Pierre de Ronsard, Le Tombeau de Marguerite de Navarre, Livre V des Odes de 1550, 1552

Le tombeau de Marguerite de Valois Royne de Navarre. Faict premierement en Disticques Latins par les trois Sœurs Princesses en Angleterre. Depuis traduictz en Grec, Italien, & François par plusieurs des excellentz Poëtes de la France. Avecques plusieurs Odes, Hymnes, Cantiques, Epitaphes, sur le mesme subject, Paris : De l’imprimerie de Michel Fezandat, & Robert GranJon, 1550
Transcription d’après l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France BnF Rés Ye 1633
Publié le 24 avril 2002
© Université de Poitiers, © Université François-Rabelais de Tours
Transcription et révision : Marie-Luce Demonet


[RONSARD: ODES DE 1550-1552]

LIVRE V: TOMBEAU DE MARGUERITE DE VALOIS



LE
TOMBEAU
DE MARGUERITE DE VA-
LOIS ROYNE DE NAVARRE.

Faict premierement en Disticques Latins par les trois Sœurs
Princesses en Angleterre. Depuis traduictz en Grec, Italien,
& François par plusieurs des excellentz Poëtes de la France.

Avecques plusieurs Odes,  Hymnes, Cantiques, Epi-
Taphes, sur le mesme subject.

[marque de l’imprimeur NI LA MORT
NI LE VENIN
Ex libris J. Versoris]

A Paris,
De l’imprimerie de Michel Fezandat, & Robert GranJon
au mont S.  Hilaire à l’enseigne des Grans Jons, & au Palais
en la boutique de Vincent Sertenas.

1551.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.



[A 5 r°]

Aux trois Sœurs, Anne, Marguerite, Jane de Sey-
Mour, Princesses Angloi-
Ses, Ode par Pierre de
Ronsard Vandomois.

Le Conte d'Alsinois au Lecteur.
Amy Lecteur, je t'ay bien voulu faire quelques petites annotations sur
les Odes de Ronsard, te promettant continuer à l’advenir sur toutes ses oeuvres,
affin de te soulagier de peine : j'entens à toi qui n'as encor long temps versé à la lecon des Poëtes.

Quand les filles d'Achelois,
La fable Secilienne,
Qui foullerent de leurs voix
La douceur Hymettienne
Virent jaunir la toison,
Et les Soudards de Jason
Ramer la Barque parlante
Pres de leur gyron volante :

Elles d'ordre flanc à flanc
Oisives au front des ondes,
D'un peigne d'yvoire blanc
Friserent leurs tresses blondes,

[A 5 v°]

Et mignotant de leurs yeux
Les attraiz delicieux,
D'une oeillade languissante
Guetterent la Nef passante.

Puis soupireront un chant
De leurs gorges nompareilles,
Par douce force allechant
Les plus gaillardes oreilles,
Affin que le son pippeur
Fraudast l'honneste labeur
Des Heroës de la Grece
Amorçéz de leur caresse.

Ja ces Demydieux estoient
Prestz de turnber en servage,
Et ja dontéz se jettoient
Dans la prison du rivage :
Sans Orphée, qui soudain
Prenant son luc en la main,
Opposé contre elles joüe
Loing des autres, sur la proüe :

Affin que le contreson
De sa repoussante lyre
Perdist au vent leur chanson
Premier qu'entrer au Navire,

[A 6 r°]

Et qu'il tirast du danger
Ce jeune peuple estranger,
Qui devoit par la Lybie
Porter sa mere affoiblie.

Mais si le Harpeur fameux
Ouyoit le luc des Serenes
Qui sonne aux bordz écumeux
Sur les Angloises arenes :
Son luc payen il fendroit,
Et disciple se rendroit
Dessous leur chanson Chrestienne
Dont la voix passe la sienne.

Car luy enflé de vains motz,
Devisoit a-l'avanture,
Ou des membres du Chaos,
Ou du sein de la nature :
Mais ces Vierges chantent mieux
Le vray Manouvrier des cieux,
Nostre demeure éternelle,
Et ceulx qui vivent en elle.

Las, ce qu'on voit de mondain
Jamais ferme ne se fonde,
Ains fuit & refuit soudain
Comme le branle d'une onde,

[A 6 v°]

Qui ne cesse de rouller,
De s'avançer & couller,
Tant que rampant il arrive
D'un grand heurt contre sa rive :

La Science au paravant
Si long temps orientale,
Peu à peu marchant avant
S'apparoist occidentale :
Et sans jamais se borner
Ell' n'a cessé de tourner,
Tant qu'elle soit parvenue
A l'autre rive incognue.

Là, de son grave souci
Vint affoller le courage
De ces trois Vierges icy,
Les trois seules de nostre aage :
Et si-bien les sçeut tenter,
Qu'ores on les oit chanter
Maint vers jumeau qui surmonte
Les nostres rouges de honte.

Par vous, Vierges de renom,
Vrais peintres de la Memoire,
Des aultres vierges le nom
Sera cler en vostrc gloire.

[A 7 r°]

Et puis que le ciel benin
Au doux sexe feminin
Fait naistre chose si rare
D'un lieu jadis tant barbare.

Denisot se vante heuré
D'avoir oublyé sa terre
Quelquesfois, & demeuré
Trois ans en vostre Angleterre,
De pres voyant le Soleil
Quant il se panche au sommeil
Plonger au seing de vostre onde
La Lampe de tout le monde.

Voire & d'avoir quelquesfois
Tant levé sa petitesse,
Que soubz l'outil de sa voix
Il pollist vostre hautesse :
Vous ouvrant les beaux secretz
Des vieux Latins & des Grecz,
Dont l'honneur se renouvelle
Par vostre Muse nouvelle.

Doncques puis que les espritz
D'Angleterre & de la France,
Bandéz d'une ligue, ont pris
Le fer contre l'Ignorance :

[A 7 v°]

Et que noz Roys se sont faictz
D'ennernys, ainys parfaictz,
Tuans la guerre cruelle
Par une paix mutuelle.

Avienne qu'une de vous
Noüant la mer passagere,
Se joigne à quelqu'un de nous
Par une nopce estrangere:
Lors voz escriptz avancéz
Se voiront recompenséz
D'une aultre Ode mieux sonnée
Qui crîra vostre Hymenée.



[H 4 r°]

TRADUCTION DE L’ODE
latine precedente, Par Pierre
de Ronsard.

Ainsi que le ravi Prophete
Dans une brulante charette
Haut elever en l'aer s'est veu,
D'un braz enflammé, par le vuide
Guidant l'étincelante bride
De ses chevaux aux piedz de feu :

Lors que de ce Vieillard la robbe
Qui du sein flatubant se derobe
Coulla dans les braz attendans
Du jeune Prophete, & glissante
Par le vague fut rougissante
Loing derriere en sillons ardans :

Comme on voit une etoille emeue
Qui tumbe, ou qui tuniber est veue
Du Ciel, sous une Clerc nuict,
Attrainant derriere sa fuitte
Une longue flambante suitte
De longs trais de feu qui la suit :

Ainsi MARGUERITE fachée
De sa robbe humaine entachée

[H 4 v °]

Du premier vice naturel
Ruant bas de prompte allegresse
Le voile, engourdi de paresse
De son gros fardeau corporel :

Disposte au ciel est arrivée
Sur quatre rouës elevée
Foy, Esperance, Charité,
Et Patience dure & forte
Qui courageusement supporte
Toute maligne adversité.

D'un tel chariot soutenue
Faitte Deesse elle est venue
En la trouppe du Roy des Roys,
Qu'ores elle embrasse & contemple
Royne d'un monde bien plus ample
Que n'estoit pas son Navarrois.


[H 7 r°]

Hymne Triumphal
Sur le trepas de MARGUERITE
DE VALOIS, Royne de Navarre,
Par Pierre de Ronsard
Vandomois.
 

Qui renforcera ma voix ?
Et qui fera que je vole
Jusqu'au ciel à cette fois
Sur l'aile de ma parolle ?
Or mieulx que devant il fault
Avoir l'estommac plus chaut
De l'ardeur qui ja m'enflamme
Le coeur d'une plus grand flamme,
Ores il fault que le frain
Qui ja par le ciel me guide,
Peu serviteur de la bride
Fende l'air d'un plus grand train.

Assés Pindare a chanté
Les jeux d'Hercule, & sa gloire,
Et son Olivier planté
Pour refreschir la mernoire

[H 7 v°]

D'avoir justement du Roy
Puny la parjure foy,
Qui par folle hardiesse,
En demantant sa promesse
Monstra qu'un foible assaillant
En vain fait braver sa force,
Quand par orgueil il s'efforce
D'assaillir le plus vaillant.

Mais moy hâtant de nies vers
La vagabonde carriere,
J'annonce par l'univers
L’honneur de cette Guerriere :
Laquelle apprise aux combas
Ses cheveux n'ombragea pas
D'une si fresle couronne
Que celle que Pise donne :
Mais bien les environna
De sa depouille dontée,
Lors que par soy surmontée
Soi-mesme se couronna.

La donques mon cher soucy,
Sus, Muse, qu'on s'evertue
De tonner bien haut icy
Comme elle s'est combatue.
Chante-moy les bataillans,

I

[I 1 r°]

Les forts, & les moins vaillans,
Et pourquoy s'est animée
Une si estrange armée,
Et quel camp de rage epris
Vint irriter MARGUERITE,
Qui par le divin merite
Se feit maistresse du pris.

Sa Chair tentant le moien,
D'asservir l'Esprit son maistre
Comme un mutin citoien
Qui traistre à son Roy veut estre,
Fut celle de qui l'erreur
Mist aux champs si grande horreur
De gens en armes horribles,
Qui de menaces terribles
Tençoient les murs, & les fortz
De l'Esprit qui les defie,
Tant sa forçe il fortifie
Pour mieux forçer leurs effors.

Là, fut le Monde emplumé
De grands crestes undoiantes,
Là, fut l’Orgueil enflammé
D'eclairs d'armes flamboiantes,
Là, l'esquadron des Plaisirs,
Là, les bandes des Desirs,

[I 1 v°]

Là, les bourreaux de la vie,
La, Couvoitise & Envie,
Mallebouche, & la Rancoeur,
Là, la Gloire somptueuse,
Et l'Ire presumptueuse
Qui ne peut brider son cueur.

Là, dessous les estandars
De la Chair seditieuse,
Flottoient d'ordre ces Soudars
D'une vague audacieuse:
Mais par sus tous s'elevoit
Une lance qu'elle avoit
D'Impatience ferrée,
Sur la couz d'Ire acerée
Que l'on voioit s'enflammer
Par la poincte, en mesme sorte
Que flambe l'Astre qui porte
Un prodige sur la mer.

La maille qu'elle vestoit
Fut de Paresse étoffée,
En lieu d'armet elle estoit
D'une Vanité coifée,
Ou chancelait attaché
Le vieil tymbre de Peché:
Ainsi l'horrible Guerriere

[I 2 r°]

Pressoit ses bandes derriere
Pour les pousser en avant,
Ondoiants de rang, comme undes
Ou comme les foretz blondes
Des espicz, soufflés du vent.

Elle adonc qui regardoit
Ses mains coleres de rage,
Pleine d'un feu qui l'ardoit
Se redoublait le courage.
Par vous, disoit ell', mes mains,
Tant de hayneux inhumains
Ce jourdhuy  modront la terre :
Par vous l'honneur de la guerre
Ja se dit mien, & par vous
Martelant plus dru que foudre
Je mettray l'Esprit en poudre,
Accablé sous moy de coups.

Sus, Soudars, il est saison
Que chacun or se souvienne
De soy, & de sa maison :
La-donc, de peur qu'il n'avienne
Que nous sentions du Vainqueur
La loy, par faute de coeur.
Courage, Enfans, la victoire
Enrichira nostre gloire:

I ij
[I 2 v°]

Autant qu'eux n'avons-nous pas
De braz, de jambes, & d'armes,
Pour repousser leurs allarmes
Par l'effort de noz combatz ?

Si couards vous estes pris,
Rien que la mort ne vous reste :
Ne craignez donc les periz
D'un butin tant manifeste:

Et bien s'ilz sont  plus que nous,
Le gaing en sera plus dous
Et les louenges plus grandes
D'avoir rneurtry plus de bandes :
     De telz motz la Chair flattoit
Les coeurs bouillantz de sa bande,
Et d'une alleure plus grande
A la guerre les hâtoit.

Ja l'Esprit d'une autre part
Impatient qu'on l'assaille,
Avoit franchy son rempart
Pour devançer la bataille :
Lui de raison accoustré,
Horrible a voir s'est monstré
Parmy les troupes menues
Comme un foudre entre les nues :
Et marchant a pas contés

[I 3 r°]

Arrangoit sous sa conduitte
Une longue & longue suitte
De Chevaliers indontéz.

L’Anour divin fut vestu
Du harnois de resistance,
Tout engravé de vertu,
Et redoré de constance:
Là, l'ardante Charité,
Là, la simple Verité,
De pres l'Esprit accompaigne
Avec sa ferme Compaigne,
Là, l'Oraison, & la Loy,
Là, l'honneste Preudhommie,
Là, la crainte d'Infamie,
Là, l'Esperance, & la Foy.

Là, tenoit rang la Pitié
De son guide la plus proche,
Là, s'avançoit l'Amytié
Que chacun doit à son Proche:
Là, les Contemplations,
Avecques les Passions
Que l'Ame fidele endure
Pour corriger la Chair dure,
A la bataille arrivoient
Queue à queue d'une-tire,

I iii

[ I 3 v°]

Et mordant leurs levres d'ire
D'un grand branle se suyvoient.

L'Esprit ores se tournant
Haste son camp magnanime,
Ores un peu sejournant
De telz eguillons l'anime.
Amys, tentez le labeur,
Et ne pallissez de peur
Qu'une si lache Canaille
Face entreprise qui vaille,
Qui ja tremble seulement
De voir sans plus vostre face,
Tant nostre premiere audace
L'epovente horriblement.

Ces motz finiz, dans leur fort
D'un sault de course il s'elance,
Abbattant le Monde mort
Au premier heurt de sa lance :
Du bond en terre donné,
Ses armeures ont tonné,
 Apres, l'Orgueil il renverse
Qui trepignant des piedz verse
 Un lac rouge de son flanc
Vomissant ja froid &blesme
Du creux de la playe mesme

[I 4 r°]

L'ame, le fer, & le sang.

Sans vie apres il rua
Le long ordre des Delices,
Les Voluptés il tua
Du coup qu'il tua les Vices.
Tant de neige ne chet pas
Quant l'air l'eparpille en bas
Pour enfariner la plaine,
Comme la terre estoit plaine
De Soudars menuz greslez
Renversez de son orage,
Les ayant de grand courage
L’un sur l'autre amonceléz.

L'Humilité s'attacha
Contre la Gloire mondaine,
Et sa lance luy cacha
Droit en cette part, ou l'ayne
Se joinct avecque le flanc:
Le Peché de crainte blanc
N'attendit la repentance,
Ains vint fuiant sa constance,
Ou la Grace l’enserra
Dedans sa trouppe hardie,
Là, d'une lance brandie
Jusques au coeur l'enferra.

I iiij

[I 4 v°]

Un peu plus avant la Foy
Faisant branler son panache,
Les Charnelz loing devant soy
Foudroyoit à coups de hache :
La Loy d'un grand coup d'epieu
Profendit jusqu'au millieu
L'opiniatre Heresie,
Et la faulse Hypocrisie
En cent morceaux trançonna :
La Justice de sa pique
Si avant le Vice pique
Que mort le désarçonna.

D'un aultre costé la Chair
Comme un bras d'une montaigne,
Que l'orage fait bruncher
Au plus creux de la carnpaigne,
Casse, froisse, tonne, bruit :
En ce point elle destruit
Les forçes qu'elle rencontre :
Mais l'Esprit s'opposa contre
Son foudre trop inhumain,
Et de pres se joignant d'elle
Effroiablement l'appelle
Seule au combat main à main.

Toi, dist-il, apres avoir

[ I 5 r°]

Contre mon obeissance
Sceu tant d'armes emouvoir
Fuiras-tu bien ma puissance ?
Toi, qui as trahi mes loix,
Et l'honneur que tu me dois,
Toi, Citoienne mutine
Que la Vengeance divine
Ores conduit au danger,
Et souflant sur toi sa hayne
D'un bras violent t'attraine
Dans les miens pour me venger ?

Ja ja la Chair pallissant
De peur sillonne la presse
Devant l'Ennemy puissant
Qui ja l'epaulle lui presse,
Et vouloit se repentir
Quant l'Esprit luy fist sentir
De son homicide pointe
Le coup, ou la gorge est jointe
De l'epaulle au plus gros os :
Ainsi meit fin aux batailles,
Elle poussant ses entrailles
D'un long ordre de sanglotz.

Alors l'Esprit glorieux
De l'heur de son entreprise

[ I 5 v°]

A d'un bras victorieux
La serve dépouille prise:
Puis MARGUERITE en orna,
Et de laurier entourna
Tout le beau rond de sa teste
Lui consacrant la conqueste
De la Chair, car sa vertu
Seulle en causa la defaitte
Et la victoire parfaitte
Que J'Esprit en avoit eu.

JESUCHRIST a cette fois
Ebranlant dans sa main nue
Le grand fardeau de la croix
Perçoit l'antre d’une nue
Alescart, pour voir çà bas
La fin de ces deux combas :
Ayant ferme souvenance
D'une fatale ordonnance,
Que l'Ame au ciel monteroit
Par une nouvelle porte,
Dont la main sainctement forte
Sa chair propre donteroit.

Lors son Ange il appella
Qui front à front des Vents vole,

[ I 6 r°]

Nageant par l'air ça & la
Ou le soufle sa parolle:
Poste, dist il, marche, fuy,
Huche les Ventz & les suy,
Laisse ramer tes aisselles,
Et glisse dessus tes ailes
Tant que bas tu te sçais veu
Dedans les champs qu'environne
La tortueuse couronne
Des Mons surnommez de feu.

Là, de ta parolle endors
Cette Guerriere, & le voile
De son victorieux corps
Transforme au ciel en estoille.
En apres laisse rouller
Son Idole parmy l'aer,
Affin qu'en terre elle tumbe,
Et dedaignante la tumbe
Vole en France sans repos
Par la bouche de rnaint homme
Sans que jamais l'an consomme
Son voler vague & dispos.

L'Ange adoncques s'est lié
Pour mieux haster sa carriere
A l'un & à l'autre pié

[ I 6 v°]

L'une & l'autre Talonniere,
Dont il est porté souvent
Egal aux soupirs du vent
Soit sur la terre, ou sur l'onde
Quand sa roideur vagabonde
L’avalle oultre l'air bien loing:
Puis sa perruque divine
Coiffa d'une Cappeline
Entant sa verge en son poing

De celle, il est defermant
L’oeil de l'homme qui sommeille,
De celle il est endormant
Les yeux de l'homme qui veille,
De celle en l'air soutenu
Noüa, tant qu'il fust venu
Se percher sur la Montaigne
Qui fend la France & l'Espaigne :
Montaigne où bruit sur le haut
Une eternelle tempeste,
Ayant tousiours blanc le feste
De neige qui point n'y faut.

De la se laissant pancher
A corps elancé, grand erre
Fondoit en bas pour trancher
Le vent qui raze la terre :
De ça & de la vaguant,

[ I 7 r°]

A basses rames voguant,
Ores coup sur coup mobiles,
Ores coyes, & tranquilles
Comme un oiseau qui pend bas
Et l'aile au vent il ne plie
Quand pres des eaux il epie
Le hazard de ses apas.

Ainsi l'humble Messager
Trassant une voye escritte,
Glissa bassement leger
Jusqu'au corps de MARGUERITE.
D'elle, les yeux il a cloz,
Puis la chargeant sur son doz
(Comme fut l'Athenienne
Sur l'echine Thracienne)
Haut par l'air se surpendit
Loing loing de la terre basse,
Et d'un long trac il repasse
Par ou mesme il descendit.

Lors il ficha dans les cieux
De ce corps la masse entiere,
Il lui aggrandit les yeux
De rondeur, & de lumiere :
Ses cheveux furent changez
En nouveaux raix allongez,

[ I 7 v°]

Ses deux bras & ses deux jambes
En quatre jumelles flambes :
Bref, ce fut un Astre ardant
Lequel de là hault encores
De son aspect benin ores
La France va regardant.

Si qu'elle avecques les feux
De l'Estoille de son Frere,
Et de ses doubles Neveux,
Bien tost oubliant sa sphere
Viendra flammer sur l'armet
De HENRY, droit au sommet
Où l'espoventable creste
Reflotte dessus la teste.
Pour le guider aux dangers
Soit de l'onde ou de la terre,
Quant les foudres de sa guerre
Perdront les Roys estrangers.

L'Ange apres dans l'Univers
Chassa son Idole errante
Par la bouche & par les vers
De la Muse non-mourante :
Puis chargeant l'Ame à son col
L'emporta d'un roide vol
 (Toute pure & toute nette

[ I 8 r °]

Mieux luisant que sa Planette)
 Sur le ciel, jusques au lieu
Ou les ans fermes demeurent
Entre ceulx qui plus ne nieurent
Incorporés avec DIEU.

La, le droit chemin tenant
Tu es (ô Princesse) allée,
Ou sous tes piedz maintenant
Tu voys la Terre avallée,
Tu voys sous tes piedz saillir
Le jour pour naistre & faillir,
Tu voys la Mer & ses voiles,
Tu scais le nom des Estoilles,
Le froid, le vent, & le chaut
Ne te donnent plus de crainte
Toi faicte nouvelle Saincte
Par les trouppes de la haut.

Là, sous tes piedz, les saisons
Recueillent leurs pas qui glissent,
Là, tu connois les raisons
Des longs jours qui s'apetissent,
Tu scais pourquoy le Soleil,
Ores palle, ores vermeil
Predit le vent & la pluye,
Et le serain qui l'essuye,

[ I 8 v°]

Tu scais les deux trains de l'eau,
Ou si c'est l'air qui sejourne,
Ou si la Terre qui tourne
Nous porte comme un batteau.

Tu scais de quoy se refont
Les deux cornes renaissantes
Que la Lune ente à son front,
Et qui les fait decroissantes:
Tu voys ce grand Animal,
Son rond, & son nombre egal
Discordant en melodie :
Ou tu es, la maladie
Ne defleure la santé,
On n'y voit rien qui deplaise,
Chacun y vit à son aise
De nul ennuy tormenté.

Mais nous pouvres & chetifz
Ici n'avons connaissance
Non plus qu'enfans abortifz
Du lieu de nostre naissance:
Ains volenteux de gesir
Soubs le vicieux plaisir
Des Serenes de la vie,
Jamais ne nous prend envie
(Comme au Grec) de voir un jour

[K 1 r°]

La flamme en l'air promenée
Sauter sur la cheminée
De nostre antique sejour.

Si plus tost je n'ay sacré
Tes cendres à la Memoire,
Ne m'en saiche mauvais gré,
Plus longue en sera la gloire.
Les arbres qui sont tardifz
Demeurent plus long temps vifz,
Les fleurs tost epanouyes,
Tost s'en vont evanouyes,
Et le Colosse elevé
Qui ores le ciel menasse,
En un mesme traict d'espace
Ne se veit point achevé.

Mais quel plus riche Tumbeau
Blanc de neige Parienne
Jadis t'eust dressé plus beau
Cette veufve Carienne?
Quel rocher elabouré,
Ou quel Temple redoré
Pressera la renommée
De cette Tumbe animée,
Laquelle non une fois
Au jour de ses raix publiques

K

[K 1 v°]

Redônra l'ame aux Reliques
Du sainct Astre Navarrois?

Je te salue ô l'honneur
De mes Muses, & encore
L'ornement & le bon heur
De la France qui t'honore :
Ecarte loing de mon chef
Tout malheur, & tout mechef:
Preserve moy d'infamie,
De toute langue ennemie,
Et de tout acte malin :
Et fay que devant mon Prince
Desormais plus ne me pince
La tenaille de Melin.



[L 7 r°]

Aux Cendres de
MARGUERITE DE VA-
lois, Roynede Navarre.

Ode pastorale par Pierre de Ronsard
Vandomois.

Bien heureuse & chaste Cendre
Que la Mort a faict descendre
Dessous l'oubly du tumbeau :
Tumbeau qui vrayment enserre
Tout ce qu'avoit nostre terre,
D'honneur, de grace, & de beau.

Comme les herbes fleuries
Sont les honneurs des prairies,
Et des préz les ruisseletz,
De l'orme la vigne aymée,
Des bocaiges la ramée,
Des champs les bledz nouveletz :

Ainsi tu fuz (ô Princesse)
Ainçois plus tost ô Deesse,
Tu fuz certes tout l'honneur
Des Princesses de nostre age,
Soit en force de courage,
Ou soit. en royal bon heur.

[L 7 v°]

Il ne faut point qu'on te face
Un sepulchre qui embrasse
Mille Termes en un rond :
Pompeux d'ouvrages antiques
Et de haux pilliers Doriques
Elevéz à double front.

L'Airain, le Marbre & le Cuyvre
Font tant seulement revivre
Ceulx qui meurent sans renom :
Et desquelz la sepulture
Presse soubz mesme closture
Le corps, la vie, & le nom :

Mais toi, dont la renommée
Porte d'une aile animée
Par le monde tes valeurs :
Mieux que ces pointes superbes
Te plaisent les douces herbes,
Les fontaines, & les fleurs.

Vous Pasteurs que la Garonne
D'un demy tour environne,
Au millieu de voz préz vers,
Faictes sa tumbe nouvelle,
Et gravéz l'herbe suz elle
Du long cercle de ces vers

[M 1 r°]

ICY LA ROYNE SOMMEILLE
DES ROYNES LA NONPAREILLE
QUI SI DOUCEMENT CHANTA,
C'EST LA ROYNE MARGUERITE
LA PLUS BELI.E FLEUR D'ESLITE
QU’ONQUE L'AURORE ENFANTA.

Puis sonnéz voz Cornemuses,
Et menéz au bal les Muses
En un cerne tout au-tour:
Soit aux jours de la froidure,
Ou quant la jeune verdure
Fera son nouveau retour :

Aux raix cornuz de la Lune
Assembléz sous la nuict brune
Voz Naiades & voz Dieux ,
Et avecque voz Dryades
Donnéz luy dix mille aubades
Du flageol melodieux.

Tous les ans soit recouverte
De gazons sa tumbe verte,
Et qu'un ruisseau murmurant
Neuf fois recourbant ses undes
De neuf torçes vagabondes
Son sepulchre aille emmurant.
M

[M  1 v°]

Dittes à voz brebiettes,
Fuyéz vous-en camusettes
Gaignéz l'ombre de ce bois:
Ne broutéz en cette prée,
Toute l'herbe en est sacrée
A la Nymphe de Valois.

Dittes, a tout-jamais tumbe
La manne dessus sa Tumbe :
Dittes aux filles du ciel,
Venéz mouches menageres,
Pliéz voz ailes legeres,
Faictes ici vostre miel.

Dittes leur, trouppes mignonnes,
Que vos liqueurs seroient bonnes
Si leur douceur egalloit
La douceur de sa parolle,
Lors que sa voix douce & molle
Plus douce que miel couloit.

Dittes, que les mains avares
N'ont pillé des lieux barbares
Telle Marguerite encor,
Qui fut par son excellance
L'Orient de nostre France
La richesse & le thresor.

[M 2 r°]

Ornbragéz d'herbes la terre,
Tapisséz-la de Lyerre,
Plantéz un Cypres aussi :
Et notéz dedans a force
Suz la nouailleuse écorce
De rechef ces vers ici.

PASTEURS, SI QUELQU'UN SOUHAITTE
D'ESTRE FAICT NOUVEAU POETTE,
DORME AUX FRAIZ DE CES RAMEAUX:
IL LE SERA, SANS QU'IL RONGE
LE LAURIER, OU QU'IL SE PLONGE,
DANS L'EAU DES TERTRES JUMEAUX.

Seméz apres mille roses,
Mille fleurettes decloses,
Verséz du miel, & du laict:
Et pour annuel office
Repandéz en sacrifice
Le sang d'un blanc aignelet.

Faictes encor à sa gloire
Pour allonger sa memoire
Mille jeux & mille esbatz :
Vostre Royne saincte & grande
Du hault ciel vous le commande :
Pasteurs, ni faillez donc pas.

Mij

[M 2 v°]

Iö Iö MARGUERITE,
Soit que ton Esprit habite
Sur la nue, ou dans les champs,
Que le long oubly couronne,
Oy ma lyre qui te sonne,
Et preste l'aile à mes chantz.