Nicolas Durant, L’estrille de Nicolas Durant, dict le Chevallier de Villegaignon, slnd, 1561

Transcription d’après l’exemplaire de la Médiathèque François-Mitterand, Poitiers D1774
Publié le 26 novembre 1999
© Université de Poitiers
Transcription et version html : Pierre Martin


L'estrille, de Nicolas Durant, dict le Chevallier de Villegaignon

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M.D.L.X.I.

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NOSTRE temps porte qu'on voit beaucoup de choses bonnes, ou mauvaises : mais sur tout, il doit fascher à gens de bon jugement, & aimans droiture, que tant de petis badinages s'impriment, lesquels ne tendent qu'à obscurcir la clarté en plein midi. Je ne parle point de tant de livres de Caphards, qui ont leur langue à loage, pour desgorger leur blaspheme, & convertir le blanc en noir, selon qu'ils pensent gratifier à leurs maistres, qui les payent. Je laisse mesme pour le present le venerable Catechisme de Reims, auquel la nouvelle Faculté s'est monstrée tant habile, que les petis enfans seront juges de sa sotise. Mais d'autant qu'ils ne sont pas dignes que Dieu ouvre la bouche de ceux qui alaittent pour les condamner, attendons qu'il les face si bien heurter, comme Madianites, que Paris & Reims se rendent confus d'eux-mesmes. Je parle icy seulement de ces menus badinages, dont quelques esventez, fantastiques, affamez, ou ens du tout phrenetiques fas-

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chent le monde. C'est merveille, que gens de nulle valeur, osent si impudemment descouvrir leur honte, sinon qu'il faut que le proverbe ancien s'accomplisse, qu'il n'y a hardiesse que de fols & ignorans. Mais encore est-ce chose lamentable, que telles ordures soient souffertes. Seulement la source est à noter, que s'il y a des povres sots qui soient trompez par simplesse, beaucoup de plus fins, qui ne s'en font que moquer, sont bien aises de voir quelque confusion, qui empesche que la verité de Dieu n'ait son cours. Quant à moy, je mesprise tellement ces fatras, qu'il me semble que tels babouins, qui se meslent d'estre advocats de la Papauté, empirent la cause qu'ils ont prinse à defendre, voire à nostre avantage. Tellement que si j'avoye bonne bourse, je souffriroye d'estre condamné à les payer de leurs gages. Mais pource que beaucoup de bonnes gens sont marris & angoissez, de ce qu'on ne rembarre point tels vileins, je suis quelquefois contraint de remuer les ordures, dont il me semble

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que la punaisie ne peut nuire, sinon à ceux qui s'en veulent abbruver à leur escient. Je di ceci à cause de quelque escrit faict par un quidam maistre Nicolas Durant, qui se nomme Chevallier Villegaignon, lequel il a composé & fait publier contre une certaine Remonstrance faicte à la Roine mere. Je proteste que l'autheur duquel il parle m'est incognu, mesme que je n'ay pas leu le livre : mais sans plus longue dispute, je conclu par bons principes & raisons suffisantes, que Villegaignon sera tousjours ennemi des gens de bien, & combattra contre ce que tout le monde cognoist estre juste & equitable.

Cest la façon de telles gens. Car outre ce qu'il est d'une nature barbare & Cyclopique, (comme on appelle) il a des cornes de lune qui l'ont picqué en telle phrenesie, que son audace l'a rendu effronté : & sur tout de ce qu'estant un povre affamé, il desiroit de se monstrer, & se faire valoir, ne sachant comment. Car combien qu'il cuidast qu'il y eust dequoy, personne ne l'en a

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voulu croire. Pour deschiffrer sa vie, il faudroit faire un long registre : & j'aime mieux laisser cela à d'autres, qui luy testonneront si bien sa hure, qu'il ne luy restera plus sinon de s'enferrer comme un sanglier du tout enragé. J'ay pensé cependant qu'il ne seroit pas mauvais, de descouvrir par un mot d'avertissement quel deshonneur il fait tant à Dieu que aux Princes, desquels il fait semblant maintenir la querele. Toutesfois afin qu'il ne me soit pas imputé a temerité ou inconsideration, de parler d'une matiere a moy incognue, je diray ce mot en passant, que mon intention n'est pas (comme les lecteurs le pourront veoir) de disputer du contenu du livre, auquel Villegaignon fait la guerre. Combien que je pense qu'il ne peut estre que bon & sainct, puis qu'il a un tel ennemi & contredisant. Mais encore il est aisé de recueillir le sommaire de ce que Villegaignon en dit. Je ne doute pas que ce babouin n'ait laissé le bien qui en pouvoit estre extrait, ne le pouvant reciter qu'à sa honte. Mais de tout ce qu'il ga-

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zouille ou abbaye, on ne peut recueillir, touchant la doctrine qu'il fait semblant de tenir en la religion, sinon qu'on ne peut estre baptizé sans estre salé, & qu'on ne peut communiquer au corps de Jesus christ, sinon en le mengeant à belles dents : ni a son sang, qu'il ne passe par le gosier. Voyons comment il prouve son dire. C'est qu'il a beaucoup estudié. Il faut penser qu'il est Pythagorique, & que son ame a changé de corps : car depuis cinquante ans qu'il est apparu au monde, il ne trouvera nul tesmoin de sa vanterie. Je luy donne un grand poinct gaigné, qu'il est d'une secte ancienne de Philosophes, sinon qu'il aimast tant a manger de la chair, ce qui estoit defendu en la regle de Pythagoras. Apres il s'arme d'authorité, & dit que le Roy Clovis n'a pas esté baptizé sans sel. Je m'esbahi comment il a passé la mer pour tracasser en un nouveau monde, & en retourner si fade. On diroit que ceste mer-la n'est point salee. Cependant pour tout brouiller, il mesle le sacre du Roy parmi le chres

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me dont on use au baptesme. Or ce povre badin, & ne fust-ce qu'en ce poinct, monstre combien il est estourdy, outre l'ignorance des histoires. Car on ne trouvera point d'Ampolle devant le Roy Pepin, comme chascun sçait. Voyla pour monstrer que le Baptesme est nul sans sel, & par consequent que tous les Apostres & Disciples de nostre Seigneur Jesus Christ n'ont jamais esté baptizez, ne ceux qui ont receu le Baptesme par leurs mains. Car du temps que la pureté de l'Evangile est demeuree, jamais on n'a sçeu que le sel deust estre appliqué à cest usage de baptizer. Passons outre. Il dit que si le corps de Jesus-Christ n'est mangé, non point par la vertu du sainct Esprit, mais aussi lourdement que les povres idolatre[s] l'imaginent, il n'y a plus ne foy ne Chrestienté. Pour preuve, il dit que la doctrine de Calvin, qui est, que par la vertu incomprehensible du S. Esprit nous sommes vrayement participans du corps & du sang de Jesus-Christ, induit les hommes à estre Epicuriens. Il luy fault pardon-

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ner, veu qu'il a deux raisons pour parler ainsi. L'une est, qu'il voudroit bien acquerir reputation de croire en Dieu : l'autre, qu'il a voulu finement prevenir ce qu'on luy povoit objecter. Car que pourra maintenant dire Calvin, ne tous ceux qui sont de son parti ? Ils n'oseroient jamais reprocher à Villegaignon, qu'il est tel qu'il est : c'est à dire un gros taureau, qui hurte des cornes contre le ciel, n'ayant ne loy ne religion. Mais que Calvin, & tous ceux qui s'accordent avec luy se taisent, ils sont par trop cognus, afin de ne point craindre d'estre degradez par l'abbay d'un chien. Et en cela voit on comment ce vilein est mis en sens reprouvé, cuidant avoir quelque gravité pour estre ouy entre gens de sens rassis, & parlant de telles gens. Mais encor on diroit qu'il est quelque Socratique plein d'austerité, reprochant à Calvin qu'il n'a trouvé meilleur expedient de mener vie dissolue, que d'enseigner que nous communiquons spirituellement au corps & au sang de JesusChrist. Or s'il avoit une seule petite goute d'esprit, il

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verroit bien que la doctrine à laquelle il repugne si fort, est pour esveiller les hommes, & leur monstrer qu'ils n'ont ne part ne portion à Jesus Christ, s'ils ne sont conjoints à Dieu en pureté de conscience, & integrité de vie. Qu'est ce que Villegaignon propose ? C'est que le pain consacré en la Cene n'est plus pain, mais la chair de Jesus Christ, qu'on avalle en son ventre, voire tant mauvais que bons, & Judas tout ainsi que sainct Pierre. Calvin declare par tous ses livres que Jesus Christ nous offre sous le pain & sous le vin, son corps & son sang, en nourriture de nos ames : & comme il est la verité infaillible, qu'il ne nous amuse point à figures vaines, ains accomplit par effect ce qu'il signifie. Par ainsi que sa chair nous est vrayement viande, & son sang bruvage : moyennant que ce poinct soit resolu, que Jesus Christ, quant à son humanité, ne descend pas du ciel, mais nous nourrit de sa substance, par la vertu secrette de son Esprit, laquelle nous devons adorer, eslevans nos coeurs en haut avec re-

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verence & admiration. Il ne faut point d'autre pierre pour chasser ce chien mastin. En quoy on voit que c'est quasi peine perdue de le redarguer d'un seul mot. Il faut venir à deux autres pilliers, sur lesquels il s'appuye. L'un est, qu'il reitere souvent que sa partie adverse est un belistre, veu qu'il s'est nommé advocat des belistres. Or jusqu'à ce que Villegaignon nous eust prononcé son arrest, on a tousjours tenu à grande vertu, de soustenir les povres affligez, miserables, rejettez de chacun. Et quant gens excellens ont secouru les petis & les plus mesprisez, on les a tant plus louez. C'est merveille qu'un homme qui a tant estudié, ne sache que c'est des figures qu'on monstre aux petis enfans entre les rudimens : entre lesquelles est ceste cy, qu'il n'a peu du tout gouster : C'est que pour acquerir saveur & misericorde à la partie qu'on defend, on met en avant la povreté qui doit esmouvoir à compassion. Et tel est le style du sainct Esprit parlant par la bouche de David, quand il dit : Bien heureux est l'homme

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qui juge prudemment du povre affligé & abatu. Mais qu'on luy pardonne ceste bestise, faloit-il conclure qu'un homme qui fait aumosne soit belistre ? Que dirons-nous donc de celuy qui prend à vitupere ce que les payens & toute l'Eglise de Dieu ont tousjours jugé estre louable ? Mais je vouldroye bien sçavoir si cest advocat auquel il s'attache, a jamais belistré vers luy, Cependant, combien que je ne sonne mot, chacun sçait que Villegaigon est belistre de toutes cuisines. Et de faict, un si grand corps n'ayant que frire, cherchera par tout à se farcir. Mais puis apres, voyant que ce propos seroit ridicule, se veut fonder en raison plus apparente : C'est que si sa partie adverse est advocat des belistres, il fault donc conclure qu'il s'oppose & se formalise contre les Rois & Princes & les plus honorables. Voicy un grand coup de marteau. Car c'est pour esmouvoir toutes les hautesses, dignitez & seigneuries du monde contre les povres gens qui desirent de vivre selon la simplicité de l'Evangile pour estre

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vrais disciples de Jesus-Christ. Mais tout cela s'esvanouit par un seul mot, quand on remonstre que Jesus-Christ exhorte les Rois & les Princes qui luy sont contraires à venir baiser sa main, en signe d'hommage. De deduire cest argument plus au long, il seroit superflu. Et aussi ceste beste n'est pas digne qu'on s'amuse beaucoup à luy respondre. Seulement je prendray sa conclusion, qui est d'un homme Anabaptiste, seditieux, phrenetique, & du tout insensé : C'est.qu'il ne faut point obeir à un Roy infidele. Or ceux lesquels il pretend de rendre detestables, ont cecy entre les principes de foy, qu'il faut obeir & se rendre subjets à Rois, Princes, & superieurs, quels qu'ils soyent, portans mesmes joug de tyrannie, quand on seroit iniquement affligé : voire non seulement pour crainte de punition, mais que la conscience est astrainte à tel devoir par le commandement de Dieu. Villegaignon declare à l'opposite qu'on doit rejetter tous Princes infideles, & que les subjets ne sont obligez à superieurs

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quelconques, lesquels ne s'acquittent point de leur office.S'il y avoit bonne justice en France, ce seul mot sans contredit meriteroit le gibet. Et ce pendant c'est effronté s'adresse à la Royne mere pour acquerir credit à ses vanteries, ne regardant pas qu'elle n'est point si despourveüe de prudence que de se laisser befler à de tels basteleurs : & sur tout, de souffrir qu'un barbare, sous ombre qu'il a fait de l'homme sauvage, s'efforce d'arracher la couronne royale de la teste de son fils : seulement à ce titre, que les subjets desireront d'estre reformez à la pure doctrine de l'Evangile, & s'exempter des superstitions qui ont aujourd'huy la vogue. Ceux qui sont diffamez d'heresie, ou de schisme, protestent, & monstrent de faict, combien qu'il ne leur soit point permis de Dieu, d'adherer à la religion receüe par leur prince, toutesfois qu'ils luy serviront en toute humilité à vivre & à mourir. Villegaignon dresse la baniere, disant que s'il y a quelque different en la religion, les subjects sont quit-

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tes de tout devoir d'obeissance. Voyla comment le Roy est bien servi à Lion de ses officiers, qui donnent congé d'imprimer telz livres, pour bien complaire aux venerables Comtes de sainct Jehan. Possible que c'est en faveur du nom de Chevalier, dont Villegaignon s'est taudi pour estonner ceux qui ne le cognoissoyent pas. Quoy qu'il en soit, je pense bien que la Roine-mere, quelque liberale qu'elle soit, ne sera pas si mal-advisee, de recompenser un tel babouin, qui merite pour le moins d'avoir son saoul d'estrivieres sur ses larges espaules, & plustost le gibet, si on usoit de rigueur de justice envers luy. Il y a un poinct notable, qui ne doit pas estre omis, comme Villegaignon l'a mis le premier en sa preface : c'est qu'il a supplié la Roine mere de faire venir Calvin & tous ses adherens, s'offrant de disputer contre eux : & en cas qu'ils fussent vaincus, qu'ils s'en allassent impunis, & que luy, s'il succomboit, fust puni à l'extremité. Voire-mais, s'il est si grand zelateur, que ne

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va-il à Geneve, ou il auroit liberté de parler ? Car s'estant trouvé superieur, il auroit à triompher, comme s'il avoit restauré toute la Papauté. S'il n'estoit si sot, il pourroit faire rire beaucoup de gens : mais il est si punais par faute de sel, que gens de moyen esprit ne daignent se moquer de luy. Voyla qui me fera restraindre, de peur que si je mettoye peine à le rembarrer, on ne me condamnast d'avoir si mal employé le temps. S'il n'estoit si inepte, je l'eusse traité selon sa dignité : car je ne craindroye pas qu'il montast sur ses grans chevaux, n'ayant pas trois sols pour faire quarreler les semeles de ses souliers.

FIN.