruict, semer de la main, nōnon pas
verser du sac: ⁁
-
⁁ Il faut espandre le grain,
non pas le respandre:
& qu’ayant à dōnerdonner, ou pour mieux dire à paier,
& rendre à tant de gens, selon qu’ils l’ont deseruydeservy, il en doibt
estre loyal & auiséavisé dispensateur. Si la liberalité d’vnun prince
est sans discretion & sans mesure, ieje l’aime mieux auareavare. La
vertu Royalle semble consister le plus en la iusticejustice: & de tou-
LIVRE TROISIESME.396404
tes les parties de la iusticejustice, celle la remarque mieux les Roys,
qui accompaigne la liberalité: car ils l’ont particulierement
reseruéereservée à leur rollecharge: là ou toute autre iusticejustice, ils l’exercent vo-
lontiers par l’entremise d’autruy. L’immoderée largesse, est vnun
moyen foible à leur acquerir, bien-veuillance: car elle rebute
plus de gēsgens, qu’elle n’en practique: ⁁ ⁁ ⁁ quo in plures usus sis eo minus in multos uti possis. Et
⁁ Quo inin plures usus sis,
minus in multos uti possis
Quid autem est stultius
quam quod libenter facias
curare ut id diutius
facere non possis. Et
&Et si elle est employee sans
respect du merite, fait vergonignevergongne à qui la reçoit: & se reçoit,
sans grace. Des tyrans ont esté sacrifiez à la hayne du peuple,
par les mains de ceux mesme, lesquels ils auoyentavoyent iniquement
auancezavancez, bouffons, maquereaux, menestriers, & telle racaillemaniere
d’hommes, estimans asseurer la possession des biens indeue-
ment receuz, en monstrant auoiravoir à mespris & hayne, celuy de
qui ils les tenoyent, & se raliant au iugementjugement & opiniōopinion com-
mune en cela. Les subiectssubjects d’vnun prince excessif en dons, se rē-
dentren-
dent excessifs en demandes: ils se taillent, non à la raison, mais
à l’exemple. ⁁ ⁁ Largitio fundum non habet Il y a certes souuantsouvant, dequoy rougir, de nostre im-
pudence: nNous sommes surpayez selon iusticejustice, quand la recō-
pencerecom-
pence esgalle nostre seruiceservice, car n’en deuonsdevons nous rien à nos
princes d’obligation naturelle? S’il porte nostre despence, il
faict trop, c’est assez qu’il l’ayde: le surplus s’appelle bienfaict:
lequel ne se peut exiger, car le nom mesme de la liberalité sō-
neson-
ne liberté. A nostre mode, ce n’est iamaisjamais faict, le reçeu ne se
met plus en compte: on n’ayme la liberalité que future: par-
quoy plus vnun Prince s’espuise en donnant, plus il s’apouuritapouvrit
d’amys. ⁁
⁁ Comant assouui=
roitassouvi=
roit il des enuiesenvies qui
croissētcroissent a mesure
qu’elles se ramplissent
Qui a sa pensee a
prandre ne l’a plus
a ce qu’il a prins. La
conuoitiseconvoitise est de soi
tousiourstousjours ingrate n’a
rien si propre que
d’estre ingrate
L’example de Cyrus ne
duira pas mal en ce lieu
pour seruirservir aus Roys de ce temps de touche a reconoistre leurs dons bien ou mal emploiez
et leur faire uoirvoir combient cet Emperur les assenoit plus hureusemant qu’ils ne font. Par ou ils
sont reduits de faire leurs empruns sur les subietzsubjetz inconus et plus tost sur ceus a qui ils ont faict
du mal que sur ceus a qui ils ont faict du bien. ⁁
⁁ et n’ēen reçoiuentreçoivent
aides de leurs
subietssubjets ou il y
aïe rien de
gratuit que le
nom.
Craesus luy reprochoit sa largesse et calculoit a
combien se monteroit son thresor s’il eut eu les mains plus restreintes Il eut enuieenvie de iustifierjustifier sa
liberalite et despechant de toutes pars uersvers les grands de son estat qu’il auoitavoit particulierement auancezavancez
pria chacun de le secourir d’autant d’argent qu’il pourroit, a une siene necessite et le luy enuoierenvoier par
registre declation declaration. Quand tous ces bordereaus luy furent aportes chacun de ses amis
n’estimant pas que ce fut asses faire de luy en offrir autant sulemant qu’il en auoitavoit receu de sa munificence
y en meslant du sien plus propre beaucoup il se trouuatrouva que cette somme se montoit beaucoupbien plus que l’espargne
de Craesus. Sur quoi luy dict Cyrus IeJe ne suis pas moins amoureus des richesses que les autres princes
et en suis plus tost plus mesnagier Vous uoiesvoies a combien peu de mise ij’ay acquis le thresor inestimable de
tant d’amis Et combien ils me sont plus fidelles thresoriers que ne seroint des homes merceneres sans obligation
sans affection: & ma cheuancechevance mieux logee qu’en des coffres, appellant sur moi la heine l’enuieenvie et le mespris des
autres princes.
Les Empereurs prenoyenttiroint excuse à la superfluité de
leurs ieuxjeux & montres publiques, de ce que leur authorité
dependoit aucunement (aumoins par apparence) de la vo-
lonté du peuple Romain, lequel auoitavoit de tout temps accou-
stumé d’estre flaté par telle sorte de spectacles & excez. Mais
c’estoyent particuliers qui auoyentavoyent nourry cette coustume,
de gratifier leurs concitoyens & compaignōscompaignons, ⁁ ⁁ principalemant sur leur bourse,
par telle profusion & magnificēcemagnificence: elle eust tout autre goust,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
quand ce furent les maistres qui vindrent à l’imiter. ⁁
⁁ Pecuniarum translatio a
iustis dominis ad alienos
non debet liberalis uideri.
Philippus tansoit par saune
lettre son filx Alexandre de
uoloirvoiloir par presans de sa
liberalite pal gaigner le
corage des Macedoniens ⁁ ⁁ en cette maniere As
tu enuieenvie luy faict il que tes
subietssubjets t’estiment non leur
Roy mais leur thresorier &
leur donur boursier? et leur
doneur. gaigne les de ta
uertuvertu non de ton coffre.
Pratique les qdes bienfaicts
de ta uertuvertu non des bienfaicts
de ton coffre. Philippus de ce
que son filx essaioit par
presans de gaigner la
volonte des Macedoniens
l’en tança par une lettre en
cette maniere Quoi? as tu
enuieenvie que tes subietssubjets te
tiennent pour leur boursier
non pour leur maistre Roy?
Veus tu les pratiquer prati
pratique les non des bien=
faicts de ta uertuvertu non des
bienfaicts de ton coffre.
C’estoit
pourtant vneune belle chose, d’aller faire apporter & planter en
la place aus arenes, vneune grande quantité de gros arbres, tous
branchus & tous verts, representāsrepresentans vneune grādegrande forest ombra-
geuse, despartie en belle symmetrie: & le premier iourjour, ietterjetter
la dedans mille austruches, mille cerfs, mille sangliers, & mil-
le dains, les abandonnant à piller au peuple: le lendemain
faire assomer en sa presence, cent gros lions, cent leopards, &
trois cēscens ours: & pour le troisiesme iourjour, faire combatre à ou-
trance, trois cens pairs de gladiateurs, comme fit l’Empereur
Probus. C’estoit aussi belle chose à voir, ces grands amphi-
theatres encroustez de marbre au dehors, labouré d’ouuragesouvrages
& statues, le dedans reluisant de plusieurs rares enrichisse-
mens,
Baltheus en gemmis, en illita porticus auro.
Tous les coustez de ce grand vuide, remplis & enuironnezenvironnez
depuis le fons iusquesjusques au cōblecomble, de soixante ou quattre vingts
rangs d’eschelons, aussi de marbre, couuerscouvers de carreaus,
exeat, inquit,
Si pudor est, & de puluino surgat equestri,
Cuius res legi non sufficit,
ou se peut renger cent mille hommes, assis à leur aise,: & la pla-
ce du fons, ou les ieuxjeux se iouoyentjouoyent, la faire premierement par
art, entr’ouurirouvrir & fendre en creuassescrevasses, representant des antres
qui vomissoient les bestes destinées au spectacle: & puis secō-
dementsecon-
dement, l’innonder d’vneune mer profonde, qui charrioit force
monstres marins, chargée de vaisseaux armez à representer
vneune bataille nauallenavalle: & tiercemēttiercement l’applanir & assecher de nou-
ueaunou-
veau, pour le combat des gladiateurs: & pour la quatriesme
façon, la sabler de vermillon & de storax, au lieu d’arene, pour
y dresser vnun festin solemne, à tout ce nōbrenombre infiny de peuple:
le dernier acte d’vnun seul iourjour.
quoties
LIVRE TROISIESME.397405
quoties nos descendentis arenae
Vidimus in partes, ruptáque voragine terrae
Emersisse seras, & ijsdem saepe latebris
Aurea cum croceo creuerunt arbuta libro.
Nec solum nobis siluestria cernere monstra
Contigit, aequoreos ego cum certantibus, vrsis
Spectaui vitulos, & equorum nomine dignum,
Sed deforme pecus.
Quelquefois on y a faict naistre, vneune haute montaigne plai-
ne de fruitiers & arbres verdoyans, rendans par son feste, vnun
ruisseau d’eau, comme de la bouche d’vneune viuevive fōtainefontaine. Quel-
que fois on y promena vnun grand nauirenavire, qui s’ouuroitouvroit & des-
prenoit de soy-mesmes, & apres auoiravoir renduuomivomi de son ventre,
quatre ou cinq cens bestes à combat, se resserroit & s’esua-
nouissoitesva-
nouissoit, sans ayde. Autresfois, du bas de cette place, ils fai-
soyent eslancer des surgeons & filets d’eau, qui reialissoyentrejalissoyent
contremont, & à cette hauteur infinie, alloyent arrousant &
embaumant cette grandeinfinie multitude. Pour se couurircouvrir de l’in-
iurein-
jure du temps, ils faisoient tendre cette immense capacité,
tantost de voiles de pourpre labourez à l’eguille, tantost de
soye, d’vneune ou autre couleur, & les auançoyentavançoyent & retiroyent
en vnun moment, comme il leur venoit en fantasie,
Quamuis non modico caleant spectacula sole,
vela reducuntur cum venit Hermogenes.
Les rets aussi qu’ōon mettoit au deuantdevant du peuple, pour le de-
fendre de la violence de ces bestes eslancées, estoyent tyssus
d’or,
auro quoque torta refulgent
Retia.
S’il y a quelque chose qui soit excusable en tels excez, c’est,
ou l’inuentioninvention & la nouueauténouveauté, fournit d’admiration, nōnon pas
la despence. En ces vanitez mesme, nous descouuronsdescouvrons, com-
KKKKk
ESSAIS DE M. DE MONTA.
bien ces siecles estoyent fertiles d’autres espris que ne sont
les nostres. Il va de cette sorte de fertilité, comme il faict de
toutes autres productions de la nature. Ce n’est pas à dire
qu’elle y ayt lors employé son dernier effort: il est vray-sem-
blable, que nNous n’allons ny en auantavant ny à reculons, mais rou-
lant plustost tournoyant & changeant.pas point, nous rodons plus tost et tournoions. Nous nousça et la.
Nous nous promenons sur nos pas. IeJe crains, que nostre
cognoissance soit foible en tous sens,: nous ne voyons ny
gueres loin, ny guere arriere, elle embrasse peu & vit peu,
courte & en estandue de temps, & en estandue de matiere.:
Vixere fortes ante Agamemnona
Multi, sed omnes illachrimabiles
Vrgentur, ignotique longa
Nocte.
Et supera bellum Troianum & funera Troiae,
Multi alias alij quoque res cecinere poetae. ⁁
⁁ Et la narration de Solon
sur ce qu’il auoitavoit aprïs des
prebtres d’AEgipte de la longue
vie de leur estat et maniere
d’aprandre et conseruerconserver les
histoires estrangieres ne
me semble tesmouignage de
refus en cete consideration.
Si immensam et interminatam
in omneis partes magnitudinem
regionum uideremus in quam
& temporum in quam se
iniiciens animus et intendens
ita late longeque peregrinatur
ut nullam oram ultimi uideat
in qua possit coinsistere In
hac immensitate infinita
uis innumerabilium est
formarum. appareret formarum
Quand tout ce qui est venu ⁁ ⁁ par raport du passé iusquesjusques à nous, seroit
vray, & seroit sçeu par quelqu’vnun, ce seroit moins que rien,
au pris de ce qui est ignoré,: & de cette mesme image du mō-
demon-
de, qui coule pendant que nous y sommes, combien chetiuechetive
& racourcie est la cognoissance des plus curieux: non seule-
ment des euenemensevenemens particuliers, que fortune rend souuantsouvant
exemplaires & poisans, mais de l’estat des grandes polices &
natiōsnations, il nous en eschappe cent fois plus, qu’il n’en viētvient à no-
stre science. Nous nous escriïons, du miracle de l’inuentiōinvention de
nostre artillerie, de nostre impression: d’autres hōmeshommes, vnun au-
tre bout du monde à la Chine, en iouyssoitjouyssoit mille ans aupara-
uantaupara-
vant. Si nous voyons autant du monde, comme nous n’en
voyons pas, nous aperceurionsapercevrions comme il est à croire, vneune per-
petuele ⁁ ⁁ multiplication et vicissitude de formes. Il nyn’y a rien de seul & de rare, eu
esgard à nature, ouy bien eu esgard à nostre cognoissance, qui
est vnun miserable fondement de nos regles, & qui nous repre-
sente volontiers vneune tres-fauce image des choses. CōmeComme vai-
LIVRE TROISIESME.398406
nement nous concluons auiourdaujourd’huy, l’inclination & la de-
crepitude du monde, par les arguments que nous tirōstirons de no-
stre propre foiblesse & decadence,
Iamque adeo affecta est aetas, affectáque tellus:
Aainsi vainement concluoit cet autrecettuyla, sa naissance & ieunessejeunesse,
par la vigueur qu’il voyoit aux espris de son temps, abondans
en nouuelleteznouvelletez & inuentionsinventions de diuersdivers arts,
Verùm, vt opinor, habet nouitatem summa, recénsque
Natura est mundi, neque pridem exordia coepit:
Quare etiam quaedam nunc artes expoliuntur,
Nunc etiam augescunt, nunc addita nauigiis sunt
Multa.
Nostre mōdemonde vient d’en trouuertrouver vnun autre ( & qui nous respōdrespond
si c’est le dernier de ses freres, puis q̄que les DaemōsDaemons, les Sybilles, &
nous, auonsavons ignoré cettuy-cy iusqujusqu’asture) non moins grādgrand,
plain, & mēbrumembru, que luy, toutesfois si nouueaunouveau & si enfant,
qu’on luy aprend encore son a, b, c: il n’y a pas cinquante ans,
qu’il ne sçauoitsçavoit, ny lettres, ny pois, ny mesure, ny vestements,
ny bleds, ny vignes. Il estoit encore tout nud, au giron, & ne
viuoitvivoit que des moyens de sa mere nourrice. Si nous cōcluonsconcluons
bien, de nostre fin, & ce poëte de la ieunessejeunesse de son siecle, cet
autre mōdemonde, ne faira qu’entrer en lumiere, quand le nostre en
sortira. L’vniuersunivers tombera en paralisie: l’vnun membre sera per-
clus, l’autre en vigueur. Bien crains-ieje, que nous aurons bien
fort hasté sa declinaison & sa ruyne, par nostre contagion, &
que nous luy aurons bien cher vendu, nos opinions & nos
arts. C’estoit vnun monde enfant, si ne l’auonsavons nous pas foité &
soubmis à nostre discipline, par l’auantageavantage de nostre valeur, &
forces naturelles, ny ne l’auonsavons practiqué par nostre iusticejustice
& bōtébonté, ny subiuguésubjugué par nostre magnanimité. La plus part de
leurs responces, & des negotiations faictes auecavec eux, tesmoi-
gnent qu’ils ne nous deuoyentdevoyent riērien en clarté d’esprit naturelle,
KKKKk ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& en pertinence. L’espouuentableespouventable magnificence des villes
de Cusco & de Mexico, & entre plusieurs choses pareilles, le
iardinjardin de ce Roy, ou tous les arbres, les fruicts, & toutes les
herbes, selon l’ordre & grandeur qu’ils sont en vnun iardinjardin, natu-
rel, estoyent excellemment formez en or: comme en son ca-
binet, tous les animaux, qui naissoient en son estat & en ses
mers: & la beauté de leurs ouuragesouvrages, en pierrerie, en plume, en
cotton, en la peinture, montrent qu’ils ne nous deuoyentdevoyentcedoint nōnon
plus en l’industrie. Mais quant à la deuotiondevotion, obseruanceobservance des
loix, bonté, liberalité, loyauté, franchise, il nous à bien seruyservy,
de n’en auoiravoir pas tant qu’eux: ils se sont perdus par cet aduā-
tageadvan-
tage, & vendus, & trahis eux mesme. Quant à la hardiesse &
courage,: quant à la fermeté, constance, resolution contre les
douleurs & la faim, & la mort, ieje ne craindrois pas d’opposer
les exemples, que ieje trouueroistrouverois parmy eux, aux plus noblesfameus ex-
emples anciens, que nous ayons aus memoires de nostre mō-
demon-
de par deça. Car pour ceux qui les ont subiuguezsubjuguez, qu’ils ostētostent
les ruses & batelages, dequoy ils se sont seruisservis à les piper, & le
iustejuste estōnementestonnement qu’aportoit à ces nations la, de voir arriuerarriver
si inopinéement des gens barbus, diuersdivers en langage, religiōreligion,
en forme, & en contenance, d’vnun endroict du monde si esloi-
gné, & où ils n’auoyentavoyent iamaisjamais imaginé qu’il y eust habita-
tion quelconque, mōtezmontez sur des grands monstres incogneuz,
contre ceux, qui n’auoyentavoyent non seulement iamaisjamais veu de che-
ualche-
val, mais beste quelconque duicte à porter & soustenir hōmehomme
ny autre charge, garnis d’vneune peau luysante & dure, & d’vneune
arme trenchante & resplēdissanteresplendissante, cōtrecontre ceux, qui pour le mi-
racle de la lueur d’vnun miroir ou d’vnun cousteau, alloyent eschā-
geanteschan-
geant vneune grādegrande richesse en or & en perles, & qui n’auoiētavoient ny
science ny matiere, par ou tout à loisir, ils sçeussētsçeussent percer no-
stre acier: adioustezadjoustez y les foudres & tōnerrestonnerres de nos pieces &
harq̄bousesharquebouses, capables de troubler Caesar mesme, qui l’en eust
LIVRE TROISIESME.399407
surpris autātautant inexperimenté: & à cet heure, contre des peuples
nuds, si ce n’est ou l’inuentiōinvention estoit arriuéearrivée de q̄lq̄quelque tissu de cot-
tōcot-
ton, sans autres armes pour le plus, que d’arcs, pierres, & bastōsbastons:, & boucliers de bois
des peuples surpris soubs couleur d’amitié & de bōnebonne foy, par
la curiosité de veoir des choses estrangeres & incogneues: cō-
tezcon-
tez dis-ieje aux conquerans cette disparité, vous leur ostez tou-
te l’occasion de tāttant de victoires. Quand ieje regarde à cete ardeur
indomptable, dequoy tant de milliers d’hommes, femmes, &
enfans, se presentent & reiettentrejettent à tant de fois, aux dangers in-
euitablesin-
evitables, pour la deffence de leurs dieux, & de leur liberté: cé-
te genereuse obstination de souffrir toutes extremitez & dif-
ficultez, & la mort, plus volontiers, que de se soubmettre à la
domination de ceux, de qui ils ont esté si honteusement abu-
sez: & aucūsaucuns, choisissans plustost de se laisser defaillir par faim
& par ieunejeune, estans pris, que d’accepter le viurevivre des mains de
leurs ennemis, si vilement victorieuses: ieje preuoisprevois que à
qui les eust attaquez pair à pair, & d’armes, & d’experience, &
de nombre, il y eust faict autantaussi dangereux, & plus, qu’en au-
tre guerre que nous voyons. Que n’est tombée soubs Alexan-
dre, ou soubs ces anciens Grecs & Romains, vneune si noble con-
queste, & vneune si grande mutation & alteration de tant d’em-
pires & de peuples, soubs des mains, qui eussent doucemētdoucement po-
ly & defriché, ce qu’il y auoitavoit de sauuagesauvage, & eussent conforté
& promeu les bonnes semences, que nature y auoitavoit produit:
meslant non seulement à la culture des terres, & ornement
des villes, les arts de deça, en tant qu’elles y eussent esté neces-
saires, mais aussi, meslant les vertus Grecques & Romaines,
aux originelles du pays. Quelle reparation eust-ce esté, & quel
amendement à toute cette machine, que les premiers exem-
ples & deportemens nostres, qui se sont presentés par de là,
eussent appellé ces peuples, à l’admiration, & imitation de la
vertu, & eussent dressé entre eux & nous, vneune fraternele socie-
KKKKk iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
té & intelligence? Combien il eust esté aisé, de faire son pro-
fit, d’ames si neuuesneuves, si affamées d’apprentissage, ayant pour la
plus part, de si beaux commencemens naturels? Au rebours,
nous nous sommes seruisservis de leur ignorance, & inexperience, à
les plier plus facilemētfacilement vers la trahison, luxure, auariceavarice, & vers
toute sorte d’inhumanité & de cruauté, à l’exemple & patron
de nos meurs. Qui mit iamaisjamais à tel pris, le seruiceservice de la merca-
dence & de la trafique? Tant de villes rasées, tant de nations
exterminées, tant de millions de peuples, passez au fil de l’es-
pée, & la plus riche & belle partie du mōdemonde bouleuerseebouleversee, pour
la negotiation des perles & du poiurepoivre: mechaniques victoi-
res. IamaisJamais l’ambition, iamaisjamais les inimitiez publiques, ne pous-
serent les hommes, les vnsuns contre les autres, à si horribles ho-
stilitez, & calamitez si miserables. En costoyant la mer à la
queste de leurs mines, aucuns Espagnols prindrent terre en v-
neu-
ne contrée fertile & plaisante, fort habitée, & firent à ce peu-
ple leurs remonstrances accoustumées. Qu’ils estoient gens
paisibles, venans de loingtains voyages, enuoyezenvoyez de la part du
Roy de Castille, le plus grand Prince de la terre habitable, au-
quel le Pape, representant Dieu en terre, auoitavoit donné la prin-
cipauté de toutes les Indes. Que s’ils vouloient luy estre tri-
butaires, ils seroient tres-benignement traictez, leur deman-
doient des viuresvivres, pour leur nourriture, & de l’or, pour le be-
soing de quelque medecine. Leur remonstroient au demeu-
rant, la creance d’vnun seul Dieu, & la verité de nostre religion,
laquelle ils leur conseilloient d’accepter, y adioustāsadjoustans quelques
menasses. La responce fut telle. Que quand à estre paisibles, ils
n’en portoient pas la mine, s’ils l’estoient: quand à leur Roy,
puis qu’il demandoit, il deuoitdevoit estre indigent, & necessiteux,:
& celuy qui luy auoitavoit faict cette distribution, homme aymātaymant
dissention, d’aller donner à vnun tiers, chose qui n’estoit pas siē-
nesien-
ne, pour le mettre en debat cōtrecontre les anciens possesseurs. QuātQuant
LIVRE TROISIESME.400408
aux viuresvivres, qu’ils leur en fourniroient: d’or, ils en auoientavoient peu,
& que c’estoit chose qu’ils mettoient en peu d’null’estime, d’autātautant
qu’elle estoit inutile au seruiceservice de leur vie, la où tout leur soin
regardoit seulement, à la passer heureusement & plaisammētplaisamment:
pourtant ce qu’ils en pourroient trouuertrouver, sauf ce qui estoit
employé au seruiceservice de leurs dieux, qu’ils le prinssent hardi-
ment. Quant à vnun seul Dieu, le discours leur en auoitavoit pleu,
mais qu’ils ne vouloient changer leur religion, s’en estans si
vtilementutilement seruisservis si long temps, & qu’ils n’auoientavoient accoustu-
mé prendre conseil, que de leur amis & connoissans. Quant
aux menasses, c’estoit signe de faute de iugementjugement, d’aller me-
nassant ceux, desquels la nature, & les moyens estoient incon-
neux. Ainsin qu’ils se despeschassent promptement de vuy-
der leur terre, car ils n’estoient pas accoustumez de prēdreprendre en
bonne part, les honnestetez & remonstrances, de gens armez,
& estrangers: autrement qu’on feroit d’eux, comme de ces au-
tres, leur monstrant les testes d’aucuns hommes iusticiezjusticiez au-
tour de leur ville. Voila vnun exemple de la balbucie de cette
enfance. Mais tant y a, que ny en ce lieu-là, ny en plusieurs au-
tres, où les Espagnols ne trouuerenttrouverent les marchandises qu’ils
cerchoient, ils ne feirent arrest ny entreprise:, quelque autre
commodité qu’il y eust, tesmoing mes Cannibales. Des deux
les plus puissans Monarques de ce mōdemonde là, & à l’auantureavanture de
cettuy-cy, Roys de tant de Roys: les derniers qu’ils en chas-
serent: celuy du Peru ayant esté pris en vneune bataille, & mis à
vneune rançon si excessifueexcessifve, qu’elle surpasse toute creance, & cel-
le là fidellement payée: & auoiravoir donné par sa conuersationconversation
signe d’vnun courage franc, liberal, & constant, & d’vnun entende-
mētentende-
ment net, & bien composé: il print enuieenvie aux vainqueurs, apres
en auoiravoir tiré, vnun million trois cens vingt cinq mille cinq cens
poisant d’or, outre l’argent, & autres choses, qui ne monterētmonterent
pas moins, si que leurs cheuauxchevaux n’alloient plus ferrez, que d’or
ESSAIS DE M. DE MONTA.
massif, de voir encores, au pris de quelque desloyauté que ce
fut, quel pouuoitpouvoit estre le reste des thresors de ce Roy ⁁ ⁁ et iouirjouir libremant de ce qu’il auoitavoit reseruereserve. On luy
appreosta vneune fauce accusation & preuuepreuve, qu’il desseignoit de
faire sousleuersouslever ses prouincesprovinces, pour se remettre en liberté. Sur-
quoy par beau iugementjugement, de ceux mesme qui luy auoiētavoient dres-
sé cette trahison, on le condemna à estre pendu & estranglé
publiquement: luy ayant faict racheter le tourment d’estre
bruslé tout vif, par le baptesme qu’on luy donna au supplice
mesme. Accident horrible & inouy: qu’il souffrit pourtant
sans se démentir, ny de contenance, ny de parole, d’vneune forme
& grauitégravité vrayement royalle. Et puis pour endormir les peu-
ples estonnez & transis de chose si estrange, on contrefit vnun
grand deuil de sa mort, & luy ordonna l’on des somptueuses
funerailles. L’autre Roy de Mexico, ayant long temps defen-
du sa ville assiegée, & montré en ce siege tout ce que peut & la
souffrance, & la perseueranceperseverance, si onques prince, & peuple, le
monstra: & son malheur l’ayant rendu vif, entre les mains des
ennemis, auecavec capitulation d’estre traité en Roy: aussi ne leur
fit-il rien voir en la prison, indigne de ce tiltre: ne trouuanttrouvant
poinct apres cette victoire, tout l’or qu’ils s’estoient promis:
apres auoiravoir tout remué, & tout fouillé, se mirent à en cercher
des nouuellesnouvelles, par les plus aspres geines, dequoy ils se peurent
aduiseradviser, sur les prisonniers qu’ils tenoient. Mais n’ayant rien
profité, trouuanttrouvant des courages plus forts que leurs tormētstorments,
ils en vindrent en fin à telle rage, que contre leur foy & contre
tout droict des gens, ils condamnerent le Roy mesme, & l’vnun
des principaux seigneurs de sa court à la geine, en presence l’vnun
de l’autre. Ce seigneur se trouuāttrouvant forcé de la douleur, enuirō-
néenviron-
né de braziers ardēsardens, tourna sur la fin, piteusemētpiteusement sa veue vers
son maistre, comme pour luy demāderdemander congé, de dire ce qu’il
en sçauoitsçavoit, pour se redimerracheter de cette peine insupportable:merci de ce qu’il n’en pouuoitpouvoit plus. lLe
Roy plantant fierement & rigoureusement les yeux sur luy,
pour
LIVRE TROISIESME.401409
pour reproche de sa lascheté & pusillanimité, luy dict seule-
ment ces mots, d’vneune voix rude & ferme: & moy suis-ieje dans
vnun bain, suis ieje pas plus à mon aise que toy? Celuy-là soudain
apres, succomba aux douleurs, & mourut sur la place. Le Roy
à demy rosty, fut emporté de là: non tant par pitié (car quel-
le pitié toucha iamaisjamais des ames, qui pour la doubteuse infor-
mation de quelque vase d’or à piller, fissent griller deuātdevant leurs
yeux vnun homme, non qu’vnun Roy, si grand, & en fortune, &
en merite) mais ce fut que sa cōstanceconstance rendoit de plus en plus
vainehonteuse leur cruauté. Ils le pendirent depuis, ayant courageuse-
ment entrepris de se deliurerdelivrer par armes d’vneune si longue capti-
uitécapti-
vité & subiectionsubjection, où il fit sa fin digne d’vnun magnanime prin-
ce. A vneune autrefois, ils mirent brusler pour vnun coup, en mes-
me feu, quatre cens soixante hommes tous vifs, les quatre cēscens
du commun peuple, les soixātesoixante des principaux seigneurs d’v-
neu-
ne prouinceprovince, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons
d’eux-mesmes ces narrations, car ils ne les aduouentadvouent pas seu-
lement, ils ⁁ s’en uententventent, et les preschent & publient. Seroit-ce pour tesmoi-
gnage de leur iusticejustice, ou zele enuersenvers la religion. Certes ce
sont voyes trop diuersesdiverses, & ennemies d’vneune si saincte fin. S’ils
se fussent proposés d’estendre nostre foy, ils eussent consideré
que ce n’est pas en possession de terres qu’elle s’amplifie, mais
en possession d’hommes, & se fussent ⁁ trop contentez des meurtres
que la necessité de la guerre apporte, sans y mesler indifferem-
ment vneune boucherie, comme sur des bestes sauuagessauvages, vniuer-
selleuniver-
selle, autātautant que le fer, & le feu y ont peu attaindre, n’en ayant,
ce semble, conseruéconservé par leur dessein, qu’autant qu’ils en ont
voulu faire de miserables esclauesesclaves, pour l’ouurageouvrage & seruiceservice
de leurs minieres: sSi que plusieurs des chefs ont esté punis à
mort, sur les lieux de leur cōquesteconqueste, par ordonnance des Rois
d’Espaignede Castille, iustementjustement offencez de l’horreur de leurs deporte-
LLLLl
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mēsmens, & quasi tous desestimez & mal-voulus. Dieu à meritoi-
rement permis, que ces grands pillages, se soient absorbez par
la mer en les transportāttransportant, ou par les guerres intestines, dequoy
ils se sont entremangez entre eux, & la plus part, s’enterrerent
sur les lieux, sans aucun fruict de leur victoire. Quant à ce,
que la recepte, & entre les mains d’vnun prince mesnager, &
prudent, respond si peu à l’esperance, qu’on en donna à ses
predecesseurs, & à cette premiere abondance de richesses,
qu’on rencontra à l’abord de ces nouuellesnouvelles terres (car encore
qu’on en retire beaucoup, nous voyons que ce n’est rien, au
pris de ce qui s’en deuoitdevoit attendre) c’est que l’vsageusage de la
monnoye estoit entierement inconneu, & que par conse-
quent, leur or se trouuatrouva tout assemblé, n’estant en autre serui-
ceservi-
ce, que de montre, & de parade, comme vnun meuble reseruéreservé
de pere en fils, par plusieurs puissants Roys, qui espuisoient
tousiourstousjours leurs mines, pour faire ce grand monceau de vases
& statues, à l’ornement de leurs palais, & de leurs temples: au
lieu que nostre or, est tout en emploite & en cōmercecommerce. Nous le
menuisons & alterons en mille formes, l’espandons & disper-
sons. Imaginons, que nos Roys amoncelassent ainsi tout l’or,
qu’ils pourroient trouuertrouver en plusieurs siecles, & le gardassent
immobile. Ceux du Royaume de Mexico, estoient aucune-
ment plus ciuilisezcivilisez, & plus artistes, que n’estoient les autres
nations de là. Aussi iugeoientjugeoient-ils, ainsi que nous, que l’vni-
uersuni-
vers fut proche de sa fin, & en prindrent pour signe la desola-
tion que nous y apportames. Ils croyoyent que l’estre du
monde, se depart en cinq aages, & en la vie de cinq soleils con-
secutifs, desquels les quatre auoientavoient desiadesja fourny leur temps,
& que celuy qui leur esclairoit, estoit le cinquiesme. Le pre-
mier perit auecavec toutes les autres creatures, par vniuerselleuniverselle in-
ondation d’eaux. Le second, par la cheute du ciel sur nous,
qui estouffa toute chose viuantevivante, auquel aage ils assignent les
LIVRE TROISIESME.402410
geants, & en firent voir aux Espagnols des ossements, à la pro-
portion desquels, la stature des hommes reuenoitrevenoit à vingt
paumes de hauteur. Le troisiesme, par feu, qui embrasa &
consuma tout. Le quatriesme, par vneune émotion d’air, & de
vent, qui abbatit iusquesjusques à plusieurs montaignes: les hom-
mes n’en moururent poinct, mais ils furent changez en ma-
gots (quelles impressions ne souffre la lácheté de l’humaine
creance.) apres la mort de ce quatriesme Soleil, le monde fut
vingt-cinq ans, en perpetuelles tenebres: au quinziesme des-
quels fut creé vnun homme, & vneune femme, qui refeirent l’hu-
maine race: dix ans apres, à certain de leurs ioursjours, le Soleil, pa-
rut nouuellementnouvellement creé, & cōmencecommence depuis, le compte de leurs
années par ce iourjour là. Le troisiesme iourjour de sa creation, mou-
rurent les Dieux anciens: les nouueauxnouveaux, sont nays depuis du
iourjour à la iournéejournée. Ce qu’ils estiment de la maniere que ce der-
nier Soleil perira, mon autheur n’en à rien appris. Mais leur
nombre, de ce quatriesme changement, rencontre à cet-
te grande conionctionconjonction des astres, qui produisit il y à huict
cens, tant d’ans, selon que les Astrologiens estiment, plusieurs
grandes alterations & nouuelleteznouvelletez au monde. Quant à la
pompe & magnificence, par où ieje suis entré en ce propos,
ny Graece, ny Romme, ny Aegypte, ne peut, soit en vti-
litéuti-
lité, ou difficulté, ou noblesse, comparer aucun de ses
ouuragesouvrages, au chemin, qui se voit au Peru, dressé par les Roys
du pays, depuis la ville de Quito, iusquesjusques à celle de Cus-
co (il y à trois cens lieuës) droict, vnyuny, large de vingt-
cinq pas, pauépavé, garnyreuesturevestu de costé & d’autre, de belles & hau-
tes murailles, & le long d’icelles par le dedans, deux ruis-
seaux perennes, bordez de beaux arbres, qu’ils nomment
molly. Où ils ont trouuétrouvé des montaignes & rochers, ils
les ont taillez & applanis, & comblé les fondrieres de
LLLLl ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
pierre & chaux. Au chef de chasque iournéejournée, il y à de beaux
palais fournis de viuresvivres, de vestements, & d’armes, tant
pour les voyageurs, que pour les armées qui ont a y pas-
ser. En l’estimation de cet ouurageouvrage, ij’ay compté la difficul-
té, qui est particulierement considerable en ce lieu là. Ils
ne bastissoient poinct de moindres pierres, que de dix pieds
en carré,: ils n’auoientavoient autre moyen de charrier, qu’à force de
bras en trainant leur charge: & pas seulement l’art d’eschafau-
der, ny sçachant autre finesse, que de hausser autant de terre,
contre leur bastiment, comme il s’esleueesleve, pour l’oster apres.
Retombons à nos coches. En leur place, & de toute autre
voiture: ils se faisoient porter par les hommes, & sur leurs
espaules. Ce dernier Roy du Peru, le iourjour qu’il fut pris, e-
stoit ainsi porté sur des brancars d’or, & assis dans vneune cheze
d’or, au milieu de sa bataille. Autant qu’on tuoit de ces por-
teurs, pour le faire choir à bas, car on le vouloit prendre vif,
autant d’autres, & à l’enuyenvy, prenoient la place des morts, de fa-
çon qu’on ne le peut onques abbatre, quelque meurtre qu’on
fit de ces gens là, iusquesjusques à ce qu’vnun homme de cheualcheval l’alla
saisir au corps, & le porta’aualaavala par terre.
De l’incommodité de la grandeur.
CHAP. VII.
PVISQUEPUISQUE nous ne la pouuonspouvons aueindreaveindre, vengeons
nous à en mesdire: sSi n’est pas entierement mesdire de
quelque chose, d’y trouuertrouver des deffauts: il s’en trouuetrouve
en toutes choses, pour belles & desirables qu’elles soyent. En
general, elle a cet euidentevident auantageavantage, qu’elle se raualleravalle quand il
luy plaist,: & qu’a peu pres, elle a le chois, de l’vneune & l’au-
tre condition. Car on ne tombe pas de toute hauteur,: il
en est plus, desquelles on peut descendre, sans tomber. Bien
LIVRE TROISIESME.403411
me semble il, que nous la faisons trop valoir,: & trop va-
loir aussi, la resolution de ceux que nous auōsavons, ou veu ou ouy
dire, l’auoiravoir mesprisee,: ou s’en estre desmis, de leur propre des-
sein. Son essence n’est pas si euidemmentevidemment commode, qu’on ne
la puisse refuser sans miracle. IeJe trouuetrouve l’effort bien difficile à
la souffrance des maux,: mais au contentement d’vneune medio-
cre mesure de fortune, & fuite de la grādeurgrandeur, ij’y trouuetrouve fort
peu d’affaire. C’est vneune vertu ce me semble, ou moy, qui ne suis
qu’vnun oyson, arriueroisarriverois sans beaucoup de contention. Que
doiuentdoivent faire ceux, qui mettroyent encores en consideration,
la gloire qui accompaigne ce refus, auquel il peut escheoir
plus d’ambition, qu’au desir mesme & iouyssancejouyssance de la gran-
deur.: Dd’autant que l’ambition ne se conduit iamaisjamais mieux se-
lon soy, que par vneune voye esgarée & inusitée. IJ’esguise mon
courage vers la patience, ieje l’affoiblis vers le desir. Autant ay-
ieje à souhaiter qu’vnun autre, & laisse à mes souhaits autant de
liberté & d’indiscretion,: mais pourtant si ne m’est-il iamaisjamais
aduenuadvenu, de souhaiter ny empire ny Royauté, ny l’eminēceeminence de
ces hautes fortunes & commenderesses. IeJe ne vise pas de ce
costé la, ieje m’ayme trop. Quand ieje pense à croistre, c’est basse-
ment, d’vneune accroissance contrainte & coüarde, proprement
pour moy: en resolution, en prudence, en santé, en beauté, &
en richesse encore. Mais ce credit, cette auctorité si puissante,
foule mon imagination. Et tout à l’opposite de l’autre, m’ai-
merois à l’auātureavanture mieux, deuxiesme ou troisiesme à Perigeus,
que premier à Paris: au moins sans mentir, mieux troisiesme à
Paris, que premier en charge. IeJe ne veux ny debattre auecavec vnun
huissier de porte, miserable inconu,: ny faire fendre en adora-
tion, les presses ou ieje passe: iIejJe suis duit à vnun estage moyen, cō-
mecom-
me par ma fortunemon sort, aussi par mon goust. ⁁
⁁ : et ay montré en la
conduite de ma uievie et de
mes entreprinses que
ij’ay plus tost fu4i qu’au=
tremeant, d’eniamberenjamber au
pardessus le degre de
fortune au quel Dieu
logea ma naissance.
Toute conduiteconstitution naturelle est
pareillement iustejuste et aisee.
IJ’ay ainsi l’ame pol-
trone, que ieje ne mesure pas la bonne fortune selōselon sa hauteur,
maisieje la mesure selon sa facilité. ⁁
⁁ Mais si ieje n’ay point le ceur gros asses, ieje l’ay
a lequipolantl’equipolant ouuertouvert, et qui m’ordone de publier
hardimant sa foiblesse. Qui me donrroit a conferer la uievie de
L. Thorius Balbus galant home beau sçauantsçavant sain entandu et abondant
en toute sorte de commodites et plaisirs conduisant une uievie tranquille et priueeprivee toute siene
lamel’ame pr bien preparee contre la mort la superstition les dolurs et autres encombriers de l’humaine necessité
mourant en fin en bataille les armes a la main pour la defance de son païs, d’une part. Et d’autre part la uievie
de M. Regulus aīsiainsi grande et hauteine que chacun la conoit et sa fin admirable: l’une sens nom sens dignite
l’autre exemplere et glorieuse a merueillesmerveilles: ij’en dirois certes ce qu’en dict Cicero, si ieje sçauoissçavois aussi bien dire
que luy. Mais s’il me les faloit coucher sur la miene, ieje dirois aussi que la premiere est autant selon ma portee et
selon mon ⁁ ⁁ desir que ieje conforme a ma portee proietprojet come la seconde est loin au dela. Qu’a ceteci ieje ne puis aueniravenir que par uenerationveneration: ij’auienderoyavienderoy
uolontiersvolontiers a lautrel’autre par usage. ReuenonsRevenonsRetournons a nostre grandur temporelle doud’ou nous somes partis.
IeJe suis desgousté de maistrise, & actiueactive
LLLLl iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& passiuepassive. ⁁
⁁ Otanez l’un des ceussept qui
auointavoint droit de pretandre
au Royaume de Perse print
un parti que ij’eusse pris uolon=
tiersvolon=
tiers: c’est qu’il quita a ses
compaignons son droit d’y
pouuoirpouvoir arriuerarriver par eslection
ou par sort pourueupourveu que luy
& les siens peussent uiurevivre en
toutes franchise et libertè
vescussent en cet empire hors
de toute subiectionsubjection et mais=
trise sauf celle des loix anti=
ques et y eussent toute authoritè
liberte sauf en ce quipourueupourveu qu’elle n’aporteroitat
preiudiceprejudice a icelles qui
ne portastporteroit preiudiceprejudice
à icelles: desgouté de
impatiant de comander
comme destred’estre comandè
Le plus aspre & difficile mestier du monde, à mon
gré, c’est faire dignement le Roy. IJ’excuse plus de leurs fautes,
qu’on ne faict communéement, en consideration de l’horri-
ble poix de leur charge, qui m’estonne. Il est difficile de gar-
der mesure, à vneune puissance si desmesurée. Si est-ce que c’est
enuersenvers ceux mesme qui sont de moins excellente nature, vneune
singuliere incitatiōincitation à la vertu, d’estre logé en tel lieu, ou vous
ne faciez aucun bien, qui ne soit mis en registre & en conte:
& ou le moindre bien faire porte sur tant de gens: & ou vo-
stre suffisance, comme celle des prescheurs, s’adresse princi-
palement au peuple, iugejuge peu exacte, facile à piper, facile à cō-
tentercon-
tenter. Il est peu de choses, ausquelles nous puissions donner
le iugementjugement syncere, parce qu’il en est peu, ausquelles en quel-
que façon nous n’ayons particulier interest. La superiorité &
inferiorité, la maistrise & la subiectionsubjection, sont obligées à vneune
naturelle enuieenvie & contestation, il faut qu’elles s’entrepillent
perpetuellement. IeJe n’enne crois n’y l’vneune ny l’autre, des droicts
de sa compaigne: laissons en dire à la raison, qui est inflexible
& impassible, quand nous en pourrons finer. IeJe feuilletois il
n’y a pas vnun mois, deux liureslivres escossois, se combattans sur ce
subiectsubject. Le populaire rend le Roy de pire condition qu’vnun
charretier, le monarchique le loge quelques brasses au dessus
de Dieu, en puissance & souuerainetésouveraineté. Or l’incommodité de
la grandeur, que ij’ay pris icy à remarquer, par quelque occasiōoccasion
qui vient de m’en aduertiradvertir, est cette cy. Il n’est à l’auantureavanture riērien
plus plaisant au commerce des hommes, que les essays que
nous faisons les vnsuns contre les autres, par ialousiejalousie d’honneur
& de valeur, soit aux exercices du corps ou de l’esprit: aus-
quels la grandeur souuerainesouveraine n’a aucune vraye part. A la ve-
rité, il m’a semblé souuentsouvent, qu’a force de respect, on y traicte
les Princes desdaigneusement & iniurieusementinjurieusement. Car ce
LIVRE TROISIESME.404412
dequoy ieje m’offençois infiniement en mōmon enfance, que ceux
qui s’exerçoyent auecavec moy, espargnassent de s’y employer à
bon escient, pour me trouuertrouver indigne contre qui ils s’effor-
çassent, c’est ce qu’on voit leur adueniradvenir tous les ioursjours, chacun
se trouuanttrouvant indigne de s’efforcer contre eux. Si on recognoist
qu’ils ayent tant soit peu d’affection à la victoire, il n’est ce-
luy, qui ne se trauailletravaille à la leur prester, & qui n’aime mieux
trahir sa gloire, que d’offenser la leur: on n’y employe qu’au-
tant d’effort qu’il en faut pour seruirservir à leur honneur. Qu’elle
part ont ils à la meslée, en laquelle chacun est pour eux. Il me
semble voir ces paladins du temps passé, se presentans aus iou-
stesjou-
stes & aus combats, auecavec des corps, & des armes faëes. Brisson
courant contre Alexandre, se feingnit en la course: Alexandre
l’en tança, mais il luy en deuoitdevoit faire donner le foet. Pour cet-
te consideration, Carneades disoit que les enfans des Princes
n’apprenētapprenent rien à droict qu’a manier des cheuauxchevaux, d’autātautant que
en tout autre exercice, chacun fleschit soubs eux & leur don-
ne gaigné, mais vnun cheualcheval qui n’est ny flateur ny courtisan,
verse le fils du Roy à terre, comme il feroit le fils d’vnun croche-
teur. Homere à esté contrainct de consentir que Venus fut
blessee au combat de Troye, vneune si douce, saincte, & si delica-
te, pour luy donner du courage & de la hardiesse, qualitez qui
ne tombent aucunement en ceux qui sont exempts de dāgerdanger.
On faict courroucer, craindre, fuyr les Dieux, ⁁ ⁁ s’en ialouserjalouser se douloir & se
passionner, pour les honorer des vertus qui se bastissent entre
nous, de ces imperfections. Qui ne participe au hazard & dif-
ficulté, ne peut pretendre interest à l’hōneurhonneur & plaisir qui suit
les actions hazardeuses. C’est pitié de pouuoirpouvoir tant, qu’il
aduienneadvienne que toutes choses vous cedent. Vostre fortune re-
iectere-
jecte trop loing de vous la societé & la compaignie, elle vous
plante trop à l’escart. Cette aysance & láche facilité, de faire
tout baisser soubs soy, est ennemye de toute sorte de plaisir.
ESSAIS DE M. DE MONTA.
C’est glisser cela, ce n’est pas aller, c’est dormir ce n’est pas vi-
urevi-
vre. ConceuezConcevez l’homme accompaigné d’omnipotence, vous
l’abismez: il faut qu’il vous demande par aumosne, de l’empes-
chement & de la resistance.: Sson estre & son bien, est en indi-
gence. ⁁
⁁ Le mal est a l’home
bien a son tour, & le bien
mal ny la dolur n’este luy
est tousiourstousjours a fuir ny
la uoluptevolupte tousiourstousjours a
suiuresuivre
Leurs bonnes qualitez sont mortes & perdues, car elles
ne se sentent que par comparaison, & on les en met hors: ils
ont peu de cognoissance de la vraye loüange, estans batus d’v-
neu-
ne si continuele approbation & vniformeuniforme. Ont ils affaire au
plus sot de leurs subiectssubjects, ils n’ont aucun moyen de prendre
aduantageadvantage sur luy: en disant, c’est pour ce qu’il est mon Roy,
il luy semble auoiravoir assez dict, qu’il à presté la main à se laisser
vaincre. Cette qualité estouffe & consomme les autres quali-
tez vrayes & essentielles,: elles sont enfoncées dans la Royau-
té, & ne leur laisse à eux faire valoir, que les actions qui la tou-
chent directement, & qui luy seruentservent: les offices de leur char-
ge. C’est tāttant estre Roy, qu’il n’est que par la. Cette lueur estrā-
gereestran-
gere qui l’enuironneenvironne, le cache, & nous le desrobe,: nostre veüe
s’y rompt & s’y dissipe, estātestant remplie & arrestée par cette forte
lumiere. Le Senat ordonna le pris d’eloquence à Tybere, il le
refusa, n’estimant pas que d’vnun iugementjugement si peu libre, quand
biēbien il eust esté veritable, il s’en peut ressentir. Comme on leur
cede tous auantagesavantages d’honneur, aussi conforte l’on & aucto-
rise les deffauts & vices qu’ils ont: non seulement par appro-
bation, mais aussi par imitation. Chacun des suyuanssuyvans d’Ale-
xandre portoit comme luy la teste à costé. Et les flateurs de
Dionysius s’entrehurtoyent en sa presence, poussoyent & ver-
soyent ce qui se rencontroit à leurs pieds, pour dire qu’ils a-
uoyenta-
voyent la veuë aussi courte que luy. Les greueuresgreveures ont aussi
par fois seruyservy de recommandation & faueurfaveur. IJ’en ay veu la
surdité en affectatiōaffectation: & par ce que le maistre hayssoit sa fem-
me, Plutarque à veu les courtisans repudier les leurs, qu’ils ay-
moyent. Qui plus est, la paillardise s’en est veüe en credit, &
toute
LIVRE TROISIESME.405413
toute dissolution: comme aussi la desloyauté, les blasphemes,
la cruauté: comme l’heresie: cōmecomme la superstition, l’irreligion,
la mollesse, & pis si pis il y a: par vnun exemple encores plus dā-
gereuxdan-
gereux, que celuy des flateurs de Mithridates, qui d’autātautant que
leur maistre enuioitenvioit l’honneur de bon medecin, luy portoyētportoyent
à inciser & cautheriser leurs membres: car ces autres souffrētsouffrent
cautheriser leur ame, partie plus delicate & plus noble. Mais
pour acheuerachever par ou ij’ay commencé. Adrian l’Empereur de-
batant auecavec le philosophe FauorinusFavorinus de l’interpretation de
quelque mot, FauorinusFavorinus luy en quicta biēbien tost la victoire: ses
amys se plaignans à luy, vous vous moquez fit-il, voudriez
vous qu’il ne fut pas plus sçauantsçavant que moy, luy qui commā-
decomman-
de à trente legions. Auguste escriuitescrivit des vers contre Asinius
Pollio, & moy dict Pollio, ieje me tais, ce n’est pas sagesse d’es-
crire, à l’enuyenvy de celuy qui peut proscrire: & auoyētavoyent raisōraison. Car
Dionysius pour ne pouuoirpouvoir esgaller Philoxenus en la poësie,
& Platon en discours, en condemna l’vnun aus carrieres, & en-
uoyaen-
voya vendre l’autre esclaueesclave en l’isle d’Aegine.
De l’art de conferer.
CHAP. VIII.
C’EST vnun vsageusage de nostre iusticejustice, d’en condamner au-
cuns, pour le seul exemple’aduertissementadvertissement des autres. ⁁
⁁ De les condamner par ce
qu’ils ont failli ce seroit
bestise come dict Platon. Car
ce qui est faict ne se peut
desfaire: mais c’est affin
qu’ils ne faillent plus ou
par eus mesmes ou par autre
moïen de l’incitation de
leur exemplede mesmes ou qu’on fuye
l’exemple de leur faute
On ne corrige
pas celuy qu’on pēdpend, on corrige les autres par luy. IeJe
faicts de mesmes. Mes erreurs sont tantost naturelles & irre-
mediables:incorrigibles. mMais ce que les honnestes hommes profitent
au public en se faisant imiter, ieje le profiteray à l’auantureavanture à
me faire euitereviter.:
Nonne vides Albi vt malè viuat filius, vtque
Barrus inops? magnum documentum, ne patriam rem
Perdere quis velit.
Publiant & accusant mes imperfections quelqu’vnun apprēdraapprendra de
à les craindre. Les parties que ij’estime le plus en moy, tirēttirent plus
MMMMm
ESSAIS DE M. DE MONTA.
d’auantageavantagehoneur de m’accuser, que de me recōmanderrecommander. Voila pour-
quoi ij’y retōberetombe & m’y arreste plus souuantsouvant. Mais quand tout
est cōtéconté, on ne parle iamaisjamais de soy sans perte: lLes propres con-
dēnationscon-
demnations sont tousiourstousjours accruës, les louanges mescruës. Il en
peut estre aucūsaucuns de ma cōplexiōcomplexion, qui m’instruis mieux par cō-
trarietécon-
trarieté que par exemple, & par fuite que par suite. A cette
sorte de discipline regardoit le vieux Caton, quādquand il dict, que
les sages ont plus à apprendre des fols, que les fols des sages:
&Et cet ancien ioueurjoueur de lyre, que Pausanias recite, auoiravoir ac-
coustumé contraindre ses disciples d’aller ouyr vnun mauuaismauvais
sonneur, qui logeoit vis à vis de luy, où ils apprinsent à hayr
ses desaccords & fauces mesures. L’horreur de la cruauté me
reiecterejecte plus auantavant en la clemence, qu’aucun patron de clemē-
ceclemen-
ce ne me sçauroit attirer. VnUn bon escuyer ne redresse pas tant
mon assiete, comme faict vnun procureur, ou vnun Venitien à che-
ualche-
val: &Et vneune mauuaisemauvaise façon de langage reforme mieux la miē-
nemien-
ne, que ne faict vneunela bonne. Tous les ioursjours la sotte contenance
d’vnun autre, m’aduertitadvertit & m’aduiseadvise. Ce qui poind, touche &
esueilleesveille mieux, que ce qui plaist. Ce temps n’est propre à nous
amender qu’à reculons,: par disconuenancedisconvenance plus que par accord,:
par difference, que par similitude. EstātEstant peu aprins par les bōsbons
exemples, ieje me sers des mauuaismauvais, desquels la leçōleçon est ordinai-
re: la veuë ordinaire de la volerie, de la perfidie, à reiglé mes
meurs & contenu. ⁁
⁁ IeJe me suis efforcè de
me rendre autant agre=
able come ij’en uoyoisvoyois de
fascheus. Aussi ferme
que ij’en uoioisvoiois de mols.
aussi dous que ij’en
voiois d’aspres. Mais
ieje me proposois des
mesures inuinciblesinvincibles.
Le plus fructueux & naturel exercice de
nostre esprit, c’est à mon gré la conference. IJ’en trouuetrouve l’vsa-
geusa-
ge plus doux que d’aucune autre action de nostre vie, &Et c’est
la raison pourquoy, si ij’estois asture forcé de choisir, ieje con-
sentirois plustost, ce crois-ieje, de perdre la veuë, que l’ouir
ou le parler. Les Atheniens & encore les Romains, conser-
uoientconser-
voient en grand honneur cet exercice en leurs Academies.
De nostre temps les Italiens en retiennent quelques vesti-
ges, à leur grand profict, comme il se voit, par la compa-
LIVRE TROISIESME.406414
raison de nos entendemens aux leurs. L’estude des liureslivres, c’est
vnun mouuementmouvement languissant & foible, qui n’eschauffe poinct:
la où la conference, apprend & exerce en vnun coup. Si ieje confe-
re auecavec vneune ame forte, & vnun roide iousteurjousteur, il me presse les
flancs, me pique à gauche & à dextre, ses imaginations eslan-
cent les miennes. La ialousiejalousie, la gloire, la contentiōcontention, me pous-
sent & rehaussent au dessus de moy-mesmes. Et l’vnissonunisson, est
qualité du tout ennuyeuse en la conferēceconference. Comme nostre es-
prit se fortifie par la communication des esprits vigoureux
& reiglez, il ne se peut dire combien il perd, & s’abastardit par
le continuel commerce, & frequentation, que nous auonsavons a-
ueca-
vec les esprits bas & maladifs. Il n’est contagion qui s’espande
comme celle-là. IeJe sçay par assez d’experience, combien en
vaut l’aune. IJ’ayme à contester, & à discourir, mais c’est auecavec
peu d’hommes, & pour moy: cCar de seruirservir de spectacle aux
grands, & faire a l’enuyenvy parade de son esprit, & de son caquet,
ieje trouuetrouve que c’est vnun mestier tres-messeant, à vnun hōmehomme d’hō-
neurhon-
neur. La sottise est vneune mauuaisemauvaise qualité, mais de ne la pou-
uoirpou-
voir supporter, & s’en despiter & rōgerronger, comme il m’aduientadvient,
c’est vneune autre sorte de maladie, qui ne doit guere à la sottise,
en importunité: & est-ce qu’à present ieje veux accuser du miēmien.
IJ’entre en conference & en dispute, auecavec grande liberté & fa-
cilité, d’autant que l’opinion trouuetrouve en moy, le terrein mal
propre à y penetrer, & y pousser des hautes racines: nNulles pro-
positions m’estonnent, nulle creance me blesse, quelque con-
trarieté qu’elle aye à la miēnemienne. Il n’est si friuolefrivole & si extrauagā-
teextravagan-
te fātasiefantasie, qui ne me semble biēbien sortable, à la productiōproduction de l’es-
prit humain. Nous autres qui priuonsprivons nostre iugementjugement du
droict, de faire des arrests, regardons mollement les opinions
diuersesdiverses, & si nous n’y prestons le iugementjugement, nous y prestons
aiséement l’oreille. Ou l’vnun plat est vuide du tout en la balācebalance,
ieje laisse vaciller l’autre, sous les sōgessonges d’vneune vieille. Et me sem-
MMMMm ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ble estre excusable, si ieje suisij’accepte plustost le nōbrenombre impair: lLe ieudyjeudy
au pris du vendredy: sSi ieje m’aime mieux douziesme ou qua-
torziesme, que treziesme à table: sSi ieje vois plus volontiers vnun
liéureliévre costoyant, que trauersanttraversant mon chemin, quand ieje voya-
ge: &Et donne plustost le pied gauche, que le droict, à chausser.
Toutes telles rauasseriesravasseries, qui sont en credit autour de nous,
meritent, aumoins qu’on les escoute. Pour moy, elles empor-
tent seulement l’inanité, mais elles l’emportent. Encores sont
en poids, les opinions vulgaires & casuelles, autre chose, que
rien, en nature. Et qui ne s’y laisse aller iusquesjusques la, tombe à l’a-
uanturea-
vanture au vice de l’opiniastreté, pour euitereviter celuy de la su-
perstition. Les contradictions donc, des iugemēsjugemens ne m’offen-
cent, ny m’alterent, elles m’esueillētesveillent seulement & m’exercent.
Nous fuyons à la correction, il s’y faudroit presenter & pro-
duire: notamment quand elle vient par forme de conferance,
non de reiancerejance. A chaque opposition, on ne regarde pas si elle
est iustejuste, mais à tort, ou à droit, cōmentcomment on s’en deffera: aAu lieu
d’y tendre les bras, nous y tendons les griffes. IeJe souffrirois e-
stre rudement heurté par mes amis,. tTu es vnun sot, tu resuesresves: iIjJ’ay-
me entre les galans hōmeshommes, qu’on s’exprime courageusement:
que les mots aillētaillent ou va la pensée. Il nous faut fortifier l’ouie,
& la durcir, contre cette tandreur, du son ceremonieux des pa-
rolles. IJ’ayme vneune societé, & familiarité forte, & virile: vneune a-
mitié, qui se flatte en l’aspreté & vigueur de son commerce:
comme l’amour, és morsures & esgratigneures sanglantes. ⁁
⁁ Les amities ne me
samblētsamblentElle n’est pas asses uigo=
reusesvigo=
reuses et genereuses
si elles ne sont n’est
quereleuses. Si elle
est ciuiliseecivilisee modifiee
et artiste. Si elle
creint le hurt & ha ses
allures contreintes.
Neque enim disputari
sine reprehensione potest.
Quand on me contrarie, on esueilleesveille mon attention, non pas
ma cholere: ieje m’auanceavance vers celuy qui me cōtreditcontredit, qui m’ad-
uertitad-
vertit. La cause de la verité, deuroitdevroit estre la cause commune, à
l’vnun & à l’autre:. qQue respondra-il? lLa passion du courroux luy à
desiadesja frappé le iugementjugement: lLe trouble, s’en est saisi, auantavant la rai-
son. Il seroit vtileutile, qu’on passast par gageure, le iugemētjugementla decision de nos
disputes: qQu’il y eut vneune marque materielle de nos pertes: affin
LIVRE TROISIESME.407415
q̄que nous en tinssions cōteconteestat: & que mōmon valet me peut dire,. iIl vous
costa l’année passée cent escus, à vingt fois, d’auoiravoir esté igno-
rant & opiniastre. IeJe festoye & caresse la verité en quelque
main que ieje la trouuetrouve,: & m’y rends alaigrement, & luy tends
mes armes vaincues, de loing que ieje la vois approcher. ⁁
⁁ Et pourueupourveu qu’ilson n’y procedent d’une trouigne re trop imperieuse et
regentesquemagistrale, ieje preste l’espaule aus reprehantions que les lonl’on
amis fontfaict en mes escris: et les ai souuantsouvant corrigezchangez plus part changez plus
par raison de ciuilitècivilitè, que par raison d’amandemant: aimant a
gratifier et nourrir la libertè de m’aduertiradvertir, par la facilitè
de ceder: oui, a mes despans. Toutesfois il est certes malaisé d’y attirer
les homes de mon temps: ils n’ont pas le corage de corriger, par ce qu’ils
n’ont pas le corage de souffrir a l’estre, et parlent tousiourstousjours aueqaveq dissimu=
lation en uisagevisagepresance les uns des autres. IeJe prens si grādgrand plaisir d’estre iugéjugé &
conu qu’il m’est come indifferent en quelle des deus formes ieje cle soits. Mon imagination
se contredit elle mesme si souuentsouvent ent condamne, que ce m’est tout un qu’un autre le
face: veu principalement que ieje ne done à sa reprehātionreprehantion que l’authorité que ieje ueuxveux. ⁁
⁁ Mais ieje romps paille auecavec celuy, qui se tient si haut à la main: comme ij’en cognoy quelqu’vnun, qui plaint son
aduertissementadvertissement s’il n’en est creu: & prend à iniureinjure, si on estriueestrive à le suiuresuivre. Ce que
Socrates receuilloit tousiourstousjours riant les contradictions qu’on faisoit a son discours on pourroit dire
que sa force en estoit cause et que l’auantageavantage aïant a tumber certeinemant de son coste il les
acceptoit come matiere de nouuellenouvelle gloire. Mais nous uoionsvoions au rebours qu’il n’est rien qui nous y
rende le sentimant si delicat que l’opinion de la praeeminance et desdein de l’aduersereadversere. Et que par raison
c’est au foible plus tost d’accepter de bon gre les oppositions qui le redressent et instruisentrabillētrabillent
EtIeJe cer-
che certesa la ueritéverité plus la frequentation de ceux qui me gourment,
que de ceux qui me craignent. C’est vnun plaisir fade & nuisi-
ble, d’auoiravoir affaire à gens qui nous admirent & facent place.
Antisthenes commanda à ses enfans, de ne sçauoirsçavoir iamaisjamais gré
ny grace, à homme qui les louat. IeJe me sens bien plus fier de
la victoire que ieje gaigne sur moy, quand en l’ardeur mesme
du cōbatcombat, ieje me faicts plier soubs la force de la raison de mon
aduersaireadversaire,: que ieje ne me sens gré, de la victoire que ieje gaigne
sur luy, par sa foiblesse. En fin ieje reçois & aduoueadvoue toute sorte
d’atteinctes qui sont de droict fil, pour foibles qu’elles soient,
mMais ieje suis ⁁ par trop impatient de celles qui se donnent sans forme. Il
me chaut peu de la matiere, & me sont les opinions vnesunes, &
la victoire du subiectsubject à peu pres indifferente. Tout vnun iourjour
ieje contesteray paisiblement, si la conduicte du debat se suit
auecavec ordre,⁁
⁁ Ce n’est pas ⁁ ⁁ tant la force et la subtilite que ieje demande, c’estcome lordrel’ordre. L’ordre qui se uoitvoit tous les
tousiourstousjours aus altercations des bergiers et des enfans de boutique: iamaisjamais entre nous. S’ils
se detraquent c’est en inciuiliteincivilite: si faisons nous bien. Tant y a que le sens tient bon: le
propos ne bouge de son cours: le nostre n’y est iamaisjamais. Ils s’entrecoupent et ne s’atandent
point: nous ne nous atandons ny ne nous entandons. Mais si la conduicte leur tumulte et
impatiance ne les deuoyedevoye pas de leur theme: leur propos suit son cours. S’ils praeuienentpraevienent
l’un lautrel’autre s’ils ne s’atandent pas, au moins ils s’entendent. On respontd tousiourstousjours trop bien pour moi
si on respond a propos.
mais au rebours, si elleMais ieje dis que quand la dispute est trouble & des-reglée,
ieje quitte la chose, & m’attache à la forme, auecavec despit & indis-
cretion: & me iettejette à vneune façon de debattre, testuée, malicieu-
se, & imperieuse, dequoy ij’ay à rougir apres.⁁
⁁ : il est impossible
de disputertreter de bonne
foy aueqaveq un sot. Mon
iugementjugement ne se
corrompt pas sulement
a la maisn d’un m
maistre si impetueux.
Mais aussi ma cōsci=
anceconsci=
ance. Nos disputes
deuointdevoint estre pu
defandues et punies
come d’autres crimes
uerbausverbaus. Quel uicevice
n’esueillentesveillent elles &
n’amoncellent
tousiourstousjours guidees
par la cholere regies
et comandees par la cholere.
Nous entrons en inimitie premie=
remātpremie=
remant contre les raisons et puis contre
les homes. mesmes Platon dict que
nNous n’aprenōsaprenons a disputer que pour
contredire et que chacūchacun contredisant
et estant contredict il en aduientadvient que lae
ueriteverite se pert et aneantit fruit du disputer,
c’est perdre & aneantir la ueriteverite. Ainsi
Platon en sa republique prohibe cet
exercice aus esprits ineptes et mal nays.
De vray, àA quoy
faire vous mettez vous en voie de quester la veritéce qui est, auecavec celuy
qui n’a ny pas, ny alleure qui vaille. On ne faict poinct tort au
subiectsubject, quand on le quicte, pour voir du moyen de le trai-
cter: ieje ne dis pas moyen scholastique & artiste, ieje dis moyen
naturel, d’vnun sain entendement. Que sera-ce en fin? l’vnun va en
orient, l’autre en occident: iIls perdent le principal, & l’escar-
tent dans la presse des incidens,: aAu bout d’vneune heure de tem-
peste, ils ne sçauentsçavent ce qu’ils cerchent,: l’vnun est bas, l’autre
haut, l’autre costié. Qui se prend à vnun mot & vneune comparai-similitude
MMMMm iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
son:. qQui ne sent plus ce qu’on luy oppose, tant il est engagé en
sa course,: & pense à se suyuresuyvre, non pas à vous respondre. Qui
se trouuanttrouvant foible de reins, craint tout, refuse tout,: mesle
des l’entrée, & trouble la dispute.confont le propos ⁁
⁁
ou sur l’effort du
debat se mutine
à se taire tout
plat: par une
ignorance despite
affectant ung
orgueilleux
mespris: ou une
sottemant modeste
fuite de contan=
tion.
PourueuPourveu que cettuy-cy frap-
pe, il ne luy chaut combien il se descouuredescouvre?. L’autre compte ses
mots & les poise pour raisons. Celuy-là ny emploie que l’ad-
uantagead-
vantage de sa voix, & de ses poulmons. En voila qui conclud
cōtrecontre soy-mesme:. &Et cettuy-cy qui vous assourdit de prefaces
& digressions inutiles.⁁
⁁ . Cet autre s’arme de pures iniuresinjures: aimant mieus estre
en querelle qu’en dispute, et se trouuanttrouvant plus fort de poings que
de raisons sSe fiant plus de son poing que de sa langue. Ou
aimant mieus ceder par le corps que par l’esperit. et cherche une
querelle d’Alemaigne pour se desfaire de la societe et
conferance d’un esperit qui presse le sien.
Ce dernier ne voit riērien en la raison, mais
il vous tient assiegé sur la closture dialectique de ses clauses,
& sur les formules de son art. Or qui n’entre en deffiance des
sciences, & n’est en doubte, s’il s’en peut tirer quelque solide
fruict, au seruiceservicebesoin de la vie, à considerer l’vsageusage que nous en
auonsavons? ⁁
⁁ Nihil sanantibus
litteris.
Qui à pris de l’entendement en la logique,? où sont ses
belles promesses, ⁁ ⁁ nec ad melius uiuendum nec ad commodius disserendum. vVoit-on plus de barbouillage au caquet des
harengeres, qu’aux disputes publiques des hommes de cette
profession? IJ’aymeroy mieux, que mon fils apprint aux tauer-
nestaver-
nes à parler, qu’aux escholes de la parlerie. Ayez vnun maistre és
arts, conferez auecavec luy, que ne nous faict-il sentir cette excel-
lence artificielle, & ne rauitravit les femmes, & les ignorans cōmecomme
nous sommes, par l’admiration de la fermeté de ses raisons, de
la beauté de son ordre: que ne nous domine-il & persuade
comme il veut? VnUn homme si auantageuxavantageux en matiere, & en
conduicte, pourquoy mesle-il à son escrime les iniuresinjures, l’in-
discretion & la rage? Qu’il oste son chapperon, sa robbe,
& son latin, qu’il ne batte pas nos aureilles d’Aristote tout
pur & tout cru, vous le prendrez pour l’vnun d’entre nous,
ou pis. Il me semble de cette implication & entrelasseure
due langage, par où ils nous pressent, qu’il en va comme des
ioueursjoueurs de passe-passe: leur soupplesse combat & force nos
sens, mais elle n’esbranle aucunement nostre creance: hors
ce bastelage, ils ne font rien qui ne soit commun & vile.
LIVRE TROISIESME.408416
Pour estre plus sçauanssçavans, ils n’en sont pas moins ineptes. IJ’ay-
me & honore le sçauoirsçavoir, autant que ceux qui l’ont, & en son
vray vsageusage, c’est le plus noble & puissant acquest des hom-
mes: mais en ceux là (& il en est vnun nombre infiny de ce gen-
re) qui en establissent leur fondamentale suffisance & valeur,
qui se raportent de leur entendement à leur memoire, ⁁
⁁ sub aliena umbra
latentes, nunquam
auctores, semper
interpretes qui se
tapissent sous l’ombre
estrangiere
sub aliena umbra late
latentes
& ne
peuuentpeuvent rien que par liurelivre, ieje le hay, si ieje l’ose dire, vnun peu plus
que la bestise. En mon pays, & de mon temps, la doctrine a-
mande assez les bourses, rarement les ames. Si elle les remncon-
tre mousses, elle les aggraueaggrave & suffoque, masse crue & indi-
geste: si desliées, elle les purifie volontiers, clarifie & subtilise
iusquesjusques à l’exinanition. C’est chose de qualité à peu pres in-
differētein-
differente: tres-vtileutile, accessoire à vneune ame biēbien née, pernicieux à
vneune autre ame & dōmageabledommageable. Ou plustost, chose, de tres-no-
ble & tres pretieux vsageusage, qui ne se laisse pas posseder à vil pris:
en quelque main c’est vnun sceptre, en quelque autre, vneune ma-
rotte. Mais suyuonssuyvons. Qu’elleQuelle plus grande victoire attendez
vous, que d’apprendre à vostre ennemy qu’il ne vous peut
combatre? Quand vous gaignez l’auantageavantage de vostre propo-
sition, c’est la verité qui gaigne: quand vous gaignez l’auan-
tageavan-
tage de l’ordre, & de la conduite, c’est vous qui gaignez. ⁁
⁁ Il m’est aduisadvis que en
Platon et en Xenophon
Socrates displute plus en
faueurfaveur des disputans
que en faueurfaveur de la
dispute et pour instruire
Euthydemus Gorgias &
Protagoras de la conois=
sāceconois=
sance de leur impertinance
plus que de l’impertinance
de leur art Il empouigne
la premiere matiere comme
celuy qui ha une fin plus
utille que de l’esclercir
asçauoirasçavoir esclercir les
esprits qu’il prant a manier
et exercer.
L’a-
gitation & la chasse est proprement de nostre rollegibier, nous ne
sommes pas excusables de la conduire mal & impertinem-
ment: de faillir à la prise c’est autre chose. Car nous sommes
nais à quester la verité, il appartient de la posseder à vneune plus
grande puissance. Elle n’est pas, comme disoit Democritus,
cachée dans le fons des abismes, mais plustost esleuéeeslevée en hau-
teur infinie en la cognoissance diuinedivine. ⁁
⁁ Multis fuit pericu=
lis caussa philosofia
insolenter iactata est
contumaciter.
Cette addition était insérée primitivement quelques lignes plus loin après "dire." au niveau de la marque d’insertion biffée.
⁁ Le monde n’est
qu’une escole
d’inquisition
Ce n’est pas à qui met-
tra dedans, mais à qui faira les plus belles courses. AutātAutant peut
faire le sot, celuy qui dict vray, que celuy qui dict faux: car
nous sommes sur la maniere, non sur la matiere du dire. ⁁ Mon
humeur est de regarder plusautant à la forme qu’a la substance, plusautant
ESSAIS DE M. DE MONTA.
à l’aduocatadvocat qu’a la cause, comme Alcibiades ordōnoitordonnoit qu’on
fit. ⁁
⁁ Et me suis souuantsouvanttous les ioursjours m’
amusèMontaigne en modifiant sa phrase a omis de supprimer l’accent du mot "amusé". a lire en des
autheurs sans soin du
bien fonde de leur matieresciance:
y cherchant laleur façon
sulemant et la force uigurvigur
de non leur ame.matiere. come en
Pline le uieilvieil, en subiectsubject.
Quintilien. Tout ainsi
que ieje rechercheroispoursuis la
communication de quelque
esprit fameus non pour
qu’il m’enseignate mais
pour que ieje le conesse.
Tout homme peut dire veritablement, mais dire ordon-
néement, prudemment, & suffisamment,prudemment et suffisamment peu d’hommes le
peuuentpeuvent. Par ainsi la fauceté qui vient d’ignorance, ne m’of-
fence point, c’est l’ineptie. IJ’ay rompu plusieurs marchez qui
m’estoyent vtilesutiles, par l’impertinence de la contestation de
ceux, auecavec qui ieje marchandois. IeJe ne m’esmeus pas vneune fois
l’an, des fautes de ceux sur lesquels ij’ay puissance, mais sur le
poinct de la bestise & opiniastreté de leurs allegations, excu-
ses & defences, asnieres & brutales, nous sommes tous les
ioursjours à nous en prendre à la gorge. Ils n’entendent ny ce qui
se dict, ny pourquoy, & respondent de mesme: c’est pour de-
sesperer. IeJe ne sens heurter rudement ma teste, que par vneune
autre teste. Et entre plustost en composition auecavec le vice de
mes gens, qu’auecavec leur temerité, importunité & leur sottise.
Qu’ils facent moins, pourueupourveu qu’ils soyent capables de faire:
vous viuezvivez en esperance d’eschauffer leur volonté: mais d’vneune
souche, il nyn’y a ny qu’esperer, ny que iouyrjouyr qui vaille. Or quoi
si ieje prens les choses autrement qu’elles ne sont:? il peut estre:
& pourtant ij’accuse mon impatience. Et tiens, premieremētpremierement,
qu’elle est également vitieuse en celuy qui à droict, comme
en celuy qui à tort: car c’est tousiourstousjours vnun’aigreur tyrannique,
de ne pouuoirpouvoir souffrir vneune forme diuersediverse à la sienne: &Et puis,:
qu’il n’est à la verité point de plus grande fadese, & plus con-
stante, que de s’esmouuoiresmouvoir & piquer des fadeses du monde,
ny plus heteroclite. Car elle nous formalise principallement
contre nous: & ce philosophe du temps passé n’eust iamaisjamais
eu faute d’occasion à ses pleurs, tant qu’il se fut consideré. ⁁
⁁ EtCar mMyson l’un des sept
sages d’une humeur Timo=
niene interroge de quoi il
rioit ainsi tout sulet Democritiene interrogè
de quoi il rioit tout sul: de
ce mesmes, que ieje ris tout sul,
respondit il.
Cō-
bienCom-
bien de sottises dis-ieje, & respons-ieje tous les ioursjours, selon moy-:
mesme: & volontiers ⁁ ⁁ donq combien plus frequentes, selon au-
truy. ⁁
⁁ Si moimesmeieje m’en mors
les leureslevres, qu’en doiuentdoivent
faire les autres. Pour
bien fairesomme, il faut uiurevivre
entre les uiuansvivans et laisser chacun courre a sa modecourre la riuiereriviere sous le pont sans nostre souin
ou a tout le moins sans nostre alteration.
Voyre mais, pourquoy sans nous esmouuoiresmouvoir, rencōtrōsrencontrons
nous quelqu’vnun qui ayt le corps tortu & mal basty, & ne pou-
uonsvons
LIVRE TROISIESME.409417
uonsvons souffrir le rencōtrerencontre d’vnun esprit mal rengé, sans nous met-
tre en cholere. Cette ⁁ ⁁ uitieusevitieuse aspreté tient plus au iugejuge qu’à la faute.
Ayons tousiourstousjours en la bouche ce mot de PlatōPlaton: ⁁
⁁ Ce que ieje treuuetreuve mal
sain n’est ce pas que ieje sois
mal sain moimesme pour
estre moimesme mal sain
nNe suis-ieje pas
moy mesmes en coulpe, mMon aduertissemētadvertissement se peut-il pas cō-
tournercon-
tourner enrenuerser contrerenverser contre moy? Sage & diuindivin refrein, qui fouete la plus vni-
uerselleuni-
verselle, & commune erreur des hommes: ⁁
⁁ Non sulement
les reproches que nous faisons les
uns aus autres
Mais nos raisons
aussi et nos argu=
mans es matieres
controuersescontroverses sont
ordineremant
contournables uersvers
nous et nous
enferrons de
nos armes. De
quoi lantienetél’antieneté
m’a laisse asses
de grauesgraves
exemples.
cestc’est veritable-
mentCe fut ingenieusement
bien dict, & bientres à propos, par celuy qui l’inuantainvanta.
sStercus cuique suum bene olet. ⁁
⁁ Nos yeus ne uoientvoient
rien en derriere. Cent
fois du iourjour nous ⁁ ⁁ nous nous moquons de nous sur le subietsubjet de nostre uoisinvoisin et detestons
en d’autres les mausdefaus qui
sont en nous plus clerement
et plus apparamet les admirons d’une
merueilleusemerveilleuse impudance
et inaduertanceinadvertance ⁁
⁁ Encores hier ieje fus a mesmes de uoirvoir un home d’entendement et
gentil personage se moquant aussi plaisammātplaisammant que iustemātjustemant de l’importuneinepte
façon d’un autre qui rompt la teste a tout le monde de ses genealogies & alliances
plus de moitie fauces (ceus la se iettētjettent plus uolontiersvolontiers sur leur noblessetels sots propos qui l’ont leurs qualites plus doubteuses
moins seures) par maniere de precaution.) Et luy s’il eut recule sur soi se fut trouuetrouve non moinsguere moins
intemperant et ennuïeus a fai semer & faire ualoirvaloir les prerogatiuesprerogatives de la race de sa feme O importune
presumption de la quelle la feme se uoitvoit armee par les mains de son mari mesme. S’ils entandoiītentandoiint Latin
il luyle faudroit dire Age si haec non insanit satis sua sponte, instiga
IeJe
n’entans pas que nul n’accuse
qui ne soit net: car nul
n’accuseroit: uoirevoire ny net
en mesme sorte de coulpe.
Mais ij’entans que nostre
iugementjugement chargeant sur un
autre, du quel pour lors il
est question, ne nous
espargne pas d’une interne
iurisdictionjurisdiction. C’est un office
de charite que qui ne peut oster
un uicevice en soi chercher a
l’oster en autruy mais le
condamner esgalemātesgalemant en l’un
et en l’autre ce neantmoins
en autruy: ou il peut auoiravoir
moins maligne et reuescherevesche
semence. Ny me ne me semble
responce a propos, a celuy
qui m’aduertitadvertit de ma faute
luy dire qu’ell’est aussi en luy.
Quoi pour cela? TousioursTousjours
l’aduertissementadvertissement est uraivrai &
utille et charitable. Si nous
auionsavions bon nez nostre ordure
nous deuroitdevroit plus puïr d’autant
qu’elle est nostre. Et Socrates
est d’auisavis que chacun aïant
faict qui se trouueroittrouveroit
coulpable & son filx & un
estrangier de quelque
uiolanceviolance et iniureinjure deuroitdevroit
comancer par soi a se presenter
a la cōdānationcondamnation de la iusticejustice
et implorer pour se purger
le secours de la main du
bourreau secondemātsecondemant pour son
fis et dernieremētdernierement lestrāgierl’estrangier
pour l’estrangier. Si ce
precepte prent le ton un peu
trop haut au moins se doit il
presanter le premier a la punition de
sa propre consciance.
Somme, il faut viurevivre entre les viuansvivans, & laisser chacun courre
sa mode, sans nostre soing, & sans alteration. Les sens sont nos
propres & premiers iugesjuges, qui n’apperçoiuentapperçoivent les choses que
par les accidēsaccidens extremernes: & n’est merueillemerveille, si en toutes les pie-
ces du seruiceservice de nostre societé, il y a vnun si perpetuel, & vni-
uerseluni-
versel meslange de ceremonies & apparences superficielles,: si
que la meilleure, & plus effectuelle part des polices, consiste
en cela. C’est tousiourstousjours à l’homme que nous auonsavons affaire,
duquel la condition est merueilleusementmerveilleusement corporelle. Que
ceux qui nous ont voulu bastir ces années passées, vnun exerci-
ce de religion, si contemplatif & immateriel, ne s’estonnent
point, s’il s’en trouuetrouve, qui pensent, qu’elle fut eschapée & fon-
due entre leurs doigts, si elle ne tenoit parmy nous, comme
marque, tiltre, & instrument de diuisiondivision & de part, plus que
par soy-mesmes. Comme en la conference: la grauitégravité, la rob-
be, & la fortune, de celuy qui parle, donne souuentsouvent credit à
des propos vains & ineptes: il n’est pas à presumer, qu’vnun mō-
sieurmon-
sieur, si suiuysuivy, si redouté, n’aye au dedāsdedans quelque suffisance au-
tre que populaire, & qu’vnun homme à qui on donne tant de
commissions, & de charges, si desdaigneux & si morguant, ne
soit plus habile, que cet autre, qui le salue de si loing, & q̄que per-
sonne n’employe. Non seulement les mots, mais aussi les gri-
maces, de ces gens là, se considerent & mettent en cōptecompte: cha-
cun s’appliquant à y donner quelque belle & solide interpre-
NNNNn
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tation. S’ils se rabaissent à la conference commune, & qu’on
leur presente autre chose qu’aprobation & reuerencereverence, ils vous
assomment de l’authorité de leur experience: ils ont ouy, ils
ont veu, ils ont faict, vous estes accablé d’exemples. IeJe leur di-
rois volontiers, que le fruict de l’experience d’vnun chirurgien,
n’est pas l’histoire de ses practiques, & se souuenirsouvenir qu’il a gue-
ry quatre empestez & trois gouteux, s’il ne sçait de cet vsageusage,
tirer dequoy former son iugementjugement, & ne nous sçait faire sen-
tir, qu’il en soit deuenudevenu plus sage au seruiceservice l’usage de son art. ⁁
⁁
Come en un concert
d’instrumans on n’oit
pas un lut un’espinete &
la flutte: on oit une
harmonie en globe, las=
semblagel’as=
semblage et le fruict de
tout cet amas.
Si les
voyages & les charges les ont amendez, c’est à la production
de leur entendement de le faire paroistre. Ce n’est pas assez de
compter les experiences, il les faut poiser & assortir, & les faut
auoiravoir digerées & alambiquées, pour en tirer les raisons & con-
clusions qu’elles portent. Il ne fut iamaisjamais tant d’historiens. BōBon
est-il tousiourstousjours, & vtileutile de les ouyr, car ils nous fournissent
tout plain de belles instructions & louables, du magasin de
leur memoire: grande partie certes, au seruiceservicesecours de la vie: mais
nous ne cerchons pas cela pour cette heure, nous cerchons si
ces recitateurs & recueilleurs sont louables eux mesmemesmes. IeJe hay
toute sorte de tyrannie, & la parliere, & l’effectuelle. IeJe me bā-
deban-
de volontiers contre ces vaines circonstances, qui pipent no-
stre iugementjugement par les sens: & me tenant au guet de ces gran-
deurs extraordinaires, ay trouuétrouvé que ce sont en sommepour le plus, des
hommes comme les autres.,
Rarus enim fermè sensus communis in illa
Fortuna,.
A l’auātureavanture les estime l’ōon, & aperçoit moindres qu’ils ne sont,
d’autant qu’ils entreprennent plus, & se montrent plus,: ils ne
respondent point au faix qu’ils ont pris. Il faut qu’il y ayt plus
de vigueur, & de pouuoirpouvoir, au porteur, qu’en la charge. Celuy
qui n’a pas rēplyremply sa force, il vous laisse deuinerdeviner, s’il a encore de
la force au delà, & s’il à esté essayé iusquesjusques à son dernier point:
LIVRE TROISIESME.410418
celuy qui succōbesuccombe à sa charge, il descouuredescouvre sa mesure, & foi-
blesse de ses espaules. C’est pourquoy on voit tant d’ineptes
ames entre les sçauantessçavantes, & plus que d’autres: il s’en fut faict
des bons hommes de mesnage, bons marchans, bons artizāsartizans:
leur vigueur naturelle estoit taillée à cette proportion. C’est
chose de grand poix que la science, ils fondent dessoubs: pour
estaller & distribuer cette noble & puissante matiere, pour
l’employer & s’en ayder, leur engin n’a, ny assez de vigueur, ny
assez de maniement: elle ne peut qu’en vneune forte nature,
or elles sont bien rares. ⁁
⁁ Et les foibles dict
Socrates corrompent
la dignite de la philosofie
en la maniant. Elle paroist
et inutile et uitieusevitieuse quand
elle est mal estuïee.
Voila cōmentcomment ils se gastētgastent & affolent,
Humani qualis simulator simius oris,
Quem puer arridens, pretioso stamine serum
Velauit, nudásque nates ac terga reliquit,
Ludibrium mensis.
A ceux pareillement, qui nous regissent & commandent, qui
tiennent le monde en leur conduictemain, ce n’est pas assez d’auoiravoir
vnun entendement commun, de pouuoirpouvoir ce que nous pouuōspouvons:
ils sont bien loing au dessoubs de nous, s’ils ne sont bien loing
au dessus. Comme ils promettent plus, ils doiuentdoivent aussi plus: &
pourtant leur est le silence, non seulement contenance de res-
pect & grauitégravité, mais encore souuentsouvent de profit & de mesnage:
car Megabysus estant allé voir Appelles en son ouurouerouvrouer, fut
long temps sans mot dire, & puis cōmençacommença à discourir de ses
ouuragesouvrages, dont il receut cette rude reprimende. Tandis que
tu as gardé silence, tu semblois quelque grande chose, à cause
de tes cheines & de ta pompe: mais maintenant qu’on tat’a ouy
parler, il n’est pas iusquesjusques aux garsons de ma boutique qui ne
te mesprisent. Ces magnifiques atours, ce grand estat, ne luy
permettoiētpermettoient point d’estre ignorant d’vneune ignorāceignorance populaire:,
& de parler impertinēmētimpertinemment de la peinture: il deuoitdevoit maintenir
muet, cette externe & praesomptiuepraesomptive suffisance. A combien de
sottes ames en mon tēpstemps, à seruyservy vneune mine froide & taciturne,
NNNNn ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de tiltre de prudēceprudence & de capacité. Les dignitez, les charges, se
donnent necessairement, plus par fortune que par merite, & à
l’ōon tort souuētsouvent de s’en prēdreprendre aux Roys. Au rebours, c’est mer-
ueillemer-
veille qu’ils y aient tāttant d’heur, y ayant si peu d’adresse: ⁁
-
⁁ Principis est uirtus
maxima, nosse suos:
car la na-
ture ne leur a pas dōnédonné la veuë, qui se puisse estēdreestendre à tāttant de peu
ples, pour discerner de la precellēceprecellence, & perser nos poitrines, où
loge la cognoissance de nostre volonté & de nostre ⁁ ⁁ uraievraie suffisance.meillure ualurvalur.
Il faut qu’ils nous triēttrient par cōiectureconjecture, & à tastōstastons: par la race, les
richesses, la doctrine, la voix du peuple: tres-foibles argumens.
Qui pourroit trouuertrouver moiēmoien, qu’ōon en peut iugerjuger par iusticejustice, &
choisir les hōmeshommes par raisōraison, establiroit de ce seul trait, vneune par-
faite forme de police. Ouy mais, il à mené à point ce grādgrand af-
faire: c’est dire quelque chose, mais ce n’est pas assez dire,: car
cette sentēcesentence est iustemētjustement receuë, qu’il ne faut pas iugerjuger les cō-
seilscon-
seils par les euenemensevenemens: ⁁
⁁ Les Carthaginois
punissoint les mauuesmauves
aduisadvis de leurs capitenes
encore qu’ils fussent
corrigez par une hureuse
yssue. Et le peuple Romein
a souuantsouvant refuse le triumfe
a des grandes & tres utilles
victoires par ce que la
conduite du chef ne
respondoit point a son
bonheur. On
& s’aperçoit on ordinairement aux a-
ctions du mōdemonde, que la fortune, pour nous apprendre, cōbiencombien
elle peut en toutes choses, & qui prent plaisir à rabatre nostre
presomptiōpresomption, n’aiant peu faire les malhabiles sages, elles les fait
heureux, à l’enuyenvy de la vertu. Et se mesle volontiers à fauoriserfavoriser
les executions, ou l’operatiōoperationla trame est plus puremētpurement sienne. D’où il
se voit tous les ioursjours, que les plus simples d’entre nous, mettētmettent
a fin de tresgrandes besongnes & publiques & priuéesprivées. Et cō-
mecom-
me SirāneszSirannesz le Persien, respōditrespondit à ceux qui s’estonnoiētestonnoient cōmentcomment
ses affaires succedoiētsuccedoient si mal, veu q̄que ses propos estoiētestoient si sages,
qu’il estoit seul maistre de ses propos, mais du succez de ses af-
faires c’estoit la fortune: ceux-cy peuuētpeuvent respōdrerespondre de mesme,
mais d’vnun cōtrairecontraire biais. La plus part des choses du mōdemonde se fōtfont
par elles mesmes., Fata viam inueniunt,. uersvers
L’issuë authorise souuētsouvent vneune tresinepte cōduiteconduite. Nostre entre-
mise n’est quasi qu’vneune routine, & plus cōmunéementcommunéement cōside-
ratiōconside-
ration d’vsageusage, & d’exēpleexemple, q̄que de raison. EstōnéEstonné de la grādeurgrandeur de
l’affaire, ij’ay autrefois sceu par ceux qui l’auoientavoient mené à fin,
leurs motifs & leur addresse, ieje n’y ay trouuétrouvé que des aduisadvis
LIVRE TROISIESME.411419
vulgaires,: & les plus vulgaires & vsitezusitez, sont aussi peut estre, les
plus seurs & plus cōmodescommodes à la pratiq̄pratique, sinōsinon à la mōtremontre:. qQuoy si
les plus plattes raisons, sont les mieux assises,: les plus mollesbasses et laches, &
les plus battues, se couchētcouchent mieux aux affaires? Pour conseruerconserver
l’authorité du conseil des Roys, il n’est pas besoing que les
personnes profanes y participent, & y voyent plus auantavant que
de la premiere barriere. Il se doibt reuererreverer à credit & en bloc,
qui en veut nourrir la reputation. Ma consultation esbauche
vnun peu la matiere, & la considere legierement par ses premiers
visages: le fort, & principal de la besongne ij’ay accoustumé
de le resigner au ciel,
Permitte diuis caetera.
L’heur & le mal’heur, sont à mon gré deux souuerainessouveraines puis-
sances. C’est imprudence, d’estimer que l’humaine prudence
puisse rēplirremplir le rolle de la fortune. Et vaine est l’ētrepriseentreprise de ce-
luy, qui presume d’ēbrasserembrasser & causes & cōsequēcesconsequences, & mener
par la main, le progrez de son faict,: vaine sur tout aux delibe-
rations guerrieres. Il ne fut iamaisjamais tantplus de circonspection &
prudence militaire, notamment en nostre nation, comme ij’en
vois en vsageusagequ’il s’en uoitvoit par fois entre nous: sSeroit ce que chacunonque chacun’on crainct de se perdre en
chemin, se reseruantreservant à la catastrophe de ce ieujeu. IeJe dis plus, que
nostre sagesse mesme & consultation, suit pour la plus part
la conduicte du hazard. Ma volonté & mon discours, se re-
mue tantost d’vnun air, tantost d’vnun autre, & y a plusieurs de ces
mouuemensmouvemens, qui se gouuernentgouvernent sans moy: ma raison à des
impulsions & agitations iournallieresjournallieres, et casuelles,
VertuntnrVertuntur species animorum, & pectora motus
Nunc alios, alios dum nubila ventus agebat
Concipiunt.
Qu’on regarde qui sont les plus puissans aus villes, & qui font
mieux leurs besongnes, on trouueratrouvera ordinairemētordinairement, que ce sont
les moins habiles: il est aduenuadvenu aux femmes aux enfans, & aux
NNNNn iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
insensez, de commander des grands estats, à l’esgal des plus
suffisans Princes.⁁
-
⁁ et y rencontrent
les esperits mousses
nous dict Thucidides
plus ordineremant
que les pointus
grossiers que les
subtils.
Nous attribuons les effects de leur bonne
fortune à leur prudence. ⁁
⁁ ut quisque fortuna utitur
Ita praecellet, atque exinde sapere illum omnes dicimus.
Parquoy ieje dis bien, en toutes fa-
çons, que les euenemēsevenemens, sont debilesmaigres tesmoings de nostre pris
& capacité. Or ij’estois sur ce point, qu’il ne faut que voir vnun
homme esleuéeslevé en dignité, quand nous l’aurions cogneu trois
ioursjours deuantdevant, homme de peu, il coule insensiblement en nos
opinions, vneune image de grandeur, de suffisance, & nous per-
suadons que croissant de trein & de credit, il est creu de meri-
te. Nous iugeonsjugeons de luy non selon sa valeur:, mais à la mode
des getons, selon la prerogatiueprerogative de son rang. Que la chanse
tourne aussi, qu’il retombe & se remesle à la presse, chacūchacun s’en-
quiert auecavec admiration de la cause qui l’auoitavoit guindé si haut.
Est-ce luy, faict on? n’y sçauoitsçavoit il autre chose quādquand il y estoit?
les Princes se contentent ils de si peu? nous estions vrayment
en bonnes mains. C’est chose que ij’ay veu souuantsouvant de mon
temps. Voyre & le masque des grandeurs, qu’on represente
aus comedies, nous touche aucunement & nous pipe. Ce que
ij’adore moy-mesmes aus Roys, c’est la foule de leurs adora-
teurs:. tToute inclination & soubmission leur est deuë, sauf cel-
le de l’entendement: ma raison n’est pas duite à se courber &
flechir, ce sont mes genoux. Melanthius interrogé ce qu’il luy
sembloit de la tragedie de Dionysius, ieje ne l’ay, dict-il, point
veuë, tant elle est offusquée de langage: aussi la pluspart de
ceux qui iugentjugent les discours des grans, deburoientdebvroient dire, ieje n’ay
point entendu son propos, tant il estoit offusqué de grauitégravité,
de grandeur, & de majesté. Antisthenes suadoit vnun iourjour aus
Atheniens, qu’ils commandassent que leurs asnes fussent aussi
bien employez au labourage des terres, comme estoyent les
cheuauxchevaux: surquoy il luy fut respondu, que cet animal n’e-
stoit pas nay à vnun tel seruiceservice: c’est tout vnun repliqua il, il n’y va
que de vostre ordonnance, car les plus ignorans & incapables
hommes, que vous employez aus commandemens de vos
LIVRE TROISIESME.412420
guerres, ne laissent pas d’en deuenirdevenir incontinent tres-dignes,
parce que vous les y employez. A quoy, touche l’vsageusage de tāttant
de peuples, qui canonizētcanonizent le Roy, qu’ils ont faict d’entre eux,
& ne se contentent point de l’honnorer, s’ils ne l’adorētadorent. Ceux
de Mexico dépuis que les ceremonies de son sacre sont para-
cheuéespara-
chevées, n’osent plus le regarder au visage: ains comme s’ils l’a-
uoyēta-
voyent deifié par sa royauté, entre les serements qu’ils luy font
iurerjurer, de maintenir leur religiōreligion, leurs loix, leurs libertez, d’estre
vaillant, iustejuste & debonnaire, il iurejure aussi, de faire marcher le
soleil en sa lumiere accoustumée, desgouster les nuees en tēpstemps
oportun, courir aux riuieresrivieres leur cours, & faire porter à la ter-
re toutes choses necessaires à son peuple. IeJe suis diuersdivers à cette
façon commune, & me deffie plus de la suffisance, quand ieje
la vois accompaignée de grandeur de fortune, & de recom-
mandation populaire. Il nous faut prendre garde, combien
c’est, de parler à son heure, de choisir son point, de rompre le
propos, ou le chāgerchanger, d’vneune authorité magistrale,: de se deffen-
dre des oppositions d’autruy, par vnun mouuementmouvement de teste, vnun
sous-ris, ou vnun silence, deuantdevant vneune assistance, qui tremble de
reuerencereverence & de respect. VnUn homme de monstrueuse fortune,
venant mesler son aduisadvis à certain leger propos, qui se deme-
noit, tout láchement, en sa table, commença iustementjustement ainsi:
cCe ne peut estre qu’vnun menteur ou ignorant, qui dira autre-
ment que, & c. sSuyuezsSuyvez cette pointe philosophique, vnun poui-
gnart à la main. Voicy vnun autre aduertissementadvertissement, duquel ieje tire
grand vsageusage,: c’est qu’aus disputes & conferēcesconferences, tous les mots
qui nous semblent bons, ne doiuentdoivent pas incontinent estre ac-
ceptez. La plus part des hommes sont riches d’vneune suffisance
estrangere. Il peut adueniradvenir à tel, de dire vnun beau traict, vneune
bonne responce & sentence, & la mettre en auantavant, sans en co-
gnoistre la force. ⁁
⁁ Qu’on ne tient pas tout
ce qu’on emprunte, a
lauanturel’avanture se pourra il
uerifierverifier par moimesme.
Il n’y faut point tousiourstousjours ceder, quelque
verité ou beauté qu’elle ait. Où il la faut combatre à escient,
ou se tirer arriere, soubs couleur de ne l’entendre pas, pour ta-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ster de toutes parts, comment elle est logée en son autheur. Il
peut adueniradvenir, que nous nous enferrōsenferrons, & aidons au coup, ou-
tre sa portée. IJ’ay autrefois employé à la necessité & presse
du combat, des reuiradesrevirades, qui ont faict faucée outre mon des-
sein, & mon esperance. IeJe ne les donnois qu’en nombre, on
les receuoitrecevoit en pois. Tout ainsi, comme, quand ieje debats con-
tre vnun homme vigoureux, ieje me plais d’anticiper ses cōclu-
sionsconclu-
sions, ieje luy oste la peine de s’interpreter, ij’essaye de preuenirprevenir
son imagination imparfaicte encores & naissante, l’ordre &
la pertinence de son entendement, m’aduertitadvertit & menace de
loing: de ces autres, ieje faicts tout le rebours, il ne faut rien en-
tendre q̄que par eux, ny rien presupposer. S’ils iugentjugent en parolles
vniuersellesuniverselles: cecy est bon, cela ne l’est pas, & qu’ils rencōtrentrencontrent,
voyez si c’est la fortune, qui rēcontrerencontre pour eux. ⁁
⁁ Qu’ils circonscriuentcirconscrivent et
restreignent leurun peut leur
sentance. Pourquoi c’est:
par ou c’est. Ces iugemensjugemens
uniuerselsuniversels que ieje uoisvois si
nesordineres ne disent rien.
Ce sont gens qui saluent
tout un peuple en foule
& en trope. Ceus qui en
ont urayevraye conoissance
le saluent et remarquētremarquent
specialemātspecialemantnomeement et particu=
lieremant. par leur nom
un chacun selon
qu’il s’offre Videndum
est non modo quid quisque
loquatur, sed etiam quid
quisque sentiat, atque
etiam qua de causa quisque
sentiatMais c’est
une hasardeuse entreprinse. DouD’ou ij’ay ueuveu si plus
souuantsouvant que tous les ioursjours,
adueniradvenir, que les esprits foible=
ment fondez, uoulantvoulant faire les
ingenieus a remarquer en la
lecture de quelque ouurageouvrage
le point de la beaute, arretointent
leur admiration d’un si mauuesmauves
chois, qu’au lieu de nous
apprandre l’excellance de
l’autheur, il nous aprenent
leur propre ignorance. Cestte
exclamations sontest seures.
Voyla qui est beau: aiant oui
une entiere page de Vergile:
Par oula se sauuentsauvent les fins.
Mais d’entreprendre a le suiuresuivre
par espauletes, et de iugementjugement
expres & particuliertrie uouloirvouloir
remarquer par ou un bon
autheur se surmonte, par ou
il se rehausse ⁁ ⁁ poisant les mots les frases les gardez uous
en ⁁ ⁁inuantionsinvantions une apres lautrel’autre: ostez uousvous de la.
Videndum est non modo
quid quisque loquatur, sed
etiam quid quisque sentiat, atque etiam qua de causa quisque sentiat.
IJ’oui iournellementjournellement dire a des sots des mots non sots.
Ils disent vneune
bonne chose, sçachons iusquesjusques ou ils la cognoissent, voyons
par où ils la tiennent. Nous les aydons à employer ce beau
mot, & cette belle raison, qu’ils ne possedent pas, ils ne l’ont
qu’en garde, ils l’auront produicte à l’auantureavanture, & à tastons,
nous la leur mettons en credit & en pris. Vous leur prestez la
main,: à quoy faire? ils ne vous en sçauentsçavent nul gré, & en deuiē-
nentdevien-
nent plus ineptes. Ne les secondez pas, laisses les aller: ils ma-
nieront cette matiere, comme gens qui ont peur de s’eschau-
der, ils n’osent luy changer d’assiete & de iourjour, ny l’enfoncer.
Croslez là tant soit peu, elle leur eschappe, ils vous la quittētquittent,
toute forte & belle qu’elle est. Ce sont belles armes:, mais elles
sont mal emmanchées. Combien de fois en ay-ieje veu l’expe-
rience? Or si vous venez à les esclaircir & confirmer, ils vous
saisissent & desrobent incontinent cet auātageavantage de vostre in-
terpretation: c’estoit ce que ieje voulois dire,: voyla iustementjustement
ma conception:, si ieje ne l’ay ainsin exprimé, ce n’est que faute
de langue. Souflez,: il faut employer la malice mesme, à corri-
ger cette fiere bestise. ⁁
⁁ Le dogme
de Hegesias,
a bien de
lapparancel’apparance
qu’il ne faut
ny hayr ny accuser
mais qu’il faut ains
instruire: si non
que ij’en a de la
raison ailleurs.
Mais icy, c’est
C’est iniusticeinjustice & inhumanité de secou-
rir
LIVRE TROISIESME.413421
rir & redresser celuy qui n’ēen à que faire, & qui en vaut moins.
IJ’ayme à les laisser embourber & empestrer encore plus qu’ils
ne sont, & si auantavant s’il est possible, qu’en fin ils se recognois-
sent. La sottise & desreglement de sens, n’est pas chose gue-
rissable par vnun traict d’aduertissementadvertissement. ⁁
⁁ Et pouuonspouvons propremant
dire de cette reparation ce
que Cyrus respont en Xenofon
a celuy qui le presse
d’enhorter son ost sur
le point d’une bataille.
qQue les homes ne se
rendent pas corageus et
belliqeus sur le champ,
par une bone harangue
non plus qu’on ne deuientdevient
incontinant musicien
pour ouir une bone chançon.
Ce sont aprantissages qui
ont a estre faicts auantavant la
main par longue et cōstanteconstante
institution.
Nous deuonsdevons ce soing
aux nostres, & cette assiduité de correction & d’instruction:
mais d’aller prescher le premier passant, & regenter l’ignoran-
ce ou ineptie du premier rencontré, c’est vnun vsageusage auquel ieje
veux grand mal. Rarement le fais-ieje, aus propos mesme qui se
passent auecavec moy, & quite plustost tout, que de venir à ces
instructions reculées & magistrales.: ⁁
⁁ Mon humeur n’est
propre non plus a
parler qu’a escrire
pour les principians.
Mais
Mmais aux choses qui se
disent en commun, ou entre autres, pour fauces & absurdes
que ieje les iugejuge, ieje ne me iettejette iamaisjamais à la trauersetraverse, ny de parolle
ny de signe. Au demeurant rien ne m’offenceme despite tant en la sotti-
se, que dequoy elle se plaist plus, que aucune raison ne se peut
raisonnablement plaire. C’est mal’heur, que la prudence vous
deffend de vous satiffairesatisfaire & fier de vous, & vous en enuoyeenvoye
tousiourstousjours mal content & craintif: là ou l’opiniastreté & la
temerité, remplissent leurs hostes d’esiouïssanceesjouïssance & d’asseuran-
ce. C’est aux plus mal habiles de regarder les autres hommes
par dessus l’espaule, s’en retournans tousiourstousjours du cōbatcombat, plains
de gloire & d’allegresse. Et le plus souuentsouvent encore il aduientadvient,
que cette outrecuidance de langage & gayeté de visage, leur
donne gaigné, à l’endroit de l’assistance, qui est communémētcommunément
foible & incapable de bien iugerjuger, & discerner les vrays auan-
tagesavan-
tages. ⁁
⁁ La fermeté’obstination et
ardur d’opinion
est la plus seureseure
preuuepreuve de bestise.
Est il rien certein
resolu desdeigneus
come en un asnecontemplatif grauegrave
serieus come le port
d’un l’asne.
PouuonsPouvons nous pas mesler au tiltre de la conference &
communication, les deuisdevis pointus & coupez que l’alegresse
& la priuautéprivauté introduict entre les amis, gossans & gaudissans
plaisamment & vifuementvifvement les vnsuns les autres. Exercice auquel
ma gayeté naturelle me rend assez propre: & s’il n’est aussi
tendu & serieux que cet autre exercice que ieje viens de dire,
OOOOo
ESSAIS DE M. DE MONTA.
il n’est pas moins aigu & ingenieux.⁁
-
⁁ , ny moins utileprofitable
comme il sambloit a
Lycurgus.
Pour mōmon regard ij’y four-
nisapporte plus de liberté que d’esprit, & y ay plus d’heur que d’in-
uentionin-
vention: mais ieje suis parfaict en la souffrance: car ij’endure
la reuencherevenche, non seulement aspre, mais indiscrete aussi, sans
alteration. Et à la charge qu’on me faict, si ieje n’ay dequoy
repartir brusquement sur le champ, ieje ne vay pas m’amu-
sant à suiuresuivre cette pointe, d’vneune contestation ennuyeuse &
lasche, tirant à l’opiniastreté: ieje la laisse passer, & baissant
ioyeusementjoyeusement les oreilles, remets d’en auoiravoir ma raison à quel-
que heure meilleure: n’est pas marchant qui tousiourstousjours gai-
gne. La plus part changent de visage, & de voix, ou la force
leur faut, & par vneune importune cholere, au lieu de se ven-
ger, accusent leur foiblesse, ensemble & leur impatience. En
cette gaillardise, nous pinçons par fois des cordes secrettes
de nos imperfections, lesquelles, rassis, nous ne pouuonspouvons tou-
cher sans offence: & nous entreaduertissonsentreadvertissons vtillementutillement de
nos deffauts. Il y a d’autres ieuxjeux de main, indiscrets & as-
pres:, à la Françoise, que ieje hay mortellement: ij’ay la peau
tendre & sensible: ij’en ay veu en ma vie, enterrer deux Prin-
ces de nostre sang. ⁁ ⁁ royal ⁁
-
⁁ royal. Il faict beaulaid
se battre en s’esbatātesbatant.
Au reste, quand ieje veux iugerjuger de quel-
qu’vnun, ieje luy demande, combien il se contente de soy, iusquesjusques
ou son parler, ou sa besongne luy plaist. IeJe veux euitereviter ces bel-
les excuses, ieje le fis en me ioüantjoüant,
Ablatum mediis opus est incudibus istud,
ieje n’y fus pas vneune heure, ieje ne l’ay reueureveu depuis. Or fais-ieje,
laissons donc ces pieces, donnez m’en vneune qui vous represen-
te bien entier, par laquelle il vous plaise qu’on vous mesu-
re. Et puis, que trouueztrouvez vous le plus beau en vostre ouura-
geouvra-
ge: est-ce ou cette partie, ou cette cy, la grace, ou la ma-
tiere, ou l’inuentioninvention, ou le iugementjugement, ou la science. Car or-
dinairement ieje m’aperçoy, qu’on faut autant à iugerjuger de sa
propre besongne, que de celle d’autruy: non seulement pour
LIVRE TROISIESME.414422
l’affection qu’on y mesle, mais pour n’auoiravoir la suffisance de
la cognoistre & distinguer. L’ouurageouvrage de sa propre force, &
fortune, peut seconder l’ouurierouvrier outre son inuentioninvention, & con-
noissance. ⁁ ⁁ et le desuancerdesvancer. Pour moy ieje ne iugejuge la valeur d’autre besongne,
plus obscurement que de la mienne, & loge les essais tantost
bas, tantost haut, fort inconstammētinconstamment & doubteusement. Il y a
plusieurs liureslivres vtilesutiles à raison de leurs subiectssubjects, desquels l’au-
theur ne tire aucune recommandation: & des bons liureslivres, cō-
mecom-
me des bons ouuragesouvrages, qui font honte à l’ouurierouvrier. IJ’escriray
la façon de nos conuiuesconvives, & de nos vestemens, & l’escriray de
mauuaisemauvaise grace: ieje publieray les edits de mon temps, & les
lettres des Princes qui passent és mains publiques: ieje feray vnun
abbregé sur vnun bon liurelivre, & tout abbregé sur vnun bon liurelivre
est vnun sot abregé, lequel liurelivre viendra à se perdre, & choses
semblables. La posterité, retirera vtilitéutilité singuliere de telles cō-
positionscom-
positions, moy quel honneur, si n’est de ma bonne fortune.
Bonne part des liureslivres fameux, sont de cette condition. QuādQuand
ieje leuxs Philippe de Comines, il y a plusieurs années, tresbon
autheur certes, ij’y remarquay ce mot pour non vulgaire: qu’il
se faut bien garder de faire tant de seruiceservice à son maistre, qu’on
l’empesche d’en trouuertrouver la iustejuste recompence. IeJe deuoisdevois louer
l’inuentioninvention, non pas luy. IeJe la r’encontray en Tacitus, il n’y a
pas long temps: Beneficia eo vsque laeta sunt, dum videntur exol-
ui posse, vbi multum anteuenere, pro gratia odium redditur. ⁁
⁁ Et Seneque uigo=
reusementvigo=
reusement. Nam qui
putat esse turpe non
reddere, non uult
esse cui reddat. Q.
Cicero d’un biaiz plus lache
Qui se non putat satisfacere
amicus esse nullo modo potest.
Le su-
iectsu-
ject selon qu’il est, peut faire trouuertrouver vnun homme sçauantsçavant &
memorieux: mais pour iugerjuger en luy les parties plus siennes,
& plus dignes, la force & beauté de son ame, il faut sçauoirsçavoir
ce qui est sien, & ce qui ne l’est point: & en ce qui n’est pas
sien, combien on luy doibt en consideration du chois, dis-
position, ornement, & langage qu’il y a fourny. Quoy, s’il a
emprunté la matiere, & empiré la forme, comme il aduientadvient
souuentsouvent. Nous autres qui auonsavons peu de practique auecavec les
OOOOo ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
liureslivres, sommes en cette peine, que quand nous voyons quel-
que belle inuentioninvention en vnun poëte nouueaunouveau, quelque fort ar-
gument en vnun prescheur, nous n’osons pourtant les en louer,
que nous n’ayons prins instruction de quelque sçauantsçavant, si
cette piece leur est propre, ou si elle est estrangere. IusquesJusques
lors ieje me tiēstiens tousiourstousjours sur maes gardes. IeJe viens de courre d’vnun
fil, l’histoire de Tacitus (ce qui ne m’aduientadvient guere,: il y a
vint ans que ieje ne mis en liurelivre, vneune heure de suite) & l’ay faict,
à la suasion d’vnun gentil’homme que la France estime beau-
coup, tant pour sa valeur propre, que pour vneune constante
forme de suffisance, & bonté qui se voit en plusieurs freres
qu’ils sont. IeJe ne sçache point d’autheur, qui mesle à vnun regi-
stre public, tant de consideration des meurs, & inclinations
particulieres. ⁁
⁁ Et me samble le
rebours de ce qu’il
luy semble a luy, que
aiant specialemant a
uiurevivre suiuresuivre les
vies des emperurs
de son temps si diuer=
sesdiver=
ses et extremes en
toute sorte de formes
tant de notables
actions que nomee=
mant leur cruaute
produisit en leurs
subiectssubjects, il auoitavoit une
matiere plus forte
discourant et na
attirante, a discou=
rir et a narrer que
s’il eut eu a dire des
batailles & agitations
uniuersellesuniverselles: si que
souuantsouvant ieje le treuuetreuve
sterille, a courant
par dessus ces belles
morts come s’il
creignoit nous
facher de leur
multitude. et
longur.
Il n’est pas en cela moins curieux & diligent
que Plutarque, qui en à faict expresse profession. Cette for-
me d’Histoire, est de beaucoup la plus vtileutile: les mouuemensmouvemens
publics, dependent plus de la conduicte de la fortune, les pri-
uezpri-
vez de la nostre. Et si n’en à point oublié ce qu’il deuoitdevoit à
l’autre partie. C’est plustost vnun iugementjugement, que narrationdeduction
d’Histoire: il y a plus de preceptes, que de contes: ce
n’est pas vnun liurelivre à lire, c’est vnun liurelivre à estudier & apprendre:
il est si plain de sentences, qu’il y en a à tort & à droict: c’est
vneune pepiniere de discours ethiques, & politiques, pour la
prouisionprovision & ornement de ceux, qui tiennent rang au ma-
niement du monde. Il plaide tousiourstousjours par raisons solides
& vigoreuses, d’vneune façon pointue, & subtile, suyuantsuyvant le
stile affecté du siecle: ils aymoyent tant à s’enfler, qu’où ils
ne trouuoyenttrouvoyent de la pointe & subtilité aux choses, ils l’em-
pruntoyent des parolles. Il ne retire pas mal à l’escrire de
Seneque, il me semble plus charnu, Seneque plus aigu. SōSon
seruiceservice est plus propre à vnun estat trouble & malade, com-
LIVRE TROISIESME.415423
me est le nostre present, vous diriez souuentsouvent qu’il nous peinct
& qu’il nous pinse. Ceux qui doubtent de sa foy, s’accusent
assez de luy vouloir mal d’ailleurs. Il a les opinions saines, &
pēdpend du bon party aux affaires Romaines. IeJe me plains vnun peu
toutesfois, dequoy il a iugéjugé de Pompeius plus aigrement, que
ne porte l’aduisadvis des gens de bien, qui ont vescu & negotiétraicté a-
ueca-
vec luy, de l’auoiravoir estimé du tout pareil à Marius & à Sylla, si-
non d’autant qu’il estoit plus couuertcouvert. On n’a pas exempté
d’ambition, son intention au gouuernementgouvernement des affaires, ny
de vengeance: & ont crainct ses amis mesme, que la victoire
l’eust emporté outre les bornes de la raison, mais non pas ius-
quesjus-
ques à vneune mesure si effrenée: il n’y à rien en sa vie qui nous
ayt menassé d’vneune si expresse cruauté & tyrannie,: encores ne
faut-il pas contrepoiser le soubçon à l’euidenceevidence: ainsi ieje ne
l’en crois pas. Que ses narratiōsnarrations soient naifuesnaifves & droictes, il se
pourroit à l’auantureavanture argumenter de cecy mesme, qu’elles ne
s’appliquent pas tousiourstousjours exactement aux conclusions de ses
iugementsjugements, lesquels il suit selon la pente qu’il y a prise, souuentsouvent
outre la matiere qu’il nous montre, laquelle il n’a daigné in-
cliner d’vnun seul air. Il n’a pas besoing d’excuse, d’auoiravoir approu-
uéapprou-
vé la religion de son temps, selon les loix qui luy comman-
doient, & ignoreé la vraye. Cela, c’est son malheur, non pas son
defaut. IJ’ay principalement consideré son iugementjugement, & n’en
suis pas bien esclarcy par tout,: comme ces mots de la lettre
que Tibere vieil & malade, enuoyoitenvoyoit au Senat: que vous es-
criray-ieje messieurs, ou comment vous escriray-ieje, où que ne
vous escriray-ieje poinct, en ce temps? Lles dieux, & les deesses
me perdent pirement, que ieje ne me sens tous les ioursjours perir, si
ieje le sçay: ieje n’apperçois pas pourquoy il les applique si certai-
nement, à vnun poignant remors qui tourmente la conscience
de Tibere: aumoins lors que ij’estois à mesme, ieje ne le vis
OOOOo iij
ESSAIS DE M. DE MONT.
point. Cela m’a semblé aussi vnun peu láche, qu’ayant eu à dire,.
qu’il auoitavoit exercé certain honorable magistrat à Romme, il
s’aille excusant que ce n’est point par ostentation, qu’il l’a dit:.
cCe traict me semble bas de poil, pour vneune ame de sa sorte:
cCar le n’oser parler rondemētrondement de soy, à, quelque faute de coeur:
vVnuUn iugementjugement roide & hautain, & qui iugejuge de soy sainemētsainement, &
seurement, il vseuse à toutes mains des propres exemples, ainsi
que de chose estrangere,: & tesmoigne franchement de soyluy,
cōmecomme de chose tierce: iIl faut passer par dessus ces regles popu-
laires, de la ciuilitécivilité, en faueurfaveur de la verité, & de la liberté.⁁
⁁ . IJ’ose non sule=
ment parler de moi,
mais escrire,parler, sule=
mant de moi: iIejJe
fouruoiefourvoie, quand
ij’escris d’autre cho=
se, et me desrobe
à mon subiectsubject. IeJe
ne m’aime pas si
profondemantindiscretemant, et ne
suis si atachè et
meslè a moi, que ieje
ne me puisse distin=
guer et considerer a
qartier: come un uoisinvoisin
comme un arbre. C’est
pareillemant faillir
de ne uoirvoir pas iusquesjusques
ou on uautvaut, ou d’en
dire plus qu’on n’en
voit. Nous deuonsdevons
plus d’amour a dieu
qu’a nous, et le
conessons moins, et
si en parlons tout
nostre soul.
Si ses
escris rapportent aucune chose de ses conditions, c’estoit vnun
grand personnage, droicturier, & courageux, non d’vneune vertu
superstitieuse, mais philosophique & genereuse. On le pour-
ra trouuertrouver hardy en ses tesmoignages: comme où il tiēttient, qu’vnun
soldat portant vnun fais de bois, ses mains se roidirent de froid,
& se collerent à sa charge, si qu’elles y demeurerent attachées
& mortes, s’estant departies des bras. IJ’ay accoustumé en tel-
les choses, de plier soubs l’authorité de si grands tesmoings.
Ce qu’il dict aussi, que Vespasian, par la faueurfaveur du Dieu Sera-
pis, guarit en Alexandrie vneune femme aueugleaveugle, en luy oignant
les yeux de sa saliuesalive, & ieje ne sçay quel autre miracle, il le faict
par l’exemple & deuoirdevoir de tous bons historiens. Ils tiennent
registre des euenementsevenements d’importance: parmy les accidēsaccidens pu-
blics, sont aussi les bruits & opinions populaires. C’est leur
rolle, de reciter les communes creances, non pas de les regler.
Cette part touche les Theologiens, & les philosophes dire-
cteurs des consciences. Pourtant tressagement, ce sien com-
paignon & grand homme comme luy: Equidem plura transcri-
bo quam credo: Nnam nec affirmare sustineo, de quibus dubito, nec sub-
ducere quae accepi: ⁁
⁁ et lautrel’autre: hHaec d
ad ostentationem
enae gaudentis
miraculis aptiora
quam ad sedem neque affirmare neque refellere operae pretium est: famae
rerum standum est: et escriuantescrivant en un siecle au quel la creance des
prodiges comançoit a diminuer il dict ne uouloirvouloir pourtant laisser d’inserer
en ses annales et doner pied a chose receue de tant de gens de bien et
aueqaveq si grande reuerācereverance de l’antiquitè.
c’est tresbien dict. Qu’ils nous rendent l’hi-
stoire, plus selon qu’ils reçoiuentreçoivent, que selon qu’ils estiment.
Moy qui suis Roy de la matiere que ieje traicte, & qui n’en dois
LIVRE TROISIESME.416424
conte à personne, ne m’en crois pourtant pas du tout: iIejJe ha-
sarde souuentsouvent des boutades de mon esprit, qui ne me conten-
tent pasdesquelles ieje me desfie et certeines finesses uerbalesverbales de quoi ieje
secouë les oreilles: mais ieje les laisse courir à l’auātureavanture,. voir si quelque au-
tre s’en contentera:IeJe uoisvois qu’on s’honore de pareilles choses. Ce n’est pas
a moy puremantsul d’en iugerjuger. ⁁
⁁ et me laisse aller
a des formes de parler
quil n’estne sōtsont
suy par fois quelque
frase qui n’est fort a mon gré: par
ce que mon inclination
m’y porte: et plus encore
parce que gens des plus grādsgrand
nom que le mien gens par
le grand nom l’y affectent.
Come lallusionl’allusion des uocables.vocables.come subtile
Tel peut estre m’estimera
le plus par ou ieje m’e desestime
moinmoins. IeJe me presante droit
debout et couché, le deuantdevant et le derriere
le costea droite et aussi le a
gauche. Tel peut estre
m’estimera le plus par ou
ieje m’estime le moins. Car
et tous mes naturels
plis.
lLes iugemēsjugemensesperits, voire pareils en force, ne sont
pas tousiourstousjours pareils en application & en goust. Voila ce que
la memoire m’en represente en gros, & assez incertainement.
Tous iugemensjugemens vniuerselsuniverselsen gros sont láches & dangereux. imparfaictsimparfaicts.
De la vanité. CHAP. IX.
IL n’en est à l’auantureavanture aucune plus expresse, que d’en
escrire si vainement: cCe q̄que la diuinitédivinité nous en à si diuine-
mentdivine-
ment exprimé, deuroitdevroit estre soingneusement & con-
tinuellement, medité par les gens d’entendemētentendement. Qui ne voit,
que ij’ay pris vneune route, par laquelle sans cesse & sans trauailtravail, ij’i-
ray autant, qu’il y aura d’ancre & de papier au monde. IeJe ne
puis tenir registre de ma vie, par mes actions, fortune les met
trop bas: iIejJe le tiens par mes fantasies. Si ay-ieje veu vnun Gentil-
homme, qui ne communiquoit sa vie, que par les operations
de son ventre: vVous voyez chez luy, en montre, vnun ordre de
bassins de sept ou huict ioursjours: cC’estoit son estude, ses discours:
tTout autre propos, luy puoit. Ce sont icy, vnun peu plus ciuile-
mētcivile-
ment, des excremens d’vnun vieil esprit, dur tantost, tātosttantost lache,
& tousiourstousjours indigeste. Et quand seray-ieje à bout de represen-
ter vneune continuelle agitation & mutation de mes pensées, en
quelque matiere qu’elles tombent, puisque Diomedes rem-
plit six mille liureslivres, du seul subiectsubject de la grammaire? Que doit
produire le babil, puisque le begaiement & desnouement de
la langue, estouffa le monde d’vneune si horrible charge de volu-
mes? TātTant de paroles, pour les paroles seules. O Pythagoras, que
n’esconjuras-tu cette tempeste. On accusoit vnun Galba du tēpstemps
passé, de ce qu’il viuoitvivoit oiseusement: iIl respondit, que chacun
deuoitdevoit rendre raison de ses actions, non pas de son seioursejour. Il se
ESSAIS DE M. DE MONTA.
trompoit: cCar la iusticejustice a cognoissance & animaduertionanimadvertion
aussi, sur ceux qui chaument. Mais il y deuroitdevroit auoiravoir quelque
coërction des loix, contre les escriuainsescrivains ineptes & inutiles, cō-
mecom-
me il y à contre les vagabons & faineants: oOn banniroit des
mains de nostre peuple, & moy, & cētcent autres. Ce n’est pas mo-
querie, lL’escriuaillerieescrivaillerie semble estre quelque simptome d’vnun
siecle desbordé: qQuand escriuismesescrivismes nous tant, que depuis que
nous sommes en trouble: quand les Romains tant, que lors de
leur ruyne. Outre ce que l’affinement des esprits, ce n’en est
pas l’assagissement en vneune police: cet embesoingnement oisif,
naist de ce que chacun se prent lachement à l’office de sa vaca-
tion, & s’en desbauche. La corruption du siecle se faict, par la
contribution particuliere de chacun de nous: lLes vnsuns y confe-
rent la trahison, les autres l’iniusticeinjustice, l’irreligion, la tyrannie,
l’auariceavarice, la cruauté, selon qu’ils sont plus puissans: lLes plus foi-
bles y apportent la sottise, la vanité, l’oisiuetéoisiveté,: desquels ieje suis.
Il semble que ce soit la saison des choses vaines, quand les dō-
mageablesdom-
mageables nous pressent. En vnun temps, ou le meschamment
faire est si commun, de ne faire que ’inutilement, il est comme
louable. IeJe me console que ieje seray des derniers, sur qui il fau-
dra mettre la main: cCe pendant qu’on pouruoirapourvoira aux plus
pressans, ij’auray loy de m’amender: cCar il me semble que ce se-
roit contre raison, de poursuyurepoursuyvre les menus inconuenientsinconvenients,
quand les grands nous infestent. Et le medecin Philotinmusm, à
vnun qui luy presentoit le doit à penser, à qui il recognoissoit au
visage, & à l’haleine vnun vlcereulcere aux poulmons,. mMon amy fit-il,
ce n’est pas à cette heure le temps de t’amuser à tes ongles. IeJe
vis pourtant sur ce propos, il y à quelques années, qu’vnun per-
sonnage, duquel ij’ay la memoire en recommendation singu-
liere, au milieu de nos grands maux, qu’il ny auoitavoit ny loy, ny
iusticejustice, ny magistrat, qui fit son office, nōnon plus qu’à cette heu-
re: alla publier ieje ne sçay quelles reformations, sur les
habil-
LIVRE TROISIESME.417425
lemens la cuisine & la chicane. Ce sont amusoires dequoy on
paist vnun peuple mal-mené, pour dire qu’on ne l’a pas du tout
mis en oubly. Ces autres fōtfont de mesme, qui s’arrestētarrestent à deffen-
dre à toute instance, des formes de parler, les dācesdances, & les ieuxjeux,
à vnun peuple perdu de toute sorte de vices execrables. Il n’est
pas temps de se lauerlaver & decrasser, quand on est atteint d’vneune
bonne fiéurefiévre. ⁁
⁁ C’est a faire aus suls
Spartiates de se mettre à
se peigner et testoner
sur le pouint qu’ils se uontvont
ietterjetter a quelque extreme
abandonhasard de leur uievie.
Quand à moy, ij’ay cette autre pire coustume,
que si ij’ay vnun escarpin de trauerstravers, ieje laisse encores de trauerstravers, &
ma chemise & ma cappe: iIejJe desdaigne de m’amender à de-
my: qQuand ieje suis en mauuaismauvais estat, ieje m’acharne au mal,. iIejJe
m’abandonne par desespoir, & me laisse aller vers la cheute:⁁
⁁ . Et iettejette come on dict
le manche apres la
coignee.
iIejJe
m’obstine à l’empirement, & ne m’estime plus digne de mon
soing: oOù tout bien où tout mal. Ce m’est faueurfaveur que la deso-
lation de cet estat, se rencontre à la desolation de mon aage:
iIejJe souffre plus volontiers, que mes maux en soient rechargez,
que si mes biens en eussent esté troublez. Les paroles que ij’ex-
prime au malheur, sont paroles de despit, mMon courage se he-
risse au lieu de s’applatir. Et au rebours des autres, ieje me trou-
uetrou-
ve plus deuotdevot, en la bonne, qu’en la mauuaisemauvaise fortune: suy-
uantsuy-
vant le precepte de Xenophon, si non suyuantsuyvant sa raison. Et
faicts plus volontiers les doux yeux au ciel, pour le remercier,
que pour le requerir: iIjJ’ay plus de soing d’augmenter la san-
té, quand elle me rit, que ieje n’ay de la remettre quand ieje l’ay
escartee. Les prosperitez me seruentservent de discipline & d’instru-
ction,: comme aux autres, les aduersitezadversitez & les verges. ⁁
⁁ Come si la bone
fortune estoit
incompatible aueqaveq
la bone consciance
les homes ne se rendent
gens de bien qu’en
la mauuesemauvese.
Lae bon-
ne fortuneheur m’est vnun singulier esguillon, à la moderation, &
modestie. La priere me gaigne, la menace me rebute.⁁
⁁ : la faueurfaveur me ploye
la creinte m’obstine et
m’effarouche me
roiddit
Parmy
les conditions humaines, cette-cy est assez commune,: de nous
plaire plus des choses estrangeres que des nostres, & d’aymer
le remuement & le changement.:
Ipsa dies ideo nos grato perluit haustu,
Quod permutatis hora recurrit equis.
PPPPp
ESSAIS DE M. DE MONTA.
IJ’en tiens ma part. Ceux qui suyuentsuyvent l’autre extremité,: de
s’aggreer en eux-mesmes, d’estimer ce qu’ils possedenttienent au des-
sus de tout ledu reste, & de ne reconnoistre aucune forme plus
belle, que celle qu’ils voyent, s’ils ne sont plus aduisezadvisez que
nous, ils sont à la verité plus heureux. IeJe n’enuieenvie poinct leur
sagesse, mais ouy leur bonne fortune. Cette humeur auideavide
des choses nouuellesnouvelles & inconnues, ayde bien à nourrir en
moy, le desir de voyager,: mais assez d’autres circonstances y
conferent. IeJe me destourne volontiers du gouuernementgouvernement de
ma maison. Il y à quelque commodité à commander, fut ce
dans vneune grange, & à estre obey des siens, mMais c’est vnun plai-
sir trop vniformeuniforme & languissant. Et puis il est par necessité
meslé de plusieurs pensements fascheux. Tantost l’indigence
& oppression de vostre peuple, tantost la querelle d’entre vos
voisins, tantost l’vsurpationusurpation qu’ils font sur vous, vous af-
flige.,
Aut verberatae grandine vineae,
Fundúsque mendax, arbore nunc aquas,
Culpante, nunc torrentia agros
Sidera, nunc hyemes iniquas.
Et que à peine en six mois, enuoieraenvoiera Dieu vneune saison, dequoy
vostre receueurreceveur se contente bien à plain,: & que si elle sert aux
vignes, elle ne nuise aux prez,
Aut nimiis torret feruoribus aetherius sol,
Aut subiti perimunt imbres, gelidaeque pruinae,
Flabráque ventorum violento turbine vexant.
IoinctJoinct le soulier neuf, & bien formé, de cet homme du temps
passeé, qui vous blesse le pied. Et que l’estranger n’entend pas
combien il vous couste, & combiēcombien vous prestez, à maintenir
l’apparence de cet ordre, qu’on voit en vostre famille,. &Et
qu’a l’auantureavanture l’achetez vous trop cher. IeJe me suis pris tard
au mesnage.: CcCeux que nature auoitavoit faict naistre auantavant
LIVRE TROISIESME.418426
moy, m’en ont deschargé long temps.: IiIJjJ’auoisavois desiadesja pris vnun
autre ply, plus selon ma complexion. Toutesfois de ce que
ij’en ay veu, c’est choseun’occupation plus empeschante, que difficile.: Qqui-
conque est capable d’autre chose, le sera bien aiséement,
de celle là. Si ieje cherchois à m’enrichir, cette voye me sem-
bleroit trop longue: iIjJ’eusse seruyservy les Roys, trafique plus
fertile que toute autre. ⁁
⁁ La plus large fin
que ieje me sois propose
en cecy c’est de
rouler sans guein et
sans perte. Rendre a
la fortune ce qu’elle
au desloger ce qu’elle
m’auoisavoisavoit done a iouirjouir
sans detrimant &come sans
amandemant.
Puis que ⁁
⁁ ieje ne cherche apretans acquerir que la reputation
de n’auoiravoir rien ⁁ ⁁ non plus acquis ⁁ ⁁ non plus nyque dissipè:. eEt que ieje
conformeement au reste de ma uievie impropre a faire bien et
a faire mal. Et que ieje
iIejJe ne cerche qu’a passer, ieje
le puis faire, Dieu mercy, sans grande attention. Au pis al-
ler, courez tousiourstousjours par retranchement de despence, deuantdevant
la pauuretépauvreté.: CcC’est à quoy ieje m’attends, & de me reformer,
auantavant qu’elle m’y force. IJ’ay estably ⁁ ⁁ au demurant en mon ame, assez de
degrez, à me passer de moins, que ce que ij’ay.: IiIeJjJe dis, passer a-
ueca-
vec contentement. ⁁
⁁ Non aestimatione census
uerum uictu atque cultu
terminatur pecuniae modus.
Mon vray besoing, n’occupe pas si iuste-
mentjuste-
ment, tout ce que ij’aymon auoiravoir, que sans venir au vif, fortune n’ait ou
mordre sur moy. Ma presence, toute ignorāteignorante & desdaigneu-
se qu’elle est, preste grādegrande espaule à mes affaires domestiques:
ieje m’y employe, mais despiteusemētdespiteusement. IoinctJoinct, que ij’ay cela chez
moy, q̄que pour brusler a part, la chādellechandelle par mon bout, l’autre
bout, ne se descharge’espargne de rien. ⁁
⁁
Les uoiagesvoiages ne me
blessent que par la
despance, qui est grande
et outre mes forces, ayant
acostumè d’y estre auecavec
equipage non necessaire
sulemātsulemant, mais encores
honeste: il me les en
faut faire d’autant
plus cours, t& moins fre
frequans: et n’y ēployeemploye
que l’escume et ma reserue
de mōmon mesnage, tempori=
sant & differant selon
qu’elle uientvient. IeJe ne ueuxveux
pas que le plaisir du
promener interessecorrompe mine le
plaisir du repos: au re=
bours ij’entans qu’ils se
nourrissent et facentuorisentfacentvorisent
espaule l’un a lautrel’autre.
La fortune m’a aide
en ceci, que puis que
ma principale profession
en cette uievie estoit de
la uiurevivre mollement
et plus tost lachemant
qu’affaireusemētaffaireusement,: elle
m’a ostè le besouin de
multiplier en richesses pour
pouruoirpourvoir a la multitude de mes
heretiers: pour un, s’il n’a assez
de ce, de quoi ij’ai eu si largemātlargemantplantureusement assez,
a son dam. son imprudance ne
merites pas que ieje luy en desire
dauantagedavantage. ⁁
⁁ Et chacūchacun selon lexamplel’example de Phocion
pouruoitpourvoit suffisammant a ses enfans
qui leur pouruoitpourvoit en tant qu’ils ne luy
sont dissemblables
Nullement serois ieje d’auisavis du
faict de Crates Il laissa sōson biens en argent ches un
banquier, aueqaveq cette cōditioncondition. Si ces enfans estoint des sots
qu’il le leur donat: s’ils estoint habilles gens qu’il les distribuast
aus plus simples du peuple. Come si les sots pour estre moins
capables de s’en passer, estoient plus capables d’user des richesses.
Tant y à, que le dommage qui
vient de mon abscence, ne me semble point meriter, pendant
que ij’auray dequoy le porter, que ieje refuse d’accepter les oc-
casions qui se presentent, de me distraire de cette assistāceassistance pe-
nible. Il y a tousiourstousjours quelque piece qui va de trauerstravers. Les ne-
goces, tantost d’vneune maison, tantost d’vneune autre, vous tiras-
sēttiras-
sent. Vous esclairez toutes choses de trop pres: vVostre perspica-
cité vous nuit, icy, comme si faict elle assez ailleurs. IeJe me des-
robe aux occasions de me fascher, & me destourne de la con-
noissance des choses, qui vont mal,: &Et si ne puis tant faire, qu’à
toute heure, ieje ne heurte chez moy, en quelque rencōtrerencontre, qui
me desplaise. ⁁
⁁ Et les friponeries qu’on me cache
le plus, sont celles que ieje sçai le mieus.
Il en est que pour le mieus il faut
eider soimesmes a cacher. faire moins
mal il faut eider soimesmes a cacher.
Vaines pointures,: & honteuses,uainesvaines parfois, mais tousiourstousjours
pointures. Les plus menus ⁁ ⁁ et gresles empeschemēsempeschemens sont les plus persans:
& comme les petites lettres, offencent & lassent plus les yeux,
PPPPp ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
aussi nous piquent plus, les petits affaires. ⁁
-
⁁ La tourbe des menus
maus offance plus, que
la uiolanceviolance d’un, pour
grand qu’il soit.
A mesure que ces
espines domestiques, sont drues & desliées, elles nous mor-
dent plus aigu, & sans menace, nous surprenant facilement à
l’impourueuimpourveu. Or nous monstre assez Homere, combien la
surprise donne d’auantageavantage, qui faict VlisseUlisse pleurātpleurant de la mort
de son chien, & ne pleurant point des pleurs de sa mere: le
premier accident, tout legier qu’il estoit, l’emporta, d’autant
qu’il en fut inopinéement assailly, il soustint le second, plus,
impetueux, parce qu’il y estoit preparé. Ce sont legieres oc-
casions, qui pourtant troublent la vie: c’est chose tendre que
nostre vie, & aisée à blesser.IeJe ne suis pas filosofe: les maus me foulent
selon qu’ils poisent. Et poisent parselon la forme come par la matiereselōselon selon
la matiere, et souuantsouvant plus. IJ’en ai plus de conoissance que le uulguerevulguere
si ij’ai plus de patiance. En fin s’ils ne me blessent, ils
m’offancent. C’est chose tendre que la uievie et aisee a
troubler. Depuis que ij’ay le visage tourné
vers le chagrin, ⁁
-
⁁ (nemo enim resistit sibi
cum coeperit impelli)
pour sotte cause qui m’y aye porté, ij’irrite
l’humeur de ce costé là, qui se nourrit apres, & s’exaspere, de
son propre branle,: aAttirant & emmoncellant, vneune matiere sur
autre, dequoy se paistre,.
Stillicidi casus lapidem canuat:.
cCes continuellesordineres goutieres, m’enfoncent & m’vlcerentulcerentme mangent. ⁁
⁁ Les inconueniansinconvenians ordineres conti=
nuels ne sont iamaisjamais
legiers. Ils sont continuels
& irreparables,: nomee=
mant quand ils naissent
des mambres du mesnage,
continuels & inseparables.
QuādQuand
ieje considere mes affaires de loing, & en gros, ieje trouuetrouve, soit
pour n’en auoiravoir la memoire guere exacte, qu’ils sont allez ius-
quesjus-
ques à cette heure, en prosperant, outre mes contes & mes
raisons. IJ’en retire ce me semble plus qu’il ny en a, leur bon
heur me trahit.: MmMais suis-ieje au dedans de la besongne, voy-ieje
marcher toutes ces parcelles,
Tum verò in curas animum diducimur omnes,
mille choses m’y donnent à desirer & craindre. De les aban-
donner du tout, il m’est tres-facile,: de m’y prendre sans m’en
peiner, tres-difficile. C’est pitié, d’estre en lieu ou tout ce que
vous voyez, vous en besongne, & vous concerne. Et me sem-
ble iouyrjouyr plus gayement les plaisirs d’vneune maison estrangie-
re, & y apporter le goust plus libre & purnaïf. ⁁
⁁ Diogenes respondit
selon moy, a celuy qui
luy demanda quelle sorte
de uinvin il trouuoittrouvoit le
meillur: lestrangierl’estrangier, fit il.
Mon pere aymoit
à bastir le lieuMontaigne où il estoit nay: &Et en toute cette police d’af-
faires domestiques, ij’ayme à me seruirservir de son exemple & de
LIVRE TROISIESME.419427
ses reigles, & y attacheray mes successeurs autant que ieje pour-
ray.: SsSi ieje pouuoispouvois mieux pour luy, ieje le feroys. IeJe me glorifie
que sa volonté s’exerce encores & agisse par moy. IaJa à Dieu
ne plaise que ieje laisse faillir entre mes mains aucune image de
vie, que ieje puisse rendre à vnun si bon pere. Ce que ieje me suis me-
slé chez moy, d’acheuerachever quelque vieux pan de mur, & de ren-
ger quelque piece de bastiment mal dolé, ç’a esté certes, plus
regardant à son intention, qu’a mon contentement. ⁁
Voici les trois versions rédigées, et corrigées successivement par Montaigne :
1- Et accuse ma faineance de n’avoir passe outre a parfaire tout ce qu’il avoit comance en sa maison: que cela faict pouvoit estre contée entre les belles & amples en sa province some que je suis...
2- Et accuse ma faineance de n’avoir passe outre a parfaire tout ce qu’il avoit comance en sa maison: que cela faict l’on eut peu estre entre les belles & amples de sa province some que je suis...
3- Et accuse ma faineance de n’avoir passe outre a parfaire les beaus comancements qu’il a laissez en sa maison: d’autant plus que je suis...
⁁ Et accuse ma faineance
de n’auoiravoir passe outre a
parfaire tout ce qu’il auoitavoit
comanceles beaus comancements
qu’il a laissez en sa maison: que
cela faict pouuoitpouvoit estrel’on eut peu conteer
entre les belles & amples en sade sa
prouinceprovince somed’autant plus que ieje suis en
grans termes d’en estre
le dernier possessur de ma
racede ma
race et d’y porter la derniere
main de ma race.
Car quātquant
à mon application particuliere, ny ce plaisir de bastir, qu’on
dict estre si attrayant, ny la chasse, ny les iardinsjardins, ny ces au-
tres plaisirs de la vie retirée, ne me peuuentpeuvent beaucoup amuser.
C’est chose dequoy ieje me veux mal, comme de toutes autres
opinions qui me sont incommodes. IeJe ne me soucie pas tant
de les auoiravoir vigoreuses & doctes, comme ieje me soucie de les
auoiravoir aisées & commodes à la vie.⁁
⁁ : elles sont assez
uraïesvraïes et saines si
elles sont utiles et
agreables.
Ceux qui en m’oyant dire
mon insuffisance aux occupatiōsoccupations du mesnage, vont me souf-
flant aux oreilles que c’est desdain,. &Et que ieje laisse de sçauoirsçavoir
les instrumens du labourage, ses saisons, son ordre, comment
on faict mes vins, comme on ente, & de sçauoirsçavoir le nom & la
forme des herbes & des fruicts, & l’aprest des viādesviandes, dequoy
ieje vis,⁁
⁁ , le nom et le tpris des
estoffes de quoi ieje
me uestisvestis, habille,
pour auoiravoir à cueur quelque plus hau te science,: ils me
font mourir. Ce n’est pas mespris:,Cela, c’est sottise: & plustost be-
stise, que gloire: iIejJe m’aimerois mieux bon escuyer, que bōbon lo-
gitien.:
Quin tu aliquid saltem potius quorum indiget vsus,
Viminibus molli-que paras detexere iunco. ⁁
⁁ Nosus empeschons temere=
rem imprudammant noz
pensees du gros et du
general de lestrel’estre du
monde & du nostre et
ommetons les pieces
particulieres doud’ou le trein
se faict et ommetonset des causes et
conduites uniuersellesuniverselles de qui
nous n’auonavon qui se conduisent
tresbien sans nous et
laissons en arriere nostre faict
et Michel qui nous touche
encore de plus pres que
l’home
Or ij’arreste bien chez moy le plus ordinairemētordinairement, mais ieje vou-
drois m’y plaire plus qu’ailleurs,
Sit meae sedes vtinam senectae,
Sit modus lasso maris, & viarum,
Militiaeque.
IeJe ne sçay si ij’en viēdrayviendray à bout. IeJe voudrois qu’au lieu de q̄l-quel-
PPPPPp iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
que autre piece de sa succession, mon pere m’eust resigné, cet-
te passionnee amour, qu’en ses vieux ans, il portoit à son mes-
nage. Il estoit biēbien heureux, de ramener ses desirs, à sa fortune,
& de se sçauoirsçavoir plaire de ce qu’il auoitavoit. La philosophie politi-
que, aura bel accuser la bassesse & sterilité de mōmon occupatiōoccupation,
si ij’en puis ⁁ ⁁ une fois prendre le goust. ⁁ ⁁ come luy. IeJe suis de cet auisavis, ⁁ ⁁ il est certein, que la plus no-
blehonorable vacatiōvacation & la plus iustejuste, est de seruirservir au publiq, & estre vtileutile à
beaucoup. ⁁
⁁ Fructus enim ingenii et
uirtutis omnisque praes=
tantiae tum maximus
accipitur cum in proximūproximum
quemque confertur.
Pour mōmon regard diedje m’ēen despars: pPartie par cōsciēceconscience,
cCar par ou ieje vois le pois qui touche telles vacations, ieje vois
aussi le peu de moyen que ij’ay d’y fournir: ⁁
⁁ Et Platon maistre
ouurierouvrier en tout gouuer=
nementgouver=
nement politique ne laissa
de s’en abstenir.
pPartie par poltro-
nerie: iIejJe me contente de iouïrjouïr le monde, sans m’en empresser,:
dDe viurevivre vneune vie, seulement excusable,: &Et qui seulemētseulement, ne poi-
se, ny à moy ny a autruy. IamaisJamais homme ne se laissa aller plus
plainement & plus láchement, au soing & gouuernementgouvernement
d’vnun tiers, que ieje fairois, si ij’auoisavois à qui. L’vnun de mes souhaits
pour cette heure, ce seroit de trouuertrouver vnun gendre, qui sçeut
appaster commodéement mes vieux ans, & les endormir.
Entre les mains de qui ieje deposasse en toute souuerainetésouveraineté, la
conduite & vsageusage de mes biens: qQu’il en fit ce que ij’en fais, &
gaignat sur moy ce que ij’y gaigne: pPourueupPourveu qu’il y apportat
vnun courage vrayement reconnoissant, & amy. Mais quoy, nous
viuonsvivons en vnun monde, ou la loyauté des propres enfans est in-
connue. Qui à la garde de ma bourse en voyage, il l’a pure &
sans contrerole: aAussi biēbien me tromperoit il en contant. Et si ce
n’est vnun diable, ieje l’oblige à bien faire, par vneune si abandonnée
confiance. ⁁
⁁ habita fides
uersam plerūqueplerumque
fidem obligat.
Multi fallere
docuerunt dum
timent falli, et
alijs ius peccandi
suspicando fecerūtfecerunt.
La plus commune seureté, que ieje prens de mes gēsgens,
c’est la m’esconnoissancemesconnoissance: iIejJe ne presume les vices qu’apres que
ieje les ayauoiravoir veux: &Et m’en fie plus aux ieunesjeunes, que ij’estime moins
gastez par mauuaismauvais exemple. IJ’oi plus volontiers dire, au bout
de deux mois, que ij’ay despandu quatre çens escus, que d’a-
uoira-
voir les oreilles battues tous les soirs, de trois, cinq, sept. Si
ay-ieje esté desrobé aussi peu que’un autre.⁁
⁁ de cette sorte
de larrecin.
Il est vray, que ieje preste
LIVRE TROISIESME.420428
vnun peu l’espaulela main à l’ignorance: iIejJe nourris à escient, aucunemētaucunement
trouble & incertaine la science de mon ariantarjant: iIusquesjJusques à cer-
taine mesure, ieje suis content, d’en pouuoirpouvoir doubter. Il faut
laisser vnun peu de place à la desloyauté, ou imprudence de vo-
stre valet: sS’il nous en reste en gros, de quoy faire vnostre effect,
cet excez de la liberalité de la fortune, laissezons les vnun peu plus
courre à sa mercy.⁁
⁁ , la part du glanportion du
glaneur. Apres
tout ieje ne prise pas
tant la foi de mes
gens come ieje mesprise
leur iniureinjure.
O le vilein & sot estude, d’estudier sōson argētargent
se plaire à le manier ⁁ ⁁ poiser & reconter: cC’est par la, que l’auariceavarice faict
ses aproches:. Dépuis dixhuict ans, que ieje gouuernegouverne des biens,
ieje n’ay sçeu gaigner sur moy, de voir, ny tiltres, ny mes princi-
paux affaires, qui ont necessairement à passer par ma sciēcescience, &
par mon soing. ⁁ Ce n’est pas vnun mespris philosophique, des
choses transitoires & mondaines:, iIejJe n’ay pas le goust si espu-
ré,: & les prise pour le moins ce qu’elles valent:, mMais certes c’est
faitardiseparesse & mollessenegligence inexcusable & puerile. ⁁
Addition insérée primitiement trois lignes plus haut, après "par mon soing.", au niveau du signe d’insertion biffé.
⁁ Que ne ferois ieje
plus tost que de lire
un contract. Et plus
aller secouant ces
paperasses poudreuses
esclaueesclave de mes negoces
tost que ij’aille d’aller
secouans ses paperasses
poudreuses esclaueesclave de
mes negoces d’aller
secouant cesd’aller secouant
ces paperasses poure
poudreuses, esclaueesclaveserf de
mes negoces. Ou encore
pis pourde ceus d’autrui comme
font tant de gens a pris
d’argent. IeJe n’ay rien cher que
le soucy et la peine: et ne cherche
qu’a m’anonchalir & auachiravachir.
IJ’estoy, ce croi-
ieje plus propre, à viurevivre de la fortune d’autruy, s’il se pouuoitpouvoit
sans obligation & sans seruitudeservitude. Et si ne sçay à l’examiner de
pres, si selon mon humeur & mon sort, ce que ij’ay à souffrir
des affaires, & des seruiteursserviteurs, & des domestiques, n’a point plus
d’abiectionabjection, d’importunité, & d’aigreur, que n’auroit la suitte
d’vnun hōmehomme, n’aynay plus grādgrand que moy,: qui me guidat vnun peu à
mōmon aise. ⁁
-
⁁ Seruitus
obedientia est
fracti animi
et abiecti, ar=
bitrio carentis
suo:
Crates fit pis, qui se iettajetta en la frāchisefranchise de la pauuretépauvreté,
pour se deffaire des indignitez & cures du mesnagede la maison. Cela ne
fairois-ieje pas: iIejJe hay la pauuretépauvreté à pair de la douleur: mMais ouy
bien, changer cette sorte de vie, à vneune autre moins noble, &brauebrave, et
moins affaireuse. Absent ieje me despouille de tous tels pense-
mens: & sentirois moins lors la ruyne d’vneune tour, que ieje ne
faicts present, la cheute d’vneune ardoyse. Mon ame se démesle
bien ayséement à part, mais en presence, elle souffre:, comme
celle d’vnun vigneron. ⁁
⁁ VneUne rene de trau
trauerstravers a mon
cheualcheval, un bout
bout d’estriuiereestriviere qui
me batte lma iambejambe
me despiteront toute
une iourneejournee entiere
tienderont tout un iourjour
en humeur.
IesleueJ’esleve assez mon courage à l’encontre
des inconueniensinconveniens, les yeux ieje ne puis.,
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Sensus ô superi sensus.
IeJe suis chez moy, respōdantrespondant de tout ce qui va mal. Peu de mai-
stres, ieje parle de ceux de moienne condition cōmecomme est la mien-
ne, & s’il en est, ils sont plus heureux, se peuuentpeuvent tant reposer,
sur vnun second, qu’il ne leur reste bonne part de la charge. ⁁ Ce-
la oste ⁁
⁁ uolantiersvolantiers quelque
chose de ma façon au
tretemāttretemant des es suruenāssurvenans:
& en ai peut estre p come
les fachus plustel arreter par
ma cuisine que par ma
grace et estre aucun, tel
quelcun paruantureparvanture
plus par ma cuisine, que
par ma grace, come font
les fachus: et oste
beaucoup, du plaisir que ieje deuroisdevrois prēdreprendre chez moy,
de la visitation & assemblée de mes amis. La plus ineptesotte con-
tenance, & plus vile d’vnun gentilhomme en sa maison, c’est de
le voir empesché de l’ordredu train de sa police,: parler à l’oreille d’vnun
valet,: en menacer vnun autre des yeux. Elle doit couler insensi-
blement, & representer vnun traincours ordinaire.: Et treuuetreuve laid qu’ōon
entretienne ses hostes, du traictement qu’on leur faict, autant
à l’excuser qu’à lae vanter. IJ’ayme l’ordre & la netteté,
& cantharus & lanx,
Ostendunt mihi me,
au pris de l’abōdanceabondance: &Et regarde chez moy exactemētexactement à la ne-
cessité, peu à la parade. Si vnun valet se bat chez autruy, si vnun plat
se verse, vous n’en faites que rire: vous dormez ce pendant q̄que
monsieur rēgerenge auecavec son maistre d’hostel, ses affairesson faict, pour vo-
stre traitement du lendemain. ⁁
⁁ IJ’en parle selon moy: et selon mon humur et
selon ma fortune. Ne laissant pas en general d’estimer
combien c’est un dous amusemant a certeines natures et sages
qu’un mesnage paisible prospere conduit par un ordre reglé.
Et ne uoulantvoulant atacher a la choses mes propres errurs et inconueniansinconvenians.
Ny desdire Platon qui estime la plus heureuse occupation a chacun:
faire ses propres affaires, quand ils ne sontsens iniustesiceinjustesice.
Quand ieje voyage, ieje n’ay à pen-
ser qu’à moy, & à l’emploicte de mon argent: cela se dispose
d’vnun seul precepte. Il est requis trop de parties à amasser, ieje
n’y entens rien: aA despendre, ieje m’y entens vnun peu,: & à don-
ner iourjour à ma despence, qui est de vray son principal vsageusage:
mMais ieje m’y attens trop ambitieusement, qui la rend inegalle
& difforme, & en outre immoderée en l’vnun, & l’autre visage.
Si elle paroit, si elle sert, ieje m’y laisse indiscrettement aller: &Et
me resserre autant indiscrettement, si elle ne luit, & si elle ne
me rit. Qui que ce soit, ou art, ou nature, qui nous imprime
cette condition de viurevivre, par la relation à autruy, nous faict
beaucoup plus de mal que de bien. Nous nous defraudons de
nos propres vtilitezutilitez, pour former les apparences à l’opinion
com-
LIVRE TROISIESME.421429
commune.: IiIl ne nous chaut pas tant, quel soit nostre estre, en
nous, & en effaict, comme quel il soit, en la cognoissance pu-
blique. Les biens mesmes de l’esprit, & la sagesse, nous semble
sans fruict, si elle n’est iouiejouie que de nous:, sSi elle ne se produict
à la veuë & approbation estrangere. Il y en a, de qui l’or coul-
le à gros bouillons, par des lieux sousterreins, imperceptible-
ment: dD’autres l’estādentestandent tout en lames & en feuille: sSi qu’aus
vnsuns, les liars valent escuz, aux autres le rebours: le monde esti-
mant l’emploite & la valeur, selon la montre. Tout soing cu-
rieus autour des richesses sent à l’sonauariceavarice: lLeur dispensation
mesme, & la liberalité trop ordōnéeordonnée & artificielle: eElles ne va-
lent pas vneune aduertanceadvertance & sollicitude penible. Qui veut faire
sa despence iustejuste, la faict estroitte & contrainte. La garde, ou
l’emploite, sont de soy choses indifferētesindifferentes, & ne prēnentprennent cou-
leur de biēbien ou de mal, que selon l’applicatiōapplication de nostre volōtévolonté.
L’autre cause qui me cōuieconvie à ces promenades, c’est la discōue-
nācedisconve-
nance aux meurs presentes de nostre estat: iIejJe me cōsoleroisconsolerois ay-
séemētay-
séement de cette corruptiōcorruption, pour le regard de l’interest public,
peioraque saecula ferri
Temporibus, quorum sceleri non inuenit ipsa
Nomen, & à nullo posuit natura metallo,
mMais pour le miēmien, non. IJ’en suis en particulier trop pressé. Car
en mon voisinage, nous sommes tantost par la longue licen-
ce de ces guerres ciuilesciviles, enuieillisenvieillis en vneune forme d’estat si des-
bordée,
Quippe vbi fas versum atque nefas.
qu’a la verité c’est merueillemerveille qu’elle se puisse maintenir.:
Armati terram exercent, sempérque recentes
Conuectare iuuat praedas, & viuere rapto.
En fin ieje vois par nostre exemple, que la societé des hommes
se tient & se coust, à quelque pris que ce soit: eEn quelque as-
siete qu’on les couche, ils s’appilent, & se rengent, en se
QQQQq
ESSAIS DE M. DE MONTA.
remuant, & s’entassant, comme des corps mal vnisunis qu’on em-
poche sans ordre, trouuenttrouvent d’eux mesme la façon de s’accom-
moder, se ioindrejoindre, & s’emplacer les vnsuns parmy les autres, sou-
uātsou-
vant mieux que l’art ne les eust sçeu disposer. Le Roy Philippus
fit vnun amas, des plus meschāsmeschans hōmeshommes & incorrigibles qu’il peut
trouuertrouver, & les logea tous en vneune ville, qu’il leur fit bastir, qui
en portoit le nom. IJ’estime qu’ils dressarent des vices mesme,
vneune contexture politique entre eux, & vneune commode & iu-
steju-
ste societé. IeJe vois, non, vneune action, ou trois, ou cent, mais des
meurs en vsageusage commun & receu, si monstrueuses, en inhu-
manité sur tout & desloyauté, qui est pour moy la pire espe-
ce des vices, que ieje n’ay point le courage de les conceuoirconcevoir sans
horreur,: & les admire, quasi autant que ieje les deteste. L’exer-
cice de ces meschancetez insignes, porte marque de vigueur
& force d’ame, autant que d’erreur & desreglement. La neces-
sité compose les hommes & les assemble. Cette cousture for-
tuite se forme apres en loix. Car il en à esté d’aussi farouches
qu’aucune opinion humaine puisse enfanter, qui toutesfois
ont maintenu leurs corps, auecavec autant de santé & longueur
de vie, que celles de Platon & Aristote sçauroyent faire. Et
certes toutes ces descriptiōsdescriptions de police, feintes par art, se trou-
uenttrou-
vent ridicules, & ineptes à mettre en practique. ⁁
⁁ quam docti fingunt
magis quam norunt.
Ces grandes
& longues altercations, de la meilleurmeilleure forme de societé, & des
reigles plus commodes à nous attacher, sont altercations
propres seulement à l’exercice de nostre esprit: cComme il se
trouuetrouve és arts, plusieurs subiectssubjects qui ont leur essence en l’agi-
tation & en la dispute, & n’ont aucune vie hors dela. Telle
peinture de police seroit de mise en vnun nouueaunouveau monde,
mais nous prenōsprenons les hommes obligez desiadesja, & formez à cer-
taines coustumes. Nous ne les engendrons pas comme Pyr-
rha ou comme Cadmus. Par quelque moyen que nous ayōsayons
loy de les redresser, & renger de nouueaunouveau, nous ne pouuonspouvons
LIVRE TROISIESME.422430
guieres les tordre de leur ply accoustumé, que nous ne rom-
pons tout. On demandoit à Solon, s’il auoitavoit estably les meil-
leures loys qu’il auoitavoit peu aux Atheniens: oOuy bien, respon-
dit-il, de celles qu’ils eussent receuës. ⁁
⁁ Varro s’excuse de pareil
air. Que s’il auoitavoit tout de
nouueaunouveau a escrire de la
relligion il diroit ce qu’il
en croit. Mais aiant a
l’escrire desiadesja receue il
est tenu de suiuresuivre plus lusagel’usage
que la nature estant deiadeja
receue et formee il en dira
selon l’usage plus que selon
nature.
Non par opinion, mais
paren verité, l’excellente & meilleure police, est à chacune na-
tion, celle soubs laquelle elle s’est maintenuë. Sa forme & cō-
moditécom-
modité essentielle despend de l’vsageusage. Nous nous desplaisons
volontiers de la condition presente: mMais ieje tiens pourtant,
que d’aller desirant le commandement de peu, en vnun estat po-
pulaire, ou en la monarchie vneune autre sorteespece de gouuernemētgouvernement,
c’est vice & folie:
Ayme l’estat tel que tu le vois estre,
S’il est royal ayme la royauté,
S’il est de peu, ou bien communauté,
Ayme l’aussi car Dieu t’y à faict naistre.
Le bon monsieur de Pibrac, que nous venons de perdre,: vnun
esprit si gentil, les opinions si saines, les meurs si douces. Cet-
te perte, & celle qu’en mesme temps, nous auonsavons faicte de
monsieur de Foix, sont pertes importantes à nostre couron-
ne. IeJe ne sçay s’il reste à la France de quoy substituer vnun au-
tre coupple pareil à ces deux gascons, en syncerité, & en suffi-
sance, pour le conseil de nos Roys. C’estoyent ames diuerse-
mentdiverse-
ment belles, & certes selōselon le siecle, rares & belles, chacune en
sa forme. Mais qui les auoitavoit logées en ce sieclecet aage, si disconuena-
blesdisconvena-
bles & si disproportionnées, à nostre corruption, & à nos tē-
pestestem-
pestes? Rien ne presse vnun estat que l’innouationinnovation: lLe change-
ment donne seul forme à l’iniusticeinjustice, & à la tyrannie. Quand
quelque piece se démāchedémanche, on peut l’estayer: on peut s’oppo-
ser à ce, que l’alteration & corruption naturelle à toutes cho-
ses, ne nous esloingne trop de nos commencemens & princi-
pes: mMais d’entreprendre à refondre vneune si grande machinemasse,
QQQQ q ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
& ena changer les fondements ⁁ ⁁ d’un si grand bastimant, c’est à faire à ceux, ⁁ ⁁ qui pour descrasser effacent: qui veulētveulent a-
mender les deffauts particuliers, par vneune confusion vniuer-
selleuniver-
selle, & guarir les maladies par la mort. ⁁ ⁁ non tam commutandarum quam euertaendarum rerum cupidi. Le monde est ine-
pte à se guarir: iIl est si impatient de ce qui le presse, qu’il ne
vise qu’a s’en deffaire, sans regarder à quel pris. Nous voyons
par mille exemples, qu’il se guarit ordinairement à ses des-
pens: lLa descharge du mal present, n’est pas guarison, s’il n’y
à en general amendement de condition. ⁁
Cette grande addition commence dans la marge gauche et continue dans la marge basse.
⁁ La fin du Chirurgien, n’est pas de faire mourir la mauuaisemauvaise chair: ce n’est que l’acheminement de sa cure: il regarde au delà,
d’y faire renaistre la naturelle, et rendre la partie a son deu estre. Quiconque propose sulemant d’emporter ce qui le mache,
il demure court, car le bien ne succede pas necesseremant au maltoutes: un autre mal luy peut succeder, et pire, come il aduintadvint aus
tueurs de cesar qui iettarentjettarent la chose publique a tel pouint qu’ils eurent a se repantir de s’en estre meslez. A plusieurs despuis
iusquesjusques a nos siecles il est aduenuadvenu de mesmes ⁁ Les françois memes contemporanees sçauentsçavent bien qu’en dire. Toutes grandes mutations esbranlent lestatl’estat et le desordonent. Qui uiseroitviseroit droit a la
l’amandemant guerison et en consulteroit auantavant toute euureeuvre, se refroidiroit uolontiersvolontiers d’y mettre la main. PacuuiusPacuvius CalauiusCalavius corrigea le uicevice
de ce proceder, par un example insigne. Ses concitoiens estoint mutinez contre leurs magistrats: Luy personage de grande authoritè en la uilleville de Capouë
trouuatrouva un iourjour moien d’enfermer le senat dans le palais: et conuocantconvocant le peuple en la place leur dict que le iourjour estoit uenuvenu auquel en pleine liberté
ils pouuointpouvoint prandre uangencevangence des tirans qui les auointavoint si longtemps oppressez, lesquels il tenoit a sa merci suls et desarmez: fut d’auisavis qu’au sort
on les tirat hors l’un apres lautrel’autre, & de chacūchacun on ordonat particulieremant, faisant sur le champ executer ce qui en seroit decretè: pourueupourveu aussi
que tout d’un trein ils auisassentavisassent d’establir quelque home de bien en la place du condamnè, affin qu’elle ne demurat uuidevuide d’officier. Ils n’eurent pas
plus tost oui le nom d’un senatur qu’il s’esleuaesleva un cri de mescontantemant uniuerseluniversel a lencontrel’encontre de luy. IeJe uoivoi bien dict PacuuiusPacuvius, il faut desmettre ⁁
⁁ cettuy-cy: c’est un meschant: ayons en un bon en change. Ce fut un prompt
sillance, tout le monde se trouuanttrouvant bien empechè au chois. Au premier
plus effrontè, qui dict le sien: uoilavoila un consantement de uoixvoix encores plus
grand a refuser celluyla: cent imperfections & iustesiustes causes de le rebuter.
Ces humeurs contradictoires s’estant eschauffees il aduintadvint encore pis du
secont senatur et du tiers. Autant de discorde a l’election que de conuenanceconvenance
a la demission. S’estant inutilemant lassez a ce troble, ils comancent
qui deça qui dela a se desrober peu a peu de l’assamblee, raportant
chacun cette resolution en son ame, que le plus uieilvieil et mieus conu mal
est tousiourstousjours plus supportable, que le mal recent et inexperimanté.
Pour nous voir
bien piteusement agitez, car que n’auonsavons nous faict?
Eheu cicatricum & sceleris pudet,
Fratrumque: quid nos dura refugimus
Aetas? quid intactum nefasti
Liquimus? vnde manus iuuentus
Metu Deorum continuit? quibus
Pepercit aris?
ieje ne vay pas soudain me resoluantresolvant, que c’est faict de nous:
ipsa si velit salus
Seruare prorsus non potest hanc familiam:
nNous ne sommes pas pourtant à l’auantureavanture, à nostre dernier
periode. La conseruationconservation des estats, est chose qui vray-sem-
blablement surpasse nostre intelligence. ⁁
⁁ C’est come dict Platon chose puissante et de difficille dissolution qu’une ⁁ ⁁ ciuilecivile police. Elle dure
souuantsouvant contre des maladies mortelles et instestines contre l’iniureinjure des loix uicieusesvicieusesiniustesinjustes contre la tyrannie
contre lae ldesbordement et ignorance des magistrats licence et sedition des peuples et contre les maladies externes
la famine la peste la guerre.
En toutes nos for-
tunes, nous nous comparons à ce qui est au dessus de nous,
& regardons vers ceux qui sont mieux: mMesurons nous à ce
qui est au dessous, il n’en est point de si malotru, qui ne trou-
uetrou-
ve mille exemples ou se consoler. ⁁
⁁ Mais c’C’est nostre uicevice. qQue nous uoïonsvoïons plus
mal uolontiersvolontiers ce qui est dauantd’avant nous que
uolontiersvolontiers ce quei nous laissons derriere.est apres nous.
Et commeSi disoit Solon,
qui dresseroit vnun tas de tous les maux ensemble, qu’il n’est
aucun, qui ne choisit plustost de raporter auecavec soy les maux
qu’il a, que de venir à diuisiondivision legitime, auecavec tous les autres
hommes, de ce tas de maux, & en prendre sa quotte part.
Nostre police se porte mal,: il en à esté pourtant de plus
LIVRE TROISIESME.423431
malades sans mourir. Les dieux se iouentjouents’esbattent de nous à la pe-
lote, & nous agitent à toutes mains, enimuero Dij nos homi-
nes quasi pilas habēthabent. Les astres ont fatalement destiné l’estat de
Romme, pour patronexamplaire de ce qu’ils peuuentpeuvent en ce gēregenre: iIl com-
prend en soy, toutes les formes & auanturesavantures, qui touchent vnun
estat: tout ce que l’ordre y peut, & le trouble, & l’heur, & le
malheur. Qui se doit desesperer de sa condition, voyant les se-
cousses & mouuemensmouvemens dequoy celuy-là fut agité, & qu’il sup-
porta. Si l’estenduë de la domination, est la santé d’vnun estat:,
(dequoy ieje ne suis aucunement d’aduisadvis) ⁁
⁁ et me plait Isocrates de
doner auisavis aqui
instruit Nicocles non
d’enuierenvier les princes qui ont
des dominations loin estendueslarges
mais ceus qui sçauentsçavent bien
conseruerconserver & cōduireconduire celles qui
leurs sont escheues)
celuy-là ne fut iamaisjamais
si sain, que quand il fut le plus malade. La pire de ses formes,
luy fut la plus fortunée. A peine reconnoit-on l’image d’au-
cune police, soubs les prémiers Empereurs: c’est la plus hor-
rible & espesse confusion qu’on puisse conceuoirconcevoir. Toutesfois
il la supporta, & y dura, conseruantconservant, non pas vneune monarchie
resserrée en ses limites, mais tant de nations, si diuersesdiverses, si esloi-
gnées, si mal affectionnées, si desordonnéement commādéescommandées,
& iniustementinjustement conquises.,
nec gentibus vllis
Commodat in populum terrae pelagíque potentem,
Inuidiam fortuna suam.
Tout ce qui branle ne tombe pas. La contexture d’vnun si grādgrand
corps tient à plus d’vnun clou. Il tient mesme par son antiquité:
cComme les vieux bastimens, ausquels l’aage à desrobé le pied,
sans crouste & sans cyment, qui pourtātpourtant viuentvivent & se soustien-
nent en leur propre poix,
nec’iam validis radicibus haerens,
Pondere tuta suo est.
D’auantageavantage, ce n’est pas bien procedé, de reconnoistre seule-
ment le flanc & le fossé: pPour iugerjuger de la seureté d’vneune place, il
faut voir, par où on y peut venir, en quel estat est l’assaillant.
QQQQq iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Peu de vaisseaux fondent de leur propre poix, & sans violen-
ce estrangere. Or tournons les yeux par tout, tout crolle au-
tour de nous: eEn tous les grands estats, soit de ChrestiētéChrestienté, soit
d’ailleurs, que nous cognoissons, regardez y, vous y trouuereztrouverez
vneune euidenteevidente menasse de changement & de ruyne:,
Et sua sunt illis incommoda, párque per omnes
Tempestas.
Les astrologues ont beau ieujeu, à nous aduertiradvertir, cōmecomme ils font,
de grandes alterations, & mutations prochaines: lLeurs deui-
nationsdevi-
nations sont presentes & palpables, il ne faut pas aller au ciel
pour cela. Nous n’auonsavons pas seulement à tirer consolation, de
cette societé vniuerselleuniverselle de mal & de menasse, mais encores
quelque esperance, pour la durée de nostre estat: dD’autant que
naturellemētnaturellement, rien ne tombe, là ou tout tombe: la maladie v-
niuerselleu-
niverselle est la santé particuliere: la conformité, est qualité
ennemie à la dissolution. Pour moy, ieje n’en entre point au de-
sespoir, & me semble y voir des routes à nous sauuersauver:
Deus haec fortasse benigna,
Reducet in sedem vice.
Qui sçait, si Dieu voudra qu’il en aduiēneadvienne, cōmecomme des corps qui
se purgētpurgent, & remettētremettent en meilleur estat, par lōgueslongues & griefuesgriefves
maladies: lesquelles leur donnentrendent vneune santé plus entiere &
plus nette, que celle qu’elles leur auoientavoient osté: Ce qui me poi-
se le plus, c’est qu’à compter les simptomes de nostre mal, ij’en
vois autant de naturels, & de ceux que le ciel nous enuoyeenvoye, &
proprement siens, que de ceux que nostre desreiglement, &
l’imprudence humaine y conferent. ⁁
⁁ il samble que les astres
ciel nous auertitavertitmesme ordonent que
nous auonsavons asses duré,
& outres les termes ordi=
neres. Et ceci aussi me
poise, que le plus uoisinvoisin
mal qui sāblesamble nous menacer
ce n’est pas la difforma=
tion en toute la masse
le chāgemātchangemant solide et
uniuerseluniversel mais sa
dissipation et diuulsiondivulsion,
la pire de toutes nos creintes alteration en la masse entiere et solide,
mais sa dissipation et diuulsiondivulsion,: lextremel’extreme de nos creintes.
Encores en ces rauasseriesravasseries
icy, crains-ieje, la trahison, de ma memoire, que par inaduer-
tanceinadver-
tance, elle m’aye faict enregistrer vneune chose deux fois. IeJe hay
à me reconnoistre, & ne retaste iamaisjamais qu’enuis ce qui m’est v-
neu-
ne fois eschappe. Or ieje n’apporte icy rien de nouuelnouvel appren-
tissage, cCe sont imaginations communes, les ayant à l’auantuavantu-
LIVRE TROISIESME.424432
re conceuës cent fois, ij’ay peur de les auoiravoir desiadesja enrollées. La
redicte est par tout ennuyeuse, fut ce dans Homere: mais elle
est ruineuse aux choses qui n’ont qu’vneune montre superficiel-
le & passagiere. IeJe me desplais de l’inculcation, voire aux cho-
ses vtilesutiles, comme en Seneque. ⁁
Et lusagel’usage de son eschole
Stoique me desplait de
redire sur chaque matiere
tout au long et au large
etles principes & presupposition
qui seruentservent a tout le corps en
general et re realleguer
tousiourstousjours de nouueaunouveau les
argumans & raisons communes
et uniuerselesuniverseles.
Ma memoire s’empire cruelle-
ment tous les ioursjours.
Pocula Lethaeos vt si ducentia somnos,
Arente fauce traxerim.
Il faudra doresnauantdoresnavant, car Dieu mercy iusquesjusques à cette heure, il
n’en est pas aduenuadvenu de faute, que au lieu que les autres cerchētcerchent
temps, & occasion de penser à ce qu’ils ont à dire, ieje fuye à me
preparer, de peur de m’attacher à quelque obligation, de la-
quelle ij’aye à despēdredespendre. L’estre tenu & obligé, me fouruoiefourvoie, &
le despendre d’vnun si foible instrument qu’est ma memoire. IeJe
ne lis iamaisjamais cette histoire, que ieje ne m’en offence, d’vnun ressen-
timent propre & naturel. Lyncestez accusé de coniurationconjuration,
contre Alexandre, le iourjour qu’il fut mené en la presence de l’ar-
mée, suyuantsuyvant la coustume, pour estre ouy en ses deffences, a-
uoita-
voit en sa teste vneune harangue estudiée, de laquelle tout hesitāthesitant
& begayant, il prononça quelques paroles: cComme il se trou-
bloit de plus en plus, ce pendant qu’il luicte auecavec sa memoire,
& qu’il la retaste, le voila chargé & tué à coups de pique, par
les soldats, qui luy estoiētestoient plus voisins, le tenāttenant pour cōuaincuconvaincu:
sSon estonnemētestonnement & son silēcesilence, leur seruitservit de confession. Ayant
eu en prison tant de loisir de se preparer, ce n’est à leur aduisadvis,
plus la memoire qui luy manque,: c’est la conscience qui luy
bride la langue, & luy oste la force. Vrayment c’est bien dict,:
oOn s’estonne du lieu, deLe lieu estone, l’assistance, de l’expectation, lors mes-
me qu’il n’y va que de l’ambition de bien dire,: qQue peut-on
faire quand c’est vneune harangue, qui porte la vie en consequē-
ceconsequen-
ce. Pour moy, cela mesme, que ieje sois lié à ce que ij’ay à dire, sert
à m’en desprendre. Quand ieje me suis commis & assigné entie-
rement á ma memoire, ieje pends si fort sur elle, que ieje l’accable:
ESSAIS DE M. DE MONTA.
eElle s’effraye de sa charge. Autant que ieje m’en rapporte à elle,
ieje me mets hors de moy, iusquesjusques à essaier ma contenance: &Et
me suis veu quelque iourjour en peine, de celer la seruitudeservitude en la-
quelle ij’estois entrauéentravé:. lLà ou mon dessein est,. de representer en
parlant, vneune profonde nonchalance, & des mouuemensmouvemens for-
tuites & impremeditez, comme naissans des occasiōsoccasions presen-
tes: aAymant aussi cher ne rien dire qui vaille, que de montrer
estre venu premeditéprepare pour biēbien dire: cChose messeante, sur tout
à gens de ma profession. ⁁
⁁ Et chose de trop
grande obligation a
qui ne peut beaucoup
tenir: L’apprest done
plus a esperer qu’il ne
porte. On se met souuātsouvant
sotemant en perpouint,
pour ne sauter pars mieus
qu’en saye. Ils ont
Nihil est his qui placere
uolunt tam aduersarium
quam expectatio. Ils ont
On a laissé par escrit de l’orateur Cu-
rio, que quand il proposoit la distribution des pieces de son
oraison, en trois, ou en quatre, ou le nombre de ses arguments
& raisons, il luy aduenoitadvenoit volontiers, ou d’en oublier quel-
qu’vnun, ou d’y en adiousteradjouster vnun ou deux de plus. IeJe me suis tou-
siourstou-
sjours bien gardé, de tomber en cet inconuenientinconvenient, ayant hay
ces promesses & prescriptions: nNon seulement pour la deffiā-
cedeffian-
ce de ma memoire, mais aussi pour ce que cette forme, retire
trop a l’attisteartiste. ⁁
⁁ Simpliciora mili=
tares decent.
Baste, que ieje me suis meshuy promis, de
ne prendre plus la charge de parler en lieu de respect: cCar quātquant
à parler en lisant son escript, outtre ce qu’il est monstrueux, il
est de grand desauātagedesavantage à ceux, qui par nature pouuoiētpouvoient quel-
que chose en l’action. Et de me ietterjetter à la mercy de mon in-
uentionin-
vention presente, encore moins: iIejJe l’ay lourde & trouble, qui
ne sçauroit fournir à soudaines necessitez, & importantes.
Laisse lecteur courir encore ce coup d’essay, & ce troisiesme a-
longeail, du reste des pieces de ma peinture. IJ’adiousteadjouste, mais ieje
ne corrige pas: pPremieremētpPremierement, par ce que celuy qui à hypothec-
qué au monde son ouurageouvrage, ieje trouuetrouve apparence, qu’il n’y aye
plus de droict: qQu’il die s’il peut, mieux ailleurs, & ne corrom-
pe la besongne qu’il nous à venduë: dDe telles gēsgens il ne faudroit
rien acheter qu’apres leur mort: qQu’ils y pensent bien, auantavant q̄que
de se produire: qQui les haste? ⁁
⁁ Mon liurelivre est
tousiourstousjours un. Sauf
qu’a mesure queō’on les
imprimurs seschauf=
fentmet a le renouuellerrenouveller
affin que lacheturl’achetur ne s’en aille les mains du tout uuidesvuides
ieje me done loy d’y atacher ⁁ quelque embleme supernumerere
ou quelque marque obliee de mon image si la memoire m’en
suggere. Ce ne sont que surpois. En fin ce ne sont que surpois.
Et come ce n’est qu’une marqueterie mal iouintejouinte & descolleecome ce n’est qu’une marqueterie mal iouintejouinte quelque embleme supernumerere.
Ce ne sont que surpois. Et en peut aueniravenir que la chronologie se trouble. Par ou il s’y pourra bien trouuertrouver quelque transposition de
chronologie. DouD’ou il y peut eschoir quelque praeoccupation en la chronologie sur les euenemansevenemans de mon temps.
qui ne condamnent pouint la premiere impressionforme mais donent quelque pris particulier a chacune des suiuantessuivantes par une petite
finessesubtilite ambitieuse Par ouDe la toutesfois il se trouuerratrouverra uolontiersvolontiersaduienderaadviendera facilement qu’il s’y mesle quelque transposition de chronologie. Mes contes
prenant place selon leur opportunité, non ⁁ tousiourstousjours selon leur eage.
Secondement, que pour mon re-
gard, ieje crains de perdre au change: mMon entendement ne va
pas
LIVRE TROISIESME.425433
pas tousiourstousjours auantavant, il va à reculons par foisaussi: iIejJe ne me deffie
guiere moins de mes fantasies, pour estre secondes ou tierces,
que premieres: ou presentes, que passées. Nous nous corrigeōscorrigeons
aussi sottement souuētsouvent, ⁁ ⁁ come nous corrigeons les qu’aux autres. IeJe suis enuieillyenvieilly de huit
sept ans depuis mes premieres publications ⁁
⁁ , qui furent l’an 1580
: mais ieje fais doute que
ieje sois amandéMes premieres publications furent l’an 1580. Despuis, d’un long
traict de temps ieje suis enuiellienvielli mais assagi ieje ne suis pas le suis certes pas d’vnun pouce. ⁁
⁁ Moi asture et moi a
tantosttantost somes bien
deus. Mais quand
meillur ieje n’en puis
rien dire. Nous allons
uisvis a uisvis par fois de trauerstravers
costé par fois souuantsouvant
en arriere. Il feroit
beau estre uieilvieil si
nous amandions en
uieillissantvieillissant ne mar=
chions que uersvers l’aman=
demant. C’est un pasmouuemantmouvemant
d’yurouigneyvrouigne titubant
uacillantvacillant ou l’agitation
des ioncsjoncs que lairl’air manie
selon soi. uertigineusxvertigineusx
informe: ou des ioncsjoncs que
lairl’air manie selon soy, casu=
ellement selon soy.
Antiochus auoitavoit uigoreu=
sementvigoreu=
sement escrit en faueurfaveur
de l’Academie il prit sur
ses uieusvieus ans un autre
parti: le quel des deus ieje
suiuissesuivisse seroit pas tous=
iourstous=
jours suiuresuivre Antiochus.
Apres auoiravoir establi de
le doubte uouloirvouloir establir
la certitude des opinions
humaines, estoit ce pas
establir le doubte non la la
certitude. Sembloit il pasEt
promettre qui luy eut doné un
nouuelnouvelencores un eage a durer qu’il
estoit tousiourstousjours en luiterme
de nouuellenouvelle agitation: non
tant meilleure qu’autre.
La faueurfaveur publique m’a donné vnun
peu plus de hardiesse que ieje n’esperois: mMais ce que ieje crains le
plus, c’est de saouler,. iIjJ’aymerois mieux poindre que lasser, cō-
mecom-
me à faict vnun honnestesçauantsçavant homme de mon temps. La louange est
tousiourstousjours plaisante, de qui, & pourquoy qu’elle vienne: sSi faut
il pour s’en aggréer iustementjustement, estre informé de sa cause. Les
imperfections mesme, ont leur moyen de se recommander.
L’estimation vulgaire & commune, se voit le plus souuētsouvent, peu
heureuse en rencontre: &Et de mon temps, ieje suis trompé, si les
pires escrits ne sont ceux qui ont gaigné le dessus du vent po-
pulaire. Certes ieje rends graces à des honnestes hommes, qui
daignent prendre en bonne part, mes foibles efforts. Il n’est
lieu où les fautes de la façon paroissent tant, qu’en vneune matie-
re qui de soy n’a point de recommendation:. nNe te prēsprens point
à moy Lecteur, de celles qui se coulent icy, par la fantasie, ou
inaduertāceinadvertance d’autruy: cChaque main, chaque ouurierouvrier, y apporte
les siennes. IeJe ne me mesle, n’yny d’ortografe,: & ordonne seule-
ment qu’ils suiuentsuivent l’ancienne,: nNy de la punctuatiōpunctuation: ieje suis peu
expert en l’vnun & en l’autre. Ou ils rompent du tout le sens, ieje
m’en donne peu de peine, car aumoins ils me deschargētdeschargent: mMais
ou ils en substituent vnun faux, comme ils font si souuentsouvent, & me
destournent à leur conception, ils me perdentruinent. Toutesfois
quand la sentence n’est forte à ma mesure, vnun honeste homme
la doit refuser pour mienne. Qui connoistra combien ieje suis
peu laborieux, combien ieje suis faict à ma mode, croira faci-
lement, que ieje redicterois plus volontiers, encore autant d’es-
sais, que de m’assuiettirassujettir à les resuiureresuivre ceus cy, pour cette puerile corre-
RRRRr
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ction. IeJe disois donc tantost, qu’estant planté en la plus pro-
fonde miniere de ce nouueaunouveau metal, non seulemētseulement ieje suis pri-
uépri-
vé de grande familiarité, auecavec gens d’autres humeurs, ⁁ ⁁ que les mienes: & opi-
nions que les miennes, & qui se tiennentd’autres
et d’autres opinions, par les quelles ils tienent ensemble d’vnun neud qui fuit à
tout autre neud,: mMais encore ieje ne suis pas sans hazard, parmy
ceux à qui tout est egalement loisible, & desquels la plus part
ne peut meshuy empirer son marché, enuersenvers nostre iusticejustice,
d’ou n’aist l’extreme degré de licence. Contant toutes les par-
ticulieres circonstances qui me regardent, ieje ne trouuetrouve hōmehomme
des nostres, à qui la deffēcedeffence des loix, couste, & en guain cessātcessant,
& en dōmagedommage emergeātemergeant, disent les clercs, plus qu’à moy. ⁁
⁁ et tels font bien les
brauesbraves de leur chalur
et aspreté, qui font
beaucoup moins que moi
en iustejuste balance.
CōmeComme
maison de tout tēpstemps libre, ouuerteouverte,de grand abbord, & officieuse à chacūchacun, (car ieje
ne me suis iamaisjamais laissé induire, d’ēen faire vnun outil de guerre of-
fensiueof-
fensive: à laq̄llelaquelle ieje me mesle plus volontiers ou elle est lea plus
esloingnée de mōmon voisinage,) ma maison à merité assez d’affe-
ctiōaffe-
ction populaire,. &Et seroit biēbien malaisé de me gourmādergourmander sur mōmon
fumier: &Et estime à vnun merueilleuxmerveilleux chef d’oeuureoeuvre, & exemplai-
re, qu’elle soit encore vierge de sang, & de sac, soubs vnun si long
orage, tant de changemens & agitations voisines. Car à dire
vray, il estoit possible, à vnun homme de ma complexion, d’es-
chaper à vneune forme constante, & continue, quelle qu’elle fut:
mMais les inuasionsinvasions & incursions contraires, & alternations &
vicissitudes de la fortune, autour de moy, ont iusqujusqu’a cette
heure plus exasperé que amolly, l’humeur du pays,: & me re-
chargent de dāgersdangers, & difficultez inuinciblesinvincibles. IJ’eschape,: mMais
il me desplaist que ce soit plus par fortune, voire, & par ma
prudence, que par iusticejustice: &Et me desplaist d’estre hors la prote-
ction des loix, & soubs autre sauuegardesauvegarde que la leur. Comme
les choses sont, ieje vis plus qu’à demy, de la faueurfaveur d’autruy,: qui
est vneune rude obligation. IeJe ne veux debuoirdebvoir ma seureté, ny à
la bonté, & benignité des grands, qui s’aggreent de ma legali-
té, & liberté: ny à la facilité des meurs de mes predecesseurs, &
LIVRE TROISIESME.426434
miennes: cCar quoy si ij’estois autre? Si mes deportemens, & la
franchise de ma conuersationconversation, obligent mes voisins, ou la pa-
renté, c’est cruauté qu’ils s’en puissent acquiter, en me laissant
viurevivre: &Et qu’ils puissent dire,: nous luy condonnons ⁁
⁁ la libre continuation du
seruiceservice diuindivin en la chapelle de
sa maison toutes les esglises
d’autour estant de si longtempspar nous
desertees & ruinees et lusage
de ses biens et luy condonons sa
uievie luy condonons lusagel’usage
de ses biens & de sa uievie
sa mai-
son, & sa vie, cōmecomme il cōserueconserve nos femmes, & nos beufs au be-
soing. De longue main chez moy, nous auonsavons part à la louāgelouange
de Licurgus Athenien, qui estoit general depositaire & gardiēgardien
des bourses de ses concitoyens. Or ieje tiēstiens, qu’il faut viurevivre par
droict, & par auctorité, non par ⁁ ⁁ recompance ny par grace. Combien d’honnestesde galans
hommes, ont mieux aimé perdre la vie, que la deuoirdevoir. IeJe fuis à
me submettre à toute sorte d’obligation,: mMais sur tout, à celle
qui m’attache, par deuoirdevoir d’honneur. IeJe ne trouuetrouve rien si cher,
que ce qui m’est donné, & ce pourquoy, ma volonté demeure
hypothequée par tiltre de gratitude: &Et reçois plus volontiers
les offices, qui sont à vendre.: IiIeJjJei croy bien: pPour ceux-cy, ieje ne
donne que de l’argētargent, pour les autres, ieje me donne moy-mes-
me. Le neud qui me tient par la loy d’honnesteté, me semble
bien plus pressant & plus poisant, que n’est celuy de la cōtrain-
tecontrain-
te ciuilecivile. On me garrote plus doucement par vnun notaire, que
par moymesme. N’est-ce pas raison, que ma conscience soit
beaucoup plus engagee, à ce, en quoy on s’est simplement fié
d’elle. Ailleurs, ma foy ne doit rien:, car on ne luy à rien presté:
qQu’on s’ayde de la fiance & asseurance, qu’on à prise hors de
moy. IJ’aymeroy biēbien plus cher, rompre la prison d’vneune murail-
le, & des loix, que de ma parole. ⁁
⁁ IeJe suis delicat
a l’obseruationobservation de
mes promesses iusquesjusques
a la superstition: et
les fois en tous subiectssubjects
uolantiersvolantiers incerteines
et conditionelles. A
celles qui sont de nul
pois et interest, ieje
done pois de la ialou=
siejalou=
sie de ma regle: elle
me geine de son p et charge
de son propre interest. Oui
es entreprinses toutes mienes
et libres si ij’en dicts le point, il me semble
que ieje me le prescris, et que le doner a la
sciance d’autrui c’est en priuerpriver ma liberte
ainsi ieje l’euanteevante peule le l’oster preordoner
a soi Il me semble que
ieje le prometz quand ieje le dicts. Ainsi
ij’esuanteesvante peu mes propositions.
La condemnation que ieje faits
de moy, est plus vifuevifve & plus vigoureuseroidde, que n’est celle des
iugesjuges, qui ne me prennent que par le visage de l’obligation
commune: lL’estreinte quede ma conscience me donne, est plus
serrée & plus seueresevere:. iIejJe suy lachement, les debuoirsdebvoirs ausquels
on m’entraineroit, si ieje n’y allois. ⁁
⁁ Hoc ipsum ita
iustum est quod
recte fit si est
uoluntarium.
Si l’action n’a quelque splen-
deur de liberté, elle n’a point de grace &ny d’honneur,
RRRRr ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Quod me ius cogit, vix voluntate impetrent,
OoOu la necessité me tire, ij’ayme à lacher la volonté. Quia quic-
quid imperio cogitur, exigenti magis, quàm praestanti acceptum refer-
tur. IJ’en sçay qui suyuentsuyvent cet air, iusquesjusques à l’iniusticeinjustice: dDonnent
plustost, qu’ils ne rendent,: prestent plustost qu’ils ne payent,:
font plus escharsement bien à celuy, à qui ils en sonsont tenus. IeJe
ne vois pas là, mais ieje touche contre. IJ’ayme tant à me des-
charger & desobliger, que ij’ay par fois compté à profit, les in-
gratitudes, offences, & desplaisirsindignitez, que ij’auoisavois receu de ceux,
à qui, ou par nature, ou par accident:, ij’auoisavois quelque deuoirdevoir
d’amitié: pPrenant cette occasion de leur faute, à autant d’ac-
quit, & descharge de ma debte. Encore que ieje continue à leur
payer les offices apparents, de la raison publique, ieje trouuetrouve
grande espargne pourtant, ⁁ ⁁ a faire par iusticejustice ce que ieje faisois par affection, et à me soulager vnun peu, de l’attētionattention
& sollicitude, de ma volonté au dedans, & de l’obligation in-
terne de mon affection. ⁁
-
⁁ Est prudentis sustinere
ut cursum sic impetum
beneuolentiae.
Laquelle ij’ay vnun peu bien violente, &urgente et
pressante, ou ieje m’adonne: aAu moins pour vnun homme, qui ne
veut aucunement estre en presse. Et me sert cette mesnagerie,
de quelque consolation, aux imperfections de ceux qui me
touchent. IeJe suis bien desplaisant qu’ils en vaillent moins,
mais tant y à aussi, que ij’en espargne ⁁ ⁁ aussi quelque chose de mon
application & engagement, enuersenvers eux. IJ’approuueapprouve celuy qui
ayme moins son enfant, & son cousin, d’autant qu’il est où tei-
gneux ou bossu: &Et nōnon seulement, quand il est malicieux, mais
aussi quand il est malheureux, & mal nay: (Dieu mesme en
a rabbatu cela de son pris, & estimation naturelle,:) pPourueupPourveu
qu’il se porte en ce refroidissemētrefroidissement, auecavec moderation, & exacte
iusticejustice. PourEn moy, la proximité n’allege pas les deffaults, el-
le les aggraueaggrave plustost. Apres tout, selon que ieje m’entends
en la science du bien-faict & de recognoissance, qui est vneune
subtile science & de grādgrand vsageusage, ieje ne vois guere hommepersone, plus
LIVRE TROISIESME.427435
libre & moins endebté, que ieje suis iusquesjusques à cette heure. Ce
que ieje doibts, ieje le doibts aux obligations communes & na-
turelles. Il n’en est point, qui soit plus nettemētnettement quitte d’obli-
gations & bienfaicts estrangers,: iamaisjamais roy ne me dona un double:, en païement
ny en don:de toutes pars:. IamaisJamaisd’ailleurs.
nec sunt mihi nota potentum
Munera.
Les princes ⁁ ⁁ me donent prou s’ils ne m’ostent, et rien, et me font assez de biēbien, quādquand ils ne me font point de
mal,: c’est ⁁ ⁁ tout ce que ij’en demādedemande. O cōbiencombien ieje suis tenu à Dieu, de
ce qu’il luy à pleu, que ij’aye receu immediatemētimmediatement de sa grace,
tout ce que ij’ay: qu’il à retenu particulierement et à soy toute
ma debte. ⁁
⁁ O que iejeCombien ieje le supplie
instammant sa
seinte misericorde
que iamaisjamais ieje ne
doiuedoive un essantiel
grammercisgrammerci a
persone. Bienhureu=
se franchise:. qui m’a
conduit si loin,: qu’ell’acheueacheve.
IJ’essaye à n’auoiravoir necessairementexprez besoing de per-
sonne:nul. In me omnis spes est mihi. cC’est chose que chacun peut en soy, mais plus facile-
ment ceux, que Dieu à mis à labryl’abry des necessitez naturelles &
vrgentesurgentes. Il fait bien piteux, & hazardeux. Nous mesme, des-
pendre d’vnun autre, ⁁ ⁁ . Nous mesme qui est la plus iustejuste adresse, & la plus seure,
ne nous sommes pas assez asseurez: iIejJe n’ay riērien mien, que moy,
& si, en est la possession ⁁ ⁁ en partie manque & empruntée. IeJe me cultiuecultive
& m’augmente de tout mon soing, ⁁ ⁁ fo et en corage, qui est le plus fort: f et encores en fortune,: pour y trouuertrouver dequoy
me satisfaire, quādquand ⁁ ⁁ ailleurs tout m’abandōneroitabandonneroit. ⁁
⁁ Eleus Hippias ne
se fournit pas sule=
mant de sciance
pour au giron des
muses se pouuoirpouvoir
ioïeusemantjoïeusemant escarter
de toute autre
compaignie au
besoin: ny sulemant
de la conoissance de
la philosophie, pour
aprandre a son ame
de se contanter
puremant d’elle,
et se passer uiri=
lementviri=
lement des commo=
ditez qui luy uienētvienent
du dehors, quand
fortunele sort l’ordone.
Il fut si curieus
d’aprandre encore
a faire sa cuisine et
son poil, ses robes
ses souliers ses bagues
pour se fonder en
soi autant qu’il pour=
roit, et soustrere au
secours estrangier.
On iouitjouit bien plus
librement, & plus gayement, des biens estrangersempruntez, quand ce
n’est pas vneune iouyssancejouyssance obligée & contrainte par le besoing:
& qu’ōon a, & en sa volōtévolonté, & en sa fortune, la force & les moiēsmoiens
de s’en passer. ⁁ IJ’ay tres-volontiers cerché l’occasion de bien
faire, & d’attacher les autres à moy: & me semble qu’il n’est
point de plus doux vsageusage de nos moyensbiens:
Montaigne commence son addition dans la marge gauche en vertical, puis, au milieu de ce premier ensemble, il passe à la marge basse du verso du folio précédent (434v) par le signe en forme de B. Revenant en marge gauche du folio 435, nous le suivons ensuite en marge basse du même folio pour terminer dans l’interligne après la première marque d’insertion.
⁁ IeJe me conois bien. Mais il m’est mal aisé d’imaginer nulle si pure liberalité de
en persone, nulle hospitalité si franche et gratuite qui ne me samblat disgratiee
tirannique et plei pteinte de reproche si la necessitè m’y auoitavoit atache: a la mal’heure
encheuestreenchevestre. Come le doner est qualite ambitieuse et de praerogatiuepraerogative
aussi est l’accepter qualite de summission: tesmoin lesl’iniurieusinjurieus et quereleus
refus que PaiazetPajazet fit des presans que Temir luy enuoioitenvoioit. ⁁
⁁ Et que les presans de la part deceus qu’on ceus offrit de la que part de l’Emperur Soliman estantenuoiaenvoia fit presantesr
a l’emperur de Calicut le mirent qu’en si grand despit que non
sulemētsulement il les refusa rudemētrudement disant que ny luy ny ses predecessurs
n’auoītavoint acostume de rien prendre et que c’estoit leur office de doner
mais en outre fit mettre en un cul de fosse sles ambassadurs enuoiesenvoies
a cet effaict
Quand Thetis dict Aristote
flate IuppiterJuppiter, quand les Lacedemoniens flatent les Atheniens ils ne uontvont pas leur refrechissant la memoire
memoire des biens qu’ils leur ont faicts qui est tousiourstousjours odieuse et iniurieuseinjurieuse mais q ceusla memoire des bienfaicts qu’ils
en ont receus d’eus. Ceus que ieje uoivoi si familierement emploier tout chacun et s’y engager, ne le
fairoint pas s’ils poisoit autant que doit poiser a un sage home l’engageure d’une obligation: elle
se paye a l’auantureavanture quelque fois mais elle ne se dissout iamaisjamais. ⁁
⁁ cruel garrotage, a qui aime d’alegeraffranchir les couddees de sa liberte
en toutess façons sans. Mes conoissans et au dessus et au dessous
de moy sçauentsçavent s’ils en ont iamaisjamais ueuveu de moins chargeant sur autruy
de moins requerant pour legiere chose que ce soit IJ’exerce outre
tout exemple moderne la leçon de me passer pour fuir a celle
de demander. IeJe hay a mort d’estre tenu ny a autre ny par autre que moi
Qu’on me soit tenu et de bien faire ij’en ai uolontiersvolontiers cherche la matiere
et me semble qu’il n’estSi ieje le suis au dessusdela de
tout exemple moderne a quelque occasion ce n’est pas grande merueillemerveille tant de pieces de maes uieviemeurs y contri=
buant. VnUn peu de fierte naturelle: l’impatiance du refus: La contraction de mes desirs et desseins
inhabilete a toute sorte d’affaires: et mes qualitez plus fauoriesfavories l’oisifueteoisifvete la franchise: partout cela ij’ay
pris a haine mortelle d’estre tenu ny a autre ny par autre que moy IJ’emploie bien uifuementvifvement tout ce que ieje puis a
me passer auantavant que ij’emploie la beneficence d’un autre en quelque ou legiere ou poisante occasion que ce soit Mes
amis m’importunent estrangement quand ils me requierent de requerir
un tiers Et ne me semble pointguere moins de coust de sengagers’engager celuy qui me doit, usant de luy, que m’engager pour eus
enuersenvers celuy, qui ne me doibt rien. Cette condition ostee, & cet’autre, qu’ils ne ueuillentveuillent de moi chose
negotieuse et soucieuse car ij’ay denonce a tout souin
guerre capitale ieje suis infiniement procliueproclive a bien faire a chacun et
tresfacile commodeement facile au bien faire a chacun besouin de chacun. mMais ij’ay encore
plus fuy à receuoirrecevoir, que ieje n’ay cerché à donner. ⁁ ⁁ aussi est il bien plus facileaise selon Aristote. Ma fortune ne
m’a guerepeu permis de biēbien faire à autruy, & ce peu qu’elle m’en
à permis, elle l’a assez meaigremement logé. Si elle m’eust faict
naistre pour tenir quelque rang entre les hommes, ij’eusse esté
ambitieux de me faire aymer,: peunon de me faire craindre ou ad-
mirer ⁁
⁁ : plus tost
cheri qu’adoré.
⁁ Cyrus tressagemant et par la bouche d’un bon tresbon
capiteine & meillur philosophe, estime sa bonte et
ses bienfaicts loin au dela de sa vaillācevaillance et
grandes conquestes.
. L’exprimeray ieje plus insolamment, ij’eusse autant re-
RRRRr iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gardé, au plaire, que au prouffiter. ⁁
⁁ Cyrus tres-sagement, & par la bouche d’vnun tres bon Capitaine, & meilleur Philosophe
encores: estime sa bonte et ses bien faicts, loing au delà de sa vaillance, & belliqueuses
conquestes. Et le premier Scipion par tout ou il se ueutveut faire ualoirvaloir faict bien poiser sa
debonaireté & humanité au dessus de son hardiesse et de ses uictoiresvictoires et ha tousiourstousjours en la
bouche ce glorieus mot qu’il a laisse aus enemis autant a l’aimer qu’aus amis.
IeJe veux donc dire, que s’il
faut ainsi debuoirdebvoir quelque chose, ce doibt estre à plus legiti-
me titre, que celuy dequoy ieje parle, auquel la loy de cette mi-
serable guerre m’engage,. &Et non d’vnun si gros debte, comme ce-
luy de ma totale conseruationconservation,: iIl m’accable. IeJe me suis couché
mille foys chez moy, imaginant qu’on me trahiroit & assom-
meroit cette nuict la,: cComposant auecavec la fortune, que ce fut
sans effroy & sans langueur,: &Et me suis escrié apres mon pate-
nostre,
Impius haec tam culta noualia miles habebit.
Quel remede? c’est le lieu de ma naissance, ⁁
⁁ et de mon
pere,
& de la plus part de
mes ancestres: ils y ont mis leur affectiōaffection & leur nōnom: nNous nous
durcissons à tout ce que nous accoustumons. Et à vneune misera-
ble condition comme est la nostre, ç’a esté vnun tresfauorabletresfavorable
present de nature, que l’accoustumance,: qui endort nostre
sentiment à la souffrance de plusieurs maux. Les guerres ciui-
lescivi-
les ont cela de pire que les autres guerres, de nous mettre cha-
cun en ⁁ garnisonprison eschauguette ⁁ eschoguette en sa propre maison.,
Quàm miserum porta vitam muróque tueri,
Vixque suae tutum viribus esse domus.
C’est grande extremité d’estre pressé iusquesjusques dans son mesna-
ge, & repos domestique. Ce malheur me touche plus que nul
autre, pour la cōditiōcondition duLe lieu ou ieje me tiens, qui est tousiourstousjours
le premier & le dernier à la batterie de nos troubles, & ou la
paix n’a iamaisjamais son visage entier,
Tum quoque cum pax est, trepidant formidine belli.
quoties pacem fortuna lacessit,
Hac iter est bellis, melius fortuna dedisses
Orbe sub Eoo sedem, gelidáque sub Arcto,
Errantésque domos.
IeJe tire par foys, le moyen de me fermir contre ces considera-
LIVRE TROISIESME.428436
tions, de la nonchalance & lácheté. Elles nous menent aussi
aucunement à la resolution. Il m’aduientadvient souuantsouvant, d’imagi-
ner auecavec quelque plaisir, les dangiers mortels, & les attendre:
iIejJe me plonge la teste baissée, stupidement dans la mort, sans la
cōsidererconsiderer & recognoistre, comme dāsdans vneune profondeur muet-
te & obscure, qui m’engloutit tout d’vnun saut, & m’accable en
vnun instant, d’vnun puissant sommeil, plein d’insipidité & indo-
lence. Et en ces morts courtes & violentes, la consequence
que ij’en preuoyprevoy, me donne plus de consolation, que l’effait de
trouble. ⁁
⁁ : . uUt non utique melior
est longior uita, sicut
peior utique mors
longior, dict il Ils
disent come la uievie
n’est pas la meillure
pour estre longue que
la mort est la meilleure
pour n’estre pas longue.
IeJe ne m’estrāgeestrange pas tant de l’estre mort, comme ij’en-
tre en confidence auecavec le mourir. IeJe m’enuelopeenvelope & me tapis
en cet orage, qui me doibt aueugleraveugler & rauirravir de furie, d’vneune
charge prompte & insensible. Encore s’il aduenoitadvenoit, comme
disent aucuns iardiniersjardiniers, que les roses & violettes naissent plus
odoriferantes pres des aulx & des oignons, d’autant qu’ils es-
puisentsucent & tirent à eux, ce qu’il y a de mauuaisemauvaise odeur en la ter-
re: aAussi que ces déprauéesdépravées natures, humassent tout le venin de
mon air & du climat, & m’en rendissent d’autant meilleur &
plus pur, par leur voisinage: qQue ieje ne perdisse pas tout. Cela
n’est pas,. mMais de cecy il en peut estre quelque chose,
que la bonté est plus belle & plus attraiante quand elle est
rare, & que la contrarieté & diuersitédiversité, roidit & resserre en
soy le bien faire, & l’enflamme par la ialousiejalousie de l’opposi-
tion, & par la gloire. ⁁
⁁ Les uolursvolurs de
leur grace ne
m’en ueulentveulent pas
particulierement.
Fais ieje pas moi a
eus. Il m’en
faudroit a trop
de gens. Pareilles
consciances logent
sous diuersediverse sorte
de robesfortunes. Pareille
cruautè desloiauté,
uolerievolerie. Et d’autant
pire, qu’elle est
plus lache plus
seure et plus
obscure, sous lōbrel’ombre
des loix. IeJe hai moins l’iniureinjure professe que
trahitresse: guerriere que pacifique. et
iuridiquejuridique. Nostre fieurefievre est suruenuesurvenue en
un corps qu’elle n’a de guere empiré. Le feu
y estoit, la flamme s’y est prinse. Le bruit
est plus grand,: le mal, de peu.
IeJe respons ordinairement, à ceux qui me
demandent raison de mes voyages,: que ieje sçay bien ce que ieje
fuis, mais non pas ce que ieje cerche. Si on me dict, que parmy
les estrangers il y peut auoiravoir pareilles maladiesaussi peu de santé, & que leurs
meurs ne valent pas mieux que les nostres: iIejJe respons premiere-
ment, qu’il est mal-aysé,
Tam multae scelerum facies.
Secondement, que c’est tousiourstousjours gain, de changer vnun mau-
uaismau-
vais estat à vnun estat incertain,. &Et que les maux d’autruy ne
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous doiuentdoivent pas poindre comme les nostres. IeJe ne veux pas
oublier cecy, que ieje ne me mutine iamaisjamais tant contre la Fran-
ce, que ieje ne regarde Paris de bon oeil: eElle à mon cueur des
mon enfance: &Et m’en est aduenuadvenu comme des choses excellē-
tesexcellen-
tes, pPlus ij’ay veu dépuis d’autres villes belles, plus la beauté
de cette-cy, peut & gaigne sur mon affection. IeJe l’ayme par
elle mesme, & plus en son propreseul estre ⁁ ⁁ seul, que rechargée de pō-
pepom-
pe estrangiere: iIejJe l’ayme tendrement iusquesjusques à ses verrues & à
ses taches. IeJe ne suis françois, que par cette grande cité,. gGrā-
degGran-
de en peuples, grādegrande en noblessefelicité de son assiette: mais sur tout
grande, & incomparable en varieté, & diuersitédiversité de commo-
ditez: lLa gloire de la France, & l’vnun des plus notables ornemēsornemens
du monde. Dieu en chasse loing nos diuisiōsdivisions: eEntiere & vnieunie,
ieje la trouuetrouve deffendue de toute autre violence. IeJe l’aduiseadvise, que
de tous les partis, le pire, sera celuy qui la metra en diuisiōdivisiondiscorde: &Et
ne crains pour elle, qu’elle mesme: &Et crains pour elle autant
certes, que pour autre piece de cet estat. Tant qu’elle durera,
ieje n’auray faute de retraicte, ou rendre mes abboys, suffisante,
à me faire perdre le regret de tout’autre retraicte. Non parce
que Socrates l’a dict, mais parce qu’ēen verité c’est mōmon humeur,
& à l’auantureavanture non sans quelque tortexcez, ij’estime tous les hom-
mes mes compatriotes: & embrasse vnun Polonois:, comme vnun
François,: postposant cette lyaison nationnale, à l’vniuerselleuniverselle
& commune: iIejJe ne suis guere feru de la douceur d’vnun air na-
turel: lLes cognoissances toutes neufuesneufves & toutes miennes, me
semblent bien valoir, ces autres communes & fortuites co-
gnoissācesco-
gnoissances du voisinage: lLes amitiez pures de nostre acquest,
emportent ordinairement, celles, ausquelles la communica-
tion du climat, ou du sang nous ioignentjoignent. Nature nous à mis
au monde libres & desliez, nous nous emprisonnons en cer-
tains destroits: cComme les Roys de Perse qui s’obligeoient de
ne boire iamaisjamais autre eau, que celle du fleuuefleuve de Choaspez, re-
non-
LIVRE TROISIESME.429437
nonçoyent par sottise, à leur droict d’vsageusage en toutes les au-
tres eaux, & asseçhoient pour leur regard, tout le reste du mō-
demon-
de. ⁁
⁁ Ce que Socrates fit sur sa
fin d’esper d’estimer une
santance d’exil comepis qu’ unepire qu’une
santance de mort contre soi:
ieje ne serai a mon auisavis iamaisjamais
ny si cassé ny si ⁁ ⁁ estroitement habitue en mon
païs que ieje le fisse. Ces uiesvies
celestes ont asses de choses’
images que ij’enbrasse par
estimation plus que par affection.
Et en ont aussi de si esleueeseslevees
et extraordineres que par
estimation mesme ieje ne
puis enbrasser dignement
dautātd’autant que ieje ne les puis
conceuoirconcevoir Cette humur fut bien
tendre a un home qui iugeoitjugeoit le monde
sa uilleville Il est uraivrai qu’il desdeignoit les
peregrinations et n’auoitavoit gueres en
sa uievie mis le pied hors dule territoire
d’AthenesAttyque d’Attique Quoi qu’il
pleignoit largentl’argent de ses amis a
desengager sa uievie. Et qu’il refusa
de sortir de prison par l’entremise
d’autrui pour ne desobeir aus loix
en un temps qu’elles estoint d’ailleurs
si fort corrompues Ces examples sont
de la premiere espece pour moi
De la seconde sont d’autres que ieje
pourroi trouuertrouver en ce mesme
personage. Plusieurs de ces rares
exemples surpassent la force de mon action
mais aucunes surpassent encore la force
de mon iugementjugement.
Outre ces raisons, le voyager me semble vnun exercice pro-
fitable. L’ame y a vneune continuele embesongnementexercitation, à remar-
quer des choses incogneuës & nouuellesnouvelles. Et ieje ne sçache
point meilleure escolle, comme ij’ay dict souuentsouvent, à former la
vie, que de luy proposer incessammētincessamment la diuersitédiversité de tant d’au-
tres vies, ⁁ ⁁ fantasies et usances, & luy faire gouster vneune si perpetuelle varieté defor-
mesde for-
mes de nostre nature. Le corps n’y est ny oisif ny trauaillétravaillé, &
cette moderée agitation le tientmet en haleine. IeJe me tiētien à cheualcheval
sans demōterdemonter tout choliqueux que ieje suis, & sans m’y ennuyer,
huict & dix heures.,
vires vltra sortémque senectae.
Nulle saison m’est ennemye, q̄que le chaut aspre d’vnun Soleil poi-
gnant. Car les ombrelles, dequoy dépuis les anciens Romains
l’Italie se sert, chargent plus les bras, qu’ils ne deschargent la
teste. ⁁
⁁ IeJe uoudroisvoudrois sçauoirsçavoir
quell’industrie
c’estoit aus Perses
si antienement et
en la naissance de
la luxure de se
faire du uentvent frez
et des ombrages a leur
poste come dict
Xenofon.
IJ’ayme les pluyes & les crotes comme les canes. La mu-
tation d’air & de climat ne me touche point, tout Ciel m’est
vnun: iIejJe ne suis battu que des alterations internes, que ieje pro-
duicts en moy,: & celles la m’arriuentarrivent moins en voyageātvoyageant. IeJe
suis mal-aisé à esbranler, mais estant auoyéavoyé, ieje vay tant qu’on
veut. IJ’estriueestrive plusautant aux petites entreprises, qu’aux grādesgrandes, & à
m’equiper pour faire vneune iournéejournée, & visiter vnun voisin, que
pour vnun iustejuste voyage. IJ’ay apris à faire mes iournéesjournées à l’Espa-
gnole, d’vneune traicte,: grādesgrandes & raisōnablesraisonnables iournéesjournées,: &Et aux ex-
tremes chaleurs les passe de nuict, du Soleil couchātcouchant iusq̄sjusques au
leuātlevant. L’autre façon de repaistre en chemin, en tumulte & ha-
ste pour la disnée, notamment aux ioursjours cours, est incōmodeincommode.
Mes cheuauxchevaux en valent mieux: iIamaisjJamais cheualcheval ne m’a failli, qui
à sçeu faire auecavec moy la premiere iournéejournée. IeJe les abreuueabreuve par
tout, & regarde seulement qu’ils ayent assez de chemin de re-
ste pour battre leur eau. La paresse à me leuerlever, donne loisir à
SSSSs
ESSAIS DE M. DE MONT.
ceux qui me suyuentsuyvent de disner à leur ayse, auantavant partir. Pour
moy, ieje ne mange iamaisjamais trop tard,: l’appetit me vient en mā-
geantman-
geant, & point autrement,: ieje n’ay point de faim qu’a table.
Aucuns se plaignent dequoy ieje me suis agreé à continuer cet-
te occupationexercice, marié, & tantost vieil. Ils ont tort. Il est mieux
temps d’abandonner sa famille, quand on l’a mise en train de
continuer sans nous: quand on y a laissé de l’ordre qui ne de-
mente point sa forme passee. C’est bien plus d’imprudence,
de s’esloingner, laissant en sa maison vneune garde moins fidelle,
& qui ayt moins de soing de pouruoirpourvoir à vostre besoing. La
plus vtileutile & honnorable science & occupation à vneune femme,
c’est la science du mesnage. IJ’en vois quelcune auareavare, de mes-
nagere, fort peu. C’est sa maistresse qualité, & qu’en moyen-
ne sorte de fortune on doibt chercher en mariage, auantavant
tout autre, cC’est, come le seul doire qui sert à ruyner ou sauuersauver nos
maisons. ⁁
⁁ Qu’on ne m’en parle pas,
selon que l’experiance
m’en a aprins ieje requiers
d’une fame mariee au
dessus de toute autre
vertu la uertuvertu oeconomique
quelle qu’elle soit la uertuvertu
oeconomique
IeJe l’en mets au propre, luy laissant par mon absence
tout le gouuernémentgouvernément en main:. iIejJe vois auecavec despit en plu-
sieurs mesnages, monsieur reuenirrevenir maussade & tout vilainmarmiteus
du tracas des affaires, enuironenviron midy, que madame est encore
apres à se coiffer & atiffer, en son cabinet. C’est à faire aux
Reynes, encores ne sçay-ieje. Il est ridicule & iniusteinjuste, que la
pompe & l’oysiuetéoysiveté de nos femmes, soit entretenuë de no-
stre sueur & trauailtravail.⁁
⁁ :. iIl n’auienderaaviendera que
ieje puisse, a persone,
d’auoiravoir l’usage de mes
biens plus liquide que
moi, plus molquiete et plus
quitte.
Si le mary fournit de matiere, nature
mesme veut qu’elles fournissent de forme. Quant aux de-
uoirsde-
voirs de l’amitié maritale, qu’on pense estre interessez par cet-
te absence,: ieje ne le crois pas: aAu rebours,: c’est vneune intelligence,
qui se refroidit volontiers par vneune trop continuelle assistan-
ce: & que l’assiduité blesse.: Ttoute femme estrangere nous
semble honneste femme:. &Et chacun sent par experience, que
la continuation de se voir, ne peut representer, le plaisir que
l’on sent à se perdredesprendre, & reprendre à secousses.: ⁁
⁁ Ces interruptions, me
ramplissent d’un’amour
recente enuersenvers les miens,
& me redonnent l’usage
de ma maison plus dous:
et plus guai appetissant. La uicissitudevicissitude eschauffe mon redone mon appetit a
appetit uersvers lunl’un, et puis uersversa lautrel’autre parti eschauffe mon appetit uersvers lunl’un, et puis uersvers lautrel’autre parti.
IeJe sçay que l’a-
mitié à les bras assez lōgslongs, pour se tenir & se ioindrejoindre, d’vnun coin
LIVRE TROISIESME.430438
de monde à l’autre: & notamment cette cy, où il y a vneune con-
tinuelle communication d’offices, qui en reueillentreveillent l’obliga-
tion & la souuenancesouvenance. Les Stoïciens disent bien, qu’il y a si
grande colligance & relation entre les sages, que celuy qui
disne en France, repaist son compaignon en AEgypte, & qui
estend seulement son doigt, ou que ce soit, tous les sages qui
sont sur la terre habitable, en sentent ayde. La iouyssancejouyssance,
& la possession, appartiennent principalement à l’imagina-
tion. ⁁
⁁ Elle embrasse plus
chaudemant ce qu’
elle uava querir que ce
que nous touchons &
plus continuellemant.
Contez uosvos amusemants
iournaliersjournaliers uousvous
trouuerrestrouverres que uousvous
estes lors plus absant de uostrevostre
amy quand il uousvous est presant.
Son assistance relache uostrevostre
attention & done
libertè a uostrevostre pen=
see de s’absanter a
tout’heure pour toute
occasion.
De Romme en hors, ieje tiens & regente ma maison, &
les commoditez que ij’y ay laissé: iIejJe voy croistre mes murail-
les, mes arbres, & mes rentes, & descroistre, à deux doigts pres,
comme quand ij’y suis,
Ante oculos errat domus, errat forma locorum.
Si nous ne iouyssonsjouyssons que ce que nous touchons, adieu nos
escuz quand ils sont en nos coffres, & nos enfans s’ils sont à la
chasse. Nous les voulons plus pres. Au iardinjardin est ce loing? àA
vneune demy iournéejournée? Quoy, dix lieües, est-ce loing ou pres? sSi
c’est pres, quoy onze, douze, treze? & ainsi pas à pas. Vray-
ment celle qui prescrira à son mary, le quantiesme pas finyt le
pres, & le quantiesme pas donne commencement au loin, ieje
suis d’aduisadvis qu’elle l’arreste entre-deux,
excludat iurgia finis:
Vtor permisso, caudaeque pilos vt equinae
Paulatim vello: & demo vnum, demo etiam vnum
Dum cadat elusus ratione ruentis acerui.
Et qu’elles appellent hardiment la Philosophie à leur secours:
àA qui quelqu’vnun pourroit reprocher, puis qu’elle ne voit ny
l’vnun ny l’autre bout de la iointurejointure entre le trop & le peu, le
long & le court, le leger & le poisant, les pres & le loing: puis
qu’elle n’en recognoist le commencement ny la fin, quelle
iugejuge bien incertainement du millieu. ⁁
⁁ Rerum natura nullam
nobis dedit cognitionem
finium.
Sont elles pas encore
femmes & amyes des trespassez, qui ne sont pas au bout de
SSSSs ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
cettuy cy, mais en l’autre monde? Nous embrassons & ceux
qui ont esté, & ceux qui ne sont point encore, non que les
absens. Nous n’auonsavons pas faict marché, en nous mariant, de
nous tenir continuelement accouez l’vnun à l’autre, comme ieje
ne sçay quels petis animaux que nous voyons.⁁ ⁁ : ou come les ensorcelez de KaraentiKarenti d’une maniere chienine. ⁁
⁁ Et ne doit une feme
auoiravoir les yeus si auide=gourmande=
mentavide=gourmande=
ment fichez sur le
deuantdevant de son mari,
qu’elle n’en puisse uoirvoir
le derriere ou besouin
est.
Mais ce mot
de ce peintre si excellent, de leurs humeurs, seroit il point de
mise en ce lieu, pour representer la cause de leurs plaintes:
Vxor si cesses, aut te amare cogitat,
Aut tete amari, aut potare, aut animo obsequi,
Et tibi bene esse soli, cum sibi sit malè.
Ou bien seroit ce pas, que de soy l’oppositiōopposition & contradictiōcontradiction
les entretient & nourrit, & qu’elles s’accommodent assez,
pourueupourveu qu’elles vous incommodent. En la vraye amitié, de
laquelle ieje suis expert, ieje me donne à mon amy, plus que ieje ne
le tire à moy. IeJe n’ayme pas seulement mieux, luy faire bien,
que s’il m’en faisoit, mais encore qu’il s’en face, qu’a moy: il
m’en faict lors le plus, quand il s’en faict: &Et si l’absence luy est
ou plaisante ou vtileutile, elle m’est bien plus douce que sa presen-
ce: &Et ce n’est pas propremētproprement absence, quādquand il y a moyēmoyen de s’en-
tr’aduertiradvertir. IJ’ay tiré autrefois vsageusage de nostre esloingnemētesloingnement, &
cōmoditécommodité:. nNous rēplissionsremplissions mieux, & estandiōsestandions, la possession
de la vie, en nous separant: iIl viuoitvivoit, il iouissoitjouissoit, il voyoit pour
moy, & moy pour luy, autant plainement que s’il y eust esté:
lL’vneune partie demeuroit oisifueoisifve, quand nous estions ensemble.,
NnNnous nous confondions: lLa separation du lieu, rendoit la cō-
ionctioncon-
jonction de nos volontez plus riche. Cette fainm insatiable de
la presence corporelle, accuse vnun peu la foiblesse en la iouys-
sancejouys-
sance des ames. Quant à la vieillesse qu’on m’allegue,. aAu re-
bours,: c’est à la ieunessejeunesse à s’asseruirasservir aus opinions communes,
& se contraindre pour autruy. Elle peut fournir à tous les
deux, au peuple & à soy: nous n’auonsavons que trop à faire,
LIVRE TROISIESME.431439
à nous seuls. A mesure que les commoditez naturelles
nous faillent, soustenons nous par les artificielles. C’est iniu-
sticeinju-
stice d’excuser la ieunessejeunesse de suyuresuyvre ses plaisirs, & deffendre à
la vieillesse d’en cercher. ⁁
⁁ IeuneJeune, ieje couuroiscouvrois mes passions enioüeesenjoüees, de prudence: vieil,
les tristes, de débauche. Si prohibent les loix Platoniques, de peregriner
auantavant quarante ans, ou cinquante: pour rendre la
peregrination plus utille et instructiueinstructive. IeJe
consantirois plus uolontiersvolontiers a cet autre secont
article des mesmes loix qui l’interdit apres les
soixante.
Mais en tel aage, vous ne reuiendrezreviendrez
iamaisjamais d’vnun si long chemin. ⁁
⁁ Si defandentprohibent les loix
de Platoniques de pere=
griner auantavant leagel’eage de
quarante ans passezquarante ou
cinquante ans et ieje consans
a ce qu’elles adioutentadjoutent non
au dela des soixante.
Que m’en chaut-il,: iIejJe ne l’entre-
prens, ny pour en reuenirrevenir, ny pour le parfaire. IJ’entreprens seu-
lement de me branler, pendant que le branle me plaist: ⁁
⁁ Et me promeine
pour me promener.
Ceus qui courent un
benefice ou un lieurelievre
ne courent pas. Ceus la
courent qui courent
aus barres & pour
exercer leur uistessevistesse
course.
mMon
dessein est diuisibledivisible par tout,: il n’est pas fondé en grandes es-
perances,: chaque iournéejournée en faict le bout,: &Et le voyage de ma
vie se conduict de mesme. IJ’ay veu pourtant assez de lieux e-
sloignez, ou ij’eusse desiré qu’on m’eust arresté. Pourquoy nōnon,
si Chrysippus, Cleanthes, Diogenes, Zenon, Antipater, tant
d’honnestes hōmeshommesd’homes sages, de la secte la plus refroingnée, abandon-
nerent bien leur pays, sans aucune occasion de s’en plaindre, &
seulement pour la beautéle desir la iouissancejouissance d’vnun autre air. Certes le plus grand
desplaisir de mes peregrinations, c’est que ieje n’y puisse appor-
ter cette resolution, d’establir ma demeure ou ieje me plairroy,:
& qu’il me faille tousiourstousjours proposer de reuenirrevenir, pour m’accō-
moderaccom-
moder aux humeurs communes. Si ieje craingnois de mourir
en autre airlieu, que celuy de ma naissance,: si ieje pensois mourir
moins à mon aise esloingné des miens, à peine sortiroy-ieje hors
de France, ieje ne sortirois pas sans effroy hors de ma parroisse.
IeJe sens la mort qui me pince continuellement la gorge, où les
reins: mMais ieje suis autrement faict,: elle m’est vneune par tout. Si
toutesfois ij’auoisavois à choisir, ce seroit ce croy-ieje, plustost à che-
ualche-
val, que dans vnun lict, hors de ma maison, & esloigné des miēsmiens.
Il y a plus de creuecoeurcrevecoeur que de consolation, à prendre congé
de ses amis. IJ’oublie volontiers ce deuoirdevoir de nostre entreigententrejgent:
cCar des offices de l’amitié, celuy-là est le seul desplaisant: & ou-
blierois ainsi volontiers à dire ce grand & eternel adieu. S’il se
tire quelque commodité de cette assistance, il s’en tire cent in-
commoditez: iIjJ’ay veu plusieurs, mourans bien piteusement,
SSSSs iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
assiegez de tout ce train: cCette presse les estouffe. C’est contre
le deuoirdevoir, & est tesmoignage de peu d’affection, & de peu de
soing, de vous laisser mourir en repos: lL’vnun tourmente vos
yeux, l’autre vos oreilles, l’autre la bouche: il n’y à sens, ny mē-
bremem-
bre, qu’on ne vous fracasse. Le coeur vous serre de pitié, d’ouyr
les plaintes des amis,: & de despit à l’auantureavanture, d’ouyr d’autres
plaintes, feintes & masquées. Qui à tousiourstousjours eu le goust ten-
dre, affoibly, il l’a encore plus: illors. Il luy faut en vneune si grādegrande neces-
sité, vneune main douce, & accommodée à son sentimētsentiment, pour le
grater iustementjustement ou il luy cuit,: oOù qu’on ne le graten’y touche point du
tout. Si nous auonsavons besoing de sage femme, à nous mettre au
monde, nous auonsavons bien besoing d’vnun homme encore plus
sage, à nous en sortir. Tel, & amy, le faudroit-il achetter bien
cherement, pour le seruiceservice d’vneune telle occasiōoccasion. IeJe ne suis point
arriuéarrivé à cette vigueur desdaigneuse, qui se fortifie en soy-mes-
me,: que rien n’ayde, ny ne trouble,: ieje suis d’vnun point plus bas:
iIejJe cerche à coniller, & à me desrober de ce passage, non par
crainte, mais par art. Ce n’est pas mon aduisadvis, de faire en cette
action, preuuepreuve ou montre de ma constāceconstance. Pour qui? lors ces-
sera tout le droict & interest, que ij’ay à la reputation. IeJe me
contente d’vneune mort recueillie en soy, quiete, & solitaire, tou-
te miēnemienne, cōuenableconvenable à ma vie retirée & priuéeprivée. Au rebours de
la superstition Romaine, où l’on estimoit malheureux, celuy
qui mouroit sans parler, & qui n’auoitavoit ses plus proches à luy
clorre les yeux. IJ’ay assez affaire à me consoler, sans auoiravoir à cō-
solercon-
soler autruy,: assez de pensées en la teste, sans que les circōstan-
cescirconstan-
ces m’en apportētapportent de nouuellesnouvelles,: & assez de matiere chez moy,
à m’entretenir, sans l’emprunter. Cette partie n’est pas du rol-
le de la societé,: c’est l’acte à vnun seul personnage. ViuonsVivons & riōsrions
entre les nostres, allōsallons mourir & rechigner entre les incōneusinconneus.
On trouuetrouve en payātpayant, qui vous tourne la teste, & qui vous fro-
te les pieds,: qui ne vous presse qu’autant que vous voulez,
LIVRE TROISIESME.432440
vous presentant vnun visage indifferent, vous laissant vous en-
tretenir, & plaindre à vostre mode. IeJe me deffais tous les ioursjours
par discours, de cette humeur puerile & inhumaine, qui faict
que nous desirons d’esmouuoiresmouvoir par nos maux, la compassion
& le deuil en nos amis: Nous faisons valoir nos inconueniensinconveniens
outre leur mesure, pour attirer leurs larmes: &Et la fermeté que
nous louons en chacun, à soustenir sa mauuaisemauvaise fortune, nous
l’accusons & hayssons enreprochons a nos proches, quādquand c’est en la nostre.
Nous ne nous contentons pas qu’ils se ressentētressentent de nos maux,
si encores ils ne s’en affligent. Il faut estendre la ioyejoye, mais re-
trencher autant qu’on peut la tristesse. ⁁
⁁ Qui se faict pleindre
sans raison est home
pour n’estre pas pleint
quand la raison y sera
IJ’en ai ueuveu n’estreEt pour n’estre
C’est pour n’estre
iamaisjamais pleint dautantd’autant
que’ils se pleignointntpleindre
tousiourstousjours Et fairesant
tantsi souuantsouvant les
piteus qu’ils n’estointqu’on ne soit n’estre
pitoiables a persone
Qui se faict mort
uiuantvivant est subiectsubject
d’estre tenu pour uifvif
mourant. IJ’en ai ueuveu
prandre la cheurechevre
de ce qu’on leur trou=
uoittrou=
voit le uisavisauisagevisage frez et
le pous posè: contrein=
dre leur ris parce qu’il
trahissoit leur
guerison: et haïr
la santé de ce qu’elle
n’estoit pas pleinteregretable
Qui bien plus est
ce n’estoint pas fames.
IeJe represente mes ma-
ladies, pour le plus, telles qu’elles sont,: & euiteevite les parolles de
mauuaismauvais prognostique, & exclamations composées. Sinon
l’allegresse, aumoins la contenance rassise des assistans, est pro-
pre, pres d’vnun sage malade. Pour se voir en vnun estat contraire,
il n’entre point en querelle auecavec la santé: il luy plaist de la con-
templer en autruy, forte & entiere, & en iouyrjouyr au moings par
compaignie. Pour se sentir fondre contre-bas, il ne reiecterejecte pas
du tout les pensées de la vie, ny ne fuyt auxles entretiens com-
muns. IeJe veux estudier la maladie quand ieje suis sain,: quand el-
le y est, elle faict son impression assez réele, sans que mon ima-
gination l’aiyde|l’ayde|. Nous nous preparons auantavant la main, aux voia-
ges que nous entreprenōsentreprenons, & y sommes resolus: l’heure qu’ils
nous faut monter à cheualcheval, nous la donnons à l’assistance, &
en sa faueurfaveur, l’estendons. IeJe sens ce proffit inesperé de la publi-
cation de mes meurs, qu’elle me sert aucunement de regle: iIl
me vient par fois quelque consideratiōconsideration de ne trahir ma pein-
turel’histoire de
ma uievie. Cette publique declaration m’oblige de me tenir en ma
route, & à ne desmentir l’image de mes conditions: commu-
néement moins desfigurées & cōtreditescontredites, que ne porte la ma-
lignité & maladie des iugementsjugements d’auiourdaujourd’huy. L’vniformi-
téuniformi-
té & simplesse de mes meurs, produict bien vnun visage d’aisée
ESSAIS DE M. DE MONTA.
interpretation:, mais parce que la façon en est vnun peu nouuel-
lenouvel-
le, & hors d’vsageusage, elle donne trop beau ieujeu à l’enuieenviela mesdisance. Si est-il,
qu’à qui me veut loyallement iniurierinjurier, il me semble fournir
bien suffisammētsuffisamment, ou mordre, en mes imperfectiōsimperfections aduouéesadvouées,
& cogneuës, & dequoy s’y saouler, sans s’escarmoucher au
vent. Si pour en praeoccuper moy-mesme l’accusation & la
descouuertedescouverte, il luy semble que ieje luy esdente sa morsure, c’est
raison qu’il preigne son droict, vers l’amplification & exten-
tion: lL’offence à ses droicts outre la iusticejustice: &Et que les vices de-
quoy ieje luy montre des racines chez moy, il les estiregrossisse en ar-
bres: qQu’il y emploie non seulement ceux qui me possedent,
mais ceux aussi qui ne font que me menasser,: iIniurieuxiInjurieux vices,
& en qualité, & en nombre,: qQu’il me batte par là. ⁁
⁁ La propre confession
descharge merueilleusemētmerveilleusement
les reproches
IJ’embrasserois franchemētfranchement
lexemplel’exemple du philosofe
Dion. Antigon le uouloitvouloit
piquer le philosofe Bion sur
le subietsubjet de son origine. Il luy
coupa broche. IeJe suis, dict il,
fils d’un serf, bouchier, stig=
matisé, & d’une putein que mon
cousin pere espousa par la
bassesse de sa fortune. Tous
deus furent chasses punis pour
quelque mesfaict. VnUn oratur
m’acheta enfant, me trouuāttrouvant
agreable, et m’a laissé mourātmourant
tous ses biens. Les quels aïant
transporté en cette uilleville d’Athenes
ieje me suis adone a la philoso=
phie. Que les historiens ne
s’empeschētempeschent a chercher
nouuellesnouvelles de moi ieje leur
qu’ils parlent a moi sulemētsulement
ieje leur en dirai ce qui en est.
La confession genereuse &
libre enerueenerve le reproche et
desarme l’iniureinjure.
Tant y a
que tout conté, il me semble qu’aussi souuentsouvent on me louë,
qu’on me desprise outre mesurela raison. Comme il me semble aussi
que des mon enfance, en rang & degré d’honneur, on m’a dō-
nédon-
né lieu, plustost au dessus, qu’au dessoubs de ce qui m’appar-
tient. ⁁
⁁ IeJe me trouueroistrouverois mieus en païs auquel ces ordres fussent ou
reglez ou mesprisez. Entre les homes despuis que l’altercation
de la presseanceprerogatiueprerogative au marcher ⁁ ou a se soir passe trois repliques ieje la elle est
treuuetreuve inciuileincivile. IeJe ne creins point de ceder ou praeceder
iniquemant pour fuir a une si importune contestation. Et iamaisjamais
home n’a eu enuieenvie de ma presseance a qui ieje ne l’aie quittee.
Outre ce profit, que ieje tire d’escrire de moy, ij’en espere
cet autre, qQue s’il aduientadvient que mes humeurs plaisent, & accor-
dent à quelque honneste homme, auantavant que ieje meure, il re-
cerchera de nous ioindrejoindre,. iIejJe luy donne beaucoup de pays gai-
gné: car tout ce qu’vneune longue cōnoissanceconnoissance & familiarité, luy
pourroit auoiravoir acquis en plusieurs années, il le voit en trois
ioursjours en ce registre, & plus seurement & exactement. ⁁
⁁ Plesante fantasie.
plusieurs choses que
ieje ne uoudroisvoudrois dire a
persone ieje les dis au
peuple. Et sur mes plus
secretes sciances ou
pensees renuoierenvoie a mon
liurelivre mes plus priuezprivezune
boutique de librere mes
amis plus feaus.
Excutienda damus
praecordia.
Si a si
bonnes enseignes, ieje sçauoissçavois quelqu’vnun qui me fut propre,
certes ieje l’irois trouuertrouver bien loing.: CcCar la douceur d’vneune sor-
table, & aggreable compaignie, ne se peut assez acheter à mon
gré. ⁁
⁁ ij’en uisvis en
grand disette
faim et disettefaim
grand regret me sera ce si
le sentiment me suit encores hors
d’icy d’entendre que un personage
de merite pleigne d’auoiravoir failli
l’opportunite de s’estr
l’usage de mon amitie et conuersationconversation
moi qui uisvis si en espoir et attante de
compaignie sortable.
L’édition de 1595 donne "Eh qu’est-ce qu’un amy!" à la place de "O un amy:"O vnun amy.: CcCombien est vraye cette ancienne sentence,
que l’vsageusage en est plus necessaire, & plus doux, que des elemēselemens
de l’eau & du feu. Pour reuenirrevenir à mon conte, il n’y à donc pas
beaucoup de mal de mourir loing, & à part:. ⁁
⁁ Si estimons nous a
deuoirdevoir de nous retirer
pour des actions naturelles
moins disgratiees que
cetteci et moins hideuses.
Mais encore ceux
qui en viennent là, de trainer languissans vnun long espace, de
vie,
LIVRE TROISIESME.433441
vie, ne deburoientdebvroient à l’auantureavanture souhaiter, d’empescher de leur
misere vneune grande famille. ⁁
⁁ Pourtant les Indois en
certeine prouinceprovince estimoint
iustejuste de tuer celuy qui seroit
tumbe en telle necessite: en
telleune autre prouinceprovince ils l’aban=
donoint sul sans secours a se
sauuersauver com’il pourroit.
A qui ne se rendent-ils en fin en-
nuyeux & insupportables? Les offices communs n’en vont
poinct iusquesjusques là. Vous apprenez la cruauté par force, à voz
meilleurs amis, durcissant & femme & enfans, par long vsa-
geusa-
ge, à ne sentir & à ne plaindre plus vos maux. Les souspirs de
ma cholique, n’apportent plus d’esmoy à personne. Et quand
nous tirerions quelque plaisir de leur conuersationconversation, ce qui
n’aduientadvient pas tousiourstousjours, pour la disparité des conditions, qui
produict ayséement mespris ou enuieenvie, enuersenvers qui que ce soit,
n’est-ce pas trop, d’en abuser tout vnun aage. Plus ieje les verrois
se contraindre de bōbon coeur pour moy, plus ieje plainderois leur
peine. Nous auonsavons loy de nous appuyer, non pas de nous cou-
cher, si lourdement sur autruy, & nous estayer en leur ruyne:
cComme celuy qui faisoit esgorger des petits enfans, pour se
seruirservir de leur sang, à guarir vneune sienne maladie: oOù cet autre, à
qui on fournissoit des ieunesjeunes tendrons, à couuercouver la nuict ses
vieux membres, & mesler la douceur de leur haleine, à la sien-
ne aigre & poisante. IeJe ⁁ ⁁ me conseillerois volontiers Venise, pour
la retraicte, d’vneune telle condition & foiblesse de vie. ⁁
⁁ La decrepitude est une
qualite solitere. IeJe suis
sociable iusquesjusques a lexcezl’excez.
Si me semble il raisonable
que meshui ieje soustraie de la
ueueveue du monde mon importunité
et la couuecouve a moi sul. Que ieje
m’appile et me receuille en
ma coque come les coquillestortues:
IJ’aprans a uoirvoir les homes sans
m’y tenir. Ce seroit outrage en
un pas si pendant. Il faut
estre proprement auareavare des
maus, et des biens liberal.
Il est temps de tourner
le dos a la compaignie
Les Indois estimoint iustejuste
de tuer un home ou fame
uieilvieil et malade.
Mais en
vnun si long voyage, vous serez arresté miserablemētmiserablement en vnun cai-
gnart, ou tout vous manquera. La plus part des choses neces-
saires, ieje les porte quant & moy: &Et puis, nous ne sçaurions eui-
terevi-
ter la fortune, si elle entreprend de nous courre sus. Il ne me
faut rien d’extraordinaire, quand ieje suis malade: cCe que nature
ne peut en moy, ieje ne veux pas qu’vnun bolus le face. Tout au
commencemētcommencement de mes fiéuresfiévres, & des maladies qui m’atterrētatterrent,
entier encores, & voisin de la santé, ieje me reconcilie à Dieu,
par les derniers offices Chrestiens: &Et m’en trouuetrouve plus libre,
& deschargé,: & me semblelant en auoiravoir d’autant meilleure raison
de la maladie. De notaire & de conseil, il m’en faut moins que
de medecins: cCe que ieje n’auray estably de mes affaires tout
TTTTt
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sain, qu’on ne s’attende point que ieje le face malade: cCe que ieje
veux faire pour le seruiceservice de la mort, est tousiourstousjours fait: iIejJe n’o-
serois le deslaier d’vnun seul iourjour. Et s’il n’y à rien de faict, c’est à
dire, ou que le doubte m’en aura retardé le choix, car par fois
c’est bien choisir de ne choisir pas,: ou que tout à fait ieje n’auray
riērien voulu faire. IJ’escris mōmon liurelivre à peu d’hōmeshommes, & à peu d’an-
nées: sSi ç’eut esté vneune matiere de durée, il l’eust fallu cōmettrecommettre à
vnun langage plus ferme: sSelon la variatiōvariation continuelle, qui à sui-
uysui-
vy le nostre iusquesjusques à cette heure, qui peut esperer q̄que sa forme
presente soit en creditusage, d’icy à cinquante ans: ⁁
⁁ Il escoule tous les ioursjours
de nos mains: et despuis
que ieje uisvis s’est alterè de
moitie. Nous disons qu’il
est asture parfaict. Autant
en dict du sien chaque siecle.
IeJe n’ai garde de l’en tenir
là tant qu’il fuira et se
difformera com’il faict.
C’est aus bons et utiles escris
de le clouër a eus: et a la ira
fortune de nostre estat de
maintenir le credit de son son
usage credit selon la fortune
de nostre estat.
&Et pPourtant ne
crains-ieje poinct, d’y inserer plusieurs articles priuezprivez, qui con-
sument leur vsageusage entre les hommes qui viuentvivent auiourdaujourd’huy,
&Et qui touchent la particuliere science d’aucuns, qui y verront
plus auantavant, que de la commune intelligence. IeJe ne veux pas,
apres tout, comme ieje vois souuentsouvent agiter la memoire des tres-
passez, qu’on aille debatant,: iIl iugeoitjugeoit, il viuoitvivoit ainsin,: il vou-
loit cecy,: sS’il eust parlé sur sa fin, il eust dict, il eust donné, iIejJe
le connoissois mieux que tout autre. Or autant que la bien-
seance me le permet: ieje faicts icy sentir mes inclinations &
affections: mMais plus librement, & plus volontiers, le faits-ieje
de bouche, à quiconque desire en estre informé. Tant y à,
qu’en ces memoires, si on y regarde, on trouueratrouvera que ij’ay tout
dict, ou tout designé: cCe que ieje ne puis exprimer, ieje le montre
au doigt.:
Verum animo satis haec vestigia parua sagaci,
Sunt, per quae possis cognoscere caetera tute:
IeJe ne laisse rien à desirer, & deuinerdeviner de moy. Si on doibt s’en
entretenir, ieje veus que ce soit veritablement & iustementjustement. IeJe
reuiendroisreviendrois volontiers de l’autre monde, pour démentir ce-
luy, qui me formeroit autre que ieje n’estois,: fut ce pour m’ho-
norer. Des viuansvivans mesme, ieje sens qu’on parle tousiourstousjours autre-
LIVRE TROISIESME.434442
ment qu’ils ne sont. Et si à toute force, ieje n’eusse maintenu
vnun amy que ij’ay perdu, on me l’eust deschiré en mille con-
traires visages. IeJe sçay bien que ieje ne lairray apres moy, aucun
respondant, si affectionné de bien loing, & entendu en mon
faict, comme ij’ay esté au sien, ⁁ nNy personne à qui ieje vousisse
pleinement compromettre de ma peinture: ⁁
-
⁁ eEt si en y a, qu’il me
que ieje recuse, pour les
conoistre trop exces=
siuemantexces=
sivemant procliuesproclives en
ma faueurfaveur:
lLuy seul iouys-
soitjouys-
soit de ma vraye image, & l’emporta. C’est pourquoy ieje me
deschiffre moy-mesme, si curieusement. Pour acheuerachever de di-
re mes foibles humeurs. IJ’aduoueadvoue qu’en voyageant, ieje n’arri-
uearri-
ve gueres en logis, où il ne me passe par la fantasie, si ij’y pour-
ray estre, & malade, & mourātmourant à mon aise: iIejJe veus estre logé en
lieu, qui me soit bien particulier, sans bruict, non maussadesale,
ou fumeux, ou estouffé. IeJe cherche à flatter la mort, par ces
friuolesfrivoles circonstances, oOu pour mieux dire, à me descharger
de tout autre empeschement: affin que ieje n’aye qu’à m’atten-
dre à elle, qui me poisera volontiers assez, sans autre rechar-
ge. IeJe veux qu’elle ayt sa part à l’aisance & commodité de ma
vie: cCe en est vnun grand lopin & d’importance, & espere mes-
huy qu’il ne dementira pas le passé. La mort à des formes plus
aisées les vnesunes que les autres, & prend diuersesdiverses qualitez se-
lon la fantasie de chacun. Entre les naturelles, celle qui
vient d’affoiblissement & appesantissement, me semble mol-
le & douce: eEntre les violentes ij’imagine plus mal aiséement
vnun precipice qu’vneune ruine qui m’accable,: & vnun coup tranchāttranchant
d’vneune espée qu’vneune harquebousade,: & eusse plustost beu le
breuuagebreuvage de Socrates que de me fraper cōmecomme CatōCaton. Et quoy
que l’effectce soit vnun, si sent mōmon imaginatiōimagination difference, cōmecomme de
la mort à la vie, à me ietterjetter dans vneune fournaise ardente, ou dāsdans
le canal d’vneune platte riuiereriviere.⁁
-
⁁ : tTant sottemant
nostre creinte
regarde plus au
moïen qu’a l’effect
Ce n’est qu’vnun instātinstant,: mais il est de
tel pois, que ieje donneroy volontiers plusieurs ioursjours de ma vie,
pour le passer à ma mode. ⁁
⁁ : mon imagination
m’en fournit des
uisagesvisages, qui luy sāblentsamblent
tresfaciles, et puis
qu’il faut mourir, souhetables
. Puisque la fantasie d’vnun chacun
TTTTt ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
trouuetrouve du plus & du moins en son aigreur,: puisq̄puisque chacūchacun à q̄l-
quequel-
que chois entre les formes de mourir,: essayōsessayons vnun peu plus auātavant,
d’en trouuertrouver q̄lqu’quelqu’vneune deschargée de tout desplaisir. Pourroit
on pas la rendre encore voluptueuse, comme les commourans
d’Antonius & de Cleopatra. IeJe laisse à part, les efforts que la
philosophie, & la religion produisent, aspres & exemplaires:
mais entre les hommes de peu, il s’en est trouuétrouvé, comme vnun
Petronius, & vnun Tigillinus à Romme, cōdamnezcondamnez par les Em-
pereurs deengagez a se donner la mort, selon les reigles de ce temps là,
qui l’ont comme endormie par la mollesse de leurs apprests:
iIls l’ont faicte couler & glisser parmy la lácheté de leurs occu-
pationspasse temps accoustumées,: entre des garses & bons compaignōscompaignons,
nul propos de consolation, nulle mention de testament, nul-
le affectation ambitieuse de constance, nul discours de leur
condition future: mMais entre les ieuxjeux, les festins, facecies, entre-
tiens communs & populaires, & la musique, & des vers a-
moureux. Ne sçaurions nous imiter cette resolution en plus
honneste contenance. Puis qu’il y a des mors bonnes aux fols,
bonnes aux sages: trouuonstrouvons en qui soyent bōnesbonnes à ceux d’en-
tre deux. ⁁
⁁ Mon imagination m’en
presante quelque uisagevisage,
facile, et puis qu’il faut
mourir, desirable. Les
tyrans Romeins
pensoint doner la uievie
au criminel a qui ils
donnoint le chois de sa
mort. pMais Theo=
phraste philosofe si
delicat si modeste si
sage a il pas este
force par la raison
d’oser dire ce uersvers
Latinisé par Cicero
Vitam regit fortuna
non sapientia
Combien aide la fortune
à la facilite du marche
de ma uievie me l’aïant
logee en tel point qu’elle
ne faict ⁁ meshui ny besouin a
personenul ny empochementempeschement.
C’est une condition que ij’eusse acceptee en toutes les saisons de mon eage
mais en cette occasion de serrertrousser mes bribes & de plier bagage ieje prens grand plus particulierement
plaisir a ne faire guiere ny de plaisir ny de desp deplaisir a persone en mourant. ⁁
⁁ Ell’a, d’un’artiste conpensation, faict, que ceus qui peuuentpeuvent pretendre quelque
materiel fruit de ma mort, ens reçoiuentreçoivent d’ailleur coniointementconjointement, une materielle
perte.
La mort s’appesantit souuantsouvant en nous de ce qu’elle poise aus autres: et nous interesse
de leur interest autant que de n quasi autant que dedu nostre: et plus et tout, par fois.
En cette commodité de logis que ieje cerche, ieje n’y
mesle pas la pompe & l’amplitude,: ieje la hay plustost: mMais
certaine proprieté simple, qui se rencontre plus souuantsouvant aux
lieux où il y a moins d’art, & que nature honore de quelque
grace toute sienne,. nNon ampliter sed munditer conuiuium,. pPlus sa-
lis quam sumptus. Et puis c’est à faire à ceux que les affaires en-
trainent en plain hyuerhyver par les Grisons, d’estre surpris en che-
min en cette extremité: mMoy qui le plus souuātsouvant voyage pour
mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il faict laid à droicte, ieje
prens à gauche: si ieje me trouuetrouve mal propre à monter à che-
ualche-
val, ieje m’arreste. Et faisant ainsi, ieje ne vois à la verité rien, qui
ne soit aussi plaisant & cōmodecommode q̄que ma maison,: iIl est vray q̄que ieje
trouuetrouve la superfluité tousiourstousjours superflue, & remarque quel-
LIVRE TROISIESME.435443
quede l’ empeschement en la delicatesse mesme & en l’abondan-
ce. Ay-ieje laissé quelque chose à voir derriere moy, ij’y retour-
ne, c’est tousiourstousjours mon chemin. IeJe ne trace aucune ligne cer-
taine, ny droicte ny courbe. Ne trouuetrouve-ieje point ou ieje vay, ce
qu’on m’auoitavoit dict, comme il aduientadvient souuentsouvent que les iuge-
mensjuge-
mens d’autruy ne s’accordent pas aux miens, & les ay trouueztrouvez
plus souuantsouvant faux, ieje ne plains pas ma peine, ij’ay apris que ce
qu’on disoit ny est point. IJ’ay la complexion du corps libre,
& le goust commun, autant qu’homme du monde: lLa diuer-
sitédiver-
sité des façons d’vneune nation à autre, ne me touche que par le
plaisir de la varieté. Chaque vsageusage à sa raison. Soyent des as-
sietes d’estain, de bois, de terre,: bouilly ou rosty,: beurre, ou
huyle: de nois ou d’oliueolive,: chaut ou froit, tTout m’est vnun:. &Et si
vnun, que vieillissant, ij’accuse cette genereuse faculté,: & auroy
besoin que la delicatesse & le chois arrestat l’indiscretion de
mon appetit, & par fois soulageat mon estomac. ⁁
⁁ Quand ij’ay este
ailleurs qu’en france
et que pour me faire
courtoisie on m’a
demande si ieje
uouloisvoulois estre seruiservi
a la françoise ieje
m’en suis moque &
me suis tousiourstousjours
iettejette aus tables
les plus espesses
d’estrangiers.
IJ’ay hōtehonte de
voir noz hommes, enyurezenyvrez de cette sotte humeur, de s’effa-
roucher des formes contraires aux leurs: iIl leur semble estre
hors de leur element, quand ils sont hors de leur vilage: oOu
qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, & abominent les
estrāgeresestrangeres. RetrouuentRetrouvent ils vnun compatriote en Hongrie, ils fe-
stoyent cette auantureavanture,: les voyla à se ralier, & à se recoudre
ensemble, à condamner tant de meurs barbares qu’ils voient.
Pourquoy non barbares, puis qu’elles ne sont françoises. En-
core sont ce les plus habilles, qui les ont recogneuës, pour en
mesdire: lLa plus part ne prennent l’aller que pour le venir. Ils
voyagent couuertscouverts & resserrez, d’vneune prudence taciturne &
incommunicable, se defendans de la contagion d’vnun air in-
cogneu. Ce que ieje dis de ceux là, me ramentoit en chose sēbla-
blesembla-
ble, ce que ij’ay par fois aperçeu en aucūsaucuns de noz ieunesjeunes courti-
sans: iIls ne tiēnenttiennent qu’aux hōmeshommes de leur sorte,: nous regardent
comme gēsgens de l’autre monde, auecavec desdain, ou cōmiserationcommiserationpitié:
TTTTt iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
oOstez leur, les entretiens des mysteres de la court, ils sont hors
de leur gibier, aussi neufs pour nous & malhabiles, cōmecomme nous
sōmessommes à eux. On dict biēbien vray, qu’vnun hōnestehonneste hōmehomme, c’est vnun
hōmehomme meslé. Au rebours,. iIejJe peregrine tressaoul de nos façōsfaçons,.
nNon pour cercher des Gascons en Sicile, ij’en ay assez laissé au
logis,: ieje cerche des Grecs plustost, & des Persans: iIjJ’acointe
ceux la, ieje les considere, c’est là ou ieje me preste, & ou ieje m’em-
ploye. Et qui plus est, il me semble, que ieje n’ay rencontré gue-
re de manieres, qui ne vaillent les nostres: iIejJe couche de peu,
car à peine ay-ieje perdu mes girouettes de veuë. Au demeu-
rant, la plus part des compaignies fortuites que vous rencon-
trez en chemin, ont plus d’incommodité que de plaisir: iIejJe ne
m’y attache point,: asture mesmementmMoins asteure, q̄que la vieillesse me parti.=
cularise & sequestre aucunement des formes cōmunescommunes: vVous
souffrez pour autruy, ou autruy pour vous: lL’vnun & l’autre incō-
ueniētincon-
venient est poisant,: mais le dernier me semble encore plus rude.
C’est vneune rare fortune, mais de soulagemētsoulagement inestimable, d’a-
uoira-
voir vnun hōnestehonneste hōmehomme, d’entendemētentendement ferme, & de meurs con-
formes aux vostres, qui ayme à vous suyuresuyvre, & qui prenne
plaisir à vous assister: iIjJ’en ay eu faute ⁁ ⁁ extreme en tous mes voyages.
Mais vneune telle compaignie, il la faut auoiravoir choisie & acquise
des le logis. Nul plaisir n’a goust pour moy sans communi-
cation: iIl ne me vient pas seulement vneune gaillarde pensée en
l’ame, qu’il ne me fáche de l’auoiravoir produite seul, & n’ayant à
qui l’offrir. ⁁
⁁ Si cūcum hac excepti=
one detur sapientia,
ut illāillam inclusam
teneam, nec enūti=
emenunti=
em, reiiciam. Si
la sagesse dict
Seneque m’estoit
octroiee par tel si
que ij’eusse a la taire
et tenir close ij’y ieje
renoncerois la
reietteroisrejetterois refuserois.
Si cum hac exceptione
detur sapientia ut
illam inclusam teneam
nec enuntiem, reijciam.
L’autre l’auoitavoit monte
d’un ton au dessus.
Si contigerit ea uita
sapienti ut omnium
rerum affluentibus
copiis quamuis omnia
quae cognitione digna sunt
summo otio secum ipse consideret et contempletur tandemtamen si solitudo tanta sit
ut hominem uidere non possit, excedat è uita.
L’opinion d’Architas me plaist’agree, qu’il feroit des-
plaisant au ciel mesme, & à se promener dans ces grands &
diuinsdivins corps celestes, sans l’assistance d’vnun compaignon. Mais
il vaut mieux encore estre seul, qu’en compaignie ennuyeuse
& inepte. Aristippus s’aymoit à viurevivre estrangier par tout,.
Me si fata meis paterentur ducere vitam,
Auspiciis.,
LIVRE TROISIESME.436444
ieje choisirois à la passer le cul sur la selle,:
visere gestiens,
Qua parte debacchentur ignes,
Qua nebulae pluuijque rores.
AuezAvez vous pas des passe-temps plus aysez,. dDequoy auezavez vous
faute,. vVostre maison est elle pas en bel air & sain, suffisammētsuffisamment
fournie, & capable plus que suffisamment: ⁁
-
⁁ La maiestemajeste Royalle
y a peu plus d’une fois
en sa pompe.
vVostre famille
n’en laisse elle pas en reiglement, plus au dessoubs d’elle, qu’el-
le n’en à au dessus, en eminenenceeminence: yY a il quelque pensée locale
qui vous vlcereulcere, extraordinaire, irremediable?, indigestible,
Quae te nunc coquat & vexet sub pectore fixa.?
Ou pēsepensecuidez vous pouuoirpouvoir estre sans empeschemētempeschement & sans destour
bier,. nNunquānNunquam simpliciter fortuna indulget. Voyez dōcdonc qu’il n’y a que
vous qui vous empeschez,. &Et vous vous suyuerezsuyverez par tout, & vous
plainderez par tout,. cCar il n’y a satisfactiōsatisfaction ça bas, q̄que pour les a-
mes ou brutales ou diuinesdivines. Qui n’a du contentement à vneune
si iustejuste occasion, ou pense il le trouuertrouver: àA combiēcombien de milliers
d’hommes, arreste vneune telle fortunecondition que la vostre, le but de
leurs souhaits? Reformez vous seulement,: car en cela vous
pouuezpouvez tout,: là ou vous n’auezavez droict q̄que de patience, enuersenvers la
fortune. ⁁
-
⁁ Nulla placida
quies est nisi quam
ratio composuit.
IeJe voy la raison de cet aduertissementadvertissement, & la voy
tresbien: mMais on auroit plustost faict, & plus pertinemment,
de me dire en vnun mot,: soyez sage. Cette resolution, est outre la
sagesse: c’est son ouurageouvrage, & sa production. Ainsi faict le me-
decin, qui va criaillant apres vnun pauurepauvre malade languissant,
qu’il se resiouysseresjouysse: iIl luy conseilleroit vnun peu moins inepte-
ment, s’il luy disoit, soyez sain. Pour moy, ieje ne suis qu’hom-
me de la commune sorte:basse forme.basse forme: cC’est vnun precepte salutaire certain
& d’aisée intelligence,: cContentez vous du vostre, c’est à di-
re, de la raison,: lL’execution pourtant, n’en est non plus au
plus sages, qu’en moy: cC’est vneune parolle populaire, mais el-
le à vneune terrible estandue: qQue ne comprend elle? Toutes
ESSAIS DE M. DE MONTA.
choses tombent en discretion & mesuremodification. IeJe sçay bien qu’à
le prendre à la lettre, ce plaisir de voyager, porte tesmoi-
gnage d’inquietude & d’irresolution: aAussi sont ce nos mai-
stresses qualitez, & praedominantes. Ouy, ieje le confesse, ieje ne
vois rien, seulement en songe, & par souhait, ou ieje me puisse
tenir: lLea seule desir de la varieté me paye, & la possession de la
diuersitédiversité: aumoins si aucune chose me paye. A voyager, cela
mesme me nourrit, que ieje me puis arrester sans interests, & que
ij’ay où m’en diuertirdivertir commodéemētcommodéement. IJ’ayme la vie priuéeprivée, par
ce que c’est par mon chois que ieje l’ayme, non par disconuenā-
cedisconvenan-
ce à la vie publique, qui est à l’auantureavanture, autant selon ma com-
plexion. IJ’en sers plus gayement mon prince, par ce que c’est
par libre eslection de mon iugementjugement, & de ma raison, ⁁ ⁁ sans obligation particuliere: &Et que
ieje n’y suis pas reiectérejecté ny contrainct, pour estre irreceuableirrecevable à
tout autre party, & malvoulu: aAinsi du reste. IeJe hay les mor-
ceaux que la necessité me taille: tToute commodité me tien-
droit à la gorge, de laquelle seule ij’aurois à despendre:
Alter remus aquas alter mihi radat arenas:
vVneuUne seule corde ne m’arreste iamaisjamais à mon aise.asses. Il y a de la va-
nité, dictes vous, en cet amusemētamusement,. mMais ou non? Et ces beaux
preceptes, sont vanité, & vanité nostretoute la sagesse. ⁁
-
⁁ Dominus nouit
cogitationes sapien=
tium quoniam uanae
sunt.
Ces exquises
subtilitez, ne sont propres qu’au presche: cCe sont discours qui
nous veulētveulent enuoyerenvoyer tous bastez en l’autre mōdemonde:. lLa vie est vnun
mouuementmouvement materiel & corporel,. aAction imparfaicte de
sa propre essence, & desreglée: ieje m’emploie à la seruirservir selon
elle.
Quisque suos patimur manes. ⁁
⁁ Sic est faciendum, ut
contra naturam uniuersam
nihil contendamus: ea
tamen conseruata propriāpropriam
sequamur.
A quoy faire, ces poinctes esleuéeseslevées de la philosophie, sur les-
quelles, aucun estre humain ne se peut rassoir,: & ces regles qui
excedent nostre vsageusage & nostre force. IeJe voy souuentsouvent qu’on
nous propose des images de vie, lesquelles, ny le proposant,
ny les auditeurs, n’ont aucune esperāceesperance de suyuresuyvre,: nNy qui plus
est,
LIVRE TROISIESME.437445
est, enuieenvie. De ce mesme papier ou il vient d’escrire l’arrest de
condemnation contre vnun adultere, le iugejuge en desrobe vnun lo-
pin, pour en faire vnun poulet à la femme de son compaignon. ⁁
⁁ Une femeCelle a qui uousvous
uienderesvienderes de uousvous froter
illicitement, criera plus
asprement apres le uicevice
d’un’autre que ne uoudroitvoudroit
faire Porcia tantost, en
uostrevostre presance mesmes,
a lencontrel’encontre d’une pareille
faute d’une autre de sa compaigne, que
ne fairoit Porcie
Et tel condamne des hommes à mourir, pour des crimes, qu’il
n’estime point fautes. IJ’ay veu en ma ieunessejeunesse, vnun galant hom-
me, presenter d’vneune main au peuple, des vers excellens & en
beauté & en desbordemētdesbordement,: & de l’autre main en mesme instātinstant,
la plus quereleuse & espineuse reformation theologienne, de
quoy le monde se soit desieunédesjeuné il y a long temps. Les hom-
mes vōtvont ainsin. On laisse les loix, & preceptes suiuresuivre leur voie,
nous en tenōstenons vneune autre: nNon par desreiglemētdesreiglement de meurs seu-
lement, mais par opiniōopinion souuētsouvent, & par iugementjugement cōtrairecontraire. Sē-
tezSen-
tez lire vnun discours de philosophie, l’inuentioninvention, l’eloquence,
la pertinence frape incontinent vostre esprit, & vous esmeut:
iIl n’y a rien qui chatouille &ou poigne vostre consciēceconscience,: cCe n’est
pas à elle qu’on parle, est-il pas vray? Si disoit Ariston, que ny
vneune esteuueesteuve ny vneune leçōleçon, n’est d’aucūaucun fruict, si elle ne nettoye
& ne decrasse. On peut s’arrester à l’escorce: mais c’est apres
qu’on en à retiré la mouele: cComme apres auoiravoir aualéavalé le bon
vin d’vneune belle coupe, nous en considerons les graueuresgraveures &
l’ouurageouvrage. En toutes les chambrées de la philosophie ancien-
ne, cecy se trouueratrouvera,: qQu’vnun mesme ouurierouvrier y publie des reigles
de temperance, & publie ensemble des escris d’amour & des-
bauche. ⁁
-
⁁ Et Xenophon au giron
de Clinias escriuitescrivit contre la
uoluptevolupteuertuvertu Aristippique
Ce n’est pas qu’il y ait vneune conuersionconversion miraculeuse,
qui les agite à ondées: ⁁ mMais c’est que Solon se represente tan-
tost soy-mesme, tantost en forme de legislateur: tātosttantost il parle
pour la presse, tantost pour soy. Et prend pour soy les reigles
libres & naturelles, s’asseurant d’vneune santé ferme & entiere:
Curentur dubij medicis maioribus aegri. ⁁
⁁ AristippusAntisthenes permet au sage
d’aimer & faire a sa mode
ce qu’il treuuetreuve estre opportun
sans s’atandre aus loix d’autant
qu’il a meillur aduisadvis qu’elles et
plus de conoissāceconoissance de la uraïevraïe uertuvertu.
Son disciple Diogenes disoit opposer
aus perturbations la raison aus
fortune la consianceconfidence aus loix nature
AuxPour les estomacs tendres, il faut des reiglesordonācesordonances contraintes & artifi-
cielles: ⁁ ⁁ Les bons estomacs suiuentsuivent simplement les prescriptions de leur naturel appetit. aAinsi font nos medecins, qui mangent le melon &
boiuentboivent le vin fraiz, ce pendant qu’ils tiennent leur patient
VVVVu
ESSAIS DE M. DE MONTA.
obligé au sirop & à la panade. IeJe ne sçay quels liureslivres, disoit
la courtisane Lays, quelle sapience, quelle philosophie, mais
ces gens la, battent aussi souuantsouvant à ma porte, que nulsaucuns autres.
D’autant que nostre licence nous porte tousiourstousjours au dela de
ce qui nous est loisible, & permis, on à estressy souuantsouvant outre
la raison, ⁁ ⁁ uniuerselleuniverselle, les preceptes & loys de nostre vie,:
Nemo satis credit tantum delinquere, quantum
Permittas.
Il seroit à desirer, qu’il y eust plus de proportion du commā-
dementcomman-
dement à l’obeyssance: &Et semble la visée iniusteinjuste à laquelle on
ne peut atteindre:. iIl n’est si homme de bien qu’il mette à l’ex-
amen des loix toutes ses actions & pensées, qui ne soit penda-
ble dix fois en sa vie,. vVoire tel, qu’il seroit tres-grand dōmagedommage,
& tres-iniusteinjuste de punir & de perdre,:
Olle quid ad te,
De cute quid faciat ille vel illa sua.
Et tel pourroit n’offenser point les loix, qui n’en meriteroit
point la loüange d’homme de vertu,. ⁁ ⁁ et que la philosophie fairoit tres iustementjustement foiter tTant cette relation est
trouble & inegale. Nous n’auonsavons garde d’estre gens de bien
selon Dieu, nous ne le sçaurions estre selon nous. L’humaine
loisagesse, n’arriuaarriva iamaisjamais aux deuoirsdevoirs qu’elle s’estoit elle mesme
prescrit: &Et si elle y estoit arriuéearrivée, elle s’en prescriroit d’autres
au dela, ou elle aspirat tousiourstousjours & pretendit,. tTant nostre e-
stat est ennemy de consistance. ⁁
⁁ L’home s’ordone a
soimesme, d’estre
necessairemant en
faute. Il n’est guiere
fin, de tailler son
obligation, a la raison
d’un autre estre que
le sien. A qui comandeprescrit
il ce qu’il s’atand
que persone ne face.
Luy est il iniusteinjuste
de ne faire pouint,
ce qu’il luy est
impossible de faire?
Les loix qui nous condamnent a ne pouuoirpouvoir pas, nous accusent
elles mesmes de ne pouuoirpouvoir pas.
Au pis aller, cette difforme li-
berté de se presenter à deux endroicts, & les actions d’vneune fa-
çon, les discours de l’autre, soit loisible à ceux, qui disent les
choses, mMais elle ne le peut estre à ceux, qui se disent eux mes-
me, comme iIejJe fay: il faut que ij’aille de la plume comme des
pieds. La vie commune doibt auoiravoir conferāceconferance aux autres vies.
La vertu de Caton estoit vigoreuse outre la raisonmesure de son sie-
cle,: & à vnun homme qui se mesloit de gouuernergouverner les autres, de-
stiné au seruiceservice commun, il se pourroit dire, que c’estoit vneune
LIVRE TROISIESME.438446
iusticejustice, sinōsinon iniusteinjuste, au moins vaine & hors de saison. ⁁
⁁ Mes meurs mesme qui
ne disconuienentdisconvienent de celles
qui courent a peine de la
largeur d’un pouce me
rendent farouche a
mon sieclepourtant aucunement
farouche a mon aage
et inassociable. IeJe ne sçai
pas si ieje me treuuetreuve desgoutè
sans raison du monde presantque ieje hante
mais ieje sçai bien que ce
seroit sans raison si ie me
pleignois qu’il fut desgoute
de moi puisplus que ieje le suis de
luy
La ver-
tu assignée aus affaires du monde, est vneune vertu, à plusieurs
plis, encoigneures, & couddes, pour s’apliquer & ioindrejoindre à
l’humaine foiblesse: mMeslée & artificielle,: non droitte, nette,
constante, ny purement innocente. Les annales reprochent
iusquesjusques à cette heure à quelqu’vnun de nos Roys, de s’estre trop
simplement laissé aller aux consciéncieuses persuasions de
son confesseur. Les affaires d’estat ont des preceptes plus
hardis.,
exeat aula,
Qui vult esse pius.
IJ’ay autresfois essayé d’employer au seruiceservice des negotiationsmaniemans
publiques, les opinions & reigles de viurevivre, ainsi rudes, neuf-
uesneuf-
ves, impolies ou impollues, comme ieje les ay nées chez moy,
ou raportées de mon institution, & desquelles, ieje me sers ⁁ ⁁ sinon cō-
modéementcom-
modéement ⁁ ⁁ au moins surement en particulier,. vVneuUne vertu scholastique & nouicenovice,.
iIejJe les y ay trouuéestrouvées ⁁ ⁁ ineptes et dangereuses & ineptes. Celuy qui va en la
presse, il faut qu’il gauchisse, qu’il serre ses couddes, qu’il re-
cule, ou qu’il auanceavance, voire qu’il quitte le droict chemin, selōselon
ce qu’il rencontre: qQu’il viuevive non tant selon soy, que selon au-
truy,: non selōselon ce qu’il se propose, mais selon ce qu’on luy pro-
pose,: selon le temps, selon les hommes, selon les affaires. ⁁
⁁ Platon dict que qui
eschape braïes nettes du
maniemant du monde il en
eschapec’est par miracle qu’il en
eschape. Et dict aussi que
quand il ordone son philosophe
chef d’une police il n’entant pas
le dire d’une police corrompue come celle
d’Athenes et encore bien moins
come la nostre enuersenvers les quelles
la sagesse mesme perderoit son
Latin. Come un’herbe transplan=
tèe en solage fort diuersdivers a sa
condition se conforme bien
plus tost au uicevice de ce nouueaunouveau
terroira iceluy qu’elle ne le reforme a
soy a soy
IeJe
sens que si ij’auoisavois à me dresser tout à faict à telles occupatiōsoccupations,
il m’y faudroit beaucoup de changement & de rabillage.
Quand ieje pourrois cela sur moy, (& pourquoy ne le pourrois
ieje, auecavec le temps & le soing?) ieje ne le voudrois pas. De ce peu
q̄que ieje me suis essayé en cette occupation du mōdemondeuacationvacation, ieje m’en suis
d’autant degousté: iIejJe me sens fumer en l’ame par fois, aucu-
nes tentations vers l’ambition,: mais ieje me bande & obstine
au contraire:
At tu Catulled obstinatus obdura.
On ne m’y appelle guieres, & ieje m’y cōuieconvie aussi peu. ⁁
⁁ La libertè & l’oisifuetéoisifveté
qui sont mes maistresses
qualites sont contradictoires
qualites a ce mestier la dia=
metralement contreres a ce
mestier la
Nous ne
VVVVu ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
sçauōssçavons pas distinguer les facultez des hōmeshommes,: eElles ont des di-
uisiōsdi-
visions, & bornes mal-aysées à choisir & delicates. De cōclurreconclurre
par la suffisance d’vneune vie particuliere, quelque suffisance à l’v-
sageu-
sage public, c’est mal conclud: tTel se conduict bien, qui ne
conduict pas bien les autres, ⁁
-
⁁ eEt faict des essais
qui ne sauroit faire
des effaicts. Tel
& tel dresse biēbien vnun siege qui dres-
seroit mal vneune bataille,: &Et discourt bien en priuéprivé qui haren-
gueroit mal vnun peuple, ou vnun prince. Voyre à l’auentureaventure est-
ce plustost tesmoignage à celuy qui peut l’vnun, de ne pouuoirpouvoir
point l’autre,: qu’autrement. ⁁
⁁ IeJe treuuetreuve que les esprits haus
ne sont de guere moins
aptes d aus choses basses
que les bas esprits aus hautes
⁁ Estoit il a croire que
Socrates eut apretes aus
Atheniens matiere de
rire de luya ses despans pour n’auoiravoir
onques sceu computer
les suffrages de sa tribu
pouret en faire raport au
conseil. Certes la uene=
rationvene=
ration en quoi ij’ay les
perfections de sce persona=
ge merite que sa fortune
fournisse a mes imperfe
l’excuse des mes principalles
imperfections un si
magnifique exemple.
Nostre suffisance est detaillée à
menues pieces,: la mienne n’a point de latitude, & si est chetif-
uechetif-
ve en nombre. Saturninus, à ceux qui luy auoyentavoyent deferé tout
commandement,: cCompaignons, fit-il, vous auezavez perdu vnun
bon capitaine, pour en faire vnun mauuaismauvais general d’armée. Qui
se vante, en vnun temps malade comme cettuy-cy, d’employer
au seruiceservice du monde, vneune vertu nayfuenayfve & exquisesincere|sincere|: ou il ne la
cognoit pas, les opinions se corrompant auecavec les meurs, (de
vray oyez la leur peindre, oyez la plus part se vanterglorifier de leurs
deportemens, & former leurs reigles, au lieu de peindre la
vertu, ils peignētpeignent l’iniusticeinjustice toute pure & le vice, & la presen-
tent ainsi fauce à l’institution des princes:) ou s’il la cognoist, il
se vante à tort,: & quoy qu’il die, faict mille choses dequoy sa
conscience l’accuse. IeJe croirois volontiers Seneca de l’expe-
riēceexpe-
rience qu’il en fit en pareille occasion,: pourueupourveu qu’il m’en vou-
lut parler à coeur ouuertouvert. La plus honorable marque de bon-
té en vneune telle necessité,: c’est recognoistre librement sa faute,
& celle d’autruy,: appuyer & retarder de sa puissācepuissance, l’inclina-
tion vers le mal,: suyuresuyvre enuisenvis cette pente,: mieux esperer &
mieux desirer. IJ’aperçois en ces desmābremensdesmambremens de la FrāceFrance, &
diuisiōsdivisions ou nous sommes tombez,: chacun se trauailletravaille à def-
fendre sa cause, mais iusq̄sjusques aux meilleurs, auecavec desguisemētdesguisement &
mēsongemensonge. Qui en escriroit rōdemētrondement, en escriroit temereremēttemererement
& vitieusemētvitieusement. Le plus iustejuste party, si est-ce encore le mēbremembre
LIVRE TROISIESME.439447
d’vnun corps vermoulu & vereux: mMais d’vnun tel corps, le mem-
bre moins malade s’appelle sain,: &Et à bon droit,: d’autant que
nos qualitez n’ont tiltre qu’en la comparaison. L’innocence
ciuilecivile, se mesure selōselon les lieux & saisons. IJ’aymerois biēbien à voir
en Xenophon, vneune telle louange d’Agesilaus. Estant prié par
vnun prince voisin, auecavec lequel il auoitavoit autresfois esté en guerre,
de le laisser passer en ses terres, il l’octroya, luy donnant passa-
ge à trauerstravers le Peloponnesse,: & non seulement mne l’empri-
sonna ou empoisonna, le tenant à sa mercy,: mais l’accueillit,
courtoisement sans luy faire offence. A ces humeurs là, ce ne
seroit rien dire: aAilleurs & en autre temps, il se fera compte de
la franchise, & magnanimité d’vneune telle actiōaction: cCes babouyns
capettes s’en fussent moquez,: sSi peu retire l’innocence spartai-
ne à la françoise. Nous ne laissons pas d’auoiravoir des hōmeshommes ver-
tueux: mais c’est selon nous. Qui à ses meurs establies en regle-
ment au dessus de son siecle,: ou qu’il torde, & émousse ses re-
gles,: ou, ce que ieje luy conseille plustost, qu’il se retire à quar-
tier, & ne se mesle point de nous. Qu’y gaigneroit-il?
Egregium sanctúmque virum si cerno, bimembri
Hoc monstrum puero, & miranti iam sub aratro,
Piscibus inuentis & foetae comparo mulae.
On peut regretter les meilleurs temps,: mais non pas fuyr
aux presens,: oOn peut desirer autres magistrats, mais il faut
ce nonobstant, obeyr à ceux icy: &Et à l’aduantureadvanture y a il
plus de recommendation d’obeyr aux mauuaismauvais, qu’aux bons.
Autant que l’image des loix receuës, & antiennes de cet-
te monarchie, reluyra en quelque coin, m’y voila plātéplanté: sSi elles
viennent par malheur à se contredire, troubler, & empescher
entr’elles, & produire deux pars, de chois doubteux & diffici-
le,:, mon election sera volontiers, d’eschapper, & me desrober à
cette tempeste: nNature m’y pourra prester ce pendant la main,
ou les hazards de la guerre. Entre Caesar & PōpeiusPompeius, ieje me fusse
VVVVu iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
franchement declaré,: mMais entre ces trois voleurs, qui vin-
drent depuis,: où il eust fallu se cacher, ou suyuresuyvre le vētvent,: cCe que
ij’estime loisible, quand la raison ne guide plus.
Quo diuersus abis?
CcCette farcisseure est vnun peu hors de mon theme. IeJe m’esgare,:
mais plustost par licence, que par mesgarde: mMes fantasies, se
suyuentsuyvent,: mais par fois c’est de loing: &Et se regardent, mais d’v-
neu-
ne veuë obliq̄oblique,: ⁁
⁁ IJ’ay passé les yeus sur
tel dialogue de Platon
la teste et le uantrevantre
sont de l’amour tout le bas
de la Rhetorique Ils ne
creignent pouint ces muances.
mi parti d’une estrange
mi parti d’une fantastique
bigarrure le dauantdavant a
l’amour tout le bas a la
Rhetorique Ils ne creignētcreignent
ces muances point ces
muances Et ont une
merueilleusemerveilleuse grace a
laisser einsi rouler au uentvent,
ou a le sembler.
lLes noms de mes chapitres n’en embrassent pas
tousiourstousjours la matiere,: souuentsouvent ils la denotētdenotent seulemētseulement, par q̄lq̄quelque
marque, comme ces autres ⁁ ⁁ tiltres l’Andrie l’Eunuche ou ces autres noms, Sylla, Cicero, Torquatus.
IJ’ayme l’alleure poetique, à sauts & à gambades, ⁁ ⁁ C’est un’art come dict Platon legiere uolagevolage sacree daemoniacle sacree demoniacle. ⁁
⁁ Il me semble
qu’il y a ouurageouvrage
en Plutarche qu’il
dedieé a Socrates de qui
et a peine en parle il
il un mot sur la
fin tout le corps estātestant
et d’Epaminondas.
Ces escartemants
sont d’autant plus
ingenieus qu’ils
semblent estre
fortuites.
⁁ Ils en lisent tousiourstousjours en quelque coin un mot bien serré. L’autheur ne la
pert pas c’est l’indiligent lectur. Au demurant encore la que la montre soit autre
et autre le gros du corps si ne la laisse ieje pas en arriere et en laisse en un coin tousiourstousjours
quelque mot et bien serré. c’est l’indiligent lectur qui l’ala pert non pas moi Il est des ouuragesouvrages en Plutarque
ou il oblie sason promessetheme ou sonle propos desseignede son argument ne se treuuetreuve que par incidant: tout estouffé en matiere
estrangiere. voïes ses allures au daemon de Socrates. O dieu que ces escartemansgaillardes escapades que cette uariationvariation
a de gracesbeauté & plus lors qu’elle semble nonchalante et fortuite que plus elle
le retire auau nonchalant et fortuite. C’est l’indiligent lectur qui pert
mon subietsubjet non pas moi: il s’en trouueratrouvera tousiourstousjours en un coin quelque mot
bien serre: ilqui ne laisse pas d’estre pertinant & suffisant quoi qu’il
ne soit estendu bastant quoi qu’il ne soit estendu serré. IeJe
&Et vois au
change, indiscrettement & tumultuairement:⁁ ⁁ . Mon stile et mon esprit, uontvont uagabondantvagabondant de mesmes. iIl faut auoiravoir vnun
peu de folie, qui ne veut auoiravoir plus de sottise: ⁁ ⁁ disent et les preceptes de nos maistres et encore plus leurs exemples. mMille poëtes
trainent & languissent à la prosaïque, mMais la meilleure prose
ancienne, ⁁
⁁ et ieje la seme ceans
indifferammant pour
vers,
reluit par tout, de la vigueur & hardiesse poetique,:
& represente quelque l’air de sa fureur: iIl luy faut certes quit-
ter la maistrise, & preeminence en la parlerie. ⁁
⁁ Le poete, dict Platon, assis
sur le trepie des muses uerseverse
de furie tout ce qui luy uientvient
en la bouche come la gargouille
d’une fontaine sans le ruminer
& poiser. et luy eschape des
choses de diuersediverse colur de
contrere substance et d’un
ordre rompu cours rompu.
Luy mesmes est tout poëtique
et la uieillevieille theologie poësie
disent les sçauanssçavans et la premi=
ere philosofie
c’est l’originel langage des Dieus.Montaigne ajoute cette sentence au dessus de son addition, sans doute par manque de place. L’édition de 1595 nous permet de la restituer à cette place.
IJ’entends que la
matiere se distingue soy-mesmes, eElle montre assez ou elle se
change, où elle conclud, où elle commence, où elle se reprēdreprend,
sans l’entrelasser de paroles, de liaison, & de cousture, intro-
duictes pour le seruiceservice des oreilles foibles, où nonchallantes,
& sāssans me gloser moy mesme. Qui est celuy, qui n’ayme mieux
n’estre pas leu, que de l’estre en dormant, ou en fuyant.⁁
⁁ : nNihil est tam
utile, quod in
transitu profit.
Si prendre ldes liureslivres estoit
les aprendre et si les uoirvoir
estoit les regarder & les
parcourir les sesir ij’arois tort
de me faire du tout si ignorant
que ieje dis.
Puis-
que ieje ne puis arrester l’attention du lecteur par le pois,: manco
male,: s’il aduientadvient que ieje l’arreste par mon embrouilleure: vVoire
mais il se repentira aprespar apres, de s’y estre amusé,: cC’est mon,: mais il
s’y sera tousiourstousjours amusé. Et puis il est des humeurs comme ce-
la,: à qui l’intelligēceintelligence porte desdain,: qQui m’en estimerōtestimeront mieux
de ce qu’ils ne sçauront ce que ieje dis,: iIls conclurrōtconclurront la profon-
deur de mon sens, par l’obscurité.: lLaquelle à parler, en bon es-
cient, ieje hay, ⁁ ⁁ bien fort: & l’euiteroiseviterois si ieje me sçauoissçavois contrefaire:euitereviter Aristote
se vante en quelque lieu, de l’affecter,: vVitieuse imaginationaffectation.⁁
⁁ . Par ce que la coupure si frequante des chapitres de quoi iusoisj’usois au
comancemant m’a samble rompre l’attention auantavant qu’elle soit nee: et la dissoudre,
desdeignant s’y coucher pour si peu, et se recolligerrecueillir: ieje me suis mis a les faire plus
longs, qui requierent de la proposition & du loisir assigné. En telle occupation
à qui on ne ueutveut doner une sule heure on ne ueutveut rien doner Et ne faict on
rien pour celuy pour qui on ne faict, qu’autre chose faisant. IointJoint qu’a lauanturel’avanture
ai ieje quelqu’obligation particuliere a ne dire qu’a demi, a dire confuseement & a dire
diuersementdiversement discordemment
IJ’a-
LIVRE TROISIESME.440448
uoisvois à dire,: que ieje veus mal à cette raison trouble-feste: &Et que
ces proiectsprojects extrauagantsextravagants qui trauaillenttravaillent la vie, & ces opiniōsopinions
si fines, si elles ont de la verité, ieje la trouuetrouve trop chere & incō-
modeincom-
mode. Au rebours,: ieje m’emploie à faire valoir la vanité mes-
me, & la grosseriel’asnerie, si elle m’apporte du cōtentemētcontentementplaisir,. &Et me lais-
se aller apres mes inclinations naturelles, sans les contreroller
de si pres. IJ’ay veu ailleurs des maisons ruynées, & des statues,
& du ciel, & de la terre,: ce sont tousiourstousjours des hommes. Tout
cela est vray,: & si pourtant ne sçauroy reuoirrevoir si souuentsouvent le tō-
beautom-
beau, de cette ville,: si grande, & si puissante, que ieje ne l’admire
& reuererevere. Le soing des morts nous est en recommandatiōrecommandation. Or
ij’ay esté nourry dés mon enfance, auecavec ceux icy: iIjJ’ay eu con-
noissance des affaires de Romme, long temps auātavant que ieje l’aye
eue de ceux de ma maison. IiIeJjJe sçauoissçavois le Capitole & son plant,
auantavant que ieje sceusse le LouureLouvre,: & le Tibre auantavant la Seine. IJ’ay
eu plus en teste les conditions & fortunes de Lucullus, Metel-
lus, & Scipion, que ieje n’ay d’aucuns hommes des nostres. Ils
sont trespassez,: si est bien mon pere, aussi entierement qu’eux,
& s’est esloigné de moy, & de la vie, autātautant en dixhuict ans, que
ceux-là ont faict en seize cēscens,: duquel pourtant, ieje ne laisse pas
d’embrasser & practiquer la memoire, l’amitié & societé, d’v-
neu-
ne parfaicte vnionunion & tres-viuevive. Voire de mon humeur, ieje
me rends plus officieux enuersenvers les trespassez: iIls ne s’aydent
plus,. iIls en requierent ce me semble d’autant plus mon ayde:
lLa gratitude est là, iustementjustement en son lustre. Le bien-faict,
est moins richement assigné, où il y à retrogradation, &
reflexion. Arcesilaus visitant ⁁ ⁁ un AppellesCtesibius malade, & le trouuanttrouvant
en pauurepauvre estat, luy fourra tout bellement soubs le cheuetchevet du
lict, de l’argent qu’il luy donnoit,: &Et en le luy celātcelant, luy dōnoitdonnoit
en outre, exemptionquitance de luy en sçauoirsçavoir gré. Ceux qui ont me-
rité de moy de l’amitié & de la recōnoissancereconnoissance, ne l’ont iamaisjamais
perdue pour n’y estre plus,: iIejJe les ay mieux payez, & plus soi-
gneusement, absens & ignorans. IeJe parle plus affectueusemētaffectueusement
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de mes amis, quand il n’y à plus moyēmoyen qu’ils le sçachētsçachent. Or ij’ay
attaqué cent querelles pour la deffence de Pompeius, & pour
la cause de Brutus. Cette accointance dure encore entre nous:
lLes choses presentes mesmes, nous ne les tenōstenons que par la fan-
tasie. Me trouuanttrouvant inutile à ce siecle, ieje me reiecterejecte à cet autre,:
&Et en suis si embabouyné, que l’estat de cette vieille Romme,
libre, iustejuste, & florissante (car ieje n’en ayme, ny la naissance, ny la
vieillesse) m’interesse & me passionne. Parquoy, ieje ne sçauroy
reuoirrevoir si souuentsouvent, l’assiette de leurs rues, & de leurs maisons, &
ces ruynes profondes iusquesjusques aux Antipodes, que ieje ne m’y a-
muse. ⁁
⁁ Tanta uis admonitionis inest in locis.
SoitEst ce par nature soitou par
errur de fantasie il auiētavient
que la ueueveue des places que
nous sçauonssçavons auoiravoir este
hantees & habitees par persones
des quelles la memoire est en
recomandation nous esmeut
aucunement plus qu’ouir le recit
de leur faicts ou lire leurs escris. ⁁
⁁ Tanta uis est admonitio=
nis inest in locis. Et id
quidem infinitum hac
urbe infinitum: quacunque
enim ingredimur in aliquam
historiam uestigium ponimus.
Il me plaist de considerer leur visage, leur port, & leurs
vestements: iIejJe remache ces grands noms entre les dents, & les
faicts retentir à mes oreilles. ⁁
-
⁁ Ego illos ueneror
Et tantis nominibus
semper assurgo.
Des choses qui sont en quelque
partie grandes & admirables, ij’en admire les parties mesmes
communes. IeJe les visse volontiers diuiserdiviser, promener, & soup-
per:. cCe seroit ingratitude de mespriser les reliques, & images
de tant d’honnestes hommes, & si valeureux, que ij’ay veu vi-
urevi-
vre & mourir, & qui nous donnent tant de bōnesbonnes instructiōsinstructions
par leur exemple, si nous les sçauionssçavions suiuresuivre. Et puis cette mes-
me Romme que nous voyons, merite qu’on l’ayme,. cConfede-
rée de si long temps, & par tant de tiltres à nostre couronne:
sSeule ville, commune, & vniuerselleuniverselle: lLe magistrat souuerainsouverain
qui y commande, est reconneu pareillement ailleurs, cC’est la
ville metropolitaine de toutes les nations Chrestiennes: lL’Es-
paignol & le François, chacun y est chez soy: pPour estre des
princes de cet estat, il ne faut qu’estre de Chrestienté, ou qu’el-
le soit. Il n’est lieu çà bas, que le ciel ayt embrassé auecavec telle in-
fluence de faueurfaveur, & telle constance: sSa ruyne mesme est glo-
rieuse & enflée,. ⁁
⁁ Laudandis
preciosior
ruinis,
uersvers
eEncore retient elle au tombeau des marques &
image d’empire. ⁁
-
⁁ Vt palam sit uno
in loco gaudentis
opus esse naturae.
fortunae. naturae.
Quelqu’vnun se blasmeroit, & se mutineroit en
soy-mesme, de se sentir chatouiller d’vnun si vain plaisir. Nos
humeurs ne sont pas trop vaines qui sont plaisantes. Quelles
quelles
LIVRE TROISIESME.441449
qu’elles soient, qui contentent constamment vnun homme ca-
pable de sens commūcommun, ieje ne sçaurois auoiravoir le coeur de le plein-
dre. IeJe doibs beaucoup à la fortune, dequoy iusquesjusques à cette
heure, elle n’a rien fait cōtrecontre moy, outrageux,: &au moins au de là de ma
forceportee. Seroit ce pas sa façon, de laisser en paix ceux de qui elle
n’est point importunée.:
Quanto quísque sibi plura negauerit,
A Diis plura seret, nil cupientium,
Nudus castra peto, multa petentibus,
Desunt multa.
Si elle continue, elle m’en enuoyeraenvoyera tres-content, & satis-
faict,
nihil supra,
Deos lacesso.
Mais gare le heurt,. iIl en est mille, qui rompent au port. IeJe me
console aiséement, de ce qui aduiendraadviendra icy, quand ieje n’y seray
plus: lLes choses presentes m’embesoingnent assez,.
Ffortunae caetera mando.
Aussi n’ay-ieje poinct cette forte liaison, qu’on dicts attacher les
hommes à l’adueniradvenir, par les enfans qui portent leur nom, &
leur honneur,. &Et en doibs desirer à l’auantureavanture d’autant moins,
s’ils sont si desirables. IeJe ne tiens que trop au monde, & à cet-
te vie par moy-mesme: iIejJe me contente d’estre en prise de la
fortune, par les circonstances proprement necessaires, à mon
estre, sans luy alonger par ailleurs sa iurisdictionjurisdiction sur moy: &Et
n’ay iamaisjamais estimé qu’estre sans enfans, fut vnun defaut qui deut
rendre la vie moins complete, & moins contente. La vaca-
tion sterile, à bien aussi ses commoditez. Les enfans sont du
rollenombre des choses, qui n’ont pas fort dequoy estre desirées,: no-
tamment à cette heure, qu’il seroit si difficile de les rendre
bons ⁁
-
⁁ : bona iam nec nasci
licet, ita corrupta sunt
semina:
,: & si ont iustementjustement dequoy estre regrettées, à qui les
perd, apres les auoiravoir acquises. Celuy qui me laissa ma maisōmaison en
XXXXx
ESSAIS DE M. DE MONTA.
charge, prognostiquoit que ieje la deusse ruyner,: regardant à
mon humeur, si peu casaniere. Il se trompa,: mMe voicy com-
me ij’y entray,. sSinon vnun peu mieux,. sSans office pourtant & sans
benefice. Au demeurant,: si la fortune ne m’a faict aucune of-
fence violente, & extraordinaire, aussi n’a-elle pas de grace.
Tout ce qu’il y à de ses dons chez nous, il y est ⁁ ⁁ plus de cent ans auantavant moy,:
& ⁁ ⁁ loin au delà de cent ansd’un siecle. IeJe n’ay ⁁ ⁁ particulieremant pour moi aucun bien essentiel, & solide,
que ieje doiuedoive à sa liberalité: eElle m’a faict quelques faueursfaveurs
venteuses, honnoraires, & titulaires, sans substance,: &Et me les
a aussi à la verité, non pas accordées, mais offertes. Dieu sçait,
à moy,: qui suis tout materiel, qui ne me paye que de la reali-
té, encores bien massiuemassive,: &Et qui, si ieje l’osois confesser,: ne trou-
ueroistrou-
verois l’auariceavarice guere moins excusable que l’ambition,: ny la
douleur moins euitableevitable que la honte,: ny la santé moins desi-
rable que la doctrine,: ou la richesse que la noblesse. Parmy
ses faueursfaveurs vaines, ieje n’en ay poinct qui plaise tant à cette
niaise humeur, qui s’en paist chez moy, qu’vneune bulle authen-
tique de bourgeoisie Romaine, qui me fut octroyée dernie-
rement que ij’y estois,: pompeuse en seaux, & lettres dorées,: &
octroyee auecavec toute gratieuse liberalité. Et par ce qu’elles se
donnent en diuersdivers stile, plus ou moins fauorablefavorable:, & qu’auantavant
que ij’en eusse veu, ij’eusse esté bien aise, qu’on m’en eust mon-
stré vnun formulaire, ieje veux, pour satisfaire à quelqu’vnun, s’il s’en
trouuetrouve malade de pareille curiosité à la mienne, la transcrire
icy en sa forme.La bulle est transcrite sur la page suivante.
LIVRE TROISIESME.442450
Quod Horatius Maximus Martius Cecius Alexander Mutus
almae vrbis conseruatores de IllmoIllustrissimo viro Michaele Montano e-
quite sancti Michaelis, & à Cubiculo Regis Christianissimi Ro-
mana Ciuitate donando ad Senatum retulerunt. S. P. Q. R. de ea
re ita fieri censuit.
CVM veteri more & instituto cupide illi semper studioséque su-
scepti sint qui virtute ac nobilitate praestantes, magno Reip. no-
strae vsui atque ornamento fuissent vel esse aliquando possent. Nos ma-
iorum nostrorum exemplo atque auctoritate permoti, praeclaram hanc
Consuetudinem nobis imitandam ac seruandam fore censemus. Qua-
mobrem cum IllmusIllustrissimus Michael Montanus Eques sancti Michaelis & à
Cubiculo Regis Christianissimi Romani nominis studiosissimus & fa-
miliae laude atque splendore & propriis virtutum meritis dignissimus
sit qui summo Senatus Populíque Romani Iudicio ac studio in Roma-
nam Ciuitatem adsciscatur placere Senatui P. Q. R. IllmumIllustrissimum Michaelem
MōtanumMontanum rebus omnibus ornatissimum atque huic inclyto populo cha-
rissimum ipsum posterósque in Romanam Ciuitatem adscribi ornarí-
que omnibus & praemiis & honoribus quibus illi fruuntur qui Ciues
Patritiique Romani nati aut iure optimo facti sunt. In quo censere
Senatum P. Q. R. se non tam illi Ius Ciuitatis largiri quam debitum
tribuere neque magis beneficium dare quam ab ipso accipere qui hoc
Ciuitatis munere accipiendo singulari Ciuitatem ipsam ornamētoornamento at-
que honore affecerit. Quam quidem S. C. auctoritatem iidem Con-
seruatores per Senatus P. Q. R. scribas in acta referri atque in Ca-
pitolij curia seruari priuilegiúmque huiusmodi fieri solitóque vrbis
sigillo communiri curarunt. Anno ab vrbe condita CXƆ CCC-
XXXI post Christum natum M.D.LXXXI.III. Idus
Martij.
Horatius fuscus sacri S. P. Q. R. scriba
Vincē.Vincen.Vincentius Martholus sacri S. P. Q. R. scriba.
XXXXx ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
N’estant bourgeois d’aucune ville, ieje suis bien aise de l’estre
de la plus noble qui fut & qui sera onques. Si les autres se re-
gardoient attentiuementattentivement, comme ieje fay, ils se trouueroiēttrouveroient cō-
mecom-
me ieje fay, pleins d’inanité & de fadaise: dDe m’en deffaire ieje ne
puis, sans me deffaire moy-mesmes,. nNous en sommes tous cō-
fitscon-
fits tant les vnsuns que les autres: mais ceux qui le sentent en ont
vnun peu meilleur compte: encore ne sçay-ieje. Cette opinion &
vsanceusance commune, de regarder ailleurs qu’à nous, a bien pour-
ueupour-
veu à nostre affaire. C’est vnun obietobjet plein de mescontentemētmescontentement,
nous n’y voyons que misere & vanité. Pour ne nous descon-
forter, nature à reiettérejetté bien à propos, l’action de nostre veuë
au dehors: nNous allons en auantavant à vau l’eau, mais de rebrousser
vers nous nostre course, c’est vnun mouuementmouvement penible,: la mer
se brouille & s’empesche ainsi, quand elle est repoussée à soy.
Regardez dict chacūchacun, les mouuemētsmouvementsbranles du ciel, regardez au pu-
blic, à la querelle de cestttuy-làtt, au pouls d’vnun tel, au testamēttestament de
cet autre, somme regardez tousiourstousjours haut ou bas, où à costé,
ou deuantdevant, ou derriere vous. C’estoit vnun commandement pa-
radoxe, que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes: rRe-
gardez dans vous, recōnoissezreconnoissez vous, tenez vous à vous,: vostre
esprit, & vostre volonté qui se consomme ailleurs, ramenez là
en soy mesme: vous vous escoulez, vous vous respandez:
appilez vous, soutenez vous: on vous trahit, on vous dissipe,
on vous desrobe à vous. Voy tu pas que ce monde, tient tou-
tes ses veues contraintes au dedans, & ses yeux ouuertsouverts à se cō-
templercon-
templer soy-mesme? C’est tousiourstousjours vanité pour toy, dedans
& dehors, mais elle est moins vanité, quand elle est moins e-
stendue. Sauf toy ô hōmehomme, disoit ce Dieu, cháque chose s’estu-
die la premiere, & à selon son besoin des limites à ses occupa-
tionstrauaustravaus & desirs. Il n’en est vneune seule si vuide & necessiteuse que
toy, qui embrassezs l’vniuersunivers: tu es le scrutateur sans connois-
sance, le magistrat sans iurisdictiōjurisdiction, & apres tout, le badin de la
farce.
LIVRE TROISIESME.44451
De mesnager sa volonté.
CHAP. X
AVAU pris du commun des hommes, peu de choses me
touchent, ou pour mieux dire, me tiennent. Car c’est
raison qu’elles touchēttouchent, pourueupourveu qu’elles ne nous pos-
sedent. IJ’ay grand soin d’augmēteraugmenter par estude, & par discours,
ce priuilegeprivilege d’insensibilité, qui est naturellement bien auancéavancé
en moy. IJ’espouse, & me passionne par consequant, de peu
de choses. IJ’ay la veuë clere,: mais ieje l’attache à peu de choses:’obiectsobjects.
lLe sens delicat & mol,. mMais l’apprehension & l’application,
ieje l’ay dure & sourde: iIejJe m’engage difficilement. Autant
que ieje puis, ieje m’employe tout à moy: &Et en ce subiectsubject mes-
me, ieje briderois pourtant & soutiendrois volontiers mon
affection, qu’elle ne s’y plonge trop entiere,: puis que c’est vnun
subiectsubject, que ieje possede à la mercy d’autruy, & sur lequel la
fortune à plus de droict que ieje n’ay. De maniere, que iusquesjusques
à la santé que ij’estime tant, il me seroit besoing, de ne la pas
desirer, & m’y adonner si furieusement, que ij’en trouuetrouve les
maladies importables. ⁁
⁁ Il se fautOn se doit moderer dit
Platon entre la haine de
la dolur & l’amour de la
uoluptévolupté Et ordone Platon
en une moïene route de uievie
entre les deus
Mais aux affections qui me distrayent
de moy, & attachent ailleurs,: à celles la certes m’oppose-ieje de
toute ma force. Mon opiniōopinion est, qu’il se faut prester à autruy,
& ne se donner qu’a soy-mesme. Si ma volonté se trouuoittrouvoit
aysée à se hypothequer & à s’appliquer, ieje n’y durerois pas: iIejJe
suis trop tendre, & par nature & par vsageusage,
fugax rerum, securaque in otia natus.
Les debats cōtestezcontestez & opiniastrez, qui doneroyent en fin ad-
uantagead-
vantage à mon aduersaireadversaire,: l’issue qui rendroit honteuse ma
chaude poursuite, me rongeroit à l’auantureavanture bien cruellemētcruellement.
Si ieje mordois à mesme, comme font les autres, mon ame
n’auroit iamaisjamais la force de porter les alarmes, & emotiōsemotions, qui
XXXXx iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
suyuentsuyvent ceux qui embrassent tant,. eElle seroit incontinent dis-
loquée par cette agitation intestine. Si quelquefois on ma
poussé au maniement d’affaires estrangieres, ij’ay promis de
les prendre en main, non pas au poulmon & au foye,: de m’en
charger, non de les incorporer: de m’en soigner ouy, de m’en
passionner, nullement: ij’y regarde, mais ieje ne les couuecouve point.
IJ’ay assez affaire à disposer & rēgerrenger la presse domestique que
ij’ay dans mes entrailles, & dans mes veines, sans y loger, & me
fouler d’vneune presse estrangere: &Et suis assez interessé de mes
affaires essentiels, propres, & naturels, sans en conuierconvier d’au-
tres forains. Ceux qui sçauentsçavent combien ils se doiuentdoivent, & de
combien d’offices ils sont obligez à eux, trouuenttrouvent que natu-
re leur à donné cette commission plaine assez, & nullement
oysifueoysifve. Tu as bien largement affaire chez toy, ne t’esloingne
pas. Les hommes se donnent à louage,. lLeurs facultez ne sont
pas pour eux, elles sont pour ceux à qui ils s’asseruissentasservissent,. lLeurs
locataires sont chez eux, ce ne sont pas eux. Cette humeur cō-
munecom-
mune ne me plaict pas,: iIl faut mesnager la liberté de nostre
ame, & ne l’hypothequer qu’aux occasions iustesjustes: lLesquelles
sont en bien petit nombre, si nous iugeonsjugeons sainemētsainement. Voyez
les gens apris à se laisser emporter & saisir, ils le font par tout,.
aAux petites choses comme aux grandes, àA ce qui ne les touche
point comme à ce qui les touche,: iIls s’ingerent indifferem-
ment ou il y a de la besongne, ⁁ ⁁ et de l’obligation. &Et sont sans vie quand ils sont
sans agitation tumultuaire. ⁁
La première phrase latine est biffée par Montaigne puis rétablie.
⁁ In negotijs sunt
negotij causa:
In negotijs sunt
negotii causa. Ils
ne cherchent la
besouigene que pour
enbesouignement.
Ce n’est pas qu’ils
veuillent aller, tant,
come c’est, qu’ils ne
se peuuentpeuvent tenir.
Ne plus ne moins qu’
une pierre esbranlee
en ch sa chute qui
ne s’arrete iusquesjusques
a tant qu’elle se
couche. Ils prenent lL’occupation leur est a ces gens la certeine smaniere de gens
pour marque de grādurgrandur & de suffisance &
de dignitè.
Leur esprit cerche son repos au
branle, comme les enfans au berceau. Ils se peuuentpeuvent dire autātautant
seruiablesserviables à leurs amys, comme importuns à eux mesme. Per-
sonne ne distribue son argent à autruy, chacun y distribue
son temps & sa vie: iIl n’est rien dequoy nous soyons si prodi-
gues que de ces choses la, desquelles seules l’auariceavarice nous se-
roit vtileutile & louable. IeJe prens vneune cōplexioncomplexion toute diuersediverse,. iIejJe
me tiens sur moy,. &Et cōmunéementcommunéement desire mollement ce que
LIVRE TROISIESME.444452
ieje desire, & desire peu: mM’occupe & embesongne de mesme,:
rarement & tranquillement. Tout ce qu’ils veulent & con-
duisent, ils le font de toute leur volonté & vehemence. Il y a
tant de mauuaismauvais pas, que pour le plus seur, il faut vnun peu le-
gierement & superficiellement couler ce monde,. ⁁
⁁ Il le faut glisser non
pas s’y enfoncer.
lLa volupté
mesme est douleoureuse en sa profondeur,
incedis per ignes,
Suppositos cineri doloso.
Messieurs de Bordeaux m’esleurent maire de leur ville, estant
esloigné de France, & encore plus esloigne d’vnun tel pensemētpensement.
IeJe m’en excusay,: mMais on m’aprint que ij’auoisavois tort,: lLe com-
mandement du Roy aussi s’y interposant. C’est vneune charge
qui en doibt sembler d’autant plus belle qu’elle n’a, ny loyer
ny guain, autre que l’honneur de son executiōexecution. Elle dure deux
ans,: mais elle peut estre continuée par seconde election.:. CcCeCe
qui aduientadvient tresrarement. Elle le fut à moy, & ne l’auoitavoit esté
que deux fois auparauantauparavant: qQuelques années y auoitavoit, à Mon-
sieur de Laanssac,: & freschaement à Monsieur de Biron Mares-
chal de FrāceFrance: eEn la place duquel ieje succeday, & laissay la miē-
nemien-
ne, à Monsieur de Matignon aussi Mareschal de France:. glo-
rieuxbBrauebBrave de si noble assistance,
pacisque bonus bellique minister vtérque.uterque bonus pacis bellique minister.
La fortune voulut part à ma promotiōpromotion, par cette particuliere
circonstance qu’elle y mit du sien: nNon vaine du tout: cCar A-
lexandre hoçha du nezdesdeigna les Ambassadeurs CorinthiēsCorinthiens qui luy
offroyent la bourgeoisie de leur ville,: mais quand ils vindrētvindrent
à luy deduire, comment Bacchus & Hercules estoyent aussi
en ce registre, il les en remercia gratieusement. A mon arri-
uéearri-
vée, ieje me deschiffray fidelement, & conscientieusement,
tout tel que ieje me sens estre: sSans memoire, sans vigilance, sans
experience, & sans vigueur: sSans hayne aussi, sans ambition,
sans auariceavarice, & sans violence: à ce qu’ils fussent informez & in-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
struicts de ce qu’ils auoyentavoyent à attendre de mon seruiceservice. Et par
ce que la cognoissance de feu mon pere les auoitavoit seule incitez
à cela, & l’honneur de sa memoire: ieje leur adioustayadjoustay bien clai-
rement, que ieje serois tresmarry que chose quelconque fit au-
tant d’impression en ma volonté, comme auoyentavoyent faict au-
trefois en la siēnesienne, leurs affaires, & leur ville, pendant qu’il l’a-
uoita-
voit en gouuernementgouvernement, en ce mesme lieu auquel ils m’auoiētavoient
appellé. Il me souuenoitsouvenoit, de l’auoiravoir veu vieil en mon enfance,
l’ame cruellement agitée de cette tracasserie publique,: ou-
bliant le doux air de sa maison, ou la foiblesse des ans l’auoitavoit
attaché long temps auantavant,: & son mesnage, & sa santé,: & en
mesprisant certes sa vie, qu’il y cuida perdre, engagé pour eux,
à des longs & penibles voyages. Il estoit tel,: & luy partoit cet-
te humeur d’vneune grande bonté de nature: iIl ne fut iamaisjamais ame
plus charitable & populaire. Ce train que ieje louё en autruy,
ieje n’aime point à le suiuresuivre,: &Et ne suis pas sans excuse: iIl auoitavoit
ouy dire qu’il se falloit oublier pour le prochain,. qQue le par-
ticulier ne venoit en aucune consideration au pris du gene-
ral:. lLa plus part des reigles & preceptes du monde prēnentprennent ce
train, de nous pousser hors de nous, & chasser en la place, à l’v-
sageu-
sage de la societé publique: iIls ont pensé faire vnun bel effect, de
nous destourner & distraire de nous,: presupposans que nous
n’y tinsions que trop, & d’vneune attache trop naturelle,: & n’ont
espargné rien à dire pour cette fin. Car il n’est pas nouueaunouveau
aux sages, de prescher les choses comme elles seruentservent, non cō-
mecom-
me elles sont. ⁁
⁁ La ueritèveritè ha ses
empeschemans & ses
tares: imperiti
enim iudicātiudicant, et qui
frequenter in hoc
ipsum fallendi sunt
ne errent. Il faut
souuantsouvant tromper le
peuple a ce qu’il ne
se trompe. Et il se
uoitvoit par plusieurs expe=
riances qu’il nous faut
abestir souuantsouvant pour nous
amander et assagir
incommoditez et incompatibilitez aueqaveq nous. Il nous faut souuantsouvant tromper affin que nous
ne nous trompons: Et nous abbestir pour nous assagir Imperiti enim iudicant et qui frequenter
in hoc ipsum fallendi sunt ne errent. Et nous eslourdir pour nous amander.Et nous esblouir pour nous .
Et filler nostre ueueveue eslourdir nostre entandemant pour les dresser et amander. Imperiti enim iudicant
Et qui frequenter in hoc ipsum fallendi sunt ne errent
Quand ils nous ordōnentordonnent, d’aymer auantavant nous,
trois, quattre, & cinquante degrez de choses,: ils representent
l’art des archiers, qui pour arriuerarriver au point, vont prenant leur
visée grande espace au dessus de la bute. Pour dresser vnun bois
courbe on le recourbe au rebours. IJ’estime qu’au temple de
Pallas, comme nous voyons en toutes autres religions,: il y a-
uoita-
voit des mysteres apparens, pour estre montrez au peuple, &
d’autres
LIVRE TROISIESME.445453
d’autres mysteres plus secrets, & plus nobleshauts, pour estre mon-
trés seulement à ceux qui en estoyētestoyent profez. Il est vray-sem-
blable que en ceux icy se trouuetrouve le vray point de l’amitié que
chacun se doibt,. nNōnNon vneune amitié ⁁
⁁ fauce qui nous faict enbrasser
la gloire la sciance la richesse
et les uoluptesvoluptestelles choses externes d’une affection
principale et immoderee come
membres souuereinssouvereins & suls de nos
estres ny une amitie
molle & indiscrete,: en laquel-
le il aduientadvient ce qui se voit au lierre, qu’il corrompt & ruyne la
paroy qu’il cherit & qu’il accole: mMais vneune amitié salutaire
& reiglée,: également vtileutile & plaisante: qQui en sçait les deuoirsdevoirs
& les exerces, il est vrayemētvrayement du cabinet des muses,: il à attaint
le sommet de la sagesse humaine, & de nostre bon heur. Cet-
tuy-cy sçachant exactement ce qu’il se doibt,: trouuetrouve dans son
rolle, qu’il doibt appliquer à soy, l’vsageusage des autres hommes,
& du monde,: &Et pour ce faire, cōtribuercontribuer à la societé publique
les deuoirsdevoirs & offices qui le touchent. ⁁
⁁ Qui sibi amicus est
scito hunc amicum
omnibus esse.
Qui est ami a soi
il l’est a un chacun Qui ne
uitvit aucunement a
autruy, ne uitvit guere a
soi. Qui sibi amicus est
scito hunc amicum omnibus
esse.
La principale & plus le-
gitime charge que nous ayōsayons, c’est à chacun sa conduite. ⁁ ⁁ : et est ce pour quoi nous somes icy. Cō-
meCom-
me qui oublieroit de bien & saintement viurevivre, & penseroit
estre quite de son deuoirdevoir, en y acheminātacheminant & dressant les autres,
ce seroit vnun sot: tTout de mesme qui abandōneabandonne en son propre,
le sainement & gayemētgayement viurevivre, pour en seruirservir autruy, prent à
mon gré vnun mauuaismauvais & desnaturé parti. IeJe ne veux pas qu’on
refuse aux charges qu’on prend, l’attentiōattention, les pas, les parolles,
& la sueur & le sang au besoing,.
non ipse pro charis amicis
Aut patria timidus perire.
Mais c’est par emprunt & accidentalement,: l’esprit se tenant
tousiourstousjours en repos & en santé: nNon pas sans action, mais sans
vexation, sans passion. L’agir simplement, luy coste si peu,
qu’en dormant mesme il agit. Mais il luy faut dōnerdonner le brālebranle,
auecavec discretion: cCar le corps reçoit les charges qu’on luy met
sus, iustementjustement selon qu’elles sont: l’esprit les estātestant & les appe-
santit souuantsouvant à ses despens, leur donnātdonnant la mesure que bōbon luy
semble. On faict pareilles choses auecavec diuersdivers efforts, & diffe-
rente contention de volonté. L’vnun va bien sans l’autre. Car cōcom-
YYYYy
ESSAIS DE M. DE MONT.
bien de gens se hazardent tous les ioursjours aux guerres, dequoy
il ne leur chaut,: & se pressent aux dangers des batailles, des-
quelles la perte ne leur troublera pas le voisin sommeil. Tel
en sa maison, hors de ce dangier, qu’il n’oseroit auoiravoir regardé,
est plus passionné de l’yssue de cette guerre, & en à l’ame plus
trauailléetravaillée, que n’a le soldat qui y employe son sang & sa vie.
IJ’ay peu, me mesler des charges publiques, sans me despartir
de moy, de la largeur d’vneune ongle.⁁
-
⁁ : eEt puis me doner a
autruy sans m’oter a moi
moy.
Cette aspreté & violēceviolence de
desir, empesche plus, qu’elle ne sert, à la conduitte de ce qu’on
entreprend.:. NnNous remplit d’impatience enuersenvers les euenemēsevenemens,
ou contraires ou tardifs, & d’aigreur & de soupçon enuersenvers
ceux auecavec qui nous negotions. Nous ne conduisons iamaisjamais
biēbien la chose de laquelle nous sommes possedez & conduicts:. ⁁
-
⁁ male cuncta mi=
nistrat
Impetus.
cCeluy qui n’y employe que son iugementjugement, & son adresse, il y
procede plus gayement,: iIl feinct, il ploye, il differe tout à son
aise, selon le besoing des occasions: iIl faut d’atainte, sans tour-
ment, & sans affliction, prest & entier pour vneune nouuellenouvelle en-
treprise: iIl marche tousiourstousjours la bride à la main. En celuy qui
est enyuréenyvré de cette intention violente & tyrannique, on voit
par necessité beaucoup d’indiscretion & d’iniusticeinjusticeimprudence,. lL’impe-
tuosité de son desir l’emporte. Ce sont mouuemensmouvemens temerai-
res, & si fortune n’y preste beaucoup, de peu de fruict. La phi-
losophie veut qu’au chastiemētchastiement des offences receuёs, nous en
distrayons la cholere,. nNon afin que la vengeance en soit moin-
dre,: ains au rebours,:, afin qu’elle en soit d’autant mieux assen-
nee & plus poisante: à quoy il luy semble que cette impetuo-
sité porte empeschemētempeschement: ⁁
⁁ Non sulement la cholere
trouble: mais de soi elle lasse
aussi les bras de ceus qui
chastient. Ce feu estourdit et
consomme leur force.
cComme en la precipitation, festinatio
tarda est, la hastiuetéhastiveté se donne elle mesme la iambejambe, s’entraueentrave
& s’arreste.⁁
-
⁁ : iIpsa se uelocitas
implicat.
Pour exemple,: sSelon ce q̄que ij’en vois par vsageusage ordi-
naire, l’auariceavarice n’a point de plus grand destourbier que soy-
mesme,. pPlus elle est tendue & vigoreuse, moins elle en est fer-
tile. CōmunementCommunement elle attrape plus promptemētpromptement les richesses
LIVRE TROISIESME.446454
masquée d’vnun’image de liberalité. VnUn gētilgentil’hōmehomme tres-hōmehomme
de bien, & mon amy, cuyda troublerbrouiller la santé de sa teste, par
vneune trop passionnée attention & affection aux affaires d’vnun
prince, son maistre: lLequel maistre, s’est ainsi peinct soy-mes-
mes à moy,. qQue ’il voit le pois des negocesaccidens, comme vnun autre,
mais qu’a ceux qui n’ont point de remede, il se resout soudain
à la souffrance: aAux autres, apres y auoiravoir ordonné les prouisiōsprovisions
necessaires,: ce qu’il peut faire promptement par la viuacitévivacité de
son esprit,: il attend en repos ce qui s’en peut suyuresuyvre. De vray,
ieje l’ay veu à mesme,: maintenant vneune grande nonchalanche &
liberté d’actions & de visage, au trauerstravers de bien grands affai-
res & espineux. IeJe le trouuetrouve plus grand & plus capable, en v-
neu-
ne mauuaisemauvaise qu’en vneune bonne fortune.⁁
Montaigne biffe entièrement cette addition avant de revenir sur sa décision en ajoutant le mot "Bon".
Bon
⁁ : ses pertes luy
sont plus glorieuses
que ses uictoiresvictoires,
et son deuil que
son triomphe.
Considerez, qu’aux
actions mesmes qui sont vaines & friuolesfrivoles, au ieujeu des eschets,
de la paume & semblables,: cet engagement aspre & ardant
d’vnun desir impetueus, iettejette incontinent l’esprit & les mem-
bres à l’indiscretion, & au troubledesordre.: OoOn s’esblouit on s’embar-
rasse soy-mesme. Celuy qui se porte plus moderéement en-
uersen-
vers le gain, & la perte, il est tousiourstousjours chez soy,: mMoins il se
pique & passionne au ieujeu, il le conduict d’autant plus auanta-
geusementavanta-
geusement & seurement. Nous empeschons au demeurant, la
prise & la serre de l’ame, à luy donner tant de choses à saisir.
Les vnesunes, il les luy faut seulemētseulement presenter, les autres attacher,
les autres incorporer. Elle peut voir & sentir toutes choses,
mais elle ne se doibt paistre que de soy: &Et doibt estre instrui-
cte de ce qui la touche proprement, & qui proprement est de
son auoiravoir & de sa substance. Les loix de nature nous aprenent
ce que iustementjustement, il nous faut. Apres que les sages nous ont
dict, que selon elle personne n’est indigent, & que chacūchacun l’est
selon l’opinion,: ils distinguent ainsi subtilement, les desirs
qui viennent d’elle, de ceux qui viennent du desreiglemētdesreiglement de
nostre fantasie.: CcCeux desquels on voit le bout, sont siēssiens, ceux
YYYYy ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui fuient deuantdevant nous, & desquels nous ne pouuonspouvons ioindrejoindre
la fin, sont nostres. La pauuretépauvreté des biens, est aisée à guerir, la
pauuretépauvreté de l’ame impossible. ⁁
⁁ Nam si, quod satis est homini, id satis esse potesset,
Hoc sat erat: nunc cum hoc non est, qui credimus porro
Diuitias ullas animum mi explere potesse?
Socrates uoiantvoiant porter en pompe par sa uilleville grande quantite de richesse ioieausjoieaus et
meubles de pris Combien de
choses dict il ieje ne
desire point.
Metrodorus viuoitvivoit du pois de
douze onces par iourjour, Epicurus à moins: Metroclez dormoit
en hyuerhyver auecavec les moutons, en esté aux cloistres des Eglises. ⁁
⁁ Sufficit ad id
natura, quod poscit.
Cleanthes uiuoitvivoit de ses
mains et se uantoitvantoit que
Cleanthes s’il uouloitvouloit
nourriroit encores un autre
Cleanthes.
Si ce que nature exactement, & originelement nous deman-
de pour la conseruationconservation de nostre estre, est trop peu, cōmecomme de
vray combien ce l’est, & combien à bon compte nostre vie se
peut maintenir, il ne se doibt exprimer mieux que par cette
consideratiōconsideration, que c’est si peu qu’il eschappe la prise & le choc
de la fortune, par sa petitesse: dispēsonsdispensons nous de quelque cho-
se plus outre, appellons encore nature, l’vsageusage & conditiōcondition de
chacun de nous, taxons nous, traitons nous à cette mesure, e-
standons nos appartenances & nos comptes iusquesjusques la. Car
iusquesjusques là, il me semble bien, que nous auonsavons quelque excuse.
L’accoustumance est vneune seconde nature, & non moins puis-
sante: ⁁
⁁ Ce qui manque a ma
coustume ieje tiens qu’il me
manque. Et
& pour mon humeur, ij’aymerois quasi esgalemētesgalement qu’ōon
m’ostat la vie, que si on me l’estausoitssimoit & retranchoit biēbien loing
de l’estat auquel ieje l’ay vescue si long temps. ⁁
⁁ Nobis personam imposuit
ipsa natura.
IeJe ne suis plus en
termes d’vnun grand changement, & de me ietterjetter à vnun nouueaunouveau
trein & inusité,. nNon pas mesme vers l’augmentation: iIl n’est
plus temps de deuenirdevenir autre. Et comme ieje plaindrois quelque
grande fortuneaduantureadvanture qui me tombast à cette heure entre mains,
de ce qu’elle ne seroit venuё en temps que ij’en peusse iouyrjouyr,
Quo mihi fortuna si non conceditur vti.:
Dans la mesure où l’addition interligne qui continue dans la marge basse remplace le texte imprimé biffé, y compris les deux premières lignes de la page suivante, elle s’insère au folio 455.
IieJje ne me reforme pareillement guere en sagesse pour l’vsageusage
& commerce du monde, sans regret que cet amendemētamendement me
soit arriuéarrivé si tard, que ieje n’aye plus loisir d’en vseruser: ieje n’ay d’o-
resenauantd’o-
resenavant besoing d’autre suffisance, que de patiēcepatience cōtrecontre la
mort & la vieillesse. A quoy faire vneune nouuellenouvelle science de vie,
à telle declinaison, & vneune nouuellenouvelle industrie à me conduire
en cette voye, ou ieje n’ay plus que trois pas à marcher.: Aaprenez
LIVRE TROISIESME.447455
voir la rhetorique à vnun homme relegué aux desers d’Arabie.
Il ne faut point d’art à la cheute.
IeJe me pleinderois de mesme de quelque acquest interne. Il uautvaut quasi mieus iamaisjamais que si tard deuenirdevenir
honeste home. Et bien entandu a uiurevivre lors qu’on n’a plus de uievie. Moi qui m’en uoisvois resignerois
facilement a quelqun qui uintvint, ce que ij’aprans de prudance pour le commerce du monde. Moustarde apres
disnersr. IeJe n’ay que faire du bien du quel ieje ne puis rien faire. A quoi la sciance a qui n’a plus
de teste. C’est iniureinjure et desfaueurdesfaveur de fortunfortune de nous offrir des presans qui nous remplissētremplissent de’un
iustejuste despit de nous auoiravoir failli en leur saison. Ne me guidez plus ieje ne puis plus aller. De tant
de membres qu’a la suffisance la patiance nous suffit. Donez la capacité d’un excellant dessus
au chantre qui a les
poulmons pourris. et d’eloquance a l’heremite releguè aus desers d’Arabie. Il ne faut point
d’art a la chute. La fin se treuuetreuve d’elle mesmesde soi au bout de chaque besouigne. Mon monde est
failli ma forme est uuideevuidee. IeJe suis tout du passé. Et suis tenu de l’authoriser & d’y cōformerconformer mon
issue. IeJe ueusveus dire ceci. que leclipsemantl’eclipsemant nouueaunouveau des dix ioursjours du pape m’ont prins si bas
que ieie ne m’en puis bonement acoustrer. IeJe suis des annees aus quelles nous contions autremant. Un
si antien & long usage me uendiquevendique et rapelle a soi. Ie suis contreint d’estre un peu heretique
par la. Incapable de nouuelleténouvelleté mesmes correctiuecorrective. Mon imagination ⁁ en despit de mes dents se iettejette tousiourstousjours dix
ioursjours plus auantavant ou plus arriere ⁁ ⁁ Et groumelle a mes oreilles entre mes dens: Cette regle touche dict elle ceus qui ont a
estre. Si la santè mesme si sucree uientvient a me retrouuerretrouver par boutades, c’est pour me doner
regret plus tost que possession de soi. IeJe n’ay plus ou la retirer. Le temps me laisse.
Sans lequelluy rien ne se possede. O que ieje ferois peu d’estat de ces grandes dignitez
eslectiueseslectives que ieje uoisvois au monde qui ne s’e offrentdonent qu’aus homes decrepitsesqui sens’en uontvont pretz a partir: ausquelles
on ne regarde pas tant, combien deuëment on les exercera, que combien peu longuemātlonguemant on les exercera: des
l’entrée on vise à l’issue.
SōmeSomme ieje suisme uoicyvoicy apres à acheuerachever
cet homme, non à en refaire vnun autre. Par long vsageusage, cette
forme m’est passée en substance, & fortune en nature. IeJe dis
donc, que chacun d’ētreentre nous foibletsz, est excusable d’estimer
siēsien, ce qui est cōpriscompris soubs cette mesure. Mais aussi au delà de
ces limites, ce n’est plus que confusion: c’C’est la plus large estā-
dueestan-
due que nous puissions octroier à nos droicts. Plus nous am-
plifions nostre besoing & possession, d’autant plus nous en-
gageons nous aux coups de la fortune, & des aduersitezadversitez. La
carriere de nos desirs doit estre circonscripte, & restraincte, à
vnun court limite, des commoditez les plus proches & conti-
gues,: &Et doit en outre leur course, se manier non en ligne droi-
te, qui face bout ailleurs, mais en rond, duquel les deux poin-
tes se tiennēttiennent & terminent en nous, par vnun brief contour. Les
actions qui se conduisent sans cette reflexion, s’entend voisi-
ne reflexion & essentielle, comme sont celles des auaritieuxavaritieux,
des ambitieux, & tant d’autres qui courent de pointe, des-
quels la course les emporte tousiourstousjours deuantdevant eux, ce sont a-
ctions vaineserronees & maladiuesmaladives. La plus part de nos vacations sont
farcesques, mMundus vniuersus exercet histrioniam. Il faut iouerjouer
deuement nostre rolle, mais comme rolle d’vnun personnage
emprunté. Du masque & de l’apparence, il n’en faut pas faire
vneune essence réelle, ny de l’estranger le propre. Nous ne sça-
uonssça-
vons pas distinguer la peau de la chemise. ⁁
-
⁁ C’est asses de
s’enfariner le uisagevisage,
sans s’enfariner la
poictrine.
IJ’en vois qui se
transforment & se transsubstantient, en autant de nouuellesnouvelles
figures, & de nouueauxnouveaux estres, qu’ils entreprennētentreprennent de charges:
&Et qui se prelatent iusquesjusques au foye & aux intestins: &Et entrei-
nent leur office iusquesjusques en leur garderobe. IeJe ne puis leur ap-
prēdreap-
prendre à distinguer les bōnetadesbonnetades, qui les regardent,: de celles
qui regardent leur commission, ou leur suite, ou leur mule.
Tantum se fortunae permittunt, etiam vt naturam dediscant. Ils en-
YYYYy iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
flent & grossissent leur ame, & leur discours naturel à la hau-
teur de leur siege magistral. Le Maire & Montaigne, ont tous-
iourstous-
jours esté deux d’vneune separation bien claire. Pour estre aduo-
catadvo-
cat ou financier, il n’en faut pas mesconnoistre, la fourbe, qu’il
y à en telles vacations. VnUn honneste homme, n’est pas com-
ptable du vice ou sottise de son mestier, & ne doibt pourtant
en refuser l’exercice: cC’est l’vsageusage de son pays, & il y a du prof-
fict: iIl faut viurevivre du monde, & s’en paistrepreualoirprevaloir, tel qu’on le trouuetrouve.
Mais le iugementjugement d’vnun Empereur, doit estre au dessus de son
empire, & le voir & considerer, comme accident estranger:
&Et luy, doit sçauoirsçavoir iouyrjouyr de soy à part, & se communicquer
comme IacquesJacques & Pierre: au moins à soymesmes. IeJe ne sçay
pas m’engager si profondement, & si entier. Quand ma volō-
tévolon-
té me donne à vnun party, ce n’est pas d’vneune si violente obliga-
tion, que mon entendemētentendement s’en infecte. Aus dissentions pre-
sentespresens
brouillis de cet estat, mon interest ne m’a faict mesconnoistre,
n’yny les qualitez louables en mesnos aduersairesadversaires, ny celles qui sont
reprochables en ceux que ij’ay suiuysuivy. ⁁
⁁ Isls adorent tout
ce qui est de leur
coste: moy ieje
n’excuse pas
seulemant la plus
part des fauteschoses
que ij’y uoisvois.ieje uoisvois du mien. Un bon
courage ne pert pas ses
graces pour pleider
contre ma cause.
Hors le neud du debat, ieje
me suis maintenu en equanimité, & pure indifferēceindifference. ⁁ ⁁ Neque extra necessitates belli praecipuum odium gero. Dequoy
ieje me gratifie, d’autant que ieje voy communément faillir au
contraire. ⁁ ⁁ Vtatur motu animi qui uti ratione non potest.Cette citation est absente de l’édition de 1595. Ceux qui alongētalongent leur cholere, & leur haine au delà
des affaires, comme faict la plus part, montrent qu’elle leur
part d’ailleurs, & de cause particuliere: tTout ainsi comme, à
qui estant guary de son vlcereulcere, la fiéurefiévre demeure encore, mon-
tre qu’elle auoitavoit vnun autre principe plus internecaché. ⁁
⁁ C’est qu’ils en n’en ont point a la cause en commun: et en tant qu’elle blesse
l’interest de tous & de l’estat. Mais luy en ueulentveulent sulement en ce qu’elle leur
mache en priuéprivé. Voila pourquoi ils s’en piquent de passion particuliere et
au dela de la iusticejustice & de la raison publique. Non tam omnia uniuersi,
quam ea quae ad quemque pertinent singuli carpebant.
IeJe veux que
l’auantageavantage soit pour nous: mais ieje ne forcene point s’il ne l’est. ⁁
⁁ IeJe me prans
fermemant au
plus sain des partis.
Mais ieje n’affecte pas
qu’on me remarque
specialement, enemy
des autres, et outre
la raison generalle.
IJ’accuse merueilleusemētmerveilleusement
cette uitieusevitieuse forme d’opiner.
Il est de la ligue car il
faict cas du corage et
deadmire la grace de monsieur de Guise. L’actiuetéactiveté la courtoisie du Roy de NauarreNavarre luy plaisentt’estone, il est Huguenot.
Il treuuetreuve ceci a dire aus meurs du Roy, il est seditieus en son ceur. Et ne concedaiy pas au magistrat
mesme, qu’il eut raison de condamner un liurelivre pour auoiravoir logè entre les meillurs poëtes de ce
siecle, un heretique. N’oserions nous dire d’un uolurvolur qu’il ha belle greuegreve. ⁁
⁁ faut il si elle est putain qu’elle soit aussi punese ⁁
La suite de ce passage à laquelle renvoi le signe en forme de croix se trouvait sans doute sur un papillon désormais disparu. La restitution qui suit vient de l’édition de 1595.
⁁ Aux siecles plus sages, reuoquarevoqua-on le superbe tiltre de Capitolinus, qu’on auoitavoit aupara-
uantaupara-
vant donné à Marcus Manlius, comme conseruateurconservateur de la religion & liberté
publique? Estouffa-on la memoire de sa liberalité, & de ses faicts d’armes, &
recompenses militaires ottroyées à sa vertu, par ce qu’il affecta depuis la
Royauté, au preiudiceprejudice des loix de son pays?
S’ils ont pris en heine un auocatavocat
l’endemain il leur deuientdevient ineloquant. IayJ’ay touchè ailleurs le zele qui poussa des gens de bien a
semblables errursfautes. Pour moi, ieje sçai bien dire, il faict meschammant cela, et uertueusemantvertueusemant ceci.
De mesme, aus prognostiques ou euenemansevenemans sinistres des affaires, ils ueulentveulent que chacun en son
parti soit aueugleaveugle et hebeté: que nostre persuasion et iugementjugement serueserve non a la ueritèveritè mais au
proietprojet de nostre desir. IeJe faudrois plus tost uersvers lautrel’autre extremitè, tant ieje creins que mon desir
ne me suborne. IouintJouint que ieje me desfie un peu tendrement des choses que ieje souhete. ⁁
⁁ IJ’ai ueuveu de mon temps merueillesmerveilles en l’indiscrete & monstrueuseprodigieuse facilitè des peuples a se
laisser mener et manier la creance & lesperancel’esperance ou il a pleu et seruiservi a leurs chefs: par dessus cent
mescontes reiterez,les uns sur les autres, par dessus les fantosmes et les songes. IeJe ne m’estone plus de ceus que les
singeries d’Apollonius et de Mehumet enbufflarent. Leur sens et entandemātentandemant est entieremant
estouffè en leur passion. Leur discretion n’a plus d’autre chois que ce qui leur rit et qui conforte leur
cause. IJ’auoiavoi ueuveu cela excellammantremarqué souuereinemantsouvereinemant cella au premier de nos partis fieureusfievreus. Cet autre qui est nai
despuis en l’imitant le surmonte. Par ou ieje m’aduiseadvise que c’est une qualité inseparable des errurs populeres.
Apres la premiere qui branlepart les opinions s’entrepoussent suiuantsuivant le uantvant come les flots. On n’est pas
du cors si on s’en peut desdire, si on ne uaguevagueuaguevague uaguevague le trein commun. ⁁ ⁁ Mais certes Oon faict tort aus partis iustesjustes quand
on les ueutveut secourir de fourbes. IJ’y ai tousiourstousjours contredit. Le moien ne porte qu’enuersenvers les testes malades
enuersenvers les seines, il y a des uoiesvoies plus seures et non sulemant plus honestes, a meintenir les corages et excuser les
accidents contraires.
Le ciel n’a point veu vnun si poisant desaccord, que celuy de Cae-
sar, & de Pompeius, ny ne verra pour l’adueniradvenir. Toutesfois il
me semble reconnoistre en ces belles ames, vneune grande mo-
deration de l’vnun enuersenvers l’autre. C’estoit vneune ialousiejalousie d’hōneurhonneur
& de commandement, qui ne les emporta pas à haine furieu-
se & indiscrete, sans malignité & sans detractiōdetraction. En leurs plus
LIVRE TROISIESME.448456
aigres exploits, ieje descouuredescouvre quelque demeurant de respect,
& de bien-ueuillanceveuillance, &Et iugejuge ainsi, que s’il leur eust esté pos-
sible, chacun d’eux eust desiré de faire son affaire sans la ruyne
de son compaignon, plustost qu’auecavec sa ruyne. Combien au-
trement il en va de Marius, & de Sylla: pPrenez y garde. Il ne
faut pas se precipiter si esperduement apres nos affections, &
interests. Comme estant ieunejeune, ieje m’opposois au progrez de
l’amour, que ieje sentoy trop auāceravancer sur moy, & estudiois qu’il
ne me fut si aggreable, qu’il vint à me forcer en fin, & capti-
uercapti-
ver du tout à sa mercy. IeJe faictsIJ’en use de mesme à toutes autres oc-
casions, ou ma volonté se prend, ⁁ ⁁ aueqaveq trop d’appetit:. iIejJe me panche à l’opposite de
son inclination, comme ieje la voy se plonger, & enyurerenyvrer de son
vin: iIejJe fuis à nourrir son plaisir si auantavant, que ieje ne l’en puisse
plus r’auoiravoir, sans perte sanglātesanglante. Les ames qui par stupidité ne
voyētvoyent les choses qu’à demy, iouyssentjouyssent de cet heur que les nui-
sibles les blessent moins: cC’est vneune ladrerie spirituelle, qui a
quelque air de santé,: & telle santé, que la philosophie ne mes-
prise pas du tout. Mais pourtant ce n’est pas raison de la nom-
mer sagesse, ce que nous faisons souuentsouvent: &Et de cette maniere
se moqua quelqu’vnun anciennement de Diogenes, qui alloit
embrassant en plain hyuerhyver tout nud, vneune image de neige pour
l’essay de sa patience: cCeluy-là le rencontrant en cette démar-
che,. aAs tu grand froid à cette heure, luy fitdict-il,: du tout poinct,
respond Diogenes: oOr suyuitsuyvit l’autre, que penses-tu donc faire
de difficile, & d’exemplaire à te tenir là. Pour mesurer la con-
stance, il faut necessairement sçauoirsçavoir la souffrance: mMais les a-
mes qui auront à voir les euenementsevenements contraires, & les iniuresinjures
de la fortune, en leur profondeur & aspreté,: qui auront à les
poiser & gouster, selon leur aigreur naturelle, & leur charge,:
qu’elles employent leur art, à se garder d’en enfiler les causes,:
& en destournent les aduenuesadvenues. Que fit le Roy Cotys,: il paya
liberalemētliberalement la belle & riche vaisselle qu’ōon luy auoitavoit presentée:
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mais parce qu’elle estoit singulierement fragile, il la cassa inconti-
nent luy-mesme, pour s’oster de bonne heure vneune si aisee, ma-
tiere de courroux contre ses seruiteursserviteurs. ⁁
⁁ Pareillement ij’ai
volontiers euitéevité de
n’auoiravoir mes affaires
confus et les biens uoisinsvoisins
aueqaveqn’ay cherche que mes biens contigusfussent
contigus a mes proches: et ceus
a qui ij’ay a me iouindrejouindre
d’un’estroite amitie: doud’ou
naissent ordineremant
matieres d’alienation et
dissantion.
IJ’aymois autresfois
les ieuxjeux hazardeux des cartes & dets,: ieje m’en suis deffaict, il y à
long temps, pour cela seulement, que quelque bonne mine
que ieje fisse en ma perte, ieje ne laissois ⁁ ⁁ pas d’en auoiravoir au dedans de la
cuison, & de la piqueure. VnUn homme d’honneur, qui doit sen-
tir vnun desmentir, & vneune offence iusquesjusques au coeur, ⁁ ⁁ qui n’est pour prendre une sottise en paiemant et consolation de sa perte qu’il euiteevite le
progrez ⁁ ⁁ des affaires doubteus et des altercations contentieuses. IeJe fuis les complexiōscomplexions
tristes, & les hommes hargneux, comme les empestez,: &Et aux
propos que ieje ne puis traicter sans interest, & sans emotion, ieje
ne m’y mesle si le deuoirdevoir ne m’y force. ⁁
-
⁁ Melius non inci=
pient, quam desinētdesinent.
La plus seure façon est
donc, se preparer auantavant les occasions. IeJe sçay bien qu’aucuns
sages, ont pris autre voye,: & n’ont pas crainct de se harper &
engager iusquesjusques au vif, à plusieurs obiectsobjects. Ces gens là s’asseu-
rent de leur force, soubs laquelle ils se mettent à couuertcouvert en
toute sorte de succez enemis,: faisant luicter les maux, par la
vigueur de la patience:
velut rupes vastum quae prodit in aequor,
Obuia ventorum furiis, expostáque ponto,
Vim cunctam atque minas perfert coelíque marisque,
Ipsa immota manens.
N’ataquons pas ces exemples,: nous n’y arriuerionsarriverions poinct. Ils
s’obstinent à voir resoluement, & sans se troubler, la ruyne de
leur pays, qui possedoit & commandoit toute leur volonté.
Pour nos ames communes, il y à trop d’effort, & trop de ru-
desse a cela. Caton en abandonna la plus noble vie, qui fut
onques. A nous autres petis, il faut fuyr l’orage de plus loing:
iIl faut pouruoerpourvoer au sentiment non a la patience, &Et escheuereschever
aux coups que nous ne sçaurions parer. ⁁
⁁ Zenon s’estant leueleve sur ce que
le iunejune garsChremonidez duquel
il estoit amoureus se uenoitvenoit
aupres de luy:Zenon uoiantvoiant aprocher
Chremonidez iunejune home qu’il
aimoit pour se soir aupres de luy
se leualeva soudein: Et CleātheCleanthe
luy en demādantdemandant la
raison: IJ’entans dict il
que les medecins ordonent le repos a toutes tumurs principalement,
& defandent l’emotion a toutes tumeurs.
Socrates ne dit point.
ne vous rendez pas aux attraicts de la beauté, soustenez la, ef-
forcez vous au contraire: il n’espere point que la ieunessejeunesse en
puisse
LIVRE TROISIESME.449457
puisse venir à bout. Fuyez là, faict-il, courez hors de sa veuё
& de son rencōtrerencontre, comme d’vneune poison puissante qui s’eslan-
ce & frappe de loing. ⁁
⁁ Et son discisbon disciple
feignant ou recitant
mais a mon auisavis recitant
plus tost que feignant
les rares perfections de
ce grand Cyrus le fait
desfiant de ses forces a
porter les attraits de la
diuinedivine beaute de cette
illustre Panthee sa
prisoniere de guerre
captiuecaptive et en commetant
la uisitevisite et garde a un
autre qui eut moins de
libertè que luy.
Et le sainct Esprit de mesme, ne nos indu-
cas in tentationem. Nous ne prions pas que nostre raison ne soit
combatue & surmontée par la concupiscence,: mMais qu’elle
n’en soit pas seulement essayée: qQue nous ne soyons conduits
en estat ou nous ayons seulement à souffrir les approches so-
licitations, & tentations du peché: &Et suppliōssupplions nostre seigneur
de maintenir nostre conscience tranquille, plainemētplainement & par-
fectement deliuréedelivrée du commerce du mal. ⁁
⁁ Ceus qui disent auoiravoir
raison de leur passion
uindicatiuevindicative ou de
quelqu’autre espece de
passion penible disent
souuantsouvant uraivrai come les
choses sount, mais non pas
come elles furent. Ils parlent
a nous lors que les causes de
leur errur sont nourries
et auanceesavancees par eus=
mesmes. Mais reculez
plus arriere, r’apeles
ces causes a leur principe
la, uousvous les pranderes
sans uertvert. Veulent ils
que leur faute soit
moindre pour estre plus
uieillevieille: et que d’un
iniusteinjuste comancement la
suite soit iustejuste.
Qui desirera du biēbien
à son païs comme moy, sans s’en vlcererulcerer ou maigrir,: il sera des-
plaisant, mais nōnon pas transi, de le voir menassant, ou sa ruyne,
ou vneune durée non moins ruyneuse. PauurePauvre vaisseau que les
flots, les vents, & le pilotte, tirassent à si contraires desseins:
in tam diuersa, magister,
Ventus & vnda trahunt.
Qui ne bee poinct apres la faueurfaveur des princes, comme apres
chose dequoy il ne se sçauroit passer,: ne se pique pas beau-
coup de la froideur de leur recueil, & de leur visage, ny de l’in-
constance de leur volonté. Qui ne couuecouve point ses enfans,
ou ses honneurs, d’vneune propension tyranniqueesclaueesclave,: ne laisse pas
de viurevivre commodéement apres leur perte. Qui fait bien prin-
cipalement pour sa propre satisfaction,: ne s’altere guere
pour voir les hommes iugerjuger de ses actions contre son merite.
VnUn quart d’once de patience, pouruoitpourvoit à tels inconuenientsinconvenients.
IeJe me trouuetrouve bien de cette recepte,: me rachetant des com-
mencemens, au meilleur conte que ieje puis, &Et me sens auoiravoir
eschapé par son moyen beaucoup de trauailtravail & de difficultez.
AuecAvec bien peu d’effort, ij’arreste ce premier branle de mes es-
motions,: &Et abandonne l’affairele subiectsubject qui me commence à poiser,
& auantavant qu’il m’emporte. ⁁
⁁ Qui n’arrete le partir,
n’a garde d’arreter lea
courirse. Qui ne sçait leur
fermer la porte ne les chassera
pas entrees. Qui ne peut uenirvenir a
bout du comancemant n’en uienderaviendera pas de
a bout de la fin. Ny n’en soustiendera la chute qui
n’en a peu soustenir l’esbranlemant. Ubi
semel a ratione discessum est Etenim ipsae se impellunt,
ubi semel a ratione discessum est: ipsaque sibi imbecil=
litas indulget, in altumque prouehitur imprudens: neque
nec reperit locum consistendi.
IeJe sens à temps, les petis vents qui
ZZZZz
ESSAIS DE M. DE MONTA.
me viennent taster & bruire au dedans, auantcoureusavantcoureus de la
tempeste: Animus multo antequam opprimatur, quatitur.
ceu flamina prima
Cum deprensa fremunt Ssyluis, & caeca volutant
Murmura, venturos nautis prodentia ventos.
A cōbiencombien de fois me suis-ieje faict vneune bien euidenteevidente iniusticeinjustice,
pour fuir le hazard de la recepuoirrecepvoir encore pire des iugesjuges,
apres vnun siecle d’ennuys, & d’ordes & viles pratiques, plus en-
nemies de mon naturel, que n’est la geine & le feu. ⁁
⁁ Conuenit a litibus quantum
licet et nescio an paulo plus
etiam quam licet abhorrētemabhorrentem
esse. Est enim non modo
liberale, paululum nonumquānonumquam
de suo iure decidere, sed
interdum etiam fructuo sum,
Si nous estions bien sages nous
nous deurionsdevrions reiouirrejouir et uantervanter
comeainsi que iouisj’ouis un iourjour biēbien naïfuementnaïfvement
un enfant de grande maison
faire feste a chacun tres plaisammātplaisammant de
quoi sa mere uenoitvenoit de perdre son
proces come sa tous sa fieurefievre ou
autre chose d’importune garde.
Les faueursfaveurs mesme que la
fortune pouuoitpouvoit m’auoiravoir
donne parantez & acointācesacointances
enuersenvers ceus qui ont
souuereinesouvereine authorite en
ces choses la ij’ay beaucoup
faict selon ma consciance de
fuir instammant de les
emploïer au preiudiceprejudice d’autruy
en fin, ij’ay etet a ne monter par
dessus leur droicte ualurvalur
mes droicts. En fin ij’ay
IJ’ay tant
faict par mes iournéesjournées, à la bonne heure le puisse-ieje dire, que
me voicy encore vierge de procés,. qQui n’ont pas laissé de se cō-
uiercon-
vier à plusieurs fois à mon seruiceservice, par bien iustejuste titre, si ij’eus-
se voulu y entendre. Et vierge de querelles: iIjJ’ay sans offence de
pois passiuepassive ou actiueactive, escoulé tantost vneune longue vie: &Et sans
auoiravoir ouy pis que de mon nom: rRare grace du ciel. Nos plus
grandes agitations ont des ressorts & causes ridicules. Com-
bien encourut de ruyne nostre dernier Duc de Bourgongne,
pour la querelle d’vneune charretée de peaux de mouton. Et l’en-
graueureen-
graveure d’vnun cachet, fut-ce pas la premiere & maistresse cau-
se du plus horrible crollement, que cette machine aye on-
ques souffert. : cCar Pompeius & Caesar, ce ne sont que les re-
iettonsre-
jettons & la suitte des deux autres. Et ij’ay veu de mon temps,
les plus sages testes de ce Royaume, assemblées auecavec grande
ceremonie, & publique despence, pour des negocestraictez & ac-
cords, desquels la vraye decision despendoit ce pendant en
toute souuerainetésouveraineté, des deuisdevis du cabinet des dames, & inclina-
tiōinclina-
tion de quelque fammelette. ⁁
⁁ Les poëtes ont bien entandu
cela qui ont mis pour n une
pomme la graece et l’asie a feu
& a sang.
Regardez pourquoy celuy-là s’en
va courre fortune de son hōneurhonneur & de sa vie, à tout son espée
& son poignart,: qu’il vous die d’où viētvient la source de ce debat,:
il ne le peut faire sans rougir, tant l’occasion en est vaine, &
friuolefrivole. A l’enfourner il n’y va que d’vnun peu d’auisementavisement, mais
depuis que vous estes embarqué toutes les cordes tirent. Il y
LIVRE TROISIESME.450458
faict besoing grandes prouisionsprovisions, bien plus difficiles & im-
portantes. ⁁
-
⁁ De combien il est plus
aise de n’y entrer pas,
que d’en sortir. Entreprenez
lachement disoit Bias
et poursuiuespoursuives chaudement.
Or il faut proceder au rebours du roseau, qui pro-
duict vneune longue tige & droicte, de la premiere venue,: mais a-
pres, comme s’il s’estoit alanguy & mis hors d’haleine, il vient
à faire des neuds frequens & espais,: comme des pauses, qui
montrent qu’il n’a plus cette premiere vigueur & constance.
Il faut plustost commencer bellement & froidement,: & gar-
der son haleine & ses vigoureux eslans, au fort & perfectiōperfection de
la besongne. Nous guidōsguidons les affaires en leurs cōmencemenscommencemens,
& les tenōstenons à nostre mercy: mais par apres quādquand ils sont esbrā-
lezesbran-
lez, ce sont eux qui nous guident & emportent,: & auonsavons à
les suyuresuyvre. ⁁
⁁ Pourtant n’est ce pas
a dire que ce cōseilconseil m’aye
descharge de toute difficulté;
Et que ieje n’aye eu de la peine ⁁ ⁁ souuantsouvant a
gourmer & brider souuantsouvant mes
passions. Elles ne se gouuernentgouvernent
pas tousiourstousjours selon la mesure
des occasions: et ont des esla leurs
entrees mesmes souuantsouvant aspres
et uiolantesviolantes. Tant y a qu’il
s’en tire une belle espargne et
du fruit: sauf pour ceus qui
au bien faire ne se contantent
de nul fruit si la reputation en
est a dire. Car a la ueriteverite un
tel effaict n’est en conte qu’a
soy chacun en soy. Vous en estes
certes plus contant mais non
plus estimé: uousvous estant
reforme auantavant que d’estre
en danse, & que la matiere
fut en ueuëveuë. Toutesfois
aussi, non en ceci sulement
mais en tous autres deuoirsdevoirs
de la uievie la route de ceus
qui uisentvisent a l’honur est bien
diuersediverse a ceuslle quie setienent ceus qui
se proposētproposent lordrel’ordre & la raison.
IJ’en trouuetrouve, qui se mettent inconsideréement &
furieusemētfurieusement en lice, & s’alentissent en la course. Comme Plu-
tarque dict, que ceux qui par le vice de la mauuaisemauvaise hōtehonte, sont
mols & faciles à accorder quoy qu’on leur demande, sont fa-
ciles apres à faillir de parole, & à se desdire: pPareillement qui
entre legerement en querelle, est subiectsubject d’en sortir aussi lege-
rement. Cette mesme difficulté qui me garde de l’entamer,
m’inciteroit, quand ieje serois esbranlé & eschauffé. C’est vneune
mauuaisemauvaise façon,: dDepuis qu’on y est, il faut aller ou creuercrever: ⁁
-
⁁ Entreprenes
lachement disoit
Bias, mais
poursuiuezpoursuivez
chaudement.
dDe
faute de prudence, on retombe en faute de coeur, qui est en-
core moins supportable. La pluspart des accords de nos que-
relles du iourdjourd’huy sont honteux & menteurs: nNous ne cer-
chons qu’à sauuersauver les apparences,: & trahissons cependant, &
desaduouonsdesadvouons nos vrayes intentions. Nous plastrons le faict:
nNous sçauonssçavons comment nous l’auonsavons dict, & en quel sens, &
les assistans le sçauentsçavent, & nos amis à qui nous auonsavons voulu fai-
re sentir nostre auantageavantage. C’est aux despens de nostre franchi-
se & de l’hōneurhonneur de nostre courage, que nous desaduouōsdesadvouons no-
stre pensée, & cerchōscerchons des conillieres en la fauceté, pour nous
accorder. Nous nous desmentons nous mesmes, pour sau-
ZZZZz ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
uerver vnun desmentir q̄que nous auonsavons dōnédonné à vnun autre. Il ne faut pas
regarder si vostre action ou vostre parole, peut auoiravoir autre in-
terpretatiōin-
terpretation,: c’est vostre vraie & sincere interpretatiōinterpretation, qu’il faut
meshuy maintenir, quoy qu’il vous couste. On parle à vostre
vertu, & à vostre conscience: ce ne sont pas parties à mettre en
masque. Laissons ces vils moyens, & ces expediens, à la chica-
ne du palais. Les excuses & reparations, que ieje voy faire tous
les ioursjours, pour purger l’indiscretion, me semblent plus laides
que l’indiscretion mesme. Il vaudroit mieux l’offencer enco-
re vnun coup, que de s’offencer soymesme en faisant telle a-
mende à son aduersaireadversaire. Vous l’auezavez brauébravé esmeu de cholere,
& vous l’alles rapaiser & flatter en vostre froid & meilleur
sens: ainsi vous vous soubmettez plus que vous ne vous e-
stiez aduancéadvancé. IeJe ne trouuetrouve aucun dire si vicieux à vnun gentil-
homme, comme le desdire me semble luy estre honteux,:
qQuand c’est vnun desdire, qu’on luy arrache par authorité:
dD’autant que l’opiniastreté luy est plus excusable, que la pu-
sillanimité. Les passions me sont autant aisees à euitereviter, com-
me elles me sont difficiles à moderer. ⁁
-
⁁ Abscinduntur faci=
lius animo quam
temperantur. On les
arrache plus aiseemātaiseemant
de lamel’ame qu’on ne less
bride. Abscinduntur
facilius animo quam
temperantur
Qui ne peut atteindre à
cette noble impassibilité Stoicque, qu’il se sauuesauve au giron de
cette mienne stupidité populaire. Ce que ceux-là faisoient
par vertu, ieje me duits à le faire par complexion. La moyenne
region loge les tempestes,: les deux extremes, des hommes
philosophes, & des hommes ruraus, concurrent en tranquil-
lité & en bon heur,
Foelix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes & inexorabile fatum
Subiecit pedibus, strepitúmque Acherontis auari.
Fortunatus & ille, Deos qui nouit agrestes,
Panáque syluanúmque senem, nymphásque sorores.
De toutes choses les naissances sont foibles & tendres. Pour-
tant faut-il auoiravoir les yeux ouuertsouverts aux commencements,. cCar
LIVRE TROISIESME.451459
comme lors en sa petitesse, on n’en descouuredescouvre pas le dan-
gier,: quand il est accreu, on n’en trouuetrouvedescouuredescouvre plus le remede. IJ’eusse
rencontré vnun million de trauersestraverses tous les ioursjours, plus mal ay-
sées à digerer, au cours de l’ambition, qu’il ne m’a esté malaysé
d’arrester l’inclination naturelle qui m’y portoit,.
iure perhorrui,
Late conspicuum tollere verticem.
Toutes actions publiques sont subiectessubjectes à incertaines & di-
uersesdi-
verses interpretations,. cCar trop de testes en iugentjugent. AucūsAucuns di-
sent de cette miēnemienne occupation de ville (& ieje suis contētcontent d’en
parler vnun mot, non qu’elle le vaille, mais pour seruirservir de patronmontre
de mes meurs en telles choses) que ieje m’y suis porté en hom-
me qui s’esmeut trop laschement, & d’vneune affection languis-
sante: &Et ils ne sont pas du tout esloignez d’apparence. IJ’essaie
à tenir mon ame & mes pensées en repos, ⁁ ⁁ cum semper natura tum etiam aetate iam quietus. &Et si elles se desbau-
chent par fois à quelque impression rude & penetrante, c’est
à la verité sans mon conseil. De cette langueur naturelle, on ne
doibt pourtant tirer aucune preuuepreuve d’impuissance: cCar faute
de soing & faute de sens ce sōtsont deux choses: &Et moins de mes-
cognoissance & ingratitude enuersenvers ce peuple, qui employa
tous les plus extremes moyens qu’il eust en ses mains à me
gratifier, & auātavant m’auoiravoir cogneu, & apres. Et fit biēbien plus pour
moy en me redonnant ma charge, qu’en me la donnant pre-
mierement. IeJe luy veux tout le bien qui se peut,. &Et certes si
l’occasion y eust esté, il n’est rien que ij’eusse espargné pour
son seruiceservice. IeJe me suis esbrāléesbranlé pour luy, comme ieje faicts pour
moy-mesme. C’est vnun bon peuple, guerrier & genereux,: ca-
pable pourtant d’obeyssance & discipline, & de seruirservir à quel-
que bon vsageusage s’il y est bien guidé. Ils disent aussi, cette mien-
ne vacation s’estre passée sans marque & sans trace. Il est bon,.
oOn accuse ma cessation, en vnun temps, ou quasi tout le monde
estoit conuaincuconvaincu de trop faire. IJ’ay vnun agir esmeu,trepignant, ou la vo-
ZZZZz iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
lonté me tirecharrie, mMais cette pointe est ennemye de perseuerāceperseverance:
Qui se voudra seruirservir de moy selon moy, qu’il me donne des
affaires ou il face besoing de la vigueur & de la liberté,: qui
ayent vneune conduitte droicte, & courte,: & encores hazardeu-
se, ij’y pourray quelque chose: sS’il la faut longue, subtile, labo-
rieuse, artificielle, & tortue, il faira mieux de s’adresser à quel-
que autre. Toutes charges importantes ne sont pas difficiles.
IJ’estois preparé à m’embesongner plus rudement vnun peu, s’il
en eust esté grand besoing. Car il est en mon pouuoirpouvoir de faire
quelque chose plus que ieje ne fais, & que ieje n’ayme à faire. IeJe
ne laissay que ieje sçache, aucun mouuementmouvement que le deuoirdevoir re-
quist en bon escient de moy: iIjJ’ay facilement oublié ceux, que
l’ambitiōambition mesle au deuoirdevoir, & couurecouvre de son titre. Ce sōtsont ceux,
qui le plus souuantsouvant remplissent les yeux & les oreilles, & con-
tentent les hommes. Non pas la chose, mais l’apparence les
paye. S’ils n’oyent du bruict il leur semble qu’on dorme. Mes
humeurs sont contradictoires aux humeurs bruyantes. IJ’ar-
resterois bien vnun trouble sans me troubler,: & chastierois vnun
desordre sans alteration. Ay-ieje besoing de cholere & d’inflā-
matiōinflam-
mation, ieje l’emprūteemprunte, & m’en masque: mMes meurs sont mous-
ses, plustost fades qu’aspres. IeJe n’accuse pas vnun magistrat qui
dorme. pourueupourveu que ceux qui sont soubs sa main, dorment
quand & luy. Les loix dorment de mesme. Pour moy, ieje louё
vneune vie glissante, sombre & muette: ⁁ ⁁ neque summissam et abiectam, neque se efferentem. mMa fortune le veut ain-
si. IeJe suis nay d’vneune famille qui à coulé sans esclat, & sans tu-
multe,. &Et de longue memoire, particulierement ambitieuse
de preud’hommie. Nos hommes sont si formez à l’agitation
& ostentatiōostentation que la bonté, la moderation, l’equabilité, la cō-
stancecon-
stance, & telles qualitez mornes ⁁ ⁁ quietes & obscures ne se sentent plus.
Les corps raboteux se sentent,: les polis se manient imper-
ceptiblement. La maladie se sent, la santé peu ou point: nNy les
choses qui nous oignent, au pris de celles qui nous poignent.
LIVRE TROISIESME.452460
C’est agir pour sa reputation, & proffit particulier, non pour
le bien, de remettre à faire en la place, ce qu’on peut faire en la
chambre du conseil: &Et en plain midy, ce qu’on eust faict la
nuict precedente,: &Et d’estre ialouxjaloux de faire soy-mesme, ce que
son compaignon faict aussi bien. Ainsi faisoyent aucuns chi-
rurgiens de Grece, les operations de leur art, sur des eschauf-
faux à la veuё des passans, pour en acquerir plus de practique,
& de chalandise. Ils iugentjugent que les bons reiglemens ne se peu-
uentpeu-
vent gousterentendre qu’au son de la trompette. L’ambition n’est pas
vnun vice de petis compagnōscompagnons, & de tels efforts que les nostres.
On disoit à Alexandre, vostre pere vous lairra vneune grande do-
mination, aysée, & pacifique: ce garçōgarçon estoit enuieuxenvieux des vi-
ctoires de son pere, & de la iusticejustice de son gouuernementgouvernement. Il
n’eust pas voulu iouyrjouyr l’empire du monde, mollement & pai-
siblement. ⁁
⁁ Alcibiades en Platon
aime mieus mourir iunejune
beau par riche noble sçauantsçavant
que de se copar excellance que de s’arreter en
lestatl’estat de sa fortune.cette condition.
Cette maladie est à l’auantureavanture excusable en vneune
ame si forte & si plaine. Quand ces ametes naines & chetiueschetives
s’en vont enbabouynant, & pensent espēdreespendre leur nom, pour
auoiravoir iugéjugé à droict vnun affaire,: ou continué l’ordre des gardes
d’vneune porte de ville, ils en montrent d’autātautant plus le cul, qu’ils
esperent en hausser la teste. Ce menu bien faire, n’a ne corps
ne vie.: iIl va s’esuanouyssantesvanouyssant en la premiere bouche,: & ne se
promeine que d’vnun carrefour de ruё à l’autre. Entretenez en
hardiment vostre fils & vostre valet,. cComme cet antien, qui
n’ayātayant autre auditeur de ses loüanges, & consent de sa valeur,
se brauoitbravoit auecavec sa chambriere, en s’escriant,. ôO Perrete le galant
& suffisant homme de maistre que tu as. Entretenez vous en
vous-mesme au pis aller: cComme vnun conseillier de ma con-
noissance, ayātayant desgorgé vneune battelée de paragrafes, d’vneune ex-
treme contention, & pareille ineptie: s’estant retiré de la chā-
brecham-
bre du conseil, au pissoir du palais: fut ouy, marmotant entre
les dansdents tout conscientieusement: nNon nobis, Domine non nobis,
sed nomini tuo da gloriam. Qui ne peut d’ailleurs, si se paye de sa
ESSAIS DE M. DE MONTA.
bourse. La renommée ne se prostitue pas à si vil conte. Les a-
ctions rares & exemplaires à qui elle est deuё, ne souffriroient
pas la compagnie de cette foule immnnunmerable de petites a-
ctions iournalieresjournalieres. Le marbre esleueraeslevera vos titres tant qu’il
vous plaira, pour auoiravoir faict rapetasser vnun pan de mur, ou des-
croter vnun ruisseau public,: mais non pas les hommes qui ont
du sens. Le bruit ne suit pas toute bonté, si la difficulté & e-
strangeté n’y est ioinctejoincte. Voyre ny la simple estimation n’est
deuё à toute action qui n’ait de la vertu, selon les Stoїciens: &Et
ne veulent qu’on sçache seulement gré, à celuy qui par tem-
perance s’abstient d’vneune vieille chassieuse. ⁁
⁁ Ceus qui ont conu les
admirables qualites de
Scipion L’AprhicainAphricain refu=
sent la lo gloire que Panae=
tius luy done d’auoiravoir este
abstinant de dons: come
gloire non tant siene propre
comme de tout son siecle.
Nous auōsavons les vo-
luptez sortables à nostre fortune,: n’vsurponsusurpons pas celles de la
grandeur. Les nostres sont plus naturelles,. &Et d’autant plus so-
lides & seures, qu’elles sont plus basses. Puis que ce n’est par
conscience, aumoins par ambition refusons l’ambition: dDes-
daignons cette fainm de renommée & d’honneur, basse & be-
listresse, qui nous le faict coquiner de toute sorte de gēsgens,: ⁁
-
⁁ quae est ista laus quae
possit è macello peti:
par
moyens abiectsabjects, & à quelque vil pris que ce soit. C’est hontedeshoneur
d’estre ainsin, honnoré. AprenōsAprenons à n’estre non plus auidesavides, que
nous ne sommes capables de gloire. De s’enfler de toute actiōaction
vtileutile & innocente, c’est à faire à gens à qui elle est extraordi-
naire & rare,. iIls la veulent mettre, pour ce,le prix qu’elle leur couste.
A mesure, qu’vnun bon effect est plus esclatant, ieje rabats de sa
bonté, le soupçon en quoy ij’entre, qu’il soit produict, plus
pour estre esclatant, que pour estre bon. Estalé, il est à demy
vendu. Ces actions là ont bien plus de grace, qui eschapent de
la main de l’ouurierouvrier, nonchalamment & sans bruict, & que
quelque honneste homme choisit apres & releuereleve de l’ombre,
pour les pousser en lumiere,: à cause d’elles mesmes. ⁁
⁁ Mihi quidem lauda
biliora uidentur
omnia quae sine uendi=
tatione et sine populo
teste fiunt: dict le
plus glorieus home du
monde.
IeJe n’auoisavois
qu’a conseruerconserver & durer, qui sont effects sourds & insensibles.
L’innouationinnovation est de grand lustre,. mMais elle est interdicte en ce
temps, ou nous sommes pressez, & n’auonsavons à nous deffendre
que
LIVRE TROISIESME.453461
que des la nouuelleténouvelletés. ⁁
⁁ L’abstinance de faire est
souuantsouvant aussi genereuse que
le faire: mais ell’est moins au
iourjour: Et ce peu que ieje uausvaus est
quasi tout de ce costé la.
En somme,: les occasions en cette char-
ge ont suiuysuivy ma complexion,: dequoy ieje leur sçay tresbon
gré. Est-il quelqu’vnun qui desire estre malade pour voir son
medecin en besoigne,. &Et faudroit il pas foyter le medecin
qui nous desireroit la peste pour mettre son art en practique.
IeJe n’ay point eu cett’humeur inique & assez cōmunecommune, de desi-
rer q̄que le trouble & maladie des affaires de cette cité, rehaus-
sast & honnorat mon gouuernementgouvernement: iIjJ’ay presté de bon
cueur l’espaule à leur aysance & facilité. Qui ne me voudra
sçauoirsçavoir gré de l’ordre, de la douce & muette trāquillitétranquillité, qui
à accompaigné ma conduitte,: aumoins ne peut-il me priuerpriver
de la part qui m’en appartient par le titre de ma bonne for-
tune. Et ieje suis ainsi faict, que ij’ayme autant estre heureux
que sage,. &Et deuoirdevoir mes succez purement à la grace de Dieu,
qu’a l’entremise de mon operation. IJ’auoisavois assez disertemētdisertement
publié au monde mon insuffisance en tels maniemens pu-
bliq̄spu-
bliques,: iIjJ’ay encore pis que l’insuffisance: c’C’est qu’elle ne me
desplaict guiere, & que ieje ne cerche guiere à la guaerir, veu
le train de vie que ij’ay desseigné. IeJe ne me suis en cette occu-
pationentremise, non plus satisfaict à moy-mesme,. mMais à peu pres ij’en
suis arriuéarrivé à ce que ieje m’en estois promis,. &Et ay de beaucoup
surmonté ce que ij’en auoisavois promis à ceux à qui ij’auoisavois à fai-
re: cCar ieje promets volōtiersvolontiers vnun peu moins de ce que ieje puis,
& de ce que ij’espere tenir. IeJe m’asseure n’y auoiravoir laissé ny of-
fence ny haine: dD’y laisser regret & desir de moy, ieje sçay à tout
le moins bien cela, que ieje ne l’ay pas fort souhaité,: affectè.
me ne huic considere monstro,
Mene salis placidi vultum, fluctúsque quietos
Ignorare?
AAAAAa
ESSAIS DE M. DE MONT.
Des boyteux. CHAP. XI.
IL y a deux ou trois ans, qu’on acoursit l’an de dix
ioursjours en France. Combien de changemens doiuentdoiventdeuointdevoint
suyuresuyvre cette reformation: cCe fut proprement re-
muer le ciel & la terre à la fois: cCe neantmoins, il n’est riērien qui
bouge de sa place: mMes voisins trouuenttrouvent l’heure de leurs se-
mences,: de leur recolte,: l’opportunité de leurs negoces,:
les ioursjours nuisibles & propices,: au mesme point iustementjustement, où
ils les auoyentavoyent assignez de tout temps: nNy l’erreur ne se sentoit
en nostre vsageusage, ny l’amendement ne s’y sent: tTant il y a d’in-
certitude par tout: tTant nostre aperceuanceapercevance est grossiere. ⁁ ⁁ obscure et obtuse. On
dict que ce reiglemētreiglement se pouuoitpouvoit cōduireconduire d’vneune façon moins
incommode,. sSoustraiant à l’exemple d’Auguste, pour quel-
ques années, le iourjour du bissexte,: qui ainsi comme ainsin, est
vnun iourjour d’empeschemētempeschement & de trouble,: iusquesjusques à ce qu’on fut
arriuéarrivé à satisfaire exactement ce debte: cCe que mesme on n’a
pas faict, par cette correction,: & demeurōsdemeurons encores en arre-
rages de q̄lquesquelques ioursjours: &Et si par mesme moyen on pouuoitpouvoit
prouuoirprouvoir à l’adueniradvenir,: ordonnant qu’apres la reuolutiōrevolution de tel
ou tel nōbrenombre d’années, ce iourjour extraordinaire seroit tousiourstousjours
eclipsé: sSi que nostre mesconte ne pourroit dores en auantavant
exceder vingt & quatre heures. Nous n’auōsavons autre compte du
temps q̄que les ans: iIl y a tant de siecles que le monde s’en sert,: &
si c’est vneune mesure que nous n’auōsavons encore acheuéachevé d’arrester:
&Et telle, que nous doubtons tous les ioursjours quelle forme les
autres nations luy ont diuersementdiversement donné,: & quel en estoit
l’vsageusage. Quoy, ce que disent aucuns, que les cieux se cōprimētcompriment
vers nous en vieillissant, & nous iettentjettent en incertitude des
heures mesme & des ioursjours: &Et des moys ce que dict Plutarque,
qu’ēcoreencore de son tēpstemps l’astrologie n’auoitavoit sçeu borner le mou-
LIVRE TROISIESME.454462
uementvement de la lune: nNous voyla bien accommodez pour tenir
registre des choses passées. IeJe rauassoisravassois presentement, comme
ieje faicts souuantsouvant, sur ce, combien l’humaine raison est vnun in-
strument libre & vague. IeJe vois ordinairement, que les hō-
meshom-
mes aux faicts qu’on leur propose, s’amusent plus volontiers
à en cercher la raison, qu’a en cercher la verité: iIls laissent la les
choses, & s’amusent à traiter les causes:. ⁁
⁁ Plaisants causesurs
La conoissance des causes
apartient sulemētsulement a
celuy qui a la cōduiteconduite
des choses, non a nous
qui n’aen auōsavons que la
souffrance. Et qui en
auonsavons l’usage parfaicte=
ment plein, selon nostre
nature, sans en penetrer
loriginel’origine et lessencel’essence. Ny
le uinvin n’en est plus plaisant
a celuy qui en sçait les
facultez premieres. Et
aAu contrere: et le corps
et lamel’ame, troblentinterrompent l& alte=
rent, le droit qu’ils ont de
lusagel’usage du monde, y meslant
lopinionl’opinion de sciance. Le
determiner et le sçauoirsçavoir
apartienent a un’essance
maistrisante come le
doner, apartient a un’essancela regēceregence
et a la maistrisantee: a un’essance
inferieure & subiectesubjecte
n’apartient que le iouirjouir & l’accepter
simplement. a l’interiorité
subiectionsubjection et aprātissageaprantissage
apartient le iouirjouir l’accepter
et pour le plus s’enquerir
ReuenōsRevenons a nostre usage
costume.
iIls passent par dessus les
presuppositiōspresuppositions,effaicts, mais ils ⁁ en examinent curieusement les cōsequē-
cesconsequen-
ces. Ils commencētcommencent ordinairement ainsi: cComment est-ce que
cela se faict? mMais, se fait il, faudroit il dire. Nostre discours est
capable d’estoffer cent autres mōdesmondes, & d’en trouuertrouver les prin-
cipes & la cōtexturecontexture. Il ne luy faut ny matiere ny baze,: lLaissez
le courre, il bastit aussi bien sur le vuide que sur le plain, & de
l’inanité que de matiere,
dare corpuspondus idonea fumo.
IeJe trouuetrouve quasi par tout, qu’il faudroit dire,. iIl n’en est rien: &
employerois souuantsouvant cette responce,. mMais ieje n’ose,: car ils criētcrient
que c’est vneune deffaicte produicte de foiblesse d’esprit & d’i-
gnorance,: &Et me faut ordinairement bateler par compaignie
à traicter des subiectssubjects, & comptes friuolesfrivoles, que ieje mescrois en-
tieremēten-
tierement. IoinctJoinct qu’a la verité, il est vnun peu rude & quereleux,
de nier tout sec, vneune proposition de faict: &Et peu de gens fail-
lent, notammētnotamment aux choses mal-aysées à persuader, d’affermer
qu’ils l’ont veu,: ou d’alleguer des tesmoins desquels l’authori-
té arreste nostre contradictiōcontradiction. SuyuantSuyvant cet vsageusage,: nous sçauōssçavons
les fondemens, & les causes de mille choses qui ne furent on-
ques: &Et s’escarmouche le monde en mille questions, desquel-
les, & le pour & le contre est faux. ⁁
⁁ Ita finitima sunt
falsa ueris ut in
praecipitem locum non
debeat se sapiens com=
mittere.
La verité & le mensonge
ont leur visages conformes, le port, le goust, & les alleures pa-
reilles: nous les regardons de mesme oeil. IeJe trouuetrouve que nous ne
sōmessommes pas seulemētseulement láches à nous defendre de la piperie,: mais
q̄que nous cerchons, & conuionsconvions à nous y enferrer: nNous aymōsaymons à
AAAAAa ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nous embrouiller en la vanité, comme conforme à nostre e-
stre. IJ’ay veu la naissance de plusieurs miracles de mon temps.
Encore qu’ils s’estoufent en naissant, nous ne laissons pas de
preuoirprevoir le train qu’ils eussent pris, s’ils eussent vescu leur aage:
cCar il n’est q̄que de trouuertrouver le bout du fil, on en desuidedesvide tant qu’ōon
veut: &Et y a plus loing, de rien, à la plus petite chose du mōdemonde,
qu’il nyn’y a de celle la, iusquesjusques à la plus grādegrande. Or les premiers qui
sont touchezabbreuuezabbreuvez de ce cōmencementcommencement d’estrangeté, venātvenant à semer
leur histoire, sentētsentent par les oppositiōsoppositions qu’on leur fait, ou loge
la difficulté de la persuasiōpersuasion,: & vont calfeutrātcalfeutrant cet endroict de
quelque piece fauce. ⁁
⁁ Outre ce que Outre ce que, insitá
hominibus libidine
alendi de industria
rumores nous
faisons naturelemātnaturelemant
consciance de rendre
ce qu’on nous a prestè
sans quelque usure &
accession de nostre creu.
L’errur particuliere
faict premierement
l’errur publique: et
à son tour apres
l’errur publique faict
l’errur particuliere.
Ainsi va tout ce bastiment s’estoffant &
formant de main en main,: de maniere q̄que le plus esloigné tes-
moin, en est mieux instruict & persuadé, que le plus voisin,: &Et
le dernier ⁁ ⁁ informé mieus persuadé q̄que le premier. C’est vnun progrez naturel: cCar quiconq̄quiconque
croit quelque chose, estime que c’est ouurageouvrage de charité, de
la persuader à vnun autre: &Et pour ce faire, ne craint poinct d’ad-
iousterad-
jouster de son inuentioninvention, autant qu’il voit estre necessaire en
son cōptecompte, pour suppleer à la resistance & au deffaut qu’il pēsepense
estre en la conceptiōconception d’autruy. Moy-mesme qui faicts singu-
liere conscience de mentir,: & qui ne me soucie guiere de dō-
nerdon-
ner creācecreance & authorité à ce que ieje dis,: m’apperçoy toutesfois
aux propos que ij’ay en main, qu’estant eschauffé, ⁁
⁁ ou par la
resistance ⁁ ⁁ d’un autre ou
par la propre
chalur de la
narration,
ieje grossis
& enfle, mon subiectsubject, par vois, mouuemensmouvemens, vigueur &
force de parolles, & encore par extētionextention & amplificatiōamplification: non
sans interest de la verité nayfuenayfve: mMais ieje le fais en condition
pourtātpourtant, qu’au premier qui me rameine,: & qui me demādedemande la
verité nue & cruё,: ieje quitte soudain mōmon effort,: & la luy dōnedonne,
sans exaggeratiōexaggeration, sans emphase, & rēplissageremplissage.⁁
⁁ . La parole uiuevive
et bruiante come
est la miene ordinere
s’emporte uolontiersvolontiers
à l’hyperbole.
Il n’est riērien à quoi
cōmunementcommunement les hōmeshommes soiētsoient plus tendus qu’a dōnerdonner voye à
leurs opinions: oOu le moyen ordinaire nous faut, nous y ad-
ioustonsad-
joustons le commandement, la force, le fer, & le feu. Il y a
du mal’heur d’en estre la, que la meilleure touçhe de la verité,
ce soit la multitude des croiāscroians, en vneune presse ou les fols surpas-
LIVRE TROISIESME.455463
sent de tāttant les sages en nōbrenombre. ⁁
⁁ Quasi uero quidquam sit
tam ualde quam nil
sapere uulgare.
⁁ Sanitatis patrocinium
est insanientium turba.
Q
C’est chose difficile, de resoudre
son iugementjugement contre les opinions communes. La premiere
persuasion prinse du subiectsubject mesme, saisit les simples,: de là el-
le s’espend aux habiles, soubs l’authorité du nombre & anciē-
netéancien-
neté des tesmoignages. Pour moy, de ce que ieje n’en croirois
pas vnun, ieje n’en croirois pas, cent vnsuns,. &Et ne iugejuge pas les opiniōsopinions,
par les ans. Il y à peu de temps, que l’vnun de nos princes, en qui
la goute auoitavoit perdu vnun beau naturel, & vneune allegre composi-
tion, se laissa si fort persuader, au raport qu’on faisoit des mer-
ueilleusesmer-
veilleuses operations d’vnun prestre, qui par la voie des parolles
& des gestes, guerissoit toutes maladies, qu’il fit vnun long voia-
ge pour l’aller trouuertrouver, & par la force de son apprehēsionapprehension, per-
suada & endormit ses iambesjambes pour quelques heures, si qu’il
en tira du seruiceservice, qu’elles auoientavoient desapris luy faire, il y auoitavoit
long tēpstemps. Si la fortune eust laissé emmonceler cinq ou six tel-
les aduanturesadvantures, elles estoient capables de metrremettre ce miracle en
nature. On trouuatrouva depuis tant de simplesse, & si peu d’art en
l’architecte de tels ouuragesouvrages, qu’on le iugeajugea indigne d’aucun
chastiement: cComme si feroit on, de la plus part de telles cho-
ses qui les reconnoistroit en leur giste.⁁
-
⁁ . Miramur ex
interuallo
fallentia.
Nostre veuё represen-
te ainsi souuentsouvent de loing, des images estrāgesestranges, qui s’esuanouis-
sentesvanouis-
sent en s’approchant,. NunquāNunquam ad liquidum fama perducitur. C’est
merueillemerveille de combien vains commencemens, & friuolesfrivoles cau-
ses, naissent ordinairement si fameuses impressions: cCela mes-
mes en empesche l’information: cCar pendant qu’on cherche
des causes, & des fins fortes, & poisantes, & dignes d’vnun si
grand nom, on pert les vrayes,. eElles eschapent de nostre veuё
par leur petitesse. Et à la verité il est requis vnun bien prudent at-
tentif, & subtil inquisiteur en telles recherches, indifferent, &
non preoccupé. IusquesJusques à cette heure tous ces miracles & e-
uenemense-
venemens estranges, se cachent deuātdevant moy: iIejJe n’ay veu mon-
stre & miracle au monde, plus expres que moymesme: oOn
AAAAAa iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
s’appriuoiseapprivoise à toute estrāgetéestrangeté par l’vsageusage & le temps,. mMais plus
ieje me hante & me connois, plus ma difformité m’estonne,.
mMoins ieje m’entēsentens en moy. Le principal droict d’auāceravancer & pro-
duire tels accidens, est reseruéreservé à la fortune. Passant auantavant hier
dans vnun vilage à deux lieues de ma maison, ieje trouuaytrouvay la place
encore toute chaude, d’vnun miracle qui venoit d’y faillir,. pPar
lequel le voisinage auoitavoit esté amusé plusieurs mois,: & com-
mençoient les prouincesprovinces voisines, de s’en esmouuoiresmouvoir & y ac-
courir à grosses troupes, de toutes qualitez. VnUn ieunejeune homme
du lieu, s’estoit iouéjoué à contrefaire vneune nuict en sa maison, la
voix d’vnun esprit,: sans penser à autre finesse, qu’à iouyrjouyr d’vnun ba-
dinage present: cCela luy ayant vnun peu mieux succedé qu’il n’es-
peroit, pour estendre sa farce à plus de ressorts, il y associa vneune
fille de village, du tout stupide, & niaise: &Et furent trois en fin,
de mesme aage & pareille suffisance,: & de presches domesti-
ques en firent des presches publics, se cachans soubs l’autel de
l’Eglise, ne parlans que de nuict, & deffendans d’y apporter
aucune lumiere. De paroles, qui tendoient à la conuersionconversion du
monde, & menace du iourjour du iugementjugement (car ce sont subiectssubjects
soubs l’authorité & reuerencereverence desquels, l’imposture se tapit
plus aiséement) ils vindrent à quelques visions & mouuemētsmouvements
si niais, & si ridicules, qu’à peine y a-il rien si grossier au ieujeu des
petits enfans: sSi toutesfois la fortune y eust voulu prester vnun
peu de faueurfaveur, qui sçait, iusquesjusques ou se fut accreu ce battelage?
Ces pauurespauvres diables sont à cette heure en prison,: & porteront
volontiers la peine de la sottise commune,: & ne sçay si quel-
que iugejuge se vengera sur eux, de la sienne. On voit cler en cette-
cy, qui est descouuertedescouverte,: mMais en plusieurs choses de pareille
qualité, surpassant nostre connoissance, ieje suis d’aduisadvis, que
nous soustenons nostre iugementjugement, aussi bien à reietterrejetter, qu’à
receuoirrecevoir. Il s’engendre beaucoup d’abus au mōdemonde,⁁⁁
⁁ : ou pour le
dire plus
hardiment,
tous les abus
du monde s’engendrētengendrent,
de ce qu’on
nous apprend à craindre de faire profession de nostre igno-
LIVRE TROISIESME.456464
rance.: ⁁ ⁁ et que nous somes tenus d’accepter, tout ce que nous ne pouuonspouvons refuter. Nous parlons de toutes choses par precepte & resolu-
tion. Le stile à Romme portoit, que cecela mesme, qu’vnun tesmoin
deposoit pour l’auoiravoir veu de ses yeux,: & ce qu’vnun iugejuge ordon-
noit de sa plus certaine science, estoit conceu en cette forme
de parler: iIl me semble. On me faict hayr les choses vray-sem-
blables, quand on me les plante pour infallibles. IJ’ayme ces
mots, qui amollissent & moderent la temerité de nos propo-
sitions: à l’auantureavanture, aucunement, quelque, on dict, ieje pēsepense, &
semblables: &Et si ij’eusse eu à dresser des enfans, ieje leur eusse tāttant
mis en la bouche, cette façon de respondre,: ⁁ ⁁ enquesteuse non resolutiueresolutive qQu’est-ce à dire? iIejJe
ne l’entens pas,: iIl pourroit estre,: eEst-il vray? qu’ils eussent plu-
stost gardé la forme d’apprentis à soixante ans, que de repre-
senter les docteurs à dix ans,: comme ils font. Qui veut guerir
de l’ignorance, il faut la confesser. ⁁
⁁ IrisIris est fille de ThaumātisThaumantis
L’admiration dict
Platon est fondemātfondemant
de toute philosofie
l’inquisition le progrez
L’ignorance le bout.
Voire dea, il y à quelque i-
gnorance forte & genereuse, qui ne doit rien en honneur &
en courage à la science. ⁁
⁁ Ignorance pour la quelle
establirconceuoirconcevoir il n’y uava pas moins
de sciance que pour establirconceuoirconcevoir
la sciance.
IeJe vy en mon enfance, vnun procés que
Corras conseiller de Toulouse fist imprimer, d’vnun accident e-
strange,: de deux hommes qui se presentoient l’vnun pour l’au-
tre: iIl me souuientsouvient (& ne me souuientsouvient aussi d’autre chose) qu’il
me sembla auoiravoir rendu l’imposture de celuy qu’il iugeajugea coul-
pable, si merueilleusemerveilleuse & excedant de si loing nostre connois-
sance, & la sienne, qui estoit iugejuge, que ieje trouuaytrouvay beaucoup de
hardiesse en l’arrest qui l’auoitavoit condamné à estre pendu. Re-
ceuonsRe-
cevons quelque forme d’arrest qui die,. lLa court ny entēdentend rien:
pPlus librement & ingenuement, que ne firent les Areopagites,
lesquels se trouuanstrouvans pressez d’vneune cause, qu’ils ne pouuoientpouvoient
desueloperdesveloper, ordonnerent que les parties en viendroiētviendroient à cent
ans. Les sorcieres de mon voisinage, courent fortunehasard de leur
vie, sur l’aduisadvis de cháque nouuelnouvel autheur, qui vient de dōnerdonner
corps à leurs songes. Pour accommoder les exemples que la
diuinedivine parolle nous donneoffre de telles choses,: tres-certains & ir-
refragables exemples,: & les attacher à nos euenemensevenemens moder-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
nes,: puisque nous n’en voyons, ny les causes, ny les moyens, il
y faut autre engin que le nostre: iIl appartient à l’auantureavanture, à
ce seul tres-puissant tesmoignage, de nous dire,: cettuy-cy en
est, & celle-là,: & non cet autre. Dieu en doit estre creu: c’est
vrayement bien raison,. mMais non pourtant vnun d’entre nous,:
qui s’estonne de sa propre narration (& necessairement il s’en
estonne, s’il n’est hors de sens) soit qu’il l’employe au faict
d’autruy,: soit qu’il l’employe contre soy-mesme. IeJe suis
lourd,: & me tiens vnun peu au massif, & au vray-semblable,.
eEuitanteEvitant les reproches anciens,. Maiorem fidem homines adhi-
bent iis quae non intelligunt. Cupidine humani ingenij libentius
obscura creduntur. IeJe vois bien qu’on se courrouce,. &Et me
deffend on d’en doubter, sur peine d’iniuresinjures execrables:
nNouuellenNouvelle façon de persuader. Pour Dieu mercy: mMa crean-
ce ne se manie pas à coups de poing. Qu’ils gourman-
dent ceux qui accusent de fauceté leur opinion,: iIejJe ne l’accu-
se que de difficulté & de hardiesse,: &Et condamne l’affirmation
opposite, egalement auecavec eux,: sinon si imperieusement. ⁁ ⁁ uideantur sane, ne affirmentur modo. Qui
establit son discours par braueriebraverie & commandement, mon-
tre que la raison y est foible. Pour vneune altercation verbale &
scolastique, qu’ils ayent autant d’apparence que leurs contra-
dicteurs: mais en la consequence effectuelle qu’ils en tirent,:
ceux-cy ont bien de l’auantageavantage: àA tuer les gens, il faut vneune clar-
té lumineuse & nette,. &Et est nostre vie trop réele & essentielle
pour garātirgarantir ces accidens supernaturels & fantastiques. QuātQuant
aux drogues & poisons, ieje les mets hors de mon compte,. cCe
sont homicides, & de la pire espece: tToutesfois en cela mesme,
on dict qu’il ne faut pas tousiourstousjours s’arrester, à la propre cōfes-
sionconfes-
sion de ces gens icy,. cCar on leur à veu par fois, s’accuser d’auoiravoir
tué des personnes, qu’on trouuoittrouvoit saines & viuantesvivantes. En ces
autres accusations extrauagantesextravagantes, ieje dirois volontiers,: que c’est
bien assez, qu’vnun homme, quelque recommendation qu’il
aye,
LIVRE TROISIESME.457465
aye, soit creu de ce qui est humain: dDe ce qui est hors de sa con-
ception, & d’vnun effect supernaturel, il en doit estre creu, lors
seulement qu’vneune approbatiōapprobation supernaturelle l’a authorisé. Ce
priuilegeprivilege qu’il à pleu à Dieu donner à aucuns de nos tesmoi-
gnages, ne doibt pas estre auilyavily, & communiqué legerement.
IJ’ay les oreilles battüs de mille tels comptes: tTrois le virent vnun
tel iourjour en leuantlevant,: trois le virent lendemain en occident,: à
telle heure, tel lieu, ainsi vestu: cCertes ieje ne m’en croirois pas
moymesme. Combien trouuetrouve-ieje plus naturel, & plus vray-
semblable, que deux hommes mentent,: que ieje ne fay qu’vnun
homme en douze heures, passe quand & les vents, d’orient en
occident? cCombiēcCombien plus naturel, que nostre entendement soit
emporté de sa place par la volubilité de nostre esprit detra-
qué,: que cela,: qu’vnun de nous, soit enuoléenvolé sur vnun balay, au long
du tuiau de sa cheminée, en chair & en os, par vnun esprit estran-
gier. Ne cherchons pas des illusions estrangeresdu dehors de nous., & incon-
neuёs,: nous qui sommes perpetuellement agitez d’illusions
domestiques & nostres. Il me semble qu’on est pardonnable
de mescroire vneune merueillemerveille, autant ⁁ ⁁ au moins, qu’on peut en destourner
& elider la verification, par voie non merueilleusemerveilleuse: &Et suis l’ad-
uisad-
vis de sainct Augustin, qu’il vaut mieux pancher vers le dou-
te que vers l’asseurance, és choses de difficile preuuepreuve, & dan-
gereuse creance. Il y a quelques années, que ieje passay par les
terres d’vnun prince souuerainsouverain,: lequel en ma faueurfaveur, & pour ra-
batre mon incredulité, me fit cette grace, de me faire voir en
sa presence, en lieu particulier, dix ou douze prisonniers de
cette nature,: & vneune vieille entre autres, vrayment bien sorcie-
re en laideur & deformité, tres-fameuse de longue main en
cette profession: iIejJe vis & preuuespreuves, & libres confessions, &
ieje ne sçay quelle marque insensible sur cette miserable
vieille,: & m’enquis, & parlay tout mon saoul,: y apportant
la plus saine attention que ieje peusse,: & ne suis pas homme
BBBBBb
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qui me laisse guiere garroter le iugementjugement par preoccupation:
en fin & en conscience, ieje leur eusse plustost ordonné de l’el-
lebore que de la cicue.: ⁁
⁁ Captisque res magis
mentibus quam
consceleratis similis
uisa.
La iusticejustice à ses propres corrections
pour telles maladies. Quant aux oppositions & arguments
que des honnestes hommes m’ont faict,: & là, & souuentsouvent ail-
leurs,: ieje n’en ay poinct senty, qui m’attachent, &Et qui ne
souffrētsouffrent solution tousiourstousjours plus vray-semblable que leurs cō-
clusionscon-
clusions. Bien est vray,: que les preuuespreuves & raisons qui se fon-
dent ⁁ ⁁ sur l’experiance et sur le faict,: celles là, ieje ne les desnoue point,: aussi n’ont
elles point de bout,: ieje les tranche souuentsouvent, comme Alexan-
dre son neud. Apres tout,: c’est mettre ses coniecturesconjectures à bien
haut pris, q̄que d’en faire cuire vnun hōmehomme tout vif. ⁁
⁁ On recite par diuersdivers exemples
& Prestantius de son pere que
assopi et endormi bien plus
lourdement que d’un parfaict
sommeil il fantasia estre iumantjumant
& seruirservir de somier a des soldats
et ce qu’il fantasioit il l’estoit.
Si les sorciers songeint ainsi
materielement: si les songes se
peuuentpeuvent ainsi par fois incorpo=
rer en effaicts: encore ne crois
ieje pas que nostre uolontévolonté en fut
tenue a la iusticejustice.
Ce q̄que ieje dis,: cōmecomme
celuy, qui n’est, ny iugejuge, ny conseiller des Roys,: ny s’en esti-
me de bien loing digne,: ains homme du commun,: nay &
voué à l’obeissance de la raison publique, & en ses faicts, & en
ses dicts. Qui mettroit mes resueriesresveries en compte, au preiudiceprejudice
de la plus chetiuechetive loy de son village, ou opinion, ou coustu-
me, il se feroit grand tort, & encores autant à moy. ⁁
⁁ Car en ce que ieje dis,
ieje ne pleuuiepleuvie autre
certitude, sinon, que
c’est a ce que lors, ij’en
auoisavois en lma pensee,.
ieje n’ai une pPensee
tumultuaire et
uersatileversatile uacillantevacillante.
C’est par maniere de deuisdevis
que ieje parle de tout et de rien
par maniere d’aduisadvis. Nec me
pudet ut istos, fateri
nescire quod nesciam.
IeJe ne se-
rois pas si hardy à parler, s’il m’appartenoit d’en estre creu: &Et
fut, ce que ieje respondis à vnun grand, qui se plaingnoit de l’as-
preté & contention de mes enhortemens. Vous sentant ban-
dé & preparé d’vneune part, ieje vous propose l’autre, de tout le
soing que ieje puis, pour esclarcir vostre iugementjugement, non pour
l’attirer:.obliger. Dieu tient vos courages, & vous fournira de chois:.
iIejJe ne suis pas si presomptueux, de desirer seulement, que mes
opinions donnassent pante, à chose de telle importance: mMa
fortune ne les à pas dressées a si puissantes & esleuéeseslevées conclu-
sions. Certes ij’ay non seulement des complexions en grand
nombre,: mais aussi des opinions assez, desquelles ieje desgoute-
rois volōtiersvolontiers mon fils si ij’en auoisavois. Quoy, si les plus vrayes ne
sont pas tousiourstousjours les plus cōmodescommodes à l’hōmehomme,. tTant il est de sau-
uagesau-
vage composition. A propos, ou hors de propos, il n’importe.
LIVRE TROISIESME.458466
On dict en Italie en commun prouerbeproverbe, que celuy-là ne co-
gnoit pas Venus en sa parfaicte douceur, qui n’a couché a-
ueca-
vec la boiteuse. La fortune, ou quelque particulier accident,
ont mis il y à long temps ce mot en la bouche du peuple, &Et se
dict des masles comme des femelles: cCar la Royne des Ama-
zonnes, respondit au Scyte qui la conuioitconvioit à l’amour, ἄριστα
χολὸϛ ὀιφεῖχωλὸϛ οἰφεῖ, le boiteux le faict le mieux. En cette republique fe-
minine, pour fuir la domination des masles, elles les stropi-
oient des l’enfance, bras, iambesjambes, & autres membres qui leur
donnoient auantageavantage sur elles,. &Et se seruoientservoient d’eux, à ce seule-
ment, à quoy nous nous seruonsservons d’elles par deçà. IJ’eusse dict,:
que le mouuementmouvement detraqué de la boiteuse, apportast quel-
que nouueaunouveau goustplaisir à la besongne, & quelque pointe de dou-
ceur à ceux qui l’essayent: mMais ieje viens d’apprendre, que mes-
me la philosophie ancienne en a decidé: eElle dict que les iam-
besjam-
bes & cuisses des boiteuses, ne receuantrecevant a cause de leur im-
perfection, l’aliment qui leur est deu,: il en aduientadvient que les par-
ties genitales, qui sont au dessus, sont plus plaines, plus nour-
ries, & vigoureuses. Ou bien, que ce defaut empeschant l’ex-
ercice,: ceux qui en sont entachez, dissipent moins leurs for-
ces, & en viennent plus entiers aux operationsieusjeus|ieusjeus| de Venus. Qui
est aussi la raison, pourquoy les Grecs descrioient les tisseran-
des d’estre plus chaudes que les autres femmes,: à cause du me-
stier sedentaire qu’elles font, sans grand exercice du corps.
Dequoy ne pouuonspouvons nous raisonner à ce pris là. De celles icy
ieje pourrois aussi dire, que ce tremoussement que leur ouura-
geouvra-
ge leur donne ainsin assises, les esueilleesveille & sollicite, comme
faict les dames, le crolement & tremblement de leurs coches.
Ces exemples seruentservent-ils pas à ce que ieje disois au commence-
ment,: qQue nos raisons anticipent souuentsouvent l’effect,: & ont l’e-
stendue de leur iurisdictionjurisdiction si infinie, qu’elles iugentjugent & s’ex-
ercent en l’inanité mesme, & au non estre. Outre la flexibilité
BBBBBb ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
de nostre inuentioninvention, à forger des raisons à toute sorte de son-
ges,: nostre imagination se trouuetrouve pareillement facile, à rece-
uoirrece-
voir des impressions de la fauceté, par bien friuolesfrivoles appa-
rences. Car par la seule authorité de l’vsageusage ancien, & publi-
que de ce mot,: ieje me suis autresfois faict à croire, auoiravoir receu
plus de plaisir d’vneune femme, de ce qu’elle n’estoit pas droicte,.
& mis cela au compteen recepte de ses graces. Torquato Tasso en la
comparaison qu’il faict de la France à l’Italie, dict auoiravoir re-
marqué cela,: que nous auonsavons les iambesjambes plus greles, que les
gentils-hommes Italiens,. &Et en attribue la cause à ce que
nous sommes continuellement à cheualcheval: qQui est vneune causecelle mesmes de
laquelle Suetone, tire vneune toute contraire conclusion: cCar il
dict au rebours, que Germanicus auoitavoit grossi les siennes, par
continuation de ce mesme exercice. Il n’est rien si soupple &
erratique que nostre entendement: cC’est le soulier de Thera-
menez,: bon à tous pieds. Et il est double & diuersdivers, & les ma-
tieres doubles, & diuersesdiverses. Donne moy vneune dragme d’argent,
disoit vnun philosophe Cynique à Antigonus,: cCe n’est pas pre-
sent de Roy, respondit-il,: dDonne moy donc vnun talent,: cCe n’est
pas present pour Cynique:
Seu plures calor ille vias, & caeca relaxat
Spiramenta, nouas veniat qua succus in herbas:
Seu durat magis, & venas astringit hiantes,
Ne tenues pluuiae, rapidiue potentia solis
Acrior, aut Boreae penetrabile frigus adurat.:
Ogni medaglia ha il suo riuersoriverso. ---- proseLe tiret allongé signifie "tirés"
Voila pourquoy Clitomachus disoit anciennemētanciennement, que Car-
neades auoitavoit surmonté les labeurs de Hercules, pour auoiravoir
arraché des hommes le consentement,. cC’est à dire l’opinion &
la temerité de iugerjuger. Cette fantasie de Carneades si vigoureu-
se, nasquit à mon aduisadvis anciennement, de l’impudence de
LIVRE TROISIESME.459467
de ceux, qui font profession de sçauoirsçavoir,: & de leur outre-cui-
dance desmesurée. On mit AEsope en vente auecavec deux autres
esclauesesclaves,: lL’acheteur s’enquit du premier, ce qu’il sçauoitsçavoit faire,:
celuy la pour se faire valoir, respōditrespondit mōtsmonts & merueillesmerveilles,: qu’il
sçauoitsçavoit & cecy & cela: lLe deuxiesme en respōditrespondit de soy autātautant
ou plus: qQuand ce fut à AEsope, & qu’on luy eust aussi demādédemandé
ce qu’il sçauoitsçavoit faire,: rien, fitdict-il,: car ceux cy ont tout preoccu-
pé,: ils sçauentsçavent tout. Ainsin est il aduenuadvenu en l’escole de la phi-
losophie: lLa fierté de ceux qui attribuoyent à l’esprit humain
la capacité de toutes choses, causa en d’autres, par despit &
par emulation, cette opinion,: qu’il n’est capable d’aucune
chose. Les vnsuns tiennent en l’ignorance, cette mesme extremi-
té, que les autres tiennent en la science, aAfin qu’on ne puisse
nier, que l’homme ne soit immoderé par tout,: &Et qu’il n’a
point d’arrest, que celuy de la necessité, & impuissance d’aller
outre.
De la Phisionomie.
CHAP. XII.
QVASIQUASI toutes les opinions que nous auonsavons, sont prin-
ses par authorité & à credit,: iIl n’y a point de mal,. nNous
ne sçaurions piremētpirement choisir que par nous, en vnun siecle
si foible. Cette image des discours de Socrates, que ses amys
nous ont laissée, nous ne l’approuuonsapprouvons, que pour la reuerencereverence
de l’approbation publique,: cCe n’est pas par nostre cognois-
sance: iIls ne sont pas selon nostre goust & vsageusage. S’il naissoit à
cette heure quelque chose de pareil, il est peu d’hommes qui
le prisassent Nous n’aperceuōsapercevons les graces que pointues, bouf-
fies, & enflées d’artifice: cCelles qui coulent soubs la nayfueténayfveté,
& la simplicité, eschapent ayséement à vneune veuё grossiere
comme est la nostre. Elles ont vneune beauté delicate & cachee:
BBBBBb iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
iIl faut la veuё nette & bien purgee, pour descouurirdescouvrir cette se-
crette lumiere. Est pas, la naifueténaifveté, selon nous, germeine à la
sottise, & qualité de reproche & d’iniureinjure? Socrates faict mou-
uoirmou-
voir son ame d’vnun mouuemētmouvement naturel & commun. Ainsi dict
vnun paysan, ainsi dict vneune femme. ⁁
-
⁁ Il n’a iamaisjamais en la bouche
que cochiers menuisiers
sauetierssavetiers & maçons.
Ce sont inductions & simi-
litudes, tirees des plus vulgaires & cogneues operationsactions des
hōmeshommes: cChacun l’entend. Soubs vneune si vile forme, nous n’eus-
sions iamaisjamais choisi la noblesse & splendeur de ses conceptiōsconceptions
admirables: nNous, ⁁
-
⁁ qui estimons plates
& basses toutes celes
que la doctrine ne
releuereleve,:
qui n’aperceuonsapercevons la richesse qu’en montre
& en pompe. Nostre monde n’est formé qu’a l’ostentation:
lLes hommes ne s’enflent que de vent,: & se manient à bonds,
comme les balons. Cettuy-cy ne se propose point des vaines
fantasies: sSa fin fut, de nous fournir de choses & de preceptes,
qui reelement & plus iointementjointement seruentservent à la vie,
seruare modum, finémque tenere,
Naturámque sequi:.
iIl fut aussi tousiourstousjours vnun & pareil,. &Et se monta non par bouta-
dessaillies, mais par complexion, au dernier poinct de vigueur. Ou
pour mieux dire,: il ne monta rien,: mais raualaravala plustost & ra-
mena à son point, originel & naturel, & luy soubmit, la vi-
gueur les aspretez & les difficultez. Car en Caton,: on void biēbien
à clair, que c’est vneune alleure forcée, & tenduё bien loing au
dessus des communes: aAux noblesbrauesbraves exploits de sa vie, & en sa
mort, on le sent tousiourstousjours monté sur les grands cheuauxchevaux. Cet-
tuy-cy ralle à terre, & d’vnun pas mol & ordinaire, traicte les plus
vtilesutiles discours,: & se conduict & à la mort & aux plus espi-
neuses trauersestraverses qui se puissent presenter au trein de la vie hu-
maine. Il est bien aduenuadvenu, que le plus digne homme d’estre
cogneu & d’estre presenté au monde pour exemple, ce soit
celuy duquel nous ayons plus certaine cognoissance. Il à esté
esclairé par les plus clair voyans hommes qui furent onques:.
lLes tesmoins, que nous auonsavons de luy, sont admirables en fide-
LIVRE TROISIESME.460468
lité & en suffisance,. soit pour iugerjuger soit pour raporter. C’est
grand cas, d’auoiravoir peu donner tel ordre aux pures imaginatiōsimaginations
d’vnun enfant, que sans les alterer ou ⁁ ⁁ estirer les estirerbander, il en ait produict
les plus beaux effects de nostre ame. Il ne la represente ny esle-
uéeesle-
vée ny riche,: il ne la represente q̄que saine,: mais certes d’vneune biēbien
allegre & nette santé. Par ces vulguaires ressorts & naturels,:
par ces fantasies ordinaires & cōmunescommunes,: sans s’esmouuoiresmouvoir &
sans se piquer,: il dressa non seulement les plus reglées, mais les
plus hautes & vigoreuses ⁁ ⁁ creances, actiōsactions, & meurs, qui furent onques. ⁁
⁁ C’est luy qui ramena du
ciel ou elle perdoit son
temps la sagesse humaine
pour la rendre a l’home: où
est sa plus iustejuste et bien
plus laborieuse besouigne
et plus utille.
Voyez le plaider deuantdevant ses iugesjuges,: voyez par qu’ellesquelles raisons,
il esueilleesveille son courage aux hazards de la guerre: quels argu-
ments fortifient sa patience contre la calomnie, la tyrannie,
la mort, & contre la teste de sa femme: il n’y a rien d’emprun-
té de l’art, & des sciēcessciences,. lLes plus simples y recognoissent leurs
moyēsmoyens & leur force: iIl n’est possible d’aller plus arriere & plus
bas. Il à faict grand seruiceservicefaueurfaveur à l’humaine nature, de montrer,
combien elle peut d’elle mesme. Nous sommes chacun plus
riche, que nous ne pensons: mMais on nous dresse à l’emprunt,
& à la queste: on nous duict à nous seruirservir plus de l’autruy que
du nostre. En aucune chose l’homme ne sçait s’arrester au
point de son besoing: dDe volupté, de richesse, de puissance, il
en embrasse plus qu’il n’en peut estreindre,: sSon auiditéavidité est in-
capable de moderation: iIejJe trouuetrouve qu’en curiosité de sçauoirsçavoir,
il en est de mesme: iIl se taille de la besongne bien plus qu’il
n’en peut faire, & bien plus qu’il n’en à affaire.⁁
⁁ : estendant
l’utilitè du sçauoirsçavoir
autant qu’est sa
matiere. Ut omnium
rerum sic literarūliterarum
quoque intemperātiaintemperantia
laboramus: non
uitae sed scholae
discimus. Et Tacitus
a raison de louer
la mere d’Agricola
d’auoiravoir bride en son fils
un appetit trop
bouillant uersversde la
sciance. C’est un bien
a le regarder d’yeus fermes
qui ha come les autres biens des
homes, beaucoup de uanitevanite propre
et foiblesse propre et naturelle : et d’un cher coust.
a bien haut pris.
Et Bbien plus hasardeus lL’emploite en est bien plus hasardeuses que de tout autre uiandeviande ou boisson. Car
en cette cyau reste ce que nous auonsavons acheté nous l’emportons au logis en quelque uesseauvesseau: et la auonsavons loi d’en examiner
la ualurvalur: combien et a quel’heure nous en prenderons. Mais les sciances nous ne les pouuonspouvons d’arriueearrivee mettre
en autre uesseauvesseau qu’en nostr’ame: nous les aualonsavalons en les achetant, & sortons du marchè ou infectz desiadesja ou
amandez. Il est en esty en a qui ne font que nous empecher ⁁ ⁁ et charger au lieu de nour nourrir et telles encore qui nous
empoisonent sous titre de nous guerir nous empoisonent.
IJ’ay pris plaisir
de voir en quelque lieu, des hommes par deuotiondevotion, faire veu
d’ignorance, comme de chasteté, de pauuretépauvreté, de poenitence.
C’est aussi, chastrer nos appetits desordonnez, d’esmousser
cette cupidité qui nous espoinçonne à l’estude des liureslivres: &Et
de priuerpriver l’ame de cette complaisance voluptueuse, qui nous
chatouille par l’opinion de science. ⁁
⁁ Et est
richemant
acomplir le
ueuveu de pouretèpovretè
d’y ioindrejoindre encore
celle de l’esperit.
Il ne nous faut guiere de
doctrine pour viurevivre à nostre aise,. &Et Socrates nous aprend
ESSAIS DE M. DE MONTA.
qu’elle est en nous,: & la maniere de l’y trouuertrouver, & de s’en ayder.
Toute cette nostre suffisance, qui est au delà de la cōmunecommune &
naturelle, est ⁁ ⁁ a peu pres vaine & superflue: c’C’est beaucoup si elle ne nous
charge & trouble, plus qu’elle ne nous sert. ⁁
⁁ : non uitae sed
scholae discimus
Paucis opus est
litteris ad mentem
bonam
Ce sōtsont des excez fie-
ureuxfie-
vreux de nostre esprit, instrumētinstrument brouillōbrouillon & inquiete. Recueil
lez vous,: vous trouuereztrouverez en vous les argumētsarguments de la nature cō-
trecon-
tre la mort,: vrais,: & les plus propres à vous seruirservir à la necessité: ⁁ ⁁ ceus que ij’y
cCe sont ceux qui font mourir vnun paisan & des peuples entiers,
aussi constamment qu’vnun philosophe. ⁁
⁁ Fusse ieje mort moins alle=
grement auantavant qu’auoiravoir ueuveu
Seneque Quand ieje retaste au
loin les Tusculanes. Ies=
timeJ’es=
time que non. Et quand ieje me
trouuetrouve au propre, ieje sens que ma
langue s’est enrichie, mon corage
de peu rien. Il est come nature me
le forgea: et se targue pour le
conflict d’une marche populere & cōmunecommune. Les liureslivres montm’ont seruiservi non tant d’instruction que d’exercitation.
La scienceQuoi? si la sciance, essayant de
nous armer de nouuellesnouvelles deffences contre les inconueniensinconveniens
naturels, nous à, crains-ieje, plus imprimé en la fantasie leur
grādeurgrandeur & leur pois, qu’elle n’a ses raisons & subtilitez à nous
en couurircouvrir. ⁁
⁁ Ce sont uoiremantvoiremant
subtilitez: par ou
elle nous pique et
esueilleesveille souuantsouvant bien
veinemant. Les autheurs
mesme plus serrez et
plus sages, apres auoiravoir
desdeignè les finesses
et longurs grammerienes
et logiques, uoiezvoiez, autour
d’un bon argumant,
combien ils en sement
d’autres legiers, & qui
y regarde de pres
incorporels. cCe ne sont
qu’arguties uerbalesverbales,
qui nous trompent.
Mais d’autant que ce
peut estre utilemant,
ieje n’en les les ueusveus pas
remarquer: et en ai
asses transportè ceans
en diuersdivers lieus
autrement esplucher. iIl y en
a ceans asses de cette
pareille condition
en diuersdivers lieus: ou
par emprunt ou par
imitation. Si se faut
il prandre un peu
garde de n’apeler pas
force ce qui n’est que
gentillesse: et ce qui
n’est que aigu, solide:
souuantsouvant ce qui
chatouille ne paie pas
souuentsouvent pas l’appetit
ne norrit pas l’estomac.
Ou bon ce qui n’est
que beauou bon ce qui n’est que
beau: quae magis gustata
quam potata delectant. Tout ce
qui plait ne paist
pas. Vbi non ingenij sed animi negotium agitur.
A voir les efforts que Seneque se donne pour se
preparer contre la mort, à le voir suer d’ahan, pour se roidir
& pour s’asseurer, & se desbatre si long temps en cette perche,
ij’eusse esbranlé sa reputatiōreputation, s’il ne l’eut en mourant tresuaillā-
menttresvaillam-
ment maintenuё. Son agitatiōagitation, si ardāteardante ⁁
⁁ si pointue si
frequante
montre qu’il
estoit inquiete et
chautimpetueus luy=
mesme. Non est
alius ingenio
alius animo
color, comme il
dict. Et au=
cunement
⁁ si frequante, montre qu’il estoit inquiete et
chaut et impetueus luy mesmes. selon ses regles.
Magnus animus remissius loquitur et securius.
Non est alius ingenio alius animo color. Et
montre aucunement Il le faut conueincreconveincre par ses
luy mesmedespens. Et montre aucunement
si animée, mōtremontre qu’il
estoit pressé de son aduersaireadversaire. La façon de Plutarque, d’autātautant
qu’elle est plus desdaigneuse, & plus destendue, elle est selon
moy, d’autant plus forteuifuevifveuirilevirile uirilevirile & persuasiuepersuasive: iIejJe croyrois ayséement
que son ame auoitavoit les mouuementsmouvements plus asseurez, & plus rei-
glés. L’vnun plus aigupointu uifvif, nous esueilleesveille piqueesguillone pique & eslance en sursaut:
touche plus l’esprit. L’autre plus soliderassis, nous informe establit
& conforte constamment: touche plus l’entendemētentendement. ⁁
⁁ Celuy la emporterauistravist nostre
iugemantjugemant cetuicy le merite.gaigne. ⁁
⁁ IJ’ay ueuveu pareillemantAbstulit ille iudicium, iste meruit autem. IJ’ay ueuveu pareillemant d’autres escrisauteur encore plus reuerezreverez, qui en la
peinture du conflict qu’ils soutienent contre les eguillons de la cher
les represantent si cuisans si puissans et inuinciblesinvincibles que nous mesme
qui somes de la uoirievoirie du peuple auontsavonts autant a admirer lestrangetél’estrangeté
& uigurvigur ⁁ ⁁ inconue de leur tentation que de leur resistance.
A quoi
faire nous allons nous gendarmant par ces subtilitez, &finesses ef-
forts de la science? rRegardons à terre, les pauurespauvres gēsgens que nous
y voyons espandus, la teste penchante, apres leur besongne,
qui ne sçauentsçavent ny Aristote ny Caton, ny exemple ny precep-
te,: dDe ceux là tire nature tous les ioursjours des effects de constan-
ce & de patience, plus purs & plus roides, que ne sont ceux
que nous estudions si curieusement en l’escole. Combien en
vois ieje ordinairement, qui mescognoissent la pauuretépauvreté,: com-
bien
LIVRE TROISIESME.461469
bien qui desirent la mort, ou qui la passent sans alarme &
sans afflictiōaffliction. Celuy la qui fouyt mon iardinjardin, il à ce matin en-
terré son pere ou son fils. Les noms mesme dequoy ils appel-
lent les maladies, en adoucissent & amollissent l’aspreté. La
phtisie c’est la tous pour eux,: la dysenterie deuoyementdevoyement d’e-
stomac,: vnun pleuresis c’est vnun morfondement,. &Et selon qu’ils
les nōmentnomment doucement, ils les supportent aussi. Elles sont biēbien
griefuesgriefves, quand elles rompent leur trauailtravail ordinaire: iIls ne se
couchents’allictent que pour mourir.⁁
⁁ . Simplex illa et aperta uirtus in obscuram et solertem scientiam uersa est.
docemurque disputare non uiuere.
IJ’escriuoisescrivois cecy enuirōenviron le temps,
qu’vneune forte charge de nos troubles se croupitfondit pour ⁁
⁁ se croupit
plusieurs mois,
de tout son pois, droict sur moy. IJ’auoisavois d’vneune part, les enne-
mys à ma porte, d’autre part, les picoreurs, pires ennemys:⁁
⁁ : non armis sed
uitijs certatur:
&Et
essayois toute sorte d’iniuresinjures militaires à la fois,
Hostis adest dextra leuáque à parte timendus,
Vicinóque malo terret vtrúmque latus.
Monstrueuse guerre: lLes autres agissent au dehors,: cette-cy
encore contre soy, se ronge & se desfaict par son propre ve-
nin. Elle est de nature si maligne & ruineuse, qu’elle se ruine
quand & quand le reste, & se deschire & desmembre de rage.
Nous la voyons plus souuentsouvent se dissoudre par elle mesme,
que par disette d’aucune chose necessaire, ou par la force en-
nemye. Toute discipline la fuyt. Elle vient guarir la sedition,
& en est pleine,: vVeut chastier la desobeyssance, & en montre
l’exemple,: &Et employée à la deffence des loix, faict sa part de
rebellion à l’encontre des siennes propres. Ou en sommes
nous? nNostre propre medecine porte infection.,
Nostre mal s’empoisonne
Du secours qu’on luy donne,
exuperat magis aegrescitque medendo.
Omnia fanda nefanda malo permista furore,
Iustificam nobis mentem auertere Deorum.
En ces maladies populaires, on peut distinguer sur le cōmencommen-
CCCCCc
ESSAIS DE M. DE MONTA.
cement, les sains des malades,: mais quand elles viennent à du-
rer, comme la nostre, tout le corps s’en sent, & la teste & les ta-
lons, aucune partye n’est exempte de corruption: cCar il n’est
air qui se hume si gouluement, qui s’espande & penetre, com-
me faict la licence. Nos armées ne se liētlient & tiennent plus que
par simātsimant estrāgerestranger: dDes françois, on ne sçait plus faire vnun corps
d’armée, constant & reglé: qQu’elleqQuelle honte? Il n’y a qu’autant de
discipline que nous en font voir des soldats empruntez:
qQuant à nous,: nous nous conduisons à discretion,: & non pas
du chef,: chacun selon la sienne: iIl à plus affaire au dedāsdedans qu’au
dehors,. cC’est à luyau comandant de suiuresuivre courtizer & plier,: à luy seul d’o-
beir,: tout le reste est libre & dissolu. Il me plaist de voir, com-
bien il y a de lascheté & de pusillanimité en l’ambition,: par
combien d’abiectionabjection & de seruitudeservitude, il luy faut arriuerarriver à son
but. Mais çcecy me deplaist il de voir,: des natures debonnai-
res, & capables de iusticejustice, se corrompre tous les ioursjours, au ma-
niement & commandement de cette confusion. La longue
souffrance engendre la coustume,: la coustume, le consente-
ment, & l’imitation. Nous auionsavions assez d’ames mal nées, sans
gaster les bonnes & genereuses: sSi que, si nous continuons, il
restera mal-ayséement à qui fier la santé de cet estat, au cas
que fortune nous la redonne:
Hunc saltem euerso iuuenem succurrere seclo,
Ne prohibite. ⁁
⁁ . Qu’est deuenudevenu cet
antien praecepte, que
les soldatz ont plus a
creindre leur generalchef
que a l’enemi: eEt ce
merueilleusmerveilleus example,
qu’un pomier s’estant
trouuètrouvè enfermé dans
le pourpris du camp
de larmeel’armee Romeine,
elle fut ueueveue landemein
en desloger, laissant
au possessur le conte
entier de ses pomes
meures & delicieuses.
IJ’aymerois bien que nostre iunessejunesse au lieu t du temps qu’elle emploie
à des peregrinations moins utiles & aprantissages moins honorables
elle l’emplointle mit moitie a uoir de la guerre sur mer sous quelque bon
capitene comandur de Rhodes moitie a reconoitre la discipline des
armees turquesques car ell’a beaucoup de differances et d’auantagesavantages sur
la nostre Ceci en est, que nos soldats deuienentdevienent plus licentieus aus
expeditions: la plus retenus et docilescreintifs.
1-Car les offances ou larrecins qu'ils font sur le menu puple se punissent de coups de baston en paix: mais en guerre ils n'en rabatent rien de la hart et sans remission quelconque
2-Car les offances ou larrecins qu'ils font sur le menu puple se punissent de moitie plus legieremant en paix que en guerre et de ce qu'on n'avoit acostume qu'estre batu on est pendu.
3-Car les offances ou larrecins qu'ils font sur le menu puple se punissent de mort en guerre et en paix de bastonades Un seul euf en guerre ce sont cinquante coups de basto
4-Car les offances ou larrecins sur le menu puple qui se punissent de bastonades en la paix sont capitales en guerre
Car les offācesoffances ou larrecins qu’ils font
sur le menu puple qui se punissent de coups de bastonmoitie plus legieremant en paix : Maisque en guerre et de ce
ils n’en rabatent rien de la hart et sans remission quelconque
le conte faictqu’on n’auoitavoit acostume qu’estre batu on est pendu. mort en guerre en paix de bastonades
Un seul euf en guerre ce sont cinquante coups de basto
de bastonades en la paix sont capitales en guerre Pour un euf prins sans païer
ce sont de cōteconte prefix cinquātecinquante coups de baston Pour toute autre chose tant legiere soit elle non propre
à la nourriture, on les enpale ou decapite sans deport. IeJe me suis estone en l’histoire de Selim pere de SolimāSoliman le plus
cruel conquerant qui fut onques, veoir, que lors qu’il subiuguasubjugua l’AEgipte que les iarjar admirables iardinsjardins qui sōtsont autour de ⁁
L’addition continue au bas de la page suivante.
⁁ la uilleville de Damas en abondance & delicatesse
restarētrestarent uiergesvierges des mains de ses soldats tous
ouuersouvers & non clos com’ils sont
Mais est-il quelque mal en vneune police, qui vaille estre comba-
tu par vneune drogue si mortelle: nNon pas disoit FaoniusFavonius, l’vsur-
pationusur-
pation de la possession tyrannique d’vnun estat. ⁁
⁁ Pailaton de mesme: ne consent pas qu’on face uiolantceviolantce au
repos de son païs pour le guerir. et n’accepte pas l’amendemētamendement
qui couste le sang et ruine des citoïens citoïens. Establissant
l’office d’un home de bien: en ce cas, de laisser tout la: sulemant de
prier Dieu qu’il y porte sa main extraordinere. Et semble sçauoirsçavoir
mauuesmauves gre a Dion son grand amy d’y auoiravoir un peu autremant procede ⁁
⁁ IJ’estois Platonicien de ce costé là, auantavant que ieje sçeusse qu’il y eust de Platon
au monde. Et si ce personage, doit purement estre refuse de nostre consorce: luy, qui
par la sincerite de sa consciance, merita enuerenver la faueurfaveur diuinedivine, de penetrer si auantavant
en la Chrestine lumiere:, au trauerstravers des tenebres publiques du monde de son temps: ieje ne
pense pas, qu’il nous siese bien de nous laisser instruire a un païen, combien c’est d’impi=
ete, de n’atandre de Dieu, nul secours, simplement siens et sans nostre cooperation. IeJe doubte
souuantsouvant, si entre tant de gens, qui se meslent de telle besouigne, nul s’est rencontre d’entādemētentandement
si imbecille, a qui on aye en bon esciant persuade, qu’il aloit uersvers la reformation, par la derniere des
difformations: qu’il tiroit uersvers son salut, par les plus expresses causes que nous ayons de tres cer=
teine damnation: que renuersantrenversant la police le magistrat, et les loix, en la tutelle des quelles dieu
l’a colloque: desmembrant sa mere, et en donant a ronger les pieces, a ses antiens enemis: remplis=
sant des haynes parricides les corages fraternels: apelant a son aide les diables et les furies
il puisse aporter secours a la sacrosaincte douceur, et iusticejustice de la parole diuinedivine.
L’ambition, l’a-
uaricea-
varice, la cruauté, la vengeance, n’ont point assez de propre &
naturelle impetuosité,: amorchons les & les attisons par le
glorieux titre de iusticejustice & deuotiondevotion. Il ne se peut imaginer
vnun pire visage des choses, qu’ou la meschanceté vient à estre
legitime,: & prendre auecavec le congé du magistrat le manteau
LIVRE TROISIESME.462470
de la vertu. ⁁
⁁ Nihil in speciem fallacius
quam praua relligio: ubi
deorum numen praetenditur
sceleribus. L’extreme figureespece
de d’iniusticeinjustice selon Platon c’est
que celuyce qui est iniusteinjuste soit
tenu pour iustejuste.
Le peuple y souffrit bien largement lors, non les
dommages presens seulement,
vndique totis,
Vsque adeo turbatur agris,
mais les futurs aussi. Les viuansvivans y eurent à patir,: si eurent ceux
qui n’estoient encore nays. On le pilla, & à moy par conse-
quent, iusquesjusques à l’esperance,: luy rauissantravissant tout ce qu’il auoitavoit à
s’aprester à viurevivre pour longues années,:
Quae nequeunt secum ferre aut abducere, perdunt,
Et cremat insontes turba scelesta casas:
Muris nulla fides, squallent populatibus agri.
Outre cette secousse, ij’en souffris d’autres. IJ’encorus les incō-
ueniensincon-
veniens que la moderation aporte en telles maladies. IeJe fus
pelaudé à toutes mains: aAu Gibelin ij’estois Guelphe, au Guel-
phe Gibelin: qQuelqu’vnun de mes poёtes dict bien cela, mais
ieje ne sçay ou c’est. La situatiōsituation de ma maison, & l’acointāceacointance des
hommes de mon voisinage, me presentoient d’vnun visage,: ma
vie & mes actions d’vnun autre. Il ne s’en faisoit point des accu-
sations formées: car il n’y auoitavoit ou mordre,. iIejJe ne desempare
iamaisjamais les loix: &Et qui m’eust recerché, m’en eust deu de re-
ste. C’estoyent suspitions muettes & desrobéesqui couroint sous main,: ausquelles il
n’y a iamaisjamais faute d’apparence, en vnun meslange si confus,: non
plus que d’espris ou enuieuxenvieux ou ineptes. ⁁
⁁ IJ’aide ordinerement aus
presomptions iniurieusesinjurieuses que la
fortune seme contre moy par
une façons que ij’ay des tousiourstousjours
de fuir a me iustifierjustifier excuser
et interpreter estimant que c’est
mettre ma cōscianceconsciance en compromis
de pleider pour elle ⁁ ⁁ perspicuitas enim argumentatione eleuatur et come, si
chacun uoïoitvoïoit en moi aussi cler
que ieje fois au lieu de me tirer
arriere de l’accusation ieje m’y
auanceavance et la rencheris plustost
par une confession ironique et
moqueuse,: si ieje ne m’en tais
tout a fai plat, come de chose
indigne de responce. Mais et
ceus qui le prenent pour une
trop hauteine confiance ne
m’en ueulentveulent guere moins que
ceus qui le prenent pour
foiblesse d’une cause indefansible
nomeement les grans enuersenvers les
quels faute de summission est
la premiere iniusticeinjustice.l’extreme faute: IJ’ay
souuantsouvant hurte a ce pilier. Tant y à
que de ce qui m’en aduintadvint lors un
rudes a toute iusticejustice qui se conoit qui se sent:
non tremblantedesmise humble et suppliante. IJ’ay
souuantsouvant hurtè a ce pillier. Tant y a que de ce qui
m’auintavint lors, un
VnUn ambitieux s’en fut
pandu,: si eust faict vnun auaritieuxavaritieux. IeJe n’ay soing quelconque
d’acquerir,
Sit mihi quod nunc est, etiam minus, vt mihi viuam
Quod superest aeui, siquid superesse volent dij.
Mais les pertes qui me viennent par l’iniureinjure d’autruy,: soit lar-
recin, soit violence, me pinsent, enuirōenviron comme à vnun homme
malade & geiné d’auariceavarice. L’offence à sans mesure plus d’ai-
greur q̄que n’ya la perte. MMille diuersesdiverses sortes de maux accoureurētaccoureurent
à moy à la file, iIejJe les eusse plus gaillardement souffers à la
CCCCCc ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
foule. IeJe pensay desiadesja, entre mes amys à qui ieje pourrois com-
mettre vneune vieillesse necessiteuse & disgratiée: aApres auoiravoir ro-
dé les yeux par tout, ieje me trouuaytrouvay en pourpoint. Pour se
laisser tomber à plomb, & de si haut, il faut que ce soit entre
les bras d’vneune affection solide, vigoreuse & fortunée. Elles
sont rares, s’il y en a. En fin ieje cogneuz que le plus seur, estoit
de me fier à moy-mesme de moy, & de ma necessité: &Et s’il
m’aduenoitadvenoit d’estre froidement en la grace de la fortune, que
ieje me recommandasse de plus fort à la mienne: m’atachasse,
regardasse de plus pres à moy. ⁁
⁁ En toutes choses
les homes se iettentjettent
aus appuis estrangiers
pour espargner les
propres: seuls certeins
& suls puissants, qui
sçait s’en armer.
Chacun court ailleurs
& à lauenirl’avenir d’autant
que nul n’est arriuèarrivè a soi.
Et me resolus que c’estoyent
vtilesutiles inconueniensinconveniens,: dD’autant premierement, qu’il faut auer-
tiraver-
tir à coups de foyt, les mauuaismauvais disciples, quand la rayson n’y
peut assez. ⁁
-
⁁ Come par
le feu et
uiolanceviolance des
coins nous
ramenons un
bois tortu a sa
droitur.
IeJe me presche, il y a si long temps, de me tenir à
moy, & separer des choses estrangeres, toutesfois, ieje tourne
encores tousiourstousjours les yeux à costé: lL’inclination, vnun mot fa-
uorablefa-
vorable d’vnun grādgrand, vnun bon visage, me tētetente:. Dieu sçait s’il en est
cherté en ce temps, & quel sens il porte. IJ’oys encore sans ri-
der le front, les subornemens qu’on me faict pour me tirer en
place marchande, &Et m’en deffens si mollement, qu’il semble
que ieje souffrisse plus volontiers d’en estre vaincu. Or à vnun es-
prit si indocile, il faut des bastonnades,: &Et faut rebattre & res-
serrer à bons coups de mail, ce vaisseau qui se desprent, se des-
cout, qui s’eschape & desrobe de soy. Secondement, que cet
accident me seruoitservoit d’exercitation, pour me preparer à pis, sSi
iejemoi, qui & par le benefice de la fortune, & par la condition de
mes meurs, esperois estre des derniers, venois à estre des pre-
miers attrapé de cette tempeste: mM’instruisant de bonne heu-
re à contraindre ma vie, & la renger pour vnun nouuelnouvel estat. La
vraye liberté c’est pouuoirpouvoir toutes choses sur soy.⁁
-
⁁ . Potentissimus est
qui se habet in
potestate. Seruitus
e obedientia est fracti
animi et abiecti, arbitrio
carentis suo.
En vnun estattemps
ordinaire & tranquille, on se prepare à des accidens moderez
& cōmunscommuns,: mMais en cette confusion, ou nous sommes dépuis
trente ans, tout homme françois, soit en particulier soit en
LIVRE TROISIESME.463471
general, se voit à chaque heure, sur le point de l’entier renuer-
sementrenver-
sement de sa fortune: dD’autant faut-il tenir son courage four-
ny de prouisionsprovisions plus fortes & vigoureuses. Sçachons gré au
sort, de nous auoiravoir fait viurevivre en vnun siecle, nōnon mol, languissant,
ny oisif: tTel qui ne l’eut esté par autre moyen, se rēdrarendra fameux
par son malheur. ⁁
⁁ Come ieje ne ly guere és histoires, ces confusionconfusions, des autres estats,
que ieje ne sante desplaisir’aye regret de ne les auoiravoir peu mieus considerer presant. Einsi faict ma
curiosité, que ieje me plaise’agree aucunemant de uoirvoir de mes yeus ce notable spectacle de
nostre mort publique, ses symptomes et sa forme: eEt puis que ieje ne la puis
retarder, suis contant d’estre destinè a y assister, & m’en instruire. Si cherchons nous
auidemantavidemant de ren reconoistre en ombre mesmes et en la fable des theatres, la montre
des ieusjeus tragiques de l’humaine fortune. Certes il est bien uraivrai: Mores cuique sui fingunt fortunam. Ie
n’ose honestemant dire aueqaveq combien peu de deschet de ma tranquillité ij’ay coulé meshui tant de temps en cete tempeste.
Ce n’est pas sans compassion de ce que nous oions, mais nous ne nous plaisons d’esueilleresveiller nostre desplesir par la raretè
de ces pitoiables euenemansevenemans. Rien ne chatouille qui ne pinse. Et les bons historiens fuient come un’eau dormante des
& mer morte des narrations calmes et mousses pour regaigner les seditions les meurtres les guerres ou ils sçauentsçavent que nous les apelons. ⁁
⁁ IeJe doute si ieje puis assez honnestement aduouëradvouër, à combien vil
pris du repos et tranquillitè de ma uievie ieje l’ai plus de moitie passee en la ruine de mon païs. IeJe
me done un peu trop bon marché de patiance es accidans qui ne me sesissent au propre: et pour me
pleindre poura moi, regarde non tant ce qu’on m’oste que ce qui me reste de sauuesauve et dedans et dehors.
Il y a de la consolation a escheuereschever tantost l’un tantost l’autre des maus qui nous guignent de suite,
et assenent ailleurs autour de nous. Aussi qu’en matiere d’interetz publiques a mesure que mon
affection est plus uniuersellemantuniversellemant espandue elle en est plus foible. ⁁
⁁ IointJoint que certes a peu pres
Tantum nimirum
ex publicis malis
sentimus quantum
ad priuatas res
pertinet.
Et ⁁ ⁁ certes que la santè doud’ou nous
partismes estoit telle qu’elle solage elle mesmes le regret que nous en deurionsdevrions auoiravoir.
C’estoit santè mais non qu’a la comparaison de la maladie qui l’a suiuiesuivie Nous ne somes chus
de gueres haut La corruption et le brigandage qui est en dignitè et en ordre me semble le moins
supportable On nous uolevole moins iniurieusementinjurieusement dans un bois qu’en lieu de
suretè. C’estoit une iouinturejouinture uniuerselleuniverselle de membres gastez et ulcerez
en particulier a l’enuienvi les uns des autres: et la plus part d’ulceres enuieillisenvieillis
qui ne receuointrecevoint plus ny ne demandoint guerison.
Tant est, que cCe crollement ⁁ donq m’anima certes
plus qu’il ne m’atterra,. àA l’aide de ma consciēceconscience, qui se portoit
non paisiblement seulement, mais fierement,: & ne trouuoistrouvois
en quoy me plaindre de moy. Aussi comme Dieu n’enuoieenvoie ia-
maisja-
mais non plus les maux, que les biens tous purs aux hommes,
ma santé tint bōbon ce temps là, outre son ordinaire: &Et ainsi que
sans elle ieje ne puis riērien, il est peu de choses que ieje ne puisse auecavec
elle. Elle me donna moyen d’esueilleresveiller toutes mes prouisionsprovisions,
& de porter la main au deuantdevant de la playe, qui eust passé vo-
lontiers plus outre: &Et esprouuayesprouvay en ma patience, que ij’auoysavoys
quelque tenue contre la fortune,: & qu’à me faire perdre mes
arçons, il me falloit vnun grand heurt. IeJe ne le dis pas pour l’irri-
ter à me faire vneune charge plus vigoureuse,. iIejJe suis son seruiteurserviteur,:
ieje luy tends les mains,. pPour Dieu qu’elle se contente. Si ieje sens
ses assaux? si foais:. mais cComme ceux que la tristesse accable &
possede, se laissent pourtant par interuallesintervalles tastonner à quel-
que plaisir, & leur eschappe vnun soubsrire: ieje puis aussi assez sur
moy, pour rendre mon estat ordinaire, paisible, & deschargé
d’ennuyeuse imagination, mMais ieje me laisse pourtant à bouta-
des surprendre des morsures de ces malplaisantes pensées,: qui
me battent, pendant que ieje m’arme pour les chasser, ou pour
les luicter. Voicy vnun autre rengregement de mal, qui m’arriuaarriva
à la suitte du reste. Et dehors & dedans ma maison, ieje fus ac-
cueilly d’vneune peste vehemētevehemente au pris de toute autre. Car com-
me les corps sains sont subiectssubjects à plus griefuesgriefves maladies, d’au-
tant qu’ils ne peuuentpeuvent estre forcez que par celles là,: aussi mon
air tressalubre, où d’aucune memoire, la contagion, bien que
CCCCCc iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
voisine n’auoitavoit sceu prendre pied, venant à s’empoisonner,
produisit des effects estranges. & inouys.
Mista senum & iuuenum densantur funera, nullum
Saeua caput Proserpina fugit.
IJ’eus à souffrir cette plaisante condition, que la veue de ma
maison m’estoit effroiable. Tout ce qui y estoit, estoit sāssans gar-
de, & à l’abandon de qui en auoitavoit enuieenvie. Moy qui suis si hos-
pitalier, fus en trespenible queste de retraicte, pour ma famil-
le. VneUne famille esgarée,: faisant peur à ses amis & à soy-mesme,:
& horreur ou qu’elle cerchast à se planter: aAyantcer: ayant a changer de
demeure, soudain qu’vnun de la troupe cōmençoitcommençoit a se douloir
du bout du doigt. Toutes maladies sont prises pour peste: oOn
ne se donne pas le loisir de les recōnoistrereconnoistre. Et c’est le bon,: que
selon les reigles de l’art, a tout danger qu’on approche, il faut
estre quarante ioursjours en transe de ce mal,. lL’imagination vous
exerceant ce pendant à sa mode,: & enfieurantenfievrant vostre santé
mesme. Tout cela m’eust beaucoup moins touché, si ieje n’eus-
se eu à me ressentir de la peine d’autruy,: & seruirservir six mois mi-
serablement de guide à cette carauanecaravane. Car ieje porte en moy
mes preseruatifspreservatifs, qui sont resolution & souffrance: lL’appre-
hension ne me presse guere,: laquelle on crainct particuliere-
ment en ce mal,: &Et si estant seul, ieje l’eusse voulu prendre,
c’eust esté vneune fuite biēbien plus gaillarde & plus esloingnée. C’est
vneune mort, qui ne me semble des pires: eElle est communéemētcommunéement
courte, d’estourdissement, sans douleur: cConsolée par la con-
dition publique: sSans ceremonie, sans deuil, sans presse. Mais
quant au monde des enuironsenvirons, la centiesme partie des ames
ne se peust sauuersauver,
videas desertáque regna
Pastorum, & longè saltus latéque vacantes.
En ce lieu, mon meilleur reuenurevenu est manuel: cCe que cent hom-
mes trauailloienttravailloient pour moy, chaume pour long temps. Or
lors, quel exemple de resolution ne vismes nous, en la simpli-
LIVRE TROISIESME.464472
cité de tout ce peuple. Generalement chacun renonçoit au
soing de la vie. Les raisins demeurerent suspendus aux vignes,
le bien principal du pays: tTous indifferemment se preparans &
attendans la mort, à ce soir, ou au lendemain: d’vnun visage &
parolled’une uoixvoix si peu effroyée, qu’il sembloit qu’ils eussent compro-
mis à cette necessité,: & que ce fut vneune condemnation vniuer-
selleuniver-
selle & ineuitableinevitable. Elle est tousiourstousjours telle: mMais à combien peu
tient la resolution au mourir: lLa distance & differēcedifference de quel-
ques heures,: la seule consideration de la compaignie, nous en
rend le goust tout diuersdivers.’apprehantion diuersediverse. Voyez ceux-cy,: pource qu’ils meu-
rent en mesme mois: enfans, ieunesjeunes, vieillards, ils ne s’estonnētestonnent
plus, ils ne se pleurent plus. IJ’en vis qui craingnoiētcraingnoient de demeu-
rer derriere, comme en vneune horrible solitude,. &Et n’y conneu
communéement autre soing que des sepultures: iIl leur fas-
choit de voir les corps espars emmy les champs, à la mercy des
bestes,: qui y peuplerent incontinent. ⁁
⁁ Comant les fantasies deshumaines
homes se decoupent. les Neo=
rites nation qu’Alexandre
subiugasubjuga ietentjetent les corps des
mors au plus profont de
leurs bois pour y estre mangez.
Sule sepulture estimee digne
entre eus hureuse.
Tel sain faisoit desiadesja sa
fosse,: d’autres s’y couchoient encore viuansvivans,: &Et vnun maneuuremaneuvre
des miens, à tout ses mains, & ses pieds, attira sur soy la terre
en mourant: eEstoit ce pas s’abrier pour s’endormir plus à son
aise.: ⁁
⁁ D’une entreprise
auaucunemant sambla=
ble a celleD’une entreprinse en
hauteur aucunemant
pareille a celle des plusieurs
soldats romeins qu’on
trouuatrouva apres la
iourneejournee de Cannes la
teste plongee dans des
trous qu’ils auointavoint faicts
pour s’y estouffer et
comblez de leurs
mains en s’y suffo=
quant.
Somme, que toute vneune nation fut incontinent par vsageusage,
logée en vneune desmarche, qui ne cede en roideur à aucune re-
solution estudiée & consultée. La plus part des instructions
de la science à nous encourager, ont plus de montre que de
force,: & plus d’ornement que de fruict. Nous auonsavons abandō-
néabandon-
né nature, & luy voulons apprendre sa leçōleçon: elle, qui nous me-
noit si heureusement & si seurement: &Et ce pendant les traces
de son instruction, & ce peu qui par le benefice de l’ignoran-
ce reste de son image, empreint en la vie de cette tourbe rusti-
que d’hommes impolis, la science est contrainte de l’aller tous
les ioursjours empruntant pour en faire patron à ses disciples, de
constance, d’innocence, & de tranquillité. Il faict beau voir,:
que ceux-cy plains de tant de belle cognoissance, ayent à
ESSAIS DE M. DE MONTA.
imiter cette sotte simplicité,: & à l’imiter aux premieres actiōsactions
de la vertu: &Et que nostre sapiēcesapience, apreigne des bestes mesmes,
les plus vtilesutiles enseignemens, aux plus grandes & necessaires
parties de nostre vie: cComme il nous faut viurevivre & mourir,
mesnager nos biēsbiens, aymer & esleuereslever nos enfans, entretenir iu-
sticeju-
stice: sSingulier tesmoignage de l’humaine maladie,. &Et que cet-
te raison qui se manie à nostre poste, trouuāttrouvant tousiourstousjours quel-
que diuersitédiversité & nouuelleténouvelleté, ne laisse chez nous aucune trace ap-
parente de la nature: &Et en ontont faict les hommes, comme les
parfumiers de l’huile,: ils l’ont sophistiquée de tāttant d’argumen-
tations, & de discours adioustezadjoustezapelez du dehors, qu’elle en est de-
uenuede-
venue variable, & particuliere à chacun,. &Et à perdu son pro-
pre visage, constant, & vniuerseluniversel, &Et nous faut en cercher tes-
moignage, des bestes, non subiectsubject à faueurfaveur, corruption, ny à
diuersitédiversité d’opinions. Car il est bien vray, qu’elles mesmes ne
vont pas tousiourstousjours exactement dans la route de nature, mMais
ce qu’elles en desuoyentdesvoyent, c’est si peu, que vous en apperceuezappercevez
tousiourstousjours l’ormniere. Tout ainsi que les cheuauxchevaux qu’on meine
en main, font bien des bōdsbonds, & des escapades, mais c’est la lon-
gueur de leurs longes, & suyuentsuyvent ce neantmoins tousiourstousjours les
pas de celuy qui les guide: &Et comme l’oiseau prend son vol,
mais sous la bride de sa filiere. ⁁
⁁ Exilia, tormenta,
bella, morbos, nau=
fragia meditare, ut
nullo sis malo tiro.
A quoy nous sert cette curiosi-
té qui nous faictde preoccuper tous les inconuenientsinconvenients de l’hu-
maine nature,: & nous preparer auecavec tant de peine à l’encontre
de ceux mesme qui n’ont à l’auantureavanture poinct à nous toucher? ⁁
⁁ Parem passis
tristitiam facit,
pati posse. Ou Non
pas sulemant le coup
mais le pet aussile uentvent et pet le pet nous
frape. Ou
où comme les plus fieureuxfievreux, car certes c’est fiéurefiévre, aller des à
cette heure vous faire donner le fouet, par ce qu’il peut adue-
niradve-
nir, q̄que fortune vous le fera souffrir vnun iourjour.⁁
-
⁁ : et prendre uostrevostre
robe fourree des la
S. IanJan, par ce que
vous en arez besouin
à Noel. Appeler la
misere a uenirvenir &
de sa creinte
corrompr infecter
le presant bonheur.
IettezJettez vous en l’expe-
riēceexpe-
rience des tous les maux qui vous peuuentpeuvent arriuerarriver, ou aumoinsnomeemant
des plus extremes: esprouuezesprouvez vous la, disētdisent-ils, asseurez vous là. ⁁
⁁ Exilia
tormenta
morbos bella
morbos
naufragia
meditare.
Au rebours, le plus facile & plus naturel, seroit en descharger
mesme sa pensée. Ils ne viendront pas assez tost, leur vray estre
ne
LIVRE TROISIESME.465473
ne nous dure pas assez, il faut que nostre esprit l’les estende & l’a-
longe, & qu’auantavant la main il l’les incorpore en soy, & s’en entre-
tienne, comme s’ils ne poisoient pas assezraisonablement à nos sens. ⁁
⁁ Satins scito dolebit
cum uenenerituenerit: interea
tibi faue, crede quod
mauis: quid iuuat
dolori suo occurrere? Le
mesme Seneque et
praesens tempus futuri
metu perdere? et esse
iam miserūmiserum quia
quandoque futurus
miser: Seneque mesme
⁁ Ils poiseront assez, quand ils y seront (dit vnun des maistres, non de
quelque tendre secte, mais de la plus dure) cependant fauorisefavorise toy:
crois ce que tu eimes le mieus: que te sert ⁁ ⁁ il d’aller receuillant et preuenantprevenant
ta male fortune, et de perdre le presant par la creinte du futur: et estre dés
cet’heure miserable par ce que tu le dois estre quelque iourjouraueqaveq le temps. Ce sont ses mots. mesmes
La scien-
ce nous faict volontiers vnun bon office de nous instruire bien
exactement des dimentions des maux,
curis acuens mortalia corda,:
cCe seroit grand dommage, si partie de leur grādeurgrandeur eschapoit
à nostre sentiment & cognoissance. Il est certain, qu’à la plus
part, la preparation à la mort, à donné plus de tourment, que
n’a faict la souffrance. ⁁
⁁ Il fut iadisjadis
ueritablemantveritablemant dict
et par un bien iudicjudic
iudicieusjudicieus autheur,
minus afficit sensus
fatigatio quam
cogitatio. la pensee
des maus nous done
plus de peine que le
sentimant. CelluyLe sentimant de
la mort presante, nous anime ⁁ ⁁ par fois de soimes=
mes d’une prompte resolution de ne
plus euitereviter chose du tout ineuitableinevitable.
Plusieurs gladiaturs se sont ueusveus au temps
passe apres auoiravoir coardemant combattu
aualeravaler corageusemant
la mort: offrant leur
gosier au fer de l’enemy
et le conuiantconviant. La ueueveue
de la mort a uenirvenir a
besouin d’une fermeté
lente: et difficille par
fournir cōsequātconsequant a
fournir.
Si vous ne sçauezsçavez pas mourir, ne vous
chaille, nature vous en informera sur le champ, plainement &
suffisamment,: eElle fera exactemētexactement cette besongne pour vous,
n’en empeschez vostre soing.
Incertam frustra mortales funeris horam,
Quaeritis, & qua sit mors aditura via.
Poena minor certam subito perferre ruinam,
Quod timeas, grauius sustinuisse diu.
Nous troublons la vie par le soing de la mort, & la mort par
le soing de la vie. ⁁
-
⁁ L’une nous
ennuïe, lautrel’autre
nous effraïe.
Ce n’est pas contre la mort, que nous nous
preparons, c’est chose trop momentanée: ⁁
⁁ VnUn quart d’heure
de passion sans
consequance sans
nuisance ne merite
pas dedes praeceptes
particuliers. A
a dire vray, nous
nous preparons contre les preparations de la mort. La philo-
sophie nous ordonne, d’auoiravoir la mort tousiourstousjours deuantdevant les
yeux, de la preuoirprevoir & considerer auantavant le temps, & nous don-
ne apres, les reigles & les precautions, pour prouuoirprouvoir à ce, que
cette preuoianceprevoiance, & cette pensée ne nous blesse. Ainsi font les
medecins qui nous iettentjettent aux maladies, affin qu’ils ayent ou
employer leurs drogues & leur art. ⁁
⁁ Si nous n’auonsavons sceu
uiurevivre c’est iniusticeinjustice de
nous apprandre a
mourir. Et de diformer
la fin de son tout. Si
nous auonsavons sceu
uiurevivre constammant
et tranquillemant nous
sçaurons mourir de mesme.
Ils s’en uanterontvanteront tant qu’il
leur plairra Tota philosoforūphilosoforum uita commen=
tatio mortis est. Mais il m’est aduisadvis que c’est bien
le bout la fin lextremitel’extremite de la uievie que la mort Non
portant le but et lobietl’objet de la fin uievie. CestC’est sa fin son
extremite non pourtant son obeiectobeject Elle doit estre a
elle mesmes ⁁ ⁁ a soi sa uiseevisee son proietprojet dessein. Son droit estude doit
estre se regler se cōduireconduire se souffrir. Au nombre de
plusieurs autres offices que comprant le general et
principal chapitre de sçauoitrsçavoitr uiurevivre est cet officearticle de sçauoirsçavoir
mourir. Et a lauāturel’avanture des plus legiers si nostre creinte
ne luy donoit pois.
A les iugerjuger par l’vtilitéutilité, &
par la verité naifuenaifve, cesles leçons de la simplicité, ne cedent à l’a-
uanturea-
vanture gueres, à celles que nous presche la doctrine au con-
traire. Les hōmeshommes sōtsont diuersdivers en goust & en force, il les faut me-
ner à leur bien selōselon eux, & par routes diuersesdiverses. ⁁
-
⁁ Quo me cunque rapit tempestas deferor hospes.
IeJe ne vy iamaisjamais
DDDDDd
ESSAIS DE M. DE MONTA.
paysan de mes voisins, entrer en cogitation de quelle conte-
nance, & asseurance, il passeroit cette heure derniere: nNatu-
re luy apprend à ne songer à la mort que quand il se meurt.
Et lors il y a meilleure grace qu’Aristote,: lequel la mort
presse doublement, & par elle, & par vneune si longue pre-uoiancevoiance.
meditation. ⁁ Pourtant fut-ce l’opinion de Caesar, que la
moins premeditéepourpensee mort, estoit la plus heureuse, & plus
deschargée. ⁁
⁁ Plus dolet quam
necesse est qui ante
dolet quam necesse
est. LaigrurL’aigrur de cette
imagination nait
come la plus part, de
nostre curiosite. Nous
nous empeschons
tousiourstousjours einsi: uolantsvolants
deuancerdevancer et regenter
les praescriptions natu
relles. Ce n’est qu’aus
nos maistresdocturs d’en
disner plus mal tous
sains et de se refrouig=
ner de la memoirelimagel’image
de la mort. Le commun
n’a besoin ny de remede
ny de consolation q
qu’au malcoup. presant.
Et n’en considere que’
autant iustemantjustemant qu’il
le en sent. pour l’heure sur
le champ.
Est-ce pas ce que nous disons, que la stupidité, et
faute d’apprehension, & bestise du vulgaire, luy donne cette
patience aux maux, plus grande que nous n’auonsavons,presens: & cette
profonde nonchalance des sinistres accidens futurs, ⁁ ⁁ que leur ame pour estre crasse et obtuse est moins penetrable et agitable:
agitable. & de la
mort à venir. Pour Dieu s’il est ainsi, tenons d’ores en auantavant
escolle de bestise. C’est l’extreme fruict, que les sciences nous
promettent, auquel cette-cy conduict si doucement ses di-
sciples. Nous n’aurons pas faute de bons regens, interpre-
tes de la simplicité naturelle,. Socrates en sera l’vnun. Car de ce
qu’il m’en souuientsouvient, il parle enuironenviron en ce sens, aux iugesjuges qui
deliberent de sa vie. IJ’ay peur, messieurs, si ieje vous prie de
ne me faire mourir, que ieje m’enferre en la delation de mes ac-
cusateurs,. qQui est, que ieje fais plus l’entendu que les autres,
comme ayant quelque cognoissance plus internecachee, des choses
qui sont au dessus & au dessous de nous: iIejJe sçay que ieje n’ay
ny frequenté, ny recogneu la mort,: ny n’ay veu personne qui
ayt essayé ses qualitez, pour m’en instruire: cCeux qui la crain-
gnent presupposent la cognoistre: qQuant à moy, ieje ne sçay
ny quelle elle est, ny quel il faict en l’autre monde: àA l’auan-
tureavan-
ture est la mort chose indifferente, à l’auantureavanture desirable: ⁁
⁁ Il est a croire ⁁ ⁁ pourtant si c’est une
transmigration d’une place a
autre qu’il y a de l’amandemant
d’aller uiurevivre aueqaveq tant de grans
personages trespassez: et d’estre
exampt d’auoiravoir plus a faire a
iugesjuges iniques et corrompus. Si
c’est un aneantissemant de nostre
estre c’est encores amandemant
d’entrer en une longue et paisible
nuit. Nous ne sentons rien de
plus dous ⁁ ⁁ en la uievie qu’un repos et som=
meil tranquille exempt de et
profont, sans songes.
lLes choses que ieje sçay estre mauuaisesmauvaises,: comme d’offencer
son prochain, & desobeir au superieur, soit Dieu soit hom-
me, ieje les euiteevite songneusement: cCelles desquelles ieje ne sçay,
si elles sont bonnes ou mauuaisesmauvaises, ieje ne les sçauroy crain-
dre: vVous en ordonnerez doncq comme il vous plaira. ⁁ Quand
ieje m’en irai mourir et uousvous lerrai uiuansvivans c’est a dieu sul aqui
sçauoirsçavoiruoitvoit a qui de uousvous ou de moi il iraen est mieusieje ne sçai a qui de uousvous ou de moi il en ira
mieus les dieus suls le sçauentsçavent. Par quoi uousvous
en ordonerez com’il uousvous plairra pour mon regart. pPour
le uostrevostre et le bien de uostrevostre consciance et le profitbesouin que ieje fois uousvous fois
a uostrevostre uillevillepar mes instructions ieje uousvous conseille pour le meillur de m’esrelaxer. m’eslargir.
Cette addition apparait au recto du folio suivant (474r).
⁁ Si ieje m’en uoisvois mourir et uousvous laisse en uievie les dieus suls uoientvoient a qui de
uousvous ou de moi il en ira mieus. Par quoi pour mon regart uousvous en ordoneres
come il uousvous plairra. Mais selon ma façon de conseiller les choses iustesjustes et utiles ieje dis bien que pour
uostrevostre consciance uousvous faires mieus de m’eslargir si uousvous ne uoiesvoies plus auantavant que moy en ma cause. Et
iugeantjugeant selon mes actions passees et plu publiques et priueesprivees selon mes intantions et selon le profit que tirent tous les ioursjours de ma conuersationconversation tant de nos
citoiens et iunesjunes et uieusvieus et le fruit que ieje uousvous fois a tous uousvous ne pouuespouves duhemant uousvous descharger enuersenvers mon merite qu’en ordonant que ieje sois
nourri atandu ma pouretepovrete au Prytanee aus despans publiques ce que souuantsouvant ieje uousvous ai ueuveu faire a moindre merite raison ottroier a d’autres.
Ne prenes pas a obstination ou desdein que suiuantsuivant la costume ieje n’aille uousvous suppliant et esmouuantesmouvant a commiseration IJ’ay des amis et des parans: et ⁁ ⁁ n’estant comme
dict Homere ne suis engendre ny de bois ny de pierre non plus que les autres: capables de se presanter aueqaveq des larmes et le deuil et ay trois enfans
esplorez de quoi uousvous fairetirer a pitie Mais ieje ferois honte a nostre uilleville en leagel’eage que ieje suis et en telle reputation de sagesse que m’en uoicyvoicy en preuantionprevantion
de m’aler desmettre a si laches contenances. Que diroit on des autres Atheniens IJ’ay tousiourstousjours admonetè ceus qui m’ont oui parler de ne racheter leur uievie par
un’action deshonette Et aus guerres de mon païs a Amphipolis a Potidee a Delie et autres ou ieje me suis trouuétrouvé ij’ay montre par effaict combien ij’estois loing
de garantir ma surete par ma honte. DauantageDavantage ij’interesserois uostrevostre deuoirdevoir et uousvous conuieroisconvierois a choses laides car ce n’est pas a mes prieres de uousvous persuader
c’est aus raisons pures et solides de la iusticejustice. Vous auesaves iurejure aus dieus d’ainsi uousvous maintenir. Il sembleroit que ieje uousvous uousissevousisse supçoner et
recriminer de ne croire pas qu’il y en aye Et moi mesmes tesmoingnerois contre moi de ne croire point en eus come ieje dois me desfiant de leur conduicte
et ne remetant puremant en leurs mains mon affaire IeJe m’y fie du tout et tiens pour certein qu’ils fairont en ceci ceselon qu’il sera le plus propre a uousvous
et a moi Les gens de bien ny uiuansvivans ny mors n’ont aucunemant a se creindre des Dieus.
LIVRE TROISIESME.466474
Voyla pas vnun plaidoyer puerile,⁁ ⁁ sec et ⁁sain et sec mais quand et quand naïf et bas, d’vneune hauteur inimaginable,
ueritableveritable franc et iustejuste au dela de tout example
& employé en quelle necessité. ⁁
⁁ Vrayement ce fut raison, qu’il le preferast à celuy, que ce grand Orateur Lysias, auoitavoit mis par escrit
pour luy: excellemment façonné au stile iudiciairejudiciaire: mais indigne d’vnun si noble
criminel. Eut on ouï de la uovo bouche de Socrates une uoixvoix suppliante: cete superbe uertuvertu eust
elle calé au plus fort de sa montre. Et sa riche et puissante nature eut elle commis a lartl’art sa
defance, et en son plus haut et examplere essai renonce a la ueriteverite et naïfuetenaïfvete ornemans de
son parler, pour se parler
du fard des figures &
feintesfeintes d’un’oraison
aprinse. Il fit tressa=
gement et selon soiluy, de
ne corromplre une teneur
de uievie incorruptible, et
une si saincte image de
l’humeine forforme, pour
alonger d’un an sa
decrepitude: et trahir
l’immortelle memoire
de cette fin glorieuse.
Il deuoitdevoit sa uievie non
pas a soi mais a l’exāpleexample
du monde: sSeroit ce pas
domage publique
qu’il l’eut acheueeachevee
d’un’ autre et comm oisifueoisifve et
obscure façon.
Certes vneune si nonchallante &
molle consideration de sa mort, meritoit que la posterité la
considerast d’autant plus pour luy: cCe qu’elle fit,. &Et il n’y a
rien en la iusticejustice si iustejuste, que ce que la fortune fit àordona pour sa recom-
mandation. Car les Atheniens eurent en telle abomination
ceux, qui en auoientavoient esté cause, qu’on les fuyoit comme per-
sonnes excommuniées: oOn tenoit pollu tout ce, à quoy ils
auoientavoient touché,: personne à l’estuueestuve ne lauoitlavoit auecavec eux,: per-
sonne ne les saluoit ny accointoit: sSi qu’en fin ne pouuantpouvant
plus porter cette hayne publique, ils se pendirent eux-mes-
mes. Si quelqu’vnun estime, que parmy tant d’autres exemples
que ij’auoisavois à choisir pour le seruiceservice de mon propos, és dicts
de Socrates, ij’aye mal trié cettuy-cy, & qu’il iugejuge ce dis-
cours estre esleuéeslevé au dessus des opinions communes,: iIejJe l’ay
faict à escient: cCar ieje iugejuge autrement,. &Et tiens, que c’est
vnun discours, en rang, & en naifueténaifveté, bien plus arriere, &
plus bas, que les opinions communes: iIl represente ⁁
⁁ en une hardiesse inartificielle
et niaise: en une securitè enfantine
puerile
la pu-
re & premiere fantasieimpression et ignorance de nature. Car il est croyable que
nous auonsavons naturellement craincte de la douleur,: mais
non de la mort, à cause d’elle mesmes: cC’est vneune partie
de nostre estre, non moins essentielle que le viurevivre: àA quoy
faire, nous en auroit nature impriméengendré la hayne & l’horreur,
veu qu’elle luy tient rang de tres-grande vtilitéutilité, pour nourrir
la succession & vicissitude de ses ouuragesouvrages: &Et qu’en cette be-
songnerepublique vniuerselleuniverselle, elle sert plus de naissance & d’augmenta-
tion que de perte ou ruyne,
sic rerum summa nouatur.
mille animos una necata dedit.
La deffaillance d’vneune vie, est le passage à mille autres vies. ⁁
⁁
Nature a empreint
aus bestes le soin
d’elles et de leur
conseruationconservation. IeJe
croi qu’eElles uontvont
iusquesjusques la de creindre
leur empiremant de
creindrede se hurter et blesser que nous les
encheuestronsenchevestrons et
battons ce sont
accidens subietssubjets au leur
sens et a l’experiance
mMais que nous les
tuons elles ne le
peuuentpeuvent creindre ny
n’ont la facultè
d’imaginer & conclurre
la mort. Si dict on encore
qu’on les uoitvoit
Et voyons les bestes, non seulement la souffrir gayement:
la plus part des cheuauxchevaux hannissent en mourant,: les ci-
DDDDDd ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
gnes là festoient de leurs chants, maischantent. mMais de plus, la rechercher encores à
leur besoing,: comme disentportent plusieurs exemples des elephans.
Outre ce,: la façon d’argumenter, de laquelle se sert icy Socra-
tes, est elle pas admirable esgalement, en simplicité & en ve-
hemence. Vrayment il est bien plus aisé de parler comme A-
ristote, & viurevivre comme Caesar, qu’il n’est aisé de parler &
viurevivre comme Socrates. La, loge l’extreme degré de perfe-
ction & de difficulté: lL’art n’y peut ioindrejoindre. Or nos facul-
tez ne sont pas ainsi dressées,. nNous ne les essayons, ny ne les
cognoissons: nNous nous inuestissonsinvestissons de celles d’autruy, &
laissons chomer les nostres. Comme quelqu’vnun pourroit
dire de moy, que ij’ay seulement faict icy vnun amas de fleurs
estrangeres,: qQue ieje n’y ayaiātaiant fourny du mien, que le filet à les lier.
les ioindrejoindrecoudre. Certes ij’ay donné à l’opinion publique, que
ces ornementsparemens empruntez m’accompaignent,. mMais ieje n’en-
tends pas qu’ils me couurentcouvrent, & qu’ils me cachent: c’C’est
le rebours de mon dessein,: qui ne veux faire montre que
du mien,. &Et de ce qui est mien par nature: &Et si ieje m’en
fusse creu, à tout hazard, ij’eusse parlé tout fin seul. ⁁
⁁ IeJe m’en charge ⁁ ⁁ de plus fort tous les ioursjours, outre ma
proposition & ma forme
premiere, sur la fantasie
du siecle et enhortemens
d’autruy. S’il me messiet
à moi, come ieje le croi:
n’importe: il peut estre utille
à quelqu’autre.
Tel al-
legue Platon & Homere qui ne les veid onques,. &Et moy,
ay prins des lieux assez, ailleurs qu’en leur source ⁁ ⁁ et a credit. Sans pei-
ne, & sans suffisance, ayant mille volumes de liureslivres, au-
tour de moy, en ce lieu où ij’escris, ij’emprunteray presen-
tement s’il me plaist, d’vneune douzaine de tels rauaudeursravaudeurs,:
gens que ieje ne feuillette guiere,: dequoy enrichiresmailler le traicté de
la phisionomie. Il ne faut que l’espitre liminaire d’vnun alemand
pour me farcir d’allegations: &Et nous allons quester par là vneune
friande gloire, à piper le sot monde. ⁁
⁁ Ces pastissages de lieus
communs de quoi tant de gens
mesnagent leur estude ne
seruentservent guere qu’a subiectssubjects
communs: et seruentservent a nous
montrer non a nous conduire:
ridicule fruit de la sciance ⁁
⁁ que Socrates exagite si plaisammant contre Euthydeme
IJ’ay ueuveu faire des liureslivres de
choses ny estr iamaisjamais estu=
diees ny entandues: l’autheur
commetant a diuersdivers de ses
amis sçauanssçavans la recherche
de cetteci et de cette autre
matiere a le bastir: se contantant pour sa part d’en auoiravoir proietteprojette le dessein et
empiler par son industrie ce fagot de prouisionsprovisions estrangieresinconues: au moins est
sien l’ancre et le papier. Cela c’est en consciance acheter ou emprunter un liurelivre
non pas le faire. C’est aprandre aus homes non qu’on sçait faire un liurelivre mais ce de quoi ils pouuointpouvoint estre en doubte qu’on ne le sçait pas faire.
VnUn president se vantoit
ou ij’estois, d’auoiravoir amoncelé deux cēscens tant de lieux estrangers,
en vnun sien arrest presidental: ⁁ ⁁ En le preschant a chacun il me sembla effacer la gloire qu’on luy en donoit. pPusillanime & absurde vanterie
à mon gré, pour vnun tel subiectsubject & telle personne. ⁁
⁁ IeJe desrobe autant que ieje puitout a faict aucuns de mes larrecins: aucuns ieje les desguise, et come les larrons des cheuauschevaus ieje leur peins le crin
et la queuë et par fois ieje les esborgne: si le premier maistre s’en seruoitservoit a bestes d’amble ieje les mets au trot, et au bast s’ils seruointservoint a la
seelleParmi tant d’emprunts ieje suis bien aise d’en pouuoirpouvoir desrober quelcūquelcun le desguisātdesguisant et difformātdifformant a nouueaunouveau seruiceservice:
aAu hasard que ieje laisse dire a quelcun que c’est par faute d’auoiravoir entandu leur naturel usage. IJ’en mesle d’autres si cōfuseementconfuseement
a mon trein que ieje les y cache tout a faict Autant que ieje puis ieje leurluy done quelque particuliere adresse de ma main a ce qu’ils
en soint d’autant moins purement estrangiers. Quelcun ieje le et cache & confons si fort en mon trein que ii’en oste toute conoissance.
Ceus cy les mettent ⁁ leurs larrecins en parade et en compte: aussi ont ils plus de credit aus loix que moi. Nous autres naturalistes estimons qu’il
y aie grande et incomparable praeferance de l’honeur de l’inuantioninvantion a l’honur de l’allegation.
IeJe desrobe ⁁ ⁁ autant que ieje puis
LIVRE TROISIESME.467475
mes larrecins, & les desguise. ⁁ ⁁ Et si ij’en declare quelcun c’est pour en couurircouvrir deus fois autant. Ceux cy les mettent en parade
& en cōptecompte: aussi ont ils plus de credit auecavec les loix que moy.
Comme ceux qui desrobent les cheuauxchevaux, ieje leur peins le crin
& la queuё, & par fois ieje les esborgne:⁁
Avant de biffer le tout, Montaigne remplace cette première addition située en marge droite par celle située en marge haute.
⁁ . Il me plait de les
emploier non a seruiceservicesouuantsouvant a
usage non diuers
sulemant mais souuantsouvantdu tout
contrere a celuy
qu’en tirent son
premier maistre.
S’il Par fois sulement
diuersdivers Come, s’il
au hasard de mettre
quelcun en supçon que
ce soit par ignorance de
son uraivrai et originel
usage. Par fois
sulement diuersdivers. Come
s’il
⁁
mettre quelcun en supçon que ce soit plus tost que par par ignorance
de son uraivrai et originel usage. S’il que par f de propos deliberé. S’il
si le premier maistre
s’en seruoittservoitt à bestes d’amble, ieje les mets au trot,: & au bast, s’ils
seruoyentservoyent à la selle. ⁁
Avant de biffer le tout, Montaigne remplace cette première addition située en vertical dans la marge gauche par celle située de la même manière, dans la même marge mais d’une encre plus foncée.
⁁ C’est un’humeur scholastique d’estre plus ialousjalous de
l’honur de l’allegation que de l’inuantioninvantion: et que nous
autres naturalistes condamnons. estrangemant.
⁁ Et ⁁ ⁁ parfois les
mesle aet
mon trein
si subtilemētsubtilement
qu’il est difficille
de les distinguer.
cache dans
mon trein si
propremant
qu’il faut auoiravoir bone ueuëveuë et les auoiravoir maniez souuantsouvant pour les distinguer et choisir. C’est un’humeur puerile
un’humeur scholastique d’estre plus ialousjalous de l’honur de l’allegation que de l’inuantioninvantion
et que nous autres naturalistes condamnons estrangemant. ce qui se peut.
Si ij’eusse voulu parler par science, ije n’eus-
se pas tant tardéparlé plus tost,. iIejJe’eusse escript du temps plus voisin de mes e-
studes, que ij’auoisavois plus d’esprit & de memoire: &Et me fusse
plus fié à la vigueur de cet aage la, qu’a cettuy-icy, si ij’en eus-
se voulu faire mestier d’escrire. ⁁
⁁ DauantageDavantage, telle
faueurfaveur gratieuse que
fortune m’apeut m’auoiravoir offerte en
cōsidconsid par l’entremise de
cet ouurageouvrage eut lors
rencontrè une plus propreL’édition municipale restitue "propice" à la place de "propre".
seson.
Deux de mes cognoissans, grands hō-
meshom-
mes en cette faculté, ont perdu par moitié, à mon aduisadvis, d’a-
uoira-
voir refusé de se mettre au iourjour à quarante ans, pour attendre apres
les septantesoixante. La maturité à ses deffauts, comme la verdeur, &
pires: &Et autant est la vieillesse incommode à cette nature de
besongne, qu’a toute autre. Quiconque met sa decrepitude
soubs la presse, faict folie, s’il espere en espreindre des hu-
meurs, qui ne sentent aule disgratiè aule resueurresveur & à l’assopi. No-
stre esprit se constipe & s’espessitse croupit en vieillissant. IeJe dis pōpeu-
sementpompeu-
sement & opulemment l’ignorance,: & dys la science megre-
ment & piteusemētpiteusement. ⁁
⁁ Accidentalement
Accessoirement
cetecy & acciden=
talemētacciden=
talement: celela
expressement et
principalement
Et de rien ieje ne parle
expres traicte par la aul=
trement que due rien que
du rienne traicte a pouint nome
de rien que du rien ny d’aucune
sciance que de la sciance de
celle de l’insciance
IJ’ay choisi le tēpstemps, ou ma vie, q̄que ij’ay à pein-
dre, ieje l’ay toute deuātdevant moy: ce qui en reste, tiēttient plus de la mort.
Et de ma mort seulement, si ieje la rēcōtroisrencontrois babillarde, comme
fōtfont d’autres, donrrois ieje encores volōtiersvolontiers aduisadvis au peuple, en
deslogeant. ⁁
⁁ La Boitie n’auoitavoit rien de
beau que l’ame: du demurant
il faisoit asses d’echaper a
estre laid. Mais
Socrates qui à esté vnun patronexamplaire admirableparfaict en toutes
grādesgrandes qualitez., Mais ij’ay despit, qu’il eust rencontré vnun corps
& vnun visageport uisagevisage si vilain: ⁁ ⁁ come ils disent: & si disconuenabledisconvenable à la beauté de son a-
me. ⁁
⁁ Luy si amoureus & si
affolè de la beauté. Nature
luy fit iniusticeinjustice.
Il n’est rien plus vray-semblable que la conformité & re-
lation du corps à l’esprit.: ⁁
⁁ Ipsi animi magni refert
quali in corpore locati sint
multa enim è corpore existunt
quae acuant mentem multa
quae obtundant. Cetuicy
parle d’une laidur ext
desnaturee ent difformité
de membres. Mais nous
apelons laidur aussi
quelque disgrace de uisagevisage & de port
soubs des membres entiers La Boitie
estoit ainsi laid une demesauenancedemesavenance & disgrace
au premier regard: qui loge principalement
au uisagevisage: et ⁁ ⁁ souuantsouvant nous desgoute par bien legieres
causes: souuātsouvant le come par lecome d’un teint par d’une tache
d’une rude cōtenancecontenance: sous des membres biende quelque disgrace inexplicable mesaduenantemesadvenante
cause inexplicable soussur des membres bien
ordonez et ētiersentiers. Lae fautedefaut de beaute
qui estoit en la Boitie estoit de ce
predicamant qui estaioit pourtantLa laideur qui reuestoitrevestoit un’ame
tres belle en la Boitie estoit de ce predicament.
Cette laidur superficielle qui est pourtātpourtant la plus
tresimperieuse est un legierde moindre preiudiceprejudice a lestatl’estat de lespritl’esprit et a
peu de conformitecertitude en l’opinion des homes LautreL’autre est mieus
desnatureemōstrueusemonstrueuse etqui d’un plus
propre nom s’apelle difformite est plus substantielle, et porte plus uolantiersvolantiers coup
iusquesjusques au dedans. Non pas tout solier de cuir bien
lissè mais tout soulier bien forme montre l’interieure forme du pied
IlEt n’est pas à croire que cette disso-
nance aduienneadvienne sans quelque accident, qui a interrompu le
cours ordinaire: cCōmecComme ilSocrates disoit de sa laideurla siene, qu’elle en accusoit
iustementjustement, autant en son ame, s’il ne l’eust corrigée par institu-
DDDDDd iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tiōtion. ⁁
⁁ Mais en le disant ieje tiens
qu’il se moquoit suiuantsuivant son
usage: et iamaisjamais ame si excellante
ne se fist elle mesme.
IeJe ne puis dire assez souuantsouvant, combien ij’estime la beauté,
qualité puissante & aduantageuseadvantageuse.: IiIl l’appelloit vneune courte
tyrannie ⁁ ⁁ et Platon le priuiliegepriviliege de nature. Nous n’en auonsavons point qui la surpasse en credit,. ny
que ij’estime tenir plus deElle tient le premier rang au commerce des hommes: eEl-
le se presente au deuantdevant,: seduict & preoccupe nostre iugemētjugement,
auecavec grande authorité & merueilleusemerveilleuse impression. ⁁
⁁ Phryné perdoit sa
cause entre les mains
d’un excellant aduocatadvocat
si ouurantouvrant sa robe
elle n’eut corrompu ses
iugesjuges par lesclatl’esclat de sa
beauté. Et ieje treuuetreuve
que Cyrus Alexandre
Caesar ces trois maistres
du monde ne l’ont pas
oubliee a faire leurs
grands affaires. N’a
pas le premier Scipion.
VnUn tmesme mot embrasse
en grec le bel et le bon. Et
le s. Esprit apelle souuantsouvant
bons ceus qu’il ueutveut dire beaus.
IeJe meintienderois uolon=
tiersvolon=
tiers la dispositionle ranc ranc des
biens selon que portoit
la chançon que Platon
dit auoitavoit este si triuialetriviale:
prinse de quelque antien
Poëte. La santé lae premiere
la beaute lae seconde la
richesse. lae tiers. Aristote
dict lesaus beaus apartenir
le droit de comander: et
quand il en est de qui la
beaute aproche celle des
images des Dieus, que lea
seruiceservice et uenerationveneration leur
est due pareillement due. ⁁
⁁ A celuy qui luy demandoit
pourquoi plus long temps
& plus souuantsouvant nouson hantonsoit
les beaus Cette demande
dict il n’apartient a estre
faicte que par un aueugleaveugle.
La plus part ⁁ ⁁ et les plus grans des philosofes
paiarent leur escolage
& achetarent l’acquirent
la beaute spirituellesagesse par
entremise de laet faueurfaveur de
leur beaute.
Non seu-
lement aux hommes qui me seruentservent,: mais aux bestes aussi, ieje
la considere à deux doits pres de la bonté. Si me semble il, que
ce traict & façon de visage, & ces lineaments, par lesquels on
argumente aucunes complexions internes, & nos fortunes à
venir, est chose, qui ne loge pas bien directement & simple-
ment, soubs le chapitre de beauté & de laideur: nNon plus que
toute bonne odeur & serenité d’air, n’en promet pas la santé,:
ny toute espesseur & puanteur, l’infection, en temps pesti-
lent. Ceux qui accusent les dames de contre-dire leur beauté
par leurs meurs, ne rencontrent pas tousiourstousjours.: CcCar en vneune face
qui ne sera pas trop bien composée, il peut loger quelque air
de probité & de fiance: cComme au rebours, ij’ay leu par fois
entre deux beaux yeux, des menasses d’vneune nature maligne &
dangereuse. Il y a des phisionnomies fauorablesfavorables: &Et en vneune
presse d’ennemys victorieux, vous choisires incontinent par-
my des hōmeshommes incogneus, l’vnun plustost que l’autre, à qui vous
rendre & fier vostre vie: &Et non proprementsimplement proprement par la considera-
tion de la beauté. C’est vneune foible garantie que la mine,: tou-
tesfois elle à quelque consideration,: &Et si ij’auoisavois à les foyter,
ce seroit plus rudement, les meschans qui dementent & tra-
hissent les promesses que nature leur auoitavoit plantées au front:
iIejJe punirois plus aigrement la malice en vneune apparence de-
bōnairede-
bonnaire. Il semble qu’il y ait aucuns visages heureux, d’autres
malencontreux. Et crois qu’il y a quelque art, à distinguer les
visages debonnaires des nyais,: les seueresseveres des rudes,: les mali-
cieux des chagrins,: les desdaigneux des melancholiques,: &
LIVRE TROISIESME.468476
telles autres qualitez voisines. Il y a des beautez, nōnon fieres seu-
lement,: mais aygres,: il y en a d’autres douces, & encores au de-
la, fades. D’en prognostiquer les auanturesavantures futures, ce sont
questionsmatieres que ieje laisse indecises. IJ’ay pris comme ij’ay dict ail-
leurs, bien simplement & cruement, pour mōmon regard, ce pre-
cepte ancien,: que nous ne sçaurions faillir à suiuresuivre nature:
que le souuerainsouverain precepte c’est de se conformer à elle. IeJe n’ay
pas corrigé comme Socrates, par institution, & force de la
raison, mes complexions naturelles,: & n’ay aucunemētaucunement trou-
blé par art mon inclination. IeJe me laisse aller, comme ieje suis
venu,. iIejJe ne combats rien,. mMes deux maistresses pieces viuentvivent
de leur grace en pais & bon accord: mMais le lait de ma nourri-
ce à esté Dieu mercy mediocrement sain & temperé. ⁁
⁁ Diray-ieje cecy en passant: que ieje voy tenir en plus de prix qu’elle ne vaut, qui est seule quasi en usage entre nous, certeine
image de preud’homie scholastique, serueserve des praeceptes, contreinte sous lesperancel’esperance et la creinte. IeJe l’aime telle, que
les loix et relligions, non facent, mais ⁁ ⁁ parfacent et authorisent: qui se sente de quoi se soutenir sans elles:ayde: nee en nous de ses
propres racines, par la semance de la raison uniuerselleuniverselle que nature aet primitiueprimitive empreinte en tout home non denaturè. Cette raison
qui redresse Socrates de saon uicieusesvicieuses pantepli pli, le rant obeissant aus homes et aus dieus qui comandent en sa uilleville,
corageus en la mort, non parce que son ame est immortele, mais par ce qu’il est mortel. Ruineuse instruction ena toute
police et bien plus domageable qu’ingenieuse et subtile qui persuade aus peuples la droite ⁁ ⁁ et relligieuse creance suffire sule ⁁ ⁁ et sans les meurs a contanter
la diuinedivine iusticejustice. L’usage nous faict uoirvoir une distinction & enorme ⁁ ⁁ souuantsouvant entre la deuotiondevotion et la consciance.
IJ’ay vnun
visageport fauorablefavorable & en forme & en interpretation,
Quid dixi habere me? Imo habui Chreme,
Heu tantum attriti corporis ossa vides,
& qui faict vneune contraire montre à celuy de Socrates. Il
m’est souuantsouvant aduenuadvenu, que sur le simple credit de mon portma presance &
de mon air, des personnes qui n’auoyentavoyent aucune cognoissan-
ce de moy, s’y sont grandement fiées,: soit pour leurs propres
affaires, soit pour les miennes,. &Et en ay tiré és pays estrangiers
des faueursfaveurs singulieres & rares: mMais ces deux experiences va-
lent à l’auantureavanture, que ieje les recite particulierement. VnUn qui-
dam, delibera de surprendre ma maison & moy: sSon art fut,
d’arriuerarriver seul à ma porte, & d’en presser vnun peu instamment
l’entrée: iIejJe le cognoissois de nom, & auoisavois occasion de me
fier de luy, comme de mon voisin & aucunement mon alié.
IeJe luy fis ouurirouvrir: ⁁ ⁁ come ieje fois a chacun. lLe voicy tout effroyé, son cheualcheval hors d’ha-
leine, fort harassé: iIl m’entretint de cette fable, qu’il venoit
d’estre rencontré à vneune demie lieuё de la, par vnun sien ennemy,
lequel ieje cognoissois aussi, & auoisavois ouy parler de leur querel-
le: que cet ennemy luy auoitavoit merueilleusementmerveilleusement chaussé les
ESSAIS DE M. DE MONTA.
esperons, & qu’estantqu’aiant esté surpris ⁁ ⁁ en desarroi & plus foible de beaucoupen nombre, il
s’estoit iettéjetté à ma porte à sauuetésauveté: qQu’il estoit en grand peine
de ses gens, lesquels il disoit tenir pour morts & desfaictsou prins,. ayāsayans
esté rencontrez en desordre & fort escartés les vnsuns des autres.
IJ’essayay tout nayfuementnayfvement de le conforter asseurer & rafres-
chir. Tantost apres,: voyla quatre ou cinq de ses soldats, qui se
presentent en mesme contenācecontenance, & effroy, pour entrer,: & puis
d’autres, & d’autres encores apres, bien equipez au demeu-
rant, & bien armez, iusquesjusques à vingt cinq ou trante, fein-
gnants auoiravoir leur ennemy à leursaus talons. ⁁
⁁ Ce mistere comançoit
à taster mōmon supçon ma
supçon.
IeJe n’ignorois pas en
quel siecle ieje viuoisvivois,: combien ma maison pouuoitpouvoit estre en-
uiéeen-
viée,: & nonobstant ce vain interualleintervalle de guerre, auquel lors
nous estions, ij’auoisavois plusieurs exemples d’autres maisons de
ma cognoissance, ausquellesa qui il estoit mes-aduenuadvenu de mesme.
Tant y a, que trouuanttrouvant qu’il n’y auoitavoit point d’acquest d’auoiravoir
commencé à faire plaisir, si ieje ne parfaisois’acheuoisachevois, & ne pouuantpouvant me
desfaire sans tout rompre,: ieje me laissay aller au party le plus
naturel & le plus simple,: comme ieje faicts tousiourstousjours,: & com-
mendayātcom-
mendayant qu’ils entrassent. Aussi à la verité, ieje suis peu deffiant
& soubçonneus de ma nature,. iIejJe penche volontiers vers l’ex-
cuse & interpretation plus douce: iIejJe prens les hommes selon
le commun ordre,: & ne croy pas ces inclinations peruersesperverses &
desnaturées,: si ieje n’y suis forcé par grand tesmoignage, non
plus que les monstres & miracles. Et suis homme en outre,
qui me commets volontiers à la fortune,: & me laisse ⁁ ⁁ librement aller à
corps perdu entre ses bras: dDequoy iusquesjusques à cette heure ij’ay
eu plus d’occasion de me louёr, que de me plaindre,. &Et l’ay
trouuéetrouvée ⁁ ⁁ et plus auiseeavisee et plus amie de mes affaires que ieje ne suis. plus sage que moy. Il y a q̄lquesquelques actiōsactions en ma vie, des-
q̄llesdes-
quelles on peut iustemētjustement nōmernommer la cōduiteconduite difficile, ou qui vou-
dra prudente: dDe celles la mesmes, posez, q̄que la tierce partie soit
du miēmien, certes les deux tierces sont richemētrichement à elle. ⁁
⁁ Nous faillons ce me
semble principalement
en ce que nous ne nous
fions a pas asses au
ciel, de nous. Ce qu’ Et
pretandons plus de
part de nostre conduite qu’il ne nousnous enluy apartient
Pourtant fouruoient si souuantsouvant nos desseins: la
puissance souuereinesouvereine estantIl est ialousesjalouses de l’estandue
que nous attribuons aaus droits de l’humaine prudāceprudance autre ses limites preiudiceprejudice des ses droits siens
Et nous en faict d’a la partles racourcit d’autant plus petite que nous laes faisons trop grande. amplifions.
Ceux cy se
tindrent à cheualcheval dans ma cour,. lLe chef auecavec moy en ma sale,
qui
LIVRE TROISIESME.469477
qui n’auoitavoit voulu qu’on establat son cheualcheval, disant auoiravoir à se
retirer incontinent qu’il auroit eu nouuellesnouvelles de ses gens.homes. Il se
veid maistre de son entreprise,: & n’y restoit sur ce poinct, que
l’execution. SouuantSouvant depuis il à dict, car il ne craingnoit pas
de faire ce compte, que mōmon visage, & ma franchise luy auoiētavoient
arraché la trahison des poincts. Il remonta à cheualcheval,: ses gens
ayants continuellement les yeux sur luy, pour voir quel si-
gne il leur donneroit,: bien estonnez de le voir sortir & abā-
doneraban-
donner son auantageavantage. VneUne autrefois, me fiant à ieje ne sçay
qu’elle treuetreve qui venoit d’estre publiée en nos armées, ieje m’a-
cheminai à vnun voyage, par pays estrangement chatouil-
leux: iIejJe ne fus pas si tost esuentéesventé, que voyla trois ou quatre
caualcadescavalcades de diuersdivers lieux pour m’attraper: lL’vneune me ioin-
gnitjoin-
gnit à la troisiesme iournéejournée, ou ieje fus chargé par quinze ou
vingt gentils-hommes masquez, bien mōtezmontez, & bien armez,
suyuissuyvis d’vneune ondée d’argolets. Me voyla pris & rendu,: retiré
dans l’espais d’vneune forest voisine, desmonté, deualizédevalizé, mes
cofres fouilletz, ma boyte prise, cheuauxchevaux & esquipage disper-
sédesparti à nouueauxnouveaux maistres. Nous fumes long temps à contester
dans ce halier sur le faict de ma rançon, qu’ils me tailloyent si
haute, qu’il paroissoit bien que ieje ne leur estois guere cogneu.
Ils entrerent en grande contestation de ma vie. De vray, il y
auoitavoit plusieurs circonstances qui me menassoyent du dāgierdangier
où ij’en estois. ⁁
⁁ Tunc animis opus AEnea
tunc pectore firmo.
IeJe me maintins tousiourstousjours sur le tiltre de ma tres-
uetres-
ve, à leur quitter seulement le gain qu’ils auoyentavoyent faict de ma
despouille,: qui n’estoit pas à mespriser,: sans promesse d’autre
rançon. Apres deux ou trois heures que nous eusmes esté la,:
& qu’ils m’eurent faict monter sur vnun cheualcheval, qui n’auoitavoit gar-
de de leur eschaper,: & commis ma conduitte particuliere à
quinze ou vingt harquebousiers,: & dispersé mes gens à d’au-
tres, ayant ordonné qu’on nous menast prisonniers, diuersesdiverses
EEEEEe
ESSAIS DE M. DE MONTA.
routes,: & moy desiadesja acheminé à deux ou trois harquebousa-
des de la,
Iam prece Pollucis iam Castoris implorata:
voicy vneune soudaine & tres-inopinée mutation qui lesleur print.
IeJe vis reuenirrevenir à moy le chef, non plus auecavec ses menasses, mais
auecavec parolles plaines de courtoisieplus douces, se mettant en peine de re-
cercher en la troupe mes hardes escartées,: & m’en faisant ren-
dre les principales, selon qu’il s’en pouuoitpouvoit recouurerrecouvrer,: iusquesjusques
à ma bource & ma boyte. Le meilleur present qu’ils me firent
ce fut en fin ma liberté,: le reste ne me touchoit guieres au
prisen ce temps la. La vraye cause d’vnun changement si nouueaunouveau & de ce ra-
uisementra-
visement, sans aucune impulsion apparente, & d’vnun repentir
si miraculeux, en tel temps, en vneune entreprinse pourpensée &
deliberée, & deuenuedevenue iustejuste par l’vsageusage, (car d’arriuéearrivée ieje leur
confessay ouuertementouvertement le party duquel ij’estois, & le chemin
que ieje tenois) certes ieje ne sçay pas bien encores qu’elle elle est.
Tant y a, que lLe plus apparent de la troupe, qui se demasqua,
& me fit cognoistre son nom (ij’essayerois volontiers à mon
tour, qu’elle mine il feroit en vnun pareil accident) me redict
lors plusieurs fois, que ieje deuoydevoy cette deliurancedelivrance à mon visa-
ge, liberté, & fermeté de mes parolles,: qui me rendoyent in-
digne d’vneune telle mes-aduentureadventure, & me demanda asseurance
d’vneune pareille. Il est possible, que la bōtébonté diuinedivine se voulut ser-
uirser-
vir de ce vain instrument pour ma conseruationconservation: eElle me ga-
rentitdeffandit encore l’endemain d’autres dāgersdangers pires, desquelspires enbusches desquelles ceux
cy mesme m’auoyentavoyent aduertyadverty. Le dernier est encore en pieds
pour en faire le compte,: le premier fut tué, il ny a pas long
temps. Si mon visage ne respondoit pour moy,: si on ne lisoit
en mes yeux, & en ma voix, la simplicité de mon intention, ieje
n’eusse pas duré sans querelle, & sans offence, si long temps,:
auecavec cette liberté indiscrete de dire à tort & à droict ce qui
me vient en fantasie,: & iugerjuger temerairement des choses. Cet-
LIVRE TROISIESME.470478
te façon peut paroistre auecavec raison inciuileincivile, & mal accom-
modée à nostre vsageusage, mais outrageuse & malitieuse, ieje n’ay
veu personne qui l’en ayt iugéejugée, nNe qui se soit piqué de ma li-
berté, s’il l’a receuë de ma bouche,: lLes paroles redictes ont ⁁ come au-
tre son, & autre sens. Aussi ne hay-ieje personne,: &Et suis si láche
à offencer, que pour le seruiceservice de la raison mesme, ieje ne le puis
faire. Et lors que l’occasion m’a conuiéconvié aux condemnations
crimineles, ij’ay plustost manqué à la iusticejustice. ⁁
⁁ Vt magis peccari
nolim quam satis animi
ad uindicanda peccata
habeam. On reprochoit
dict on a Aristotes
d’auoiravoir este trop misericordieux
enuersenvers un meschant home.
IJ’ay este misericordieusde uraivrai
dict il, misericordieus
enuersenvers l’home, non enuersenvers sa
mechanceté. Les iugementsjugements
ordineres s’exasperent a
la uengencevengence, par l’horrur
du mesfaict: le Cela
mesme refroidit le mien.
L’horrur du premier
meurtre, m’en faict
craindre un secont. Et
la haine de la premiere
cruaute m’en faict hayr
toute imitation
A moy, qui ne
suis que valet’escuier de trefles, peut toucher, ce qu’on disoit de Cha-
rillus Roy de Sparte. Il ne sçauroit estre bon, puis qu’il n’est
pas mauuaismauvais aux meschātsmeschants. Ou bien ainsi,: car Plutarque mes-
me le presente en ces Montaigne biffe "mesme le presente en ces" avant de se reprendre et d’effacer du doigt son trait de biffure. Il repasse sur le mot "mesme" par une suite de traits verticaux afin de bien indiquer que ce mot doit être supprimé. deux visagessortes, comme mille autres cho-
ses diuersementdiversement & contrairement. Il faut bien qu’il soit bon,
puis qu’il l’est aux meschants mesme. Comme aux actions
legitimes, ieje me fasche de m’y employer, quand c’est enuersenvers
ceux qui s’en desplaisent: aussi à dire verité, aux illegitimes,
ieje ne fay pas assez de conscience de m’y employer, quand c’est
enuersenvers ceux qui y consentent.: et en est de plus d’une espece.
De l’experience. CHAP. XIII.
IL n’est desir plus naturel que le desir de cōnoissanceconnoissance.
Nous essayons tous les moyens qui nous y peuuentpeuvent
mener. Quand la raison nous faut, nous y employōsemployons
l’experience,⁁
⁁ , Per uarios usus
artem experientia fecit:
Exemplo monstrante
uiam,
qQui est vnun moyen plus foible & plus vileet moins digne: mMais la
verité est chose si grande, que nous ne deuonsdevons desdaigner au-
cune entremise qui nous y conduise. La raison à tant de for-
mes, que nous ne sçauonssçavons à laquelle nous prendre.: lL’expe-
rience n’en à pas moins. La consequence que nous voulons
tirer de la conferenceressemblance des euenemensevenemens, est mal seure, d’autant
qu’ils sont tousiourstousjours dissemblables. Il n’est aucune qualité si
vniuerselleuniverselle en cette image des choses, que la diuersitédiversité & va-
EEEEEe ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
rieté. Et les Grecs, & les Latins, & nous, pour le plus expres
exemple de similitude, nous seruonsservons de celuy des oeufs: tTou-
tesfois il s’est trouuétrouvé des hommes, & notamment vnun en Del-
phes, qui recognoissoit des marques de difference entre les
oeufs, si qu’il n’en prenoit iamaisjamais l’vnun pour l’autre. ⁁
-
⁁ Et y aïant plusieurs poules
sçauoitsçavoit diui iugerjuger de la
quelle estoit leuf loeufl’oeuf.
La dissimi-
litude s’ingere d’elle mesme en nos ouuragesouvrages,: nul art peut ar-
riuerar-
river à la similitude. Ny Perrozet ny autre, ne peut si soigneu-
sement polir & blanchir l’enuersenvers de ses cartes, qu’aucuns
ioueursjoueurs ne les distinguent à les voyr seulement couler par
les mains d’vnun autre. La ressemblance ne faict pas tant, vnun,
comme la difference faict, autre. ⁁
-
⁁ Nature s’est
obligee a ne rien
faire autre, qui ne
fust dissemblable.
Pourtant l’opinion de ce-
luy-la ne me plaist guiere, qui pensoit par la multitude des
loix, brider l’authorité des iugesjuges, en leur taillāttaillant leur morceaux:
iIl ne sentoit point qu’il y a autant de liberté & d’estendue à
l’interpretation des loix, qu’a leur façon. Et ceux la se mo-
quent, qui pensent appetisser nos debats & les arrester, en
nous r’appellant à l’expresse parolle de la bBible,: dD’autant que
nostre esprit ne trouuetrouve pas le champ moins spatieux à con-
treroller le sens d’autruy, qu’a representer le siēsien: &Et cōmecomme s’il y
auoitavoit moins d’animosité & d’aspreté à gloser qu’a inuenterinventer.
Nous voyons, combien il se trompoit. Car nous auonsavons en
France, plus de loix que tout le reste du monde ensemble,: &
plus qu’il n’en faudroit à reigler tous les mōdesmondes d’Epicurus,⁁
-
⁁ , ut olim flagitijs
sic nunc legibus
laboramus:
&
si auonsavons tant laissé à opiner & decider à nos iugesjuges, qu’il ne fut
iamaisjamais liberté si puissante & si licencieuse. Qu’ont gaigné nos
legislateurs à choisir cent mille especes & faicts particuliers,
& y attacher cent mille loix? cCe nombre n’a aucune propor-
tion, auecavec l’infinie diuersitédiversité des actions humaines. La multi-
plication de nos inuentionsinventions, n’arriueraarrivera pas à la variation des
exemples. AdioustezAdjoustez y en cent fois autant,: il n’aduien-
draadvien-
dra pas pourtant, que des euenemensevenemens à venir, il s’en
LIVRE TROISIESME.471479
trouuetrouve aucun, qui en tout ce grand nombre de milliers d’e-
uenemense-
venemens choisis & enregistrez, en rencontre vnun, auquel il
se puisse ioindrejoindre & apparier, si exactement, qu’il nyn’y reste quel-
que circonstance & diuersitédiversité, qui requiere diuersediverse conside-
ration de iugementjugement: iIl y à peu de relation de nos actions, qui
sont en perpetuelle mutatiōmutation, auecavec les loix fixes & immobiles.
Les plus desirables, ce sont les plus rares, plus simples, & gene-
rales: &Et encore crois-ieje qu’il vaudroit mieux n’en auoiravoir point
du tout, que de les auoitavoit en tel nombre que nous auonsavons. Na-
ture les dōnedonne tousiourstousjours plus heureuses, que ne sont celles que
nous nous donnons,. tTesmoing la peinture de l’aage doré des
poёtes,: & l’estat ou nous voyons viurevivre, les nations, qui n’en
ont point d’autres. En voyla, qui pour tous iugesjuges, employent
en leurs causes le premier passant, qui voyage le long de leurs
mōtaignesmontaignes: &Et ces autres, eslisent le iourjour du marché, quelqu’vnun
d’entre eux, qui sur le chāpchamp decide tous leurs proces. Quel dā-
gerdan-
ger y auroit-il, que les plus sages vuidassent ainsi les nostres,
selon les occurrences, & à l’oeil,: & sans obligation d’exemple
& de consequence: àA chaque pied son soulier. Le Roy Ferdi-
nand enuoyantenvoyant des colonies aux Indes, prouueutprouveut sagement
qu’on n’y menast aucuns escholiers de la iurisprudencejurisprudence,: de
crainte que les proces ne peuplassent en ce nouueaunouveau monde,.
cComme estant science de sa nature, generatrice d’altercation
& diuisiondivision: iIugeantjJugeant auecavec Platon, que c’est vneune mauuaisemauvaise pro-
uisionpro-
vision de pays, que iurisconsultesjurisconsultes & medecins. Pourquoy est-
ce que nostre langage commun si aisé à tout autre vsageusage, de-
uientde-
vient obscur & nōnon intelligible en vnun contract & testamēttestament,. &Et
que celuy qui s’exprime si clairement, quoy qu’il die & escri-
ueescri-
ve, ne trouuetrouve en cela aucune maniere de se declarer, qui ne tō-
betom-
be en doubte & contradiction: sSi ce n’est, que les princes de
cet art, s’appliquans d’vneune peculiere attention, à trier des mots
solemnes, & former des clauses artistes, ont tant poisé chaque
EEEEEe iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sillabe, espluché si primemētprimement chaque espece de cousture, que
les voila enfrasquez & embrouillez en l’infinité des figures, &
si menuёs partitions, qu’elles ne peuuentpeuvent plus tōbertomber soubs au-
cun reiglement & prescriptiōprescription, ny aucune certaine intelligen-
ce. ⁁
-
⁁ Confusum est
quidquid usque in
puluerem sectum est.
Qui à veu des enfans, essayans de renger à certain nombre,
vneune masse d’argent vif: pPlus ils le pressent & pestrissent, & s’e-
studient à le contraindre à leur loy, plus ils irritent la liberté
de ce genereux metal: iIl fuit à leur art, & se va menuisant & es-
parpillātes-
parpillant au delà de tout compte. C’est de mesme,. cCar en sub-
diuisantsub-
divisant ces subtilitez, on apprend aux hommes d’accroistre
les doubtes: oOn nous met en trein d’estendre & diuersifierdiversifier les
difficultez: oOn les alonge, on les disperse. En semant les que-
stions & les retaillant, on faict fructifier & foisonner le mon-
de, en incertitude & en querelles.⁁
⁁ come la terre se
rend plu fertile
plus elle est esmiee
et profondement
labouree remuee.
Difficultatem facit
doctrina.
Nous doubtions sur VlpianUlpian,
redoutons encore sur Bartolus & Baldus. Il falloit effacer la
trace de cette diuersitédiversité innumerable d’opinions,: non poinct
s’en parer, & en entester la posterité. IeJe ne sçay qu’en dire: mMais
il se sent par experience, que tant d’interpretations dissipent la
verité, & la rompent. Aristote à escrit pour estre entendu,: s’il
ne lal’a peu, moins le fera vnun moins habile, & vnun tiers, que celuy
qui traite sa propre imagination. Nous ouuronsouvrons la matiere, &
l’espandons en la destrempant,. dD’vnun subiectsubject nous en faisons
mille,. &Et retombons en multipliant & subdiuisantsubdivisant, à l’infinité
des atomes d’Epicurus. IamaisJamais deux hommes ne iugerentjugerent
pareillement de mesme chose, &Et est impossible de voir
deux opinions semblables exactement,. nNon seulement en
diuersdivers hommes, mais en mesme homme, à diuersesdiverses heures.
Ordinairement ieje trouuetrouve à doubter en ce que le commen-
taire n’a daigné toucher. IeJe bronche plus volontiers en
pays plat,: comme certains cheuauxchevaux que ieje connois, qui cho-
pent plus souuentsouvent en chemin vnyuny. Qui ne diroit que les glos-
ses augmentent les doubtes & l’ignorance, puis qu’il ne se voit
LIVRE TROISIESME.472480
aucun liurelivre, soit humain, soit diuindivin, auquel le monde s’embe-
songne, duquel l’interpretation face tarir la difficulté. Le cen-
tiesme commentaire le renuoyerenvoye à son suiuantsuivant, plus espineux,
& plus scabreux, que le premier ne l’auoitavoit trouuétrouvé. Quand est il
cōuenuconvenu entre nous,: ce liurelivre en a assez,: il n’y à meshuy plus que
dire. Cecy se voit mieux en la chicane. On donne authorité
de loy à infinis docteurs, infinis arrests, & à autant d’interpre-
tations. TrouuonsTrouvons nous pourtant quelque fin au besoin d’in-
terpreter? sS’y voit-il quelque progres & aduancementadvancement vers la
tranquillité? nNous faut-il moins d’aduocatsadvocats & de iugesjuges, que
lors que cette masse de droict, estoit encore en sa premiere en-
fance? Au rebours, nous obscurcissons & enseuelissonsensevelissons l’intel-
ligence.: NnNous ne la descouuronsdescouvrons plus qu’à la mercy de tant de
clostures & barrieres. Les hommes mescognoissent la mala-
die naturelle de leur esprit: iIl ne faict que fureter & quester,. &Et
va sans cesse, tournoiant, bastissant, & s’empestrant en sa be-
songne,: comme nos vers de soye,: & s’y estouffe: mMus in pice. Il
pense remarquer de loing, ieje ne sçay qu’elle apparēceapparence de clar-
té & verité imaginaire,: mais pendant qu’il y court, tant de dif-
ficultez luy trauersenttraversent la voye, d’empeschemens & de nou-
uellesnou-
velles questes, qu’elles l’esgarent & l’enyurentenyvrent: nNon guiere au-
trement qu’il aduintadvint aux chiens d’Esope,: lesquels descouurātdescouvrant
quelque apparence de corps mort floter en mer, & ne le pou-
uātpou-
vant l’approcher, entreprindrent de boire cette eau, d’assecher
le passage,: & s’y tuerēttuerent.estouffarent. ⁁
⁁ A quoi se rencontre
ce qu’un Crates disoit
des escris de Heraclytus
qu’ils auointavoint besouin
d’un ⁁ ⁁ lectur bon nageur affin que
la profondur et pois de sa
doctrine philosophique
ne lengloutitl’engloutit & suffucast.
Ce n’est rien que foiblesse particuliere,
qui nous faict contenter de ce que d’autres, ou que nous-mes-
mes auonsavons trouuétrouvé en cette chasse de cognoissance,. vVnuUn plus ha-
bile ne s’en contentera pas. Il y à tousiourstousjours place pour vnun suy-
uantsuy-
vant,⁁ ⁁ . Oui ⁁ et pour nous mesmes, & route par ailleurs. Il n’y à point de fin en nos inquisi-
tions: nNostre fin est en l’autre monde. ⁁
⁁ C’est signe de racourciment
desperitd’esperit quand il se
contante: etou de l’assetelassete
quand il s’arrete en soi
Nul esperit genereus ne
s’arrete en soi Il pretand
tousiourstousjours & uava outre ses
forces. Il a des eslans
au dela de ses effaicts
S’il ne s’auanceavance et ne se
presse et ne s’accule et ne se choque
il n’est uifvif qu’a demi.
LSes poursuites de l’es-
prit humain sont sans terme, & sans forme: sSon aliment, c’est
doubte &admiration chasse ambiguité: cCe que declaroit assez Apollo, parlant
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tousiourstousjours à nous doublement, obscurement & obliquement,.
nNe nous repaissant pas, mais nous amusant & embesongnant.
C’est vnun mouuementmouvement ⁁ ⁁ irregulier perpetuel, sans arrestregle patron, & sans but. Ses in-
uentionsin-
ventions s’eschauffent, se suyuentsuyvent, & s’entreproduisent l’vneune
l’autre.:
Ainsi voit l’on en vnun ruisseau coulant,
Sans fin l’vneune eau, apres l’autre roulant:
Et tout de rang, d’vnun eternel conduict,
L’vneune suit l’autre, & l’vneune l’autre fuyt,
Par cette cy, celle-là est poussée,
Et cette-cy, par l’autre est deuancéedevancée:
TousioursTousjours l’eau va dans l’eau, & tousiourstousjours est-ce
Mesme ruisseau, & tousiourstousjours eau diuersediverse.
Il y à plus affaire à interpreter les interpretations, qu’à inter-
preter les choses: &Et plus de liureslivres sur les liureslivres, que sur autre
subiectsubject: nNous ne faisons que nous entregloser. ⁁
⁁ Tout formille de
d’interpretes,commenteres,
d’auteurs il en est
grand charte ⁁
⁁ Le principal & plus
fameus sçauoirsçavoir de nos
siecles est ce pas sçauoirsçavoir
interpreter d’autresinterpreter entendre les
sçauanssçavans Est ce pas la
fin commune & derniere
de tous estudes?
Nos
opinions se’ plantents’antent
les unes sur les autre
autres. La premiere
sert de planchetige a
la seconde La seconde
à la tierce. Par ou
il auientavient que lea plus
haut montee a par
fois plus d’honeur
que de merite Nous
eschelons ainsi de
degrè en degrè. Et
auientavient de la
que lae plus haut
montée ha souuātsouvant
plus d’honeur que de
merite. Car il n’est
monte que d’un grain
sur les espaules d’un
autre du penultime:
Combien sou-
uentsou-
vent & sottement à l’auantureavanture, ay ieje estandu mon liurelivre à par-
ler de soy. ⁁
⁁ Sottement,: ne futquand ce ne seroit que pour cette raison. Qu’il me deuoitdevoit souuenirsouvenir de ce que ieje dis des autres qui en
font de mesmes. Que ces euillades si frequantes a leur ouurageouvrage tesmouignent que le ceur leur frissone de
son amour. Et les rudoiemens ⁁ ⁁ mesmes desdeigneus de quoi ils le battent que ce ne sont que mignardiesses
et affetteries d’une faueurfaveur maternelle.⁁
⁁ : suiuantsuivant Aristote a qui et se priser et se mespriser naissent souuantsouvant de pareil air d’arrogance.
Car mon excuse: que ieje dois auoiravoir en cela plus de
liberté que les autres: d’autant que’ ij’escris de mo a point nomé ij’escris de moy et de mes escris come de
mes autres actions:. que mon theme se renuerserenverse en soi: ieje ne sçai si chacun la prendera
IJ’ay veu en Alemagne que Luther à laissé autant de
diuisionsdivisions & d’altercations, sur le doubte de ses opinions, &
plus, qu’il n’en esmeut sur les escritures sainctes. Nostre con-
testation est verbale: iIejJe demande que c’est que nature, volu-
pté, cercle, & substitutiōsubstitution. La question est de parolles & se paye
de mesme. VneUne pierre c’est vnun corps: mais qui presseroit, &
corps qu’est-ce? substance, & substance quoy? ainsi de suitte,
acculeroit en fin le respondant au bout de son calepin. On es-
change vnun mot, pour vnun autre mot, & souuētsouvent plus incogneu:
iIejJe sçay mieux que c’est qu’hōmehomme, que ieje ne sçay que c’est, ani-
mal, ou mortel, ou raisonnable. Pour satisfaire à vnun doubte, ils
m’en donnent trois: c’C’est la teste de Hydra. Socrates deman-
doit à Memnon, que c’estoit que vertu: il y a, fit Memnon,
vertu d’homme & de femme, de magistrat & d’homme pri-
uépri-
vé, d’enfant & de vieillart. Voicy qui va bien, s’escria Socrates:
nous
LIVRE TROISIESME.473481
nous estions en cherche d’vneune vertu, en voicy vnun exaim:
nNous communiquons vneune question, on nous en redōneredonne vneune
ruchee. Comme nul euenementevenement & nulle forme, ressemble en-
tierement à vneune autre, aussi ne differe nulle de l’autre entiere-
ment. ⁁
⁁ Ingenieus meslange de nature.
Si nos faces n’estoint
semblables on ne sçauroit
discerner l’home de la
beste: si elles n’estoint
dissemblables on ne
sçauroit discerner l’home
de l’home.
Toutes choses se tiennēttiennent par quelque similitude: tTout
exemple cloche,. &Et la relation qui se tire de l’experience, est
tousiourstousjours defaillante & imparfaicte: oOn ioinctjoinct toutesfois les
comparaisons par quelque coin. Ainsi seruentservent les loix,: & s’as-
sortissent ainsin, à chacun de nos affaires, par quelque inter-
pretation estiréedestournee, contrainte & biaise. Puisque les loix ethi-
ques, qui regardent le deuoirdevoir particulier de chacun en soy,
sont si difficiles à dresser, comme nous voyons qu’elles sont,:
ce n’est pas merueillemerveille, si celles qui gouuernentgouvernent tant de parti-
culiers, le sont d’auantageavantage. Considerez la forme de cette iu-
sticeju-
stice qui nous regit,. cC’est vnun vray tesmoignage de l’humaine
imbecillité,: tant il y à de contradiction & d’erreur. Ce que
nous trouuonstrouvons faueurfaveur & rigueur en la iusticejustice, & y en trouuōstrouvons
tant, que ieje ne sçay si l’entre-deux s’y trouuetrouve si souuentsouvent, ce sont
parties maladiuesmaladives, & membres iniustesinjustes, du corps mesmes &
essence de la iusticejustice. Des paysans viennent de m’aduertiradvertir en
haste, qu’ils ont laissé presentement en vneune forest qui est à
moy, vnun homme meurtry de cent coups, qui respire encores,
& qui leur a demandé de l’eau par pitié, & du secours pour le
soubsleuersoubslever: dDisent, qu’ils n’ont osé l’approcher, & s’en sont
fuis, de peur que les gens de la iusticejustice, ne les y attrapassent, &Et
comme il se faict de ceux qu’on rencontre pres d’vnun homme
tué, ils n’eussent à rendre compte de cet accident, à leur tota-
le ruyne: nN’ayant ny suffisance, ny argent, pour deffendre leur
innocence. Que leur eusse-ieje dict. Il est certain que cet office
d’humanité les eust mis en peine. Combien auonsavons nous des-
couuertdes-
couvert d’innocēsinnocens auoiravoir esté punis,: ieje dis sans la coulpe des iu-
gesju-
ges,: & combien en y a-il eu, que nous n’auonsavons pas descou-
FFFFFf
ESSAIS DE M. DE MONTA.
uertvert. Cecy est aduenuadvenu de mon temps: cCertains sont condānezcondamnez
à la mort pour vnun homicide,: l’arrest sinon pronōcéprononcé, aumoins
cōcludconclud & arresté. Sur ce poinct, les iugesjuges sont aduertisadvertis par les
officiers d’vneune court subalterne, voisine,: qu’ils tiennent quel-
ques prisonniers, lesquels aduouentadvouent disertement cet homici-
de,: & apportent à tout ce faict, vneune lumiere indubitable. On
delibere, si pourtant on doit interrompre & differer l’execu-
tion de l’arrest donné contre les premiers. On considere la
nouuelleténouvelleté de l’exemple,: & sa consequence, pour accrocher
les iugemensjugemens: qQue la condemnation est iuridiquementjuridiquement pas-
sée,: les iugesjuges priuezprivez de repentance. Somme ces pauurespauvres dia-
bles sont consacrez aux formules de la iusticejustice. Philippus, ou
quelque autre, prouuentprouvent à vnun pareil inconuenientinconvenient, en cette
manière. Il auoitavoit condamné en grosses amendes, vnun homme
enuersenvers vnun autre, par vnun iugementjugement resolu: lLa verité se descou-
urantdescou-
vrant quelque temps apres, il se trouuatrouva qu’il auoitavoit iniquemētiniquement
iugéjugé: dD’vnun costé estoit la raison de la cause,: de l’autre costé la
raison des formes iudiciairesjudiciaires,. iIl satisfit aucunement à toutes
les deux,: laissant en son estat la sentence, & recompensant de
sa bourse l’interest du condamné: mMais il auoitavoit affaire à vnun
accident reparable,: les miens furent pendus irreparablemētirreparablement. ⁁
-
⁁ Combien ai ieje ueuveu
de i sentances pires
que le crimecondemnations plus
crimineuses que le
crime.
Tout cecy me faict souuenirsouvenir de ces anciennes opinions,. qQu’il
est force de faire tort en detail, qui veut faire droict en gros,:
& iniusticeinjustice en petites choses, qui veut venir à chef de faire
iusticejustice és grandes: qQue l’humaine iusticejustice est formée au pa-
tronmodelle de la medecine,: selon laquelle, tout ce qui est vtileutile est
aussi iustejuste & honneste: &Et de ce que tiennent les Stoiciens,
que nature mesme oeuureoeuvreprocede contre iusticejustice, en la plus part de
ses operationsoeuuresoeuvresouuragesouvrages. ⁁
⁁ Et de ce que tienent les
Cyrenaiques qu’il n’y a
rien iustejuste de soi: que les
coustumes & loix forment la
iusticejustice. Et les Theodoriens
qui permettenttreuuenttreuvent iustejuste au sage
le larrecin le sacrilege
toute sorte de paillardise
s’il conoit qu’elle luy soit profitable.
Il n’y à remede,. iIjJ’en suis là, comme Alcibia-
des,: que ieje ne me representeray iamaisjamais que ieje puisse, à hom-
me qui decide de ma teste,: oOu mon honneur, & ma vie, dé-
pende de l’industrie & soing de mon procureur, plus que de
LIVRE TROISIESME.474482
mon innocence. IeJe me hazarderois à vneune telle iusticejustice,: qui me
reconneut du bien faict, comme du malfaict,: ou ij’eusse au-
tant à esperer, que à craindre. L’indemnité, n’est pas monnoye
suffisante, à vnun homme, qui n’est pas seulement exempt de
malfaire, mais qui faict mieux que les autres.faict mieus que de ne faillir point. Nostre iusticejustice
ne nous presente que l’vneune de ses mains,. & encore la gauche:
qQuiconque il soit, il en sort auecquesavecques perte. ⁁
⁁ En la Chine, duquel Royaume la police & les arts, sans commerce & cognoissance des nostres,
surpassent nos examples en plusieurs parties d’excerllance, et duquelle l’histoire m’aprātaprant cōbiencombien
le monde est cho plus ample et plus diuersdivers que ny les antiens ny nous ne penetrons, et les officiers
deputéz par le prince pour uisitervisiter l’estat de ses prouincesprovinces, com’ils punissent ceus qui maluersentmalversent en leur
charge, ils remunerent aussi de pure liberalitè, ceus qui s’y sont bien portez outre la commune sorte
et outre la necessitè de leur deuoirdevoir: on s’y presante non pour y estre quite sulemant et absous,
garantir sulement, mais aussi pour y acquerir et amander: ny simplemātsimplemant pour estre païé, mais aussi pour y estre estrené.
aussi estrené.
Nul iugejuge n’a en-
core, Dieu mercy, parlé à moy comme iugejuge, pour quelque
cause que ce soit, ou mienne, ou tierce, ou criminelle, ou
ciuilecivile: nNulle prison m’a receu,: non pas seulement pour m’y
promener. L’imagination m’en rend la veue mesme du de-
hors, desplaisante. IeJe suis si affady apres la liberté, que qui me
deffenderoit l’accez de quelque coin des Indes, ij’en viuroysvivroys
aucunement plus mal à mon aise. Et tant que ieje trouueraytrouveray
terre, ou air ouuertouvert ailleurs, ieje ne croupiray en lieu, où il
me faille cacher. Mon Dieu, que mal pourroy-ieje souffrir
la condition, ou ieje vois tant de gens, clouez à vnun quar-
tier de ce Royaume,: priuésprivés de l’entrée des villes principal-
les, & des courts, & de l’vsageusage des chemins publics,: pour
auoiravoir querellé nos loix. Si celles que ieje sers, me menassoient
seulement le bout du doigt, ieje m’en irois incontinent en
trouuertrouver d’autres, ou que ce fut. Toute ma petite pruden-
ce en ces guerres ciuilesciviles ou nous sommes, s’employe à ce,
qu’elles n’interrompent ma liberté d’aller & venir. Or les
loix se maintiennent en credit, non par ce qu’elles sont iu-
stesju-
stes, mais par ce qu’elles sont loix. C’est le fondement my-
stique de leur authorité: eElles n’en ont poinct d’autre.⁁
⁁ . Qui bien
leur sert.
Elles sont souuātsouvant
faictes par des
sots. Plus souuātsouvant
par des meschans.
LaEt la domination
particuliere n’a
uolontiersvolontiers peu de cōmercecommerce
aueqaveq l’aequalitèlequitel’equite par
la haine de lequalitel’equalite gens qui en
haine d’equalitè
ont faute d’equitè
Mais tousiourstousjours
par des homes: autheurs ueinsveins et irresolus. Quiconque
Il n’est rien si lourdemant & ordineremant fautierdangereusement lourdemant et largemātlargemant fautier
que les loix Quiconque ny si souuantsouvant ordineremant. Quiconque
Et
quiconqueleur obeyt à la loy, par ce qu’elles estsont iustesjustes, ne luyleur o-
beyt pas iustementjustement par ou il doibt. Les nostres françoises
prestent aucunement la main, par leur desreiglement & de-
formité, au desordre & corruption qui se voit en leur dis-
pensation, & execution. Le commandement est si trouble &
FFFFFf ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
inconstant, qu’il excuse aucunement, & la desobeyssance, &
le vice de l’interpretation, de l’administratiōadministration, & de l’obserua-
tionobserva-
tion. Quel que soit donq le fruict que nous pouuonspouvons auoiravoir de
l’experience, à peine seruiraservira beaucoup à nostre institution,
celle que nous tirons des exemples estrangers, si nous fai-
sons si mal nostre proffict, de celle que nous auonsavons de nous-
mesme,: qui nous est plus familiere, & certes suffisante à
nous instruire de ce qu’il nous faut. IeJe m’estudie plus qu’autre
subiectsubject.: CcC’est ma metaphisique, c’est ma phisique.:.
Qua Deus hanc mundi temperet arte domum,
Qua venit exoriens qua deficit, vnde coactis
Cornibus in plenum menstrua luna redit,
Vnde salo superant venti, quid flamine captet
Eurus, & in nubes vnde perennis aqua.:
Sit uentura dies mundi quae subruat arces:
Quaerite quos agitat mundi labor. ⁁
⁁ En ceste vniuersitéuniversité, ieje me laisse ignoramment & negligemment manier à la loy generale du monde.
IeJe la sarai asses quand ieje la sentirai. Ma sciance ne luy sauroit faire changer de route. Elle ne se diuersifieradiversifiera
pas pour moi. C’est folie de l’esperer. Et plus grand folie de s’en mettre en soinpeine puis qu’elle est necesseremant semblable
publique ⁁ ⁁ uniforme et commune. ⁁ ⁁ Nous auonsavons un trop bon guide et trop fiable pour nous souigner des moiens de sa conduite ⁁
⁁ La bonte et
capacite du gouuernurgouvernur
nous doit a pur et a
plein descharger du
soin de son gouuernemētgouvernement
Les inquisitions et contemplations philosophiques ne seruētservent que d’alimant a nostre curiosité
Les philosophes aueqaveq grand raison nous renuoienstrenvoienst aus regles de nature mais elles n’ont que faire de si
sublime conoissance: ⁁ ⁁ ils les falsifient et Ils nous presantent son uisagevisage ⁁ ⁁ peint trop ⁁ ⁁ haut en colur et trop peint so sophistique ⁁ ⁁ doud’ou naissent tant de diuersdivers portraicts d’un suiet si uniforme. Come elle nous a fourni de pieds
a marcher aussi a elle de prudance a nous guider en la uievie: prudance non tant ingenieuse ⁁ ⁁ robuste sertie et et pompeuse
come celle de leur inuantioninvantion: mais a l’auenantavenant ⁁ ⁁ facile simple et salutere: et qui faict tresbien ce que l’autre dict, a qui
sçait loyalemant user de soi naïfuemantnaïfvemant & ordoneemant s’emploier sans estude sans trauailtravail & contantion en celuy qui a
l’heur de sçauoirsçavoir s’emploier naïfuemantnaïfvemant et ordoneement: c’est a dire naturellement. Le plus simplement se commettre a nature
c’est s’y commettre le plus prudammant sagemant. CO ’estque c’est un dous et mol cheuetchevet ⁁ ⁁ et sain que l’ignorance ⁁ ⁁ et l’incuriosite a ⁁ reposer une teste bien faicte et l’incuriosite a reposer une
teste bien faicte.
IJ’aymerois mieux m’entendre bien en moy, qu’en PlatonCiceron.
De l’experience que ij’ay de moy, ieje trouuetrouve assez dequoy me
faire sage, si ij’estoy bon escholier. Qui remet en sa memoire,
l’excez de sa cholere passée,: & iusquesjusques ou cette fiéurefiévre l’empor-
ta, voit la laideur de cette passion mieux que dans Aristote,:
& en conçoit vneune haine plus iustejuste. Qui se souuientsouvient des maux
qu’il à couru, de ceux qui l’ont menassé, des legeres occasions
qui l’ont remué d’vnun estat à autre, se prepare par là, aux mu-
tations futures, & à la recognoissance de sa condition. La vie
de Caesar n’a poinct plus d’exemple, que la nostre pour nous:
&Et emperiere, & populaire,: c’est tousiourstousjours vneune vie que tous
accidents humains regardent. Escoutons y seulement,: nous
nous disons, tout ce dequoy nous auonsavons principalement be-
soing. Qui se souuientsouvient de s’estre tant & tant de fois mesconté
de son propre iugementjugement, est-il pas vnun sot, de n’en entrer
pour iamaisjamais en deffiance. Quand ieje me trouuetrouve conuaincuconvaincu par
LIVRE TROISIESME.475483
la raison d’autruy d’vneune opinion fauce, ieje n’apprens pas tant
ce qu’il m’a dict de nouueaunouveau, & cette ignorance particuliere,:
ce seroit peu d’acquest,: comme en general ij’apprens ma debi-
lité & la trahison de mon entendement,: d’où ieje tire la refor-
mation de toute la masse. En toutes mes autres erreurs, ieje faits
de mesme,: & senstiretiresens de cette reigle grande vtilitéutilité à la vie. IeJe ne
regarde pas l’espece & l’indiuiduindividu, comme vneune pierre ou ij’aye
bronché,: iIjJ’apprens à craindre mōmon alleure par tout, & m’attēsattens,
à la reigler. ⁁
⁁ D’aprandre qu’on a
dict ou faict une
sottise, ce n’est rien que
cela. Il faut aprandre
qu’on n’est qu’un sot
Instruction bien plus
ample et importante.
Les faux pas que ma memoire m’a fait si souuantsouvant,
lors mesme qu’elle s’asseure le plus de soy, ne le sont pas inu-
tilement perduz: eElle à beau me iurerjurer à cette heure & m’asseu-
rer, ieje secouё les oreilles: lLa premiere opposition qu’on faict à
son tesmoignage me met en suspens,. &Et n’oserois me fier d’el-
le en chose d’importancede poix,: n’y la garentir sur le faict d’autruy:
&Et n’estoit que ieje ne voy que mentir, & que ce que ieje fay par
faute de memoire, les autres le font encore plus souuantsouvant par
faute de foy, ieje prendrois tousiourstousjours en chose de faict, la verité
de la bouche d’vnun autre plustost que de la mienne. Si cha-
cun espioit de pres les effects & circonstances des passions
qui le regentent, comme ij’ay faict de celle à qui ij’estois tom-
bé en partage,: il les verroit venir, & ralantiroit vnun peu leur
impetuosité & leur course: eElles ne nous sautent pas tous-
iourstous-
jours au colet d’vnun prinsaut,. iIl y a de la menasse & des de-
gretsz,
Fluctus vti primo coepit cum albescere ponto,
Paulatim sese tollit mare, & altius vndas
Erigit, inde imo consurgit ad aethera fundo.
Le iugementjugement tient chez moy vnun siege magistral, aumoins il
s’ēen efforce soingneusemētsoingneusement: iIl laisse mes appetis aller leur trein,
& la haine & l’amitié,: voire & celle que ieje me porte à moy-
mesme, sans s’en alterer & corrompre. S’il ne peut reformer
les autres parties selon soy, aumoins ne se laisse il pas diffor-
FFFFFf iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mer à elles: iIl faict son ieujeu à part. L’aduertissementadvertissement à chacun
de se cognoistre, doibt estre d’vnun important effect, puisque
ce Dieu de science & de lumiere, le fit planter au front de son
temple: comme comprenant tout ce qu’il auoitavoit à nous con-
seiller. ⁁
⁁ Platon en un mot
appele son effaictdict aussi que prudāceprudance
n’est autre chose que
l’execution de cett’ordonāceordonance
et Socrates le uerifieeverifieeverifie par
le menu en Xenophon
Les difficultez & l’obscurité, ne s’aperçoiuentaperçoivent en cha-
cune science, que par ceux qui y ont entrée. Car encore faut
il quelque degré d’intelligence, à pouuoirpouvoir remarquer qu’on
ignore,. &Et faut pousser à vneune porte pour sçauoirsçavoir qu’elle nous
est close. ⁁
⁁ DouD’ou Platon tire cettenait cette philosophiquePlatonique
subtilite que ny ceus
qui sçauentsçavent n’ont a
s’enquerir d’autant qu’ils
sçauentsçavent ny ceus qui ne
sçauentsçavent d’autant qu’ils
ne sçauentsçavent ce de quoi ils
s’enquierent que pour
s’enquerir il faut sçauoirsçavoir
de quoi on s’enquiert
Ainsin, en cette-cy de se cognoistre soy-mesme, ce
que chacun se voit si resolu & satisfaict, ce que chacun y pen-
se estre suffisamment entendu, signifie que chacun n’y entēdentend
rien du tout. ⁁ ⁁ come Socrates aprant a Euthydeme en Xenophons. Moy qui ne faicts autre profession,: y trouuetrouve vneune
profondeur & varieté si infinie, que mon apprentissage n’a
autre fruict, que de me faire sentir, combien il me reste à ap-
prendre. A moy & à ma foiblesse si souuantsouvant recogneuё, ieje
doibts l’inclination que ij’ay à la modestie,: à l’obeyssance des
creances qui me sont prescrites: à vneune constante froideur &
moderation d’opinions,: & la hayne, à cette arrogance impor-
tune & quereleuse, se croyant & fiant toute à soy,: ennemye
capitale de discipline & de verité. Oyez les regenter,. lLes pre-
mieres sotises qu’ils mettent en auantavant, c’est au stile qu’on esta-
blit les religions & les loix. ⁁
-
⁁ Nil hoc est turpius quam
cognitioni et perceptioni asser=
tionem approbationemque
praecurrere.
Aristarchus disoit, qu’ancienne-
ment à peine se ttrouuattrouva il sept sages au monde,: & que de son
temps à peine se trouuoittrouvoit il sept ignorans: aAurions nous pas
plus de raison que luy, de le dire en nostre temps? L’affirmatiōaffirmation
& l’opiniastreté sont signes ordinairesexprez de bestise & d’ignorā-
ceignoran-
ce. Cettuy-cy aura donné du nez à terre, cent fois pour vnun
iourjour,: le voyla sur ses ergots, aussi resolu & entier que deuantdevant,
vous diriez qu’on luy à infuz dépuis, quelque nouuellenouvelle ame,
& vigueur d’entendement, &Et qu’il luy aduientadvient, comme à cet
ancien fils de la terre, qui reprenoit nouuellenouvelle fermeté & se rē-
forçoitren-
forçoit par sa cheute.,
LIVRE TROISIESME.476484
cui cum tetigere parentem,
Iam defecta vigent renouato robore membra:
cCe testu indocile, pense il pas reprēdrereprendre vnun nouuelnouvel esprit, pour
reprendre vneune nouuellenouvelle dispute? C’est par mon experiēceexperience, que
ij’accuse l’humaine bestise,.ignorance. qQui est à mōmon aduisadvis, le plus seur par-
ty de l’escole du monde. Ceux qui ne la veulent conclurre en
eux, par vnun si vain exemple que le mien, ou que le leur,: qu’ils
la recognoissent par Socrates, ⁁
⁁ le maistre des maistres.
Carcar le philosophe Antis=
thenes a sesses disciples: allons
disoit il uousvous et moi ouir
Socrates, la ieje serai disciple
aueqaveq uousvous. et meinsoutenant ce
dogme de lsa secte Stoique que la
uertuvertu suffisoit sule a rendre
l’home hureus de tout point
il adioutoitadjoutoit sule & sans autre
appui, il adioutoitadjoutoit sauf la force
de Socrates, adioutoitadjoutoit il une
uievie pleinemētpleinement hureuse & n’ayant
besouin adioutoitadjoutoit il que de la
force de Socrates de chose
quelconque: sauf si non de la
force de Socrates, adioutoitadjoutoit-il.
le plus sage qui fut onques, au
tesmoignage des dieux & des hommes. Cette longue atten-
tion que ij’employe à me considerer, me dresse à iugerjuger aussi
passablement des autres: &Et est peu de choses dequoy ieje parle
plus heureusement & excusablement. Il m’aduientadvient souuātsouvant, de
voir & distinguer plus exactement les conditions de mes a-
mys, qu’ils ne font eux mesmes. IJ’en ay estonné quelqu’vnun,
par la pertinence de ma description,: & l’ay aduertyadverty de soy.
Pour m’estre des mon enfance dressé à mirer ma vie dans cel-
le d’autruy, ij’ay acquis vneune complexion studieuse en cela,. &Et
quand ij’y pense, ieje laisse eschaper au tour de moy peu de cho-
ses qui y seruentservent: contenances, humeurs, discours. IJ’estudie
tout,: ce qu’il me faut fuyr, ce qu’il me faut suyuresuyvre. Ainsin à
mes amys, ieje descouuredescouvre par leurs productions, leurs inclina-
tions internes: nNon pour renger cette infinie varieté d’actiōsactions
si diuersesdiverses & si descoupées, à certains genres & chapitres, &
distribuer distinctement mes partages & diuisionsdivisions, en classes
& regions cogneuёs,
Sed neque quam multae species & nomina quae sint,
Est numerus: ⁁
⁁ Les sçauanssçavans partent et
denotent leurs fantasies plus
specifiquement et par le menu
moy qui n’y uoisvois qu’autant que
l’usage m’en presanteinforme sans regle,
presante generalement les miennes
et a tastons. Come en cecy
iIejJe prononce ma sentence par articles descousus,: ainsi que comme de
chose qui ne se peut dire à la fois & en bloc. La relation, & la
conformité ne se trouuenttrouvent poinct en telles ames que les no-
stres, vilesbasses & communes. La sagesse, est vnun bastiment solide &
entier, dont chaque piece tient son rang & porte sa marque. ⁁
⁁ Sola sapientia in se
tota conuersa est
ESSAIS DE M. DE MONTA.
IeJe laisse aux artistes, & ne sçay s’ils en viennent à bout, en cho-
se si meslée si menue & fortuite,: de renger en bandes cette in-
finie diuersitédiversité de visages, & arrester nostre inconstance, & la
mettre par ordre. Non seulement ieje trouuetrouve mal-aisé, d’atta-
cher nos actions les vnesunes aux autres, mais chacune à part soy,
ieje trouuetrouve mal-aysé, de la designer proprement par quelque
qualité principalle: tant elles sont doubles & bigarrées à di-
uersdi-
vers lustres. ⁁
⁁ Ce qu’on remarque pour rare, au Roy de Macedoine, Perseus, que son esprit, ne
s’atachant a aucune condition alloit errant par tout genre de uievie, et represantant des
meurs si insolantesessorees et uagabondesvagabondes qu’il n’estoit conu ny de luy ny d’autre quel home
ce fut, me semble a peu pres conuenirconvenir a tout le monde. Et par dessus tous, ij’ai ueuveu
quelqu’autre Roy despuisde sa taille,
a qui cete conclusion
s’appliqueroit plus
proprement encore
ce crois ieje. Nulle
assiete moiene.:
s’emportant tousiourstousjours
de l’un a lautrel’autre
extreme, par occasions
indiuinablesindivinables: nulle
espece de trein sans
trauersetraverse et contrarieté
merueilleusemerveilleuse: nulle
faculte simple: si
que le plus uraisem=
blablementvraisem=
blablement qu’on en
pourrait feindre ⁁ ⁁ un iourjour, ce
seroita qu’il affectoit
et estudioit de se
rendre conu par es
estre mesconoissable.
Il faict besoing des oreilles biēbien fortes, pour s’ouyr
franchement iugerjuger: &Et par ce qu’il en est peu qui le puissent
souffrir sans morsure & sans amertume, ceux qui se hazardēthazardent
de l’entreprendre enuersenvers nous, nous montrent vnun singulier
effect d’amitié, cCar c’est aimer sainement, d’entreprendre à
blesser & offencer, pour proffiter. IeJe trouuetrouve rude de iugerjuger cel-
luy-la, en qui les mauuaisesmauvaises qualitez surpassent les bonnes. ⁁
-
⁁ Platon
demandeordone
trois chosesparties
a qui ueutveut examiner
l’ame d’un
autre de’un
quelcun autre:
sciance
bienueuillācebienveuillance
hardiesse
Quelque fois on me demandoit, à quoy ij’eusse pensé estre
bon, qui se fut aduiséadvisé de se seruirservir de moy pēdantpendant q̄que ij’en auoisavois
l’aage,
Dum melior vires sanguis dabat, aemula nec dum
Temporibus geminis canebat sparsa senectus.
A riērien, fis-ieje,: &Et m’excuse volōtiersvolontiers de ne sçauoirsçavoir faire chose qui
m’esclaueesclave à autruy. Mais ij’eusse dict ses veritez à mōmon maistre, &
eusse contrerrolé ses meurs, s’il eust voulu: nNōnNon en gros, par le-
çons scholastiques, que ieje ne sçay point,: & n’en vois naistre
aucune vraye reformation en ceux qui les sçauentsçavent: mMais les
obseruantobservant pas à pas, à toute oportunité, & en iugeantjugeant à l’oeil,
piece à piece, simplement & naturellement: lLuy faisant voyer
quel il est en l’opinion commune, m’opposant à ses flateurs.
Il n’y a nul de nous, qui ne valut moins que les Roys, s’il estoit
ainsi continuellement trahy & pipécorrompu, comme ils sont, de cette
racecanaille de gens. Comment, si Alexandre, ce grand & Roy & phi-
losophe, ne s’en peut deffendre? IJ’eusse eu assez de fidelité de
iugemētjugement & de liberté pour cela. Ce seroit vnun office sans nom,
autre-
LIVRE TROISIESME.477485
aAutrement il perdroit son effect & sa grace. Et est vnun rolle
qui ne peut indifferemment appartenir à tous: cCar la verité
mesme, n’a pas ce priuilegeprivilege d’estre employée à toute heure, &
en toute sorte,: sSon vsageusage, tout noble qu’il est, à ses circonscrip-
tions, & limites. Il aduientadvient souuantsouvant, comme le monde est,
qu’on la láche à l’oreille du prince, non seulement sans fruict,
mais dommageablement,: & encore iniustementinjustement. Et ne me
fera l’on pas accroire, qu’vneune sainte remonstrance, ne puisse e-
stre appliquée vitieusement,. &Et que l’interest de la substance,
ne doiuedoive souuentsouvent ceder à l’interest de la forme. IeJe voudrois à
ce mestier, vnun homme content de sa fortune,
Quod sit esse velit nihilque malit,
& nay de moyenne fortune: dD’autant que d’vneune part, il n’au-
roit point de craincte de toucher vifuementvifvement & profonde-
ment le coeur du maistre, pour ne perdre par la, le cours de
son aduancementadvancement: &Et d’autre part, pour estre d’vneune condition
moyenne, il auroit plus aysée communication à toute sorte
de gens. ⁁
⁁ IeJe le uoudroisvoudrois a
un home sul: car de
respandre le priuilegeprivilege
de cette liberte et
priuauteprivaute a plusieurs
seroit pour engendrer
de l’engendreroit une nuisible irreueranceirreverance. Ouy,
et de celuy la, ieje re=
querrois sur tout la
fidelite du silance.
VnUn princeRoy n’est pas à croire, quand il se vante de sa
constance à attendre le rencontre de l’ennemy, pour le serui-
ceservi-
ce de sa gloire, si pour son proffit & amendement, il ne peut
souffrir la liberté des parolles d’vnun amy,: qui n’ont autre ef-
fort, que de luy pincer l’ouye,: le reste de leur operationeffaict estant
en sa main. Or il n’est aucune condition d’hommes, qui ayt
si grand besoing, que ceux là, de vrays & libres aduertissemēsadvertissemens.
Ils soustiennent vneune vie publique,: & ont à agreer à l’opinion
de tant de spectateurs, que comme on à accoustumé de leur
taire tout ce qui les diuertitdivertit de leur route, ils se trouuenttrouvent sans
le sentir, engagez en la hayne & detestation de leurs peuples,
pour des occasions souuentsouvent, qu’ils eussent peu euitereviter, à nul in-
terest de leurs plaisirs mesme, qui les en eut aduisezadvisez & redres-
sez à tēpstemps. Communement leurs fauoritsfavorits regardent à soy plus
qu’au maistre: &Et il leur va de bon,. dD’autātautant qu’a la verité la plus
GGGGGg
ESSAIS DE M. DE MONT.
part des offices de la vraye amitié, sont enuersenvers le souuerainsouverain en
vnun rude & perilleus essay: dDe maniere qu’il y faict besoing, nōnon
seulemētseulement beaucoup d’affection & de frāchisefranchise, mais encore de
courage. En fin toute cette fricassée q̄que ieje barbouille icy, n’est
qu’vnun registre des essais de ma vie,: qui est pour l’interne santé,
exēplaireexemplaire assez, à prendre l’instruction à cōtrecontre-poil,. mMais quātquant
à la santé corporelle, personne ne peut fournir d’experience
plus vtileutile que moy, qui la presente pure, nullement corrōpuecorrompue
& alterée par art, & par opination. L’experience est propre-
mētpropre-
ment sur son fumier au subiectsubject de la medecine, ou la raison luy
quite toute la place. Tibere disoit, que quiconque auoitavoit ves-
cu vingt ans, se debuoitdebvoit respondre des choses qui luy estoyētestoyent
nuisibles ou salutaires, & se sçauoirsçavoir conduire sans medecine. ⁁
⁁ Et le pouuoitpouvoit apri
auoiravoir apris de Socrates:
lequel cōseillantconseillant a ses
disciples souigneusemētsouigneusement
et come un tres principal
estude lestudel’estude de leur
sante adioustoitadjoustoit qu’il
estoit malaise qu’un home
d’entandemant prenant
garde a ses exercices a sōson
boire & a son manger ne
discernat mieus que tout
medecin ce qui luy estoit
utille ou nuisible. La
medecine bon ou mauuesmauves
La medecine Si faict la
medecine
Elle faict profession d’auoiravoir tousiourstousjours l’experience, pour tou-
che de son operation. Ainsi Platon auoitavoit raison de dire, que
pour estre vray medecin, il seroit necessaire que celuy qui
l’entreprendroit, eust passé par toutes les maladies, qu’il veut
guarir, & par tous les accidens & circonstances de quoy il doit
iugerjuger. C’est raison qu’ils prēnentprennent la verole, s’ils la veulent sça-
uoirsça-
voir penser. Vrayement ieje m’en fierois à celuy la. Car les au-
tres nous guidētguident, comme celuy qui peint les mers, les escueils,
& les ports, estant assis, sur sa table, & y faict promener le mo-
dele d’vnun nauirenavire en toute seureté: iIettezjJettez le à l’effect, il ne sçait
par ou s’y prendre: iIls font telle description de nos maux, que
faict vnun trompette de ville, qui crie vnun cheualcheval ou vnun chiēchien per-
du,: tel poil, telle hauteur, telle oreille,: mais presentez le luy, il
ne le cognoit pas pourtant. Pour Dieu, que la medecine me
face vnun iourjour quelque bon & perceptible secours, voir comme
ieje crieray de bonne foy,
Tandem efficaci do manus scientiae.
Les arts qui promettent de nous tenir le corps en santé, & l’a-
me en santé, nous promettent beaucoup,: mais aussi n’en est il
LIVRE TROISIESME.478486
point qui tiēnenttiennent moins ce qu’elles promettent. Et en nostre
temps ceux qui font profession de ces arts entre nous, en mō-
trentmon-
trent moins les effects que tous autres hommes. On peut di-
re d’eus pour le plus, qu’ils vendent les drogues medecinales,
mais qu’ils soyent medecins, cela ne peut on dire, à les voir,
& ceux qui se gouuernentgouvernent par eux. IJ’ay assez vescu, pour met-
tre en compte l’vsageusage qui m’a conduict si loing: pPour qui en
voudra gouster, ij’en ay faict l’essay, son eschançon. En voicy
quelques articles, comme la souuenancesouvenance me les fournira. ⁁
-
⁁ IeJe n’ay point de façon
qui ne se ne soit allee
uariantvariant selon les accidans
mais ij’enregistre celles que
ij’ay plus souuantsouvant ueuveu en
trein: qui ont eu plus de possession
en moy iusqujusqu’asteure.
Ma
forme de vie, est pareille en maladie comme en santé,. mMesme
lict, mesmes heures, mesmes viandes me seruentservent, & mesme
breuuagebreuvage. IeJe n’y adiousteadjouste du tout rien, que la moderation du
plus & du moins, selon ma force & appetit. Ma santé, c’est
maintenir sans destourbier mon estat accoustumé. IeJe voy q̄que
la maladie m’en desloge d’vnun costé,: si ieje crois les medecins, ils
m’en destourneront de l’autre: &Et par fortune, & par art me
voyla hors de ma route. IeJe ne croys rien plus certainement q̄que
cecy,: que ieje ne sçauroy estre offencé par l’vsageusage des choses que
ij’ay si long temps accoustumées. C’est à la coustume de don-
ner forme à nostre vie, telle qu’il luy plaist,: elle peut tout en
cela. C’est le breuuagebreuvage de Circé, qui diuersifiediversifie nostre nature,
cōmecomme bon luy semble. Combien de nations, & à trois pas de
nous, estiment ridicule la crainte du serain, qui nous blesse si
apparemment: &Et nos bateliers & nos paysans s’en moquent.
Vous faites malade vnun Aleman de le coucher sur vnun matelas,:
cōmecomme vnun ItaliēItalien sur la plume,: & vnun François sans rideau & sans
feu. L’estomac d’vnun Espagnol ne dure pas à nostre forme de
manger,: ny le nostre à boire à la Souysse. VnUn Aleman me fit
plaisir à Auguste, de cōbatrecombatre l’incommodité de noz fouyers,
par ce mesme argument, dequoy nous nous seruonsservons ordinai-
rement à condānercondamner leurs poyles. Car à la verité cette chaleur
croupie, & puis la sēteursenteur de cette matiere reschauffée, dequoy
GGGGGg ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ils sont cōposezcomposez, enteste la plus part de ceux qui n’y sont expe-
rimētezexpe-
rimentez,: àA moy nōnon. Mais au demeurātdemeurant, estant cette challeur e-
guale, constante, & vniuerselleuniverselle, sans lueur, sans fumée, sans
le vētvent que l’ouuertureouverture de nos cheminées nous apporte, elle à
biēbien par ailleurs, dequoi se cōparercomparer à la nostre. Que n’imitōsimitons nous
l’architecture Romaine.: CcCar on dict q̄que anciēnementanciennement, le feu ne
se faisoit en leurs maisons q̄que par le dehors, & au pied d’icelles,:
d’où s’inspiroit la chaleur à tout le logis, par les tuyaux practi-
quez dāsdans l’espais du mur,: lesq̄lslesquels alloiētalloient embrassant les lieux qui
en deuoiētdevoient estre eschauffez. Ce q̄que ij’ay veu clairemētclairement signifié, ieje
ne sçay, ou, en Seneque. Cettuy-cy, m’oyātoyant louёr les cōmodi-
tezcommodi-
tez, & beautez de sa ville, qui le merite certes, cōmençacommença à me
plaindre, dequoy ij’auoisavois à m’en esloigner,: &Et des premiers in-
cōueniensin-
conveniens qu’il m’allega, ce fut la poisanteur de teste, q̄que m’ap-
porteroiētap-
porteroient les cheminées ailleurs. Il auoitavoit ouï faire cette plain-
te à quelqu’vnun, & nous l’attachoit, estātestant priuéprivé par l’vsageusage de l’ap-
perceuoirap-
percevoir chez luy. Toute chaleur qui viētvient du feu, m’affoiblit
& m’appesantit.: SsSi disoit EuenusEvenus, que le meilleur cōdimētcondiment de
la vie, estoit le feu.: IiIeJjJe prens plustost toute autre façon d’escha-
per au froid. Nous craingnōscraingnons les vins au bas,: en Portugal, cet-
te fumée est en delices,: & est le breuuagebreuvage des princes. En som-
me, chaque natiōnation à plusieurs coustumes & vsancesusances, qui sont nōnon
seulemētseulement incongneuёs, mais farouches & miraculeuses à quel-
que autre natiōnation. Que ferōsferons nous à ce peuple, qui ne fait recepte
que de tesmoignages imprimez,. qQui ne croit les hōmeshommes, s’ils ne
sont en liurelivre,. nNy la verité, si elle n’est d’aage competant.⁁
-
⁁ : nNous mettons en
dignitè nos besti=
ses, quand nous les
metons en moule.
Il y a
biēbien pour luy autre poix, de dire,: ieje l’ay leu,: que si vous dictes,:
ieje l’ay ouy dire. Mais moy, qui ne mescrois non plus la bou-
che que la main des hommes,: & qui sçay qu’on escript autant
indiscretement qu’on parle,: & qui estime ce siecle, comme
vnun autre passé,: ij’allegue aussi volontiers vnun mien amy, que
Aulugele, & que Macrobe,: & ce que ij’ay veu, que ce qu’ils ont
LIVRE TROISIESME.479487
escrit. ⁁
⁁ Et come ils disenttienent
de la uertuvertu qu’elle
n’est pas plus grande
pour estre plus longue
il ij’estime de mesme
de la ueriteverite qu’elle n’est
de rien plus pour estre
plus uieillevieille elle n’est
pas plus sage.
IeJe dis souuentsouvent que c’est pure sottise, qui nous fait courir
apres les exemples estrangers & scholastiques: lLeur fertilité est
pareille à cette heure à celle du temps d’Homere & de Platon.
Mais n’est-ce pas, que nous cherchons plus l’honneur de l’alle-
gation, que la verité du discours: cComme si s’il c’estoit plus, noble
d’emprunter, de la boutique de Vascosan, ou de Plantin, nos
preuuespreuves, que de ce qui se voit en nostre village. Ou bien cer-
tes, que nous n’auōsavons pas l’esprit, d’esplucher, & faire valoir, ce
qui se passe deuantdevant nous, & le iugerjuger assez vifuementvifvement, pour le
tirer en exemple. Car si nous disons que l’authorité nous mā-
queman-
que, pour donner foy à nostre tesmoignage, nous le disons
hors de propos,. dD’autant qu’à mon aduisadvis, des plus ordinai-
res choses, & plus communes, & cogneuёs, si nous sçauionssçavions
trouuertrouver leur iourjour, se peuuentpeuvent former les plus grands miracles
de nature,: & les plus merueilleuxmerveilleux exemples, notamment sur
le subiectsubject des actions humaines. Or sur mon subiectsubject, laissant
les exemples que ieje sçay par les liureslivres: ⁁
⁁ et ce que dict Aristote
d’Andron Argien qu’il
trauersoittraversoit sans boire les
arides sablons de la Lybie.
vVnuUn gentil-homme qui
s’est acquité dignemētdignement de plusieurs charges, disoit où ij’estois,
qu’il estoit allé de Madril à Lisbonne, en plain esté, sans boire.
Il se porte vigoureusement pour son aage,: & n’a rien d’extra-
ordinaire en l’vsageusage de sa vie, que cecy, d’estre deux ou trois
mois, voire vnun an, ce m’a-il dict, sans boire. Il sent de l’altera-
tion, mais il lal’a laisse passer,: & tient que c’est vnun appetit qui s’a-
languit aiséemētaiséement de soy-mesme,: & boit plus par capricce, que
pour le besoing, ou pour le plaisir. En voicy d’vnun autre,. iIl n’y à
pas long temps, que ieje rencontray, l’vnun des plus sçauanssçavans hom-
mes de France, entre ceux de non mediocre fortune, estudiātestudiant
au coin d’vneune sale, qu’on luy auoitavoit rembarré de tapisserie,: &
autour de luy, vnun tabut de ses valets, plain de licēcelicence. Il me dict, ⁁
-
⁁ et Seneque quasi
autant de soi:
qu’il faisoit son profit de ce tintamarre,. cComme si battu de ce
bruict, il se ramenast & reserrast plus en soy, pour la contem-
plation, & que cette tempeste de voix repercutast ses pensées
GGGGGg iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
au dedans. Estant escholier à Padoue, il eust son estude si long
temps logé à la batterie des coches, & du tumulte de la place,
qu’il se forma nōnon seulemētseulement au mespris, mais à l’vsageusage du bruit,
pour le seruiceservice l’utilite de ses estudes. ⁁
⁁ Socrates a Al respondoit a
Alcibiades s’estonant coment
il pouuoitpouvoit porter le continuel
tintamarre de la teste de
sa fame: Come ceus qui sont
accostumez au continuel l’ordinere son
des roues a puiser leaul’eau.
IeJe suis bien au contraire: ij’ay l’es-
prit tendre & facile à prendre lessorl’essor: qQuand il est empesché à
part soy, le moindre bourdonnement de mouche l’assassine. ⁁
⁁ Seneque en sa iunessejunesse
aiant mordu chaudemātchaudemant
à lexamplel’example de Sextius
de ne manger de chose
qui eut pris mort s’en
passoit dans un an aueqaveq
plaisir, come il dict
Et s’en laissa sulemant
pour n’estre supçone d
d’enprunter cette regle
d’aucunes relligions
nouuellesnouvelles qui la semoint
de mesme Il print quādquand
et quand des praeceptes
d’Attalus de ne se coucher
plus mollemant sur des
coitesloudiers
sur des loudiers qui enfondrent
& continua iusqujusqu’a sa
uieillessevieillesse cellesceus quei ne
cedent point au corps. Ce
que l’usage luy faict
prendre a rudesse il nous
le faict prandre a mollesse.
de son temps luy faict
conter a rudesse le nostre
nous le faict estimer a tenir a
mollesse.
Regardez la difference du viurevivre de mes valets à bras, à la miē-
nemien-
ne: lLes Scythes & les Indes n’ont riērien plus esloingné de ma for-
ce, & de ma forme. IeJe sçay, auoiravoir retiré de l’aumosne, des enfāsenfans
pour m’en seruirservir, qui bien tost apres m’ont quicté & ma cui-
sine, & leur liuréelivrée, seulemētseulement pour se rēdrerendre à leur premiere vie,.
&Et en trouuaytrouvay vnun amassātamassant depuis des moules, emmy la voirie
pour sōson disner, q̄que par priere, ny par menasse, ieje ne sceu distraire
de la saueursaveur & douceur, qu’il trouuoittrouvoit en l’indigēceindigence. Les gueux
ont leurs magnificences, & leurs voluptez, comme les riches,:
& dict-on, leurs dignitez, & ordres politiques. Ce sont effects
de l’accoustumance: eElle nous peut duire, non seulemētseulement à tel-
le forme qu’il luy plaist (pourtant disent les sages, nous faut-il
planter a la meilleure, qu’elle nous facilitera incontinent)
mais au changement ⁁ ⁁ aussi & à la variation,. qQui est le plus noble, &
le plus vtileutile de ses apprētissagesapprentissages. La meilleure de mes comple-
xions corporelles, c’est d’estre flexible & peu opiniastre. IJ’ay
des inclinations plus propres & ordinaires, & plus agreables,
que d’autres: mMais auecavec bien peu d’effort, ieje m’en destourne, &
me coule aiséement à la façon contraire. VnUn ieunejeune homme,
doit troubler ses regles, pour esueilleresveiller sa vigueur,: la garder de
moisir & s’apoltronir: &Et n’est train de vie, si sot & si debile, que
celuy qui se conduict par ordonnance & discipline.
Ad primum lapidem vectari cùm placet, hora
Sumitur ex libro, si prurit frictus ocelli
Angulus, inspecta genesi collyria quaerit.
Il se reietterarejettera souuentsouvent aux excez mesme, s’il m’en croit,. aAutre-
LIVRE TROISIESME.480488
ment, la moindre desbauche le ruyne: iIl se rend incommode
& desaggreable en conuersationconversation. La plus contraire qualité à
vnun honneste homme, c’est la delicatesse & obligation à certai-
ne façon particuliere,. &Et elle est particuliere, si elle n’est ploia-
ble, & soupple. Il y a de la hōtehonte, de laisser à faire par impuissan-
ce, ou de n’oser, ce qu’on voit faire à ses compaignōscompaignons: qQue tel-
les gens gardent leur cuisine. Par tout ailleurs il est indecent:
mMais à vnun homme de guerre, il est vitieux & insupportable: lLe-
quel comme disoit Philopoemen, se doit accoustumer à toute
diuersitédiversité & inegalité de vie. Quoy que ij’aye esté dressé autant
qu’on à peu, à la liberté & à l’indifference,: si est-ce que par nō-
chalancenon-
chalance, m’estant en vieillissant, plus arresté sur certaines for-
mes (mon aage est hors d’institution, & n’a meshuydesormais dequoy
regarder ailleurs que à se maintenir) la coustume à desiadesja sans y
penser, imprimé si biēbien en moy son caractere, en certaines cho-
ses, que ij’appelle excez de tir, m’en despar⁁⁁tir, &. Et sans m’essaier,
ne puis, ny dormir sur iourjour,: ny faire collation entre les repas,:
ny desieunerdesjeuner,: ny m’aller coucher sans grand interualleintervalle ⁁ ⁁ come de trois bones heures apres
le soupper,: ny faire des enfans qu’auantavant le sommeil,: ny les fai-
re debout,: ny porter ma sueur,: ny m’abreuuerabreuver d’eau pure ou
de vin pur,: ny me tenir nud teste long temps,: ny me faire ton-
dre apres disner,: &Et me passerois autant malaiséement de mes
gans que de ma chemise,: & de me lauerlaver à l’issuё de table, & à
mon leuerlever,: & de ciel & rideaux à mon lict, comme de choses
bien necessaires: iIejJe disnerois sans nape,: mais à l’alemande sans
seruietteserviette blanche, tres-incōmodéementincommodéement,. iIejJe les barbouillesouille plus
qu’eux, & les Italiens ne font,: &Et m’ayde peu de cullier, & de
fourchete. IeJe plains qu’on n’aye suyuysuyvy vnun train, que ij’ay veu
commencer à l’exemple des Roys,: qu’on nous changeast de
seruietteserviette, selon les seruicesservices, comme d’assiette. Nous tenons de
ce laborieux soldat Marius, que vieillissant, il deuintdevint si delicat
en son boire, qu’ilet ne le pouuoitpouvoit prendreprenoit, que dans’en vneune sienne
ESSAIS DE M. DE MONTA.
couppe particuliere: ⁁
⁁ Moi, ieje me laisse aller aussi,
à certeine forme de uerresverres,
& ne bois pas uolontiersvolontiers
en uerreverre commun: non
plus que d’une main
commune. Tout metal
m’y desplait au pris
d’une matiere claire et
trāsparantetransparante. Que mes
yeus y tastent aussi,
selon leur capacite
lLes tasses me desplaisent,. &Et l’argenttout metal, au
pris du verre,. &Et d’estre seruyservy à boire d’vneune main laide ou inaccoustu-
mée & estrangere ⁁ ⁁ et laide:,: & en verre commun,: & me laisse aller au
choix de certaine forme de verres. IeJe dois plusieurs telles mol-
lesses à l’vsageusage. Nature m’a aussi d’autre part apporté les siēnessiennes:
cComme de ne soustenir plus deux plains repas en vnun iourjour, sans
surcharger mon estomac: nNy l’abstinence pure de l’vnun des re-
pas,: sans me remplir de vents, assecher ma bouche, estonner
mon appetit: dDe m’offenser d’vnun long serain. Car depuis quel-
ques années, aux couruéescourvées de la guerre, quand toute la nuict y
court, comme il aduientadvient communément, apres cinq ou six
heures, l’estomac me commence à troubler, auecavec vehemente
douleur de teste,: & n’arriuearrive poinct au iourjour, sans vomir. Com-
me les autres s’en vōtvont desieunerdesjeuner, ieje m’en vay dormir: & au par-
tir de là, aussi gay qu’au parauantparavant. IJ’auoisavois tousiourstousjours appris, que
le serain ne s’espandoit qu’à la naissance de la nuict: mais han-
tant ces années passées familierement, & long temps, vnun sei-
gneur imbu de cette creance, que le serain est plus aspre &
dangereux sur l’inclination du Soleil, vneune heure ou deux auātavant
son coucher, lequel il euiteevite songneusement, & mesprise celuy
de la nuict,: il m’a cuidé imprimer non tant son discours, que
son sentiment. Quoy? que le doubte mesme, & inquisition de
l’imagination, nous frappefrape nostre imagination, & nous change. Ceux qui cedent
tout à coup à ces pāētespanentespentes, attirētattirent l’entiere ruyne sur eux.: EetEt plains
plusieurs gentils-hōmeshommes, qui par la sottise de leurs medecins, se
sont mis en chartre, tous ieunesjeunes & entiers. Encores vaudroit-il
mieux souffrir vnun reume, que de perdre pour iamaisjamais par desa-
coutumance le commerce de la vie commune, en action de si
grand vsageusage. ⁁
-
⁁ Facheuse sciance,
qui nous descrie
les plus douces
heures du iourjour.
Estendons nostre possession iusquejusque aux derniers
moyens.: LlLe plus souuentsouvent on s’y durcit, en s’opiniastrātopiniastrant, & cor-
rige l’on sa complexion,. cComme fit Caesar le haut mal, a force
de le mespriser & corrompre. On se doit adonner aux meil-
leu-
LIVRE TROISIESME.481489
leures regles, mais non pas s’y asseruirasservir: sSi ce n’est à celles, s’il y en
à quelqu’vneune, ausquelles l’obligation & seruitudeservitude soit vtileutile.
Et les Roys & les philosophes fientent, & les dames aussi: les
autres ont pour leur part, la discretion & la suffisance, moy
l’ingenuité & la liberté: lLes vies publiques se doiuentdoivent à la ce-
remonie,: la mienne cachéeobscure & priuéeprivée, iouitjouit de toute dispen-
ce naturelle: sSoldat & Gascon, sont qualitez aussi, vnun peu sub-
iettessub-
jettes à l’indiscretion. Parquoy ieje diray cecy de cette action,.
qQu’il est besoing de la renuoyerrenvoyer à certaines heures, prescriptes
& nocturnes,: & s’y forcer par coustume, & assubiectirassubjectir, com-
me ij’ay faict: mMais non s’assuiectirassujectir, comme ij’ay faict en vieil-
lissant, au soing de particuliere commodité de lieu, & de siege
pour ce seruiceservice,: & le rendre empeschant par longueur & mol-
lesse: tToutesfois aux plus sales seruicesservices, est-il pas aucunement
excusable, de requerir plus de soing & de netteté. ⁁
⁁ cCar deDe magis
⁁ Natura homo
mundum et elegans
animal est. De toutes les
actions naturelles
c’est celle que ieje
souffre plus mal
uolontiersvolontiers m’estre
interrompue.
IJ’ay veu
beaucoup de gens de guerre, incommodez du desreiglement
de leur ventre: lLe mien & moy, ne nous faillons iamaisjamais au
poinct de nostre assignation,: qui est au saut du lict, si quelque
violente occupation, ou maladie ne nous trouble. IeJe ne iugejuge
donc point, comme ieje disois, ou les malades se puissent met-
tre mieux en seurté, qu’en se tenant quoy, dans le train de vie,
où ils se sont esleuezeslevez & nourris. Le changement quel qu’il soit
estonne & blesse. Allez croire que les chastaignes nuisent à vnun
Perigourdin, ou à vnun Lucquois: & le laict & le fromage aux
gens de la montaigne. On leur va ordonnant, vneune non seule-
ment nouuellenouvelle, mais contradictoirecontrere forme de vie: mMutation
qu’vnun sain ne pourroit souffrir. Ordonnez de l’eau à vnun Bre-
ton de soixante dix ans,: enfermez dans vneune estuueestuve vneune hom-
me de marine,: deffendez le promener à vnun laquay basque: iIls
les priuentprivent de mouuementmouvement, & en fin d’air & de lumiere.
HHHHHh
ESSAIS DE M. DE MONTA.
an viuere tanti est?
Cogimur a suetis animum suspendere rebus,
Atque vt viuamus viuere desinimus:
Hos superesse rear quibus & spirabilis aer,
Et lux qua regimur redditur ipsa grauis.
S’ils ne font autre bien, ils font aumoins cecy, qu’ils prepa-
rent de bonne heure les patiens à la mort, leur sapātsapant peu à peu
& retranchātretranchant l’vsageusage de la vie. Et sain & malade, ieje me suis vo-
lontiers laissé aller aux appetits qui me pressoient. IeJe donne
grande authorité à mes desirs & propensiōspropensions. IeJe n’ayme point
à guarir le mal par le mal. IeJe hay les remedes qui importunent
plus que la maladie. D’estre subiectsubject à la cholique, & subiectsubject à
m’abstenir du plaisir de māgermanger des huitres, ce sont deux maux
pour vnun. Le mal nous pinse d’vnun costé, la regle de l’autre. Puis-
que on est au hazard de se mesconter,: hazardons nous plu-
stost à la suitte du plaisir. Le monde faict au rebours, & ne
pense rien vtileutile, qui ne soit penible: lLa facilité luy est suspe-
cte. Mon appetit en plusieurs choses, c’est assez heureusement
accommodé par soy-mesme, & rangé à la santé de mon esto-
mac,: lL’acrimonie & la pointe des sauces m’agréerent estant
ieunejeune,: mon estomac s’en ennuyant depuis, le goust là incon-
tinent suyuysuyvy. ⁁
⁁ Le uinvin nuit aus fieuresfievresmalades
c’est la premiere chose
de quoi ma bouche se
desgoute et d’un desgout
inuincibleinvincible.
Quoy que ieje reçoiuereçoive desagreablemētdesagreablement, me nuit,
& rien ne me nuit, que ieje face auecavec faim, & allegresse: iIejJe n’ay
iamaisjamais receu nuisance d’action, qui m’eust esté bien plaisante.
Et si ay fait ceder à mon plaisir bien largement, toute conclu-
sion medicinalle,: &Et me suis ieunejeune,
Quem circumcursans huc atque huc saepe Cupido
Fulgebat crocina splendidus in tunica,
presté autant licentieusement & inconsideréement, qu’autre,
au desir qui me tenoit saisi,.
Et militaui non sine gloria.:
LIVRE TROISIESME.482490
PpPlus toutesfois en continuation & en durée, qu’en saillie.,
Sex me vix memini sustinuisse vices.
Il y a du malheur certes, & du miracle, à confesser en quelle
foiblesse d’ans, ieje me rencōtrayrencontray premieremētpremierement en sa subiectiōsubjection:
cCe fut biēbien rencōtréerencontrée,: car ce fut long temps auātavant l’aage de choix
& de cognoissance: iIl ne me souuiētsouvient point de moy de si loing:
&Et peut on marier ma fortune à celle de Quartilla, qui n’auoitavoit
point memoire de son fillage.:
Inde tragus celerésque pili, mirandáque matri,
Barba meae.
Les medecins ploient ordinairement auecavec vtilitéutilité, leurs regles,
à la violence des enuiesenvies aspres, qui suruiennentsurviennent aux malades.
Ce grand desir ne se peut imaginer, si estrāgerestranger & vicieux, que
nature ne s’y applique. Et puis,: combien est-ce de contenter la
fantasie.: AaA mon opinion cette piece là, importe de tout, au-
moins au dela de toute autre. Les plus griefs & ordinaires
maux, sont ceux que la fantasie nous charge. Ce mot Espa-
gnol me plaist à plusieurs visages: Defienda me Dios de my.
IeJe plains estant malade, dequoy ieje n’ay quelque desir qui me
donne ce contentement de l’assouuirassouvir, à peine m’en destour-
neroit la medecine.: AaAutant en fay-ieje sain: iIejJe ne vois guere plus
qu’esperer & vouloir: c’C’est pitié d’estre alāguyalanguy & affoibly, ius-
quesjus-
ques au souhaiter. L’art de medecine n’est pas si resolue que
nous soyōssoyons sans authorité, quoy que nous facions: eElle chan-
ge selon les climats,: & selon les Lunes,: selon Farnel & selon
l’Escale. Si vostre medecin ne trouuetrouve bon, que vous dormez,
que vous vsezusez de vin, ou de telle viande,: ne vous chaille, ieje
vous en trouueraytrouveray vnun autre qui ne sera pas de son aduisadvis. La di-
uersitédi-
versité des arguments & opinions medicinales embrasse tou-
te sorte de formes. IeJe vis vnun miserable malade, creuercrever & se pas-
mer d’alteration, pour se guarir,: & estre moqué depuis par vnun
HHHHHh ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
autre medecin,: condamnant ce conseil comme nuisible: aA-
uoitaA-
voit-il pas bien employé sa peine. Il est mort freschement de
la pierre vnun homme de ce mestier, qui s’estoit seruyservy d’extreme
abstinence à combatre son mal: sSes compagnons disent qu’au
rebours, ce ieusnejeusne l’auoitavoit asseché, & luy auoitavoit cuit le sable
dans les roignons. IJ’ay aperceu qu’aux blesseures, & aux ma-
ladies, le parler m’esmeut & me nuit, autant que desordre
que ieje face. La voix me couste & me lasse,: car ieje l’ay haute &
efforcée,. sSi que, quand ieje suis venu à entretenir l’oreille des
grands, d’affaires de poix, ieje les ay mis souuentsouvent en soing
de moderer ma voix. Ce compte merite de me diuertirdivertir. Quel-
qu’vnun en certaine eschole grecque, parloit haut comme moy,.
lLe maistre des ceremonies luy manda qu’il parlast plus bas:
qQu’il m’enuoyeenvoye, fit-il, le ton auquel il veut que ieje parle: lL’autre
luy replica, qu’il print son ton des oreilles de celuy à qui il
parloit. C’estoit bien dict,: pourueupourveu qu’il s’entende, parlez se-
lon ce que vous auezavez affaire à vostre auditeur: cCar si c’est à di-
re,: suffise vous qu’il vous oye, ou reglez vous par luy,: ieje ne
trouuetrouve pas que ce fut raison. Le ton & mouuemētmouvement de la voix
a quelque expression & significatiōsignification de mon sens,: c’est à moy
à le conduire pour me representer. Il y à voix pour instruire
voix pour flater, ou pour tancer. IeJe veux que ma voix non seu-
lement arriuearrive à luy, mais à l’auantureavanture qu’elle le frape, & qu’el-
le le perse. Quand ieje mastine mon laquay, d’vnun ton aigre &
poignant, il seroit bon qu’il vint à me dire, mon maistre par-
lez plus doux, ieje vous oys bien. ⁁
⁁ Est quaedam uox
ad auditum
accommodata non
magnitudine sed
proprietate.
La parole est moitié à celuy
qui parle, moitié à celuy qui l’escoute. Cettuy-cy se doibt
preparer à la receuoirrecevoir, selon le branle qu’elle prend: cComme
entre ceux qui iouentjouent à la paume, celuy qui soustient, se des-
marche & s’apreste, selon qu’il voit remuer celuy qui luy iet-
tejet-
te le coup,: & selon la forme du coup. L’experience m’a en-
cores appris cecy, que nous nous perdons d’impatience. Les
LIVRE TROISIESME.483491
maux ont leur vie, & leurs bornes, ⁁
⁁ leurs maladiesdeclinaisonsmaladies
et leur santè: La
constitution des maladies
dict Platon est formee au
patron de la constitution des
animaus. Elles ont leur dureefortune
limitee des leur naissance
et le conte de leurs ioursjours. Qui
essaie de les abreger par drog
drogues dansimperieusement
par force au trauerstravers de leur course
naturelle il les alonge et
multiplie: et les harsele
au lieu des les appaiser.
IeJe suis de l’auisavis de Crantor
qu’il ne faut ny obstineement
s’opposer aus maus ny l et a lestour=
dil’estour=
di ny leur succomber de mollesse
mais qu’il leur faut ceder
naturellement selon leur condition
et la nostre.
iIl leur fautOn doit donner pas-
sage: iIejJe trouuetrouve qu’ilsaus maladies: et ieje treuuetreuve qu’elles arrestent moins chez moy qui les laisse
faire,. &Et en ay perdu de ceuxcelles qu’on estime plus opiniastres &
tenanstenaces, de leur propre decadence,: sans ayde & sans art,: & cō-
trecon-
tre ses reigles. Laissons faire vnun peu à nature,: elle entēdentend mieux
ses affaires que nous. Mais vnun tel en mourut,: sSi faires vous,: si-
non de ce mal la, d’vnun autre, &Et combien n’ont pas laissé d’en
mourir, ayant trois medecins à leur costécul: lL’exemple est vnun
patron libremirouer uaguevague vniuerseluniversel, & à tout sens. Si c’est vneune medecine vo-
luptueuse, acceptez la,: c’est tousiourstousjours autant de bien present. ⁁
⁁ IeJe ne m’arreterai
ny au nom ny a la
colur, si elle est
delicieuse et
appetissante:
lLe plaisir est des
principales especes
du profit.
IJ’ay laissé enuieillirenvieillir & mourir en moy, de mort naturelle, des
reumes,: defluxions gouteuses,: relaxation,: battemētbattement de coeur,:
micraines,: & autres accidēsaccidens, que ij’ay perdu, quand ieje m’estois
à demy formeé à les nourrir. On les escōiureesconjure mieux par cour-
toisie, que par braueriebraverie. Il faut souffrir doucement les loix
de nostre condition: nNous sommes pour vieillir, pour affoi-
blir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C’est la
premiere leçon, que les Mexicains font à leurs enfans, quand
au partir du ventre des meres, ils les vont saluant, ainsin: eEn-
fant, tu és venu au mōdemonde pour endurer: endure, souffre, & tais
toy. C’est iniusticeinjustice de se douloir qu’il soit aduenuadvenu à q̄lqu’quelqu’vnun,
ce qui peut adueniradvenir à chacun. ⁁
⁁ Indignare, si quid
in te inique proprie
constitutum est.
Voyez vnun vieillart qui demā-
dedeman-
de à Dieu qu’il luy maintienne sa santé entiere & vigoreuse,
c’C’est à dire qu’il le remette en ieunessejeunesse,
Stulte quid haec frustra votis puerilibus optas:
n’N’est-ce pas folie? sSa condition ne le porte pas. ⁁
⁁ La goutte la grauellegravelle
l’indigestion sont
simptomes des lōgueslongues
annees come des longs
uoiagesvoiages la chalur les
pluies & les uentsvents. Et Plat
Platon ne croit pas qu’AEsculape
se mit en peine de guerir les
maladies doner desprouuoirprouvoir par regimes a
faire durer la uievie en un cors gasté
et imbecille: inutile a son païs inutile
a sa s uacationvacation et a produire des enfants
sains et robustes: et ne treuuetreuve pas tresce soing
conuenableconvenable a la iusticejustice et prudāceprudance
diuinedivine qui doit cōduireconduire toutes choses
a utillité.
Mon bon hō-
mehom-
me, c’est faict,: on ne vous sçauroit plus redresser,: on vous pla-
strera ⁁ ⁁ pour le plus & estançonnera vnun peu, et alongera on ⁁ ⁁ de quelque heure uostrevostre misere.
Non secus instantem cupiens fulcire ruinam,
Diuersis contra nititur obicibus,
Donec certa dies omni compage soluta,
Ipsum cum rebus subruat auxilium.
HHHHHh iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
Il faut apprendre à souffrir ce qu’on ne peut euitereviter. Nostre
vie est composée, comme l’armonie du monde de choses cō-
trairescon-
traires, aussi de diuersdivers tons, douz & aspres, aigus & plats, mols
& grauesgraves,. lLe musicien qui n’en aymeroit que les vnsuns, que vou-
droit il dire? iIl faut qu’il s’en sçache seruirservir en commun,: & les
mesler,. &Et nous, aussi, les biens & les maux, qui sont consub-
stantiels à nostre vie. Nostre estre ne peut sans ce meslange,. &Et
y est l’vneune bande non moins necessaire que l’autre. D’essayer à
regimber contre la necessité naturelle, c’est representer la fo-
lie de Ctesiphon, qui entreprenoit de faire à coups de pied
contreaueqaveq sa mule. IeJe consulte peu, des alterations que ieje sens,. cCar
ces gens icy sont auantageuxavantageux, quand ils vous tiennent à leur
misericorde: iIls vous gourmandent les oreilles de leurs pro-
gnostiques,. &Et me surpreneant autre fois affoibly du mal, m’ōtont
iniurieusementinjurieusement traicté de leurs dogmes, & contenancetroigne magi-
strale: mMe menassant tantost de grandes douleurs,: tantost de
mort prochaine: iIejJe n’en estois abbatu ny deslogé de ma place,:
mais ij’en estois heurté & poussé: sSi mon iugementjugement, n’en est ny
chāgéchangé, ny troublé, aumoins il en estoit empesché. C’est tous-
iourstous-
jours agitation & combat. Or ieje trete mon imagination le
plus doucement que ieje puis,. &Et la deschargerois si ieje pouuoispouvois,
de toute peine & contestation,. iIl la faut secourir, & flatter, &
piper qui peut. Mon esprit est propre à ce seruiceservice,. iIl n’a point
faute d’apparences par tout. S’il persuadoit, comme il pres-
che, il me secourroit heureusement. Vous en plaict il vnun exē-
pleexem-
ple. Il dict que c’est pour mon mieux que ij’ay la grauelegravele. Que
les bastimens de mōmon aage, ont naturellement à souffrir quel-
que goutiere,. iIl est temps qu’ils commencent à se lácher &
desmētirdesmentir: c’C’est vneune commune necessité,. &Et n’eust on pas faict
pour moy, vnun nouueaunouveau miracle. IeJe paye par la, le loyer deu à la
vieillesse,: & ne sçaurois en auoiravoir meilleur compte. Que la cō-
paigniecom-
paignie me doibt consoler,: estant tombé en l’accident le plus
LIVRE TROISIESME.484492
ordinaire des hommes de mon temps. IJ’en vois par tout d’af-
fligez de mesme nature de mal,: &Et m’en est la societe honora-
ble,: d’autant qu’il se prend plus volontiers aux grands: sSon es-
sence à de la noblesse & de la dignité. Que des hommes qui
en sont frapez, il en est peu de quittes à meilleure raison,. &Et si,
il leur couste la peine d’vnun facheux regime,: & la prise ennuieu-
se, & quotidienne, des drogues medicinales: lLà ou ieje le doy pu-
rement à ma bonne fortune. Car quelques bouillons com-
muns de l’eringium, & herbe du turc, que deux ou trois fois
ij’ay aualéavalé, en faueurfaveur des dames, qui plus gratieusement que
mon mal n’est aigre, m’en offroyent la moitié du leur, m’ont
semblé également faciles à prendre, & inutiles en operation.
Ils ont à payer mille veux à Esculape, & autant d’escus à leur
medecin, de la profluuionprofluvion de sable aysée & abondante que ieje
reçoy souuentsouvent par le benefice de nature. ⁁
⁁ La decence mesme
de ma contenance en ⁁ ⁁ compaignie
ordinere n’en est pas
troublee et porte mon
eau sept oudix heures et
aussi longtemps que’en
tout autre.
La crainte de ce mal,
faict-il, t’effraioit autresfois, quand il t’estoit incogneu: lLes
cris & le desespoir de ceux qui laigrissentl’aigrissent par leur impatience,
t’en engendroient l’horreur. C’est vnun mal, qui te bat les mem-
bres, par lesquels tu as le plus failly: tTu és homme de cons-
cience,
Quae venit indignè poena delenda venit.
Regarde ce chastiement,: il est bien doux au pris d’autres, &
d’vneune faueurfaveur paternelle. Regarde sa tardifuetétardifveté: iIl n’incom-
mode & occupe que la saison de ta vie, qui ainsi comme
ainsin est mes-huy perdue & sterile,: ayant faict place à la
licence & plaisirs de ta ieunessejeunesse,: comme par composition.
La crainte & pitié que le peuple à de ce mal, te sert de ma-
tiere de gloire: qQualité de laquelle si tu as le iugementjugement pur-
gé, & en as guery ton discours,: tes amys pourtant en reco-
gnoissent encore quelque teinture en ta complexion. Il y a
plaisir à ouyr dire de soy,: vVoyla bien de la force,. vVoyla bien de
la patiēcepatience. On te voit suer d’ahan, pallir, rougir, trembler, vo-
ESSAIS DE M. DE MONTA.
mir iusquesjusques au sang,: souffrir des contractions & conuulsionsconvulsions
estranges,: degouter par foys de grosses larmes des yeux,: rēdrerendre
les vrinesurines espesses, noires, & effroyables,: ou les auoiravoir arrestées
par quelque pierre espineuse & herissée qui te pouinct, & escor-
che cruellement le col de la verge,. eEntretenant cependant les
assistans d’vneune contenance commune, raillantbouffonant à pauses auecavec
les damestes gens,: tenant ta partie en vnun discours tendu,: excusant de
parolle ta douleur,: & rabatant de ta souffrance. Te souuientsouvient
il de ces gens du temps passé, qui recerchoyent les maux auecavec
si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine, & en exercice:
mMets le cas que nature te porte, & te pousse à cette nobleglorieuse es-
cole,: en laquelle tu ne fusses iamaisjamais entré de ton gré. Si tu me
dis, que c’est vnun mal dangereux & mortel,. qQuels autres ne le
sont? Car c’est vneune piperie medecinale, d’en excepter aucuns,:
qu’ils disent n’aller point de droict fil à la mort: qQu’importe,
s’ils y vont par accident,: & s’ils glissent, & gauchissent aysée-
ment, vers la voye qui nous y meine. ⁁
⁁ Mais uousvoustu ne
meuress pas de ce
que uousvoustu estes malade
uousvoustu mourezmeurs de ce
que uousvous uiuezsvivezstu es uiuantvivant. La
mort uousvouste tue bien
sans le secours de la
maladie. Et a
d’aucuns les mala=
dies ont eslouigné
la mort, etqui ont plus
vescu de ce qu’il
leur sambloit s’en
aller mourans. IointJoint
qu’il est come des
plaïes, aussi des mala
dies medecinales et
saluteres
La cholique est souuentsouvent
non moins viuacevivace que nuousnvous,: iIl se voit des hommes, ausquels
elle à continué depuis leur enfance iusquesjusques à leur extreme
vieillesse,: & s’ils ne luy eussent failly de compaignie, elle estoit
pour les assister plus outre.: VvVous la tuez plus souuentsouvent qu’elle
ne vous tue,. &Et quand elle te presenteroit l’image de la mort
voisine, seroit ce pas vnun bōbon office, à vnun homme de tel aage, de
le ramener aux cogitations de sa fin. ⁁
-
⁁ Et qui pis
est. Tu n’as plus
pour qui guerir
D’ailleurs aAuAinsi come ainsin au premier
iourjour la commune
necessitè t’apele
Considere combien arti-
ficielement & doucement, elle te desgouste de la vie, & des-
prend du monde: nNon te forçant, d’vneune subiectiōsubjection tyrāniquetyrannique,
comme tant d’autres maux, que tu vois aux vieillarts, qui les
tiennent continuellement entrauezentravez, & sans reláche de foy-
blesses & douleurs: mMais par aduertissemensadvertissemens, & instructions
reprises à interuallesintervalles,: entremeslant des longues pauses de re-
pos, comme pour te donner moyen de mediter, & repeter sa
leçon à ton ayse. Pour te donner moyen de iugerjuger sainement,
& pren-
LIVRE TROISIESME.485493
& prendre party en homme de coeur elle te presente l’estat
de ta condition entiere, & en bien & en mal,: &Et en mes-
me iourjour, vneune vie tres-alegre tantost, tantost insupporta-
ble. Si tu n’accoles la mort, au moins tu luy touches en pau-
me, vneune fois le moys. ⁁
⁁ Par où tu as de plus à esperer, qu’elle t’attrappera vnun iourjour sans menace. Et
quecar estant si souuantsouvant conduit iusquesjusques au
port: te fiant d’estre encores aus termes
acostumez, on t’ara et ta fiance passé un
matin leaul’eau un matin insensiblement. Ce
inopineement. Ce que les moindres
mouuemansmouvemans comancent
tantost a espreindre le sang
de tes reins c’est que quelque
grosse pierre les foule et
consome. N’as tu pas grand
raison d’un si grand
mouuementmouvement qu’il ne te coste
qu’une sourde poisanteur &
alteration en cete partie
Voila ta uievie que tu uuidesvuides
non sans quelque naturelle
douceurs come un excrement
hormais superflu & inuti em=
peschant.
On n’a point à se plaindre des maladies,
qui partagent loyallement le temps auecavec la santé. IeJe suis obli-
gé à la fortune, de quoy elle m’assaut si souuentsouvent de mesme
sorte d’armes: eElle m’y façonne, & m’y dresse par vsageusage, m’y
durcit & habitue: iIejJe sçay à peu pres mes-huy, en quoy ij’en
doibts estre quitte. ⁁
⁁
A faute de memoire
naturelle ij’en forge
de papier: eEt come
quelque a ce nouueaunouveau
simptome suruientsurvient à
mon mal ieje l’escris
dDoudD’ou il auientavient que
asture estātestant quasi
passe par toute sorte
d’examples si quelque
estonemant me
menace, feuilletant
ces petits breuetzbrevetz
descousus ieje ne
faus plus de
trouuertrouver ou me
consoler sur quelq
quelque experiance
passee come des
feuilles Sybillines,
ieje ne faus plus de
trouuertrouver ou me
consoler de quelque
prognostique fauo=
rablefavo=
rable en mon
experiance passee.
Me sert aussi l’accoustumance, à mieux es-
perer pour l’adueniradvenir,. cCar la conduicte de ce vuidange ayant
continué si long temps, il est à croire, que nature ne changera
point ce trein,: & n’en aduiendraadviendra autre pire accident, que celuy
que ieje sens. En outre, la conditiōcondition de cette maladie n’est point
mal aduenanteadvenante à ma complexion prompte & soudaine. QuādQuand
elle m’assaut mollement, elle me faict peur, car c’est pour lōglong
temps: mMais naturellement elle à des excez vigoreux & gail-
larts,. eElle me secouё à outrance pour vnun iourjour ou deux. Mes
reins ont duré quarante ansun aage sans alteration,: il y en a tantost
quatorzeun autre qu’ils ont changé d’estat,: lLes maux ont leur perio-
de comme les biens: à l’auantureavanture est cet accident à sa fin.
L’aage affoiblit la chaleur de mon estomac,: sa digestion en e-
stant moins parfaicte, il renuoyerenvoye cette matiere crue à mes
reins: pPourquoy ne pourra estre à certaine reuolutionrevolution affoi-
blie pareillement la chaleur de mes reins, si qu’ils ne puissent
plus petrifier mon flegme,: & nature s’acheminer à prendre
quelque autre voye de purgation. Les ans m’ont euidem-
mentevidem-
ment faict tarir aucuns reumes,. pPourquoy non ces excre-
mens qui fournissent de matiere à la grauegrave. Mais est-il rien
doux au pris de cette soudaine mutation,: quand d’vneune dou-
leur extreme, ieje viens par le vuidange de ma pierre à recou-
urerrecou-
vrer, comme d’vnun esclair, la belle lumiere de la santé, si libre
IIIIIi
ESSAIS DE M. DE MONTA.
& si pleine: cComme il aduientadvient en nos soudaines & plus as-
pres choliques: y a il rien en cette douleur soufferte, qu’on
puisse contrepoiser au plaisir d’vnun si prompt amandement.
De combien la santé me semble plus belle apres la maladie,
si voisine & si contigue, que ieje les puis recognoistre en pre-
sence l’vneune de l’autre, en leur plus haut appareil, ou elles se
mettent à l’enuyenvy, comme pour se faire teste & contrecarre.
Tout ainsi que les Stoyciens disent, que les vices sont vtile-
mentutile-
ment introduicts, pour donner pris & faire espaule à la ver-
tu,: nous pouuonspouvons dire, auecavec meilleure raison, & coniectureconjecture
moins hardie, que nature nous à fournipresté la douleur, pour
l’honneur & seruiceservice de la volupté & indolence. Lors que
Socrates apres qu’on l’eust deschargé de ses fers, sentit la friā-
disefrian-
dise de cette demangeson, que leur pesanteur auoitavoit causé en
ses iambesjambes,: il se resiouytresjouyt, à considerer l’estroitte alliance de la
douleur à la volupté,: comme elles sont associées d’vneune liai-
son necessaire,: si qu’a tours, elles se suyuentsuyvent, & s’entr’engen-
drent: &Et s’escrioit au bon Esope, qu’il d’eut auoiravoir pris, de cet-
te consideration, vnun corps propre à vneune belle fable. Le pis
que ieje voye aux autres maladies, c’est qu’elles ne sont pas si
griefuesgriefves en leur effect, comme elles sont en leur yssue: oOn est
vnun an à se rauoirravoir,: tousiourstousjours plein de foiblesse, & de crainte: iIl
y a tant de hazard, & tant de degrez à se reconduire à sauue-
tésauve-
té, que ce n’est iamaisjamais faict. AuantAvant qu’on vous aye deffublé
d’vnun couurechefcouvrechef, & puis d’vneune calote,: auantavant qu’on vous aye
rendu l’vsageusage de l’air, & du vin, & de vostre femme, & des
melons, c’est grand cas si vous n’estes reçheu en quelque nou-
uellenou-
velle misere. Cette-cy à ce priuilegeprivilege, qu’elle s’emporte tout
net,. lLa ou les autres, laissent tousiourstousjours quelque impression, &
alteration, qui rend le corps susceptible de nouueaunouveau mal,. &Et
se prestent la main les vnsuns aux autres.: CcCeux la sont excusa-
bles, qui se contentent de leur possession sur nous, sans l’e-
LIVRE TROISIESME.486494
stendre,: & sāssans introduire leur seq̄lesequele: mMais courtois, & gratieux
sont ceux, de qui le passage nous apporte quelque vtileutile con-
sequence. Depuis ma cholique, ieje me trouuetrouve deschargé d’au-
tres accidens, plus ce me semble que ieje n’estois auparauantauparavant,:
& n’ay point eu de fieurefievre depuis. IJ’argumente que les vomis-
semens extremes & frequens que ieje souffre, me purgent,: &Et
d’autre costé, mes degoustemēsdegoustemens, & les ieunesjeunes estranges que ieje
passe, digerent mes humeurs peccantes,: &Et nature vuide en
ces pierres ce qu’elle à de superflu & nuysible. Qu’on ne me
die point, que c’est vneune medecine trop cher vendue: cCar quoy
tant de puans breuuagesbreuvages, cauteres, incisions, suées, sedons,
dietes, & tant de formes de guarir, qui nous apportent sou-
uentsou-
vent la mort, pour ne pouuoirpouvoir soustenir leur violence, & im-
portunité. Par ainsi, quand ieje suis atteint, ieje le prens à mede-
cine,: quand ieje suis exempt, ieje le prens à constante & entiere
deliurancedelivrance. Voicy encore vneune faueurfaveur de mon mal, particulie-
re: c’C’est qu’a peu prez, il faict son ieujeu à part,: & me laisse faire
le mien,: ou il ne tient qu’a faute de courage: eEn sa plus gran-
de esmotion, ieje l’ay tenu dix heures à cheualcheval: sSouffrez seule-
ment, vous n’auezavez que faire d’autre regime: iIouezjJouez, disnez,
courez, faictes cecy & faites encore cela, si vous pouuezpouvez,: vo-
stre desbauche y seruiraservira plus qu’elle n’y nuira. Dictes en au-
tant à vnun verolé, à vnun gouteux, à vnun hernieux. Les autres ma-
ladies ont des obligations plus vniuersellesuniverselles,: geinent bien au-
trement nos actions,: troublent tout nostre ordre,: & enga-
gent à leur consideration tout l’estat de la vie. Cette-cy ne
faict que pinser la peau,: elle vous laisse l’entendement, & la
volonté en vostre disposition, & la langue, & les pieds, & les
mains. Elle vous esueilleesveille plustost qu’elle ne vous assopit. L’a-
me est frappée de l’ardeur d’vneune fieurefievre,: & atterrée d’vneune epi-
lepsie,: & disloquée par vneune aspre micraine,: & en fin eston-
IIIIIi ij
ESSAIS DE M. DE MONT.
née par toutes les maladies qui blessent la masse, & les plus
nobles parties: iIcy, on ne l’ataque point,. sS’il luy va mal, à sa
coulpe: eElle se trahit elle mesme, s’abandonne, & se des-
monte. Il n’y a que les fols qui se laissent persuader, que ce
corps dur & massif, qui se cuyt en nos roignons, se puisse dis-
soudre par breuuagesbreuvages: pParquoy dépuis qu’il est esbranlé,
il n’est que de luy donner passage,: aussi bien le prendra il. IeJe
remarque encore cette particuliere commodité,: que c’est
vnun mal, auquel nous auonsavons peu à diuinerdiviner,. nNous sommes dis-
pensez du trouble, auquel les autres maus nous iettentjettent, par
l’incertitude de leurs causes, & conditions, & progrez: tTrou-
ble infiniement penible. Nous n’auonsavons que faire de consul-
tations & interpretations doctorales: les sens nous mon-
trent que c’est, & ou c’est. Par tels argumens, & forts & foi-
bles, comme Cicero le mal de sa vieillesse, ij’essaye d’endor-
mir & amuser mon imagination & gresser ses playes,: sSi el-
les s’empirent demain, demain nous y pouruoyeronspourvoyerons d’au-
tres eschapatoires. ⁁
⁁ Qu’il soit uraivrai. Voici
despuis de nouueaunouveau que
les plus legiers mouuemensmouvemens
espreignent le pur sang de
mes reins. Quoi pour cela? ieje
ne laisse de me mouuoirmouvoir come
deuantdevant, et courir des lieureslievres a
toute bridepiquer apres mes chiens d’une iuuenilejuvenile ardur, et insolente come un page. Et treuuetreuve que
ij’ay grand raison d’un si
important accidant: qui ne
me coste qu’une sourde poisāturpoisantur
& alteration en cette partie.
C’est quelque grosse pierre qui
foulle et consome la substance
de mes rouignons: et ma uievie
que ieje uuidevuide peu a peu, non sans
quelque naturelle douceur come
vnun excrement hormais superflu
& empechant.
Or, sens ieje quelque chose qui crosle,: ne
vous attendez pas que ij’aille m’amusant à recognoistre mon
pous, & mes vrinesurines, pour y prendre quelque preuoyanceprevoyance en-
nuyeuse,: iIejJe seray assez à temps à sentir le mal, sans l’alonger
par le mal de la crainte.peur. ⁁
⁁ Qui creint de
souffrir, il souffre
deiadeja de ce qu’il creint.
IointJoint que la perpe dubi=
tation et ignorance
de ceus qui se meslent
d’expliquer les ressors
de nature & ses internes
progrez et tant de faus
prognostiques de leur art
nous doit faire conestre
qu’ell’a ses moïens nous sont
infiniement inconus Il
y a grande incertitude
variete & obscurite
de ce qu’elle nous promet
ou menace Sauf la
vieillesse qui est un
signe indubitable de
l’approche de la mort
de tous les autres accidāsaccidans
ieje uoisvois peu de signes certeins
de lauenirl’avenir sur quoi nous
auonsavons a fonder nostre diuinationdivination. et co
IeJe ne me iugejuge que par vray senti-
ment, non par discours: àA quoy faire, puisque ieje ny veux
apporter que l’attēteattente & la patiēcepatience. Voulez vous sçauoirsçavoir com-
bien ieje gaigne à cela, rRegardez ceux qui font autrement, &
qui dependētdependent de tant de diuersesdiverses persuasions & conseils: com-
bien souuentsouvent l’imagination les presse sans le corps. IJ’ay main-
tesfois prins plaisir estant en seurté, & deliuredelivre de ces acci-
dens dangereux, de les communiquer aux medecins, com-
me naissans lors en moy: iIejJe souffrois l’arrest de leurs hor-
ribles conclusions bien à mon aise,: & en demeurois de tant
LIVRE TROISIESME.487495
plus obligé à Dieu de sa grace, & mieux instruict de la va-
nité de cet art. Il n’est rien qu’on doiuedoive tant recommander à
la ieunessejeunesse, que l’actiuetéactiveté & la vigilance. Nostre vie n’est que
mouuementmouvement: ieje m’esbranle difficilemētdifficilement, & suis tardif par tout:
à me leuerlever, à me coucher, & à mes repas,: c’est matin pour moy
que sept heures: & ou ieje gouuernegouverne, ieje ne disne, ny auantavant onze,
ny ne soupe, qu’apres six heures. IJ’ay autrefois attribué la cau-
se des fiéuresfiévres, & maladies ou ieje suis tombé, à la pesanteur &
assoupissement que le long sommeil m’auoitavoit apporté, & me
suis tousiourstousjours repenty de me r’endormir le matin. ⁁
⁁ Platon ueutveut plus de mal
au a l’excez deu dormir qu’à
lexezl’exez d lexcezl’excez du boire
VnUn home qui dort ne uautvaut
rien dict il.
IJ’ayme à
coucher dur & seul, voire sans femme, à la royalle: vnun peu, biēbien
couuertcouvert: on ne bassine iamaisjamais mon lict, mais depuis la vieilles-
se, on me donne quand ij’en ay besoing, des draps, à eschauffer
les pieds & l’estomach. On trouuoittrouvoit à redire au grand Scipion
d’estre dormart, non à mon aduisadvis pour autre raison, sinon
qu’il faschoit aux hommes, qu’en luy seul, il n’y eust aucune
chose à redire. Si ij’ay quelque curiosité en mon traictement,
c’est plustost au coucher, qu’a autre chose,: mais ieje cede ⁁ ⁁ et m’accommode en ge-
neral, autant que tout autre, a la necessité. Le dormir a occupé
vneune grande partie de ma vie, & le continuё encores en cet aa-
ge, huict ou neuf heures d’vneune halaine. IeJe me retire auecavec vtilitéutilité
de cette propensiōpropension paresseuse, & en vauts euidemmētevidemment mieux:
ieje sens vnun peu le coup de la mutation, mais c’est faict en trois
ioursjours. Et n’en voy guieres qui viuevive a moins quādquand il est besoin,
& qui s’exerce plus constamment, ny a qui les coruéescorvées poisent
moins: mon corps est capable d’vneune agitation ferme, mais
non pas vehemente & soudaine. IeJe fuis meshuy les exercices
violents, & qui me meinent a la sueur: mes membres se lassent
auantavant qu’ils s’eschauffent. IeJe me tiens debout tout le lōglong d’vnun
iourjour, & ne m’ennuye poinct a me promener: mais sur le pauépavé, despuis mon premier
aage ieje ne puis ieje n’ay aimè d’aller qu’a cheualcheval: a pied ieje me crotte iusquesjusques aux fes-
IIIIIi iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
ses,: & les petites gens, sont subietssubjets par ces ruёs, a estre choquez ⁁ ⁁ et coubdoyez
et coubdoïeza faute d’apparence. IJ’Et ay aymeé a me reposer, soit couché soit as-
sis, les iambesjambes autant ou plus hautes que le siege. Il n’est occu-
pation plaisante comme la militaire: occupation & noble en
execution, car la plus forte, genereuse, & superbe de toutes les
vertus, est la vaillance. Et noble en sa cause: il n’est point d’vti-
litéuti-
lité ny plus iustejuste, ny plus vniuerselleuniverselle, que la protection du re-
pos, & grandeur de son pays. La compaignie de tant d’hom-
mes vous plaist, nobles, ieunesjeunes, actifs: la veue ordinaire de tant
de spectacles tragiques: la liberté de cette conuersationconversation, sans
art, & vneune façon de vie masle & sans ceremonie: la varieté de
mille actions diuersesdiverses: cette courageuse harmonie de la musi-
que guerriere, qui vous entretient & eschauffe, & les oreilles,
& l’ame: l’hōneurhonneur & noblesse de cet exercice: son aspreté mes-
me & sa difficulté. ⁁
⁁ que Platon estime si peu que
en sa republique il y mesle en
faict part aus femmes et aus
enfans.
Vous vous conuiezconviez aux rolles, & hazards
particuliers, selon que vous iugezjugez de leur esclat, & de leur im-
portance ⁁ ⁁ , soldat uolonterevolontere: & voyez quand la vie mesme y est excusablement
employée,
pulchrúmque mori succurrit in armis.
De craindre les hazards communs, qui regardent vneune si gran-
de presse, de n’oser ce que tant de sortes d’ames osent, c’est a
faire a vnun coeur vilemol, & bas outre mesure. La compagnie asseu-
re iusquesjusques aux enfans. Si d’autres vous surpassent en science, en
grace, en force, en fortune, vous auezavez des causes tierces, a qui
vous en prendre, mais de leur ceder en fermeté d’ame, vous
n’auezavez a vous en prendre qu’a vous. La mort est plus abiecteabjecte,
plus languissante, & penible dans vnun lict, qu’en vnun combat,:
les fiéuresfiévres & les catarres, autant doleureux & mortels, qu’vneune
harquebusade:. qQui seroit faict, a porter valeureusement les ac-
cidents de la vie commune, n’auroit poinct a grossir son cou-
rage pour se rendre gendarme. ⁁
⁁ Viuere mi Lucili
militare est.
Il ne me souuiētsouvient
point de m’estre
iamaisjamais ueuveu galeus.
Si est la graterie des gratifications de nature
les plus douces & autant a main. Mais ell’a la
paenitance trop uovo importuneement uoisinevoisine.
IeJe l’exerce plus aus oreilles que ij’ay pruantes par sesons.
au dedans bien fort pruantes par sesons.
IeJe suis nay de tous les sens cor-
porels, entiers quasi a la perfection. Mon estomac est com-
LIVRE TROISIESME.488496
modéement bon, comme est ma teste: & le plus souuentsouvent, se
maintiennent au trauerstravers de mes fiéuresfiévres, & aussi mon haleine.
IJ’ay passé l’aage,IJ’ay outrepasse tātosttantost de six ans, le cinquantieme, auquel aucundes natiōsnations, non sans occasion, a-
uoienta-
voient prescript vneune si iustejuste fin à la vie, qu’elles ne permet-
toient point qu’on l’excedat: si ay-ieje encore des remises, quoy
qu’inconstantes & courtes, si nettes, qu’il y à peu à dire de la
santé & indolēceindolence de ma ieunessejeunesse: ieje ne parle pas de la vigueur
& allegresse, ce n’est pas raison qu’elle me suyuesuyve hors ses li-
mites.:
Non haec amplius est liminis, aut aquae
Coelestis, patiens latus.
Mon visage me descouuredescouvre incontinētincontinent:⁁
-
⁁ , et mes yeus.
Ttous mes chāgemenschangemens
commencent par là, & vnun peu plus aigres, qu’ils ne sont en ef-
fect.: IieJje faits souuentsouvent pitié a mes amis, auantavant que ij’en sente la
cause. Mon miroir ne m’estōneestonne pas, car en la ieunessejeunesse mesme,
il m’est aduenuadvenu plus d’vneune fois, de chausser ainsin vnun teinct, &
vnun port trouble, & de mauuaismauvais prognostique, sans grand ac-
cident: en maniere que les medecins, qui ne trouuoienttrouvoient au de-
dans cause qui respondit à cette alteratiōalteration externe, l’attribuoiētattribuoient
à l’esprit, & à quelque passion secrete, qui me rongeast au de-
dans: ils se trompoient. Si le corps se gouuernoitgouvernoit autant selon
moy, que faict l’ame, nous marcherions vnun peu plus à nostre
aise. IeJe l’auoisavois lors, non seulement exempte de trouble, mais
encore plaine de satisfaction, & de feste, comme elle est le plus
ordinairement, moytié de sa complexion, moytié de son des-
sein:
Nec vitiant artus aegrae contagia mentis.
IeJe tiens, que cette sienne temperature, à releuérelevé maintesfois le
corps de ses cheutes: il est souuentsouvent abbatu, que si elle n’est en-
iouéeen-
jouée, elle est aumoins en estat tranquille & reposé. IJ’eus la
fiéurefiévre quarte, quatre ou cinq mois, qui m’auoitavoit tout desuisa-
gédesvisa-
gé: l’esprit alla tousiourstousjours non paisiblement seulement, mais
ESSAIS DE M. DE MONTA.
plaisamment. Si la douleur est hors de moy, l’affoiblissement
& langueur ne m’attrisstent guiere. IeJe vois plusieurs defaillan-
ces corporelles, qui font horreur seulement à nommer, que ieje
craindrois moins que mille passions, & agitations d’esprit, que
ieje vois en vsageusage. IeJe prēsprens party de ne plus courre, c’est assez que
ieje me traine,: ny ne me plains de la decadēcedecadence naturelle qui me
tient, aux talons,
Quis tumidum guttur miratur in Alpibus?
Non plus q̄que ieje ne regrette que ma durée, ne soit aussi longue &
entiere que celle d’vnun chesne. IeJe n’ay poinct à me plaindre de
mon imagination: ij’ay eu peu de pensées en ma vie qui m’ayētayent
seulement interrompu le cours de mon sommeil,: si elles n’ōtont
esté du desir, qui m’esueillatesveillat, sans m’affliger. IeJe songe peu sou-
uentsou-
vent, & lors c’est des choses fantastiques & des chimeres, pro-
duictes communément de pensées plaisantes: plustost ridicu-
les que tristes. Et tiens qu’il est vray, que les songes sont
loyaux interpretes de nos inclinations, mais il y a de l’art
à les assortir & entendre. ⁁
vers
⁁ Res quae in uita usurpant
homines cogitant curant uident
Quaeque agunt uigilantes
agitantque ea sicut in somno
accidunt
Minus mirandum est
Et Platon dict ⁁ ⁁ dauātagedavantage que cestc’est
l’office de la prudance
d’en tirer des instructions
diuinatricesdivinatrices pour l’aueniravenir
IeJe ne uoisvois rien a cela.
Voici les versions de ce passage rédigées successivement par Montaigne avant d’être entièrement biffées:
1- Les histoires grecques disent que les Atlantes ne songent jamais je sçai si c’est pour [...]le leur... (rédaction interrompue)
2- Les histoires grecques disent que les Atlantes ne songent jamais je sçai si c’est pour ne manger jamais chose qui aïe prins mort que ils ne font.
3- Les livres nous assurent que les Atlantes ne songent jamais je sçai si c’est pour ne manger jamais chose qui aïe prins mort com’ils ne font.
Les histoires grecques disentliureslivres nous assurent
ques les Atlantes ne songent
iamaisjamais ieje ne sçai si c’est pour
le leur ne manger
iamaisjamais chose qui aïe prins mort
que ils ne font. com’ils ne font.
sinon les merueilleusesmerveilleuses
experiances que Socrates
Xenophon Aristote en recitētrecitent
personages d’authorite
inobiectableinobjectableirreprochable Les histoires
disent que les Atlantes ne
songent iamaisjamais: qui ne
mangētmangent aussi rien qui
aye prins mort: ce que ieje
y adiouteadjoute d’autant que
c’est a l’auātureavanture loccasionl’occasion
pourquoi ils ne songent point:
Car Pythagoras ordonoit
certeine preparation de
ces nourriture pour rendrefaire
les songes plus a propos
Les miens sont tendres et
ne m’aportent point desaucune
agitations de cors ny de langue qu’il fōtfont
a d’autres asses que ieje conois
pareils ny expression de
voix IJ’ay ueuveu plusieurs
de mon temps en estre
merueilleusementmerveilleusement agitez Theon le philosophe se promenoit en songeant
et le ualetvalet de Pericles sur les tuiles mesmes & feste de la maison.
iIejJe ne choisis guiere à table, & me prēsprens
à la premiere chose & plus voisine: & me remue mal volon-
tiers d’vnun goust à vnun autre. La presse des plats, & des seruicesservices
me desplaist, autātautant qu’autre presse: ieje me cōtentecontente aiséemētaiséement de
peu de mets, & hay l’opinion de FauorinusFavorinus, qu’en vnun festin, il
faut qu’on vous desrobe la viande ou vous prenez goustappetit, &
qu’on vous en substitue tousiourstousjours vneune nouuellenouvelle: & que c’est
vnun miserable souper, si on n’a saoulé les assistans de croupions
de diuersdivers oiseaux, & que le seul bequefigue merite qu’on le
mange entier. IiJj’vseuse familierement de viandes sallées,: si ayme-
ieje mieux le pain sans sel, & mon boulāgerboulanger chez moy, n’en sert
pas d’autre pour ma table, contre l’vsageusage du pays. On a eu en
mōmon enfāceenfance principalemētprincipalement à corriger, le refus, que ieje faisois des
choses que communement on ay me le mieux en cet aage, su-
cres, confitures, pieces de four. Mon gouuerneurgouverneur combatit
cet-
LIVRE TROISIESME.489497
cette hayne de viandes delicates, comme vneune espece de delica-
tesse. Aussi n’est elle autre chose, que difficulté de goust, ou
qu’il s’applique. Qui oste à vnun enfant certaine particuliere &
obstinée affection au pain bis, & au lart, ou à l’ail, il luy oste la
friandise. Il en est, qui font les laborieux, & les patiens, pour re-
gretter le boeuf, & le iambonjambon, parmy les perdris: ils ont bon
temps: c’est la delicatesse des delicats, c’est le goust d’vneune mol-
le fortune, qui s’affadit aux choses ordinaires & accoustumées.⁁
⁁ : per quae luxu
luxuria diuitiarum
taedio ludit.
Laisser à faire bonne chere de ce qu’vnun autre làl’a faict, auoiravoir vnun
soing curieux de son traictement, c’est l’essence de ce vice,
Si modica coenare times olus omne patella.
Il y a biēbien vraymētvrayment cette differēcedifference, qu’il vaut mieux obliger son
desir aux choses plus aisées à recouurerrecouvrer, mais c’est tousiourstousjours
vice de s’obliger. IJ’appellois autresfois, delicat vnun miēmien parent,
qui auoitavoit desapris en nos galeres, à se seruirservir de nos licts, & se
despouiller pour se coucher. Si ij’auoisavois des enfāsenfans masles, ieje leur
desirasse volōtiersvolontiers ma fortune: le bōbon pere que Dieu me dōnadonna,
qui n’a de moy que la recognoissance de sa bonté, mais certes
biēbien gaillarde, m’enuoiaenvoia dés le berceau, nourrir à vnun pauurepauvre vil-
lage des siens, & m’y tint autātautant que ieje fus en nourrisse, & enco-
res au delà: me dressant à la plus basse & cōmunecommune façon de vi-
urevi-
vre. ⁁
⁁ Magna pars liberta=
tis est bene moratus
uenter
Ne prenez iamaisjamais, & dōnezdonnez encore moins à vos fēmesfemmes, la
charge de leur nourriture: laissez les former à la fortune, soubs
des loix populaires & naturelles: laissez à la coustume de les
dresser à la frugalité & à l’austerité, qu’ils ayent plustost à de-
scēdrede-
scendre de l’aspreté, qu’a mōtermonter vers elle. Son humeur visoit en-
core ena vneune autre fin,: de me ralier auecavec le peuple, & cette cōdi-
tiōcondi-
tion d’hōmeshommes, qui a besoin de nostre ayde: & estimoit q̄que ieje fusse
tenu de regarder plutost, vers celuy qui me tēdtend les bras, q̄que vers
celuy qui me tourne le dos. Et fut céte raisōraison, pourquoy aussi il
me dōnadonna à tenir sur les fons, à des personnes de la plus abiecteabjecte
fortune, pour m’y obliger & attacher. Son dessein n’a pas du
Kkkkkk
ESSAIS DE M. DE MONTA.
tout mal succedé: ieje m’adōneadonne volōtiersvolontiers aux petits, soit pour ce
qu’il y a plus de gloire, soit par naturelle compassiōcompassion, qui peut
infiniement en moy. IeJe condamne en nos troubles la cause de
l’vnun des partis, mais plus quand elle fleurit & qu’elleLe parti que ieje condamnerai en nos guerres, ieje le
condamnerai plus asprement fleurissant et prospere,:
elle m’a par fois aucunemētaucunement cōciliéconcilié à soy, pour la voirIl sera pour me concilier aucunement a soy, quant ieje le uerraiverrai misera-
ble & accablée. CōbienCombien volontiers ieje cōsidereconsidere la belle humeur
de Chelonis, fille & femme de Roys de Sparte: pendātpendant q̄que Cleō-
brotusCleom-
brotus son mary, aux desordres de sa ville, eust auantageavantage sur
Leonidas son pere, elle fit la bonne fille, se r’allia auecavec son pere,
en son exil, en sa misere, s’opposant au victorieux: la chācechance vint
elle à tourner, la voila chāgéechangée de vouloir auecavec la fortune, se rā-
geantran-
geant courageusement à son mary, lequel elle suiuitsuivit par tout,
ou sa ruine le porta: n’ayant ce semble autre chois, q̄que de se ietterjetter
au party, ou elle faisoit le plus de besoin, & ou elle se mōstroitmonstroit
plus pitoyable. IeJe me laisse plus naturellemētnaturellement aller apres l’exē-
pleexem-
ple de Flaminius, qui se prestoit à ceux qui auoientavoient besoin de
luy, plus qu’à ceux qui luy pouuoiētpouvoient biēbien-faire: q̄que ieje ne fais à ce-
luy de Pyrrus, propre à s’abaisser soubs les grāsgrans, & à s’ēorgueil-
lirenorgueil-
lir sur les petis. Les lōgueslongues tables me ⁁ fachent et me nuisent: car, soit pour m’y
estre accoustumé enfant, à faute de meilleure contenance, ieje
mange autant que ij’y suis: pPourtātpPourtant chez moy, ⁁ quoi qu’elle soit des courtes ieje m’y mets vo-
lōtiersvo-
lontiers quelque tempsun peu apres les autres, sur le patrōpatronla forme d’Auguste:
mais ieje ne l’imite pas en ce, qu’il en sortoit aussi auātavant les autres.
Au rebours, ij’ayme à me reposer long temps apres, & en ouyr
cōterconter: pourueupourveu que ieje ne m’y mesle point,: car ieje me lasse & me
blesse de parler, l’estomac plain, autātautant cōmecomme ieje trouuetrouve l’exerci-
ce de crier, & contester, auantavant le repas tressalubre & plaisant. ⁁
⁁ Les antiens grecs et
Romeins auointavoint pourtātpourtant
meillure raison que nous
n’auonsavons de assignant a
la nourriture qui est
une action principale de la
vie si autres extraordinere
occupations ne les en
diuertissointtdivertissointt plusieurs hures
& la meillure partie de la
nuit mangeant et beuuātbeuvant
moins hastiuemanthastivemant que nous
qui passons en poste toutes
nos actions et estandant
ce plesir naturel a plus de
loisir et d’usage y entrese
mant diuersdivers offices de conuersationconversation utiles
& agreables.
Ceux qui ontdoiuentdoivent auoiravoir soing de moy, ontpourroint a bon marché, de me desrober
ce qu’ils pēsentpensent m’estre nuisible: car en telles choses ieje ne desire
iamaisjamais, ny ne trouuetrouve a dire, ce que ieje ne vois pas: mais aussi de
celles qui se presentent, ils perdētperdent leur temps de m’en prescher
l’abstinence: si q̄que, quādquand ieje veus ieusnerjeusner, il me faut mettre à part
LIVRE TROISIESME.490498
des soupeurs, & qu’on me presente iustementjustement, autant qu’il est
besoin pour vneune reglée collatiōcollation: car si ieje me mets à table, ij’ou-
blie ma resolution. Quand ij’ordonne qu’on change d’aprest à
quelque viande, mes gēsgens sçauētsçavent, que c’est à dire, q̄que mon appetit
est alāguyalanguy, & que ieje n’y toucheray point. En toutes celles qui
le peuuētpeuvent souffrir, ieje les ayme peu cuites: & les ayme fort mor-
tifiées, & iusquesjusques à l’alteratiōalteration de la sēteursenteur, en plusieurs. Il n’y à
que la dureté qui generalement me fache (de toute autre qua-
lité, ieje suis aussi nonchalant & souffrant qu’hōmehomme que ij’aye co-
gneu) si que contre l’humeur cōmunecommune, entre les poissons mes-
me, il m’aduiētadvient d’en trouuertrouver, & de trop frais, & de trop fermes.
Ce n’est pas la faute de mes dents, que ij’ay eu tousiourstousjours bōnesbonnes
iusquesjusques à l’excellence, & que l’aage ne commence de menasser
qu’à céte heure. IJ’ay aprins dés l’enfance à les froter de ma ser-
uietteser-
viette, & le matin, & à l’entrée & issuё de la table. Dieu faict
grace à ceux, a qui il soustrait la vie par le menu: c’est le seul be-
nefice de la vieillesse: la derniere mort en sera d’autant moins
plaine & nuisible: elle ne tuera plus qu’vnun demy, ou vnun quart
d’hōmehomme. Voila vneune dētdent qui me viētvient de choir, sans douleur, sans
effort, c’estoit le terme naturel de sa durée: & cette partie de
mon estre, & plusieurs autres sont desiadesja mortes,: autres demy
mortes, des plus actiuesactives, & qui tenoient le premier rang pen-
dant la vigueur de mōmon aage. C’est ainsi que ieje fons, & eschape
à moy. Quelle bestise sera-ce à mon entendement, de sentir le
saut de cette cheute, desiadesja si auācéeavancée, cōmecomme si elle estoit entiere:
iIejJe ne l’espere pas. ⁁
⁁ Cesar eut raisonfut philosofique
Caesar fut philo=
sofiquemant plesant
au soldat de ses
gardes uieilvieil et cassé
qui luy alla demāderdemander
en la rue conge de se
tuer: apres l’auoiravoir
regarde contemple,
de luy respondre
Comant? tu panses
donq estre en uievie.
A la ueriteverite ieje reçois
une principale consolation
aus pensees de ma mort
qu’elle soit des communesiustesjustes &
naturelles: et que meshui ieje ne puisse
en cela requerir ny esperer de la
destinee faueurfaveur qu’illegitime ⁁
⁁ uitam adolescentibus uis aufert, senibus maturitas.
Les homes se font
accroire qu’ils ont eu autresfois &come la stature et la
uievie aussi plus grande. mMais Solon qui est de ces uieusvieus
temps la, en taille pourtant par desir mesme
l’extreme duree a soixante dix ans Moi qui ai
tant adoré et si uniuersellementuniversellement cet rien tropἄριστον μέτρονLe grec est également de la main de Montaigne. du
temps passé et ay pris pour la plus parfaicte la
moïene mesure, pretanderai ieje une ⁁ ⁁ desmesuree et monstrueuse
uieillessevieillesse? Tout ce qui uientvient au reuersrevers du cours de nature
estpeut estre facheus mais ce qui uientvient selon elle estdoit estre tousiourstousjours plaisant ⁁ ⁁ Omnia quae secundum naturam fiunt sunt habenda in bonis. Par ainsi dict Platon la mort que les plaïes ou maladies apportent
estsoit uiolanteviolante mais celle qui nous surprātsurprant, la uieillessevieillesse nous y cōduisantconduisant, est de toutes la plus legiere, et aucunement delicieuse. Vitam
adolescentibus, uis aufert, senibus maturitas.
La mort se mesle & cōfondconfond par tout, à nostre
vie: le declin praeoccupe son heure, & s’ingere au cours de no-
stre auācemētavancement mesme. IJ’ay des portraits de ma forme de vingt
& cinq, & de trētetrente cinq ans: ieje les cōparecompare auecavec celuy d’asteure:
cōbiencombien de fois, ce n’est plus moy,: cōbiencombien est mōmon image presen-
te plus esloingnée de celles là, que de celle de mōmon trespas. C’est
trop abusé de nature, de la trainertracasser si loing, qu’elle soit cōtraincontrain-
Kkkkkk ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
te de nous quitter, & abandōnerabandonner nostre cōduiteconduite, nos yeux, nos
dens, nos iābesjambes, & le reste, à la mercy d’vnun secours estranger &
mādiémandié: & nous resigner entre les mains de l’art, lasse de nous
suiuresuivre. IeJe ne suis excessiuementexcessivement desireux, ny de salades, ny de
fruits, sauf les melōsmelons. MōMon père haїssoit toute sorte de sauces, ieje
les aime toutes. Le trop māgermanger m’ēpecheempeche, mais par sa qualité,
ieje n’ay encore cognoissance bien certaine, qu’aucune viande
me nuise: cōmecomme aussi ieje ne remarque, ny lune plaine, ny basse,
ny l’automne du printemps. Il y a des mouuemēsmouvemens en nous, in-
constans & incogneus: car des refors, pour exemple, ieje les ay
trouueztrouvez premierement cōmodescommodes, depuis facheux, a present de
rechef cōmodescommodes: en plusieurs choses ieje sens mon estomac &
mon appetit aller ainsi diuersifiantdiversifiant: ij’ay rechangé du blanc au
clairet, & puis du clairet au blācblanc. IeJe suis friātfriant de poisson, & fais
mes ioursjours gras des maigres, & mes festes des ioursjours de ieusnejeusne.
IeJe croy ce qu’aucuns disent, qu’il est de plus aisée digestiōdigestion que
la chair. CōmeComme ieje fais conscience de māgermanger de la viādeviande, le iourjour
de poisson, aussi fait mon goust, de mesler le poisson à la chair:
cette diuersitédiversité me semble trop esloingnée. Dés ma ieunessejeunesse, ieje
desrobois par fois quelque repas, ou affin d’esguiser mōmon appe-
tit au lendemain (car cōmecomme Epicurus ieusnoitjeusnoit & faisoit des re-
pas maigres, pour accoustumer sa volupté à se passer de l’abō-
danceabon-
dance, moy au rebours, pour dresser ma volupté a faire mieux
son profit, & se seruirservir plus alaigrement de l’abondance) où ieje
ieusnoisjeusnois, pour conseruerconserver ma vigueur au seruiceservice de quelque a-
ctiōa-
ction de corps ou d’esprit, car & l’vnun & l’autre s’apparesse cruel-
lement en moy par la repletiōrepletion: & sur tout, ieje hay ce sot accou-
plage, d’vneune Deesse si saine & si alegre, auecavec ce petit Dieu indi-
gest & roteur, tout bouffy de la fumée de sa liqueur: ou pour
guarir mōmon estomac malade: ou pour estre sans cōpaigniecompaignie pro-
pre. Car ieje dy cōmecomme ce mesme Epicurus, qu’il ne faut pas tāttant re-
garder ce qu’on māgemange, qu’auecavec qui on māgemange: & louё ChilōChilon. de
n’auoiravoir voulu promettre de se trouuertrouver au festin de Periander,
LIVRE TROISIESME.491499
auātavant que d’estre informé qui estoyent les autres conuiezconviez. Il n’est
point de si doux apprest pour moy, ny de sauce si appetissāteappetissante,
que celle qui se tire de la societé. IeJe croys qu’il est plus sain, de
menger plus bellement & moins, & de menger plus souuentsouvent:
mais ieje veux faire valoir l’appetit & la faim: ieje n’aurois nul
plaisir à trainer à la medecinale, trois ou quattre chetifs repas
par iourjour, ainsi contrains: ⁁
⁁ Qui m’assureroit que
le goust ouuertouvert que ij’ay
ce matin ieje le retrouuasseretrouvasse
encores a souper. Prenons
surtout les uieillarsvieillars,
prenons le premier temps
opportun qui nous uientvient.
Au demura Laissons aux
faiseurs d’almanac les
ephemerides & aus medecins.
lL’extreme fruict de ma santé, c’est la
volupté, tenons nous à la premiere presente & cogneuё. IJ’e-
uitee-
vite la constance en ces loix de ieusnejeusne: qui veut qu’vneune for-
me luy serueserve, fuye à la continuer: nous nous y durcissons, nos
forces s’y endorment: six mois apres, vous y aurez si bien aco-
quiné vostre estomac, que vostre proffit, ce ne sera, que d’a-
uoira-
voir perdu la liberté d’en vseruser autrement sans dommage. IeJe
ne porte les iambesjambes, & les cuisses, non plus couuertescouvertes en hyuerhyver
qu’en esté, vnun bas de soye tout simple: ieje me suis laissé aller
pour le seruicecoursservicecours de mes reumes, à tenir la teste plus chaude,: &
le ventre, pour ma cholique: mes maux s’y habituarent en peu
de ioursjours, & desdaignarent mes ordinaires prouisionsprovisions: ij’estois
monté d’vneune coife à vnun couurechefcouvrechef, & d’vnun bonnet à vnun cha-
peau double: les embourreures de mon pourpoint, ne me ser-
uētser-
vent plus que de garbe: ce n’est rien, si ieje n’y adiousteadjouste vneune peau
de lieurelievre, ou de vautour, vneune calote à ma teste: suyuezsuyvez cette
gradation, vous irez beau train: ieje n’en feray rien, & me des-
dirois volontiers du commencement que ij’y ay donné, si ij’o-
sois:. tTombez vous en quelque inconuenientinconvenient nouueaunouveau, cette
reformation ne vous sert plus, vous y estes accoustumé, cer-
chez en vneune autre:. aAinsi se ruinent ceux qui se laissent empe-
strer à des regimes contraincts, & s’y astreignētastreignent superstitiue-
sementsuperstitive-
sement: il leur en faut encore, & encore apres, d’autres au dela:
ce n’est iamaisjamais faict. Pour nos occupations, & le plaisir, il est
beaucoup plus commode, comme faisoyent les anciens, de
perdre le disner, & remettre à faire bonne chere à l’heure de la
KKKKKk iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
retraicte & du repos, sans rompre le iourjour: ainsi le faisois-ieje au-
trefois. Pour la santé, ieje trouuetrouve despuis par experience, au re-
bours, qu’il vaut mieux disner, & que la digestion se faict
mieux en veillant. IeJe ne suis guiere subiectsubject à estre alteré ny
sain ny malade: ij’ay bien volōtiersvolontiers lors la bouche seche, mais
sans soif,. & ne bois communement,Communeement, ieje ne bois que du desir qui m’en
vient en mangeant, & bien auantavant dans le repas. IeJe bois assez
bien pour vnun hōmehomme de commune façon: en esté, & en vnun re-
pas appetissant, ieje n’outrepasse poinct seulement les limites
d’Auguste, qui ne beuuoitbeuvoit que trois fois precisement: mais
pour n’offenser la reigle de Democritus, qui deffendoit de s’ar-
rester à quattre, comme à vnun nombre mal fortuné, ieje coule à
vnun besoing, iusquesjusques à cinq, trois demyseties, enuironenviron: car les
petis verres sont les miens fauorisfavoris, & me plaict de les vuider,
ce que d’autres euitentevitent comme chose mal seante. IeJe trempe
mon vin plus souuentsouvent à moitié, par fois au tiers d’eau: & quādquand
ieje suis en ma maison, d’vnun antien vsageusage que son medecin or-
donnoit à mon pere & à soy, on mesle celuy qu’il me faut, des
la somelerie, deux ou trois heures auātavant qu’on serueserve. ⁁
⁁ Ils disent que
Cranaus antien Roi
des Atheniens fut
inuanturinvantur de cet
usage de mes
tramper le uinvin
d’eau: utilemant
ou non ij’en ai ueuveu
debatre. IJ’estime
plus decent et plus
sain que les enfans
n’en boiuentboiventusent qu’apres
enfance sese ou
dishuit ans.
La forme
de viurevivre plus vsitéeusitée & commune, est la plus belle: toute par-
ticularité m’y semble à euitereviter:, & haїrois autant vnun aleman
qui mit de l’eau au vin, qu’vnun françois qui le boiroit pur. L’v-
sageu-
sage, publiq, donne loy à telles choses. IeJe crains vnun air empes-
ché, & fuys mortellement la fumée: (la premiere reparation
ou ieje courus chez moy, ce fut aux cheminées, & aux retrets,
vice commun des vieux bastimens & insupportable:) & en-
tre les aspretésdifficultez de la guerre, cōptecompte ces espaisses poussieres, dāsdans
lesquelles on nous tient enterrez en estéau chaut, tout le long d’vneune
iournéejournée. IJ’ay la respiration libre & aisée, & se passent mes mor-
fordements le plus souuentsouvent sans offence du poulmon, & sans
toux. L’aspreté de l’esté m’est plus ennemie que celle de l’hy-
uerhy-
ver,: car outre l’incōmoditéincommodité de la chaleur, moins remediable
LIVRE TROISIESME.492500
que celle du froid, & outre le coup que les rayons du soleil
donnent à la teste, mes yeux s’offencent de toute lueur escla-
tante: ieje ne sçaurois à cette heure, disner assiz vis à vis d’vnun feu
ardent, & lumineux. Pour amortir la blancheur du papier, au
temps que ij’auoisavois plus accoustumé de lire, ieje couchois sur
mon liurelivre vneune piece de verre, & m’en trouuoistrouvois sort soula-
gé. IJ’ignore iusquesjusques à present, à cinquante quattre ans, l’vsageusage
des lunettes,: & vois aussi loing, que ieje fis onques, & que tout
autre: il est vray, que sur le declin du iourjour, ieje commence à sen-
tir du trouble, & de la foiblesse à lire: dequoy l’exercice à
tousiourstousjours trauaillétravaillé mes yeux, mais sur tout, nocturne. ⁁
⁁ Voila un pas en
arriere: sensible a toute
peine sensible: IeJe reculerai
d’un autre: du secont
au tiers du tiers au quart
si mollementcoyement qu’il me
faudra estre to aueugleaveugle
formé auantavant que ieje sente
la decadence & uieillessevieillesse
de ma ueueveue. Tant no les
parques deuidentdevidentdetordent
artificiellement nostre uievie.
Si suis ieje en doubte que mon
ouïe marchande a sesple
s’espessir: et uerresverres que ieje
l’arai demi perdue que ieje
m’en pranderai encores à
la uoixvoix de ceus qui parlent
a moy. Il faut bien bander
lamel’ame pour luy faire sentir
come elle s’escoule.
Mon
marcher, est prompt & ferme,: & ne sçay lequel des deux, ou
l’esprit ou le corps, ij’arresteay arresté plus mal-aiséement, en mesme
point. Le prescheur est bien de mes amys, qui oblige mon at-
tention, tout vnun sermon. Aux lieux de ceremonie, ou chacun
est si bandé en contenance, ou ij’ay veu les dames tenir leurs
yeux mesme si certains, ieje ne puisne suis iamaisjamais uenuvenu a bout, que quelque piece des miē-
nesmien-
nes n’extrauagueextravague tousiourstousjours: encore que ij’y sois assis, ij’y suis
peu rassis: ⁁
⁁ Come la chāberierechamberiere
du philosofe Chry=
sippus disoit de son
maistre qu’il n’estoit
yureyvre que par les
iambesjambes car il auoitavoit
en costume de les
remuer etcar il auoitavoit cette
costume de les remuer en quelque assiete qu’il fut et elle
le disoit lors que
le uinvin esmouuātesmouvantt
les autres luyluy il qui
n’en sentoit aucune
alteration: car il
auoitavoit ordinere cette
façon de ne tenir
ses iambesjambes en repos:
on a peu dire aussi des
mōmon enfance que
ij’estois ij’auoisavois de
la folie aus pieds
ou de largentl’argent uifvif
tant ij’y ai eu de
remuemant et
d’insconstance en
quelque lieu que
ieje fusse les place.
& pour la gesticulation, ne me trouuetrouve guiere, sans
baguette à la main, soit à cheualcheval ou à pied. Il y a de l’C’est indecen-
ce, outre ce qu’il nuit à la santé, voire & au plaisir, de manger
gouluement, comme ieje fais,: ieje mors souuentsouvent ma langue,: par
fois mes doits, de hastiuetéhastiveté. Diogenes rencontrant vnun enfant
qui mangeoit ainsin, en donna vnun soufflet à son precepteur: ⁁
⁁ iIl y auoitavoit a Rome
des gens qui enseignoyent
a macher come a marcher
de bone grace:
iIjJ’en pers le loisir de parler, qui est vnun si doux condimentassaisonement des
tables,: pourueupourveu que ce soyent des propos de mesme, plaisans
& courts. Il y a de la ialousiejalousie, & enuieenvie entre nos plaisirs, ils se
choquent & empechent l’vnun l’autre. Alcibiades homme bien
entendu à faire bonne chere, chassoit la musique mesme des
tables, poura ce qu’elle ne troublat la douceur des deuisdevis.⁁
⁁ par la raison que
Platon luy preste. Que
c’est une inuātioninvantion usage d’homes
populeres d’apeler des
ioueursjoueurs d’instrumans
et des chantres a leurs
festins a faute de bons discours
et agreables entretiens de quoy
les gens d’entandemātentandemant sçauentsçavent
s’entrefestoier.
Varro
demande cecy au seruiceservice du conuiueconvive, l’assemblée de person-
nes belles de presence, & agreables de conuersationconversation, qui ne
ESSAIS DE M. DE MONTA.
soyent n’yny muets ny bauartsbavarts: netteté & delicatesse aux viuresvivres,
& au lieu: & le temps serain. ⁁
⁁ Ce n’est pas vneune feste peu artificielle, & peu voluptueuse,
qu’vnun bon traittement de table. Ny les grands chefs de guerre, ny les grands philosophes,
n’en ont refuse l’usage & la sciance. Mon imagination en a done trois en garde
a ma memoire que la fortune me rendit en bien diuersdivers temps de principale douceur
en diuersdivers temps de mon eage plus fleurissātfleurissant. Car chacūchacun des cōuiesconvies y apporte la
principale grace selon la bone trampe de cors & d’ame en quoi il se treuuetreuve. Mon estat
presant m’en forclost.
Moy qui ne manie que terre à
terre, hay cette inhumaine sapience, qui nous veut rendre ⁁ ⁁ desdeigneus et en-
nemis de la culture & plaisir du corps. IeJe trouuetrouveIJ’estime pareille in-
iusticein-
justice de prendre à contre coeur les voluptez naturelles, que
de les prendre trop à coeur: ⁁
⁁ Xerxes estoit un
fat qui enuelopéenvelopé en
toutes les uoluptezvoluptez
humaines aloit proposer
pris a qui luy en
trouueroittrouveroit d’autres.
Mais non guere
moints fat est celuy
qui retranche celles
que nature luy a
trouueestrouvees.
iIl ne les faut ny suyuresuyvre ny fuir,:
mais il les faut receuoirrecevoir: iIejJe les reçois vnun peu plus grassemētgrassement &
gratieusement, & me laisse plus volontiers aller vers la pante
naturelle. ⁁
⁁ Nous n’auonsavons que faire d’exaggerer leur inanité: elle se faict asses santir et se produit asses: mMerci a
Nnostre esprit maladif, rabatioyerabatjoye, qui nous desgoute d’elles, come de soi mesme: iIl traicte et soy, et tout ce qu’il reçoit, tantost
qu’il reçoit,auantavant tantost arriere, selon son estre insatiable, uaynuagabontvagabont, et uersatileversatile:. sa ueueveue esgaree trouble en nous, le uraivrai
uisagevisage des choses.
Sincerum est nisi uas, quodcunque infundis acessit.
Moi qui me uantevante d’enbrasser si curieusemant les commoditesz de la uievie, et si particulieremātparticulieremant n’enbrassey treuuetreuve quand ij’y regarde einsi
finemant, a peu pres que du uentvent. Mais quoi, nostre estre est de mesmesus somes par tout uentvent. Et le uentvent encore,⁁ ⁁ plus sagement que nous, s’aime a bruire, a s’agiter,
et se contante en ses propres offices, sans enuierenvierdesirer la stabilité, la solidité, qualitez non sienes. ⁁
⁁ Les plaisirs depurs de la fantasiel’imagination purs einsi que les desplesirs disent aucuns,
sont dict on, les plus grans ⁁ ⁁ come lexprimoitl’exprimoit la balance de Cristolaus:. Ce n’est pas merueillemerveille: eElle les compose
a sa poste, et se les taille en plein drap: iI’en uoivoi tous les ioursjours des
examples insignes, et a lauanturel’avanture desirables: mMais moi, d’une
condition mixte, et lourd,grossier, ne puis mordre ⁁ ⁁ si a faict a certes sul en cet obiectobject, si
immateriell et aeree: iejesimple: que par fois ieje ne me laisse plustout lourdemant ⁁ ⁁ et simplemant aller aus goust
plaisirs ⁁ ⁁ presans de la prescription naturelleloi humaine et generalle: intellectuellement
sensibles, sensiblement intellectuels. Contr Les ⁁ ⁁ philosofes Cyrenaiques tienent come les dolurs
aussi les plaisirs corporels plus puissans et come doubles & come plus iustesjustes
Il en est, ⁁ ⁁ qui d’une ferocefarouche stupidite come dict Aristote en fsont les desgoutez, IJ’en conois
qui par ambition protestent le font. de nostre ieunessejeunesse, qui protestētprotestent ambitieu-
sement de les fouler aux pieds: qQue ne renoncent ils encores
au respirer,: que ne viuentvivent-ils du leur, ⁁ ⁁ et ne refusent la lumiere de ce qu’elle est gratuite et ne leur couste
ny inuantioninvantion ny uigurvigur. sans secours de leur for-
me ordinaire? qQue Mars, ou Pallas, ou Mercure, les sustantent
pour voir, au lieu de Venus, de Cerez, & de Bacchus. Ces hu-
meurs vanteusesfarouches, se peuuentpeuvent forger quelque contentement,
car que ne peut sur nous la fantasie, mais de sagesse, elles n’en
tiennent tache.non pas aus sages.Chercheront ils pas la quadrature du
cerch cercle iuchezjuchez sur leurs fames. IeJe hay qu’on nous ordōneordonne d’auoiravoir l’esprit aus
nues, pendant que nous auonsavons le corps à table. IeJe ne veux pas
que l’esprit s’y cloue, &ny qu’il s’y croupisseueautreveautre, mais ieje veux qu’il
s’y appliq̄applique. ⁁
⁁ : non obstant hae res per illas euntibus
sed circa illas haerentibus qui corporis
cura mentem obruerunt. IeJe ne ueusveus pas
qu’il s’y couche c’est asses qu’il s’y see. IeJe
Et me contante qu’on y soit assis sans qu’on s’y
couche ny qu’onil s’y couche mais qu’onil s’y see.
qu’il s’y see non qu’il s’y couche. Aristippus ne defandoit que le corps come si nous n’auionsavions pas d’ame:
Zenon n’embrassoit que l’ame come si nous n’auionsavions pas de corps. Tous deus uitieusemantvitieusemant. Pythagoras disent ils
a est suiuisuivi une philosofie toute en contemplation: Socrates toute en meurs et en action: Platon en a trouuetrouve
le temperamant entre les deus. Mais ils le disent pour en conter. eEt le urayvray temperamant se
trouueroittrouveroit bien plus tost en Socrates: et Platon est bien plus Socratique que Pythagorique
et luy siet mieus.
Quand ieje dācedance, ieje dācedance, quādquand ieje dors, ieje dors: voyre,
& quand ieje me promeine solitairemētsolitairement en vnun beau vergier, si
mes pensées se sont entretenues des occurrences estrangieres
quelque partie du temps:, quelque autre partie, ieje les rameine
à la promenade, au vergier, à la douceur de cette solitude, &
à moy. Nature à maternellement obseruéobservé cela, que les actions
qu’elle nous à enioinctesenjoinctes pour nostre besoing, nous fussent
aussi voluptueuses: & nous y conuieconvie non seulement par la rai-
son, mais aussi par l’appetit: c’est iniusticeinjustice de corrompre ses
reigles. Quand ieje vois, & Caesar, & Alexandre, au plus es-
pais de sa grande besongne, iouyrjouyr si plainement des plaisirs
humains & corporelsnaturels et par consequant necesseres et iustesjustes, ieje ne dicts pas que ce soit relascher son
ame, ieje dicts que c’est la roidir, sousmetant par vigueur de
courage, à l’vsageusage de la vie communeordinaire, ces violentes occupa-
tions
LIVRE TROISIESME.493501
tions & laborieuses pensées. ⁁
⁁ Sages, s’ils eussent creu que
cestoitc’estoit la leur legitime uacationvacation
cette cy la bastarde
⁁ Sages, s’ils eussent creu, que c’estoit là leur ordinaire vocation, cette-cy, l’extraordinaire. Nous sommes de grands fols.
Il a passé sa vie en oisiuetéoisiveté, disons-nous: ieje n’ay rien faict d’auiourd’huyaujourd’huy. Quoy? auezavez-vous pas vescu? C’est non
sulement la fondamentale mais la plus illustre de uosvos occupations. Si on m’eut mis au propre des grands affairesmaniements ij’eusse
montre ce que ieje sçauoissçavois faire. AuesAvez uousvous sceu mediter & manier uostrevostre uievie uousvous auesaves faict la plus grande besouigne de toutes
Pour se montrer et exploiter nature n’a que faire de fortune Elle se montre esgalemētesgalement
en tous estages et derriere come sans rideau Composer nos meurs est nostre office non pas
composer des liureslivres et gaigner non pas des batailles et prouincesprovinces mais lordrel’ordre et tranquillite a nostre conduite
Nostre grand et glorieus chef d’euureeuvre c’est
uiurevivre: tout le reste n’en sōtsont qu’appendicules admi=
niculesuiurevivre a propos Toutes autres
choses regner theesauriser
bastirer n’en sont qu’appendicules
et adminicules pour le plus.
IeJe prens plaisir de voir vnun gene-
ral d’armée, au pied d’vneune breche qu’il veut tantost attaquer,
se prestant tout entier & deliuredelivre, à son disner, ⁁ ⁁ a son deuisdevis entre ses amys. ⁁
⁁ Et Brutus aiant le ciel
et la terre conspirez
a l’encontre de luy et de la
libertè Romeine desrober
a ses rondes quelque heure
pour lire et breueterbreveter Polybe
de nuict pour lire et breueterbreveter
Polybe en toute securite.
C’est aux petites ames ensepueliesensepvelies du pois des affaires, de ne
s’en sçauoirsçavoir purement desmesler, de ne les sçauoirsçavoir & laisser &
reprendre.:
ô fortes peioráque passi,
Mecum saepe viri, nunc vino pellite curas,
Cras ingens iterabimus aequor.
Soit par gosserie, soit à certes, que le vin theologal & do-
ctoralSorbonique est passé en prouerbeproverbe, & leurs festinstables festinsfestins: ieje trouuetrouve que c’est
raison qu’ils en disnent d’autātautant plus commodéement & plai-
samment, qu’ils ont vtilementutilement & serieusement employé la
matinée à l’exercice de leur escole. La conscience d’auoiravoir bien
employédispansè les autres heures, est vnun iustejuste & sauoureuxsavoureux condimātcondimant
des tables. Ainsin ont vescu les sages,. &Et cette inimitable con-
tention à la vertu, qui nous estonne en l’vnun & l’autre Caton,
c’ett’humeur seueresevere iusquesjusques à l’importunité, s’est ainsi molle-
ment submise, & pleue aux loix de l’humaine condition, &
de Venus & de Bacchus. ⁁
⁁ Illis est indulgendum
non seruiendūseruiendum. SuiuantSuivant
les praeceptes de leur
secte: qui demandent
le sage parfaict, autant
expert et entandu a
lusagel’usage des uoluptezvoluptez
naturelles qu’en tout
autre deuoirdevoir de la uievie
Cui cor sapiat, ei et sapiat
palatus.
Le relachement & facilité, honore
ce semble à merueillesmerveilles & sied mieux, à vneune ame forte & puis-
santegenereuse. Epaminondas n’estimoit pas que de se mesler à la dan-
ce des garçons de sa ville, ⁁ ⁁ de chanter de soner, & de s’y embesongner auecavec atten-
tion, fut chose qui desrogeat à l’honneur de ses glorieuses vi-
ctoires, & à la plus reigléeparfaicte reformation de meurs qui fut ia-
maisja-
mais en hommeestoit en luy. Et parmy tant d’admirables actiōsactions due ieunejeune
Scipion (tout compté le premier homme des Romains,)l’ayeul, personage digne de l’opinion d’un’origine celeste il
n’est rien qui luy donne plus de grace, que de le voir noncha-
lamment & puerilement baguenaudant à amasser & choisir
des coquilles, & iouerjouer à cornichon va deuātdevant le long de la ma-
rine auecavec Laelius: &Et s’il faisoit mauuaismauvais temps, s’amusant & se
chatouillātchatouillant à representer par escript en comedies, les plus po-
LLLLLl
ESSAIS DE M. DE MONT.
pulaires & basses actions des hōmeshommes. ⁁
⁁ Et la teste pleine de cette merueilleusemerveilleuse entreprinse
d’Annibal & d’Affrique, uisitantvisitant les escholes en Sicile,
et se trouuanttrouvant aus leçons de la philosophie, iusquesjusques a en auoiravoir
armeré les densts de l’aueugleaveugle enuieenvie de ses enemis a Rome.
(IeJe suis extrememētextremement des-
pit dequoy le plus beau couple de vies, qui fut dans Plutar-
que, des ces deux grands hōmeshommes, ⁁
⁁ par la commune uoixvoix
du monde l’un le premier
des grecs lautrel’autre des
Romains, Epaminondas
et le ieunejeune Scipion
se rencontre des premiers à
estre perdu) nNy chose plus remercable en Socrates, que ce que
tout vieil, il trouuetrouve le tēpstemps de se faire instruire à baller, & iouerjouer
des instrumens,: & le tient pour bien employé. Cettui-cy s’est
veu en ecstase debout, vnun iourjour entier & vneune nuict, en presēcepresence
de toute l’armée grecque, surpris & rauiravi par q̄lquequelque profonde
pēséepensée,: ⁁
⁁ (cett’action est
un peu haute et
surhumaine: ieje m’enieje m’en
passerois pour moi
uolontiersvolontiers au conterecit
de sa uievie.) Ce sont des
miracles de ces diuinesdivines ames
ieje n’en puis faire esta lesquels
ieje ne puis poiser ne les pouuantpouvant
conceuoirconcevoir)
iIl s’est veu ⁁
⁁ le premier parmi tant de uaillansvaillans homes de l’armee courir au secours d’Alcibiades accable des enemis: le couurircouvrir
de son corps, et le descharger de la presse a uiuevive force d’armes: et le premier emmi tout le peuple d’Athenes outré come
luy d’un si indigne spectacle se presenter a recourir Theramenes que les trante tirans fesoint mener a la mort par leurs
satellites. eEt ne desista cette hardie entreprinse qu’a la remontrance de Theramenez mesme: quoi qu’il ne fut suiuisuivi que de
deus en tout. Il s’est ueuveu recherché par une beauté de laquelle il estoit espris maintenir au besouin une seueresevere abstinance.
Il s’est ueuveu en la bataille Deliene releuerrelever et sauuersauver Xenophon renuerserenverse de son cheualcheval Il s’est ueuveu
continuellemētcontinuellement marcher à la guerre ⁁ ⁁ et fouler la glace les pieds
nuds,: porter mesme robe en hyuerhyver & en esté,: surmonter tous
ses cōpaignonscompaignons en patience de trauailtravail,: ne menger point autre-
ment en festin, qu’en son ordinaire: ⁁
⁁ Il s’est ueuveu uintvint et sept ans de pareil uisagevisage luitter la faim porter la faim
la pouretèpovretè l’indocilitè de ses enfans les griffes de sa fame. Et en fin la calomnie
la tirannie la prison les fers & le ueninvenin. Mais cet home la
mais estoit-il conuiéconvié de
boire à lut par deuoirdevoir de ciuilitécivilité, c’estoit aussi celuy de l’armée
à qui en demeuroit l’auantageavantage,: &Et ne refusoit ny à iouerjouer aux
noysettes auecavec les enfans, n’yny à courir auecavec eux sur vnun cheualcheval
de bois,. &Et y auoitavoit bonne grace: cCar toutes actions dict la phi-
losophie, siesent également bien, & honnorent egallement le
sage. On à dequoy, & ne doibt on iamaisjamais se lasser de presenter
l’image de ce persōnagepersonnage à tous exēplesexemplespatrons & formes de perfectiōperfection. ⁁
⁁ Il est fort peu d’exēplesexemples
de uievie pleins et purs. Et
faict on tort a nostre
instruction de nous en
proposer tous les ioursjours
d’imbecilles et manques:
à peine bons a un sul pli:
qui souuantsouvant nous tirēttirent
en arriere, plus bas. tost:
corrupturs plus tost que
correcturs.
Le peuple se trōpetrompe: on va biēbien plus facilement par les bouts, ou
l’extremité sert de borne d’arrest & de guide, que par la voye
du millieu large & ouuerteouverte,: & selōselon l’art que selon nature,: mais
bien moins noblement aussi, & moins recōmandablemētrecommandablement. ⁁
⁁ La grandur de l’ame
n’est pas tant, tirer
à mont et tirer auantavant,
comme sçauoirsçavoir se ranger
& circonscrire: magni
animi est mediocria malle
quam nimia. Elle
tient pour grand
tout ce qui est asses.
Et montre sa hautur
à eimer mieus les choses
moienes que les eminantes.
L’immoderation ne s’accorde
ny aueqaveq soi ny aueqaveq la moderation.
Il
n’est rien si beau & legitime que de faire bien l’hōmehomme & deuё-
ment,. nNy science si ardue que de bien ⁁ ⁁ et naturellement sçauoirsçavoir viurevivre cette vie,:
&Et de nos maladies la plus sauuagesauvage, c’est hayr & desdaignermespriser no-
stre estre ⁁ ⁁ et en enuierenvier d’autres.. Qui veut escarter son ame, le face hardimēthardiment s’il peut,
lors que le corps se portera mal, pour la descharger de cette
contagion: aAilleurs au contraire,: qu’elle l’assiste & fauorisefavorise, &
ne refuse point de participer à ses naturels plaisirs, & de s’y
cōplairecomplaire cōiugalementconjugalement,: y apportant, si elle est plus sage, la mo-
deration, de peur que par indiscretiōindiscretion, ils ne se confondētconfondent auecavec
LIVRE TROISIESME.494502
le desplaisir. ⁁
⁁ L’intemperance, est peste de la volupté: & la temperance
ce n’est pas son fleau c’est son assaisonement et sa mL’édition municipale restitue "mesure".
Eudoxus qui en establissoit le souuereinsouverein bien estoit aussi souuereinementsouvereinement
temperant en ses meurs et ses compaignons qui la montarent a si haut pris la sauourerentsavourerent
en sa plus hautegratieuse douceur par le moien de la temperance qui fut en eus singuliere et exemplere.
IJ’ordōneordonne à la miennemon ame, de regarder & la douleur &
la volupté, de veuё pareillement ⁁ ⁁ reglee: eodem enim uitio est effusio animi in laetitia quo in dolore contractio: et pareillement ferme: mMais gayement l’vneune,
l’autre seuerementseverement: &Et selon ce qu’elle y peut aporter, autant
songneuse d’en esteindre l’vneune, que d’estendre l’autre. ⁁
⁁ Platon ordone a son legisla=
teur d’y auoiravoir esgalement leuill’euil.
Le uoirvoir seiainemant
les biens tire apres
soi le uoirvoir seinemant
les maus. Et la dolur a
quelque chose de non euitableevitable
en son tendre comancemant et la
uoluptèvoluptè quelque chose d’eui=
tableevi=
table en sa fin excessiueexcessive. Platon
les accouple esgalement et en
descharge sa cite: et ordone que
ueutveut que ce soit pareillemant
l’office de la fortitude cōbatrecombattre
a lencontrel’encontre de la dolur & a
lencontrel’encontre des immoderees et
enchanteusescharmeresses blandices de la
uoluptevolupte. Ce sont deus fonteines
aus quelles qui puise doud’ou
quand et combien il faut
soit cité soit home soit beste
il est bienhureus. La premiere
il la faut prendre par medecine
et par necessite plus escharcement:
LautreL’autre par soif mais non iusquesjusques
a liuressel’ivresse. La dolur la uoluptévolupté
l’amour la haine sont les premieres
choses que sent un enfant: si la raison
suruenantsurvenant elles s’appliquent a elle:
c’est la uertuvertu cela c’est uertuvertu.
IJ’ay vnun
dictionaire tout à part moy:. iIejJe passe le tēpstemps, quand il est mau-
uaismau-
vais & incōmodeincommode,: qQuand il est bon, ieje ne le veux pas passer, ieje
le gousteretaste, ieje m’y arreste.tiens. Il faut courir le mauuaismauvais, & se rassoir
au bōbon. Cette fraze ordinaire, de passe-tēpstemps, & de passer le tēpstemps,
represente l’vsageusage de ces prudentes gens, qui ne pensent point
auoiravoir meilleur compte de leur vie, que de la couler, & eschap-
per: de la passer, gauchir, & autant qu’il est en eux, ignorer &
fuir, cōmecomme chose de qualité ennuyeuse & desdaignable: mMais
ieje la cognois autre, & la trouuetrouve, & prisable & cōmodecommode, voyre
en sa decadēcedecadenceson dernier decours, ou ieje la tiens: &Et nous l’a nature mise en main,
garnie de telles circonstances & si fauorablesfavorables, que nous n’a-
uōsa-
vons à nous plaindre qu’a nous, si elle nous presse, & si elle nous
eschappe inutilement. ⁁
⁁ Stulti uita ingrata
est, trepida est, tota
in futurum fertur. La
uievie n’est a la ueriteverite ny bien ny
mal: c’est la place du bien ou du
mal: selon ce que nous la leur faisons
IeJe me cōposecompose pourtant à la perdre sans
regret: mais comme perdable de sa condition, non cōmecomme mo-
leste & importune. ⁁
⁁ Aussi ne siet il
propremant bien, de
ne se desplaire de
perdre qu’a ceus
qui se plaisent de
a mourir qu’a ceus
qui se plaisent a
uiurevivre.
Il y a du mesnage à la iouyrjouyr:. iIejJe la iouysjouys
au doublement des autres: cCar la mesure en la iouyssancejouyssance depēddepend
du plus ou moins d’application, q̄que nous y prestons. Principal-
lemētPrincipal-
lement à cette heure, que ij’aperçoy la miēnemienne si briefuebriefve en tēpstemps,
ieje la veux grossir & estendre en pois: iIejJe veus arrester la prom-
ptitude de sa fuite, par la promptitude de ma sesie: &Et par la vi-
gueur de l’vsageusage, compenser la hastiuetéhastiveté de son escoulement:
àA mesure que la possessiōpossession du viurevivre est plus courte, il me la faut
rendre plus profonde, & plus pleine ⁁ ⁁. Les autres sentent la
douceur d’vnun contentement, & de la prosperité: ieje la sens
ainsi qu’eux,: mais ce n’est pas en passant & glissant. Si la faut
il estudier sauourersavourer & ruminer, pour en rendre graces condi-
gnes à celuy qui nous l’ottroye. Ils iouyssentjouyssent les autres plai-
LLLLLI ij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
sirs, comme ils font celluy du sommeil, sans les cognoistre.
A celle fin que le dormir mesme ne m’eschapat ainsi stupide-
ment, ij’ay autresfois trouuétrouvé bon qu’on me le troublat, pour
que ieje l’entreuisseentrevisse. IeJe consulte d’vnun contentement auecavec moy,
ieje ne l’escume pas, ieje le sonde & retaste,: & plie ma raison à le
recueillir, deuenuedevenue chagreigune & desgoutée. Me trouuetrouve-ieje
en quelque assiete tranquille, y a il quelque volupté qui me
chatouille, ieje ne la laisse pas friponer aux sens, ij’y associe mon
ame: nNon pas pour s’y enyurerenyvrerengager, mais pour s’y agreer,: nNon
pas pour s’y perdre, ainsmais pour s’y trouuertrouver: &Et l’employe de sa
part, à se mirer dans ce prospere estat,: à en poiser & estimer
le bon heur, & amplifier. Elle mesure, combien c’est, qu’elle
doibt à Dieu, d’estre en repos de sa conscience, & d’autres
passions intestines,: d’auoiravoir le corps en sa santédisposition naturelle,
iouyssantjouyssant ordonnéement & pleinementcompetammant, des functions mol-
les & flateuses, dequoypar les quelles il luy plait compenser parde sa grace,
les douleurs, dequoy sa iusticejustice nous bat à son tour: cCombien
luy vaut, d’estre logée en tel point, que ou qu’elle iettejette sa
veuё, le ciel est calme autour d’elle,: nul desir, nulle crainte
ou doubte, qui luy trouble l’air,: aucune difficulté ⁁ ⁁ passee presante future, par dessus
laquelle son imagination ne passe sans offence. ⁁
⁁ , nul scrupule
qui la pinse ny
pres ny loin.
Cette consi-
deration prent grand lustre de la comparaison des conditiōsconditions
differentes: aAinsi, ieje me representepropose en mille visages, ceux que
la fortune, ou que leur propre erreur, emporte & tempeste:
&Et encores ceux cy plus pres de moy, qui reçoyuentreçoyvent si láche-
ment, & incurieusement leur bonne fortune. Ce sont gens
qui passent voyrement leur temps,: ils outrepassent le present,
& ce qu’ils possedent, pour seruirservir à l’esperance,: & pour des
ombrages & vaines images, que la fantasie leur met au de-
uantde-
vant,
Morte obita quales fama est volitare figuras,
Aut quae sopitos deludunt somnia sensus,
LIVRE TROISIESME.495503
lesquelles hastent & allongent leur fuite, a mesme qu’on les
suit. Le fruit & but de leur poursuitte, c’est poursuiurepoursuivre: cCōmecComme
Alexandre disoit que la fin de son trauailtravail, c’estoit trauaillertravailler,
Nil actum credens cum quid superesset agendum.
Pour moy donc, ij’ayme la vie, & la cultiuecultive, telle qu’il à pleu à
Dieu nous l’octroier: iIejJe ne vay pas desirant, qu’elle eust à dire
la necessité de boire & de manger:, ⁁
⁁ , eins ⁁ ⁁ parlant en reuerancereverance plus tost
Et me sēbleroitsembleroit
desirer plus excusable=
mētexcusable=
ment qu’elle l’eut
double: ny
⁁ Et me sembleroit faillir plus excusablement non moins excusablement
de desirer qu’elle l’eut double. Ny Sapiens
diuitiarum naturalium quaesitor acerrimus
Ny
&ny que nous nous sustētis-
sionssustentis-
sions, mettant seulemētseulement en la bouche vnun peu de cette drogue
par laquelle Epimenides se priuoitprivoit d’appetit, & se maintenoit:
nNy qu’on produisit stupidement des enfans, par les doigts, ou
par les talons: ⁁
⁁ eins ⁁ ⁁ parlant en reuerencereverence plus tost
qu’on les produisist
encore uoluptueu=
semantvoluptueu=
semant par les doigts
et par les talons.
que le corps fut sans desir & sans chatouillemētchatouillement:
cCe sont plaintes d’ingratitude.ingrates et iniques. IJ’accepte de bon coeur ⁁ ⁁ et reconoissant, ce que
nature a faict pour moy, & m’en agrée & l’en remercie.m’en loue. On
fait tort à ce grand & tout puissant donneur, de mespriserrefuser son
don, l’altererl’anullerl’anuller & desfigurer. ⁁ ⁁ Tout bon il a faict tout bon. Omnia quae secundum naturam sunt aestimatione digna sunt. Des opinions de la philosophie,
ij’embrasse plus volontiers celles, qui sont les plus solides, c’est
à dire les plus humaines, & nostres: mMes discours sont confor-
méement à mes meurs, bas & humbles. ⁁
⁁ IntrādumIntrandum est
in rerum natu=
ram et penitus
quid ea postulet
peruidendūperuidendum
⁁ . Elle faict bien
l’enfant a mon gré
quand elle se met sur
ses ergotz pour nous
prescher que c’est
une monstrueusefarouche alli=
ance de marier le diuindivin
aueqaveq le terrestre le
raisonable aueqaveq le
desraisonable le seueresevere
a l’indulgent l’honneste
au deshoneste. Que la
uoluptèvoluptè est qualité
brutale indigne que
le sage la gouste. Le
sul plaisir qu’il tire
de la iouissancejouissance d’une
belle iunejune espouse que c’est
le plaisir de sa cōscien=
ceconscien=
ce de faire un’action
selon lordrel’ordre. cCome de
chausser ses bottes
pour une utille cheuau=
cheechevau=
chee. N’eussent ses
suiuanssuivans
ils non plus de
droit & de nerfs
et de suc a laau depucelerage
de leurs fames qu’en a leursa presche leçon.
Ce n’est pas ce que dict Socrates son praeceptur &
le nostre. iIl prise comme elle uautvautil doit la beaute et uoluptévolupté
corporelle mais il praefere celle de l’esperit duquel les
moiens sont plus pl puissants et plus nobles. Et pour ce
ordone il qu’on s’y atande principalemant come ayant
plus de force de constance de facilite de uarietèvarietè de dignité.
Cetecy uava, non sule selon luy mais premiere en ranc
nullemant sule, selon luy, il n’est pas si fantastique, mais
sulement premiere en ranc. Pour Socrates, l’amour est
appetit de generation par lentremisel’entremise de la beauté. La generation diuinedivine
action et immortelle des mortels. Et par consequant l’amour daemon
immortel luy mesmes et desir dimmortalitéd’immortalité et daemon immortel
luy mesmes. Pour luy la temperance est grande uertuvertumoderatrice, non l’abstinence
aduersaireadversaire des voluptez.
Nature est vnun doux
guide: mais non pas plus doux, que prudent, & iustejuste. ⁁ ⁁ qui la suit est parfaictement hureus et sage.
Intrandum est in rerum naturam, et penitus quid ea postulet peruidendum. IeJe queste
par tout sa piste: nous l’auonsavons confonduё de traces bastardes
& artificielles. ⁁
⁁ Et ce souuereinsouverein
bien Academique
& Peripatetique
qui est uiurevivre selon
nature icelle
deuientdevient a cette
cause difficile a
borner et expri=
mer. Come celuyEt celuy
des Stoiciens uoisinvoisin
contigue a celuila:
qui est, consentir a
nature. Omnia
quae secundum
naturam sunt
aestimatione digna
sunt.
Est-ce pas erreur, d’estimer aucunes actions
moins dignes, de ce qu’elles sont necessaires. Si ne m’osteront-
ils pas de la teste, que ce ne soit vnun tres-conuenableconvenable mariage
du plaisir auecavec la necessiité. ⁁ ⁁ AueqAveq laquelle dict un antien les Dieus complotent tousiourstousjours. A quoy faire desmembrons nous
en diuorcedivorce, vnun bastiment tissu, d’vneune si ioinctejoincte & fraternelle
correspondance. Au rebours, renouōsrenouons le par mutuels offices:
que l’esprit esueilleesveille & viuifievivifie la pesanteur du corps, le corps
arreste la legereté de l’esprit, & la fixe. ⁁
⁁ L’effaict
de la par=
faicte raison
n’est autre que
de suiuresuivre la
uolontèvolontè de
nature. Haec
est sapientia,
ad naturam conuerti.
Qui uelut summum bonum laudat animae naturam et
tanquam malum naturam carnis accusat profecto et animam
carnaliter appetit et carnem carnaliter fugit. quoniam id uanitate
sentit humana non ueritate diuina.
Il n’y à piece indigne de
nostre soin, en ce present que Dieu nous à faict: nous en de-
uonsde-
vons conte iusquesjusques à vnun poil. ⁁
⁁ La raison parsule
parfaicte est
celle qui suit la
uolontèvolontè de nature.
Et n’est pas vneune commission far-
cesquepar acquit à l’homme, de conduire l’homme selon sa condition:
naturelle: elle est ⁁ ⁁ expresse simple, naїfuenaïfve,⁁ ⁁ et tres principale. Et & nous l’a le createur donnée
LLLLLI iij
ESSAIS DE M. DE MONTA.
serieusement & expressement.seuerementseverement. ⁁ ⁁ ⁁ pour maistresse fin de nostre deuoirsdevoirs et souuereinsouverein bien de l’home ⁁
⁁ L’authoritè peut seule enuersenvers les communs entandemans: Oiouns"Oiouns" pour "Oions" : provincialisme. la uoixvoix du maistre. IeJe ne
tire mes folies que des plus seueresseveres escholes.et poise plus en langage peregrin.
Rechargeons en, ce lieu. Stultitiae proprium quis non dixerit ing
ignauè et contumaciter facere quae ⁁ facere debeasfacienda sunt facienda sunt: et alio corpus impellere
alio animum: distrahique inter diuersissimos motus.
Or sus pour voir, faictes vous
dire vnun iourjour, les amusemens & imaginations, que celuy là met
en sa teste, & pour lesquelles il destourne sa pensée d’vnun bon
repas, & plainct l’heure qu’il emploie à se nourrir,: vVous trou-
uereztrou-
verez qu’il n’y à rien si fade, en tous les mets de vostre table,
que ce bel entretien de son ame (le plus souuentsouvent il nous vau-
droit mieux dormir tout à faict, que de veiller à ce, à quoy
nous veillons) & trouuereztrouverez que son discours & intentions, ne
valent pas vostre capirotade. Quand ce seroient les rauissemēsravissemens
d’Archimedes mesme, que seroit-ce? IeJe ne touche pas icy, &
ne mesle point à cette voiriemarmaille d’hommes que nous sommes, &
à cette vanité de desirs & cogitations, qui nous diuertissentdivertissent,
ces ames venerables, esleuéeseslevées par ardeur de deuotiondevotion & reli-
gion, à vneune constante & conscientieuse meditation des choses
diuinesdivines,⁁
⁁ , les quelles preoccupant par l’effort d’une uifuevifve ⁁ ⁁ et uehementevehemente esperance, l’usage de la nourriture eternelle, but
final, et dernier arrest des Chrestiens desirs, seul plaisir entier et solide, constant incorruptibleseul plaisir constant incorruptible,
desdeignent de s’atandre a nos necessiteuses commodités, flotantesfluides et ambigues: et resignent
facilemant au cors, le souin et le goust’usage, de la pasture sensuelle et temporele:
c’est vnun estude priuilegéprivilegé. Nos estudes sont tous mon-
dains, & entre les mondains, les plus naturels ⁁ ⁁ et usuels sont les plus iu-
stesju-
stes.Entre nous, ce sont choses que ij’ay
tousiourstousjours ueuesveues u de singulier accort: les opinions supercelestes et les meurs soubsterreines.
soubst soubsterreines. Esope ⁁ ⁁ ce grand home vid son maistre qui pissoit en se promenant, quoy
donq, fit-il, nous faudra-il chier en courant. Mesnageons le
temps, encore nous en reste-il beaucoup d’oisif, & mal em-
ployé. Nostre esprit n’a volontiers pas assez d’autres heures, à
faire ses besongnes, sans se desassocier du corps, en ce peu d’es-
pace qu’il luy faut pour sa necessité. Ils veulent se mettre hors
d’eux, & eschapper à l’homme: c’C’est folie,: aAu lieu de se trans-
former en anges, ils se transforment en bestes: au lieu de se
hausser ils s’abattent. ⁁
⁁
Ces humeurs transcendantes m’effraient come les lieus hauteins et inaccessibles.
Et rien ne m’est si puerilea digerer facheus en la uievie de Socrates que ses ecstases et ses daemoneries.
Rien plussi humain en Platon que ce pourquoi ils disent qu’on l’appelle diuindivin.
Et des humainesnos sciences, celles-là me
semblent plus terrestres,⁁ ⁁ et basses qui sont le plus haut montées: &Et ieje
ne trouuetrouve rien si bashumble & si mortel en la vie d’Alexandre, que ses
fantasies autour de sa deification.son immortalisation. Philotas le mordit plaisam-
ment par sa responce. Il s’estoit coniouyconjouy auecavec luy par lettre, de
l’oracle de IupiterJupiter HammōHammon, qui l’auoitavoit logé entre les Dieux,:
pPour ta consideration, ij’en suis bien aise,: mais il y a dequoy
plaindre les hommes, qui auront à viurevivre auecavec vnun homme, &
LIVRE TROISIESME.496504
luy obeyr, lequel excedeoutrepasse et ne se contante de la mesure d’vnun homme. ⁁
-
⁁ Dijs te minorem
quod geris, imperas
La gentille
inscription, dequoy les Atheniens honorerent la venue de
Pompeius en leur ville, se conforme à mon sens:
D’autant es tu Dieu, comme
Tu te recognois homme.
C’est vneune absolue perfectiōperfection, & cōmecomme diuinedivine, de sçauoirsçavoir iouyrjouyr
loiallement de son estre: nNous cherchons d’autres conditions,
pour n’entendre l’vsageusage des nostres: & sortons hors de nous,
pour ne sçauoirsçavoir quel il y fait. ⁁
⁁ NousSi auonsavons ⁁ nous beau
monter sur des eschasses
etcar sur des eschasses
encore faut il marcher
des nos iambesjambes. Et au
plus esleueesleve trhonethrone du
monde si ne somes fondezassis
que sur nostre cul. nous
assis que sur nostre
cul.
Les plus belles vies, sont à mon
gré celles, qui se rangent au modelle commun, ⁁ sans merueillemerveille, ⁁ et humain: aueqaveq ordre: mais
sans miracle et sans extrauaganceextravagance. Or la vieillesse à vnun peu besoin d’estre trai-
ctée plus doucementbassement & plus delicatementfacilementtendrement. Recommandons
là à ce Dieu, protecteur de santé & de sagesse, mais gaye &
sociale:
Frui paratis & valido mihi
Latoe dones, & precor integra
Cum mente, nec turpem senectam
Degere, nec Ccythara carentem.
FIN DVDU TROISIESME LIVRE.
De la Bibliotheque Centrale de Bordeaux
departement de la gironde
M