François Le Poulchre de La Motte Messemé, Les Amours d’Adrastie, dans les Sept Livres des Honnestes loisirs, 1587

Les Amours d’Adrastie, dans les Sept Livres des Honnestes loisirs, Paris : Pierre Hury, pour Marc Orry, 1587
Transcription d’après l’exemplaire de la Médiathèque François-Mitterand, Poitiers DM 21.
Publié le 23 novembre 1999
© Université de Poitiers
Transcription et version html : Pierre Martin


LES

HONNESTES

LOISIRS DE MESSIRE

FRANCOIS LE POULCHRE

Chevalier de l’Ordre du Roy Cappi-

taine de cinquante hommes d’armes

de ses Ordonnances, Seigneur de la

Motte Messemé.    

[devise]

 

A PARIS,

Chez Marc Orry, ruë sainct Jacques,

à l’enseigne du Lyon Rampant.

1587.

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p. 229 [r°]

LES AMOURS

D’ADRASTIE.

 

       1
Qui voudra veoir l’estat de ce monde le pire,
 Qui voudra veoir un comble assovy de malheurs,
 Qui voudra veoir un lac, une source de pleurs,
 Un abisme d’ennuis, qu’il vienne mes vers lire.
Il avoüra soudain que nul autre martire,
 Ne se peut esgaler à mes griefves douleurs,
 Il veoira comme amour cause de mes langueurs
 Entretient de mon feu les loix de son empire.
Il veoira comme c’est qu’il m’a mis en prison,
 Comme c’est qu’il s’est fait maistre de ma raison
 M’ostant le jugement. Et qui est d’avantage,
Il veoira comme c’est qu’il m’a bandé les yeux,
 Et combien devenu de mon mal glorieux
 Il a fait de proffit de mon heureux dommage.
 
       2
Mais que me sert d’avoir gardé si longuement
 La franche liberté du repos de ma vie,
 Pour la veoir tout d’un coup maintenant asservie
 Soubs le plus apre joug d’un rigoureux tourment ?
Mais que me sert d’avoir resisté fortement
 Aux assauts de l’amour, & de sa tyrannie
 N’avoir oncqu’ esprouvé la rigueur infinie,
 Quelque effort qu’il ait fait sinon presentement ?
Bref dequoy m’a servy d’avoir fuy les ruses
 (Aveugle boute-feu) dont les plus fins abuses,
 Puis que tu m’as surpris d’une jeune beauté ?
Et lors que je cuidois d’une superbe gloire
 Avoir sus toy conquis une entiere victoire
 Qu’il faille que je sois soubs tes loix arresté ?
 
       3
J’ay beau dire que non, mais quelque resistance
 Que j’ay peu opposer à ce maistre des dieux,
 Je n’ay sceu empescher d’un art industrieux
 Son effort, à ce coup sa force ny puissance.
Comment l’eusse je faict (ô bons dieux) quant j’y pense ?
 Il s’estoit embusqué finement dans les yeux
 De mon nouveau Soleil, mais de celluy des cieux,
 Ayant ensemblement secrette intelligence.
Qui eust esté celluy donc qui de tel apas
 N’eust esté comme moy attrappé dans ses las,
 Veu qu’il ne me monstra pour object de ma veue
Qu’avecque la beauté l’apparante douceur,
 Pendant qu’il me cachoit dans le fons de son cœur
 Une mer de glaçons qui de son froit me tue ?
 
       4
Las que doibs-je esperer d’une jeune beauté
 Fierement contre moy & l’amour obstinee ?
 A qui les cieux cruels (ô dure destinee !)
 Ont mis dessoubs ses pieds serve ma liberté ?
Las que dois-je esperer en ma captivité,
 Puis que celle qui tient mon ame emprisonnee
 Estime moins mon mal que vent ny que fumee,
 Veoyez si je suis prest de ravoir ma santé.
Veoyez si je suis prest sortir de sa cordelle,
 Qu’elle porte elle mesme en sa main plus cruelle
 Pour mieux me retenir les clefs de ma prison,
Et pour n’estre à pitié aucunement esmue,
 Se bouchant sourdemant & l’aureille & la veue
 Se mocque quant je veux luy conter ma raison.
 
       5
Ah mon Dieu que de lis, ah mon Dieu que de roses,
 Ah que d’œillets vermeils, que d’attraits gratieux,
 Que de frians apas au parfait de mon mieux,
 Que de divinitez y paroissent encloses !
La perle d’Orient & les plus rares choses
 Que du rivage More on amene en ces lieux,
 Ont la couleur ternie au pris de ses beaux yeux
 Et de tant de blancheurs que son sein a decloses.
Ah qu’avoir tels butins, ah qu’avoir tels thresors
 Seroient de Paradis, seroient de doulces mors,
 Mais mors à preferer aux plus heureuses vies.
Mon Dieu que de plaisirs, que d’incroyables heurs
 A qui pourroit cueillir de sa main telles fleurs
 Si tost que le printemps les a espannouyes.
 
       6
Allez vous en flateresse esperance,
 Allez vous en desormais abuser
 Quelque lourdaut qui voudra s’amuser
 En vostre belle & fardee apparance :
Allez vous en faire ailleurs demeurance
 Qu’en mon cerveau, allez d’un plus leger
 Tromper les yeux, le cueur, & le juger,
 Dessus le mien vous n’aurez plus puissance :
Car je ne veux pour hoste recevoir
 A l’advenir qu’un fascheux desespoir,
 Et d’aucun bien je ne veux plus d’attante,
Je veux mon mal estre mon reconfort,
 Je veux ma vie estre une dure mort,
 Et pour beau temps avoir tousjours tormante.
 
       7
Ah de qui miserable auray-je plus fiance,
 Et puis que celle là qui vivoit toute en moy,
 De laquelle j’estois la pensee, & l’esmoy,
 L’idole, le seul bien, & l’entiere creance,
A mis ailleurs son cœur (ô Dieux quelle asseurance)
 Ailleurs a d’elle mesme obligee sa foy,
 Et volontairement serve d’un nouveau Roy
 Consacré tous ses vœux en son obeyssance.
Que j’eusse plustost creu veoir & la cire & l’eau
 S’incorporer ensemble en un mesme tourteau,
 Qu’elle fust tellement devenue muable.
O destin trop cruel, puis que tel est mon sort,
 Ah Parque avance moy ah de grace la mort
 Plustost que d’esprouver essay tant veritable.
 
       8
Je ne me plains (amour) de la peine ordinaire,
 Dont des autres amans tu bourrelles le cœur,
 Quant un nouveau Soleil s’en rendant le vaincueur,
 Les soubs-met soubs tes loix esclave & tributaire :
Je ne cherche comm’eux d’obtenir le salaire
 Du mal, qui violant rangrege ma doulleur,
 Pour avoir consenti moy mesme mon malheur,
 D’une jeune beauté m’estant rendu forsaire.
Je ne me flatte point comm’ils font, d’un espoir,
 Je ne veux rien de toy, je ne veux que me veoir
 Hors de captivité d’effect de ta cordelle,
Remets moy donc cruel, ainsi comme j’estois
 En mon estat premier, lors que je ne pensois
 (Ah que tu le scais bien) ny en toy ny en elle.
 
       9
Ceux qui en tout plaisir en joye & en soulas,
 Passent heureusement leurs jours, & en liesses
 Adorant les beautez de leurs jeunes maistresses,
 Monstrent evidemment à chascun leurs esbas.
Ils ont bonne raison, mais moy je suis si las
 D’endurer tous les jours de si dures angoisses,
 Que je ne peux conter si non que mes tristesses,
 Que je ne peux parler sinon que de debas.
De leurs Dames avoir gaigné la bonne grace
 Se veoit à leur maintien, & leur riante face
 Tesmoigne à un chascun leur doux contantement.
Les desdains, les refus de la mienne inhumaine
 Font lire sus mon front mon ordinaire peine,
 Et sans m’entretenir on cognoist mon tourment.
 
       10
A mon cruel tourment la roüe d’Ixion
 Ne se peut comparer, non plus que de Tantale
 L’extraordinaire soif aucunement n’egale
 Le desir violant de mon affection,
Sisiphe & son rocher est une passion
 Que j’estime aussi peu, que la peine infernalle
 Du cœur de celluy-là que le vautour avalle,
 Sans qu’il en ait jamais de diminution.
Qui plus est, les poisons qu’au fond de sa poitrine
 Avecques les horreurs recelle Proserpine,
 Dont sentent les effects les esprits criminels,
Ne leur font de mon mal la centiesme partie,
 Ne celle là qui tient le ciseau couppe-vie
 N’en feist jamais la disme à pas un des mortels.
 
       11
Helas que pouvez vous las de moy esperer ?
 Ce me disoit un jour ma cruelle inhumaine,
 Las dequoy voulez vous que j’allege la peine
 Qui vous fait vous douloir vous plaindre & souspirer ?
De ceste affection devez vous pas tirer
 Vous mesme vostre cœur, & d’une ame bien saine
 Juger qu’en le paissant d’une esperance vaine,
 Vous luy donnez sujet propre à se martirer.
Ne retenez donc plus dedans vostre cervelle
 Ce desir inportun qui vous gehenne & bourrelle,
 Et d’un tel pensement ne soyez plus espris.
Je luy dis je le veux, je suis contant de suivre
 Vostre advis desormais, & par luy me conduire,
 Mais randez moy premier mon cœur que m’avez pris.
 
       12
Je ne sçay quelle erreur Madame vous manie,
 Quand vous me demandez que je peux esperer
 De vos yeux mes Soleils, qui m’ont sceu attirer
 Par l’industrieux art de leur saincte magie :
Je ne sçay qui vous plaist qu’à cela je vous die,
 Sinon que je ne veux, rien que les adorer,
 Je ne veux autre bien si non que d’admirer
 Leur divine clarté qui entretient ma vie.
Je ne suis de l’humeur dont je veoy quelques uns,
 Qui à leurs Dames sont tellement importuns
 Qu’ils veullent tout avoir, mais moy je ne pourchasse
Que ce qu’il vous plaira, n’estant point desireux
 D’avoir nul autre bien, fors qu’estre si heureux
 Que vous me faciez part de vostre bonnegrace.
 
       13
L’oppiniastreté d’une folle heresie,
 Opiniastrement vous fait bien esgarer,
 Quant vous me demandez, que je peux esperer
 Pour aymer vos beaux yeux les meurtriers de ma vie.
Une Dame en beauté comme vous accomplie,
 Et pleine de faveurs plus que n’est d’eau la mer,
 De cent mille façons peut bien recompenser
 Ceux qui à la servir ont mis leur fantasie.
Celluy qui ayme bien n’est jamais sans espoir
 Incontinent reduit en cruel desespoir
 Dont il renaist apres une prompte esperance,
Ruynee aussitost d’un mescontentement.
 Voyla quel est l’estat d’un miserable amant
 Depuis qu’il est un coup entré dedans la dance.
 
       14
Je ne parleray donc jamais que de l’ardeur
 Du martire cruel qui bourrelle mon ame,
 Qui l’embraze, la pert, l’empoisonne, & l’entame.
 Je ne parleray donc : quoy ? que de ma langueur ?
Je ne m’abreuvreray donc jamais que de pleur,
 Je ne seray nourry, quoy donc ? que de la flamme
 Dont je suis consommé par les yeux de Madame
 Perpetuellement esprouvant sa rigueur ?
Non, car du mal cruel & rage qui m’empire
 Elle en hoche la teste, & n’en faisant que rire
 Plus m’en veoit tourmenter plus m’en donne le tort.
Veoyez si j’ay raison d’escrire mes angoisses,
 Veoyez si j’ay raison de conter ses rudesses,
 N’ayant que des refus pour tout mon reconfort.
 
       15
Et quoy si la douleur qui jour & nuict me tient
 Me veut tousjours durer que feray je cruelle ?
 Et quoy si la doulleur qui mon ame bourrelle
 Tousjours de plus en plus vehemante devient ?
Comment si j’ay recours à vous dont elle vient
 N’en aurez vous pitié, dites moy ma rebelle ?
 Me consommerez vous jusques à la moüelle
 De ce feu que vostre œil violant m’entretient ?
Vraymant pour asseurer de vostre tyrannie
 D’avantage l’estat, s’il faut perdre ma vie,
 Je suis prest vous ayder à haster mon trespas.
Mais accordez aussi, à cela resolue
 Que vostre belle main ah de grace me tue,
 Et que mort à vos pieds je tombe entre vos bras.
 
       16
Plus ne triomphera de moy vostre jeunesse,
 Miserable payé de desdains de refus,
 Faites ce que voudrez, je ne m’en soucy plus,
 J’estime moins que vent toute vostre rudesse.
Vous ne me menerez plus desormais en lesse
 Comme le temps passé, pippé de vos abus,
 La rigueur qui souloit me rendre tout confus,
 Sera pour l’avenir ma joye & ma liesse.
Je vous conseille bien de ne m’espargner pas
 Si jamais vous pouvez me reprendre en vos las,
 Mais ne vous attendez que telle chose arrive.
Les liens qui tenoient serve ma liberrté
 Ne me semblent plus rien que de la vanité,
 Qui ne m’enchaineront jamais tant que je vive.
 
       17
Ah tant plus je m’amuse à contempler vos yeux
 Ordinaire sejour de l’enfant de Ciprine,
 Et plus je veux revoir vostre beauté divine,
 Et plus s’acroist en moy un mal contagieux.
L’on dit que l’Archerot qui surmonte les Dieux
 Et les hommes aussi porte sus son eschine
 Un carquois plain de traits, qu’il tire en la poitrine
 De ceux dont il se veut rendre victorieux,
Mais ses traicts n’auroient sceu envenimer mon ame
 D’un poison si ardant, que celluy qui l’enflamme,
 Le coup n’est point si grand je le scay bien d’un dard.
D’où m’est doncques venu ceste douleur cruelle ?
 (A je m’en resouviens) vostre clarté jumelle
 L’autre soir en joüant m’eslança un regard.
 
       18
Quant vostre œil mon Soleil l’honneur du firmament,
 Decocha dessus moy une flesche meurtriere,
 Mon ame sans delay se rendit prisonniere
 De toutes vos beautez du monde l’ornement.
Mais ma raison cuidant opiniastrement
 Soustenir les assauts de vostre main guerriere,
 Veoyant que vous estiez ja de mon cœur geoliere,
 S’enfuit loin de moy me quittant promptement.
Qu’eusse-je faict allors sinon tremblant de peur
 N’ayant plus de raison, ny d’ame, ny de cœur
 Mettre les armes bas soubs vostre obeyssance.
Sus vostre autel sacré je les appans aussi,
 Pour servir de trophee au courage endurcy
 De la divinité de vostre saincte essance.
 
       19
Le feu qui est espris en un gentil courage
 Par l’amour allumé dedans un brave cœur,
 Accroist de jour en jour d’autant plus son ardeur,
 Que l’on est esloigné du lieu de son servage.
Pour s’eclipser des yeux du celeste visage,
 De celle qui nourrist vivement sa chaleur,
 Ne diminue en rien de sa bruslante ardeur
 L’impetueux desir d’une amoureuse rage.
Une absence en amour, comme une goutte d’eau
 Jettee en un grand feu, rattize de nouveau
 Le souvenir qu’on a des beautez de sa Dame.
Moins on veoit le Soleil, plus il est desiré,
 Moins s’approche l’endroit auquel j’ay aspiré,
 Plus je sans les effects de ma cuisante flamme.
 
       20
Mon Dieu que je me hay de l’avoit tant aymee,
 Que je me veux de mal d’en avoir fait tel cas,
 Que tout le monde au pris ne m’estoit rien helas,
 Tant je l’avois au cœur vivement imprimee.
Mon Dieu que je me hay, que de ma destinee
 Et l’heur & le malheur estoit dedans ses las,
 Pendant qu’elle tenoit soubs les bouts du compas
 De sa legereté ma vie mesuree.
Mais je ne veux aymer desormais par raison,
 Que ce qu’avoit reduit mon cœur en un tizon,
 L’a transsubstantié en une froide glace.
Elle mesme m’ayant osté l’aveuglement,
 Qui m’avoit empesché veoir qu’un enchantement
 M’avoit fait prisonnier de l’argent de sa face.
 
       21
Riez tant que voudrez aux autres devant moy,
 Et liberallement faictes leur bonne chere,
 N’en soyez desormais qu’à moy seullement chere,
 Je n’en receveray pour cela nul esmoy.
Je me suis despestré de vostre inique loy,
 Loy de legerete & de toute misere,
 Ennuyé de servir vuide de mon salaire
 Un maistre à mes despans indigne de ma foy.
Mais vous n’eschapperez de cela impunie,
 Trop grand est le mesfaict, ô bons dieux je vous prie
 Que quelque jeune amant m’en face la raison.
Permettez qu’elle coure apres luy forcenee,
 Permettez qu’elle soit de luy tant desdaignee
 Qu’il ne veuille jamais luy donner guarison.
 
       22
J’ay veu que je craignois de la veoir courroucee,
 J’ay veu que je craignois son indignation,
 J’ay veu que je craignois, que de ma passion
 Mon importunité, la rendit offencee.
J’ay veu qu’en elle estoit, jour & nuict, ma pensee,
 J’ay veu que ne faisois qu’à elle oblation,
 Du service loyal de mon affection,
 J’ay veu qu’ell’ estoit seulle en mon ame prisee.
J’ay veu qu’eusse voulu pour ses beautez souffrir,
 Et de cent mille mors, mourir & remourir
 Si un quart d’heure ou moins elle m’eust fait la mine.
J’ay veu que je mettois en elle tout mon bien,
 J’ay veu que je n’aymois, autre nom que le sien,
 Mais tel aveuglement, sus moy plus ne domine.
 
       23
Je doubterois mon Dieu de ta divinité,
 J’entrerois en deffy, mesme de ta puissance,
 Si tu retardois plus à punir ceste offence,
 Qu’on me faict tous les jours contre toute equité.
Est-ce raison mon Dieu, qu’une dont la beauté
 A retenu mon cœur en son obeyssance,
 Idolatrant ses yeux, me donne en recompanse
 Tant de cruels travaux, que je n’ay merité.
Car plus elle cognoist que je l’ayme, & l’adore,
 Plus elle fuit de moy, & plus elle m’aborre
 Que je veux demeurer son fidelle vassal.
Mais la laisserez vous de cela impunie,
 Ne chastirez vous point sa dure tyrannie,
 Non, j’ayme mieux mourir qu’elle eust pour moy du mal.
 
       24
Quel honneur aurez vous de me laisser mourir ?
 Quel honneur aurez vous de m’estre si cruelle ?
 Quel honneur aurez vous pour vous sembler trop belle,
 Me laisser tant de maux diversement souffrir ?
Quel honneur aurez vous de ne me secourir !
 Veu que vous le pouvez vous rendant moins rebelle,
 Quoy ne pensez vous point que pour demeurer telle,
 Vostre condition pire en peut devenir.
Car l’on ne tiendra plus divine vostre essence,
 Au contraire on dira, que soubs belle apparence
 Vous ne servez qu’à nuire icy bas aux humains.
Des Dieux est secourable au monde la nature,
 Mais la vostre tousjours à moy se monstrant dure,
 Vous ne serez jamais mise au nombre des saints.
 
       25
J’avois mille fois eu de la quitter envie,
 Je m’estois resolu la laisser desormais,
 Je m’estois resolu me descharger du fais
 Que supporte mon cœur au hazard de ma vie.
J’avois ma volonté quasi toute assouvie,
 Et dedans mon cerveau jouyssois de la paix,
 Lors que sans y penser hier au soir de ses raiz
 L’ardeur me rembraza de plus grande furie.
Que ce tizon dernier de nouveau renflammé
 Est bien d’autre façon qu’il n’estoit allumé,
 Il n’y a plus moyen de le pouvoir esteindre.
Le miel de ses propos, ses gratieux soubsris,
 Ses attraits nompareils me tiennent si bien pris
 Que je ne puis jamais ma liberté rattaindre.
 
       26
Je ne m’y attans plus, & si ne le desire,
 Je ne m’y attans plus, ce seroit bien en vain,
 D’esperer de me veoir delivré de sa main,
 Et de la servitu de son superbe empire.
Chetive liberté de moy tu te retire,
 Sans que j’aye regret, or fuy t’en bien soudain
 Où voudras autre part en un pays loingtain,
 Je n’ay plaisir qu’au mal de mon secret martire.
Car ailleurs recevoir tout le doux traittement
 Que l’on peut desirer pour son contentement,
 Ne vaut je le sçay bien une de ses rudesses.
J’estime mille fois, & mille encore plus
 Un seul de ses desdains, un seul de ses refus,
 Que d’un autre en avoir mille douces caresses.
 
       27
J’ayme mieux mille fois d’elle estre mal traitté,
 Que d’un’ autre en avoir un bien plus favorable
 Ma prison mille fois ah m’est plus agreable,
 Que ne seroit de vivre ailleurs en liberté.
Des fers que dessus moy j’ay si long temps porté
 Le poix m’est gratieux, plaisant, & delectable,
 La foy qui me retient demeure inviolable
 Dans mon cœur qui ne peut changer de voulonté.
Qu’un autre amant n’eust fait à l’amour banqueroutte,
 Et à Madame avec, je n’en ay nulle doute
 Sans pouvoir endurer comme moy ses rigueurs.
Mais c’est peu que d’avoir mille peines pour elle,
 Quand je ne souffre point pour deesse si belle,
 J’ay cent fois plus de mal helas que quant je meurs.
Je corrige v.1 : " traittté ".
 
       28
Servir à mes despans sans nulle recompanse,
 Celle à qui j’ay mes vœux sacré si sainctement,
 Qu’autre que moy ne peut l’aymer plus ardamment,
 Ne me destourne point de ma perseverance.
Je ne recherche aussi nulle autre jouyssance,
 Je ne recherche aussi d’autre contentement,
 Que celluy que l’esprit permet honestement,
 Dont un chaste desir accorde la licence.
De ceste affection le feu est tant plus chaut
 Que le sujet en est plus honorable & hault,
 Et que rien vitieux ne loge en ma cervelle.
Je ne cognois aussi que sa divinité,
 Je ne voudrois aussi nulle autre privauté,
 Fors que m’estant perdu me retrouver en elle.
 
       29
Ne souhaitter jamais autre que sa beauté,
 Ne rechercher en tout qu’avoir sa bonne grace,
 Pour changer bien souvent d’une en une autre place
 N’estre que d’un desir tousjours mesme agité.
N’avoir pour tout object que sa divinité,
 Ne trouver rien de beau que l’argent de sa face,
 Ne se plaire autre part quelque chose qu’on face,
 Qu’à brusler dans le feu vif de sa chasteté.
N’avoir de pensement jamais en sa cervelle,
 Que de vouloir mourir à toute heure pour elle,
 N’adorant que ses yeux doucement rigoreux.
Sy c’est ne l’aymer point, ah vrayment je ne l’ayme.
 Mais si cela est signe aussi d’amour extreme,
 Il me faut confesser que j’en suis amoureux.
 
       30
Helas je le suis tant que je ne scaurois vivre,
 Helas je le suis tant que je ne peux durer,
 Je suis si amoureux que je ne fais qu’errer,
 S’il ne plaist à ses yeux si divins me conduire.
Des ennuis toutesfois que je souffre le pire,
 Et qu’elle n’en croit rien, quoy qu’en puisse jurer,
 Ce m’est grande faveur pour elle d’endurer.
 Mais ce m’est desplaisir tant de fois de luy dire,
Que je serois heureux si apres mon tourment
 Elle allegeoit ma peine au moins aucunement,
 Devenant quelque jour tant soit peu favorable.
Je ne doibs me promettre avoir jamais tel bien,
 Et me faut contenter donc qu’un si beau lien
 Ait retenu mon cœur en prison perdurable.
 
       31
Combien pour vous aymer j’ay enduré de maux,
 Combien pour vous aymer j’ay receu de traverses,
 Combien pour vous aymer de cruelles angoesses
 M’ont livré nuict & jour de violans assaux.
Combien pour vous aymer j’ay souffert de travaux,
 Combien pour vous aymer j’ay conceu de tristesses.
 Combien m’ont asservy vos chataigneres tresses
 Par les dars elancez de voz astres jumeaux.
Si j’en pouvois conter la centieme partie,
 Je suis tout asseuré ô ma dure Adrastie
 Que vous modereriez de pitié voz rigueurs.
Mais je diray plustost le nombre des estoiles,
 Et combien l’ocean tient sus son dos de voiles,
 Qu’exprimer seullement une de mes doulleurs.
 
       32
Vous cognoissez mon mal, car vous estes divine,
 Une divinité n’ignore jamais rien,
 Une divinité recognoist ce qu’est sien,
 Quoy qu’il soit recelé au fons d’une poitrine.
Ne me deniez plus donques la medecine
 Qui me peut guarentir, ne me niés tel bien,
 Ah de grace deesse estandant le lien
 Qui me tient enchesné, devenez moy benine.
L’on ne faict cas des Dieux que pour les biens qu’ils font,
 L’on ne faict cas des Dieux aucunement, s’ils n’ont
 Soin de tout ce qu’il touche à noz choses mortelles.
Voulez vous demeurer de leur condition ?
 Avancez prontement ma resurrection,
 Ou vous n’aurez de moy jamais plus de chandelles.
 
       33
Ah que je fais amour une espreuve certaine
 Des rigoreux effects de ton impieté,
 Tu me fais adorer devot une beauté
 Entre toutes cruelle, altiere, & inhumaine.
Tu fais qu’elle retient plus mon cœur à la gehenne
 Sans me donner relache en ma captivité,
 Qu’elle scait que je suis en toute humilité
 Serré dans les liens des rigueurs de sa chaine.
Bref je ne veoy rien beau que celle qui me hait,
 Et rien ce temps pendant ne luy semble si lait,
 Rien ne luy desplaist tant, las que moy miserable.
Ton empire se monstre en cella bien pervers,
 De mettre dans deux cœurs deux voulloirs si divers,
 T’esjouissant tousjours en chose dissemblable.
 
       34
Je ne veux plus aymer une jeune inconstance,
 Je ne veux plus aymer une legereté,
 Qui se tourne à tous vens, & de chaque costé
 Laisse piroueter son injuste balance.
Je ne veux plus aymer sans avoir recompanse,
 Privé de ce loyer que j’ay tant merité,
 Je suis las de me veoir en tel estat traitté,
 Qu’on me pippe d’honneur & de la conscience.
Ah que c’est bien à moy qu’on se doit excuser,
 Sus ses mots qui ne sont faitz que pour amuser,
 Ou les petits enfans ou quelque beste lourde.
Ah vrayment que c’est moy, que c’est moy volontiers
 Qu’on poyroit de cella, ce temps pendant qu’un tiers
 On oyt fort librement, & qu’on me fait la sourde.
 
       35
Ah ne me faittes point, non pour Dieu, bonne chere,
 Ah ne me faittes point, helas vous me perdez,
 Et tout autant de fois que vous me regardez
 Plus pitoyablement que vous ne souliez faire.
Si vous n’avez desir m’en vouloir satisfaire,
 N’usez en mon endroit d’artifices fardez,
 Achevez ma ruine, & plus ne retardez
 Le bien que de vous seulle & j’attens, & j’espere.
Or si tost que voz yeux m’eclairent un beau jour,
 Je me sens consommer au feu de vostre amour,
 Et ne crains de mourir, non pourveu qu’il vous plaise.
Mais quant d’un fier semblant, d’un mespris d’un desdain,
 Vous montrez contre moy un courage hautain,
 Je n’ay besoin d’autre eau pour esteindre ma braise.
 
       36
Que je meure plustost que jamais je t’oublie,
 Que je meure plustost que je sois sans t’aymer,
 Que j’abisme plustost au fin fons de la mer,
 Que mon ame ne soit tousjours de toy ramplie.
Que je meure plustost ô ma belle Adrastie,
 Que d’un fer l’estommac on me puisse entamer,
 Le jour qu’on me verroit estre sans t’estimer,
 Mille & mille fois plus que je ne fais ma vie.
Or combien que je sois doncques absant de toy,
 Si est-ce que jamais rien de toy je ne veoy,
 Rien que toy dans mon cœur jamais ne trouve place.
Rien que toy ne se peut loger en mon cerveau,
 Rien que toy ne me semble icy bas estre beau,
 Qui me faisant mourir, garde que je ne passe.
 
       37
Depuis que voz beaux yeux, les soleils de mon ame,
 Epandirent sur moy, de leur vive clarté
 Les rayons transpersans, je n’ay jamais esté
 Que tout plein de fureur, & que d’Enthusiasme.
Mais il ne m’a servy beauté que je reclame,
 D’invoquer chascun jour vostre divinité,
 Ayant santy l’effect de vostre cruauté,
 Tant plus je me suis plaint de l’ardeur de ma flamme.
Je me suis apperceu helas, il en appert,
 Que vous ayant monstré mon mal à decouvert,
 Vous n’en avez pas eu si tost la cognoissance.
Qu’au lieu de m’y donner quelque soulagement,
 Vous n’ayez inventé tousjours nouveau tourment,
 Pour me travailler plus en ma perseverance.
 
       38
Si un sainct de noz maux reçoit compassion,
 Lors que sus son autel honorons son image,
 Si lors que le prions de tout nostre courage,
 Il se laisse ebransler à nostre passion.
Si lors qu’il nous cognoist plus plains d’afliction,
 Il reçoit noz clameurs, quand devotz pour homage
 Luy presentons chandelle, asseuré tesmoignage
 De l’ardeur, du desir, de nostre affection.
Pourquoy ne flechis-tu belle vierge Adrastie
 Ton oreille à mes vœux, que j’appans & dedie,
 Sus ton autel sacré, ne se passant un jour.
Que devant ton tableau, ah ma saincte, ah ma vierge
 Je n’offre oblation de mon allumé cierge,
 Pour tesmoing de la foy de mon ardant amour.
 
       39
Helas combien de fois j’ay mis devotement,
 Les deux genoux en terre, adorant ta semblance,
 Helas combien de fois en toute reverance,
 Je me suis prosterné devant toy humblement.
Helas combien de fois, interieurement
 J’ay de jour & de nuict imploré ta puissance,
 Helas combien de fois, je t’ay fait mainte instance,
 D’alleger la douleur de mon apre tourment.
Si ce sont les moyens, par les bonnes prieres,
 De faire entendre aux saints, noz ennuis noz miseres,
 Et s’ilz sçavent par là nostre calamité,
Si la sachant aussi se monstrent pitoyables,
 Comm’on en faict souvent espreuves veritables,
 Que n’use tu vers moy de mesme charité ?
 
p. 2 [r°]
      STANCES.
       1
 Veoyez tous vrais amans, veoyez quel est mon mal,
Confessez librement, le vostre n’estre egal,
Et qu’un de vous ne brusle en flamme si ardente,
Je ne suis abbrevé que de larme, & de pleur,
De feux, & de soupirs se repaissant mon cœur,
Travaillé nuit & jour d’un ardeur violante.
 
       2
 Je suis assubjecty dessous une beauté,
Qui m’a dedans ses retz tellement arresté,
Que sous le joug cruel de ses loix plus severes,
Je sers à tous malheurs, de visee, & de but,
Du mal que je n’ay faict, luy payant pour tribut
L’usure, à cent pour cent par mille morts ameres.
 
       3
 Tout cella que l’on veoit en ce monde icy bas,
Prendre commencement, reçoit aussi trespas.
Tout ce qui a eu naistre, attant une ruine,
Mais du mal que je sens l’ardante passion,
Accroist de jour en jour son inflammation,
Sans qu’à son periode aucunement incline.
 
       4
 Je veoy toute douleur recevoir quelque fin,
Je cognois que le temps luy sert de medecin
Les cieux tournant tous-jours, font par leur influance
Des choses des mortelz, un divers changement,
Mais il avient à moy helas, tout autrement,
Mon mal ne recevant jamais nulle allegeance.
 
       5
Ceux qui sont enfermez, dans le fons d’une tour,
Privez entierement de la clarté du jour,
Encore esperent ils d’en revoir la lumiere,
Mais dedans ma prison, je suis si mal traitté,
Que d’espoir d’aucun bien, ne peux estre flatté,
Veu les rigueurs, dont use envers moy ma Geoliere.
 
       6
 Celluy qui à la guerre est vaincu, sur la mer
Forsaire detenu d’une chaine de fer,
S’attant qu’en bien servant il aura delivrance,
Le laboureur au soir se promet du repos,
Mais quant le soir aproche ah je sens dans mes os,
S’enflammer ma douleur dont je pers patiance.
 
       7
 Si tost que le matin le ciel devient vermeil,
Quant je montre à mes yeux un clair luisant soleil,
Je n’ay soulagement pour cela de ma peine.
Tout autant que je veoy dedans l’ær de couleurs,
Tout autant il me semble estre d’apres rigueurs,
Dont bourelle mon cœur ma cruelle inhumaine.
Je corrige v.4 : lær
 
       8
 Je hay la compagnee, & les lieux plus cachez
Des plus espaix desertz, sont de moy recherchez,
Je me desplais de tout, rien ne m’est agreable,
Mais c’est où je reçoy un plus grand deplaisir,
Y veoyant les oyseaux de leurs amours jouir,
Et madame jamais ne m’estre favorable.
 
       9
 Ah que ne m’y survient quelque monstre hideux,
Qui accourant à moy enragé furieux,
Ne me prenne à mercy, que sa faim assouvie
Ne soit dans mes pommons enyvré de mon sang,
Et que m’ayant ouvert & l’un & l’autre flanc,
Il ne m’en ayt mis hors & l’amour & la vie.
 
       10
 Exposé je me suis à tels hazars cent fois,
Dedans le plus proffont des plus ecartez boys,
Pour y rassasier les plus cruelles feres,
Mais au lieu de les veoir courir encontre moy,
Elles se sont souvant arrestees tout quoy,
De pitié qu’elles avoient d’entendre mes miseres.
Ce dernier vers, comme l’indique la graphie du 12, v.5 (" Ell’ ont "), est bien un alexandrin.
 
       11
 Les rochers mesmement de mes cruels travaux
Esmeuz asses de fois, ont tesmoigné mes maux,
Arrousant de leurs pleurs les vallees prochaines
Et les antres obscurs, par leurs souspirs ardans
Ont faict paroir le deuil qu’ils avoient au dedans,
De me veoir endurer tant de cruelles peines.
 
       12
 Les hautaines forestz, par leur verde couleur
Ont tasché de donner quelque espoir à mon cœur,
En l’Avril verdissant, des saisons printanieres,
Mais veoyant mon malheur tousjours continuer,
Ell’ ont leur gayeté voulu soudain muer,
Se depoullant du tout de leurs robes premieres.
Je corrige v.3 : " saissons "
 
       13
 Bref il ne s’est trouvé quel qu’il soit animal,
Tant farouche soit il, qui n’ayt pleuré mon mal,
Les echo en ont faict en plus d’une campaigne
Resonner apres moy, mes cris bien hautement,
Et l’halaine des vens soufflee orriblement,
A montré ressantir l’ennuy qui m’acompaigne.
 
       14
 La Royne de mon cœur, seule en tout l’univers,
Seule dis-je a bouché son aureille à mes vers,
Et en sa cruauté (ce qu’ore plus m’affolle)
C’est quelle fuit de moy, quand j’en veux aprocher,
Plus viste qu’un esquif, n’eslongne du rocher,
Ne me permettant pas seullement la parolle.
 
       15
 Si j’ay quelque fois d’elle obtenu le congé,
De luy conter le soin, qui m’a le cœur rongé
Despuis un si long temps, pour l’avoir veu trop belle,
Plus luy veux asseurer que je veux mourir sien,
Plus elle me respond, ah qu’elle n’en croit rien,
Ne suis-je pas heureux servir maitresse telle ?
 
       16
 Si je veux prolonger à l’heure mon discours,
Il se presente à moy, tant de sorte d’amours,
Et de brulans desirs, qui troublent mon courage,
Que ne sachant desquelz parler premierement,
Je demeure sans voix, & langue mesmement,
Tant la grand quantité m’etouppe le passage.
Je corrige v.6 : " pessage ".
 
       I7
 Si revenant à moy peu à peu, mes espris,
Je viens à luy conter, comment je fu surpris,
Et combien ses beaux yeux me donnent de martire :
Je n’ay autre confort en mon cœur douloureux,
Si non que si j’estois ce dit elle amoureux,
Je ne le pourrois pas si facillement dire.
 
       18
 Je ne sçay plus allors, quell’ emplastre apliquer
Sur mon mal violant, si je veux repliquer
J’empire ma douleur, qui s’aigrist d’avantage.
Elle n’en faict que rire, ou prent party ailleurs.
Autre que moy peut il porter tant de rigueurs,
Et n’estant point aymé demeurer en servage ?
 
       19
 Je dy lors en moy-mesme, en mon esprit confus,
Cuidant le soulager, que je ne l’ayme plus :
Mais c’est lors que je sens, de plus grande furie,
La douleur de ce mal, qui me consomme & pert,
D’autant plus asprement que je le tiens couvert,
Me brusler au desir de mon idolatrie.
 
       20
 O soupirs les tesmoins de mes cruels travaux,
Qui la nuict & le jour me livrez tant d’assauts,
Du mal que je patis, donnez luy cognoissance,
Imprimez dans son cœur ma ferme affection,
Luy remonstrant au moins pour quelle occasion,
Vous sortez si frequens, & en telle abondance.
 
       21
 Et vous desirs cuisans, hostes de mon cerveau
Qui faites de mes yeux escouler un ruisseau,
Par le ressentiment de ma douleur amere :
Permettez moy d’avoir à mes pleurs mon recours,
Qui ne me deniront au besoin ce secours,
De tesmoigner mon mal à ma belle adversaire.
 
       22
 Et luy monstrer depuis que je vey ses beaux yeux,
Yeux, qui de leur lumiere embelliroient les cieux,
Et que mon cœur reduit fut dessoubs sa cordelle :
Je n’ay eu que soucy, pour fidel compagnon,
De mes fascheuses nuicts, & de jour autre non
Fors le sien n’a logé jamais dans ma cervelle.
 
       23
 Je n’ay sceu adorer que sa divinité,
Mon œil n’a recogneu despuis autre beauté,
Ma bouche n’anonçant sinon que ses merveilles,
Ell’ a de mon cœur eu seulle l’oblation,
Seulle l’offerte entiere : & sa perfection
De son los a remply seullement mes aureilles.
 
       24
 Paintres qui travaillez d’un delicat pinceau,
D’essayer d’imiter ce qu’ell’ a de plus beau,
Vostre peine inutille est bien mal employee.
Voulez vous veoir au vif representez ses traits
Ouvrez mon estommac, ils y sont tous pourtraits,
Engravez du burin de sa premiere Idee.
 
       25
 Vous pourrez rapporter ce blanc qui sus son front,
Aux neiges de l’hyver fait en tout temps affront,
Et ce teint qui aux lis & aux roses ressemble.
Je ne doute non plus de ce coral jumeau,
Qu’il ne soit imité par vous en un tableau,
Mais avec sa beauté non sa rigueur ensemble.
Je corrige v.5 : " par veus "
 
       26
 Comment pourriez vous bien avecques vos couleurs,
Representer au vif ses plus aspres rigueurs,
Veu que par le dehors elles n’ont d’apparance.
Le sentiment en donne une certaine foy,
Et preuve seullement tressuffisante, à moy
Qui en fais à mon dam trop vraye experience.
 
       27
 Je scay asseurement, qu’un autre sans mourir
Ne scauroit comme moy tant de peines souffrir,
Nul autre aussi que moy ne la juge si belle,
Nul autre aussi que moy ne la peut tant aymer,
Nul autre ne la peut tant que moy estimer,
Nul autre ne sçauroit luy estre si fidelle.
 
       28
 Je creve, je despite, en ma fidelité,
De me veoir toutesfois si rudement traitté.
Et en tel accident ce qu’ore plus me matte,
C’est qu’incertain je suis, comment croire je doy,
Qu’un autre patient puisse estre autant que moy,
Si Madame luy est ainsi qu’à moy ingratte.
 
       29
 Si nul autre n’en a plus que moy de faveur,
Encor plus aysement je souffre sa rigueur,
Que si ell’ luy estoit plus qu’à moy pitoyable :
Car de ce que prestands de ma ferme amitié,
Si un tiers me couppoit l’herbe dessoubs le pié,
Ce mal là me seroit du tout insupportable.
 
       30
 Les Monarques, les Roys, comme les amoureux,
Ne desirent jamais de compagnons entr’eux,
Les uns veullent tous seuls, avoir l’obeyssance
Du peuple tributaire à leur devotion,
Et les autres aussi, de leur affection
Cherchent d’avoir tous seuls l’entiere jouyssance.
 
       31
 L’amour comme je croy, à quelques uns plus doux
Qu’il n’est en mon endroict, m’a rendu si jaloux
Que j’ay soupçon de tout, de tout je me deffie,
Je suis tousjours en peur, & si je ne crains rien,
Je recherche mon mal, je desire mon bien,
Et en moy seullement helas je ne me fie.
 
       32
 Je crains aucunesfois, qu’il descende des cieux
En terre parmy nous quelqu’un des plus grands Dieux,
Assotté des beautez de ma fiere Maistresse :
Je crains qu’en luy offrant le meilleur de son cœur,
Il ne reçoive aussi le fruict de mon labeur,
Et ne me la desrobbe en la faisant deesse.
 
       33
 Mais plus que tout cela, je crains bien plus encor
De ne pouvoir jamais posseder ce thresor,
Ce thresor l’ornement du monde & la parure :
Ce thresor sans lequel, je ne veoyrois rien fait
Qui ne fut & commun, & vile, & imparfait,
C’est aussi le chef d’œuvre accomply de nature.
 
       34
 Or je crains tout cela, & si ne le crains pas,
Je desire de vivre, & cherche mon trespas,
Je suis tousjours en feu, & d’une froide glace,
Mon cœur est entourné, d’un millier de desirs,
La joye en mon tourment, les deuils sont mes plaisirs.
Et voyageant bien loing, ne bouge d’une place.
 
       35
 Je desdaigne souvent ce qu’aussitost je veux,
Je fais honneur au jour, qui de cent & cent neux
Me lia dans ses rets, sa tresse chataigniere.
J’aborre aussi soudain ma prison, & mes fers,
Et blasmant le sujet de mes desolez vers,
Rien que la liberté ne me semble contraire.
 
       36
 Les plaintes, les souspirs, les pleurs, & les lamans
Dont se sçavent masquer tous les autres amans,
Pour mollir la durté de leurs cruelles dames,
Ne sont que couverture, et toute fiction
Pour desguiser le fart de leur affection,
Mais mon feu se cognoist à mes bruslantes flammes.
 
       37
 Ah Dieu que j’ay de peine à mon mal desguiser,
Allors qu’avecques moy quelqu’un vient deviser,
Car on diroit à veoir ma gaye contenance
Que j’ay l’esprit contant, paroissant tout joyeux :
Je trompe ainsi par art, comme je peux les yeux
(Mais avec quel travail ?) de toute une assistance.
 
       38
 Il est vray qu’à la fin mon feu trop recelé,
D’un desrobbé souspir est souvent decelé,
Matiere à mes amis, de faire prompte enqueste
Qui en est le motif, & qui l’occasion,
Je ne peu plus allors cacher ma passion,
Ny le pesant martel qui m’accable la teste.
 
       39
 Non pourtant jusques là, que je sois indiscret
De leur en confesser purement le secret,
Je leur forge plustost dans l’air quelque chimere,
Dont leur dis provenir la cause de mon dueil,
Aymant mieux faire ainsi qu’acuser ce bel œil
Cruel, ingrat, felon, auteur de ma misere.
Je corrige v.6 : " autour "
 
       40
 Chacun de mes amis s’approchant lors de moy,
Me vient offrir soudain pour oster mon esmoy,
Ses biens entierement, & qui plus est sa vie :
Ah Dieu que d’importuns, qui ne cognoissent pas
Que leur vie, & leurs biens, ne me sçauroient helas
Alleger la douleur, qui mon ame a ravie.
 
       41
 Las que ce m’est d’ennuy, quand je veoy acourir
Tous ces fascheux à moy qui pour me secourir
Demandent de mon mal la cause & l’origine :
Ils me tastent le poux d’un assiduel soing,
Et bien mal advisez, disent que j’ay besoing
De me faire seigner & prendre medecine.
 
       42
 Vrayment j’en ay besoing, ils disent verité,
Car la fiebvre que j’ay m’a tellement matté,
Que je n’ay plus de goust, & tout me semble fade :
Je n’ay ny jour, ny nuict, jamais aucun repos,
Et peut on aysement juger à mes propos,
Que je ne contrefais nullement le malade.
 
       43
 Mais le pis que j’y veoye, ils ne peuvent trouver
Aucun medicament, qui me puisse sauver,
Des accidans nouveaux survenus en ma crize :
Je me juge moy-mesme, & cognois bien ma mort,
Je cognois ma meurtriere, & si cognois le tort
Quell’ a de n’amortir le feu qu’elle m’attize.
 
       44
 Je cognois les brandons du feu qui m’a recuit,
Je cognois bien les yeux qui m’ont ainsi reduit,
Je cognois qu’en ce monde ils servent de lumiere,
Je cognois que je meurs helas pour les aymer,
Je cognois que mon mal est d’autant plus amer
Qu’elle ne les fleschit jamais à ma priere.
 
       45
 Je suis donc resolu, laisser passer le cours,
Ainsi comme il luy plaist, de mes fortunez jours.
Je suis donc resolu d’abandonner ma vie :
Un tel acte à plusieurs semblera peu humain,
Mais je suis trop heureux, qu’une si belle main
Rende ma destinee en la servant finie.
 
       46
 Ceux qui arriveront où sera mon tombeau,
Y trouveront escrit ce quatrain tout nouveau.
Celluy qui gist icy, d’une chaste poitrine
Adorant les beautez d’une qui n’eut pitié,
Du service loyal de sa saincte amitié,
Fut consommé au feu de sa flamme divine
 
   Fin des Amours d’Adrastie.
 

©Université de Poitiers
29 octobre 1999