Pierre de Ronsard, Ode a Michel de l’Hospital, Odes 9-11, Livre V des Odes de 1550, 1550

Ode a Michel de l’Hospital, [Odes 9-11], Livre V des Odes, Paris : Guillaume Cavellart, 1550.
Transcription d’après l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France, Rés P Ye 1482
Publié le 10 décembre 2001
Modifié le 23 décembre 2001
© Université de Poitiers, © Université François-Rabelais de Tours
Transcription et révision : Marie-Luce Demonet, Stéphan Geonget


[RONSARD: ODES DE 1550]

[BnF Rés P Ye 1482]



170

ODE
A MICHEL DE L’HOSPITAL,

Chancelier de MADAME MARGUERITTE.

STROPHE. 1.

Errant par les champs de la Grace
Qui peint mes vers de ses couleurs,
Sus les bords Dirceans j’amasse
Le tesor des plus riches fleurs,
Affin qu’en pillant je façonne
D’une laborieuse main,

171

La rondeur de ceste couronne
Trois fois torce d’un ply Thebain :
Pour orner le hault de la gloire
Du plus heureux Mignon des Dieux,
Qui ça bas r’amena des Cieux
Les filles qu’enfanta Memoire.

Antistrophe.

Memoyre royne d’Eleuthere,
Par neuf baisers qu’elle receut
De Juppiter qui la fist mere,
En neuf soirs neuf filles conceut.
Mais quant la Lune vagabonde
Eut courbé douze fois en rond,
(Pour remflammer l’obscur du monde)
La double voulte de son front :
Elle adonc lassement oultrée
Dessoubz Olympe se coucha,
Et criant Lucine, acoucha
De neuf Filles d’une ventrée.

Epode.

En qui respandit le ciel
Une voix sainctement belle,
Comblant leur bouche nouvelle
Du just d’un Attique miel,
Et à qui vraiment aussi
Les vers furent en souci,
Les vers dont flattez nous sommes :
Affin que leur doulx chanter,
Peust doulcement enchanter

172
Le soing des dieux, & des hommes.

Strop. 2.

Aussi tost que leur petitesse
Glissante avec les paz du temps,
Eut d’une rempente vitesse
Touché la borne de sept ans.
Le sang naturel qui commande
De voir noz parens, vint saisir
Le cuoeur de ceste jeune bande
Chatouillé d’un pieteus desir :
Si qu’elles mignardant leur Mere,
Neuf et neuf braz furent plyant
Au tour de son col, la priant
Et repriant de voir leur Pere.
 

Ant.

Memoyre impatiente d’aize,
Delaçant leur petite main,
L’une apres l’autre les rebaize,
Et les rechauffe dans son sein.
Hors des pommons à lente peine
Une parole luy montoit
De souspirs allegrement pleine,
Tant l’affection l’agitoit,
Pour avoir desja congnoissance
Combien ses Filles auront d’heur,
Ayant pratiqué la grandeur
De leur Pere, & de leur naissance.
 

Epo.

Apres avoir relié

173

D’un tortis de violettes
Et d’un cerne de fleurettes,
L’or de leur chef delié :
Ayant aussi proprement
Troussé leur accoustrement,
Marcha loing devant sa troppe,
Et la hastant jour & nuict,
D’un pied dispos la conduict
Jusqu’au rivage Ethiope.

Stro. 3.

Ces vierges encores nouvelles,
Et mal apprises au labeur,
Voyant le front des eaux cruelles
S’effroyerent d’une grand’peur :
Et presque cheurent en arriere
Tant l’horreur les plyoit adonc,
Comme on voit dans une riviere
Soubz le vent se courber un jonc :
Mais leur Mere non estonnée
De voir leur sein qui babatoit,
Pour les asseurer les flattoit,
De ceste parolle empennée.

Ant.

Courage mes Filles (dist elle)
Et filles de ce Dieu puissant,
Qui dedans sa main immortelle
Soustient le fouldre rougissant :
Ne craignez point les riddes creuses
De l’eau qui bruit profundement,

174

Sur qui voz chansons doulcereuses
Auront un jour commandement :
Mais dedaignez son ire humide,
Et ne vous souffrez decevoyr
Que promptes vous ne veniez voyr
Vostre Pere, desoubz ma guide.

Epo.

Disant ainsi, d’un plein sault
Toute dans les eaux s’allonge,
Comme un oyseau qui se plonge :
Ou comme l’arc de la hault,
Lequel voulté parmy l’air,
Grand, se laissant devaller
Tout d’un coup en la Mer glisse,
Quand Junon haste ses paz,
L’envoyant porter la bas
Un message à sa Nourrice.
 

Stro. 4.

Elles adonc voyant la trace
De leur Mere, qui ja sondoit
Le creux du plus humide espace
Qu’à coups de braz elle fendoit :
A chef tourné sont devalées
Penchant bas la teste & les yeulx
Dans le sein des Pleines salées :
L’eau qui jallit jusques aux cieulx
Grondant sus elles se regorge,
Et frizant deça & delà
Mille tortiz, les avala

175

Dedans le gouffre de sa gorge.

Ant.

En cent façons de mains ouvertes,
Et de piedz voultez en deux pars,
Sillonnoient les Campagnes vertes
De leurs braz vaguement epars.
Comme le plomb, dont la secousse
Treine le filet jusqu’au fond,
Le desir qui les pousse & pousse
Avale contre bas leur front,
Tousiours sondant ce vieil repaire,
Tant qu’elles vindrent au Chasteau
De l’Ocean, qui dessoubz l’eau
Donnoit un festin à leur Pere.

Epo.

De ce Palais eternel
Brave en Colonnes haultaines,
Sourdoient des vives fontaines
Le vif Sourgeon parannel.
Là, pendoit soubz le portail
Lambrissé de verd email,
Sa charette vagabonde,
Qui le roule d’un grand tour
Soit de nuict, ou soit de jour
Deux fois tout au rond du monde.

Stro. 5.

Là, sont divinement encloses
Au fond de cent mille Vaisseaux,
Les semences de toutes choses,

176

Eternelles filles des eaux :
Là, les Tritons chassant les Fleuves
Dans la terre les escouloient
Aux canaux de leurs rives neuves,
Puis soudain ilz les r’apelloient.
Là, ceste trouppe est arrivée
Sur le point que l’on desservoit,
Et que desja Portonne avoit
La premiere nappe levée.

Ant.

Phebus, du meillieu de la table
Pour derider le front des Dieux,
Marioyt sa voix delectable
A son archet melodieux :
Quand l’oeil du Pere qui prent garde
Sus un chascun, se coutoyant,
A l’escart des autres, regarde
Ce petit trouppeau flamboyant,
Du quel & l’honneur, & la grace
Qu’empreinte sur le front portoit,
Publioyt assez qu’il sortoit
De l’heureux tige de sa race.

Epo.

Luy qui debout se dressa,
Et de plus pres les oeillade,
Les serrant d’une accollade
Mille fois les caressa :
Tout egayé de voyr peit
Dedans le beau de leur teinct.

177

Le nayf des graces siennes,
Puis, pour son Hoste esjouir,
Le chant il voulut ouyr
De ces neuf Musiciennes.

Stro. 6.

Elles ouvrant leur bouche pleine
D’une doulce Arabe moisson,
Par l’esprit d’une vive haleine
Donnerent l’ame à leur chanson :
Fredonnant sur la chanterelle
De la Harpe du Delien,
La contentieuse querelle
De Minerve & du Cronien :
Comme elle du sein de la terre
Poussa son Arbre pallissant,
Et luy son Cheval hanissant
Futur augure de la guerre.

Ant.

Puis d’une voix plus violente
Chanterent l’Enclume de fer,
Qui par neuf et neuf jours roulante,
Mesura le Ciel, & l’Enfer,
Qu’un rampart d’airain environne
En rond s’allongeant à l’entour,
Avecque la nuict qui couronne
Sa grand longueur d’un triple tour.
Là, tout debout devant la porte
Le filz de Japet, fermement
Courbé dessoubz le fermement

178

Dresse son poix d’une main forte.

Epo.

Dedans ce gouffre beant,
Hurle la trouppe heretique
Qui par un assault bellique
Assaillit le Tugeant.
Là, tout aupres de ce lieu,
Sont les garnisons du Dieu
Qui sur les mechans elance
Son fouldre pirouettant,
Comme un Chevalier gettant
Sur les ennemys sa lance.

Stro. 7.

Là, de la Terre, & là de l’Onde
Sont les racines jusqu’au fond
De la gorge la plus profonde
De ce ventre le plus profond.
La nuict d’estoilles accoustrée
Là, saluë à son rang, le jour,
D’ordre parmy la mesme entrée
Se rencontrant de ce sejour :
Soit lors que sa noire carriere
Va tout le Monde embrunissant,
Ou quand luy, des eaux jallissant,
Ouvre des Indes la barriere.

Ant.

Apres sus la plus grosse chorde
D’un bruit qui tonnoit jusqu’au[x] cieulx,
Le pouce des Muses accorde

179

L’assault des Geants, & des Dieux.
Comme eulx, sur la crouppe Othryienne
Rangeoient en armes les Titans,
Et comme eulx, sus l’Olympienne
Leur feirent teste par dix ans :
Eulx, dardant les roches brisées
Mouvoyent en l’air chacun cent braz,
Eulx, ombrageant tous les combats
Grelloyent leurs fleches aiguisées.

Epo.

D’aile doubteuse vola
Long temps sus eulx la Fortune,
Qui or’ se montroit commune
A ceulx-cy, or’ à ceulx-là.
Quand Juppiter feit sonner
La retraitte, pour donner
A ces Dieux un peu d’haleine,
Si qu’eulx, en ayant un peu
Prins du Nectar, & repeu,
Plus fort retantent la peine

Stro. 8.

Il arma d’un fouldre terrible
Son bras qui d’eclairs rougissait,
En la peau d’une Chevre horrible
Son estomach se herissoit :
Mars renfrongné d’une ire noire
Branloit son bouclier inhumain :
Le Lemnien d’une machoire
Garnit la force de sa main :

180

Phebus souillé de la poudriere
Lunoit du bras son arc voulté,
Et le lunoit d’autre costé
Sa Soeur, la Dictynne guerriere.
 

Ant.

Bellone eut la teste couverte
D’un fer, sus lequel rechignoit
De Meduse la gueule ouverte,
Qui pleine de flammes grongnoit :
En son poing elle enta sa hache
Par qui les Roys sont irritéz,
Alors que depitte elle arrache,
Les vieilles tours de leurs citéz.
Styx, d’un noir halecret rempare
Ses braz, ses jambes, & son sein,
Sa Fille amenant par la main
Avec Cotte, Gyge, & Briare.

Epo.

Rhete, & Myme, aspres Souldars,
Pour mieux fournir aux batailles,
Brisoient les dures entrailles
Des rocz, pour faire des dardz.
Typhée hochoit arraché
Un grand Sapin ebranché
Comme une lance facile :
Encelade un mont avoit,
Qui bien tost porter devoit
Sur ses rougnons la Secille

181

Str. 9.

Un Tonnerre aislé par la Bise
Ne chocque pas l’autre si fort,
Qui soubz le vent Aphricain brise
Mesme air par un contraire effort,
Comme les Camps s’entreheurterent
A l’abborder de divers lieux,
Les pouldres de leurs piedz monterent
Par tourbillons jusques aux cieux.
Un cry se faict, Olympe en tonne,
Othrye en bruit, la Mer tressault,
Tout le Ciel en mugle la hault,
Et la bas l’Enfer s’en estonne.

Ant.

Voici le magnanime Hercule
Qui de l’arc Rhete a menacé,
Voici Myme qui le recule
Du heurt d’un rocher eslancé :
Neptune à la fourche estophée
De trois crampons, vint se mesler
Dans la trouppe, contre Typhée
Qui roüoit une fonde en l’air :
Ici, Phebus d’un traict qui jette
Feit Encelade trebucher,
Et là Porphyr, luy feit bruncher
Hors des poings  l’arc, & la sagette.

Epo.

Adonc le Pere puissant,
Qui d’oz & de nerfz s’efforce,

182

Ne mist en oubly la force
De son fouldre punissant,
My-courbant son sein en bas,
Et dressant bien hault le bras
Contre eulx guigna sa tempeste,
Laquelle en les fouldroyant
Sifloit aigu, tournoyant
Comme un fuzeau, sus leur teste.

Stro. 10.

Du feu, les deux pilliers du Monde
Bruslez jusqu’au fond chanceloyent,
Le Ciel ardoit, la Terre & l’Onde
Tous petillantz etincelloyent :
Si que le souffre amy du fouldre
Qui tomba lors sus les Geans,
Jusqu’au jourd’huy noyrcist la pouldre
Qui put par les champs Flegreans
Atant les filles de Memoyre
Du Luth appaiserent le son,
Finissant leur doulce chanson
Par ce bel hynne de victoire.

Ant.

Juppiter qui tendoit l’oreille
La combloit d’un aize parfaict,
Ravy de la voix nompareille
Qui si bien l’avoit contrefait :
Et retourné, rid en arriere
De Mars, qui tenoit l’oeil fermé,
Ronflant sur sa lance guerriere,

183

Tant la Chanson l’avoit charmé.
Puys à ses Filles il commande
De luy supplier pour guerdon
De leurs chansons, quelque beau don
Qui soit digne de leur demande.

Epo.

Lors sa race s’approcha,
Et luy flattant de la dextre
Les genoux, de la senestre
Le soubz-menton lui toucha :
Voyant son grave sourcy,
Long temps fut beante ainsi
Sans parler, quand Calliope
De la belle voix qu’elle ha
Ouvrant sa bouche parla,
Seule pour toute la troppe.
 

Stro. 11

Donne nous, mon Pere, dit-elle
Qui le Ciel regis de tes loix,
Que nostre chanson immortelle
Paisse les Dieux de nostre voix :
Fay nous Princesses des Montaignes,
Des Antres, des Eaux, & des Bois,
Et que les Prez, & les Campaignes
S’animent dessoubz nostre voix :
Donne nous encor davantage
La tourbe des Chantres divins,
Les Poëtes, & les Devins
Et les Prophetes en partage.

Ant.

Fay, que les vertueux miracles
Des vers medecins enchantez
Soyent a nous, & que les Oracles
Par nous encore soyent chantez.
Donne nous ceste double grace
De fouler l’Enfer odieux,
Et de sçavoir la courbe trace
Des feux qui dancent par les cieux :
Donne nous encor la puissance
D’arracher les ames dehors
Le salle bourbier de leurs corps,
Pour les rejoindre à leur naissance.

Epo.

Donne nous que les Seigneurs,
Les Empereurs, & les Princes,
Soyent veuz Dieux en leurs provinces
S’ilz reverent noz honneurs.
Fay, que les Roys decorez
De noz presentz honorez,
Soyent aux hommes admirables,
Lors qu’ilz vont par leur cité,
Ou lors que plains d’equité
Donnent les loix venerables.

Stro. 12

A-tant acheva sa requeste,
Courbant les genoux humblement,
Et Juppiter d’un clin de teste
L’accorda liberaleinent.

185

Si toutes les femmes mortelles
Que je donte dessoubz mes bras
Me concevoyent des Filles telles,
(Dist il) il ne me chaudroit pas
Ny de Junon, ny de sa rage :
Tousjours pour me faire honteux,
Enfante ou des Monstres boyteux,
Ou des filz de mauvais courage

Ant.

Comme Mars. mais vous, trouppe chere
Que j’ayme trop plus que mes yeulx,
Je vous planté dans votre mere
Pour plaire aux hommes & aux Dieux.
Sus doncque retournez au monde,
Couppez moy de rechef les flotz,
Et là, d’une langue faconde
Chantez ma gloire, & vostre loz :
Vostre mestier, race gentille,
Les austres mestiers passera
D’autant qu’esclave il ne sera
De l’art aux Muses inutile.
 

Epo.

Par art, le Navigateur
Dans la Mer manie, & vire
La bride de son navire,
Par art, playde l’Orateur,
Par art, les Roys sont guerriers,
Par art, se font les ouvriers :
Mais si vaine experience

186

Vous n’aurez de tel erreur,
Sans plus ma saincte fureur
Polira vostre science.

Stro. 13.

Comme l’Emant sa force inspire
Au fer qui le touche de pres,
Puis soubdain ce fer tiré, tire
Un aultre qui en tire apres :
Ainsi du bon filz de Latonne
Je raviray l’esprit à moy,
Luy, du pouvoir que luy donne
Ravira les vostres â soy :
Vous, par la force Apollinée
Ravirez les Poëtes saincts,
Eulx, de vostre puissance attaincts
Raviront la tourbe estonnée.

Ant.

Affin (o Destins) qu’il n’advienne
Que le monde appris faulcement,
Pense que vostre mestier vienne
D’art, & non de ravissement :
Cét art penible, & miserable
S’elongnera de toutes pars
De vostre mestier honorable,
Demambré en diverses pars,
En Prophetie, en Poesies,
En Mysteres, & en Amour,
Quatre fureurs, qui tour à tour
Chatouilleront voz fantasies.

187

Epo.

Le trait qui fuit de ma main
Si tost par l’air ne chemine,
Comme la fureur divine
Vole dans un cuoeur humain :
Pourveu qu’il soit preparé,
Pur de vice, & reparé
De la vertu precieuse.
Jamais les Dieux saincts & bons
Ne repandent leurs saincts dons
Dans une ame vicieuse.

Stroph. 14.

Lors que la mienne ravissante
Vous viendra troubler vivement,
D’une poictrine obeissante
Tramblez dessouz son mouvement,
Et endurez qu’ell’vous secoüe
Le corps & l’esprit agité,
Affin que Dame s elle se joüe
Au temple de sa Deïté :
Elle de toutes vertuz pleine,
De mes secretz vous remplira,
Et en vous les accomplira
Sans art, sans sueur, ne sans peine.

Antist.

Mais par sus tout, prenez bien garde,
Gardez vous bien de n’employer
Mes presents dans un cuoeur qui garde
Son peché sans le nettoyer :

188

Ains devant que de luy repandre,
Purgez-le de vostre doulce eau,
Affin que net il puisse prendre
Un beau don dans un beau vaisseau :
Et luy purgé, à l’heure à l’heure
Divinement il chantera,
Un beau vers qui contentera
Sa parenté posterieure.

Epo.

Celuy-qui sans mon ardeur
Vouldra chanter quelque chose,
Il voira ce qu’il compose
Veuf de grace, & de grandeur :
Ses vers naistront inutilz,
Ainsi qu’enfans abortifz
Qui ont forcé leur naissance,
Pour monstrer en chacun lieu
» Que les vers viennent de Dieu,
» Non de l’humaine puissance.
 

Stro. 15.

Ceulx là que je feindray Poëtes
Par la grace de ma bonté,
Seront nommez les Interpretes
Des Dieux, & de leur volunté :
Mais ilz seront tout au contraire
Appellez sotz, & furieux,
Par le caquet du populaire
Mechantement injurieux.
Tousiours pendra devant leur face

189

Quelque Démon, qui au besoing
Diligentement aura soing
De toutes choses qu’on leur face.

Ant.

Allez mes Filles, il est heure
De fendre les champs écumeux,
Allez ma gloire la meilleure,
Allez mon loz le plus fameux.
Vous ne debvez dessus la terre
Long temps ceste fois sejourner,
Que l’ignorance avec sa guerre
Ne vous contraigne retourner :
Pour retomber soubz la conduitte
D’un guide, dont la docte main
Par un effroy Grec, & Romain,
Aislera ses piedz à la fuitte.

Epo.

A-tant juppiter enfla
Sa bouche rondernent pleine,
Et du vent de son halaine
Sa fureur il leur souffla
Apres leur avoir donné
Le Luth qu’avoit façonné
L’ailé Courier Atlhantide,
D’ordre par l’eau s’en revont,
Et trenchant l’onde, elles font
Ronfler la Campaigne humide.

Stro. 16.

Dieu vous gard, jeunesse divine,

190

Rechaufféz moy l’affection
De tordre les plys de ceste Hynne
Au mieux de leur perfection
Desilléz moy l’ame assoupie
En ce gros fardeau vicieux,
Et faictes que tousiours j’espie
D’oeil veillant les secretz des cieulx :
Donnez moy le sçavoir d’eslire
Les vers qui sçavent contenter,
Et mignon des Graces, chanter
Mon FRANCION sur vostre Lyre.

Ant.

Elles tranchants les ondes bleüees,
Vindrent du creux des floz chenuz,
Ainsi que neuf petites nües
Parmy les peuples incongnuz :
Où dardant leurs flammes subtiles,
Du premier coup ont agité
Le cuoeur prophette des Sybilles,
Epoinct de leur divinité :
Si bien que leur langue comblée
D’un son horriblement obscur,
Chantoit aux hommes le futur,
D’une bouche toute troublée.

Epo.

Apres par tout l’Univers
Les responses prophetiques
De tant d’oracles antiques
Furent escriptes en vers :

191

En vers se feirent les loix,
Et les amitiez des Roys
Par les vers furent acquises :
Par les vers on feit armer
Les cuoeurs, pour les animer
Aux vertueuses emprises.

Stro. 17.

Au cry de leurs sainctes parolles
Se reveillerent les Devins,
Et disciples de leurs escolles
Vindrent les Poëtes divins,
Divins, d’autant que la nature
Sans art librement exprimaient,
Sans art leur nayve escripture
Par la fureur itz animoyent :
Eumolpe vint, Musée, Orphée,
L’Ascréan, Line, & cestuy-la
Qui si divinement parla
Dressant pour les Grecz un trophée.

Ant.

Eulx piquez de la doulce rage,
Dont ces Femmes les tourmentoyent,
D’un demoniacle courage
Les secretz des Dieux racontoyent :
Si que paissant par les Campagnes
Les troupeaux dans les champs herbeux,
Les Démons, & les Sœurs compaignes
La nuict s’apparoissoient à eux :
Et loing sus les eaux solitaires,

192

Carollant en rond dans les prez,
Les promovoyent Prestres sacrez,
Et leur aprenoyent les mysteres.

Epo.

Apres ces Poëtes sainctz,
Avec une suitte grande,
Arriva la jeune bande
Des vieux Poëtes humains :
Degenerant des premiers,
Comme venuz les derniers,
Par un art melancolique
Trahissoyent avec grand soing
Leurs vers, esloignez bien loing
De la saincte ardeur antique.

Stro. 18.

L’un sonna l’horreur de la guerre
Qu’à Thebes Adraste conduit,
L’autre comme on tranche la terre,
L’autre les flambeaux de la nuict :
L’un sus la fluste departie
En sept tuyaux Seciliens
Chanta les boeufz, l’autre en Scithie
Remena les Thessaliens :
L’un feit Cassandre furieuse,
L’un au ciel darda les debatz
Des Roys chetifz, l’autre plus bas
Traina sa chanson plus joyeuse.
 

Ant.

Par le fil d’une longue espace,

193

Apres ces Poëtes humains,
Les Muses souflerent leur grace
Dessus les prophettes Romains,
Non pas comme fut la premiere,
Ou comme la seconde estoit :
Mais comme toute la derniere
Plus lentement les agitoit :
Eulx toutesfois pinçant la lyre
Si bien s’assouplirent les doigs,
Qu’encor les fredons de leur voix
Jusqu’aujourdhuy l’on entent bruire.

Epo.

Tandis l’Ignorance arma
L’aveugle fureur des Princes,
Et leurs aveugles Provinces
Contre les Soeurs anima.
Ja desja les enserroit,
Mais plus tost les enferroit,
Quand les Muses detournées
Voyant.du fer la rayeur,
Haletantes de frayeur
Dans le ciel sont retournées.
 

Stro. 19.
 

Aupres du Trosne de leur Pere
Tout à lentour se vont assoyr,
Chantant avec Phebus leur Frere,
Ses traictz, sa fouldre & son povoyr.
Les Dieux ne faisoyent rien sans elles,
Ou soit qu’ilz voulussent aller

194

A quelques nopces solennelles,
Ou soit qu’ilz voulussent baller.
Mais si tost qu’arriva le terme,
Qui les hastoit de retourner
Au monde pour y sejourner
D’un paz eternellement ferme.

Ant.

Adonc Juppiter se devalle
De son trosne, & grave conduict
Gravement ses paz en la salle
Des Parques filles de la Nuict :
Leur roquet a pendoit jusqu’aux hanches,
Et un Dodonien feuillard
Faisoit umbrage aux tresses blanches,
De leur chef hideument vieillard :
Elles ceintes soubz les mamelles
Filloyent assises en un rond,
Sur troys carreaux, ayant le front
Et les yeulx retournez vers elles.

EPODE

Leur pezon se herissoit
D’un fer étilé de rouille,
Au flanc pendoit leur quenoille
Qui d’airain se redissoit.
Au meilieu d’elles estoit
Un coffre, où le Temps mettoit
Les fuzeaux de leurs journées,
De courtz, de grands, d’allongez,
De gros, & de bien dougez,

195

Comme il plaist aux Destinées.

Stro. 20.

Ces troys Soeurs à l’oeuvre ententives
Marmotoyent un charme fatal,
Tortillant les filaces vives
Du corps futur de L’HOSPITAL.
Cloton qui le filet replie
Ces deux vers mâcha par neuf fois :
JE RETORDS LA PLUS BELLE VIE
QUE JAMAIS TORDIRENT MES DOIGS.
Mais si tost quelle fut tirée
A l’entour du fuzeau humain,
Le Temps la jecta dans la main
Du filz de Saturne, & de Rhée.

Ant.

Luy adonques print une masse
De terre, & devant tous les Dieux,
Dedans il feignit une face,
Un corps, deux jambes, & deux yeulx,
Deux braz, deux flancz, une poictrine
Et l’achevant de l’imprimer
Soufla dans sa bouche divine
Le sainct filet pour l’animer.
Luy donnant encor’ davantage
Mille vertuz : il appella
Ses neuf Filles qui ça & là
Entournoyent la nouvelle Image.

Epo.

Ores vous ne craindrez pas,

196

Seures, soubz telle conduitte,
De reprendre encor la fuitte
Pour encor voller la bas :
Suyvez donc ce guyde icy,
C’est celuy (Filles) aussi,
Du quel la docte asseurance
Franches de peur vous fera,
Et celuy qui defera
Les souldars de l’Ignorance.

Stro. 21.

Lors à val il poussa leur guyde,
Et elles d’ordre le suyvant,
F’endoyent le grand vague liquide,
Haultes sur les ailes du vent :
Ainsi qu’on voyt entre les nuës
De rang un esquadron voler,
Soit de Cygnes, ou soit de Grues
Suyvant leur guide parmy l’air.
Atant pres de terre eslevées
Tomberent au monde, & le feu
Qui flarnber à gauche fut veu
Resalüa leurs arrivées.

Ant.

Hâ chere Muse, quel Zephyre
Souflant trop violentement
A faict écarter mon navire
Qui fendoit l’eau si droittement ?
Tourne à rive doulce Nourrice,
Ne vois-tu MOREL sus le bord,

197

Lequel, affin qu’il te cherisse,
T’oeillade pour venir au port ?
N’oys-tu pas sa Nymphe ANTOINETTE
Du front du havre t’appeler,
Faisant son oeil estinceler,
Qui te sert d’heureuse Planette ?

Epo.

Hâte-toy donc de plyer
Ta chanson trop poursuivie,
De peur (Muse) que l’Envie
N’ait matiere de crier,
Laquelle veult abysmer
Noz noms au fond de la Mer
Par sa langue sacrilege :
Plus elle nous veult plonger,
Plus elle nous faict nager
Hault dessus l’eau comme un liege.

Stro. 22.

Contre cette Lice execrable
Resiste d’un doz non plié :
» Cest grand mal d’estre miserable,
» Mais cest grand bien d’estre envié.
Je scay que tes peines sucrées
Par l’heur de la fatalité,
Seront malgré les ans sacrées
Aux piedz de l’immortalité :
Mais les vers que la chienne Envie
En se rongeant faict avorter,

198

Jamais ne pouront supporter
Deux Soleilz, sans perdre la vie.

Ant.

Ourdis, ô doulce Lyre mienne,
Encor’ un chant à cestui cy,
Qui met ta chorde Dorienne
Soubz le travail d’un doulx soucy.
Il n’y a ne torrent, ne roche,
Qui puisse engarder un sonneur,
Que pres du Bon il ne s’approche
Courant pour chanter son honneur.
Puisse-je autant darder cest hynne
Par l’air, d’un bras presumptueux,
Comme il est sage, & vertueux,
Et comme il est de mes vers digne.

Epo.

Faisant parler sa grandeur
Aux sept langues de ma Lyre,
De luy je ne veux rien dire
Dont je puisse estre menteur :
Mais veritable, il me plaist
De chanter bien hault, qu’il est
L’ornement de nostre France,
Et qu’en fidele equité,
En justice, & verité,
Les vieux siecles il devance.

Stro. 23

C’est luy dont les graces infuses
Ont ramené dans l’univers

199

Le Choeur des Pierides Muses,
Faictes illustres par ses vers :
Par luy leurs honneurs s’embellissent,
Soit d’escriptz rampantz à deux piedz,
Ou soit par des nombres qui glissent,
De paz tous francz & deliez:
Cest luy qui honore, & qui prise
Ceulx qui font l’amour aux neuf Soeurs,
Et qui estime leurs doulceurs,
Et qui anime leur emprise.

Ant.

C’est luy (chanson) que tu reveres
Comme l’honneur de nostre Ciel,
C’est celuy qui aux Loix severes
A faict gouster l’Attique miel :
C’est luy que la saincte balance
Congnoist, & qui ne bas ne hault,
Juste, son poix douteux n’elance,
La tenant droicte comme il fault :
C’est luy dont l’oeil non variable
Notte les meschantz, & les bons,
Et qui contre le heurt des dons
Oppose son cuoeur imployable.

Epo.

J’avise au bruit de ces motz
Toute France, qui regarde
Mon trait qui droictement darde
Le riche but de ton loz.
Je trahirais les vertuz,

200

Et les hommes revestuz
De vertueuses louanges,
Sans publier leur renom
Et sans envoyer leur nom
Jusques aux terres estranges.

Stro. 24.

L’un, d’une chose ébat sa vie,
L’autre, par l’autre est surmonté :
Mais ton ame n’est point ravie
Sinon de justice & bonté.
Pour cela nostre MARGUERITTE
L’unique Soeur de ce grand ROY,
De loing espiant ton merite,
Bonne, a tiré le bon à soy.
Bien que son Pere ait par sa lance
Donté le Suysse mutin,
Et que de l’or Grec & Latin
Ait redoré toute la France :

Ant.

Il ne feit jamais chose telle
Que d’avoir engendré la fleur
De la MARGUERITTE immortelle
Pleine d’immortelle valeur :
Laquelle, tout le Ciel admire,
Et affin que de tous coustez
Dedans ses graces il se mire,
Sus elle tient ses yeulx voutez :
Laquelle d’un ver, plein d’audace
Plus haultement je descriray.
Lors que hardy je publiray
Le tige Troyen de sa race.

Epo.

Mais la loy de la chanson,
Ores ores me vient dire
Que par trop en long je tire
Les repliz de sa façon :
Ore donque je ne puis
Vanter la Fleur, tant je suis
Pris d’une ardeur nompareille,
D’aller chez toy pour chanter
Cet’ Ode, affin d’enchanter
Ton soing charmé par l’oreille.

[Ode 9]

CONTRíESTRENE,
Au Seigneur ROBERT DE LA HAYE.

Ceulx qui semoyent par sus le dôs,
De nostre grand Mere les ôs
Dans le desert des vuides terres,
Pour ríanimer le genre humain :
Tousjours ne versoyent de leur main
La dure semence des Pierres.

Mais bien quelque fois ilz ruoyent
Des Diamans, qui se muoyent
Changeant leur dur, en la naissance
Díun peuple rare & precieux,

202

Qui encores de ses ayeulx
Donne aujourdhuy la congnoissance.

Ton beau rayon qui luit icy,
Montre quíun Diamant aussi
Muant en toy sa forme claire,
Líestre semblable tía donné :
Car des pierres tu níes point né
Comme fut ce dur populaire.

Il a líesprit gros & plombé,
Tousjours vers la terre courbé,
Jamais au beau ne dresse líaile :
Le tien síeleve sainctement,
Balancé díun vol haultement
Tout autour de la chose belle.

Aussi le bruit impetueux
De ce Palais tumultueux,
Forçant ton destin, ne tíamuse,
Si bien, que quelque-fois le jour
Tu ne travailles au sejour
De líoyseux travail de la Muse.

Quíest-il rien aussi de plus doulx ?
A quel sucre egallerons nous
Le doulx miel de ta poësie ?
Doulcement ne surmonte il pas
Par sa doulceur les doulx apas

203

Du Nectar, & de líAmbrosie ?

Les Amours níayment tant les pleurs,
La mouche ne suit tant les fleurs,
Ne les Vainqueurs tant les couronnes :
Comme les Muses tu poursuis,
Comme díun pied legier tu suis
Le trac de ces doulces Mignonnes.

Nul mieux que toy parmy les boys,
Ne contrefait leur belle voix,
Et nul par les roches haultaines
Ne les va mieux accompaignant,
Ne mieux avec ellíse baignant
Soubz le Cristal de leurs fontaines.

Nul mieux soubz les raiz de la nuict,
Quand la Lune en son plein reluit
Sus líherbe avec elles ne dance,
Suyvantes le poulce divin
De ce grand Alcée Angevin
Qui devant sonne la cadance.

Toy lors couronné du lien
Que donne líArbre Delien,
Ores tu prens plaisir díelire
Le premier ranc, or le meillieu,
Entre elles marchant comme un Dieu
Qui síegaye dessoubz la lyre.

204

Et toutesfois estant ainsi
De ces Pucelles le soucy,
Tu veux bien faire un contre échange
De tes vers Latins qui sont díor,
Aux miens moindres quíerain encor,
Indignes de telle louenge.

Bien que la France ait avoüé
Le premier vers que jíay joüé,
Cela ne míeust donné líaudace
De te respondre, ou de tanter
Ma lyre, qui ne scait chanter
Pour toy quíune chanson trop basse.

Mais ce bon Pere au double chef,
Qui lían ramene de rechef
Díune inconstance coustumiere,
Mía commandé de la sonner
Telle quíelle est, pour estrener
La foy de nostre amour premiere.

Si jíavoy les butins heureux
Que le Marchant avantureux
Arrache du sein de líAurore,
Tu les aurois : & les sablons
Qui roullent luisantement blonds
Dans líeau que la Phrygie honore.

Ou si jestois assez subtil,
Pour animer par un outil

205

La toille muette, ou le cuivre :
Mon art tíoffriroit ses presens,
Mais ces dons là contre les ans
Ne te scauroyent faire revivre.

Pren donc mes vers qui vallent mieux,
Et les reçoy comme les Dieux
Reçoyvent par leur bonté haulte
Les humbles presens des mortelz,
Qui díoffres chargent leurs autelz
Bien que de rien ilz nayent faulte.

[Ode 10]

A Claude de Ligneri.
ODE.
 

Qui par gloyre, & par mauvaistié,
Et par nonchallante paresse,
Aura tranché de líamitié
Le noud qui doulcement nous presse :
A celuy de rigueur expresse
Je deffen quíen nulle saison,
Ne síeberge dans ma maison :
Et quíavec moy sur le rivage,
Compagnon díun mesme voyage,
Pollu, ne couppe le lien
Qui tient líhosteliere navire :
Car Juppiter le Philien
Quelquefois avecque le pire

206

Punist le juste, & peu souvent
Souffre la vengeresse Peine
Díune jambe boiteuse & vaine
Le mechant galloper devant.

Que sert à líhomme de piller
Tous les printemps de líArabie,
Et de ses moissons despouiller
Soit la Sicile, ou la Lybie,
Ou desrober líInde annoblye
Aux tresors de son bord gemmé :
Síil níayme & síil níest point aymé ?
Si tout le monde le dedaigne,
Si nul second ne líaccompaigne
Solliciteux de son amy :
Comme un Patrocle pitoyable
Suyvoit Achille, fut parmy
La nuë la plus effroyable
Des Lyciens, lors quíodieux
Contre Priam soufloit son ire,
Ou quand paisible, sus la lyre
Chantoit les hommes & les Dieux.

Le temps qui a commandement
Sur ces grands Masses sourcilleuses,
Qui devallent leur fondement
Jusques aux ondes sommeilleuses,
Ne les menaces orgueilleuses
Des fiers Tyrans, ne scauroyent pas

207

Esgrouller, ne ruer en bas
La ferme amour que je te porte,
Tant elle est en sa force, forte.
Et si avec toy librement
Je ne puis franchir les montaignes,
QuíHannibal cassa durement
Hayneux des Latines campagnes :
Pour-tant ne mesprise ma foy.
Car líaspre soing qui míenchevestre
Seul míalante, & míengarde díestre
Prompt à voller avecques toy.

Mais síil te plaist de retenir
Ta fuitte disposte & legiere,
Jusquíau temps quíon voit revenir
LíAronde des fleurs messagiere :
De prompte jambe voyagere
Je te suyvray, fut pour trouver
Líonde où Phebus vient abbreuver
Ses chevaux suantz de la course,
Ou du Nil líincertaine source.
Mais si le desir courageux
Te picque tant quíil tíimportune
De forcer líhyver oultrageux,
Et la saison mal opportune :
Marche, fuy, va legerement
Líoyseau Menalien Mercure,
Le Dieu qui des passants a cure,
Te puisse guider dextrement.

208

Ces meurtriers pelottons volans
Que líorage par les Monts boulle,
Ne te soyent durs ne violents,
Et líeau qui par ravines coulle
Du just de la neige qui roulle,
Demeure coye, sans bruncher
Quand tu voudras en approcher
La froide gorge Thracienne,
Et líaquatique Lybienne,
Serrent leurs vents audacieux,
Que rien sus les Monts ne resonne
Fors un Zephyre gracieux,
Imitant ton Luth quand il sonne :
Phebus aussi qui a congnu
Combien son poëte te prise,
Clair, par les champs te favorise,
Et sa Soeur au beau front cornu.

Quand tu te seras approché
Des plantes grasses díItalie,
Vi, Ligneri, pur du peché
Qui líamitié premiere oublye.
Níendure que líage delie
Le noud que les Graces ont joinct.
O temps où líon ne souloit point
Courir à líonde Hyperborée!
Telle saison fut bien dorée
En laquelle on se contentait
De voir de son tect la fumée,

209

Lors que la terre on ne hantoit
Díun aultre Soleil allumée.
Et les mortelz heureux, alors
Remplis díinnocence nayfve,
Ne congnoissoyent rien que leur rive
Et les flancz de leurs prochains bordz.

Tu le diras à ton retour
Combien de lacz & de rivieres,
Leschent les murs díun demy tour
De tant & tant de villes fieres :
Quelles Citez vont les premieres
En brave nom le plus vanté :
Et par moy te sera chanté
Ma Franciade commencée,
Si Phebus meurist ma pensée :
Tandis sur le Loyr je suyvray
Un petit toreau que je voüe,
A ton retour, qui ja sevré
Tout seul par les herbes se joüe,
Blanchissant díune note au front,
Sa marque imite de la Lune
Les feuz courbez, quand líune & líune
De ses deux cornes se refont.

[Ode 11]

[2]10

Au Conte Díalsinois
Nicolas Denisot du Mans.

Bien que le reply de Sarte
Qui lave ton Alsinois,
En serpentant ne síecarte
De mon fleuve Vandomois:
Et que les champs de ton estre
Que les Graces ont en soing,
De ceulx là qui míont veu naistre
Ne se bornent pas bien loing :

Cela pourtant níavoit force
De míalecher, sans avoir
Premier engoulé líamorce
Qui pendoit de ton sçavoir
Et non ta Sarte voisine,
Ny ton champ voisin au mien,
Nostre amytié ne fut digne
Díun si vulgaire lien.

La vertu fut en partie
La corde qui nous joignit,
Et la mesme sympathie
Celle qui nous estraignit.
Cíest donc líheureuse follie
Dont le ciel follastre en nous,
Non le païs qui nous lye
Díun affollement si doulx.

[2]11

Quoy ? celuy que la Nature
A des enfance animé
De poësie, & peinture,
Ne doibt il pas estre aymé ?
Puis que telle fureur double,
Tel double present des cieulx,
Voluntiers les hommes trouble
Qui sont les mignons des Dieux.

Mais ou est líoeil qui níadmire
Tes tableaux si bien portraictz,
Que la Nature se mire
Dans le parfaict de leurs traictz ?
Ou est líoreille bouchée
De telle indocte espesseur
Qui ne rie, estant touchée
De tes vers plains de doulceur ?

Cesse donc & ne soubhette
De tíenrichir plus de rien,
Toy qui es peintre & poëte,
Fuy líautre troisiesme bien :
Car si líardante Musique
(En tíornant de sa vertu
Joincte aux deux autres) te pique,
Bons Dieux, que deviendrois-tu !

Ton ame fuyant la peine
Dont tu serois agité,

212

Síechapperoit, las, trop pleine
De tant de divinité :
Et ces passions nouvelles
Aux deux flancz luy boutteroient
Pour la mieux haster, des aisles
Qui par líair líemporteroyent.

Vrayment Dieu qui tout ordonne
Sans estre forcé díaulcun,
Le beau present quíil te donne
Níeslargist pas à chascun.
Aussi sa saincte pensée
Deseignant ce monde beau,
A sa forme commencée
Sus le deseing díun tableau.

Le variant en la sorte
Díun protraict ingenieux,
Où maint beau traict se rapporte
Pour mieux decevoir les yeulx.
Asseure toy pour ne craindre
Que la Mort en te pressant,
Puisse ton renom esteindre
Avec le corps perissant.

Vaines seroyent ses allarmes,
En vain líarc elle bandroit,
Toy, tenant au poing les armes
A tíen servir si a-droit:

213

Car le pinceau, & la plume,
A qui les sçait bien ruer
Ont usurpé la coustume
De la Mort mesmes tuer.

Jen Second, de qui la gloire
Níira jamais defaillant,
Èut contre elle la victoire
Par ces armes líassaillant:
Dont la main industrieuse,
Animoit péniblement
La charte laborieuse,
Et la table egualement

Et duquel les baizers, ores
Pour estre venuz du Ciel,
En ses vers coulent encores
Plus doulx que líAttique miel.
Mais, ô Denisot, qui est-ce
Qui peindra les yeulx traictifz
De Cassandre ma Deesse,
Et ses blondz cheveux tortifz ?

Lequel díentre vous sera-ce,
Qui pourroit bien colorer
La magesté de sa grace
Qui me force à líadorer ?
Et ce front dont elle abuse
Ce pauvre Poëte amant,

214

Son riz (ains une Meduse)
Qui tout me va transformant !

Amour, qui le cuoeur me ronge
Pour redoubler mon esmoy,
Ceste nuict trois fois en-songe
Lía faicte apparoistre à moy.
Las, mais elle accoustumée
De me retromper souvent,
Me fuit comme une fumée
Qui se jouë avec le vent.

Fin du cinqiesme livre des odes de P. de
Ronsard Vandomoys.